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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Abbé de l'Épée + sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès; + +Author: Ferdinand Berthier + +Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972] + +Language: French + +Character set encoding: UTF-8 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + + + + + + + +L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + +Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions, +menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, +nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons, +instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, +accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions, +despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons, +réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons, +complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons, +escrions, taisons: et quoy non? + + MICHEL MONTAIGNE. + +Montmartre.--Impr. PILLOT FRÈRES, LANGRAND et Ce. + +[Illustration: L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.] + +L'ABBÉ +DE L'ÉPÉE, +SA VIE, SON APOSTOLAT, +SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS; + +AVEC L'HISTORIQUE DES +MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE +=à Paris et à Versailles=; + +ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE, +D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE, +DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS, +ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES; + +PAR + +FERDINAND BERTHIER, + +SOURD-MUET, + +Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris, +Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour +les Sourds-Muets de France, +Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc, + +His sunt additae orchestrarum loquacissimae +manus, linguosi digiti, silentium clamosum, +expositio tacita...... Ostendes homines posse et +sine oris affatu suum velle declarare. + +CASSIODORE, lib. IV, cap. 51. + +PARIS, +MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS, +RUE VIVIENNE, 2 BIS. + +1852. + + + + +PROLÉGOMÈNES. + + +Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au +faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets[1], dont +le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe +exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les +sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui +ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les +liens qui unissent cette grande famille, d'offrir à chaque membre un +point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur +procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire +dans le monde. + +La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets +des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes +habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages +conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur +assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et +leurs relations, peuvent leur être utiles. + +L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque. +Les cendres de l'abbé de l'Épée, le _père spirituel_ des pauvres +sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de +l'église Saint-Roch, à Paris. + +Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces +restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se +mettre à la tête de cette Å“uvre réparatrice, et qui formèrent le +noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et +d'en régulariser l'emploi! + +A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; _la +mémoire du cÅ“ur_ ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets. + +La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné, +alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la +cour de cassation, _président_; Chapuys-Montlaville, député, maintenant +préfet, _secrétaire_; Villemain, de l'académie française, qui fut, plus +tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors +procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de +Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur +des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé +Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay +de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert, +artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la +Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et +vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de +Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de +Paris, qui était secrétaire de la Société centrale. + +A peine formée, la Commission, en émettant le vÅ“u qu'un écrit fût +consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la +découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna, +pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant +peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme +exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les +souscriptions. + +Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale. + +M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent +et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet +opuscule les traits du saint Vincent de Paule de ce peuple +exceptionnel. + +Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des +sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire +qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition +des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de +ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la +Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion +d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de +la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice, +et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix. + +Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de +Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus +spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en +former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la +Commission parisienne. + +La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne +me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un +exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de +publication de l'Å“uvre au moyen du surplus du montant des +souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par +l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une +démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité, +établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette +faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de la mienne +rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent +les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les +fonds de cet établissement, c'est-à -dire des ouvrages appartenant aux +sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer +que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de +l'intérieur ou celui de l'instruction publique. + +Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des +beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de +l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être +le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses +nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse. + +Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de +Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de +l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les +rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus +religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La +Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne sÅ“ur de celle +qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu +dans le même but. + +Quant au succès matériel de mon Å“uvre, il ne repose plus maintenant +tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand +apôtre des sourds-muets. + +Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et +moi sommes restés au-dessous, de notre tâche. Les membres de cette +ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant +eux, d'apporter à une Å“uvre de conscience plus de zèle et de +désintéressement. + +Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur _père spirituel_, qui, +s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des +sourds-muets épars sur la surface du globe. + +Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir, +non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui +a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de +vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des +membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané, +si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de +ses plus illustres enfants. + + + + +L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + +SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS. + + + + +I + + Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon + général.--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent + faute d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour + l'état ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse + de le signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions + du diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que + M. de Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du + sacerdoce. + + +Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec +vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques +titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui +mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la +reconnaissance des peuples que celui du _père spirituel_ des +sourds-muets, l'abbé de l'Épée. + +Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous +ferons mieux, nous le prouverons. + +Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des +sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le +génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes +victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un +préjugé barbare. La foule indifférente[2] regardait d'un Å“il de +dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler +au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et +dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser +leurs fers. + +Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention, +quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la +manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple. + +Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille infirmité était +considéré[3] dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un +innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette +opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme, +où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur +guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait +opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce +temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir +soin des sourds-muets. + +Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et +consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en +leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur +leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour +ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute +participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement +l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à +périr avec eux. + +Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets: +_Et vous aussi, vous serez hommes!_ Avec quel étonnement le dix-huitième +siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante +barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a +doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus +belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas +tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et +le cÅ“ur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité +humaine, ils ouvrent leurs cÅ“urs aux consolantes vérités de la +religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses +devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au +milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de +l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche +imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission +du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du +vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une +profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne +remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère, +quelques droits à l'indulgence du public. + +Charles-Michel de l'Épée[4] naquit à Versailles, le 24 novembre 1712[5]. +Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme +recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et +dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer +l'esprit et le cÅ“ur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus +devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un +devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents +avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique, +et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait +leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait +sa vocation. + +Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir +les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors +une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le +_formulaire d'Alexandre VII_[6], espèce de déclaration d'orthodoxie +moliniste. Le jeune de l'Épée refusa de le signer. Et pourtant il ne +croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus +respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les +humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour +toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé! + +Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le +barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il +subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de +Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte, +destiné à devenir un jour chancelier du royaume, +Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou[7]. + +Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du +tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que +là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc +avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses vÅ“ux furent +exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel +auteur du _Discours sur l'Histoire universelle_, l'appela près de lui, +l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de +Fouges, le 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22 +septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le +20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu +suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui +constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient +dans la principauté de Dombes[8]. + + + + +II + + Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports + avec le protestant Ulrich.--Ses vÅ“ux en faveur des juifs.--Son + abnégation, son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste + qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=.--On + lui interdit le ministère de la parole et celui de la + confession.--On lui refuse les cendres.--Sa réponse à un prêtre + intolérant.--Vengeance sublime.--Commencement de son apostolat. + + +Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les +luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible +chaire de vérité. Son éloquence, partie du cÅ“ur, arrivait droit au +cÅ“ur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes +et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle +produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il +enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il +réunissait en lui, au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce. +On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre +Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de +l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux +qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser +échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray: +«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!» + +Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la +sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du +fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison +établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer +ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la +misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât +une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné, +répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de +l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les +privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce +don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront +de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le +travail: je suis riche de vos bienfaits.» + +Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le +vÅ“u le plus ardent de son cÅ“ur était de voir les juifs sortir +enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille +chrétienne. + +Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel, +afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur +la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les +âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu +à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une +seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et +de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue +et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont +les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut, +et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.» + +Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de +Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste[9]. Il lui restait +encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était +rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le +prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie de sentiments, lui +attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de +Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la +bulle _Unigenitus_, dépositaire de son acte d'adhésion à cette +déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et +de pureté d'intention[10], et pourtant, contradiction remarquable dans +un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu +de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a +défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu +de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa +candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons +miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux +diacre François Pâris. + +De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris. +On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui +défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu +mettre sa vertu à une plus rude épreuve[11], se présentant un jour dans +sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit +repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais +lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève +et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit, +m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but +est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre +conscience[12]. + +Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta +généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des +tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte +table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus +grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait +exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte +que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et +qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme +généreuse de sa victime. + +Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par +des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de +gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait échoir la tâche d'achever +la grande Å“uvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un +vénérable prêtre de la doctrine chrétienne. + + + + +III + + Deux sÅ“urs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la + doctrine chrétienne.--La mort les ayant privées de leur + instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son + Å“uvre.--Théorie du langage des gestes.--Il ignore entièrement + les travaux de ses prédécesseurs.--Ses premières + tentatives.--Objections des philosophes et des + théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important + avis du R. P. Lacordaire. + + +Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une +affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la +rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la +doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on +l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, sÅ“urs +jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En +attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques +paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune +réponse! Il eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher +d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce +silence opiniâtre? + +Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable +visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont +sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R. +P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de +St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement +leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand +secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa +vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder +les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier. + +A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que +le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par +lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit +entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel +destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement +convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe +que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat +entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident qui +s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne +se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde +nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même +les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la +carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà +saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira +bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la +mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les +philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les +pays[13]. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à +l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du +monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle +vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De +longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou +plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre. + +En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les +critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les +premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de +transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par +cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre +sans peine le vieil axiome: _Nihil est in intellectu quod prius non +fuerit in sensu_ (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par +nos sens). + +Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: _Fides +ex auditu_ (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe. + +Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes +que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons +fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir +des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque +signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur +fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits +signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent. + +On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la +métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage +mimique est, observa-t-il avec ses yeux d'aigle, susceptible de +traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les +plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal +de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la +clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux +lois immuables et éternelles de notre organisation physique. + +On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement +résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte +engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de +Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre +comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait, +effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre. + +L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des +théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La +lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le +docteur qu'il regarde[14] comme un des plus habiles commentateurs des +Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans +ces paroles de l'apôtre: _ex auditu_; car, s'il est vrai que le plus +grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les +vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont +prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu +beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture. +Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les +vérités saintes qu'ils renferment: _Ces choses ont été écrites_, dit +l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), _afin que vous +croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la +vie en son nom_.» + +Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là ; il invoque avec une +nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce +grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier +abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt +dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange +abus: _Quod vitium ipsam impedit fidem_. C'est, dit saint Augustin, +parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les +lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la +lecture: _Nà m surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat, +discere non potest_. + +«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie enfin l'abbé de l'Épée, si +l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des +sourds-muets?» + +Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant, +l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans +importance, même après celle de ses illustres devanciers. + +Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur +sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez +lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la +manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en +ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et +cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un +sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa +réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon +collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul! + +«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite +à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la +parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.--La foi +est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée à l'homme _de +quelque manière que ce soit_.» + +Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que +nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on +est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S. +Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne +croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas? +Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?» +_Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei +quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?_ (Rom. 10, +14-15.) + + + + +IV + + Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec + les hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux + sous le voile de l'anonyme.--Succès de ses séances + publiques.--Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et + Catherine de Russie.--Sa réputation grandit avec son + zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en + anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son + système.--Puériles décompositions grecques et latines. + + +L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus +terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au +même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées +de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se +déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un +parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de +déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des +étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement. + +A chaque séance, l'admiration publique allait _crescendo_ et se +communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre. +C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et +des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur. +Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur +imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont +elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur +Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie. + +Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut +néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets +lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la +fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'_Institution +des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques_, in-12 (1774-1776), +ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des +signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa +_Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une +longue expérience_. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau +envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à +tous les yeux, et, s'il dut lui en coûter beaucoup d'être si +pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure +n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson +bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le +parler lui-même: + +«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs +sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en +latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les +sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des +programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout +état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont +été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces +enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature, +ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères +et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la +même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie +ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de +nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris +jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.» + +Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire +accorder sans restriction tous nos éloges à notre maître. Nous ne +croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques +écarts de son génie qui déparent son Å“uvre admirable. On va le voir, +en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré +avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir +religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose +l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la +mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner. + +Je prends au hasard quelques passages de sa _véritable manière +d'instruire les sourds-muets_. + +Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons +observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts, +de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons +_articles_ ou _jointures_. Nous écrivons ensuite sur le tableau que _le, +la, les, de, du, des_, joignent les mots comme nos articles joignent nos +os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde +pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'_index_ droit, qui s'étend +et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe +raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en +portant la main au chapeau pour l'article masculin _le_, et à +l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour +l'article féminin _la_. L'article pluriel _les_ s'annonce par le +mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de +crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec +l'_index_ droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe +est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de +féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin. + +«_De, du, de la, des_, sont des articles au second cas. Il faut donc +ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de +singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de +faire observer que le _de, du, des_ de l'ablatif n'est point un article, +mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage +auquel on l'emploie.» + +S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire +apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif, +génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi +on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont +propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend +du premier cas, qu'on appelle _le nominatif_, jusqu'au sixième, qu'on +nomme l'ablatif, et ce sont des signes beaucoup plus intelligibles que +ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir +donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second, +troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc. + +«Quant au signe du mot _cas_, il s'exprime de cette manière: on fait +rouler l'un sur l'autre les deux _index_ en déclinant, c'est-à -dire en +descendant depuis le premier jusqu'au sixième. + + * * * * * + +Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés[15], l'abbé de +l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et +du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait +aussi rapide que la pensée. Ainsi, _satisfaire_ signifie, selon lui, +d'après sa décomposition latine, FAIRE ASSEZ; _introduire_, signifie +CONDUIRE DEDANS. + +Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru +devoir établir (pages 57-58 _ibid._) entre les différents passés: _j'ai +aimé,--j'aimai,--j'ai eu aimé,--j'eus aimé,--j'avais aimé_, en les +désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après +avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun +à tout passé. + +Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement +à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de +l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux +couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles +erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables +démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les +magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable +charité?.... Que conclure de là , sinon que notre grand apôtre serait +Dieu lui-même, s'il était parfait? + + + + +V + + Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même + des idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés + pour arriver à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne + croient pas à la possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un + avis contraire.--La fusion de toutes les langues en une seule, si + elle était possible, serait-elle durable?--La mimique est la seule + langue universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le + geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa + MIMOGRAPHIE. + + +Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a +prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de +l'Épée. + +«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être +apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité +des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la +combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront +jamais d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous, +et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues, +l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces +considérations auraient dû convaincre les glossographes de +l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.» + +Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous +diverses dénominations[16], ont tous échoué jusqu'à présent, comme il +était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins +pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une +classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des +mots par ordre alphabétique. + +S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à +Descartes l'idée de son _Alphabet des pensées_, titre dont il a décoré +sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue +exact des notions composées, c'est-à -dire des pensées, des jugements, +marqués chacun d'un caractère propre et spécial. + +Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est +absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins +d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante +l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se +croit fondé à conclure (_Lettres,--tom._ 2, _p._ 550), que ce n'est que +dans le _pays des romans_ que cette langue peut devenir familière à tous +les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples. + +De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu +de la solution possible du problème, quand il dit dans son _Esquisse +d'une philosophie_: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux +familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles, +à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce: +ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et +le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les +langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.» + +Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes, +serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût +couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque +peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère +d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue +universelle? + +Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai +(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître +l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos +pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique? +Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce +qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, _à +priori_, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y +remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là , elle a +besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui +d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu +tort de nous renvoyer au pays des chimères? + +D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de +l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des +sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de le +fixer sur le papier comme on y fixe la parole. _Sa mimographie_, qui +n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de +caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous +les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et +de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre +du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire +sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes +n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage +seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le +cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons, +nous qui sommes déshérités de cet avantage. + + + + +VI + + Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en + est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de + l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre + latin sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad + Amman.--Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de + l'Épée.--Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par + ses leçons.--Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans + l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues + Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur. + + +Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée! + +Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la +parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette +partie de l'enseignement. + +Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la +langue de ses élèves. + +Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un +livre espagnol, en l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra +un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il +allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au +hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols. +Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le +commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première +page, ce titre frappe ses yeux: _Arte para enseñar à hablar à los +mudos,_ (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'Å“uvre de Juan +Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, Å“uvre qui lui a +valu dans sa patrie les plus grands éloges. + +Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue +étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses +élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet, +composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par +une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé: +_Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun._ + +De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer +une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'Å“uvre de +clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti +possible[17]. Quel spectateur eût pu, dès lors, rester froid et +indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade +prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir +plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie, +et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de +ses condisciples[18]. «Les arguments étaient d'avance communiqués,» +ajoute le maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. _Véritable +manière d'instruire les sourds-muets_.) + +Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter +de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon +Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les +dimanches, etc. + +Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la +véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune +connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de +son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire[19]? La +manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux +n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de +cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire +le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui? + +Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa +_véritable manière d'instruire les sourds-muets:_ + +«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de +l'instruction de deux sÅ“urs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient +pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la +doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un +instituteur[20] qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette +Å“uvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie +à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux +qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de +laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les +sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on +devait de justes applaudissements.» + + + + +VII + + L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et + remonte à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet + manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.--Plusieurs + instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les + commencements.--Notre dactylologie se popularise en France.--Ses + avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les + parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la + mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de + l'Épée.--Justification du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé + de sa méthode.--Attaque du sourd-muet Saboureux de + Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement + avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré + supérieur au sien. + + +Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous +permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas +déplacées ici. + +Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets, +il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot +par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule +main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là +de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage +dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention +de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui +vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque, +il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les +institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique[21], et il commence +déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception +toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît +devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où +le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon +du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode +de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer +pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement, +en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux +qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles +les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout +ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux +parlants en vénération et en reconnaissance? + +[Illustration: Alphabet manuel des Sourds-Muets.] + +Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf +quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la +typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés +depuis[22] à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus +facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La +rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on +doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le +français. + +La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la +première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à +gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre. + +Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec l'index, absolument +comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier. + +Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en +l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne +horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend, +d'ailleurs, cette précaution inutile. + +L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il +en est de même pour les chiffres. + +De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à +dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint +momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé, +perdent entièrement la parole. + +N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets, +dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts, +adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes +caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels +ils augmentent et complètent leurs moyens de communication. + +Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de +doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les +plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à +exprimer, et ils y ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute +longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si +c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond +avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à +représenter la lettre _O_ de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer +_cent_ et _mille_, ils ont recours au même procédé pour reproduire les +chiffres romains C et M. + +On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de +soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant +s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments. + +En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper +aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre +les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de +l'Å“il, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on +prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les +mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices, +l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen +qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques +données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les +mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons +mieux, la nature si ingénieuse et si bienfaisante à son égard. + +Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue +des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la +raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un +jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point, +quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins +parfait et beaucoup moins rapide. + +L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents +déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire +consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode +tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par +Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant +professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa +justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en +frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres +auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout +autre genre, et _qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à +entreprendre de faire parler ses deux élèves_. Voilà ses propres +expressions. + +Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec +ordre, à combiner méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce +principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes +représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce +de grammaire. + +Voici, du reste, comment il raisonne[23] pour essayer de convaincre ses +lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés: + +«La route des estampes[24] n'est point de mon goût. L'alphabet manuel +français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile +que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à +l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent +qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent +pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les +objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup +qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une +méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus +sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou +présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......» + +Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître +ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant, +dans le _Journal de Verdun_, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne +rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay[25], +que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un +phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de +ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des +lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses +hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais, +il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son +esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible +d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses +indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de +l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la +nécessité de combattre un pareil adversaire, auquel son infirmité avait +forcément dérobé la partie la plus intéressante de son Å“uvre, qu'il +avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une +de ses leçons. + +Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et +n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être +jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système, +s'il est déclaré supérieur au sien. + +Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés +vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais, +pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de +cause, il nous semble important de remonter plus haut. + + + + +VIII + + Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, + en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en + Italie.--Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, + de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro + de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel + Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J. + Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges + Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges + Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de + Jacob Rodrigues Pereire.--Succès brillants des deux derniers à + l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second. + Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et + portugaise.--Sa tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à + ses élèves.--Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre + de la sourde-muette Mlle Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de + Montbret. + + +_L'histoire ecclésiastique des Anglais_, par Bède le Vénérable[26], +rapporte qu'à la fin du septième siècle, saint Jean de Beverley, +archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune +sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier. + +Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de +Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son _Tractatus +de inventione dialecticâ_, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un +sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les +parlants. + +Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie +au XVIe siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles +sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que +personne n'était plus à même que lui[27] de l'apprécier comme elle le +mérite. + +Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg, +qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de +leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle. +Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés, +qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond. + +Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers +1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais +qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand +mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours +recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance: +c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs +d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de +l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le +lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir +de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on +lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on +l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin. +Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il +n'avait pas besoin de ce surcroît de charge inutile, et que, du reste, +cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui +répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre +de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir +pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à +notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la +maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort. + +Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par +signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail +persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se +confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à +la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion +qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable +instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu[28]. + +Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en +signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention +honorable. + +Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou +moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur d'une +initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à +Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait +l'éducation de deux frères et d'une sÅ“ur du connétable Velasco, ainsi +que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de +surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art +peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions +incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses +innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique +influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été +inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien +administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous +sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M. +Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris +d'une copie de ce précieux manuscrit. + +Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet +(_Art d'enseigner aux muets à parler_, 1620), qui eut pour élève le +frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché +comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux[29], qui avait +fait jurer[30] à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel +Philibert, prince de Savoie Carignan[31], de ne point révéler sa +méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet +que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé: +_Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas +naturales_, 1629. (_Merveilles de la nature, contenant deux mille +secrets de choses naturelles_.) + +La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par +deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et Pedro de Castro, +premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du +prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre +maison de Savoie!);--en Angleterre, par John Bulwer (_le Philosophe ou +l'Ami des sourds-muets_, 1648), par J. Wallis (_Traité grammatico +physique de la parole ou de la formation des sons vocaux_, 1660), par +William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui, +presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son _Ars +signorum_[32], l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets, +sous le titre de _Didas Colocophus_ ou le _Précepteur du sourd-muet_. + +La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont +les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin +suisse établi à Amsterdam (_Surdus loquens_, 1692, et _Dissertation sur +la parole_, 1700). + +L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel, père de trois +sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École +des sourds-muets de Leipsick. + +Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix, +où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se +présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils +d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il +fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet, +devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13 +janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé, +Saboureux de Fontenay[33], comparut devant cette Académie, ce qui donna +lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa +prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de +l'_Histoire naturelle_ de Buffon (1re édition). Telle est l'origine +du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait. + +Parmi les notabilités qui assistèrent souvent aux leçons de +l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J. +Rousseau[34], La Condamine[35], d'Alembert, Diderot[36], Lecat[37], le +P. André[38], etc. + +Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre +adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par Mlle +Marois, sa plus chère élève: + +«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les +gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et +qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole, +jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux de +nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je? +jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de +toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car +vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce +qui se passe dans le secret du cÅ“ur.» + +En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de +Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence +du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une +gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une +autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son +interprète pour les langues espagnole et portugaise. + +Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait +ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé; +mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu +sur ses procédés, _qu'il offrait de vendre au gouvernement_. + +En quoi consistait cependant sa prétendue méthode[39]? Qu'avait-elle de +spécial, de différent de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à +un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application +ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour +redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a +également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du +nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système. + +Ernaud, aussi chaud partisan de l'_alphabet labial_ que son rival le fut +de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de +l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et +son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un +et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces +hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis. + + + + +IX + + Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son + cours élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, + ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, + domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée + devient le confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph + II lui sert la messe.--Il amène dans son établissement sa sÅ“ur + la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le + priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses + États.--Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée. + + +Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire +d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par +l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des +lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille +des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre +instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans. +Son _Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets_ vit le jour +cinq ans après la publication de l'_Institution des sourds-muets par la +voie des signes méthodiques_. Il est à déplorer seulement que cet +ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par +celles du cÅ“ur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui +militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à +faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la +mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à +jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de +déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette +persistance provoqua les _Observations d'un sourd-muet_, petit ouvrage +aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des +aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre +ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet +de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la +Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment +chez M. le prince de Nassau. + +Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à +notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et +touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait +généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui +recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs +fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître, +c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches +auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation +de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque +de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors +l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion +tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles +fonctions auxquelles Dieu l'appelle. + +L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à +l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche +en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement, +mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet, +à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son +établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit, +et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de +papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une +magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph +II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre +ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la +précision de ses souvenirs. + +Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de +Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur. +Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de +son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que +l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il +sa sÅ“ur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie +de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne +fut pas stérile. Ayant à cÅ“ur de fonder dans ses États une école de +sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette +capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé +de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former +l'esprit et le cÅ“ur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre +remit au vénérable fondateur la lettre suivante[40]: + +«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au +service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants +progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette +lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de +vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas +autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit +pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous +votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie +avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire +de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous +contribuerez de bon cÅ“ur à étendre votre charité sur une partie des +sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux, +leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner +leurs idées. Adieu... + + »Signé: JOSEPH.» + +L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que +l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens +d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante +famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à +défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en +état de réussir parfaitement dans cette entreprise.» + + + + +X + + Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de + l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, + de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, + à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa + faveur.--Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle + victoire de l'abbé de l'Épée.--Condillac se prononce pour + lui.--Extension trop grande donnée à la parole artificielle du + sourd-muet--Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet. + + +C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur +français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre, +s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les +libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel +institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait +celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux +rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de +l'autre. + +L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa +création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des +attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce +dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure +grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à +pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne +peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;--2º +l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire +entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;--il finit par +en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés +littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en +Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au vÅ“u +du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir +consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire[41], +déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait +l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le +but. + +Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en +lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître +paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de +Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand, +reproduite par le _Journal de Paris_, dans laquelle il prétendait +fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le +système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui, +dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle +il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que +l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la +sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience +suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur +lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet +échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en +comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également +insérées dans le _Journal de Paris_ (27 mai 1785). + +Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux +de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode +d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se +tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à +travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre. + +Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de +l'abbé de l'Épée, avec son _Cours d'études pour l'instruction du prince +de Parme_ (t. 1er, 1re part., chap. 1er, p. 11) et avec sa +_Grammaire_, publiée quatre ans après l'_Institution des sourds-muets +par la voie des signes méthodiques_: il tient à honneur de faire justice +de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le +sceau de la vérité et de l'immortalité à l'Å“uvre de son illustre +contemporain. + +Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en +Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu +s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A +quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou +moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir +résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la +parole artificielle. + +Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire +impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes +obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la +voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de +prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur. + +Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans +les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne +remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de +souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne +s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus +du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons +régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre +satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils +pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes +imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent +tout leur essor! + +On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne +peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès +dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a +démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui +se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la +nation sourde-muette. + +Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant +pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de +notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence +surtout! + + + + +XI + + Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque + octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver + rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le + sourd-muet Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une + abbaye en Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de + Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des + sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous + les pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute + d'abord son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son + école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et + lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet + pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau + local.--Statistique des pensions de sourds-muets et de + sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.--Son école à un + second étage de la rue des Moulins.--Sa maison de campagne à loyer, + rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes. + + +Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le +furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau +sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il +regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner +une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans +son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les +infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un +hiver des plus rigoureux (1788), _pour ne pas faire tort_, disait-il, +_au patrimoine sacré de ses enfants_. Un matin, la nouvelle de cette +privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme +dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette +excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur +langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses +fils adoptifs. + +Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde +raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était +point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une +vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu +de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de +ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme, +d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de +chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et +la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à +certaines heures fixes, on l'eût pris pour un fervent cénobite qui prie +sur les tombeaux. + +Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile +une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur +d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M. +Léopold Loustau[42], ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à +réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint +Vincent de Paule. + +Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce +désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont +l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance antérieure, +lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché +que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service +personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui +proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis +confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait +encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité +et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire +servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà +vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur +ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur +l'Å“uvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer +pour le bien de l'humanité.» + +Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre +impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce +qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de +l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches +présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais +d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de +quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de m'envoyer un +sourd-muet de naissance que j'instruirai.» + +--«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par +tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux +pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des +sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un +pour les instruire.» + +Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations +que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien, +l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de +plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans +laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la +Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des +nations qui nous environnent.» + +Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous +servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?--A rien, +répondait le bon abbé.--Alors pourquoi les leur faire +apprendre?--Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie +très-considérable de ma carrière est déjà fournie.--Et qui instruira les +sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses +et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement pour bien des gens. +Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où +chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en +résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi +susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque +puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de +sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en +quel pays, qui continuera mon Å“uvre.» + +Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de +rente environ[43], il soutint une école nombreuse dont il payait les +maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des +élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son +frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient +digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première +réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son +âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût +l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur +entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence. + +Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque[44], Louis XVI +aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur: +«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux +vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille +au jansénisme.» + +Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du +jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de +l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons +catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens +estimables. + +Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette +justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage +de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le +transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un +vÅ“u formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil +avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21 +novembre 1778[45]; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle +de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de +l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas de goûter la satisfaction de se +voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local. + +Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois +pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames +respectables[46], et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M. +Chevreau avait la direction. Tout près de là , dans une maison sise rue +des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au +second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de +l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de +chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de +soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure +origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France +et de l'étranger. + +L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses +élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement +allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à +sept. + +Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de +Montmartre (rue des Martyrs), qu'il tenait à loyer et qui était voisine +de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à +leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui +faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes +d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait +partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur +bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa +nombreuse famille. + +Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides, +le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un +geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint +aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font +tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient +à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon +père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce +d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre +le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle, +leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce +tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille; +et tous lui promettent de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un +jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes. + +Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint +prêtre. + + + + +XII + + Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize + ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis + à l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et + abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes + les maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.--Le + sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères + d'infortune.--Une confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué + à celui de Louis Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de + Hauteserre.--Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar, + à Toulouse.--Un trait de lumière. + + +L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de +Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer +succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances, +les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les +témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui. +Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de ménager leur +attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient +bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer +qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi, +de l'Espérance et de la Charité chrétienne. + +Le 1er août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance +du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize +ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le cÅ“ur +le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son +épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable +(Mme Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un +ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur +une recommandation de Mme Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet +est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade +et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ +huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de +l'Épée[47] dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque +grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de +l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-Antoine, chargée de la +salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite, +cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour +l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à +entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et +qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux +sÅ“urs ses aînées, lui et une sÅ“ur plus jeune; qu'il y a dans la +maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de +fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a +abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien, +son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime +expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime +d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle. + +D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de +l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de +Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien +donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les +maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie +royale sous le titre de _Note intéressante_. En voici la teneur, portant +en marge qu'on tient ces renseignements de l'abbé de l'Épée, +instituteur gratuit des sourds-muets: + + + DU PREMIER MARS 1776. + + =NOTE INTÉRESSANTE= + + «Le 2 septembre 1773[48], on a trouvé sur le grand chemin de + Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et + muet[49], âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris + et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été + mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté + pour servir selon ses forces dans une des salles. + +ȃtant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par + signes d'une manière assez sensible pour faire entendre: + + «1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée; + + «2º Que son père, qui était boiteux, est mort; + + «3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois + filles et lui; + + «4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux + habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que + lui-même y a toujours été servi; + + «5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver, + et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce + qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver; + + «6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un + cavalier; + + «7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le + menait; + + «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné. + + «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état + et ses biens. + + «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le + département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de + maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les + plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la + naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et + qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le + zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte + intéressante, sera récompensé par une gratification.» + + «A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.» + + + +Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au +ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même +mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à +voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un +mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là ;» et sur +l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique: +«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va. + +Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne +soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd +fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau, +maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères +d'infortune. + +Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis +Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la +vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée +à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le +jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se +convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au +mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut +être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois, +à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à +l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à +l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à +Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775. + +L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de +Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous +les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de +l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et +veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un +appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin. + +«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze +ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet +enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite +année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de +Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa +mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa +sÅ“ur habitait actuellement un couvent de Toulouse.» + +Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal +rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle +Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit. + + + + +XIII + + L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié + la Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le + protége.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.--Voyage + du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis, + sa ville natale.--Nouvelles reconnaissances.--Joseph se rappelle + une cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais + sa sÅ“ur hésite d'abord.--Une démarche auprès du duc de + Penthièvre.--Elle réussit.--Le prince accorde une pension de 800 + livres au jeune Solar.--Le paiement en est bientôt + suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.--Le + premier semestre de la pension est payé. + + +Le signalement du jeune Solar, donné par Mme de Hauteserre, +s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son +arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de +poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos +de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise. + +D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la +Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On +le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune +démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune +protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au +préalable. + +Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se +présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph, +elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de +Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou +huit ans, chez Mlle Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle +était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement +par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel, +conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais +aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin, +maître maçon, et de sa fille. + +L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son +protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des +deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se +mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec +son élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la +déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels +figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du +bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est +unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce +parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de +son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours +d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses +manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces +d'un éclat de bombe. + +A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de +Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de +vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de +reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le +jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny +reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils. + +De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de Mlle +Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que +Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue +entre les deux enfants, on fait venir Mlle de Solar à Paris de son +couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la sÅ“ur ne se +reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils +finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle. +On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé +de l'abbé de l'Épée, le _post scriptum_ d'une lettre adressée le 8 +novembre 1777 par Mlle de Solar, qui venait d'être placée dans une +pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau: +«Je vous prie de dire _mille choses tendres à mon cher petit frère_.» + +Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le +sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi +Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de +Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine, +gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que +le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A +ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa +faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes +démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les +pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une +réponse lui sera faite sous quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici +la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M. +l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre: + +«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de +800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés +pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son +état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet +qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire +à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.» + +Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé +de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du +brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait +assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un +acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à +grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté, +de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400 +livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il +surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des +sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel +éclaircissement. Ce dernier lui adressa incontinent la réponse +suivante[50]: + + «MONSIEUR, + +«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire +contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit +vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de +Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les +intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du +brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune +comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi. +C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de +M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes +de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre +un jeune homme qui, après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est +reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et +par bon nombre de témoins respectables? + +«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que +vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune +démarche sous le nom du _comte de Solar_. Vous me permettrez de vous +dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne. +Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous +sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre +démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il +m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir. + +«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré +l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu +l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais +envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et +je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru +que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si +l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme +pareillement. + +«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce +qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a +ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du +défunt, mais seulement le nom de _comte de Solar_, décédé le 28 janvier +1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le +cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous +le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait +que vous avez reçu, est plus complet. + +«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du +moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères +que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en +sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous +nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit +morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit. + +«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce +qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer +et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait +particulier, mais cela ne change rien à l'estime et au respect avec +lesquels j'ai l'honneur d'être, + + «Monsieur, + + «Votre très-humble et très-obéissant + serviteur, + + L'abbé DE L'ÉPÉE. + +«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à +huit heures du soir.» + +Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans +le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six +derniers mois de l'année 1777! + + + + +XIV + + Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, + supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à + Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.--Ses + moyens de défense.--Il demande à être transféré, avec le + sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut + devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.--Cette requête est + jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que + le transfert de l'enfant et de sa sÅ“ur sur les lieux.--Enfin, + une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar, + reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.--Commentaire des + juges. + + +Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des +renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient +venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un +sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la +personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le +prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à +Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et +plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport +foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement. + +Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour +l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits +ici en entier: + +«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse; +j'eus l'occasion de connaître Mme la comtesse de Solar. Cette dame, +sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver +ma famille à Charlas, et, de là , accompagner ma mère aux eaux de +Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son +fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux +avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je +savais que Mme de Solar avait des relations très-puissantes à +Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne +serait point inutile à mon avancement et à ma fortune. + +«L'enfant, qui me connaissait déjà , consentit facilement à me suivre, +et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de +l'auberge de l'_Écharpe_, dans l'une des rues les plus fréquentées de +Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à +cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar. +Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et +d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval. +Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des +personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en +passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A +Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma +famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères. + +»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec +nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à Mme de +Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin, +époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires +domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël, +la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint. +On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais +constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis +bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde +pas à s'aggraver: un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre +l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli, +mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la +sépulture de ma famille. + +«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire. +Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui +ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que +pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est +irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette +irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de +renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au +pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie +désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait +seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le +comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il +demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces +renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque, +pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte +au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il +se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était +insuffisant, parce qu'il ne désignait pas clairement la personne +décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: _Un enfant +âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte +de Solar_. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne +saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la +comtesse de Solar. + +«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que +d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4 +septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774, +et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait +être le jeune de Solar, qui m'a été confié.--Ensuite, ajoutait-il, il +suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le +jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre +1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet +enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château +de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois +auparavant (le 1er août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand +chemin de Péronne en Picardie!» + +Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence, +insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la +justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir +l'affaire. + +Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement +l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de +Caroline de Solar sur les lieux indiqués. + +Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre +1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et +frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et +renvoyé absous. + +Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence: + +«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût +coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était +Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès. +L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et +qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de +mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré +être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la +même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la +perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a +chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement de septembre +suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et +nous l'avons renvoyé tel. + +«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas +satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit +près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre +enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on +substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait +fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à +juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci, +nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait; +elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et +Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces +deux points.--Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la +part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un +malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine +d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu +découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à +qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates +rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.» + + + + +XV + + Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de + Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de + Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables.--Détails + peu édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me + Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire + constatant, à son avis, le décès.--L'illustre avocat modifie, plus + tard, son opinion.--Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de + L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la sentence du Châtelet par le + parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête + et d'instruction. + + +L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à Me Élie de Beaumont, +défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas, +rend compte, sous la date du 1er février 1779, de tout ce qui regarde +son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du +mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses +objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont +comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui, consiste en ce +que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été +arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a +fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de +lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes +lenticulaires, dont un[51] exactement à la même place. + +Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que, +dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension, +il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui, +qu'il croyait naturellement ses sÅ“urs, de sorte que, toutes les fois +qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez Mme +Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât +quelque chose pour ses sÅ“urs. + +La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à +son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800 +livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait +un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne +vivait que d'emprunts.--Il existait encore, selon lui, une lettre de +cette dame à M. Joisneau, son parent et son ami, par laquelle elle le +priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus +riche _vis-à -vis du père du monsieur qu'elle devait épouser_, le +conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis +deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes. + +A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa +conscience d'honnête homme: + + _Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt._ + + _Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de + tous les innocents que l'on veut perdre._ + + (Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8. + +Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique, +est précédé d'un _Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en +parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet_, mémoire suivi +d'une _Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de +Sainville_, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars +1779. + +Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme +et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires +invoqués, la preuve, sans réplique, de la parfaite identité du jeune +Joseph avec le jeune comte de Solar, Me Tronçon-Ducoudray[52], autre +défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers +des 1er et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de +son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire +consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant +la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre +incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur, +le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28 +janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était +mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses +amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès, il +avait été frappé de paralysie et marchait difficilement. + +Me Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et +s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur +Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache +à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses +interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le +mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne +craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph, +selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir +dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses +réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les +témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme +n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer, +principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain +de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre +comme très-expérimentée dans l'art de mentir. + +Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes, +petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la +plainte et la procédure. + +«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé +par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier; + +Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée +d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres +témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet +trouvé, _le premier août_ 1773, au village de Cuvilly, et _vu quelques +jours auparavant_ à celui d'Orvilliers; + +Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame +Le Roux des nouvelles de _son frère_; ordonne qu'il sera amené +prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et +parfait par les officiers du Châtelet; + +Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature, +surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier +1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé +par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le +sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.; + +Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète, +Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et +officiers du Châtelet, etc., à Toulouse, à Alby, la Granerie, les +villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut, +Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à +Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal +des _gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète +dans tous les lieux indiqués_; + +«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir +toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph +_reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu, +etc._; + +«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres +patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que +dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf +l'appel en la cour; + +«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de +Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août +1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction +et au jugement dudit procès, ce que de raison. + +«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre +1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne +que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est +détenu par l'huissier de la cour de service, à la charge de se +représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes, +etc.; + +«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à +Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur +Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé +aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.» + + + + +XVI + + Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités + ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses + au midi de la France.--Diverses personnes intéressées dans + l'affaire prennent la même direction.--Recherches long-temps + infructueuses.--Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en + présence de la tombe de son père.--On en exhume une tête d'enfant, + avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à + Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en tire + le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves + accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et + contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle + sentence confirmative du Châtelet. + + +Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et +probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte +partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la +Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches. +Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux +ecclésiastique l'ayant supplié de lui laisser vérifier les preuves par +lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la +procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou +1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à +ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.» + +Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar +dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités +l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut, +ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour +interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance? +On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la +barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la +capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait +partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller +au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que +le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné +pour gardien, prirent la même route. Mme de Vormes se chargea +d'accompagner Mlle de Solar dans cette direction. + +Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6 +septembre, à six heures du matin, tous ces personnages sont réunis à +l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense, +avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et +d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à +son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera +le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux +témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans +tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne +rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son +père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune +Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse, +on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le +dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes +dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans +l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on +prétend avoir été arrachée à Joseph. + +C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos +d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly +demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite. + +C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph, +qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de +Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet, +âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une +roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne +pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly. +A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à +Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller +chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant +revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans +signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre. + +Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé +surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un +caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a +préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse +formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins +les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce +dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il +appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure-t-il, +scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur +de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand +matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec +différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le +plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de +certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention +aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable. +Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement +aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est +l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses sÅ“urs +et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet +présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º +l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le +mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on +découvre à Cuvilly, le 1er août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu +par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché +du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai +Solar aurait dû reconnaître. + +Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet +réhabilite le jeune _Théodore_. (C'est le nouveau nom que l'abbé de +l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt: + +_Le mineur Joseph_ est déclaré _comte de Solar_; défenses à toutes +personnes de le troubler dans la possession de son état. + +_Cazeaux_ est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé. + +Il est enjoint _au curé_ d'être plus exact et de se conformer aux +ordonnances et déclarations du roi. + +_Cadours_[53] est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône. + +_La demoiselle Solar_ et la fille Lama sont mises hors de cour. + +Il est enjoint à _la demoiselle_ de reconnaître Joseph pour son frère. + +L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse. + +Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne +seulement. + + + + +XVII + + Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de + l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la + sentence.--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et + l'abbé de l'Épée.--Les parlements sont détruits par la + révolution.--Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu + en faveur du pauvre délaissé.--Sans appui, sans famille, sans + ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine + et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon + d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le sourd-muet Didier, + suit son exemple et s'engage dans l'artillerie. + + +Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet, +unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à +Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des +efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera +suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls +protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la +destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet +1792, à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu +en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de +l'annulation: + + + «LE TRIBUNAL, etc.[54], + + «Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce + que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition + qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur + Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni + qualité ni intérêt à contester; + + «Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme + Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses + deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants; + + «Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès + sous le nom de _Joseph_ est fondé en droit, 1º sur son état de + sourd et muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la + lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se + rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa + connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne + fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins + l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement, + depuis, en se faisant recevoir partie intervenante; + + «Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que + l'individu sourd et muet, connu sous le nom de _Joseph_[55], a été + trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de + Cuvilly, en Picardie, le 1er août 1773; + + «Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur + des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il + est resté jusqu'au 2 septembre suivant; + + «Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de + Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant + dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois + consécutifs; + + «Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph, aussi sourd et muet, seul + fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame + Solar, le 1er novembre 1762, ayant quitté le séjour de la + Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et + Caroline, sa sÅ“ur, jusqu'au commencement de septembre 1773; + + «Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au + sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de + Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas + les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui + l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant; + + «Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à + Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a + habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de _Solar_, il a + été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort + des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé, + le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous + la dénomination seulement de _fils du comte de Solar_, parce + qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de + baptême; + + «Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des + doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu + Joseph pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et + que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et + suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur, + que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux + d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que + l'évidence des preuves lui refuse; + + «Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur + Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et + négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte + mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit + être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer + dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de + baptêmes, mariages, sépultures; + + «Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits + de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à + l'appui de l'accusation; + + «Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés + (abstraction faite du _quidam_, nommé Alexandre, à l'égard duquel + il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le + moindre indice du plus léger délit; + + «Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel + par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin + 1781; + + «Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc + Cadours, appelants de ladite sentence; + + «Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits + accusés et l'individu connu au procès sous le nom de _Joseph_; + émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public, + au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de + l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa + déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et, + sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7e et 10e + témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore + contre les 50e, 52e et 54e témoins d'autre information de + Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16e de l'information + faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont + déclarés non pertinents et inadmissibles; + + «Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des + parties, + + «Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite + vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé, + le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était + véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de + Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette + Clignet, son épouse, lequel était né à Clermont le premier + novembre 1762; + + «En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de + ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement + seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au + procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la + paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au + greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire + actuel; + + «Décharge Caroline Solar[56] de l'accusation contre elle intentée; + fait défenses à l'individu nommé _Joseph_ de se dire et qualifier + fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les + droits et actions appartenant à cette famille; + + «Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François + Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit + Durban de se conformer aux lois existantes sur la tenue des + registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse; + + «Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé _Joseph_, + l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et, + sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès; + + «Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son + plein et entier effet; + + «Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le + présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de + Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le + faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera + convenable. + + Signé EUDE, rapporteur.» + + Un jugement conforme[57] est rendu en dernier ressort le 24 juillet + 1792. + +Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de +ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille, +sans ressource. Mieux eût valu cent fois qu'une pitié compatissante ne +fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de +Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment +que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière +céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de +l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus +brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être +effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France +révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la +victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage +dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors +d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et +montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques +personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement +dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses +veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans +un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses +premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des +camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un +hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier +n'avait quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son +frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non +moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon. + + + + +XVIII + + Coup d'Å“il rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce + une aventure réelle ou un roman historique?--Bonne foi, conviction + de l'abbé de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et + l'honneur à Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des + Ormes voit dans cette aventure une mystification.--Suivant lui, le + pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement + sourd.--Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de + Bouilly.--Première représentation.--Grand succès.--Incident de la + seconde.--L'abbé Sicard mis en liberté. + + +Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru +disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans +cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé +à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé +les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou +soutenir celle du vénérable instituteur? + +A ne considérer, la main sur la conscience, que le dénouement de ce +procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas, +où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une +pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré +certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de +l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une +aventure réelle qu'un roman historique. + +Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un +crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si +fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu, +et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu +de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se +dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de +sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire, +il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille +honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne. + +En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux +empressement notre illustre instituteur a tout mis en Å“uvre pour lui +faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il +s'imputait à lui-même, en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce +malheureux jeune homme? + +Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand +instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en +bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à +consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des +droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur, +nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin +victime d'une barbare cupidité? + +Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant: + +De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à +dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément +menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles +qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non +véritable? + +Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui +que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la +similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion? + +M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: _le Sourd-Muet de +l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)_, qui ont paru dans le +_Constitutionnel_, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger +l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième +siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet +égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd. + +Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel, +professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution +de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien +voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous +paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière +qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici: + + + «Paris, le 15 avril 1852. + + CHER COLLÈGUE, + + «Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est + impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain + prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès + du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien + jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom. + + «La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd, + capable de surprendre les secrets des familles, est d'invention + récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en + fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait + conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce + fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme. + Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart, + n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la + moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer + et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est + occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser + autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à + l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par + l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le + demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de + comprendre le discours verbal. + + «Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre + d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut + du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement + c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout + demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que + l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de + lui. + + «Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de + Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu + l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au + mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait + trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui + furent en rapport avec lui. + + «J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il + s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer + jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur + certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire, + il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il + ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne + collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume + l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était + trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait + laissées dans l'intérêt de son pupille. + + «Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée, + la voilà sans déguisement.» + +Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa, +avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'_Abbé de l'Épée, comédie +historique_, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé +par celui de _drame_, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès. +Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa +_comédie historique de René Descartes_, jouée aussi sur le premier +théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage +devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut +qu'une voix pour prédire à l'Å“uvre un succès immense, infaillible. +Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène +française[58] s'empressait de lui prêter le concours actif de ses +talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière? + +Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation +de l'_Abbé de l'Épée_. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un +caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra +aisément combien le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on +saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté +invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature +rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge, +lorsqu'elles vinrent l'assaillir. + +C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de +Franval, ayant auprès de lui la mère et la sÅ“ur de cet avocat, leur +explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de +fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune +sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel +est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des +hommes. Il commence ainsi son récit: + +«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne +dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.» + +A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix +du parterre s'écria: _Tant mieux!_ et toute la salle applaudit. + +Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la +scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent +décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de Mme +Vanhove-Talma (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le +voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes +parts à ses pieds. + +Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli, +mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre +l'époque: + + Vous, dont les talents enchanteurs + Nous ont si souvent, sur la scène, + Fait entendre les sons flatteurs + De Thalie ou de Melpomène, + _Vanhove_, par quel art secret, + Sans avoir besoin de paroles, + Faites-vous d'un sourd et muet + Le plus intéressant des rôles? + +Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier +légitimiste Alisan de Chazet: + + Vanhove, ce muet charmant, + Qui s'exprime avec éloquence + Et qui choisit le sentiment + Pour interprète du silence. + +La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les +sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre +successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly raconter lui-même ce +touchant épisode: + +«....... Mme Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait +assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde, +accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus +honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire. +Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à +l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux +élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,» +Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres, +en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui +gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri +de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et +répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des +sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne +sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque +imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation, +lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon +visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami, +quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération +d'un ami de l'humanité[59].» J'apprends alors que le premier consul, +frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances +de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la +détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me +fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux +qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces +dates du cÅ“ur qui ne s'effacent jamais.» + + * * * * * + + + + +XIX + + Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. + Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de + Paris.--Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis + XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs + intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de + cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.--Tribut + d'éloge de Monvel à son élève.--Conclusions de M. + Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du + drame de l'abbé de L'ÉPÉE.. + + +Écoutons encore l'auteur du drame de l'_Abbé de l'Épée_, à propos d'une +visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale: + +«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que +c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et +qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts, +avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de +l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de +leur école, située au haut du faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent, +d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua +mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se +présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui +font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le +pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés +de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre +clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors +lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment +l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes +parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis +comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de +leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula +dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau, +une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé +de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur +demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et +d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils +m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche. + +«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet qu'ils m'apportaient, sous +le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de +l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y +porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle +époque de ma carrière dramatique.» + +Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus +flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, _avec +le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive_: vous +m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.--Et moi, +général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de +m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que +puisse éprouver un auteur!.......» + +Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait, +longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un +conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités. +J'ai vu jouer à Londres votre _Abbé de l'Épée_, vos _Deux Journées_; et +la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations +dramatiques, est encore présente à mon souvenir.» + +Mme Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime +dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement +de ceux qui en sont privés, de cette voix qui fut si longtemps en +possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire, +donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à +surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore +du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si +heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en +1836, sous le titre de: _Études sur l'Art théâtral_ (p. 226-270). + +«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit +encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter +l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit +permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré +de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les +applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de +_l'Abbé de l'Épée_; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et +j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour +mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais +recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle +âme, son esprit et son savoir. + +«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le +personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société +journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés de me voir profiter +de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les +matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de +la pièce fut complet, et le mien par contre-coup. + +«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de +montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une +machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre, +derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus +graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément; +Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient +forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs +(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme +ne tarde pas à se rétablir. + +«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les +acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à +ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement +étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma +physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet +à -propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à +quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans +mon rôle de sourd; mon cÅ“ur battait de plaisir.... J'avais senti +l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de +surprise ou de crainte eût détruit toute illusion. + +«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de _l'Abbé +de l'Épée_: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans +laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs +fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et +moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque +invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main +de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait +pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde +autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la +muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer: +mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me +regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et +le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs +applaudissements. + +«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre +artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais +finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre; +il fallait donc m'avertir.--Sans doute, mon maître, si j'avais su +moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal +fait?--Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant +d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!» + +Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus +longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les +quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain +distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la +notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces +détails. (Pages XIV-XV.) + +«Mme Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'_Abbé de +l'Épée_. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce +sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et +d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans +cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont +écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de +cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le +sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, _je +dus mon plus beau laurier_. Les poëtes firent des vers en l'honneur de +l'excellente actrice, et on eût pu lui appliquer cet heureux distique +composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine, +sourd-muet). + + Il révèle à la fois le secret merveilleux + De parler par les mains, d'entendre par les yeux. + +S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de +Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style, +qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au +point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant, +elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants +éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle +privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les +effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille +exceptionnelle? + + + + +XX + + Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les + représentations du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par + la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur + de certaines personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de + changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de + COMÉDIE HISTORIQUE.--Mort de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle + de ses derniers moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre + instituteur inhumé à Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa + répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.--Le + sculpteur sourd-muet de Seine.--La Commune de Paris demande à + l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de + leur père.--Ce vÅ“u est réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de + l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du + panégyriste. + + +Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du +drame de l'_Abbé de l'Épée_ offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir +auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les +représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même +recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de n'avoir mis son +Å“uvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de _troubler leur repos et +de compromettre leur honneur_. D'aussi basses inculpations +pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de +celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en +retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre +fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet, +honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en +faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le +légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses +successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du +Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre +maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait +son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement +en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée +principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques +développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son +invention. + +Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il +pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse +qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de +son Å“uvre, dans les limites que lui imposaient la prudence humaine +et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de +Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du +titre de sa pièce la qualification de _comédie historique_? Et sa +générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu +de la scène, l'assurant sur l'honneur que son Å“uvre ne le regardait +ni directement ni indirectement? + +Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans +l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement +décliné, et il penchait, à vue d'Å“il, vers la tombe. Déjà son état +commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui +l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs +craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après +avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa +paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une +députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé, +archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en +larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce +lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son +père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils, de +douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces +malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un +dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu +n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur +séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux, +en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a +revêtu le caractère d'une pieuse résignation. + +Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent +supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un +des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839. + +L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que +sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans +une pétition collective[60] le vÅ“u de voir le gouvernement se décider +à faire l'acquisition de cette Å“uvre, et la requête avait été +couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru +un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à +l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la +chapelle, et chargea un professeur sourd-muet distingué, M. Alphonse +Lenoir, de transmettre cette résolution[61] à la Commission consultative +de cet établissement. + +L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le +caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle, +appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que +ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix. + +Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce +fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait +jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses +traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à +la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour +modèle, par le fils d'une de ses nièces, Mme la comtesse de +Courcel[62] à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre +des sourds-muets érigée à Versailles. + +Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur, +avait fait son buste, sur lequel était écrit le distique que nous avons +cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette +image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du +maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les +intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger, +afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit +du succès de cette innocente manÅ“uvre, ne put s'empêcher de sourire à +l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le +seul à tromper sur ce point la vigilance du maître. + +Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et +remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour +l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque +avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans +appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs +de pension et un logement au Louvre[63]. + +Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement, +portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le vÅ“u qu'un +établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins +que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce vÅ“u, comme on +le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce +genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour +attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs +étrangers. + +A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre +de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de +Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée +nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce +que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les +sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom +a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa +participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause +du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut +lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de +complicité avec les Girondins, et plus particulièrement avec la +courageuse Charlotte Corday. + +On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de +l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait +soumis son panégyrique de saint Augustin. + +«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce +qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement +notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre +toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point; +c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure: +vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi; +mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne +sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos cÅ“urs, tandis +que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé +quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos +ténèbres.» + + + + +XXI + + L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera + inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité + et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par + l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à + l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune + des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées + successivement, pour la première, à 80 et à 100.--La Convention + avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 + sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec + ateliers et travaux agricoles.--Transfert de l'établissement de + Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire + Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en + 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des budgets + départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé que + ce fût parmi les _dépenses obligatoires_. + + +Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait +renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une +pétition de l'abbé Sicard[64], relative à la perpétuité de +l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta[65] que le nom de +l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient +bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait +entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation +française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre +bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14 +septembre[66], aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments +de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle +des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des +deux établissements, préparé par un comité spécial, aurait reçu sa +sanction définitive. + +C'est un devoir sacré, pour nos cÅ“urs reconnaissants, de recommander +à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons, +dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent +votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait +ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû +en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs +facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des +hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la +société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce +rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères +ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle, +comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en +renom[67]. + +Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des +sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les +fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits +établissements. + +La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en +Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la +plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui +alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que +dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en +outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait +de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents +endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le +modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se +borner, pour le moment, à la création de soixante bourses[68], pour +chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le +pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5 +janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments +de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du +Faubourg-Saint-Jacques, nos 254 et 256, connu sous le nom de +séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui[69]. + +A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait +ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de +décret d'organisation première de ces établissements: + +«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous +proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur +donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des +ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera +de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre +le plus de talent, et de l'y appliquer.» + +Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer +une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en +outre, le vÅ“u que six établissements fussent fondés en France, pour +recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que, +plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves +dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des +travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût +adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était +alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une +consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau genre d'alliance à +contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire, +mais qui n'en sera que plus chère à vos cÅ“urs; c'est l'alliance avec +l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants +sourds-muets au règne de la liberté.» + +La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3 +brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la +création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les +départements[70], outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut +pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et +précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes. + +Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4: + +«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux +sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.» + +A partir de là , ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau, +les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du +Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le +classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met +leurs frais d'éducation au nombre des dépenses facultatives des budgets +départementaux. + +M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante, +avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi +celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des +enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse +initiative. + + + + +XXII + + Mode d'administration successif des Institutions nationales des + sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour + but de généraliser en France cet enseignement + spécial.--Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition + adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et + d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée + nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian, + ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et + d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de + Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie + française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur + poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des + Å“uvres du célèbre instituteur. + + +Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous +la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard, +administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de +cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et +du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de +l'intérieur, avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un +autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait +modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés +antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le +28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale, +du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de +bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé +de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de +l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la +même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une +commission consultative, composée de cinq membres, y compris le +directeur. + +A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives +pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets. + +La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces +infortunés au système général d'instruction publique de la France. + +Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX, +consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet +semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de +sourds-muets fussent assis sur de solides bases. + +En 1836, un autre ministre, M. le comte de Gasparin, ayant invité le +conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer +un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à +ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être +présenté à l'examen des Chambres. + +Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès +scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre +instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école +de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot +et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à +Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette +enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent +favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les +conclusions. + +Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au +Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la +commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et +par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées +jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat +immédiat, aucun résultat complet, malgré les votes favorables dont +elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures. + +En juillet 1851, une pétition[71] à l'Assemblée nationale a été proposée +et adoptée unanimement au sein de la _Société centrale d'éducation et +d'assistance pour les Sourds-Muets en France_, présidée par M. Dufaure, +ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces +infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds +nécessaires pour atteindre ce but. + +Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement +du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau +mémoire[72] au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la +République. + +La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au +concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à +M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets +de Paris, et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc. +Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des +sourds-muets de Madrid, _l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les +avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction +générale élémentaire_, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur. +M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole +de _Paul et Virginie_. On assure qu'il a travaillé à un _Dictionnaire de +signes d'action analogiques_. + +On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur +des _Templiers_, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer +pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre _père spirituel_. Nous +aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait +certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons +la perte. + +Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée: + +1º _Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur +Marie-Anne Pigalle_, 1757, in-12; + +2º _Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus +par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774, +avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces +exercices_, Paris, 1774, in-12 de 112 pages (dans sa quatrième lettre, +il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à +la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que +ce quatrième exercice public sera le dernier); + +3º _Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques_, +Paris, 1776, in-12; _nouvelle édition corrigée sous ce titre: La +véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une +longue expérience_, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en +allemand; + +4º _Dictionnaire général des signes employés dans la langue des +sourds-muets_, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main. + + + + +XXIII + + Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb + des cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur + s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre + aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas + au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit, + ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de + son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un + déplorable abandon.--Demande de renseignements au curé de + Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans + cette église.--Comment on découvre que ses restes reposent dans le + caveau de la chapelle Saint-Nicolas.--L'auteur y descend avec le + sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.--Spectacle + déchirant!--Souscription ouverte dans les journaux pour élever un + monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux + inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle + qui fut le berceau de son enseignement. + + +J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des +exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir +religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à +bien des témoins de son admirable existence[73] dans la vue de donner +plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu +me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de +l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il +soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front +vénérable. + +Le _Mercure de France_, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe +au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins[74]: + + Hic jacet, egregio cÅ“li qui munera pollens, + Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges; + Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam. + An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe? + +Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les +bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le +calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa +tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la +traduction française: + +«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des +lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets. +Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?» + +Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des +cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut +brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers +travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur +les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du +christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la +France révolutionnaire. + +Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris +tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé +de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je +m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de +notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je +ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars +sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance. + +C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par +l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse +absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de +Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales. + +Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante: + +«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre +feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une +lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande +famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de +l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de +Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à _notre père +intellectuel_! Notre étonnement a dû être partagé par tous les +appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de +regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des +célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne +devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales +artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des +merveilles des siècles, comme son Å“uvre est placée par la postérité +au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et +qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque? + +«Dieu sait combien de médiocrités obscures et ignorées ont obtenu ici +les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue +d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont +trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont +immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils +ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur +d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! _Proh pudor!_ + +«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit +précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on +n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis +qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges, +on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros +pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans +doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils +jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté, +s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un +second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée +ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants +préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne +mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à +défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique? + +«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à +notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères +d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur +la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes +utiles sont mieux appréciés à l'étranger. + +«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de +marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des +sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le +voit sur la place de la ville, en face même de cette institution. + +«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti, +directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et +Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la +méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves +sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître +est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne +sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous +nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat. + +«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous +en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé, +démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle +a, depuis longtemps, décerné à Paris. + +«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer +l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à +l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M. +Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le +modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à +contribuer de notre faible offrande à cette Å“uvre de reconnaissance. + +«En publiant cette lettre[75], expression sincère du vÅ“u de tous mes +frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie, +malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui +sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur +doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont +précédés dans la carrière? + +«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi +que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.» + +Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier, +alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des +renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de +l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait +pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne +s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait +dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant +bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa +sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du +temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de +quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts +furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable, +Mme Guerin, qui venait de perdre une sÅ“ur sourde-muette, élève de +l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez Mlle Courtois, +rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie +intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur. + +Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui +brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif +de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions +me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son +accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre, +quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui +elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que +c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps +de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à +aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle +appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa +messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de +grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces +détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient +pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit +à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis +tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les +uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices +publics de ses élèves étaient l'objet des autres. Mme Guerin, avec le +même empressement, offrit à notre curiosité des lettres du respectable +prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant +de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les +dangers du monde. + +Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève +de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de +Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet, +possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de +Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son +obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de +Mlle Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier, +recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous +avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques +de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son +enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a +pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants, +à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre +qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et +les premiers ossements ont été découverts. + +Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante: + +«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les +sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur +surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut +réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à +la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur +immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations, +confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui +assista au dernier soupir de son ami, _notre père spirituel_. Ses +cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle +Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange. + +«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé +la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de +l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic, +Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là , quel spectacle affreux +s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière +et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands +bienfaiteurs de l'humanité! Nos cÅ“urs se sont émus, et nous, les +enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas des +hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal +à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de +vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets +de l'univers,--c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver +de pain pour donner un tombeau à leur père,--mais encore à toutes les +âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque +opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent. +L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il +n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet +acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui +parlez, dans nos cÅ“urs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit +que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour +honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène[76], le Messie +d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de +l'indifférence publique. _Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus +vocabitur_, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé +grand.» (Saint Matthieu, v. 19.) + +«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en +français et non en latin, pour que tous les sourds-muets qui savent +lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier +instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les +victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison +où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle, +depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme. + +«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et +l'assurance de ma considération personnelle.» + + «FERDINAND BERTHIER, + + «Professeur sourd-muet à l'Institution des + sourds-muets de Paris.» + + + + +XXIV + + Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à + élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la + présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se + compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando, + Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor + d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier + et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président + Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence de la + Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de + M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens: + représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où + s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on + préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de + la souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à + l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de + l'inhumation.--MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour + aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir. + + +Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger +cette Å“uvre éminemment philanthropique. + +Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors +député de Saône-et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous +présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris, +Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des +députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la +présidence[77] de cette commission, et de lui soumettre une liste de +membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec +cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et +écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un +devoir.» + +Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain. +La voici, avec la réponse de l'illustre académicien: + + + «A MONSIEUR VILLEMAIN. + + «Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des + caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever + un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été + proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils + désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux + qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur + vÅ“u et de leurs sentiments. C'est M. Berthier, président de la + Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre. + + «Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus + dévoués.» + + RÉPONSE DE M. VILLEMAIN. + +«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne +pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était +agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M. +Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit +que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à +cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins +universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être +exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part. +Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai +bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la +mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M. +Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens +que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et +d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation +qu'il voudra bien m'adresser. Et un intermédiaire comme vous, Monsieur, +ne me permet pas d'hésiter. + +«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus +distinguée et de mes dévoués sentiments.» + +Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle +était ainsi conçue: + +«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir +la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de +l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur +bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte +mission, vient de se former; elle se compose de: + + MM. DUPIN aîné, président de la Chambre des députés, + _président_; + + VILLEMAIN, pair de France, vice-président du + Conseil royal de l'Instruction publique; + + DE SCHONEN, pair de France, procureur-général à + la Cour des Comptes; + + Le baron DE GÉRANDO, pair de France, président du + Conseil d'administration de l'Institution des + sourds-muets de Paris; + + CHAPUYS-MONTLAVILLE, député de Saône-et-Loire; + + CAVÉ, chef de la division des Beaux-Arts au ministère + de l'Intérieur; + + L'abbé OLIVIER, curé de Saint-Roch; + + Eugène GARAY DE MONGLAVE, homme de lettres; + + NESTOR d'ANDERT, artiste; + + Ferdinand BERTHIER, professeur sourd-muet à l'Institution + de Paris, président de la Société centrale + des sourds-muets; + + FORESTIER, instituteur sourd-muet, vice-président + de cette association; + + LENOIR, professeur sourd-muet à l'Institution de + Paris, secrétaire de cette société. + +«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel +bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de +mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la +commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit +régulariser l'emploi. + +»Agréez, etc., etc. + + «Ferdinand BERTHIER.» + +Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron +Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie +de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un +et l'autre nous adressèrent en réponse. + + «Paris, 13 juin 1838. + + «MESSIEURS, + +»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une +commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma +séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me +faire; mais je serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un +des premiers souscripteurs. + +«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments +empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je +suis + + «Votre très-humble et très-obéissant + serviteur: + + «CHATEAUBRIAND.» + + «Paris, le 13 juin 1838. + + «MONSIEURS, + +«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une +commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque +chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes +occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes +me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la +commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer +complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne. +Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression +de ma haute considération. + + «Le président SÉGUIER.» + +Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence, +les membres de la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna +lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et +ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur +sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit +comme architecte du gouvernement. + +Notre discours de remercîment était conçu en ces termes: + +«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs +collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée. + + «MESSIEURS, + +«Le premier sentiment qui saisit nos cÅ“urs au moment où nous nous +trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an +milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des +beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus +sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous +l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut +alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre +empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire +de l'abbé de l'Épée. + +»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter une dette sacrée de la +reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le vÅ“u que +nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes +mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription +indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des +sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses +derniers moments. + +»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir[78], architecte du +Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger +gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre +secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner +lecture. + +»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas +anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les +vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à +vous en faire part.» + +La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à +employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes +de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les +autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une +représentation au bénéfice du monument que nous projetions. Nous +offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'_Abbé +de l'Épée_, pour celui de la _Muette de Portici_, pour tous les autres +rôles, enfin, de notre spécialité. + +Le vÅ“u fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés +d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs. + +On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument. + +Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, +comme point central de l'édifice où se perpétue l'Å“uvre immortelle de +l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui +paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne +fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût +métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc. + +Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être +élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé, +dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est +toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on +considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits, +l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les +derniers que la sédition tentera de renverser.» + +Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé +de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce +sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues, +non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé +de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi +le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait +être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des +remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la +commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en +France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez +le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six +notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot, +Roquebert et Perrin. + +M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de +Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir +le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de +l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à +l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes, +l'identité des restes découverts ou à découvrir. + + + + +XXV + + Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de + Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de + fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et + d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le + grand instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms + des premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes + généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor + Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux + ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux + cours d'appel, etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière. + + +Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions +réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la +chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée +profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la +surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont +reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet +carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux qu'un +ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements +sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée? +Mlle Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le +curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir +appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances +importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire, +fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y +avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse, +une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de +l'Homme? Nos cÅ“urs en furent profondément émus. + +Nous dressâmes procès-verbal des dires de Mlle Courtois. Avant de +s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le vÅ“u de garder, +comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son +bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette +précieuse relique ne me quittera jamais. + + * * * * * + +Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la +présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les +premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms +inscrits: + +D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne, +ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique; +de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier +d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville, +Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal, +Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc. + +M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en +donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout +ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le +secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement +de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de Mlle +Courtois. + +Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le +cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres. + +Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes +généreuses: + +«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et +plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à +la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature +semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait été que +rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges +accidentels de patience et de tendresse. + +«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec +étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des +sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et +qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa +découverte fut une Å“uvre constante de vertu, autant qu'une invention +utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de +sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la +perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur +ne reçut aucun hommage particulier. + +«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante; +d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le +même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a +peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de +quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la +société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet +homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église +St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre +1789) et d'autres circonstances authentiques ont fait retrouver les +ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer +par un témoignage national du respect profond de la France pour la +science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des +misères humaines. + + * * * * * + +«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient +de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un +monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église +même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect +publics viendraient chercher son image.» + + * * * * * + +Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles +de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M. +Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition. +L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la +célèbre affaire _de la coalition_, qui avait si vivement préoccupé +l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée +de nos honorables collègues. + + * * * * * + +Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert +en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de l'honorable +banquier, tous les fonds seraient versés chez lui. + +Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut +(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault, +statuaire. + +A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le vÅ“u qu'il fût +procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les +plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui +paraîtraient dignes de son attention. + +Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la +commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit +connaissance des lettres suivantes: + + MICHAUT _(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du + monument à élever à l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEUR LE PRÉSIDENT, + +«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi, +comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma +statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des +membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute +idée spéculative) d'être chargé du monument à élever à la mémoire de +l'abbé de l'Épée. + +«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une +statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de +l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de +Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire +espérer pour mon Å“uvre une place au Musée de Versailles; mais il a +été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée +dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste, +et ce buste m'a été confié. + +«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis +citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des +sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres. +Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un +succès. + +«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la +terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux. +Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs +membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire +concevoir des espérances. + +«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je +monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien +jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les +ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la +maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la +gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent +attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de +sculpteur. + +«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis +de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution +d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps. + +«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une +carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une Å“uvre digne du +bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à +l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur +le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir. + +«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir +cet espoir; vous ne détruirez point votre Å“uvre; j'ose en attendre +les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.» + + VICTOR LENOIR, _architecte du gouvernement, à Messieurs les membres + de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEURS, + +«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à +l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée +principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du +sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue +dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse, +peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte +par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire +renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied. + +«Motif: + +«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune +sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur _père +intellectuel_ (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une +couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets +ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il +conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des +élèves de l'Institution. + +«La simplicité du motif serait relevée par un piédestal d'une masse +assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre +blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur +tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux +traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant +à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets, +comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous +les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de +l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de +l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le +construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait +offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense +générale. + +«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la +chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui +seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en +face. + +«Je joins ici l'évaluation des dépenses. + + «J'ai l'honneur d'être, etc., etc.» + + + _Devis des dépenses du monument de l'abbé + de l'Épée_. + + «Le buste en marbre et les deux figures, + avec le motif qui les relie. 3,500 f. + «Piédestal en marbre blanc sur massif + en pierre 3,500 + ----- + Total 7,000 + +«NOTA. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les +inscriptions. + +M. NOVION, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le +monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix +de sept mille francs. + +«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il +fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement +exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du +monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion +peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je +citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu, +entièrement construit en fer. + + «Vr LENOIR.» + + AUGUSTE PRÉAULT, _statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville, + secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de + l'Épée._ + + «MONSIEUR, + +«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'_abbé de +l'Épée_ n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail, +permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour +obtenir cet honneur, qui me serait bien cher. + +«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit. +L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'_abbé de +l'Épée_, c'est-à -dire la tête, le buste et les mains, tels que les +statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense +qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais +inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le +cÅ“ur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux +premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et +servir seulement à développer ce que j'expose. + +«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées +pour surveiller les progrès de l'Å“uvre, et éviter tout ennui à la +commission. + +«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner de cette donnée, qui est +certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas +qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que +l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné +la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé +dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire, +d'architecture, de fonte, etc. + +«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on +commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans +le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de +l'Å“uvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire +tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient. + +«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.» + + * * * * * + +Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février. + + * * * * * + +Ce jour-là , il fut donné communication de la réponse suivante de M. +Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M. +Chapuys-Montlaville, au nom de la commission: + + + «Paris, 17 février 1840. + + «MONSIEUR, + + «Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser + le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au + monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + + Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une + somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de + faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier, + mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé + d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues. + + Agréez, etc.» + +Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin +Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition. + +M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la +cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a +reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur: + + 7 septembre 1839. + + LÉGATION DE BAVIÈRE. + + _A Monsieur le secrétaire de la commission pour + le monument de l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEUR, + +«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la +lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers +jours du mois de juillet dernier. + +«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de +l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est +empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette +honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés +à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + +«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance +royale[79], datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à +cet effet. + +«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.» + +Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux +ambassadeurs des cours étrangères: + +«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet +d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu +de sa sépulture. + +«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien +n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations +civilisées. + +«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux +éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété, +et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien +recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit +que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la +reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur. + +«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage +de notre haute considération. + + «Le secrétaire, Le président de la commission, + CHAPUYS-MONTLAVILLE. DUPIN.» + + + + +XXVI + + Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la + commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les + ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du + monument.--Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour + 3,000 fr.--Devis à forfait de M. Préault--La commission l'accepte, + à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir + qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février + 1841.--Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands + corps de l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en + ignore le résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque + d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration + du monument.--On s'adresse à l'abbé CÅ“ur, qui ne peut, à cause + de ses nombreux travaux, accepter cette honorable + mission.--Fixation ultérieure du jour de la cérémonie. + + +M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des +divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée. + + «Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27 + février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement + des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de + l'Épée. + + «Deux concurrents se sont présentés. + + «Quatre dessins ont été soumis. + + «Trois portent la signature de M. Lelong, architecte. + + «La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression + dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun + trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de + l'abbé de l'Épée. + + «Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la + pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile, + intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale, + toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt + qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer. + + «L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le + savez, Messieurs. + + «En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la + décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale, + exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral + que vrai. + + «Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette + profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des + chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et + sans compensation avantageuse. + + «Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet + présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la + sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse + ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du + sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'Å“uvre, + tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un + rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique + aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs + et rondes bosses. + + «Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir + toutes les conditions désirables sous le triple rapport de + l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et + de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission + à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus + convenable à tous les titres.» + +A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres: + + «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les + soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans + l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture. + + «Des preuves authentiques ont été recueillies, et une commission + s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur + de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire. + + «La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche + lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre + disposition. + + «Le ministre de l'intérieur[80], un grand nombre de membres des + deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les + personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien + voulu concourir à cette Å“uvre de gratitude et de respect. + + «Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que + le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient + chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs + risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour + l'exécuter. + + «La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les + accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a + pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme + d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop + évident avec son caractère et sa vie. + + «Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette. + + «Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront + versées dans la caisse de la souscription. + + «Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former + le complément de celle qui est demandée pour le monument. + + «Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous + associer à notre Å“uvre, et faire contribuer l'État à cet acte de + justice et de gratitude. + + «Veuillez agréer, etc.» + +La commission s'est réunie le 13 juin 1840. + +M. le président annonce à la commission que M. le ministre de +l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte +d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce +mois, ainsi conçue: + + «Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous + informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre + désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de + l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis + officiel de cette décision. + + «Agréez, etc.» + +M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et +Lassus. Ce devis[81] est suivi d'un engagement formel, pris par M. +Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000 +francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous +les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le +chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il +n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait +des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui +résulteraient des diverses souscriptions. + +Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au +procès-verbal. + +M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM. +Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier +et dans l'engagement mentionné ci-dessus. + +Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM. +Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues +dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le +président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la +première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux +époques de rentrée des sommes provenant de la souscription; la seconde, +c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de +février 1841. + +MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à +signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault. + +En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission, +contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur: + + + «MONSIEUR, + + «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres + enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été + retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris. + + «Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée, + une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est + associé à cette Å“uvre de respect et de gratitude. + + «Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription + eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du + monument. + + «Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de + pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous, + Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez, à + leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité. + + «Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de + l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de + cet homme de bien. + + «Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à + la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert + de M. le président de la Chambre des députés. + + «Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos + sentiments distingués.» + +Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les +membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert, +Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si +pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine +avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M. +Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M. +Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon +de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de +France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à +écrire au roi pour en solliciter une souscription au monument; 3º enfin +à supplier l'évêque d'Évreux[82] de vouloir bien prêcher dans l'église +Saint-Roch le jour de l'inauguration. + +On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie. + +Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars +1842: + + «SIRE, + +«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église +Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été +retrouvés et où il avait été enseveli primitivement. + +«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous +osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux +et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité. + +«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.» + +Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa +famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte. + +Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales +de ne pouvoir satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M. +l'abbé CÅ“ur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui +ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter +cette honorable mission. + + + + +XXVII + + La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné + à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et + Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est + inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis + clos.--Description et éloge de cette Å“uvre remarquable.--Mais + pourquoi une inscription latine?--Sur 22,000 sourds-muets que + renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le + latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de bronze due + aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui + orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices + pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour + celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de + Chartres.--Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur + sourd-muet, offert à l'école de Paris.--Séance + d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une statue à + l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville + natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de + reconnaissance. + + +Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon +l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la +mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue, +c'est-à -dire en août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos! +Pourquoi? Dieu le sait. + +Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le +buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de +même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains +levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à +leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien +précieux de l'éducation. + +[Illustration: Monument de l'abbé de l'Épée dans une chapelle de +l'Église Saint-Roch, à Paris. + +Sculpteur, M. PRÉAULT.--Architecte, M. LASSUS.] + +L'inscription simple et noble qui la décore[83] serait en parfaite +harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien +vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin, +langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe. +L'Å“uvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes +distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M. +Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et +grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le +buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une +délicatesse qui révèlent une face toute nouvelle dans le talent si +neuf, si hardi, si original de M. Préault. + + * * * * * + +Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave +et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une +couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec +l'inscription suivante: _A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois._ +C'était la réalisation d'un vÅ“u, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur +de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il +n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses +élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était +terminé. + +Presque dans le même temps, c'est-à -dire en 1844, sur la façade +monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale +faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due +également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui +sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et +leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier +étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice. + +Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins, +la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous avons tout +lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de +Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'Å“uvre et son +temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez +élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et +des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant +pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la +dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des +travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds +recueillis en divers lieux et par diverses mains. + +C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de +son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte +est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait, +et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a +admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques +de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part, +l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec +tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est +plus enthousiaste que lui. _Macte animo, generose puer!_ + + * * * * * + +En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un +tact qui l'honore, avait bien voulu offrir à l'Institution nationale +des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur, +terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre +instituteur, c'est-à -dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont +été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle +réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il +avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine +de ces copies, jusque-là inconnue. + +Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de +l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le +11 mai 1840, dans la salle des séances publiques. + +Ce jour-là , à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets, +signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la +salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont +transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves +sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de +couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les +membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement[84] +venaient à la suite. + +Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de +l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre +sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis +autour de leur père. + +Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre +sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires +des deux maisons occupaient les deux parties latérales. + +M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil +d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux +élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance. + +A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement +exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un +sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de +guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée. + +Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la +caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses +deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des +sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme +que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec +l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil +d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664 +fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves +des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers +fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur +travail et leurs progrès. + +Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille +circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de +décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants, +mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction +sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de +l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales. + +Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler +devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux +auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du +président, et leurs noms ont été en même temps proclamés. + +Le président, au moment de lever la séance, a fait connaître à +l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître +l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un +monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil +d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa +ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution +nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses +membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et +dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au +Maire de Versailles. + +A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue. + + + + +XXVIII + + Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de + l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet + commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux + sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du + célèbre instituteur.--Empressement unanime de tous les + convives.--Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et + inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.--Transports + d'allégresse de tous les assistants.--Mon allocution.--Bienfaits de + la Société centrale des sourds-muets.--Projet de cours publics et + gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité. + + +Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet[85] du 123e +anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme +président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que +parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de +l'humanité, ce _palladium_, ce drapeau de notre association commune, qui +devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de +ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet +appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'Å“uvre du +sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et +saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent +quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du +premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux +convives l'allocution mimique suivante: + +«Frères, la voilà , s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions, +cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre +fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a +su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait +Merlieux, que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces +traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de +tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce +un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme +céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des +hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité! + +«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore, +n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui, +rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide +essor vers le monde de l'intelligence. + +«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous +sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre +reine! + +«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de +cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est +prodigieusement agrandi. + +«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu +s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre +civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des +intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la +perfectibilité; et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes +préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence +est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle +détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de +l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de +l'ignorance, en sortit triomphant à la fin. + +«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un +respectable ecclésiastique adressa à notre _sauveur_ en venant +d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir +vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la +religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.» + +«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous +environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la +constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins +heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette +population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier, +autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de +ces infortunés. + +«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des +pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète +ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux +gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à +l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous? +Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le +gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits +dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à +ouvrir une école aux mÅ“urs et au respect des lois. Plusieurs hommes +de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans +l'accomplissement de cette grande Å“uvre de l'émancipation des +sourds-muets. + +«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous +sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire. + +«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour +nous. + +«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai +encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini. + +«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour +l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux +efforts pour justifier votre choix! + +«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai +cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour arriver +au but de nos vÅ“ux. Je termine, mes frères, en vous proposant un +toast cher à nos cÅ“urs: + +«A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!» + + + + +XXIX + + Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur + ami Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation + exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs + et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, + inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits, + marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire, + graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout + genre, militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un + sourd-muet de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une marins et + médaille.--Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen + d'assister à notre banquet.--Mon toast à M. Bouilly et la réponse + de ce doyen de nos auteurs dramatiques. + + +Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient +précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après +le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs[86], faisant +assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime +d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors +sourds-muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette +solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur +expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une +classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours. +C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée +de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place +spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune. + + «A la gloire des sourds-muets:! + «Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . . + +...(1)[87], qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le +_Droit_, avec la _Gazette des Tribunaux_, et adresse, pour ses frères +méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient +aux Ministres; + +«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux, +auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie; +Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui +aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour +eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan, leur +La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et +écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et +d'autres encore; + +«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus +suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le cÅ“ur; +Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous +presse[88]; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui +s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse; + +«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois; +un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses +découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux +travaux: Paul de Vigan; + +«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au +Musée de Versailles: Mlle Fanny Robert, la gracieuse élève de +Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson, +l'Apelle méridional, qui a retracé _les derniers moments de l'abbé de +l'Épée_; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux; +de Widerkehr, qui excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste +titre, le Dubufe de la daguerréotypie[89], qui a inventé, de concert +avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à +polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf, +l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave +Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier, +est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite; + +«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette +personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler; + +«Un statuaire de talent: Cary; + +«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et Mlle +Alavoine; + +«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel[90], Leclerc[91], Haacke +réclament une place; + +«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la +sourde-muette qui excelle dans la gravure; + +«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont +fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs; + +«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer +dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de +beaucoup, les bornes de cette allocution rapide; + +«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis +(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades, +vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de +Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que +leur a donnée, à tous, la nature compatissante; + +«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait +bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi +dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de +brillants exploits, dans la force de l'âge, parce qu'il était +sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble +maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli, +adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la +scène française, devint dragon dans les armées de la République, et +tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il +n'avait pas entendu le signal de la retraite. + +«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent. +A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir! + +«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse +des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de +poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes, +de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en +tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit +permis d'y inscrire un nouveau nom! + +«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre +école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante +francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le +ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille[92], +prix de son courage et de son dévouement. + +«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau +camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur +son histoire. + +«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont +aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y +montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger +qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant, +il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris +déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr.... + +«Heureusement les deux frères Hurtrelle (Alexandre et +Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui +est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a +entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y +précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant +qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint +l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans +l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à +coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le +jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son +frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de +la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme. + +«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères +sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger; +il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend +pas qu'il ait fait autre chose que son devoir. + +«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour +y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros, +qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront, +ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là , +deux sous, cet autre, plus favorisé de la fortune, trois sous au plus; +et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant +réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur +nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous +sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous. + +«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous +dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire? + +«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des +sourds-muets!» + +Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant +de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui +lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle, +surtout, ne saurait se décrire. + +Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos +hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en +pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut +l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques. +Voici l'un et l'autre: + + _Mon toast:_ + +«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène française, a fait revivre +l'abbé de l'Épée et son cher _Théodore_, connu sous le nom de _comte de +Solar_, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive +admiration! Son nom restera gravé dans nos cÅ“urs comme celui d'un +ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des +sourds-muets.» + + _Réponse de M. Bouilly:_ + +«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante +de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins, +sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage +que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie +français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres +de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière. + +«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la +bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que +l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine +ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il +obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses +semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la +protection des puissants du jour. Il employa un capital de 15,000 liv. +de rente, c'est-à -dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable +institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet, +les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux, +quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour +son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante +économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin +qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant +qui le caractérisait: _Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait +tort de 300 livres._ + +«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent +considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en +disant: _Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre +d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance._ + +«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait +mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce +qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!...... +Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et +méconnaissait jusqu'à la vertu même. + +«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de +la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il a +fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver +l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de +fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en +comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres, +des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin +honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!.... + +«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes +découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les +immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas, +comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le +philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des +âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour +sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du +Créateur! + +«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes +distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée +de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos +gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient +féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au +développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs! +Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel, +consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot, +cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une +même famille! + +«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits +de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que +daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur: + +«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la +fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma +tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus +beaux jours de ma vie.» + + + + +XXX + + Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une + statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de + Versailles, sa ville natale.--Communication officieuse du maire du + chef-lieu de Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. + le docteur Bataille.--Sa lettre à un journal du + département.--Nobles sentiments.--Modèle de la statue de notre + illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des + monnaies.--Offres désintéressées.--Premier noyau de la commission + de Versailles. + + +Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles, +qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et, +avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance +pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du +chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder +l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la +Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville. + + * * * * * + +Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une éclatante réparation pour les +dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho +sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre +instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel +énergique au public, dans la lettre suivante, que la _Presse de +Seine-et-Oise_ inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année: + + + PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + + «MONSIEUR LE RÉDACTEUR, + +«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs +reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce +qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits. + +«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un +des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins +caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel +épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant +quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement +achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts, +et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes +avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés +nombreux, dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire +et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la +morale. + +«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses +richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque +province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit +ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au +denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos +hommes illustres. Voyez _Molière_, _Racine_, _Voltaire_, _Foy_, _etc._, +à Paris; _Corneille_, _Boïeldieu_, à Rouen; _Malherbe_, à Caen; _Jeanne +d'Arc_, à Orléans; _Kléber_, à Strasbourg; _Hoche_, à Versailles; +_Marceau_, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant +d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et +loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux +caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce +colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses +galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande +banque de _toutes les gloires de la France_, qui ne connaît pas de +prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs +insolvables. + +«C'est, sans doute, par cet entraînement pour tout ce qui est éclat +national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne +l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur[93], +dont l'âme, n'est ni _sourde_ au cri de la reconnaissance, ni _muette_ à +l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple +éloquence d'un cÅ“ur tout plein des bienfaits de son maître, +l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée. + +«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville +qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à +d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir +assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins +connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même +inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par +aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de +l'Épée au nombre des enfants de Versailles? + +«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut +guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais +humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et +sanglantes hécatombes de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée... +à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux +dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie, +les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de +pacification? + +«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies, +trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les +compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités, +puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice +envers l'autre. + +«J'émets donc le vÅ“u et formule ici la proposition qu'il soit élevé +une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de +Versailles. + +«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet +objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue +Neuve. Là , nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales +galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de +Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père +des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la +ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la +fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine. + +«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables; +que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain +qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la +caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de +souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du +gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a +gratifiés pour la statue de Hoche? + +«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je +l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la +confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la +ville, comme à tout ce qui touche à son éclat. + +«Agréez, etc.» + + * * * * * + +Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies, +présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de +l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans +autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres +désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies +comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux +de ses concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à +lui, afin de couvrir les dépenses du monument. + + * * * * * + +Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24 +janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le +lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron, +Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous +faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville +natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + +M. Michaut était présent. + +Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant +apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de +nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner +l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M. +l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider +l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire. +Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il +s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres +proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne, +l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de +Sainte-James, Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard. + +Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles +n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à +ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant, +au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre +les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la +souscription. + + + + +XXXI + + Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau + définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et + moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire + de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La + statue sera en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements + proposés.--Deux seuls paraissent convenables.--Autorisation à + demander au conseil municipal.--Comité de trois membres, chargé, + sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des + travaux.--Publication de la liste des souscripteurs tous les deux + mois. + + +La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le +cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient: + + MM. BERNARD DE MAUCHAMPS, vice-président du tribunal; + + BESNARD, notaire; + + DE FRESQUIENNE (le baron), membre du conseil municipal; + + GAUGUIN receveur principal; + + LEBRUN, directeur de l'École normale primaire; + + DE SAINTE-JAMES, avocat; + + WATHIEZ (le vicomte), lieutenant général. + +On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de +la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de +Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne; +secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin. + +La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida +qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était +accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes +qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui +paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en +furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles; +Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département. + +La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour +activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés; +mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se +borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M. +Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la ville. Quant au +mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le +projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux +journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en +outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des +lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la +localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la +souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le +préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans +le _Mémorial administratif du département_. + +Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: _Commission +pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée_, et que les affiches +et notices pour les journaux seraient intitulées: _Commission pour le +monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale_. + + * * * * * + +Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le +vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de +proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux +souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait +que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il +serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi. + +M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire +de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de +l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les +départements fut l'objet d'une discussion générale. + + * * * * * + +Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui +était offert de faire partie de la commission. + + * * * * * + +A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut +donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le +dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les +souscriptions. + +M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de +préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission +décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille +héroïque, c'est-à -dire de huit pieds au moins. + +Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un +devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées; +puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la +ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue +de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards de la Reine et du Roi, 3º l'axe +du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui +devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la +prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º +le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des +Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe +qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le +Marché-Neuf. + +Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission: +la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un +extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement +désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du +conseil municipal. + +Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre +l'exécution de la statue, sous le titre de _jury de surveillance_, et on +l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de +l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit +dans le sein de la commission, soit en dehors. + +Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode +de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires +dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi. + +Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis +suivant serait inséré à la fin du prospectus: + +«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la +liste des souscripteurs.» + + + + +XXXII + + Mort du président de la commission, M. le marquis de + Sémonville.--M. le baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande + d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la + statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École + normale.--Réponse favorable.--M. Michaut s'engage à ce que les + frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à + en commencer le modèle en argile plastique.--M. l'architecte Petit + invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et + des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois + le vÅ“u qu'on choisisse un emplacement plus convenable.--Projet + d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur. + + +La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans +le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence +du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses +collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de +Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement +procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président et d'un +nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron +furent promus à ces fonctions. + +On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de +l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la +statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale, +au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un +hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école. + +Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le +bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier +l'étendue du terrain demandée au Ministre. + +Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui +lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue +ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en +même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile +plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de +suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit +dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le +piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient. + +Ces travaux devaient consister en maçonnerie, marbrerie, serrurerie, +peinture, charpente, terrasse et pavage: + +En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former +le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il +serait placé et l'entourer d'un stylobate; + +En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné; + +En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant +sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le +bord de la plate-forme; + +En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze; + +En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce +que la statue fût érigée; + +En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin +d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches. + +Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails +circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs, +répartis comme suit: + + Maçonnerie. 3,500 fr. + Marbrerie. 4,550 + Serrurerie. 3,000 + --------- + Transport. 11,050 fr. + + Report. 11,050 fr. + Peinture. 160 + Charpente. 150 + Terrasse et pavage. 300 + --------- + Total. 11,660 fr. + ========== + +A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de +l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction +publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue: + + _A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour + l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles._ + + A Paris, le 10 septembre 1839. + +«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient +nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la +commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une +petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale +primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever +la statue de l'abbé de l'Épée. + +«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain, +ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société des +souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la +grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la +statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de +l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin +d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin, +qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin +de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la +rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma +décision à la commission que vous présidez. + +«Recevez, Monsieur le baron, etc.» + + * * * * * + +Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission, +une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique. + +Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil +municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici +les conclusions: + +«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs +à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa +commission, décide: + +«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue de l'abbé de l'Épée sur +une des places de la ville de Versailles; + +«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission +des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en +face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le +conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs; + +«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son +érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes +proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la +saillie que le monument aura sur la voie publique. + +«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et +adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le +deuxième paragraphe: + +«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement +proposé par la commission des souscripteurs, émettant le vÅ“u que les +résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la +place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou +tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition +de la commission.» + +Cette lecture entendue, la commission discuta les conclusions du +conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour +l'autorisation[94] que ce magistrat s'était empressé de lui faire +obtenir. + +M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses +prévues. + +L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à +stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité. +Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée. + +M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à +faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du +monument. + +On pensa qu'une médaille, Å“uvre de M. Michaut, dont la réputation, au +point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les +citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du +monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi +individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire. + +La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à +distribuer aux souscripteurs était décidé en principe; 2º que cette +médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente +lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal +plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant +préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur +serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M. +Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire. + +La commission nomma, enfin, _un comité chargé de rédiger et d'envoyer +les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer +les travaux_, concurremment avec le président et le secrétaire. + + + + +XXXIII + + M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son + approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé + de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui + s'y rattachent.--Réponses de la commission aux différentes + questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.--Première + pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de + Versailles avec quelques membres de la commission du monument, + ayant pour but d'essayer de lever en commun ces + obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en réponse + aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un + prospectus à répandre pour activer les souscriptions. + + +M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840, +adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il +n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à +l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des +choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé: + +1º Sur la forme et le mérite de la statue projetée, question qui ne +pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de +la grandeur même de la statue; + +2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui +paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que +partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin +de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis +offrant, à son avis, un emplacement plus convenable; + +3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense +serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les +ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de +compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les +souscriptions ne seraient pas suffisantes; + +4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû +être faite à la ville, et non aux souscripteurs. + + * * * * * + +Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des +souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de +Seine-et-Oise. + + * * * * * + +En conséquence, dans la sixième séance du 27 janvier 1840, M. le +président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise +n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la +commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait +nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une +délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de +documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des +délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité +de rédaction, à l'effet de préparer une réponse. + +M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son +ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La +commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en +double exemplaire, à M. le maire de Versailles. + +M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus[95], avec les +additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit +connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité. + + * * * * * + +Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui +avaient été soumises par M. le préfet, et finit par proposer, dans le +cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient +pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus +prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà +souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle, +voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de +s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en +désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt +levé tous les obstacles.» + +Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter +incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le +préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé +de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des +souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de +Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité +à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la +Mairie. + + * * * * * + +Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture +d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis +le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à la connaissance de la +commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il +avait tenus. + +M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La +commission déclara approuver cet aperçu de la situation. + +M. le président communiqua la délibération suivante du conseil +municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le +préfet: + + «Le conseil, + +«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a +lieu de répondre à M. le préfet: + +«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs, +par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse +écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur +d'exécution; + +«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît +pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant +la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre +emplacement de la ville; + +«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à +prendre, et qu'aucun sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet; + +«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite, +ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit, +aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue +propriétaire du monument. + +«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et +adoptées.» + + + + +XXXIV + + Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de + souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de + 300 francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la + commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la + statue.--Le statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions + des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.--Projet + d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution + des sourds-muets de Paris.--Le préfet de Seine-et-Oise accepte les + fonctions de président d'honneur de la commission.--MM. Molé, + Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés + pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la guerre regrette + de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la + confection de la statue. + + +Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et +contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil +municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes: + +«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir +bien considérer que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas +être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités +municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à +un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de +reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité, +un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque. +C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez, +non-seulement à vous associer à notre Å“uvre, mais encore à provoquer +l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou +avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents. + +«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques +souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos +sentiments les plus distingués.» + + _Le président_, Baron DE PRESQUIENNE, + _Le secrétaire_, E. B. DE SAINTE-JAMES, + Membres du conseil municipal. + +A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que +déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle +faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les +personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique et +morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et +dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c. + +Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier +une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds +nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce +monument vraiment national. + + * * * * * + +A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima +le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion +personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à +visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il +fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait +immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait +prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses +observations. + +M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic, +frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000 +infortunés de cette catégorie que peut contenir la France[96]. Des +remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé qu'il +apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui +transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la +commission était animée pour ses louables efforts. + + * * * * * + +Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication +d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de +la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter +de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris[97] l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet +établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et +qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription. + +M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle +lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition +une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83 +sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de +nouvelles souscriptions. + +Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne +l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des +sourds-muets, pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet +d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur +regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École; +mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la +cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à +la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était +nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût +approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le +secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait +à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient +entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il +pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté, +à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à +la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre +l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la +commission pour recueillir les offrandes. + +La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait +transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers +le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des +sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du +Louvre, en obtenant toutes les autorisations indispensables pour +arriver à ces fins. + +La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne +serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner +plus de puissance et de popularité. + +Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et +Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du +département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département, +pair de France, et à M. le duc de Luynes. + +En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé +Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence +d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission. +Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire +occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du +gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être +le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit +par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il +éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville +natale. + +Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était +empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande que ce +respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire +à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour +que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés +par le gouvernement. + +Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre, +maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise +qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de +Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître +les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze +demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes +dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des +bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans +les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi +pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne +manquerait pas de le signaler comme tel.» + + * * * * * + +La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de +souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à +remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne +fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait +beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les +départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous +les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce +monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de +leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément +souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers +souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de +membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses +fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des +services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez +toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au +génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance. + + + + +XXXV + + Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des + sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de + Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de + délégués du conseil municipal, de membres de la commission des + souscripteurs.--Mes impressions en présence de la + statue.--Engagement du fondeur.--Adoption de la statue par le + conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des + rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut se soumet aux corrections + indiquées.--L'architecte de la ville mis à la disposition de + l'Å“uvre.--Nouveaux moyens à employer pour activer les + souscriptions. + + +Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de +Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé, +dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue +Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de +proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en +costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen +sérieux de l'Å“uvre de M. Michaut, c'est un devoir pour nous de +féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème +difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais +comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut +devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous +pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition +remarquable. + +Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont +le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon +et une tablette, sur laquelle est écrit le mot _Dieu_, d'abord en +caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite, +élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité +adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont +elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la +première lettre du mot _Dieu_. C'était dans cette position simple, +naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que +l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines, +trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.--Vue de face, la +statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est +belle. L'Å“il est satisfait autant que le cÅ“ur.--La soutane est de +l'effet le plus vrai, le mieux senti.--Par derrière, les plis du +manteau retombent naturellement et sans contrainte. + +Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente +le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses +emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à +l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers +élèves de ce maître dévoué. + +Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est +honorable. Pour que son Å“uvre puisse être citée comme un des plus +beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce +genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin +de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui +retombent sur le bras gauche.--Il a droit, désormais, à nos +félicitations autant qu'à notre reconnaissance. + +Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois +heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets +de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des +adjoints, s'y trouvaient déjà , avec les membres du conseil municipal +composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par +une députation de membres de la commission des souscripteurs. + +La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs +examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois, +leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son +sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de +douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet +historique du vénérable abbé de l'Épée. + +Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était +loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée +à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif +annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant +probablement ressortir la statue avec plus d'avantage. + + * * * * * + +Le 25 août, le _Journal de Seine-et-Oise_ publiait l'article suivant, +intitulé[98]: _Impressions des sourds-muets en présence de la statue de +l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de +Paris:_ + +«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans +la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques, +nº 254, doit être coulée en bronze et orner une des places publiques de +Versailles. C'est l'Å“uvre de M. Michaut, le célèbre graveur des +monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la +ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. +Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette +commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce +monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de _notre +père spirituel_. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération, +la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les +cÅ“urs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre +Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils +dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les _aînés_, je +veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à +leurs _cadets_, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs +condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes +étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes, +tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était +à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté. +Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même +de l'établissement. + +«Tous les yeux sont fixés sur cette image chérie. Que de sensations +elle excite! Nos enfants s'extasient; leur cÅ“ur s'enflamme au +souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui +a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et +puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a +soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils +étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du +banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du +courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas +jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne +pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette +infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de +l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe +des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de +les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien +tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes, +regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de +puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre? + +«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste +énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue dont +l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos cÅ“urs, à +toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le +travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce vÅ“u trouve de +l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à +quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que +Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants, +envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France, +tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite, +le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera +pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au +premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis! +Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une +image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la +statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui +préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous +dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre +père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages. + +«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible +les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici une +réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix, +une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de Mlle Barbier[99], a +faite à cette question: + +«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée +dans l'Institution des sourds-muets?» + +«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons +voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se +fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous +ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne +sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous +obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le +ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous +qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons +plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif +sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au +ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux; +que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les +sourds-muets pratiquer toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux +vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si +jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait +nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le +bienfaiteur des sourds-muets.» + + * * * * * + +M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la +commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en +plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de +l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y +mouler en deux parties seulement; + +2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre +pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être +essayé par expert sur la statue même); + +3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction +de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer +sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires; +le tout, pour la somme de _six mille francs_. + +Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée, +deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie. + +Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de +Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du +conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la +statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et +d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération +à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il +lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la +dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir. + + * * * * * + +A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M. +le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre +ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du +plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des +sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de +l'intérieur. + +Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien +voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le +plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en +conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du +département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle, +la sollicitude de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M. +le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face +aux dépenses de la fonte de la statue. + +«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire, +des membres de la commission municipale et de la commission du monument +se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue. +D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le +conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à +la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des +corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le +préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre +de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la +statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la +disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la +réalisation des projets de la commission....» + +Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la +condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les +corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était +bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du +président, et après l'approbation de la commission. + +M. le trésorier lui communique la situation de son avoir. + +M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener +des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui +voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º +près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets +qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre +des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants +de la commission. + + * * * * * + +Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le +préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers +à la disposition de la commission.--Il fut décidé que le bureau +provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres +adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés +ci-dessus. + + * * * * * + +Puis, la commission arrêta ce qui suit: + + * * * * * + +«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour +être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de +la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le +maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de prêter +leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant +l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville +à l'abbé de l'Épée.» + +M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections +faites à la statue. + +Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la +séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent +faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait +définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M. +Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment. + +On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard, +vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter +assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales, +donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle +M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la +statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet +de traité, qui fut adopté à l'unanimité. + +M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les +moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On +arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut +demanda à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas +les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une +époque plus opportune. + + + + +XXXVI + + Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal + de la statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette + Å“uvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à + l'achèvement des travaux.--Le conseil municipal en vote + 2,000.--Projet d'une plaque commémorative.--Inscription de la face + principale du monument.--Travaux du fondeur surveillés par le + statuaire.--Érection fixée au 8 septembre 1843.--Dernières + dispositions.--Programme de la fête.--Décision du conseil + municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux + sourds-muets qui assisteront à la cérémonie. + + +Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de +l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets +en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur +de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique +dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don +qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur des +sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur +elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit +connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un +fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en +bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843. + + * * * * * + +Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier, +inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des +mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze, +envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne. + +M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la +délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur +suit: + + «M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue + de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en + fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs. + + «Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le + secrétaire rend compte des corrections faites à la statue. + + «La commission a annexé aux pièces un état de la situation + financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit + de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure + au devis pour la construction du piédestal de la statue. + + «Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de + 2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du + piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que + le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal + réduira probablement cette dépense à 2,000 fr. + + «Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu + qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper; + + «Que la construction du piédestal sera supportée par la + souscription; + + «Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de + laquelle il sera pourvu dans la session de mai.» + +Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1er +août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné +communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en +général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville, +et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par +le moyen de lettres et par celui de visites, dont serait chargée une +personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on +s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris +tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une +démarche vis-à -vis de Messieurs les membres du conseil général du +département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août. + +D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux +du piédestal, etc., etc. + +Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre, +enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait +l'inscription suivante: + + =AD. MAJ. GLOR. DEI.= + + Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français, + + EN AOÛT 1843, + + Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique + + A LA MÉMOIRE DE + + =CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,= + + Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets, + + NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789. + + MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE + ET DES HABITANTS, + DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES, + + Par les soins des Commissaires: + + MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur; + + REMILLY, Député et Maire; + Bon DE FRESQUIENNE, ex-Maire; + L'abbé CARON, Vice-Président; + DE STE-JAMES GAUCOURS, Sre + BESNARD, Vice-Secrétaire; + GAUGUIN, Trésorier; + Lt-Gal Vte WATHIEZ; + B. DE MAUCHAMPS; + TAPHINON; + + LEBRUN; + COUPIN DE LA COUPERIE; + BOISSELLIER; + DOUCHAIN; + Dr BATTAILLE; + Feu le Mis DE SÉMONVILLE, Pair; + Feu le Cher DE JOUVENCEL, ex-Maire et ex-Député. + + Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies; + Architecte: PARIS, Architecte de la ville; + Fondeur: SAINT-DENIS. + +Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument. + + GABRIEL F., à Versailles. + +Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie, +en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double +exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux +archives de la ville.--On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque, +suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission. + +On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du +piédestal, l'inscription suivante: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + NÉ A VERSAILLES, + + LE XXIV NOV. MDCCXII. + +Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il +en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas, +l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais +on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun. + +Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus +éloignée, selon les ressources de la commission. + +M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que +les conditions imposées par la commission du monument, d'après les +articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de +la commission et M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par +le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité +nécessaire.--Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur +place. + +Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur, +la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M. +l'abbé Caron, vice-président. + +La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés +pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et +décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand +elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des +travaux. + +Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur +l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit +successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission +déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés. +Elle rapporta sa décision du 1er août, et arrêta que cette +inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en +ces termes: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS, + NÉ A VERSAILLES, + LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII. + +Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient +terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait +irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers +une heure de relevée. + +Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut +introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission +arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre +sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient +offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le +préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la +commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le +quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission. + +L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la +statue. La commission décida ce qui suit: + +Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le +monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son +inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en +informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien +prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires, +notamment pour empêcher la commission et les souscripteurs d'être +confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire +serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet, +président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit +président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui +donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être +son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la +statue à la ville de Versailles. + +La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris +et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses +personnes qui ont rendu différents services à la commission. + +Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait +imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de +l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration +devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de +Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la +notice. + +M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2 +septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il +rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir +entendu, le 8 novembre 1841, celui de la commission qui avait été +chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée: + +«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M. +Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de +jonction des rues Royale et d'Anjou[100].» + +M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument, +de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle +devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et +lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures de police qui +lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la +cérémonie. + + * * * * * + +M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le +2 septembre, de Versailles, en ces termes: + + «MONSIEUR, + +«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le +programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a +décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir +bien adresser une allocution _mimique_ aux sourds-muets réunis au pied +de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au +plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons +d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur +bienfaiteur, et de leur témoigner que _la ville de Versailles_ tient à +honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la +garantie de l'éloquence de ses paroles. + +«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou +encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir +prononcée. + +«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour +Lyon le 24 ou le 25, on aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus +tôt. + +«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à _midi et demi précis_ sur +remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les +présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions. + +«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de vÅ“ux qui doivent +sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son +très-humble et très-obéissant serviteur.» + + + + +XXXVII + + Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa + ville natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de + Paris et d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence + regrettable du clergé.--Nombreuse affluence de + spectateurs.--Discours du préfet, au nom de la commission des + souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie et les travaux + de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la + commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves + d'artillerie.--Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il + devait prononcer. + + +[Illustration: Statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. + +=Par M. MICHAUT (Des Monnoies)=.] + +Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des +rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un +piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout +autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de +garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se +tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute +condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on +remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin +de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la +conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure, +la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de +France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du +monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins +le clergé[101]), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là , aux +applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant +donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la +ville dans les termes suivants: + + + «MONSIEUR LE MAIRE, + + «La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui + nous environne, et je suis chargé, par la commission de + souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles, + représentée par son corps municipal. + + «Le zèle des souscripteurs, dans cette Å“uvre de reconnaissance, + a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps + municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste, + par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le + jour. + + «Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu + naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable + qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les + inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la + parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de + toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi + dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la + morale, de l'intelligence et de la raison. + + «Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands + souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de + l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle + s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme + nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir + du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage + du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.» + +M. Remilly, maire de Versailles, membre de la Chambre des députés, a +répondu ainsi: + + «Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste + orgueil. + + «Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans + l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime + ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante, + naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus + grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une + auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie + intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en + était déshéritée.--Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent + consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer + aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer + leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque + sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et + observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence + humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la + faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue + intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond, + il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de + l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence, éveilla dans + leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité + horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à + l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si + naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte. + + «Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître + dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son + corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres + enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de + l'abbé de l'Épée! + + «Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si + justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance + la sympathie des nobles cÅ“urs pour un génie vertueux et modeste! + Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi + nous, qui a voulu faire descendre dans son Å“uvre, dans ce + bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie + durant sa vie de vertu et d'abnégation! + + «Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des + sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu + exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de + l'Épée, en rappelant le souvenir de ses utiles travaux, de son + dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à + d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui, + la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs + semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui + immortalisent notre grand concitoyen.» + +M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice +biographique sur l'abbé de l'Épée. + +Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de +l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant: + + «FRÈRES ET SÅ’URS! + +«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs +glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons +sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un +habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de +l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet +admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles +attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux +impatients! + +«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve +énergie de nos sentiments exprimés dans une langue qui est notre +patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa +également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au +frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en +égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux +oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche +de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel. + +«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où +viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres +enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs +divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique +de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes sÅ“urs en Dieu, +vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui +ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la +création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la +flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que, +quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont +pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux +publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons +religieusement! Quel langage parlent à nos regards ce geste expressif, +cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné +par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples +bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos sÅ“urs +d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans +leurs cÅ“urs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait +fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les +ronces du chemin, et que Dieu vous conduise! + +«Frères et sÅ“urs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette +mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce +bronze, pour nous si palpitant de souvenirs! + +«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre +Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en +caractères ineffaçables! + +«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à +bonne fin cette Å“uvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des +plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes, +qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de +l'avoir vu naître dans ses murs!» + +M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative +de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt +verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive +sensibilité. + + * * * * * + +M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la +cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que +la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses +immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres +enfants. + + * * * * * + +Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du +vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des +sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour +cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu +garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où +sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique. +Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le +président et le secrétaire de la commission. + +Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied +de la statue: + +«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages que l'immortel abbé de +l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son Å“uvre est +au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions +des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi +dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la +pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire, +en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme, +développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la +pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec +autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus +éloquent. + +«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit +bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le +langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du +discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire, +introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots +appelés _pronoms_ par les grammairiens désignent les relations +personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent +naturellement aux premiers éléments de l'ordre social. + +«Si l'on parcourt, d'un coup d'Å“il, le siècle qui vient de s'écouler, +on ne trouve pas d'invention plus utile à l'humanité. Sans doute, +durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif +éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit +par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent[102]; +l'autre, doué de la plus profonde sensibilité[103] et d'une éloquence +mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des +peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des +précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute +magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute +sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de +ses veilles, l'_Esprit des lois_[104]: toutefois, aucun de ces grands +hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus +du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le +génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour +féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et +abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une +inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette +céleste invention; c'est le désir de faire naître Jésus-Christ dans le +cÅ“ur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette +religion sainte, qui embrasa le cÅ“ur de l'abbé de l'Épée et de son +digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je +m'honorerai d'avoir été l'humble élève.» + + + + +XXXVIII + + Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la + statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du + sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le + conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et + adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au + statuaire.--La commission sollicite en vain de M. le Ministre de + l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière + subvention pour solder ses comptes.--Relevé définitif des recettes + et dépenses.--Tribut de regret de la commission à quatre de ses + membres décédés.--Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.--Elle + décerne une médaille au statuaire Michaut.--Désir des souscripteurs + sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de + constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission + ne peut que faire lithographier des listes générales.--Conclusion: + sept vÅ“ux émis; trois encore à exaucer, une statue dans + l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux + inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à + Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à + enseigner, à Paris. + + +A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers, +plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous +celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise. + +Notre poëte sourd-muet, Pélissier[105], voulut chanter, à son tour, cet +envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la +véritable langue des dieux. + +Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères: + + Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer + à la postérité de sublimes leçons. + + A. LENOIR. + + Il est de certains noms consacrés par la gloire, + Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux, + Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire + Les siècles font éclore en jalons lumineux. + L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie, + Fait rayonner leur front d'un éclat souverain, + Et l'artiste leur doit une seconde vie + Dans le granit ou dans l'airain. + +M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16 +septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération +par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à +accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans +cette même délibération, le conseil municipal votait des remercîments +aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur +de la statue. + + * * * * * + +M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de +l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à +l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour +acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à +la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et +les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put +accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il +l'en informa: + + * * * * * + +«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner +suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour +encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en +témoigne tous mes regrets.» + + * * * * * + +Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur +quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour +procéder à la clôture définitive de leurs opérations. + +Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes: + +1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour +de l'inauguration; + +2º Procès-verbal de la séance d'inauguration; + +3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845; + +4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport; + +5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission. + + COMPTES DE M. LE TRÉSORIER, + + _Recettes._ + + 1º Subvention du Ministre de l'intérieur. 3,000 f. » c. + + 2º Souscription du roi. 300 » + + 3º Souscription de la ville de Versailles. 2,000 » + + 4º Souscriptions particulières. 6,499 » + + 5º Intérêts de fonds libres placés + momentanément chez M. le receveur + général. 208 40 + + 6º Allocation de la ville de Versailles + pour solder les travaux. 1,805 47 + ------------ + Total. 13,812 f. 87 c. + + _Dépenses._ + + 1º Acquisition de registres et autres + menues dépenses. 11 f. 10 c. + + 2º Frais d'un modèle en bois, et + papier. 27 50 + + 3º Frais d'impressions diverses. 1,099 50 + + 4º Affranchissements et ports de 531 45 + lettres + ----------- + Transport. 1,669 f. 55 c. + + 5º Remboursement à M. Michaut + des déboursés du modèle de la + statue et de son transport à + l'Institution des sourds-muets, + où elle a été exposée. 1,270 » + + 6º Prix du bronze et de la fonte + de la statue payé à M. Saint-Denis. 6,000 » + + 7º Acquisition et frais de transport + du granit de Soignies, pour le + piédestal, et frais accessoires. 1,462 96 + + 8º Prix de la grille d'entourage + en fonte. 993 80 + + 9º Écritures diverses payées au + sieur G..., et à d'autres personnes + employées par M. de Sainte-James. 155 05 + + 10º Gravure d'une planche en cuivre + placée sous le piédestal, + payée à M. Gabriel Cerf. 77 » + + 11º Travaux d'établissement de la + statue, du piédestal, et accessoires + payés aux divers entrepreneurs. 2,182 51 + ------------ + Total. 13,810 f. 87 c. + ============= + + _Balance._ + + La recette s'élève à 13,812 f. 87 c. + La dépense à 13,810 87 + -------------- + Par conséquent, le trésorier + est reliquataire + de. 2 f. » + ================ + +Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses +dans les trois mois de la clôture des travaux, + +Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation; +que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était +faite dans les journaux du département, + +La commission arrête ce qui suit: + +Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent +à Versailles; elle sera ainsi conçue: + +«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en +terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses +dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer +fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la +déclaration qui précède.» + +L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de +bienfaisance. + +La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets +qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus +distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les +lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux. + +La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les +souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient +précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et +utile. + +La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M. +Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de +président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux. + +Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à +renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude. + +Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les +travaux terminés et la commission dissoute. + + EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU + DEPUIS L'INAUGURATION. + +«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger +à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une +médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle +désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins +précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le +corps qui le lui a décerné.» + +Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le vÅ“u que +leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de +leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à +leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour +eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le +plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur +juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet +objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50 +centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour +obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on +eût dû envoyer un exemplaire de cette liste à chaque sourd-muet +souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris +ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il +valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs, +sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient +d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les +quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui +elles constituent comme un titre personnel[106]. + +Sur les sept vÅ“ux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont +exaucés: + +Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel +où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où +reposent ses dépouilles mortelles. + +Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la +France. + +Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune +décore une des places de Versailles, sa patrie. + +Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville. + +Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale +des sourds-muets de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été +promise. + +Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il +naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à +Paris. + +Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc +enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance? + +En douter un instant serait leur faire injure. + +Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos +trois derniers vÅ“ux. + + FIN. + + + + +NOTES. + + +(A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une +discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de +sa statue à Versailles. + +_Lespée_, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait +du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles, +que nous rapportons textuellement plus bas. _Lespée_, c'est ainsi qu'il +est écrit encore au frontispice _d'un petit livre pour étudier les +règles du jeu de trictrac_, qui porte le millésime de 1698, et qu'une +des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien +voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe +nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas +d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et, +comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de _de +l'Épée_ retrouvé sur un livre dont il fit don à _Anne-Catherine +Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait +donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779_. + +D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations +d'orthographe? + +L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord _Buonaparte_ (un nom +italien), ne signa-t-il pas _Bonaparte_ dès qu'il se vit investi du +commandement de l'armée d'Italie? + +A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros +pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore +que son humilité était devenue proverbiale? + + (3e Arrondissement de Seine-et-Oise.) + + MAIRIE DE VERSAILLES. + + _Extrait du registre des actes de naissance de la ville de + Versailles, pour l'année_ 1712. + +L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé +_Charles-Michel_ né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert +ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son +épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle +maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran, +entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent. + +Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre. + + * * * * * + +(B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à +l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux: + +«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques, +à l'occasion des disputes sur le jansénisme. + +«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en +1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la +même année: + +«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape +Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par +l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et +confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la +même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à +cette Constitution, et je condamne, de cÅ“ur et de bouche, la doctrine +des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre, +intitulé _Augustinius_, que le pape et les évêques ont condamnées, +laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a +mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.» + +«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut ordonnée par +l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État +par une déclaration royale du 20 avril 1664.» + + * * * * * + +«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le +_formulaire d'Alexandre VII_, parce qu'il fut imposé par ce souverain +pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665. + +«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai +1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et +condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de +Cornelius Jansenius, intitulé _Augustinus_, et dans le sens du même +auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les +susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les +saints Évangiles!» + +«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les +archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce +formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les +religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction, +explication ou restriction. + +«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est +le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se +présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait +été prescrit un troisième. + +«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots: +_vineam domini Sabaoth_, se borne à condamner ce que l'on appelait le +_silence respectueux_, c'est-à -dire la prétention des jansénistes, qui +consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître +qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que, +ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était +point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape. + +«La bulle _unigenitus_ du même pontife, en date du 8 septembre 1713, +contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé: +_Réflexion morales sur le Nouveau Testament_. Elle ne propose pas, non +plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au +jansénisme qui soit émané du Saint-Siége. + +«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé: +_Corps de doctrine_, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de +France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire. +On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du +clergé à cette époque.» + + * * * * * + +Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir +positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui +qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il +demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à +30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la +Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se +livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me +préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux +formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le +pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont +l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il +ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer +sa signature. + + * * * * * + +(C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce +qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: _Inauguration de la +statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale_. + +«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au +stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance +de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.» + +Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les +notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre +des sourds-muets. + +Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas +été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de +moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y +a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû +souffrir de la révolution de 93, je me décidai à procéder moi-même à de +nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux +Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de +l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733. + +La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de +ce bienfaiteur de l'humanité à Me Élie de Beaumont, datée du 1er +février 1779, laquelle commence par ces mots: + +«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la +cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me +permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles +appellent _miserabiles personæ_....» + + * * * * * + +(D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de +Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour +l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843: + + 21 août 1843: + + «MONSIEUR, + +«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir +répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de +Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai +qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés +à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le +prier d'ordonner des recherches _depuis_ 1712 _jusqu'à _ 1737. Elles +furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des +renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets +l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une +partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la +certitude désirable à un fragment de son histoire. + +«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard, +archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que +par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de +la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que, +dans le cas où vous ne relateriez pas ces documents à la suite de votre +ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments +précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la _Bibliothèque +de l'école des chartes_. + +«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser +également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec +soin dans mes archives. + +«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis, +etc.» + + ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE. + +_Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._ + +23 mars 1736. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de +Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube). + +31 mars 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres +mineurs et au sous-diaconat. + +26 août 1736. Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant +pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés. + +22 septembre 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat. + +28 mars 1738. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de +Pougy. + +5 avril 1738. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise. + + _Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._ + + Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190. + + 1736. _Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges._ + +1e 23 mars 1736 +fº 62, vº + +Cura de _Feugiis_ (Feuges.) + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi, +salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione +sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube), +in nostrâ diÅ“cesi, cujus, occurente vacatione, collatio, provisio et +alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, +pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et +pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti +Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut +alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque +sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et +donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et +pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.--Quocircà +_Mandamus_ notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs +te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et +pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis +ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et +inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ, +presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio +Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in +presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis. + +Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir. + + _Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs + et au sous-diaconat_. + + 2e 31 mars + 1736 + même reg. + fº 63, rº. + +Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs, +diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet, +permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri +episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo +sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ. + + Ad quatuor minores ordines. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diÅ“cesi. + + Ad subdiaconatum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diÅ“cesi, sub titulo patrimonii +approbando. + + _Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour + qu'il puisse être promu aux ordres sacrés_. + + 3e 20 août + 1736 + même reg. + fº 65, vº. + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam +instrumento publico corà m Magistris Billeheu et Baptiste, notariis, +Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto, +quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius +uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum +et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro +Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diÅ“cesi, et ipsorum filio, in titulum +patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri +possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex +tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob +collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi +jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re corà m +Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni +millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem +donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius +Goblain, Parisiis commorantes; nos, prÅ“fatam summam 250 liv. annui +reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, prÅ“fatus +Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs) +ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus, +judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister +de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare +non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod +ei strictè sub pænis juris interdicimus. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo. + + _Promotion de Charles de l'Épée au diaconat._ + + 4º 22 sept. 1736, + même reg. + fº 66, rº et vº + +Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati +Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet. + + Ad diaconatum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diÅ“cesi. + + _Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy_. + + 5º 28 mars 1738, + même reg. + fº 66, rº et vº + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi, +salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti +Nicolai de Pugiaco (Pougy,--arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ +diÅ“cesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia +quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno +jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens, +liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri +Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris +pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos +admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus +et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus +et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes. +Quocircà _Mandamus_ dilectis nostris canonicis et capitulo prÅ“fatæ +ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario +apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu +procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in +possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et +præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et +inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in +capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu +assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò mensis Martii vigesimâ +octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, +presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa +vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis. + + Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel. + + _Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise_. + + 6º 5 avril 1738, + même reg. + fº 84, vº et 85, rº. + +Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis +Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet. + + Ad Presbyteratum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ +collegiatæ de Pugiaco, in diÅ“cesi Trecensi. + +Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont +très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après +l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste +de l'Aube, dans les _Actes épiscopaux_ qui furent déposés à la +Préfecture avant 1793. + + Troyes, le 21 août 1843. + + Signé: COFFINET, + Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes. + + * * * * * + +(E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité +impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des +saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui +nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car, +avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne +sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils +ne peuvent pas être des saints. + +«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre +devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point +vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement +un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore +qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des +sourds-muets. + +«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri +des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons +aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi +supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église +catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons +dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré +les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le +dépôt sacré des doctrines. + +«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint, +les bonnes Å“uvres étaient communément matière à ostentation; +cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme +profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et +nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre +qui se crut obligé de lui refuser les cendres. + +«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de +l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes +ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant: +le _soleil a ses taches_. Et notre pénible fonction d'historien une fois +remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne +foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait +trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi +et surtout le Dieu de charité: _Deus caritas est_. + +«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public +des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore +davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de +ne pas rester le ministre soumis.» + + (F) _Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à + Mlle Blouïn_. + +Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à +tous ceux auxquels il appartiendra, que Mlle +Charlotte-Louise-Jacqueline Blouïn, native d'Angers, m'ayant été +adressée par feu Monsieur Ducluzel, intendant de Tours, pour que je lui +apprisse à instruire les sourds-muets, cette demoiselle a fait, dans +cet art, des progrès qui ont surpassé mon attente, et que le témoignage +que j'en ai rendu, lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé +Monsieur l'intendant, quelques mois après, à m'écrire la lettre +suivante, en date du 19 février 1782: + +«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais +demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation +pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne +dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui +communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas +assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos +bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à +diminuer les malheurs de l'humanité. + +«J'ai l'honneur d'être....» + + Signé: DUCLUZEL. + +Mlle Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782, +vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente +année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée, +_j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets_, pour lui en +laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses +opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de +personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les +talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette Å“uvre. Je la +crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel +sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans +des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en +présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque +de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères. + +En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat. + + Paris, ce 11 novembre 1783. + + Signé: l'abbé de L'ÉPÉE. + + * * * * * + +(G) _A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets +de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager_. + + «Ce 17 juillet 1842. + +«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des +professeurs de l'institution, afin de remplir le vÅ“u de M. le +ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la +dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie +de l'invention de l'auteur. + +«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode +nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si +l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question +d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau +mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus +facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange +erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce +n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en +fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans +ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des +doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus +léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre +alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla +atteint un instant par le _Syllabaire dactylologique_ de M. Recoing, qui +entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel +divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et, +cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable +dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des +principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait +cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis. + +«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile, +malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de +sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un +alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car, +indépendamment des vingt-cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y +trouve des indications représentant une _série de voyelles combinées et +accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et +la terminaison d'un grand nombre de mots_. Adoptât-on même aujourd'hui +cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps +plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une +multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer +la stabilité et la prééminence sur les autres? + +«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le +chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après +avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications, +dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans +presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui +reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses +diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la +typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à +discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet +dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la +généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle, +de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la +dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de +l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au +point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de +personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on +leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes +ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans +leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission +transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille +dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense +avantage, d'être adoptée et connue. + +«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie, +il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de +plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la +matière, l'idée à sa représentation brute. C'est ce que n'a pu +comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage +mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies +possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité +et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée. + +«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle +trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et +même sans objet. + +«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect +et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher +directeur, + + Votre dévoué serviteur. + + _A Messieurs les membres de la Commission Consultative de + l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle + dactylologie de M. Charles Wilhorgne._ + + «Ce 4 mai 1847. + +Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de +vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen, +sur _la dactylographie_ ou _sténographie des doigts_, laquelle, suivant +l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la +_dactylologie_, l'avantage de rivaliser presque avec la parole +elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un +et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord, +révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos +écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa +brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne +voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans +nos études. _La dactylographie_ de M. Wilhorgne a pour but, +non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la +main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans +jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de +mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la +représentation desquelles sont affectées certaines parties extérieures +de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son +nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une +grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour +éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord, +inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main +après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main +gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient +qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de +transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant, +toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le +privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index +de la droite les indique. + +«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure +sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous +employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la +parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même +que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une +seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien +considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux +que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à +diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de +l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la +préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes. + +«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa +dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce +qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les +autres. + +«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les +sourds-muets, _devenus aveugles_, converser avec les autres hommes, au +moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre, +par le toucher, les contours rapides de la main _parlante_. + +«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère +mériter que la Commission Consultative en propose l'adoption à M. le +Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout +conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines +personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et +d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix +des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la +dactylologie usuelle des sourds-muets. + +«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux +besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau +faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront +toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle +perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres +d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un +signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour +quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre. + +«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou +dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est +vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans +une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la +dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de +notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user +leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires, +insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue +et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer +leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre +spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens +d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue +maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette +étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels, +variés, qui les intéresseraient en les y ramenant. + +«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de +philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement, +tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte +que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de +l'utile, ou ce que nous connaissons depuis fort longtemps, ou ce qui, +en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il +serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables +services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles +ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir +leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande +économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on +charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que +le temps, à une époque où l'on vit si vite.» + + * * * * * + +(H) _Legs d'un sourd-muet._--Un legs fort important a été fait à la +ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en +laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette +ville. + +Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de +300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins +de soixante mille volumes. + +Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret, +célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique +plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes +sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait +la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était +animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il +parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales. +Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de +sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au +moins, son infirmité. + +Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la +validité était contestée par les héritiers. Mme Brongniart, sÅ“ur +de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le +testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au +moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur +de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné +M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de +raretés bibliographiques; sa famille les considérait comme des +prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger +contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus +aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la +ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était +sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil +judiciaire. + +Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues +ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour, +M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non +seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède +à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs +assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque +sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus +nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de +tête et de cÅ“ur. + +Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations +préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer; +mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder +l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs +de M. de Montbret. + +Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur, +celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important +de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple +expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux +garanti par le donataire. + +Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de +leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées +à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à +la requête de la ville et de Mme Brongniart, sous réserve des droits +de chaque partie. + + * * * * * + +(I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus +heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21 +novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous +sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins +recommandable par ses vertus qu'estimable par ses talents, et qu'il +avait l'intention d'en assurer la perpétuité. + +Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous +croyons devoir rapporter textuellement: + +«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en +icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du +désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à +l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait +ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus +propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un +établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un +et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et +que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et +règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le +gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il +y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la +portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le +diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs, +il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit +arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et +préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars +et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires, +soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient +sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires +dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de +ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de +l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux +d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de +ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que +le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour +l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre +ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir, +sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres +évêques du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet +avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens +vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et +principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa +Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et +projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires +pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un +et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne +pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses, +que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins +de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des +autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne +transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au +couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme, +d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est +aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la +fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur +archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la +destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris +l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses +intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions +qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï +le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné +et ordonne ce qui suit: + +«Art. 1er. Il sera incessamment pourvu à la confection des +distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement +des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des +bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et +y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur +faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui +succéderont à l'avenir. + +«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites +sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés +par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des +biens des Célestins du diocèse de Paris, sur les ordonnances du sieur +archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf, +lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à +retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés +à former la dotation de cet établissement. + +«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une +manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et +délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur +abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv., +pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et +de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter +l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former +audit enseignement. + +«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit +établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les +rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et +affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des +évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14 +mars 1780 et 1er août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment +enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en +conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit +d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des +rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains +en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les +quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et +valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit +sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux +conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque +diocèse. + +«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera +fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200 +liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà +du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus +en jouir, sous quelque prétexte que ce soit. + +«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront accordées +qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du +curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera, +à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et +seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge +royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à +l'admission du sujet dans ledit hospice. + +7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il +en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et +lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration +temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence, +le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des +redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce +qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer. + +Fait au conseil d'État du roi, etc.» + + * * * * * + +(J) _Différence entre les mots_ sourd et muet _et_ sourd-muet. + +Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de +surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait +habituellement de l'expression _sourd et muet_. Ce n'est que vers la fin +du dix-huitième siècle que _sourd-muet_ devint le terme consacré. + +Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les +rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et +l'autre une distinction raisonnée. + +La dénomination de _sourd et muet_ suppose deux incapacités distinctes +et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité +d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute +autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole +humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une +paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie +de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de _sourd-muet_ renferme, +au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de +telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence +obligée de celle-là . + +En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos +jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes +entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent +pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir +l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la +pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut +amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins +prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence +complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de +la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive, +exercée? + +N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les +organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les +ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité? + +Le nombre des _sourds et muets_ paraît, en ce moment, si faible +comparativement à celui _des sourds-muets_, que c'est de ces derniers +seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et +que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit +plus que ces mots: _Institution_ ou _école des sourds-muets_ et non des +_sourds et muets_. + +On a prétendu établir cinq catégories[107] parmi les jeunes sourds-muets +de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories +qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme +incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de +constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque[108]. + + * * * * * + +(K) _Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842_. + +«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour +que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire un appel à votre +concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour +vous: déjà , il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés +de cÅ“ur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de +Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes +démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous; +malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été +couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour +l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma +pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion +solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de +mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je +m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en +finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que +j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à +mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le +Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres +sourds-muets!» + + _Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur._ + «Paris, le 11 décembre 1842. + + Monsieur le ministre, + +Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis +aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter +l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne +sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils +ont l'habitude d'appeler leur _père intellectuel_ qu'en tendant vers +Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant +en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un +portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander +pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment. + +Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau +représentant _les deniers moments de l'abbé de l'Épée_. Cette Å“uvre +remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène. + +Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis longtemps, +brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à +ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une +Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne +refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant +l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en +se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un +autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous +avez commandé successivement deux grands tableaux religieux? + +Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale +confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne +émule. + + Nous sommes, avec le plus profond respect, + Monsieur le Ministre, + Les très-humbles, etc. + +Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre +de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des +établissements de bienfaisance; + +A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets; +Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des +sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville; +Leroy; Pélissier; Del Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A. +Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé; +Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de +Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart; +Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale +des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets; +Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets, +remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles; +Robillard; A. Levassor. + + * * * * * + +(L) «_A Messieurs les membres de la Commission Consultative de +l'Institution royale des sourds-muets de Paris._ + + «Paris, ce 14 mai 1845. + + «MONSIEUR, + +«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des +sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de +l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien +voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président, +d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un +élan spontané de son cÅ“ur reconnaissant, offrait à l'Institution +royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce +grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement +que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière +de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le +mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet +établissement. + +«Si un vÅ“u de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il +demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il +ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la +disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui, +d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de +la vie de l'abbé de l'Épée. + +«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au +bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du +donateur, et le motif de son offrande. + +«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le +tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39. + +«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier +d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les +élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de +leur créateur intellectuel. + +«Votre très-humble et très-obéissant serviteur, + + «A. LENOIR.» + + * * * * * + +(M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut +jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, +situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie +connue sous le nom des _religieux de cet hôpital_ ou de _frères +pontifes_ ou _constructeurs de ponts_. + +Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des +lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres +de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces +religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le _Clos +du roi_; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et +portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les +_frères hospitaliers_. + +Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les +chefs avaient le titre de _commandeurs_, s'éleva en 1519, et fut érigée, +dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré +l'opposition des curés du voisinage. + +«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris, +aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et +de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui +_disent, chantent et célèbrent_ à haute voix, et avec chants, lesdits +offices divins, etc.» + +En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque +abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel +appelé _Hôtel de la reine_, et, plus tard, _Hôtel de Soissons_, sur +l'emplacement qu'occupaient alors les _Filles repenties_, et où s'élève +aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent +s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par +contre coup, prirent possession de la maison de +Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur +patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre. + +La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une +nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du +quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux. + +Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit forcé, +dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être +terminée qu'en 1688. _Monsieur_, frère de Louis XIII, en avait posé la +première pierre, et les libéralités du prince de Longueville +contribuèrent à son achèvement. + +Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en +1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à +cette époque, sous le nom de rue des _Deux Eglises_, auquel celui de rue +de _l'Abbé de l'Épée_ a été récemment substitué, à la demande de +l'Institution des sourds-muets. + +La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement +l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de +donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint +ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se +maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y +transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets, +fondée par l'abbé de l'Épée. + + * * * * * + +Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe +aujourd'hui: + +Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son +portail, lourd et massif, disgracieux à l'Å“il, n'offre rien de +remarquable comme Å“uvre architecturale. Les principaux corps de +logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des +garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un +autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle +des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des +garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés. +Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de +l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant +fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances +de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté, +se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le +second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces +trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un +mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison. + +Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question +donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du +côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis. + +Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il +y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer +et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des +filles, et tombait en ruine depuis long-temps. + +L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées +de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et +de salubrité désirables. + +Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre +le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette +cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement +les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de +toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont +l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La +Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire +de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son +feuillage, l'éloquent auteur du _Petit Carême_. + +Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un +quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au +fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants +une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se +plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes +leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont +taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes +de charmille. Là , faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour +étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent +ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en +jouir. + +La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans +tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est +abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long +de la grande façade de la cour règne, au rez-de-chaussée, une galerie +couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour +les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques; +de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les +hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la +nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent, +au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le +bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un +atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office. + +Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers +étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer; +l'autre est en bois. + +Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second, +par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de +lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et +quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au +troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les +lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des +lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et +un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en +dalles; le reste de l'établissement est parqueté. + +Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite _de +perfectionnement_, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de +l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en +classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la +maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours +général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on +appelle le _système de rotation_. L'enseignement comprend les préceptes +de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de +géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la +lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint, +dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de +dispositions pour cette double spécialité. + +Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon +est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant lesquels les +jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on +leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet. + +Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel +qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de +plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit +toujours se composer de six élèves. + +Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la +caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de +vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont +sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la +paume des mains. + +Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de +droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le +Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand +tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant +l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet. + +Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette +inscription: + +«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler +les muets.» + + «Saint-Marc, ch. VII, verset xxxvii.» + +A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, Å“uvre et +don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de +l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant _les derniers moments +de l'abbé de l'Épée_. A côté, un second autel avec la statue de la +Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette +inscription en lettres d'or: + +«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie +et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint +Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette +Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de +Champagny; étant administrateurs, MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de +Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard. + +«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.» + +Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux +jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal. + +Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour +de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique. + +Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un +réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de +fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un +perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des +garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui +reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans +l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est +entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments. + +En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans +l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard +s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à +l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le +jeune sourd-muet connu sous le nom du _comte de Solar_(sujet du drame de +M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et +protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le +jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de +gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de +l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et +de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images +ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur +lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, Å“uvre +remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit +cette inscription: + +«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée, +qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte +Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des +24 et 29 juillet 1791.» + +Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices, d'où l'on +descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en +amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une +pierre de marbre: + +«Mme Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à +Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des +sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit +enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette +Institution.» + +Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription: + +«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de +l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes, +médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison +(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son +testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution +huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une +classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites +en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui +ont atteint le terme ordinaire des études. + +«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir +de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.» + +L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes +lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une +tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge. +Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue. + +Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête +un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur +leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs. + +Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font +saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service; +l'autre sert de logement au concierge. + +Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier +pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge +spéciale de la portière de cette partie de la maison. + +La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près, +en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est +composée de quatre étages. + +Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au +fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par +quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un +gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses. + +Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle +d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le +second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie; +le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses +subordonnées. + +L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été +élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments +de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit +plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous +Philippe-le-Hardi. + +Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur +responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres, +qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier. + +Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des +professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre, +celles de bibliothécaire-archiviste). + +Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude +sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est +fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un +sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du +service, un veilleur et cinq hommes de peine. + +166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des +familles. + +Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs, +trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé +chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une +maîtresse de dessin, une maîtresse d'écriture, une infirmière, une +portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette. + + * * * * * + +(N) _Le_ 17 _décembre, on lisait dans le_ NATIONAL: + +«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée +au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les +vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos +colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu +poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette +nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la +vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau, +de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.» + + LE SOURD-MUET. + + Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre, + Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère, + Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir? + Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir? + Bercé d'illusions, dévoré de rancune, + Revêtu de douleur, couronné d'infortune, + Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité? + Que de maux ont pesé sur notre humanité! + Sans doute que, parmi ces brillantes planètes + Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes, + Un météore horrible, annonçant le malheur, + N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur, + Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense, + Répand dans tous les lieux sa funeste influence. + + Sous cet astre fatal ma mère me conçut; + Au cri de mes douleurs mon père me reçut. + Le malheur fut mon roi. Le cÅ“ur rongé d'envie, + Il m'avait attendu sur le seuil de la vie; + Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux, + Pour la première fois, resplendit à mes yeux, + Un plus épais nuage enveloppa mon âme. + Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme, + Ne vint me convier aux champs de l'avenir. + Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr, + Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence, + Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: _Espérance_! + Comme le nautonnier égaré dans les mers, + Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers, + Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile, + Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile, + Sur la mer de la vie, à la merci des flots, + J'ai vogué tristement à travers bien des maux. + + Du moins, dans son naufrage, une voix le console. + C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole; + C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant; + C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant. + Ces vibrations d'air, musique aérienne, + Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne, + Parlent au nautonnier: sensible à cet accord, + Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort. + Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense, + Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance. + Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein, + Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain. + Dans mot isolement, jamais tendre parole + Qui fait bondir le cÅ“ur, qui ramène et console, + Sur mon âme captive, en sons mélodieux, + N'est descendue, hélas! messagère des cieux. + + Hélas! je traversais, sans amis et sans guide, + Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride, + Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu, + Ignorant l'univers, à moi-même inconnu. + Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie, + Grave inspiration, légère fantaisie, + Tous vos dons me manquaient pour exalter mon cÅ“ur, + Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur. + + Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme, + Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme. + Je t'ignorais encor, douce religion. + Trésor de dévoûment, de consolation, + De l'homme malheureux visible Providence, + Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance, + J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs, + Épancher en silence et ses maux et ses pleurs, + Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure[109], + Écartant les douleurs qui m'agitent encore, + Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts, + Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois, + Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance, + Dire l'hymne sacré de la reconnaissance, + Et, de la mélodie invoquant les faveurs, + Aspirer à cueillir la poésie en fleurs. + Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme, + Délices de mon cÅ“ur, doux écho de mon âme, + Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu, + Il m'eût fallu te dire un éternel adieu! + + Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée! + Mon âme, par sa voix, se relève frappée; + Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon + Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison; + Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière + Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière. + L'ange de poésie, ange gardien du cÅ“ur, + Est descendu du ciel m'enivrer de douceur; + Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie, + Je me suis abrité, devinant le génie: + Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux; + Il me prête son luth, et nous chantons tous deux. + Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme + Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme; + Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux, + Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux. + Lui, soudain, agitant sa baguette magique, + A mes yeux, fait jaillir un univers mystique, + Univers idéal, monde mélodieux + Où mille doux échos, comme un essaim joyeux + D'esprits aériens, de légères sylphides, + Apportent à mon cÅ“ur des accents frais, splendides, + Des bruits surnaturels, de ravissants accords, + L'extase de la lyre et ses vagues transports, + Concerts délicieux, musique intérieure + Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure. + Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin, + Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn! + Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques + Et sème notre ciel d'étoiles poétiques! + Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité; + Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité; + Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère; + J'ai senti ton éclat inonder ma paupière; + Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers, + J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts. + Une lyre à la main, guidé par ton génie, + J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie, + Céleste volupté! charmante illusion! + Et, soudain, au flambeau de l'inspiration, + Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses, + J'ai secoué mon aile aux pures jouissances. + Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor, + Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor + S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes, + Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes, + Va là -haut contempler l'astre de l'univers; + Long-temps se balançant dans l'empire des airs, + Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages, + Il monte, monte encor par dessus les nuages! + + Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix, + Pour immortaliser le héros de mon choix, + Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire, + Si jamais je pouvais demander à ma lyre + Des vers heureux, échos d'infinis sentiments, + C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants. + Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance. + Mes succès seraient doux et mon ivresse immense. + De quel nom te nommer, mon second créateur, + Et sur quel piédestal un transport de mon cÅ“ur + Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire, + Perpétuer ton Å“uvre et venger ta mémoire? + O tendre de l'Épée, ange de charité, + Sois à jamais béni dans la postérité! + Ton génie immortel, vainqueur de la nature, + Concevant l'impossible, a comblé la mesure + De l'abîme profond où m'avait relégué + Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué. + Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime, + Je redirai toujours ton dévoûment sublime. + + PÉLISSIER, de Gourdon (Lot), + + Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris. + + * * * * * + +(O) _A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés._ + + «MONSIEUR LE PRÉSIDENT, + +Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre vÅ“u +relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir +leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous +offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait +cette Å“uvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le +baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand, +Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé, +chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles +des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société centrale +des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire. +L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de +votre assentiment.» + + * * * * * + +(P) _Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M. +Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838._ + +«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon +frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des +sourds-muets. + +«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de +lui élever un monument durable comme ses bienfaits. + +«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du +monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de +l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un +piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un +livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets! + +«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui +soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je +veux seulement signer mon Å“uvre de mon nom de frère d'un sourd-muet. + +«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!» + + _Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à + M. Alphonse Lenoir._ + +«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de +m'associer à l'Å“uvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à +l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets. + +«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement. +Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du +monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et +aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un +médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les +principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile! + +«Agréez mes embrassements de frère!» + + * * * * * + +(Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et +Auguste Préault, statuaire. + + DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS + + _Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch, + à la mémoire de l'abbé de l'Épée._ + + PREMIER PROJET. + + _Monument_. + + La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.) + de hauteur. 