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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-14 20:06:56 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Abbé de l'Épée
+ sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès;
+
+Author: Ferdinand Berthier
+
+Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: UTF-8
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net);
+produced from images available at the Bibliothèque nationale
+de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr
+
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+
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+
+
+L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions,
+menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons,
+nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons,
+instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons,
+accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions,
+despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons,
+réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons,
+complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons,
+escrions, taisons: et quoy non?
+
+ MICHEL MONTAIGNE.
+
+Montmartre.--Impr. PILLOT FRÈRES, LANGRAND et Ce.
+
+[Illustration: L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.]
+
+L'ABBÉ
+DE L'ÉPÉE,
+SA VIE, SON APOSTOLAT,
+SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS;
+
+AVEC L'HISTORIQUE DES
+MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE
+=à Paris et à Versailles=;
+
+ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE,
+D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE,
+DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS,
+ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES;
+
+PAR
+
+FERDINAND BERTHIER,
+
+SOURD-MUET,
+
+Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,
+Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour
+les Sourds-Muets de France,
+Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc,
+
+His sunt additae orchestrarum loquacissimae
+manus, linguosi digiti, silentium clamosum,
+expositio tacita...... Ostendes homines posse et
+sine oris affatu suum velle declarare.
+
+CASSIODORE, lib. IV, cap. 51.
+
+PARIS,
+MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS,
+RUE VIVIENNE, 2 BIS.
+
+1852.
+
+
+
+
+PROLÉGOMÈNES.
+
+
+Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au
+faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets[1], dont
+le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe
+exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les
+sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui
+ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les
+liens qui unissent cette grande famille, d'offrir à chaque membre un
+point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur
+procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire
+dans le monde.
+
+La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets
+des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes
+habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages
+conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur
+assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et
+leurs relations, peuvent leur être utiles.
+
+L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque.
+Les cendres de l'abbé de l'Épée, le _père spirituel_ des pauvres
+sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de
+l'église Saint-Roch, à Paris.
+
+Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces
+restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se
+mettre à la tête de cette œuvre réparatrice, et qui formèrent le
+noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et
+d'en régulariser l'emploi!
+
+A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; _la
+mémoire du cœur_ ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets.
+
+La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné,
+alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la
+cour de cassation, _président_; Chapuys-Montlaville, député, maintenant
+préfet, _secrétaire_; Villemain, de l'académie française, qui fut, plus
+tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors
+procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de
+Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur
+des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé
+Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay
+de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert,
+artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la
+Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et
+vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de
+Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de
+Paris, qui était secrétaire de la Société centrale.
+
+A peine formée, la Commission, en émettant le vœu qu'un écrit fût
+consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la
+découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna,
+pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant
+peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme
+exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les
+souscriptions.
+
+Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale.
+
+M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent
+et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet
+opuscule les traits du saint Vincent de Paule de ce peuple
+exceptionnel.
+
+Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des
+sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire
+qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition
+des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de
+ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la
+Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion
+d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de
+la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice,
+et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix.
+
+Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de
+Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus
+spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en
+former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la
+Commission parisienne.
+
+La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne
+me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un
+exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de
+publication de l'œuvre au moyen du surplus du montant des
+souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par
+l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une
+démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité,
+établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette
+faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de la mienne
+rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent
+les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les
+fonds de cet établissement, c'est-à-dire des ouvrages appartenant aux
+sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer
+que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de
+l'intérieur ou celui de l'instruction publique.
+
+Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des
+beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de
+l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être
+le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses
+nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse.
+
+Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de
+Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de
+l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les
+rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus
+religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La
+Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne sœur de celle
+qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu
+dans le même but.
+
+Quant au succès matériel de mon œuvre, il ne repose plus maintenant
+tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand
+apôtre des sourds-muets.
+
+Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et
+moi sommes restés au-dessous, de notre tâche. Les membres de cette
+ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant
+eux, d'apporter à une œuvre de conscience plus de zèle et de
+désintéressement.
+
+Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur _père spirituel_, qui,
+s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des
+sourds-muets épars sur la surface du globe.
+
+Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir,
+non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui
+a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de
+vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des
+membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané,
+si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de
+ses plus illustres enfants.
+
+
+
+
+L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS.
+
+
+
+
+I
+
+ Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon
+ général.--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent
+ faute d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour
+ l'état ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse
+ de le signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions
+ du diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que
+ M. de Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du
+ sacerdoce.
+
+
+Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec
+vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques
+titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui
+mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la
+reconnaissance des peuples que celui du _père spirituel_ des
+sourds-muets, l'abbé de l'Épée.
+
+Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous
+ferons mieux, nous le prouverons.
+
+Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des
+sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le
+génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes
+victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un
+préjugé barbare. La foule indifférente[2] regardait d'un œil de
+dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler
+au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et
+dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser
+leurs fers.
+
+Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention,
+quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la
+manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple.
+
+Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille infirmité était
+considéré[3] dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un
+innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette
+opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme,
+où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur
+guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait
+opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce
+temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir
+soin des sourds-muets.
+
+Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et
+consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en
+leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur
+leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour
+ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute
+participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement
+l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à
+périr avec eux.
+
+Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets:
+_Et vous aussi, vous serez hommes!_ Avec quel étonnement le dix-huitième
+siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante
+barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a
+doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus
+belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas
+tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et
+le cœur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité
+humaine, ils ouvrent leurs cœurs aux consolantes vérités de la
+religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses
+devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au
+milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de
+l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche
+imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission
+du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du
+vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une
+profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne
+remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère,
+quelques droits à l'indulgence du public.
+
+Charles-Michel de l'Épée[4] naquit à Versailles, le 24 novembre 1712[5].
+Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme
+recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et
+dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer
+l'esprit et le cœur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus
+devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un
+devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents
+avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique,
+et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait
+leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait
+sa vocation.
+
+Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir
+les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors
+une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le
+_formulaire d'Alexandre VII_[6], espèce de déclaration d'orthodoxie
+moliniste. Le jeune de l'Épée refusa de le signer. Et pourtant il ne
+croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus
+respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les
+humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour
+toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé!
+
+Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le
+barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il
+subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de
+Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte,
+destiné à devenir un jour chancelier du royaume,
+Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou[7].
+
+Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du
+tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que
+là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc
+avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses vœux furent
+exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel
+auteur du _Discours sur l'Histoire universelle_, l'appela près de lui,
+l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de
+Fouges, le 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22
+septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le
+20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu
+suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui
+constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient
+dans la principauté de Dombes[8].
+
+
+
+
+II
+
+ Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports
+ avec le protestant Ulrich.--Ses vœux en faveur des juifs.--Son
+ abnégation, son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste
+ qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=.--On
+ lui interdit le ministère de la parole et celui de la
+ confession.--On lui refuse les cendres.--Sa réponse à un prêtre
+ intolérant.--Vengeance sublime.--Commencement de son apostolat.
+
+
+Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les
+luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible
+chaire de vérité. Son éloquence, partie du cœur, arrivait droit au
+cœur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes
+et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle
+produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il
+enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il
+réunissait en lui, au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce.
+On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre
+Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de
+l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux
+qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser
+échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray:
+«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!»
+
+Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la
+sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du
+fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison
+établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer
+ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la
+misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât
+une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné,
+répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de
+l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les
+privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce
+don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront
+de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le
+travail: je suis riche de vos bienfaits.»
+
+Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le
+vœu le plus ardent de son cœur était de voir les juifs sortir
+enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille
+chrétienne.
+
+Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel,
+afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur
+la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les
+âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu
+à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une
+seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et
+de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue
+et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont
+les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut,
+et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.»
+
+Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de
+Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste[9]. Il lui restait
+encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était
+rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le
+prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie de sentiments, lui
+attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de
+Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la
+bulle _Unigenitus_, dépositaire de son acte d'adhésion à cette
+déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et
+de pureté d'intention[10], et pourtant, contradiction remarquable dans
+un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu
+de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a
+défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu
+de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa
+candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons
+miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux
+diacre François Pâris.
+
+De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris.
+On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui
+défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu
+mettre sa vertu à une plus rude épreuve[11], se présentant un jour dans
+sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit
+repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais
+lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève
+et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit,
+m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but
+est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre
+conscience[12].
+
+Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta
+généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des
+tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte
+table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus
+grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait
+exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte
+que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et
+qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme
+généreuse de sa victime.
+
+Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par
+des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de
+gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait échoir la tâche d'achever
+la grande œuvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un
+vénérable prêtre de la doctrine chrétienne.
+
+
+
+
+III
+
+ Deux sœurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la
+ doctrine chrétienne.--La mort les ayant privées de leur
+ instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son
+ œuvre.--Théorie du langage des gestes.--Il ignore entièrement
+ les travaux de ses prédécesseurs.--Ses premières
+ tentatives.--Objections des philosophes et des
+ théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important
+ avis du R. P. Lacordaire.
+
+
+Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une
+affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la
+rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la
+doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on
+l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, sœurs
+jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En
+attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques
+paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune
+réponse! Il eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher
+d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce
+silence opiniâtre?
+
+Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable
+visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont
+sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R.
+P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de
+St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement
+leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand
+secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa
+vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder
+les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier.
+
+A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que
+le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par
+lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit
+entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel
+destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement
+convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe
+que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat
+entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident qui
+s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne
+se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde
+nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même
+les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la
+carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà
+saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira
+bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la
+mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les
+philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les
+pays[13]. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à
+l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du
+monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle
+vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De
+longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou
+plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre.
+
+En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les
+critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les
+premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de
+transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par
+cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre
+sans peine le vieil axiome: _Nihil est in intellectu quod prius non
+fuerit in sensu_ (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par
+nos sens).
+
+Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: _Fides
+ex auditu_ (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe.
+
+Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes
+que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons
+fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir
+des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque
+signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur
+fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits
+signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent.
+
+On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la
+métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage
+mimique est, observa-t-il avec ses yeux d'aigle, susceptible de
+traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les
+plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal
+de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la
+clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux
+lois immuables et éternelles de notre organisation physique.
+
+On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement
+résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte
+engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de
+Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre
+comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait,
+effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre.
+
+L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des
+théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La
+lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le
+docteur qu'il regarde[14] comme un des plus habiles commentateurs des
+Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans
+ces paroles de l'apôtre: _ex auditu_; car, s'il est vrai que le plus
+grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les
+vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont
+prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu
+beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture.
+Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les
+vérités saintes qu'ils renferment: _Ces choses ont été écrites_, dit
+l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), _afin que vous
+croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la
+vie en son nom_.»
+
+Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là; il invoque avec une
+nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce
+grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier
+abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt
+dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange
+abus: _Quod vitium ipsam impedit fidem_. C'est, dit saint Augustin,
+parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les
+lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la
+lecture: _Nàm surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat,
+discere non potest_.
+
+«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie enfin l'abbé de l'Épée, si
+l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des
+sourds-muets?»
+
+Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant,
+l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans
+importance, même après celle de ses illustres devanciers.
+
+Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur
+sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez
+lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la
+manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en
+ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et
+cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un
+sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa
+réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon
+collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul!
+
+«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite
+à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la
+parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.--La foi
+est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée à l'homme _de
+quelque manière que ce soit_.»
+
+Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que
+nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on
+est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S.
+Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne
+croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas?
+Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?»
+_Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei
+quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?_ (Rom. 10,
+14-15.)
+
+
+
+
+IV
+
+ Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec
+ les hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux
+ sous le voile de l'anonyme.--Succès de ses séances
+ publiques.--Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et
+ Catherine de Russie.--Sa réputation grandit avec son
+ zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en
+ anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son
+ système.--Puériles décompositions grecques et latines.
+
+
+L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus
+terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au
+même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées
+de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se
+déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un
+parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de
+déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des
+étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement.
+
+A chaque séance, l'admiration publique allait _crescendo_ et se
+communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre.
+C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et
+des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur.
+Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur
+imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont
+elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur
+Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie.
+
+Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut
+néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets
+lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la
+fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'_Institution
+des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques_, in-12 (1774-1776),
+ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des
+signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa
+_Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une
+longue expérience_. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau
+envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à
+tous les yeux, et, s'il dut lui en coûter beaucoup d'être si
+pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure
+n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson
+bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le
+parler lui-même:
+
+«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs
+sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en
+latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les
+sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des
+programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout
+état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont
+été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces
+enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature,
+ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères
+et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la
+même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie
+ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de
+nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris
+jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.»
+
+Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire
+accorder sans restriction tous nos éloges à notre maître. Nous ne
+croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques
+écarts de son génie qui déparent son œuvre admirable. On va le voir,
+en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré
+avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir
+religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose
+l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la
+mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner.
+
+Je prends au hasard quelques passages de sa _véritable manière
+d'instruire les sourds-muets_.
+
+Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons
+observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts,
+de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons
+_articles_ ou _jointures_. Nous écrivons ensuite sur le tableau que _le,
+la, les, de, du, des_, joignent les mots comme nos articles joignent nos
+os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde
+pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'_index_ droit, qui s'étend
+et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe
+raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en
+portant la main au chapeau pour l'article masculin _le_, et à
+l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour
+l'article féminin _la_. L'article pluriel _les_ s'annonce par le
+mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de
+crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec
+l'_index_ droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe
+est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de
+féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin.
+
+«_De, du, de la, des_, sont des articles au second cas. Il faut donc
+ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de
+singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de
+faire observer que le _de, du, des_ de l'ablatif n'est point un article,
+mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage
+auquel on l'emploie.»
+
+S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire
+apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif,
+génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi
+on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont
+propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend
+du premier cas, qu'on appelle _le nominatif_, jusqu'au sixième, qu'on
+nomme l'ablatif, et ce sont des signes beaucoup plus intelligibles que
+ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir
+donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second,
+troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc.
+
+«Quant au signe du mot _cas_, il s'exprime de cette manière: on fait
+rouler l'un sur l'autre les deux _index_ en déclinant, c'est-à-dire en
+descendant depuis le premier jusqu'au sixième.
+
+ * * * * *
+
+Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés[15], l'abbé de
+l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et
+du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait
+aussi rapide que la pensée. Ainsi, _satisfaire_ signifie, selon lui,
+d'après sa décomposition latine, FAIRE ASSEZ; _introduire_, signifie
+CONDUIRE DEDANS.
+
+Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru
+devoir établir (pages 57-58 _ibid._) entre les différents passés: _j'ai
+aimé,--j'aimai,--j'ai eu aimé,--j'eus aimé,--j'avais aimé_, en les
+désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après
+avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun
+à tout passé.
+
+Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement
+à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de
+l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux
+couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles
+erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables
+démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les
+magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable
+charité?.... Que conclure de là, sinon que notre grand apôtre serait
+Dieu lui-même, s'il était parfait?
+
+
+
+
+V
+
+ Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même
+ des idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés
+ pour arriver à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne
+ croient pas à la possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un
+ avis contraire.--La fusion de toutes les langues en une seule, si
+ elle était possible, serait-elle durable?--La mimique est la seule
+ langue universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le
+ geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa
+ MIMOGRAPHIE.
+
+
+Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a
+prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de
+l'Épée.
+
+«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être
+apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité
+des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la
+combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront
+jamais d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous,
+et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues,
+l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces
+considérations auraient dû convaincre les glossographes de
+l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.»
+
+Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous
+diverses dénominations[16], ont tous échoué jusqu'à présent, comme il
+était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins
+pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une
+classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des
+mots par ordre alphabétique.
+
+S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à
+Descartes l'idée de son _Alphabet des pensées_, titre dont il a décoré
+sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue
+exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements,
+marqués chacun d'un caractère propre et spécial.
+
+Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est
+absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins
+d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante
+l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se
+croit fondé à conclure (_Lettres,--tom._ 2, _p._ 550), que ce n'est que
+dans le _pays des romans_ que cette langue peut devenir familière à tous
+les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples.
+
+De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu
+de la solution possible du problème, quand il dit dans son _Esquisse
+d'une philosophie_: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux
+familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles,
+à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce:
+ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et
+le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les
+langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.»
+
+Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes,
+serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût
+couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque
+peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère
+d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue
+universelle?
+
+Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai
+(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître
+l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos
+pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique?
+Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce
+qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, _à
+priori_, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y
+remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a
+besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui
+d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu
+tort de nous renvoyer au pays des chimères?
+
+D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de
+l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des
+sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de le
+fixer sur le papier comme on y fixe la parole. _Sa mimographie_, qui
+n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de
+caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous
+les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et
+de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre
+du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire
+sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes
+n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage
+seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le
+cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons,
+nous qui sommes déshérités de cet avantage.
+
+
+
+
+VI
+
+ Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en
+ est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de
+ l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre
+ latin sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad
+ Amman.--Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de
+ l'Épée.--Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par
+ ses leçons.--Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans
+ l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues
+ Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur.
+
+
+Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée!
+
+Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la
+parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette
+partie de l'enseignement.
+
+Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la
+langue de ses élèves.
+
+Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un
+livre espagnol, en l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra
+un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il
+allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au
+hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols.
+Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le
+commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première
+page, ce titre frappe ses yeux: _Arte para enseñar à hablar à los
+mudos,_ (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'œuvre de Juan
+Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, œuvre qui lui a
+valu dans sa patrie les plus grands éloges.
+
+Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue
+étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses
+élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet,
+composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par
+une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé:
+_Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun._
+
+De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer
+une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'œuvre de
+clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti
+possible[17]. Quel spectateur eût pu, dès lors, rester froid et
+indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade
+prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir
+plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie,
+et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de
+ses condisciples[18]. «Les arguments étaient d'avance communiqués,»
+ajoute le maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. _Véritable
+manière d'instruire les sourds-muets_.)
+
+Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter
+de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon
+Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les
+dimanches, etc.
+
+Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la
+véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune
+connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de
+son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire[19]? La
+manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux
+n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de
+cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire
+le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui?
+
+Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa
+_véritable manière d'instruire les sourds-muets:_
+
+«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de
+l'instruction de deux sœurs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient
+pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la
+doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un
+instituteur[20] qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette
+œuvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie
+à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux
+qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de
+laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les
+sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on
+devait de justes applaudissements.»
+
+
+
+
+VII
+
+ L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et
+ remonte à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet
+ manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.--Plusieurs
+ instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les
+ commencements.--Notre dactylologie se popularise en France.--Ses
+ avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les
+ parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la
+ mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de
+ l'Épée.--Justification du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé
+ de sa méthode.--Attaque du sourd-muet Saboureux de
+ Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement
+ avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré
+ supérieur au sien.
+
+
+Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous
+permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas
+déplacées ici.
+
+Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets,
+il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot
+par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule
+main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là
+de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage
+dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention
+de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui
+vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque,
+il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les
+institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique[21], et il commence
+déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception
+toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît
+devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où
+le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon
+du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode
+de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer
+pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement,
+en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux
+qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles
+les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout
+ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux
+parlants en vénération et en reconnaissance?
+
+[Illustration: Alphabet manuel des Sourds-Muets.]
+
+Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf
+quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la
+typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés
+depuis[22] à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus
+facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La
+rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on
+doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le
+français.
+
+La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la
+première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à
+gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre.
+
+Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec l'index, absolument
+comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier.
+
+Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en
+l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne
+horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend,
+d'ailleurs, cette précaution inutile.
+
+L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il
+en est de même pour les chiffres.
+
+De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à
+dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint
+momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé,
+perdent entièrement la parole.
+
+N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets,
+dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts,
+adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes
+caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels
+ils augmentent et complètent leurs moyens de communication.
+
+Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de
+doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les
+plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à
+exprimer, et ils y ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute
+longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si
+c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond
+avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à
+représenter la lettre _O_ de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer
+_cent_ et _mille_, ils ont recours au même procédé pour reproduire les
+chiffres romains C et M.
+
+On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de
+soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant
+s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments.
+
+En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper
+aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre
+les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de
+l'œil, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on
+prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les
+mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices,
+l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen
+qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques
+données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les
+mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons
+mieux, la nature si ingénieuse et si bienfaisante à son égard.
+
+Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue
+des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la
+raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un
+jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point,
+quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins
+parfait et beaucoup moins rapide.
+
+L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents
+déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire
+consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode
+tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par
+Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant
+professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa
+justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en
+frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres
+auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout
+autre genre, et _qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à
+entreprendre de faire parler ses deux élèves_. Voilà ses propres
+expressions.
+
+Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec
+ordre, à combiner méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce
+principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes
+représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce
+de grammaire.
+
+Voici, du reste, comment il raisonne[23] pour essayer de convaincre ses
+lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés:
+
+«La route des estampes[24] n'est point de mon goût. L'alphabet manuel
+français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile
+que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à
+l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent
+qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent
+pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les
+objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup
+qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une
+méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus
+sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou
+présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......»
+
+Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître
+ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant,
+dans le _Journal de Verdun_, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne
+rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay[25],
+que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un
+phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de
+ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des
+lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses
+hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais,
+il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son
+esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible
+d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses
+indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de
+l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la
+nécessité de combattre un pareil adversaire, auquel son infirmité avait
+forcément dérobé la partie la plus intéressante de son œuvre, qu'il
+avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une
+de ses leçons.
+
+Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et
+n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être
+jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système,
+s'il est déclaré supérieur au sien.
+
+Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés
+vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais,
+pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de
+cause, il nous semble important de remonter plus haut.
+
+
+
+
+VIII
+
+ Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande,
+ en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+ Italie.--Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola,
+ de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro
+ de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel
+ Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J.
+ Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges
+ Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges
+ Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de
+ Jacob Rodrigues Pereire.--Succès brillants des deux derniers à
+ l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.
+ Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et
+ portugaise.--Sa tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à
+ ses élèves.--Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre
+ de la sourde-muette Mlle Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de
+ Montbret.
+
+
+_L'histoire ecclésiastique des Anglais_, par Bède le Vénérable[26],
+rapporte qu'à la fin du septième siècle, saint Jean de Beverley,
+archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune
+sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier.
+
+Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de
+Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son _Tractatus
+de inventione dialecticâ_, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un
+sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les
+parlants.
+
+Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie
+au XVIe siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles
+sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que
+personne n'était plus à même que lui[27] de l'apprécier comme elle le
+mérite.
+
+Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg,
+qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de
+leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle.
+Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés,
+qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond.
+
+Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers
+1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais
+qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand
+mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours
+recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance:
+c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs
+d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de
+l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le
+lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir
+de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on
+lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on
+l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin.
+Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il
+n'avait pas besoin de ce surcroît de charge inutile, et que, du reste,
+cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui
+répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre
+de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir
+pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à
+notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la
+maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort.
+
+Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par
+signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail
+persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se
+confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à
+la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion
+qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable
+instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu[28].
+
+Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en
+signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention
+honorable.
+
+Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou
+moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur d'une
+initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à
+Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait
+l'éducation de deux frères et d'une sœur du connétable Velasco, ainsi
+que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de
+surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art
+peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions
+incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses
+innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique
+influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été
+inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien
+administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous
+sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M.
+Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris
+d'une copie de ce précieux manuscrit.
+
+Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet
+(_Art d'enseigner aux muets à parler_, 1620), qui eut pour élève le
+frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché
+comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux[29], qui avait
+fait jurer[30] à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel
+Philibert, prince de Savoie Carignan[31], de ne point révéler sa
+méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet
+que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé:
+_Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas
+naturales_, 1629. (_Merveilles de la nature, contenant deux mille
+secrets de choses naturelles_.)
+
+La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par
+deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et Pedro de Castro,
+premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du
+prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre
+maison de Savoie!);--en Angleterre, par John Bulwer (_le Philosophe ou
+l'Ami des sourds-muets_, 1648), par J. Wallis (_Traité grammatico
+physique de la parole ou de la formation des sons vocaux_, 1660), par
+William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui,
+presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son _Ars
+signorum_[32], l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets,
+sous le titre de _Didas Colocophus_ ou le _Précepteur du sourd-muet_.
+
+La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont
+les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin
+suisse établi à Amsterdam (_Surdus loquens_, 1692, et _Dissertation sur
+la parole_, 1700).
+
+L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel, père de trois
+sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École
+des sourds-muets de Leipsick.
+
+Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix,
+où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se
+présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils
+d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il
+fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet,
+devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13
+janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé,
+Saboureux de Fontenay[33], comparut devant cette Académie, ce qui donna
+lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa
+prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de
+l'_Histoire naturelle_ de Buffon (1re édition). Telle est l'origine
+du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait.
+
+Parmi les notabilités qui assistèrent souvent aux leçons de
+l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J.
+Rousseau[34], La Condamine[35], d'Alembert, Diderot[36], Lecat[37], le
+P. André[38], etc.
+
+Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre
+adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par Mlle
+Marois, sa plus chère élève:
+
+«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les
+gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et
+qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole,
+jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux de
+nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je?
+jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de
+toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car
+vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce
+qui se passe dans le secret du cœur.»
+
+En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de
+Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence
+du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une
+gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une
+autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son
+interprète pour les langues espagnole et portugaise.
+
+Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait
+ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé;
+mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu
+sur ses procédés, _qu'il offrait de vendre au gouvernement_.
+
+En quoi consistait cependant sa prétendue méthode[39]? Qu'avait-elle de
+spécial, de différent de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à
+un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application
+ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour
+redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a
+également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du
+nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système.
+
+Ernaud, aussi chaud partisan de l'_alphabet labial_ que son rival le fut
+de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de
+l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et
+son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un
+et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces
+hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis.
+
+
+
+
+IX
+
+ Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son
+ cours élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges,
+ ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet,
+ domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée
+ devient le confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph
+ II lui sert la messe.--Il amène dans son établissement sa sœur
+ la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le
+ priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses
+ États.--Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.
+
+
+Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire
+d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par
+l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des
+lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille
+des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre
+instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans.
+Son _Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets_ vit le jour
+cinq ans après la publication de l'_Institution des sourds-muets par la
+voie des signes méthodiques_. Il est à déplorer seulement que cet
+ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par
+celles du cœur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui
+militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à
+faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la
+mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à
+jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de
+déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette
+persistance provoqua les _Observations d'un sourd-muet_, petit ouvrage
+aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des
+aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre
+ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet
+de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la
+Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment
+chez M. le prince de Nassau.
+
+Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à
+notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et
+touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait
+généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui
+recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs
+fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître,
+c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches
+auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation
+de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque
+de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors
+l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion
+tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles
+fonctions auxquelles Dieu l'appelle.
+
+L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à
+l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche
+en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement,
+mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet,
+à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son
+établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit,
+et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de
+papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une
+magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph
+II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre
+ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la
+précision de ses souvenirs.
+
+Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de
+Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur.
+Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de
+son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que
+l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il
+sa sœur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie
+de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne
+fut pas stérile. Ayant à cœur de fonder dans ses États une école de
+sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette
+capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé
+de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former
+l'esprit et le cœur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre
+remit au vénérable fondateur la lettre suivante[40]:
+
+«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au
+service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants
+progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette
+lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de
+vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas
+autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit
+pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous
+votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie
+avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire
+de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous
+contribuerez de bon cœur à étendre votre charité sur une partie des
+sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux,
+leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner
+leurs idées. Adieu...
+
+ »Signé: JOSEPH.»
+
+L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que
+l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens
+d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante
+famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à
+défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en
+état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»
+
+
+
+
+X
+
+ Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de
+ l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal,
+ de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale,
+ à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa
+ faveur.--Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle
+ victoire de l'abbé de l'Épée.--Condillac se prononce pour
+ lui.--Extension trop grande donnée à la parole artificielle du
+ sourd-muet--Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.
+
+
+C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur
+français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre,
+s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les
+libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel
+institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait
+celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux
+rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de
+l'autre.
+
+L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa
+création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des
+attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce
+dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure
+grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à
+pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne
+peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;--2º
+l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire
+entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;--il finit par
+en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés
+littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en
+Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au vœu
+du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir
+consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire[41],
+déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait
+l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le
+but.
+
+Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en
+lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître
+paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de
+Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand,
+reproduite par le _Journal de Paris_, dans laquelle il prétendait
+fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le
+système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui,
+dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle
+il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que
+l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la
+sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience
+suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur
+lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet
+échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en
+comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également
+insérées dans le _Journal de Paris_ (27 mai 1785).
+
+Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux
+de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode
+d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se
+tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à
+travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre.
+
+Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de
+l'abbé de l'Épée, avec son _Cours d'études pour l'instruction du prince
+de Parme_ (t. 1er, 1re part., chap. 1er, p. 11) et avec sa
+_Grammaire_, publiée quatre ans après l'_Institution des sourds-muets
+par la voie des signes méthodiques_: il tient à honneur de faire justice
+de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le
+sceau de la vérité et de l'immortalité à l'œuvre de son illustre
+contemporain.
+
+Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en
+Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu
+s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A
+quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou
+moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir
+résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la
+parole artificielle.
+
+Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire
+impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes
+obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la
+voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de
+prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur.
+
+Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans
+les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne
+remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de
+souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne
+s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus
+du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons
+régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre
+satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils
+pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes
+imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent
+tout leur essor!
+
+On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne
+peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès
+dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a
+démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui
+se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la
+nation sourde-muette.
+
+Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant
+pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de
+notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence
+surtout!
+
+
+
+
+XI
+
+ Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque
+ octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+ rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le
+ sourd-muet Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une
+ abbaye en Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de
+ Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des
+ sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous
+ les pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute
+ d'abord son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son
+ école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et
+ lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet
+ pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau
+ local.--Statistique des pensions de sourds-muets et de
+ sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.--Son école à un
+ second étage de la rue des Moulins.--Sa maison de campagne à loyer,
+ rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes.
+
+
+Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le
+furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau
+sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il
+regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner
+une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans
+son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les
+infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un
+hiver des plus rigoureux (1788), _pour ne pas faire tort_, disait-il,
+_au patrimoine sacré de ses enfants_. Un matin, la nouvelle de cette
+privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme
+dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette
+excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur
+langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses
+fils adoptifs.
+
+Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde
+raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était
+point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une
+vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu
+de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de
+ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme,
+d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de
+chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et
+la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à
+certaines heures fixes, on l'eût pris pour un fervent cénobite qui prie
+sur les tombeaux.
+
+Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile
+une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur
+d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M.
+Léopold Loustau[42], ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à
+réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint
+Vincent de Paule.
+
+Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce
+désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont
+l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance antérieure,
+lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché
+que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service
+personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui
+proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis
+confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait
+encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité
+et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire
+servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà
+vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur
+ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur
+l'œuvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer
+pour le bien de l'humanité.»
+
+Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre
+impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce
+qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de
+l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches
+présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais
+d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de
+quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de m'envoyer un
+sourd-muet de naissance que j'instruirai.»
+
+--«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par
+tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux
+pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des
+sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un
+pour les instruire.»
+
+Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations
+que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien,
+l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de
+plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans
+laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la
+Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des
+nations qui nous environnent.»
+
+Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous
+servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?--A rien,
+répondait le bon abbé.--Alors pourquoi les leur faire
+apprendre?--Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie
+très-considérable de ma carrière est déjà fournie.--Et qui instruira les
+sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses
+et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement pour bien des gens.
+Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où
+chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en
+résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi
+susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque
+puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de
+sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en
+quel pays, qui continuera mon œuvre.»
+
+Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de
+rente environ[43], il soutint une école nombreuse dont il payait les
+maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des
+élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son
+frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient
+digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première
+réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son
+âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût
+l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur
+entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence.
+
+Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque[44], Louis XVI
+aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur:
+«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux
+vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille
+au jansénisme.»
+
+Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du
+jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de
+l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons
+catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens
+estimables.
+
+Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette
+justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage
+de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le
+transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un
+vœu formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil
+avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21
+novembre 1778[45]; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle
+de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de
+l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas de goûter la satisfaction de se
+voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local.
+
+Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois
+pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames
+respectables[46], et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M.
+Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue
+des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au
+second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de
+l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de
+chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de
+soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure
+origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France
+et de l'étranger.
+
+L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses
+élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement
+allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à
+sept.
+
+Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de
+Montmartre (rue des Martyrs), qu'il tenait à loyer et qui était voisine
+de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à
+leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui
+faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes
+d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait
+partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur
+bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa
+nombreuse famille.
+
+Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides,
+le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un
+geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint
+aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font
+tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient
+à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon
+père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce
+d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre
+le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle,
+leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce
+tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille;
+et tous lui promettent de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un
+jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes.
+
+Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint
+prêtre.
+
+
+
+
+XII
+
+ Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize
+ ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis
+ à l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et
+ abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes
+ les maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.--Le
+ sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères
+ d'infortune.--Une confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué
+ à celui de Louis Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de
+ Hauteserre.--Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar,
+ à Toulouse.--Un trait de lumière.
+
+
+L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de
+Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer
+succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances,
+les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les
+témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui.
+Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de ménager leur
+attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient
+bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer
+qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi,
+de l'Espérance et de la Charité chrétienne.
+
+Le 1er août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance
+du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize
+ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le cœur
+le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son
+épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable
+(Mme Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un
+ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur
+une recommandation de Mme Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet
+est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade
+et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ
+huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de
+l'Épée[47] dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque
+grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de
+l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-Antoine, chargée de la
+salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite,
+cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour
+l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à
+entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et
+qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux
+sœurs ses aînées, lui et une sœur plus jeune; qu'il y a dans la
+maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de
+fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a
+abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien,
+son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime
+expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime
+d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle.
+
+D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de
+l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de
+Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien
+donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les
+maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie
+royale sous le titre de _Note intéressante_. En voici la teneur, portant
+en marge qu'on tient ces renseignements de l'abbé de l'Épée,
+instituteur gratuit des sourds-muets:
+
+
+ DU PREMIER MARS 1776.
+
+ =NOTE INTÉRESSANTE=
+
+ «Le 2 septembre 1773[48], on a trouvé sur le grand chemin de
+ Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et
+ muet[49], âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris
+ et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été
+ mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté
+ pour servir selon ses forces dans une des salles.
+
+»Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par
+ signes d'une manière assez sensible pour faire entendre:
+
+ «1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée;
+
+ «2º Que son père, qui était boiteux, est mort;
+
+ «3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois
+ filles et lui;
+
+ «4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux
+ habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que
+ lui-même y a toujours été servi;
+
+ «5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver,
+ et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce
+ qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver;
+
+ «6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un
+ cavalier;
+
+ «7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le
+ menait;
+
+ «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.
+
+ «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état
+ et ses biens.
+
+ «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le
+ département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de
+ maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les
+ plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la
+ naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et
+ qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le
+ zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte
+ intéressante, sera récompensé par une gratification.»
+
+ «A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»
+
+
+
+Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au
+ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même
+mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à
+voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un
+mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur
+l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique:
+«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.
+
+Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne
+soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd
+fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau,
+maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères
+d'infortune.
+
+Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis
+Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la
+vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée
+à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le
+jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se
+convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au
+mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut
+être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois,
+à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à
+l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à
+l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à
+Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.
+
+L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de
+Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous
+les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de
+l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et
+veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un
+appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.
+
+«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze
+ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet
+enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite
+année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de
+Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa
+mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa
+sœur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»
+
+Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal
+rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle
+Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.
+
+
+
+
+XIII
+
+ L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié
+ la Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le
+ protége.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.--Voyage
+ du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis,
+ sa ville natale.--Nouvelles reconnaissances.--Joseph se rappelle
+ une cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais
+ sa sœur hésite d'abord.--Une démarche auprès du duc de
+ Penthièvre.--Elle réussit.--Le prince accorde une pension de 800
+ livres au jeune Solar.--Le paiement en est bientôt
+ suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.--Le
+ premier semestre de la pension est payé.
+
+
+Le signalement du jeune Solar, donné par Mme de Hauteserre,
+s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son
+arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de
+poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos
+de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise.
+
+D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la
+Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On
+le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune
+démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune
+protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au
+préalable.
+
+Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se
+présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph,
+elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de
+Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou
+huit ans, chez Mlle Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle
+était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement
+par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel,
+conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais
+aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin,
+maître maçon, et de sa fille.
+
+L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son
+protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des
+deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se
+mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec
+son élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la
+déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels
+figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du
+bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est
+unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce
+parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de
+son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours
+d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses
+manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces
+d'un éclat de bombe.
+
+A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de
+Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de
+vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de
+reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le
+jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny
+reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils.
+
+De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de Mlle
+Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que
+Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue
+entre les deux enfants, on fait venir Mlle de Solar à Paris de son
+couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la sœur ne se
+reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils
+finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle.
+On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé
+de l'abbé de l'Épée, le _post scriptum_ d'une lettre adressée le 8
+novembre 1777 par Mlle de Solar, qui venait d'être placée dans une
+pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau:
+«Je vous prie de dire _mille choses tendres à mon cher petit frère_.»
+
+Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le
+sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi
+Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de
+Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine,
+gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que
+le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A
+ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa
+faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes
+démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les
+pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une
+réponse lui sera faite sous quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici
+la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M.
+l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre:
+
+«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de
+800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés
+pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son
+état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet
+qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire
+à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.»
+
+Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé
+de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du
+brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait
+assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un
+acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à
+grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté,
+de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400
+livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il
+surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des
+sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel
+éclaircissement. Ce dernier lui adressa incontinent la réponse
+suivante[50]:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire
+contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit
+vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de
+Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les
+intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du
+brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune
+comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi.
+C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de
+M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes
+de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre
+un jeune homme qui, après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est
+reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et
+par bon nombre de témoins respectables?
+
+«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que
+vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune
+démarche sous le nom du _comte de Solar_. Vous me permettrez de vous
+dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne.
+Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous
+sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre
+démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il
+m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir.
+
+«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré
+l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu
+l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais
+envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et
+je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru
+que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si
+l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme
+pareillement.
+
+«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce
+qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a
+ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du
+défunt, mais seulement le nom de _comte de Solar_, décédé le 28 janvier
+1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le
+cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous
+le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait
+que vous avez reçu, est plus complet.
+
+«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du
+moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères
+que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en
+sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous
+nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit
+morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit.
+
+«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce
+qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer
+et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait
+particulier, mais cela ne change rien à l'estime et au respect avec
+lesquels j'ai l'honneur d'être,
+
+ «Monsieur,
+
+ «Votre très-humble et très-obéissant
+ serviteur,
+
+ L'abbé DE L'ÉPÉE.
+
+«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à
+huit heures du soir.»
+
+Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans
+le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six
+derniers mois de l'année 1777!
+
+
+
+
+XIV
+
+ Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar,
+ supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à
+ Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.--Ses
+ moyens de défense.--Il demande à être transféré, avec le
+ sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut
+ devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.--Cette requête est
+ jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que
+ le transfert de l'enfant et de sa sœur sur les lieux.--Enfin,
+ une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar,
+ reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.--Commentaire des
+ juges.
+
+
+Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des
+renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient
+venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un
+sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la
+personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le
+prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à
+Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et
+plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport
+foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement.
+
+Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour
+l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits
+ici en entier:
+
+«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse;
+j'eus l'occasion de connaître Mme la comtesse de Solar. Cette dame,
+sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver
+ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de
+Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son
+fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux
+avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je
+savais que Mme de Solar avait des relations très-puissantes à
+Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne
+serait point inutile à mon avancement et à ma fortune.
+
+«L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre,
+et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de
+l'auberge de l'_Écharpe_, dans l'une des rues les plus fréquentées de
+Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à
+cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar.
+Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et
+d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval.
+Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des
+personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en
+passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A
+Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma
+famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères.
+
+»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec
+nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à Mme de
+Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin,
+époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires
+domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël,
+la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint.
+On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais
+constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis
+bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde
+pas à s'aggraver: un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre
+l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli,
+mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la
+sépulture de ma famille.
+
+«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire.
+Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui
+ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que
+pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est
+irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette
+irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de
+renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au
+pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie
+désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait
+seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le
+comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il
+demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces
+renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque,
+pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte
+au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il
+se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était
+insuffisant, parce qu'il ne désignait pas clairement la personne
+décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: _Un enfant
+âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte
+de Solar_. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne
+saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la
+comtesse de Solar.
+
+«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que
+d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4
+septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774,
+et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait
+être le jeune de Solar, qui m'a été confié.--Ensuite, ajoutait-il, il
+suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le
+jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre
+1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet
+enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château
+de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois
+auparavant (le 1er août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand
+chemin de Péronne en Picardie!»
+
+Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence,
+insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la
+justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir
+l'affaire.
+
+Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement
+l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de
+Caroline de Solar sur les lieux indiqués.
+
+Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre
+1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et
+frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et
+renvoyé absous.
+
+Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence:
+
+«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût
+coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était
+Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès.
+L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et
+qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de
+mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré
+être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la
+même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la
+perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a
+chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement de septembre
+suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et
+nous l'avons renvoyé tel.
+
+«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas
+satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit
+près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre
+enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on
+substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait
+fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à
+juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci,
+nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait;
+elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et
+Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces
+deux points.--Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la
+part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un
+malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine
+d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu
+découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à
+qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates
+rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.»
+
+
+
+
+XV
+
+ Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de
+ Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de
+ Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables.--Détails
+ peu édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me
+ Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire
+ constatant, à son avis, le décès.--L'illustre avocat modifie, plus
+ tard, son opinion.--Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de
+ L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la sentence du Châtelet par le
+ parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête
+ et d'instruction.
+
+
+L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à Me Élie de Beaumont,
+défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas,
+rend compte, sous la date du 1er février 1779, de tout ce qui regarde
+son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du
+mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses
+objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont
+comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui, consiste en ce
+que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été
+arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a
+fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de
+lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes
+lenticulaires, dont un[51] exactement à la même place.
+
+Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que,
+dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension,
+il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui,
+qu'il croyait naturellement ses sœurs, de sorte que, toutes les fois
+qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez Mme
+Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât
+quelque chose pour ses sœurs.
+
+La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à
+son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800
+livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait
+un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne
+vivait que d'emprunts.--Il existait encore, selon lui, une lettre de
+cette dame à M. Joisneau, son parent et son ami, par laquelle elle le
+priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus
+riche _vis-à-vis du père du monsieur qu'elle devait épouser_, le
+conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis
+deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes.
+
+A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa
+conscience d'honnête homme:
+
+ _Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt._
+
+ _Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de
+ tous les innocents que l'on veut perdre._
+
+ (Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8.
+
+Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique,
+est précédé d'un _Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en
+parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet_, mémoire suivi
+d'une _Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de
+Sainville_, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars
+1779.
+
+Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme
+et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires
+invoqués, la preuve, sans réplique, de la parfaite identité du jeune
+Joseph avec le jeune comte de Solar, Me Tronçon-Ducoudray[52], autre
+défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers
+des 1er et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de
+son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire
+consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant
+la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre
+incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur,
+le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28
+janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était
+mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses
+amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès, il
+avait été frappé de paralysie et marchait difficilement.
+
+Me Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et
+s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur
+Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache
+à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses
+interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le
+mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne
+craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph,
+selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir
+dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses
+réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les
+témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme
+n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer,
+principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain
+de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre
+comme très-expérimentée dans l'art de mentir.
+
+Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes,
+petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la
+plainte et la procédure.
+
+«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé
+par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier;
+
+Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée
+d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres
+témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet
+trouvé, _le premier août_ 1773, au village de Cuvilly, et _vu quelques
+jours auparavant_ à celui d'Orvilliers;
+
+Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame
+Le Roux des nouvelles de _son frère_; ordonne qu'il sera amené
+prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et
+parfait par les officiers du Châtelet;
+
+Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature,
+surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier
+1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé
+par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le
+sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.;
+
+Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète,
+Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et
+officiers du Châtelet, etc., à Toulouse, à Alby, la Granerie, les
+villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut,
+Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à
+Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal
+des _gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète
+dans tous les lieux indiqués_;
+
+«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir
+toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph
+_reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu,
+etc._;
+
+«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres
+patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que
+dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf
+l'appel en la cour;
+
+«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de
+Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août
+1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction
+et au jugement dudit procès, ce que de raison.
+
+«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre
+1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne
+que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est
+détenu par l'huissier de la cour de service, à la charge de se
+représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes,
+etc.;
+
+«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à
+Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur
+Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé
+aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.»
+
+
+
+
+XVI
+
+ Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités
+ ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses
+ au midi de la France.--Diverses personnes intéressées dans
+ l'affaire prennent la même direction.--Recherches long-temps
+ infructueuses.--Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en
+ présence de la tombe de son père.--On en exhume une tête d'enfant,
+ avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à
+ Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en tire
+ le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves
+ accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et
+ contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle
+ sentence confirmative du Châtelet.
+
+
+Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et
+probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte
+partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la
+Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches.
+Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux
+ecclésiastique l'ayant supplié de lui laisser vérifier les preuves par
+lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la
+procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou
+1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à
+ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.»
+
+Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar
+dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités
+l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut,
+ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour
+interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance?
+On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la
+barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la
+capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait
+partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller
+au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que
+le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné
+pour gardien, prirent la même route. Mme de Vormes se chargea
+d'accompagner Mlle de Solar dans cette direction.
+
+Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6
+septembre, à six heures du matin, tous ces personnages sont réunis à
+l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense,
+avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et
+d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à
+son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera
+le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux
+témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans
+tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne
+rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son
+père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune
+Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse,
+on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le
+dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes
+dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans
+l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on
+prétend avoir été arrachée à Joseph.
+
+C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos
+d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly
+demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite.
+
+C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph,
+qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de
+Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet,
+âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une
+roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne
+pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly.
+A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à
+Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller
+chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant
+revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans
+signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre.
+
+Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé
+surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un
+caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a
+préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse
+formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins
+les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce
+dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il
+appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure-t-il,
+scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur
+de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand
+matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec
+différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le
+plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de
+certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention
+aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable.
+Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement
+aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est
+l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses sœurs
+et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet
+présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º
+l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le
+mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on
+découvre à Cuvilly, le 1er août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu
+par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché
+du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai
+Solar aurait dû reconnaître.
+
+Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet
+réhabilite le jeune _Théodore_. (C'est le nouveau nom que l'abbé de
+l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt:
+
+_Le mineur Joseph_ est déclaré _comte de Solar_; défenses à toutes
+personnes de le troubler dans la possession de son état.
+
+_Cazeaux_ est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé.
+
+Il est enjoint _au curé_ d'être plus exact et de se conformer aux
+ordonnances et déclarations du roi.
+
+_Cadours_[53] est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône.
+
+_La demoiselle Solar_ et la fille Lama sont mises hors de cour.
+
+Il est enjoint à _la demoiselle_ de reconnaître Joseph pour son frère.
+
+L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse.
+
+Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne
+seulement.
+
+
+
+
+XVII
+
+ Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+ l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la
+ sentence.--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et
+ l'abbé de l'Épée.--Les parlements sont détruits par la
+ révolution.--Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu
+ en faveur du pauvre délaissé.--Sans appui, sans famille, sans
+ ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine
+ et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon
+ d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le sourd-muet Didier,
+ suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.
+
+
+Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet,
+unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à
+Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des
+efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera
+suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls
+protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la
+destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet
+1792, à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu
+en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de
+l'annulation:
+
+
+ «LE TRIBUNAL, etc.[54],
+
+ «Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce
+ que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition
+ qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur
+ Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni
+ qualité ni intérêt à contester;
+
+ «Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme
+ Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses
+ deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants;
+
+ «Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès
+ sous le nom de _Joseph_ est fondé en droit, 1º sur son état de
+ sourd et muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la
+ lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se
+ rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa
+ connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne
+ fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins
+ l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement,
+ depuis, en se faisant recevoir partie intervenante;
+
+ «Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que
+ l'individu sourd et muet, connu sous le nom de _Joseph_[55], a été
+ trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de
+ Cuvilly, en Picardie, le 1er août 1773;
+
+ «Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur
+ des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il
+ est resté jusqu'au 2 septembre suivant;
+
+ «Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de
+ Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant
+ dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois
+ consécutifs;
+
+ «Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph, aussi sourd et muet, seul
+ fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame
+ Solar, le 1er novembre 1762, ayant quitté le séjour de la
+ Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et
+ Caroline, sa sœur, jusqu'au commencement de septembre 1773;
+
+ «Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au
+ sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de
+ Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas
+ les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui
+ l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant;
+
+ «Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à
+ Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a
+ habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de _Solar_, il a
+ été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort
+ des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé,
+ le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous
+ la dénomination seulement de _fils du comte de Solar_, parce
+ qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de
+ baptême;
+
+ «Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des
+ doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu
+ Joseph pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et
+ que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et
+ suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur,
+ que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux
+ d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que
+ l'évidence des preuves lui refuse;
+
+ «Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur
+ Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et
+ négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte
+ mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit
+ être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer
+ dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de
+ baptêmes, mariages, sépultures;
+
+ «Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits
+ de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à
+ l'appui de l'accusation;
+
+ «Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés
+ (abstraction faite du _quidam_, nommé Alexandre, à l'égard duquel
+ il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le
+ moindre indice du plus léger délit;
+
+ «Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel
+ par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin
+ 1781;
+
+ «Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc
+ Cadours, appelants de ladite sentence;
+
+ «Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits
+ accusés et l'individu connu au procès sous le nom de _Joseph_;
+ émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public,
+ au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de
+ l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa
+ déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et,
+ sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7e et 10e
+ témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore
+ contre les 50e, 52e et 54e témoins d'autre information de
+ Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16e de l'information
+ faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont
+ déclarés non pertinents et inadmissibles;
+
+ «Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des
+ parties,
+
+ «Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite
+ vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé,
+ le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était
+ véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de
+ Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette
+ Clignet, son épouse, lequel était né à Clermont le premier
+ novembre 1762;
+
+ «En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de
+ ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement
+ seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au
+ procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la
+ paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au
+ greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire
+ actuel;
+
+ «Décharge Caroline Solar[56] de l'accusation contre elle intentée;
+ fait défenses à l'individu nommé _Joseph_ de se dire et qualifier
+ fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les
+ droits et actions appartenant à cette famille;
+
+ «Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François
+ Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit
+ Durban de se conformer aux lois existantes sur la tenue des
+ registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse;
+
+ «Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé _Joseph_,
+ l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et,
+ sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès;
+
+ «Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son
+ plein et entier effet;
+
+ «Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le
+ présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de
+ Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le
+ faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera
+ convenable.
+
+ Signé EUDE, rapporteur.»
+
+ Un jugement conforme[57] est rendu en dernier ressort le 24 juillet
+ 1792.
+
+Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de
+ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille,
+sans ressource. Mieux eût valu cent fois qu'une pitié compatissante ne
+fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de
+Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment
+que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière
+céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de
+l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus
+brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être
+effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France
+révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la
+victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage
+dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors
+d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et
+montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques
+personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement
+dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses
+veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans
+un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses
+premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des
+camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un
+hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier
+n'avait quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son
+frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non
+moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon.
+
+
+
+
+XVIII
+
+ Coup d'œil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce
+ une aventure réelle ou un roman historique?--Bonne foi, conviction
+ de l'abbé de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et
+ l'honneur à Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des
+ Ormes voit dans cette aventure une mystification.--Suivant lui, le
+ pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement
+ sourd.--Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de
+ Bouilly.--Première représentation.--Grand succès.--Incident de la
+ seconde.--L'abbé Sicard mis en liberté.
+
+
+Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru
+disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans
+cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé
+à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé
+les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou
+soutenir celle du vénérable instituteur?
+
+A ne considérer, la main sur la conscience, que le dénouement de ce
+procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas,
+où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une
+pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré
+certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de
+l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une
+aventure réelle qu'un roman historique.
+
+Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un
+crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si
+fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu,
+et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu
+de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se
+dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de
+sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire,
+il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille
+honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne.
+
+En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux
+empressement notre illustre instituteur a tout mis en œuvre pour lui
+faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il
+s'imputait à lui-même, en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce
+malheureux jeune homme?
+
+Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand
+instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en
+bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à
+consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des
+droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur,
+nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin
+victime d'une barbare cupidité?
+
+Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant:
+
+De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à
+dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément
+menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles
+qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non
+véritable?
+
+Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui
+que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la
+similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion?
+
+M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: _le Sourd-Muet de
+l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)_, qui ont paru dans le
+_Constitutionnel_, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger
+l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième
+siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet
+égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd.
+
+Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel,
+professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution
+de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien
+voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous
+paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière
+qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici:
+
+
+ «Paris, le 15 avril 1852.
+
+ CHER COLLÈGUE,
+
+ «Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est
+ impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain
+ prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès
+ du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien
+ jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom.
+
+ «La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd,
+ capable de surprendre les secrets des familles, est d'invention
+ récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en
+ fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait
+ conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce
+ fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme.
+ Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart,
+ n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la
+ moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer
+ et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est
+ occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser
+ autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à
+ l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par
+ l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le
+ demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de
+ comprendre le discours verbal.
+
+ «Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre
+ d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut
+ du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement
+ c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout
+ demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que
+ l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de
+ lui.
+
+ «Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de
+ Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu
+ l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au
+ mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait
+ trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui
+ furent en rapport avec lui.
+
+ «J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il
+ s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer
+ jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur
+ certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire,
+ il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il
+ ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne
+ collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume
+ l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était
+ trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait
+ laissées dans l'intérêt de son pupille.
+
+ «Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée,
+ la voilà sans déguisement.»
+
+Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa,
+avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'_Abbé de l'Épée, comédie
+historique_, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé
+par celui de _drame_, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès.
+Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa
+_comédie historique de René Descartes_, jouée aussi sur le premier
+théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage
+devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut
+qu'une voix pour prédire à l'œuvre un succès immense, infaillible.
+Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène
+française[58] s'empressait de lui prêter le concours actif de ses
+talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière?
+
+Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation
+de l'_Abbé de l'Épée_. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un
+caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra
+aisément combien le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on
+saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté
+invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature
+rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge,
+lorsqu'elles vinrent l'assaillir.
+
+C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de
+Franval, ayant auprès de lui la mère et la sœur de cet avocat, leur
+explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de
+fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune
+sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel
+est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des
+hommes. Il commence ainsi son récit:
+
+«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne
+dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.»
+
+A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix
+du parterre s'écria: _Tant mieux!_ et toute la salle applaudit.
+
+Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la
+scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent
+décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de Mme
+Vanhove-Talma (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le
+voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes
+parts à ses pieds.
+
+Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli,
+mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre
+l'époque:
+
+ Vous, dont les talents enchanteurs
+ Nous ont si souvent, sur la scène,
+ Fait entendre les sons flatteurs
+ De Thalie ou de Melpomène,
+ _Vanhove_, par quel art secret,
+ Sans avoir besoin de paroles,
+ Faites-vous d'un sourd et muet
+ Le plus intéressant des rôles?
+
+Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier
+légitimiste Alisan de Chazet:
+
+ Vanhove, ce muet charmant,
+ Qui s'exprime avec éloquence
+ Et qui choisit le sentiment
+ Pour interprète du silence.
+
+La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les
+sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre
+successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly raconter lui-même ce
+touchant épisode:
+
+«....... Mme Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait
+assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde,
+accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus
+honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire.
+Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à
+l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux
+élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,»
+Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres,
+en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui
+gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri
+de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et
+répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des
+sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne
+sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque
+imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation,
+lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon
+visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami,
+quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération
+d'un ami de l'humanité[59].» J'apprends alors que le premier consul,
+frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances
+de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la
+détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me
+fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux
+qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces
+dates du cœur qui ne s'effacent jamais.»
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+XIX
+
+ Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M.
+ Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de
+ Paris.--Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis
+ XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs
+ intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de
+ cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.--Tribut
+ d'éloge de Monvel à son élève.--Conclusions de M.
+ Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du
+ drame de l'abbé de L'ÉPÉE..
+
+
+Écoutons encore l'auteur du drame de l'_Abbé de l'Épée_, à propos d'une
+visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale:
+
+«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que
+c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et
+qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts,
+avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de
+l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de
+leur école, située au haut du faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent,
+d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua
+mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se
+présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui
+font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le
+pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés
+de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre
+clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors
+lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment
+l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes
+parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis
+comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de
+leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula
+dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau,
+une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé
+de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur
+demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et
+d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils
+m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche.
