diff options
Diffstat (limited to 'old/44356-h')
| -rw-r--r-- | old/44356-h/44356-h.htm | 12260 | ||||
| -rw-r--r-- | old/44356-h/images/cover-page.jpg | bin | 0 -> 419906 bytes |
2 files changed, 12260 insertions, 0 deletions
diff --git a/old/44356-h/44356-h.htm b/old/44356-h/44356-h.htm new file mode 100644 index 0000000..8e41ae3 --- /dev/null +++ b/old/44356-h/44356-h.htm @@ -0,0 +1,12260 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html lang="fr"> + +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html; charset=iso-8859-1"> +<title>The Project Gutenberg e-Book of Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799); Author: Paul Gaffarel.</title> +<link rel="coverpage" href="images/cover-page.jpg"> + +<style type="text/css"> +<!-- + +body {font-size: 1em; text-align: justify; margin-left: 5%; margin-right: 5%;} + +h1 {font-size: 115%; text-align: center; margin-top: 4em; margin-bottom: 2em;} +h2 {font-size: 110%; text-align: center; margin-top: 4em; margin-bottom: 2em; line-height: 1.8em;} +h3 {font-size: 105%; text-align: center; margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} + +a:focus, a:active { outline:#ffee66 solid 2px; background-color:#ffee66;} +a:focus img, a:active img {outline: #ffee66 solid 2px; } + + + +sup {line-height: 0em;} + +p {text-indent: 1em;} +p.tn {margin-left: 10%; width: 80%;} + +.p2 {margin-top: 2em; margin-bottom: 1em;} +.p4 {margin-top: 4em; margin-bottom: 1em;} + +.smcap {font-variant: small-caps; font-size: 95%;} +.smaller {font-size: smaller;} + +.center {text-align: center; text-indent: 0em;} +.min2em {margin-left: -2em;} + +.frontpage {margin-top: 4em; margin-bottom: 4em;} +.advert {margin-top: 4em; margin-bottom: 4em; + margin-left: 10%; margin-right: 10%;} +.advert p {text-indent: 0em;} + +.authorsc {margin-right: 10%; text-align: right; font-variant: small-caps; font-size: 95%;} +.resume {margin-left: 10%; margin-right: 10%; text-indent: 0em;} +.poem10 {margin-left: 10%; text-indent: 0em;} +.poem10 {text-indent: 0em;} +.footnote p {text-indent: 0em;} +.ralign5 {position: absolute; right: 5%; text-align: right; top: auto;} + +.pagenum {visibility: hidden; + position: absolute; right:0; text-align: right; + font-size: 10px; + font-weight: normal; font-variant: normal; + font-style: normal; letter-spacing: normal; + color: #C0C0C0; background-color: inherit;} + + +@media handheld +{ +h2 {page-break-before: always;} + +.ralign5 {margin-left: 2em;} +} +--> +</style> + +</head> + +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Bonaparte et les Républiques Italiennes +(1796-1799), by Paul Gaffarel + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799) + +Author: Paul Gaffarel + +Release Date: December 5, 2013 [EBook #44356] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BONAPARTE *** + + + + +Produced by Mireille Hamelin, Christine P. Travers, and DP-Eu + + + + + +</pre> + + + + +<div class="frontpage"> +<p class="center"><b>BONAPARTE<br> +ET LES<br> +RÉPUBLIQUES ITALIENNES</b><br> +(1796-1799)</p> + +<p class="p2 center"><span class="smaller">PAR</span><br> +PAUL GAFFAREL<br> +Doyen de la Faculté des Lettres de Dijon</p> + +<p class="p4 center smaller">PARIS<br> +ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLÈRE ET C<sup>ie</sup><br> +FÉLIX ALCAN, ÉDITEUR<br> +108, Boulevard Saint-Germain, 108</p> + +<p class="p2 center smaller">1895<br> +Tous droits réservés</p> +</div> + +<div class="advert"> +<p class="center">À LA MÊME LIBRAIRIE</p> + +<p class="center">AUTRES OUVRAGES DE M. P. GAFFAREL</p> + +<p class="p2"><span class="min2em"><b>Les Colonies françaises</b>.</span> 1 vol. in-8<sup>o</sup> de la <i>Bibliothèque +d'histoire contemporaine</i>. 5<sup>e</sup> édition,1893. <span class="ralign5">5 fr.</span></p> + +<p><span class="min2em"><b>La Défense nationale en 1792</b>.</span> 1 vol. in-32 de la <i>Bibliothèque +utile</i>. Broché, 60 cent.; cartonné à l'anglaise. <span class="ralign5">1 fr.</span></p> + +<p><span class="min2em"><b>Les Frontières françaises et leur défense</b>.</span> 1 vol. in-32 de la +<i>Bibliothèque utile</i>. Broché, 60 cent.; cartonné à l'anglaise. <span class="ralign5">1 fr.</span></p> +</div> + +<p class="p2 center smaller">Évreux, Imprimerie de Charles Hérissey</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="pageI" name="pageI"></a>(p. I)</span> AVANT-PROPOS</h2> + +<p>L'Italie, à la suite des campagnes de 1796 et 1797, a été comme +transformée par Bonaparte. Vieilles monarchies, républiques +aristocratiques ou démocratiques, principautés électives ou +héréditaires, il a, de sa tranchante épée, tout ébranlé, tout +bouleversé, tout modifié. Ses marches rapides dans la péninsule, ses +foudroyantes victoires, l'entrée dans les capitales ennemies, le +défilé des prisonniers, des drapeaux, des objets d'art, seule, cette +héroïque épopée a longtemps occupé l'imagination. On a peut-être eu +le tort de trop laisser de côté ce qu'on pourrait appeler la partie +intérieure de la question italienne. Les batailles ont fait oublier +les négociations et les coups de force les traités; et pourtant +l'histoire des républiques éphémères créées, renouvelées ou préparées +par Bonaparte présente un grand intérêt! Nous avons essayé, nous +n'osons dire de combler cette lacune, mais à tout le moins de réparer +cette omission, en présentant, dans un tableau rapide, l'histoire +de la création des cinq républiques improvisées par le conquérant. +Nous le verrons créer de toutes pièces la <i>République Cisalpine</i>; +détruire pour la <span class="pagenum"><a id="pageII" name="pageII"></a>(p. II)</span> reconstituer sous une forme démocratique la +<i>République Ligurienne</i>; renverser, mais cette fois pour la partager, +la <i>République Vénitienne</i>; enfin préparer les deux <i>Républiques +Romaine</i> et <i>Parthénopéenne</i>. Tantôt il interviendra directement, et, +par une brusque décision, saura résoudre une situation compliquée; +tantôt ses confidents agiront seuls, mais sous sa haute direction. +Présent ou absent, sa main, sa lourde main, pèsera toujours dans la +balance. À lui, et rien qu'à lui, les contemporains reporteront la +responsabilité des événements. C'est donc lui qui, de près ou de +loin, sera toujours en scène.</p> + +<p>Au moment où je ne sais quel souffle révolutionnaire passe de nouveau +sur l'Italie et menace d'ébranler, non pas l'unité italienne, mais +la monarchie piémontaise, peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt +d'évoquer des souvenirs déjà séculaires, et de montrer, par l'étude +du passé, que ce que firent les Italiens à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, +les Italiens pourraient bien le refaire à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p> + +<p class="authorsc">Paul Gaffarel.</p> + +<h1><span class="pagenum"><a id="page1" name="page1"></a>(p. 1)</span> BONAPARTE ET LES RÉPUBLIQUES ITALIENNES</h1> + +<h2>CHAPITRE PREMIER<br> +<span class="smaller">FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE CISALPINE (1796-1797)</span></h2> + +<p class="resume"> + La domination autrichienne dans le Milanais. — Le parti + national Italien. — Fuite de l'archiduc Ferdinand. — Entrée + des Français à Milan. — Organisation d'un gouvernement + provisoire. — Les premières déceptions. — Les <i>extractions</i> + et les réquisitions. — Insurrection de Pavie. — Répression + de l'émeute. — Brutalités et pillages. — La guerre aux + fournisseurs. — Bonaparte à Mombello. — Les modérés et les + exaltés. — Le journalisme et le théâtre. — Le <i>Ballet du + Pape</i>. — Les fêtes patriotiques. — Les derniers partisans + de l'Autriche. — Bonaparte se prononce en faveur des + modérés. — Les théoriciens politiques. — Création de la + république Cisalpine. — Formation territoriale. — Annexion de la + Valteline. — Prospérité apparente.</p> + +<h3>I</h3> + +<p>Depuis le traité d'Utrecht qui termina la guerre de Succession +d'Espagne, en 1713, l'Autriche<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a><a href="#footnote1" title="Go to footnote 1"><span class="smaller">[1]</span></a>, maîtresse du Milanais <span class="pagenum"><a id="page2" name="page2"></a>(p. 2)</span> +et du Mantouan, était fortement campée dans l'Italie du nord. +C'était une occupation militaire plutôt qu'une prise de possession +véritable, car il existait, entre les Autrichiens et les Italiens +trop de différences dans les mœurs, les usages, la langue et les +institutions pour que jamais ces deux peuples pussent renoncer à leur +rivalité séculaire et se fondre en une race homogène. Les Autrichiens +étaient maîtres par le fait de la guerre, par la raison du plus fort, +et les Italiens avaient le sentiment de leur infériorité, mais la +compression brutale de l'Autriche n'avait pas encore éteint dans les +cœurs Italiens le souvenir de l'antique gloire et le désir de +la ressusciter. Il existait donc, dans les provinces italiennes de +l'Autriche, ce qu'on pourrait appeler, si l'expression n'était bien +moderne, un parti autonomiste, c'est-à-dire tout disposé à recouvrer +son indépendance nationale. Ce parti se composait surtout des +classes moyennes. Les négociants, les industriels, les propriétaires +aisés, les médecins, les professeurs en faisaient la force et le +nombre. Quelques descendants des vieilles familles aristocratiques +qui avaient ou dédaigné ou repoussé les faveurs de l'Autriche, les +Serbelloni, les Visconti, les Melzi, donnaient encore au parti +italien l'appui de leur influence. Le voisinage de la France, la +contagion des idées nouvelles<a id="footnotetag2" name="footnotetag2"></a><a href="#footnote2" title="Go to footnote 2"><span class="smaller">[2]</span></a>, le vent de réformes sociales et +politiques qui soufflait alors sur l'Europe entière, avaient comme +enfiévré les espérances des patriotes, car on les désignait déjà +sous ce nom, mais ces espérances ils n'osaient encore les dévoiler +au grand jour; l'Autriche en effet surveillait attentivement toute +explosion de sentiments contraires aux intérêts de la dynastie, et, +bien que les gouverneurs de la Lombardie eussent reçu l'ordre de +traiter avec douceur les sujets italiens, ils étaient impitoyables +à l'égard de tous ceux qui paraissaient vouloir renverser le +gouvernement établi. On ne connaissait pas encore en Europe <span class="pagenum"><a id="page3" name="page3"></a>(p. 3)</span> +le <i>carcere duro</i> ou <i>durissimo</i>, plus tard illustré par Silvio +Pellico, mais on le pratiquait déjà, et, si quelque patriote était +en quelque sorte protégé par l'éclat de son nom ou de sa réputation, +l'exil, à défaut de la prison, avait vite raison du récalcitrant.</p> + +<p>Le parti national italien à la fin <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, vivait +uniquement d'espérances. Son opposition était surtout littéraire et, +pour ainsi dire, historique. Elle s'exprimait par des conversations +particulières ou de temps à autre par des articles de journaux, dont +les allusions discrètes n'étaient même pas comprises par tous les +lecteurs; aussi l'Autriche se souciait-elle très peu des innocentes +épigrammes d'un Parini, d'un Verri ou d'un Carli. Elle laissait +même à peu près toute liberté aux rédacteurs du journal <i>Il Caffee</i> +parfois savait leur fermer la bouche en leur accordant quelque grasse +sinécure. Soutenue par le clergé qui prêchait l'obéissance, par le +peuple qui suivait l'impulsion du clergé, par les fonctionnaires +qui tenaient à conserver leurs positions et enfin par cette masse +d'indifférents qui, sous n'importe quel régime, est toujours prête à +sacrifier sa liberté à son bien-être, l'Autriche se croyait à tout +jamais la maîtresse incontestée de la Lombardie. Elle riait même des +prétentions du parti italien, et se moquait de ceux qu'elle appelait +les Guelfes, comme si les espérances des patriotes eussent été aussi +hors de propos que cette appellation qui rappelait un autre âge.</p> + +<p>Les Guelfes allaient pourtant avoir leur revanche, plus prompte +et plus complète qu'ils n'eussent osé l'espérer. On sait combien +fut terrible le réveil de l'Autriche, comment en quelques jours +fut détruit l'édifice dont elle croyait des fondements si solides, +comment la Lombardie tomba entre nos mains, et comment le parti +italien se vit tout à coup investi de la toute-puissance et à la +veille de réaliser ses plus secrets désirs. Voyons-les donc à +l'œuvre ces patriotes. Quel usage feront-ils de cette victoire +inattendue? Comment les Français leurs alliés leur permettront-ils de +jouir de cette liberté improvisée?</p> + +<h3><span class="pagenum"><a id="page4" name="page4"></a>(p. 4)</span> II</h3> + +<p>Bonaparte venait d'imposer au Piémont l'armistice de Cherasco. Il +avait, par une manœuvre hardie, occupé sans grande bataille la +moitié de la Lombardie et frappé sur Beaulieu un coup retentissant +au pont de Lodi. Le chemin de Milan lui était donc ouvert. Malgré +la présence d'une forte garnison autrichienne qui occupait encore +le château, la nouvelle de ces victoires avait été accueillie avec +plaisir par toutes les classes de la population, d'abord parce +que la gloire exerce une véritable fascination, ensuite parce que +le changement plaît toujours aux masses populaires. Les couleurs +nationales, vert, blanc et rouge, reparurent. Ce fut un certain +Carlo Salvadori, Espagnol d'origine, Italien de naissance, ancien +ami de Marat, qui osa le premier se montrer avec cette cocarde dans +les rues de Milan. Les écussons impériaux furent aussitôt lacérés ou +couverts de boue, et, lorsque l'archiduc Ferdinand, gouverneur de la +Lombardie<a id="footnotetag3" name="footnotetag3"></a><a href="#footnote3" title="Go to footnote 3"><span class="smaller">[3]</span></a>, eut suivi la retraite de ses troupes, on afficha sur +la porte de son palais: <i>maison à louer, s'adresser au commissaire +Saliceti</i>. Ce dernier, ex-conventionnel, était le délégué du +Directoire chargé de toutes les opérations non militaires.</p> + +<p>Une municipalité provisoire fut créée. Deux des rédacteurs du +<i>Caffee</i> devinrent les chefs, Pietro Verri, un économiste distingué, +et le poète Parini, l'auteur du <i>Jour</i>, critique fine et mordante des +travers de l'époque. En même temps Melzi d'Eril que sa naissance, +ses richesses et son passé désignaient à cet honneur, fut député +à Bonaparte pour le prier d'entrer à <span class="pagenum"><a id="page5" name="page5"></a>(p. 5)</span> Milan<a id="footnotetag4" name="footnotetag4"></a><a href="#footnote4" title="Go to footnote 4"><span class="smaller">[4]</span></a>. Melzi partit +le 13 mai 1796 et s'avança jusqu'à Melegnano, où il rencontra le +vainqueur de Lodi. Le lendemain 14, Masséna entra avec l'avant-garde +et fut reçu aux portes de la ville par le comte Francesco Nava. Le +surlendemain Bonaparte fit son entrée<a id="footnotetag5" name="footnotetag5"></a><a href="#footnote5" title="Go to footnote 5"><span class="smaller">[5]</span></a>. Les grenadiers de Lodi +ouvraient la marche. Ils furent couverts de fleurs et reçus avec +des transports de joie. Les volontaires Polonais, commandés par +Dombrowsky, qui servaient en assez grand nombre dans notre armée, +reçurent aussi un accueil empressé, car les Milanais, avec cet +instinct de générosité et de délicate prévenance qui les a toujours +caractérisés, comprenaient qu'ils devaient, plus encore qu'aux +Français, de la reconnaissance à ces exilés volontaires qui, privés +de leur patrie, bravaient mille dangers pour leurs frères Italiens. +Nos soldats étonnèrent par leur aspect et leur tenue ceux qui se +rappelaient la raideur méthodique et la propreté scrupuleuse des +bandes autrichiennes. «Ils campaient sans tentes, écrivait un témoin +oculaire<a id="footnotetag6" name="footnotetag6"></a><a href="#footnote6" title="Go to footnote 6"><span class="smaller">[6]</span></a> et leur marche n'avait rien de compassé. Leurs habits +de couleurs diverses, étaient déchirés. Quelques-uns n'avaient pas +d'armes<a id="footnotetag7" name="footnotetag7"></a><a href="#footnote7" title="Go to footnote 7"><span class="smaller">[7]</span></a>. Peu ou point de canons. Chevaux démontés et <span class="pagenum"><a id="page6" name="page6"></a>(p. 6)</span> +mauvais. Ils faisaient sentinelle assis. Au lieu d'une armée, on +aurait dit une population sortie audacieusement de son pays pour +envahir les contrées voisines. La tactique, l'art et la discipline +cédaient constamment à l'audace et à l'impétuosité nationale d'un +peuple qui combat de lui-même contre des automates contraints de se +battre par crainte du châtiment.» Quand parut le général en chef, +petit, pâle, au costume simple mais au regard ardent et au geste +impératif, l'impression fut profonde. Ce n'était pas seulement un +libérateur, c'était déjà un dominateur qui prenait possession de sa +première conquête. Quelques heures plus tard, Bonaparte recevait +à sa table, avec tous les généraux du corps expéditionnaire, les +principaux Milanais et il en faisait les honneurs avec une aisance +incroyable. Le même soir, dans un grand bal, il ouvrait les salons +de son quartier-général, on disait déjà son palais, aux belles +Milanaises<a id="footnotetag8" name="footnotetag8"></a><a href="#footnote8" title="Go to footnote 8"><span class="smaller">[8]</span></a>, et tenait au milieu d'elles une cour véritable. +C'était la première de ces fêtes triomphales qui si souvent +marquèrent sa vie. Il y faisait comme l'apprentissage de sa grandeur +future, et, dès le premier jour, tout en marquant à chacun son rang +et sa place, il se maintenait au-dessus de tous.</p> + +<p>Au commencement de l'occupation française, les Milanais furent tout +à leurs nouveaux alliés<a id="footnotetag9" name="footnotetag9"></a><a href="#footnote9" title="Go to footnote 9"><span class="smaller">[9]</span></a>. Les classes moyennes <span class="pagenum"><a id="page7" name="page7"></a>(p. 7)</span> croyaient +fermement que Milan deviendrait le noyau d'une Italie reconstituée +en puissante nation; le peuple toujours amoureux de changement et +qui s'abandonnait à la joie, les fonctionnaires et les nobles, les +prêtres eux-mêmes flattés par les prévenances de Bonaparte et comme +tirés de leur torpeur par ces grands mots de patrie et de liberté, +qu'on ne prononce jamais sans que vibrent les cœurs, toutes les +classes de la société en un mot témoignaient leur satisfaction +de la venue des Français. De toutes parts les municipalités se +constituaient et les Lombards attendaient avec impatience les +décisions de leurs nouveaux maîtres.</p> + +<p>Ces décisions furent d'abord favorables. Il semble vraiment que +Bonaparte ait eu l'intention de rendre à cette malheureuse contrée, +tant de fois opprimée par l'étranger, son indépendance pleine +et entière. Italien d'origine, il songea à créer une république +italienne. C'est ainsi qu'il supprima la <i>giunta</i> ou commission +extraordinaire établie à Milan le 9 mai par l'archiduc Ferdinand. Il +supprima également la chambre des décurions, mais garda le conseil +d'État de treize membres, qui devait exercer ses fonctions au nom de +la République Française et approuva la création des municipalités +provisoires<a id="footnotetag10" name="footnotetag10"></a><a href="#footnote10" title="Go to footnote 10"><span class="smaller">[10]</span></a>. Il forma également une garde nationale destinée +à concourir à la police et à la défense du pays et plus encore +à persuader aux Italiens qu'ils allaient désormais se gouverner +eux-mêmes. Il chercha même à se rendre populaire en flattant +les puissances de l'esprit, et en accueillant avec distinction +les artistes et les savants. «La pensée est devenue libre dans +l'Italie, écrivait-il au mathématicien Oriani<a id="footnotetag11" name="footnotetag11"></a><a href="#footnote11" title="Go to footnote 11"><span class="smaller">[11]</span></a>. Il n'y a plus ni +inquisition, ni intolérance, ni despotes. J'invite les savants à se +réunir, et à me proposer leurs vues sur les moyens qu'il y aurait +à prendre et les besoins qu'ils auraient pour donner aux sciences +et aux beaux-arts une nouvelle vie ... Le peuple <span class="pagenum"><a id="page8" name="page8"></a>(p. 8)</span> Français +ajoute plus de prix à l'acquisition d'un savant mathématicien, +d'un peintre de réputation, d'un homme distingué, quel que soit +l'état qu'il professe, qu'à celle de la ville la plus riche et la +plus populeuse.» Belles paroles assurément mais prononcées pour la +galerie, car, au moment même où ses oreilles retentissaient encore du +bruit des compliments et des vivats dont on avait salué son entrée +à Milan, le surlendemain de sa réception triomphale, voici ce qu'il +écrivait au Directoire<a id="footnotetag12" name="footnotetag12"></a><a href="#footnote12" title="Go to footnote 12"><span class="smaller">[12]</span></a>: «Milan est très porté pour la liberté, +il y a là un club de 800 individus, tous avocats ou négociants. Nous +allons laisser exister les formes de gouvernement qui sont en usage; +nous changerons seulement les personnes qui, ayant été nommées par +Ferdinand, ne peuvent mériter notre confiance. Nous tirerons de ce +pays-ci vingt millions de contribution. Cette contrée est une des +plus riches de l'univers, mais entièrement épuisée par cinq années de +guerre. D'ici vont partir les journaux, les écrits de toute espèce +qui vont embraser l'Italie, où l'alarme est extrême. Si ce peuple +demande à s'organiser en république, doit-on le lui accorder? Voilà +la question qu'il faut que vous décidiez et sur laquelle il serait +bon que vous manifestassiez vos intentions. Ce pays-ci est beaucoup +plus patriote que le Piémont, il est plus près de la liberté.<a id="footnotetag13" name="footnotetag13"></a><a href="#footnote13" title="Go to footnote 13"><span class="smaller">[13]</span></a>»</p> + +<p>Rien donc n'est encore décidé dans l'esprit de Bonaparte. Les +Milanais seront ce que le Directoire voudra qu'ils deviennent. On +leur donnera des assurances vagues, des promesses sans précision, +mais on ne s'engagera pas avec eux, et en attendant le Milanais +deviendra une mine inépuisable et une officine de propagande +révolutionnaire. Les Lombards s'imaginaient <span class="pagenum"><a id="page9" name="page9"></a>(p. 9)</span> qu'ils allaient +restaurer la patrie antique: ils ne seront entre les mains d'un +vainqueur sans scrupules que les instruments inconscients de ses +futurs desseins.</p> + +<p>Aussi bien l'heure des déceptions arriva bien vite. Dès le 19 mai +une proclamation annonçait aux Lombards que la France était disposée +à les considérer comme des frères, mais que ceux-ci leur devaient +un juste retour<a id="footnotetag14" name="footnotetag14"></a><a href="#footnote14" title="Go to footnote 14"><span class="smaller">[14]</span></a>. En conséquence on leur imposa une contribution +de vingt millions exigible sur-le-champ. Les considérants du décret +sont curieux à connaître: «Vingt millions de francs sont imposés +dans les différentes provinces de la Lombardie autrichienne; les +besoins de l'armée les réclament. Les époques des payements, qui +doivent être, autant qu'il sera possible, très rapprochées, seront +fixées par des instructions particulières. C'est une bien faible +rétribution pour des contrées aussi fertiles, si on réfléchit surtout +à l'avantage qui doit en résulter pour elles. La répartition eût pu +sans doute en être faite par des agents du gouvernement français; ce +moyen eût été légitime: la république française veut néanmoins s'en +départir, elle la délaisse à l'autorité locale, au congrès d'état; +elle lui indique seulement une base, c'est que cette contribution +doit individuellement frapper sur les riches, les gens véritablement +aisés, sur les corps ecclésiastiques ... c'est que la classe +indigente doit être ménagée.» Un arrêté du même jour, 19 mai<a id="footnotetag15" name="footnotetag15"></a><a href="#footnote15" title="Go to footnote 15"><span class="smaller">[15]</span></a>, +portait nomination d'un agent à la suite de l'armée française en +Italie «pour <i>extraire</i> et faire passer sur le territoire de la +République les objets d'art et de science qui se trouvaient dans les +villes conquises». Il est vrai que la spoliation devait être opérée +dans les formes, car, en vertu de l'article 3, «il ne pourra être +fait aucune <i>extraction</i> sans en avoir été dressé procès-verbal et +sans être accompagné d'un membre d'une autorité reconnue par l'armée +française». On avait prévu jusqu'aux difficultés de l'<i>extraction</i>. +En vertu de l'article 5, <span class="pagenum"><a id="page10" name="page10"></a>(p. 10)</span> «dans le cas où il serait impossible +à l'agent des transports de procurer les moyens d'enlèvement, les +commissaires des guerres et commandants des places les lui feront +fournir, et, au cas où il ne pourrait se les procurer par cette voie, +l'agent sera autorisé lui-même à requérir des chevaux et voitures +dans la ville où se feront les <i>extractions</i>». Or qu'entendait-on par +objets d'art ou de science? Le décret énumérait tableaux, statues, +manuscrits, machines, instruments de mathématiques, cartes, etc., +ce qui comportait une singulière variété d'objets, étant donnée +surtout la bonne volonté de ceux qui étaient chargés d'interpréter +le décret. En effet, le jour même où paraissait le décret, étaient +<i>extraits</i>, pour être dirigés sur Paris, six tableaux de Luini, +Rubens, Giorgione, Lucas de Leyde, Léonard de Vinci, le Calabrese, +le carton de l'école d'Athènes par Raphaël, un vase étrusque, le +fameux manuscrit de Josèphe, le manuscrit de Virgile ayant appartenu +à Pétrarque, et un manuscrit qualifié de très curieux sur l'histoire +des papes, le tout enlevé à la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, +sans préjudice d'un Titien et d'un Ferrari extraits d'alle Grazzie et +d'un Salvator Rosa extrait d'alla Vittoria<a id="footnotetag16" name="footnotetag16"></a><a href="#footnote16" title="Go to footnote 16"><span class="smaller">[16]</span></a>.</p> + +<p>Est-il vrai que tout finit par se compenser dans ce monde, et que les +fils un jour ou l'autre payent pour les pères? Certes nous frémissons +de colère à la pensée des vols, des pillages et des extorsions dont +nos villes ou nos châteaux ont souffert dans la terrible guerre de +1870-1871, et on rira longtemps de l'amour immodéré, de la sympathie +irrésistible qui poussaient les Allemands vers nos montres et nos +pendules; mais soyons avant tout impartiaux et reconnaissons que +nous avons peut-être fait pis encore en Italie à la fin du dernier +siècle. Que d'excès révoltants, que de pillages honteux! Nous ne +parlons seulement pas des tableaux et des statues, bien que le +fait en lui-même soit profondément regrettable, et que le triste +exemple que nous avons alors donné ait autorisé <span class="pagenum"><a id="page11" name="page11"></a>(p. 11)</span> depuis bien +des revendications plus ou moins légitimes; mais, abstraction faite +de tout amour-propre national, avions-nous le droit de dépouiller +les musées de Pavie pour enrichir notre Jardin des plantes et notre +cabinet d'histoire naturelle? Étaient-ce vraiment des objets d'art +et de science ces armes héréditaires conservées dans les palais +italiens, et que nos officiers s'approprièrent sans scrupule? +Que dire des chevaux de luxe qui finirent par être compris dans +les objets d'art? Nous lisons en effet dans la correspondance de +Bonaparte ces deux lettres étonnantes adressées, la première<a id="footnotetag17" name="footnotetag17"></a><a href="#footnote17" title="Go to footnote 17"><span class="smaller">[17]</span></a> à +Faypoult, ministre de France à Gênes, et la seconde au Directoire: +«Je vous choisirai deux chevaux parmi ceux que nous requérons à +Milan; ils serviront à vous dissiper des ennuis et des étiquettes +du pays où vous êtes. Je veux aussi vous faire présent d'une +épée<a id="footnotetag18" name="footnotetag18"></a><a href="#footnote18" title="Go to footnote 18"><span class="smaller">[18]</span></a>.»—«Il part demain de Milan cent chevaux de voiture, les +plus beaux qu'on ait pu trouver dans la Lombardie: ils remplaceront +les chevaux médiocres qui attellent vos voitures.»</p> + +<p>C'était le général en chef qui se conduisait ainsi. Il commençait +par deux chevaux et continuait par cent, et, le plus singulier, +c'est qu'il ne paraissait pas se douter de la vilenie de l'action +commise<a id="footnotetag19" name="footnotetag19"></a><a href="#footnote19" title="Go to footnote 19"><span class="smaller">[19]</span></a>. Est-ce donc qu'Alfieri<a id="footnotetag20" name="footnotetag20"></a><a href="#footnote20" title="Go to footnote 20"><span class="smaller">[20]</span></a> a raison quand il lance +contre le triomphateur cette terrible épigramme: «Je fais la guerre +en Italie et non le trafic ni le commerce, disait Godefroy, le chef +illustre et invincible. Je vole en Italie, et je n'y guerroie pas; +j'y cherche de l'or sonnant et non une gloire frivole, dit l'ignoble +capitaine gueux qui traîne après lui toute la ladrerie de Provence et +de Languedoc.»</p> + +<p class="poem10"> + <i>Rubo in Italia, e non guerregio, cerco<br> + Oro sonante, e non frivola luce,</i><br> + <span class="pagenum"><a id="page12" name="page12"></a>(p. 12)</span> <i>Dice l'ignobil Capitan Pitocco,<br> + Ch'or dietro a se ne adduce<br> + Ladreria di Proenza, e Linguadocco!</i></p> + +<p>Le Directoire pourtant trouvait qu'il fallait étendre plus loin +encore cette dénomination si commode d'objets d'art et de science. Il +écrivait à Bonaparte pour lui recommander des bois de construction +prêts à être embarqués, des chanvres de belle qualité, de la toile à +voile, et il terminait par ces étranges paroles: «Rendons l'Italie +fière d'avoir contribué aux progrès de notre marine.» Argent, +approvisionnements, produits de l'industrie et de l'agriculture, +rien n'échappait à l'œil exercé des réquisiteurs, et ce système +de spoliation sans exemple dans l'histoire des nations modernes, +on le décorait sans pudeur du beau nom de patriotisme. L'Italie +était devenue une ferme qu'on exploitait sans pitié, et la guerre +n'était plus qu'une opération financière bien conduite. Bonaparte +ne s'en cachait pas, et il indiquait même le moyen de continuer +ces bénéfices: «Plus vous nous enverrez d'hommes, écrivait-il<a id="footnotetag21" name="footnotetag21"></a><a href="#footnote21" title="Go to footnote 21"><span class="smaller">[21]</span></a> +au Directoire, plus non seulement nous les nourrirons facilement +mais encore plus nous lèverons de contributions au profit de la +République. L'armée d'Italie a produit dans la campagne d'été +vingt millions à la République, indépendamment de sa solde et de +sa nourriture; elle peut en produire le double pendant la campagne +d'hiver, si vous nous envoyez en recrues et en nouveaux corps une +trentaine de mille hommes. Rome et toutes ses provinces, Trieste et +le Frioul, même une partie du royaume de Naples deviendront notre +proie; mais, pour se soutenir, il faut des hommes.»</p> + +<p>Ces spoliations étaient en quelque sorte officielles. On les avouait +au grand jour. Elles avaient un semblant d'excuse: la nécessité +de vivre en présence de l'ennemi. Les patriotes italiens, bien +que désenchantés et vite revenus de leurs illusions, s'y seraient +peut-être résignés, mais une véritable fièvre de vol et de pillage +s'était abattue sur l'armée. Les généraux <span class="pagenum"><a id="page13" name="page13"></a>(p. 13)</span> eux-mêmes +donnaient l'exemple, Masséna surtout dont les exactions sont restées +légendaires. Une nuée de fournisseurs, de commissaires, d'agioteurs +de toute espèce et de voleurs de toutes qualités s'était comme +emparé, à la suite de nos soldats, de cette malheureuse région. +Ne prétendaient-ils pas se faire nourrir par les habitants<a id="footnotetag22" name="footnotetag22"></a><a href="#footnote22" title="Go to footnote 22"><span class="smaller">[22]</span></a>? +Il fallut l'intervention directe du général en chef pour faire +disparaître cet abus: mais que de vexations quotidiennes! Que de +souffrances cachées! Ordres du jour sévères, exécutions même, rien +n'y faisait. C'était un mal invétéré. Il est vraiment regrettable +d'avoir à tracer ce triste tableau, mais la vérité a des droits +imprescriptibles, et c'est un mauvais service à rendre à ses +compatriotes que de leur cacher toutes les parties de l'histoire qui +ne leur sont pas favorables.</p> + +<p>La conséquence immédiate de cette série de malversations et de +sévices fut une insurrection populaire. Il y avait à Milan un +mont-de-piété très riche, où l'on gardait soit des bijoux de famille, +soit divers objets précieux. On les conservait pour constituer +des dots ou pour former des réserves jusqu'au moment du mariage. +Bonaparte et Saliceti s'en emparèrent sans autre forme de procès. +Cette spoliation fut connue, et excita l'indignation générale. Les +Milanais coururent aux armes, mais le général Despinoy, prévenu à +temps, parcourut les rues avec de fortes patrouilles de cavalerie, et +dispersa les rassemblements.</p> + +<p>Les choses se passèrent autrement dans la banlieue. Le 24 mai on +entendit le tocsin sonner avec fureur dans tous les villages entre +Milan et Pavie. Des paysans parcouraient la campagne par bandes +armées, et se jetaient sur nos détachements. Les bruits les plus +sinistres étaient répandus. Tantôt on apprenait que les Anglais +venaient d'entrer à Nice et que le prince de Condé avec les émigrés +se dirigeait par la Suisse sur Milan; tantôt c'était Beaulieu qui +reprenait l'offensive à la tête d'une armée de 60.000 hommes. +Bonaparte <span class="pagenum"><a id="page14" name="page14"></a>(p. 14)</span> se disposait alors à rentrer en campagne contre +l'Autriche. Or les insurgés menaçaient ses derrières et le prenaient +entre deux feux. Il était imprudent de s'avancer avant d'avoir +comprimé l'insurrection. D'heure en heure les mauvaises nouvelles +se succédaient au quartier général. Pavie s'était insurgée, et le +commandant français avait été fait prisonnier avec toute la garnison. +L'avant-garde des révoltés s'était même avancée jusqu'à Binasco, sur +la route de Milan. Milan grondait sourdement. La population était +hostile et menaçante. Elle semblait n'attendre qu'un signal pour se +déclarer. Les mécontents avaient renvoyé tous leurs domestiques, +sous prétexte de manque de ressources. C'étaient autant de recrues +pour l'insurrection. Déjà la garnison autrichienne qui occupait +encore la citadelle s'apprêtait à donner la main aux insurgés. Les +douaniers avaient pris les armes. La cocarde nationale avait été +foulée aux pieds. Les prêtres couraient la campagne et prêchaient +la guerre sainte contre les mécréants qui dépouillaient les églises +et ne respectaient pas la famille. C'était une Vendée italienne qui +s'organisait.</p> + +<p>Bonaparte, inquiété par ces démonstrations hostiles, suspendit +aussitôt le mouvement commencé contre l'Autriche et rentra à Milan. +Le général Despinoy, qu'il avait nommé gouverneur de Milan, n'avait +pas attendu son retour pour essayer de réprimer l'insurrection. +Il avait contenu les Autrichiens dans la citadelle, lancé des +patrouilles dans toute la ville, et dispersé les mécontents qui +s'étaient déjà installés à la porte de Pavie afin de donner la +main aux insurgés. Lannes<a id="footnotetag23" name="footnotetag23"></a><a href="#footnote23" title="Go to footnote 23"><span class="smaller">[23]</span></a>, envoyé contre eux, les rencontra à +Binasco, s'empara de ce petit village malgré leur résistance et ne +fit aucun quartier. Pendant ce temps, Bonaparte arrivait à Milan, +ordonnait l'arrestation de nombreux otages<a id="footnotetag24" name="footnotetag24"></a><a href="#footnote24" title="Go to footnote 24"><span class="smaller">[24]</span></a>, faisait fusiller +tous ceux <span class="pagenum"><a id="page15" name="page15"></a>(p. 15)</span> qu'on avait pris les armes à la main, et marchait +sur Pavie. Il s'était fait précéder de la proclamation suivante<a id="footnotetag25" name="footnotetag25"></a><a href="#footnote25" title="Go to footnote 25"><span class="smaller">[25]</span></a>: +«Une multitude égarée, sans moyens réels de résistance, se porte aux +derniers excès dans plusieurs communes, méconnaît la République et +brave l'armée triomphante de plusieurs rois. Ce délire inconcevable +est digne de pitié. On égare ce pauvre peuple pour le conduire à +sa perte. Le général en chef, fidèle aux principes qu'a adoptés +la nation française, qui ne fait pas la guerre aux peuples, veut +bien laisser une porte ouverte au repentir, mais ceux qui, sous +vingt-quatre heures, n'auront pas posé les armes et n'auront pas de +nouveau prêté serment d'obéissance à la République, seront traités +comme rebelles; leurs villages seront brûlés. Que l'exemple terrible +de Binasco leur fasse ouvrir les yeux. Son sort sera celui de toutes +les villes et villages qui s'obstineront à la révolte.»</p> + +<p>L'archevêque de Milan s'était chargé de porter cette proclamation +à Pavie. Il y fut très mal accueilli, et Bonaparte se vit obligé +de sévir. Plusieurs milliers de paysans s'étaient enfermés dans la +vieille cité gibeline, et faisaient mine de prolonger la résistance. +Bonaparte ordonna d'en enfoncer les portes à coups de canon, et +le général Dommartin pénétra avec ses grenadiers par la brèche +improvisée. Le massacre fut terrible. Tous ceux que l'on surprit dans +les caves ou sur les toits des maisons furent passés par les armes. +Les fuyards furent poursuivis à outrance et sabrés sans miséricorde. +Pendant plusieurs heures la ville fut livrée au pillage<a id="footnotetag26" name="footnotetag26"></a><a href="#footnote26" title="Go to footnote 26"><span class="smaller">[26]</span></a>. C'était +une atrocité depuis longtemps proscrite par les nations civilisées, +et encore Bonaparte eut-il l'art de la présenter comme un acte de +clémence. «Trois fois l'ordre de mettre le feu à la ville <span class="pagenum"><a id="page16" name="page16"></a>(p. 16)</span> +expira sur mes lèvres, écrivit-il au Directoire<a id="footnotetag27" name="footnotetag27"></a><a href="#footnote27" title="Go to footnote 27"><span class="smaller">[27]</span></a>, lorsque je vis +arriver la garnison du château qui avait brisé ses fers, et venait, +avec des cris d'allégresse, embrasser ses libérateurs. Je fis faire +l'appel, il se trouva qu'il n'en manquait aucun. Si le sang d'un seul +Français eût été versé, je voulais faire élever, des ruines de Pavie, +une colonne sur laquelle j'aurais fait écrire: Ici était la ville de +Pavie. J'ai fait fusiller la municipalité, arrêter deux cents otages, +que j'ai fait passer en France. Tout est aujourd'hui parfaitement +tranquille, et je ne doute pas que cette leçon ne serve de règle aux +peuples de l'Italie.»</p> + +<p>Afin de prévenir le retour de semblables émeutes, une proclamation +draconienne annonça qu'à l'avenir tous les villages insurgés +seraient brûlés, et les prisonniers fusillés. Les prêtres et les +nobles seront considérés comme otages et envoyés en France. Tous +les villages où sonnera le tocsin seront brûlés. Quand un Français +aura été assassiné, les villages sur le territoire duquel aura été +commis le crime, devront livrer l'assassin, ou sinon ils paieront +une amende égale au tiers de la contribution qu'ils payaient dans +une année. Tout détenteur d'armes et de munitions de guerre sera +fusillé, et sa maison brûlée. Tous les nobles ou riches «qui +seront convaincus d'avoir excité le peuple à la révolte, soit +en congédiant leurs domestiques, soit par des propos contre les +Français seront arrêtés comme otages, transférés en France et la +moitié de leurs revenus confisqués.» Les patriotes lombards, en +accueillant les Français, avaient espéré conquérir l'indépendance. +Tel était le régime d'arbitraire et de bon plaisir qu'on prétendait +leur imposer. Certes l'insurrection de Pavie devait être réprimée, +mais était-il nécessaire de la noyer dans le sang? Avait-on publié +que nos provocations, que nos spoliations iniques étaient la cause +principale de cette effervescence populaire? Ainsi que l'a écrit un +des historiens les plus <span class="pagenum"><a id="page17" name="page17"></a>(p. 17)</span> récents de Napoléon<a id="footnotetag28" name="footnotetag28"></a><a href="#footnote28" title="Go to footnote 28"><span class="smaller">[28]</span></a>, «huit jours +avaient suffi pour changer un peuple ami, connu par la douceur de +ses mœurs, et dont les sympathies pour la France allaient jusqu'à +l'enthousiasme, en une population défiante, hostile, irritée, que la +terreur seule empêchait de manifester ses véritables sentiments».</p> + +<h3>III</h3> + +<p>On s'en aperçut bien quand la fortune des armes sembla nous être +contraire, lorsque Wurmser, à la tête de 70.000 hommes, descendit +la vallée de l'Adige pour aller débloquer Mantoue et dispersa nos +avant-postes. À la nouvelle de ses premiers succès, les nobles, +les prêtres et tous les mécontents reprirent courage. De nombreux +émissaires furent envoyés dans les campagnes, porteurs d'écrits +injurieux et de billets diffamatoires contre la France. Ces menées +réussirent. À Casal Maggiore la petite garnison française fut +égorgée, et le commandant, qui s'était enfui en bateau avec sa femme +et son enfant, fut arrêté et impitoyablement fusillé. À Crémone, le +soulèvement fut général. L'arbre de la liberté fut conservé, mais +parce qu'on le destina à pendre les patriotes, et de véritables +listes de proscription furent dressées. Tous ceux qui refusèrent de +quitter la cocarde tricolore furent accablés de mauvais traitements. +Quelques-uns de nos partisans furent même poursuivis et massacrés. La +masse de la population néanmoins resta tranquille. On eût dit qu'elle +attendait pour se déclarer l'issue de la lutte engagée.</p> + +<p>Les Lombards avaient eu raison d'attendre, car les victoires de +Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano, etc., dispersèrent les +renforts autrichiens, et nous consolidèrent dans notre conquête. +Bonaparte en sut gré aux Lombards, et leur témoigna sa satisfaction. +«Lorsque l'armée battait en retraite, <span class="pagenum"><a id="page18" name="page18"></a>(p. 18)</span> écrit-il à la +municipalité de Milan<a id="footnotetag29" name="footnotetag29"></a><a href="#footnote29" title="Go to footnote 29"><span class="smaller">[29]</span></a>, lorsque les partisans de l'Autriche et les +ennemis de la liberté la croyaient perdue sans ressource, lorsqu'il +était impossible à vous-mêmes de soupçonner que cette retraite +n'était qu'une ruse, vous avez montré de l'attachement pour la France +et de l'amour pour la liberté; vous avez déployé un zèle et un +caractère qui vous ont mérité l'estime de l'armée et vous mériteront +la protection de la République Française. Chaque jour votre peuple +se rend davantage digne de la liberté; il acquiert chaque jour de +l'énergie, il paraîtra sans doute un jour avec gloire sur la scène du +monde. Recevez le témoignage de ma satisfaction et du désir sincère +que forme le peuple français de vous voir libres et heureux.</p> + +<p>En dépit de ces compliments et de ces promesses, et malgré le désir +peut-être alors sincère qu'éprouvait Bonaparte de donner la liberté +à un peuple italien, les faits démentaient cruellement les paroles. +Alors que le général en chef paraissait si bien disposé pour les +Lombards, ses lieutenants et surtout ses agents subalternes les +traitaient au contraire avec un sans-gêne révoltant. Plus que jamais +ce beau pays était ravagé et foulé aux pieds. Le général Despinoy, +que Bonaparte avait investi du commandement de Milan, avec la double +charge de s'emparer du château de cette ville que défendait encore +une garnison autrichienne, et de présider les séances du conseil +municipal, s'était acquitté de sa mission. Le château avait capitulé, +ce qui rendait difficile un retour offensif de l'Autriche, et les +conseillers municipaux avaient été présidés avec une implacable +dureté. Ils ne pouvaient prendre la moindre mesure, même la plus +inoffensive, sans l'assentiment de Despinoy<a id="footnotetag30" name="footnotetag30"></a><a href="#footnote30" title="Go to footnote 30"><span class="smaller">[30]</span></a>. On raconte même +qu'un jour il s'emporta jusqu'à frapper de son épée la table des +délibérations, et rappela aux municipaux tremblants qu'ils n'étaient +bons qu'à enregistrer les volontés du vainqueur, Parini saisissant +alors <span class="pagenum"><a id="page19" name="page19"></a>(p. 19)</span> son écharpe tricolore, la lui tendit en s'écriant: +«Vous feriez bien mieux de la passer à notre cou et de nous étrangler +avec.» Ainsi qu'il arrive toujours, les inférieurs exagéraient +l'attitude hautaine et les procédés méprisants de leurs chefs. À +Côme le Corse Valeri, s'étant procuré une satire rédigée contre lui, +rassembla dans la cathédrale tous les hommes au-dessus de douze ans, +et leur fit écrire à chacun son nom afin que, par la confrontation +des caractères, on connût l'auteur du libelle. Ceci n'était que +ridicule; mais que dire des actes féroces et des facéties cruelles? +Que dire des vexations de chaque jour? Défense de se promener ou de +sortir de la ville sans passeport; défense d'exercer publiquement +le culte catholique; interception des journaux étrangers; violation +du secret des lettres; défense de porter des habits à l'ancienne +mode<a id="footnotetag31" name="footnotetag31"></a><a href="#footnote31" title="Go to footnote 31"><span class="smaller">[31]</span></a>, et le tout au nom de la liberté. Ô liberté, que de crimes +on commet en ton nom! disait M<sup>me</sup> Roland. Que d'absurdités et +d'inconséquences, que de maladresses et de turpitudes, pourrions-nous +ajouter!</p> + +<p>Lorsque, pour la seconde fois, une nouvelle armée autrichienne, +commandée par Allvintzy, essaya, en novembre 1796, de débloquer +Mantoue, les ennemis de la France, et leur nombre avait +singulièrement grandi, crurent le moment venu de la vengeance et de +la réaction. Nos troupes, déconcertées par cette subite irruption +dans leurs lignes, furent un moment ébranlées. On crut en Italie à +leur prochaine défaite, et les mécontents s'apprêtèrent à profiter +de la victoire probable de l'Autriche. À Milan, à Pavie, à Crémone, +dans presque toutes les villes lombardes, bien qu'occupées par des +garnisons françaises, tous ceux qui regrettaient l'ancien régime, +tous ceux dont les déceptions égalaient les regrets, tressaillirent +d'espérance. Cette fois encore, la victoire se déclara en notre +<span class="pagenum"><a id="page20" name="page20"></a>(p. 20)</span> faveur. Arcole et Tivoli achevèrent la ruine de l'Autriche +et affermirent la domination française. La Lombardie reçut le contre +coup de ces victoires. On la punit durement d'avoir osé manifester +son désir d'être traitée plus doucement qu'un pays conquis. Tous les +commandants de place nommés par Bonaparte rivalisèrent de dureté, +on dirait volontiers de tyrannie. Un comité de police générale fut +institué à Milan, qui déporta pour délit d'opinion, pour malveillance +supposée, pour services rendus à l'ancienne administration. La forme +avait changé; le fond restait le même. À la tyrannie autrichienne +était substituée la tyrannie française, d'autant plus odieuse qu'elle +se colorait du beau nom d'alliance. À l'archiduc avaient succédé +les généraux, les commissaires, et tous ces agents subalternes qui +redoublaient de sévérité pour prouver leur zèle, et aussi pour cacher +de scandaleuses malversations; car, plus que jamais, la Lombardie +était un marché ouvert, une grande agence de spéculations éhontées et +de vols scandaleux.</p> + +<p>Au moins rendrons-nous cette justice à Bonaparte que les tripotages +financiers le dégoûtèrent promptement, il consentait bien à +exploiter, ou, comme il l'écrivait, à <i>faire produire</i> les pays +conquis, mais dans l'intérêt de la République Française. Les voleries +des particuliers l'indignaient. Ce qu'il tolérait pour l'État, il +l'interdisait absolument pour les individus. Aussi déclara-t-il +la guerre aux pillards éhontés qui déshonoraient la victoire, et +cette guerre il la poursuivit sans relâche. À chaque page de sa +Correspondance éclate son mépris pour les agioteurs et les tripoteurs +d'affaires véreuses. Il finit par ordonner la création d'une +commission de cinq membres, sous la présidence du général Baraguey +d'Hilliers, et l'investit de pouvoirs extraordinaires pour faire +rendre gorge aux voleurs et les punir sévèrement. «Nous avons conquis +l'Italie, était-il dit<a id="footnotetag32" name="footnotetag32"></a><a href="#footnote32" title="Go to footnote 32"><span class="smaller">[32]</span></a> dans les considérants de cet arrêté, +pour améliorer le sort de ses peuples; nous y avons <span class="pagenum"><a id="page21" name="page21"></a>(p. 21)</span> établi +des contributions pour assurer notre conquête, offrir à la patrie +une juste indemnité et aux soldats une récompense due à leur valeur; +mais jamais il n'a été dans l'intention du gouvernement français +d'autoriser les abus de toute espèce, les extorsions scandaleuses que +se sont permis plusieurs agents à la suite de l'armée. La loi, en les +rendant justiciables des conseils militaires, m'a imposé l'obligation +d'être leur accusateur; mais, au milieu des occupations immenses qui +absorbent tous mes moments, il m'est impossible de découvrir moi-même +la vérité dans ce labyrinthe de procès et les milliers de plaintes +qui me sont portées sur des objets aussi importants.»</p> + +<p>C'est sans doute sur cette difficulté de démêler la vérité que +comptaient les voleurs officiels ou extraordinaires; car, malgré les +ordres impératifs de Bonaparte, malgré la commission des cinq, les +pillages et les tromperies continuèrent. Bonaparte dut se contenter +de dénoncer et de punir quand il prenait sur le fait. «Je m'occupe de +faire la guerre aux fripons écrivait-il au Directoire<a id="footnotetag33" name="footnotetag33"></a><a href="#footnote33" title="Go to footnote 33"><span class="smaller">[33]</span></a>, j'en ai +fait juger et punir plusieurs. Je dois vous en dénoncer d'autres.» +Ce sont surtout les agents de la compagnie Flachat, les nommés La +Porte, Peragallo et Payan, qu'il semble poursuivre de sa haine. «Ce +n'est qu'un ramassis de fripons, écrivait-il, sans crédit réel, +sans argent et sans moralité. Je ne serai pas suspect pour eux, +car je les croyais actifs, honnêtes et bien intentionnés, mais il +faut se rendre à l'évidence.» Ils ont reçu quatorze millions, et +n'ont payé que six millions, et encore ont-ils fourni de mauvaises +marchandises et opéré des versements factices. «Ce ne sont pas des +négociants, mais des agioteurs comme ceux du Palais Royal.» Quant +aux commissaires des guerres, sauf Denniée, Mazade, Boinod, et deux +ou trois autres, ce sont tous des fripons. L'un, Gosselin, vend à +36 francs le foin qu'il se procure pour 18. L'autre, Flach, vend +à son profit une caisse de quinquina donnée par le roi d'Espagne +pour les soldats <span class="pagenum"><a id="page22" name="page22"></a>(p. 22)</span> français atteints par la fièvre; ceux-ci +passent à leur compte des matelas et des toiles fines donnés par +la ville de Crémone pour les hôpitaux. «Ils volent d'une manière +si ridicule que, si j'avais un mois de temps, il n'y en a pas un +qui ne pût être fusillé.» Les agents de l'administration valaient +moins encore. L'un d'entre eux, Thévenin, avait vendu à Bonaparte +quelques beaux chevaux, et ne voulait pas en recevoir le prix malgré +les instances du général en chef, espérant que ce dernier fermerait +les yeux. Ce dernier visait moins à la fortune qu'au pouvoir. Son +ambition était plus haute. Aussi repoussa-t-il avec indignation la +complicité déshonnête de Thévenin. «Faites-le arrêter, écrivait-il, +retenez-le six mois en prison. Il peut payer 500,000 écus de taxe +de guerre en argent.» C'étaient surtout les entrepreneurs de +charrois<a id="footnotetag34" name="footnotetag34"></a><a href="#footnote34" title="Go to footnote 34"><span class="smaller">[34]</span></a>, dont les exactions étaient scandaleuses. Bonaparte en +signale quelques-uns, Sonolet, Auzon, Elie, Hartea, comme d'effrontés +voleurs. Il aurait même voulu que trois d'entre eux, Bœkly<a id="footnotetag35" name="footnotetag35"></a><a href="#footnote35" title="Go to footnote 35"><span class="smaller">[35]</span></a>, +Chevilly et Descrivains, qui avaient fait des versements factices, +fussent condamnés à mort: mais ces fripons avaient de hautes +protections, même dans l'entourage immédiat du général en chef<a id="footnotetag36" name="footnotetag36"></a><a href="#footnote36" title="Go to footnote 36"><span class="smaller">[36]</span></a>, +et ils échappèrent au châtiment qu'ils méritaient si bien.</p> + +<p>Le désordre continua, depuis la compagnie Flachat<a id="footnotetag37" name="footnotetag37"></a><a href="#footnote37" title="Go to footnote 37"><span class="smaller">[37]</span></a> qui <span class="pagenum"><a id="page23" name="page23"></a>(p. 23)</span> +volait cinq millions à la fois, jusqu'aux simples gardes de magasins +qui grappillaient sur les fournitures, et tous ces vols, toutes ces +tromperies retombaient sur les malheureux Italiens. À vrai dire le +corps expéditionnaire tout entier, à l'exception de son chef et de +quelques officiers ou soldats, dont l'âme était trop bien située pour +accepter de pareils moyens de s'enrichir, l'armée française puisait +à pleines mains dans les trésors italiens. Certes les Lombards +faisaient un dur apprentissage de la liberté. Il était grand temps +pour eux qu'un ordre relatif s'établit. Heureusement l'Autriche fut +définitivement vaincue, et Bonaparte, qui lui avait imposé presque +sous les murs de Vienne les préliminaires de Leoben, revint à Milan +pour y jouir de sa gloire et organiser sa conquête.</p> + +<h3>IV</h3> + +<p>Malgré la tyrannie française, malgré les spoliations iniques de +nos agents, les patriotes italiens n'avaient pas désespéré. Ils ne +pouvaient croire que la France les rendrait à l'Autriche, et, au lieu +d'assurer leur indépendance, confirmerait leur servitude. Même aux +plus mauvais jours de l'occupation française, ils s'étaient toujours +comportés comme de sincères alliés. Non seulement ils avaient payé +toutes les contributions de guerre, mais encore ils avaient organisé +des régiments<a id="footnotetag38" name="footnotetag38"></a><a href="#footnote38" title="Go to footnote 38"><span class="smaller">[38]</span></a> et rendu à Bonaparte de réels services en tenant +garnison dans les places fortes et en lui servant de troupes de +réserves. Le général en chef leur avait à plusieurs reprises exprimé +sa satisfaction. Dès le mois de juin 1796, c'est-à-dire avant que +les grands coups n'eussent été portés contre les Autrichiens, avant +que la question militaire par conséquent n'eut été tranchée en notre +faveur, voici comment il s'exprimait sur le compte des Lombards +dans un rapport<a id="footnotetag39" name="footnotetag39"></a><a href="#footnote39" title="Go to footnote 39"><span class="smaller">[39]</span></a> au Directoire: «La municipalité <span class="pagenum"><a id="page24" name="page24"></a>(p. 24)</span> de +Milan, celle des principales villes de la Lombardie m'ont manifesté +le vœu d'envoyer des députés à Paris. Le citoyen Serbelloni est +à la tête. Il est patriote, ce qui a produit ici un effet d'autant +plus avantageux qu'il jouit d'une grande considération, étant +de la première famille du Milanais, et fort riche. Ces députés +ont manifesté leurs vœux ici contre la maison d'Autriche. Ils +savent qu'il n'y aurait plus de sûreté pour eux dans un retour. La +Lombardie est parfaitement tranquille. Les chansons politiques sont +dans la bouche de tout le monde. L'on s'accoutume ici à la liberté. +La jeunesse se présente en foule pour demander du service dans +nos corps; nous n'en acceptons pas, parce que cela est contraire, +je crois, aux lois: mais peut-être serait-il utile de former un +bataillon de Lombards, qui, commandés par des Français, nous aiderait +à contenir le pays. Je ne ferai rien sur un objet aussi important et +délicat sans vos ordres.»</p> + +<p>Bonaparte n'avait donc pas encore d'idée bien arrêtée, mais +ses sympathies étaient visibles. Il ne demandait pas mieux que +d'utiliser<a id="footnotetag40" name="footnotetag40"></a><a href="#footnote40" title="Go to footnote 40"><span class="smaller">[40]</span></a> les bonnes dispositions des Lombards, sauf à les +récompenser de leur dévouement à la paix générale. Au fur et à +mesure que grandirent ses pensées, en même temps qu'augmentèrent ses +victoires, il comprit la nécessité de s'attacher les Lombards par les +liens de la reconnaissance et de l'intérêt, et ne cessa de prendre +en main leur cause, de les protéger contre les exactions de ses +agents, et de les rassurer sur l'avenir. Un peu avant Leoben, quand +le bruit commença à se répandre de la chute et du partage projeté de +Venise, les Lombards prirent peur, et envoyèrent une députation au +général victorieux. Ce dernier s'empressa de les rassurer: <span class="pagenum"><a id="page25" name="page25"></a>(p. 25)</span> +«Vous demandez des assurances pour votre indépendance à venir, leur +répondit-il<a id="footnotetag41" name="footnotetag41"></a><a href="#footnote41" title="Go to footnote 41"><span class="smaller">[41]</span></a>, mais ces assurances ne sont-elles pas dans les +victoires que l'armée d'Italie remporte chaque jour? Chacune de ces +victoires est une ligne de votre charte constitutionnelle. Les faits +tiennent lieu d'une déclaration par elle-même puérile. Vous ne doutez +pas de l'intérêt et du désir bien prononcé qu'a le gouvernement +de vous constituer libres et indépendants.» Depuis le jour de son +entrée à Milan, Bonaparte n'avait donc pas varié dans l'expression +de ses désirs, et, bien qu'il eût constamment refusé de prendre un +engagement définitif, les Lombards avaient le droit de compter sur +lui.</p> + +<p>Le moment était venu de réaliser ces promesses. Ce fut la grande +préoccupation de Bonaparte dès son retour à Milan. Comme il était par +sa famille et son origine à demi Italien, il chercha à satisfaire +les vœux et les aspirations des Italiens, non pas seulement pour +acquérir une facile popularité, mais parce que c'était réellement +une grande idée, féconde en résultats, que celle de créer dans la +péninsule des États libres, et intéressés à conserver l'alliance de +la nation qui leur aurait procuré l'indépendance. L'amitié certaine +de la Lombardie valait bien mieux pour la France que sa conquête. En +rendant la liberté aux Lombards, en les entourant du prestige d'une +révolution pacifique, non seulement les Français se délivraient de +l'embarras de tenir des garnisons sur les derrières de leur armée, et +se ménageaient de précieux auxiliaires, mais encore ils se voyaient +secondés par ceux qui autrement eussent été leurs ennemis. Bonaparte +ne l'ignorait pas. Il était donc parfaitement résolu à créer une +république indépendante; mais, avant de se prononcer d'une façon +définitive, il voulut étudier le terrain et se rendre compte de +l'état des esprits.</p> + +<p>Telles n'étaient pas les intentions du Directoire. Il n'avait +autorisé la marche en avant de Bonaparte et l'occupation des +provinces italiennes de l'Autriche qu'avec l'arrière-pensée de +<span class="pagenum"><a id="page26" name="page26"></a>(p. 26)</span> les restituer à titre de compensation territoriale contre la +Belgique. Aussi n'avait-il jamais consenti à prendre un engagement +quelconque vis-à-vis des Lombards. Bonaparte pensait autrement, +et, comme il n'était déjà plus de ceux auxquels un gouvernement +régulier impose des volontés, comme il se sentait indispensable et se +souciait peu des instructions les plus formelles, il ne tint aucun +compte des sentiments bien connus du Directoire, et résolut, cette +fois encore, de n'agir qu'à sa guise et au mieux de ses intérêts.</p> + +<p>Il s'était installé à Montebello ou Mombello, près de Milan, dans +un magnifique palais qui devint aussitôt le centre des affaires et +la véritable capitale. Sa mère et sa femme l'y avaient rejoint, +ainsi que sa sœur Pauline, ses frères Joseph et Louis, et son +oncle Fesch. Ils l'aidaient à faire les honneurs de cette fastueuse +résidence. On eût dit la cour d'un souverain. L'étiquette la plus +sévère régnait. Le temps était passé des brusqueries jacobines. +Aides de camp en grande tenue, nombreux domestiques en livrée +correcte, voitures de gala, dîners en public, audiences solennelles +et particulières, rien ne manquait à Mombello. Le Napolitain Gallo, +l'Autrichien Merfeldt étaient ses hôtes habituels. Melzi, Serbelloni, +et les chefs de l'aristocratie milanaise, ainsi que les représentants +de tous les princes allemands ou italiens étaient accourus auprès de +lui et le sollicitaient avec plus d'ardeur qu'un souverain légitime. +Dans son cortège figuraient les généraux des autres armées de la +République attirés par sa réputation, des agents du Directoire qui +saluaient en lui leur maître futur, des savants<a id="footnotetag42" name="footnotetag42"></a><a href="#footnote42" title="Go to footnote 42"><span class="smaller">[42]</span></a> et des artistes +qu'il captivait par de <span class="pagenum"><a id="page27" name="page27"></a>(p. 27)</span> gracieuses avances. «Ce n'était +déjà plus le général d'une république triomphante<a id="footnotetag43" name="footnotetag43"></a><a href="#footnote43" title="Go to footnote 43"><span class="smaller">[43]</span></a>. C'était un +conquérant pour son propre compte imposant ses lois aux vaincus.»</p> + +<p>Les Lombards surtout, dont les destinées se réglaient alors, +entouraient l'heureux général et s'efforçaient de surprendre le +secret de ses résolutions; mais Bonaparte acceptait leurs avances, +les écoutait tous et restait impénétrable. Il voulait voir les partis +venir à lui.</p> + +<p>Il y avait en effet déjà dans cette Lombardie, à peine émancipée +du joug autrichien, deux partis, les modérés et les exaltés. Les +modérés appartenaient à la bourgeoisie et aux nobles qui, dès le +début, s'étaient jetés dans nos bras. Serbelloni, Melzi, Visconti, +Contarini, Litta, Morosini, en étaient les chefs les plus marquants. +Les modérés croyaient sincèrement à l'avenir de la patrie italienne. +Ils acceptaient la domination française, mais comme une nécessité +temporaire<a id="footnotetag44" name="footnotetag44"></a><a href="#footnote44" title="Go to footnote 44"><span class="smaller">[44]</span></a>. Leur foi dans les destinées italiennes était +inébranlable, peut-être même un peu naïve. Les uns auraient accepté +le roi de Sardaigne comme souverain, car c'eût été le moyen d'arriver +plus vite à constituer une Italie une et indépendante; les autres se +seraient volontiers accommodés de Bonaparte. Il est certain que des +ouvertures lui furent faites en ce sens. On a conservé une lettre<a id="footnotetag45" name="footnotetag45"></a><a href="#footnote45" title="Go to footnote 45"><span class="smaller">[45]</span></a> +fort intéressante, qui sans doute n'est pas signée, mais qui ne peut +avoir été écrite que par un Italien très au courant de la politique +et des intrigues contemporaines. D'après l'auteur anonyme, Bonaparte +n'avait <span class="pagenum"><a id="page28" name="page28"></a>(p. 28)</span> que trois partis à prendre: le premier, de retourner +en France et d'y vivre en simple citoyen, mais il ne convenait ni +aux circonstances ni au génie de Bonaparte; le second, de rentrer en +France à la tête de l'armée et de s'y poser en chef de parti, mais +c'était un coup d'État, et on n'osait le conseiller. Voici quel est +le troisième: «Formez de l'Italie un grand empire, que ce nouvel +État prenne un fort ascendant dans la balance de l'Europe, qu'il +tienne le milieu entre l'Empire et la France, et établisse entre ces +puissances un équilibre parfait, en se déclarant contre celle qui +voudrait opprimer l'autre. Soyez le chef de cet empire, gardez à +votre solde une grande partie de l'armée française pour contenir les +différents peuples et assurer l'exécution de ce plan. La France vous +devra l'éloignement de cette armée qu'elle ne pourrait entretenir +qu'avec peine, et dont l'esprit troublerait sa tranquillité. Elle +vous devra la paix et vous aurez mérité son estime et son admiration. +Soyez son plus fidèle allié.... Vous pouvez aussi devenir redoutable +par vos forces maritimes et disputer par la suite l'empire de la mer +aux Anglais, ou au moins les chasser entièrement de la Méditerranée. +Cette entreprise digne de vous, général, et dont je ne détaille pas +tous les avantages, qui vous frapperont au premier aperçu, est la +seule qui puisse mettre le sceau à votre gloire, ramener une paix +durable en France, procurer de la stabilité au gouvernement, et, en +vous élevant au faîte des grandeurs, vous faire encore bien mériter +de la patrie.» Certes la perspective qu'ouvrait à l'ambition de +Bonaparte l'auteur de cette lettre était vaste, mais il est probable +que les projets du général ne s'arrêtaient plus à la péninsule. +C'est à la France et non plus à l'Italie qu'il pensait. Sans doute +il aurait consenti à se faire de l'Italie comme un marche-pied, mais +pour monter plus haut. «J'ai entendu raconter au jeune et candide +Villetard, écrit Botta<a id="footnotetag46" name="footnotetag46"></a><a href="#footnote46" title="Go to footnote 46"><span class="smaller">[46]</span></a>, que se promenant un jour à Montebello +avec Bonaparte et Dupuis, qui mourut général en Égypte dans la +révolte du <span class="pagenum"><a id="page29" name="page29"></a>(p. 29)</span> Caire, Bonaparte, s'arrêtant tout à coup, leur +dit: «Que penseriez-vous si je devenais roi de France?» et que +Dupuis, grand républicain de profession, lui répondit: «Je serais +le premier à vous plonger un poignard dans le cœur.» Sur quoi +Bonaparte se mit à rire.» Le général riait, mais il ne parlait pas au +hasard et cette soudaine effusion cachait mal de secrètes pensées. Le +premier rang, même en Italie, ne lui convenait plus. Il ne le jugeait +pas digne de sa fortune et de son avenir, et, sans nul doute, dans +ce jardin de Montebello, songeait déjà au coup d'État qui devait lui +donner la suprême autorité en France.</p> + +<p>Aussi bien, si Bonaparte ne se considérait pas comme l'homme de +l'Italie<a id="footnotetag47" name="footnotetag47"></a><a href="#footnote47" title="Go to footnote 47"><span class="smaller">[47]</span></a>, les Italiens, de leur côté, même les modérés, ne +tenaient à lui que médiocrement. Quelques-uns d'entre eux, honteux +de leur asservissement, songeaient déjà à chasser les Français +d'Italie. C'étaient les chefs de la garde nationale lombarde, Lahoz, +Pino, Teulié, Birago. Ils avaient fondé une société secrète, dite des +<i>Rayons</i>, dont le but était la création d'une Italie non plus avec le +secours de l'étranger, mais exclusivement par les forces italiennes. +Peu à peu cette société s'étendra et ses opinions finiront par +s'imposer. C'est déjà le parti national, ce qu'on pourrait appeler la +Jeune Italie.</p> + +<p>Quant aux exaltés, ils se composaient de tous ceux qui, dans la +sincérité de leur cœur, ou par misérable calcul d'intérêt +personnel, s'imaginaient qu'il était de bon goût de copier les +exagérations jacobines. Quelques bourgeois, ou plutôt quelques +boutiquiers, des ouvriers, de petits fonctionnaires, et la tourbe +des déclassés appartenaient à ce parti. Les journalistes qui se +grisaient eux-mêmes au cliquetis de <span class="pagenum"><a id="page30" name="page30"></a>(p. 30)</span> leurs périodes en +constituaient la force apparente. Ils prêchaient avec ardeur la +démocratie ou plutôt la démagogie, grand mot ronflant, système +dont ils ne comprenaient seulement pas les obligations. Pour eux +toute contrainte était une gène, toute obéissance un abus. Aussi +plaignaient-ils comme un martyr tout citoyen frappé par la loi, +comme une victime quiconque était obligé soit de payer un impôt, +soit de ne pas satisfaire ses désirs. Un journal de Milan, <i>le +Thermomètre Politique</i>, était devenu le principal de leurs organes. +C'est là qu'agitaient les esprits par leurs articles furibonds, +Salvadori, Lattanzi, Salfi, Poggi et Abamonti. «Habiles dans les +luttes de la révolution<a id="footnotetag48" name="footnotetag48"></a><a href="#footnote48" title="Go to footnote 48"><span class="smaller">[48]</span></a>, mais non dans les combats de la +liberté, ils déployaient du talent, là où il fallait du caractère. +Avec la même audace qu'ils avaient montrée pour renverser les +premières barrières, ils foulaient aux pieds les principes et les +mœurs, et abusaient de la liberté jusqu'à l'outrage.» Toute +une littérature républicaine sortait de ces officines milanaises: +<i>Notions démocratiques</i><a id="footnotetag49" name="footnotetag49"></a><a href="#footnote49" title="Go to footnote 49"><span class="smaller">[49]</span></a> <i>à l'usage des Écoles normales; Pensées +d'un républicain sur le bonheur public et privé; Doctrine des Anciens +sur la liberté; De la souveraineté du peuple; Un républicain jadis +noble aux anciens nobles.</i> Ces pamphlets, aussi médiocres pour le +fond que détestables pour la forme, étaient imprimés à un nombre +considérable d'exemplaires, et lus avec avidité. De Milan ils se +répandaient dans l'Italie entière. Il est vrai que Milan était +devenu comme l'asile des réfugiés italiens, romains, napolitains, +modènais ou vénitiens, qui tous, comme de juste, étaient venus y +grossir les rangs des exaltés. On citait parmi eux deux prêtres qui +avaient abjuré, le métaphysicien Poli et Melchior Gioja, le savant +statisticien; Tambroni un érudit, Beccatini un historien, Custodi +un économiste. Le médecin Rasori, l'architecte Romain Barbieri, +et <span class="pagenum"><a id="page31" name="page31"></a>(p. 31)</span> le savant commentateur des douze Tables, Valoriani, se +signalaient parmi les plus fougueux adversaires de l'ancien régime. +Un jeune improvisateur Romain, Gianni, mêlait à de furibondes +attaques contre les tyrans de plates adulations en l'honneur du héros +libérateur de l'Italie. Le Vénitien Foscolo travaillait à sa tragédie +de <i>Tieste</i>, et prenait du service dans l'armée lombarde. C'était +surtout dans les clubs, plus encore que dans les journaux, que ces +Lombards ou Italiens, donnaient carrière à leur exaltation. Tantôt +ils se contentaient d'émettre des propositions simplement absurdes, +partage des propriétés, taxe progressive sur les comestibles, +ateliers nationaux, etc., tantôt ils discréditaient par d'insolentes +bravades la liberté et la République. Aujourd'hui ils demandaient la +permanence de la guillotine, demain le massacre de tous les pères et +de toutes les mères appartenant à la noblesse, afin que leurs enfants +fussent élevés dans les nouveaux principes<a id="footnotetag50" name="footnotetag50"></a><a href="#footnote50" title="Go to footnote 50"><span class="smaller">[50]</span></a>. Ils proposaient +encore de brûler le Vatican, ou bien de jeter les Bourbons de Naples +dans le Vésuve, ou bien encore de disperser les cendres de la famille +royale piémontaise, déposées à la Superga, et de les remplacer par +celles des patriotes immolés. Dans ces clubs, et spécialement dans +celui qui s'était pompeusement intitulé <i>Société de l'instruction +publique</i>, la fureur révolutionnaire atteignait son paroxysme. Cette +société n'avait-elle pas inscrit dans son programme: destruction de +toutes les religions, renversement de tous les trônes<a id="footnotetag51" name="footnotetag51"></a><a href="#footnote51" title="Go to footnote 51"><span class="smaller">[51]</span></a>.</p> + +<p>Bonaparte n'éprouvait pour ces démagogues qu'une sympathie médiocre. +«Soyez sûr, écrivait-il à Greppi<a id="footnotetag52" name="footnotetag52"></a><a href="#footnote52" title="Go to footnote 52"><span class="smaller">[52]</span></a>, qu'on réprimera cette poignée +de brigands, presque tous étrangers à Milan, qui croient que la +liberté est le droit d'assassiner, qui ne peuvent pas imiter le +peuple français dans les moments <span class="pagenum"><a id="page32" name="page32"></a>(p. 32)</span> de courage et les élans de +vertus qui ont étonné l'Europe; mais qui chercheraient à renouveler +les scènes horribles produites par le crime, et qui sont l'objet +éternel de la haine et du mépris du peuple français.»</p> + +<p>La masse du peuple au contraire se laissait prendre à ces folles +déclamations. Les ardentes philippiques des journalistes et des +clubistes trouvaient un écho retentissant dans toutes les grandes +villes. Le théâtre<a id="footnotetag53" name="footnotetag53"></a><a href="#footnote53" title="Go to footnote 53"><span class="smaller">[53]</span></a> lui-même devenait une école de corruption, ou +tout au moins une arène politique dont se servaient les exaltés pour +répandre leurs bizarres conceptions<a id="footnotetag54" name="footnotetag54"></a><a href="#footnote54" title="Go to footnote 54"><span class="smaller">[54]</span></a>. C'est ainsi qu'à Modène, dès +le mois de décembre 1795, en présence du grand-duc Hercule, et à une +représentation de la <i>Cléopâtre</i> de Nasolini, de mauvais plaisants +firent entendre le chant du coq, allusion transparente à la prochaine +venue des Français. Quelques mois plus tard, et dans cette même +ville, on représentait le <i>Fénelon</i> de Chénier traduit par Salfi, +l'<i>Alexandre VI</i> du modènais Gidotti, et deux pièces déplorablement +ennuyeuses d'un certain Giambattista Nasi, dont il suffit de citer +les titres pour comprendre l'inspiration: <i>L'Aristocratie vaincue par +la persuasion</i>, et le <i>Républicain se connaît à ses actes</i><a id="footnotetag55" name="footnotetag55"></a><a href="#footnote55" title="Go to footnote 55"><span class="smaller">[55]</span></a>. À +Bergame, Salfi fait représenter <i>Virginie de Brescia</i>, où l'on voit +un patriote tuer sa fille séduite par un tyran.</p> + +<p>C'est surtout à Bologne et à Milan que les auteurs dramatiques +<span class="pagenum"><a id="page33" name="page33"></a>(p. 33)</span> se donnent toute licence et dépassent toute mesure. Un +jeune Bolonais, Luigi Zamboni, avait, en 1794, formé le projet de +soustraire sa ville natale à l'oppression des légats pontificaux. +Un étudiant, de Rolandis di Castel-Alfeo, qui s'échappait la nuit +de son couvent pour assister aux conciliabules, fut son premier +affidé. Dénoncés et vendus, ces deux jeunes gens furent jetés dans +les prisons du légat et périrent l'un, Zamboni, en prison, l'autre, +de Rolandis, sur le gibet. Le châtiment était excessif. Les Bolonais +conservèrent le souvenir de ces premiers martyrs de la liberté<a id="footnotetag56" name="footnotetag56"></a><a href="#footnote56" title="Go to footnote 56"><span class="smaller">[56]</span></a>. +En 1797 ils recueillirent leurs cendres et leur élevèrent une colonne +triomphale. Un poète Bolonais, Luigi Giorgi, composa en leur honneur +une tragédie intitulée, <i>Au temps des légat et des Pistrucci</i>. C'est +une violente satire dirigée contre l'auditeur Pistrucci, le principal +auteur de la condamnation des patriotes, contre le cardinal légat +Vincenti, l'archevêque Gianneti, les gonfaloniers et les sénateurs. +Cette tragédie est supérieure aux pièces de circonstance. Il s'y +rencontre même des scènes à la Shakspeare, lorsque par exemple on +pénètre dans le cabinet du légat, au moment où il lit et signe la +sentence de mort de Rolandis, ou bien au dénouement, lorsque les +victimes de la tyrannie pontificale font appel aux Français<a id="footnotetag57" name="footnotetag57"></a><a href="#footnote57" title="Go to footnote 57"><span class="smaller">[57]</span></a>. +«Et vous, s'écrie le docteur Veridici, vous qui devez veiller sur +les destinées du peuple pouvez-vous être jugés? Un légat <i>a latere</i> +peut-il soutenir un perfide?—Le Légat: retirez-vous! Auditeur: +faites-le arrêter.—L'archevêque: «Oui, <span class="pagenum"><a id="page34" name="page34"></a>(p. 34)</span> oui, faites-le +arrêter. Quelle est donc cette manière de parler?—Pistrucci: +approchez, brigand.—Veridici: Hélas! Ô ciel! Voici que descendent +des Alpes les destructeurs de la tyrannie. Avancez, ô Français, et +vengez l'humanité offensée.» À Bologne fut encore représentée en +1797, la <i>Rivoluzione, commedia patriotica</i>. On y voyait un noble, +tyran de sa principauté, mais chassé par le peuple et condamné à +mort. Au moment où il est conduit les yeux bandés, sous l'arbre de +la liberté, pour être fusillé, il est sauvé par un autre noble, +qui aime sa fille, mais qui s'est converti aux nouveaux principes. +L'ex-tyran renonce aussitôt à ses erreurs, et tous chantent un hymne +en l'honneur de l'arbre de la liberté.</p> + +<p class="poem10"> + <i>Sorgi, felce pianla, sorgi beati segno,<br> + Caro, ed eterno segno di nostra liberta!<br> + Eviva Bonaparte! viva la liberta.</i></p> + +<p>À Milan Jean Pindemonte, l'auteur des <i>Bacchanales de Rome</i>, avait +donné une «composition tragi-comico-ridicule», dont le titre est +perdu, mais des prêtres et des nonnes en costume y parodiaient les +cérémonies du culte, et, comme les représentations étaient gratuites, +elles furent suivies par un nombreux public. C'est encore à Milan +que fut représenté le <i>Mariage du Moine</i> par Ranza. L'auteur avait +donné comme sous-titre: «drame révolutionnaire à représenter pour +l'instruction des chrétiens dans tous les théâtres de l'Italie +régénérée», mais c'était une singulière instruction qu'il prétendait +donner. On assiste en effet au conclave de 1774, aux intrigues des +cardinaux Bernis et Fantuzzi, aux scandaleuses orgies des aspirants +à la tiare. Les candidats finissent par se jeter à la tête plats +et vaisselle, et les valets se partagent les reliefs du feslin, en +essayant de remettre d'aplomb leurs maîtres tombés sous la table.</p> + +<p>On trouvera sans doute que Ranza avait donné libre carrière à sa +verve aristophanesque. Il fut pourtant dépassé par l'auteur d'un +ballet, également représenté à Milan: Salfi, un des rédacteurs du +<i>Thermomètre</i>, était l'auteur ou du moins le <span class="pagenum"><a id="page35" name="page35"></a>(p. 35)</span> parrain de +ce livret, dont la paternité doit, paraît-il, être attribuée à un +certain Lefèvre, qui fut plus tard persécuté par le clergé milanais, +et mourut dans la misère à Paris. Il est intitulé le <i>Ballet du Pape +ou le général Colli à Rome<a id="footnotetag58" name="footnotetag58"></a><a href="#footnote58" title="Go to footnote 58"><span class="smaller">[58]</span></a></i>. L'affiche du spectacle, qui devait +être joué en grande pompe à la Scala, était accompagnée de ce curieux +commentaire<a id="footnotetag59" name="footnotetag59"></a><a href="#footnote59" title="Go to footnote 59"><span class="smaller">[59]</span></a>: «ce ballet annonce le régime de la raison. Il n'est +pas inventé à plaisir, il est comme la reproduction des faits et des +caractères qui forment la très intéressante histoire de ce qui s'est +passé tout récemment à Rome. On pourra vérifier l'exactitude de tous +les détails, qu'il importe de faire connaître au grand public, en +parcourant la collection du <i>Thermomètre Politique</i> de la Lombardie. +Puisse ce commencement de la vérité réduire en cendres l'imposture +et le fanatisme, et faire triompher la religion et la paix. Salut et +fraternité.</p> + +<p>À la première nouvelle du scandale qui se préparait, l'archevêque de +Milan essaya d'intervenir. Il écrivit même à Bonaparte. On répondit +à cette démarche si digne et si naturelle par un sermon antipapal +prononcé à l'église San Lorenzo. En même temps on répandit dans le +peuple des libelles injurieux contre la Papauté: <i>Le credo du pape +pour deux sous, la bulle de Pie VI, la conversion du Pape, Dialogue +dans le Paradis entre frère Locatelli, théologien de la cathédrale, +et saint Charles Borromée</i>, etc. En sorte que l'opinion était +singulièrement excitée quand arriva le jour de la représentation +(premier jour du carême de 1797).</p> + +<p>La scène représente la salle du Consistoire à Rome. On y discute les +articles de paix proposés par la France. Le général des Dominicains, +qui parait grand partisan des réformes, et tout pénétré de l'esprit +des temps nouveaux, démontre par un avant-deux expressif la nécessité +de se conformer aux ordres de Bonaparte. Le général des Jésuites +lui répond par un autre pas de caractère, et décide le pape à la +résistance. Puis, remplaçant <span class="pagenum"><a id="page36" name="page36"></a>(p. 36)</span> la danse par le chant, tous +ensemble se disposent à festoyer et sans la moindre transition et +uniquement</p> + +<p class="poem10"> + Per rendere la gioja palese,<br> + D'un bel canto patrioto francese,<br> + L'aria interno faccian risonar!</p> + +<p>Ce chant, accommodé sur un air italien emprunté à l'<i>Astuta in amore</i> +de Fioraventi, est à tous le moins médiocre:</p> + +<p class="poem10"> + D'âge en âge, de race en race,<br> + Que le plus brillant souvenir<br> + Porte jusqu'au sombre avenir<br> + Les prodiges de notre audace.<br> + Que nos neveux, leurs enfants,<br> + Par nous à jamais triomphants,<br> + Nous doivent leur indépendance!<br> + Que le monde brise ses fers!<br> + Et que ce jour cher à la France<br> + Soit la fête de l'univers.</p> + +<p>Tous les assistants l'accueillirent pourtant avec enthousiasme, et +répétèrent le refrain en criant <i>Vive la France! Vive l'Italie!</i> Un +spectateur malintentionné s'avisa pourtant de crier <i>Vive la Denise!</i> +Nous dirions aujourd'hui <i>Vive la Marianne!</i></p> + +<p>Au second acte nous sommes transportés au Vatican. Les nièces du +pape, les princesses Braschi et Santa Croce, remplissent de leurs +intrigues et de leurs amours le palais pontifical, et le malheureux +Pie VI joue entre ces deux créatures le rôle d'un Géronte berné et +conspué. Au troisième acte, sur la place Saint-Pierre, on vient +d'apprendre les victoires françaises. Aussitôt le pape prend le +bonnet de la liberté, et, avec les membres du sacré collège, danse +quelques pas fort vifs, afin de mieux montrer ses belles jambes, +dont, parait-il, il était fort vain. Tous les personnages ainsi +tournés en ridicule étaient vivants et les acteurs avaient emprunté +leurs costumes et, autant que possible, leur physionomie. Il est +certes difficile d'imaginer une bouffonnerie plus impie.</p> + +<p>Aussi bien une sorte de fièvre d'irréligion semblait s'être emparée +de la population. Depuis qu'un cercle avait été installé <span class="pagenum"><a id="page37" name="page37"></a>(p. 37)</span> dans +l'église de la Rose<a id="footnotetag60" name="footnotetag60"></a><a href="#footnote60" title="Go to footnote 60"><span class="smaller">[60]</span></a>, chaque ville avait dû convertir en club +une de ses églises, et c'est dans ces assemblées que se débitaient +les insanités les plus criantes. Ce n'étaient pas seulement des +déclamations plus ou moins retentissantes contre le fanatisme ou la +superstition. Tantôt une jeune fille proposait son cœur et sa main +à celui qui lui apporterait la tête du pape<a id="footnotetag61" name="footnotetag61"></a><a href="#footnote61" title="Go to footnote 61"><span class="smaller">[61]</span></a>; tantôt un échappé +des galères romaines, comme le qualifient les écrits du temps<a id="footnotetag62" name="footnotetag62"></a><a href="#footnote62" title="Go to footnote 62"><span class="smaller">[62]</span></a>, +un certain Lattanzi, vomissait d'obscènes imprécations contre le +Christ et ses ministres<a id="footnotetag63" name="footnotetag63"></a><a href="#footnote63" title="Go to footnote 63"><span class="smaller">[63]</span></a>. Un jour<a id="footnotetag64" name="footnotetag64"></a><a href="#footnote64" title="Go to footnote 64"><span class="smaller">[64]</span></a> un jeune capucin renonçait +à ses vœux et suspendait sa robe brune, en guise de trophée, aux +branches de l'arbre de la liberté. Un professeur de théologie, un +sexagénaire, le père Aprini, assistait à un banquet donné en son +honneur, et dansait la carmagnole. On ne se contentait pas d'abolir +le nom des saints, qu'on remplaçait par des héros grecs ou romains, +on interdisait encore toute manifestation extérieure du culte. Il +est vrai qu'en pleine rue toutes les manifestations anticatholiques +étaient tolérées: ainsi on mettait la corde au cou d'une statue de +saint Ambroise, et on la traînait ignominieusement dans la rue. +Une littérature anticatholique, immonde et sans esprit, avait été +improvisée. <i>Prières à réciter matin et soir par les chrétiens en +l'honneur de la très sainte et très bienheureuse liberté; Confession +d'un Jacobin aux pieds au pape; Pater noster patriotique, Credo +patriotique;</i> cette dernière prière commençait ainsi: Je crois à la +République française, et à son fils le général Bonaparte.</p> + +<p>Les exaltés se livraient aussi aux caprices de leur imagination +à propos des fêtes dites patriotiques. Ils débutèrent par des +plantations d'arbres de la liberté. Bientôt chaque quartier de Milan +eut le sien. On en planta jusque dans la cour du <span class="pagenum"><a id="page38" name="page38"></a>(p. 38)</span> séminaire. +De la ville la mode passa dans les villages, et ce ne fut qu'une +longue suite de fêtes, de danses et de festins qui se prolongèrent +pendant plusieurs mois. D'ordinaire, un poète improvisait des vers +pour la circonstance. Le faiseur le plus réputé était un certain +Gerolamo Costa<a id="footnotetag65" name="footnotetag65"></a><a href="#footnote65" title="Go to footnote 65"><span class="smaller">[65]</span></a>, mais ses poésies brillent par le mauvais goût +aussi bien que par le dédain le plus absolu des règles de la +prosodie. Il se contente d'accommoder le <i>Ça ira</i> au goût italien et +de célébrer plus ou moins platement l'alliance franco-italienne:</p> + +<p class="poem10"> + <i>Alore cantem uni de scià et delà<br> + La Carmagnola cout el sa-irà.<br> + Viva, viva pur i Francès<br> + Lun el ciar de stij paès!</i></p> + +<p>Après les plantations des arbres de la liberté, ce fut le tour +des anniversaires. Grande fête le 5 juillet 1796 dans le Jardin +public. Nouvelle fête en septembre pour célébrer la fondation de +la république française. On avait pour la circonstance converti en +amphithéâtre la place du Dôme. Au centre avait été dressé l'autel +de la patrie. Un char triomphal, traîné par six chevaux et couvert +d'emblèmes allégoriques, portait une jeune femme qui figurait la +liberté, entourée d'enfants couronnés de guirlandes. Des inscriptions +rappelaient le nom de tous les régiments qui avaient pris part à +la campagne<a id="footnotetag66" name="footnotetag66"></a><a href="#footnote66" title="Go to footnote 66"><span class="smaller">[66]</span></a>. Le cortège défila devant Joséphine Bonaparte, +qui assistait à la cérémonie du haut d'un des balcons du palais +Serbelloni, et, quand il arriva sur la place du Dôme, on inaugura +solennellement un arbre de la liberté; mais les décharges répétées de +l'artillerie, qui accompagnaient la cérémonie, brisèrent les vitraux +de la cathédrale, perte irréparable pour l'art.</p> + +<p>En février 1797, à propos des victoires de Bonaparte, une grande fête +fut encore célébrée à Milan. Il y eut aussi des défilés de chars +emblématiques, puis des banquets publics, et des distributions +de vivres. Sur le soir, à la Porte Orientale, <span class="pagenum"><a id="page39" name="page39"></a>(p. 39)</span> grand feu +d'artifice. La liberté immola l'aristocratie dans des flammes, vertes +et rouges de Bengale, et un aigle empenné, qui commençait à voler, +fut bientôt réduit en cendres par la foudre des artificiers.</p> + +<p>Mis en goût<a id="footnotetag67" name="footnotetag67"></a><a href="#footnote67" title="Go to footnote 67"><span class="smaller">[67]</span></a> par ces fêtes, qui exaltaient les esprits, et, à +ce qu'ils croyaient du moins, répandaient l'amour des institutions +républicaines, les exaltés n'hésitèrent pas à célébrer les +anniversaires les plus sinistres de la révolution française; par +exemple, celui de l'exécution de Louis XVI. Ils avaient, pour la +circonstance, composé divers écriteaux et les portaient gravement sur +la poitrine. <i>Il fulmine colga tutti i re in un fascio.—Il coltello +di Bruto possa spaventare gli Schiavi di Cesare e gli imitatori +di Antonio.—Al popolo che sente una volta la sua indipendenza,</i> +etc. Les maladroits s'imaginaient qu'ils sauvaient la patrie par +ces imprécations contre des tyrans qui n'existaient pas, et ces +cérémonies symboliques, dont ils comprenaient seuls le sens caché. +Ainsi, le 16 octobre 1797<a id="footnotetag68" name="footnotetag68"></a><a href="#footnote68" title="Go to footnote 68"><span class="smaller">[68]</span></a>, pour célébrer la mort de la reine de +France, on brûla sur la place du Dôme des livres de droit canon, +quelques bulles pontificales, une histoire de la guerre d'Italie par +Bolzani, quelques journaux hostiles rédigés par Taglioretti, Motta, +Polini, et deux grandes gravures représentant l'une la tiare papale, +l'autre l'aigle à deux têtes. Les organisateurs de cet autodafé +s'imaginaient sérieusement qu'ils portaient ainsi un coup mortel à +l'ancien régime. Ce sont sans doute les mêmes personnages, grotesques +à force d'être naïfs, qui s'avisèrent tout à coup de trouver un air +menaçant à la statue du roi Philippe II, qui, depuis deux siècles +se dressait sur la place des Marchands. Ils lui coupèrent la tête +et la remplacèrent par celle de Brutus, le héros du jour. Ils lui +enlevèrent son sceptre et lui mirent entre les mains l'inscription +suivante: <i>All'ipocrisia di Filippo II succéda la virtù di Marco +Junio Bruto!</i></p> + +<h3><span class="pagenum"><a id="page40" name="page40"></a>(p. 40)</span> V</h3> + +<p>Pendant ce temps, les partisans secrets de l'Autriche s'organisaient, +et les modérés, que dégoûtaient ces excès, sans se rapprocher +d'eux, commençaient à craindre de s'être inutilement compromis. Ces +partisans de l'Autriche n'étaient pas nombreux, mais ils avaient +de l'influence par leurs richesses. En outre, ils avaient, dans +les campagnes par leurs tenanciers, et dans les villes par leurs +domestiques, une véritable clientèle. Au jour du danger, ils +pouvaient devenir redoutables. L'un d'entre eux, Gambanara, n'avait +pas hésité à payer de sa personne. Il était descendu dans la rue, +lors de l'insurrection de Binasco et de Pavie. D'autres restaient +enfermés dans leurs palais et se contentaient d'y forger péniblement +de lourdes épigrammes contre les Français et de les imprimer +eux-mêmes pour ne mettre personne dans la confidence, comme le comte +Pertusati, dont un historien contemporain, Giovanni de Castro, a +fait connaître l'œuvre informe et décousue, mais malicieuse<a id="footnotetag69" name="footnotetag69"></a><a href="#footnote69" title="Go to footnote 69"><span class="smaller">[69]</span></a>. +D'autres enfin s'étaient retirés dans leurs châteaux<a id="footnotetag70" name="footnotetag70"></a><a href="#footnote70" title="Go to footnote 70"><span class="smaller">[70]</span></a>, +correspondaient mystérieusement avec l'Autriche, et attendaient le +moment d'assouvir leurs rancunes.</p> + +<p>Entre les modérés dont il devait ranimer la bonne volonté, les +exaltés dont il méprisait les tendances<a id="footnotetag71" name="footnotetag71"></a><a href="#footnote71" title="Go to footnote 71"><span class="smaller">[71]</span></a>, mais dont il <span class="pagenum"><a id="page41" name="page41"></a>(p. 41)</span> +appréciait le zèle, et les partisans de l'ancien régime qu'il +affectait de mépriser, mais dont il surveillait les démarches, le +rôle de Bonaparte eût été difficile s'il n'eût, depuis longtemps, +pris son parti. Homme de guerre et de discipline, il sentait +d'instinct que la modération seule donnerait à la Lombardie une forme +de gouvernement qui allierait la force à la liberté. Les excès de la +démagogie le dégoûtaient, et il ne se cachait pas pour le dire. À +maintes reprises, il avait exprimé son mépris à propos de certains +articles du <i>Thermomètre politique</i>. Il avait interdit les attaques +furibondes contre la religion, contre le pape, et spécialement +contre le roi de Sardaigne, dont il appréciait la dignité et la +solidité. Les élucubrations de Lattanzi avaient le privilège de +l'agacer. Il finit par en ordonner la suppression. Il se prononça +même très catégoriquement en faveur des modérés, et leur envoya, +le 10<a id="footnotetag72" name="footnotetag72"></a><a href="#footnote72" title="Go to footnote 72"><span class="smaller">[72]</span></a> décembre 1796, une sorte de manifeste qui eut un grand +retentissement. Il engageait les Lombards à l'union. «Je suis bien +aise, ajoutait-il, de saisir ces circonstances pour détruire des +bruits répandus par la malveillance. Si l'Italie veut être libre, qui +pourrait désormais l'en empêcher?... Réprimez surtout le petit nombre +d'hommes qui n'aiment la liberté que pour arriver à une révolution; +ils sont ses plus grands ennemis; ils prennent toute espèce de +figure pour remplir leurs desseins criminels ... Vous pouvez, vous +devez être libres sans révolutions, sans courir les chances et sans +éprouver les malheurs qu'a éprouvés le peuple français. Protégez les +propriétés et les personnes, et inspirez à vos compatriotes l'amour +de l'ordre et des vertus guerrières qui défendent et protègent les +républiques et la liberté.» Ces sages conseils étaient fort goûtés +par le parti modéré, mais ils déplaisaient d'autant aux exaltés. +Seulement, comme Bonaparte était le maître, on n'osait protester, +mais les exaltés commençaient à trouver sa domination pesante. Les +modérés, au contraire, se rapprochaient de plus en plus du général, +disposés à toutes les concessions pour se <span class="pagenum"><a id="page42" name="page42"></a>(p. 42)</span> l'attacher d'une +façon définitive. Aussi bien le général n'allait pas tarder à se +prononcer en leur faveur.</p> + +<p>Un jour, l'ambassadeur de France à Florence, Miot<a id="footnotetag73" name="footnotetag73"></a><a href="#footnote73" title="Go to footnote 73"><span class="smaller">[73]</span></a>, vint trouver +Bonaparte à Mombello, et eut avec lui et Melzi une conversation +singulière, dont nous retrouvons le souvenir dans les intéressants +mémoires de ce diplomate. «Il faut à la nation, disait-il à Miot en +parlant de la France, un chef illustre par la gloire et non par des +théories de gouvernement, des phrases et des discours d'idéologues +auxquels le pays n'entend rien. Quant à votre pays, Melzi, il y +a encore moins qu'en France d'éléments de républicanisme, et il +faut encore moins de façons avec lui qu'avec tout autre. Vous le +savez mieux que personne. Nous en ferons tout ce que nous voudrons; +mais le temps n'est pas encore venu. Il faut céder à la fièvre du +moment. Nous allons avoir ici une ou deux républiques de notre +façon. Monge nous arrangera cela.» Ce qu'il appelait la fièvre du +moment, c'étaient les ordres du Directoire qui voulait imposer à +tous les États conquis la constitution française, et jeter dans le +même moule pour ainsi dire des pays différents par les usages et +les institutions. Bonaparte ne se sentait pas encore assez fort +pour résister au Directoire, mais il entendait prendre une prompte +revanche, et, comme il le disait à Miot dans ce même entretien, qui +vraiment semble arrangé après coup et pour les besoins de la cause, +tant Bonaparte s'y montra stupéfiant d'impudence dans la candeur de +ses aveux: «Je ne voudrais quitter l'Italie que pour aller jouer en +France un rôle à peu près semblable à celui que je joue ici, et le +moment n'est pas encore venu. La poire n'est pas mûre!»</p> + +<p>En attendant l'heureux moment de la maturité de ses désirs, Bonaparte +se décida à faire en Italie l'essai de ses théories de gouvernement, +et s'occupa sérieusement d'organiser la future République. Sans +avoir un penchant décidé pour telle ou telle forme de gouvernement, +Bonaparte aurait voulu une administration <span class="pagenum"><a id="page43" name="page43"></a>(p. 43)</span> concentrée +et énergique. Bien qu'il ne crût pas, comme les métaphysiciens +constitutionnels de l'époque, que l'art de gouverner les peuples +fût une science abstraite, qui ne dépendait ni du temps ni des +lieux, il pria son ami Talleyrand de lui envoyer, pour l'aider de +leurs conseils, les hommes qui passaient pour avoir médité sur les +divers systèmes politiques. Talleyrand lui proposa Siéyès. «Par la +réputation dont il jouit, lui écrivait-il, il est propre à remplir +avec succès une place de membre du Directoire exécutif. Il est +d'ailleurs tellement compromis avec les Autrichiens qu'il est une +des personnes de l'opinion de laquelle nous devons être les plus +sûrs.» Bonaparte parait n'avoir jamais éprouvé pour Siéyès qu'une +sympathie médiocre. Il goûtait peu les théories et les qualifiait +volontiers d'utopie. Pourtant la réputation de Siéyès était si bien +établie qu'il crut devoir remercier Talleyrand de son choix, et +lui annonça que Siéyès serait le bienvenu en Italie<a id="footnotetag74" name="footnotetag74"></a><a href="#footnote74" title="Go to footnote 74"><span class="smaller">[74]</span></a>. «Je crois +effectivement comme vous que sa présence serait aussi nécessaire à +Milan qu'elle aurait pu l'être en Hollande, et qu'elle l'est à Paris. +Malgré notre orgueil, nos mille et une brochures, nous sommes très +ignorants dans la science politique morale ... Croyez que vous me +ferez un sensible plaisir si vous pouvez contribuer à faire venir +en Italie un homme dont j'estime les talents et pour qui j'ai une +affection toute particulière.» Il est vrai que, dans la même lettre, +tout en débitant ces compliments, Bonaparte esquissait un plan de +constitution, où il donnait tous les pouvoirs et tous les droits au +chef de l'État au détriment des assemblées législatives, et il se +plaignait «des<a id="footnotetag75" name="footnotetag75"></a><a href="#footnote75" title="Go to footnote 75"><span class="smaller">[75]</span></a> mille lois de circonstances qui s'annulent toutes +seules par leur absurdité et qui nous constituent une nation sans +lois avec trois cents in-folio de lois». Siéyès qui tenait à réserver +sa réputation et songeait à appliquer ses théories constitutionnelles +non pas en Italie mais en France, comprit qu'il jouerait un <span class="pagenum"><a id="page44" name="page44"></a>(p. 44)</span> +jeu dangereux en essayant d'imposer ses volontés au vainqueur de +l'Italie. Il remercia donc Talleyrand et ne quitta point Paris.