9,000 f. 00 c. + + Le piédestal et tous ses accessoires. 3,020 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ----------- + Total du monument. 12,220 f. 00 c. ci. 12,220 f. 00 c. + ------------ + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 18,081 f. 00 c. + ============ + + DEUXIÈME PROJET. + + _Monument_. + + Un buste en bas-relief. 6,500 f. 00 c. + + Colonnes, consoles et tous autres + accessoires. 11,035 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ------------ + Total du monument. 17,735 f. 00 c. ci. 17,735 f. 00 c. + ------------ + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 23,596 f. 00 c. + ============ + TROISIÈME PROJET. + + _Monument._ + + Un buste et deux petites figures. 10,500 f. 00 c. + + La pyramide. 600 00 + + Le piédestal et tous les ornements 5,120 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ------------------- + Total du monument. 16,420 f. 00 c. ci. 16,420 f. 00 c. + =================== + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 22,281 f. 00 c. + ============ + + DESCRIPTION. + +Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée, +aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar +des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait +fermée par un anneau. + +Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage +mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets. + +Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un +philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par +quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre +tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement, +puis entre eux et la société dont ils étaient séparés. + +Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment, +serait représenté par la croix placée au-dessus. + +Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de +marbre noir. + +La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre les deux +enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la +première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes +employés par les sourds-muets. + + DEVIS DES TRAVAUX. + + _Maçonnerie._ + + La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux + hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut, + estimée. 15 00 + + La fouille pour ledit déblai et sortie des terres, + estimée. 4 00 + + Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20 + de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur, + produit en cube. 0 513 + + La taille des parements en trois sens, 2,10, sur + 0,75 de haut, produit. 2 00 + + La double taille pour le dégagement du socle et + de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut, + produit. 1 50 + + Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40 + développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent. 2 8 + + Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et + 0,45 d'épaisseur, produit. 0 851 + + Les parements en trois sens, 2,00 développés sur + 1,80 de haut, produisent. 3 60 + + Les doubles tailles pour le dégagement des figures + et des saillies de moulures, évaluées à . 10 00 + + Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur + 0,60 de profil, produisent. 1 080 + + Les moulures de couronnement, ensemble 3,10, + sur 1,50 de profil, produisent. 4 65 + + Les différentes tailles au petit socle qui porte le + buste et le dégagement des consoles, évaluées à 2 00 + + _Résumé de la maçonnerie._ + + 1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix, + pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et + joints, bardage et double transport, entrée difficile, + et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. 170 f. 50 c. + + 19,100 m. superficiels de tailles de parements layés, + et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. 119 39 + + 8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées + et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le + mètre. 73 18 + + Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble + à . 19 00 + --------- + Total de la maçonnerie. 382 f. 05 c. + ========= + + _Marbrerie._ + + Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 = 0,224 + + Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 = 0,027 + ----- + 0,251 + Déchets, 1/10e. 0,025 + ----- + Total. 0,276 + ===== + + A raison de 60 fr. le mètre, produit. 16 f. 56 c. + + 400 lettres, à 25 fr. le cent. 100 00 + + L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre. 8 28 + + Le transport et la pose. 5 00 + --------- + Total. 129 f. 84 c. + ========= + + _Sculptures d'ornements._ + + Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60 + de long. 60 f. 00 c. + + Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c. + de longueur. 80 00 + + Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c. + chaque, valent 200 00 + --------- + Transport. 340 f. 00 c. + + Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c. + 0,25 de haut 300 00 + Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la + croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. 120 00 + Pour l'établissement des modèles 210 00 + + Total 970 f. 00 c. + ========= + + _Statuaire et bronzes._ + + Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé + de l'Épée et de deux jeunes muets 5,168 f. 11 c. + ----------- + Total 5,168 f. 11 c. + =========== + + _Résumé général._ + + Maçonnerie 382 f. 05 c. + Marbrerie 129 84 + Sculpture d'ornements 970 00 + Statuaire et bronze 5,168 11 + ----------- + Total 6,650 f. 00 c. + + Honoraires de l'architecte et frais de direction... 350 00 + ----------- + Total général.... 7,000 f. 00 c. + =========== + + Le présent devis dressé par l'architecte soussigné. + Paris, 1er mai 1840. + + Signé: LASSUS, architecte; + AUGUSTE PRÉAULT, statuaire; + BERNARD, marbrier; + FRÉMY, maçon; + PYANET, sculpteur ornemaniste. + + Les soussignés: + +1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº +2; + +2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place +Furstemberg, nº 9; + +3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue +Vanneau, nº 12; + +4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue +d'Enfer, nº 100; + +Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue +Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet +adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de +l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet +architecte, lequel devis s'élève: + + 1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de.. 5,168 f, 11 c. + 2º Pour la sculpture d'ornements, à 970 00 + 3º Pour la maçonnerie, à .. 382 05 + 4º Pour la marbrerie, à 129 84 + ----------- + Total général.... 6,650 f. 00 c. + =========== + +s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire, +bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui +le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la +commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et +sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces +travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un +mémoire, qui sera vérifié et réglé. + +Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les +travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et +devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux +travaux que l'on pourrait juger convenable de faire dans la chapelle où +l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter +la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux +projets et devis. + +La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera +déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre +restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le +président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité. + + Paris, le 1er mai 1840. + + Signé: _Lassus_, architecte; _Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet_. + +Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à +élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr., +total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la +commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et +bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le +Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter +les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission +de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne +serait pas atteint. + + Paris, le 1er mai 1840. + + Signé: _Auguste Préault_. + + * * * * * + +(R) _Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de +Versailles.--Séance du 14 novembre 1839._ + +Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la +reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est +parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent +l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait +pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet +apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de +lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal +en donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des +Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à +toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui +décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la +galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont +pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les +services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils +ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont +adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce +magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande +votre sanction. + +Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos +concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner. + +Cette sanction est accordée à l'unanimité. + + * * * * * + +(S) COMMISSION POUR LE MONUMENT + + A ÉLEVER + + A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE. + + Souscription. -- Prospectus + +Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste +orgueil, au nombre de ses enfants est _l'abbé de l'Épée_, qui, animé par +la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel, +donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là , les +mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres +hommes. + +Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la +mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir +pour ses compatriotes. + +Un artiste distingué, M. MICHAUT (des Monnaies), en a formulé la pensée +dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et +apprécié son Å“uvre; ils ont élu une commission chargée d'en +surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en +assurer le succès. + +Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le +souvenir de _l'abbé de l'Épée_, représentera ce grand homme au moment où +il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel, +expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a +inspirée. + +Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans +la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis +par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement +désirer l'exécution en grand de cette Å“uvre d'art, si noblement +conçue. + +M. MICHAUT, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite +de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher +un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense. + +La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son +projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services +rendus par _l'abbé de l'Épée_, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y +répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais +encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette +bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au +génie, que de payer la dette de la reconnaissance. + +La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs, +multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a +décidé que: + +1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 1/2 millimètres (30 +lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme +de vingt francs; + +2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en +argent, en préviendraient la commission; + +3º La commission publierait successivement la liste des +souscripteurs.--Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la +statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi. + +En conséquence, une souscription est ouverte: + +Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand, +à Versailles; + +Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon, +Guénin, Schneider, Tourain, à Paris; + +Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires +de chaque arrondissement; + +A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et Ce., banquiers +à Paris. + +Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission +soussignés: + +_Président_, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et +ancien maire de Versailles;--_Vice-Président_, M. l'abbé Caron, ancien +professeur de l'Université;--_Secrétaire_, M. E. Baudard de +Sainte-James;--_Vice-secrétaire_, M. Besnard, notaire, membre du Conseil +municipal;--_Trésorier_, M. Gauguin, receveur municipal;--_Membres_, MM. +Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles; +vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien +député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps, +vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin +de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal; +Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur +de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier, +peintre paysagiste. + + IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE + LA SOCIÉTÉ. + +Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance +de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre +plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui +figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner +une copie exacte à nos lecteurs: + +«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des +Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver +à Chartres. + +»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan, +sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand +étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre +mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été +extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il +lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit +entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre +mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les +paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans +les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le +silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore +qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur +son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur +l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas +avoir poussé ses pensées jusque-là ; quoiqu'il fût né de parents +catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se +mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit +jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les +autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était +que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement +animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées +qu'il recevoit par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de +ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas +qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du +commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense +qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs; +le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce +réciproque. (_Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag. +18_.) + +L'abbé de L'ÉPÉE.» + + + + +SOUSCRIPTION + +AU + +MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + + +(T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + Le roi LOUIS-PHILIPPE 300 fr. + +MM. Aubernon, pair de France, préfet de + Seine-et-Oise, président d'honneur de la commission du monument 100 + + Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de + idem 100 + L'abbé Caron, vice-président de idem 100 + De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de + idem 20 + Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem 20 + Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem 20 + Rémilly, député et maire, membre de idem 50 + Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem 40 + Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem 20 + Taphinon, conseiller de préfecture, idem 10 + Lebrun, directeur de l'école normale, idem 20 + Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem 10 + Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem 20 + Boisselier, peintre paysagiste, idem 5 + Battaille, docteur en médecine, idem 20 + Marquis de Sémonville, idem 500 + Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de + Versailles, idem 200 + Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet, 1 + Grégoire, id. .id 4 + Foucque, id. id. 1 50 + Dubois, .id .id 10 + Lefébure, .id .id 5 + De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris 20 + Ed. Morel, professeur de .id 10 + Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id 5 + Sellier, chef d'atelier, à .id 5 + Desportes, .id 5 + Jourdain, .id 5 + Girault, .id 5 + Léon Vaisse, professeur, .id 40 + Lecoq, .id 5 + Lenoir, .id 10 + Langlois, chef d'atelier, .id 5 + Allibert, aspirant, .id 3 + Mlle Barbier, professeur, .id 10 + Mlle Morel, .id .id 10 + Mlle F. Auber, répétitrice, .id 5 + Mlle E. Ferment, professeur, .id 10 + Mlle Roger, .id .id 5 + Mlle Legay, aspirante, .id 5 + Mlle Alleton, monitrice, .id 5 + Mlle Meunier, .id .id 3 50 + Mme Nysten, maltresse d'étude, .id 3 + Mlle Wiser, .id .id 3 + Mme Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes 5 + Mme Lafargue, maîtresse de dessin, .id 5 + Leforestier, aumônier, .id 5 + Menière, médecin, .id 5 + Taupier, maître d'écriture, .id 5 + Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris, 28 90 + Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution + des sourds-muets de Paris, 20 + Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli, 5 + Mamès Dourgnon, son cocher, 5 + Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de + l'Institution nationale de Paris, 20 + Allonor, serrurier, sourd-muet, 5 + Alavoine, horloger, .id 5 + Aucher, chapelier, .id 1 50 + Audibert, cordonnier, sourd-muet, 8 + Bejat, nacrier, .id 2 + Bloïn, fondeur, .id 2 + Bouly, employé, .id 1 + Breüer, serrurier, .id 5 + Brejillon .id 1 + Chabot, orfèvre, .id 2 + Choquet, imprimeur, .id 3 + Contremoulin, employé, .id 25 + Crispaille, brossier, .id 2 + Daudin, fondeur, .id 2 + Delarue, manufacturier, .id 2 + Delille, maçon, .id 1 + Deruez, employé, .id 5 + Deschenes, rentier, .id 5 + Dorel, relieur, .id 2 + Doumic, imprimeur, .id 5 + Dubois, de l'île de Ré, .id 5 + Ducornoy, ébéniste, .id 3 + Dumont, tailleur, .id 1 + Emeux, bottier, .id 15 + Fèvre, imprimeur, .id 10 + Franclet, tourneur, .id 3 + Fontaine .id 5 + Filleron, peintre, .id 2 + Frédéric, grainier, .id 3 + Galbois .id 1 + Gamble, graveur, .id 3 + Gevold .id 1 50 + Gonet, bijoutier, .id 2 + Gouttebarge, employé, .id 5 + Graize, imprimeur, .id 5 + Guillaume, orfèvre, .id 3 + Barielle, imprimeur, .id 5 + Hennequin, dessinateur, .id 5 + Joulin, tailleur, .id 1 + Jumentier, peintre, .id 2 + Knecht, sellier, .id 2 + Lavaud, marinier, .id 1 + Legras, fleuriste, .id 2 50 + Levert, ciseleur, sourd-muet 3 + Levite, tailleur, .id 1 + Lhuillier, tailleur, .id 1 50 + Mairet, sellier, .id 2 + Maloisel, tourneur, .id 5 + Mauviel, libraire, .id 2 + Metais, employé, .id 2 + Michel, pâtissier, .id 2 + Michel, employé, .id 3 + Mondlange, graveur, .id 5 + Mullot, imprimeur, .id 2 + Nicolas, souffletier, .id 2 + Nogaret, tailleur, .id 1 + De Nogent, propriétaire, .id 10 + Nonnen, rentier, .id 10 + Page, employé, .id 5 + Pagez, dessinateur, .id 5 + Pasly, employé, .id 25 + Pollet, nacrier, .id 5 + Quentin, tailleur, .id 2 + Quinsard, cordonnier, .id 5 + Richard, ébéniste, .id 1 + Richard, serrurier, .id 1 + Robert .id 2 + Roche, imprimeur, .id 2 + Romain, imprimeur, .id 5 + Romanet (le comte de), .id 25 + Romiguière, imprimeur, .id 5 + Savaton, cordonnier, .id 3 + Trovalet, tailleur, .id 2 + Verlet, papetier, .id 2 + Vincent, tourneur, .id 5 + Wallon, mosaïcien, .id 5 + Brocheton (le docteur), 10 + Boyd, de Ceylan 20 + Boyd Dundas 20 + Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise 50 + Fasman, artiste peintre, à Versailles, 5 + Fessard, propriétaire, 10 + Lenud (le colonel) 10 + Loz de Beaucours 20 + Noble (le docteur) père 10 + Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles, 30 + Petit, architecte de la ville de Versailles, 10 + Savouré 5 + Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles, 50 + Veytard, ancien capitaine, de Versailles, 20 + Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles, 10 + Ed. Tassin de Villiers, 5 + L'Évêque de Versailles, 100 + Chabin, entrepreneur de pavage, 10 + Binart, entrepreneur de menuiserie, 5 + Decret, garde du génie, 5 + Michel, colonel de la garde nationale de Versailles, 5 + Denis fils, entrepreneur de serrurerie, 5 + Tîssot, entrepreneur de maçonnerie, 20 + Cormué fils, entrepreneur de peinture, 5 + Lambert-Baudry, propriétaire, 5 + Bardet, entrepreneur de couverture, 5 + Membré, chef d'institution, à Versailles, 5 + Francolin aîné 20 + Angouillant, entrepreneur de maçonnerie, 10 + Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles, 80 + Rendu, conseiller de l'Université, 20 + Wartel, artiste de l'Opéra, 10 + Odout 10 + Périchot, conseiller municipal de Versailles, 5 + De Reboul Berville 5 + Lebeau, entrepreneur de peinture, 5 + Bourgeois, marchand tapissier, 2 + Mathieu (le colonel) 5 + Paumier 5 + Delorme 10 + Bléry 5 + Dupont (le chevalier) 5 + Christophe (le général) 20 + Louvet 5 + Mazuel 5 + Lemazurier (le docteur) 5 + Lebert 20 + Valery, bibliothécaire du château de Versailles, 10 + Me Haussmann 20 + Vollot 5 + D'Hastrel (le général) 20 + Lemoine, notaire, 5 + Marchand, idem 20 + Gady, ancien juge, 20 + De Saint-Cyr 5 + Un officier de la garde nationale de Versailles.. 2 + Un clerc de notaire 1 + Mme de Breuilly 5 + M. Gr*** 50 + Legendre 5 + Guillemot 5 + Un petit clerc 25 + Mme Boullé 20 + Mme Guillemot 5 + Ledoux-Leroy 20 + Croiset, receveur de l'hospice de Versailles, 5 + Lepoitevin, architecte, 10 + Hamouy, coiffeur, 2 + Théry, propriétaire 3 + Morel, marchand tapissier, 5 + Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles, 30 + Horeau, architecte, 10 + Mlle Giraud-Chaudra 5 + Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles 40 + Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles, 5 + Bailly de Villeneuve 5 + Haley (de Londres) 5 + Morel jeune 5 + Berthod, professeur au collège royal de Versailles, 2 + Merlin (le général baron) 5 + Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie + de Versailles 21 + Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse, 20 + Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles 20 + Devouges, inspecteur, .id 10 + Levieil, contrôleur principal, .id 5 + De Poiféré, contrôleur, .id 5 + Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain, 5 + Dubois, .id .id id. à Meulan, 5 + Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes, 5 + Salerne, .id .id id. 5 + Michelin, .id .id à Pontoise, 5 + Soulas, .id .id à Gonesse, 5 + Delahaytrée, .id .id à Luzarches, 5 + Fechez, .id .id à Corbeil, 8 + Dubois, .id .id id. 5 + Odoard, .id .id à Etampes, 5 + Crosse, .id .id à Rambouillet, 5 + Thomas, .id .id à Dourdan, 5 + Dahirel, surnuméraire, à Versailles 3 + Tellot, aspirant .id 3 + De Doudeauville (le duc) 20 + De Praslin (le duc) 20 + De Bastard (le baron) 20 + Camille Perrier 20 + Guéneau de Mussy 20 + De Gérando (le baron) 20 + Rendu (le baron) 20 + La société archéologique de Rambouillet 20 + La société d'Agriculture de Seine-et-Oise 100 + La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise 20 + L'archevêque de Bourges 50 + Le Chapitre métropolitain de Bourges 40 + Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes, 20 + Coster, ingénieur en chef, au Puy, 25 + Bouchitté, professeur, 5 + Le curé de Saint-Louis, à Versailles 20 + Mlle Laloua, peintre, 5 + M. Gringoire + Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles + Barthe, chef d'institution, à Versailles + Huvé, ancien notaire + Corneille, propriétaire, 0 + Boulanger, marchand papetier, 5 + Lenoble, notaire à Versailles, 20 + Les clercs de son étude 25 + Gerdolle 20 + Pesse-Remont 10 + Nourtier, juge de paix, 10 + Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix, 10 + De Larochefoucauld (le duc) 20 + Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville + par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux + de Versailles 284 75 + Blanc, aumônier de l'École normale 5 + Anquetil, professeur de .id 5 + Peyré, .id .id 5 + Philippar, id. .id 5 + Deschamps, .id .id 5 + Aubry, .id .id 5 + Vitry, médecin, 5 + Auger, instituteur, 3 + Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire, 2 + Stoos, idem 2 + Les élèves maîtres 30 + La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles 30 + Collet, vicaire de Notre-Dame, 10 + Morand 19 50 + H. de B. 100 + Le Bourgeois, notaire au Havre, 5 + Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre, 5 + Anry, courtier de commerce, idem 5 + Lacour, avoué, au Havre, 25 + Pipereau, .id 25 + Mme Borel 5 + L'évêque de Dijon 20 + Droz, de l'Académie française, 20 + L'évêque de Saint-Brieux 50 + Le marquis Théodore Duprat 5 + La chambre de commerce de Marseille 100 + Le ministère de l'ºintérieur 3000 + Tavernier, négociant, à Paris, 25 + Delapalme, notaire, idem 5 + Un anonyme 5 + Genain, sourd-muet, 2 + Bazin, .id 5 + Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet, 20 + Queilhe, .id 4 + Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id 20 + Boulard, .id 10 + Gers, sourd-muet 20 + Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id 10 + Portal, sourd-muet 10 + Chalumeau, .id 4 + De Duras (la duchesse) 20 + Pelmer 5 + Bruère 20 + Un anonyme 20 + Institut des sourds-muets de Zurich. 50 + Duhamel, juge suppléant, à Versailles, 20 + Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des + sourds-muets de Paris 66 + Steinnhouwer 5 + Oudet, juge de paix, 5 + Aubertin 3 + Le baron Dennée, intendant militaire, 20 + L'abbé Van den Hecke 10 + Griolet (Ernest), sourd-muet, 10 + Imbert (Jules), .id 2 50 + Loustau, peintre, .id 5 + Levassor, .id .id 10 + Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id 5 + Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet 5 + Verrier (Gustave), .id 50 + Laroucault, .id 5 + Dumont (Félix), .id 1 + Chalumeau, .id 2 + Badolle, .id 5 + Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets + de Bordeaux 10 + Haacke, sourd-muet, 2 + Damien, .id 2 50 + Greux, .id 2 50 + Convert, .id 2 + Fouret, .id 2 + Sainton, .id 2 + Saverot, .id 5 + Laurent (Edmond), à Blois, .id 20 + Trézel, .id 2 + Bézu, peintre .id 2 + Letellier, négociant 3 + F. de Jouvencel, maître des requêtes et député, 10 + Néglet, architecte, 5 + Le baron de Stassart, sénateur belge 10 + Le comte d'Epinay Saint-Luc 20 + + + + + + + + +FIN DES NOTES. + + + + +TABLE DES CHAPITRES. + +Chapitre I 7 + +Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon général. +--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent, faute +d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour l'état +ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse de le +signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du +diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que M. de +Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du sacerdoce. + +Chapitre II 14 + +Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports avec +le protestant Ulrich.--Ses vÅ“ux en faveur des juifs.--Son abnégation, +son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste, qu'il rend +dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=--On lui interdit le +ministère de la parole et celui de la confession. --On lui refuse les +cendres.--Sa réponse à un prêtre intolérant. --Vengeance +sublime.--Commencement de son apostolat. + +Chapitre III 20 + +Deux sÅ“urs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine +chrétienne.--La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé de +l'Épée se résout à continuer son Å“uvre.--Théorie du langage des +gestes.--Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.--Ses +premières tentatives.--Objections des philosophes et des +théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important avis du +R. P. Lacordaire. + +Chapitre IV 28 + +Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les +hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux sous le +voile de l'anonyme.--Succès de ses séances publiques.--Intérêt que lui +portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.--Sa réputation +grandit avec son zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en +espagnol, en anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son +système.--Puériles décompositions grecques et latines. + +Chapitre V 35 + +Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des +idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés pour arriver +à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne croient pas à la +possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un avis contraire.--La +fusion de toutes les langues en une seule, si elle était possible, +serait-elle durable?--La mimique est la seule langue +universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste et le +fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa MIMOGRAPHIE. + +Chapitre VI 40 + +Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en est +due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de +l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin +sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.--Quelques +ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.--Sourds-muets +parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. --Succès qu'avait +déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, un juif +portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement notre +célèbre instituteur. + +Chapitre VII 45 + +L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte +à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux +mains, pareil à celui de nos collèges.--Plusieurs instituteurs +d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les +commencements.--Notre dactylologie se popularise en France. --Ses +avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les +parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la +mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. --Justification +du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé de sa méthode.--Attaque du +sourd-muet Saboureux de Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé +contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est +déclaré supérieur au sien. + +Chapitre VIII 54 + +Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en +Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en +Italie.--Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, de +Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro de +Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, +de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, +de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de +Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de +Jacob Rodrigues Pereire. --Succès brillants des deux derniers à +l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.--Il le +nomme son interprète pour les langues espagnole et portugaise.--Sa +tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à ses élèves.--Il offre +de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre de la sourde-muette Mlle +Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret. + +Chapitre IX 65 + +Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son cours +élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier +relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique +d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée devient le +confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph II lui sert la +messe.--Il amène dans son établissement sa sÅ“ur la reine +Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le +mettre à même de populariser sa méthode dans ses États.--Lettre de ce +prince à l'abbé de l'Épée. + +Chapitre X 70 + +Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de +l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, de +St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, à +l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa faveur.--Nouvelle +attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle victoire de l'abbé de +l'Épée.--Condillac se prononce pour lui.--Extension trop grande donnée à +la parole artificielle du sourd-muet.--Opinion de l'abbé de l'Épée sur +ce sujet. + +Chapitre XI 75 + +Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque +octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver +rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet +Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une abbaye en +Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de +Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des +sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous les +pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute d'abord +son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son école, en +autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et lui assigne +une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet pas à l'abbé de +l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau local.--Statistique +des pensions de sourds-muets et de sourdes-muettes, existant à cette +époque à Paris.--Son école à un second étage de la rue des Moulins.--Sa +maison de campagne à loyer, rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes. + +Chapitre XII 85 + +Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize ans, +trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis à +l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et +abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes les +maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu--Le sourd-muet +en est retiré et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.--Une +confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué à celui de Louis +Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.--Découverte de la +demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse. --Un trait de lumière. + +Chapitre XIII 92 + +L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la +Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le +protège.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. --Voyage du +célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont, en Beauvoisis, sa +ville natale.--Nouvelles reconnaissances. --Joseph se rappelle une +cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais sa +sÅ“ur hésite d'abord. --Une démarche auprès du duc de Penthièvre--Elle +réussit. --Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar. +--Le paiement en est bientôt suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de +l'abbé de l'Épée.--Le premier semestre de la pension est payé. + +Chapitre XIV 101 + +Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé +la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à Toulouse et +amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains. --Ses moyens de +défense.--Il demande à être transféré, avec le sourd-muet, partout où la +justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir +l'affaire.--Cette requête est jointe au fonds; on refuse son +élargissement provisoire, ainsi que le transfert de l'enfant et de sa +sÅ“ur sur les lieux.--Enfin, une sentence du Châtelet déclare Joseph +fils du comte de Solar, reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie +absous.--Commentaire des juges. + +Chapitre XV 108 + +Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de +Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de +Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables. --Détails peu +édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me Tronçon-Ducoudray à +l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire constatant, à son avis, le +décès.--L'illustre avocat modifie, plus tard, son opinion.--Ses aveux à +M. Bouilly, auteur du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la +sentence du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre, +un supplément d'enquête et d'instruction. + +Chapitre XVI 116 + +Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités ne +lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses au midi +de la France--Diverses personnes intéressées dans l'affaire prennent la +même direction.--Recherches longtemps infructueuses.--Joseph ne se +reconnaît nulle part, pas même en présence de la tombe de son père.--On +en exhume une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a +arrachée à Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en +tire le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves +accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et contre +les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle sentence +confirmative du Châtelet. + +Chapitre XVII 122 + +Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de +l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence. +--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et l'abbé de +l'Épée.--Les parlements sont détruits par la révolution.--Le nouveau +tribunal de Paris casse le jugement rendu en faveur du pauvre +délaissé.--Sans appui, sans famille, sans ressource, l'ex-comte de Solar +s'enrôle dans l'armée républicaine et meurt, suivant les uns, sur un +champ de bataille, selon d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le +sourd-muet Didier, suit son exemple et s'engage dans l'artillerie. + +Chapitre XVIII 132 + +Coup d'Å“il rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce une +aventure réelle on un roman historique?--Bonne foi, conviction de l'abbé +de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur à +Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des Ormes voit dans +cette aventure une mystification.--Suivant lui, le pupille du célèbre +instituteur n'aurait pas été complètement sourd.--Cette opinion +combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de Bouilly.--Première +représentation.--Grand succès.--Incident de la seconde.--L'abbé Sicard +mis en liberté. + +Chapitre XIX 143 + +Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly par +les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.--Félicitations du +premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du drame de +L'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs intéressants de Mme Talma. Deux traits de +présence d'esprit de cette admirable actrice à deux représentations de +la pièce.--Tribut d'éloges de Monvel à son élève.--Conclusions de M. +Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du drame +de L'abbé de L'ÉPÉE.. + +Chapitre XX 151 + +Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations +du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par la presse d'avoir +voulu troubler le repos et compromettre l'honneur de certaines +personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de changer le lieu de la +scène et efface du titre la qualification de CO MÉDIE HISTORIQUE.--Mort +de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle de ses derniers +moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre instituteur inhumé à +Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa répugnance à laisser +reproduire ses traits, de son vivant.--Le sculpteur sourd-muet de +Seine.--La Commune de Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État +adopte les sourds-muets privés de leur père.--Ce vÅ“u est +réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église +Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du panégyriste. + +Chapitre XXI 159 + +L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera +inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de +la patrie, et que son Institution sera subventionnée par +l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à +l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune des +écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, pour +la première, à 80 et à 100.--La Convention avait eu, un instant, le +projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, une école +normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux +agricoles.--Transfert de l'établissement de Paris dans le local actuel, +à l'ancien séminaire Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des +sourds-muets rangés, en 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des +budgets départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé +que ce fût parmi les _dépenses obligatoires_. + +Chapitre XXII 166 + +Mode d'administration successif des Institutions nationales de +sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour but de +généraliser en France cet enseignement spécial.--Sollicitations +infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition adressée en 1851, par la +Société centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en +France à l'Assemblée nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée +par MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de +Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de +Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie française, +voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur poème à la gloire de +l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des Å“uvres du célèbre +instituteur. + +Chapitre XXIII 172 + +Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb des +cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur s'était +imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre aux journaux +pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au Musée +historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni dans sa +ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur, +l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable +abandon.--Demande de renseignements au curé de Saint-Roch sur le lieu de +la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.--Comment on découvre +que ses restes reposent dans le caveau de la chapelle +Saint-Nicolas--L'auteur y descend avec le sourd-muet Forestier et le +docteur Doumic.--Spectacle déchirant!--Souscription ouverte dans les +journaux pour élever un monument aux cendres du célèbre instituteur et +faire apposer deux inscriptions en français sur la maison où il est né +et sur celle qui fut le berceau de son enseignement. + +Chapitre XXIV 185 + +Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à +élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la +présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se compose, en +outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé +Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand +Berthier, Forestier et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du +premier président Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence +de la Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de +M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens: +représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où +s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on préfère +la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de la +souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel de +Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.--MM. +Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater +l'identité des restes découverts ou à découvrir. + +Chapitre XXV 195 + +Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de +Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de +fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et d'étole, +reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le grand +instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms des +premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes +généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor Lenoir, +architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux ambassadeurs +étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux cours d'appel, +etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière. + +Chapitre XXVI 211 + +Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la +commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les ministres +invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.--Celui +de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour 3,000 fr.--Devis à +forfait de M. Préault.--La commission l'accepte, à condition que +l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir qu'à mesure des +rentrées, et que le monument sera prêt en février 1841.--Nouvelle +circulaire, nouvelles démarches auprès des grands corps de +l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en ignore le +résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque d'Évreux, regrette +de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration du monument.--On +s'adresse à l'abbé CÅ“ur, qui ne peut, à cause de ses nombreux +travaux, accepter cette honorable mission.--Fixation ultérieure du jour +de la cérémonie. + +Chapitre XXVII 221 + +La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné à +lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et +Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est inauguré en +août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.--Description et éloge +de cette Å“uvre remarquable.--Mais pourquoi une inscription +latine?--Sur 33,000 sourds-muets que renferme la France, il n'y en a pas +22 qui sachent le latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de +bronze due aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée +qui orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices +pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui +qu'il a élevé au général Marceau sur une place de Chartres.--Un buste du +grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école de +Paris.--Séance d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une +statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville +natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de reconnaissance. + +Chapitre XXVIII 229 + +Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif de sa +naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets et à leurs +amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre instituteur.--Empressement +unanime de tous les convives. --Le buste est commandé au sculpteur +Parfait Merlieux, et inauguré sur la fin du banquet de l'année +suivante.--Transports d'allégresse de tous les assistants.--Mon +allocution.--Bienfaits de la Société centrale des sourds-muets.--Projet +de cours publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette +infirmité. + +Chapitre XXIX 235 + +Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur ami +Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation +exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs et +poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, inventeurs, +peintres (histoire, sujets religieux, portraits, marines, pastel, +daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs, mécaniciens, +horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, marins et +militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un sourd-muet +de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une médaille.--Ses +condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen d'assister è notre +banquet.--Mon toast à M. Bouilly, et la réponse de ce doyen de nos +auteurs dramatiques. + +Chapitre XXX 248 + +Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une +statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles, +sa ville natale.--Communication officieuse du maire du chef-lieu de +Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur +Bataille.--Sa lettre à un journal du département.--Nobles +sentiments.--Modèle de la statue de notre illustre instituteur par M. +Michaut, le célèbre graveur des monnaies.--Offres +désintéressées.--Premier noyau de la commission de Versailles. + +Chapitre XXXI 256 + +Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau +définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et +moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire de la +ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La statue sera +en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements proposés.--Deux +seuls paraissent convenables.--Autorisation à demander au conseil +municipal.--Comité de trois membres, chargé, sous le titre de jury de +surveillance, de suivre l'exécution des travaux.--Publication de la +liste des souscripteurs tous les deux mois. + +Chapitre XXXII 262 + +Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.--M. le +baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande d'autorisation au Ministre +de l'instruction publique pour élever la statue sur l'axe de la grille +de clôture du jardin de l'École normale.--Réponse favorable.--M. Michaut +s'engage à ce que les frais de la statue ne dépassent pas dix mille +francs, et demande à en commencer le modèle en argile plastique.--M. +l'architecte Petit invité à dresser un devis estimatif des dépenses du +piédestal et des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant +toutefois le vÅ“u qu'on choisisse un emplacement plus +convenable.--Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque +souscripteur. + +Chapitre XXXIII 270 + +M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation +complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de l'Épée, désire +être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y +rattachent.--Réponses de la commission aux différentes questions qui lui +ont été soumises par M. le préfet.--Première pensée d'une entrevue de +quelques membres du conseil municipal de Versailles avec quelques +membres de la commission du monument, ayant pour but d'essayer de lever +en commun ces obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en +réponse aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un +prospectus à répandre pour activer les souscriptions. + +Chapitre XXXIV 276 + +Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de +souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de 300 +francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la commission +invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. --Le +statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions des sourds-muets, +recueillies par le docteur Doumic.--Projet d'exposition du modèle de la +statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris.--Le +préfet de Seine-et-Oise accepte les fonctions de président d'honneur de +la commission.--MM. Molé, Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc +de Luynes désignés pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la +guerre regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour +la confection de la statue. + +Chapitre XXXV 284 + +Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des +sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de +Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués +du conseil municipal, de membres de la commission des +souscripteurs.--Mes impressions en présence de la statue.--Engagement du +fondeur.--Adoption de la statue par le conseil municipal, qui décide +qu'elle sera placée à la croix des rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut +se soumet aux corrections indiquées. --L'architecte de la ville mis à la +disposition de l'Å“uvre. --Nouveaux moyens à employer pour activer les +souscriptions. + +Chapitre XXXVI 298 + +Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal de la +statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette +Å“uvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à l'achèvement +des travaux.--Le conseil municipal en vote 2,000.--Projet d'une plaque +commémorative.--Inscription de la face principale du monument.--Travaux +du fondeur surveillés par le statuaire.--Érection fixée au 3 septembre +1843.--Dernières dispositions. --Programme de la fête.--Décision du +conseil municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux +sourds-muets qui assisteront à la cérémonie. + +Chapitre XXXVII 310 + +Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville +natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris et +d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence regrettable du +clergé.--Nombreuse affluence de spectateurs.--Discours du préfet, au nom +de la commission des souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie +et les travaux de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire +de la commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves +d'artillerie. --Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il devait +prononcer. + +Chapitre XXXVIII 322 + +Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue de +l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du sourd-muet +Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le conseil municipal +autorise le maire à accepter le monument, et adresse des remercîments +aux commissaires, aux souscripteurs et au statuaire.--La commission +sollicite en vain de M. le Ministre de l'intérieur, par l'intermédiaire +de M. le préfet, une dernière subvention pour solder ses +comptes.--Relevé définitif des recettes et dépenses.--Tribut de regret +de la commission à quatre de ses membres décédés.--Ses remercîments à M. +le préfet Aubernon. --Elle décerne une médaille au statuaire +Michaut.--Désir des souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms +imprimés dans les journaux, afin de constater leur reconnaissance pour +l'abbé de l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des +listes générales.--Conclusion: sept vÅ“ux émis; trois encore à +exaucer, une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les +sourds-muets; deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il +naquit, à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença à +enseigner, à Paris. + +Notes 335 + + * * * * * + + + +Notes de bas de page: + +[1] _Résumé des travaux_ de l'ex-Société centrale des sourds-muets de +1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs +sourds-muets.--Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette +Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le +premier sourd seulement, le second sourd-muet. + +[2] Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient mieux traités +chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de l'aptitude à +une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer l'un d'eux, +nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts. + +[3] Extrait de l'_Annuaire de l'Institut des sourds-muets et des +aveugles de Bruges_, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet +établissement. + +[4] Voyez la note A à la fin du volume. + +[5] La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était située sur +le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon et de +l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny). + +[6] Voyez la note B. + +[7] Voyez la note C. + +[8] Voyez la note D.--Copies authentiques de six pièces émanées des +anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture de +l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet, secrétaire +de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de la +Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à +Versailles. + +[9] En 1743. + +[10] _La Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février. + +[11] Voyez la note E.--Observations d'un ecclésiastique aussi tolérant +qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des +sourds-muets d'Orléans. + +[12] Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études de +l'institution des sourds-muets de Paris. + +[13] Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages de +l'Amérique: + +«La conversation devint bientôt générale, c'est-à -dire par quelques mots +entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que +ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.» + +[14] Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M. l'abbé *** en +1772 (_Institution des sourds-muets par la voie des signes +méthodiques_). + +[15] _Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes méthodiques_. +1re partie. Page 89. + +[16] La _Polygraphie_ ou _écriture universelle, cabalistique_, de +Trithème.--L'ouvrage de Comenius intitulé: _Janua linguarum reserta_ +(1601).--Bécher de Spire (1661). _Character pro notitiâ linguarum +universale_.--John Wilkins, _an essay towards a real character and +philosophical_.--La _Pasigraphie_, ou écriture universelle, du chevalier +de Maimieux.--_L'anti-pasigraphie_ de Vater.--_Manuel polyglote_ de +Cambry, d'après le plan de Bécher.--_Essai pasigraphique_ de Zacharie +Nather.--_Cours de Pasigraphie_ de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de +Dilengen. + +Ces citations sont extraites de l'_Investigateur_, journal de l'institut +historique. Tome IX, 172e livraison.--Mars 1849. + +[17] Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. Contentons-nous +donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés en français: + +_Essai sur l'articulation de la voix,_ par Laurent de Blois, 1831. + +--_La parole rendue aux sourds-muets,_ par le même.--_Tableau des +éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à +l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,_ par M. +Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy, +1838.--_Méthode de phonologie et de labéologie,_ par le même, +idem.--_Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,_ +par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris.--Brochure de M. +Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des +sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: _Quel rôle l'articulation et +la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des +sourds-muets?--La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de +l'oreille,_ par J. B. Puybonnieux, professeur et +archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de +Paris, 1843.--_Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur +les facultés physiques, intellectuelles et morales,_ par le même, 1846. + +[18] Voyez à la note F. un _certificat délivré par l'abbé de l'Épée à +Mademoiselle Blouïn,_ certificat publié par M. Piroux, directeur de +l'institution des sourds-muets de Nancy dans son intéressant journal +mensuel: _l'Ami des Sourds-Muets._ (2e année, 1839-1840.) + +[19] Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure portugaise, à +36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à Berlango, dans +l'Estramadure espagnole. On appelait alors indifféremment, a-t-on +remarqué à cet égard, _juifs portugais_ ou _nouveaux chrétiens_ les +premiers Israélites venus de la péninsule hispanique et admis légalement +en France par les ordonnances de Henri II. + +[20] Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité. + +[21] M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent _Manuel +d'enseignement pratique des sourds-muets_, que plusieurs institutions +d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y +traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon +cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop +fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur +le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les +premières leçons. + +[22] Voyez à la note G:--1º ma lettre au directeur de l'institution +nationale des sourds-muets de Paris sur la _dactylologie _ de M. +Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative de +cet établissement sur la _dactylographie_ de M. Ch. Wilhorgne. + +[23] _Institution des Sourds-Muets_, chap. 1, pag. 9-10. + +[24] C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé l'éducation des +deux sÅ“urs sourdes-muettes. + +[25] Il a fait paraître un grand nombre de traductions d'ouvrages +anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des lettres sur la +dactylologie et un mémoire publié par le _Journal de Physique_, en +1770.--Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, parmi +lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier +Desmortiers cite quelques écrits.--La _dactylologie_ était l'instrument +favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables, +dit-on, de l'adoption de ce mot grec. + +[26] Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier un travail +méthodique ayant trait au langage doigté.--Il a pour titre _Loquela +digitorum_, art d'exprimer les nombres par la position des doigts sur +les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte très-court +et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du _Magasin pittoresque_ +(16e année), et de 55 figures. Les 36 premières expriment les nombres +avec les doigts seulement et constituent ainsi ce que l'on est convenu +d'appeler la _dactylonomie_; les 19 autres, relatives à la _Chiromamie_, +empruntent leur signification aux diverses positions des mains. + +Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils +en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs +anciens, sacrés et profanes. + +[27] _Paralipomenn_, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection de ses +Å“uvres, page 462.--_De utilitate ex advertis capiendâ_, lib. II, cap. +7, tome II de ses Å“uvres, pag. 73. + +_De subtilitate_, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622). + +[28] _Extrait de la vie de saint François de Sales_, par Marsollier. +Paris, Dufour, 1826. Tome 1er, livre 5e, page 394. + +[29] J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand j'ai +écrit autre part qu'il était muet de naissance. + +[30] C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de Montbret, homme +fort instruit, membre sourd-muet de la Société Asiatique, qui, en 1847, +a, par son testament, légué non seulement sa fortune, mais sa riche +bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez la note H où il est parlé de ce +legs d'après les _Annales de l'éducation des Sourds-Muets et des +Aveugles_, publiées par M. Edouard Morel, 4e année, 4e volume, +1847. + +[31] J'ai lu dans l'_Illustration_, 3 novembre 1849, nº 349, vol. XIV, +que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était bègue, +eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce dernier +pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses +décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le +maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les +organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa +place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et +assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de +Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de +Carignan en ait mieux profité. + +[32] Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son éloge de +Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart, faisaient un +grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de bibliophiles +de Glascow, connue sous le nom de _club Maitland_, résolut d'en faire, à +Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement, une nouvelle +édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des Sourds-Muets +de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel, alors son +secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un, malgré +l'énormité du prix, 120 francs. + +[33] Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement +d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour +les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre +1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son +parrain.--Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un +maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de +notre grand orateur Berryer. + +[34] Voir son _Dictionnaire de Musique_, art. _Chant_. + +[35] Voici le commencement de quelques vers de La Condamine, qu'une +considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le tombeau +de Pereire: + + Pereire! ton génie et tes puissants secours + Ont rendu la parole à des muets nés sourds! + Des muets ont parlé!....... + +Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux +questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A +quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité +de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée +pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître +Pereire. + +[36] Voir l'_Encyclopédie_ et ses _Lettres sur les Sourds-Muets_. + +[37] Voir son _Traité des Sensations_. + +[38] Voir sa _Dissertation sur la manière d'apprendre à parler aux +muets_. + +[39] C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant que je +considère ici Pereire.--Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du titre de +membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le cimetière +des juifs portugais, à La Villette. + +[40] L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques +expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui. + +[41] Toutes les pièces furent fournies en latin de part et d'autre. + +[42] Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau qui +représente saint Pierre guérissant un boiteux;--en 1840, le _Sermon de +Jésus-Christ sur la Montagne_, dont le ministre de l'intérieur a fait +l'acquisition;--en 1844, _Jésus enfant parmi les docteurs de la loi_, +tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et +pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;--en 1842, +_Jésus-Christ bénissant les petits enfants_, tableau commandé par le +ministre pour servir de pendant à ce dernier;--en 1845, l'_Apparition de +Saint-Nicolas devant Constantin le Grand_, tableau placé par ordre du +ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont +le saint est le patron;--en 1846, _Bonaparte quittant l'Égypte pour +venir sauver la France_. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes, +Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet. +Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour +de nouvelles commandes. + +[43] La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou 8,000 fr. + +[44] _Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février. + +[45] Voyez la note 1.(44) + +[46] Mlles Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure. + +[47] Il était alors âgé de soixante-quatre ans. + +[48] La date du 1er août n'a été connue de l'auteur de la note que +depuis les informations faites par ordre du ministère. + +[49] Voyez à la note J la différence entre les mots _sourd-et-muet_ et +_sourd-muet_. + +[50] Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. Moreau de +Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, avocat au +Conseil, à qui elle était adressée. + +Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du +public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection +d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des +savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les +plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin +qui ont brillé sur la scène du monde. + +[51] Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient la +nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île +Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse. + +[52] Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur du drame +de _l'Abbé de l'Épée_, que l'instruction du procès, modifiant son +opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre +instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble +famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause, +dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus +douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait +pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible +de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après +l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas +que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa +liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine +Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire. + +[53] Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné ses +écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en +question. + +Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à +Clermont le 1er novembre 1762, et il marqua sur son registre la +sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante. + +[54] Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et jours +suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi par +la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par +Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence +définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781. + +C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout +récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à +ladite annulation, avaient été faites jusque-là , mais infructueusement, +dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de +première instance et aux archives nationales. + +[55] Il n'est, selon le rapporteur, autre que Pierre-Hyacinthe-Joseph, +fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé dans les Pays-Bas aux +travaux des mines. + +[56] On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur Joseph. +Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui qu'elle +croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle devait +à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est pour +cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé contre +elle une demande en communication de l'inventaire fait après le décès de +la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver ainsi à +faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son identité avec +le comte de Solar. + +[57] Depuis lors, nous apprend le rapporteur par _post-scriptum_, Me +Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à sa mort, de tous ses +biens, pour le dédommager du tort involontaire que sa compagnie lui +avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000 fr., et qui +consistait principalement en une jolie maison, sise aux environs de +Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de Solar. + +[58] Voici la distribution des rôles: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE Monvel. + JULES Mad. Vanhove-Talma. + DARLEMONT Grandménil. + SAINT-ALME Damas. + FRANVAL Baptiste aîné. + DOMINIQUE Dazincourt. + MAD. FRANVAL Mad. Suin. + CLÉMENCE, SÅ’UR DE FRANVAL Mlle Mézerai. + MARIANNE Mad. Lachassaigne. + + + +[59] L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22 nivôse an +VIII. + +[60] Voyez à la note K un extrait de mon allocution au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842. + +[61] Voyez à la note L la lettre de ce professeur, en date du 14 mai +1845. + +[62] Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte le 24 +décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle +occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment. + +[63] Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son rapport et +son projet de décret sur l'organisation de six établissements pour tous +les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à Rennes, à +Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 juin 1793 +(vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire de Seine, +sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par l'organe d'une +citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, et qu'il avait, +en outre, fait don à la même assemblée de ceux de Lepelletier et de +Marat. + +[64] Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée par +l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à +l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin +d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces +malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école +de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M. +Champion de Cicé, archevêque de cette ville. + +[65] Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par la +sanction royale le 29 du même mois. + +[66] L'article Ier du décret des 10-14 septembre 1791 était ainsi +conçu: + +«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé +au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de +la patrie.» + +L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des +Célestins. + +Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels +les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer +l'attention publique. + +[67] Alphonse Esquiros.--Revue de Paris.--_Les sourds-muets de Paris_. +Novembre 1844. + +[68] D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord de 60 à +80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées aux +sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris. + +[69] Voyez à la note M quelques détails sur l'origine du bâtiment +concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle. + +[70] Rennes.--Clermont.--Grenoble.--Nancy. + +[71] Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints MM. E. +Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, et Hyde +de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le premier, +un semblable vÅ“u, lequel ne doit point surprendre quiconque a été à +même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités. + +[72] Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et +bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris. + +[73] Entre autres, Mlle Courtois; l'abbé Salvan, élève et ami de +l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution des +sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près de +Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait désigné +comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de mes +frères d'infortune. + +[74] Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et de pension +à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de l'Académie de +Châlons-sur-Marne. + +[75] Voyez à la note N les vers composés à cette occasion sous ce titre: +_le Sourd-Muet_, par un de nos frères les plus distingués, Pélissier, +aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris. + +[76] Molière. + +[77] Voyez à la note O la demande textuelle des mandataires +sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné. + +[78] Voyez la note P. + +[79] Écrite en allemand. + +[80] M. le comte de Montalivet. + +[81] Voyez à la note Q les pièces fournies à l'appui de la proposition +de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire. + +[82] M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu à cette +dignité. + +[83] Viro--admodum mirabili--sacerdoti de l'Épée--qui fecit exemplo +Salvatoris--mutos loqui--cives Galliæ--hoc--monumentum dedicarunt--Natus +1712--Mortuus 1789.--Préault, 1840. + +[84] MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau de Mussy, +Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.--MM. Feuillet, Droz, +Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, Burnouf, Sylvestre de +Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de perfectionnement. + +[85] Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des +sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les +professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A. +Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez, +Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que +cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel +les amis des sourds-muets seraient admis. + +Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont +il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre. + +[86] Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis pour fêter +les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se trouvent chez +le libraire Hachette. + +[87] La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de combler +ces deux lacunes. + +[88] Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un succès +complet. + +[89] Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à l'Exposition +universelle de Londres. + +[90] Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution nationale +des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se +substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des +bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par +exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux, +sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités, +jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature. + +[91] Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un +mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force +qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen +d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte. + +[92] La médaille porte cette inscription: + + MINISTÈRE DE LA MARINE. + + _A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de_ 12 _ans, sourd-muet. + Courage et dévouement pour sauver des enfants + en danger de se noyer._ + +Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant +sourd-muet: + +«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la +Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies +a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle +(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et +le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger +de périr dans les flots. + +«Enregistré au secrétariat, au Havre.» + +[93] M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut royal +des sourds-muets de Paris. + +[94] Voyez à la note R l'_extrait du registre des délibérations du +conseil municipal de Versailles.--Séance du_ 14 _novembre_ 1839. + +[95] Voyez le _prospectus_ à la note S. + +[96] Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être évalué +au-dessus de 24,000. + +[97] M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XIIe arrondissement de Paris. + +[98] Il m'avait été demandé par un membre de la commission chargée de +l'érection du monument. + +[99] Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris. + +[100] On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire évacuer +les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde population dans +des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les riverains, une +occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur donner ainsi un +aspect plus régulier. On avait observé, quant à l'emplacement sur la +place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en tout, 4 m 80 de +hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, pour qu'ils fussent +en rapport, la statue et le piédestal réunis devraient avoir 7 m de +hauteur; par conséquent, occuper une superficie de 17,30, au lieu de +celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage obligé. + +L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri +de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en +passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus +sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de +l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (_Note de la commission de +Versailles._) + +J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait +d'une erreur historique. (_Note de l'Auteur._) + +[101] Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a prétendu, +par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? Nous ne +pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis sa mort; +et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous séparent +de cette époque. + +[102] Voltaire. + +[103] J.-J. Rousseau. + +[104] Montesquieu. + +[105] POÉSIES D'UN SOURD-MUET, avec une introduction par M. Laurent de +Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30. + +[106] Voyez la note T. + +[107] _Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de l'oreille et +de l'audition_. + +[108] On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B. Puybonnieux, +cité plus haut. + +[109] Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux de +Toulouse. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + +***** This file should be named 36972-0.txt or 36972-0.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/6/9/7/36972/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Abbé de l'Épée + sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès; + +Author: Ferdinand Berthier + +Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + + + + + + + +L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + +Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions, +menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, +nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons, +instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, +accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions, +despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons, +réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons, +complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons, +escrions, taisons: et quoy non? + + MICHEL MONTAIGNE. + +Montmartre.--Impr. PILLOT FRÈRES, LANGRAND et Ce. + +[Illustration: L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.] + +L'ABBÉ +DE L'ÉPÉE, +SA VIE, SON APOSTOLAT, +SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS; + +AVEC L'HISTORIQUE DES +MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE +=à Paris et à Versailles=; + +ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE, +D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE, +DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS, +ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES; + +PAR + +FERDINAND BERTHIER, + +SOURD-MUET, + +Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris, +Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour +les Sourds-Muets de France, +Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc, + +His sunt additae orchestrarum loquacissimae +manus, linguosi digiti, silentium clamosum, +expositio tacita...... Ostendes homines posse et +sine oris affatu suum velle declarare. + +CASSIODORE, lib. IV, cap. 51. + +PARIS, +MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS, +RUE VIVIENNE, 2 BIS. + +1852. + + + + +PROLÉGOMÈNES. + + +Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au +faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets[1], dont +le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe +exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les +sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui +ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les +liens qui unissent cette grande famille, d'offrir à chaque membre un +point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur +procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire +dans le monde. + +La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets +des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes +habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages +conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur +assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et +leurs relations, peuvent leur être utiles. + +L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque. +Les cendres de l'abbé de l'Épée, le _père spirituel_ des pauvres +sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de +l'église Saint-Roch, à Paris. + +Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces +restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se +mettre à la tête de cette oeuvre réparatrice, et qui formèrent le +noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et +d'en régulariser l'emploi! + +A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; _la +mémoire du coeur_ ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets. + +La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné, +alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la +cour de cassation, _président_; Chapuys-Montlaville, député, maintenant +préfet, _secrétaire_; Villemain, de l'académie française, qui fut, plus +tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors +procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de +Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur +des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé +Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay +de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert, +artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la +Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et +vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de +Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de +Paris, qui était secrétaire de la Société centrale. + +A peine formée, la Commission, en émettant le voeu qu'un écrit fût +consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la +découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna, +pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant +peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme +exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les +souscriptions. + +Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale. + +M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent +et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet +opuscule les traits du saint Vincent de Paule de ce peuple +exceptionnel. + +Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des +sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire +qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition +des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de +ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la +Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion +d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de +la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice, +et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix. + +Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de +Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus +spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en +former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la +Commission parisienne. + +La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne +me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un +exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de +publication de l'oeuvre au moyen du surplus du montant des +souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par +l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une +démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité, +établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette +faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de la mienne +rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent +les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les +fonds de cet établissement, c'est-à-dire des ouvrages appartenant aux +sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer +que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de +l'intérieur ou celui de l'instruction publique. + +Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des +beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de +l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être +le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses +nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse. + +Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de +Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de +l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les +rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus +religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La +Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne soeur de celle +qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu +dans le même but. + +Quant au succès matériel de mon oeuvre, il ne repose plus maintenant +tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand +apôtre des sourds-muets. + +Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et +moi sommes restés au-dessous, de notre tâche. Les membres de cette +ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant +eux, d'apporter à une oeuvre de conscience plus de zèle et de +désintéressement. + +Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur _père spirituel_, qui, +s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des +sourds-muets épars sur la surface du globe. + +Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir, +non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui +a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de +vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des +membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané, +si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de +ses plus illustres enfants. + + + + +L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + +SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS. + + + + +I + + Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon + général.--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent + faute d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour + l'état ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse + de le signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions + du diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que + M. de Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du + sacerdoce. + + +Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec +vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques +titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui +mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la +reconnaissance des peuples que celui du _père spirituel_ des +sourds-muets, l'abbé de l'Épée. + +Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous +ferons mieux, nous le prouverons. + +Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des +sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le +génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes +victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un +préjugé barbare. La foule indifférente[2] regardait d'un oeil de +dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler +au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et +dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser +leurs fers. + +Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention, +quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la +manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple. + +Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille infirmité était +considéré[3] dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un +innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette +opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme, +où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur +guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait +opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce +temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir +soin des sourds-muets. + +Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et +consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en +leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur +leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour +ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute +participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement +l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à +périr avec eux. + +Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets: +_Et vous aussi, vous serez hommes!_ Avec quel étonnement le dix-huitième +siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante +barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a +doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus +belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas +tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et +le coeur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité +humaine, ils ouvrent leurs coeurs aux consolantes vérités de la +religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses +devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au +milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de +l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche +imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission +du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du +vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une +profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne +remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère, +quelques droits à l'indulgence du public. + +Charles-Michel de l'Épée[4] naquit à Versailles, le 24 novembre 1712[5]. +Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme +recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et +dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer +l'esprit et le coeur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus +devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un +devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents +avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique, +et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait +leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait +sa vocation. + +Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir +les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors +une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le +_formulaire d'Alexandre VII_[6], espèce de déclaration d'orthodoxie +moliniste. Le jeune de l'Épée refusa de le signer. Et pourtant il ne +croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus +respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les +humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour +toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé! + +Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le +barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il +subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de +Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte, +destiné à devenir un jour chancelier du royaume, +Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou[7]. + +Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du +tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que +là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc +avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses voeux furent +exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel +auteur du _Discours sur l'Histoire universelle_, l'appela près de lui, +l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de +Fouges, le 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22 +septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le +20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu +suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui +constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient +dans la principauté de Dombes[8]. + + + + +II + + Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports + avec le protestant Ulrich.--Ses voeux en faveur des juifs.--Son + abnégation, son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste + qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=.--On + lui interdit le ministère de la parole et celui de la + confession.--On lui refuse les cendres.--Sa réponse à un prêtre + intolérant.--Vengeance sublime.--Commencement de son apostolat. + + +Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les +luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible +chaire de vérité. Son éloquence, partie du coeur, arrivait droit au +coeur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes +et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle +produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il +enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il +réunissait en lui, au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce. +On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre +Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de +l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux +qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser +échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray: +«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!» + +Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la +sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du +fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison +établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer +ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la +misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât +une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné, +répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de +l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les +privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce +don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront +de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le +travail: je suis riche de vos bienfaits.» + +Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le +voeu le plus ardent de son coeur était de voir les juifs sortir +enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille +chrétienne. + +Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel, +afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur +la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les +âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu +à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une +seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et +de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue +et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont +les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut, +et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.» + +Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de +Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste[9]. Il lui restait +encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était +rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le +prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie de sentiments, lui +attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de +Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la +bulle _Unigenitus_, dépositaire de son acte d'adhésion à cette +déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et +de pureté d'intention[10], et pourtant, contradiction remarquable dans +un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu +de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a +défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu +de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa +candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons +miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux +diacre François Pâris. + +De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris. +On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui +défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu +mettre sa vertu à une plus rude épreuve[11], se présentant un jour dans +sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit +repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais +lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève +et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit, +m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but +est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre +conscience[12]. + +Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta +généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des +tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte +table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus +grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait +exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte +que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et +qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme +généreuse de sa victime. + +Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par +des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de +gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait échoir la tâche d'achever +la grande oeuvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un +vénérable prêtre de la doctrine chrétienne. + + + + +III + + Deux soeurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la + doctrine chrétienne.--La mort les ayant privées de leur + instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son + oeuvre.--Théorie du langage des gestes.--Il ignore entièrement + les travaux de ses prédécesseurs.--Ses premières + tentatives.--Objections des philosophes et des + théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important + avis du R. P. Lacordaire. + + +Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une +affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la +rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la +doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on +l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, soeurs +jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En +attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques +paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune +réponse! Il eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher +d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce +silence opiniâtre? + +Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable +visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont +sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R. +P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de +St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement +leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand +secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa +vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder +les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier. + +A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que +le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par +lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit +entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel +destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement +convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe +que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat +entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident qui +s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne +se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde +nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même +les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la +carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà +saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira +bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la +mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les +philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les +pays[13]. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à +l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du +monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle +vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De +longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou +plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre. + +En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les +critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les +premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de +transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par +cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre +sans peine le vieil axiome: _Nihil est in intellectu quod prius non +fuerit in sensu_ (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par +nos sens). + +Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: _Fides +ex auditu_ (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe. + +Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes +que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons +fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir +des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque +signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur +fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits +signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent. + +On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la +métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage +mimique est, observa-t-il avec ses yeux d'aigle, susceptible de +traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les +plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal +de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la +clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux +lois immuables et éternelles de notre organisation physique. + +On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement +résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte +engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de +Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre +comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait, +effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre. + +L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des +théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La +lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le +docteur qu'il regarde[14] comme un des plus habiles commentateurs des +Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans +ces paroles de l'apôtre: _ex auditu_; car, s'il est vrai que le plus +grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les +vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont +prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu +beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture. +Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les +vérités saintes qu'ils renferment: _Ces choses ont été écrites_, dit +l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), _afin que vous +croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la +vie en son nom_.» + +Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là; il invoque avec une +nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce +grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier +abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt +dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange +abus: _Quod vitium ipsam impedit fidem_. C'est, dit saint Augustin, +parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les +lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la +lecture: _Nàm surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat, +discere non potest_. + +«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie enfin l'abbé de l'Épée, si +l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des +sourds-muets?» + +Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant, +l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans +importance, même après celle de ses illustres devanciers. + +Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur +sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez +lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la +manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en +ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et +cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un +sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa +réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon +collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul! + +«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite +à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la +parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.--La foi +est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée à l'homme _de +quelque manière que ce soit_.» + +Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que +nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on +est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S. +Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne +croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas? +Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?» +_Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei +quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?_ (Rom. 10, +14-15.) + + + + +IV + + Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec + les hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux + sous le voile de l'anonyme.--Succès de ses séances + publiques.--Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et + Catherine de Russie.--Sa réputation grandit avec son + zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en + anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son + système.--Puériles décompositions grecques et latines. + + +L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus +terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au +même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées +de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se +déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un +parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de +déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des +étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement. + +A chaque séance, l'admiration publique allait _crescendo_ et se +communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre. +C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et +des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur. +Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur +imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont +elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur +Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie. + +Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut +néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets +lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la +fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'_Institution +des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques_, in-12 (1774-1776), +ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des +signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa +_Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une +longue expérience_. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau +envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à +tous les yeux, et, s'il dut lui en coûter beaucoup d'être si +pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure +n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson +bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le +parler lui-même: + +«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs +sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en +latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les +sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des +programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout +état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont +été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces +enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature, +ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères +et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la +même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie +ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de +nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris +jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.» + +Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire +accorder sans restriction tous nos éloges à notre maître. Nous ne +croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques +écarts de son génie qui déparent son oeuvre admirable. On va le voir, +en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré +avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir +religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose +l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la +mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner. + +Je prends au hasard quelques passages de sa _véritable manière +d'instruire les sourds-muets_. + +Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons +observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts, +de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons +_articles_ ou _jointures_. Nous écrivons ensuite sur le tableau que _le, +la, les, de, du, des_, joignent les mots comme nos articles joignent nos +os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde +pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'_index_ droit, qui s'étend +et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe +raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en +portant la main au chapeau pour l'article masculin _le_, et à +l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour +l'article féminin _la_. L'article pluriel _les_ s'annonce par le +mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de +crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec +l'_index_ droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe +est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de +féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin. + +«_De, du, de la, des_, sont des articles au second cas. Il faut donc +ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de +singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de +faire observer que le _de, du, des_ de l'ablatif n'est point un article, +mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage +auquel on l'emploie.» + +S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire +apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif, +génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi +on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont +propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend +du premier cas, qu'on appelle _le nominatif_, jusqu'au sixième, qu'on +nomme l'ablatif, et ce sont des signes beaucoup plus intelligibles que +ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir +donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second, +troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc. + +«Quant au signe du mot _cas_, il s'exprime de cette manière: on fait +rouler l'un sur l'autre les deux _index_ en déclinant, c'est-à-dire en +descendant depuis le premier jusqu'au sixième. + + * * * * * + +Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés[15], l'abbé de +l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et +du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait +aussi rapide que la pensée. Ainsi, _satisfaire_ signifie, selon lui, +d'après sa décomposition latine, FAIRE ASSEZ; _introduire_, signifie +CONDUIRE DEDANS. + +Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru +devoir établir (pages 57-58 _ibid._) entre les différents passés: _j'ai +aimé,--j'aimai,--j'ai eu aimé,--j'eus aimé,--j'avais aimé_, en les +désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après +avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun +à tout passé. + +Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement +à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de +l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux +couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles +erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables +démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les +magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable +charité?.... Que conclure de là, sinon que notre grand apôtre serait +Dieu lui-même, s'il était parfait? + + + + +V + + Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même + des idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés + pour arriver à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne + croient pas à la possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un + avis contraire.--La fusion de toutes les langues en une seule, si + elle était possible, serait-elle durable?--La mimique est la seule + langue universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le + geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa + MIMOGRAPHIE. + + +Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a +prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de +l'Épée. + +«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être +apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité +des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la +combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront +jamais d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous, +et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues, +l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces +considérations auraient dû convaincre les glossographes de +l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.» + +Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous +diverses dénominations[16], ont tous échoué jusqu'à présent, comme il +était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins +pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une +classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des +mots par ordre alphabétique. + +S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à +Descartes l'idée de son _Alphabet des pensées_, titre dont il a décoré +sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue +exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements, +marqués chacun d'un caractère propre et spécial. + +Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est +absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins +d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante +l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se +croit fondé à conclure (_Lettres,--tom._ 2, _p._ 550), que ce n'est que +dans le _pays des romans_ que cette langue peut devenir familière à tous +les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples. + +De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu +de la solution possible du problème, quand il dit dans son _Esquisse +d'une philosophie_: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux +familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles, +à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce: +ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et +le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les +langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.» + +Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes, +serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût +couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque +peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère +d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue +universelle? + +Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai +(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître +l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos +pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique? +Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce +qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, _à +priori_, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y +remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a +besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui +d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu +tort de nous renvoyer au pays des chimères? + +D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de +l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des +sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de le +fixer sur le papier comme on y fixe la parole. _Sa mimographie_, qui +n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de +caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous +les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et +de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre +du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire +sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes +n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage +seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le +cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons, +nous qui sommes déshérités de cet avantage. + + + + +VI + + Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en + est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de + l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre + latin sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad + Amman.--Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de + l'Épée.--Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par + ses leçons.--Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans + l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues + Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur. + + +Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée! + +Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la +parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette +partie de l'enseignement. + +Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la +langue de ses élèves. + +Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un +livre espagnol, en l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra +un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il +allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au +hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols. +Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le +commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première +page, ce titre frappe ses yeux: _Arte para enseñar à hablar à los +mudos,_ (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'oeuvre de Juan +Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, oeuvre qui lui a +valu dans sa patrie les plus grands éloges. + +Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue +étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses +élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet, +composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par +une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé: +_Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun._ + +De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer +une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'oeuvre de +clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti +possible[17]. Quel spectateur eût pu, dès lors, rester froid et +indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade +prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir +plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie, +et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de +ses condisciples[18]. «Les arguments étaient d'avance communiqués,» +ajoute le maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. _Véritable +manière d'instruire les sourds-muets_.) + +Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter +de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon +Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les +dimanches, etc. + +Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la +véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune +connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de +son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire[19]? La +manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux +n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de +cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire +le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui? + +Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa +_véritable manière d'instruire les sourds-muets:_ + +«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de +l'instruction de deux soeurs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient +pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la +doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un +instituteur[20] qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette +oeuvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie +à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux +qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de +laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les +sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on +devait de justes applaudissements.» + + + + +VII + + L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et + remonte à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet + manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.--Plusieurs + instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les + commencements.--Notre dactylologie se popularise en France.--Ses + avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les + parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la + mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de + l'Épée.--Justification du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé + de sa méthode.--Attaque du sourd-muet Saboureux de + Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement + avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré + supérieur au sien. + + +Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous +permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas +déplacées ici. + +Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets, +il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot +par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule +main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là +de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage +dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention +de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui +vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque, +il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les +institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique[21], et il commence +déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception +toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît +devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où +le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon +du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode +de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer +pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement, +en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux +qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles +les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout +ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux +parlants en vénération et en reconnaissance? + +[Illustration: Alphabet manuel des Sourds-Muets.] + +Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf +quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la +typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés +depuis[22] à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus +facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La +rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on +doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le +français. + +La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la +première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à +gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre. + +Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec l'index, absolument +comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier. + +Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en +l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne +horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend, +d'ailleurs, cette précaution inutile. + +L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il +en est de même pour les chiffres. + +De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à +dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint +momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé, +perdent entièrement la parole. + +N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets, +dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts, +adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes +caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels +ils augmentent et complètent leurs moyens de communication. + +Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de +doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les +plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à +exprimer, et ils y ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute +longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si +c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond +avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à +représenter la lettre _O_ de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer +_cent_ et _mille_, ils ont recours au même procédé pour reproduire les +chiffres romains C et M. + +On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de +soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant +s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments. + +En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper +aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre +les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de +l'oeil, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on +prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les +mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices, +l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen +qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques +données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les +mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons +mieux, la nature si ingénieuse et si bienfaisante à son égard. + +Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue +des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la +raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un +jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point, +quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins +parfait et beaucoup moins rapide. + +L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents +déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire +consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode +tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par +Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant +professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa +justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en +frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres +auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout +autre genre, et _qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à +entreprendre de faire parler ses deux élèves_. Voilà ses propres +expressions. + +Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec +ordre, à combiner méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce +principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes +représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce +de grammaire. + +Voici, du reste, comment il raisonne[23] pour essayer de convaincre ses +lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés: + +«La route des estampes[24] n'est point de mon goût. L'alphabet manuel +français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile +que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à +l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent +qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent +pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les +objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup +qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une +méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus +sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou +présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......» + +Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître +ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant, +dans le _Journal de Verdun_, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne +rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay[25], +que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un +phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de +ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des +lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses +hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais, +il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son +esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible +d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses +indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de +l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la +nécessité de combattre un pareil adversaire, auquel son infirmité avait +forcément dérobé la partie la plus intéressante de son oeuvre, qu'il +avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une +de ses leçons. + +Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et +n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être +jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système, +s'il est déclaré supérieur au sien. + +Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés +vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais, +pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de +cause, il nous semble important de remonter plus haut. + + + + +VIII + + Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, + en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en + Italie.--Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, + de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro + de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel + Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J. + Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges + Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges + Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de + Jacob Rodrigues Pereire.--Succès brillants des deux derniers à + l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second. + Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et + portugaise.--Sa tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à + ses élèves.--Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre + de la sourde-muette Mlle Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de + Montbret. + + +_L'histoire ecclésiastique des Anglais_, par Bède le Vénérable[26], +rapporte qu'à la fin du septième siècle, saint Jean de Beverley, +archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune +sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier. + +Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de +Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son _Tractatus +de inventione dialecticâ_, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un +sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les +parlants. + +Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie +au XVIe siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles +sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que +personne n'était plus à même que lui[27] de l'apprécier comme elle le +mérite. + +Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg, +qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de +leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle. +Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés, +qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond. + +Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers +1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais +qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand +mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours +recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance: +c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs +d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de +l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le +lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir +de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on +lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on +l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin. +Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il +n'avait pas besoin de ce surcroît de charge inutile, et que, du reste, +cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui +répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre +de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir +pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à +notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la +maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort. + +Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par +signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail +persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se +confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à +la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion +qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable +instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu[28]. + +Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en +signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention +honorable. + +Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou +moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur d'une +initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à +Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait +l'éducation de deux frères et d'une soeur du connétable Velasco, ainsi +que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de +surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art +peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions +incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses +innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique +influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été +inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien +administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous +sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M. +Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris +d'une copie de ce précieux manuscrit. + +Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet +(_Art d'enseigner aux muets à parler_, 1620), qui eut pour élève le +frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché +comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux[29], qui avait +fait jurer[30] à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel +Philibert, prince de Savoie Carignan[31], de ne point révéler sa +méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet +que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé: +_Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas +naturales_, 1629. (_Merveilles de la nature, contenant deux mille +secrets de choses naturelles_.) + +La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par +deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et Pedro de Castro, +premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du +prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre +maison de Savoie!);--en Angleterre, par John Bulwer (_le Philosophe ou +l'Ami des sourds-muets_, 1648), par J. Wallis (_Traité grammatico +physique de la parole ou de la formation des sons vocaux_, 1660), par +William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui, +presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son _Ars +signorum_[32], l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets, +sous le titre de _Didas Colocophus_ ou le _Précepteur du sourd-muet_. + +La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont +les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin +suisse établi à Amsterdam (_Surdus loquens_, 1692, et _Dissertation sur +la parole_, 1700). + +L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel, père de trois +sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École +des sourds-muets de Leipsick. + +Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix, +où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se +présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils +d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il +fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet, +devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13 +janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé, +Saboureux de Fontenay[33], comparut devant cette Académie, ce qui donna +lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa +prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de +l'_Histoire naturelle_ de Buffon (1re édition). Telle est l'origine +du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait. + +Parmi les notabilités qui assistèrent souvent aux leçons de +l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J. +Rousseau[34], La Condamine[35], d'Alembert, Diderot[36], Lecat[37], le +P. André[38], etc. + +Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre +adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par Mlle +Marois, sa plus chère élève: + +«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les +gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et +qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole, +jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux de +nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je? +jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de +toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car +vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce +qui se passe dans le secret du coeur.» + +En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de +Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence +du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une +gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une +autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son +interprète pour les langues espagnole et portugaise. + +Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait +ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé; +mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu +sur ses procédés, _qu'il offrait de vendre au gouvernement_. + +En quoi consistait cependant sa prétendue méthode[39]? Qu'avait-elle de +spécial, de différent de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à +un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application +ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour +redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a +également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du +nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système. + +Ernaud, aussi chaud partisan de l'_alphabet labial_ que son rival le fut +de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de +l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et +son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un +et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces +hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis. + + + + +IX + + Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son + cours élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, + ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, + domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée + devient le confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph + II lui sert la messe.--Il amène dans son établissement sa soeur + la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le + priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses + États.--Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée. + + +Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire +d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par +l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des +lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille +des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre +instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans. +Son _Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets_ vit le jour +cinq ans après la publication de l'_Institution des sourds-muets par la +voie des signes méthodiques_. Il est à déplorer seulement que cet +ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par +celles du coeur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui +militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à +faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la +mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à +jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de +déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette +persistance provoqua les _Observations d'un sourd-muet_, petit ouvrage +aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des +aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre +ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet +de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la +Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment +chez M. le prince de Nassau. + +Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à +notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et +touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait +généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui +recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs +fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître, +c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches +auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation +de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque +de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors +l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion +tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles +fonctions auxquelles Dieu l'appelle. + +L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à +l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche +en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement, +mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet, +à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son +établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit, +et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de +papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une +magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph +II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre +ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la +précision de ses souvenirs. + +Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de +Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur. +Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de +son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que +l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il +sa soeur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie +de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne +fut pas stérile. Ayant à coeur de fonder dans ses États une école de +sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette +capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé +de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former +l'esprit et le coeur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre +remit au vénérable fondateur la lettre suivante[40]: + +«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au +service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants +progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette +lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de +vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas +autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit +pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous +votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie +avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire +de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous +contribuerez de bon coeur à étendre votre charité sur une partie des +sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux, +leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner +leurs idées. Adieu... + + »Signé: JOSEPH.» + +L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que +l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens +d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante +famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à +défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en +état de réussir parfaitement dans cette entreprise.» + + + + +X + + Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de + l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, + de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, + à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa + faveur.--Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle + victoire de l'abbé de l'Épée.--Condillac se prononce pour + lui.--Extension trop grande donnée à la parole artificielle du + sourd-muet--Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet. + + +C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur +français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre, +s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les +libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel +institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait +celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux +rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de +l'autre. + +L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa +création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des +attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce +dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure +grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à +pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne +peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;--2º +l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire +entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;--il finit par +en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés +littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en +Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au voeu +du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir +consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire[41], +déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait +l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le +but. + +Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en +lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître +paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de +Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand, +reproduite par le _Journal de Paris_, dans laquelle il prétendait +fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le +système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui, +dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle +il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que +l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la +sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience +suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur +lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet +échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en +comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également +insérées dans le _Journal de Paris_ (27 mai 1785). + +Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux +de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode +d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se +tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à +travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre. + +Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de +l'abbé de l'Épée, avec son _Cours d'études pour l'instruction du prince +de Parme_ (t. 1er, 1re part., chap. 1er, p. 11) et avec sa +_Grammaire_, publiée quatre ans après l'_Institution des sourds-muets +par la voie des signes méthodiques_: il tient à honneur de faire justice +de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le +sceau de la vérité et de l'immortalité à l'oeuvre de son illustre +contemporain. + +Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en +Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu +s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A +quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou +moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir +résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la +parole artificielle. + +Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire +impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes +obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la +voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de +prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur. + +Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans +les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne +remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de +souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne +s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus +du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons +régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre +satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils +pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes +imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent +tout leur essor! + +On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne +peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès +dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a +démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui +se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la +nation sourde-muette. + +Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant +pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de +notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence +surtout! + + + + +XI + + Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque + octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver + rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le + sourd-muet Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une + abbaye en Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de + Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des + sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous + les pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute + d'abord son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son + école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et + lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet + pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau + local.--Statistique des pensions de sourds-muets et de + sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.--Son école à un + second étage de la rue des Moulins.--Sa maison de campagne à loyer, + rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes. + + +Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le +furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau +sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il +regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner +une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans +son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les +infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un +hiver des plus rigoureux (1788), _pour ne pas faire tort_, disait-il, +_au patrimoine sacré de ses enfants_. Un matin, la nouvelle de cette +privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme +dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette +excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur +langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses +fils adoptifs. + +Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde +raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était +point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une +vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu +de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de +ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme, +d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de +chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et +la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à +certaines heures fixes, on l'eût pris pour un fervent cénobite qui prie +sur les tombeaux. + +Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile +une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur +d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M. +Léopold Loustau[42], ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à +réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint +Vincent de Paule. + +Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce +désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont +l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance antérieure, +lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché +que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service +personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui +proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis +confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait +encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité +et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire +servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà +vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur +ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur +l'oeuvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer +pour le bien de l'humanité.» + +Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre +impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce +qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de +l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches +présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais +d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de +quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de m'envoyer un +sourd-muet de naissance que j'instruirai.» + +--«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par +tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux +pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des +sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un +pour les instruire.» + +Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations +que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien, +l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de +plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans +laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la +Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des +nations qui nous environnent.» + +Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous +servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?--A rien, +répondait le bon abbé.--Alors pourquoi les leur faire +apprendre?--Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie +très-considérable de ma carrière est déjà fournie.--Et qui instruira les +sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses +et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement pour bien des gens. +Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où +chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en +résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi +susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque +puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de +sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en +quel pays, qui continuera mon oeuvre.» + +Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de +rente environ[43], il soutint une école nombreuse dont il payait les +maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des +élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son +frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient +digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première +réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son +âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût +l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur +entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence. + +Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque[44], Louis XVI +aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur: +«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux +vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille +au jansénisme.» + +Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du +jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de +l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons +catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens +estimables. + +Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette +justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage +de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le +transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un +voeu formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil +avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21 +novembre 1778[45]; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle +de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de +l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas de goûter la satisfaction de se +voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local. + +Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois +pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames +respectables[46], et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M. +Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue +des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au +second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de +l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de +chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de +soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure +origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France +et de l'étranger. + +L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses +élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement +allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à +sept. + +Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de +Montmartre (rue des Martyrs), qu'il tenait à loyer et qui était voisine +de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à +leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui +faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes +d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait +partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur +bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa +nombreuse famille. + +Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides, +le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un +geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint +aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font +tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient +à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon +père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce +d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre +le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle, +leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce +tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille; +et tous lui promettent de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un +jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes. + +Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint +prêtre. + + + + +XII + + Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize + ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis + à l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et + abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes + les maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.--Le + sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères + d'infortune.--Une confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué + à celui de Louis Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de + Hauteserre.--Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar, + à Toulouse.--Un trait de lumière. + + +L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de +Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer +succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances, +les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les +témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui. +Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de ménager leur +attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient +bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer +qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi, +de l'Espérance et de la Charité chrétienne. + +Le 1er août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance +du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize +ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le coeur +le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son +épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable +(Mme Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un +ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur +une recommandation de Mme Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet +est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade +et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ +huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de +l'Épée[47] dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque +grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de +l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-Antoine, chargée de la +salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite, +cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour +l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à +entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et +qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux +soeurs ses aînées, lui et une soeur plus jeune; qu'il y a dans la +maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de +fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a +abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien, +son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime +expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime +d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle. + +D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de +l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de +Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien +donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les +maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie +royale sous le titre de _Note intéressante_. En voici la teneur, portant +en marge qu'on tient ces renseignements de l'abbé de l'Épée, +instituteur gratuit des sourds-muets: + + + DU PREMIER MARS 1776. + + =NOTE INTÉRESSANTE= + + «Le 2 septembre 1773[48], on a trouvé sur le grand chemin de + Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et + muet[49], âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris + et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été + mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté + pour servir selon ses forces dans une des salles. + +»Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par + signes d'une manière assez sensible pour faire entendre: + + «1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée; + + «2º Que son père, qui était boiteux, est mort; + + «3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois + filles et lui; + + «4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux + habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que + lui-même y a toujours été servi; + + «5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver, + et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce + qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver; + + «6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un + cavalier; + + «7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le + menait; + + «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné. + + «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état + et ses biens. + + «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le + département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de + maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les + plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la + naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et + qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le + zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte + intéressante, sera récompensé par une gratification.» + + «A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.» + + + +Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au +ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même +mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à +voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un +mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur +l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique: +«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va. + +Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne +soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd +fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau, +maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères +d'infortune. + +Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis +Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la +vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée +à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le +jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se +convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au +mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut +être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois, +à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à +l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à +l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à +Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775. + +L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de +Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous +les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de +l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et +veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un +appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin. + +«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze +ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet +enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite +année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de +Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa +mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa +soeur habitait actuellement un couvent de Toulouse.» + +Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal +rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle +Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit. + + + + +XIII + + L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié + la Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le + protége.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.--Voyage + du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis, + sa ville natale.