+
+«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet qu'ils m'apportaient, sous
+le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de
+l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y
+porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle
+époque de ma carrière dramatique.»
+
+Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus
+flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, _avec
+le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive_: vous
+m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.--Et moi,
+général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de
+m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que
+puisse éprouver un auteur!.......»
+
+Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait,
+longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un
+conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités.
+J'ai vu jouer à Londres votre _Abbé de l'Épée_, vos _Deux Journées_; et
+la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations
+dramatiques, est encore présente à mon souvenir.»
+
+Mme Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime
+dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement
+de ceux qui en sont privés, de cette voix qui fut si longtemps en
+possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire,
+donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à
+surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore
+du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si
+heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en
+1836, sous le titre de: _Études sur l'Art théâtral_ (p. 226-270).
+
+«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit
+encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter
+l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit
+permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré
+de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les
+applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de
+_l'Abbé de l'Épée_; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et
+j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour
+mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais
+recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle
+âme, son esprit et son savoir.
+
+«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le
+personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société
+journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés de me voir profiter
+de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les
+matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de
+la pièce fut complet, et le mien par contre-coup.
+
+«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de
+montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une
+machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre,
+derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus
+graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément;
+Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient
+forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs
+(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme
+ne tarde pas à se rétablir.
+
+«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les
+acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à
+ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement
+étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma
+physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet
+à-propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à
+quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans
+mon rôle de sourd; mon cœur battait de plaisir.... J'avais senti
+l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de
+surprise ou de crainte eût détruit toute illusion.
+
+«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de _l'Abbé
+de l'Épée_: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans
+laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs
+fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et
+moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque
+invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main
+de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait
+pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde
+autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la
+muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer:
+mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me
+regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et
+le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs
+applaudissements.
+
+«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre
+artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais
+finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre;
+il fallait donc m'avertir.--Sans doute, mon maître, si j'avais su
+moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal
+fait?--Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant
+d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!»
+
+Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus
+longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les
+quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain
+distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la
+notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces
+détails. (Pages XIV-XV.)
+
+«Mme Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'_Abbé de
+l'Épée_. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce
+sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et
+d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans
+cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont
+écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de
+cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le
+sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, _je
+dus mon plus beau laurier_. Les poëtes firent des vers en l'honneur de
+l'excellente actrice, et on eût pu lui appliquer cet heureux distique
+composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine,
+sourd-muet).
+
+ Il révèle à la fois le secret merveilleux
+ De parler par les mains, d'entendre par les yeux.
+
+S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de
+Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style,
+qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au
+point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant,
+elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants
+éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle
+privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les
+effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille
+exceptionnelle?
+
+
+
+
+XX
+
+ Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les
+ représentations du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par
+ la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur
+ de certaines personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de
+ changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de
+ COMÉDIE HISTORIQUE.--Mort de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle
+ de ses derniers moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre
+ instituteur inhumé à Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa
+ répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.--Le
+ sculpteur sourd-muet de Seine.--La Commune de Paris demande à
+ l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de
+ leur père.--Ce vœu est réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de
+ l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du
+ panégyriste.
+
+
+Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du
+drame de l'_Abbé de l'Épée_ offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir
+auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les
+représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même
+recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de n'avoir mis son
+œuvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de _troubler leur repos et
+de compromettre leur honneur_. D'aussi basses inculpations
+pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de
+celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en
+retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre
+fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet,
+honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en
+faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le
+légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses
+successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du
+Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre
+maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait
+son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement
+en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée
+principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques
+développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son
+invention.
+
+Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il
+pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse
+qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de
+son œuvre, dans les limites que lui imposaient la prudence humaine
+et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de
+Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du
+titre de sa pièce la qualification de _comédie historique_? Et sa
+générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu
+de la scène, l'assurant sur l'honneur que son œuvre ne le regardait
+ni directement ni indirectement?
+
+Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans
+l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement
+décliné, et il penchait, à vue d'œil, vers la tombe. Déjà son état
+commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui
+l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs
+craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après
+avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa
+paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une
+députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé,
+archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en
+larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce
+lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son
+père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils, de
+douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces
+malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un
+dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu
+n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur
+séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux,
+en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a
+revêtu le caractère d'une pieuse résignation.
+
+Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent
+supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un
+des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839.
+
+L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que
+sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans
+une pétition collective[60] le vœu de voir le gouvernement se décider
+à faire l'acquisition de cette œuvre, et la requête avait été
+couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru
+un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à
+l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la
+chapelle, et chargea un professeur sourd-muet distingué, M. Alphonse
+Lenoir, de transmettre cette résolution[61] à la Commission consultative
+de cet établissement.
+
+L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le
+caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle,
+appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que
+ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix.
+
+Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce
+fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait
+jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses
+traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à
+la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour
+modèle, par le fils d'une de ses nièces, Mme la comtesse de
+Courcel[62] à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre
+des sourds-muets érigée à Versailles.
+
+Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur,
+avait fait son buste, sur lequel était écrit le distique que nous avons
+cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette
+image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du
+maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les
+intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger,
+afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit
+du succès de cette innocente manœuvre, ne put s'empêcher de sourire à
+l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le
+seul à tromper sur ce point la vigilance du maître.
+
+Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et
+remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour
+l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque
+avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans
+appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs
+de pension et un logement au Louvre[63].
+
+Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement,
+portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le vœu qu'un
+établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins
+que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce vœu, comme on
+le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce
+genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour
+attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs
+étrangers.
+
+A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre
+de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de
+Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée
+nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce
+que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les
+sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom
+a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa
+participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause
+du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut
+lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de
+complicité avec les Girondins, et plus particulièrement avec la
+courageuse Charlotte Corday.
+
+On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de
+l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait
+soumis son panégyrique de saint Augustin.
+
+«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce
+qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement
+notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre
+toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point;
+c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure:
+vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi;
+mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne
+sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos cœurs, tandis
+que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé
+quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos
+ténèbres.»
+
+
+
+
+XXI
+
+ L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera
+ inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité
+ et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par
+ l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à
+ l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune
+ des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées
+ successivement, pour la première, à 80 et à 100.--La Convention
+ avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000
+ sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec
+ ateliers et travaux agricoles.--Transfert de l'établissement de
+ Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire
+ Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en
+ 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des budgets
+ départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé que
+ ce fût parmi les _dépenses obligatoires_.
+
+
+Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait
+renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une
+pétition de l'abbé Sicard[64], relative à la perpétuité de
+l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta[65] que le nom de
+l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient
+bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait
+entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation
+française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre
+bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14
+septembre[66], aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments
+de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle
+des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des
+deux établissements, préparé par un comité spécial, aurait reçu sa
+sanction définitive.
+
+C'est un devoir sacré, pour nos cœurs reconnaissants, de recommander
+à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons,
+dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent
+votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait
+ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû
+en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs
+facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des
+hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la
+société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce
+rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères
+ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle,
+comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en
+renom[67].
+
+Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des
+sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les
+fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits
+établissements.
+
+La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en
+Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la
+plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui
+alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que
+dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en
+outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait
+de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents
+endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le
+modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se
+borner, pour le moment, à la création de soixante bourses[68], pour
+chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le
+pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5
+janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments
+de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du
+Faubourg-Saint-Jacques, nos 254 et 256, connu sous le nom de
+séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui[69].
+
+A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait
+ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de
+décret d'organisation première de ces établissements:
+
+«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous
+proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur
+donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des
+ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera
+de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre
+le plus de talent, et de l'y appliquer.»
+
+Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer
+une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en
+outre, le vœu que six établissements fussent fondés en France, pour
+recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que,
+plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves
+dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des
+travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût
+adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était
+alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une
+consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau genre d'alliance à
+contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire,
+mais qui n'en sera que plus chère à vos cœurs; c'est l'alliance avec
+l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants
+sourds-muets au règne de la liberté.»
+
+La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3
+brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la
+création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les
+départements[70], outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut
+pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et
+précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes.
+
+Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4:
+
+«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux
+sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.»
+
+A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau,
+les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du
+Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le
+classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met
+leurs frais d'éducation au nombre des dépenses facultatives des budgets
+départementaux.
+
+M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante,
+avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi
+celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des
+enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse
+initiative.
+
+
+
+
+XXII
+
+ Mode d'administration successif des Institutions nationales des
+ sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour
+ but de généraliser en France cet enseignement
+ spécial.--Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition
+ adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et
+ d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée
+ nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian,
+ ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et
+ d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de
+ Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie
+ française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur
+ poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des
+ œuvres du célèbre instituteur.
+
+
+Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous
+la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard,
+administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de
+cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et
+du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de
+l'intérieur, avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un
+autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait
+modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés
+antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le
+28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale,
+du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de
+bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé
+de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de
+l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la
+même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une
+commission consultative, composée de cinq membres, y compris le
+directeur.
+
+A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives
+pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets.
+
+La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces
+infortunés au système général d'instruction publique de la France.
+
+Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX,
+consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet
+semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de
+sourds-muets fussent assis sur de solides bases.
+
+En 1836, un autre ministre, M. le comte de Gasparin, ayant invité le
+conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer
+un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à
+ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être
+présenté à l'examen des Chambres.
+
+Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès
+scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre
+instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école
+de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot
+et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à
+Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette
+enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent
+favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les
+conclusions.
+
+Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au
+Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la
+commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et
+par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées
+jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat
+immédiat, aucun résultat complet, malgré les votes favorables dont
+elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures.
+
+En juillet 1851, une pétition[71] à l'Assemblée nationale a été proposée
+et adoptée unanimement au sein de la _Société centrale d'éducation et
+d'assistance pour les Sourds-Muets en France_, présidée par M. Dufaure,
+ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces
+infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds
+nécessaires pour atteindre ce but.
+
+Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement
+du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau
+mémoire[72] au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la
+République.
+
+La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au
+concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à
+M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets
+de Paris, et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc.
+Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des
+sourds-muets de Madrid, _l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les
+avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction
+générale élémentaire_, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur.
+M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole
+de _Paul et Virginie_. On assure qu'il a travaillé à un _Dictionnaire de
+signes d'action analogiques_.
+
+On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur
+des _Templiers_, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer
+pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre _père spirituel_. Nous
+aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait
+certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons
+la perte.
+
+Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée:
+
+1º _Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur
+Marie-Anne Pigalle_, 1757, in-12;
+
+2º _Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus
+par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774,
+avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces
+exercices_, Paris, 1774, in-12 de 112 pages (dans sa quatrième lettre,
+il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à
+la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que
+ce quatrième exercice public sera le dernier);
+
+3º _Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques_,
+Paris, 1776, in-12; _nouvelle édition corrigée sous ce titre: La
+véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une
+longue expérience_, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en
+allemand;
+
+4º _Dictionnaire général des signes employés dans la langue des
+sourds-muets_, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main.
+
+
+
+
+XXIII
+
+ Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb
+ des cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur
+ s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre
+ aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas
+ au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit,
+ ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de
+ son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un
+ déplorable abandon.--Demande de renseignements au curé de
+ Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans
+ cette église.--Comment on découvre que ses restes reposent dans le
+ caveau de la chapelle Saint-Nicolas.--L'auteur y descend avec le
+ sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.--Spectacle
+ déchirant!--Souscription ouverte dans les journaux pour élever un
+ monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux
+ inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle
+ qui fut le berceau de son enseignement.
+
+
+J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des
+exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir
+religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à
+bien des témoins de son admirable existence[73] dans la vue de donner
+plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu
+me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de
+l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il
+soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front
+vénérable.
+
+Le _Mercure de France_, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe
+au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins[74]:
+
+ Hic jacet, egregio cœli qui munera pollens,
+ Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges;
+ Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam.
+ An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe?
+
+Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les
+bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le
+calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa
+tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la
+traduction française:
+
+«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des
+lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets.
+Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?»
+
+Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des
+cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut
+brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers
+travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur
+les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du
+christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la
+France révolutionnaire.
+
+Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris
+tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé
+de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je
+m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de
+notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je
+ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars
+sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance.
+
+C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par
+l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse
+absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de
+Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales.
+
+Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante:
+
+«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre
+feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une
+lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande
+famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de
+l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de
+Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à _notre père
+intellectuel_! Notre étonnement a dû être partagé par tous les
+appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de
+regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des
+célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne
+devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales
+artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des
+merveilles des siècles, comme son œuvre est placée par la postérité
+au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et
+qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque?
+
+«Dieu sait combien de médiocrités obscures et ignorées ont obtenu ici
+les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue
+d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont
+trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont
+immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils
+ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur
+d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! _Proh pudor!_
+
+«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit
+précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on
+n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis
+qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges,
+on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros
+pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans
+doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils
+jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté,
+s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un
+second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée
+ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants
+préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne
+mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à
+défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique?
+
+«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à
+notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères
+d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur
+la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes
+utiles sont mieux appréciés à l'étranger.
+
+«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de
+marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des
+sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le
+voit sur la place de la ville, en face même de cette institution.
+
+«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti,
+directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et
+Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la
+méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves
+sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître
+est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne
+sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous
+nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat.
+
+«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous
+en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé,
+démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle
+a, depuis longtemps, décerné à Paris.
+
+«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer
+l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à
+l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M.
+Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le
+modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à
+contribuer de notre faible offrande à cette œuvre de reconnaissance.
+
+«En publiant cette lettre[75], expression sincère du vœu de tous mes
+frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie,
+malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui
+sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur
+doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont
+précédés dans la carrière?
+
+«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi
+que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.»
+
+Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier,
+alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des
+renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de
+l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait
+pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne
+s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait
+dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant
+bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa
+sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du
+temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de
+quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts
+furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable,
+Mme Guerin, qui venait de perdre une sœur sourde-muette, élève de
+l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez Mlle Courtois,
+rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie
+intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur.
+
+Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui
+brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif
+de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions
+me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son
+accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre,
+quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui
+elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que
+c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps
+de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à
+aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle
+appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa
+messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de
+grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces
+détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient
+pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit
+à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis
+tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les
+uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices
+publics de ses élèves étaient l'objet des autres. Mme Guerin, avec le
+même empressement, offrit à notre curiosité des lettres du respectable
+prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant
+de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les
+dangers du monde.
+
+Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève
+de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de
+Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet,
+possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de
+Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son
+obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de
+Mlle Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier,
+recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous
+avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques
+de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son
+enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a
+pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants,
+à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre
+qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et
+les premiers ossements ont été découverts.
+
+Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante:
+
+«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les
+sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur
+surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut
+réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à
+la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur
+immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations,
+confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui
+assista au dernier soupir de son ami, _notre père spirituel_. Ses
+cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle
+Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange.
+
+«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé
+la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de
+l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic,
+Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là, quel spectacle affreux
+s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière
+et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands
+bienfaiteurs de l'humanité! Nos cœurs se sont émus, et nous, les
+enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas des
+hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal
+à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de
+vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets
+de l'univers,--c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver
+de pain pour donner un tombeau à leur père,--mais encore à toutes les
+âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque
+opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent.
+L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il
+n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet
+acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui
+parlez, dans nos cœurs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit
+que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour
+honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène[76], le Messie
+d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de
+l'indifférence publique. _Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus
+vocabitur_, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé
+grand.» (Saint Matthieu, v. 19.)
+
+«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en
+français et non en latin, pour que tous les sourds-muets qui savent
+lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier
+instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les
+victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison
+où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle,
+depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme.
+
+«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et
+l'assurance de ma considération personnelle.»
+
+ «FERDINAND BERTHIER,
+
+ «Professeur sourd-muet à l'Institution des
+ sourds-muets de Paris.»
+
+
+
+
+XXIV
+
+ Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+ élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la
+ présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se
+ compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando,
+ Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor
+ d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier
+ et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président
+ Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence de la
+ Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de
+ M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens:
+ représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où
+ s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on
+ préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de
+ la souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à
+ l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de
+ l'inhumation.--MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour
+ aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+
+Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger
+cette œuvre éminemment philanthropique.
+
+Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors
+député de Saône-et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous
+présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris,
+Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des
+députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la
+présidence[77] de cette commission, et de lui soumettre une liste de
+membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec
+cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et
+écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un
+devoir.»
+
+Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain.
+La voici, avec la réponse de l'illustre académicien:
+
+
+ «A MONSIEUR VILLEMAIN.
+
+ «Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des
+ caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever
+ un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été
+ proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils
+ désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux
+ qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur
+ vœu et de leurs sentiments. C'est M. Berthier, président de la
+ Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre.
+
+ «Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus
+ dévoués.»
+
+ RÉPONSE DE M. VILLEMAIN.
+
+«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne
+pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était
+agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M.
+Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit
+que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à
+cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins
+universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être
+exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part.
+Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai
+bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la
+mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M.
+Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens
+que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et
+d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation
+qu'il voudra bien m'adresser. Et un intermédiaire comme vous, Monsieur,
+ne me permet pas d'hésiter.
+
+«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus
+distinguée et de mes dévoués sentiments.»
+
+Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle
+était ainsi conçue:
+
+«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir
+la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur
+bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte
+mission, vient de se former; elle se compose de:
+
+ MM. DUPIN aîné, président de la Chambre des députés,
+ _président_;
+
+ VILLEMAIN, pair de France, vice-président du
+ Conseil royal de l'Instruction publique;
+
+ DE SCHONEN, pair de France, procureur-général à
+ la Cour des Comptes;
+
+ Le baron DE GÉRANDO, pair de France, président du
+ Conseil d'administration de l'Institution des
+ sourds-muets de Paris;
+
+ CHAPUYS-MONTLAVILLE, député de Saône-et-Loire;
+
+ CAVÉ, chef de la division des Beaux-Arts au ministère
+ de l'Intérieur;
+
+ L'abbé OLIVIER, curé de Saint-Roch;
+
+ Eugène GARAY DE MONGLAVE, homme de lettres;
+
+ NESTOR d'ANDERT, artiste;
+
+ Ferdinand BERTHIER, professeur sourd-muet à l'Institution
+ de Paris, président de la Société centrale
+ des sourds-muets;
+
+ FORESTIER, instituteur sourd-muet, vice-président
+ de cette association;
+
+ LENOIR, professeur sourd-muet à l'Institution de
+ Paris, secrétaire de cette société.
+
+«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel
+bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de
+mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la
+commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit
+régulariser l'emploi.
+
+»Agréez, etc., etc.
+
+ «Ferdinand BERTHIER.»
+
+Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron
+Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie
+de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un
+et l'autre nous adressèrent en réponse.
+
+ «Paris, 13 juin 1838.
+
+ «MESSIEURS,
+
+»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une
+commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma
+séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me
+faire; mais je serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un
+des premiers souscripteurs.
+
+«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments
+empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je
+suis
+
+ «Votre très-humble et très-obéissant
+ serviteur:
+
+ «CHATEAUBRIAND.»
+
+ «Paris, le 13 juin 1838.
+
+ «MONSIEURS,
+
+«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une
+commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque
+chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes
+occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes
+me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la
+commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer
+complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne.
+Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression
+de ma haute considération.
+
+ «Le président SÉGUIER.»
+
+Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence,
+les membres de la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna
+lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et
+ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur
+sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit
+comme architecte du gouvernement.
+
+Notre discours de remercîment était conçu en ces termes:
+
+«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs
+collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée.
+
+ «MESSIEURS,
+
+«Le premier sentiment qui saisit nos cœurs au moment où nous nous
+trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an
+milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des
+beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus
+sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous
+l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut
+alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre
+empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire
+de l'abbé de l'Épée.
+
+»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter une dette sacrée de la
+reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le vœu que
+nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes
+mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription
+indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des
+sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses
+derniers moments.
+
+»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir[78], architecte du
+Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger
+gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre
+secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner
+lecture.
+
+»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas
+anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les
+vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à
+vous en faire part.»
+
+La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à
+employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes
+de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les
+autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une
+représentation au bénéfice du monument que nous projetions. Nous
+offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'_Abbé
+de l'Épée_, pour celui de la _Muette de Portici_, pour tous les autres
+rôles, enfin, de notre spécialité.
+
+Le vœu fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés
+d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs.
+
+On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument.
+
+Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris,
+comme point central de l'édifice où se perpétue l'œuvre immortelle de
+l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui
+paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne
+fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût
+métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc.
+
+Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être
+élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé,
+dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est
+toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on
+considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits,
+l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les
+derniers que la sédition tentera de renverser.»
+
+Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé
+de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce
+sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues,
+non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé
+de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi
+le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait
+être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des
+remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la
+commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en
+France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez
+le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six
+notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot,
+Roquebert et Perrin.
+
+M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de
+Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir
+le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de
+l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à
+l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes,
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+
+
+
+XXV
+
+ Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+ Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de
+ fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et
+ d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le
+ grand instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms
+ des premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes
+ généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor
+ Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux
+ ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux
+ cours d'appel, etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière.
+
+
+Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions
+réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la
+chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée
+profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la
+surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont
+reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet
+carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux qu'un
+ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements
+sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée?
+Mlle Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le
+curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir
+appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances
+importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire,
+fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y
+avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse,
+une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de
+l'Homme? Nos cœurs en furent profondément émus.
+
+Nous dressâmes procès-verbal des dires de Mlle Courtois. Avant de
+s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le vœu de garder,
+comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son
+bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette
+précieuse relique ne me quittera jamais.
+
+ * * * * *
+
+Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la
+présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les
+premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms
+inscrits:
+
+D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne,
+ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique;
+de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier
+d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville,
+Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal,
+Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc.
+
+M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en
+donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout
+ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le
+secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement
+de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de Mlle
+Courtois.
+
+Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le
+cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres.
+
+Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes
+généreuses:
+
+«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et
+plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à
+la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature
+semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait été que
+rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges
+accidentels de patience et de tendresse.
+
+«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec
+étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des
+sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et
+qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa
+découverte fut une œuvre constante de vertu, autant qu'une invention
+utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de
+sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la
+perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur
+ne reçut aucun hommage particulier.
+
+«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante;
+d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le
+même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a
+peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de
+quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la
+société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet
+homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église
+St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre
+1789) et d'autres circonstances authentiques ont fait retrouver les
+ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer
+par un témoignage national du respect profond de la France pour la
+science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des
+misères humaines.
+
+ * * * * *
+
+«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient
+de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un
+monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église
+même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect
+publics viendraient chercher son image.»
+
+ * * * * *
+
+Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles
+de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M.
+Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition.
+L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la
+célèbre affaire _de la coalition_, qui avait si vivement préoccupé
+l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée
+de nos honorables collègues.
+
+ * * * * *
+
+Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert
+en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de l'honorable
+banquier, tous les fonds seraient versés chez lui.
+
+Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut
+(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault,
+statuaire.
+
+A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le vœu qu'il fût
+procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les
+plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui
+paraîtraient dignes de son attention.
+
+Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la
+commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit
+connaissance des lettres suivantes:
+
+ MICHAUT _(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du
+ monument à élever à l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
+
+«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi,
+comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma
+statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des
+membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute
+idée spéculative) d'être chargé du monument à élever à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée.
+
+«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une
+statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de
+l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de
+Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire
+espérer pour mon œuvre une place au Musée de Versailles; mais il a
+été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée
+dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste,
+et ce buste m'a été confié.
+
+«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis
+citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des
+sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres.
+Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un
+succès.
+
+«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la
+terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux.
+Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs
+membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire
+concevoir des espérances.
+
+«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je
+monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien
+jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les
+ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la
+maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la
+gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent
+attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de
+sculpteur.
+
+«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis
+de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution
+d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps.
+
+«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une
+carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une œuvre digne du
+bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à
+l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur
+le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir.
+
+«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir
+cet espoir; vous ne détruirez point votre œuvre; j'ose en attendre
+les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.»
+
+ VICTOR LENOIR, _architecte du gouvernement, à Messieurs les membres
+ de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEURS,
+
+«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée
+principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du
+sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue
+dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse,
+peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte
+par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire
+renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied.
+
+«Motif:
+
+«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune
+sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur _père
+intellectuel_ (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une
+couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets
+ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il
+conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des
+élèves de l'Institution.
+
+«La simplicité du motif serait relevée par un piédestal d'une masse
+assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre
+blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur
+tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux
+traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant
+à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets,
+comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous
+les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de
+l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de
+l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le
+construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait
+offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense
+générale.
+
+«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la
+chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui
+seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en
+face.
+
+«Je joins ici l'évaluation des dépenses.
+
+ «J'ai l'honneur d'être, etc., etc.»
+
+
+ _Devis des dépenses du monument de l'abbé
+ de l'Épée_.
+
+ «Le buste en marbre et les deux figures,
+ avec le motif qui les relie. 3,500 f.
+ «Piédestal en marbre blanc sur massif
+ en pierre 3,500
+ -----
+ Total 7,000
+
+«NOTA. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les
+inscriptions.
+
+M. NOVION, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le
+monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix
+de sept mille francs.
+
+«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il
+fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement
+exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du
+monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion
+peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je
+citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu,
+entièrement construit en fer.
+
+ «Vr LENOIR.»
+
+ AUGUSTE PRÉAULT, _statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville,
+ secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de
+ l'Épée._
+
+ «MONSIEUR,
+
+«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'_abbé de
+l'Épée_ n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail,
+permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour
+obtenir cet honneur, qui me serait bien cher.
+
+«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit.
+L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'_abbé de
+l'Épée_, c'est-à-dire la tête, le buste et les mains, tels que les
+statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense
+qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais
+inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le
+cœur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux
+premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et
+servir seulement à développer ce que j'expose.
+
+«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées
+pour surveiller les progrès de l'œuvre, et éviter tout ennui à la
+commission.
+
+«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner de cette donnée, qui est
+certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas
+qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que
+l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné
+la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé
+dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire,
+d'architecture, de fonte, etc.
+
+«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on
+commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans
+le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de
+l'œuvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire
+tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient.
+
+«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.»
+
+ * * * * *
+
+Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février.
+
+ * * * * *
+
+Ce jour-là, il fut donné communication de la réponse suivante de M.
+Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M.
+Chapuys-Montlaville, au nom de la commission:
+
+
+ «Paris, 17 février 1840.
+
+ «MONSIEUR,
+
+ «Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser
+ le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au
+ monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+ Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une
+ somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de
+ faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier,
+ mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé
+ d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues.
+
+ Agréez, etc.»
+
+Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin
+Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition.
+
+M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la
+cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a
+reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur:
+
+ 7 septembre 1839.
+
+ LÉGATION DE BAVIÈRE.
+
+ _A Monsieur le secrétaire de la commission pour
+ le monument de l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEUR,
+
+«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la
+lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers
+jours du mois de juillet dernier.
+
+«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de
+l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est
+empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette
+honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés
+à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance
+royale[79], datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à
+cet effet.
+
+«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.»
+
+Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux
+ambassadeurs des cours étrangères:
+
+«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet
+d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu
+de sa sépulture.
+
+«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien
+n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations
+civilisées.
+
+«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux
+éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété,
+et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien
+recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit
+que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la
+reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur.
+
+«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage
+de notre haute considération.
+
+ «Le secrétaire, Le président de la commission,
+ CHAPUYS-MONTLAVILLE. DUPIN.»
+
+
+
+
+XXVI
+
+ Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la
+ commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les
+ ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du
+ monument.--Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour
+ 3,000 fr.--Devis à forfait de M. Préault--La commission l'accepte,
+ à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir
+ qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février
+ 1841.--Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands
+ corps de l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en
+ ignore le résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque
+ d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration
+ du monument.--On s'adresse à l'abbé Cœur, qui ne peut, à cause
+ de ses nombreux travaux, accepter cette honorable
+ mission.--Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.
+
+
+M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des
+divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée.
+
+ «Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27
+ février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement
+ des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de
+ l'Épée.
+
+ «Deux concurrents se sont présentés.
+
+ «Quatre dessins ont été soumis.
+
+ «Trois portent la signature de M. Lelong, architecte.
+
+ «La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression
+ dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun
+ trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de
+ l'abbé de l'Épée.
+
+ «Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la
+ pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile,
+ intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale,
+ toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt
+ qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer.
+
+ «L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le
+ savez, Messieurs.
+
+ «En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la
+ décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale,
+ exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral
+ que vrai.
+
+ «Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette
+ profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des
+ chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et
+ sans compensation avantageuse.
+
+ «Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet
+ présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la
+ sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse
+ ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du
+ sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'œuvre,
+ tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un
+ rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique
+ aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs
+ et rondes bosses.
+
+ «Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir
+ toutes les conditions désirables sous le triple rapport de
+ l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et
+ de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission
+ à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus
+ convenable à tous les titres.»
+
+A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres:
+
+ «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les
+ soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans
+ l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture.
+
+ «Des preuves authentiques ont été recueillies, et une commission
+ s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur
+ de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire.
+
+ «La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche
+ lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre
+ disposition.
+
+ «Le ministre de l'intérieur[80], un grand nombre de membres des
+ deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les
+ personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien
+ voulu concourir à cette œuvre de gratitude et de respect.
+
+ «Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que
+ le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient
+ chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs
+ risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour
+ l'exécuter.
+
+ «La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les
+ accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a
+ pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme
+ d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop
+ évident avec son caractère et sa vie.
+
+ «Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette.
+
+ «Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront
+ versées dans la caisse de la souscription.
+
+ «Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former
+ le complément de celle qui est demandée pour le monument.
+
+ «Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous
+ associer à notre œuvre, et faire contribuer l'État à cet acte de
+ justice et de gratitude.
+
+ «Veuillez agréer, etc.»
+
+La commission s'est réunie le 13 juin 1840.
+
+M. le président annonce à la commission que M. le ministre de
+l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte
+d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce
+mois, ainsi conçue:
+
+ «Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous
+ informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre
+ désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de
+ l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis
+ officiel de cette décision.
+
+ «Agréez, etc.»
+
+M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et
+Lassus. Ce devis[81] est suivi d'un engagement formel, pris par M.
+Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000
+francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous
+les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le
+chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il
+n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait
+des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui
+résulteraient des diverses souscriptions.
+
+Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au
+procès-verbal.
+
+M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM.
+Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier
+et dans l'engagement mentionné ci-dessus.
+
+Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM.
+Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues
+dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le
+président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la
+première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux
+époques de rentrée des sommes provenant de la souscription; la seconde,
+c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de
+février 1841.
+
+MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à
+signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault.
+
+En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission,
+contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur:
+
+
+ «MONSIEUR,
+
+ «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres
+ enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été
+ retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris.
+
+ «Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée,
+ une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est
+ associé à cette œuvre de respect et de gratitude.
+
+ «Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription
+ eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du
+ monument.
+
+ «Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de
+ pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous,
+ Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez, à
+ leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité.
+
+ «Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de
+ l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de
+ cet homme de bien.
+
+ «Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à
+ la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert
+ de M. le président de la Chambre des députés.
+
+ «Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos
+ sentiments distingués.»
+
+Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les
+membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert,
+Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si
+pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine
+avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M.
+Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M.
+Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon
+de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de
+France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à
+écrire au roi pour en solliciter une souscription au monument; 3º enfin
+à supplier l'évêque d'Évreux[82] de vouloir bien prêcher dans l'église
+Saint-Roch le jour de l'inauguration.
+
+On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie.
+
+Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars
+1842:
+
+ «SIRE,
+
+«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église
+Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été
+retrouvés et où il avait été enseveli primitivement.
+
+«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous
+osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux
+et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité.
+
+«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.»
+
+Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa
+famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte.
+
+Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales
+de ne pouvoir satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M.
+l'abbé Cœur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui
+ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter
+cette honorable mission.
+
+
+
+
+XXVII
+
+ La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné
+ à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et
+ Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est
+ inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis
+ clos.--Description et éloge de cette œuvre remarquable.--Mais
+ pourquoi une inscription latine?--Sur 22,000 sourds-muets que
+ renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le
+ latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de bronze due
+ aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui
+ orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices
+ pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour
+ celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de
+ Chartres.--Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur
+ sourd-muet, offert à l'école de Paris.--Séance
+ d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une statue à
+ l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville
+ natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de
+ reconnaissance.
+
+
+Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon
+l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la
+mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue,
+c'est-à-dire en août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos!
+Pourquoi? Dieu le sait.
+
+Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le
+buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de
+même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains
+levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à
+leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien
+précieux de l'éducation.
+
+[Illustration: Monument de l'abbé de l'Épée dans une chapelle de
+l'Église Saint-Roch, à Paris.
+
+Sculpteur, M. PRÉAULT.--Architecte, M. LASSUS.]
+
+L'inscription simple et noble qui la décore[83] serait en parfaite
+harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien
+vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin,
+langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe.
+L'œuvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes
+distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M.
+Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et
+grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le
+buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une
+délicatesse qui révèlent une face toute nouvelle dans le talent si
+neuf, si hardi, si original de M. Préault.
+
+ * * * * *
+
+Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave
+et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une
+couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec
+l'inscription suivante: _A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois._
+C'était la réalisation d'un vœu, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur
+de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il
+n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses
+élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était
+terminé.
+
+Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade
+monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale
+faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due
+également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui
+sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et
+leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier
+étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice.
+
+Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins,
+la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous avons tout
+lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de
+Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'œuvre et son
+temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez
+élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et
+des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant
+pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la
+dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des
+travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds
+recueillis en divers lieux et par diverses mains.
+
+C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de
+son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte
+est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait,
+et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a
+admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques
+de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part,
+l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec
+tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est
+plus enthousiaste que lui. _Macte animo, generose puer!_
+
+ * * * * *
+
+En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un
+tact qui l'honore, avait bien voulu offrir à l'Institution nationale
+des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur,
+terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre
+instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont
+été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle
+réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il
+avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine
+de ces copies, jusque-là inconnue.
+
+Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de
+l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le
+11 mai 1840, dans la salle des séances publiques.
+
+Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets,
+signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la
+salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont
+transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves
+sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de
+couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les
+membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement[84]
+venaient à la suite.
+
+Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de
+l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre
+sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis
+autour de leur père.
+
+Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre
+sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires
+des deux maisons occupaient les deux parties latérales.
+
+M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil
+d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux
+élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance.
+
+A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement
+exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un
+sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de
+guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée.
+
+Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la
+caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses
+deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des
+sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme
+que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec
+l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil
+d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664
+fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves
+des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers
+fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur
+travail et leurs progrès.
+
+Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille
+circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de
+décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants,
+mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction
+sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de
+l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales.
+
+Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler
+devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux
+auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du
+président, et leurs noms ont été en même temps proclamés.
+
+Le président, au moment de lever la séance, a fait connaître à
+l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître
+l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un
+monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil
+d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa
+ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution
+nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses
+membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et
+dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au
+Maire de Versailles.
+
+A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue.
+
+
+
+
+XXVIII
+
+ Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de
+ l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet
+ commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux
+ sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du
+ célèbre instituteur.--Empressement unanime de tous les
+ convives.--Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et
+ inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.--Transports
+ d'allégresse de tous les assistants.--Mon allocution.--Bienfaits de
+ la Société centrale des sourds-muets.--Projet de cours publics et
+ gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.
+
+
+Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet[85] du 123e
+anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme
+président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que
+parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de
+l'humanité, ce _palladium_, ce drapeau de notre association commune, qui
+devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de
+ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet
+appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'œuvre du
+sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et
+saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent
+quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du
+premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux
+convives l'allocution mimique suivante:
+
+«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions,
+cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre
+fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a
+su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait
+Merlieux, que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces
+traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de
+tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce
+un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme
+céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des
+hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité!
+
+«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore,
+n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui,
+rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide
+essor vers le monde de l'intelligence.
+
+«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous
+sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre
+reine!
+
+«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de
+cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est
+prodigieusement agrandi.
+
+«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu
+s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre
+civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des
+intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la
+perfectibilité; et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes
+préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence
+est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle
+détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de
+l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de
+l'ignorance, en sortit triomphant à la fin.
+
+«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un
+respectable ecclésiastique adressa à notre _sauveur_ en venant
+d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir
+vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la
+religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.»
+
+«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous
+environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la
+constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins
+heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette
+population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier,
+autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de
+ces infortunés.
+
+«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des
+pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète
+ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux
+gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à
+l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous?
+Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le
+gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits
+dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à
+ouvrir une école aux mœurs et au respect des lois. Plusieurs hommes
+de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans
+l'accomplissement de cette grande œuvre de l'émancipation des
+sourds-muets.
+
+«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous
+sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire.
+
+«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour
+nous.
+
+«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai
+encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini.
+
+«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour
+l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux
+efforts pour justifier votre choix!
+
+«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai
+cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour arriver
+au but de nos vœux. Je termine, mes frères, en vous proposant un
+toast cher à nos cœurs:
+
+«A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!»
+
+
+
+
+XXIX
+
+ Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur
+ ami Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation
+ exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs
+ et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens,
+ inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits,
+ marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire,
+ graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout
+ genre, militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un
+ sourd-muet de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une marins et
+ médaille.--Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen
+ d'assister à notre banquet.--Mon toast à M. Bouilly et la réponse
+ de ce doyen de nos auteurs dramatiques.
+
+
+Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient
+précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après
+le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs[86], faisant
+assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime
+d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors
+sourds-muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette
+solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur
+expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une
+classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours.
+C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée
+de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place
+spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune.
+
+ «A la gloire des sourds-muets:!
+ «Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . .
+
+...(1)[87], qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le
+_Droit_, avec la _Gazette des Tribunaux_, et adresse, pour ses frères
+méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient
+aux Ministres;
+
+«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux,
+auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie;
+Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui
+aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour
+eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan, leur
+La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et
+écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et
+d'autres encore;
+
+«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus
+suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le cœur;
+Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous
+presse[88]; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui
+s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse;
+
+«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois;
+un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses
+découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux
+travaux: Paul de Vigan;
+
+«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au
+Musée de Versailles: Mlle Fanny Robert, la gracieuse élève de
+Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson,
+l'Apelle méridional, qui a retracé _les derniers moments de l'abbé de
+l'Épée_; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux;
+de Widerkehr, qui excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste
+titre, le Dubufe de la daguerréotypie[89], qui a inventé, de concert
+avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à
+polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf,
+l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave
+Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier,
+est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite;
+
+«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette
+personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler;
+
+«Un statuaire de talent: Cary;
+
+«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et Mlle
+Alavoine;
+
+«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel[90], Leclerc[91], Haacke
+réclament une place;
+
+«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la
+sourde-muette qui excelle dans la gravure;
+
+«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont
+fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs;
+
+«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer
+dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de
+beaucoup, les bornes de cette allocution rapide;
+
+«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis
+(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades,
+vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de
+Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que
+leur a donnée, à tous, la nature compatissante;
+
+«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait
+bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi
+dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de
+brillants exploits, dans la force de l'âge, parce qu'il était
+sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble
+maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli,
+adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la
+scène française, devint dragon dans les armées de la République, et
+tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il
+n'avait pas entendu le signal de la retraite.
+
+«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent.
+A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir!
+
+«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse
+des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de
+poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes,
+de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en
+tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit
+permis d'y inscrire un nouveau nom!
+
+«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre
+école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante
+francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le
+ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille[92],
+prix de son courage et de son dévouement.
+
+«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau
+camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur
+son histoire.
+
+«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont
+aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y
+montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger
+qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant,
+il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris
+déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr....
+
+«Heureusement les deux frères Hurtrelle (Alexandre et
+Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui
+est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a
+entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y
+précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant
+qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint
+l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans
+l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à
+coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le
+jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son
+frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de
+la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme.
+
+«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères
+sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger;
+il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend
+pas qu'il ait fait autre chose que son devoir.
+
+«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour
+y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros,
+qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront,
+ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là,
+deux sous, cet autre, plus favorisé de la fortune, trois sous au plus;
+et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant
+réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur
+nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous
+sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous.
+
+«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous
+dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire?
+
+«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des
+sourds-muets!»
+
+Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant
+de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui
+lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle,
+surtout, ne saurait se décrire.
+
+Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos
+hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en
+pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut
+l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques.
+Voici l'un et l'autre:
+
+ _Mon toast:_
+
+«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène française, a fait revivre
+l'abbé de l'Épée et son cher _Théodore_, connu sous le nom de _comte de
+Solar_, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive
+admiration! Son nom restera gravé dans nos cœurs comme celui d'un
+ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des
+sourds-muets.»
+
+ _Réponse de M. Bouilly:_
+
+«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante
+de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins,
+sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage
+que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie
+français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres
+de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière.
+
+«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la
+bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que
+l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine
+ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il
+obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses
+semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la
+protection des puissants du jour. Il employa un capital de 15,000 liv.
+de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable
+institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet,
+les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux,
+quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour
+son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante
+économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin
+qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant
+qui le caractérisait: _Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait
+tort de 300 livres._
+
+«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent
+considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en
+disant: _Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre
+d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance._
+
+«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait
+mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce
+qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!......
+Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et
+méconnaissait jusqu'à la vertu même.
+
+«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de
+la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il a
+fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver
+l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de
+fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en
+comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres,
+des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin
+honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!....
+
+«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes
+découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les
+immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas,
+comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le
+philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des
+âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour
+sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du
+Créateur!
+
+«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes
+distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée
+de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos
+gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient
+féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au
+développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs!
+Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel,
+consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot,
+cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une
+même famille!
+
+«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits
+de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que
+daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur:
+
+«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la
+fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma
+tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus
+beaux jours de ma vie.»
+
+
+
+
+XXX
+
+ Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+ statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de
+ Versailles, sa ville natale.--Communication officieuse du maire du
+ chef-lieu de Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M.
+ le docteur Bataille.--Sa lettre à un journal du
+ département.--Nobles sentiments.--Modèle de la statue de notre
+ illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des
+ monnaies.--Offres désintéressées.--Premier noyau de la commission
+ de Versailles.
+
+
+Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles,
+qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et,
+avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance
+pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du
+chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder
+l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la
+Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville.
+
+ * * * * *
+
+Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une éclatante réparation pour les
+dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho
+sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre
+instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel
+énergique au public, dans la lettre suivante, que la _Presse de
+Seine-et-Oise_ inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année:
+
+
+ PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+ «MONSIEUR LE RÉDACTEUR,
+
+«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs
+reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce
+qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits.
+
+«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un
+des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins
+caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel
+épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant
+quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement
+achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts,
+et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes
+avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés
+nombreux, dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire
+et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la
+morale.
+
+«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses
+richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque
+province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit
+ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au
+denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos
+hommes illustres. Voyez _Molière_, _Racine_, _Voltaire_, _Foy_, _etc._,
+à Paris; _Corneille_, _Boïeldieu_, à Rouen; _Malherbe_, à Caen; _Jeanne
+d'Arc_, à Orléans; _Kléber_, à Strasbourg; _Hoche_, à Versailles;
+_Marceau_, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant
+d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et
+loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux
+caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce
+colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses
+galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande
+banque de _toutes les gloires de la France_, qui ne connaît pas de
+prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs
+insolvables.
+
+«C'est, sans doute, par cet entraînement pour tout ce qui est éclat
+national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne
+l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur[93],
+dont l'âme, n'est ni _sourde_ au cri de la reconnaissance, ni _muette_ à
+l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple
+éloquence d'un cœur tout plein des bienfaits de son maître,
+l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée.
+
+«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville
+qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à
+d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir
+assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins
+connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même
+inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par
+aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de
+l'Épée au nombre des enfants de Versailles?
+
+«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut
+guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais
+humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et
+sanglantes hécatombes de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée...
+à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux
+dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie,
+les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de
+pacification?
+
+«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies,
+trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les
+compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités,
+puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice
+envers l'autre.
+
+«J'émets donc le vœu et formule ici la proposition qu'il soit élevé
+une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de
+Versailles.
+
+«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet
+objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue
+Neuve. Là, nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales
+galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de
+Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père
+des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la
+ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la
+fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine.
+
+«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables;
+que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain
+qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la
+caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de
+souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du
+gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a
+gratifiés pour la statue de Hoche?
+
+«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je
+l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la
+confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la
+ville, comme à tout ce qui touche à son éclat.
+
+«Agréez, etc.»
+
+ * * * * *
+
+Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies,
+présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de
+l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans
+autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres
+désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies
+comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux
+de ses concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à
+lui, afin de couvrir les dépenses du monument.
+
+ * * * * *
+
+Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24
+janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le
+lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron,
+Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous
+faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville
+natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+M. Michaut était présent.
+
+Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant
+apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de
+nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner
+l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M.
+l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider
+l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire.
+Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il
+s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres
+proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne,
+l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de
+Sainte-James, Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard.
+
+Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles
+n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à
+ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant,
+au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre
+les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la
+souscription.
+
+
+
+
+XXXI
+
+ Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau
+ définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et
+ moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire
+ de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La
+ statue sera en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements
+ proposés.--Deux seuls paraissent convenables.--Autorisation à
+ demander au conseil municipal.--Comité de trois membres, chargé,
+ sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des
+ travaux.--Publication de la liste des souscripteurs tous les deux
+ mois.
+
+
+La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le
+cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient:
+
+ MM. BERNARD DE MAUCHAMPS, vice-président du tribunal;
+
+ BESNARD, notaire;
+
+ DE FRESQUIENNE (le baron), membre du conseil municipal;
+
+ GAUGUIN receveur principal;
+
+ LEBRUN, directeur de l'École normale primaire;
+
+ DE SAINTE-JAMES, avocat;
+
+ WATHIEZ (le vicomte), lieutenant général.
+
+On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de
+la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de
+Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne;
+secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin.
+
+La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida
+qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était
+accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes
+qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui
+paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en
+furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles;
+Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département.
+
+La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour
+activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés;
+mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se
+borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M.
+Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la ville. Quant au
+mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le
+projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux
+journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en
+outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des
+lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la
+localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la
+souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le
+préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans
+le _Mémorial administratif du département_.
+
+Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: _Commission
+pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée_, et que les affiches
+et notices pour les journaux seraient intitulées: _Commission pour le
+monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale_.
+
+ * * * * *
+
+Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le
+vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de
+proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux
+souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait
+que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il
+serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi.
+
+M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire
+de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de
+l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les
+départements fut l'objet d'une discussion générale.
+
+ * * * * *
+
+Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui
+était offert de faire partie de la commission.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut
+donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le
+dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les
+souscriptions.
+
+M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de
+préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission
+décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille
+héroïque, c'est-à-dire de huit pieds au moins.
+
+Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un
+devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées;
+puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la
+ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue
+de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards de la Reine et du Roi, 3º l'axe
+du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui
+devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la
+prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º
+le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des
+Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe
+qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le
+Marché-Neuf.
+
+Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission:
+la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un
+extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement
+désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du
+conseil municipal.
+
+Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre
+l'exécution de la statue, sous le titre de _jury de surveillance_, et on
+l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de
+l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit
+dans le sein de la commission, soit en dehors.
+
+Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode
+de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires
+dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi.
+
+Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis
+suivant serait inséré à la fin du prospectus:
+
+«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la
+liste des souscripteurs.»
+
+
+
+
+XXXII
+
+ Mort du président de la commission, M. le marquis de
+ Sémonville.--M. le baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande
+ d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la
+ statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École
+ normale.--Réponse favorable.--M. Michaut s'engage à ce que les
+ frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à
+ en commencer le modèle en argile plastique.--M. l'architecte Petit
+ invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et
+ des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois
+ le vœu qu'on choisisse un emplacement plus convenable.--Projet
+ d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.
+
+
+La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans
+le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence
+du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses
+collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de
+Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement
+procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président et d'un
+nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron
+furent promus à ces fonctions.
+
+On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de
+l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la
+statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale,
+au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un
+hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école.
+
+Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le
+bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier
+l'étendue du terrain demandée au Ministre.
+
+Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui
+lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue
+ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en
+même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile
+plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de
+suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit
+dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le
+piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient.
+
+Ces travaux devaient consister en maçonnerie, marbrerie, serrurerie,
+peinture, charpente, terrasse et pavage:
+
+En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former
+le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il
+serait placé et l'entourer d'un stylobate;
+
+En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné;
+
+En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant
+sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le
+bord de la plate-forme;
+
+En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze;
+
+En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce
+que la statue fût érigée;
+
+En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin
+d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches.
+
+Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails
+circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs,
+répartis comme suit:
+
+ Maçonnerie. 3,500 fr.
+ Marbrerie. 4,550
+ Serrurerie. 3,000
+ ---------
+ Transport. 11,050 fr.
+
+ Report. 11,050 fr.
+ Peinture. 160
+ Charpente. 150
+ Terrasse et pavage. 300
+ ---------
+ Total. 11,660 fr.
+ ==========
+
+A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de
+l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction
+publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue:
+
+ _A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour
+ l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles._
+
+ A Paris, le 10 septembre 1839.
+
+«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient
+nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la
+commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une
+petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale
+primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever
+la statue de l'abbé de l'Épée.
+
+«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain,
+ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société des
+souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la
+grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la
+statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de
+l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin
+d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin,
+qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin
+de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la
+rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma
+décision à la commission que vous présidez.
+
+«Recevez, Monsieur le baron, etc.»
+
+ * * * * *
+
+Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission,
+une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique.
+
+Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil
+municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici
+les conclusions:
+
+«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs
+à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa
+commission, décide:
+
+«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue de l'abbé de l'Épée sur
+une des places de la ville de Versailles;
+
+«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission
+des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en
+face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le
+conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs;
+
+«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son
+érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes
+proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la
+saillie que le monument aura sur la voie publique.
+
+«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et
+adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le
+deuxième paragraphe:
+
+«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement
+proposé par la commission des souscripteurs, émettant le vœu que les
+résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la
+place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou
+tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition
+de la commission.»
+
+Cette lecture entendue, la commission discuta les conclusions du
+conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour
+l'autorisation[94] que ce magistrat s'était empressé de lui faire
+obtenir.
+
+M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses
+prévues.
+
+L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à
+stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité.
+Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée.
+
+M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à
+faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du
+monument.
+
+On pensa qu'une médaille, œuvre de M. Michaut, dont la réputation, au
+point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les
+citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du
+monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi
+individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire.
+
+La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à
+distribuer aux souscripteurs était décidé en principe; 2º que cette
+médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente
+lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal
+plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant
+préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur
+serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M.
+Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire.
+
+La commission nomma, enfin, _un comité chargé de rédiger et d'envoyer
+les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer
+les travaux_, concurremment avec le président et le secrétaire.
+
+
+
+
+XXXIII
+
+ M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son
+ approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé
+ de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui
+ s'y rattachent.--Réponses de la commission aux différentes
+ questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.--Première
+ pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de
+ Versailles avec quelques membres de la commission du monument,
+ ayant pour but d'essayer de lever en commun ces
+ obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en réponse
+ aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un
+ prospectus à répandre pour activer les souscriptions.
+
+
+M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840,
+adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il
+n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des
+choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé:
+
+1º Sur la forme et le mérite de la statue projetée, question qui ne
+pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de
+la grandeur même de la statue;
+
+2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui
+paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que
+partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin
+de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis
+offrant, à son avis, un emplacement plus convenable;
+
+3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense
+serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les
+ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de
+compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les
+souscriptions ne seraient pas suffisantes;
+
+4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû
+être faite à la ville, et non aux souscripteurs.
+
+ * * * * *
+
+Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des
+souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de
+Seine-et-Oise.
+
+ * * * * *
+
+En conséquence, dans la sixième séance du 27 janvier 1840, M. le
+président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise
+n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la
+commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait
+nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une
+délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de
+documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des
+délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité
+de rédaction, à l'effet de préparer une réponse.
+
+M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son
+ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La
+commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en
+double exemplaire, à M. le maire de Versailles.
+
+M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus[95], avec les
+additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit
+connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité.
+
+ * * * * *
+
+Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui
+avaient été soumises par M. le préfet, et finit par proposer, dans le
+cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient
+pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus
+prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà
+souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle,
+voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de
+s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en
+désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt
+levé tous les obstacles.»
+
+Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter
+incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le
+préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé
+de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des
+souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de
+Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité
+à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la
+Mairie.
+
+ * * * * *
+
+Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture
+d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis
+le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à la connaissance de la
+commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il
+avait tenus.
+
+M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La
+commission déclara approuver cet aperçu de la situation.
+
+M. le président communiqua la délibération suivante du conseil
+municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le
+préfet:
+
+ «Le conseil,
+
+«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a
+lieu de répondre à M. le préfet:
+
+«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs,
+par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse
+écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur
+d'exécution;
+
+«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît
+pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant
+la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre
+emplacement de la ville;
+
+«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à
+prendre, et qu'aucun sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet;
+
+«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite,
+ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit,
+aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue
+propriétaire du monument.
+
+«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et
+adoptées.»
+
+
+
+
+XXXIV
+
+ Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de
+ souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de
+ 300 francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la
+ commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la
+ statue.--Le statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions
+ des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.--Projet
+ d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution
+ des sourds-muets de Paris.--Le préfet de Seine-et-Oise accepte les
+ fonctions de président d'honneur de la commission.--MM. Molé,
+ Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés
+ pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la guerre regrette
+ de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la
+ confection de la statue.
+
+
+Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et
+contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil
+municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes:
+
+«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir
+bien considérer que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas
+être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités
+municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à
+un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de
+reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité,
+un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque.
+C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez,
+non-seulement à vous associer à notre œuvre, mais encore à provoquer
+l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou
+avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents.
+
+«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques
+souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos
+sentiments les plus distingués.»
+
+ _Le président_, Baron DE PRESQUIENNE,
+ _Le secrétaire_, E. B. DE SAINTE-JAMES,
+ Membres du conseil municipal.
+
+A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que
+déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle
+faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les
+personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique et
+morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et
+dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c.
+
+Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier
+une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds
+nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce
+monument vraiment national.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima
+le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion
+personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à
+visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il
+fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait
+immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait
+prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses
+observations.
+
+M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic,
+frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000
+infortunés de cette catégorie que peut contenir la France[96]. Des
+remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé qu'il
+apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui
+transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la
+commission était animée pour ses louables efforts.
+
+ * * * * *
+
+Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication
+d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de
+la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter
+de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris[97] l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet
+établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et
+qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription.
+
+M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle
+lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition
+une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83
+sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de
+nouvelles souscriptions.
+
+Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne
+l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des
+sourds-muets, pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet
+d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur
+regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École;
+mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la
+cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à
+la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était
+nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût
+approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le
+secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait
+à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient
+entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il
+pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté,
+à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à
+la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre
+l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la
+commission pour recueillir les offrandes.
+
+La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait
+transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers
+le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des
+sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du
+Louvre, en obtenant toutes les autorisations indispensables pour
+arriver à ces fins.
+
+La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne
+serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner
+plus de puissance et de popularité.
+
+Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et
+Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du
+département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département,
+pair de France, et à M. le duc de Luynes.
+
+En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé
+Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence
+d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission.
+Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire
+occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du
+gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être
+le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit
+par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il
+éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville
+natale.
+
+Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était
+empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande que ce
+respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire
+à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour
+que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés
+par le gouvernement.
+
+Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre,
+maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise
+qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de
+Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître
+les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze
+demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes
+dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des
+bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans
+les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi
+pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne
+manquerait pas de le signaler comme tel.»
+
+ * * * * *
+
+La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de
+souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à
+remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne
+fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait
+beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les
+départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous
+les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce
+monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de
+leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément
+souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers
+souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de
+membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses
+fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des
+services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez
+toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au
+génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance.
+
+
+
+
+XXXV
+
+ Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+ sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de
+ Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de
+ délégués du conseil municipal, de membres de la commission des
+ souscripteurs.--Mes impressions en présence de la
+ statue.--Engagement du fondeur.--Adoption de la statue par le
+ conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des
+ rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut se soumet aux corrections
+ indiquées.--L'architecte de la ville mis à la disposition de
+ l'œuvre.--Nouveaux moyens à employer pour activer les
+ souscriptions.