</p> + +<p>Talleyrand avait aussi songé à Benjamin Constant<a id="footnotetag76" name="footnotetag76"></a><a href="#footnote76" title="Go to footnote 76"><span class="smaller">[76]</span></a>: «C'est un homme +à peu près de votre âge, avait-il écrit à Bonaparte, passionné pour +la liberté, d'un esprit et d'un talent en première ligne. Il a marqué +par un petit nombre d'écrits d'un style énergique et brillant, pleins +d'observations fines et profondes. Son caractère est ferme et modéré. +C'est un républicain inébranlable et libéral.» Bonaparte n'avait +attendu ni Siéyès qu'il devait retrouver au 10 brumaire, ni Benjamin +Constant, qu'il n'appellera à lui qu'en 1815, pour régler le sort des +Milanais. Il chargea un comité italien<a id="footnotetag77" name="footnotetag77"></a><a href="#footnote77" title="Go to footnote 77"><span class="smaller">[77]</span></a> de préparer un projet de +constitution. Le plus célèbre de ces législateurs était un Tyrolien, +longtemps professeur à Pavie, le père Grégorio Fontana. Ce savant +aurait voulu se dérober, mais Bonaparte tenait à donner à la future +constitution l'autorité de son nom. Fontana se résigna et se mit au +travail. Ce fut peine inutile. Les injonctions du Directoire étaient +formelles, et Bonaparte ne permettait la discussion que pour la +forme. Il fut donc résolu que la nouvelle République jouirait d'une +constitution calquée sur la constitution française, c'est-à-dire +que le pouvoir exécutif serait confié à cinq directeurs assistés de +ministres et le pouvoir législatif à un corps législatif de 40 à 60 +Anciens et à un grand conseil de 120 Jeunes. En outre la République +serait divisée en départements et administrée comme l'était la +France. Par prudence, et pour la première fois, Bonaparte se réserva +de désigner les premiers directeurs, législateurs ou fonctionnaires. +Ses choix furent heureux. Les cinq directeurs furent Serbelloni, +un des plus grands seigneurs de <span class="pagenum"><a id="page45" name="page45"></a>(p. 45)</span> l'Italie, le savant médecin +Moscati, et trois citoyens réputés pour leur modération, Alessandri +Paradisi et le Ferrarais Costabile Containi. Sommariva fut désigné +comme secrétaire du Directoire. Au ministère de la guerre fut appelé +Birago, à celui des finances Ricci, à celui de la justice Luosi, à +celui des affaires étrangères Testi, à celui de la police Porro. +Dans les conseils entrèrent tous ceux qui s'étaient fait un nom par +leurs sentiments républicains, par les services rendus à la patrie ou +par leur dévouement à Bonaparte. Sauf de rares exceptions, c'était +assurément l'élite de l'Italie qui arrivait aux affaires<a id="footnotetag78" name="footnotetag78"></a><a href="#footnote78" title="Go to footnote 78"><span class="smaller">[78]</span></a>. Qu'il +nous suffise de citer parmi ces ouvriers de la première heure Melzi, +Cicognara, Martinego, Fenaroli, Lecchi, Pallavicini, Arese, Colonna, +Bossi le poète, Mascheroni le mathématicien, Lamberti, Cavedoni, +Guglielmini, Somaglia, et le jeune Romain Gianni, que Bonaparte +récompensa de ses éloges emphatiques en lui donnant droit de cité +dans la première république italienne.</p> + +<p>Ces changements furent annoncés aux Lombards par une de ces +proclamations retentissantes, comme Bonaparte savait les rédiger: «La +République Cisalpine, leur disait-il, était depuis longtemps sous +la domination de la maison d'Autriche. La République française a +succédé à celle-ci par droit de conquête: elle y renonce dès ce jour +et la République Cisalpine est libre et indépendante. Reconnue par la +France et par l'Empereur, elle le sera bientôt par toute l'Europe. Le +Directoire de la République française, non content d'avoir employé +son influence et les victoires des armées républicaines pour assurer +l'existence politique de la République Cisalpine, porte plus loin +sa sollicitude. Convaincu que, si la liberté est le premier des +biens, une révolution entraîne à sa suite les plus <span class="pagenum"><a id="page46" name="page46"></a>(p. 46)</span> terribles +des fléaux, il donne au peuple cisalpin sa propre constitution, +le résultat des connaissances de la nation la plus éclairée de +l'Europe. Du régime militaire le peuple cisalpin doit donc passer à +un régime constitutionnel.... Depuis longtemps il n'existait plus de +République en Italie, le feu sacré de la liberté y était étouffé, et +la plus belle partie de l'Europe vivait sous le joug des étrangers. +C'est à la République Cisalpine à montrer au monde, par sa sagesse, +par son énergie, par la bonne organisation de ses armées, que +l'Italie moderne n'a pas dégénéré et qu'elle est encore digne de la +liberté<a id="footnotetag79" name="footnotetag79"></a><a href="#footnote79" title="Go to footnote 79"><span class="smaller">[79]</span></a>.»</p> + +<p>Quelques jours plus tard, le 9 juillet, était célébrée en grande +pompe l'inauguration de la République<a id="footnotetag80" name="footnotetag80"></a><a href="#footnote80" title="Go to footnote 80"><span class="smaller">[80]</span></a>. Dans l'immense enceinte +du Lazaret, devenu le Champ de la Confédération, se réunissaient +les députés de toutes les communes et plus de 400 000 Italiens en +habits de fête. Les détonations de l'artillerie et le carillon des +cloches annonçaient la cérémonie<a id="footnotetag81" name="footnotetag81"></a><a href="#footnote81" title="Go to footnote 81"><span class="smaller">[81]</span></a>. L'archevêque de Milan célébrait +une messe solennelle sur l'autel de la patrie, et bénissait les +drapeaux. Serbelloni, le président du Directoire, prononçait une +pompeuse harangue et prêtait le premier serment de fidélité à la +Constitution et à la République. Le serment était répété par les +voix enthousiastes de la foule. Puis commençaient les danses et les +réjouissances qui se succédaient jusqu'au lendemain. En souvenir de +la fête, on décrétait l'érection de huit pyramides quadrangulaires, +dont les inscriptions rappelleraient le nom des braves qui avaient +succombé ou des citoyens qui s'étaient sacrifiés pour leur nouvelle +patrie.</p> + +<p>Le jour même on ordonnait la fermeture de la <i>Société d'Instruction +publique</i>. Sans doute les membres de cette Société <span class="pagenum"><a id="page47" name="page47"></a>(p. 47)</span> l'avaient +compromise par leurs exagérations et leurs bravades, mais, au moment +où l'on prodiguait les assurances de liberté, n'était-ce pas rappeler +durement aux Cisalpins qu'en dépit des protestations de Bonaparte le +régime militaire durait toujours<a id="footnotetag82" name="footnotetag82"></a><a href="#footnote82" title="Go to footnote 82"><span class="smaller">[82]</span></a>.</p> + +<h3>VI</h3> + +<p>Il est vrai de reconnaître que, si Bonaparte se souciait peu de +ménager les intransigeants Milanais, et si, d'un autre côté, il +ne tenait pas grand compte des constitutions, il se préoccupait +des réformes sociales. Son œuvre personnelle fut l'introduction +en Italie de l'égalité par l'abolition des privilèges féodaux, +de la dîme, des fidéicommis, des majorats, par la déclaration +d'admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics. Pourtant, +bien qu'il bouleversât si complètement l'ancien régime, il s'efforça +de rattacher aux institutions nouvelles ceux qui en souffraient le +plus, les nobles et les prêtres, car il se défiait de la foule, ou +plutôt des meneurs de la foule. Par instinct il se ralliait au grand +parti: conservateur il n'était révolutionnaire que par nécessité. Ses +avances furent accueillies avec empressement. Grâce à cette habile +modération, tous ceux qui par caractère ou par tradition eussent été +les ennemis les plus acharnés de la jeune République, devinrent au +contraire les premiers intéressés à la soutenir. Bonaparte espérait +ainsi donner à ce nouvel état toutes les garanties de la stabilité, +et lui assurer le bienfait des réformes sociales de notre Révolution, +tout en lui épargnant les agitations qui avaient troublé la France +depuis 1789.</p> + +<p>Une question fort importante à régler était celle des frontières de +la nouvelle République, et du nom qu'elle porterait. <span class="pagenum"><a id="page48" name="page48"></a>(p. 48)</span> Il n'y +avait aucune difficulté pour les anciennes provinces autrichiennes, +Milanais et Mantouan. L'Autriche avait renoncé à tous ses droits +sur ces provinces. Elles devaient donc appartenir, par le fait même +de cette cession, à la nouvelle République: mais réduites à leurs +seules forces, ces deux provinces n'auraient pas été capables de +vivre ou tout au moins de se défendre, et les patriotes italiens, +dans leurs aspirations unitaires, rêvaient déjà de faire de cet +État comme le noyau de la future Italie, libre et indépendante des +Alpes à l'Isonzo et à la mer Ionienne. Des annexions territoriales +étaient donc nécessaires. Une petite République avait été formée aux +dépens du duc de Modène et du Pape: la République Cispadane. Cette +république conserverait-elle son autonomie, ou se fondrait elle avec +la république Lombarde? Bonaparte connaissait l'égoïsme municipal +des cités italiennes. Comme il ne se souciait guère de créer dans la +péninsule un État trop puissant, il aurait voulu que la Cispadane +vécût à part, et que la Lombardie formât une autre république +également indépendante sous le nom de Transpadane. Mais à Milan, +comme à Bologne, à Modène, on comprenait l'importance et la nécessité +de l'union. Transpadans et Cispadans portaient le même uniforme, et +se battaient sous le même drapeau. L'opinion publique se prononça +avec tant de force que Bonaparte ne crut pas devoir s'opposer à cette +manifestation patriotique. Il déclara donc, avec l'assentiment du +Directoire, que les deux Républiques se fondraient en une seule, qui +porterait le nom de République Cisalpine. On avait bien pensé à lui +donner le nom de République Lombarde, mais les Lombards n'avaient +jamais été que des usurpateurs. On avait également voulu lui donner +le nom de République Italienne: c'était même le vœu le plus +général: mais on était alors en paix avec les rois de Piémont et +de Naples, avec le duc de Parme, avec la Toscane. On craignait, en +ressuscitant ce nom, de réveiller trop de souvenirs, de soulever trop +d'espérances, et on adopta la dénomination de République Cisalpine, +qui ménageait toutes les susceptibilités.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page49" name="page49"></a>(p. 49)</span> Un nouvel et important accroissement de territoire fut +donné à la Cisalpine aux dépens de Venise. Nous raconterons plus +loin la chute et le partage de cette infortunée République, dont +le seul crime fut de ne pas avoir été à la hauteur de sa vieille +réputation, et qui fut sacrifiée aux convoitises de ses voisins, et +aux implacables exigences d'une diplomatie sans ménagements et sans +scrupules. Il nous suffira de rappeler ici que, lors du partage des +dépouilles vénitiennes, la Cisalpine hérita de toutes les villes en +deçà du Mincio, Bergame, Côme, Brescia, Peschiera, etc. Sa frontière +orientale fut de la sorte portée au lac de Garde et au Mincio. Peu à +peu la Cisalpine s'arrondissait et devenait importante.</p> + +<p>Avant de quitter l'Italie, Bonaparte fit un dernier cadeau à +l'État qu'il avait fondé, et qu'il semblait affectionner. Une +petite vallée suisse, la Valteline, était à la merci de magistrats +ignorants, les podestats, qui, ayant acheté leurs charges, ne +cherchaient qu'a recouvrer avec usure l'argent qu'elles avaient +coûté. Aussi la justice était-elle vénale, et les abus tolérés. On +pouvait se racheter de tout crime, sauf d'homicide qualifié, et, +comme les procès étaient une source de profits, les podestats non +seulement cherchaient à découvrir des délits, mais encore à en faire +commettre. Ils avaient à leur service de malheureuses créatures, qui +pratiquaient la séduction et dénonçaient ensuite leurs complices. Ils +provoquaient encore des tumultes, pour avoir occasion de confisquer +des propriétés ou de prononcer des amendes.</p> + +<p>Or la Valteline appartient géographiquement à l'Italie, car elle +forme la vallée supérieure de l'Adda. Tout ce qu'il y avait dans +le pays de citoyens honnêtes et instruits, dégoûtés de la tyrannie +des podestats, voulait secouer le joug de la Suisse. Le voisinage +de la Cisalpine acheva de provoquer un mécontentement général. Des +troubles éclatèrent, et bientôt l'émeute prit le caractère d'une +guerre sociale, car les paysans de la vallée avaient à se venger +de plusieurs siècles de contrainte et d'humiliations. Les cantons +suisses intervinrent pour rétablir leur domination. L'Autriche qui +avait des partisans <span class="pagenum"><a id="page50" name="page50"></a>(p. 50)</span> dans la vallée, entre autres la puissante +famille des Planta, éleva des prétentions. Aussitôt Bonaparte, averti +du danger par les amis héréditaires de la France, la famille de +Salis, se fit appeler par les paysans en qualité de médiateur, et +prononça en leur faveur contre les Grisons et indirectement contre +l'Autriche. Seulement il outrepassa, suivant son habitude, les +pouvoirs qui lui avaient été conférés, et, malgré le désir exprimé +par ses protégés de continuer à faire partie de la confédération +helvétique à l'état de canton libre, déclara qu'ils étaient annexés +à la Cisalpine<a id="footnotetag83" name="footnotetag83"></a><a href="#footnote83" title="Go to footnote 83"><span class="smaller">[83]</span></a>. Il y eut quelques protestations, quelques +soulèvements même, mais bientôt tout rentra dans le calme, car Murat +avait été envoyé pour le rétablir à la tête d'une forte brigade +et ces Cisalpins, de par la grâce de Bonaparte et sans volonté +nationale, s'habituèrent à leur qualité de membres de la première +République fondée par la France.</p> + +<p>L'annexion de la Valteline reculait jusqu'aux Alpes la frontière +septentrionale de la Cisalpine. Défendue à l'est par le lac de Garde, +le Mincio et l'Adriatique, à l'ouest par les Apennins et le Tessin, +au centre de la péninsule, maîtresse des plaines les plus riches et +des vallées les plus fertiles, entourée d'états alliés ou sujets de +la France, la Cisalpine semblait n'avoir rien à craindre. Ce fut +alors qu'on la divisa en vingt départements, et un certain nombre de +districts. Dans chaque district des municipalités librement élues +administraient les affaires locales. Les affaires d'un intérêt plus +général étaient confiées aux administrateurs des départements. Les +départements furent ainsi dénommés: Olona (Milan); Tessin (Pavie), +Lario (Côme), Verbano (Varèse), Montagne (Lecco), Serio (Bergame), +Adda et Oglio (Sondrio), Mela (Brescia), Benaco (Desenzano), Mincio +(Mantoue), Adda (Lodi), Crostolo (Reggio), Panaro (Modène), Alpes +Apuanes (Massa), Reno (Bologne), Pô supérieur (Cento), Pô inférieur +(Ferrare), Liamone (Faenza), Rubicon (Rimini).</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page51" name="page51"></a>(p. 51)</span> Les institutions ne suffisaient pas. Il fallait encore et +surtout retremper les caractères. Bonaparte espéra qu'en accoutumant +les Italiens à la noble carrière des armes il leur inspirerait des +sentiments d'honneur et l'amour de la gloire. Des gardes nationales +furent partout organisées<a id="footnotetag84" name="footnotetag84"></a><a href="#footnote84" title="Go to footnote 84"><span class="smaller">[84]</span></a>. Des régiments de ligne se formèrent +peu à peu. Les légions polonaises de Dombrowsky s'enrôlèrent sous +les drapeaux de la nouvelle République et de nombreux officiers +français obtinrent l'autorisation de mettre leur expérience militaire +au service de la jeune armée Italienne. Dès ce jour les mœurs +se modifièrent. L'esprit national se forma. On remarqua que les +enfants, au lieu de jouer à la chapelle, eurent des jeux militaires, +et que les jeunes gens fréquentèrent non plus les sacristies ou +les boudoirs, mais les manèges et les salles d'armes. Le théâtre +lui-même, qui longtemps avait tourné en ridicule la pusillanimité +italienne, retentit de chansons guerrières et patriotiques, et les +femmes, ces arbitres suprêmes de l'opinion, repoussèrent les hommages +qui leur étaient offerts par d'autres que des patriotes éprouvés.</p> + +<p>Heureux de ce changement dont il était en grande partie l'auteur<a id="footnotetag85" name="footnotetag85"></a><a href="#footnote85" title="Go to footnote 85"><span class="smaller">[85]</span></a>, +Bonaparte n'aurait pas voulu revenir en France avant de voir reconnue +par l'Europe entière la nouvelle République. Visconti avait été +nommé ambassadeur à Paris. <span class="pagenum"><a id="page52" name="page52"></a>(p. 52)</span> Il fut reçu en audience publique +le 27 août 1797, et adressa au Directoire un discours emphatique qui +lui valut une réponse pompeuse et ampoulée. Les chefs du gouvernement +lui promirent la protection de la France, et comme l'Autriche, qui +n'avait pas encore signé le traité de Campo-Formio, montrait peu +d'empressement et faisait mine de reprendre les hostilités, ils +profitèrent de l'occasion pour lancer contre elle de retentissantes +menaces. Marescalchi avait été envoyé comme ambassadeur à Vienne. +L'Autriche différa sa reconnaissance. Elle prétendit que le traité +définitif n'était pas encore signé, et que d'ailleurs la nouvelle +République n'était pas encore libre, puisque son territoire était +occupé par des soldats étrangers. Évidemment l'Autriche se réservait. +Il fallut se contenter de ces mauvaises raisons, et attendre son +consentement pour des jours meilleurs. L'Espagne, Parme, le roi de +Naples, le grand-duc de Toscane, le roi de Sardaigne, la République +Ligurienne et le Pape lui-même, liés à la France par des traités +ou menacés par ses armées, s'inclinèrent devant le fait accompli, +et envoyèrent leur reconnaissance. L'Angleterre et la Russie, qui +n'avaient pas déposé les armes, protestèrent par leur silence.</p> + +<p>La Cisalpine n'en était pas moins reconnue par la moitié de l'Europe +et directement soutenue par la France. Elle occupait une solide +position militaire. Tout semblait devoir annoncer à ces trois ou +quatre millions d'Italiens, pour la première fois depuis des siècles +libres et réunis, une ère nouvelle de prospérité et de grandeur. Déjà +les patriotes italiens oubliaient les spoliations du début pour rêver +un avenir glorieux. Peu à peu disparaissaient les mauvais souvenirs, +les blessures se fermaient, l'ordre renaissait; l'université de +Pavie avait rouvert ses cours longtemps interrompus<a id="footnotetag86" name="footnotetag86"></a><a href="#footnote86" title="Go to footnote 86"><span class="smaller">[86]</span></a>. Hélas! +cette prospérité était trompeuse; ces jours de paix <span class="pagenum"><a id="page53" name="page53"></a>(p. 53)</span> +n'étaient qu'une trêve passagère. À peine Bonaparte était-il rentré +en France que tous les abus recommençaient, et qu'à la période de +l'organisation succédait la période de l'anarchie.</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="page55" name="page55"></a>(p. 55)</span> CHAPITRE II<br> +<span class="smaller">LA RÉPUBLIQUE LIGURIENNE</span></h2> + +<p class="resume"> + Gênes et la décadence de l'aristocratie. — Politique de + neutralité désarmée. — Violations de territoire. — Affaire de la + <i>Modeste</i>. — Mission de Bonaparte à Gênes en 1794. — Intrigues + de Girola et de Drake. — Affaire des fiefs impériaux. — Les + Barbets. — Sac d'Arquata. — Affaire de Santa Margarita. + — Ménagements calculés de Bonaparte. — Les démocrates et + les aristocrates. — Émeute du 23 mai 1797. — Écrasement + des démocrates. — La mission de Lavalette. — Le traité + de Mombello. — Les excès des démagogues. — Révolte du 4 + septembre. — Batailles d'Albaro et de San Benigno. — Création de + la République Ligurienne.</p> + +<p>En 1796, lorsque les Français descendirent en Italie, ils y +trouvèrent deux républiques, jadis puissantes et glorieuses, mais +dont la décadence était alors irrémédiable.</p> + +<p>Venise et Gênes, unies dans la bonne, comme dans la mauvaise fortune, +n'avaient plus que les apparences de la force et ne se soutenaient +que par leur antique réputation. De ces deux républiques, nos +généraux détruisirent et partagèrent la première. C'est un des +épisodes les plus douloureux de notre histoire contemporaine. Sous +prétexte de transformer la seconde, ils ne lui laissèrent qu'une +ombre d'indépendance. C'est un des chapitres les moins glorieux de +l'histoire de la domination française en Italie.</p> + +<p>Gênes était devenue de bonne heure un centre important de commerce. +Bâtie au fond du golfe qui porte son nom, à l'endroit où les Apennins +s'infléchissent brusquement dans la direction du sud-est pour +former l'Italie péninsulaire, à mi-chemin, <span class="pagenum"><a id="page56" name="page56"></a>(p. 56)</span> par conséquent, +entre l'Italie du Nord et l'Italie du Sud, Gênes s'élève en +amphithéâtre sur les gradins arides et brûlés des premières sommités +de l'Apennin, entre les deux petites vallées de la Polcevera et du +Bisagno. Sa grande prospérité commence avec les croisades. Elle +profite alors des routes nouvelles ouvertes au commerce par les +guerres saintes et étend sa domination en Italie sur cette longue +et étroite bande de terrain, resserrée entre les Alpes Maritimes +et les Apennins d'un coté, la Méditerranée de l'autre, qu'on est +convenu d'appeler la rivière de Gênes. En Orient, comme elle aide +les empereurs de Constantinople dans leurs entreprises, elle est +récompensée par d'importants privilèges. Les faubourgs de Pera et +Galata à Constantinople lui appartiennent. Sur tous les points de +l'Archipel, elle se fait céder des stations avantageuses: Scio, +Métélin, Ténédos, Smyrne. Les rois de Chypre lui paient tribut. Au +fond de la mer Noire, elle s'empare de Caffa et d'Azow, et accapare +le commerce de l'Inde par la mer Caspienne. Ce qu'on a nommé depuis +les échelles du Levant lui appartient. Quelques-uns de ses hardis +capitaines s'engagent même dans l'Océan Atlantique et arborent le +pavillon de Saint-Georges sur quelques îles et certains points de +la côte africaine. Cette prospérité se soutint du <span class="smcap">XI</span><sup>e</sup> +au <span class="smcap">XIV</span><sup>e</sup> siècle. Gênes humilie ses rivales; elle comble +le port de Pise; elle menace Venise jusque dans ses lagunes; elle +occupe la Corse; elle envoie ses négociants s'emparer des Canaries; +en un mot, elle devient la puissance prépondérante en Italie et +presque dans la Méditerranée. Mais, au lieu de continuer à diriger +vers la mer et vers le commerce l'exubérante activité et l'ardeur +intelligente de ses citoyens, Gênes s'abîme dans les discordes +intestines. Lorsque la découverte de l'Amérique, en transportant +de la Méditerranée à l'Océan le commerce du monde, les frappa d'un +coup terrible; lorsque les Turcs, en s'emparant de Constantinople, +leur enlevèrent leurs comptoirs orientaux; les Génois, au lieu de +se tourner dans une autre direction, ne surent plus que s'entretuer +dans les rues de leur capitale, et à la glorieuse période <span class="pagenum"><a id="page57" name="page57"></a>(p. 57)</span> +des conquêtes d'outre-mer et des grandes guerres contre les +puissances rivales succéda la triste et lamentable période des +dissensions municipales et des guerres civiles.</p> + +<p>Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de ces luttes séculaires. +Il nous suffira de rappeler que deux partis, les démocrates et les +aristocrates, se disputeront longtemps le pouvoir à Gênes. À la +tête des démocrates étaient les Fregosi et les Adorni. Les chefs de +l'aristocratie se nommaient les Doria, Spinola, Grimaldi, Fieschi, +etc. Ce furent les aristocrates qui l'emportèrent définitivement. +Ils réussirent à fonder un gouvernement qui leur assurait la +perpétuité du pouvoir. Quatre cent trente-sept familles de noblesse, +dite nouvelle et vingt-huit familles de noblesse dite ancienne, +c'est-à-dire quatre cent soixante-cinq familles, étaient inscrites +au livre d'or, et se partageaient entre elles le pouvoir et les +honneurs, à l'exclusion absolue des bourgeois et du peuple. Un grand +conseil composé de quatre cents membres et un petit conseil de +cent membres, le petit conseil ou Sénat élu par le Grand Conseil, +délibéraient en commun sur les lois, les impôts et les douanes. +Huit Gobernatori ou gouverneurs choisis parmi les Sénateurs étaient +investis du pouvoir exécutif; enfin un Doge choisi parmi les huit +Gobernatori représentait la Nation. Ses pouvoirs étaient bisannuels, +ainsi que ceux des Gobernatori; mais il pouvait être réélu.</p> + +<p>Pendant que l'aristocratie génoise, dans son maladroit égoïsme, +ne songeait qu'à maintenir sa domination, peu à peu tombaient les +derniers débris de l'empire colonial. Réduite au rôle honteux de +cliente de l'Espagne, Gênes, qui, jadis, était surnommée la Superbe, +subissait humiliations sur humiliations. En 1684, Louis XIV la +faisait bombarder et forçait le Doge à lui présenter en personne les +excuses de la République. En 1746, les Autrichiens s'en emparaient +et la traitaient en ville conquise. En 1768, la Corse se soulevait, +et Gênes, qui ne pouvait même plus la dompter, était forcée de la +vendre à la France. Ainsi s'affaiblissent et disparaissent les États +que les préoccupations de la politique intérieure et <span class="pagenum"><a id="page58" name="page58"></a>(p. 58)</span> les +déchirements de la guerre civile absorbent au point qu'ils négligent +leurs intérêts extérieurs.</p> + +<p>Une faute plus grave encore, commise par les Génois, fut de se +désintéresser des brûlantes questions politiques qui agitèrent +l'Europe à la fin du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle. Placés entre la +France qui cherchait à répandre au loin son influence, le Piémont qui +ne demandait qu'à annexer leur territoire afin de devenir du jour +au lendemain puissance maritime et l'Autriche, devenue leur voisine +directe par le Milanais et indirecte par la Toscane, les Génois +auraient dû, pour assurer leur indépendance, équiper une armée ou +tout au moins une flotte qui leur aurait permis de faire respecter +leur pavillon. Ainsi que les Vénitiens, ils s'imaginèrent, bien à +tort, que leur position leur imposait la nécessité de garder la +neutralité et la neutralité désarmée. Certes, à ne considérer que les +apparences, ils ne pouvaient que gagner à cette politique, puisque +les Français, les Autrichiens et les Piémontais allaient les employer +forcément comme intermédiaires pour toutes leurs transactions, et +que les négociants génois, en devenant les fournisseurs attitrés +des belligérants, réaliseraient des gains énormes. Au point de vue +strictement commercial, leurs calculs étaient fondés; mais il n'y +a pas en ce monde que sa bourse à ménager: l'honneur national et +l'indépendance territoriale ne sont pas des mots vides de sens. +Les Génois en feront bientôt la dure expérience! Il était évident +que si les négociants génois allaient profiter, pour s'enrichir, +de la guerre entre la France et l'Autriche, ces deux puissances se +réserveraient d'agir à leur guise ou pour ou contre Gênes. Que si au +contraire, dès le début des opérations, les Génois avaient prouvé +par d'imposantes manifestations qu'ils étaient résolus à maintenir +l'indépendance et l'intégrité de leur territoire, non seulement ils +auraient à leur aise continué leur commerce avec les belligérants, +mais encore la France ou l'Autriche auraient cherché à se procurer +leur alliance, même au prix des plus lourds sacrifices. Ils ne le +firent pas. Les préoccupations mercantiles les aveuglèrent. Ils +allaient expier leur politique <span class="pagenum"><a id="page59" name="page59"></a>(p. 59)</span> insensée, d'abord par une +série d'humiliations, et, en second lieu, par la perte de leur +indépendance.</p> + +<p>Dans les premières années de la guerre, de 1792 à 1796, Gênes +crut d'abord n'avoir qu'à se féliciter de ne pas sortir de la +neutralité. Elle fournissait également aux besoins des Français et +des Austro-Piémontais, et s'enrichissait par le commerce; mais, peu à +peu, les belligérants se rapprochèrent. Les Français étaient déjà à +Nice et à Monaco, les Piémontais menaçaient Gavi, et les Autrichiens +occupaient les principaux défilés des montagnes. Le territoire avait +été souvent violé. À la première occasion, les belligérants, sans se +soucier de Gênes, n'hésiteraient pas à occuper tous les points à leur +convenance.</p> + +<p>Dès le 8 mars 1793, Tilly, chargé d'affaires de la France à Gênes, +recevait de la Convention les instructions suivantes: «Il est +vraisemblable que nous serons forcés d'emprunter le territoire de +Gênes pour envoyer des troupes en Piémont. La république de Gênes, +dont les frontières sont couvertes de troupes sardes et autres à la +solde du roi de Sardaigne, serait sans doute fondée à requérir notre +assistance pour opposer à ces troupes des forces suffisantes pour se +garantir d'une action présumée, etc.»</p> + +<p>Notre consul à Gênes, La Cheize, partageait cette manière de voir. +Le 25 août 1793, il demandait au Comité de Salut public d'envahir +la Lombardie en passant par le territoire génois<a id="footnotetag87" name="footnotetag87"></a><a href="#footnote87" title="Go to footnote 87"><span class="smaller">[87]</span></a>. Un officier +de l'armée du Rhin émettait le même avis. Les Autrichiens et les +Sardes, de leur coté, passaient continuellement sur le territoire, et +les Anglais croisaient avec leur flotte tout le long de la Rivière, +et n'attendaient qu'une occasion pour s'emparer d'un des ports de +la côte, peut-être même de la capitale. C'était le cas ou jamais +pour Gênes de mettre sous les armes la vaillante population de +<span class="pagenum"><a id="page60" name="page60"></a>(p. 60)</span> ses côtes et de faire garder par ses braves montagnards les +défilés impraticables des Apennins qui lui appartenaient encore; mais +d'immenses capitaux génois circulaient en France ou en Autriche. On +hésitait à prendre une détermination virile. Ces hésitations et cet +égoïsme allaient être sévèrement châtiés.</p> + +<p>Une frégate française, <i>la Modeste</i>, et deux tartanes, sorties de +Toulon et poursuivies par l'escadre anglaise qui observait les côtes +de Provence, avaient réussi à s'esquiver et avaient trouvé un refuge +dans le port de Gênes. Trois vaisseaux anglais, commandés par le +capitaine Man de Bedfort, sans tenir compte de la neutralité génoise, +entrèrent à leur suite dans le port, et, malgré les protestations +officielles des commandants génois, les prirent et regagnèrent la +haute mer avec leur capture. C'était un insolent défi! Au temps +des Doria, les forts auraient ouvert un feu destructeur contre les +Anglais, ou du moins les vaisseaux génois auraient à tout prix essayé +de reprendre la frégate et les tartanes. Mais le temps était passé +des actes héroïques. Les Génois ne surent que s'incliner devant le +fait accompli. À la première nouvelle de cet acte inqualifiable, +Tilly avait protesté: «Le chargé d'affaires de la République +française apprend qu'il vient de se commettre une atrocité contre +ceux de sa nation. Il demande si la République de Gênes continue +de vouloir la paix ou commence la guerre avec celle de France, en +souffrant que les propriétés soient envahies et les Français égorgés +dans son port et sous ses yeux.» Robespierre jeune et Ricord, les +deux Commissaires de la Convention à l'armée d'Italie, envoyaient +un ultimatum à Gênes, dès le 13 octobre, et donnaient l'ordre à nos +régiments de s'apprêter à une marche en avant<a id="footnotetag88" name="footnotetag88"></a><a href="#footnote88" title="Go to footnote 88"><span class="smaller">[88]</span></a>. «Vous jugerez +probablement, écrivait Robespierre jeune au Comité de Salut public, +que nous ne devons plus négocier longuement et tortueusement avec +la finesse italienne. Mettez tout votre <span class="pagenum"><a id="page61" name="page61"></a>(p. 61)</span> zèle et vos lumières +à conduire les affaires génoises à un terme heureux et prompt. Vous +presserez le ministre de la guerre pour qu'il tourne toute son +attention de ce côté. Si nous avions dix mille hommes, nous serions à +Turin ou à Gênes en moins de trois semaines.»</p> + +<p>Ce qui augmentait encore les griefs de la France contre Gênes, c'est +que le gouvernement oligarchique nous était notoirement hostile. +Ainsi que l'observait Tilly, «nous sommes hors d'état de rien offrir +aux oligarques qui puisse les disposer favorablement pour nous, +puisqu'ils n'ambitionnent que l'accroissement de la richesse et du +pouvoir, et que notre pénurie et nos principes ne nous permettent de +satisfaire ni à leur cupidité ni à leur ambition. Nous ne devons, par +conséquent, pas espérer obtenir la majorité, ni dans le Sénat, ni +dans les Collèges composés d'hommes riches, cupides et ambitieux». +Gênes était même devenu un foyer d'intrigues antifrançaises. Quelques +émigrés remuants, Cazalès, de Nailhac, de Marignan, avaient même +réuni un corps de douze à quinze cents déserteurs et promettaient +leur concours armé à l'agent anglais Drake, qui agissait en maître +de la situation. Il paraîtrait même que le chargé d'affaires de +Gênes à Paris, Mazzucone, profitait de sa situation pour envoyer des +renseignements secrets qui permettaient aux coalisés de combiner +leurs opérations et d'inquiéter nos agents en Italie. Tous ces griefs +exigeaient une réparation. Robespierre jeune était donc parfaitement +fondé à envoyer un ultimatum à Gênes.</p> + +<p>À nos légitimes réclamations, les Génois n'avaient qu'à répondre par +une déclaration de guerre. On s'y attendait à la Convention. On s'y +attendait d'autant plus que Drake, l'agent anglais, menait grand +bruit à Gênes et annonçait<a id="footnotetag89" name="footnotetag89"></a><a href="#footnote89" title="Go to footnote 89"><span class="smaller">[89]</span></a> l'entrée de la flotte anglaise dans +le port pour concourir à la <span class="pagenum"><a id="page62" name="page62"></a>(p. 62)</span> défense ou une attaque immédiate +en cas d'accommodement avec la France.</p> + +<p>Ces menaces intempestives servirent nos intérêts. Les Génois +entamèrent une négociation pour nous payer une indemnité. Ils +ordonnèrent à Drake et à ses vaisseaux de quitter le port (11 +novembre), expulsèrent les déserteurs et quelques émigrés, entre +autres Cazalès, et remplacèrent, à Paris, Mazzucone par Boccardi. +Cinq semaines plus tard<a id="footnotetag90" name="footnotetag90"></a><a href="#footnote90" title="Go to footnote 90"><span class="smaller">[90]</span></a>, le 22 décembre 1793, un traité de +neutralité était signé entre les deux Républiques. La satisfaction +était donc aussi complète que possible; mais cette humiliation +ne devait pas être la seule. Gênes avait livré le secret de sa +faiblesse. On en abusa bientôt, et elle apprit à ses dépens ce qu'il +en coûte à un état d'abdiquer sa dignité et de sacrifier son honneur +à ses intérêts.</p> + +<p>Le général Bonaparte, alors attaché à l'armée d'Italie, fut chargé, +en juillet 1794, d'infliger à Gênes une de ces humiliations qui +allaient constituer son histoire pour ainsi dire quotidienne. Gênes, +malgré la paix signée avec la France, continuait à ne pas cacher +ses mauvaises dispositions. Elle était comme le rendez-vous de +nos déserteurs. En outre, on y avait établi un dépôt de ces faux +assignats qu'on fabriquait avec si peu de scrupules en Angleterre. +Enfin les Autrichiens ne demandaient même plus l'autorisation de +passer sur son territoire, et, pour faciliter leurs opérations +militaires, ils faisaient construire un grand chemin de Céva à +Savone, sous le couvert de quelques négociants génois. Robespierre, +qui détenait encore le pouvoir, était au courant de la situation. +<span class="pagenum"><a id="page63" name="page63"></a>(p. 63)</span> Le 14 juin 1794, il écrivait à un certain Buchot<a id="footnotetag91" name="footnotetag91"></a><a href="#footnote91" title="Go to footnote 91"><span class="smaller">[91]</span></a>: «Le +gouvernement génois déploie les moyens les plus perfides pour nuire +à la République française. Il est nécessaire de montrer du caractère +avec ce gouvernement. Il ne peut nous être favorable que par la +crainte. Il faut donc, loin de chercher à le flatter ou à le gagner, +exiger de lui des marques éclatantes d'estime pour la République +et pour ses armées.» Ce fut sans doute pour exiger ces «marques +éclatantes d'estime» que Robespierre jeune et Ricord<a id="footnotetag92" name="footnotetag92"></a><a href="#footnote92" title="Go to footnote 92"><span class="smaller">[92]</span></a> chargèrent +Bonaparte d'une mission militaire pour Gênes. Le général devait se +plaindre de la construction de la grande route de Céva à Savone. «Il +dira à ce gouvernement que la République française n'a pas pu voir +indifféremment le passage accordé sur le territoire de la République +de Gênes à des hordes de brigands non enrégimentés, que les +montagnards de la Rivière eussent repoussés, si l'on n'eût paralysé +leur bonne volonté.»</p> + +<p>Bonaparte quitta Nice le 11 juillet. Il était accompagné par son +frère Louis, par Marmont, Junot et Songis. Arrivé à Gênes dans la +nuit du 15 au 16, il voyait Tilly et lui remettait la note destinée +au secrétaire d'État. Le Doge ne résista que pour la forme. Il +donna toutes les satisfactions désirables, promit qu'on cesserait +de travailler à la route de Céva à Savone et s'engagea à observer +la plus stricte neutralité. Le 3 septembre, il publiait même +l'ordonnance suivante: «Toujours ferme dans le système salutaire +que nous avons adopté d'une parfaite neutralité dans la guerre +actuelle, nous croyons que, en conséquence de ce même système, +tous les habitants de l'est de la Sérénissime république doivent +s'abstenir de prendre aucune part dans les opérations des puissances +belligérantes ou de leurs armées. Nous défendons par conséquent à qui +que ce soit de servir, travailler ou assister, sur la réquisition +des commandants <span class="pagenum"><a id="page64" name="page64"></a>(p. 64)</span> ou officiers d'aucune de ces armées, pour le +transport d'armes, artillerie, munitions, réparation de chemins ou +pour la construction de fortifications, sous peine de l'indignation +publique.» Il était difficile d'obtempérer avec moins de dignité à +des injonctions plus raides, mais Gênes n'en était plus à compter +avec les blessures d'amour-propre, et ces ménagements lamentables ne +devaient pourtant pas la sauver.</p> + +<p>Lorsque Bonaparte revint en Italie, en 1796, mais cette fois en +qualité de général en chef, il n'avait pas encore, à l'égard de +Gênes, d'idée politique bien arrêtée. Tantôt il penchait vers la +modération, et demandait instamment qu'on renouvelât les traités de +neutralité; tantôt il conseillait l'intervention directe et au besoin +l'annexion. «Notre position avec Gênes est critique, écrivait-il +au Directoire, le 28 mars 1796<a id="footnotetag93" name="footnotetag93"></a><a href="#footnote93" title="Go to footnote 93"><span class="smaller">[93]</span></a> ... le gouvernement de Gênes a +plus de tenue et de force qu'on ne croit. Il n'y a que deux partis +avec lui: prendre Gênes par un coup de main prompt, mais cela est +contraire à vos intentions et au droit des gens; ou bien vivre en +bonne amitié, et ne pas chercher à leur tirer leur argent, qui est +la seule chose qu'ils estiment.» Mais dès qu'il eut remporté ses +premières victoires, le jeune vainqueur changea de ton et prit une +autre attitude. Sans hésitation, il écrivit<a id="footnotetag94" name="footnotetag94"></a><a href="#footnote94" title="Go to footnote 94"><span class="smaller">[94]</span></a> à notre représentant +à Gênes pour lui recommander la plus grande fermeté: «Dites bien au +gouvernement génois que la République française protégera Gênes et la +mettra à l'abri des entreprises de ses ennemis, mais que malheur aux +hommes perfides, puissants dans ce gouvernement, qui cherchent depuis +longtemps à altérer l'union des deux nations et à se coaliser. S'ils +manquent à ce qu'ils doivent au premier <span class="pagenum"><a id="page65" name="page65"></a>(p. 65)</span> peuple du monde, +bientôt ses ennemis ne seront plus, et je dirigerai mon armée selon +la conduite qu'on aura tenue.»</p> + +<p>Ces menaces épouvantèrent les Génois. Il y avait alors à Gênes, +comme dans presque toutes les cités italiennes, deux partis +opposés: les démocrates, qui s'appuyaient sur la France, et les +aristocrates, qui comptaient sur l'Autriche et sur l'Angleterre. +Les premiers appartenaient à la bourgeoisie; ils n'avaient aucune +part au gouvernement, et n'en désiraient que davantage les victoires +de la France, qui auraient été comme le prélude de l'introduction +des principes français et par conséquent de leur participation aux +affaires publiques. Les seconds étaient à la tête des affaires et +ne cherchaient qu'a s'y maintenir: aussi ne désiraient-ils que les +victoires des alliés, qui les confirmeraient dans la possession de +leurs privilèges héréditaires. Pendant toute l'année 1796, selon +que la fortune des armes sembla vacillante ou que la victoire +au contraire se déclara en notre faveur, il y eut déplacement +d'influence entre les deux partis. Les ambassadeurs des puissances +belligérantes essayaient de faire pencher l'opinion de leur côté. +À Tilly, révoqué le 4 septembre 1794, avaient succédé Villars, +puis Faypoult de Maisoncelle. Ce dernier avait fait ses études à +l'école militaire de Mézières, d'où il était sorti avec le grade de +lieutenant du génie. De bonne heure il se prononça pour les opinions +nouvelles. Ses qualités solides et son caractère conciliant lui +valurent de nombreuses amitiés. Roland le nomma chef de division au +ministère de l'intérieur et Garat lui confia plus tard les délicates +fonctions de secrétaire général à ce même ministère. Faypoult s'était +toujours strictement renfermé dans les devoirs de sa place. Frappé +par le décret qui proscrivait tous les nobles, il dut chercher en +province un asile ignoré et ne sortit de sa retraite qu'après le +9 thermidor. Nommé ministre plénipotentiaire à Gênes, il y joua +bientôt un rôle prépondérant, et devint le chef avoué des démocrates. +Bonaparte le tenait en haute estime. Plusieurs des lettres de la +Correspondance lui sont <span class="pagenum"><a id="page66" name="page66"></a>(p. 66)</span> adressées<a id="footnotetag95" name="footnotetag95"></a><a href="#footnote95" title="Go to footnote 95"><span class="smaller">[95]</span></a>. En toute occasion, +il s'ouvre à lui de ses projets, et lui confie ses plus secrets +desseins. Faypoult en effet allait devenir entre ses mains un +merveilleux instrument de désorganisation.</p> + +<p>Les ambassadeurs de l'Autriche et de l'Angleterre se nommaient +Girola et Drake. L'un et l'autre haïssaient la France de toute +l'ardeur de leurs convictions, et ils mettaient au service de leur +haine une énergie incomparable et une activité inouïe. Drake est +ce même ministre anglais qui plus tard se rendit célèbre par les +machinations et les complots perpétuels qu'il trama contre le premier +consul. Son collègue Girola et lui s'efforçaient de donner du cœur +aux aristocrates. Ils les engageaient à sortir de la neutralité, +et leur promettaient, en cas de déclaration de guerre contre la +France, les secours immédiats de leurs gouvernements respectifs. +Comme l'aristocratie génoise, effrayée par les victoires répétées +de Bonaparte, n'osait se prononcer ouvertement contre la France, +ils essayèrent de lui forcer la main. Drake inventa et colporta de +fausses nouvelles. À l'entendre, tantôt les Français avaient été +anéantis par Wurmser ou par Allvintzy, il venait d'en recevoir la +nouvelle officielle; tantôt au contraire ils étaient victorieux, +et marchaient sur Gênes, disposés à s'en emparer. Tout d'abord on +ajouta foi à ces mensonges intéressés; mais Drake en fut bientôt +pour ses frais d'imagination, et, à l'exception de quelques nobles +qui ne demandaient qu'à se laisser convaincre, il ne réussit qu'à +exciter des sourires d'incrédulité. Il voulut alors parler de haut, +et menaça Gênes de la bloquer, si elle persistait dans la neutralité. +Ces menaces étaient sérieuses, car la flotte de Nelson croisait dans +la rivière de Gênes, et, au premier signal de l'ambassadeur, pouvait +arriver devant la ville; mais Gênes était en état de repousser +une attaque de vive force. Depuis l'affaire de <i>la Modeste</i>, les +forts qui l'entouraient avaient été mis en état de défense, des +mercenaires avaient été enrôlés, et les <span class="pagenum"><a id="page67" name="page67"></a>(p. 67)</span> milices bourgeoises +avaient reçu des armes. Les menaces de Drake ne firent pas plus +d'impression que ses mensonges, et les Génois continuèrent à rester +neutres.</p> + +<p>L'ambassadeur d'Autriche, Girola, procéda avec plus d'habileté. Ses +intrigues, adroitement conduites, faillirent jeter Gênes dans les +bras de l'Autriche. Il existait à cette époque, enclavés dans le +territoire de la République, un certain nombre de cantons, qu'on +appelait les fiefs impériaux, véritables principautés qui étaient +censées dépendre directement de l'Autriche, et sur lesquelles par +conséquent Girola avait pleine et entière autorité. Les principaux +de ces fiefs<a id="footnotetag96" name="footnotetag96"></a><a href="#footnote96" title="Go to footnote 96"><span class="smaller">[96]</span></a> impériaux étaient Arquata, Tortone, Massa, Carrare +et la Lunigiane. Girola voulut en faire des centres de résistance +à l'influence française, et, couvert qu'il était par la neutralité +génoise, non seulement il y appela tous les mécontents, mais aussi +y réunit des soldats autrichiens, surtout les prisonniers qui +parvenaient à s'échapper, leur envoya des armes, de l'argent, et +organisa sur les derrières de l'armée française un ardent foyer +de réaction. Un noble génois, le marquis de Spinola, possédait +d'importantes propriétés dans l'un de ces fiefs, à Arquata. Gagné +par Girola qui lui promettait monts et merveilles en cas de +réussite, il souleva plusieurs milliers de paysans, et fit de sa +seigneurie d'Arquata le centre de l'insurrection<a id="footnotetag97" name="footnotetag97"></a><a href="#footnote97" title="Go to footnote 97"><span class="smaller">[97]</span></a>. Ce mouvement +pouvait, en s'étendant, devenir dangereux. Déjà tous nos traînards +étaient assassinés, nos courriers arrêtés et maltraités, les petits +détachements qui rejoignaient l'armée insultés et menacés. Quatre +à cinq mille <span class="pagenum"><a id="page68" name="page68"></a>(p. 68)</span> paysans bloquaient même dans le Montferrat +quelques-unes de nos garnisons. Le général d'artillerie Dujard venait +d'être tué, et les assassins, protégés par la connivence du Sénat de +Gênes, se vantaient publiquement, à Novi et dans d'autres localités, +du nombre de leurs victimes<a id="footnotetag98" name="footnotetag98"></a><a href="#footnote98" title="Go to footnote 98"><span class="smaller">[98]</span></a>.</p> + +<p>Aussi bien il est bon de rappeler que, de tout temps, dans les +montagnes de la Ligurie, se sont maintenues des bandes armées, +véritables brigands comme il s'en rencontre encore dans quelques +cantons de Grèce ou de Sicile, qui pillaient amis ou ennemis, et, +sûrs de l'impunité à cause de la faiblesse ou de l'apathie de Gênes +ou du Piémont, étaient arrivés à se constituer régulièrement. On les +nommait les <i>Barbets</i>. Profitant des circonstances pour couvrir du +beau nom de zèle politique leurs vols éhontés, les Barbets s'étaient +posés comme les défenseurs de l'indépendance nationale. Deux de +leurs chefs, Ferronne et Contino, prétendus champions de la cause +patriotique, mais en réalité simples mercenaires soudoyés par Girola, +s'étaient joints aux bandes insurgées dans les fiefs impériaux, et +rendaient difficiles les communications de Bonaparte avec la France. +À plusieurs reprises, Faypoult s'était plaint au Sénat de Gênes +de l'appui secret qu'il prêtait à ces insurgés et à ces bandits. +On lui avait promis justice, mais les déprédations continuaient. +Bonaparte résolut d'en finir; il avait eu un instant l'intention +de faire arrêter Girola en pleine ville de Gênes<a id="footnotetag99" name="footnotetag99"></a><a href="#footnote99" title="Go to footnote 99"><span class="smaller">[99]</span></a>, mais il ne +se crut pas encore assez fort pour braver aussi ouvertement la +République, et préféra user de son droit et disperser les Barbets +et leurs singuliers <span class="pagenum"><a id="page69" name="page69"></a>(p. 69)</span> alliés. Le général Garnier, qui était à +Nice, se mit à la tête d'une colonne mobile, tomba à l'improviste +sur les Barbets, et tua leurs deux chefs, Ferrone et Contino; mais +leur entière destruction était impossible dans ce pays accidenté et +qu'ils connaissaient admirablement. Néanmoins leurs bandes furent +désorganisées, et le brigandage réduit à des attaques isolées.</p> + +<p>Restaient les fiefs impériaux. Bonaparte chargea le général Lannes +de les réduire. Un ordre du jour impitoyable fut rédigé. Toutes +les communes qui n'amèneraient pas immédiatement à Tortone trois +députés avec les procès-verbaux de prestation d'obéissance à la +France, seraient traitées en ennemies; tous les seigneurs qui, dans +les cinq jours, ne se rendraient pas de leurs personnes à Tortone +pour y prêter serment, auraient leurs propriétés confisquées. Tous +ceux qu'on trouverait nantis d'armes et de munitions seraient +fusillés. «Toutes les cloches qui auront servi à sonner le tocsin +seront descendues du clocher et brisées; vingt-quatre heures après +le reçu du présent ordre, ceux qui ne l'auront pas fait, seront +réputés rebelles et le feu sera mis à leur village<a id="footnotetag100" name="footnotetag100"></a><a href="#footnote100" title="Go to footnote 100"><span class="smaller">[100]</span></a>.» Lannes +exécuta sans rémission ces ordres draconiens. Il enferma tous les +conseillers municipaux des sept à huit villages compromis, et leur +annonça froidement qu'ils allaient être fusillés, si, dans un quart +d'heure, ils ne donnaient pas la liste des assassins de leur village. +Cette liste fut donnée. Une colonne mobile était aussitôt formée, les +assassins saisis, et, sans autre forme de procès, fusillés devant +leurs maisons. Arquata osa résister. Lannes s'en empara, et passa +tous les révoltés au fil de l'épée. Quant au village, il fut brûlé.</p> + +<p>Pendant ce temps, Murat se présentait de la part de Bonaparte au +Sénat de Gênes. Il était chargé par lui de donner des <span class="pagenum"><a id="page70" name="page70"></a>(p. 70)</span> +explications sur l'exécution d'Arquata. Le choix du négociateur +était prémédité. Bonaparte avait pris la précaution de s'expliquer +sur ce point avec Faypoult: «Si vous présentiez ma lettre, lui +avait-il écrit, il faudrait quinze jours pour avoir réponse, et +il est nécessaire d'établir une communication plus prompte, qui +électrise davantage ces messieurs.» Or, le bouillant et impétueux +Murat était fort capable d'<i>électriser</i> les sénateurs génois. +Il entra à Gênes comme dans une ville conquise, annonça qu'une +commission militaire avait fait justice des principaux insurgés, et +demanda, en outre, que le Sénat expulsât immédiatement l'ambassadeur +Girola, punît Spinola de sa coupable conduite en confisquant ses +biens et en prononçant son exil, enfin changeât les gouverneurs +dont les sentiments étaient notoirement hostiles à la France. Si le +Sénat éprouvait quoique velléité de résistance, Murat avait reçu +l'ordre de menacer les Génois d'une punition exemplaire. Voici, +du reste, les quelques passages de la lettre de Bonaparte qu'il +était chargé de leur lire<a id="footnotetag101" name="footnotetag101"></a><a href="#footnote101" title="Go to footnote 101"><span class="smaller">[101]</span></a>: «Pour l'avenir, je vous demande une +explication catégorique. Pouvez-vous, ou non, purger le territoire +de la République des assassins qui le remplissent? Si vous ne prenez +pas des mesures, j'en prendrai. Je ferai brûler les villes et les +villages où sera commis l'assassinat d'un seul Français et les +maisons qui donneraient asile aux assassins. Je punirai le magistrat +négligent qui aura transgressé le premier les principes de la +neutralité en accordant asile aux brigands.»</p> + +<p>Pour mieux appuyer ces menaces, Bonaparte écrivait en même temps à +Faypoult<a id="footnotetag102" name="footnotetag102"></a><a href="#footnote102" title="Go to footnote 102"><span class="smaller">[102]</span></a> en lui annonçant sa prochaine arrivée à la tête des +régiments victorieux de l'Autriche. Certes, l'aristocratie génoise +aurait eu le droit de repousser <span class="pagenum"><a id="page71" name="page71"></a>(p. 71)</span> de pareilles prétentions; +mais elle eut peur d'engager avec le jeune conquérant une lutte dont +l'issue n'était que trop facile à prévoir. Elle se soumit à toutes +ses exigences. Non seulement la commission militaire française +fonctionna librement sur le territoire génois, mais encore Spinola +reçut un ordre d'exil, et l'ambassadeur d'Autriche Girola fut prié de +sortir immédiatement de Gênes et de la République génoise.</p> + +<p>Girola ne renonça pas à la lutte. Il s'était réfugié dans la vallée +de la Scrivia, au château de Santa Margarita et continuait à y +ourdir de nouvelles intrigues contre la France. Peu à peu, les +débris des Barbets et des bandes d'Arquata se groupèrent autour de +lui (juin-juillet 1796). Wurmser, informé de ce rassemblement, et +comptant sur une diversion, lui fit passer des armes et des officiers +instructeurs. Santa Margarita fut comme le rendez-vous des déserteurs +et des prisonniers de guerre évadés. Un prêtre, Coirazza, excitait +jusqu'au fanatisme ces bandes inexpérimentées; Malaspina, le seigneur +du château, leur prêtait l'appui de son nom et de ses richesses. +Enfin le résident anglais à Gênes, Drake, vint les rejoindre à la +suite d'une affaire assez étrange. Les Anglais, renouvelant leur +triste exploit de <i>la Modeste</i>, venaient de s'emparer d'une tartane +française dans la rade génoise de San Pietro d'Arena. Les Génois +avaient essayé cette fois de défendre leur neutralité en tirant +contre les vaisseaux anglais quelques coups de canon. Nelson avait +aussitôt demandé satisfaction, et, comme il ne l'avait pas obtenue, +comme au contraire les Génois avaient provisoirement fermé tous +leurs ports aux Anglais, il s'en vengea en occupant l'île génoise +de Capraja. Aussitôt Drake reçut l'ordre de quitter le territoire. +Il n'obéit qu'à moitié, car il rejoignit Girola à Santa Margarita +(septembre). Cette fois, Bonaparte, qui était au courant de toutes +ces menées, résolut d'agir. Le commandant français de Tortone cerna +le château, mais des souterrains existaient, dont on n'avait pas +connaissance, et par lesquels s'enfuirent Girola, Drake, Coirazza, +<span class="pagenum"><a id="page72" name="page72"></a>(p. 72)</span> Malaspina, en un mot tous ceux qu'on avait espéré surprendre, +et le brigandage continua.</p> + +<p>Bonaparte ne se faisait pas illusion sur les sentiments de +l'aristocratie génoise à l'égard de la France. Vainqueur il était +assuré de sa docilité; vaincu, il se savait à l'avance dévoué aux +rancunes patriciennes. Or, comme il avait l'intention bien arrêtée +de négliger tous les sujets de mécontentement que lui fourniraient +les États secondaires, il ne voulut pas brusquer la situation. Tant +que le duel engagé avec l'Autriche ne serait pas terminé à son +avantage<a id="footnotetag103" name="footnotetag103"></a><a href="#footnote103" title="Go to footnote 103"><span class="smaller">[103]</span></a>, il entendait avoir toutes ses forces en main, et, +par conséquent ne pas en distraire une partie contre Gênes, Rome ou +Naples, non pas qu'il ne fut à l'avance persuadé de l'issue de la +lutte, mais il se proposait d'agir suivant les occasions, sauf à +faire naître ces occasions. Sa correspondance avec Faypoult est très +instructive à cet égard. Il ne lui dissimule pas son mépris<a id="footnotetag104" name="footnotetag104"></a><a href="#footnote104" title="Go to footnote 104"><span class="smaller">[104]</span></a> pour +l'aristocratie génoise, et lui fait part à plusieurs reprises de son +projet de la renverser; mais, comme il ne sent pas encore le terrain +solide, il ne veut s'engager qu'en toute sécurité. Il prescrit donc +au ministre de France d'entretenir avec le Sénat génois une querelle +toujours ouverte, de telle sorte qu'on puisse ou l'assoupir ou en +faire un <i>casus belli</i>, suivant les circonstances. «Je connais trop +bien l'esprit du perfide gouvernement de Gênes<a id="footnotetag105" name="footnotetag105"></a><a href="#footnote105" title="Go to footnote 105"><span class="smaller">[105]</span></a>, lui écrivait-il +de Bologne le 22 juin 1796, pour ne pas avoir prévu la réponse +qu'il <span class="pagenum"><a id="page73" name="page73"></a>(p. 73)</span> aurait faite. Voilà donc deux sujets de plainte. Tenez +querelle ouverte sur l'un et l'autre sujet.» La lettre<a id="footnotetag106" name="footnotetag106"></a><a href="#footnote106" title="Go to footnote 106"><span class="smaller">[106]</span></a> du 11 +juillet 1796 est plus explicite encore: «Le temps de Gênes n'est pas +encore venu, pour deux raisons: 1<sup>o</sup> parce que les Autrichiens se +renforcent et que bientôt j'aurai une bataille; vainqueur, j'aurai +Mantoue, et alors une simple estafette à Gênes vaudra la présence +d'une armée; 2<sup>o</sup> les idées du Directoire exécutif sur Gênes ne +me paraissent pas encore fixées. Il m'a bien ordonné d'exiger la +contribution, mais il ne m'a prescrit aucune opération politique. Je +lui ai expédié un courrier extraordinaire avec votre lettre, et je +lui ai demandé des ordres, que j'aurai à la première décade du mois +prochain. «D'ici ce temps-là, oubliez tous les sujets de plainte que +nous avons contre Gênes. Faites-leur entendre que vous et moi nous ne +nous en mêlons plus, puisqu'ils ont envoyé M. de Spinola à Paris.... +N'oubliez aucune circonstance pour faire renaître l'espérance dans le +cœur du Sénat de Gênes, et l'endormir jusqu'au moment du réveil... +enfin, citoyen ministre, faites en sorte que nous gagnions quinze +jours, et que l'espoir renaisse ainsi que la confiance entre vous +et le gouvernement génois, afin que, si nous étions battus, nous le +trouvions ami<a id="footnotetag107" name="footnotetag107"></a><a href="#footnote107" title="Go to footnote 107"><span class="smaller">[107]</span></a>.»</p> + +<p>Un autre motif engageait encore Bonaparte à ménager Gênes pour +le moment. Cette ville était en effet devenue le grand marché +d'approvisionnement de nos troupes. De plus, les banquiers génois +étaient nos complaisants intermédiaires pour toutes les gigantesques +opérations financières<a id="footnotetag108" name="footnotetag108"></a><a href="#footnote108" title="Go to footnote 108"><span class="smaller">[108]</span></a> <span class="pagenum"><a id="page74" name="page74"></a>(p. 74)</span> qui étaient la conséquence de +l'invasion française. Enfin les fournisseurs et les agioteurs qui +avaient eu confiance en Bonaparte, et lui avaient donné les moyens +d'entrer en campagne, avaient à Gênes des intérêts considérables +engagés. Haller, Cerfbeer, Collaud, Flachat et plusieurs autres, +avaient besoin d'une ville neutre pour y préparer et y brasser +leurs affaires. Le gouvernement, lui-même, avait besoin d'un marché +financier à l'abri de toute surprise. C'est à Gênes par exemple +que se concentrait l'argent des contributions de guerre, et c'est +de Gênes que partait l'argent nécessaire pour l'entretien de nos +armées. Gênes était, en outre, devenue comme le quartier général de +ceux de nos agents ou de nos officiers que Bonaparte avait chargés +de reprendre la Corse aux Anglais. C'est de Gênes que partait le +chef d'escadron Bonnelles<a id="footnotetag109" name="footnotetag109"></a><a href="#footnote109" title="Go to footnote 109"><span class="smaller">[109]</span></a> avec des armes et de l'argent pour +nos partisans en Corse; à Gênes encore que résidaient les citoyens +Broccini et Paravicini, chargés de se ménager une correspondance +avec les patriotes corses; c'est un banquier génois, Balbi, qui +fournissait les fonds pour l'achat des armes et l'entretien des +espions. Pour tous ces motifs divers, et jusqu'à nouvel ordre, la +neutralité génoise devait donc être et fut respectée. Lorsque nos +victoires répétées sur l'Autriche eurent jeté l'Italie tout entière +aux bras de Bonaparte, lorsque le signataire des préliminaires de +Leoben se fut installé dans sa fastueuse résidence de Mombello pour y +régler à son aise les affaires de la péninsule, tout changea de face. +Il n'y avait plus alors besoin de dissimulation ou de ménagements. +Dès le 6 juillet 1796<a id="footnotetag110" name="footnotetag110"></a><a href="#footnote110" title="Go to footnote 110"><span class="smaller">[110]</span></a>, au plus <span class="pagenum"><a id="page75" name="page75"></a>(p. 75)</span> fort de la lutte contre +l'Autriche, Bonaparte avait écrit au Directoire, et au confident de +ses secrets desseins, à Carnot, pour leur soumettre un projet de +reconstitution de la République génoise. Il s'agissait d'expulser un +certain nombre de familles suspectes de sympathies autrichiennes, +et de confier le pouvoir aux amis de la France. «Si vous approuvez +ce projet-là, ajoutait-il en forme de conclusion, vous n'avez qu'à +m'en donner l'ordre, et je me charge des moyens pour en assurer +l'exécution.» Or le moment semblait venu d'exécuter ce projet, et les +Génois, par un inexplicable aveuglement, vinrent, pour ainsi dire, +au-devant de Bonaparte, et lui fournirent l'occasion que d'ailleurs +il eût fait naître.</p> + +<p>On sait que deux partis se divisaient la ville, les démocrates +soutenus par la France, et les aristocrates encouragés par +l'Autriche. Les victoires de la France, la chute de l'aristocratique +Venise, les réformes radicales accomplies par Bonaparte d'abord dans +la Cispadane, puis dans la Cisalpine, avaient comme exaspéré les +espérances et les convoitises des démocrates. Ils avaient pour chef +le pharmacien Morando, républicain de l'école jacobine, sincèrement +convaincu de la nécessité d'une révolution pour obtenir la liberté, +dont il s'était créé un idéal fantastique, d'ailleurs, honnête et +loyal, admirable instrument d'anarchie que maniaient à leur guise +un certain Philippe Doria, qui n'avait que le nom de commun avec la +famille patricienne des Doria, et surtout un Napolitain réfugié, +Vitaliani, éloquent, aimable, persuasif, et qui tramait sous le +couvert de l'ambassade française la ruine de l'état, qui lui donnait +l'hospitalité. Parmi les plus zélés jacobins génois figuraient +aussi Jean-Baptiste Serra<a id="footnotetag111" name="footnotetag111"></a><a href="#footnote111" title="Go to footnote 111"><span class="smaller">[111]</span></a> et son frère <span class="pagenum"><a id="page76" name="page76"></a>(p. 76)</span> Jean-Charles. +Jean-Baptiste s'était rendu à Paris dans l'été de 1792 et y était +devenu l'ami de Robespierre. Au <i>Moniteur</i> du 17 octobre 1792 on peut +lire une longue lettre rédigée par lui où il dénonce l'existence à +Gênes d'un comité autrichien et ne cache pas ses sympathies pour +la France. Un de leurs amis, Gaspare Sauli, avait également voyagé +en France, s'y était lié avec le frère de Robespierre, et avait, à +diverses reprises, essayé de prêcher à Gênes les nouveaux principes +français. Arrêtés une première fois en 1793 par les inquisiteurs +d'état, et durement traités par eux, Serra et Sauli avaient été +relâchés grâce au ministre de France; mais ils n'avaient pas oublié +leur captivité, et avaient juré de se venger. Aussi bien ils +avaient trouvé de puissants protecteurs. Faypoult leur était tout +dévoué. Saliceti, commissaire civil du Directoire, était venu tout +exprès s'installer à Gênes, et passait tout son temps avec eux. La +boutique de Morando, une arrière-salle du Grand Café sur la piazza +des Bianchi, et le palais de l'ambassade française étaient devenus +les lieux de réunion habituels des démocrates. Ils y conspiraient +au grand jour, et, plus le terme approchait, plus ils se croyaient +sûrs du succès, et agissaient presque à découvert. Un soulèvement +populaire était imminent, d'autant plus dangereux que les conjurés +se sentaient soutenus par la France. L'aristocratie génoise, de son +côté, ne voulut pas succomber sans essayer de lutter. À la propagande +démocratique elle répondit par la propagande réactionnaire. Les +riverains de la Polcevera et du Bisagno reçurent des armes. Les +montagnards des Apennins promirent de les seconder. À Gênes, les deux +puissantes corporations des charbonniers et des portefaix, menacées +par les démocrates dans l'exercice de leurs privilèges, jurèrent de +les maintenir en exterminant leurs ennemis. Des deux côtés en un mot +ou s'apprêtait à la lutte. L'aristocratie se crut même assez forte +pour prendre les devants. Elle créa des inquisiteurs d'état avec des +pouvoirs très étendus, et ces derniers ordonnèrent l'arrestation de +Vitaliani. Aussitôt Faypoult le réclame comme couvert par <span class="pagenum"><a id="page77" name="page77"></a>(p. 77)</span> +l'immunité de l'ambassade, et le gouvernement génois a l'insigne +faiblesse de le relâcher. Il eut honte pourtant de cette incroyable +condescendance, et ordonna l'arrestation de deux autres démocrates +connus par l'exaltation de leurs sentiments. Ce fut comme l'étincelle +qui mit le feu aux poudres.</p> + +<p>Le 21 mai 1797, plusieurs centaines de démocrates marchèrent sur le +palais Ducal en hurlant la <i>Marseillaise</i>. Ils réclamaient la mise +en liberté des deux détenus. Chemin faisant leur nombre augmenta; +mais les Sénateurs leur répondirent avec fermeté que justice serait +faite. Comme une garde imposante les défendait; comme d'un autre côté +les démocrates ne se sentaient ni assez forts ni assez bien armés +pour engager tout de suite les hostilités, ils feignirent d'agréer +les explications des Sénateurs, et se rendirent ensuite au palais +de France. Le rôle de Faypoult était tout indiqué. Il aurait dû se +renfermer dans son caractère officiel, et engager les démocrates à +se disperser; mais il avait semé la discorde depuis trop longtemps +pour ne pas récolter la révolte. Il répondit donc aux démocrates +qu'il appuierait leurs réclamations auprès du Sénat, et, en effet, +quand deux sénateurs, Durrazzo et Cataneo, vinrent le prier de +déclarer qu'il ne protégeait pas les démocrates, il les exhorta à +modifier leur constitution et à rendre la liberté aux détenus. Le +ministre de France avouait donc qu'il prenait une part effective +à la conspiration, et la France, en sa personne, travaillait au +renversement de l'antique constitution.</p> + +<p>Faypoult se croyait, plus encore qu'il ne l'était, le maître de la +situation. Il s'imaginait pouvoir exciter et retenir à son gré le +parti démocratique. «Toujours est-il, écrivait-il à Bonaparte<a id="footnotetag112" name="footnotetag112"></a><a href="#footnote112" title="Go to footnote 112"><span class="smaller">[112]</span></a>, +qu'en voilà assez pour créer un fil avec lequel il sera facile de +mener les conseils, les collèges, et la réformation inévitable de +Gênes, avec l'accélération ou le retardement de vitesse qui nous +conviendra ... pour qu'il soit notoire que la France, étrangère à +l'organisation politique <span class="pagenum"><a id="page78" name="page78"></a>(p. 78)</span> d'un peuple ami et indépendant, +ne s'en sera mêlée que comme protectrice de la tranquillité de ce +peuple.» Il se trompait: les fureurs populaires étaient déchaînées, +et la révolution allait commencer.</p> + +<p>Certains du succès depuis que l'ambassadeur de France s'était +compromis en leur promettant officiellement son concours, les +démocrates passèrent la nuit du 21 au 22 dans le délire de la joie, +et dans l'attente de prochains désordres. Un certain nombre de +Cisalpins et quelques Français se joignirent à eux. Les uns et les +autres portaient la cocarde tricolore. Aux cris de vive le peuple! +vive la liberté! ils se portèrent au palais de France, pendant que +quelques-uns d'entre eux s'emparaient de la Darse, de l'Arsenal, du +pont Royal, du fort de la Lanterne, et des portes Saint-Thomas et +Saint-Bénigne. Ils eurent le tort de se porter aux prisons de la +Malpaga, réceptacle immonde de débiteurs et de faillis, délivrèrent +les prisonniers, leur donnèrent des armes, et les associèrent à leur +entreprise. Les condamnés du bagne furent aussi déchaînés, et c'est +avec cette escorte de voleurs et d'assassins qu'ils publièrent à +grand bruit le renversement de l'aristocratie, la liberté de Gênes, +l'abolition des taxes pour les pauvres, la déchéance des anciens +magistrats et la nomination de leurs successeurs.</p> + +<p>Le Sénat, surpris par cette brusque attaque, ne savait quel parti +prendre. Les citoyens fidèles au gouvernement légitime restaient +inactifs. Effarés, hors d'état de prendre une détermination, ils +députèrent deux d'entre eux à Faypoult, en le priant de s'interposer. +Faypoult ne demandait pas mieux. Il trouvait déjà que ses amis les +démocrates allaient trop loin, et il avait appris avec peine la +délivrance des faillis et des forçats. Il engagea donc les sénateurs +à se résigner aux événements, et à réformer la Constitution dans +un sens démocratique. Quatre d'entre eux furent aussitôt désignés +pour s'entendre avec un nombre pareil de délégués du peuple sur les +changements à opérer; mais il était déjà trop tard!</p> + +<p>Les démocrates, surexcités par leur premier succès, ne <span class="pagenum"><a id="page79" name="page79"></a>(p. 79)</span> +voulaient plus d'un accommodement. Ils réclamaient l'abolition +complète de tous les privilèges et la chute absolue de +l'aristocratie. Déjà même ils entouraient en armes le palais du +Gouvernement et s'apprêtaient à en enfoncer les portes à coups de +canon, et à imposer de la sorte leurs volontés aux sénateurs. Mais +la populace d'une grande ville est toujours assez nombreuse pour +que chaque parti y recrute à sa guise des adhérents. L'aristocratie +comptait parmi le peuple de nombreux partisans, surtout parmi les +charbonniers et les portefaix; les premiers, rudes montagnards +habitués aux privations dans leurs ventes de l'Apennin; les autres, +robustes compagnons vivant au grand air sur les quais de Gênes. +Excités par le clergé qui avait ordonné des prières de quarante +heures, et moitié par haine pour les novateurs, moitié par amour +de la religion qu'ils croyaient outragée, les deux corporations +coururent aux armes aux cris de vive Marie! vive la religion! Ceux +des membres de l'aristocratie qui n'avaient pas encore perdu tout +courage, descendent aussitôt dans la rue, et prennent le commandement +de ces bandes improvisées, qu'ils conduisent au combat. La mêlée fut +atroce dans ces rues étroites, surchauffées par un soleil ardent, +surtout à l'Arsenal et au pont Royal, où Doria se battit avec une +vaillance digne d'une cause meilleure. Les démocrates furent enfin +battus, et la réaction commença. Le cadavre de Doria, frappé à la +tête des siens, fut longtemps l'objet des outrages de ces furieux. +Faypoult, qui avait essayé d'arrêter le massacre, fut couché en joue, +et il eût été tué sans une garde de cent hommes, que lui envoya +le Doge. La maison du consul de France, La Cheise, fut pillée, et +quelques Français mis à mort, entre autres Ménard, commissaire +de la marine. Ce qui exalta la fureur du parti victorieux, c'est +qu'on trouva dans la boutique de Morando des listes de proscription +préparées à l'avance d'après les règles des conspirations classiques, +et des lettres, beaucoup plus compromettantes, qui prouvaient les +rapports des révolutionnaires avec l'ambassade de France.</p> + +<p>Une scène burlesque marqua cette triste journée du 23 mai. <span class="pagenum"><a id="page80" name="page80"></a>(p. 80)</span> +Les démocrates avaient donné la liberté à un Turc esclave, et lui +avaient appris à crier vive le peuple! Ce Turc tombe entre les mains +d'une troupe de charbonniers qui, l'entendant crier vive le peuple! +le maltraitent horriblement et le forcent à crier vive Marie! Ramené, +dans la confusion du combat, au milieu des démocrates, ce partisan +improvisé de la Vierge est aussitôt par eux roué de coups. Le +malheureux, meurtri, effaré, ne comprenant plus rien aux événements, +disait que les chrétiens étaient devenus fous, et il avait raison!</p> + +<p>Force était donc restée à la loi, au gouvernement établi, et les +démocrates, malgré l'appui secret de la France et leurs premiers +succès, étaient réduits à fuir la vengeance des patriciens: mais +l'incertitude où se trouvait le Sénat sur la manière dont Bonaparte +recevrait ces nouvelles le jetait dans une grande perplexité. Le Doge +lui écrivit une lettre pleine de soumissions et d'excuses au sujet du +meurtre des Français. Bonaparte avait été déjà informé par Faypoult +de ces graves événements, et il lui avait répondu<a id="footnotetag113" name="footnotetag113"></a><a href="#footnote113" title="Go to footnote 113"><span class="smaller">[113]</span></a> sur-le-champ +en lui enjoignant de quitter Gênes dans les vingt-quatre heures, +si le Gouvernement ne lui accordait pas toutes les satisfactions +qu'il exigeait. Il envoya en même temps son aide de camp Lavalette, +avec une lettre insolente adressée au Doge, <span class="pagenum"><a id="page81" name="page81"></a>(p. 81)</span> et qu'il devait +lire en plein Sénat. Quand Lavalette se présenta à Faypoult pour +lui faire part de sa mission, ce dernier lui objecta que jamais +étranger n'avait paru devant le Sénat présidé par le Doge. «Il serait +bien plus étrange, répondit l'aide de camp, qu'un ordre du général +Bonaparte ne fût pas exécuté. Je me rendrai dans une heure au palais, +et j'entrerai au Sénat sans m'occuper des formes de l'étiquette.» En +effet, une demi-heure après, Lavalette était introduit, et, le sabre +au côté, le poing sur la hanche, il donnait lecture de la lettre +suivante, qui mérite d'être citée dans son intégralité, comme donnant +la note exacte de la jactance française et de la faiblesse italienne, +aux temps troublés dont nous avons essayé de retracer l'histoire<a id="footnotetag114" name="footnotetag114"></a><a href="#footnote114" title="Go to footnote 114"><span class="smaller">[114]</span></a>.</p> + +<p>«Sérénissime Doge, j'ai reçu la lettre que votre Sérénité s'est donné +la peine de m'écrire. J'ai tardé à y répondre jusqu'à ce que j'aie +reçu les renseignements sur ce qui s'était passé à Gênes, et dont +votre Sérénité m'a donné la première nouvelle. Je suis affligé et +sensiblement affecté des malheurs qui ont menacé et menacent encore +la République de Gênes. Indifférente à vos discussions intérieures, +la République française ne peut pas l'être aux assassinats, aux +voies de fait de toute espèce qui viennent de se commettre dans +vos murs contre les Français. La ville de Gênes intéresse sur tant +de points la République française et l'armée d'Italie, que je me +trouve obligé de prendre des mesures promptes et efficaces pour y +maintenir la tranquillité, y protéger les propriétés, y conserver les +communications, et assurer les nombreux magasins qu'elle contient. +Une populace effrénée et suscitée par les mêmes hommes qui ont fait +brûler la <i>Modeste</i>, aveuglée par un délire qui serait inconcevable, +si l'on ne savait que l'orgueil et les préjugés ne raisonnent pas, +après s'être assouvie du sang français, continue encore à maltraiter +<span class="pagenum"><a id="page82" name="page82"></a>(p. 82)</span> tous les citoyens français portant la cocarde tricolore.</p> + +<p>«Si, vingt-quatre heures après la réception de la présente lettre, +que je vous envoie par un de mes aides de camp, vous n'avez pas mis à +la disposition du ministre de France tous les Français qui sont dans +vos prisons; si vous n'avez pas fait arrêter les hommes qui excitent +le peuple de Gênes contre les Français; si enfin vous ne désarmez +pas cette populace, qui sera la première à se tourner contre vous +lorsqu'elle comprendra les conséquences terribles de l'égarement où +vous l'avez entraînée; le ministre de la République française sortira +de Gênes et l'aristocratie aura existé.</p> + +<p>«Les têtes des sénateurs me répondront de la sûreté de tous les +Français qui sont à Gênes, comme les États entiers de la République +me répondront de leurs propriétés.</p> + +<p>«Je vous prie, du reste, de croire aux sentiments d'estime et à la +considération distinguée que j'ai pour la personne de votre Sérénité.»</p> + +<p>Tel était le langage superbe et injurieux de Bonaparte à un +gouvernement respectable par son antiquité, et au chef d'un peuple +brave et généreux. Il y eut un moment de fureur, mais trop court, +dans l'assemblée. Les vieux souvenirs des temps héroïques se +réveillèrent. <i>Ci batteremo</i>. Eh bien! nous nous battrons! s'écria +un sénateur: mais cet appel aux nobles passions du cœur humain +resta sans écho. Au contraire, on eût dit que les sénateurs génois +avaient peur du courage de l'un d'entre eux, car ils ne songèrent +plus qu'à obéir. Lavalette alla lui-même délivrer les prisonniers +français qui s'attendaient à être massacrés, et les fit conduire par +des officiers génois jusqu'à l'hôtel de l'ambassade, à travers les +rangs pressés d'une foule qui commençait à trembler de son audace. +Il demanda et obtint l'élargissement des prisonniers cisalpins, qui, +pourtant, étaient venus tout exprès à Gênes pour y renverser le +gouvernement, et avaient été pris les armes à la main. Enfin, il fit +procéder au désarmement général. Le Sénat se prêta sans résistance +à cette dernière mesure, car il craignait de se trouver à la merci +d'un soulèvement populaire. <span class="pagenum"><a id="page83" name="page83"></a>(p. 83)</span> Il promit même une gratification +de deux livres à tous ceux qui reporteraient leurs armes au dépôt +militaire; mais, quand il fallut livrer à la vengeance de Bonaparte +Grimaldi et Spinola, les inquisiteurs d'État qui pourtant n'avaient +fait que leur devoir en essayant de soutenir le gouvernement établi; +quand il fallut se résigner à la honte d'abandonner Cataneo, le +sénateur qui s'était mis à la tête des charbonniers et des portefaix, +l'humiliation fut profonde, et les regrets amers. Il est vrai que +tout le monde avait le sentiment de l'impuissance absolue de la +République. Deux divisions françaises<a id="footnotetag115" name="footnotetag115"></a><a href="#footnote115" title="Go to footnote 115"><span class="smaller">[115]</span></a> étaient déjà en marche +contre Gênes. Le temps était passé de la résistance. Les patriciens +génois s'inclinèrent devant la force brutale, et acceptèrent toutes +les exigences de ce vainqueur sans combat.</p> + +<p>Aussi bien le but principal de ces menaces n'était pas la libération +de quelques détenus ou l'emprisonnement de trois magistrats. Dans +la pensée de Bonaparte, ce n'étaient là que les côtés secondaires +de la question. Ce qu'il voulait surtout, c'était un changement +de gouvernement, c'était la substitution de la démocratie à +l'aristocratie. Ses agents, Faypoult surtout, insistaient auprès du +Sénat génois et l'engageaient à faire des concessions démocratiques, +et à ouvrir une porte aux idées de réforme, s'ils ne voulaient +être entraînés par elles. Ces exhortations, vivement présentées, +produisirent un effet immédiat. À la vérité, le plus grand nombre des +Sénateurs redoutaient ces concessions, qui ne leur rapporteraient +que mépris et persécutions; l'exemple de Venise les terrifiait. +Quelques-uns d'entre eux pensaient au contraire qu'une réforme +était indispensable, et ils l'aimaient mieux, rédigée par Bonaparte +qu'imposée par la faction démocratique. Le Sénat restait donc +indécis, et il se complaisait dans cette incertitude, suivant +l'habitude de tous les gouvernements séniles <span class="pagenum"><a id="page84" name="page84"></a>(p. 84)</span> qui s'attachent +à tout prix au <i>statu quo</i>. Mais les divisions françaises de Rusca et +de Serrurier s'approchaient de Gênes. D'autres troupes s'ébranlaient +de Crémone pour les appuyer en cas de besoin. Les démocrates<a id="footnotetag116" name="footnotetag116"></a><a href="#footnote116" title="Go to footnote 116"><span class="smaller">[116]</span></a>, +encouragés par la présence de nos troupes, relevaient la tête, et +déjà reprenaient confiance. À Finale, à Savone, à Porto-Maurizio, +ils avaient déjà planté des arbres de liberté, en sorte que, menacés +par un parti puissant, entourés de soldats étrangers, harcelés +par les agents du Directoire ou les lieutenants de Bonaparte, les +sénateurs génois n'avaient même plus la liberté de délibérer. Ils se +résignèrent donc à envoyer à Bonaparte trois d'entre eux, Cambiaso, +Carbonaro et Serra, trois patriotes éclairés et fort estimés. En +même temps, ils expédièrent à Paris Rivarola, en lui recommandant, +puisqu'il fallait se plier à la nécessité, de faire en sorte que +l'ancienne forme de gouvernement subît le moins d'altération +possible, et surtout de sauvegarder l'intégrité du territoire.</p> + +<p>C'était à Mombello, plus encore qu'à Paris, que devaient être +fixées les destinées de la République génoise. Les négociations ne +traînèrent pas en longueur, car les idées de Bonaparte se trouvèrent +en harmonie avec celles des négociateurs génois. Bonaparte acceptait +la démocratie, mais la démagogie lui répugnait. Homme de guerre et +de discipline, il cherchait avant tout à maintenir l'ordre: aussi +penchait-il vers les idées modérées et confiait-il volontiers +la direction des affaires à ceux qui, par raison plutôt que par +sympathie, acceptaient les réformes et raisonnaient leur adhésion. Le +5 juin fut signé un traité provisoire<a id="footnotetag117" name="footnotetag117"></a><a href="#footnote117" title="Go to footnote 117"><span class="smaller">[117]</span></a>. Le gouvernement devait +appartenir dorénavant au peuple tout entier, et non plus seulement +aux <span class="pagenum"><a id="page85" name="page85"></a>(p. 85)</span> nobles, c'est-à-dire que le dogme de la souveraineté +nationale était proclamé. Le pouvoir législatif était confié à deux +Chambres de 300 et de 500 membres; le pouvoir exécutif à 12 sénateurs +présidés par un Doge. À partir du 14 juin<a id="footnotetag118" name="footnotetag118"></a><a href="#footnote118" title="Go to footnote 118"><span class="smaller">[118]</span></a>, un gouvernement +provisoire de 22 membres, sous la présidence du Doge, serait +institué pour ménager la transition, et une commission spéciale +réglerait les détails de la nouvelle Constitution. Des articles +spéciaux garantissaient le libre exercice de la religion catholique, +la franchise du port de Gênes, la dette publique et la banque de +Saint-Georges. La France accordait en outre le respect du territoire, +et, sauf indemnité pour les Français insultés ou lésés dans les +journées du 22 et du 23 mai, amnistie pleine et entière. Certes, ces +modifications étaient de tous points excellentes, car le principe +de l'égalité devant la loi était admis, les privilèges surannés +disparaissaient, mais le principe de l'autorité était respecté et la +licence comprimée. Pourtant les exaltés du parti démocratique ne se +contentèrent pas de ces réformes.</p> + +<p>La nouvelle du traité de Mombello ne fut connue à Gênes que le 14 +juin. Les rues et les places publiques sont aussitôt encombrées +par la foule, qui pousse des cris de joie en apprenant la chute +de l'aristocratie. Des arbres de liberté sont dressés sur les +places publiques<a id="footnotetag119" name="footnotetag119"></a><a href="#footnote119" title="Go to footnote 119"><span class="smaller">[119]</span></a>. Les cocardes tricolores sont également +arborées. Quelques dames avaient préparé des bonnets à trois +couleurs, qu'elles appelaient bonnets de <span class="pagenum"><a id="page86" name="page86"></a>(p. 86)</span> liberté: elles les +distribuèrent aux démocrates, qui s'en parèrent avec bonheur. Morando +ne se sentait plus d'aise. Vitaliani haranguait la multitude, et +l'excitait à crier vive la liberté! Bientôt commencèrent les excès, +car l'imitation servile des tragi-comédies jacobines prévalut. La +foule, guidée par Morando et Vitaliani, se porta au palais Ducal, +afin de brûler le livre d'or, soigneusement déposé dans une chambre +d'où il ne sortait que pour recevoir l'inscription d'une famille +récemment anoblie. Ce n'était à vrai dire qu'une sorte d'almanach de +la noblesse. On s'en empara après avoir brisé toutes les portes, et +on le brûla sur la place d'Acqua Verde. On descendit même jusqu'à la +puérilité; car on perça à coups de baïonnette ou de sabre cet emblème +innocent. En même temps le peuple brûla la chaise à porteur du Doge, +l'urne au scrutin du Sénat, et quelques instruments à l'usage des +patriciens. On croyait ainsi tuer l'aristocratie<a id="footnotetag120" name="footnotetag120"></a><a href="#footnote120" title="Go to footnote 120"><span class="smaller">[120]</span></a>.</p> + +<p>Une action autrement blâmable fut de renverser et de briser, dans +la cour du palais Ducal, la statue d'André Doria, élevée par la +reconnaissance des anciens Génois à la mémoire et aux vertus de ce +citoyen éminent. On en suspendit la tête et les bras à l'arbre de la +liberté, et les autres morceaux furent jetés dans les égouts<a id="footnotetag121" name="footnotetag121"></a><a href="#footnote121" title="Go to footnote 121"><span class="smaller">[121]</span></a>. +Que présageaient aux vivants les outrages dirigés contre les morts +illustres, et l'oubli des services éminents rendus à la patrie? +Bonaparte, et cet acte l'honore, rougit de cette lâcheté et rappela +les Génois au sentiment de la pudeur en leur adressant la lettre +suivante: «Citoyens, j'apprends avec le plus grand déplaisir que, +dans un moment de chaleur, l'on a renversé la statue d'André Doria. +André Doria fut grand marin, et homme d'État. L'aristocratie était +la <span class="pagenum"><a id="page87" name="page87"></a>(p. 87)</span> liberté de son temps. L'Europe entière envie à votre ville +le précieux avantage d'avoir donné le jour à cet homme célèbre. Vous +vous empresserez, je n'en doute pas, à relever sa statue. Je vous +prie de vouloir m'inscrire pour supporter une partie des frais que +cela occasionnera, et que je désire partager avec les citoyens les +plus zélés pour la gloire et pour le bonheur de votre patrie<a id="footnotetag122" name="footnotetag122"></a><a href="#footnote122" title="Go to footnote 122"><span class="smaller">[122]</span></a>.»</p> + +<p>Aussi bien Bonaparte s'inquiétait de l'opinion publique et prenait à +son égard des ménagements infinis. Il écrivait<a id="footnotetag123" name="footnotetag123"></a><a href="#footnote123" title="Go to footnote 123"><span class="smaller">[123]</span></a> à Faypoult, en +le priant d'engager Poussielgue, qui maniait facilement la plume, à +composer une relation de la révolution de Gênes: «Ce n'est que parce +que les patriotes et les gens sages n'écrivent jamais, ajoutait-il, +que l'on livre l'opinion à un tas de misérables stipendiés qui la +pervertissent et tuent l'esprit public.» Une pareille invitation +était un ordre auquel se conforma Poussielgue. Il composa donc la +relation de la révolution de Gênes, et en envoya un exemplaire à +Bonaparte qui le remercia de son attention, et écrivit tout de +suite à Faypoult en le priant d'acheter pour son compte cinq cents +exemplaires, non pas tant pour encourager l'auteur que pour répandre +un écrit qui expliquait et justifiait son intervention à Gênes. +Ingénieux et précis dans ses instructions, il recommandait en même +temps à Faypoult de distribuer ces cinq cents exemplaires de façon +à contenter tout le monde: «Vous m'en enverrez directement cent, +lui disait-il<a id="footnotetag124" name="footnotetag124"></a><a href="#footnote124" title="Go to footnote 124"><span class="smaller">[124]</span></a>, et cent autres au citoyen Girardin, libraire au +Palais-Royal, sans aucune espèce de lettre d'envoi. Je vous prie +d'envoyer les trois cents autres à tous nos ministres en Europe, +à tous les ministres des affaires étrangères des gouvernements +italiens, aux membres les plus marquants de tous les partis du +conseil des Cinq Cents, des Deux Cent Cinquante, au Congrès des +<span class="pagenum"><a id="page88" name="page88"></a>(p. 88)</span> Grisons, aux principaux cantons de la Suisse, et à nos +principaux consuls en Espagne.»</p> + +<p>La liberté était donc proclamée à Gênes. Il fallait maintenant en +régler l'exercice. Les vingt-deux membres du gouvernement provisoire +avaient été choisis avec soin par Bonaparte parmi les hommes les plus +connus pour leurs opinions modérées, et les plus estimés pour leurs +talents. Serra, Cambiaso, Pareto, Corvetto, Maglione et Ruzzo en +étaient les membres les plus influents. Ils publièrent un manifeste +adroit, où, tout en remerciant Bonaparte de sa bienveillance et +les nobles génois de leurs généreux sacrifices, ils exhortaient +les citoyens à la concorde, et leur annonçaient d'importantes +améliorations.</p> + +<p>Les principales villes du littoral s'associèrent volontiers au +mouvement démocratique, et envoyèrent des adresses de félicitations. +Les anciens fiefs impériaux renoncèrent même à leur précaire +indépendance<a id="footnotetag125" name="footnotetag125"></a><a href="#footnote125" title="Go to footnote 125"><span class="smaller">[125]</span></a>, et demandèrent à faire partie intégrante de +la république. Peu à peu les esprits s'apaisaient. Tout semblait +indiquer, après cette première effervescence populaire, une ère de +paix et de liberté sous le patronage de la France. Les conseils +municipaux s'organisèrent et on travailla à rédiger la Constitution; +mais la bonne union ne dura pas longtemps, et de nouveaux troubles +éclatèrent à propos de cette Constitution.</p> + +<p>Un des vingt-deux membres du gouvernement provisoire, l'évêque +de Noli, Solari, était un des plus ardents disciples du fameux +réformateur toscan, Ricci. Il fit décider que l'autorisation du +gouvernement serait nécessaire pour conférer les ordres sacrés, +et pour recevoir, dans les couvents, des moines <span class="pagenum"><a id="page89" name="page89"></a>(p. 89)</span> ou des +religieuses: mesures très sages assurément, mais qui portaient un +coup à la domination du clergé. De plus, Serra fit décréter que des +missionnaires, envoyés par le gouvernement, prêcheraient, pendant ou +après le service divin, la démocratie au peuple. Or, le clergé génois +tenait à ses privilèges et son influence. Menacé par les réformes de +l'évêque Solari, choqué par les innovations à tout le moins étranges +de Serra, il se prononça résolument contre la nouvelle République, +et, comme il était encore très puissant, surtout dans les campagnes, +le nombre des ennemis de la démocratie s'accrut encore dans de fortes +proportions.</p> + +<p>Quant aux nobles, ils n'avaient pas attendu les réformes de la +Commission des vingt-deux pour se prononcer énergiquement. Contenus, +il est vrai, par le voisinage de l'armée française, ils n'osaient +entrer en lutte ouverte, mais les principaux d'entre eux, les +Spinola, Durazzo, Doria et Grimaldi, n'attendaient qu'une occasion +favorable pour recouvrer leurs privilèges. Comme ils conservaient +encore une nombreuse clientèle, ils entretenaient l'incertitude dans +les esprits et la haine contre le nouvel ordre de choses.</p> + +<p>À cette opposition latente, mais sérieuse, du clergé et de la +noblesse, se joignait le mécontentement des gros négociants, +inquiétés dans leur commerce par les rapines des Barbaresques, +rapines d'autant plus fâcheuses que la France avait garanti la marine +génoise contre leurs attaques. Enfin et surtout, la présence des +troupes et des généraux français contribuait à aigrir les esprits, +car elle démontrait ou bien que l'indépendance génoise n'était qu'un +vain mot, ou bien que Bonaparte se défiait des Génois. Aussi les +ennemis du nouveau régime se prévalaient-ils de la présence d'une +armée française pour proclamer la ruine et la servitude de la patrie. +Ils annonçaient que les forteresses de Savone et de San Remo, les +seuls remparts de l'indépendance génoise du côté de la France, +allaient être détruites. Ils faisaient remarquer qu'on dégarnissait +l'arsenal. La noblesse, le clergé et leurs nombreux partisans +fomentaient ces dispositions <span class="pagenum"><a id="page90" name="page90"></a>(p. 90)</span> ennemies. Tout semblait indiquer +un prochain soulèvement.</p> + +<p>En effet la révolte éclata le 4 septembre, à la nouvelle de +l'arrestation, par ordre du gouvernement provisoire, de quelques +nobles, notoirement connus par leur opposition. Les paysans +s'armèrent, et, pleins de fureur, marchèrent contre Gênes. Le général +Duphot<a id="footnotetag126" name="footnotetag126"></a><a href="#footnote126" title="Go to footnote 126"><span class="smaller">[126]</span></a>, à la tête d'une division française et des démocrates +génois, se présenta au-devant des insurgés. Une bataille sanglante +s'engagea dans le faubourg d'Albaro. Les paysans, fanatisés par le +moine Pezzuolo et un certain Marc Antoine, résistèrent avec énergie; +mais la discipline et la science militaire triomphèrent du nombre et +du fanatisme. Les révoltés s'enfuirent à la débandade.</p> + +<p>À peine la sédition du Bisagno était-elle apaisée, que de nouveaux +bruits de guerre se firent entendre dans la Polcevera. Une multitude +armée, beaucoup plus nombreuse que dans le Bisagno, s'empara par +surprise du fort de l'Éperon qui domine Gênes, et occupa la seconde +enceinte de murailles, à l'exception de la batterie de San Benigno. +L'effroi s'empara du gouvernement. La garnison était faible, des +signes de rébellion commençaient à se manifester à l'intérieur, et la +reddition de la ville semblait inévitable.</p> + +<p>Duphot, qui revenait du Bisagno, ranima tous les courages, et +conduisit ses soldats à une nouvelle bataille. Le combat dura +quatre heures et fut vivement disputé. Chassés de leurs positions, +les paysans de la Polcevera prirent la fuite, poursuivis par les +démocrates, qui leur tuèrent beaucoup de monde et entassèrent dans +les prisons de Gênes plusieurs centaines de captifs.</p> + +<p>La double victoire d'Albaro et de San Benigno suffit pour arrêter +toute explosion nouvelle. Tout rentra dans le repos, mais c'était +un calme menaçant, celui de la terreur et nullement celui de la +fidélité. La vengeance en effet suivit de près la victoire. Un +conseil de guerre condamna à mort une douzaine <span class="pagenum"><a id="page91" name="page91"></a>(p. 91)</span> de paysans, +d'autres furent envoyés aux galères. Quant à Bonaparte, comme ces +troubles, sans l'inquiéter, l'irritaient, il résolut de sévir, et +envoya le général Lannes à Gênes pour l'occuper militairement. +«J'ai été très étonné, écrivait-il à Faypoult<a id="footnotetag127" name="footnotetag127"></a><a href="#footnote127" title="Go to footnote 127"><span class="smaller">[127]</span></a>, d'apprendre le +soulèvement des paysans de la montagne. J'ai bien reconnu là le +caractère italien, dont il faut toujours se méfier. Le gouvernement +provisoire est un peu jeune. Il est trop confiant. J'ai envoyé hier +des ordres pour que le général Lannes, avec une colonne mobile, +se rendît à Tortone, où il sera à votre disposition. J'ai envoyé +également le général Casabianca avec des sous-officiers d'artillerie +et ce que demandait le général de Gênes. Qu'on punisse sévèrement les +auteurs de cette insurrection, sans quoi on recommencera toujours, et +vous sentez combien, surtout pour une ville de commerce, cela fait +mauvais effet. Au reste, j'espère qu'au moyen de précautions<a id="footnotetag128" name="footnotetag128"></a><a href="#footnote128" title="Go to footnote 128"><span class="smaller">[128]</span></a> +qu'on prendra, et de l'esprit de défiance qu'on montrera, de pareils +événements ne se renouvelleront plus.»</p> + +<p>Lannes exécuta strictement les ordres qu'il avait reçus. La ville et +les forts furent occupés par de fortes garnisons françaises, et on +attendit les événements, l'arme au pied. Les Génois étaient alors +dans l'épouvante. Ils venaient d'apprendre <span class="pagenum"><a id="page92" name="page92"></a>(p. 92)</span> la chute et le +partage de Venise, et redoutaient pour eux un sort semblable. En face +de la France menaçante, de Bonaparte impénétrable, de ses lieutenants +gardant un silence de commande, les anciens partis tremblaient de +peur. Ils oublièrent momentanément leurs divisions intestines pour +ne songer qu'au salut commun, et supplièrent Bonaparte de les tirer +d'incertitude en leur faisant connaître ses volontés et surtout en +arrêtant la rédaction définitive de la Constitution.</p> + +<p>Bonaparte se contenta d'abord de donner des conseils, et ils étaient +forts sages: «J'apprends avec peine que vous êtes divisés entre +vous, et que par là vous donnez un champ libre à la malveillance et +aux ennemis de la liberté. Étouffez toutes vos haines et réunissez +tous vos efforts, si vous voulez éviter de grands malheurs à votre +patrie et à votre famille.» Il leur recommandait en outre de ménager +les susceptibilités religieuses, et de supprimer résolument toutes +les commissions extraordinaires: «Vous ne devez pas vous gouverner +par des excès, comme vous ne devez pas vous laisser périr par la +faiblesse<a id="footnotetag129" name="footnotetag129"></a><a href="#footnote129" title="Go to footnote 129"><span class="smaller">[129]</span></a>.»</p> + +<p>À ces conseils, qui risquaient de demeurer platoniques, Bonaparte, +en homme pratique, joignit un projet de Constitution. La République +génoise serait maintenue; elle prendrait seulement le nom des +République Ligurienne, car c'était alors la mode de ressusciter les +noms antiques. Le pouvoir exécutif serait confié à un Directoire +de cinq membres, et le pouvoir législatif appartiendrait à un +conseil des anciens de trente membres, et à un conseil des jeunes +de soixante membres. Le peuple serait convoqué dans ses comices et +prononcerait, en dernier ressort, sur l'acceptation ou le rejet de +la nouvelle Constitution. Bonaparte, avec une hauteur de vues et +une impartialité dont on ne saurait trop le louer, <span class="pagenum"><a id="page93" name="page93"></a>(p. 93)</span> engageait +les Génois à ne pas exclure les nobles des fonctions publiques. «Ce +serait une injustice révoltante, ajoutait-il<a id="footnotetag130" name="footnotetag130"></a><a href="#footnote130" title="Go to footnote 130"><span class="smaller">[130]</span></a>. Vous feriez, +ce qu'ils ont fait.» Il terminait par un sage appel à la concorde +«Méfiez-vous de tout homme qui veut exclusivement concentrer l'amour +de la patrie dans ceux de sa coterie; si son langage a l'air de +défendre le peuple, c'est pour l'exaspérer, le diviser.... Dans un +moment où vous allez vous constituer en un gouvernement stable, +ralliez-vous. Faites trêve à vos méfiances; oubliez les raisons que +vous croirez avoir pour vous désunir, et, tous d'accord, organisez et +consolidez votre gouvernement.»</p> + +<p>Aussi bien Bonaparte désirait terminer cette importante affaire, +avant de rentrer en France. Il ne se dissimulait pas que l'Autriche +n'avait déposé les armes que momentanément, et n'attendait qu'une +occasion pour revendiquer ses droits et intervenir de nouveau en +Italie. Aussi s'emportait-il contre les maladroits ou les fanatiques +qui, par leurs excès de zèle, compromettaient l'œuvre du +gouvernement provisoire génois. Il en voulait surtout à quelques +réfugiés napolitains dont les furibondes déclamations contre la +religion entretenaient dans les esprits une incurable défiance. Il +pressait Faypoult de leur imposer silence, et de conclure au plus +vite. «Il est bien important que tout soit libre sur nos derrières, +lui écrivait-il, car nous aurons besoin de toutes nos forces pour +donner un vigoureux coup de collier.»</p> + +<p>On n'osait déjà plus ne pas exécuter les ordres de Bonaparte. +Faypoult comprit que le moment était passé des hésitations, et se +chargea de le faire comprendre au gouvernement provisoire.</p> + +<p>Les Génois se résignèrent. Ils étaient entre les mains de la France: +mieux valait faire contre mauvaise fortune bon cœur, et accepter +ce qu'on ne pouvait plus éviter. Le peuple fut donc convoqué dans +ses comices le 19 janvier 1798. Malgré la pression des baïonnettes +françaises, 17,000 citoyens eurent <span class="pagenum"><a id="page94" name="page94"></a>(p. 94)</span> le courage de déposer +un vote négatif, mais 100,000 suffrages affirmatifs consacrèrent +la ruine de l'antique indépendance. Les cinq nouveaux directeurs, +Corvetto, Littardi, Maglione, Molfino et Costa furent aussitôt +élus, les membres des conseils nommés, et de plates adresses de +remerciement furent envoyées au Directoire.</p> + +<p>Ainsi périt, ou du moins fut transformée, la République génoise; mais +fière, courageuse, et après avoir versé du sang pour sa défense, non +pas humblement docile comme l'avait été la République Cisalpine, non +pas gémissante comme le fut la République Vénitienne. Ce fut une +consolation dans son infortune; ce sera son honneur aux yeux de la +postérité.