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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 18:38:04 -0700
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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44255 ***
+
+JULES RENARD
+
+Histoires naturelles
+
+PARIS
+
+ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
+
+26, RUE RACINE, 26
+
+_Tous droits réservés._
+
+
+
+
+ Il a été tiré de cet ouvrage:
+ 10 exemplaires sur papier du Japon numérotés 1 à 10,
+ et 10 exemplaires sur papier de Hollande numérotés 11 à 20.
+
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+ Sourires pincés.
+ L'Écornifleur.
+ Coquecigrues.
+ La Lanterne sourde.
+ Poil de carotte.
+ Le Vigneron dans sa vigne.
+
+
+PARIS.--IMP. E. FLAMMARION, RUE RACINE, 26.
+
+
+
+
+LE CHASSEUR D'IMAGES
+
+
+Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son
+coeur pur et son corps léger comme un vêtement d'été. Il n'emporte point
+de provisions. Il boira l'air frais en route et reniflera les odeurs
+salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d'ouvrir les
+yeux. Les yeux servent de filets où les images s'emprisonnent
+d'elles-mêmes.
+
+La première qu'il fait captive est celle du chemin qui montre ses os,
+cailloux polis, et ses ornières, veines crevées, entre deux haies riches
+de prunelles et de mûres.
+
+Il prend ensuite l'image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort
+sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le
+ventre, comme si on jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe une
+pluie fine, la rivière a la chair de poule.
+
+Il lève l'image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des
+prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d'une
+alouette ou d'un chardonneret. Puis il entre au bois. Il ne se savait
+pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd
+aucune sourde rumeur, et, pour qu'il communique avec les arbres, ses
+nerfs se lient aux nervures des feuilles.
+
+Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a
+peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le
+village. Dehors, il fixe un moment, au point que son oeil éclate, le
+soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon ses lumineux habits, ses
+nuages répandus pêle-mêle.
+
+Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et
+longuement, avant de s'endormir, il se plaît à compter ses images.
+
+Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d'elles en éveille
+une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s'accroît de
+nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour
+chantent le soir, à l'abri du danger, et se rappellent aux creux des
+sillons.
+
+
+
+
+LES HIRONDELLES DE CHEMINÉE
+
+
+Elles me donnent ma leçon de chaque jour.
+
+Elles pointillent l'air de petits cris.
+
+Elles tracent une raie droite, posent une virgule au bout, et,
+brusquement, vont à la ligne.
+
+Elles mettent entre folles parenthèses la maison où j'habite.
+
+Trop vives pour que la pièce d'eau du jardin prenne copie de leur vol,
+elles montent de la cave au grenier.
+
+D'une plume d'aile légère, elles bouclent d'inimitables parafes.
+
+Puis, deux à deux, en accolade, elles se joignent, se mêlent, et, sur le
+bleu du ciel, elles font tache d'encre.
+
+Mais l'oeil d'un ami peut seul les suivre, et si vous savez le grec et
+le latin, moi je sais lire l'hébreu que décrivent dans l'air les
+hirondelles de cheminée.
+
+
+
+
+LES PIGEONS
+
+
+Qu'ils fassent sur la maison un bruit de tambour voilé;
+
+Qu'ils sortent de l'ombre, culbutent, éclatent au soleil et rentrent
+dans l'ombre;
+
+Que leur col fugitif vive et meure comme l'opale au doigt;
+
+Qu'ils s'endorment, le soir, dans la forêt, si pressés que la plus haute
+branche du chêne menace de rompre sous cette charge de fruits peints;
+
+Que ces deux-là échangent des saluts frénétiques et brusquement, l'un à
+l'autre, se convulsent;
+
+Que celui-ci revienne d'exil, avec une lettre, et vole comme la pensée
+de notre amie lointaine (Ah! un gage!);
+
+Tous ces pigeons, qui d'abord amusent, finissent par ennuyer.
+
+Ils ne sauraient tenir en place et les voyages ne les forment point.
+
+Ils restent toute la vie un peu niais.
+
+Ils s'obstinent à croire qu'on fait les enfants par le bec.
+
+Et c'est insupportable à la longue, cette manie héréditaire d'avoir
+toujours dans la gorge quelque chose qui ne passe pas.
+
+
+
+
+LA POULE
+
+
+Pattes jointes, elle saute du poulailler, dès qu'on lui ouvre la porte.
+
+C'est une poule commune, modestement parée et qui ne pond jamais d'oeufs
+d'or.
+
+Éblouie de lumière, elle fait quelques pas, indécise, dans la cour.
+
+Elle voit d'abord le tas de cendres où, chaque matin, elle a coutume de
+s'ébattre.
+
+Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive agitation d'ailes, les plumes
+gonflées, elle secoue ses puces de la nuit.
+
+Puis elle va boire au plat creux que la dernière averse a rempli.
+
+Elle ne boit que de l'eau.
+
+Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du
+plat.
+
+Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.
+
+Les fines herbes sont à elle, et les insectes et les graines perdues.
+
+Elle pique, elle pique, infatigable.
+
+De temps en temps, elle s'arrête. Droite sous son bonnet phrygien,
+l'oeil vif, le jabot avantageux, elle écoute de l'une et de l'autre
+oreille.
+
+Et, sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en quête.
+
+Elle lève haut ses pattes raides comme ceux qui ont la goutte. Elle
+écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit.
+
+On dirait qu'elle marche pieds nus.
+
+
+
+
+LA DINDE
+
+
+Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l'ancien
+régime.
+
+Les autres volailles ne font que manger toujours, n'importe quoi. Elle,
+entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d'avoir bel air. Toutes
+ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol,
+comme pour tracer la route qu'elle suit: c'est là qu'elle s'avance et
+non ailleurs.
+
+Elle se rengorge tant qu'elle ne voit jamais ses pattes.
+
+Elle ne doute de personne, et dès que je m'approche, elle s'imagine que
+je veux lui rendre mes hommages.
+
+Déjà elle glougloute d'orgueil.
+
+--Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j'écrirais votre
+éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n'êtes
+qu'une dinde.
+
+J'ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui
+pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d'un coup
+sec l'éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.
+
+
+
+
+LA PINTADE
+
+
+C'est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse.
+
+Les poules ne lui disent rien. Brusquement, elle se précipite et les
+harcèle.
+
+Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et de toute la vitesse de ses
+pattes maigres, elle court frapper de son bec dur juste au centre de la
+roue d'une dinde.
+
+Cette poseuse l'agaçait.
+
+Ainsi, la tête bleuie et ses barbillons rouges à vif, elle rage du matin
+au soir. Elle se bat sans motif, peut être parce qu'elle s'imagine
+toujours qu'on se moque de sa taille, de son crâne chauve et de sa queue
+basse.
+
+Et elle ne cesse de jeter un cri discordant qui perce l'air comme une
+pointe.
+
+Parfois elle quitte la cour et disparaît. Elle laisse aux volailles
+pacifiques un moment de répit. Mais elle revient plus turbulente et plus
+criarde. Et, frénétique, elle se vautre par terre.
+
+Qu'a-t-elle donc?
+
+La sournoise fait une farce.
+
+Elle est allée pondre son oeuf à la campagne.
+
+Je peux le chercher si ça m'amuse.
+
+Elle se roule dans la poussière, comme une bossue.
+
+
+
+
+CANARDS
+
+
+C'est la cane qui va la première, boitant des deux pattes, barboter au
+trou qu'elle connaît.
+
+Et le canard la suit. Les pointes de ses ailes croisées sur le dos, il
+boite aussi des deux pattes.
+
+Et cane et canard marchent taciturnes comme à un rendez-vous d'affaires.
+
+La cane d'abord se laisse glisser dans l'eau boueuse où flottent des
+plumes, des fientes, une feuille de vigne, et de la paille. Elle a
+presque disparu.
+
+Elle attend. Elle est prête.
+
+Et le canard entre à son tour. Il noie ses riches couleurs. On ne voit
+que sa tête verte et l'accroche-coeur du derrière. Tous deux se trouvent
+bien là. L'eau chauffe. Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle
+que les jours d'orage.
+
+Le canard, de son bec aplati, mordille et serre la nuque de la cane. Un
+instant il s'agite et l'eau est si épaisse qu'elle en frissonne à peine.
+Et vite calmée, plate, elle réfléchit, en noir, un coin de ciel pur.
+
+La cane et le canard ne bougent plus. Le soleil les cuit et les endort.
+On passerait près d'eux sans les remarquer. Ils ne se dénoncent que par
+les rares bulles d'air qui viennent crever sur l'eau croupie.
+
+
+
+
+LE PAON
+
+
+Il va sûrement se marier aujourd'hui.
+
+Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il
+n'attendait que sa fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut tarder.
+
+Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur
+lui les riches présents d'usage. L'amour avive l'éclat de ses couleurs
+et son aigrette tremble comme une lyre.
+
+La fiancée n'arrive pas.
+
+Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri
+diabolique:
+
+Léon! Léon!
+
+C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne
+ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles
+sont lasses de l'admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d'être beau
+qu'il est incapable de rancune.
+
+Son mariage sera pour demain.
+
+Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le
+perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d'un pas
+officiel.
+
+Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher
+d'elle.
+
+Il répète une dernière fois la cérémonie.
+
+
+
+
+L'OIE
+
+
+Tiennette voudrait aller à Paris, comme les autres filles du village.
+Mais est-elle seulement capable de garder ses oies?
+
+A vrai dire, elle les suit, plutôt qu'elle ne les mène. Elle tricote,
+machinale, derrière leur troupe, et elle s'en rapporte à l'oie de
+Toulouse qui a la raison d'une grande personne.
+
+L'oie de Toulouse connaît le chemin, les bonnes herbes, et l'heure où il
+faut rentrer.
+
+Si brave que le jars l'est moins, elle protège ses soeurs contre le
+mauvais chien. Son col vibre et serpente à ras de terre, puis se
+redresse, et elle domine Tiennette effarée. Dès que tout va bien, elle
+triomphe et chante du nez qu'elle sait grâce à qui l'ordre règne.
+
+Elle ne doute pas qu'elle ferait mieux encore.
+
+Et, un soir, elle quitte le pays.
+
+Elle s'éloigne sur la route, bec au vent, plumes collées. Des femmes,
+qu'elle croise, n'osent l'arrêter. Elle marche vite à faire peur.
+
+Et pendant que Tiennette, restée là-bas, finit de s'abêtir, et, toute
+pareille aux oies, ne s'en distingue plus, l'oie de Toulouse vient à
+Paris.
+
+
+
+
+LE CYGNE
+
+
+Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car
+il n'a faim que des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger, et se
+perdre dans l'eau. C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du bec, et
+il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
+
+Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire.
+
+Il n'a rien.
+
+Il regarde: les nuages effarouchés ont disparu.
+
+Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à
+revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau, en voici un
+qui se reforme.
+
+Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s'approche.
+
+Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra,
+victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage.
+
+Mais qu'est-ce que je dis?
+
+Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et
+ramène un ver.
+
+Et il engraisse comme une oie.
+
+
+
+
+L'ÉPERVIER
+
+
+Il décrit d'abord des ronds sur le village.
+
+Il n'était qu'une mouche, un grain de suie.
+
+Il grossit à mesure que son vol se resserre.
+
+Parfois il demeure immobile. Les volailles donnent des signes
+d'inquiétude. Les pigeons rentrent au toit. Une poule, d'un cri bref,
+rappelle ses petits, et on entend cacarder les oies vigilantes d'une
+basse-cour à l'autre.
+
+L'épervier hésite et plane à la même hauteur. Peut-être n'en veut-il
+qu'au coq du clocher.
+
+On le croirait pendu au ciel, par un fil.
+
+Brusquement le fil casse, l'épervier tombe, sa victime choisie. C'est
+l'heure d'un drame ici-bas.
+
+Mais, à la surprise générale, il s'arrête avant de toucher terre, comme
+s'il manquait de poids, et il remonte d'un coup d'aile.
+
+Il a vu que je le guette de ma porte, et que je cache, derrière moi,
+quelque chose de long qui brille.
+
+
+
+
+LE COQ
+
+
+Il n'a jamais chanté. Il n'a pas couché une nuit dans un poulailler,
+connu une seule poule.
+
+Il est en bois, avec une patte en fer au milieu du ventre, et il vit,
+depuis des années et des années, sur une vieille église comme on n'ose
+plus en bâtir. Elle ressemble à une grange et le faîte de ses tuiles
+s'aligne aussi droit que le dos d'un boeuf.
+
+Or, voici que des maçons paraissent à l'autre bout de l'église. Le coq
+de bois les regarde, quand un brusque coup de vent le force à tourner le
+dos.
+
+Et, chaque fois qu'il se retourne, de nouvelles pierres lui bouchent un
+peu plus de son horizon.
+
+Bientôt, d'une saccade levant la tête, il aperçoit, à la pointe du
+clocher qu'on vient de finir, un jeune coq qui n'était pas là ce matin.
+Cet étranger porte haut sa queue, ouvre le bec comme ceux qui chantent,
+et l'aile sur la hanche, tout battant neuf, il éclate en plein soleil.
+
+D'abord les deux coqs luttent de mobilité. Mais le vieux coq de bois
+s'épuise vite et se rend. Sous son unique pied, la poutre menace ruine.
+Il penche, raidi, près de tomber. Il grince et s'arrête.
+
+Et c'est le tour des charpentiers.
+
+Ils abattent ce coin vermoulu de l'église, descendent le coq et le
+promènent par le village. Chacun peut le toucher, moyennant cadeau.
+
+Ceux-ci donnent un oeuf, ceux-là un sou, et Mme Loriot une pièce
+d'argent.
+
+Les charpentiers boivent de bons coups, et, après s'être disputé le coq,
+ils décident de le brûler.
+
+Lui ayant fait un nid de paille et de fagot, ils mettent le feu.
+
+Le coq de bois pétille clair et sa flamme monte au ciel qu'il a bien
+gagné.
+
+
+
+
+LE COCHON
+
+
+Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres
+le nez partout et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes.
+
+Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave tes petits yeux
+cassis.
+
+Tu es cylindrique et ventru comme une groseille à maquereau.
+
+Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte
+queue bouclée. Et les méchants t'appellent: «Sale cochon!»
+
+Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que
+tu n'aimes que l'eau de vaisselle grasse.
+
+Mais ils te calomnient.
+
+Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
+
+Tu te négliges par leur faute.
+
+Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n'est que ta
+seconde nature.
+
+
+
+
+LE BOUC
+
+
+Son odeur le précède. On ne le voit pas encore qu'elle est arrivée.
+
+Il s'avance en tête du troupeau et les brebis le suivent, pêle-mêle,
+dans un nuage de poussière.
+
+Il a des poils longs et secs qu'une raie partage sur le dos.
+
+Il est moins fier de sa barbe que de sa taille, parce que la chèvre
+aussi porte une barbe sous le menton.
+
+Quand il passe, les uns se bouchent le nez, les autres aiment ce
+goût-là.
+
+Il ne regarde ni à droite ni à gauche: il marche raide, les oreilles
+pointues et la queue courte. Si les hommes l'ont chargé de leurs péchés,
+il n'en sait rien, et il laisse, sans perdre le sérieux, tomber un
+chapelet de crottes.
+
+Alexandre est son nom, connu même des chiens.
+
+La journée finie, le soleil disparu, il rentre au village, avec les
+moissonneurs, et ses cornes, fléchissant de vieillesse, prennent peu à
+peu la courbe des faucilles.
+
+
+
+
+LES MOUTONS
+
+
+Ils reviennent des chaumes où, depuis ce matin, ils paissaient, le nez à
+l'ombre de leur corps.
+
+Selon les signes d'un berger indolent, le chien nécessaire attaque la
+bande du côté qu'il faut.
+
+Elle tient toute la route, ondule d'un fossé à l'autre et déborde, ou,
+tassée, unie, moelleuse, piétine le sol, à petits pas de vieilles
+femmes. Quand elle se met à courir, les pattes font le bruit des roseaux
+et criblent la poussière du chemin de nids d'abeilles.
+
+Ce mouton frise et, bien garni, saute comme un ballot jeté en l'air, et
+du cornet de son oreille s'échappent des pastilles.
+
+Cet autre a le vertige et heurte du genou sa tête mal vissée.
+
+Ils envahissent le village. On dirait que c'est aujourd'hui leur fête et
+qu'avec pétulance, ils bêlent de joie par les rues.
+
+Mais ils ne s'arrêtent pas au village, et je les vois reparaître,
+là-bas. Ils gagnent l'horizon. Par le coteau, ils montent, légers, vers
+le soleil. Ils s'en approchent et se couchent à distance.
+
+Des traînards prennent, sur le ciel, une dernière forme imprévue, et
+rejoignent la troupe pelotonnée.
+
+Un flocon se détache encore et plane, mousse blanche, puis fumée,
+vapeur, puis rien.
+
+Il ne reste plus qu'une patte dehors.
+
+Elle s'allonge, elle s'effile comme une quenouille, à l'infini.
+
+Les moutons frileux s'endorment autour du soleil las qui défait sa
+couronne et pique, jusqu'à demain, ses rayons dans leur laine.
+
+
+
+
+LE CHEVAL
+
+
+Il n'est pas beau, mon cheval. Il a trop de noeuds et de salières; il a
+les côtes plates, une queue de rat et des incisives d'Anglaise. Mais il
+m'attendrit. Je n'en reviens pas qu'il reste à mon service et se laisse,
+sans révolte, tourner et retourner.
+
+Chaque fois que je l'attelle, je m'attends à ce qu'il me dise: _non_,
+d'un signe brusque, et détale.
+
+Point. Il baisse et lève sa grosse tête comme pour remettre un chapeau
+d'aplomb, recule avec docilité entre les brancards.
+
+Aussi je ne lui ménage ni l'avoine ni le maïs. Je le brosse jusqu'à ce
+que le poil brille comme une cerise. Je peigne sa crinière, je tresse sa
+queue maigre. Je le flatte de la main et de la voix. J'éponge ses yeux,
+je cire ses pieds.
+
+Est-ce que ça le touche?
+
+On ne sait pas.
+
+Il pète.
+
+C'est surtout quand il me promène en voiture que je l'admire. Je le
+fouette et il accélère son allure. Je l'arrête et il m'arrête. Je tire
+la guide à gauche et il oblique à gauche, au lieu d'aller à droite et de
+me jeter dans le fossé avec des coups de sabots quelque part.
+
+Il me fait peur, il me fait honte et il me fait pitié.
+
+Est-ce qu'il ne va pas bientôt se réveiller de son demi-sommeil, et
+prenant d'autorité ma place, me réduire à la sienne?
+
+A quoi pense-t-il?
+
+Il pète, pète, pète.
+
+
+
+
+LE CHIEN
+
+
+On ne peut mettre Pointu dehors, par ce temps, et l'aigre sifflet du
+vent sous la porte l'oblige même à quitter le paillasson. Il cherche
+mieux et glisse sa bonne tête entre nos sièges. Mais nous nous penchons,
+serrés, coude à coude, sur le feu, et je donne une claque à Pointu. Mon
+père le repousse du pied. Maman lui dit des injures. Ma soeur lui offre
+un verre vide.
+
+Pointu éternue et va voir à la cuisine si nous y sommes.
+
+Puis il revient, force notre cercle, au risque d'être étranglé par les
+genoux, et le voilà dans un coin de la cheminée.
+
+Après avoir longtemps tourné sur place, il s'assied près du chenet et ne
+bouge plus. Il regarde ses maîtres d'un oeil si doux qu'on le tolère.
+Seulement le chenet presque rouge et les cendres écartées lui brûlent le
+derrière.
+
+Il reste tout dé même.
+
+On lui rouvre un passage:
+
+--Allez, file! es-tu bête!
+
+Mais il s'obstine. A l'heure où les dents des chiens perdus crissent de
+froid, Pointu, au chaud, poil roussi, fesses cuites, se retient de
+hurler et rit jaune, avec des larmes plein les yeux.
+
+
+
+
+LA SOURIS
+
+
+Comme, à la clarté d'une lampe, je fais ma quotidienne page d'écriture,
+j'entends un léger bruit. Si je m'arrête, il cesse. Il recommence, dès
+que je gratte le papier.
+
+C'est une souris qui s'éveille.
+
+Je devine ses va-et-vient au bord du trou obscur où notre servante met
+ses torchons et ses brosses.
+
+Je distingue qu'elle saute par terre et trotte sur les carreaux de
+cuisine. Elle passe près de la cheminée sous l'évier, se perd dans la
+vaisselle, et par une série de reconnaissances qu'elle pousse de plus en
+plus loin, elle se rapproche de moi.
+
+Chaque fois que je pose mon porte-plume, ce silence l'inquiète. Chaque
+fois que je m'en sers, elle croit peut-être qu'il y a une autre souris
+quelque part, et elle se rassure.
+
+Puis je ne la vois plus. Elle est sous ma table, dans mes jambes. Elle
+circule d'un pied de chaise à l'autre. Elle frôle mes sabots, en
+mordille le bois, ou, hardiment, la voilà dessus!
+
+Et il ne faut pas que je bouge la jambe, que je respire trop fort: elle
+filerait.
+
+Mais il faut que je continue d'écrire, et, de peur qu'elle ne
+m'abandonne à mon ennui de solitaire, j'écris des signes, des riens,
+petitement, menu, menu, comme elle grignote.
+
+
+
+
+LES LAPINS
+
+
+Dans une moitié de futaille, Lenoir et Legris, les pattes au chaud sous
+la fourrure, mangent comme des vaches. Ils ne font qu'un seul repas qui
+dure toute la journée.
+
+Si l'on tarde à leur jeter une herbe fraîche, ils rongent l'ancienne
+jusqu'à la racine, et la racine même occupe les dents.
+
+Or, il vient de leur tomber un pied de salade. Ensemble Lenoir et Legris
+se mettent après.
+
+Nez à nez, ils s'évertuent, hochent la tête, et les oreilles trottent.
+
+Quand il ne reste qu'une feuille, ils la prennent, chacun par un bout,
+et luttent de vitesse.
+
+Vous croiriez qu'ils jouent, s'ils ne rient pas, et que, la feuille
+avalée, une caresse fraternelle unira les becs.
+
+Mais Legris se sent faiblir. Depuis hier il a le gros ventre et une
+poche d'eau le ballonne. Vraiment il se bourrait trop. Bien qu'une
+feuille de salade passe sans qu'on ait faim, il n'en peut plus. Il lâche
+la feuille et se couche de côté, sur ses crottes, avec des convulsions
+brèves.
+
+Le voilà rigide, les pattes écartées, comme pour une réclame d'armurier:
+_On tue net, on tue loin._
+
+Un instant, Lenoir s'arrête de surprise. Assis en chandelier, le souffle
+doux, les lèvres jointes et l'oeil cerclé de rose, il regarde.
+
+Il a l'air d'un sorcier qui pénètre un mystère.
+
+Ses deux oreilles droites marquent l'heure suprême.
+
+Puis elles se cassent.
+
+Et il achève la feuille de salade.
+
+
+
+
+L'ANE
+
+
+Tout lui est égal. Chaque matin, il voiture, d'un petit pas sec et dru
+de fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue aux villages les
+commissions faites en ville, les épices, le pain, la viande de
+boucherie, quelques journaux, une lettre.
+
+Cette tournée finie, Jacquot et l'âne travaillent pour leur compte. La
+voiture sert de charrette. Ils vont ensemble à la vigne, au bois, aux
+pommes de terre. Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt des balais
+verts, ça ou autre chose, selon le jour.
+
+Jacquot ne cesse de dire: «Hue! hue!» sans motif, comme il ronflerait.
+Parfois l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire, ou d'une idée qui le
+prend, ne marche plus. Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse.
+Si l'âne résiste, Jacquot lui mord l'oreille.
+
+Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la
+bête ce qu'elle veut.
+
+Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d'un
+arbre à l'autre.
+
+Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se
+rompt, bouleversé.
+
+Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard,
+des pleins seaux d'eau de son puits?
+
+C'est l'âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu'à
+extinction, qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche.
+
+
+
+
+LE BOEUF
+
+
+La porte s'ouvre ce matin, comme d'habitude, et Castor quitte, sans
+butter, l'écurie. Il boit à lentes gorgées sa part au fond de l'auge et
+laisse la part de Pollux attardé. Puis, le mufle s'égouttant ainsi que
+l'arbre après l'averse, il va de bonne volonté, avec ordre et pesanteur,
+se ranger à sa place ordinaire, sous le joug du chariot.
+
+Les cornes liées, la tête immobile, il fronce le ventre, chasse
+mollement de sa queue les mouches noires et, telle une servante
+sommeille le balai à la main, il rumine en attendant Pollux.
+
+Mais, par la cour, les domestiques affairés crient et jurent et le chien
+jappe comme à l'approche d'un étranger.
+
+Est-ce le sage Pollux qui, pour la première fois, résiste à l'aiguillon,
+tournaille, heurte le flanc de Castor, fume, et quoique attelé, tâche
+encore de secouer le joug commun?
+
+Non, c'est un autre.
+
+Et Castor, dépareillé, arrête ses mâchoires, quand il voit près du sien
+cet oeil trouble de boeuf qu'il ne reconnaît pas.
+
+
+
+
+LE TAUREAU
+
+
+Le pêcheur à la ligne volante marche d'un pas léger au bord de l'Yonne
+et fait sautiller sur l'eau sa mouche verte.
+
+Les mouches vertes, il les attrape aux troncs des peupliers polis par le
+frottement du bétail.
+
+Il jette sa ligne d'un coup sec et tire d'autorité.
+
+Il s'imagine que chaque place nouvelle est la meilleure, et bientôt il
+la quitte, enjambe un échalier et de ce pré passe dans l'autre.
+
+Soudain, comme il traverse un grand pré que grille le soleil, il
+s'arrête.
+
+Là-bas, du milieu des vaches paisibles et couchées, le taureau vient de
+se lever pesamment.
+
+C'est un taureau fameux et sa taille étonne les passants sur la route.
+On l'admire à distance et, s'il ne l'a fait déjà, il pourrait lancer son
+homme au ciel, ainsi qu'une flèche, avec l'arc de ses cornes. Plus doux
+qu'un agneau tant qu'il veut, il se met tout à coup en fureur, quand ça
+le prend, et près de lui, on ne sait jamais ce qui arrivera.
+
+Le pêcheur l'observe obliquement.
+
+--Si je fuis, pense-t-il, le taureau sera sur moi avant que je ne sorte
+du pré. Si, sans savoir nager, je plonge dans la rivière, je me noie. Si
+je fais le mort par terre, le taureau, dit-on, me flairera et ne me
+touchera pas. Est-ce bien sûr? Et, s'il ne s'en va plus, quelle
+angoisse! Mieux vaut feindre une indifférence trompeuse. Et le pêcheur à
+la ligne volante continue de pêcher, comme si le taureau était absent.