+
+
+Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de
+Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé,
+dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue
+Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de
+proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en
+costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen
+sérieux de l'œuvre de M. Michaut, c'est un devoir pour nous de
+féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème
+difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais
+comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut
+devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous
+pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition
+remarquable.
+
+Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont
+le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon
+et une tablette, sur laquelle est écrit le mot _Dieu_, d'abord en
+caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite,
+élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité
+adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont
+elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la
+première lettre du mot _Dieu_. C'était dans cette position simple,
+naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que
+l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines,
+trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.--Vue de face, la
+statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est
+belle. L'œil est satisfait autant que le cœur.--La soutane est de
+l'effet le plus vrai, le mieux senti.--Par derrière, les plis du
+manteau retombent naturellement et sans contrainte.
+
+Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente
+le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses
+emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à
+l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers
+élèves de ce maître dévoué.
+
+Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est
+honorable. Pour que son œuvre puisse être citée comme un des plus
+beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce
+genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin
+de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui
+retombent sur le bras gauche.--Il a droit, désormais, à nos
+félicitations autant qu'à notre reconnaissance.
+
+Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois
+heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets
+de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des
+adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal
+composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par
+une députation de membres de la commission des souscripteurs.
+
+La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs
+examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois,
+leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son
+sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de
+douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet
+historique du vénérable abbé de l'Épée.
+
+Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était
+loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée
+à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif
+annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant
+probablement ressortir la statue avec plus d'avantage.
+
+ * * * * *
+
+Le 25 août, le _Journal de Seine-et-Oise_ publiait l'article suivant,
+intitulé[98]: _Impressions des sourds-muets en présence de la statue de
+l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de
+Paris:_
+
+«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans
+la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques,
+nº 254, doit être coulée en bronze et orner une des places publiques de
+Versailles. C'est l'œuvre de M. Michaut, le célèbre graveur des
+monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la
+ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité.
+Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette
+commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce
+monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de _notre
+père spirituel_. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération,
+la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les
+cœurs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre
+Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils
+dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les _aînés_, je
+veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à
+leurs _cadets_, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs
+condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes
+étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes,
+tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était
+à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté.
+Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même
+de l'établissement.
+
+«Tous les yeux sont fixés sur cette image chérie. Que de sensations
+elle excite! Nos enfants s'extasient; leur cœur s'enflamme au
+souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui
+a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et
+puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a
+soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils
+étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du
+banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du
+courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas
+jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne
+pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette
+infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de
+l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe
+des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de
+les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien
+tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes,
+regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de
+puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre?
+
+«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste
+énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue dont
+l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos cœurs, à
+toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le
+travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce vœu trouve de
+l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à
+quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que
+Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants,
+envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France,
+tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite,
+le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera
+pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au
+premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis!
+Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une
+image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la
+statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui
+préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous
+dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre
+père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages.
+
+«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible
+les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici une
+réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix,
+une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de Mlle Barbier[99], a
+faite à cette question:
+
+«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée
+dans l'Institution des sourds-muets?»
+
+«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons
+voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se
+fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous
+ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne
+sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous
+obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le
+ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous
+qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons
+plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif
+sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au
+ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux;
+que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les
+sourds-muets pratiquer toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux
+vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si
+jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait
+nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le
+bienfaiteur des sourds-muets.»
+
+ * * * * *
+
+M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la
+commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en
+plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de
+l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y
+mouler en deux parties seulement;
+
+2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre
+pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être
+essayé par expert sur la statue même);
+
+3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction
+de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer
+sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires;
+le tout, pour la somme de _six mille francs_.
+
+Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée,
+deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie.
+
+Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de
+Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du
+conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la
+statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et
+d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération
+à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il
+lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la
+dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M.
+le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre
+ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du
+plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des
+sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de
+l'intérieur.
+
+Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien
+voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le
+plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en
+conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du
+département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle,
+la sollicitude de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M.
+le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face
+aux dépenses de la fonte de la statue.
+
+«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire,
+des membres de la commission municipale et de la commission du monument
+se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue.
+D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le
+conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à
+la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des
+corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le
+préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre
+de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la
+statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la
+disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la
+réalisation des projets de la commission....»
+
+Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la
+condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les
+corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était
+bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du
+président, et après l'approbation de la commission.
+
+M. le trésorier lui communique la situation de son avoir.
+
+M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener
+des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui
+voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º
+près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets
+qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre
+des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants
+de la commission.
+
+ * * * * *
+
+Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le
+préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers
+à la disposition de la commission.--Il fut décidé que le bureau
+provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres
+adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés
+ci-dessus.
+
+ * * * * *
+
+Puis, la commission arrêta ce qui suit:
+
+ * * * * *
+
+«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour
+être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de
+la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le
+maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de prêter
+leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant
+l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville
+à l'abbé de l'Épée.»
+
+M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections
+faites à la statue.
+
+Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la
+séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent
+faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait
+définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M.
+Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment.
+
+On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard,
+vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter
+assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales,
+donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle
+M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la
+statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet
+de traité, qui fut adopté à l'unanimité.
+
+M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les
+moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On
+arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut
+demanda à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas
+les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une
+époque plus opportune.
+
+
+
+
+XXXVI
+
+ Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal
+ de la statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette
+ œuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à
+ l'achèvement des travaux.--Le conseil municipal en vote
+ 2,000.--Projet d'une plaque commémorative.--Inscription de la face
+ principale du monument.--Travaux du fondeur surveillés par le
+ statuaire.--Érection fixée au 8 septembre 1843.--Dernières
+ dispositions.--Programme de la fête.--Décision du conseil
+ municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux
+ sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.
+
+
+Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de
+l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets
+en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur
+de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique
+dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don
+qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur des
+sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur
+elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit
+connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un
+fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en
+bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843.
+
+ * * * * *
+
+Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier,
+inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des
+mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze,
+envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne.
+
+M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la
+délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur
+suit:
+
+ «M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue
+ de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en
+ fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs.
+
+ «Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le
+ secrétaire rend compte des corrections faites à la statue.
+
+ «La commission a annexé aux pièces un état de la situation
+ financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit
+ de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure
+ au devis pour la construction du piédestal de la statue.
+
+ «Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de
+ 2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du
+ piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que
+ le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal
+ réduira probablement cette dépense à 2,000 fr.
+
+ «Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu
+ qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper;
+
+ «Que la construction du piédestal sera supportée par la
+ souscription;
+
+ «Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de
+ laquelle il sera pourvu dans la session de mai.»
+
+Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1er
+août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné
+communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en
+général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville,
+et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par
+le moyen de lettres et par celui de visites, dont serait chargée une
+personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on
+s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris
+tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une
+démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du
+département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août.
+
+D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux
+du piédestal, etc., etc.
+
+Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre,
+enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait
+l'inscription suivante:
+
+ =AD. MAJ. GLOR. DEI.=
+
+ Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français,
+
+ EN AOÛT 1843,
+
+ Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique
+
+ A LA MÉMOIRE DE
+
+ =CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,=
+
+ Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets,
+
+ NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789.
+
+ MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE
+ ET DES HABITANTS,
+ DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES,
+
+ Par les soins des Commissaires:
+
+ MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur;
+
+ REMILLY, Député et Maire;
+ Bon DE FRESQUIENNE, ex-Maire;
+ L'abbé CARON, Vice-Président;
+ DE STE-JAMES GAUCOURS, Sre
+ BESNARD, Vice-Secrétaire;
+ GAUGUIN, Trésorier;
+ Lt-Gal Vte WATHIEZ;
+ B. DE MAUCHAMPS;
+ TAPHINON;
+
+ LEBRUN;
+ COUPIN DE LA COUPERIE;
+ BOISSELLIER;
+ DOUCHAIN;
+ Dr BATTAILLE;
+ Feu le Mis DE SÉMONVILLE, Pair;
+ Feu le Cher DE JOUVENCEL, ex-Maire et ex-Député.
+
+ Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies;
+ Architecte: PARIS, Architecte de la ville;
+ Fondeur: SAINT-DENIS.
+
+Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument.
+
+ GABRIEL F., à Versailles.
+
+Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie,
+en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double
+exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux
+archives de la ville.--On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque,
+suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission.
+
+On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du
+piédestal, l'inscription suivante:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ NÉ A VERSAILLES,
+
+ LE XXIV NOV. MDCCXII.
+
+Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il
+en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas,
+l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais
+on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun.
+
+Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus
+éloignée, selon les ressources de la commission.
+
+M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que
+les conditions imposées par la commission du monument, d'après les
+articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de
+la commission et M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par
+le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité
+nécessaire.--Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur
+place.
+
+Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur,
+la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M.
+l'abbé Caron, vice-président.
+
+La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés
+pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et
+décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand
+elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des
+travaux.
+
+Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur
+l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit
+successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission
+déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés.
+Elle rapporta sa décision du 1er août, et arrêta que cette
+inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en
+ces termes:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+ PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS,
+ NÉ A VERSAILLES,
+ LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII.
+
+Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient
+terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait
+irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers
+une heure de relevée.
+
+Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut
+introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission
+arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre
+sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient
+offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le
+préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la
+commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le
+quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission.
+
+L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la
+statue. La commission décida ce qui suit:
+
+Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le
+monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son
+inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en
+informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien
+prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires,
+notamment pour empêcher la commission et les souscripteurs d'être
+confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire
+serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet,
+président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit
+président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui
+donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être
+son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la
+statue à la ville de Versailles.
+
+La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris
+et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses
+personnes qui ont rendu différents services à la commission.
+
+Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait
+imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de
+l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration
+devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de
+Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la
+notice.
+
+M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2
+septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il
+rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir
+entendu, le 8 novembre 1841, celui de la commission qui avait été
+chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée:
+
+«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M.
+Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de
+jonction des rues Royale et d'Anjou[100].»
+
+M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument,
+de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle
+devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et
+lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures de police qui
+lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la
+cérémonie.
+
+ * * * * *
+
+M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le
+2 septembre, de Versailles, en ces termes:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le
+programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a
+décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir
+bien adresser une allocution _mimique_ aux sourds-muets réunis au pied
+de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au
+plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons
+d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur
+bienfaiteur, et de leur témoigner que _la ville de Versailles_ tient à
+honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la
+garantie de l'éloquence de ses paroles.
+
+«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou
+encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir
+prononcée.
+
+«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour
+Lyon le 24 ou le 25, on aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus
+tôt.
+
+«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à _midi et demi précis_ sur
+remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les
+présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions.
+
+«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de vœux qui doivent
+sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son
+très-humble et très-obéissant serviteur.»
+
+
+
+
+XXXVII
+
+ Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa
+ ville natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de
+ Paris et d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence
+ regrettable du clergé.--Nombreuse affluence de
+ spectateurs.--Discours du préfet, au nom de la commission des
+ souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie et les travaux
+ de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la
+ commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves
+ d'artillerie.--Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il
+ devait prononcer.
+
+
+[Illustration: Statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles.
+
+=Par M. MICHAUT (Des Monnoies)=.]
+
+Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des
+rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un
+piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout
+autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de
+garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se
+tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute
+condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on
+remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin
+de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la
+conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure,
+la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de
+France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du
+monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins
+le clergé[101]), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux
+applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant
+donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la
+ville dans les termes suivants:
+
+
+ «MONSIEUR LE MAIRE,
+
+ «La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui
+ nous environne, et je suis chargé, par la commission de
+ souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles,
+ représentée par son corps municipal.
+
+ «Le zèle des souscripteurs, dans cette œuvre de reconnaissance,
+ a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps
+ municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste,
+ par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le
+ jour.
+
+ «Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu
+ naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable
+ qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les
+ inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la
+ parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de
+ toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi
+ dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la
+ morale, de l'intelligence et de la raison.
+
+ «Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands
+ souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de
+ l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle
+ s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme
+ nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir
+ du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage
+ du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.»
+
+M. Remilly, maire de Versailles, membre de la Chambre des députés, a
+répondu ainsi:
+
+ «Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste
+ orgueil.
+
+ «Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans
+ l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime
+ ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante,
+ naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus
+ grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une
+ auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie
+ intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en
+ était déshéritée.--Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent
+ consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer
+ aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer
+ leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque
+ sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et
+ observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence
+ humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la
+ faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue
+ intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond,
+ il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de
+ l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence, éveilla dans
+ leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité
+ horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à
+ l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si
+ naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte.
+
+ «Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître
+ dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son
+ corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres
+ enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de
+ l'abbé de l'Épée!
+
+ «Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si
+ justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance
+ la sympathie des nobles cœurs pour un génie vertueux et modeste!
+ Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi
+ nous, qui a voulu faire descendre dans son œuvre, dans ce
+ bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie
+ durant sa vie de vertu et d'abnégation!
+
+ «Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des
+ sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu
+ exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de
+ l'Épée, en rappelant le souvenir de ses utiles travaux, de son
+ dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à
+ d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui,
+ la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs
+ semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui
+ immortalisent notre grand concitoyen.»
+
+M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice
+biographique sur l'abbé de l'Épée.
+
+Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de
+l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant:
+
+ «FRÈRES ET SŒURS!
+
+«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs
+glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons
+sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un
+habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de
+l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet
+admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles
+attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux
+impatients!
+
+«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve
+énergie de nos sentiments exprimés dans une langue qui est notre
+patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa
+également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au
+frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en
+égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux
+oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche
+de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel.
+
+«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où
+viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres
+enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs
+divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique
+de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes sœurs en Dieu,
+vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui
+ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la
+création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la
+flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que,
+quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont
+pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux
+publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons
+religieusement! Quel langage parlent à nos regards ce geste expressif,
+cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné
+par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples
+bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos sœurs
+d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans
+leurs cœurs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait
+fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les
+ronces du chemin, et que Dieu vous conduise!
+
+«Frères et sœurs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette
+mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce
+bronze, pour nous si palpitant de souvenirs!
+
+«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre
+Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en
+caractères ineffaçables!
+
+«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à
+bonne fin cette œuvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des
+plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes,
+qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de
+l'avoir vu naître dans ses murs!»
+
+M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative
+de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt
+verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive
+sensibilité.
+
+ * * * * *
+
+M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la
+cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que
+la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses
+immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres
+enfants.
+
+ * * * * *
+
+Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du
+vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des
+sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour
+cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu
+garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où
+sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique.
+Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le
+président et le secrétaire de la commission.
+
+Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied
+de la statue:
+
+«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages que l'immortel abbé de
+l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son œuvre est
+au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions
+des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi
+dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la
+pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire,
+en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme,
+développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la
+pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec
+autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus
+éloquent.
+
+«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit
+bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le
+langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du
+discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire,
+introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots
+appelés _pronoms_ par les grammairiens désignent les relations
+personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent
+naturellement aux premiers éléments de l'ordre social.
+
+«Si l'on parcourt, d'un coup d'œil, le siècle qui vient de s'écouler,
+on ne trouve pas d'invention plus utile à l'humanité. Sans doute,
+durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif
+éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit
+par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent[102];
+l'autre, doué de la plus profonde sensibilité[103] et d'une éloquence
+mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des
+peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des
+précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute
+magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute
+sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de
+ses veilles, l'_Esprit des lois_[104]: toutefois, aucun de ces grands
+hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus
+du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le
+génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour
+féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et
+abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une
+inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette
+céleste invention; c'est le désir de faire naître Jésus-Christ dans le
+cœur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette
+religion sainte, qui embrasa le cœur de l'abbé de l'Épée et de son
+digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je
+m'honorerai d'avoir été l'humble élève.»
+
+
+
+
+XXXVIII
+
+ Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la
+ statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du
+ sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le
+ conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et
+ adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au
+ statuaire.--La commission sollicite en vain de M. le Ministre de
+ l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière
+ subvention pour solder ses comptes.--Relevé définitif des recettes
+ et dépenses.--Tribut de regret de la commission à quatre de ses
+ membres décédés.--Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.--Elle
+ décerne une médaille au statuaire Michaut.--Désir des souscripteurs
+ sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de
+ constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission
+ ne peut que faire lithographier des listes générales.--Conclusion:
+ sept vœux émis; trois encore à exaucer, une statue dans
+ l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux
+ inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à
+ Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à
+ enseigner, à Paris.
+
+
+A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers,
+plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous
+celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise.
+
+Notre poëte sourd-muet, Pélissier[105], voulut chanter, à son tour, cet
+envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la
+véritable langue des dieux.
+
+Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères:
+
+ Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer
+ à la postérité de sublimes leçons.
+
+ A. LENOIR.
+
+ Il est de certains noms consacrés par la gloire,
+ Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux,
+ Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire
+ Les siècles font éclore en jalons lumineux.
+ L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie,
+ Fait rayonner leur front d'un éclat souverain,
+ Et l'artiste leur doit une seconde vie
+ Dans le granit ou dans l'airain.
+
+M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16
+septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération
+par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à
+accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans
+cette même délibération, le conseil municipal votait des remercîments
+aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur
+de la statue.
+
+ * * * * *
+
+M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de
+l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à
+l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour
+acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à
+la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et
+les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put
+accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il
+l'en informa:
+
+ * * * * *
+
+«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner
+suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour
+encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en
+témoigne tous mes regrets.»
+
+ * * * * *
+
+Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur
+quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour
+procéder à la clôture définitive de leurs opérations.
+
+Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes:
+
+1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour
+de l'inauguration;
+
+2º Procès-verbal de la séance d'inauguration;
+
+3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845;
+
+4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport;
+
+5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission.
+
+ COMPTES DE M. LE TRÉSORIER,
+
+ _Recettes._
+
+ 1º Subvention du Ministre de l'intérieur. 3,000 f. » c.
+
+ 2º Souscription du roi. 300 »
+
+ 3º Souscription de la ville de Versailles. 2,000 »
+
+ 4º Souscriptions particulières. 6,499 »
+
+ 5º Intérêts de fonds libres placés
+ momentanément chez M. le receveur
+ général. 208 40
+
+ 6º Allocation de la ville de Versailles
+ pour solder les travaux. 1,805 47
+ ------------
+ Total. 13,812 f. 87 c.
+
+ _Dépenses._
+
+ 1º Acquisition de registres et autres
+ menues dépenses. 11 f. 10 c.
+
+ 2º Frais d'un modèle en bois, et
+ papier. 27 50
+
+ 3º Frais d'impressions diverses. 1,099 50
+
+ 4º Affranchissements et ports de 531 45
+ lettres
+ -----------
+ Transport. 1,669 f. 55 c.
+
+ 5º Remboursement à M. Michaut
+ des déboursés du modèle de la
+ statue et de son transport à
+ l'Institution des sourds-muets,
+ où elle a été exposée. 1,270 »
+
+ 6º Prix du bronze et de la fonte
+ de la statue payé à M. Saint-Denis. 6,000 »
+
+ 7º Acquisition et frais de transport
+ du granit de Soignies, pour le
+ piédestal, et frais accessoires. 1,462 96
+
+ 8º Prix de la grille d'entourage
+ en fonte. 993 80
+
+ 9º Écritures diverses payées au
+ sieur G..., et à d'autres personnes
+ employées par M. de Sainte-James. 155 05
+
+ 10º Gravure d'une planche en cuivre
+ placée sous le piédestal,
+ payée à M. Gabriel Cerf. 77 »
+
+ 11º Travaux d'établissement de la
+ statue, du piédestal, et accessoires
+ payés aux divers entrepreneurs. 2,182 51
+ ------------
+ Total. 13,810 f. 87 c.
+ =============
+
+ _Balance._
+
+ La recette s'élève à 13,812 f. 87 c.
+ La dépense à 13,810 87
+ --------------
+ Par conséquent, le trésorier
+ est reliquataire
+ de. 2 f. »
+ ================
+
+Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses
+dans les trois mois de la clôture des travaux,
+
+Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation;
+que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était
+faite dans les journaux du département,
+
+La commission arrête ce qui suit:
+
+Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent
+à Versailles; elle sera ainsi conçue:
+
+«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en
+terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses
+dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer
+fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la
+déclaration qui précède.»
+
+L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de
+bienfaisance.
+
+La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets
+qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus
+distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les
+lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux.
+
+La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les
+souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient
+précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et
+utile.
+
+La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M.
+Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de
+président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux.
+
+Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à
+renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude.
+
+Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les
+travaux terminés et la commission dissoute.
+
+ EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU
+ DEPUIS L'INAUGURATION.
+
+«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger
+à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une
+médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle
+désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins
+précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le
+corps qui le lui a décerné.»
+
+Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le vœu que
+leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de
+leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à
+leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour
+eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le
+plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur
+juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet
+objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50
+centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour
+obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on
+eût dû envoyer un exemplaire de cette liste à chaque sourd-muet
+souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris
+ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il
+valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs,
+sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient
+d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les
+quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui
+elles constituent comme un titre personnel[106].
+
+Sur les sept vœux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont
+exaucés:
+
+Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel
+où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où
+reposent ses dépouilles mortelles.
+
+Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la
+France.
+
+Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune
+décore une des places de Versailles, sa patrie.
+
+Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville.
+
+Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale
+des sourds-muets de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été
+promise.
+
+Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il
+naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à
+Paris.
+
+Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc
+enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance?
+
+En douter un instant serait leur faire injure.
+
+Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos
+trois derniers vœux.
+
+ FIN.
+
+
+
+
+NOTES.
+
+
+(A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une
+discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de
+sa statue à Versailles.
+
+_Lespée_, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait
+du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles,
+que nous rapportons textuellement plus bas. _Lespée_, c'est ainsi qu'il
+est écrit encore au frontispice _d'un petit livre pour étudier les
+règles du jeu de trictrac_, qui porte le millésime de 1698, et qu'une
+des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien
+voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe
+nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas
+d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et,
+comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de _de
+l'Épée_ retrouvé sur un livre dont il fit don à _Anne-Catherine
+Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait
+donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779_.
+
+D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations
+d'orthographe?
+
+L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord _Buonaparte_ (un nom
+italien), ne signa-t-il pas _Bonaparte_ dès qu'il se vit investi du
+commandement de l'armée d'Italie?
+
+A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros
+pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore
+que son humilité était devenue proverbiale?
+
+ (3e Arrondissement de Seine-et-Oise.)
+
+ MAIRIE DE VERSAILLES.
+
+ _Extrait du registre des actes de naissance de la ville de
+ Versailles, pour l'année_ 1712.
+
+L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé
+_Charles-Michel_ né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert
+ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son
+épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle
+maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran,
+entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent.
+
+Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre.
+
+ * * * * *
+
+(B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à
+l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux:
+
+«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques,
+à l'occasion des disputes sur le jansénisme.
+
+«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en
+1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la
+même année:
+
+«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape
+Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par
+l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et
+confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la
+même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à
+cette Constitution, et je condamne, de cœur et de bouche, la doctrine
+des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre,
+intitulé _Augustinius_, que le pape et les évêques ont condamnées,
+laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a
+mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.»
+
+«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut ordonnée par
+l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État
+par une déclaration royale du 20 avril 1664.»
+
+ * * * * *
+
+«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le
+_formulaire d'Alexandre VII_, parce qu'il fut imposé par ce souverain
+pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665.
+
+«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai
+1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et
+condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de
+Cornelius Jansenius, intitulé _Augustinus_, et dans le sens du même
+auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les
+susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les
+saints Évangiles!»
+
+«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les
+archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce
+formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les
+religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction,
+explication ou restriction.
+
+«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est
+le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se
+présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait
+été prescrit un troisième.
+
+«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots:
+_vineam domini Sabaoth_, se borne à condamner ce que l'on appelait le
+_silence respectueux_, c'est-à-dire la prétention des jansénistes, qui
+consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître
+qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que,
+ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était
+point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape.
+
+«La bulle _unigenitus_ du même pontife, en date du 8 septembre 1713,
+contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé:
+_Réflexion morales sur le Nouveau Testament_. Elle ne propose pas, non
+plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au
+jansénisme qui soit émané du Saint-Siége.
+
+«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé:
+_Corps de doctrine_, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de
+France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire.
+On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du
+clergé à cette époque.»
+
+ * * * * *
+
+Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir
+positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui
+qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il
+demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à
+30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la
+Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se
+livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me
+préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux
+formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le
+pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont
+l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il
+ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer
+sa signature.
+
+ * * * * *
+
+(C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce
+qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: _Inauguration de la
+statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale_.
+
+«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au
+stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance
+de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.»
+
+Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les
+notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre
+des sourds-muets.
+
+Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas
+été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de
+moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y
+a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû
+souffrir de la révolution de 93, je me décidai à procéder moi-même à de
+nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux
+Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de
+l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733.
+
+La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de
+ce bienfaiteur de l'humanité à Me Élie de Beaumont, datée du 1er
+février 1779, laquelle commence par ces mots:
+
+«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la
+cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me
+permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles
+appellent _miserabiles personæ_....»
+
+ * * * * *
+
+(D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de
+Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour
+l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843:
+
+ 21 août 1843:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir
+répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de
+Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai
+qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés
+à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le
+prier d'ordonner des recherches _depuis_ 1712 _jusqu'à_ 1737. Elles
+furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des
+renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets
+l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une
+partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la
+certitude désirable à un fragment de son histoire.
+
+«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard,
+archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que
+par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de
+la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que,
+dans le cas où vous ne relateriez pas ces documents à la suite de votre
+ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments
+précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la _Bibliothèque
+de l'école des chartes_.
+
+«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser
+également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec
+soin dans mes archives.
+
+«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis,
+etc.»
+
+ ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE.
+
+_Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._
+
+23 mars 1736. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de
+Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube).
+
+31 mars 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres
+mineurs et au sous-diaconat.
+
+26 août 1736. Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant
+pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés.
+
+22 septembre 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat.
+
+28 mars 1738. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de
+Pougy.
+
+5 avril 1738. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise.
+
+ _Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._
+
+ Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190.
+
+ 1736. _Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges._
+
+1e 23 mars 1736
+fº 62, vº
+
+Cura de _Feugiis_ (Feuges.)
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi,
+salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione
+sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube),
+in nostrâ diœcesi, cujus, occurente vacatione, collatio, provisio et
+alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis,
+pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et
+pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti
+Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut
+alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque
+sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et
+donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et
+pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.--Quocircà
+_Mandamus_ notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs
+te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et
+pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis
+ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et
+inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ,
+presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio
+Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in
+presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis.
+
+Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir.
+
+ _Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs
+ et au sous-diaconat_.
+
+ 2e 31 mars
+ 1736
+ même reg.
+ fº 63, rº.
+
+Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs,
+diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet,
+permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri
+episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo
+sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ.
+
+ Ad quatuor minores ordines.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi.
+
+ Ad subdiaconatum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi, sub titulo patrimonii
+approbando.
+
+ _Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour
+ qu'il puisse être promu aux ordres sacrés_.
+
+ 3e 20 août
+ 1736
+ même reg.
+ fº 65, vº.
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam
+instrumento publico coràm Magistris Billeheu et Baptiste, notariis,
+Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto,
+quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius
+uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum
+et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro
+Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi, et ipsorum filio, in titulum
+patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri
+possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex
+tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob
+collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi
+jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re coràm
+Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni
+millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem
+donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius
+Goblain, Parisiis commorantes; nos, prœfatam summam 250 liv. annui
+reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, prœfatus
+Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs)
+ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus,
+judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister
+de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare
+non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod
+ei strictè sub pænis juris interdicimus.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo.
+
+ _Promotion de Charles de l'Épée au diaconat._
+
+ 4º 22 sept. 1736,
+ même reg.
+ fº 66, rº et vº
+
+Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati
+Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet.
+
+ Ad diaconatum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ diœcesi.
+
+ _Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy_.
+
+ 5º 28 mars 1738,
+ même reg.
+ fº 66, rº et vº
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi,
+salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti
+Nicolai de Pugiaco (Pougy,--arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ
+diœcesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia
+quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno
+jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens,
+liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri
+Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris
+pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos
+admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus
+et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus
+et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.
+Quocircà _Mandamus_ dilectis nostris canonicis et capitulo prœfatæ
+ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario
+apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu
+procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in
+possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et
+præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et
+inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in
+capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu
+assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò mensis Martii vigesimâ
+octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir,
+presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa
+vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis.
+
+ Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel.
+
+ _Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise_.
+
+ 6º 5 avril 1738,
+ même reg.
+ fº 84, vº et 85, rº.
+
+Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis
+Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet.
+
+ Ad Presbyteratum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ
+collegiatæ de Pugiaco, in diœcesi Trecensi.
+
+Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont
+très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après
+l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste
+de l'Aube, dans les _Actes épiscopaux_ qui furent déposés à la
+Préfecture avant 1793.
+
+ Troyes, le 21 août 1843.
+
+ Signé: COFFINET,
+ Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes.
+
+ * * * * *
+
+(E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité
+impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des
+saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui
+nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car,
+avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne
+sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils
+ne peuvent pas être des saints.
+
+«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre
+devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point
+vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement
+un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore
+qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des
+sourds-muets.
+
+«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri
+des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons
+aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi
+supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église
+catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons
+dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré
+les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le
+dépôt sacré des doctrines.
+
+«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint,
+les bonnes œuvres étaient communément matière à ostentation;
+cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme
+profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et
+nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre
+qui se crut obligé de lui refuser les cendres.
+
+«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de
+l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes
+ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant:
+le _soleil a ses taches_. Et notre pénible fonction d'historien une fois
+remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne
+foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait
+trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi
+et surtout le Dieu de charité: _Deus caritas est_.
+
+«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public
+des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore
+davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de
+ne pas rester le ministre soumis.»
+
+ (F) _Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à
+ Mlle Blouïn_.
+
+Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à
+tous ceux auxquels il appartiendra, que Mlle
+Charlotte-Louise-Jacqueline Blouïn, native d'Angers, m'ayant été
+adressée par feu Monsieur Ducluzel, intendant de Tours, pour que je lui
+apprisse à instruire les sourds-muets, cette demoiselle a fait, dans
+cet art, des progrès qui ont surpassé mon attente, et que le témoignage
+que j'en ai rendu, lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé
+Monsieur l'intendant, quelques mois après, à m'écrire la lettre
+suivante, en date du 19 février 1782:
+
+«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais
+demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation
+pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne
+dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui
+communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas
+assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos
+bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à
+diminuer les malheurs de l'humanité.
+
+«J'ai l'honneur d'être....»
+
+ Signé: DUCLUZEL.
+
+Mlle Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782,
+vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente
+année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée,
+_j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets_, pour lui en
+laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses
+opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de
+personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les
+talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette œuvre. Je la
+crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel
+sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans
+des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en
+présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque
+de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères.
+
+En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat.
+
+ Paris, ce 11 novembre 1783.
+
+ Signé: l'abbé de L'ÉPÉE.
+
+ * * * * *
+
+(G) _A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets
+de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager_.
+
+ «Ce 17 juillet 1842.
+
+«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des
+professeurs de l'institution, afin de remplir le vœu de M. le
+ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la
+dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie
+de l'invention de l'auteur.
+
+«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode
+nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si
+l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question
+d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau
+mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus
+facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange
+erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce
+n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en
+fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans
+ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des
+doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus
+léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre
+alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla
+atteint un instant par le _Syllabaire dactylologique_ de M. Recoing, qui
+entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel
+divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et,
+cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable
+dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des
+principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait
+cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis.
+
+«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile,
+malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de
+sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un
+alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car,
+indépendamment des vingt-cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y
+trouve des indications représentant une _série de voyelles combinées et
+accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et
+la terminaison d'un grand nombre de mots_. Adoptât-on même aujourd'hui
+cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps
+plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une
+multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer
+la stabilité et la prééminence sur les autres?
+
+«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le
+chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après
+avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications,
+dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans
+presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui
+reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses
+diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la
+typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à
+discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet
+dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la
+généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle,
+de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la
+dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de
+l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au
+point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de
+personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on
+leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes
+ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans
+leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission
+transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille
+dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense
+avantage, d'être adoptée et connue.
+
+«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie,
+il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de
+plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la
+matière, l'idée à sa représentation brute. C'est ce que n'a pu
+comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage
+mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies
+possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité
+et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée.
+
+«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle
+trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et
+même sans objet.
+
+«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect
+et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher
+directeur,
+
+ Votre dévoué serviteur.
+
+ _A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+ l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle
+ dactylologie de M. Charles Wilhorgne._
+
+ «Ce 4 mai 1847.
+
+Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de
+vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen,
+sur _la dactylographie_ ou _sténographie des doigts_, laquelle, suivant
+l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la
+_dactylologie_, l'avantage de rivaliser presque avec la parole
+elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un
+et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord,
+révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos
+écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa
+brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne
+voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans
+nos études. _La dactylographie_ de M. Wilhorgne a pour but,
+non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la
+main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans
+jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de
+mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la
+représentation desquelles sont affectées certaines parties extérieures
+de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son
+nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une
+grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour
+éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord,
+inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main
+après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main
+gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient
+qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de
+transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant,
+toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le
+privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index
+de la droite les indique.
+
+«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure
+sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous
+employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la
+parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même
+que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une
+seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien
+considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux
+que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à
+diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de
+l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la
+préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes.
+
+«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa
+dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce
+qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les
+autres.
+
+«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les
+sourds-muets, _devenus aveugles_, converser avec les autres hommes, au
+moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre,
+par le toucher, les contours rapides de la main _parlante_.
+
+«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère
+mériter que la Commission Consultative en propose l'adoption à M. le
+Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout
+conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines
+personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et
+d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix
+des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la
+dactylologie usuelle des sourds-muets.
+
+«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux
+besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau
+faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront
+toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle
+perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres
+d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un
+signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour
+quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre.
+
+«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou
+dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est
+vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans
+une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la
+dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de
+notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user
+leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires,
+insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue
+et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer
+leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre
+spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens
+d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue
+maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette
+étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels,
+variés, qui les intéresseraient en les y ramenant.
+
+«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de
+philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement,
+tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte
+que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de
+l'utile, ou ce que nous connaissons depuis fort longtemps, ou ce qui,
+en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il
+serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables
+services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles
+ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir
+leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande
+économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on
+charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que
+le temps, à une époque où l'on vit si vite.»
+
+ * * * * *
+
+(H) _Legs d'un sourd-muet._--Un legs fort important a été fait à la
+ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en
+laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette
+ville.
+
+Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de
+300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins
+de soixante mille volumes.
+
+Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret,
+célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique
+plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes
+sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait
+la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était
+animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il
+parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales.
+Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de
+sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au
+moins, son infirmité.
+
+Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la
+validité était contestée par les héritiers. Mme Brongniart, sœur
+de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le
+testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au
+moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur
+de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné
+M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de
+raretés bibliographiques; sa famille les considérait comme des
+prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger
+contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus
+aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la
+ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était
+sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil
+judiciaire.
+
+Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues
+ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour,
+M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non
+seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède
+à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs
+assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque
+sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus
+nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de
+tête et de cœur.
+
+Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations
+préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer;
+mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder
+l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs
+de M. de Montbret.
+
+Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur,
+celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important
+de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple
+expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux
+garanti par le donataire.
+
+Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de
+leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées
+à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à
+la requête de la ville et de Mme Brongniart, sous réserve des droits
+de chaque partie.
+
+ * * * * *
+
+(I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus
+heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21
+novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous
+sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins
+recommandable par ses vertus qu'estimable par ses talents, et qu'il
+avait l'intention d'en assurer la perpétuité.
+
+Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous
+croyons devoir rapporter textuellement:
+
+«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en
+icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du
+désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à
+l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait
+ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus
+propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un
+établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un
+et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et
+que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et
+règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le
+gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il
+y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la
+portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le
+diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs,
+il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit
+arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et
+préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars
+et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires,
+soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient
+sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires
+dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de
+ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de
+l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux
+d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de
+ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que
+le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour
+l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre
+ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir,
+sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres
+évêques du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet
+avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens
+vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et
+principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa
+Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et
+projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires
+pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un
+et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne
+pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses,
+que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins
+de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des
+autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne
+transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au
+couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme,
+d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est
+aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la
+fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur
+archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la
+destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris
+l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses
+intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions
+qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï
+le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné
+et ordonne ce qui suit:
+
+«Art. 1er. Il sera incessamment pourvu à la confection des
+distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement
+des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des
+bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et
+y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur
+faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui
+succéderont à l'avenir.
+
+«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites
+sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés
+par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des
+biens des Célestins du diocèse de Paris, sur les ordonnances du sieur
+archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf,
+lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à
+retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés
+à former la dotation de cet établissement.
+
+«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une
+manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et
+délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur
+abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv.,
+pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et
+de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter
+l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former
+audit enseignement.
+
+«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit
+établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les
+rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et
+affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des
+évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14
+mars 1780 et 1er août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment
+enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en
+conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit
+d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des
+rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains
+en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les
+quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et
+valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit
+sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux
+conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque
+diocèse.
+
+«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera
+fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200
+liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà
+du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus
+en jouir, sous quelque prétexte que ce soit.
+
+«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront accordées
+qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du
+curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera,
+à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et
+seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge
+royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à
+l'admission du sujet dans ledit hospice.
+
+7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il
+en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et
+lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration
+temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence,
+le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des
+redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce
+qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer.
+
+Fait au conseil d'État du roi, etc.»
+
+ * * * * *
+
+(J) _Différence entre les mots_ sourd et muet _et_ sourd-muet.
+
+Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de
+surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait
+habituellement de l'expression _sourd et muet_. Ce n'est que vers la fin
+du dix-huitième siècle que _sourd-muet_ devint le terme consacré.
+
+Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les
+rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et
+l'autre une distinction raisonnée.
+
+La dénomination de _sourd et muet_ suppose deux incapacités distinctes
+et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité
+d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute
+autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole
+humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une
+paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie
+de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de _sourd-muet_ renferme,
+au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de
+telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence
+obligée de celle-là.
+
+En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos
+jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes
+entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent
+pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir
+l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la
+pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut
+amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins
+prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence
+complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de
+la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive,
+exercée?
+
+N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les
+organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les
+ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité?
+
+Le nombre des _sourds et muets_ paraît, en ce moment, si faible
+comparativement à celui _des sourds-muets_, que c'est de ces derniers
+seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et
+que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit
+plus que ces mots: _Institution_ ou _école des sourds-muets_ et non des
+_sourds et muets_.
+
+On a prétendu établir cinq catégories[107] parmi les jeunes sourds-muets
+de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories
+qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme
+incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de
+constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque[108].
+
+ * * * * *
+
+(K) _Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842_.
+
+«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour
+que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire un appel à votre
+concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour
+vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés
+de cœur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de
+Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes
+démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous;
+malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été
+couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour
+l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma
+pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion
+solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de
+mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je
+m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en
+finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que
+j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à
+mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le
+Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres
+sourds-muets!»
+
+ _Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur._
+ «Paris, le 11 décembre 1842.
+
+ Monsieur le ministre,
+
+Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis
+aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter
+l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne
+sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils
+ont l'habitude d'appeler leur _père intellectuel_ qu'en tendant vers
+Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant
+en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un
+portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander
+pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment.
+
+Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau
+représentant _les deniers moments de l'abbé de l'Épée_. Cette œuvre
+remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène.
+
+Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis longtemps,
+brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à
+ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une
+Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne
+refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant
+l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en
+se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un
+autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous
+avez commandé successivement deux grands tableaux religieux?
+
+Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale
+confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne
+émule.
+
+ Nous sommes, avec le plus profond respect,
+ Monsieur le Ministre,
+ Les très-humbles, etc.
+
+Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre
+de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des
+établissements de bienfaisance;
+
+A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets;
+Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des
+sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville;
+Leroy; Pélissier; Del Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A.
+Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé;
+Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de
+Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart;
+Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale
+des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets;
+Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets,
+remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles;
+Robillard; A. Levassor.
+
+ * * * * *
+
+(L) «_A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+l'Institution royale des sourds-muets de Paris._
+
+ «Paris, ce 14 mai 1845.
+
+ «MONSIEUR,
+
+«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des
+sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de
+l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien
+voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président,
+d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un
+élan spontané de son cœur reconnaissant, offrait à l'Institution
+royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce
+grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement
+que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière
+de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le
+mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet
+établissement.
+
+«Si un vœu de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il
+demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il
+ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la
+disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui,
+d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de
+la vie de l'abbé de l'Épée.
+
+«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au
+bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du
+donateur, et le motif de son offrande.
+
+«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le
+tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39.
+
+«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier
+d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les
+élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de
+leur créateur intellectuel.
+
+«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
+
+ «A. LENOIR.»
+
+ * * * * *
+
+(M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut
+jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
+situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie
+connue sous le nom des _religieux de cet hôpital_ ou de _frères
+pontifes_ ou _constructeurs de ponts_.
+
+Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des
+lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres
+de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces
+religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le _Clos
+du roi_; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et
+portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les
+_frères hospitaliers_.
+
+Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les
+chefs avaient le titre de _commandeurs_, s'éleva en 1519, et fut érigée,
+dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré
+l'opposition des curés du voisinage.
+
+«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris,
+aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et
+de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui
+_disent, chantent et célèbrent_ à haute voix, et avec chants, lesdits
+offices divins, etc.»
+
+En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque
+abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel
+appelé _Hôtel de la reine_, et, plus tard, _Hôtel de Soissons_, sur
+l'emplacement qu'occupaient alors les _Filles repenties_, et où s'élève
+aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent
+s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par
+contre coup, prirent possession de la maison de
+Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur
+patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre.
+
+La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une
+nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du
+quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux.
+
+Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit forcé,
+dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être
+terminée qu'en 1688. _Monsieur_, frère de Louis XIII, en avait posé la
+première pierre, et les libéralités du prince de Longueville
+contribuèrent à son achèvement.
+
+Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en
+1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à
+cette époque, sous le nom de rue des _Deux Eglises_, auquel celui de rue
+de _l'Abbé de l'Épée_ a été récemment substitué, à la demande de
+l'Institution des sourds-muets.
+
+La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement
+l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de
+donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint
+ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se
+maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y
+transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets,
+fondée par l'abbé de l'Épée.
+
+ * * * * *
+
+Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe
+aujourd'hui:
+
+Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son
+portail, lourd et massif, disgracieux à l'œil, n'offre rien de
+remarquable comme œuvre architecturale. Les principaux corps de
+logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des
+garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un
+autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle
+des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des
+garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés.
+Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de
+l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant
+fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances
+de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté,
+se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le
+second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces
+trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un
+mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison.
+
+Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question
+donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du
+côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis.
+
+Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il
+y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer
+et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des
+filles, et tombait en ruine depuis long-temps.
+
+L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées
+de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et
+de salubrité désirables.
+
+Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre
+le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette
+cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement
+les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de
+toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont
+l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La
+Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire
+de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son
+feuillage, l'éloquent auteur du _Petit Carême_.
+
+Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un
+quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au
+fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants
+une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se
+plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes
+leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont
+taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes
+de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour
+étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent
+ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en
+jouir.
+
+La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans
+tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est
+abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long
+de la grande façade de la cour règne, au rez-de-chaussée, une galerie
+couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour
+les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques;
+de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les
+hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la
+nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent,
+au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le
+bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un
+atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office.
+
+Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers
+étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer;
+l'autre est en bois.
+
+Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second,
+par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de
+lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et
+quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au
+troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les
+lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des
+lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et
+un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en
+dalles; le reste de l'établissement est parqueté.
+
+Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite _de
+perfectionnement_, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de
+l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en
+classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la
+maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours
+général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on
+appelle le _système de rotation_. L'enseignement comprend les préceptes
+de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de
+géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la
+lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint,
+dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de
+dispositions pour cette double spécialité.
+
+Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon
+est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant lesquels les
+jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on
+leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet.
+
+Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel
+qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de
+plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit
+toujours se composer de six élèves.
+
+Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la
+caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de
+vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont
+sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la
+paume des mains.
+
+Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de
+droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le
+Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand
+tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant
+l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet.
+
+Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette
+inscription:
+
+«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler
+les muets.»
+
+ «Saint-Marc, ch. VII, verset xxxvii.»
+
+A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, œuvre et
+don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de
+l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant _les derniers moments
+de l'abbé de l'Épée_. A côté, un second autel avec la statue de la
+Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette
+inscription en lettres d'or:
+
+«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie
+et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint
+Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette
+Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de
+Champagny; étant administrateurs, MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de
+Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard.
+
+«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.»
+
+Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux
+jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal.
+
+Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour
+de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique.
+
+Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un
+réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de
+fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un
+perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des
+garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui
+reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans
+l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est
+entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments.
+
+En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans
+l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard
+s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à
+l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le
+jeune sourd-muet connu sous le nom du _comte de Solar_(sujet du drame de
+M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et
+protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le
+jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de
+gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de
+l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et
+de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images
+ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur
+lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, œuvre
+remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit
+cette inscription:
+
+«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée,
+qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte
+Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des
+24 et 29 juillet 1791.»
+
+Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices, d'où l'on
+descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en
+amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une
+pierre de marbre:
+
+«Mme Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à
+Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des
+sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit
+enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette
+Institution.»
+
+Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription:
+
+«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de
+l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes,
+médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison
+(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son
+testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution
+huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une
+classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites
+en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui
+ont atteint le terme ordinaire des études.
+
+«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir
+de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.»
+
+L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes
+lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une
+tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge.
+Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue.
+
+Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête
+un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur
+leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs.
+
+Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font
+saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service;
+l'autre sert de logement au concierge.
+
+Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier
+pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge
+spéciale de la portière de cette partie de la maison.
+
+La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près,
+en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est
+composée de quatre étages.
+
+Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au
+fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par
+quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un
+gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses.
+
+Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle
+d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le
+second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie;
+le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses
+subordonnées.
+
+L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été
+élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments
+de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit
+plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous
+Philippe-le-Hardi.
+
+Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur
+responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres,
+qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier.
+
+Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des
+professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre,
+celles de bibliothécaire-archiviste).
+
+Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude
+sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est
+fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un
+sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du
+service, un veilleur et cinq hommes de peine.
+
+166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des
+familles.
+
+Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs,
+trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé
+chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une
+maîtresse de dessin, une maîtresse d'écriture, une infirmière, une
+portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette.
+
+ * * * * *
+
+(N) _Le_ 17 _décembre, on lisait dans le_ NATIONAL:
+
+«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée
+au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les
+vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos
+colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu
+poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette
+nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la
+vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau,
+de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.»
+
+ LE SOURD-MUET.
+
+ Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre,
+ Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère,
+ Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir?
+ Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir?
+ Bercé d'illusions, dévoré de rancune,
+ Revêtu de douleur, couronné d'infortune,
+ Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité?
+ Que de maux ont pesé sur notre humanité!
+ Sans doute que, parmi ces brillantes planètes
+ Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes,
+ Un météore horrible, annonçant le malheur,
+ N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur,
+ Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense,
+ Répand dans tous les lieux sa funeste influence.
+
+ Sous cet astre fatal ma mère me conçut;
+ Au cri de mes douleurs mon père me reçut.
+ Le malheur fut mon roi. Le cœur rongé d'envie,
+ Il m'avait attendu sur le seuil de la vie;
+ Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux,
+ Pour la première fois, resplendit à mes yeux,
+ Un plus épais nuage enveloppa mon âme.
+ Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme,
+ Ne vint me convier aux champs de l'avenir.
+ Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr,
+ Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence,
+ Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: _Espérance_!
+ Comme le nautonnier égaré dans les mers,
+ Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers,
+ Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile,
+ Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile,
+ Sur la mer de la vie, à la merci des flots,
+ J'ai vogué tristement à travers bien des maux.
+
+ Du moins, dans son naufrage, une voix le console.
+ C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole;
+ C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant;
+ C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant.
+ Ces vibrations d'air, musique aérienne,
+ Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne,
+ Parlent au nautonnier: sensible à cet accord,
+ Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort.
+ Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense,
+ Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance.
+ Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein,
+ Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain.
+ Dans mot isolement, jamais tendre parole
+ Qui fait bondir le cœur, qui ramène et console,
+ Sur mon âme captive, en sons mélodieux,
+ N'est descendue, hélas! messagère des cieux.
+
+ Hélas! je traversais, sans amis et sans guide,
+ Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride,
+ Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu,
+ Ignorant l'univers, à moi-même inconnu.
+ Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie,
+ Grave inspiration, légère fantaisie,
+ Tous vos dons me manquaient pour exalter mon cœur,
+ Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur.
+
+ Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme,
+ Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme.
+ Je t'ignorais encor, douce religion.
+ Trésor de dévoûment, de consolation,
+ De l'homme malheureux visible Providence,
+ Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance,
+ J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs,
+ Épancher en silence et ses maux et ses pleurs,
+ Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure[109],
+ Écartant les douleurs qui m'agitent encore,
+ Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts,
+ Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois,
+ Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance,
+ Dire l'hymne sacré de la reconnaissance,
+ Et, de la mélodie invoquant les faveurs,
+ Aspirer à cueillir la poésie en fleurs.
+ Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme,
+ Délices de mon cœur, doux écho de mon âme,
+ Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu,
+ Il m'eût fallu te dire un éternel adieu!
+
+ Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée!
+ Mon âme, par sa voix, se relève frappée;
+ Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon
+ Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison;
+ Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière
+ Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière.
+ L'ange de poésie, ange gardien du cœur,
+ Est descendu du ciel m'enivrer de douceur;
+ Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie,
+ Je me suis abrité, devinant le génie:
+ Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux;
+ Il me prête son luth, et nous chantons tous deux.
+ Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme
+ Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme;
+ Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux,
+ Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux.
+ Lui, soudain, agitant sa baguette magique,
+ A mes yeux, fait jaillir un univers mystique,
+ Univers idéal, monde mélodieux
+ Où mille doux échos, comme un essaim joyeux
+ D'esprits aériens, de légères sylphides,
+ Apportent à mon cœur des accents frais, splendides,
+ Des bruits surnaturels, de ravissants accords,
+ L'extase de la lyre et ses vagues transports,
+ Concerts délicieux, musique intérieure
+ Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure.
+ Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin,
+ Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn!
+ Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques
+ Et sème notre ciel d'étoiles poétiques!
+ Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité;
+ Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité;
+ Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère;
+ J'ai senti ton éclat inonder ma paupière;
+ Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers,
+ J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts.
+ Une lyre à la main, guidé par ton génie,
+ J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie,
+ Céleste volupté! charmante illusion!
+ Et, soudain, au flambeau de l'inspiration,
+ Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses,
+ J'ai secoué mon aile aux pures jouissances.
+ Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor,
+ Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor
+ S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes,
+ Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes,
+ Va là-haut contempler l'astre de l'univers;
+ Long-temps se balançant dans l'empire des airs,
+ Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages,
+ Il monte, monte encor par dessus les nuages!
+
+ Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix,
+ Pour immortaliser le héros de mon choix,
+ Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire,
+ Si jamais je pouvais demander à ma lyre
+ Des vers heureux, échos d'infinis sentiments,
+ C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants.
+ Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance.
+ Mes succès seraient doux et mon ivresse immense.
+ De quel nom te nommer, mon second créateur,
+ Et sur quel piédestal un transport de mon cœur
+ Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire,
+ Perpétuer ton œuvre et venger ta mémoire?
+ O tendre de l'Épée, ange de charité,
+ Sois à jamais béni dans la postérité!
+ Ton génie immortel, vainqueur de la nature,
+ Concevant l'impossible, a comblé la mesure
+ De l'abîme profond où m'avait relégué
+ Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué.
+ Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime,
+ Je redirai toujours ton dévoûment sublime.
+
+ PÉLISSIER, de Gourdon (Lot),
+
+ Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris.
+
+ * * * * *
+
+(O) _A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés._
+
+ «MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
+
+Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre vœu
+relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir
+leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous
+offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait
+cette œuvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le
+baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand,
+Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé,
+chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles
+des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société centrale
+des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire.
+L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de
+votre assentiment.»
+
+ * * * * *
+
+(P) _Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M.
+Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838._
+
+«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon
+frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des
+sourds-muets.
+
+«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de
+lui élever un monument durable comme ses bienfaits.
+
+«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du
+monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de
+l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un
+piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un
+livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets!
+
+«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui
+soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je
+veux seulement signer mon œuvre de mon nom de frère d'un sourd-muet.
+
+«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!»
+
+ _Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à
+ M. Alphonse Lenoir._
+
+«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de
+m'associer à l'œuvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à
+l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets.
+
+«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement.
+Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du
+monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et
+aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un
+médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les
+principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile!
+
+«Agréez mes embrassements de frère!»
+
+ * * * * *
+
+(Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et
+Auguste Préault, statuaire.
+
+ DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS
+
+ _Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch,
+ à la mémoire de l'abbé de l'Épée._
+
+ PREMIER PROJET.
+
+ _Monument_.
+
+ La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.)
+ de hauteur. 9,000 f. 00 c.
+
+ Le piédestal et tous ses accessoires. 3,020 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ -----------
+ Total du monument. 12,220 f. 00 c. ci. 12,220 f. 00 c.
+ ------------
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 18,081 f. 00 c.
+ ============
+
+ DEUXIÈME PROJET.
+
+ _Monument_.
+
+ Un buste en bas-relief. 6,500 f. 00 c.
+
+ Colonnes, consoles et tous autres
+ accessoires. 11,035 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ ------------
+ Total du monument. 17,735 f. 00 c. ci. 17,735 f. 00 c.
+ ------------
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 23,596 f. 00 c.
+ ============
+ TROISIÈME PROJET.
+
+ _Monument._
+
+ Un buste et deux petites figures. 10,500 f. 00 c.
+
+ La pyramide. 600 00
+
+ Le piédestal et tous les ornements 5,120 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ -------------------
+ Total du monument. 16,420 f. 00 c. ci. 16,420 f. 00 c.
+ ===================
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 22,281 f. 00 c.
+ ============
+
+ DESCRIPTION.
+
+Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée,
+aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar
+des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait
+fermée par un anneau.
+
+Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage
+mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets.
+
+Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un
+philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par
+quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre
+tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement,
+puis entre eux et la société dont ils étaient séparés.
+
+Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment,
+serait représenté par la croix placée au-dessus.
+
+Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de
+marbre noir.
+
+La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre les deux
+enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la
+première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes
+employés par les sourds-muets.
+
+ DEVIS DES TRAVAUX.
+
+ _Maçonnerie._
+
+ La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux
+ hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut,
+ estimée. 15 00
+
+ La fouille pour ledit déblai et sortie des terres,
+ estimée. 4 00
+
+ Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20
+ de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur,
+ produit en cube. 0 513
+
+ La taille des parements en trois sens, 2,10, sur
+ 0,75 de haut, produit. 2 00
+
+ La double taille pour le dégagement du socle et
+ de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut,
+ produit. 1 50
+
+ Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40
+ développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent. 2 8
+
+ Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et
+ 0,45 d'épaisseur, produit. 0 851
+
+ Les parements en trois sens, 2,00 développés sur
+ 1,80 de haut, produisent. 3 60
+
+ Les doubles tailles pour le dégagement des figures
+ et des saillies de moulures, évaluées à. 10 00
+
+ Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur
+ 0,60 de profil, produisent. 1 080
+
+ Les moulures de couronnement, ensemble 3,10,
+ sur 1,50 de profil, produisent. 4 65
+
+ Les différentes tailles au petit socle qui porte le
+ buste et le dégagement des consoles, évaluées à 2 00
+
+ _Résumé de la maçonnerie._
+
+ 1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix,
+ pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et
+ joints, bardage et double transport, entrée difficile,
+ et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. 170 f. 50 c.
+
+ 19,100 m. superficiels de tailles de parements layés,
+ et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. 119 39
+
+ 8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées
+ et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le
+ mètre. 73 18
+
+ Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble
+ à. 19 00
+ ---------
+ Total de la maçonnerie. 382 f. 05 c.
+ =========
+
+ _Marbrerie._
+
+ Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 = 0,224
+
+ Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 = 0,027
+ -----
+ 0,251
+ Déchets, 1/10e. 0,025
+ -----
+ Total. 0,276
+ =====
+
+ A raison de 60 fr. le mètre, produit. 16 f. 56 c.
+
+ 400 lettres, à 25 fr. le cent. 100 00
+
+ L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre. 8 28
+
+ Le transport et la pose. 5 00
+ ---------
+ Total. 129 f. 84 c.