</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="page95" name="page95"></a>(p. 95)</span> CHAPITRE III<br> +<span class="smaller">CHUTE ET PARTAGE DE LA RÉPUBLIQUE VÉNITIENNE (1796-1797)</span></h2> + +<p class="resume"> +Grandeur et décadence de la République vénitienne. — La +politique de neutralité désarmée. — Le comte de Lille est expulsé +de Vérone. — Violations du territoire vénitien. — Entrée des +Français à Vérone. — Le podestat Ottolini. — Ménagements calculés +de Bonaparte. — Négociations d'alliance. — Les exigences de +Bonaparte. — Préparatifs de guerre. — Les démocrates soulèvent +Bergame, Brescia, Salo, mais ils sont écrasés. — Manifeste de +Battaglia. — Les préliminaires de Leoben. — Mission de Junot à +Venise. — Les Pâques véronaises. — L'assassinat de Laugier. — Mission +Dona et Giustiniani. — Punition de Vérone. — Transformation de la +République aristocratique en République démocratique. — Traité +de Milan. — Les convoitises autrichiennes. — Mission +Querini. — Motion Dumolard. — Désorganisation de la nouvelle +République. — Pillages. — Négociations de Campo-Formio. — Les +instructions du Directoire et les résolutions de Bonaparte. — Traité +de Campo-Formio. — Comment est accueillie la nouvelle. — Les scrupules +de Villetard. — Les dépouilles de Venise. — Prise de possession par les +Autrichiens.</p> + +<p>Que Bonaparte ait été l'auteur de la chute et du partage de la +République vénitienne en 1797<a id="footnotetag131" name="footnotetag131"></a><a href="#footnote131" title="Go to footnote 131"><span class="smaller">[131]</span></a>, tout le monde est d'accord sur ce +point: mais qu'il soit entré en Italie avec l'intention bien arrêtée +de détruire Venise, et qu'il ait subordonné toute sa politique +à cette arrière-pensée, nous ne le croyons pas. <span class="pagenum"><a id="page96" name="page96"></a>(p. 96)</span> L'examen +attentif des documents contemporains nous prouvera au contraire que +ce furent les événements et nullement Bonaparte qui précipitèrent +la chute de cette ville infortunée. Il est vrai que le général en +chef de l'armée d'Italie profita de ces événements sans le moindre +scrupule, et ne fit rien pour prévenir cette ruine lamentable. Il +est certes bien coupable d'avoir agi de la sorte, mais il n'est pas +le seul coupable. C'est ce que nous allons essayer de démontrer en +instruisant à nouveau ce grand procès historique.</p> + +<h3>I</h3> + +<p>En 452 après Jésus-Christ, quelques pêcheurs, à l'approche des +Huns et de leur terrible chef Attila, s'enfuirent dans les lagunes +qui bordent la côte septentrionale de l'Adriatique et y bâtirent +un misérable village, Venise, qui grandit peu à peu, car tous les +exilés attirés en ces lieux par la facilité de la défense s'y +donnèrent comme rendez-vous et grossirent la population primitive. +En 697 les chefs des diverses îles se réunirent pour élire un chef +unique, à vie, auquel ils donnèrent le nom de duc ou doge. Menacés +par les pirates de l'Istrie, ils les repoussèrent et étendirent leur +domination sur l'Illyrie. Maîtres de l'Adriatique, les Vénitiens +portèrent au loin leur commerce. Les croisades augmentèrent leur +prospérité en leur ouvrant le chemin de l'Orient. Venise entre +alors dans la période des conquêtes; elle couvre de ses colonies +les deux rives de l'Adriatique; elle vend ses services aux croisés +en obtenant le privilège de posséder dans chaque ville d'Orient un +quartier à elle; elle s'empare des îles de l'Archipel et des côtes du +Péloponèse. Une république rivale, Gênes, lui disputait l'empire de +la Méditerranée. Elle engage avec elle un siècle de guerre, et finit +par lui arracher la suprématie maritime. Elle tourne alors ses forces +vers l'Italie, et conquiert successivement ce qu'on nomma depuis +les états de terre <span class="pagenum"><a id="page97" name="page97"></a>(p. 97)</span> ferme: Trévise, Vicence, Venise, Padoue, +Brescia, Bergame, etc. Au <span class="smcap">XV</span><sup>e</sup> siècle Venise était une des +premières puissances de l'Europe. Elle s'intitulait la <i>Dominante</i>, +et cette domination elle la devait moins à ses conquêtes qu'à son +prodigieux commerce. Sur toutes les côtes de la Méditerranée, elle +avait des comptoirs: ses matelots étaient les meilleurs de l'Europe, +ses capitaines les plus instruits, ses vaisseaux les mieux équipés. +L'industrie était florissante, les beaux-arts étaient cultivés +avec amour. Au <span class="smcap">XVI</span><sup>e</sup> siècle la décadence commence. La +découverte de l'Amérique et du Cap de Bonne-Espérance la frappe d'un +coup mortel, en transportant de la Méditerranée à l'Atlantique le +commerce du monde. Occupée à se défendre contre les Turcs, qui lui +enlèvent ses possessions de l'Archipel et de la Morée, elle laisse +les Français, les Espagnols et les Allemands dominer tour à tour +en Italie. À la Venise guerrière succède une Venise somptueuse et +galante, ville d'intrigues et de plaisirs, et non plus d'activité +et d'avenir. Dès lors elle ne vécut que par la tolérance de ses +puissants voisins. Venise s'endormait. Le réveil fut terrible pour +elle.</p> + +<p>Il est vrai que les Vénitiens avaient confiance en leur gouvernement, +et que ce gouvernement jouissait en Europe d'une réputation qui fut +longtemps méritée. La République Vénitienne était essentiellement +aristocratique. Tous les nobles formaient une assemblée nommée +le Grand-Conseil. À partir de 1315 l'entrée de ce Grand-Conseil +était devenue héréditaire par la création du livre d'or, registre +sur lequel n'étaient inscrits que les descendants des familles +qui avaient fait partie du Grand-Conseil avant cette même année. +Ces patriciens inscrits au livre d'or choisissaient dix d'entre +eux, le fameux Conseil des Dix, véritable ministère investi +d'attributions très étendues. Ce conseil disposait arbitrairement +du trésor public comme des biens et de la vie des citoyens. Pour +augmenter ses pouvoirs, il choisit dans son sein, à partir de 1454, +le terrible tribunal des trois inquisiteurs d'État, magistrats +soupçonneux et défiants, qui avaient érigé la dénonciation en méthode +gouvernementale. Les dénonciations étaient reçues dans <span class="pagenum"><a id="page98" name="page98"></a>(p. 98)</span> la +gueule des lions qui décoraient la place Saint-Marc. La procédure +était mystérieuse, les sentences rendues et exécutées en secret. +Au-dessus des inquisiteurs d'État était le Doge, personnage de +représentation, chef officiel de la République, mais qui n'avait +en réalité d'autres pouvoirs que ceux que lui abandonnaient les +inquisiteurs d'État. Pendant plusieurs siècles ces patriciens se +montrèrent dignes de la haute position qu'ils occupaient. Les noms +de Cornaro, Xeno, Dandolo, Barberini, Pisani, etc., sont restés +célèbres. La diplomatie vénitienne était admirablement informée; les +rapports adressés à Venise par ses ambassadeurs constituent même +une des principales sources de l'histoire moderne; mais bientôt les +descendants dégénérés des grandes familles d'autrefois ne surent +plus que se maintenir par la terreur, et jouir des énormes richesses +amassées par leurs ancêtres. Peu à peu un nouvel esprit se fit jour. +La bourgeoisie, systématiquement repoussée du livre d'or, et la +noblesse des provinces, jalouse des privilèges que s'arrogeaient +les patriciens de la capitale, unirent leurs ressentiments et leurs +convoitises. On commença à parler de réformes, et de changements +à introduire dans la Constitution. Ces demandes ne furent pas +accueillies, mais une opposition se forma, et grandit. Il est vrai +que les classes populaires, traitées avec ménagement, avec douceur +même, et retenues dans une ignorance absolue, soutenaient les +patriciens. L'aristocratie vénitienne avait donc pour elle l'immense +majorité de la population, et l'autorité de la tradition.</p> + +<p>Passé glorieux, gouvernement respecté, Venise, malgré sa décadence, +malgré les partis qui commençaient à la déchirer, était une puissance +avec laquelle il fallait encore compter. Son pavillon flottait avec +honneur sur la Méditerranée. Elle possédait l'Adriatique. Les îles +Ioniennes lui assuraient le commerce des mers grecques. Sur les côtes +d'Illyrie et de Dalmatie, des montagnards braves et énergiques et +des matelots habitués à la difficile navigation de ses côtes lui +fournissaient des soldats pour ses régiments et des marins pour ses +équipages. <span class="pagenum"><a id="page99" name="page99"></a>(p. 99)</span> Elle avait une flotte de guerre considérable, et, +à Venise même, un arsenal fameux regorgeait de richesses de tout +genre. Sur la terre ferme une ceinture de places fortes, Brescia, +Bergame, Peschiera, Vérone, Legnano du côté de l'Italie; Palmanova, +Gradisca, Udine du côté de l'Autriche, assuraient la sécurité de +ses frontières continentales. Elle pouvait mettre sur pied, bien +qu'elle n'eût pas fait la guerre depuis soixante et dix ans, au +moins cinquante mille hommes. Les revenus, près de neuf millions de +ducats, étaient bien équilibrés et suffisants pour tous les besoins. +Le gouvernement vénitien faisait donc en Europe honorable figure, et +personne ne se doutait encore qu'une catastrophe le menaçât.</p> + +<p>Par malheur la politique des Vénitiens manquait de franchise. Dans +le grand mouvement d'opinion qui marqua en Europe les dernières +années du <span class="smcap">XVIII</span><sup>e</sup> siècle, ils auraient du prendre un parti +et se prononcer ou pour ou contre la France. La France était leur +alliée naturelle, puisqu'il n'existait, entre elle et Venise, aucun +motif de rivalité ou de guerre, et l'Autriche était au contraire +leur ennemie héréditaire<a id="footnotetag132" name="footnotetag132"></a><a href="#footnote132" title="Go to footnote 132"><span class="smaller">[132]</span></a>, puisqu'elle convoitait la possession +de leurs provinces continentales. Leur intérêt les poussait vers la +France, mais leurs préjugés les jetaient dans les bras de l'Autriche. +Les patriciens de Venise détestaient en effet l'esprit démocratique +de la France et ne redoutaient rien autant que la contagion de ces +principes démocratiques, en sorte que, par intérêt, ils penchaient +vers l'alliance française, mais, par tempérament, redoutaient la +République française. Inquiétés par la démocratie, ils se défiaient +du despotisme. Dans cette incertitude, ils prirent le plus déplorable +des partis, celui de la neutralité.</p> + +<p>Les avertissements ne leur firent pas défaut. Querini, l'ambassadeur +de la République à Paris, Grimani, l'ambassadeur à Vienne, +San Fermo, le plénipotentiaire qu'ils envoyèrent <span class="pagenum"><a id="page100" name="page100"></a>(p. 100)</span> au +congrès de Bâle, ne cessaient, dans leurs dépêches, de démontrer +aux inquisiteurs d'État la nécessité de se prononcer. Ils leur +annonçaient, pour ainsi dire jour par jour, les projets de la France +contre l'Italie et spécialement contre Venise à qui elle réservait +le sort de la Hollande. Ils lui dénonçaient, les sourdes menées<a id="footnotetag133" name="footnotetag133"></a><a href="#footnote133" title="Go to footnote 133"><span class="smaller">[133]</span></a> +des agents secrets envoyés pour disposer les esprits à la révolution. +Ils les avertissaient des préparatifs de l'invasion. Le gouvernement +fermait les yeux et persistait à s'endormir dans la neutralité.</p> + +<p>Si du moins les Vénitiens s'étaient mis en mesure de faire respecter +cette neutralité, c'est-à-dire de repousser toute pression extérieure +et de se comporter avec la plus grande impartialité envers tous les +belligérants: mais ils s'imaginèrent, très à tort, qu'en ménageant +tout le monde, ils seraient eux-mêmes respectés. Quelques patriciens +mieux avisés étaient partisans de ce qu'on pourrait appeler la +neutralité armée. Ils voulaient que Venise se mit en état de résister +aux prétentions des belligérants et de repousser au besoin ces +prétentions par la force. Dès le 14 juillet 1788, l'ambassadeur de +Venise à Paris, Antonio Capello, prévoyant la Révolution prochaine, +et redoutant pour sa patrie les conséquences du système politique +de la paix à tout prix, écrivait<a id="footnotetag134" name="footnotetag134"></a><a href="#footnote134" title="Go to footnote 134"><span class="smaller">[134]</span></a>: «La crise imprévue de la +France a fait naître un nouvel ordre de choses dans le système +politique général. Aujourd'hui, il faut tenir pour certain que +Venise peut être très troublée dans son système de neutralité qui +ne lui procurera peut-être que des embarras. Peut-il convenir à +notre sécurité de rester ainsi isolés de toutes les puissances? <i>Se +concenga alla nostra sicurezza starsene isolati da tutti gli altri?</i>» +Ces prophétiques avertissements ne furent pas négligés. Un parti +se forma; il avait pour chefs Foscarini, Barbarigo, Giustiniani, +Zeno et surtout les deux procurateurs Morozini et Pezaro, qui +voulaient ne pas être surpris par les événements et demandaient +avec instance <span class="pagenum"><a id="page101" name="page101"></a>(p. 101)</span> que Venise se décidât à sortir de sa torpeur. +Mais ces patriciens ne formaient qu'une imperceptible minorité. +Tous les indifférents, c'est-à-dire la majorité, tous les indolents +et les partisans encore rares des idées françaises, et à leur tête +se trouvaient des patriciens, Georges Pisani, Valaresso, Ruzzini, +Giuliani, Battaglia, Premieri, prétendaient au contraire que Venise +n'avait qu'à gagner à conserver la neutralité, même désarmée, et +à prouver ainsi son désir de ménager à titre égal Français et +Autrichiens.</p> + +<p>Lorsque la situation s'aggrava et que la France vit se former +contre elle la première coalition, Venise conserva son attitude +expectante. En 1793, le procurateur Pesaro demanda formellement la +levée des milices et l'armement des lagunes. Il aurait même voulu +l'alliance autrichienne. Valaresso l'emporta sur lui et rien ne fut +modifié. L'année suivante, Pesaro renouvela sa demande et réunit +dans le conseil 119 voix contre 67: mais Valaresso, Battaglia, Zeno +et les autres patriciens, qui venaient d'être mis en minorité, +firent en sorte que les armements décidés fussent conduits avec une +lenteur désespérante. Sept mille hommes furent donc, à grand'peine, +réunis en quelques mois, et encore, dès l'année suivante (1795), +les partisans de la neutralité désarmée prenaient leur revanche +en rejetant les conseils guerriers que leur donnait l'ambassadeur +anglais, le chevalier Worsley<a id="footnotetag135" name="footnotetag135"></a><a href="#footnote135" title="Go to footnote 135"><span class="smaller">[135]</span></a>. En outre ils recevaient à +Venise, comme représentant de la République française, Lallement, +et envoyaient à Paris, comme ambassadeur extraordinaire, Alvise +Querini. Ce dernier fut reçu avec de grandes démonstrations d'amitié. +On l'admit aux honneurs de la séance à la Convention Nationale, et +Larévellière-Lépeaux, qui présidait, lui adressa une de ces harangues +déclamatoires dont il avait le secret: «Lorsque la guerre n'avait +pas encore <span class="pagenum"><a id="page102" name="page102"></a>(p. 102)</span> prononcé, la généreuse Venise a reçu avec éclat +l'ambassadeur de la République française. La France rendra générosité +pour générosité. Son alliée n'a pas hésité à saluer sa fortune +incertaine; elle jouira en paix de sa fortune consolidée. La France +républicaine sera plus reconnaissante que la France des rois. Venise +aura pour son alliée la plus sincère la nation française.»</p> + +<p>Les Vénitiens prirent-ils au sérieux ces déclarations emphatiques, +ou s'aveuglèrent-ils de parti pris sur les dangers de l'indécision +en matière politique, toujours est-il que, dans leur optimisme, +non seulement ils persistèrent dans la neutralité désarmée, mais +encore se firent les apôtres de cette doctrine. Ce furent eux qui, +par exemple, engagèrent le grand-duc de Toscane à les imiter en +reconnaissant la République Française et en signant avec elle un +traité de neutralité. Ils ne devaient gagner à ces ménagements que le +mépris de la France et les hostilités mal déguisées de l'Autriche, +et, grâce à ce système déplorable dans lequel ils s'obstinèrent, ils +ressentirent le contre-coup de tous les événements extérieurs. Ils +étaient destinés à passer d'anxiétés en anxiétés, et cela dès que les +belligérants se rapprochèrent de leur territoire.</p> + +<p>En effet, tant que la guerre eut pour théâtre le Rhin, les Alpes ou +les Pyrénées, c'est-à-dire de 1792 à 1796, Venise crut n'avoir qu'à +se féliciter d'avoir jusqu'alors traité la Révolution française comme +un objet de police et le voisinage des armées autrichiennes comme +un épouvantail sans conséquences; mais ses illusions se dissipèrent +dès que les Français descendirent en Italie pour y vider leur +querelle comme en un champ clos. Elle ne tarda pas à comprendre non +seulement que sa tranquillité était compromise, mais même que son +existence était discutée. Lors des conférences de Bâle, elle avait +déjà été singulièrement inquiétée par la théorie des compensations +territoriales qui y avait été discutée et admise: non pas qu'elle +redoutât encore une compensation donnée à ses dépens, mais elle ne +pouvait se dissimuler tous les dangers <span class="pagenum"><a id="page103" name="page103"></a>(p. 103)</span> de ce nouveau droit +des gens, surtout pour les puissances secondaires, et peut-être +se repentait-elle de ne pas s'être mise en mesure de résister aux +exigences possibles de la France ou aux revendications hautaines de +l'Autriche.</p> + +<p>Bonaparte n'avait pas encore ouvert les hostilités que déjà le +Directoire agissait contre Venise, comme si la République était à +ses pieds. Le 1<sup>er</sup> mars 1796, Delacroix, ministre des relations +extérieures, écrivait à l'ambassadeur de Venise à Paris, Querini, +pour se plaindre du séjour à Vérone du comte de Lille<a id="footnotetag136" name="footnotetag136"></a><a href="#footnote136" title="Go to footnote 136"><span class="smaller">[136]</span></a>, celui +qui s'intitulait Louis XVIII, et exiger son renvoi immédiat. Pour +donner plus de poids à sa demande, il faisait remarquer que la +neutralité de Venise n'était qu'un mot vide de sens, puisque les +troupes autrichiennes avaient à plusieurs reprises traversé le +territoire vénitien pour se rendre dans leurs cantonnements du +Milanais et dans le Piémont. Le Grand Conseil fut convoqué. Pesaro, +qui penchait toujours pour la résistance, aurait voulu que le comte +de Lille fût entouré des mêmes égards que par le passé. Son discours +entraîna quarante-sept de ses collègues, mais cent cinquante-six se +prononcèrent contre lui. On fit donc savoir au Directoire que le +comte de Lille serait prié de quitter Vérone; quant au passage des +troupes autrichiennes sur le territoire de la République, il était +autorisé par des conventions antérieures. Le Directoire se contenta +de cette demi-satisfaction, mais il exigea le départ immédiat de +Louis XVIII. Lallement reçut l'ordre d'insister. Le Grand Conseil +dut s'exécuter. Il le fit même avec une certaine rudesse. Délégués +par les inquisiteurs d'État, Gradenigo et Carletto avertirent le +prince de l'arrêté d'expulsion. Le comte de Lille obéit à la brutale +nécessité qui lui imposait un nouvel exil, et quitta Vérone (21 +avril), mais en exigeant qu'on effaçât le nom de sa famille du livre +d'or, <span class="pagenum"><a id="page104" name="page104"></a>(p. 104)</span> et qu'on lui rendît l'armure dont Henri IV avait fait +présent à la République<a id="footnotetag137" name="footnotetag137"></a><a href="#footnote137" title="Go to footnote 137"><span class="smaller">[137]</span></a>.</p> + +<p>Ce n'était que la première des exigences qui allaient être imposées à +Venise. Sa faiblesse et ses complaisances les autorisaient. Bonaparte +venait d'entrer en Italie et d'inaugurer cette série d'éclatantes +victoires qui le conduisirent bientôt aux portes de Vienne. On a +prétendu qu'il avait dès lors l'intention bien arrêtée de signer la +paix aux dépens de la République Vénitienne, et qu'il n'était que +l'instrument des secrets desseins du Directoire contre Venise. Il +suffit pourtant de parcourir la correspondance échangée entre le +gouvernement français et le général victorieux pour être convaincu +que, ni d'un côté ni de l'autre, il n'y avait d'entente préalable. +Bonaparte n'avait pas reçu l'ordre d'agir contre Venise, et lui-même +ne nourrissait aucune prévention particulière contre l'aristocratie +vénitienne; seulement, dès qu'il se fut rendu compte de sa faiblesse +et de sa décadence, il en abusa sans le moindre scrupule; et, du jour +où il pressentit qu'en sacrifiant Venise à l'Autriche il obtiendrait +plus aisément la paix, il adopta contre elle une politique sans +pitié, et, suivant une expression célèbre, se montra plus inexorable +à son égard qu'Attila lui-même. Quant au gouvernement français, qui +répugnait d'abord à l'idée de ce triste arrangement, il se laissa +forcer la main, mais sans trop protester.</p> + +<h3>II</h3> + +<p>Le Piémont et le Milanais étaient conquis. Beaulieu avait été rejeté +par la bataille de Borghetto jusque sous les murs de Mantoue. Ce fut +à ce moment critique que le Directoire demanda à Venise une somme +de douze millions, qui serait <span class="pagenum"><a id="page105" name="page105"></a>(p. 105)</span> reportée sur le passif de la +République Batave qui devait pareille somme. Il réclama encore la +mise sous séquestre des capitaux déposés dans les banques vénitiennes +par les puissances ennemies de la France, et la confiscation +de tous ceux de leurs navires qui stationnaient dans les eaux +vénitiennes<a id="footnotetag138" name="footnotetag138"></a><a href="#footnote138" title="Go to footnote 138"><span class="smaller">[138]</span></a>. Sans même attendre sa réponse, qui ne pouvait être +que négative, à moins que Venise ne fût décidée à se jeter dans les +bras de la France, Bonaparte, poursuivant le cours de ses opérations +militaires, viola le territoire vénitien.</p> + +<p>Le général autrichien Kerpen, après la bataille de Lodi, avait +traversé Brescia et entraîné une colonne française à sa poursuite. +Il avait ainsi fourni à Bonaparte le prétexte dont il avait besoin +pour occuper la province. En effet, dès le 20 mai, Bonaparte occupait +Brescia. Il est vrai qu'il protestait de l'amitié qui unissait +les deux Républiques, et annonçait<a id="footnotetag139" name="footnotetag139"></a><a href="#footnote139" title="Go to footnote 139"><span class="smaller">[139]</span></a> que ses soldats agiraient +toujours en amis dévoués. «C'est pour délivrer la plus belle contrée +de l'Europe du joug de fer de l'orgueilleuse maison d'Autriche +que l'armée française a bravé les obstacles les plus difficiles à +surmonter. La victoire d'accord avec la justice, a couronné ses +efforts. Les débris de l'armée autrichienne se sont retirés au delà +du Mincio. L'armée passe, pour les poursuivre, sur le territoire +de Venise, mais elle n'oubliera pas qu'une longue amitié unit les +deux Républiques. La religion, le gouvernement, les usages, les +propriétés seront respectés. Que les peuples soient sans inquiétude; +la plus sévère discipline sera maintenue; tout ce qui sera fourni à +l'armée sera exactement payé en argent. Le général en chef engage les +officiers de la République de Venise, les magistrats et les prêtres, +à faire connaître ces sentiments au peuple afin que la confiance +cimente l'amitié qui depuis longtemps unit les deux nations. Fidèle +dans le chemin de l'honneur comme dans celui de la victoire, le +soldat <span class="pagenum"><a id="page106" name="page106"></a>(p. 106)</span> français n'est terrible que pour l'ennemi de sa +liberté et de son gouvernement.»</p> + +<p>Ce n'étaient là que de banales protestations. En réalité Bonaparte +agissait comme en pays ennemi. Deux jours après l'occupation de +Bergame, il entrait à Peschiera<a id="footnotetag140" name="footnotetag140"></a><a href="#footnote140" title="Go to footnote 140"><span class="smaller">[140]</span></a>, autre place vénitienne, que les +Autrichiens avaient déjà à maintes reprises traversée et même qu'ils +venaient d'occuper, et ordonnait à Masséna de pousser sur Vérone, +et de s'emparer des ponts de cette ville, afin de dominer le cours +de l'Adige. À Vérone se trouvait alors, en qualité de provéditeur +général des provinces de terre ferme, Nicolo Foscarini, ancien +ambassadeur de Venise à Constantinople. Sommé par Bonaparte de venir +le trouver à son quartier général de Peschiera, il n'obéit qu'en +tremblant. Il se considérait presque comme une victime expiatoire. +«Je pars, écrivait-il<a id="footnotetag141" name="footnotetag141"></a><a href="#footnote141" title="Go to footnote 141"><span class="smaller">[141]</span></a> au grand conseil, que Dieu daigne bénir +mes efforts et me recevoir en holocauste!» et dans une autre lettre: +«J'ai rempli mon devoir de citoyen. Je suis allé à Peschiera; je me +suis trouvé entre les mains des Français; j'ai traversé les longues +colonnes de ces farouches soldats. J'ai vu le général Bonaparte.» +Ce dernier comprit tout de suite le parti qu'il pouvait tirer de +l'épouvante du provéditeur. Il affecta une grande colère<a id="footnotetag142" name="footnotetag142"></a><a href="#footnote142" title="Go to footnote 142"><span class="smaller">[142]</span></a>, et +annonça qu'il avait reçu l'ordre de brûler Vérone, si on ne lui en +ouvrait aussitôt les portes. Éperdu, Foscarini offrit de recevoir +les Français. Il ne se crut en sûreté que lorsqu'il se fut retiré. +Bonaparte se serait bien gardé de le retenir. Foscarini en effet +communiqua aux Véronais la terreur qui le paralysait. À peine eut-il +annoncé que les Français arrivaient que les patriciens et les riches +bourgeois émigrèrent en toute <span class="pagenum"><a id="page107" name="page107"></a>(p. 107)</span> hâte<a id="footnotetag143" name="footnotetag143"></a><a href="#footnote143" title="Go to footnote 143"><span class="smaller">[143]</span></a>. Les routes qui +conduisaient à Venise furent en un instant encombrées. Les barques +et les radeaux descendirent l'Adige chargés de passagers de toute +condition qui se redisaient avec effroi que le général avait promis +de brûler la ville<a id="footnotetag144" name="footnotetag144"></a><a href="#footnote144" title="Go to footnote 144"><span class="smaller">[144]</span></a>, pour la punir d'avoir donné asile à Louis +XVIII. Pendant ce temps les troupes de Masséna prenaient possession +de cette citadelle (1<sup>er</sup> juin), qui aurait pu si longtemps les +retenir, et complétaient leur mouvement offensif en occupant quelques +jours plus tard Legnano et la Chiusa.</p> + +<p>Le gouvernement vénitien fut effrayé par la rapidité de cette +prise de possession, mais il ne pardonna pas à Bonaparte de +l'avoir réveillé de sa torpeur<a id="footnotetag145" name="footnotetag145"></a><a href="#footnote145" title="Go to footnote 145"><span class="smaller">[145]</span></a>, et, dès ce moment, le +considéra comme le pire de ses ennemis. Aussi bien, on comprend +que ces patriciens, fiers à l'excès et jaloux de leurs privilèges, +n'avaient accepté qu'à contre-cœur les humiliations dont on les +abreuvait. Ils détestaient déjà les principes français, mais quand +une armée française, enorgueillie par vingt victoires, commandée +par d'incomparables généraux, se fut établie à demeure sur leur +territoire, vivant à leurs dépens, réquisitionnant effets de +subsistance, approvisionnements et munitions, imposant ses volontés à +tous les fonctionnaires; lorsque surtout la noblesse provinciale et +la bourgeoisie, déjà mécontentes et aspirant à des réformes, furent +ouvertement encouragées par la présence de nos troupes à renouveler +ces demandes de réforme; les patriciens de Venise eurent alors peine +à contenir l'expression de leur fureur. Ils auraient dû avoir la +franchise de leurs opinions, se jeter dans les bras de l'Autriche +et nous déclarer la guerre. C'est ce que voulaient quelques-uns +d'entre eux, en qui semblait revivre l'ardeur de <span class="pagenum"><a id="page108" name="page108"></a>(p. 108)</span> leurs +ancêtres. Ainsi, le podestat de Bergame, Ottolini<a id="footnotetag146" name="footnotetag146"></a><a href="#footnote146" title="Go to footnote 146"><span class="smaller">[146]</span></a>, écrivait +qu'on pouvait compter sur environ dix-huit mille montagnards, bien +armés, mais à qui manquaient des officiers pour les conduire au feu. +Les inquisiteurs d'État, de leur côté, transmettaient au gouvernement +la communication suivante<a id="footnotetag147" name="footnotetag147"></a><a href="#footnote147" title="Go to footnote 147"><span class="smaller">[147]</span></a>: «Si Venise n'arme pas avec énergie, +elle sera foulée aux pieds comme les autres. Il est vrai qu'il est +tard; il serait possible que, s'ils remarquaient des préparatifs +considérables, les Français voulussent en connaître l'objet, mais en +les faisant dans l'intérieur du Dogado, ils seront moins facilement +aperçus. D'ailleurs, on pourra dire qu'on prend des précautions pour +contenir le peuple mécontent et pour repousser les Autrichiens. +Cette réponse leur donnera à réfléchir. Aux armes donc! Aux armes! +et qu'il n'y ait pas moins de quarante mille Esclavons et de quatre +mille cavaliers, si l'on ne veut pas être mis sous le joug.» Ces +exhortations produisirent leur effet. Les milices furent levées, de +nombreux mercenaires enrôlés, tous les vaisseaux reçurent l'ordre +de rentrer à Venise, l'arsenal redoubla d'activité, des impositions +extraordinaires furent votées et les dons patriotiques acceptés. +Tout annonçait la guerre, et le gouvernement paraissait décidé à la +soutenir avec énergie.</p> + +<p>Ces préparatifs hostiles n'avaient échappé ni à Bonaparte ni à +ses lieutenants. L'un d'entre eux, brave soldat plutôt que bon +observateur, Augereau, les avait pourtant signalés à son chef<a id="footnotetag148" name="footnotetag148"></a><a href="#footnote148" title="Go to footnote 148"><span class="smaller">[148]</span></a>: +«Je m'aperçois, général, lui écrivait-il, et je suis même certain +que les Vénitiens, bien loin de vouloir observer la neutralité à +notre égard, préparent et fomentent sourdement des actes d'hostilité +contre nous. Je ne puis en douter, puisque les hostilités commencent +déjà. Une de mes patrouilles ne saurait aller à une lieue de son camp +sans être accueillie et fusillée par les paysans qui se rassemblent +en <span class="pagenum"><a id="page109" name="page109"></a>(p. 109)</span> armes au son du tocsin. Plusieurs volontaires ont déjà +été assassinés sans que j'aie pu découvrir les coupables et avoir +justice. Ce matin, à deux heures, mon avant-poste de cavalerie a +été attaqué par une avant-garde de hussards ennemis. D'après des +renseignements certains, cette troupe était guidée par des nobles +du pays... Il en est un surtout dont j'ai le nom, qui promet de se +défaire des généraux, en leur faisant tendre des embuscades... Il est +donc temps de voir les intentions du gouvernement de Venise, qu'il +nous dise si nous sommes en guerre ou en paix avec lui.»</p> + +<p>C'était justement la réponse que Venise ne voulait donner à aucun +prix. Il était dans les traditions de la République de dissimuler +jusqu'au dernier moment. Cette politique fausse et tortueuse ne +convenait plus aux circonstances. L'aristocratie vénitienne ne +comprit pas que le temps était passé des réserves diplomatiques et +des finesses d'autrefois. Elle affecta de garder la plus stricte +neutralité; au moment même où elle annonçait au podestat<a id="footnotetag149" name="footnotetag149"></a><a href="#footnote149" title="Go to footnote 149"><span class="smaller">[149]</span></a> de +Bergame l'envoi d'un général, Noveller, pour commander ses bandes +improvisées, elle lui ordonnait de ne rien précipiter, et surtout +de garder le secret le plus absolu. À l'heure précise où de tous +les côtés ses soldats couraient aux armes, elle envoyait deux +députés<a id="footnotetag150" name="footnotetag150"></a><a href="#footnote150" title="Go to footnote 150"><span class="smaller">[150]</span></a> à Bonaparte pour endormir ses défiances. Elle était, en +un mot, décidée à la guerre, mais elle se réservait de choisir et son +jour et son heure.</p> + +<p>Malheureusement pour Venise, Bonaparte avait beaucoup trop de +pénétration pour ne pas percer à jour cette politique <span class="pagenum"><a id="page110" name="page110"></a>(p. 110)</span> +sénile. Il savait que les Vénitiens tomberaient sur lui au premier +échec, mais d'un autre côté il n'ignorait pas qu'ils attendraient +jusqu'au dernier moment pour se jeter sur son flanc. Il accueillit +donc les députés de Venise, et feignit même d'agréer leurs excuses: +mais il accumula les griefs, et eut grand soin de tenir ce qu'il +appelait une querelle ouverte. Il ne désirait pas, en effet, se +brouiller du jour au lendemain avec Venise, et lui aussi voulait se +réserver pour l'heure favorable. À trompeur trompeur et demi. Aussi +bien la dépêche qu'il adressa à ce propos au Directoire ne laisse +aucun doute sur ses intentions<a id="footnotetag151" name="footnotetag151"></a><a href="#footnote151" title="Go to footnote 151"><span class="smaller">[151]</span></a>: «Le Sénat de Venise vient de +m'envoyer deux sages du Conseil pour s'assurer définitivement où en +étaient les choses. Je leur ai renouvelé mes griefs, je leur ai aussi +parlé de l'accueil fait à Monsieur, je leur ai dit que, du reste, +je vous avais rendu compte de tout, et que j'ignorais la manière +dont vous prendriez cela; que, lorsque je suis parti de Paris, vous +croyiez trouver dans la République de Venise une alliée fidèle au +principe, que ce n'était qu'avec regret que leur conduite à l'égard +de Peschiera m'avait engagé à penser autrement; que du reste je +croyais que ce serait un orage qu'il serait possible à l'envoyé +du Sénat de conjurer. En attendant ils se prêtent de la meilleure +façon à me fournir ce qui peut être nécessaire à l'armée. Si votre +projet est de tirer cinq ou six millions de Venise, je vous ai ménagé +exprès cette espèce de rupture.... Si vous avez des intentions +plus prononcées, je crois qu'il faudrait continuer ce sujet de +brouillerie, m'instruire de ce que vous voulez faire, et attendre le +moment favorable que je saisirai suivant les circonstances, car il ne +faut pas avoir affaire à tout le monde à la fois.»</p> + +<p>De cette dépêche ressort la preuve de la non préméditation des +desseins de Bonaparte contre Venise. Ni lui ni le Directoire <span class="pagenum"><a id="page111" name="page111"></a>(p. 111)</span> +n'avaient encore résolu, comme on l'a écrit et répété à tort, de +partager la République vénitienne.</p> + +<p>Le jour même où l'armée française franchissait le Pô, le 7 mai +1796, voici en quels termes le Directoire traçait à Bonaparte le +plan de la conduite à tenir avec Venise<a id="footnotetag152" name="footnotetag152"></a><a href="#footnote152" title="Go to footnote 152"><span class="smaller">[152]</span></a>. «Venise sera traitée +comme une puissance neutre, mais elle ne doit pas s'attendre à +l'être comme une puissance amie; elle n'a rien fait jour mériter +nos égards.» Huit jours plus tard, le 18 mai<a id="footnotetag153" name="footnotetag153"></a><a href="#footnote153" title="Go to footnote 153"><span class="smaller">[153]</span></a>, les prétentions +du Directoire augmentaient déjà: «La République de Venise pourra +peut-être nous fournir de l'argent; vous pourrez même lever un +emprunt à Venise.» Le 11 juin<a id="footnotetag154" name="footnotetag154"></a><a href="#footnote154" title="Go to footnote 154"><span class="smaller">[154]</span></a>, nouvelles exigences. Il s'agit +cette fois de confisquer les vaisseaux et les propriétés appartenant +aux ennemis de la France et qui sont dans les ports de la République: +«On pourra en outre lui emprunter cinq millions.» Le 18 juin<a id="footnotetag155" name="footnotetag155"></a><a href="#footnote155" title="Go to footnote 155"><span class="smaller">[155]</span></a>, +la somme a grossi. L'emprunt sera de douze millions. À vrai dire, +le Directoire n'avait aucun plan suivi à l'égard de Venise. Il se +réservait, suivant les circonstances, ou de l'imposer fortement, ou +d'occuper son territoire, ou de la démembrer<a id="footnotetag156" name="footnotetag156"></a><a href="#footnote156" title="Go to footnote 156"><span class="smaller">[156]</span></a>. Dans tous les +cas, il voulait exploiter la situation à son profit et contre les +Vénitiens. Dès lors, sans se brouiller avec eux, il n'avait qu'à +les tenir en haleine pour ainsi dire, les harceler par des plaintes +ou des demandes continuelles, mais attendre pour se prononcer +définitivement. Comme d'un autre côté les Vénitiens se sentaient trop +faibles pour rompre avec la France, et qu'ils attendaient pour le +faire une occasion favorable, leur politique était également, comme +celle des Français, une politique d'expectative. C'est ainsi que +s'expliquent les tiraillements, les hésitations, les demi-mesures +<span class="pagenum"><a id="page112" name="page112"></a>(p. 112)</span> et les tromperies réciproques, qu'il nous faudra +enregistrer, jusqu'à l'heure de l'explosion.</p> + +<p>La tactique de Bonaparte, disions-nous, consistait à inquiéter les +Vénitiens par des reproches incessants, afin de leur faire perdre +toute présence d'esprit et mettre tous les torts de leur coté, s'il +était réduit à la nécessité de les frapper avant l'heure marquée +par lui. Ainsi le 7 juillet<a id="footnotetag157" name="footnotetag157"></a><a href="#footnote157" title="Go to footnote 157"><span class="smaller">[157]</span></a>, il écrit au provéditeur général +Foscarini pour se plaindre des assassinats commis contre des soldats +français par des habitants de Ponte San Marco et réclamer une +punition exemplaire. Le 8 juillet<a id="footnotetag158" name="footnotetag158"></a><a href="#footnote158" title="Go to footnote 158"><span class="smaller">[158]</span></a>, nouvelle plainte au même +Foscarini contre les mauvaises dispositions des Esclavons et ordre +de les faire sortir de Vérone. C'est maintenant au provéditeur de +Brescia qu'il s'adresse, et avec une raideur impertinente, pour lui +intimer l'ordre de faire cesser les assassinats et de prendre soin +des blessés dans les hôpitaux<a id="footnotetag159" name="footnotetag159"></a><a href="#footnote159" title="Go to footnote 159"><span class="smaller">[159]</span></a>: «Votre prédécesseur, ajoute-t-il, +se conduisait favorablement aux Français; c'est sans doute la raison +pour laquelle on l'a disgracié. Je vous prie de me faire connaître +sur quoi je dois compter. Vous ne souffrirez pas que nos frères +d'armes meurent sans secours <span class="pagenum"><a id="page113" name="page113"></a>(p. 113)</span> dans les murs de Brescia, ou +assassinés sur les grands chemins. Si vous êtes insuffisant pour +faire la police de votre pays et pour faire fournir par la ville +de Brescia ce qu'elle doit pour rétablissement des hôpitaux et les +besoins de l'armée, je prendrai des mesures plus efficaces.» Parfois +encore Bonaparte ne se contente pas de menacer: il agit, comme le +jour par exemple où il fait couronner<a id="footnotetag160" name="footnotetag160"></a><a href="#footnote160" title="Go to footnote 160"><span class="smaller">[160]</span></a> d'artillerie française +les remparts de Vérone et confisque tous les bateaux vénitiens qui +sont dans le lac de Garde<a id="footnotetag161" name="footnotetag161"></a><a href="#footnote161" title="Go to footnote 161"><span class="smaller">[161]</span></a>; ou bien encore quand il fait saisir +«avec toutes les mesures de prévoyance et d'égards que l'on doit à +la neutralité» soixante-cinq caisses d'effets divers, dont trois +d'argenterie, appartenant au grand-duc Ferdinand<a id="footnotetag162" name="footnotetag162"></a><a href="#footnote162" title="Go to footnote 162"><span class="smaller">[162]</span></a>; ou bien quand +il ordonne aux habitants de Vérone, après la bataille de Castiglione, +de déclarer à la police militaire les soldats autrichiens qui ont +trouvé refuge dans les maisons de la ville ou y ont déposé des armes +et des effets.</p> + +<p>S'il ménageait si peu les Vénitiens, c'est qu'il n'attendait pour +agir contre eux qu'une occasion favorable, mais, avec sa prudence +ordinaire, il ne pouvait se dissimuler tous les inconvénients d'une +déclaration formelle de guerre, tant que les Autrichiens ne seraient +pas expulsés définitivement de la Péninsule. Aussi, dans les rapports +qu'il adresse au Directoire, a-t-il grand soin de faire remarquer +que le moment n'est pas encore venu, mais qu'il faut toujours se +réserver un ou plusieurs prétextes d'intervention. À cet égard les +trois dépêches du 12 juillet, du 20 juillet et du 26 août sont fort +curieuses. «Peut-être, écrit-il dans la première<a id="footnotetag163" name="footnotetag163"></a><a href="#footnote163" title="Go to footnote 163"><span class="smaller">[163]</span></a>, jugerez-vous +<span class="pagenum"><a id="page114" name="page114"></a>(p. 114)</span> à propos de commencer dès à présent une petite querelle au +ministre de Venise à Paris, pour que, après la prise de Mantoue, +et lorsque j'aurai chassé les Autrichiens de la Brenta, je puisse +trouver plus de facilité pour la demande que vous avez l'intention +que je leur fasse de quelques millions.» «Messieurs du Sénat de +Venise, écrit-il dans la seconde<a id="footnotetag164" name="footnotetag164"></a><a href="#footnote164" title="Go to footnote 164"><span class="smaller">[164]</span></a>, voulaient nous faire comme +ils firent à Charles VIII. Ils calculaient que, comme lui, nous +nous enfermerions dans le fond de l'Italie, et nous attendaient +paisiblement au retour... aujourd'hui je suis obligé de me fâcher +avec le provéditeur, d'exagérer les assassinats qui se commettent +contre nos troupes, de me plaindre amèrement de l'armement qu'on +n'a pas fait du temps que les Impériaux étaient les plus forts, +mais, par là, je les obligerai à fournir, pour m'apaiser, tout ce +qu'on voudra. Voilà comme il faut traiter avec ces gens-ci. Ils +continueront à me fournir, moitié gré, moitié force jusqu'à la prise +de Mantoue, et alors je leur déclarerai ouvertement qu'il faut +qu'ils me payent la contribution portée dans votre instruction, +ce qui sera facilement exécuté.» Dans la troisième dépêche<a id="footnotetag165" name="footnotetag165"></a><a href="#footnote165" title="Go to footnote 165"><span class="smaller">[165]</span></a>, +écrite au moment où Bonaparte s'apprêtait à poursuivre dans le Tyrol +les régiments de Wurmser, il est moins affirmatif. On voit qu'il +n'est pas encore assuré de remporter la victoire: «J'ai commencé à +entamer les négociations avec Venise, je leur ai demandé des vivres +pour les besoins de l'armée... Dès l'instant que j'aurai balayé le +Tyrol, on entamera une négociation conforme à vos instructions; dans +ce moment-ci, cela ne réussirait pas. Ces gens-ci ont une marine +puissante et sont à l'abri de toute insulte dans leur capitale.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page115" name="page115"></a>(p. 115)</span> Non seulement le Directoire ne songeait pas alors à réduire +Venise à l'extrémité de nous déclarer la guerre, mais encore il +cherchait sérieusement à contracter une alliance avec la République. +Les négociations avaient été engagées à Constantinople, dès la fin de +1795, entre notre ambassadeur Verninac et le baile vénitien Foscari. +Il s'agissait d'une quadruple alliance à signer entre la France, +Venise, la Turquie et l'Espagne<a id="footnotetag166" name="footnotetag166"></a><a href="#footnote166" title="Go to footnote 166"><span class="smaller">[166]</span></a>. Verninac faisait remarquer que +«les circonstances les invitent à s'unir puisqu'elles leur donnent +le même ennemi. Cet ennemi, qui n'est que trop connu du Sénat, +c'est cette puissance inquiète qui a desséché les sources de la +prospérité des provinces vénitiennes sur la terre ferme, qui, de jour +en jour, fait décliner le port de Venise de son antique splendeur, +qui n'aspire à rien moins qu'à dominer dans l'Adriatique après +avoir envahi les importantes provinces de la côte orientale. Mais +l'Autriche n'est pas le seul ennemi qui doive exciter l'inquiétude +du Sénat. La Cour de Saint-Pétersbourg, qui marche aujourd'hui si +ouvertement à la conquête de toute la Turquie européenne, a déjà jeté +les fondements de son empire dans le cœur de la Grèce, et n'est +pas moins dangereuse que la maison d'Autriche pour l'indépendance +et la sûreté de la République de Venise.» L'ambassadeur de Venise à +Constantinople, Foscari, et celui de Madrid, Gradenigo, appuyaient +ces propositions, mais le Grand Conseil, qui ne croyait pas au +succès définitif de la France, les repoussa dans la séance 27 mai +1796, et déclara qu'il persistait dans son système de neutralité. +Le Directoire revint à la charge. À la fin de juillet 1790 notre +ministre à Venise, Lallement, présentait au gouvernement vénitien +une note fort étudiée où il était dit<a id="footnotetag167" name="footnotetag167"></a><a href="#footnote167" title="Go to footnote 167"><span class="smaller">[167]</span></a>: «Il est temps que la +République de Venise sorte enfin de la longue inertie où elle +croupit depuis la paix de Passarowitz, et qu'elle reprenne entre +les puissances le rang qu'elle occupait avant 1718. La France lui +en <span class="pagenum"><a id="page116" name="page116"></a>(p. 116)</span> offre aujourd'hui les moyens; Venise peut augmenter son +territoire, acquérir des places qui consolident sa puissance et +serviront à former, entre les deux républiques, un parti fédératif +fondé sur leurs intérêts réciproques.» Ces avances furent inutiles. +Les patriciens détestaient la révolution française. «Il n'est que +trop vrai, écrivait<a id="footnotetag168" name="footnotetag168"></a><a href="#footnote168" title="Go to footnote 168"><span class="smaller">[168]</span></a> Lallement à Bonaparte, que la haine pour +nous a été soigneusement fomentée, excitée, et que la plupart des +têtes, même celles de plusieurs personnages importants, ont été +échauffées, égarées par le fanatisme religieux.» Mais, d'un autre +coté, les régiments français étaient tout près de Venise, menaçants, +redoutables. Ils avaient à leur tête un général hardi, et que +n'embarrassaient pas les scrupules diplomatiques. Les patriciens +s'imaginèrent que l'unique moyen de tout concilier était de gagner +du temps. Ils répondirent à Lallement qu'ils allaient étudier la +question, et que, en attendant, ils persistaient dans leur système de +neutralité.</p> + +<p>Ni le Directoire qui croyait avoir besoin de Venise, ni Lallement qui +mettait son amour-propre à obtenir cette alliance, ne se rebutèrent. +Le 27 septembre notre ministre<a id="footnotetag169" name="footnotetag169"></a><a href="#footnote169" title="Go to footnote 169"><span class="smaller">[169]</span></a> présentait une nouvelle note au +gouvernement vénitien, où il le mettait en garde contre l'ambition de +l'Autriche, de la Russie et de l'Angleterre. Il déclarait même, et +c'est la première trace certaine des projets de partage qui seront +bientôt exécutés, «que l'Autriche, dans la perte éventuelle de ses +possessions en Italie, entrevoyait dans les provinces vénitiennes +de terre ferme le dédommagement le plus convenable du système de +prépondérance dont elle ne se croyait pas encore obligée de se +désister». Lallement ajoutait ces paroles prophétiques: «Le droit +public n'existe plus, et toute trace d'équilibre politique a disparu +de l'Europe. Il ne reste plus de garantie aux États faibles, que +celle qu'ils peuvent trouver dans la force fédérative»; et il +proposait formellement l'alliance française. <span class="pagenum"><a id="page117" name="page117"></a>(p. 117)</span> «Autrement si, +par égard pour ses ennemis naturels, qui méditent sa perte, elle +continue de fermer les yeux sur ses véritables intérêts, elle aura +laissé échapper le moment de se soustraire pour toujours à l'ambition +autrichienne. Environnée de périls, privée du droit de réclamer +un appui, elle aura à se reprocher d'avoir négligé les offres et +repoussé l'amitié de la seule puissance de qui elle peut attendre une +garantie.»</p> + +<p>Certes ce langage était clair. Si Venise refusait notre alliance, +on l'abandonnerait aux convoitises autrichiennes; on chercherait, +même à ses dépens, une compensation territoriale. Ce n'était pas +une menace, mais un avertissement officieux; un des directeurs, +Rewbell, allait même jusqu'à prévenir l'ambassadeur de Venise à +Paris que Venise pourrait bien être quelque jour occupée par l'armée +française<a id="footnotetag170" name="footnotetag170"></a><a href="#footnote170" title="Go to footnote 170"><span class="smaller">[170]</span></a>. On se demande comment les patriciens de Venise se +sont abusés sur leurs intérêts au point de ne pas comprendre que +l'heure était venue de prendre une résolution. Leurs préjugés ou +plutôt leurs haines antidémocratiques devaient être bien violents +pour les aveugler ainsi! Peut-être encore restaient-ils persuadés +de la vérité immuable de cette maxime politique que les Français ne +peuvent longtemps rester les maîtres de l'Italie. Toujours est-il +qu'ils reculèrent une fois encore devant la responsabilité d'une +décision énergique, et répondirent à Lallement qu'ils étaient fort +sensibles à cette proposition d'alliance, qu'ils l'en remerciaient, +mais «qu'ils trouvaient, dans leurs principes de modération, de +bonne intelligence et d'impartialité, la garantie de la paix et de +la tranquillité de leur pays. Une conduite différente ne ferait +que compromettre leur sûreté en les exposant à tomber dans le +gouffre d'une guerre qui pèse sur toutes les nations, mais dont les +sentiments paternels du gouvernement pour ses sujets lui rendent +l'idée seule insupportable<a id="footnotetag171" name="footnotetag171"></a><a href="#footnote171" title="Go to footnote 171"><span class="smaller">[171]</span></a>.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page118" name="page118"></a>(p. 118)</span> Les Vénitiens persistaient donc dans le système démodé +et dangereux de la neutralité désarmée, et cela au moment où les +Français et les Autrichiens s'apprêtaient à livrer sur le territoire +même de la République la bataille qui allait décider du sort de +l'Italie. Ils ne tardèrent pas à subir les conséquences de cette +déplorable inertie. Tout d'abord, et malgré les espérances des +patriciens, les Français furent encore vainqueurs, à Arcole, et +à Rivoli. Bonaparte profita aussitôt de ces nouveaux succès pour +redoubler d'exigences, et on dirait presque d'impertinences envers +les fonctionnaires vénitiens. Voici par exemple comment il persifle +le provéditeur Battaglia, qui lui avait adressé quelques observations +sur la conduite de nos soldats<a id="footnotetag172" name="footnotetag172"></a><a href="#footnote172" title="Go to footnote 172"><span class="smaller">[172]</span></a>: «Je n'ai point reconnu dans la +note que vous m'avez fait passer la conduite des troupes françaises +sur le territoire de la République de Venise, mais bien celle des +troupes de Sa Majesté l'Empereur, qui, partout où elles ont passé, +se sont portées à des horreurs qui font frémir. Le style de cinq +pages, sur les six pages que contient la note qu'on vous a envoyée +de Vérone, est d'un mauvais écolier de rhétorique, auquel on a donné +pour thèse de faire une amplification. Eh! bon Dieu, monsieur le +Provéditeur, ces maux inséparables d'un pays qui est le théâtre de la +guerre, produits par le choc des passions et des intérêts sont déjà +si grands que ce n'est pas, je vous assure, la peine de les augmenter +au centuple, et d'y broder des contes de fée, sinon rédigés avec +malice, au moins extrêmement ridicules.» Puis passant tout à coup +de l'ironie à la menace: «Il vous paraît, s'écrie-t-il, qu'on nous +jette le gant. Êtes-vous, dans <span class="pagenum"><a id="page119" name="page119"></a>(p. 119)</span> cette démarche, autorisé par +votre gouvernement? La République de Venise veut-elle se déclarer +aussi ouvertement contre nous? Déjà je sais que la plus tendre +sollicitude l'a animée pour l'armée du général Allvintzy<a id="footnotetag173" name="footnotetag173"></a><a href="#footnote173" title="Go to footnote 173"><span class="smaller">[173]</span></a>.... +Malheur aux hommes perfides qui veulent nous susciter de nouveaux +ennemis! Ceux qui voudraient méconnaître la puissance de la France, +assassiner ses citoyens et menacer ses armées, seront dupes de leur +perfidie et confondus par la même armée qui, jusqu'à cette heure et +non encore renforcée, a triomphé des plus grands ennemis.»</p> + +<p>Dans la bouche du vainqueur d'Arcole ce n'étaient pas de vaines +menaces. Bonaparte éprouvait un réel mépris pour ces patriciens trop +lâches pour avouer leur haine au grand jour, et dont la réputation +d'habileté lui paraissait singulièrement usurpée. Il n'aurait +pas mieux demandé que d'agir. Ce sont des ennemis, ne cessait-il +d'écrire au Directoire. Ils ne sont retenus que par l'espoir de notre +prochaine défaite. «La République de Venise a peur<a id="footnotetag174" name="footnotetag174"></a><a href="#footnote174" title="Go to footnote 174"><span class="smaller">[174]</span></a>. Elle traite +avec le roi de Naples et le Pape. Elle se fortifie et se retranche +dans Venise. De tous les peuples de l'Italie, le Vénitien est celui +qui nous hait le plus. Ils sont tous armés, et il est des cantons +dont les habitants sont braves. Leur ministre à Paris leur écrit que +l'on s'arme. On ne fera rien de tous ces gens-là si Mantoue n'est pas +pris.» Aussi Bonaparte les traitait-il avec un mépris extraordinaire. +Il ne se contentait pas de vivre à leurs dépens, en épuisant leurs +magasins, en consommant leurs munitions et en s'installant dans +leurs hôpitaux, il s'emparait aussi de leurs places fortes. C'est +ainsi qu'il ordonnait au général Baraguey d'Hilliers de prendre +possession de la citadelle de Bergame<a id="footnotetag175" name="footnotetag175"></a><a href="#footnote175" title="Go to footnote 175"><span class="smaller">[175]</span></a> et annonçait cette +nouvelle violation <span class="pagenum"><a id="page120" name="page120"></a>(p. 120)</span> de la neutralité au provéditeur Battaglia +sans même prendre la peine de s'excuser<a id="footnotetag176" name="footnotetag176"></a><a href="#footnote176" title="Go to footnote 176"><span class="smaller">[176]</span></a>. «Je vous avouerai que +j'ai été bien aise de saisir cette circonstance pour chasser de cette +ville la grande quantité d'émigrés qui s'y étaient réfugiés et punir +un peu les libellistes qui sont en grand nombre dans cette ville, et +qui, depuis le commencement de la campagne, ne cessent de prêcher +l'assassinat contre les troupes de la République et qui ont jusqu'à +un certain point produit un effet, puisqu'il est constant que les +Bergamasques ont plus assassiné de Français que le reste de l'Italie +ensemble.» On le voyait même faire acte de souveraineté, distribuer +le blâme ou l'éloge aux fonctionnaires vénitiens<a id="footnotetag177" name="footnotetag177"></a><a href="#footnote177" title="Go to footnote 177"><span class="smaller">[177]</span></a>, et menacer +d'amende la municipalité d'une ville vénitienne, Iseo<a id="footnotetag178" name="footnotetag178"></a><a href="#footnote178" title="Go to footnote 178"><span class="smaller">[178]</span></a>, qu'il +accusait de favoriser la fuite des prisonniers autrichiens. Si les +Vénitiens supportaient ces empiétements quotidiens, si Bonaparte de +son côté affectait de croire encore à l'existence d'un gouvernement +régulier, il était de plus en plus évident que la situation devenait +intolérable et qu'une crise était imminente.</p> + +<h3>III</h3> + +<p>Le départ de Bonaparte pour les États héréditaires autrichiens +conjura cette crise. Les Vénitiens espérèrent un instant qu'ils +allaient être enfin débarrassés de cet impitoyable vainqueur, et +que l'archiduc Charles, plus heureux que Wurmser et qu'Allvintzy, +les vengerait de leurs humiliations. Quant à Bonaparte, qui avait +besoin de toutes ses forces pour <span class="pagenum"><a id="page121" name="page121"></a>(p. 121)</span> la campagne décisive +qu'il entreprenait, et qui redoutait une diversion vénitienne sur +les derrières de l'armée française, alors qu'elle serait engagée +en Autriche, il résolut d'attendre encore, et de profiter jusqu'au +dernier moment de cette neutralité désarmée, qui lui avait été +jusqu'alors si utile. «Le moment d'exécuter vos ordres pour Venise +n'est pas encore arrivé, écrivait-il au Directoire<a id="footnotetag179" name="footnotetag179"></a><a href="#footnote179" title="Go to footnote 179"><span class="smaller">[179]</span></a>. Il faut +avant ôter toute incertitude sur le sort des combats que les deux +armées vont avoir.» Et en effet, avant d'entrer en campagne il +écrivait sur un ton singulièrement radouci à ce même Battaglia<a id="footnotetag180" name="footnotetag180"></a><a href="#footnote180" title="Go to footnote 180"><span class="smaller">[180]</span></a>, +que naguère il rappelait à l'ordre avec tant de sans-gêne. «Le Sénat +de Venise ne peut avoir aucune espèce d'inquiétude, devant être bien +persuadé de la loyauté du gouvernement français et du désir que +nous avons de vivre en bonne amitié avec votre République; mais je +ne voudrais pas que, sous prétexte de conspiration, l'on jetât sous +les plombs du palais Saint-Marc tous ceux qui ne sont pas ennemis +de l'armée française, et qui nous auraient, dans le cours de cette +campagne, rendu quelques services.» Il poussait même les scrupules +et les ménagements jusqu'à écrire au provéditeur d'Udine<a id="footnotetag181" name="footnotetag181"></a><a href="#footnote181" title="Go to footnote 181"><span class="smaller">[181]</span></a> pour +excuser à l'avance les maux inséparables de la guerre, et lui +promettre qu'il les réparerait dans la mesure du possible.</p> + +<p>Pendant que Bonaparte, engagé au fond de l'Allemagne, et cherchant, +comme il l'écrivait au Directoire<a id="footnotetag182" name="footnotetag182"></a><a href="#footnote182" title="Go to footnote 182"><span class="smaller">[182]</span></a>, «à gagner du temps», +affectait pour la République vénitienne une amitié toute nouvelle +et des égards bien inattendus, le Sénat s'apprêtait à profiter +des événements, et continuait avec activité ses armements. Il +prescrivit un impôt extraordinaire de 400.000 ducats, qui fut +immédiatement payé, avec un million <span class="pagenum"><a id="page122" name="page122"></a>(p. 122)</span> sous forme de +contributions volontaires. Venise, toutes les places voisines et +les lagunes recevaient de fortes garnisons. On mettait en état les +batteries. Tous les navires de guerre étaient rentrés à l'arsenal. +Dans les États de terre ferme les paysans, irrités par les excès +de nos soldats, prenaient les armes, et, rien que dans la province +de Bergame, le provéditeur Ottolini organisait dix-huit régiments +de milice, qu'il armait en toute hâte, et dont il donnait le +commandement à des officiers de l'armée régulière. Des rixes +fréquentes éclataient entre les troupes françaises et les Esclavons. +Il devenait dangereux pour nos compatriotes de se promener hors +des villes, et même en petites troupes. Le nombre des assassinats +augmentait de jour en jour. À Venise même le gouvernement ne prenait +pour ainsi dire plus de précautions pour déguiser son hostilité. +«Tout annonce des intentions perfides de la part du gouvernement +vénitien, écrivait à Bonaparte, dès le 19 octobre 1796, le citoyen +Aillaud<a id="footnotetag183" name="footnotetag183"></a><a href="#footnote183" title="Go to footnote 183"><span class="smaller">[183]</span></a>. Ses projets ne me paraissent plus un mystère. Il ne +faudrait qu'un moment favorable pour les voir éclater. Nous devons +avoir les yeux ouverts sur toutes ses démarches. Trop de sécurité +pourrait être funeste aux armées de la République. Il y a dix-huit +mois que je suis à Venise. Il ne fallait qu'un coup d'œil pour +voir que le Sénat était un ennemi irréconciliable de la République +française. Mais dans ce moment, ce n'est plus l'aristocratie seule +que nous avons à craindre, elle a monté le peuple à un tel degré +d'effervescence qu'il n'attend qu'un signal pour se déchaîner contre +nous. On a mis en jeu tous les ressorts du fanatisme religieux, et +on l'a fait avec tant de succès qu'on entend des individus du peuple +se plaindre de ce que le gouvernement ne leur permet pas de s'armer +contre nous.»</p> + +<p>Mais si nous avions des ennemis à Venise, nous y comptions aussi des +amis. La preuve en est que les patriciens les surveillaient avec +un soin jaloux, et, quand ils ne les jetaient pas en prison, les +malmenaient ou même les forçaient à <span class="pagenum"><a id="page123" name="page123"></a>(p. 123)</span> s'exiler. On sait que +l'aristocratie vénitienne a de tout temps fait peser une véritable +tyrannie sur ses sujets, surtout dans les provinces de terre ferme. +Du jour où les Français descendirent en Italie en promettant à tous +les peuples la liberté et l'indépendance, tous les mécontents vinrent +à nous. On conspira au grand jour la chute du gouvernement vénitien, +et il y eut bientôt presque dans toutes les villes un parti d'action, +déterminé à se révolter pour secouer la tyrannie de Venise.</p> + +<p>Les provéditeurs étaient au courant de cette propagande démocratique, +et ils n'étaient pas tendres pour ses instigateurs. Dès le mois de +juillet 1795 un Brescian était allé trouver Villars, ambassadeur +français à Gênes, et le représentant du peuple Baffroi. Il leur +avait annoncé qu'un complot s'était formé à Brescia contre Venise. +Quelques familles nobles, les Lecchi, les Gambarra, devaient se +mettre à la tête du mouvement et proclamer l'indépendance nationale. +La Convention accueillit ce plan, mais elle en jugea l'exécution +prématurée. Ce fut Bonaparte qui l'exécuta. En effet, au contact des +Français, à l'expansion des idées libérales si longtemps comprimées, +un long frémissement remua tous ceux qui s'intitulaient déjà les +patriotes. Ils résolurent d'agir sans plus tarder, et de profiter de +la présence des Français pour imiter leurs compatriotes de Milan, de +Modène ou de Bologne.</p> + +<p>La révolution commença à Bergame, dans cette province dont les +patriciens de Venise se croyaient si sûrs, et où les paysans avaient +déjà pris les armes pour courir contre les Français. Le provéditeur +de Bergame, Ottolini, prévoyait cette révolution. Il accablait +de ses dépêches<a id="footnotetag184" name="footnotetag184"></a><a href="#footnote184" title="Go to footnote 184"><span class="smaller">[184]</span></a> les trois inquisiteurs d'État, Barbarigo, +Corner et Anzolo, et les suppliait de l'autoriser à sévir contre +les perturbateurs: mais le gouvernement vénitien, craignant de se +compromettre, engageait le provéditeur à patienter. Pendant ce +temps les conspirateurs, <span class="pagenum"><a id="page124" name="page124"></a>(p. 124)</span> sous la protection du commandant +français, prenaient tranquillement leurs dispositions. Dans la +matinée du 12 mars, une pétition se couvrait de signatures pour +demander la nomination d'une municipalité provisoire. Les habitants +prenaient les armes, et ils votaient la réunion de Bergame à la +future République italienne. Aussitôt l'étendard vénitien était +renversé, et lorsque Ottolini protestait auprès du commandant de la +place, Lefaivre, ce dernier le menaçait brutalement de la prison. +Le provéditeur n'avait que le temps de s'enfuir à Brescia avec ses +soldats, mais désarmés. La municipalité nouvelle couvrait les murs +d'affiches, appelait aux armes les paysans, ordonnait l'érection +dans toutes les communes d'arbres de la liberté, et, pour mieux +échauffer l'enthousiasme, envoyait partout des émissaires, surtout +des Cispadans et des Polonais, annoncer la bonne nouvelle.</p> + +<p>Brescia se révoltait à son tour le 17 mars. Dans cette ville le +gouvernement vénitien était représenté par le provéditeur Battaglia, +investi du titre de vice-podestat. Battaglia avait à ses côtés +comme commandant des troupes vénitiennes un homme fort énergique, +Mocenigo, qui le poussait à la résistance. Il avait de plus été +rejoint par Ottolini, qui lui apportait la liste des conspirateurs +brescians, lui indiquait le jour et l'heure du soulèvement projeté, +et l'engageait à faire de ces renseignements l'usage que lui +dicteraient les circonstances et le sentiment de ses devoirs. +L'ambassadeur de Venise à Milan, Vincenti, l'avait également prévenu, +en le conjurant de prendre des mesures sévères; mais Battaglia était +comme frappé d'impuissance. Il avait peur des Français et surtout +de leur général, qui ne lui avait épargné ni les récriminations +ni les menaces. Il craignait d'assumer sur lui une trop lourde +responsabilité en prévenant les menées révolutionnaires. Égaré par +cet esprit de vertige, que nous avons déjà signalé parmi la majorité +des patriciens, il voulut persister jusqu'au bout dans le système +qui était celui de son gouvernement, la neutralité désarmée. Le +17 mars au soir quelques insurgés brescians, conduits par des +officiers cisalpins, <span class="pagenum"><a id="page125" name="page125"></a>(p. 125)</span> prennent prétexte d'un passage de +soldats vénitiens envoyés par Battaglia sur Chiari pour s'emparer +du bourg de Ceccaglia. Le lendemain 18, ils surprennent une des +portes de la ville et somment le vice-podestat d'avoir à se retirer. +Au lieu de donner à la garnison vénitienne l'ordre de disperser le +rassemblement, ainsi que le demandait Mocenigo, Battaglia parlemente +avec les insurgés. L'un d'entre eux, Lecchi, lui déclare que Brescia +ne rentrera jamais sous la domination vénitienne, et que les Français +l'aideront à recouvrer son indépendance. En effet la garnison +française restait immobile et le bruit courait que le général +Kilmaine venait de faire braquer les canons de la citadelle contre +la ville. Battaglia épouvanté ordonne à ses soldats de rentrer dans +leurs quartiers, et se livre aux insurgés. À cette nouvelle ceux qui +hésitaient encore se joignent à eux. Un ancien condamné aux plombs de +Venise, qu'on gardait sans doute pour la circonstance, est exhibé. Sa +vue enflamme le peuple. Le soulèvement devient général, et la réunion +de Brescia à la future République italienne est votée d'enthousiasme. +Pendant ce temps l'infortuné provéditeur croyait sa dernière heure +venue. Il n'avait même pas le courage de rédiger son rapport au +gouvernement et laissait ce soin à son lieutenant Mocenigo<a id="footnotetag185" name="footnotetag185"></a><a href="#footnote185" title="Go to footnote 185"><span class="smaller">[185]</span></a>.</p> + +<p>Le 24 mars, la petite ville de Salo sur le lac de Garde se révoltait +à son tour. Deux jours plus tard, le 27 mars, un officier de +cavalerie française se présentait à Crema et demandait à y être +logé. Deux détachements de soldats survenaient à l'improviste, qui +désarmaient la garnison vénitienne, s'emparaient de l'Hôtel de Ville +et couchaient en joue le podestat. Aussitôt arrivaient des Milanais, +et le peuple, excité par eux et par les patriciens de Crema, se +soulevait, nommait une nouvelle municipalité, abattait le lion de +Saint-Marc, et proclamait son union à la future République italienne.</p> + +<p>Ce furent les seules conquêtes de la révolution. Partout +ailleurs <span class="pagenum"><a id="page126" name="page126"></a>(p. 126)</span> les villes et les campagnes restèrent fidèles +au gouvernement. À Vérone, il y eut même comme une protestation +indignée contre ces tentatives. Les Esclavons, secondés par les +Véronais, voulaient marcher tout de suite contre les révoltés, et +ils les auraient probablement réduits à la raison, car ces derniers +n'avaient pas encore eu le temps de s'organiser, mais le Sénat, +toujours prudent, et redoutant de trouver des Français derrière ses +sujets rebelles, retint l'ardeur de ses soldats et des Véronais, +et se contenta de protester auprès du ministre de France à Venise +et de son ambassadeur à Paris. Ni Lallement, ni Querini n'avaient +assez d'influence pour modifier la situation. Le maître de la +situation était Bonaparte qui continuait, dans sa marche victorieuse +sur Vienne, à balayer devant lui les régiments autrichiens et dont +l'importance grandissait avec la fortune. Aussi le Sénat agit-il +sagement on lui expédiant deux des siens, le procurateur Pesaro et +Jean-Baptiste Cornaro. Les deux patriciens rejoignirent Bonaparte à +Goritz le 25 mars 1797<a id="footnotetag186" name="footnotetag186"></a><a href="#footnote186" title="Go to footnote 186"><span class="smaller">[186]</span></a>. Il les reçut fort bien et eut avec eux +deux longues conférences. Il commença par leur dire qu'il n'était +pas responsable des événements de Bergame et de Brescia, et qu'il ne +voulait pas intervenir, sauf au cas où la République vénitienne le +chargerait officiellement de rétablir l'ordre. Il refusa de rendre +les citadelles occupées par ses troupes, et non seulement s'entêta +dans sa résolution de vivre aux dépens de la République, mais encore +finit par demander une contribution de six millions. Le Sénat +délibéra sur le rapport de ses députés et eut l'insigne faiblesse de +consentir par 116 voix contre 7 à cette exigence, que ne justifiaient +ni les circonstances ni la conduite du gouvernement. C'était voter sa +propre déchéance!</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page127" name="page127"></a>(p. 127)</span> Pendant ces négociations les deux partis ennemis en +étaient venus aux mains. Quelques milliers de paysans s'étaient +rués sur la ville de Salo, y avaient surpris un détachement de 200 +Polonais<a id="footnotetag187" name="footnotetag187"></a><a href="#footnote187" title="Go to footnote 187"><span class="smaller">[187]</span></a>, et massacré quelques patriotes. Les montagnards des +Vals Camonica, Trompia et Sabbia, conduits par le comte Fioravanti, +couraient la campagne et assassinaient les traînards français qu'ils +rencontraient. À Vérone se concentraient des forces imposantes sous +le commandement de deux provéditeurs jeunes et dévoués, Giovanelli +et Erizzo. Le Sénat avait donné pleins pouvoirs au comte Emilio des +Emiles, et ce dernier levait des hommes, préparait des magasins et +préparait ouvertement la contre-révolution. Le parti de la réaction +comprenait la grande majorité de la population, les nobles par +attachement héréditaire à la vieille République, qui avait fait la +fortune de leurs maisons, les prêtres irrités par la spoliation +des églises, et les paysans, accablés d'impôts et de réquisitions, +brutalisés et obligés par un récent arrêté de payer la valeur des +bagages pris sur nos soldats par les Autrichiens. D'ailleurs la vue +du drapeau français sur les forteresses vénitiennes indignait tous +ceux qui croyaient encore à la patrie vénitienne, et ils confondaient +dans une haine égale et les usurpateurs étrangers et ceux de leurs +compatriotes qui profitaient des malheurs du temps pour s'entendre +avec les étrangers et se séparer avec éclat de la mère patrie. La +guerre contre la France était donc imminente, mais la guerre civile +avait déjà commencé.</p> + +<p>Ce fut à ce moment, le 22 mars, que parut un manifeste retentissant, +qu'on attribua au provéditeur Battaglia, mais dont ce dernier nia +toujours la paternité, et qui paraît en effet avoir été composé +par un réfugié italien, un certain Salvadou, qui ne cherchait qu'à +brouiller encore la situation afin d'en profiter. Le voici: «Le +délire fanatique de quelques brigands, ennemis de l'ordre et des +lois, a excité les crédules Bergamasques à la rébellion contre +leur souverain <span class="pagenum"><a id="page128" name="page128"></a>(p. 128)</span> légitime. Ils ont dirigé une multitude +de scélérats stipendiés sur les villes et les provinces pour les +entraîner à la révolte. Nous exhortons les sujets restés fidèles +à se lever en masse, à dissiper, à détruire ces ennemis de l'État +sans faire quartier à aucun, se fût-il même rendu prisonnier. Qu'ils +soient certains que le gouvernement s'empressera de leur fournir +des secours d'argent et de troupes réglées. Déjà les Esclavons à +la solde de la République sont prêts à marcher. Que personne ne +doute du succès de l'entreprise; nous pouvons affirmer que l'armée +autrichienne a enveloppé et battu complètement les Français dans le +Tyrol et le Frioul. Elle poursuit le reste de ces hordes sanguinaires +et impies, qui, sous le prétexte de combattre l'ennemi, ont dévasté +les campagnes et pillé les sujets de la République, toujours +sincères, toujours exacts à observer la neutralité. Les Français se +trouvent donc dans l'impossibilité de porter secours aux rebelles. +C'est à nous d'attendre le moment favorable pour leur couper la +retraite devenue leur unique ressource. Nous invitons en outre les +Bergamasques demeurés fidèles et les autres peuples à chasser les +Français des villes et des forts dont ils se sont arbitrairement +emparés, et à s'adresser à nos commissaires Zanchi et Locatelli pour +recevoir les instructions nécessaires aussi bien que la paie de +quatre livres par jour pendant la durée du service.»</p> + +<p>Ce manifeste était un véritable appel aux armes qui détruisait la +neutralité et autorisait toutes les représailles. Il est certain que +ces excitations furibondes, ces mensonges intéressés, ces enrôlements +constituaient une provocation ou pour mieux dire une déclaration +de guerre; mais Battaglia était trop prudent pour s'être permis un +pareil éclat. Ni par ses fonctions, ni par son caractère, il n'était +homme à brusquer ainsi la situation. Il s'empressa de désavouer +le manifeste qu'on lui attribuait, et le doge, sur sa prière, +en fit autant<a id="footnotetag188" name="footnotetag188"></a><a href="#footnote188" title="Go to footnote 188"><span class="smaller">[188]</span></a>: <span class="pagenum"><a id="page129" name="page129"></a>(p. 129)</span> Le grand Conseil, assemblé pour la +circonstance, déclara de son côté que «le manifeste du 22 mars est +opposé aux sentiments que n'a cessé de professer le gouvernement à +l'égard d'une nation amie. Il ne peut, dans le cas qui se présente, +que protester contre d'aussi odieuses perfidies, et il observe à +ses fidèles sujets qu'ils ne doivent pas se laisser séduire par ces +souillures. Les maximes du Sénat sont de vivre, comme précédemment, +en parfaite harmonie et amitié avec la nation française». En effet, +tout semble indiquer que ce manifeste était fabriqué, mais il servait +si bien les intérêts de la France et des révoltés vénitiens, qu'on +feignit de croire à son authenticité. On le colporta, on l'imprima, +on le répandit partout en le présentant comme la meilleure des +preuves de la duplicité du gouvernement vénitien. Quant à Bonaparte, +il allait s'en servir comme d'une arme terrible contre la République.</p> + +<p>Bonaparte venait de remporter contre les Autrichiens une nouvelle +série de victoires. Il était alors aux portes de Vienne. Rien ne +l'empêchait d'entrer dans cette capitale; mais il se sentait bien +isolé. Il se rendait compte de la résistance nationale dont il lui +faudrait triompher, s'il réduisait ses adversaires aux dernières +extrémités. D'ailleurs il désirait signer la paix, non seulement +pour ne pas aventurer dans une partie suprême les résultats acquis, +mais surtout pour ajouter à la gloire du conquérant celle du +pacificateur. Peu à peu germa dans son esprit la pensée de faire +cette paix aux dépens de Venise. Sans doute, nous n'étions pas en +guerre avec Venise, mais les griefs s'accumulaient, et la théorie +des compensations territoriales était si séduisante que Bonaparte +avait grande envie d'en faire l'essai aux dépens d'un gouvernement +peu sympathique. Les scrupules ne l'avaient jamais arrêté longtemps. +Puisque l'occasion se présentait de signer une paix glorieuse, même +en sacrifiant un État que liait à la <span class="pagenum"><a id="page130" name="page130"></a>(p. 130)</span> France une alliance +plusieurs fois séculaire, il saurait faire litière de ses scrupules!</p> + +<p>Seulement des prétextes étaient nécessaires. Bonaparte ne fut pas +embarrassé pour en trouver. Dès le 5 avril<a id="footnotetag189" name="footnotetag189"></a><a href="#footnote189" title="Go to footnote 189"><span class="smaller">[189]</span></a>, il écrivait au +procurateur Pesaro pour se plaindre des placards affichés à Vérone +contre la France, des assassinats commis contre les Français, d'une +prétendue insulte à notre consul à Zante, du mauvais accueil fait à +une de nos frégates, <i>la Brune</i>, et surtout des persécutions dirigées +contre nos partisans. Il terminait par ces paroles menaçantes: «La +République française ne se mêle pas des affaires intérieures de +la République de Venise; mais la nécessité de veiller à la sûreté +de l'armée me fait un devoir de prévenir les entreprises que l'on +pourrait faire contre elle.» Bonaparte lui écrivait encore le même +jour<a id="footnotetag190" name="footnotetag190"></a><a href="#footnote190" title="Go to footnote 190"><span class="smaller">[190]</span></a>, pour le prévenir qu'il considérait le gouvernement +vénitien comme responsable d'une somme de trente millions, déposée +à Venise par le duc de Modène, et dont il venait de prononcer le +séquestre. Enfin, et pour mieux accentuer son mécontentement, il +annonçait aux municipalités provisoires de Brescia et de Bergame +qu'il ne voulait pas intervenir en leur faveur, mais aussi qu'il +empêcherait tout mouvement de troupes dirigé contre les révoltés, ce +qui était en quelque sorte reconnaître la légalité de la révolte<a id="footnotetag191" name="footnotetag191"></a><a href="#footnote191" title="Go to footnote 191"><span class="smaller">[191]</span></a>.</p> + +<p>Le manifeste de Battaglia vint très à propos lui fournir le +motif de rupture dont il avait besoin pour justifier l'acte +inqualifiable qu'il venait de commettre. Il avait en effet signé, +le 7 avril, l'armistice de Judenbourg, qui allait être bientôt +suivi des préliminaires de Leoben, et ces préliminaires stipulaient +expressément des compensations territoriales pour <span class="pagenum"><a id="page131" name="page131"></a>(p. 131)</span> +l'Autriche aux dépens de Venise. Trois projets préliminaires avaient +été soumis à l'Empereur<a id="footnotetag192" name="footnotetag192"></a><a href="#footnote192" title="Go to footnote 192"><span class="smaller">[192]</span></a>. Tous trois stipulaient la cession +de la Belgique et de la rive gauche du Rhin à la France, et des +compensations territoriales pour l'Autriche en Italie. Ils variaient +pour ces compensations. Le troisième offrait la restitution de la +Lombardie, le premier et le second sacrifiaient à l'Autriche tout +ou partie des États vénitiens. L'Empereur n'hésita pas. C'était +une bonne fortune inespérée que cette proposition. Il s'agissait +d'échanger une province séparée des États héréditaires contre un +territoire limitrophe. Aussi envoya-t-il à ses plénipotentiaires, +Merfeldt et Gallo, les pouvoirs nécessaires, et, dès le 18 avril, +étaient signés les préliminaires de Leoben.</p> + +<p>Par ces préliminaires<a id="footnotetag193" name="footnotetag193"></a><a href="#footnote193" title="Go to footnote 193"><span class="smaller">[193]</span></a> l'Empereur renonçait en faveur de la +France à la Belgique et à la Lombardie, ainsi qu'à la rive gauche +du Rhin, mais il était dédommagé de ces sacrifices par l'abandon +de l'Istrie, de la Dalmatie, et des provinces vénitiennes, situées +entre l'Oglio, le Pô et l'Adriatique. Quant à Venise et aux autres +États de terre ferme, ils devaient être réunis à la Lombardie et à +la République Cispadane. Les parties contractantes se garantissaient +l'une à l'autre les territoires cédés. Elles devaient en outre se +concerter «pour lever tous les obstacles qui pourraient s'opposer à la +prompte exécution des articles précédents, et nommer à cet effet des +commissaires ou des plénipotentiaires qui seraient chargés de tous +les arrangements convenables à prendre avec la République de Venise». +Enfin il était formellement stipulé que ces articles resteraient +secrets jusqu'à la signature du traité de paix définitif. En autres +termes, Bonaparte et les représentants de l'Empereur venaient +de décider le partage de la République Vénitienne, c'est-à-dire +d'un État neutre, que le droit des gens, à défaut d'engagements +solennels, aurait dû <span class="pagenum"><a id="page132" name="page132"></a>(p. 132)</span> protéger contre les convoitises +autrichiennes et la trahison française. Le plus singulier c'est que +le Directoire n'avait pas autorisé le général de l'armée d'Italie à +sacrifier ainsi Venise, et Venise se doutait si peu de la catastrophe +qui la menaçait qu'elle continuait son déplorable système de +neutralité désarmée, et, par son inconcevable faiblesse, se mettait à +la merci de ses vainqueurs sans combat.</p> + +<p>Bonaparte se rendait très bien compte de l'acte inique qu'il +commettait. Il n'ignorait pas non plus qu'il outrepassait ses +instructions, en disposant ainsi du sort d'un peuple allié, ou du +moins neutre. Aussi résolut-il de prendre les devants, d'abord en +expliquant sa conduite au Directoire, puis en réduisant Venise à la +nécessité de se défendre, afin d'avoir un prétexte pour la démembrer. +Le jour même où il faisait part au Directoire de la signature des +préliminaires, il cherchait à les justifier en accusant Venise: «Le +gouvernement de Venise<a id="footnotetag194" name="footnotetag194"></a><a href="#footnote194" title="Go to footnote 194"><span class="smaller">[194]</span></a> est le plus absurde et le plus tyrannique +des gouvernements. Il est d'ailleurs hors de doute qu'il voulait +profiter du moment où nous étions dans le cœur de l'Allemagne +pour nous assassiner. Notre République n'a pas d'ennemis plus +acharnés, comme les émigrés et Louis XVIII d'amis qui leur soient +plus véritablement dévoués. Son influence se trouve considérablement +diminuée, et cela est tout à notre avantage. Cela d'ailleurs lie +l'Empereur à la France, et obligera ce prince, pendant les premiers +temps de notre paix, à faire tout ce qui pourra nous être agréable.» +En même temps, et pour mieux excuser cette inqualifiable violation du +droit des gens, il prenait la résolution de pousser à bout Venise, et +de montrer par tous les moyens possibles qu'il avait le droit d'agir +contre elle comme il le faisait.</p> + +<p>Le 7 avril avait été signé l'armistice de Judenbourg. Dès le 9, +étaient lancées de Judenbourg contre Venise diverses lettres qu'il +nous faut analyser, car elles démontreront jusqu'à l'évidence que, +dès cette époque, Venise était condamnée <span class="pagenum"><a id="page133" name="page133"></a>(p. 133)</span> dans l'esprit de +Bonaparte. La première de ces<a id="footnotetag195" name="footnotetag195"></a><a href="#footnote195" title="Go to footnote 195"><span class="smaller">[195]</span></a> lettres est adressée au ministre +de France à Venise, Lallement. Bonaparte le prévient qu'il vient +d'envoyer à Venise un de ses aides de camp, Junot, porteur d'une +lettre au Doge. Il lui adresse en même temps une note énumérant +sept griefs<a id="footnotetag196" name="footnotetag196"></a><a href="#footnote196" title="Go to footnote 196"><span class="smaller">[196]</span></a> dont il exigera le redressement immédiat: «Vous +demanderez au Sénat de Venise une explication catégorique dans douze +heures, savoir si nous sommes en paix ou en guerre, et, dans le +dernier cas, vous quitteriez sur-le-champ Venise.» Vient ensuite +une proclamation<a id="footnotetag197" name="footnotetag197"></a><a href="#footnote197" title="Go to footnote 197"><span class="smaller">[197]</span></a> au peuple de terre ferme. Il plaint les +Vénitiens du peu d'égards que leur ont témoigné les patriciens, et +leur annonce une prompte vengeance: «Je sais que, n'ayant aucune +part à son gouvernement, je dois vous distinguer dans les différents +châtiments que je dois infliger aux coupables. L'armée française +protégera votre religion, vos personnes et vos propriétés. Vous +avez été vexés par ce petit nombre d'hommes qui se sont, depuis le +temps de la barbarie, emparés du gouvernement. Si le Sénat de Venise +a sur vous le droit de conquête, je vous en affranchirai. S'il a +sur vous le droit d'usurpation, je vous restituerai vos droits.» +Il prescrivait en même temps au général Kilmaine, auquel il avait +laissé le commandement de toutes les forces laissées en arrière, +de désarmer les garnisons vénitiennes de Padoue, Trévise, Bassano, +Vérone, Brescia et Bergame, et d'installer partout des municipalités +provisoires<a id="footnotetag198" name="footnotetag198"></a><a href="#footnote198" title="Go to footnote 198"><span class="smaller">[198]</span></a>. «Vous aurez bien soin de ne vous laisser arrêter +par aucune espèce de considération. Si dans vingt-quatre heures la +réponse n'est pas faite, que tout se mette en marche à la fois, et +que sous vingt-quatre heures il n'existe pas un soldat vénitien sur +le continent... Tout va fort bien ici, et, si l'affaire de Venise +est bien menée, comme tout ce que vous faites, ces gaillards-là +se <span class="pagenum"><a id="page134" name="page134"></a>(p. 134)</span> repentiront, mais trop tard, de leur perfidie. Le +gouvernement de Venise, concentré dans sa petite île, ne serait pas, +comme vous le pensez bien, de longue durée.»</p> + +<p>Ultimatum menaçant adressé au Sénat sous la double forme d'une +note remise par le ministre de France et d'une lettre lue au doge +par un aide de camp, appel à la révolte des peuples restés soumis, +mesures militaires destinées à prévenir toute résistance: comme +on le voit, Bonaparte n'a pas ménagé Venise, et il prévoyait si +peu une opposition quelconque à ses ordres, qu'il prenait soin, ce +même jour 9 avril 1797, d'envoyer au Directoire copie des lettres +précédentes<a id="footnotetag199" name="footnotetag199"></a><a href="#footnote199" title="Go to footnote 199"><span class="smaller">[199]</span></a>, et il y ajoutait cet étrange commentaire: «Quand +vous lirez cette lettre, nous serons maîtres de tous les États +de terre ferme, ou bien tout sera rentré dans l'ordre et vos +instructions exécutées. Si je n'avais pas pris une mesure aussi +prompte et que j'eusse donné à tout cela le temps de se consolider, +cela aurait pu être de la plus grande conséquence.»</p> + +<p>Avant que la réponse du Directoire à ces diverses communications ne +fût parvenue, Junot se rendit à Venise et y exécuta les ordres de +son général<a id="footnotetag200" name="footnotetag200"></a><a href="#footnote200" title="Go to footnote 200"><span class="smaller">[200]</span></a>. Arrivé le 14 avril, il était, dès le lendemain, +introduit au grand Conseil et donnait lecture de la lettre +suivante<a id="footnotetag201" name="footnotetag201"></a><a href="#footnote201" title="Go to footnote 201"><span class="smaller">[201]</span></a>: «Toute la terre ferme de la sérénissime République +de Venise est en armes; de toutes parts les paysans, que vous avez +armés et soulevés, crient: mort aux Français! plusieurs centaines +de soldats de l'armée d'Italie en ont déjà été victimes. C'est en +vain que vous désarmerez des rassemblements que vous-mêmes vous +avez organisés. Croyez-vous que, dans le moment où je me trouve +au cœur de l'Allemagne, je ne puisse pas faire respecter le +premier <span class="pagenum"><a id="page135" name="page135"></a>(p. 135)</span> peuple de l'univers? Le sénat de Venise a répondu +par la perfidie la plus noire aux procédés généreux que nous avons +toujours eus avec lui... La guerre ou la paix. Si vous ne prenez pas, +sur-le-champ, les moyens de dissiper les rassemblements, si vous ne +faites pas arrêter et livrer en mes mains les auteurs des assassinats +qui viennent de se commettre, la guerre est déclarée. Le Turc n'est +pas sur vos frontières. Aucun ennemi ne vous menace: cependant, de +dessein prémédité, vous avez fait naître des prétextes pour avoir +l'air de justifier un rassemblement dirigé contre l'armée. Il sera +dissous dans vingt-quatre heures. Nous ne sommes plus au temps de +Charles VIII.» À ces insultes qu'aggravait encore l'affectation de +rudesse militaire avec laquelle Junot les jetait à la face du Sénat, +il n'y avait qu'à répondre par la guerre immédiate, et, puisqu'on +évoquait le souvenir des temps anciens, se rappeler que Venise +avait jadis lutté contre le pape, les rois de France et d'Espagne +et l'empereur d'Allemagne coalisés: mais on venait d'apprendre la +terrible nouvelle des préliminaires de Leoben. On n'en connaissait +pas le texte, mais on soupçonnait quelque trahison. D'ailleurs on +n'ignorait pas que l'Autriche ne viendrait pas au secours de la +ville menacée, et que le général vainqueur n'avait, pour ainsi +dire, qu'à étendre la main pour exécuter ses menaces. La réponse du +doge fut<a id="footnotetag202" name="footnotetag202"></a><a href="#footnote202" title="Go to footnote 202"><span class="smaller">[202]</span></a> donc humble, plus peut-être qu'il n'aurait convenu au +chef d'une République autrefois si orgueilleuse. Il protestait de +ses bonnes intentions, de «l'ingénuité de sa conduite», annonçait +que satisfaction serait accordée sur tous les points et espérait +que les bons rapports continueraient entre les deux Républiques. +Quant au Sénat, il s'associa par un vote aux paroles de son chef +et décréta, par cent cinquante-six suffrages, que deux députés, le +censeur Francesco Dona et l'ancien ministre de la guerre, Leonardo +Giustiniani, seraient envoyés à Bonaparte pour lui faire agréer les +excuses de la République. Mais il était déjà trop <span class="pagenum"><a id="page136" name="page136"></a>(p. 136)</span> tard. Deux +événements survinrent à l'improviste qui renversèrent toutes leurs +espérances et donnèrent à Bonaparte le prétexte qu'il cherchait et +l'excuse dont il avait besoin.</p> + +<p>Le général Kilmaine, au reçu de la dépêche du 9 avril, avait exécuté +ses ordres. Nulle part il n'avait rencontré de résistance. Les +garnisons vénitiennes avaient été partout désarmées, sauf à Vérone, +car dans cette ville s'étaient concentrés plusieurs régiments +d'Esclavons qui ne paraissaient nullement disposés à l'obéissance, +et se sentaient soutenus par des bandes de paysans qui tenaient la +campagne et par l'armée autrichienne de Laudon qui campait dans le +voisinage, aux débouchés du Tyrol. Kilmaine se contenta d'augmenter +la garnison française. Elle comprenait environ 1.900 hommes, sans +parler des 300 à 400 malades ou employés d'administration épars +dans la ville, sous le commandement d'un chef énergique, le général +Balland, et campait dans les forts; mais, de part et d'autre, on +était sur le qui-vive. Dès le 16 avril, des barques, chargées de +vivres pour l'armée française, avaient été arrêtées et pillées à +Pescentina par des paysans vénitiens. Le nombre des assassinats +augmentait. C'était un véritable état de guerre. La moindre étincelle +allait provoquer l'incendie.</p> + +<p>Le 17 avril, lundi de Pâques, deux patrouilles vénitienne et +française se rencontrèrent dans la ville et s'insultèrent<a id="footnotetag203" name="footnotetag203"></a><a href="#footnote203" title="Go to footnote 203"><span class="smaller">[203]</span></a>. +Aussitôt les Vénitiens se jettent sur les Français répartis dans +les différents quartiers de la ville et commencent à les égorger. +Le général Balland fait battre le rappel et ordonne de tirer le +canon des châteaux. La première volée enleva le faîte du palais des +Scaliger. Enfiévrée par ces détonations inattendues, la populace +sort des maisons, le couteau à la main, et égorge <span class="pagenum"><a id="page137" name="page137"></a>(p. 137)</span> sans +pitié tous les Français isolés qu'elle rencontre. Tous ceux qui ne +parvinrent pas à se réfugier dans les forts, ou qui ne trouvèrent +pas asile chez quelques Véronais, tels que les comtes Nogarola et +Carlotti, assez généreux pour risquer leur vie en bravant les fureurs +populaires, hommes, femmes et enfants furent massacrés, et souvent +avec d'odieux raffinements. Nos blessés et nos malades ne furent +pas respectés dans les hôpitaux. On les arrachait de leurs lits de +souffrance et les cadavres étaient jetés dans l'Adige: «C'était, +raconte l'historien Botta, c'était un spectacle à la fois déplorable +et terrible que ces malades languissants, poursuivis par des +assassins couverts de sang; que ces femmes épouvantées foulées aux +pieds par des femmes en furie. J'ai vu un portique encore dégouttant +du sang des Français, assommés plutôt qu'égorgés par le peuple +exaspéré; j'ai vu retirer des puits et des égouts des uniformes +ensanglantés; j'ai vu les assassins porter en triomphe les dépouilles +de leurs victimes; mais c'était à l'hôpital qu'on remarquait le +plus d'acharnement et de cruauté. Plusieurs malades furent tués, +d'autres maltraités et dépouillés. Ni les supplications, ni l'état de +faiblesse, ni l'aspect même de la mort ne pouvaient inspirer de la +pitié à ces cruels qui n'avaient plus de l'homme que la forme.»</p> + +<p>Le général Balland avait ouvert et continuait contre la ville un +feu destructeur. Les magistrats vénitiens qui jusqu'alors avaient +tout laissé faire, mais sans paraître, envoyèrent un parlementaire +au général en le priant d'arrêter le désastre, ou sinon ils ne +promettaient pas de faire respecter quelques malheureux Français +qui avaient trouvé asile dans le palais du gouverneur. Balland +pour les sauver consentit à traiter, mais on ne put s'entendre sur +les conditions. Il exigeait avec raison le désarmement universel +et des otages. Les insurgés, dont le nombre augmentait d'heure en +heure, réclamaient l'évacuation des forts. La lutte continua. Les +magistrats, incapables de maîtriser plus longtemps cette multitude +furieuse, disparurent, et les massacres recommencèrent.</p> + +<p>Pendant quelques jours la situation de Balland fut critique. +<span class="pagenum"><a id="page138" name="page138"></a>(p. 138)</span> Les insurgés étaient nombreux et interceptaient les +communications. Le comte Francesco des Emiles s'emparait de la porte +San-Zeno. Les capitaines Nogarola et Caldgano prenaient les portes de +l'évêque et Saint-Georges, et donnaient la main aux paysans insurgés. +Les Esclavons pressaient le siège des châteaux. Le vieux fort adossé +à la ville, et séparé d'elle seulement par un mauvais pont fermé par +une grille en fer, était fort compromis. Le château de Saint-Félix +était bombardé par des batteries établies à Pescentina. Enfin Laudon, +prévenu par les insurgés, accourait à marches forcées. Balland pour +se dégager essayait d'opérer des sorties, mais elles étaient toujours +ramenées avec perte. Il n'avait d'autre ressource que de tirer sur la +ville à boulets rouges afin d'allumer des incendies et d'obtenir de +la sorte quelque répit, mais il n'était que temps pour lui et pour la +petite garnison française de recevoir des secours.</p> + +<p>Le 21 avril le général Chabran arriva le premier de Brescia avec 1200 +hommes de renfort<a id="footnotetag204" name="footnotetag204"></a><a href="#footnote204" title="Go to footnote 204"><span class="smaller">[204]</span></a>; il passa sur le ventre à un corps nombreux +de paysans, mais ne put opérer sa jonction avec Balland. Le 23 on +apprenait la signature des préliminaires de Leoben et le général +autrichien Laudon suspendait sa marche. Kilmaine, au contraire, +précipitait la sienne<a id="footnotetag205" name="footnotetag205"></a><a href="#footnote205" title="Go to footnote 205"><span class="smaller">[205]</span></a>. Il arrivait avec la garnison de Mantoue. +Celle de Bologne était annoncée. Victor accourait de Padoue avec +une petite armée de 6.000 hommes. Les Véronais n'avaient plus qu'à +se soumettre. Le chef des Esclavons, le général Fioraventi, voulut +prévenir l'attaque des Français, mais il fut battu à Croce-Bianca et +obligé de se rendre. Un nouveau combat, à Pescentina, nous permit +enfin d'entrer dans la cité rebelle. Kilmaine la livra au pillage, +fusilla les chefs de l'insurrection, et lança sur les routes sa +cavalerie pour désarmer les paysans et sabrer ceux qui résisteraient. +L'ordre fut donc rétabli, mais près de 400 Français avaient succombé +dans cet affreux massacre <span class="pagenum"><a id="page139" name="page139"></a>(p. 139)</span> resté célèbre dans l'histoire +sous le nom de Pâques Véronaises. Ce fut comme une manifestation +spontanée de ressentiments dévorés en silence. On eût dit que la +haine populaire, plus clairvoyante que la politique des hommes +d'État, semblait avoir deviné qu'au moment même Bonaparte abandonnait +à l'Autriche les dépouilles de Venise.</p> + +<p>Certes nous ne chercherons pas à justifier un acte aussi odieux +que les Pâques Véronaises. Les Vénitiens méritaient une punition +exemplaire: mais l'histoire est si souvent faite de mensonges et de +conventions que les erreurs s'accréditent, et qu'il devient difficile +de les faire disparaître. Ainsi n'avons-nous pas lu et sans doute +ne lirons-nous pas encore que ce fut pour se venger des Pâques +Véronaises que Bonaparte abandonna Venise à l'Autriche? Un simple +rapprochement de dates suffira pour démontrer que Venise était déjà +sacrifiée. Les préliminaires de Leoben furent signés le 18 avril, +et les plénipotentiaires en discutaient les conditions depuis le 7 +avril, jour où fut signé l'armistice de Judenbourg. Quant aux Pâques +Véronaises elles commencèrent le lundi 17 avril, à quatre heures +de l'après-midi. Bonaparte ne pouvait évidemment deviner ce qui se +passait à cent cinquante lieues derrière lui: ce n'est que plus tard, +et pour se justifier, qu'il affecta de représenter la cession de +Venise comme une vengeance du massacre de Vérone, et la postérité a +eu le tort d'accepter, sans même le discuter, ce jugement erroné.</p> + +<p>Aussi bien un acte plus odieux encore<a id="footnotetag206" name="footnotetag206"></a><a href="#footnote206" title="Go to footnote 206"><span class="smaller">[206]</span></a> allait fournir à Bonaparte +de nouveaux griefs également sérieux. Le 29 avril, un lougre français +de huit canons, monté par trente-quatre hommes d'équipage, et +commandé par le capitaine Laugier, poursuivi dans le golfe de Venise +par des frégates autrichiennes, s'était engagé dans la passe du Lido +afin de trouver un refuge dans le port. Or d'antiques règlements +défendaient <span class="pagenum"><a id="page140" name="page140"></a>(p. 140)</span> l'entrée du port à tout navire belligérant. +Le capitaine Laugier reçut l'ordre d'appareiller. Il allait obéir, +lorsque les forts vénitiens le criblèrent de boulets. Il fut tué avec +quelques-uns de ses matelots, et les autres furent faits prisonniers +et laissés toute la nuit sans vêtements sur le pont du navire<a id="footnotetag207" name="footnotetag207"></a><a href="#footnote207" title="Go to footnote 207"><span class="smaller">[207]</span></a>. +Les Vénitiens ont prétendu plus tard que le lougre de Laugier était +un corsaire, qu'il avait attaqué le premier les navires vénitiens +ancrés dans le port, et qu'on n'avait fait qu'user de représailles à +son endroit, mais est-il probable qu'un navire, déjà poursuivi par +des forces supérieures, ait cherché à attaquer d'autres navires, +défendus par des fortifications? Laugier demandait simplement un +refuge, et il fut assassiné comme l'étaient au même moment ses +compatriotes dans les rues de Vérone. Ce déplorable événement allait +singulièrement aggraver les dangers de la République Vénitienne.</p> + +<p>Les patriciens, surpris par la rapidité et par l'imprévu des +événements, n'avaient encore pris aucune résolution: ils attendaient +sans doute, pour se décider, l'issue des combats livrés dans +Vérone. Ils apprirent en même temps et la défaite des insurgés et +la signature des préliminaires de Leoben. Il fallait à tout prix +désarmer Bonaparte! Le Doge commença, et ce désaveu<a id="footnotetag208" name="footnotetag208"></a><a href="#footnote208" title="Go to footnote 208"><span class="smaller">[208]</span></a> était une +première punition, par protester de la pureté de ses intentions +au sujet des Pâques Véronaises; puis il envoya un exprès aux deux +députés qui n'avaient pas encore rejoint le quartier général, et leur +donna pleins pouvoirs pour accorder toutes les satisfactions qu'on +leur demanderait.