+Il espère ainsi lui donner le change.
+
+Sa nuque cuit sous son chapeau de paille.
+
+Il retient ses pieds qui brûlent de courir et les oblige à fouler
+l'herbe. Il a l'héroïsme de tremper dans l'eau sa mouche verte. Il ne se
+cache que de temps en temps, derrière les peupliers. Il gagne posément
+l'échalier de la haie, d'où il pourra, d'un dernier effort de ses
+membres rompus, bondir hors du pré, sain et sauf.
+
+D'ailleurs, qui le presse?
+
+Le taureau ne s'occupe pas de lui et reste avec les vaches.
+
+Il ne s'est mis debout que pour remuer, par lassitude, comme on s'étire.
+
+Il tourne au vent du soir sa tête crépue.
+
+Il beugle par intervalles, l'oeil à demi fermé.
+
+Il mugit de langueur et s'écoute mugir.
+
+
+
+
+LES MOUCHES D'EAU
+
+
+Il n'y a qu'un chêne au milieu du pré, et les boeufs occupent toute
+l'ombre de ses feuilles.
+
+La tête basse, ils font les cornes au soleil.
+
+Ils seraient bien, sans les mouches. Mais aujourd'hui, vraiment, elles
+dévorent. Acres et nombreuses, les noires se collent par plaques de suie
+aux yeux, aux narines, aux coins des lèvres même, et les vertes sucent
+de préférence la dernière écorchure.
+
+Quand un boeuf remue son tablier de cuir, ou frappe du sabot la terre
+sèche, le nuage de mouches se déplace avec murmure. On dirait qu'elles
+fermentent.
+
+Il fait si chaud que les vieilles femmes, sur leur porte, flairent
+l'orage, et déjà elles plaisantent de peur:
+
+--Gare au bourdoudou! disent-elles.
+
+Là-bas, un premier coup de lance lumineux perce le ciel, sans bruit. Une
+goutte de pluie tombe.
+
+Les boeufs, avertis, relèvent la tête, se meuvent jusqu'au bord du chêne
+et soufflent patiemment.
+
+Ils le savent: voici que les bonnes mouches viennent chasser les
+mauvaises.
+
+D'abord rares, une par une, puis serrées, toutes ensemble, elles fondent
+du ciel déchiqueté sur l'ennemi qui cède peu à peu, s'éclaircit, se
+disperse.
+
+Et bientôt, du nez camus à la queue inusable, les boeufs ruisselants
+ondulent d'aise sous l'essaim victorieux des mouches d'eau.
+
+
+
+
+LE GRILLON
+
+
+C'est l'heure où, las d'errer, l'insecte nègre revient de promenade et
+répare avec soin le désordre de son domaine.
+
+D'abord il ratisse ses étroites allées de sable.
+
+Il fait du bran de scie qu'il écarte au seuil de sa retraite.
+
+Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler.
+
+Il se repose.
+
+Puis il remonte sa minuscule montre.
+
+A-t-il fini? Est-elle cassée? Il se repose encore un peu.
+
+Il rentre chez lui et ferme sa porte.
+
+Longtemps il tourne sa clé dans la serrure délicate.
+
+Et il écoute:
+
+Point d'alarme dehors.
+
+Mais il ne se trouve pas en sûreté.
+
+Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il descend jusqu'au
+fond de la terre.
+
+On n'entend plus rien.
+
+Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en
+l'air et désignent la lune.
+
+
+
+
+LES GRENOUILLES
+
+
+Par brusques détentes, elles exercent leurs ressorts.
+
+Elles sautent de l'herbe comme de lourdes gouttes d'huile frite.
+
+Elles se posent, presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du
+nénuphar.
+
+L'une se gorge d'air. On mettrait un sou, par sa bouche, dans la
+tirelire de son ventre.
+
+Elles montent, comme des soupirs, de la vase.
+
+Immobiles, elles semblent les gros yeux à fleur d'eau, les tumeurs de la
+mare plate.
+
+Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent au soleil couchant.
+
+Puis, comme les camelots assourdissants des rues, elles crient les
+dernières nouvelles du soir.
+
+Parfois, elles happent un insecte.
+
+Et d'autres ne s'occupent que d'amour.
+
+Et toutes, elles tentent le pêcheur à la ligne.
+
+Je casse, sans difficulté, une gaule. J'ai, piquée à mon paletot, une
+épingle que je recourbe en hameçon.
+
+La ficelle ne me manque pas, Dieu merci!
+
+Mais il me faudrait encore un brin de laine, un bout de n'importe quoi
+rouge.
+
+Je cherche sur moi, par terre, au ciel.
+
+Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement ma boutonnière fendue,
+toute prête, que, sans reproche, on ne se hâte guère d'orner du ruban
+rouge.
+
+
+
+
+LE CRAPAUD
+
+
+Né d'une pierre, il vit sous une pierre et s'y creusera un tombeau.
+
+Je le visite fréquemment, et, chaque fois que je lève sa pierre, j'ai
+peur de le retrouver et peur qu'il n'y soit plus.
+
+Il y est.
+
+Caché dans ce gîte sec, propre, étroit, bien à lui, il l'occupe
+pleinement, gonflé comme une bourse d'avare.
+
+Qu'une pluie le fasse sortir, et il vient au-devant de moi. Quelques
+sauts lourds, et il s'arrête sur ses cuisses et me regarde de ses yeux
+rougis. Si le monde injuste le traite en lépreux, je ne crains pas de
+m'accroupir près de lui et d'approcher du sien mon visage d'homme.
+
+Puis je dompterai un reste de dégoût, et je te caresserai de ma main,
+crapaud!
+
+On en avale dans la vie qui font plus mal au coeur.
+
+Pourtant, hier, j'ai manqué de tact. Il fermentait et suintait, toutes
+ses verrues crevées.
+
+--Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne veux pas te faire de peine, mais,
+Dieu! que tu es laid!
+
+Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents, à l'haleine chaude, et me
+répondit avec un léger accent anglais:
+
+--Et toi?
+
+
+
+
+LA CHENILLE
+
+
+Elle sort d'une touffe d'herbe qui l'avait cachée pendant la chaleur.
+Elle traverse l'allée de sable à grandes ondulations. Elle se garde d'y
+faire halte et un moment elle se croit perdue dans une trace de sabot du
+jardinier.
+
+Arrivée aux fraises, elle se repose, lève le nez de droite et de gauche
+pour flairer; puis elle repart et sous les feuilles et sur les feuilles,
+elle sait maintenant où elle va.
+
+Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée, brune avec des points
+d'or et ses yeux noirs!
+
+Guidée par l'odorat, elle se trémousse et se fronce comme un épais
+sourcil.
+
+Elle s'arrête au bas d'un rosier.
+
+De ses fines agrafes, elle tâte l'écorce rude, balance sa petite tête de
+chien nouveau-né et se décide à grimper.
+
+Et, cette fois, vous diriez qu'elle avale péniblement chaque longueur de
+chemin par déglutition.
+
+Tout en haut du rosier, s'épanouit une rose au teint de candide
+fillette. Ses parfums qu'elle prodigue la grisent. Elle ne se défie de
+personne. Elle laisse monter par sa tige la première chenille venue.
+Elle l'accueille comme un cadeau.
+
+Et, pressentant qu'il fera froid cette nuit, elle est bien aise de se
+mettre un boa autour du cou.
+
+
+
+
+LA SAUTERELLE
+
+
+Serait-ce le gendarme des insectes?
+
+Tout le jour, elle saute et s'acharne aux trousses d'invisibles
+braconniers qu'elle n'attrape jamais.
+
+Les plus hautes herbes ne l'arrêtent pas.
+
+Rien ne lui fait peur, car elle a des bottes de sept lieues, un cou de
+taureau, le front génial, le ventre d'une carène, des ailes en
+celluloïd, des cornes diaboliques et un grand sabre au derrière.
+
+Comme on ne peut avoir les vertus d'un gendarme sans les vices, il faut
+bien le dire, la sauterelle chique.
+
+Si je mens, poursuis-la de tes doigts, joue avec elle à quatre coins, et
+quand tu l'auras saisie, entre deux bonds, sur une feuille de luzerne,
+observe sa bouche: Par ses terribles mandibules, elle sécrète une mousse
+noire comme du jus de tabac.
+
+Mais déjà tu ne la tiens plus. Sa rage de sauter la reprend. Le monstre
+vert t'échappe d'un brusque effort et, fragile, te laisse une petite
+cuisse dans la main.
+
+
+
+
+LA CAGE
+
+
+Félix ne comprend pas qu'on tienne des oiseaux prisonniers dans une
+cage.
+
+--De même, dit-il, que c'est un crime de cueillir une fleur, et,
+personnellement, je ne veux la respirer que sur sa tige, de même les
+oiseaux sont faits pour voler.
+
+Cependant il achète une cage; il l'accroche à sa fenêtre. Il y dépose un
+nid d'ouate, une soucoupe de graines, une tasse d'eau pure et
+renouvelable, une balançoire et une petite glace.
+
+Et comme on l'interroge avec surprise:
+
+--Je me félicite de ma générosité, dit-il, chaque fois que je regarde
+cette cage. Je pourrais y mettre un oiseau et je la laisse vide. Si je
+voulais, telle grive brune, tel bouvreuil pimpant, qui sautille, ou tel
+autre de nos petits oiseaux variés serait esclave. Mais grâce à moi,
+l'un d'eux au moins reste libre. C'est toujours ça.
+
+
+
+
+MERLE!
+
+
+Dans mon jardin il y a un vieux noyer presque mort qui fait peur aux
+petits oiseaux. Seul un oiseau noir habite ses dernières feuilles.
+
+Mais le reste du jardin est plein de jeunes arbres fleuris où nichent
+des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.
+
+Et il semble que ces jeunes arbres se moquent du vieux noyer. A chaque
+instant, ils lui lancent, comme des paroles taquines, une volée
+d'oiseaux babillards.
+
+Tour à tour, pierrots, martins, mésanges et pinsons le harcèlent. Ils
+choquent de l'aile la pointe de ses branches. L'air crépite de leurs
+cris menus; puis ils se sauvent, et c'est une autre bande importune qui
+part des jeunes arbres.
+
+Tant qu'elle peut, elle nargue, piaille, siffle et s'égosille.
+
+Ainsi de l'aube au crépuscule, comme des mots railleurs, pinsons,
+mésanges, martins et pierrots s'échappent des jeunes arbres vers le
+vieux noyer.
+
+Mais parfois il s'impatiente, il remue ses dernières feuilles, lâche son
+oiseau noir et répond:
+
+--Merle!
+
+
+
+
+L'ALOUETTE
+
+
+Je n'ai jamais vu d'alouette et je me lève inutilement avec l'aurore.
+L'alouette n'est pas un oiseau de la terre.
+
+Depuis ce matin, je foule les mottes et les herbes sèches.
+
+Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets peints à vif flottent
+sur les haies d'épines.
+
+Le geai passe la revue des arbres dans un costume de préfecture.
+
+Une caille rase des luzernes et trace au cordeau la ligne droite de son
+vol.
+
+Derrière le berger qui tricote mieux qu'une femme, les moutons se
+suivent et se ressemblent.
+
+Et tout s'imprègne d'une lumière si neuve que le corbeau, qui ne présage
+rien de bon, fait sourire.
+
+Mais écoutez comme j'écoute.
+
+Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d'or des
+morceaux de cristal?
+
+Qui peut me dire où l'alouette chante?
+
+Si je regarde en l'air, le soleil brûle mes yeux.
+
+Il me faut renoncer à la voir.
+
+L'alouette vit au ciel, et c'est le seul oiseau du ciel qui chante
+jusqu'à nous.
+
+
+
+
+LE GOUJON
+
+
+Il remonte le courant d'eau vive et suit le chemin que tracent les
+cailloux: car il n'aime ni la vase, ni les herbes.
+
+Il aperçoit une bouteille couchée sur un lit de sable. Elle n'est pleine
+que d'eau. J'ai oublié à dessein d'y mettre une amorce. Le goujon tourne
+autour, cherche l'entrée et le voilà pris.
+
+Je ramène la bouteille et rejette le goujon.
+
+Plus haut, il entend du bruit. Loin de fuir, il s'approche, par
+curiosité. C'est moi qui m'amuse, piétine dans l'eau et remue le fond
+avec une perche, au bord d'un filet. Le goujon têtu veut passer par une
+maille. Il y reste.
+
+Je lève le filet et rejette le goujon.
+
+Plus bas, une brusque secousse tend ma ligne et le bouchon bicolore file
+entre deux eaux.
+
+Je tire et c'est encore lui.
+
+Je le décroche de l'hameçon et le rejette.
+
+Cette fois, je ne le verrai plus.
+
+Il est là, immobile, à mes pieds, sous l'eau claire. Je distingue sa
+tête élargie, son gros oeil stupide et sa paire de barbillons.
+
+Il bâille, la lèvre déchirée, et il respire fort, après une telle
+émotion.
+
+Mais rien ne le corrige.
+
+Je laisse de nouveau tremper ma ligne avec le même ver.
+
+Et aussitôt le goujon mord.
+
+Lequel de nous deux se lassera le premier?
+
+
+
+
+LA DEMOISELLE
+
+
+Elle soigne son ophtalmie.
+
+D'un bord à l'autre de la rivière, elle ne fait que tremper dans l'eau
+fraîche ses yeux gonflés.
+
+Et elle grésille, comme si elle volait à l'électricité.
+
+
+
+
+LA PIE
+
+
+Elle était toute noire; mais elle a passé l'hiver dernier aux champs et
+il lui reste de la neige.
+
+
+
+
+L'ARAIGNÉE
+
+
+Une petite main poilue crispée sur des cheveux.
+
+
+
+
+LE PAPILLON
+
+
+Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleurs.
+
+
+
+
+LA GUÊPE
+
+
+Elle finira pourtant par abîmer sa taille!
+
+
+
+
+LA PUCE
+
+
+Un grain de tabac à ressort.
+
+
+
+
+L'ESCARGOT
+
+
+Dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l'escargot bout
+comme un nez plein.
+
+
+
+
+LE VER
+
+
+En voilà un qui s'allonge comme une belle nouille.
+
+
+
+
+LA COULEUVRE
+
+
+De quel ventre est-elle tombée, cette colique?
+
+
+
+
+LES FOURMIS
+
+
+Chacune d'elle ressemble au chiffre 3.
+
+Et il y en a! il y en a!
+
+Il y en a 333333333333... jusqu'à l'infini.
+
+
+
+
+CHAUVES-SOURIS
+
+
+La nuit s'use à force de servir.
+
+Elle ne s'use point par le haut, dans ses étoiles. Elle s'use comme une
+robe qui traîne à terre, entre les cailloux et les arbres, jusqu'au fond
+des tunnels malsains et des caves humides.
+
+Il n'est pas de coin où ne pénètre un pan de nuit. L'épine le crève, les
+froids le gercent, la boue le gâte. Et chaque matin, quand la nuit
+remonte, des loques s'en détachent, accrochées au hasard.
+
+Ainsi naissent les chauves-souris.
+
+Et elles doivent à cette origine de ne pouvoir supporter l'éclat du
+jour.
+
+Le soleil couché, quand nous prenons le frais, elles se décollent des
+vieilles poutres où, léthargiques, elles pendaient d'une griffe.
+
+Leur vol gauche nous inquiète. D'une aile baleinée et sans plumes, elles
+palpitent autour de nous. Elles se dirigent moins avec d'inutiles yeux
+blessés qu'avec l'oreille.
+
+Mon amie cache son visage, et moi je détourne la tête par crainte du
+choc impur.
+
+On dit qu'avec plus d'ardeur que notre amour même, elles nous suceraient
+le sang jusqu'à la mort.
+
+Comme on exagère!
+
+Elles ne sont pas méchantes. Elles ne nous touchent jamais.
+
+Filles de la nuit, elles ne détestent que les lumières, et, du frôlement
+de leurs petits châles funèbres, elles cherchent des bougies à souffler.
+
+
+
+
+LE CERF
+
+
+J'entrai au bois par un bout de l'allée, comme il arrivait par l'autre
+bout.
+
+Je crus d'abord qu'une personne étrangère s'avançait avec un pot de
+fleurs.
+
+Puis je distinguai le petit arbre nain, aux branches écartées et sans
+feuilles.
+
+Enfin le cerf apparut net et nous nous arrêtâmes tous deux.
+
+Je lui dis:
+
+--Approche. Ne crains rien. Si j'ai un fusil, c'est par contenance, pour
+imiter les hommes qui se prennent au sérieux. Je ne m'en sers jamais et
+je laisse ses cartouches dans leur tiroir.
+
+Le cerf écoutait et flairait mes paroles. Dès que je me tus, il n'hésita
+point: ses jambes remuèrent comme des tiges qu'un souffle d'air croise
+et décroise. Il s'enfuit.
+
+--Quel dommage! lui criai-je. Je rêvais déjà que nous faisions route
+ensemble. Moi, je t'offrais, de ma main, les herbes que tu aimes, et
+toi, d'un pas de promenade, tu portais mon fusil couché sur ta ramure.
+
+
+
+
+UNE FAMILLE D'ARBRES
+
+
+C'est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les
+rencontre.
+
+Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent
+les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
+
+De loin, ils semblent impénétrables. Dès que j'approche, leurs troncs se
+desserrent. Ils m'accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me
+rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.
+
+Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont
+les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais
+s'écarter.
+
+Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu'à
+la chute en poussière.
+
+Ils se flattent de leurs longues branches, pour s'assurer qu'ils sont
+tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent
+s'essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne
+murmurent que d'accord.
+
+Je sens qu'ils doivent être ma vraie famille. J'oublierai vite l'autre.
+Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter j'apprends ce
+qu'il faut savoir:
+
+Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
+
+Je sais aussi rester en place.
+
+Et je sais presque me taire.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+ Le Chasseur d'images
+ Les Hirondelles de cheminée
+ Les Pigeons
+ La Poule
+ La Dinde
+ La Pintade
+ Canards
+ Le Paon
+ L'Oie
+ Le Cygne
+ L'Épervier
+ Le Coq
+ Le Cochon
+ Le Bouc
+ Les Moutons
+ Le Cheval
+ Le Chien
+ La Souris
+ Les Lapins
+ L'Ane
+ Le Boeuf
+ Le Taureau
+ Les Mouches d'eau
+ Le Grillon
+ Les Grenouilles
+ Le Crapaud
+ La Chenille
+ La Sauterelle
+ La Cage
+ Merle!
+ L'Alouette
+ Le Goujon
+ La Demoiselle
+ La Pie
+ L'Araignée
+ Le Papillon
+ La Guêpe
+ La Puce
+ L'Escargot
+ Le Ver
+ La Couleuvre
+ Les Fourmis
+ Chauves-Souris
+ Le Cerf
+ Une Famille d'Arbres
+
+
+IMPRIMERIE E. FLAMMARION, 26, RUE RACINE, PARIS.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Histoires naturelles, by Jules Renard
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44255 ***
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+ The Project Gutenberg eBook of Histoires naturelles, by Jules Renard.
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+<body>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44255 ***</div>
+
+<p class="c"><span class="large">JULES RENARD</span></p>
+
+<h1 class="nobreak">Histoires naturelles</h1>
+
+<div class="c"><img src="images/a.png" alt="" /></div>
+<p class="c"><span class="large">PARIS</span></p>
+
+<p class="c">ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR<br/>
+26, <span class="small">RUE RACINE</span>, 26</p>
+
+<p class="c"><i class="small">Tous droits réservés.</i></p>
+
+
+
+
+<p class="cbreak"><i class="small">Il a été tiré de cet ouvrage:<br/>
+10 exemplaires sur papier du Japon numérotés 1 à 10,<br/>
+et 10 exemplaires sur papier de Hollande numérotés 11 à 20.</i></p>
+
+<p class="c">DU MÊME AUTEUR</p>
+
+<ul>
+<li>Sourires pincés.</li>
+<li>L'Écornifleur.</li>
+<li>Coquecigrues.</li>
+<li>La Lanterne sourde.</li>
+<li>Poil de carotte.</li>
+<li>Le Vigneron dans sa vigne.</li>
+</ul>
+
+<p class="c"><span class="small">PARIS.&mdash;IMP. E. FLAMMARION, RUE RACINE, 26.</span></p>
+
+
+
+
+<h2 id="p1">LE CHASSEUR D'IMAGES</h2>
+
+
+<p>Il saute du lit de bon matin, et ne part
+que si son esprit est net, son c&oelig;ur pur et
+son corps léger comme un vêtement d'été.
+Il n'emporte point de provisions. Il boira
+l'air frais en route et reniflera les odeurs
+salubres. Il laisse ses armes à la maison
+et se contente d'ouvrir les yeux. Les yeux
+servent de filets où les images s'emprisonnent d'elles-mêmes.</p>
+
+<p>La première qu'il fait captive est celle
+du chemin qui montre ses os, cailloux
+polis, et ses ornières, veines crevées, entre
+deux haies riches de prunelles et de mûres.</p>
+
+<p>Il prend ensuite l'image de la rivière.
+Elle blanchit aux coudes et dort sous la
+caresse des saules. Elle miroite quand un
+poisson tourne le ventre, comme si on
+jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe
+une pluie fine, la rivière a la chair de
+poule.</p>
+
+<p>Il lève l'image des blés mobiles, des
+luzernes appétissantes et des prairies ourlées
+de ruisseaux. Il saisit au passage le
+vol d'une alouette ou d'un chardonneret.
+Puis il entre au bois. Il ne se savait pas
+doué de sens si délicats. Vite imprégné
+de parfums, il ne perd aucune sourde
+rumeur, et, pour qu'il communique avec
+les arbres, ses nerfs se lient aux nervures
+des feuilles.</p>
+
+<p>Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il
+perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte
+le bois et suit de loin les paysans mouleurs
+regagnant le village. Dehors, il fixe un
+moment, au point que son &oelig;il éclate, le
+soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon
+ses lumineux habits, ses nuages répandus
+pêle-mêle.</p>
+
+<p>Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il
+éteint sa lampe et longuement, avant de
+s'endormir, il se plaît à compter ses images.</p>
+
+<p>Dociles, elles renaissent au gré du souvenir.
+Chacune d'elles en éveille
+une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente
+s'accroît de nouvelles venues,
+comme des perdrix poursuivies et divisées
+tout le jour chantent le soir, à l'abri du
+danger, et se rappellent aux creux des
+sillons.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p2">LES HIRONDELLES DE CHEMINÉE</h2>
+
+
+<p>Elles me donnent ma leçon de chaque jour.</p>
+
+<p>Elles pointillent l'air de petits cris.</p>
+
+<p>Elles tracent une raie droite, posent
+une virgule au bout, et, brusquement, vont
+à la ligne.</p>
+
+<p>Elles mettent entre folles parenthèses
+la maison où j'habite.</p>
+
+<p>Trop vives pour que la pièce d'eau du
+jardin prenne copie de leur vol, elles
+montent de la cave au grenier.</p>
+
+<p>D'une plume d'aile légère, elles bouclent
+d'inimitables parafes.</p>
+
+<p>Puis, deux à deux, en accolade, elles se
+joignent, se mêlent, et, sur le bleu du ciel,
+elles font tache d'encre.</p>
+
+<p>Mais l'&oelig;il d'un ami peut seul les suivre,
+et si vous savez le grec et le latin, moi
+je sais lire l'hébreu que décrivent dans
+l'air les hirondelles de cheminée.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p3">LES PIGEONS</h2>
+
+
+<p>Qu'ils fassent sur la maison un bruit de
+tambour voilé;</p>
+
+<p>Qu'ils sortent de l'ombre, culbutent,
+éclatent au soleil et rentrent dans l'ombre;</p>
+
+<p>Que leur col fugitif vive et meure comme
+l'opale au doigt;</p>
+
+<p>Qu'ils s'endorment, le soir, dans la
+forêt, si pressés que la plus haute branche
+du chêne menace de rompre sous cette
+charge de fruits peints;</p>
+
+<p>Que ces deux-là échangent des saluts
+frénétiques et brusquement, l'un à l'autre,
+se convulsent;</p>
+
+<p>Que celui-ci revienne d'exil, avec
+une lettre, et vole comme la pensée de
+notre amie lointaine (Ah! un gage!);</p>
+
+<p>Tous ces pigeons, qui d'abord amusent,
+finissent par ennuyer.</p>
+
+<p>Ils ne sauraient tenir en place et les
+voyages ne les forment point.</p>
+
+<p>Ils restent toute la vie un peu niais.</p>
+
+<p>Ils s'obstinent à croire qu'on fait les
+enfants par le bec.</p>
+
+<p>Et c'est insupportable à la longue, cette
+manie héréditaire d'avoir toujours dans la
+gorge quelque chose qui ne passe pas.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p4">LA POULE</h2>
+
+
+<p>Pattes jointes, elle saute du poulailler,
+dès qu'on lui ouvre la porte.</p>
+
+<p>C'est une poule commune, modestement
+parée et qui ne pond jamais d'&oelig;ufs d'or.</p>
+
+<p>Éblouie de lumière, elle fait quelques
+pas, indécise, dans la cour.</p>
+
+<p>Elle voit d'abord le tas de cendres où,
+chaque matin, elle a coutume de s'ébattre.</p>
+
+<p>Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive
+agitation d'ailes, les plumes gonflées, elle
+secoue ses puces de la nuit.</p>
+
+<p>Puis elle va boire au plat creux que la
+dernière averse a rempli.</p>
+
+<p>Elle ne boit que de l'eau.</p>
+
+<p>Elle boit par petits coups et dresse le col,
+en équilibre sur le bord du plat.</p>
+
+<p>Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.</p>
+
+<p>Les fines herbes sont à elle, et les insectes
+et les graines perdues.</p>
+
+<p>Elle pique, elle pique, infatigable.</p>
+
+<p>De temps en temps, elle s'arrête. Droite
+sous son bonnet phrygien, l'&oelig;il vif, le
+jabot avantageux, elle écoute de l'une et de
+l'autre oreille.</p>
+
+<p>Et, sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se
+remet en quête.</p>
+
+<p>Elle lève haut ses pattes raides comme
+ceux qui ont la goutte. Elle écarte les
+doigts et les pose avec précaution, sans
+bruit.</p>
+
+<p>On dirait qu'elle marche pieds nus.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p5">LA DINDE</h2>
+
+
+<p>Elle se pavane au milieu de la cour,
+comme si elle vivait sous l'ancien régime.</p>
+
+<p>Les autres volailles ne font que manger
+toujours, n'importe quoi. Elle, entre ses
+repas réguliers, ne se préoccupe que
+d'avoir bel air. Toutes ses plumes sont
+empesées et les pointes de ses ailes raient
+le sol, comme pour tracer la route qu'elle
+suit: c'est là qu'elle s'avance et non
+ailleurs.</p>
+
+<p>Elle se rengorge tant qu'elle ne voit
+jamais ses pattes.</p>
+
+<p>Elle ne doute de personne, et dès que
+je m'approche, elle s'imagine que je veux
+lui rendre mes hommages.</p>
+
+<p>Déjà elle glougloute d'orgueil.</p>
+
+<p>&mdash;Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez
+une oie, j'écrirais votre éloge, comme le
+fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais
+vous n'êtes qu'une dinde.</p>
+
+<p>J'ai dû la vexer, car le sang monte à sa
+tête. Des grappes de colère lui pendent au
+bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait
+claquer d'un coup sec l'éventail de sa
+queue et cette vieille chipie me tourne le
+dos.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p6">LA PINTADE</h2>
+
+
+<p>C'est la bossue de ma cour. Elle ne
+rêve que plaies à cause de sa bosse.</p>
+
+<p>Les poules ne lui disent rien. Brusquement,
+elle se précipite et les harcèle.</p>
+
+<p>Puis elle baisse sa tête, penche le corps,
+et de toute la vitesse de ses pattes maigres,
+elle court frapper de son bec dur juste au
+centre de la roue d'une dinde.</p>
+
+<p>Cette poseuse l'agaçait.</p>
+
+<p>Ainsi, la tête bleuie et ses barbillons
+rouges à vif, elle rage du matin au soir.