+ =========
+
+ _Sculptures d'ornements._
+
+ Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60
+ de long. 60 f. 00 c.
+
+ Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c.
+ de longueur. 80 00
+
+ Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c.
+ chaque, valent 200 00
+ ---------
+ Transport. 340 f. 00 c.
+
+ Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c.
+ 0,25 de haut 300 00
+ Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la
+ croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. 120 00
+ Pour l'établissement des modèles 210 00
+
+ Total 970 f. 00 c.
+ =========
+
+ _Statuaire et bronzes._
+
+ Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé
+ de l'Épée et de deux jeunes muets 5,168 f. 11 c.
+ -----------
+ Total 5,168 f. 11 c.
+ ===========
+
+ _Résumé général._
+
+ Maçonnerie 382 f. 05 c.
+ Marbrerie 129 84
+ Sculpture d'ornements 970 00
+ Statuaire et bronze 5,168 11
+ -----------
+ Total 6,650 f. 00 c.
+
+ Honoraires de l'architecte et frais de direction... 350 00
+ -----------
+ Total général.... 7,000 f. 00 c.
+ ===========
+
+ Le présent devis dressé par l'architecte soussigné.
+ Paris, 1er mai 1840.
+
+ Signé: LASSUS, architecte;
+ AUGUSTE PRÉAULT, statuaire;
+ BERNARD, marbrier;
+ FRÉMY, maçon;
+ PYANET, sculpteur ornemaniste.
+
+ Les soussignés:
+
+1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº
+2;
+
+2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place
+Furstemberg, nº 9;
+
+3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue
+Vanneau, nº 12;
+
+4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue
+d'Enfer, nº 100;
+
+Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue
+Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet
+adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de
+l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet
+architecte, lequel devis s'élève:
+
+ 1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de.. 5,168 f, 11 c.
+ 2º Pour la sculpture d'ornements, à 970 00
+ 3º Pour la maçonnerie, à.. 382 05
+ 4º Pour la marbrerie, à 129 84
+ -----------
+ Total général.... 6,650 f. 00 c.
+ ===========
+
+s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire,
+bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui
+le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la
+commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et
+sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces
+travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un
+mémoire, qui sera vérifié et réglé.
+
+Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les
+travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et
+devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux
+travaux que l'on pourrait juger convenable de faire dans la chapelle où
+l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter
+la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux
+projets et devis.
+
+La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera
+déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre
+restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le
+président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité.
+
+ Paris, le 1er mai 1840.
+
+ Signé: _Lassus_, architecte; _Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet_.
+
+Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à
+élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr.,
+total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la
+commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et
+bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le
+Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter
+les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission
+de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne
+serait pas atteint.
+
+ Paris, le 1er mai 1840.
+
+ Signé: _Auguste Préault_.
+
+ * * * * *
+
+(R) _Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de
+Versailles.--Séance du 14 novembre 1839._
+
+Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la
+reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est
+parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent
+l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait
+pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet
+apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de
+lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal
+en donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des
+Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à
+toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui
+décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la
+galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont
+pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les
+services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils
+ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont
+adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce
+magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande
+votre sanction.
+
+Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos
+concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner.
+
+Cette sanction est accordée à l'unanimité.
+
+ * * * * *
+
+(S) COMMISSION POUR LE MONUMENT
+
+ A ÉLEVER
+
+ A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE.
+
+ Souscription. -- Prospectus
+
+Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste
+orgueil, au nombre de ses enfants est _l'abbé de l'Épée_, qui, animé par
+la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel,
+donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là, les
+mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres
+hommes.
+
+Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la
+mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir
+pour ses compatriotes.
+
+Un artiste distingué, M. MICHAUT (des Monnaies), en a formulé la pensée
+dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et
+apprécié son œuvre; ils ont élu une commission chargée d'en
+surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en
+assurer le succès.
+
+Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le
+souvenir de _l'abbé de l'Épée_, représentera ce grand homme au moment où
+il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel,
+expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a
+inspirée.
+
+Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans
+la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis
+par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement
+désirer l'exécution en grand de cette œuvre d'art, si noblement
+conçue.
+
+M. MICHAUT, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite
+de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher
+un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense.
+
+La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son
+projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services
+rendus par _l'abbé de l'Épée_, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y
+répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais
+encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette
+bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au
+génie, que de payer la dette de la reconnaissance.
+
+La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs,
+multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a
+décidé que:
+
+1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 1/2 millimètres (30
+lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme
+de vingt francs;
+
+2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en
+argent, en préviendraient la commission;
+
+3º La commission publierait successivement la liste des
+souscripteurs.--Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la
+statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi.
+
+En conséquence, une souscription est ouverte:
+
+Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand,
+à Versailles;
+
+Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon,
+Guénin, Schneider, Tourain, à Paris;
+
+Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires
+de chaque arrondissement;
+
+A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et Ce., banquiers
+à Paris.
+
+Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission
+soussignés:
+
+_Président_, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et
+ancien maire de Versailles;--_Vice-Président_, M. l'abbé Caron, ancien
+professeur de l'Université;--_Secrétaire_, M. E. Baudard de
+Sainte-James;--_Vice-secrétaire_, M. Besnard, notaire, membre du Conseil
+municipal;--_Trésorier_, M. Gauguin, receveur municipal;--_Membres_, MM.
+Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles;
+vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien
+député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps,
+vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin
+de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal;
+Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur
+de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier,
+peintre paysagiste.
+
+ IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE
+ LA SOCIÉTÉ.
+
+Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance
+de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre
+plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui
+figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner
+une copie exacte à nos lecteurs:
+
+«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des
+Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver
+à Chartres.
+
+»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan,
+sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand
+étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre
+mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été
+extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il
+lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit
+entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre
+mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les
+paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans
+les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le
+silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore
+qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur
+son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur
+l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas
+avoir poussé ses pensées jusque-là; quoiqu'il fût né de parents
+catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se
+mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit
+jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les
+autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était
+que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement
+animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées
+qu'il recevoit par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de
+ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas
+qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du
+commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense
+qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs;
+le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce
+réciproque. (_Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag.
+18_.)
+
+L'abbé de L'ÉPÉE.»
+
+
+
+
+SOUSCRIPTION
+
+AU
+
+MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+
+(T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ Le roi LOUIS-PHILIPPE 300 fr.
+
+MM. Aubernon, pair de France, préfet de
+ Seine-et-Oise, président d'honneur de la commission du monument 100
+
+ Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de
+ idem 100
+ L'abbé Caron, vice-président de idem 100
+ De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de
+ idem 20
+ Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem 20
+ Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem 20
+ Rémilly, député et maire, membre de idem 50
+ Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem 40
+ Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem 20
+ Taphinon, conseiller de préfecture, idem 10
+ Lebrun, directeur de l'école normale, idem 20
+ Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem 10
+ Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem 20
+ Boisselier, peintre paysagiste, idem 5
+ Battaille, docteur en médecine, idem 20
+ Marquis de Sémonville, idem 500
+ Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de
+ Versailles, idem 200
+ Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet, 1
+ Grégoire, id. .id 4
+ Foucque, id. id. 1 50
+ Dubois, .id .id 10
+ Lefébure, .id .id 5
+ De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris 20
+ Ed. Morel, professeur de .id 10
+ Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id 5
+ Sellier, chef d'atelier, à .id 5
+ Desportes, .id 5
+ Jourdain, .id 5
+ Girault, .id 5
+ Léon Vaisse, professeur, .id 40
+ Lecoq, .id 5
+ Lenoir, .id 10
+ Langlois, chef d'atelier, .id 5
+ Allibert, aspirant, .id 3
+ Mlle Barbier, professeur, .id 10
+ Mlle Morel, .id .id 10
+ Mlle F. Auber, répétitrice, .id 5
+ Mlle E. Ferment, professeur, .id 10
+ Mlle Roger, .id .id 5
+ Mlle Legay, aspirante, .id 5
+ Mlle Alleton, monitrice, .id 5
+ Mlle Meunier, .id .id 3 50
+ Mme Nysten, maltresse d'étude, .id 3
+ Mlle Wiser, .id .id 3
+ Mme Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes 5
+ Mme Lafargue, maîtresse de dessin, .id 5
+ Leforestier, aumônier, .id 5
+ Menière, médecin, .id 5
+ Taupier, maître d'écriture, .id 5
+ Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris, 28 90
+ Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution
+ des sourds-muets de Paris, 20
+ Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli, 5
+ Mamès Dourgnon, son cocher, 5
+ Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de
+ l'Institution nationale de Paris, 20
+ Allonor, serrurier, sourd-muet, 5
+ Alavoine, horloger, .id 5
+ Aucher, chapelier, .id 1 50
+ Audibert, cordonnier, sourd-muet, 8
+ Bejat, nacrier, .id 2
+ Bloïn, fondeur, .id 2
+ Bouly, employé, .id 1
+ Breüer, serrurier, .id 5
+ Brejillon .id 1
+ Chabot, orfèvre, .id 2
+ Choquet, imprimeur, .id 3
+ Contremoulin, employé, .id 25
+ Crispaille, brossier, .id 2
+ Daudin, fondeur, .id 2
+ Delarue, manufacturier, .id 2
+ Delille, maçon, .id 1
+ Deruez, employé, .id 5
+ Deschenes, rentier, .id 5
+ Dorel, relieur, .id 2
+ Doumic, imprimeur, .id 5
+ Dubois, de l'île de Ré, .id 5
+ Ducornoy, ébéniste, .id 3
+ Dumont, tailleur, .id 1
+ Emeux, bottier, .id 15
+ Fèvre, imprimeur, .id 10
+ Franclet, tourneur, .id 3
+ Fontaine .id 5
+ Filleron, peintre, .id 2
+ Frédéric, grainier, .id 3
+ Galbois .id 1
+ Gamble, graveur, .id 3
+ Gevold .id 1 50
+ Gonet, bijoutier, .id 2
+ Gouttebarge, employé, .id 5
+ Graize, imprimeur, .id 5
+ Guillaume, orfèvre, .id 3
+ Barielle, imprimeur, .id 5
+ Hennequin, dessinateur, .id 5
+ Joulin, tailleur, .id 1
+ Jumentier, peintre, .id 2
+ Knecht, sellier, .id 2
+ Lavaud, marinier, .id 1
+ Legras, fleuriste, .id 2 50
+ Levert, ciseleur, sourd-muet 3
+ Levite, tailleur, .id 1
+ Lhuillier, tailleur, .id 1 50
+ Mairet, sellier, .id 2
+ Maloisel, tourneur, .id 5
+ Mauviel, libraire, .id 2
+ Metais, employé, .id 2
+ Michel, pâtissier, .id 2
+ Michel, employé, .id 3
+ Mondlange, graveur, .id 5
+ Mullot, imprimeur, .id 2
+ Nicolas, souffletier, .id 2
+ Nogaret, tailleur, .id 1
+ De Nogent, propriétaire, .id 10
+ Nonnen, rentier, .id 10
+ Page, employé, .id 5
+ Pagez, dessinateur, .id 5
+ Pasly, employé, .id 25
+ Pollet, nacrier, .id 5
+ Quentin, tailleur, .id 2
+ Quinsard, cordonnier, .id 5
+ Richard, ébéniste, .id 1
+ Richard, serrurier, .id 1
+ Robert .id 2
+ Roche, imprimeur, .id 2
+ Romain, imprimeur, .id 5
+ Romanet (le comte de), .id 25
+ Romiguière, imprimeur, .id 5
+ Savaton, cordonnier, .id 3
+ Trovalet, tailleur, .id 2
+ Verlet, papetier, .id 2
+ Vincent, tourneur, .id 5
+ Wallon, mosaïcien, .id 5
+ Brocheton (le docteur), 10
+ Boyd, de Ceylan 20
+ Boyd Dundas 20
+ Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise 50
+ Fasman, artiste peintre, à Versailles, 5
+ Fessard, propriétaire, 10
+ Lenud (le colonel) 10
+ Loz de Beaucours 20
+ Noble (le docteur) père 10
+ Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles, 30
+ Petit, architecte de la ville de Versailles, 10
+ Savouré 5
+ Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles, 50
+ Veytard, ancien capitaine, de Versailles, 20
+ Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles, 10
+ Ed. Tassin de Villiers, 5
+ L'Évêque de Versailles, 100
+ Chabin, entrepreneur de pavage, 10
+ Binart, entrepreneur de menuiserie, 5
+ Decret, garde du génie, 5
+ Michel, colonel de la garde nationale de Versailles, 5
+ Denis fils, entrepreneur de serrurerie, 5
+ Tîssot, entrepreneur de maçonnerie, 20
+ Cormué fils, entrepreneur de peinture, 5
+ Lambert-Baudry, propriétaire, 5
+ Bardet, entrepreneur de couverture, 5
+ Membré, chef d'institution, à Versailles, 5
+ Francolin aîné 20
+ Angouillant, entrepreneur de maçonnerie, 10
+ Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles, 80
+ Rendu, conseiller de l'Université, 20
+ Wartel, artiste de l'Opéra, 10
+ Odout 10
+ Périchot, conseiller municipal de Versailles, 5
+ De Reboul Berville 5
+ Lebeau, entrepreneur de peinture, 5
+ Bourgeois, marchand tapissier, 2
+ Mathieu (le colonel) 5
+ Paumier 5
+ Delorme 10
+ Bléry 5
+ Dupont (le chevalier) 5
+ Christophe (le général) 20
+ Louvet 5
+ Mazuel 5
+ Lemazurier (le docteur) 5
+ Lebert 20
+ Valery, bibliothécaire du château de Versailles, 10
+ Me Haussmann 20
+ Vollot 5
+ D'Hastrel (le général) 20
+ Lemoine, notaire, 5
+ Marchand, idem 20
+ Gady, ancien juge, 20
+ De Saint-Cyr 5
+ Un officier de la garde nationale de Versailles.. 2
+ Un clerc de notaire 1
+ Mme de Breuilly 5
+ M. Gr*** 50
+ Legendre 5
+ Guillemot 5
+ Un petit clerc 25
+ Mme Boullé 20
+ Mme Guillemot 5
+ Ledoux-Leroy 20
+ Croiset, receveur de l'hospice de Versailles, 5
+ Lepoitevin, architecte, 10
+ Hamouy, coiffeur, 2
+ Théry, propriétaire 3
+ Morel, marchand tapissier, 5
+ Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles, 30
+ Horeau, architecte, 10
+ Mlle Giraud-Chaudra 5
+ Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles 40
+ Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles, 5
+ Bailly de Villeneuve 5
+ Haley (de Londres) 5
+ Morel jeune 5
+ Berthod, professeur au collège royal de Versailles, 2
+ Merlin (le général baron) 5
+ Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie
+ de Versailles 21
+ Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse, 20
+ Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles 20
+ Devouges, inspecteur, .id 10
+ Levieil, contrôleur principal, .id 5
+ De Poiféré, contrôleur, .id 5
+ Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain, 5
+ Dubois, .id .id id. à Meulan, 5
+ Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes, 5
+ Salerne, .id .id id. 5
+ Michelin, .id .id à Pontoise, 5
+ Soulas, .id .id à Gonesse, 5
+ Delahaytrée, .id .id à Luzarches, 5
+ Fechez, .id .id à Corbeil, 8
+ Dubois, .id .id id. 5
+ Odoard, .id .id à Etampes, 5
+ Crosse, .id .id à Rambouillet, 5
+ Thomas, .id .id à Dourdan, 5
+ Dahirel, surnuméraire, à Versailles 3
+ Tellot, aspirant .id 3
+ De Doudeauville (le duc) 20
+ De Praslin (le duc) 20
+ De Bastard (le baron) 20
+ Camille Perrier 20
+ Guéneau de Mussy 20
+ De Gérando (le baron) 20
+ Rendu (le baron) 20
+ La société archéologique de Rambouillet 20
+ La société d'Agriculture de Seine-et-Oise 100
+ La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise 20
+ L'archevêque de Bourges 50
+ Le Chapitre métropolitain de Bourges 40
+ Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes, 20
+ Coster, ingénieur en chef, au Puy, 25
+ Bouchitté, professeur, 5
+ Le curé de Saint-Louis, à Versailles 20
+ Mlle Laloua, peintre, 5
+ M. Gringoire
+ Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles
+ Barthe, chef d'institution, à Versailles
+ Huvé, ancien notaire
+ Corneille, propriétaire, 0
+ Boulanger, marchand papetier, 5
+ Lenoble, notaire à Versailles, 20
+ Les clercs de son étude 25
+ Gerdolle 20
+ Pesse-Remont 10
+ Nourtier, juge de paix, 10
+ Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix, 10
+ De Larochefoucauld (le duc) 20
+ Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville
+ par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux
+ de Versailles 284 75
+ Blanc, aumônier de l'École normale 5
+ Anquetil, professeur de .id 5
+ Peyré, .id .id 5
+ Philippar, id. .id 5
+ Deschamps, .id .id 5
+ Aubry, .id .id 5
+ Vitry, médecin, 5
+ Auger, instituteur, 3
+ Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire, 2
+ Stoos, idem 2
+ Les élèves maîtres 30
+ La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles 30
+ Collet, vicaire de Notre-Dame, 10
+ Morand 19 50
+ H. de B. 100
+ Le Bourgeois, notaire au Havre, 5
+ Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre, 5
+ Anry, courtier de commerce, idem 5
+ Lacour, avoué, au Havre, 25
+ Pipereau, .id 25
+ Mme Borel 5
+ L'évêque de Dijon 20
+ Droz, de l'Académie française, 20
+ L'évêque de Saint-Brieux 50
+ Le marquis Théodore Duprat 5
+ La chambre de commerce de Marseille 100
+ Le ministère de l'ºintérieur 3000
+ Tavernier, négociant, à Paris, 25
+ Delapalme, notaire, idem 5
+ Un anonyme 5
+ Genain, sourd-muet, 2
+ Bazin, .id 5
+ Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet, 20
+ Queilhe, .id 4
+ Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id 20
+ Boulard, .id 10
+ Gers, sourd-muet 20
+ Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id 10
+ Portal, sourd-muet 10
+ Chalumeau, .id 4
+ De Duras (la duchesse) 20
+ Pelmer 5
+ Bruère 20
+ Un anonyme 20
+ Institut des sourds-muets de Zurich. 50
+ Duhamel, juge suppléant, à Versailles, 20
+ Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des
+ sourds-muets de Paris 66
+ Steinnhouwer 5
+ Oudet, juge de paix, 5
+ Aubertin 3
+ Le baron Dennée, intendant militaire, 20
+ L'abbé Van den Hecke 10
+ Griolet (Ernest), sourd-muet, 10
+ Imbert (Jules), .id 2 50
+ Loustau, peintre, .id 5
+ Levassor, .id .id 10
+ Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id 5
+ Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet 5
+ Verrier (Gustave), .id 50
+ Laroucault, .id 5
+ Dumont (Félix), .id 1
+ Chalumeau, .id 2
+ Badolle, .id 5
+ Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets
+ de Bordeaux 10
+ Haacke, sourd-muet, 2
+ Damien, .id 2 50
+ Greux, .id 2 50
+ Convert, .id 2
+ Fouret, .id 2
+ Sainton, .id 2
+ Saverot, .id 5
+ Laurent (Edmond), à Blois, .id 20
+ Trézel, .id 2
+ Bézu, peintre .id 2
+ Letellier, négociant 3
+ F. de Jouvencel, maître des requêtes et député, 10
+ Néglet, architecte, 5
+ Le baron de Stassart, sénateur belge 10
+ Le comte d'Epinay Saint-Luc 20
+
+
+
+
+
+
+
+
+FIN DES NOTES.
+
+
+
+
+TABLE DES CHAPITRES.
+
+Chapitre I 7
+
+Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon général.
+--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent, faute
+d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour l'état
+ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse de le
+signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du
+diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que M. de
+Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du sacerdoce.
+
+Chapitre II 14
+
+Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports avec
+le protestant Ulrich.--Ses vœux en faveur des juifs.--Son abnégation,
+son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste, qu'il rend
+dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=--On lui interdit le
+ministère de la parole et celui de la confession. --On lui refuse les
+cendres.--Sa réponse à un prêtre intolérant. --Vengeance
+sublime.--Commencement de son apostolat.
+
+Chapitre III 20
+
+Deux sœurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine
+chrétienne.--La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé de
+l'Épée se résout à continuer son œuvre.--Théorie du langage des
+gestes.--Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.--Ses
+premières tentatives.--Objections des philosophes et des
+théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important avis du
+R. P. Lacordaire.
+
+Chapitre IV 28
+
+Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les
+hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux sous le
+voile de l'anonyme.--Succès de ses séances publiques.--Intérêt que lui
+portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.--Sa réputation
+grandit avec son zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en
+espagnol, en anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son
+système.--Puériles décompositions grecques et latines.
+
+Chapitre V 35
+
+Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des
+idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés pour arriver
+à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne croient pas à la
+possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un avis contraire.--La
+fusion de toutes les langues en une seule, si elle était possible,
+serait-elle durable?--La mimique est la seule langue
+universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste et le
+fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa MIMOGRAPHIE.
+
+Chapitre VI 40
+
+Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en est
+due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de
+l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin
+sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.--Quelques
+ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.--Sourds-muets
+parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. --Succès qu'avait
+déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, un juif
+portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement notre
+célèbre instituteur.
+
+Chapitre VII 45
+
+L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte
+à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux
+mains, pareil à celui de nos collèges.--Plusieurs instituteurs
+d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les
+commencements.--Notre dactylologie se popularise en France. --Ses
+avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les
+parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la
+mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. --Justification
+du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé de sa méthode.--Attaque du
+sourd-muet Saboureux de Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé
+contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est
+déclaré supérieur au sien.
+
+Chapitre VIII 54
+
+Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en
+Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+Italie.--Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, de
+Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro de
+Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro,
+de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory,
+de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de
+Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de
+Jacob Rodrigues Pereire. --Succès brillants des deux derniers à
+l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.--Il le
+nomme son interprète pour les langues espagnole et portugaise.--Sa
+tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à ses élèves.--Il offre
+de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre de la sourde-muette Mlle
+Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret.
+
+Chapitre IX 65
+
+Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son cours
+élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier
+relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique
+d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée devient le
+confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph II lui sert la
+messe.--Il amène dans son établissement sa sœur la reine
+Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le
+mettre à même de populariser sa méthode dans ses États.--Lettre de ce
+prince à l'abbé de l'Épée.
+
+Chapitre X 70
+
+Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de
+l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, de
+St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, à
+l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa faveur.--Nouvelle
+attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle victoire de l'abbé de
+l'Épée.--Condillac se prononce pour lui.--Extension trop grande donnée à
+la parole artificielle du sourd-muet.--Opinion de l'abbé de l'Épée sur
+ce sujet.
+
+Chapitre XI 75
+
+Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque
+octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet
+Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une abbaye en
+Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de
+Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des
+sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous les
+pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute d'abord
+son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son école, en
+autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et lui assigne
+une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet pas à l'abbé de
+l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau local.--Statistique
+des pensions de sourds-muets et de sourdes-muettes, existant à cette
+époque à Paris.--Son école à un second étage de la rue des Moulins.--Sa
+maison de campagne à loyer, rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes.
+
+Chapitre XII 85
+
+Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize ans,
+trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis à
+l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et
+abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes les
+maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu--Le sourd-muet
+en est retiré et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.--Une
+confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué à celui de Louis
+Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.--Découverte de la
+demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse. --Un trait de lumière.
+
+Chapitre XIII 92
+
+L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la
+Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le
+protège.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. --Voyage du
+célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont, en Beauvoisis, sa
+ville natale.--Nouvelles reconnaissances. --Joseph se rappelle une
+cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais sa
+sœur hésite d'abord. --Une démarche auprès du duc de Penthièvre--Elle
+réussit. --Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar.
+--Le paiement en est bientôt suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de
+l'abbé de l'Épée.--Le premier semestre de la pension est payé.
+
+Chapitre XIV 101
+
+Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé
+la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à Toulouse et
+amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains. --Ses moyens de
+défense.--Il demande à être transféré, avec le sourd-muet, partout où la
+justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir
+l'affaire.--Cette requête est jointe au fonds; on refuse son
+élargissement provisoire, ainsi que le transfert de l'enfant et de sa
+sœur sur les lieux.--Enfin, une sentence du Châtelet déclare Joseph
+fils du comte de Solar, reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie
+absous.--Commentaire des juges.
+
+Chapitre XV 108
+
+Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de
+Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de
+Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables. --Détails peu
+édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me Tronçon-Ducoudray à
+l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire constatant, à son avis, le
+décès.--L'illustre avocat modifie, plus tard, son opinion.--Ses aveux à
+M. Bouilly, auteur du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la
+sentence du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre,
+un supplément d'enquête et d'instruction.
+
+Chapitre XVI 116
+
+Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités ne
+lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses au midi
+de la France--Diverses personnes intéressées dans l'affaire prennent la
+même direction.--Recherches longtemps infructueuses.--Joseph ne se
+reconnaît nulle part, pas même en présence de la tombe de son père.--On
+en exhume une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a
+arrachée à Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en
+tire le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves
+accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et contre
+les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle sentence
+confirmative du Châtelet.
+
+Chapitre XVII 122
+
+Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence.
+--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et l'abbé de
+l'Épée.--Les parlements sont détruits par la révolution.--Le nouveau
+tribunal de Paris casse le jugement rendu en faveur du pauvre
+délaissé.--Sans appui, sans famille, sans ressource, l'ex-comte de Solar
+s'enrôle dans l'armée républicaine et meurt, suivant les uns, sur un
+champ de bataille, selon d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le
+sourd-muet Didier, suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.
+
+Chapitre XVIII 132
+
+Coup d'œil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce une
+aventure réelle on un roman historique?--Bonne foi, conviction de l'abbé
+de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur à
+Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des Ormes voit dans
+cette aventure une mystification.--Suivant lui, le pupille du célèbre
+instituteur n'aurait pas été complètement sourd.--Cette opinion
+combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de Bouilly.--Première
+représentation.--Grand succès.--Incident de la seconde.--L'abbé Sicard
+mis en liberté.
+
+Chapitre XIX 143
+
+Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly par
+les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.--Félicitations du
+premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du drame de
+L'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs intéressants de Mme Talma. Deux traits de
+présence d'esprit de cette admirable actrice à deux représentations de
+la pièce.--Tribut d'éloges de Monvel à son élève.--Conclusions de M.
+Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du drame
+de L'abbé de L'ÉPÉE..
+
+Chapitre XX 151
+
+Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations
+du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par la presse d'avoir
+voulu troubler le repos et compromettre l'honneur de certaines
+personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de changer le lieu de la
+scène et efface du titre la qualification de CO MÉDIE HISTORIQUE.--Mort
+de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle de ses derniers
+moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre instituteur inhumé à
+Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa répugnance à laisser
+reproduire ses traits, de son vivant.--Le sculpteur sourd-muet de
+Seine.--La Commune de Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État
+adopte les sourds-muets privés de leur père.--Ce vœu est
+réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église
+Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du panégyriste.
+
+Chapitre XXI 159
+
+L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera
+inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de
+la patrie, et que son Institution sera subventionnée par
+l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à
+l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune des
+écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, pour
+la première, à 80 et à 100.--La Convention avait eu, un instant, le
+projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, une école
+normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux
+agricoles.--Transfert de l'établissement de Paris dans le local actuel,
+à l'ancien séminaire Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des
+sourds-muets rangés, en 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des
+budgets départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé
+que ce fût parmi les _dépenses obligatoires_.
+
+Chapitre XXII 166
+
+Mode d'administration successif des Institutions nationales de
+sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour but de
+généraliser en France cet enseignement spécial.--Sollicitations
+infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition adressée en 1851, par la
+Société centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en
+France à l'Assemblée nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée
+par MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de
+Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de
+Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie française,
+voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur poème à la gloire de
+l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des œuvres du célèbre
+instituteur.
+
+Chapitre XXIII 172
+
+Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb des
+cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur s'était
+imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre aux journaux
+pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au Musée
+historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni dans sa
+ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur,
+l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable
+abandon.--Demande de renseignements au curé de Saint-Roch sur le lieu de
+la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.--Comment on découvre
+que ses restes reposent dans le caveau de la chapelle
+Saint-Nicolas--L'auteur y descend avec le sourd-muet Forestier et le
+docteur Doumic.--Spectacle déchirant!--Souscription ouverte dans les
+journaux pour élever un monument aux cendres du célèbre instituteur et
+faire apposer deux inscriptions en français sur la maison où il est né
+et sur celle qui fut le berceau de son enseignement.
+
+Chapitre XXIV 185
+
+Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la
+présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se compose, en
+outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé
+Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand
+Berthier, Forestier et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du
+premier président Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence
+de la Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de
+M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens:
+représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où
+s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on préfère
+la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de la
+souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel de
+Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.--MM.
+Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+Chapitre XXV 195
+
+Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de
+fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et d'étole,
+reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le grand
+instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms des
+premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes
+généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor Lenoir,
+architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux ambassadeurs
+étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux cours d'appel,
+etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière.
+
+Chapitre XXVI 211
+
+Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la
+commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les ministres
+invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.--Celui
+de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour 3,000 fr.--Devis à
+forfait de M. Préault.--La commission l'accepte, à condition que
+l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir qu'à mesure des
+rentrées, et que le monument sera prêt en février 1841.--Nouvelle
+circulaire, nouvelles démarches auprès des grands corps de
+l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en ignore le
+résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque d'Évreux, regrette
+de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration du monument.--On
+s'adresse à l'abbé Cœur, qui ne peut, à cause de ses nombreux
+travaux, accepter cette honorable mission.--Fixation ultérieure du jour
+de la cérémonie.
+
+Chapitre XXVII 221
+
+La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné à
+lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et
+Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est inauguré en
+août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.--Description et éloge
+de cette œuvre remarquable.--Mais pourquoi une inscription
+latine?--Sur 33,000 sourds-muets que renferme la France, il n'y en a pas
+22 qui sachent le latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de
+bronze due aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée
+qui orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices
+pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui
+qu'il a élevé au général Marceau sur une place de Chartres.--Un buste du
+grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école de
+Paris.--Séance d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une
+statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville
+natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de reconnaissance.
+
+Chapitre XXVIII 229
+
+Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif de sa
+naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets et à leurs
+amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre instituteur.--Empressement
+unanime de tous les convives. --Le buste est commandé au sculpteur
+Parfait Merlieux, et inauguré sur la fin du banquet de l'année
+suivante.--Transports d'allégresse de tous les assistants.--Mon
+allocution.--Bienfaits de la Société centrale des sourds-muets.--Projet
+de cours publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette
+infirmité.
+
+Chapitre XXIX 235
+
+Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur ami
+Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation
+exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs et
+poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, inventeurs,
+peintres (histoire, sujets religieux, portraits, marines, pastel,
+daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs, mécaniciens,
+horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, marins et
+militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un sourd-muet
+de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une médaille.--Ses
+condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen d'assister è notre
+banquet.--Mon toast à M. Bouilly, et la réponse de ce doyen de nos
+auteurs dramatiques.
+
+Chapitre XXX 248
+
+Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles,
+sa ville natale.--Communication officieuse du maire du chef-lieu de
+Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur
+Bataille.--Sa lettre à un journal du département.--Nobles
+sentiments.--Modèle de la statue de notre illustre instituteur par M.
+Michaut, le célèbre graveur des monnaies.--Offres
+désintéressées.--Premier noyau de la commission de Versailles.
+
+Chapitre XXXI 256
+
+Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau
+définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et
+moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire de la
+ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La statue sera
+en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements proposés.--Deux
+seuls paraissent convenables.--Autorisation à demander au conseil
+municipal.--Comité de trois membres, chargé, sous le titre de jury de
+surveillance, de suivre l'exécution des travaux.--Publication de la
+liste des souscripteurs tous les deux mois.
+
+Chapitre XXXII 262
+
+Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.--M. le
+baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande d'autorisation au Ministre
+de l'instruction publique pour élever la statue sur l'axe de la grille
+de clôture du jardin de l'École normale.--Réponse favorable.--M. Michaut
+s'engage à ce que les frais de la statue ne dépassent pas dix mille
+francs, et demande à en commencer le modèle en argile plastique.--M.
+l'architecte Petit invité à dresser un devis estimatif des dépenses du
+piédestal et des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant
+toutefois le vœu qu'on choisisse un emplacement plus
+convenable.--Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque
+souscripteur.
+
+Chapitre XXXIII 270
+
+M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation
+complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de l'Épée, désire
+être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y
+rattachent.--Réponses de la commission aux différentes questions qui lui
+ont été soumises par M. le préfet.--Première pensée d'une entrevue de
+quelques membres du conseil municipal de Versailles avec quelques
+membres de la commission du monument, ayant pour but d'essayer de lever
+en commun ces obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en
+réponse aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un
+prospectus à répandre pour activer les souscriptions.
+
+Chapitre XXXIV 276
+
+Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de
+souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de 300
+francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la commission
+invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. --Le
+statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions des sourds-muets,
+recueillies par le docteur Doumic.--Projet d'exposition du modèle de la
+statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris.--Le
+préfet de Seine-et-Oise accepte les fonctions de président d'honneur de
+la commission.--MM. Molé, Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc
+de Luynes désignés pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la
+guerre regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour
+la confection de la statue.
+
+Chapitre XXXV 284
+
+Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de
+Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués
+du conseil municipal, de membres de la commission des
+souscripteurs.--Mes impressions en présence de la statue.--Engagement du
+fondeur.--Adoption de la statue par le conseil municipal, qui décide
+qu'elle sera placée à la croix des rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut
+se soumet aux corrections indiquées. --L'architecte de la ville mis à la
+disposition de l'œuvre. --Nouveaux moyens à employer pour activer les
+souscriptions.
+
+Chapitre XXXVI 298
+
+Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal de la
+statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette
+œuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à l'achèvement
+des travaux.--Le conseil municipal en vote 2,000.--Projet d'une plaque
+commémorative.--Inscription de la face principale du monument.--Travaux
+du fondeur surveillés par le statuaire.--Érection fixée au 3 septembre
+1843.--Dernières dispositions. --Programme de la fête.--Décision du
+conseil municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux
+sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.
+
+Chapitre XXXVII 310
+
+Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville
+natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris et
+d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence regrettable du
+clergé.--Nombreuse affluence de spectateurs.--Discours du préfet, au nom
+de la commission des souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie
+et les travaux de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire
+de la commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves
+d'artillerie. --Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il devait
+prononcer.
+
+Chapitre XXXVIII 322
+
+Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue de
+l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du sourd-muet
+Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le conseil municipal
+autorise le maire à accepter le monument, et adresse des remercîments
+aux commissaires, aux souscripteurs et au statuaire.--La commission
+sollicite en vain de M. le Ministre de l'intérieur, par l'intermédiaire
+de M. le préfet, une dernière subvention pour solder ses
+comptes.--Relevé définitif des recettes et dépenses.--Tribut de regret
+de la commission à quatre de ses membres décédés.--Ses remercîments à M.
+le préfet Aubernon. --Elle décerne une médaille au statuaire
+Michaut.--Désir des souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms
+imprimés dans les journaux, afin de constater leur reconnaissance pour
+l'abbé de l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des
+listes générales.--Conclusion: sept vœux émis; trois encore à
+exaucer, une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les
+sourds-muets; deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il
+naquit, à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença à
+enseigner, à Paris.
+
+Notes 335
+
+ * * * * *
+
+
+
+Notes de bas de page:
+
+[1] _Résumé des travaux_ de l'ex-Société centrale des sourds-muets de
+1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs
+sourds-muets.--Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette
+Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le
+premier sourd seulement, le second sourd-muet.
+
+[2] Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient mieux traités
+chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de l'aptitude à
+une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer l'un d'eux,
+nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts.
+
+[3] Extrait de l'_Annuaire de l'Institut des sourds-muets et des
+aveugles de Bruges_, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet
+établissement.
+
+[4] Voyez la note A à la fin du volume.
+
+[5] La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était située sur
+le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon et de
+l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny).
+
+[6] Voyez la note B.
+
+[7] Voyez la note C.
+
+[8] Voyez la note D.--Copies authentiques de six pièces émanées des
+anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture de
+l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet, secrétaire
+de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de la
+Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à
+Versailles.
+
+[9] En 1743.
+
+[10] _La Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février.
+
+[11] Voyez la note E.--Observations d'un ecclésiastique aussi tolérant
+qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des
+sourds-muets d'Orléans.
+
+[12] Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études de
+l'institution des sourds-muets de Paris.
+
+[13] Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages de
+l'Amérique:
+
+«La conversation devint bientôt générale, c'est-à-dire par quelques mots
+entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que
+ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.»
+
+[14] Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M. l'abbé *** en
+1772 (_Institution des sourds-muets par la voie des signes
+méthodiques_).
+
+[15] _Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes méthodiques_.
+1re partie. Page 89.
+
+[16] La _Polygraphie_ ou _écriture universelle, cabalistique_, de
+Trithème.--L'ouvrage de Comenius intitulé: _Janua linguarum reserta_
+(1601).--Bécher de Spire (1661). _Character pro notitiâ linguarum
+universale_.--John Wilkins, _an essay towards a real character and
+philosophical_.--La _Pasigraphie_, ou écriture universelle, du chevalier
+de Maimieux.--_L'anti-pasigraphie_ de Vater.--_Manuel polyglote_ de
+Cambry, d'après le plan de Bécher.--_Essai pasigraphique_ de Zacharie
+Nather.--_Cours de Pasigraphie_ de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de
+Dilengen.
+
+Ces citations sont extraites de l'_Investigateur_, journal de l'institut
+historique. Tome IX, 172e livraison.--Mars 1849.
+
+[17] Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. Contentons-nous
+donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés en français:
+
+_Essai sur l'articulation de la voix,_ par Laurent de Blois, 1831.
+
+--_La parole rendue aux sourds-muets,_ par le même.--_Tableau des
+éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à
+l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,_ par M.
+Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy,
+1838.--_Méthode de phonologie et de labéologie,_ par le même,
+idem.--_Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,_
+par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris.--Brochure de M.
+Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des
+sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: _Quel rôle l'articulation et
+la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des
+sourds-muets?--La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de
+l'oreille,_ par J. B. Puybonnieux, professeur et
+archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de
+Paris, 1843.--_Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur
+les facultés physiques, intellectuelles et morales,_ par le même, 1846.
+
+[18] Voyez à la note F. un _certificat délivré par l'abbé de l'Épée à
+Mademoiselle Blouïn,_ certificat publié par M. Piroux, directeur de
+l'institution des sourds-muets de Nancy dans son intéressant journal
+mensuel: _l'Ami des Sourds-Muets._ (2e année, 1839-1840.)
+
+[19] Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure portugaise, à
+36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à Berlango, dans
+l'Estramadure espagnole. On appelait alors indifféremment, a-t-on
+remarqué à cet égard, _juifs portugais_ ou _nouveaux chrétiens_ les
+premiers Israélites venus de la péninsule hispanique et admis légalement
+en France par les ordonnances de Henri II.
+
+[20] Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité.
+
+[21] M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent _Manuel
+d'enseignement pratique des sourds-muets_, que plusieurs institutions
+d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y
+traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon
+cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop
+fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur
+le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les
+premières leçons.
+
+[22] Voyez à la note G:--1º ma lettre au directeur de l'institution
+nationale des sourds-muets de Paris sur la _dactylologie _ de M.
+Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative de
+cet établissement sur la _dactylographie_ de M. Ch. Wilhorgne.
+
+[23] _Institution des Sourds-Muets_, chap. 1, pag. 9-10.
+
+[24] C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé l'éducation des
+deux sœurs sourdes-muettes.
+
+[25] Il a fait paraître un grand nombre de traductions d'ouvrages
+anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des lettres sur la
+dactylologie et un mémoire publié par le _Journal de Physique_, en
+1770.--Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, parmi
+lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier
+Desmortiers cite quelques écrits.--La _dactylologie_ était l'instrument
+favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables,
+dit-on, de l'adoption de ce mot grec.
+
+[26] Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier un travail
+méthodique ayant trait au langage doigté.--Il a pour titre _Loquela
+digitorum_, art d'exprimer les nombres par la position des doigts sur
+les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte très-court
+et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du _Magasin pittoresque_
+(16e année), et de 55 figures. Les 36 premières expriment les nombres
+avec les doigts seulement et constituent ainsi ce que l'on est convenu
+d'appeler la _dactylonomie_; les 19 autres, relatives à la _Chiromamie_,
+empruntent leur signification aux diverses positions des mains.
+
+Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils
+en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs
+anciens, sacrés et profanes.
+
+[27] _Paralipomenn_, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection de ses
+œuvres, page 462.--_De utilitate ex advertis capiendâ_, lib. II, cap.
+7, tome II de ses œuvres, pag. 73.
+
+_De subtilitate_, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622).
+
+[28] _Extrait de la vie de saint François de Sales_, par Marsollier.
+Paris, Dufour, 1826. Tome 1er, livre 5e, page 394.
+
+[29] J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand j'ai
+écrit autre part qu'il était muet de naissance.
+
+[30] C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de Montbret, homme
+fort instruit, membre sourd-muet de la Société Asiatique, qui, en 1847,
+a, par son testament, légué non seulement sa fortune, mais sa riche
+bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez la note H où il est parlé de ce
+legs d'après les _Annales de l'éducation des Sourds-Muets et des
+Aveugles_, publiées par M. Edouard Morel, 4e année, 4e volume,
+1847.
+
+[31] J'ai lu dans l'_Illustration_, 3 novembre 1849, nº 349, vol. XIV,
+que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était bègue,
+eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce dernier
+pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses
+décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le
+maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les
+organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa
+place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et
+assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de
+Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de
+Carignan en ait mieux profité.
+
+[32] Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son éloge de
+Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart, faisaient un
+grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de bibliophiles
+de Glascow, connue sous le nom de _club Maitland_, résolut d'en faire, à
+Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement, une nouvelle
+édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des Sourds-Muets
+de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel, alors son
+secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un, malgré
+l'énormité du prix, 120 francs.
+
+[33] Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement
+d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour
+les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre
+1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son
+parrain.--Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un
+maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de
+notre grand orateur Berryer.
+
+[34] Voir son _Dictionnaire de Musique_, art. _Chant_.
+
+[35] Voici le commencement de quelques vers de La Condamine, qu'une
+considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le tombeau
+de Pereire:
+
+ Pereire! ton génie et tes puissants secours
+ Ont rendu la parole à des muets nés sourds!
+ Des muets ont parlé!.......
+
+Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux
+questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A
+quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité
+de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée
+pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître
+Pereire.
+
+[36] Voir l'_Encyclopédie_ et ses _Lettres sur les Sourds-Muets_.
+
+[37] Voir son _Traité des Sensations_.
+
+[38] Voir sa _Dissertation sur la manière d'apprendre à parler aux
+muets_.
+
+[39] C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant que je
+considère ici Pereire.--Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du titre de
+membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le cimetière
+des juifs portugais, à La Villette.
+
+[40] L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques
+expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.
+
+[41] Toutes les pièces furent fournies en latin de part et d'autre.
+
+[42] Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau qui
+représente saint Pierre guérissant un boiteux;--en 1840, le _Sermon de
+Jésus-Christ sur la Montagne_, dont le ministre de l'intérieur a fait
+l'acquisition;--en 1844, _Jésus enfant parmi les docteurs de la loi_,
+tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et
+pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;--en 1842,
+_Jésus-Christ bénissant les petits enfants_, tableau commandé par le
+ministre pour servir de pendant à ce dernier;--en 1845, l'_Apparition de
+Saint-Nicolas devant Constantin le Grand_, tableau placé par ordre du
+ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont
+le saint est le patron;--en 1846, _Bonaparte quittant l'Égypte pour
+venir sauver la France_. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes,
+Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet.
+Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour
+de nouvelles commandes.
+
+[43] La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou 8,000 fr.
+
+[44] _Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février.
+
+[45] Voyez la note 1.(44)
+
+[46] Mlles Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure.
+
+[47] Il était alors âgé de soixante-quatre ans.
+
+[48] La date du 1er août n'a été connue de l'auteur de la note que
+depuis les informations faites par ordre du ministère.
+
+[49] Voyez à la note J la différence entre les mots _sourd-et-muet_ et
+_sourd-muet_.
+
+[50] Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. Moreau de
+Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, avocat au
+Conseil, à qui elle était adressée.
+
+Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du
+public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection
+d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des
+savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les
+plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin
+qui ont brillé sur la scène du monde.
+
+[51] Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient la
+nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île
+Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse.
+
+[52] Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur du drame
+de _l'Abbé de l'Épée_, que l'instruction du procès, modifiant son
+opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre
+instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble
+famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause,
+dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus
+douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait
+pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible
+de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après
+l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas
+que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa
+liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine
+Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire.
+
+[53] Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné ses
+écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en
+question.
+
+Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à
+Clermont le 1er novembre 1762, et il marqua sur son registre la
+sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante.
+
+[54] Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et jours
+suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi par
+la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par
+Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence
+définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781.
+
+C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout
+récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à
+ladite annulation, avaient été faites jusque-là, mais infructueusement,
+dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de
+première instance et aux archives nationales.
+
+[55] Il n'est, selon le rapporteur, autre que Pierre-Hyacinthe-Joseph,
+fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé dans les Pays-Bas aux
+travaux des mines.
+
+[56] On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur Joseph.
+Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui qu'elle
+croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle devait
+à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est pour
+cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé contre
+elle une demande en communication de l'inventaire fait après le décès de
+la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver ainsi à
+faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son identité avec
+le comte de Solar.
+
+[57] Depuis lors, nous apprend le rapporteur par _post-scriptum_, Me
+Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à sa mort, de tous ses
+biens, pour le dédommager du tort involontaire que sa compagnie lui
+avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000 fr., et qui
+consistait principalement en une jolie maison, sise aux environs de
+Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de Solar.
+
+[58] Voici la distribution des rôles:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE Monvel.
+ JULES Mad. Vanhove-Talma.
+ DARLEMONT Grandménil.
+ SAINT-ALME Damas.
+ FRANVAL Baptiste aîné.
+ DOMINIQUE Dazincourt.
+ MAD. FRANVAL Mad. Suin.
+ CLÉMENCE, SŒUR DE FRANVAL Mlle Mézerai.
+ MARIANNE Mad. Lachassaigne.
+
+
+
+[59] L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22 nivôse an
+VIII.
+
+[60] Voyez à la note K un extrait de mon allocution au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842.
+
+[61] Voyez à la note L la lettre de ce professeur, en date du 14 mai
+1845.
+
+[62] Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte le 24
+décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle
+occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment.
+
+[63] Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son rapport et
+son projet de décret sur l'organisation de six établissements pour tous
+les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à Rennes, à
+Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 juin 1793
+(vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire de Seine,
+sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par l'organe d'une
+citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, et qu'il avait,
+en outre, fait don à la même assemblée de ceux de Lepelletier et de
+Marat.
+
+[64] Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée par
+l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à
+l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin
+d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces
+malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école
+de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M.
+Champion de Cicé, archevêque de cette ville.
+
+[65] Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par la
+sanction royale le 29 du même mois.
+
+[66] L'article Ier du décret des 10-14 septembre 1791 était ainsi
+conçu:
+
+«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé
+au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de
+la patrie.»
+
+L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des
+Célestins.
+
+Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels
+les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer
+l'attention publique.
+
+[67] Alphonse Esquiros.--Revue de Paris.--_Les sourds-muets de Paris_.
+Novembre 1844.
+
+[68] D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord de 60 à
+80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées aux
+sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris.
+
+[69] Voyez à la note M quelques détails sur l'origine du bâtiment
+concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle.
+
+[70] Rennes.--Clermont.--Grenoble.--Nancy.
+
+[71] Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints MM. E.
+Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, et Hyde
+de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le premier,
+un semblable vœu, lequel ne doit point surprendre quiconque a été à
+même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités.
+
+[72] Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et
+bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris.
+
+[73] Entre autres, Mlle Courtois; l'abbé Salvan, élève et ami de
+l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution des
+sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près de
+Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait désigné
+comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de mes
+frères d'infortune.
+
+[74] Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et de pension
+à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de l'Académie de
+Châlons-sur-Marne.
+
+[75] Voyez à la note N les vers composés à cette occasion sous ce titre:
+_le Sourd-Muet_, par un de nos frères les plus distingués, Pélissier,
+aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris.
+
+[76] Molière.
+
+[77] Voyez à la note O la demande textuelle des mandataires
+sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné.
+
+[78] Voyez la note P.
+
+[79] Écrite en allemand.
+
+[80] M. le comte de Montalivet.
+
+[81] Voyez à la note Q les pièces fournies à l'appui de la proposition
+de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire.
+
+[82] M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu à cette
+dignité.
+
+[83] Viro--admodum mirabili--sacerdoti de l'Épée--qui fecit exemplo
+Salvatoris--mutos loqui--cives Galliæ--hoc--monumentum dedicarunt--Natus
+1712--Mortuus 1789.--Préault, 1840.
+
+[84] MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau de Mussy,
+Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.--MM. Feuillet, Droz,
+Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, Burnouf, Sylvestre de
+Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de perfectionnement.
+
+[85] Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des
+sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les
+professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A.
+Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez,
+Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que
+cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel
+les amis des sourds-muets seraient admis.
+
+Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont
+il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre.
+
+[86] Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis pour fêter
+les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se trouvent chez
+le libraire Hachette.
+
+[87] La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de combler
+ces deux lacunes.
+
+[88] Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un succès
+complet.
+
+[89] Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à l'Exposition
+universelle de Londres.
+
+[90] Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution nationale
+des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se
+substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des
+bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par
+exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux,
+sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités,
+jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature.
+
+[91] Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un
+mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force
+qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen
+d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte.
+
+[92] La médaille porte cette inscription:
+
+ MINISTÈRE DE LA MARINE.
+
+ _A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de_ 12 _ans, sourd-muet.
+ Courage et dévouement pour sauver des enfants
+ en danger de se noyer._
+
+Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant
+sourd-muet:
+
+«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la
+Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies
+a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle
+(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et
+le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger
+de périr dans les flots.
+
+«Enregistré au secrétariat, au Havre.»
+
+[93] M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut royal
+des sourds-muets de Paris.
+
+[94] Voyez à la note R l'_extrait du registre des délibérations du
+conseil municipal de Versailles.--Séance du_ 14 _novembre_ 1839.
+
+[95] Voyez le _prospectus_ à la note S.
+
+[96] Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être évalué
+au-dessus de 24,000.
+
+[97] M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XIIe arrondissement de Paris.
+
+[98] Il m'avait été demandé par un membre de la commission chargée de
+l'érection du monument.
+
+[99] Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris.
+
+[100] On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire évacuer
+les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde population dans
+des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les riverains, une
+occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur donner ainsi un
+aspect plus régulier. On avait observé, quant à l'emplacement sur la
+place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en tout, 4 m 80 de
+hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, pour qu'ils fussent
+en rapport, la statue et le piédestal réunis devraient avoir 7 m de
+hauteur; par conséquent, occuper une superficie de 17,30, au lieu de
+celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage obligé.
+
+L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri
+de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en
+passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus
+sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de
+l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (_Note de la commission de
+Versailles._)
+
+J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait
+d'une erreur historique. (_Note de l'Auteur._)
+
+[101] Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a prétendu,
+par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? Nous ne
+pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis sa mort;
+et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous séparent
+de cette époque.
+
+[102] Voltaire.
+
+[103] J.-J. Rousseau.
+
+[104] Montesquieu.
+
+[105] POÉSIES D'UN SOURD-MUET, avec une introduction par M. Laurent de
+Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30.
+
+[106] Voyez la note T.
+
+[107] _Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de l'oreille et
+de l'audition_.
+
+[108] On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B. Puybonnieux,
+cité plus haut.
+
+[109] Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux de
+Toulouse.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
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+de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr
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+is also defective, you may demand a refund in writing without further
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+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
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+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
+If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
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+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
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+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
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+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
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+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
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+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+The Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: L'Abbé de l'Épée
+ sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès;
+
+Author: Ferdinand Berthier
+
+Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net);
+produced from images available at the Bibliothèque nationale
+de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr
+
+
+
+
+
+
+
+
+L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions,
+menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons,
+nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons,
+instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons,
+accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions,
+despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons,
+réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons,
+complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons,
+escrions, taisons: et quoy non?
+
+ MICHEL MONTAIGNE.
+
+Montmartre.--Impr. PILLOT FRÈRES, LANGRAND et Ce.
+
+[Illustration: L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.]
+
+L'ABBÉ
+DE L'ÉPÉE,
+SA VIE, SON APOSTOLAT,
+SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS;
+
+AVEC L'HISTORIQUE DES
+MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE
+=à Paris et à Versailles=;
+
+ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE,
+D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE,
+DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS,
+ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES;
+
+PAR
+
+FERDINAND BERTHIER,
+
+SOURD-MUET,
+
+Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,
+Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour
+les Sourds-Muets de France,
+Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc,
+
+His sunt additae orchestrarum loquacissimae
+manus, linguosi digiti, silentium clamosum,
+expositio tacita...... Ostendes homines posse et
+sine oris affatu suum velle declarare.
+
+CASSIODORE, lib. IV, cap. 51.
+
+PARIS,
+MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS,
+RUE VIVIENNE, 2 BIS.
+
+1852.
+
+
+
+
+PROLÉGOMÈNES.
+
+
+Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au
+faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets[1], dont
+le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe
+exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les
+sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui
+ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les
+liens qui unissent cette grande famille, d'offrir à chaque membre un
+point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur
+procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire
+dans le monde.
+
+La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets
+des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes
+habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages
+conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur
+assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et
+leurs relations, peuvent leur être utiles.
+
+L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque.
+Les cendres de l'abbé de l'Épée, le _père spirituel_ des pauvres
+sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de
+l'église Saint-Roch, à Paris.
+
+Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces
+restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se
+mettre à la tête de cette oeuvre réparatrice, et qui formèrent le
+noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et
+d'en régulariser l'emploi!
+
+A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; _la
+mémoire du coeur_ ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets.
+
+La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné,
+alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la
+cour de cassation, _président_; Chapuys-Montlaville, député, maintenant
+préfet, _secrétaire_; Villemain, de l'académie française, qui fut, plus
+tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors
+procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de
+Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur
+des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé
+Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay
+de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert,
+artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la
+Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et
+vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de
+Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de
+Paris, qui était secrétaire de la Société centrale.
+
+A peine formée, la Commission, en émettant le voeu qu'un écrit fût
+consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la
+découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna,
+pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant
+peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme
+exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les
+souscriptions.
+
+Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale.
+
+M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent
+et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet
+opuscule les traits du saint Vincent de Paule de ce peuple
+exceptionnel.
+
+Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des
+sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire
+qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition
+des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de
+ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la
+Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion
+d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de
+la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice,
+et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix.
+
+Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de
+Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus
+spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en
+former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la
+Commission parisienne.
+
+La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne
+me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un
+exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de
+publication de l'oeuvre au moyen du surplus du montant des
+souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par
+l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une
+démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité,
+établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette
+faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de la mienne
+rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent
+les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les
+fonds de cet établissement, c'est-à-dire des ouvrages appartenant aux
+sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer
+que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de
+l'intérieur ou celui de l'instruction publique.
+
+Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des
+beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de
+l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être
+le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses
+nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse.
+
+Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de
+Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de
+l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les
+rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus
+religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La
+Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne soeur de celle
+qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu
+dans le même but.
+
+Quant au succès matériel de mon oeuvre, il ne repose plus maintenant
+tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand
+apôtre des sourds-muets.
+
+Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et
+moi sommes restés au-dessous, de notre tâche. Les membres de cette
+ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant
+eux, d'apporter à une oeuvre de conscience plus de zèle et de
+désintéressement.
+
+Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur _père spirituel_, qui,
+s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des
+sourds-muets épars sur la surface du globe.
+
+Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir,
+non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui
+a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de
+vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des
+membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané,
+si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de
+ses plus illustres enfants.
+
+
+
+
+L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS.
+
+
+
+
+I
+
+ Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon
+ général.--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent
+ faute d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour
+ l'état ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse
+ de le signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions
+ du diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que
+ M. de Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du
+ sacerdoce.
+
+
+Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec
+vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques
+titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui
+mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la
+reconnaissance des peuples que celui du _père spirituel_ des
+sourds-muets, l'abbé de l'Épée.
+
+Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous
+ferons mieux, nous le prouverons.
+
+Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des
+sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le
+génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes
+victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un
+préjugé barbare. La foule indifférente[2] regardait d'un oeil de
+dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler
+au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et
+dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser
+leurs fers.
+
+Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention,
+quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la
+manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple.
+
+Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille infirmité était
+considéré[3] dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un
+innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette
+opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme,
+où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur
+guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait
+opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce
+temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir
+soin des sourds-muets.
+
+Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et
+consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en
+leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur
+leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour
+ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute
+participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement
+l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à
+périr avec eux.
+
+Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets:
+_Et vous aussi, vous serez hommes!_ Avec quel étonnement le dix-huitième
+siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante
+barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a
+doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus
+belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas
+tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et
+le coeur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité
+humaine, ils ouvrent leurs coeurs aux consolantes vérités de la
+religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses
+devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au
+milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de
+l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche
+imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission
+du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du
+vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une
+profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne
+remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère,
+quelques droits à l'indulgence du public.