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page141" name="page141"></a>(p. 141)</span> Bonaparte ne l'a jamais écrit dans sa <i>Correspondance</i>, mais +il est probable qu'il reçut avec grand plaisir la nouvelle des Pâques +Véronaises et de l'assassinat de Laugier. Il avait absolument besoin +de prétextes plausibles pour justifier les préliminaires de Leoben, +et cette double violation du droit des gens arrivait à point pour +justifier les représailles.</p> + +<p>Dès le 22 avril<a id="footnotetag209" name="footnotetag209"></a><a href="#footnote209" title="Go to footnote 209"><span class="smaller">[209]</span></a>, avant qu'il eut appris les événements de Vérone +et de Venise, il écrivait au Directoire: «Peut-être serait-il bon +de déclarer la guerre aux Vénitiens. Par là l'Empereur serait à +même d'entrer en possession de la terre ferme de Venise, et nous de +réunir à la république milanaise Bologne, Ferrare et la Romagne. Si +l'on veut continuer la guerre, je crois qu'il faut encore commencer +dans cet entr'acte par déclarer la guerre à la République de Venise, +remuer toute la terre ferme et donner le pouvoir au parti contraire à +celui de l'aristocratie.» À peine eut-il reçu les dépêches relatives +au double massacre que, sans même attendre la réponse du Directoire, +il se prépara à envahir le territoire vénitien, et à jeter lui-même +par terre le gouvernement dont il avait conspiré la perte. «Il faut +avant tout, écrivait-il encore au Directoire<a id="footnotetag210" name="footnotetag210"></a><a href="#footnote210" title="Go to footnote 210"><span class="smaller">[210]</span></a>, prendre un parti +pour Venise... Je sais que le seul parti qu'on puisse prendre est de +détruire ce gouvernement atroce et sanguinaire.»</p> + +<p>Pendant ce temps, les envoyés de Venise, Dona et Giustiniani, avaient +rejoint Bonaparte à Gratz, et avaient eu avec lui une première +entrevue (26 avril)<a id="footnotetag211" name="footnotetag211"></a><a href="#footnote211" title="Go to footnote 211"><span class="smaller">[211]</span></a>. Personne encore ne connaissait l'affaire +Laugier. Le général en chef reçut les députés avec courtoisie, +mais leur déclara net et clair qu'il ne se contenterait pas de +satisfactions illusoires. «J'ai quatre-vingt mille hommes et +vingt barques canonnières, leur dit-il. <span class="pagenum"><a id="page142" name="page142"></a>(p. 142)</span> Je ne veux plus +d'inquisition, plus de Sénat, je serai un Attila pour Venise. Quand +j'avais en tête le prince Charles, j'ai offert à M. Pesaro l'alliance +de la France, je lui ai offert notre médiation pour faire rentrer +dans l'ordre les villes insurgées. Il a refusé, parce qu'il lui +fallait un prétexte pour tenir la population sous les armes, afin de +me couper la retraite, si j'en avais eu besoin; maintenant, si vous +réclamez ce que je vous avais offert, je le refuse à mon tour. Je ne +veux plus d'alliance avec vous, je ne veux plus de vos projets, je +veux vous donner la loi.» Les deux commissaires ne purent qu'opposer +de vaines protestations à cette mise en demeure. Aussi bien ils +avaient entendu dire tout le long de la route que Venise était +sacrifiée et son territoire partagé. À l'angoisse patriotique qui +les étreignait se joignait la difficulté de négocier avec un général +irrité, et qui visiblement avait déjà son parti pris à l'avance. Ils +luttèrent pourtant avec une obstination qui les honore, et obtinrent +que les négociations continueraient.</p> + +<p>Ce fut alors qu'on apprit à la fois la bataille de Vérone et +l'assassinat de Laugier. Effrayés par la responsabilité qui les +écrasait, Dona et Giustiniani sollicitèrent une nouvelle entrevue +par une lettre humble et suppliante où ils se mettaient à la merci +de ce vainqueur sans combat: «Si des circonstances<a id="footnotetag212" name="footnotetag212"></a><a href="#footnote212" title="Go to footnote 212"><span class="smaller">[212]</span></a> impossibles +à prévoir ont amené des événements pour lesquels la République +Française se croie en droit d'exiger des réparations; si, au terme +des plus glorieux succès militaires, elle jugeait que le gouvernement +vénitien eût quelque chose à faire pour compléter le nouveau système +d'équilibre politique, que la France jugera à propos de donner à +l'Europe, nous supplions Votre Excellence de s'expliquer. La France, +au point de grandeur où elle est parvenue, objet de l'admiration +universelle, trouvera certainement plus de gloire dans les efforts +volontaires que la République vénitienne s'empressera de faire +que dans une conduite hostile contre un gouvernement <span class="pagenum"><a id="page143" name="page143"></a>(p. 143)</span> qui +se reconnaît sans défense.» La réponse de Bonaparte fut dure, +impitoyable. Elle sonnait le glas de la République<a id="footnotetag213" name="footnotetag213"></a><a href="#footnote213" title="Go to footnote 213"><span class="smaller">[213]</span></a>. La voici: +«Je n'ai lu qu'avec indignation la lettre que vous m'avez écrite +relativement à l'assassinat de Laugier. Vous avez aggravé l'atrocité +de cet événement, sans exemple dans les annales des nations modernes, +par le tissu de mensonges que votre gouvernement a fabriqués pour +chercher à se justifier. Je ne puis pas, Messieurs, vous recevoir. +Vous et votre Sénat êtes dégouttants du sang français. Quand vous +aurez fait remettre en mes mains l'amiral qui a donné l'ordre de +faire feu, le commandant de la tour et les inquisiteurs qui dirigent +la police de Venise, j'écouterai vos justifications. Vous voudrez +bien évacuer dans le plus court délai le continent de l'Italie. +Cependant, si le nouveau courrier que vous venez de recevoir était +relatif à l'événement de Laugier, vous pourriez vous présenter +chez nous.» Désespérés, Dona et Giustiniani voulurent tenter cette +dernière chance de réconciliation. Ils se rendirent auprès du général +à Palmanova, et le supplièrent de ne pas traiter la République +Vénitienne, cette amie séculaire de la France, plus durement que «les +ennemis<a id="footnotetag214" name="footnotetag214"></a><a href="#footnote214" title="Go to footnote 214"><span class="smaller">[214]</span></a> auxquels il accordait la paix, les peuples conquis à qui +il donnait la liberté, les neutres dont il acceptait l'alliance». +Le général se contenta de leur répéter froidement les termes de sa +lettre, et comme les infortunés, poussés au désespoir, recoururent +au pire des moyens, et essayèrent de le corrompre: «Non, non, leur +répondit-il avec violence, quand vous couvririez cette plage d'or, +tous vos trésors, tout l'or du Pérou ne peuvent payer le sang +français.» Venise était décidément condamnée. Il ne restait plus qu'à +exécuter la condamnation.</p> + +<h3><span class="pagenum"><a id="page144" name="page144"></a>(p. 144)</span> IV</h3> + +<p>Bonaparte, à la première nouvelle de ces attentats qui venaient +si à propos donner à son crime de lèse-nation une apparence de +légalité, avait écrit à Lallement pour lui intimer l'ordre de quitter +Venise. Sa lettre était même conçue en termes tellement vifs qu'elle +semblait rendre impossible tout arrangement ultérieur. Et, en effet, +sa résolution était bien prise de réduire Venise à la dernière +extrémité, pour la livrer plus facilement à l'Autriche et obtenir +ainsi, aux dépens de cette ville infortunée, la paix dont il avait +besoin. «Le sang français a coulé dans Venise, écrivait-il<a id="footnotetag215" name="footnotetag215"></a><a href="#footnote215" title="Go to footnote 215"><span class="smaller">[215]</span></a>, +et vous y êtes encore! Attendez-vous donc qu'on vous en chasse? +Les Français ne peuvent plus se promener dans les rues, ils sont +accablés d'injures et de mauvais traitements, et vous restez simple +spectateur! Depuis que l'armée est en Allemagne, on a, en terre +ferme, assassiné plus de quatre cents Français, on a assiégé la +forteresse de Vérone qui n'a été dégagée qu'après un combat sanglant, +et, malgré tout cela, vous restez à Venise!... Faites une note +concise et digne de la grandeur de la nation que vous représentez et +des outrages qu'elle a reçus; après quoi partez de Venise et venez +me joindre à Mantoue.» Il écrivait en même temps à Augereau<a id="footnotetag216" name="footnotetag216"></a><a href="#footnote216" title="Go to footnote 216"><span class="smaller">[216]</span></a> de +prendre le commandement en chef à Vérone, et de punir sévèrement les +principaux instigateurs de la révolte. La division Victor prenait +position sur l'Adige, Masséna occupait Padoue, Bernadotte Udine, +Serrurier Sacile, Joubert Vicence et Bassano. Tous les navires +français qui croisaient dans l'Adriatique recevaient l'ordre de +se rapprocher de Venise. L'armée française en un mot s'ébranlait +tout entière contre Venise, et, dès le premier jour, la résistance +nationale se trouvait paralysée.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page145" name="page145"></a>(p. 145)</span> Dès le 2 mai, Bonaparte avait lancé contre Venise un +manifeste<a id="footnotetag217" name="footnotetag217"></a><a href="#footnote217" title="Go to footnote 217"><span class="smaller">[217]</span></a> qui équivalait à une déclaration de guerre. Dix-sept +griefs y étaient énumérés, les uns sans gravité, les autres, +malheureusement pour Venise, très sérieux. Il informait en même +temps le Directoire<a id="footnotetag218" name="footnotetag218"></a><a href="#footnote218" title="Go to footnote 218"><span class="smaller">[218]</span></a> de la résolution qu'il venait de prendre +et terminait par ces mots significatifs: «Tant d'outrages, tant +d'assassinats ne resteront pas impunis; mais c'est à vous surtout +et au corps législatif qu'il appartient de venger le nom français +d'une manière éclatante. Après une trahison aussi horrible, <i>je ne +vois plus d'autre parti que celui d'effacer le nom vénitien de dessus +la surface du globe</i>. Il faut le sang de tous les nobles vénitiens +pour apaiser les mânes des Français qu'ils ont fait égorger... +Dès l'instant où je serai arrivé à Trévise, j'empêcherai qu'aucun +Vénitien ne vienne en terre ferme, et je ferai travailler à des +radeaux, afin de pouvoir forcer les lagunes et chasser de Venise même +ces nobles, nos ennemis irréconciliables et les plus vils de tous les +hommes... L'évêque de Vérone a prêché, la semaine sainte et le jour +de Pâques, que c'était une chose méritoire et agréable à Dieu que de +tuer les Français. Si je l'attrape, je le punirai exemplairement.»</p> + +<p>Ce furent les ouailles de l'évêque de Vérone qui ressentirent les +premiers effets de la colère de Bonaparte<a id="footnotetag219" name="footnotetag219"></a><a href="#footnote219" title="Go to footnote 219"><span class="smaller">[219]</span></a>. Augereau avait été +chargé de les punir. La punition fut terrible. Les Véronais durent +payer une contribution de 12.000 sequins pour la dépense de l'armée, +et une contribution de 50.000 sequins à distribuer entre les soldats +et officiers qui avaient pris part au siège et à la délivrance de +la ville. Le séquestre était mis sur les objets déposés au mont de +piété, sauf ceux d'une valeur moindre de 50 francs qu'on restituerait +au peuple. Confiscation de tous les chevaux de voiture et de selle. +Réquisition de cuir pour 40.000 paires de souliers et 2.000 paires +de bottes; de draps pour 12.000 culottes, 12.000 vestes, <span class="pagenum"><a id="page146" name="page146"></a>(p. 146)</span> +4.000 habits; de toiles pour 12.000 chemises et 12.000 guêtres; +12.000 chapeaux et 12.000 paires de bas. Confiscation de l'argenterie +des églises et des autres établissements publics. Arrestation de +cinquante Véronais compromis. Ils seront envoyés garrottés à Toulon +et de là transférés à la Guyane. S'il se trouve des nobles parmi +eux, on les fusillera. Les biens des condamnés seront confisqués. +Désarmement de tous les Véronais. Confiscation des «tableaux, +collections de plantes, de coquillages, etc., appartenant soit à +la ville, soit aux particuliers». Ces ordres impitoyables furent +exécutés. Ils furent même dépassés. Un commissaire des guerres, +Bouquet, et un colonel, Landrieux, se signalèrent si bien par leurs +exactions qu'Augereau se vit obligé de flétrir leur conduite et +de provoquer une enquête. Certes les Véronais payaient bien cher +la faute qu'ils avaient commise de recourir à l'assassinat pour +recouvrer leur indépendance.</p> + +<p>Restait Venise, et Venise, derrière ses lagunes, faisait encore +figure honorable. Venise est en effet dans une position militaire +incomparable. Bâtie sur soixante et dix îles, reliées entre elles +par quarante-cinq ponts, protégée du côté du continent par un +impraticable marais défendu par le fort Malghera, du côté de la mer +par d'étroits bourrelets de sable défendus par les forts San Pietro, +Alberoni, Malamocco, et Lido, elle présentait des obstacles presque +invincibles, même au général qui venait d'humilier l'Autriche. Bien +que Bonaparte affectât le dédain<a id="footnotetag220" name="footnotetag220"></a><a href="#footnote220" title="Go to footnote 220"><span class="smaller">[220]</span></a> le plus profond et feignît +même de ne pas croire à la possibilité de la résistance, au fond +du cœur il n'était pas tellement rassuré. Venise avait déjà vu +plusieurs fois l'ennemi à ses portes, et avait victorieusement +repoussé toutes les attaques. Ne pouvait-elle pas encore, dans +l'excès de son désespoir, essayer la résistance? Quelques vaisseaux +de ligne, 38 frégates ou galères, 168 chaloupes <span class="pagenum"><a id="page147" name="page147"></a>(p. 147)</span> canonnières, +750 canons, 8.500 matelots et canonniers, 3.500 Italiens et 11.000 +Esclavons comme garnison, des vivres pour huit mois, des munitions +considérables, certes la résistance pouvait se prolonger, car nous +n'étions pas maîtres de la mer, et nous ne pouvions marcher dans +les lagunes que la sonde à la main, exposés au feu d'innombrables +batteries. L'Autriche enfin n'avait pas dit son dernier mot. Si +elle rejetait les préliminaires et nous attaquait avant que Venise +eût capitulé, nous étions pris entre deux feux. Les Vénitiens, par +malheur pour eux, n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Ils avaient +perdu tout ressort, toute énergie. En face de l'ennemi, ils auraient +dû n'avoir qu'une pensée, lui tenir tête; mais ils étaient divisés. +La noblesse et le peuple faisaient, il est vrai, cause commune, mais +la noblesse, pour ne pas avoir à compter plus tard avec le peuple, +n'osait le pousser à de viriles résolutions. La bourgeoisie se +réjouissait de l'approche des Français, mais ne laissait pas éclater +sa joie, par crainte d'un massacre. Les Esclavons enfin, mercenaires +à moitié barbares, n'attendaient qu'une occasion pour se livrer au +pillage. Aussi n'envisageait-on qu'avec terreur l'éventualité d'un +siège. Une pensée égoïste se mêlait encore à ces préoccupations. Les +uns craignaient le ravage de leurs propriétés de terre ferme, les +autres la suppression des emplois ou des pensions dont ils vivaient, +tous les horreurs du sac et du pillage. La démoralisation la plus +complète régnait dans les esprits. On ne songea bientôt plus qu'à +désarmer à tout prix un vainqueur justement irrité.</p> + +<p>Le 30 avril, lorsqu'on reçut le rapport de Dona et de Giustiniani, +annonçant pour la première fois la résolution prise par Bonaparte +de modifier la forme du gouvernement, le doge convoqua dans ses +appartements privés quarante-trois des plus hauts fonctionnaires +de la République et demanda leur avis. Daniel Delfino, ancien +ambassadeur à Paris, prit le premier le parole, et proposa de +s'adresser au banquier Haller qui consentirait sans doute à servir +d'intermédiaire, et apaiserait la colère du général; mais le +procurateur Capello se <span class="pagenum"><a id="page148" name="page148"></a>(p. 148)</span> moqua de cet expédient qu'il trouvait +puéril, et la proposition fut abandonnée. Le procurateur Pesaro +demanda alors qu'on se défendît. À ce moment même fut apportée une +dépêche du commandant de la flottille demandant l'autorisation de +détruire les ouvrages que commençaient les Français. Pesaro, Priuli, +Erizzo appuyèrent sa demande, mais Capello fit remarquer qu'on ne +connaissait pas encore les préliminaires de Leoben et qu'il était +peut-être dangereux de renoncer brusquement au système de neutralité. +L'assemblée se sépara, après avoir pris la résolution de convoquer le +Grand Conseil. «C'en est fait de ma patrie, s'écria Pesaro les larmes +aux yeux; je ne puis la secourir, mais un galant homme trouve une +patrie partout: Il faut aller en Suisse.»</p> + +<p>Le Grand Conseil se rassembla le 1<sup>er</sup> mai. Six cent dix-neuf +patriciens prirent part à cette délibération suprême<a id="footnotetag221" name="footnotetag221"></a><a href="#footnote221" title="Go to footnote 221"><span class="smaller">[221]</span></a>. Le +doge leur fit, d'une voix entrecoupée par les sanglots, l'exposé +de la situation, et leur demanda de donner pleins pouvoirs à +deux députés pour adopter, de concert avec le général Bonaparte, +quelques modifications dans la forme du gouvernement. Cinq cent +quatre-vingt-dix-huit patriciens acceptèrent cette proposition. +C'était son abdication, c'était la chute de la République que venait +ainsi de décider cette assemblée, composée en partie de vieillards +énervés par la consternation générale.</p> + +<p>Bonaparte ne tenait nullement à commencer contre Venise des +hostilités réelles, car il appréciait la difficulté d'emporter les +lagunes et redoutait toujours une intervention de l'Autriche; mais +il reçut très mal les deux commissaires qui le rejoignirent à +Malghera<a id="footnotetag222" name="footnotetag222"></a><a href="#footnote222" title="Go to footnote 222"><span class="smaller">[222]</span></a>, et leur déclara qu'il ne traiterait <span class="pagenum"><a id="page149" name="page149"></a>(p. 149)</span> qu'après +qu'on lui aurait livré les trois inquisiteurs d'État et le commandant +du Lido. Il se laissa pourtant arracher une suspension d'armes de six +jours. Il espérait en effet que la terreur des Vénitiens grandirait +et qu'ils subiraient toutes ses exigences<a id="footnotetag223" name="footnotetag223"></a><a href="#footnote223" title="Go to footnote 223"><span class="smaller">[223]</span></a>. En effet il n'y avait +plus moyen de résister aux injonctions de Bonaparte, car le péril +devenait grave. La bourgeoisie conspirait au grand jour, le peuple +s'agitait, et les Esclavons menaçaient de tout piller. Le bruit se +répandait même que tous les patriciens allaient être massacrés, s'ils +ne se décidaient à changer la forme du gouvernement.</p> + +<p>Le 4 mai, le Grand Conseil s'assembla de nouveau. À la majorité +de sept cent quatre voix contre douze, la proposition du doge fut +acceptée. Elle portait que les commissaires étaient autorisés à +stipuler des changements dans la constitution de l'État. En outre, +une procédure était commencée contre les inquisiteurs d'État et le +commandant du Lido. Donat et Giustiniani partirent aussitôt pour +informer Bonaparte de cette nouvelle concession.</p> + +<p>Avant qu'ils l'eussent rejoint à Milan, Venise était bouleversée par +une révolution intérieure<a id="footnotetag224" name="footnotetag224"></a><a href="#footnote224" title="Go to footnote 224"><span class="smaller">[224]</span></a>. L'arrestation des inquisiteurs d'État +avait désorganisé la police vénitienne, la bourgeoisie devenait +menaçante, les Esclavons faisaient craindre les plus horribles +excès, et le peuple, excité sous main par les <span class="pagenum"><a id="page150" name="page150"></a>(p. 150)</span> patriciens, +n'attendait qu'un signal pour se jeter contre les bourgeois. Aussi +la terreur était-elle à son comble. Le secrétaire de la légation +française à Venise, un ardent patriote nommé Villetard<a id="footnotetag225" name="footnotetag225"></a><a href="#footnote225" title="Go to footnote 225"><span class="smaller">[225]</span></a>, crut +l'occasion favorable pour signaler son zèle. Il s'empara de la +direction des affaires et persuada les partis en présence que le +seul moyen de prévenir la Guerre civile était d'aller au-devant +des vœux de Bonaparte, en opérant une révolution pacifique. Il +rédigea même ou fit rédiger une sorte d'ultimatum<a id="footnotetag226" name="footnotetag226"></a><a href="#footnote226" title="Go to footnote 226"><span class="smaller">[226]</span></a> qui devait +être présenté au grand Conseil. Cet ultimatum était divisé en deux +parties, la première relative «aux mesures à prendre sur-le-champ» +et la seconde «aux mesures à préparer aujourd'hui pour les exécuter +demain». Il fallait en premier lieu arrêter Antraigues, le chargé +d'affaires de Louis XVIII, et saisir ses papiers, élargir tous les +détenus pour cause politique, ouvrir les prisons et spécialement +les plombs, abolir la peine de mort, licencier les Esclavons et +constituer une garde nationale. On réclamait ensuite la nomination +d'une municipalité provisoire de vingt-quatre membres, un +gouvernement démocratique, la destruction des insignes de l'ancien +régime, une amnistie, et l'introduction des Français à Venise. Le +doge et ses conseillers venaient de lire ce document étrange, et +étaient encore sous le coup de l'étonnement, quand ils reçurent +un rapport de Nicolas Morosini, chargé de veiller à la sécurité +publique dans Venise, qui déclinait toute responsabilité et annonçait +l'imminence de la guerre civile. Le doge et les vieillards qui +l'entouraient perdirent la tête, et convoquèrent pour la troisième +fois le Grand Conseil, afin de prendre une détermination suprême. +Cinq cent trente-sept personnes assistèrent à l'assemblée. Le doge +parla avec éloquence de la situation. Au moment où la délibération +s'engageait, des coups de fusil se <span class="pagenum"><a id="page151" name="page151"></a>(p. 151)</span> firent entendre. +C'étaient, dirent les uns, des gens affidés qui voulaient jeter +l'épouvante dans le Grand Conseil; c'étaient, prétendaient les +autres, les Esclavons qu'on licenciait<a id="footnotetag227" name="footnotetag227"></a><a href="#footnote227" title="Go to footnote 227"><span class="smaller">[227]</span></a>, et qui déchargeaient +leurs armes avant de les remettre. Les patriciens s'imaginèrent +qu'ils allaient être tous massacrés, et, en toute hâte, à la majorité +de cinq cent douze suffrages contre douze et cinq voix nulles, +prononcèrent la déchéance de l'aristocratie: «Aujourd'hui, pour +le salut de la religion et de tous les citoyens, dans l'espérance +que leurs intérêts seront garantis, et avec eux ceux de la classe +patricienne et de tous les individus qui participaient aux privilèges +concédés par la République; enfin pour la sûreté du trésor et de la +banque: le Grand Conseil, d'après le rapport de ses députés, adopte +le système qui lui a été proposé, d'un gouvernement représentatif +provisoire, en tant qu'il se trouve d'accord avec les vues du général +en chef, et, comme il importe qu'il n'y ait point d'interruption +dans les soins qu'exige la sûreté publique, les diverses autorités +demeurent chargées d'y veiller.» Le gouvernement se suicidait: mieux +aurait valu succomber sous les coups de l'ennemi!</p> + +<p>À la nouvelle de cette résolution extraordinaire, une réaction se +produisit parmi le peuple en faveur de l'ancien gouvernement. On +sentait d'instinct que, malgré tous ses défauts, ce gouvernement +représentait la patrie et l'indépendance vis-à-vis de l'étranger. La +guerre civile éclata. On pilla les maisons de quelques-uns de ceux +qui passaient pour avoir pris la plus grande part à cette révolution. +Le pillage s'étendit jusqu'aux magasins. Quelques bourgeois furent +même égorgés. <span class="pagenum"><a id="page152" name="page152"></a>(p. 152)</span> Villetard se crut menacé et chercha un refuge +chez le ministre d'Espagne. Mais l'ordre se rétablit bientôt. Une +municipalité provisoire de soixante membres fut créée, et son premier +acte fut de prescrire l'envoi de la flotte vénitienne pour aller +au-devant des Français et les introduire à Venise. Une division de +4.000 hommes, commandés par Baraguey d'Hilliers, prit possession de +la ville au milieu d'un morne silence. C'était le 16 mai 1797, le +dernier jour de l'indépendance vénitienne.</p> + +<p>Le même jour, Bonaparte signait à Milan<a id="footnotetag228" name="footnotetag228"></a><a href="#footnote228" title="Go to footnote 228"><span class="smaller">[228]</span></a> avec les représentants +vénitiens, Donat, Giustiniani et Mocenigo, un traité de paix et +d'alliance avec la nouvelle République. Il y était stipulé que +«le Grand Conseil de Venise, ayant à cœur le bien de sa patrie +et le bonheur de ses concitoyens, et voulant que les haines qui +ont eu lieu contre les Français ne puissent plus se renouveler, +renonce à ses droits de souveraineté, ordonne l'abdication de +l'aristocratie héréditaire et reconnaît la souveraineté de l'État +dans la réunion de tous les citoyens, sous la condition cependant que +le gouvernement garantisse la dette publique nationale, l'entretien +des pauvres gentilshommes qui ne possèdent aucun bien fonds, et +les pensions viagères accordées sous le titre de provisions». Cinq +articles secrets, annexés au traité de Milan, portaient que les deux +Républiques, française et vénitienne, s'entendraient pour l'échange +de divers territoires, que Venise paierait une contribution de trois +millions en numéraire, trois millions en chanvres, cordages et agrès, +fournirait trois vaisseaux de ligne et deux frégates et céderait +vingt tableaux et cinq cents manuscrits.</p> + +<p>Le même jour, 16 mai, le Directoire renvoyait de Paris l'ambassadeur +Querini, et déclarait la guerre à Venise, en sorte qu'à la même +heure un gouvernement s'effondrait, un traité de paix et d'alliance +était signé avec ce même gouvernement, et la guerre lui était +officiellement déclarée, tant il y <span class="pagenum"><a id="page153" name="page153"></a>(p. 153)</span> avait d'incohérence +dans la direction des affaires, tant les chefs des deux Républiques +agissaient sans plan convenu et au hasard des événements, tant +Bonaparte était l'unique maître de la situation et se servait de sa +toute-puissance pour décider, au gré de ses caprices, ou plutôt au +mieux de ses intérêts, des destinées d'une République quatorze fois +séculaire!</p> + +<p>Ainsi tomba sans efforts le gouvernement aristocratique, mais rien +ne semblait menacer l'autonomie de Venise. Elle avait changé de +constitution sous la pression des baïonnettes françaises, mais +enfin elle existait encore. Elle espérait même reprendre sous notre +protection une vie nouvelle, d'autant plus qu'on lui avait fait +espérer l'annexion de Bologne, de Ferrare et de la Romagne. Puisque +le traité de Milan laissait subsister le nom et le souvenir de cette +noble République, le peuple vénitien ne pouvait-il pas se retremper +dans des institutions nouvelles, et rester uni à l'Italie? Telles +furent les espérances dont se berçaient les patriotes vénitiens. +Leurs illusions furent de courte durée, Bonaparte avait déjà dans son +esprit résolu la ruine et le partage de l'État qu'il venait de fonder.</p> + +<h3>V</h3> + +<p>La République démocratique de Venise avait été constituée par le +traité de Milan le 16 mai 1797. Le 26 du même mois, Bonaparte +écrivait à la municipalité qui venait d'être nommée à Venise<a id="footnotetag229" name="footnotetag229"></a><a href="#footnote229" title="Go to footnote 229"><span class="smaller">[229]</span></a>: +«Dans toutes les circonstances, je ferai tout ce qui sera en mon +pouvoir pour vous donner des preuves du désir que j'ai de voir se +consolider votre liberté, et de voir la misérable Italie se placer +enfin avec gloire, libre et indépendante des étrangers, sur la +scène du monde, et reprendre, parmi les grandes nations, le rang +auquel l'appellent sa <span class="pagenum"><a id="page154" name="page154"></a>(p. 154)</span> nature, sa position et le destin.» +Le lendemain 27<a id="footnotetag230" name="footnotetag230"></a><a href="#footnote230" title="Go to footnote 230"><span class="smaller">[230]</span></a>, à une heure du matin, ces chiffres ont +leur éloquence, il annonçait au Directoire qu'il avait proposé à +l'Autriche de lui donner Venise à titre d'indemnité, et il ajoutait +cet incroyable commentaire: «Approuvez-vous notre système pour +l'Italie? Venise qui va en décadence depuis la découverte du cap +de Bonne-Espérance et la naissance de Trieste et d'Ancône, peut +difficilement survivre aux coups que nous venons de lui porter. +Population inerte, lâche et nullement faite pour la liberté; sans +terres, sans eaux; il paraît naturel qu'elle soit donnée à ceux à +qui nous donnons le continent. Nous prendrons tous les vaisseaux, +nous dépouillerons l'arsenal, nous enlèverons tous les canons, nous +détruirons la banque, nous garderons Corfou pour nous... On dira +que l'Empereur va devenir puissance maritime? Il lui faudra bien +des années, il dépensera beaucoup d'argent et ne sera jamais que +de troisième ordre; il aura effectivement diminué sa puissance.» +Ainsi donc, au moment même où Bonaparte adressait aux Vénitiens des +paroles si flatteuses, il trafiquait d'eux! Sans qu'ils lui eussent +donné le moindre sujet de plainte, il les vendait à des étrangers! +Sans qu'il eut cédé à la moindre pression du côté des Autrichiens, +il leur livrait de lui-même la République créée par lui, garantie +par un traité signé de lui, et à laquelle il envoyait constamment +des assurances de sa protection! Rien ne justifiait cette déloyauté +ou plutôt cette trahison. La Pologne venait d'être partagée, mais au +moins la France n'avait pas trempé dans cette infamie. Nous allions +donner une seconde édition du partage de la Pologne, et aux dépens +d'un État dont le seul tort était d'avoir cru aux promesses de la +France! Hélas! nous ne les connaissons que trop les déplorables +conséquences de ces honteux maquignonnages de <span class="pagenum"><a id="page155" name="page155"></a>(p. 155)</span> peuples. La +force dorénavant primera le droit, et, si la malheureuse Alsace, +si l'infortunée Lorraine se débattent en ce moment sous la main +de leurs oppresseurs, n'est-ce pas une punition rétrospective, et +n'expions-nous pas en ce moment le fatal aveuglement de nos pères!</p> + +<p>Il est vrai que le Directoire n'accepta pas du jour au lendemain +ce honteux marché. Il n'était jamais entré dans ses desseins de +rayer Venise du nombre des nations libres, surtout au profit de +l'Autriche. Exploiter la terreur et la faiblesse des patriciens, +vivre à leurs dépens, rançonner Venise en un mot, rien de mieux; +mais détruire Venise, il n'y avait même pas songé. En janvier 1797, +lorsqu'il avait envoyé Clarke à Vienne présenter un projet de traité +préparé par Bonaparte et approuvé par eux, le nom de Venise n'y était +même pas prononcé. Il y était sans doute question de compensations +territoriales, mais à prendre en Allemagne et nullement en Italie. +Les préliminaires de Leoben avaient brusquement modifié la situation, +puisqu'ils n'avaient été signés qu'à la condition expresse de donner +à l'Autriche, aux dépens de Venise, les compensations qu'elle +réclamait; mais enfin l'indépendance de Venise était maintenue, et +le Directoire ne songeait pas à l'anéantir; voici que brusquement +Bonaparte lui proposait d'en finir avec ce gouvernement vermoulu et +cette république usée! Voici qu'il présentait la chute et le partage +de Venise comme une nécessité qui s'imposait, et sans doute qu'il +agissait déjà, suivant sa méthode habituelle, comme si Venise était +condamnée<a id="footnotetag231" name="footnotetag231"></a><a href="#footnote231" title="Go to footnote 231"><span class="smaller">[231]</span></a>!</p> + +<p>Le Directoire se trouvait fort embarrassé. La désinvolture et le +sans-gêne de son plénipotentiaire n'étaient pas sans lui porter +ombrage. D'ailleurs un des Directeurs était personnellement intéressé +au maintien de la République Vénitienne. L'ambassadeur de Venise +à Paris, Alvise Querini<a id="footnotetag232" name="footnotetag232"></a><a href="#footnote232" title="Go to footnote 232"><span class="smaller">[232]</span></a>, n'avait <span class="pagenum"><a id="page156" name="page156"></a>(p. 156)</span> pas oublié que +la corruption avait été érigée par son gouvernement en système +politique. Il résolut d'acheter celui des Directeurs dont la +conscience passait pour être la plus accommodante. Toujours prudent, +il ne le désigne jamais, dans ses dépêches, que par son titre, mais +l'hésitation n'est pas permise. C'est de Barras qu'il s'agit. Barras +était loin d'être incorruptible, et les personnes qui servirent +d'intermédiaires à la négociation étaient ses amis particuliers, +entre autres son secrétaire Bottot. Querini s'adressa donc à Barras +et le supplia de sauver Venise. Barras ne prit aucun engagement, mais +laissa sans doute entrevoir que, si Venise y mettait le prix, il lui +vendrait ses services, car Querini s'empressa de rédiger une dépêche +pour avertir les patriciens<a id="footnotetag233" name="footnotetag233"></a><a href="#footnote233" title="Go to footnote 233"><span class="smaller">[233]</span></a>. Il alla même jusqu'à parler de six +à sept millions qui seraient le prix du marché. Avant que la réponse +à cette ouverture fût arrivée à Paris, un confident de Barras, sans +doute son secrétaire Bottot, venait trouver l'ambassadeur et lui +mettait le marché en main. Il lui apprit que deux des cinq directeurs +étaient hostiles et deux favorables à Venise, que tout dépendait par +conséquent du cinquième et que ce cinquième offrait de se prononcer +pour Venise<a id="footnotetag234" name="footnotetag234"></a><a href="#footnote234" title="Go to footnote 234"><span class="smaller">[234]</span></a>, à condition de recevoir pour lui directement +600.000 livres tournois et pour ses amis encore 100,000 livres. +Querini accepta, mais à condition que Brescia, Bergame et les autres +cités rebelles seraient réduites à l'obéissance et les patriciens +réintégrés dans tous leurs droits. Bottot revint le jour même et +annonça que l'affaire était conclue. <i>Tutto era accordato</i>.</p> + +<p>À Venise, le marché fut ratifié. On fit même une traite de 700.000 +francs sur la banque génoise de Pallavicini<a id="footnotetag235" name="footnotetag235"></a><a href="#footnote235" title="Go to footnote 235"><span class="smaller">[235]</span></a>, mais à <span class="pagenum"><a id="page157" name="page157"></a>(p. 157)</span> +condition que «toutes les villes de terre ferme, actuellement +révolutionnées et occupées par les troupes françaises, ressentiront +l'effet des promesses que vous avez reçues de la part de ceux qui les +ont consenties». Tout à coup arrive la nouvelle des préliminaires +de Leoben, de la déclaration de guerre et bientôt de la chute du +gouvernement aristocratique. Querini tombait avec ce gouvernement. +Le 22 mai, il recevait l'ordre de quitter Paris; au moins avait-il +la satisfaction d'apprendre que les lettres de change qu'il avait +souscrites étaient annulées. Pour achever l'histoire de cette +honteuse transaction, rappelons ici que Barras eut l'audace de +présenter au banquier Pallavicini les traites échues en juillet. +Elles furent naturellement protestées par Querini. Barras en conçut +un tel ressentiment qu'il fit arrêter et jeter en prison, à Milan, +l'ancien ambassadeur. Le 11 février 1799, après une longue détention +préventive, Querini était interrogé par le colonel Pascalis et lui +avouait qu'il avait confié tous ses papiers au ministre du duc de +Toscane. On fut obligé de le relâcher. La concussion n'en est pas +moins nettement établie, et le rôle de Barras est doublement honteux, +puisqu'il vendait son vote et poursuivait comme un criminel d'État le +fonctionnaire vénitien, qui n'avait commis d'autre crime que de ne +pouvoir achever la transaction qu'il avait proposée.</p> + +<p>Aussi bien ce n'était pas seulement au sein du Directoire que Venise +trouvait des amis et des protecteurs. L'opinion publique commençait +à s'émouvoir. Quelques journalistes avaient déjà protesté contre le +partage projeté. Quelques militaires avaient fait remarquer le danger +auquel on s'exposait en donnant à l'Autriche, au lieu du Milanais, +province isolée, et qu'il était facile d'attaquer, un territoire +continu et de meilleures frontières. Un membre du conseil des Cinq +Cents, Dumolard, se fit l'interprète de ces répulsions et de ces +craintes. Il monta à la tribune pour demander des explications (23 +juin 1797).</p> + +<p>«L'honneur et le devoir du Corps Législatif, dit-il, l'intérêt +<span class="pagenum"><a id="page158" name="page158"></a>(p. 158)</span> même de nos armées ordonnent de rompre un trop long silence +sur des événements qui frappent toute l'Europe, et qui ne sont +ignorés que dans cette enceinte. Je viens parler de l'Italie. Le +manifeste du général Bonaparte contre l'état de Venise a retenti +dans toute l'Europe: il vous a été transmis officiellement par +le Directoire le 27 floréal dernier. Vous frémîtes alors d'une +juste indignation contre les attentats dont nos soldats furent +les victimes. Quelques écrivains ont pu élever des doutes sur la +vérité des faits allégués dans ce manifeste. Le Corps Législatif +a dû croire à un manifeste garanti par la puissance exécutive. +Le moment n'est pas arrivé de discuter si on devait déclarer la +guerre. Vous ne pouviez la faire sans l'initiative du Directoire +qui, lui-même, ne pouvait prendre des mesures hostiles sans vous en +instruire sur-le-champ. La renommée a publié dans toute l'Europe la +révolution de Venise; nos troupes y sont entrées, sa marine est en +notre pouvoir, le plus ancien gouvernement de l'Europe n'est plus, il +reparaît sous des formes démocratiques... C'est à vous à examiner si +le Directoire n'a pas violé la constitution; si, en termes déguisés, +il n'a pas fait de son chef la guerre, la paix, et peut-être des +traités dont il ne vous a donné aucune connaissance... Nous ne sommes +plus à ces temps désastreux où Clootz et sa secte des illuminés +voulaient planter l'arbre de la liberté républicaine dans tout le +globe. Nous voulons jouir de notre liberté en respectant les autres +gouvernements.» L'orateur concluait en demandant des éclaircissements +au Directoire. Aussitôt s'engagea une vive discussion. Bailleul +qualifia le discours de son collègue de tissu d'absurdités, et +demanda l'ordre du jour. Guillemardet s'étonna de ce qu'on se +plaignit au conseil des Cinq Cents d'une révolution démocratique et +des justes représailles infligées à des ennemis. Mais Garaud-Coulon, +Doulcet et Boisy demandèrent et obtinrent l'impression du discours +de Dumolard, et Thibaudeau proposa de nommer une commission chargée +d'étudier les événements de Venise. Cette proposition fut adoptée +à une forte majorité: ce qui indiquait non pas <span class="pagenum"><a id="page159" name="page159"></a>(p. 159)</span> précisément +un parti pris, mais une défiance prononcée à l'égard des projets de +Bonaparte.</p> + +<p>La séance du 5 messidor eut un grand retentissement à Paris, et plus +encore en Italie. Tous les républicains honnêtes et consciencieux +s'associèrent au noble langage de Dumolard. Les Vénitiens se crurent +sauvés, mais ils avaient compté sans les irrésolutions du Directoire, +et surtout sans la colère de Bonaparte. Ce dernier exhala son +dépit ou plutôt sa fureur dans une lettre<a id="footnotetag236" name="footnotetag236"></a><a href="#footnote236" title="Go to footnote 236"><span class="smaller">[236]</span></a> célèbre. «Je reçois +à l'instant, citoyen Directeur, la motion d'ordre de Dumolard... +J'avais le droit, après avoir conclu cinq paix et donné le dernier +coup de massue à la coalition, sinon à des triomphes civiques, au +moins à vivre tranquille, et à la protection des premiers magistrats +de la République; aujourd'hui je me vois dénoncé, persécuté, décrié +par tous les moyens, bien que ma réputation appartienne à la patrie. +J'aurais été indifférent à tout; mais je ne puis pas l'être à cette +espèce d'opprobre dont cherchent à me couvrir les premiers magistrats +de la République... J'ai le droit de me plaindre de l'avilissement +dans lequel ils traînent ceux qui ont agrandi, après tout, la gloire +du nom français. Je vous réitère, citoyen Directeur, la demande que +je vous ai faite de m'accorder ma démission. J'ai besoin de vivre +tranquille, si les poignards de Clichy veulent me laisser vivre. +Vous m'aviez chargé des négociations, j'y suis peu propre.» Le +même jour il rédigeait une note<a id="footnotetag237" name="footnotetag237"></a><a href="#footnote237" title="Go to footnote 237"><span class="smaller">[237]</span></a> sur les événements de Venise, +dans laquelle il cherchait à démontrer que les Vénitiens avaient +exaspéré la patience française, et s'étaient donné les torts de +l'agression; puis brusquement et comme emporté par la violence de +son ressentiment, il coupait court aux explications, et terminait +par cette foudroyante apostrophe: «Mais je vous prédis, et je parle +au nom de 80.000 soldats, ce temps où de lâches avocats et de +misérables <span class="pagenum"><a id="page160" name="page160"></a>(p. 160)</span> bavards faisaient guillotiner les soldats est +passé; et, si vous y obligez, les soldats d'Italie viendront à la +barrière de Clichy avec leur général, mais malheur à vous!»</p> + +<p>À ces menaces qu'on ne prenait même plus la peine de déguiser, le +Directoire, s'il avait eu de l'énergie, aurait dû répondre par une +destitution, mais Bonaparte n'était déjà plus de ceux qui exécutent +sans discussion les ordres qu'on leur donne, et, comme il avait soin +de le faire remarquer, le temps était passé où les avocats faisaient +la loi aux généraux. Les Directeurs feignirent de ne pas avoir +compris la menace et de ne pas avoir reçu l'offre de la démission. +Les négociations continuèrent, et Bonaparte resta le maître.</p> + +<p>Pendant que se discutaient ses futures destinées, la nouvelle +République vénitienne présentait le spectacle de la désorganisation. +Sans doute les Vénitiens s'étaient empressés de se mettre à la +mode du jour. Ils avaient décrété la démolition des prisons de +l'Inquisition d'État. Ils avaient sur l'évangile ouvert que tenait +le lion de Saint-Marc, et sur lequel on lisait: <i>Pax tibi, Marc, +evagelista meus</i>, substitué les mots: Droits de l'homme et du +citoyen, ce qui fit dire plaisamment à un gondolier que le lion +avait enfin retourné la page; ils avaient adopté une cocarde +tricolore, et, sous le nom de société de l'instruction publique, +fondé une succursale du club des Jacobins. Les Procuraties vieilles +et nouvelles s'appelaient Galeries de la liberté<a id="footnotetag238" name="footnotetag238"></a><a href="#footnote238" title="Go to footnote 238"><span class="smaller">[238]</span></a>. On jouait au +théâtre: <i>Il matrimonio Democratico ossia il flagello dei feudatari</i> +d'Antonio Sografi, ou bien encore l'<i>Ex marchesa della Tomboletta a +Parigi</i>. Les citoyens avaient endossé la carmagnole, et les femmes +se promenaient demi-nues, en tuniques à l'athénienne, en chapeaux +à la Paméla, en cheveux courts à la guillotine: ce n'étaient là +que les changements extérieurs. Au fond la plus grande inquiétude +régnait dans les esprits. On redoutait les convoitises autrichiennes, +on avait peur de Bonaparte, on sentait de toutes parts crouler +l'antique <span class="pagenum"><a id="page161" name="page161"></a>(p. 161)</span> édifice, et s'imposer, pour le remplacer, la +domination étrangère.</p> + +<p>Padoue, l'antique rivale de Venise, donna le signal. Invitée par le +général Victor, qui avait son quartier général dans cette ville, +à abattre le lion de Saint-Marc, non seulement elle le fit avec +empressement, mais encore déclara rompus tous ses liens avec la +République. Elle poussa même la jalousie jusqu'à vouloir priver +Venise de l'usage des eaux douces de son territoire. La municipalité +de Chiozza<a id="footnotetag239" name="footnotetag239"></a><a href="#footnote239" title="Go to footnote 239"><span class="smaller">[239]</span></a>, un faubourg de Venise, s'adressait à Bonaparte pour +demander son annexion à la future République Cisalpine: «Le peuple +de Chiozza, écrivaient les représentants de cette petite ville, né +contemporain de celui de Venise, mais libre et indépendant de ce +dernier, fait, depuis plusieurs siècles, partie de l'état vénitien, +dont le gouvernement tyrannique le rendit sujet, après avoir répandu +le sang de quelques milliers de Chiozzates qui voulaient défendre +leur liberté. Daignez exaucer le vœu général. Ajoutez un nouveau +prix au don précieux que vous nous avez fait de la liberté, en +réunissant ce peuple à celui de la République Cisalpine.» Les +provinces de Vicence<a id="footnotetag240" name="footnotetag240"></a><a href="#footnote240" title="Go to footnote 240"><span class="smaller">[240]</span></a> et de Bassano proclamaient également leur +indépendance. À vrai dire tout s'effondrait, tout était bouleversé, +et Bonaparte continuait à garder le secret des négociations. C'était +une situation intolérable et la municipalité<a id="footnotetag241" name="footnotetag241"></a><a href="#footnote241" title="Go to footnote 241"><span class="smaller">[241]</span></a> de Venise ne +pouvait la supporter plus longtemps sans s'exposer à une nouvelle +révolution.</p> + +<p>Battaglia, l'ancien provéditeur, crut pouvoir prendre sur lui de +s'adresser directement à Bonaparte en le consultant sur ses <span class="pagenum"><a id="page162" name="page162"></a>(p. 162)</span> +intentions. Ce dernier, gêné par cette mise en demeure, et ne voulant +d'ailleurs prendre aucun engagement formel, répondit<a id="footnotetag242" name="footnotetag242"></a><a href="#footnote242" title="Go to footnote 242"><span class="smaller">[242]</span></a> par de +banales protestations et des plaintes contre l'oligarchie, mais ne +laissa rien percer de ses futurs desseins. «La loyauté de votre +caractère, la pureté de vos intentions, la véritable philosophie +que j'ai reconnue en vous tout le temps que vous avez été chargé du +pouvoir suprême sur une partie de vos compatriotes, vous ont mérité +mon estime; si elle peut vous dédommager des maux de toute espèce +que vous avez endurés pendant ces derniers temps, je m'estimerai +heureux... L'oligarchie de Venise aurait dû céder à un gouvernement +plus sage; elle aurait au moins fini sans se rendre coupable d'un +crime dont les historiens français ne peuvent trouver le semblable +sans être obligés de remonter à plusieurs siècles.» Ces compliments +emphatiques, ces creuses déclamations, rassurèrent Battaglia et les +membres de la municipalité. Ils s'imaginèrent que les préliminaires +de Leoben n'avaient été qu'un leurre pour l'Autriche, et qu'une +menace pour le gouvernement oligarchique. Ils ne pouvaient croire +d'ailleurs qu'après la solennelle reconnaissance de la nouvelle +république par la France et le traité de Milan, l'autonomie de Venise +ne serait pas respectée. Aussi s'efforcèrent-ils, tout en ménageant +leurs vainqueurs, de vivre et d'agir comme s'ils devaient continuer +à être libres et indépendants. Ils célébrèrent même des fêtes en +l'honneur du nouvel ordre de choses. À la Pentecôte ils plantèrent +en grande pompe des arbres de la liberté. On avait construit sur la +place Saint-Marc, en face de l'église, une grande loge avec estrade +pour les musiciens. L'arbre était couché au milieu de la place. Deux +enfants, un jeune homme et une jeune femme qu'on allait marier, et +deux vieillards s'approchèrent de l'arbre qui bientôt fut dressé +aux applaudissements de l'assistance et au bruit du canon. Un <i>Te +Deum</i> fut ensuite célébré à Saint-Marc, le jeune couple fut marié, +et l'abbé Collalto prononça un discours bizarre où il comparait +à <span class="pagenum"><a id="page163" name="page163"></a>(p. 163)</span> la croix l'arbre de la liberté. On dansa dans toutes +les rues, le théâtre Fenice donna une représentation gratuite, +et le général Baraguey d'Hilliers, qui avait assisté à la fête, +daigna déclarer qu'il était très satisfait de l'empressement des +Vénitiens<a id="footnotetag243" name="footnotetag243"></a><a href="#footnote243" title="Go to footnote 243"><span class="smaller">[243]</span></a>. Il est vrai que, le même jour, les excès avaient +commencé. La foule s'était portée au palais grand-ducal, avait lacéré +les bannières, monuments de tant d'insignes victoires, brûlé le siège +du doge, et le fameux livre d'or. L'anneau que les doges jetaient +dans l'Adriatique le jour de l'Ascension, quand ils montaient sur le +<i>Bucentaure</i>, fut sauvé par hasard et vendu à un orfèvre pour cent +soixante livres. Ainsi disparaissaient les derniers témoins de tout +un passé de gloire.</p> + +<p>Afin de mieux endormir les soupçons, Bonaparte engagea sa femme, +Joséphine, à se rendre à Venise<a id="footnotetag244" name="footnotetag244"></a><a href="#footnote244" title="Go to footnote 244"><span class="smaller">[244]</span></a>. On la reçut avec un déploiement +inouï d'adulations et d'honneurs, au bruit du canon, comme on +n'aurait pas reçu la princesse héritière d'un grand empire. La +municipalité se porta à sa rencontre, l'accabla de compliments et +lui donna quatre jours de fête, avec soupers de gala, régates, +illuminations et feux d'artifice. On lui offrit même un collier de +grosses perles, tiré du trésor de Saint-Marc. Ainsi que le remarque +l'historien Botta, «si l'offre fut honteuse, l'acceptation le fut +davantage»; mais Bonaparte ne connaissait déjà plus de limites à +son ambition, et trouvait naturels les hommages prodigués à sa +femme. Quant aux membres du gouvernement vénitien, ils savaient très +bien que leur sort était entre les mains de Bonaparte, et, pour se +concilier ses bonnes grâces, ils auraient consenti à de tout autres +sacrifices.</p> + +<p>Peu à peu cependant les illusions se dissipaient. Un congrès avait +été réuni à Bassano. Vérone y avait envoyé Monga, Padoue Savonarola, +Brescia Beccalozzi et Venise Giuliani. <span class="pagenum"><a id="page164" name="page164"></a>(p. 164)</span> Udine n'était pas +représentée. Le général Bernadotte n'avait pas voulu laisser aux +habitants de la province qu'il administrait la dangereuse illusion +de croire à leur future indépendance. Aussi bien c'était un +général français, Berthier, qui présidait les séances du congrès. +Les députés, au lieu de s'entendre pour une action commune, se +disputèrent sur le choix d'une capitale. Plusieurs d'entre eux +auraient voulu être annexés à la Cisalpine, mais les directeurs de la +nouvelle République italienne leur adressèrent une réponse hautaine +et tortueuse qui les découragea. Berthier mit un terme à leurs +hésitations et à leurs rivalités en prononçant la dissolution du +congrès, sous prétexte que les députés n'avaient pu s'entendre sur le +projet d'union.</p> + +<p>Cette brutale immixtion d'un général français dans les affaires +intérieures de la République fut pour beaucoup de patriotes un +sérieux avertissement. Les bruits les plus sinistres continuaient +à circuler. Non seulement les Français ne faisaient rien pour les +dissiper, mais, par leur attitude, ils laissaient croire à une +connivence secrète avec les Autrichiens. En effet, ces derniers +occupaient en silence, mais sans perdre un jour, les provinces +orientales de la République, en Istrie et en Dalmatie, et partout +l'armée française évacuait les territoires et les laissait s'étendre +à leur aise. Sur la terre ferme, même dans les grandes villes, +même à Venise, les Français agissaient comme en pays ennemi. +Réquisitions, impôts extraordinaires, pillages éhontés non seulement +des établissements publics, mais même des hôtels et des collections +privées, un impitoyable vainqueur n'épargnait aucune humiliation. +À Vérone la galerie des Bevilacqua était violemment dépouillée. +Soixante et dix-neuf médailles disparaissaient des musées Muselli +et Verita. À Venise la bibliothèque perdait près de deux cents +manuscrits, entre autres deux manuscrits arabes sur papier de soie, +donnés à la République par le cardinal Bessarion. Les bibliothèques +de Trévise et de Saint-Daniel-en-Frioul étaient indignement pillées. +On ne se contentait pas des manuscrits, on prenait également les +Incunables ou les précieuses <span class="pagenum"><a id="page165" name="page165"></a>(p. 165)</span> éditions des Alde. Tableaux +arrachés aux églises, statues enlevées sur les places, meubles ou +armes précieuses, tout devenait une proie. La rapine s'étendait même +aux dépôts confiés à l'honneur vénitien, et le duc de Modène perdait +son trésor, environ deux cent mille sequins, qui furent soi-disant +attribués aux besoins de l'armée.</p> + +<p>Un Vénitien se rencontra qui eut le courage de protester contre +ces abus de la force. Il se nommait Barzoni. Il publia contre ces +déprédations honteuses un vigoureux pamphlet qu'il intitula: les +<i>Romains en Grèce</i>. Il était facile de reconnaître les Français et +les Italiens déguisés en Romains ou en Grecs, et Flaminius sous les +traits de Bonaparte. Notre chargé d'affaires, Villetard, se plaignit +à la municipalité. On lui répondit avec raison qu'il était difficile +de poursuivre une œuvre anonyme. Fier de son succès, Barzoni se +livra à des provocations directes. Rencontrant un jour Villetard +dans un café, il lui tendit la main, et, comme ce dernier retirait +la sienne, il lui tira un coup de pistolet. Villetard agit en cette +circonstance avec une grande dignité. Il écrivit à Bonaparte pour +excuser son assassin, qu'il essaya de faire passer pour un fou par +dépit amoureux; il lui procura même, sous un faux nom, un passeport +à l'aide duquel Barzoni put se réfugier à Malte. Bonaparte avait +d'abord été tenté de sévir: «J'ai appris avec peine, citoyen, +écrivait-il<a id="footnotetag245" name="footnotetag245"></a><a href="#footnote245" title="Go to footnote 245"><span class="smaller">[245]</span></a> à Villetard, ce qui vous est arrivé. J'imagine +que le gouvernement de Venise aura fait arrêter cet assassin qui, +heureusement, a manqué son coup. Vous avez tort de regarder cela +comme une folie; c'est un assassinat, et qui mérite une punition +exemplaire.»</p> + +<p>Aussi bien, ce n'était plus un citoyen, c'était un peuple entier qui +allait se trouver lésé dans ses intérêts, trahi dans ses affections, +déçu dans ses espérances! Il ne s'agissait plus de venger des injures +particulières, c'était un crime de lèse-nation qui allait être +commis! Venise allait être vendue et livrée à l'Autriche!</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page166" name="page166"></a>(p. 166)</span> Il ne peut entrer dans notre sujet de raconter les +négociations longues, délicates et embrouillées qui, après les +préliminaires de Leoben, préparèrent et amenèrent la paix de +Campo-Formio. Nous ne voulons en retenir que ce qui regarde Venise. +Trois idées principales se dégagent de la lecture des nombreux +documents où sont relatées les négociations: la première, c'est +que les Autrichiens, avec une persévérance qui est à l'honneur de +leurs diplomates, ont tout subordonné à leur âpre désir d'obtenir +Venise; la seconde, c'est que le Directoire n'a pas cessé de défendre +Venise, et contre l'Autriche qui la convoitait, et contre Bonaparte +qui l'abandonnait; la troisième, c'est que Bonaparte était décidé à +signer la paix au prix de n'importe quel sacrifice, et que, trouvant +dans Venise la compensation territoriale dont il avait besoin pour la +proposer à l'Autriche, il fit de la cession de Venise comme le pivot +de sa diplomatie.</p> + +<p>Nous savons déjà que les Autrichiens n'avaient si facilement +posé les armes à Leoben que parce que Bonaparte leur avait fait +entrevoir l'annexion probable de Venise à leur territoire. +Les plénipotentiaires autrichiens, Cobenzl, Merfeldt, Gallo, +s'attachèrent obstinément à cette idée. Ils voulaient non +seulement tout le territoire de la République, mais même les +légations pontificales et Modène. Il fallut que Bonaparte leur +rappelât qu'ils n'avaient pas de conditions à imposer: «Je leur +ai demandé, écrivait-il au Directoire<a id="footnotetag246" name="footnotetag246"></a><a href="#footnote246" title="Go to footnote 246"><span class="smaller">[246]</span></a>, à combien de lieues +leur armée se trouvait de Paris, et je me suis vigoureusement +fâché sur l'impertinence de nous faire de pareilles propositions; +ils l'ont senti, mais nous ont déclaré que leurs instructions ne +leur permettaient pas de conclure à moins.» Comme Bonaparte avait +en effet donné ses ordres pour que l'armée s'apprêtât à rentrer +en campagne, les plénipotentiaires se relâchèrent quelque peu de +leurs prétentions<a id="footnotetag247" name="footnotetag247"></a><a href="#footnote247" title="Go to footnote 247"><span class="smaller">[247]</span></a>. Ils renoncèrent à Modène, à Bologne et aux +Légations, mais plus <span class="pagenum"><a id="page167" name="page167"></a>(p. 167)</span> que jamais revendiquèrent l'annexion de +Venise. C'était en effet pour eux une question capitale. Sans Venise, +ils n'étaient plus que campés en Italie; avec Venise au contraire, +ils avaient la chance de pouvoir, un jour ou l'autre, jouer dans +la péninsule un rôle prépondérant, et, de plus, ils donnaient à +l'Autriche une marine et des côtes. Bonaparte, qui savait à propos +faire des sacrifices, comprit que les Autrichiens étaient résolus +à continuer la guerre plutôt que de renoncer à l'espoir d'occuper +Venise. Comme son ambition était alors de signer la paix, et que +cette ambition était d'accord avec l'obstination autrichienne, il +consentit à abandonner cette ville tant convoitée, et c'est ainsi +que les plénipotentiaires autrichiens furent récompensés de leur +persévérance.</p> + +<p>Thugut, le premier ministre autrichien, avait admirablement caché +son jeu. Interrogé à plusieurs reprises par l'ambassadeur de Venise +à Vienne, Grimani<a id="footnotetag248" name="footnotetag248"></a><a href="#footnote248" title="Go to footnote 248"><span class="smaller">[248]</span></a>, il était resté impénétrable. Il n'avait +voulu faire connaître aucune des conditions des préliminaires de +Leoben, ce qui était bien grave, comme l'observait avec raison +Grimani, car s'il avait eu de bonnes nouvelles à donner, il ne les +aurait pas cachées. Le 1<sup>er</sup> mai, l'ambassadeur vénitien fit une +nouvelle tentative auprès de Thugut, mais il ne put lui arracher +aucune déclaration officielle. Il ne parvint même pas à savoir si +les troupes françaises, après avoir évacué les états héréditaires +autrichiens, occuperaient ou abandonneraient le territoire vénitien. +Ce silence obstiné était de mauvais augure. Grimani se rappelait que +Thugut avait déjà été un des principaux négociateurs des partages de +la Pologne et il était comme hanté par ce malencontreux souvenir. En +effet, tout était déjà décidé, et, si le ministre autrichien gardait +encore le silence, ce n'était nullement pour ménager les Vénitiens, +mais pour tenir en haleine Bonaparte et ne signer décidément la paix +que lorsque Bonaparte aurait triomphé des scrupules du Directoire, et +obtenu de haute main la cession de Venise.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page168" name="page168"></a>(p. 168)</span> Le Directoire, en effet, non seulement ne nourrissait +contre Venise aucune pensée hostile, mais encore il était disposé +à la défendre. Même après l'attentat de Vérone, même après le +massacre du Lido, tout en étant résolu à punir la ville coupable, +il entendait respecter son indépendance. Dans les instructions<a id="footnotetag249" name="footnotetag249"></a><a href="#footnote249" title="Go to footnote 249"><span class="smaller">[249]</span></a> +qu'il envoyait, le 6 mai 1797, aux généraux Bonaparte et Clarke, il +prévoyait sans doute la cession d'une partie du territoire vénitien +à l'Autriche, mais il stipulait soit la formation d'une République +Lombarde, comprenant le Milanais, Modène, les Légations et Venise, +soit la réunion de Venise aux Légations, soit l'indépendance absolue +de Venise. Le 1<sup>er</sup> juillet, le ministre des relations extérieures, +sur le bruit déjà répandu des intentions de Bonaparte, avait soin de +lui rappeler les intentions formelles du gouvernement<a id="footnotetag250" name="footnotetag250"></a><a href="#footnote250" title="Go to footnote 250"><span class="smaller">[250]</span></a>: «Quant +aux États vénitiens que nous occupons, il faut distinguer ceux que +nous devons évacuer et que l'Empereur pourra occuper en vertu des +préliminaires, si la paix se conclut, et ceux qui sont réservés par +l'article 11 de ces mêmes préliminaires, ces derniers ayant toujours +été regardés, depuis leur occupation, comme devant être gouvernés par +les principes républicains.»</p> + +<p>Le 19 août<a id="footnotetag251" name="footnotetag251"></a><a href="#footnote251" title="Go to footnote 251"><span class="smaller">[251]</span></a> nouvelle dépêche, plus explicite, du même ministre, +qui, passant en revue les diverses hypothèses des remaniements +territoriaux, appelle toujours l'attention des négociateurs sur ce +point que «Venise doit être ou réunie à la Cisalpine, ou libre, +mais, en aucun cas, cédée à l'Empereur». Un mois plus tard, le 16 +septembre, comme l'Autriche élevait des prétentions singulières, et +que Bonaparte semblait disposé à lui céder Venise, le Directoire se +décide à envoyer un ultimatum<a id="footnotetag252" name="footnotetag252"></a><a href="#footnote252" title="Go to footnote 252"><span class="smaller">[252]</span></a>: <span class="pagenum"><a id="page169" name="page169"></a>(p. 169)</span> «Dites-leur en réponse +à ces étranges communications, et signifiez-leur comme ultimatum +du Directoire qu'en Italie l'Empereur gardera Trieste, et gagnera +l'Istrie et la Dalmatie; qu'il renoncera à Mantoue, à Venise, à +la Terre-Ferme et au Frioul vénitien, et qu'il évacuera Venise... +Vous aurez carte blanche, mais je ne puis trop vous dire combien le +Directoire désire et combien il est de l'intérêt de la République +que vous puissiez faire passer les articles ci-dessus. L'Empereur +doit être entièrement écarté de l'Italie; ses dédommagements doivent +consister en biens ecclésiastiques sécularisés en Allemagne.» Le +29 septembre, confirmation de l'ultimatum, et avec des arguments +nouveaux, trop vrais par malheur, puisqu'on n'en a pas tenu compte, +mais que le gouvernement, s'il avait eu la fermeté nécessaire, aurait +dû imposer et non pas proposer. «Si on cède Venise et son territoire +à l'Autriche, lisons-nous dans cette dépêche<a id="footnotetag253" name="footnotetag253"></a><a href="#footnote253" title="Go to footnote 253"><span class="smaller">[253]</span></a>, nous lui aurons +fourni le moyen de nous attaquer avec plus d'avantage, nous aurons +traité en vaincus, indépendamment de la honte d'abandonner Venise, +que vous croyez vous-même si digne d'être libre. Et ce serait la +France qui gratifierait l'Empereur des éléments d'une marine faite +pour s'emparer de son commerce du Levant!» Le même jour, et pour +mieux marquer la pensée du Directoire, le ministre des relations +extérieures expédiait une seconde dépêche<a id="footnotetag254" name="footnotetag254"></a><a href="#footnote254" title="Go to footnote 254"><span class="smaller">[254]</span></a> à Bonaparte. Il lui +signifiait la décision définitive du gouvernement, et lui enjoignait +de se préparer à la reprise des hostilités: «Je vous répète que les +conditions de paix que le Directoire accordera à l'Empereur sont +les suivantes: «L'Empereur gardera Trieste et gagnera l'Istrie et +la Dalmatie vénitienne. La rivière de l'Isonzo servira de limite; +il renoncera à Mantoue, à Venise, à la Terre-Ferme, au Frioul +vénitien... Telles sont les dernières instructions diplomatiques +que le Directoire <span class="pagenum"><a id="page170" name="page170"></a>(p. 170)</span> ait à vous faire passer: elles sont +irrévocables, et il regarde la guerre comme inévitable si l'Empereur +ne se soumet pas à ces conditions... Montrez aux Vénitiens que c'est +de leurs intérêts qu'il s'agit ici, que c'est uniquement pour eux, +pour leur assurer la liberté et les soustraire à la maison d'Autriche +que nous continuons la guerre, et qu'ainsi, ils doivent faire les +plus grands efforts en hommes, en chevaux et en argent.»</p> + +<p>Il n'y a donc pas d'hésitation possible. Depuis le jour de +l'ouverture des négociations, le Directoire n'a pas varié dans sa +ligne de conduite. Sous toutes les formes et sur tous les tons, il a +répété à Bonaparte qu'il considérait comme un malheur et une faute la +cession de Venise à l'Autriche. Il a même fini par lui intimer des +ordres et a formellement exigé que Venise restât libre.</p> + +<p>Quel est le cas que Bonaparte a fait de ces instructions? Comment +a-t-il exécuté les ordres reçus? Nous avons peine à l'avouer, mais +Bonaparte n'a consulté que ses intérêts et s'est joué des ordres +impératifs qu'il recevait. Il avait besoin de la paix. Il ne +l'obtiendrait qu'en abandonnant Venise. Venise était le seul obstacle +qui l'empêchait de réaliser ses désirs: sans le moindre scrupule, +sans la moindre pitié, il la vendit à l'ennemi.</p> + +<p>Il est vrai que, dans sa Correspondance, on ne trouvera nulle part +la preuve de son intention d'acheter la paix aux dépens de Venise, +mais on n'y trouvera non plus nulle part la preuve de son obéissance +aux volontés du Directoire. Il feint même de les ignorer. Ainsi le 19 +septembre<a id="footnotetag255" name="footnotetag255"></a><a href="#footnote255" title="Go to footnote 255"><span class="smaller">[255]</span></a> il écrira au Directoire que la paix est possible si on +cède à l'Empereur la ligne de l'Adige y compris la ville de Venise, +et il ajoute: «Je crois donc que, si votre ultimatum est de garder +Venise, vous devez regarder la guerre comme probable.» Quelques +jours plus tard, le 18 septembre, rendant compte au Directoire des +négociations, il lui montrera, sans en avoir l'air, que, sans +<span class="pagenum"><a id="page171" name="page171"></a>(p. 171)</span> Venise, la paix serait déjà conclue<a id="footnotetag256" name="footnotetag256"></a><a href="#footnote256" title="Go to footnote 256"><span class="smaller">[256]</span></a>: «Lorsque je leur +ai dit que le gouvernement français venait de reconnaître le ministre +de la République de Venise, et que dès lors je me trouvais dans +l'impossibilité de consentir, sous aucun prétexte et dans aucune +circonstance, à ce que Sa Majesté Impériale devint maîtresse de +Venise, je me suis aperçu d'un mouvement de surprise qui décèle assez +la frayeur à laquelle a succédé un silence assez long, interrompu à +peu près par ces mots: «Si vous faites toujours comme cela, comment +voulez-vous qu'on puisse négocier?» Je me tiendrai dans cette ligne +jusqu'à la rupture. Je ne leur bonifierai point Venise, jusqu'à ce +que j'aie reçu une nouvelle lettre du gouvernement.» Bonaparte était +pourtant résolu à <i>bonifier</i> Venise, comme il le disait; il prenait +même à l'avance le soin de se justifier, et, avant d'avoir reçu les +instructions nouvelles dont il prétendait avoir besoin, il insistait +sur la nécessité de signer la paix, et terminait par cette attaque +contre le peuple dont il trahissait les intérêts, et qu'il cherchait +à rabaisser pour mieux cacher l'indignité de sa trahison<a id="footnotetag257" name="footnotetag257"></a><a href="#footnote257" title="Go to footnote 257"><span class="smaller">[257]</span></a>. «Vous +connaissez peu ces peuples-ci. Ils ne méritent pas qu'on fasse tuer +quatre mille Français pour eux. Je vois par vos lettres que vous +partez toujours d'une fausse hypothèse; vous vous imaginez que la +liberté fait faire de grandes choses à un peuple mou, superstitieux, +pantalon et lâche. Je n'ai pas à mon armée un seul Italien, hormis, +je crois, quinze cents polissons, ramassés dans les rues des +différentes villes d'Italie, qui pillent et ne sont bons à rien.»</p> + +<p>Bonaparte était tellement résolu à signer la paix comme il +l'entendait, et non pas d'après les désirs du Directoire, qu'il +recourut au grand moyen, à celui qui lui avait déjà réussi lors de +son entrée en Lombardie, et après Rivoli: il offrit sa démission. +Le 25 septembre 1797 il écrivait<a id="footnotetag258" name="footnotetag258"></a><a href="#footnote258" title="Go to footnote 258"><span class="smaller">[258]</span></a> au <span class="pagenum"><a id="page172" name="page172"></a>(p. 172)</span> Directoire: «Un +officier est arrivé avant-hier de Paris à l'armée d'Italie. Il +a répandu dans l'armée qu'on y était inquiet de la manière dont +j'aurais pris les événements du 18 fructidor... Il est constant que +le gouvernement en agit envers moi à peu près comme envers Pichegru, +après vendémiaire. Je vous prie, citoyens Directeurs, de me remplacer +et de m'accorder ma démission. Aucune puissance sur la terre ne sera +capable de me faire continuer de servir après cette marque horrible +de l'ingratitude du gouvernement.» Quatre jours plus tard, et sans +attendre la réponse, il renouvelait sa demande dans une lettre au +ministre des affaires étrangères: «Tout ce que je fais, tous les +arrangements que je prends dans ce moment-ci, sont le dernier service +que je puisse rendre à la patrie. Ma santé est entièrement délabrée, +et la santé est indispensable et ne peut être substituée<a id="footnotetag259" name="footnotetag259"></a><a href="#footnote259" title="Go to footnote 259"><span class="smaller">[259]</span></a> par +rien à la guerre. Le gouvernement aura sans doute en conséquence +de la demande que je lui ai faite il y a huit jours, nommé une +commission de publicistes pour organiser l'Italie libre, de nouveaux +plénipotentiaires pour continuer les négociations ou les renouer, +si la guerre avait lieu, au moment où les événements seraient +les plus propices, et enfin un général qui ait sa confiance pour +commander l'armée; car je ne connais personne qui puisse me remplacer +dans l'ensemble de ces trois missions, toutes trois également +intéressantes... Quant à moi je me vois sérieusement affecté de me +voir obligé de m'arrêter dans un moment où peut-être il n'y a plus +que des fruits à cueillir, mais la loi de la nécessité maîtrise +l'inclination, la volonté et la raison. Je puis à peine monter à +cheval: j'ai besoin de deux ans de repos.»</p> + +<p>À cette insolente mise en demeure, à cette hautaine affirmation de +son importance, à ces menaces à peine déguisées, le Directoire, +s'il avait eu le sentiment de la dignité, aurait dû répondre par +une destitution, ou du moins par une acceptation de la démission; +mais le 18 fructidor venait <span class="pagenum"><a id="page173" name="page173"></a>(p. 173)</span> d'avoir lieu (4 septembre), +avec l'aide, nous dirions presque la connivence de Bonaparte et de +ses amis. Plus que jamais Bonaparte était l'homme indispensable. Le +Directoire lui écrivit (3 octobre 1797) en l'accablant de compliments +et de protestations<a id="footnotetag260" name="footnotetag260"></a><a href="#footnote260" title="Go to footnote 260"><span class="smaller">[260]</span></a>. «Vous parlez de repos, de santé, de +démission. Le repos de la République vous défend de penser au +vôtre... Non, le Directoire ne reçoit pas votre démission. Non, vous +n'avez pas besoin avec lui de vous réfugier dans votre conscience +et de recourir au témoignage tardif de la postérité. Le Directoire +exécutif croit à la vertu du général Bonaparte; il s'y confie... S'il +pouvait vous rester du doute... mais non, citoyen général, vous ne +devez plus en avoir au moment où cette dépêche pourra vous parvenir, +et désormais vous compterez sur le Directoire exécutif, comme il +compte sur vous.»</p> + +<p>À vrai dire, le Directoire venait d'abdiquer entre les mains de +Bonaparte. Armé d'un pareil document, l'audacieux général pouvait +tout. Il osa tout, et, au mépris des engagements et des promesses, +malgré les supplications et les prières, il signa le 17 octobre 1797 +le traité de Campo-Formio.</p> + +<p>Voici les clauses de ce traité qui réglaient les destinées de Venise: +à l'Empereur étaient cédés (art. VI) l'Istrie, la Dalmatie, les +îles de l'Adriatique, les bouches de Cattaro, Venise, les lagunes +et les pays compris entre les États héréditaires autrichiens et une +ligne qui, partant du Tyrol, traversait le lac de Garde jusqu'à +Lazise, aboutissait à San Giacomo, suivait la rive gauche de l'Adige +jusqu'à l'embouchure du canal Blanc et la rive gauche dudit canal, du +Tartaro, de la Polesella, et du grand Pô: à la République Cisalpine +(art. VIII) tous les États ci-devant vénitiens à l'ouest et au sud +de la ligne précitée: à la France (art. II), les îles Ioniennes, +Butrinto, Arta, Vonitza et les comptoirs d'Albanie. L'article I +garantissait les biens et les personnes de tous ceux qui auraient +pu être inquiétés par leur conduite politique ou leurs opinions. +Il accordait à tous ceux qui voudraient émigrer <span class="pagenum"><a id="page174" name="page174"></a>(p. 174)</span> un délai +de trois ans pour vendre leurs biens, meubles ou immeubles, ou en +disposer à leur volonté.</p> + +<p>Ainsi fut consommée cette scandaleuse iniquité. C'était comme une +seconde édition du partage de la Pologne, et la France prêtait +les mains à cette infamie! Bonaparte avait conscience du crime de +lèse-nation qu'il venait de commettre. Dès le 10 octobre, même +avant la signature du traité, il avait en quelque sorte cherché +à s'excuser. «La ville de Venise renferme<a id="footnotetag261" name="footnotetag261"></a><a href="#footnote261" title="Go to footnote 261"><span class="smaller">[261]</span></a> il est vrai trois +cents patriotes, avait-il écrit au Directoire, leurs intérêts seront +stipulés dans le traité, et ils seront accueillis dans la Cisalpine. +Le désir de quelques centaines d'hommes ne vaut pas la mort de +20.000 Français... Si, dans tous ces calculs, je me suis trompé, +mon cœur est pur, mes intentions sont droites.» Le 18 octobre, +c'est-à-dire le lendemain de la signature du traité, et dans la +lettre où il annonçait au Directoire ce grand événement, il revenait +avec insistance sur ce sujet<a id="footnotetag262" name="footnotetag262"></a><a href="#footnote262" title="Go to footnote 262"><span class="smaller">[262]</span></a>. On eût dit qu'il cherchait à se +disculper d'une faute que pourtant personne encore ne lui avait +reprochée: «Je ne doute pas que la critique ne s'attache vivement à +déprécier le traité que je viens de signer. Tous ceux cependant qui +connaissent l'Europe et qui ont le tact des affaires seront bien +convaincus qu'il était impossible d'arriver à un meilleur traité sans +commencer par se battre et sans conquérir deux ou trois provinces de +la maison d'Autriche. Cela était-il possible? oui. Probable? non.» +Plus tard, comme gêné par un remords rétrospectif, Bonaparte est +revenu à plusieurs reprises sur ce sujet. Il a essayé de justifier +cette clause déplorable du traité de Campo-Formio. Mais ses excuses +ont été ou singulières ou odieuses. Ainsi n'a-t-il pas prétendu<a id="footnotetag263" name="footnotetag263"></a><a href="#footnote263" title="Go to footnote 263"><span class="smaller">[263]</span></a> +qu'en sacrifiant Venise il avait cherché «à jeter une pomme de +discorde au milieu des coalisés, à changer l'état de la question, +et à créer d'autres passions et <span class="pagenum"><a id="page175" name="page175"></a>(p. 175)</span> d'autres intérêts.» Il +espérait que la Russie et l'Angleterre seraient indisposées par +cette usurpation, et que les puissances secondaires, la Bavière +par exemple, effrayées par cette disparition subite d'une nation, +feraient un retour sur elles-mêmes et deviendraient <i>ipso facto</i> +les adversaires résolues de l'Autriche. Il a même eu l'audace de +prétendre qu'il n'avait agi que dans l'intérêt de Venise, pour lui +faire détester la domination étrangère, et l'habituer peu à peu à +l'idée de devenir partie intégrante de la grande Italie. Le passage +mérite d'être cité<a id="footnotetag264" name="footnotetag264"></a><a href="#footnote264" title="Go to footnote 264"><span class="smaller">[264]</span></a>: «Les divers partis qui divisaient Venise +s'éteindraient; aristocrates et démocrates se réuniraient contre le +sceptre d'une nation étrangère. Il n'y avait pas à craindre qu'un +peuple de mœurs aussi douces pût jamais prendre de l'affection +pour un gouvernement allemand, et qu'une grande ville de commerce, +puissance maritime depuis des siècles, s'attachât sincèrement à une +monarchie étrangère à la mer et sans colonies, et, si jamais le +moment de créer la nation italienne arrivait, cette cession ne serait +point un obstacle. Les années que les Vénitiens auraient passées +sous le joug de la maison d'Autriche leur feraient recevoir avec +enthousiasme un gouvernement national, quel qu'il fût, un peu plus +ou un peu moins aristocratique, que la capitale fût ou non fixée à +Venise.»</p> + +<p>Est-il possible de se jouer avec plus de cynisme des sentiments et +des aspirations nationales? Bonaparte ne pouvait alléguer qu'une +excuse<a id="footnotetag265" name="footnotetag265"></a><a href="#footnote265" title="Go to footnote 265"><span class="smaller">[265]</span></a>, c'est qu'il avait besoin de la paix, et que, dans sa +pensée, le traité de Campo-Formio n'était qu'une trêve passagère. Le +fait n'en subsistait pas moins dans sa sinistre réalité. Venise était +vendue, et vendue à celui qu'elle avait le droit d'appeler son ennemi +héréditaire!</p> + +<h3><span class="pagenum"><a id="page176" name="page176"></a>(p. 176)</span> VI</h3> + +<p>Comment fut accueillie la nouvelle de ce scandaleux marché? En +Autriche, avec bonheur; en France, avec indifférence; en Italie, avec +terreur; à Venise avec désespoir.</p> + +<p>On comprend les sentiments de joie éprouvés par l'Autriche. Échanger +une province éloignée contre un territoire limitrophe, relier ses +domaines italiens à ses possessions slaves, acquérir des côtes et +devenir, du jour au lendemain, puissance maritime, serrer de plus +près la Turquie, ce qui lui permettrait de jouer un rôle prépondérant +au jour prochain du partage de l'empire ottoman, certes l'Autriche +avait le droit de s'estimer satisfaite. Elle eût été victorieuse, +qu'elle n'eût pas exigé davantage. Bonaparte semblait aller au-devant +de ses secrets désirs.</p> + +<p>En France, pas plus en 1797 que de nos jours, on ne se rend un compte +bien exact des remaniements territoriaux. On savait vaguement, dans +la masse du public s'occupant de politique extérieure, que des +Français avaient été massacrés à Vérone et au Lido, et, dès lors, +la cession de Venise à l'Autriche paraissait une punition et une +vengeance méritées. On ignorait qu'un traité solennel et qui n'avait +jamais été violé, que des engagements formels, que des promesses de +protection et de garantie nous liaient à la nouvelle République. +Aussi ne prêta-t-on qu'une médiocre attention à cette clause du +traité. Bonaparte avait bien calculé. Toutes les classes de la +société désiraient si vivement la fin de la guerre que les plaintes +des intéressés furent comme noyées dans l'immense joie qui se +manifesta par tout le pays à la nouvelle de la conclusion de la paix.</p> + +<p>En Italie, l'effet produit fut déplorable<a id="footnotetag266" name="footnotetag266"></a><a href="#footnote266" title="Go to footnote 266"><span class="smaller">[266]</span></a>. Les patriotes +<span class="pagenum"><a id="page177" name="page177"></a>(p. 177)</span> lombards, modénais ou romains n'eurent aucune illusion sur +le sort qui les attendait. On avait vendu leurs frères de Venise +contre tout droit, contre toute attente; on avait trafiqué d'eux +comme à ces temps exécrés où les rois se partageaient les peuples à +leur convenance; leur tour viendrait sans doute bientôt. Découragés +et désolés, les patriotes italiens commencent à croire qu'ils ont +été les dupes de leurs espérances. Plusieurs se taisent, d'autres +songent à la prochaine réaction et s'organisent en sociétés secrètes. +Lahoz et d'autres officiers, ses camarades, préparent dans l'ombre +leur défection. C'est à ce moment qu'Alfieri compose les strophes +vengeresses de son <i>Miso Gallo</i> et que ses amis répètent, mais en se +cachant, les beaux vers où il annonçait la vengeance et prophétisait +l'avenir<a id="footnotetag267" name="footnotetag267"></a><a href="#footnote267" title="Go to footnote 267"><span class="smaller">[267]</span></a>: «Le jour viendra, oui, il viendra le jour où les +Italiens, désormais ressuscités, reparaîtront audacieux sur le champ +de bataille et non pas avec un fer étranger, pour s'y défendre +lâchement, mais pour battre les Français. Ils auront à leurs flancs +vigoureux deux éperons ardents: leur antique vertu et mes vers, le +souvenir de ce qu'ils furent et de ce que j'ai été les embrasera +d'une flamme irrésistible. Et, armés alors de cette fureur divine +qu'allumèrent en moi les exploits de leurs aïeux, ils rendront mes +chants funèbres à la France. Et je les entends déjà me dire: Ô notre +poète, tu naquis en un siècle mauvais et pourtant c'est toi qui as +enfanté l'ère sublime que tu prophétisais de ton vivant.»</p> + +<p>À Venise la douleur, l'indignation, le désespoir éclatèrent. +Bonaparte avait écrit<a id="footnotetag268" name="footnotetag268"></a><a href="#footnote268" title="Go to footnote 268"><span class="smaller">[268]</span></a> de Passariano, le 20 octobre 1797, +à <span class="pagenum"><a id="page178" name="page178"></a>(p. 178)</span> Villetard pour lui annoncer la fatale résolution. +Il lui expliquait, avec un cynisme de détails révoltant, qu'il +fallait profiter de notre séjour à Venise pour tirer parti de ses +ressources. Il énumérait avec complaisance les vaisseaux de guerre, +les canons et les poudres qu'on devait enlever. «Il faut, disait-il, +ne rien laisser qui puisse être utile à l'Empereur et favoriser +l'établissement d'une marine militaire. Il faut faire aller en France +tout ce qui peut être utile à la marine.»</p> + +<p>Pris cependant d'une pitié tardive et de scrupules rétrospectifs pour +les infortunés<a id="footnotetag269" name="footnotetag269"></a><a href="#footnote269" title="Go to footnote 269"><span class="smaller">[269]</span></a> qu'il abandonnait après les avoir compromis, il +informait Villetard que tous les Vénitiens qui voudraient quitter +leur pays pour se rendre dans la République Cisalpine y jouiraient +du titre de citoyens, et auraient trois ans pour la vente de leurs +biens. Il consentait en outre à former un fonds de secours en +faveur de ceux des émigrés vénitiens dont les ressources seraient +insuffisantes. Il est vrai que cette générosité ne lui coûtait +pas bien cher: c'était en effet la République Cisalpine et Venise +elle-même qui en payaient les frais: la première en renonçant au +profit des émigrés à différentes propriétés allodiales, et la seconde +en cédant des vivres, des effets et des munitions qu'on devait vendre +à Ferrare.</p> + +<p>Villetard avait été l'agent sincère et honnête d'une politique +<span class="pagenum"><a id="page179" name="page179"></a>(p. 179)</span> sans loyauté et sans honneur. Le traité de Campo-Formio +le désespéra. Chargé par Bonaparte et d'ailleurs investi par ses +fonctions de la terrible tâche d'informer officiellement les +Vénitiens du malheur qui les frappait, il ne cacha pas sa tristesse, +et dans le beau discours<a id="footnotetag270" name="footnotetag270"></a><a href="#footnote270" title="Go to footnote 270"><span class="smaller">[270]</span></a> qu'il adressa à cette occasion à la +municipalité, il ne donna d'autre argument que la nécessité pour la +France de songer à ses intérêts immédiats. «Quelques-uns d'entre +vous, leur dit-il encore, à l'exemple des Ottomans vos voisins, +sont décidés à subir le joug de la fatalité, quelques autres, comme +les Vénètes, vos glorieux ancêtres, veulent abandonner des monceaux +de chaux et de briques, emporter sur leurs navires leur véritable +patrie et ce qu'il y a d'hommes libres parmi leurs concitoyens; +d'autres enfin ont juré d'expirer sous les débris de leurs murailles +plutôt que de les céder à l'étranger. Il ne m'appartient point de +décider entre une résignation stoïque, une retraite honorable, et un +dévouement généreux; mais, après avoir combattu les calomniateurs +du gouvernement français, je viens offrir en son nom les services +qu'il est prêt à rendre à ceux d'entre vous qui voudront se bâtir +une autre Venise dans des lieux inaccessibles à la tyrannie. La +République Cisalpine, à la voix de la France et de la liberté, vous +ouvre son sein. Vous y jouirez du titre et des droits de citoyen, +vous y trouverez un emplacement pour la nouvelle Venise soit dans les +places fortes, soit dans les cités populeuses, soit sous l'humble +chaume, séjour des hommes libres et vertueux. Vous pourrez emporter +avec vous vos richesses; la République française vous en a réservé la +faculté par les traités. Ainsi, ne pouvant garantir, à un si grand +éloignement, l'indépendance de votre état, elle a du moins assuré des +destinées libres à ceux qui préfèrent la liberté aux lagunes.»</p> + +<p>Ce discours fut accueilli par des cris de fureur. Les Vénitiens +repoussèrent les présents de Bonaparte, qui étaient les dépouilles +de Venise, et déclarèrent qu'ils ne céderaient qu'à <span class="pagenum"><a id="page180" name="page180"></a>(p. 180)</span> la +force. C'était en effet le seul moyen de terminer noblement une +noble histoire, et puisque Venise était condamnée, mieux valait pour +elle succomber les armes à la main; mais une longue oisiveté avait +énervé le peuple, les grands tremblaient de peur. D'ailleurs une +forte garnison française occupait déjà la ville, et les Autrichiens +accouraient pour s'emparer de leur proie. Comment résister dans ces +conditions!</p> + +<p>Quelques patriciens s'imaginèrent que la corruption, qui pendant +si longtemps avait été leur meilleur instrument de domination, les +sauverait peut-être. Ils envoyèrent au Directoire, sous le prétexte +de lui demander l'autorisation de se défendre contre l'Autriche, mais +en réalité pour reprendre les négociations de Querini avec Barras, +et pour acheter à tout prix ses suffrages, une députation composée +de Dandolo, Sordina, Carminati et Giuliano. Les députés se mirent en +route. Ils étaient déjà arrivés en Piémont, quand ils furent rejoints +par Duroc, aide de camp de Bonaparte, qui leur intima l'ordre de +rebrousser chemin et de venir avec lui rendre compte de leur mission +à Bonaparte, qui les attendait à Milan.</p> + +<p>Bonaparte en effet n'était pas sans inquiétude sur l'exécution du +traité de Campo-Formio. Il savait très bien d'un côté qu'il avait +outrepassé ses instructions et s'était mis en quelque sorte en état +d'hostilité contre le gouvernement légal de son pays, de l'autre +qu'il avait suscité contre lui en Italie bien des haines, et provoqué +bien des ressentiments. Il avait en quelque sorte conscience de +l'indignité qu'il avait commise. Au lendemain de la signature du +traité, quand il revenait en Italie, il s'arrêta à Vicence. Interrogé +par les Vénitiens sur les décisions prises, il n'osa pas leur avouer +que Venise était cédée à l'Autriche. Le patriote Tiene lui ayant +déclaré que ses amis et lui étaient disposés à tout sacrifier pour +maintenir leur indépendance, il répliqua que la France ne disposerait +jamais d'un peuple sur lequel elle n'avait aucun droit. Arrivé à +Vérone, et se sentant au milieu de ses soldats, il leva le masque, et +annonça au président Angioli que Vérone était cédée à l'Autriche, +et, comme ce dernier éclatait en reproches: <span class="pagenum"><a id="page181" name="page181"></a>(p. 181)</span> «Eh bien, eut-il +la cruauté de répondre, défendez-vous!» Emporté par la grandeur de +l'offense et le caractère odieux de la raillerie: «Va-t'en, traître, +riposta Angioli, fuis ces contrées! Rends-nous les armes que tu +nous as ravies, et nous saurons nous défendre!» Ce ne fut bientôt +qu'un cri par toute la ville. Effrayé par cette soudaine explosion, +et craignant peut-être de nouvelles Pâques Véronaises, Bonaparte +partit en hâte pour Milan. Ce fut alors qu'il apprit le départ pour +Paris de la députation vénitienne. Ces députés pouvaient réussir, +non seulement parce que certains Directeurs étaient accessibles à +la corruption, mais aussi parce que le Directoire tout entier était +fort capable de saisir cette occasion de ne pas ratifier un traité +qui lui déplaisait: dès lors toute son œuvre était compromise. Il +n'était plus le dispensateur des territoires en Italie, le protecteur +de l'Autriche, le conquérant et le pacificateur: il redevenait +le général au service de la République, et l'agent désavoué du +gouvernement. Il importait donc à son ambition présente et à ses +projets ultérieurs d'arrêter la négociation.</p> + +<p>Les députés vénitiens furent conduits à Bonaparte par Duroc. «J'étais +dans le cabinet du général en chef, écrit Marmont<a id="footnotetag271" name="footnotetag271"></a><a href="#footnote271" title="Go to footnote 271"><span class="smaller">[271]</span></a>, quand +celui-ci les y reçut. Ils l'écoutèrent avec calme et dignité, et, +quand il eut fini, Dandolo répondit. Dandolo, ordinairement dénué +de courage, en trouva ce jour-là dans la grandeur de sa cause. Il +parlait facilement: en ce moment il eut de l'éloquence. Il s'étendit +sur le bien de l'indépendance et de la liberté, sur les intérêts de +son pays et le sort misérable qui lui était réservé; sur les devoirs +d'un bon citoyen envers sa patrie. La force de ses raisonnements, +sa conviction, sa profonde émotion agirent sur l'esprit et sur le +cœur de Bonaparte au point de faire couler les larmes de ses +yeux. Il ne répliqua pas un mot, renvoya les députés avec douceur et +bonté, et, depuis, a conservé pour Dandolo une bienveillance, une +prédilection qui ne s'est jamais démentie.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page182" name="page182"></a>(p. 182)</span> Ces larmes et cette émotion étaient peut-être sincères, mais +Bonaparte était néanmoins décidé à faire exécuter toutes les clauses +du traité. Villetard, dont l'émotion et le chagrin étaient réels, +lui avait rendu compte de la triste mission dont on l'avait chargé. +Sa lettre<a id="footnotetag272" name="footnotetag272"></a><a href="#footnote272" title="Go to footnote 272"><span class="smaller">[272]</span></a> est même touchante (24 octobre 1797): «Il fallait +autant de stoïcisme que d'amour de la patrie pour accepter la mission +douloureuse dont vous m'avez chargé. J'étais prêt à la remplir autant +qu'il était en moi, mais je me réjouis du moins d'avoir trouvé, +dans les membres du gouvernement de Venise, des âmes trop fières +pour se prêter elles-mêmes à l'exécution des mesures que vous leur +proposiez par mon organe. Ils iront chercher ailleurs un sol libre, +mais ils préféreront, s'il est nécessaire, l'indigence à l'infamie. +Ils ne voudront pas qu'on dise d'eux qu'ayant usurpé pendant quelques +jours la souveraineté de leur nation ils ont fui en partageant ses +dépouilles. Ils prouveront du moins par cette conduite qu'ils n'ont +pas mérité les fers qu'on leur prépare... Huit ans de révolutions +ne les ont point encore façonnés au malheur, et ils gémissent; ne +les ont point mûris au machiavélisme, et ils blasphèment; ne les +ont point corrompus à l'effronterie politique, et ils n'osent... +Je ne vois d'autre moyen de leur être gratuitement utile que le +régime militaire, au moyen duquel vous réglerez, par l'organe de vos +généraux, au nom de la France, ce qu'ils refuseraient de faire au +nom de la souveraineté du peuple, dont ils avaient la confiance.» +Cette lettre irrita Bonaparte, sans doute parce qu'elle était vraie +et méritée. D'ailleurs son émotion s'était dissipée. Plus que jamais +il était résolu à ne pas céder. Au moins aurait-il pu respecter le +malheur, et ne pas insulter ceux dont il causait la ruine. La lettre +qu'il répondit le 26 octobre à Villetard est inexcusable. C'est un +véritable factum à l'adresse du peuple vénitien, et en même temps un +insolent défi porté par un vainqueur inexorable à l'ennemi qu'il +tient sous ses pieds. Certes, ce n'est pas d'aujourd'hui <span class="pagenum"><a id="page183" name="page183"></a>(p. 183)</span> que +la force prime le droit, mais tout se paie en ce monde! Nos pères ont +abusé de la force: nous sommes punis pour eux. Voici les principaux +passages de cette philippique<a id="footnotetag273" name="footnotetag273"></a><a href="#footnote273" title="Go to footnote 273"><span class="smaller">[273]</span></a>:</p> + +<p>«J'ai reçu votre lettre du 3 brumaire; je n'ai rien compris à son +contenu. Il faut que je ne me sois pas bien expliqué avec vous. +La République française n'est liée avec la municipalité de Venise +par aucun traité qui nous oblige à sacrifier nos intérêts et nos +avantages à celui du comité de salut public ou de tout autre individu +de Venise. Je sais bien qu'il en coûterait à une poignée de bavards, +que je caractériserais bien en les appelant fous, de vouloir la +République universelle. Je voudrais que ces messieurs vinssent faire +une campagne d'hiver. D'ailleurs la nation vénitienne n'existe +pas: divisé en autant d'intérêts qu'il y a de villes, efféminé +et corrompu, aussi lâche qu'hypocrite, le peuple d'Italie, et +spécialement le peuple vénitien, est peu fait pour la liberté. S'il +était dans le cas de l'apprécier, et s'il a les vertus nécessaires +pour l'acquérir, eh bien! la circonstance actuelle lui est très +avantageuse pour le prouver: qu'il la défende!... Au reste, la +République française ne peut pas donner, comme on paraît le croire, +les États vénitiens; ce n'est pas que, dans la réalité, ces États +n'appartiennent à la France par droit de conquête, mais c'est qu'il +n'est pas dans les principes du gouvernement français de donner aucun +peuple. Lors donc que l'armée française évacuera ce pays-ci, les +différents gouvernements seront maîtres de prendre toutes les mesures +qu'ils pourraient juger avantageuses à leurs pays.»</p> + +<p>Villetard n'a pas laissé un grand nom dans l'histoire, mais il aura +l'honneur de la protestation suprême. Voici la belle réponse qu'il +fit à Bonaparte: «Ce ne<a id="footnotetag274" name="footnotetag274"></a><a href="#footnote274" title="Go to footnote 274"><span class="smaller">[274]</span></a> sont point des bavards des fous et des +lâches qui voudraient qu'on leur fît, aux dépens du sang français, +une République universelle, dont je vous parlais dans ma dernière +lettre. Je sais apprécier comme vous les phrases, la politique et +le courage de ces sortes de <span class="pagenum"><a id="page184" name="page184"></a>(p. 184)</span> gens; mais c'était de plusieurs +pères de famille, négociants, vieillards, qui, abattus par la +nouvelle de l'évacuation de leur pays et de l'invasion des troupes de +l'Empereur, qui doit en être la suite, ne se sont point cru en droit +de gouverner, lorsqu'ils n'avaient plus à le faire qu'à leur profit, +et qu'ils ne se sentaient revêtus que d'une autorité provisoire que +leur nation n'avait point confirmée. Croyez au reste qu'il entre dans +leur refus de piller en quelque sorte la nation vénitienne au profit +du parti démocratique une délicatesse et une probité malheureusement +trop rares.»</p> + +<p>Pendant que s'échangeaient ces correspondances inutiles, la ruine +de Venise s'achevait. On commença par la piller et ce sont les +Français qui donnèrent l'exemple. Bien qu'aucun des articles du +traité n'autorisât ces déprédations, les musées et les églises furent +dépouillés des chefs-d'œuvre qui les ornaient. Ainsi disparurent +le <i>Saint Pierre martyr</i>, la <i>Foi du doge Grimani</i>, et le <i>Martyre de +saint Laurent</i> du Titien, l'<i>Esclave délivré</i> et la <i>Sainte Agnès</i> +du Tintoret, une vierge de Bellini, l'<i>Enlèvement d'Europe</i> et le +<i>Festin à la maison de Lévi</i> par Paul Véronèse, le Jupiter Egiochus +de la bibliothèque et près de deux cents manuscrits. Les reliquaires +du trésor de Saint-Marc furent dépouillés de leurs pierres précieuses +et envoyées à la Monnaie. Les officiers français ne rougirent pas +de se partager les armes historiques que l'on conservait dans la +salle du conseil des Dix<a id="footnotetag275" name="footnotetag275"></a><a href="#footnote275" title="Go to footnote 275"><span class="smaller">[275]</span></a>. Les collections privées ne furent pas +épargnées. Les monuments eux-mêmes furent confisqués. On enleva le +lion de la Piazzeta et les chevaux de bronze, attribués à Lysippe, +qui gardaient le portail de Saint-Marc. Et ce fut un poète qui +signala les chevaux à la rapacité française Arnault, le futur auteur +de <i>Marins à Minturnes</i>, se trouvait alors à Venise, et voici ce +qu'il ne rougit pas d'écrire à Bonaparte<a id="footnotetag276" name="footnotetag276"></a><a href="#footnote276" title="Go to footnote 276"><span class="smaller">[276]</span></a>: «Ces colonnes me +rappellent qu'elles furent accompagnées <span class="pagenum"><a id="page185" name="page185"></a>(p. 185)</span> de quatre superbes +chevaux, grecs d'origine, et successivement romains et vénitiens par +droit de conquête. Ces chevaux sont placés sur le portail de l'église +ducale. Les Français n'ont-ils pas quelque droit à les revendiquer ou +du moins à les accepter de la reconnaissance vénitienne? ne serait-il +pas raisonnable aussi, de les faire accompagner par les lions que +Morosini fit enlever au Pirée? Paris ne peut refuser un asile à ces +pauvres proscrits, plus recommandables pourtant par leur antiquité +que par leur beauté.»</p> + +<p>Dans les villes de province furent exercées les mêmes rapines. À +Padoue spécialement, Masséna se permit des exactions qui compromirent +son honorabilité et le renom de la France. Bonaparte lui-même se +crut autorisé à emporter de Vérone la collection d'ichtyolites du +comte Gazzola. C'est surtout à l'arsenal de Venise que se commirent +les actes les plus odieux. Sous prétexte d'équiper la flotte qui +devait nous mettre en possession des îles Ioniennes, on le saccagea. +Le 16 mai 1797, Baraguey d'Hilliers écrivait à Bonaparte: «J'ai +visité l'arsenal et je l'ai examiné minutieusement. C'est l'un +des plus beaux de la Méditerranée. Il y a tout ce qu'il faut pour +armer, en deux mois, moyennant la dépense de deux millions, une +flotte de sept à huit vaisseaux de ligne de 74, six frégates de 30 +à 40 et cinq cutters. Il y a une immense quantité de canons<a id="footnotetag277" name="footnotetag277"></a><a href="#footnote277" title="Go to footnote 277"><span class="smaller">[277]</span></a> +en fer ou en bronze, des fonderies, des bois de construction, une +corderie magnifique, des chantiers extrêmement beaux, etc.» Toutes +ces richesses furent gaspillées. Les bois de Cansiglio, de Montello, +de l'Istrie, le cuivre d'Agordo, les chanvres du Ferrarais et du +Bolonais furent vendus ou volés. Les provisions de goudron, de +cordages, d'ancres et de ferrements, de toiles à voiles furent +dispersées au hasard des acheteurs. Ce qu'on ne pouvait emporter ou +vendre, on le brisa. C'est ainsi que furent coulés quelques navires +qu'on ne pouvait utiliser, ainsi que furent brûlés le <i>Bucentaure</i>, +ce respectable témoin des splendeurs d'autrefois, et les splendides +barques de parade, <span class="pagenum"><a id="page186" name="page186"></a>(p. 186)</span> les <i>Peatoni</i>, dont les richesses et +les ornements excitaient l'admiration dans les fêtes ducales. +Sérurier<a id="footnotetag278" name="footnotetag278"></a><a href="#footnote278" title="Go to footnote 278"><span class="smaller">[278]</span></a> et Haller, envoyés l'un et l'autre par Bonaparte pour +consommer cette iniquité, se signaleront par leur acharnement. +Sérurier prenait, Haller vendait. Après avoir vidé les magasins +publics, détruit les ressources maritimes, anéanti, ruiné ou dispersé +tout ce qui rappelait la gloire nationale, il ne restait plus qu'à +remettre la ville aux Autrichiens. C'était le dernier acte de cette +lamentable tragédie.