+Elle se bat sans motif, peut être parce
+qu'elle s'imagine toujours qu'on se moque
+de sa taille, de son crâne chauve et de sa
+queue basse.</p>
+
+<p>Et elle ne cesse de jeter un cri discordant
+qui perce l'air comme une pointe.</p>
+
+<p>Parfois elle quitte la cour et disparaît.
+Elle laisse aux volailles pacifiques un
+moment de répit. Mais elle revient plus
+turbulente et plus criarde. Et, frénétique,
+elle se vautre par terre.</p>
+
+<p>Qu'a-t-elle donc?</p>
+
+<p>La sournoise fait une farce.</p>
+
+<p>Elle est allée pondre son &oelig;uf à la campagne.</p>
+
+<p>Je peux le chercher si ça m'amuse.</p>
+
+<p>Elle se roule dans la poussière,
+comme une bossue.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p7">CANARDS</h2>
+
+
+<p>C'est la cane qui va la première, boitant
+des deux pattes, barboter au trou qu'elle
+connaît.</p>
+
+<p>Et le canard la suit. Les pointes de ses
+ailes croisées sur le dos, il boite aussi des
+deux pattes.</p>
+
+<p>Et cane et canard marchent taciturnes
+comme à un rendez-vous d'affaires.</p>
+
+<p>La cane d'abord se laisse glisser dans
+l'eau boueuse où flottent des plumes, des
+fientes, une feuille de vigne, et de la
+paille. Elle a presque disparu.</p>
+
+<p>Elle attend. Elle est prête.</p>
+
+<p>Et le canard entre à son tour. Il noie ses
+riches couleurs. On ne voit que sa tête
+verte et l'accroche-c&oelig;ur du derrière. Tous
+deux se trouvent bien là. L'eau chauffe.
+Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle
+que les jours d'orage.</p>
+
+<p>Le canard, de son bec aplati, mordille
+et serre la nuque de la cane. Un instant
+il s'agite et l'eau est si épaisse qu'elle en
+frissonne à peine. Et vite calmée, plate,
+elle réfléchit, en noir, un coin de
+ciel pur.</p>
+
+<p>La cane et le canard ne bougent plus.
+Le soleil les cuit et les endort. On passerait
+près d'eux sans les remarquer. Ils ne
+se dénoncent que par les rares bulles d'air
+qui viennent crever sur l'eau croupie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p8">LE PAON</h2>
+
+
+<p>Il va sûrement se marier aujourd'hui.</p>
+
+<p>Ce devait être pour hier. En habit de
+gala, il était prêt. Il n'attendait que sa
+fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut
+tarder.</p>
+
+<p>Glorieux, il se promène avec une allure
+de prince indien et porte sur lui les riches
+présents d'usage. L'amour avive l'éclat
+de ses couleurs et son aigrette tremble
+comme une lyre.</p>
+
+<p>La fiancée n'arrive pas.</p>
+
+<p>Il monte au haut du toit et regarde du
+côté du soleil. Il jette son cri diabolique:</p>
+
+<p>Léon! Léon!</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne
+voit rien venir et personne ne répond.
+Les volailles habituées ne lèvent même
+point la tête. Elles sont lasses de l'admirer.
+Il redescend dans la cour, si sûr
+d'être beau qu'il est incapable de rancune.</p>
+
+<p>Son mariage sera pour demain.</p>
+
+<p>Et, ne sachant que faire du reste de la
+journée, il se dirige vers le perron. Il
+gravit les marches, comme des marches
+de temple, d'un pas officiel.</p>
+
+<p>Il relève sa robe à queue toute lourde
+des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle.</p>
+
+<p>Il répète une dernière fois la cérémonie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p9">L'OIE</h2>
+
+
+<p>Tiennette voudrait aller à Paris, comme
+les autres filles du village. Mais est-elle
+seulement capable de garder ses oies?</p>
+
+<p>A vrai dire, elle les suit, plutôt qu'elle
+ne les mène. Elle tricote, machinale, derrière
+leur troupe, et elle s'en rapporte à
+l'oie de Toulouse qui a la raison d'une
+grande personne.</p>
+
+<p>L'oie de Toulouse connaît le chemin,
+les bonnes herbes, et l'heure où il faut
+rentrer.</p>
+
+<p>Si brave que le jars l'est moins, elle
+protège ses s&oelig;urs contre le mauvais chien.
+Son col vibre et serpente à ras de terre,
+puis se redresse, et elle domine Tiennette
+effarée. Dès que tout va bien, elle
+triomphe et chante du nez qu'elle sait
+grâce à qui l'ordre règne.</p>
+
+<p>Elle ne doute pas qu'elle ferait mieux
+encore.</p>
+
+<p>Et, un soir, elle quitte le pays.</p>
+
+<p>Elle s'éloigne sur la route, bec au vent,
+plumes collées. Des femmes, qu'elle
+croise, n'osent l'arrêter. Elle marche vite
+à faire peur.</p>
+
+<p>Et pendant que Tiennette, restée là-bas,
+finit de s'abêtir, et, toute pareille aux
+oies, ne s'en distingue plus, l'oie de Toulouse
+vient à Paris.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p10">LE CYGNE</h2>
+
+
+<p>Il glisse sur le bassin, comme un traîneau
+blanc, de nuage en nuage. Car il n'a
+faim que des nuages floconneux qu'il voit
+naître, bouger, et se perdre dans l'eau.
+C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du
+bec, et il plonge tout à coup son col vêtu
+de neige.</p>
+
+<p>Puis, tel un bras de femme sort d'une
+manche, il le retire.</p>
+
+<p>Il n'a rien.</p>
+
+<p>Il regarde: les nuages effarouchés ont
+disparu.</p>
+
+<p>Il ne reste qu'un instant désabusé, car
+les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas,
+où meurent les ondulations de l'eau,
+en voici un qui se reforme.</p>
+
+<p>Doucement, sur son léger coussin de
+plumes, le cygne rame et s'approche.</p>
+
+<p>Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et
+peut-être qu'il mourra, victime de cette
+illusion, avant d'attraper un seul morceau
+de nuage.</p>
+
+<p>Mais qu'est-ce que je dis?</p>
+
+<p>Chaque fois qu'il plonge, il fouille du
+bec la vase nourrissante et ramène un
+ver.</p>
+
+<p>Et il engraisse comme une oie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p11">L'ÉPERVIER</h2>
+
+
+<p>Il décrit d'abord des ronds sur le village.</p>
+
+<p>Il n'était qu'une mouche, un grain de
+suie.</p>
+
+<p>Il grossit à mesure que son vol se resserre.</p>
+
+<p>Parfois il demeure immobile. Les volailles
+donnent des signes d'inquiétude.
+Les pigeons rentrent au toit. Une poule,
+d'un cri bref, rappelle ses petits, et on
+entend cacarder les oies vigilantes d'une
+basse-cour à l'autre.</p>
+
+<p>L'épervier hésite et plane à la même
+hauteur. Peut-être n'en veut-il qu'au coq
+du clocher.</p>
+
+<p>On le croirait pendu au ciel, par un fil.</p>
+
+<p>Brusquement le fil casse, l'épervier
+tombe, sa victime choisie. C'est l'heure
+d'un drame ici-bas.</p>
+
+<p>Mais, à la surprise générale, il s'arrête
+avant de toucher terre, comme s'il manquait
+de poids, et il remonte d'un coup
+d'aile.</p>
+
+<p>Il a vu que je le guette de ma porte, et
+que je cache, derrière moi, quelque chose
+de long qui brille.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p12">LE COQ</h2>
+
+
+<p>Il n'a jamais chanté. Il n'a pas couché
+une nuit dans un poulailler, connu une
+seule poule.</p>
+
+<p>Il est en bois, avec une patte en fer au
+milieu du ventre, et il vit, depuis des
+années et des années, sur une vieille
+église comme on n'ose plus en bâtir. Elle
+ressemble à une grange et le faîte de ses
+tuiles s'aligne aussi droit que le dos d'un
+b&oelig;uf.</p>
+
+<p>Or, voici que des maçons paraissent à
+l'autre bout de l'église.
+Le coq de bois les regarde, quand un
+brusque coup de vent le force à tourner
+le dos.</p>
+
+<p>Et, chaque fois qu'il se retourne, de
+nouvelles pierres lui bouchent un peu
+plus de son horizon.</p>
+
+<p>Bientôt, d'une saccade levant la tête, il
+aperçoit, à la pointe du clocher qu'on
+vient de finir, un jeune coq qui n'était
+pas là ce matin. Cet étranger porte haut
+sa queue, ouvre le bec comme ceux qui
+chantent, et l'aile sur la hanche, tout battant
+neuf, il éclate en plein soleil.</p>
+
+<p>D'abord les deux coqs luttent de mobilité.
+Mais le vieux coq de bois s'épuise vite
+et se rend. Sous son unique pied, la
+poutre menace ruine. Il penche, raidi, près
+de tomber. Il grince et s'arrête.</p>
+
+<p>Et c'est le tour des charpentiers.</p>
+
+<p>Ils abattent ce coin vermoulu de
+l'église, descendent le coq et le promènent
+par le village. Chacun peut le toucher,
+moyennant cadeau.</p>
+
+<p>Ceux-ci donnent un &oelig;uf, ceux-là un
+sou, et M<sup>me</sup> Loriot une pièce d'argent.</p>
+
+<p>Les charpentiers boivent de bons coups,
+et, après s'être disputé le coq, ils décident
+de le brûler.</p>
+
+<p>Lui ayant fait un nid de paille et de
+fagot, ils mettent le feu.</p>
+
+<p>Le coq de bois pétille clair et sa flamme
+monte au ciel qu'il a bien gagné.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p13">LE COCHON</h2>
+
+
+<p>Grognon, mais familier comme si nous
+t'avions gardé ensemble, tu fourres le nez
+partout et tu marches autant avec lui qu'avec
+les pattes.</p>
+
+<p>Tu caches sous des oreilles en feuilles
+de betterave tes petits yeux cassis.</p>
+
+<p>Tu es cylindrique et ventru comme une
+groseille à maquereau.</p>
+
+<p>Tu as de longs poils comme elle, comme
+elle la peau claire et une courte queue
+bouclée.
+Et les méchants t'appellent: «Sale cochon!»</p>
+
+<p>Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu
+dégoûtes tout le monde et que tu n'aimes
+que l'eau de vaisselle grasse.</p>
+
+<p>Mais ils te calomnient.</p>
+
+<p>Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne
+mine.</p>
+
+<p>Tu te négliges par leur faute.</p>
+
+<p>Comme on fait ton lit, tu te couches,
+et la malpropreté n'est que ta seconde
+nature.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p14">LE BOUC</h2>
+
+
+<p>Son odeur le précède. On ne le voit pas
+encore qu'elle est arrivée.</p>
+
+<p>Il s'avance en tête du troupeau et les
+brebis le suivent, pêle-mêle, dans un
+nuage de poussière.</p>
+
+<p>Il a des poils longs et secs qu'une raie
+partage sur le dos.</p>
+
+<p>Il est moins fier de sa barbe que de sa
+taille, parce que la chèvre aussi porte une
+barbe sous le menton.</p>
+
+<p>Quand il passe, les uns se bouchent le
+nez, les autres aiment ce goût-là.</p>
+
+<p>Il ne regarde ni à droite ni à gauche:
+il marche raide, les oreilles pointues et la
+queue courte. Si les hommes l'ont chargé
+de leurs péchés, il n'en sait rien, et il laisse, sans perdre le sérieux, tomber un chapelet
+de crottes.</p>
+
+<p>Alexandre est son nom, connu même
+des chiens.</p>
+
+<p>La journée finie, le soleil disparu, il
+rentre au village, avec les moissonneurs,
+et ses cornes, fléchissant de vieillesse,
+prennent peu à peu la courbe des faucilles.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p15">LES MOUTONS</h2>
+
+
+<p>Ils reviennent des chaumes où, depuis
+ce matin, ils paissaient, le nez à l'ombre
+de leur corps.</p>
+
+<p>Selon les signes d'un berger indolent,
+le chien nécessaire attaque la bande du
+côté qu'il faut.</p>
+
+<p>Elle tient toute la route, ondule d'un
+fossé à l'autre et déborde, ou, tassée, unie, moelleuse, piétine le sol, à petits pas de
+vieilles femmes. Quand elle se met à courir,
+les pattes font le bruit des roseaux et
+criblent la poussière du chemin de nids
+d'abeilles.</p>
+
+<p>Ce mouton frise et, bien garni, saute
+comme un ballot jeté en l'air, et du cornet
+de son oreille s'échappent des pastilles.</p>
+
+<p>Cet autre a le vertige et heurte du
+genou sa tête mal vissée.</p>
+
+<p>Ils envahissent le village. On dirait que
+c'est aujourd'hui leur fête et qu'avec pétulance,
+ils bêlent de joie par les rues.</p>
+
+<p>Mais ils ne s'arrêtent pas au village, et
+je les vois reparaître, là-bas. Ils gagnent l'horizon. Par le coteau, ils montent,
+légers, vers le soleil. Ils s'en approchent
+et se couchent à distance.</p>
+
+<p>Des traînards prennent, sur le ciel, une
+dernière forme imprévue, et rejoignent la
+troupe pelotonnée.</p>
+
+<p>Un flocon se détache encore et plane,
+mousse blanche, puis fumée, vapeur, puis
+rien.</p>
+
+<p>Il ne reste plus qu'une patte dehors.</p>
+
+<p>Elle s'allonge, elle s'effile comme une
+quenouille, à l'infini.</p>
+
+<p>Les moutons frileux s'endorment
+autour du soleil las qui défait sa couronne
+et pique, jusqu'à demain, ses rayons dans leur
+laine.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p16">LE CHEVAL</h2>
+
+
+<p>Il n'est pas beau, mon cheval. Il a trop
+de n&oelig;uds et de salières; il a les côtes
+plates, une queue de rat et des incisives
+d'Anglaise. Mais il m'attendrit. Je n'en
+reviens pas qu'il reste à mon service et se
+laisse, sans révolte, tourner et retourner.</p>
+
+<p>Chaque fois que je l'attelle, je m'attends
+à ce qu'il me dise: <i>non</i>, d'un signe brusque,
+et détale.</p>
+
+<p>Point. Il baisse et lève sa grosse
+tête comme pour remettre un chapeau
+d'aplomb, recule avec docilité entre les
+brancards.</p>
+
+<p>Aussi je ne lui ménage ni l'avoine ni le
+maïs. Je le brosse jusqu'à ce que le poil
+brille comme une cerise. Je peigne sa crinière,
+je tresse sa queue maigre. Je le flatte
+de la main et de la voix. J'éponge ses yeux,
+je cire ses pieds.</p>
+
+<p>Est-ce que ça le touche?</p>
+
+<p>On ne sait pas.</p>
+
+<p>Il pète.</p>
+
+<p>C'est surtout quand il me promène en
+voiture que je l'admire. Je le fouette et il
+accélère son allure. Je l'arrête et il m'arrête.
+Je tire la guide à gauche et il oblique
+à gauche, au lieu d'aller à droite et de me
+jeter dans le fossé avec des coups de sabots
+quelque part.</p>
+
+<p>Il me fait peur, il me fait honte et il me
+fait pitié.</p>
+
+<p>Est-ce qu'il ne va pas bientôt se réveiller
+de son demi-sommeil, et prenant
+d'autorité ma place, me réduire à la
+sienne?</p>
+
+<p>A quoi pense-t-il?</p>
+
+<p>Il pète, pète, pète.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p17">LE CHIEN</h2>
+
+
+<p>On ne peut mettre Pointu dehors, par
+ce temps, et l'aigre sifflet du vent sous la
+porte l'oblige même à quitter le paillasson.
+Il cherche mieux et glisse sa bonne tête
+entre nos sièges. Mais nous nous penchons,
+serrés, coude à coude, sur le feu, et je
+donne une claque à Pointu. Mon père le
+repousse du pied. Maman lui dit des injures.
+Ma s&oelig;ur lui offre un verre vide.</p>
+
+<p>Pointu éternue et va voir à la cuisine si
+nous y sommes.</p>
+
+<p>Puis il revient, force notre cercle, au
+risque d'être étranglé par les genoux, et le
+voilà dans un coin de la cheminée.</p>
+
+<p>Après avoir longtemps tourné sur place,
+il s'assied près du chenet et ne bouge plus.
+Il regarde ses maîtres d'un &oelig;il si doux
+qu'on le tolère. Seulement le chenet
+presque rouge et les cendres écartées lui
+brûlent le derrière.</p>
+
+<p>Il reste tout dé même.</p>
+
+<p>On lui rouvre un passage:</p>
+
+<p>&mdash;Allez, file! es-tu bête!</p>
+
+<p>Mais il s'obstine. A l'heure où les dents
+des chiens perdus crissent de froid, Pointu,
+au chaud, poil roussi, fesses cuites, se
+retient de hurler et rit jaune, avec des
+larmes plein les yeux.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p18">LA SOURIS</h2>
+
+
+<p>Comme, à la clarté d'une lampe, je fais
+ma quotidienne page d'écriture, j'entends
+un léger bruit. Si je m'arrête, il cesse. Il
+recommence, dès que je gratte le papier.</p>
+
+<p>C'est une souris qui s'éveille.</p>
+
+<p>Je devine ses va-et-vient au bord du
+trou obscur où notre servante met ses
+torchons et ses brosses.</p>
+
+<p>Je distingue qu'elle saute par terre et
+trotte sur les carreaux de cuisine. Elle
+passe près de la cheminée sous l'évier, se
+perd dans la vaisselle, et par une série de
+reconnaissances qu'elle pousse de plus en
+plus loin, elle se rapproche de moi.</p>
+
+<p>Chaque fois que je pose mon porte-plume,
+ce silence l'inquiète. Chaque fois
+que je m'en sers, elle croit peut-être qu'il
+y a une autre souris quelque part, et elle
+se rassure.</p>
+
+<p>Puis je ne la vois plus. Elle est sous
+ma table, dans mes jambes. Elle circule
+d'un pied de chaise à l'autre. Elle frôle
+mes sabots, en mordille le bois, ou, hardiment,
+la voilà dessus!</p>
+
+<p>Et il ne faut pas que je bouge la jambe,
+que je respire trop fort: elle filerait.</p>
+
+<p>Mais il faut que je continue d'écrire, et,
+de peur qu'elle ne m'abandonne à mon
+ennui de solitaire, j'écris des signes, des
+riens, petitement, menu, menu, comme
+elle grignote.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p19">LES LAPINS</h2>
+
+
+<p>Dans une moitié de futaille, Lenoir et
+Legris, les pattes au chaud sous la fourrure, mangent comme des vaches. Ils ne
+font qu'un seul repas qui dure toute la
+journée.</p>
+
+<p>Si l'on tarde à leur jeter une herbe
+fraîche, ils rongent l'ancienne jusqu'à la
+racine, et la racine même occupe les
+dents.</p>
+
+<p>Or, il vient de leur tomber un pied de
+salade. Ensemble Lenoir et Legris se mettent
+après.</p>
+
+<p>Nez à nez, ils s'évertuent, hochent la
+tête, et les oreilles trottent.</p>
+
+<p>Quand il ne reste qu'une feuille, ils la
+prennent, chacun par un bout, et luttent
+de vitesse.</p>
+
+<p>Vous croiriez qu'ils jouent, s'ils ne
+rient pas, et que, la feuille avalée, une
+caresse fraternelle unira les becs.</p>
+
+<p>Mais Legris se sent faiblir. Depuis hier
+il a le gros ventre et une poche d'eau le
+ballonne. Vraiment il se bourrait trop.
+Bien qu'une feuille de salade passe
+sans qu'on ait faim, il n'en peut plus. Il
+lâche la feuille et se couche de côté, sur
+ses crottes, avec des convulsions brèves.</p>
+
+<p>Le voilà rigide, les pattes écartées,
+comme pour une réclame d'armurier: <i>On
+tue net, on tue loin.</i></p>
+
+<p>Un instant, Lenoir s'arrête de surprise.
+Assis en chandelier, le souffle doux, les
+lèvres jointes et l'&oelig;il cerclé de rose, il
+regarde.</p>
+
+<p>Il a l'air d'un sorcier qui pénètre un
+mystère.</p>
+
+<p>Ses deux oreilles droites marquent
+l'heure suprême.</p>
+
+<p>Puis elles se cassent.</p>
+
+<p>Et il achève la feuille de salade.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p20">L'ANE</h2>
+
+
+<p>Tout lui est égal. Chaque matin, il
+voiture, d'un petit pas sec et dru de
+fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue
+aux villages les commissions faites
+en ville, les épices, le pain, la viande
+de boucherie, quelques journaux, une
+lettre.</p>
+
+<p>Cette tournée finie, Jacquot et l'âne
+travaillent pour leur compte. La voiture
+sert de charrette. Ils vont ensemble à la
+vigne, au bois, aux pommes de terre.
+Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt
+des balais verts, ça ou autre chose, selon
+le jour.</p>
+
+<p>Jacquot ne cesse de dire: «Hue! hue!»
+sans motif, comme il ronflerait. Parfois
+l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire,
+ou d'une idée qui le prend, ne marche
+plus. Jacquot lui met un bras autour du
+cou et pousse. Si l'âne résiste, Jacquot lui
+mord l'oreille.</p>
+
+<p>Ils mangent dans les fossés, le maître
+une croûte et des oignons, la bête ce
+qu'elle veut.</p>
+
+<p>Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs
+ombres passent avec lenteur d'un arbre à
+l'autre.</p>
+
+<p>Subitement, le lac de silence où les
+choses baignent et dorment déjà, se
+rompt, bouleversé.</p>
+
+<p>Quelle ménagère tire, à cette heure,
+par un treuil rouillé et criard, des pleins
+seaux d'eau de son puits?</p>
+
+<p>C'est l'âne qui remonte et jette toute
+sa voix dehors et brait, jusqu'à extinction,
+qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p21">LE B&OElig;UF</h2>
+
+
+<p>La porte s'ouvre ce matin, comme
+d'habitude, et Castor quitte, sans butter,
+l'écurie. Il boit à lentes gorgées sa part au
+fond de l'auge et laisse la part de Pollux
+attardé. Puis, le mufle s'égouttant ainsi
+que l'arbre après l'averse, il va de bonne
+volonté, avec ordre et pesanteur, se
+ranger à sa place ordinaire, sous le joug
+du chariot.</p>
+
+<p>Les cornes liées, la tête immobile, il
+fronce le ventre, chasse mollement de sa
+queue les mouches noires et, telle une
+servante sommeille le balai à la main, il
+rumine en attendant Pollux.</p>
+
+<p>Mais, par la cour, les domestiques
+affairés crient et jurent et le chien jappe
+comme à l'approche d'un étranger.</p>
+
+<p>Est-ce le sage Pollux qui, pour la première
+fois, résiste à l'aiguillon, tournaille,
+heurte le flanc de Castor, fume, et quoique
+attelé, tâche encore de secouer le joug
+commun?</p>
+
+<p>Non, c'est un autre.</p>
+
+<p>Et Castor, dépareillé, arrête ses mâchoires,
+quand il voit près du sien cet
+&oelig;il trouble de b&oelig;uf qu'il ne reconnaît
+pas.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p22">LE TAUREAU</h2>
+
+
+<p>Le pêcheur à la ligne volante marche
+d'un pas léger au bord de l'Yonne et fait
+sautiller sur l'eau sa mouche verte.</p>
+
+<p>Les mouches vertes, il les attrape aux
+troncs des peupliers polis par le frottement
+du bétail.</p>
+
+<p>Il jette sa ligne d'un coup sec et tire
+d'autorité.</p>
+
+<p>Il s'imagine que chaque place nouvelle
+est la meilleure, et bientôt il la quitte,
+enjambe un échalier et de ce pré passe
+dans l'autre.</p>
+
+<p>Soudain, comme il traverse un grand
+pré que grille le soleil, il s'arrête.</p>
+
+<p>Là-bas, du milieu des vaches paisibles
+et couchées, le taureau vient de se lever
+pesamment.</p>
+
+<p>C'est un taureau fameux et sa taille
+étonne les passants sur la route. On l'admire
+à distance et, s'il ne l'a fait déjà, il
+pourrait lancer son homme au ciel, ainsi
+qu'une flèche, avec l'arc de ses cornes.
+Plus doux qu'un agneau tant qu'il veut,
+il se met tout à coup en fureur, quand ça
+le prend, et près de lui, on ne sait jamais
+ce qui arrivera.</p>
+
+<p>Le pêcheur l'observe obliquement.</p>
+
+<p>&mdash;Si je fuis, pense-t-il, le taureau sera
+sur moi avant que je ne sorte du pré. Si,
+sans savoir nager, je plonge dans la rivière,
+je me noie. Si je fais le mort par
+terre, le taureau, dit-on, me flairera et
+ne me touchera pas. Est-ce bien sûr?
+Et, s'il ne s'en va plus, quelle angoisse!
+Mieux vaut feindre une indifférence trompeuse.