+
+Charles-Michel de l'Épée[4] naquit à Versailles, le 24 novembre 1712[5].
+Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme
+recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et
+dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer
+l'esprit et le coeur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus
+devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un
+devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents
+avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique,
+et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait
+leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait
+sa vocation.
+
+Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir
+les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors
+une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le
+_formulaire d'Alexandre VII_[6], espèce de déclaration d'orthodoxie
+moliniste. Le jeune de l'Épée refusa de le signer. Et pourtant il ne
+croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus
+respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les
+humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour
+toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé!
+
+Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le
+barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il
+subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de
+Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte,
+destiné à devenir un jour chancelier du royaume,
+Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou[7].
+
+Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du
+tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que
+là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc
+avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses voeux furent
+exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel
+auteur du _Discours sur l'Histoire universelle_, l'appela près de lui,
+l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de
+Fouges, le 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22
+septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le
+20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu
+suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui
+constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient
+dans la principauté de Dombes[8].
+
+
+
+
+II
+
+ Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports
+ avec le protestant Ulrich.--Ses voeux en faveur des juifs.--Son
+ abnégation, son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste
+ qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=.--On
+ lui interdit le ministère de la parole et celui de la
+ confession.--On lui refuse les cendres.--Sa réponse à un prêtre
+ intolérant.--Vengeance sublime.--Commencement de son apostolat.
+
+
+Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les
+luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible
+chaire de vérité. Son éloquence, partie du coeur, arrivait droit au
+coeur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes
+et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle
+produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il
+enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il
+réunissait en lui, au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce.
+On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre
+Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de
+l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux
+qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser
+échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray:
+«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!»
+
+Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la
+sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du
+fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison
+établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer
+ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la
+misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât
+une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné,
+répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de
+l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les
+privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce
+don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront
+de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le
+travail: je suis riche de vos bienfaits.»
+
+Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le
+voeu le plus ardent de son coeur était de voir les juifs sortir
+enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille
+chrétienne.
+
+Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel,
+afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur
+la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les
+âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu
+à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une
+seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et
+de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue
+et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont
+les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut,
+et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.»
+
+Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de
+Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste[9]. Il lui restait
+encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était
+rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le
+prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie de sentiments, lui
+attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de
+Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la
+bulle _Unigenitus_, dépositaire de son acte d'adhésion à cette
+déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et
+de pureté d'intention[10], et pourtant, contradiction remarquable dans
+un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu
+de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a
+défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu
+de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa
+candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons
+miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux
+diacre François Pâris.
+
+De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris.
+On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui
+défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu
+mettre sa vertu à une plus rude épreuve[11], se présentant un jour dans
+sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit
+repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais
+lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève
+et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit,
+m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but
+est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre
+conscience[12].
+
+Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta
+généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des
+tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte
+table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus
+grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait
+exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte
+que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et
+qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme
+généreuse de sa victime.
+
+Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par
+des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de
+gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait échoir la tâche d'achever
+la grande oeuvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un
+vénérable prêtre de la doctrine chrétienne.
+
+
+
+
+III
+
+ Deux soeurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la
+ doctrine chrétienne.--La mort les ayant privées de leur
+ instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son
+ oeuvre.--Théorie du langage des gestes.--Il ignore entièrement
+ les travaux de ses prédécesseurs.--Ses premières
+ tentatives.--Objections des philosophes et des
+ théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important
+ avis du R. P. Lacordaire.
+
+
+Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une
+affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la
+rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la
+doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on
+l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, soeurs
+jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En
+attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques
+paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune
+réponse! Il eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher
+d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce
+silence opiniâtre?
+
+Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable
+visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont
+sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R.
+P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de
+St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement
+leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand
+secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa
+vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder
+les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier.
+
+A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que
+le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par
+lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit
+entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel
+destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement
+convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe
+que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat
+entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident qui
+s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne
+se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde
+nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même
+les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la
+carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà
+saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira
+bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la
+mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les
+philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les
+pays[13]. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à
+l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du
+monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle
+vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De
+longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou
+plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre.
+
+En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les
+critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les
+premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de
+transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par
+cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre
+sans peine le vieil axiome: _Nihil est in intellectu quod prius non
+fuerit in sensu_ (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par
+nos sens).
+
+Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: _Fides
+ex auditu_ (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe.
+
+Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes
+que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons
+fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir
+des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque
+signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur
+fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits
+signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent.
+
+On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la
+métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage
+mimique est, observa-t-il avec ses yeux d'aigle, susceptible de
+traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les
+plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal
+de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la
+clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux
+lois immuables et éternelles de notre organisation physique.
+
+On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement
+résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte
+engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de
+Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre
+comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait,
+effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre.
+
+L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des
+théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La
+lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le
+docteur qu'il regarde[14] comme un des plus habiles commentateurs des
+Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans
+ces paroles de l'apôtre: _ex auditu_; car, s'il est vrai que le plus
+grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les
+vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont
+prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu
+beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture.
+Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les
+vérités saintes qu'ils renferment: _Ces choses ont été écrites_, dit
+l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), _afin que vous
+croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la
+vie en son nom_.»
+
+Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là; il invoque avec une
+nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce
+grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier
+abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt
+dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange
+abus: _Quod vitium ipsam impedit fidem_. C'est, dit saint Augustin,
+parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les
+lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la
+lecture: _Nàm surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat,
+discere non potest_.
+
+«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie enfin l'abbé de l'Épée, si
+l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des
+sourds-muets?»
+
+Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant,
+l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans
+importance, même après celle de ses illustres devanciers.
+
+Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur
+sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez
+lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la
+manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en
+ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et
+cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un
+sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa
+réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon
+collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul!
+
+«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite
+à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la
+parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.--La foi
+est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée à l'homme _de
+quelque manière que ce soit_.»
+
+Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que
+nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on
+est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S.
+Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne
+croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas?
+Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?»
+_Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei
+quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?_ (Rom. 10,
+14-15.)
+
+
+
+
+IV
+
+ Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec
+ les hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux
+ sous le voile de l'anonyme.--Succès de ses séances
+ publiques.--Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et
+ Catherine de Russie.--Sa réputation grandit avec son
+ zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en
+ anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son
+ système.--Puériles décompositions grecques et latines.
+
+
+L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus
+terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au
+même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées
+de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se
+déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un
+parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de
+déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des
+étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement.
+
+A chaque séance, l'admiration publique allait _crescendo_ et se
+communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre.
+C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et
+des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur.
+Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur
+imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont
+elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur
+Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie.
+
+Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut
+néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets
+lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la
+fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'_Institution
+des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques_, in-12 (1774-1776),
+ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des
+signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa
+_Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une
+longue expérience_. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau
+envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à
+tous les yeux, et, s'il dut lui en coûter beaucoup d'être si
+pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure
+n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson
+bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le
+parler lui-même:
+
+«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs
+sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en
+latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les
+sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des
+programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout
+état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont
+été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces
+enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature,
+ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères
+et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la
+même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie
+ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de
+nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris
+jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.»
+
+Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire
+accorder sans restriction tous nos éloges à notre maître. Nous ne
+croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques
+écarts de son génie qui déparent son oeuvre admirable. On va le voir,
+en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré
+avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir
+religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose
+l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la
+mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner.
+
+Je prends au hasard quelques passages de sa _véritable manière
+d'instruire les sourds-muets_.
+
+Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons
+observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts,
+de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons
+_articles_ ou _jointures_. Nous écrivons ensuite sur le tableau que _le,
+la, les, de, du, des_, joignent les mots comme nos articles joignent nos
+os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde
+pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'_index_ droit, qui s'étend
+et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe
+raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en
+portant la main au chapeau pour l'article masculin _le_, et à
+l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour
+l'article féminin _la_. L'article pluriel _les_ s'annonce par le
+mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de
+crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec
+l'_index_ droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe
+est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de
+féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin.
+
+«_De, du, de la, des_, sont des articles au second cas. Il faut donc
+ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de
+singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de
+faire observer que le _de, du, des_ de l'ablatif n'est point un article,
+mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage
+auquel on l'emploie.»
+
+S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire
+apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif,
+génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi
+on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont
+propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend
+du premier cas, qu'on appelle _le nominatif_, jusqu'au sixième, qu'on
+nomme l'ablatif, et ce sont des signes beaucoup plus intelligibles que
+ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir
+donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second,
+troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc.
+
+«Quant au signe du mot _cas_, il s'exprime de cette manière: on fait
+rouler l'un sur l'autre les deux _index_ en déclinant, c'est-à-dire en
+descendant depuis le premier jusqu'au sixième.
+
+ * * * * *
+
+Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés[15], l'abbé de
+l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et
+du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait
+aussi rapide que la pensée. Ainsi, _satisfaire_ signifie, selon lui,
+d'après sa décomposition latine, FAIRE ASSEZ; _introduire_, signifie
+CONDUIRE DEDANS.
+
+Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru
+devoir établir (pages 57-58 _ibid._) entre les différents passés: _j'ai
+aimé,--j'aimai,--j'ai eu aimé,--j'eus aimé,--j'avais aimé_, en les
+désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après
+avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun
+à tout passé.
+
+Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement
+à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de
+l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux
+couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles
+erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables
+démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les
+magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable
+charité?.... Que conclure de là, sinon que notre grand apôtre serait
+Dieu lui-même, s'il était parfait?
+
+
+
+
+V
+
+ Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même
+ des idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés
+ pour arriver à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne
+ croient pas à la possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un
+ avis contraire.--La fusion de toutes les langues en une seule, si
+ elle était possible, serait-elle durable?--La mimique est la seule
+ langue universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le
+ geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa
+ MIMOGRAPHIE.
+
+
+Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a
+prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de
+l'Épée.
+
+«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être
+apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité
+des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la
+combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront
+jamais d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous,
+et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues,
+l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces
+considérations auraient dû convaincre les glossographes de
+l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.»
+
+Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous
+diverses dénominations[16], ont tous échoué jusqu'à présent, comme il
+était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins
+pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une
+classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des
+mots par ordre alphabétique.
+
+S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à
+Descartes l'idée de son _Alphabet des pensées_, titre dont il a décoré
+sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue
+exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements,
+marqués chacun d'un caractère propre et spécial.
+
+Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est
+absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins
+d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante
+l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se
+croit fondé à conclure (_Lettres,--tom._ 2, _p._ 550), que ce n'est que
+dans le _pays des romans_ que cette langue peut devenir familière à tous
+les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples.
+
+De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu
+de la solution possible du problème, quand il dit dans son _Esquisse
+d'une philosophie_: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux
+familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles,
+à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce:
+ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et
+le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les
+langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.»
+
+Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes,
+serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût
+couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque
+peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère
+d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue
+universelle?
+
+Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai
+(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître
+l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos
+pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique?
+Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce
+qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, _à
+priori_, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y
+remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a
+besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui
+d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu
+tort de nous renvoyer au pays des chimères?
+
+D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de
+l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des
+sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de le
+fixer sur le papier comme on y fixe la parole. _Sa mimographie_, qui
+n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de
+caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous
+les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et
+de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre
+du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire
+sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes
+n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage
+seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le
+cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons,
+nous qui sommes déshérités de cet avantage.
+
+
+
+
+VI
+
+ Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en
+ est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de
+ l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre
+ latin sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad
+ Amman.--Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de
+ l'Épée.--Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par
+ ses leçons.--Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans
+ l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues
+ Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur.
+
+
+Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée!
+
+Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la
+parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette
+partie de l'enseignement.
+
+Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la
+langue de ses élèves.
+
+Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un
+livre espagnol, en l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra
+un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il
+allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au
+hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols.
+Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le
+commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première
+page, ce titre frappe ses yeux: _Arte para enseñar à hablar à los
+mudos,_ (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'oeuvre de Juan
+Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, oeuvre qui lui a
+valu dans sa patrie les plus grands éloges.
+
+Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue
+étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses
+élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet,
+composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par
+une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé:
+_Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun._
+
+De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer
+une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'oeuvre de
+clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti
+possible[17]. Quel spectateur eût pu, dès lors, rester froid et
+indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade
+prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir
+plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie,
+et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de
+ses condisciples[18]. «Les arguments étaient d'avance communiqués,»
+ajoute le maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. _Véritable
+manière d'instruire les sourds-muets_.)
+
+Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter
+de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon
+Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les
+dimanches, etc.
+
+Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la
+véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune
+connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de
+son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire[19]? La
+manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux
+n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de
+cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire
+le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui?
+
+Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa
+_véritable manière d'instruire les sourds-muets:_
+
+«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de
+l'instruction de deux soeurs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient
+pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la
+doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un
+instituteur[20] qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette
+oeuvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie
+à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux
+qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de
+laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les
+sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on
+devait de justes applaudissements.»
+
+
+
+
+VII
+
+ L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et
+ remonte à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet
+ manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.--Plusieurs
+ instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les
+ commencements.--Notre dactylologie se popularise en France.--Ses
+ avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les
+ parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la
+ mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de
+ l'Épée.--Justification du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé
+ de sa méthode.--Attaque du sourd-muet Saboureux de
+ Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement
+ avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré
+ supérieur au sien.
+
+
+Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous
+permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas
+déplacées ici.
+
+Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets,
+il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot
+par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule
+main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là
+de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage
+dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention
+de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui
+vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque,
+il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les
+institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique[21], et il commence
+déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception
+toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît
+devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où
+le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon
+du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode
+de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer
+pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement,
+en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux
+qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles
+les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout
+ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux
+parlants en vénération et en reconnaissance?
+
+[Illustration: Alphabet manuel des Sourds-Muets.]
+
+Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf
+quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la
+typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés
+depuis[22] à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus
+facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La
+rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on
+doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le
+français.
+
+La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la
+première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à
+gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre.
+
+Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec l'index, absolument
+comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier.
+
+Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en
+l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne
+horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend,
+d'ailleurs, cette précaution inutile.
+
+L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il
+en est de même pour les chiffres.
+
+De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à
+dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint
+momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé,
+perdent entièrement la parole.
+
+N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets,
+dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts,
+adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes
+caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels
+ils augmentent et complètent leurs moyens de communication.
+
+Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de
+doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les
+plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à
+exprimer, et ils y ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute
+longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si
+c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond
+avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à
+représenter la lettre _O_ de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer
+_cent_ et _mille_, ils ont recours au même procédé pour reproduire les
+chiffres romains C et M.
+
+On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de
+soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant
+s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments.
+
+En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper
+aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre
+les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de
+l'oeil, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on
+prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les
+mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices,
+l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen
+qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques
+données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les
+mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons
+mieux, la nature si ingénieuse et si bienfaisante à son égard.
+
+Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue
+des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la
+raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un
+jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point,
+quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins
+parfait et beaucoup moins rapide.
+
+L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents
+déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire
+consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode
+tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par
+Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant
+professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa
+justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en
+frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres
+auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout
+autre genre, et _qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à
+entreprendre de faire parler ses deux élèves_. Voilà ses propres
+expressions.
+
+Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec
+ordre, à combiner méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce
+principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes
+représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce
+de grammaire.
+
+Voici, du reste, comment il raisonne[23] pour essayer de convaincre ses
+lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés:
+
+«La route des estampes[24] n'est point de mon goût. L'alphabet manuel
+français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile
+que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à
+l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent
+qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent
+pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les
+objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup
+qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une
+méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus
+sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou
+présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......»
+
+Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître
+ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant,
+dans le _Journal de Verdun_, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne
+rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay[25],
+que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un
+phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de
+ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des
+lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses
+hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais,
+il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son
+esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible
+d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses
+indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de
+l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la
+nécessité de combattre un pareil adversaire, auquel son infirmité avait
+forcément dérobé la partie la plus intéressante de son oeuvre, qu'il
+avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une
+de ses leçons.
+
+Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et
+n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être
+jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système,
+s'il est déclaré supérieur au sien.
+
+Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés
+vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais,
+pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de
+cause, il nous semble important de remonter plus haut.
+
+
+
+
+VIII
+
+ Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande,
+ en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+ Italie.--Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola,
+ de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro
+ de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel
+ Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J.
+ Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges
+ Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges
+ Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de
+ Jacob Rodrigues Pereire.--Succès brillants des deux derniers à
+ l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.
+ Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et
+ portugaise.--Sa tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à
+ ses élèves.--Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre
+ de la sourde-muette Mlle Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de
+ Montbret.
+
+
+_L'histoire ecclésiastique des Anglais_, par Bède le Vénérable[26],
+rapporte qu'à la fin du septième siècle, saint Jean de Beverley,
+archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune
+sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier.
+
+Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de
+Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son _Tractatus
+de inventione dialecticâ_, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un
+sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les
+parlants.
+
+Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie
+au XVIe siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles
+sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que
+personne n'était plus à même que lui[27] de l'apprécier comme elle le
+mérite.
+
+Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg,
+qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de
+leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle.
+Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés,
+qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond.
+
+Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers
+1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais
+qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand
+mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours
+recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance:
+c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs
+d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de
+l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le
+lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir
+de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on
+lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on
+l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin.
+Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il
+n'avait pas besoin de ce surcroît de charge inutile, et que, du reste,
+cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui
+répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre
+de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir
+pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à
+notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la
+maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort.
+
+Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par
+signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail
+persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se
+confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à
+la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion
+qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable
+instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu[28].
+
+Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en
+signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention
+honorable.
+
+Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou
+moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur d'une
+initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à
+Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait
+l'éducation de deux frères et d'une soeur du connétable Velasco, ainsi
+que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de
+surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art
+peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions
+incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses
+innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique
+influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été
+inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien
+administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous
+sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M.
+Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris
+d'une copie de ce précieux manuscrit.
+
+Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet
+(_Art d'enseigner aux muets à parler_, 1620), qui eut pour élève le
+frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché
+comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux[29], qui avait
+fait jurer[30] à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel
+Philibert, prince de Savoie Carignan[31], de ne point révéler sa
+méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet
+que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé:
+_Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas
+naturales_, 1629. (_Merveilles de la nature, contenant deux mille
+secrets de choses naturelles_.)
+
+La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par
+deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et Pedro de Castro,
+premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du
+prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre
+maison de Savoie!);--en Angleterre, par John Bulwer (_le Philosophe ou
+l'Ami des sourds-muets_, 1648), par J. Wallis (_Traité grammatico
+physique de la parole ou de la formation des sons vocaux_, 1660), par
+William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui,
+presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son _Ars
+signorum_[32], l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets,
+sous le titre de _Didas Colocophus_ ou le _Précepteur du sourd-muet_.
+
+La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont
+les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin
+suisse établi à Amsterdam (_Surdus loquens_, 1692, et _Dissertation sur
+la parole_, 1700).
+
+L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel, père de trois
+sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École
+des sourds-muets de Leipsick.
+
+Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix,
+où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se
+présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils
+d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il
+fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet,
+devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13
+janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé,
+Saboureux de Fontenay[33], comparut devant cette Académie, ce qui donna
+lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa
+prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de
+l'_Histoire naturelle_ de Buffon (1re édition). Telle est l'origine
+du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait.
+
+Parmi les notabilités qui assistèrent souvent aux leçons de
+l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J.
+Rousseau[34], La Condamine[35], d'Alembert, Diderot[36], Lecat[37], le
+P. André[38], etc.
+
+Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre
+adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par Mlle
+Marois, sa plus chère élève:
+
+«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les
+gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et
+qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole,
+jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux de
+nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je?
+jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de
+toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car
+vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce
+qui se passe dans le secret du coeur.»
+
+En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de
+Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence
+du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une
+gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une
+autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son
+interprète pour les langues espagnole et portugaise.
+
+Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait
+ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé;
+mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu
+sur ses procédés, _qu'il offrait de vendre au gouvernement_.
+
+En quoi consistait cependant sa prétendue méthode[39]? Qu'avait-elle de
+spécial, de différent de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à
+un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application
+ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour
+redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a
+également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du
+nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système.
+
+Ernaud, aussi chaud partisan de l'_alphabet labial_ que son rival le fut
+de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de
+l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et
+son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un
+et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces
+hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis.
+
+
+
+
+IX
+
+ Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son
+ cours élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges,
+ ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet,
+ domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée
+ devient le confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph
+ II lui sert la messe.--Il amène dans son établissement sa soeur
+ la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le
+ priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses
+ États.--Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.
+
+
+Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire
+d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par
+l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des
+lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille
+des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre
+instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans.
+Son _Cours élémentaire de l'éducation des sourds-muets_ vit le jour
+cinq ans après la publication de l'_Institution des sourds-muets par la
+voie des signes méthodiques_. Il est à déplorer seulement que cet
+ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par
+celles du coeur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui
+militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à
+faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la
+mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à
+jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de
+déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette
+persistance provoqua les _Observations d'un sourd-muet_, petit ouvrage
+aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des
+aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre
+ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet
+de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la
+Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment
+chez M. le prince de Nassau.
+
+Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à
+notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et
+touchait au moment où le besoin des secours spirituels se fait
+généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui
+recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs
+fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître,
+c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches
+auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation
+de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque
+de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors
+l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion
+tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles
+fonctions auxquelles Dieu l'appelle.
+
+L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à
+l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche
+en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement,
+mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet,
+à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son
+établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit,
+et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de
+papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une
+magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph
+II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre
+ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la
+précision de ses souvenirs.
+
+Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de
+Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur.
+Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de
+son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que
+l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il
+sa soeur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie
+de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne
+fut pas stérile. Ayant à coeur de fonder dans ses États une école de
+sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette
+capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé
+de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former
+l'esprit et le coeur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre
+remit au vénérable fondateur la lettre suivante[40]:
+
+«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au
+service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants
+progrès, m'engage à vous adresser l'abbé Storck, porteur de cette
+lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de
+vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas
+autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit
+pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous
+votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie
+avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire
+de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous
+contribuerez de bon coeur à étendre votre charité sur une partie des
+sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux,
+leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner
+leurs idées. Adieu...
+
+ »Signé: JOSEPH.»
+
+L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que
+l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens
+d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante
+famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à
+défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en
+état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»
+
+
+
+
+X
+
+ Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de
+ l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal,
+ de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale,
+ à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa
+ faveur.--Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle
+ victoire de l'abbé de l'Épée.--Condillac se prononce pour
+ lui.--Extension trop grande donnée à la parole artificielle du
+ sourd-muet--Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.
+
+
+C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur
+français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre,
+s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les
+libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel
+institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait
+celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux
+rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de
+l'autre.
+
+L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa
+création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des
+attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce
+dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure
+grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à
+pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne
+peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;--2º
+l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire
+entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;--il finit par
+en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés
+littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en
+Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au voeu
+du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir
+consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire[41],
+déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait
+l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le
+but.
+
+Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en
+lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître
+paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de
+Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand,
+reproduite par le _Journal de Paris_, dans laquelle il prétendait
+fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le
+système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui,
+dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle
+il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que
+l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la
+sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience
+suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur
+lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet
+échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en
+comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également
+insérées dans le _Journal de Paris_ (27 mai 1785).
+
+Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux
+de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode
+d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se
+tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à
+travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre.
+
+Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de
+l'abbé de l'Épée, avec son _Cours d'études pour l'instruction du prince
+de Parme_ (t. 1er, 1re part., chap. 1er, p. 11) et avec sa
+_Grammaire_, publiée quatre ans après l'_Institution des sourds-muets
+par la voie des signes méthodiques_: il tient à honneur de faire justice
+de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le
+sceau de la vérité et de l'immortalité à l'oeuvre de son illustre
+contemporain.
+
+Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en
+Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu
+s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A
+quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou
+moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir
+résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la
+parole artificielle.
+
+Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire
+impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes
+obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la
+voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de
+prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur.
+
+Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans
+les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne
+remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de
+souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne
+s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus
+du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons
+régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre
+satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils
+pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes
+imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent
+tout leur essor!
+
+On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne
+peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès
+dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a
+démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui
+se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la
+nation sourde-muette.
+
+Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant
+pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de
+notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence
+surtout!
+
+
+
+
+XI
+
+ Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque
+ octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+ rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le
+ sourd-muet Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une
+ abbaye en Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de
+ Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des
+ sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous
+ les pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute
+ d'abord son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son
+ école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et
+ lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet
+ pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau
+ local.--Statistique des pensions de sourds-muets et de
+ sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.--Son école à un
+ second étage de la rue des Moulins.--Sa maison de campagne à loyer,
+ rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes.
+
+
+Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le
+furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau
+sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il
+regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner
+une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans
+son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les
+infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un
+hiver des plus rigoureux (1788), _pour ne pas faire tort_, disait-il,
+_au patrimoine sacré de ses enfants_. Un matin, la nouvelle de cette
+privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme
+dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette
+excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur
+langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses
+fils adoptifs.
+
+Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde
+raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était
+point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une
+vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu
+de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de
+ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme,
+d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de
+chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et
+la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à
+certaines heures fixes, on l'eût pris pour un fervent cénobite qui prie
+sur les tombeaux.
+
+Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile
+une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur
+d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M.
+Léopold Loustau[42], ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à
+réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint
+Vincent de Paule.
+
+Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce
+désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont
+l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance antérieure,
+lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché
+que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service
+personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui
+proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis
+confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait
+encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité
+et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire
+servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà
+vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur
+ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur
+l'oeuvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer
+pour le bien de l'humanité.»
+
+Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre
+impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce
+qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de
+l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches
+présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais
+d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de
+quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de m'envoyer un
+sourd-muet de naissance que j'instruirai.»
+
+--«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par
+tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux
+pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des
+sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un
+pour les instruire.»
+
+Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations
+que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien,
+l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de
+plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans
+laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la
+Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des
+nations qui nous environnent.»
+
+Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous
+servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?--A rien,
+répondait le bon abbé.--Alors pourquoi les leur faire
+apprendre?--Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie
+très-considérable de ma carrière est déjà fournie.--Et qui instruira les
+sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses
+et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement pour bien des gens.
+Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où
+chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en
+résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi
+susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque
+puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de
+sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en
+quel pays, qui continuera mon oeuvre.»
+
+Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de
+rente environ[43], il soutint une école nombreuse dont il payait les
+maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des
+élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son
+frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient
+digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première
+réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son
+âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût
+l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur
+entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence.
+
+Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque[44], Louis XVI
+aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur:
+«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux
+vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille
+au jansénisme.»
+
+Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du
+jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de
+l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons
+catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens
+estimables.
+
+Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette
+justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage
+de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le
+transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un
+voeu formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil
+avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21
+novembre 1778[45]; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle
+de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de
+l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas de goûter la satisfaction de se
+voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local.
+
+Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois
+pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames
+respectables[46], et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M.
+Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue
+des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au
+second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de
+l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de
+chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de
+soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure
+origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France
+et de l'étranger.
+
+L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses
+élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement
+allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à
+sept.
+
+Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de
+Montmartre (rue des Martyrs), qu'il tenait à loyer et qui était voisine
+de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à
+leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui
+faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes
+d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait
+partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur
+bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa
+nombreuse famille.
+
+Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides,
+le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un
+geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint
+aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font
+tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient
+à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon
+père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce
+d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre
+le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle,
+leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce
+tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille;
+et tous lui promettent de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un
+jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes.
+
+Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint
+prêtre.
+
+
+
+
+XII
+
+ Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize
+ ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis
+ à l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et
+ abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes
+ les maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.--Le
+ sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères
+ d'infortune.--Une confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué
+ à celui de Louis Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de
+ Hauteserre.--Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar,
+ à Toulouse.--Un trait de lumière.
+
+
+L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de
+Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer
+succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances,
+les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les
+témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui.
+Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de ménager leur
+attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient
+bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer
+qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi,
+de l'Espérance et de la Charité chrétienne.
+
+Le 1er août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance
+du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize
+ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le coeur
+le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son
+épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable
+(Mme Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un
+ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur
+une recommandation de Mme Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet
+est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade
+et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ
+huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de
+l'Épée[47] dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque
+grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de
+l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-Antoine, chargée de la
+salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite,
+cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour
+l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à
+entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et
+qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux
+soeurs ses aînées, lui et une soeur plus jeune; qu'il y a dans la
+maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de
+fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a
+abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien,
+son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime
+expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime
+d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle.
+
+D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de
+l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de
+Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien
+donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les
+maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie
+royale sous le titre de _Note intéressante_. En voici la teneur, portant
+en marge qu'on tient ces renseignements de l'abbé de l'Épée,
+instituteur gratuit des sourds-muets:
+
+
+ DU PREMIER MARS 1776.
+
+ =NOTE INTÉRESSANTE=
+
+ «Le 2 septembre 1773[48], on a trouvé sur le grand chemin de
+ Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et
+ muet[49], âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris
+ et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été
+ mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté
+ pour servir selon ses forces dans une des salles.
+
+»Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par
+ signes d'une manière assez sensible pour faire entendre:
+
+ «1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée;
+
+ «2º Que son père, qui était boiteux, est mort;
+
+ «3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois
+ filles et lui;
+
+ «4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux
+ habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que
+ lui-même y a toujours été servi;
+
+ «5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver,
+ et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce
+ qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver;
+
+ «6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un
+ cavalier;
+
+ «7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le
+ menait;
+
+ «8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.
+
+ «Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état
+ et ses biens.
+
+ «Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le
+ département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de
+ maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les
+ plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la
+ naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et
+ qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le
+ zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte
+ intéressante, sera récompensé par une gratification.»
+
+ «A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»
+
+
+
+Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au
+ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même
+mois, un inconnu vêtu de noir se présente à l'Hôtel-Dieu, demandant à
+voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un
+mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur
+l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique:
+«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.
+
+Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne
+soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd
+fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau,
+maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères
+d'infortune.
+
+Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis
+Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la
+vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée
+à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le
+jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se
+convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au
+mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut
+être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois,
+à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à
+l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à
+l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même mois, à
+Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.
+
+L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de
+Montbarey, avec une note de Mme de Hauteserre, qui va passer, tous
+les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de
+l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et
+veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un
+appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.
+
+«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze
+ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet
+enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite
+année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de
+Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa
+mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa
+soeur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»
+
+Mme de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal
+rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. Mlle
+Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.
+
+
+
+
+XIII
+
+ L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié
+ la Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le
+ protége.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.--Voyage
+ du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis,
+ sa ville natale.--Nouvelles reconnaissances.--Joseph se rappelle
+ une cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais
+ sa soeur hésite d'abord.--Une démarche auprès du duc de
+ Penthièvre.--Elle réussit.--Le prince accorde une pension de 800
+ livres au jeune Solar.--Le paiement en est bientôt
+ suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.--Le
+ premier semestre de la pension est payé.
+
+
+Le signalement du jeune Solar, donné par Mme de Hauteserre,
+s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son
+arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de
+poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos
+de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise.
+
+D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la
+Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On
+le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune
+démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune
+protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au
+préalable.
+
+Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se
+présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph,
+elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de
+Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou
+huit ans, chez Mlle Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle
+était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement
+par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel,
+conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais
+aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin,
+maître maçon, et de sa fille.
+
+L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son
+protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des
+deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se
+mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec
+son élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la
+déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels
+figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du
+bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est
+unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce
+parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de
+son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours
+d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses
+manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces
+d'un éclat de bombe.
+
+A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de
+Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de
+vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de
+reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le
+jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny
+reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils.
+
+De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de Mlle
+Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que
+Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue
+entre les deux enfants, on fait venir Mlle de Solar à Paris de son
+couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la soeur ne se
+reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils
+finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle.
+On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé
+de l'abbé de l'Épée, le _post scriptum_ d'une lettre adressée le 8
+novembre 1777 par Mlle de Solar, qui venait d'être placée dans une
+pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau:
+«Je vous prie de dire _mille choses tendres à mon cher petit frère_.»
+
+Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le
+sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi
+Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de
+Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine,
+gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que
+le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A
+ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa
+faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes
+démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les
+pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une
+réponse lui sera faite sous quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici
+la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M.
+l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre:
+
+«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de
+800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés
+pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son
+état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet
+qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire
+à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.»
+
+Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé
+de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du
+brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait
+assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un
+acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à
+grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté,
+de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400
+livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il
+surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des
+sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel
+éclaircissement. Ce dernier lui adressa incontinent la réponse
+suivante[50]:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire
+contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit
+vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de
+Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les
+intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du
+brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune
+comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi.
+C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de
+M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes
+de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre
+un jeune homme qui, après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est
+reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et
+par bon nombre de témoins respectables?
+
+«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que
+vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune
+démarche sous le nom du _comte de Solar_. Vous me permettrez de vous
+dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne.
+Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous
+sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre
+démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il
+m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir.
+
+«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré
+l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu
+l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais
+envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et
+je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru
+que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si
+l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme
+pareillement.
+
+«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce
+qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a
+ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du
+défunt, mais seulement le nom de _comte de Solar_, décédé le 28 janvier
+1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le
+cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous
+le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait
+que vous avez reçu, est plus complet.
+
+«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du
+moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères
+que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en
+sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous
+nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit
+morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit.
+
+«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce
+qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer
+et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait
+particulier, mais cela ne change rien à l'estime et au respect avec
+lesquels j'ai l'honneur d'être,
+
+ «Monsieur,
+
+ «Votre très-humble et très-obéissant
+ serviteur,
+
+ L'abbé DE L'ÉPÉE.
+
+«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à
+huit heures du soir.»
+
+Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans
+le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six
+derniers mois de l'année 1777!
+
+
+
+
+XIV
+
+ Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar,
+ supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à
+ Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.--Ses
+ moyens de défense.--Il demande à être transféré, avec le
+ sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut
+ devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.--Cette requête est
+ jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que
+ le transfert de l'enfant et de sa soeur sur les lieux.--Enfin,
+ une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar,
+ reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.--Commentaire des
+ juges.
+
+
+Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des
+renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient
+venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un
+sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la
+personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le
+prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à
+Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et
+plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport
+foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement.
+
+Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour
+l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits
+ici en entier:
+
+«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse;
+j'eus l'occasion de connaître Mme la comtesse de Solar. Cette dame,
+sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver
+ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de
+Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son
+fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux
+avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je
+savais que Mme de Solar avait des relations très-puissantes à
+Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne
+serait point inutile à mon avancement et à ma fortune.
+
+«L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre,
+et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de
+l'auberge de l'_Écharpe_, dans l'une des rues les plus fréquentées de
+Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à
+cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar.
+Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et
+d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval.
+Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des
+personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en
+passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A
+Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma
+famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères.
+
+»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec
+nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à Mme de
+Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin,
+époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires
+domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël,
+la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint.
+On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais
+constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis
+bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde
+pas à s'aggraver: un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre
+l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli,
+mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la
+sépulture de ma famille.
+
+«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire.
+Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui
+ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que
+pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est
+irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette
+irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de
+renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au
+pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie
+désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait
+seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le
+comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il
+demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces
+renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque,
+pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte
+au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il
+se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était
+insuffisant, parce qu'il ne désignait pas clairement la personne
+décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: _Un enfant
+âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte
+de Solar_. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne
+saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la
+comtesse de Solar.
+
+«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que
+d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4
+septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774,
+et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait
+être le jeune de Solar, qui m'a été confié.--Ensuite, ajoutait-il, il
+suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le
+jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre
+1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet
+enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château
+de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois
+auparavant (le 1er août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand
+chemin de Péronne en Picardie!»
+
+Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence,
+insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la
+justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir
+l'affaire.
+
+Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement
+l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de
+Caroline de Solar sur les lieux indiqués.
+
+Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre
+1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et
+frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et
+renvoyé absous.
+
+Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence:
+
+«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût
+coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était
+Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès.
+L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et
+qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de
+mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré
+être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la
+même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la
+perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a
+chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement de septembre
+suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et
+nous l'avons renvoyé tel.
+
+«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas
+satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit
+près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre
+enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on
+substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait
+fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à
+juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci,
+nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait;
+elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et
+Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces
+deux points.--Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la
+part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un
+malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine
+d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu
+découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à
+qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates
+rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.»
+
+
+
+
+XV
+
+ Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de
+ Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de
+ Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables.--Détails
+ peu édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me
+ Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire
+ constatant, à son avis, le décès.--L'illustre avocat modifie, plus
+ tard, son opinion.--Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de
+ L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la sentence du Châtelet par le
+ parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête
+ et d'instruction.
+
+
+L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à Me Élie de Beaumont,
+défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas,
+rend compte, sous la date du 1er février 1779, de tout ce qui regarde
+son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du
+mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses
+objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont
+comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui, consiste en ce
+que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été
+arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a
+fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de
+lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes
+lenticulaires, dont un[51] exactement à la même place.
+
+Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que,
+dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension,
+il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui,
+qu'il croyait naturellement ses soeurs, de sorte que, toutes les fois
+qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez Mme
+Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât
+quelque chose pour ses soeurs.
+
+La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à
+son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800
+livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait
+un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne
+vivait que d'emprunts.--Il existait encore, selon lui, une lettre de
+cette dame à M. Joisneau, son parent et son ami, par laquelle elle le
+priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus
+riche _vis-à-vis du père du monsieur qu'elle devait épouser_, le
+conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis
+deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes.
+
+A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa
+conscience d'honnête homme:
+
+ _Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt._
+
+ _Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de
+ tous les innocents que l'on veut perdre._
+
+ (Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8.
+
+Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique,
+est précédé d'un _Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en
+parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet_, mémoire suivi
+d'une _Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de
+Sainville_, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars
+1779.
+
+Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme
+et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires
+invoqués, la preuve, sans réplique, de la parfaite identité du jeune
+Joseph avec le jeune comte de Solar, Me Tronçon-Ducoudray[52], autre
+défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers
+des 1er et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de
+son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire
+consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant
+la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre
+incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur,
+le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28
+janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était
+mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses
+amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès, il
+avait été frappé de paralysie et marchait difficilement.
+
+Me Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et
+s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur
+Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache
+à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses
+interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le
+mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne
+craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph,
+selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir
+dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses
+réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les
+témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme
+n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer,
+principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain
+de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre
+comme très-expérimentée dans l'art de mentir.
+
+Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes,
+petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la
+plainte et la procédure.
+
+«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé
+par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier;
+
+Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée
+d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres
+témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet
+trouvé, _le premier août_ 1773, au village de Cuvilly, et _vu quelques
+jours auparavant_ à celui d'Orvilliers;
+
+Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame
+Le Roux des nouvelles de _son frère_; ordonne qu'il sera amené
+prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et
+parfait par les officiers du Châtelet;
+
+Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature,
+surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier
+1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé
+par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le
+sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.;
+
+Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète,
+Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et
+officiers du Châtelet, etc., à Toulouse, à Alby, la Granerie, les
+villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut,
+Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à
+Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal
+des _gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète
+dans tous les lieux indiqués_;
+
+«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir
+toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph
+_reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu,
+etc._;
+
+«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres
+patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que
+dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf
+l'appel en la cour;
+
+«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de
+Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août
+1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction
+et au jugement dudit procès, ce que de raison.
+
+«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre
+1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne
+que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est
+détenu par l'huissier de la cour de service, à la charge de se
+représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes,
+etc.;
+
+«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à
+Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur
+Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé
+aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.»
+
+
+
+
+XVI
+
+ Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités
+ ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses
+ au midi de la France.--Diverses personnes intéressées dans
+ l'affaire prennent la même direction.--Recherches long-temps
+ infructueuses.--Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en
+ présence de la tombe de son père.--On en exhume une tête d'enfant,
+ avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à
+ Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en tire
+ le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves
+ accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et
+ contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle
+ sentence confirmative du Châtelet.
+
+
+Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et
+probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte
+partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la
+Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches.
+Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux
+ecclésiastique l'ayant supplié de lui laisser vérifier les preuves par
+lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la
+procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou
+1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à
+ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.»
+
+Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar
+dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités
+l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut,
+ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour
+interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance?
+On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la
+barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la
+capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait
+partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller
+au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que
+le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné
+pour gardien, prirent la même route. Mme de Vormes se chargea
+d'accompagner Mlle de Solar dans cette direction.
+
+Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6
+septembre, à six heures du matin, tous ces personnages sont réunis à
+l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense,
+avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et
+d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à
+son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera
+le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux
+témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans
+tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne
+rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son
+père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune
+Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse,
+on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le
+dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes
+dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans
+l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on
+prétend avoir été arrachée à Joseph.
+
+C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos
+d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly
+demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite.
+
+C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph,
+qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de
+Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet,
+âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une
+roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne
+pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly.
+A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à
+Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller
+chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant
+revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans
+signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre.
+
+Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé
+surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un
+caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a
+préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse
+formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins
+les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce
+dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il
+appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure-t-il,
+scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur
+de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand
+matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec
+différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le
+plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de
+certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention
+aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable.
+Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement
+aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est
+l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses soeurs
+et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet
+présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º
+l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le
+mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on
+découvre à Cuvilly, le 1er août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu
+par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché
+du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai
+Solar aurait dû reconnaître.
+
+Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet
+réhabilite le jeune _Théodore_. (C'est le nouveau nom que l'abbé de
+l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt:
+
+_Le mineur Joseph_ est déclaré _comte de Solar_; défenses à toutes
+personnes de le troubler dans la possession de son état.
+
+_Cazeaux_ est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé.
+
+Il est enjoint _au curé_ d'être plus exact et de se conformer aux
+ordonnances et déclarations du roi.
+
+_Cadours_[53] est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône.
+
+_La demoiselle Solar_ et la fille Lama sont mises hors de cour.
+
+Il est enjoint à _la demoiselle_ de reconnaître Joseph pour son frère.
+
+L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse.
+
+Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne
+seulement.
+
+
+
+
+XVII
+
+ Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+ l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la
+ sentence.--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et
+ l'abbé de l'Épée.--Les parlements sont détruits par la
+ révolution.--Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu
+ en faveur du pauvre délaissé.--Sans appui, sans famille, sans
+ ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine
+ et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon
+ d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le sourd-muet Didier,
+ suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.
+
+
+Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet,
+unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à
+Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des
+efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera
+suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls
+protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la
+destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet
+1792, à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu
+en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de
+l'annulation:
+
+
+ «LE TRIBUNAL, etc.[54],
+
+ «Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce
+ que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition
+ qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur
+ Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni
+ qualité ni intérêt à contester;
+
+ «Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme
+ Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses
+ deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants;
+
+ «Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès
+ sous le nom de _Joseph_ est fondé en droit, 1º sur son état de
+ sourd et muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la
+ lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se
+ rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa
+ connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne
+ fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins
+ l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement,
+ depuis, en se faisant recevoir partie intervenante;
+
+ «Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que
+ l'individu sourd et muet, connu sous le nom de _Joseph_[55], a été
+ trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de
+ Cuvilly, en Picardie, le 1er août 1773;
+
+ «Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur
+ des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il
+ est resté jusqu'au 2 septembre suivant;
+
+ «Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de
+ Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant
+ dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois
+ consécutifs;
+
+ «Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph, aussi sourd et muet, seul
+ fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame
+ Solar, le 1er novembre 1762, ayant quitté le séjour de la
+ Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et
+ Caroline, sa soeur, jusqu'au commencement de septembre 1773;
+
+ «Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au
+ sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de
+ Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas
+ les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui
+ l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant;
+
+ «Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à
+ Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a
+ habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de _Solar_, il a
+ été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort
+ des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé,
+ le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous
+ la dénomination seulement de _fils du comte de Solar_, parce
+ qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de
+ baptême;
+
+ «Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des
+ doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu
+ Joseph pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et
+ que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et
+ suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur,
+ que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux
+ d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que
+ l'évidence des preuves lui refuse;
+
+ «Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur
+ Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et
+ négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte
+ mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit
+ être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer
+ dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de
+ baptêmes, mariages, sépultures;
+
+ «Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits
+ de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à
+ l'appui de l'accusation;
+
+ «Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés
+ (abstraction faite du _quidam_, nommé Alexandre, à l'égard duquel
+ il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le
+ moindre indice du plus léger délit;
+
+ «Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel
+ par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin
+ 1781;
+
+ «Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc
+ Cadours, appelants de ladite sentence;
+
+ «Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits
+ accusés et l'individu connu au procès sous le nom de _Joseph_;
+ émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public,
+ au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de
+ l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa
+ déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et,
+ sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7e et 10e
+ témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore
+ contre les 50e, 52e et 54e témoins d'autre information de
+ Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16e de l'information
+ faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont
+ déclarés non pertinents et inadmissibles;
+
+ «Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des
+ parties,
+
+ «Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite
+ vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé,
+ le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était
+ véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de
+ Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette
+ Clignet, son épouse, lequel était né à Clermont le premier
+ novembre 1762;
+
+ «En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de
+ ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement
+ seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au
+ procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la
+ paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au
+ greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire
+ actuel;
+
+ «Décharge Caroline Solar[56] de l'accusation contre elle intentée;
+ fait défenses à l'individu nommé _Joseph_ de se dire et qualifier
+ fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les
+ droits et actions appartenant à cette famille;
+
+ «Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François
+ Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit
+ Durban de se conformer aux lois existantes sur la tenue des
+ registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse;
+
+ «Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé _Joseph_,
+ l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et,
+ sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès;
+
+ «Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son
+ plein et entier effet;
+
+ «Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le
+ présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de
+ Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le
+ faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera
+ convenable.
+
+ Signé EUDE, rapporteur.»
+
+ Un jugement conforme[57] est rendu en dernier ressort le 24 juillet
+ 1792.
+
+Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de
+ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille,
+sans ressource. Mieux eût valu cent fois qu'une pitié compatissante ne
+fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de
+Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment
+que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière
+céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de
+l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus
+brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être
+effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France
+révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la
+victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage
+dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors
+d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et
+montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques
+personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement
+dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses
+veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans
+un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses
+premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des
+camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un
+hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier
+n'avait quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son
+frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non
+moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon.
+
+
+
+
+XVIII
+
+ Coup d'oeil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce
+ une aventure réelle ou un roman historique?--Bonne foi, conviction
+ de l'abbé de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et
+ l'honneur à Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des
+ Ormes voit dans cette aventure une mystification.--Suivant lui, le
+ pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement
+ sourd.--Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de
+ Bouilly.--Première représentation.--Grand succès.--Incident de la
+ seconde.--L'abbé Sicard mis en liberté.
+
+
+Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru
+disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans
+cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé
+à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé
+les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou
+soutenir celle du vénérable instituteur?
+
+A ne considérer, la main sur la conscience, que le dénouement de ce
+procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas,
+où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une
+pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré
+certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de
+l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une
+aventure réelle qu'un roman historique.
+
+Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un
+crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si
+fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu,
+et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu
+de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se
+dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de
+sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire,
+il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille
+honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne.
+
+En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux
+empressement notre illustre instituteur a tout mis en oeuvre pour lui
+faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il
+s'imputait à lui-même, en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce
+malheureux jeune homme?
+
+Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand
+instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en
+bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à
+consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des
+droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur,
+nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin
+victime d'une barbare cupidité?
+
+Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant:
+
+De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à
+dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément
+menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles
+qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non
+véritable?
+
+Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui
+que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la
+similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion?
+
+M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: _le Sourd-Muet de
+l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)_, qui ont paru dans le
+_Constitutionnel_, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger
+l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième
+siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet
+égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd.
+
+Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel,
+professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution
+de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien
+voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous
+paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière
+qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici:
+
+
+ «Paris, le 15 avril 1852.
+
+ CHER COLLÈGUE,
+
+ «Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est
+ impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain
+ prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès
+ du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien
+ jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom.
+
+ «La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd,
+ capable de surprendre les secrets des familles, est d'invention
+ récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en
+ fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait
+ conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce
+ fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme.
+ Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart,
+ n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la
+ moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer
+ et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est
+ occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser
+ autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à
+ l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par
+ l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le
+ demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de
+ comprendre le discours verbal.
+
+ «Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre
+ d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut
+ du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement
+ c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout
+ demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que
+ l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de
+ lui.
+
+ «Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de
+ Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu
+ l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au
+ mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait
+ trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui
+ furent en rapport avec lui.
+
+ «J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il
+ s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer
+ jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur
+ certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire,
+ il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il
+ ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne
+ collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume
+ l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était
+ trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait
+ laissées dans l'intérêt de son pupille.
+
+ «Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée,
+ la voilà sans déguisement.»
+
+Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa,
+avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'_Abbé de l'Épée, comédie
+historique_, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé
+par celui de _drame_, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès.
+Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa
+_comédie historique de René Descartes_, jouée aussi sur le premier
+théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage
+devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut
+qu'une voix pour prédire à l'oeuvre un succès immense, infaillible.
+Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène
+française[58] s'empressait de lui prêter le concours actif de ses
+talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière?
+
+Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation
+de l'_Abbé de l'Épée_. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un
+caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra
+aisément combien le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on
+saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté
+invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature
+rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge,
+lorsqu'elles vinrent l'assaillir.
+
+C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de
+Franval, ayant auprès de lui la mère et la soeur de cet avocat, leur
+explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de
+fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune
+sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel
+est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des
+hommes. Il commence ainsi son récit:
+
+«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne
+dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.»
+
+A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix
+du parterre s'écria: _Tant mieux!_ et toute la salle applaudit.
+
+Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la
+scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent
+décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de Mme
+Vanhove-Talma (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le
+voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes
+parts à ses pieds.
+
+Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli,
+mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre
+l'époque:
+
+ Vous, dont les talents enchanteurs
+ Nous ont si souvent, sur la scène,
+ Fait entendre les sons flatteurs
+ De Thalie ou de Melpomène,
+ _Vanhove_, par quel art secret,
+ Sans avoir besoin de paroles,
+ Faites-vous d'un sourd et muet
+ Le plus intéressant des rôles?
+
+Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier
+légitimiste Alisan de Chazet:
+
+ Vanhove, ce muet charmant,
+ Qui s'exprime avec éloquence
+ Et qui choisit le sentiment
+ Pour interprète du silence.
+
+La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les
+sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre
+successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly raconter lui-même ce
+touchant épisode:
+
+«....... Mme Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait
+assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde,
+accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus
+honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire.
+Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à
+l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux
+élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,»
+Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres,
+en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui
+gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri
+de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et
+répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des
+sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne
+sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque
+imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation,
+lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon
+visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami,
+quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération
+d'un ami de l'humanité[59].» J'apprends alors que le premier consul,
+frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances
+de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la
+détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me
+fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux
+qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces
+dates du coeur qui ne s'effacent jamais.»
+
+ * * * * *
+
+
+
+
+XIX
+
+ Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M.
+ Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de
+ Paris.--Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis
+ XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs
+ intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de
+ cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.--Tribut
+ d'éloge de Monvel à son élève.--Conclusions de M.
+ Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du
+ drame de l'abbé de L'ÉPÉE..
+
+
+Écoutons encore l'auteur du drame de l'_Abbé de l'Épée_, à propos d'une
+visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale:
+
+«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que
+c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et
+qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts,
+avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de
+l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de
+leur école, située au haut du faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent,
+d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua
+mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se
+présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui
+font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le
+pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés
+de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre
+clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors
+lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment
+l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes
+parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis
+comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de
+leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula
+dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau,
+une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé
+de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur
+demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et
+d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils
+m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche.
+
+«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet qu'ils m'apportaient, sous
+le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de
+l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y
+porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle
+époque de ma carrière dramatique.»
+
+Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus
+flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, _avec
+le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive_: vous
+m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.--Et moi,
+général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de
+m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que
+puisse éprouver un auteur!.......»
+
+Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait,
+longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un
+conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités.
+J'ai vu jouer à Londres votre _Abbé de l'Épée_, vos _Deux Journées_; et
+la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations
+dramatiques, est encore présente à mon souvenir.»
+
+Mme Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime
+dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement
+de ceux qui en sont privés, de cette voix qui fut si longtemps en
+possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire,
+donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à
+surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore
+du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si
+heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en
+1836, sous le titre de: _Études sur l'Art théâtral_ (p. 226-270).
+
+«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit
+encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter
+l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit
+permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré
+de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les
+applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de
+_l'Abbé de l'Épée_; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et
+j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour
+mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais
+recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle
+âme, son esprit et son savoir.
+
+«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le
+personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société
+journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés de me voir profiter
+de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les
+matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de
+la pièce fut complet, et le mien par contre-coup.
+
+«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de
+montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une
+machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre,
+derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus
+graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément;
+Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient
+forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs
+(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme
+ne tarde pas à se rétablir.
+
+«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les
+acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à
+ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement
+étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma
+physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet
+à-propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à
+quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans
+mon rôle de sourd; mon coeur battait de plaisir.... J'avais senti
+l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de
+surprise ou de crainte eût détruit toute illusion.
+
+«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de _l'Abbé
+de l'Épée_: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans
+laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs
+fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et
+moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque
+invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main
+de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait
+pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde
+autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la
+muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer:
+mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me
+regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et
+le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs
+applaudissements.
+
+«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre
+artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais
+finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre;
+il fallait donc m'avertir.--Sans doute, mon maître, si j'avais su
+moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal
+fait?--Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant
+d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!»
+
+Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus
+longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les
+quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain
+distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la
+notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces
+détails. (Pages XIV-XV.)
+
+«Mme Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'_Abbé de
+l'Épée_. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce
+sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et
+d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans
+cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont
+écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de
+cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le
+sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, _je
+dus mon plus beau laurier_. Les poëtes firent des vers en l'honneur de
+l'excellente actrice, et on eût pu lui appliquer cet heureux distique
+composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine,
+sourd-muet).
+
+ Il révèle à la fois le secret merveilleux
+ De parler par les mains, d'entendre par les yeux.
+
+S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de
+Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style,
+qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au
+point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant,
+elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants
+éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle
+privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les
+effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille
+exceptionnelle?
+
+
+
+
+XX
+
+ Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les
+ représentations du drame de l'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par
+ la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur
+ de certaines personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de
+ changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de
+ COMÉDIE HISTORIQUE.--Mort de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle
+ de ses derniers moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre
+ instituteur inhumé à Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa
+ répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.--Le
+ sculpteur sourd-muet de Seine.--La Commune de Paris demande à
+ l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de
+ leur père.--Ce voeu est réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de
+ l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du
+ panégyriste.
+
+
+Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du
+drame de l'_Abbé de l'Épée_ offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir
+auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les
+représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même
+recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de n'avoir mis son
+oeuvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de _troubler leur repos et
+de compromettre leur honneur_. D'aussi basses inculpations
+pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de
+celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en
+retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre
+fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet,
+honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en
+faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le
+légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses
+successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du
+Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre
+maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait
+son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement
+en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée
+principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques
+développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son
+invention.
+
+Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il
+pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse
+qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de
+son oeuvre, dans les limites que lui imposaient la prudence humaine
+et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de
+Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du
+titre de sa pièce la qualification de _comédie historique_? Et sa
+générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu
+de la scène, l'assurant sur l'honneur que son oeuvre ne le regardait
+ni directement ni indirectement?
+
+Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans
+l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement
+décliné, et il penchait, à vue d'oeil, vers la tombe. Déjà son état
+commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui
+l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs
+craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après
+avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa
+paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une
+députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé,
+archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en
+larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce
+lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son
+père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils, de
+douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces
+malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un
+dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu
+n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur
+séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux,
+en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a
+revêtu le caractère d'une pieuse résignation.
+
+Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent
+supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un
+des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839.
+
+L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que
+sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans
+une pétition collective[60] le voeu de voir le gouvernement se décider
+à faire l'acquisition de cette oeuvre, et la requête avait été
+couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru
+un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à
+l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la
+chapelle, et chargea un professeur sourd-muet distingué, M. Alphonse
+Lenoir, de transmettre cette résolution[61] à la Commission consultative
+de cet établissement.
+
+L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le
+caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle,
+appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que
+ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix.
+
+Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce
+fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait
+jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses
+traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à
+la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour
+modèle, par le fils d'une de ses nièces, Mme la comtesse de
+Courcel[62] à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre
+des sourds-muets érigée à Versailles.
+
+Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur,
+avait fait son buste, sur lequel était écrit le distique que nous avons
+cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette
+image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du
+maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les
+intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger,
+afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit
+du succès de cette innocente manoeuvre, ne put s'empêcher de sourire à
+l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le
+seul à tromper sur ce point la vigilance du maître.