--Nouvelles reconnaissances.--Joseph se rappelle + une cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais + sa soeur hésite d'abord.--Une démarche auprès du duc de + Penthièvre.--Elle réussit.--Le prince accorde une pension de 800 + livres au jeune Solar.--Le paiement en est bientôt + suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.--Le + premier semestre de la pension est payé. + + +Le signalement du jeune Solar, donné par Mme de Hauteserre, +s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son +arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de +poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos +de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise. + +D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la +Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On +le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune +démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune +protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au +préalable. + +Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se +présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph, +elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de +Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou +huit ans, chez Mlle Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle +était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement +par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel, +conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais +aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin, +maître maçon, et de sa fille. + +L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son +protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des +deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se +mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec +son élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la +déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels +figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du +bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est +unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce +parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de +son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours +d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses +manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces +d'un éclat de bombe. + +A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de +Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de +vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de +reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le +jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny +reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils. + +De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de Mlle +Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que +Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue +entre les deux enfants, on fait venir Mlle de Solar à Paris de son +couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la soeur ne se +reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils +finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle. +On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé +de l'abbé de l'Épée, le _post scriptum_ d'une lettre adressée le 8 +novembre 1777 par Mlle de Solar, qui venait d'être placée dans une +pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau: +«Je vous prie de dire _mille choses tendres à mon cher petit frère_.» + +Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le +sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi +Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de +Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine, +gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que +le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A +ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa +faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes +démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les +pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une +réponse lui sera faite sous quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici +la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M. +l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre: + +«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de +800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés +pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son +état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet +qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire +à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.» + +Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé +de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du +brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait +assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un +acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à +grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté, +de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400 +livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il +surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des +sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel +éclaircissement. Ce dernier lui adressa incontinent la réponse +suivante[50]: + + «MONSIEUR, + +«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire +contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit +vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de +Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les +intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du +brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune +comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi. +C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de +M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes +de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre +un jeune homme qui, après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est +reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et +par bon nombre de témoins respectables? + +«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que +vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune +démarche sous le nom du _comte de Solar_. Vous me permettrez de vous +dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne. +Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous +sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre +démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il +m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir. + +«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré +l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu +l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais +envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et +je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru +que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si +l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme +pareillement. + +«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce +qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a +ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du +défunt, mais seulement le nom de _comte de Solar_, décédé le 28 janvier +1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le +cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous +le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait +que vous avez reçu, est plus complet. + +«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du +moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères +que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en +sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous +nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit +morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit. + +«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce +qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer +et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait +particulier, mais cela ne change rien à l'estime et au respect avec +lesquels j'ai l'honneur d'être, + + «Monsieur, + + «Votre très-humble et très-obéissant + serviteur, + + L'abbé DE L'ÉPÉE. + +«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à +huit heures du soir.» + +Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans +le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six +derniers mois de l'année 1777! + + + + +XIV + + Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, + supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à + Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.--Ses + moyens de défense.--Il demande à être transféré, avec le + sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut + devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.--Cette requête est + jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que + le transfert de l'enfant et de sa soeur sur les lieux.--Enfin, + une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar, + reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.--Commentaire des + juges. + + +Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des +renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient +venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un +sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la +personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le +prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à +Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et +plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport +foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement. + +Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour +l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits +ici en entier: + +«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse; +j'eus l'occasion de connaître Mme la comtesse de Solar. Cette dame, +sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver +ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de +Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son +fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux +avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je +savais que Mme de Solar avait des relations très-puissantes à +Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne +serait point inutile à mon avancement et à ma fortune. + +«L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre, +et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de +l'auberge de l'_Écharpe_, dans l'une des rues les plus fréquentées de +Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à +cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar. +Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et +d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval. +Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des +personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en +passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A +Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma +famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères. + +»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec +nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à Mme de +Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin, +époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires +domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël, +la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint. +On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais +constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis +bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde +pas à s'aggraver: un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre +l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli, +mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la +sépulture de ma famille. + +«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire. +Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui +ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que +pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est +irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette +irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de +renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au +pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie +désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait +seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le +comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il +demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces +renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque, +pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte +au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il +se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était +insuffisant, parce qu'il ne désignait pas clairement la personne +décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: _Un enfant +âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte +de Solar_. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne +saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la +comtesse de Solar. + +«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que +d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4 +septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774, +et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait +être le jeune de Solar, qui m'a été confié.--Ensuite, ajoutait-il, il +suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le +jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre +1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet +enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château +de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois +auparavant (le 1er août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand +chemin de Péronne en Picardie!» + +Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence, +insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la +justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir +l'affaire. + +Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement +l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de +Caroline de Solar sur les lieux indiqués. + +Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre +1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et +frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et +renvoyé absous. + +Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence: + +«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût +coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était +Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès. +L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et +qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de +mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré +être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la +même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la +perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a +chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement de septembre +suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et +nous l'avons renvoyé tel. + +«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas +satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit +près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre +enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on +substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait +fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à +juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci, +nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait; +elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et +Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces +deux points.--Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la +part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un +malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine +d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu +découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à +qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates +rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.» + + + + +XV + + Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de + Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de + Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables.--Détails + peu édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me + Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire + constatant, à son avis, le décès.--L'illustre avocat modifie, plus + tard, son opinion.--Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de + L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la sentence du Châtelet par le + parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête + et d'instruction. + + +L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à Me Élie de Beaumont, +défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas, +rend compte, sous la date du 1er février 1779, de tout ce qui regarde +son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du +mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses +objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont +comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui, consiste en ce +que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été +arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a +fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de +lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes +lenticulaires, dont un[51] exactement à la même place. + +Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que, +dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension, +il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui, +qu'il croyait naturellement ses soeurs, de sorte que, toutes les fois +qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez Mme +Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât +quelque chose pour ses soeurs. + +La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à +son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800 +livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait +un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne +vivait que d'emprunts.--Il existait encore, selon lui, une lettre de +cette dame à M. Joisneau, son parent et son ami, par laquelle elle le +priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus +riche _vis-à-vis du père du monsieur qu'elle devait épouser_, le +conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis +deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes. + +A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa +conscience d'honnête homme: + + _Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt._ + + _Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de + tous les innocents que l'on veut perdre._ + + (Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8. + +Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique, +est précédé d'un _Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en +parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet_, mémoire suivi +d'une _Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de +Sainville_, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars +1779. + +Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme +et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires +invoqués, la preuve, sans réplique, de la parfaite identité du jeune +Joseph avec le jeune comte de Solar, Me Tronçon-Ducoudray[52], autre +défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers +des 1er et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de +son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire +consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant +la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre +incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur, +le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28 +janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était +mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses +amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès, il +avait été frappé de paralysie et marchait difficilement. + +Me Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et +s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur +Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache +à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses +interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le +mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne +craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph, +selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir +dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses +réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les +témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme +n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer, +principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain +de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre +comme très-expérimentée dans l'art de mentir. + +Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes, +petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la +plainte et la procédure. + +«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé +par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier; + +Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée +d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres +témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet +trouvé, _le premier août_ 1773, au village de Cuvilly, et _vu quelques +jours auparavant_ à celui d'Orvilliers; + +Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame +Le Roux des nouvelles de _son frère_; ordonne qu'il sera amené +prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et +parfait par les officiers du Châtelet; + +Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature, +surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier +1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé +par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le +sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.; + +Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète, +Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et +officiers du Châtelet, etc., à Toulouse, à Alby, la Granerie, les +villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut, +Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à +Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal +des _gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète +dans tous les lieux indiqués_; + +«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir +toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph +_reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu, +etc._; + +«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres +patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que +dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf +l'appel en la cour; + +«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de +Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août +1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction +et au jugement dudit procès, ce que de raison. + +«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre +1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne +que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est +détenu par l'huissier de la cour de service, à la charge de se +représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes, +etc.; + +«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à +Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur +Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé +aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.» + + + + +XVI + + Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités + ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses + au midi de la France.--Diverses personnes intéressées dans + l'affaire prennent la même direction.--Recherches long-temps + infructueuses.--Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en + présence de la tombe de son père.--On en exhume une tête d'enfant, + avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à + Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en tire + le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves + accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et + contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle + sentence confirmative du Châtelet. + + +Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et +probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte +partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la +Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches. +Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux +ecclésiastique l'ayant supplié de lui laisser vérifier les preuves par +lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la +procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou +1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à +ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.» + +Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar +dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités +l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut, +ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour +interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance? +On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la +barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la +capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait +partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller +au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que +le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné +pour gardien, prirent la même route. Mme de Vormes se chargea +d'accompagner Mlle de Solar dans cette direction. + +Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6 +septembre, à six heures du matin, tous ces personnages sont réunis à +l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense, +avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et +d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à +son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera +le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux +témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans +tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne +rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son +père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune +Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse, +on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le +dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes +dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans +l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on +prétend avoir été arrachée à Joseph. + +C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos +d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly +demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite. + +C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph, +qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de +Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet, +âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une +roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne +pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly. +A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à +Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller +chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant +revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans +signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre. + +Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé +surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un +caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a +préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse +formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins +les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce +dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il +appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure-t-il, +scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur +de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand +matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec +différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le +plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de +certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention +aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable. +Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement +aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est +l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses soeurs +et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet +présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º +l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le +mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on +découvre à Cuvilly, le 1er août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu +par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché +du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai +Solar aurait dû reconnaître. + +Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet +réhabilite le jeune _Théodore_. (C'est le nouveau nom que l'abbé de +l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt: + +_Le mineur Joseph_ est déclaré _comte de Solar_; défenses à toutes +personnes de le troubler dans la possession de son état. + +_Cazeaux_ est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé. + +Il est enjoint _au curé_ d'être plus exact et de se conformer aux +ordonnances et déclarations du roi. + +_Cadours_[53] est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône. + +_La demoiselle Solar_ et la fille Lama sont mises hors de cour. + +Il est enjoint à _la demoiselle_ de reconnaître Joseph pour son frère. + +L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse. + +Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne +seulement. + + + + +XVII + + Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de + l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la + sentence.--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et + l'abbé de l'Épée.--Les parlements sont détruits par la + révolution.--Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu + en faveur du pauvre délaissé.--Sans appui, sans famille, sans + ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine + et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon + d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le sourd-muet Didier, + suit son exemple et s'engage dans l'artillerie. + + +Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet, +unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à +Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des +efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera +suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls +protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la +destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet +1792, à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu +en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de +l'annulation: + + + «LE TRIBUNAL, etc.[54], + + «Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce + que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition + qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur + Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni + qualité ni intérêt à contester; + + «Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme + Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses + deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants; + + «Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès + sous le nom de _Joseph_ est fondé en droit, 1º sur son état de + sourd et muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la + lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se + rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa + connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne + fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins + l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement, + depuis, en se faisant recevoir partie intervenante; + + «Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que + l'individu sourd et muet, connu sous le nom de _Joseph_[55], a été + trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de + Cuvilly, en Picardie, le 1er août 1773; + + «Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur + des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il + est resté jusqu'au 2 septembre suivant; + + «Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de + Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant + dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois + consécutifs; + + «Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph, aussi sourd et muet, seul + fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame + Solar, le 1er novembre 1762, ayant quitté le séjour de la + Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et + Caroline, sa soeur, jusqu'au commencement de septembre 1773; + + «Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au + sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de + Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas + les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui + l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant; + + «Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à + Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a + habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de _Solar_, il a + été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort + des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé, + le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous + la dénomination seulement de _fils du comte de Solar_, parce + qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de + baptême; + + «Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des + doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu + Joseph pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et + que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et + suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur, + que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux + d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que + l'évidence des preuves lui refuse; + + «Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur + Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et + négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte + mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit + être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer + dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de + baptêmes, mariages, sépultures; + + «Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits + de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à + l'appui de l'accusation; + + «Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés + (abstraction faite du _quidam_, nommé Alexandre, à l'égard duquel + il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le + moindre indice du plus léger délit; + + «Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel + par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin + 1781; + + «Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc + Cadours, appelants de ladite sentence; + + «Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits + accusés et l'individu connu au procès sous le nom de _Joseph_; + émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public, + au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de + l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa + déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et, + sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7e et 10e + témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore + contre les 50e, 52e et 54e témoins d'autre information de + Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16e de l'information + faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont + déclarés non pertinents et inadmissibles; + + «Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des + parties, + + «Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite + vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé, + le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était + véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de + Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette + Clignet, son épouse, lequel était né à Clermont le premier + novembre 1762; + + «En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de + ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement + seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au + procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la + paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au + greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire + actuel; + + «Décharge Caroline Solar[56] de l'accusation contre elle intentée; + fait défenses à l'individu nommé _Joseph_ de se dire et qualifier + fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les + droits et actions appartenant à cette famille; + + «Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François + Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit + Durban de se conformer aux lois existantes sur la tenue des + registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse; + + «Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé _Joseph_, + l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et, + sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès; + + «Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son + plein et entier effet; + + «Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le + présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de + Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le + faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera + convenable. + + Signé EUDE, rapporteur.» + + Un jugement conforme[57] est rendu en dernier ressort le 24 juillet + 1792. + +Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de +ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille, +sans ressource. Mieux eût valu cent fois qu'une pitié compatissante ne +fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de +Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment +que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière +céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de +l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus +brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être +effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France +révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la +victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage +dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors +d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et +montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques +personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement +dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses +veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans +un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses +premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des +camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un +hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier +n'avait quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son +frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non +moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon. + + + + +XVIII + + Coup d'oeil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce + une aventure réelle ou un roman historique?--Bonne foi, conviction + de l'abbé de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et + l'honneur à Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des + Ormes voit dans cette aventure une mystification.--Suivant lui, le + pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement + sourd.--Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de + Bouilly.--Première représentation.--Grand succès.--Incident de la + seconde.--L'abbé Sicard mis en liberté. + + +Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru +disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans +cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé +à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé +les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou +soutenir celle du vénérable instituteur? + +A ne considérer, la main sur la conscience, que le dénouement de ce +procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas, +où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une +pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré +certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de +l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une +aventure réelle qu'un roman historique. + +Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un +crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si +fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu, +et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu +de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se +dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de +sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire, +il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille +honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne. + +En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux +empressement notre illustre instituteur a tout mis en oeuvre pour lui +faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il +s'imputait à lui-même, en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce +malheureux jeune homme? + +Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand +instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en +bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à +consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des +droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur, +nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin +victime d'une barbare cupidité? + +Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant: + +De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à +dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément +menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles +qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non +véritable? + +Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui +que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la +similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion? + +M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: _le Sourd-Muet de +l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)_, qui ont paru dans le +_Constitutionnel_, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger +l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième +siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet +égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd. + +Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel, +professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution +de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien +voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous +paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière +qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici: + + + «Paris, le 15 avril 1852. + + CHER COLLÈGUE, + + «Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est + impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain + prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès + du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien + jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom. + + «La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd, + capable de surprendre les secrets des familles, est d'invention + récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en + fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait + conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce + fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme. + Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart, + n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la + moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer + et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est + occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser + autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à + l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par + l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le + demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de + comprendre le discours verbal. + + «Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre + d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut + du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement + c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout + demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que + l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de + lui. + + «Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de + Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu + l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au + mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait + trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui + furent en rapport avec lui. + + «J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il + s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer + jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur + certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire, + il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il + ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne + collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume + l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était + trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait + laissées dans l'intérêt de son pupille. + + «Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée, + la voilà sans déguisement.» + +Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa, +avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'_Abbé de l'Épée, comédie +historique_, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé +par celui de _drame_, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès. +Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa +_comédie historique de René Descartes_, jouée aussi sur le premier +théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage +devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut +qu'une voix pour prédire à l'oeuvre un succès immense, infaillible. +Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène +française[58] s'empressait de lui prêter le concours actif de ses +talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière? + +Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation +de l'_Abbé de l'Épée_. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un +caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra +aisément combien le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on +saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté +invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature +rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge, +lorsqu'elles vinrent l'assaillir. + +C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de +Franval, ayant auprès de lui la mère et la soeur de cet avocat, leur +explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de +fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune +sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel +est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des +hommes. Il commence ainsi son récit: + +«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne +dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.» + +A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix +du parterre s'écria: _Tant mieux!_ et toute la salle applaudit. + +Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la +scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent +décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de Mme +Vanhove-Talma (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le +voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes +parts à ses pieds. + +Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli, +mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre +l'époque: + + Vous, dont les talents enchanteurs + Nous ont si souvent, sur la scène, + Fait entendre les sons flatteurs + De Thalie ou de Melpomène, + _Vanhove_, par quel art secret, + Sans avoir besoin de paroles, + Faites-vous d'un sourd et muet + Le plus intéressant des rôles? + +Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier +légitimiste Alisan de Chazet: + + Vanhove, ce muet charmant, + Qui s'exprime avec éloquence + Et qui choisit le sentiment + Pour interprète du silence. + +La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les +sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre +successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly raconter lui-même ce +touchant épisode: + +«....... Mme Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait +assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde, +accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus +honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire. +Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à +l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux +élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,» +Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres, +en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui +gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri +de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et +répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des +sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne +sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque +imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation, +lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon +visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami, +quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération +d'un ami de l'humanité[59].» J'apprends alors que le premier consul, +frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances +de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la +détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me +fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux +qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces +dates du coeur qui ne s'effacent jamais.» + + * * * * * + + + + +XIX + + Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. + Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de + Paris.--Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis + XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs + intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de + cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.--Tribut + d'éloge de Monvel à son élève.--Conclusions de M. + Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du + drame de l'abbé de L'ÉPÉE.. + + +Écoutons encore l'auteur du drame de l'_Abbé de l'Épée_, à propos d'une +visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale: + +«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que +c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et +qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts, +avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de +l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de +leur école, située au haut du faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent, +d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua +mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se +présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui +font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le +pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés +de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre +clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors +lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment +l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes +parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis +comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de +leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula +dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau, +une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé +de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur +demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et +d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils +m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche. + +«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet qu'ils m'apportaient, sous +le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de +l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y +porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle +époque de ma carrière dramatique.» + +Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus +flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, _avec +le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive_: vous +m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.--Et moi, +général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de +m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que +puisse éprouver un auteur!.......» + +Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait, +longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un +conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités. +J'ai vu jouer à Londres votre _Abbé de l'Épée_, vos _Deux Journées_; et +la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations +dramatiques, est encore présente à mon souvenir.» + +Mme Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime +dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement +de ceux qui en sont privés, de cette voix qui fut si longtemps en +possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire, +donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à +surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore +du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si +heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en +1836, sous le titre de: _Études sur l'Art théâtral_ (p. 226-270). + +«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit +encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter +l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit +permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré +de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les +applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de +_l'Abbé de l'Épée_; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et +j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour +mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais +recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle +âme, son esprit et son savoir. + +«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le +personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société +journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés de me voir profiter +de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les +matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de +la pièce fut complet, et le mien par contre-coup. + +«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de +montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une +machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre, +derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus +graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément; +Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient +forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs +(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme +ne tarde pas à se rétablir. + +«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les +acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à +ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement +étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma +physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet +à-propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à +quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans +mon rôle de sourd; mon coeur battait de plaisir.... J'avais senti +l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de +surprise ou de crainte eût détruit toute illusion. + +«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de _l'Abbé +de l'Épée_: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans +laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs +fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et +moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque +invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main +de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait +pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde +autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la +muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer: +mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me +regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et +le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs +applaudissements. + +«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre +artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais +finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre; +il fallait donc m'avertir.--Sans doute, mon maître, si j'avais su +moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal +fait?--Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant +d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!» + +Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus +longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les +quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain +distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la +notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces +détails. (Pages XIV-XV.) + +«Mme Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'_Abbé de +l'Épée_. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce +sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et +d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans +cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont +écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de +cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le +sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, _je +dus mon plus beau laurier_. Les poëtes firent des vers en l'honneur de +l'excellente actrice, et on eût pu lui appliquer cet heureux distique +composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine, +sourd-muet). + + Il révèle à la fois le secret merveilleux + De parler par les mains, d'entendre par les yeux. + +S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de +Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style, +qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au +point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant, +elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants +éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle +privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les +effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille +exceptionnelle? + + + + +XX + + Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les + représentations du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par + la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur + de certaines personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de + changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de + COMÉDIE HISTORIQUE.--Mort de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle + de ses derniers moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre + instituteur inhumé à Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa + répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.--Le + sculpteur sourd-muet de Seine.--La Commune de Paris demande à + l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de + leur père.--Ce voeu est réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de + l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du + panégyriste. + + +Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du +drame de l'_Abbé de l'Épée_ offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir +auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les +représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même +recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de n'avoir mis son +oeuvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de _troubler leur repos et +de compromettre leur honneur_. D'aussi basses inculpations +pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de +celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en +retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre +fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet, +honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en +faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le +légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses +successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du +Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre +maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait +son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement +en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée +principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques +développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son +invention. + +Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il +pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse +qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de +son oeuvre, dans les limites que lui imposaient la prudence humaine +et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de +Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du +titre de sa pièce la qualification de _comédie historique_? Et sa +générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu +de la scène, l'assurant sur l'honneur que son oeuvre ne le regardait +ni directement ni indirectement? + +Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans +l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement +décliné, et il penchait, à vue d'oeil, vers la tombe. Déjà son état +commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui +l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs +craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après +avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa +paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une +députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé, +archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en +larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce +lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son +père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils, de +douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces +malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un +dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu +n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur +séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux, +en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a +revêtu le caractère d'une pieuse résignation. + +Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent +supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un +des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839. + +L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que +sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans +une pétition collective[60] le voeu de voir le gouvernement se décider +à faire l'acquisition de cette oeuvre, et la requête avait été +couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru +un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à +l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la +chapelle, et chargea un professeur sourd-muet distingué, M. Alphonse +Lenoir, de transmettre cette résolution[61] à la Commission consultative +de cet établissement. + +L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le +caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle, +appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que +ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix. + +Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce +fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait +jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses +traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à +la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour +modèle, par le fils d'une de ses nièces, Mme la comtesse de +Courcel[62] à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre +des sourds-muets érigée à Versailles. + +Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur, +avait fait son buste, sur lequel était écrit le distique que nous avons +cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette +image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du +maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les +intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger, +afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit +du succès de cette innocente manoeuvre, ne put s'empêcher de sourire à +l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le +seul à tromper sur ce point la vigilance du maître. + +Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et +remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour +l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque +avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans +appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs +de pension et un logement au Louvre[63]. + +Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement, +portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le voeu qu'un +établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins +que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce voeu, comme on +le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce +genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour +attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs +étrangers. + +A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre +de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de +Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée +nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce +que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les +sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom +a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa +participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause +du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut +lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de +complicité avec les Girondins, et plus particulièrement avec la +courageuse Charlotte Corday. + +On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de +l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait +soumis son panégyrique de saint Augustin. + +«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce +qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement +notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre +toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point; +c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure: +vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi; +mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne +sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos coeurs, tandis +que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé +quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos +ténèbres.» + + + + +XXI + + L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera + inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité + et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par + l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à + l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune + des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées + successivement, pour la première, à 80 et à 100.--La Convention + avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 + sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec + ateliers et travaux agricoles.--Transfert de l'établissement de + Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire + Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en + 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des budgets + départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé que + ce fût parmi les _dépenses obligatoires_. + + +Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait +renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une +pétition de l'abbé Sicard[64], relative à la perpétuité de +l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta[65] que le nom de +l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient +bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait +entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation +française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre +bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14 +septembre[66], aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments +de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle +des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des +deux établissements, préparé par un comité spécial, aurait reçu sa +sanction définitive. + +C'est un devoir sacré, pour nos coeurs reconnaissants, de recommander +à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons, +dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent +votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait +ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû +en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs +facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des +hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la +société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce +rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères +ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle, +comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en +renom[67]. + +Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des +sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les +fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits +établissements. + +La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en +Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la +plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui +alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que +dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en +outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait +de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents +endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le +modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se +borner, pour le moment, à la création de soixante bourses[68], pour +chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le +pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5 +janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments +de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du +Faubourg-Saint-Jacques, nos 254 et 256, connu sous le nom de +séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui[69]. + +A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait +ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de +décret d'organisation première de ces établissements: + +«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous +proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur +donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des +ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera +de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre +le plus de talent, et de l'y appliquer.» + +Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer +une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en +outre, le voeu que six établissements fussent fondés en France, pour +recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que, +plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves +dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des +travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût +adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était +alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une +consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau genre d'alliance à +contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire, +mais qui n'en sera que plus chère à vos coeurs; c'est l'alliance avec +l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants +sourds-muets au règne de la liberté.» + +La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3 +brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la +création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les +départements[70], outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut +pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et +précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes. + +Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4: + +«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux +sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.» + +A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau, +les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du +Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le +classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met +leurs frais d'éducation au nombre des dépenses facultatives des budgets +départementaux. + +M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante, +avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi +celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des +enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse +initiative. + + + + +XXII + + Mode d'administration successif des Institutions nationales des + sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour + but de généraliser en France cet enseignement + spécial.--Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition + adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et + d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée + nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian, + ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et + d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de + Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie + française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur + poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des + oeuvres du célèbre instituteur. + + +Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous +la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard, +administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de +cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et +du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de +l'intérieur, avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un +autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait +modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés +antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le +28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale, +du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de +bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé +de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de +l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la +même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une +commission consultative, composée de cinq membres, y compris le +directeur. + +A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives +pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets. + +La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces +infortunés au système général d'instruction publique de la France. + +Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX, +consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet +semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de +sourds-muets fussent assis sur de solides bases. + +En 1836, un autre ministre, M. le comte de Gasparin, ayant invité le +conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer +un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à +ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être +présenté à l'examen des Chambres. + +Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès +scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre +instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école +de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot +et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à +Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette +enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent +favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les +conclusions. + +Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au +Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la +commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et +par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées +jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat +immédiat, aucun résultat complet, malgré les votes favorables dont +elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures. + +En juillet 1851, une pétition[71] à l'Assemblée nationale a été proposée +et adoptée unanimement au sein de la _Société centrale d'éducation et +d'assistance pour les Sourds-Muets en France_, présidée par M. Dufaure, +ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces +infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds +nécessaires pour atteindre ce but. + +Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement +du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau +mémoire[72] au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la +République. + +La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au +concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à +M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets +de Paris, et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc. +Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des +sourds-muets de Madrid, _l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les +avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction +générale élémentaire_, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur. +M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole +de _Paul et Virginie_. On assure qu'il a travaillé à un _Dictionnaire de +signes d'action analogiques_. + +On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur +des _Templiers_, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer +pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre _père spirituel_. Nous +aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait +certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons +la perte. + +Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée: + +1º _Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur +Marie-Anne Pigalle_, 1757, in-12; + +2º _Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus +par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774, +avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces +exercices_, Paris, 1774, in-12 de 112 pages (dans sa quatrième lettre, +il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à +la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que +ce quatrième exercice public sera le dernier); + +3º _Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques_, +Paris, 1776, in-12; _nouvelle édition corrigée sous ce titre: La +véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une +longue expérience_, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en +allemand; + +4º _Dictionnaire général des signes employés dans la langue des +sourds-muets_, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main. + + + + +XXIII + + Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb + des cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur + s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre + aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas + au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit, + ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de + son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un + déplorable abandon.--Demande de renseignements au curé de + Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans + cette église.--Comment on découvre que ses restes reposent dans le + caveau de la chapelle Saint-Nicolas.--L'auteur y descend avec le + sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.--Spectacle + déchirant!--Souscription ouverte dans les journaux pour élever un + monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux + inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle + qui fut le berceau de son enseignement. + + +J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des +exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir +religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à +bien des témoins de son admirable existence[73] dans la vue de donner +plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu +me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de +l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il +soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front +vénérable. + +Le _Mercure de France_, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe +au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins[74]: + + Hic jacet, egregio coeli qui munera pollens, + Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges; + Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam. + An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe? + +Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les +bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le +calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa +tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la +traduction française: + +«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des +lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets. +Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?» + +Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des +cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut +brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers +travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur +les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du +christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la +France révolutionnaire. + +Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris +tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé +de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je +m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de +notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je +ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars +sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance. + +C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par +l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse +absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de +Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales. + +Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante: + +«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre +feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une +lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande +famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de +l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de +Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à _notre père +intellectuel_! Notre étonnement a dû être partagé par tous les +appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de +regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des +célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne +devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales +artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des +merveilles des siècles, comme son oeuvre est placée par la postérité +au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et +qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque? + +«Dieu sait combien de médiocrités obscures et ignorées ont obtenu ici +les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue +d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont +trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont +immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils +ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur +d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! _Proh pudor!_ + +«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit +précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on +n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis +qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges, +on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros +pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans +doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils +jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté, +s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un +second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée +ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants +préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne +mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à +défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique? + +«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à +notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères +d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur +la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes +utiles sont mieux appréciés à l'étranger. + +«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de +marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des +sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le +voit sur la place de la ville, en face même de cette institution. + +«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti, +directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et +Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la +méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves +sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître +est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne +sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous +nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat. + +«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous +en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé, +démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle +a, depuis longtemps, décerné à Paris. + +«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer +l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à +l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M. +Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le +modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à +contribuer de notre faible offrande à cette oeuvre de reconnaissance. + +«En publiant cette lettre[75], expression sincère du voeu de tous mes +frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie, +malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui +sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur +doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont +précédés dans la carrière? + +«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi +que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.» + +Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier, +alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des +renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de +l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait +pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne +s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait +dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant +bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa +sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du +temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de +quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts +furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable, +Mme Guerin, qui venait de perdre une soeur sourde-muette, élève de +l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez Mlle Courtois, +rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie +intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur. + +Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui +brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif +de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions +me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son +accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre, +quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui +elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que +c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps +de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à +aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle +appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa +messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de +grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces +détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient +pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit +à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis +tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les +uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices +publics de ses élèves étaient l'objet des autres. Mme Guerin, avec le +même empressement, offrit à notre curiosité des lettres du respectable +prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant +de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les +dangers du monde. + +Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève +de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de +Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet, +possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de +Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son +obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de +Mlle Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier, +recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous +avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques +de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son +enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a +pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants, +à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre +qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et +les premiers ossements ont été découverts. + +Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante: + +«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les +sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur +surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut +réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à +la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur +immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations, +confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui +assista au dernier soupir de son ami, _notre père spirituel_. Ses +cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle +Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange. + +«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé +la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de +l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic, +Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là, quel spectacle affreux +s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière +et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands +bienfaiteurs de l'humanité! Nos coeurs se sont émus, et nous, les +enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas des +hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal +à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de +vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets +de l'univers,--c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver +de pain pour donner un tombeau à leur père,--mais encore à toutes les +âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque +opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent. +L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il +n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet +acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui +parlez, dans nos coeurs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit +que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour +honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène[76], le Messie +d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de +l'indifférence publique. _Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus +vocabitur_, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé +grand.» (Saint Matthieu, v. 19.) + +«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en +français et non en latin, pour que tous les sourds-muets qui savent +lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier +instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les +victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison +où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle, +depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme. + +«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et +l'assurance de ma considération personnelle.» + + «FERDINAND BERTHIER, + + «Professeur sourd-muet à l'Institution des + sourds-muets de Paris.» + + + + +XXIV + + Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à + élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la + présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se + compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando, + Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor + d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier + et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président + Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence de la + Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de + M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens: + représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où + s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on + préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de + la souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à + l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de + l'inhumation.--MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour + aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir. + + +Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger +cette oeuvre éminemment philanthropique. + +Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors +député de Saône-et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous +présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris, +Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des +députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la +présidence[77] de cette commission, et de lui soumettre une liste de +membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec +cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et +écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un +devoir.» + +Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain. +La voici, avec la réponse de l'illustre académicien: + + + «A MONSIEUR VILLEMAIN. + + «Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des + caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever + un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été + proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils + désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux + qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur + voeu et de leurs sentiments. C'est M. Berthier, président de la + Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre. + + «Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus + dévoués.» + + RÉPONSE DE M. VILLEMAIN. + +«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne +pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était +agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M. +Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit +que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à +cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins +universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être +exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part. +Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai +bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la +mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M. +Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens +que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et +d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation +qu'il voudra bien m'adresser. Et un intermédiaire comme vous, Monsieur, +ne me permet pas d'hésiter. + +«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus +distinguée et de mes dévoués sentiments.» + +Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle +était ainsi conçue: + +«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir +la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de +l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur +bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte +mission, vient de se former; elle se compose de: + + MM. DUPIN aîné, président de la Chambre des députés, + _président_; + + VILLEMAIN, pair de France, vice-président du + Conseil royal de l'Instruction publique; + + DE SCHONEN, pair de France, procureur-général à + la Cour des Comptes; + + Le baron DE GÉRANDO, pair de France, président du + Conseil d'administration de l'Institution des + sourds-muets de Paris; + + CHAPUYS-MONTLAVILLE, député de Saône-et-Loire; + + CAVÉ, chef de la division des Beaux-Arts au ministère + de l'Intérieur; + + L'abbé OLIVIER, curé de Saint-Roch; + + Eugène GARAY DE MONGLAVE, homme de lettres; + + NESTOR d'ANDERT, artiste; + + Ferdinand BERTHIER, professeur sourd-muet à l'Institution + de Paris, président de la Société centrale + des sourds-muets; + + FORESTIER, instituteur sourd-muet, vice-président + de cette association; + + LENOIR, professeur sourd-muet à l'Institution de + Paris, secrétaire de cette société. + +«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel +bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de +mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la +commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit +régulariser l'emploi. + +»Agréez, etc., etc. + + «Ferdinand BERTHIER.» + +Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron +Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie +de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un +et l'autre nous adressèrent en réponse. + + «Paris, 13 juin 1838. + + «MESSIEURS, + +»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une +commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma +séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me +faire; mais je serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un +des premiers souscripteurs. + +«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments +empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je +suis + + «Votre très-humble et très-obéissant + serviteur: + + «CHATEAUBRIAND.» + + «Paris, le 13 juin 1838. + + «MONSIEURS, + +«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une +commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque +chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes +occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes +me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la +commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer +complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne. +Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression +de ma haute considération. + + «Le président SÉGUIER.» + +Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence, +les membres de la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna +lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et +ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur +sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit +comme architecte du gouvernement. + +Notre discours de remercîment était conçu en ces termes: + +«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs +collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée. + + «MESSIEURS, + +«Le premier sentiment qui saisit nos coeurs au moment où nous nous +trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an +milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des +beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus +sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous +l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut +alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre +empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire +de l'abbé de l'Épée. + +»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter une dette sacrée de la +reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le voeu que +nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes +mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription +indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des +sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses +derniers moments. + +»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir[78], architecte du +Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger +gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre +secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner +lecture. + +»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas +anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les +vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à +vous en faire part.» + +La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à +employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes +de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les +autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une +représentation au bénéfice du monument que nous projetions. Nous +offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'_Abbé +de l'Épée_, pour celui de la _Muette de Portici_, pour tous les autres +rôles, enfin, de notre spécialité. + +Le voeu fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés +d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs. + +On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument. + +Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, +comme point central de l'édifice où se perpétue l'oeuvre immortelle de +l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui +paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne +fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût +métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc. + +Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être +élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé, +dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est +toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on +considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits, +l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les +derniers que la sédition tentera de renverser.» + +Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé +de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce +sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues, +non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé +de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi +le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait +être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des +remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la +commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en +France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez +le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six +notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot, +Roquebert et Perrin. + +M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de +Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir +le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de +l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à +l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes, +l'identité des restes découverts ou à découvrir. + + + + +XXV + + Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de + Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de + fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et + d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le + grand instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms + des premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes + généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor + Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux + ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux + cours d'appel, etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière. + + +Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions +réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la +chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée +profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la +surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont +reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet +carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux qu'un +ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements +sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée? +Mlle Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le +curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir +appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances +importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire, +fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y +avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse, +une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de +l'Homme? Nos coeurs en furent profondément émus. + +Nous dressâmes procès-verbal des dires de Mlle Courtois. Avant de +s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le voeu de garder, +comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son +bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette +précieuse relique ne me quittera jamais. + + * * * * * + +Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la +présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les +premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms +inscrits: + +D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne, +ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique; +de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier +d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville, +Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal, +Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc. + +M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en +donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout +ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le +secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement +de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de Mlle +Courtois. + +Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le +cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres. + +Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes +généreuses: + +«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et +plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à +la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature +semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait été que +rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges +accidentels de patience et de tendresse. + +«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec +étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des +sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et +qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa +découverte fut une oeuvre constante de vertu, autant qu'une invention +utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de +sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la +perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur +ne reçut aucun hommage particulier. + +«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante; +d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le +même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a +peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de +quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la +société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet +homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église +St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre +1789) et d'autres circonstances authentiques ont fait retrouver les +ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer +par un témoignage national du respect profond de la France pour la +science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des +misères humaines. + + * * * * * + +«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient +de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un +monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église +même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect +publics viendraient chercher son image.» + + * * * * * + +Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles +de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M. +Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition. +L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la +célèbre affaire _de la coalition_, qui avait si vivement préoccupé +l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée +de nos honorables collègues. + + * * * * * + +Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert +en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de l'honorable +banquier, tous les fonds seraient versés chez lui. + +Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut +(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault, +statuaire. + +A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le voeu qu'il fût +procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les +plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui +paraîtraient dignes de son attention. + +Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la +commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit +connaissance des lettres suivantes: + + MICHAUT _(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du + monument à élever à l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEUR LE PRÉSIDENT, + +«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi, +comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma +statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des +membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute +idée spéculative) d'être chargé du monument à élever à la mémoire de +l'abbé de l'Épée. + +«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une +statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de +l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de +Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire +espérer pour mon oeuvre une place au Musée de Versailles; mais il a +été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée +dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste, +et ce buste m'a été confié. + +«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis +citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des +sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres. +Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un +succès. + +«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la +terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux. +Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs +membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire +concevoir des espérances. + +«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je +monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien +jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les +ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la +maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la +gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent +attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de +sculpteur. + +«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis +de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution +d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps. + +«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une +carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une oeuvre digne du +bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à +l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur +le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir. + +«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir +cet espoir; vous ne détruirez point votre oeuvre; j'ose en attendre +les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.» + + VICTOR LENOIR, _architecte du gouvernement, à Messieurs les membres + de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEURS, + +«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à +l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée +principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du +sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue +dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse, +peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte +par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire +renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied. + +«Motif: + +«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune +sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur _père +intellectuel_ (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une +couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets +ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il +conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des +élèves de l'Institution. + +«La simplicité du motif serait relevée par un piédestal d'une masse +assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre +blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur +tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux +traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant +à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets, +comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous +les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de +l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de +l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le +construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait +offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense +générale. + +«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la +chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui +seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en +face. + +«Je joins ici l'évaluation des dépenses. + + «J'ai l'honneur d'être, etc., etc.» + + + _Devis des dépenses du monument de l'abbé + de l'Épée_. + + «Le buste en marbre et les deux figures, + avec le motif qui les relie. 3,500 f. + «Piédestal en marbre blanc sur massif + en pierre 3,500 + ----- + Total 7,000 + +«NOTA. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les +inscriptions. + +M. NOVION, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le +monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix +de sept mille francs. + +«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il +fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement +exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du +monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion +peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je +citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu, +entièrement construit en fer. + + «Vr LENOIR.» + + AUGUSTE PRÉAULT, _statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville, + secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de + l'Épée._ + + «MONSIEUR, + +«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'_abbé de +l'Épée_ n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail, +permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour +obtenir cet honneur, qui me serait bien cher. + +«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit. +L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'_abbé de +l'Épée_, c'est-à-dire la tête, le buste et les mains, tels que les +statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense +qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais +inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le +coeur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux +premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et +servir seulement à développer ce que j'expose. + +«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées +pour surveiller les progrès de l'oeuvre, et éviter tout ennui à la +commission. + +«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner de cette donnée, qui est +certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas +qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que +l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné +la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé +dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire, +d'architecture, de fonte, etc. + +«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on +commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans +le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de +l'oeuvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire +tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient. + +«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.» + + * * * * * + +Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février. + + * * * * * + +Ce jour-là, il fut donné communication de la réponse suivante de M. +Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M. +Chapuys-Montlaville, au nom de la commission: + + + «Paris, 17 février 1840. + + «MONSIEUR, + + «Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser + le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au + monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + + Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une + somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de + faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier, + mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé + d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues. + + Agréez, etc.» + +Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin +Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition. + +M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la +cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a +reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur: + + 7 septembre 1839. + + LÉGATION DE BAVIÈRE. + + _A Monsieur le secrétaire de la commission pour + le monument de l'abbé de l'Épée._ + + «MONSIEUR, + +«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la +lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers +jours du mois de juillet dernier. + +«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de +l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est +empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette +honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés +à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + +«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance +royale[79], datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à +cet effet. + +«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.» + +Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux +ambassadeurs des cours étrangères: + +«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet +d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu +de sa sépulture. + +«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien +n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations +civilisées. + +«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux +éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété, +et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien +recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit +que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la +reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur. + +«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage +de notre haute considération. + + «Le secrétaire, Le président de la commission, + CHAPUYS-MONTLAVILLE. DUPIN.» + + + + +XXVI + + Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la + commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les + ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du + monument.--Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour + 3,000 fr.--Devis à forfait de M. Préault--La commission l'accepte, + à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir + qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février + 1841.--Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands + corps de l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en + ignore le résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque + d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration + du monument.--On s'adresse à l'abbé Coeur, qui ne peut, à cause + de ses nombreux travaux, accepter cette honorable + mission.--Fixation ultérieure du jour de la cérémonie. + + +M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des +divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée. + + «Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27 + février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement + des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de + l'Épée. + + «Deux concurrents se sont présentés. + + «Quatre dessins ont été soumis. + + «Trois portent la signature de M. Lelong, architecte. + + «La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression + dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun + trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de + l'abbé de l'Épée. + + «Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la + pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile, + intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale, + toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt + qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer. + + «L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le + savez, Messieurs. + + «En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la + décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale, + exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral + que vrai. + + «Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette + profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des + chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et + sans compensation avantageuse. + + «Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet + présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la + sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse + ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du + sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'oeuvre, + tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un + rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique + aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs + et rondes bosses. + + «Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir + toutes les conditions désirables sous le triple rapport de + l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et + de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission + à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus + convenable à tous les titres.» + +A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres: + + «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les + soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans + l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture. + + «Des preuves authentiques ont été recueillies, et une commission + s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur + de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire. + + «La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche + lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre + disposition. + + «Le ministre de l'intérieur[80], un grand nombre de membres des + deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les + personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien + voulu concourir à cette oeuvre de gratitude et de respect. + + «Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que + le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient + chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs + risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour + l'exécuter. + + «La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les + accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a + pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme + d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop + évident avec son caractère et sa vie. + + «Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette. + + «Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront + versées dans la caisse de la souscription. + + «Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former + le complément de celle qui est demandée pour le monument. + + «Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous + associer à notre oeuvre, et faire contribuer l'État à cet acte de + justice et de gratitude. + + «Veuillez agréer, etc.» + +La commission s'est réunie le 13 juin 1840. + +M. le président annonce à la commission que M. le ministre de +l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte +d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce +mois, ainsi conçue: + + «Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous + informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre + désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de + l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis + officiel de cette décision. + + «Agréez, etc.» + +M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et +Lassus. Ce devis[81] est suivi d'un engagement formel, pris par M. +Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000 +francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous +les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le +chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il +n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait +des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui +résulteraient des diverses souscriptions. + +Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au +procès-verbal. + +M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM. +Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier +et dans l'engagement mentionné ci-dessus. + +Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM. +Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues +dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le +président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la +première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux +époques de rentrée des sommes provenant de la souscription; la seconde, +c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de +février 1841. + +MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à +signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault. + +En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission, +contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur: + + + «MONSIEUR, + + «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres + enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été + retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris. + + «Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée, + une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est + associé à cette oeuvre de respect et de gratitude. + + «Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription + eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du + monument. + + «Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de + pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous, + Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez, à + leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité. + + «Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de + l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de + cet homme de bien. + + «Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à + la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert + de M. le président de la Chambre des députés. + + «Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos + sentiments distingués.» + +Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les +membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert, +Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si +pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine +avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M. +Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M. +Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon +de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de +France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à +écrire au roi pour en solliciter une souscription au monument; 3º enfin +à supplier l'évêque d'Évreux[82] de vouloir bien prêcher dans l'église +Saint-Roch le jour de l'inauguration. + +On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie. + +Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars +1842: + + «SIRE, + +«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église +Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été +retrouvés et où il avait été enseveli primitivement. + +«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous +osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux +et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité. + +«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.» + +Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa +famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte. + +Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales +de ne pouvoir satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M. +l'abbé Coeur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui +ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter +cette honorable mission. + + + + +XXVII + + La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné + à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et + Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est + inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis + clos.--Description et éloge de cette oeuvre remarquable.--Mais + pourquoi une inscription latine?--Sur 22,000 sourds-muets que + renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le + latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de bronze due + aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui + orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices + pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour + celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de + Chartres.--Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur + sourd-muet, offert à l'école de Paris.--Séance + d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une statue à + l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville + natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de + reconnaissance. + + +Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon +l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la +mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue, +c'est-à-dire en août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos! +Pourquoi? Dieu le sait. + +Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le +buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de +même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains +levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à +leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien +précieux de l'éducation. + +[Illustration: Monument de l'abbé de l'Épée dans une chapelle de +l'Église Saint-Roch, à Paris. + +Sculpteur, M. PRÉAULT.--Architecte, M. LASSUS.] + +L'inscription simple et noble qui la décore[83] serait en parfaite +harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien +vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin, +langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe. +L'oeuvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes +distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M. +Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et +grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le +buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une +délicatesse qui révèlent une face toute nouvelle dans le talent si +neuf, si hardi, si original de M. Préault. + + * * * * * + +Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave +et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une +couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec +l'inscription suivante: _A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois._ +C'était la réalisation d'un voeu, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur +de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il +n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses +élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était +terminé. + +Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade +monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale +faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due +également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui +sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et +leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier +étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice. + +Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins, +la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous avons tout +lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de +Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'oeuvre et son +temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez +élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et +des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant +pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la +dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des +travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds +recueillis en divers lieux et par diverses mains. + +C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de +son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte +est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait, +et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a +admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques +de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part, +l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec +tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est +plus enthousiaste que lui. _Macte animo, generose puer!_ + + * * * * * + +En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un +tact qui l'honore, avait bien voulu offrir à l'Institution nationale +des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur, +terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre +instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont +été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle +réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il +avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine +de ces copies, jusque-là inconnue. + +Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de +l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le +11 mai 1840, dans la salle des séances publiques. + +Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets, +signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la +salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont +transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves +sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de +couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les +membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement[84] +venaient à la suite. + +Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de +l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre +sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis +autour de leur père. + +Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre +sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires +des deux maisons occupaient les deux parties latérales. + +M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil +d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux +élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance. + +A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement +exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un +sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de +guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée. + +Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la +caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses +deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des +sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme +que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec +l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil +d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664 +fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves +des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers +fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur +travail et leurs progrès. + +Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille +circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de +décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants, +mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction +sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de +l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales. + +Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler +devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux +auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du +président, et leurs noms ont été en même temps proclamés. + +Le président, au moment de lever la séance, a fait connaître à +l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître +l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un +monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil +d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa +ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution +nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses +membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et +dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au +Maire de Versailles. + +A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue. + + + + +XXVIII + + Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de + l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet + commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux + sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du + célèbre instituteur.--Empressement unanime de tous les + convives.--Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et + inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.--Transports + d'allégresse de tous les assistants.--Mon allocution.--Bienfaits de + la Société centrale des sourds-muets.--Projet de cours publics et + gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité. + + +Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet[85] du 123e +anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme +président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que +parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de +l'humanité, ce _palladium_, ce drapeau de notre association commune, qui +devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de +ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet +appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'oeuvre du +sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et +saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent +quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du +premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux +convives l'allocution mimique suivante: + +«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions, +cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre +fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a +su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait +Merlieux, que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces +traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de +tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce +un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme +céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des +hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité! + +«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore, +n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui, +rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide +essor vers le monde de l'intelligence. + +«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous +sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre +reine! + +«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de +cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est +prodigieusement agrandi. + +«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu +s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre +civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des +intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la +perfectibilité; et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes +préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence +est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle +détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de +l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de +l'ignorance, en sortit triomphant à la fin. + +«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un +respectable ecclésiastique adressa à notre _sauveur_ en venant +d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir +vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la +religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.» + +«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous +environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la +constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins +heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette +population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier, +autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de +ces infortunés. + +«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des +pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète +ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux +gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à +l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous? +Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le +gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits +dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à +ouvrir une école aux moeurs et au respect des lois. Plusieurs hommes +de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans +l'accomplissement de cette grande oeuvre de l'émancipation des +sourds-muets. + +«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous +sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire. + +«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour +nous. + +«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai +encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini. + +«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour +l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux +efforts pour justifier votre choix! + +«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai +cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour arriver +au but de nos voeux. Je termine, mes frères, en vous proposant un +toast cher à nos coeurs: + +«A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!» + + + + +XXIX + + Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur + ami Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation + exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs + et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, + inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits, + marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire, + graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout + genre, militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un + sourd-muet de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une marins et + médaille.--Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen + d'assister à notre banquet.--Mon toast à M. Bouilly et la réponse + de ce doyen de nos auteurs dramatiques. + + +Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient +précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après +le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs[86], faisant +assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime +d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors +sourds-muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette +solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur +expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une +classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours. +C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée +de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place +spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune. + + «A la gloire des sourds-muets:! + «Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . . + +...(1)[87], qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le +_Droit_, avec la _Gazette des Tribunaux_, et adresse, pour ses frères +méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient +aux Ministres; + +«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux, +auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie; +Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui +aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour +eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan, leur +La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et +écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et +d'autres encore; + +«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus +suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le coeur; +Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous +presse[88]; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui +s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse; + +«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois; +un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses +découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux +travaux: Paul de Vigan; + +«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au +Musée de Versailles: Mlle Fanny Robert, la gracieuse élève de +Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson, +l'Apelle méridional, qui a retracé _les derniers moments de l'abbé de +l'Épée_; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux; +de Widerkehr, qui excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste +titre, le Dubufe de la daguerréotypie[89], qui a inventé, de concert +avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à +polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf, +l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave +Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier, +est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite; + +«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette +personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler; + +«Un statuaire de talent: Cary; + +«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et Mlle +Alavoine; + +«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel[90], Leclerc[91], Haacke +réclament une place; + +«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la +sourde-muette qui excelle dans la gravure; + +«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont +fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs; + +«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer +dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de +beaucoup, les bornes de cette allocution rapide; + +«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis +(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades, +vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de +Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que +leur a donnée, à tous, la nature compatissante; + +«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait +bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi +dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de +brillants exploits, dans la force de l'âge, parce qu'il était +sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble +maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli, +adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la +scène française, devint dragon dans les armées de la République, et +tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il +n'avait pas entendu le signal de la retraite. + +«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent. +A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir! + +«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse +des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de +poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes, +de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en +tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit +permis d'y inscrire un nouveau nom! + +«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre +école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante +francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le +ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille[92], +prix de son courage et de son dévouement. + +«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau +camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur +son histoire. + +«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont +aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y +montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger +qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant, +il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris +déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr.... + +«Heureusement les deux frères Hurtrelle (Alexandre et +Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui +est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a +entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y +précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant +qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint +l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans +l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à +coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le +jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son +frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de +la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme. + +«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères +sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger; +il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend +pas qu'il ait fait autre chose que son devoir. + +«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour +y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros, +qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront, +ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là, +deux sous, cet autre, plus favorisé de la fortune, trois sous au plus; +et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant +réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur +nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous +sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous. + +«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous +dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire? + +«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des +sourds-muets!» + +Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant +de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui +lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle, +surtout, ne saurait se décrire. + +Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos +hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en +pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut +l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques. +Voici l'un et l'autre: + + _Mon toast:_ + +«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène française, a fait revivre +l'abbé de l'Épée et son cher _Théodore_, connu sous le nom de _comte de +Solar_, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive +admiration! Son nom restera gravé dans nos coeurs comme celui d'un +ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des +sourds-muets.» + + _Réponse de M. Bouilly:_ + +«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante +de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins, +sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage +que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie +français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres +de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière. + +«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la +bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que +l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine +ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il +obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses +semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la +protection des puissants du jour. Il employa un capital de 15,000 liv. +de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable +institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet, +les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux, +quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour +son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante +économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin +qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant +qui le caractérisait: _Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait +tort de 300 livres._ + +«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent +considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en +disant: _Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre +d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance._ + +«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait +mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce +qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!...... +Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et +méconnaissait jusqu'à la vertu même. + +«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de +la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il a +fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver +l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de +fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en +comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres, +des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin +honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!.... + +«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes +découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les +immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas, +comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le +philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des +âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour +sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du +Créateur! + +«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes +distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée +de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos +gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient +féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au +développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs! +Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel, +consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot, +cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une +même famille! + +«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits +de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que +daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur: + +«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la +fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma +tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus +beaux jours de ma vie.» + + + + +XXX + + Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une + statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de + Versailles, sa ville natale.--Communication officieuse du maire du + chef-lieu de Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. + le docteur Bataille.--Sa lettre à un journal du + département.--Nobles sentiments.--Modèle de la statue de notre + illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des + monnaies.--Offres désintéressées.--Premier noyau de la commission + de Versailles. + + +Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles, +qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et, +avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance +pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du +chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder +l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la +Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville. + + * * * * * + +Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une éclatante réparation pour les +dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho +sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre +instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel +énergique au public, dans la lettre suivante, que la _Presse de +Seine-et-Oise_ inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année: + + + PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + + «MONSIEUR LE RÉDACTEUR, + +«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs +reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce +qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits. + +«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un +des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins +caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel +épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant +quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement +achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts, +et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes +avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés +nombreux, dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire +et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la +morale. + +«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses +richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque +province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit +ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au +denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos +hommes illustres. Voyez _Molière_, _Racine_, _Voltaire_, _Foy_, _etc._, +à Paris; _Corneille_, _Boïeldieu_, à Rouen; _Malherbe_, à Caen; _Jeanne +d'Arc_, à Orléans; _Kléber_, à Strasbourg; _Hoche_, à Versailles; +_Marceau_, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant +d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et +loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux +caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce +colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses +galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande +banque de _toutes les gloires de la France_, qui ne connaît pas de +prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs +insolvables. + +«C'est, sans doute, par cet entraînement pour tout ce qui est éclat +national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne +l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur[93], +dont l'âme, n'est ni _sourde_ au cri de la reconnaissance, ni _muette_ à +l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple +éloquence d'un coeur tout plein des bienfaits de son maître, +l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée. + +«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville +qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à +d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir +assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins +connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même +inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par +aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de +l'Épée au nombre des enfants de Versailles? + +«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut +guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais +humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et +sanglantes hécatombes de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée... +à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux +dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie, +les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de +pacification? + +«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies, +trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les +compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités, +puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice +envers l'autre. + +«J'émets donc le voeu et formule ici la proposition qu'il soit élevé +une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de +Versailles. + +«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet +objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue +Neuve. Là, nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales +galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de +Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père +des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la +ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la +fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine. + +«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables; +que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain +qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la +caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de +souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du +gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a +gratifiés pour la statue de Hoche? + +«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je +l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la +confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la +ville, comme à tout ce qui touche à son éclat. + +«Agréez, etc.» + + * * * * * + +Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies, +présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de +l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans +autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres +désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies +comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux +de ses concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à +lui, afin de couvrir les dépenses du monument. + + * * * * * + +Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24 +janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le +lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron, +Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous +faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville +natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée. + +M. Michaut était présent. + +Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant +apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de +nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner +l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M. +l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider +l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire. +Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il +s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres +proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne, +l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de +Sainte-James, Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard. + +Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles +n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à +ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant, +au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre +les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la +souscription. + + + + +XXXI + + Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau + définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et + moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire + de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La + statue sera en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements + proposés.--Deux seuls paraissent convenables.--Autorisation à + demander au conseil municipal.--Comité de trois membres, chargé, + sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des + travaux.--Publication de la liste des souscripteurs tous les deux + mois. + + +La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le +cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient: + + MM. BERNARD DE MAUCHAMPS, vice-président du tribunal; + + BESNARD, notaire; + + DE FRESQUIENNE (le baron), membre du conseil municipal; + + GAUGUIN receveur principal; + + LEBRUN, directeur de l'École normale primaire; + + DE SAINTE-JAMES, avocat; + + WATHIEZ (le vicomte), lieutenant général. + +On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de +la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de +Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne; +secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin. + +La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida +qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était +accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes +qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui +paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en +furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles; +Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département. + +La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour +activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés; +mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se +borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M. +Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la ville. Quant au +mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le +projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux +journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en +outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des +lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la +localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la +souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le +préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans +le _Mémorial administratif du département_. + +Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: _Commission +pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée_, et que les affiches +et notices pour les journaux seraient intitulées: _Commission pour le +monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale_. + + * * * * * + +Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le +vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de +proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux +souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait +que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il +serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi. + +M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire +de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de +l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les +départements fut l'objet d'une discussion générale. + + * * * * * + +Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui +était offert de faire partie de la commission. + + * * * * * + +A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut +donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le +dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les +souscriptions. + +M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de +préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission +décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille +héroïque, c'est-à-dire de huit pieds au moins. + +Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un +devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées; +puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la +ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue +de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards de la Reine et du Roi, 3º l'axe +du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui +devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la +prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º +le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des +Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe +qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le +Marché-Neuf. + +Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission: +la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un +extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement +désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du +conseil municipal. + +Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre +l'exécution de la statue, sous le titre de _jury de surveillance_, et on +l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de +l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit +dans le sein de la commission, soit en dehors. + +Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode +de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires +dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi. + +Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis +suivant serait inséré à la fin du prospectus: + +«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la +liste des souscripteurs.» + + + + +XXXII + + Mort du président de la commission, M. le marquis de + Sémonville.--M. le baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande + d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la + statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École + normale.--Réponse favorable.--M. Michaut s'engage à ce que les + frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à + en commencer le modèle en argile plastique.--M. l'architecte Petit + invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et + des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois + le voeu qu'on choisisse un emplacement plus convenable.--Projet + d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur. + + +La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans +le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence +du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses +collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de +Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement +procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président et d'un +nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron +furent promus à ces fonctions. + +On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de +l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la +statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale, +au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un +hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école. + +Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le +bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier +l'étendue du terrain demandée au Ministre. + +Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui +lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue +ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en +même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile +plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de +suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit +dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le +piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient. + +Ces travaux devaient consister en maçonnerie, marbrerie, serrurerie, +peinture, charpente, terrasse et pavage: + +En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former +le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il +serait placé et l'entourer d'un stylobate; + +En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné; + +En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant +sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le +bord de la plate-forme; + +En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze; + +En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce +que la statue fût érigée; + +En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin +d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches. + +Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails +circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs, +répartis comme suit: + + Maçonnerie. 3,500 fr. + Marbrerie. 4,550 + Serrurerie. 3,000 + --------- + Transport. 11,050 fr. + + Report. 11,050 fr. + Peinture. 160 + Charpente. 150 + Terrasse et pavage. 300 + --------- + Total. 11,660 fr. + ========== + +A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de +l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction +publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue: + + _A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour + l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles._ + + A Paris, le 10 septembre 1839. + +«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient +nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la +commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une +petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale +primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever +la statue de l'abbé de l'Épée. + +«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain, +ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société des +souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la +grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la +statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de +l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin +d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin, +qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin +de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la +rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma +décision à la commission que vous présidez. + +«Recevez, Monsieur le baron, etc.» + + * * * * * + +Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission, +une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique. + +Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil +municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici +les conclusions: + +«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs +à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa +commission, décide: + +«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue de l'abbé de l'Épée sur +une des places de la ville de Versailles; + +«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission +des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en +face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le +conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs; + +«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son +érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes +proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la +saillie que le monument aura sur la voie publique. + +«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et +adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le +deuxième paragraphe: + +«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement +proposé par la commission des souscripteurs, émettant le voeu que les +résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la +place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou +tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition +de la commission.» + +Cette lecture entendue, la commission discuta les conclusions du +conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour +l'autorisation[94] que ce magistrat s'était empressé de lui faire +obtenir. + +M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses +prévues. + +L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à +stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité. +Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée. + +M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à +faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du +monument. + +On pensa qu'une médaille, oeuvre de M. Michaut, dont la réputation, au +point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les +citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du +monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi +individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire. + +La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à +distribuer aux souscripteurs était décidé en principe; 2º que cette +médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente +lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal +plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant +préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur +serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M. +Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire. + +La commission nomma, enfin, _un comité chargé de rédiger et d'envoyer +les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer +les travaux_, concurremment avec le président et le secrétaire. + + + + +XXXIII + + M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son + approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé + de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui + s'y rattachent.--Réponses de la commission aux différentes + questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.--Première + pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de + Versailles avec quelques membres de la commission du monument, + ayant pour but d'essayer de lever en commun ces + obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en réponse + aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un + prospectus à répandre pour activer les souscriptions. + + +M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840, +adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il +n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à +l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des +choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé: + +1º Sur la forme et le mérite de la statue projetée, question qui ne +pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de +la grandeur même de la statue; + +2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui +paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que +partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin +de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis +offrant, à son avis, un emplacement plus convenable; + +3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense +serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les +ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de +compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les +souscriptions ne seraient pas suffisantes; + +4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû +être faite à la ville, et non aux souscripteurs. + + * * * * * + +Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des +souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de +Seine-et-Oise. + + * * * * * + +En conséquence, dans la sixième séance du 27 janvier 1840, M. le +président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise +n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la +commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait +nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une +délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de +documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des +délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité +de rédaction, à l'effet de préparer une réponse. + +M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son +ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La +commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en +double exemplaire, à M. le maire de Versailles. + +M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus[95], avec les +additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit +connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité. + + * * * * * + +Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui +avaient été soumises par M. le préfet, et finit par proposer, dans le +cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient +pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus +prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà +souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle, +voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de +s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en +désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt +levé tous les obstacles.» + +Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter +incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le +préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé +de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des +souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de +Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité +à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la +Mairie. + + * * * * * + +Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture +d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis +le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à la connaissance de la +commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il +avait tenus. + +M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La +commission déclara approuver cet aperçu de la situation. + +M. le président communiqua la délibération suivante du conseil +municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le +préfet: + + «Le conseil, + +«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a +lieu de répondre à M. le préfet: + +«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs, +par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse +écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur +d'exécution; + +«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît +pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant +la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre +emplacement de la ville; + +«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à +prendre, et qu'aucun sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet; + +«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite, +ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit, +aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue +propriétaire du monument. + +«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et +adoptées.» + + + + +XXXIV + + Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de + souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de + 300 francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la + commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la + statue.--Le statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions + des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.--Projet + d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution + des sourds-muets de Paris.--Le préfet de Seine-et-Oise accepte les + fonctions de président d'honneur de la commission.--MM. Molé, + Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés + pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la guerre regrette + de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la + confection de la statue. + + +Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et +contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil +municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes: + +«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir +bien considérer que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas +être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités +municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à +un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de +reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité, +un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque. +C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez, +non-seulement à vous associer à notre oeuvre, mais encore à provoquer +l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou +avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents. + +«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques +souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos +sentiments les plus distingués.» + + _Le président_, Baron DE PRESQUIENNE, + _Le secrétaire_, E. B. DE SAINTE-JAMES, + Membres du conseil municipal. + +A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que +déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle +faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les +personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique et +morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et +dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c. + +Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier +une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds +nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce +monument vraiment national. + + * * * * * + +A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima +le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion +personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à +visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il +fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait +immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait +prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses +observations. + +M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic, +frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000 +infortunés de cette catégorie que peut contenir la France[96]. Des +remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé qu'il +apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui +transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la +commission était animée pour ses louables efforts. + + * * * * * + +Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication +d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de +la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter +de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris[97] l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet +établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et +qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription. + +M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle +lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition +une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83 +sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de +nouvelles souscriptions. + +Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne +l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des +sourds-muets, pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet +d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur +regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École; +mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la +cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à +la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était +nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût +approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le +secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait +à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient +entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il +pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté, +à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à +la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre +l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la +commission pour recueillir les offrandes. + +La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait +transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers +le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des +sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du +Louvre, en obtenant toutes les autorisations indispensables pour +arriver à ces fins. + +La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne +serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner +plus de puissance et de popularité. + +Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et +Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du +département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département, +pair de France, et à M. le duc de Luynes. + +En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé +Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence +d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission. +Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire +occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du +gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être +le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit +par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il +éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville +natale. + +Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était +empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande que ce +respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire +à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour +que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés +par le gouvernement. + +Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre, +maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise +qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de +Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître +les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze +demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes +dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des +bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans +les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi +pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne +manquerait pas de le signaler comme tel.» + + * * * * * + +La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de +souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à +remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne +fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait +beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les +départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous +les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce +monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de +leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément +souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers +souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de +membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses +fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des +services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez +toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au +génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance. + + + + +XXXV + + Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des + sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de + Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de + délégués du conseil municipal, de membres de la commission des + souscripteurs.