+Et le pêcheur à la ligne volante continue
+de pêcher, comme si le taureau était
+absent. Il espère ainsi lui donner le
+change.</p>
+
+<p>Sa nuque cuit sous son chapeau de
+paille.</p>
+
+<p>Il retient ses pieds qui brûlent de
+courir et les oblige à fouler l'herbe. Il
+a l'héroïsme de tremper dans l'eau sa
+mouche verte. Il ne se cache que de temps
+en temps, derrière les peupliers. Il gagne
+posément l'échalier de la haie, d'où il
+pourra, d'un dernier effort de ses membres
+rompus, bondir hors du pré, sain et
+sauf.</p>
+
+<p>D'ailleurs, qui le presse?</p>
+
+<p>Le taureau ne s'occupe pas de lui et reste
+avec les vaches.</p>
+
+<p>Il ne s'est mis debout que pour remuer,
+par lassitude, comme on s'étire.</p>
+
+<p>Il tourne au vent du soir sa tête
+crépue.</p>
+
+<p>Il beugle par intervalles, l'&oelig;il à demi
+fermé.</p>
+
+<p>Il mugit de langueur et s'écoute mugir.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p23">LES MOUCHES D'EAU</h2>
+
+
+<p>Il n'y a qu'un chêne au milieu du pré,
+et les b&oelig;ufs occupent toute l'ombre
+de ses feuilles.</p>
+
+<p>La tête basse, ils font les cornes au soleil.</p>
+
+<p>Ils seraient bien, sans les mouches.
+Mais aujourd'hui, vraiment, elles dévorent.
+Acres et nombreuses, les noires se
+collent par plaques de suie aux yeux, aux
+narines, aux coins des lèvres même, et
+les vertes sucent de préférence la dernière
+écorchure.</p>
+
+<p>Quand un b&oelig;uf remue son tablier de
+cuir, ou frappe du sabot la terre sèche, le
+nuage de mouches se déplace avec murmure.
+On dirait qu'elles fermentent.</p>
+
+<p>Il fait si chaud que les vieilles femmes,
+sur leur porte, flairent l'orage, et déjà
+elles plaisantent de peur:</p>
+
+<p>&mdash;Gare au bourdoudou! disent-elles.</p>
+
+<p>Là-bas, un premier coup de lance lumineux
+perce le ciel, sans bruit. Une goutte
+de pluie tombe.</p>
+
+<p>Les b&oelig;ufs, avertis, relèvent la tête, se
+meuvent jusqu'au bord du chêne et soufflent patiemment.</p>
+
+<p>Ils le savent: voici que les bonnes
+mouches viennent chasser les mauvaises.</p>
+
+<p>D'abord rares, une par une, puis serrées,
+toutes ensemble, elles fondent du ciel déchiqueté
+sur l'ennemi qui cède peu à peu,
+s'éclaircit, se disperse.</p>
+
+<p>Et bientôt, du nez camus à la queue
+inusable, les b&oelig;ufs ruisselants ondulent
+d'aise sous l'essaim victorieux des mouches
+d'eau.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p24">LE GRILLON</h2>
+
+
+<p>C'est l'heure où, las d'errer, l'insecte
+nègre revient de promenade et répare avec
+soin le désordre de son domaine.</p>
+
+<p>D'abord il ratisse ses étroites allées de
+sable.</p>
+
+<p>Il fait du bran de scie qu'il écarte au
+seuil de sa retraite.</p>
+
+<p>Il lime la racine de cette grande herbe
+propre à le harceler.</p>
+
+<p>Il se repose.</p>
+
+<p>Puis il remonte sa minuscule montre.</p>
+
+<p>A-t-il fini? Est-elle cassée? Il se repose
+encore un peu.</p>
+
+<p>Il rentre chez lui et ferme sa porte.</p>
+
+<p>Longtemps il tourne sa clé dans la
+serrure délicate.</p>
+
+<p>Et il écoute:</p>
+
+<p>Point d'alarme dehors.</p>
+
+<p>Mais il ne se trouve pas en sûreté.</p>
+
+<p>Et comme par une chaînette dont la
+poulie grince, il descend jusqu'au fond
+de la terre.</p>
+
+<p>On n'entend plus rien.</p>
+
+<p>Dans la campagne muette, les peupliers
+se dressent comme des doigts en
+l'air et désignent la lune.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p25">LES GRENOUILLES</h2>
+
+
+<p>Par brusques détentes, elles exercent
+leurs ressorts.</p>
+
+<p>Elles sautent de l'herbe comme de
+lourdes gouttes d'huile frite.</p>
+
+<p>Elles se posent, presse-papiers de bronze,
+sur les larges feuilles du nénuphar.</p>
+
+<p>L'une se gorge d'air. On mettrait un
+sou, par sa bouche, dans la tirelire de son
+ventre.</p>
+
+<p>Elles montent, comme des soupirs, de
+la vase.</p>
+
+<p>Immobiles, elles semblent les gros yeux
+à fleur d'eau, les tumeurs de la mare
+plate.</p>
+
+<p>Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent
+au soleil couchant.</p>
+
+<p>Puis, comme les camelots assourdissants
+des rues, elles crient les dernières nouvelles
+du soir.</p>
+
+<p>Parfois, elles happent un insecte.</p>
+
+<p>Et d'autres ne s'occupent que d'amour.</p>
+
+<p>Et toutes, elles tentent le pêcheur à la
+ligne.</p>
+
+<p>Je casse, sans difficulté, une gaule. J'ai,
+piquée à mon paletot, une épingle que je recourbe en hameçon.</p>
+
+<p>La ficelle ne me manque pas, Dieu
+merci!</p>
+
+<p>Mais il me faudrait encore un brin de
+laine, un bout de n'importe quoi rouge.</p>
+
+<p>Je cherche sur moi, par terre, au ciel.</p>
+
+<p>Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement
+ma boutonnière fendue, toute
+prête, que, sans reproche, on ne se hâte
+guère d'orner du ruban rouge.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p26">LE CRAPAUD</h2>
+
+
+<p>Né d'une pierre, il vit sous une pierre
+et s'y creusera un tombeau.</p>
+
+<p>Je le visite fréquemment, et, chaque fois
+que je lève sa pierre, j'ai peur de le retrouver et peur qu'il n'y soit plus.</p>
+
+<p>Il y est.</p>
+
+<p>Caché dans ce gîte sec, propre, étroit,
+bien à lui, il l'occupe pleinement, gonflé
+comme une bourse d'avare.</p>
+
+<p>Qu'une pluie le fasse sortir, et il vient
+au-devant de moi. Quelques sauts lourds,
+et il s'arrête sur ses cuisses et me regarde
+de ses yeux rougis. Si le monde injuste le
+traite en lépreux, je ne crains pas de m'accroupir
+près de lui et d'approcher du sien
+mon visage d'homme.</p>
+
+<p>Puis je dompterai un reste de dégoût,
+et je te caresserai de ma main, crapaud!</p>
+
+<p>On en avale dans la vie qui font
+plus mal au c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Pourtant, hier, j'ai manqué de tact. Il
+fermentait et suintait, toutes ses verrues
+crevées.</p>
+
+<p>&mdash;Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne
+veux pas te faire de peine, mais, Dieu!
+que tu es laid!</p>
+
+<p>Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents,
+à l'haleine chaude, et me répondit avec
+un léger accent anglais:</p>
+
+<p>&mdash;Et toi?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p27">LA CHENILLE</h2>
+
+
+<p>Elle sort d'une touffe d'herbe qui l'avait
+cachée pendant la chaleur. Elle traverse
+l'allée de sable à grandes ondulations. Elle
+se garde d'y faire halte et un moment elle
+se croit perdue dans une trace de sabot du
+jardinier.</p>
+
+<p>Arrivée aux fraises, elle se repose, lève
+le nez de droite et de gauche pour flairer;
+puis elle repart et sous les feuilles et sur
+les feuilles, elle sait maintenant où elle va.</p>
+
+<p>Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée,
+brune avec des points d'or et ses yeux
+noirs!</p>
+
+<p>Guidée par l'odorat, elle se trémousse et
+se fronce comme un épais sourcil.</p>
+
+<p>Elle s'arrête au bas d'un rosier.</p>
+
+<p>De ses fines agrafes, elle tâte l'écorce
+rude, balance sa petite tête de chien nouveau-né et se décide à grimper.</p>
+
+<p>Et, cette fois, vous diriez qu'elle avale
+péniblement chaque longueur de chemin
+par déglutition.</p>
+
+<p>Tout en haut du rosier, s'épanouit une
+rose au teint de candide fillette. Ses parfums qu'elle prodigue la grisent. Elle ne
+se défie de personne. Elle laisse monter
+par sa tige la première chenille venue. Elle
+l'accueille comme un cadeau.</p>
+
+<p>Et, pressentant qu'il fera froid cette
+nuit, elle est bien aise de se mettre un
+boa autour du cou.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p28">LA SAUTERELLE</h2>
+
+
+<p>Serait-ce le gendarme des insectes?</p>
+
+<p>Tout le jour, elle saute et s'acharne aux
+trousses d'invisibles braconniers qu'elle n'attrape jamais.</p>
+
+<p>Les plus hautes herbes ne l'arrêtent pas.</p>
+
+<p>Rien ne lui fait peur, car elle a des bottes
+de sept lieues, un cou de taureau, le front génial, le ventre d'une carène, des ailes
+en celluloïd, des cornes diaboliques et un
+grand sabre au derrière.</p>
+
+<p>Comme on ne peut avoir les vertus d'un
+gendarme sans les vices, il faut bien le
+dire, la sauterelle chique.</p>
+
+<p>Si je mens, poursuis-la de tes doigts,
+joue avec elle à quatre coins, et quand tu
+l'auras saisie, entre deux bonds, sur une
+feuille de luzerne, observe sa bouche: Par
+ses terribles mandibules, elle sécrète une
+mousse noire comme du jus de tabac.</p>
+
+<p>Mais déjà tu ne la tiens plus. Sa rage
+de sauter la reprend. Le monstre vert
+t'échappe d'un brusque effort et, fragile,
+te laisse une petite cuisse dans la main.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p29">LA CAGE</h2>
+
+
+<p>Félix ne comprend pas qu'on tienne des
+oiseaux prisonniers dans une cage.</p>
+
+<p>&mdash;De même, dit-il, que c'est un crime
+de cueillir une fleur, et, personnellement,
+je ne veux la respirer que sur sa tige, de
+même les oiseaux sont faits pour voler.</p>
+
+<p>Cependant il achète une cage; il l'accroche
+à sa fenêtre. Il y dépose un nid
+d'ouate, une soucoupe de graines, une
+tasse d'eau pure et renouvelable, une balançoire
+et une petite glace.</p>
+
+<p>Et comme on l'interroge avec surprise:</p>
+
+<p>&mdash;Je me félicite de ma générosité, dit-il,
+chaque fois que je regarde cette cage. Je pourrais y mettre un oiseau et je la laisse
+vide. Si je voulais, telle grive brune, tel bouvreuil pimpant, qui sautille, ou tel
+autre de nos petits oiseaux variés serait esclave. Mais grâce à moi, l'un d'eux au moins
+reste libre. C'est toujours ça.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p30">MERLE!</h2>
+
+
+<p>Dans mon jardin il y a un vieux noyer
+presque mort qui fait peur aux petits oiseaux.
+Seul un oiseau noir habite ses dernières
+feuilles.</p>
+
+<p>Mais le reste du jardin est plein de jeunes
+arbres fleuris où nichent des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.</p>
+
+<p>Et il semble que ces jeunes arbres se
+moquent du vieux noyer. A chaque instant,
+ils lui lancent, comme des paroles
+taquines, une volée d'oiseaux
+babillards.</p>
+
+<p>Tour à tour, pierrots, martins, mésanges
+et pinsons le harcèlent. Ils choquent
+de l'aile la pointe de ses branches.
+L'air crépite de leurs cris menus; puis ils
+se sauvent, et c'est une autre bande
+importune qui part des jeunes arbres.</p>
+
+<p>Tant qu'elle peut, elle nargue, piaille,
+siffle et s'égosille.</p>
+
+<p>Ainsi de l'aube au crépuscule, comme
+des mots railleurs, pinsons, mésanges,
+martins et pierrots s'échappent des jeunes
+arbres vers le vieux noyer.</p>
+
+<p>Mais parfois il s'impatiente, il remue ses
+dernières feuilles, lâche son oiseau noir et répond:</p>
+
+<p>&mdash;Merle!</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p31">L'ALOUETTE</h2>
+
+
+<p>Je n'ai jamais vu d'alouette et je me lève
+inutilement avec l'aurore. L'alouette n'est
+pas un oiseau de la terre.</p>
+
+<p>Depuis ce matin, je foule les mottes et
+les herbes sèches.</p>
+
+<p>Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets
+peints à vif flottent sur les haies
+d'épines.</p>
+
+<p>Le geai passe la revue des arbres dans
+un costume de préfecture.</p>
+
+<p>Une caille rase des luzernes et trace au
+cordeau la ligne droite de son vol.</p>
+
+<p>Derrière le berger qui tricote mieux
+qu'une femme, les moutons se suivent et
+se ressemblent.</p>
+
+<p>Et tout s'imprègne d'une lumière si
+neuve que le corbeau, qui ne présage rien
+de bon, fait sourire.</p>
+
+<p>Mais écoutez comme j'écoute.</p>
+
+<p>Entendez-vous quelque part, là-haut,
+piler dans une coupe d'or des morceaux
+de cristal?</p>
+
+<p>Qui peut me dire où l'alouette chante?</p>
+
+<p>Si je regarde en l'air, le soleil brûle mes
+yeux.</p>
+
+<p>Il me faut renoncer à la voir.</p>
+
+<p>L'alouette vit au ciel, et c'est le seul
+oiseau du ciel qui chante jusqu'à nous.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p32">LE GOUJON</h2>
+
+
+<p>Il remonte le courant d'eau vive et suit
+le chemin que tracent les cailloux: car il
+n'aime ni la vase, ni les herbes.</p>
+
+<p>Il aperçoit une bouteille couchée sur un
+lit de sable. Elle n'est pleine que d'eau.
+J'ai oublié à dessein d'y mettre une amorce.
+Le goujon tourne autour, cherche l'entrée
+et le voilà pris.</p>
+
+<p>Je ramène la bouteille et rejette le goujon.</p>
+
+<p>Plus haut, il entend du bruit. Loin
+de fuir, il s'approche, par curiosité. C'est
+moi qui m'amuse, piétine dans l'eau et
+remue le fond avec une perche, au bord
+d'un filet. Le goujon têtu veut passer par
+une maille. Il y reste.</p>
+
+<p>Je lève le filet et rejette le goujon.</p>
+
+<p>Plus bas, une brusque secousse tend
+ma ligne et le bouchon bicolore file entre
+deux eaux.</p>
+
+<p>Je tire et c'est encore lui.</p>
+
+<p>Je le décroche de l'hameçon et le rejette.</p>
+
+<p>Cette fois, je ne le verrai plus.</p>
+
+<p>Il est là, immobile, à mes pieds, sous
+l'eau claire. Je distingue sa tête élargie,
+son gros &oelig;il stupide et sa paire de barbillons.</p>
+
+<p>Il bâille, la lèvre déchirée, et il respire
+fort, après une telle émotion.</p>
+
+<p>Mais rien ne le corrige.</p>
+
+<p>Je laisse de nouveau tremper ma ligne
+avec le même ver.</p>
+
+<p>Et aussitôt le goujon mord.</p>
+
+<p>Lequel de nous deux se lassera le premier?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p33">LA DEMOISELLE</h2>
+
+
+<p>Elle soigne son ophtalmie.</p>
+
+<p>D'un bord à l'autre de la rivière, elle
+ne fait que tremper dans l'eau fraîche ses
+yeux gonflés.</p>
+
+<p>Et elle grésille, comme si elle volait à
+l'électricité.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p34">LA PIE</h2>
+
+
+<p>Elle était toute noire; mais elle a passé
+l'hiver dernier aux champs et il lui reste
+de la neige.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p35">L'ARAIGNÉE</h2>
+
+
+<p>Une petite main poilue crispée sur des
+cheveux.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p36">LE PAPILLON</h2>
+
+
+<p>Ce billet doux plié en deux cherche une
+adresse de fleurs.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p37">LA GUÊPE</h2>
+
+
+<p>Elle finira pourtant par abîmer sa taille!</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p38">LA PUCE</h2>
+
+
+<p>Un grain de tabac à ressort.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p39">L'ESCARGOT</h2>
+
+
+<p>Dans la saison des rhumes, son cou de
+girafe rentré, l'escargot bout comme un
+nez plein.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p40">LE VER</h2>
+
+
+<p>En voilà un qui s'allonge comme une
+belle nouille.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p41">LA COULEUVRE</h2>
+
+
+<p>De quel ventre est-elle tombée, cette
+colique?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p42">LES FOURMIS</h2>
+
+
+<p>Chacune d'elle ressemble au chiffre 3.</p>
+
+<p>Et il y en a! il y en a!</p>
+
+<p>Il y en a 333333333333&hellip; jusqu'à
+l'infini.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p43">CHAUVES-SOURIS</h2>
+
+
+<p>La nuit s'use à force de servir.</p>
+
+<p>Elle ne s'use point par le haut, dans ses
+étoiles. Elle s'use comme une robe qui
+traîne à terre, entre les cailloux et les
+arbres, jusqu'au fond des tunnels malsains
+et des caves humides.</p>
+
+<p>Il n'est pas de coin où ne pénètre un
+pan de nuit. L'épine le crève, les froids le
+gercent, la boue le gâte. Et chaque matin,
+quand la nuit remonte, des loques s'en
+détachent, accrochées au hasard.</p>
+
+<p>Ainsi naissent les chauves-souris.</p>
+
+<p>Et elles doivent à cette origine de ne
+pouvoir supporter l'éclat du jour.</p>
+
+<p>Le soleil couché, quand nous prenons
+le frais, elles se décollent des vieilles poutres
+où, léthargiques, elles pendaient d'une
+griffe.</p>
+
+<p>Leur vol gauche nous inquiète. D'une
+aile baleinée et sans plumes, elles palpitent
+autour de nous. Elles se dirigent
+moins avec d'inutiles yeux blessés qu'avec
+l'oreille.</p>
+
+<p>Mon amie cache son visage, et moi je
+détourne la tête par crainte du choc impur.</p>
+
+<p>On dit qu'avec plus d'ardeur que notre
+amour même, elles nous suceraient le sang
+jusqu'à la mort.</p>
+
+<p>Comme on exagère!</p>
+
+<p>Elles ne sont pas méchantes. Elles ne
+nous touchent jamais.</p>
+
+<p>Filles de la nuit, elles ne détestent que
+les lumières, et, du frôlement de leurs petits
+châles funèbres, elles cherchent des bougies
+à souffler.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p44">LE CERF</h2>
+
+
+<p>J'entrai au bois par un bout de l'allée,
+comme il arrivait par l'autre bout.</p>
+
+<p>Je crus d'abord qu'une personne étrangère
+s'avançait avec un pot de fleurs.</p>
+
+<p>Puis je distinguai le petit arbre nain,
+aux branches écartées et sans feuilles.</p>
+
+<p>Enfin le cerf apparut net et nous nous
+arrêtâmes tous deux.</p>
+
+<p>Je lui dis:</p>
+
+<p>&mdash;Approche. Ne crains rien. Si j'ai un
+fusil, c'est par contenance, pour imiter les
+hommes qui se prennent au sérieux. Je
+ne m'en sers jamais et je laisse ses cartouches
+dans leur tiroir.</p>
+
+<p>Le cerf écoutait et flairait mes paroles.
+Dès que je me tus, il n'hésita point: ses
+jambes remuèrent comme des tiges qu'un
+souffle d'air croise et décroise. Il s'enfuit.</p>
+
+<p>&mdash;Quel dommage! lui criai-je. Je rêvais
+déjà que nous faisions route ensemble.
+Moi, je t'offrais, de ma main, les herbes
+que tu aimes, et toi, d'un pas de promenade,
+tu portais mon fusil couché sur ta
+ramure.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p45">UNE FAMILLE D'ARBRES</h2>
+
+
+<p>C'est après avoir traversé une plaine
+brûlée de soleil que je les rencontre.</p>
+
+<p>Ils ne demeurent pas au bord de la
+route, à cause du bruit. Ils habitent les
+champs incultes, sur une source connue
+des oiseaux seuls.</p>
+
+<p>De loin, ils semblent impénétrables.
+Dès que j'approche, leurs troncs se desserrent.
+Ils m'accueillent avec prudence.
+Je peux me reposer, me rafraîchir, mais
+je devine qu'ils m'observent et se défient.</p>
+
+<p>Ils vivent en famille, les plus âgés au
+milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout,
+sans jamais s'écarter.</p>
+
+<p>Ils mettent longtemps à mourir, et ils
+gardent les morts debout jusqu'à la chute
+en poussière.</p>
+
+<p>Ils se flattent de leurs longues branches,
+pour s'assurer qu'ils sont tous là, comme
+les aveugles. Ils gesticulent de colère si le
+vent s'essouffle à les déraciner. Mais entre
+eux aucune dispute. Ils ne murmurent que
+d'accord.</p>
+
+<p>Je sens qu'ils doivent être ma vraie
+famille. J'oublierai vite l'autre. Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter
+j'apprends ce qu'il faut savoir:</p>
+
+<p>Je sais déjà regarder les nuages qui
+passent.</p>
+
+<p>Je sais aussi rester en place.</p>
+
+<p>Et je sais presque me taire.</p>
+
+
+
+
+<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2>
+
+
+<ul>
+<li><a href="#p1">Le Chasseur d'images</a></li>
+<li><a href="#p2">Les Hirondelles de cheminée</a></li>
+<li><a href="#p3">Les Pigeons</a></li>
+<li><a href="#p4">La Poule</a></li>
+<li><a href="#p5">La Dinde</a></li>
+<li><a href="#p6">La Pintade</a></li>
+<li><a href="#p7">Canards</a></li>
+<li><a href="#p8">Le Paon</a></li>
+<li><a href="#p9">L'Oie</a></li>
+<li><a href="#p10">Le Cygne</a></li>
+<li><a href="#p11">L'Épervier</a></li>
+<li><a href="#p12">Le Coq</a></li>
+<li><a href="#p13">Le Cochon</a></li>
+<li><a href="#p14">Le Bouc</a></li>
+<li><a href="#p15">Les Moutons</a></li>
+<li><a href="#p16">Le Cheval</a></li>
+<li><a href="#p17">Le Chien</a></li>
+<li><a href="#p18">La Souris</a></li>
+<li><a href="#p19">Les Lapins</a></li>
+<li><a href="#p20">L'Ane</a></li>
+<li><a href="#p21">Le B&oelig;uf</a></li>
+<li><a href="#p22">Le Taureau</a></li>
+<li><a href="#p23">Les Mouches d'eau</a></li>
+<li><a href="#p24">le Grillon</a></li>
+<li><a href="#p25">les Grenouilles</a></li>
+<li><a href="#p26">Le Crapaud</a></li>
+<li><a href="#p27">La Chenille</a></li>
+<li><a href="#p28">La Sauterelle</a></li>
+<li><a href="#p29">La Cage</a></li>
+<li><a href="#p30">Merle!</a></li>
+<li><a href="#p31">L'Alouette</a></li>
+<li><a href="#p32">Le Goujon</a></li>
+<li><a href="#p33">La Demoiselle</a></li>
+<li><a href="#p34">La Pie</a></li>
+<li><a href="#p35">L'Araignée</a></li>
+<li><a href="#p36">Le Papillon</a></li>
+<li><a href="#p37">La Guêpe</a></li>
+<li><a href="#p38">La Puce</a></li>
+<li><a href="#p39">L'Escargot</a></li>
+<li><a href="#p40">Le Ver</a></li>
+<li><a href="#p41">La Couleuvre</a></li>
+<li><a href="#p42">Les Fourmis</a></li>
+<li><a href="#p43">Chauves-Souris</a></li>
+<li><a href="#p44">Le Cerf</a></li>
+<li><a href="#p45">Une Famille d'Arbres</a></li>
+</ul>
+
+<p class="c"><span class="small">IMPRIMERIE E. FLAMMARION, 26, RUE RACINE, PARIS.</span></p>
+
+<div class="cbreak"><img src="images/b.png" alt="" /></div>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44255 ***</div>
+</body>
+</html>
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
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+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
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+status under the laws that apply to them.
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #44255 (https://www.gutenberg.org/ebooks/44255)
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+The Project Gutenberg EBook of Histoires naturelles, by Jules Renard
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Histoires naturelles
+
+Author: Jules Renard
+
+Release Date: November 21, 2013 [EBook #44255]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRES NATURELLES ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
+images generously made available by the Bibliothèque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+
+
+JULES RENARD
+
+Histoires naturelles
+
+PARIS
+
+ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR
+
+26, RUE RACINE, 26
+
+_Tous droits réservés._
+
+
+
+
+ Il a été tiré de cet ouvrage:
+ 10 exemplaires sur papier du Japon numérotés 1 à 10,
+ et 10 exemplaires sur papier de Hollande numérotés 11 à 20.
+
+
+DU MÊME AUTEUR
+
+ Sourires pincés.
+ L'Écornifleur.
+ Coquecigrues.
+ La Lanterne sourde.
+ Poil de carotte.
+ Le Vigneron dans sa vigne.
+
+
+PARIS.--IMP. E. FLAMMARION, RUE RACINE, 26.
+
+
+
+
+LE CHASSEUR D'IMAGES
+
+
+Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son
+coeur pur et son corps léger comme un vêtement d'été. Il n'emporte point
+de provisions. Il boira l'air frais en route et reniflera les odeurs
+salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d'ouvrir les
+yeux. Les yeux servent de filets où les images s'emprisonnent
+d'elles-mêmes.
+
+La première qu'il fait captive est celle du chemin qui montre ses os,
+cailloux polis, et ses ornières, veines crevées, entre deux haies riches
+de prunelles et de mûres.
+
+Il prend ensuite l'image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort
+sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le
+ventre, comme si on jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe une
+pluie fine, la rivière a la chair de poule.
+
+Il lève l'image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des
+prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d'une
+alouette ou d'un chardonneret. Puis il entre au bois. Il ne se savait
+pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd
+aucune sourde rumeur, et, pour qu'il communique avec les arbres, ses
+nerfs se lient aux nervures des feuilles.
+
+Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il perçoit trop, il fermente, il a
+peur, quitte le bois et suit de loin les paysans mouleurs regagnant le
+village. Dehors, il fixe un moment, au point que son oeil éclate, le
+soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon ses lumineux habits, ses
+nuages répandus pêle-mêle.
+
+Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe et
+longuement, avant de s'endormir, il se plaît à compter ses images.
+
+Dociles, elles renaissent au gré du souvenir. Chacune d'elles en éveille
+une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente s'accroît de
+nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour
+chantent le soir, à l'abri du danger, et se rappellent aux creux des
+sillons.