</p> + +<p>Les Autrichiens n'avaient pas attendu la conclusion du traité de +Campo-Formio pour entrer en possession des territoires qui devaient +leur être attribués. Dès le mois de juin, le général autrichien +Terzi avait ordonné à son lieutenant Klenau d'entrer en Istrie et de +s'installer à Pirano, Umago, Cittanova, Parenzo, Osseroi et Rovigno. +En même temps, le colonel Casimir plaçait des garnisons sur le +littoral istriote et dans les îles de Veglia, Cherso, Arbo et Pago. +Nulle part il ne rencontra de résistance. En Dalmatie et sur toutes +les côtes de l'Adriatique, dans ces contrées rudes et sauvages où +la domination vénitienne avait eu tant de peine à s'asseoir, mais +où elle était profondément enracinée, le patriotisme local fut +comme exaspéré à la nouvelle du désastre. Partout des soulèvements +éclatèrent. Aidés par les mercenaires esclavons qui étaient rentrés +dans leurs villages, les paysans, surtout ceux de Sebenico, coururent +aux armes. Ils massacrèrent le consul de France, pillèrent les +maisons de Calafatti et Gavagnin, envoyés par Venise pour organiser +la république démocratique, et se portèrent à tous les excès contre +les partisans réels ou prétendus de la France. Les Autrichiens +n'attendaient qu'un prétexte pour intervenir. Ils se présentèrent +comme les défenseurs de l'ordre, et 4000 Autrichiens, commandés par +Roccavina, Lusignan et Casimir, partirent pour Zara. Ils <span class="pagenum"><a id="page187" name="page187"></a>(p. 187)</span> +furent bien reçus par les habitants, mais ils ne leur laissèrent pas +ignorer qu'ils venaient au nom de l'Empereur, en vertu de droits +anciens et qu'ils prenaient possession de la province. Les couleurs +autrichiennes furent déployées et les anciens soldats de Venise +remirent le vieil étendard de Saint-Marc à leurs nouveaux camarades. +Ce fut une cérémonie touchante. Tous ces vétérans pleuraient à +chaudes larmes en renonçant à ce drapeau qu'ils aimaient. Les +généraux autrichiens respectèrent ces nobles sentiments. Ils remirent +l'étendard de Venise au vicaire général de Zaro, M<sup>gr</sup> Armani, qui +entonna le <i>De Profundis</i> et l'ensevelit après que les citoyens et +les soldats l'eurent une dernière fois baisé comme une relique.</p> + +<p>Le colonel Casimir, continuant sa marche, s'empara de Spalatro, +Clissa, Singo, pendant que le général Roccavina entrait à Sebenico +et se dirigeait sur les bouches de Cattaro. Les Autrichiens ne +rencontrèrent de résistance qu'à Perasto, Risano et Geganovich. +Partout ailleurs ils furent accueillis froidement il est vrai, mais +avec résignation.</p> + +<p>Pendant ce temps, les Français<a id="footnotetag279" name="footnotetag279"></a><a href="#footnote279" title="Go to footnote 279"><span class="smaller">[279]</span></a> occupaient les îles Ioniennes +et les Cisalpins mettaient garnison à Brescia, Bergame et dans les +autres villes à eux attribuées par le traité de Campo-Formio. De tous +côtés s'écroulait le vieil édifice, et presque sans protestation, aux +yeux de tous, s'accomplissait le grand crime de la vente d'un peuple.</p> + +<p>La municipalité démocratique de Venise ne demandait qu'à résister. +Elle convoqua les assemblées primaires pour savoir si les Vénitiens +voulaient ou non conserver la liberté; mais ce n'était là qu'une +vaine formalité. Personne n'osa prendre la parole pour soutenir +l'honneur national. Les Autrichiens n'occupèrent la terre ferme et +Venise qu'en 1798. Le 9 janvier, sous le commandement de Wallis, ils +entraient à Udine, Cividale et Monte-Falcone, le 10, à Palma Nova, le +18 seulement à Venise. Quand ils se présentèrent devant la capitale, +non seulement ils en trouvèrent toutes les portes ouvertes, <span class="pagenum"><a id="page188" name="page188"></a>(p. 188)</span> +mais encore la populace se porta à leur rencontre, et quelques +patriciens acceptèrent le fait accompli et cherchèrent à en profiter. +Ce fut l'un d'entre eux, Francesco Pesaro, qui, devenu commissaire +impérial, reçut le serment de fidélité. Le dernier doge, Manini, +prêta ce serment entre ses mains, mais il fut saisi d'une telle +émotion, qu'il tomba sans connaissance<a id="footnotetag280" name="footnotetag280"></a><a href="#footnote280" title="Go to footnote 280"><span class="smaller">[280]</span></a>.</p> + +<p>Ainsi disparut la république vénitienne. Le peuple vénitien n'est pas +mort avec elle, car la conscience publique proteste et protestera +toujours contre les abus de la force. Botta<a id="footnotetag281" name="footnotetag281"></a><a href="#footnote281" title="Go to footnote 281"><span class="smaller">[281]</span></a> finissait par ces +paroles mélancoliques le livre qu'il a consacré aux malheurs de +Venise: «Un temps viendra, peut-être il n'est pas éloigné, où Venise +voudra dire un amas de débris, un champ d'algues marines, aux lieux +mêmes où s'élevait jadis une cité magnifique, la merveille du monde. +Voilà l'œuvre de Bonaparte!» Botta se trompait ou il exagérait +son ressentiment. Venise est encore debout, et les Vénitiens, par +leur magnifique résistance à l'Autriche en 1849, ont montré qu'ils +n'étaient pas au-dessous de leur vieille réputation d'héroïsme. Mais +le crime de Campo-Formio n'a été réparé que très tard, et il a légué +à l'Europe, pour de longues années, comme un héritage de dangers et +de complications. En 1866, les Autrichiens occupaient encore Venise +et s'y maintenaient par la terreur, avec patrouilles dans les rues et +canons braqués sur les places publiques. Depuis Venise est redevenue +libre et appartient à une grande nation: mais ce qui doit être pour +nous comme un dernier châtiment, comme un suprême remords, c'est que +ce crime, commis par des mains françaises, n'a été réparé que par des +mains prussiennes!</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="page189" name="page189"></a>(p. 189)</span> CHAPITRE IV<br> +<span class="smaller">LA RÉPUBLIQUE ROMAINE</span></h2> + +<p class="resume"> +La Papauté et la Révolution. — Affaire Hugon de Basville. — La +Convention et le pape Pie VI. — Les théophilanthropes. — Les +instructions du Directoire à Bonaparte. — Préparatifs de +guerre. — Entrée des Français à Bologne. — Armistice de +Bologne. — Prise d'armes des pontificaux. — Mission Mattei. — Affaire +de Lugo. — Conférences de Florence. — Seconde prise d'armes des +pontificaux. — Bataille du Senio. — Négociations pour la paix. — Paix +de Tolentino. — Joseph Bonaparte ambassadeur à Rome. — Les mécontents +se groupent autour de lui. — Affaire Provera. — Assassinat de +Duphot. — Déclaration de guerre du Directoire. — Berthier est chargé de +renverser le gouvernement pontifical. — Proclamation de la République +Romaine. — Expulsion de Pie VI. — Organisation de la nouvelle +République. — Déprédations et pillages. — Révolte des Français contre +leur général Masséna. — Insurrections locales. — Décadence et ruine +prochaine de la nouvelle République.</p> + +<p>Lorsque commença la Révolution française, les relations entre la +Papauté et le nouveau régime furent tout de suite mauvaises. La +plupart des membres de l'Assemblée Constituante, imbus des doctrines +philosophiques de leur époque et sincèrement résolus à entrer dans +la voie des réformes, se heurtèrent aux prétentions opposées de +l'Église. La résistance les irrita. Ils portèrent dans cette lutte +une animosité extraordinaire. Souvent même ils dépassèrent la mesure, +et ne réussirent qu'à compliquer par les embarras d'une guerre +religieuse une situation déjà fort embarrassée. Suppression des +annates, confiscation des biens de l'Église, occupation du comtat +Venaissin, et surtout constitution civile du clergé, telles furent +les principales attaques dirigées contre la Papauté <span class="pagenum"><a id="page190" name="page190"></a>(p. 190)</span> par les +jansénistes, alors nombreux, de la Constituante. Le pape régnant +était alors Pie VI. Il répondit à ces attaques en rappelant le nonce +et en rompant toute relation diplomatique avec la France (2 août +1791).</p> + +<p>Les ennemis de la Papauté furent heureux de cette rupture. Ils +auraient voulu pousser les choses plus loin et forcer le roi à +déclarer la guerre à Pie VI: mais Louis XVI, qui n'avait déjà +sanctionné les décrets que contraint et forcé, ne voulait à aucun +prix la guerre contre le chef de l'Église. Le Pape, de son côté, +regrettait d'avoir été poussé à la dure extrémité d'une rupture avec +la France. Bien que sollicité par les souverains, qui formaient +alors une coalition contre notre pays, à entrer dans la ligue, il se +contenta de les assurer de ses sentiments d'amitié, mais n'ordonna +aucun préparatif militaire. Des deux côtés, tout en simulant une +indifférence officielle, on s'occupait donc de ce qui se passait dans +les deux pays, et il n'était pas une des journées de la révolution +parisienne qui n'eût à Rome son retentissement et son contre-coup.</p> + +<p>Une catastrophe imprévue faillit amener la guerre directe. Un +envoyé de la France à Rome, Hugon de Basville<a id="footnotetag282" name="footnotetag282"></a><a href="#footnote282" title="Go to footnote 282"><span class="smaller">[282]</span></a>, qui avait +provoqué la populace romaine par d'inopportunes manifestations, +fut assassiné, et tous ceux de nos compatriotes qui résidaient +alors dans la capitale du monde chrétien insultés, battus et pillés +(janvier 1793). Quand arriva à Paris la nouvelle de l'attentat, +il n'y eut qu'un cri de fureur et d'indignation. À peine avait-on +achevé la lecture du rapport adressé par le conseil exécutif que, +de toutes parts, on réclama l'urgence. À la Convention comme dans +la presse, ce fut un véritable débordement d'injures contre la +papauté, mais ces déclamations n'aboutirent à rien, car on entrait +alors dans la terrible année 1793. L'Europe entière assiégeait nos +frontières. <span class="pagenum"><a id="page191" name="page191"></a>(p. 191)</span> La guerre civile avait éclaté dans la moitié +de nos départements. La Convention se déchirait elle-même. Dans le +tumulte de ces luttes gigantesques, la question romaine fut oubliée. +Sans doute la Papauté et la République romaine furent censées en +état de guerre, et, de temps à autre, quelque ministre ou quelque +journaliste, pour se donner un regain de popularité, proposa de +marcher contre Rome et de laver dans le sang du dernier des pontifes +l'injure de la France, mais le crime n'en resta pas moins impuni, +et, pour employer une expression du temps, les cendres de Basville +restèrent longtemps sans vengeance.</p> + +<p>Bonaparte fut ce vengeur. Lorsqu'il descendit en Italie, en 1796, on +avait depuis longtemps, de part et d'autre, substitué à la guerre de +fait la guerre de propagande. Pie VI ne se contentait pas d'ouvrir +ses États aux émigrés et de leur assurer des ressources, il prêchait +une véritable croisade en faveur de ceux qu'on appelait déjà les amis +du trône et de l'autel; il encourageait à la résistance Vendéens et +royalistes; il soutenait de ses exhortations tous ceux des membres +du clergé, et ils étaient nombreux, qui n'avaient pas voulu prêter +serment à la Constitution civile; il promettait à nos ennemis les +secours du ciel, et ses représentants auprès des cours étrangères se +faisaient remarquer par leur acharnement contre la France. Le Pape en +un mot n'était pas le plus puissant, mais un des plus déterminés et +des plus dangereux membres de la coalition formée contre notre pays.</p> + +<p>Il est vrai que les divers gouvernements qui se succédèrent en France +semblaient prendre à tâche d'exciter les colères pontificales par +leurs attaques inconsidérées. Ils ne tarissaient pas en déclamations +sur la nécessité de renverser l'«idole romaine». C'était comme un +thème convenu dans les discours de l'époque. Comme les souvenirs +antiques hantaient alors les imaginations et qu'on se grisait en +quelque sorte avec les mots de Brutus, de Tarquin ou de Capitole, +les descendants de Camille étaient menacés d'une nouvelle invasion +de Gaulois conduits par un autre Brennus. Ce n'étaient pas <span class="pagenum"><a id="page192" name="page192"></a>(p. 192)</span> +seulement des orateurs de club, jaloux de se fabriquer à peu de frais +une popularité de quelques instants, ou des journalistes en quête +d'un article retentissant; les membres du gouvernement eux-mêmes se +laissaient aller à ces invectives passionnées. Le Directoire surtout +se signala par cette haine rétrospective. L'un des cinq premiers +directeurs croyait avoir contre le Pape des griefs tout particuliers. +C'était Larévellière-Lépeaux, le très honnête mais assez ridicule +fondateur d'une religion nouvelle, qu'il avait intitulée la +théophilanthropie. Cet inventeur de religion avec garantie du +gouvernement considérait Pie VI comme un rival, ou plutôt comme +un concurrent, et ne cessait de pousser ses collègues à la guerre +contre Rome, espérant qu'il parviendrait de la sorte à substituer +à la superstition romaine le culte idéal de la théophilanthropie. +C'est surtout dans ses mémoires, imprimés mais non publiés, on ne +sait en vertu de quel scrupule, par la famille du directeur, qu'il +faut suivre la trace de la campagne dirigée par Larévellière-Lépeaux +contre celui qu'on appelait plaisamment son collègue. On voit, +en parcourant ces mémoires, dont quelques exemplaires ont été +distribués, comment le théophilanthrope, ne pouvant, comme il l'eût +désiré, conduire à Rome les armées françaises, dirigea contre son +ennemi toute une légion de gazetiers et de pamphlétaires, même de +jansénistes vindicatifs, et à la propagande réactionnaire dans nos +départements de l'Ouest répondit par la propagande démocratique et +anticatholique dans les États pontificaux.</p> + +<p>Aussi bien les autres membres du Directoire, s'ils ne poursuivaient +pas en Pie VI un ennemi personnel, partageaient néanmoins contre +la Papauté la plupart des préventions de Larévellière-Lépeaux. +Lorsqu'ils décidèrent l'entrée de Bonaparte en Italie, ils +insistèrent dans leurs instructions au général sur la nécessité de +détrôner le Pape et de détruire le pouvoir temporel. Pie VI était +à leurs yeux un de leurs plus dangereux ennemis, et il n'était que +temps de le punir de son intervention dans nos affaires intérieures. +Les membres <span class="pagenum"><a id="page193" name="page193"></a>(p. 193)</span> du Directoire n'ont jamais varié sur ce +point. La chute de Pie VI était en quelque sorte un des axiomes +de leur programme politique. Elle était sans doute subordonnée +aux circonstances, mais il était entendu qu'on profiterait de ces +circonstances, qu'on les provoquerait au besoin. Voici du reste, +et nous la choisissons entre plusieurs, comme étant l'expression +définitive des intentions du gouvernement français à cet égard, voici +une dépêche du directeur Rewbell à Bonaparte, en date du 3 février +1797, très explicite et ne laissant aucun doute: «En portant son +attention sur tous les obstacles qui s'opposent à l'affermissement de +la Constitution française, le Directoire exécutif a cru s'apercevoir +que le culte romain était celui dont tous les ennemis de la liberté +pouvaient faire d'ici à longtemps le plus dangereux usage. Vous êtes +trop habitué à réfléchir, citoyen général, pour n'avoir pas senti, +tout aussi bien que nous, que la religion romaine sera toujours +l'ennemie irréconciliable de la République, d'abord par son essence, +et, en second lieu, parce que ses sectateurs et ses ministres ne lui +pardonneront jamais les coups qu'elle a portés à la fortune et au +crédit des premiers, aux préjugés des autres... Le Directoire vous +invite donc à faire tout ce qui vous paraîtra possible pour détruire +le gouvernement papal, de manière que, soit en mettant Rome sous une +autre puissance, soit, ce qui serait mieux encore, en y établissant +une forme de gouvernement intérieur qui rendrait méprisable et odieux +le gouvernement des prêtres, de manière que le Pape et le sacré +collège ne pussent concevoir l'espoir de jamais siéger dans Rome, et +fussent obligés d'aller chercher un asile dans quelque lieu que ce +fût, où au moins ils n'auraient plus de puissance temporelle.»</p> + +<p>Si Bonaparte avait suivi à la lettre ces instructions, son premier +soin, aussitôt après la défaite des Piémontais et la conquête de +Lombardie, eût été de courir à Rome et d'y proclamer la Révolution. +Quelques-uns de ses lieutenants, égarés par leurs préjugés, le +poussaient à cette entreprise. Les agents du Directoire, tous +les partisans des doctrines jacobines, <span class="pagenum"><a id="page194" name="page194"></a>(p. 194)</span> et de nombreux +Italiens qui croyaient de bonne foi que la destruction du pouvoir +temporel leur ouvrirait une ère de liberté sans mélange et de +prospérité sans fin, pressaient l'heureux vainqueur d'entrer à Rome. +Heureusement pour lui et pour son armée, Bonaparte ne céda pas à +ces sollicitations. Il ne voulut pas s'exposer à être enfermé dans +sa propre conquête. Il préféra engager avec l'Autriche un duel de +plusieurs mois qui se termina par un éclatant triomphe, et se réserva +d'aller plus tard à Rome. On a prétendu que, saisi de respect pour le +Pape, il ne voulut pas rompre avec le chef du catholicisme. Pourtant +les préjugés religieux ne furent jamais une entrave bien gênante pour +Bonaparte. Bien souvent, dans le cours de sa prodigieuse carrière, il +devait, suivant les circonstances, se servir du catholicisme comme +d'une arme de combat, ou essayer de le réduire à l'impuissance, +lorsqu'il croyait utile de l'annihiler. Quant à son respect pour les +souverains et pour les vieillards, ce respect fut toujours subordonné +à ses intérêts. Si donc, malgré les instructions très précises +du Directoire, et la pression, souvent importune, de ceux qui +l'entouraient, Bonaparte ne voulut pas s'engager dans une expédition +à fond contre la Papauté, ce ne fut ni par crainte des ressources +temporelles du chef de la catholicité, ni par respect involontaire +et en quelque sorte inconscient pour sa personne, ce fut uniquement +parce qu'il considérait l'Autriche comme son principal adversaire, +et qu'il était résolu à concentrer, jusqu'à nouvel ordre, tous ses +efforts contre l'Autriche. Il était certes trop bon tacticien pour +se dissimuler les dangers d'une diversion tentée sur son flanc droit +par une armée pontificale, mais il savait très bien que cette armée +pontificale n'était pas bien redoutable, et comme chez lui les +préoccupations militaires remportaient sur les haines politiques, il +voulait, non sans raison, se débarrasser du plus redoutable de ses +ennemis, l'Autriche, avant d'accabler le plus faible, c'est-à-dire le +Pape.</p> + +<p>On se demande avec étonnement d'un autre côté pourquoi Pie VI +ne profita pas des circonstances, puisqu'il était en <span class="pagenum"><a id="page195" name="page195"></a>(p. 195)</span> +lutte avec la France et n'ignorait pas les desseins formés contre +lui par le Directoire, pour courir au secours de l'Autriche et +empêcher, par cette irruption dans nos lignes, la marche en avant +de Bonaparte; mais le Pape, pas plus lui que les autres princes +italiens, ne s'attendait à la brusque invasion de la Péninsule +par l'armée française; il s'attendait encore moins aux victoires +répétées de Bonaparte. Il n'avait pas d'armée organisée, en état +d'entrer en campagne, et, avec les ressources dont il disposait, il +ne pouvait improviser cette armée. Il agit néanmoins dans la mesure +de ses forces pour s'opposer à nos succès. Par ses ordres la chaire +retentit d'emphatiques et furibondes attaques contre la France. +Quelques exaltés allèrent même, dans l'exagération de leur zèle, +jusqu'à traiter les Français de cannibales. On imprima, les brochures +existent encore<a id="footnotetag283" name="footnotetag283"></a><a href="#footnote283" title="Go to footnote 283"><span class="smaller">[283]</span></a>, que les Français ne croyaient ni à Dieu, ni au +diable, mais que cependant ils adoraient des idoles, entre autres des +bonnets phrygiens et des arbres de liberté. On répandit sur leurs +mœurs mille contes effrayants, et les pseudo-miracles éclatèrent +en foule. Ici des madones, exposées à la vénération des fidèles dans +les églises ou au coin des rues avaient cligné des yeux; là elles +avaient pleuré, ou bien une pâleur livide s'était répandue sur leurs +joues, sans doute à l'approche de ces païens de Français. L'abbé +Vincent Albertini<a id="footnotetag284" name="footnotetag284"></a><a href="#footnote284" title="Go to footnote 284"><span class="smaller">[284]</span></a> composa même à ce sujet un ouvrage de haute +dévotion, qui fut distribué à profusion dans les campagnes, et où il +se répandit en invectives contre «<a id="footnotetag285" name="footnotetag285"></a><a href="#footnote285" title="Go to footnote 285"><span class="smaller">[285]</span></a>cette race abominable d'hommes +antisociaux et inhumains, se disant philosophes et régénérateurs».</p> + +<p>On espérait préparer ainsi contre les Français de nouvelles vêpres +siciliennes. En effet la populace ignorante des villages, <span class="pagenum"><a id="page196" name="page196"></a>(p. 196)</span> +les montagnards des Apennins surtout, fanatisés par leurs curés et +leurs moines, se disposèrent à une énergique résistance, mais, dans +les grandes villes, les bourgeois et les fonctionnaires riaient de +ces moyens séniles de réchauffer l'enthousiasme. Dans les villes +du nord, particulièrement à Bologne, à Ferrare, et dans toutes les +légations, qui étaient éloignées de la capitale et regrettaient leurs +privilèges municipaux, on ne tenait nul compte de ces excitations +officielles. On se préparait même à bien accueillir les Français, et, +comme les grands mots de liberté et de patrie avaient profondément +retenti dans l'Italie entière, tous ceux qui croyaient à l'avenir +de la nation, non seulement étaient résolus à ne pas seconder +l'action du gouvernement pontifical, mais encore n'attendaient qu'une +occasion pour se déclarer en notre faveur. À Rome même bon nombre de +citoyens rêvaient déjà la chute de Pie VI et le rétablissement de +la République. L'un d'entre eux, un architecte distingué, Francesco +Milizia<a id="footnotetag286" name="footnotetag286"></a><a href="#footnote286" title="Go to footnote 286"><span class="smaller">[286]</span></a>, écrivit à ses amis des lettres qui, depuis, ont été +publiées, et qui ne présentent pas qu'un intérêt local, car elles +font connaître l'opinion de la bourgeoisie romaine. Or, dans ses +lettres, Milizia parle à plusieurs reprises du dégoût que lui +inspiraient à ses amis et à lui les menées pontificales, et de la +sympathie qu'ils ressentaient au contraire pour les Français.</p> + +<p>Le gouvernement pontifical a toujours été admirablement informé. Pie +VI et ses conseillers savaient donc que l'opinion publique était +hésitante et que les succès de la France trouvaient à Rome un écho +complaisant. Ils n'ignoraient pas d'un autre côté que le Directoire +pressait Bonaparte d'entrer à Rome. Ils activèrent donc l'armement +de leurs troupes et se disposèrent à intervenir directement. Le +moment paraissait favorable. La Lombardie était mécontente, Venise +s'agitait, Gênes et le Piémont s'insurgeaient sur nos derrières, la +Toscane <span class="pagenum"><a id="page197" name="page197"></a>(p. 197)</span> ouvrait aux Anglais Livourne et Porto-Ferraio, enfin +Wurmser s'apprêtait à déboucher du Tyrol, pour débloquer Mantoue, +à la tête de 70,000 hommes. Si les 20,000 pontificaux arrivaient à +temps pour se joindre aux Autrichiens, Bonaparte était pris entre +deux feux, et la situation de l'armée française gravement compromise.</p> + +<p>Bonaparte n'avait jusqu'alors qu'annoncé une prochaine expédition +contre Rome. Il avait même, dans sa proclamation du 26 avril, +parlé des cendres des vainqueurs de Tarquin que foulaient encore +les assassins de Basville, mais il s'était contenté de cette +période retentissante, et n'avait pas dirigé un seul de ses soldats +contre le Pape. Il voulut néanmoins, puisque le Pape manifestait +l'intention d'entrer en campagne contre la France, et que cette +intervention pouvait, à un moment donné, devenir dangereuse, il +voulut la prévenir, tout en donnant une apparence de satisfaction aux +rancunes directoriales. Augereau reçut donc l'ordre de disperser le +rassemblement pontifical.</p> + +<p>Les Bolonais, qui ont toujours détesté le gouvernement des prêtres, +venaient de députer à Bonaparte les sénateurs Caprara et Malvasia et +l'avocat Pistorini, pour le prier de les affranchir d'une domination +abhorrée. Prompt à saisir les occasions, Bonaparte enjoignit à son +lieutenant Augereau de marcher d'abord sur Bologne et sur Ferrare. +Les Français y entrèrent sans résistance. L'imposante citadelle +de Ferrare et Urbino capitulèrent sans tirer un coup de canon. +Bonaparte arriva lui-même à Bologne le 19 juin et fut accueilli par +une immense acclamation. Il s'empressa de renvoyer les cardinaux +légats Pignatelli et Vincenti, et flatta l'amour-propre des Bolonais +en leur promettant de restaurer la République<a id="footnotetag287" name="footnotetag287"></a><a href="#footnote287" title="Go to footnote 287"><span class="smaller">[287]</span></a>. Aussitôt Faenza +suivit le mouvement, et la Romagne tout entière se détacha de la +Papauté. Bonaparte comprit qu'il lui suffisait d'exploiter la +situation pour effrayer Pie VI, et qu'une expédition sur Rome était +à tout le moins inutile. «Il <span class="pagenum"><a id="page198" name="page198"></a>(p. 198)</span> me sera facile d'aller jusqu'à +Rome, écrivait-il<a id="footnotetag288" name="footnotetag288"></a><a href="#footnote288" title="Go to footnote 288"><span class="smaller">[288]</span></a> à Carnot; cependant, comme les opérations de +l'Allemagne peuvent changer notre position d'un instant à l'autre, +je crois qu'il serait bon qu'on me laissât la faculté de conclure +l'armistice avec Rome ou d'y aller. Dans le premier cas, me prescrire +les conditions de l'armistice; dans le second, me dire ce que je dois +y faire, car mes troupes ne pourraient pas s'y maintenir longtemps. +L'espace est immense, le fanatisme très grand.» En même temps, pour +faire accepter plus facilement sa désobéissance aux ordres formels +du Directoire<a id="footnotetag289" name="footnotetag289"></a><a href="#footnote289" title="Go to footnote 289"><span class="smaller">[289]</span></a>, il s'étendait avec complaisance sur les moyens +nouveaux que la révolte de la Romagne mettait à sa disposition. «Pour +faire trembler la cour de Rome et lui faire sentir que sa magie sur +le peuple n'aurait pas d'effet contre nous, j'ai autorisé le Sénat +de Bologne à regarder comme nuls et non avenus tous les décrets de +Rome, attentatoires à sa liberté. Cela fait le plus grand plaisir à +ce pays-ci, et en sera d'autant plus sensible à la cour de Rome. Cela +vous ouvre le chemin pour faire de ce pays, à la paix définitive, +ce que vous jugerez convenable. Pendant tout le temps que durera +l'armistice, nous n'aurons pas besoin de tenir de troupes ici, car, +de la manière dont je les brouille avec la cour de Rome, ils en +craindront toujours la vengeance et le ressentiment.»</p> + +<p>Bonaparte, en effet, songeait déjà à négocier un accommodement; +mais, fidèle à la tactique qui lui avait plusieurs fois réussi, il +poursuivait sa marche tout en négociant. Les unes après les autres, +toutes les forteresses pontificales tombaient entre nos mains, et +les canons qui garnissaient leurs murailles étaient aussitôt envoyés +sous Mantoue pour activer le siège de la citadelle autrichienne. +Une nouvelle division française, commandée par Vaubois, menaçait +Rome par la Toscane, et, dès le 26 juin, arrivait à Pistoïa. Rome +était consternée. On y parlait déjà du connétable de Bourbon; on se +figurait que les <span class="pagenum"><a id="page199" name="page199"></a>(p. 199)</span> Français allaient y renouveler les horreurs +du sac de 1527; mais Bonaparte, qui ne partageait<a id="footnotetag290" name="footnotetag290"></a><a href="#footnote290" title="Go to footnote 290"><span class="smaller">[290]</span></a> pas contre +Pie VI les préjugés du Directoire, ne tenait pas à s'enfoncer dans +la péninsule. Il se rappelait que toutes les invasions françaises +avaient échoué parce que nos soldats avaient pénétré dans le cœur +de l'Italie avant d'en avoir occupé les avenues. D'ailleurs, il lui +tardait de continuer contre les Autrichiens la grande lutte qui seule +déciderait des destinées de la péninsule. Aussi accueillit-il avec +empressement le ministre d'Espagne, Azara, auquel Pie VI avait donné +plein pouvoir pour négocier, s'il était possible, un accommodement +honorable.</p> + +<p>Bonaparte n'attendit pas de nouvelles instructions du Directoire, +et profita du désarroi où ses rapides manœuvres avaient jeté la +cour pontificale, pour signer le 23 juin, assisté de Garreau et de +Salicetti, l'armistice de Bologne<a id="footnotetag291" name="footnotetag291"></a><a href="#footnote291" title="Go to footnote 291"><span class="smaller">[291]</span></a>. Les conditions en étaient +dures. Il y était dit que le gouvernement français, par déférence +pour le roi d'Espagne, consentait à suspendre les hostilités, mais +le pape s'engageait à envoyer un plénipotentiaire à Paris pour y +régler la paix définitive. Il relâchait les patriotes, promettait une +indemnité pour le meurtre de Basville, fermait tous les ports de ses +États aux ennemis de la France, consentait à ce que les légations +de Bologne, de Ferrare et la citadelle d'Ancône continuassent à +être occupées par nos troupes, promettait cent tableaux, cinq cents +manuscrits et vingt et un millions, dont quinze et demi payables en +numéraire et cinq et demi en marchandises. Les paiements se feraient +en trois termes, dans quinze jours, un mois et trois <span class="pagenum"><a id="page200" name="page200"></a>(p. 200)</span> mois. +Enfin le Pape donnerait passage sur son territoire aux troupes +françaises toutes les fois que la demande lui en serait adressée.</p> + +<p>Ces conditions étaient dures. Elles l'auraient été bien davantage +sans l'adresse d'Azara qui, ne pouvant rien obtenir de Bonaparte, +s'était retourné du côté de Carreau et de Saliceti, et avait fini par +leur arracher l'aveu que l'armée française ne pouvait marcher sur +Rome<a id="footnotetag292" name="footnotetag292"></a><a href="#footnote292" title="Go to footnote 292"><span class="smaller">[292]</span></a>. Il en avait aussitôt profité pour élever ses prétentions. +Il avait notamment refusé que les trésors de Notre-Dame de Lorette +fussent remis à la France. Bonaparte fut obligé d'ordonner une +marche de nuit sur Ravenne. Ce fut seulement quand il eut appris +cette nouvelle manœuvre qu'Azara consentit à la contribution de +vingt et un millions, dont un million figurant la rançon de Lorette. +Dans la pensée des deux parties contractantes, les conditions de +cet armistice n'étaient pas définitives. De part et d'autre, on ne +cherchait qu'à gagner du temps pour reprendre ce qu'on avait donné. +Bonaparte ne pouvait, en effet, se dissimuler qu'il avait outrepassé +les instructions du Directoire en ménageant un souverain qu'on lui +avait ordonné de renverser à tout prix. Aussi crut-il nécessaire +de se justifier. Il insistait<a id="footnotetag293" name="footnotetag293"></a><a href="#footnote293" title="Go to footnote 293"><span class="smaller">[293]</span></a> sur la haine que les Bolonais +portaient au Pape, il démontrait<a id="footnotetag294" name="footnotetag294"></a><a href="#footnote294" title="Go to footnote 294"><span class="smaller">[294]</span></a> l'importance stratégique +d'Ancône, enfin il affirmait que l'armistice n'était qu'une +suspension d'armes commandée par les circonstances. «L'armistice, +écrivait-il, étant <span class="pagenum"><a id="page201" name="page201"></a>(p. 201)</span> plutôt conclu avec la canicule qu'avec +l'armée du Pape, mon opinion serait que vous ne vous pressiez pas +de faire la paix, afin que, au mois de septembre, si nos affaires +d'Allemagne et du nord de l'Italie vont bien, nous puissions nous +emparer de Rome<a id="footnotetag295" name="footnotetag295"></a><a href="#footnote295" title="Go to footnote 295"><span class="smaller">[295]</span></a>.» Pie VI, de son côté, ne pouvait se résigner à +perdre, sans seulement avoir essayé de les défendre, les plus riches +de ses provinces, et il haïssait d'autant plus la France qu'il avait +été plus humilié par elle. Son premier soin fut de se rapprocher du +roi de Naples, d'enrôler de nombreux mercenaires et de se mettre en +état de prendre l'offensive à la première occasion favorable. Il +appela même à lui, pour diriger ses troupes, un général piémontais +fort réputé, Colli, que l'armistice conclu entre la France et le +Piémont, venait de réduire à l'inaction et qui ne demandait qu'à +entrer de nouveau en ligne contre son jeune vainqueur.</p> + +<p>Un<a id="footnotetag296" name="footnotetag296"></a><a href="#footnote296" title="Go to footnote 296"><span class="smaller">[296]</span></a> des commissaires français envoyés à Rome pour surveiller +l'exécution de l'armistice de Bologne, Miot, a laissé, dans ses +Mémoires, le curieux tableau de la capitale du catholicisme à ce +moment troublé de son histoire: «Rome, écrit-il<a id="footnotetag297" name="footnotetag297"></a><a href="#footnote297" title="Go to footnote 297"><span class="smaller">[297]</span></a>, présentait +le spectacle le plus singulier et le plus repoussant. Un sombre +fanatisme, que les moines excitaient, et que les plus absurdes +récits entretenaient, avait rempli toutes les âmes. Des pratiques +religieuses, des prédications fougueuses occupaient uniquement +toute la population, et les classes les plus élevées de la société +n'osaient s'en abstenir. Les rues étaient encombrées de longues +files de prêtres et de moines marchant en procession et une foule +immense les suivait. Enfin les imaginations exaltées ne rêvaient que +prodiges, meurtres et vengeances. Le gouvernement, loin de <span class="pagenum"><a id="page202" name="page202"></a>(p. 202)</span> +calmer cette effervescence, la fomentait sans merci et se figurait +y trouver la plus puissante garantie contre la propagation des +principes révolutionnaires, dont, plus que tout autre, il redoutait +l'introduction.» Miot fut donc mal accueilli à Rome, sauf par le +pape Pie VI, qui se montra cordial et presque affectueux; mais les +cardinaux se détournaient de lui. Ils affectaient de le considérer +comme un agent provocateur. Dès le mois de juillet, lorsque furent +répandus de fâcheux bruits sur de prétendues défaites subies par +la France, Miot fut menacé dans sa sécurité et obligé de regagner +précipitamment la Toscane. À Spolète, il fut même entouré par la +populace furieuse, qui jeta des pierres contre sa voiture. Il ne +parvint qu'à grand'peine à se dégager et à s'enfuir.</p> + +<p>L'occasion attendue par le gouvernement pontifical depuis l'armistice +de Bologne ne tarda pas à se présenter. Wurmser et ses 70 000 soldats +dessinaient alors leur attaque (juillet 1796). Ils descendaient du +Tyrol pour débloquer Mantoue, et, sur toute la ligne, refoulaient +nos avant-postes. Bonaparte était obligé de lever le siège de la +forteresse autrichienne, et concentrait ses forces pour repousser +cette dangereuse attaque. En cas de défaite il était perdu. Pie +VI, malgré les sages représentations du ministre d'Espagne, Azara, +ne voulut pas attendre l'issue de la lutte. Dans l'imprudente +persuasion que les Français allaient être chassés d'Italie, il +envoya le cardinal Mattei reprendre possession de Ferrare, dont la +garnison française était sortie le 21 juillet, et donna l'ordre à ses +troupes d'entrer en campagne. «La très sainte ville par excellence, +écrivait à ce propos l'architecte Milizia à son ami Lorenzo Lami, se +rend plus ridicule que jamais par ses extravagances. On s'obstine +encore à croire les exécrables Français battus et chassés d'Italie. +C'est pourquoi l'autre matin les valeureux Romains s'attroupèrent +en foule pour huer et poursuivre à coups de pierre et le couteau +à la main deux commissaires français.» La populace romaine<a id="footnotetag298" name="footnotetag298"></a><a href="#footnote298" title="Go to footnote 298"><span class="smaller">[298]</span></a> +n'était pas <span class="pagenum"><a id="page203" name="page203"></a>(p. 203)</span> seule à prendre les armes. Excités par leurs +curés, les paysans de la Romagne s'insurgeaient, et leurs bandes se +concentraient à Lugo, dans le Ferrarais. Ne leur avait-on pas fait +croire<a id="footnotetag299" name="footnotetag299"></a><a href="#footnote299" title="Go to footnote 299"><span class="smaller">[299]</span></a> tantôt que Bonaparte avait été battu, tantôt qu'il avait +été fait prisonnier et enfermé dans une cage de fer, ou même qu'il +avait été tué et enterré à Florence, dans le jardin de Miot! Aussi +l'exaltation de ces bandes tumultueuses était-elle considérable. +Elles ne croyaient pas aller au combat, mais plutôt au massacre. +C'était, suivant une expression de l'époque, une Vendée pontificale +qui s'organisait sur notre flanc.</p> + +<p>Sur ces entrefaites, Bonaparte remporta coup sur coup les victoires +de Lonato, Castiglione, Roveredo, Bassano et Saint-Georges. Wurmser +fut enfermé à Mantoue. La cour pontificale resta seule exposée à +notre vengeance.</p> + +<p>Bonaparte, cette fois encore, agit avec prudence. Il feignit<a id="footnotetag300" name="footnotetag300"></a><a href="#footnote300" title="Go to footnote 300"><span class="smaller">[300]</span></a> de +considérer comme une incartade sans conséquence les démonstrations +hostiles de la Papauté, et se contenta de réoccuper les villes cédées +par l'armistice de Bologne. Il ordonna cependant au cardinal Mattei +de venir le rejoindre à son quartier général. Le malencontreux +serviteur de la Papauté croyait aller au-devant du dernier supplice, +mais il obéit<a id="footnotetag301" name="footnotetag301"></a><a href="#footnote301" title="Go to footnote 301"><span class="smaller">[301]</span></a>. «Savez-vous, Monseigneur, se contenta de lui +dire <span class="pagenum"><a id="page204" name="page204"></a>(p. 204)</span> Bonaparte, que je peux vous faire fusiller?—Je le +sais, répondit avec dignité le cardinal, et je ne vous demande qu'un +quart d'heure pour me préparer à la mort.—Pas du tout, répliqua +le général, qui admirait le vrai courage, ou qui peut-être n'avait +cherché qu'à produire sur l'esprit de ce vieillard une impression de +terreur, calmez-vous, ne soyez pas si irritable, et causons, car je +suis le meilleur ami de Rome.» En effet il lui dévoila sa politique, +et le persuada qu'au prix de quelques concessions territoriales ou +pécuniaires, il garantirait à la Papauté le libre exercice de ses +droits en matière religieuse. Ce n'était de la part de Bonaparte +qu'une feinte, car il écrivait<a id="footnotetag302" name="footnotetag302"></a><a href="#footnote302" title="Go to footnote 302"><span class="smaller">[302]</span></a> au même moment à l'ambassadeur +d'Espagne, Azara, et avait grand soin d'énumérer tous ses griefs +contre la Papauté. Il se réservait évidemment d'agir au moment +opportun, et, s'il avait pris soin de se poser aux yeux du cardinal +Mattei comme le fils dévoué de l'Église, c'est parce qu'il croyait +utile à ses desseins de ménager le Pape jusqu'à nouvel ordre, et +pensait que Mattei serait l'instrument inconscient de ses projets.</p> + +<p>En réalité, Bonaparte avait été fort irrité de l'hostilité déclarée +de la cour pontificale. La preuve de cette irritation, ce fut +l'énergie sauvage avec laquelle furent dispersées les bandes de +paysans insurgés. Ces paysans s'étaient enfermés à Lugo. Ils y +avaient installé une sorte de gouvernement provisoire, et, ce +qui était plus grave, ils avaient fait tomber dans une embuscade +une soixantaine de dragons français, leur avaient coupé la tête +et avaient exposé les cadavres dans la maison commune. Le chargé +d'affaires d'Espagne, baron Capelletti, s'était rendu au foyer +de la sédition et avait essayé de calmer les rebelles, mais il +n'avait rien obtenu. Lorsque <span class="pagenum"><a id="page205" name="page205"></a>(p. 205)</span> Augereau, chargé par Bonaparte +de tout faire rentrer dans l'ordre, s'approcha de Lugo et envoya +un parlementaire aux insurgés pour les sommer de capituler, les +paysans accueillirent cet officier par une grêle de balles. Aussi +la répression fut-elle terrible. Voici comment Augereau en rendit +compte<a id="footnotetag303" name="footnotetag303"></a><a href="#footnote303" title="Go to footnote 303"><span class="smaller">[303]</span></a> au général en chef, dans le style légèrement emphatique +de l'époque: «L'armée apostolique et son quartier général n'existent +plus. Les chouans de la Romagne et du Ferrarais ont été chassés, +battus, dispersés sur tous les points, et, si je ne me trompe, la +fantaisie de nous combattre ne les reprendra pas de longtemps... +Je marchai contre eux hier matin avec à peu près huit cents hommes +d'infanterie, deux cents chevaux, et deux pièces d'artillerie. À +une lieue et demie de la ville, leurs avant-postes cachés dans +les chanvres commencèrent à fusiller. Nos éclaireurs les firent +déguerpir, et les conduisirent, plus vite que le pas, dans la +ville où ils se crurent en sûreté. J'y fis diriger quelques coups +de canon et mettre le feu à quelques maisons: cet appareil, joint +à une fusillade assez vive, les fit déloger à la hâte; ils se +répandirent en désordre dans la campagne, où je les fis poursuivre +avec chaleur. Trois cents environ restèrent sur la place.» Afin +de prévenir le retour de révoltes semblables, Augereau édicta une +série de mesures draconiennes: tout citoyen armé sera fusillé! Toute +ville ou village où un Français aura été assassiné sera brûlée! Tout +habitant convaincu d'avoir tiré sur un Français sera fusillé et sa +maison incendiée! Tout village où sonnera le tocsin sera brûlé! +Tout attroupement dispersé par la force<a id="footnotetag304" name="footnotetag304"></a><a href="#footnote304" title="Go to footnote 304"><span class="smaller">[304]</span></a>. Certes la guerre a de +cruelles nécessités, mais les retours de la fortune sont singuliers, +et n'est-il pas déplorable de penser que d'autres peuples, dans des +circonstances analogues, n'ont fait que suivre l'exemple que nous +leur avions donné en Italie, en 1796!</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page206" name="page206"></a>(p. 206)</span> En présence d'une hostilité aussi déclarée, il peut sembler +étrange que Bonaparte n'ait pas, dès lors, cherché à briser la +puissance pontificale, d'autant plus que les ordres du Directoire à +cet égard devenaient de plus en plus impératifs, et que quelques-uns +de ses lieutenants, Augereau surtout, l'engageaient à en finir au +plus vite avec ce foyer de coalitions et de haines antifrançaises; +mais Bonaparte ne jugeait pas gagnée d'une façon définitive la +partie militaire. Il voulait ne s'avancer qu'à coup sûr, et, comme +il venait d'apprendre que l'Autriche préparait contre lui un nouvel +et formidable armement, sous les ordres d'Allwintzy, il croyait, +non sans raison, avoir besoin de toutes ses forces pour repousser +ce redoutable adversaire. Il venait même de rendre la liberté au +cardinal Mattei en lui écrivant<a id="footnotetag305" name="footnotetag305"></a><a href="#footnote305" title="Go to footnote 305"><span class="smaller">[305]</span></a>: «J'aime à me persuader que +cela n'a été de votre part que l'oubli d'un principe, dont vous avez +trop de lumière et de connaissance de l'Évangile pour ne point être +convaincu: que tout prêtre qui se mêle des affaires politiques ne +mérite point les égards qui sont dus à son caractère.» Enfin, sur +ses instances, le Directoire venait de désigner Saliceti et Garreau +comme plénipotentiaires chargés de négocier avec la Papauté un traité +définitif, et M<sup>gr</sup> Lorenzo Caleppi venait d'arriver à Florence, +avec les pleins pouvoirs du Pape, pour régler toutes les questions +pendantes (4 septembre). Bonaparte semblait donc résolu à prévenir +toute explosion nouvelle, et il semblait que la République française +et l'Église, grâce à la prudence des généraux en chef, fussent à la +veille de se réconcilier.</p> + +<p>Or, les négociations de Florence n'aboutirent pas. Caleppi croyait +n'avoir à discuter que les bases d'un traité politique, et les +commissaires du Directoire lui présentèrent à l'improviste un traité +en vingt-neuf articles, dont vingt et un publiés et huit secrets. Les +huit articles secrets étaient relatifs à l'attitude du Saint-Siège +vis-à-vis la Révolution, et à des projets de traités de commerce et +de convention consulaire. <span class="pagenum"><a id="page207" name="page207"></a>(p. 207)</span> Le Directoire exigeait notamment +que Pie VI retirât tous ses brefs contre la République, contre la +confiscation des biens de mainmorte, contre la constitution civile +du clergé, qu'il supprimât l'inquisition, qu'il renonçât à l'usage +d'avoir des castrats dans ses églises, etc. Caleppi fit remarquer +avec raison que le Pape acceptait les faits accomplis, et n'avait +de préférence pour aucune forme de gouvernement. Il allégua même +comme preuve le bulle du 5 juillet, <i>Pastoralis sollicitudo</i> qui +avait été adressée «omnibus Christefidelibus catholicis communionem +cum sede apostolica habentibus, in Gallia commorantibus, de pace +servanda ac debita constitutis potestatibus subjectione». Il finit +par déclarer qu'il ne pouvait rien prendre sur lui, et demanda à +en référer au Saint-Siège. On ne lui accorda que huit jours pour +accepter ou pour refuser en bloc les vingt-neuf articles. Pie VI +assembla aussitôt le Saint-Siège et repoussa le traité proposé: «Sa +Sainteté a reconnu avec la plus vive douleur, qu'outre l'article qui +avait été proposé à Paris, et par lequel on avait voulu l'obliger +à désapprouver, révoquer et annuler toutes les bulles, tous les +brefs, tous les rescrits apostoliques émanés de l'autorité du +Saint-Siège, et relatifs aux affaires de France depuis 1789, il y +en avait encore d'autres qui, étant infiniment préjudiciables à la +religion catholique et aux droits de l'Église, étaient par conséquent +inadmissibles et elle n'a pas voulu entrer en discussion au sujet +de ceux qui lui paraissaient destructifs de la souveraineté de ses +États, nuisibles au bonheur et à la tranquillité de ses sujets, +et ouvertement contraires aux égards dus aux autres nations et +puissances, puisqu'ils ne permettaient pas au Saint-Siège de garder +la neutralité.»</p> + +<p>Cette déclaration entraînait la rupture des conférences de Florence. +Elle équivalait à une dénonciation des hostilités. Aussi bien la cour +romaine semblait-elle décidée à entrer sérieusement en campagne. +Le feld-maréchal Allwintzy venait de commencer ses opérations, +et le début en avait été heureux. Pie VI, malgré la double leçon +qu'il avait déjà reçue, se persuada que l'Italie allait, cette +fois encore, devenir le tombeau <span class="pagenum"><a id="page208" name="page208"></a>(p. 208)</span> des Français, et résolut +de faire entrer ses troupes en campagne, afin de donner la main +aux Autrichiens d'Allwintzy. Dans une cérémonie brillante, il +investit le général Colli du commandement suprême, et le bénit comme +le chef d'une nouvelle croisade. Les Romains semblaient pleins +d'ardeur. Leur enthousiasme avait été surexcité par de fanatiques +exhortations. Contributions volontaires, enrôlements, tout semblait +marcher à souhait. On avait malheureusement escompté la victoire, et +les illusions tombèrent bien vite, car Arcole et Rivoli furent la +foudroyante réponse à cette levée de boucliers intempestive.</p> + +<p>Bonaparte n'avait conservé aucune illusion sur les sentiments de +la cour pontificale. Non seulement il avait appris que le cardinal +Albani avait été envoyé secrètement à Vienne, pour resserrer +l'alliance autrichienne, mais encore il avait intercepté une +lettre adressée par le cardinal Busea à l'ambassadeur à Vienne, +M<sup>gr</sup> Albani, qui dissipait toute équivoque. On y lisait entre +autres passages: «Tant qu'il me sera permis d'espérer du secours +de l'Empereur, je temporiserai résolument aux propositions de +paix que les Français ont faites... Toujours ferme dans mes +opinions, je croirais compromettre mon honneur en traitant avec +les Français, lorsqu'une négociation est entamée avec la cour de +Vienne.» La connivence du Saint-Siège avec les Autrichiens était +donc parfaitement établie, et Bonaparte avait le droit d'accuser de +trahison Pie VI et ses ministres.</p> + +<p>Aussi bien le vainqueur de Wurmser et d'Allwintzy<a id="footnotetag306" name="footnotetag306"></a><a href="#footnote306" title="Go to footnote 306"><span class="smaller">[306]</span></a> s'estimait +fort heureux du prétexte que lui fournissait le Saint-Siège d'entrer +en lutte contre lui. Les Autrichiens étaient refoulés en Tyrol et +dans le Frioul, Mantoue avait capitulé, les Romains seuls étaient en +armes. Comme il avait le champ libre, il pouvait maintenant marcher +contre eux et les accabler. Il le pouvait d'autant mieux que les +souverains catholiques paraissaient tout disposés à le laisser +partager à sa <span class="pagenum"><a id="page209" name="page209"></a>(p. 209)</span> guise les États pontificaux. Cacault, notre +représentant à Rome<a id="footnotetag307" name="footnotetag307"></a><a href="#footnote307" title="Go to footnote 307"><span class="smaller">[307]</span></a>, l'avait averti que l'Empereur demandait au +Pape, pour prix de son alliance, Ferrare et Commachio. Pérignon<a id="footnotetag308" name="footnotetag308"></a><a href="#footnote308" title="Go to footnote 308"><span class="smaller">[308]</span></a> +notre ambassadeur à Madrid, l'informait que le premier ministre +espagnol, don Manuel Godoï, ne demandait pas mieux que de transférer +Pie VI en Sardaigne, à condition que les États du duc de Parme +fussent agrandis par l'annexion de quelques territoires pontificaux. +Le roi de Naples, de son côté, soulevait de vieilles prétentions +sur Bénévent et Ponte Corvo, et laissait entendre que, moyennant +la cession d'Ancône, il deviendrait l'allié de la République. À +dire vrai le Pape était abandonné de tous ceux qui auraient dû le +soutenir, et cela au moment même où le vainqueur de l'Autriche avait +la libre disposition de toutes ses forces, et s'apprêtait à les +tourner contre lui.</p> + +<p>L'armée pontificale, bien que fanatisée, bien que soutenue et +entretenue par les dons volontaires des populations, ne pouvait +sérieusement<a id="footnotetag309" name="footnotetag309"></a><a href="#footnote309" title="Go to footnote 309"><span class="smaller">[309]</span></a> entrer en lutte avec les soldats qui venaient +de battre les solides régiments de Wurmser et d'Allwintzy. On le +comprenait si bien en Italie qu'on considérait Pie VI comme battu, +avant même que ses troupes eussent tiré un coup de fusil. Une pièce +bouffonne, intitulée <i>Dialogo fra il sante Padre ed il signor +Colli</i>, représente le généralissime pontifical comme profondément +découragé. Il se <span class="pagenum"><a id="page210" name="page210"></a>(p. 210)</span> plaint de l'attitude peu martiale de ses +soldats, qui se présentent au combat un rosaire à la main, et Pie VI +ne peut trouver pour le consoler que la promesse de donner les clefs +du paradis à qui lui livrera Bonaparte pieds et poings liés<a id="footnotetag310" name="footnotetag310"></a><a href="#footnote310" title="Go to footnote 310"><span class="smaller">[310]</span></a>. +Une caricature est consacrée à l'enterrement de la Papauté. Le +souverain pontife est porté en terre sur un brancard qui se brise, +pendant qu'il essaie de reprendre l'équilibre, en jetant les jambes +en l'air et en perdant sa tiare. Deux généraux le précèdent pleurant +à chaudes larmes et levant les bras au ciel. Un autre le suit sans +chapeau, tout dépenaillé, et l'habit déchiré. Les Romains eux-mêmes +ne croyaient pas au succès final. «Je crois, écrivait Gianni<a id="footnotetag311" name="footnotetag311"></a><a href="#footnote311" title="Go to footnote 311"><span class="smaller">[311]</span></a> à +son ami l'évêque Ricci, que lorsque aura lieu la première défaite des +soldats bénis du pape, déjà préparés par de saints exercices à monter +au ciel, Pie VI sera alors saisi d'une belle peur. »</p> + +<p>À vrai dire Bonaparte n'avait qu'à marcher droit devant lui, pour +disperser le rassemblement pontifical. Le 1<sup>er</sup> février 1797, il +dénonça l'armistice de Bologne et ouvrit les hostilités<a id="footnotetag312" name="footnotetag312"></a><a href="#footnote312" title="Go to footnote 312"><span class="smaller">[312]</span></a>. Il +comptait tellement sur le succès que, le même jour, il l'annonçait +à l'avance au ministre de Toscane, Manfredini: «Vous trouverez +ci-joint plusieurs pièces relatives aux affaires actuelles avec +Rome. Ces gens-là ont voulu se perdre, quoi qu'on ait fait pour +les sauver, et, comme le fanatisme et l'entêtement des vieillards +produit des résultats incalculables, ils sont gens à se perdre tout +à fait.» Le général Colli<a id="footnotetag313" name="footnotetag313"></a><a href="#footnote313" title="Go to footnote 313"><span class="smaller">[313]</span></a> avait posté une avant-garde de 6.000 +hommes à Castel Bolognese sur les bords du Senio. Le 3 au matin, ils +furent attaqués par Lannes et Lahoz, et, malgré les excitations +des moines qui <span class="pagenum"><a id="page211" name="page211"></a>(p. 211)</span> parcouraient les rangs le crucifix en +main, se dispersèrent sans résistance. Plus de 1,200 d'entre eux +tombèrent entre nos mains. Bonaparte affecta de les considérer comme +peu dangereux. Il les réunit après le combat, les assura de ses +dispositions bienveillantes, et les laissa se répandre dans le pays, +comme autant de messagers de paix. Cette politique était habile. Non +seulement les paysans déposèrent les armes, mais toutes les villes +ouvrirent leurs portes, Faenza, Forli, Cesena, Rimini, Fano.</p> + +<p>Colli avait posté le gros de ses forces en avant d'Ancône. Bonaparte +se porta contre lui, afin de couper ses communications avec Rome. +Le général quitta aussitôt cette position où il risquait d'être +enveloppé, et, par Macerata, se dirigea vers le sud. Aussitôt +Bonaparte détacha une division de son armée, commandée par Victor, +pour prendre possession de l'importante place d'Ancône. Quelques +milliers de pontificaux commandés par Bartolini en défendaient les +approches. Au premier coup de canon ils se jetèrent à plat ventre, +et se laissèrent prendre. Ce fut dans cette journée que «le général +Lannes<a id="footnotetag314" name="footnotetag314"></a><a href="#footnote314" title="Go to footnote 314"><span class="smaller">[314]</span></a> s'avança sur le bord de la mer, et, au détour du +chemin, se trouva face à face avec un corps de cavalerie ennemie, +d'environ trois cents chevaux, commandé par un seigneur romain +nommé Bischi. Lannes avait avec lui deux ou trois officiers et +huit à dix ordonnances. À son aspect le commandant de cette troupe +ordonne de mettre le sabre à la main. Lannes, en vrai Gascon, paya +d'effronterie, et fit le tour le plus plaisant du monde. Il courut au +commandant et d'un ton d'autorité lui dit: «De quel droit, monsieur, +osez-vous faire mettre le sabre à la main? Sur-le-champ, le sabre au +fourreau.—Subito, répond le commandant.—Que l'on mette pied à terre +et que l'on conduise ces chevaux au quartier général.—Adesso, reprit +le commandant, et la chose fut faite ainsi. Lannes me dit le soir: si +je m'en étais allé, les maladroits m'auraient lâché quelques coups +de carabine. J'ai pensé qu'il <span class="pagenum"><a id="page212" name="page212"></a>(p. 212)</span> y avait moins de risques à +payer d'audace et d'impudence.»</p> + +<p>Les unes après les autres toutes les villes pontificales tombaient +entre nos mains. Après Ancône ce fut le tour de Lorette. Bonaparte y +courut. Il voulait faire d'Ancône comme une place d'armes imprenable +et comptait la garder à la paix générale pour s'en servir dans ses +futurs desseins sur le monde oriental. Quant à Lorette, ce n'était +qu'un sanctuaire enrichi par les dons des pèlerins. II n'y trouva +que quelques bijoux et la fameuse madone qu'il se contenta d'envoyer +au Directoire avec cette sèche mention: «La madone est en bois.» +Partout où il passait il rassurait les populations<a id="footnotetag315" name="footnotetag315"></a><a href="#footnote315" title="Go to footnote 315"><span class="smaller">[315]</span></a>, organisait +des municipalités provisoires, et recommandait à ses soldats la plus +stricte discipline. Il essayait même de gagner les prêtres à sa +cause, les accablait de caresses et se servait d'eux, par exemple +du général des Camaldules et du prieur des bénédictins de Cesena, +Ignazio, comme d'intermédiaires auprès des paysans et des bourgeois. +Il continuait à renvoyer les prisonniers de guerre, et annonçait +à tous qu'il ne voulait pas détruire la religion, mais simplement +réformer les abus du gouvernement clérical. Il avait même<a id="footnotetag316" name="footnotetag316"></a><a href="#footnote316" title="Go to footnote 316"><span class="smaller">[316]</span></a>, par +un acte de généreuse clémence, rassuré les prêtres français, émigrés +en grand nombre dans les États pontificaux, et obligés de fuir devant +leurs compatriotes, à la vue desquels ils se mettaient à pleurer.</p> + +<p>À la nouvelle des succès inattendus de Bonaparte, Pie VI et les +cardinaux s'étaient préparés à la fuite. Ils avaient même fait +emballer et transporter à Terracine ce que le trésor et les églises +contenaient de plus précieux; mais apprenant que Bonaparte ne se +présentait nullement comme le destructeur <span class="pagenum"><a id="page213" name="page213"></a>(p. 213)</span> de la religion +et l'irréconciliable ennemi du Saint-Siège, ils reprirent courage, +et songèrent à entamer de nouvelles négociations. Ils s'adressèrent +aux représentants de la Toscane, de l'Espagne, de Naples même, et +les supplièrent d'obtenir du vainqueur sinon la paix définitive au +moins un armistice. Ce fut l'ambassadeur de Naples, le prince de +Belmonte Pignatelli, qui prit sur lui d'aller trouver Bonaparte à +Ancône, et de lui exposer son désir de voir signer la paix entre la +France et Rome. La cour de Naples en effet se souciait très peu du +voisinage des Français, et Pignatelli avait reçu l'ordre de proposer +la médiation armée de son souverain. À cette ouverture Bonaparte +s'emporta et déclara qu'il était tout prêt, puisque le roi de Naples +lui jetait le gant, à le relever. Pignatelli s'était trop avancé: +il se contenta d'offrir ses bons services et de supplier Bonaparte +d'accorder la paix.</p> + +<p>Bonaparte songeait déjà à reprendre l'offensive contre l'Autriche. Il +ne voulait pas s'engager dans cette nouvelle entreprise sans avoir +terminé son différend avec le Saint-Siège. D'ailleurs Pie VI n'avait +pas encore fait appel aux passions religieuses, et il était urgent +de ne pas s'exposer à une guerre de principes, qui aurait peut-être +soulevé contre les Français l'Italie entière. Il feignit donc de +condescendre au désir exprimé par la cour de Naples, et comme au même +moment les ambassadeurs d'Espagne et de Toscane, Azara et Massimi, +firent auprès de lui une démarche analogue à celle de Pignatelli, il +se déclara prêt à ouvrir des négociations. Pie VI envoya aussitôt +auprès de lui, en qualité de plénipotentiaires, Massimi, le duc +Braschi, Caleppi et Mattei.</p> + +<p>Le choix de ce dernier s'imposait en quelque sorte. Bonaparte avait +toujours affecté de le considérer comme un intermédiaire nécessaire +entre lui et la Papauté. Il l'avait choisi comme le confident<a id="footnotetag317" name="footnotetag317"></a><a href="#footnote317" title="Go to footnote 317"><span class="smaller">[317]</span></a>, +d'ailleurs très involontaire, de ses desseins. <span class="pagenum"><a id="page214" name="page214"></a>(p. 214)</span> Il lui avait +même écrit à plusieurs reprises, dès le 21 octobre 1796, alors que +les conférences de Florence venaient d'être rompues. Il s'était +plaint au cardinal de cette faute politique, dont il déplorait +d'avance les conséquences, et le priait d'éclairer le Pape sur ses +véritables intérêts. «La cour de Rome a refusé les conditions de +paix que lui a offertes le Directoire; elle a rompu l'armistice +en suspendant l'exécution des conditions; elle arme, elle veut la +guerre, elle l'aura. Vous connaissez les forces et la puissance +de l'armée que je commande. Pour détruire la puissance temporelle +du Pape, il ne me faudrait que le vouloir. Allez à Rome, voyez le +Saint-Père, éclairez-le sur ses véritables intérêts, arrachez-le aux +intrigues de ceux qui veulent sa perte et celle de la cour de Rome.» +Le 22 janvier, au moment où il se décidait à entrer en campagne, il +avait encore écrit<a id="footnotetag318" name="footnotetag318"></a><a href="#footnote318" title="Go to footnote 318"><span class="smaller">[318]</span></a> à Mattei: «Les étrangers qu'influencent la +cour de Rome ont voulu et veulent encore perdre ce beau pays; les +paroles de paix que je vous avais chargé de porter au Saint-Père ont +été étouffées par ces hommes pour qui la gloire de Rome n'est rien, +mais qui sont entièrement vendus aux cours qui les emploient. Nous +touchons au dénouement de cette ridicule comédie. Vous êtes témoin +du prix que j'attachais à la paix et du désir que j'avais de vous +épargner les horreurs de la guerre, les lettres que je vous fais +passer, et dont j'ai les originaux entre les mains, vous convaincront +de la perfidie et de l'étourderie de ceux qui dirigent actuellement +la cour de Rome». Un mois plus tard, le 13 février, c'est encore +à Mattei qu'il s'adressait<a id="footnotetag319" name="footnotetag319"></a><a href="#footnote319" title="Go to footnote 319"><span class="smaller">[319]</span></a> pour se plaindre de l'aveuglement +des conseillers de Pie VI. «On s'est rallié aux ennemis de la +France lorsque les premières puissances de l'Europe s'empressaient +de reconnaître la République, et de désirer la paix avec elle; on +s'est longtemps bercé de vaines chimères, et on n'a rien oublié +pour consommer la destruction de ce beau pays.» Il finissait sa +lettre <span class="pagenum"><a id="page215" name="page215"></a>(p. 215)</span> en assignant un terme de cinq jours pour envoyer des +plénipotentiaires, ou sinon il ne répondait pas de l'avenir.</p> + +<p>Mattei était donc l'homme de la situation, mais il n'avait ni la +finesse ni la tranquillité d'esprit nécessaires pour lutter avec +Bonaparte. D'ailleurs, il était disposé à toutes les concessions +politiques, pourvu qu'on ménageât les intérêts spirituels de la +Papauté, et Bonaparte, qui ne nourrissait pas contre le Saint-Siège +la haine irraisonnée d'un Larévellière-Lépeaux ou des sectaires +jacobins, ne demandait pas mieux que de faire sur le terrain +religieux toutes les concessions possibles. Mattei qui se souvenait +encore de sa première entrevue à Ferrare avec Bonaparte, ne put +dominer son émotion quand il se retrouva le 18 février en sa +présence. Il n'osa pas ouvrir la bouche. Heureusement pour lui, +Cacault, l'ancien ministre, promit de l'avertir et même de le +réveiller à n'importe quelle heure pour le prévenir des intentions de +Bonaparte. C'est ce qui eut lieu dans la nuit du 18 au 19 février. On +raconte même que le duc Braschi, troublé dans son sommeil, reçut fort +mal l'officieux intermédiaire, et que Cacault se retirait furieux, +lorsque le cardinal Mattei se jeta à ses pieds en le conjurant de +lui communiquer les articles du traité, et de lui accorder quelques +heures de réflexion. À vrai dire, cette dernière précaution était +inutile, car Bonaparte était résolu à ne rien changer aux conditions +de ce traité, et les envoyés de Pie VI n'avaient pas à le discuter, +mais bien à le signer.</p> + +<p>Il n'y avait pas, en effet, deux puissances belligérantes en +présence, mais un souverain désarmé, à la merci d'un vainqueur +tout-puissant. Que faire de ce souverain? Deux solutions se +présentaient: le renverser ou le maintenir. Le Directoire penchait +vers la première solution. Un des amis du Directoire, l'ancien évêque +Grégoire, était tellement persuadé de la chute prochaine du Pape que, +dès le 13 janvier 1797, il avait écrit à son ami et collègue, le +réformateur Ricci: «Je ne serais pas surpris, et surtout je serais +fort aise de voir renaître la République Romaine et les vertus +chrétiennes y resplendir dans tout leur éclat.» Le Directoire, en +<span class="pagenum"><a id="page216" name="page216"></a>(p. 216)</span> effet, songeait sérieusement à républicaniser l'Italie +entière, et Rome était la première puissance destinée à disparaître. +Miot, notre représentant<a id="footnotetag320" name="footnotetag320"></a><a href="#footnote320" title="Go to footnote 320"><span class="smaller">[320]</span></a> à Florence, avait même été consulté sur +l'opportunité de cette révolution, cela dès l'été de 1796, et, malgré +l'avis défavorable qu'il avait donné, de nombreux agents avaient été +envoyés en Italie pour préparer les esprits à cette transformation. +Pour peu que Bonaparte se fût associé à ces rancunes et à ces projets +de vengeance<a id="footnotetag321" name="footnotetag321"></a><a href="#footnote321" title="Go to footnote 321"><span class="smaller">[321]</span></a>, le Saint-Siège était condamné. Mais Bonaparte +était avant tout un homme de gouvernement. Étranger aux préventions +et aux haines de la plupart de ses contemporains contre les idées +que représentait la Papauté, il n'avait pas été sans remarquer +l'immense influence que conservait encore le clergé catholique, et +désirait le ménager pour ses desseins ultérieurs. Aussi, bien qu'il +eût parlé à diverses reprises de la nécessité de détruire le pouvoir +temporel, bien qu'il eût même proposé au Directoire de céder les +États pontificaux à l'Espagne<a id="footnotetag322" name="footnotetag322"></a><a href="#footnote322" title="Go to footnote 322"><span class="smaller">[322]</span></a> en échange du duché de Parme, il +ne désirait au fond du cœur que terrifier la cour romaine, puis +se présenter à elle comme un sauveur. Ce n'était certes point par +scrupule religieux qu'il voulait ménager Pie VI, mais uniquement +parce que Pie VI pouvait lui être utile pour ses futurs desseins. +Aussi bien, voici<a id="footnotetag323" name="footnotetag323"></a><a href="#footnote323" title="Go to footnote 323"><span class="smaller">[323]</span></a> comment il parlait du souverain pontife. +Le <span class="pagenum"><a id="page217" name="page217"></a>(p. 217)</span> 24 octobre, écrivant à Cacault, qui n'avait pas encore +quitté Rome: «Le grand art, lui disait-il<a id="footnotetag324" name="footnotetag324"></a><a href="#footnote324" title="Go to footnote 324"><span class="smaller">[324]</span></a>, est de se jeter +réciproquement la balle, pour tromper ce vieux renard.» Quatre jours +plus tard, s'adressant au même personnage: «Vous pouvez assurer +le Pape, écrivait-il, que c'est en conséquence de mes instances +particulières et réitérées que le Directoire m'a chargé d'ouvrir la +route d'une nouvelle négociation. J'ambitionne bien plus le titre +de sauveur que celui de destructeur du Saint-Siège.» Lors de son +entrée en campagne, il s'était également présenté<a id="footnotetag325" name="footnotetag325"></a><a href="#footnote325" title="Go to footnote 325"><span class="smaller">[325]</span></a> comme le +protecteur de la religion: «L'armée française, avait-il dit dans +sa proclamation, va entrer dans le territoire du Pape. Elle sera +fidèle aux maximes qu'elle professe; elle protégera la religion et +le peuple. Le soldat français porte d'une main la baïonnette, sûr +garant de la victoire, offre de l'autre aux différentes villes et +villages, paix, protection et sûreté.» Bonaparte était donc résolu à +ne point pousser à fond la campagne contre le Pape, à ne pas détruire +le pouvoir temporel. Sans doute, en agissant ainsi, il se heurtait +contre les instructions précises du Directoire, mais n'était-il pas +habitué à ne considérer que ce qu'il croyait son intérêt? D'ailleurs +il avait une méthode infaillible pour triompher des hésitations du +Directoire: il agissait, et, quand tout était réglé, il daignait +annoncer au Directoire ce qu'il avait résolu. Ce fut ainsi que le 13 +février<a id="footnotetag326" name="footnotetag326"></a><a href="#footnote326" title="Go to footnote 326"><span class="smaller">[326]</span></a> il fit part au Directoire de son désir de signer la paix +avec le Saint-Siège, et que le 19 cette paix fut signée, avant que le +Directoire eût seulement reçu la lettre par laquelle il lui <span class="pagenum"><a id="page218" name="page218"></a>(p. 218)</span> +notifiait son intention de terminer le différend entre la République +et le Saint-Siège. Cette paix porte le nom de la ville de Tolentino, +où elle fut signée. Pie VI était maintenu dans la possession de Rome +et de l'Ombrie, mais il renonçait à Avignon et au comtat Venaissin, +aux légations de Bologne et de Ferrare ainsi qu'à la Romagne, il +abandonnait Ancône jusqu'à la paix générale, se retirait de toute +alliance formée contre la France, licenciait son armée, fermait +ses ports aux navires de guerre des puissances ennemies de la +France, accordait une amnistie générale, désavouait l'assassinat de +Basville<a id="footnotetag327" name="footnotetag327"></a><a href="#footnote327" title="Go to footnote 327"><span class="smaller">[327]</span></a>, rétablissait notre école des beaux-arts à Rome, nous +cédait de nombreux objets d'art ou de science, et payait une nouvelle +contribution de guerre de trente millions.</p> + +<p>Ce qui subsistait du pouvoir temporel n'était plus qu'un simulacre +de puissance, mais la République française, malgré ses déclarations +si souvent répétées, n'en acceptait pas moins le principe. Ainsi que +l'écrivait<a id="footnotetag328" name="footnotetag328"></a><a href="#footnote328" title="Go to footnote 328"><span class="smaller">[328]</span></a> Mattei au Pape: «Les conditions sont extrêmement +dures et ressemblent à la capitulation d'une place assiégée. J'ai +jusqu'à cette heure tremblé pour Votre Sainteté, pour Rome, pour +l'État tout entier; mais Rome est sauvée, et la religion aussi.» Le +Directoire renonçait donc à sa haine invétérée. Larévellière-Lépeaux +laissait à son prétendu collègue un abri pour traverser les jours +d'orage. Bien qu'imposé par la nécessité, ce traité était donc +aussi favorable à Pie VI qu'il pouvait l'espérer après tant de +démonstrations hostiles, et c'est ainsi que le Saint-Siège s'y +résigna. Dès le 23 février, la paix était donc solennellement +proclamée à Rome, et le Directoire, bien qu'à contre-cœur, se +décida à envoyer sa ratification. Aussi bien la bonne entente ne fut +pas et ne pouvait pas être de longue durée. Il n'y avait de sincérité +ni d'un côté ni de l'autre. Le Pape regrettait ses concessions, et +ses sujets épuisés par l'énorme contribution de guerre, exploités +par les agents français, humiliés en <span class="pagenum"><a id="page219" name="page219"></a>(p. 219)</span> voyant passer chaque +jour les longues files de voitures qui emportait leurs contributions +et les chefs-d'œuvre de l'art<a id="footnotetag329" name="footnotetag329"></a><a href="#footnote329" title="Go to footnote 329"><span class="smaller">[329]</span></a>, ne cachaient pas leur +mécontentement. Le Directoire, de son côté, trouvait qu'il n'avait +pas suffisamment profité de la victoire. Il ne pardonnait pas à +Bonaparte de lui avoir, pour ainsi dire, forcé la main en signant +ce traité. Le plus singulier c'est que Bonaparte lui-même semblait +se repentir d'avoir été trop indulgent. Il avait écrit à Joubert +pour lui annoncer qu'il traitait «avec cette prêtaille<a id="footnotetag330" name="footnotetag330"></a><a href="#footnote330" title="Go to footnote 330"><span class="smaller">[330]</span></a>», mais +uniquement pour en tirer des terres et de l'argent. Le jour même de +la signature du traité, il avait envoyé son aide de camp Marmont à +Pie VI, avec une note respectueuse<a id="footnotetag331" name="footnotetag331"></a><a href="#footnote331" title="Go to footnote 331"><span class="smaller">[331]</span></a>, où il l'assurait de son +désir de lui prouver dans toutes les occasions son respect et sa +vénération, et il écrivait en même temps au Directoire<a id="footnotetag332" name="footnotetag332"></a><a href="#footnote332" title="Go to footnote 332"><span class="smaller">[332]</span></a>: «Le +traité est signé, mais rassurez-vous, Rome ne peut plus exister. +Cette vieille machine se détraquera toute seule».</p> + +<p>La paix de Tolentino n'était donc et ne pouvait être qu'une trêve +passagère. Entre deux gouvernements si opposés par leur origine, +par leurs principes, par leurs méthodes, tout accommodement est +impossible. La lutte, un instant interrompue, allait donc reprendre +avec plus de force que jamais, et cette fois, entraîner pour la cour +pontificale la plus dramatique des catastrophes.</p> + +<h3><span class="pagenum"><a id="page220" name="page220"></a>(p. 220)</span> III</h3> + +<p>Bonaparte avait obtenu du Directoire la nomination de son frère +Joseph comme ambassadeur de France auprès de Pie VI. Doux et +conciliant, également éloigné de la rudesse jacobine et des +servilités de l'ancien régime, Joseph convenait à la situation. Il +avait été fort bien accueilli<a id="footnotetag333" name="footnotetag333"></a><a href="#footnote333" title="Go to footnote 333"><span class="smaller">[333]</span></a> à Rome. Le Pape, qui gardait +à son frère une profonde reconnaissance du traité de Tolentino, +le traitait avec distinction. Les cardinaux le ménageaient à +double titre, et comme représentant de la France, et comme frère +du tout-puissant général qui résidait encore en Italie, à la tête +de son armée victorieuse. Quant aux partisans de la France, ou du +moins des idées françaises, et leur nombre avait singulièrement +augmenté depuis que la terreur de nos armes les avaient délivrés de +l'oppression sacerdotale, ils se groupaient autour de lui<a id="footnotetag334" name="footnotetag334"></a><a href="#footnote334" title="Go to footnote 334"><span class="smaller">[334]</span></a>. Le +palais de l'ambassade était devenu comme leur lieu de réunion. M<sup>me</sup> +Joseph Bonaparte en faisait les honneurs avec la grâce séduisante +et l'urbanité de bon goût qui valurent plus tard tant d'amies à la +reine de Naples et d'Espagne. La sœur de son mari, la toute belle +Pauline Bonaparte, fiancée au général Duphot, était auprès d'elle. +Eugène Beauharnais, le futur vice-roi d'Italie, et Arrighi, servaient +d'aides de camp à l'ambassadeur. Il était difficile de trouver alors +à Rome une maison plus aimable et plus aimée.</p> + +<p>Le parti antifrançais ne s'était pas résigné aux humiliations de +Tolentino. Les cardinaux Busca et Albani ne rêvaient que revanche +et vengeance. Ils affectaient à l'égard de l'ambassadeur <span class="pagenum"><a id="page221" name="page221"></a>(p. 221)</span> +une indifférence absolue, mais, profitant des privautés de leurs +charges, ils ne cessaient de présenter au Pape, sous le jour le +plus défavorable, tous les faits et gestes de l'ambassade. Ainsi, +Bonaparte avait prié<a id="footnotetag335" name="footnotetag335"></a><a href="#footnote335" title="Go to footnote 335"><span class="smaller">[335]</span></a> son frère de demander au Pape un bref +pour recommander aux prélats l'obéissance à la République. La +Papauté qui, de tout temps, fut à peu près indifférente aux formes +de gouvernement, aurait volontiers accédé à ce désir: mais les +cardinaux présentèrent à Pie VI cet acte de complaisance comme +une honteuse compromission. Ils s'opposèrent également à ce qu'il +accordât le chapeau rouge à l'archevêque de Milan, et à ce qu'il +reconnût sur-le-champ la République Cisalpine<a id="footnotetag336" name="footnotetag336"></a><a href="#footnote336" title="Go to footnote 336"><span class="smaller">[336]</span></a>. Ils finirent même +par présenter comme des émissaires de la République, encouragés par +Joseph dans leurs sinistres desseins, les jeunes artistes de l'école +française de Rome qui, dans l'exubérance de leurs opinions, avaient +peut-être eu le tort de ne pas assez ménager leurs expressions, mais +n'étaient certes pas des conspirateurs. Un troisième cardinal, le +secrétaire d'État Doria Pamphili, celui qu'on surnommait, à cause +de sa petitesse, le bref du pape, secrètement gagné par Albani et +Busca, entassa les dénonciations contre l'ambassade et les libéraux +romains qu'elle était censée soutenir. Il fallut même que Bonaparte +intervînt directement, et rappelât le soupçonneux fonctionnaire à des +sentiments plus modérés. Le coup n'en était pas moins porté. Pie VI +obsédé, circonvenu, irrité par ces perfides insinuations, commença +à prêter une oreille plus favorable aux ennemis de la France. Ces +derniers essayèrent de profiter de ce premier succès pour renouer +contre nous une vaste coalition. Ils persuadèrent au Pape que le +roi de Naples n'attendait qu'un mot pour voler à son secours, que +l'amiral Nelson, au premier signal, débarquerait dans les États +romains, et <span class="pagenum"><a id="page222" name="page222"></a>(p. 222)</span> que l'Autriche, qui n'avait pas encore signé le +traité de Campo-Formio, se joindrait aux coalisés. Ils l'engagèrent +donc à prendre les devants, et, malgré les lourdes charges de la +contribution de guerre, à reformer l'armée pontificale. Ils le +poussèrent même à une démarche plus significative encore, celle de +donner le commandement en chef de l'armée pontificale au général +autrichien Provera.</p> + +<p>Joseph n'avait pas eu besoin de beaucoup de clairvoyance pour +se rendre compte du changement survenu dans les dispositions du +pontife à l'égard de la France. Il n'était pas difficile de démêler +une sourde hostilité à travers les témoignages de respect dont on +affectait de l'accabler. Aux empressements du début avaient succédé +les protestations officielles. Peu à peu le vide se faisait autour de +lui, et on pressentait quelque explosion soudaine. Fidèle à son rôle +de conciliateur, Joseph avait feint d'être la dupe de ces mensonges +intéressés, mais il avertissait son frère et le Directoire de ces +intrigues malveillantes<a id="footnotetag337" name="footnotetag337"></a><a href="#footnote337" title="Go to footnote 337"><span class="smaller">[337]</span></a>. En apprenant la nomination de Provera, +qui équivalait à une déclaration de guerre, vu les sentiments bien +connus du général autrichien, et le rôle qu'il avait joué dans la +dernière guerre, il se décida à sortir de la neutralité et exigea le +retrait immédiat de cette maladroite nomination.</p> + +<p>Bonaparte fut très irrité de ce qu'il considérait à juste titre comme +une provocation. «Ne souffrez pas, écrivit-il<a id="footnotetag338" name="footnotetag338"></a><a href="#footnote338" title="Go to footnote 338"><span class="smaller">[338]</span></a> à son frère, qu'un +général aussi connu que M. Provera prenne le commandement des troupes +de Rome. L'intention du Directoire exécutif n'est pas de laisser +renouer les petites intrigues des princes d'Italie. Déployez un grand +caractère... Dites publiquement dans Rome que si M. Provera a été +deux fois<a id="footnotetag339" name="footnotetag339"></a><a href="#footnote339" title="Go to footnote 339"><span class="smaller">[339]</span></a> <span class="pagenum"><a id="page223" name="page223"></a>(p. 223)</span> prisonnier de guerre dans cette campagne, il +ne tardera pas à l'être une troisième. S'il vient vous voir, refusez +de le recevoir. Je connais bien la cour de Rome, et cela seul, si +cela est bien joué, perd cette cour». Il revenait avec insistance +sur la nécessité de ce renvoi dans une autre lettre<a id="footnotetag340" name="footnotetag340"></a><a href="#footnote340" title="Go to footnote 340"><span class="smaller">[340]</span></a>: «Vous +pouvez déclarer positivement à la cour de Rome que, si elle reçoit à +son service un officier connu pour être ou avoir été au service de +l'Empereur, toute bonne intelligence entre la France et la cour de +Rome cesserait à l'heure même, et la guerre se trouverait déclarée». +Les conseillers de Pie VI en effet, comme l'avait conjecturé +Bonaparte, furent effrayés par l'énergie de cette résolution, et +conseillèrent la prudence à leur maître. Ils ne sentaient pas le +terrain assez solide et ne voulaient ouvrir les hostilités qu'à coup +sûr, Provera fut donc remercié presque aussitôt que nommé, et cet +acte de fermeté raffermit à Rome l'influence de la France.</p> + +<p>Encouragés par le succès diplomatique que venait de remporter +Joseph, tous les ennemis de la Papauté à Rome voulurent profiter +de l'occasion pour imposer au Pape les réformes qu'ils désiraient. +Aussi bien les États de l'Église étaient alors le pays le plus mal +administré de l'Europe. L'arbitraire le plus absolu, le despotisme +illimité, tempéré seulement par la mansuétude du pontife, telle était +la règle unique. Non pas que les lois fissent défaut, ni même les +magistrats, mais ces derniers eux-mêmes se perdaient dans le dédale +des règlements et des décisions ayant force de loi, et, peu à peu, +au régime de la justice s'était substitué celui du bon plaisir. On +pouvait réclamer jusqu'à six fois la révision du même procès, et, +comme le Pape se réservait le droit de prononcer sur toutes les +causes pendantes, on ne possédait aucune <span class="pagenum"><a id="page224" name="page224"></a>(p. 224)</span> garantie contre un +acte de caprice ou d'arbitraire. Les singularités de la procédure +compliquaient encore la situation. Ainsi, dans un procès criminel, ne +paraissaient ni l'accusateur ni les témoins à charge: on demandait +simplement à l'accusé de faire la preuve de son innocence. Même règle +pour une affaire civile. Étiez-vous accusé, par exemple, de ne pas +avoir payé une dette: il fallait d'abord consigner le montant de la +somme discutée, puis prouver sa non-culpabilité, le souverain pontife +se réservant toujours d'intervenir comme le <i>Deus ex machina</i> de la +tragédie antique, et avec des arguments irrésistibles. Ne s'était-il +pas, en effet, attribué le droit de condamner aux galères «pour +motifs à nous connus»?</p> + +<p>Il est vrai que, dans l'application, les Papes gouvernaient avec +une grande douceur, mais cette douceur même n'est-elle pas comme +la condamnation de l'absolutisme, puisqu'elle démontre l'absence +de toute garantie légale? Comme l'a si bien dit un des adversaires +les plus déterminés du gouvernement des prêtres, Doellinger<a id="footnotetag341" name="footnotetag341"></a><a href="#footnote341" title="Go to footnote 341"><span class="smaller">[341]</span></a>, +«le prêtre, lorsqu'il est investi de la toute-puissance juridique +et administrative, résiste très difficilement à la tentation +de soumettre ses actes officiels à l'influence de son opinion +personnelle, de son appréciation des individus, de sa pitié, de +ses penchants. Comme prêtre, il est avant tout le serviteur et le +héraut de la miséricorde, du pardon de la rémission. Il oublie +trop facilement que la loi humaine doit être sourde et inexorable, +que toute faiblesse envers un individu est un tort fait à un ou à +plusieurs autres. Il s'habitue peu à peu, sous l'inspiration des +meilleures intentions, à mettre son caprice au-dessus de la loi».</p> + +<p>Cet arbitraire dans l'exercice de la justice, on le retrouvait +partout, dans l'agriculture, dans l'industrie, jusque dans +l'instruction. Ainsi les paysans n'avaient pas le droit de vendre +leurs blés avant que l'approvisionnement de la capitale n'eût été +assuré. Un magistrat spécial, le préfet de l'annone, fixait les +prix, et ne permettait la vente hors des États de l'Église <span class="pagenum"><a id="page225" name="page225"></a>(p. 225)</span> +qu'à quelques privilégiés, qui achetaient chèrement ses faveurs. +Aussi les paysans ne cultivaient-ils que ce dont ils avaient besoin +pour leur consommation immédiate. Malgré la fertilité du sol +éclataient de fréquentes famines, et le préfet de l'annone était +obligé de recourir aux services des corsaires barbaresques. Comme au +temps de Tacite<a id="footnotetag342" name="footnotetag342"></a><a href="#footnote342" title="Go to footnote 342"><span class="smaller">[342]</span></a>, les grands domaines, les <i>cillarum infinita +spatia</i>, s'étendaient démesurément, la population agricole se +clairsemait, et on n'arrivait plus à Rome qu'après avoir traversé de +véritables solitudes. Mêmes entraves pour le commerce des bestiaux, +des viandes fumées ou salées, des œufs, de l'huile, etc. Dans les +villes, les meuniers ne pouvaient travailler qu'après avoir obtenu +une autorisation par écrit, et les boulangers de Rome étaient forcés +d'acheter à la préfecture de l'annone leur farine et leur charbon. À +Bologne, comme on avait imaginé une taxe sur le vin en tonneaux, il +était interdit de le débiter en bouteilles. Peu ou point d'industrie. +Écrasés par le grand nombre de jours fériés, par la routine, par les +douanes, elle était réduite à l'impuissance. Tout arrivait du dehors, +et, comme conséquence naturelle de cette dépréciation de l'industrie +nationale, le commerce était entre les mains des étrangers.</p> + +<p>Cette routine invétérée<a id="footnotetag343" name="footnotetag343"></a><a href="#footnote343" title="Go to footnote 343"><span class="smaller">[343]</span></a>, ce dédain absolu du progrès matériel, +cette immixtion du gouvernement dans tous les actes de la vie, +telles semblent avoir été les règles immuables dont s'inspiraient +les Papes dans la conduite et le gouvernement de leurs sujets. +Sous leur direction le citoyen romain était, pour ainsi dire, +surveillé dès sa naissance. On s'attachait à étouffer en lui +tout sentiment d'indépendance intellectuelle. Livres et journaux +étaient suspects. La littérature étrangère était un véritable fruit +défendu, par suite des prohibitions extraordinaires de la douane. +Les maisons d'instruction étaient pourtant assez nombreuses, mais +on y distribuait un enseignement bien singulier. Ainsi dans les +Universités les <span class="pagenum"><a id="page226" name="page226"></a>(p. 226)</span> professeurs étaient forcés de se conformer à +de véritables manuels approuvés par les évêques; dans les gymnases, +le grec et les mathématiques étaient proscrits, et l'histoire ne +figurait point sur les programmes. La science était affaire de pure +forme. On ne demandait que de l'ingéniosité, mais toute initiative +était formellement interdite. Quant aux écoles populaires, dirigées +par des moines, on se contentait d'y parler aux enfants de la Vierge, +du diable et des superstitions locales. Pour les suspects ou les +indépendants, l'Inquisition fonctionnait toujours. Elle avait, il +est vrai, éteint ses bûchers, mais nullement fermé ses geôles. Le +moindre curé de paroisse n'avait-il pas le droit de condamner à +quelques semaines de séjour dans une maison de correction tous ceux +des habitants de sa paroisse qui ne suivaient pas les prescriptions +de l'Église!</p> + +<p>En résumé, le gouvernement pontifical, animé peut-être de bonnes +intentions, était mauvais. Les Romains ne l'ignoraient pas, non pas +le peuple tout endormi dans une ignorance plusieurs fois séculaire +et abêti par de ridicules superstitions, mais les bourgeois des +villes qui avaient entendu siffler à leurs oreilles le vent de +réformes qui agitait alors l'Europe entière, et surtout les membres +de l'aristocratie qui voyageaient, qui lisaient, qui avaient des +relations étendues à l'étranger, et à l'esprit desquels s'imposaient +de désavantageuses comparaisons. Les jansénistes, encore assez +nombreux à Rome malgré les persécutions dont ils avaient été +l'objet, commençaient de leur côté à relever la tête. Le peuple +était écrasé par les impôts que rendait nécessaire la contribution +de guerre exigée par la France. Le clergé lui-même se voyait avec +peine menacé dans ses propriétés et dans ses privilèges: en sorte +que la fermentation était générale. Bien que le gouvernement +pontifical, qui se sentait menacé, redoublât de précautions et de +surveillance, on était comme dans l'attente d'événements nouveaux. On +pressentait sinon des révolutions, au moins de prochains changements. +L'intervention française allait donner un corps à ces vagues +aspirations, et bon nombre <span class="pagenum"><a id="page227" name="page227"></a>(p. 227)</span> de Romains, malgré la résistance +de leur souverain, deviendront bientôt les meilleurs instruments de +la propagande révolutionnaire<a id="footnotetag344" name="footnotetag344"></a><a href="#footnote344" title="Go to footnote 344"><span class="smaller">[344]</span></a>.</p> + +<p>Au commencement de décembre 1797, le sculpteur Ceracchi, et un +notaire de Pérouse, Agretti, tous deux connus par l'exaltation +de leurs sentiments avaient cru le moment venu de provoquer +l'explosion. Ils avaient eu l'audace de planter en plein jour un +arbre de la liberté sur le Monte Pincio, mais la police avait +dispersé le rassemblement, et cette tentative inopportune, tout de +suite désavouée par l'ambassadeur de France, avait misérablement +avorté. Quelques jours plus tard, le 26 décembre, on vint avertir +Joseph qu'une révolution éclaterait pendant la nuit, et que la +République serait proclamée. Joseph fit remarquer aux messagers que +son caractère officiel lui interdisait d'accueillir une pareille +communication, et il les engagea, dans leur intérêt, à renoncer à une +entreprise qui ne pouvait aboutir. Les conjurés se retirèrent fort +mécontents, mais sans renoncer à leur dessein.</p> + +<p>Le lendemain 27, de grand matin, l'ambassadeur d'Espagne <span class="pagenum"><a id="page228" name="page228"></a>(p. 228)</span> +Azara, qui s'était lié d'amitié avec Joseph, courut le prévenir que +la conspiration était découverte, et qu'un mouvement se préparait +contre les Français, secrètement encouragé par le Pape. Joseph lui +répondit, et c'était la vérité, qu'il avait toujours observé la plus +stricte neutralité, et qu'il espérait que le secrétaire d'État, Doria +Pamphili, saurait faire respecter l'hôtel de l'ambassade. Quelques +heures après, un rassemblement se formait à la villa Médicis, +c'est-à-dire à l'Académie de France. Des cris étaient poussés de +vive la République! Tous les conjurés portaient au chapeau la +cocarde tricolore; ils semblaient donc agir de connivence avec la +France; mais leur voix ne rencontra nul écho, et, quand la troupe +arriva, le rassemblement se dispersa, en abandonnant sur le terrain +un sac rempli de cocardes françaises; ce qui semblait indiquer que +les Français n'étaient pas étrangers à cette manifestation, et +qu'ils comptaient en profiter. Joseph se transporta aussitôt chez +le secrétaire d'État et protesta avec énergie. Il s'étonna de la +facilité et de l'à-propos avec lequel on avait trouvé sur le terrain +une pièce à conviction <span class="pagenum"><a id="page229" name="page229"></a>(p. 229)</span> aussi importante que le sac de +cocardes, et n'eut pas de peine à démontrer l'intervention officieuse +de la police romaine. D'ailleurs, afin de prévenir jusqu'à l'ombre +d'un soupçon, il demanda qu'on arrêtât tous les individus non compris +dans la liste des Français ou des Romains attachés à l'ambassade, et +qu'on trouverait dans les limites de la juridiction française. Il +était difficile d'agir plus correctement, et Joseph mettait de son +côté et la légalité et les apparences de la légalité.</p> + +<p>Le 28 décembre, un nouveau rassemblement se forma sous les fenêtres +de l'ambassade. Un artiste prit la parole, et déclama avec véhémence +contre le gouvernement pontifical. Peu à peu l'attroupement +grossissait. On y remarquait des individus notoirement connus pour +appartenir à la police. C'était visiblement une provocation que l'on +cherchait. Joseph donna l'ordre à ses gens de fermer les portes de +l'hôtel et alla revêtir son costume officiel. À peine était-il monté +dans sa chambre qu'une décharge retentit. Un piquet de cavalerie +venait d'entourer les conjurés, au moment où on les repoussait de la +cour, et les avait fusillés à bout portant.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page230" name="page230"></a>(p. 230)</span> Après un moment de stupeur, des cris éclatèrent, cris de +fureur et de plainte. Les portes de l'hôtel furent enfoncées, et +ces malheureuses victimes de la politique s'y précipitèrent dans +l'espoir d'y trouver un refuge. Joseph, entouré de Duphot, Arrighi, +Beauharnais, de quelques employés et serviteurs, s'élance à leur +rencontre. Une compagnie d'infanterie suivait les cavaliers. Elle +s'arrête un moment à la vue de l'ambassadeur, et rétrograde, mais +pour tirer plus à l'aise dans cette foule compacte. Cette fois la +décharge est meurtrière: les morts et les mourants jonchent le sol. +Le général Duphot, indigné, et n'écoutant que la voix de l'honneur, +court aux soldats pontificaux et les somme de cesser le feu. Les +soldats le saisissent, et l'entraînent vers la porte Septiminiana. +Bientôt un coup de feu l'atteint en pleine poitrine. Il tire son +épée. Un second coup le jette par terre, et cinquante fusils sont +déchargés sur son cadavre. Joseph, Arrighi, Beauharnais et les autres +Français n'ont que le temps de s'enfuir à l'hôtel. Ils en fermaient +les portes, quand ils essuyèrent le feu d'une seconde compagnie +d'infanterie, qui <span class="pagenum"><a id="page231" name="page231"></a>(p. 231)</span> accourait au pas de charge, et cribla +de ses balles les fenêtres et les murs de l'ambassade. De toute +évidence le guet-à-pens était prémédité. Ce rassemblement suspect, +ce piquet de cavalerie et ces compagnies d'infanterie qui arrivent +à point nommé, ces décharges répétées sans sommation préalable, les +ennemis de la France avaient tout combiné pour que, dans le tumulte, +l'ambassadeur fût assassiné. C'était une vengeance italienne, tramée +avec art, exécutée de sang-froid, et qui n'avait échoué que par +hasard.</p> + +<p>Au premier moment, le personnel de l'ambassade fut épouvanté. Une +vingtaine de cadavres jonchaient la cour; de nombreux blessés se +traînaient en gémissant sur les pavés. Une foule de personnages à +mine suspecte rôdaient dans les chambres, tous prêts à piller ou +à tuer. M<sup>me</sup> Bonaparte fondait en larmes, Pauline, qui venait +d'apprendre la mort de son fiancé, éclatait en sanglots, et le feu +ne discontinuait pas. Joseph, avec une admirable énergie, rassura +tout le monde et organisa la résistance. Il commença par expulser de +l'hôtel tous les sinistres rôdeurs qui le remplissaient, ramassa les +blessés et envoya demander des secours au cardinal Doria Pamphili. +Bientôt la petite colonie française se raffermit. Au désespoir +succéda la fureur. Bravant la fusillade, quelques serviteurs +poussèrent le courage jusqu'à aller chercher le cadavre de Duphot. +Ce n'était plus qu'une masse informe. Les pontificaux l'avaient +dépouillé de ses vêtements, et avaient criblé ce misérable cadavre de +coups de baïonnette ou de pierres. On sut plus tard que le capitaine +de la compagnie, il se nommait Amadeo, s'était approprié l'épée et le +ceinturon du général, le curé de la paroisse avait pris sa montre, +d'autres assassins s'étaient partagé ses dépouilles<a id="footnotetag345" name="footnotetag345"></a><a href="#footnote345" title="Go to footnote 345"><span class="smaller">[345]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page232" name="page232"></a>(p. 232)</span> Fidèle jusqu'au bout à son caractère officiel, Joseph avait +une première fois écrit au cardinal Pamphili pour lui demander +ses passeports. Il l'invitait en même temps à venir à l'hôtel de +l'ambassade, pour se rendre compte de l'attentat. Le porteur de la +lettre fut accueilli par des coups de fusil, mais il parvint à la +transmettre à son adresse. À huit heures du soir la réponse n'était +pas encore parvenue, et les troupes pontificales entouraient toujours +l'hôtel dans une attitude hostile. Angiolini, envoyé de Toscane à +Rome, réussit le premier à traverser les patrouilles, et vint porter +à Joseph l'expression de son indignation. Azara, l'ambassadeur +d'Espagne, le suivit de près. Sur leurs conseils, à onze heures +du soir, Joseph se décida à écrire une seconde lettre au cardinal +Pamphili, dont le silence prolongé semblait indiquer la complicité +avec les assassins. Cette fois encore, il n'obtenait pas de réponse. +Aussi le lendemain 29, à six heures du matin, il lui écrivit pour la +troisième fois, mais en le menaçant de la vengeance de la France, et +quitta Rome, après avoir recommandé <span class="pagenum"><a id="page233" name="page233"></a>(p. 233)</span> au chevalier d'Azara et +à Angiolini les Français, qu'il ne pouvait mener avec lui.</p> + +<p>Les instigateurs de ces scènes odieuses avaient-ils compté sur la +modération de Joseph, ou bien espéraient-ils que la force serait +repoussée par la force? En ce cas une collision leur eût fourni le +prétexte dont ils avaient besoin: mais Joseph avait interdit toute +tentative de répression. La correction de son attitude avait été +absolue, tandis que le sang de Duphot et l'insulte infligée à la +France dans la personne de son ambassadeur criaient vengeance. Pie +VI, il est vrai, devait être mis hors de cause dans cette déplorable +affaire. Il était malade, cassé par l'âge, et ne sortait plus de son +palais. Il ne fut informé que bien tard de l'attentat et en témoigna +de sincères regrets. Toutes les responsabilités doivent donc retomber +sur ses ministres, surtout sur le secrétaire d'État, Doria Pamphili, +qui avait autorisé et peut-être tramé cette odieuse machination; mais +il s'aperçut bientôt qu'il avait fait fausse route. À l'unanimité +tous les ambassadeurs protestèrent contre l'indigne traitement dont +leur collègue Joseph venait d'être la victime; et ils avertirent +le cardinal qu'il ne devait pas compter sur eux pour essayer de +détourner l'orage. <span class="pagenum"><a id="page234" name="page234"></a>(p. 234)</span> Azara, d'ordinaire si bienveillant, +témoigna même toute son horreur du forfait, et refusa positivement +de servir de médiateur. Dans sa perplexité, Pamphili s'adressa +directement à la France, et pria l'envoyé romain à Paris, Massimi, +de présenter les excuses officielles du gouvernement pontifical, +d'accorder toutes les satisfactions qu'on exigerait, et d'annoncer +l'envoi d'un légat <i>a latere</i>.</p> + +<p>Il était trop tard! La mesure était comble. Toutes les vieilles +inimitiés, qu'on croyait éteintes, se rallumèrent soudain. Il y eut +en France comme une explosion de fureur contre le gouvernement sénile +qui ne prouvait sa vitalité que par des crimes. Le Directoire reprit +avec empressement ses anciens projets, et comme alors Bonaparte +n'était plus là pour les enrayer, on ne parla plus que de détruire à +tout jamais la puissance temporelle des Papes. Seulement les agents +du Directoire étaient divisés d'opinion. Les uns, tels que Faypoult, +auraient voulu donner Rome à un prince allemand; les autres, tels que +Cacault, Miot ou Belleville, parlaient de la livrer au duc de Parme, +ou au roi de Piémont, ou à tout autre souverain; le plus grand nombre +proposaient le rétablissement de la République Romaine: de la sorte +on punirait un ennemi acharné et on étendrait l'influence française +par la création d'une nouvelle république vassale. Les ouvertures +de Massimi furent donc écartées, les excuses de Pamphili repoussées +avec dédain, et la guerre votée par le conseil des Cinq-Cents et le +conseil des Anciens à la presque unanimité.