--Mes impressions en présence de la + statue.--Engagement du fondeur.--Adoption de la statue par le + conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des + rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut se soumet aux corrections + indiquées.--L'architecte de la ville mis à la disposition de + l'oeuvre.--Nouveaux moyens à employer pour activer les + souscriptions. + + +Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de +Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé, +dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue +Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de +proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en +costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen +sérieux de l'oeuvre de M. Michaut, c'est un devoir pour nous de +féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème +difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais +comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut +devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous +pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition +remarquable. + +Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont +le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon +et une tablette, sur laquelle est écrit le mot _Dieu_, d'abord en +caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite, +élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité +adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont +elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la +première lettre du mot _Dieu_. C'était dans cette position simple, +naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que +l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines, +trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.--Vue de face, la +statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est +belle. L'oeil est satisfait autant que le coeur.--La soutane est de +l'effet le plus vrai, le mieux senti.--Par derrière, les plis du +manteau retombent naturellement et sans contrainte. + +Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente +le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses +emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à +l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers +élèves de ce maître dévoué. + +Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est +honorable. Pour que son oeuvre puisse être citée comme un des plus +beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce +genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin +de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui +retombent sur le bras gauche.--Il a droit, désormais, à nos +félicitations autant qu'à notre reconnaissance. + +Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois +heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets +de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des +adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal +composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par +une députation de membres de la commission des souscripteurs. + +La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs +examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois, +leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son +sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de +douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet +historique du vénérable abbé de l'Épée. + +Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était +loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée +à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif +annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant +probablement ressortir la statue avec plus d'avantage. + + * * * * * + +Le 25 août, le _Journal de Seine-et-Oise_ publiait l'article suivant, +intitulé[98]: _Impressions des sourds-muets en présence de la statue de +l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de +Paris:_ + +«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans +la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques, +nº 254, doit être coulée en bronze et orner une des places publiques de +Versailles. C'est l'oeuvre de M. Michaut, le célèbre graveur des +monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la +ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. +Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette +commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce +monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de _notre +père spirituel_. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération, +la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les +coeurs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre +Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils +dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les _aînés_, je +veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à +leurs _cadets_, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs +condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes +étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes, +tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était +à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté. +Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même +de l'établissement. + +«Tous les yeux sont fixés sur cette image chérie. Que de sensations +elle excite! Nos enfants s'extasient; leur coeur s'enflamme au +souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui +a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et +puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a +soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils +étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du +banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du +courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas +jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne +pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette +infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de +l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe +des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de +les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien +tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes, +regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de +puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre? + +«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste +énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue dont +l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos coeurs, à +toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le +travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce voeu trouve de +l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à +quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que +Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants, +envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France, +tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite, +le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera +pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au +premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis! +Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une +image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la +statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui +préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous +dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre +père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages. + +«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible +les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici une +réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix, +une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de Mlle Barbier[99], a +faite à cette question: + +«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée +dans l'Institution des sourds-muets?» + +«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons +voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se +fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous +ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne +sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous +obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le +ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous +qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons +plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif +sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au +ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux; +que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les +sourds-muets pratiquer toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux +vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si +jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait +nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le +bienfaiteur des sourds-muets.» + + * * * * * + +M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la +commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en +plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de +l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y +mouler en deux parties seulement; + +2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre +pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être +essayé par expert sur la statue même); + +3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction +de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer +sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires; +le tout, pour la somme de _six mille francs_. + +Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée, +deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie. + +Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de +Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du +conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la +statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et +d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération +à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il +lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la +dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir. + + * * * * * + +A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M. +le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre +ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du +plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des +sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de +l'intérieur. + +Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien +voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le +plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en +conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du +département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle, +la sollicitude de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M. +le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face +aux dépenses de la fonte de la statue. + +«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire, +des membres de la commission municipale et de la commission du monument +se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue. +D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le +conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à +la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des +corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le +préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre +de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la +statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la +disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la +réalisation des projets de la commission....» + +Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la +condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les +corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était +bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du +président, et après l'approbation de la commission. + +M. le trésorier lui communique la situation de son avoir. + +M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener +des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui +voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º +près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets +qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre +des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants +de la commission. + + * * * * * + +Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le +préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers +à la disposition de la commission.--Il fut décidé que le bureau +provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres +adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés +ci-dessus. + + * * * * * + +Puis, la commission arrêta ce qui suit: + + * * * * * + +«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour +être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de +la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le +maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de prêter +leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant +l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville +à l'abbé de l'Épée.» + +M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections +faites à la statue. + +Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la +séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent +faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait +définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M. +Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment. + +On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard, +vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter +assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales, +donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle +M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la +statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet +de traité, qui fut adopté à l'unanimité. + +M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les +moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On +arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut +demanda à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas +les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une +époque plus opportune. + + + + +XXXVI + + Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal + de la statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette + oeuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à + l'achèvement des travaux.--Le conseil municipal en vote + 2,000.--Projet d'une plaque commémorative.--Inscription de la face + principale du monument.--Travaux du fondeur surveillés par le + statuaire.--Érection fixée au 8 septembre 1843.--Dernières + dispositions.--Programme de la fête.--Décision du conseil + municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux + sourds-muets qui assisteront à la cérémonie. + + +Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de +l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets +en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur +de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique +dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don +qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur des +sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur +elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit +connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un +fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en +bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843. + + * * * * * + +Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier, +inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des +mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze, +envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne. + +M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la +délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur +suit: + + «M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue + de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en + fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs. + + «Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le + secrétaire rend compte des corrections faites à la statue. + + «La commission a annexé aux pièces un état de la situation + financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit + de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure + au devis pour la construction du piédestal de la statue. + + «Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de + 2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du + piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que + le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal + réduira probablement cette dépense à 2,000 fr. + + «Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu + qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper; + + «Que la construction du piédestal sera supportée par la + souscription; + + «Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de + laquelle il sera pourvu dans la session de mai.» + +Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1er +août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné +communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en +général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville, +et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par +le moyen de lettres et par celui de visites, dont serait chargée une +personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on +s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris +tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une +démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du +département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août. + +D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux +du piédestal, etc., etc. + +Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre, +enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait +l'inscription suivante: + + =AD. MAJ. GLOR. DEI.= + + Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français, + + EN AOÛT 1843, + + Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique + + A LA MÉMOIRE DE + + =CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,= + + Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets, + + NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789. + + MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE + ET DES HABITANTS, + DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES, + + Par les soins des Commissaires: + + MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur; + + REMILLY, Député et Maire; + Bon DE FRESQUIENNE, ex-Maire; + L'abbé CARON, Vice-Président; + DE STE-JAMES GAUCOURS, Sre + BESNARD, Vice-Secrétaire; + GAUGUIN, Trésorier; + Lt-Gal Vte WATHIEZ; + B. DE MAUCHAMPS; + TAPHINON; + + LEBRUN; + COUPIN DE LA COUPERIE; + BOISSELLIER; + DOUCHAIN; + Dr BATTAILLE; + Feu le Mis DE SÉMONVILLE, Pair; + Feu le Cher DE JOUVENCEL, ex-Maire et ex-Député. + + Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies; + Architecte: PARIS, Architecte de la ville; + Fondeur: SAINT-DENIS. + +Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument. + + GABRIEL F., à Versailles. + +Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie, +en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double +exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux +archives de la ville.--On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque, +suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission. + +On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du +piédestal, l'inscription suivante: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + NÉ A VERSAILLES, + + LE XXIV NOV. MDCCXII. + +Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il +en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas, +l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais +on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun. + +Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus +éloignée, selon les ressources de la commission. + +M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que +les conditions imposées par la commission du monument, d'après les +articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de +la commission et M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par +le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité +nécessaire.--Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur +place. + +Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur, +la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M. +l'abbé Caron, vice-président. + +La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés +pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et +décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand +elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des +travaux. + +Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur +l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit +successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission +déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés. +Elle rapporta sa décision du 1er août, et arrêta que cette +inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en +ces termes: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS, + NÉ A VERSAILLES, + LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII. + +Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient +terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait +irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers +une heure de relevée. + +Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut +introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission +arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre +sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient +offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le +préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la +commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le +quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission. + +L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la +statue. La commission décida ce qui suit: + +Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le +monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son +inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en +informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien +prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires, +notamment pour empêcher la commission et les souscripteurs d'être +confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire +serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet, +président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit +président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui +donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être +son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la +statue à la ville de Versailles. + +La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris +et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses +personnes qui ont rendu différents services à la commission. + +Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait +imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de +l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration +devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de +Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la +notice. + +M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2 +septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il +rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir +entendu, le 8 novembre 1841, celui de la commission qui avait été +chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée: + +«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M. +Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de +jonction des rues Royale et d'Anjou[100].» + +M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument, +de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle +devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et +lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures de police qui +lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la +cérémonie. + + * * * * * + +M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le +2 septembre, de Versailles, en ces termes: + + «MONSIEUR, + +«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le +programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a +décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir +bien adresser une allocution _mimique_ aux sourds-muets réunis au pied +de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au +plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons +d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur +bienfaiteur, et de leur témoigner que _la ville de Versailles_ tient à +honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la +garantie de l'éloquence de ses paroles. + +«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou +encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir +prononcée. + +«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour +Lyon le 24 ou le 25, on aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus +tôt. + +«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à _midi et demi précis_ sur +remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les +présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions. + +«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de voeux qui doivent +sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son +très-humble et très-obéissant serviteur.» + + + + +XXXVII + + Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa + ville natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de + Paris et d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence + regrettable du clergé.--Nombreuse affluence de + spectateurs.--Discours du préfet, au nom de la commission des + souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie et les travaux + de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la + commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves + d'artillerie.--Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il + devait prononcer. + + +[Illustration: Statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. + +=Par M. MICHAUT (Des Monnoies)=.] + +Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des +rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un +piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout +autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de +garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se +tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute +condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on +remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin +de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la +conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure, +la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de +France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du +monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins +le clergé[101]), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux +applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant +donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la +ville dans les termes suivants: + + + «MONSIEUR LE MAIRE, + + «La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui + nous environne, et je suis chargé, par la commission de + souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles, + représentée par son corps municipal. + + «Le zèle des souscripteurs, dans cette oeuvre de reconnaissance, + a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps + municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste, + par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le + jour. + + «Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu + naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable + qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les + inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la + parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de + toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi + dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la + morale, de l'intelligence et de la raison. + + «Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands + souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de + l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle + s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme + nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir + du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage + du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.» + +M. Remilly, maire de Versailles, membre de la Chambre des députés, a +répondu ainsi: + + «Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste + orgueil. + + «Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans + l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime + ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante, + naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus + grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une + auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie + intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en + était déshéritée.--Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent + consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer + aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer + leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque + sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et + observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence + humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la + faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue + intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond, + il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de + l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence, éveilla dans + leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité + horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à + l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si + naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte. + + «Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître + dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son + corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres + enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de + l'abbé de l'Épée! + + «Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si + justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance + la sympathie des nobles coeurs pour un génie vertueux et modeste! + Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi + nous, qui a voulu faire descendre dans son oeuvre, dans ce + bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie + durant sa vie de vertu et d'abnégation! + + «Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des + sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu + exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de + l'Épée, en rappelant le souvenir de ses utiles travaux, de son + dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à + d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui, + la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs + semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui + immortalisent notre grand concitoyen.» + +M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice +biographique sur l'abbé de l'Épée. + +Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de +l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant: + + «FRÈRES ET SOEURS! + +«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs +glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons +sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un +habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de +l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet +admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles +attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux +impatients! + +«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve +énergie de nos sentiments exprimés dans une langue qui est notre +patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa +également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au +frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en +égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux +oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche +de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel. + +«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où +viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres +enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs +divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique +de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes soeurs en Dieu, +vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui +ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la +création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la +flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que, +quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont +pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux +publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons +religieusement! Quel langage parlent à nos regards ce geste expressif, +cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné +par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples +bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos soeurs +d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans +leurs coeurs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait +fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les +ronces du chemin, et que Dieu vous conduise! + +«Frères et soeurs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette +mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce +bronze, pour nous si palpitant de souvenirs! + +«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre +Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en +caractères ineffaçables! + +«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à +bonne fin cette oeuvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des +plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes, +qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de +l'avoir vu naître dans ses murs!» + +M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative +de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt +verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive +sensibilité. + + * * * * * + +M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la +cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que +la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses +immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres +enfants. + + * * * * * + +Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du +vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des +sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour +cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu +garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où +sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique. +Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le +président et le secrétaire de la commission. + +Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied +de la statue: + +«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages que l'immortel abbé de +l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son oeuvre est +au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions +des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi +dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la +pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire, +en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme, +développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la +pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec +autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus +éloquent. + +«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit +bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le +langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du +discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire, +introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots +appelés _pronoms_ par les grammairiens désignent les relations +personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent +naturellement aux premiers éléments de l'ordre social. + +«Si l'on parcourt, d'un coup d'oeil, le siècle qui vient de s'écouler, +on ne trouve pas d'invention plus utile à l'humanité. Sans doute, +durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif +éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit +par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent[102]; +l'autre, doué de la plus profonde sensibilité[103] et d'une éloquence +mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des +peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des +précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute +magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute +sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de +ses veilles, l'_Esprit des lois_[104]: toutefois, aucun de ces grands +hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus +du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le +génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour +féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et +abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une +inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette +céleste invention; c'est le désir de faire naître Jésus-Christ dans le +coeur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette +religion sainte, qui embrasa le coeur de l'abbé de l'Épée et de son +digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je +m'honorerai d'avoir été l'humble élève.» + + + + +XXXVIII + + Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la + statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du + sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le + conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et + adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au + statuaire.--La commission sollicite en vain de M. le Ministre de + l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière + subvention pour solder ses comptes.--Relevé définitif des recettes + et dépenses.--Tribut de regret de la commission à quatre de ses + membres décédés.--Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.--Elle + décerne une médaille au statuaire Michaut.--Désir des souscripteurs + sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de + constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission + ne peut que faire lithographier des listes générales.--Conclusion: + sept voeux émis; trois encore à exaucer, une statue dans + l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux + inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à + Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à + enseigner, à Paris. + + +A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers, +plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous +celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise. + +Notre poëte sourd-muet, Pélissier[105], voulut chanter, à son tour, cet +envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la +véritable langue des dieux. + +Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères: + + Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer + à la postérité de sublimes leçons. + + A. LENOIR. + + Il est de certains noms consacrés par la gloire, + Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux, + Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire + Les siècles font éclore en jalons lumineux. + L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie, + Fait rayonner leur front d'un éclat souverain, + Et l'artiste leur doit une seconde vie + Dans le granit ou dans l'airain. + +M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16 +septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération +par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à +accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans +cette même délibération, le conseil municipal votait des remercîments +aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur +de la statue. + + * * * * * + +M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de +l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à +l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour +acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à +la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et +les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put +accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il +l'en informa: + + * * * * * + +«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner +suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour +encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en +témoigne tous mes regrets.» + + * * * * * + +Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur +quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour +procéder à la clôture définitive de leurs opérations. + +Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes: + +1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour +de l'inauguration; + +2º Procès-verbal de la séance d'inauguration; + +3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845; + +4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport; + +5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission. + + COMPTES DE M. LE TRÉSORIER, + + _Recettes._ + + 1º Subvention du Ministre de l'intérieur. 3,000 f. » c. + + 2º Souscription du roi. 300 » + + 3º Souscription de la ville de Versailles. 2,000 » + + 4º Souscriptions particulières. 6,499 » + + 5º Intérêts de fonds libres placés + momentanément chez M. le receveur + général. 208 40 + + 6º Allocation de la ville de Versailles + pour solder les travaux. 1,805 47 + ------------ + Total. 13,812 f. 87 c. + + _Dépenses._ + + 1º Acquisition de registres et autres + menues dépenses. 11 f. 10 c. + + 2º Frais d'un modèle en bois, et + papier. 27 50 + + 3º Frais d'impressions diverses. 1,099 50 + + 4º Affranchissements et ports de 531 45 + lettres + ----------- + Transport. 1,669 f. 55 c. + + 5º Remboursement à M. Michaut + des déboursés du modèle de la + statue et de son transport à + l'Institution des sourds-muets, + où elle a été exposée. 1,270 » + + 6º Prix du bronze et de la fonte + de la statue payé à M. Saint-Denis. 6,000 » + + 7º Acquisition et frais de transport + du granit de Soignies, pour le + piédestal, et frais accessoires. 1,462 96 + + 8º Prix de la grille d'entourage + en fonte. 993 80 + + 9º Écritures diverses payées au + sieur G..., et à d'autres personnes + employées par M. de Sainte-James. 155 05 + + 10º Gravure d'une planche en cuivre + placée sous le piédestal, + payée à M. Gabriel Cerf. 77 » + + 11º Travaux d'établissement de la + statue, du piédestal, et accessoires + payés aux divers entrepreneurs. 2,182 51 + ------------ + Total. 13,810 f. 87 c. + ============= + + _Balance._ + + La recette s'élève à 13,812 f. 87 c. + La dépense à 13,810 87 + -------------- + Par conséquent, le trésorier + est reliquataire + de. 2 f. » + ================ + +Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses +dans les trois mois de la clôture des travaux, + +Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation; +que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était +faite dans les journaux du département, + +La commission arrête ce qui suit: + +Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent +à Versailles; elle sera ainsi conçue: + +«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en +terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses +dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer +fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la +déclaration qui précède.» + +L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de +bienfaisance. + +La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets +qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus +distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les +lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux. + +La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les +souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient +précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et +utile. + +La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M. +Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de +président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux. + +Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à +renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude. + +Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les +travaux terminés et la commission dissoute. + + EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU + DEPUIS L'INAUGURATION. + +«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger +à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une +médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle +désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins +précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le +corps qui le lui a décerné.» + +Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le voeu que +leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de +leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à +leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour +eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le +plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur +juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet +objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50 +centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour +obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on +eût dû envoyer un exemplaire de cette liste à chaque sourd-muet +souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris +ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il +valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs, +sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient +d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les +quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui +elles constituent comme un titre personnel[106]. + +Sur les sept voeux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont +exaucés: + +Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel +où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où +reposent ses dépouilles mortelles. + +Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la +France. + +Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune +décore une des places de Versailles, sa patrie. + +Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville. + +Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale +des sourds-muets de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été +promise. + +Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il +naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à +Paris. + +Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc +enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance? + +En douter un instant serait leur faire injure. + +Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos +trois derniers voeux. + + FIN. + + + + +NOTES. + + +(A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une +discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de +sa statue à Versailles. + +_Lespée_, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait +du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles, +que nous rapportons textuellement plus bas. _Lespée_, c'est ainsi qu'il +est écrit encore au frontispice _d'un petit livre pour étudier les +règles du jeu de trictrac_, qui porte le millésime de 1698, et qu'une +des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien +voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe +nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas +d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et, +comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de _de +l'Épée_ retrouvé sur un livre dont il fit don à _Anne-Catherine +Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait +donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779_. + +D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations +d'orthographe? + +L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord _Buonaparte_ (un nom +italien), ne signa-t-il pas _Bonaparte_ dès qu'il se vit investi du +commandement de l'armée d'Italie? + +A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros +pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore +que son humilité était devenue proverbiale? + + (3e Arrondissement de Seine-et-Oise.) + + MAIRIE DE VERSAILLES. + + _Extrait du registre des actes de naissance de la ville de + Versailles, pour l'année_ 1712. + +L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé +_Charles-Michel_ né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert +ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son +épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle +maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran, +entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent. + +Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre. + + * * * * * + +(B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à +l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux: + +«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques, +à l'occasion des disputes sur le jansénisme. + +«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en +1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la +même année: + +«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape +Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par +l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et +confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la +même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à +cette Constitution, et je condamne, de coeur et de bouche, la doctrine +des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre, +intitulé _Augustinius_, que le pape et les évêques ont condamnées, +laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a +mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.» + +«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut ordonnée par +l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État +par une déclaration royale du 20 avril 1664.» + + * * * * * + +«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le +_formulaire d'Alexandre VII_, parce qu'il fut imposé par ce souverain +pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665. + +«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai +1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et +condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de +Cornelius Jansenius, intitulé _Augustinus_, et dans le sens du même +auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les +susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les +saints Évangiles!» + +«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les +archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce +formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les +religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction, +explication ou restriction. + +«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est +le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se +présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait +été prescrit un troisième. + +«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots: +_vineam domini Sabaoth_, se borne à condamner ce que l'on appelait le +_silence respectueux_, c'est-à-dire la prétention des jansénistes, qui +consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître +qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que, +ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était +point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape. + +«La bulle _unigenitus_ du même pontife, en date du 8 septembre 1713, +contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé: +_Réflexion morales sur le Nouveau Testament_. Elle ne propose pas, non +plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au +jansénisme qui soit émané du Saint-Siége. + +«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé: +_Corps de doctrine_, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de +France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire. +On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du +clergé à cette époque.» + + * * * * * + +Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir +positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui +qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il +demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à +30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la +Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se +livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me +préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux +formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le +pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont +l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il +ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer +sa signature. + + * * * * * + +(C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce +qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: _Inauguration de la +statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale_. + +«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au +stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance +de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.» + +Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les +notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre +des sourds-muets. + +Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas +été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de +moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y +a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû +souffrir de la révolution de 93, je me décidai à procéder moi-même à de +nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux +Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de +l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733. + +La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de +ce bienfaiteur de l'humanité à Me Élie de Beaumont, datée du 1er +février 1779, laquelle commence par ces mots: + +«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la +cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me +permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles +appellent _miserabiles personæ_....» + + * * * * * + +(D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de +Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour +l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843: + + 21 août 1843: + + «MONSIEUR, + +«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir +répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de +Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai +qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés +à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le +prier d'ordonner des recherches _depuis_ 1712 _jusqu'à_ 1737. Elles +furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des +renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets +l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une +partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la +certitude désirable à un fragment de son histoire. + +«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard, +archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que +par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de +la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que, +dans le cas où vous ne relateriez pas ces documents à la suite de votre +ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments +précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la _Bibliothèque +de l'école des chartes_. + +«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser +également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec +soin dans mes archives. + +«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis, +etc.» + + ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE. + +_Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._ + +23 mars 1736. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de +Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube). + +31 mars 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres +mineurs et au sous-diaconat. + +26 août 1736. Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant +pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés. + +22 septembre 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat. + +28 mars 1738. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de +Pougy. + +5 avril 1738. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise. + + _Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._ + + Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190. + + 1736. _Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges._ + +1e 23 mars 1736 +fº 62, vº + +Cura de _Feugiis_ (Feuges.) + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi, +salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione +sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube), +in nostrâ dioecesi, cujus, occurente vacatione, collatio, provisio et +alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, +pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et +pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti +Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut +alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque +sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et +donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et +pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.--Quocircà +_Mandamus_ notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs +te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et +pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis +ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et +inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ, +presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio +Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in +presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis. + +Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir. + + _Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs + et au sous-diaconat_. + + 2e 31 mars + 1736 + même reg. + fº 63, rº. + +Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs, +diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet, +permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri +episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo +sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ. + + Ad quatuor minores ordines. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi. + + Ad subdiaconatum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi, sub titulo patrimonii +approbando. + + _Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour + qu'il puisse être promu aux ordres sacrés_. + + 3e 20 août + 1736 + même reg. + fº 65, vº. + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam +instrumento publico coràm Magistris Billeheu et Baptiste, notariis, +Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto, +quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius +uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum +et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro +Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi, et ipsorum filio, in titulum +patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri +possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex +tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob +collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi +jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re coràm +Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni +millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem +donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius +Goblain, Parisiis commorantes; nos, proefatam summam 250 liv. annui +reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, proefatus +Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs) +ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus, +judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister +de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare +non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod +ei strictè sub pænis juris interdicimus. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo. + + _Promotion de Charles de l'Épée au diaconat._ + + 4º 22 sept. 1736, + même reg. + fº 66, rº et vº + +Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati +Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet. + + Ad diaconatum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi. + + _Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy_. + + 5º 28 mars 1738, + même reg. + fº 66, rº et vº + +Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi, +salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti +Nicolai de Pugiaco (Pougy,--arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ +dioecesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia +quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno +jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens, +liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri +Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris +pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos +admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus +et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus +et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes. +Quocircà _Mandamus_ dilectis nostris canonicis et capitulo proefatæ +ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario +apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu +procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in +possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et +præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et +inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in +capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu +assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo. + +Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò mensis Martii vigesimâ +octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, +presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa +vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis. + + Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel. + + _Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise_. + + 6º 5 avril 1738, + même reg. + fº 84, vº et 85, rº. + +Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis +Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet. + + Ad Presbyteratum. + +M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ +collegiatæ de Pugiaco, in dioecesi Trecensi. + +Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont +très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après +l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste +de l'Aube, dans les _Actes épiscopaux_ qui furent déposés à la +Préfecture avant 1793. + + Troyes, le 21 août 1843. + + Signé: COFFINET, + Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes. + + * * * * * + +(E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité +impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des +saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui +nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car, +avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne +sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils +ne peuvent pas être des saints. + +«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre +devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point +vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement +un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore +qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des +sourds-muets. + +«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri +des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons +aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi +supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église +catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons +dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré +les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le +dépôt sacré des doctrines. + +«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint, +les bonnes oeuvres étaient communément matière à ostentation; +cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme +profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et +nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre +qui se crut obligé de lui refuser les cendres. + +«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de +l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes +ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant: +le _soleil a ses taches_. Et notre pénible fonction d'historien une fois +remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne +foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait +trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi +et surtout le Dieu de charité: _Deus caritas est_. + +«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public +des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore +davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de +ne pas rester le ministre soumis.» + + (F) _Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à + Mlle Blouïn_. + +Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à +tous ceux auxquels il appartiendra, que Mlle Charlotte-Louise-Jacqueline +Blouïn, native d'Angers, m'ayant été adressée par feu Monsieur Ducluzel, +intendant de Tours, pour que je lui apprisse à instruire les +sourds-muets, cette demoiselle a fait, dans cet art, des progrès qui +ont surpassé mon attente, et que le témoignage que j'en ai rendu, +lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé Monsieur l'intendant, +quelques mois après, à m'écrire la lettre suivante, en date du 19 +février 1782: + +«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais +demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation +pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne +dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui +communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas +assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos +bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à +diminuer les malheurs de l'humanité. + +«J'ai l'honneur d'être....» + + Signé: DUCLUZEL. + +Mlle Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782, +vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente +année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée, +_j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets_, pour lui en +laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses +opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de +personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les +talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette oeuvre. Je la +crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel +sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans +des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en +présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque +de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères. + +En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat. + + Paris, ce 11 novembre 1783. + + Signé: l'abbé de L'ÉPÉE. + + * * * * * + +(G) _A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets +de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager_. + + «Ce 17 juillet 1842. + +«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des +professeurs de l'institution, afin de remplir le voeu de M. le +ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la +dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie +de l'invention de l'auteur. + +«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode +nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si +l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question +d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau +mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus +facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange +erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce +n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en +fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans +ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des +doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus +léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre +alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla +atteint un instant par le _Syllabaire dactylologique_ de M. Recoing, qui +entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel +divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et, +cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable +dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des +principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait +cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis. + +«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile, +malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de +sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un +alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car, +indépendamment des vingt-cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y +trouve des indications représentant une _série de voyelles combinées et +accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et +la terminaison d'un grand nombre de mots_. Adoptât-on même aujourd'hui +cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps +plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une +multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer +la stabilité et la prééminence sur les autres? + +«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le +chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après +avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications, +dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans +presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui +reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses +diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la +typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à +discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet +dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la +généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle, +de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la +dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de +l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au +point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de +personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on +leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes +ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans +leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission +transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille +dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense +avantage, d'être adoptée et connue. + +«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie, +il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de +plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la +matière, l'idée à sa représentation brute. C'est ce que n'a pu +comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage +mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies +possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité +et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée. + +«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle +trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et +même sans objet. + +«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect +et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher +directeur, + + Votre dévoué serviteur. + + _A Messieurs les membres de la Commission Consultative de + l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle + dactylologie de M. Charles Wilhorgne._ + + «Ce 4 mai 1847. + +Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de +vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen, +sur _la dactylographie_ ou _sténographie des doigts_, laquelle, suivant +l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la +_dactylologie_, l'avantage de rivaliser presque avec la parole +elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un +et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord, +révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos +écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa +brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne +voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans +nos études. _La dactylographie_ de M. Wilhorgne a pour but, +non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la +main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans +jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de +mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la +représentation desquelles sont affectées certaines parties extérieures +de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son +nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une +grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour +éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord, +inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main +après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main +gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient +qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de +transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant, +toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le +privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index +de la droite les indique. + +«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure +sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous +employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la +parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même +que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une +seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien +considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux +que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à +diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de +l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la +préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes. + +«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa +dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce +qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les +autres. + +«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les +sourds-muets, _devenus aveugles_, converser avec les autres hommes, au +moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre, +par le toucher, les contours rapides de la main _parlante_. + +«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère +mériter que la Commission Consultative en propose l'adoption à M. le +Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout +conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines +personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et +d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix +des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la +dactylologie usuelle des sourds-muets. + +«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux +besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau +faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront +toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle +perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres +d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un +signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour +quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre. + +«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou +dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est +vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans +une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la +dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de +notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user +leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires, +insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue +et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer +leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre +spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens +d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue +maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette +étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels, +variés, qui les intéresseraient en les y ramenant. + +«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de +philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement, +tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte +que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de +l'utile, ou ce que nous connaissons depuis fort longtemps, ou ce qui, +en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il +serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables +services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles +ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir +leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande +économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on +charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que +le temps, à une époque où l'on vit si vite.» + + * * * * * + +(H) _Legs d'un sourd-muet._--Un legs fort important a été fait à la +ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en +laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette +ville. + +Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de +300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins +de soixante mille volumes. + +Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret, +célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique +plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes +sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait +la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était +animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il +parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales. +Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de +sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au +moins, son infirmité. + +Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la +validité était contestée par les héritiers. Mme Brongniart, soeur +de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le +testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au +moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur +de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné +M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de +raretés bibliographiques; sa famille les considérait comme des +prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger +contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus +aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la +ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était +sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil +judiciaire. + +Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues +ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour, +M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non +seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède +à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs +assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque +sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus +nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de +tête et de coeur. + +Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations +préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer; +mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder +l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs +de M. de Montbret. + +Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur, +celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important +de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple +expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux +garanti par le donataire. + +Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de +leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées +à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à +la requête de la ville et de Mme Brongniart, sous réserve des droits +de chaque partie. + + * * * * * + +(I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus +heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21 +novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous +sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins +recommandable par ses vertus qu'estimable par ses talents, et qu'il +avait l'intention d'en assurer la perpétuité. + +Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous +croyons devoir rapporter textuellement: + +«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en +icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du +désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à +l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait +ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus +propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un +établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un +et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et +que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et +règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le +gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il +y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la +portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le +diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs, +il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit +arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et +préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars +et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires, +soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient +sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires +dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de +ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de +l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux +d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de +ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que +le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour +l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre +ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir, +sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres +évêques du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet +avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens +vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et +principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa +Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et +projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires +pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un +et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne +pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses, +que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins +de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des +autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne +transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au +couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme, +d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est +aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la +fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur +archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la +destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris +l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses +intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions +qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï +le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné +et ordonne ce qui suit: + +«Art. 1er. Il sera incessamment pourvu à la confection des +distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement +des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des +bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et +y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur +faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui +succéderont à l'avenir. + +«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites +sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés +par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des +biens des Célestins du diocèse de Paris, sur les ordonnances du sieur +archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf, +lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à +retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés +à former la dotation de cet établissement. + +«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une +manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et +délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur +abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv., +pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et +de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter +l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former +audit enseignement. + +«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit +établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les +rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et +affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des +évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14 +mars 1780 et 1er août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment +enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en +conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit +d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des +rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains +en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les +quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et +valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit +sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux +conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque +diocèse. + +«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera +fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200 +liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà +du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus +en jouir, sous quelque prétexte que ce soit. + +«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront accordées +qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du +curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera, +à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et +seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge +royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à +l'admission du sujet dans ledit hospice. + +7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il +en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et +lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration +temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence, +le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des +redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce +qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer. + +Fait au conseil d'État du roi, etc.» + + * * * * * + +(J) _Différence entre les mots_ sourd et muet _et_ sourd-muet. + +Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de +surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait +habituellement de l'expression _sourd et muet_. Ce n'est que vers la fin +du dix-huitième siècle que _sourd-muet_ devint le terme consacré. + +Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les +rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et +l'autre une distinction raisonnée. + +La dénomination de _sourd et muet_ suppose deux incapacités distinctes +et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité +d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute +autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole +humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une +paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie +de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de _sourd-muet_ renferme, +au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de +telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence +obligée de celle-là. + +En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos +jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes +entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent +pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir +l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la +pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut +amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins +prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence +complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de +la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive, +exercée? + +N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les +organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les +ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité? + +Le nombre des _sourds et muets_ paraît, en ce moment, si faible +comparativement à celui _des sourds-muets_, que c'est de ces derniers +seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et +que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit +plus que ces mots: _Institution_ ou _école des sourds-muets_ et non des +_sourds et muets_. + +On a prétendu établir cinq catégories[107] parmi les jeunes sourds-muets +de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories +qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme +incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de +constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque[108]. + + * * * * * + +(K) _Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842_. + +«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour +que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire un appel à votre +concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour +vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés +de coeur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de +Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes +démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous; +malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été +couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour +l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma +pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion +solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de +mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je +m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en +finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que +j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à +mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le +Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres +sourds-muets!» + + _Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur._ + «Paris, le 11 décembre 1842. + + Monsieur le ministre, + +Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis +aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter +l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne +sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils +ont l'habitude d'appeler leur _père intellectuel_ qu'en tendant vers +Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant +en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un +portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander +pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment. + +Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau +représentant _les deniers moments de l'abbé de l'Épée_. Cette oeuvre +remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène. + +Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis longtemps, +brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à +ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une +Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne +refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant +l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en +se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un +autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous +avez commandé successivement deux grands tableaux religieux? + +Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale +confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne +émule. + + Nous sommes, avec le plus profond respect, + Monsieur le Ministre, + Les très-humbles, etc. + +Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre +de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des +établissements de bienfaisance; + +A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets; +Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des +sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville; +Leroy; Pélissier; Del Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A. +Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé; +Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de +Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart; +Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale +des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets; +Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets, +remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles; +Robillard; A. Levassor. + + * * * * * + +(L) «_A Messieurs les membres de la Commission Consultative de +l'Institution royale des sourds-muets de Paris._ + + «Paris, ce 14 mai 1845. + + «MONSIEUR, + +«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des +sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de +l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien +voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président, +d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un +élan spontané de son coeur reconnaissant, offrait à l'Institution +royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce +grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement +que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière +de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le +mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet +établissement. + +«Si un voeu de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il +demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il +ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la +disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui, +d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de +la vie de l'abbé de l'Épée. + +«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au +bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du +donateur, et le motif de son offrande. + +«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le +tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39. + +«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier +d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les +élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de +leur créateur intellectuel. + +«Votre très-humble et très-obéissant serviteur, + + «A. LENOIR.» + + * * * * * + +(M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut +jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, +situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie +connue sous le nom des _religieux de cet hôpital_ ou de _frères +pontifes_ ou _constructeurs de ponts_. + +Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des +lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres +de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces +religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le _Clos +du roi_; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et +portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les +_frères hospitaliers_. + +Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les +chefs avaient le titre de _commandeurs_, s'éleva en 1519, et fut érigée, +dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré +l'opposition des curés du voisinage. + +«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris, +aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et +de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui +_disent, chantent et célèbrent_ à haute voix, et avec chants, lesdits +offices divins, etc.» + +En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque +abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel +appelé _Hôtel de la reine_, et, plus tard, _Hôtel de Soissons_, sur +l'emplacement qu'occupaient alors les _Filles repenties_, et où s'élève +aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent +s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par +contre coup, prirent possession de la maison de +Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur +patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre. + +La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une +nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du +quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux. + +Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit forcé, +dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être +terminée qu'en 1688. _Monsieur_, frère de Louis XIII, en avait posé la +première pierre, et les libéralités du prince de Longueville +contribuèrent à son achèvement. + +Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en +1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à +cette époque, sous le nom de rue des _Deux Eglises_, auquel celui de rue +de _l'Abbé de l'Épée_ a été récemment substitué, à la demande de +l'Institution des sourds-muets. + +La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement +l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de +donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint +ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se +maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y +transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets, +fondée par l'abbé de l'Épée. + + * * * * * + +Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe +aujourd'hui: + +Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son +portail, lourd et massif, disgracieux à l'oeil, n'offre rien de +remarquable comme oeuvre architecturale. Les principaux corps de +logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des +garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un +autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle +des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des +garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés. +Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de +l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant +fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances +de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté, +se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le +second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces +trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un +mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison. + +Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question +donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du +côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis. + +Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il +y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer +et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des +filles, et tombait en ruine depuis long-temps. + +L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées +de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et +de salubrité désirables. + +Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre +le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette +cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement +les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de +toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont +l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La +Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire +de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son +feuillage, l'éloquent auteur du _Petit Carême_. + +Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un +quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au +fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants +une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se +plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes +leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont +taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes +de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour +étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent +ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en +jouir. + +La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans +tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est +abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long +de la grande façade de la cour règne, au rez-de-chaussée, une galerie +couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour +les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques; +de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les +hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la +nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent, +au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le +bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un +atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office. + +Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers +étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer; +l'autre est en bois. + +Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second, +par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de +lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et +quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au +troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les +lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des +lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et +un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en +dalles; le reste de l'établissement est parqueté. + +Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite _de +perfectionnement_, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de +l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en +classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la +maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours +général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on +appelle le _système de rotation_. L'enseignement comprend les préceptes +de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de +géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la +lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint, +dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de +dispositions pour cette double spécialité. + +Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon +est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant lesquels les +jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on +leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet. + +Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel +qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de +plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit +toujours se composer de six élèves. + +Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la +caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de +vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont +sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la +paume des mains. + +Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de +droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le +Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand +tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant +l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet. + +Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette +inscription: + +«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler +les muets.» + + «Saint-Marc, ch. VII, verset xxxvii.» + +A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, oeuvre et +don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de +l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant _les derniers moments +de l'abbé de l'Épée_. A côté, un second autel avec la statue de la +Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette +inscription en lettres d'or: + +«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie +et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint +Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette +Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de +Champagny; étant administrateurs, MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de +Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard. + +«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.» + +Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux +jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal. + +Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour +de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique. + +Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un +réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de +fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un +perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des +garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui +reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans +l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est +entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments. + +En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans +l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard +s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à +l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le +jeune sourd-muet connu sous le nom du _comte de Solar_(sujet du drame de +M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et +protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le +jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de +gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de +l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et +de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images +ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur +lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, oeuvre +remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit +cette inscription: + +«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée, +qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte +Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des +24 et 29 juillet 1791.» + +Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices, d'où l'on +descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en +amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une +pierre de marbre: + +«Mme Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à +Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des +sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit +enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette +Institution.» + +Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription: + +«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de +l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes, +médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison +(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son +testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution +huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une +classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites +en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui +ont atteint le terme ordinaire des études. + +«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir +de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.» + +L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes +lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une +tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge. +Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue. + +Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête +un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur +leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs. + +Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font +saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service; +l'autre sert de logement au concierge. + +Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier +pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge +spéciale de la portière de cette partie de la maison. + +La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près, +en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est +composée de quatre étages. + +Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au +fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par +quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un +gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses. + +Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle +d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le +second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie; +le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses +subordonnées. + +L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été +élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments +de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit +plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous +Philippe-le-Hardi. + +Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur +responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres, +qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier. + +Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des +professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre, +celles de bibliothécaire-archiviste). + +Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude +sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est +fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un +sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du +service, un veilleur et cinq hommes de peine. + +166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des +familles. + +Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs, +trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé +chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une +maîtresse de dessin, une maîtresse d'écriture, une infirmière, une +portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette. + + * * * * * + +(N) _Le_ 17 _décembre, on lisait dans le_ NATIONAL: + +«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée +au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les +vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos +colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu +poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette +nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la +vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau, +de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.» + + LE SOURD-MUET. + + Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre, + Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère, + Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir? + Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir? + Bercé d'illusions, dévoré de rancune, + Revêtu de douleur, couronné d'infortune, + Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité? + Que de maux ont pesé sur notre humanité! + Sans doute que, parmi ces brillantes planètes + Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes, + Un météore horrible, annonçant le malheur, + N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur, + Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense, + Répand dans tous les lieux sa funeste influence. + + Sous cet astre fatal ma mère me conçut; + Au cri de mes douleurs mon père me reçut. + Le malheur fut mon roi. Le coeur rongé d'envie, + Il m'avait attendu sur le seuil de la vie; + Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux, + Pour la première fois, resplendit à mes yeux, + Un plus épais nuage enveloppa mon âme. + Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme, + Ne vint me convier aux champs de l'avenir. + Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr, + Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence, + Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: _Espérance_! + Comme le nautonnier égaré dans les mers, + Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers, + Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile, + Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile, + Sur la mer de la vie, à la merci des flots, + J'ai vogué tristement à travers bien des maux. + + Du moins, dans son naufrage, une voix le console. + C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole; + C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant; + C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant. + Ces vibrations d'air, musique aérienne, + Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne, + Parlent au nautonnier: sensible à cet accord, + Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort. + Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense, + Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance. + Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein, + Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain. + Dans mot isolement, jamais tendre parole + Qui fait bondir le coeur, qui ramène et console, + Sur mon âme captive, en sons mélodieux, + N'est descendue, hélas! messagère des cieux. + + Hélas! je traversais, sans amis et sans guide, + Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride, + Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu, + Ignorant l'univers, à moi-même inconnu. + Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie, + Grave inspiration, légère fantaisie, + Tous vos dons me manquaient pour exalter mon coeur, + Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur. + + Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme, + Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme. + Je t'ignorais encor, douce religion. + Trésor de dévoûment, de consolation, + De l'homme malheureux visible Providence, + Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance, + J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs, + Épancher en silence et ses maux et ses pleurs, + Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure[109], + Écartant les douleurs qui m'agitent encore, + Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts, + Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois, + Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance, + Dire l'hymne sacré de la reconnaissance, + Et, de la mélodie invoquant les faveurs, + Aspirer à cueillir la poésie en fleurs. + Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme, + Délices de mon coeur, doux écho de mon âme, + Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu, + Il m'eût fallu te dire un éternel adieu! + + Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée! + Mon âme, par sa voix, se relève frappée; + Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon + Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison; + Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière + Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière. + L'ange de poésie, ange gardien du coeur, + Est descendu du ciel m'enivrer de douceur; + Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie, + Je me suis abrité, devinant le génie: + Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux; + Il me prête son luth, et nous chantons tous deux. + Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme + Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme; + Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux, + Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux. + Lui, soudain, agitant sa baguette magique, + A mes yeux, fait jaillir un univers mystique, + Univers idéal, monde mélodieux + Où mille doux échos, comme un essaim joyeux + D'esprits aériens, de légères sylphides, + Apportent à mon coeur des accents frais, splendides, + Des bruits surnaturels, de ravissants accords, + L'extase de la lyre et ses vagues transports, + Concerts délicieux, musique intérieure + Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure. + Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin, + Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn! + Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques + Et sème notre ciel d'étoiles poétiques! + Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité; + Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité; + Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère; + J'ai senti ton éclat inonder ma paupière; + Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers, + J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts. + Une lyre à la main, guidé par ton génie, + J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie, + Céleste volupté! charmante illusion! + Et, soudain, au flambeau de l'inspiration, + Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses, + J'ai secoué mon aile aux pures jouissances. + Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor, + Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor + S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes, + Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes, + Va là-haut contempler l'astre de l'univers; + Long-temps se balançant dans l'empire des airs, + Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages, + Il monte, monte encor par dessus les nuages! + + Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix, + Pour immortaliser le héros de mon choix, + Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire, + Si jamais je pouvais demander à ma lyre + Des vers heureux, échos d'infinis sentiments, + C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants. + Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance. + Mes succès seraient doux et mon ivresse immense. + De quel nom te nommer, mon second créateur, + Et sur quel piédestal un transport de mon coeur + Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire, + Perpétuer ton oeuvre et venger ta mémoire? + O tendre de l'Épée, ange de charité, + Sois à jamais béni dans la postérité! + Ton génie immortel, vainqueur de la nature, + Concevant l'impossible, a comblé la mesure + De l'abîme profond où m'avait relégué + Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué. + Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime, + Je redirai toujours ton dévoûment sublime. + + PÉLISSIER, de Gourdon (Lot), + + Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris. + + * * * * * + +(O) _A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés._ + + «MONSIEUR LE PRÉSIDENT, + +Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre voeu +relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir +leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous +offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait +cette oeuvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le +baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand, +Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé, +chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles +des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société centrale +des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire. +L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de +votre assentiment.» + + * * * * * + +(P) _Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M. +Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838._ + +«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon +frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des +sourds-muets. + +«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de +lui élever un monument durable comme ses bienfaits. + +«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du +monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de +l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un +piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un +livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets! + +«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui +soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je +veux seulement signer mon oeuvre de mon nom de frère d'un sourd-muet. + +«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!» + + _Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à + M. Alphonse Lenoir._ + +«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de +m'associer à l'oeuvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à +l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets. + +«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement. +Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du +monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et +aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un +médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les +principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile! + +«Agréez mes embrassements de frère!» + + * * * * * + +(Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et +Auguste Préault, statuaire. + + DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS + + _Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch, + à la mémoire de l'abbé de l'Épée._ + + PREMIER PROJET. + + _Monument_. + + La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.) + de hauteur. 9,000 f. 00 c. + + Le piédestal et tous ses accessoires. 3,020 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ----------- + Total du monument. 12,220 f. 00 c. ci. 12,220 f. 00 c. + ------------ + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 18,081 f. 00 c. + ============ + + DEUXIÈME PROJET. + + _Monument_. + + Un buste en bas-relief. 6,500 f. 00 c. + + Colonnes, consoles et tous autres + accessoires. 11,035 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ------------ + Total du monument. 17,735 f. 00 c. ci. 17,735 f. 00 c. + ------------ + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 23,596 f. 00 c. + ============ + TROISIÈME PROJET. + + _Monument._ + + Un buste et deux petites figures. 10,500 f. 00 c. + + La pyramide. 600 00 + + Le piédestal et tous les ornements 5,120 00 + + Gravure des inscriptions. 200 00 + ------------------- + Total du monument. 16,420 f. 00 c. ci. 16,420 f. 00 c. + =================== + + Décors de la chapelle. 5,861 00 + ------------ + Total général. 22,281 f. 00 c. + ============ + + DESCRIPTION. + +Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée, +aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar +des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait +fermée par un anneau. + +Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage +mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets. + +Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un +philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par +quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre +tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement, +puis entre eux et la société dont ils étaient séparés. + +Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment, +serait représenté par la croix placée au-dessus. + +Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de +marbre noir. + +La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre les deux +enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la +première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes +employés par les sourds-muets. + + DEVIS DES TRAVAUX. + + _Maçonnerie._ + + La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux + hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut, + estimée. 15 00 + + La fouille pour ledit déblai et sortie des terres, + estimée. 4 00 + + Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20 + de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur, + produit en cube. 0 513 + + La taille des parements en trois sens, 2,10, sur + 0,75 de haut, produit. 2 00 + + La double taille pour le dégagement du socle et + de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut, + produit. 1 50 + + Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40 + développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent. 2 8 + + Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et + 0,45 d'épaisseur, produit. 0 851 + + Les parements en trois sens, 2,00 développés sur + 1,80 de haut, produisent. 3 60 + + Les doubles tailles pour le dégagement des figures + et des saillies de moulures, évaluées à. 10 00 + + Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur + 0,60 de profil, produisent. 1 080 + + Les moulures de couronnement, ensemble 3,10, + sur 1,50 de profil, produisent. 4 65 + + Les différentes tailles au petit socle qui porte le + buste et le dégagement des consoles, évaluées à 2 00 + + _Résumé de la maçonnerie._ + + 1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix, + pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et + joints, bardage et double transport, entrée difficile, + et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. 170 f. 50 c. + + 19,100 m. superficiels de tailles de parements layés, + et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. 119 39 + + 8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées + et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le + mètre. 73 18 + + Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble + à. 19 00 + --------- + Total de la maçonnerie. 382 f. 05 c. + ========= + + _Marbrerie._ + + Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 = 0,224 + + Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 = 0,027 + ----- + 0,251 + Déchets, 1/10e. 0,025 + ----- + Total. 0,276 + ===== + + A raison de 60 fr. le mètre, produit. 16 f. 56 c. + + 400 lettres, à 25 fr. le cent. 100 00 + + L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre. 8 28 + + Le transport et la pose. 5 00 + --------- + Total. 129 f. 84 c. + ========= + + _Sculptures d'ornements._ + + Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60 + de long. 60 f. 00 c. + + Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c. + de longueur. 80 00 + + Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c. + chaque, valent 200 00 + --------- + Transport. 340 f. 00 c. + + Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c. + 0,25 de haut 300 00 + Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la + croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. 120 00 + Pour l'établissement des modèles 210 00 + + Total 970 f. 00 c. + ========= + + _Statuaire et bronzes._ + + Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé + de l'Épée et de deux jeunes muets 5,168 f. 11 c. + ----------- + Total 5,168 f. 11 c. + =========== + + _Résumé général._ + + Maçonnerie 382 f. 05 c. + Marbrerie 129 84 + Sculpture d'ornements 970 00 + Statuaire et bronze 5,168 11 + ----------- + Total 6,650 f. 00 c. + + Honoraires de l'architecte et frais de direction... 350 00 + ----------- + Total général.... 7,000 f. 00 c. + =========== + + Le présent devis dressé par l'architecte soussigné. + Paris, 1er mai 1840. + + Signé: LASSUS, architecte; + AUGUSTE PRÉAULT, statuaire; + BERNARD, marbrier; + FRÉMY, maçon; + PYANET, sculpteur ornemaniste. + + Les soussignés: + +1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº +2; + +2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place +Furstemberg, nº 9; + +3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue +Vanneau, nº 12; + +4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue +d'Enfer, nº 100; + +Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue +Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet +adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de +l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet +architecte, lequel devis s'élève: + + 1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de.. 5,168 f, 11 c. + 2º Pour la sculpture d'ornements, à 970 00 + 3º Pour la maçonnerie, à.. 382 05 + 4º Pour la marbrerie, à 129 84 + ----------- + Total général.... 6,650 f. 00 c. + =========== + +s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire, +bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui +le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la +commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et +sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces +travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un +mémoire, qui sera vérifié et réglé. + +Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les +travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et +devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux +travaux que l'on pourrait juger convenable de faire dans la chapelle où +l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter +la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux +projets et devis. + +La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera +déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre +restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le +président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité. + + Paris, le 1er mai 1840. + + Signé: _Lassus_, architecte; _Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet_. + +Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à +élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr., +total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la +commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et +bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le +Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter +les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission +de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne +serait pas atteint. + + Paris, le 1er mai 1840. + + Signé: _Auguste Préault_. + + * * * * * + +(R) _Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de +Versailles.--Séance du 14 novembre 1839._ + +Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la +reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est +parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent +l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait +pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet +apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de +lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal +en donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des +Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à +toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui +décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la +galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont +pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les +services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils +ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont +adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce +magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande +votre sanction. + +Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos +concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner. + +Cette sanction est accordée à l'unanimité. + + * * * * * + +(S) COMMISSION POUR LE MONUMENT + + A ÉLEVER + + A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE. + + Souscription. -- Prospectus + +Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste +orgueil, au nombre de ses enfants est _l'abbé de l'Épée_, qui, animé par +la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel, +donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là, les +mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres +hommes. + +Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la +mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir +pour ses compatriotes. + +Un artiste distingué, M. MICHAUT (des Monnaies), en a formulé la pensée +dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et +apprécié son oeuvre; ils ont élu une commission chargée d'en +surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en +assurer le succès. + +Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le +souvenir de _l'abbé de l'Épée_, représentera ce grand homme au moment où +il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel, +expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a +inspirée. + +Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans +la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis +par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement +désirer l'exécution en grand de cette oeuvre d'art, si noblement +conçue. + +M. MICHAUT, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite +de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher +un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense. + +La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son +projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services +rendus par _l'abbé de l'Épée_, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y +répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais +encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette +bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au +génie, que de payer la dette de la reconnaissance. + +La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs, +multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a +décidé que: + +1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 1/2 millimètres (30 +lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme +de vingt francs; + +2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en +argent, en préviendraient la commission; + +3º La commission publierait successivement la liste des +souscripteurs.--Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la +statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi. + +En conséquence, une souscription est ouverte: + +Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand, +à Versailles; + +Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon, +Guénin, Schneider, Tourain, à Paris; + +Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires +de chaque arrondissement; + +A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et Ce., banquiers +à Paris. + +Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission +soussignés: + +_Président_, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et +ancien maire de Versailles;--_Vice-Président_, M. l'abbé Caron, ancien +professeur de l'Université;--_Secrétaire_, M. E. Baudard de +Sainte-James;--_Vice-secrétaire_, M. Besnard, notaire, membre du Conseil +municipal;--_Trésorier_, M. Gauguin, receveur municipal;--_Membres_, MM. +Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles; +vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien +député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps, +vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin +de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal; +Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur +de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier, +peintre paysagiste. + + IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE + LA SOCIÉTÉ. + +Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance +de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre +plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui +figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner +une copie exacte à nos lecteurs: + +«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des +Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver +à Chartres. + +»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan, +sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand +étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre +mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été +extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il +lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit +entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre +mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les +paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans +les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le +silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore +qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur +son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur +l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas +avoir poussé ses pensées jusque-là; quoiqu'il fût né de parents +catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se +mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit +jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les +autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était +que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement +animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées +qu'il recevoit par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de +ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas +qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du +commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense +qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs; +le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce +réciproque. (_Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag. +18_.) + +L'abbé de L'ÉPÉE.» + + + + +SOUSCRIPTION + +AU + +MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE. + + +(T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE, + + Le roi LOUIS-PHILIPPE 300 fr. + +MM. Aubernon, pair de France, préfet de + Seine-et-Oise, président d'honneur de la commission du monument 100 + + Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de + idem 100 + L'abbé Caron, vice-président de idem 100 + De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de + idem 20 + Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem 20 + Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem 20 + Rémilly, député et maire, membre de idem 50 + Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem 40 + Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem 20 + Taphinon, conseiller de préfecture, idem 10 + Lebrun, directeur de l'école normale, idem 20 + Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem 10 + Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem 20 + Boisselier, peintre paysagiste, idem 5 + Battaille, docteur en médecine, idem 20 + Marquis de Sémonville, idem 500 + Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de + Versailles, idem 200 + Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet, 1 + Grégoire, id. .id 4 + Foucque, id. id. 1 50 + Dubois, .id .id 10 + Lefébure, .id .id 5 + De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris 20 + Ed. Morel, professeur de .id 10 + Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id 5 + Sellier, chef d'atelier, à .id 5 + Desportes, .id 5 + Jourdain, .id 5 + Girault, .id 5 + Léon Vaisse, professeur, .id 40 + Lecoq, .id 5 + Lenoir, .id 10 + Langlois, chef d'atelier, .id 5 + Allibert, aspirant, .id 3 + Mlle Barbier, professeur, .id 10 + Mlle Morel, .id .id 10 + Mlle F. Auber, répétitrice, .id 5 + Mlle E. Ferment, professeur, .id 10 + Mlle Roger, .id .id 5 + Mlle Legay, aspirante, .id 5 + Mlle Alleton, monitrice, .id 5 + Mlle Meunier, .id .id 3 50 + Mme Nysten, maltresse d'étude, .id 3 + Mlle Wiser, .id .id 3 + Mme Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes 5 + Mme Lafargue, maîtresse de dessin, .id 5 + Leforestier, aumônier, .id 5 + Menière, médecin, .id 5 + Taupier, maître d'écriture, .id 5 + Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris, 28 90 + Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution + des sourds-muets de Paris, 20 + Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli, 5 + Mamès Dourgnon, son cocher, 5 + Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de + l'Institution nationale de Paris, 20 + Allonor, serrurier, sourd-muet, 5 + Alavoine, horloger, .id 5 + Aucher, chapelier, .id 1 50 + Audibert, cordonnier, sourd-muet, 8 + Bejat, nacrier, .id 2 + Bloïn, fondeur, .id 2 + Bouly, employé, .id 1 + Breüer, serrurier, .id 5 + Brejillon .id 1 + Chabot, orfèvre, .id 2 + Choquet, imprimeur, .id 3 + Contremoulin, employé, .id 25 + Crispaille, brossier, .id 2 + Daudin, fondeur, .id 2 + Delarue, manufacturier, .id 2 + Delille, maçon, .id 1 + Deruez, employé, .id 5 + Deschenes, rentier, .id 5 + Dorel, relieur, .id 2 + Doumic, imprimeur, .id 5 + Dubois, de l'île de Ré, .id 5 + Ducornoy, ébéniste, .id 3 + Dumont, tailleur, .id 1 + Emeux, bottier, .id 15 + Fèvre, imprimeur, .id 10 + Franclet, tourneur, .id 3 + Fontaine .id 5 + Filleron, peintre, .id 2 + Frédéric, grainier, .id 3 + Galbois .id 1 + Gamble, graveur, .id 3 + Gevold .id 1 50 + Gonet, bijoutier, .id 2 + Gouttebarge, employé, .id 5 + Graize, imprimeur, .id 5 + Guillaume, orfèvre, .id 3 + Barielle, imprimeur, .id 5 + Hennequin, dessinateur, .id 5 + Joulin, tailleur, .id 1 + Jumentier, peintre, .id 2 + Knecht, sellier, .id 2 + Lavaud, marinier, .id 1 + Legras, fleuriste, .id 2 50 + Levert, ciseleur, sourd-muet 3 + Levite, tailleur, .id 1 + Lhuillier, tailleur, .id 1 50 + Mairet, sellier, .id 2 + Maloisel, tourneur, .id 5 + Mauviel, libraire, .id 2 + Metais, employé, .id 2 + Michel, pâtissier, .id 2 + Michel, employé, .id 3 + Mondlange, graveur, .id 5 + Mullot, imprimeur, .id 2 + Nicolas, souffletier, .id 2 + Nogaret, tailleur, .id 1 + De Nogent, propriétaire, .id 10 + Nonnen, rentier, .id 10 + Page, employé, .id 5 + Pagez, dessinateur, .id 5 + Pasly, employé, .id 25 + Pollet, nacrier, .id 5 + Quentin, tailleur, .id 2 + Quinsard, cordonnier, .id 5 + Richard, ébéniste, .id 1 + Richard, serrurier, .id 1 + Robert .id 2 + Roche, imprimeur, .id 2 + Romain, imprimeur, .id 5 + Romanet (le comte de), .id 25 + Romiguière, imprimeur, .id 5 + Savaton, cordonnier, .id 3 + Trovalet, tailleur, .id 2 + Verlet, papetier, .id 2 + Vincent, tourneur, .id 5 + Wallon, mosaïcien, .id 5 + Brocheton (le docteur), 10 + Boyd, de Ceylan 20 + Boyd Dundas 20 + Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise 50 + Fasman, artiste peintre, à Versailles, 5 + Fessard, propriétaire, 10 + Lenud (le colonel) 10 + Loz de Beaucours 20 + Noble (le docteur) père 10 + Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles, 30 + Petit, architecte de la ville de Versailles, 10 + Savouré 5 + Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles, 50 + Veytard, ancien capitaine, de Versailles, 20 + Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles, 10 + Ed. Tassin de Villiers, 5 + L'Évêque de Versailles, 100 + Chabin, entrepreneur de pavage, 10 + Binart, entrepreneur de menuiserie, 5 + Decret, garde du génie, 5 + Michel, colonel de la garde nationale de Versailles, 5 + Denis fils, entrepreneur de serrurerie, 5 + Tîssot, entrepreneur de maçonnerie, 20 + Cormué fils, entrepreneur de peinture, 5 + Lambert-Baudry, propriétaire, 5 + Bardet, entrepreneur de couverture, 5 + Membré, chef d'institution, à Versailles, 5 + Francolin aîné 20 + Angouillant, entrepreneur de maçonnerie, 10 + Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles, 80 + Rendu, conseiller de l'Université, 20 + Wartel, artiste de l'Opéra, 10 + Odout 10 + Périchot, conseiller municipal de Versailles, 5 + De Reboul Berville 5 + Lebeau, entrepreneur de peinture, 5 + Bourgeois, marchand tapissier, 2 + Mathieu (le colonel) 5 + Paumier 5 + Delorme 10 + Bléry 5 + Dupont (le chevalier) 5 + Christophe (le général) 20 + Louvet 5 + Mazuel 5 + Lemazurier (le docteur) 5 + Lebert 20 + Valery, bibliothécaire du château de Versailles, 10 + Me Haussmann 20 + Vollot 5 + D'Hastrel (le général) 20 + Lemoine, notaire, 5 + Marchand, idem 20 + Gady, ancien juge, 20 + De Saint-Cyr 5 + Un officier de la garde nationale de Versailles.. 2 + Un clerc de notaire 1 + Mme de Breuilly 5 + M. Gr*** 50 + Legendre 5 + Guillemot 5 + Un petit clerc 25 + Mme Boullé 20 + Mme Guillemot 5 + Ledoux-Leroy 20 + Croiset, receveur de l'hospice de Versailles, 5 + Lepoitevin, architecte, 10 + Hamouy, coiffeur, 2 + Théry, propriétaire 3 + Morel, marchand tapissier, 5 + Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles, 30 + Horeau, architecte, 10 + Mlle Giraud-Chaudra 5 + Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles 40 + Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles, 5 + Bailly de Villeneuve 5 + Haley (de Londres) 5 + Morel jeune 5 + Berthod, professeur au collège royal de Versailles, 2 + Merlin (le général baron) 5 + Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie + de Versailles 21 + Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse, 20 + Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles 20 + Devouges, inspecteur, .id 10 + Levieil, contrôleur principal, .id 5 + De Poiféré, contrôleur, .id 5 + Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain, 5 + Dubois, .id .id id. à Meulan, 5 + Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes, 5 + Salerne, .id .id id. 5 + Michelin, .id .id à Pontoise, 5 + Soulas, .id .id à Gonesse, 5 + Delahaytrée, .id .id à Luzarches, 5 + Fechez, .id .id à Corbeil, 8 + Dubois, .id .id id. 5 + Odoard, .id .id à Etampes, 5 + Crosse, .id .id à Rambouillet, 5 + Thomas, .id .id à Dourdan, 5 + Dahirel, surnuméraire, à Versailles 3 + Tellot, aspirant .id 3 + De Doudeauville (le duc) 20 + De Praslin (le duc) 20 + De Bastard (le baron) 20 + Camille Perrier 20 + Guéneau de Mussy 20 + De Gérando (le baron) 20 + Rendu (le baron) 20 + La société archéologique de Rambouillet 20 + La société d'Agriculture de Seine-et-Oise 100 + La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise 20 + L'archevêque de Bourges 50 + Le Chapitre métropolitain de Bourges 40 + Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes, 20 + Coster, ingénieur en chef, au Puy, 25 + Bouchitté, professeur, 5 + Le curé de Saint-Louis, à Versailles 20 + Mlle Laloua, peintre, 5 + M. Gringoire + Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles + Barthe, chef d'institution, à Versailles + Huvé, ancien notaire + Corneille, propriétaire, 0 + Boulanger, marchand papetier, 5 + Lenoble, notaire à Versailles, 20 + Les clercs de son étude 25 + Gerdolle 20 + Pesse-Remont 10 + Nourtier, juge de paix, 10 + Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix, 10 + De Larochefoucauld (le duc) 20 + Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville + par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux + de Versailles 284 75 + Blanc, aumônier de l'École normale 5 + Anquetil, professeur de .id 5 + Peyré, .id .id 5 + Philippar, id. .id 5 + Deschamps, .id .id 5 + Aubry, .id .id 5 + Vitry, médecin, 5 + Auger, instituteur, 3 + Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire, 2 + Stoos, idem 2 + Les élèves maîtres 30 + La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles 30 + Collet, vicaire de Notre-Dame, 10 + Morand 19 50 + H. de B. 100 + Le Bourgeois, notaire au Havre, 5 + Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre, 5 + Anry, courtier de commerce, idem 5 + Lacour, avoué, au Havre, 25 + Pipereau, .id 25 + Mme Borel 5 + L'évêque de Dijon 20 + Droz, de l'Académie française, 20 + L'évêque de Saint-Brieux 50 + Le marquis Théodore Duprat 5 + La chambre de commerce de Marseille 100 + Le ministère de l'ºintérieur 3000 + Tavernier, négociant, à Paris, 25 + Delapalme, notaire, idem 5 + Un anonyme 5 + Genain, sourd-muet, 2 + Bazin, .id 5 + Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet, 20 + Queilhe, .id 4 + Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id 20 + Boulard, .id 10 + Gers, sourd-muet 20 + Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id 10 + Portal, sourd-muet 10 + Chalumeau, .id 4 + De Duras (la duchesse) 20 + Pelmer 5 + Bruère 20 + Un anonyme 20 + Institut des sourds-muets de Zurich. 50 + Duhamel, juge suppléant, à Versailles, 20 + Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des + sourds-muets de Paris 66 + Steinnhouwer 5 + Oudet, juge de paix, 5 + Aubertin 3 + Le baron Dennée, intendant militaire, 20 + L'abbé Van den Hecke 10 + Griolet (Ernest), sourd-muet, 10 + Imbert (Jules), .id 2 50 + Loustau, peintre, .id 5 + Levassor, .id .id 10 + Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id 5 + Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet 5 + Verrier (Gustave), .id 50 + Laroucault, .id 5 + Dumont (Félix), .id 1 + Chalumeau, .id 2 + Badolle, .id 5 + Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets + de Bordeaux 10 + Haacke, sourd-muet, 2 + Damien, .id 2 50 + Greux, .id 2 50 + Convert, .id 2 + Fouret, .id 2 + Sainton, .id 2 + Saverot, .id 5 + Laurent (Edmond), à Blois, .id 20 + Trézel, .id 2 + Bézu, peintre .id 2 + Letellier, négociant 3 + F. de Jouvencel, maître des requêtes et député, 10 + Néglet, architecte, 5 + Le baron de Stassart, sénateur belge 10 + Le comte d'Epinay Saint-Luc 20 + + + + + + + + +FIN DES NOTES. + + + + +TABLE DES CHAPITRES. + +Chapitre I 7 + +Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon général. +--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent, faute +d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour l'état +ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse de le +signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du +diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que M. de +Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du sacerdoce. + +Chapitre II 14 + +Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports avec +le protestant Ulrich.--Ses voeux en faveur des juifs.--Son abnégation, +son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste, qu'il rend +dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=--On lui interdit le +ministère de la parole et celui de la confession. --On lui refuse les +cendres.--Sa réponse à un prêtre intolérant. --Vengeance +sublime.--Commencement de son apostolat. + +Chapitre III 20 + +Deux soeurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine +chrétienne.--La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé de +l'Épée se résout à continuer son oeuvre.--Théorie du langage des +gestes.--Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.--Ses +premières tentatives.--Objections des philosophes et des +théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important avis du +R. P. Lacordaire. + +Chapitre IV 28 + +Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les +hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux sous le +voile de l'anonyme.--Succès de ses séances publiques.--Intérêt que lui +portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.--Sa réputation +grandit avec son zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en +espagnol, en anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son +système.--Puériles décompositions grecques et latines. + +Chapitre V 35 + +Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des +idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés pour arriver +à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne croient pas à la +possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un avis contraire.--La +fusion de toutes les langues en une seule, si elle était possible, +serait-elle durable?--La mimique est la seule langue +universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste et le +fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa MIMOGRAPHIE. + +Chapitre VI 40 + +Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en est +due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de +l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin +sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.--Quelques +ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.--Sourds-muets +parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. --Succès qu'avait +déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, un juif +portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement notre +célèbre instituteur. + +Chapitre VII 45 + +L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte +à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux +mains, pareil à celui de nos collèges.--Plusieurs instituteurs +d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les +commencements.--Notre dactylologie se popularise en France. --Ses +avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les +parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la +mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. --Justification +du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé de sa méthode.--Attaque du +sourd-muet Saboureux de Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé +contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est +déclaré supérieur au sien. + +Chapitre VIII 54 + +Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en +Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en +Italie.--Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, de +Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro de +Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, +de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, +de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de +Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de +Jacob Rodrigues Pereire. --Succès brillants des deux derniers à +l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.--Il le +nomme son interprète pour les langues espagnole et portugaise.--Sa +tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à ses élèves.--Il offre +de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre de la sourde-muette Mlle +Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret. + +Chapitre IX 65 + +Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son cours +élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier +relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique +d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée devient le +confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph II lui sert la +messe.--Il amène dans son établissement sa soeur la reine +Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le +mettre à même de populariser sa méthode dans ses États.--Lettre de ce +prince à l'abbé de l'Épée. + +Chapitre X 70 + +Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de +l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, de +St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, à +l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa faveur.--Nouvelle +attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle victoire de l'abbé de +l'Épée.--Condillac se prononce pour lui.--Extension trop grande donnée à +la parole artificielle du sourd-muet.--Opinion de l'abbé de l'Épée sur +ce sujet. + +Chapitre XI 75 + +Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque +octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver +rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet +Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une abbaye en +Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de +Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des +sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous les +pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute d'abord +son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son école, en +autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et lui assigne +une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet pas à l'abbé de +l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau local.--Statistique +des pensions de sourds-muets et de sourdes-muettes, existant à cette +époque à Paris.--Son école à un second étage de la rue des Moulins.--Sa +maison de campagne à loyer, rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes. + +Chapitre XII 85 + +Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize ans, +trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis à +l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et +abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes les +maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu--Le sourd-muet +en est retiré et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.--Une +confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué à celui de Louis +Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.--Découverte de la +demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse. --Un trait de lumière. + +Chapitre XIII 92 + +L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la +Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le +protège.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. --Voyage du +célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont, en Beauvoisis, sa +ville natale.--Nouvelles reconnaissances. --Joseph se rappelle une +cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais sa +soeur hésite d'abord. --Une démarche auprès du duc de Penthièvre--Elle +réussit. --Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar. +--Le paiement en est bientôt suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de +l'abbé de l'Épée.--Le premier semestre de la pension est payé. + +Chapitre XIV 101 + +Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé +la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à Toulouse et +amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains. --Ses moyens de +défense.--Il demande à être transféré, avec le sourd-muet, partout où la +justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir +l'affaire.--Cette requête est jointe au fonds; on refuse son +élargissement provisoire, ainsi que le transfert de l'enfant et de sa +soeur sur les lieux.--Enfin, une sentence du Châtelet déclare Joseph +fils du comte de Solar, reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie +absous.--Commentaire des juges. + +Chapitre XV 108 + +Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de +Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de +Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables. --Détails peu +édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me Tronçon-Ducoudray à +l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire constatant, à son avis, le +décès.--L'illustre avocat modifie, plus tard, son opinion.--Ses aveux à +M. Bouilly, auteur du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la +sentence du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre, +un supplément d'enquête et d'instruction. + +Chapitre XVI 116 + +Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités ne +lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses au midi +de la France--Diverses personnes intéressées dans l'affaire prennent la +même direction.--Recherches longtemps infructueuses.--Joseph ne se +reconnaît nulle part, pas même en présence de la tombe de son père.--On +en exhume une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a +arrachée à Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en +tire le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves +accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et contre +les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle sentence +confirmative du Châtelet. + +Chapitre XVII 122 + +Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de +l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence. +--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et l'abbé de +l'Épée.--Les parlements sont détruits par la révolution.--Le nouveau +tribunal de Paris casse le jugement rendu en faveur du pauvre +délaissé.--Sans appui, sans famille, sans ressource, l'ex-comte de Solar +s'enrôle dans l'armée républicaine et meurt, suivant les uns, sur un +champ de bataille, selon d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le +sourd-muet Didier, suit son exemple et s'engage dans l'artillerie. + +Chapitre XVIII 132 + +Coup d'oeil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce une +aventure réelle on un roman historique?--Bonne foi, conviction de l'abbé +de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur à +Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des Ormes voit dans +cette aventure une mystification.--Suivant lui, le pupille du célèbre +instituteur n'aurait pas été complètement sourd.--Cette opinion +combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de Bouilly.--Première +représentation.--Grand succès.--Incident de la seconde.--L'abbé Sicard +mis en liberté. + +Chapitre XIX 143 + +Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly par +les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.--Félicitations du +premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du drame de +L'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs intéressants de Mme Talma. Deux traits de +présence d'esprit de cette admirable actrice à deux représentations de +la pièce.--Tribut d'éloges de Monvel à son élève.--Conclusions de M. +Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du drame +de L'abbé de L'ÉPÉE.. + +Chapitre XX 151 + +Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations +du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par la presse d'avoir +voulu troubler le repos et compromettre l'honneur de certaines +personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de changer le lieu de la +scène et efface du titre la qualification de CO MÉDIE HISTORIQUE.--Mort +de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle de ses derniers +moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre instituteur inhumé à +Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa répugnance à laisser +reproduire ses traits, de son vivant.--Le sculpteur sourd-muet de +Seine.--La Commune de Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État +adopte les sourds-muets privés de leur père.--Ce voeu est +réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église +Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du panégyriste. + +Chapitre XXI 159 + +L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera +inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de +la patrie, et que son Institution sera subventionnée par +l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à +l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune des +écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, pour +la première, à 80 et à 100.--La Convention avait eu, un instant, le +projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, une école +normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux +agricoles.--Transfert de l'établissement de Paris dans le local actuel, +à l'ancien séminaire Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des +sourds-muets rangés, en 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des +budgets départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé +que ce fût parmi les _dépenses obligatoires_. + +Chapitre XXII 166 + +Mode d'administration successif des Institutions nationales de +sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour but de +généraliser en France cet enseignement spécial.--Sollicitations +infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition adressée en 1851, par la +Société centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en +France à l'Assemblée nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée +par MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de +Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de +Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie française, +voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur poème à la gloire de +l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des oeuvres du célèbre +instituteur. + +Chapitre XXIII 172 + +Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb des +cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur s'était +imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre aux journaux +pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au Musée +historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni dans sa +ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur, +l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable +abandon.--Demande de renseignements au curé de Saint-Roch sur le lieu de +la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.--Comment on découvre +que ses restes reposent dans le caveau de la chapelle +Saint-Nicolas--L'auteur y descend avec le sourd-muet Forestier et le +docteur Doumic.--Spectacle déchirant!--Souscription ouverte dans les +journaux pour élever un monument aux cendres du célèbre instituteur et +faire apposer deux inscriptions en français sur la maison où il est né +et sur celle qui fut le berceau de son enseignement. + +Chapitre XXIV 185 + +Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à +élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la +présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se compose, en +outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé +Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand +Berthier, Forestier et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du +premier président Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence +de la Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de +M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens: +représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où +s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on préfère +la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de la +souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel de +Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.--MM. +Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater +l'identité des restes découverts ou à découvrir. + +Chapitre XXV 195 + +Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de +Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de +fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et d'étole, +reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le grand +instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms des +premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes +généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor Lenoir, +architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux ambassadeurs +étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux cours d'appel, +etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière. + +Chapitre XXVI 211 + +Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la +commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les ministres +invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.--Celui +de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour 3,000 fr.--Devis à +forfait de M. Préault.--La commission l'accepte, à condition que +l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir qu'à mesure des +rentrées, et que le monument sera prêt en février 1841.--Nouvelle +circulaire, nouvelles démarches auprès des grands corps de +l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en ignore le +résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque d'Évreux, regrette +de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration du monument.--On +s'adresse à l'abbé Coeur, qui ne peut, à cause de ses nombreux +travaux, accepter cette honorable mission.--Fixation ultérieure du jour +de la cérémonie. + +Chapitre XXVII 221 + +La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné à +lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et +Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est inauguré en +août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.--Description et éloge +de cette oeuvre remarquable.--Mais pourquoi une inscription +latine?--Sur 33,000 sourds-muets que renferme la France, il n'y en a pas +22 qui sachent le latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de +bronze due aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée +qui orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices +pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui +qu'il a élevé au général Marceau sur une place de Chartres.--Un buste du +grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école de +Paris.--Séance d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une +statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville +natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de reconnaissance. + +Chapitre XXVIII 229 + +Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif de sa +naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets et à leurs +amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre instituteur.--Empressement +unanime de tous les convives. --Le buste est commandé au sculpteur +Parfait Merlieux, et inauguré sur la fin du banquet de l'année +suivante.--Transports d'allégresse de tous les assistants.--Mon +allocution.--Bienfaits de la Société centrale des sourds-muets.--Projet +de cours publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette +infirmité. + +Chapitre XXIX 235 + +Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur ami +Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation +exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs et +poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, inventeurs, +peintres (histoire, sujets religieux, portraits, marines, pastel, +daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs, mécaniciens, +horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, marins et +militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un sourd-muet +de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une médaille.--Ses +condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen d'assister è notre +banquet.--Mon toast à M. Bouilly, et la réponse de ce doyen de nos +auteurs dramatiques. + +Chapitre XXX 248 + +Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une +statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles, +sa ville natale.--Communication officieuse du maire du chef-lieu de +Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur +Bataille.--Sa lettre à un journal du département.--Nobles +sentiments.--Modèle de la statue de notre illustre instituteur par M. +Michaut, le célèbre graveur des monnaies.--Offres +désintéressées.--Premier noyau de la commission de Versailles. + +Chapitre XXXI 256 + +Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau +définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et +moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire de la +ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La statue sera +en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements proposés.--Deux +seuls paraissent convenables.--Autorisation à demander au conseil +municipal.--Comité de trois membres, chargé, sous le titre de jury de +surveillance, de suivre l'exécution des travaux.--Publication de la +liste des souscripteurs tous les deux mois. + +Chapitre XXXII 262 + +Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.--M. le +baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande d'autorisation au Ministre +de l'instruction publique pour élever la statue sur l'axe de la grille +de clôture du jardin de l'École normale.--Réponse favorable.--M. Michaut +s'engage à ce que les frais de la statue ne dépassent pas dix mille +francs, et demande à en commencer le modèle en argile plastique.--M. +l'architecte Petit invité à dresser un devis estimatif des dépenses du +piédestal et des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant +toutefois le voeu qu'on choisisse un emplacement plus +convenable.--Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque +souscripteur. + +Chapitre XXXIII 270 + +M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation +complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de l'Épée, désire +être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y +rattachent.--Réponses de la commission aux différentes questions qui lui +ont été soumises par M. le préfet.--Première pensée d'une entrevue de +quelques membres du conseil municipal de Versailles avec quelques +membres de la commission du monument, ayant pour but d'essayer de lever +en commun ces obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en +réponse aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un +prospectus à répandre pour activer les souscriptions. + +Chapitre XXXIV 276 + +Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de +souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de 300 +francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la commission +invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. --Le +statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions des sourds-muets, +recueillies par le docteur Doumic.--Projet d'exposition du modèle de la +statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris.--Le +préfet de Seine-et-Oise accepte les fonctions de président d'honneur de +la commission.--MM. Molé, Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc +de Luynes désignés pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la +guerre regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour +la confection de la statue. + +Chapitre XXXV 284 + +Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des +sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de +Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués +du conseil municipal, de membres de la commission des +souscripteurs.--Mes impressions en présence de la statue.--Engagement du +fondeur.--Adoption de la statue par le conseil municipal, qui décide +qu'elle sera placée à la croix des rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut +se soumet aux corrections indiquées. --L'architecte de la ville mis à la +disposition de l'oeuvre. --Nouveaux moyens à employer pour activer les +souscriptions. + +Chapitre XXXVI 298 + +Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal de la +statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette +oeuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à l'achèvement +des travaux.--Le conseil municipal en vote 2,000.--Projet d'une plaque +commémorative.--Inscription de la face principale du monument.--Travaux +du fondeur surveillés par le statuaire.--Érection fixée au 3 septembre +1843.--Dernières dispositions. --Programme de la fête.--Décision du +conseil municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux +sourds-muets qui assisteront à la cérémonie. + +Chapitre XXXVII 310 + +Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville +natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris et +d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence regrettable du +clergé.--Nombreuse affluence de spectateurs.--Discours du préfet, au nom +de la commission des souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie +et les travaux de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire +de la commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves +d'artillerie. --Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il devait +prononcer. + +Chapitre XXXVIII 322 + +Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue de +l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du sourd-muet +Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le conseil municipal +autorise le maire à accepter le monument, et adresse des remercîments +aux commissaires, aux souscripteurs et au statuaire.--La commission +sollicite en vain de M. le Ministre de l'intérieur, par l'intermédiaire +de M. le préfet, une dernière subvention pour solder ses +comptes.--Relevé définitif des recettes et dépenses.--Tribut de regret +de la commission à quatre de ses membres décédés.--Ses remercîments à M. +le préfet Aubernon. --Elle décerne une médaille au statuaire +Michaut.--Désir des souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms +imprimés dans les journaux, afin de constater leur reconnaissance pour +l'abbé de l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des +listes générales.--Conclusion: sept voeux émis; trois encore à +exaucer, une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les +sourds-muets; deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il +naquit, à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença à +enseigner, à Paris. + +Notes 335 + + * * * * * + + +Notes de bas de page: + +[1] _Résumé des travaux_ de l'ex-Société centrale des sourds-muets de +1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs +sourds-muets.--Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette +Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le +premier sourd seulement, le second sourd-muet. + +[2] Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient mieux traités +chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de l'aptitude à +une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer l'un d'eux, +nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts. + +[3] Extrait de l'_Annuaire de l'Institut des sourds-muets et des +aveugles de Bruges_, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet +établissement. + +[4] Voyez la note A à la fin du volume. + +[5] La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était située sur +le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon et de +l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny). + +[6] Voyez la note B. + +[7] Voyez la note C. + +[8] Voyez la note D.--Copies authentiques de six pièces émanées des +anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture de +l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet, secrétaire +de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de la +Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à +Versailles. + +[9] En 1743. + +[10] _La Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février. + +[11] Voyez la note E.--Observations d'un ecclésiastique aussi tolérant +qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des +sourds-muets d'Orléans. + +[12] Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études de +l'institution des sourds-muets de Paris. + +[13] Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages de +l'Amérique: + +«La conversation devint bientôt générale, c'est-à-dire par quelques mots +entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que +ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.» + +[14] Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M. l'abbé *** en +1772 (_Institution des sourds-muets par la voie des signes +méthodiques_). + +[15] _Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes méthodiques_. +1re partie. Page 89. + +[16] La _Polygraphie_ ou _écriture universelle, cabalistique_, de +Trithème.--L'ouvrage de Comenius intitulé: _Janua linguarum reserta_ +(1601).--Bécher de Spire (1661). _Character pro notitiâ linguarum +universale_.--John Wilkins, _an essay towards a real character and +philosophical_.--La _Pasigraphie_, ou écriture universelle, du chevalier +de Maimieux.--_L'anti-pasigraphie_ de Vater.--_Manuel polyglote_ de +Cambry, d'après le plan de Bécher.--_Essai pasigraphique_ de Zacharie +Nather.--_Cours de Pasigraphie_ de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de +Dilengen. + +Ces citations sont extraites de l'_Investigateur_, journal de l'institut +historique. Tome IX, 172e livraison.--Mars 1849. + +[17] Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. Contentons-nous +donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés en français: + +_Essai sur l'articulation de la voix,_ par Laurent de Blois, 1831. + +--_La parole rendue aux sourds-muets,_ par le même.--_Tableau des +éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à +l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,_ par M. +Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy, +1838.--_Méthode de phonologie et de labéologie,_ par le même, +idem.--_Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,_ +par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris.--Brochure de M. +Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des +sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: _Quel rôle l'articulation et +la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des +sourds-muets?--La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de +l'oreille,_ par J. B. Puybonnieux, professeur et +archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de +Paris, 1843.--_Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur +les facultés physiques, intellectuelles et morales,_ par le même, 1846. + +[18] Voyez à la note F. un _certificat délivré par l'abbé de l'Épée à +Mademoiselle Blouïn,_ certificat publié par M. Piroux, directeur de +l'institution des sourds-muets de Nancy dans son intéressant journal +mensuel: _l'Ami des Sourds-Muets._ (2e année, 1839-1840.) + +[19] Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure portugaise, à +36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à Berlango, dans +l'Estramadure espagnole. On appelait alors indifféremment, a-t-on +remarqué à cet égard, _juifs portugais_ ou _nouveaux chrétiens_ les +premiers Israélites venus de la péninsule hispanique et admis légalement +en France par les ordonnances de Henri II. + +[20] Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité. + +[21] M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent _Manuel +d'enseignement pratique des sourds-muets_, que plusieurs institutions +d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y +traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon +cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop +fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur +le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les +premières leçons. + +[22] Voyez à la note G:--1º ma lettre au directeur de l'institution +nationale des sourds-muets de Paris sur la _dactylologie _ de M. +Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative de +cet établissement sur la _dactylographie_ de M. Ch. Wilhorgne. + +[23] _Institution des Sourds-Muets_, chap. 1, pag. 9-10. + +[24] C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé l'éducation des +deux soeurs sourdes-muettes. + +[25] Il a fait paraître un grand nombre de traductions d'ouvrages +anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des lettres sur la +dactylologie et un mémoire publié par le _Journal de Physique_, en +1770.--Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, parmi +lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier +Desmortiers cite quelques écrits.--La _dactylologie_ était l'instrument +favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables, +dit-on, de l'adoption de ce mot grec. + +[26] Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier un travail +méthodique ayant trait au langage doigté.--Il a pour titre _Loquela +digitorum_, art d'exprimer les nombres par la position des doigts sur +les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte très-court +et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du _Magasin pittoresque_ +(16e année), et de 55 figures. Les 36 premières expriment les nombres +avec les doigts seulement et constituent ainsi ce que l'on est convenu +d'appeler la _dactylonomie_; les 19 autres, relatives à la _Chiromamie_, +empruntent leur signification aux diverses positions des mains. + +Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils +en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs +anciens, sacrés et profanes. + +[27] _Paralipomenn_, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection de ses +oeuvres, page 462.--_De utilitate ex advertis capiendâ_, lib. II, cap. +7, tome II de ses oeuvres, pag. 73. + +_De subtilitate_, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622). + +[28] _Extrait de la vie de saint François de Sales_, par Marsollier. +Paris, Dufour, 1826. Tome 1er, livre 5e, page 394. + +[29] J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand j'ai +écrit autre part qu'il était muet de naissance. + +[30] C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de Montbret, homme +fort instruit, membre sourd-muet de la Société Asiatique, qui, en 1847, +a, par son testament, légué non seulement sa fortune, mais sa riche +bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez la note H où il est parlé de ce +legs d'après les _Annales de l'éducation des Sourds-Muets et des +Aveugles_, publiées par M. Edouard Morel, 4e année, 4e volume, +1847. + +[31] J'ai lu dans l'_Illustration_, 3 novembre 1849, nº 349, vol. XIV, +que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était bègue, +eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce dernier +pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses +décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le +maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les +organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa +place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et +assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de +Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de +Carignan en ait mieux profité. + +[32] Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son éloge de +Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart, faisaient un +grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de bibliophiles +de Glascow, connue sous le nom de _club Maitland_, résolut d'en faire, à +Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement, une nouvelle +édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des Sourds-Muets +de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel, alors son +secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un, malgré +l'énormité du prix, 120 francs. + +[33] Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement +d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour +les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre +1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son +parrain.--Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un +maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de +notre grand orateur Berryer. + +[34] Voir son _Dictionnaire de Musique_, art. _Chant_. + +[35] Voici le commencement de quelques vers de La Condamine, qu'une +considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le tombeau +de Pereire: + + Pereire! ton génie et tes puissants secours + Ont rendu la parole à des muets nés sourds! + Des muets ont parlé!....... + +Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux +questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A +quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité +de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée +pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître +Pereire. + +[36] Voir l'_Encyclopédie_ et ses _Lettres sur les Sourds-Muets_. + +[37] Voir son _Traité des Sensations_. + +[38] Voir sa _Dissertation sur la manière d'apprendre à parler aux +muets_. + +[39] C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant que je +considère ici Pereire.--Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du titre de +membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le cimetière +des juifs portugais, à La Villette. + +[40] L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques +expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui. + +[41] Toutes les pièces furent fournies en latin de part et d'autre. + +[42] Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau qui +représente saint Pierre guérissant un boiteux;--en 1840, le _Sermon de +Jésus-Christ sur la Montagne_, dont le ministre de l'intérieur a fait +l'acquisition;--en 1844, _Jésus enfant parmi les docteurs de la loi_, +tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et +pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;--en 1842, +_Jésus-Christ bénissant les petits enfants_, tableau commandé par le +ministre pour servir de pendant à ce dernier;--en 1845, l'_Apparition de +Saint-Nicolas devant Constantin le Grand_, tableau placé par ordre du +ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont +le saint est le patron;--en 1846, _Bonaparte quittant l'Égypte pour +venir sauver la France_. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes, +Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet. +Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour +de nouvelles commandes. + +[43] La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou 8,000 fr. + +[44] _Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février. + +[45] Voyez la note 1.(44) + +[46] Mlles Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure. + +[47] Il était alors âgé de soixante-quatre ans. + +[48] La date du 1er août n'a été connue de l'auteur de la note que +depuis les informations faites par ordre du ministère. + +[49] Voyez à la note J la différence entre les mots _sourd-et-muet_ et +_sourd-muet_. + +[50] Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. Moreau de +Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, avocat au +Conseil, à qui elle était adressée. + +Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du +public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection +d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des +savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les +plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin +qui ont brillé sur la scène du monde. + +[51] Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient la +nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île +Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse. + +[52] Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur du drame +de _l'Abbé de l'Épée_, que l'instruction du procès, modifiant son +opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre +instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble +famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause, +dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus +douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait +pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible +de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après +l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas +que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa +liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine +Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire. + +[53] Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné ses +écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en +question. + +Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à +Clermont le 1er novembre 1762, et il marqua sur son registre la +sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante. + +[54] Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et jours +suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi par +la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par +Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence +définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781. + +C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout +récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à +ladite annulation, avaient été faites jusque-là, mais infructueusement, +dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de +première instance et aux archives nationales. + +[55] Il n'est, selon le rapporteur, autre que Pierre-Hyacinthe-Joseph, +fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé dans les Pays-Bas aux +travaux des mines. + +[56] On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur Joseph. +Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui qu'elle +croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle devait +à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est pour +cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé contre +elle une demande en communication de l'inventaire fait après le décès de +la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver ainsi à +faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son identité avec +le comte de Solar. + +[57] Depuis lors, nous apprend le rapporteur par _post-scriptum_, Me +Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à sa mort, de tous ses +biens, pour le dédommager du tort involontaire que sa compagnie lui +avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000 fr., et qui +consistait principalement en une jolie maison, sise aux environs de +Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de Solar. + +[58] Voici la distribution des rôles: + + L'ABBÉ DE L'ÉPÉE Monvel. + JULES Mad. Vanhove-Talma. + DARLEMONT Grandménil. + SAINT-ALME Damas. + FRANVAL Baptiste aîné. + DOMINIQUE Dazincourt. + MAD. FRANVAL Mad. Suin. + CLÉMENCE, SOEUR DE FRANVAL Mlle Mézerai. + MARIANNE Mad. Lachassaigne. + + + +[59] L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22 nivôse an +VIII. + +[60] Voyez à la note K un extrait de mon allocution au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842. + +[61] Voyez à la note L la lettre de ce professeur, en date du 14 mai +1845. + +[62] Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte le 24 +décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle +occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment. + +[63] Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son rapport et +son projet de décret sur l'organisation de six établissements pour tous +les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à Rennes, à +Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 juin 1793 +(vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire de Seine, +sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par l'organe d'une +citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, et qu'il avait, +en outre, fait don à la même assemblée de ceux de Lepelletier et de +Marat. + +[64] Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée par +l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à +l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin +d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces +malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école +de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M. +Champion de Cicé, archevêque de cette ville. + +[65] Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par la +sanction royale le 29 du même mois. + +[66] L'article Ier du décret des 10-14 septembre 1791 était ainsi +conçu: + +«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé +au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de +la patrie.» + +L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des +Célestins. + +Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels +les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer +l'attention publique. + +[67] Alphonse Esquiros.