+
+
+
+
+LES HIRONDELLES DE CHEMINÉE
+
+
+Elles me donnent ma leçon de chaque jour.
+
+Elles pointillent l'air de petits cris.
+
+Elles tracent une raie droite, posent une virgule au bout, et,
+brusquement, vont à la ligne.
+
+Elles mettent entre folles parenthèses la maison où j'habite.
+
+Trop vives pour que la pièce d'eau du jardin prenne copie de leur vol,
+elles montent de la cave au grenier.
+
+D'une plume d'aile légère, elles bouclent d'inimitables parafes.
+
+Puis, deux à deux, en accolade, elles se joignent, se mêlent, et, sur le
+bleu du ciel, elles font tache d'encre.
+
+Mais l'oeil d'un ami peut seul les suivre, et si vous savez le grec et
+le latin, moi je sais lire l'hébreu que décrivent dans l'air les
+hirondelles de cheminée.
+
+
+
+
+LES PIGEONS
+
+
+Qu'ils fassent sur la maison un bruit de tambour voilé;
+
+Qu'ils sortent de l'ombre, culbutent, éclatent au soleil et rentrent
+dans l'ombre;
+
+Que leur col fugitif vive et meure comme l'opale au doigt;
+
+Qu'ils s'endorment, le soir, dans la forêt, si pressés que la plus haute
+branche du chêne menace de rompre sous cette charge de fruits peints;
+
+Que ces deux-là échangent des saluts frénétiques et brusquement, l'un à
+l'autre, se convulsent;
+
+Que celui-ci revienne d'exil, avec une lettre, et vole comme la pensée
+de notre amie lointaine (Ah! un gage!);
+
+Tous ces pigeons, qui d'abord amusent, finissent par ennuyer.
+
+Ils ne sauraient tenir en place et les voyages ne les forment point.
+
+Ils restent toute la vie un peu niais.
+
+Ils s'obstinent à croire qu'on fait les enfants par le bec.
+
+Et c'est insupportable à la longue, cette manie héréditaire d'avoir
+toujours dans la gorge quelque chose qui ne passe pas.
+
+
+
+
+LA POULE
+
+
+Pattes jointes, elle saute du poulailler, dès qu'on lui ouvre la porte.
+
+C'est une poule commune, modestement parée et qui ne pond jamais d'oeufs
+d'or.
+
+Éblouie de lumière, elle fait quelques pas, indécise, dans la cour.
+
+Elle voit d'abord le tas de cendres où, chaque matin, elle a coutume de
+s'ébattre.
+
+Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive agitation d'ailes, les plumes
+gonflées, elle secoue ses puces de la nuit.
+
+Puis elle va boire au plat creux que la dernière averse a rempli.
+
+Elle ne boit que de l'eau.
+
+Elle boit par petits coups et dresse le col, en équilibre sur le bord du
+plat.
+
+Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.
+
+Les fines herbes sont à elle, et les insectes et les graines perdues.
+
+Elle pique, elle pique, infatigable.
+
+De temps en temps, elle s'arrête. Droite sous son bonnet phrygien,
+l'oeil vif, le jabot avantageux, elle écoute de l'une et de l'autre
+oreille.
+
+Et, sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se remet en quête.
+
+Elle lève haut ses pattes raides comme ceux qui ont la goutte. Elle
+écarte les doigts et les pose avec précaution, sans bruit.
+
+On dirait qu'elle marche pieds nus.
+
+
+
+
+LA DINDE
+
+
+Elle se pavane au milieu de la cour, comme si elle vivait sous l'ancien
+régime.
+
+Les autres volailles ne font que manger toujours, n'importe quoi. Elle,
+entre ses repas réguliers, ne se préoccupe que d'avoir bel air. Toutes
+ses plumes sont empesées et les pointes de ses ailes raient le sol,
+comme pour tracer la route qu'elle suit: c'est là qu'elle s'avance et
+non ailleurs.
+
+Elle se rengorge tant qu'elle ne voit jamais ses pattes.
+
+Elle ne doute de personne, et dès que je m'approche, elle s'imagine que
+je veux lui rendre mes hommages.
+
+Déjà elle glougloute d'orgueil.
+
+--Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez une oie, j'écrirais votre
+éloge, comme le fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais vous n'êtes
+qu'une dinde.
+
+J'ai dû la vexer, car le sang monte à sa tête. Des grappes de colère lui
+pendent au bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait claquer d'un coup
+sec l'éventail de sa queue et cette vieille chipie me tourne le dos.
+
+
+
+
+LA PINTADE
+
+
+C'est la bossue de ma cour. Elle ne rêve que plaies à cause de sa bosse.
+
+Les poules ne lui disent rien. Brusquement, elle se précipite et les
+harcèle.
+
+Puis elle baisse sa tête, penche le corps, et de toute la vitesse de ses
+pattes maigres, elle court frapper de son bec dur juste au centre de la
+roue d'une dinde.
+
+Cette poseuse l'agaçait.
+
+Ainsi, la tête bleuie et ses barbillons rouges à vif, elle rage du matin
+au soir. Elle se bat sans motif, peut être parce qu'elle s'imagine
+toujours qu'on se moque de sa taille, de son crâne chauve et de sa queue
+basse.
+
+Et elle ne cesse de jeter un cri discordant qui perce l'air comme une
+pointe.
+
+Parfois elle quitte la cour et disparaît. Elle laisse aux volailles
+pacifiques un moment de répit. Mais elle revient plus turbulente et plus
+criarde. Et, frénétique, elle se vautre par terre.
+
+Qu'a-t-elle donc?
+
+La sournoise fait une farce.
+
+Elle est allée pondre son oeuf à la campagne.
+
+Je peux le chercher si ça m'amuse.
+
+Elle se roule dans la poussière, comme une bossue.
+
+
+
+
+CANARDS
+
+
+C'est la cane qui va la première, boitant des deux pattes, barboter au
+trou qu'elle connaît.
+
+Et le canard la suit. Les pointes de ses ailes croisées sur le dos, il
+boite aussi des deux pattes.
+
+Et cane et canard marchent taciturnes comme à un rendez-vous d'affaires.
+
+La cane d'abord se laisse glisser dans l'eau boueuse où flottent des
+plumes, des fientes, une feuille de vigne, et de la paille. Elle a
+presque disparu.
+
+Elle attend. Elle est prête.
+
+Et le canard entre à son tour. Il noie ses riches couleurs. On ne voit
+que sa tête verte et l'accroche-coeur du derrière. Tous deux se trouvent
+bien là. L'eau chauffe. Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle
+que les jours d'orage.
+
+Le canard, de son bec aplati, mordille et serre la nuque de la cane. Un
+instant il s'agite et l'eau est si épaisse qu'elle en frissonne à peine.
+Et vite calmée, plate, elle réfléchit, en noir, un coin de ciel pur.
+
+La cane et le canard ne bougent plus. Le soleil les cuit et les endort.
+On passerait près d'eux sans les remarquer. Ils ne se dénoncent que par
+les rares bulles d'air qui viennent crever sur l'eau croupie.
+
+
+
+
+LE PAON
+
+
+Il va sûrement se marier aujourd'hui.
+
+Ce devait être pour hier. En habit de gala, il était prêt. Il
+n'attendait que sa fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut tarder.
+
+Glorieux, il se promène avec une allure de prince indien et porte sur
+lui les riches présents d'usage. L'amour avive l'éclat de ses couleurs
+et son aigrette tremble comme une lyre.
+
+La fiancée n'arrive pas.
+
+Il monte au haut du toit et regarde du côté du soleil. Il jette son cri
+diabolique:
+
+Léon! Léon!
+
+C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne voit rien venir et personne
+ne répond. Les volailles habituées ne lèvent même point la tête. Elles
+sont lasses de l'admirer. Il redescend dans la cour, si sûr d'être beau
+qu'il est incapable de rancune.
+
+Son mariage sera pour demain.
+
+Et, ne sachant que faire du reste de la journée, il se dirige vers le
+perron. Il gravit les marches, comme des marches de temple, d'un pas
+officiel.
+
+Il relève sa robe à queue toute lourde des yeux qui n'ont pu se détacher
+d'elle.
+
+Il répète une dernière fois la cérémonie.
+
+
+
+
+L'OIE
+
+
+Tiennette voudrait aller à Paris, comme les autres filles du village.
+Mais est-elle seulement capable de garder ses oies?
+
+A vrai dire, elle les suit, plutôt qu'elle ne les mène. Elle tricote,
+machinale, derrière leur troupe, et elle s'en rapporte à l'oie de
+Toulouse qui a la raison d'une grande personne.
+
+L'oie de Toulouse connaît le chemin, les bonnes herbes, et l'heure où il
+faut rentrer.
+
+Si brave que le jars l'est moins, elle protège ses soeurs contre le
+mauvais chien. Son col vibre et serpente à ras de terre, puis se
+redresse, et elle domine Tiennette effarée. Dès que tout va bien, elle
+triomphe et chante du nez qu'elle sait grâce à qui l'ordre règne.
+
+Elle ne doute pas qu'elle ferait mieux encore.
+
+Et, un soir, elle quitte le pays.
+
+Elle s'éloigne sur la route, bec au vent, plumes collées. Des femmes,
+qu'elle croise, n'osent l'arrêter. Elle marche vite à faire peur.
+
+Et pendant que Tiennette, restée là-bas, finit de s'abêtir, et, toute
+pareille aux oies, ne s'en distingue plus, l'oie de Toulouse vient à
+Paris.
+
+
+
+
+LE CYGNE
+
+
+Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage. Car
+il n'a faim que des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger, et se
+perdre dans l'eau. C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du bec, et
+il plonge tout à coup son col vêtu de neige.
+
+Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire.
+
+Il n'a rien.
+
+Il regarde: les nuages effarouchés ont disparu.
+
+Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à
+revenir, et, là-bas, où meurent les ondulations de l'eau, en voici un
+qui se reforme.
+
+Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygne rame et s'approche.
+
+Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra,
+victime de cette illusion, avant d'attraper un seul morceau de nuage.
+
+Mais qu'est-ce que je dis?
+
+Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vase nourrissante et
+ramène un ver.
+
+Et il engraisse comme une oie.
+
+
+
+
+L'ÉPERVIER
+
+
+Il décrit d'abord des ronds sur le village.
+
+Il n'était qu'une mouche, un grain de suie.
+
+Il grossit à mesure que son vol se resserre.
+
+Parfois il demeure immobile. Les volailles donnent des signes
+d'inquiétude. Les pigeons rentrent au toit. Une poule, d'un cri bref,
+rappelle ses petits, et on entend cacarder les oies vigilantes d'une
+basse-cour à l'autre.
+
+L'épervier hésite et plane à la même hauteur. Peut-être n'en veut-il
+qu'au coq du clocher.
+
+On le croirait pendu au ciel, par un fil.
+
+Brusquement le fil casse, l'épervier tombe, sa victime choisie. C'est
+l'heure d'un drame ici-bas.
+
+Mais, à la surprise générale, il s'arrête avant de toucher terre, comme
+s'il manquait de poids, et il remonte d'un coup d'aile.
+
+Il a vu que je le guette de ma porte, et que je cache, derrière moi,
+quelque chose de long qui brille.
+
+
+
+
+LE COQ
+
+
+Il n'a jamais chanté. Il n'a pas couché une nuit dans un poulailler,
+connu une seule poule.
+
+Il est en bois, avec une patte en fer au milieu du ventre, et il vit,
+depuis des années et des années, sur une vieille église comme on n'ose
+plus en bâtir. Elle ressemble à une grange et le faîte de ses tuiles
+s'aligne aussi droit que le dos d'un boeuf.
+
+Or, voici que des maçons paraissent à l'autre bout de l'église. Le coq
+de bois les regarde, quand un brusque coup de vent le force à tourner le
+dos.
+
+Et, chaque fois qu'il se retourne, de nouvelles pierres lui bouchent un
+peu plus de son horizon.
+
+Bientôt, d'une saccade levant la tête, il aperçoit, à la pointe du
+clocher qu'on vient de finir, un jeune coq qui n'était pas là ce matin.
+Cet étranger porte haut sa queue, ouvre le bec comme ceux qui chantent,
+et l'aile sur la hanche, tout battant neuf, il éclate en plein soleil.
+
+D'abord les deux coqs luttent de mobilité. Mais le vieux coq de bois
+s'épuise vite et se rend. Sous son unique pied, la poutre menace ruine.
+Il penche, raidi, près de tomber. Il grince et s'arrête.
+
+Et c'est le tour des charpentiers.
+
+Ils abattent ce coin vermoulu de l'église, descendent le coq et le
+promènent par le village. Chacun peut le toucher, moyennant cadeau.
+
+Ceux-ci donnent un oeuf, ceux-là un sou, et Mme Loriot une pièce
+d'argent.
+
+Les charpentiers boivent de bons coups, et, après s'être disputé le coq,
+ils décident de le brûler.
+
+Lui ayant fait un nid de paille et de fagot, ils mettent le feu.
+
+Le coq de bois pétille clair et sa flamme monte au ciel qu'il a bien
+gagné.
+
+
+
+
+LE COCHON
+
+
+Grognon, mais familier comme si nous t'avions gardé ensemble, tu fourres
+le nez partout et tu marches autant avec lui qu'avec les pattes.
+
+Tu caches sous des oreilles en feuilles de betterave tes petits yeux
+cassis.
+
+Tu es cylindrique et ventru comme une groseille à maquereau.
+
+Tu as de longs poils comme elle, comme elle la peau claire et une courte
+queue bouclée. Et les méchants t'appellent: «Sale cochon!»
+
+Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu dégoûtes tout le monde et que
+tu n'aimes que l'eau de vaisselle grasse.
+
+Mais ils te calomnient.
+
+Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne mine.
+
+Tu te négliges par leur faute.
+
+Comme on fait ton lit, tu te couches, et la malpropreté n'est que ta
+seconde nature.
+
+
+
+
+LE BOUC
+
+
+Son odeur le précède. On ne le voit pas encore qu'elle est arrivée.
+
+Il s'avance en tête du troupeau et les brebis le suivent, pêle-mêle,
+dans un nuage de poussière.
+
+Il a des poils longs et secs qu'une raie partage sur le dos.
+
+Il est moins fier de sa barbe que de sa taille, parce que la chèvre
+aussi porte une barbe sous le menton.
+
+Quand il passe, les uns se bouchent le nez, les autres aiment ce
+goût-là.
+
+Il ne regarde ni à droite ni à gauche: il marche raide, les oreilles
+pointues et la queue courte. Si les hommes l'ont chargé de leurs péchés,
+il n'en sait rien, et il laisse, sans perdre le sérieux, tomber un
+chapelet de crottes.
+
+Alexandre est son nom, connu même des chiens.
+
+La journée finie, le soleil disparu, il rentre au village, avec les
+moissonneurs, et ses cornes, fléchissant de vieillesse, prennent peu à
+peu la courbe des faucilles.
+
+
+
+
+LES MOUTONS
+
+
+Ils reviennent des chaumes où, depuis ce matin, ils paissaient, le nez à
+l'ombre de leur corps.
+
+Selon les signes d'un berger indolent, le chien nécessaire attaque la
+bande du côté qu'il faut.
+
+Elle tient toute la route, ondule d'un fossé à l'autre et déborde, ou,
+tassée, unie, moelleuse, piétine le sol, à petits pas de vieilles
+femmes. Quand elle se met à courir, les pattes font le bruit des roseaux
+et criblent la poussière du chemin de nids d'abeilles.
+
+Ce mouton frise et, bien garni, saute comme un ballot jeté en l'air, et
+du cornet de son oreille s'échappent des pastilles.
+
+Cet autre a le vertige et heurte du genou sa tête mal vissée.
+
+Ils envahissent le village. On dirait que c'est aujourd'hui leur fête et
+qu'avec pétulance, ils bêlent de joie par les rues.
+
+Mais ils ne s'arrêtent pas au village, et je les vois reparaître,
+là-bas. Ils gagnent l'horizon. Par le coteau, ils montent, légers, vers
+le soleil. Ils s'en approchent et se couchent à distance.
+
+Des traînards prennent, sur le ciel, une dernière forme imprévue, et
+rejoignent la troupe pelotonnée.
+
+Un flocon se détache encore et plane, mousse blanche, puis fumée,
+vapeur, puis rien.
+
+Il ne reste plus qu'une patte dehors.
+
+Elle s'allonge, elle s'effile comme une quenouille, à l'infini.
+
+Les moutons frileux s'endorment autour du soleil las qui défait sa
+couronne et pique, jusqu'à demain, ses rayons dans leur laine.
+
+
+
+
+LE CHEVAL
+
+
+Il n'est pas beau, mon cheval. Il a trop de noeuds et de salières; il a
+les côtes plates, une queue de rat et des incisives d'Anglaise. Mais il
+m'attendrit. Je n'en reviens pas qu'il reste à mon service et se laisse,
+sans révolte, tourner et retourner.
+
+Chaque fois que je l'attelle, je m'attends à ce qu'il me dise: _non_,
+d'un signe brusque, et détale.
+
+Point. Il baisse et lève sa grosse tête comme pour remettre un chapeau
+d'aplomb, recule avec docilité entre les brancards.
+
+Aussi je ne lui ménage ni l'avoine ni le maïs. Je le brosse jusqu'à ce
+que le poil brille comme une cerise. Je peigne sa crinière, je tresse sa
+queue maigre. Je le flatte de la main et de la voix. J'éponge ses yeux,
+je cire ses pieds.
+
+Est-ce que ça le touche?
+
+On ne sait pas.
+
+Il pète.
+
+C'est surtout quand il me promène en voiture que je l'admire. Je le
+fouette et il accélère son allure. Je l'arrête et il m'arrête. Je tire
+la guide à gauche et il oblique à gauche, au lieu d'aller à droite et de
+me jeter dans le fossé avec des coups de sabots quelque part.
+
+Il me fait peur, il me fait honte et il me fait pitié.
+
+Est-ce qu'il ne va pas bientôt se réveiller de son demi-sommeil, et
+prenant d'autorité ma place, me réduire à la sienne?
+
+A quoi pense-t-il?
+
+Il pète, pète, pète.
+
+
+
+
+LE CHIEN
+
+
+On ne peut mettre Pointu dehors, par ce temps, et l'aigre sifflet du
+vent sous la porte l'oblige même à quitter le paillasson. Il cherche
+mieux et glisse sa bonne tête entre nos sièges. Mais nous nous penchons,
+serrés, coude à coude, sur le feu, et je donne une claque à Pointu. Mon
+père le repousse du pied. Maman lui dit des injures. Ma soeur lui offre
+un verre vide.
+
+Pointu éternue et va voir à la cuisine si nous y sommes.
+
+Puis il revient, force notre cercle, au risque d'être étranglé par les
+genoux, et le voilà dans un coin de la cheminée.
+
+Après avoir longtemps tourné sur place, il s'assied près du chenet et ne
+bouge plus. Il regarde ses maîtres d'un oeil si doux qu'on le tolère.
+Seulement le chenet presque rouge et les cendres écartées lui brûlent le
+derrière.
+
+Il reste tout dé même.
+
+On lui rouvre un passage:
+
+--Allez, file! es-tu bête!
+
+Mais il s'obstine. A l'heure où les dents des chiens perdus crissent de
+froid, Pointu, au chaud, poil roussi, fesses cuites, se retient de
+hurler et rit jaune, avec des larmes plein les yeux.
+
+
+
+
+LA SOURIS
+
+
+Comme, à la clarté d'une lampe, je fais ma quotidienne page d'écriture,
+j'entends un léger bruit. Si je m'arrête, il cesse. Il recommence, dès
+que je gratte le papier.
+
+C'est une souris qui s'éveille.
+
+Je devine ses va-et-vient au bord du trou obscur où notre servante met
+ses torchons et ses brosses.
+
+Je distingue qu'elle saute par terre et trotte sur les carreaux de
+cuisine. Elle passe près de la cheminée sous l'évier, se perd dans la
+vaisselle, et par une série de reconnaissances qu'elle pousse de plus en
+plus loin, elle se rapproche de moi.
+
+Chaque fois que je pose mon porte-plume, ce silence l'inquiète. Chaque
+fois que je m'en sers, elle croit peut-être qu'il y a une autre souris
+quelque part, et elle se rassure.
+
+Puis je ne la vois plus. Elle est sous ma table, dans mes jambes. Elle
+circule d'un pied de chaise à l'autre. Elle frôle mes sabots, en
+mordille le bois, ou, hardiment, la voilà dessus!
+
+Et il ne faut pas que je bouge la jambe, que je respire trop fort: elle
+filerait.
+
+Mais il faut que je continue d'écrire, et, de peur qu'elle ne
+m'abandonne à mon ennui de solitaire, j'écris des signes, des riens,
+petitement, menu, menu, comme elle grignote.
+
+
+
+
+LES LAPINS
+
+
+Dans une moitié de futaille, Lenoir et Legris, les pattes au chaud sous
+la fourrure, mangent comme des vaches. Ils ne font qu'un seul repas qui
+dure toute la journée.
+
+Si l'on tarde à leur jeter une herbe fraîche, ils rongent l'ancienne
+jusqu'à la racine, et la racine même occupe les dents.
+
+Or, il vient de leur tomber un pied de salade. Ensemble Lenoir et Legris
+se mettent après.
+
+Nez à nez, ils s'évertuent, hochent la tête, et les oreilles trottent.
+
+Quand il ne reste qu'une feuille, ils la prennent, chacun par un bout,
+et luttent de vitesse.
+
+Vous croiriez qu'ils jouent, s'ils ne rient pas, et que, la feuille
+avalée, une caresse fraternelle unira les becs.
+
+Mais Legris se sent faiblir. Depuis hier il a le gros ventre et une
+poche d'eau le ballonne. Vraiment il se bourrait trop. Bien qu'une
+feuille de salade passe sans qu'on ait faim, il n'en peut plus. Il lâche
+la feuille et se couche de côté, sur ses crottes, avec des convulsions
+brèves.
+
+Le voilà rigide, les pattes écartées, comme pour une réclame d'armurier:
+_On tue net, on tue loin._
+
+Un instant, Lenoir s'arrête de surprise. Assis en chandelier, le souffle
+doux, les lèvres jointes et l'oeil cerclé de rose, il regarde.
+
+Il a l'air d'un sorcier qui pénètre un mystère.
+
+Ses deux oreilles droites marquent l'heure suprême.
+
+Puis elles se cassent.
+
+Et il achève la feuille de salade.
+
+
+
+
+L'ANE
+
+
+Tout lui est égal. Chaque matin, il voiture, d'un petit pas sec et dru
+de fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue aux villages les
+commissions faites en ville, les épices, le pain, la viande de
+boucherie, quelques journaux, une lettre.
+
+Cette tournée finie, Jacquot et l'âne travaillent pour leur compte. La
+voiture sert de charrette. Ils vont ensemble à la vigne, au bois, aux
+pommes de terre. Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt des balais
+verts, ça ou autre chose, selon le jour.
+
+Jacquot ne cesse de dire: «Hue! hue!» sans motif, comme il ronflerait.
+Parfois l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire, ou d'une idée qui le
+prend, ne marche plus. Jacquot lui met un bras autour du cou et pousse.
+Si l'âne résiste, Jacquot lui mord l'oreille.
+
+Ils mangent dans les fossés, le maître une croûte et des oignons, la
+bête ce qu'elle veut.
+
+Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs ombres passent avec lenteur d'un
+arbre à l'autre.
+
+Subitement, le lac de silence où les choses baignent et dorment déjà, se
+rompt, bouleversé.
+
+Quelle ménagère tire, à cette heure, par un treuil rouillé et criard,
+des pleins seaux d'eau de son puits?
+
+C'est l'âne qui remonte et jette toute sa voix dehors et brait, jusqu'à
+extinction, qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche.
+
+
+
+
+LE BOEUF
+
+
+La porte s'ouvre ce matin, comme d'habitude, et Castor quitte, sans
+butter, l'écurie. Il boit à lentes gorgées sa part au fond de l'auge et
+laisse la part de Pollux attardé. Puis, le mufle s'égouttant ainsi que
+l'arbre après l'averse, il va de bonne volonté, avec ordre et pesanteur,
+se ranger à sa place ordinaire, sous le joug du chariot.
+
+Les cornes liées, la tête immobile, il fronce le ventre, chasse
+mollement de sa queue les mouches noires et, telle une servante
+sommeille le balai à la main, il rumine en attendant Pollux.
+
+Mais, par la cour, les domestiques affairés crient et jurent et le chien
+jappe comme à l'approche d'un étranger.
+
+Est-ce le sage Pollux qui, pour la première fois, résiste à l'aiguillon,
+tournaille, heurte le flanc de Castor, fume, et quoique attelé, tâche
+encore de secouer le joug commun?
+
+Non, c'est un autre.
+
+Et Castor, dépareillé, arrête ses mâchoires, quand il voit près du sien
+cet oeil trouble de boeuf qu'il ne reconnaît pas.
+
+
+
+
+LE TAUREAU
+
+
+Le pêcheur à la ligne volante marche d'un pas léger au bord de l'Yonne
+et fait sautiller sur l'eau sa mouche verte.
+
+Les mouches vertes, il les attrape aux troncs des peupliers polis par le
+frottement du bétail.
+
+Il jette sa ligne d'un coup sec et tire d'autorité.
+
+Il s'imagine que chaque place nouvelle est la meilleure, et bientôt il
+la quitte, enjambe un échalier et de ce pré passe dans l'autre.
+
+Soudain, comme il traverse un grand pré que grille le soleil, il
+s'arrête.
+
+Là-bas, du milieu des vaches paisibles et couchées, le taureau vient de
+se lever pesamment.
+
+C'est un taureau fameux et sa taille étonne les passants sur la route.
+On l'admire à distance et, s'il ne l'a fait déjà, il pourrait lancer son
+homme au ciel, ainsi qu'une flèche, avec l'arc de ses cornes. Plus doux
+qu'un agneau tant qu'il veut, il se met tout à coup en fureur, quand ça
+le prend, et près de lui, on ne sait jamais ce qui arrivera.
+
+Le pêcheur l'observe obliquement.
+
+--Si je fuis, pense-t-il, le taureau sera sur moi avant que je ne sorte
+du pré. Si, sans savoir nager, je plonge dans la rivière, je me noie. Si
+je fais le mort par terre, le taureau, dit-on, me flairera et ne me
+touchera pas. Est-ce bien sûr? Et, s'il ne s'en va plus, quelle
+angoisse! Mieux vaut feindre une indifférence trompeuse. Et le pêcheur à
+la ligne volante continue de pêcher, comme si le taureau était absent.