+
+Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et
+remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour
+l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque
+avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans
+appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs
+de pension et un logement au Louvre[63].
+
+Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement,
+portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le voeu qu'un
+établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins
+que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce voeu, comme on
+le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce
+genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour
+attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs
+étrangers.
+
+A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre
+de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de
+Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée
+nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce
+que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les
+sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom
+a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa
+participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause
+du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut
+lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de
+complicité avec les Girondins, et plus particulièrement avec la
+courageuse Charlotte Corday.
+
+On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de
+l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait
+soumis son panégyrique de saint Augustin.
+
+«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce
+qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement
+notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre
+toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point;
+c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure:
+vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi;
+mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne
+sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos coeurs, tandis
+que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé
+quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos
+ténèbres.»
+
+
+
+
+XXI
+
+ L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera
+ inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité
+ et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par
+ l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à
+ l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune
+ des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées
+ successivement, pour la première, à 80 et à 100.--La Convention
+ avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000
+ sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec
+ ateliers et travaux agricoles.--Transfert de l'établissement de
+ Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire
+ Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en
+ 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des budgets
+ départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé que
+ ce fût parmi les _dépenses obligatoires_.
+
+
+Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait
+renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une
+pétition de l'abbé Sicard[64], relative à la perpétuité de
+l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta[65] que le nom de
+l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient
+bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait
+entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation
+française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre
+bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14
+septembre[66], aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments
+de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle
+des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des
+deux établissements, préparé par un comité spécial, aurait reçu sa
+sanction définitive.
+
+C'est un devoir sacré, pour nos coeurs reconnaissants, de recommander
+à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons,
+dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent
+votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait
+ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû
+en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs
+facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des
+hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la
+société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce
+rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères
+ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle,
+comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en
+renom[67].
+
+Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des
+sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les
+fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits
+établissements.
+
+La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en
+Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la
+plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui
+alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que
+dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en
+outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait
+de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents
+endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le
+modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se
+borner, pour le moment, à la création de soixante bourses[68], pour
+chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le
+pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5
+janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments
+de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du
+Faubourg-Saint-Jacques, nos 254 et 256, connu sous le nom de
+séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui[69].
+
+A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait
+ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de
+décret d'organisation première de ces établissements:
+
+«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous
+proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur
+donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des
+ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera
+de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre
+le plus de talent, et de l'y appliquer.»
+
+Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer
+une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en
+outre, le voeu que six établissements fussent fondés en France, pour
+recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que,
+plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves
+dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des
+travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût
+adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était
+alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une
+consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau genre d'alliance à
+contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire,
+mais qui n'en sera que plus chère à vos coeurs; c'est l'alliance avec
+l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants
+sourds-muets au règne de la liberté.»
+
+La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3
+brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la
+création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les
+départements[70], outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut
+pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et
+précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes.
+
+Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4:
+
+«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux
+sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.»
+
+A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau,
+les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du
+Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le
+classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met
+leurs frais d'éducation au nombre des dépenses facultatives des budgets
+départementaux.
+
+M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante,
+avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi
+celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des
+enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse
+initiative.
+
+
+
+
+XXII
+
+ Mode d'administration successif des Institutions nationales des
+ sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour
+ but de généraliser en France cet enseignement
+ spécial.--Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition
+ adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et
+ d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée
+ nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian,
+ ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et
+ d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de
+ Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie
+ française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur
+ poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des
+ oeuvres du célèbre instituteur.
+
+
+Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous
+la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard,
+administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de
+cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et
+du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de
+l'intérieur, avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un
+autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait
+modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés
+antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le
+28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale,
+du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de
+bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé
+de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de
+l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la
+même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une
+commission consultative, composée de cinq membres, y compris le
+directeur.
+
+A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives
+pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets.
+
+La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces
+infortunés au système général d'instruction publique de la France.
+
+Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX,
+consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet
+semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de
+sourds-muets fussent assis sur de solides bases.
+
+En 1836, un autre ministre, M. le comte de Gasparin, ayant invité le
+conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer
+un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à
+ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être
+présenté à l'examen des Chambres.
+
+Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès
+scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre
+instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école
+de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot
+et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à
+Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette
+enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent
+favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les
+conclusions.
+
+Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au
+Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la
+commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et
+par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées
+jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat
+immédiat, aucun résultat complet, malgré les votes favorables dont
+elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures.
+
+En juillet 1851, une pétition[71] à l'Assemblée nationale a été proposée
+et adoptée unanimement au sein de la _Société centrale d'éducation et
+d'assistance pour les Sourds-Muets en France_, présidée par M. Dufaure,
+ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces
+infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds
+nécessaires pour atteindre ce but.
+
+Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement
+du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau
+mémoire[72] au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la
+République.
+
+La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au
+concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à
+M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets
+de Paris, et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc.
+Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des
+sourds-muets de Madrid, _l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les
+avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction
+générale élémentaire_, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur.
+M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole
+de _Paul et Virginie_. On assure qu'il a travaillé à un _Dictionnaire de
+signes d'action analogiques_.
+
+On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur
+des _Templiers_, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer
+pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre _père spirituel_. Nous
+aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait
+certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons
+la perte.
+
+Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée:
+
+1º _Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur
+Marie-Anne Pigalle_, 1757, in-12;
+
+2º _Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus
+par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774,
+avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces
+exercices_, Paris, 1774, in-12 de 112 pages (dans sa quatrième lettre,
+il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à
+la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que
+ce quatrième exercice public sera le dernier);
+
+3º _Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques_,
+Paris, 1776, in-12; _nouvelle édition corrigée sous ce titre: La
+véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une
+longue expérience_, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en
+allemand;
+
+4º _Dictionnaire général des signes employés dans la langue des
+sourds-muets_, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main.
+
+
+
+
+XXIII
+
+ Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb
+ des cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur
+ s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre
+ aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas
+ au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit,
+ ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de
+ son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un
+ déplorable abandon.--Demande de renseignements au curé de
+ Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans
+ cette église.--Comment on découvre que ses restes reposent dans le
+ caveau de la chapelle Saint-Nicolas.--L'auteur y descend avec le
+ sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.--Spectacle
+ déchirant!--Souscription ouverte dans les journaux pour élever un
+ monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux
+ inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle
+ qui fut le berceau de son enseignement.
+
+
+J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des
+exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir
+religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à
+bien des témoins de son admirable existence[73] dans la vue de donner
+plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu
+me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de
+l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il
+soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front
+vénérable.
+
+Le _Mercure de France_, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe
+au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins[74]:
+
+ Hic jacet, egregio coeli qui munera pollens,
+ Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges;
+ Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam.
+ An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe?
+
+Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les
+bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le
+calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa
+tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la
+traduction française:
+
+«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des
+lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets.
+Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?»
+
+Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des
+cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut
+brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers
+travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur
+les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du
+christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la
+France révolutionnaire.
+
+Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris
+tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé
+de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je
+m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de
+notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je
+ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars
+sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance.
+
+C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par
+l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse
+absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de
+Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales.
+
+Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante:
+
+«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre
+feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une
+lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande
+famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de
+l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de
+Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à _notre père
+intellectuel_! Notre étonnement a dû être partagé par tous les
+appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de
+regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des
+célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne
+devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales
+artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des
+merveilles des siècles, comme son oeuvre est placée par la postérité
+au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et
+qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque?
+
+«Dieu sait combien de médiocrités obscures et ignorées ont obtenu ici
+les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue
+d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont
+trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont
+immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils
+ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur
+d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! _Proh pudor!_
+
+«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit
+précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on
+n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis
+qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges,
+on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros
+pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans
+doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils
+jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté,
+s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un
+second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée
+ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants
+préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne
+mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à
+défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique?
+
+«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à
+notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères
+d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur
+la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes
+utiles sont mieux appréciés à l'étranger.
+
+«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de
+marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des
+sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le
+voit sur la place de la ville, en face même de cette institution.
+
+«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti,
+directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et
+Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la
+méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves
+sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître
+est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne
+sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous
+nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat.
+
+«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous
+en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé,
+démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle
+a, depuis longtemps, décerné à Paris.
+
+«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer
+l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à
+l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M.
+Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le
+modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à
+contribuer de notre faible offrande à cette oeuvre de reconnaissance.
+
+«En publiant cette lettre[75], expression sincère du voeu de tous mes
+frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie,
+malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui
+sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur
+doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont
+précédés dans la carrière?
+
+«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi
+que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.»
+
+Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier,
+alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des
+renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de
+l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait
+pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne
+s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait
+dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant
+bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa
+sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du
+temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de
+quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts
+furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable,
+Mme Guerin, qui venait de perdre une soeur sourde-muette, élève de
+l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez Mlle Courtois,
+rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie
+intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur.
+
+Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui
+brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif
+de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions
+me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son
+accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre,
+quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui
+elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que
+c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps
+de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à
+aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle
+appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa
+messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de
+grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces
+détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient
+pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit
+à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis
+tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les
+uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices
+publics de ses élèves étaient l'objet des autres. Mme Guerin, avec le
+même empressement, offrit à notre curiosité des lettres du respectable
+prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant
+de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les
+dangers du monde.
+
+Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève
+de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de
+Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet,
+possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de
+Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son
+obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de
+Mlle Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier,
+recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous
+avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques
+de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son
+enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a
+pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants,
+à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre
+qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et
+les premiers ossements ont été découverts.
+
+Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante:
+
+«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les
+sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur
+surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut
+réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à
+la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur
+immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations,
+confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui
+assista au dernier soupir de son ami, _notre père spirituel_. Ses
+cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle
+Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange.
+
+«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé
+la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de
+l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic,
+Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là, quel spectacle affreux
+s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière
+et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands
+bienfaiteurs de l'humanité! Nos coeurs se sont émus, et nous, les
+enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas des
+hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal
+à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de
+vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets
+de l'univers,--c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver
+de pain pour donner un tombeau à leur père,--mais encore à toutes les
+âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque
+opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent.
+L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il
+n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet
+acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui
+parlez, dans nos coeurs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit
+que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour
+honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène[76], le Messie
+d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de
+l'indifférence publique. _Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus
+vocabitur_, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé
+grand.» (Saint Matthieu, v. 19.)
+
+«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en
+français et non en latin, pour que tous les sourds-muets qui savent
+lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier
+instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les
+victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison
+où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle,
+depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme.
+
+«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et
+l'assurance de ma considération personnelle.»
+
+ «FERDINAND BERTHIER,
+
+ «Professeur sourd-muet à l'Institution des
+ sourds-muets de Paris.»
+
+
+
+
+XXIV
+
+ Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+ élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la
+ présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se
+ compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando,
+ Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor
+ d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier
+ et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président
+ Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence de la
+ Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de
+ M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens:
+ représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où
+ s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on
+ préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de
+ la souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à
+ l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de
+ l'inhumation.--MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour
+ aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+
+Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger
+cette oeuvre éminemment philanthropique.
+
+Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors
+député de Saône-et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous
+présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris,
+Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des
+députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la
+présidence[77] de cette commission, et de lui soumettre une liste de
+membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec
+cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et
+écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un
+devoir.»
+
+Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain.
+La voici, avec la réponse de l'illustre académicien:
+
+
+ «A MONSIEUR VILLEMAIN.
+
+ «Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des
+ caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever
+ un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été
+ proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils
+ désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux
+ qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur
+ voeu et de leurs sentiments. C'est M. Berthier, président de la
+ Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre.
+
+ «Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus
+ dévoués.»
+
+ RÉPONSE DE M. VILLEMAIN.
+
+«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne
+pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était
+agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M.
+Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit
+que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à
+cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins
+universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être
+exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part.
+Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai
+bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la
+mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M.
+Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens
+que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et
+d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation
+qu'il voudra bien m'adresser. Et un intermédiaire comme vous, Monsieur,
+ne me permet pas d'hésiter.
+
+«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus
+distinguée et de mes dévoués sentiments.»
+
+Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle
+était ainsi conçue:
+
+«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir
+la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur
+bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte
+mission, vient de se former; elle se compose de:
+
+ MM. DUPIN aîné, président de la Chambre des députés,
+ _président_;
+
+ VILLEMAIN, pair de France, vice-président du
+ Conseil royal de l'Instruction publique;
+
+ DE SCHONEN, pair de France, procureur-général à
+ la Cour des Comptes;
+
+ Le baron DE GÉRANDO, pair de France, président du
+ Conseil d'administration de l'Institution des
+ sourds-muets de Paris;
+
+ CHAPUYS-MONTLAVILLE, député de Saône-et-Loire;
+
+ CAVÉ, chef de la division des Beaux-Arts au ministère
+ de l'Intérieur;
+
+ L'abbé OLIVIER, curé de Saint-Roch;
+
+ Eugène GARAY DE MONGLAVE, homme de lettres;
+
+ NESTOR d'ANDERT, artiste;
+
+ Ferdinand BERTHIER, professeur sourd-muet à l'Institution
+ de Paris, président de la Société centrale
+ des sourds-muets;
+
+ FORESTIER, instituteur sourd-muet, vice-président
+ de cette association;
+
+ LENOIR, professeur sourd-muet à l'Institution de
+ Paris, secrétaire de cette société.
+
+«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel
+bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de
+mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la
+commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit
+régulariser l'emploi.
+
+»Agréez, etc., etc.
+
+ «Ferdinand BERTHIER.»
+
+Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron
+Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie
+de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un
+et l'autre nous adressèrent en réponse.
+
+ «Paris, 13 juin 1838.
+
+ «MESSIEURS,
+
+»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une
+commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma
+séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me
+faire; mais je serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un
+des premiers souscripteurs.
+
+«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments
+empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je
+suis
+
+ «Votre très-humble et très-obéissant
+ serviteur:
+
+ «CHATEAUBRIAND.»
+
+ «Paris, le 13 juin 1838.
+
+ «MONSIEURS,
+
+«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une
+commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque
+chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes
+occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes
+me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la
+commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer
+complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne.
+Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression
+de ma haute considération.
+
+ «Le président SÉGUIER.»
+
+Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence,
+les membres de la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna
+lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et
+ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur
+sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit
+comme architecte du gouvernement.
+
+Notre discours de remercîment était conçu en ces termes:
+
+«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs
+collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée.
+
+ «MESSIEURS,
+
+«Le premier sentiment qui saisit nos coeurs au moment où nous nous
+trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an
+milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des
+beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus
+sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous
+l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut
+alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre
+empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire
+de l'abbé de l'Épée.
+
+»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter une dette sacrée de la
+reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le voeu que
+nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes
+mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription
+indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des
+sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses
+derniers moments.
+
+»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir[78], architecte du
+Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger
+gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre
+secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner
+lecture.
+
+»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas
+anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les
+vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à
+vous en faire part.»
+
+La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à
+employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes
+de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les
+autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une
+représentation au bénéfice du monument que nous projetions. Nous
+offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'_Abbé
+de l'Épée_, pour celui de la _Muette de Portici_, pour tous les autres
+rôles, enfin, de notre spécialité.
+
+Le voeu fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés
+d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs.
+
+On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument.
+
+Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris,
+comme point central de l'édifice où se perpétue l'oeuvre immortelle de
+l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui
+paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne
+fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût
+métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc.
+
+Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être
+élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé,
+dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est
+toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on
+considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits,
+l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les
+derniers que la sédition tentera de renverser.»
+
+Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé
+de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce
+sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues,
+non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé
+de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi
+le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait
+être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des
+remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la
+commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en
+France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez
+le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six
+notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot,
+Roquebert et Perrin.
+
+M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de
+Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir
+le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de
+l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à
+l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes,
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+
+
+
+XXV
+
+ Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+ Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de
+ fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et
+ d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le
+ grand instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms
+ des premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes
+ généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor
+ Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux
+ ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux
+ cours d'appel, etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière.
+
+
+Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions
+réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la
+chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée
+profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la
+surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont
+reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet
+carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux qu'un
+ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements
+sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée?
+Mlle Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le
+curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir
+appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances
+importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire,
+fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y
+avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse,
+une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de
+l'Homme? Nos coeurs en furent profondément émus.
+
+Nous dressâmes procès-verbal des dires de Mlle Courtois. Avant de
+s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le voeu de garder,
+comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son
+bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette
+précieuse relique ne me quittera jamais.
+
+ * * * * *
+
+Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la
+présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les
+premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms
+inscrits:
+
+D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne,
+ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique;
+de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier
+d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville,
+Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal,
+Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc.
+
+M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en
+donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout
+ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le
+secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement
+de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de Mlle
+Courtois.
+
+Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le
+cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres.
+
+Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes
+généreuses:
+
+«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et
+plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à
+la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature
+semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait été que
+rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges
+accidentels de patience et de tendresse.
+
+«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec
+étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des
+sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et
+qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa
+découverte fut une oeuvre constante de vertu, autant qu'une invention
+utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de
+sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la
+perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur
+ne reçut aucun hommage particulier.
+
+«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante;
+d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le
+même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a
+peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de
+quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la
+société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet
+homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église
+St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre
+1789) et d'autres circonstances authentiques ont fait retrouver les
+ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer
+par un témoignage national du respect profond de la France pour la
+science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des
+misères humaines.
+
+ * * * * *
+
+«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient
+de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un
+monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église
+même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect
+publics viendraient chercher son image.»
+
+ * * * * *
+
+Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles
+de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M.
+Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition.
+L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la
+célèbre affaire _de la coalition_, qui avait si vivement préoccupé
+l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée
+de nos honorables collègues.
+
+ * * * * *
+
+Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert
+en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de l'honorable
+banquier, tous les fonds seraient versés chez lui.
+
+Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut
+(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault,
+statuaire.
+
+A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le voeu qu'il fût
+procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les
+plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui
+paraîtraient dignes de son attention.
+
+Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la
+commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit
+connaissance des lettres suivantes:
+
+ MICHAUT _(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du
+ monument à élever à l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
+
+«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi,
+comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma
+statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des
+membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute
+idée spéculative) d'être chargé du monument à élever à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée.
+
+«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une
+statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de
+l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de
+Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire
+espérer pour mon oeuvre une place au Musée de Versailles; mais il a
+été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée
+dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste,
+et ce buste m'a été confié.
+
+«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis
+citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des
+sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres.
+Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un
+succès.
+
+«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la
+terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux.
+Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs
+membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire
+concevoir des espérances.
+
+«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je
+monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien
+jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les
+ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la
+maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la
+gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent
+attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de
+sculpteur.
+
+«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis
+de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution
+d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps.
+
+«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une
+carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une oeuvre digne du
+bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à
+l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur
+le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir.
+
+«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir
+cet espoir; vous ne détruirez point votre oeuvre; j'ose en attendre
+les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.»
+
+ VICTOR LENOIR, _architecte du gouvernement, à Messieurs les membres
+ de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEURS,
+
+«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée
+principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du
+sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue
+dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse,
+peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte
+par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire
+renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied.
+
+«Motif:
+
+«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune
+sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur _père
+intellectuel_ (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une
+couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets
+ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il
+conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des
+élèves de l'Institution.
+
+«La simplicité du motif serait relevée par un piédestal d'une masse
+assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre
+blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur
+tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux
+traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant
+à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets,
+comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous
+les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de
+l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de
+l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le
+construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait
+offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense
+générale.
+
+«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la
+chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui
+seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en
+face.
+
+«Je joins ici l'évaluation des dépenses.
+
+ «J'ai l'honneur d'être, etc., etc.»
+
+
+ _Devis des dépenses du monument de l'abbé
+ de l'Épée_.
+
+ «Le buste en marbre et les deux figures,
+ avec le motif qui les relie. 3,500 f.
+ «Piédestal en marbre blanc sur massif
+ en pierre 3,500
+ -----
+ Total 7,000
+
+«NOTA. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les
+inscriptions.
+
+M. NOVION, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le
+monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix
+de sept mille francs.
+
+«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il
+fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement
+exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du
+monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion
+peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je
+citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu,
+entièrement construit en fer.
+
+ «Vr LENOIR.»
+
+ AUGUSTE PRÉAULT, _statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville,
+ secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de
+ l'Épée._
+
+ «MONSIEUR,
+
+«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'_abbé de
+l'Épée_ n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail,
+permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour
+obtenir cet honneur, qui me serait bien cher.
+
+«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit.
+L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'_abbé de
+l'Épée_, c'est-à-dire la tête, le buste et les mains, tels que les
+statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense
+qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais
+inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le
+coeur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux
+premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et
+servir seulement à développer ce que j'expose.
+
+«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées
+pour surveiller les progrès de l'oeuvre, et éviter tout ennui à la
+commission.
+
+«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner de cette donnée, qui est
+certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas
+qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que
+l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné
+la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé
+dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire,
+d'architecture, de fonte, etc.
+
+«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on
+commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans
+le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de
+l'oeuvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire
+tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient.
+
+«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.»
+
+ * * * * *
+
+Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février.
+
+ * * * * *
+
+Ce jour-là, il fut donné communication de la réponse suivante de M.
+Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M.
+Chapuys-Montlaville, au nom de la commission:
+
+
+ «Paris, 17 février 1840.
+
+ «MONSIEUR,
+
+ «Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser
+ le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au
+ monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+ Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une
+ somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de
+ faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier,
+ mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé
+ d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues.
+
+ Agréez, etc.»
+
+Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin
+Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition.
+
+M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la
+cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a
+reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur:
+
+ 7 septembre 1839.
+
+ LÉGATION DE BAVIÈRE.
+
+ _A Monsieur le secrétaire de la commission pour
+ le monument de l'abbé de l'Épée._
+
+ «MONSIEUR,
+
+«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la
+lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers
+jours du mois de juillet dernier.
+
+«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de
+l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est
+empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette
+honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés
+à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance
+royale[79], datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à
+cet effet.
+
+«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.»
+
+Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux
+ambassadeurs des cours étrangères:
+
+«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet
+d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu
+de sa sépulture.
+
+«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien
+n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations
+civilisées.
+
+«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux
+éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété,
+et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien
+recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit
+que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la
+reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur.
+
+«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage
+de notre haute considération.
+
+ «Le secrétaire, Le président de la commission,
+ CHAPUYS-MONTLAVILLE. DUPIN.»
+
+
+
+
+XXVI
+
+ Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la
+ commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les
+ ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du
+ monument.--Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour
+ 3,000 fr.--Devis à forfait de M. Préault--La commission l'accepte,
+ à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir
+ qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février
+ 1841.--Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands
+ corps de l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en
+ ignore le résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque
+ d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration
+ du monument.--On s'adresse à l'abbé Coeur, qui ne peut, à cause
+ de ses nombreux travaux, accepter cette honorable
+ mission.--Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.
+
+
+M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des
+divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée.
+
+ «Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27
+ février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement
+ des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de
+ l'Épée.
+
+ «Deux concurrents se sont présentés.
+
+ «Quatre dessins ont été soumis.
+
+ «Trois portent la signature de M. Lelong, architecte.
+
+ «La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression
+ dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun
+ trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de
+ l'abbé de l'Épée.
+
+ «Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la
+ pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile,
+ intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale,
+ toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt
+ qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer.
+
+ «L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le
+ savez, Messieurs.
+
+ «En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la
+ décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale,
+ exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral
+ que vrai.
+
+ «Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette
+ profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des
+ chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et
+ sans compensation avantageuse.
+
+ «Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet
+ présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la
+ sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse
+ ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du
+ sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'oeuvre,
+ tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un
+ rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique
+ aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs
+ et rondes bosses.
+
+ «Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir
+ toutes les conditions désirables sous le triple rapport de
+ l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et
+ de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission
+ à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus
+ convenable à tous les titres.»
+
+A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres:
+
+ «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les
+ soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans
+ l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture.
+
+ «Des preuves authentiques ont été recueillies, et une commission
+ s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur
+ de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire.
+
+ «La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche
+ lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre
+ disposition.
+
+ «Le ministre de l'intérieur[80], un grand nombre de membres des
+ deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les
+ personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien
+ voulu concourir à cette oeuvre de gratitude et de respect.
+
+ «Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que
+ le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient
+ chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs
+ risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour
+ l'exécuter.
+
+ «La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les
+ accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a
+ pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme
+ d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop
+ évident avec son caractère et sa vie.
+
+ «Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette.
+
+ «Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront
+ versées dans la caisse de la souscription.
+
+ «Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former
+ le complément de celle qui est demandée pour le monument.
+
+ «Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous
+ associer à notre oeuvre, et faire contribuer l'État à cet acte de
+ justice et de gratitude.
+
+ «Veuillez agréer, etc.»
+
+La commission s'est réunie le 13 juin 1840.
+
+M. le président annonce à la commission que M. le ministre de
+l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte
+d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce
+mois, ainsi conçue:
+
+ «Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous
+ informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre
+ désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de
+ l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis
+ officiel de cette décision.
+
+ «Agréez, etc.»
+
+M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et
+Lassus. Ce devis[81] est suivi d'un engagement formel, pris par M.
+Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000
+francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous
+les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le
+chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il
+n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait
+des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui
+résulteraient des diverses souscriptions.
+
+Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au
+procès-verbal.
+
+M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM.
+Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier
+et dans l'engagement mentionné ci-dessus.
+
+Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM.
+Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues
+dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le
+président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la
+première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux
+époques de rentrée des sommes provenant de la souscription; la seconde,
+c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de
+février 1841.
+
+MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à
+signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault.
+
+En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission,
+contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur:
+
+
+ «MONSIEUR,
+
+ «Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres
+ enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été
+ retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris.
+
+ «Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée,
+ une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est
+ associé à cette oeuvre de respect et de gratitude.
+
+ «Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription
+ eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du
+ monument.
+
+ «Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de
+ pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous,
+ Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez, à
+ leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité.
+
+ «Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de
+ l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de
+ cet homme de bien.
+
+ «Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à
+ la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert
+ de M. le président de la Chambre des députés.
+
+ «Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos
+ sentiments distingués.»
+
+Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les
+membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert,
+Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si
+pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine
+avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M.
+Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M.
+Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon
+de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de
+France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à
+écrire au roi pour en solliciter une souscription au monument; 3º enfin
+à supplier l'évêque d'Évreux[82] de vouloir bien prêcher dans l'église
+Saint-Roch le jour de l'inauguration.
+
+On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie.
+
+Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars
+1842:
+
+ «SIRE,
+
+«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église
+Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été
+retrouvés et où il avait été enseveli primitivement.
+
+«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous
+osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux
+et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité.
+
+«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.»
+
+Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa
+famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte.
+
+Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales
+de ne pouvoir satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M.
+l'abbé Coeur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui
+ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter
+cette honorable mission.
+
+
+
+
+XXVII
+
+ La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné
+ à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et
+ Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est
+ inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis
+ clos.--Description et éloge de cette oeuvre remarquable.--Mais
+ pourquoi une inscription latine?--Sur 22,000 sourds-muets que
+ renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le
+ latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de bronze due
+ aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui
+ orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices
+ pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour
+ celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de
+ Chartres.--Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur
+ sourd-muet, offert à l'école de Paris.--Séance
+ d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une statue à
+ l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville
+ natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de
+ reconnaissance.
+
+
+Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon
+l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la
+mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue,
+c'est-à-dire en août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos!
+Pourquoi? Dieu le sait.
+
+Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le
+buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de
+même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains
+levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à
+leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien
+précieux de l'éducation.
+
+[Illustration: Monument de l'abbé de l'Épée dans une chapelle de
+l'Église Saint-Roch, à Paris.
+
+Sculpteur, M. PRÉAULT.--Architecte, M. LASSUS.]
+
+L'inscription simple et noble qui la décore[83] serait en parfaite
+harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien
+vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin,
+langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe.
+L'oeuvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes
+distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M.
+Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et
+grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le
+buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une
+délicatesse qui révèlent une face toute nouvelle dans le talent si
+neuf, si hardi, si original de M. Préault.
+
+ * * * * *
+
+Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave
+et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une
+couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec
+l'inscription suivante: _A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois._
+C'était la réalisation d'un voeu, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur
+de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il
+n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses
+élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était
+terminé.
+
+Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade
+monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale
+faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due
+également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui
+sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et
+leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier
+étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice.
+
+Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins,
+la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous avons tout
+lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de
+Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'oeuvre et son
+temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez
+élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et
+des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant
+pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la
+dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des
+travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds
+recueillis en divers lieux et par diverses mains.
+
+C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de
+son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte
+est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait,
+et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a
+admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques
+de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part,
+l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec
+tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est
+plus enthousiaste que lui. _Macte animo, generose puer!_
+
+ * * * * *
+
+En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un
+tact qui l'honore, avait bien voulu offrir à l'Institution nationale
+des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur,
+terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre
+instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont
+été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle
+réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il
+avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine
+de ces copies, jusque-là inconnue.
+
+Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de
+l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le
+11 mai 1840, dans la salle des séances publiques.
+
+Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets,
+signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la
+salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont
+transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves
+sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de
+couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les
+membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement[84]
+venaient à la suite.
+
+Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de
+l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre
+sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis
+autour de leur père.
+
+Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre
+sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires
+des deux maisons occupaient les deux parties latérales.
+
+M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil
+d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux
+élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance.
+
+A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement
+exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un
+sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de
+guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée.
+
+Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la
+caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses
+deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des
+sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme
+que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec
+l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil
+d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664
+fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves
+des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers
+fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur
+travail et leurs progrès.
+
+Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille
+circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de
+décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants,
+mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction
+sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de
+l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales.
+
+Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler
+devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux
+auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du
+président, et leurs noms ont été en même temps proclamés.
+
+Le président, au moment de lever la séance, a fait connaître à
+l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître
+l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un
+monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil
+d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa
+ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution
+nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses
+membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et
+dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au
+Maire de Versailles.
+
+A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue.
+
+
+
+
+XXVIII
+
+ Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de
+ l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet
+ commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux
+ sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du
+ célèbre instituteur.--Empressement unanime de tous les
+ convives.--Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et
+ inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.--Transports
+ d'allégresse de tous les assistants.--Mon allocution.--Bienfaits de
+ la Société centrale des sourds-muets.--Projet de cours publics et
+ gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.
+
+
+Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet[85] du 123e
+anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme
+président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que
+parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de
+l'humanité, ce _palladium_, ce drapeau de notre association commune, qui
+devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de
+ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet
+appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'oeuvre du
+sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et
+saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent
+quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du
+premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux
+convives l'allocution mimique suivante:
+
+«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions,
+cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre
+fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a
+su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait
+Merlieux, que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces
+traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de
+tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce
+un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme
+céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des
+hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité!
+
+«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore,
+n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui,
+rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide
+essor vers le monde de l'intelligence.
+
+«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous
+sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre
+reine!
+
+«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de
+cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est
+prodigieusement agrandi.
+
+«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu
+s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre
+civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des
+intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la
+perfectibilité; et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes
+préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence
+est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle
+détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de
+l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de
+l'ignorance, en sortit triomphant à la fin.
+
+«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un
+respectable ecclésiastique adressa à notre _sauveur_ en venant
+d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir
+vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la
+religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.»
+
+«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous
+environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la
+constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins
+heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette
+population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier,
+autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de
+ces infortunés.
+
+«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des
+pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète
+ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux
+gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à
+l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous?
+Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le
+gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits
+dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à
+ouvrir une école aux moeurs et au respect des lois. Plusieurs hommes
+de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans
+l'accomplissement de cette grande oeuvre de l'émancipation des
+sourds-muets.
+
+«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous
+sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire.
+
+«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour
+nous.
+
+«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai
+encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini.
+
+«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour
+l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux
+efforts pour justifier votre choix!
+
+«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai
+cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour arriver
+au but de nos voeux. Je termine, mes frères, en vous proposant un
+toast cher à nos coeurs:
+
+«A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!»
+
+
+
+
+XXIX
+
+ Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur
+ ami Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation
+ exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs
+ et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens,
+ inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits,
+ marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire,
+ graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout
+ genre, militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un
+ sourd-muet de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une marins et
+ médaille.--Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen
+ d'assister à notre banquet.--Mon toast à M. Bouilly et la réponse
+ de ce doyen de nos auteurs dramatiques.
+
+
+Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient
+précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après
+le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs[86], faisant
+assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime
+d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors
+sourds-muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette
+solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur
+expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une
+classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours.
+C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée
+de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place
+spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune.
+
+ «A la gloire des sourds-muets:!
+ «Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . .
+
+...(1)[87], qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le
+_Droit_, avec la _Gazette des Tribunaux_, et adresse, pour ses frères
+méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient
+aux Ministres;
+
+«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux,
+auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie;
+Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui
+aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour
+eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan, leur
+La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et
+écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et
+d'autres encore;
+
+«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus
+suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le coeur;
+Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous
+presse[88]; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui
+s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse;
+
+«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois;
+un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses
+découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux
+travaux: Paul de Vigan;
+
+«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au
+Musée de Versailles: Mlle Fanny Robert, la gracieuse élève de
+Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson,
+l'Apelle méridional, qui a retracé _les derniers moments de l'abbé de
+l'Épée_; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux;
+de Widerkehr, qui excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste
+titre, le Dubufe de la daguerréotypie[89], qui a inventé, de concert
+avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à
+polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf,
+l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave
+Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier,
+est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite;
+
+«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette
+personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler;
+
+«Un statuaire de talent: Cary;
+
+«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et Mlle
+Alavoine;
+
+«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel[90], Leclerc[91], Haacke
+réclament une place;
+
+«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la
+sourde-muette qui excelle dans la gravure;
+
+«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont
+fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs;
+
+«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer
+dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de
+beaucoup, les bornes de cette allocution rapide;
+
+«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis
+(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades,
+vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de
+Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que
+leur a donnée, à tous, la nature compatissante;
+
+«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait
+bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi
+dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de
+brillants exploits, dans la force de l'âge, parce qu'il était
+sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble
+maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli,
+adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la
+scène française, devint dragon dans les armées de la République, et
+tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il
+n'avait pas entendu le signal de la retraite.
+
+«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent.
+A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir!
+
+«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse
+des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de
+poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes,
+de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en
+tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit
+permis d'y inscrire un nouveau nom!
+
+«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre
+école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante
+francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le
+ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille[92],
+prix de son courage et de son dévouement.
+
+«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau
+camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur
+son histoire.
+
+«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont
+aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y
+montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger
+qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant,
+il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris
+déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr....
+
+«Heureusement les deux frères Hurtrelle (Alexandre et
+Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui
+est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a
+entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y
+précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant
+qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint
+l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans
+l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à
+coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le
+jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son
+frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de
+la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme.
+
+«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères
+sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger;
+il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend
+pas qu'il ait fait autre chose que son devoir.
+
+«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour
+y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros,
+qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront,
+ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là,
+deux sous, cet autre, plus favorisé de la fortune, trois sous au plus;
+et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant
+réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur
+nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous
+sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous.
+
+«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous
+dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire?
+
+«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des
+sourds-muets!»
+
+Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant
+de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui
+lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle,
+surtout, ne saurait se décrire.
+
+Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos
+hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en
+pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut
+l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques.
+Voici l'un et l'autre:
+
+ _Mon toast:_
+
+«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène française, a fait revivre
+l'abbé de l'Épée et son cher _Théodore_, connu sous le nom de _comte de
+Solar_, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive
+admiration! Son nom restera gravé dans nos coeurs comme celui d'un
+ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des
+sourds-muets.»
+
+ _Réponse de M. Bouilly:_
+
+«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante
+de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins,
+sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage
+que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie
+français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres
+de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière.
+
+«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la
+bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que
+l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine
+ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il
+obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses
+semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la
+protection des puissants du jour. Il employa un capital de 15,000 liv.
+de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable
+institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet,
+les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux,
+quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour
+son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante
+économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin
+qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant
+qui le caractérisait: _Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait
+tort de 300 livres._
+
+«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent
+considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en
+disant: _Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre
+d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance._
+
+«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait
+mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce
+qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!......
+Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et
+méconnaissait jusqu'à la vertu même.
+
+«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de
+la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il a
+fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver
+l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de
+fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en
+comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres,
+des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin
+honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!....
+
+«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes
+découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les
+immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas,
+comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le
+philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des
+âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour
+sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du
+Créateur!
+
+«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes
+distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée
+de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos
+gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient
+féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au
+développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs!
+Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel,
+consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot,
+cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une
+même famille!
+
+«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits
+de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que
+daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur:
+
+«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la
+fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma
+tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus
+beaux jours de ma vie.»
+
+
+
+
+XXX
+
+ Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+ statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de
+ Versailles, sa ville natale.--Communication officieuse du maire du
+ chef-lieu de Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M.
+ le docteur Bataille.--Sa lettre à un journal du
+ département.--Nobles sentiments.--Modèle de la statue de notre
+ illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des
+ monnaies.--Offres désintéressées.--Premier noyau de la commission
+ de Versailles.
+
+
+Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles,
+qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et,
+avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance
+pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du
+chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder
+l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la
+Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville.
+
+ * * * * *
+
+Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une éclatante réparation pour les
+dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho
+sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre
+instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel
+énergique au public, dans la lettre suivante, que la _Presse de
+Seine-et-Oise_ inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année:
+
+
+ PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+ «MONSIEUR LE RÉDACTEUR,
+
+«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs
+reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce
+qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits.
+
+«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un
+des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins
+caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel
+épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant
+quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement
+achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts,
+et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes
+avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés
+nombreux, dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire
+et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la
+morale.
+
+«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses
+richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque
+province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit
+ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au
+denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos
+hommes illustres. Voyez _Molière_, _Racine_, _Voltaire_, _Foy_, _etc._,
+à Paris; _Corneille_, _Boïeldieu_, à Rouen; _Malherbe_, à Caen; _Jeanne
+d'Arc_, à Orléans; _Kléber_, à Strasbourg; _Hoche_, à Versailles;
+_Marceau_, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant
+d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et
+loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux
+caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce
+colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses
+galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande
+banque de _toutes les gloires de la France_, qui ne connaît pas de
+prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs
+insolvables.
+
+«C'est, sans doute, par cet entraînement pour tout ce qui est éclat
+national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne
+l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur[93],
+dont l'âme, n'est ni _sourde_ au cri de la reconnaissance, ni _muette_ à
+l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple
+éloquence d'un coeur tout plein des bienfaits de son maître,
+l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée.
+
+«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville
+qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à
+d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir
+assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins
+connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même
+inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par
+aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de
+l'Épée au nombre des enfants de Versailles?
+
+«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut
+guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais
+humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et
+sanglantes hécatombes de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée...
+à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux
+dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie,
+les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de
+pacification?
+
+«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies,
+trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les
+compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités,
+puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice
+envers l'autre.
+
+«J'émets donc le voeu et formule ici la proposition qu'il soit élevé
+une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de
+Versailles.
+
+«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet
+objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue
+Neuve. Là, nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales
+galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de
+Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père
+des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la
+ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la
+fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine.
+
+«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables;
+que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain
+qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la
+caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de
+souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du
+gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a
+gratifiés pour la statue de Hoche?
+
+«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je
+l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la
+confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la
+ville, comme à tout ce qui touche à son éclat.
+
+«Agréez, etc.»
+
+ * * * * *
+
+Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies,
+présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de
+l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans
+autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres
+désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies
+comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux
+de ses concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à
+lui, afin de couvrir les dépenses du monument.
+
+ * * * * *
+
+Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24
+janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le
+lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron,
+Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous
+faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville
+natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée.
+
+M. Michaut était présent.
+
+Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant
+apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de
+nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner
+l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M.
+l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider
+l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire.
+Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il
+s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres
+proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne,
+l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de
+Sainte-James, Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard.
+
+Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles
+n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à
+ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant,
+au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre
+les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la
+souscription.
+
+
+
+
+XXXI
+
+ Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau
+ définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et
+ moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire
+ de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La
+ statue sera en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements
+ proposés.--Deux seuls paraissent convenables.--Autorisation à
+ demander au conseil municipal.--Comité de trois membres, chargé,
+ sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des
+ travaux.--Publication de la liste des souscripteurs tous les deux
+ mois.
+
+
+La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le
+cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient:
+
+ MM. BERNARD DE MAUCHAMPS, vice-président du tribunal;
+
+ BESNARD, notaire;
+
+ DE FRESQUIENNE (le baron), membre du conseil municipal;
+
+ GAUGUIN receveur principal;
+
+ LEBRUN, directeur de l'École normale primaire;
+
+ DE SAINTE-JAMES, avocat;
+
+ WATHIEZ (le vicomte), lieutenant général.
+
+On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de
+la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de
+Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne;
+secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin.
+
+La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida
+qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était
+accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes
+qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui
+paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en
+furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles;
+Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département.
+
+La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour
+activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés;
+mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se
+borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M.
+Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la ville. Quant au
+mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le
+projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux
+journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en
+outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des
+lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la
+localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la
+souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le
+préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans
+le _Mémorial administratif du département_.
+
+Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: _Commission
+pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée_, et que les affiches
+et notices pour les journaux seraient intitulées: _Commission pour le
+monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale_.
+
+ * * * * *
+
+Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le
+vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de
+proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux
+souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait
+que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il
+serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi.
+
+M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire
+de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de
+l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les
+départements fut l'objet d'une discussion générale.
+
+ * * * * *
+
+Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui
+était offert de faire partie de la commission.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut
+donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le
+dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les
+souscriptions.
+
+M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de
+préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission
+décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille
+héroïque, c'est-à-dire de huit pieds au moins.
+
+Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un
+devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées;
+puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la
+ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue
+de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards de la Reine et du Roi, 3º l'axe
+du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui
+devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la
+prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º
+le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des
+Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe
+qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le
+Marché-Neuf.
+
+Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission:
+la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un
+extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement
+désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du
+conseil municipal.
+
+Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre
+l'exécution de la statue, sous le titre de _jury de surveillance_, et on
+l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de
+l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit
+dans le sein de la commission, soit en dehors.
+
+Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode
+de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires
+dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi.
+
+Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis
+suivant serait inséré à la fin du prospectus:
+
+«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la
+liste des souscripteurs.»
+
+
+
+
+XXXII
+
+ Mort du président de la commission, M. le marquis de
+ Sémonville.--M. le baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande
+ d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la
+ statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École
+ normale.--Réponse favorable.--M. Michaut s'engage à ce que les
+ frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à
+ en commencer le modèle en argile plastique.--M. l'architecte Petit
+ invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et
+ des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois
+ le voeu qu'on choisisse un emplacement plus convenable.--Projet
+ d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.
+
+
+La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans
+le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence
+du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses
+collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de
+Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement
+procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président et d'un
+nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron
+furent promus à ces fonctions.
+
+On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de
+l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la
+statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale,
+au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un
+hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école.
+
+Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le
+bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier
+l'étendue du terrain demandée au Ministre.
+
+Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui
+lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue
+ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en
+même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile
+plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de
+suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit
+dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le
+piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient.
+
+Ces travaux devaient consister en maçonnerie, marbrerie, serrurerie,
+peinture, charpente, terrasse et pavage:
+
+En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former
+le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il
+serait placé et l'entourer d'un stylobate;
+
+En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné;
+
+En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant
+sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le
+bord de la plate-forme;
+
+En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze;
+
+En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce
+que la statue fût érigée;
+
+En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin
+d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches.
+
+Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails
+circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs,
+répartis comme suit:
+
+ Maçonnerie. 3,500 fr.
+ Marbrerie. 4,550
+ Serrurerie. 3,000
+ ---------
+ Transport. 11,050 fr.
+
+ Report. 11,050 fr.
+ Peinture. 160
+ Charpente. 150
+ Terrasse et pavage. 300
+ ---------
+ Total. 11,660 fr.
+ ==========
+
+A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de
+l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction
+publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue:
+
+ _A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour
+ l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles._
+
+ A Paris, le 10 septembre 1839.
+
+«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient
+nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la
+commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une
+petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale
+primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever
+la statue de l'abbé de l'Épée.
+
+«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain,
+ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société des
+souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la
+grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la
+statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de
+l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin
+d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin,
+qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin
+de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la
+rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma
+décision à la commission que vous présidez.
+
+«Recevez, Monsieur le baron, etc.»
+
+ * * * * *
+
+Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission,
+une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique.
+
+Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil
+municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici
+les conclusions:
+
+«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs
+à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa
+commission, décide:
+
+«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue de l'abbé de l'Épée sur
+une des places de la ville de Versailles;
+
+«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission
+des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en
+face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le
+conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs;
+
+«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son
+érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes
+proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la
+saillie que le monument aura sur la voie publique.
+
+«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et
+adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le
+deuxième paragraphe:
+
+«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement
+proposé par la commission des souscripteurs, émettant le voeu que les
+résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la
+place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou
+tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition
+de la commission.»
+
+Cette lecture entendue, la commission discuta les conclusions du
+conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour
+l'autorisation[94] que ce magistrat s'était empressé de lui faire
+obtenir.
+
+M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses
+prévues.
+
+L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à
+stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité.
+Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée.
+
+M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à
+faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du
+monument.
+
+On pensa qu'une médaille, oeuvre de M. Michaut, dont la réputation, au
+point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les
+citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du
+monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi
+individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire.
+
+La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à
+distribuer aux souscripteurs était décidé en principe; 2º que cette
+médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente
+lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal
+plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant
+préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur
+serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M.
+Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire.
+
+La commission nomma, enfin, _un comité chargé de rédiger et d'envoyer
+les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer
+les travaux_, concurremment avec le président et le secrétaire.
+
+
+
+
+XXXIII
+
+ M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son
+ approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé
+ de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui
+ s'y rattachent.--Réponses de la commission aux différentes
+ questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.--Première
+ pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de
+ Versailles avec quelques membres de la commission du monument,
+ ayant pour but d'essayer de lever en commun ces
+ obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en réponse
+ aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un
+ prospectus à répandre pour activer les souscriptions.
+
+
+M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840,
+adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il
+n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des
+choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé:
+
+1º Sur la forme et le mérite de la statue projetée, question qui ne
+pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de
+la grandeur même de la statue;
+
+2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui
+paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que
+partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin
+de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis
+offrant, à son avis, un emplacement plus convenable;
+
+3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense
+serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les
+ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de
+compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les
+souscriptions ne seraient pas suffisantes;
+
+4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû
+être faite à la ville, et non aux souscripteurs.
+
+ * * * * *
+
+Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des
+souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de
+Seine-et-Oise.
+
+ * * * * *
+
+En conséquence, dans la sixième séance du 27 janvier 1840, M. le
+président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise
+n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la
+commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait
+nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une
+délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de
+documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des
+délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité
+de rédaction, à l'effet de préparer une réponse.
+
+M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son
+ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La
+commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en
+double exemplaire, à M. le maire de Versailles.
+
+M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus[95], avec les
+additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit
+connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité.
+
+ * * * * *
+
+Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui
+avaient été soumises par M. le préfet, et finit par proposer, dans le
+cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient
+pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus
+prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà
+souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle,
+voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de
+s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en
+désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt
+levé tous les obstacles.»
+
+Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter
+incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le
+préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé
+de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des
+souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de
+Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité
+à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la
+Mairie.
+
+ * * * * *
+
+Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture
+d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis
+le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à la connaissance de la
+commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il
+avait tenus.
+
+M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La
+commission déclara approuver cet aperçu de la situation.
+
+M. le président communiqua la délibération suivante du conseil
+municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le
+préfet:
+
+ «Le conseil,
+
+«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a
+lieu de répondre à M. le préfet:
+
+«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs,
+par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse
+écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur
+d'exécution;
+
+«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît
+pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant
+la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre
+emplacement de la ville;
+
+«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à
+prendre, et qu'aucun sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet;
+
+«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite,
+ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit,
+aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue
+propriétaire du monument.
+
+«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et
+adoptées.»
+
+
+
+
+XXXIV
+
+ Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de
+ souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de
+ 300 francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la
+ commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la
+ statue.--Le statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions
+ des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.--Projet
+ d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution
+ des sourds-muets de Paris.--Le préfet de Seine-et-Oise accepte les
+ fonctions de président d'honneur de la commission.--MM. Molé,
+ Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés
+ pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la guerre regrette
+ de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la
+ confection de la statue.
+
+
+Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et
+contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil
+municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes:
+
+«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir
+bien considérer que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas
+être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités
+municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à
+un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de
+reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité,
+un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque.
+C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez,
+non-seulement à vous associer à notre oeuvre, mais encore à provoquer
+l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou
+avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents.
+
+«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques
+souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos
+sentiments les plus distingués.»
+
+ _Le président_, Baron DE PRESQUIENNE,
+ _Le secrétaire_, E. B. DE SAINTE-JAMES,
+ Membres du conseil municipal.
+
+A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que
+déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle
+faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les
+personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique et
+morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et
+dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c.
+
+Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier
+une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds
+nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce
+monument vraiment national.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima
+le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion
+personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à
+visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il
+fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait
+immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait
+prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses
+observations.
+
+M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic,
+frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000
+infortunés de cette catégorie que peut contenir la France[96]. Des
+remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé qu'il
+apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui
+transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la
+commission était animée pour ses louables efforts.
+
+ * * * * *
+
+Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication
+d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de
+la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter
+de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris[97] l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet
+établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et
+qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription.
+
+M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle
+lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition
+une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83
+sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de
+nouvelles souscriptions.
+
+Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne
+l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des
+sourds-muets, pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet
+d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur
+regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École;
+mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la
+cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à
+la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était
+nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût
+approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le
+secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait
+à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient
+entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il
+pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté,
+à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à
+la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre
+l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la
+commission pour recueillir les offrandes.
+
+La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait
+transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers
+le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des
+sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du
+Louvre, en obtenant toutes les autorisations indispensables pour
+arriver à ces fins.
+
+La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne
+serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner
+plus de puissance et de popularité.
+
+Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et
+Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du
+département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département,
+pair de France, et à M. le duc de Luynes.
+
+En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé
+Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence
+d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission.
+Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire
+occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du
+gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être
+le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit
+par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il
+éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville
+natale.
+
+Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était
+empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande que ce
+respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire
+à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour
+que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés
+par le gouvernement.
+
+Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre,
+maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise
+qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de
+Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître
+les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze
+demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes
+dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des
+bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans
+les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi
+pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne
+manquerait pas de le signaler comme tel.»
+
+ * * * * *
+
+La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de
+souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à
+remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne
+fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait
+beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les
+départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous
+les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce
+monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de
+leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément
+souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers
+souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de
+membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses
+fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des
+services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez
+toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au
+génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance.
+
+
+
+
+XXXV
+
+ Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+ sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de
+ Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de
+ délégués du conseil municipal, de membres de la commission des
+ souscripteurs.--Mes impressions en présence de la
+ statue.--Engagement du fondeur.--Adoption de la statue par le
+ conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des
+ rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut se soumet aux corrections
+ indiquées.--L'architecte de la ville mis à la disposition de
+ l'oeuvre.--Nouveaux moyens à employer pour activer les
+ souscriptions.
+
+
+Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de
+Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé,
+dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue
+Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de
+proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en
+costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen
+sérieux de l'oeuvre de M. Michaut, c'est un devoir pour nous de
+féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème
+difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais
+comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut
+devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous
+pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition
+remarquable.
+
+Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont
+le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon
+et une tablette, sur laquelle est écrit le mot _Dieu_, d'abord en
+caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite,
+élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité
+adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont
+elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la
+première lettre du mot _Dieu_. C'était dans cette position simple,
+naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que
+l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines,
+trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.--Vue de face, la
+statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est
+belle. L'oeil est satisfait autant que le coeur.--La soutane est de
+l'effet le plus vrai, le mieux senti.--Par derrière, les plis du
+manteau retombent naturellement et sans contrainte.
+
+Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente
+le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses
+emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à
+l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers
+élèves de ce maître dévoué.
+
+Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est
+honorable. Pour que son oeuvre puisse être citée comme un des plus
+beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce
+genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin
+de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui
+retombent sur le bras gauche.--Il a droit, désormais, à nos
+félicitations autant qu'à notre reconnaissance.
+
+Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois
+heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets
+de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des
+adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal
+composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par
+une députation de membres de la commission des souscripteurs.
+
+La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs
+examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois,
+leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son
+sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de
+douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet
+historique du vénérable abbé de l'Épée.
+
+Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était
+loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée
+à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif
+annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant
+probablement ressortir la statue avec plus d'avantage.
+
+ * * * * *
+
+Le 25 août, le _Journal de Seine-et-Oise_ publiait l'article suivant,
+intitulé[98]: _Impressions des sourds-muets en présence de la statue de
+l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de
+Paris:_
+
+«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans
+la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques,
+nº 254, doit être coulée en bronze et orner une des places publiques de
+Versailles. C'est l'oeuvre de M. Michaut, le célèbre graveur des
+monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la
+ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité.
+Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette
+commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce
+monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de _notre
+père spirituel_. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération,
+la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les
+coeurs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre
+Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils
+dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les _aînés_, je
+veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à
+leurs _cadets_, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs
+condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes
+étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes,
+tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était
+à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté.
+Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même
+de l'établissement.
+
+«Tous les yeux sont fixés sur cette image chérie. Que de sensations
+elle excite! Nos enfants s'extasient; leur coeur s'enflamme au
+souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui
+a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et
+puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a
+soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils
+étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du
+banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du
+courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas
+jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne
+pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette
+infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de
+l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe
+des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de
+les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien
+tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes,
+regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de
+puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre?
+
+«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste
+énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue dont
+l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos coeurs, à
+toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le
+travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce voeu trouve de
+l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à
+quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que
+Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants,
+envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France,
+tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite,
+le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera
+pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au
+premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis!
+Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une
+image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la
+statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui
+préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous
+dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre
+père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages.
+
+«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible
+les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici une
+réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix,
+une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de Mlle Barbier[99], a
+faite à cette question:
+
+«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée
+dans l'Institution des sourds-muets?»
+
+«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons
+voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se
+fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous
+ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne
+sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous
+obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le
+ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous
+qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons
+plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif
+sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au
+ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux;
+que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les
+sourds-muets pratiquer toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux
+vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si
+jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait
+nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le
+bienfaiteur des sourds-muets.»
+
+ * * * * *
+
+M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la
+commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en
+plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de
+l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y
+mouler en deux parties seulement;
+
+2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre
+pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être
+essayé par expert sur la statue même);
+
+3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction
+de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer
+sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires;
+le tout, pour la somme de _six mille francs_.
+
+Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée,
+deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie.
+
+Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de
+Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du
+conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la
+statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et
+d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération
+à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il
+lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la
+dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir.
+
+ * * * * *
+
+A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M.
+le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre
+ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du
+plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des
+sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de
+l'intérieur.
+
+Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien
+voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le
+plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en
+conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du
+département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle,
+la sollicitude de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M.
+le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face
+aux dépenses de la fonte de la statue.
+
+«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire,
+des membres de la commission municipale et de la commission du monument
+se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue.
+D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le
+conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à
+la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des
+corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le
+préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre
+de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la
+statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la
+disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la
+réalisation des projets de la commission....»
+
+Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la
+condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les
+corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était
+bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du
+président, et après l'approbation de la commission.
+
+M. le trésorier lui communique la situation de son avoir.
+
+M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener
+des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui
+voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º
+près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets
+qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre
+des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants
+de la commission.
+
+ * * * * *
+
+Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le
+préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers
+à la disposition de la commission.--Il fut décidé que le bureau
+provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres
+adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés
+ci-dessus.
+
+ * * * * *
+
+Puis, la commission arrêta ce qui suit:
+
+ * * * * *
+
+«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour
+être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de
+la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le
+maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de prêter
+leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant
+l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville
+à l'abbé de l'Épée.»