--Revue de Paris.--_Les sourds-muets de Paris_. +Novembre 1844. + +[68] D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord de 60 à +80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées aux +sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris. + +[69] Voyez à la note M quelques détails sur l'origine du bâtiment +concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle. + +[70] Rennes.--Clermont.--Grenoble.--Nancy. + +[71] Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints MM. E. +Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, et Hyde +de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le premier, +un semblable voeu, lequel ne doit point surprendre quiconque a été à +même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités. + +[72] Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et +bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris. + +[73] Entre autres, Mlle Courtois; l'abbé Salvan, élève et ami de +l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution des +sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près de +Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait désigné +comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de mes +frères d'infortune. + +[74] Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et de pension +à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de l'Académie de +Châlons-sur-Marne. + +[75] Voyez à la note N les vers composés à cette occasion sous ce titre: +_le Sourd-Muet_, par un de nos frères les plus distingués, Pélissier, +aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris. + +[76] Molière. + +[77] Voyez à la note O la demande textuelle des mandataires +sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné. + +[78] Voyez la note P. + +[79] Écrite en allemand. + +[80] M. le comte de Montalivet. + +[81] Voyez à la note Q les pièces fournies à l'appui de la proposition +de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire. + +[82] M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu à cette +dignité. + +[83] Viro--admodum mirabili--sacerdoti de l'Épée--qui fecit exemplo +Salvatoris--mutos loqui--cives Galliæ--hoc--monumentum dedicarunt--Natus +1712--Mortuus 1789.--Préault, 1840. + +[84] MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau de Mussy, +Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.--MM. Feuillet, Droz, +Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, Burnouf, Sylvestre de +Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de perfectionnement. + +[85] Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des +sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les +professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A. +Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez, +Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que +cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel +les amis des sourds-muets seraient admis. + +Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont +il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre. + +[86] Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis pour fêter +les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se trouvent chez +le libraire Hachette. + +[87] La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de combler +ces deux lacunes. + +[88] Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un succès +complet. + +[89] Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à l'Exposition +universelle de Londres. + +[90] Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution nationale +des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se +substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des +bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par +exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux, +sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités, +jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature. + +[91] Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un +mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force +qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen +d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte. + +[92] La médaille porte cette inscription: + + MINISTÈRE DE LA MARINE. + + _A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de_ 12 _ans, sourd-muet. + Courage et dévouement pour sauver des enfants + en danger de se noyer._ + +Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant +sourd-muet: + +«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la +Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies +a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle +(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et +le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger +de périr dans les flots. + +«Enregistré au secrétariat, au Havre.» + +[93] M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut royal +des sourds-muets de Paris. + +[94] Voyez à la note R l'_extrait du registre des délibérations du +conseil municipal de Versailles.--Séance du_ 14 _novembre_ 1839. + +[95] Voyez le _prospectus_ à la note S. + +[96] Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être évalué +au-dessus de 24,000. + +[97] M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XIIe arrondissement de Paris. + +[98] Il m'avait été demandé par un membre de la commission chargée de +l'érection du monument. + +[99] Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris. + +[100] On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire évacuer +les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde population dans +des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les riverains, une +occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur donner ainsi un +aspect plus régulier. On avait observé, quant à l'emplacement sur la +place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en tout, 4 m 80 de +hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, pour qu'ils fussent +en rapport, la statue et le piédestal réunis devraient avoir 7 m de +hauteur; par conséquent, occuper une superficie de 17,30, au lieu de +celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage obligé. + +L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri +de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en +passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus +sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de +l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (_Note de la commission de +Versailles._) + +J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait +d'une erreur historique. (_Note de l'Auteur._) + +[101] Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a prétendu, +par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? Nous ne +pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis sa mort; +et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous séparent +de cette époque. + +[102] Voltaire. + +[103] J.-J. Rousseau. + +[104] Montesquieu. + +[105] POÉSIES D'UN SOURD-MUET, avec une introduction par M. Laurent de +Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30. + +[106] Voyez la note T. + +[107] _Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de l'oreille et +de l'audition_. + +[108] On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B. Puybonnieux, +cité plus haut. + +[109] Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux de +Toulouse. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + +***** This file should be named 36972-8.txt or 36972-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/6/9/7/36972/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: L'Abbé de l'Épée + sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès; + +Author: Ferdinand Berthier + +Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + + + + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + + + + + +</pre> + +<hr class="full" /> + +<p class="cb">L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</p> + +<div class="blockquot1"> +<p>Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions, +menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, +nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons, +instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, +accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions, +despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons, +réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons, +complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons, +escrions, taisons: et quoy non?</p> + +<p class="r">M<small>ICHEL</small> M<small>ONTAIGNE.</small></p> +</div> + +<p class="ov">Montmartre.—Impr. P<small>ILLOT</small> F<small>RÈRES,</small> L<small>ANGRAND</small> et C<sup>e</sup>.</p> + +<p class="figcenter"> +<a href="images/frontispiece.jpg"> +<img src="images/frontispiece_sml.jpg" width="430" height="550" alt="L'ABBÉ DE L'ÉPÉE." title="" /></a> +</p> + +<h1><small>L'ABBÉ</small><br /> +DE L'ÉPÉE,</h1> + +<p class="cb">SA VIE, SON APOSTOLAT,<br /> +SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS;<br /> +<br /> +<small>AVEC L'HISTORIQUE DES</small><br /><br /> +<big>MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE</big><br /><br /> +<b>à Paris et à Versailles</b>;<br /> +<br /> +<small>ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE,<br /> +D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE,<br /> +DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS,<br /> +ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES;</small></p> + +<p class="cb"><br /> +<small>PAR</small><br /> +<br /> +FERDINAND BERTHIER,<br /> + +<small>SOURD-MUET,</small><br /> +<br /> +Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,<br /> +Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour<br /> +les Sourds-Muets de France,<br /> +Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc,</p> + +<div class="block"> +<p>His sunt additae orchestrarum loquacissimae<br /> +manus, linguosi digiti, silentium clamosum,<br /> +expositio tacita...... Ostendes homines posse et<br /> +sine oris affatu suum velle declarare.<br /> +<br /> +<span style="margin-left: 2em;">C<small>ASSIODORE,</small> lib. IV, cap. 51.</span><br /></p></div> + +<p class="cb"> +PARIS,<br /> +MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS,<br /> +<small>RUE VIVIENNE, 2 BIS.</small><br /> +——<br /> +1852.<a name="page_001" id="page_001"></a><br /> +</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="5" cellpadding="5" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="center"><a href="#TABLE_DES_CHAPITRES">TABLE DES CHAPITRES.</a></td></tr> +</table> + +<h3><a name="PROLEGOMENES" id="PROLEGOMENES"></a>PROLÉGOMÈNES.</h3> + +<p class="cb">——</p> + +<p>Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au +faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>, dont +le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe +exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les +sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui +ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les +liens qui unissent cette<a name="page_002" id="page_002"></a> grande famille, d'offrir à chaque membre un +point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur +procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire +dans le monde.</p> + +<p>La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets +des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes +habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages +conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur +assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et +leurs relations, peuvent leur être utiles.</p> + +<p>L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque. +Les cendres de l'abbé de l'Épée, le <i>père spirituel</i> des pauvres +sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de +l'église Saint-Roch, à Paris.</p> + +<p>Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces +restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se +mettre à la tête de cette œuvre réparatrice, et qui formèrent le +noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et +d'en régulariser l'emploi!</p> + +<p>A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; <i>la +mémoire du cœur</i> ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets.</p> + +<p>La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné, +alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la +cour de cassation, <i>président</i>; Chapuys-Montlaville, député, maintenant +préfet, <i>secrétaire</i>; Villemain, de l'académie<a name="page_003" id="page_003"></a> française, qui fut, plus +tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors +procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de +Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur +des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé +Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay +de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert, +artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la +Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et +vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de +Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de +Paris, qui était secrétaire de la Société centrale.</p> + +<p>A peine formée, la Commission, en émettant le vœu qu'un écrit fût +consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la +découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna, +pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant +peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme +exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les +souscriptions.</p> + +<p>Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale.</p> + +<p>M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent +et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet +opuscule les<a name="page_004" id="page_004"></a> traits du saint Vincent de Paule de ce peuple +exceptionnel.</p> + +<p>Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des +sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire +qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition +des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de +ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la +Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion +d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de +la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice, +et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix.</p> + +<p>Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de +Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus +spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en +former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la +Commission parisienne.</p> + +<p>La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne +me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un +exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de +publication de l'œuvre au moyen du surplus du montant des +souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par +l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une +démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité, +établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette +faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de<a name="page_005" id="page_005"></a> la mienne +rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent +les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les +fonds de cet établissement, c'est-à-dire des ouvrages appartenant aux +sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer +que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de +l'intérieur ou celui de l'instruction publique.</p> + +<p>Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des +beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de +l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être +le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses +nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse.</p> + +<p>Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de +Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de +l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les +rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus +religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La +Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne sœur de celle +qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu +dans le même but.</p> + +<p>Quant au succès matériel de mon œuvre, il ne repose plus maintenant +tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand +apôtre des sourds-muets.</p> + +<p>Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et +moi sommes restés au-dessous, de notre<a name="page_006" id="page_006"></a> tâche. Les membres de cette +ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant +eux, d'apporter à une œuvre de conscience plus de zèle et de +désintéressement.</p> + +<p>Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur <i>père spirituel</i>, qui, +s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des +sourds-muets épars sur la surface du globe.</p> + +<p>Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir, +non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui +a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de +vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des +membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané, +si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de +ses plus illustres enfants.<a name="page_007" id="page_007"></a></p> + +<h1>L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br /> +<small><small>SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE<br /> +ET SES SUCCÈS.</small></small></h1> + +<hr /> + +<h3><a name="I" id="I"></a>I</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.—Abandon +général.—Quelques efforts tentés en leur faveur.—Ils échouent +faute d'ensemble.—Naissance de l'abbé de l'Épée.—Sa vocation pour +l'état ecclésiastique.—Le formulaire d'Alexandre VII.—Il refuse +de le signer.—Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions +du diaconat.—Il devient avocat et prête serment le même jour que +M. de Maupeou.—Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du +sacerdoce.</p></div> + +<p>Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec +vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques +titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui +mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la +reconnaissance<a name="page_008" id="page_008"></a> des peuples que celui du <i>père spirituel</i> des +sourds-muets, l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous +ferons mieux, nous le prouverons.</p> + +<p>Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des +sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le +génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes +victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un +préjugé barbare. La foule indifférente<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a> regardait d'un œil de +dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler +au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et +dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser +leurs fers.</p> + +<p>Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention, +quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la +manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple.</p> + +<p>Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille<a name="page_009" id="page_009"></a> infirmité était +considéré<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a> dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un +innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette +opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme, +où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur +guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait +opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce +temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir +soin des sourds-muets.</p> + +<p>Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et +consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en +leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur +leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour +ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute +participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement +l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à +périr avec eux.<a name="page_010" id="page_010"></a></p> + +<p>Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets: +<i>Et vous aussi, vous serez hommes!</i> Avec quel étonnement le dix-huitième +siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante +barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a +doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus +belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas +tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et +le cœur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité +humaine, ils ouvrent leurs cœurs aux consolantes vérités de la +religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses +devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au +milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de +l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche +imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission +du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du +vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une +profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne +remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère, +quelques droits à l'indulgence du public.<a name="page_011" id="page_011"></a></p> + +<p>Charles-Michel de l'Épée<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a> naquit à Versailles, le 24 novembre 1712<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>. +Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme +recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et +dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer +l'esprit et le cœur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus +devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un +devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents +avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique, +et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait +leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait +sa vocation.</p> + +<p>Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir +les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors +une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le +<i>formulaire d'Alexandre VII</i><a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>, espèce de déclaration d'orthodoxie +moliniste. Le jeune de l'Épée refusa<a name="page_012" id="page_012"></a> de le signer. Et pourtant il ne +croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus +respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les +humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour +toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé!</p> + +<p>Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le +barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il +subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de +Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte, +destiné à devenir un jour chancelier du royaume, +Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p> + +<p>Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du +tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que +là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc +avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses vœux furent +exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel +auteur du <i>Discours sur l'Histoire universelle</i>, l'appela près de lui, +l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de +Fouges, le<a name="page_013" id="page_013"></a> 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22 +septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le +20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu +suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui +constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient +dans la principauté de Dombes<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>.<a name="page_014" id="page_014"></a></p> + +<h3><a name="II" id="II"></a>II</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.—Sa tolérance.—Ses rapports +avec le protestant Ulrich.—Ses vœux en faveur des juifs.—Son +abnégation, son humilité.—Ses relations avec un évêque janséniste +qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle <b>Unigenitus</b>.—On +lui interdit le ministère de la parole et celui de la +confession.—On lui refuse les cendres.—Sa réponse à un prêtre +intolérant.—Vengeance sublime.—Commencement de son apostolat.</p></div> + +<p>Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les +luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible +chaire de vérité. Son éloquence, partie du cœur, arrivait droit au +cœur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes +et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle +produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il +enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il +réunissait en lui,<a name="page_015" id="page_015"></a> au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce. +On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre +Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de +l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux +qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser +échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray: +«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!»</p> + +<p>Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la +sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du +fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison +établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer +ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la +misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât +une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné, +répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de +l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les +privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce +don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront +de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le +travail: je suis riche de vos bienfaits.»<a name="page_016" id="page_016"></a></p> + +<p>Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le +vœu le plus ardent de son cœur était de voir les juifs sortir +enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille +chrétienne.</p> + +<p>Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel, +afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur +la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les +âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu +à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une +seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et +de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue +et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont +les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut, +et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.»</p> + +<p>Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de +Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>. Il lui restait +encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était +rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le +prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie<a name="page_017" id="page_017"></a> de sentiments, lui +attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de +Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la +bulle <i>Unigenitus</i>, dépositaire de son acte d'adhésion à cette +déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et +de pureté d'intention<a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>, et pourtant, contradiction remarquable dans +un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu +de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a +défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu +de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa +candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons +miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux +diacre François Pâris.</p> + +<p>De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris. +On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui +défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu +mettre sa vertu à une plus rude épreuve<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a>, se présentant un<a name="page_018" id="page_018"></a> jour dans +sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit +repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais +lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève +et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit, +m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but +est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre +conscience<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>.</p> + +<p>Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta +généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des +tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte +table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus +grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait +exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte +que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et +qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme +généreuse de sa victime.</p> + +<p>Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par +des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de +gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait<a name="page_019" id="page_019"></a> échoir la tâche d'achever +la grande œuvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un +vénérable prêtre de la doctrine chrétienne.<a name="page_020" id="page_020"></a></p> + +<h3><a name="III" id="III"></a>III</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Deux sœurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la +doctrine chrétienne.—La mort les ayant privées de leur +instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son +œuvre.—Théorie du langage des gestes.—Il ignore entièrement +les travaux de ses prédécesseurs.—Ses premières +tentatives.—Objections des philosophes et des +théologiens.—Réponses victorieuses à ces objections.—Important +avis du R. P. Lacordaire.</p></div> + +<p>Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une +affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la +rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la +doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on +l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, sœurs +jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En +attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques +paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune +réponse! Il<a name="page_021" id="page_021"></a> eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher +d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce +silence opiniâtre?</p> + +<p>Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable +visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont +sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R. +P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de +St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement +leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand +secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa +vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder +les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier.</p> + +<p>A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que +le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par +lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit +entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel +destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement +convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe +que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat +entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident<a name="page_022" id="page_022"></a> qui +s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne +se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde +nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même +les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la +carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà +saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira +bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la +mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les +philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les +pays<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à +l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du +monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle +vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De +longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou +plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre.<a name="page_023" id="page_023"></a></p> + +<p>En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les +critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les +premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de +transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par +cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre +sans peine le vieil axiome: <i>Nihil est in intellectu quod prius non +fuerit in sensu</i> (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par +nos sens).</p> + +<p>Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: <i>Fides +ex auditu</i> (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe.</p> + +<p>Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes +que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons +fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir +des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque +signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur +fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits +signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent.</p> + +<p>On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la +métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage +mimique est, observa-t-il avec ses yeux<a name="page_024" id="page_024"></a> d'aigle, susceptible de +traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les +plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal +de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la +clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux +lois immuables et éternelles de notre organisation physique.</p> + +<p>On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement +résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte +engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de +Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre +comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait, +effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des +théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La +lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le +docteur qu'il regarde<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a> comme un des plus habiles commentateurs des +Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans +ces paroles de l'apôtre: <i>ex auditu</i>; car, s'il est vrai que le<a name="page_025" id="page_025"></a> plus +grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les +vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont +prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu +beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture. +Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les +vérités saintes qu'ils renferment: <i>Ces choses ont été écrites</i>, dit +l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), <i>afin que vous +croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la +vie en son nom</i>.»</p> + +<p>Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là; il invoque avec une +nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce +grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier +abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt +dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange +abus: <i>Quod vitium ipsam impedit fidem</i>. C'est, dit saint Augustin, +parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les +lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la +lecture: <i>Nàm surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat, +discere non potest</i>.</p> + +<p>«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie<a name="page_026" id="page_026"></a> enfin l'abbé de l'Épée, si +l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des +sourds-muets?»</p> + +<p>Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant, +l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans +importance, même après celle de ses illustres devanciers.</p> + +<p>Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur +sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez +lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la +manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en +ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et +cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un +sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa +réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon +collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul!</p> + +<p>«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite +à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la +parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.—La foi +est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée<a name="page_027" id="page_027"></a> à l'homme <i>de +quelque manière que ce soit</i>.»</p> + +<p>Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que +nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on +est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S. +Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne +croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas? +Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?» +<i>Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei +quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?</i> (Rom. 10, +14-15.)<a name="page_028" id="page_028"></a></p> + +<h3><a name="IV" id="IV"></a>IV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec +les hommes de sa spécialité.—Publication de ses divers travaux +sous le voile de l'anonyme.—Succès de ses séances +publiques.—Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et +Catherine de Russie.—Sa réputation grandit avec son +zèle.—Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en +anglais.—Quelques taches éparses dans l'ensemble de son +système.—Puériles décompositions grecques et latines.</p></div> + +<p>L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus +terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au +même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées +de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se +déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un +parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de +déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des<a name="page_029" id="page_029"></a> +étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement.</p> + +<p>A chaque séance, l'admiration publique allait <i>crescendo</i> et se +communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre. +C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et +des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur. +Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur +imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont +elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur +Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie.</p> + +<p>Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut +néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets +lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la +fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'<i>Institution +des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques</i>, in-12 (1774-1776), +ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des +signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa +<i>Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une +longue expérience</i>. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau +envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à +tous les yeux, et, s'il<a name="page_030" id="page_030"></a> dut lui en coûter beaucoup d'être si +pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure +n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson +bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le +parler lui-même:</p> + +<p>«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs +sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en +latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les +sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des +programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout +état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont +été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces +enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature, +ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères +et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la +même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie +ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de +nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris +jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.»</p> + +<p>Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire +accorder sans restriction<a name="page_031" id="page_031"></a> tous nos éloges à notre maître. Nous ne +croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques +écarts de son génie qui déparent son œuvre admirable. On va le voir, +en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré +avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir +religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose +l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la +mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner.</p> + +<p>Je prends au hasard quelques passages de sa <i>véritable manière +d'instruire les sourds-muets</i>.</p> + +<p>Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons +observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts, +de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons +<i>articles</i> ou <i>jointures</i>. Nous écrivons ensuite sur le tableau que <i>le, +la, les, de, du, des</i>, joignent les mots comme nos articles joignent nos +os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde +pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'<i>index</i> droit, qui s'étend +et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe +raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en +portant la main au<a name="page_032" id="page_032"></a> chapeau pour l'article masculin <i>le</i>, et à +l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour +l'article féminin <i>la</i>. L'article pluriel <i>les</i> s'annonce par le +mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de +crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec +l'<i>index</i> droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe +est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de +féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin.</p> + +<p>«<i>De, du, de la, des</i>, sont des articles au second cas. Il faut donc +ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de +singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de +faire observer que le <i>de, du, des</i> de l'ablatif n'est point un article, +mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage +auquel on l'emploie.»</p> + +<p>S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire +apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif, +génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi +on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont +propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend +du premier cas, qu'on appelle <i>le nominatif</i>, jusqu'au sixième, qu'on +nomme l'ablatif, et ce sont des signes<a name="page_033" id="page_033"></a> beaucoup plus intelligibles que +ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir +donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second, +troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc.</p> + +<p>«Quant au signe du mot <i>cas</i>, il s'exprime de cette manière: on fait +rouler l'un sur l'autre les deux <i>index</i> en déclinant, c'est-à-dire en +descendant depuis le premier jusqu'au sixième.</p> + +<p class="cb">. . . . . +. . . . . +. . . . . +. . . . . +. . . . .</p> + +<p>Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>, l'abbé de +l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et +du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait +aussi rapide que la pensée. Ainsi, <i>satisfaire</i> signifie, selon lui, +d'après sa décomposition latine, <small>FAIRE ASSEZ</small>; <i>introduire</i>, signifie +<small>CONDUIRE DEDANS</small>.</p> + +<p>Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru +devoir établir (pages 57-58 <i>ibid.</i>) entre les différents passés: <i>j'ai +aimé,—j'aimai,—j'ai eu aimé,—j'eus aimé,—j'avais aimé</i>, en les +désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après +avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun +à tout passé.<a name="page_034" id="page_034"></a></p> + +<p>Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement +à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de +l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux +couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles +erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables +démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les +magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable +charité?.... Que conclure de là, sinon que notre grand apôtre serait +Dieu lui-même, s'il était parfait?<a name="page_035" id="page_035"></a></p> + +<h3><a name="V" id="V"></a>V</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même +des idées métaphysiques?—Divers essais infructueusement tentés +pour arriver à une écriture universelle.—Descartes et Leibnitz ne +croient pas à la possibilité d'un succès.—M. de Lamennais est d'un +avis contraire.—La fusion de toutes les langues en une seule, si +elle était possible, serait-elle durable?—La mimique est la seule +langue universelle.—Tentative heureuse de Bébian pour peindre le +geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.—Sa +<small>MIMOGRAPHIE</small>.</p></div> + +<p>Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a +prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de +l'Épée.</p> + +<p>«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être +apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité +des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la +combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront +jamais<a name="page_036" id="page_036"></a> d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous, +et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues, +l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces +considérations auraient dû convaincre les glossographes de +l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.»</p> + +<p>Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous +diverses dénominations<a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>, ont tous échoué jusqu'à présent, comme il +était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins +pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une +classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des +mots par ordre alphabétique.</p> + +<p>S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à +Descartes l'idée de<a name="page_037" id="page_037"></a> son <i>Alphabet des pensées</i>, titre dont il a décoré +sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue +exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements, +marqués chacun d'un caractère propre et spécial.</p> + +<p>Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est +absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins +d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante +l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se +croit fondé à conclure (<i>Lettres,—tom.</i> 2, <i>p.</i> 550), que ce n'est que +dans le <i>pays des romans</i> que cette langue peut devenir familière à tous +les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples.</p> + +<p>De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu +de la solution possible du problème, quand il dit dans son <i>Esquisse +d'une philosophie</i>: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux +familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles, +à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce: +ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et +le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les +langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.»<a name="page_038" id="page_038"></a></p> + +<p>Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes, +serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût +couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque +peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère +d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue +universelle?</p> + +<p>Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai +(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître +l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos +pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique? +Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce +qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, <i>à +priori</i>, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y +remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a +besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui +d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu +tort de nous renvoyer au pays des chimères?</p> + +<p>D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de +l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des +sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de<a name="page_039" id="page_039"></a> le +fixer sur le papier comme on y fixe la parole. <i>Sa mimographie</i>, qui +n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de +caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous +les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et +de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre +du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire +sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes +n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage +seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le +cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons, +nous qui sommes déshérités de cet avantage.<a name="page_040" id="page_040"></a></p> + +<h3><a name="VI" id="VI"></a>VI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.—A quel hasard en +est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de +l'Épée.—Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre +latin sur cette spécialité.—Juan Pablo Bonet et Conrad +Amman.—Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de +l'Épée.—Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par +ses leçons.—Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans +l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues +Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur.</p></div> + +<p>Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée!</p> + +<p>Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la +parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette +partie de l'enseignement.</p> + +<p>Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la +langue de ses élèves.</p> + +<p>Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un +livre espagnol, en<a name="page_041" id="page_041"></a> l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra +un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il +allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au +hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols. +Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le +commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première +page, ce titre frappe ses yeux: <i>Arte para enseñar à hablar à los +mudos,</i> (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'œuvre de Juan +Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, œuvre qui lui a +valu dans sa patrie les plus grands éloges.</p> + +<p>Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue +étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses +élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet, +composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par +une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé: +<i>Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun.</i></p> + +<p>De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer +une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'œuvre de +clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti +possible<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Quel spectateur<a name="page_042" id="page_042"></a> eût pu, dès lors, rester froid et +indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade +prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir +plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie, +et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de +ses condisciples<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>. «Les arguments étaient d'avance communiqués,» +ajoute le<a name="page_043" id="page_043"></a> maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. <i>Véritable +manière d'instruire les sourds-muets</i>.)</p> + +<p>Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter +de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon +Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les +dimanches, etc.</p> + +<p>Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la +véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune +connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de +son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>? La +manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux +n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de +cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire +le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui?</p> + +<p>Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa +<i>véritable manière d'instruire les sourds-muets:</i><a name="page_044" id="page_044"></a></p> + +<p>«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de +l'instruction de deux sœurs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient +pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la +doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un +instituteur<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a> qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette +œuvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie +à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux +qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de +laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les +sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on +devait de justes applaudissements.»<a name="page_045" id="page_045"></a></p> + +<h3><a name="VII" id="VII"></a>VII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et +remonte à 1620.—Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet +manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.—Plusieurs +instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.—Difficulté pour les +commencements.—Notre dactylologie se popularise en France.—Ses +avantages.—Quelques-unes de ses règles.—Son utilité pour les +parlants.—Son usage dans les ténèbres.—Elle est inférieure à la +mimique.—Justice rendue à Pereire par l'abbé de +l'Épée.—Justification du célèbre instituteur par lui-même.—Exposé +de sa méthode.—Attaque du sourd-muet Saboureux de +Fontenay.—L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement +avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré +supérieur au sien.</p></div> + +<p>Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous +permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas +déplacées ici.</p> + +<p>Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets, +il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot +par différentes formes convenues qu'on donne aux<a name="page_046" id="page_046"></a> doigts d'une seule +main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là +de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage +dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention +de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui +vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque, +il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les +institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique<a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>, et il commence +déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception +toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît +devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où +le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon +du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode +de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer +pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement, +en<a name="page_047" id="page_047"></a> effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux +qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles +les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout +ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux +parlants en vénération et en reconnaissance?</p> + +<p class="figcenter"> +<a href="images/ill_047.jpg"> +<img src="images/ill_047_sml.jpg" width="450" height="550" alt="Alphabet manuel des Sourds-Muets." title="" /></a> +</p> + +<p>Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf +quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la +typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés +depuis<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a> à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus +facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La +rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on +doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le +français.</p> + +<p>La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la +première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à +gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre.</p> + +<p>Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec<a name="page_048" id="page_048"></a> l'index, absolument +comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier.</p> + +<p>Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en +l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne +horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend, +d'ailleurs, cette précaution inutile.</p> + +<p>L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il +en est de même pour les chiffres.</p> + +<p>De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à +dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint +momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé, +perdent entièrement la parole.</p> + +<p>N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets, +dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts, +adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes +caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels +ils augmentent et complètent leurs moyens de communication.</p> + +<p>Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de +doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les +plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à +exprimer, et ils y<a name="page_049" id="page_049"></a> ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute +longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si +c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond +avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à +représenter la lettre <i>O</i> de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer +<i>cent</i> et <i>mille</i>, ils ont recours au même procédé pour reproduire les +chiffres romains C et M.</p> + +<p>On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de +soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant +s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments.</p> + +<p>En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper +aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre +les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de +l'œil, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on +prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les +mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices, +l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen +qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques +données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les +mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons +mieux, la nature<a name="page_050" id="page_050"></a> si ingénieuse et si bienfaisante à son égard.</p> + +<p>Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue +des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la +raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un +jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point, +quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins +parfait et beaucoup moins rapide.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents +déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire +consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode +tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par +Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant +professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa +justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en +frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres +auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout +autre genre, et <i>qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à +entreprendre de faire parler ses deux élèves</i>. Voilà ses propres +expressions.</p> + +<p>Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec +ordre, à combiner<a name="page_051" id="page_051"></a> méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce +principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes +représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce +de grammaire.</p> + +<p>Voici, du reste, comment il raisonne<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a> pour essayer de convaincre ses +lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés:</p> + +<p>«La route des estampes<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a> n'est point de mon goût. L'alphabet manuel +français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile +que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à +l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent +qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent +pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les +objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup +qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une +méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus +sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou +présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......»<a name="page_052" id="page_052"></a></p> + +<p>Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître +ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant, +dans le <i>Journal de Verdun</i>, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne +rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>, +que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un +phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de +ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des +lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses +hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais, +il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son +esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible +d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses +indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de +l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la +nécessité de combattre<a name="page_053" id="page_053"></a> un pareil adversaire, auquel son infirmité avait +forcément dérobé la partie la plus intéressante de son œuvre, qu'il +avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une +de ses leçons.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et +n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être +jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système, +s'il est déclaré supérieur au sien.</p> + +<p>Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés +vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais, +pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de +cause, il nous semble important de remonter plus haut.<a name="page_054" id="page_054"></a></p> + +<h3><a name="VIII" id="VIII"></a>VIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, +en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en +Italie.—Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, +de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro +de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel +Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J. +Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges +Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges +Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de +Jacob Rodrigues Pereire.—Succès brillants des deux derniers à +l'Académie des sciences de Paris.—Pension de Louis XV au second. +Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et +portugaise.—Sa tolérance religieuse.—Secret absolu recommandé à +ses élèves.—Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.—Lettre +de la sourde-muette Mlle Marois.—Legs du sourd-muet Coquebert de +Montbret.</p></div> + +<p><i>L'histoire ecclésiastique des Anglais</i>, par Bède le Vénérable<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a>, +rapporte qu'à la fin du septième<a name="page_055" id="page_055"></a> siècle, saint Jean de Beverley, +archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune +sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier.</p> + +<p>Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de +Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son <i>Tractatus +de inventione dialecticâ</i>, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un +sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les +parlants.</p> + +<p>Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie +au XVI<sup>e</sup> siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles +sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que +personne n'était plus à même que lui<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a> de l'apprécier comme elle le +mérite.<a name="page_056" id="page_056"></a></p> + +<p>Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg, +qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de +leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle. +Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés, +qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond.</p> + +<p>Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers +1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais +qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand +mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours +recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance: +c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs +d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de +l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le +lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir +de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on +lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on +l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin. +Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il +n'avait pas besoin de ce surcroît de charge<a name="page_057" id="page_057"></a> inutile, et que, du reste, +cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui +répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre +de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir +pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à +notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la +maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort.</p> + +<p>Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par +signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail +persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se +confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à +la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion +qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable +instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor">[28]</a>.</p> + +<p>Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en +signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention +honorable.</p> + +<p>Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou +moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur<a name="page_058" id="page_058"></a> d'une +initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à +Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait +l'éducation de deux frères et d'une sœur du connétable Velasco, ainsi +que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de +surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art +peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions +incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses +innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique +influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été +inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien +administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous +sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M. +Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris +d'une copie de ce précieux manuscrit.</p> + +<p>Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet +(<i>Art d'enseigner aux muets à parler</i>, 1620), qui eut pour élève le +frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché +comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux<a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor">[29]</a>, qui avait<a name="page_059" id="page_059"></a> +fait jurer<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor">[30]</a> à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel +Philibert, prince de Savoie Carignan<a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor">[31]</a>, de ne point révéler sa +méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet +que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé: +<i>Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas +naturales</i>, 1629. (<i>Merveilles de la nature, contenant deux mille +secrets de choses naturelles</i>.)</p> + +<p>La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par +deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et<a name="page_060" id="page_060"></a> Pedro de Castro, +premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du +prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre +maison de Savoie!);—en Angleterre, par John Bulwer (<i>le Philosophe ou +l'Ami des sourds-muets</i>, 1648), par J. Wallis (<i>Traité grammatico +physique de la parole ou de la formation des sons vocaux</i>, 1660), par +William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui, +presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son <i>Ars +signorum</i><a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor">[32]</a>, l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets, +sous le titre de <i>Didas Colocophus</i> ou le <i>Précepteur du sourd-muet</i>.</p> + +<p>La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont +les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin +suisse établi à Amsterdam (<i>Surdus loquens</i>, 1692, et <i>Dissertation sur +la parole</i>, 1700).</p> + +<p>L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel,<a name="page_061" id="page_061"></a> père de trois +sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École +des sourds-muets de Leipsick.</p> + +<p>Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix, +où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se +présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils +d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il +fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet, +devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13 +janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé, +Saboureux de Fontenay<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor">[33]</a>, comparut devant cette Académie, ce qui donna +lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa +prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de +l'<i>Histoire naturelle</i> de Buffon (1<sup>re</sup> édition). Telle est l'origine +du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait.</p> + +<p>Parmi les notabilités qui assistèrent souvent<a name="page_062" id="page_062"></a> aux leçons de +l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J. +Rousseau<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor">[34]</a>, La Condamine<a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor">[35]</a>, d'Alembert, Diderot<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor">[36]</a>, Lecat<a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor">[37]</a>, le +P. André<a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor">[38]</a>, etc.</p> + +<p>Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre +adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par M<sup>lle</sup> +Marois, sa plus chère élève:</p> + +<p>«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les +gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et +qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole, +jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux<a name="page_063" id="page_063"></a> de +nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je? +jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de +toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car +vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce +qui se passe dans le secret du cœur.»</p> + +<p>En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de +Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence +du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une +gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une +autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son +interprète pour les langues espagnole et portugaise.</p> + +<p>Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait +ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé; +mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu +sur ses procédés, <i>qu'il offrait de vendre au gouvernement</i>.</p> + +<p>En quoi consistait cependant sa prétendue méthode<a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor">[39]</a>? Qu'avait-elle de +spécial, de différent<a name="page_064" id="page_064"></a> de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à +un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application +ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour +redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a +également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du +nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système.</p> + +<p>Ernaud, aussi chaud partisan de l'<i>alphabet labial</i> que son rival le fut +de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de +l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et +son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un +et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces +hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis.<a name="page_065" id="page_065"></a></p> + +<h3><a name="IX" id="IX"></a>IX</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Avènement de l'abbé de l'Épée.—Rivalité de l'abbé Deschamps.—Son +cours élémentaire.—Il est combattu par le sourd-muet Desloges, +ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, +domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.—L'abbé de l'Épée +devient le confesseur de ses enfants d'adoption.—L'empereur Joseph +II lui sert la messe.—Il amène dans son établissement sa sœur +la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le +priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses +États.—Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.</p></div> + +<p>Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire +d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par +l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des +lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille +des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre +instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans. +Son <i>Cours élémentaire de l'éducation des<a name="page_066" id="page_066"></a> sourds-muets</i> vit le jour +cinq ans après la publication de l'<i>Institution des sourds-muets par la +voie des signes méthodiques</i>. Il est à déplorer seulement que cet +ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par +celles du cœur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui +militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à +faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la +mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à +jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de +déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette +persistance provoqua les <i>Observations d'un sourd-muet</i>, petit ouvrage +aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des +aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre +ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet +de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la +Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment +chez M. le prince de Nassau.</p> + +<p>Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à +notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et +touchait au moment où le besoin des secours<a name="page_067" id="page_067"></a> spirituels se fait +généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui +recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs +fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître, +c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches +auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation +de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque +de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors +l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion +tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles +fonctions auxquelles Dieu l'appelle.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à +l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche +en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement, +mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet, +à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son +établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit, +et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de +papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une +magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph<a name="page_068" id="page_068"></a> +II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre +ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la +précision de ses souvenirs.</p> + +<p>Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de +Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur. +Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de +son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que +l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il +sa sœur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie +de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne +fut pas stérile. Ayant à cœur de fonder dans ses États une école de +sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette +capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé +de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former +l'esprit et le cœur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre +remit au vénérable fondateur la lettre suivante<a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor">[40]</a>:</p> + +<p>«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au +service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants +progrès, m'engage à vous adresser l'abbé<a name="page_069" id="page_069"></a> Storck, porteur de cette +lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de +vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas +autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit +pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous +votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie +avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire +de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous +contribuerez de bon cœur à étendre votre charité sur une partie des +sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux, +leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner +leurs idées. Adieu...</p> + +<p class="r">»Signé: J<small>OSEPH.</small>»</p> + +<p>L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que +l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens +d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante +famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à +défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en +état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»<a name="page_070" id="page_070"></a></p> + +<h3><a name="X" id="X"></a>X</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.—L'abbé de +l'Épée intervient.—Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, +de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.—Abstention générale, +à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa +faveur.—Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.—Nouvelle +victoire de l'abbé de l'Épée.—Condillac se prononce pour +lui.—Extension trop grande donnée à la parole artificielle du +sourd-muet—Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.</p></div> + +<p>C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur +français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre, +s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les +libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel +institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait +celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux +rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de +l'autre.<a name="page_071" id="page_071"></a></p> + +<p>L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa +création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des +attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce +dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure +grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à +pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne +peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;—2º +l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire +entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;—il finit par +en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés +littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en +Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au vœu +du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir +consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire<a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor">[41]</a>, +déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait +l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le +but.</p> + +<p>Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en +lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître<a name="page_072" id="page_072"></a> +paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de +Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand, +reproduite par le <i>Journal de Paris</i>, dans laquelle il prétendait +fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le +système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui, +dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle +il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que +l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la +sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience +suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur +lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet +échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en +comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également +insérées dans le <i>Journal de Paris</i> (27 mai 1785).</p> + +<p>Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux +de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode +d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se +tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à +travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre.<a name="page_073" id="page_073"></a></p> + +<p>Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de +l'abbé de l'Épée, avec son <i>Cours d'études pour l'instruction du prince +de Parme</i> (t. 1<sup>er</sup>, 1<sup>re</sup> part., chap. 1<sup>er</sup>, p. 11) et avec sa +<i>Grammaire</i>, publiée quatre ans après l'<i>Institution des sourds-muets +par la voie des signes méthodiques</i>: il tient à honneur de faire justice +de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le +sceau de la vérité et de l'immortalité à l'œuvre de son illustre +contemporain.</p> + +<p>Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en +Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu +s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A +quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou +moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir +résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la +parole artificielle.</p> + +<p>Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire +impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes +obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la +voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de +prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur.<a name="page_074" id="page_074"></a></p> + +<p>Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans +les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne +remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de +souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne +s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus +du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons +régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre +satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils +pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes +imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent +tout leur essor!</p> + +<p>On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne +peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès +dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a +démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui +se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la +nation sourde-muette.</p> + +<p>Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant +pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de +notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence +surtout!<a name="page_075" id="page_075"></a></p> + +<h3><a name="XI" id="XI"></a>XI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.—Sa soutane usée.—Presque +octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver +rigoureux.—Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le +sourd-muet Léopold Loustau.—Il refuse un évêché en France et une +abbaye en Allemagne.—Belles réponses à Joseph II et à Catherine de +Russie.—Paroles mémorables.—Il ne demande qu'à instruire des +sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous +les pays.—Son désintéressement, ses sacrifices.—Louis XVI redoute +d'abord son jansénisme.—Plus tard, il accepte le patronage de son +école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et +lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.—La mort ne permet +pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau +local.—Statistique des pensions de sourds-muets et de +sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.—Son école à un +second étage de la rue des Moulins.—Sa maison de campagne à loyer, +rue des Martyrs.—Scènes attendrissantes.</p></div> + +<p>Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le +furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau +sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il +regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner<a name="page_076" id="page_076"></a> +une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans +son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les +infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un +hiver des plus rigoureux (1788), <i>pour ne pas faire tort</i>, disait-il, +<i>au patrimoine sacré de ses enfants</i>. Un matin, la nouvelle de cette +privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme +dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette +excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur +langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses +fils adoptifs.</p> + +<p>Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde +raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était +point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une +vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu +de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de +ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme, +d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de +chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et +la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à +certaines heures fixes, on l'eût<a name="page_077" id="page_077"></a> pris pour un fervent cénobite qui prie +sur les tombeaux.</p> + +<p>Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile +une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur +d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M. +Léopold Loustau<a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor">[42]</a>, ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à +réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint +Vincent de Paule.</p> + +<p>Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce +désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont +l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance<a name="page_078" id="page_078"></a> antérieure, +lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché +que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service +personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui +proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis +confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait +encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité +et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire +servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà +vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur +ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur +l'œuvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer +pour le bien de l'humanité.»</p> + +<p>Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre +impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce +qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de +l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches +présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais +d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de +quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de<a name="page_079" id="page_079"></a> m'envoyer un +sourd-muet de naissance que j'instruirai.»</p> + +<p>—«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par +tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux +pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des +sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un +pour les instruire.»</p> + +<p>Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations +que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien, +l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de +plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans +laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la +Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des +nations qui nous environnent.»</p> + +<p>Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous +servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?—A rien, +répondait le bon abbé.—Alors pourquoi les leur faire +apprendre?—Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie +très-considérable de ma carrière est déjà fournie.—Et qui instruira les +sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses +et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement<a name="page_080" id="page_080"></a> pour bien des gens. +Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où +chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en +résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi +susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque +puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de +sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en +quel pays, qui continuera mon œuvre.»</p> + +<p>Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de +rente environ<a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor">[43]</a>, il soutint une école nombreuse dont il payait les +maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des +élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son +frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient +digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première +réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son +âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût +l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur +entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence.<a name="page_081" id="page_081"></a></p> + +<p>Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque<a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor">[44]</a>, Louis XVI +aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur: +«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux +vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille +au jansénisme.»</p> + +<p>Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du +jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de +l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons +catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens +estimables.</p> + +<p>Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette +justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage +de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le +transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un +vœu formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil +avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21 +novembre 1778<a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor">[45]</a>; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle +de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de +l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas<a name="page_082" id="page_082"></a> de goûter la satisfaction de se +voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local.</p> + +<p>Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois +pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames +respectables<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor">[46]</a>, et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M. +Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue +des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au +second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de +l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de +chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de +soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure +origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France +et de l'étranger.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses +élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement +allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à +sept.</p> + +<p>Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de +Montmartre (rue des Martyrs<a name="page_083" id="page_083"></a>), qu'il tenait à loyer et qui était voisine +de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à +leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui +faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes +d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait +partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur +bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa +nombreuse famille.</p> + +<p>Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides, +le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un +geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint +aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font +tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient +à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon +père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce +d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre +le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle, +leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce +tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille; +et tous lui promettent<a name="page_084" id="page_084"></a> de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un +jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes.</p> + +<p>Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint +prêtre.<a name="page_085" id="page_085"></a></p> + +<h3><a name="XII" id="XII"></a>XII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Episode du jeune comte de Solar.—Un sourd-muet, de douze à treize +ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis +à l'Hôtel-Dieu de Paris.—Quelques souvenirs confus.—Enlèvement et +abandon.—Appartient-il à une famille riche?—Note envoyée à toutes +les maréchaussées de France.—Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.—Le +sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères +d'infortune.—Une confusion de personnes.—Nom de Joseph substitué +à celui de Louis Leduc.—Le prince de Montbarey et Mme de +Hauteserre.—Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar, +à Toulouse.—Un trait de lumière.</p></div> + +<p>L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de +Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer +succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances, +les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les +témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui. +Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de<a name="page_086" id="page_086"></a> ménager leur +attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient +bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer +qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi, +de l'Espérance et de la Charité chrétienne.</p> + +<p>Le 1<sup>er</sup> août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance +du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize +ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le cœur +le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son +épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable +(M<sup>me</sup> Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un +ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur +une recommandation de M<sup>me</sup> Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet +est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade +et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ +huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de +l'Épée<a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor">[47]</a> dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque +grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de +l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-<a name="page_087" id="page_087"></a>Antoine, chargée de la +salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite, +cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour +l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à +entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et +qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux +sœurs ses aînées, lui et une sœur plus jeune; qu'il y a dans la +maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de +fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a +abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien, +son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime +expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime +d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle.</p> + +<p>D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de +l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de +Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien +donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les +maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie +royale sous le titre de <i>Note intéressante</i>. En voici la teneur, portant +en marge qu'on tient ces renseignements de<a name="page_088" id="page_088"></a> l'abbé de l'Épée, +instituteur gratuit des sourds-muets:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="cb">DU PREMIER MARS 1776.<br /> +<br /> +<small>NOTE INTÉRESSANTE</small></p> + +<p>«Le 2 septembre 1773<a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor">[48]</a>, on a trouvé sur le grand chemin de +Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et +muet<a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor">[49]</a>, âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris +et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été +mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté +pour servir selon ses forces dans une des salles.</p> + +<p>»Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par +signes d'une manière assez sensible pour faire entendre:</p> + +<p>«1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée;</p> + +<p>«2º Que son père, qui était boiteux, est mort;</p> + +<p>«3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois +filles et lui;</p> + +<p>«4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux +habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que +lui-même y a toujours été servi;<a name="page_089" id="page_089"></a></p> + +<p>«5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver, +et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce +qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver;</p> + +<p>«6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un +cavalier;</p> + +<p>«7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le +menait;</p> + +<p>«8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.</p> + +<p>«Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état +et ses biens.</p> + +<p>«Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le +département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de +maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les +plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la +naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et +qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le +zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte +intéressante, sera récompensé par une gratification.»</p> + +<p class="c">«A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au +ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même +mois, un inconnu vêtu de noir se présente<a name="page_090" id="page_090"></a> à l'Hôtel-Dieu, demandant à +voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un +mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur +l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique: +«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.</p> + +<p>Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne +soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd +fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau, +maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères +d'infortune.</p> + +<p>Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis +Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la +vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée +à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le +jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se +convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au +mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut +être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois, +à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à +l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à +l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même<a name="page_091" id="page_091"></a> mois, à +Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de +Montbarey, avec une note de M<sup>me</sup> de Hauteserre, qui va passer, tous +les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de +l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et +veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un +appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.</p> + +<p>«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze +ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet +enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite +année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de +Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa +mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa +sœur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»</p> + +<p>M<sup>me</sup> de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal +rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. M<sup>lle</sup> +Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.<a name="page_092" id="page_092"></a></p> + +<h3><a name="XIII" id="XIII"></a>XIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié +la Providence—Menaces dont il est l'objet.—L'autorité le +protége.—Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.—Voyage +du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis, +sa ville natale.—Nouvelles reconnaissances.—Joseph se rappelle +une cicatrice de son père.—Il est reconnu par son grand-père, mais +sa sœur hésite d'abord.—Une démarche auprès du duc de +Penthièvre.—Elle réussit.—Le prince accorde une pension de 800 +livres au jeune Solar.—Le paiement en est bientôt +suspendu.—Pourquoi.—Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.—Le +premier semestre de la pension est payé.</p></div> + +<p>Le signalement du jeune Solar, donné par M<sup>me</sup> de Hauteserre, +s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son +arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de +poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos +de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise.<a name="page_093" id="page_093"></a></p> + +<p>D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la +Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On +le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune +démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune +protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au +préalable.</p> + +<p>Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se +présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph, +elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de +Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou +huit ans, chez M<sup>lle</sup> Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle +était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement +par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel, +conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais +aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin, +maître maçon, et de sa fille.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son +protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des +deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se +mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec +son<a name="page_094" id="page_094"></a> élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la +déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels +figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du +bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est +unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce +parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de +son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours +d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses +manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces +d'un éclat de bombe.</p> + +<p>A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de +Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de +vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de +reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le +jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny +reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils.</p> + +<p>De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de M<sup>lle</sup> +Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que +Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue +entre les deux enfants,<a name="page_095" id="page_095"></a> on fait venir M<sup>lle</sup> de Solar à Paris de son +couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la sœur ne se +reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils +finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle. +On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé +de l'abbé de l'Épée, le <i>post scriptum</i> d'une lettre adressée le 8 +novembre 1777 par M<sup>lle</sup> de Solar, qui venait d'être placée dans une +pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau: +«Je vous prie de dire <i>mille choses tendres à mon cher petit frère</i>.»</p> + +<p>Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le +sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi +Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de +Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine, +gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que +le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A +ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa +faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes +démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les +pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une +réponse lui sera faite sous<a name="page_096" id="page_096"></a> quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici +la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M. +l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre:</p> + +<p>«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de +800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés +pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son +état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet +qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire +à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.»</p> + +<p>Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé +de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du +brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait +assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un +acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à +grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté, +de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400 +livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il +surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des +sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel +éclaircissement.<a name="page_097" id="page_097"></a> Ce dernier lui adressa incontinent la réponse +suivante<a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor">[50]</a>:</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br /> +</p> + +<p>«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire +contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit +vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de +Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les +intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du +brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune +comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi. +C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de +M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes +de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre +un jeune homme qui,<a name="page_098" id="page_098"></a> après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est +reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et +par bon nombre de témoins respectables?</p> + +<p>«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que +vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune +démarche sous le nom du <i>comte de Solar</i>. Vous me permettrez de vous +dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne. +Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous +sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre +démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il +m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir.</p> + +<p>«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré +l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu +l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais +envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et +je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru +que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si +l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme +pareillement.<a name="page_099" id="page_099"></a></p> + +<p>«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce +qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a +ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du +défunt, mais seulement le nom de <i>comte de Solar</i>, décédé le 28 janvier +1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le +cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous +le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait +que vous avez reçu, est plus complet.</p> + +<p>«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du +moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères +que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en +sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous +nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit +morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit.</p> + +<p>«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce +qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer +et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait +particulier, mais cela ne change rien à<a name="page_100" id="page_100"></a> l'estime et au respect avec +lesquels j'ai l'honneur d'être,</p> + +<p> +<span style="margin-left: 50%;">«Monsieur,</span><br /> +<span style="margin-left: 45%;">«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,</span><br /> +<span style="margin-left: 60%;">L'abbé <small>DE L</small>'É<small>PÉE</small>.</span><br /> +</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à +huit heures du soir.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans +le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six +derniers mois de l'année 1777!<a name="page_101" id="page_101"></a></p> + +<h3><a name="XIV" id="XIV"></a>XIV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, +supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à +Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.—Ses +moyens de défense.—Il demande à être transféré, avec le +sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut +devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.—Cette requête est +jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que +le transfert de l'enfant et de sa sœur sur les lieux.—Enfin, +une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar, +reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.—Commentaire des +juges.</p></div> + +<p>Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des +renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient +venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un +sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la +personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le +prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à<a name="page_102" id="page_102"></a> +Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et +plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport +foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement.</p> + +<p>Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour +l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits +ici en entier:</p> + +<p>«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse; +j'eus l'occasion de connaître M<sup>me</sup> la comtesse de Solar. Cette dame, +sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver +ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de +Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son +fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux +avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je +savais que M<sup>me</sup> de Solar avait des relations très-puissantes à +Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne +serait point inutile à mon avancement et à ma fortune.</p> + +<p>«L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre, +et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de +l'auberge de l'<i>Écharpe</i>, dans l'une des rues les<a name="page_103" id="page_103"></a> plus fréquentées de +Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à +cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar. +Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et +d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval. +Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des +personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en +passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A +Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma +famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères.</p> + +<p>»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec +nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à M<sup>me</sup> de +Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin, +époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires +domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël, +la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint. +On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais +constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis +bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde +pas à s'aggraver:<a name="page_104" id="page_104"></a> un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre +l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli, +mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la +sépulture de ma famille.</p> + +<p>«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire. +Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui +ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que +pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est +irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette +irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de +renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au +pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie +désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait +seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le +comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il +demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces +renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque, +pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte +au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il +se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était +insuffisant, parce qu'il<a name="page_105" id="page_105"></a> ne désignait pas clairement la personne +décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: <i>Un enfant +âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte +de Solar</i>. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne +saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la +comtesse de Solar.</p> + +<p>«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que +d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4 +septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774, +et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait +être le jeune de Solar, qui m'a été confié.—Ensuite, ajoutait-il, il +suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le +jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre +1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet +enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château +de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois +auparavant (le 1<sup>er</sup> août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand +chemin de Péronne en Picardie!»</p> + +<p>Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence, +insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la +justice<a name="page_106" id="page_106"></a> croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir +l'affaire.</p> + +<p>Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement +l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de +Caroline de Solar sur les lieux indiqués.</p> + +<p>Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre +1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et +frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et +renvoyé absous.</p> + +<p>Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence:</p> + +<p>«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût +coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était +Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès. +L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et +qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de +mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré +être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la +même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la +perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a +chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement<a name="page_107" id="page_107"></a> de septembre +suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et +nous l'avons renvoyé tel.</p> + +<p>«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas +satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit +près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre +enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on +substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait +fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à +juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci, +nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait; +elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et +Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces +deux points.—Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la +part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un +malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine +d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu +découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à +qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates +rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.»<a name="page_108" id="page_108"></a></p> + +<h3><a name="XV" id="XV"></a>XV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Lettre de l'abbé de l'Épée à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, défenseur de +Cazeaux.—Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de +Joseph et du comte de Solar.—Particularités remarquables.—Détails +peu édifiants sur la mère du sourd-muet.—Réponse de M<sup>e</sup> +Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.—Extrait mortuaire +constatant, à son avis, le décès.—L'illustre avocat modifie, plus +tard, son opinion.—Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de +L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—Confirmation de la sentence du Châtelet par le +parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête +et d'instruction.</p></div> + +<p>L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, +défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas, +rend compte, sous la date du 1<sup>er</sup> février 1779, de tout ce qui regarde +son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du +mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses +objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont +comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui,<a name="page_109" id="page_109"></a> consiste en ce +que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été +arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a +fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de +lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes +lenticulaires, dont un<a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor">[51]</a> exactement à la même place.</p> + +<p>Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que, +dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension, +il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui, +qu'il croyait naturellement ses sœurs, de sorte que, toutes les fois +qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez M<sup>me</sup> +Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât +quelque chose pour ses sœurs.</p> + +<p>La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à +son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800 +livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait +un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne +vivait que d'emprunts.—Il existait encore, selon lui, une lettre de +cette dame à M. Joisneau,<a name="page_110" id="page_110"></a> son parent et son ami, par laquelle elle le +priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus +riche <i>vis-à-vis du père du monsieur qu'elle devait épouser</i>, le +conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis +deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes.</p> + +<p>A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa +conscience d'honnête homme:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p><i>Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt.</i></p> + +<p><i>Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de +tous les innocents que l'on veut perdre.</i></p> + +<p class="c">(Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique, +est précédé d'un <i>Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en +parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet</i>, mémoire suivi +d'une <i>Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de +Sainville</i>, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars +1779.</p> + +<p>Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme +et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires +invoqués, la preuve, sans réplique, de<a name="page_111" id="page_111"></a> la parfaite identité du jeune +Joseph avec le jeune comte de Solar, M<sup>e</sup> Tronçon-Ducoudray<a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor">[52]</a>, autre +défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers +des 1<sup>er</sup> et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de +son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire +consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant +la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre +incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur, +le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28 +janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était +mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses +amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès,<a name="page_112" id="page_112"></a> il +avait été frappé de paralysie et marchait difficilement.</p> + +<p>M<sup>e</sup> Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et +s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur +Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache +à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses +interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le +mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne +craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph, +selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir +dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses +réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les +témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme +n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer, +principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain +de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre +comme très-expérimentée dans l'art de mentir.</p> + +<p>Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes, +petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la +plainte et la procédure.<a name="page_113" id="page_113"></a></p> + +<p>«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé +par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier;</p> + +<p>Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée +d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres +témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet +trouvé, <i>le premier août</i> 1773, au village de Cuvilly, et <i>vu quelques +jours auparavant</i> à celui d'Orvilliers;</p> + +<p>Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame +Le Roux des nouvelles de <i>son frère</i>; ordonne qu'il sera amené +prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et +parfait par les officiers du Châtelet;</p> + +<p>Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature, +surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier +1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé +par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le +sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.;</p> + +<p>Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète, +Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et +officiers du Châtelet, etc., à Toulouse,<a name="page_114" id="page_114"></a> à Alby, la Granerie, les +villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut, +Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à +Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal +des <i>gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète +dans tous les lieux indiqués</i>;</p> + +<p>«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir +toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph +<i>reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu, +etc.</i>;</p> + +<p>«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres +patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que +dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf +l'appel en la cour;</p> + +<p>«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de +Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août +1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction +et au jugement dudit procès, ce que de raison.</p> + +<p>«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre +1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne +que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est +détenu par l'huissier<a name="page_115" id="page_115"></a> de la cour de service, à la charge de se +représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes, +etc.;</p> + +<p>«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à +Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur +Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé +aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.»<a name="page_116" id="page_116"></a></p> + +<h3><a name="XVI" id="XVI"></a>XVI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Foi robuste de l'abbé de l'Épée.—Ses occupations et ses infirmités +ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses +au midi de la France.—Diverses personnes intéressées dans +l'affaire prennent la même direction.—Recherches long-temps +infructueuses.—Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en +présence de la tombe de son père.—On en exhume une tête d'enfant, +avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à +Joseph.—Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.—Parti qu'en tire +le défenseur de Cazeaux.—Contradictions palpables, graves +accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et +contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.—Nouvelle +sentence confirmative du Châtelet.</p></div> + +<p>Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et +probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte +partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la +Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches. +Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux +ecclésiastique l'ayant supplié<a name="page_117" id="page_117"></a> de lui laisser vérifier les preuves par +lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la +procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou +1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à +ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.»</p> + +<p>Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar +dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités +l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut, +ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour +interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance? +On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la +barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la +capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait +partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller +au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que +le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné +pour gardien, prirent la même route. M<sup>me</sup> de Vormes se chargea +d'accompagner M<sup>lle</sup> de Solar dans cette direction.</p> + +<p>Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6 +septembre, à six heures<a name="page_118" id="page_118"></a> du matin, tous ces personnages sont réunis à +l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense, +avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et +d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à +son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera +le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux +témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans +tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne +rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son +père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune +Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse, +on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le +dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes +dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans +l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on +prétend avoir été arrachée à Joseph.</p> + +<p>C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos +d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly +demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite.<a name="page_119" id="page_119"></a></p> + +<p>C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph, +qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de +Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet, +âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une +roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne +pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly. +A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à +Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller +chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant +revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans +signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre.</p> + +<p>Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé +surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un +caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a +préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse +formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins +les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce +dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il +appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure<a name="page_120" id="page_120"></a>-t-il, +scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur +de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand +matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec +différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le +plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de +certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention +aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable. +Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement +aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est +l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses sœurs +et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet +présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º +l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le +mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on +découvre à Cuvilly, le 1<sup>er</sup> août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu +par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché +du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai +Solar aurait dû reconnaître.</p> + +<p>Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet +réhabilite le jeune <i>Théodore<a name="page_121" id="page_121"></a></i>. (C'est le nouveau nom que l'abbé de +l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt:</p> + +<p><i>Le mineur Joseph</i> est déclaré <i>comte de Solar</i>; défenses à toutes +personnes de le troubler dans la possession de son état.</p> + +<p><i>Cazeaux</i> est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé.</p> + +<p>Il est enjoint <i>au curé</i> d'être plus exact et de se conformer aux +ordonnances et déclarations du roi.</p> + +<p><i>Cadours</i><a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor">[53]</a> est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône.</p> + +<p><i>La demoiselle Solar</i> et la fille Lama sont mises hors de cour.</p> + +<p>Il est enjoint à <i>la demoiselle</i> de reconnaître Joseph pour son frère.</p> + +<p>L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse.</p> + +<p>Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne +seulement.<a name="page_122" id="page_122"></a></p> + +<h3><a name="XVII" id="XVII"></a>XVII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de +l'Épée.—Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la +sentence.—Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et +l'abbé de l'Épée.—Les parlements sont détruits par la +révolution.—Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu +en faveur du pauvre délaissé.—Sans appui, sans famille, sans +ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine +et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon +d'autres, dans un hôpital.—Son interprète, le sourd-muet Didier, +suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.</p></div> + +<p>Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet, +unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à +Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des +efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera +suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls +protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la +destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet +1792,<a name="page_123" id="page_123"></a> à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu +en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de +l'annulation:</p> + +<div class="blockquot2"><p class="addr">«L<small>E</small> T<small>RIBUNAL,</small> etc.<a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor">[54]</a>,</p> + +<p>«Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce +que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition +qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur +Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni +qualité ni intérêt à contester;</p> + +<p>«Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme +Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses +deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants;</p> + +<p>«Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès +sous le nom de <i>Joseph</i> est fondé en droit, 1º sur son état de +sourd et<a name="page_124" id="page_124"></a> muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la +lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se +rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa +connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne +fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins +l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement, +depuis, en se faisant recevoir partie intervenante;</p> + +<p>«Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que +l'individu sourd et muet, connu sous le nom de <i>Joseph</i><a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor">[55]</a>, a été +trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de +Cuvilly, en Picardie, le 1<sup>er</sup> août 1773;</p> + +<p>«Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur +des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il +est resté jusqu'au 2 septembre suivant;</p> + +<p>«Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de +Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant +dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois +consécutifs;</p> + +<p>«Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph,<a name="page_125" id="page_125"></a> aussi sourd et muet, seul +fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame +Solar, le 1<sup>er</sup> novembre 1762, ayant quitté le séjour de la +Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et +Caroline, sa sœur, jusqu'au commencement de septembre 1773;</p> + +<p>«Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au +sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de +Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas +les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui +l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant;</p> + +<p>«Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à +Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a +habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de <i>Solar</i>, il a +été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort +des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé, +le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous +la dénomination seulement de <i>fils du comte de Solar</i>, parce +qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de +baptême;</p> + +<p>«Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des +doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu +Joseph<a name="page_126" id="page_126"></a> pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et +que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et +suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur, +que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux +d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que +l'évidence des preuves lui refuse;</p> + +<p>«Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur +Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et +négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte +mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit +être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer +dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de +baptêmes, mariages, sépultures;</p> + +<p>«Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits +de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à +l'appui de l'accusation;</p> + +<p>«Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés +(abstraction faite du <i>quidam</i>, nommé Alexandre, à l'égard duquel +il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le +moindre indice du plus léger délit;</p> + +<p>«Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel +par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin +1781;<a name="page_127" id="page_127"></a></p> + +<p>«Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc +Cadours, appelants de ladite sentence;</p> + +<p>«Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits +accusés et l'individu connu au procès sous le nom de <i>Joseph</i>; +émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public, +au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de +l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa +déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et, +sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7<sup>e</sup> et 10<sup>e</sup> +témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore +contre les 50<sup>e</sup>, 52<sup>e</sup> et 54<sup>e</sup> témoins d'autre information de +Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16<sup>e</sup> de l'information +faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont +déclarés non pertinents et inadmissibles;</p> + +<p>«Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des +parties,</p> + +<p>«Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite +vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé, +le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était +véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de +Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette +Clignet, son épouse, lequel était<a name="page_128" id="page_128"></a> né à Clermont le premier +novembre 1762;</p> + +<p>«En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de +ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement +seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au +procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la +paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au +greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire +actuel;</p> + +<p>«Décharge Caroline Solar<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor">[56]</a> de l'accusation contre elle intentée; +fait défenses à l'individu nommé <i>Joseph</i> de se dire et qualifier +fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les +droits et actions appartenant à cette famille;</p> + +<p>«Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François +Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit +Durban de se conformer aux lois existantes<a name="page_129" id="page_129"></a> sur la tenue des +registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse;</p> + +<p>«Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé <i>Joseph</i>, +l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et, +sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès;</p> + +<p>«Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son +plein et entier effet;</p> + +<p>«Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le +présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de +Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le +faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera +convenable.</p> + +<p class="r">Signé E<small>UDE,</small> rapporteur.»</p> + +<p>Un jugement conforme<a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor">[57]</a> est rendu en dernier ressort le 24 juillet +1792.</p></div> + +<p>Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de +ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille, +sans ressource. Mieux eût valu<a name="page_130" id="page_130"></a> cent fois qu'une pitié compatissante ne +fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de +Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment +que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière +céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de +l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus +brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être +effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France +révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la +victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage +dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors +d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et +montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques +personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement +dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses +veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans +un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses +premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des +camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un +hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier +n'avait<a name="page_131" id="page_131"></a> quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son +frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non +moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon.<a name="page_132" id="page_132"></a></p> + +<h3><a name="XVIII" id="XVIII"></a>XVIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Coup d'œil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.—Est-ce +une aventure réelle ou un roman historique?—Bonne foi, conviction +de l'abbé de l'Épée.—Ses efforts pour rendre l'innocence et +l'honneur à Cazeaux.—Un dilemme pour en finir.—M. Fournier des +Ormes voit dans cette aventure une mystification.—Suivant lui, le +pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement +sourd.—Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.—La pièce de +Bouilly.—Première représentation.—Grand succès.—Incident de la +seconde.—L'abbé Sicard mis en liberté.</p></div> + +<p>Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru +disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans +cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé +à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé +les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou +soutenir celle du vénérable instituteur?</p> + +<p>A ne considérer, la main sur la conscience,<a name="page_133" id="page_133"></a> que le dénouement de ce +procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas, +où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une +pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré +certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de +l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une +aventure réelle qu'un roman historique.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un +crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si +fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu, +et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu +de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se +dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de +sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire, +il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille +honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne.</p> + +<p>En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux +empressement notre illustre instituteur a tout mis en œuvre pour lui +faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il +s'imputait à lui-même,<a name="page_134" id="page_134"></a> en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce +malheureux jeune homme?</p> + +<p>Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand +instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en +bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à +consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des +droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur, +nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin +victime d'une barbare cupidité?</p> + +<p>Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant:</p> + +<p>De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à +dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément +menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles +qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non +véritable?</p> + +<p>Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui +que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la +similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion?</p> + +<p>M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: <i>le Sourd-Muet de +l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)</i>, qui ont paru dans le +<i>Constitutionnel<a name="page_135" id="page_135"></a></i>, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger +l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième +siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet +égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd.</p> + +<p>Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel, +professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution +de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien +voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous +paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière +qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici:</p> + +<div class="blockquot2"> +<p class="r">«Paris, le 15 avril 1852.</p> + +<p class="addr">C<small>HER COLLÈGUE,</small></p> + +<p>«Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est +impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain +prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès +du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien +jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom.</p> + +<p>«La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd, +capable de surprendre les secrets<a name="page_136" id="page_136"></a> des familles, est d'invention +récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en +fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait +conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce +fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme. +Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart, +n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la +moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer +et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est +occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser +autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à +l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par +l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le +demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de +comprendre le discours verbal.</p> + +<p>«Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre +d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut +du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement +c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout +demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que +l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de +lui.<a name="page_137" id="page_137"></a></p> + +<p>«Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de +Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu +l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au +mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait +trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui +furent en rapport avec lui.</p> + +<p>«J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il +s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer +jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur +certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire, +il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il +ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne +collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume +l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était +trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait +laissées dans l'intérêt de son pupille.</p> + +<p>«Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée, +la voilà sans déguisement.»</p> +</div> + +<p>Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa, +avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'<i>Abbé de l'Épée, comédie<a name="page_138" id="page_138"></a> +historique</i>, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé +par celui de <i>drame</i>, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès. +Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa +<i>comédie historique de René Descartes</i>, jouée aussi sur le premier +théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage +devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut +qu'une voix pour prédire à l'œuvre un succès immense, infaillible. +Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène +française<a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor">[58]</a> s'empressait de lui prêter le concours actif de ses +talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière?</p> + +<p>Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation +de l'<i>Abbé de l'Épée</i>. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un +caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra +aisément combien<a name="page_139" id="page_139"></a> le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on +saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté +invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature +rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge, +lorsqu'elles vinrent l'assaillir.</p> + +<p>C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de +Franval, ayant auprès de lui la mère et la sœur de cet avocat, leur +explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de +fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune +sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel +est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des +hommes. Il commence ainsi son récit:</p> + +<p>«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne +dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.»</p> + +<p>A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix +du parterre s'écria: <i>Tant mieux!</i> et toute la salle applaudit.</p> + +<p>Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la +scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent +décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de M<sup>me</sup> +Vanhove-Talma<a name="page_140" id="page_140"></a> (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le +voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes +parts à ses pieds.</p> + +<p>Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli, +mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre +l'époque:</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Vous, dont les talents enchanteurs</td></tr> +<tr><td align="left">Nous ont si souvent, sur la scène,</td></tr> +<tr><td align="left">Fait entendre les sons flatteurs</td></tr> +<tr><td align="left">De Thalie ou de Melpomène,</td></tr> +<tr><td align="left"><i>Vanhove</i>, par quel art secret,</td></tr> +<tr><td align="left">Sans avoir besoin de paroles,</td></tr> +<tr><td align="left">Faites-vous d'un sourd et muet</td></tr> +<tr><td align="left">Le plus intéressant des rôles?</td></tr> +</table> + +<p>Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier +légitimiste Alisan de Chazet:</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Vanhove, ce muet charmant,</td></tr> +<tr><td align="left">Qui s'exprime avec éloquence</td></tr> +<tr><td align="left">Et qui choisit le sentiment</td></tr> +<tr><td align="left">Pour interprète du silence.</td></tr> +</table> + +<p>La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les +sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre +successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly<a name="page_141" id="page_141"></a> raconter lui-même ce +touchant épisode:</p> + +<p>«....... M<sup>me</sup> Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait +assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde, +accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus +honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire. +Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à +l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux +élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,» +Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres, +en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui +gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri +de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et +répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des +sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne +sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque +imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation, +lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon +visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami, +quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération +d'un<a name="page_142" id="page_142"></a> ami de l'humanité<a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor">[59]</a>.» J'apprends alors que le premier consul, +frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances +de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la +détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me +fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux +qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces +dates du cœur qui ne s'effacent jamais.»</p> + +<p class="cb">. . . . . +. . . . . +. . . . . +. . . . . +. . . . .</p> + +<p><a name="page_143" id="page_143"></a></p> + +<h3><a name="XIX" id="XIX"></a>XIX</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. +Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de +Paris.—Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis +XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—Souvenirs +intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de +cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.—Tribut +d'éloge de Monvel à son élève.—Conclusions de M. +Villenave.—Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du +drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.</p></div> + +<p>Écoutons encore l'auteur du drame de l'<i>Abbé de l'Épée</i>, à propos d'une +visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale:</p> + +<p>«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que +c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et +qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts, +avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de +l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de +leur école, située au haut du<a name="page_144" id="page_144"></a> faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent, +d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua +mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se +présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui +font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le +pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés +de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre +clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors +lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment +l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes +parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis +comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de +leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula +dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau, +une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé +de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur +demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et +d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils +m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche.</p> + +<p>«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet<a name="page_145" id="page_145"></a> qu'ils m'apportaient, sous +le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de +l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y +porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle +époque de ma carrière dramatique.»</p> + +<p>Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus +flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, <i>avec +le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive</i>: vous +m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.—Et moi, +général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de +m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que +puisse éprouver un auteur!.......»</p> + +<p>Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait, +longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un +conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités. +J'ai vu jouer à Londres votre <i>Abbé de l'Épée</i>, vos <i>Deux Journées</i>; et +la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations +dramatiques, est encore présente à mon souvenir.»</p> + +<p>M<sup>me</sup> Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime +dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement +de ceux qui en sont privés, de cette voix<a name="page_146" id="page_146"></a> qui fut si longtemps en +possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire, +donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à +surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore +du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si +heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en +1836, sous le titre de: <i>Études sur l'Art théâtral</i> (p. 226-270).</p> + +<p>«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit +encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter +l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit +permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré +de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les +applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de +<i>l'Abbé de l'Épée</i>; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et +j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour +mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais +recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle +âme, son esprit et son savoir.</p> + +<p>«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le +personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société +journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés<a name="page_147" id="page_147"></a> de me voir profiter +de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les +matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de +la pièce fut complet, et le mien par contre-coup.</p> + +<p>«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de +montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une +machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre, +derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus +graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément; +Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient +forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs +(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme +ne tarde pas à se rétablir.</p> + +<p>«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les +acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à +ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement +étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma +physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet +à-propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à +quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans +mon rôle de sourd;<a name="page_148" id="page_148"></a> mon cœur battait de plaisir.... J'avais senti +l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de +surprise ou de crainte eût détruit toute illusion.</p> + +<p>«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de <i>l'Abbé +de l'Épée</i>: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans +laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs +fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et +moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque +invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main +de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait +pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde +autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la +muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer: +mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me +regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et +le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs +applaudissements.</p> + +<p>«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre +artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais +finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre; +il fallait<a name="page_149" id="page_149"></a> donc m'avertir.—Sans doute, mon maître, si j'avais su +moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal +fait?—Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant +d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!»</p> + +<p>Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus +longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les +quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain +distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la +notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces +détails. (Pages XIV-XV.)</p> + +<p>«M<sup>me</sup> Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'<i>Abbé de +l'Épée</i>. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce +sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et +d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans +cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont +écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de +cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le +sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, <i>je +dus mon plus beau laurier</i>. Les poëtes firent des vers en l'honneur de +l'excellente actrice,<a name="page_150" id="page_150"></a> et on eût pu lui appliquer cet heureux distique +composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine, +sourd-muet).</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Il révèle à la fois le secret merveilleux</td></tr> +<tr><td align="left">De parler par les mains, d'entendre par les yeux.</td></tr> +</table> + +<p>S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de +Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style, +qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au +point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant, +elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants +éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle +privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les +effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille +exceptionnelle?<a name="page_151" id="page_151"></a></p> + +<h3><a name="XX" id="XX"></a>XX</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les +représentations du drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—L'auteur accusé par +la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur +de certaines personnes.—M. Bouilly se disculpe.—Il offre de +changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de +C<small>OMÉDIE HISTORIQUE</small>.—Mort de l'abbé de l'Épée.—Touchant spectacle +de ses derniers moments.—Tableau du sourd-muet Peyson.—Le célèbre +instituteur inhumé à Saint-Roch.—On se dispute son image.—Sa +répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.—Le +sculpteur sourd-muet de Seine.—La Commune de Paris demande à +l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de +leur père.—Ce vœu est réalisé.—Oraison funèbre de l'abbé de +l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.—Supplice du +panégyriste.</p></div> + +<p>Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du +drame de l'<i>Abbé de l'Épée</i> offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir +auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les +représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même +recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de<a name="page_152" id="page_152"></a> n'avoir mis son +œuvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de <i>troubler leur repos et +de compromettre leur honneur</i>. D'aussi basses inculpations +pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de +celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en +retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre +fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet, +honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en +faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le +légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses +successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du +Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre +maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait +son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement +en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée +principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques +développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son +invention.</p> + +<p>Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il +pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse +qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de +son œuvre,<a name="page_153" id="page_153"></a> dans les limites que lui imposaient la prudence humaine +et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de +Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du +titre de sa pièce la qualification de <i>comédie historique</i>? Et sa +générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu +de la scène, l'assurant sur l'honneur que son œuvre ne le regardait +ni directement ni indirectement?</p> + +<p>Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans +l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement +décliné, et il penchait, à vue d'œil, vers la tombe. Déjà son état +commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui +l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs +craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après +avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa +paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une +députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé, +archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en +larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce +lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son +père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils,<a name="page_154" id="page_154"></a> de +douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces +malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un +dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu +n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur +séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux, +en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a +revêtu le caractère d'une pieuse résignation.</p> + +<p>Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent +supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un +des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839.</p> + +<p>L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que +sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans +une pétition collective<a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor">[60]</a> le vœu de voir le gouvernement se décider +à faire l'acquisition de cette œuvre, et la requête avait été +couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru +un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à +l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la +chapelle, et chargea un professeur sourd-<a name="page_155" id="page_155"></a>muet distingué, M. Alphonse +Lenoir, de transmettre cette résolution<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor">[61]</a> à la Commission consultative +de cet établissement.</p> + +<p>L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le +caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle, +appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que +ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix.</p> + +<p>Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce +fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait +jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses +traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à +la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour +modèle, par le fils d'une de ses nièces, M<sup>me</sup> la comtesse de +Courcel<a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor">[62]</a> à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre +des sourds-muets érigée à Versailles.</p> + +<p>Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur, +avait fait son buste, sur lequel<a name="page_156" id="page_156"></a> était écrit le distique que nous avons +cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette +image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du +maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les +intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger, +afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit +du succès de cette innocente manœuvre, ne put s'empêcher de sourire à +l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le +seul à tromper sur ce point la vigilance du maître.</p> + +<p>Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et +remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour +l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque +avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans +appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs +de pension et un logement au Louvre<a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor">[63]</a>.<a name="page_157" id="page_157"></a></p> + +<p>Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement, +portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le vœu qu'un +établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins +que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce vœu, comme on +le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce +genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour +attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs +étrangers.</p> + +<p>A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre +de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de +Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée +nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce +que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les +sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom +a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa +participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause +du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut +lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de +complicité<a name="page_158" id="page_158"></a> avec les Girondins, et plus particulièrement avec la +courageuse Charlotte Corday.</p> + +<p>On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de +l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait +soumis son panégyrique de saint Augustin.</p> + +<p>«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce +qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement +notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre +toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point; +c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure: +vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi; +mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne +sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos cœurs, tandis +que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé +quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos +ténèbres.»<a name="page_159" id="page_159"></a></p> + +<h3><a name="XXI" id="XXI"></a>XXI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera +inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité +et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par +l'État.—Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à +l'ancien couvent des Célestins.—La Convention fonde, dans chacune +des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées +successivement, pour la première, à 80 et à 100.—La Convention +avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 +sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec +ateliers et travaux agricoles.—Transfert de l'établissement de +Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire +Saint-Magloire.—Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en +1832, parmi les <i>dépenses facultatives</i> des budgets +départementaux.—M. de Gerando avait infructueusement proposé que +ce fût parmi les <i>dépenses obligatoires</i>.</p></div> + +<p>Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait +renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une +pétition de l'abbé Sicard<a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor">[64]</a>, relative à la<a name="page_160" id="page_160"></a> perpétuité de +l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta<a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor">[65]</a> que le nom de +l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient +bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait +entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation +française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre +bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14 +septembre<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor">[66]</a>, aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments +de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle +des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des +deux établissements, préparé par<a name="page_161" id="page_161"></a> un comité spécial, aurait reçu sa +sanction définitive.</p> + +<p>C'est un devoir sacré, pour nos cœurs reconnaissants, de recommander +à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons, +dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent +votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait +ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû +en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs +facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des +hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la +société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce +rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères +ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle, +comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en +renom<a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor">[67]</a>.</p> + +<p>Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des +sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les +fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits +établissements.<a name="page_162" id="page_162"></a></p> + +<p>La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en +Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la +plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui +alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que +dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en +outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait +de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents +endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le +modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se +borner, pour le moment, à la création de soixante bourses<a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor">[68]</a>, pour +chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le +pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5 +janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments +de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du +Faubourg-Saint-Jacques, n<sup>os</sup> 254 et 256, connu sous le nom de +séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui<a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor">[69]</a>.<a name="page_163" id="page_163"></a></p> + +<p>A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait +ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de +décret d'organisation première de ces établissements:</p> + +<p>«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous +proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur +donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des +ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera +de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre +le plus de talent, et de l'y appliquer.»</p> + +<p>Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer +une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en +outre, le vœu que six établissements fussent fondés en France, pour +recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que, +plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves +dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des +travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût +adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était +alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une +consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau<a name="page_164" id="page_164"></a> genre d'alliance à +contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire, +mais qui n'en sera que plus chère à vos cœurs; c'est l'alliance avec +l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants +sourds-muets au règne de la liberté.»</p> + +<p>La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3 +brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la +création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les +départements<a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor">[70]</a>, outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut +pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et +précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes.</p> + +<p>Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux +sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau, +les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du +Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le +classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met +leurs frais d'éducation au nombre des dépenses<a name="page_165" id="page_165"></a> facultatives des budgets +départementaux.</p> + +<p>M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante, +avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi +celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des +enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse +initiative.<a name="page_166" id="page_166"></a></p> + +<h3><a name="XXII" id="XXII"></a>XXII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Mode d'administration successif des Institutions nationales des +sourds-muets de Paris et de Bordeaux.—Projets divers ayant pour +but de généraliser en France cet enseignement +spécial.—Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.—Pétition +adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et +d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée +nationale législative.—Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian, +ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et +d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de +Madrid.—L'auteur des <small>TEMPLIERS</small>, M. Raynouard, de l'Académie +française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur +poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.—Nomenclature complète des +œuvres du célèbre instituteur.