+Il espère ainsi lui donner le change.
+
+Sa nuque cuit sous son chapeau de paille.
+
+Il retient ses pieds qui brûlent de courir et les oblige à fouler
+l'herbe. Il a l'héroïsme de tremper dans l'eau sa mouche verte. Il ne se
+cache que de temps en temps, derrière les peupliers. Il gagne posément
+l'échalier de la haie, d'où il pourra, d'un dernier effort de ses
+membres rompus, bondir hors du pré, sain et sauf.
+
+D'ailleurs, qui le presse?
+
+Le taureau ne s'occupe pas de lui et reste avec les vaches.
+
+Il ne s'est mis debout que pour remuer, par lassitude, comme on s'étire.
+
+Il tourne au vent du soir sa tête crépue.
+
+Il beugle par intervalles, l'oeil à demi fermé.
+
+Il mugit de langueur et s'écoute mugir.
+
+
+
+
+LES MOUCHES D'EAU
+
+
+Il n'y a qu'un chêne au milieu du pré, et les boeufs occupent toute
+l'ombre de ses feuilles.
+
+La tête basse, ils font les cornes au soleil.
+
+Ils seraient bien, sans les mouches. Mais aujourd'hui, vraiment, elles
+dévorent. Acres et nombreuses, les noires se collent par plaques de suie
+aux yeux, aux narines, aux coins des lèvres même, et les vertes sucent
+de préférence la dernière écorchure.
+
+Quand un boeuf remue son tablier de cuir, ou frappe du sabot la terre
+sèche, le nuage de mouches se déplace avec murmure. On dirait qu'elles
+fermentent.
+
+Il fait si chaud que les vieilles femmes, sur leur porte, flairent
+l'orage, et déjà elles plaisantent de peur:
+
+--Gare au bourdoudou! disent-elles.
+
+Là-bas, un premier coup de lance lumineux perce le ciel, sans bruit. Une
+goutte de pluie tombe.
+
+Les boeufs, avertis, relèvent la tête, se meuvent jusqu'au bord du chêne
+et soufflent patiemment.
+
+Ils le savent: voici que les bonnes mouches viennent chasser les
+mauvaises.
+
+D'abord rares, une par une, puis serrées, toutes ensemble, elles fondent
+du ciel déchiqueté sur l'ennemi qui cède peu à peu, s'éclaircit, se
+disperse.
+
+Et bientôt, du nez camus à la queue inusable, les boeufs ruisselants
+ondulent d'aise sous l'essaim victorieux des mouches d'eau.
+
+
+
+
+LE GRILLON
+
+
+C'est l'heure où, las d'errer, l'insecte nègre revient de promenade et
+répare avec soin le désordre de son domaine.
+
+D'abord il ratisse ses étroites allées de sable.
+
+Il fait du bran de scie qu'il écarte au seuil de sa retraite.
+
+Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler.
+
+Il se repose.
+
+Puis il remonte sa minuscule montre.
+
+A-t-il fini? Est-elle cassée? Il se repose encore un peu.
+
+Il rentre chez lui et ferme sa porte.
+
+Longtemps il tourne sa clé dans la serrure délicate.
+
+Et il écoute:
+
+Point d'alarme dehors.
+
+Mais il ne se trouve pas en sûreté.
+
+Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il descend jusqu'au
+fond de la terre.
+
+On n'entend plus rien.
+
+Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en
+l'air et désignent la lune.
+
+
+
+
+LES GRENOUILLES
+
+
+Par brusques détentes, elles exercent leurs ressorts.
+
+Elles sautent de l'herbe comme de lourdes gouttes d'huile frite.
+
+Elles se posent, presse-papiers de bronze, sur les larges feuilles du
+nénuphar.
+
+L'une se gorge d'air. On mettrait un sou, par sa bouche, dans la
+tirelire de son ventre.
+
+Elles montent, comme des soupirs, de la vase.
+
+Immobiles, elles semblent les gros yeux à fleur d'eau, les tumeurs de la
+mare plate.
+
+Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent au soleil couchant.
+
+Puis, comme les camelots assourdissants des rues, elles crient les
+dernières nouvelles du soir.
+
+Parfois, elles happent un insecte.
+
+Et d'autres ne s'occupent que d'amour.
+
+Et toutes, elles tentent le pêcheur à la ligne.
+
+Je casse, sans difficulté, une gaule. J'ai, piquée à mon paletot, une
+épingle que je recourbe en hameçon.
+
+La ficelle ne me manque pas, Dieu merci!
+
+Mais il me faudrait encore un brin de laine, un bout de n'importe quoi
+rouge.
+
+Je cherche sur moi, par terre, au ciel.
+
+Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement ma boutonnière fendue,
+toute prête, que, sans reproche, on ne se hâte guère d'orner du ruban
+rouge.
+
+
+
+
+LE CRAPAUD
+
+
+Né d'une pierre, il vit sous une pierre et s'y creusera un tombeau.
+
+Je le visite fréquemment, et, chaque fois que je lève sa pierre, j'ai
+peur de le retrouver et peur qu'il n'y soit plus.
+
+Il y est.
+
+Caché dans ce gîte sec, propre, étroit, bien à lui, il l'occupe
+pleinement, gonflé comme une bourse d'avare.
+
+Qu'une pluie le fasse sortir, et il vient au-devant de moi. Quelques
+sauts lourds, et il s'arrête sur ses cuisses et me regarde de ses yeux
+rougis. Si le monde injuste le traite en lépreux, je ne crains pas de
+m'accroupir près de lui et d'approcher du sien mon visage d'homme.
+
+Puis je dompterai un reste de dégoût, et je te caresserai de ma main,
+crapaud!
+
+On en avale dans la vie qui font plus mal au coeur.
+
+Pourtant, hier, j'ai manqué de tact. Il fermentait et suintait, toutes
+ses verrues crevées.
+
+--Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne veux pas te faire de peine, mais,
+Dieu! que tu es laid!
+
+Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents, à l'haleine chaude, et me
+répondit avec un léger accent anglais:
+
+--Et toi?
+
+
+
+
+LA CHENILLE
+
+
+Elle sort d'une touffe d'herbe qui l'avait cachée pendant la chaleur.
+Elle traverse l'allée de sable à grandes ondulations. Elle se garde d'y
+faire halte et un moment elle se croit perdue dans une trace de sabot du
+jardinier.
+
+Arrivée aux fraises, elle se repose, lève le nez de droite et de gauche
+pour flairer; puis elle repart et sous les feuilles et sur les feuilles,
+elle sait maintenant où elle va.
+
+Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée, brune avec des points
+d'or et ses yeux noirs!
+
+Guidée par l'odorat, elle se trémousse et se fronce comme un épais
+sourcil.
+
+Elle s'arrête au bas d'un rosier.
+
+De ses fines agrafes, elle tâte l'écorce rude, balance sa petite tête de
+chien nouveau-né et se décide à grimper.
+
+Et, cette fois, vous diriez qu'elle avale péniblement chaque longueur de
+chemin par déglutition.
+
+Tout en haut du rosier, s'épanouit une rose au teint de candide
+fillette. Ses parfums qu'elle prodigue la grisent. Elle ne se défie de
+personne. Elle laisse monter par sa tige la première chenille venue.
+Elle l'accueille comme un cadeau.
+
+Et, pressentant qu'il fera froid cette nuit, elle est bien aise de se
+mettre un boa autour du cou.
+
+
+
+
+LA SAUTERELLE
+
+
+Serait-ce le gendarme des insectes?
+
+Tout le jour, elle saute et s'acharne aux trousses d'invisibles
+braconniers qu'elle n'attrape jamais.
+
+Les plus hautes herbes ne l'arrêtent pas.
+
+Rien ne lui fait peur, car elle a des bottes de sept lieues, un cou de
+taureau, le front génial, le ventre d'une carène, des ailes en
+celluloïd, des cornes diaboliques et un grand sabre au derrière.
+
+Comme on ne peut avoir les vertus d'un gendarme sans les vices, il faut
+bien le dire, la sauterelle chique.
+
+Si je mens, poursuis-la de tes doigts, joue avec elle à quatre coins, et
+quand tu l'auras saisie, entre deux bonds, sur une feuille de luzerne,
+observe sa bouche: Par ses terribles mandibules, elle sécrète une mousse
+noire comme du jus de tabac.
+
+Mais déjà tu ne la tiens plus. Sa rage de sauter la reprend. Le monstre
+vert t'échappe d'un brusque effort et, fragile, te laisse une petite
+cuisse dans la main.
+
+
+
+
+LA CAGE
+
+
+Félix ne comprend pas qu'on tienne des oiseaux prisonniers dans une
+cage.
+
+--De même, dit-il, que c'est un crime de cueillir une fleur, et,
+personnellement, je ne veux la respirer que sur sa tige, de même les
+oiseaux sont faits pour voler.
+
+Cependant il achète une cage; il l'accroche à sa fenêtre. Il y dépose un
+nid d'ouate, une soucoupe de graines, une tasse d'eau pure et
+renouvelable, une balançoire et une petite glace.
+
+Et comme on l'interroge avec surprise:
+
+--Je me félicite de ma générosité, dit-il, chaque fois que je regarde
+cette cage. Je pourrais y mettre un oiseau et je la laisse vide. Si je
+voulais, telle grive brune, tel bouvreuil pimpant, qui sautille, ou tel
+autre de nos petits oiseaux variés serait esclave. Mais grâce à moi,
+l'un d'eux au moins reste libre. C'est toujours ça.
+
+
+
+
+MERLE!
+
+
+Dans mon jardin il y a un vieux noyer presque mort qui fait peur aux
+petits oiseaux. Seul un oiseau noir habite ses dernières feuilles.
+
+Mais le reste du jardin est plein de jeunes arbres fleuris où nichent
+des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.
+
+Et il semble que ces jeunes arbres se moquent du vieux noyer. A chaque
+instant, ils lui lancent, comme des paroles taquines, une volée
+d'oiseaux babillards.
+
+Tour à tour, pierrots, martins, mésanges et pinsons le harcèlent. Ils
+choquent de l'aile la pointe de ses branches. L'air crépite de leurs
+cris menus; puis ils se sauvent, et c'est une autre bande importune qui
+part des jeunes arbres.
+
+Tant qu'elle peut, elle nargue, piaille, siffle et s'égosille.
+
+Ainsi de l'aube au crépuscule, comme des mots railleurs, pinsons,
+mésanges, martins et pierrots s'échappent des jeunes arbres vers le
+vieux noyer.
+
+Mais parfois il s'impatiente, il remue ses dernières feuilles, lâche son
+oiseau noir et répond:
+
+--Merle!
+
+
+
+
+L'ALOUETTE
+
+
+Je n'ai jamais vu d'alouette et je me lève inutilement avec l'aurore.
+L'alouette n'est pas un oiseau de la terre.
+
+Depuis ce matin, je foule les mottes et les herbes sèches.
+
+Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets peints à vif flottent
+sur les haies d'épines.
+
+Le geai passe la revue des arbres dans un costume de préfecture.
+
+Une caille rase des luzernes et trace au cordeau la ligne droite de son
+vol.
+
+Derrière le berger qui tricote mieux qu'une femme, les moutons se
+suivent et se ressemblent.
+
+Et tout s'imprègne d'une lumière si neuve que le corbeau, qui ne présage
+rien de bon, fait sourire.
+
+Mais écoutez comme j'écoute.
+
+Entendez-vous quelque part, là-haut, piler dans une coupe d'or des
+morceaux de cristal?
+
+Qui peut me dire où l'alouette chante?
+
+Si je regarde en l'air, le soleil brûle mes yeux.
+
+Il me faut renoncer à la voir.
+
+L'alouette vit au ciel, et c'est le seul oiseau du ciel qui chante
+jusqu'à nous.
+
+
+
+
+LE GOUJON
+
+
+Il remonte le courant d'eau vive et suit le chemin que tracent les
+cailloux: car il n'aime ni la vase, ni les herbes.
+
+Il aperçoit une bouteille couchée sur un lit de sable. Elle n'est pleine
+que d'eau. J'ai oublié à dessein d'y mettre une amorce. Le goujon tourne
+autour, cherche l'entrée et le voilà pris.
+
+Je ramène la bouteille et rejette le goujon.
+
+Plus haut, il entend du bruit. Loin de fuir, il s'approche, par
+curiosité. C'est moi qui m'amuse, piétine dans l'eau et remue le fond
+avec une perche, au bord d'un filet. Le goujon têtu veut passer par une
+maille. Il y reste.
+
+Je lève le filet et rejette le goujon.
+
+Plus bas, une brusque secousse tend ma ligne et le bouchon bicolore file
+entre deux eaux.
+
+Je tire et c'est encore lui.
+
+Je le décroche de l'hameçon et le rejette.
+
+Cette fois, je ne le verrai plus.
+
+Il est là, immobile, à mes pieds, sous l'eau claire. Je distingue sa
+tête élargie, son gros oeil stupide et sa paire de barbillons.
+
+Il bâille, la lèvre déchirée, et il respire fort, après une telle
+émotion.
+
+Mais rien ne le corrige.
+
+Je laisse de nouveau tremper ma ligne avec le même ver.
+
+Et aussitôt le goujon mord.
+
+Lequel de nous deux se lassera le premier?
+
+
+
+
+LA DEMOISELLE
+
+
+Elle soigne son ophtalmie.
+
+D'un bord à l'autre de la rivière, elle ne fait que tremper dans l'eau
+fraîche ses yeux gonflés.
+
+Et elle grésille, comme si elle volait à l'électricité.
+
+
+
+
+LA PIE
+
+
+Elle était toute noire; mais elle a passé l'hiver dernier aux champs et
+il lui reste de la neige.
+
+
+
+
+L'ARAIGNÉE
+
+
+Une petite main poilue crispée sur des cheveux.
+
+
+
+
+LE PAPILLON
+
+
+Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleurs.
+
+
+
+
+LA GUÊPE
+
+
+Elle finira pourtant par abîmer sa taille!
+
+
+
+
+LA PUCE
+
+
+Un grain de tabac à ressort.
+
+
+
+
+L'ESCARGOT
+
+
+Dans la saison des rhumes, son cou de girafe rentré, l'escargot bout
+comme un nez plein.
+
+
+
+
+LE VER
+
+
+En voilà un qui s'allonge comme une belle nouille.
+
+
+
+
+LA COULEUVRE
+
+
+De quel ventre est-elle tombée, cette colique?
+
+
+
+
+LES FOURMIS
+
+
+Chacune d'elle ressemble au chiffre 3.
+
+Et il y en a! il y en a!
+
+Il y en a 333333333333... jusqu'à l'infini.
+
+
+
+
+CHAUVES-SOURIS
+
+
+La nuit s'use à force de servir.
+
+Elle ne s'use point par le haut, dans ses étoiles. Elle s'use comme une
+robe qui traîne à terre, entre les cailloux et les arbres, jusqu'au fond
+des tunnels malsains et des caves humides.
+
+Il n'est pas de coin où ne pénètre un pan de nuit. L'épine le crève, les
+froids le gercent, la boue le gâte. Et chaque matin, quand la nuit
+remonte, des loques s'en détachent, accrochées au hasard.
+
+Ainsi naissent les chauves-souris.
+
+Et elles doivent à cette origine de ne pouvoir supporter l'éclat du
+jour.
+
+Le soleil couché, quand nous prenons le frais, elles se décollent des
+vieilles poutres où, léthargiques, elles pendaient d'une griffe.
+
+Leur vol gauche nous inquiète. D'une aile baleinée et sans plumes, elles
+palpitent autour de nous. Elles se dirigent moins avec d'inutiles yeux
+blessés qu'avec l'oreille.
+
+Mon amie cache son visage, et moi je détourne la tête par crainte du
+choc impur.
+
+On dit qu'avec plus d'ardeur que notre amour même, elles nous suceraient
+le sang jusqu'à la mort.
+
+Comme on exagère!
+
+Elles ne sont pas méchantes. Elles ne nous touchent jamais.
+
+Filles de la nuit, elles ne détestent que les lumières, et, du frôlement
+de leurs petits châles funèbres, elles cherchent des bougies à souffler.
+
+
+
+
+LE CERF
+
+
+J'entrai au bois par un bout de l'allée, comme il arrivait par l'autre
+bout.
+
+Je crus d'abord qu'une personne étrangère s'avançait avec un pot de
+fleurs.
+
+Puis je distinguai le petit arbre nain, aux branches écartées et sans
+feuilles.
+
+Enfin le cerf apparut net et nous nous arrêtâmes tous deux.
+
+Je lui dis:
+
+--Approche. Ne crains rien. Si j'ai un fusil, c'est par contenance, pour
+imiter les hommes qui se prennent au sérieux. Je ne m'en sers jamais et
+je laisse ses cartouches dans leur tiroir.
+
+Le cerf écoutait et flairait mes paroles. Dès que je me tus, il n'hésita
+point: ses jambes remuèrent comme des tiges qu'un souffle d'air croise
+et décroise. Il s'enfuit.
+
+--Quel dommage! lui criai-je. Je rêvais déjà que nous faisions route
+ensemble. Moi, je t'offrais, de ma main, les herbes que tu aimes, et
+toi, d'un pas de promenade, tu portais mon fusil couché sur ta ramure.
+
+
+
+
+UNE FAMILLE D'ARBRES
+
+
+C'est après avoir traversé une plaine brûlée de soleil que je les
+rencontre.
+
+Ils ne demeurent pas au bord de la route, à cause du bruit. Ils habitent
+les champs incultes, sur une source connue des oiseaux seuls.
+
+De loin, ils semblent impénétrables. Dès que j'approche, leurs troncs se
+desserrent. Ils m'accueillent avec prudence. Je peux me reposer, me
+rafraîchir, mais je devine qu'ils m'observent et se défient.
+
+Ils vivent en famille, les plus âgés au milieu et les petits, ceux dont
+les premières feuilles viennent de naître, un peu partout, sans jamais
+s'écarter.
+
+Ils mettent longtemps à mourir, et ils gardent les morts debout jusqu'à
+la chute en poussière.
+
+Ils se flattent de leurs longues branches, pour s'assurer qu'ils sont
+tous là, comme les aveugles. Ils gesticulent de colère si le vent
+s'essouffle à les déraciner. Mais entre eux aucune dispute. Ils ne
+murmurent que d'accord.
+
+Je sens qu'ils doivent être ma vraie famille. J'oublierai vite l'autre.
+Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter j'apprends ce
+qu'il faut savoir:
+
+Je sais déjà regarder les nuages qui passent.
+
+Je sais aussi rester en place.
+
+Et je sais presque me taire.
+
+
+
+
+TABLE DES MATIÈRES
+
+
+ Le Chasseur d'images
+ Les Hirondelles de cheminée
+ Les Pigeons
+ La Poule
+ La Dinde
+ La Pintade
+ Canards
+ Le Paon
+ L'Oie
+ Le Cygne
+ L'Épervier
+ Le Coq
+ Le Cochon
+ Le Bouc
+ Les Moutons
+ Le Cheval
+ Le Chien
+ La Souris
+ Les Lapins
+ L'Ane
+ Le Boeuf
+ Le Taureau
+ Les Mouches d'eau
+ Le Grillon
+ Les Grenouilles
+ Le Crapaud
+ La Chenille
+ La Sauterelle
+ La Cage
+ Merle!
+ L'Alouette
+ Le Goujon
+ La Demoiselle
+ La Pie
+ L'Araignée
+ Le Papillon
+ La Guêpe
+ La Puce
+ L'Escargot
+ Le Ver
+ La Couleuvre
+ Les Fourmis
+ Chauves-Souris
+ Le Cerf
+ Une Famille d'Arbres
+
+
+IMPRIMERIE E. FLAMMARION, 26, RUE RACINE, PARIS.
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+
+
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+
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+ The Project Gutenberg eBook of Histoires naturelles, by Jules Renard.
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+Title: Histoires naturelles
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+Author: Jules Renard
+
+Release Date: November 21, 2013 [EBook #44255]
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRES NATURELLES ***
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+Produced by Laurent Vogel (This file was produced from
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+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)
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+<p class="c"><span class="large">JULES RENARD</span></p>
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+<h1 class="nobreak">Histoires naturelles</h1>
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+<p class="c"><span class="large">PARIS</span></p>
+
+<p class="c">ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR<br/>
+26, <span class="small">RUE RACINE</span>, 26</p>
+
+<p class="c"><i class="small">Tous droits réservés.</i></p>
+
+
+
+
+<p class="cbreak"><i class="small">Il a été tiré de cet ouvrage:<br/>
+10 exemplaires sur papier du Japon numérotés 1 à 10,<br/>
+et 10 exemplaires sur papier de Hollande numérotés 11 à 20.</i></p>
+
+<p class="c">DU MÊME AUTEUR</p>
+
+<ul>
+<li>Sourires pincés.</li>
+<li>L'Écornifleur.</li>
+<li>Coquecigrues.</li>
+<li>La Lanterne sourde.</li>
+<li>Poil de carotte.</li>
+<li>Le Vigneron dans sa vigne.</li>
+</ul>
+
+<p class="c"><span class="small">PARIS.&mdash;IMP. E. FLAMMARION, RUE RACINE, 26.</span></p>
+
+
+
+
+<h2 id="p1">LE CHASSEUR D'IMAGES</h2>
+
+
+<p>Il saute du lit de bon matin, et ne part
+que si son esprit est net, son c&oelig;ur pur et
+son corps léger comme un vêtement d'été.
+Il n'emporte point de provisions. Il boira
+l'air frais en route et reniflera les odeurs
+salubres. Il laisse ses armes à la maison
+et se contente d'ouvrir les yeux. Les yeux
+servent de filets où les images s'emprisonnent d'elles-mêmes.</p>
+
+<p>La première qu'il fait captive est celle
+du chemin qui montre ses os, cailloux
+polis, et ses ornières, veines crevées, entre
+deux haies riches de prunelles et de mûres.</p>
+
+<p>Il prend ensuite l'image de la rivière.
+Elle blanchit aux coudes et dort sous la
+caresse des saules. Elle miroite quand un
+poisson tourne le ventre, comme si on
+jetait une pièce d'argent, et, dès que tombe
+une pluie fine, la rivière a la chair de
+poule.</p>
+
+<p>Il lève l'image des blés mobiles, des
+luzernes appétissantes et des prairies ourlées
+de ruisseaux. Il saisit au passage le
+vol d'une alouette ou d'un chardonneret.
+Puis il entre au bois. Il ne se savait pas
+doué de sens si délicats. Vite imprégné
+de parfums, il ne perd aucune sourde
+rumeur, et, pour qu'il communique avec
+les arbres, ses nerfs se lient aux nervures
+des feuilles.</p>
+
+<p>Bientôt, vibrant jusqu'au malaise, il
+perçoit trop, il fermente, il a peur, quitte
+le bois et suit de loin les paysans mouleurs
+regagnant le village. Dehors, il fixe un
+moment, au point que son &oelig;il éclate, le
+soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon
+ses lumineux habits, ses nuages répandus
+pêle-mêle.</p>
+
+<p>Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il
+éteint sa lampe et longuement, avant de
+s'endormir, il se plaît à compter ses images.</p>
+
+<p>Dociles, elles renaissent au gré du souvenir.
+Chacune d'elles en éveille
+une autre, et sans cesse leur troupe phosphorescente
+s'accroît de nouvelles venues,
+comme des perdrix poursuivies et divisées
+tout le jour chantent le soir, à l'abri du
+danger, et se rappellent aux creux des
+sillons.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p2">LES HIRONDELLES DE CHEMINÉE</h2>
+
+
+<p>Elles me donnent ma leçon de chaque jour.</p>
+
+<p>Elles pointillent l'air de petits cris.</p>
+
+<p>Elles tracent une raie droite, posent
+une virgule au bout, et, brusquement, vont
+à la ligne.</p>
+
+<p>Elles mettent entre folles parenthèses
+la maison où j'habite.</p>
+
+<p>Trop vives pour que la pièce d'eau du
+jardin prenne copie de leur vol, elles
+montent de la cave au grenier.</p>
+
+<p>D'une plume d'aile légère, elles bouclent
+d'inimitables parafes.</p>
+
+<p>Puis, deux à deux, en accolade, elles se
+joignent, se mêlent, et, sur le bleu du ciel,
+elles font tache d'encre.</p>
+
+<p>Mais l'&oelig;il d'un ami peut seul les suivre,
+et si vous savez le grec et le latin, moi
+je sais lire l'hébreu que décrivent dans
+l'air les hirondelles de cheminée.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p3">LES PIGEONS</h2>
+
+
+<p>Qu'ils fassent sur la maison un bruit de
+tambour voilé;</p>
+
+<p>Qu'ils sortent de l'ombre, culbutent,
+éclatent au soleil et rentrent dans l'ombre;</p>
+
+<p>Que leur col fugitif vive et meure comme
+l'opale au doigt;</p>
+
+<p>Qu'ils s'endorment, le soir, dans la
+forêt, si pressés que la plus haute branche
+du chêne menace de rompre sous cette
+charge de fruits peints;</p>
+
+<p>Que ces deux-là échangent des saluts
+frénétiques et brusquement, l'un à l'autre,
+se convulsent;</p>
+
+<p>Que celui-ci revienne d'exil, avec
+une lettre, et vole comme la pensée de
+notre amie lointaine (Ah! un gage!);</p>
+
+<p>Tous ces pigeons, qui d'abord amusent,
+finissent par ennuyer.</p>
+
+<p>Ils ne sauraient tenir en place et les
+voyages ne les forment point.</p>
+
+<p>Ils restent toute la vie un peu niais.</p>
+
+<p>Ils s'obstinent à croire qu'on fait les
+enfants par le bec.</p>
+
+<p>Et c'est insupportable à la longue, cette
+manie héréditaire d'avoir toujours dans la
+gorge quelque chose qui ne passe pas.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p4">LA POULE</h2>
+
+
+<p>Pattes jointes, elle saute du poulailler,
+dès qu'on lui ouvre la porte.</p>
+
+<p>C'est une poule commune, modestement
+parée et qui ne pond jamais d'&oelig;ufs d'or.</p>
+
+<p>Éblouie de lumière, elle fait quelques
+pas, indécise, dans la cour.</p>
+
+<p>Elle voit d'abord le tas de cendres où,
+chaque matin, elle a coutume de s'ébattre.</p>
+
+<p>Elle s'y roule, s'y trempe, et, d'une vive
+agitation d'ailes, les plumes gonflées, elle
+secoue ses puces de la nuit.</p>
+
+<p>Puis elle va boire au plat creux que la
+dernière averse a rempli.</p>
+
+<p>Elle ne boit que de l'eau.</p>
+
+<p>Elle boit par petits coups et dresse le col,
+en équilibre sur le bord du plat.</p>
+
+<p>Ensuite elle cherche sa nourriture éparse.</p>
+
+<p>Les fines herbes sont à elle, et les insectes
+et les graines perdues.</p>
+
+<p>Elle pique, elle pique, infatigable.</p>
+
+<p>De temps en temps, elle s'arrête. Droite
+sous son bonnet phrygien, l'&oelig;il vif, le
+jabot avantageux, elle écoute de l'une et de
+l'autre oreille.</p>
+
+<p>Et, sûre qu'il n'y a rien de neuf, elle se
+remet en quête.</p>
+
+<p>Elle lève haut ses pattes raides comme
+ceux qui ont la goutte. Elle écarte les
+doigts et les pose avec précaution, sans
+bruit.</p>
+
+<p>On dirait qu'elle marche pieds nus.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p5">LA DINDE</h2>
+
+
+<p>Elle se pavane au milieu de la cour,
+comme si elle vivait sous l'ancien régime.</p>
+
+<p>Les autres volailles ne font que manger
+toujours, n'importe quoi. Elle, entre ses
+repas réguliers, ne se préoccupe que
+d'avoir bel air. Toutes ses plumes sont
+empesées et les pointes de ses ailes raient
+le sol, comme pour tracer la route qu'elle
+suit: c'est là qu'elle s'avance et non
+ailleurs.</p>
+
+<p>Elle se rengorge tant qu'elle ne voit
+jamais ses pattes.</p>
+
+<p>Elle ne doute de personne, et dès que
+je m'approche, elle s'imagine que je veux
+lui rendre mes hommages.</p>
+
+<p>Déjà elle glougloute d'orgueil.</p>
+
+<p>&mdash;Noble dinde, lui dis-je, si vous étiez
+une oie, j'écrirais votre éloge, comme le
+fit Buffon, avec une de vos plumes. Mais
+vous n'êtes qu'une dinde.</p>
+
+<p>J'ai dû la vexer, car le sang monte à sa
+tête. Des grappes de colère lui pendent au
+bec. Elle a une crise de rouge. Elle fait
+claquer d'un coup sec l'éventail de sa
+queue et cette vieille chipie me tourne le
+dos.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p6">LA PINTADE</h2>
+
+
+<p>C'est la bossue de ma cour. Elle ne
+rêve que plaies à cause de sa bosse.</p>
+
+<p>Les poules ne lui disent rien. Brusquement,
+elle se précipite et les harcèle.</p>
+
+<p>Puis elle baisse sa tête, penche le corps,
+et de toute la vitesse de ses pattes maigres,
+elle court frapper de son bec dur juste au
+centre de la roue d'une dinde.</p>
+
+<p>Cette poseuse l'agaçait.</p>
+
+<p>Ainsi, la tête bleuie et ses barbillons
+rouges à vif, elle rage du matin au soir.