</p> + +<p>Rome était dans la consternation, car la vengeance approchait et +le châtiment était mérité. On crut remédier au mal en redoublant +de ferveur. Ce n'étaient que processions<a id="footnotetag346" name="footnotetag346"></a><a href="#footnote346" title="Go to footnote 346"><span class="smaller">[346]</span></a> extraordinaires, +ostension de reliques fameuses et vœux <span class="pagenum"><a id="page235" name="page235"></a>(p. 235)</span> solennels; mais la +bourgeoisie ne cachait plus ses sentiments hostiles et dans toutes +les classes de la société régnait une sourde irritation. De cruelles +épigrammes circulaient: on a conservé la suivante:</p> + +<p class="poem10"> + <i>Sextus Tarquinius, Sextus Nero, Sextus et iste:<br> + Semper sub Sextis perdita Roma fuit.</i></p> + +<p>Un instant la cour pontificale crut à l'intervention armée de Naples, +mais il fallut bientôt renoncer à cette dernière illusion<a id="footnotetag347" name="footnotetag347"></a><a href="#footnote347" title="Go to footnote 347"><span class="smaller">[347]</span></a>. +Décidément l'orage était déchaîné, et il se dirigeait avec +impétuosité contre Rome. Ainsi que l'écrivait l'avocat Milizia, «il +faut prendre le temps comme il vient, et, s'ils arrivent jusqu'ici, +il faudra bien aller les complimenter et danser gaiement avec eux la +carmagnole». Ce fut bientôt un sauve qui peut général. Les neveux du +pape, les Braschi, donnèrent l'exemple, et s'enfuirent à Naples avec +leurs trésors. Tous ceux qui craignaient les vengeances françaises +les imitèrent. Il ne resta bientôt plus à Rome que le Pape, retenu à +son poste par le sentiment de l'honneur, et deux partis en présence +qui s'exaltaient par la contradiction, et passaient chaque jour par +les angoisses du désespoir et les anxiétés de l'espérance.</p> + +<p>Le 29 janvier 1798 l'armée française entra en campagne. Elle était +commandée par Berthier, l'ancien chef d'état-major de Bonaparte. +C'étaient les vétérans des guerres contre l'Autriche, d'incomparables +soldats, fiers de leurs victoires, animés de sentiments +ultra-républicains, et qui se réjouissaient à la pensée de renverser +celui que, dans leurs clubs, ils nommaient, fort irrévérencieusement, +la vieille idole. La résistance était impossible. Elle n'entrait +même pas dans les prévisions du Directoire qui s'était contenté +d'ordonner à <span class="pagenum"><a id="page236" name="page236"></a>(p. 236)</span> Berthier d'occuper le territoire pontifical +et d'entrer dans Rome où il vengerait l'assassinat de Duphot et +l'insulte de Joseph. Il lui enjoignait en même temps de se servir de +son influence pour engager les Romains à se constituer en république, +et il était à l'avance tellement sûr du résultat de la campagne qu'il +confia à Monge, Faypoult, Florent et Daunou le soin de donner une +constitution à la nouvelle république.</p> + +<p>En effet, dès le 10 février, Berthier paraissait aux portes de Rome +sans avoir éprouvé de résistance. Il s'emparait du château Saint-Ange +et envoyait un de ses aides de camp à Pie VI, pour le prévenir de +l'arrivée des Français; mais fidèle à ses instructions, il refusa +d'entrer en ville avant que les Romains n'eussent eux-mêmes décidé +de leur sort. À l'exception de quelques cardinaux restés auprès de +Pie VI, parce qu'ils conservaient le secret espoir de désarmer la +France par de nouveaux sacrifices, il n'y avait plus à Rome que +les partisans du système républicain et les dernières classes de +la population, indifférentes aux révolutions qui n'améliorent pas +leur sort, mais qui pourtant, par amour-propre national ou par +respect héréditaire pour un gouvernement qui s'écroulait, voyaient +avec regret l'intervention étrangère. On envoya donc une députation +à Berthier, pour le prier d'entrer en ville. Il répondit qu'il ne +le ferait qu'après la révolution. Pourtant, dès le 12 février, il +désarmait les milices pontificales, ordonnait l'arrestation de +Consalvi, prenait comme otages quatre cardinaux et quatre princes +romains et mettait sous le séquestre les propriétés des Anglais, +des Portugais et des Russes, avec lesquels nous étions encore en +guerre. Enfin, les Romains, sous la pression de nos baïonnettes, se +décidèrent à créer ou plutôt à restaurer la République Romaine. Le +15 février, ils se rassemblèrent en armes au Campo-Vaccino, dans +l'ancien Forum, et firent enregistrer par plusieurs notaires l'arro +del popolo sovrano constituant la république avec sept consuls, des +édiles et d'autres magistrats dont les noms et les fonctions étaient +renouvelés de la Rome antique. Aussitôt, ils envoyèrent une nouvelle +députation à Berthier, qui se décida à entrer en ville, <span class="pagenum"><a id="page237" name="page237"></a>(p. 237)</span> +suivi de son état-major, monta au Capitole, salua au nom de la France +la République Romaine, et prononça un discours emphatique où il était +question des Gaulois arrivant avec le rameau d'olivier, pour relever +les autels du premier Brutus<a id="footnotetag348" name="footnotetag348"></a><a href="#footnote348" title="Go to footnote 348"><span class="smaller">[348]</span></a>.</p> + +<p>Le Pape, enfermé dans son palais, ne soupçonnait même pas la +gravité des évènements. Les prévenances de Berthier avaient achevé +de l'égarer. Quelle ne fut pas sa surprise, quand il apprit par +le général Cervoni, que ses sujets venaient de le trahir et qu'il +n'avait plus qu'à quitter Rome! On aurait voulu qu'il abdiquât sa +souveraineté temporelle, mais il répondit avec une fermeté que ne +laissait pas prévoir sa vie passée, que sa conscience lui interdisait +de renoncer à un pouvoir dont il n'était que le dépositaire. Il +promettait d'ailleurs de ne pas essayer de reconquérir son autorité +et demandait pour unique faveur la grâce de mourir à Rome. «Vous +pouvez mourir partout», lui répondit brutalement le commissaire +Haller qui, joignant le geste à l'insulte, le fouilla, enleva son +bâton pastoral, lui arracha l'anneau qu'il portait au doigt et le +jeta dans une chaise de poste qui l'emmena en Toscane, au couvent +des Augustins de Sienne (25 février 1798). Le grand-duc de Toscane +n'avait seulement pas été prévenu de l'arrivée de cet hôte illustre, +mais il s'empressa de donner des ordres pour que la réception fût +convenable. Le Directoire trouvait que Sienne était trop rapprochée +de Rome, mais il ne voulait pas prendre sur lui l'odieux d'une +nouvelle expulsion. Il aurait désiré que le grand-duc de Toscane +se chargeât lui-même de cette iniquité, et, à diverses reprises, +nos agents firent entendre <span class="pagenum"><a id="page238" name="page238"></a>(p. 238)</span> au ministre Manfredini qu'on +verrait avec plaisir le pape quitter Sienne. Manfredini répondit +avec dignité qu'on n'obéirait qu'à une réquisition formelle du +Directoire, mais «que l'intérêt du grand-duc répondait que le séjour +du Pape dans ses États ne donnerait aucun sujet de plainte au +gouvernement français». Or, le Directoire qui tenait à ménager les +puissances catholiques, Espagne et Autriche, ne voulait pas donner +cette réquisition, mais il ne ménagea au gouvernement toscan ni les +insinuations ni même les menaces. Tantôt il lui faisait parvenir des +plaintes venues de Rome, tantôt il lui demandait l'internement de +Pie VI à Livourne ou à Cagliari, tantôt il se plaignait de prétendus +complots ourdis à Sienne. Le grand-duc, fort embarrassé du rôle +honteux qu'on voulait lui faire jouer, prit le parti de traîner en +longueur les négociations. Il finit par proposer à la France de se +charger directement de la surveillance du prisonnier. Le Directoire +refusa, non point par délicatesse, mais uniquement parce qu'il ne +voulait pas dégager le grand-duc d'une responsabilité qu'il se +réservait d'exploiter contre lui. Telles furent ses exigences et ses +incessantes réclamations, que le grand-duc ne tarda pas à comprendre +que lui aussi était condamné. Pour éviter un détrônement brutal, il +se retira de lui-même après avoir signé non pas une abdication, mais +un engagement de rester en Autriche jusqu'à la paix générale.</p> + +<p>Pie VI n'avait plus de défenseurs. Il fut obligé de prendre le +chemin de l'exil, et de passer par toutes les stations de la vie +douloureuse qui le conduisit à Valence où il mourut. «Ces disgrâces, +disait-il avec une touchante résignation au ministre Manfredini, +me prouvent que je ne suis pas un indigne vicaire de Jésus-Christ. +Elles me rappellent les premières années de l'Église qui furent le +commencement de son triomphe.» Aussi bien ces indignes traitements +soulevèrent un dégoût général. Ce n'était pas seulement à la majesté +du souverain, mais plus encore à la dignité du vieillard qu'on +insultait ainsi, et plus d'un parmi nos soldats rougit de cette +persécution, qui faisait d'eux comme les complices du bourreau. +<span class="pagenum"><a id="page239" name="page239"></a>(p. 239)</span> Il est vrai que d'autres préoccupations allaient leur faire +oublier ces scènes regrettables.</p> + +<h3>IV</h3> + +<p>La République romaine était fondée: restait à l'organiser et surtout +à la maintenir. Ce n'était pas une tâche aisée. Les commissaires du +Directoire, Monge, Daunou, Faypoult et Florent s'y employèrent avec +beaucoup d'activité. L'ambassadeur de France à Turin, Miot<a id="footnotetag349" name="footnotetag349"></a><a href="#footnote349" title="Go to footnote 349"><span class="smaller">[349]</span></a>, +qu'ils avaient visité lors de leur passage dans cette ville, ne leur +avait pourtant pas caché que, «avec les instruments que nous étions +obligés d'employer, avec des généraux et des agents corrompus et +avides de richesse, c'était une chimère que de prétendre régénérer +une population ignorante et fanatique». Ils l'essayèrent pourtant +avec une naïveté qui prouve que au moins deux d'entre eux, Monge et +Daunou, étaient des théoriciens plus habitués à manier les idées que +les hommes. En effet ils fabriquèrent à l'usage des Romains une bien +singulière constitution. Il n'y était pas dit un mot du catholicisme +dans cette capitale du catholicisme, mais, par contre, tous les +citoyens devaient prêter un serment<a id="footnotetag350" name="footnotetag350"></a><a href="#footnote350" title="Go to footnote 350"><span class="smaller">[350]</span></a> civique et jurer haine à +la monarchie. Un Sénat et un Tribunal se partageaient le pouvoir +législatif et le pouvoir exécutif était confié à cinq Directeurs, +revêtus du titre pompeux de consuls, ressuscité pour la circonstance. +Les cinq consuls furent Angelucci, de Matheis, Panazzi, Reppi et +Visconti. Le territoire de la République était partagé en huit +<span class="pagenum"><a id="page240" name="page240"></a>(p. 240)</span> départements<a id="footnotetag351" name="footnotetag351"></a><a href="#footnote351" title="Go to footnote 351"><span class="smaller">[351]</span></a>, et partout les prêtres réduits à leurs +fonctions ecclésiastiques; c'est-à-dire que, du jour au lendemain, +dans cette terre classique de la tradition et du respect invétéré +des usages, on introduisait toutes les réformes françaises. Il était +difficile de procéder avec plus de maladresse, et de tenir si peu de +compte des préjugés et des usages!</p> + +<p>Rien que les noms antiques eussent reparu, bien que de glorieux +souvenirs fussent évoqués, la République n'existait que de nom. +Il n'y avait qu'une seule autorité, l'autorité militaire, qu'un +seul régime, celui du sabre, qu'une seule réalité, la nécessité de +payer. Les Romains s'en aperçurent bientôt. Ils avaient consenti +volontiers à la cérémonie expiatoire ordonnée en l'honneur de +Duphot (22 février). Le peuple s'était répandu sous la colonnade de +Saint-Pierre; il avait contribué à l'érection d'un catafalque sur la +place de cette église; il avait écouté et même applaudi l'oraison +funèbre du général prononcée par Gagliulfi. C'était une réparation +qui s'imposait, et aucune protestation ne s'était élevée, mais la +déception fut grande quand on apprit que Berthier, aussitôt après +le départ de Pie VI, et sans consulter les conseils de la nouvelle +République, avait rendu deux arrêtés portant, le premier l'abolition +du droit d'asile dans les églises et dans les juridictions des +ambassadeurs, et le second l'expulsion dans les vingt-quatre heures +de tous les émigrés, notamment du cardinal Maury et la vente de leurs +biens. Les cardinaux effrayés essayèrent de conjurer l'orage qui +s'amassait sur leurs têtes en prêchant l'obéissance. S'autorisant +d'une encyclique de Pie VI qui avait dit qu'il ne fallait haïr aucun +gouvernement, et encouragé par cette autorisation tacite, le cardinal +vicaire, della Sommaglia, fit chanter un <i>Te Deum</i> à Saint-Pierre en +l'honneur de la nouvelle République, et tous ceux de ses collègues +qui étaient à Rome assistèrent à la cérémonie: mais ces concessions +ne désarmèrent pas les Français. Les uns après les autres, tous les +cardinaux furent brutalement <span class="pagenum"><a id="page241" name="page241"></a>(p. 241)</span> dispersés et même embarqués +à Civita-Vecchia. Deux d'entre eux, Altieri et Antici, n'obtinrent +de rester à Rome qu'en renonçant formellement à leur dignité et en +rentrant dans la vie civile, Bientôt les ecclésiastiques d'origine +étrangère furent à leur tour expulsés. On supprima comme inutile la +Propagande, dont on dispersa la précieuse bibliothèque. À peine si +on respecta ses archives. Les confréries et les congrégations furent +supprimées (29 juin 1798), leurs biens mis en vente, et les pillages +commencèrent: ils furent scandaleux.</p> + +<p>En effet, c'était moins la haine des prêtres que l'amour de l'argent +qui semblait animer les nouveaux maîtres de Rome. Ils l'avouent +ingénument dans leurs dépêches<a id="footnotetag352" name="footnotetag352"></a><a href="#footnote352" title="Go to footnote 352"><span class="smaller">[352]</span></a> au Directoire: «Quand on pourrait +se résigner au rétablissement de la Papauté et aux sacrifices de +tous les patriotes romains qui ont si mal mérité d'elle, il faudra +examiner encore si l'armée d'Italie pourra remplacer par d'autres +ressources celles que lui permettent ici l'acquittement successif de +l'imposition militaire, la vente des biens confisqués au profit de la +République française et de ceux que la convention avec le Consulat +nous a réservés.» Dans cette même dépêche et comme pour bien montrer +que l'unique principe de gouvernement semble avoir été l'exploitation +à outrance de la nouvelle République, les commissaires ne reculent +pas devant cet aveu scandaleux<a id="footnotetag353" name="footnotetag353"></a><a href="#footnote353" title="Go to footnote 353"><span class="smaller">[353]</span></a>: «La révolution à Rome n'a pas +été assez rendante. L'unique parti à prendre pour en tirer désormais +un parti plus convenable, c'est de considérer et de traiter les +finances de l'État romain comme finances de l'armée française. +Quelque étrange que soit ce langage, nous sommes loin de le reprocher +à ceux qui le tiennent puisqu'il ne leur est suggéré que par des +besoins auxquels ils touchent le plus près.»</p> + +<p>Tout commentaire serait inutile: aussi bien c'est une triste +<span class="pagenum"><a id="page242" name="page242"></a>(p. 242)</span> histoire que celle des réquisitions imaginaires, des +contributions monstrueuses, des emprunts forcés, des mesures +arbitraires qu'enregistrent froidement les documents contemporains. +Le vol est en quelque sorte autorisé par l'arrêté du 6 germinal an +VI, en vertu duquel l'État romain paiera trente-deux millions en +valeurs, plus trois en équipement, trois pour les besoins de l'armée +et des objets d'art pour une somme indéterminée. Le Directoire (art. +9) «se réserve en toute propriété tous les biens meubles et créances +appartenant au Pape, à sa famille, à la famille Albani, au cardinal +Busca, ainsi que les emphythéoses dont ils jouissaient». Il «se +réserve (art. 21) l'argenterie superflue des églises, et tous les +biens des établissements supprimés ou confisqués». «Il fera connaître +(art. 22) sa volonté sur le muséum, les bibliothèques, le cabinet des +tableaux et sur le sol du pays de Bénévent.»</p> + +<p>Que dire des exactions particulières? Les Chigi à eux seuls durent +payer 300,000 écus. Un simple graveur, Volpato, fut imposé à 12,000 +écus de contribution payables dans les vingt-quatre heures. On +vendit à vil prix, sans parler de ceux qu'on emporta à Paris, les +objets d'art appartenant aux cardinaux Albani et Busca. Les musées +et les bibliothèques furent livrés en proie à des commissaires aussi +ignorants qu'avides. On enleva des palais pontificaux jusqu'aux +portes et aux gonds, jusqu'aux ustensiles de cuisine! Rome n'était +plus qu'un grand marché, où l'on tenait bureau public de vol et de +dévastation. Sous prétexte de l'arrêté pris par Berthier contre les +émigrés, ne s'avisa-t-on pas d'inventer de faux émigrés, dont les +biens étaient aussitôt mis en vente, et qui ne parvenaient à se +racheter qu'en payant de véritables rançons? On se croyait presque +revenu à ces temps néfastes où les reîtres et les lansquenets +de Bourbon étaient les maîtres de Rome et s'en partageaient les +dépouilles<a id="footnotetag354" name="footnotetag354"></a><a href="#footnote354" title="Go to footnote 354"><span class="smaller">[354]</span></a>.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page243" name="page243"></a>(p. 243)</span> Le plus déplorable était que le mauvais exemple partait +de haut. Berthier avait été rappelé brusquement et remplacé par +Masséna. Or, ce dernier, excellent général, était un déplorable +administrateur. Ardent et impétueux, quand le rôle de modérateur eût +seul convenu, dissipateur et prodigue, avide de richesses et dépourvu +de scrupules dans la façon de les acquérir, il était en outre mal +entouré, par des fournisseurs et des agioteurs qui achetaient sa +complaisance ou même sa conscience, et se livraient effrontément à +de honteux tripotages. Le scandale fut tel que les soldats et les +officiers de l'armée française, qui gardaient encore le sentiment de +l'honneur, rougirent de ces infamies et envoyèrent une protestation +à Masséna<a id="footnotetag355" name="footnotetag355"></a><a href="#footnote355" title="Go to footnote 355"><span class="smaller">[355]</span></a>. Ce dernier se crut bravé et répondit par des paroles +de rage à cette demande si légitime. Les troupes exaspérées se +rassemblèrent au Panthéon (27 février 1799), et rédigèrent une +pétition au Directoire pour réclamer le rappel du général. C'était +une véritable insurrection, et le bon droit, sinon la légalité, était +du côté des insurgés. Le lendemain 28, Masséna fit battre la générale +et ordonna à l'armée de quitter Rome. Les soldats refusèrent d'obéir. +Aussitôt il se démit de ses fonctions et remit le commandement au +général Dallemagne<a id="footnotetag356" name="footnotetag356"></a><a href="#footnote356" title="Go to footnote 356"><span class="smaller">[356]</span></a>.</p> + +<p>Même désorganisation dans les administrations locales. Les consuls +de la nouvelle République non seulement avaient à soutenir les +intérêts de leurs concitoyens, mais encore à se débattre contre +les prétentions opposées des commissaires du <span class="pagenum"><a id="page244" name="page244"></a>(p. 244)</span> Directoire, +du général commandant l'armée d'occupation, et même de l'autorité +militaire siégeant à Milan. De là des tiraillements continuels, des +démissions ou des destitutions et une série de véritables coups +d'État. Angelucci, Reppi, Matheis, Visconti, Panazzi, Pierelli, +Calisti, Zaccaleoni, Brissi, Rey, se remplacent à peine installés et +méritent, il faut le reconnaître, cette sévère appréciation de l'un +de ceux qui avaient contribué à les renverser: «Il est difficile +de trouver dans l'histoire un genre de gouvernants plus avilis ... +La corruption, la vénalité, les passions haineuses et vindicatives +animaient toutes les délibérations. Des séances entières se +passaient en vives discussions pour faire placer un parent, un ami, +un partisan, un homme qui avait payé à deniers comptants le poste +qu'il occupait. La chose publique ne les occupait presque jamais. +On savait à Rome qu'il y avait des consuls, mais on l'ignorait +dans les départements ou on feignait impunément de l'ignorer. Les +administrations soit centrales, soit municipales, formaient des +corps à part, s'isolaient, gouvernaient suivant les règles de leurs +caprices et de leurs intérêts privés et détournaient à leur propre +usage jusqu'au produit des contributions publiques<a id="footnotetag357" name="footnotetag357"></a><a href="#footnote357" title="Go to footnote 357"><span class="smaller">[357]</span></a>.»</p> + +<p>Les ennemis de la France et de la République profitèrent de cette +déplorable situation pour tenter une réaction. Les Transtévérins +s'étaient toujours signalés par leurs haines antifrançaises. Dès +le mois de mars 1798<a id="footnotetag358" name="footnotetag358"></a><a href="#footnote358" title="Go to footnote 358"><span class="smaller">[358]</span></a> ils s'étaient soulevés, mais avaient été +facilement réprimés. Le jour même où Masséna sortit de Rome (mars +1799), ils coururent encore aux armes, mais le sentiment de la +discipline n'était pas encore éteint, et les patriotes romains, +bien que désillusionnés d'une liberté si coûteuse, la préféraient +encore à l'ancien régime. Ils se joignirent à nos soldats qui prirent +leur poste de combat, et l'ordre fut bientôt rétabli. Vingt-quatre +révoltés furent fusillés <span class="pagenum"><a id="page245" name="page245"></a>(p. 245)</span> et plusieurs cardinaux emprisonnés, +parmi eux Doria Pamphili, le secret instigateur de l'émeute.</p> + +<p>De Rome, le soulèvement s'étendit aux provinces. En avril 1799, un +premier soulèvement avait eu lieu. L'Ombrie s'était soulevée sous +la direction d'un certain Bernardini. La garnison française de +Cita di Castello avait été massacrée, et celle d'Urbin assiégée; +mais les insurgés, qui ne pouvaient plus compter sur les soldats +pontificaux qu'on venait de licencier, avaient été battus et dès le +mois de mai tout était rentré dans l'ordre. Le mouvement paraissait +plus sérieux en mars 1799, surtout dans les départements de Cimino +et du Trasimène. À Castel Gandolfo, à Rocca di Papa, à Ascoli, à +Imola et dans toute l'Ombrie, les paysans se déclarèrent en faveur +de la Papauté, et, ce qui compliquait la situation, c'est que le +commandant en chef de l'armée d'Italie réclamait à ce moment même les +soldats du corps d'occupation de Rome. Les commissaires du Directoire +s'opposèrent à leur départ, car, ainsi qu'ils l'écrivaient<a id="footnotetag359" name="footnotetag359"></a><a href="#footnote359" title="Go to footnote 359"><span class="smaller">[359]</span></a>, «on +ne pourrait garder que Rome et Ancône, Civita-Vecchia et plusieurs +positions importantes seraient vite occupées par les rebelles; les +campagnes cesseraient de payer les contributions et la République +serait renversée». Nos soldats restèrent donc, et, sans grande peine, +dispersèrent les uns après les autres tous les rassemblements armés. +Cette nouvelle tentative avait donc avorté.</p> + +<p>Dès lors un ordre relatif s'établit. Dallemagne, le successeur +de Masséna, fit condamner à mort et fusiller comme voleur un +certain Charrier, qui s'était signalé par ses pillages éhontés. +D'autres Français, convaincus de vol, furent condamnés à des peines +afflictives. La discipline se rétablit et les Romains ne furent plus +traités en peuple conquis. Dallemagne, qui avait été un des chefs +de la sédition militaire contre Masséna, ne pouvait rester le chef +de l'armée de Rome. On lui donna comme successeur d'abord Gouvion +Saint-Cyr, puis Championnet. Les fournisseurs furent surveillés avec +soin, les <span class="pagenum"><a id="page246" name="page246"></a>(p. 246)</span> agents civils durent se renfermer dans la limite +de leurs attributions, en un mot la République Romaine semblait +entrer dans la période d'organisation qui seule peut donner de la +stabilité à un gouvernement. Mais il était déjà trop tard! La seconde +coalition se formait contre la France, et la République Romaine +allait être détruite la première par nos ennemis.</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="page247" name="page247"></a>(p. 247)</span> CHAPITRE V<br> +<span class="smaller">LA RÉPUBLIQUE PARTHÉNOPÉENNE</span></h2> + +<p class="resume"> + Les Bourbons de Naples. — Lazzaroni et bourgeois. — Essais + de coalition contre la France. — Insulte à Mackau. — La + Touche-Tréville dans le golfe de Naples. — Déclaration + de guerre à la France. — La reine Marie-Caroline et sa + haine de la France. — Armistice accordé par Bonaparte à + Pignatelli. — Ménagements stratégiques de Bonaparte. — Nouveaux + préparatifs de guerre et paix de Campo-Formio. — Assistance + prêtée aux Anglais. — Nouvelle déclaration de guerre à la + France. — Mack envahit le territoire romain. — Entrée du roi + Ferdinand à Rome. — Championnet et les Français reprennent + l'offensive. — Marche contre Naples. — Fuite de la famille + royale. — Entrée des Français à Naples et proclamation de la + République parthénopéenne. — Retraite de Macdonald. — Révolte des + Abruzzes et de la Calabre. — Ruffo et les Sanfédistes. — Siège + de Naples. — Capitulation de Naples. — Nelson viole la + capitulation. — Les massacres et les exécutions juridiques. — Fin + de la République parthénopéenne.</p> + +<p>De tous les États italiens, le royaume de Naples<a id="footnotetag360" name="footnotetag360"></a><a href="#footnote360" title="Go to footnote 360"><span class="smaller">[360]</span></a> fut celui +qui accueillit avec le plus de crainte et de défiance la nouvelle +des prodigieux événements dont la France était alors le théâtre, +Ferdinand IV de Bourbon régnait depuis 1759. Comme il n'avait que +huit ans quand il monta sur le trône, on l'avait confié aux soins +d'un conseil de régence. Son gouverneur, San <span class="pagenum"><a id="page248" name="page248"></a>(p. 248)</span> Nicandro, +l'avait laissé grandir dans une ignorance presque complète et +ne s'était attaché qu'à développer en lui le goût des exercices +corporels. Au lieu de le préparer au maniement des affaires, il +lui avait appris à jouer à la paume, à chasser ou à pêcher. Aussi +le jeune roi était-il parfaitement incapable de gouverner, et de +bonne heure il abandonna le pouvoir à sa femme, Marie-Caroline +de Habsbourg-Lorraine. Cette princesse au contraire était fort +intelligente et très instruite. Fille de Marie-Thérèse, sœur des +empereurs Joseph II et Léopold II et de notre Marie-Antoinette, +belle, active, énergique, si la destinée l'avait appelée sur un autre +trône, elle aurait peut-être joué un grand rôle dans l'histoire. +Par malheur elle fut mal conseillée par deux étrangers qui +l'entraînèrent, elle et son mari, à de déplorables aventures et les +jetèrent sans merci, aux implacables sévérités de l'histoire.</p> + +<p>Depuis 1799 vivait à Naples un aventurier irlandais, Acton, qui +s'était emparé de l'esprit de la reine, et, par sa faveur, avait +obtenu successivement trois ministères, marine, guerre, affaires +étrangères. Au lieu de se dévouer à son pays d'adoption, Acton ne +travailla jamais que dans les intérêts de sa patrie d'origine, +et fut toute sa vie l'instrument servile du cabinet anglais. Or +l'ambassadeur d'Angleterre à Naples se nommait William Hamilton. +C'était le frère de lait de Georges III. Courtisan assidu, compagnon +de chasse du roi, <span class="pagenum"><a id="page249" name="page249"></a>(p. 249)</span> coureur en sa compagnie de galantes +aventures, il avait exploité cette amitié en pillant les trésors +archéologiques de Pompéï. Accrédité à Naples depuis de longues +années, il vivait dans l'intimité de la famille royale, mais sans +se priver d'exercer à ses dépens sa verve caustique. Très libre +dans ses propos, ne croyant à rien qu'à ses plaisirs, tout à fait +revenu des illusions de ce monde et disposé à traiter de bagatelles +les vertus domestiques, c'était un épicurien ou plutôt un cynique +Anglais, de la pire espèce des railleurs, car la plaisanterie sied +mal à ses compatriotes. Il avait montré par un éclatant exemple +combien il pratiquait lui-même en matière de morale la plus large +des tolérances, car il avait épousé une aventurière anglaise, Emma +Harte, une des femmes les plus séduisantes de son temps, mais dont +la jeunesse s'était écoulée dans les tripots de Londres. Présentée +à la cour, lady Hamilton y fit briller les grâces de son esprit et +les merveilleuses ressources de son imagination. Malgré la honte de +sa vie passée, elle plut à tout le monde, surtout à Marie-Caroline +qui, ressentant pour sa nouvelle amie tous les emportements d'une +passion antique, la traita en favorite et se mit complètement à sa +merci. Acton et lady Hamilton dominaient donc la reine et, par son +intermédiaire, étaient les véritables maîtres du royaume de Naples.</p> + +<p>Les Napolitains paraissaient résignés à cette triste domination. Il +est vrai que les lazzaroni, qui constituaient la masse du peuple, +s'occupaient peu de politique. Dans ce merveilleux pays où l'on n'a +pour ainsi dire que la peine de vivre, les lazzaroni goûtaient avec +volupté les charmes de la paresse. À peine avaient-ils gagné de quoi +satisfaire leurs besoins matériels qu'ils s'étendaient au soleil +et dormaient paisiblement. Fanatiques, passionnés, susceptibles +d'un élan furieux, d'un crime même, sauf à retomber ensuite dans +leur apathique indifférence, ils justifiaient la fameuse théorie de +Montesquieu sur l'influence des climats. Ce n'était pas précisément +l'intelligence qui leur manquait, mais le souci de leur dignité. +Aussi bien, ils n'avaient pas conscience de leur dégradation +<span class="pagenum"><a id="page250" name="page250"></a>(p. 250)</span> morale, car on les retenait dans une ignorance systématique.</p> + +<p>La bourgeoisie napolitaine, au contraire, était fort éclairée. +Quelques-uns des rois qui s'étaient succédé à Naples, au XVIII<sup>e</sup> +siècle, avaient pris à tâche de relever le niveau de l'instruction +chez leurs sujets, et ils y avaient en partie réussi; mais, en même +temps que l'instruction, avait grandi le besoin des réformes. Les +bourgeois non seulement gémissaient sur l'ignorance des lazzaroni, +mais encore commençaient à réclamer des changements politiques et +sociaux. La majeure partie des nobles se ralliaient à eux. Les grands +seigneurs napolitains et siciliens, en effet, dans leurs voyages à +travers l'Europe ou par leurs relations, avaient appris à connaître +et à apprécier le salutaire effet des améliorations modernes, et en +demandaient l'application dans leur pays. Un parti libéral existait +donc à Naples. Il avait pour chef Domenico Cirillo, un des médecins +les plus estimés de l'Europe, Gabriel Manthone, Massa, Bassetti, +Ettore Caraffa et Schipani, presque tous officiers ou ingénieurs. +Le prince de Santa Severina et l'amiral Caracciolo étaient, parmi +les nobles, ceux que leurs opinions rattachaient à ce parti. La +cour détestait les libéraux, et attisait contre eux les haines mal +raisonnées de la populace. On aurait dit qu'elle pressentait en eux +de futurs adversaires; mais elle se contentait de les surveiller et +ne les persécutait pas.</p> + +<p>Sur ces entrefaites éclata la Révolution française. Bourgeois et +nobles la saluèrent comme l'aurore des temps nouveaux. La cour, +effrayée par la subite explosion de ces sentiments et de ces besoins +inassouvis, se prépara tout aussitôt à la lutte. D'ailleurs, le roi +n'aimait pas la France par instinct monarchique. Il appartenait à la +famille de Bourbon, et, par tradition autant que par tempérament, +répudiait toute concession aux idées modernes. Marie-Caroline était +la sœur de Marie-Antoinette et le sort de cette infortunée +princesse portait à son paroxysme la haine qu'elle avait vouée à +notre pays. Quant à Acton et à lady Hamilton, grassement payés par +l'Angleterre, qui avait tout intérêt à diminuer notre <span class="pagenum"><a id="page251" name="page251"></a>(p. 251)</span> +influence en Italie, ils entretenaient la famille royale dans une +excitation furibonde. Du concours de ces haines allait se former +contre la France une étroite alliance, et se préparer des événements +féconds en péripéties tragiques.</p> + +<p>Le roi et la reine de Naples par leur naissance, par leur éducation, +par leurs alliances de famille ne pouvaient éprouver pour la +Révolution française que des sentiments de répulsion. Alors que +leur beau-frère Louis XVI régnait encore en France comme souverain +constitutionnel, dès 1791, ils avaient essayé d'organiser en Italie +une coalition contre la France. Le roi de Sardaigne ne demandait +pas mieux que d'accepter cette proposition, mais le pape Pie VI +n'était pas d'humeur à tenter la fortune des armes. Le grand-duc de +Toscane refusait de sortir de la neutralité. Gênes trouvait à cette +neutralité trop d'avantages pour ne pas décliner toute proposition de +guerre contre la France. Venise ne voulait que le repos. L'Autriche +enfin désapprouvait la centralisation des forces italiennes. +Ferdinand IV et Marie-Caroline furent donc forcés de remettre à des +temps meilleurs leurs projets de vengeance, mais ils se préparèrent +à des événements qu'ils appelaient de tous leurs vœux, et, dès ce +moment, commencèrent leurs armements pour la prochaine guerre.</p> + +<p>L'armée napolitaine ne comptait en 1791 que 24,000 hommes d'effectif, +moitié mercenaires, moitié Napolitains. Une longue paix et la +pauvreté du trésor avaient fait négliger toutes les institutions qui +tiennent à la guerre. Arsenaux mal approvisionnés, forteresses en +ruines, traditions, souvenirs, mœurs militaires, tout était perdu, +tout était à refaire. Acton, ministre tout-puissant, mais étranger +par ses origines et par ses affections aux peuples qu'il gouvernait, +entreprit la lourde tâche de réorganiser cette armée. Des Suisses et +des Dalmates furent enrôlés, et des soldats recrutés partout. Trois +étrangers de haute naissance, les princes de Hesse-Philipstadt, +de Saxe et de Wurtemberg prirent du service sous les drapeaux +napolitains. On se mit à fondre des canons, à fabriquer des +voitures, des armes, des munitions, en un mot, <span class="pagenum"><a id="page252" name="page252"></a>(p. 252)</span> on se prépara +avec une grande activité à de prochaines hostilités.</p> + +<p>Pendant ce temps, la royauté française était entraînée vers l'abîme. +Insulté aux Tuileries dans la journée du 20 juin 1792, chassé de son +palais le 10 août, Louis XVI se réfugiait au sein de l'Assemblée +législative, qui prononçait sa déchéance et l'envoyait au Temple. +La cour napolitaine accueillit ces nouvelles avec stupeur et +indignation, mais sa colère fut impuissante, car l'armée n'était pas +encore en état de prendre la campagne, et d'ailleurs la Convention +nationale, qui venait de succéder à l'Assemblée législative, venait, +par la conquête de la Savoie et de Nice, de frapper un coup qui +retentit profondément dans l'Europe entière. Les mots de patrie +et de liberté n'avaient pas été prononcés impunément. Les esprits +s'agitaient. À Naples et à Palerme tous les mécontents, et ils +étaient nombreux, tournaient du côté de la France leurs vœux et +leurs espérances. Se jeter dans les hasards d'une guerre étrangère, +alors que la guerre civile menaçait, eût été de la démence. Ferdinand +et Marie-Caroline résolurent, pour la seconde fois, d'attendre +une occasion, et, pour mieux assurer leurs desseins ultérieurs, +ils comprimèrent par la terreur tous ceux de leurs sujets qu'ils +soupçonnaient d'applaudir aux réformes révolutionnaires.</p> + +<p>Sur ces entrefaites on apprit à Naples le procès, et bientôt +l'exécution de Louis XVI. Le roi et la reine furent consternés. +Voici un billet que Marie-Caroline adressait à ce propos à son amie +l'ambassadrice d'Angleterre (7 février 1793)<a id="footnotetag361" name="footnotetag361"></a><a href="#footnote361" title="Go to footnote 361"><span class="smaller">[361]</span></a>: «J'ay été bien +touchée de l'intérêt que vous prenez à l'exécrable catastrofe dont +ce sont souillé les infâmes français. Je vous envoie le portrait de +cet innocent enfant<a id="footnotetag362" name="footnotetag362"></a><a href="#footnote362" title="Go to footnote 362"><span class="smaller">[362]</span></a> qui implore vengeance, secours, ou, s'il est +aussi immolé, ces cendres unis à ceux de ces infortunés parens crient +avant l'Éternel une éclatante vengeance. Je compte le plus sur +votre généreuse nation <span class="pagenum"><a id="page253" name="page253"></a>(p. 253)</span> pour remplir cet objet et pardonez +à mon cœur déchiré ses sentimens. Votre attachée amie.» La cour +napolitaine semblait donc décidée à entrer en campagne. Toutes les +réjouissances du carnaval, publiques ou privées, furent interdites, +et le roi, accompagné de toute sa maison civile et militaire, se +rendit en grand cérémonial à la cathédrale pour y pleurer et prier +sur la royale victime. Un envoyé de la République française, Mackau, +ayant demandé une audience, Ferdinand la lui refusa brutalement. Il +adressait en même temps aux souverains italiens, et spécialement +au roi de Sardaigne et à Venise, une nouvelle proposition de +confédération. Tout donc semblait décidé, et la guerre allait être +déclarée, mais, par un singulier revirement, et, pour la troisième +fois, la cour napolitaine fut encore réduite à l'impuissance.</p> + +<p>À la nouvelle du refus d'audience infligé à Mackau, refus qui +impliquait la non-reconnaissance de la République française, la +Convention avait ordonné à l'amiral Latouche-Tréville de se rendre +tout de suite à Naples avec la flotte de Toulon, et d'arracher, de +gré ou de force, le consentement du roi. Latouche-Tréville, avant +que les anciennes batteries du rivage fussent réparées, et que +de nouvelles fussent établies, parut devant Naples avec quatorze +vaisseaux de guerre qu'il embossa devant la ville, tout prêt à ouvrir +le feu si on ne lui accordait pas satisfaction. Le roi convoqua son +conseil, et, bien que les moyens de résistance fussent supérieurs +à ceux de l'attaque, le conseil décida qu'on reconnaîtrait la +République française, et qu'on accréditerait un ambassadeur à Paris. +Aussitôt Latouche-Tréville mit à la voile pour sortir du port, mais, +peu de temps après, ayant essuyé une tempête, il reparut dans le +golfe et demanda l'autorisation de réparer ses vaisseaux endommagés +et de renouveler ses provisions. Ferdinand aurait bien voulu, mais il +ne pouvait refuser. Aussitôt un grand nombre de jeunes Napolitains, +enthousiastes des nouvelles doctrines, entrèrent en relations avec +les officiers de la flotte française, et, comme la République +cherchait alors à pousser les peuples vers la liberté, <span class="pagenum"><a id="page254" name="page254"></a>(p. 254)</span> +pour les associer à ses dangers, Latouche-Tréville enflamma ces +jeunes têtes, et leur conseilla de s'organiser en sociétés secrètes. +Les choses allèrent même si loin que, dans un repas, les convives +attachèrent à leurs boutonnières un petit bonnet rouge, symbole +du jacobinisme. La cour n'ignorait aucune de ces démarches, mais +elle ajournait le châtiment pour attendre le départ de ces hôtes +importuns. Elle affectait même un grand empressement et fournissait +des ouvriers, des matériaux et jusqu'à des vivres.</p> + +<p>La flotte française partit enfin: aussitôt commença la réaction. Les +partisans de la France furent jetés en prison, et une junte d'État +fut instituée pour punir les crimes de lèse-majesté, c'est-à-dire +de sentiments favorables à notre pays. Malgré sa haine, la cour +napolitaine hésitait pourtant à se prononcer, car elle craignait +une nouvelle apparition de la flotte française dans les eaux de +Naples. L'Angleterre arriva fort à propos pour la tirer d'embarras, +et lui permettre de réaliser ses projets de vengeance. Les escadres +anglaises venaient, en effet, d'entrer dans la Méditerranée, et, +comme elles étaient bien supérieures aux nôtres, peu à peu elles +refoulèrent tous nos vaisseaux sur la côte et délivrèrent la cour +napolitaine de la crainte d'une autre intervention française. +Aussitôt Ferdinand et Marie-Caroline lèvent le masque. Ils publient +un traité secret récemment conclu avec l'Angleterre et envoient douze +navires et six mille hommes rejoindre la flotte de l'amiral Hood.</p> + +<p>Cette flotte anglo-napolitaine eut bientôt l'occasion de se signaler. +Le 24 août 1793, Toulon avec son arsenal, ses vaisseaux et ses +imposantes fortifications était livré aux ennemis de la France. +Aussitôt, les troupes napolitaines, commandées par le maréchal +Fortiguerri et par les généraux de Gambs et Pignatelli, se jetaient +dans la place. Ils la défendirent de concert avec les Anglais et les +Espagnols. Nous n'avons pas à raconter ici le siège de Toulon. Il +nous suffira de rappeler que les Napolitains, jusqu'au dernier jour, +résistèrent aux troupes républicaines. Lorsqu'ils furent obligés, +avec les <span class="pagenum"><a id="page255" name="page255"></a>(p. 255)</span> autres alliés, d'évacuer précipitamment la ville, +ils laissèrent entre nos mains 600 d'entre eux, avec une énorme +quantité de munitions et d'approvisionnements. Cette expédition, +sur laquelle la cour de Naples avait fondé de grandes espérances, +échoua donc misérablement; mais le roi et surtout la reine +haïssaient tellement la France que, malgré cet insuccès éclatant, +ils persévérèrent dans leur résolution de continuer la guerre. +Souverains absolus, ils ne pouvaient que détester un régime qui était +la négation de leur propre autorité; catholiques par conviction, ils +avaient en quelque sorte horreur d'un gouvernement qui persécutait +le catholicisme; princes de la maison de Bourbon, ils redoutaient +pour eux-mêmes la destinée de Louis XVI, et, comme ils confondaient +volontiers leurs intérêts dynastiques avec les intérêts de la nation, +ils croyaient sincèrement accomplir leur devoir, en se prononçant +avec énergie contre la France. Leur premier ministre, Acton, créature +de l'Angleterre, entretenait cette ardeur et lady Hamilton, la femme +de l'ambassadeur anglais, exploitait l'amitié ou plutôt la passion +qu'elle avait inspirée à la reine en l'excitant contre la France. La +flotte napolitaine continua donc à assister la flotte anglaise dans +la Méditerranée, et une division de cavalerie napolitaine fut envoyée +dans l'Italie du Nord, où elle combattit, non sans honneur, dans les +rangs de l'armée austro-piémontaise.</p> + +<p>La reine Marie-Caroline poussait même si loin cette haine contre la +France qu'elle n'hésita pas, dans l'espoir de nous nuire, à commettre +des indiscrétions qui ressemblent à des actes de trahison. En 1795, +en effet, l'Espagne, qui n'avait essuyé que des défaites dans la +guerre qu'elle soutenait contre la France, songeait à se retirer +de la coalition. Galatone, ambassadeur de Naples à Madrid, informa +son gouvernement des négociations entamées, et ses informations +étaient d'autant plus précises que la famille royale d'Espagne ne +se défiait aucunement de la famille royale napolitaine à laquelle +l'attachaient tant d'intérêts communs. Or, l'Angleterre tenait à +ne rien ignorer de ce qui se passait à Madrid. Marie-Caroline, +<span class="pagenum"><a id="page256" name="page256"></a>(p. 256)</span> sans le moindre scrupule et uniquement pour être agréable à +son amie Emma, lui communiqua tous les renseignements qu'elle avait +à sa disposition<a id="footnotetag363" name="footnotetag363"></a><a href="#footnote363" title="Go to footnote 363"><span class="smaller">[363]</span></a>. «On déchifre le chifre, lui écrivait-elle +au commencement de 1795; si je sais quelque chose de plus, vous le +saurez.» Le 28 avril elle lui adressait le billet suivant<a id="footnotetag364" name="footnotetag364"></a><a href="#footnote364" title="Go to footnote 364"><span class="smaller">[364]</span></a>: +«Je vous envoie un chifre venu d'Espagne, de Galatone, qu'avant +vingt-quatre heures vous me devez rendre afin que le roi la retrouve. +Il y a des choses très intéressantes pour le gouvernement anglais et +que j'aime à leur communiquer, et montrer mon attachement pour eux et +ma confiance au digne chevalier, auquel je prie seulement de ne pas +me compromettre.» Le digne chevalier, il s'agissait de l'ambassadeur +Hamilton, ne compromit pas en effet la reine, puisqu'on n'a connu +cette trahison que par la publication tardive de la correspondance +échangée entre Marie-Caroline et Emma; mais l'Angleterre profita de +l'indiscrétion, car elle bombarda Cadix, et, se jetant sur la flotte +espagnole sans méfiance, la détruisit au combat de Saint-Vincent.</p> + +<p>Si donc la haine de la France aveuglait Marie-Caroline au point de +lui faire commettre une véritable trahison contre un souverain, un +allié, un proche parent, comment la République française aurait-elle +été traitée par cette implacable ennemie, si elle avait trouvé le +moyen d'assouvir sa haine! Par bonheur pour la France, Marie-Caroline +avait trop d'intelligence pour ne pas comprendre les dangers d'une +intervention plus active, et, de son côté, Ferdinand était trop +indolent pour s'occuper d'une affaire qui l'aurait détourné de ses +occupations favorites, la chasse ou la pêche. Ce fut donc surtout +contre leurs propres sujets suspects de libéralisme ou tout au +moins d'indulgence vis-à-vis des principes nouveaux que le roi et +la reine de Naples tournèrent leur colère; et, de 1793 à 1796, bien +que comptant parmi les souverains coalisés contre la France, ils ne +prirent qu'une part indirecte aux hostilités.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page257" name="page257"></a>(p. 257)</span> À partir de 1796, lorsque Bonaparte descendit en Italie et +remporta la série des victoires qui devaient aboutir au traité de +Campo-Formio, à cette indifférence succéda une terreur véritable. Le +Directoire n'avait nullement caché son intention de punir tous les +souverains italiens, dont il croyait avoir à se plaindre. Le roi de +Naples était un des plus menacés. Il savait que l'invasion de ses +États serait en quelque sorte le complément de la conquête française. +Il put même craindre un moment que Bonaparte, abandonnant l'Autriche, +ne se détournât contre l'Italie péninsulaire. Telle était en effet +l'intention du Directoire: mais on sait comment le général en chef de +l'armée française, n'écoutant que ses propres inspirations, et guidé +d'ailleurs par le bon sens et l'instinct de la grande stratégie, +refusa d'occuper Rome et Naples, avant d'avoir définitivement expulsé +les Autrichiens de l'Italie septentrionale. Naples fut donc menacée +par le général vainqueur, mais jamais inquiétée sérieusement. Ce +n'était néanmoins que partie remise, et le roi Ferdinand savait très +bien qu'il était acculé à une double difficulté: ou bien s'engager à +fond dans la lutte, ou bien traiter avec la République. Il préféra +traiter.</p> + +<p>Ce ne fut pas sans de nombreuses défaillances qu'il se résolut à +prendre cette prudente détermination. Il y avait à Naples deux +partis, celui de la guerre à la tête duquel se trouvait la reine, +excitée par son entourage, et celui de la paix, qui n'avait pas de +chef, mais dont le roi était le principal soutien. Ces deux partis +l'emportaient tour à tour, selon que Bonaparte était victorieux ou +que ses succès semblaient compromis. Rien de plus curieux et souvent +de plus amusant à suivre que les négociations entamées alors par +la cour napolitaine. C'est une série de retours offensifs ou de +prudentes retraites, de rodomontades ou de palinodies qui dénotent +d'un côté la haine furieuse que portaient à la France les Bourbons +de Naples, et d'autre part la terreur que leur inspiraient nos armes +victorieuses. On ne demanderait qu'à entrer en campagne, mais aussi +comment s'exposer bénévolement à <span class="pagenum"><a id="page258" name="page258"></a>(p. 258)</span> un désastre? Mieux vaut +attendre une occasion! Or, cette occasion ne se présente jamais, +et, comme on s'est compromis soit par des démarches inconsidérées, +soit par des démonstrations intempestives, il faut bien faire amende +honorable et tâcher d'adoucir un vainqueur sans combats. Telle est la +pitoyable comédie, en plusieurs épisodes, que vont jouer ces acteurs +royaux, jusqu'au jour où se croyant les maîtres de la situation, ils +se décideront à lever le masque et joueront le tout pour le tout.</p> + +<p>Ferdinand, dans le printemps de 1796, semblait d'abord tout disposé +à entrer en campagne. Il avait déjà prêté sa cavalerie à Beaulieu, +et même ces cavaliers s'étaient à diverses reprises distingués, +notamment à Valenza<a id="footnotetag365" name="footnotetag365"></a><a href="#footnote365" title="Go to footnote 365"><span class="smaller">[365]</span></a>, à Fombio et à Borghetto. Aussi crut-il +devoir au nom qu'il portait et au rang qu'il occupait de faire de +nouveaux efforts. Il envoya donc 30,000 hommes prendre position sur +la frontière pontificale, ordonna une levée en masse, et adressa +aux évêques du royaume des circulaires pressantes pour les conjurer +d'user de leur influence, afin d'exciter leurs ouailles à défendre +le sol national. Pris d'un beau zèle, le roi entra même en campagne +et visita les camps de Sangro, San-Germano, Sora et Gaëte. Il fut +reçu par les soldats avec empressement: mais cette ardeur s'évanouit +bien vite, quand il apprit que Beaulieu était refoulé dans le Tyrol, +que les ducs de Parme, de Modène et de Toscane étaient réduits à +l'impuissance, que le Pape, malgré sa bonne volonté, ne pouvait +couvrir sa frontière, et que, les unes après les autres, toutes les +villes de la Romagne ouvraient leurs portes aux Français. Le roi +craignit que l'orage qui s'approchait n'éclatât sur ses États. Il se +décida non pas précisément à la paix, mais à un armistice, et chargea +son ministre Belmonte-Pignatelli de négocier cet armistice.</p> + +<p>Bonaparte, malgré les instructions formelles du Directoire, était +parfaitement décidé à ne pas renouveler les fautes stratégiques +<span class="pagenum"><a id="page259" name="page259"></a>(p. 259)</span> des souverains ou des généraux français qui l'avaient +précédé en Italie. Il ne voulait pas s'enfoncer dans la péninsule, +alors que les Autrichiens tenaient encore Mantoue, et pouvaient d'un +instant à l'autre, soit par le Tyrol, soit par la Vénétie, déboucher +sur ses derrières. Ainsi qu'il l'écrivait<a id="footnotetag366" name="footnotetag366"></a><a href="#footnote366" title="Go to footnote 366"><span class="smaller">[366]</span></a> avec un grand bon +sens au Directoire: «Eussions-nous 20,000 hommes, il ne nous +conviendrait pas de faire vingt-cinq jours de marche, dès le mois +de juillet et d'août, pour chercher la maladie et la mort. Pendant +ce temps, Beaulieu repose son armée dans le Tyrol, la recrute, +la renforce des secours qui lui arrivent tous les jours, et nous +reprend dans l'automne ce que nous lui avons pris dans le printemps.» +Aussi accueillit-il avec empressement les propositions de la cour +napolitaine, qui lui furent présentées par Miot<a id="footnotetag367" name="footnotetag367"></a><a href="#footnote367" title="Go to footnote 367"><span class="smaller">[367]</span></a>. En deux heures +tout fut arrangé<a id="footnotetag368" name="footnotetag368"></a><a href="#footnote368" title="Go to footnote 368"><span class="smaller">[368]</span></a>. Les hostilités cessaient immédiatement. Les +cavaliers napolitains, qui servaient dans l'armée impériale, s'en +séparaient pour se rendre dans des cantonnements spéciaux, à Brescia, +Bergame et Côme. La suspension d'hostilité était étendue à la flotte. +Enfin, le passage était laissé libre pour les courriers français ou +napolitains. Aucune indemnité n'était exigée.</p> + +<p>Ces conditions étaient honorables. Elles étaient relativement douces; +mais Bonaparte ne cherchait alors qu'à diminuer le nombre de ses +ennemis. Il ne redoutait certes pas une diversion napolitaine, mais +il voulait avoir toutes ses forces disponibles pour lutter avec plus +d'avantages contre l'Autriche. D'ailleurs, comme il l'écrivait<a id="footnotetag369" name="footnotetag369"></a><a href="#footnote369" title="Go to footnote 369"><span class="smaller">[369]</span></a> +au Directoire en lui notifiant les conditions de l'armistice: «Si +vous faites la paix avec Naples, la suspension aura été utile, en ce +qu'elle aura affaibli de suite l'armée allemande. Si au contraire, +vous ne faites pas la paix avec Naples, la suspension <span class="pagenum"><a id="page260" name="page260"></a>(p. 260)</span> +aura encore été utile, en ce qu'elle nous mettra à même de prendre +prisonniers les 2,400 hommes de cavalerie napolitaine, et que le +roi de Naples aura fait un pas qui n'aura pas plu à la coalition.» +Bonaparte avait donc eu raison de mépriser les fanfaronnades de ce +souverain, et de se montrer modéré à son égard. Le roi de Naples +aurait pu devenir dangereux. Il était désormais compromis aux yeux de +ses anciens alliés et réduit à l'impuissance.</p> + +<p>Il avait été convenu que l'armistice serait bientôt converti en +paix définitive. Le prince Belmonte-Pignatelli avait été désigné +comme plénipotentiaire pour négocier cette paix; mais soit manque +d'empressement de sa part, soit plutôt duplicité du côté de la cour +napolitaine, il restait toujours en Italie. Bonaparte lui avait +pourtant écrit à deux<a id="footnotetag370" name="footnotetag370"></a><a href="#footnote370" title="Go to footnote 370"><span class="smaller">[370]</span></a> reprises pour le prier de hâter son +départ. Le prince promettait toujours<a id="footnotetag371" name="footnotetag371"></a><a href="#footnote371" title="Go to footnote 371"><span class="smaller">[371]</span></a> de se mettre en route, +mais ne bougeait pas. Son maître, en effet, croyait inutile de +dissimuler plus longtemps, et, comme Wurmser s'apprêtait alors à +entrer en Italie avec une armée de renfort, il s'imaginait de très +bonne foi, comme d'ailleurs tous les autres princes italiens, que +Bonaparte ne pourrait lui résister; aussi s'apprêtait-il à profiter +des circonstances, et c'est pour ce motif qu'il suspendait le départ +de son plénipotentiaire.</p> + +<p>Bonaparte connaissait assez les hommes pour ne conserver aucune +illusion sur les sentiments du roi de Naples. Heureusement pour +lui Ferdinand n'était pas en mesure d'entrer en campagne. Il +se contenta de mettre en mouvement une petite armée de 24,000 +hommes, qui, suivant les circonstances, se joindraient à Wurmser +ou marcheraient contre Livourne. Ils ne dépassèrent même pas les +frontières du royaume, car Bonaparte remporta les victoires de +Lonato et de Castiglione; <span class="pagenum"><a id="page261" name="page261"></a>(p. 261)</span> Wurmser fut refoulé dans le Tyrol, +et les espérances des princes italiens se trouvèrent réduites à +néant. Bonaparte n'en avait pas moins eu à redouter un instant la +division napolitaine, et il nourrissait un véritable ressentiment +contre le souverain versatile qui lui avait pour un moment inspiré +des inquiétudes. À deux reprises, il demanda<a id="footnotetag372" name="footnotetag372"></a><a href="#footnote372" title="Go to footnote 372"><span class="smaller">[372]</span></a> au Directoire +l'autorisation de traiter en prisonniers de guerre les cavaliers +napolitains, et se montra disposé à punir le roi de son intervention, +bien qu'elle n'eût pas été active. «Cette cour, écrivait-il, est +perfide et bête. Je crois que, si M. Pignatelli n'est pas encore +arrivé à Paris, il convient de séquestrer les 2,000 hommes de +cavalerie que nous avons en dépôt, arrêter toutes les marchandises +qui sont à Livourne, faire un manifeste bien frappé, pour faire +sentir la mauvaise foi de la cour de Naples, principalement d'Acton. +Dès l'instant qu'elle sera menacée, elle sera humble et soumise. Les +Anglais ont fait croire au roi de Naples qu'il était quelque chose. +J'ai écrit à M. d'Azara, à Rome. Je lui ai dit que, si la cour de +Naples, au mépris de l'armistice, cherche encore à se mettre sur les +rangs, je prends l'engagement à la face de l'Europe de marcher contre +ses prétendus 70,000 hommes avec 6,000 grenadiers, 4,000 hommes de +cavalerie et 50 pièces d'artillerie légère.»</p> + +<p>Certes, Bonaparte était homme à ne pas se contenter de menaces en +l'air, et, plus que personne, il était en mesure de renouveler les +exploits de Charles VIII et de s'emparer de Naples avec une poignée +de Français; mais il ne se serait engagé que très à contre-cœur +dans cette entreprise, car il comprenait que la partie suprême +n'était pas encore gagnée dans la Haute-Italie. Après Beaulieu, après +Wurmser, l'inépuisable Autriche s'apprêtait à lancer contre lui une +nouvelle armée et un nouveau général, Allwintzy. Malgré son désir +de punir le roi de Naples de ses mensonges et de ses revirements +de politique, Bonaparte ne voulait pas s'enfoncer dans l'Italie +méridionale <span class="pagenum"><a id="page262" name="page262"></a>(p. 262)</span> ou se priver d'une partie de son armée pour +la seule satisfaction de détrôner un prince. Aussi, malgré les +exhortations du Directoire, malgré son âpre désir de vengeance, +réservait-il à d'autre temps la punition du roi. «Si vous voulez +que l'on aille à Naples, écrivait-il<a id="footnotetag373" name="footnotetag373"></a><a href="#footnote373" title="Go to footnote 373"><span class="smaller">[373]</span></a> au Directoire, songez +sérieusement à m'envoyer des renforts. Si vous pouviez tenir ce que +vous m'annoncez de l'armée du Rhin, cela me suffirait. Soyez sûrs que +l'on fera tout ce qui sera possible pour frapper de grands coups et +correspondre aux hautes destinées de la République.»</p> + +<p>Aussi bien le roi de Naples commençait à trouver que le jeu en se +prolongeant risquait de devenir dangereux. Il s'était décidé à +envoyer à Paris le prince Belmonte-Pignatelli, pour y signer une +paix qui n'était que la confirmation de l'armistice précédemment +conclu. Les grandes victoires d'Arcole et de Rivoli avait +refroidi son enthousiasme, en lui démontrant que les Autrichiens +étaient incapables de débusquer les Français de la Haute-Italie. +Ferdinand n'avait pourtant renoncé ni à sa haine ni à ses projets +d'intervention. Lorsque Bonaparte entreprit contre Pie VI la campagne +qui devait aboutir au traité de Tolentino, cette fois encore le roi +de Naples, qui prévoyait la défaite de son ancien allié et redoutait +le voisinage immédiat des Français, annonça sa résolution de secourir +le chef de la catholicité: mais il se borna à envoyer à Bonaparte +le prince Belmonte-Pignatelli avec ordre d'annoncer au général que +l'armée napolitaine entrerait en campagne si la France n'accordait +pas à la Papauté d'honorables conditions de paix. Bonaparte +accueillit fort mal cette ouverture. Il le prit même de très haut +avec le malencontreux négociateur et lui répondit<a id="footnotetag374" name="footnotetag374"></a><a href="#footnote374" title="Go to footnote 374"><span class="smaller">[374]</span></a> «que, s'il +avait jusqu'alors patienté, c'est qu'il n'avait pas comme aujourd'hui +des troupes disponibles, et que, puisque son maître lui jetait ainsi +le gant, il le ramasserait». Pignatelli se confondit en excuses, et +<span class="pagenum"><a id="page263" name="page263"></a>(p. 263)</span> affirma qu'il avait mal exprimé les intentions du roi, et +que Naples était résolue à conserver l'alliance française. Bonaparte, +qui préparait alors sa campagne offensive contre l'Autriche et +ne se souciait pas d'une guerre avec Naples, qui l'aurait encore +retardé, feignit d'accepter ces explications, et annonça même au +plénipotentiaire napolitain qu'il ménagerait le Pape en considération +de son souverain<a id="footnotetag375" name="footnotetag375"></a><a href="#footnote375" title="Go to footnote 375"><span class="smaller">[375]</span></a>.</p> + +<p>Le langage ferme et soutenu de Bonaparte en imposa-t-il au roi +Ferdinand, ou plutôt le voisinage de nos troupes victorieuses lui +inspira-t-il de sérieuses réflexions, toujours est-il que, par une +nouvelle volte-face, il parut se rapprocher de la France. Il est vrai +que ces démonstrations d'amitié étaient fort intéressées. Il espérait +que, dans le remaniement et la nouvelle distribution des territoires +que préparait Bonaparte, le royaume napolitain serait favorisé. Avec +une impudeur naïve, et tout comme s'il eût rendu à la France de +grands services, il n'hésitait pas à demander tantôt les dépouilles +de Venise, et particulièrement les îles Ioniennes, tantôt celles de +la Papauté, son alliée d'hier. C'était surtout la marche d'Ancône qui +excitait ses convoitises. Bonaparte, qui résidait alors à Mombello, +et ne suivait que de loin les négociations, était comme harcelé par +les demandes incessantes des diplomates napolitains; mais, habitué +qu'il était à renverser plutôt qu'à agrandir les petits États, il +accueillait ces ouvertures avec une hauteur méprisante. «Le marquis +de Gallo, écrivait-il<a id="footnotetag376" name="footnotetag376"></a><a href="#footnote376" title="Go to footnote 376"><span class="smaller">[376]</span></a> au Directoire, désirerait fort la marche +d'Ancône pour Naples. Comme vous voyez, cela n'est pas maladroit, +mais c'est la chose du monde à laquelle nous devons le moins +consentir.» «—Le roi de Naples m'a déjà fait faire des propositions +d'arrangement, lisons-nous dans une de ses dépêches au ministre +Delacroix, mais Sa Majesté ne voudrait avoir rien moins que la marche +d'Ancône. Il faut se garder de donner un aussi bel accroissement +à un prince aussi <span class="pagenum"><a id="page264" name="page264"></a>(p. 264)</span> mal intentionné et si évidemment notre +ennemi le plus acharné.»</p> + +<p>Le roi Ferdinand fut sans doute informé de ces dispositions +malveillantes de Bonaparte; car, voyant que ses avances étaient +repoussées, il se prépara à un nouveau changement dans sa politique. +Les négociations pour la paix définitive entre la France et +l'Autriche ne marchaient alors qu'avec peine. L'Autriche massait des +troupes sur la frontière, et menaçait de rentrer en ligne. Pie VI, le +grand-duc de Toscane et le roi de Naples, excités et encouragés par +ses émissaires secrets, se disposaient à prendre une part effective à +la prochaine campagne. Le roi Ferdinand concentrait ses troupes, et +laissait entendre qu'il avait l'intention de les mener à Rome, pour +les unir aux soldats pontificaux, et tenter ensuite une diversion +sérieuse sur les derrières de l'armée française. Toutes ces intrigues +étaient signalées à Bonaparte par notre ambassadeur à Naples, +Canclaux. Elles parurent assez sérieuses pour être surveillées de +plus près encore. Bonaparte écrivit<a id="footnotetag377" name="footnotetag377"></a><a href="#footnote377" title="Go to footnote 377"><span class="smaller">[377]</span></a> à son frère Joseph, alors +ambassadeur à Rome, pour le prier d'envoyer un de ses aides de camp à +Naples. 29 septembre 1797. «Il s'assurera par lui-même du mouvement +des troupes napolitaines, auquel je ne puis pas croire, quoique je +m'aperçoive qu'il y a depuis quelque temps une espèce de coalition +entre les cours de Naples, de Rome et même de Florence, mais c'est +la ligue des rats avec les chats.» Bonaparte prévoyait même le +cas d'une entrée prochaine des Napolitains à Rome, et, en ce cas, +disait-il à son frère, «vous devez continuer à y rester, et affecter +de ne reconnaître d'aucune manière l'autorité qu'y exercerait le +roi de Naples, de protéger le peuple de Rome et faire publiquement +les fonctions de son avocat, mais d'avocat tel qu'il convient à un +représentant de la première nation du monde». Il écrivait le même +jour à Canclaux pour le prévenir «que le Directoire ne resterait pas +tranquille spectateur de la conduite hostile du roi de Naples».</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page265" name="page265"></a>(p. 265)</span> Cette fois encore l'entrée en campagne des Napolitains fut +remise à des temps plus propices. L'Autriche en effet venait de +signer la paix de Campo-Formio, et tous les princes italiens, qui +s'étaient compromis par leur attitude fanfaronne, n'avaient plus +qu'à faire oublier leurs velléités d'indépendance. Tel fut le cas +du roi Ferdinand. Il dut contenir jusqu'à nouvel ordre son ardeur +belliqueuse et feindre pour la France et son représentant sinon de +l'amitié, au moins une grande bienveillance. Il fut même obligé, en +vertu des traités, d'observer la plus stricte neutralité entre les +puissances qui n'avaient pas encore déposé les armes, c'est-à-dire +entre la France et l'Angleterre; mais ce fut bien à contre-cœur +qu'il se résigna à cette comédie politique. Le roi de Naples n'était +et ne pouvait être qu'un ennemi caché de la France. Il consentait à +dissimuler, mais il se réservait d'intervenir.</p> + +<p>Lorsque, dans le courant de l'année 1798, la France se décida +à renverser la Papauté, et créa la république romaine, la cour +napolitaine fut épouvantée de ce dénouement imprévu, et l'explosion +faillit avoir lieu. Si, dès ce moment, l'Angleterre s'était résolue +aux sacrifices d'argent qu'elle fit plus tard, si, en un mot, elle +avait pris à sa solde les Napolitains, il est hors de doute que la +cour napolitaine se serait déclarée en sa faveur. Les lettres intimes +échangées, durant cette période, entre la reine Marie-Caroline et sa +confidente Emma le prouvent surabondamment. La reine ne parle<a id="footnotetag378" name="footnotetag378"></a><a href="#footnote378" title="Go to footnote 378"><span class="smaller">[378]</span></a> +qu'avec horreur des progrès et des victoires de la France. «Tout cecy +me rend bien complètement malheureuse, lui écrit-elle en apprenant +l'entrée de Berthier à Rome. Dans la semaine on va expédier un +courrier à Londres pour voir s'il n'y aurait pas moyen de faire +resouvenir cette brave Nation qu'ils perdent l'Italie, son commerce à +jamais et dans nous leurs plus fidèles alliés.» Elle a grand soin de +conserver des relations suivies avec Londres. «Entre temps<a id="footnotetag379" name="footnotetag379"></a><a href="#footnote379" title="Go to footnote 379"><span class="smaller">[379]</span></a> je +veux vous <span class="pagenum"><a id="page266" name="page266"></a>(p. 266)</span> aviser que, ce soir, part un courrier pour Londres +qui usera toutes les précautions pour ne pas tomber entre les mains +de ces monstres nos voisins.» L'Angleterre repoussa ses ouvertures. +Elle ne se sentait pas encore menacée directement: mais tout changea +du jour au lendemain, quand elle apprit que Bonaparte venait de +s'embarquer pour l'Égypte. Tout changea également à Naples, qui ne +redoutait plus la présence du conquérant de l'Italie.</p> + +<p>Telle était pourtant la frayeur qu'inspiraient encore les armes +françaises que la cour de Naples, malgré sa haine et ses espérances, +n'osa pas se déclarer du jour au lendemain. La reine se contenta +d'avertir la flotte anglaise de nos moindres démarches, et de +former des vœux pour son succès. «Les coquins de français, +écrivait-elle<a id="footnotetag380" name="footnotetag380"></a><a href="#footnote380" title="Go to footnote 380"><span class="smaller">[380]</span></a> à Emma Hamilton, prétendent avoir des secrets pour +incendier la flotte anglaise. J'espère bien que cela n'est pas vrai. +Le vent et le bon Dieu veuillent bien les bénir (les Anglais) et les +accompagner! Mes vœux, prières les suivent, et je brûle d'être au +moment où toutes nos forces et moyens les aideront, et prouveront ce +que je serai toute ma vie, leur sincère et reconnaissante amie.» En +attendant cet heureux moment, on commençait à ne pas épargner à nos +nationaux les mauvais procédés. Quelques bâtiments français avaient +été enlevés par les Anglais dans les eaux napolitaines, Garat, notre +ambassadeur à Naples, éleva officiellement des réclamations. On ne +lui répondit même pas et voici comment la reine rendait compte<a id="footnotetag381" name="footnotetag381"></a><a href="#footnote381" title="Go to footnote 381"><span class="smaller">[381]</span></a> +de cette insulte à son amie: «Garat a fait un ofice (note) pour les +Proies (prises) digne de Garat et de ses cometans, mais qui aura +réponse comme il faut. On expédie à Paris nos plaintes sur cet office +et sur Malthe, mais plaintes hautes, et demain on expédie à Londres +et à Vienne pour les pousser.»</p> + +<p>La cour napolitaine ne cherchait donc qu'un prétexte pour rentrer en +campagne. Elle allait même au-devant de nos réclamations, en nous +fournissant d'elle-même de sérieux <span class="pagenum"><a id="page267" name="page267"></a>(p. 267)</span> griefs. Par le traité +de 1796, il avait été convenu que le roi fermerait ses portes aux +Anglais. Or, l'amiral Nelson, dans sa course furieuse à travers la +Méditerranée à la poursuite de la flotte française, venait d'arriver +en Sicile avec une escadre très avariée et manquant de vivres. Il +demanda l'autorisation de se ravitailler. C'était non seulement +rompre les engagements pris avec la France, mais encore fournir un +concours effectif à l'Angleterre. Le roi Ferdinand hésitait, mais la +reine, excitée et encouragée par lady Hamilton, l'emporta. Des ordres +secrets permirent au gouverneur de Syracuse de fournir à Nelson tout +ce dont il aurait besoin. Il était difficile de rendre à l'amiral +un service plus opportun. Aussi bien il le reconnaissait lui-même. +Voici comment, dans son testament, il s'exprime sur ce point: «La +flotte anglaise commandée par moi n'aurait jamais pu la seconde fois +retourner en Égypte, si l'influence de lady Hamilton sur la reine +de Naples n'avait obtenu qu'on écrivit des lettres au gouverneur de +Syracuse pour qu'il se mit en devoir de ravitailler la flotte de +toutes choses. Arrivés à Syracuse nous reçûmes toutes les provisions. +De là je me rendis en Égypte où je détruisis la flotte française.»</p> + +<p>Ce fut donc la trahison napolitaine qui rendit possible le désastre +d'Aboukir. Il est vrai que jamais nouvelle n'excita de pareils +transports. Ce fut à Naples comme un délire, quand on apprit que le +jour était enfin venu d'assouvir une haine trop longtemps contenue. +La reine ne sait plus contenir l'expression de sa joie. «Quel +bonheur, quelle gloire, écrit-elle à sa «chère Milady», quelle +consolation pour cette unique, grande et illustre nation. Que je +vous suis obligée, reconnaissante! J'ai pleine vie. J'embrasse mes +enfants, mon mary ... Hope, hope, je suis folle de joie.» Ce fut bien +autre chose lorsque le vainqueur, cédant aux pressantes invitations +qu'on lui avait adressées, se décida à jouir de son triomphe en +s'arrêtant<a id="footnotetag382" name="footnotetag382"></a><a href="#footnote382" title="Go to footnote 382"><span class="smaller">[382]</span></a> à Naples. Jamais souverain ne fut reçu avec plus +<span class="pagenum"><a id="page268" name="page268"></a>(p. 268)</span> d'apparat. La cour entière se porta à sa rencontre. On le +félicita, on l'embrassa, on le proclama par avance le libérateur de +l'Italie. À son débarquement les lazzaroni répétèrent ces cris, et la +toute belle Emma, qui était allée à sa rencontre sur le <i>Vanguard</i>, +tomba évanouie, foudroyée d'émotion, à la vue du héros, mais elle +eut soin de tomber dans ses bras, car c'était une scène préparée +qu'elle venait de jouer en comédienne consommée, et Nelson, si brave +en présence de l'ennemi, mais si crédule et si confiant vis-à-vis +des femmes, venait de tomber dans le piège qu'on lui tendait. +Nous ne voulons pas en effet remuer le bourbier de la corruption +italienne; il nous suffira de dire qu'Emma Hamilton qui poussait +jusqu'aux dernières complaisances le dévouement à Marie-Caroline et à +l'Angleterre, eut bientôt subjugué le rude marin, et, quand elle eut +musclé ce lion, elle le livra à son amie, et mit avec lui la flotte +anglaise et aussi l'honneur de l'Angleterre au service des passions +et des rancunes de la cour de Naples.</p> + +<p>Après un pareil éclat, la guerre était inévitable. Forte de l'appui +de Nelson, et de la présence de la flotte anglaise, la reine +Marie-Caroline aurait voulu entrer immédiatement en campagne. +De nombreux soldats avaient été enrégimentés. On en comptait, +vétérans ou conscrits, près de 60,000. Ils avaient été réunis sur +la frontière du nord, surtout au camp de San Germano, et la cour +assistait aux manœuvres. Marie-Caroline, comme autrefois sa mère +l'illustre Marie-Thérèse, aimait à parader devant les troupes, en +brillant uniforme, casaque bleu de ciel toute brodée de lis d'or, et +panache blanc au chapeau. Ce qui augmentait sa confiance, c'est que +l'Autriche lui avait envoyé pour commander cette armée un <span class="pagenum"><a id="page269" name="page269"></a>(p. 269)</span> +général, ou plutôt un théoricien militaire, de grande réputation, le +fameux Mack. Ce dernier s'était aussitôt rendu à son poste, et du +matin jusqu'au soir il exerçait ses soldats, organisant marches et +contremarches, attaques de nuit, surprises, etc. Tout ce mouvement +en imposait. La reine et ses amis croyaient de bonne foi que Mack +allait remporter victoires sur victoires. Nelson, observateur plus +clairvoyant, n'avait pas d'illusions. Il avait inspecté l'armée de +San Germano, et étudié son général. «Mack, écrivait-il à l'amirauté, +ne peut bouger sans emmener cinq voitures. Cela m'a donné une bien +triste opinion de lui.» Il n'épargnait pas les railleries à l'adresse +de son collègue. «Ces hommes iront jusqu'à Paris, lui disait un jour +l'Autrichien.» «Oh non, répondit froidement Nelson, la police ne le +souffrirait pas.» On raconte même qu'assistant à une manœuvre de +l'armée napolitaine qui n'avait pas réussi. «Cet homme, se serait-il +écrié en parlant de Mack, ne connaît pas le premier mot de son +métier!»</p> + +<p>Telle n'était pas l'opinion de Marie-Caroline, qui pria le grand +homme en espérance de tout disposer pour une prochaine entrée en +campagne. Aussitôt Mack apporta un plan d'invasion admirable. À +l'entendre, il suffisait de pousser devant soi les 15 ou 20,000 +soldats qui gardaient la République romaine. Les Piémontais<a id="footnotetag383" name="footnotetag383"></a><a href="#footnote383" title="Go to footnote 383"><span class="smaller">[383]</span></a> +seconderaient ce mouvement par une insurrection, et les Anglais +débarqueraient à Livourne une division qui couperait la retraite +à nos soldats. Enfin, les Autrichiens déboucheraient dans la +Haute-Italie et triompheraient sans peine des Français démoralisés +par cette <span class="pagenum"><a id="page270" name="page270"></a>(p. 270)</span> attaque générale. Certes, le plan était +merveilleux sur le papier, mais, à ce moment même, le Piémont était +annexé à la France, les Autrichiens étaient résolus à temporiser +encore, et les Anglais, toujours prudents, entendaient bien ne +débarquer à Livourne que pour profiter de la victoire et nullement +pour la préparer. En fin de compte, la cour de Naples entrait seule +en campagne.</p> + +<p>Malgré son incurable apathie, le roi Ferdinand ne manquait pas de bon +sens. Il comprenait très bien qu'on lui promettait beaucoup, mais +il ne voyait rien venir et aurait désiré ne pas se compromettre. +Plusieurs de ses ministres, Pignatelli, Marco, Gallo, Colli, Parisi, +l'engageaient à ne pas se mettre en avant, mais Acton et la reine +avaient décidé qu'on partirait. Marie-Caroline arracha l'ordre fatal +à son mari. On prétend même qu'elle inventa une fausse lettre de +l'empereur d'Allemagne, son frère, qui provoquait le commencement des +hostilités. Le pauvre roi se laissa persuader, et, sans seulement +déclarer la guerre aux Français, les somma d'évacuer les États +romains.</p> + +<p>Mack avait sous ses ordres immédiats près de 50,000 hommes; +admirables soldats, à ne considérer que leur apparence. Pour les +équiper on avait épuisé le trésor; mais ce n'étaient que des soldats +de parade qui n'avaient jamais vu le feu; mal commandés, sans +discipline, sans tradition d'honneur militaire. Pourtant, comme ils +formaient une masse après tout imposante, s'ils s'étaient avancés en +une seule colonne dans la direction de Rome, ils auraient peut-être +battu les Français, car notre armée ne comptait que 46,000 hommes +environ, dispersés dans tout le pays. Mack, par bonheur pour nos +soldats, était l'homme des vieilles traditions. Il voulut envelopper +les Français et divisa ses soldats en six colonnes qui, par des +chemins différents, devaient tomber sur nos soldats isolés, et, +infailliblement, les écraser. Il n'avait oublié qu'une chose, qu'il +fallait, avant de les envelopper, les battre, et nos soldats, par +une série d'habiles manœuvres, allaient non seulement suppléer +à l'insuffisance du nombre <span class="pagenum"><a id="page271" name="page271"></a>(p. 271)</span> par la supériorité de leur +tactique, mais encore remporter une éclatante victoire.</p> + +<p>Le général en chef de l'armée française était Championnet, mort +trop jeune pour sa réputation, car il eût été un des plus glorieux +lieutenants de Napoléon. Championnet s'était signalé à la reprise +des lignes de Wissembourg et au déblocus de Landau. Nommé général +de division à l'armée de Sambre-et-Meuse, il fit, sous les ordres +de Jourdan, toutes les belles campagnes qui portèrent si haut le +renom de cette armée. Championnet avait une audace extraordinaire, +beaucoup de présence d'esprit et un entrain singulier. Il avait +étudié soigneusement son métier et le pratiquait avec amour. Nommé en +1798 général en chef de l'armée de Rome, et averti à temps du péril, +il prit le parti d'évacuer la capitale, et de se retirer en arrière +sur l'excellente position défensive de Civita-Castellana, où il +concentra toutes ses forces. Il savait que ce sacrifice n'était que +momentané et qu'à la première victoire la capitale retomberait bien +vite entre ses mains. Cette sage conduite contrastait avec l'absurde +stratégie de Mack, qui divisait ses forces au moment où il aurait dû +les réunir. Il est vrai que le général autrichien se croyait sûr de +la victoire. N'avait-il pas envoyé à son adversaire un ultimatum<a id="footnotetag384" name="footnotetag384"></a><a href="#footnote384" title="Go to footnote 384"><span class="smaller">[384]</span></a> +par lequel il lui accordait quatre heures pour s'engager par écrit +à évacuer Rome et la Toscane: «La réponse doit être positive et +catégorique, ajoutait-il. Une réponse négative serait considérée +comme une déclaration de guerre, et Sa Majesté Sicilienne soutiendra +les armes à la main la juste demande que je vous adresse en son nom.» +Championnet ne répondit à cette insultante bravade que par le silence +du mépris; mais le plus singulier c'est que la reine Marie-Caroline +prit ce silence pour un acquiescement. «J'ai eu hier soir, grâce à +Dieu<a id="footnotetag385" name="footnotetag385"></a><a href="#footnote385" title="Go to footnote 385"><span class="smaller">[385]</span></a>, écrivait-elle à sa chère Emma, des nouvelles du roi, +<span class="pagenum"><a id="page272" name="page272"></a>(p. 272)</span> de Frosinone. Il y est arrivé heureusement. Messieurs les +républicains ont cédé à la sommation et sont partis.»</p> + +<p>Pendant ce temps les colonnes napolitaines s'ébranlaient toutes +à la fois, et s'avançaient fièrement sur les routes, où elles ne +rencontraient aucune résistance. Le 27 novembre Mack faisait son +entrée à Rome, et courait à Civita-Castellana. Sa marche était si +rapide que ses soldats mouraient de faim et tombaient de fatigue. +Le roi entrait à son tour à Rome, mais comme un triomphateur. Pour +se reposer sur ses lauriers, il descendait à son palais Farnèse et +s'empressait d'écrire au pape Pie VI la curieuse lettre que voici: +«Votre Sainteté apprendra par cette lettre que, par la grâce de Dieu +et la miraculeuse protection de saint Janvier, je suis entré en +triomphateur dans Rome, la ville sainte. Les impies qui l'occupaient +ont fui épouvantés devant la croix du Christ et mes armes. Laissez +donc votre modeste asile de la Chartreuse et, sur les ailes des +anges, comme la vierge de Lorette, venez et descendez au Vatican +pour le purifier par votre sainte présence.» Il écrivait également +au roi de Piémont pour l'engager à se jeter sur les Français. La +populace romaine, aussi folle que ce grotesque souverain, n'avait pas +attendu la présence des Napolitains pour se livrer à tous les excès. +Les maisons des patriotes avaient été pillées, et plusieurs d'entre +eux massacrés. Des juifs furent jetés dans le Tibre. Deux réfugiés +napolitains, les frères Corona, furent même saisis et exécutés par +ordre du roi.</p> + +<p>Napolitains et Romains étaient encore dans l'exaltation de cette +facile conquête, quand on apprit que deux des colonnes napolitaines, +celles que commandaient Micheroux et San Filipo, venaient d'être +battues par les Français à Fermo et à Terni. Ces premiers échecs +refroidirent singulièrement l'enthousiasme. Nelson, qui prévoyait le +résultat final, écrivit à l'amirauté: «Si Mack est défait, le royaume +sera perdu en quinze jours, car l'empereur d'Autriche n'a pas encore +fait bouger son armée, et le royaume de Naples réduit à lui-même +n'est pas en état de résister.» Marie-Caroline elle-même <span class="pagenum"><a id="page273" name="page273"></a>(p. 273)</span> +commença à réfléchir sur les inconvénients de la précipitation<a id="footnotetag386" name="footnotetag386"></a><a href="#footnote386" title="Go to footnote 386"><span class="smaller">[386]</span></a>. +Dans les lettres qu'elle adressait alors à sa chère confidente, elle +parlait de se retirer aux champs et vantait le bonheur des paysans. +Elle disait<a id="footnotetag387" name="footnotetag387"></a><a href="#footnote387" title="Go to footnote 387"><span class="smaller">[387]</span></a> aussi, avec un singulier pressentiment de l'avenir: +«Il n'y a pas encore eu bataille, et nos troupes se comportent +très mal. Cela m'attriste et m'anéantit.» Elle prenait même ses +précautions en cas de défaite, et s'écriait: «Nous ferons de tout, si +ces malandrins viennent en masse. Nous sacrifierons vie, tout. Mais +si ces gens-là (les Napolitains) continuent à fuir comme des lapins, +nous sommes perdus. Aussi la permanence du brave amiral, à qui je +pourrai confier, en cas de malheur, mes chers enfants sera un grand +bien. Nous ferons tout excepté de nous avilir, mais j'ai l'esprit +bien oppressé.»</p> + +<p>Ces sinistres pressentiments ne devaient que trop se réaliser! Mack +comprenant un peu tard la faute qu'il avait commise et apprenant que +Championnet concentrait toutes ses forces à Civita-Castellana pour +reprendre ensuite l'offensive, voulut alors prévenir ce mouvement, +mais il fut surpris en flagrant délit de concentration et les +Napolitains ne purent soutenir le choc de nos vieilles bandes. +Ils s'évanouirent au bruit du canon, et la débâcle commença. À +Monte-Buono, Otricoli, Calvi, Regnano, partout où ils essayèrent de +tenir tête, ils furent écrasés. Un seul corps napolitain, celui que +commandait un émigré, le général Damas, soutint l'honneur du drapeau. +Il fut battu à la Storta, à la Toscanella, à Orbitello, mais obtint +une capitulation honorable. Les autres généraux ne savaient que fuir. +Canons, drapeaux, prisonniers tombent entre nos mains, et la retraite +se convertit en déroute surtout lorsque Mack, qui aurait voulu +résister dans Rome, se voit abandonné par le roi et donne l'ordre +d'évacuer les États romains<a id="footnotetag388" name="footnotetag388"></a><a href="#footnote388" title="Go to footnote 388"><span class="smaller">[388]</span></a>. «Toujours battus et toujours +malheureux, <span class="pagenum"><a id="page274" name="page274"></a>(p. 274)</span> commandés par des étrangers, voyant dans leurs +rangs beaucoup de Français, généraux ou colonels, qui, en qualité +d'émigrés, étaient intéressés à fuir pour échapper aux dangers de +la captivité, les Napolitains supposèrent qu'ils étaient trahis. +Leurs chefs furent traités par eux de jacobins et les liens de la +discipline se relâchèrent.»</p> + +<p>Ce fut bien pis encore quand on apprit que Championnet, passant de la +défensive à l'offensive, et non content d'être rentré à Rome après +dix-sept jours d'absence, se disposait à attaquer le roi dans ses +propres États. Sans doute la prudence conseillait au jeune vainqueur +de se maintenir à Rome, mais il venait, avec moins de 45,000 hommes, +de disperser une armée trois fois plus considérable et il appréciait +à leur juste valeur et le courage des Napolitains et surtout les +talents de leur général: aussi résolut-il de pousser en avant. +C'était pourtant une entreprise bien hardie que de s'enfoncer avec +une aussi faible armée, loin de ses communications, et dans un pays +à peu près inconnu, dont les habitants pouvaient soutenir une guerre +de partisans longue et dangereuse; mais Championnet comptait sur ses +soldats, et méprisait ses ennemis. Il poursuivit donc les Napolitains +à outrance.</p> + +<p>Tout favorisa le jeune vainqueur. À sa gauche Duhesme, Monnier et +Rusca s'emparaient des Abruzzes et entraient sans coup férir à +Civitella del Trento et à Pescara, deux places fortes qui auraient pu +soutenir un long siège. À droite, Ney occupait Gaëte à la première +sommation; au centre Championnet poussait Mack devant lui, lui +enlevait prisonniers et canons, et le rejetait en désordre derrière +le Volturno. Ce fleuve est rapide et profond. Il forme une barrière +difficile à franchir. Il est de plus défendu par la forte place +de Capoue. Mack s'y arrêta et appela les paysans napolitains aux +armes. Cet appel fut entendu. En quelques jours plusieurs milliers +de partisans entrèrent en campagne. Ils remportèrent même quelques +succès. Championnet fut repoussé à Capoue, eut pendant trois jours +ses communications coupées, et fut obligé d'attendre que ses +autres divisions l'eussent rejoint. Mack ne <span class="pagenum"><a id="page275" name="page275"></a>(p. 275)</span> sut pas ou +ne voulut pas profiter de ce retour de fortune. Comprenant que +ces bandes indisciplinées ne pouvaient résister à une armée aussi +fortement organisée que l'armée française, il entra en négociations +avec Championnet et signa bientôt avec lui, le 11 janvier 1799, un +armistice par lequel il cédait aux Français tout le royaume de Naples +au delà du Volturno, et leur payait une contribution de guerre de +huit millions.</p> + +<p>À cette nouvelle, l'armée napolitaine se révolta. Elle cria à la +trahison, et, au lieu de s'en prendre à sa propre lâcheté, voulut +massacrer le général que naguère elle proclamait le libérateur de +l'Italie. Mack n'eut d'autre refuge que l'armée française. Bien qu'il +eut tenu, à l'égard de Championnet et de ses soldats, un langage +peu convenable, le généreux vainqueur, oubliant ses injures, le +reçut avec empressement, l'admit à sa table, et lui laissa même son +épée. Seulement, autorisé qu'il était par le refus d'exécuter les +conditions de l'armistice, il s'avança contre Naples, et annonça +qu'il était déterminé à la prendre d'assaut en cas de résistance.</p> + +<p>Naples était alors en pleine anarchie. Elle appartenait à la +populace qui s'y livrait à d'affreux excès, car toute autorité, tout +gouvernement avaient disparu. Le roi se discréditait à plaisir. +Après s'être fixé à Rome en triomphateur antique et en restaurateur +de la Papauté, il avait fui honteusement, à la première nouvelle de +l'approche des Français. Il avait même prié son grand écuyer, Ascoli, +de changer d'uniforme avec lui, et l'avait traité en souverain, +tant qu'il ne s'était pas cru en sûreté derrière les murailles de +son palais. Quand les Français approchèrent de la capitale, le +grotesque Nazone, comme le surnommaient les lazzaroni, troublé dans +sa béate quiétude, ne sut qu'accabler de ses sarcasmes la reine et +ses confidents, qui étaient la cause principale de la catastrophe, +mais il ne prit aucune mesure pour la prévenir. Au contraire, au lieu +d'apaiser le peuple qui s'agitait, et menaçait d'égorger ministres +et généraux, le roi ordonna de distribuer des armes aux lazzaroni. +C'était en quelque sorte mettre le feu aux <span class="pagenum"><a id="page276" name="page276"></a>(p. 276)</span> poudres. Aussitôt +commencèrent les assassinats et les pillages. Un des serviteurs du +roi, Antonio Ferreri, qu'il avait envoyé en Autriche pour demander +à son beau-frère l'Empereur quelques renseignements précis, fut +assassiné aux portes mêmes du palais, et sous les yeux de Ferdinand. +Les assassins montèrent le cadavre dans le palais, et forcèrent le +roi à jurer, la main étendue sur le mort, qu'il ne quitterait pas +Naples.</p> + +<p>Ferdinand n'avait jusqu'alors, malgré les sollicitations de la reine, +manifesté aucun désir de quitter sa capitale. Était-ce courage de +sa part, était-ce plutôt crainte de changer d'habitudes, ou bien +encore difficulté de fuir, puisque les lazzaroni assiégeaient les +grilles du palais? L'assassinat de Ferreri précipita sa résolution. +Il annonça donc qu'il était décidé à passer en Sicile, et pria Nelson +de l'aider à exécuter ce projet. La reine se préparait<a id="footnotetag389" name="footnotetag389"></a><a href="#footnote389" title="Go to footnote 389"><span class="smaller">[389]</span></a> depuis +longtemps à cette fuite. De concert avec l'ambassadeur Hamilton et +sa triste épouse, elle avait tout disposé pour un départ clandestin. +Les meubles précieux de la couronne, les chefs-d'œuvre de l'art, +et tout le numéraire, depuis longtemps entassé dans la prévision +d'une catastrophe, avaient été soigneusement emballés. La liste +des <span class="pagenum"><a id="page277" name="page277"></a>(p. 277)</span> personnes qui devaient accompagner la famille royale +avait été discutée; chacun des favorisés avait même reçu une sorte +de laissez-passer, que le hasard des temps a conservé. C'est une +sorte de carte figurant trois enfants joufflus, dont l'un sonne de +la trompette sous un cyprès et agite la main gauche pour appeler les +deux autres. Dans un des angles est une ligne imprimée: «Imbarcate, +vi prega M. C.» On attendait pourtant l'autorisation royale. À peine +le roi l'eut-il accordée que Nelson prêta son concours à cette +fuite honteuse, et l'organisa avec autant de soin que s'il se fût +agi d'un ordre de combat. C'est lui qui, par un passage souterrain +qui conduisait du palais à la mer, fit embarquer par des matelots +anglais les caisses et les bagages: c'est lui qui reçut les fugitifs +dans trois chaloupes: la première ne devait prendre à son bord que +la famille royale, Acton, Castelcicala, Belmonte et Thurn. Les +deux autres emportaient pêle-mêle chambellans et dames d'honneur, +nourrices et domestiques, aumônier et apothicaire, sans oublier +«monsieur Pernet, cuisinier du roi». Le convoi se composait de trois +vaisseaux anglais et d'une frégate napolitaine, le Sannita. Le +commandant de cette frégate, l'amiral Caracciolo, suppliait le roi de +monter à son bord, le pont du Sannita étant encore terre napolitaine. +Le roi allait y consentir, mais Marie-Caroline ne voulait pas se +séparer de sa chère Emma, déjà embarquée sur le vaisseau de Nelson, +le Vanguard, et ce fut l'Angleterre qui donna l'hospitalité à cette +triste famille. Pendant deux longues journées les vents contraires +retinrent l'escadre dans la rade. Nobles et prêtres, fonctionnaires +et soldats, ne pouvant croire à tant de lâcheté, envoyèrent au roi +députés sur députés pour le supplier de ne point les abandonner. +Ferdinand ne voulut recevoir que l'archevêque et ce fut pour lui +déclarer que sa décision était irrévocable. Le 23 décembre au soir, +Nelson se décida à lever l'ancre. Une affreuse tempête assaillit le +convoi. La famille royale se crut perdue, et le roi déchargea sa +colère par de furieuses invectives contre sa femme et ses confidents. +Un de ses enfants, le prince Albert, tomba soudainement malade, et +<span class="pagenum"><a id="page278" name="page278"></a>(p. 278)</span> mourut entre les bras de lady Hamilton. Durant une embellie +on remarqua la façon admirable dont se comportait le Sannita. Le roi +en fit à dessein l'observation à Nelson, dont l'orgueil froissé ne +pardonna jamais à Carracciolo. Ce fut seulement le 26 décembre que le +Vanguard entra dans le port de Palerme.</p> + +<p>Telle fut la déplorable issue de la prise d'armes napolitaine. Ce +qu'il y eut de plus honteux dans cette campagne, ce ne fut pas un +premier revers qui pouvait se réparer, mais le soudain effondrement +qui précipita cette fuite honteuse, et surtout le départ clandestin +de cette cour, qui ne trouvait de sauvegarde que sous le pavillon +anglais. Aussi bien la famille royale avait pris ses précautions. +Les caisses, au déménagement furtif desquelles avait présidé +l'ambassadrice d'Angleterre, contenaient un véritable trésor. D'après +le rapport de Nelson à son commandant en chef, lord Saint-Vincent +«Lady Hamilton, du 14 au 21 décembre, reçut toutes les nuits les +richesses de la famille royale, ainsi que les bagages des nombreuses +personnes à embarquer. Quant au numéraire, je suis dépositaire de +deux millions cinq cent mille livres sterling (62,500,000 francs).» +C'est ce que Marie-Caroline appelait «un peu d'argent et quelques +bijoux».</p> + +<p>Les Anglais, gens prudents et avisés, voulurent tourner à leur profit +la protection qu'ils accordaient aux fugitifs. Avant de quitter +Naples, et sous le prétexte de ne pas laisser tomber entre les mains +des Français des ressources qui pouvaient leur servir, ils brûlèrent +les chantiers de construction et les arsenaux, et incendièrent +toute la flotte de guerre. En plein jour, le comte de Thurn ordonna +l'incendie de deux vaisseaux napolitains et de trois frégates qui +étaient à l'ancre dans le golfe. «Le feu<a id="footnotetag390" name="footnotetag390"></a><a href="#footnote390" title="Go to footnote 390"><span class="smaller">[390]</span></a>, quoique au milieu +du jour, apparaissait aux spectateurs sous une couleur sombre et +blanchâtre. On voyait les flammes sortir comme de la mer, se glisser +le long des flancs des vaisseaux, s'élancer à travers les mâts, +<span class="pagenum"><a id="page279" name="page279"></a>(p. 279)</span> les vergues, les câbles goudronnés et les voiles, dessinant +en traits de feu les vaisseaux qui, un instant après, tombaient +réduits en cendres et disparaissaient.» Après tout, n'était-ce +pas une flotte de moins dans la Méditerranée, et le service que +l'Angleterre rendait aux Bourbons ne valait-il pas le sacrifice de +quelques bâtiments qu'on remplacerait plus tard?</p> + +<p>Pendant ce temps Championnet s'approchait de Naples. Ferdinand avait +délégué tous ses pouvoirs au prince Pignatelli, qu'il avait nommé +vice-roi et vicaire général. Pignatelli n'était qu'un personnage de +représentation tout à fait incapable de s'élever à la hauteur des +circonstances. Il ne sut que répandre dans le peuple de furibondes +déclamations, tout en envoyant une députation aux Français, Bientôt +même, ne se croyant plus en sûreté derrière les murailles du fort +Saint-Elme, il s'embarqua secrètement pour la Sicile. Cette honteuse +défection livrait la ville à la populace. Les lazzaroni, dont la +fureur était augmentée par l'imminence du danger, essayèrent de +défendre la capitale, et ils le firent avec plus de bravoure qu'on +ne pouvait l'attendre de leur part. Seulement, sous le prétexte +d'arrêter la trahison, ils se livrèrent à de tels excès que tout +ce qu'il y avait de gens honnêtes et modérés souhaitaient l'entrée +des Français. On écrivit à Championnet pour le prévenir que Naples +ouvrirait ses portes aux Français. En effet, le fort Saint-Elme nous +fut livré, mais les lazzaroni se défendirent dans les rues, et ils +allaient peut-être incendier la ville, si un de leurs chefs, fait +prisonnier et traité avec beaucoup d'égards par les Français, ne leur +eût persuadé de déposer les armes et de traiter avec les vainqueurs +(janvier 1799).</p> + +<p>Championnet, par la prise de Naples, était le maître de presque toute +la partie continentale du royaume. Deux mois et moins de 20,000 +hommes lui avaient suffi pour repousser l'invasion napolitaine et +désarmer les lazzaroni. Cette courte et brillante campagne lui valut +une grande réputation. Le Directoire le chargea de consolider sa +conquête et d'organiser le pays en république. Cette transformation +était au moins prématurée. <span class="pagenum"><a id="page280" name="page280"></a>(p. 280)</span> Ni les mœurs, ni les +traditions napolitaines ne préparaient à un changement aussi radical, +mais le peuple aime tout ce qui est nouveau, et la bourgeoisie, +dont tous les vœux se trouvaient de la sorte plus que comblés, +accepta avec plaisir les propositions françaises. Tout ce que Naples +renfermait alors de noms illustres et d'hommes considérés se rallia +immédiatement; les nobles suspects à la cour, et les propriétaires +suspects aux lazzaroni se réunirent à Championnet. Ils devinrent +républicains par instinct de conservation. On décida donc qu'une +république nouvelle serait instituée, que sa constitution serait +modelée sur la constitution française et que la nouvelle république +serait intitulée Parthénopéenne, du nom porté jadis par Naples. +Cinq directeurs furent chargés du pouvoir exécutif. Le docteur +Cirillo devint président du Corps législatif; un ancien capitaine +d'artillerie, Manthone, fut nommé ministre de la guerre et général +en chef de l'armée; le prince Caracciolo, qui était revenu de +Sicile, eut le commandement des quelques chaloupes canonnières qui +composaient la marine parthénopéenne; enfin on leva deux légions de +volontaires. Il y eut alors une heure de joie et d'espérance. On crut +à l'avenir de la jeune République. Les plus nobles dames quêtaient +dans les églises pour les blessés. On ne représentait plus au théâtre +que les tragédies d'Alfieri, tout imbues de l'esprit républicain. +Une femme qui fut à la fois peintre et improvisatrice, et qui +devait mourir martyre, Eleonora Pimentel, rédigeait le <i>Moniteur +républicain</i> et réchauffait de sa verve brûlante les esprits attiédis +et découragés. Les lazzaroni eux-mêmes acceptaient la révolution. +Championnet n'avait-il pas donné une garde d'honneur à leur saint +favori, saint Janvier, et, malgré les insinuations des royalistes, +le miracle de la liquéfaction du sang n'avait-il pas eu lieu dans +les formes ordinaires, et même plus vite que d'habitude? Il est vrai +que le général avait eu la précaution de prévenir le curé de la +cathédrale qu'il le rendait responsable des désordres qui pourraient +s'élever si le miracle n'avait pas lieu.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page281" name="page281"></a>(p. 281)</span> Cet enthousiasme ne devait pas être de longue durée. +L'idylle allait tourner au drame. La jeune République avait trop +d'ennemis intéressés à sa ruine. Elle allait bientôt succomber.</p> + +<p>Ce furent les Français qui l'abandonnèrent les premiers. Il est +vrai qu'ils cédèrent à la nécessité. La seconde coalition venait +d'éclater. Nos armées étaient battues en Allemagne, menacées en +Hollande et en Suisse, menacées surtout en Italie. C'eût été le +comble de l'imprudence, au moment où nous avions besoin de toutes +nos forces, que d'en détourner une partie pour maintenir et protéger +un État dont la création avait été tout accidentelle. Championnet +n'était plus là pour maintenir et perpétuer son œuvre. Ne +s'était-il pas avisé de vouloir protéger les Napolitains contre les +agents du Directoire, qui ne cherchaient à faire de la conquête +qu'une opération lucrative? Il avait expulsé le commissaire Faypouet, +qui empiétait sur ses attributions, et déchiré ses décrets «comme +étant injurieux, indécents, séditieux et funestes». Aussi était-il +devenu l'idole des Napolitains. On déterra dans les registres de +baptême un certain Giovanni Championné, né, il est vrai, quarante +ans avant le Jean Championnet de Valence, mais les lazzaroni n'en +crurent pas moins à l'origine napolitaine de leur conquérant. Ils +l'auraient du reste suivi jusqu'en Sicile, et Championnet s'apprêtait +sérieusement à passer dans l'île, malgré les Anglais, et à achever +sa conquête, lorsqu'il fut subitement rappelé par le Directoire. +Il obéit sans la moindre hésitation et revint à Rome, où il fut +arrêté, puis transféré à Turin. Il ne devait quitter sa prison que +pour marcher à de nouveaux combats, et mourir, peut-être empoisonné, +au moment même où son rival de gloire, son collègue Bonaparte, +étranglait la République française dans l'orangerie de Saint-Cloud.