+
+M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections
+faites à la statue.
+
+Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la
+séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent
+faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait
+définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M.
+Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment.
+
+On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard,
+vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter
+assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales,
+donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle
+M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la
+statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet
+de traité, qui fut adopté à l'unanimité.
+
+M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les
+moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On
+arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut
+demanda à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas
+les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une
+époque plus opportune.
+
+
+
+
+XXXVI
+
+ Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal
+ de la statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette
+ oeuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à
+ l'achèvement des travaux.--Le conseil municipal en vote
+ 2,000.--Projet d'une plaque commémorative.--Inscription de la face
+ principale du monument.--Travaux du fondeur surveillés par le
+ statuaire.--Érection fixée au 8 septembre 1843.--Dernières
+ dispositions.--Programme de la fête.--Décision du conseil
+ municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux
+ sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.
+
+
+Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de
+l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets
+en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur
+de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique
+dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don
+qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur des
+sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur
+elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit
+connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un
+fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en
+bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843.
+
+ * * * * *
+
+Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier,
+inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des
+mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze,
+envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne.
+
+M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la
+délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur
+suit:
+
+ «M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue
+ de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en
+ fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs.
+
+ «Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le
+ secrétaire rend compte des corrections faites à la statue.
+
+ «La commission a annexé aux pièces un état de la situation
+ financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit
+ de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure
+ au devis pour la construction du piédestal de la statue.
+
+ «Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de
+ 2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du
+ piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que
+ le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal
+ réduira probablement cette dépense à 2,000 fr.
+
+ «Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu
+ qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper;
+
+ «Que la construction du piédestal sera supportée par la
+ souscription;
+
+ «Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de
+ laquelle il sera pourvu dans la session de mai.»
+
+Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1er
+août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné
+communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en
+général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville,
+et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par
+le moyen de lettres et par celui de visites, dont serait chargée une
+personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on
+s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris
+tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une
+démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du
+département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août.
+
+D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux
+du piédestal, etc., etc.
+
+Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre,
+enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait
+l'inscription suivante:
+
+ =AD. MAJ. GLOR. DEI.=
+
+ Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE Ier, Roi des Français,
+
+ EN AOÛT 1843,
+
+ Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique
+
+ A LA MÉMOIRE DE
+
+ =CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,=
+
+ Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets,
+
+ NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789.
+
+ MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE
+ ET DES HABITANTS,
+ DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES,
+
+ Par les soins des Commissaires:
+
+ MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur;
+
+ REMILLY, Député et Maire;
+ Bon DE FRESQUIENNE, ex-Maire;
+ L'abbé CARON, Vice-Président;
+ DE STE-JAMES GAUCOURS, Sre
+ BESNARD, Vice-Secrétaire;
+ GAUGUIN, Trésorier;
+ Lt-Gal Vte WATHIEZ;
+ B. DE MAUCHAMPS;
+ TAPHINON;
+
+ LEBRUN;
+ COUPIN DE LA COUPERIE;
+ BOISSELLIER;
+ DOUCHAIN;
+ Dr BATTAILLE;
+ Feu le Mis DE SÉMONVILLE, Pair;
+ Feu le Cher DE JOUVENCEL, ex-Maire et ex-Député.
+
+ Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies;
+ Architecte: PARIS, Architecte de la ville;
+ Fondeur: SAINT-DENIS.
+
+Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument.
+
+ GABRIEL F., à Versailles.
+
+Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie,
+en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double
+exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux
+archives de la ville.--On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque,
+suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission.
+
+On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du
+piédestal, l'inscription suivante:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ NÉ A VERSAILLES,
+
+ LE XXIV NOV. MDCCXII.
+
+Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il
+en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas,
+l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais
+on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun.
+
+Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus
+éloignée, selon les ressources de la commission.
+
+M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que
+les conditions imposées par la commission du monument, d'après les
+articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de
+la commission et M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par
+le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité
+nécessaire.--Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur
+place.
+
+Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur,
+la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M.
+l'abbé Caron, vice-président.
+
+La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés
+pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et
+décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand
+elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des
+travaux.
+
+Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur
+l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit
+successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission
+déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés.
+Elle rapporta sa décision du 1er août, et arrêta que cette
+inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en
+ces termes:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+ PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS,
+ NÉ A VERSAILLES,
+ LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII.
+
+Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient
+terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait
+irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers
+une heure de relevée.
+
+Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut
+introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission
+arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre
+sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient
+offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le
+préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la
+commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le
+quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission.
+
+L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la
+statue. La commission décida ce qui suit:
+
+Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le
+monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son
+inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en
+informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien
+prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires,
+notamment pour empêcher la commission et les souscripteurs d'être
+confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire
+serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet,
+président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit
+président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui
+donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être
+son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la
+statue à la ville de Versailles.
+
+La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris
+et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses
+personnes qui ont rendu différents services à la commission.
+
+Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait
+imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de
+l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration
+devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de
+Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la
+notice.
+
+M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2
+septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il
+rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir
+entendu, le 8 novembre 1841, celui de la commission qui avait été
+chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée:
+
+«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M.
+Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de
+jonction des rues Royale et d'Anjou[100].»
+
+M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument,
+de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle
+devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et
+lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures de police qui
+lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la
+cérémonie.
+
+ * * * * *
+
+M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le
+2 septembre, de Versailles, en ces termes:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le
+programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a
+décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir
+bien adresser une allocution _mimique_ aux sourds-muets réunis au pied
+de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au
+plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons
+d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur
+bienfaiteur, et de leur témoigner que _la ville de Versailles_ tient à
+honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la
+garantie de l'éloquence de ses paroles.
+
+«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou
+encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir
+prononcée.
+
+«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour
+Lyon le 24 ou le 25, on aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus
+tôt.
+
+«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à _midi et demi précis_ sur
+remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les
+présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions.
+
+«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de voeux qui doivent
+sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son
+très-humble et très-obéissant serviteur.»
+
+
+
+
+XXXVII
+
+ Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa
+ ville natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de
+ Paris et d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence
+ regrettable du clergé.--Nombreuse affluence de
+ spectateurs.--Discours du préfet, au nom de la commission des
+ souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie et les travaux
+ de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la
+ commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves
+ d'artillerie.--Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il
+ devait prononcer.
+
+
+[Illustration: Statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles.
+
+=Par M. MICHAUT (Des Monnoies)=.]
+
+Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des
+rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un
+piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout
+autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de
+garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se
+tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute
+condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on
+remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin
+de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la
+conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure,
+la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de
+France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du
+monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins
+le clergé[101]), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux
+applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant
+donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la
+ville dans les termes suivants:
+
+
+ «MONSIEUR LE MAIRE,
+
+ «La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui
+ nous environne, et je suis chargé, par la commission de
+ souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles,
+ représentée par son corps municipal.
+
+ «Le zèle des souscripteurs, dans cette oeuvre de reconnaissance,
+ a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps
+ municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste,
+ par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le
+ jour.
+
+ «Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu
+ naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable
+ qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les
+ inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la
+ parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de
+ toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi
+ dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la
+ morale, de l'intelligence et de la raison.
+
+ «Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands
+ souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de
+ l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle
+ s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme
+ nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir
+ du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage
+ du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.»
+
+M. Remilly, maire de Versailles, membre de la Chambre des députés, a
+répondu ainsi:
+
+ «Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste
+ orgueil.
+
+ «Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans
+ l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime
+ ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante,
+ naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus
+ grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une
+ auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie
+ intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en
+ était déshéritée.--Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent
+ consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer
+ aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer
+ leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque
+ sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et
+ observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence
+ humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la
+ faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue
+ intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond,
+ il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de
+ l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence, éveilla dans
+ leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité
+ horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à
+ l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si
+ naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte.
+
+ «Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître
+ dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son
+ corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres
+ enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de
+ l'abbé de l'Épée!
+
+ «Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si
+ justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance
+ la sympathie des nobles coeurs pour un génie vertueux et modeste!
+ Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi
+ nous, qui a voulu faire descendre dans son oeuvre, dans ce
+ bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie
+ durant sa vie de vertu et d'abnégation!
+
+ «Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des
+ sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu
+ exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de
+ l'Épée, en rappelant le souvenir de ses utiles travaux, de son
+ dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à
+ d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui,
+ la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs
+ semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui
+ immortalisent notre grand concitoyen.»
+
+M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice
+biographique sur l'abbé de l'Épée.
+
+Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de
+l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant:
+
+ «FRÈRES ET SOEURS!
+
+«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs
+glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons
+sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un
+habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de
+l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet
+admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles
+attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux
+impatients!
+
+«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve
+énergie de nos sentiments exprimés dans une langue qui est notre
+patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa
+également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au
+frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en
+égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux
+oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche
+de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel.
+
+«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où
+viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres
+enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs
+divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique
+de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes soeurs en Dieu,
+vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui
+ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la
+création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la
+flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que,
+quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont
+pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux
+publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons
+religieusement! Quel langage parlent à nos regards ce geste expressif,
+cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné
+par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples
+bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos soeurs
+d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans
+leurs coeurs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait
+fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les
+ronces du chemin, et que Dieu vous conduise!
+
+«Frères et soeurs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette
+mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce
+bronze, pour nous si palpitant de souvenirs!
+
+«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre
+Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en
+caractères ineffaçables!
+
+«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à
+bonne fin cette oeuvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des
+plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes,
+qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de
+l'avoir vu naître dans ses murs!»
+
+M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative
+de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt
+verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive
+sensibilité.
+
+ * * * * *
+
+M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la
+cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que
+la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses
+immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres
+enfants.
+
+ * * * * *
+
+Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du
+vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des
+sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour
+cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu
+garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où
+sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique.
+Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le
+président et le secrétaire de la commission.
+
+Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied
+de la statue:
+
+«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages que l'immortel abbé de
+l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son oeuvre est
+au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions
+des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi
+dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la
+pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire,
+en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme,
+développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la
+pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec
+autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus
+éloquent.
+
+«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit
+bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le
+langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du
+discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire,
+introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots
+appelés _pronoms_ par les grammairiens désignent les relations
+personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent
+naturellement aux premiers éléments de l'ordre social.
+
+«Si l'on parcourt, d'un coup d'oeil, le siècle qui vient de s'écouler,
+on ne trouve pas d'invention plus utile à l'humanité. Sans doute,
+durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif
+éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit
+par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent[102];
+l'autre, doué de la plus profonde sensibilité[103] et d'une éloquence
+mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des
+peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des
+précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute
+magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute
+sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de
+ses veilles, l'_Esprit des lois_[104]: toutefois, aucun de ces grands
+hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus
+du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le
+génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour
+féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et
+abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une
+inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette
+céleste invention; c'est le désir de faire naître Jésus-Christ dans le
+coeur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette
+religion sainte, qui embrasa le coeur de l'abbé de l'Épée et de son
+digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je
+m'honorerai d'avoir été l'humble élève.»
+
+
+
+
+XXXVIII
+
+ Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la
+ statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du
+ sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le
+ conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et
+ adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au
+ statuaire.--La commission sollicite en vain de M. le Ministre de
+ l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière
+ subvention pour solder ses comptes.--Relevé définitif des recettes
+ et dépenses.--Tribut de regret de la commission à quatre de ses
+ membres décédés.--Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.--Elle
+ décerne une médaille au statuaire Michaut.--Désir des souscripteurs
+ sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de
+ constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission
+ ne peut que faire lithographier des listes générales.--Conclusion:
+ sept voeux émis; trois encore à exaucer, une statue dans
+ l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux
+ inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à
+ Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à
+ enseigner, à Paris.
+
+
+A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers,
+plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous
+celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise.
+
+Notre poëte sourd-muet, Pélissier[105], voulut chanter, à son tour, cet
+envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la
+véritable langue des dieux.
+
+Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères:
+
+ Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer
+ à la postérité de sublimes leçons.
+
+ A. LENOIR.
+
+ Il est de certains noms consacrés par la gloire,
+ Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux,
+ Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire
+ Les siècles font éclore en jalons lumineux.
+ L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie,
+ Fait rayonner leur front d'un éclat souverain,
+ Et l'artiste leur doit une seconde vie
+ Dans le granit ou dans l'airain.
+
+M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16
+septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération
+par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à
+accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans
+cette même délibération, le conseil municipal votait des remercîments
+aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur
+de la statue.
+
+ * * * * *
+
+M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de
+l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à
+l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour
+acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à
+la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et
+les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put
+accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il
+l'en informa:
+
+ * * * * *
+
+«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner
+suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour
+encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en
+témoigne tous mes regrets.»
+
+ * * * * *
+
+Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur
+quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour
+procéder à la clôture définitive de leurs opérations.
+
+Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes:
+
+1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour
+de l'inauguration;
+
+2º Procès-verbal de la séance d'inauguration;
+
+3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845;
+
+4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport;
+
+5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission.
+
+ COMPTES DE M. LE TRÉSORIER,
+
+ _Recettes._
+
+ 1º Subvention du Ministre de l'intérieur. 3,000 f. » c.
+
+ 2º Souscription du roi. 300 »
+
+ 3º Souscription de la ville de Versailles. 2,000 »
+
+ 4º Souscriptions particulières. 6,499 »
+
+ 5º Intérêts de fonds libres placés
+ momentanément chez M. le receveur
+ général. 208 40
+
+ 6º Allocation de la ville de Versailles
+ pour solder les travaux. 1,805 47
+ ------------
+ Total. 13,812 f. 87 c.
+
+ _Dépenses._
+
+ 1º Acquisition de registres et autres
+ menues dépenses. 11 f. 10 c.
+
+ 2º Frais d'un modèle en bois, et
+ papier. 27 50
+
+ 3º Frais d'impressions diverses. 1,099 50
+
+ 4º Affranchissements et ports de 531 45
+ lettres
+ -----------
+ Transport. 1,669 f. 55 c.
+
+ 5º Remboursement à M. Michaut
+ des déboursés du modèle de la
+ statue et de son transport à
+ l'Institution des sourds-muets,
+ où elle a été exposée. 1,270 »
+
+ 6º Prix du bronze et de la fonte
+ de la statue payé à M. Saint-Denis. 6,000 »
+
+ 7º Acquisition et frais de transport
+ du granit de Soignies, pour le
+ piédestal, et frais accessoires. 1,462 96
+
+ 8º Prix de la grille d'entourage
+ en fonte. 993 80
+
+ 9º Écritures diverses payées au
+ sieur G..., et à d'autres personnes
+ employées par M. de Sainte-James. 155 05
+
+ 10º Gravure d'une planche en cuivre
+ placée sous le piédestal,
+ payée à M. Gabriel Cerf. 77 »
+
+ 11º Travaux d'établissement de la
+ statue, du piédestal, et accessoires
+ payés aux divers entrepreneurs. 2,182 51
+ ------------
+ Total. 13,810 f. 87 c.
+ =============
+
+ _Balance._
+
+ La recette s'élève à 13,812 f. 87 c.
+ La dépense à 13,810 87
+ --------------
+ Par conséquent, le trésorier
+ est reliquataire
+ de. 2 f. »
+ ================
+
+Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses
+dans les trois mois de la clôture des travaux,
+
+Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation;
+que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était
+faite dans les journaux du département,
+
+La commission arrête ce qui suit:
+
+Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent
+à Versailles; elle sera ainsi conçue:
+
+«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en
+terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses
+dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer
+fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la
+déclaration qui précède.»
+
+L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de
+bienfaisance.
+
+La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets
+qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus
+distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les
+lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux.
+
+La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les
+souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient
+précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et
+utile.
+
+La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M.
+Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de
+président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux.
+
+Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à
+renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude.
+
+Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les
+travaux terminés et la commission dissoute.
+
+ EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU
+ DEPUIS L'INAUGURATION.
+
+«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger
+à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une
+médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle
+désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins
+précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le
+corps qui le lui a décerné.»
+
+Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le voeu que
+leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de
+leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à
+leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour
+eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le
+plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur
+juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet
+objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50
+centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour
+obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on
+eût dû envoyer un exemplaire de cette liste à chaque sourd-muet
+souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris
+ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il
+valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs,
+sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient
+d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les
+quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui
+elles constituent comme un titre personnel[106].
+
+Sur les sept voeux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont
+exaucés:
+
+Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel
+où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où
+reposent ses dépouilles mortelles.
+
+Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la
+France.
+
+Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune
+décore une des places de Versailles, sa patrie.
+
+Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville.
+
+Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale
+des sourds-muets de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été
+promise.
+
+Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il
+naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à
+Paris.
+
+Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc
+enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance?
+
+En douter un instant serait leur faire injure.
+
+Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos
+trois derniers voeux.
+
+ FIN.
+
+
+
+
+NOTES.
+
+
+(A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une
+discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de
+sa statue à Versailles.
+
+_Lespée_, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait
+du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles,
+que nous rapportons textuellement plus bas. _Lespée_, c'est ainsi qu'il
+est écrit encore au frontispice _d'un petit livre pour étudier les
+règles du jeu de trictrac_, qui porte le millésime de 1698, et qu'une
+des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien
+voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe
+nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas
+d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et,
+comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de _de
+l'Épée_ retrouvé sur un livre dont il fit don à _Anne-Catherine
+Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait
+donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779_.
+
+D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations
+d'orthographe?
+
+L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord _Buonaparte_ (un nom
+italien), ne signa-t-il pas _Bonaparte_ dès qu'il se vit investi du
+commandement de l'armée d'Italie?
+
+A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros
+pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore
+que son humilité était devenue proverbiale?
+
+ (3e Arrondissement de Seine-et-Oise.)
+
+ MAIRIE DE VERSAILLES.
+
+ _Extrait du registre des actes de naissance de la ville de
+ Versailles, pour l'année_ 1712.
+
+L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé
+_Charles-Michel_ né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert
+ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son
+épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle
+maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran,
+entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent.
+
+Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre.
+
+ * * * * *
+
+(B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à
+l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux:
+
+«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques,
+à l'occasion des disputes sur le jansénisme.
+
+«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en
+1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la
+même année:
+
+«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape
+Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par
+l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et
+confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la
+même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à
+cette Constitution, et je condamne, de coeur et de bouche, la doctrine
+des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre,
+intitulé _Augustinius_, que le pape et les évêques ont condamnées,
+laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a
+mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.»
+
+«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut ordonnée par
+l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État
+par une déclaration royale du 20 avril 1664.»
+
+ * * * * *
+
+«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le
+_formulaire d'Alexandre VII_, parce qu'il fut imposé par ce souverain
+pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665.
+
+«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai
+1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et
+condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de
+Cornelius Jansenius, intitulé _Augustinus_, et dans le sens du même
+auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les
+susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les
+saints Évangiles!»
+
+«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les
+archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce
+formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les
+religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction,
+explication ou restriction.
+
+«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est
+le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se
+présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait
+été prescrit un troisième.
+
+«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots:
+_vineam domini Sabaoth_, se borne à condamner ce que l'on appelait le
+_silence respectueux_, c'est-à-dire la prétention des jansénistes, qui
+consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître
+qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que,
+ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était
+point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape.
+
+«La bulle _unigenitus_ du même pontife, en date du 8 septembre 1713,
+contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé:
+_Réflexion morales sur le Nouveau Testament_. Elle ne propose pas, non
+plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au
+jansénisme qui soit émané du Saint-Siége.
+
+«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé:
+_Corps de doctrine_, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de
+France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire.
+On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du
+clergé à cette époque.»
+
+ * * * * *
+
+Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir
+positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui
+qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il
+demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à
+30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la
+Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se
+livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me
+préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux
+formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le
+pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont
+l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il
+ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer
+sa signature.
+
+ * * * * *
+
+(C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce
+qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: _Inauguration de la
+statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale_.
+
+«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au
+stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance
+de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.»
+
+Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les
+notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre
+des sourds-muets.
+
+Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas
+été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de
+moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y
+a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû
+souffrir de la révolution de 93, je me décidai à procéder moi-même à de
+nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux
+Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de
+l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733.
+
+La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de
+ce bienfaiteur de l'humanité à Me Élie de Beaumont, datée du 1er
+février 1779, laquelle commence par ces mots:
+
+«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la
+cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me
+permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles
+appellent _miserabiles personæ_....»
+
+ * * * * *
+
+(D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de
+Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour
+l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843:
+
+ 21 août 1843:
+
+ «MONSIEUR,
+
+«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir
+répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de
+Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai
+qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés
+à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le
+prier d'ordonner des recherches _depuis_ 1712 _jusqu'à_ 1737. Elles
+furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des
+renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets
+l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une
+partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la
+certitude désirable à un fragment de son histoire.
+
+«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard,
+archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que
+par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de
+la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que,
+dans le cas où vous ne relateriez pas ces documents à la suite de votre
+ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments
+précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la _Bibliothèque
+de l'école des chartes_.
+
+«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser
+également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec
+soin dans mes archives.
+
+«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis,
+etc.»
+
+ ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE.
+
+_Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._
+
+23 mars 1736. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de
+Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube).
+
+31 mars 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres
+mineurs et au sous-diaconat.
+
+26 août 1736. Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant
+pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés.
+
+22 septembre 1736. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat.
+
+28 mars 1738. Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de
+Pougy.
+
+5 avril 1738. Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise.
+
+ _Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes)._
+
+ Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190.
+
+ 1736. _Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges._
+
+1e 23 mars 1736
+fº 62, vº
+
+Cura de _Feugiis_ (Feuges.)
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi,
+salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione
+sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube),
+in nostrâ dioecesi, cujus, occurente vacatione, collatio, provisio et
+alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis,
+pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et
+pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti
+Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut
+alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque
+sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et
+donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et
+pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.--Quocircà
+_Mandamus_ notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs
+te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et
+pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis
+ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et
+inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ,
+presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio
+Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in
+presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis.
+
+Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir.
+
+ _Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs
+ et au sous-diaconat_.
+
+ 2e 31 mars
+ 1736
+ même reg.
+ fº 63, rº.
+
+Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs,
+diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet,
+permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri
+episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo
+sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ.
+
+ Ad quatuor minores ordines.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi.
+
+ Ad subdiaconatum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi, sub titulo patrimonii
+approbando.
+
+ _Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour
+ qu'il puisse être promu aux ordres sacrés_.
+
+ 3e 20 août
+ 1736
+ même reg.
+ fº 65, vº.
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam
+instrumento publico coràm Magistris Billeheu et Baptiste, notariis,
+Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto,
+quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius
+uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum
+et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro
+Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi, et ipsorum filio, in titulum
+patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri
+possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex
+tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob
+collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi
+jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re coràm
+Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni
+millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem
+donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius
+Goblain, Parisiis commorantes; nos, proefatam summam 250 liv. annui
+reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, proefatus
+Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs)
+ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus,
+judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister
+de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare
+non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod
+ei strictè sub pænis juris interdicimus.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo.
+
+ _Promotion de Charles de l'Épée au diaconat._
+
+ 4º 22 sept. 1736,
+ même reg.
+ fº 66, rº et vº
+
+Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati
+Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet.
+
+ Ad diaconatum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ dioecesi.
+
+ _Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy_.
+
+ 5º 28 mars 1738,
+ même reg.
+ fº 66, rº et vº
+
+Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi,
+salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti
+Nicolai de Pugiaco (Pougy,--arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ
+dioecesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia
+quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno
+jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens,
+liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri
+Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris
+pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos
+admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus
+et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus
+et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.
+Quocircà _Mandamus_ dilectis nostris canonicis et capitulo proefatæ
+ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario
+apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu
+procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in
+possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et
+præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et
+inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in
+capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu
+assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.
+
+Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò mensis Martii vigesimâ
+octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir,
+presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa
+vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis.
+
+ Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel.
+
+ _Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise_.
+
+ 6º 5 avril 1738,
+ même reg.
+ fº 84, vº et 85, rº.
+
+Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis
+Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet.
+
+ Ad Presbyteratum.
+
+M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ
+collegiatæ de Pugiaco, in dioecesi Trecensi.
+
+Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont
+très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après
+l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste
+de l'Aube, dans les _Actes épiscopaux_ qui furent déposés à la
+Préfecture avant 1793.
+
+ Troyes, le 21 août 1843.
+
+ Signé: COFFINET,
+ Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes.
+
+ * * * * *
+
+(E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité
+impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des
+saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui
+nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car,
+avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne
+sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils
+ne peuvent pas être des saints.
+
+«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre
+devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point
+vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement
+un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore
+qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des
+sourds-muets.
+
+«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri
+des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons
+aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi
+supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église
+catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons
+dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré
+les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le
+dépôt sacré des doctrines.
+
+«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint,
+les bonnes oeuvres étaient communément matière à ostentation;
+cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme
+profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et
+nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre
+qui se crut obligé de lui refuser les cendres.
+
+«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de
+l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes
+ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant:
+le _soleil a ses taches_. Et notre pénible fonction d'historien une fois
+remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne
+foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait
+trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi
+et surtout le Dieu de charité: _Deus caritas est_.
+
+«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public
+des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore
+davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de
+ne pas rester le ministre soumis.»
+
+ (F) _Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à
+ Mlle Blouïn_.
+
+Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à
+tous ceux auxquels il appartiendra, que Mlle Charlotte-Louise-Jacqueline
+Blouïn, native d'Angers, m'ayant été adressée par feu Monsieur Ducluzel,
+intendant de Tours, pour que je lui apprisse à instruire les
+sourds-muets, cette demoiselle a fait, dans cet art, des progrès qui
+ont surpassé mon attente, et que le témoignage que j'en ai rendu,
+lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé Monsieur l'intendant,
+quelques mois après, à m'écrire la lettre suivante, en date du 19
+février 1782:
+
+«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais
+demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation
+pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne
+dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui
+communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas
+assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos
+bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à
+diminuer les malheurs de l'humanité.
+
+«J'ai l'honneur d'être....»
+
+ Signé: DUCLUZEL.
+
+Mlle Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782,
+vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente
+année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée,
+_j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets_, pour lui en
+laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses
+opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de
+personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les
+talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette oeuvre. Je la
+crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel
+sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans
+des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en
+présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque
+de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères.
+
+En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat.
+
+ Paris, ce 11 novembre 1783.
+
+ Signé: l'abbé de L'ÉPÉE.
+
+ * * * * *
+
+(G) _A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets
+de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager_.
+
+ «Ce 17 juillet 1842.
+
+«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des
+professeurs de l'institution, afin de remplir le voeu de M. le
+ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la
+dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie
+de l'invention de l'auteur.
+
+«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode
+nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si
+l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question
+d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau
+mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus
+facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange
+erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce
+n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en
+fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans
+ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des
+doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus
+léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre
+alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla
+atteint un instant par le _Syllabaire dactylologique_ de M. Recoing, qui
+entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel
+divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et,
+cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable
+dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des
+principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait
+cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis.
+
+«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile,
+malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de
+sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un
+alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car,
+indépendamment des vingt-cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y
+trouve des indications représentant une _série de voyelles combinées et
+accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et
+la terminaison d'un grand nombre de mots_. Adoptât-on même aujourd'hui
+cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps
+plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une
+multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer
+la stabilité et la prééminence sur les autres?
+
+«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le
+chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après
+avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications,
+dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans
+presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui
+reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses
+diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la
+typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à
+discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet
+dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la
+généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle,
+de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la
+dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de
+l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au
+point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de
+personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on
+leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes
+ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans
+leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission
+transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille
+dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense
+avantage, d'être adoptée et connue.
+
+«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie,
+il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de
+plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la
+matière, l'idée à sa représentation brute. C'est ce que n'a pu
+comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage
+mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies
+possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité
+et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée.
+
+«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle
+trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et
+même sans objet.
+
+«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect
+et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher
+directeur,
+
+ Votre dévoué serviteur.
+
+ _A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+ l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle
+ dactylologie de M. Charles Wilhorgne._
+
+ «Ce 4 mai 1847.
+
+Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de
+vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen,
+sur _la dactylographie_ ou _sténographie des doigts_, laquelle, suivant
+l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la
+_dactylologie_, l'avantage de rivaliser presque avec la parole
+elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un
+et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord,
+révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos
+écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa
+brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne
+voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans
+nos études. _La dactylographie_ de M. Wilhorgne a pour but,
+non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la
+main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans
+jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de
+mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la
+représentation desquelles sont affectées certaines parties extérieures
+de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son
+nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une
+grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour
+éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord,
+inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main
+après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main
+gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient
+qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de
+transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant,
+toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le
+privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index
+de la droite les indique.
+
+«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure
+sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous
+employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la
+parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même
+que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une
+seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien
+considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux
+que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à
+diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de
+l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la
+préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes.
+
+«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa
+dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce
+qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les
+autres.
+
+«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les
+sourds-muets, _devenus aveugles_, converser avec les autres hommes, au
+moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre,
+par le toucher, les contours rapides de la main _parlante_.
+
+«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère
+mériter que la Commission Consultative en propose l'adoption à M. le
+Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout
+conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines
+personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et
+d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix
+des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la
+dactylologie usuelle des sourds-muets.
+
+«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux
+besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau
+faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront
+toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle
+perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres
+d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un
+signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour
+quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre.
+
+«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou
+dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est
+vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans
+une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la
+dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de
+notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user
+leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires,
+insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue
+et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer
+leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre
+spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens
+d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue
+maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette
+étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels,
+variés, qui les intéresseraient en les y ramenant.
+
+«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de
+philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement,
+tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte
+que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de
+l'utile, ou ce que nous connaissons depuis fort longtemps, ou ce qui,
+en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il
+serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables
+services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles
+ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir
+leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande
+économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on
+charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que
+le temps, à une époque où l'on vit si vite.»
+
+ * * * * *
+
+(H) _Legs d'un sourd-muet._--Un legs fort important a été fait à la
+ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en
+laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette
+ville.
+
+Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de
+300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins
+de soixante mille volumes.
+
+Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret,
+célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique
+plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes
+sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait
+la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était
+animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il
+parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales.
+Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de
+sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au
+moins, son infirmité.
+
+Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la
+validité était contestée par les héritiers. Mme Brongniart, soeur
+de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le
+testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au
+moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur
+de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné
+M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de
+raretés bibliographiques; sa famille les considérait comme des
+prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger
+contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus
+aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la
+ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était
+sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil
+judiciaire.
+
+Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues
+ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour,
+M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non
+seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède
+à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs
+assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque
+sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus
+nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de
+tête et de coeur.
+
+Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations
+préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer;
+mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder
+l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs
+de M. de Montbret.
+
+Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur,
+celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important
+de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple
+expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux
+garanti par le donataire.
+
+Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de
+leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées
+à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à
+la requête de la ville et de Mme Brongniart, sous réserve des droits
+de chaque partie.
+
+ * * * * *
+
+(I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus
+heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21
+novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous
+sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins
+recommandable par ses vertus qu'estimable par ses talents, et qu'il
+avait l'intention d'en assurer la perpétuité.
+
+Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous
+croyons devoir rapporter textuellement:
+
+«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en
+icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du
+désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à
+l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait
+ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus
+propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un
+établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un
+et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et
+que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et
+règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le
+gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il
+y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la
+portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le
+diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs,
+il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit
+arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et
+préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars
+et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires,
+soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient
+sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires
+dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de
+ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de
+l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux
+d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de
+ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que
+le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour
+l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre
+ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir,
+sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres
+évêques du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet
+avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens
+vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et
+principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa
+Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et
+projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires
+pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un
+et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne
+pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses,
+que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins
+de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des
+autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne
+transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au
+couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme,
+d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est
+aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la
+fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur
+archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la
+destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris
+l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses
+intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions
+qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï
+le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné
+et ordonne ce qui suit:
+
+«Art. 1er. Il sera incessamment pourvu à la confection des
+distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement
+des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des
+bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et
+y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur
+faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui
+succéderont à l'avenir.
+
+«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites
+sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés
+par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des
+biens des Célestins du diocèse de Paris, sur les ordonnances du sieur
+archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf,
+lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à
+retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés
+à former la dotation de cet établissement.
+
+«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une
+manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et
+délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur
+abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv.,
+pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et
+de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter
+l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former
+audit enseignement.
+
+«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit
+établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les
+rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et
+affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des
+évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14
+mars 1780 et 1er août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment
+enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en
+conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit
+d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des
+rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains
+en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les
+quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et
+valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit
+sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux
+conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque
+diocèse.
+
+«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera
+fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200
+liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà
+du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus
+en jouir, sous quelque prétexte que ce soit.
+
+«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront accordées
+qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du
+curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera,
+à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et
+seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge
+royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à
+l'admission du sujet dans ledit hospice.
+
+7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il
+en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et
+lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration
+temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence,
+le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des
+redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce
+qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer.
+
+Fait au conseil d'État du roi, etc.»
+
+ * * * * *
+
+(J) _Différence entre les mots_ sourd et muet _et_ sourd-muet.
+
+Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de
+surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait
+habituellement de l'expression _sourd et muet_. Ce n'est que vers la fin
+du dix-huitième siècle que _sourd-muet_ devint le terme consacré.
+
+Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les
+rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et
+l'autre une distinction raisonnée.
+
+La dénomination de _sourd et muet_ suppose deux incapacités distinctes
+et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité
+d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute
+autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole
+humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une
+paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie
+de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de _sourd-muet_ renferme,
+au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de
+telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence
+obligée de celle-là.
+
+En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos
+jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes
+entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent
+pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir
+l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la
+pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut
+amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins
+prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence
+complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de
+la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive,
+exercée?
+
+N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les
+organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les
+ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité?
+
+Le nombre des _sourds et muets_ paraît, en ce moment, si faible
+comparativement à celui _des sourds-muets_, que c'est de ces derniers
+seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et
+que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit
+plus que ces mots: _Institution_ ou _école des sourds-muets_ et non des
+_sourds et muets_.
+
+On a prétendu établir cinq catégories[107] parmi les jeunes sourds-muets
+de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories
+qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme
+incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de
+constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque[108].
+
+ * * * * *
+
+(K) _Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842_.
+
+«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour
+que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire un appel à votre
+concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour
+vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés
+de coeur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de
+Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes
+démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous;
+malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été
+couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour
+l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma
+pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion
+solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de
+mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je
+m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en
+finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que
+j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à
+mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le
+Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres
+sourds-muets!»
+
+ _Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur._
+ «Paris, le 11 décembre 1842.
+
+ Monsieur le ministre,
+
+Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis
+aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter
+l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne
+sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils
+ont l'habitude d'appeler leur _père intellectuel_ qu'en tendant vers
+Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant
+en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un
+portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander
+pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment.
+
+Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau
+représentant _les deniers moments de l'abbé de l'Épée_. Cette oeuvre
+remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène.
+
+Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis longtemps,
+brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à
+ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une
+Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne
+refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant
+l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en
+se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un
+autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous
+avez commandé successivement deux grands tableaux religieux?
+
+Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale
+confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne
+émule.
+
+ Nous sommes, avec le plus profond respect,
+ Monsieur le Ministre,
+ Les très-humbles, etc.
+
+Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre
+de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des
+établissements de bienfaisance;
+
+A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets;
+Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des
+sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville;
+Leroy; Pélissier; Del Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A.
+Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé;
+Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de
+Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart;
+Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale
+des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets;
+Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets,
+remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles;
+Robillard; A. Levassor.
+
+ * * * * *
+
+(L) «_A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+l'Institution royale des sourds-muets de Paris._
+
+ «Paris, ce 14 mai 1845.
+
+ «MONSIEUR,
+
+«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des
+sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de
+l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien
+voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président,
+d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un
+élan spontané de son coeur reconnaissant, offrait à l'Institution
+royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce
+grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement
+que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière
+de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le
+mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet
+établissement.
+
+«Si un voeu de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il
+demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il
+ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la
+disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui,
+d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de
+la vie de l'abbé de l'Épée.
+
+«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au
+bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du
+donateur, et le motif de son offrande.
+
+«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le
+tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39.
+
+«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier
+d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les
+élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de
+leur créateur intellectuel.
+
+«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
+
+ «A. LENOIR.»
+
+ * * * * *
+
+(M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut
+jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
+situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie
+connue sous le nom des _religieux de cet hôpital_ ou de _frères
+pontifes_ ou _constructeurs de ponts_.
+
+Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des
+lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres
+de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces
+religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le _Clos
+du roi_; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et
+portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les
+_frères hospitaliers_.
+
+Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les
+chefs avaient le titre de _commandeurs_, s'éleva en 1519, et fut érigée,
+dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré
+l'opposition des curés du voisinage.
+
+«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris,
+aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et
+de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui
+_disent, chantent et célèbrent_ à haute voix, et avec chants, lesdits
+offices divins, etc.»
+
+En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque
+abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel
+appelé _Hôtel de la reine_, et, plus tard, _Hôtel de Soissons_, sur
+l'emplacement qu'occupaient alors les _Filles repenties_, et où s'élève
+aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent
+s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par
+contre coup, prirent possession de la maison de
+Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur
+patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre.
+
+La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une
+nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du
+quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux.
+
+Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit forcé,
+dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être
+terminée qu'en 1688. _Monsieur_, frère de Louis XIII, en avait posé la
+première pierre, et les libéralités du prince de Longueville
+contribuèrent à son achèvement.
+
+Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en
+1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à
+cette époque, sous le nom de rue des _Deux Eglises_, auquel celui de rue
+de _l'Abbé de l'Épée_ a été récemment substitué, à la demande de
+l'Institution des sourds-muets.
+
+La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement
+l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de
+donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint
+ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se
+maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y
+transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets,
+fondée par l'abbé de l'Épée.
+
+ * * * * *
+
+Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe
+aujourd'hui:
+
+Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son
+portail, lourd et massif, disgracieux à l'oeil, n'offre rien de
+remarquable comme oeuvre architecturale. Les principaux corps de
+logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des
+garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un
+autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle
+des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des
+garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés.
+Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de
+l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant
+fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances
+de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté,
+se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le
+second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces
+trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un
+mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison.
+
+Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question
+donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du
+côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis.
+
+Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il
+y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer
+et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des
+filles, et tombait en ruine depuis long-temps.
+
+L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées
+de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et
+de salubrité désirables.
+
+Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre
+le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette
+cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement
+les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de
+toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont
+l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La
+Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire
+de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son
+feuillage, l'éloquent auteur du _Petit Carême_.
+
+Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un
+quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au
+fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants
+une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se
+plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes
+leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont
+taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes
+de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour
+étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent
+ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en
+jouir.
+
+La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans
+tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est
+abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long
+de la grande façade de la cour règne, au rez-de-chaussée, une galerie
+couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour
+les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques;
+de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les
+hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la
+nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent,
+au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le
+bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un
+atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office.
+
+Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers
+étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer;
+l'autre est en bois.
+
+Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second,
+par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de
+lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et
+quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au
+troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les
+lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des
+lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et
+un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en
+dalles; le reste de l'établissement est parqueté.
+
+Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite _de
+perfectionnement_, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de
+l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en
+classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la
+maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours
+général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on
+appelle le _système de rotation_. L'enseignement comprend les préceptes
+de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de
+géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la
+lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint,
+dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de
+dispositions pour cette double spécialité.
+
+Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon
+est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant lesquels les
+jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on
+leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet.
+
+Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel
+qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de
+plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit
+toujours se composer de six élèves.
+
+Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la
+caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de
+vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont
+sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la
+paume des mains.
+
+Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de
+droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le
+Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand
+tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant
+l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet.
+
+Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette
+inscription:
+
+«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler
+les muets.»
+
+ «Saint-Marc, ch. VII, verset xxxvii.»
+
+A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, oeuvre et
+don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de
+l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant _les derniers moments
+de l'abbé de l'Épée_. A côté, un second autel avec la statue de la
+Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette
+inscription en lettres d'or:
+
+«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie
+et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint
+Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette
+Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de
+Champagny; étant administrateurs, MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de
+Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard.
+
+«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.»
+
+Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux
+jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal.
+
+Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour
+de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique.
+
+Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un
+réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de
+fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un
+perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des
+garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui
+reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans
+l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est
+entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments.
+
+En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans
+l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard
+s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à
+l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le
+jeune sourd-muet connu sous le nom du _comte de Solar_(sujet du drame de
+M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et
+protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le
+jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de
+gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de
+l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et
+de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images
+ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur
+lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, oeuvre
+remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit
+cette inscription:
+
+«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée,
+qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte
+Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des
+24 et 29 juillet 1791.»
+
+Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices, d'où l'on
+descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en
+amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une
+pierre de marbre:
+
+«Mme Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à
+Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des
+sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit
+enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette
+Institution.»
+
+Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription:
+
+«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de
+l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes,
+médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison
+(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son
+testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution
+huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une
+classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites
+en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui
+ont atteint le terme ordinaire des études.
+
+«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir
+de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.»
+
+L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes
+lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une
+tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge.
+Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue.
+
+Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête
+un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur
+leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs.
+
+Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font
+saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service;
+l'autre sert de logement au concierge.
+
+Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier
+pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge
+spéciale de la portière de cette partie de la maison.
+
+La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près,
+en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est
+composée de quatre étages.
+
+Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au
+fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par
+quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un
+gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses.
+
+Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle
+d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le
+second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie;
+le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses
+subordonnées.
+
+L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été
+élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments
+de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit
+plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous
+Philippe-le-Hardi.
+
+Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur
+responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres,
+qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier.
+
+Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des
+professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre,
+celles de bibliothécaire-archiviste).
+
+Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude
+sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est
+fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un
+sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du
+service, un veilleur et cinq hommes de peine.
+
+166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des
+familles.
+
+Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs,
+trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé
+chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une
+maîtresse de dessin, une maîtresse d'écriture, une infirmière, une
+portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette.
+
+ * * * * *
+
+(N) _Le_ 17 _décembre, on lisait dans le_ NATIONAL:
+
+«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée
+au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les
+vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos
+colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu
+poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette
+nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la
+vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau,
+de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.»
+
+ LE SOURD-MUET.
+
+ Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre,
+ Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère,
+ Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir?
+ Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir?
+ Bercé d'illusions, dévoré de rancune,
+ Revêtu de douleur, couronné d'infortune,
+ Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité?
+ Que de maux ont pesé sur notre humanité!
+ Sans doute que, parmi ces brillantes planètes
+ Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes,
+ Un météore horrible, annonçant le malheur,
+ N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur,
+ Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense,
+ Répand dans tous les lieux sa funeste influence.
+
+ Sous cet astre fatal ma mère me conçut;
+ Au cri de mes douleurs mon père me reçut.
+ Le malheur fut mon roi. Le coeur rongé d'envie,
+ Il m'avait attendu sur le seuil de la vie;
+ Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux,
+ Pour la première fois, resplendit à mes yeux,
+ Un plus épais nuage enveloppa mon âme.
+ Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme,
+ Ne vint me convier aux champs de l'avenir.
+ Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr,
+ Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence,
+ Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: _Espérance_!
+ Comme le nautonnier égaré dans les mers,
+ Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers,
+ Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile,
+ Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile,
+ Sur la mer de la vie, à la merci des flots,
+ J'ai vogué tristement à travers bien des maux.
+
+ Du moins, dans son naufrage, une voix le console.
+ C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole;
+ C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant;
+ C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant.
+ Ces vibrations d'air, musique aérienne,
+ Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne,
+ Parlent au nautonnier: sensible à cet accord,
+ Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort.
+ Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense,
+ Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance.
+ Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein,
+ Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain.
+ Dans mot isolement, jamais tendre parole
+ Qui fait bondir le coeur, qui ramène et console,
+ Sur mon âme captive, en sons mélodieux,
+ N'est descendue, hélas! messagère des cieux.
+
+ Hélas! je traversais, sans amis et sans guide,
+ Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride,
+ Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu,
+ Ignorant l'univers, à moi-même inconnu.
+ Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie,
+ Grave inspiration, légère fantaisie,
+ Tous vos dons me manquaient pour exalter mon coeur,
+ Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur.
+
+ Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme,
+ Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme.
+ Je t'ignorais encor, douce religion.
+ Trésor de dévoûment, de consolation,
+ De l'homme malheureux visible Providence,
+ Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance,
+ J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs,
+ Épancher en silence et ses maux et ses pleurs,
+ Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure[109],
+ Écartant les douleurs qui m'agitent encore,
+ Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts,
+ Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois,
+ Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance,
+ Dire l'hymne sacré de la reconnaissance,
+ Et, de la mélodie invoquant les faveurs,
+ Aspirer à cueillir la poésie en fleurs.
+ Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme,
+ Délices de mon coeur, doux écho de mon âme,
+ Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu,
+ Il m'eût fallu te dire un éternel adieu!
+
+ Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée!
+ Mon âme, par sa voix, se relève frappée;
+ Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon
+ Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison;
+ Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière
+ Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière.
+ L'ange de poésie, ange gardien du coeur,
+ Est descendu du ciel m'enivrer de douceur;
+ Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie,
+ Je me suis abrité, devinant le génie:
+ Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux;
+ Il me prête son luth, et nous chantons tous deux.
+ Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme
+ Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme;
+ Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux,
+ Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux.
+ Lui, soudain, agitant sa baguette magique,
+ A mes yeux, fait jaillir un univers mystique,
+ Univers idéal, monde mélodieux
+ Où mille doux échos, comme un essaim joyeux
+ D'esprits aériens, de légères sylphides,
+ Apportent à mon coeur des accents frais, splendides,
+ Des bruits surnaturels, de ravissants accords,
+ L'extase de la lyre et ses vagues transports,
+ Concerts délicieux, musique intérieure
+ Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure.
+ Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin,
+ Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn!
+ Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques
+ Et sème notre ciel d'étoiles poétiques!
+ Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité;
+ Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité;
+ Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère;
+ J'ai senti ton éclat inonder ma paupière;
+ Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers,
+ J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts.
+ Une lyre à la main, guidé par ton génie,
+ J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie,
+ Céleste volupté! charmante illusion!
+ Et, soudain, au flambeau de l'inspiration,
+ Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses,
+ J'ai secoué mon aile aux pures jouissances.
+ Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor,
+ Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor
+ S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes,
+ Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes,
+ Va là-haut contempler l'astre de l'univers;
+ Long-temps se balançant dans l'empire des airs,
+ Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages,
+ Il monte, monte encor par dessus les nuages!
+
+ Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix,
+ Pour immortaliser le héros de mon choix,
+ Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire,
+ Si jamais je pouvais demander à ma lyre
+ Des vers heureux, échos d'infinis sentiments,
+ C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants.
+ Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance.
+ Mes succès seraient doux et mon ivresse immense.
+ De quel nom te nommer, mon second créateur,
+ Et sur quel piédestal un transport de mon coeur
+ Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire,
+ Perpétuer ton oeuvre et venger ta mémoire?
+ O tendre de l'Épée, ange de charité,
+ Sois à jamais béni dans la postérité!
+ Ton génie immortel, vainqueur de la nature,
+ Concevant l'impossible, a comblé la mesure
+ De l'abîme profond où m'avait relégué
+ Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué.
+ Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime,
+ Je redirai toujours ton dévoûment sublime.
+
+ PÉLISSIER, de Gourdon (Lot),
+
+ Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris.
+
+ * * * * *
+
+(O) _A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés._
+
+ «MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
+
+Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre voeu
+relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir
+leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous
+offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait
+cette oeuvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le
+baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand,
+Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé,
+chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles
+des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société centrale
+des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire.
+L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de
+votre assentiment.»
+
+ * * * * *
+
+(P) _Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M.
+Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838._
+
+«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon
+frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des
+sourds-muets.
+
+«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de
+lui élever un monument durable comme ses bienfaits.
+
+«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du
+monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de
+l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un
+piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un
+livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets!
+
+«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui
+soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je
+veux seulement signer mon oeuvre de mon nom de frère d'un sourd-muet.
+
+«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!»
+
+ _Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à
+ M. Alphonse Lenoir._
+
+«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de
+m'associer à l'oeuvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à
+l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets.
+
+«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement.
+Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du
+monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et
+aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un
+médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les
+principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile!
+
+«Agréez mes embrassements de frère!»
+
+ * * * * *
+
+(Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et
+Auguste Préault, statuaire.
+
+ DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS
+
+ _Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch,
+ à la mémoire de l'abbé de l'Épée._
+
+ PREMIER PROJET.
+
+ _Monument_.
+
+ La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.)
+ de hauteur. 9,000 f. 00 c.
+
+ Le piédestal et tous ses accessoires. 3,020 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ -----------
+ Total du monument. 12,220 f. 00 c. ci. 12,220 f. 00 c.
+ ------------
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 18,081 f. 00 c.
+ ============
+
+ DEUXIÈME PROJET.
+
+ _Monument_.
+
+ Un buste en bas-relief. 6,500 f. 00 c.
+
+ Colonnes, consoles et tous autres
+ accessoires. 11,035 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ ------------
+ Total du monument. 17,735 f. 00 c. ci. 17,735 f. 00 c.
+ ------------
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 23,596 f. 00 c.
+ ============
+ TROISIÈME PROJET.
+
+ _Monument._
+
+ Un buste et deux petites figures. 10,500 f. 00 c.
+
+ La pyramide. 600 00
+
+ Le piédestal et tous les ornements 5,120 00
+
+ Gravure des inscriptions. 200 00
+ -------------------
+ Total du monument. 16,420 f. 00 c. ci. 16,420 f. 00 c.
+ ===================
+
+ Décors de la chapelle. 5,861 00
+ ------------
+ Total général. 22,281 f. 00 c.
+ ============
+
+ DESCRIPTION.
+
+Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée,
+aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar
+des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait
+fermée par un anneau.
+
+Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage
+mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets.
+
+Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un
+philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par
+quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre
+tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement,
+puis entre eux et la société dont ils étaient séparés.
+
+Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment,
+serait représenté par la croix placée au-dessus.
+
+Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de
+marbre noir.
+
+La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre les deux
+enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la
+première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes
+employés par les sourds-muets.
+
+ DEVIS DES TRAVAUX.
+
+ _Maçonnerie._
+
+ La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux
+ hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut,
+ estimée. 15 00
+
+ La fouille pour ledit déblai et sortie des terres,
+ estimée. 4 00
+
+ Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20
+ de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur,
+ produit en cube. 0 513
+
+ La taille des parements en trois sens, 2,10, sur
+ 0,75 de haut, produit. 2 00
+
+ La double taille pour le dégagement du socle et
+ de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut,
+ produit. 1 50
+
+ Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40
+ développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent. 2 8
+
+ Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et
+ 0,45 d'épaisseur, produit. 0 851
+
+ Les parements en trois sens, 2,00 développés sur
+ 1,80 de haut, produisent. 3 60
+
+ Les doubles tailles pour le dégagement des figures
+ et des saillies de moulures, évaluées à. 10 00
+
+ Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur
+ 0,60 de profil, produisent. 1 080
+
+ Les moulures de couronnement, ensemble 3,10,
+ sur 1,50 de profil, produisent. 4 65
+
+ Les différentes tailles au petit socle qui porte le
+ buste et le dégagement des consoles, évaluées à 2 00
+
+ _Résumé de la maçonnerie._
+
+ 1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix,
+ pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et
+ joints, bardage et double transport, entrée difficile,
+ et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. 170 f. 50 c.
+
+ 19,100 m. superficiels de tailles de parements layés,
+ et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. 119 39
+
+ 8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées
+ et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le
+ mètre. 73 18
+
+ Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble
+ à. 19 00
+ ---------
+ Total de la maçonnerie. 382 f. 05 c.
+ =========
+
+ _Marbrerie._
+
+ Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 = 0,224
+
+ Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 = 0,027
+ -----
+ 0,251
+ Déchets, 1/10e. 0,025
+ -----
+ Total. 0,276
+ =====
+
+ A raison de 60 fr. le mètre, produit. 16 f. 56 c.
+
+ 400 lettres, à 25 fr. le cent. 100 00
+
+ L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre. 8 28
+
+ Le transport et la pose. 5 00
+ ---------
+ Total. 129 f. 84 c.
+ =========
+
+ _Sculptures d'ornements._
+
+ Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60
+ de long. 60 f. 00 c.
+
+ Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c.
+ de longueur. 80 00
+
+ Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c.
+ chaque, valent 200 00
+ ---------
+ Transport. 340 f. 00 c.
+
+ Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c.
+ 0,25 de haut 300 00
+ Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la
+ croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. 120 00
+ Pour l'établissement des modèles 210 00
+
+ Total 970 f. 00 c.
+ =========
+
+ _Statuaire et bronzes._
+
+ Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé
+ de l'Épée et de deux jeunes muets 5,168 f. 11 c.
+ -----------
+ Total 5,168 f. 11 c.
+ ===========
+
+ _Résumé général._
+
+ Maçonnerie 382 f. 05 c.
+ Marbrerie 129 84
+ Sculpture d'ornements 970 00
+ Statuaire et bronze 5,168 11
+ -----------
+ Total 6,650 f. 00 c.
+
+ Honoraires de l'architecte et frais de direction... 350 00
+ -----------
+ Total général.... 7,000 f. 00 c.
+ ===========
+
+ Le présent devis dressé par l'architecte soussigné.
+ Paris, 1er mai 1840.
+
+ Signé: LASSUS, architecte;
+ AUGUSTE PRÉAULT, statuaire;
+ BERNARD, marbrier;
+ FRÉMY, maçon;
+ PYANET, sculpteur ornemaniste.
+
+ Les soussignés:
+
+1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº
+2;
+
+2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place
+Furstemberg, nº 9;
+
+3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue
+Vanneau, nº 12;
+
+4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue
+d'Enfer, nº 100;
+
+Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue
+Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet
+adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de
+l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet
+architecte, lequel devis s'élève:
+
+ 1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de.. 5,168 f, 11 c.
+ 2º Pour la sculpture d'ornements, à 970 00
+ 3º Pour la maçonnerie, à.. 382 05
+ 4º Pour la marbrerie, à 129 84
+ -----------
+ Total général.... 6,650 f. 00 c.
+ ===========
+
+s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire,
+bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui
+le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la
+commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et
+sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces
+travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un
+mémoire, qui sera vérifié et réglé.
+
+Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les
+travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et
+devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux
+travaux que l'on pourrait juger convenable de faire dans la chapelle où
+l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter
+la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux
+projets et devis.
+
+La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera
+déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre
+restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le
+président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité.
+
+ Paris, le 1er mai 1840.
+
+ Signé: _Lassus_, architecte; _Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet_.
+
+Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à
+élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr.,
+total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la
+commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et
+bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le
+Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter
+les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission
+de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne
+serait pas atteint.
+
+ Paris, le 1er mai 1840.
+
+ Signé: _Auguste Préault_.
+
+ * * * * *
+
+(R) _Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de
+Versailles.--Séance du 14 novembre 1839._
+
+Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la
+reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est
+parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent
+l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait
+pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet
+apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de
+lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal
+en donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des
+Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à
+toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui
+décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la
+galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont
+pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les
+services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils
+ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont
+adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce
+magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande
+votre sanction.
+
+Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos
+concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner.
+
+Cette sanction est accordée à l'unanimité.
+
+ * * * * *
+
+(S) COMMISSION POUR LE MONUMENT
+
+ A ÉLEVER
+
+ A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE.
+
+ Souscription. -- Prospectus
+
+Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste
+orgueil, au nombre de ses enfants est _l'abbé de l'Épée_, qui, animé par
+la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel,
+donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là, les
+mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres
+hommes.
+
+Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la
+mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir
+pour ses compatriotes.
+
+Un artiste distingué, M. MICHAUT (des Monnaies), en a formulé la pensée
+dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et
+apprécié son oeuvre; ils ont élu une commission chargée d'en
+surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en
+assurer le succès.
+
+Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le
+souvenir de _l'abbé de l'Épée_, représentera ce grand homme au moment où
+il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel,
+expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a
+inspirée.
+
+Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans
+la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis
+par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement
+désirer l'exécution en grand de cette oeuvre d'art, si noblement
+conçue.
+
+M. MICHAUT, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite
+de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher
+un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense.
+
+La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son
+projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services
+rendus par _l'abbé de l'Épée_, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y
+répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais
+encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette
+bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au
+génie, que de payer la dette de la reconnaissance.
+
+La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs,
+multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a
+décidé que:
+
+1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 1/2 millimètres (30
+lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme
+de vingt francs;
+
+2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en
+argent, en préviendraient la commission;
+
+3º La commission publierait successivement la liste des
+souscripteurs.--Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la
+statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi.
+
+En conséquence, une souscription est ouverte:
+
+Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand,
+à Versailles;
+
+Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon,
+Guénin, Schneider, Tourain, à Paris;
+
+Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires
+de chaque arrondissement;
+
+A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et Ce., banquiers
+à Paris.