+Elle se bat sans motif, peut être parce
+qu'elle s'imagine toujours qu'on se moque
+de sa taille, de son crâne chauve et de sa
+queue basse.</p>
+
+<p>Et elle ne cesse de jeter un cri discordant
+qui perce l'air comme une pointe.</p>
+
+<p>Parfois elle quitte la cour et disparaît.
+Elle laisse aux volailles pacifiques un
+moment de répit. Mais elle revient plus
+turbulente et plus criarde. Et, frénétique,
+elle se vautre par terre.</p>
+
+<p>Qu'a-t-elle donc?</p>
+
+<p>La sournoise fait une farce.</p>
+
+<p>Elle est allée pondre son &oelig;uf à la campagne.</p>
+
+<p>Je peux le chercher si ça m'amuse.</p>
+
+<p>Elle se roule dans la poussière,
+comme une bossue.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p7">CANARDS</h2>
+
+
+<p>C'est la cane qui va la première, boitant
+des deux pattes, barboter au trou qu'elle
+connaît.</p>
+
+<p>Et le canard la suit. Les pointes de ses
+ailes croisées sur le dos, il boite aussi des
+deux pattes.</p>
+
+<p>Et cane et canard marchent taciturnes
+comme à un rendez-vous d'affaires.</p>
+
+<p>La cane d'abord se laisse glisser dans
+l'eau boueuse où flottent des plumes, des
+fientes, une feuille de vigne, et de la
+paille. Elle a presque disparu.</p>
+
+<p>Elle attend. Elle est prête.</p>
+
+<p>Et le canard entre à son tour. Il noie ses
+riches couleurs. On ne voit que sa tête
+verte et l'accroche-c&oelig;ur du derrière. Tous
+deux se trouvent bien là. L'eau chauffe.
+Jamais on ne la vide et elle ne se renouvelle
+que les jours d'orage.</p>
+
+<p>Le canard, de son bec aplati, mordille
+et serre la nuque de la cane. Un instant
+il s'agite et l'eau est si épaisse qu'elle en
+frissonne à peine. Et vite calmée, plate,
+elle réfléchit, en noir, un coin de
+ciel pur.</p>
+
+<p>La cane et le canard ne bougent plus.
+Le soleil les cuit et les endort. On passerait
+près d'eux sans les remarquer. Ils ne
+se dénoncent que par les rares bulles d'air
+qui viennent crever sur l'eau croupie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p8">LE PAON</h2>
+
+
+<p>Il va sûrement se marier aujourd'hui.</p>
+
+<p>Ce devait être pour hier. En habit de
+gala, il était prêt. Il n'attendait que sa
+fiancée. Elle n'est pas venue. Elle ne peut
+tarder.</p>
+
+<p>Glorieux, il se promène avec une allure
+de prince indien et porte sur lui les riches
+présents d'usage. L'amour avive l'éclat
+de ses couleurs et son aigrette tremble
+comme une lyre.</p>
+
+<p>La fiancée n'arrive pas.</p>
+
+<p>Il monte au haut du toit et regarde du
+côté du soleil. Il jette son cri diabolique:</p>
+
+<p>Léon! Léon!</p>
+
+<p>C'est ainsi qu'il appelle sa fiancée. Il ne
+voit rien venir et personne ne répond.
+Les volailles habituées ne lèvent même
+point la tête. Elles sont lasses de l'admirer.
+Il redescend dans la cour, si sûr
+d'être beau qu'il est incapable de rancune.</p>
+
+<p>Son mariage sera pour demain.</p>
+
+<p>Et, ne sachant que faire du reste de la
+journée, il se dirige vers le perron. Il
+gravit les marches, comme des marches
+de temple, d'un pas officiel.</p>
+
+<p>Il relève sa robe à queue toute lourde
+des yeux qui n'ont pu se détacher d'elle.</p>
+
+<p>Il répète une dernière fois la cérémonie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p9">L'OIE</h2>
+
+
+<p>Tiennette voudrait aller à Paris, comme
+les autres filles du village. Mais est-elle
+seulement capable de garder ses oies?</p>
+
+<p>A vrai dire, elle les suit, plutôt qu'elle
+ne les mène. Elle tricote, machinale, derrière
+leur troupe, et elle s'en rapporte à
+l'oie de Toulouse qui a la raison d'une
+grande personne.</p>
+
+<p>L'oie de Toulouse connaît le chemin,
+les bonnes herbes, et l'heure où il faut
+rentrer.</p>
+
+<p>Si brave que le jars l'est moins, elle
+protège ses s&oelig;urs contre le mauvais chien.
+Son col vibre et serpente à ras de terre,
+puis se redresse, et elle domine Tiennette
+effarée. Dès que tout va bien, elle
+triomphe et chante du nez qu'elle sait
+grâce à qui l'ordre règne.</p>
+
+<p>Elle ne doute pas qu'elle ferait mieux
+encore.</p>
+
+<p>Et, un soir, elle quitte le pays.</p>
+
+<p>Elle s'éloigne sur la route, bec au vent,
+plumes collées. Des femmes, qu'elle
+croise, n'osent l'arrêter. Elle marche vite
+à faire peur.</p>
+
+<p>Et pendant que Tiennette, restée là-bas,
+finit de s'abêtir, et, toute pareille aux
+oies, ne s'en distingue plus, l'oie de Toulouse
+vient à Paris.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p10">LE CYGNE</h2>
+
+
+<p>Il glisse sur le bassin, comme un traîneau
+blanc, de nuage en nuage. Car il n'a
+faim que des nuages floconneux qu'il voit
+naître, bouger, et se perdre dans l'eau.
+C'est l'un d'eux qu'il désire. Il le vise du
+bec, et il plonge tout à coup son col vêtu
+de neige.</p>
+
+<p>Puis, tel un bras de femme sort d'une
+manche, il le retire.</p>
+
+<p>Il n'a rien.</p>
+
+<p>Il regarde: les nuages effarouchés ont
+disparu.</p>
+
+<p>Il ne reste qu'un instant désabusé, car
+les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas,
+où meurent les ondulations de l'eau,
+en voici un qui se reforme.</p>
+
+<p>Doucement, sur son léger coussin de
+plumes, le cygne rame et s'approche.</p>
+
+<p>Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et
+peut-être qu'il mourra, victime de cette
+illusion, avant d'attraper un seul morceau
+de nuage.</p>
+
+<p>Mais qu'est-ce que je dis?</p>
+
+<p>Chaque fois qu'il plonge, il fouille du
+bec la vase nourrissante et ramène un
+ver.</p>
+
+<p>Et il engraisse comme une oie.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p11">L'ÉPERVIER</h2>
+
+
+<p>Il décrit d'abord des ronds sur le village.</p>
+
+<p>Il n'était qu'une mouche, un grain de
+suie.</p>
+
+<p>Il grossit à mesure que son vol se resserre.</p>
+
+<p>Parfois il demeure immobile. Les volailles
+donnent des signes d'inquiétude.
+Les pigeons rentrent au toit. Une poule,
+d'un cri bref, rappelle ses petits, et on
+entend cacarder les oies vigilantes d'une
+basse-cour à l'autre.</p>
+
+<p>L'épervier hésite et plane à la même
+hauteur. Peut-être n'en veut-il qu'au coq
+du clocher.</p>
+
+<p>On le croirait pendu au ciel, par un fil.</p>
+
+<p>Brusquement le fil casse, l'épervier
+tombe, sa victime choisie. C'est l'heure
+d'un drame ici-bas.</p>
+
+<p>Mais, à la surprise générale, il s'arrête
+avant de toucher terre, comme s'il manquait
+de poids, et il remonte d'un coup
+d'aile.</p>
+
+<p>Il a vu que je le guette de ma porte, et
+que je cache, derrière moi, quelque chose
+de long qui brille.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p12">LE COQ</h2>
+
+
+<p>Il n'a jamais chanté. Il n'a pas couché
+une nuit dans un poulailler, connu une
+seule poule.</p>
+
+<p>Il est en bois, avec une patte en fer au
+milieu du ventre, et il vit, depuis des
+années et des années, sur une vieille
+église comme on n'ose plus en bâtir. Elle
+ressemble à une grange et le faîte de ses
+tuiles s'aligne aussi droit que le dos d'un
+b&oelig;uf.</p>
+
+<p>Or, voici que des maçons paraissent à
+l'autre bout de l'église.
+Le coq de bois les regarde, quand un
+brusque coup de vent le force à tourner
+le dos.</p>
+
+<p>Et, chaque fois qu'il se retourne, de
+nouvelles pierres lui bouchent un peu
+plus de son horizon.</p>
+
+<p>Bientôt, d'une saccade levant la tête, il
+aperçoit, à la pointe du clocher qu'on
+vient de finir, un jeune coq qui n'était
+pas là ce matin. Cet étranger porte haut
+sa queue, ouvre le bec comme ceux qui
+chantent, et l'aile sur la hanche, tout battant
+neuf, il éclate en plein soleil.</p>
+
+<p>D'abord les deux coqs luttent de mobilité.
+Mais le vieux coq de bois s'épuise vite
+et se rend. Sous son unique pied, la
+poutre menace ruine. Il penche, raidi, près
+de tomber. Il grince et s'arrête.</p>
+
+<p>Et c'est le tour des charpentiers.</p>
+
+<p>Ils abattent ce coin vermoulu de
+l'église, descendent le coq et le promènent
+par le village. Chacun peut le toucher,
+moyennant cadeau.</p>
+
+<p>Ceux-ci donnent un &oelig;uf, ceux-là un
+sou, et M<sup>me</sup> Loriot une pièce d'argent.</p>
+
+<p>Les charpentiers boivent de bons coups,
+et, après s'être disputé le coq, ils décident
+de le brûler.</p>
+
+<p>Lui ayant fait un nid de paille et de
+fagot, ils mettent le feu.</p>
+
+<p>Le coq de bois pétille clair et sa flamme
+monte au ciel qu'il a bien gagné.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p13">LE COCHON</h2>
+
+
+<p>Grognon, mais familier comme si nous
+t'avions gardé ensemble, tu fourres le nez
+partout et tu marches autant avec lui qu'avec
+les pattes.</p>
+
+<p>Tu caches sous des oreilles en feuilles
+de betterave tes petits yeux cassis.</p>
+
+<p>Tu es cylindrique et ventru comme une
+groseille à maquereau.</p>
+
+<p>Tu as de longs poils comme elle, comme
+elle la peau claire et une courte queue
+bouclée.
+Et les méchants t'appellent: «Sale cochon!»</p>
+
+<p>Ils disent que, si rien ne te dégoûte, tu
+dégoûtes tout le monde et que tu n'aimes
+que l'eau de vaisselle grasse.</p>
+
+<p>Mais ils te calomnient.</p>
+
+<p>Qu'ils te débarbouillent et tu auras bonne
+mine.</p>
+
+<p>Tu te négliges par leur faute.</p>
+
+<p>Comme on fait ton lit, tu te couches,
+et la malpropreté n'est que ta seconde
+nature.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p14">LE BOUC</h2>
+
+
+<p>Son odeur le précède. On ne le voit pas
+encore qu'elle est arrivée.</p>
+
+<p>Il s'avance en tête du troupeau et les
+brebis le suivent, pêle-mêle, dans un
+nuage de poussière.</p>
+
+<p>Il a des poils longs et secs qu'une raie
+partage sur le dos.</p>
+
+<p>Il est moins fier de sa barbe que de sa
+taille, parce que la chèvre aussi porte une
+barbe sous le menton.</p>
+
+<p>Quand il passe, les uns se bouchent le
+nez, les autres aiment ce goût-là.</p>
+
+<p>Il ne regarde ni à droite ni à gauche:
+il marche raide, les oreilles pointues et la
+queue courte. Si les hommes l'ont chargé
+de leurs péchés, il n'en sait rien, et il laisse, sans perdre le sérieux, tomber un chapelet
+de crottes.</p>
+
+<p>Alexandre est son nom, connu même
+des chiens.</p>
+
+<p>La journée finie, le soleil disparu, il
+rentre au village, avec les moissonneurs,
+et ses cornes, fléchissant de vieillesse,
+prennent peu à peu la courbe des faucilles.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p15">LES MOUTONS</h2>
+
+
+<p>Ils reviennent des chaumes où, depuis
+ce matin, ils paissaient, le nez à l'ombre
+de leur corps.</p>
+
+<p>Selon les signes d'un berger indolent,
+le chien nécessaire attaque la bande du
+côté qu'il faut.</p>
+
+<p>Elle tient toute la route, ondule d'un
+fossé à l'autre et déborde, ou, tassée, unie, moelleuse, piétine le sol, à petits pas de
+vieilles femmes. Quand elle se met à courir,
+les pattes font le bruit des roseaux et
+criblent la poussière du chemin de nids
+d'abeilles.</p>
+
+<p>Ce mouton frise et, bien garni, saute
+comme un ballot jeté en l'air, et du cornet
+de son oreille s'échappent des pastilles.</p>
+
+<p>Cet autre a le vertige et heurte du
+genou sa tête mal vissée.</p>
+
+<p>Ils envahissent le village. On dirait que
+c'est aujourd'hui leur fête et qu'avec pétulance,
+ils bêlent de joie par les rues.</p>
+
+<p>Mais ils ne s'arrêtent pas au village, et
+je les vois reparaître, là-bas. Ils gagnent l'horizon. Par le coteau, ils montent,
+légers, vers le soleil. Ils s'en approchent
+et se couchent à distance.</p>
+
+<p>Des traînards prennent, sur le ciel, une
+dernière forme imprévue, et rejoignent la
+troupe pelotonnée.</p>
+
+<p>Un flocon se détache encore et plane,
+mousse blanche, puis fumée, vapeur, puis
+rien.</p>
+
+<p>Il ne reste plus qu'une patte dehors.</p>
+
+<p>Elle s'allonge, elle s'effile comme une
+quenouille, à l'infini.</p>
+
+<p>Les moutons frileux s'endorment
+autour du soleil las qui défait sa couronne
+et pique, jusqu'à demain, ses rayons dans leur
+laine.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p16">LE CHEVAL</h2>
+
+
+<p>Il n'est pas beau, mon cheval. Il a trop
+de n&oelig;uds et de salières; il a les côtes
+plates, une queue de rat et des incisives
+d'Anglaise. Mais il m'attendrit. Je n'en
+reviens pas qu'il reste à mon service et se
+laisse, sans révolte, tourner et retourner.</p>
+
+<p>Chaque fois que je l'attelle, je m'attends
+à ce qu'il me dise: <i>non</i>, d'un signe brusque,
+et détale.</p>
+
+<p>Point. Il baisse et lève sa grosse
+tête comme pour remettre un chapeau
+d'aplomb, recule avec docilité entre les
+brancards.</p>
+
+<p>Aussi je ne lui ménage ni l'avoine ni le
+maïs. Je le brosse jusqu'à ce que le poil
+brille comme une cerise. Je peigne sa crinière,
+je tresse sa queue maigre. Je le flatte
+de la main et de la voix. J'éponge ses yeux,
+je cire ses pieds.</p>
+
+<p>Est-ce que ça le touche?</p>
+
+<p>On ne sait pas.</p>
+
+<p>Il pète.</p>
+
+<p>C'est surtout quand il me promène en
+voiture que je l'admire. Je le fouette et il
+accélère son allure. Je l'arrête et il m'arrête.
+Je tire la guide à gauche et il oblique
+à gauche, au lieu d'aller à droite et de me
+jeter dans le fossé avec des coups de sabots
+quelque part.</p>
+
+<p>Il me fait peur, il me fait honte et il me
+fait pitié.</p>
+
+<p>Est-ce qu'il ne va pas bientôt se réveiller
+de son demi-sommeil, et prenant
+d'autorité ma place, me réduire à la
+sienne?</p>
+
+<p>A quoi pense-t-il?</p>
+
+<p>Il pète, pète, pète.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p17">LE CHIEN</h2>
+
+
+<p>On ne peut mettre Pointu dehors, par
+ce temps, et l'aigre sifflet du vent sous la
+porte l'oblige même à quitter le paillasson.
+Il cherche mieux et glisse sa bonne tête
+entre nos sièges. Mais nous nous penchons,
+serrés, coude à coude, sur le feu, et je
+donne une claque à Pointu. Mon père le
+repousse du pied. Maman lui dit des injures.
+Ma s&oelig;ur lui offre un verre vide.</p>
+
+<p>Pointu éternue et va voir à la cuisine si
+nous y sommes.</p>
+
+<p>Puis il revient, force notre cercle, au
+risque d'être étranglé par les genoux, et le
+voilà dans un coin de la cheminée.</p>
+
+<p>Après avoir longtemps tourné sur place,
+il s'assied près du chenet et ne bouge plus.
+Il regarde ses maîtres d'un &oelig;il si doux
+qu'on le tolère. Seulement le chenet
+presque rouge et les cendres écartées lui
+brûlent le derrière.</p>
+
+<p>Il reste tout dé même.</p>
+
+<p>On lui rouvre un passage:</p>
+
+<p>&mdash;Allez, file! es-tu bête!</p>
+
+<p>Mais il s'obstine. A l'heure où les dents
+des chiens perdus crissent de froid, Pointu,
+au chaud, poil roussi, fesses cuites, se
+retient de hurler et rit jaune, avec des
+larmes plein les yeux.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p18">LA SOURIS</h2>
+
+
+<p>Comme, à la clarté d'une lampe, je fais
+ma quotidienne page d'écriture, j'entends
+un léger bruit. Si je m'arrête, il cesse. Il
+recommence, dès que je gratte le papier.</p>
+
+<p>C'est une souris qui s'éveille.</p>
+
+<p>Je devine ses va-et-vient au bord du
+trou obscur où notre servante met ses
+torchons et ses brosses.</p>
+
+<p>Je distingue qu'elle saute par terre et
+trotte sur les carreaux de cuisine. Elle
+passe près de la cheminée sous l'évier, se
+perd dans la vaisselle, et par une série de
+reconnaissances qu'elle pousse de plus en
+plus loin, elle se rapproche de moi.</p>
+
+<p>Chaque fois que je pose mon porte-plume,
+ce silence l'inquiète. Chaque fois
+que je m'en sers, elle croit peut-être qu'il
+y a une autre souris quelque part, et elle
+se rassure.</p>
+
+<p>Puis je ne la vois plus. Elle est sous
+ma table, dans mes jambes. Elle circule
+d'un pied de chaise à l'autre. Elle frôle
+mes sabots, en mordille le bois, ou, hardiment,
+la voilà dessus!</p>
+
+<p>Et il ne faut pas que je bouge la jambe,
+que je respire trop fort: elle filerait.</p>
+
+<p>Mais il faut que je continue d'écrire, et,
+de peur qu'elle ne m'abandonne à mon
+ennui de solitaire, j'écris des signes, des
+riens, petitement, menu, menu, comme
+elle grignote.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p19">LES LAPINS</h2>
+
+
+<p>Dans une moitié de futaille, Lenoir et
+Legris, les pattes au chaud sous la fourrure, mangent comme des vaches. Ils ne
+font qu'un seul repas qui dure toute la
+journée.</p>
+
+<p>Si l'on tarde à leur jeter une herbe
+fraîche, ils rongent l'ancienne jusqu'à la
+racine, et la racine même occupe les
+dents.</p>
+
+<p>Or, il vient de leur tomber un pied de
+salade. Ensemble Lenoir et Legris se mettent
+après.</p>
+
+<p>Nez à nez, ils s'évertuent, hochent la
+tête, et les oreilles trottent.</p>
+
+<p>Quand il ne reste qu'une feuille, ils la
+prennent, chacun par un bout, et luttent
+de vitesse.</p>
+
+<p>Vous croiriez qu'ils jouent, s'ils ne
+rient pas, et que, la feuille avalée, une
+caresse fraternelle unira les becs.</p>
+
+<p>Mais Legris se sent faiblir. Depuis hier
+il a le gros ventre et une poche d'eau le
+ballonne. Vraiment il se bourrait trop.
+Bien qu'une feuille de salade passe
+sans qu'on ait faim, il n'en peut plus. Il
+lâche la feuille et se couche de côté, sur
+ses crottes, avec des convulsions brèves.</p>
+
+<p>Le voilà rigide, les pattes écartées,
+comme pour une réclame d'armurier: <i>On
+tue net, on tue loin.</i></p>
+
+<p>Un instant, Lenoir s'arrête de surprise.
+Assis en chandelier, le souffle doux, les
+lèvres jointes et l'&oelig;il cerclé de rose, il
+regarde.</p>
+
+<p>Il a l'air d'un sorcier qui pénètre un
+mystère.</p>
+
+<p>Ses deux oreilles droites marquent
+l'heure suprême.</p>
+
+<p>Puis elles se cassent.</p>
+
+<p>Et il achève la feuille de salade.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p20">L'ANE</h2>
+
+
+<p>Tout lui est égal. Chaque matin, il
+voiture, d'un petit pas sec et dru de
+fonctionnaire, le facteur Jacquot qui distribue
+aux villages les commissions faites
+en ville, les épices, le pain, la viande
+de boucherie, quelques journaux, une
+lettre.</p>
+
+<p>Cette tournée finie, Jacquot et l'âne
+travaillent pour leur compte. La voiture
+sert de charrette. Ils vont ensemble à la
+vigne, au bois, aux pommes de terre.
+Ils ramènent tantôt des légumes, tantôt
+des balais verts, ça ou autre chose, selon
+le jour.</p>
+
+<p>Jacquot ne cesse de dire: «Hue! hue!»
+sans motif, comme il ronflerait. Parfois
+l'âne, à cause d'un chardon qu'il flaire,
+ou d'une idée qui le prend, ne marche
+plus. Jacquot lui met un bras autour du
+cou et pousse. Si l'âne résiste, Jacquot lui
+mord l'oreille.</p>
+
+<p>Ils mangent dans les fossés, le maître
+une croûte et des oignons, la bête ce
+qu'elle veut.</p>
+
+<p>Ils ne rentrent qu'à la nuit. Leurs
+ombres passent avec lenteur d'un arbre à
+l'autre.</p>
+
+<p>Subitement, le lac de silence où les
+choses baignent et dorment déjà, se
+rompt, bouleversé.</p>
+
+<p>Quelle ménagère tire, à cette heure,
+par un treuil rouillé et criard, des pleins
+seaux d'eau de son puits?</p>
+
+<p>C'est l'âne qui remonte et jette toute
+sa voix dehors et brait, jusqu'à extinction,
+qu'il s'en fiche, qu'il s'en fiche.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p21">LE B&OElig;UF</h2>
+
+
+<p>La porte s'ouvre ce matin, comme
+d'habitude, et Castor quitte, sans butter,
+l'écurie. Il boit à lentes gorgées sa part au
+fond de l'auge et laisse la part de Pollux
+attardé. Puis, le mufle s'égouttant ainsi
+que l'arbre après l'averse, il va de bonne
+volonté, avec ordre et pesanteur, se
+ranger à sa place ordinaire, sous le joug
+du chariot.</p>
+
+<p>Les cornes liées, la tête immobile, il
+fronce le ventre, chasse mollement de sa
+queue les mouches noires et, telle une
+servante sommeille le balai à la main, il
+rumine en attendant Pollux.</p>
+
+<p>Mais, par la cour, les domestiques
+affairés crient et jurent et le chien jappe
+comme à l'approche d'un étranger.</p>
+
+<p>Est-ce le sage Pollux qui, pour la première
+fois, résiste à l'aiguillon, tournaille,
+heurte le flanc de Castor, fume, et quoique
+attelé, tâche encore de secouer le joug
+commun?</p>
+
+<p>Non, c'est un autre.</p>
+
+<p>Et Castor, dépareillé, arrête ses mâchoires,
+quand il voit près du sien cet
+&oelig;il trouble de b&oelig;uf qu'il ne reconnaît
+pas.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p22">LE TAUREAU</h2>
+
+
+<p>Le pêcheur à la ligne volante marche
+d'un pas léger au bord de l'Yonne et fait
+sautiller sur l'eau sa mouche verte.</p>
+
+<p>Les mouches vertes, il les attrape aux
+troncs des peupliers polis par le frottement
+du bétail.</p>
+
+<p>Il jette sa ligne d'un coup sec et tire
+d'autorité.</p>
+
+<p>Il s'imagine que chaque place nouvelle
+est la meilleure, et bientôt il la quitte,
+enjambe un échalier et de ce pré passe
+dans l'autre.</p>
+
+<p>Soudain, comme il traverse un grand
+pré que grille le soleil, il s'arrête.</p>
+
+<p>Là-bas, du milieu des vaches paisibles
+et couchées, le taureau vient de se lever
+pesamment.</p>
+
+<p>C'est un taureau fameux et sa taille
+étonne les passants sur la route. On l'admire
+à distance et, s'il ne l'a fait déjà, il
+pourrait lancer son homme au ciel, ainsi
+qu'une flèche, avec l'arc de ses cornes.