</p> + +<p>Macdonald, le successeur de Championnet à l'armée de Naples, fut +donc obligé de battre précipitamment en retraite, et d'évacuer le +territoire de la République Parthénopéenne pour courir à de nouveaux +dangers, il laissa pourtant au <span class="pagenum"><a id="page282" name="page282"></a>(p. 282)</span> général Duhesme quelques +soldats qui tinrent garnison à Capoue, à Gaëte et dans les forts +de Naples. Les troupes étaient insuffisantes, mais au moins leur +présence attestait-elle que nous n'abandonnions nos alliés que par +force majeure, et avec l'espoir d'un prochain retour.</p> + +<p>Or la République Parthénopéenne comptait de nombreux ennemis. Sans +parler des Anglais, des Turcs et des Russes qui menaçaient ses côtes, +du roi et surtout de la reine Marie-Caroline, qui, de son palais de +Palerme, ne cessait de prêcher la contre-révolution, la République +avait à redouter surtout ses propres sujets. Le peuple des campagnes +s'était prononcé contre elle. Les sauvages populations des Abruzzes +et de la Calabre avaient, dès le premier jour, refusé d'obéir. Tant +que les Français avaient fait respecter et exécuter leurs ordres, +on n'avait pas osé bouger; mais, dès que leur départ fut connu, +les bandes s'organisèrent et la guerre civile commença, atroce, +sanguinaire, sans pitié. Dans la Pouille quatre aventuriers corses, +un laquais, de Cesare, un déserteur, Bocchechiampe, et deux voleurs, +Corbara et Colonna, donnent le signal. Corbara se fait passer pour +le prince François, héritier présomptif du trône, et Cesare, pour le +duc de Saxe. On les croit sur parole. L'archevêque d'Otrante se garde +de démasquer l'imposture. Une des filles de Louis XV, la princesse +Victoire, qui se trouvait alors à Tarente, reconnaît publiquement +pour son neveu ce bandit malpropre. Aussitôt plusieurs milliers de +paysans fanatisés se rangent sous ses ordres. On vole, on brûle, +on tue, et Corbara, qui a ramassé beaucoup d'argent, s'enfuit pour +le mettre en sûreté, et se fait tuer par un corsaire grec. Colonna +disparaît également; Cesare et Bocchechiampe continuent à piller +et ravager l'un la terre d'Otrante, l'autre celle de Bari. Au même +moment la principauté de Salerne s'insurgeait sous la direction d'un +mauvais policier, Sciarpa. Dans les Abruzzes les paysans prennent +les armes sous la conduite d'un assassin jadis condamné aux galères. +Dans la terre de Labour une troupe de brigands et d'assassins, +commandée par le fameux Michel <span class="pagenum"><a id="page283" name="page283"></a>(p. 283)</span> Pezzo, qu'une fantaisie de +Scribe a popularisé comme un voleur galant et généreux sous le nom +de Fra Diavolo, et par un monstre altéré de sang, vrai cannibale +ou plutôt bête féroce, le meunier Gaetano Mammone, massacre et +pille sous prétexte de politique. En deux mois, ce dernier fit +fusiller 350 personnes et ses satellites plus du double. Dans les +Calabres enfin l'insurrection prend les proportions d'un mouvement +national. Les Calabrais sont intelligents, sobres, habitués à une +vie rude et active. Ils ont la pratique des armes à feu. Ils sont +excellents pour une guerre de partisans. Excités par les émissaires +de Marie-Caroline, ils étaient tout prêts à entrer en campagne +lorsqu'un de leurs curés, Rinaldi, écrivit au roi, à Palerme, pour +lui faire part des dispositions des habitants. Ferdinand était alors +fort découragé. Il n'espérait plus sa restauration que des succès des +armées coalisées. Les propositions de Rinaldi furent donc écoutées +avec indifférence, mais elles avaient frappé un ambitieux, jaloux de +se distinguer, qui s'offrit pour conduire l'entreprise. On n'avait +rien à perdre, et on pouvait tout gagner. Le roi accepta cette fois +l'offre qu'on lui faisait, et nomma vicaire général du royaume le +hardi compagnon, qui lui promettait de le reconduire à Naples.</p> + +<p>Cet homme était le cardinal Ruffo. Il appartenait à une des +meilleures familles du pays. N'étant que cadet, il avait, suivant +l'usage du temps, embrassé la carrière ecclésiastique, où +l'attendaient les honneurs réservés à sa naissance. Il n'avait +longtemps donné que le pire des exemples. Il avait fatigué Rome +et la cour pontificale du bruit de ses dissipations et de son +désœuvrement. Pour s'en débarrasser, le pape Pie VI l'avait nommé +son trésorier apostolique et avait fini par lui donner la pourpre de +cardinal<a id="footnotetag391" name="footnotetag391"></a><a href="#footnote391" title="Go to footnote 391"><span class="smaller">[391]</span></a>. Ce fut encore pour s'en débarrasser qu'Acton décida le +roi Ferdinand à l'envoyer en Calabre.</p> + +<p><span class="pagenum"><a id="page284" name="page284"></a>(p. 284)</span> À peine débarqué en Calabre, dans les domaines de sa +famille, le nouveau vicaire général fut rejoint par des paysans +insurgés, des déserteurs ou des soldats que la République avait eu +l'imprudence de licencier. Il le fut aussi par des échappés de prison +et de bagne. Tous les curés de la province, marchant eux-mêmes à la +tête de leurs paroisses, accoururent sous ses drapeaux. À la tête de +ces bandes, Ruffo s'empare de Mileto, de Cotrone, de Catanzaro et de +Cosenza. À chaque pas en avant, ses bandes grossissent et deviennent +peu à peu une armée. Pour les exciter, il leur promet des récompenses +célestes, mais aussi l'exemption pendant six ans de tout impôt, sans +parler des bénéfices à opérer sur les biens des rebelles confisqués +par le trésor royal. Il leur donne pour étendard la croix blanche, +pour cocarde la cocarde blanche des Bourbons et intitule pompeusement +sa petite armée: armée de la Sainte Foi (Santa Fede), et ses soldats +improvisés les Sanfédistes.</p> + +<p>La Calabre était conquise. Ruffo entre alors dans la Pouille, la +soumet sans plus de peine, opère sa jonction avec les bandes de +Cesare, Sciarpa, Mammone, Fra Diavolo, et arrive sous les murs de +Naples le 13 juin 1799. Les horreurs commises par les Sanfédistes sur +leur passage dépassent l'imagination. Ruffo lui-même, s'il ne donnait +pas l'exemple, au moins ne savait pas ou ne voulait pas interdire +le pillage et le massacre à ses hommes. Tout suspect de libéralisme +était alors jeté en prison, battu, ou tué, parfois avec d'odieux +raffinements de torture, et ses biens partagés entre ses assassins. +Entre tous se signala Mammone: «Celui qui écrit ces lignes, +lisons-nous dans l'histoire de Vincenzo Cuoco<a id="footnotetag392" name="footnotetag392"></a><a href="#footnote392" title="Go to footnote 392"><span class="smaller">[392]</span></a>, a vu boire à +Mammone du sang humain qui coulait des victimes qu'il venait de +massacrer. Il mangeait devant une table couverte de têtes fraîchement +coupées, et buvait dans un crâne encore sanguinolent.» Aussi bien +une sorte de furie sanguinaire <span class="pagenum"><a id="page285" name="page285"></a>(p. 285)</span> semblait déchaînée sur ces +malheureux Napolitains. Les Anglais eux-mêmes donnaient l'exemple +de la férocité. Un lieutenant de Nelson, Towbridge, terrorisait +l'île de Procida. On a conservé de lui une lettre dans laquelle il +demande à l'amiral «un honnête juge pour faire pendre sept ou huit +des rebelles ses prisonniers». L'amiral<a id="footnotetag393" name="footnotetag393"></a><a href="#footnote393" title="Go to footnote 393"><span class="smaller">[393]</span></a> lui promet le juge en +question et ajoute: «Écrivez-moi bientôt qu'on a coupé quelques +têtes, il ne faut rien moins que cela pour me réconforter un peu.» +Or le juge sur lequel on comptait éprouva des scrupules. Il voulait +assurer aux condamnés les secours de la religion: il prétendait +qu'avant d'exécuter les prêtres, il fallait les dégrader. «Je lui ai +répondu, écrivait Towbridge à l'amiral, qu'il fallait commencer par +les pendre, et que, s'il ne les croyait pas suffisamment dégradés +par cette opération, je me chargerais de le faire.» Pendant que ces +officiers anglais échangeaient ces sinistres plaisanteries, un autre +Sanfédiste, moins scrupuleux que le juge de Procida, un certain +Vitella, procédait à des exécutions sommaires et, comme gage de +bonne amitié, envoyait à Towbridge un singulier cadeau. «Notre ami +Towdbrige, écrit Nelson à Lord Saint-Vincent, a reçu l'autre jour +avec un panier de raisins frais pour son déjeuner, la tête d'un +jacobin proprement arrangée dans une boîte. Towbridge s'excuse de ne +pas me l'avoir fait passer sur ce que le temps était trop chaud pour +un semblable message.» Il est vrai qu'il avait donné à l'assassin un +certificat de bonne conduite, et que, dans son rapport à Nelson, il +le qualifiait de brave garçon: «A jolly fellow!»</p> + +<p>De tels faits se passent de commentaires. Ils soulèvent le dégoût et +l'indignation. Ce n'était pourtant là que le prélude de bien d'autres +tragédies!</p> + +<p>À la nouvelle de ces massacres, la terreur se répandit dans le +pays entier. On comprenait d'instinct que la fureur populaire +<span class="pagenum"><a id="page286" name="page286"></a>(p. 286)</span> serait dépassée par la vengeance royale. Aussi les derniers +défenseurs de la République Parthénopéenne s'enfermèrent-ils à Naples +avec la résolution d'y combattre jusqu'au dernier soupir, plutôt +que de tomber entre les mains des égorgeurs sanfédistes. Le siège +de Naples commença. 60.000 hommes environ entouraient cette ville, +tous bien armés, excités par le fanatisme religieux et toutes les +mauvaises passions déchaînées. Dans l'intérieur de la ville les +partisans de la royauté conspiraient, les lazzaroni remuaient de +nouveau et bon nombre d'entre eux méditaient d'ouvrir les portes +aux assiégeants. Une division russe accourait à marches forcées au +secours de Ruffo, et la flotte anglaise de Nelson, commandée en +sous-ordre par Foote, bloquait le port et empêchait tout secours +ou toute évasion. La situation des républicains était donc comme +désespérée. Ils le comprirent, et dans l'impossibilité de soutenir +la défense d'une aussi grande ville avec des forces tellement +inférieures, ils résolurent de l'évacuer et de s'enfermer dans les +forts, afin d'y attendre des temps meilleurs, ou bien d'y honorer par +leur résistance les derniers jours de l'indépendance Parthénopéenne. +Les forts étaient au nombre de trois: les Français et leur chef, le +colonel Méjean, se retirèrent au fort Saint-Elme, et les derniers +défenseurs de la République aux forts du Château-Neuf et de l'Œuf.</p> + +<p>Les premiers jours du siège furent marqués par d'heureuses sorties. +Les Parthénopéens surprirent les Sanfédistes, enclouèrent une +batterie de canons, firent sauter les caissons et regagnèrent leur +poste après avoir répandu la terreur dans le camp ennemi. Ruffo, +très effrayé de ce retour offensif, et apprenant d'un autre côté +qu'une flotte française de vingt-cinq vaisseaux venait de quitter +Toulon, fit proposer aux assiégés une capitulation honorable. Ceux-ci +hésitèrent, car ils connaissaient la mauvaise foi napolitaine; +mais le colonel Méjean se laissa, paraît-il<a id="footnotetag394" name="footnotetag394"></a><a href="#footnote394" title="Go to footnote 394"><span class="smaller">[394]</span></a>, acheter à prix +d'argent et consentit <span class="pagenum"><a id="page287" name="page287"></a>(p. 287)</span> à livrer le fort Saint-Elme. Comme +le général russe Her Handy, le capitaine anglais Foote, et jusqu'au +représentant de la Turquie, se portaient garants de la capitulation +et s'engageaient à apposer leur signature à côté de celle du cardinal +Ruffo, dont les pouvoirs en qualité de vicaire général, étaient +illimités, les Parthénopéens se décidèrent à leur tour. Le traité +portait que les garnisons des forts du Château-Neuf et de l'Œuf +sortiraient avec les honneurs de la guerre, et seraient respectées +dans leurs biens. On leur permettait, ou bien de s'embarquer pour +Toulon sur des vaisseaux parlementaires, ou bien de rester dans le +royaume sans avoir rien à craindre pour leur sécurité. Ces conditions +devaient s'étendre aux prisonniers faits dans la dernière guerre. +Quant aux Français, ils resteraient au fort Saint-Elme, et on leur +donnait comme otages quatre des principaux personnages de la cour (19 +juin).</p> + +<p>L'engagement était donc solennel. Tout avait été prévu, indiqué, +promis. L'Angleterre, la Russie et la Turquie, par l'intermédiaire +de leurs représentants, avaient sanctionné cet engagement contracté +par un vice-roi, légalement investi de pouvoirs illimités. De part +et d'autre, par conséquent, on était tenu de le respecter. En effet, +dès que les otages furent échangés, et les hostilités suspendues, les +plus compromis d'entre les vaincus s'embarquèrent sur les navires qui +devaient les conduire en France. Soudain Nelson parut à l'entrée du +golfe. Son arrivée apportait la mort à ceux qui se croyaient à juste +titre sauvés, et sa présence allait donner le signal d'une réaction +odieuse et inexpiable! (25 juin.)</p> + +<p>Depuis six mois Nelson était entièrement dominé par la reine et par +lady Hamilton. Malgré les admonestations de <span class="pagenum"><a id="page288" name="page288"></a>(p. 288)</span> l'amirauté, +malgré les prières de ses amis, ou les railleries brutales de +Souvoroff qui lui écrivait non sans raison que «Palerme n'était +pas Cythère», le grand amiral perdait son temps, sa santé et son +honneur dans des plaisirs excessifs et des fêtes qui ressemblaient +singulièrement à des orgies. Marie-Caroline et Emma, la seconde +surtout, avaient étouffé en lui le sentiment de l'honneur, et même +celui de la dignité anglaise. Entre leurs mains Nelson ne fut plus +qu'un instrument, et, par malheur pour sa réputation, un instrument +de vengeance. Affolé par leurs discours, enivré par leurs promesses, +surexcité et comme enivré par leur âpre désir de vengeance, le +malheureux amiral accourut de Naples, bien résolu à n'accorder aucun +pardon. Aussi bien lady Hamilton l'avait suivi comme pour le mieux +surveiller. On assure qu'à la vue du pavillon qui annonçait la +suspension des hostilités, elle s'élança sur le gaillard d'arrière +où se tenait l'amiral et lui cria dans un accès de folle colère: +«Nelson, faites abattre ce pavillon de trêve. On n'accorde pas de +trêve aux vaincus.» Le premier acte de l'amiral fut en effet de +prendre à la remorque et de conduire sous les canons du château +de l'Œuf les vaisseaux, chargés de réfugiés, qui, sur la foi +de la capitulation, s'apprêtaient à partir pour Toulon, et de les +transformer en prisons flottantes.</p> + +<p>Le cardinal Ruffo était aussitôt accouru à bord du <i>Foudroyant</i>. +Nelson lui apprit que l'intention du roi était de considérer comme +nulle et non avenue toute capitulation signée avec des rebelles. Le +cardinal défendit avec une noble énergie les droits qu'il avait reçus +de son souverain, Nelson le traita avec mépris, l'accusa de créer à +Naples un parti hostile aux vues de son souverain et finit par le +congédier. Le capitaine de Foote à son tour fit observer à Nelson +qu'il avait reçu de lui le droit de ratifier une capitulation, et +le supplia de faire honneur à la signature de l'Angleterre. Nelson +fut inexorable. Il se débarrassa même de ce censeur incommode en +l'envoyant à Palerme pour se mettre avec sa frégate à la disposition +de la famille royale; puis, il attendit pour les exécuter, <span class="pagenum"><a id="page289" name="page289"></a>(p. 289)</span> +les résolutions définitives de Ferdinand et de Marie-Caroline.</p> + +<p>Un décret du roi, une lettre de Marie-Caroline à son amie Emma, et +la copie de la capitulation annotée par la reine furent présentés à +l'amiral le 27 juin, et firent disparaître ses dernières hésitations, +si toutefois il hésita un instant à se déshonorer pour les beaux yeux +de sa maîtresse et les flatteries intéressées de la reine de Naples. +Voici ces trois documents qui méritent d'être reproduits comme un +exemple éclatant du désarroi dans les consciences et de l'aveuglement +où peuvent jeter les passions politiques.</p> + +<p>Le décret du roi portait que «le souverain n'ayant jamais eu +l'intention de capituler avec des rebelles, la capitulation devait +être cassée; qu'il fallait créer une junte d'État qui condamnerait +les chefs à mort, les subalternes à la prison et à l'exil et tous à +la confiscation des biens». Ferdinand déclarait en même temps que, +pour récompenser les services de l'amiral Nelson, il le nommait duc +de Bronte. C'était le prix du sang qu'on lui demandait de verser.</p> + +<p>Voici quelques extraits de la lettre de la reine<a id="footnotetag395" name="footnotetag395"></a><a href="#footnote395" title="Go to footnote 395"><span class="smaller">[395]</span></a>: «... Les +rebelles patriotes doivent mettre bas les armes, sortir à discrétion +et volonté du roi. Alors, si l'on m'en croit, il se fera un exemple +des principaux chefs, représentants et les autres seront déportés +avec l'engagement signé d'eux-mêmes de la peine de mort, s'ils +remettent les pieds dans les États du Roi. On en prendra note, +filiation, et dans ce nombre seront compris les chefs de brigade, les +clubistes et les plus furieux écrivains. Aucun militaire qui aura +servi ne sera admis dans l'armée. Enfin une sévérité exacte, prompte, +juste. La même chose se fera pour les femmes qui se sont distinguées +dans la révolution, et cela sans pitié. Il n'y a pas besoin d'une +junte d'État. Il n'y a ni procès, ni discussion. C'est un fait avéré, +prouvé, patent, où les scélérats se rendront à l'imposante force +de l'amiral, où il faudra réunir les corps des troupes, en <span class="pagenum"><a id="page290" name="page290"></a>(p. 290)</span> +faire même venir du dehors, si cela est besoin, avertir les pauvres +femmes et les enfants de sortir, prendre par force les deux forts +selon les règles de la guerre, et ainsi terminer cette coupable et +périlleuse résistance ... Enfin, ma chère Milady, recommandez à +milord Nelson de traiter Naples comme si c'était une ville rebelle +d'Irlande qui se fût conduite ainsi. Il ne faut pas avoir égard au +nombre: les milliers de scélérats de moins rendront la France plus +faible, et nous nous en trouverons mieux ...»</p> + +<p>Comme commentaire à ces odieuses paroles, et sans doute afin de +prévenir toute équivoque, la reine renvoyait en même temps à l'amiral +la capitulation annotée de ses propres mains. Pas un article ne +trouve grâce devant la furie royale. Elle accuse de trahison ou +de bassesse tous ceux qui l'ont signée. Elle est inexorable pour +ses propres sujets, et pleine de mépris pour les Français qu'elle +voudrait bien traiter comme des gens en dehors de tout droit. Elle +termine par cette déclaration de principes: «Ce traité est une chose +si infâme que si, par un miracle de la Providence, il ne vient pas +quelque événement qui le rompt ou détruise, je me considère perdue +et déshonorée. Et je crois qu'au risque de mourir de la mal'aria, +des fatigues ou d'une arquebusade des rebelles, le roi, d'un côté, +le prince héritier, de l'autre, doivent immédiatement armer les +provinces, marcher contre la ville rebelle, et s'ensevelir sous les +ruines si elle résiste, plutôt que de rester les vils esclaves de +ces coquins de Français et de leurs infâmes émules les rebelles. Mon +sentiment, si cette infâme capitulation est respectée, est tel que je +serais moins affligée de la perte du royaume que des effets que j'en +attends.»</p> + +<p>Aussitôt Nelson lança un ordre qui déclarait que «si, dans l'espace +de vingt-quatre heures les partisans de l'infâme République ne +s'abandonnaient pas à la clémence du roi, il les considérerait comme +encore en rébellion et comme des ennemis de S. M. Sicilienne». En +vertu de cet ordre quatre-vingts républicains furent extraits des +vaisseaux qui auraient dû les transporter à Toulon, et conduits +enchaînés, au milieu des <span class="pagenum"><a id="page291" name="page291"></a>(p. 291)</span> hurlements de mort de la populace, +dans les casemates des forts. Le colonel Méjean, encore maître du +fort Saint-Elme, aurait dû protester pour l'honneur de son pays et se +défendre jusqu'à la dernière extrémité. On avait acheté ce misérable. +Il ouvrit les portes de la citadelle, à condition que la garnison +en sortirait avec les honneurs de la guerre et serait rapatriée, +mais en autorisant les agents du roi à arrêter les réfugiés +napolitains, pourtant couverts par le drapeau français et par une +double capitulation. En effet, les sbires de Ferdinand arrêtèrent +au milieu de nos soldats quelques infortunés qui avaient échappé à +leurs recherches, et que Méjean leur signala. Il leur livra même deux +officiers d'origine napolitaine, mais qui servaient depuis plusieurs +années dans l'armée française, Matera et Belpaladi. On eût dit que +tout ce monde officiel se déshonorait à plaisir!</p> + +<p>Parmi les prisonniers de la première heure était le prince +Caracciolo, amiral de la flotte Parthénopéenne. C'était un +septuagénaire. Il avait mérité l'estime et l'affection des Anglais, +au temps où les deux flottes britannique et napolitaine voguaient +de conserve; mais il avait servi la nouvelle république, et, avec +quelques canonnières, n'avait pas craint d'assaillir à plusieurs +reprises, les frégates anglaises. Trahi par un de ses domestiques, +il fut conduit à bord du Foudroyant, le vaisseau amiral, le 27 juin, +à neuf heures du matin. Nelson assembla immédiatement un conseil +de guerre, dont les membres avaient reçu l'ordre de n'admettre ni +témoins à décharge, ni défenseur: les membres de cette cour martiale, +si singulièrement transformés en cour d'exécution, n'osèrent pourtant +condamner l'illustre vieillard qu'à la prison perpétuelle. On +transmit la décision à Nelson. «Non, répondit-il, la mort!» Et les +juges obéirent! Aussitôt l'amiral donna ses ordres pour l'exécution +immédiate. Caracciolo devait être pendu à bord de la <i>Minerva</i>, +et son cadavre jeté à la mer. À cette nouvelle le cardinal Ruffo +intervint de nouveau. Ce sera son honneur et en quelque sorte sa +justification. La conférence fut orageuse: mais lady Emma était +aussi <span class="pagenum"><a id="page292" name="page292"></a>(p. 292)</span> à bord du <i>Foudroyant</i>, et encourageait Nelson à ne +pas céder. L'amiral obéissait-il à un zèle fanatique, ou cédait-il +à d'infâmes suggestions, on l'ignore, mais il resta inflexible. +Réduit à une dernière espérance, Caracciolo fit prier lady Hamilton +d'intercéder en sa faveur, mais cette Euménide ferma sa porte, et ne +sortit de sa cabine que pour se repaître du spectacle de l'exécution. +Elle se hâta d'en rendre compte à la reine, qui lui répondit (2 +juillet): «... J'ai vu aussy la triste et méritée fin du malheureux +et forcené Caracciolo. Je sens bien tout ce que votre excellent +cœur aura souffert, et cela augmente ma reconnaissance.<a id="footnotetag396" name="footnotetag396"></a><a href="#footnote396" title="Go to footnote 396"><span class="smaller">[396]</span></a>»</p> + +<p>Pour que rien ne manquât à l'horreur de cette tragédie, le cadavre +de l'infortuné fut jeté à la mer avec un lest de 250 livres, mais +il surnagea, et, par un hasard qui ressemblait à un commencement +de punition divine, se présenta aux yeux du roi Ferdinand quand ce +dernier se décida à rentrer à Naples. Saisi d'un tremblement nerveux, +«que veut ce mort?» dit en balbutiant le roi. «Sire, répondit le +chapelain du Foudroyant, ce mort vient réclamer une sépulture +chrétienne.—Il l'aura!» Le cadavre fut en effet recueilli et inhumé +le même jour dans l'église de Sainte-Marie aux Liens sur le quai +Sainte-Lucie. Il y repose encore aujourd'hui.</p> + +<p>Cette mort ou plutôt cet assassinat donna le signal des atrocités. +Comme on devait une récompense aux bandits et aux lazzaroni, on +leur livra la ville. Du 29 juin au 8 juillet, jour de l'arrivée +du roi, Naples fut la proie de tous les brigands de l'Italie +méridionale. «L'horreur du massacre, écrit un témoin oculaire, +Marinelli, du pillage, du libertinage, était montée à un tel point +qu'il m'est impossible de tout écrire. La basse plèbe s'ingéniait à +qui inventerait un supplice nouveau, une obscénité plus horrible. +Une femme de qualité subit, à l'instigation de lady Hamilton, les +plus atroces outrages: déshabillée, fouettée sur la place publique, +et ensuite abandonnée à la bestiale populace.»—«On vit, <span class="pagenum"><a id="page293" name="page293"></a>(p. 293)</span> +écrit<a id="footnotetag397" name="footnotetag397"></a><a href="#footnote397" title="Go to footnote 397"><span class="smaller">[397]</span></a> Coletta, au milieu de la place même du palais Royal +flamber un énorme bûcher: dans ce brasier ardent la populace jeta +cinq victimes vivantes, et, lorsque les chairs furent suffisamment +grillées, les cannibales se mirent à les manger.» Dégoûté de ces +crimes, le cardinal Ruffo essaya de rétablir l'ordre, mais il n'y +réussit qu'en appelant à son aide les soldats russes qui occupaient +les forts.</p> + +<p>Aussi bien les vengeances juridiques furent plus odieuses que ce +qu'on nomma pompeusement la justice du peuple. En vertu d'une +proclamation royale, qui enveloppait dans une proscription générale +tout individu ayant exercé des fonctions sous la République ou porté +les armes contre les Sanfédistes, près de 30,000 citoyens, rien qu'à +Naples, furent jetés en prison, ou du moins dans les souterrains et +dans les caveaux où on leur interdisait les lits, les sièges, la +lumière, les objets nécessaires pour boire et pour manger. On les +entassa aussi sur les vaisseaux anglais, transformés en pontons, et +l'amiral toujours flanqué de lady Hamilton, apercevait du haut de sa +dunette les prisonniers se tordre et hurler de douleur sous les coups +de nerf de bœuf.</p> + +<p>Ce n'était rien encore: la Junte venait d'entrer en fonctions, et +de commencer le procès des plus illustres victimes de la trahison +anglaise. Les membres de la Junte avaient été choisis avec soin. +L'histoire vengeresse a conservé leurs noms: président: Felice +Damiani; procureur du roi: Giuseppe Guidobaldi; conseillers: Della +Rossa, Speziale, Fiore, Samausti; bourreau: Tommaso Paradiso. Sauf +le Calabrais Della Rossa, tous étaient Siciliens. Fiore, scélérat +reconnu, était le seul magistrat maintenu par la cour, Guidobaldi +chef des espions et des délateurs, et Speziale, un aventurier +méprisé, avaient été nommés directement par la reine. C'est ce +Guidobaldi qui disait à ses familiers: «Je ne dîne avec appétit que +lorsque j'ai envoyé la tête d'un Jacobin rouler sur l'échafaud de la +place du Marché-Neuf.» Quant à Speziale, il parcourait les <span class="pagenum"><a id="page294" name="page294"></a>(p. 294)</span> +prisons pour se repaître des souffrances des prisonniers. Pour ses +débuts il avait pendant deux mois tenu à Procida une «véritable +boucherie de chair humaine». N'avait-il pas condamné à mort un +tailleur, qui avait commis le crime de costumer la municipalité +républicaine, et fait pendre un notaire «parce que c'est un homme +adroit, et il est bon qu'il meure»? Tels étaient les hommes qui +devaient décider du sort de près de 40,000 de leurs compatriotes.</p> + +<p>Aussi bien les membres de la Junte étaient si fermement résolus à ne +pas user de clémence que le premier soin du procureur général fut de +transiger avec le bourreau. D'ordinaire chaque exécution rapportait +à l'exécuteur six ducats. Il fut décidé qu'on ne lui allouerait +plus que cent ducats par mois, car on ne voulait pas trop grever +le trésor, et on prévoyait de nombreuses condamnations. Elles ne +furent en effet que trop nombreuses. Trois listes des victimes ont +été dressées, la première par Lomonaco en 1800 et la seconde par le +général d'Ayala en 1865: mais elles sont toutes les deux inexactes. +La troisième a été publiée en 1870 par Fortunato: Elle rectifie et +complète les deux précédentes, grâce au journal inédit de Marinelli +et au registre de la congrégation des Blancs de la Justice, pénitents +qui accompagnaient les condamnés à l'échafaud. Cette liste comprend +quatre-vingt-dix-neuf noms, ceux des chefs: deux femmes, dix-huit +princes ou ducs, quatorze généraux, trois évêques, onze prêtres, +dix-huit propriétaires, huit professeurs, cinq médecins, deux +magistrats, deux étudiants et un notaire: mais on ne connaîtra jamais +les noms de ceux qui furent exécutés par les Anglais sur les pontons, +ou par les Sanfédistes dans les forts de Naples, les noms de ceux qui +périrent dans la lutte, de ceux qui moururent en prison ou en exil. +Quelques-unes de ces prisons étaient sinistres. Guillaume Pepe, qui +fut un des prisonniers, a raconté les souffrances horribles qu'il +endura durant sa captivité: mais combien se sont tus qui n'ont pas +osé élever la voix, ceux par exemple qui pourrirent dans la fosse de +l'Asinara, ou ceux qu'on relégua dans l'îlot de Favignana, cratère +<span class="pagenum"><a id="page295" name="page295"></a>(p. 295)</span> éteint, le long des parois duquel les geôliers de Néron +avaient jadis taillé un escalier conduisant à la Fosse, c'est-à-dire +au fond même du cratère, cavité humide et malsaine, où ne pénètre pas +un rayon de soleil, où les animaux eux-mêmes ne peuvent vivre.</p> + +<p>Parmi les plus illustres de ces victimes de la réaction, nous +signalerons les généraux Schipani et Spano, pris les armes à la main, +et qui furent immolés dans un premier moment d'effervescence. Massa, +qui avait rédigé et signé la capitulation, Ettore Caraffa montèrent +au gibet. Gabriel Manthone, interrogé par Speziale sur ce qu'il +avait à dire pour sa justification, se contenta de répondre: «J'ai +capitulé.—Cela ne suffit pas.—Je n'ai aucune raison à donner à qui +foule aux pieds les traités.» Et il marcha avec calme à la mort. Le +comte de Ruvo fut moins patient: «Si nous étions tous deux libres, +dit-il au juge qui l'insultait, tu parlerais avec plus de prudence. +Ce sont ces chaînes qui te rendent si hardi.» Plein d'une noble +fierté, il voulut rester couché sur le dos pour voir descendre sur sa +tête l'instrument de mort. Un accusé, Velasco, essaya de se venger en +étranglant Speziale, mais il ne put que l'entraîner vers une fenêtre, +pour s'y précipiter avec lui. Speziale se vengea de la terreur qu'il +avait éprouvée en redoublant de cruautés et d'infamies. Une de ses +victimes, Batistessa, n'était pas morte à la potence, où elle avait +été suspendue pendant vingt-quatre heures. Speziale le fit égorger +par le bourreau. Un de ses anciens amis, Nicolo Fiani, était détenu, +mais aucune charge ne pesait contre lui. Speziale l'appelle auprès de +lui, l'embrasse en pleurant, lui dit que sa perte est assurée, s'il +ne lui livre tous ses secrets, les lui fait écrire, puis l'envoie au +supplice. Francesco Conforti était un illustre écrivain, qui avait +à plusieurs reprises défendu les droits de la royauté contre les +empiétements de Rome. Speziale lui fait écrire un nouveau mémoire, +plein d'érudition, de raison et de force, et, pour sa récompense, +l'envoie à la mort. C'est encore Speziale qui eut l'impudeur +de faire arrêter des enfants de cinq ans, qui en fit exiler de +<span class="pagenum"><a id="page296" name="page296"></a>(p. 296)</span> douze ans, qui en fit exécuter qui n'avaient pas atteint +leur majorité; c'est lui qui fit arrêter jusqu'à des fous détenus +à l'hospice des aliénés, lui qui fit jeter en prison le professeur +Bosco, pour avoir osé apprendre à ses élèves que jadis existait +une République romaine, qui jouissait d'institutions libérales. Le +ridicule se joignit même à l'odieux. Ne s'avisa-t-on pas d'intenter +un procès criminel au patron de Naples, à saint Janvier, qui avait +paru approuver la République, en opérant le miracle périodique de la +liquéfaction de son sang? Le saint fut condamné. On lui interdit de +nouveaux miracles, et il eut pour successeur saint Antoine de Padoue.</p> + +<p>Trois procès eurent un grand retentissement: ceux du docteur Cirillo, +d'Eleonora Pimentel et de la marquise de San Felice. On voulait +sauver Cirillo qui jadis avait été le médecin de la famille royale et +dont la réputation était européenne. «Quel âge avez-vous? lui demande +Speziale.—Soixante ans.—Quelle est votre profession?—Médecin sous +la monarchie, représentant du peuple pendant la République.—Et +devant moi qui es-tu?—En ta présence, lâche, je suis un héros.» +Condamné à mort, on lui fit entendre que, s'il demandait sa grâce au +roi, il l'obtiendrait. Il refusa et marcha bravement à l'échafaud.</p> + +<p>Eleonora Pimentel, la directrice du <i>Moniteur Républicain</i>, avait +commis la lourde faute de se moquer des mascarades du camp de San +Germano. La reine Marie-Caroline ne lui avait pas pardonné ces +railleries. Condamnée à mort, elle marcha froidement, demandant à +une femme quelques épingles pour rajuster son corsage dérangé par le +bourreau, et répétant ce vers: <i>Forsan et hæc olim meminisse juvabit</i>.</p> + +<p>La marquise de San Felice avait, pour sauver son amant, dénoncé +une conspiration royaliste. Ferdinand avait juré de se venger. +L'infortunée était enceinte. L'exécution fut ajournée. Le roi, +perdant toute pudeur, adressa par écrit de vifs reproches à la Junte +et prétendit que cette grossesse était simulée. Un second examen +fut ordonné. Il confirma la grossesse. Le roi ordonna que la San +Felice attendrait son <span class="pagenum"><a id="page297" name="page297"></a>(p. 297)</span> accouchement dans les prisons de +Palerme et serait ensuite exécutée. La princesse Marie-Clémentine, +qui s'intéressait à la prisonnière, supplia le roi son beau-père de +lui accorder sa grâce. Ferdinand refusa brutalement et la malheureuse +fut exécutée. Voici comment le docteur Marinelli termine sa lugubre +énumération: «Aujourd'hui 11 septembre, a été décapitée donna Luisa +Molinès San Felice. Cela a mis la place du marché en rumeur. Donna +Luisa avait été mise déjà deux fois en chapelle, mais elle en était +sortie. Cette fois elle ne l'a point échappé. Avant de marcher au +supplice, elle s'était ouvert l'utérus: aussi a-t-il fallu la porter. +La hache en tombant, au lieu de la tête, a frappé une épaule. À cause +de cela le bourreau a achevé de lui couper la tête avec son couteau.»</p> + +<p>Pendant que s'accomplissaient ces abominables tragédies, que +devenaient en effet les vainqueurs? La reine Marie-Caroline était +restée à Palerme, mais sans cesser un seul instant d'exciter à la +vengeance. Ses lettres à lady Hamilton font frémir. Pas un mot de +pitié. Pas un sentiment de compassion! «Je vous prie de ne faire +aucune faveur particulière, lui écrit-elle<a id="footnotetag398" name="footnotetag398"></a><a href="#footnote398" title="Go to footnote 398"><span class="smaller">[398]</span></a> le 18 juillet.» +Et plus loin<a id="footnotetag399" name="footnotetag399"></a><a href="#footnote399" title="Go to footnote 399"><span class="smaller">[399]</span></a>: «J'espère que les membres de la Junte feront +rase justice, ne se laissant séduire ni par les larmes, ni les +protections, ni les richesses des parents des accusés ... Pour +Belmonte, silence sur ce point. Si on envoie une centaine à la +potence, j'ai calculé que l'on ira jusqu'à lui; mais si l'on n'envoie +qu'une cinquantaine, il ne peut être du nombre, ses crimes n'étant +pas aussi grands. Je n'en parlerai, ni n'y penserai plus, et je +regrette seulement de vous avoir donné le plus petit embarras pour +lui.» Quant au roi, jusqu'alors inoffensif, il subit comme un accès +de folie furieuse. Surexcité par son entourage, poussé à bout par ses +serviteurs, il vit rouge, comme l'écrit un de ses historiens. Voici +comment un témoin oculaire, Cuoco<a id="footnotetag400" name="footnotetag400"></a><a href="#footnote400" title="Go to footnote 400"><span class="smaller">[400]</span></a>, l'a dépeint dans la rade de +Naples, sur le vaisseau de Nelson, <span class="pagenum"><a id="page298" name="page298"></a>(p. 298)</span> car ce souverain, jadis +si fier de ses prérogatives, n'avait pas osé descendre à terre, et +continuait à recevoir l'hospitalité anglaise: «Le roi était sur un +bâtiment, entouré d'autres bâtiments pleins de personnes arrêtées, +qui mouraient sous ses yeux, tués par le resserrement du lieu dans +lequel elles se trouvaient entassées, par le manque de nourriture et +surtout d'eau, par l'immense quantité d'insectes, par la canicule la +plus brûlante ... et il avilissait la majesté royale au point de se +promener en leur présence.» Ce n'était plus un roi, mais un mannequin +revêtu des ornements royaux!</p> + +<p>Ruffo et Nelson, les deux maîtres de la situation, sont assurément +les principaux coupables, et c'est sur eux que doit retomber la +responsabilité de ces crimes. Ruffo était en effet resté vicaire +général, et par conséquent chef du gouvernement. On a parlé de ses +bonnes intentions, de son impuissance à calmer la multitude, et à +apaiser la vengeance royale; mais, puisqu'on avait abusé de son nom, +puisqu'il ne pouvait contenir les passions déchaînées, pourquoi ne se +retirait-il pas? Pourquoi laissait-il souiller par de nouveaux crimes +sa pourpre cardinalice, déjà salie par les excès de la guerre civile? +Ruffo avait soif des honneurs; et, pour en jouir il se déshonora +par ces honteuses complaisances: aussi portera-t-il la peine de sa +faiblesse et de son ambition aux yeux de la postérité.</p> + +<p>Que dire des récompenses dont furent gorgés les acolytes du +cardinal? Tous ces bandits, tous ces assassins, tous ces chefs de +bande devinrent capitaines ou colonels. On les combla de cadeaux +et de pensions. On leur distribua des terres. Tous obtinrent des +décorations. La reconnaissance royale s'étendit jusque sur les +officiers turcs et russes qui reçurent de grands présents. Quant aux +Anglais, ils obtinrent ce qu'ils demandèrent. La reine Marie-Caroline +passa au cou de son amie Emma son portrait en miniature suspendu à +un collier de diamants dont elle lui fit lire l'exergue: <i>Œterna +gratitudine</i>. Elle lui donna encore deux voitures de gala et des +diamants pour une valeur de 150,000 guinées. Tous les capitaines +anglais <span class="pagenum"><a id="page299" name="page299"></a>(p. 299)</span> reçurent des tabatières, des bagues et des montres +enrichies de diamants. Towbridge, le héros d'Ischia, fut nommé baron, +et Nelson, le nouveau duc de Bronte, reçut une épée, dont la garde +en or massif disparaissait sous les diamants. C'était l'épée remise +par Louis XIV à Philippe V lors de son départ pour l'Espagne. Elle +aurait dû être sacrée pour un prince de la maison de Bourbon: mais ne +fallait-il pas payer le sang versé?</p> + +<p>Le châtiment n'était pas éloigné. Quand on apprit les horreurs +commises par les Sanfédistes, et les épouvantables vengeances de la +Junte royale, ce fut par toute l'Europe comme un cri d'indignation. +En France Aréna et Briot dénonceront ces attentats à la tribune des +Cinq Cents. En Angleterre, malgré la popularité de Nelson, malgré +les services éminents qu'il avait rendus à son pays, on ne put +oublier, on n'oublia pas qu'il avait sali le drapeau anglais en +violant une capitulation pour plaire à une courtisane royale. Fox et +Sheridan écrasèrent de leurs invectives «ce roi insensé et l'amiral +anglais qui s'était institué son exécuteur». Leur arrêt restera +celui de l'histoire. Rien ne peut justifier ni Nelson, ni ceux qui +le poussèrent à cette odieuse réaction; et comme, tôt ou tard, sont +punis tous les crimes, n'est-il pas vrai que la justice divine a +puni les persécuteurs, et que le petit-fils, et arrière-enfant, +dépouillés de leur royaume, exilés, errant de ville en ville, expient +aujourd'hui les crimes commis jadis par Ferdinand et Marie-Caroline?</p> + +<h2><span class="pagenum"><a id="page301" name="page301"></a>(p. 301)</span> TABLE DES MATIÈRES</h2> + +<p class="center">CHAPITRE PREMIER<br> +FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE CISALPINE</p> + +<p class="resume">La domination autrichienne dans le Milanais, +<a href="#page1">1</a>. — Le parti + national italien, +<a href="#page3">3</a>. — Fuite de l'archiduc Ferdinand, +<a href="#page4">4</a>. — Entrée + des Français à Milan, +<a href="#page5">5</a>. — Organisation d'un gouvernement + provisoire, +<a href="#page7">7</a>. — Les premières déceptions, +<a href="#page8">8</a>. — Les extractions + et les réquisitions, +<a href="#page9">9</a>. — Insurrection de Pavie, +<a href="#page13">13</a>. — Répression + de l'émeute, +<a href="#page16">16</a>. — Brutalités et pillages, +<a href="#page18">18</a>. — La guerre aux + fournisseurs, +<a href="#page21">21</a>. — Bonaparte à Mombello, +<a href="#page23">23</a>. — Les modérés et les + exaltés, +<a href="#page26">26</a>. — Le journalisme et le théâtre, +<a href="#page30">30</a>. — Le Ballet du + Pape, +<a href="#page35">35</a>. — Les fêtes patriotiques, +<a href="#page37">37</a>. — Les derniers partisans + de l'Autriche, +<a href="#page40">40</a>. — Bonaparte se prononce en faveur des modérés, + +<a href="#page41">41</a>. — Les théoriciens politiques, +<a href="#page43">43</a>. — Création de la République + Cisalpine, +<a href="#page45">45</a>. — Formation territoriale, +<a href="#page47">47</a>. — Annexion de la + Valteline, +<a href="#page49">49</a>. — Prospérité apparente, +<a href="#page51">51</a>.</p> + +<p class="p2 center">CHAPITRE II<br> +LA RÉPUBLIQUE LIGURIENNE</p> + +<p class="resume">Gênes et la décadence de l'aristocratie, +<a href="#page55">55</a>. — Politique de + neutralité désarmée, +<a href="#page58">58</a>. — Violations de territoire, +<a href="#page59">59</a>. — Affaire + de la Modeste, +<a href="#page60">60</a>. — Mission de Bonaparte à Gênes en +<a href="#page179">179</a>4, + +<a href="#page62">62</a>. — Intrigues de Girola et de Drake, +<a href="#page66">66</a>. — Affaire des fiefs + impériaux, +<a href="#page67">67</a>. — Les Barbets. +<a href="#page68">68</a>. — Sac d'Arquata, +<a href="#page69">69</a>. — Affaire + de Santa Margarita. +<a href="#page71">71</a>. — Ménagements calculés de Bonaparte, + +<a href="#page72">72</a>. — Les démocrates et les aristocrates, +<a href="#page78">78</a>. — Émeute du +<a href="#page23">23</a> + mai +<a href="#page179">179</a>7, +<a href="#page77">77</a>. — Écrasement des démocrates, +<a href="#page78">78</a>. — La mission de + <span class="pagenum"><a id="page302" name="page302"></a>(p. 302)</span> Lavalette, +<a href="#page81">81</a>. — Le traité de Mombello, +<a href="#page84">84</a>. — Les excès + des démagogues, +<a href="#page85">85</a>. — Révolte du 4 septembre, +<a href="#page89">89</a>. — Batailles + d'Albaro et de San Benigno, +<a href="#page90">90</a>. — Création de la République + Ligurienne, +<a href="#page93">93</a>.</p> + +<p class="p2 center">CHAPITRE III<br> +CHUTE ET PARTAGE DE LA RÉPUBLIQUE VÉNITIENNE</p> + +<p class="resume">Grandeur et décadence de la République vénitienne, +<a href="#page95">95</a>. — La + politique de neutralité désarmée, +<a href="#page99">99</a>. — Le comte de Lille est + expulsé de Vérone, +<a href="#page103">103</a>. — Violation du territoire vénitien, + +<a href="#page104">104</a>. — Entrée des Français à Vérone, +<a href="#page106">106</a>. — Le podestat Ottolini, + +<a href="#page108">108</a>. — Ménagements calculés de Bonaparte, +<a href="#page111">111</a>. — Négociations + d'alliance, +<a href="#page115">115</a>. — Les exigences de Bonaparte, +<a href="#page118">118</a>. — Préparatifs + de guerre, +<a href="#page120">120</a>. — Les démocrates soulèvent Bergame, Brescia, + Salo, mais ils sont écrasés, +<a href="#page123">123</a>. — Manifeste de Battaglia, + +<a href="#page127">127</a>. — Les préliminaires de Leoben, +<a href="#page131">131</a>. — Mission de Junot à + Venise, +<a href="#page133">133</a>. — Les Pâques véronaises, +<a href="#page136">136</a>. — L'assassinat de + Laugier, +<a href="#page139">139</a>. — Mission Donato et Giustiniani, +<a href="#page141">141</a>. — Punition de + Vérone, +<a href="#page145">145</a>. — Transformation de la République aristocratique + en République démocratique, +<a href="#page147">147</a>. — Traité de Milan, +<a href="#page152">152</a>. — Les + convoitises autrichiennes, +<a href="#page154">154</a>. — Mission Querini, +<a href="#page155">155</a>. — Motion + Dumolard, +<a href="#page157">157</a>. — Désorganisation de la nouvelle République, + +<a href="#page159">159</a>. — Pillages, +<a href="#page163">163</a>. — Négociations de Campo-Formio, +<a href="#page166">166</a>. — Les + instructions du Directoire et les résolutions de Bonaparte, + +<a href="#page169">169</a>. — Traité de Campo-Formio, +<a href="#page173">173</a>. — Comment est accueillie la + nouvelle, +<a href="#page176">176</a>. — Les scrupules de Villetard, +<a href="#page178">178</a>. — Les dépouilles + de Venise, +<a href="#page185">185</a>. — Prise de possession par les Autrichiens, +<a href="#page186">186</a>.</p> + +<p class="p2 center">CHAPITRE IV<br> +LA RÉPUBLIQUE ROMAINE</p> + +<p class="resume">La Papauté et la Révolution, +<a href="#page189">189</a>. — Affaire Hugon de + Basville, +<a href="#page199">199</a>. — La Convention et le pape Pie VI, +<a href="#page191">191</a>. — Les + théophilanthropes, +<a href="#page192">192</a>. — Les instructions du Directoire à + Bonaparte, +<a href="#page193">193</a>. — Préparatifs de guerre, +<a href="#page195">195</a>. — Entrée des + Français à Bologne, +<a href="#page197">197</a>. — Armistice de Bologne, +<a href="#page199">199</a>. — Prise + d'armes des pontificaux, +<a href="#page202">202</a>. — Mission Mattei, +<a href="#page203">203</a>. — Affaire de + Lugo, +<a href="#page205">205</a>. — Conférences de Florence, +<a href="#page206">206</a>. — Seconde prise d'armes + des pontificaux, +<a href="#page208">208</a>. — Bataille du Senio, +<a href="#page210">210</a>. — Négociations + pour la paix, +<a href="#page213">213</a>. — Paix de Tolentino, +<a href="#page218">218</a>. — Joseph Bonaparte + ambassadeur à Rome, +<a href="#page220">220</a>. — Les mécontents se groupent autour + de lui, +<a href="#page221">221</a>. — Affaire Provera, +<a href="#page223">223</a>. — Assassinat de Duphot, + +<a href="#page227">227</a>. — Déclaration de guerre du Directoire, +<a href="#page234">234</a>. — Berthier + est chargé de renverser le gouvernement pontifical, + +<a href="#page235">235</a>. — Proclamation de la République Romaine, +<a href="#page236">236</a>. — Expulsion + de Pie VI, +<a href="#page237">237</a>. — Organisation de la nouvelle République, + +<a href="#page239">239</a>. — Déprédations et pillages, +<a href="#page241">241</a>. — Révolte des Français + contre leur général Masséna, +<a href="#page243">243</a>. — Insurrections locales, + +<a href="#page245">245</a>. — Décadence et ruine prochaine de la nouvelle République, + +<a href="#page246">246</a>.</p> + +<p class="p2 center"><span class="pagenum"><a id="page303" name="page303"></a>(p. 303)</span> CHAPITRE V<br> +LA RÉPUBLIQUE PARTHÉNOPÉENNE</p> + +<p class="resume">Les Bourbons de Naples, +<a href="#page247">247</a>. — Lazzaroni et bourgeois, + +<a href="#page249">249</a>. — Essai de coalition contre la France, +<a href="#page250">250</a>. — Insulte à + Mackau, +<a href="#page253">253</a>. — La Touche-Tréville dans le golfe de Naples, + +<a href="#page254">254</a>. — Déclaration de guerre à la France, +<a href="#page255">255</a>. — La reine + Marie-Caroline et sa haine de la France, +<a href="#page256">256</a>. — Armistice accordé + par Bonaparte à Pignatelli, +<a href="#page258">258</a>. — Ménagements stratégiques + de Bonaparte, +<a href="#page258">258</a>. — Nouveaux préparatifs de guerre et paix + de Campo-Formio, +<a href="#page261">261</a>. — Assistance prêtée aux Anglais, + +<a href="#page266">266</a>. — Nouvelle déclaration de guerre à la France, +<a href="#page268">268</a>. — Mack + envahit le territoire romain, +<a href="#page269">269</a>. — Entrée du roi Ferdinand à + Rome, +<a href="#page271">271</a>. — Championnet et les Français reprennent l'offensive, + +<a href="#page273">273</a>. — Marche contre Naples, +<a href="#page275">275</a>. — Fuite de la famille royale, + +<a href="#page276">276</a>. — Entrée des Français à Naples et proclamation de la + République Parthénopéenne, +<a href="#page279">279</a>. — Retraite de Macdonald, + +<a href="#page281">281</a>. — Révolte des Abruzzes et de la Calabre, +<a href="#page282">282</a>. — Buffo et + les sanfédistes, +<a href="#page283">283</a>. — Siège de Naples, +<a href="#page289">289</a>. — Capitulation de + Naples, +<a href="#page287">287</a>. — Nelson viole la capitulation, +<a href="#page289">289</a>. — Les massacres + et les exécutions juridiques, +<a href="#page291">291</a>. — Fin de la République + Parthénopéenne, +<a href="#page299">299</a>.</p> + +<p class="resume">Table des matières <a href="#page301">301</a></p> + +<p class="p4 center smaller">Évreux, Imprimerie de Charles Hérissey</p> + +<h2>Notes</h2> +<div class="footnote"> + +<p><a id="footnote1" name="footnote1"></a> +<b><a href="#footnotetag1">1</a></b>: <i>Correspondance de</i> <span class="smcap">Bonaparte</span>, t. I, +II, III.—<i>Œuvres de</i> <span class="smcap">Napoléon</span> <i>à Sainte-Hélène</i>, +campagnes d'Italie.—<span class="smcap">Botta</span>, <i>Histoire d'Italie de +1789 à 1814</i>.—<span class="smcap">Cantu</span>, <i>Histoire des Italiens</i> (t. +XI de la traduction française).—<span class="smcap">Cusani</span>, <i>Storia di +Milano</i>.—<span class="smcap">Beccatini</span>, <i>Storia del memorabile triennale +governo francese e se dicente Cisalpino</i>.—<i>Giornale storico del 1797 +al 1806</i>.—<i>Compendio della Storia patria della Republica Cisalpina</i>. +(Les 38 volumes du Giornale et les 9 volumes du Compendio se trouvent +à la bibliothèque Ambrosienne de Milan.)—<span class="smcap">Bonfadini</span>. +<i>La Republica Cisalpina e il primo regno d'Italia</i>.—<span class="smcap">G. de +Castro</span>. <i>Milano e la Republica Cisalpina giusta la poesie, +le caricature ed altre testimonianze dei tempi</i>.—<span class="smcap">Verri</span>. +<i>Storia del invasione dei Francesi nel Milanese</i>. (Rivista cont. di +Torino, juillet-août 1850.)</p> + +<p><a id="footnote2" name="footnote2"></a> +<b>2:</b> L'Autriche les redoutait tellement qu'elle avait fait +traduire par Fontana le livre d'Arthur Young contre la France, et +avait commandé à l'abbé Soave un ouvrage, ou plutôt un pamphlet, où +les Français étaient représentés comme des cannibales.</p> + +<p><a id="footnote3" name="footnote3"></a> +<b><a href="#footnotetag3">3</a></b>: L'archiduc Ferdinand était accusé de spéculer sur les +grains. Le fameux peintre Gros fit sa caricature sous la forme d'un +cochon, dont un soldat français ouvrait le ventre, pour en extraire +le grain mal acquis. Il se vendit en un jour vingt mille exemplaires +de ce dessin. Voir <span class="smcap">Stendhal</span>, <i>Chartreuse de Parme</i>, § +1<sup>er</sup>.</p> + +<p><a id="footnote4" name="footnote4"></a> +<b><a href="#footnotetag4">4</a></b>: On lui avait adjoint le décurion Giuseppe Resta.</p> + +<p><a id="footnote5" name="footnote5"></a> +<b><a href="#footnotetag5">5</a></b>: Lettre de Marmont à son père (Milan, 15 mai 1700) +insérée dans les <i>Mémoires</i> du maréchal (t. I, p. 322). «Mon tendre +père, nous sommes aujourd'hui à Milan. Hier, nous y avons fait +notre entrée triomphale. Elle m'a donné l'idée de l'entrée à Rome +des anciens généraux romains, lorsqu'ils avaient bien mérité de la +patrie. Je doute que l'ensemble de l'action offrit un coup d'œil, +un spectacle plus beau et plus ravissant. Milan est une très grande +ville, très belle et très peuplée. Les habitants aiment les Français +a la folie, et il est impossible d'exprimer toutes les marques +d'attachement qu'il nous ont données.»</p> + +<p><a id="footnote6" name="footnote6"></a> +<b><a href="#footnotetag6">6</a></b>: Verri, cité par <span class="smcap">Cantu</span>, <i>Histoire des Italiens</i>, +t. XI, p. 01. Cf. les premières pages de la <i>Chartreuse de Parme</i>, +par <span class="smcap">Stendhal</span>. Ce n'est qu'un roman, mais qui, par la +précision des détails et l'exactitude des descriptions, vaut bien des +livres d'histoire.</p> + +<p><a id="footnote7" name="footnote7"></a> +<b><a href="#footnotetag7">7</a></b>: Dans sa <i>Vie de Napoléon</i> (p. 127), Stendhal est revenu +sur ce dénuement de l'armée d'Italie. Il raconte que le lieutenant +Robert possédait pour toute chaussure des empeignes, mais dépourvues +de semelle. Deux officiers n'avaient à eux deux qu'un pantalon de +Casimir couleur noisette et une longue redingote croisée sur la +poitrine, plus trois chemises, le tout misérablement rapiécé. Ce fut +seulement à Plaisance que ces deux officiers, qui venaient de toucher +quelques pièces de monnaie sur leur solde arriérée, purent compléter +leur garde-robe.—Cf. <i>Moniteur</i> du 7 juin 1796.</p> + +<p><a id="footnote8" name="footnote8"></a> +<b><a href="#footnotetag8">8</a></b>: On citait alors parmi ces Milanaises M<sup>me</sup> Visconti, +qui inspira à Berthier une passion si persistante, M<sup>me</sup> Grassini, +qui aima Bonaparte, M<sup>me</sup> Lambert, jadis distinguée par l'empereur +Joseph II, M<sup>me</sup> Monti, la femme du poète, M<sup>me</sup> Ruge, femme d'un +avocat qui plus tard devint Directeur, M<sup>me</sup> Pietra Grua Marini, +femme d'un médecin, etc.</p> + +<p><a id="footnote9" name="footnote9"></a> +<b><a href="#footnotetag9">9</a></b>: Il n'y eut qu'un seul homme, un acteur, Marchesi, +qui eut le courage de rester fidèle à ses opinions. Il refusa de +chanter au théâtre en l'honneur des Français. Voir <span class="smcap">Alfieri</span>, +<i>Miso Gallo</i>, ép. XXIV, note 36. Le général Dupuy lui intima +l'ordre de quitter Milan dans les vingt-quatre heures. Par grâce, +Berthier lui permit de rester enfermé dans une maison de campagne +qui lui appartenait. Pourtant, dès l'année suivante, Marchesi, +qui se trouvait alors à Gênes, ne refusa pas, dans l'opéra de +Sauli intitulé: <i>Il Trionfo della Liberta</i>, le rôle du dieu Mars +combattant pour l'humanité oppressée. Cf. <span class="smcap">Masi</span>: <i>Parruche +e Sanculotti</i>, p. 337. D'après <span class="smcap">Botta</span> (liv. VI, p. 430): +«D'innombrables écrits furent publiés à la louange de Bonaparte bien +plus qu'à la louange de la liberté. Il faut le dire, les Italiens +se répandirent alors en adulations dégoûtantes. Celui-ci l'appelait +Scipion, cet autre Annibal, le républicain Ranza le nommait Jupiter.»</p> + +<p><a id="footnote10" name="footnote10"></a> +<b><a href="#footnotetag10">10</a></b>: Arrêté du 10 mai 1796.</p> + +<p><a id="footnote11" name="footnote11"></a> +<b><a href="#footnotetag11">11</a></b>: La municipalité de Milan comptait seize membres: +Visconti, Caccianini, Serbelloni, Lattuada, Bignami, Corbetta, +Sopransi, Poro, Verri, Pioltini, Sommariva, Sangiorgio, Crespi, +Pelegata, Ciani, Parea.</p> + +<p><a id="footnote12" name="footnote12"></a> +<b><a href="#footnotetag12">12</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 322 (Milan, 24 mai 1796). +Cf. lettre aux municipalités de Milan et de Pavie (Milan, 24 +mai 1796. <i>Corresp.</i>, t. I, p. 323): «Je désire, Messieurs, que +l'Université de Pavie, célèbre à bien des titres, reprenne le cours +de ses études. Faites donc connaître aux savants professeurs et aux +nombreux écoliers de cette Université que je les invite à se rendre +de suite à Pavie, et à me proposer les mesures qu'ils croiront utiles +pour activer et redonner une existence plus brillante à la célèbre +Université de Pavie.»</p> + +<p><a id="footnote13" name="footnote13"></a> +<b><a href="#footnotetag13">13</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 286. Milan, 17 mai 1797.</p> + +<p><a id="footnote14" name="footnote14"></a> +<b><a href="#footnotetag14">14</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 298.</p> + +<p><a id="footnote15" name="footnote15"></a> +<b><a href="#footnotetag15">15</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 300.</p> + +<p><a id="footnote16" name="footnote16"></a> +<b><a href="#footnotetag16">16</a></b>: <i>Correspondances</i> t. I, p. 292. État des objets de +sciences et arts désignés par le général Bonaparte pour être emportés +à Paris.</p> + +<p><a id="footnote17" name="footnote17"></a> +<b><a href="#footnotetag17">17</a></b>: Milan, 21 mai 1796. <i>Corresp.</i>, t. I, p. 312.</p> + +<p><a id="footnote18" name="footnote18"></a> +<b><a href="#footnotetag18">18</a></b>: Peschiera, 1<sup>er</sup> juin 1796. <i>Corresp.</i>, t. I, p. 346.</p> + +<p><a id="footnote19" name="footnote19"></a> +<b><a href="#footnotetag19">19</a></b>: Cf. Lettre au Directoire (8 mai +1796.—<i>Correspondance</i>, t. I, p. 291). «J'ai fait passer à Torlone +pour au moins deux millions de bijoux et d'argent en lingots, +provenant de différentes contributions. Ils attendront là jusqu'à ce +que vous ayez donné des ordres pour leur destination ultérieure.»</p> + +<p><a id="footnote20" name="footnote20"></a> +<b><a href="#footnotetag20">20</a></b>: <span class="smcap">Alfieri</span>, <i>Misogallo</i>, épigramme LXI. +Traduction inédite d'Hugues.</p> + +<p><a id="footnote21" name="footnote21"></a> +<b><a href="#footnotetag21">21</a></b>: Modène, 17 octobre 1796. <i>Corresp.</i>, t. II, p. 58.</p> + +<p><a id="footnote22" name="footnote22"></a> +<b><a href="#footnotetag22">22</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 295. Lettre de Bonaparte à +la municipalité de Milan.</p> + +<p><a id="footnote23" name="footnote23"></a> +<b><a href="#footnotetag23">23</a></b>: <span class="smcap">Rosa</span>. <i>Il sacco di Pavia</i>, +1797.—<span class="smcap">Muoni</span>. <i>Binasco</i>, studi storici, 1864.</p> + +<p><a id="footnote24" name="footnote24"></a> +<b><a href="#footnotetag24">24</a></b>: Ces otages, auxquels on joignit ceux de Pavie, furent +jetés en voiture, avec escorte de cavalerie, conduits à Tortone, puis +à Cuneo, et enfin à Nice. Ils revinrent les uns après les autres, +mais après avoir fait très humblement leur soumission. Voir <span class="smcap">G. de +Castro</span>, ouv. cit., t. I, p. 87-88.—Cf. <i>Correspondance</i>, t. I, +p. 135. Lettre de Bonaparte au général Despinoy.</p> + +<p><a id="footnote25" name="footnote25"></a> +<b><a href="#footnotetag25">25</a></b>: Proclamation aux habitants de la Lombardie, Milan, 25 +mai 1796. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 323.</p> + +<p><a id="footnote26" name="footnote26"></a> +<b><a href="#footnotetag26">26</a></b>: Botta (VII, p. 473) reconnaît pour tant que les soldats +se contentèrent de voler, de violer et de brûler: ils ne tuèrent pas. +«N'oublions pas de dire que, parmi ces violations de la propriété, +ces insultes à la chasteté, le sang du moins ne rougit pas les mains +du vainqueur, sujet bien digne, je ne dirai pas de surprise, mais des +plus grands éloges, puisque le soldat trouvait à la fois impunité et +profit.»</p> + +<p><a id="footnote27" name="footnote27"></a> +<b><a href="#footnotetag27">27</a></b>: Lettre au Directoire, 1<sup>er</sup> juin 1796, +<i>Correspondance</i>, t. II, p. 34.—L'ordre avait été donné de respecter +les bâtiments de l'Université et les maisons des professeurs. Il fut +scrupuleusement exécuté.</p> + +<p><a id="footnote28" name="footnote28"></a> +<b><a href="#footnotetag28">28</a></b>: <span class="smcap">Lanfrey</span>, <i>Histoire de Napoléon 1<sup>er</sup></i>, t. I.</p> + +<p><a id="footnote29" name="footnote29"></a> +<b><a href="#footnotetag29">29</a></b>: Vérone, 9 août 1796. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 533.</p> + +<p><a id="footnote30" name="footnote30"></a> +<b><a href="#footnotetag30">30</a></b>: <span class="smcap">Cusani</span>. <i>Storia di Milano</i>, V, 10.</p> + +<p><a id="footnote31" name="footnote31"></a> +<b><a href="#footnotetag31">31</a></b>: Ordre. Milan, 13 juillet 1797. <i>Correspondance</i>, t. +III, p. 179: «Le général en chef, instruit que la tranquillité +publique a été un moment troublée à Milan, que l'on n'y a pas vu sans +quelque inquiétude des individus vêtus d'<i>habits dits carrés</i>, forme +d'habillement signalée dans l'opinion comme tenant à un parti, défend +à tout individu tenant à l'armée de porter des habits dits carrés, +sous peine d'être arrêté et puni comme perturbateur»</p> + +<p><a id="footnote32" name="footnote32"></a> +<b><a href="#footnotetag32">32</a></b>: Brescia, 30 août 1796. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 573.</p> + +<p><a id="footnote33" name="footnote33"></a> +<b><a href="#footnotetag33">33</a></b>: Milan, 12 octobre, 1796. <i>Correspondance</i>, t. II, p. +50.—Cf. lettre du 2 octobre (t. II, p. 29).</p> + +<p><a id="footnote34" name="footnote34"></a> +<b><a href="#footnotetag34">34</a></b>: en outre, ils se donnaient le genre d'être royalistes +et affichaient leurs espérances réactionnaires. «Les charrois sont +pleins d'émigrés, écrivait Bonaparte. Ils s'appellent Royal-charrois +et portent le collet vert sous mes yeux.» <i>Correspondance</i>, t. II, p. +51.</p> + +<p><a id="footnote35" name="footnote35"></a> +<b><a href="#footnotetag35">35</a></b>: Milan. 1<sup>er</sup> janvier 1797. <i>Correspondance</i>, t. II, +p. 219. Lettre à Berthier: «Je demande que ces trois employés soient +condamnés à la peine de mort, ne devant pas être considérés comme de +simples voleurs, mais comme des hommes qui, tous les jours, atténuent +les moyens de l'armée.»</p> + +<p><a id="footnote36" name="footnote36"></a> +<b><a href="#footnotetag36">36</a></b>: Lettre du 12 octobre 1796 (t. II, p. 51): «Diriez-vous +que l'on cherche à séduire mes secrétaires jusque dans mon +antichambre?»</p> + +<p><a id="footnote37" name="footnote37"></a> +<b><a href="#footnotetag37">37</a></b>: Lettre à Garrau.—Modène, 16 octobre 1796. +<i>Correspondance</i>, t. II, p. 56. «De tous côtés, on réclame contre +la Compagnie Flachat; tous ses agents sont d'un incivisme si marqué +que je suis fondé à croire qu'une grande partie sert d'espions à +l'ennemi.»—Cf. Lettre au Directoire, Forli. 3 février 1797 (t. II, +p. 303): «Vous ne souffrirez pas que ces voleurs de l'année trouvent +leur refuge à Paris ... Si l'on ne trouve pas moyen d'atteindre la +friponnerie manifestement reconnue de ces gens-là, il faut renoncer +au règne de l'ordre, à l'amélioration de nos finances, et à maintenir +une armée aussi considérable en Italie.»</p> + +<p><a id="footnote38" name="footnote38"></a> +<b><a href="#footnotetag38">38</a></b>: Cf. <i>Correspondance</i>, 11 octobre 1796 (t. II, p. +45).—17 octobre 1796 (t. II, p. 59).—11 mai 1797 (t. III, p. 47).</p> + +<p><a id="footnote39" name="footnote39"></a> +<b><a href="#footnotetag39">39</a></b>: Milan, 11 juin 1796. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 387.»</p> + +<p><a id="footnote40" name="footnote40"></a> +<b><a href="#footnotetag40">40</a></b>: Cf. Lettre du 8 octobre 1796 (<i>Correspondance</i>, t. +II, p. 43) adressée à l'administration générale de la Lombardie: +«J'approuve le zèle qui anime le peuple de Lombardie. J'accepte +les braves qui veulent venir avec moi participer à notre gloire +et mériter l'admiration de la postérité; ils seront reçus par les +républicains français comme des frères qu'une même raison arme contre +leur ennemi commun. La liberté de la Lombardie, le bonheur de leurs +compatriotes, seront la récompense de leurs efforts et le fruit de la +victoire.»</p> + +<p><a id="footnote41" name="footnote41"></a> +<b><a href="#footnotetag41">41</a></b>: À l'administration générale de la Lombardie. Lettre +écrite de Gratz, le 12 avril 1797. (<i>Correspondance</i>, t. II, p. 483.)</p> + +<p><a id="footnote42" name="footnote42"></a> +<b><a href="#footnotetag42">42</a></b>: Lettre à Lalande, Milan, 5 décembre 1796 +(<i>Correspondance</i>, t. II, p. 138). Curieuse dissertation sur les +avantages de l'astronomie: «Partager une nuit entre une jolie femme +et un beau ciel, le jour à rapprocher ses observations et ses calculs +me paraît être le bonheur sur la terre.» Voir une autre lettre de +Napoléon à Lalande, directeur de l'Observatoire, qui lui avait +recommandé l'astronome Cagnoli: «Mombello, 10 juin 1797. (<i>Corresp.</i>, +t. III, p. 102): Si le célèbre astronome Cagnoli, ou quelqu'un de +ses collègues, avait été froissé par les événements affligeants qui +se sont passés dans cette ville (Vérone), je les ferais indemniser. +Je saisirai toutes les occasions pour faire quelque chose qui vous +soit agréable, et pour vous convaincre de l'estime et de la haute +considération que j'ai pour vous. Avant de finir, je dois vous +remercier de ce que votre lettre me mettra peut-être à même de +réparer un des maux de la guerre, et de protéger des hommes aussi +estimables que les savants de Vérone.»</p> + +<p><a id="footnote43" name="footnote43"></a> +<b><a href="#footnotetag43">43</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>. <i>Mémoires</i>, t. I, p. 150.</p> + +<p><a id="footnote44" name="footnote44"></a> +<b><a href="#footnotetag44">44</a></b>: C'est d'eux que Bonaparte parlait quand il écrivait +au Directoire (Milan, 20 octobre 1796, t. II, p. 28): «Le peuple +de la Lombardie se prononce chaque jour davantage, mais il est une +classe très considérable qui désirerait, avant de jeter le gant à +l'Empereur, d'y être invitée par une proclamation du gouvernement, +qui fût une espèce de garant de l'intérêt que la France prendra à ce +pays-ci à la paix générale.»</p> + +<p><a id="footnote45" name="footnote45"></a> +<b><a href="#footnotetag45">45</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>. <i>Histoire de Venise</i>. Pièces +justificatives, t. VII, p. 392.</p> + +<p><a id="footnote46" name="footnote46"></a> +<b><a href="#footnotetag46">46</a></b>: <span class="smcap">Botta</span>. Ouv. cit., liv. XII, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote47" name="footnote47"></a> +<b><a href="#footnotetag47">47</a></b>: Bonaparte connaissait parfaitement la situation, si +l'on en juge par cette lettre, par lui adressée au Directoire, le 28 +décembre 1796: «Il y a en ce moment-ci en Lombardie trois partis: +1<sup>o</sup> celui qui se laisse conduire par les Français; 2<sup>o</sup> celui qui +voudrait la liberté et montre même son désir avec quelque impatience; +3<sup>o</sup> le parti ami des Autrichiens et ennemi des Français. Je soutiens +et j'encourage le premier, je contiens le second et je réprime le +troisième.»</p> + +<p><a id="footnote48" name="footnote48"></a> +<b><a href="#footnotetag48">48</a></b>: <span class="smcap">Cante</span>. <i>Histoire des Italiens</i>, liv. XI, p. +67.</p> + +<p><a id="footnote49" name="footnote49"></a> +<b><a href="#footnotetag49">49</a></b>: <i>Nozioni democratiche per uso della scuole +normali.—Pensieri di un republicano sulla pubblica et privata +félicita.—Elementi republicani, par Cavriani.—Dottrina degli +antichi sulla liberta.—Della sovranita del popolo.—Un republicano +che fu nobile agli ex nobili.</i></p> + +<p><a id="footnote50" name="footnote50"></a> +<b><a href="#footnotetag50">50</a></b>: Voir <span class="smcap">B. Giovio</span>. <i>La conversione politica o +lettere ai Francesi. Corresp. 1799</i>, let. XIV.—cf. <span class="smcap">Giovanni de +Castro</span>, ouv. cit., p. 129.</p> + +<p><a id="footnote51" name="footnote51"></a> +<b><a href="#footnotetag51">51</a></b>: <span class="smcap">Beccatini</span>, ouv. cité, I, 23. «Distruggere +tutte le religioni existenti nel nostro piccolo globo, rovesciare +tutti i troni d'Europa.»</p> + +<p><a id="footnote52" name="footnote52"></a> +<b><a href="#footnotetag52">52</a></b>: <i>Correspondance</i>, II, 132 (25 novembre 1796).</p> + +<p><a id="footnote53" name="footnote53"></a> +<b><a href="#footnotetag53">53</a></b>: <span class="smcap">Ernesto Masi</span>. <i>Parruche e sanculotti nel +secolo</i> XVIII. Milan 1886. Voir pages 271-344. Il teatro Giocobino +in Italia.—Cf. <span class="smcap">Paglici-Brozzi</span>: <i>Sul Teatro giacobino e +antigiacobino in Italia,</i> 1796-1805, Milan, 1887.—<span class="smcap">Marcellin +Pellet</span>. <i>Le théâtre de la Cisalpine</i> (Revue politique et +littéraire, 21 avril 1888).</p> + +<p><a id="footnote54" name="footnote54"></a> +<b><a href="#footnotetag54">54</a></b>: Il n'est que juste de reconnaître que les partisans de +l'ancien régime avaient donné le mauvais exemple. En 1791, avait été +représenté à Milan <i>Il Cagliostro</i>, par Natale Boriglio; en 1792, +<i>Voltaire muore come un disperato in Parigi</i> par le même; en 1793, +<i>la Morte di Luigi XVI</i>, par Tommasso de Terni; en 1794, <i>la Morte di +Maria Antonietta d'Austria</i>, par le même, etc.</p> + +<p><a id="footnote55" name="footnote55"></a> +<b><a href="#footnotetag55">55</a></b>: Voici le titre exact de ces rhapsodies, auxquelles +Pindemonte n'hésitait pourtant pas à reconnaître une grande valeur. +Il les appelait «l'eccellente lezione di morale republicana». 1<sup>o</sup> +<i>E meglio una volta che mai, ossia l'aristocratia vinta della +persuasione</i>.—2<sup>o</sup> <i>Il republicano si conosce alle azioni, ossia lo +secolo dei buoni costume</i>.</p> + +<p><a id="footnote56" name="footnote56"></a> +<b><a href="#footnotetag56">56</a></b>: <span class="smcap">Augusto Aglebert.</span> <i>I primi martiri della +liberta italiana.</i> Une complainte fut composée en leur honneur. En +voici deux couplets:</p> + +<div class="poem10"> +<p>O di nostra liberta<br> + Primi martiri ed eroi,<br> + Questo a voi, cantiamo a voi<br> + Inno sacro alla pieta.</p> + +<p>L'innocente vostro sangue<br> + Avia, presto, avia vendetta<br> + E tremonte già l'aspette<br> + La Romana crudeltà.</p> +</div> + +<p><a id="footnote57" name="footnote57"></a> +<b><a href="#footnotetag57">57</a></b>: <i>I tempi dei Legati e dei Pistrucci</i>, acte III, scène +XXIII.—Io, o cielo ... Etieni anche sull Alpi i distruttori dei +tiranni? Avanzateei, o Francesi, e vendicate l'offesa umanita.»</p> + +<p><a id="footnote58" name="footnote58"></a> +<b><a href="#footnotetag58">58</a></b>: <i>Il ballo del Papa, ossio il generale Colli a Roma</i>.</p> + +<p><a id="footnote59" name="footnote59"></a> +<b><a href="#footnotetag59">59</a></b>: <span class="smcap">Giovanni De Castro</span>, ouv. cit., p. 120. Cf. +<span class="smcap">Masi</span>. <i>Parruche e sanculotti</i>, p. 272.</p> + +<p><a id="footnote60" name="footnote60"></a> +<b><a href="#footnotetag60">60</a></b>: <span class="smcap">Fumagalli</span>. <i>L'ultimà messa celebrata nello +chiesa della Rosa</i>, 1851.</p> + +<p><a id="footnote61" name="footnote61"></a> +<b><a href="#footnotetag61">61</a></b>: <span class="smcap">Cusani</span>. <i>Storia di Milano</i>, V, 54.</p> + +<p><a id="footnote62" name="footnote62"></a> +<b><a href="#footnotetag62">62</a></b>: <i>Scapatto al remo e al tiberin capestro</i>.</p> + +<p><a id="footnote63" name="footnote63"></a> +<b><a href="#footnotetag63">63</a></b>: <i>Milano in uniformo republicano, ossia Ribattezamento +delle porte, piazze, contrade, Milan</i>, sans date, cité par <span class="smcap">de +Castro</span>, 129.</p> + +<p><a id="footnote64" name="footnote64"></a> +<b><a href="#footnotetag64">64</a></b>: <span class="smcap">Cusani</span>. <i>Storia di Milano</i>, V, 54.</p> + +<p><a id="footnote65" name="footnote65"></a> +<b><a href="#footnotetag65">65</a></b>: <span class="smcap">Giovanni de Castro</span>, ouv. cit., p. 92.</p> + +<p><a id="footnote66" name="footnote66"></a> +<b><a href="#footnotetag66">66</a></b>: <span class="smcap">Minola</span>, <i>Diario</i> 1796.—<span class="smcap">Cusani</span>, +<i>Storia di Milano</i>, V, 51.</p> + +<p><a id="footnote67" name="footnote67"></a> +<b><a href="#footnotetag67">67</a></b>: <span class="smcap">Giovanni de Castro</span>, ouv. cit., p. 101.</p> + +<p><a id="footnote68" name="footnote68"></a> +<b><a href="#footnotetag68">68</a></b>: <span class="smcap">Minola</span>, <i>Diario 1797</i>.</p> + +<p><a id="footnote69" name="footnote69"></a> +<b><a href="#footnotetag69">69</a></b>: L'œuvre principale de Pertusati se nomme <i>Meneghin</i>, +c'est-à-dire Polichinelle, <i>sott' ai Francesi</i>. M. de Castro en a +donné plusieurs extraits dans son <i>Milano e la Republica cisalpina</i> +(1879). Sur Pertusati on peut encore consulter: <span class="smcap">Cenni</span>, +<i>sulla vita et sugli scritti del conte F. Pertusati</i>. Milan, 1823.</p> + +<p><a id="footnote70" name="footnote70"></a> +<b><a href="#footnotetag70">70</a></b>: Voir dans la <i>Chartreuse de Parme</i>, de Stendhal, le +curieux portrait du comte del Dongo, enfermé dans son château de +Grianta.</p> + +<p><a id="footnote71" name="footnote71"></a> +<b><a href="#footnotetag71">71</a></b>: Curieuse lettre de Bonaparte à Talleyrand, 20 septembre +1797 (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 342): «Que l'on ne s'exagère +pas l'influence des prétendus patriotes Piémontais Cisalpins et +Génois; et que l'on se convainque bien que, si nous retirions d'un +coup de sifflet notre influence morale et militaire, tous ces +prétendus patriotes seraient égorgés par le peuple. Il s'éclaire, il +s'éclairera tous les jours davantage, mais il faut le temps et un +long temps.»</p> + +<p><a id="footnote72" name="footnote72"></a> +<b><a href="#footnotetag72">72</a></b>: Lettre au Congrès d'État de la Lombardie. +(<i>Correspondance</i>, t. II, p. 157.)</p> + +<p><a id="footnote73" name="footnote73"></a> +<b><a href="#footnotetag73">73</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>. <i>Mémoires</i>, t. I, p. 175.</p> + +<p><a id="footnote74" name="footnote74"></a> +<b><a href="#footnotetag74">74</a></b>: Lettre à Talleyrand. Passariano, 10 septembre 1797. +<i>Correspondance</i>, t. III, p. 313.</p> + +<p><a id="footnote75" name="footnote75"></a> +<b><a href="#footnotetag75">75</a></b>: Id. <i>Id.</i></p> + +<p><a id="footnote76" name="footnote76"></a> +<b><a href="#footnotetag76">76</a></b>: Cité par <span class="smcap">Barante</span>. <i>Histoire du Directoire</i>, t. +II, p. 505.</p> + +<p><a id="footnote77" name="footnote77"></a> +<b><a href="#footnotetag77">77</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, 8 mai 1797 +(<i>Corresp.</i>, t. III, p. 30): «Je fais rédiger ici, par quatre comités +différents, toutes les lois militaires, civiles, et administratives +qui doivent accompagner la Constitution. Je ferai pour la première +fois tous les choix, et j'espère que, d'ici à vingt jours, toute la +nouvelle République Italienne sera parfaitement organisée, et pourra +marcher toute seule.»</p> + +<p><a id="footnote78" name="footnote78"></a> +<b><a href="#footnotetag78">78</a></b>: Curieuse lettre de Bonaparte, au Directoire, 8 mai 1797 +(<i>Corresp.</i>, t. III, p. 30): «Mon premier acte a été de rappeler +tous les hommes qui s'étaient éloignés craignant les suites de la +guerre. J'ai engagé l'administration à concilier tous les citoyens et +à détruire toute espèce de haine qui pourrait exister. Je refroidis +les têtes chaudes et j'échauffe les froides. J'espère que le bien +inestimable de la liberté donnera à ce peuple une énergie nouvelle +et le mettra dans le cas d'aider puissamment la République française +dans les guerres futures que nous pourrons avoir.»</p> + +<p><a id="footnote79" name="footnote79"></a> +<b><a href="#footnotetag79">79</a></b>: Proclamation aux Lombards, Mombello, 29 juin 1797. +(<i>Correspondance</i>, t. III, p. 152.)</p> + +<p><a id="footnote80" name="footnote80"></a> +<b><a href="#footnotetag80">80</a></b>: Cf. le très curieux programme d'une fête célébrée plus +tard, le 14 juillet 1797. (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 179.)</p> + +<p><a id="footnote81" name="footnote81"></a> +<b><a href="#footnotetag81">81</a></b>: On composa sur cette cérémonie divers écrits +satiriques: <i>L'imperatore, l'arciduca e il conte di Wilzek (1797). +L'arciduca Ferdinando spectatore incognito alla gran festa della +federazione e dialogo fra lui e Carpanino</i>(1797).—De nombreux +sonnets furent également improvisés. On les conserve à la +bibliothèque Ambrosienne. Cf. <span class="smcap">de Castro</span>, I, 160.</p> + +<p><a id="footnote82" name="footnote82"></a> +<b><a href="#footnotetag82">82</a></b>: Cf. divers ordres de police pour la Cisalpine +(<i>Corresp.</i>, III, 18) contre les étrangers, même les Français, +astreints à se faire inscrire à la police;—contre tous les citoyens +non militaires porteurs de cocarde;—contre les Italiens, non +Cisalpins, qui porteraient indûment les couleurs italiennes, etc.</p> + +<p><a id="footnote83" name="footnote83"></a> +<b><a href="#footnotetag83">83</a></b>: Lettre de Bonaparte aux chefs des trois ligues Grises. +Milan, 11 novembre 1797. <i>Corresp.</i>, t. III, p. 433.</p> + +<p><a id="footnote84" name="footnote84"></a> +<b><a href="#footnotetag84">84</a></b>: Proclamation de Bonaparte. Milan, 14 mai 1797 +(<i>Correspondance</i>, t. III, p. 47). «C'est à vous qu'il appartient +de consolider la liberté de votre pays. C'est le soldat qui fonde +les républiques: c'est le soldat qui les maintient. Sans armée, +sans force, sans discipline, il n'est ni indépendance politique, ni +liberté civile. Quand un peuple entier est armé et veut défendre sa +liberté, il est invincible.» Suit le projet d'organisation des gardes +nationales.</p> + +<p><a id="footnote85" name="footnote85"></a> +<b><a href="#footnotetag85">85</a></b>: Bonaparte ne se faisait pourtant pas illusion sur +son œuvre, si du moins on en juge par cette lettre à Talleyrand +(Passariano, 7 octobre 1797, t. III, p. 370): «Je n'ai point eu, +depuis que je suis en Italie, pour auxiliaire l'amour des peuples +pour la liberté et l'égalité, ou du moins cela a été un auxiliaire +très faible. Mais la bonne discipline de notre armée, le grand +respect que nous avons tous eu pour la religion, que nous avons porté +jusqu'à la cajolerie pour ses ministres; de la justice; surtout une +grande activité et promptitude à réprimer les malintentionnés et à +punir ceux qui se déclaraient contre nous, tel a été le véritable +auxiliaire de l'armée d'Italie. Voilà l'historique. Tout ce qui est +bon à dire dans des proclamations, des discours imprimés sont des +romans.»</p> + +<p><a id="footnote86" name="footnote86"></a> +<b><a href="#footnotetag86">86</a></b>: Proclamation de Bonaparte au peuple Cisalpin. Milan, 11 +novembre 1797. <i>Corresp.</i>, t. III, p. 431.</p> + +<p><a id="footnote87" name="footnote87"></a> +<b><a href="#footnotetag87">87</a></b>: Mémoire servant d'instructions pour le citoyen +Tilly.—Projet d'une diversion imprévue en Italie et en Allemagne. +Ces deux mémoires, conservés aux Archives nationales, ont été +analysés par <span class="smcap">Iung</span>: <i>Bonaparte et son temps</i>, t. I, p. 419.</p> + +<p><a id="footnote88" name="footnote88"></a> +<b><a href="#footnotetag88">88</a></b>: <span class="smcap">Iung</span>, ouv. cit., t. I, p. 416.</p> + +<p><a id="footnote89" name="footnote89"></a> +<b><a href="#footnotetag89">89</a></b>: «Il s'agit de savoir si la République de Gênes veut ou +ne veut point renvoyer de ses États le nommé Tilly et tous les autres +agents ou suppôts de la Convention soi-disant nationale ... et la +remise des propriétés de la France à Gênes ... sinon le blocus aura +lieu, et la destruction du commerce de Gênes sera complète.» Cité par +<span class="smcap">Iung</span>, t. I, 417.</p> + +<p><a id="footnote90" name="footnote90"></a> +<b><a href="#footnotetag90">90</a></b>: C'est sans doute à ce moment et probablement dans les +bureaux de Tilly que fut composée, à Gênes, une chanson contre les +Anglais, dont M. Boccardi, le savant professeur de l'Université de +Gênes, cite le couplet suivant dans ses <i>Imbreviature di Giovanni +Scriba:</i></p> + +<p class="poem10"> + Les Génois avaient dit entre eux:<br> + Les Anglais sont de f... gueux;<br> + Ne dansons désormais<br> + Aucun pas anglais;<br> + Dansons la Carmagnole,<br> + Vive le son, vive le son!<br> + Vive le son du canon!</p> + +<p><a id="footnote91" name="footnote91"></a> +<b><a href="#footnotetag91">91</a></b>: Lettre citée par <span class="smcap">Iung</span>, t. I, 433.</p> + +<p><a id="footnote92" name="footnote92"></a> +<b><a href="#footnotetag92">92</a></b>: Instructions de Ricord à Bonaparte (<span class="smcap">Iung</span>, t. +I, 437).</p> + +<p><a id="footnote93" name="footnote93"></a> +<b><a href="#footnotetag93">93</a></b>: <span class="smcap">Correspondance</span>, I, 110.</p> + +<p><a id="footnote94" name="footnote94"></a> +<b><a href="#footnotetag94">94</a></b>: <i>Id.</i>, 10 avril 1796, I, 120. Cf. lettre du 26 avril +au Directoire (I, 180): «Quant à Gênes, vous serez le maître de +prescrire ce que vous voulez qu'on fasse. Il serait bon, pour +l'exemple, que vous exigiez de ces messieurs quelques millions. Ils +se sont conduits d'une manière horrible à notre égard.»—<i>Id.</i>, 20 +avril, t. II, 207.</p> + +<p><a id="footnote95" name="footnote95"></a> +<b><a href="#footnotetag95">95</a></b>: Ces lettres sont remarquables par le ton de confiance +et d'intimité qui y règne. Voir notamment lettre du 1<sup>er</sup> avril +1797, <i>Correspondance</i>, t. I, p. 120.</p> + +<p><a id="footnote96" name="footnote96"></a> +<b><a href="#footnotetag96">96</a></b>: Deux de ces fiefs repoussèrent toutes les ouvertures +de Girola. Pour les récompenser, Bonaparte leur accorda une sorte +d'immunité. «Il n'y sera frappé aucune réquisition, à moins d'ordres +particuliers. Défense sera faite par le général en chef de l'armée +d'Italie, aux différents employés de la République française, de +donner aucune espèce d'ordre dans ces susdits fiefs.» Tortone, 13 +juin 1796. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 307.</p> + +<p><a id="footnote97" name="footnote97"></a> +<b><a href="#footnotetag97">97</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, le 11 juin 1796. +<i>Corresp.</i>, I, 415. «Les grands chemins de Gênes à Novi ont été +couverts de nos courriers et de nos soldats assassinés. Les +assassins, protégés dans la République, se vantaient publiquement ... +du nombre d'hommes qu'ils avaient assassinés. On espérait que tant de +raisons d'inquiétude ralentiraient notre marche et nous obligeraient +à affaiblir notre corps d'armée.»</p> + +<p><a id="footnote98" name="footnote98"></a> +<b><a href="#footnotetag98">98</a></b>: Voir dans la <i>Correspondance</i> un rapport en date +de Tortone, 13 juin 1796: «Le général en chef porte plainte à la +commission militaire contre le seigneur d'Arquata, M. Augustin +Spinola, comme étant le chef de la rébellion qui a eu lieu à +Arquata, où il a été assassiné plusieurs soldats, déchiré la cocarde +tricolore, pillé les effets de la République, et arboré l'étendard +impérial.... Il demande que la commission militaire le juge +conformément aux lois militaires....»</p> + +<p><a id="footnote99" name="footnote99"></a> +<b><a href="#footnotetag99">99</a></b>: Lettre de Bonaparte à Faypoult (7 juin 1796). +<i>Correspondance</i>, t. I, p. 375: «... Je suis instruit que le ministre +de l'Empereur à Gênes excite les paysans à la révolte et leur fait +passer de la poudre et de l'argent. Si cela est, mon intention est de +le faire arrêter dans Gênes même.»</p> + +<p><a id="footnote100" name="footnote100"></a> +<b><a href="#footnotetag100">100</a></b>: Ordre du jour du 11 juin 1790. <i>Corresp.</i>, I, 101. +On peut rapprocher du cet ordre du jour la lettre du 16 juin +(<i>Correspondance</i>, I, 410) adressée au gouverneur de Novi: «Vous +donnez refuge aux brigands, les assassins sont protégés sur votre +territoire; il y en a aujourd'hui dans tous les villages. Je vous +requiers de faire arrêter tous les habitants des fiefs impériaux qui +se trouvent aujourd'hui sur votre territoire. Vous me répondrez de +l'exécution de la présente réquisition. Je ferai brûler les villes et +les maisons qui donneront refuge aux assassins ou ne les arrêteront +pas.»</p> + +<p><a id="footnote101" name="footnote101"></a> +<b><a href="#footnotetag101">101</a></b>: <i>Correspondance</i>, 16 juin 1796, I, 405.</p> + +<p><a id="footnote102" name="footnote102"></a> +<b><a href="#footnotetag102">102</a></b>: <i>Correspondance</i> t. I, p. 453. Roverbella, 5 Juillet +1796: «Si la République de Gênes continue de se conduire comme elle +aurait dû ne jamais cesser de le faire, elle évitera les malheurs +qui sont prêts à tomber sur elle. Il nous faut quinze millions +d'indemnité pour les bâtiments que, depuis cinq ans, elle laisse +prendre sur sa côte... Mes troupes sont en marche. Avant cinq jours +j'aurai 18,000 hommes sous Gênes.»</p> + +<p><a id="footnote103" name="footnote103"></a> +<b><a href="#footnotetag103">103</a></b>: Voir <i>Correspondance</i> de Bonaparte, II, 33 (2 octobre +1796): «Il est une autre négociation qui devient indispensable: +c'est un traité d'alliance avec Gênes.» <i>Id.</i>, II, 42—(8 octobre): +«Environné de peuples qui fermentent, la prudence veut qu'on se +concilie celui de Gênes jusqu'à nouvel ordre.»—<i>Id.</i>, II, 46—(11 +octobre): «Je reviens à mon principe en vous engageant à traiter +avant un mois avec Gênes.»</p> + +<p><a id="footnote104" name="footnote104"></a> +<b><a href="#footnotetag104">104</a></b>: Curieuse lettre du 15 juin 1796, adressée par +Bonaparte à Faypoult: «Nous avons établi beaucoup de batteries sur +la rivière de Gênes. Il en faudrait vendre aujourd'hui les canons et +les munitions aux Génois, afin de ne pas avoir à les garder, et de +pouvoir cependant les trouver en cas de besoin.» Est-il possible de +traiter avec plus de désinvolture un gouvernement étranger!</p> + +<p><a id="footnote105" name="footnote105"></a> +<b><a href="#footnotetag105">105</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 421. Consulter, à propos de +ces ménagements calculés, le très intéressant article de M. Ludovic +Sciout: <i>la République française et la République de Gênes</i>.(Revue +des Questions Historiques, janvier 1880.)</p> + +<p><a id="footnote106" name="footnote106"></a> +<b><a href="#footnotetag106">106</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 472.</p> + +<p><a id="footnote107" name="footnote107"></a> +<b><a href="#footnotetag107">107</a></b>: Malgré ces protestations intéressées, Bonaparte avait +déjà sa résolution arrêtée au sujet de Gênes. Voici, en effet, ce +qu'il écrivait à Faypoult, dès le 20 juillet 1796, au sujet d'un +incident vulgaire, d'une bataille des rues (<i>Correspondance</i>, t. I, +p. 487): «Je suis aussi indigné qu'il est possible de la conduite +insolente et ridicule de la populace de Gênes. Je ne m'attendais +certes pas à un événement aussi extravagant; cela hâtera le +moment.... Au reste, peut-être n'est-il pas mauvais que ces gens-là +se donnent des torts: ils les paieront tous à la fois.»</p> + +<p><a id="footnote108" name="footnote108"></a> +<b><a href="#footnotetag108">108</a></b>: <i>Correspondance</i>, Lettre à Faypoult, du 11 juillet +1796 (t. I, p. 472): «Faites passer promptement à Tortone tout ce qui +se trouve chez M. Balbi. L'intention du Directoire est de réunir tout +à Paris pour faire une grande opération financière. J'y ferai passer +trente millions.» Cf. lettres du 22 juin 1796 (t. I, p. 421).—Du 17 +juin 1796, au général Meynier (t. I, p. 412).</p> + +<p><a id="footnote109" name="footnote109"></a> +<b><a href="#footnotetag109">109</a></b>: <i>Correspondance</i>, Milan, 21 mai 1796. I, 310. <i>Id.</i>, +I, 311.—<i>Id.</i></p> + +<p><a id="footnote110" name="footnote110"></a> +<b><a href="#footnotetag110">110</a></b>: <i>Correspondance</i>. Lettre du 6 juillet 1796, datée de +Roverbella: «Je pense, comme le ministre Faypoult, qu'il faudrait +chasser de Gênes une vingtaine de familles qui, par la constitution +même du pays, n'ont pas le droit d'y être, vu qu'elles sont +feudataires de l'Empereur ou du roi de Naples; obliger le Sénat à +rapporter le décret qui bannit de Gênes huit ou dix familles nobles; +ce sont celles qui sont attachées à la France et qui ont, il y a +trois ans, empêché la République de Gênes de se coaliser. Par ce +moyen-là, le gouvernement de Gênes serait composé de nos amis, et +nous pourrions d'autant plus y compter que les nouvelles familles +bannies se retireraient chez les coalisés, et dès lors les nouveaux +gouvernants de Gênes les craindraient comme nous craignons chez nous +le retour des émigrés.»</p> + +<p><a id="footnote111" name="footnote111"></a> +<b><a href="#footnotetag111">111</a></b>: <span class="smcap">Marcellin Pellet.</span> La Révolution de Gênes en +1797.—Cf. <span class="smcap">Ach. Neri.</span> <i>Un giornalista della rivoluzione +genovese (Illustrazione Italiana, fév. 1887</i>).—<span class="smcap">Belgrano</span>, +<i>Imbreviature di Giovanni Scriba</i> (1882).</p> + +<p><a id="footnote112" name="footnote112"></a> +<b><a href="#footnotetag112">112</a></b>: Lettre citée par <span class="smcap">Botta</span>, t. II, p. 451.</p> + +<p><a id="footnote113" name="footnote113"></a> +<b><a href="#footnotetag113">113</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 75. Mombello, 27 mai +1797: «Les puissances de l'Italie se joueront-elles donc toujours de +notre sang? Je vous requiers, si, vingt-quatre heures après que mon +aide de camp aura lu la présente lettre au Doge, les conditions n'en +sont pas remplies dans tous ses détails, de sortir sur-le-champ de +Gênes et de vous rendre à Tortone. Je crois qu'il est nécessaire de +prévenir les Français établis à Gênes, qui auraient des craintes, +qu'ils cherchent à se mettre en sûreté. Puisque l'aristocratie +veut nous faire la guerre, il vaut mieux qu'elle se déclare +actuellement que dans toute autre circonstance. Elle ne vivra pas dix +jours.»—Cf. nouvelle lettre à Faypoult, du 29 mai 1797 (<i>Corresp.</i>, +III, 80).—Cf. la lettre écrite au Directoire, de Mombello, le 30 +mai 1797, pour le mettre au courant de l'émeute du 21-23 mai, et +lui annoncer une sévère répression, T. III, p. 81: «Les petites +puissances d'Italie sont accoutumées depuis sept ans à vilipender les +Français, à les laisser assassiner dans les rues et à n'avoir pour +eux aucune espèce de considération ni de justice. Ce ne sera que par +des exemples sévères, que par une attention soutenue du Gouvernement +français pour faire punir les hommes qui, dans les différents États, +prêchent la populace contre nous, que l'on parviendra à revêtir les +citoyens français des mêmes égards que l'on a eus pour les sujets des +autres puissances.» <span class="smcap">Lavalette</span>. <i>Mémoires</i>.</p> + +<p><a id="footnote114" name="footnote114"></a> +<b><a href="#footnotetag114">114</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 75, Mombello, 27 mai +1797.—Cf. t. III, p. 84, Lettre du 1<sup>er</sup> juin 1797, adressée au +Directoire pour lui annoncer qu'il va «faire peur» au Gouvernement +génois, et lettre du 3 juin (t. III, p. 90) où il rend compte de la +mission de Lavalette.</p> + +<p><a id="footnote115" name="footnote115"></a> +<b><a href="#footnotetag115">115</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, Mombello, 1<sup>er</sup> +Juin 1797 (<i>Corresp.</i>, t. III, p. 81) «Aujourd'hui arrivent à Tortone +3 à 4,000 hommes que j'y ai envoyés. Je les ferai soutenir au besoin +par les 8,000 Piémontais qui sont à Novare, comme nous en sommes +convenus avec l'envoyé du roi de Sardaigne.»</p> + +<p><a id="footnote116" name="footnote116"></a> +<b><a href="#footnotetag116">116</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, Mombello, 3 juin +1797 (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 90): «Mon aide de camp Lavalette a +trouvé le peuple de Gênes extrêmement divisé. Les charbonniers et les +portefaix ameutés, payés et armés par le Sénat, paraissent animés au +dernier point contre les Français; le reste du peuple, spécialement +les négociants et les marchands, extrêmement bien disposés pour la +République Française, dont ils espèrent quelques modifications dans +leur gouvernement.»</p> + +<p><a id="footnote117" name="footnote117"></a> +<b><a href="#footnotetag117">117</a></b>: Les conditions en sont énumérées dans la +<i>Correspondance</i>, t. III, p. 94.</p> + +<p><a id="footnote118" name="footnote118"></a> +<b><a href="#footnotetag118">118</a></b>: Lettre du 7 juin 1797 adressée au Doge, pour l'avertir +que la convention est signée et lui communiquer la liste du +gouvernement provisoire de vingt-deux membres (<i>Correspondance</i>, t. +III, p. 109). Même date, lettre à Faypoult (III, 102).</p> + +<p><a id="footnote119" name="footnote119"></a> +<b><a href="#footnotetag119">119</a></b>: Voir la relation adressée par un certain Poggi, dans +le style emphatique de l'époque, à la Société d'instruction populaire +de Milan: «Le peuple entier nageait dans les douceurs réservées +aux purs républicains, si l'on en excepte le brutal oligarque qui, +accroupi dans un coin secret, mordait peut-être la poussière restée +veuve de son or fatal, semé mal à propos. Tout à coup la voix sonore +de la Renommée annonce que, dans le quartier du Pré, le peuple dans +l'ivresse a planté le premier arbre de liberté. Ce fut une voix +créatrice. Dans un instant on vit des arbres se dresser sur chaque +place. Gênes parut un bois, car plus de cent furent plantés dans un +jour.» Ce morceau ridicule est cité par <span class="smcap">Cantu</span>: <i>Histoire des +Italiens</i>, t. XI, p. 98.</p> + +<p><a id="footnote120" name="footnote120"></a> +<b><a href="#footnotetag120">120</a></b>: Poggi, cité par Cantu (<i>ut supra</i>, p. 69), raconte +ainsi, dans son absurde phraséologie, cette cérémonie d'expiation: +«Les cendres furent livrées au vent, qui les emporta sur la mer +Tyrrhénienne pour les confondre avec celles du livre d'or naguère +brûlé sur les lagunes Adriatiques, et là, sur les ailes d'autres +vents, elles furent transportées au gouffre profond de l'Achéron!»</p> + +<p><a id="footnote121" name="footnote121"></a> +<b><a href="#footnotetag121">121</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 134, Mombello, 10 juin +1797. Au gouvernement provisoire de Gênes.—Cf. <i>Giornale Ligustico</i>, +an <span class="smcap">XIV</span>, fas. 3-4 1887. A. N. <i>La statue et une médaille +d'André Doria</i>.</p> + +<p><a id="footnote122" name="footnote122"></a> +<b><a href="#footnotetag122">122</a></b>: Cf. La curieuse lettre du 10 juin 1797, adressée au +gouvernement provisoire, et renfermant, avec un appel à la concorde, +des conseils de modération et de prudence (t. III, p. 131).</p> + +<p><a id="footnote123" name="footnote123"></a> +<b><a href="#footnotetag123">123</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 270. 9 septembre 1797.</p> + +<p><a id="footnote124" name="footnote124"></a> +<b><a href="#footnotetag124">124</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 227.</p> + +<p><a id="footnote125" name="footnote125"></a> +<b><a href="#footnotetag125">125</a></b>: Lettre de Bonaparte à Faypoult, datée de Mombello, +27 juin 1797 (t. III, p. 152), à propos de la réunion des fiefs +impériaux. L'article 11 du traité secret de Campo-Formio confirme +l'annexion des fiefs impériaux: «Sa Majesté l'Empereur ne s'oppose +pas à ce que la République française a fait des fiefs impériaux +en faveur de la République Ligurienne. Sa Majesté réunira ses +bons offices à ceux de la République française pour que l'Empire +germanique renonce aux droits de suzeraineté qu'il pourrait avoir en +Italie, et spécialement sur les pays qui font partie des Républiques +Cisalpine et Ligurienne, ainsi que sur les fiefs impériaux.»</p> + +<p><a id="footnote126" name="footnote126"></a> +<b><a href="#footnotetag126">126</a></b>: Duphot était à Gênes depuis le 12 août. Voir lettres +de Bonaparte à Faypoult (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 232) et à +Berthier (III, 231).</p> + +<p><a id="footnote127" name="footnote127"></a> +<b><a href="#footnotetag127">127</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 276.—Passariano, 9 +septembre 1797.—Cf. Lettre à Faypoult, du 10 septembre (t. III, +p. 281) pour se plaindre de la faiblesse du gouvernement provisoire +génois, et demander l'envoi d'otages à Milan.—Lettre au gouvernement +de Gênes (10 sept.).—<i>Corresp.</i>, III, p. 285: «Agissez avec force; +faites désarmer les villages rebelles; faites arrêter les principaux +coupables; faites remplacer les mauvais prêtres, chassez les curés, +ces scélérats qui ont ameuté le peuple et armé le bon paysan contre +sa propre cause, etc.»</p> + +<p><a id="footnote128" name="footnote128"></a> +<b><a href="#footnotetag128">128</a></b>: Voir, dans la <i>Correspondance</i> (t. III, p. 284. +Passariano, 10 septembre 1797), la curieuse lettre adressée par +Bonaparte à l'archevêque de Gênes, pour le remercier d'une pastorale +pacifique: «J'ai cru entendre un des douze apôtres. C'est ainsi que +parlait saint Paul. Que la religion est respectable lorsqu'elle a des +ministres comme vous! Véritable apôtre de l'Évangile, vous inspirez +le respect, vous obligez vos ennemis à vous estimer et à vous +admirer; vous convertissez même l'incrédule. Pourquoi faut-il qu'une +Église qui a un chef comme vous ait de misérables subalternes qui ne +sont pas animés par l'esprit de charité, de paix?» et les conseils +de modération qu'il adressa quelques jours plus tard (Passariano, 6 +octobre, t. III, p. 366) au gouvernement provisoire.</p> + +<p><a id="footnote129" name="footnote129"></a> +<b><a href="#footnotetag129">129</a></b>: Lettre de Bonaparte au président du gouvernement +provisoire, 6 octobre 1797. <i>Correspondance</i>, III, 366.—Cf. lettre +du 26 septembre (<i>Corresp.</i>, III, 344) au comité des relations +extérieures de la République Ligurienne: «Étouffez tous les ferments +de haine qui commencent à diviser votre gouvernement. Prenez garde de +vous désunir. La liberté a déjà assez d'ennemis dans votre pays, sans +en accroître le nombre par une défiance mal placée....»</p> + +<p><a id="footnote130" name="footnote130"></a> +<b><a href="#footnotetag130">130</a></b>: Lettre du 11 novembre 1797. <i>Corresp.</i>, t. III, p. +420.</p> + +<p><a id="footnote131" name="footnote131"></a> +<b><a href="#footnotetag131">131</a></b>: Consulter <span class="smcap">Daru</span>, <i>Histoire de Venise</i>, +édition 1819, t. V, et surtout t. VII, avec les pièces +justificatives;—<span class="smcap">Napoléon</span> I<sup>er</sup>, <i>Correspondance</i>, t. I, +II, III;—<span class="smcap">Tintori</span>, <i>Raccolta chronologica raggionata di +documenti inediti che formano la storia diplomatica della rivoluzione +e caduta della Republica di Venezia</i>; —<span class="smcap">Cantu</span>, <i>Histoire +des Italiens</i>, trad. Lacombe, t. XI;—<span class="smcap">Barral</span>, <i>Chute d'une +république, Venise</i>, 1885;—<span class="smcap">Sybel</span>, <i>l'Europe pendant la +révolution</i>, trad. Dosquet, t. IV;—<span class="smcap">Botta</span>, <i>Histoire +d'Italie de 1789 à 1814</i>, t. I, II, III.</p> + +<p><a id="footnote132" name="footnote132"></a> +<b><a href="#footnotetag132">132</a></b>: Rapport des agents français au Directoire en 1796 et +1797. Cf. <span class="smcap">Sybel</span>, <i>Histoire de l'Europe pendant la révolution +française</i>, t. IV, p. 190.</p> + +<p><a id="footnote133" name="footnote133"></a> +<b><a href="#footnotetag133">133</a></b>: <span class="smcap">Sybel</span>, <i>Europe pendant la révolution +française</i>, t. IV, p. 191.</p> + +<p><a id="footnote134" name="footnote134"></a> +<b><a href="#footnotetag134">134</a></b>: <span class="smcap">Botta</span>, ouv. cit., liv. IV, p. 248.</p> + +<p><a id="footnote135" name="footnote135"></a> +<b><a href="#footnotetag135">135</a></b>: Le chevalier Worsley, résident d'Angleterre à Venise, +n'avait pas cessé de prêcher l'intervention directe. Toutes les fois +qu'un courrier ou qu'un ambassadeur français passait par Venise pour +se rendre en Orient, il protestait. Il aurait voulu entraîner tout de +suite la République dans la coalition contre la France.