</p></div> + +<p>Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous +la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard, +administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de +cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et +du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de +l'intérieur,<a name="page_167" id="page_167"></a> avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un +autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait +modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés +antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le +28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale, +du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de +bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé +de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de +l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la +même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une +commission consultative, composée de cinq membres, y compris le +directeur.</p> + +<p>A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives +pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets.</p> + +<p>La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces +infortunés au système général d'instruction publique de la France.</p> + +<p>Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX, +consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet +semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de +sourds-muets fussent assis sur de solides bases.</p> + +<p>En 1836, un autre ministre, M. le comte<a name="page_168" id="page_168"></a> de Gasparin, ayant invité le +conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer +un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à +ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être +présenté à l'examen des Chambres.</p> + +<p>Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès +scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre +instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école +de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot +et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à +Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette +enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent +favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les +conclusions.</p> + +<p>Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au +Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la +commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et +par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées +jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat +immédiat, aucun résultat complet, malgré les<a name="page_169" id="page_169"></a> votes favorables dont +elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures.</p> + +<p>En juillet 1851, une pétition<a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor">[71]</a> à l'Assemblée nationale a été proposée +et adoptée unanimement au sein de la <i>Société centrale d'éducation et +d'assistance pour les Sourds-Muets en France</i>, présidée par M. Dufaure, +ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces +infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds +nécessaires pour atteindre ce but.</p> + +<p>Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement +du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau +mémoire<a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor">[72]</a> au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la +République.</p> + +<p>La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au +concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à +M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets +de Paris,<a name="page_170" id="page_170"></a> et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc. +Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des +sourds-muets de Madrid, <i>l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les +avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction +générale élémentaire</i>, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur. +M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole +de <i>Paul et Virginie</i>. On assure qu'il a travaillé à un <i>Dictionnaire de +signes d'action analogiques</i>.</p> + +<p>On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur +des <i>Templiers</i>, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer +pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre <i>père spirituel</i>. Nous +aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait +certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons +la perte.</p> + +<p>Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée:</p> + +<p>1º <i>Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur +Marie-Anne Pigalle</i>, 1757, in-12;</p> + +<p>2º <i>Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus +par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774, +avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces +exercices</i>, Paris, 1774, in-12 de 112<a name="page_171" id="page_171"></a> pages (dans sa quatrième lettre, +il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à +la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que +ce quatrième exercice public sera le dernier);</p> + +<p>3º <i>Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques</i>, +Paris, 1776, in-12; <i>nouvelle édition corrigée sous ce titre: La +véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une +longue expérience</i>, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en +allemand;</p> + +<p>4º <i>Dictionnaire général des signes employés dans la langue des +sourds-muets</i>, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main.<a name="page_172" id="page_172"></a></p> + +<h3><a name="XXIII" id="XXIII"></a>XXIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.—Le plomb +des cercueils fondu en balles sur les autels.—Mission que l'auteur +s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.—Lettre +aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas +au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit, +ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de +son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un +déplorable abandon.—Demande de renseignements au curé de +Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans +cette église.—Comment on découvre que ses restes reposent dans le +caveau de la chapelle Saint-Nicolas.—L'auteur y descend avec le +sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.—Spectacle +déchirant!—Souscription ouverte dans les journaux pour élever un +monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux +inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle +qui fut le berceau de son enseignement.</p></div> + +<p>J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des +exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir +religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à +bien des témoins de son admirable existence<a name="page_173" id="page_173"></a><a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor">[73]</a> dans la vue de donner +plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu +me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de +l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il +soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front +vénérable.</p> + +<p>Le <i>Mercure de France</i>, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe +au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor">[74]</a>:</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Hic jacet, egregio cœli qui munera pollens,</td></tr> +<tr><td align="left">Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges;</td></tr> +<tr><td align="left">Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam.</td></tr> +<tr><td align="left">An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe?</td></tr> +</table> + +<p>Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les +bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le +calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa +tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la +traduction française:<a name="page_174" id="page_174"></a></p> + +<p>«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des +lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets. +Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?»</p> + +<p>Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des +cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut +brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers +travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur +les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du +christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la +France révolutionnaire.</p> + +<p>Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris +tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé +de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je +m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de +notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je +ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars +sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance.</p> + +<p>C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par +l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse<a name="page_175" id="page_175"></a> +absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de +Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales.</p> + +<p>Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante:</p> + +<p>«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre +feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une +lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande +famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de +l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de +Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à <i>notre père +intellectuel</i>! Notre étonnement a dû être partagé par tous les +appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de +regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des +célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne +devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales +artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des +merveilles des siècles, comme son œuvre est placée par la postérité +au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et +qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque?</p> + +<p>«Dieu sait combien de médiocrités obscures<a name="page_176" id="page_176"></a> et ignorées ont obtenu ici +les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue +d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont +trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont +immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils +ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur +d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! <i>Proh pudor!</i></p> + +<p>«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit +précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on +n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis +qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges, +on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros +pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans +doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils +jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté, +s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un +second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée +ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants +préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne<a name="page_177" id="page_177"></a> +mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à +défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique?</p> + +<p>«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à +notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères +d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur +la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes +utiles sont mieux appréciés à l'étranger.</p> + +<p>«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de +marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des +sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le +voit sur la place de la ville, en face même de cette institution.</p> + +<p>«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti, +directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et +Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la +méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves +sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître +est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne +sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous +nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat.<a name="page_178" id="page_178"></a></p> + +<p>«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous +en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé, +démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle +a, depuis longtemps, décerné à Paris.</p> + +<p>«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer +l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à +l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M. +Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le +modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à +contribuer de notre faible offrande à cette œuvre de reconnaissance.</p> + +<p>«En publiant cette lettre<a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor">[75]</a>, expression sincère du vœu de tous mes +frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie, +malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui +sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur +doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont +précédés dans la carrière?<a name="page_179" id="page_179"></a></p> + +<p>«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi +que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.»</p> + +<p>Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier, +alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des +renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de +l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait +pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne +s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait +dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant +bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa +sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du +temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de +quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts +furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable, +M<sup>me</sup> Guerin, qui venait de perdre une sœur sourde-muette, élève de +l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez M<sup>lle</sup> Courtois, +rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie +intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur.<a name="page_180" id="page_180"></a></p> + +<p>Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui +brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif +de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions +me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son +accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre, +quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui +elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que +c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps +de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à +aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle +appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa +messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de +grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces +détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient +pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit +à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis +tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les +uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices +publics de ses élèves étaient l'objet des autres. M<sup>me</sup> Guerin, avec le +même empressement, offrit<a name="page_181" id="page_181"></a> à notre curiosité des lettres du respectable +prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant +de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les +dangers du monde.</p> + +<p>Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève +de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de +Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet, +possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de +Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son +obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de +M<sup>lle</sup> Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier, +recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous +avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques +de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son +enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a +pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants, +à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre +qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et +les premiers ossements ont été découverts.<a name="page_182" id="page_182"></a></p> + +<p>Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante:</p> + +<p>«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les +sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur +surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut +réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à +la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur +immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations, +confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui +assista au dernier soupir de son ami, <i>notre père spirituel</i>. Ses +cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle +Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange.</p> + +<p>«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé +la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de +l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic, +Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là, quel spectacle affreux +s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière +et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands +bienfaiteurs de l'humanité! Nos cœurs se sont émus, et nous, les +enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas<a name="page_183" id="page_183"></a> des +hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal +à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de +vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets +de l'univers,—c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver +de pain pour donner un tombeau à leur père,—mais encore à toutes les +âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque +opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent. +L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il +n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet +acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui +parlez, dans nos cœurs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit +que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour +honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène<a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor">[76]</a>, le Messie +d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de +l'indifférence publique. <i>Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus +vocabitur</i>, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé +grand.» (Saint Matthieu, v. 19.)</p> + +<p>«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en +français et non en latin,<a name="page_184" id="page_184"></a> pour que tous les sourds-muets qui savent +lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier +instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les +victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison +où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle, +depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme.</p> + +<p>«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et +l'assurance de ma considération personnelle.»</p> + +<p> +<span style="margin-left: 50%;">«F<small>ERDINAND</small> B<small>ERTHIER,</small></span><br /> +<span style="margin-left: 30%;">«Professeur sourd-muet à l'Institution des sourds-muets de Paris.»</span><br /> +</p> + +<p><a name="page_185" id="page_185"></a></p> + +<h3><a name="XXIV" id="XXIV"></a>XXIV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à +élever un monument à l'abbé de l'Épée.—M. Dupin aîné en accepte la +présidence; M. Villemain consent à en faire partie.—Elle se +compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando, +Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor +d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier +et Lenoir.—Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président +Séguier.—Première séance à l'hôtel de la présidence de la +Chambre.—Remercîments des trois membres sourds-muets.—Projet de +M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.—Voies et moyens: +représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.—Où +s'élèvera le monument?—On repousse la cour de l'Institution; on +préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.—Organisation de +la souscription.—Recherches à faire au Palais de Justice, à +l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de +l'inhumation.—MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour +aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir.</p></div> + +<p>Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger +cette œuvre éminemment philanthropique.</p> + +<p>Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors +député de Saône-<a name="page_186" id="page_186"></a>et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous +présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris, +Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des +députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la +présidence<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor">[77]</a> de cette commission, et de lui soumettre une liste de +membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec +cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et +écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un +devoir.»</p> + +<p>Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain. +La voici, avec la réponse de l'illustre académicien:</p> + +<div class="blockquot2"><p> +«A M<small>ONSIEUR</small> V<small>ILLEMAIN.</small><br /> +</p> + +<p>«Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des +caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever +un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été +proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils +désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux +qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur +vœu et de leurs<a name="page_187" id="page_187"></a> sentiments. C'est M. Berthier, président de la +Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre.</p> + +<p>«Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus +dévoués.»</p></div> + +<p class="c">RÉPONSE DE M. VILLEMAIN.</p> + +<p>«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne +pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était +agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M. +Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit +que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à +cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins +universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être +exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part. +Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai +bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la +mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M. +Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens +que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et +d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation +qu'il voudra bien m'adresser. Et un<a name="page_188" id="page_188"></a> intermédiaire comme vous, Monsieur, +ne me permet pas d'hésiter.</p> + +<p>«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus +distinguée et de mes dévoués sentiments.»</p> + +<p>Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle +était ainsi conçue:</p> + +<p>«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir +la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de +l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur +bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte +mission, vient de se former; elle se compose de:<a name="page_189" id="page_189"></a></p> + +<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary=""> + +<tr><td rowspan="12" valign="top">MM.</td><td>D<small>UPIN</small> aîné, président de la Chambre des députés,<br /> + <i>président</i>;</td></tr> + +<tr><td>V<small>ILLEMAIN</small>, pair de France, vice-président du<br /> + Conseil royal de l'Instruction publique;</td></tr> + +<tr><td>D<small>E</small> S<small>CHONEN</small>, pair de France, procureur-général à<br /> + la Cour des Comptes;</td></tr> + +<tr><td>Le baron <small>DE</small> G<small>ÉRANDO</small>, pair de France, président du<br /> + Conseil d'administration de l'Institution des<br /> + sourds-muets de Paris;</td></tr> + +<tr><td>C<small>HAPUYS</small>-M<small>ONTLAVILLE</small>, député de Saône-et-Loire;</td></tr> + +<tr><td>C<small>AVÉ</small>, chef de la division des Beaux-Arts au ministère<br /> + de l'Intérieur;</td></tr> + +<tr><td>L'abbé O<small>LIVIER</small>, curé de Saint-Roch;</td></tr> + +<tr><td>Eugène G<small>ARAY DE</small> M<small>ONGLAVE</small>, homme de lettres;</td></tr> + +<tr><td>N<small>ESTOR</small> d'A<small>NDERT</small>, artiste;</td></tr> + +<tr><td>Ferdinand B<small>ERTHIER</small>, professeur sourd-muet à l'Institution<br /> + de Paris, président de la Société centrale<br /> + des sourds-muets;</td></tr> + +<tr><td>F<small>ORESTIER</small>, instituteur sourd-muet, vice-président<br /> + de cette association;</td></tr> + +<tr><td>L<small>ENOIR</small>, professeur sourd-muet à l'Institution de<br /> + Paris, secrétaire de cette société.</td></tr> +</table> + +<p>«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel +bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de +mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la +commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit +régulariser l'emploi.</p> + +<p>»Agréez, etc., etc.</p> + +<p class="r">«Ferdinand B<small>ERTHIER</small>.»</p> + +<p>Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron +Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie +de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un +et l'autre nous adressèrent en réponse.</p> + +<p class="r">«Paris, 13 juin 1838.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ESSIEURS</small>,</span><br /> +</p> + +<p>»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une +commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma +séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me +faire; mais je<a name="page_190" id="page_190"></a> serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un +des premiers souscripteurs.</p> + +<p>«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments +empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je +suis</p> + +<p class="r">«Votre très-humble et très-obéissant serviteur:<br /> +«C<small>HATEAUBRIAND.</small>»</p> + +<p class="r">«Paris, le 13 juin 1838.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEURS,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une +commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque +chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes +occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes +me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la +commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer +complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne. +Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression +de ma haute considération.</p> + +<p class="r">«Le président S<small>ÉGUIER</small>.»</p> + +<p>Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence, +les membres de<a name="page_191" id="page_191"></a> la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna +lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et +ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur +sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit +comme architecte du gouvernement.</p> + +<p>Notre discours de remercîment était conçu en ces termes:</p> + +<p>«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs +collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ESSIEURS,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Le premier sentiment qui saisit nos cœurs au moment où nous nous +trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an +milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des +beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus +sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous +l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut +alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre +empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire +de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter<a name="page_192" id="page_192"></a> une dette sacrée de la +reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le vœu que +nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes +mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription +indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des +sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses +derniers moments.</p> + +<p>»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir<a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor">[78]</a>, architecte du +Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger +gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre +secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner +lecture.</p> + +<p>»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas +anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les +vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à +vous en faire part.»</p> + +<p>La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à +employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes +de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les +autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une +représentation au bénéfice du monument<a name="page_193" id="page_193"></a> que nous projetions. Nous +offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'<i>Abbé +de l'Épée</i>, pour celui de la <i>Muette de Portici</i>, pour tous les autres +rôles, enfin, de notre spécialité.</p> + +<p>Le vœu fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés +d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs.</p> + +<p>On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument.</p> + +<p>Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, +comme point central de l'édifice où se perpétue l'œuvre immortelle de +l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui +paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne +fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût +métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc.</p> + +<p>Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être +élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé, +dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est +toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on +considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits, +l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les +derniers que la sédition tentera de renverser.»<a name="page_194" id="page_194"></a></p> + +<p>Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé +de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce +sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues, +non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé +de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi +le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait +être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des +remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la +commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en +France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez +le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six +notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot, +Roquebert et Perrin.</p> + +<p>M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de +Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir +le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de +l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à +l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes, +l'identité des restes découverts ou à découvrir.<a name="page_195" id="page_195"></a></p> + +<h3><a name="XXV" id="XXV"></a>XXV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de +Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.—Découverte de +fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et +d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le +grand instituteur.—La pipe de terre.—Oubli ou profanation.—Noms +des premiers souscripteurs.—Appel éloquent à toutes les âmes +généreuses.—Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor +Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.—Appel aux +ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux +cours d'appel, etc.—Réponse de l'ambassadeur de Bavière.</p></div> + +<p>Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions +réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la +chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée +profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la +surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont +reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet +carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux<a name="page_196" id="page_196"></a> qu'un +ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements +sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée? +M<sup>lle</sup> Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le +curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir +appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances +importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire, +fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y +avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse, +une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de +l'Homme? Nos cœurs en furent profondément émus.</p> + +<p>Nous dressâmes procès-verbal des dires de M<sup>lle</sup> Courtois. Avant de +s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le vœu de garder, +comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son +bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette +précieuse relique ne me quittera jamais.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la +présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les +premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms +inscrits:<a name="page_197" id="page_197"></a></p> + +<p>D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne, +ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique; +de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier +d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville, +Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal, +Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc.</p> + +<p>M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en +donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout +ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le +secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement +de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de M<sup>lle</sup> +Courtois.</p> + +<p>Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le +cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres.</p> + +<p>Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes +généreuses:</p> + +<p>«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et +plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à +la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature +semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait<a name="page_198" id="page_198"></a> été que +rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges +accidentels de patience et de tendresse.</p> + +<p>«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec +étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des +sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et +qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa +découverte fut une œuvre constante de vertu, autant qu'une invention +utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de +sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la +perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur +ne reçut aucun hommage particulier.</p> + +<p>«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante; +d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le +même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a +peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de +quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la +société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet +homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église +St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre +1789) et d'autres circonstances authentiques<a name="page_199" id="page_199"></a> ont fait retrouver les +ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer +par un témoignage national du respect profond de la France pour la +science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des +misères humaines.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient +de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un +monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église +même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect +publics viendraient chercher son image.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles +de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M. +Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition. +L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la +célèbre affaire <i>de la coalition</i>, qui avait si vivement préoccupé +l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée +de nos honorables collègues.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert +en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de<a name="page_200" id="page_200"></a> l'honorable +banquier, tous les fonds seraient versés chez lui.</p> + +<p>Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut +(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault, +statuaire.</p> + +<p>A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le vœu qu'il fût +procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les +plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui +paraîtraient dignes de son attention.</p> + +<p>Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la +commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit +connaissance des lettres suivantes:</p> + +<div class="blockquot2"><p class="hang">M<small>ICHAUT</small> <i>(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du +monument à élever à l'abbé de l'Épée.</i></p></div> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE PRÉSIDENT,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi, +comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma +statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des +membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute +idée spéculative) d'être chargé du monument<a name="page_201" id="page_201"></a> à élever à la mémoire de +l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une +statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de +l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de +Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire +espérer pour mon œuvre une place au Musée de Versailles; mais il a +été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée +dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste, +et ce buste m'a été confié.</p> + +<p>«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis +citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des +sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres. +Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un +succès.</p> + +<p>«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la +terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux. +Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs +membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire +concevoir des espérances.</p> + +<p>«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je +monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien<a name="page_202" id="page_202"></a> +jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les +ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la +maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la +gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent +attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de +sculpteur.</p> + +<p>«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis +de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution +d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps.</p> + +<p>«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une +carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une œuvre digne du +bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à +l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur +le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir.</p> + +<p>«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir +cet espoir; vous ne détruirez point votre œuvre; j'ose en attendre +les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.»<a name="page_203" id="page_203"></a></p> + +<div class="blockquot2"><p class="hang">V<small>ICTOR</small> L<small>ENOIR</small>, <i>architecte du gouvernement, à Messieurs les membres +de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée.</i></p></div> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEURS,</small></span><br /> +</p> + +<p>«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à +l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée +principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du +sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue +dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse, +peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte +par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire +renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied.</p> + +<p>«Motif:</p> + +<p>«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune +sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur <i>père +intellectuel</i> (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une +couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets +ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il +conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des +élèves de l'Institution.</p> + +<p>«La simplicité du motif serait relevée par un<a name="page_204" id="page_204"></a> piédestal d'une masse +assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre +blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur +tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux +traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant +à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets, +comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous +les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de +l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de +l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le +construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait +offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense +générale.</p> + +<p>«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la +chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui +seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en +face.</p> + +<p>«Je joins ici l'évaluation des dépenses.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«J'ai l'honneur d'être, etc., etc.»</span><br /> +</p> + +<p><a name="page_205" id="page_205"></a></p> + +<p class="cb"><br /><i>Devis des dépenses du monument de l'abbé +de l'Épée</i>.</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">«Le buste en marbre et les deux figures avec le motif qui les relie.</td><td align="left">3,500 f.</td></tr> +<tr><td align="left">«Piédestal en marbre blanc sur massif en pierre</td><td align="left">3,500</td></tr> +<tr><td align="center">Total</td><td align="left" +style="border-top: 1px solid black;">7,000</td></tr> +</table> + +<p>«N<small>OTA</small>. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les +inscriptions.</p> + +<p>M. N<small>OVION</small>, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le +monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix +de sept mille francs.</p> + +<p>«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il +fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement +exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du +monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion +peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je +citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu, +entièrement construit en fer.</p> + +<p class="r">«V<sup>r</sup> L<small>ENOIR</small>.»</p> + +<p><a name="page_206" id="page_206"></a></p> + +<div class="blockquot2"><p class="hang">A<small>UGUSTE</small> P<small>RÉAULT,</small> <i>statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville, +secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de +l'Épée.</i></p></div> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br /> +</p> + +<p>«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'<i>abbé de +l'Épée</i> n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail, +permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour +obtenir cet honneur, qui me serait bien cher.</p> + +<p>«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit. +L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'<i>abbé de +l'Épée</i>, c'est-à-dire la tête, le buste et les mains, tels que les +statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense +qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais +inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le +cœur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux +premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et +servir seulement à développer ce que j'expose.</p> + +<p>«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées +pour surveiller les progrès de l'œuvre, et éviter tout ennui à la +commission.</p> + +<p>«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner<a name="page_207" id="page_207"></a> de cette donnée, qui est +certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas +qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que +l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné +la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé +dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire, +d'architecture, de fonte, etc.</p> + +<p>«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on +commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans +le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de +l'œuvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire +tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient.</p> + +<p>«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Ce jour-là, il fut donné communication de la réponse suivante de M. +Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M. +Chapuys-Montlaville, au nom de la commission:<a name="page_208" id="page_208"></a></p> + +<div class="blockquot2"><p class="r">«Paris, 17 février 1840.</p> + +<p><span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span></p> + +<p>«Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser +le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au +monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une +somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de +faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier, +mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé +d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues.</p> + +<p>Agréez, etc.»</p></div> + +<p>Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin +Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition.</p> + +<p>M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la +cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a +reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur:<a name="page_209" id="page_209"></a></p> + +<p class="r">7 septembre 1839.</p> + +<p class="cb">LÉGATION DE BAVIÈRE.<br /> +<i>A Monsieur le secrétaire de la commission pour<br /> +le monument de l'abbé de l'Épée.</i></p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la +lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers +jours du mois de juillet dernier.</p> + +<p>«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de +l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est +empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette +honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés +à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance +royale<a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor">[79]</a>, datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à +cet effet.</p> + +<p>«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.»</p> + +<p>Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux +ambassadeurs des cours étrangères:<a name="page_210" id="page_210"></a></p> + +<p>«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet +d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu +de sa sépulture.</p> + +<p>«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien +n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations +civilisées.</p> + +<p>«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux +éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété, +et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien +recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit +que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la +reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur.</p> + +<p>«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage +de notre haute considération.</p> + +<table border="0" cellpadding="3" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="center">«Le secrétaire,</td><td align="center">Le président de la commission,</td></tr> +<tr><td align="center">C<small>HAPUYS</small>-M<small>ONTLAVILLE.</small></td><td align="center">D<small>UPIN.</small>»</td></tr> +</table> + +<p><a name="page_211" id="page_211"></a></p> + +<h3><a name="XXVI" id="XXVI"></a>XXVI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la +commission.—Préférence acquise à celui de M. Préault.—Les +ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du +monument.—Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour +3,000 fr.—Devis à forfait de M. Préault—La commission l'accepte, +à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir +qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février +1841.—Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands +corps de l'État.—Appel à Louis-Philippe et à sa famille.—On en +ignore le résultat.—L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque +d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration +du monument.—On s'adresse à l'abbé Cœur, qui ne peut, à cause +de ses nombreux travaux, accepter cette honorable +mission.—Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.</p></div> + +<p>M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des +divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée.</p> + +<div class="blockquot2"><p>«Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27 +février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement +des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de +l'Épée.<a name="page_212" id="page_212"></a></p> + +<p>«Deux concurrents se sont présentés.</p> + +<p>«Quatre dessins ont été soumis.</p> + +<p>«Trois portent la signature de M. Lelong, architecte.</p> + +<p>«La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression +dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun +trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de +l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la +pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile, +intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale, +toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt +qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer.</p> + +<p>«L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le +savez, Messieurs.</p> + +<p>«En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la +décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale, +exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral +que vrai.</p> + +<p>«Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette +profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des +chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et +sans compensation avantageuse.<a name="page_213" id="page_213"></a></p> + +<p>«Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet +présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la +sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse +ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du +sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'œuvre, +tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un +rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique +aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs +et rondes bosses.</p> + +<p>«Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir +toutes les conditions désirables sous le triple rapport de +l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et +de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission +à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus +convenable à tous les titres.»</p></div> + +<p>A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres:</p> + +<div class="blockquot2"><p>«Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les +soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans +l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture.</p> + +<p>«Des preuves authentiques ont été recueillies,<a name="page_214" id="page_214"></a> et une commission +s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur +de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire.</p> + +<p>«La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche +lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre +disposition.</p> + +<p>«Le ministre de l'intérieur<a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor">[80]</a>, un grand nombre de membres des +deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les +personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien +voulu concourir à cette œuvre de gratitude et de respect.</p> + +<p>«Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que +le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient +chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs +risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour +l'exécuter.</p> + +<p>«La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les +accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a +pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme +d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop +évident avec son caractère et sa vie.</p> + +<p>«Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette.<a name="page_215" id="page_215"></a></p> + +<p>«Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront +versées dans la caisse de la souscription.</p> + +<p>«Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former +le complément de celle qui est demandée pour le monument.</p> + +<p>«Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous +associer à notre œuvre, et faire contribuer l'État à cet acte de +justice et de gratitude.</p> + +<p>«Veuillez agréer, etc.»</p></div> + +<p>La commission s'est réunie le 13 juin 1840.</p> + +<p>M. le président annonce à la commission que M. le ministre de +l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte +d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce +mois, ainsi conçue:</p> + +<div class="blockquot2"><p>«Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous +informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre +désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de +l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis +officiel de cette décision.</p> + +<p>«Agréez, etc.»</p></div> + +<p>M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et +Lassus. Ce devis<a name="page_216" id="page_216"></a><a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor">[81]</a> est suivi d'un engagement formel, pris par M. +Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000 +francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous +les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le +chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il +n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait +des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui +résulteraient des diverses souscriptions.</p> + +<p>Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au +procès-verbal.</p> + +<p>M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM. +Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier +et dans l'engagement mentionné ci-dessus.</p> + +<p>Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM. +Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues +dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le +président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la +première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux +époques de rentrée des sommes<a name="page_217" id="page_217"></a> provenant de la souscription; la seconde, +c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de +février 1841.</p> + +<p>MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à +signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault.</p> + +<p>En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission, +contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur:</p> + +<div class="blockquot2"> +<p class="addr">«M<small>ONSIEUR,</small><br /> +</p> + +<p>«Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres +enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été +retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris.</p> + +<p>«Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée, +une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est +associé à cette œuvre de respect et de gratitude.</p> + +<p>«Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription +eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du +monument.</p> + +<p>«Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de +pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous, +Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez,<a name="page_218" id="page_218"></a> à +leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité.</p> + +<p>«Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de +l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de +cet homme de bien.</p> + +<p>«Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à +la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert +de M. le président de la Chambre des députés.</p> + +<p>«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos +sentiments distingués.»</p></div> + +<p>Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les +membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert, +Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si +pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine +avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M. +Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M. +Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon +de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de +France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à +écrire au roi pour<a name="page_219" id="page_219"></a> en solliciter une souscription au monument; 3º enfin +à supplier l'évêque d'Évreux<a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor">[82]</a> de vouloir bien prêcher dans l'église +Saint-Roch le jour de l'inauguration.</p> + +<p>On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie.</p> + +<p>Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars +1842:</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«S<small>IRE,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église +Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été +retrouvés et où il avait été enseveli primitivement.</p> + +<p>«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous +osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux +et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité.</p> + +<p>«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.»</p> + +<p>Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa +famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte.</p> + +<p>Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales +de ne pouvoir<a name="page_220" id="page_220"></a> satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M. +l'abbé Cœur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui +ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter +cette honorable mission.<a name="page_221" id="page_221"></a></p> + +<h3><a name="XXVII" id="XXVII"></a>XXVII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">La Commission cesse de s'assembler.—M. Préault, presque abandonné +à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et +Berthier, tient religieusement sa promesse.—Le monument est +inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis +clos.—Description et éloge de cette œuvre remarquable.—Mais +pourquoi une inscription latine?—Sur 22,000 sourds-muets que +renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le +latin.—Hommage des sourds-muets suédois.—Couronne de bronze due +aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui +orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.—Cruels sacrifices +pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour +celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de +Chartres.—Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur +sourd-muet, offert à l'école de Paris.—Séance +d'inauguration.—Souscription ouverte pour élever une statue à +l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville +natale.—L'Institution de Paris s'associe à cet acte de +reconnaissance.</p></div> + +<p>Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon +l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la +mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue, +c'est-à-dire en<a name="page_222" id="page_222"></a> août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos! +Pourquoi? Dieu le sait.</p> + +<p>Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le +buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de +même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains +levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à +leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien +précieux de l'éducation.</p> + +<p class="figcenter"> +<a href="images/ill_223.jpg"> +<img src="images/ill_223_sml.jpg" width="238" height="550" alt="Monument de l'abbé de l'Épée dans une chapelle de +l'Église Saint-Roch, à Paris. + +Sculpteur, M. PRÉAULT.—Architecte, M. LASSUS." title="" /></a> +</p> + +<p>L'inscription simple et noble qui la décore<a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor">[83]</a> serait en parfaite +harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien +vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin, +langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe. +L'œuvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes +distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M. +Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et +grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le +buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une +délicatesse qui révèlent<a name="page_223" id="page_223"></a> une face toute nouvelle dans le talent si +neuf, si hardi, si original de M. Préault.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave +et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une +couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec +l'inscription suivante: <i>A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois.</i> +C'était la réalisation d'un vœu, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur +de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il +n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses +élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était +terminé.</p> + +<p>Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade +monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale +faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due +également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui +sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et +leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier +étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice.</p> + +<p>Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins, +la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous<a name="page_224" id="page_224"></a> avons tout +lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de +Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'œuvre et son +temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez +élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et +des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant +pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la +dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des +travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds +recueillis en divers lieux et par diverses mains.</p> + +<p>C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de +son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte +est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait, +et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a +admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques +de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part, +l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec +tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est +plus enthousiaste que lui. <i>Macte animo, generose puer!</i></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un +tact qui l'honore,<a name="page_225" id="page_225"></a> avait bien voulu offrir à l'Institution nationale +des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur, +terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre +instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont +été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle +réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il +avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine +de ces copies, jusque-là inconnue.</p> + +<p>Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de +l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le +11 mai 1840, dans la salle des séances publiques.</p> + +<p>Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets, +signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la +salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont +transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves +sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de +couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les +membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement<a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor">[84]</a> +venaient à la suite.<a name="page_226" id="page_226"></a></p> + +<p>Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de +l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre +sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis +autour de leur père.</p> + +<p>Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre +sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires +des deux maisons occupaient les deux parties latérales.</p> + +<p>M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil +d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux +élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance.</p> + +<p>A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement +exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un +sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de +guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée.</p> + +<p>Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la +caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses<a name="page_227" id="page_227"></a> +deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des +sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme +que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec +l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil +d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664 +fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves +des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers +fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur +travail et leurs progrès.</p> + +<p>Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille +circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de +décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants, +mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction +sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de +l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales.</p> + +<p>Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler +devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux +auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du +président, et leurs noms ont été en même temps proclamés.</p> + +<p>Le président, au moment de lever la séance,<a name="page_228" id="page_228"></a> a fait connaître à +l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître +l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un +monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil +d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa +ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution +nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses +membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et +dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au +Maire de Versailles.</p> + +<p>A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue.<a name="page_229" id="page_229"></a></p> + +<h3><a name="XXVIII" id="XXVIII"></a>XXVIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de +l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet +commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux +sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du +célèbre instituteur.—Empressement unanime de tous les +convives.—Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et +inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.—Transports +d'allégresse de tous les assistants.—Mon allocution.—Bienfaits de +la Société centrale des sourds-muets.—Projet de cours publics et +gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.</p></div> + +<p>Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor">[85]</a> du<a name="page_230" id="page_230"></a> 123<sup>e</sup> +anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme +président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que +parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de +l'humanité, ce <i>palladium</i>, ce drapeau de notre association commune, qui +devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de +ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet +appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'œuvre du +sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et +saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent +quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du +premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux +convives l'allocution mimique suivante:</p> + +<p>«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions, +cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre +fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a +su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait +Merlieux,<a name="page_231" id="page_231"></a> que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces +traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de +tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce +un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme +céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des +hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité!</p> + +<p>«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore, +n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui, +rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide +essor vers le monde de l'intelligence.</p> + +<p>«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous +sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre +reine!</p> + +<p>«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de +cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est +prodigieusement agrandi.</p> + +<p>«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu +s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre +civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des +intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la +perfectibilité;<a name="page_232" id="page_232"></a> et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes +préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence +est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle +détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de +l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de +l'ignorance, en sortit triomphant à la fin.</p> + +<p>«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un +respectable ecclésiastique adressa à notre <i>sauveur</i> en venant +d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir +vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la +religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.»</p> + +<p>«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous +environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la +constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins +heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette +population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier, +autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de +ces infortunés.</p> + +<p>«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des +pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète<a name="page_233" id="page_233"></a> +ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux +gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à +l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous? +Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le +gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits +dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à +ouvrir une école aux mœurs et au respect des lois. Plusieurs hommes +de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans +l'accomplissement de cette grande œuvre de l'émancipation des +sourds-muets.</p> + +<p>«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous +sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire.</p> + +<p>«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour +nous.</p> + +<p>«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai +encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini.</p> + +<p>«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour +l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux +efforts pour justifier votre choix!</p> + +<p>«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai +cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour<a name="page_234" id="page_234"></a> arriver +au but de nos vœux. Je termine, mes frères, en vous proposant un +toast cher à nos cœurs:</p> + +<p class="c">«<small>A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!</small>»<a name="page_235" id="page_235"></a></p> + +<h3><a name="XXIX" id="XXIX"></a>XXIX</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur +ami Eugène Garay de Monglave.—Revue des célébrités de cette nation +exceptionnelle.—Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs +et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, +inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits, +marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire, +graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout +genre, militaires.—Trait héroïque de dévouement et de courage d'un +sourd-muet de douze ans.—Le gouvernement lui décerne une marins et +médaille.—Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen +d'assister à notre banquet.—Mon toast à M. Bouilly et la réponse +de ce doyen de nos auteurs dramatiques.</p></div> + +<p>Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient +précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après +le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor">[86]</a>, faisant +assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime +d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors +sourds-<a name="page_236" id="page_236"></a>muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette +solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur +expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une +classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours. +C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée +de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place +spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune.</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">«A la gloire des sourds-muets:!</td></tr> +<tr><td align="left">«Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . .</td></tr> +</table> + +<p>...(1)<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor">[87]</a>, qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le +<i>Droit</i>, avec la <i>Gazette des Tribunaux</i>, et adresse, pour ses frères +méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient +aux Ministres;</p> + +<p>«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux, +auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie; +Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui +aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour +eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan,<a name="page_237" id="page_237"></a> leur +La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et +écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et +d'autres encore;</p> + +<p>«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus +suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le cœur; +Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous +presse<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor">[88]</a>; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui +s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse;</p> + +<p>«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois; +un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses +découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux +travaux: Paul de Vigan;</p> + +<p>«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au +Musée de Versailles: M<sup>lle</sup> Fanny Robert, la gracieuse élève de +Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson, +l'Apelle méridional, qui a retracé <i>les derniers moments de l'abbé de +l'Épée</i>; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux; +de Widerkehr, qui<a name="page_238" id="page_238"></a> excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste +titre, le Dubufe de la daguerréotypie<a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor">[89]</a>, qui a inventé, de concert +avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à +polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf, +l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave +Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier, +est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite;</p> + +<p>«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette +personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler;</p> + +<p>«Un statuaire de talent: Cary;</p> + +<p>«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et M<sup>lle</sup> +Alavoine;</p> + +<p>«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor">[90]</a>, Leclerc<a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor">[91]</a>, Haacke +réclament une place;<a name="page_239" id="page_239"></a></p> + +<p>«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la +sourde-muette qui excelle dans la gravure;</p> + +<p>«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont +fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs;</p> + +<p>«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer +dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de +beaucoup, les bornes de cette allocution rapide;</p> + +<p>«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis +(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades, +vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de +Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que +leur a donnée, à tous, la nature compatissante;</p> + +<p>«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait +bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi +dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de +brillants exploits, dans la<a name="page_240" id="page_240"></a> force de l'âge, parce qu'il était +sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble +maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli, +adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la +scène française, devint dragon dans les armées de la République, et +tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il +n'avait pas entendu le signal de la retraite.</p> + +<p>«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent. +A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir!</p> + +<p>«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse +des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de +poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes, +de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en +tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit +permis d'y inscrire un nouveau nom!</p> + +<p>«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre +école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante +francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le +ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille<a name="page_241" id="page_241"></a><a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor">[92]</a>, +prix de son courage et de son dévouement.</p> + +<p>«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau +camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur +son histoire.</p> + +<p>«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont +aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y +montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger +qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant, +il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris +déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr....</p> + +<p>«Heureusement les deux frères Hurtrelle<a name="page_242" id="page_242"></a> (Alexandre et +Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui +est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a +entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y +précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant +qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint +l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans +l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à +coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le +jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son +frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de +la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme.</p> + +<p>«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères +sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger; +il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend +pas qu'il ait fait autre chose que son devoir.</p> + +<p>«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour +y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros, +qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront, +ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là, +deux sous, cet autre, plus favorisé<a name="page_243" id="page_243"></a> de la fortune, trois sous au plus; +et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant +réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur +nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous +sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous.</p> + +<p>«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous +dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire?</p> + +<p>«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des +sourds-muets!»</p> + +<p>Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant +de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui +lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle, +surtout, ne saurait se décrire.</p> + +<p>Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos +hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en +pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut +l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques. +Voici l'un et l'autre:</p> + +<p class="c"><br /><i>Mon toast:</i></p> + +<p>«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène<a name="page_244" id="page_244"></a> française, a fait revivre +l'abbé de l'Épée et son cher <i>Théodore</i>, connu sous le nom de <i>comte de +Solar</i>, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive +admiration! Son nom restera gravé dans nos cœurs comme celui d'un +ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des +sourds-muets.»</p> + +<p class="c"><br /><i>Réponse de M. Bouilly:</i></p> + +<p>«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante +de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins, +sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage +que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie +français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres +de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière.</p> + +<p>«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la +bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que +l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine +ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il +obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses +semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la +protection des puissants du jour. Il employa un capital de<a name="page_245" id="page_245"></a> 15,000 liv. +de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable +institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet, +les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux, +quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour +son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante +économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin +qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant +qui le caractérisait: <i>Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait +tort de 300 livres.</i></p> + +<p>«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent +considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en +disant: <i>Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre +d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance.</i></p> + +<p>«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait +mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce +qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!...... +Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et +méconnaissait jusqu'à la vertu même.</p> + +<p>«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de +la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il<a name="page_246" id="page_246"></a> a +fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver +l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de +fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en +comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres, +des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin +honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!....</p> + +<p>«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes +découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les +immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas, +comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le +philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des +âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour +sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du +Créateur!</p> + +<p>«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes +distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée +de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos +gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient +féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au +développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs!<a name="page_247" id="page_247"></a> +Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel, +consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot, +cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une +même famille!</p> + +<p>«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits +de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que +daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur:</p> + +<p>«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la +fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma +tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus +beaux jours de ma vie.»<a name="page_248" id="page_248"></a></p> + +<h3><a name="XXX" id="XXX"></a>XXX</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une +statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de +Versailles, sa ville natale.—Communication officieuse du maire du +chef-lieu de Seine-et-Oise.—Honorable initiative d'un citoyen, M. +le docteur Bataille.—Sa lettre à un journal du +département.—Nobles sentiments.—Modèle de la statue de notre +illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des +monnaies.—Offres désintéressées.—Premier noyau de la commission +de Versailles.</p></div> + +<p>Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles, +qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et, +avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance +pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du +chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder +l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la +Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une<a name="page_249" id="page_249"></a> éclatante réparation pour les +dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho +sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre +instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel +énergique au public, dans la lettre suivante, que la <i>Presse de +Seine-et-Oise</i> inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année:</p> + +<p class="cb"><br />PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE RÉDACTEUR</small>,</span><br /> +</p> + +<p>«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs +reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce +qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits.</p> + +<p>«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un +des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins +caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel +épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant +quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement +achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts, +et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes +avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés +nombreux,<a name="page_250" id="page_250"></a> dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire +et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la +morale.</p> + +<p>«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses +richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque +province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit +ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au +denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos +hommes illustres. Voyez <i>Molière</i>, <i>Racine</i>, <i>Voltaire</i>, <i>Foy</i>, <i>etc.</i>, +à Paris; <i>Corneille</i>, <i>Boïeldieu</i>, à Rouen; <i>Malherbe</i>, à Caen; <i>Jeanne +d'Arc</i>, à Orléans; <i>Kléber</i>, à Strasbourg; <i>Hoche</i>, à Versailles; +<i>Marceau</i>, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant +d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et +loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux +caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce +colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses +galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande +banque de <i>toutes les gloires de la France</i>, qui ne connaît pas de +prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs +insolvables.</p> + +<p>«C'est, sans doute, par cet entraînement pour<a name="page_251" id="page_251"></a> tout ce qui est éclat +national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne +l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur<a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor">[93]</a>, +dont l'âme, n'est ni <i>sourde</i> au cri de la reconnaissance, ni <i>muette</i> à +l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple +éloquence d'un cœur tout plein des bienfaits de son maître, +l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville +qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à +d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir +assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins +connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même +inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par +aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de +l'Épée au nombre des enfants de Versailles?</p> + +<p>«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut +guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais +humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et +sanglantes hécatombes<a name="page_252" id="page_252"></a> de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée... +à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux +dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie, +les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de +pacification?</p> + +<p>«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies, +trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les +compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités, +puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice +envers l'autre.</p> + +<p>«J'émets donc le vœu et formule ici la proposition qu'il soit élevé +une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de +Versailles.</p> + +<p>«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet +objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue +Neuve. Là, nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales +galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de +Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père +des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la +ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la +fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine.<a name="page_253" id="page_253"></a></p> + +<p>«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables; +que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain +qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la +caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de +souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du +gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a +gratifiés pour la statue de Hoche?</p> + +<p>«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je +l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la +confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la +ville, comme à tout ce qui touche à son éclat.</p> + +<p>«Agréez, etc.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies, +présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de +l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans +autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres +désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies +comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux +de ses<a name="page_254" id="page_254"></a> concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à +lui, afin de couvrir les dépenses du monument.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24 +janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le +lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron, +Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous +faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville +natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>M. Michaut était présent.</p> + +<p>Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant +apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de +nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner +l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M. +l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider +l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire. +Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il +s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres +proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne, +l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de +Sainte-James,<a name="page_255" id="page_255"></a> Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard.</p> + +<p>Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles +n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à +ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant, +au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre +les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la +souscription.<a name="page_256" id="page_256"></a></p> + +<h3><a name="XXXI" id="XXXI"></a>XXXI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Membres présents à la première réunion.—Formation du bureau +définitif.—Comment on pourra activer les souscriptions.—Voies et +moyens.—Plusieurs projets.—Divers modes de publicité.—Le maire +de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.—La +statue sera en bronze et de taille héroïque.—Divers emplacements +proposés.—Deux seuls paraissent convenables.—Autorisation à +demander au conseil municipal.—Comité de trois membres, chargé, +sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des +travaux.—Publication de la liste des souscripteurs tous les deux +mois.</p></div> + +<p>La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le +cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient:</p> + +<p><a name="page_257" id="page_257"></a></p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left" rowspan="7" valign="top">MM.</td><td>B<small>ERNARD DE</small> M<small>AUCHAMPS,</small> vice-président du tribunal;</td></tr> +<tr><td align="left">B<small>ESNARD</small>, notaire;</td></tr> +<tr><td align="left">D<small>E</small> F<small>RESQUIENNE</small> (le baron), membre du conseil municipal;</td></tr> +<tr><td align="left">G<small>AUGUIN</small> receveur principal;</td></tr> +<tr><td align="left">L<small>EBRUN,</small> directeur de l'École normaleprimaire;</td></tr> +<tr><td align="left">D<small>E</small> S<small>AINTE</small>-J<small>AMES,</small> avocat;</td></tr> +<tr><td align="left">W<small>ATHIEZ</small> (le vicomte), lieutenant général.</td></tr> +</table> + +<p>On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de +la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de +Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne; +secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin.</p> + +<p>La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida +qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était +accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes +qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui +paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en +furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles; +Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département.</p> + +<p>La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour +activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés; +mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se +borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M. +Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la<a name="page_258" id="page_258"></a> ville. Quant au +mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le +projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux +journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en +outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des +lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la +localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la +souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le +préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans +le <i>Mémorial administratif du département</i>.</p> + +<p>Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: <i>Commission +pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée</i>, et que les affiches +et notices pour les journaux seraient intitulées: <i>Commission pour le +monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale</i>.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le +vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de +proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux +souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait +que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il +serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi.<a name="page_259" id="page_259"></a></p> + +<p>M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire +de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de +l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les +départements fut l'objet d'une discussion générale.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui +était offert de faire partie de la commission.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut +donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le +dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les +souscriptions.</p> + +<p>M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de +préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission +décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille +héroïque, c'est-à-dire de huit pieds au moins.</p> + +<p>Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un +devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées; +puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la +ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue +de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards<a name="page_260" id="page_260"></a> de la Reine et du Roi, 3º l'axe +du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui +devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la +prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º +le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des +Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe +qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le +Marché-Neuf.</p> + +<p>Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission: +la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un +extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement +désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du +conseil municipal.</p> + +<p>Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre +l'exécution de la statue, sous le titre de <i>jury de surveillance</i>, et on +l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de +l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit +dans le sein de la commission, soit en dehors.</p> + +<p>Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode +de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires<a name="page_261" id="page_261"></a> +dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi.</p> + +<p>Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis +suivant serait inséré à la fin du prospectus:</p> + +<p>«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la +liste des souscripteurs.»<a name="page_262" id="page_262"></a></p> + +<h3><a name="XXXII" id="XXXII"></a>XXXII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Mort du président de la commission, M. le marquis de +Sémonville.—M. le baron de Fresquienne élu à sa place.—Demande +d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la +statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École +normale.—Réponse favorable.—M. Michaut s'engage à ce que les +frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à +en commencer le modèle en argile plastique.—M. l'architecte Petit +invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et +des grilles.—Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois +le vœu qu'on choisisse un emplacement plus convenable.—Projet +d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.</p></div> + +<p>La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans +le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence +du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses +collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de +Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement +procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président<a name="page_263" id="page_263"></a> et d'un +nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron +furent promus à ces fonctions.</p> + +<p>On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de +l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la +statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale, +au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un +hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école.</p> + +<p>Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le +bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier +l'étendue du terrain demandée au Ministre.</p> + +<p>Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui +lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue +ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en +même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile +plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de +suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit +dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le +piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient.</p> + +<p>Ces travaux devaient consister en maçonnerie,<a name="page_264" id="page_264"></a> marbrerie, serrurerie, +peinture, charpente, terrasse et pavage:</p> + +<p>En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former +le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il +serait placé et l'entourer d'un stylobate;</p> + +<p>En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné;</p> + +<p>En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant +sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le +bord de la plate-forme;</p> + +<p>En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze;</p> + +<p>En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce +que la statue fût érigée;</p> + +<p>En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin +d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches.</p> + +<p>Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails +circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs, +répartis comme suit:</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Maçonnerie.</td><td align="right">3,500</td><td align="left">fr.</td></tr> +<tr><td align="left">Marbrerie.</td><td align="right">4,550</td><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Serrurerie.</td><td align="right">3,000</td><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Transport.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">11,050</td><td align="left" +style="border-top:1px solid black;">fr.</td></tr> +<tr><td align="left">Peinture.</td><td align="right">160</td><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Charpente.</td><td align="right">150</td><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Terrasse et pavage.</td><td align="right">300</td><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Total.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;border-bottom:double 3px black;">11,660</td><td align="left" +style="border-top:1px solid black;border-bottom:double 3px black;">fr.</td></tr> +</table> + +<p>A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de +l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction +publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue:</p> + +<div class="blockquot2"><p class="hang"><i>A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour +l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles.</i></p></div> + +<p class="r">A Paris, le 10 septembre 1839.</p> + +<p>«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient +nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la +commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une +petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale +primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever +la statue de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain, +ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société<a name="page_266" id="page_266"></a> des +souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la +grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la +statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de +l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin +d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin, +qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin +de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la +rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma +décision à la commission que vous présidez.</p> + +<p>«Recevez, Monsieur le baron, etc.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission, +une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique.</p> + +<p>Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil +municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici +les conclusions:</p> + +<p>«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs +à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa +commission, décide:</p> + +<p>«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue<a name="page_267" id="page_267"></a> de l'abbé de l'Épée sur +une des places de la ville de Versailles;</p> + +<p>«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission +des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en +face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le +conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs;</p> + +<p>«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son +érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes +proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la +saillie que le monument aura sur la voie publique.</p> + +<p>«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et +adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le +deuxième paragraphe:</p> + +<p>«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement +proposé par la commission des souscripteurs, émettant le vœu que les +résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la +place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou +tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition +de la commission.»</p> + +<p>Cette lecture entendue, la commission discuta<a name="page_268" id="page_268"></a> les conclusions du +conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour +l'autorisation<a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor">[94]</a> que ce magistrat s'était empressé de lui faire +obtenir.</p> + +<p>M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses +prévues.</p> + +<p>L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à +stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité. +Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée.</p> + +<p>M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à +faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du +monument.</p> + +<p>On pensa qu'une médaille, œuvre de M. Michaut, dont la réputation, au +point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les +citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du +monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi +individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire.</p> + +<p>La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à +distribuer aux souscripteurs était décidé en principe;<a name="page_269" id="page_269"></a> 2º que cette +médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente +lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal +plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant +préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur +serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M. +Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire.</p> + +<p>La commission nomma, enfin, <i>un comité chargé de rédiger et d'envoyer +les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer +les travaux</i>, concurremment avec le président et le secrétaire.<a name="page_270" id="page_270"></a></p> + +<h3><a name="XXXIII" id="XXXIII"></a>XXXIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son +approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé +de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui +s'y rattachent.—Réponses de la commission aux différentes +questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.—Première +pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de +Versailles avec quelques membres de la commission du monument, +ayant pour but d'essayer de lever en commun ces +obstacles.—Délibération favorable du conseil municipal en réponse +aux objections soulevées par M. le préfet.—Rédaction d'un +prospectus à répandre pour activer les souscriptions.</p></div> + +<p>M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840, +adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il +n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à +l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des +choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé:</p> + +<p>1º Sur la forme et le mérite de la statue<a name="page_271" id="page_271"></a> projetée, question qui ne +pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de +la grandeur même de la statue;</p> + +<p>2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui +paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que +partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin +de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis +offrant, à son avis, un emplacement plus convenable;</p> + +<p>3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense +serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les +ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de +compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les +souscriptions ne seraient pas suffisantes;</p> + +<p>4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû +être faite à la ville, et non aux souscripteurs.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des +souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de +Seine-et-Oise.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>En conséquence, dans la sixième séance du<a name="page_272" id="page_272"></a> 27 janvier 1840, M. le +président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise +n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la +commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait +nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une +délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de +documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des +délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité +de rédaction, à l'effet de préparer une réponse.</p> + +<p>M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son +ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La +commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en +double exemplaire, à M. le maire de Versailles.</p> + +<p>M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus<a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor">[95]</a>, avec les +additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit +connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui +avaient été soumises<a name="page_273" id="page_273"></a> par M. le préfet, et finit par proposer, dans le +cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient +pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus +prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà +souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle, +voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de +s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en +désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt +levé tous les obstacles.»</p> + +<p>Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter +incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le +préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé +de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des +souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de +Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité +à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la +Mairie.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture +d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis +le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à<a name="page_274" id="page_274"></a> la connaissance de la +commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il +avait tenus.</p> + +<p>M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La +commission déclara approuver cet aperçu de la situation.</p> + +<p>M. le président communiqua la délibération suivante du conseil +municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le +préfet:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«Le conseil,</span><br /> +</p> + +<p>«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a +lieu de répondre à M. le préfet:</p> + +<p>«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs, +par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse +écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur +d'exécution;</p> + +<p>«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît +pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant +la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre +emplacement de la ville;</p> + +<p>«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à +prendre, et qu'aucun<a name="page_275" id="page_275"></a> sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet;</p> + +<p>«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite, +ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit, +aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue +propriétaire du monument.</p> + +<p>«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et +adoptées.»<a name="page_276" id="page_276"></a></p> + +<h3><a name="XXXIV" id="XXXIV"></a>XXXIV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Lettre d'envoi du prospectus.—Premières listes de +souscriptions.—Empressement des évêques et du clergé.—Offrande de +300 francs de la part du roi Louis-Philippe.—Les membres de la +commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la +statue.—Le statuaire Michaut promet d'en profiter.—Souscriptions +des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.—Projet +d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution +des sourds-muets de Paris.—Le préfet de Seine-et-Oise accepte les +fonctions de président d'honneur de la commission.—MM. Molé, +Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés +pour en être membres d'honneur.—Le Ministre de la guerre regrette +de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la +confection de la statue.</p></div> + +<p>Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et +contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil +municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes:</p> + +<p>«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir +bien considérer<a name="page_277" id="page_277"></a> que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas +être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités +municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à +un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de +reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité, +un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque. +C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez, +non-seulement à vous associer à notre œuvre, mais encore à provoquer +l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou +avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents.</p> + +<p>«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques +souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos +sentiments les plus distingués.»</p> + +<p class="r"> + <i>Le président</i>, Baron DE PRESQUIENNE,<br /> + <i>Le secrétaire</i>, E. B. DE SAINTE-JAMES,<br /> + Membres du conseil municipal.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que +déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle +faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les +personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique<a name="page_278" id="page_278"></a> et +morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et +dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c.</p> + +<p>Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier +une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds +nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce +monument vraiment national.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima +le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion +personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à +visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il +fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait +immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait +prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses +observations.</p> + +<p>M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic, +frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000 +infortunés de cette catégorie que peut contenir la France<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor">[96]</a>. Des +remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé<a name="page_279" id="page_279"></a> qu'il +apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui +transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la +commission était animée pour ses louables efforts.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication +d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de +la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter +de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris<a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor">[97]</a> l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet +établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et +qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription.</p> + +<p>M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle +lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition +une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83 +sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de +nouvelles souscriptions.</p> + +<p>Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne +l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des +sourds-muets, <a name="page_280" id="page_280"></a>pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet +d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur +regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École; +mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la +cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à +la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était +nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût +approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le +secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait +à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient +entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il +pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté, +à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à +la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre +l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la +commission pour recueillir les offrandes.</p> + +<p>La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait +transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers +le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des +sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du +Louvre, en<a name="page_281" id="page_281"></a> obtenant toutes les autorisations indispensables pour +arriver à ces fins.</p> + +<p>La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne +serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner +plus de puissance et de popularité.</p> + +<p>Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et +Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du +département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département, +pair de France, et à M. le duc de Luynes.</p> + +<p>En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé +Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence +d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission. +Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire +occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du +gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être +le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit +par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il +éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville +natale.</p> + +<p>Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était +empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande<a name="page_282" id="page_282"></a> que ce +respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire +à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour +que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés +par le gouvernement.</p> + +<p>Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre, +maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise +qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de +Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître +les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze +demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes +dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des +bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans +les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi +pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne +manquerait pas de le signaler comme tel.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de +souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à +remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne +fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait<a name="page_283" id="page_283"></a> +beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les +départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous +les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce +monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de +leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément +souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers +souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de +membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses +fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des +services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez +toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au +génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance.<a name="page_284" id="page_284"></a></p> + +<h3><a name="XXXV" id="XXXV"></a>XXXV</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des +sourds-muets de Paris.—Description. Éloge.—Visite du préfet de +Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de +délégués du conseil municipal, de membres de la commission des +souscripteurs.—Mes impressions en présence de la +statue.—Engagement du fondeur.—Adoption de la statue par le +conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des +rues Royale et d'Anjou.—M. Michaut se soumet aux corrections +indiquées.—L'architecte de la ville mis à la disposition de +l'œuvre.—Nouveaux moyens à employer pour activer les +souscriptions.</p></div> + +<p>Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de +Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé, +dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue +Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de +proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en +costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen +sérieux de l'œuvre de M. Michaut, c'est un devoir pour<a name="page_285" id="page_285"></a> nous de +féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème +difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais +comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut +devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous +pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition +remarquable.</p> + +<p>Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont +le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon +et une tablette, sur laquelle est écrit le mot <i>Dieu</i>, d'abord en +caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite, +élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité +adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont +elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la +première lettre du mot <i>Dieu</i>. C'était dans cette position simple, +naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que +l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines, +trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.—Vue de face, la +statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est +belle. L'œil est satisfait autant que le cœur.—La soutane est de +l'effet le plus<a name="page_286" id="page_286"></a> vrai, le mieux senti.—Par derrière, les plis du +manteau retombent naturellement et sans contrainte.</p> + +<p>Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente +le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses +emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à +l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers +élèves de ce maître dévoué.</p> + +<p>Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est +honorable. Pour que son œuvre puisse être citée comme un des plus +beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce +genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin +de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui +retombent sur le bras gauche.—Il a droit, désormais, à nos +félicitations autant qu'à notre reconnaissance.</p> + +<p>Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois +heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets +de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des +adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal +composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par +une<a name="page_287" id="page_287"></a> députation de membres de la commission des souscripteurs.</p> + +<p>La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs +examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois, +leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son +sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de +douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet +historique du vénérable abbé de l'Épée.</p> + +<p>Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était +loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée +à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif +annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant +probablement ressortir la statue avec plus d'avantage.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 25 août, le <i>Journal de Seine-et-Oise</i> publiait l'article suivant, +intitulé<a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor">[98]</a>: <i>Impressions des sourds-muets en présence de la statue de +l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de +Paris:</i></p> + +<p>«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans +la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques, +nº 254, doit être coulée en bronze et<a name="page_288" id="page_288"></a> orner une des places publiques de +Versailles. C'est l'œuvre de M. Michaut, le célèbre graveur des +monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la +ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité. +Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette +commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce +monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de <i>notre +père spirituel</i>. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération, +la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les +cœurs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre +Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils +dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les <i>aînés</i>, je +veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à +leurs <i>cadets</i>, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs +condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes +étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes, +tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était +à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté. +Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même +de l'établissement.</p> + +<p>«Tous les yeux sont fixés sur cette image<a name="page_289" id="page_289"></a> chérie. Que de sensations +elle excite! Nos enfants s'extasient; leur cœur s'enflamme au +souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui +a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et +puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a +soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils +étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du +banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du +courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas +jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne +pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette +infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de +l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe +des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de +les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien +tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes, +regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de +puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre?</p> + +<p>«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste +énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue<a name="page_290" id="page_290"></a> dont +l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos cœurs, à +toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le +travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce vœu trouve de +l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à +quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que +Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants, +envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France, +tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite, +le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera +pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au +premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis! +Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une +image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la +statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui +préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous +dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre +père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages.</p> + +<p>«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible +les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici<a name="page_291" id="page_291"></a> une +réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix, +une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de M<sup>lle</sup> Barbier<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor">[99]</a>, a +faite à cette question:</p> + +<p>«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée +dans l'Institution des sourds-muets?»</p> + +<p>«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons +voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se +fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous +ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne +sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous +obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le +ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous +qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons +plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif +sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au +ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux; +que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les +sourds-muets pratiquer<a name="page_292" id="page_292"></a> toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux +vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si +jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait +nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le +bienfaiteur des sourds-muets.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la +commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en +plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de +l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y +mouler en deux parties seulement;</p> + +<p>2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre +pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être +essayé par expert sur la statue même);</p> + +<p>3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction +de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer +sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires; +le tout, pour la somme de <i>six mille francs</i>.</p> + +<p>Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée, +deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie.<a name="page_293" id="page_293"></a></p> + +<p>Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de +Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du +conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la +statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et +d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération +à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il +lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la +dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M. +le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre +ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du +plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des +sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de +l'intérieur.</p> + +<p>Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien +voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le +plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en +conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du +département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle, +la sollicitude<a name="page_294" id="page_294"></a> de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M. +le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face +aux dépenses de la fonte de la statue.</p> + +<p>«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire, +des membres de la commission municipale et de la commission du monument +se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue. +D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le +conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à +la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des +corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le +préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre +de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la +statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la +disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la +réalisation des projets de la commission....»</p> + +<p>Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la +condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les +corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était +bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du +président, et après l'approbation de la commission.<a name="page_295" id="page_295"></a></p> + +<p>M. le trésorier lui communique la situation de son avoir.</p> + +<p>M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener +des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui +voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º +près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets +qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre +des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants +de la commission.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le +préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers +à la disposition de la commission.—Il fut décidé que le bureau +provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres +adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés +ci-dessus.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Puis, la commission arrêta ce qui suit:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour +être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de +la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le +maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de<a name="page_296" id="page_296"></a> prêter +leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant +l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville +à l'abbé de l'Épée.»</p> + +<p>M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections +faites à la statue.</p> + +<p>Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la +séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent +faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait +définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M. +Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment.</p> + +<p>On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard, +vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter +assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales, +donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle +M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la +statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet +de traité, qui fut adopté à l'unanimité.</p> + +<p>M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les +moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On +arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut +demanda<a name="page_297" id="page_297"></a> à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas +les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une +époque plus opportune.<a name="page_298" id="page_298"></a></p> + +<h3><a name="XXXVI" id="XXXVI"></a>XXXVI</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal +de la statue de l'abbé de l'Épée.—Examen du bronze destiné à cette +œuvre.—Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à +l'achèvement des travaux.—Le conseil municipal en vote +2,000.—Projet d'une plaque commémorative.—Inscription de la face +principale du monument.—Travaux du fondeur surveillés par le +statuaire.—Érection fixée au 8 septembre 1843.—Dernières +dispositions.—Programme de la fête.—Décision du conseil +municipal.—Je suis invité à adresser une allocution mimique aux +sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.</p></div> + +<p>Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de +l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets +en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur +de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique +dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don +qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur<a name="page_299" id="page_299"></a> des +sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur +elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit +connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un +fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en +bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier, +inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des +mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze, +envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne.</p> + +<p>M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la +délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur +suit:</p> + +<div class="blockquot2"><p>«M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue +de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en +fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs.</p> + +<p>«Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le +secrétaire rend compte des corrections faites à la statue.</p> + +<p>«La commission a annexé aux pièces un état<a name="page_300" id="page_300"></a> de la situation +financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit +de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure +au devis pour la construction du piédestal de la statue.</p> + +<p>«Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de +2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du +piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que +le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal +réduira probablement cette dépense à 2,000 fr.</p> + +<p>«Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu +qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper;</p> + +<p>«Que la construction du piédestal sera supportée par la +souscription;</p> + +<p>«Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de +laquelle il sera pourvu dans la session de mai.»</p></div> + +<p>Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1<sup>er</sup> +août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné +communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en +général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville, +et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par +le moyen de lettres et<a name="page_301" id="page_301"></a> par celui de visites, dont serait chargée une +personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on +s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris +tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une +démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du +département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août.</p> + +<p>D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux +du piédestal, etc., etc.</p> + +<p>Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre, +enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait +l'inscription suivante:<a name="page_302" id="page_302"></a></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="c"><b>AD. MAJ. GLOR. DEI.</b><br /> +—————<br /> +Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE I<sup>er</sup>, Roi des Français,<br /> +<small>EN AOÛT</small> 1843,<br /> +Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique<br /> +A LA MÉMOIRE DE<br /> +<b><big>CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,</big></b><br /> +Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets,<br /> +<small>NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789.</small><br /> +—————<br /> +MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE<br /> +ET DES HABITANTS,<br /> +DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES,<br /> + +Par les soins des Commissaires:<br /> + +MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur;</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="" +style="font-size: 90%;"> +<tr><td>REMILLY, Député et Maire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> LEBRUN;</td></tr> +<tr><td>B<sup>on</sup> DE FRESQUIENNE, ex-Maire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> COUPIN DE LA COUPERIE;</td></tr> +<tr><td>L'abbé CARON, Vice-Président;</td><td style="border-left:1px solid black;"> BOISSELLIER;</td></tr> +<tr><td>DE S<small>TE</small>-JAMES GAUCOURS, S<sup>re</sup></td><td style="border-left:1px solid black;"> DOUCHAIN;</td></tr> +<tr><td>BESNARD, Vice-Secrétaire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> D<sup>r</sup> BATTAILLE;</td></tr> +<tr><td>GAUGUIN, Trésorier;</td><td style="border-left:1px solid black;"> Feu le M<sup>is</sup> DE SÉMONVILLE, Pair;</td></tr> +<tr><td>L<sup>t</sup>-G<sup>al</sup> V<sup>te</sup> WATHIEZ;</td><td rowspan="3" style="border-left:1px solid black;">Feu le Ch<sup>er</sup> DE JOUVENCEL,<br /> ex-Maire et ex-Député.</td></tr> +<tr><td>B. DE MAUCHAMPS;</td></tr> +<tr><td>TAPHINON;</td></tr> +</table> + +<p class="c"> +Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies;<br /> +Architecte: PARIS, Architecte de la ville;<br /> +Fondeur: SAINT-DENIS.<br /> +———<br /> +Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument.</p> + +<p class="r">G<small>ABRIEL</small> F., à Versailles.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p><a name="page_303" id="page_303"></a></p> + +<p>Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie, +en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double +exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux +archives de la ville.—On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque, +suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission.</p> + +<p>On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du +piédestal, l'inscription suivante:</p> + +<p class="c">L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br /> +NÉ A VERSAILLES,<br /> +LE XXIV NOV. MDCCXII.</p> + +<p>Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il +en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas, +l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais +on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun.</p> + +<p>Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus +éloignée, selon les ressources de la commission.</p> + +<p>M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que +les conditions imposées par la commission du monument, d'après les +articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de +la commission et<a name="page_304" id="page_304"></a> M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par +le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité +nécessaire.—Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur +place.</p> + +<p>Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur, +la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M. +l'abbé Caron, vice-président.</p> + +<p>La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés +pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et +décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand +elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des +travaux.</p> + +<p>Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur +l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit +successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission +déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés. +Elle rapporta sa décision du 1<sup>er</sup> août, et arrêta que cette +inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en +ces termes:</p> + +<p class="c"> +L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br /> +PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS,<br /> +NÉ A VERSAILLES,<br /> +LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII.</p> + +<p><a name="page_305" id="page_305"></a></p> + +<p>Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient +terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait +irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers +une heure de relevée.</p> + +<p>Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut +introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission +arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre +sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient +offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le +préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la +commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le +quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission.</p> + +<p>L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la +statue. La commission décida ce qui suit:</p> + +<p>Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le +monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son +inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en +informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien +prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires, +notamment pour empêcher la commission<a name="page_306" id="page_306"></a> et les souscripteurs d'être +confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire +serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet, +président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit +président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui +donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être +son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la +statue à la ville de Versailles.</p> + +<p>La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris +et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses +personnes qui ont rendu différents services à la commission.</p> + +<p>Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait +imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de +l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration +devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de +Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la +notice.</p> + +<p>M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2 +septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il +rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir +entendu, le 8 novembre<a name="page_307" id="page_307"></a> 1841, celui de la commission qui avait été +chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée:</p> + +<p>«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M. +Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de +jonction des rues Royale et d'Anjou<a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor">[100]</a>.»</p> + +<p>M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument, +de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle +devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et +lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures<a name="page_308" id="page_308"></a> de police qui +lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la +cérémonie.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le +2 septembre, de Versailles, en ces termes:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br /> +</p> + +<p>«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le +programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a +décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir +bien adresser une allocution <i>mimique</i> aux sourds-muets réunis au pied +de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au +plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons +d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur +bienfaiteur, et de leur témoigner que <i>la ville de Versailles</i> tient à +honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la +garantie de l'éloquence de ses paroles.</p> + +<p>«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou +encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir +prononcée.</p> + +<p>«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour +Lyon le 24 ou le 25, on<a name="page_309" id="page_309"></a> aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus +tôt.</p> + +<p>«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à <i>midi et demi précis</i> sur +remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les +présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions.</p> + +<p>«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de vœux qui doivent +sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son +très-humble et très-obéissant serviteur.»<a name="page_310" id="page_310"></a></p> + +<h3><a name="XXXVII" id="XXXVII"></a>XXXVII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa +ville natale.—Autorités, garde nationale, les sourds-muets de +Paris et d'Orléans.—Désintéressement du chemin de fer.—Absence +regrettable du clergé.—Nombreuse affluence de +spectateurs.—Discours du préfet, au nom de la commission des +souscripteurs. Réponse du maire.—Notice sur la vie et les travaux +de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la +commission du monument.—Mon allocution mimique.—Salves +d'artillerie.—Absence du vénérable Paulmier.—Discours qu'il +devait prononcer.</p></div> + +<p class="figcenter"> +<a href="images/ill_311.jpg"> +<img src="images/ill_311_sml.jpg" width="282" height="550" alt="Statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. + +Par M. MICHAUT (Des Monnoies)." title="" /></a> +</p> + +<p>Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des +rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un +piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout +autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de +garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se +tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute<a name="page_311" id="page_311"></a> +condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on +remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin +de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la +conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure, +la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de +France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du +monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins +le clergé<a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor">[101]</a>), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux +applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant +donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la +ville dans les termes suivants:</p> + +<div class="blockquot2"><p> +«M<small>ONSIEUR LE MAIRE,</small><br /> +</p> + +<p>«La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui +nous environne, et je suis chargé, par la commission de +souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles, +représentée par son corps municipal.<a name="page_312" id="page_312"></a></p> + +<p>«Le zèle des souscripteurs, dans cette œuvre de reconnaissance, +a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps +municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste, +par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le +jour.</p> + +<p>«Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu +naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable +qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les +inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la +parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de +toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi +dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la +morale, de l'intelligence et de la raison.</p> + +<p>«Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands +souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de +l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle +s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme +nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir +du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage +du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.»</p></div> + +<p>M. Remilly, maire de Versailles, membre<a name="page_313" id="page_313"></a> de la Chambre des députés, a +répondu ainsi:</p> + +<div class="blockquot2"><p>«Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste +orgueil.</p> + +<p>«Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans +l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime +ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante, +naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus +grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une +auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie +intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en +était déshéritée.—Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent +consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer +aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer +leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque +sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et +observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence +humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la +faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue +intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond, +il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de +l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence,<a name="page_314" id="page_314"></a> éveilla dans +leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité +horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à +l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si +naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte.</p> + +<p>«Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître +dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son +corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres +enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de +l'abbé de l'Épée!</p> + +<p>«Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si +justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance +la sympathie des nobles cœurs pour un génie vertueux et modeste! +Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi +nous, qui a voulu faire descendre dans son œuvre, dans ce +bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie +durant sa vie de vertu et d'abnégation!</p> + +<p>«Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des +sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu +exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de +l'Épée, en rappelant le souvenir de<a name="page_315" id="page_315"></a> ses utiles travaux, de son +dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à +d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui, +la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs +semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui +immortalisent notre grand concitoyen.»</p></div> + +<p>M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice +biographique sur l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de +l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant:</p> + +<div class="blockquot2"> +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«F<small>RÈRES ET SŒURS!</small></span><br /> +</p> + +<p>«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs +glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons +sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un +habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de +l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet +admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles +attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux +impatients!</p> + +<p>«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve +énergie de nos<a name="page_316" id="page_316"></a> sentiments exprimés dans une langue qui est notre +patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa +également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au +frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en +égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux +oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche +de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel.</p> + +<p>«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où +viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres +enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs +divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique +de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes sœurs en Dieu, +vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui +ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la +création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la +flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que, +quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont +pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux +publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons +religieusement! Quel<a name="page_317" id="page_317"></a> langage parlent à nos regards ce geste expressif, +cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné +par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples +bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos sœurs +d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans +leurs cœurs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait +fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les +ronces du chemin, et que Dieu vous conduise!</p> + +<p>«Frères et sœurs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette +mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce +bronze, pour nous si palpitant de souvenirs!</p> + +<p>«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre +Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en +caractères ineffaçables!</p> + +<p>«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à +bonne fin cette œuvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des +plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes, +qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de +l'avoir vu naître dans ses murs!»<a name="page_318" id="page_318"></a></p></div> + +<p>M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative +de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt +verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive +sensibilité.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la +cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que +la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses +immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres +enfants.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du +vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des +sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour +cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu +garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où +sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique. +Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le +président et le secrétaire de la commission.</p> + +<p>Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied +de la statue:</p> + +<p>«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages<a name="page_319" id="page_319"></a> que l'immortel abbé de +l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son œuvre est +au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions +des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi +dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la +pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire, +en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme, +développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la +pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec +autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus +éloquent.</p> + +<p>«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit +bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le +langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du +discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire, +introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots +appelés <i>pronoms</i> par les grammairiens désignent les relations +personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent +naturellement aux premiers éléments de l'ordre social.</p> + +<p>«Si l'on parcourt, d'un coup d'œil, le siècle qui vient de s'écouler, +on ne trouve pas d'invention<a name="page_320" id="page_320"></a> plus utile à l'humanité. Sans doute, +durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif +éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit +par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent<a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor">[102]</a>; +l'autre, doué de la plus profonde sensibilité<a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor">[103]</a> et d'une éloquence +mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des +peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des +précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute +magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute +sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de +ses veilles, l'<i>Esprit des lois</i><a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor">[104]</a>: toutefois, aucun de ces grands +hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus +du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le +génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour +féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et +abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une +inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette +céleste invention; c'est le désir de faire naître<a name="page_321" id="page_321"></a> Jésus-Christ dans le +cœur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette +religion sainte, qui embrasa le cœur de l'abbé de l'Épée et de son +digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je +m'honorerai d'avoir été l'humble élève.»<a name="page_322" id="page_322"></a></p> + +<h3><a name="XXXVIII" id="XXXVIII"></a>XXXVIII</h3> + +<div class="blockquot"><p class="hang">Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la +statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du +sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.—Le +conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et +adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au +statuaire.—La commission sollicite en vain de M. le Ministre de +l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière +subvention pour solder ses comptes.—Relevé définitif des recettes +et dépenses.—Tribut de regret de la commission à quatre de ses +membres décédés.—Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.—Elle +décerne une médaille au statuaire Michaut.—Désir des souscripteurs +sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de +constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission +ne peut que faire lithographier des listes générales.—Conclusion: +sept vœux émis; trois encore à exaucer, une statue dans +l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux +inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à +Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à +enseigner, à Paris.</p></div> + +<p>A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers, +plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous +celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise.<a name="page_323" id="page_323"></a></p> + +<p>Notre poëte sourd-muet, Pélissier<a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor">[105]</a>, voulut chanter, à son tour, cet +envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la +véritable langue des dieux.</p> + +<p>Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer +à la postérité de sublimes leçons.</p> + +<p class="r">A. L<small>ENOIR.</small></p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Il est de certains noms consacrés par la gloire,</td></tr> +<tr><td align="left">Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux,</td></tr> +<tr><td align="left">Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire</td></tr> +<tr><td align="left">Les siècles font éclore en jalons lumineux.</td></tr> +<tr><td align="left">L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie,</td></tr> +<tr><td align="left">Fait rayonner leur front d'un éclat souverain,</td></tr> +<tr><td align="left">Et l'artiste leur doit une seconde vie</td></tr> +<tr><td align="left"> Dans le granit ou dans l'airain.</td></tr> +</table> + +<p>M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16 +septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération +par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à +accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans +cette même délibération,<a name="page_324" id="page_324"></a> le conseil municipal votait des remercîments +aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur +de la statue.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de +l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à +l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour +acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à +la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et +les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put +accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il +l'en informa:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner +suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour +encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en +témoigne tous mes regrets.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur +quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour +procéder à la clôture définitive de leurs opérations.<a name="page_325" id="page_325"></a></p> + +<p>Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour +de l'inauguration;</p> + +<p>2º Procès-verbal de la séance d'inauguration;</p> + +<p>3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845;</p> + +<p>4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport;</p> + +<p>5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission.<a name="page_326" id="page_326"></a></p> + +<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="center" colspan="5">COMPTES DE M. LE TRÉSORIER,</td></tr> + +<tr><td colspan="4" align="center"><i>Recettes.</i></td></tr> +<tr><td>1º Subvention du Ministre de l'intérieur.</td><td align="right">3,000</td><td align="right">f.</td><td align="center">»</td><td align="right">c.</td></tr> + +<tr><td>2º Souscription du roi.</td><td align="right">300</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>3º Souscription de la ville de Versailles.</td><td align="right">2,000</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>4º Souscriptions particulières.</td><td align="right">6,499</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>5º Intérêts de fonds libres placés<br /> + momentanément chez M. le receveur<br /> + général.</td><td align="right">208</td><td> </td><td align="right">40</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>6º Allocation de la ville de Versailles<br /> + pour solder les travaux.</td><td align="right">1,805</td><td> </td><td align="right">47</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="center">Total.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">13,812</td><td align="right" style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="right" style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">87</td><td align="right">c.</td></tr> +<tr><td> </td></tr> +<tr><td colspan="4" align="center"><i>Dépenses.</i></td></tr> +<tr><td>1º Acquisition de registres et autres<br /> + menues dépenses.</td><td align="right">11</td><td align="right">f. </td><td align="right"></td><td align="right">c.</td></tr> +<tr><td>2º Frais d'un modèle en bois, et<br /> + papier.</td><td align="right">27</td><td> </td><td align="right">50</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>3º Frais d'impressions diverses.</td><td align="right">1,099</td><td> </td><td align="right">50</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>4º Affranchissements et ports de<br /> + lettres</td><td align="right">531</td><td> </td><td align="right">45</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="center"><a name="page_327" id="page_327"></a>Transport.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">1,669</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">55</td><td align="right">c.</td></tr> +<tr><td>5º Remboursement à M. Michaut<br /> + des déboursés du modèle de la<br /> + statue et de son transport à<br /> + l'Institution des sourds-muets,<br /> + où elle a été exposée.</td><td align="right">1,270</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>6º Prix du bronze et de la fonte<br /> + de la statue payé à M. Saint-Denis.</td><td align="right">6,000</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>7º Acquisition et frais de transport<br /> + du granit de Soignies, pour le<br /> + piédestal, et frais accessoires.</td><td align="right">1,462</td><td> </td><td align="right">96</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>8º Prix de la grille d'entourage<br /> + en fonte.</td><td align="right">993</td><td> </td><td align="right">80</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>9º Écritures diverses payées au<br /> + sieur G..., et à d'autres personnes<br /> + employées par M. de Sainte-James.</td><td align="right">155</td><td> </td><td align="right">05</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>10º Gravure d'une planche en cuivre<br /> + placée sous le piédestal,<br /> + payée à M. Gabriel Cerf.</td><td align="right">77</td><td align="right"> </td><td align="center">»</td></tr> +<tr><td>11º Travaux d'établissement de la<br /> + statue, du piédestal, et accessoires<br /> + payés aux divers entrepreneurs.</td><td align="right">2,182</td><td> </td><td align="right">51</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="center">Total.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">13,810</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">87</td><td align="right">c.</td></tr> + +<tr><td> </td></tr> +<tr><td colspan="4" align="center"><a name="page_328" id="page_328"></a><i>Balance.</i></td></tr> +<tr><td>La recette s'élève à</td><td align="right">13,812</td><td align="right">f.</td><td align="right">87</td><td align="right">c.</td></tr> +<tr><td>La dépense à</td><td align="right">13,810</td><td> </td><td align="right">87</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td>Par conséquent, le trésorier<br /> + est reliquataire de</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">2</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="center" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;">»</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 3px black;"> </td></tr> +</table> + +<p>Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses +dans les trois mois de la clôture des travaux,</p> + +<p>Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation; +que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était +faite dans les journaux du département,</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>La commission arrête ce qui suit:</p> + +<p>Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent +à Versailles; elle sera ainsi conçue:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en +terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses +dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer +fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la +déclaration qui précède.»<a name="page_329" id="page_329"></a></p> + +<p>L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de +bienfaisance.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets +qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus +distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les +lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux.</p> + +<p>La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les +souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient +précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et +utile.</p> + +<p>La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M. +Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de +président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux.</p> + +<p>Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à +renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude.</p> + +<p>Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les +travaux terminés et la commission dissoute.<a name="page_330" id="page_330"></a></p> + +<p class="c"><br />EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU<br /> +DEPUIS L'INAUGURATION.</p> + +<p>«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger +à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une +médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle +désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins +précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le +corps qui le lui a décerné.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le vœu que +leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de +leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à +leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour +eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le +plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur +juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet +objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50 +centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour +obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on +eût dû envoyer un exemplaire<a name="page_331" id="page_331"></a> de cette liste à chaque sourd-muet +souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris +ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il +valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs, +sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient +d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les +quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui +elles constituent comme un titre personnel<a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor">[106]</a>.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Sur les sept vœux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont +exaucés:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel +où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où +reposent ses dépouilles mortelles.</p> + +<p>Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la +France.</p> + +<p>Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune +décore une des places de Versailles, sa patrie.</p> + +<p>Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville.</p> + +<p>Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale +des sourds-muets<a name="page_332" id="page_332"></a> de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été +promise.</p> + +<p>Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il +naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à +Paris.</p> + +<p>Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc +enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance?</p> + +<p>En douter un instant serait leur faire injure.</p> + +<p>Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos +trois derniers vœux.</p> + +<p> +<br /> +<br /> +</p> + +<p class="c"><a name="page_333" id="page_333"></a>FIN.</p> + +<h3><a name="NOTES" id="NOTES"></a>NOTES.</h3> + +<p><a name="page_334" id="page_334"></a></p> + +<p><a name="page_335" id="page_335"></a></p> + +<p>(<a name="A" id="A"></a>A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une +discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de +sa statue à Versailles.</p> + +<p><i>Lespée</i>, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait +du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles, +que nous rapportons textuellement plus bas. <i>Lespée</i>, c'est ainsi qu'il +est écrit encore au frontispice <i>d'un petit livre pour étudier les +règles du jeu de trictrac</i>, qui porte le millésime de 1698, et qu'une +des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien +voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe +nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas +d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et, +comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de <i>de +l'Épée</i> retrouvé sur un livre dont il fit don à <i>Anne-Catherine +Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait +donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779</i>.</p> + +<p>D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations +d'orthographe?</p> + +<p>L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord <i>Buonaparte</i> (un nom +italien), ne signa-t-il pas <i>Bonaparte</i> dès qu'il se vit investi du +commandement de l'armée d'Italie?</p> + +<p>A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros +pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore +que son humilité était devenue proverbiale?<a name="page_336" id="page_336"></a></p> + +<p class="c">(3<sup>e</sup> Arrondissement de Seine-et-Oise. )<br /> +<br /> +MAIRIE DE VERSAILLES.<br /> +<br /> +<i>Extrait du registre des actes de naissance de la ville de<br /> +Versailles, pour l'année</i> 1712. +</p> + +<p>L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé +<i>Charles-Michel</i> né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert +ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son +épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle +maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran, +entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent.</p> + +<p>Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="B" id="B"></a>B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à +l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux:</p> + +<p>«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques, +à l'occasion des disputes sur le jansénisme.</p> + +<p>«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en +1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la +même année:</p> + +<p>«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape +Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par +l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et +confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la +même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à +cette Constitution, et je condamne, de cœur et de bouche, la doctrine +des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre, +intitulé <i>Augustinius</i>, que le pape et les évêques ont condamnées, +laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a +mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.»</p> + +<p>«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut<a name="page_337" id="page_337"></a> ordonnée par +l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État +par une déclaration royale du 20 avril 1664.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le +<i>formulaire d'Alexandre VII</i>, parce qu'il fut imposé par ce souverain +pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665.</p> + +<p>«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai +1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et +condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de +Cornelius Jansenius, intitulé <i>Augustinus</i>, et dans le sens du même +auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les +susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les +saints Évangiles!»</p> + +<p>«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les +archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce +formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les +religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction, +explication ou restriction.</p> + +<p>«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est +le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se +présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait +été prescrit un troisième.</p> + +<p>«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots: +<i>vineam domini Sabaoth</i>, se borne à condamner ce que l'on appelait le +<i>silence respectueux</i>, c'est-à-dire la prétention des jansénistes, qui +consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître +qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que, +ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était +point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape.</p> + +<p>«La bulle <i>unigenitus</i> du même pontife, en date du 8 septembre 1713, +contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé: +<i>Réflexion morales sur le Nouveau Testament</i>. Elle ne propose pas, non +plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au +jansénisme qui soit émané du Saint-Siége.<a name="page_338" id="page_338"></a></p> + +<p>«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé: +<i>Corps de doctrine</i>, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de +France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire. +On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du +clergé à cette époque.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir +positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui +qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il +demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à +30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la +Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se +livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me +préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux +formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le +pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont +l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il +ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer +sa signature.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="C" id="C"></a>C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce +qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: <i>Inauguration de la +statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale</i>.</p> + +<p>«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au +stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance +de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.»</p> + +<p>Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les +notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre +des sourds-muets.</p> + +<p>Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas +été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de +moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y +a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû +souffrir de la révolution de 93, je<a name="page_339" id="page_339"></a> me décidai à procéder moi-même à de +nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux +Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de +l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733.