+Plus doux qu'un agneau tant qu'il veut,
+il se met tout à coup en fureur, quand ça
+le prend, et près de lui, on ne sait jamais
+ce qui arrivera.</p>
+
+<p>Le pêcheur l'observe obliquement.</p>
+
+<p>&mdash;Si je fuis, pense-t-il, le taureau sera
+sur moi avant que je ne sorte du pré. Si,
+sans savoir nager, je plonge dans la rivière,
+je me noie. Si je fais le mort par
+terre, le taureau, dit-on, me flairera et
+ne me touchera pas. Est-ce bien sûr?
+Et, s'il ne s'en va plus, quelle angoisse!
+Mieux vaut feindre une indifférence trompeuse.
+Et le pêcheur à la ligne volante continue
+de pêcher, comme si le taureau était
+absent. Il espère ainsi lui donner le
+change.</p>
+
+<p>Sa nuque cuit sous son chapeau de
+paille.</p>
+
+<p>Il retient ses pieds qui brûlent de
+courir et les oblige à fouler l'herbe. Il
+a l'héroïsme de tremper dans l'eau sa
+mouche verte. Il ne se cache que de temps
+en temps, derrière les peupliers. Il gagne
+posément l'échalier de la haie, d'où il
+pourra, d'un dernier effort de ses membres
+rompus, bondir hors du pré, sain et
+sauf.</p>
+
+<p>D'ailleurs, qui le presse?</p>
+
+<p>Le taureau ne s'occupe pas de lui et reste
+avec les vaches.</p>
+
+<p>Il ne s'est mis debout que pour remuer,
+par lassitude, comme on s'étire.</p>
+
+<p>Il tourne au vent du soir sa tête
+crépue.</p>
+
+<p>Il beugle par intervalles, l'&oelig;il à demi
+fermé.</p>
+
+<p>Il mugit de langueur et s'écoute mugir.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p23">LES MOUCHES D'EAU</h2>
+
+
+<p>Il n'y a qu'un chêne au milieu du pré,
+et les b&oelig;ufs occupent toute l'ombre
+de ses feuilles.</p>
+
+<p>La tête basse, ils font les cornes au soleil.</p>
+
+<p>Ils seraient bien, sans les mouches.
+Mais aujourd'hui, vraiment, elles dévorent.
+Acres et nombreuses, les noires se
+collent par plaques de suie aux yeux, aux
+narines, aux coins des lèvres même, et
+les vertes sucent de préférence la dernière
+écorchure.</p>
+
+<p>Quand un b&oelig;uf remue son tablier de
+cuir, ou frappe du sabot la terre sèche, le
+nuage de mouches se déplace avec murmure.
+On dirait qu'elles fermentent.</p>
+
+<p>Il fait si chaud que les vieilles femmes,
+sur leur porte, flairent l'orage, et déjà
+elles plaisantent de peur:</p>
+
+<p>&mdash;Gare au bourdoudou! disent-elles.</p>
+
+<p>Là-bas, un premier coup de lance lumineux
+perce le ciel, sans bruit. Une goutte
+de pluie tombe.</p>
+
+<p>Les b&oelig;ufs, avertis, relèvent la tête, se
+meuvent jusqu'au bord du chêne et soufflent patiemment.</p>
+
+<p>Ils le savent: voici que les bonnes
+mouches viennent chasser les mauvaises.</p>
+
+<p>D'abord rares, une par une, puis serrées,
+toutes ensemble, elles fondent du ciel déchiqueté
+sur l'ennemi qui cède peu à peu,
+s'éclaircit, se disperse.</p>
+
+<p>Et bientôt, du nez camus à la queue
+inusable, les b&oelig;ufs ruisselants ondulent
+d'aise sous l'essaim victorieux des mouches
+d'eau.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p24">LE GRILLON</h2>
+
+
+<p>C'est l'heure où, las d'errer, l'insecte
+nègre revient de promenade et répare avec
+soin le désordre de son domaine.</p>
+
+<p>D'abord il ratisse ses étroites allées de
+sable.</p>
+
+<p>Il fait du bran de scie qu'il écarte au
+seuil de sa retraite.</p>
+
+<p>Il lime la racine de cette grande herbe
+propre à le harceler.</p>
+
+<p>Il se repose.</p>
+
+<p>Puis il remonte sa minuscule montre.</p>
+
+<p>A-t-il fini? Est-elle cassée? Il se repose
+encore un peu.</p>
+
+<p>Il rentre chez lui et ferme sa porte.</p>
+
+<p>Longtemps il tourne sa clé dans la
+serrure délicate.</p>
+
+<p>Et il écoute:</p>
+
+<p>Point d'alarme dehors.</p>
+
+<p>Mais il ne se trouve pas en sûreté.</p>
+
+<p>Et comme par une chaînette dont la
+poulie grince, il descend jusqu'au fond
+de la terre.</p>
+
+<p>On n'entend plus rien.</p>
+
+<p>Dans la campagne muette, les peupliers
+se dressent comme des doigts en
+l'air et désignent la lune.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p25">LES GRENOUILLES</h2>
+
+
+<p>Par brusques détentes, elles exercent
+leurs ressorts.</p>
+
+<p>Elles sautent de l'herbe comme de
+lourdes gouttes d'huile frite.</p>
+
+<p>Elles se posent, presse-papiers de bronze,
+sur les larges feuilles du nénuphar.</p>
+
+<p>L'une se gorge d'air. On mettrait un
+sou, par sa bouche, dans la tirelire de son
+ventre.</p>
+
+<p>Elles montent, comme des soupirs, de
+la vase.</p>
+
+<p>Immobiles, elles semblent les gros yeux
+à fleur d'eau, les tumeurs de la mare
+plate.</p>
+
+<p>Assises en tailleur, stupéfiées, elles bâillent
+au soleil couchant.</p>
+
+<p>Puis, comme les camelots assourdissants
+des rues, elles crient les dernières nouvelles
+du soir.</p>
+
+<p>Parfois, elles happent un insecte.</p>
+
+<p>Et d'autres ne s'occupent que d'amour.</p>
+
+<p>Et toutes, elles tentent le pêcheur à la
+ligne.</p>
+
+<p>Je casse, sans difficulté, une gaule. J'ai,
+piquée à mon paletot, une épingle que je recourbe en hameçon.</p>
+
+<p>La ficelle ne me manque pas, Dieu
+merci!</p>
+
+<p>Mais il me faudrait encore un brin de
+laine, un bout de n'importe quoi rouge.</p>
+
+<p>Je cherche sur moi, par terre, au ciel.</p>
+
+<p>Je ne trouve rien et je regarde mélancoliquement
+ma boutonnière fendue, toute
+prête, que, sans reproche, on ne se hâte
+guère d'orner du ruban rouge.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p26">LE CRAPAUD</h2>
+
+
+<p>Né d'une pierre, il vit sous une pierre
+et s'y creusera un tombeau.</p>
+
+<p>Je le visite fréquemment, et, chaque fois
+que je lève sa pierre, j'ai peur de le retrouver et peur qu'il n'y soit plus.</p>
+
+<p>Il y est.</p>
+
+<p>Caché dans ce gîte sec, propre, étroit,
+bien à lui, il l'occupe pleinement, gonflé
+comme une bourse d'avare.</p>
+
+<p>Qu'une pluie le fasse sortir, et il vient
+au-devant de moi. Quelques sauts lourds,
+et il s'arrête sur ses cuisses et me regarde
+de ses yeux rougis. Si le monde injuste le
+traite en lépreux, je ne crains pas de m'accroupir
+près de lui et d'approcher du sien
+mon visage d'homme.</p>
+
+<p>Puis je dompterai un reste de dégoût,
+et je te caresserai de ma main, crapaud!</p>
+
+<p>On en avale dans la vie qui font
+plus mal au c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Pourtant, hier, j'ai manqué de tact. Il
+fermentait et suintait, toutes ses verrues
+crevées.</p>
+
+<p>&mdash;Mon pauvre ami, lui dis-je, je ne
+veux pas te faire de peine, mais, Dieu!
+que tu es laid!</p>
+
+<p>Il ouvrit sa bouche puérile et sans dents,
+à l'haleine chaude, et me répondit avec
+un léger accent anglais:</p>
+
+<p>&mdash;Et toi?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p27">LA CHENILLE</h2>
+
+
+<p>Elle sort d'une touffe d'herbe qui l'avait
+cachée pendant la chaleur. Elle traverse
+l'allée de sable à grandes ondulations. Elle
+se garde d'y faire halte et un moment elle
+se croit perdue dans une trace de sabot du
+jardinier.</p>
+
+<p>Arrivée aux fraises, elle se repose, lève
+le nez de droite et de gauche pour flairer;
+puis elle repart et sous les feuilles et sur
+les feuilles, elle sait maintenant où elle va.</p>
+
+<p>Quelle belle chenille, grasse, velue, fourrée,
+brune avec des points d'or et ses yeux
+noirs!</p>
+
+<p>Guidée par l'odorat, elle se trémousse et
+se fronce comme un épais sourcil.</p>
+
+<p>Elle s'arrête au bas d'un rosier.</p>
+
+<p>De ses fines agrafes, elle tâte l'écorce
+rude, balance sa petite tête de chien nouveau-né et se décide à grimper.</p>
+
+<p>Et, cette fois, vous diriez qu'elle avale
+péniblement chaque longueur de chemin
+par déglutition.</p>
+
+<p>Tout en haut du rosier, s'épanouit une
+rose au teint de candide fillette. Ses parfums qu'elle prodigue la grisent. Elle ne
+se défie de personne. Elle laisse monter
+par sa tige la première chenille venue. Elle
+l'accueille comme un cadeau.</p>
+
+<p>Et, pressentant qu'il fera froid cette
+nuit, elle est bien aise de se mettre un
+boa autour du cou.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p28">LA SAUTERELLE</h2>
+
+
+<p>Serait-ce le gendarme des insectes?</p>
+
+<p>Tout le jour, elle saute et s'acharne aux
+trousses d'invisibles braconniers qu'elle n'attrape jamais.</p>
+
+<p>Les plus hautes herbes ne l'arrêtent pas.</p>
+
+<p>Rien ne lui fait peur, car elle a des bottes
+de sept lieues, un cou de taureau, le front génial, le ventre d'une carène, des ailes
+en celluloïd, des cornes diaboliques et un
+grand sabre au derrière.</p>
+
+<p>Comme on ne peut avoir les vertus d'un
+gendarme sans les vices, il faut bien le
+dire, la sauterelle chique.</p>
+
+<p>Si je mens, poursuis-la de tes doigts,
+joue avec elle à quatre coins, et quand tu
+l'auras saisie, entre deux bonds, sur une
+feuille de luzerne, observe sa bouche: Par
+ses terribles mandibules, elle sécrète une
+mousse noire comme du jus de tabac.</p>
+
+<p>Mais déjà tu ne la tiens plus. Sa rage
+de sauter la reprend. Le monstre vert
+t'échappe d'un brusque effort et, fragile,
+te laisse une petite cuisse dans la main.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p29">LA CAGE</h2>
+
+
+<p>Félix ne comprend pas qu'on tienne des
+oiseaux prisonniers dans une cage.</p>
+
+<p>&mdash;De même, dit-il, que c'est un crime
+de cueillir une fleur, et, personnellement,
+je ne veux la respirer que sur sa tige, de
+même les oiseaux sont faits pour voler.</p>
+
+<p>Cependant il achète une cage; il l'accroche
+à sa fenêtre. Il y dépose un nid
+d'ouate, une soucoupe de graines, une
+tasse d'eau pure et renouvelable, une balançoire
+et une petite glace.</p>
+
+<p>Et comme on l'interroge avec surprise:</p>
+
+<p>&mdash;Je me félicite de ma générosité, dit-il,
+chaque fois que je regarde cette cage. Je pourrais y mettre un oiseau et je la laisse
+vide. Si je voulais, telle grive brune, tel bouvreuil pimpant, qui sautille, ou tel
+autre de nos petits oiseaux variés serait esclave. Mais grâce à moi, l'un d'eux au moins
+reste libre. C'est toujours ça.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p30">MERLE!</h2>
+
+
+<p>Dans mon jardin il y a un vieux noyer
+presque mort qui fait peur aux petits oiseaux.
+Seul un oiseau noir habite ses dernières
+feuilles.</p>
+
+<p>Mais le reste du jardin est plein de jeunes
+arbres fleuris où nichent des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.</p>
+
+<p>Et il semble que ces jeunes arbres se
+moquent du vieux noyer. A chaque instant,
+ils lui lancent, comme des paroles
+taquines, une volée d'oiseaux
+babillards.</p>
+
+<p>Tour à tour, pierrots, martins, mésanges
+et pinsons le harcèlent. Ils choquent
+de l'aile la pointe de ses branches.
+L'air crépite de leurs cris menus; puis ils
+se sauvent, et c'est une autre bande
+importune qui part des jeunes arbres.</p>
+
+<p>Tant qu'elle peut, elle nargue, piaille,
+siffle et s'égosille.</p>
+
+<p>Ainsi de l'aube au crépuscule, comme
+des mots railleurs, pinsons, mésanges,
+martins et pierrots s'échappent des jeunes
+arbres vers le vieux noyer.</p>
+
+<p>Mais parfois il s'impatiente, il remue ses
+dernières feuilles, lâche son oiseau noir et répond:</p>
+
+<p>&mdash;Merle!</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p31">L'ALOUETTE</h2>
+
+
+<p>Je n'ai jamais vu d'alouette et je me lève
+inutilement avec l'aurore. L'alouette n'est
+pas un oiseau de la terre.</p>
+
+<p>Depuis ce matin, je foule les mottes et
+les herbes sèches.</p>
+
+<p>Des bandes de moineaux gris ou de chardonnerets
+peints à vif flottent sur les haies
+d'épines.</p>
+
+<p>Le geai passe la revue des arbres dans
+un costume de préfecture.</p>
+
+<p>Une caille rase des luzernes et trace au
+cordeau la ligne droite de son vol.</p>
+
+<p>Derrière le berger qui tricote mieux
+qu'une femme, les moutons se suivent et
+se ressemblent.</p>
+
+<p>Et tout s'imprègne d'une lumière si
+neuve que le corbeau, qui ne présage rien
+de bon, fait sourire.</p>
+
+<p>Mais écoutez comme j'écoute.</p>
+
+<p>Entendez-vous quelque part, là-haut,
+piler dans une coupe d'or des morceaux
+de cristal?</p>
+
+<p>Qui peut me dire où l'alouette chante?</p>
+
+<p>Si je regarde en l'air, le soleil brûle mes
+yeux.</p>
+
+<p>Il me faut renoncer à la voir.</p>
+
+<p>L'alouette vit au ciel, et c'est le seul
+oiseau du ciel qui chante jusqu'à nous.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p32">LE GOUJON</h2>
+
+
+<p>Il remonte le courant d'eau vive et suit
+le chemin que tracent les cailloux: car il
+n'aime ni la vase, ni les herbes.</p>
+
+<p>Il aperçoit une bouteille couchée sur un
+lit de sable. Elle n'est pleine que d'eau.
+J'ai oublié à dessein d'y mettre une amorce.
+Le goujon tourne autour, cherche l'entrée
+et le voilà pris.</p>
+
+<p>Je ramène la bouteille et rejette le goujon.</p>
+
+<p>Plus haut, il entend du bruit. Loin
+de fuir, il s'approche, par curiosité. C'est
+moi qui m'amuse, piétine dans l'eau et
+remue le fond avec une perche, au bord
+d'un filet. Le goujon têtu veut passer par
+une maille. Il y reste.</p>
+
+<p>Je lève le filet et rejette le goujon.</p>
+
+<p>Plus bas, une brusque secousse tend
+ma ligne et le bouchon bicolore file entre
+deux eaux.</p>
+
+<p>Je tire et c'est encore lui.</p>
+
+<p>Je le décroche de l'hameçon et le rejette.</p>
+
+<p>Cette fois, je ne le verrai plus.</p>
+
+<p>Il est là, immobile, à mes pieds, sous
+l'eau claire. Je distingue sa tête élargie,
+son gros &oelig;il stupide et sa paire de barbillons.</p>
+
+<p>Il bâille, la lèvre déchirée, et il respire
+fort, après une telle émotion.</p>
+
+<p>Mais rien ne le corrige.</p>
+
+<p>Je laisse de nouveau tremper ma ligne
+avec le même ver.</p>
+
+<p>Et aussitôt le goujon mord.</p>
+
+<p>Lequel de nous deux se lassera le premier?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p33">LA DEMOISELLE</h2>
+
+
+<p>Elle soigne son ophtalmie.</p>
+
+<p>D'un bord à l'autre de la rivière, elle
+ne fait que tremper dans l'eau fraîche ses
+yeux gonflés.</p>
+
+<p>Et elle grésille, comme si elle volait à
+l'électricité.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p34">LA PIE</h2>
+
+
+<p>Elle était toute noire; mais elle a passé
+l'hiver dernier aux champs et il lui reste
+de la neige.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p35">L'ARAIGNÉE</h2>
+
+
+<p>Une petite main poilue crispée sur des
+cheveux.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p36">LE PAPILLON</h2>
+
+
+<p>Ce billet doux plié en deux cherche une
+adresse de fleurs.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p37">LA GUÊPE</h2>
+
+
+<p>Elle finira pourtant par abîmer sa taille!</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p38">LA PUCE</h2>
+
+
+<p>Un grain de tabac à ressort.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p39">L'ESCARGOT</h2>
+
+
+<p>Dans la saison des rhumes, son cou de
+girafe rentré, l'escargot bout comme un
+nez plein.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p40">LE VER</h2>
+
+
+<p>En voilà un qui s'allonge comme une
+belle nouille.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p41">LA COULEUVRE</h2>
+
+
+<p>De quel ventre est-elle tombée, cette
+colique?</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p42">LES FOURMIS</h2>
+
+
+<p>Chacune d'elle ressemble au chiffre 3.</p>
+
+<p>Et il y en a! il y en a!</p>
+
+<p>Il y en a 333333333333&hellip; jusqu'à
+l'infini.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p43">CHAUVES-SOURIS</h2>
+
+
+<p>La nuit s'use à force de servir.</p>
+
+<p>Elle ne s'use point par le haut, dans ses
+étoiles. Elle s'use comme une robe qui
+traîne à terre, entre les cailloux et les
+arbres, jusqu'au fond des tunnels malsains
+et des caves humides.</p>
+
+<p>Il n'est pas de coin où ne pénètre un
+pan de nuit. L'épine le crève, les froids le
+gercent, la boue le gâte. Et chaque matin,
+quand la nuit remonte, des loques s'en
+détachent, accrochées au hasard.</p>
+
+<p>Ainsi naissent les chauves-souris.</p>
+
+<p>Et elles doivent à cette origine de ne
+pouvoir supporter l'éclat du jour.</p>
+
+<p>Le soleil couché, quand nous prenons
+le frais, elles se décollent des vieilles poutres
+où, léthargiques, elles pendaient d'une
+griffe.</p>
+
+<p>Leur vol gauche nous inquiète. D'une
+aile baleinée et sans plumes, elles palpitent
+autour de nous. Elles se dirigent
+moins avec d'inutiles yeux blessés qu'avec
+l'oreille.</p>
+
+<p>Mon amie cache son visage, et moi je
+détourne la tête par crainte du choc impur.</p>
+
+<p>On dit qu'avec plus d'ardeur que notre
+amour même, elles nous suceraient le sang
+jusqu'à la mort.</p>
+
+<p>Comme on exagère!</p>
+
+<p>Elles ne sont pas méchantes. Elles ne
+nous touchent jamais.</p>
+
+<p>Filles de la nuit, elles ne détestent que
+les lumières, et, du frôlement de leurs petits
+châles funèbres, elles cherchent des bougies
+à souffler.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p44">LE CERF</h2>
+
+
+<p>J'entrai au bois par un bout de l'allée,
+comme il arrivait par l'autre bout.</p>
+
+<p>Je crus d'abord qu'une personne étrangère
+s'avançait avec un pot de fleurs.</p>
+
+<p>Puis je distinguai le petit arbre nain,
+aux branches écartées et sans feuilles.</p>
+
+<p>Enfin le cerf apparut net et nous nous
+arrêtâmes tous deux.</p>
+
+<p>Je lui dis:</p>
+
+<p>&mdash;Approche. Ne crains rien. Si j'ai un
+fusil, c'est par contenance, pour imiter les
+hommes qui se prennent au sérieux. Je
+ne m'en sers jamais et je laisse ses cartouches
+dans leur tiroir.</p>
+
+<p>Le cerf écoutait et flairait mes paroles.
+Dès que je me tus, il n'hésita point: ses
+jambes remuèrent comme des tiges qu'un
+souffle d'air croise et décroise. Il s'enfuit.</p>
+
+<p>&mdash;Quel dommage! lui criai-je. Je rêvais
+déjà que nous faisions route ensemble.
+Moi, je t'offrais, de ma main, les herbes
+que tu aimes, et toi, d'un pas de promenade,
+tu portais mon fusil couché sur ta
+ramure.</p>
+
+
+
+
+<h2 id="p45">UNE FAMILLE D'ARBRES</h2>
+
+
+<p>C'est après avoir traversé une plaine
+brûlée de soleil que je les rencontre.</p>
+
+<p>Ils ne demeurent pas au bord de la
+route, à cause du bruit. Ils habitent les
+champs incultes, sur une source connue
+des oiseaux seuls.</p>
+
+<p>De loin, ils semblent impénétrables.
+Dès que j'approche, leurs troncs se desserrent.
+Ils m'accueillent avec prudence.
+Je peux me reposer, me rafraîchir, mais
+je devine qu'ils m'observent et se défient.</p>
+
+<p>Ils vivent en famille, les plus âgés au
+milieu et les petits, ceux dont les premières feuilles viennent de naître, un peu partout,
+sans jamais s'écarter.</p>
+
+<p>Ils mettent longtemps à mourir, et ils
+gardent les morts debout jusqu'à la chute
+en poussière.</p>
+
+<p>Ils se flattent de leurs longues branches,
+pour s'assurer qu'ils sont tous là, comme
+les aveugles. Ils gesticulent de colère si le
+vent s'essouffle à les déraciner. Mais entre
+eux aucune dispute. Ils ne murmurent que
+d'accord.</p>
+
+<p>Je sens qu'ils doivent être ma vraie
+famille. J'oublierai vite l'autre. Ces arbres m'adopteront peu à peu, et pour le mériter
+j'apprends ce qu'il faut savoir:</p>
+
+<p>Je sais déjà regarder les nuages qui
+passent.</p>
+
+<p>Je sais aussi rester en place.</p>
+
+<p>Et je sais presque me taire.</p>
+
+
+
+
+<h2>TABLE DES MATIÈRES</h2>
+
+
+<ul>
+<li><a href="#p1">Le Chasseur d'images</a></li>
+<li><a href="#p2">Les Hirondelles de cheminée</a></li>
+<li><a href="#p3">Les Pigeons</a></li>
+<li><a href="#p4">La Poule</a></li>
+<li><a href="#p5">La Dinde</a></li>
+<li><a href="#p6">La Pintade</a></li>
+<li><a href="#p7">Canards</a></li>
+<li><a href="#p8">Le Paon</a></li>
+<li><a href="#p9">L'Oie</a></li>
+<li><a href="#p10">Le Cygne</a></li>
+<li><a href="#p11">L'Épervier</a></li>
+<li><a href="#p12">Le Coq</a></li>
+<li><a href="#p13">Le Cochon</a></li>
+<li><a href="#p14">Le Bouc</a></li>
+<li><a href="#p15">Les Moutons</a></li>
+<li><a href="#p16">Le Cheval</a></li>
+<li><a href="#p17">Le Chien</a></li>
+<li><a href="#p18">La Souris</a></li>
+<li><a href="#p19">Les Lapins</a></li>
+<li><a href="#p20">L'Ane</a></li>
+<li><a href="#p21">Le B&oelig;uf</a></li>
+<li><a href="#p22">Le Taureau</a></li>
+<li><a href="#p23">Les Mouches d'eau</a></li>
+<li><a href="#p24">le Grillon</a></li>
+<li><a href="#p25">les Grenouilles</a></li>
+<li><a href="#p26">Le Crapaud</a></li>
+<li><a href="#p27">La Chenille</a></li>
+<li><a href="#p28">La Sauterelle</a></li>
+<li><a href="#p29">La Cage</a></li>
+<li><a href="#p30">Merle!</a></li>
+<li><a href="#p31">L'Alouette</a></li>
+<li><a href="#p32">Le Goujon</a></li>
+<li><a href="#p33">La Demoiselle</a></li>
+<li><a href="#p34">La Pie</a></li>
+<li><a href="#p35">L'Araignée</a></li>
+<li><a href="#p36">Le Papillon</a></li>
+<li><a href="#p37">La Guêpe</a></li>
+<li><a href="#p38">La Puce</a></li>
+<li><a href="#p39">L'Escargot</a></li>
+<li><a href="#p40">Le Ver</a></li>
+<li><a href="#p41">La Couleuvre</a></li>
+<li><a href="#p42">Les Fourmis</a></li>
+<li><a href="#p43">Chauves-Souris</a></li>
+<li><a href="#p44">Le Cerf</a></li>
+<li><a href="#p45">Une Famille d'Arbres</a></li>
+</ul>
+
+<p class="c"><span class="small">IMPRIMERIE E. FLAMMARION, 26, RUE RACINE, PARIS.</span></p>
+
+<div class="cbreak"><img src="images/b.png" alt="" /></div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Histoires naturelles, by Jules Renard
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRES NATURELLES ***
+
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation information page at www.gutenberg.org
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
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+contact links and up to date contact information can be found at the
+Foundation's web site and official page at www.gutenberg.org/contact
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
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+particular state visit www.gutenberg.org/donate
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For forty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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