</p> + +<p><a id="footnote136" name="footnote136"></a> +<b><a href="#footnotetag136">136</a></b>: Le comte de Lille pourtant n'avait pas fait acte +de souverain. Il vivait très retiré dans une maison de campagne +appartenant au comte Gazzola. Il avait même poussé le scrupule +jusqu'à ne pas faire imprimer à Vérone, ni dater de cette ville, le +manifeste qu'il adressa aux Français, lors de son avènement.</p> + +<p><a id="footnote137" name="footnote137"></a> +<b><a href="#footnotetag137">137</a></b>: C'est à ce moment que la Russie, mécontente de cette +expulsion, et dans l'espoir de susciter de nouvelles difficultés, +attacha à son ambassade à Venise la principal agitateur de +l'émigration française, le comte d'Antraigues.</p> + +<p><a id="footnote138" name="footnote138"></a> +<b><a href="#footnotetag138">138</a></b>: D'après <span class="smcap">Botta</span> (liv. VI, p. 445): «Le +Directoire ne désirait-il pas à cet égard un refus plutôt qu'un +consentement? Je le croirais volontiers, si je ne savais d'ailleurs +que la docilité même de Venise n'eût pas assuré son salut.»</p> + +<p><a id="footnote139" name="footnote139"></a> +<b><a href="#footnotetag139">139</a></b>: Proclamation de Brescia, 29 mai 1796. +<i>Correspondance</i>, t. I, p. 332.</p> + +<p><a id="footnote140" name="footnote140"></a> +<b><a href="#footnotetag140">140</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. I, p. 311. Lettre à Masséna.</p> + +<p><a id="footnote141" name="footnote141"></a> +<b><a href="#footnotetag141">141</a></b>: Lettres de Foscarini du 31 mai et du 1<sup>er</sup> juin 1796, +citée? par <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 214.</p> + +<p><a id="footnote142" name="footnote142"></a> +<b><a href="#footnotetag142">142</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, Peschiera, 1<sup>er</sup> +juin 1796 (<i>Correspondance</i>, t. I, p. 346): «Je me suis fort brouillé +avec M. le provéditeur général sur ce que la République a laissé +occuper par les Impériaux Peschiera, qui est une place forte, mais, +grâce à la victoire de Borghetto, nous nous en sommes emparés, et je +vous écris aujourd'hui de cette ville.»</p> + +<p><a id="footnote143" name="footnote143"></a> +<b><a href="#footnotetag143">143</a></b>: <span class="smcap">Botta</span>, liv. VII, p. 19.</p> + +<p><a id="footnote144" name="footnote144"></a> +<b><a href="#footnotetag144">144</a></b>: Id., Vérone, 3 juin (<i>Correspondance</i>, t. I, p. +359): «Je n'ai pas caché aux habitants que, si le roi de France +n'eût évacué la ville avant mon passage du Pô, j'aurais mis le feu +à une ville assez audacieuse pour se croire la capitale de l'Empire +français.»</p> + +<p><a id="footnote145" name="footnote145"></a> +<b><a href="#footnotetag145">145</a></b>: Dès le 2 juillet le doge écrivait à Querini à +Paris pour se plaindre de la brutalité de nos soldats, de leurs +réquisitions incessantes et surtout «della continua dilatazione di +truppe in nuovi puncti delo stato nostro».</p> + +<p><a id="footnote146" name="footnote146"></a> +<b><a href="#footnotetag146">146</a></b>: Rapport du podestat Ottolini (15 juin 1796).</p> + +<p><a id="footnote147" name="footnote147"></a> +<b><a href="#footnotetag147">147</a></b>: Cité par <span class="smcap">Daru</span>, V, 222.</p> + +<p><a id="footnote148" name="footnote148"></a> +<b><a href="#footnotetag148">148</a></b>: Lettre d'Augereau à Bonaparte (Vérone, 31 août 1796), +citée par <span class="smcap">Daru</span>, VII, p. 260.</p> + +<p><a id="footnote149" name="footnote149"></a> +<b><a href="#footnotetag149">149</a></b>: Dépêche citée par la <i>Raccolta chronologica</i>, etc, +«Dans l'impossibilité de déterminer toutes les circonstances et +de donner cours dès à présent à une chose si délicate, nous nous +bornons à vous charger de manifester aux députés des divers cantons +l'approbation du Sénat et la nôtre. Ils en verront un témoignage dans +le soin qu'on a pris de leur envoyer le sergent général Noveller, +homme de beaucoup d'expérience, qui, de vive voix, fera part à +Votre Seigneurie de ses instructions... Il faut surtout éviter tout +mouvement prématuré qui serait dangereux, et peut-être même fatal.»</p> + +<p><a id="footnote150" name="footnote150"></a> +<b><a href="#footnotetag150">150</a></b>: Ils se nommaient Battaglia et Erizzo. Le rapport des +deux envoyés, daté de Vérone le 5 juin 1796, a été inséré dans le +<i>Raccolta chronologica</i>. Il est conforme à la dépêche adressée par +Bonaparte au Directoire le 7 juin.</p> + +<p><a id="footnote151" name="footnote151"></a> +<b><a href="#footnotetag151">151</a></b>: Milan, 7 juin 1796 (<i>Correspondance</i>, t. I, p. +372). Cf. dépêche de Roverbella (4 juin) adressée à Lallement +(<i>Correspondance</i>, t. I, p. 362): «Il ne faut pas cependant nous +brouiller avec une république, dont l'alliance nous est utile.»</p> + +<p><a id="footnote152" name="footnote152"></a> +<b><a href="#footnotetag152">152</a></b>: Dépêche du Directoire à Bonaparte, <span class="smcap">Daru</span>, VII, +253.</p> + +<p><a id="footnote153" name="footnote153"></a> +<b><a href="#footnotetag153">153</a></b>: <i>Correspondance</i>, t I, p. 362.</p> + +<p><a id="footnote154" name="footnote154"></a> +<b><a href="#footnotetag154">154</a></b>: <i>Id.</i>, p. 255.</p> + +<p><a id="footnote155" name="footnote155"></a> +<b><a href="#footnotetag155">155</a></b>: <i>Id.</i>, p. 256.</p> + +<p><a id="footnote156" name="footnote156"></a> +<b><a href="#footnotetag156">156</a></b>: Dépêche du 1<sup>er</sup> août (<span class="smcap">Daru</span>, VII, 259). «Le +Directoire vous autorise à prendre toutes les mesures que vous vous +êtes proposées, en attendant que les événements militaires, dont nous +attendons l'heureuse issue, déterminent, d'une manière positive, +notre conduite à l'égard de cette puissance.»</p> + +<p><a id="footnote157" name="footnote157"></a> +<b><a href="#footnotetag157">157</a></b>: Roverbella, 7 juillet 1796, (<i>Correspondance</i>, t. I, +p. 472): «Je reçois plusieurs rapports des assassinats qui ont été +commis par les habitants de Ponte San Marco contre les Français. Je +ne doute pas que vous n'y mettiez ordre le plus tôt possible; sans +quoi ces villages se trouveraient exposés au juste ressentiment +de l'armée et je ferai sur eux un exemple terrible. Je me flatte +que vous ferez arrêter les coupables, et que vous placerez de +nouveaux détachements de troupes dans cette ville pour assurer la +communication.»</p> + +<p><a id="footnote158" name="footnote158"></a> +<b><a href="#footnotetag158">158</a></b>: Vérone, 8 juillet, (<i>Correspondance</i>, t. I, p. 463). +«Il y a entre les troupes françaises et les Esclavons une animosité +que les malveillants se plaisent sans doute à cimenter. Il est +indispensable, pour éviter de plus grands malheurs, aussi fâcheux +que contraires aux intérêts des deux Républiques, que vous fassiez +sortir demain de Vérone, sous les prétextes les plus spécieux, les +bataillons d'Esclavons que vous avez dans cette ville.»</p> + +<p><a id="footnote159" name="footnote159"></a> +<b><a href="#footnotetag159">159</a></b>: Castiglione, 21 juillet (<i>Correspondance</i>, t. I, p. +489). Cette question des hôpitaux de Brescia préoccupait Bonaparte. +Voir lettres du 28 juillet au provéditeur (<i>Corresp.</i>, t. I, p. 499), +du 12 août (I, 538), aux représentants de la ville de Brescia, et +du 12 août (I, 538) au provéditeur, où il impose des réquisitions +et finit par dire: «Il est indispensable que ces fournitures soient +faites dans la journée. À défaut de quoi je taxerai la contribution +de la ville de Brescia à trois millions, et je serai obligé de faire +prendre moi-même ce que vous ne fournirez pas.»</p> + +<p><a id="footnote160" name="footnote160"></a> +<b><a href="#footnotetag160">160</a></b>: Lettre au provéditeur Foscarini, 9 juillet +(<i>Correspondance</i>, t. I, p. 465).</p> + +<p><a id="footnote161" name="footnote161"></a> +<b><a href="#footnotetag161">161</a></b>: Ordre au général Guillaume, Brescia, 30 août +(<i>Correspondance</i>, t. I. p. 577), «de ramasser dans le lac tous les +bâtiments appartenant aux Vénétiens, afin de pouvoir embarquer 3,500 +hommes».</p> + +<p><a id="footnote162" name="footnote162"></a> +<b><a href="#footnotetag162">162</a></b>: Lettre au gouverneur de Vérone, 8 août +(<i>Correspondance</i>, t. I, p. 532).</p> + +<p>Ordre du 13 juillet, à l'adjudant Général Vial (<i>Correspondance</i>, t. +I, 473). Cf. lettre curieuse d'Ottolini au doge à propos de cette +saisie. Il compare Bonaparte à Cromwell et à Robespierre, et parle +avec indignation de ses soldats, <i>questi moderni vandali</i>.</p> + +<p><a id="footnote163" name="footnote163"></a> +<b><a href="#footnotetag163">163</a></b>: Vérone, 12 juillet. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 413.</p> + +<p><a id="footnote164" name="footnote164"></a> +<b><a href="#footnotetag164">164</a></b>: Castiglione, 20 juillet. Id., t. I, p. 482. Les termes +de cette lettre étaient peut-être exagérés, mais le fond était vrai. +Voici comment le général Augereau rendait compte à Bonaparte des +véritables sentiments qui animaient alors contre nous la majorité des +Vénitiens: «Je m'aperçois et je suis même certain que les Vénitiens, +bien loin du vouloir observer la neutralité à notre égard, préparent +et fomentent sourdement des actes d'hostilité contre nous. Je ne puis +en douter, puisque les hostilités commencent déjà.»</p> + +<p><a id="footnote165" name="footnote165"></a> +<b><a href="#footnotetag165">165</a></b>: Milan, 20 août. <i>Correspondance</i>, t. I, p. 567.</p> + +<p><a id="footnote166" name="footnote166"></a> +<b><a href="#footnotetag166">166</a></b>: Note citée par <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 227. Cf. +<span class="smcap">Sybel</span>, ouv. cit., t. IV, p. 192.</p> + +<p><a id="footnote167" name="footnote167"></a> +<b><a href="#footnotetag167">167</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, VII, p. 258.</p> + +<p><a id="footnote168" name="footnote168"></a> +<b><a href="#footnotetag168">168</a></b>: Lettre de Lallement à Bonaparte, du 20 juillet 1796.</p> + +<p><a id="footnote169" name="footnote169"></a> +<b><a href="#footnotetag169">169</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, V, p. 246.</p> + +<p><a id="footnote170" name="footnote170"></a> +<b><a href="#footnotetag170">170</a></b>: <span class="smcap">Barral</span>, ouv. cit. «Che non dovera dargli +alcun ombra se il paviglione francese fu piantato sulle mure délia +Veneta citta.»</p> + +<p><a id="footnote171" name="footnote171"></a> +<b><a href="#footnotetag171">171</a></b>: Ce fut à ce moment que la Prusse, par l'intermédiaire +de son représentant à Paris, baron de Sandoz-Rollin, offrit son +alliance à Venise. Cette proposition était intéressée. La Prusse +cherchait à contre-balancer l'influence autrichienne et à prendre +pied en Italie; mais l'alliance prussienne aurait sans doute sauvé +Venise. Le Sénat, toujours par égard pour la neutralité, eu grand +tort de la rejeter.</p> + +<p><a id="footnote172" name="footnote172"></a> +<b><a href="#footnotetag172">172</a></b>: Milan, 8 décembre 1796. <i>Correspondance</i>, t. II, p. +149. Cf. lettre analogue, du 10 décembre (t. II, p. 156), adressée +au même Battaglia: «Je vous demande seulement que vous vouliez bien +engager les gouverneurs qui sont sous vos ordres, lorsqu'ils auront +des plaintes à me faire, qu'ils m'indiquent simplement ce qu'ils +voudraient que l'on fît, sans le noyer dans un tas de fables.»</p> + +<p><a id="footnote173" name="footnote173"></a> +<b><a href="#footnotetag173">173</a></b>: Confirmation de ce renseignement dans une lettre de +Bonaparte au Directoire. Milan, 6 décembre 1796 (<i>Correspondance</i>, t. +II, p. 141).</p> + +<p><a id="footnote174" name="footnote174"></a> +<b><a href="#footnotetag174">174</a></b>: Milan, 2 octobre 1796.</p> + +<p><a id="footnote175" name="footnote175"></a> +<b><a href="#footnotetag175">175</a></b>: Lettre au Directoire, Milan, 28 décembre (<i>Corresp.</i>, +t. II, p. 204): «Les Vénitiens ayant accablé de soins l'armée du +général Allvintzy, j'ai cru devoir prendre une nouvelle précaution en +m'emparant du château de Bergame, qui domine la ville de ce nom et +empêcherait les partisans ennemis de venir gêner notre communication +entre l'Adda et l'Adige.»</p> + +<p><a id="footnote176" name="footnote176"></a> +<b><a href="#footnotetag176">176</a></b>: Lettre à Battaglia, du 1<sup>er</sup> janvier 1797 (t. II, p. +221).</p> + +<p><a id="footnote177" name="footnote177"></a> +<b><a href="#footnotetag177">177</a></b>: Même lettre: «Engagez le provéditeur à être un peu +plus modeste, plus réservé et un peu moins fanfaron, lorsque les +troupes françaises sont éloignées de lui. Engagez-le à être un peu +moins pusillanime, à se laisser un peu moins dominer par la peur à +la vue du premier peloton français.» Par contre, grands éloges à +l'évêque de Bergame.</p> + +<p><a id="footnote178" name="footnote178"></a> +<b><a href="#footnotetag178">178</a></b>: Lettre à Battaglia, Vérone, 26 janvier 1797 +(<i>Correspondance</i>, t. II, p. 281).</p> + +<p><a id="footnote179" name="footnote179"></a> +<b><a href="#footnotetag179">179</a></b>: Mantoue, 6 mars (<i>Corresp.</i>, t. II, p. 367). Cf. +lettre du 24 mars (t. II, p. 415). Bonaparte, qui est alors engagé +dans les défilés de l'Allemagne, ne cherche qu'à gagner du temps, et +il le dit expressément.</p> + +<p><a id="footnote180" name="footnote180"></a> +<b><a href="#footnotetag180">180</a></b>: Bassano, 10 mars 1797 (<i>Corresp.</i>, t. II, p. 373).</p> + +<p><a id="footnote181" name="footnote181"></a> +<b><a href="#footnotetag181">181</a></b>: Goritz, 21 mars 1797 (<i>Corresp.</i>, t. II, p. 406).</p> + +<p><a id="footnote182" name="footnote182"></a> +<b><a href="#footnotetag182">182</a></b>: Lettre de Goritz, 21 mais 1797 (<i>Corresp.</i>, t. II, p. +415): «Le grand point dans tout ceci est de gagner du temps.»</p> + +<p><a id="footnote183" name="footnote183"></a> +<b><a href="#footnotetag183">183</a></b>: Lettre citée par <span class="smcap">Daru</span>, t. VII, p. 267.</p> + +<p><a id="footnote184" name="footnote184"></a> +<b><a href="#footnotetag184">184</a></b>: Voir le rapport d'un émissaire, Stephani, envoyé à +Milan par Ottolini (10 mars 1797).</p> + +<p><a id="footnote185" name="footnote185"></a> +<b><a href="#footnotetag185">185</a></b>: Ce rapport, qui a été conservé, est fort curieux. On +y accuse Bonaparte d'une ambition effrénée: il aurait, paraît-il, +«voler esse il Cromwell della Italia».</p> + +<p><a id="footnote186" name="footnote186"></a> +<b><a href="#footnotetag186">186</a></b>: Leurs dépêches au Sénat ont été publiées par +<span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 303-313. Cf. lettre de Bonaparte au +Directoire (<i>Correspondance</i>, t. II, p. 415). «J'ai dit à M. Pesaro +que le Directoire exécutif n'oubliait pas que la République de Venise +était l'ancienne alliée de la France, que nous avions un désir bien +formel de la protéger de tout notre pouvoir... que nous ne soutenions +pas les insurgés; qu'au contraire je favoriserais les démarches que +ferait le gouvernement.»</p> + +<p><a id="footnote187" name="footnote187"></a> +<b><a href="#footnotetag187">187</a></b>: Rapport d'Antonio Turini, syndic du Val-Sabbia (4 +avril 1797).</p> + +<p><a id="footnote188" name="footnote188"></a> +<b><a href="#footnotetag188">188</a></b>: Déclaration du Doge: «Le Sénat n'a pas appris sans +surprise et sans indignation qu'un acte signé du nom du provéditeur +Battaglia, essentiellement faux et contenant des principes en tout +contraires à ceux que le gouvernement vénitien professe pour le +gouvernement français, était colporté partout. Il entendait le +démentir et le proclamait une embûche opposée aux tendances continues +de la Seigneurie.»</p> + +<p><a id="footnote189" name="footnote189"></a> +<b><a href="#footnotetag189">189</a></b>: Lettre de Schetting, <i>Corresp.</i>, t. II, 458.</p> + +<p><a id="footnote190" name="footnote190"></a> +<b><a href="#footnotetag190">190</a></b>: Id., <i>id.</i></p> + +<p><a id="footnote191" name="footnote191"></a> +<b><a href="#footnotetag191">191</a></b>: Id., <i>id.</i> «Mon intention est qu'il n'y ait aucune +espèce de trouble ni de mouvements de guerre, et je prendrai toutes +les mesures pour maintenir la tranquillité sur les derrières de +l'armée. Les troupes françaises continueront de vivre avec le peuple +dans le même esprit de neutralité et de bonne intelligence, et +je désire, dans toutes les occasions, vous donner des preuves de +l'estime que j'ai pour vous.»</p> + +<p><a id="footnote192" name="footnote192"></a> +<b><a href="#footnotetag192">192</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, Leoben, 16 avril. +<i>Corresp.</i>, t. II, p. 489.</p> + +<p><a id="footnote193" name="footnote193"></a> +<b><a href="#footnotetag193">193</a></b>: Articles secrets des préliminaires. <i>Id.</i>, II, 497. +Lettre de Bonaparte au Directoire (II, 489).</p> + +<p><a id="footnote194" name="footnote194"></a> +<b><a href="#footnotetag194">194</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire. Leoben, 19 avril +1707. <i>Corresp.</i>, t. II, p. 501.</p> + +<p><a id="footnote195" name="footnote195"></a> +<b><a href="#footnotetag195">195</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. II, p. 474.</p> + +<p><a id="footnote196" name="footnote196"></a> +<b><a href="#footnotetag196">196</a></b>: Id., id.</p> + +<p><a id="footnote197" name="footnote197"></a> +<b><a href="#footnotetag197">197</a></b>: Id., p. 477.</p> + +<p><a id="footnote198" name="footnote198"></a> +<b><a href="#footnotetag198">198</a></b>: Id., p. 476.—Cf. lettre du 11 avril au général +Baraguey d'Hilliers (<i>Correspondance</i>, t. II, p. 479).</p> + +<p><a id="footnote199" name="footnote199"></a> +<b><a href="#footnotetag199">199</a></b>: <i>Correspondance</i>, II, p. 498. Cf. la curieuse lettre +adressée par Bonaparte à Pesaro, le 11 avril (<i>Correspondances</i>, +t. II, p. 483). «Il serait singulier que le Sénat de Venise nous +obligeât à lui faire la guerre, dans le moment où nous sommes en paix +avec tout le continent.»</p> + +<p><a id="footnote200" name="footnote200"></a> +<b><a href="#footnotetag200">200</a></b>: Rapport de Junot à Bonaparte, cité par <span class="smcap">Daru</span>, +t. VII, p. 302.</p> + +<p><a id="footnote201" name="footnote201"></a> +<b><a href="#footnotetag201">201</a></b>: <i>Corresp.</i>, t. II, p. 473.</p> + +<p><a id="footnote202" name="footnote202"></a> +<b><a href="#footnotetag202">202</a></b>: La lettre du Doge a été donnée par <i>Daru</i>, t. V, p. +335-338.</p> + +<p><a id="footnote203" name="footnote203"></a> +<b><a href="#footnotetag203">203</a></b>: D'après le rapport du provéditeur et du podestat +(daté de Vienne, 18 avril): «il était à peu près quatre heures du +soir lorsque, sans que rien nous en eût fait connaître la cause, on +entendit partir du fort le plus élevé au-dessus de la ville, trois +coups de canon à poudre qui paraissaient un signal.» D'après les +relations françaises, Balland n'aurait ouvert le feu, qu'en apprenant +les premiers assassinats. Les relations françaises ont été imprimées +dans le recueil de pièces relatives aux affaires de Venise, du 22 +floréal an V.</p> + +<p><a id="footnote204" name="footnote204"></a> +<b><a href="#footnotetag204">204</a></b>: Rapport du général Chabran daté de Croce-Bianca.</p> + +<p><a id="footnote205" name="footnote205"></a> +<b><a href="#footnotetag205">205</a></b>: Rapports adressés par Kilmaine à Bonaparte, Mantoue, +22 avril, et Vérone, 27 avril. Rapport du général Balland, Vérone, 27 +avril.</p> + +<p><a id="footnote206" name="footnote206"></a> +<b><a href="#footnotetag206">206</a></b>: Sur l'affaire de Laugier, voir la protestation du +ministre Lallement. Elle a été insérée par <span class="smcap">Daru</span> dans les +pièces justificatives de son <i>Histoire de Venise</i>, t. VII, p. +309. Cf. lettre de Bonaparte au Directoire (Trieste, 30 avril. +<i>Correspondance</i>, t. III, p. 12).</p> + +<p><a id="footnote207" name="footnote207"></a> +<b><a href="#footnotetag207">207</a></b>: Le rapport de l'officier vénitien a été cité par +<span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 356. Cf. la relation envoyée par le Sénat à +son ambassadeur à Paris, le 26 avril 1797.</p> + +<p><a id="footnote208" name="footnote208"></a> +<b><a href="#footnotetag208">208</a></b>: «Lorsqu'une révolution aussi fatale qu'imprévue a +éclaté dans les villes au delà du Mincio, les sentiments unanimes de +nos peuple leur ont fait prendre spontanément les armes dans la seule +intention de comprimer la révolte et de repousser la violence des +insurgés... Si, dans une confusion aussi grande, quelques malheurs +sont arrivés, il ne faut les attribuer qu'à la confusion même et +nullement à la volonté du Sénat. Empressé de satisfaire à votre +demande, le Sénat fait rechercher pour les consigner en vos mains +ceux qui ont osé commettre des assassinats sur les individus de +l'armée française. Les mesures les plus efficaces sont prises pour +en découvrir les auteurs, afin qu'ils subissent le châtiment qu'ils +méritent.» Document cité par <span class="smcap">Barral</span>, p. 269.] + +<p><a id="footnote209" name="footnote209"></a> +<b><a href="#footnotetag209">209</a></b>: Eggen-Wald, 22 avril 1797 (<i>Correspondance</i>, t. III, +p. 1).</p> + +<p><a id="footnote210" name="footnote210"></a> +<b><a href="#footnotetag210">210</a></b>: Trieste, 30 avril (<i>Corresp.</i>, t. III, p. 11). Cf. +seconde lettre du même jour: «Si le sang français doit être respecté +en Europe, si vous voulez qu'on ne s'en joue pas. Il faut que +l'exemple de Venise soit terrible. Il nous faut du sang.»</p> + +<p><a id="footnote211" name="footnote211"></a> +<b><a href="#footnotetag211">211</a></b>: Voir le rapport de Dona et Giustiniani, en date du 28 +avril. Il est cité par <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 367.</p> + +<p><a id="footnote212" name="footnote212"></a> +<b><a href="#footnotetag212">212</a></b>: Lettre citée par <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 378.</p> + +<p><a id="footnote213" name="footnote213"></a> +<b><a href="#footnotetag213">213</a></b>: Trieste, 30 avril. <i>Correspondance</i>, t. III, p. 13.</p> + +<p><a id="footnote214" name="footnote214"></a> +<b><a href="#footnotetag214">214</a></b>: Rapport des envoyés vénitiens en date du 1<sup>er</sup> mai. +Il est cité par <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 379.</p> + +<p><a id="footnote215" name="footnote215"></a> +<b><a href="#footnotetag215">215</a></b>: Palmanova, 30 avril 1797. <i>Correspondance</i>, t. III, p. +14.</p> + +<p><a id="footnote216" name="footnote216"></a> +<b><a href="#footnotetag216">216</a></b>: Lettres à Augereau, Milan, 5 mai (<i>Corresp.</i>, III, +21). Ordre général du 6 mai (III, 27). Ordre du 8 mai (III, 31).</p> + +<p><a id="footnote217" name="footnote217"></a> +<b><a href="#footnotetag217">217</a></b>: Manifeste de Palmanova (<i>Corresp.</i>, t. III, p. 16).</p> + +<p><a id="footnote218" name="footnote218"></a> +<b><a href="#footnotetag218">218</a></b>: Lettre de Palmanova, 3 mai 1797 (<i>Corresp.</i>, t. III, +p. 21).</p> + +<p><a id="footnote219" name="footnote219"></a> +<b><a href="#footnotetag219">219</a></b>: Arrêté de Milan, 6 mai 1797 (<i>Corresp.</i>, t. III, p. +23).</p> + +<p><a id="footnote220" name="footnote220"></a> +<b><a href="#footnotetag220">220</a></b>: Lettre du 8 mai au Directoire (<i>Corresp.</i>, t. III, +p. 29): «Je ne suis éloigné actuellement que d'une petite lieue de +Venise, et je fais les préparatifs pour pouvoir y entrer de force, si +les choses ne s'arrangent pas. J'ai chassé de la terre ferme tous les +Vénitiens, et nous en sommes en ce moment exclusivement les maîtres. +Il n'existe plus de lion de Saint-Marc.»</p> + +<p><a id="footnote221" name="footnote221"></a> +<b><a href="#footnotetag221">221</a></b>: Voici le texte de la délibération: «Vu le malheur des +circonstances et le péril imminent de la patrie, le Sénat ayant, dans +sa prudence, jugé nécessaire d'envoyer deux députés auprès du général +en chef Bonaparte, pour tâcher d'éviter la ruine dont la République +et cette capitale sont menacées, et ayant autorisé ces deux citoyens +et l'amiral des lagunes à entrer en négociation, le Grand Conseil +juge nécessaire d'étendre leurs pouvoirs jusqu'à traiter, même sur +des objets qui sont de la compétence de son autorité souveraine, sous +la réserve cependant de sa ratification.»</p> + +<p><a id="footnote222" name="footnote222"></a> +<b><a href="#footnotetag222">222</a></b>: Voir le rapport des commissaires (<span class="smcap">Daru</span>, +V, 399): «Il a ajouté que dans quinze jours il serait maître de +Venise, que les nobles Vénitiens ne se déroberaient plus à la mort +qu'en se dispersant pour aller errer sur la terre, comme les émigrés +français; que leurs biens dans les provinces déjà conquises allaient +être confisqués; que les lagunes ne l'épouvantaient pas; qu'il les +trouvait conformes à l'idée qu'il s'en était faite, et sur laquelle +il avait arrêté ses plans. Tous nos arguments furent inutiles.» Cf. +lettre transmise par Berthier aux députés Dona et Giustiniani, et +confirmant tous les détails de l'entrevue (<i>Corresp.</i>, t. III, p. +16). Lettre datée de Mestre, 2 mai 1797.</p> + +<p><a id="footnote223" name="footnote223"></a> +<b><a href="#footnotetag223">223</a></b>: Aussi Bonaparte n'hésitait-il pas à écrire au +Directoire (Milan, 8 mai 1797, <i>Correspondance</i>, t. III, p. 29): +«Le Grand Conseil a déclaré qu'il allait abdiquer sa souveraineté +et établir la forme de gouvernement qui me paraîtrait la plus +convenable. Il compte d'après cela y établir une démocratie, et même +faire rentrer dans Venise 3 à 4000 hommes de troupes. Je crois qu'il +devient indispensable que vous renvoyiez M. Querini.»</p> + +<p><a id="footnote224" name="footnote224"></a> +<b><a href="#footnotetag224">224</a></b>: C'est ce que constatait Bonaparte dans une dépêche +au Directoire: Milan, 13 mai 1797 (<i>Corresp.</i> t. III, p. 41). «Les +affaires marchent à grands pas dans Venise même, où l'emprisonnement +des Inquisiteurs et l'effervescence populaire rendront les propriétés +incertaines sans la présence d'une force française.»</p> + +<p><a id="footnote225" name="footnote225"></a> +<b><a href="#footnotetag225">225</a></b>: Il est probable que Villetard avait des instructions +secrètes. Cf. lettre de Bonaparte à Haller (Mombello, 21 mai 1797, +<i>Corresp.</i>, t. III, p. 61): «Villetard, qui part à l'instant pour +Venise, a eu de moi diverses instructions verbales pour la conduite +politique qu'il doit y tenir.»</p> + +<p><a id="footnote226" name="footnote226"></a> +<b><a href="#footnotetag226">226</a></b>: L'ultimatum de Villetard, ou du moins attribué à +Villetard, a été inséré tout au long dans l'ouvrage de <span class="smcap">Daru</span>, +t. V, p. 412, 415.</p> + +<p><a id="footnote227" name="footnote227"></a> +<b><a href="#footnotetag227">227</a></b>: Bonaparte tenait à ce licenciement des Esclavons. Ce +qui semblerait indiquer qu'il connaissait à l'avance l'ultimatum +présenté par Villetard ou du moins par ses amis, au Grand Conseil, +c'est que, dès le 14 mai, c'est-à-dire au surlendemain de la +révolution démocratique, il réclamait l'exécution d'une des +conditions qui figuraient dans cet ultimatum. Voir lettre aux +Vénitiens, datée de Milan (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 34): «Si +vingt-quatre heures après la publication du présent ordre, les +Esclavons n'ont pas, conformément à l'ordre qui leur a été donné +par les magistrats de Venise, quitté cette ville pour se rendre en +Dalmatie, les officiers et les aumôniers des différentes compagnies +d'Esclavons seront arrêtés, traités comme rebelles, et leurs biens en +Dalmatie confisqués.»</p> + +<p><a id="footnote228" name="footnote228"></a> +<b><a href="#footnotetag228">228</a></b>: Art. II du traité. Voir <i>Correspondance</i>, t. III, p. +49.</p> + +<p><a id="footnote229" name="footnote229"></a> +<b><a href="#footnotetag229">229</a></b>: Mombello, 26 mai 1797 (<i>Correspondance</i>, t. III, p. +70).</p> + +<p><a id="footnote230" name="footnote230"></a> +<b><a href="#footnotetag230">230</a></b>: <i>Id.</i>, id., t. III, p. 74. On peut rapprocher de cette +lettre l'article qui parut dans le <i>Moniteur</i> du 29 mai: «Voici ce +qu'on lit dans plusieurs journaux. Les chants joyeux de la paix +se font entendre de toutes parts. Bientôt toute l'Europe, tout le +globe en va retentir. L'Angleterre et Venise seules restent sur le +champ de bataille, mais ne tarderont pas l'une à renoncer à ses +projets ambitieux et destructeurs, l'autre à expier ses imprudentes +perfidies.»</p> + +<p><a id="footnote231" name="footnote231"></a> +<b><a href="#footnotetag231">231</a></b>: Ce projet de traité se trouve dans la <i>Correspondance</i> +(t. II, p. 267).</p> + +<p><a id="footnote232" name="footnote232"></a> +<b><a href="#footnotetag232">232</a></b>: Les dépêches de Querini, toutes rédigées de sa main, +et faisant partie de sa collection, ont été léguées à Venise par son +fils et sa fille. C'est à Venise que les a consultées M. Barral, +qui en a tiré un excellent parti dans son <i>Histoire de la chute de +Venise</i>.</p> + +<p><a id="footnote233" name="footnote233"></a> +<b><a href="#footnotetag233">233</a></b>: Dépêche du 8 avril 1797. «Che forse si protrebbe +ottener cosi essenziali oggeti con qualche sacrifizio in danare che +dall'Eccelentissimo Senato fosse ancora per forsi... Di penetrare che +sei o sette millioni di franchi sarebbero sufficienti.»</p> + +<p><a id="footnote234" name="footnote234"></a> +<b><a href="#footnotetag234">234</a></b>: Dépêche du 17 avril: «E che era venuto da me per veder +se voleva far un qualque sacrifizio; che in tal caso m'assicurava che +la questione sarebbe stata decisa a favor del mio governo.»</p> + +<p><a id="footnote235" name="footnote235"></a> +<b><a href="#footnotetag235">235</a></b>: Dépêche du Doge à Querini, à la date du 20 avril.</p> + +<p><a id="footnote236" name="footnote236"></a> +<b><a href="#footnotetag236">236</a></b>: Lettre présumée de Mombello, 30 juin 1797 +(<i>Correspondance</i>, t. III, p. 151).</p> + +<p><a id="footnote237" name="footnote237"></a> +<b><a href="#footnotetag237">237</a></b>: Note sur les événements de Venise, présumée de +Mombello, 30 juin 1797 (<i>Correspondance</i>, t. III, p. 156).</p> + +<p><a id="footnote238" name="footnote238"></a> +<b><a href="#footnotetag238">238</a></b>: <span class="smcap">Cantu</span>, liv. XI, p. 87.</p> + +<p><a id="footnote239" name="footnote239"></a> +<b><a href="#footnotetag239">239</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, ouv. cit., t. VII, p. 373.</p> + +<p><a id="footnote240" name="footnote240"></a> +<b><a href="#footnotetag240">240</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, id., 396. «Les provinces qui +gémissaient sous le joug des Vénitiens, représentées par leurs +députés réunis dans un congrès central, réclament de vous leur +liberté et leur réunion à la République Cisalpine.» Cf. lettre de +Joubert à Bonaparte, Bassano, 14 mai 1797 (<span class="smcap">Daru</span>, VII, p. +315). Id., Vicence, 9 août 1797 (VII, p. 396).</p> + +<p><a id="footnote241" name="footnote241"></a> +<b><a href="#footnotetag241">241</a></b>: Arnault écrivait à Bonaparte, le 5 juin 1797: +«La municipalité, faible et divisée, ne se regarde pas comme +suffisamment constituée; les opérations se ressentent de ce manque de +confiance. Composée d'un grand nombre d'hommes timides et de quelques +hommes trop hardis, elle donne peu à espérer et beaucoup à craindre. +Livrée à elle-même, elle passerait facilement de son inaction +actuelle aux plus terribles abus de l'autorité révolutionnaire.»</p> + +<p><a id="footnote242" name="footnote242"></a> +<b><a href="#footnotetag242">242</a></b>: Mombello, 3 juillet 1797. <i>Corresp.</i> III, 167.</p> + +<p><a id="footnote243" name="footnote243"></a> +<b><a href="#footnotetag243">243</a></b>: Le même jour, l'arbre de la Liberté était planté dans +toutes les villes du territoire vénitien, sauf à Udine où Bernadotte, +qui connaissait les projets de Bonaparte, ne voulut pas se prêter à +une indigne comédie, et aima mieux préparer les habitants à la pensée +de leur prochain abandon.</p> + +<p><a id="footnote244" name="footnote244"></a> +<b><a href="#footnotetag244">244</a></b>: <span class="smcap">Marmont</span>, <i>Mémoires</i>, t. I, p. 293.</p> + +<p><a id="footnote245" name="footnote245"></a> +<b><a href="#footnotetag245">245</a></b>: Passariano, 6 octobre 1797, <i>Correspondance</i>, t. III, +p. 368.</p> + +<p><a id="footnote246" name="footnote246"></a> +<b><a href="#footnotetag246">246</a></b>: Passariano, 6 septembre. Lettre de Bonaparte au +ministre des relations extérieures. <i>Corresp.</i>, t. III, p. 205.</p> + +<p><a id="footnote247" name="footnote247"></a> +<b><a href="#footnotetag247">247</a></b>: <i>Correspondance</i>, 13 septembre, III, 295.</p> + +<p><a id="footnote248" name="footnote248"></a> +<b><a href="#footnotetag248">248</a></b>: Dépêche de Grimani, du 29 avril. «Il mio spirito non +cessa di cercare vie a penetrare l'arcano de segnati preliminari di +pace.»</p> + +<p><a id="footnote249" name="footnote249"></a> +<b><a href="#footnotetag249">249</a></b>: Document cité par <span class="smcap">Daru</span>, ouv. cit., t. VII, p. +331.</p> + +<p><a id="footnote250" name="footnote250"></a> +<b><a href="#footnotetag250">250</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, VII, 379.</p> + +<p><a id="footnote251" name="footnote251"></a> +<b><a href="#footnotetag251">251</a></b>: Id., VII, 399: «Le principal de ces objets est +d'éloigner l'Empereur de l'Italie et d'insister sur ce qu'il s'étende +en Allemagne. Vous concevez sans peine l'intérêt que nous y avons. +Nous réduisons sa puissance maritime; nous le mettons en contact avec +son ancien rival, le roi de Prusse, et nous l'écartons des frontières +de la république, notre alliée, qui, dénuée de forces militaires, et +située entre les états du grand-duc de Toscane et ceux de l'Empereur, +serait bientôt influencée et subjuguée par la maison d'Autriche.»</p> + +<p><a id="footnote252" name="footnote252"></a> +<b><a href="#footnotetag252">252</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, VII, 411.</p> + +<p><a id="footnote253" name="footnote253"></a> +<b><a href="#footnotetag253">253</a></b>: Id., VII, 420.</p> + +<p><a id="footnote254" name="footnote254"></a> +<b><a href="#footnotetag254">254</a></b>: Id., VII, 422.</p> + +<p><a id="footnote255" name="footnote255"></a> +<b><a href="#footnotetag255">255</a></b>: Passariano, 19 septembre. <i>Correspondance</i>, t. III, +p. 309. Cf. lettre du même jour adressée au ministre des affaires +étrangères, Id., III, 308.</p> + +<p><a id="footnote256" name="footnote256"></a> +<b><a href="#footnotetag256">256</a></b>: <i>Correspondance</i> III, 345.</p> + +<p><a id="footnote257" name="footnote257"></a> +<b><a href="#footnotetag257">257</a></b>: Lettre au ministre des affaires étrangères, 7 octobre +1797. <i>Corresp.</i>, t. III, p. 360.</p> + +<p><a id="footnote258" name="footnote258"></a> +<b><a href="#footnotetag258">258</a></b>: Passariano, 25 sept. 1797, t. III, p. 337.</p> + +<p><a id="footnote259" name="footnote259"></a> +<b><a href="#footnotetag259">259</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, VII, 425, donne le mot substituée. La +<i>Correspondance</i> (t. III, p. 425) a corrigé et mis suppléé. On se +demande pourquoi ce changement?</p> + +<p><a id="footnote260" name="footnote260"></a> +<b><a href="#footnotetag260">260</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, VII, 427.</p> + +<p><a id="footnote261" name="footnote261"></a> +<b><a href="#footnotetag261">261</a></b>: Passariano, <i>Correspondance</i>, III, 376.</p> + +<p><a id="footnote262" name="footnote262"></a> +<b><a href="#footnotetag262">262</a></b>: Passariano, <i>Id.</i>, III, 390.</p> + +<p><a id="footnote263" name="footnote263"></a> +<b><a href="#footnotetag263">263</a></b>: Œuvres de Napoléon à Sainte-Hélène. Édition de la +<i>Correspondance</i>, t. XXIX, p. 355.</p> + +<p><a id="footnote264" name="footnote264"></a> +<b><a href="#footnotetag264">264</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. XXIX, p. 355.</p> + +<p><a id="footnote265" name="footnote265"></a> +<b><a href="#footnotetag265">265</a></b>: Un des admirateurs de Napoléon, Stendhal, n'est-il pas +dans le vrai, lorsqu'il écrit dans sa curieuse <i>Histoire de Napoléon</i> +(p. 270): «À l'occupation de Venise finit la partie poétique et +parfaitement noble de la vie de Napoléon. Désormais, pour sa +conservation personnelle, il dut se résigner à des mesures et à des +démarches, sans doute fort légitimes, mais qui ne peuvent plus être +l'objet d'un enthousiasme passionné.»</p> + +<p><a id="footnote266" name="footnote266"></a> +<b><a href="#footnotetag266">266</a></b>: Il nous faut pourtant signaler une exception. Les +Milanais, sans doute par ressentiment héréditaire, ne témoignèrent +que peu de sympathies à Venise. Une presse, probablement vendue, se +permit même contre l'infortunée République de cruelles attaques. +C'est à Milan que furent publiés divers factums très violents: +<i>Testamento del leone Adriatico</i>, <i>Trame degli oligarchi Venedi</i>, +<i>I delitti della Veneta aristocratia</i>, etc. À Milan furent aussi +composées et gravées de nombreuses caricatures. L'une d'entre elles +intitulée <i>I funeralli della republica Adricatica</i>, figure le lion de +Saint-Marc, jambes liées et tête en bas, porté, comme un trophée de +chasse, par des soldats français. Une autre caricature est intitulée: +<i>Il faut danser</i>, et, en effet, le Vénitien Pantalon danse d'une +façon grotesque, mais c'est un soldat fiançais qui lui tire la barbe.</p> + +<p><a id="footnote267" name="footnote267"></a> +<b><a href="#footnotetag267">267</a></b>: <span class="smcap">Alfieri</span>, <i>Conclusion du Miso Gallo</i>. +Traduction inédite d'Hugues.</p> + +<p><a id="footnote268" name="footnote268"></a> +<b><a href="#footnotetag268">268</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 395.</p> + +<p><a id="footnote269" name="footnote269"></a> +<b><a href="#footnotetag269">269</a></b>: Voir les belles lettres d'Ugo Foscolo dans Jacopo +Ortis. Lettre du 11 octobre 1797: «Le sacrifice de notre patrie est +consommé: tout est perdu; et la vie, si l'on daigne nous la laisser, +ne nous servira plus qu'à déplorer nos malheurs et notre infamie. +Mon nom est sur la liste de proscription, je le sais: mais veux-tu +donc que, pour me soustraire à mes oppresseurs, je me livre à des +traîtres? Console ma mère: Vaincu par ses larmes, je lui ai obéi, et +j'ai quitté Venise pour éviter les premières persécutions qui sont +toujours les plus cruelles.» Lettre du 13 octobre: «Dans quel lieu +chercherai-je un asile? Sera-ce dans l'Italie, cette terre prostituée +qui devient sans cesse le prix de la victoire? Pourrais-je voir +devant mes yeux ces hommes qui nous ont dépouillés, insultés, vendus, +et ne pas répandre des larmes de colère? Dévastateurs des peuples, +ils se servent de la liberté, comme les papes se servaient des +croisades... Et ces autres misérables, ils ont acheté notre esclavage +et reconquis, au prix de l'or, ce qu'ils avaient lâchement perdu par +les armes. Ah! pourquoi nous faire voir et sentir la liberté, pour +nous la ravir ensuite pour toujours et avec tant d'infamie!»</p> + +<p><a id="footnote270" name="footnote270"></a> +<b><a href="#footnotetag270">270</a></b>: Le discours de Villetard est rapporté par +<span class="smcap">Botta</span>, liv. XII.</p> + +<p><a id="footnote271" name="footnote271"></a> +<b><a href="#footnotetag271">271</a></b>: <i>Mémoires</i> de <span class="smcap">Marmont</span>, t. I, p. 307.</p> + +<p><a id="footnote272" name="footnote272"></a> +<b><a href="#footnotetag272">272</a></b>: Elle a été conservée par <span class="smcap">Botta</span>, liv. XII.</p> + +<p><a id="footnote273" name="footnote273"></a> +<b><a href="#footnotetag273">273</a></b>: <i>Correspondance</i>, III, 399.</p> + +<p><a id="footnote274" name="footnote274"></a> +<b><a href="#footnotetag274">274</a></b>: Lettre conservée par <span class="smcap">Botta</span>, liv. XII, p. 101.</p> + +<p><a id="footnote275" name="footnote275"></a> +<b><a href="#footnotetag275">275</a></b>: Cf. <span class="smcap">Minutelli</span>, <i>Dernières cinquante années</i>, +p. 226. Avec le catalogue des objets d'art enlevés à Venise.</p> + +<p><a id="footnote276" name="footnote276"></a> +<b><a href="#footnotetag276">276</a></b>: Lettre du 5 juin 1797 citée par <span class="smcap">Daru</span> +(<i>Histoire de Venise</i>), t. VII, p. 370.</p> + +<p><a id="footnote277" name="footnote277"></a> +<b><a href="#footnotetag277">277</a></b>: D'après une indication de Cantu, on comptait 5.293 +canons, dont 1.518 en bronze à l'arsenal, et dans les forts 4.478 +canons dont 1.925 en bronze.</p> + +<p><a id="footnote278" name="footnote278"></a> +<b><a href="#footnotetag278">278</a></b>: Lettre de Bonaparte à Villetard, Milan, 2 novembre +1797. <i>Correspondance</i>, t. III, p. 402. «Je donne ordre au général +Sérurier de se concerter avec la municipalité pour que tout reste +tranquille à Venise, d'employer tous les moyens pour cela, et +de fermer même la société d'instruction publique s'il le juge +nécessaire.»</p> + +<p><a id="footnote279" name="footnote279"></a> +<b><a href="#footnotetag279">279</a></b>: <span class="smcap">Gaffarel</span>, <i>La France aux îles Ioniennes.</i> +<i>Nouvelle Revue</i>, 1880.</p> + +<p><a id="footnote280" name="footnote280"></a> +<b><a href="#footnotetag280">280</a></b>: <span class="smcap">Daru</span>, t. V, p. 442.</p> + +<p><a id="footnote281" name="footnote281"></a> +<b><a href="#footnotetag281">281</a></b>: <span class="smcap">Botta</span>, ouv., cit., liv. XII.</p> + +<p><a id="footnote282" name="footnote282"></a> +<b><a href="#footnotetag282">282</a></b>: L'affaire Basville a été étudiée et racontée avec de +minutieux détails par Fr. <span class="smcap">Masson</span>. Voir ses trois ouvrages: +<i>Le cardinal de Bernis depuis son ministère.</i> <i>Le département des +affaires pendant la Révolution.</i> <i>Les Diplomates de la Révolution.</i> +On peut également consulter: <span class="smcap">Monti.</span> <i>In morte di Ugo +Bassville, cantica.</i> <span class="smcap">Vicchi.</span> <i>Saggio d'un libro intitulato: +Vincenzo Monti, le lettere e la politica in Italia dal 1750 al 1830</i> +(1879).</p> + +<p><a id="footnote283" name="footnote283"></a> +<b><a href="#footnotetag283">283</a></b>: <span class="smcap">Annibale Mariotti.</span>—<i>Parlata intorno ad +alcune imputazioni che si credino</i> (juin 1800).</p> + +<p><a id="footnote284" name="footnote284"></a> +<b><a href="#footnotetag284">284</a></b>: <i>Quadro storico-morali dell'Italia nazione seguita nel +1796, e del portentoso e contemporaneo aperimente d'occhi della sagra +imagine di Maria santissima venerata nella cattedrale di Ancona.</i></p> + +<p><a id="footnote285" name="footnote285"></a> +<b><a href="#footnotetag285">285</a></b>: Abominal razza di antisociali e misantropi, se dicenti +filosofi rigeneratori.</p> + +<p><a id="footnote286" name="footnote286"></a> +<b><a href="#footnotetag286">286</a></b>: Milizia était né à Oria, près d'Otrante, en 1725. +Il vécut dans la familiarité des artistes les plus célèbres et du +ministre espagnol Azara. Il a composé un <i>Dictionnaire biographique +des architectes</i>, des <i>Éléments d'architecture</i>, etc. Les lettres de +Milizia ont été publiées dans les <i>Mémoires de Ricci, traduction de +Potter</i>.</p> + +<p><a id="footnote287" name="footnote287"></a> +<b><a href="#footnotetag287">287</a></b>: Bologne, 20 juin 1796. <i>Corresp.</i>, I, 413.</p> + +<p><a id="footnote288" name="footnote288"></a> +<b><a href="#footnotetag288">288</a></b>: Milan, 7 juin 1796, <i>Corresp.</i>, I, 377.</p> + +<p><a id="footnote289" name="footnote289"></a> +<b><a href="#footnotetag289">289</a></b>: <i>Id.</i>, I, p. 421.</p> + +<p><a id="footnote290" name="footnote290"></a> +<b><a href="#footnotetag290">290</a></b>: Cf. la curieuse lettre écrite par Marmont, alors aide +de camp de Bonaparte, à son père (<i>Mémoires</i> du Maréchal, t. I, p. +327): «Enfin, la voix de la raison a été entendue, et le gouvernement +renonce à une expédition aussi ridicule que dangereuse par ses +suites. Nous n'irons pas à Rome. Notre armée n'était pas assez +forte pour la diviser ainsi, et les dix mille hommes jetés au fond +de la botte n'entraîneront point la grande armée dans des malheurs +incalculables. Le plan sage, si bien conçu, de Bonaparte est adopté. +Nous reprendrons incessamment l'offensive. Car c'est le moyen le plus +sûr de triompher.»</p> + +<p><a id="footnote291" name="footnote291"></a> +<b><a href="#footnotetag291">291</a></b>: Armistice entre la République française et le Pape +(<i>Correspondance</i>, I, 426). Bonaparte avait, dès le 7 juin, résolu +les conditions de cet armistice. Curieuse lettre au Directoire +(<i>Correspondance</i>, t. I, p. 371).</p> + +<p><a id="footnote292" name="footnote292"></a> +<b><a href="#footnotetag292">292</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire, Pistoïa, 26 juin +1796. <i>Corresp.</i>, I, 431: «Cette manière de négocier à trois est +absolument préjudiciable aux intérêts de la République, parce qu'un +homme habile se retourne, va chercher chez l'un ce qu'il ne peut +obtenir chez l'autre... Azara, voyant qu'il ne pouvait obtenir de +diminution, s'est tourné du côté des commissaires du gouvernement et +il a si bien fait, qu'il leur a arraché notre secret, c'est-à-dire +l'impossibilité où nous étions d'aller sur Rome. Alors il n'a été +possible d'en tirer vingt millions qu'en faisant la nuit une marche +sur Ravenne.»</p> + +<p><a id="footnote293" name="footnote293"></a> +<b><a href="#footnotetag293">293</a></b>: Id. <i>Id.</i> «La légation de Bologne est une des parties +les plus riches des États du Pape. On ne se fait pas une idée de la +haine que cette ville a pour la domination papale.»</p> + +<p><a id="footnote294" name="footnote294"></a> +<b><a href="#footnotetag294">294</a></b>: Id. <i>Id.</i> «Si jamais vous pensez qu'il est de votre +intérêt de garder à perpétuité Ancône, je vous engage à y envoyer un +ingénieur, afin d'accroître ses moyens de défense.»</p> + +<p><a id="footnote295" name="footnote295"></a> +<b><a href="#footnotetag295">295</a></b>: Lettre au Directoire, Bologne, 21 juin. +(<i>Correspondance</i>, t. I<sup>er</sup>, p. 121.)</p> + +<p><a id="footnote296" name="footnote296"></a> +<b><a href="#footnotetag296">296</a></b>: Lire dans la <i>Correspondance</i> (I. 451) une lettre +de Bonaparte à Miot (Bologne, 2 juillet 1796) pour le féliciter +d'avoir accepté une mission à Rome, et le presser de partir.—L'autre +commissaire était Cacault. Voir dans la <i>Correspondance</i> deux lettres +en date du 21 juillet 1796 (t. I, p. 490-491) pour l'accréditer +auprès du cardinal Zélada, et préciser ses instructions au sujet de +l'exécution de l'armistice de Bologne.</p> + +<p><a id="footnote297" name="footnote297"></a> +<b><a href="#footnotetag297">297</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>. <i>Mémoires</i>, t. I, p. 112.</p> + +<p><a id="footnote298" name="footnote298"></a> +<b><a href="#footnotetag298">298</a></b>: Curieuse lettre de Milizia. «Le premier jour d'août, +au matin, le fiscal Barberini est nommé dictateur, ne quid detrimenti +res publica capiat, et monsignor Consalvi magister equitum. Le soir, +aux armes! Les places, les ponts, les rues, tout est encombré du +soldats. Le palais de Montecavallo est mis en état de siège. On ne +voit que canons, caissons, escadrons, cuirassiers et chevau-légers +armés de carabines, troupes de ligne et gardes nationaux. Qui va ci? +qui va là? En arrière! On ne passe pas. Le général Giustiniani, le +général Sinibaldi, tous les généraux enfin font pendant la nuit la +veillée qui ne fut pas celles des capacités.»</p> + +<p><a id="footnote299" name="footnote299"></a> +<b><a href="#footnotetag299">299</a></b>: Lettre de Milizia à Lami.</p> + +<p><a id="footnote300" name="footnote300"></a> +<b><a href="#footnotetag300">300</a></b>: Lettre de Bonaparte à Cacault (I, 450). Brescia, 12 +août 1796: «Le Pape a envoyé un cardinal légat à Ferrare, dans le +temps qu'il croyait sans doute les Français perdus. Cela est-il +conforme au traité d'armistice que nous avons signé?... Je viens de +donner l'ordre à ce cardinal de se rendre sur-le-champ au quartier +général.» Cf. lettres au Directoire du 13 et du 26 août (I, 544-569).</p> + +<p><a id="footnote301" name="footnote301"></a> +<b><a href="#footnotetag301">301</a></b>: Lettre de Milizia à Lami: «Si Bonaparte avait encore +demandé une douzaine de cardinaux et six douzaines de prélats et +douze douzaines d'abbés, le tout avec plusieurs autres musiciens de +tout sexe, il aurait fallu qu'ils fussent tous allés se prosterner +devant lui. Oh! Quanto abbiamo daridere!»</p> + +<p><a id="footnote302" name="footnote302"></a> +<b><a href="#footnotetag302">302</a></b>: Brescia, 17 août 1796 (Correspondance, t. I, p. 541). +«On m'assure que la cour de Rome vous a demandé de lui prouver que la +France était érigée en République. Ou m'assure que Rome ne veut plus +accorder de bénédictions aux Ferrarais et aux Bolonais, mais bien à +ceux de Lugo. Joignez à cela le légat envoyé à Ferrare, et le retard +de l'exécution de l'armistice, et le roi votre maître se convaincra +de la mauvaise foi d'un gouvernement dont l'imbécillité égale la +faiblesse.»</p> + +<p><a id="footnote303" name="footnote303"></a> +<b><a href="#footnotetag303">303</a></b>: Lettre du 8 juillet 1796, citée par <span class="smcap">A. de +Montor</span>. <i>Pie VI</i>, t. I, p. 20.</p> + +<p><a id="footnote304" name="footnote304"></a> +<b><a href="#footnotetag304">304</a></b>: Sur l'affaire de Lugo on peut consulter deux lettres +de Bonaparte au Directoire (14 juillet, t. I, p. 477) et à d'Azara +contre Capelletti (12 août, t. I, p. 541).</p> + +<p><a id="footnote305" name="footnote305"></a> +<b><a href="#footnotetag305">305</a></b>: Milan, 26 septembre 1796 (<i>Correspondance</i>, t. II, p. +13). Cf. lettre du 5 octobre (t. II, p. 37).</p> + +<p><a id="footnote306" name="footnote306"></a> +<b><a href="#footnotetag306">306</a></b>: Curieuse lettre de Bonaparte au Directoire, en date de +Milan, 28 décembre 1796 (<i>Correspondance</i>, II, 205).</p> + +<p><a id="footnote307" name="footnote307"></a> +<b><a href="#footnotetag307">307</a></b>: Lettre du 12 janvier 1707.</p> + +<p><a id="footnote308" name="footnote308"></a> +<b><a href="#footnotetag308">308</a></b>: Lettre du 6 mars 1797.—Cf. lettre du 7 janvier, +adressée par le cardinal Busca au cardinal Albani alors à Vienne: «Je +vois que les propositions du prince du la Paix avaient pour objet de +nous intimider, et que, si l'on n'avait pas pour but de dépouiller +le Pape de sa puissance temporelle, au moins voulait-on lui en +retrancher une bonne partie. La reine d'Espagne a le plus grand désir +d'agrandir les États de l'infant de Parme, mari de sa fille, et fera +tout pour le contenter. Le chevalier Azira, mécontent de nous, ne +laisse pas de souiller, mais je ne crois pas que la cour de Vienne +puisse voir tranquillement les Espagnols maîtres des meilleures +parties de l'Italie.»</p> + +<p><a id="footnote309" name="footnote309"></a> +<b><a href="#footnotetag309">309</a></b>: Lettre de Milizia: «Messieurs les Romains se +présentent la bourse à la main pour fournir des dons gratuits en +faveur des armées pontificales, qui feront monts et merveilles. Les +femmes aussi, même celles qui n'ont rien, donnent gratis ce qu'elles +savent donner. Vous seriez-vous jamais attendu à voir les troupes du +Pape monter à 50.000 hommes?»</p> + +<p><a id="footnote310" name="footnote310"></a> +<b><a href="#footnotetag310">310</a></b>: Castro, Ouv. cité, t. II, p. 18.</p> + +<p><a id="footnote311" name="footnote311"></a> +<b><a href="#footnotetag311">311</a></b>: Lettre du 3 février 1797. Cf. les lettres de +Milizia.</p> + +<p><a id="footnote312" name="footnote312"></a> +<b><a href="#footnotetag312">312</a></b>: Cf. <i>Correspondance</i>. t. II. p. 291.—Lettre de +Bonaparte à Cacault, en date du 22 janvier 1797 (<i>Corresp.</i>, II, +265): «Vous aurez la complaisance de partir de Rome six heures après +la réception de cette lettre, et vous viendrez à Bologne. On vous a +abreuvé d'humiliations à Rome et on a mis tout en usage pour vous en +faire sortir. Aujourd'hui résistez à toutes les instances: partez.»</p> + +<p><a id="footnote313" name="footnote313"></a> +<b><a href="#footnotetag313">313</a></b>: Lettre de Bonaparte au Directoire (3 février). +<i>Correspondance</i>, II, 301.</p> + +<p><a id="footnote314" name="footnote314"></a> +<b><a href="#footnotetag314">314</a></b>: <i>Mémoires</i> de Marmont, I, 259.</p> + +<p><a id="footnote315" name="footnote315"></a> +<b><a href="#footnotetag315">315</a></b>: Arrêtés pris à Forli (4 février), à Pesaro (7 +février), à Macerata (15 février). Voir <i>Correspondance</i>, II, 308, +313, 335.</p> + +<p><a id="footnote316" name="footnote316"></a> +<b><a href="#footnotetag316">316</a></b>: Lettre au Directoire (<i>Correspondance</i>, II, 332): «Ils +sont très misérables; les trois quarts pleurent quand ils voient un +Français. D'ailleurs, à force d'en faire des battues, on les force à +se réfugier en France. Comme ici, nous ne touchons en aucune manière +à la religion, il vaut beaucoup mieux qu'ils y restent. Si vous +approuvez cette mesure, et qu'elle ne contrarie pas les principes +généraux, je tirerai de ces gens-là un grand parti en Italie.» Cf. +Proclamation de Macerata, du 15 février 1797, t. II, p. 334.</p> + +<p><a id="footnote317" name="footnote317"></a> +<b><a href="#footnotetag317">317</a></b>: Ferrare, 21 octobre (<i>Corresp.</i>, II, 66). Il est vrai +que Bonaparte, tout en affectant une grande confiance à l'égard +du cardinal, ne cherchait au fond qu'à utiliser ses services. +N'écrivait-il pas au Directoire, à la date du 24 octobre (<i>Corresp.</i>, +II, 68): «Je l'ai envoyé à Rome sous prétexte de négocier, mais dans +la réalité pour m'en débarrasser.»</p> + +<p><a id="footnote318" name="footnote318"></a> +<b><a href="#footnotetag318">318</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. II, p. 264.</p> + +<p><a id="footnote319" name="footnote319"></a> +<b><a href="#footnotetag319">319</a></b>: <i>Id.</i>, t. II, p. 329.</p> + +<p><a id="footnote320" name="footnote320"></a> +<b><a href="#footnotetag320">320</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>. <i>Mémoires</i>, I, p. 121. Voici les +conclusions de sa réponse au Directoire: «Une révolution complète +en Italie est, selon moi, impossible. Si cela pouvait avoir lieu +dans l'état actuel des esprits, elle serait terrible par les excès +auxquels se porteraient des hommes féroces et sans principes. Elle +serait sans avantages pour l'humanité et le bonheur de la société, +parce qu'elle serait l'ouvrage du fanatisme et de la vengeance.»</p> + +<p><a id="footnote321" name="footnote321"></a> +<b><a href="#footnotetag321">321</a></b>: On s'attendait à Rome à la prochaine arrivée de +Bonaparte. Le club des Amis de la Liberté lui avait même écrit pour +l'inviter à assister à l'inauguration d'une statue en son honneur. +L'inscription avait même été rédigée à l'avance: Alexandre Boneparti, +duci Gallorum invictissimo, quod senatum populumque Romanum, a +Pontificibus maximis vi et metu conculcatum, in pristinum splendorem +et auctoritatem restituent.» Cf. <span class="smcap">Barral</span>, <i>Histoire de la +chute de Venise</i>, p. 213.</p> + +<p><a id="footnote322" name="footnote322"></a> +<b><a href="#footnotetag322">322</a></b>: Lettre du 1<sup>er</sup> février 1797 (<i>Corresp.</i>, t. II, +p. 271): «Ne pourrait-on pas donner Rome à l'Espagne? Alors nous +pourrions restituer à l'Empereur le Milanais, le Mantouan et le duché +de Parme, au cas où nous fussions obligés d'en passer par là afin +d'accélérer la paix dont nous avons besoin.»</p> + +<p><a id="footnote323" name="footnote323"></a> +<b><a href="#footnotetag323">323</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. II, p. 69.</p> + +<p><a id="footnote324" name="footnote324"></a> +<b><a href="#footnotetag324">324</a></b>: Vérone, 28 octobre 1796. <i>Correspondance</i>, t. II, p. +79.</p> + +<p><a id="footnote325" name="footnote325"></a> +<b><a href="#footnotetag325">325</a></b>: Bologne, 1<sup>er</sup> février 1797. <i>Corresp.</i>, II, 289.</p> + +<p><a id="footnote326" name="footnote326"></a> +<b><a href="#footnotetag326">326</a></b>: Cette lettre du 13 février (<i>Correspondance</i>, II, 329) +est bien curieuse: Bonaparte annonce au Directoire qu'il est partisan +de la paix: «1<sup>o</sup> parce que cela m'évitera une discussion qui peut +être très sérieuse avec le roi de Naples; 2<sup>o</sup> parce que le Pape et +tous les princes se sauvant de Rome, je ne pourrai jamais en tirer +ce que je demande; 3<sup>o</sup> parce que Rome ne peut pas exister longtemps, +dépouillée de ses belles provinces, une révolution s'y fera toute +seule; 4<sup>o</sup> enfin, la cour de Rome nous cédant tous ses droits sur ce +pays, on ne pourra pas, à la paix générale, regarder cela comme un +succès momentané, puisque ce sera une chose très finie.»</p> + +<p><a id="footnote327" name="footnote327"></a> +<b><a href="#footnotetag327">327</a></b>: Article 18 du traité. Indemnité de 300,000 fr. à +répartir entre tous ceux qui avaient souffert de l'attentat.</p> + +<p><a id="footnote328" name="footnote328"></a> +<b><a href="#footnotetag328">328</a></b>: Lettre citée par <span class="smcap">Sybel</span>, IV, 395.</p> + +<p><a id="footnote329" name="footnote329"></a> +<b><a href="#footnotetag329">329</a></b>: Réclamations présentées à Bonaparte par le marquis +Massimi. Voir <i>Correspondance</i>, Goritz, 25 mars 1797, t. II, p. 419. +En effet, on ordonne de rendre les marchandises appartenant à des +négociants romains, de lever le séquestre mis en Romagne sur des +bénéfices dont les propriétaires résident à Rome, de restituer les +biens et bénéfices appartenant à des princes romains. Lettres de +Bonaparte à Pie VI (t. II, p. 418) et à Massimi (t. II, p. 419) pour +leur annoncer ces mesures gracieuses.</p> + +<p><a id="footnote330" name="footnote330"></a> +<b><a href="#footnotetag330">330</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. II, p. 238.</p> + +<p><a id="footnote331" name="footnote331"></a> +<b><a href="#footnotetag331">331</a></b>: <i>Id.</i>, t. II, p. 347.</p> + +<p><a id="footnote332" name="footnote332"></a> +<b><a href="#footnotetag332">332</a></b>: <i>Id.</i>, t. II, p. 342.</p> + +<p><a id="footnote333" name="footnote333"></a> +<b><a href="#footnotetag333">333</a></b>: Joseph n'avait pas été le seul à recevoir un bon +accueil. Voir <i>Mémoires de Marmont</i> (I, 263) que Bonaparte avait +envoyé à Rome pour veiller à l'exécution du traité.</p> + +<p><a id="footnote334" name="footnote334"></a> +<b><a href="#footnotetag334">334</a></b>: On a conservé les noms de quelques-uns de ces libéraux: +Sogetti, docteur Lucci, docteur Giavasetti, Bambocci, Pietro Succi, +Zamboni, Borghe, Tomessani, Forne, Alessio Succi, etc. Cf. <i>Mémoires +de Joseph</i> (I) et <i>Correspondance</i>, t. II, p. 448, 2 juillet 1796.</p> + +<p><a id="footnote335" name="footnote335"></a> +<b><a href="#footnotetag335">335</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 254. Cf. Lettre du 3 +août 1797 (III, 218): «Le Pape pensera peut-être qu'il est digne +de sa sagesse, et de la plus sainte des religions, de faire une +bulle ou mandement qui ordonne aux prêtres de prêcher l'obéissance +au gouvernement, et de faire tout ce qui sera en leur pouvoir pont +consolider la constitution établie.»</p> + +<p><a id="footnote336" name="footnote336"></a> +<b><a href="#footnotetag336">336</a></b>: <i>Correspondance</i>, p. 255.</p> + +<p><a id="footnote337" name="footnote337"></a> +<b><a href="#footnotetag337">337</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. III, p. 255. Lettre à Joseph: «Il +est indispensable que, tout en cherchant à maintenir une bonne amitié +entre la République française et la cour de Rome, vous réprimiez +cependant cette fureur, qui semble animer plusieurs ministres de +cette cour, d'opprimer les hommes qui ont accueilli nos artistes ou +servi nos ambassadeurs.»</p> + +<p><a id="footnote338" name="footnote338"></a> +<b><a href="#footnotetag338">338</a></b>: <i>Mémoires de Joseph</i>. Lettre écrite de Passariano, 29 +sept. 1797. Cf. <i>Correspondance</i>, t. III, p. 351.</p> + +<p><a id="footnote339" name="footnote339"></a> +<b><a href="#footnotetag339">339</a></b>: En réalité, Provera avait été trois fois pris: à +Cosseria, à la Favorite et à Mantoue.</p> + +<p><a id="footnote340" name="footnote340"></a> +<b><a href="#footnotetag340">340</a></b>: Cf. Lettre écrite dans le même sens au cardinal Mattei +(Milan, 14 novembre 1797, t. III, p. 242): «La cour de Rome commence +à se mal conduire. Je crains bien que les maux que vous avez en +partie épargnés à votre patrie ne tombent sur elle. Souvenez-vous +des conseils que vous avez donnés au Pape à votre départ de Ferrare. +Faites entendre à Sa Sainteté que, si elle continue à se laisser +mener par le conseiller Busca et d'autres intrigants, cela finira mal +pour nous».</p> + +<p><a id="footnote341" name="footnote341"></a> +<b><a href="#footnotetag341">341</a></b>: Doellinger, <i>Église et État</i>, p. 546, cité par +<span class="smcap">Sybel</span>. <i>Europe pendant la Révolution française</i>, t. IV, p. +375.</p> + +<p><a id="footnote342" name="footnote342"></a> +<b><a href="#footnotetag342">342</a></b>: <span class="smcap">Tacite</span>. <i>Annales</i> III, 53.</p> + +<p><a id="footnote343" name="footnote343"></a> +<b><a href="#footnotetag343">343</a></b>: <span class="smcap">Grellmann</span>. <i>Situation de l'État papal</i>, +Helmstadt, 1792. <span class="smcap">Silvagni</span>. <i>La Corte et la societa Romana +nei secoli XVIII et XIX</i>. Firenze, 1881.</p> + +<p><a id="footnote344" name="footnote344"></a> +<b><a href="#footnotetag344">344</a></b>: On peut consulter sur la création de la République +romaine: <span class="smcap">Artaud de Montor</span>, <i>Histoire du pontificat de Pie +VI</i>.—<span class="smcap">Abbé Baldassari</span> (traduction Lacouture), <i>Vie de Pie +VI</i>.—<span class="smcap">Abbé Blanchard</span>, <i>Vie de Pie VI</i>.—<span class="smcap">Poncet</span>, +<i>Pie VI à Valence</i> (1868).—<span class="smcap">Duppa</span>, <i>Relation abrégée de la +destruction du gouvernement papal</i>, en 1798.—<span class="smcap">Abbé Barruel</span>, +<i>Histoire de Pie VI</i>.—<span class="smcap">Abbé Bertrand</span>, <i>Le pontificat de Pie +VI et l'athéisme révolutionnaire</i>.—<span class="smcap">Brancadoro</span> (traduction +d'Auribeau), <i>Oraison funèbre de Pie VI</i>, prononcée à Venise le 31 +octobre 1799.—<span class="smcap">Bourgoing</span>, <i>Mémoires historiques sur Pie +VI et son pontificat jusqu'à sa retraite en Toscane</i>.—<span class="smcap">Ludovic +Sciout</span>, <i>Le Directoire et la République romaine</i> (Revue des +questions historiques, janvier 1886).—<span class="smcap">Silvagni</span>, <i>La Corte +e la societa Romana nei secoli XVIII et XIX</i> (1881). En outre, il +existe à la Bibliothèque nationale (Lb. 620) un recueil factice +en deux tomes (297 pièces dans le premier et 241 dans le second) +intitulé: <i>Collezione della stampe publicale dal di 22 piovoso +fino a tutto l'anno VI dell ere repub., con l'indice in principio +cronologico analitico delle med, ed attro in fine alfabetico delle +materie spellanti o relative al ministre delle finanze</i>. Voici +l'indication des principales pièces de ces deux volumes:</p> + +<p>T. I: 2. Proclamation de Berthier pour le respect du culte, des +ambassadeurs et des étrangers.—5. Ordre du trésorier général romain +G. Della Porta pour la déclaration des effets en marchandises +appartenant aux nations en guerre avec la Rép. française.—9. +Proclamation de la République romaine.—11. Ordonnance de Berthier +sur l'exclusion des émigrés français.—13. Suppression du droit +d'asile et de juridiction des ambassadeurs.—15. Affectation d'une +partie des biens religieux à l'extinction du papier monnaie.—27. +Programme de la fête funèbre en l'honneur du général Duphot.—31. +Avis du ministre de l'intérieur, Ennio Visconti, pour calmer les +inquiétudes des habitants des campagnes et les engager à reprendre +leurs travaux.—34. Proclamation des consuls au peuple et au clergé, +au sujet du fanatisme religieux.—35. Id. au sujet de l'insurrection +des Transtévérins, du 7 ventôse.—53. Ordre aux Transtévérins de +déposer leurs armes.—68. Proclamation du ministre de la police, +Giuseppe Toriglioni, relative aux armes de la République romaine +à poser sur tous les édifices publics.—76. Proclamation d'Ennio +Visconti pour procurer des vêtements aux soldats.—87. Police des +théâtres.—90. Ordonnance du général Vial, commandant la place de +Rome, contre les excitations hostiles de quelques prédicateurs.—101. +Programme de la fête de la Fédération.—105. Arrêté de Toriglioni +déclarant ennemis de la République ceux qui refuseraient de +recevoir le papier monnaie.—122. Ministre de l'intérieur, Camille +Corona, annonce distribution des secours aux pauvres.—126. Ordre +de Toriglioni aux marchands d'étoffes de tenir leurs magasins +ouverts.—139. Id. à tous les marchands de comestibles.—110. Ordre +à tous les étrangers non domiciliés de sortir de Rome.—149. Vente +de biens nationaux.—169. Décret des consuls pour l'organisation de +la garde nationale.—197. Défense aux Français d'acheter du savon +sans être munis d'un ordre du commandant de place.—202. Défense +d'exporter les dentées nécessaires à l'alimentation.—203. Défense +de recevoir des novices dans les couvents.—205. Défense de loger +les étrangers sans autorisation.—209. Ordre d'arrêter tous les +prêtres des communes où pourraient éclater des insurrections.—215. +Suspension de toutes les permissions de chasse.—225. Ministre des +finances, Bufalini, annonce prohibition des marchandises anglaises, +russes et portugaises à la foire de Sinigaglia.—227. Décret des +consuls ordonnant aux citoyens de livrer la moitié de leur argenterie +à titre de prêt forcé.—233. Organisation judiciaire.—238. Réduction +du nombre des fêtes.—249. Décret de Gouvion Saint-Cyr portant +défense aux citoyens de porter le plumet tricolore ou des habits +garnis de galons d'or et d'argent.—254. Condamnation de Pierre +Borga, accusé de propos séditieux.—264. État des personnes qui ont +payé l'amende de trois piastres pour ne pas avoir illuminé leurs +fenêtres.—273. Ordre à tous les Français non fonctionnaires de +sortir de Rome.—291. Avis des grands édiles, Maggi, Franchi et Laute +aux paysans contre les instigations antirépublicaines.</p> + +<p>T. II: 4. Indication des objets que peuvent emporter de leur +couvent les religieuses qui renoncent à la vie monastique.—9. +Fixation du revenu des évêques.—10. Suppression de toutes +les corporations et associations laïques.—12. Aliénation de +biens nationaux pour les fournitures de l'armée française.—13. +Secours aux agriculteurs pauvres.—16. Dissolution du cercle dit +constitutionnel.—23. Avis des membres du tribunal d'appel pour +engager les défenseurs à ne jamais s'écarter des règles de la décence +et de la modération.—30. Ordonnance de Gouvion de Saint-Cyr pour la +suppression des clubs.—31. Ordonnance des consuls pour interdire +aux fonctionnaires de recevoir ou laisser leurs domestiques exiger +aucun pot-de-vin.—40. Introduction du calendrier républicain.—60. +Soumission des Juifs à la loi commune.—73. Ordonnance des grands +édiles relative aux aqueducs et fontaines publiques de Rome.—97. +Décret de Macdonald contre les membres de la compagnie de la +Foi-de-Jésus.—100. Répression des troubles dans le département +de Circeo.—103. Arrêté Bufalini enjoignant aux propriétaires de +déclarer leur revenu, afin d'assurer l'exécution de la loi sur +l'emprunt forcé.—106. Décret de Macdonald contre les auteurs et +instigateurs de troubles.—125. Ordre à tous les propriétaires de +grains récoltés dans la saison courante de donner aux autorités +le détail de ce qu'ils en possèdent.—136. Décret de Macdonald +contre attroupements séditieux.—140, 141, 142. Condamnation de +Belardini, Trina, Patughelli.—166. Décret de Macdonald sur les +biens des établissements laïques supprimés, qui passeront aux +hôpitaux.—168. Proclamation de Duport, Florent et Bertolio, au sujet +des bruits malveillants répandus contre l'expédition d'Égypte.—186. +Règlement de la poste aux lettres et de la poste aux chevaux.—200. +Proclamation Duport et Bertolio contre les prévaricateurs et les +ennemis de la République.—206. Décret de Macdonald supprimant +plusieurs monastères à Rome.—221. Id. contre les émigrés.—227. +Proclamation des consuls au sujet des victoires en Égypte, et ordre +d'illuminer.—229. Décret de Macdonald acceptant démission des +consuls Reppi, Angelucci, Matheis, et destituant consuls Panazzi +et Visconti.—231. Nomination de nouveaux consuls.—236. Grande +fête pour célébrer l'anniversaire de la fondation de la République +française.</p> + +<p><a id="footnote345" name="footnote345"></a> +<b><a href="#footnotetag345">345</a></b>: Voir dans les <i>Mémoires de Joseph</i> la longue et +intéressante dépêche qu'il adressa à Talleyrand, le 30 décembre 1797, +et la réponse de ce dernier.—Cf. Lettre de l'abbé Masi à Ricci +(<span class="smcap">Potter</span>, III, 243), en date du 20 décembre 1797, où est +raconté tout au long l'attentat. Voir également le rapport, rédigé +en français, afin d'être communiqué à l'ambassadeur, du chef de la +patrouille romaine. Ce rapport, daté du 28 décembre 1798, a été +inséré par Artaud de Montor dans son <i>Histoire de Pie VII</i>, t. I, p. +41.</p> + +<p>«La patrouille de ronde de la caserne Pont-Sixte, composée du chef +Macchiola et de six soldats, était sortie vers les vingt-deux heures +et demie et se trouva poursuivie d'une multitude de peuple armé, dont +le plus grand nombre portait la cocarde nationale. Le chef de ladite +patrouille ayant été averti par les citadins de se retirer, parce +qu'il y avoit un projet de le désarmer, le susdit chef, d'après cet +avis et vu l'inégalité des forces qui le mettoit dans l'impossibilité +de se défendre, jugea à propos de se retirer dans son quartier pour y +prendre les mesures convenables.</p> + +<p>Dans sa retraite, il fut insulté par les cris et les sifflets du +peuple dont la fureur le poursuivit même jusqu'à son quartier. Le +tumulte fit penser aux officiers de la compagnie qu'il était à +propos de faire armer tous les individus qui la composoient et de +leur distribuer les postes de défense, pour lesquels ils avoient été +rangés par pelotons en ordre de bataille au dedans des palissades. +Aussitôt s'avance une phalange de peuple armés la plupart d'armes +blanches et aussi tirent plusieurs coups de fusil par les palissades, +qui en conservent encore des marques irrécusables. À la tête du +peuple étoient deux Français vêtus de bleu, avec cocarde et le +sabre nu, criant: Égalité! Liberté! Près de ceux-ci étoit un autre +Français, avec un drapeau tricolore. Après des coups de fusil tirés +à la barrière, nous ne pouvions plus retenir les soldats, et les +bourgeois nous crioient du dehors: «Si vous ne sortez pas pour nous +défendre, nous forcerons les palissades et nous nous défendrons avec +vos armes.»</p> + +<p>À ce moment, arriva une patrouille de quatre dragons qui sollicita +vivement la compagnie de sortir, qu'autrement elle seroit perdue. +Alors les soldats forcèrent les palissades, et, se portant avec +l'escorte de dragons vers Santa Dorotea, ils firent feu pour les +déloger de Longara, d'où étoit venue cette multitude armée. Ils +tinrent bon sous la porte Settimiana, où un officier de milice +remit le poste au caporal Marinelli. Quand les soldats y furent +établis, une grande multitude portant cocarde française s'y porta de +nouveau; elle avoit à sa tête deux François, sabres nus, cocarde en +main. Un d'eux invitoit les troupes du Pape, en criant: «Avancez! +Allons, courage! Vive la Liberté! Je suis votre général.» La troupe +répondit, en couchant en joue: «N'approchez pas!» Et ceux-ci, sans +y faire attention, s'approchèrent toujours davantage et répétoient, +en sautant, ces mêmes paroles: «Vive la Liberté! Courage! Je suis +votre général!» Mais les soldats se virent très exposés pour avoir +trop laissé approcher les François, ainsi que cette multitude armée; +un d'eux touchoit de son sabre la baïonnette du caporal Marinelli. +Ce caporal, après les avoir plusieurs fois invités à mettre bas les +armes, voyant que ceux-ci approchoient davantage leurs sabres des +fusils, fit faire feu et en renversa quelques-uns, du nombre desquels +étoit celui qui le menaçoit du sabre. Ils se retirèrent alors et +le tumulte cessa pour le moment. Le caporal n'avoit pas quitté son +poste, et, peu de temps après, une autre troupe du peuple ayant fait +feu, le caporal fut contraint de poursuivre son feu. Repoussé par le +grand nombre, il fut obligé ensuite de se replier sur la place de la +caserne, auprès desdits seigneurs officiers, ayant laissé d'autres +soldats pour apaiser les nouveaux troubles survenus dans les places +voisines et dans les petites rues de Transtevere.»</p> + +<p><a id="footnote346" name="footnote346"></a> +<b><a href="#footnotetag346">346</a></b>: Lettre de Milizia, en date du 2 février 1798: «Nous +avons un carnaval continuel de processions, en signe de pénitence, +pour la découverte de certaines reliques qu'on a tirées du sanctum +sanctorum, et qui sont accompagnées de prophéties qui promettent des +miracles de miracles. En attendant, les armées françaises ont occupé +Urin, la Marche, l'Ombrie, et l'invasion de Rome est imminente.»</p> + +<p><a id="footnote347" name="footnote347"></a> +<b><a href="#footnotetag347">347</a></b>: Le Directoire avait pris ses précautions pour empêcher +l'intervention napolitaine. Lettre amère à Berthier (Arch. nationales +AF3, C85): «Si vous n'aviez à craindre que les papistes, la moitié +des forces que le Directoire désire que vous réunissiez à Ancône vous +suffirait; mais il faut que vous soyez dans une position qui puisse +en imposer au roi de Naples ... Il faut d'abord l'amadouer, gagner +du temps, etc ... Si le roi de Naples intervenait avec des forces +importantes, alors vous feriez votre traité avec le Pape ...»</p> + +<p><a id="footnote348" name="footnote348"></a> +<b><a href="#footnotetag348">348</a></b>: Consulter à ce propos la curieuse correspondance +échangée entre l'évêque réformateur Ricci et le chef des jansénistes +français, Grégoire. Le premier, dans une lettre de Pontremoli (17 +février 1798) ne cache pas sa joie de la chute du Pape. D'après +lui, il doit en résulter pour l'Église un bien inappréciable, et +il ajoute: «Ecco finalmente abbolito l'obbrobrioso nome di corte; +ecco annichilata la superba monarchia». Grégoire, de son côté, lui +répond (Paris, 20 germinal an VI): «Voilà enfin la République romaine +établie. Combien je l'avais désiré! Combien j'en suis réjoui! Je +respecte dans Pie VI le chef de l'Église, mais je ne puis m'empêcher +de dire qu'il nous a fait bien du mal. D'un mot, d'un seul mot, il +aurait pu calmer les troubles qui déchiraient l'église anglicane; ce +mot eût empêché le sang de couler, il ne l'a pas fait».</p> + +<p><a id="footnote349" name="footnote349"></a> +<b><a href="#footnotetag349">349</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>, <i>Mémoires</i>, t. I, p. 203.</p> + +<p><a id="footnote350" name="footnote350"></a> +<b><a href="#footnotetag350">350</a></b>: À propos du serment civique imposé aux +Romains, consulter: <span class="smcap">Abbé Mastrofini.</span> <i>Honnêteté du +serment civique imposé par l'article 367 de la Constitution +romaine.</i>—<span class="smcap">Bolgeni.</span> <i>Jugement de Bolgeni, bibliothécaire +du collège romain, sur le serment civique prescrit par la +République romaine aux professeurs et aux fonctionnaires +publics.</i>—<i>Métamorphoses du docteur Jean Marchetti changé de +pénitencier en pénitent, exposé par Vincent Bolgeni, théologien de la +sainte pénitencerie catholique.</i></p> + +<p><a id="footnote351" name="footnote351"></a> +<b><a href="#footnotetag351">351</a></b>: Ils furent dénommés Cinino, Circeo, Clitumno, Metauro, +Musone, Tevere, Trasimène, Trento.</p> + +<p><a id="footnote352" name="footnote352"></a> +<b><a href="#footnotetag352">352</a></b>: Cité par <span class="smcap">Sciout</span>, p. 177. La lettre des +commissaires se trouve aux Archives nationales (A. F. 3,77).</p> + +<p><a id="footnote353" name="footnote353"></a> +<b><a href="#footnotetag353">353</a></b>: Cf. lettre de Florent au Directoire: «Nous sommes +enlacés dans des filets qui partent des bureaux de Paris. On y a semé +l'or à pleines mains pour consolider le système de rapines et de +dilapidations qui fait la base de toutes les entreprises et de toutes +les dilapidations de l'armée d'Italie.»</p> + +<p><a id="footnote354" name="footnote354"></a> +<b><a href="#footnotetag354">354</a></b>: Voir lettre des consuls romains aux commissaires du +Directoire (6 brumaire an VII): «Comment concevra-t-on l'espoir +d'un crédit solide, tant qu'on verra partout un pillage scandaleux, +des dilapidations qui effrayeraient même des brigands vulgaires, +tant qu'on n'aura pas arraché le maniement des deniers publics et +des fournitures à ce tas de déprédateurs qui ne connaissent la +République que par les trésors qu'ils volent?»</p> + +<p><a id="footnote355" name="footnote355"></a> +<b><a href="#footnotetag355">355</a></b>: Lettre curieuse de Faypoult au Directoire (Arch. nat. +A. F. 3, 77): «Depuis un certain temps il s'est répandu dans tous les +corps militaires de l'armée, dans toute l'Italie, des impressions +défavorables au citoyen Masséna; elles sont tellement généralisées +que le soulèvement de tous les officiers contre son autorité n'a +d'étonnant que l'irrégularité, l'illégalité de ce mouvement. Une +multitude de guerriers remarquables par leurs longs et continuels +services ont dit et répété hautement qu'ils mourront, quand vous +l'ordonnerez, pour la patrie, mais qu'ils mourront aussi plutôt que +de servir sous Masséna.»</p> + +<p><a id="footnote356" name="footnote356"></a> +<b><a href="#footnotetag356">356</a></b>: L'insurrection de l'armée a été racontée avec détail +par le général Koch. Cf. <span class="smcap">Garden</span>, <i>Histoire générale des +traités de paix</i>, t. VI, p. 385-489.</p> + +<p><a id="footnote357" name="footnote357"></a> +<b><a href="#footnotetag357">357</a></b>: Rapport de Daunou et Monge (Archiv. nat. A. F. 3, 78).</p> + +<p><a id="footnote358" name="footnote358"></a> +<b><a href="#footnotetag358">358</a></b>: Voir dans l'ouvrage de <span class="smcap">Potter</span> (<i>Mémoires de +Ricci</i>) une lettre de Ricci (10 mars 1798) et une lettre du prêtre +Palmieri (Gênes, 12 mai).</p> + +<p><a id="footnote359" name="footnote359"></a> +<b><a href="#footnotetag359">359</a></b>: <span class="smcap">Sciout</span>, ouvrage cité, p. 177.—<i>Mémoires du +général Thiebaut</i>, t. II.</p> + +<p><a id="footnote360" name="footnote360"></a> +<b><a href="#footnotetag360">360</a></b>: <span class="smcap">Cuoco</span>. <i>Saggio storico sulla rivoluzione di +Napoli</i>. Milano, an IX.—<span class="smcap">Pepe</span>. Mémoires.—<span class="smcap">Lomonaco</span>. +Rapport fait au citoyen Carnot, ministre de la guerre, sur les +causes secrètes et les principaux événements de la catastrophe +napolitaine, sur le caractère du roi, de la reine et du fameux +Acton.—<span class="smcap">Forgues</span>. <i>Vie de Nelson</i>.—<span class="smcap">Michelet</span>. +<i>Histoire du XIX<sup>e</sup> siècle</i>.—<span class="smcap">Coletta</span>. <i>Histoire de Naples</i> +de 1734 à 1825. Traduction B. et Lefebvre, 1840.—<span class="smcap">Maresca</span>. +Correspondance de la reine Marie-Caroline avec le cardinal Ruffo. +58 lettres de février à octobre 1799 (Archivio storico per la +provincie napoletane, 5<sup>e</sup> année, fasc. 2).—<span class="smcap">Nelson</span>. +<i>Despatches and letters</i>, 1844.—<span class="smcap">SACCHINELLI</span>. +<i>Vie du cardinal Ruffo</i>.—<span class="smcap">HARRISON'S</span>. <i>Life of +Nelson</i>.—<span class="smcap">PIETRO ULLOA</span>. <i>Marie Caroline d'Autriche</i>. +Paris, 1872.—<span class="smcap">HELFERT</span>. <i>Konigin Carolina von Neapel and +Sicilien in Kampf gegen die franzosischen Welterschaft</i>, 1790-1804. +Vienne, 1878.—<span class="smcap">HUFFER</span>. <i>Die Napoletanische Republick +des Jahres</i>1799; 1885.—<span class="smcap">G. FORTUNATO</span>. <i>I Napoletani del +1799</i>. Florence, 1884.—<span class="smcap">DIOMEDE MARINELLI</span>. <i>Manuscrit +sur les évènements de 1799</i>, t. IX. Bibliothèque nationale de +Naples.—<span class="smcap">PALUMBO</span>. <i>Maria Carolina di Napoli</i>. Lettres +autographes appartenant au British Museum, 1866. Volumes 1615, +1616, 1618, 1619, 1620, 1621 de la Bib. Eg.—<span class="smcap">GAGNIÈRE</span>. <i>La +reine Marie-Caroline de Naples d'après les documents nouveaux</i>, +1886.—<span class="smcap">BOGHETTI</span>, <i>Nelson alla corte di Maria-Carolina di +Napoli</i>. (Nuova antologia, 16 mai 1886).—<span class="smcap">GEORGES ANNESLEY, +VICOMTE DE VALENTIA</span>. <i>Private journal of the affairs of Sicily</i>. +(British-Museum, manuscrit 19426).—<span class="smcap">GÉNÉRAL THIÉBAUT</span>, +<i>Mémoires</i>, T. II.</p> + +<p><a id="footnote361" name="footnote361"></a> +<b><a href="#footnotetag361">361</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>. Ouvrage cité.</p> + +<p><a id="footnote362" name="footnote362"></a> +<b><a href="#footnotetag362">362</a></b>: Louis XVII.</p> + +<p><a id="footnote363" name="footnote363"></a> +<b><a href="#footnotetag363">363</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 43.</p> + +<p><a id="footnote364" name="footnote364"></a> +<b><a href="#footnotetag364">364</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 44.</p> + +<p><a id="footnote365" name="footnote365"></a> +<b><a href="#footnotetag365">365</a></b>: Lettres au Directoire du 2 mai 1796 (Bosco), du 6 mai +(Tortone) et du 1<sup>er</sup> juin (Peschiera), <i>Corresp.</i>, I, 218, 236, +345.</p> + +<p><a id="footnote366" name="footnote366"></a> +<b><a href="#footnotetag366">366</a></b>: Milan, 7 juin. Lettre au Directoire. (<i>Corresp.</i>, t. +I, p. 373.)</p> + +<p><a id="footnote367" name="footnote367"></a> +<b><a href="#footnotetag367">367</a></b>: <span class="smcap">Miot</span>. <i>Mémoires</i>, t. I, p. 88.</p> + +<p><a id="footnote368" name="footnote368"></a> +<b><a href="#footnotetag368">368</a></b>: Conditions d'une suspension d'hostilités entre les +troupes françaises et les troupes napolitaines. Brescia, 5 juin 1796. +(<i>Corresp.</i>, t. I, p. 363.)</p> + +<p><a id="footnote369" name="footnote369"></a> +<b><a href="#footnotetag369">369</a></b>: Milan, 7 juin, t. I, p. 373.</p> + +<p><a id="footnote370" name="footnote370"></a> +<b><a href="#footnotetag370">370</a></b>: Lettres du 7 juin et du 20 juin. <i>Correspondance</i>, t. +I, 374.—<i>Id.</i>, p. 433.</p> + +<p><a id="footnote371" name="footnote371"></a> +<b><a href="#footnotetag371">371</a></b>: Lettre du 26 juin (I, 434) au Directoire. «Le prince +Pignatelli part demain pour Paris en passant par Bâle. Je lui ai +signifié l'ordre d'être rendu dans cette première ville avant quinze +jours. Il paraît disposé à s'y conformer.»</p> + +<p><a id="footnote372" name="footnote372"></a> +<b><a href="#footnotetag372">372</a></b>: Lettres du 13 août (<i>Correspondance</i>, t. I, p. 544) et +du 26 août (Id., t. I, p. 568).</p> + +<p><a id="footnote373" name="footnote373"></a> +<b><a href="#footnotetag373">373</a></b>: Lettre du 6 septembre 1796. T. I, p. 598. Cf. lettre +du 2 octobre (I, II, p. 33).</p> + +<p><a id="footnote374" name="footnote374"></a> +<b><a href="#footnotetag374">374</a></b>: <i>Correspondance</i>, t. II, p. 322. Lettre d'Ancône, 12 +février 1707.</p> + +<p><a id="footnote375" name="footnote375"></a> +<b><a href="#footnotetag375">375</a></b>: Lettre de Bonaparte à Pignatelli, 13 février 1797. +<i>Corresp.</i>, t. II, p. 318.</p> + +<p><a id="footnote376" name="footnote376"></a> +<b><a href="#footnotetag376">376</a></b>: Lettres du 26 mai 1797, t. III, p. 65 et 72.</p> + +<p><a id="footnote377" name="footnote377"></a> +<b><a href="#footnotetag377">377</a></b>: <i>Correspondances</i>, t. III, p. 352.</p> + +<p><a id="footnote378" name="footnote378"></a> +<b><a href="#footnotetag378">378</a></b>: Gagnière, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote379" name="footnote379"></a> +<b><a href="#footnotetag379">379</a></b>: Gagnière, p. 46.</p> + +<p><a id="footnote380" name="footnote380"></a> +<b><a href="#footnotetag380">380</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 50.</p> + +<p><a id="footnote381" name="footnote381"></a> +<b><a href="#footnotetag381">381</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 50, 51.</p> + +<p><a id="footnote382" name="footnote382"></a> +<b><a href="#footnotetag382">382</a></b>: Lettre de Nelson à sa femme: «Sir William et lady +Hamilton vinrent au-devant de moi, accompagnés d'une multitude de +barges et de canots chargés d'emblèmes et décorés de banderoles. L'un +et l'autre étaient convalescents ... Milady de s'élancer et de tomber +inanimée devant moi: je la crus morte. Ses larmes heureusement se +firent un passage et elle parut aussitôt soulagée. Le roi arrivait. +Cette seconde scène, dans son genre, fut des plus attendrissantes. +Sa Majesté daigna me tendre la main, en m'appelant son libérateur, +et en me donnant tous les autres noms qu'ait jamais inventés la +reconnaissance. Enfin, même Naples, je crois, m'a proclamé son +libérateur.»</p> + +<p><a id="footnote383" name="footnote383"></a> +<b><a href="#footnotetag383">383</a></b>: Le prince Belmonte Pignatelli avait écrit à ce propos +au ministre piémontais Priocca une lettre, qui fut interceptée, et +qui prouve à quel point d'aveuglement et de passion était arrivée +la cour napolitaine. «Nous savons que, dans le conseil de votre +roi, plusieurs ministres circonspects, pour ne pas dire timides, +frémissent à l'idée de parjure et de meurtre, comme si le dernier +traité d'alliance entre la France et la Sardaigne était un acte +politique à respecter. N'a-t-il pas été dicté par la force oppressive +du vainqueur? De pareils traités ne sont que des injustices du plus +fort à l'égard de l'opprimé qui, en les violant, s'en dédommage à +la première occasion que lui offre la faveur de la fortune.» Lettre +citée par Coletta, t. II, p. 46 de la Traduction française.</p> + +<p><a id="footnote384" name="footnote384"></a> +<b><a href="#footnotetag384">384</a></b>: Cette incroyable bravade, d'une longueur démesurée, +est reproduite in extenso dans le rapport adressé par Lomonaco à +Carnot.</p> + +<p><a id="footnote385" name="footnote385"></a> +<b><a href="#footnotetag385">385</a></b>: Gagnière, p. 81.</p> + +<p><a id="footnote386" name="footnote386"></a> +<b><a href="#footnotetag386">386</a></b>: Gagnière, p. 84.</p> + +<p><a id="footnote387" name="footnote387"></a> +<b><a href="#footnotetag387">387</a></b>: Id., p. 85.</p> + +<p><a id="footnote388" name="footnote388"></a> +<b><a href="#footnotetag388">388</a></b>: Coletta, Histoire de Naples, t. II, p. 56.</p> + +<p><a id="footnote389" name="footnote389"></a> +<b><a href="#footnotetag389">389</a></b>: Lire au sujet de ces préparatifs les curieuses lettres +adressées par la reine à Emma Hamilton. En voici quelques extraits +(Gagnière, p. 94): «Je brûle de vous envoyer ce soir tout notre +argent d'Espagne, du roi et le mien. Ils sont [Montant illisible]: +Voilà tout notre avoir, mais nous n'avons jamais thésaurisé. Les +diamants de toute la famille, hommes et femmes, arriveront demain +soir pour être tout consigné au respectable amiral lord Nelson.» +Id., p. 96. 18 décembre: «Voici encore trois malles et une petite +caisse. Dans les trois premières, il y a un peu de lingerie pour tous +mes enfants, pour servir à bord et quelques habits dans la caisse. +J'espère ne pas être indiscrète en vous les envoyant. Le reste de +ce qui pourra aller ira sur un bâtiment sicilien.» Id. 19 décembre: +«J'abuse de votre bonté et de celle de notre cher amiral. Les caisses +grandes, faites-les déposer à fond de cale, et petites plus à portée +de la main. C'est que j'ai malheureusement une nombreuse famille. +Je suis dans le comble de la désolation et des larmes ... Adieu, ma +chère. L'horrible ruine abrège deux tiers de notre pure existence. +Je m'en remettrai à la divine Providence et m'en ferai une raison.» +Id. p. 97. 19 décembre: «Voyez les bijoux de toute une malheureuse +famille, le paquet de notre personnelle et un peu d'argent, et une +caisse avec des chemises et hardes en cas de besoin sur le bord. +Demain, j'enverrai des autres pour mes enfants, étant douze personnes +de famille ...»</p> + +<p><a id="footnote390" name="footnote390"></a> +<b><a href="#footnotetag390">390</a></b>: Coletta, ouv. cit., t. II, f. 77.</p> + +<p><a id="footnote391" name="footnote391"></a> +<b><a href="#footnotetag391">391</a></b>: Un contemporain, Cuoco, l'a traité bien sévèrement, t. +III, § 44. «C'était un scélérat ambitieux, sans principes d'honneur +et de morale. Il avait toujours mille expédients pour réussir +dans ses projets. Suo Ruffo ad onta dello porposa onde apparivo +rivestito, non ero che un capo di brianti.»</p> + +<p><a id="footnote392" name="footnote392"></a> +<b><a href="#footnotetag392">392</a></b>: Liv. III, p. 239. Chi scrive lo ha vedute egli stesso +beversi il sangue suo, dopo essersi valassate, e cerca con avidita +quelli degli altri scolassati che erano con lui; beveva in un cranio.</p> + +<p><a id="footnote393" name="footnote393"></a> +<b><a href="#footnotetag393">393</a></b>: Aussi comprend-on et partage-on l'indignation du +napolitain Cuoco. (Liv. III, p. 216): «E voi, Inglesi, voi che vi +chiamate i piu colti, piu buoni tra popoli: voi stessi permetteste, +voi vedeste, voi anche eccitaste tali orrori!»</p> + +<p><a id="footnote394" name="footnote394"></a> +<b><a href="#footnotetag394">394</a></b>: La trahison de Méjean n'est que trop prouvée. Lire +le rapport accablant de Lomonaco à Carnot, et surtout les deux +lettres de Marie-Caroline à Emma, en date du 7 et du 18 juillet 1799 +(<span class="smcap">Gagnière</span>, p. 171): «Je vous conjure, que l'on ne paye pas +un sou à Méjean. Après une si obstinée défense, ce serait réellement +être dupé et me faire croire que c'est parce que le généralissime (de +l'armée) cisalpine la veut partager avec Méjean.»—«Je relève tout +ce que vous me dites de Méjean. Je désire beaucoup que cette affaire +soit mise entièrement au clair et que tout soit découvert pour +n'avoir plus avec vous aucune sorte de traîtres ...»</p> + +<p><a id="footnote395" name="footnote395"></a> +<b><a href="#footnotetag395">395</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 187.</p> + +<p><a id="footnote396" name="footnote396"></a> +<b><a href="#footnotetag396">396</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 208.</p> + +<p><a id="footnote397" name="footnote397"></a> +<b><a href="#footnotetag397">397</a></b>: <span class="smcap">Coletta</span>. Ouv. cit., t. II, p. 221.</p> + +<p><a id="footnote398" name="footnote398"></a> +<b><a href="#footnotetag398">398</a></b>: <span class="smcap">Gagnière</span>, p. 237.</p> + +<p><a id="footnote399" name="footnote399"></a> +<b><a href="#footnotetag399">399</a></b>: Id., p. 233.</p> + +<p><a id="footnote400" name="footnote400"></a> +<b><a href="#footnotetag400">400</a></b>: T. III, p. 9-10.</p> +</div> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Bonaparte et les Républiques +Italiennes (1796-1799), by Paul Gaffarel + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK BONAPARTE *** + +***** This file should be named 44356-h.htm or 44356-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44356/ + +Produced by Mireille Hamelin, Christine P. Travers, and DP-Eu + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License available with this file or online at + www.gutenberg.org/license. + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all +the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy +all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. +If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project +Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the +terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or +entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. + +1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be +used on or associated in any way with an electronic work by people who +agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few +things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works +even without complying with the full terms of this agreement. See +paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project +Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement +and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic +works. See paragraph 1.E below. + +1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" +or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project +Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the +collection are in the public domain in the United States. If an +individual work is in the public domain in the United States and you are +located in the United States, we do not claim a right to prevent you from +copying, distributing, performing, displaying or creating derivative +works based on the work as long as all references to Project Gutenberg +are removed. Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived +from the public domain (does not contain a notice indicating that it is +posted with permission of the copyright holder), the work can be copied +and distributed to anyone in the United States without paying any fees +or charges. If you are redistributing or providing access to a work +with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the +work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 +through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the +Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or +1.E.9. + +1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted +with the permission of the copyright holder, your use and distribution +must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional +terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing +access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided +that + +- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from + the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method + you already use to calculate your applicable taxes. The fee is + owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he + has agreed to donate royalties under this paragraph to the + Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments + must be paid within 60 days following each date on which you + prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax + returns. Royalty payments should be clearly marked as such and + sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the + address specified in Section 4, "Information about donations to + the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." + +- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies + you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he + does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm + License. You must require such a user to return or + destroy all copies of the works possessed in a physical medium + and discontinue all use of and all access to other copies of + Project Gutenberg-tm works. + +- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any + money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the + electronic work is discovered and reported to you within 90 days + of receipt of the work. + +- You comply with all other terms of this agreement for free + distribution of Project Gutenberg-tm works. + +1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm +electronic work or group of works on different terms than are set +forth in this agreement, you must obtain permission in writing from +both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael +Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the +Foundation as set forth in Section 3 below. + +1.F. + +1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable +effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread +public domain works in creating the Project Gutenberg-tm +collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic +works, and the medium on which they may be stored, may contain +"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or +corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual +property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a +computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by +your equipment. + +1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right +of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project +Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project +Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all +liability to you for damages, costs and expenses, including legal +fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT +LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE +PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE +TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE +LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR +INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH +DAMAGE. + +1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a +defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can +receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a +written explanation to the person you received the work from. If you +received the work on a physical medium, you must return the medium with +your written explanation. The person or entity that provided you with +the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a +refund. If you received the work electronically, the person or entity +providing it to you may choose to give you a second opportunity to +receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy +is also defective, you may demand a refund in writing without further +opportunities to fix the problem. + +1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth +in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER +WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO +WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. + +1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied +warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. +If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the +law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be +interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by +the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any +provision of this agreement shall not void the remaining provisions. + +1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation information page at www.gutenberg.org + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at 809 +North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email +contact links and up to date contact information can be found at the +Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit www.gutenberg.org/donate + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For forty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/old/44356-h/images/cover-page.jpg b/old/44356-h/images/cover-page.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..69e084c --- /dev/null +++ b/old/44356-h/images/cover-page.jpg |