</p> + +<p>La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de +ce bienfaiteur de l'humanité à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, datée du 1<sup>er</sup> +février 1779, laquelle commence par ces mots:</p> + +<p>«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la +cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me +permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles +appellent <i>miserabiles personæ</i>....»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="D" id="D"></a>D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de +Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour +l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843:</p> + +<p> +<span style="margin-left: 3em;">21 août 1843:</span><br /> +</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br /> +</p> + +<p>«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir +répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de +Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai +qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés +à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le +prier d'ordonner des recherches <i>depuis</i> 1712 <i>jusqu'à</i> 1737. Elles +furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des +renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets +l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une +partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la +certitude désirable à un fragment de son histoire.</p> + +<p>«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard, +archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que +par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de +la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que, +dans le cas où vous ne<a name="page_340" id="page_340"></a> relateriez pas ces documents à la suite de votre +ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments +précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la <i>Bibliothèque +de l'école des chartes</i>.</p> + +<p>«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser +également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec +soin dans mes archives.</p> + +<p>«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis, +etc.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr valign="top"><th colspan="2" align="center">ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE.</th></tr> +<tr valign="top"><td colspan="2" align="center"><i>Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes).</i></td></tr> + +<tr valign="top"><td>23 mars 1736.</td><td>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de +Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube).</td></tr> + +<tr valign="top"><td>31 mars 1736.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres +mineurs et au sous-diaconat.</td></tr> + +<tr valign="top"><td>26 août 1736.</td><td>Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant +pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés.</td></tr> + +<tr valign="top"><td>22 septembre 1736.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat.</td></tr> + +<tr valign="top"><td>28 mars 1738.</td><td>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de +Pougy.</td></tr> + +<tr valign="top"><td>5 avril 1738.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise.</td></tr> +<tr><td> </td></tr> + +<tr valign="top"><td colspan="2" align="center"><i>Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes).</i><br /> +Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190.<br /><br /> +1736. <i>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges.</i></td></tr> +</table> + +<p class="nind">1<sup>e</sup> 23 mars 1736<br /> +fº 62, vº<br /> +<br /> +Cura de <i>Feugiis</i> (Feuges.)<br /> +</p> + +<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi, +salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione +sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube), +in nostrâ diœcesi, cujus, occurente<a name="page_341" id="page_341"></a> vacatione, collatio, provisio et +alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, +pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et +pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti +Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut +alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque +sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et +donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et +pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.—Quocircà +<i>Mandamus</i> notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs +te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et +pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis +ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et +inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo.</p> + +<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ, +presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio +Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in +presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis.</p> + +<p>Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir.</p> + +<p class="c"><br /> +<i>Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs +et au sous-diaconat</i>.</p> + +<p class="nind">2<sup>e</sup> 31 mars<br /> +1736<br /> +même reg.<br /> +fº 63, rº.<br /> +</p> + +<p>Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs, +diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet, +permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri +episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo +sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ.</p> + +<p class="c"><br />Ad quatuor minores ordines.</p> + +<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi.</p> + +<p class="c"><br />Ad subdiaconatum.</p> + +<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis<a name="page_342" id="page_342"></a> +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi, sub titulo patrimonii +approbando.</p> + +<p class="c"><br /> +<i>Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour<br /> +qu'il puisse être promu aux ordres sacrés</i>.</p> + +<p class="nind"> +3<sup>e</sup> 20 août<br /> +1736<br /> +même reg.<br /> +fº 65, vº.</p> + +<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam +instrumento publico coràm Magistris Billeheu et Baptiste, notariis, +Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto, +quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius +uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum +et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro +Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi, et ipsorum filio, in titulum +patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri +possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex +tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob +collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi +jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re coràm +Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni +millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem +donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius +Goblain, Parisiis commorantes; nos, prœfatam summam 250 liv. annui +reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, prœfatus +Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs) +ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus, +judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister +de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare +non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod +ei strictè sub pænis juris interdicimus.</p> + +<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo.<a name="page_343" id="page_343"></a></p> + +<p class="c"><br /> +<i>Promotion de Charles de l'Épée au diaconat.</i></p> + +<p class="nind">4º 22 sept. 1736,<br /> +même reg.<br /> +fº 66, rº et vº</p> + +<p>Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati +Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet.</p> + +<p class="c"><br />Ad diaconatum.</p> + +<p>M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis +ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi.</p> + +<p class="c"><br /> +<i>Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy</i>.</p> + +<p class="nind">5º 28 mars 1738,<br /> +même reg.<br /> +fº 66, rº et vº</p> + +<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus, +dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi, +salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti +Nicolai de Pugiaco (Pougy,—arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ +diœcesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia +quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno +jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens, +liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri +Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris +pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos +admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus +et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus +et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes. +Quocircà <i>Mandamus</i> dilectis nostris canonicis et capitulo prœfatæ +ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario +apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu +procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in +possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et +præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et +inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in +capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu +assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque +cujuslibet salvo.</p> + +<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò<a name="page_344" id="page_344"></a> mensis Martii vigesimâ +octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, +presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa +vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis.</p> + +<p class="c"><br /> +Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel.<br /> +<br /> +<i>Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise</i>.</p> + +<p class="nind">6º 5 avril 1738,<br /> +même reg.<br /> +fº 84, vº et 85, rº.<br /> +</p> + +<p>Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo +septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis +Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet.</p> + +<p class="c"><br /> +Ad Presbyteratum.</p> + +<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ +collegiatæ de Pugiaco, in diœcesi Trecensi.</p> + +<p>Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont +très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après +l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste +de l'Aube, dans les <i>Actes épiscopaux</i> qui furent déposés à la +Préfecture avant 1793.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Troyes, le 21 août 1843.</span><br /> +</p> + +<p class="r">Signé: C<small>OFFINET,</small><br /> +Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="E" id="E"></a>E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité +impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des +saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui +nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car, +avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne +sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils +ne peuvent pas être des saints.</p> + +<p>«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre +devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point +vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement +un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore +qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des +sourds-muets.<a name="page_345" id="page_345"></a></p> + +<p>«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri +des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons +aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi +supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église +catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons +dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré +les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le +dépôt sacré des doctrines.</p> + +<p>«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint, +les bonnes œuvres étaient communément matière à ostentation; +cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme +profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et +nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre +qui se crut obligé de lui refuser les cendres.</p> + +<p>«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de +l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes +ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant: +le <i>soleil a ses taches</i>. Et notre pénible fonction d'historien une fois +remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne +foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait +trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi +et surtout le Dieu de charité: <i>Deus caritas est</i>.</p> + +<p>«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public +des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore +davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de +ne pas rester le ministre soumis.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="c">(<a name="F" id="F"></a>F) <i>Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à +M<sup>lle</sup> Blouïn</i>.</p> + +<p>Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à +tous ceux auxquels il appartiendra, que M<sup>lle</sup> +Charlotte-Louise-Jacqueline Blouïn, native d'Angers, m'ayant été +adressée par feu Monsieur Ducluzel, intendant de Tours, pour que je lui +apprisse à instruire les sourds-muets, cette demoiselle<a name="page_346" id="page_346"></a> a fait, dans +cet art, des progrès qui ont surpassé mon attente, et que le témoignage +que j'en ai rendu, lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé +Monsieur l'intendant, quelques mois après, à m'écrire la lettre +suivante, en date du 19 février 1782:</p> + +<p>«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais +demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation +pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne +dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui +communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas +assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos +bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à +diminuer les malheurs de l'humanité.</p> + +<p>«J'ai l'honneur d'être....»</p> + +<p class="r">Signé: D<small>UCLUZEL.</small></p> + +<p>M<sup>lle</sup> Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782, +vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente +année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée, +<i>j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets</i>, pour lui en +laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses +opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de +personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les +talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette œuvre. Je la +crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel +sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans +des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en +présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque +de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères.</p> + +<p>En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Paris, ce 11 novembre 1783.</span><br /> +</p> + +<p class="r">Signé: l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small></p> + +<p><a name="page_347" id="page_347"></a></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="G" id="G"></a>G) <i>A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets +de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager</i>.</p> + +<p class="r"><br /> +«Ce 17 juillet 1842.<br /> </p> + +<p>«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des +professeurs de l'institution, afin de remplir le vœu de M. le +ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la +dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie +de l'invention de l'auteur.</p> + +<p>«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode +nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si +l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question +d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau +mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus +facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange +erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce +n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en +fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans +ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des +doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus +léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre +alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla +atteint un instant par le <i>Syllabaire dactylologique</i> de M. Recoing, qui +entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel +divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et, +cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable +dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des +principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait +cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis.</p> + +<p>«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile, +malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de +sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un +alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car, +indépendamment des vingt-<a name="page_348" id="page_348"></a>cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y +trouve des indications représentant une <i>série de voyelles combinées et +accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et +la terminaison d'un grand nombre de mots</i>. Adoptât-on même aujourd'hui +cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps +plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une +multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer +la stabilité et la prééminence sur les autres?</p> + +<p>«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le +chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après +avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications, +dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans +presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui +reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses +diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la +typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à +discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet +dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la +généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle, +de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la +dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de +l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au +point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de +personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on +leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes +ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans +leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission +transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille +dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense +avantage, d'être adoptée et connue.</p> + +<p>«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie, +il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de +plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la +matière, l'idée à sa représentation brute.<a name="page_349" id="page_349"></a> C'est ce que n'a pu +comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage +mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies +possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité +et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée.</p> + +<p>«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle +trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et +même sans objet.</p> + +<p>«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect +et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher +directeur,</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Votre dévoué serviteur.</span><br /> +</p> + +<div class="blockquot"><p class="hang"><i>A Messieurs les membres de la Commission Consultative de +l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle +dactylologie de M. Charles Wilhorgne.</i></p></div> + +<p class="r"><br /> +«Ce 4 mai 1847.<br /> +</p> + +<p>Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de +vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen, +sur <i>la dactylographie</i> ou <i>sténographie des doigts</i>, laquelle, suivant +l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la +<i>dactylologie</i>, l'avantage de rivaliser presque avec la parole +elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un +et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord, +révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos +écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa +brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne +voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans +nos études. <i>La dactylographie</i> de M. Wilhorgne a pour but, +non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la +main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans +jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de +mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la +représentation desquelles sont affectées certaines<a name="page_350" id="page_350"></a> parties extérieures +de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son +nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une +grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour +éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord, +inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main +après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main +gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient +qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de +transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant, +toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le +privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index +de la droite les indique.</p> + +<p>«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure +sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous +employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la +parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même +que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une +seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien +considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux +que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à +diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de +l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la +préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes.</p> + +<p>«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa +dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce +qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les +autres.</p> + +<p>«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les +sourds-muets, <i>devenus aveugles</i>, converser avec les autres hommes, au +moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre, +par le toucher, les contours rapides de la main <i>parlante</i>.</p> + +<p>«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère +mériter que la Commission Consultative en propose<a name="page_351" id="page_351"></a> l'adoption à M. le +Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout +conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines +personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et +d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix +des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la +dactylologie usuelle des sourds-muets.</p> + +<p>«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux +besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau +faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront +toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle +perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres +d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un +signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour +quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre.</p> + +<p>«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou +dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est +vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans +une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la +dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de +notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user +leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires, +insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue +et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer +leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre +spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens +d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue +maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette +étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels, +variés, qui les intéresseraient en les y ramenant.</p> + +<p>«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de +philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement, +tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte +que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de +l'utile, ou ce que nous connaissons<a name="page_352" id="page_352"></a> depuis fort longtemps, ou ce qui, +en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il +serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables +services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles +ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir +leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande +économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on +charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que +le temps, à une époque où l'on vit si vite.»</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="H" id="H"></a>H) <i>Legs d'un sourd-muet.</i>—Un legs fort important a été fait à la +ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en +laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette +ville.</p> + +<p>Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de +300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins +de soixante mille volumes.</p> + +<p>Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret, +célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique +plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes +sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait +la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était +animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il +parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales. +Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de +sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au +moins, son infirmité.</p> + +<p>Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la +validité était contestée par les héritiers. M<sup>me</sup> Brongniart, sœur +de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le +testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au +moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur +de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné +M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de +raretés bibliographiques; sa famille les considérait<a name="page_353" id="page_353"></a> comme des +prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger +contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus +aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la +ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était +sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil +judiciaire.</p> + +<p>Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues +ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour, +M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non +seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède +à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs +assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque +sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus +nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de +tête et de cœur.</p> + +<p>Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations +préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer; +mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder +l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs +de M. de Montbret.</p> + +<p>Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur, +celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important +de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple +expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux +garanti par le donataire.</p> + +<p>Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de +leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées +à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à +la requête de la ville et de M<sup>me</sup> Brongniart, sous réserve des droits +de chaque partie.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="Z" id="Z"></a>I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus +heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21 +novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous +sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins +recommandable par ses vertus<a name="page_354" id="page_354"></a> qu'estimable par ses talents, et qu'il +avait l'intention d'en assurer la perpétuité.</p> + +<p>Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous +croyons devoir rapporter textuellement:</p> + +<div class="blockquot2"> +<p>«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en +icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du +désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à +l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait +ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus +propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un +établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un +et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et +que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et +règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le +gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il +y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la +portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le +diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs, +il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit +arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et +préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars +et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires, +soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient +sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires +dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de +ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de +l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux +d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de +ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que +le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour +l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre +ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir, +sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres +évêques<a name="page_355" id="page_355"></a> du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet +avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens +vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et +principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa +Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et +projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires +pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un +et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne +pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses, +que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins +de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des +autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne +transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au +couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme, +d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est +aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la +fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur +archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la +destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris +l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses +intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions +qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï +le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné +et ordonne ce qui suit:</p> + +<p>«Art. 1<sup>er</sup>. Il sera incessamment pourvu à la confection des +distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement +des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des +bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et +y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur +faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui +succéderont à l'avenir.</p> + +<p>«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites +sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés +par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de +Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des +biens des Célestins du diocèse<a name="page_356" id="page_356"></a> de Paris, sur les ordonnances du sieur +archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf, +lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à +retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés +à former la dotation de cet établissement.</p> + +<p>«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une +manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et +délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur +abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv., +pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et +de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter +l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former +audit enseignement.</p> + +<p>«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit +établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les +rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et +affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des +évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14 +mars 1780 et 1<sup>er</sup> août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment +enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en +conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit +d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des +rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains +en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les +quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et +valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit +sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux +conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque +diocèse.</p> + +<p>«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera +fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200 +liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà +du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus +en jouir, sous quelque prétexte que ce soit.</p> + +<p>«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront<a name="page_357" id="page_357"></a> accordées +qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du +curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera, +à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et +seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge +royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à +l'admission du sujet dans ledit hospice.</p> + +<p>7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il +en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et +lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration +temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence, +le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des +redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce +qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer.</p> + +<p>Fait au conseil d'État du roi, etc.»</p> +</div> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="J" id="J"></a>J) <i>Différence entre les mots</i> sourd et muet <i>et</i> sourd-muet.</p> + +<p>Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de +surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait +habituellement de l'expression <i>sourd et muet</i>. Ce n'est que vers la fin +du dix-huitième siècle que <i>sourd-muet</i> devint le terme consacré.</p> + +<p>Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les +rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et +l'autre une distinction raisonnée.</p> + +<p>La dénomination de <i>sourd et muet</i> suppose deux incapacités distinctes +et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité +d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute +autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole +humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une +paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie +de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de <i>sourd-muet</i> renferme, +au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de +telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence +obligée de celle-là.<a name="page_358" id="page_358"></a></p> + +<p>En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos +jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes +entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent +pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir +l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la +pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut +amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins +prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence +complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de +la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive, +exercée?</p> + +<p>N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les +organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les +ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité?</p> + +<p>Le nombre des <i>sourds et muets</i> paraît, en ce moment, si faible +comparativement à celui <i>des sourds-muets</i>, que c'est de ces derniers +seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et +que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit +plus que ces mots: <i>Institution</i> ou <i>école des sourds-muets</i> et non des +<i>sourds et muets</i>.</p> + +<p>On a prétendu établir cinq catégories<a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor">[107]</a> parmi les jeunes sourds-muets +de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories +qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme +incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de +constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque<a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor">[108]</a>.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="K" id="K"></a>K) <i>Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842</i>.</p> + +<p>«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour +que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire<a name="page_359" id="page_359"></a> un appel à votre +concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour +vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés +de cœur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de +Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes +démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous; +malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été +couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour +l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma +pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion +solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de +mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je +m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en +finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que +j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à +mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le +Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres +sourds-muets!»</p> + +<p class="c"><i>Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur.</i></p> + +<p class="r">«Paris, le 11 décembre 1842.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Monsieur le ministre,</span><br /> +</p> + +<p>Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis +aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter +l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne +sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils +ont l'habitude d'appeler leur <i>père intellectuel</i> qu'en tendant vers +Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant +en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un +portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander +pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment.</p> + +<p>Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau +représentant <i>les deniers moments de l'abbé de l'Épée</i>. Cette œuvre +remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène.</p> + +<p>Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis<a name="page_360" id="page_360"></a> longtemps, +brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à +ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une +Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne +refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant +l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en +se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un +autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous +avez commandé successivement deux grands tableaux religieux?</p> + +<p>Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale +confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne +émule.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 20%;">Nous sommes, avec le plus profond respect,</span><br /> +<span style="margin-left: 30%;">Monsieur le Ministre,</span><br /> +<span style="margin-left: 50%;">Les très-humbles, etc.</span><br /> +</p> + +<p class="hang">Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre +de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des +établissements de bienfaisance;</p> + +<p class="hang">A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets; +Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des +sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville; +Leroy; Pélissier; D<sup>el</sup> Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A. +Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé; +Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de +Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart; +Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale +des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets; +Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la +Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets, +remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles; +Robillard; A. Levassor.<a name="page_361" id="page_361"></a></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="L" id="L"></a>L) «<i>A Messieurs les membres de la Commission Consultative de +l'Institution royale des sourds-muets de Paris.</i></p> + +<p class="r">«Paris, ce 14 mai 1845.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br /> +</p> + +<p>«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des +sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de +l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien +voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président, +d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un +élan spontané de son cœur reconnaissant, offrait à l'Institution +royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce +grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement +que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière +de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le +mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet +établissement.</p> + +<p>«Si un vœu de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il +demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il +ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la +disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui, +d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de +la vie de l'abbé de l'Épée.</p> + +<p>«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au +bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du +donateur, et le motif de son offrande.</p> + +<p>«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le +tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39.</p> + +<p>«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier +d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les +élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de +leur créateur intellectuel.</p> + +<p>«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,</p> + +<p class="r">«A. L<small>ENOIR.</small>»</p> + +<p><a name="page_362" id="page_362"></a></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="M" id="M"></a>M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut +jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, +situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie +connue sous le nom des <i>religieux de cet hôpital</i> ou de <i>frères +pontifes</i> ou <i>constructeurs de ponts</i>.</p> + +<p>Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des +lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres +de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces +religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le <i>Clos +du roi</i>; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et +portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les +<i>frères hospitaliers</i>.</p> + +<p>Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les +chefs avaient le titre de <i>commandeurs</i>, s'éleva en 1519, et fut érigée, +dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré +l'opposition des curés du voisinage.</p> + +<p>«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris, +aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et +de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui +<i>disent, chantent et célèbrent</i> à haute voix, et avec chants, lesdits +offices divins, etc.»</p> + +<p>En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque +abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel +appelé <i>Hôtel de la reine</i>, et, plus tard, <i>Hôtel de Soissons</i>, sur +l'emplacement qu'occupaient alors les <i>Filles repenties</i>, et où s'élève +aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent +s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par +contre coup, prirent possession de la maison de +Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur +patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre.</p> + +<p>La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une +nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du +quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux.</p> + +<p>Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit<a name="page_363" id="page_363"></a> forcé, +dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être +terminée qu'en 1688. <i>Monsieur</i>, frère de Louis XIII, en avait posé la +première pierre, et les libéralités du prince de Longueville +contribuèrent à son achèvement.</p> + +<p>Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en +1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à +cette époque, sous le nom de rue des <i>Deux Eglises</i>, auquel celui de rue +de <i>l'Abbé de l'Épée</i> a été récemment substitué, à la demande de +l'Institution des sourds-muets.</p> + +<p>La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement +l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de +donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint +ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se +maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y +transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets, +fondée par l'abbé de l'Épée.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe +aujourd'hui:</p> + +<p>Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son +portail, lourd et massif, disgracieux à l'œil, n'offre rien de +remarquable comme œuvre architecturale. Les principaux corps de +logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des +garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un +autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle +des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des +garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés. +Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de +l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant +fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances +de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté, +se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le +second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces +trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un +mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison.<a name="page_364" id="page_364"></a></p> + +<p>Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question +donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du +côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis.</p> + +<p>Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il +y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer +et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des +filles, et tombait en ruine depuis long-temps.</p> + +<p>L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées +de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et +de salubrité désirables.</p> + +<p>Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre +le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette +cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement +les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de +toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont +l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La +Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire +de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son +feuillage, l'éloquent auteur du <i>Petit Carême</i>.</p> + +<p>Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un +quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au +fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants +une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se +plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes +leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont +taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes +de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour +étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent +ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en +jouir.</p> + +<p>La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans +tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est +abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long +de la grande façade de la cour règne,<a name="page_365" id="page_365"></a> au rez-de-chaussée, une galerie +couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour +les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques; +de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les +hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la +nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent, +au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le +bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un +atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office.</p> + +<p>Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers +étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer; +l'autre est en bois.</p> + +<p>Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second, +par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de +lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et +quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au +troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les +lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des +lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et +un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en +dalles; le reste de l'établissement est parqueté.</p> + +<p>Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite <i>de +perfectionnement</i>, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de +l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en +classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la +maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours +général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on +appelle le <i>système de rotation</i>. L'enseignement comprend les préceptes +de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de +géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la +lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint, +dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de +dispositions pour cette double spécialité.</p> + +<p>Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon +est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant<a name="page_366" id="page_366"></a> lesquels les +jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on +leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet.</p> + +<p>Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel +qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de +plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit +toujours se composer de six élèves.</p> + +<p>Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la +caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de +vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont +sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la +paume des mains.</p> + +<p>Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de +droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le +Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand +tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant +l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet.</p> + +<p>Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette +inscription:</p> + +<p>«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler +les muets.»</p> + +<p class="r">«Saint-Marc, ch. <small>VII</small>, verset <small>XXXVII</small>.»</p> + +<p>A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, œuvre et +don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de +l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant <i>les derniers moments +de l'abbé de l'Épée</i>. A côté, un second autel avec la statue de la +Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette +inscription en lettres d'or:</p> + +<p>«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie +et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint +Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette +Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de +Champagny; étant administrateurs,<a name="page_367" id="page_367"></a> MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de +Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard.</p> + +<p>«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.»</p> + +<p>Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux +jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal.</p> + +<p>Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour +de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique.</p> + +<p>Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un +réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de +fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un +perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des +garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui +reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans +l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est +entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments.</p> + +<p>En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans +l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard +s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à +l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le +jeune sourd-muet connu sous le nom du <i>comte de Solar</i>(sujet du drame de +M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et +protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le +jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de +gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de +l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et +de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images +ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur +lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, œuvre +remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit +cette inscription:</p> + +<p>«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée, +qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte +Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des +24 et 29 juillet 1791.»</p> + +<p>Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices,<a name="page_368" id="page_368"></a> d'où l'on +descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en +amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une +pierre de marbre:</p> + +<p>«M<sup>me</sup> Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à +Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des +sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit +enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette +Institution.»</p> + +<p>Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription:</p> + +<p>«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de +l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes, +médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison +(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son +testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution +huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une +classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites +en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui +ont atteint le terme ordinaire des études.</p> + +<p>«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir +de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.»</p> + +<p>L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes +lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une +tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge. +Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue.</p> + +<p>Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête +un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur +leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs.</p> + +<p>Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font +saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service; +l'autre sert de logement au concierge.</p> + +<p>Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier +pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge +spéciale de la portière de cette partie de la maison.<a name="page_369" id="page_369"></a></p> + +<p>La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près, +en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est +composée de quatre étages.</p> + +<p>Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au +fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par +quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un +gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses.</p> + +<p>Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle +d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le +second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie; +le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses +subordonnées.</p> + +<p>L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été +élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments +de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit +plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous +Philippe-le-Hardi.</p> + +<p>Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur +responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres, +qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier.</p> + +<p>Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des +professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre, +celles de bibliothécaire-archiviste).</p> + +<p>Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude +sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est +fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un +sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du +service, un veilleur et cinq hommes de peine.</p> + +<p>166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des +familles.</p> + +<p>Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs, +trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé +chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une +maîtresse de dessin, une maîtresse<a name="page_370" id="page_370"></a> d'écriture, une infirmière, une +portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="N" id="N"></a>N) <i>Le</i> 17 <i>décembre, on lisait dans le</i> N<small>ATIONAL</small>:</p> + +<p>«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée +au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les +vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos +colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu +poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette +nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la +vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau, +de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.»</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="center">LE SOURD-MUET.</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre,</td></tr> +<tr><td align="left">Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère,</td></tr> +<tr><td align="left">Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir?</td></tr> +<tr><td align="left">Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir?</td></tr> +<tr><td align="left">Bercé d'illusions, dévoré de rancune,</td></tr> +<tr><td align="left">Revêtu de douleur, couronné d'infortune,</td></tr> +<tr><td align="left">Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité?</td></tr> +<tr><td align="left">Que de maux ont pesé sur notre humanité!</td></tr> +<tr><td align="left">Sans doute que, parmi ces brillantes planètes</td></tr> +<tr><td align="left">Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes,</td></tr> +<tr><td align="left">Un météore horrible, annonçant le malheur,</td></tr> +<tr><td align="left">N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur,</td></tr> +<tr><td align="left">Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense,</td></tr> +<tr><td align="left">Répand dans tous les lieux sa funeste influence.</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Sous cet astre fatal ma mère me conçut;</td></tr> +<tr><td align="left">Au cri de mes douleurs mon père me reçut.</td></tr> +<tr><td align="left">Le malheur fut mon roi. Le cœur rongé d'envie,</td></tr> +<tr><td align="left">Il m'avait attendu sur le seuil de la vie;</td></tr> +<tr><td align="left">Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux,</td></tr> +<tr><td align="left">Pour la première fois, resplendit à mes yeux,<a name="page_371" id="page_371"></a></td></tr> +<tr><td align="left">Un plus épais nuage enveloppa mon âme.</td></tr> +<tr><td align="left">Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme,</td></tr> +<tr><td align="left">Ne vint me convier aux champs de l'avenir.</td></tr> +<tr><td align="left">Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr,</td></tr> +<tr><td align="left">Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence,</td></tr> +<tr><td align="left">Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: <i>Espérance</i>!</td></tr> +<tr><td align="left">Comme le nautonnier égaré dans les mers,</td></tr> +<tr><td align="left">Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers,</td></tr> +<tr><td align="left">Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile,</td></tr> +<tr><td align="left">Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile,</td></tr> +<tr><td align="left">Sur la mer de la vie, à la merci des flots,</td></tr> +<tr><td align="left">J'ai vogué tristement à travers bien des maux.</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Du moins, dans son naufrage, une voix le console.</td></tr> +<tr><td align="left">C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole;</td></tr> +<tr><td align="left">C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant;</td></tr> +<tr><td align="left">C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant.</td></tr> +<tr><td align="left">Ces vibrations d'air, musique aérienne,</td></tr> +<tr><td align="left">Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne,</td></tr> +<tr><td align="left">Parlent au nautonnier: sensible à cet accord,</td></tr> +<tr><td align="left">Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort.</td></tr> +<tr><td align="left">Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense,</td></tr> +<tr><td align="left">Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance.</td></tr> +<tr><td align="left">Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein,</td></tr> +<tr><td align="left">Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain.</td></tr> +<tr><td align="left">Dans mot isolement, jamais tendre parole</td></tr> +<tr><td align="left">Qui fait bondir le cœur, qui ramène et console,</td></tr> +<tr><td align="left">Sur mon âme captive, en sons mélodieux,</td></tr> +<tr><td align="left">N'est descendue, hélas! messagère des cieux.</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Hélas! je traversais, sans amis et sans guide,</td></tr> +<tr><td align="left">Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride,</td></tr> +<tr><td align="left">Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu,</td></tr> +<tr><td align="left">Ignorant l'univers, à moi-même inconnu.</td></tr> +<tr><td align="left">Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie,</td></tr> +<tr><td align="left">Grave inspiration, légère fantaisie,</td></tr> +<tr><td align="left">Tous vos dons me manquaient pour exalter mon cœur,</td></tr> +<tr><td align="left">Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur.<a name="page_372" id="page_372"></a></td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme,</td></tr> +<tr><td align="left">Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme.</td></tr> +<tr><td align="left">Je t'ignorais encor, douce religion.</td></tr> +<tr><td align="left">Trésor de dévoûment, de consolation,</td></tr> +<tr><td align="left">De l'homme malheureux visible Providence,</td></tr> +<tr><td align="left">Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance,</td></tr> +<tr><td align="left">J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs,</td></tr> +<tr><td align="left">Épancher en silence et ses maux et ses pleurs,</td></tr> +<tr><td align="left">Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure<a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor">[109]</a>,</td></tr> +<tr><td align="left">Écartant les douleurs qui m'agitent encore,</td></tr> +<tr><td align="left">Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts,</td></tr> +<tr><td align="left">Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois,</td></tr> +<tr><td align="left">Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance,</td></tr> +<tr><td align="left">Dire l'hymne sacré de la reconnaissance,</td></tr> +<tr><td align="left">Et, de la mélodie invoquant les faveurs,</td></tr> +<tr><td align="left">Aspirer à cueillir la poésie en fleurs.</td></tr> +<tr><td align="left">Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme,</td></tr> +<tr><td align="left">Délices de mon cœur, doux écho de mon âme,</td></tr> +<tr><td align="left">Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu,</td></tr> +<tr><td align="left">Il m'eût fallu te dire un éternel adieu!</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée!</td></tr> +<tr><td align="left">Mon âme, par sa voix, se relève frappée;</td></tr> +<tr><td align="left">Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon</td></tr> +<tr><td align="left">Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison;</td></tr> +<tr><td align="left">Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière</td></tr> +<tr><td align="left">Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière.</td></tr> +<tr><td align="left">L'ange de poésie, ange gardien du cœur,</td></tr> +<tr><td align="left">Est descendu du ciel m'enivrer de douceur;</td></tr> +<tr><td align="left">Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie,</td></tr> +<tr><td align="left">Je me suis abrité, devinant le génie:</td></tr> +<tr><td align="left">Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux;</td></tr> +<tr><td align="left">Il me prête son luth, et nous chantons tous deux.</td></tr> +<tr><td align="left">Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme</td></tr> +<tr><td align="left">Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme;<a name="page_373" id="page_373"></a></td></tr> +<tr><td align="left">Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux,</td></tr> +<tr><td align="left">Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux.</td></tr> +<tr><td align="left">Lui, soudain, agitant sa baguette magique,</td></tr> +<tr><td align="left">A mes yeux, fait jaillir un univers mystique,</td></tr> +<tr><td align="left">Univers idéal, monde mélodieux</td></tr> +<tr><td align="left">Où mille doux échos, comme un essaim joyeux</td></tr> +<tr><td align="left">D'esprits aériens, de légères sylphides,</td></tr> +<tr><td align="left">Apportent à mon cœur des accents frais, splendides,</td></tr> +<tr><td align="left">Des bruits surnaturels, de ravissants accords,</td></tr> +<tr><td align="left">L'extase de la lyre et ses vagues transports,</td></tr> +<tr><td align="left">Concerts délicieux, musique intérieure</td></tr> +<tr><td align="left">Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure.</td></tr> +<tr><td align="left">Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin,</td></tr> +<tr><td align="left">Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn!</td></tr> +<tr><td align="left">Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques</td></tr> +<tr><td align="left">Et sème notre ciel d'étoiles poétiques!</td></tr> +<tr><td align="left">Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité;</td></tr> +<tr><td align="left">Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité;</td></tr> +<tr><td align="left">Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère;</td></tr> +<tr><td align="left">J'ai senti ton éclat inonder ma paupière;</td></tr> +<tr><td align="left">Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers,</td></tr> +<tr><td align="left">J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts.</td></tr> +<tr><td align="left">Une lyre à la main, guidé par ton génie,</td></tr> +<tr><td align="left">J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie,</td></tr> +<tr><td align="left">Céleste volupté! charmante illusion!</td></tr> +<tr><td align="left">Et, soudain, au flambeau de l'inspiration,</td></tr> +<tr><td align="left">Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses,</td></tr> +<tr><td align="left">J'ai secoué mon aile aux pures jouissances.</td></tr> +<tr><td align="left">Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor,</td></tr> +<tr><td align="left">Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor</td></tr> +<tr><td align="left">S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes,</td></tr> +<tr><td align="left">Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes,</td></tr> +<tr><td align="left">Va là-haut contempler l'astre de l'univers;</td></tr> +<tr><td align="left">Long-temps se balançant dans l'empire des airs,</td></tr> +<tr><td align="left">Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages,</td></tr> +<tr><td align="left">Il monte, monte encor par dessus les nuages!</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="left">Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix,<a name="page_374" id="page_374"></a></td></tr> +<tr><td align="left">Pour immortaliser le héros de mon choix,</td></tr> +<tr><td align="left">Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire,</td></tr> +<tr><td align="left">Si jamais je pouvais demander à ma lyre</td></tr> +<tr><td align="left">Des vers heureux, échos d'infinis sentiments,</td></tr> +<tr><td align="left">C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants.</td></tr> +<tr><td align="left">Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance.</td></tr> +<tr><td align="left">Mes succès seraient doux et mon ivresse immense.</td></tr> +<tr><td align="left">De quel nom te nommer, mon second créateur,</td></tr> +<tr><td align="left">Et sur quel piédestal un transport de mon cœur</td></tr> +<tr><td align="left">Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire,</td></tr> +<tr><td align="left">Perpétuer ton œuvre et venger ta mémoire?</td></tr> +<tr><td align="left">O tendre de l'Épée, ange de charité,</td></tr> +<tr><td align="left">Sois à jamais béni dans la postérité!</td></tr> +<tr><td align="left">Ton génie immortel, vainqueur de la nature,</td></tr> +<tr><td align="left">Concevant l'impossible, a comblé la mesure</td></tr> +<tr><td align="left">De l'abîme profond où m'avait relégué</td></tr> +<tr><td align="left">Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué.</td></tr> +<tr><td align="left">Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime,</td></tr> +<tr><td align="left">Je redirai toujours ton dévoûment sublime.</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="right">P<small>ÉLISSIER</small>, de Gourdon (Lot),</td></tr> +<tr><td align="left"> </td></tr> +<tr><td align="right"><small>Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris.</small></td></tr> +</table> + +<div class="blockquot2"> +<p>(<a name="O" id="O"></a>O) <i>A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés.</i></p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE PRÉSIDENT,</small></span><br /> +</p> + +<p>Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre vœu +relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir +leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous +offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait +cette œuvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le +baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand, +Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé, +chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles +des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société<a name="page_375" id="page_375"></a> centrale +des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire. +L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de +votre assentiment.»</p> +</div> + +<p>(<a name="P" id="P"></a>P) <i>Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M. +Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838.</i></p> + +<p>«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon +frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des +sourds-muets.</p> + +<p>«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de +lui élever un monument durable comme ses bienfaits.</p> + +<p>«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du +monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de +l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un +piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un +livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets!</p> + +<p>«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui +soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je +veux seulement signer mon œuvre de mon nom de frère d'un sourd-muet.</p> + +<p>«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!»</p> + +<p class="c"><br /> +<i>Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à<br /> +M. Alphonse Lenoir.</i></p> + +<p>«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de +m'associer à l'œuvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à +l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets.</p> + +<p>«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement. +Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du +monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et +aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un +médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les +principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile!</p> + +<p>«Agréez mes embrassements de frère!»<a name="page_376" id="page_376"></a></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>(<a name="Q" id="Q"></a>Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et +Auguste Préault, statuaire.</p> + +<p class="c">DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS<br /> +<i>Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch,<br /> +à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</i></p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> + +<tr><td colspan="5" align="center"><br /> +PREMIER PROJET.</td></tr> + +<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr> + +<tr><td align="left">La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.) de hauteur.</td><td align="right">9,000</td><td align="right">f.</td><td align="right">00</td><td align="right">c.</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="left">Le piédestal et tous ses accessoires.</td><td align="right">3,020</td><td align="right"> </td><td align="right">00</td><td align="right"> </td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="left">Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200</td><td align="right"> </td><td align="right">00</td><td align="right"> </td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="left">Total du monument.</td> +<td align="right" style="border-top:1px black solid;border-bottom:1px black solid;">12,220</td> +<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">f.</td> +<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">00</td><td align="right">c.</td> +<td align="right">ci.</td><td>12,220</td><td>f.</td><td>00</td><td>c.</td></tr> + +<tr><td align="left">Décors de la chapelle.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td align="right">5,861</td><td> </td><td align="right">00</td></tr> +<tr><td align="center">Total général.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> + +<td> </td> + +<td align="right" +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">18,081</td><td +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">f.</td><td +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">00</td><td>c.</td></tr> + +<tr><td colspan="5" align="center"><br /> +DEUXIÈME PROJET.</td></tr> + +<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr> + +<tr><td>Un buste en bas-relief.</td><td align="right">6,500 </td><td>f.</td><td align="right">00</td><td>c.</td></tr> + +<tr><td>Colonnes, consoles et tous autres +accessoires.</td><td align="right">11,035 </td><td> </td><td align="right">00</td><td> </td></tr> + +<tr><td>Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200 </td><td> </td><td align="right">00</td><td> </td></tr> +<tr><td>Total du monument. </td><td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">17,735</td><td + style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;"> f.</td><td align="right" + style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;"> 00 </td><td + style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">c.</td><td> ci. </td><td>17,735</td><td> f. </td><td>00</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td>Décors de la chapelle.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td align="right">5,861</td><td> </td> +<td align="right">00</td></tr> + +<tr><td align="center">Total général.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">23,596</td><td style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> f.</td><td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> 00</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td colspan="5" align="center"><br /> +TROISIÈME PROJET.</td></tr> + +<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr> + +<tr><td>Un buste et deux petites figures. </td><td align="right">10,500</td><td> f.</td><td align="right"> 00</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td>La pyramide. </td><td align="right">600 </td><td> </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>Le piédestal et tous les ornements </td><td align="right">5,120 </td><td> </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200 </td><td> </td><td align="right"> 00</td></tr> +<tr><td align="center">Total du monument.</td><td align="right" +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">16,420</td> +<td +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> f.</td> +<td align="right" +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> 00</td> +<td +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> c.</td><td style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> ci.</td><td> 16,420</td><td> f. </td><td>00 </td><td>c.</td></tr> + +<tr><td>Décors de la chapelle.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td><td align="right">5,861 </td><td> </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td align="center">Total général.</td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td> +<td> </td><td align="right" +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">22,281 </td><td +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">f. </td><td align="right" +style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">00 </td><td>c.</td></tr> +</table> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="c">DESCRIPTION.</p> + +<p>Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée, +aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar +des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait +fermée par un anneau.</p> + +<p>Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage +mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets.</p> + +<p>Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un +philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par +quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre +tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement, +puis entre eux et la société dont ils étaient séparés.</p> + +<p>Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment, +serait représenté par la croix placée au-dessus.</p> + +<p>Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de +marbre noir.</p> + +<p>La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre<a name="page_378" id="page_378"></a> les deux +enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la +première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes +employés par les sourds-muets.</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="center" colspan="3">DEVIS DES TRAVAUX.</td></tr> + +<tr><td align="center" colspan="3"><i>Maçonnerie.</i></td></tr> + +<tr><td>La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux +hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut, +estimée.</td><td align="right">15 </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>La fouille pour ledit déblai et sortie des terres, +estimée. </td><td align="right">4 </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20 +de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur, +produit en cube.</td><td align="right">0 </td><td align="right">513</td></tr> + +<tr><td>La taille des parements en trois sens, 2,10, sur +0,75 de haut, produit.</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>La double taille pour le dégagement du socle et +de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut, +produit.</td><td align="right">1 </td><td align="right"> 50</td></tr> + +<tr><td>Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40 +développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent.</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 8</td></tr> + +<tr><td>Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et +0,45 d'épaisseur, produit.</td><td align="right">0 </td><td align="right">851</td></tr> + +<tr><td>Les parements en trois sens, 2,00 développés sur +1,80 de haut, produisent.</td><td align="right">3 </td><td align="right"> 60</td></tr> + +<tr><td>Les doubles tailles pour le dégagement des figures +et des saillies de moulures, évaluées à.</td><td align="right">10 </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td>Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur +0,60 de profil, produisent.</td><td align="right">1</td><td align="right"> 080</td></tr> + +<tr><td>Les moulures de couronnement, ensemble 3,10, +sur 1,50 de profil, produisent.</td><td align="right">4 </td><td align="right"> 65</td></tr> + +<tr><td>Les différentes tailles au petit socle qui porte le +buste et le dégagement des consoles, évaluées à</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 00</td></tr> + +<tr><td> </td></tr> + +<tr><td colspan="2" align="center"><i>Résumé de la maçonnerie.</i></td></tr> + +<tr><td>1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix, +pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et +joints, bardage et double transport, entrée difficile, +et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. </td><td align="right"> 170 </td><td>f.</td><td align="right"> 50</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td>19,100 m. superficiels de tailles de parements layés, +et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. </td><td align="right"> 119 </td> <td> </td><td align="right">39</td><td> </td></tr> + +<tr><td>8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées +et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le +mètre. </td><td align="right"> 73 </td><td> </td><td align="right">18</td><td> </td></tr> + +<tr><td>Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble +à. </td><td align="right"> 19 </td><td> </td><td align="right">00</td><td> </td></tr> + +<tr><td align="center">Total de la maçonnerie. </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;"> 382 </td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">f. </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">05 </td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">c.</td></tr> +</table> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td colspan="2" align="center"><i>Marbrerie.</i></td></tr> + +<tr><td>Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 =</td><td>0,224</td></tr> + +<tr><td>Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 =</td><td>0,027</td></tr> + +<tr><td> </td><td +style="border-top:1px solid black;"> 0,251</td></tr> +<tr><td align="center">Déchets, 1/10<sup>e</sup>. </td><td>0,025</td></tr> + +<tr><td align="right">Total. </td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:4px double black;">0,276</td></tr> +</table> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td>A raison de 60 fr. le mètre, produit.</td><td align="right">16 </td><td>f.</td><td align="right"> 56</td><td>c.</td></tr> + +<tr><td>400 lettres, à 25 fr. le cent.</td> +<td align="right">100</td> +<td> </td> +<td align="right"> 00</td> +<td> </td></tr> + +<tr><td>L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre.</td> +<td align="right">8 </td> +<td> </td> +<td align="right"> 28</td> +<td> </td></tr> + +<tr><td>Le transport et la pose.</td><td align="right">5</td><td> </td> +<td align="right">00</td><td> </td></tr> + +<tr><td>Total.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">129 </td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">f. </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;">84</td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:3px double black;"> c.</td></tr> +</table> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> + +<tr><td colspan="2" align="center"><i>Sculptures d'ornements.</i></td></tr> + +<tr><td>Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60 +de long. </td><td align="right"> 60</td><td>f.</td><td align="right">00</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td>Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c. +de longueur. </td><td align="right"> 80 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> + +<tr><td>Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c. +chaque, valent</td> <td align="right"> 200 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> + +<tr><td align="center">Transport. </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;"> 340</td><td +style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">00 </td><td +style="border-top:1px solid black;">c.</td></tr> + +<tr><td>Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c. +0,25 de haut </td><td align="right"> 300 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> +<tr><td>Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la +croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. </td><td align="right"> 120 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> +<tr><td>Pour l'établissement des modèles </td><td align="right"> 210 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> + +<tr><td align="right">Total </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;"> 970</td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">00 </td><td>c.</td></tr> + +<tr><td> </td></tr> +<tr><td colspan="2" align="center"><i>Statuaire et bronzes.</i></td></tr> + +<tr><td>Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé +de l'Épée et de deux jeunes muets </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;"> 5,168</td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">11</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td align="right">Total </td><td align="right"> 5,168</td><td>f.</td><td align="right">11</td><td>c.</td></tr> +<tr><td> </td></tr> + +<tr><td colspan="2" align="center"><i>Résumé général.</i></td></tr> + +<tr><td>Maçonnerie </td><td align="right"> 382</td><td>f.</td><td align="right">05 </td><td>c.</td></tr> +<tr><td>Marbrerie </td><td align="right"> 129 </td><td> </td><td align="right"> 84</td><td> </td></tr> +<tr><td>Sculpture d'ornements </td><td align="right"> 970 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> +<tr><td>Statuaire et bronze </td><td align="right"> 5,168 </td><td> </td><td align="right"> 11</td><td> </td></tr> + +<tr><td align="right">Total </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;"> 6,650</td><td +style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black;">00</td><td> c.</td></tr> + +<tr><td>Honoraires de l'architecte et frais de direction ... </td><td align="right"> 350 </td><td> </td><td align="right"> 00</td><td> </td></tr> + +<tr><td align="right">Total général. </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;"> 7,000</td><td +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">00 </td><td>c.</td></tr> +</table> + +<p>Le présent devis dressé par l'architecte soussigné.</p> + +<p><span style="margin-left: 2em;">Paris, 1<sup>er</sup> mai 1840.</span></p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Signé:</td><td align="left">L<small>ASSUS,</small> architecte;</td></tr> +<tr><td align="left"> </td><td align="left">A<small>UGUSTE</small> P<small>RÉAULT,</small> statuaire;</td></tr> +<tr><td align="left"> </td><td align="left">B<small>ERNARD</small>, marbrier;</td></tr> +<tr><td align="left"> </td><td align="left">F<small>RÉMY,</small> maçon;</td></tr> +<tr><td align="left"> </td><td align="left">P<small>YANET,</small> sculpteur ornemaniste.</td></tr> +</table> + +<p><a name="page_381" id="page_381"></a></p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Les soussignés:</span><br /> +</p> + +<p>1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº +2;</p> + +<p>2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place +Furstemberg, nº 9;</p> + +<p>3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue +Vanneau, nº 12;</p> + +<p>4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue +d'Enfer, nº 100;</p> + +<p>Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue +Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet +adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de +l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet +architecte, lequel devis s'élève:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de </td><td align="right">5,168</td><td align="right">f.</td><td align="right">11</td><td align="right">c.</td></tr> +<tr><td align="left">2º Pour la sculpture d'ornements, à</td><td align="right">970</td><td align="right"> </td><td align="right">00</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="left">3º Pour la maçonnerie, à..</td><td align="right">382</td><td align="right"> </td><td align="right">05</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="left">4º Pour la marbrerie, à</td><td align="right">129</td><td align="right"> </td><td align="right">84</td><td align="right"> </td></tr> +<tr><td align="center">Total général </td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">6,650</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">00</td><td align="right" +style="border-top:1px solid black; +border-bottom:double 4px black;">c.</td></tr> +</table> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="nind">s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire, +bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui +le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la +commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et +sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces +travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un +mémoire, qui sera vérifié et réglé.</p> + +<p>Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les +travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et +devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux +travaux que l'on pourrait juger convenable<a name="page_382" id="page_382"></a> de faire dans la chapelle où +l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter +la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux +projets et devis.</p> + +<p>La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera +déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre +restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le +président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Paris, le 1<sup>er</sup> mai 1840.</span><br /> +</p> + +<p> +<span style="margin-left: 3em;">Signé: <i>Lassus</i>, architecte; <i>Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet</i>.</span><br /> +</p> + +<p>Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à +élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr., +total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la +commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et +bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le +Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter +les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission +de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne +serait pas atteint.</p> + +<p> +<span style="margin-left: 2em;">Paris, le 1<sup>er</sup> mai 1840.</span><br /> +</p> + +<p><span style="margin-left: 3em;">Signé: <i>Auguste Préault</i>.</span></p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="cb">(<a name="R" id="R"></a>R) <i>Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de +Versailles.—Séance du 14 novembre 1839.</i></p> + +<p>Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la +reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est +parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent +l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait +pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet +apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de +lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal +en<a name="page_383" id="page_383"></a> donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des +Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à +toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui +décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la +galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont +pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les +services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils +ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont +adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce +magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande +votre sanction.</p> + +<p>Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos +concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner.</p> + +<p>Cette sanction est accordée à l'unanimité.</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p class="cb">(<a name="S" id="S"></a>S) COMMISSION POUR LE MONUMENT<br /><br /> +A ÉLEVER<br /><br /> +A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br /><br /> +<small>DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE.</small><br /><br /> +————<br /><br /> +Souscription. — Prospectus</p> + +<p>Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste +orgueil, au nombre de ses enfants est <i>l'abbé de l'Épée</i>, qui, animé par +la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel, +donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là, les +mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres +hommes.</p> + +<p>Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la +mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir +pour ses compatriotes.</p> + +<p>Un artiste distingué, M. M<small>ICHAUT</small> (des Monnaies), en a formulé la pensée +dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et +apprécié son œuvre; ils ont élu<a name="page_384" id="page_384"></a> une commission chargée d'en +surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en +assurer le succès.</p> + +<p>Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le +souvenir de <i>l'abbé de l'Épée</i>, représentera ce grand homme au moment où +il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel, +expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a +inspirée.</p> + +<p>Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans +la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis +par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement +désirer l'exécution en grand de cette œuvre d'art, si noblement +conçue.</p> + +<p>M. M<small>ICHAUT</small>, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite +de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher +un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense.</p> + +<p>La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son +projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les +admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services +rendus par <i>l'abbé de l'Épée</i>, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y +répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais +encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette +bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au +génie, que de payer la dette de la reconnaissance.</p> + +<p>La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs, +multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a +décidé que:</p> + +<p>1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 ½ millimètres (30 +lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme +de vingt francs;</p> + +<p>2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en +argent, en préviendraient la commission;</p> + +<p>3º La commission publierait successivement la liste des +souscripteurs.—Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la +statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi.<a name="page_385" id="page_385"></a></p> + +<p>En conséquence, une souscription est ouverte:</p> + +<p>Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand, +à Versailles;</p> + +<p>Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon, +Guénin, Schneider, Tourain, à Paris;</p> + +<p>Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires +de chaque arrondissement;</p> + +<p>A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et C<sup>e</sup>., banquiers +à Paris.</p> + +<p>Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission +soussignés:</p> + +<p><i>Président</i>, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et +ancien maire de Versailles;—<i>Vice-Président</i>, M. l'abbé Caron, ancien +professeur de l'Université;—<i>Secrétaire</i>, M. E. Baudard de +Sainte-James;—<i>Vice-secrétaire</i>, M. Besnard, notaire, membre du Conseil +municipal;—<i>Trésorier</i>, M. Gauguin, receveur municipal;—<i>Membres</i>, MM. +Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles; +vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien +député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps, +vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin +de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal; +Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur +de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier, +peintre paysagiste.<a name="page_386" id="page_386"></a></p> + +<p class="c"><br /> +IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE<br /> +LA SOCIÉTÉ.</p> + +<p>Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance +de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre +plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui +figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner +une copie exacte à nos lecteurs:</p> + +<p> +<br /> +</p> + +<p>«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des +Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver +à Chartres.</p> + +<p>»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan, +sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand +étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre +mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été +extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il +lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit +entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre +mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les +paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans +les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le +silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore +qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur +son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur +l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas +avoir poussé ses pensées jusque-là; quoiqu'il fût né de parents +catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se +mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit +jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les +autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était +que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement +animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées +qu'il recevoit<a name="page_387" id="page_387"></a> par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de +ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas +qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du +commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense +qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs; +le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce +réciproque. (<i>Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag. +18</i>.)</p> + +<p class="r">L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>»</p> + +<p><a name="page_388" id="page_388"></a></p> + +<p><a name="page_389" id="page_389"></a></p> + +<h3><a name="SOUSCRIPTION" id="SOUSCRIPTION"></a>SOUSCRIPTION<br /><br /> +<small>AU</small><br /><br /> +MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</h3> + +<p><a name="page_390" id="page_390"></a></p> + +<p><a name="page_391" id="page_391"></a></p> + +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><th colspan="2" align="center">(<a name="T" id="T"></a>T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,</th></tr> +<tr><td> </td><td>Le roi L<small>OUIS</small>-P<small>HILIPPE</small></td><td align="right" valign="bottom">300</td><td>fr.</td><td> </td></tr> +<tr valign="top"><td rowspan="345">MM.</td><td colspan="1">Aubernon, pair de France, préfet de Seine-et-Oise,<br /> + président d'honneur de la commission du monument</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de idem</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'abbé Caron, vice-président de idem</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Rémilly, député et maire, membre de idem</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Taphinon, conseiller de préfecture, idem</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lebrun, directeur de l'école normale, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Boisselier, peintre paysagiste, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Battaille, docteur en médecine, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Marquis de Sémonville, idem</td><td align="right" valign="bottom">500 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de Versailles, idem</td><td align="right" valign="bottom">200 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> + +<tr><td>Grégoire, id. .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr> + +<tr><td>Foucque, id. id.</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom"> 50</td></tr> +<tr><td>Dubois, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Lefébure, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_392" id="page_392"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris</td><td align="right" valign="bottom">20</td></tr> +<tr><td>Ed. Morel, professeur de .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Sellier, chef d'atelier, à .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Desportes, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Jourdain, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Girault, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Léon Vaisse, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr> +<tr><td>Lecoq, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Lenoir, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Langlois, chef d'atelier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Allibert, aspirant, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Barbier, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Morel, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> F. Auber, répétitrice, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> E. Ferment, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Roger, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Legay, aspirante, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Alleton, monitrice, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Meunier, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">3</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td>M<sup>me</sup> Nysten, maltresse d'étude, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>M<sup>lle</sup> Wiser, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>M<sup>me</sup> Lafargue, maîtresse de dessin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Leforestier, aumônier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Menière, médecin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Taupier, maître d'écriture, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">28</td><td align="right" valign="bottom">90 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution des sourds-muets de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Mamès Dourgnon, son cocher,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Allonor, serrurier, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Alavoine, horloger, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Aucher, chapelier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom">50<a name="page_393" id="page_393"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Audibert, cordonnier, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">8</td></tr> +<tr><td>Bejat, nacrier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Bloïn, fondeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Bouly, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Breüer, serrurier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Brejillon .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Chabot, orfèvre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Choquet, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Contremoulin, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td>Crispaille, brossier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Daudin, fondeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Delarue, manufacturier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Delille, maçon, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Deruez, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Deschenes, rentier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Dorel, relieur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Doumic, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Dubois, de l'île de Ré, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Ducornoy, ébéniste, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Dumont, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Emeux, bottier, .id</td><td align="right" valign="bottom">15 </td></tr> +<tr><td>Fèvre, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Franclet, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Fontaine .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Filleron, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Frédéric, grainier, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Galbois .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Gamble, graveur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Gevold .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td>Gonet, bijoutier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Gouttebarge, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Graize, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Guillaume, orfèvre, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Barielle, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Hennequin, dessinateur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Joulin, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Jumentier, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Knecht, sellier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Lavaud, marinier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Legras, fleuriste, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom"> 50<a name="page_394" id="page_394"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Levert, ciseleur, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">3</td></tr> +<tr><td>Levite, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Lhuillier, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td>Mairet, sellier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Maloisel, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Mauviel, libraire, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Metais, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Michel, pâtissier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Michel, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Mondlange, graveur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Mullot, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Nicolas, souffletier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Nogaret, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>De Nogent, propriétaire, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Nonnen, rentier, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Page, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Pagez, dessinateur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Pasly, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td>Pollet, nacrier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Quentin, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Quinsard, cordonnier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Richard, ébéniste, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Richard, serrurier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Robert .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Roche, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Romain, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Romanet (le comte de), .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td>Romiguière, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Savaton, cordonnier, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Trovalet, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Verlet, papetier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Vincent, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Wallon, mosaïcien, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Brocheton (le docteur),</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Boyd, de Ceylan</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Boyd Dundas</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Fasman, artiste peintre, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Fessard, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lenud (le colonel)</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Loz de Beaucours</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Noble (le docteur) père</td><td align="right" valign="bottom">10<a name="page_395" id="page_395"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">30</td></tr> +<tr><td colspan="1">Petit, architecte de la ville de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Savouré</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Veytard, ancien capitaine, de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Ed. Tassin de Villiers,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'Évêque de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Chabin, entrepreneur de pavage,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Binart, entrepreneur de menuiserie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Decret, garde du génie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Michel, colonel de la garde nationale de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Denis fils, entrepreneur de serrurerie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Tîssot, entrepreneur de maçonnerie,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Cormué fils, entrepreneur de peinture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lambert-Baudry, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bardet, entrepreneur de couverture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Membré, chef d'institution, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Francolin aîné</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Angouillant, entrepreneur de maçonnerie,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">80 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Rendu, conseiller de l'Université,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Wartel, artiste de l'Opéra,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Odout</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Périchot, conseiller municipal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Reboul Berville</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lebeau, entrepreneur de peinture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bourgeois, marchand tapissier,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Mathieu (le colonel)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Paumier</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Delorme</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bléry</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Dupont (le chevalier)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Christophe (le général)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Louvet</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Mazuel</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lemazurier (le docteur)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lebert</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Valery, bibliothécaire du château de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>e</sup> Haussmann</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Vollot</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_396" id="page_396"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">D'Hastrel (le général)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lemoine, notaire,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Marchand, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Gady, ancien juge,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Saint-Cyr</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un officier de la garde nationale de Versailles..</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un clerc de notaire</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> de Breuilly</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M. Gr<sup>***</sup></td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Legendre</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Guillemot</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un petit clerc</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Boullé</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Guillemot</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Ledoux-Leroy</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Croiset, receveur de l'hospice de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lepoitevin, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Hamouy, coiffeur,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Théry, propriétaire</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Morel, marchand tapissier,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Horeau, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>lle</sup> Giraud-Chaudra</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bailly de Villeneuve</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Haley (de Londres)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Morel jeune</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Berthod, professeur au collège royal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Merlin (le général baron)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">21 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td>Devouges, inspecteur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Levieil, contrôleur principal, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>De Poiféré, contrôleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Dubois, .id .id id. à Meulan,</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_397" id="page_397"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes,</td><td align="right" valign="bottom">5</td></tr> +<tr><td>Salerne, .id .id id.</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Michelin, .id .id à Pontoise,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Soulas, .id .id à Gonesse,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Delahaytrée, .id .id à Luzarches,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Fechez, .id .id à Corbeil,</td><td align="right" valign="bottom">8 </td></tr> +<tr><td>Dubois, .id .id id.</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Odoard, .id .id à Etampes,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Crosse, .id .id à Rambouillet,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Thomas, .id .id à Dourdan,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Dahirel, surnuméraire, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td>Tellot, aspirant .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Doudeauville (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Praslin (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Bastard (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Camille Perrier</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Guéneau de Mussy</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Gérando (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Rendu (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">La société archéologique de Rambouillet</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">La société d'Agriculture de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'archevêque de Bourges</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le Chapitre métropolitain de Bourges</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Coster, ingénieur en chef, au Puy,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bouchitté, professeur,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le curé de Saint-Louis, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">M<sup>lle</sup> Laloua, peintre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> + +<tr><td colspan="1">M. Gringoire</td></tr> + +<tr><td colspan="1">Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles</td></tr> + +<tr><td colspan="1">Barthe, chef d'institution, à Versailles</td></tr> + +<tr><td colspan="1">Huvé, ancien notaire</td></tr> + +<tr><td colspan="1">Corneille, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">0 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Boulanger, marchand papetier,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lenoble, notaire à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Les clercs de son étude</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Gerdolle</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Pesse-Remont</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Nourtier, juge de paix,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Larochefoucauld (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20<a name="page_398" id="page_398"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">284</td><td align="right" valign="bottom"> 75</td></tr> +<tr><td colspan="1">Blanc, aumônier de l'École normale</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Anquetil, professeur de .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Peyré, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Philippar, id. .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Deschamps, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Aubry, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Vitry, médecin,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Auger, instituteur,</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Stoos, idem</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Les élèves maîtres</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr> +<tr><td colspan="1">La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Collet, vicaire de Notre-Dame,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Morand</td><td align="right" valign="bottom">19</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">H. de B.</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le Bourgeois, notaire au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Anry, courtier de commerce, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lacour, avoué, au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td>Pipereau, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Mme Borel</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'évêque de Dijon</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Droz, de l'Académie française,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'évêque de Saint-Brieux</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le marquis Théodore Duprat</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">La chambre de commerce de Marseille</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le ministère de l'ºintérieur</td><td align="right" valign="bottom">3000 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Tavernier, négociant, à Paris,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Delapalme, notaire, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un anonyme</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Genain, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Bazin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td>Queilhe, .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr> +<tr><td>Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td>Boulard, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 <a name="page_399" id="page_399"></a></td></tr> +<tr><td colspan="1">Gers, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">20</td></tr> +<tr><td>Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Portal, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Chalumeau, .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr> +<tr><td colspan="1">De Duras (la duchesse)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Pelmer</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Bruère</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un anonyme</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Institut des sourds-muets de Zurich.</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Duhamel, juge suppléant, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des sourds-muets de Paris</td><td align="right" valign="bottom">66 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Steinnhouwer</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Oudet, juge de paix,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Aubertin</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le baron Dennée, intendant militaire,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td colspan="1">L'abbé Van den Hecke</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Griolet (Ernest), sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Imbert (Jules), .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom"> 50 </td></tr> +<tr><td>Loustau, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Levassor, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td>Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Verrier (Gustave), .id</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td>Laroucault, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Dumont (Félix), .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr> +<tr><td>Chalumeau, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Badolle, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets de Bordeaux</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Haacke, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Damien, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td>Greux, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr> +<tr><td>Convert, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Fouret, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Sainton, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Saverot, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td>Laurent (Edmond), à Blois, .id</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +<tr><td>Trézel, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr> +<tr><td>Bézu, peintre .id</td><td align="right" valign="bottom">2<a name="page_400" id="page_400"></a> </td></tr> +<tr><td colspan="1">Letellier, négociant</td><td align="right" valign="bottom">3</td></tr> +<tr><td colspan="1">F. de Jouvencel, maître des requêtes et député,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Néglet, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le baron de Stassart, sénateur belge</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr> +<tr><td colspan="1">Le comte d'Epinay Saint-Luc</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr> +</table> + +<p class="cb">FIN DES NOTES.</p> + +<p><a name="page_401" id="page_401"></a></p> + +<h3><a name="TABLE_DES_CHAPITRES" id="TABLE_DES_CHAPITRES"></a>TABLE DES CHAPITRES.</h3> + +<table border="0" cellpadding="4" cellspacing="0" summary="contents" +style="margin:4% 15% 4% 15%;"> + +<tr><td>Chapitre <a href="#I">I</a></td><td align="right"><a href="#page_007">7</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.—Abandon général. +—Quelques efforts tentés en leur faveur.—Ils échouent, faute +d'ensemble.—Naissance de l'abbé de l'Épée.—Sa vocation pour +l'état ecclésiastique.—Le formulaire d'Alexandre VII.—Il refuse +de le signer.—Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du +diaconat.—Il devient avocat et prête serment le même jour que +M. de Maupeou.—Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin +du sacerdoce.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#II">II</a></td><td align="right"><a href="#page_014">14</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.—Sa tolérance.—Ses rapports +avec le protestant Ulrich.—Ses vœux en faveur des juifs.—Son +abnégation, son humilité.—Ses relations avec un évêque janséniste, +qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle <b>Unigenitus</b>—On lui interdit le ministère de la parole et celui de la confession. +—On lui refuse les cendres.—Sa réponse à un prêtre intolérant. +—Vengeance sublime.—Commencement de son apostolat.<a name="page_402" id="page_402"></a></td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#III">III</a></td><td align="right"><a href="#page_020">20</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Deux sœurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine +chrétienne.—La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé +de l'Épée se résout à continuer son œuvre.—Théorie du langage +des gestes.—Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.—Ses premières tentatives.—Objections des philosophes et +des théologiens.—Réponses victorieuses à ces objections.—Important +avis du R. P. Lacordaire.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#IV">IV</a></td><td align="right"><a href="#page_028">28</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les +hommes de sa spécialité.—Publication de ses divers travaux sous +le voile de l'anonyme.—Succès de ses séances publiques.—Intérêt +que lui portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.—Sa +réputation grandit avec son zèle.—Exercices en français, en latin, +en italien, en espagnol, en anglais.—Quelques taches éparses dans +l'ensemble de son système.—Puériles décompositions grecques et +latines.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#V">V</a></td><td align="right"><a href="#page_035">35</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des +idées métaphysiques?—Divers essais infructueusement tentés pour +arriver à une écriture universelle.—Descartes et Leibnitz ne croient +pas à la possibilité d'un succès.—M. de Lamennais est d'un avis +contraire.—La fusion de toutes les langues en une seule, si elle +était possible, serait-elle durable?—La mimique est la seule langue +universelle.—Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste +et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.—Sa <small>MIMOGRAPHIE</small>.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#VI">VI</a></td><td align="right"><a href="#page_040">40</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.—A quel hasard en est +due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de l'Épée.— +Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin sur +cette spécialité.—Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.—Quelques +ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.—Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. +—Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, +un juif portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement +notre célèbre instituteur.<a name="page_403" id="page_403"></a></td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#VII">VII</a></td><td align="right"><a href="#page_045">45</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte +à 1620.—Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet +manuel à deux mains, pareil à celui de nos collèges.—Plusieurs +instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.—Difficulté pour +les commencements.—Notre dactylologie se popularise en France. +—Ses avantages.—Quelques-unes de ses règles.—Son utilité +pour les parlants.—Son usage dans les ténèbres.—Elle est inférieure +à la mimique.—Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. +—Justification du célèbre instituteur par lui-même.—Exposé de sa +méthode.—Attaque du sourd-muet Saboureux de Fontenay.—L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement avec Pereire +et d'adopter même son système, s'il est déclaré supérieur au sien.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#VIII">VIII</a></td><td align="right"><a href="#page_054">54</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en +Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en +Italie.—Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, +de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de +Pedro de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de +Pedro de Castro, de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder, +de Degby, de Gregory, de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de +Conrad Amman, de Kerger, de Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, +de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de Jacob Rodrigues Pereire. +—Succès brillants des deux derniers à l'Académie des sciences de +Paris.—Pension de Louis XV au second.—Il le nomme son interprète +pour les langues espagnole et portugaise.—Sa tolérance +religieuse.—Secret absolu recommandé à ses élèves.—Il offre +de vendre sa méthode au gouvernement.—Lettre de la sourde-muette +M<sup>lle</sup> Marois.—Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#IX">IX</a></td><td align="right"><a href="#page_065">65</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Avènement de l'abbé de l'Épée.—Rivalité de l'abbé Deschamps.—Son cours élémentaire.—Il est combattu par le sourd-muet Desloges, +ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, +domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.—L'abbé +de l'Épée devient le confesseur de ses enfants d'adoption.— +L'empereur Joseph II lui sert la messe.—Il amène dans son +établissement sa sœur la reine Marie-Antoinette et lui adresse un +prêtre allemand, en le priant de le mettre à même de populariser<a name="page_404" id="page_404"></a> +sa méthode dans ses États.—Lettre de ce prince à l'abbé de +l'Épée.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#X">X</a></td><td align="right"><a href="#page_070">70</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.—L'abbé de +l'Épée intervient.—Il en appelle aux académies de Vienne, +d'Upsal, de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.—Abstention +générale, à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce +en sa faveur.—Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.— +Nouvelle victoire de l'abbé de l'Épée.—Condillac se prononce pour +lui.—Extension trop grande donnée à la parole artificielle du +sourd-muet.—Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XI">XI</a></td><td align="right"><a href="#page_075">75</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.—Sa soutane usée.—Presque +octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver +rigoureux.—Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet +Léopold Loustau.—Il refuse un évêché en France et une +abbaye en Allemagne.—Belles réponses à Joseph II et à Catherine +de Russie.—Paroles mémorables.—Il ne demande qu'à instruire +des sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de +tous les pays.—Son désintéressement, ses sacrifices.—Louis XVI +redoute d'abord son jansénisme.—Plus tard, il accepte le patronage +de son école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des +Célestins et lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.—La +mort ne permet pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés +dans ce nouveau local.—Statistique des pensions de sourds-muets +et de sourdes-muettes, existant à cette époque à Paris.—Son +école à un second étage de la rue des Moulins.—Sa maison de +campagne à loyer, rue des Martyrs.—Scènes attendrissantes.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XII">XII</a></td><td align="right"><a href="#page_085">85</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Episode du jeune comte de Solar.—Un sourd-muet, de douze à +treize ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, +puis à l'Hôtel-Dieu de Paris.—Quelques souvenirs +confus.—Enlèvement et abandon.—Appartient-il à une famille +riche?—Note envoyée à toutes les maréchaussées de France.—Étrange visite à l'Hôtel-Dieu—Le sourd-muet en est retiré +et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.—Une confusion +de personnes.—Nom de Joseph substitué à celui de<a name="page_405" id="page_405"></a> +Louis Leduc.—Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.—Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse. +—Un trait de lumière.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XIII">XIII</a></td><td align="right"><a href="#page_092">92</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la +Providence—Menaces dont il est l'objet.—L'autorité le +protège.—Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. +—Voyage du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont, +en Beauvoisis, sa ville natale.—Nouvelles reconnaissances. +—Joseph se rappelle une cicatrice de son père.—Il est reconnu +par son grand-père, mais sa sœur hésite d'abord. +—Une démarche auprès du duc de Penthièvre—Elle réussit. +—Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar. +—Le paiement en est bientôt suspendu.—Pourquoi.—Curieuse +lettre de l'abbé de l'Épée.—Le premier semestre de la +pension est payé.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XIV">XIV</a></td><td align="right"><a href="#page_101">101</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé +la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté +à Toulouse et amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains. +—Ses moyens de défense.—Il demande à être transféré, avec +le sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut +devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.—Cette requête est +jointe au fonds; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que +le transfert de l'enfant et de sa sœur sur les lieux.—Enfin, une +sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar, +reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.—Commentaire +des juges.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XV">XV</a></td><td align="right"><a href="#page_108">108</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Lettre de l'abbé de l'Épée à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, défenseur de +Cazeaux.—Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité +de Joseph et du comte de Solar.—Particularités remarquables. +—Détails peu édifiants sur la mère du sourd-muet.—Réponse +de M<sup>e</sup> Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.—Extrait mortuaire +constatant, à son avis, le décès.—L'illustre avocat +modifie, plus tard, son opinion.—Ses aveux à M. Bouilly, auteur<a name="page_406" id="page_406"></a> +du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—Confirmation de la sentence +du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre, +un supplément d'enquête et d'instruction.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XVI">XVI</a></td><td align="right"><a href="#page_116">116</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Foi robuste de l'abbé de l'Épée.—Ses occupations et ses infirmités +ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses +courses au midi de la France—Diverses personnes intéressées +dans l'affaire prennent la même direction.—Recherches longtemps +infructueuses.—Joseph ne se reconnaît nulle part, pas +même en présence de la tombe de son père.—On en exhume +une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a +arrachée à Joseph.—Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.—Parti qu'en tire le défenseur de Cazeaux.—Contradictions +palpables, graves accusations formulées contre le pupille de +l'abbé de l'Épée et contre les divers témoins qui déposent en sa +faveur.—Nouvelle sentence confirmative du Châtelet.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XVII">XVII</a></td><td align="right"><a href="#page_122">122</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de +l'Épée.—Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence. +—Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et +l'abbé de l'Épée.—Les parlements sont détruits par la révolution.— +Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu en +faveur du pauvre délaissé.—Sans appui, sans famille, sans +ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine +et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon d'autres, +dans un hôpital.—Son interprète, le sourd-muet Didier, +suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XVIII">XVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_132">132</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Coup d'œil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.—Est-ce une +aventure réelle on un roman historique?—Bonne foi, conviction +de l'abbé de l'Épée.—Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur +à Cazeaux.—Un dilemme pour en finir.—M. Fournier des +Ormes voit dans cette aventure une mystification.—Suivant lui, +le pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complètement +sourd.—Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.—La +pièce de Bouilly.—Première représentation.—Grand succès.— +Incident de la seconde.—L'abbé Sicard mis en liberté.<a name="page_407" id="page_407"></a></td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XIX">XIX</a></td><td align="right"><a href="#page_143">143</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly +par les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.—Félicitations +du premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du +drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—Souvenirs intéressants de M<sup>me</sup> Talma. +Deux traits de présence d'esprit de cette admirable actrice à deux +représentations de la pièce.—Tribut d'éloges de Monvel à son +élève.—Conclusions de M. Villenave.—Heureux résultats pour +les sourds-muets du succès du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XX">XX</a></td><td align="right"><a href="#page_151">151</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations +du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.—L'auteur accusé par la +presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur +de certaines personnes.—M. Bouilly se disculpe.—Il offre de +changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de C<small>O +MÉDIE HISTORIQUE.</small>—Mort de l'abbé de l'Épée.—Touchant spectacle +de ses derniers moments.—Tableau du sourd-muet Peyson.—Le +célèbre instituteur inhumé à Saint-Roch.—On se dispute son +image.—Sa répugnance à laisser reproduire ses traits, de son +vivant.—Le sculpteur sourd-muet de Seine.—La Commune de +Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets +privés de leur père.—Ce vœu est réalisé.—Oraison +funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.—Supplice +du panégyriste.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXI">XXI</a></td><td align="right"><a href="#page_159">159</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera inscrit +parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de +la patrie, et que son Institution sera subventionnée par l'État.—Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à l'ancien +couvent des Célestins.—La Convention fonde, dans chacune des +écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, +pour la première, à 80 et à 100.—La Convention avait eu, un instant, +le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, +une école normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux +agricoles.—Transfert de l'établissement de Paris dans le +local actuel, à l'ancien séminaire Saint-Magloire.—Les frais d'éducation +des sourds-muets rangés, en 1832, parmi les <i>dépenses facultatives</i> +des budgets départementaux.—M. de Gerando avait infructueusement +proposé que ce fût parmi les <i>dépenses obligatoires</i>.<a name="page_408" id="page_408"></a></td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXII">XXII</a></td><td align="right"><a href="#page_166">166</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Mode d'administration successif des Institutions nationales de sourds-muets +de Paris et de Bordeaux.—Projets divers ayant pour but de +généraliser en France cet enseignement spécial.—Sollicitations infructueuses +jusqu'à ce jour.—Pétition adressée en 1851, par la Société +centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en France +à l'Assemblée nationale législative.—Éloges de l'abbé de l'Épée par +MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de +Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets +de Madrid.—L'auteur des <small>TEMPLIERS</small>, M. Raynouard, de +l'Académie française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le +meilleur poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.—Nomenclature +complète des œuvres du célèbre instituteur.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXIII">XXIII</a></td><td align="right"><a href="#page_172">172</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.—Le plomb des cercueils +fondu en balles sur les autels.—Mission que l'auteur s'était +imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.—Lettre aux +journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au +Musée historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni +dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur, +l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable +abandon.—Demande de renseignements au curé de Saint-Roch +sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.—Comment on découvre que ses restes reposent dans le caveau de la +chapelle Saint-Nicolas—L'auteur y descend avec le sourd-muet +Forestier et le docteur Doumic.—Spectacle déchirant!—Souscription +ouverte dans les journaux pour élever un monument aux +cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux inscriptions +en français sur la maison où il est né et sur celle qui fut le berceau +de son enseignement.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXIV">XXIV</a></td><td align="right"><a href="#page_185">185</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à +élever un monument à l'abbé de l'Épée.—M. Dupin aîné en accepte +la présidence; M. Villemain consent à en faire partie.—Elle se +compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville, +Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et +de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier et Lenoir.—Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président Séguier.—Première séance à l'hôtel de la présidence de la Chambre.—Remercîments<a name="page_409" id="page_409"></a> +des trois membres sourds-muets.—Projet de M. Victor +Lenoir, architecte du gouvernement.—Voies et moyens: représentations +à bénéfice, souscription de la famille royale.—Où s'élèvera +le monument?—On repousse la cour de l'Institution; on préfère +la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.—Organisation de la +souscription.—Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel +de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.— +MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater +l'identité des restes découverts ou à découvrir.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXV">XXV</a></td><td align="right"><a href="#page_195">195</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de +Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.—Découverte +de fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet +carré et d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports +avec le grand instituteur.—La pipe de terre.—Oubli ou profanation.—Noms +des premiers souscripteurs.—Appel éloquent à toutes +les âmes généreuses.—Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), +Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.—Appel aux +ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, +aux cours d'appel, etc.—Réponse de l'ambassadeur de Bavière.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXVI">XXVI</a></td><td align="right"><a href="#page_211">211</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la commission.—Préférence +acquise à celui de M. Préault.—Les ministres +invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.—Celui +de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour +3,000 fr.—Devis à forfait de M. Préault.—La commission l'accepte, +à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à +recevoir qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt +en février 1841.—Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès +des grands corps de l'État.—Appel à Louis-Philippe et à +sa famille.—On en ignore le résultat.—L'ancien curé de Saint-Roch, +devenu évêque d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le +jour de l'inauguration du monument.—On s'adresse à l'abbé +Cœur, qui ne peut, à cause de ses nombreux travaux, accepter cette +honorable mission.—Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXVII">XXVII</a></td><td align="right"><a href="#page_221">221</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">La Commission cesse de s'assembler.—M. Préault, presque abandonné +à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave +et Berthier, tient religieusement sa promesse.—Le monument est<a name="page_410" id="page_410"></a> +inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.—Description et éloge de cette œuvre remarquable.—Mais pourquoi +une inscription latine?—Sur 33,000 sourds-muets que renferme +la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le latin.—Hommage +des sourds-muets suédois.—Couronne de bronze due aussi +à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui orne la +façade de l'hôtel de ville de Paris.—Cruels sacrifices pécuniaires +de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui qu'il a +élevé au général Marceau sur une place de Chartres.—Un buste +du grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école +de Paris.—Séance d'inauguration.—Souscription ouverte pour +élever une statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, +sa ville natale.—L'Institution de Paris s'associe à cet +acte de reconnaissance.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXVIII">XXVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_229">229</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée, +avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif +de sa naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets +et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre +instituteur.—Empressement unanime de tous les convives. +—Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et +inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.—Transports +d'allégresse de tous les assistants.—Mon allocution.—Bienfaits +de la Société centrale des sourds-muets.—Projet de cours +publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXIX">XXIX</a></td><td align="right"><a href="#page_235">235</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur +ami Eugène Garay de Monglave.—Revue des célébrités de cette +nation exceptionnelle.—Professeurs, lauréats, jurisconsultes, +prosateurs et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, +inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits, +marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs, +mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, +marins et militaires.—Trait héroïque de dévouement et de courage +d'un sourd-muet de douze ans.—Le gouvernement lui décerne une +médaille.—Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen +d'assister è notre banquet.—Mon toast à M. Bouilly, et la réponse +de ce doyen de nos auteurs dramatiques.<a name="page_411" id="page_411"></a></td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXX">XXX</a></td><td align="right"><a href="#page_248">248</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une +statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles, +sa ville natale.—Communication officieuse du maire du chef-lieu +de Seine-et-Oise.—Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur +Bataille.—Sa lettre à un journal du département.—Nobles sentiments.—Modèle de la statue de notre illustre instituteur par +M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies.—Offres désintéressées.—Premier noyau de la commission de Versailles.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXI">XXXI</a></td><td align="right"><a href="#page_256">256</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Membres présents à la première réunion.—Formation du bureau définitif.—Comment on pourra activer les souscriptions.—Voies et +moyens.—Plusieurs projets.—Divers modes de publicité.—Le +maire de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.—La statue sera en bronze et de taille héroïque.—Divers +emplacements proposés.—Deux seuls paraissent convenables.—Autorisation à demander au conseil municipal.—Comité de trois +membres, chargé, sous le titre de jury de surveillance, de suivre +l'exécution des travaux.—Publication de la liste des souscripteurs +tous les deux mois.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXII">XXXII</a></td><td align="right"><a href="#page_262">262</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.— +M. le baron de Fresquienne élu à sa place.—Demande d'autorisation +au Ministre de l'instruction publique pour élever la statue +sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale.—Réponse favorable.—M. Michaut s'engage à ce que les frais de +la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à en +commencer le modèle en argile plastique.—M. l'architecte Petit +invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et +des grilles.—Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois +le vœu qu'on choisisse un emplacement plus convenable.—Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXIII">XXXIII</a></td><td align="right"><a href="#page_270">270</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation +complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de +l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y<a name="page_412" id="page_412"></a> +rattachent.—Réponses de la commission aux différentes questions +qui lui ont été soumises par M. le préfet.—Première pensée d'une +entrevue de quelques membres du conseil municipal de Versailles +avec quelques membres de la commission du monument, ayant +pour but d'essayer de lever en commun ces obstacles.—Délibération +favorable du conseil municipal en réponse aux objections +soulevées par M. le préfet.—Rédaction d'un prospectus à répandre +pour activer les souscriptions.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXIV">XXXIV</a></td><td align="right"><a href="#page_276">276</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Lettre d'envoi du prospectus.—Premières listes de souscriptions.—Empressement des évêques et du clergé.—Offrande de 300 francs +de la part du roi Louis-Philippe.—Les membres de la commission +invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. +—Le statuaire Michaut promet d'en profiter.—Souscriptions des +sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.—Projet d'exposition +du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des +sourds-muets de Paris.—Le préfet de Seine-et-Oise accepte les +fonctions de président d'honneur de la commission.—MM. Molé, +Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc de Luynes désignés +pour en être membres d'honneur.—Le Ministre de la guerre +regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande +pour la confection de la statue.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXV">XXXV</a></td><td align="right"><a href="#page_284">284</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des +sourds-muets de Paris.—Description. Éloge.—Visite du préfet de +Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués +du conseil municipal, de membres de la commission des +souscripteurs.—Mes impressions en présence de la statue.—Engagement du fondeur.—Adoption de la statue par le conseil +municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des rues +Royale et d'Anjou.—M. Michaut se soumet aux corrections indiquées. +—L'architecte de la ville mis à la disposition de l'œuvre. +—Nouveaux moyens à employer pour activer les souscriptions.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVI">XXXVI</a></td><td align="right"><a href="#page_298">298</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal +de la statue de l'abbé de l'Épée.—Examen du bronze destiné à +cette œuvre.—Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à +l'achèvement des travaux.—Le conseil municipal en vote 2,000.<a name="page_413" id="page_413"></a>—Projet +d'une plaque commémorative.—Inscription de la face +principale du monument.—Travaux du fondeur surveillés par le +statuaire.—Érection fixée au 3 septembre 1843.—Dernières dispositions. +—Programme de la fête.—Décision du conseil municipal.—Je +suis invité à adresser une allocution mimique aux +sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVII">XXXVII</a></td><td align="right"><a href="#page_310">310</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville +natale.—Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris +et d'Orléans.—Désintéressement du chemin de fer.—Absence +regrettable du clergé.—Nombreuse affluence de spectateurs.—Discours du préfet, au nom de la commission des souscripteurs. +Réponse du maire.—Notice sur la vie et les travaux de l'abbé +de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la commission +du monument.—Mon allocution mimique.—Salves d'artillerie. +—Absence du vénérable Paulmier.—Discours qu'il devait prononcer.</td></tr> + +<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVIII">XXXVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_322">322</a></td></tr> + +<tr><td colspan="2">Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue +de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du +sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.—Le conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, +et adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs +et au statuaire.—La commission sollicite en vain de M. le Ministre +de l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière subvention +pour solder ses comptes.—Relevé définitif des recettes et +dépenses.—Tribut de regret de la commission à quatre de ses +membres décédés.—Ses remercîments à M. le préfet Aubernon. +—Elle décerne une médaille au statuaire Michaut.—Désir des +souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les +journaux, afin de constater leur reconnaissance pour l'abbé de +l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des listes +générales.—Conclusion: sept vœux émis; trois encore à exaucer, +une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; +deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, +à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença +à enseigner, à Paris.</td></tr> + +<tr><td><a href="#NOTES">Notes</a></td><td align="right"><a href="#page_335">335</a></td></tr> +</table> + +<p><a name="page_414" id="page_414"></a></p> + +<div class="footnotes"><p class="cb"><a name="Notes_de_bas_de_page" id="Notes_de_bas_de_page"></a>Notes de bas de page:</p> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> <i>Résumé des travaux</i> de l'ex-Société centrale des +sourds-muets de 1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs +sourds-muets.—Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette +Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le +premier sourd seulement, le second sourd-muet.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient +mieux traités chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de +l'aptitude à une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer +l'un d'eux, nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Extrait de l'<i>Annuaire de l'Institut des sourds-muets et +des aveugles de Bruges</i>, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet +établissement.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> Voyez <a href="#A">la note A</a> à la fin du volume.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était +située sur le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon +et de l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Voyez <a href="#B">la note B</a>.</p></div> + +<div class="footnote"> +<p> +<a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a> +<a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a> +Voyez <a href="#C">la note C</a>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> Voyez <a href="#D">la note D</a>.—Copies authentiques de six pièces émanées +des anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture +de l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet, +secrétaire de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de +la Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à +Versailles.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> En 1743.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>La Revue ecclésiastique</i>, 33<sup>e</sup> livraison, février.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> Voyez <a href="#E">la note E</a>.—Observations d'un ecclésiastique aussi +tolérant qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des +sourds-muets d'Orléans.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études +de l'institution des sourds-muets de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages +de l'Amérique: +</p><p> +«La conversation devint bientôt générale, c'est-à-dire par quelques mots +entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que +ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M. +l'abbé *** en 1772 (<i>Institution des sourds-muets par la voie des signes +méthodiques</i>).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> <i>Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes +méthodiques</i>. 1<sup>re</sup> partie. Page 89.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> La <i>Polygraphie</i> ou <i>écriture universelle, cabalistique</i>, +de Trithème.—L'ouvrage de Comenius intitulé: <i>Janua linguarum reserta</i> +(1601).—Bécher de Spire (1661). <i>Character pro notitiâ linguarum +universale</i>.—John Wilkins, <i>an essay towards a real character and +philosophical</i>.—La <i>Pasigraphie</i>, ou écriture universelle, du chevalier +de Maimieux.—<i>L'anti-pasigraphie</i> de Vater.—<i>Manuel polyglote</i> de +Cambry, d'après le plan de Bécher.—<i>Essai pasigraphique</i> de Zacharie +Nather.—<i>Cours de Pasigraphie</i> de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de +Dilengen. +</p><p> +Ces citations sont extraites de l'<i>Investigateur</i>, journal de l'institut +historique. Tome IX, 172<sup>e</sup> livraison.—Mars 1849.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. +Contentons-nous donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés +en français: +</p><p> +<i>Essai sur l'articulation de la voix,</i> par Laurent de Blois, 1831. +</p><p> +—<i>La parole rendue aux sourds-muets,</i> par le même.—<i>Tableau des +éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à +l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,</i> par M. +Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy, +1838.—<i>Méthode de phonologie et de labéologie,</i> par le même, +idem.—<i>Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,</i> +par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris.—Brochure de M. +Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des +sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: <i>Quel rôle l'articulation et +la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des +sourds-muets?—La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de +l'oreille,</i> par J. B. Puybonnieux, professeur et +archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de +Paris, 1843.—<i>Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur +les facultés physiques, intellectuelles et morales,</i> par le même, 1846.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> Voyez à <a href="#F">la note F</a>. un <i>certificat délivré par l'abbé de +l'Épée à Mademoiselle Blouïn,</i> certificat publié par M. Piroux, +directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy dans son +intéressant journal mensuel: <i>l'Ami des Sourds-Muets.</i> (2<sup>e</sup> année, +1839-1840.)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure +portugaise, à 36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à +Berlango, dans l'Estramadure espagnole. On appelait alors +indifféremment, a-t-on remarqué à cet égard, <i>juifs portugais</i> ou +<i>nouveaux chrétiens</i> les premiers Israélites venus de la péninsule +hispanique et admis légalement en France par les ordonnances de Henri +II.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent <i>Manuel +d'enseignement pratique des sourds-muets</i>, que plusieurs institutions +d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y +traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon +cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop +fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur +le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les +premières leçons.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> Voyez à <a href="#G">la note G</a>:—1º ma lettre au directeur de +l'institution nationale des sourds-muets de Paris sur la <i>dactylologie </i> +de M. Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative +de cet établissement sur la <i>dactylographie</i> de M. Ch. Wilhorgne.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> <i>Institution des Sourds-Muets</i>, chap. 1, pag. 9-10.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé +l'éducation des deux sœurs sourdes-muettes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> Il a fait paraître un grand nombre de traductions +d'ouvrages anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des +lettres sur la dactylologie et un mémoire publié par le <i>Journal de +Physique</i>, en 1770.—Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, +parmi lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier +Desmortiers cite quelques écrits.—La <i>dactylologie</i> était l'instrument +favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables, +dit-on, de l'adoption de ce mot grec.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier +un travail méthodique ayant trait au langage doigté.—Il a pour titre +<i>Loquela digitorum</i>, art d'exprimer les nombres par la position des +doigts sur les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte +très-court et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du <i>Magasin +pittoresque</i> (16<sup>e</sup> année), et de 55 figures. Les 36 premières +expriment les nombres avec les doigts seulement et constituent ainsi ce +que l'on est convenu d'appeler la <i>dactylonomie</i>; les 19 autres, +relatives à la <i>Chiromamie</i>, empruntent leur signification aux diverses +positions des mains. +</p><p> +Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils +en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs +anciens, sacrés et profanes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> <i>Paralipomenn</i>, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection +de ses œuvres, page 462.—<i>De utilitate ex advertis capiendâ</i>, lib. +II, cap. 7, tome II de ses œuvres, pag. 73. +</p><p> +<i>De subtilitate</i>, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622).</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> <i>Extrait de la vie de saint François de Sales</i>, par +Marsollier. Paris, Dufour, 1826. Tome 1<sup>er</sup>, livre 5<sup>e</sup>, page 394.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand +j'ai écrit autre part qu'il était muet de naissance.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de +Montbret, homme fort instruit, membre sourd-muet de la Société +Asiatique, qui, en 1847, a, par son testament, légué non seulement sa +fortune, mais sa riche bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez <a href="#H">la note H</a> +où il est parlé de ce legs d'après les <i>Annales de l'éducation des +Sourds-Muets et des Aveugles</i>, publiées par M. Edouard Morel, 4<sup>e</sup> +année, 4<sup>e</sup> volume, 1847.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> J'ai lu dans l'<i>Illustration</i>, 3 novembre 1849, nº 349, +vol. XIV, que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était +bègue, eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce +dernier pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses +décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le +maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les +organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa +place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et +assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de +Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de +Carignan en ait mieux profité.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son +éloge de Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart, +faisaient un grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de +bibliophiles de Glascow, connue sous le nom de <i>club Maitland</i>, résolut +d'en faire, à Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement, +une nouvelle édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des +Sourds-Muets de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel, +alors son secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un, +malgré l'énormité du prix, 120 francs.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement +d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour +les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre +1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son +parrain.—Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un +maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de +notre grand orateur Berryer.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> Voir son <i>Dictionnaire de Musique</i>, art. <i>Chant</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> Voici le commencement de quelques vers de La Condamine, +qu'une considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le +tombeau de Pereire: +</p> +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">Pereire! ton génie et tes puissants secours</td></tr> +<tr><td align="left">Ont rendu la parole à des muets nés sourds!</td></tr> +<tr><td align="left">Des muets ont parlé!.......</td></tr> +</table> +<p> +Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux +questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A +quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité +de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée +pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître +Pereire.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> Voir l'<i>Encyclopédie</i> et ses <i>Lettres sur les +Sourds-Muets</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> Voir son <i>Traité des Sensations</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Voir sa <i>Dissertation sur la manière d'apprendre à parler +aux muets</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant +que je considère ici Pereire.—Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du +titre de membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le +cimetière des juifs portugais, à La Villette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, +quelques expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> Toutes les pièces furent fournies en latin de part et +d'autre.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau +qui représente saint Pierre guérissant un boiteux;—en 1840, le <i>Sermon +de Jésus-Christ sur la Montagne</i>, dont le ministre de l'intérieur a fait +l'acquisition;—en 1844, <i>Jésus enfant parmi les docteurs de la loi</i>, +tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et +pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;—en 1842, +<i>Jésus-Christ bénissant les petits enfants</i>, tableau commandé par le +ministre pour servir de pendant à ce dernier;—en 1845, l'<i>Apparition de +Saint-Nicolas devant Constantin le Grand</i>, tableau placé par ordre du +ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont +le saint est le patron;—en 1846, <i>Bonaparte quittant l'Égypte pour +venir sauver la France</i>. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes, +Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet. +Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour +de nouvelles commandes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou +8,000 fr.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> <i>Revue ecclésiastique</i>, 33<sup>e</sup> livraison, février.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> Voyez la note 1.(44)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> M<sup>lles</sup> Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Il était alors âgé de soixante-quatre ans.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> La date du 1<sup>er</sup> août n'a été connue de l'auteur de la +note que depuis les informations faites par ordre du ministère.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> Voyez à <a href="#J">la note J</a> la différence entre les mots +<i>sourd-et-muet</i> et <i>sourd-muet</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. +Moreau de Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, +avocat au Conseil, à qui elle était adressée. +</p><p> +Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du +public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection +d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des +savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les +plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin +qui ont brillé sur la scène du monde.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient +la nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île +Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur +du drame de <i>l'Abbé de l'Épée</i>, que l'instruction du procès, modifiant +son opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre +instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble +famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause, +dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus +douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait +pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible +de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après +l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas +que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa +liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine +Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné +ses écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en +question. +</p><p> +Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à +Clermont le 1<sup>er</sup> novembre 1762, et il marqua sur son registre la +sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et +jours suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi +par la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par +Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence +définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781. +</p><p> +C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout +récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à +ladite annulation, avaient été faites jusque-là, mais infructueusement, +dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de +première instance et aux archives nationales.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> Il n'est, selon le rapporteur, autre que +Pierre-Hyacinthe-Joseph, fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé +dans les Pays-Bas aux travaux des mines.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur +Joseph. Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui +qu'elle croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle +devait à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est +pour cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé +contre elle une demande en communication de l'inventaire fait après le +décès de la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver +ainsi à faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son +identité avec le comte de Solar.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Depuis lors, nous apprend le rapporteur par +<i>post-scriptum</i>, M<sup>e</sup> Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à +sa mort, de tous ses biens, pour le dédommager du tort involontaire que +sa compagnie lui avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000 +fr., et qui consistait principalement en une jolie maison, sise aux +environs de Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de +Solar.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Voici la distribution des rôles:</p> +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">L'<small>ABBÉ DE L'</small>É<small>PÉE</small></td><td align="left">Monvel.</td></tr> +<tr><td align="left">J<small>ULES</small></td><td align="left">Mad. Vanhove-Talma.</td></tr> +<tr><td align="left">D<small>ARLEMONT</small></td><td align="left">Grandménil.</td></tr> +<tr><td align="left">S<small>AINT</small>-A<small>LME</small></td><td align="left">Damas.</td></tr> +<tr><td align="left">F<small>RANVAL</small></td><td align="left">Baptiste aîné.</td></tr> +<tr><td align="left">D<small>OMINIQUE</small></td><td align="left">Dazincourt.</td></tr> +<tr><td align="left">M<small>AD.</small> F<small>RANVAL</small></td><td align="left">Mad. Suin.</td></tr> +<tr><td align="left">C<small>LÉMENCE, SŒUR DE</small> F<small>RANVAL</small> </td><td align="left">Mlle Mézerai.</td></tr> +<tr><td align="left">M<small>ARIANNE</small></td><td align="left">Mad. Lachassaigne.</td></tr> +</table> + +</div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22 +nivôse an VIII.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> Voyez à <a href="#K">la note K</a> un extrait de mon allocution au banquet +anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> Voyez à <a href="#L">la note L</a> la lettre de ce professeur, en date du +14 mai 1845.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte +le 24 décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle +occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son +rapport et son projet de décret sur l'organisation de six établissements +pour tous les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à +Rennes, à Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 +juin 1793 (vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire +de Seine, sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par +l'organe d'une citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, +et qu'il avait, en outre, fait don à la même assemblée de ceux de +Lepelletier et de Marat.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a> Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée +par l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à +l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin +d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces +malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école +de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M. +Champion de Cicé, archevêque de cette ville.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par +la sanction royale le 29 du même mois.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> L'article I<sup>er</sup> du décret des 10-14 septembre 1791 était +ainsi conçu: +</p><p> +«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé +au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de +la patrie.» +</p><p> +L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des +Célestins. +</p><p> +Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels +les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer +l'attention publique.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> Alphonse Esquiros.—Revue de Paris.—<i>Les sourds-muets de +Paris</i>. Novembre 1844.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord +de 60 à 80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées +aux sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> Voyez à <a href="#M">la note M</a> quelques détails sur l'origine du +bâtiment concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> Rennes.—Clermont.—Grenoble.—Nancy.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints +MM. E. Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, +et Hyde de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le +premier, un semblable vœu, lequel ne doit point surprendre quiconque +a été à même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et +bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de +Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> Entre autres, M<sup>lle</sup> Courtois; l'abbé Salvan, élève et +ami de l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution +des sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près +de Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait +désigné comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de +mes frères d'infortune.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et +de pension à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de +l'Académie de Châlons-sur-Marne.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> Voyez à <a href="#N">la note N</a> les vers composés à cette occasion sous +ce titre: <i>le Sourd-Muet</i>, par un de nos frères les plus distingués, +Pélissier, aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> Molière.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> Voyez à <a href="#O">la note O</a> la demande textuelle des mandataires +sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Voyez <a href="#P">la note P</a>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> Écrite en allemand.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> M. le comte de Montalivet.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> Voyez à <a href="#Q">la note Q</a> les pièces fournies à l'appui de la +proposition de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu +à cette dignité.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> Viro—admodum mirabili—sacerdoti de l'Épée—qui fecit +exemplo Salvatoris—mutos loqui—cives Galliæ—hoc—monumentum +dedicarunt—Natus 1712—Mortuus 1789.—Préault, 1840.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau +de Mussy, Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.—MM. +Feuillet, Droz, Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, +Burnouf, Sylvestre de Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de +perfectionnement.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des +sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les +professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A. +Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez, +Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que +cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel +les amis des sourds-muets seraient admis. +</p><p> +Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont +il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis +pour fêter les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se +trouvent chez le libraire Hachette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de +combler ces deux lacunes.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un +succès complet.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à +l'Exposition universelle de Londres.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution +nationale des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se +substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des +bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par +exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux, +sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités, +jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un +mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force +qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen +d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> La médaille porte cette inscription: +</p> + +<p class="cb"><small>MINISTÈRE DE LA MARINE.</small><br /> +<i>A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de</i> 12 <i>ans, sourd-muet.<br /> +Courage et dévouement pour sauver des enfants<br /> +en danger de se noyer.</i></p> + +<p>Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant +sourd-muet: +</p><p> +«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la +Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies +a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle +(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et +le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger +de périr dans les flots. +</p><p> +«Enregistré au secrétariat, au Havre.»</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut +royal des sourds-muets de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Voyez à <a href="#R">la note R</a> l'<i>extrait du registre des délibérations +du conseil municipal de Versailles.—Séance du</i> 14 <i>novembre</i> 1839.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Voyez le <i>prospectus</i> à <a href="#S">la note S</a>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être +évalué au-dessus de 24,000.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XII<sup>e</sup> arrondissement +de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Il m'avait été demandé par un membre de la commission +chargée de l'érection du monument.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets +de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire +évacuer les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde +population dans des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les +riverains, une occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur +donner ainsi un aspect plus régulier. On avait observé, quant à +l'emplacement sur la place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en +tout, 4 m 80 de hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, +pour qu'ils fussent en rapport, la statue et le piédestal réunis +devraient avoir 7 m de hauteur; par conséquent, occuper une superficie +de 17,30, au lieu de celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage +obligé. +</p><p> +L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri +de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en +passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus +sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de +l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (<i>Note de la commission de +Versailles.</i>) +</p><p> +J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait +d'une erreur historique. (<i>Note de l'Auteur.</i>)</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a +prétendu, par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? +Nous ne pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis +sa mort; et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous +séparent de cette époque.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> Voltaire.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> J.-J. Rousseau.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> Montesquieu.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> P<small>OÉSIES D'UN SOURD-MUET</small>, avec une introduction par M. +Laurent de Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Voyez <a href="#T">la note T</a>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> <i>Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de +l'oreille et de l'audition</i>.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B. +Puybonnieux, cité plus haut.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux +de Toulouse.</p></div> + +</div> +<hr class="full" /> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE *** + +***** This file should be named 36972-h.htm or 36972-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/6/9/7/36972/ + +Produced by Chuck Greif and the Online Distributed +Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net); +produced from images available at the Bibliothèque nationale +de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/36972-h/images/frontispiece.jpg b/36972-h/images/frontispiece.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..a5a4d52 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/frontispiece.jpg diff --git a/36972-h/images/frontispiece_sml.jpg b/36972-h/images/frontispiece_sml.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..bc7bdb0 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/frontispiece_sml.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_047.jpg b/36972-h/images/ill_047.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..4deb8d1 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_047.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_047_sml.jpg b/36972-h/images/ill_047_sml.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1111312 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_047_sml.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_223.jpg b/36972-h/images/ill_223.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..1ad8696 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_223.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_223_sml.jpg b/36972-h/images/ill_223_sml.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..ca4a8a5 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_223_sml.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_311.jpg b/36972-h/images/ill_311.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..7468f8c --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_311.jpg diff --git a/36972-h/images/ill_311_sml.jpg b/36972-h/images/ill_311_sml.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..9eb0c59 --- /dev/null +++ b/36972-h/images/ill_311_sml.jpg diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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