+
+Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission
+soussignés:
+
+_Président_, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et
+ancien maire de Versailles;--_Vice-Président_, M. l'abbé Caron, ancien
+professeur de l'Université;--_Secrétaire_, M. E. Baudard de
+Sainte-James;--_Vice-secrétaire_, M. Besnard, notaire, membre du Conseil
+municipal;--_Trésorier_, M. Gauguin, receveur municipal;--_Membres_, MM.
+Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles;
+vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien
+député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps,
+vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin
+de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal;
+Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur
+de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier,
+peintre paysagiste.
+
+ IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE
+ LA SOCIÉTÉ.
+
+Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance
+de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre
+plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui
+figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner
+une copie exacte à nos lecteurs:
+
+«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des
+Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver
+à Chartres.
+
+»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan,
+sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand
+étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre
+mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été
+extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il
+lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit
+entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre
+mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les
+paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans
+les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le
+silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore
+qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur
+son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur
+l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas
+avoir poussé ses pensées jusque-là; quoiqu'il fût né de parents
+catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se
+mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit
+jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les
+autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était
+que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement
+animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées
+qu'il recevoit par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de
+ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas
+qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du
+commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense
+qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs;
+le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce
+réciproque. (_Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag.
+18_.)
+
+L'abbé de L'ÉPÉE.»
+
+
+
+
+SOUSCRIPTION
+
+AU
+
+MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.
+
+
+(T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,
+
+ Le roi LOUIS-PHILIPPE 300 fr.
+
+MM. Aubernon, pair de France, préfet de
+ Seine-et-Oise, président d'honneur de la commission du monument 100
+
+ Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de
+ idem 100
+ L'abbé Caron, vice-président de idem 100
+ De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de
+ idem 20
+ Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem 20
+ Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem 20
+ Rémilly, député et maire, membre de idem 50
+ Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem 40
+ Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem 20
+ Taphinon, conseiller de préfecture, idem 10
+ Lebrun, directeur de l'école normale, idem 20
+ Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem 10
+ Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem 20
+ Boisselier, peintre paysagiste, idem 5
+ Battaille, docteur en médecine, idem 20
+ Marquis de Sémonville, idem 500
+ Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de
+ Versailles, idem 200
+ Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet, 1
+ Grégoire, id. .id 4
+ Foucque, id. id. 1 50
+ Dubois, .id .id 10
+ Lefébure, .id .id 5
+ De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris 20
+ Ed. Morel, professeur de .id 10
+ Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id 5
+ Sellier, chef d'atelier, à .id 5
+ Desportes, .id 5
+ Jourdain, .id 5
+ Girault, .id 5
+ Léon Vaisse, professeur, .id 40
+ Lecoq, .id 5
+ Lenoir, .id 10
+ Langlois, chef d'atelier, .id 5
+ Allibert, aspirant, .id 3
+ Mlle Barbier, professeur, .id 10
+ Mlle Morel, .id .id 10
+ Mlle F. Auber, répétitrice, .id 5
+ Mlle E. Ferment, professeur, .id 10
+ Mlle Roger, .id .id 5
+ Mlle Legay, aspirante, .id 5
+ Mlle Alleton, monitrice, .id 5
+ Mlle Meunier, .id .id 3 50
+ Mme Nysten, maltresse d'étude, .id 3
+ Mlle Wiser, .id .id 3
+ Mme Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes 5
+ Mme Lafargue, maîtresse de dessin, .id 5
+ Leforestier, aumônier, .id 5
+ Menière, médecin, .id 5
+ Taupier, maître d'écriture, .id 5
+ Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris, 28 90
+ Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution
+ des sourds-muets de Paris, 20
+ Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli, 5
+ Mamès Dourgnon, son cocher, 5
+ Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de
+ l'Institution nationale de Paris, 20
+ Allonor, serrurier, sourd-muet, 5
+ Alavoine, horloger, .id 5
+ Aucher, chapelier, .id 1 50
+ Audibert, cordonnier, sourd-muet, 8
+ Bejat, nacrier, .id 2
+ Bloïn, fondeur, .id 2
+ Bouly, employé, .id 1
+ Breüer, serrurier, .id 5
+ Brejillon .id 1
+ Chabot, orfèvre, .id 2
+ Choquet, imprimeur, .id 3
+ Contremoulin, employé, .id 25
+ Crispaille, brossier, .id 2
+ Daudin, fondeur, .id 2
+ Delarue, manufacturier, .id 2
+ Delille, maçon, .id 1
+ Deruez, employé, .id 5
+ Deschenes, rentier, .id 5
+ Dorel, relieur, .id 2
+ Doumic, imprimeur, .id 5
+ Dubois, de l'île de Ré, .id 5
+ Ducornoy, ébéniste, .id 3
+ Dumont, tailleur, .id 1
+ Emeux, bottier, .id 15
+ Fèvre, imprimeur, .id 10
+ Franclet, tourneur, .id 3
+ Fontaine .id 5
+ Filleron, peintre, .id 2
+ Frédéric, grainier, .id 3
+ Galbois .id 1
+ Gamble, graveur, .id 3
+ Gevold .id 1 50
+ Gonet, bijoutier, .id 2
+ Gouttebarge, employé, .id 5
+ Graize, imprimeur, .id 5
+ Guillaume, orfèvre, .id 3
+ Barielle, imprimeur, .id 5
+ Hennequin, dessinateur, .id 5
+ Joulin, tailleur, .id 1
+ Jumentier, peintre, .id 2
+ Knecht, sellier, .id 2
+ Lavaud, marinier, .id 1
+ Legras, fleuriste, .id 2 50
+ Levert, ciseleur, sourd-muet 3
+ Levite, tailleur, .id 1
+ Lhuillier, tailleur, .id 1 50
+ Mairet, sellier, .id 2
+ Maloisel, tourneur, .id 5
+ Mauviel, libraire, .id 2
+ Metais, employé, .id 2
+ Michel, pâtissier, .id 2
+ Michel, employé, .id 3
+ Mondlange, graveur, .id 5
+ Mullot, imprimeur, .id 2
+ Nicolas, souffletier, .id 2
+ Nogaret, tailleur, .id 1
+ De Nogent, propriétaire, .id 10
+ Nonnen, rentier, .id 10
+ Page, employé, .id 5
+ Pagez, dessinateur, .id 5
+ Pasly, employé, .id 25
+ Pollet, nacrier, .id 5
+ Quentin, tailleur, .id 2
+ Quinsard, cordonnier, .id 5
+ Richard, ébéniste, .id 1
+ Richard, serrurier, .id 1
+ Robert .id 2
+ Roche, imprimeur, .id 2
+ Romain, imprimeur, .id 5
+ Romanet (le comte de), .id 25
+ Romiguière, imprimeur, .id 5
+ Savaton, cordonnier, .id 3
+ Trovalet, tailleur, .id 2
+ Verlet, papetier, .id 2
+ Vincent, tourneur, .id 5
+ Wallon, mosaïcien, .id 5
+ Brocheton (le docteur), 10
+ Boyd, de Ceylan 20
+ Boyd Dundas 20
+ Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise 50
+ Fasman, artiste peintre, à Versailles, 5
+ Fessard, propriétaire, 10
+ Lenud (le colonel) 10
+ Loz de Beaucours 20
+ Noble (le docteur) père 10
+ Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles, 30
+ Petit, architecte de la ville de Versailles, 10
+ Savouré 5
+ Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles, 50
+ Veytard, ancien capitaine, de Versailles, 20
+ Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles, 10
+ Ed. Tassin de Villiers, 5
+ L'Évêque de Versailles, 100
+ Chabin, entrepreneur de pavage, 10
+ Binart, entrepreneur de menuiserie, 5
+ Decret, garde du génie, 5
+ Michel, colonel de la garde nationale de Versailles, 5
+ Denis fils, entrepreneur de serrurerie, 5
+ Tîssot, entrepreneur de maçonnerie, 20
+ Cormué fils, entrepreneur de peinture, 5
+ Lambert-Baudry, propriétaire, 5
+ Bardet, entrepreneur de couverture, 5
+ Membré, chef d'institution, à Versailles, 5
+ Francolin aîné 20
+ Angouillant, entrepreneur de maçonnerie, 10
+ Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles, 80
+ Rendu, conseiller de l'Université, 20
+ Wartel, artiste de l'Opéra, 10
+ Odout 10
+ Périchot, conseiller municipal de Versailles, 5
+ De Reboul Berville 5
+ Lebeau, entrepreneur de peinture, 5
+ Bourgeois, marchand tapissier, 2
+ Mathieu (le colonel) 5
+ Paumier 5
+ Delorme 10
+ Bléry 5
+ Dupont (le chevalier) 5
+ Christophe (le général) 20
+ Louvet 5
+ Mazuel 5
+ Lemazurier (le docteur) 5
+ Lebert 20
+ Valery, bibliothécaire du château de Versailles, 10
+ Me Haussmann 20
+ Vollot 5
+ D'Hastrel (le général) 20
+ Lemoine, notaire, 5
+ Marchand, idem 20
+ Gady, ancien juge, 20
+ De Saint-Cyr 5
+ Un officier de la garde nationale de Versailles.. 2
+ Un clerc de notaire 1
+ Mme de Breuilly 5
+ M. Gr*** 50
+ Legendre 5
+ Guillemot 5
+ Un petit clerc 25
+ Mme Boullé 20
+ Mme Guillemot 5
+ Ledoux-Leroy 20
+ Croiset, receveur de l'hospice de Versailles, 5
+ Lepoitevin, architecte, 10
+ Hamouy, coiffeur, 2
+ Théry, propriétaire 3
+ Morel, marchand tapissier, 5
+ Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles, 30
+ Horeau, architecte, 10
+ Mlle Giraud-Chaudra 5
+ Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles 40
+ Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles, 5
+ Bailly de Villeneuve 5
+ Haley (de Londres) 5
+ Morel jeune 5
+ Berthod, professeur au collège royal de Versailles, 2
+ Merlin (le général baron) 5
+ Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie
+ de Versailles 21
+ Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse, 20
+ Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles 20
+ Devouges, inspecteur, .id 10
+ Levieil, contrôleur principal, .id 5
+ De Poiféré, contrôleur, .id 5
+ Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain, 5
+ Dubois, .id .id id. à Meulan, 5
+ Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes, 5
+ Salerne, .id .id id. 5
+ Michelin, .id .id à Pontoise, 5
+ Soulas, .id .id à Gonesse, 5
+ Delahaytrée, .id .id à Luzarches, 5
+ Fechez, .id .id à Corbeil, 8
+ Dubois, .id .id id. 5
+ Odoard, .id .id à Etampes, 5
+ Crosse, .id .id à Rambouillet, 5
+ Thomas, .id .id à Dourdan, 5
+ Dahirel, surnuméraire, à Versailles 3
+ Tellot, aspirant .id 3
+ De Doudeauville (le duc) 20
+ De Praslin (le duc) 20
+ De Bastard (le baron) 20
+ Camille Perrier 20
+ Guéneau de Mussy 20
+ De Gérando (le baron) 20
+ Rendu (le baron) 20
+ La société archéologique de Rambouillet 20
+ La société d'Agriculture de Seine-et-Oise 100
+ La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise 20
+ L'archevêque de Bourges 50
+ Le Chapitre métropolitain de Bourges 40
+ Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes, 20
+ Coster, ingénieur en chef, au Puy, 25
+ Bouchitté, professeur, 5
+ Le curé de Saint-Louis, à Versailles 20
+ Mlle Laloua, peintre, 5
+ M. Gringoire
+ Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles
+ Barthe, chef d'institution, à Versailles
+ Huvé, ancien notaire
+ Corneille, propriétaire, 0
+ Boulanger, marchand papetier, 5
+ Lenoble, notaire à Versailles, 20
+ Les clercs de son étude 25
+ Gerdolle 20
+ Pesse-Remont 10
+ Nourtier, juge de paix, 10
+ Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix, 10
+ De Larochefoucauld (le duc) 20
+ Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville
+ par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux
+ de Versailles 284 75
+ Blanc, aumônier de l'École normale 5
+ Anquetil, professeur de .id 5
+ Peyré, .id .id 5
+ Philippar, id. .id 5
+ Deschamps, .id .id 5
+ Aubry, .id .id 5
+ Vitry, médecin, 5
+ Auger, instituteur, 3
+ Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire, 2
+ Stoos, idem 2
+ Les élèves maîtres 30
+ La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles 30
+ Collet, vicaire de Notre-Dame, 10
+ Morand 19 50
+ H. de B. 100
+ Le Bourgeois, notaire au Havre, 5
+ Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre, 5
+ Anry, courtier de commerce, idem 5
+ Lacour, avoué, au Havre, 25
+ Pipereau, .id 25
+ Mme Borel 5
+ L'évêque de Dijon 20
+ Droz, de l'Académie française, 20
+ L'évêque de Saint-Brieux 50
+ Le marquis Théodore Duprat 5
+ La chambre de commerce de Marseille 100
+ Le ministère de l'ºintérieur 3000
+ Tavernier, négociant, à Paris, 25
+ Delapalme, notaire, idem 5
+ Un anonyme 5
+ Genain, sourd-muet, 2
+ Bazin, .id 5
+ Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet, 20
+ Queilhe, .id 4
+ Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id 20
+ Boulard, .id 10
+ Gers, sourd-muet 20
+ Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id 10
+ Portal, sourd-muet 10
+ Chalumeau, .id 4
+ De Duras (la duchesse) 20
+ Pelmer 5
+ Bruère 20
+ Un anonyme 20
+ Institut des sourds-muets de Zurich. 50
+ Duhamel, juge suppléant, à Versailles, 20
+ Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des
+ sourds-muets de Paris 66
+ Steinnhouwer 5
+ Oudet, juge de paix, 5
+ Aubertin 3
+ Le baron Dennée, intendant militaire, 20
+ L'abbé Van den Hecke 10
+ Griolet (Ernest), sourd-muet, 10
+ Imbert (Jules), .id 2 50
+ Loustau, peintre, .id 5
+ Levassor, .id .id 10
+ Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id 5
+ Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet 5
+ Verrier (Gustave), .id 50
+ Laroucault, .id 5
+ Dumont (Félix), .id 1
+ Chalumeau, .id 2
+ Badolle, .id 5
+ Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets
+ de Bordeaux 10
+ Haacke, sourd-muet, 2
+ Damien, .id 2 50
+ Greux, .id 2 50
+ Convert, .id 2
+ Fouret, .id 2
+ Sainton, .id 2
+ Saverot, .id 5
+ Laurent (Edmond), à Blois, .id 20
+ Trézel, .id 2
+ Bézu, peintre .id 2
+ Letellier, négociant 3
+ F. de Jouvencel, maître des requêtes et député, 10
+ Néglet, architecte, 5
+ Le baron de Stassart, sénateur belge 10
+ Le comte d'Epinay Saint-Luc 20
+
+
+
+
+
+
+
+
+FIN DES NOTES.
+
+
+
+
+TABLE DES CHAPITRES.
+
+Chapitre I 7
+
+Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.--Abandon général.
+--Quelques efforts tentés en leur faveur.--Ils échouent, faute
+d'ensemble.--Naissance de l'abbé de l'Épée.--Sa vocation pour l'état
+ecclésiastique.--Le formulaire d'Alexandre VII.--Il refuse de le
+signer.--Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du
+diaconat.--Il devient avocat et prête serment le même jour que M. de
+Maupeou.--Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du sacerdoce.
+
+Chapitre II 14
+
+Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.--Sa tolérance.--Ses rapports avec
+le protestant Ulrich.--Ses voeux en faveur des juifs.--Son abnégation,
+son humilité.--Ses relations avec un évêque janséniste, qu'il rend
+dépositaire de son adhésion à la bulle =Unigenitus=--On lui interdit le
+ministère de la parole et celui de la confession. --On lui refuse les
+cendres.--Sa réponse à un prêtre intolérant. --Vengeance
+sublime.--Commencement de son apostolat.
+
+Chapitre III 20
+
+Deux soeurs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine
+chrétienne.--La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé de
+l'Épée se résout à continuer son oeuvre.--Théorie du langage des
+gestes.--Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.--Ses
+premières tentatives.--Objections des philosophes et des
+théologiens.--Réponses victorieuses à ces objections.--Important avis du
+R. P. Lacordaire.
+
+Chapitre IV 28
+
+Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les
+hommes de sa spécialité.--Publication de ses divers travaux sous le
+voile de l'anonyme.--Succès de ses séances publiques.--Intérêt que lui
+portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.--Sa réputation
+grandit avec son zèle.--Exercices en français, en latin, en italien, en
+espagnol, en anglais.--Quelques taches éparses dans l'ensemble de son
+système.--Puériles décompositions grecques et latines.
+
+Chapitre V 35
+
+Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des
+idées métaphysiques?--Divers essais infructueusement tentés pour arriver
+à une écriture universelle.--Descartes et Leibnitz ne croient pas à la
+possibilité d'un succès.--M. de Lamennais est d'un avis contraire.--La
+fusion de toutes les langues en une seule, si elle était possible,
+serait-elle durable?--La mimique est la seule langue
+universelle.--Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste et le
+fixer sur le papier comme on y fixe la parole.--Sa MIMOGRAPHIE.
+
+Chapitre VI 40
+
+Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.--A quel hasard en est
+due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de
+l'Épée.--Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin
+sur cette spécialité.--Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.--Quelques
+ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.--Sourds-muets
+parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. --Succès qu'avait
+déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, un juif
+portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement notre
+célèbre instituteur.
+
+Chapitre VII 45
+
+L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte
+à 1620.--Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux
+mains, pareil à celui de nos collèges.--Plusieurs instituteurs
+d'Allemagne n'en emploient aucun.--Difficulté pour les
+commencements.--Notre dactylologie se popularise en France. --Ses
+avantages.--Quelques-unes de ses règles.--Son utilité pour les
+parlants.--Son usage dans les ténèbres.--Elle est inférieure à la
+mimique.--Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. --Justification
+du célèbre instituteur par lui-même.--Exposé de sa méthode.--Attaque du
+sourd-muet Saboureux de Fontenay.--L'abbé de l'Épée offre d'être jugé
+contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est
+déclaré supérieur au sien.
+
+Chapitre VIII 54
+
+Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en
+Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+Italie.--Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola, de
+Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro de
+Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro,
+de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory,
+de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de
+Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de
+Jacob Rodrigues Pereire. --Succès brillants des deux derniers à
+l'Académie des sciences de Paris.--Pension de Louis XV au second.--Il le
+nomme son interprète pour les langues espagnole et portugaise.--Sa
+tolérance religieuse.--Secret absolu recommandé à ses élèves.--Il offre
+de vendre sa méthode au gouvernement.--Lettre de la sourde-muette Mlle
+Marois.--Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret.
+
+Chapitre IX 65
+
+Avènement de l'abbé de l'Épée.--Rivalité de l'abbé Deschamps.--Son cours
+élémentaire.--Il est combattu par le sourd-muet Desloges, ouvrier
+relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet, domestique
+d'un acteur de la Comédie-Italienne.--L'abbé de l'Épée devient le
+confesseur de ses enfants d'adoption.--L'empereur Joseph II lui sert la
+messe.--Il amène dans son établissement sa soeur la reine
+Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le priant de le
+mettre à même de populariser sa méthode dans ses États.--Lettre de ce
+prince à l'abbé de l'Épée.
+
+Chapitre X 70
+
+Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.--L'abbé de
+l'Épée intervient.--Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal, de
+St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.--Abstention générale, à
+l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa faveur.--Nouvelle
+attaque de M. Nicolaï de Berlin.--Nouvelle victoire de l'abbé de
+l'Épée.--Condillac se prononce pour lui.--Extension trop grande donnée à
+la parole artificielle du sourd-muet.--Opinion de l'abbé de l'Épée sur
+ce sujet.
+
+Chapitre XI 75
+
+Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.--Sa soutane usée.--Presque
+octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+rigoureux.--Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet
+Léopold Loustau.--Il refuse un évêché en France et une abbaye en
+Allemagne.--Belles réponses à Joseph II et à Catherine de
+Russie.--Paroles mémorables.--Il ne demande qu'à instruire des
+sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous les
+pays.--Son désintéressement, ses sacrifices.--Louis XVI redoute d'abord
+son jansénisme.--Plus tard, il accepte le patronage de son école, en
+autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et lui assigne
+une rente annuelle sur sa cassette.--La mort ne permet pas à l'abbé de
+l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau local.--Statistique
+des pensions de sourds-muets et de sourdes-muettes, existant à cette
+époque à Paris.--Son école à un second étage de la rue des Moulins.--Sa
+maison de campagne à loyer, rue des Martyrs.--Scènes attendrissantes.
+
+Chapitre XII 85
+
+Episode du jeune comte de Solar.--Un sourd-muet, de douze à treize ans,
+trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis à
+l'Hôtel-Dieu de Paris.--Quelques souvenirs confus.--Enlèvement et
+abandon.--Appartient-il à une famille riche?--Note envoyée à toutes les
+maréchaussées de France.--Étrange visite à l'Hôtel-Dieu--Le sourd-muet
+en est retiré et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.--Une
+confusion de personnes.--Nom de Joseph substitué à celui de Louis
+Leduc.--Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.--Découverte de la
+demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse. --Un trait de lumière.
+
+Chapitre XIII 92
+
+L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la
+Providence--Menaces dont il est l'objet.--L'autorité le
+protège.--Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar. --Voyage du
+célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont, en Beauvoisis, sa
+ville natale.--Nouvelles reconnaissances. --Joseph se rappelle une
+cicatrice de son père.--Il est reconnu par son grand-père, mais sa
+soeur hésite d'abord. --Une démarche auprès du duc de Penthièvre--Elle
+réussit. --Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar.
+--Le paiement en est bientôt suspendu.--Pourquoi.--Curieuse lettre de
+l'abbé de l'Épée.--Le premier semestre de la pension est payé.
+
+Chapitre XIV 101
+
+Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé
+la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à Toulouse et
+amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains. --Ses moyens de
+défense.--Il demande à être transféré, avec le sourd-muet, partout où la
+justice croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir
+l'affaire.--Cette requête est jointe au fonds; on refuse son
+élargissement provisoire, ainsi que le transfert de l'enfant et de sa
+soeur sur les lieux.--Enfin, une sentence du Châtelet déclare Joseph
+fils du comte de Solar, reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie
+absous.--Commentaire des juges.
+
+Chapitre XV 108
+
+Lettre de l'abbé de l'Épée à Me Élie de Beaumont, défenseur de
+Cazeaux.--Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de
+Joseph et du comte de Solar.--Particularités remarquables. --Détails peu
+édifiants sur la mère du sourd-muet.--Réponse de Me Tronçon-Ducoudray à
+l'abbé de l'Épée.--Extrait mortuaire constatant, à son avis, le
+décès.--L'illustre avocat modifie, plus tard, son opinion.--Ses aveux à
+M. Bouilly, auteur du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--Confirmation de la
+sentence du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre,
+un supplément d'enquête et d'instruction.
+
+Chapitre XVI 116
+
+Foi robuste de l'abbé de l'Épée.--Ses occupations et ses infirmités ne
+lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses au midi
+de la France--Diverses personnes intéressées dans l'affaire prennent la
+même direction.--Recherches longtemps infructueuses.--Joseph ne se
+reconnaît nulle part, pas même en présence de la tombe de son père.--On
+en exhume une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a
+arrachée à Joseph.--Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.--Parti qu'en
+tire le défenseur de Cazeaux.--Contradictions palpables, graves
+accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et contre
+les divers témoins qui déposent en sa faveur.--Nouvelle sentence
+confirmative du Châtelet.
+
+Chapitre XVII 122
+
+Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+l'Épée.--Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence.
+--Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et l'abbé de
+l'Épée.--Les parlements sont détruits par la révolution.--Le nouveau
+tribunal de Paris casse le jugement rendu en faveur du pauvre
+délaissé.--Sans appui, sans famille, sans ressource, l'ex-comte de Solar
+s'enrôle dans l'armée républicaine et meurt, suivant les uns, sur un
+champ de bataille, selon d'autres, dans un hôpital.--Son interprète, le
+sourd-muet Didier, suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.
+
+Chapitre XVIII 132
+
+Coup d'oeil rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.--Est-ce une
+aventure réelle on un roman historique?--Bonne foi, conviction de l'abbé
+de l'Épée.--Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur à
+Cazeaux.--Un dilemme pour en finir.--M. Fournier des Ormes voit dans
+cette aventure une mystification.--Suivant lui, le pupille du célèbre
+instituteur n'aurait pas été complètement sourd.--Cette opinion
+combattue par M. Valade-Gabel.--La pièce de Bouilly.--Première
+représentation.--Grand succès.--Incident de la seconde.--L'abbé Sicard
+mis en liberté.
+
+Chapitre XIX 143
+
+Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly par
+les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.--Félicitations du
+premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du drame de
+L'abbé de L'ÉPÉE..--Souvenirs intéressants de Mme Talma. Deux traits de
+présence d'esprit de cette admirable actrice à deux représentations de
+la pièce.--Tribut d'éloges de Monvel à son élève.--Conclusions de M.
+Villenave.--Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du drame
+de L'abbé de L'ÉPÉE..
+
+Chapitre XX 151
+
+Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations
+du drame de L'abbé de L'ÉPÉE..--L'auteur accusé par la presse d'avoir
+voulu troubler le repos et compromettre l'honneur de certaines
+personnes.--M. Bouilly se disculpe.--Il offre de changer le lieu de la
+scène et efface du titre la qualification de CO MÉDIE HISTORIQUE.--Mort
+de l'abbé de l'Épée.--Touchant spectacle de ses derniers
+moments.--Tableau du sourd-muet Peyson.--Le célèbre instituteur inhumé à
+Saint-Roch.--On se dispute son image.--Sa répugnance à laisser
+reproduire ses traits, de son vivant.--Le sculpteur sourd-muet de
+Seine.--La Commune de Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État
+adopte les sourds-muets privés de leur père.--Ce voeu est
+réalisé.--Oraison funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église
+Saint-Étienne-du-Mont.--Supplice du panégyriste.
+
+Chapitre XXI 159
+
+L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera
+inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de
+la patrie, et que son Institution sera subventionnée par
+l'État.--Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à
+l'ancien couvent des Célestins.--La Convention fonde, dans chacune des
+écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement, pour
+la première, à 80 et à 100.--La Convention avait eu, un instant, le
+projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets, une école
+normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux
+agricoles.--Transfert de l'établissement de Paris dans le local actuel,
+à l'ancien séminaire Saint-Magloire.--Les frais d'éducation des
+sourds-muets rangés, en 1832, parmi les _dépenses facultatives_ des
+budgets départementaux.--M. de Gerando avait infructueusement proposé
+que ce fût parmi les _dépenses obligatoires_.
+
+Chapitre XXII 166
+
+Mode d'administration successif des Institutions nationales de
+sourds-muets de Paris et de Bordeaux.--Projets divers ayant pour but de
+généraliser en France cet enseignement spécial.--Sollicitations
+infructueuses jusqu'à ce jour.--Pétition adressée en 1851, par la
+Société centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en
+France à l'Assemblée nationale législative.--Éloges de l'abbé de l'Épée
+par MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de
+Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de
+Madrid.--L'auteur des TEMPLIERS, M. Raynouard, de l'Académie française,
+voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur poème à la gloire de
+l'abbé de l'Épée.--Nomenclature complète des oeuvres du célèbre
+instituteur.
+
+Chapitre XXIII 172
+
+Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.--Le plomb des
+cercueils fondu en balles sur les autels.--Mission que l'auteur s'était
+imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.--Lettre aux journaux
+pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au Musée
+historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni dans sa
+ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur,
+l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable
+abandon.--Demande de renseignements au curé de Saint-Roch sur le lieu de
+la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.--Comment on découvre
+que ses restes reposent dans le caveau de la chapelle
+Saint-Nicolas--L'auteur y descend avec le sourd-muet Forestier et le
+docteur Doumic.--Spectacle déchirant!--Souscription ouverte dans les
+journaux pour élever un monument aux cendres du célèbre instituteur et
+faire apposer deux inscriptions en français sur la maison où il est né
+et sur celle qui fut le berceau de son enseignement.
+
+Chapitre XXIV 185
+
+Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+élever un monument à l'abbé de l'Épée.--M. Dupin aîné en accepte la
+présidence; M. Villemain consent à en faire partie.--Elle se compose, en
+outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé
+Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand
+Berthier, Forestier et Lenoir.--Regrets de M. de Chateaubriand et du
+premier président Séguier.--Première séance à l'hôtel de la présidence
+de la Chambre.--Remercîments des trois membres sourds-muets.--Projet de
+M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.--Voies et moyens:
+représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.--Où
+s'élèvera le monument?--On repousse la cour de l'Institution; on préfère
+la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.--Organisation de la
+souscription.--Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel de
+Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.--MM.
+Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.
+
+Chapitre XXV 195
+
+Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.--Découverte de
+fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et d'étole,
+reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le grand
+instituteur.--La pipe de terre.--Oubli ou profanation.--Noms des
+premiers souscripteurs.--Appel éloquent à toutes les âmes
+généreuses.--Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor Lenoir,
+architecte, et Auguste Préault, statuaire.--Appel aux ambassadeurs
+étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux cours d'appel,
+etc.--Réponse de l'ambassadeur de Bavière.
+
+Chapitre XXVI 211
+
+Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la
+commission.--Préférence acquise à celui de M. Préault.--Les ministres
+invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.--Celui
+de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour 3,000 fr.--Devis à
+forfait de M. Préault.--La commission l'accepte, à condition que
+l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir qu'à mesure des
+rentrées, et que le monument sera prêt en février 1841.--Nouvelle
+circulaire, nouvelles démarches auprès des grands corps de
+l'État.--Appel à Louis-Philippe et à sa famille.--On en ignore le
+résultat.--L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque d'Évreux, regrette
+de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration du monument.--On
+s'adresse à l'abbé Coeur, qui ne peut, à cause de ses nombreux
+travaux, accepter cette honorable mission.--Fixation ultérieure du jour
+de la cérémonie.
+
+Chapitre XXVII 221
+
+La Commission cesse de s'assembler.--M. Préault, presque abandonné à
+lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et
+Berthier, tient religieusement sa promesse.--Le monument est inauguré en
+août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.--Description et éloge
+de cette oeuvre remarquable.--Mais pourquoi une inscription
+latine?--Sur 33,000 sourds-muets que renferme la France, il n'y en a pas
+22 qui sachent le latin.--Hommage des sourds-muets suédois.--Couronne de
+bronze due aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée
+qui orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.--Cruels sacrifices
+pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui
+qu'il a élevé au général Marceau sur une place de Chartres.--Un buste du
+grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école de
+Paris.--Séance d'inauguration.--Souscription ouverte pour élever une
+statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville
+natale.--L'Institution de Paris s'associe à cet acte de reconnaissance.
+
+Chapitre XXVIII 229
+
+Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif de sa
+naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets et à leurs
+amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre instituteur.--Empressement
+unanime de tous les convives. --Le buste est commandé au sculpteur
+Parfait Merlieux, et inauguré sur la fin du banquet de l'année
+suivante.--Transports d'allégresse de tous les assistants.--Mon
+allocution.--Bienfaits de la Société centrale des sourds-muets.--Projet
+de cours publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette
+infirmité.
+
+Chapitre XXIX 235
+
+Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur ami
+Eugène Garay de Monglave.--Revue des célébrités de cette nation
+exceptionnelle.--Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs et
+poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens, inventeurs,
+peintres (histoire, sujets religieux, portraits, marines, pastel,
+daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs, mécaniciens,
+horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre, marins et
+militaires.--Trait héroïque de dévouement et de courage d'un sourd-muet
+de douze ans.--Le gouvernement lui décerne une médaille.--Ses
+condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen d'assister è notre
+banquet.--Mon toast à M. Bouilly, et la réponse de ce doyen de nos
+auteurs dramatiques.
+
+Chapitre XXX 248
+
+Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles,
+sa ville natale.--Communication officieuse du maire du chef-lieu de
+Seine-et-Oise.--Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur
+Bataille.--Sa lettre à un journal du département.--Nobles
+sentiments.--Modèle de la statue de notre illustre instituteur par M.
+Michaut, le célèbre graveur des monnaies.--Offres
+désintéressées.--Premier noyau de la commission de Versailles.
+
+Chapitre XXXI 256
+
+Membres présents à la première réunion.--Formation du bureau
+définitif.--Comment on pourra activer les souscriptions.--Voies et
+moyens.--Plusieurs projets.--Divers modes de publicité.--Le maire de la
+ville accepte les fonctions de membre de la commission.--La statue sera
+en bronze et de taille héroïque.--Divers emplacements proposés.--Deux
+seuls paraissent convenables.--Autorisation à demander au conseil
+municipal.--Comité de trois membres, chargé, sous le titre de jury de
+surveillance, de suivre l'exécution des travaux.--Publication de la
+liste des souscripteurs tous les deux mois.
+
+Chapitre XXXII 262
+
+Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.--M. le
+baron de Fresquienne élu à sa place.--Demande d'autorisation au Ministre
+de l'instruction publique pour élever la statue sur l'axe de la grille
+de clôture du jardin de l'École normale.--Réponse favorable.--M. Michaut
+s'engage à ce que les frais de la statue ne dépassent pas dix mille
+francs, et demande à en commencer le modèle en argile plastique.--M.
+l'architecte Petit invité à dresser un devis estimatif des dépenses du
+piédestal et des grilles.--Autorisation du conseil municipal, émettant
+toutefois le voeu qu'on choisisse un emplacement plus
+convenable.--Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque
+souscripteur.
+
+Chapitre XXXIII 270
+
+M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation
+complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de l'Épée, désire
+être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y
+rattachent.--Réponses de la commission aux différentes questions qui lui
+ont été soumises par M. le préfet.--Première pensée d'une entrevue de
+quelques membres du conseil municipal de Versailles avec quelques
+membres de la commission du monument, ayant pour but d'essayer de lever
+en commun ces obstacles.--Délibération favorable du conseil municipal en
+réponse aux objections soulevées par M. le préfet.--Rédaction d'un
+prospectus à répandre pour activer les souscriptions.
+
+Chapitre XXXIV 276
+
+Lettre d'envoi du prospectus.--Premières listes de
+souscriptions.--Empressement des évêques et du clergé.--Offrande de 300
+francs de la part du roi Louis-Philippe.--Les membres de la commission
+invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue. --Le
+statuaire Michaut promet d'en profiter.--Souscriptions des sourds-muets,
+recueillies par le docteur Doumic.--Projet d'exposition du modèle de la
+statue dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris.--Le
+préfet de Seine-et-Oise accepte les fonctions de président d'honneur de
+la commission.--MM. Molé, Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc
+de Luynes désignés pour en être membres d'honneur.--Le Ministre de la
+guerre regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour
+la confection de la statue.
+
+Chapitre XXXV 284
+
+Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+sourds-muets de Paris.--Description. Éloge.--Visite du préfet de
+Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués
+du conseil municipal, de membres de la commission des
+souscripteurs.--Mes impressions en présence de la statue.--Engagement du
+fondeur.--Adoption de la statue par le conseil municipal, qui décide
+qu'elle sera placée à la croix des rues Royale et d'Anjou.--M. Michaut
+se soumet aux corrections indiquées. --L'architecte de la ville mis à la
+disposition de l'oeuvre. --Nouveaux moyens à employer pour activer les
+souscriptions.
+
+Chapitre XXXVI 298
+
+Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal de la
+statue de l'abbé de l'Épée.--Examen du bronze destiné à cette
+oeuvre.--Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à l'achèvement
+des travaux.--Le conseil municipal en vote 2,000.--Projet d'une plaque
+commémorative.--Inscription de la face principale du monument.--Travaux
+du fondeur surveillés par le statuaire.--Érection fixée au 3 septembre
+1843.--Dernières dispositions. --Programme de la fête.--Décision du
+conseil municipal.--Je suis invité à adresser une allocution mimique aux
+sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.
+
+Chapitre XXXVII 310
+
+Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville
+natale.--Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris et
+d'Orléans.--Désintéressement du chemin de fer.--Absence regrettable du
+clergé.--Nombreuse affluence de spectateurs.--Discours du préfet, au nom
+de la commission des souscripteurs. Réponse du maire.--Notice sur la vie
+et les travaux de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire
+de la commission du monument.--Mon allocution mimique.--Salves
+d'artillerie. --Absence du vénérable Paulmier.--Discours qu'il devait
+prononcer.
+
+Chapitre XXXVIII 322
+
+Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue de
+l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du sourd-muet
+Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.--Le conseil municipal
+autorise le maire à accepter le monument, et adresse des remercîments
+aux commissaires, aux souscripteurs et au statuaire.--La commission
+sollicite en vain de M. le Ministre de l'intérieur, par l'intermédiaire
+de M. le préfet, une dernière subvention pour solder ses
+comptes.--Relevé définitif des recettes et dépenses.--Tribut de regret
+de la commission à quatre de ses membres décédés.--Ses remercîments à M.
+le préfet Aubernon. --Elle décerne une médaille au statuaire
+Michaut.--Désir des souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms
+imprimés dans les journaux, afin de constater leur reconnaissance pour
+l'abbé de l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des
+listes générales.--Conclusion: sept voeux émis; trois encore à
+exaucer, une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les
+sourds-muets; deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il
+naquit, à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença à
+enseigner, à Paris.
+
+Notes 335
+
+ * * * * *
+
+
+Notes de bas de page:
+
+[1] _Résumé des travaux_ de l'ex-Société centrale des sourds-muets de
+1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs
+sourds-muets.--Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette
+Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le
+premier sourd seulement, le second sourd-muet.
+
+[2] Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient mieux traités
+chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de l'aptitude à
+une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer l'un d'eux,
+nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts.
+
+[3] Extrait de l'_Annuaire de l'Institut des sourds-muets et des
+aveugles de Bruges_, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet
+établissement.
+
+[4] Voyez la note A à la fin du volume.
+
+[5] La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était située sur
+le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon et de
+l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny).
+
+[6] Voyez la note B.
+
+[7] Voyez la note C.
+
+[8] Voyez la note D.--Copies authentiques de six pièces émanées des
+anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture de
+l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet, secrétaire
+de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de la
+Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à
+Versailles.
+
+[9] En 1743.
+
+[10] _La Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février.
+
+[11] Voyez la note E.--Observations d'un ecclésiastique aussi tolérant
+qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des
+sourds-muets d'Orléans.
+
+[12] Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études de
+l'institution des sourds-muets de Paris.
+
+[13] Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages de
+l'Amérique:
+
+«La conversation devint bientôt générale, c'est-à-dire par quelques mots
+entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que
+ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.»
+
+[14] Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M. l'abbé *** en
+1772 (_Institution des sourds-muets par la voie des signes
+méthodiques_).
+
+[15] _Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes méthodiques_.
+1re partie. Page 89.
+
+[16] La _Polygraphie_ ou _écriture universelle, cabalistique_, de
+Trithème.--L'ouvrage de Comenius intitulé: _Janua linguarum reserta_
+(1601).--Bécher de Spire (1661). _Character pro notitiâ linguarum
+universale_.--John Wilkins, _an essay towards a real character and
+philosophical_.--La _Pasigraphie_, ou écriture universelle, du chevalier
+de Maimieux.--_L'anti-pasigraphie_ de Vater.--_Manuel polyglote_ de
+Cambry, d'après le plan de Bécher.--_Essai pasigraphique_ de Zacharie
+Nather.--_Cours de Pasigraphie_ de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de
+Dilengen.
+
+Ces citations sont extraites de l'_Investigateur_, journal de l'institut
+historique. Tome IX, 172e livraison.--Mars 1849.
+
+[17] Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. Contentons-nous
+donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés en français:
+
+_Essai sur l'articulation de la voix,_ par Laurent de Blois, 1831.
+
+--_La parole rendue aux sourds-muets,_ par le même.--_Tableau des
+éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à
+l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,_ par M.
+Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy,
+1838.--_Méthode de phonologie et de labéologie,_ par le même,
+idem.--_Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,_
+par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris.--Brochure de M.
+Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des
+sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: _Quel rôle l'articulation et
+la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des
+sourds-muets?--La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de
+l'oreille,_ par J. B. Puybonnieux, professeur et
+archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de
+Paris, 1843.--_Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur
+les facultés physiques, intellectuelles et morales,_ par le même, 1846.
+
+[18] Voyez à la note F. un _certificat délivré par l'abbé de l'Épée à
+Mademoiselle Blouïn,_ certificat publié par M. Piroux, directeur de
+l'institution des sourds-muets de Nancy dans son intéressant journal
+mensuel: _l'Ami des Sourds-Muets._ (2e année, 1839-1840.)
+
+[19] Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure portugaise, à
+36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à Berlango, dans
+l'Estramadure espagnole. On appelait alors indifféremment, a-t-on
+remarqué à cet égard, _juifs portugais_ ou _nouveaux chrétiens_ les
+premiers Israélites venus de la péninsule hispanique et admis légalement
+en France par les ordonnances de Henri II.
+
+[20] Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité.
+
+[21] M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent _Manuel
+d'enseignement pratique des sourds-muets_, que plusieurs institutions
+d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y
+traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon
+cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop
+fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur
+le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les
+premières leçons.
+
+[22] Voyez à la note G:--1º ma lettre au directeur de l'institution
+nationale des sourds-muets de Paris sur la _dactylologie _ de M.
+Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative de
+cet établissement sur la _dactylographie_ de M. Ch. Wilhorgne.
+
+[23] _Institution des Sourds-Muets_, chap. 1, pag. 9-10.
+
+[24] C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé l'éducation des
+deux soeurs sourdes-muettes.
+
+[25] Il a fait paraître un grand nombre de traductions d'ouvrages
+anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des lettres sur la
+dactylologie et un mémoire publié par le _Journal de Physique_, en
+1770.--Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves, parmi
+lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier
+Desmortiers cite quelques écrits.--La _dactylologie_ était l'instrument
+favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables,
+dit-on, de l'adoption de ce mot grec.
+
+[26] Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier un travail
+méthodique ayant trait au langage doigté.--Il a pour titre _Loquela
+digitorum_, art d'exprimer les nombres par la position des doigts sur
+les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte très-court
+et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du _Magasin pittoresque_
+(16e année), et de 55 figures. Les 36 premières expriment les nombres
+avec les doigts seulement et constituent ainsi ce que l'on est convenu
+d'appeler la _dactylonomie_; les 19 autres, relatives à la _Chiromamie_,
+empruntent leur signification aux diverses positions des mains.
+
+Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils
+en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs
+anciens, sacrés et profanes.
+
+[27] _Paralipomenn_, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection de ses
+oeuvres, page 462.--_De utilitate ex advertis capiendâ_, lib. II, cap.
+7, tome II de ses oeuvres, pag. 73.
+
+_De subtilitate_, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622).
+
+[28] _Extrait de la vie de saint François de Sales_, par Marsollier.
+Paris, Dufour, 1826. Tome 1er, livre 5e, page 394.
+
+[29] J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand j'ai
+écrit autre part qu'il était muet de naissance.
+
+[30] C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de Montbret, homme
+fort instruit, membre sourd-muet de la Société Asiatique, qui, en 1847,
+a, par son testament, légué non seulement sa fortune, mais sa riche
+bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez la note H où il est parlé de ce
+legs d'après les _Annales de l'éducation des Sourds-Muets et des
+Aveugles_, publiées par M. Edouard Morel, 4e année, 4e volume,
+1847.
+
+[31] J'ai lu dans l'_Illustration_, 3 novembre 1849, nº 349, vol. XIV,
+que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était bègue,
+eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce dernier
+pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses
+décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le
+maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les
+organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa
+place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et
+assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de
+Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de
+Carignan en ait mieux profité.
+
+[32] Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son éloge de
+Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart, faisaient un
+grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de bibliophiles
+de Glascow, connue sous le nom de _club Maitland_, résolut d'en faire, à
+Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement, une nouvelle
+édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des Sourds-Muets
+de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel, alors son
+secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un, malgré
+l'énormité du prix, 120 francs.
+
+[33] Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement
+d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour
+les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre
+1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son
+parrain.--Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un
+maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de
+notre grand orateur Berryer.
+
+[34] Voir son _Dictionnaire de Musique_, art. _Chant_.
+
+[35] Voici le commencement de quelques vers de La Condamine, qu'une
+considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le tombeau
+de Pereire:
+
+ Pereire! ton génie et tes puissants secours
+ Ont rendu la parole à des muets nés sourds!
+ Des muets ont parlé!.......
+
+Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux
+questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A
+quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité
+de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée
+pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître
+Pereire.
+
+[36] Voir l'_Encyclopédie_ et ses _Lettres sur les Sourds-Muets_.
+
+[37] Voir son _Traité des Sensations_.
+
+[38] Voir sa _Dissertation sur la manière d'apprendre à parler aux
+muets_.
+
+[39] C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant que je
+considère ici Pereire.--Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du titre de
+membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le cimetière
+des juifs portugais, à La Villette.
+
+[40] L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute, quelques
+expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.
+
+[41] Toutes les pièces furent fournies en latin de part et d'autre.
+
+[42] Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau qui
+représente saint Pierre guérissant un boiteux;--en 1840, le _Sermon de
+Jésus-Christ sur la Montagne_, dont le ministre de l'intérieur a fait
+l'acquisition;--en 1844, _Jésus enfant parmi les docteurs de la loi_,
+tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et
+pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;--en 1842,
+_Jésus-Christ bénissant les petits enfants_, tableau commandé par le
+ministre pour servir de pendant à ce dernier;--en 1845, l'_Apparition de
+Saint-Nicolas devant Constantin le Grand_, tableau placé par ordre du
+ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont
+le saint est le patron;--en 1846, _Bonaparte quittant l'Égypte pour
+venir sauver la France_. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes,
+Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet.
+Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour
+de nouvelles commandes.
+
+[43] La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou 8,000 fr.
+
+[44] _Revue ecclésiastique_, 33e livraison, février.
+
+[45] Voyez la note 1.(44)
+
+[46] Mlles Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure.
+
+[47] Il était alors âgé de soixante-quatre ans.
+
+[48] La date du 1er août n'a été connue de l'auteur de la note que
+depuis les informations faites par ordre du ministère.
+
+[49] Voyez à la note J la différence entre les mots _sourd-et-muet_ et
+_sourd-muet_.
+
+[50] Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd. Moreau de
+Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes, avocat au
+Conseil, à qui elle était adressée.
+
+Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du
+public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection
+d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des
+savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les
+plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin
+qui ont brillé sur la scène du monde.
+
+[51] Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient la
+nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île
+Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse.
+
+[52] Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur du drame
+de _l'Abbé de l'Épée_, que l'instruction du procès, modifiant son
+opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre
+instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble
+famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause,
+dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus
+douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait
+pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible
+de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après
+l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas
+que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa
+liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine
+Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire.
+
+[53] Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné ses
+écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en
+question.
+
+Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à
+Clermont le 1er novembre 1762, et il marqua sur son registre la
+sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante.
+
+[54] Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et jours
+suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi par
+la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par
+Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence
+définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781.
+
+C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout
+récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à
+ladite annulation, avaient été faites jusque-là, mais infructueusement,
+dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de
+première instance et aux archives nationales.
+
+[55] Il n'est, selon le rapporteur, autre que Pierre-Hyacinthe-Joseph,
+fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé dans les Pays-Bas aux
+travaux des mines.
+
+[56] On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur Joseph.
+Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui qu'elle
+croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle devait
+à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est pour
+cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé contre
+elle une demande en communication de l'inventaire fait après le décès de
+la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver ainsi à
+faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son identité avec
+le comte de Solar.
+
+[57] Depuis lors, nous apprend le rapporteur par _post-scriptum_, Me
+Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à sa mort, de tous ses
+biens, pour le dédommager du tort involontaire que sa compagnie lui
+avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000 fr., et qui
+consistait principalement en une jolie maison, sise aux environs de
+Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de Solar.
+
+[58] Voici la distribution des rôles:
+
+ L'ABBÉ DE L'ÉPÉE Monvel.
+ JULES Mad. Vanhove-Talma.
+ DARLEMONT Grandménil.
+ SAINT-ALME Damas.
+ FRANVAL Baptiste aîné.
+ DOMINIQUE Dazincourt.
+ MAD. FRANVAL Mad. Suin.
+ CLÉMENCE, SOEUR DE FRANVAL Mlle Mézerai.
+ MARIANNE Mad. Lachassaigne.
+
+
+
+[59] L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22 nivôse an
+VIII.
+
+[60] Voyez à la note K un extrait de mon allocution au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842.
+
+[61] Voyez à la note L la lettre de ce professeur, en date du 14 mai
+1845.
+
+[62] Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte le 24
+décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle
+occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment.
+
+[63] Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son rapport et
+son projet de décret sur l'organisation de six établissements pour tous
+les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à Rennes, à
+Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28 juin 1793
+(vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire de Seine,
+sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par l'organe d'une
+citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté, et qu'il avait,
+en outre, fait don à la même assemblée de ceux de Lepelletier et de
+Marat.
+
+[64] Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée par
+l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à
+l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin
+d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces
+malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école
+de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M.
+Champion de Cicé, archevêque de cette ville.
+
+[65] Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par la
+sanction royale le 29 du même mois.
+
+[66] L'article Ier du décret des 10-14 septembre 1791 était ainsi
+conçu:
+
+«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé
+au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de
+la patrie.»
+
+L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des
+Célestins.
+
+Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels
+les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer
+l'attention publique.
+
+[67] Alphonse Esquiros.--Revue de Paris.--_Les sourds-muets de Paris_.
+Novembre 1844.
+
+[68] D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord de 60 à
+80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées aux
+sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris.
+
+[69] Voyez à la note M quelques détails sur l'origine du bâtiment
+concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle.
+
+[70] Rennes.--Clermont.--Grenoble.--Nancy.
+
+[71] Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints MM. E.
+Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes, et Hyde
+de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le premier,
+un semblable voeu, lequel ne doit point surprendre quiconque a été à
+même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités.
+
+[72] Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et
+bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris.
+
+[73] Entre autres, Mlle Courtois; l'abbé Salvan, élève et ami de
+l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution des
+sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près de
+Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait désigné
+comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de mes
+frères d'infortune.
+
+[74] Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et de pension
+à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de l'Académie de
+Châlons-sur-Marne.
+
+[75] Voyez à la note N les vers composés à cette occasion sous ce titre:
+_le Sourd-Muet_, par un de nos frères les plus distingués, Pélissier,
+aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris.
+
+[76] Molière.
+
+[77] Voyez à la note O la demande textuelle des mandataires
+sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné.
+
+[78] Voyez la note P.
+
+[79] Écrite en allemand.
+
+[80] M. le comte de Montalivet.
+
+[81] Voyez à la note Q les pièces fournies à l'appui de la proposition
+de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire.
+
+[82] M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu à cette
+dignité.
+
+[83] Viro--admodum mirabili--sacerdoti de l'Épée--qui fecit exemplo
+Salvatoris--mutos loqui--cives Galliæ--hoc--monumentum dedicarunt--Natus
+1712--Mortuus 1789.--Préault, 1840.
+
+[84] MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau de Mussy,
+Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.--MM. Feuillet, Droz,
+Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat, Burnouf, Sylvestre de
+Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de perfectionnement.
+
+[85] Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des
+sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les
+professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A.
+Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez,
+Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que
+cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel
+les amis des sourds-muets seraient admis.
+
+Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont
+il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre.
+
+[86] Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis pour fêter
+les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se trouvent chez
+le libraire Hachette.
+
+[87] La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de combler
+ces deux lacunes.
+
+[88] Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un succès
+complet.
+
+[89] Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à l'Exposition
+universelle de Londres.
+
+[90] Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution nationale
+des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se
+substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des
+bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par
+exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux,
+sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités,
+jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature.
+
+[91] Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un
+mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force
+qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen
+d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte.
+
+[92] La médaille porte cette inscription:
+
+ MINISTÈRE DE LA MARINE.
+
+ _A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de_ 12 _ans, sourd-muet.
+ Courage et dévouement pour sauver des enfants
+ en danger de se noyer._
+
+Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant
+sourd-muet:
+
+«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la
+Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies
+a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle
+(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et
+le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger
+de périr dans les flots.
+
+«Enregistré au secrétariat, au Havre.»
+
+[93] M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut royal
+des sourds-muets de Paris.
+
+[94] Voyez à la note R l'_extrait du registre des délibérations du
+conseil municipal de Versailles.--Séance du_ 14 _novembre_ 1839.
+
+[95] Voyez le _prospectus_ à la note S.
+
+[96] Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être évalué
+au-dessus de 24,000.
+
+[97] M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XIIe arrondissement de Paris.
+
+[98] Il m'avait été demandé par un membre de la commission chargée de
+l'érection du monument.
+
+[99] Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris.
+
+[100] On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire évacuer
+les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde population dans
+des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les riverains, une
+occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur donner ainsi un
+aspect plus régulier. On avait observé, quant à l'emplacement sur la
+place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en tout, 4 m 80 de
+hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que, pour qu'ils fussent
+en rapport, la statue et le piédestal réunis devraient avoir 7 m de
+hauteur; par conséquent, occuper une superficie de 17,30, au lieu de
+celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage obligé.
+
+L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri
+de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en
+passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus
+sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de
+l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (_Note de la commission de
+Versailles._)
+
+J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait
+d'une erreur historique. (_Note de l'Auteur._)
+
+[101] Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a prétendu,
+par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur? Nous ne
+pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis sa mort;
+et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous séparent
+de cette époque.
+
+[102] Voltaire.
+
+[103] J.-J. Rousseau.
+
+[104] Montesquieu.
+
+[105] POÉSIES D'UN SOURD-MUET, avec une introduction par M. Laurent de
+Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30.
+
+[106] Voyez la note T.
+
+[107] _Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de l'oreille et
+de l'audition_.
+
+[108] On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B. Puybonnieux,
+cité plus haut.
+
+[109] Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux de
+Toulouse.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
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+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
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+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+Title: L'Abbé de l'Épée
+ sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès;
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+Author: Ferdinand Berthier
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+Release Date: August 4, 2011 [EBook #36972]
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
+
+
+
+
+Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
+Proofreading Team at DP Europe (http://dp.rastko.net);
+produced from images available at the Bibliothèque nationale
+de France (BNF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+<hr class="full" />
+
+<p class="cb">L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</p>
+
+<div class="blockquot1">
+<p>Quoy des mains? Nous requérons, nous promettons, appellons, congédions,
+menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons,
+nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doutons,
+instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons,
+accusons, condamnons, absolvons, injurions, mesprisons, déffions,
+despitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, mocquons,
+réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, resjouissons,
+complaignons, attristons, desconfortons, désespérons, estonnons,
+escrions, taisons: et quoy non?</p>
+
+<p class="r">M<small>ICHEL</small> M<small>ONTAIGNE.</small></p>
+</div>
+
+<p class="ov">Montmartre.&mdash;Impr. P<small>ILLOT</small> F<small>RÈRES,</small> L<small>ANGRAND</small> et C<sup>e</sup>.</p>
+
+<p class="figcenter">
+<a href="images/frontispiece.jpg">
+<img src="images/frontispiece_sml.jpg" width="430" height="550" alt="L&#39;ABBÉ DE L&#39;ÉPÉE." title="" /></a>
+</p>
+
+<h1><small>L'ABBÉ</small><br />
+DE L'ÉPÉE,</h1>
+
+<p class="cb">SA VIE, SON APOSTOLAT,<br />
+SES TRAVAUX, SA LUTTE ET SES SUCCÈS;<br />
+<br />
+<small>AVEC L'HISTORIQUE DES</small><br /><br />
+<big>MONUMENTS ÉLEVÉS A SA MÉMOIRE</big><br /><br />
+<b>à Paris et à Versailles</b>;<br />
+<br />
+<small>ORNÉ DE SON PORTRAIT GRAVÉ EN TAILLE DOUCE,<br />
+D'UN FAC-SIMILE DE SON ÉCRITURE,<br />
+DU DESSIN DE SON TOMBEAU DANS L'ÉGLISE SAINT-ROCH A PARIS,<br />
+ET DE CELUI DE SA STATUE A VERSAILLES;</small></p>
+
+<p class="cb"><br />
+<small>PAR</small><br />
+<br />
+FERDINAND BERTHIER,<br />
+
+<small>SOURD-MUET,</small><br />
+<br />
+Doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,<br />
+Vice-président de la Société centrale d'éducation et d'assistance pour<br />
+les Sourds-Muets de France,<br />
+Chevalier de la Légion-d'Honneur, etc., etc,</p>
+
+<div class="block">
+<p>His sunt additae orchestrarum loquacissimae<br />
+manus, linguosi digiti, silentium clamosum,<br />
+expositio tacita...... Ostendes homines posse et<br />
+sine oris affatu suum velle declarare.<br />
+<br />
+<span style="margin-left: 2em;">C<small>ASSIODORE,</small> lib. IV, cap. 51.</span><br /></p></div>
+
+<p class="cb">
+PARIS,<br />
+MICHEL LÉVY FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS,<br />
+<small>RUE VIVIENNE, 2 BIS.</small><br />
+&mdash;&mdash;<br />
+1852.<a name="page_001" id="page_001"></a><br />
+</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="5" cellpadding="5" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center"><a href="#TABLE_DES_CHAPITRES">TABLE DES CHAPITRES.</a></td></tr>
+</table>
+
+<h3><a name="PROLEGOMENES" id="PROLEGOMENES"></a>PROLÉGOMÈNES.</h3>
+
+<p class="cb">&mdash;&mdash;</p>
+
+<p>Le 27 mai 1838 fut fondée à Paris (rue Saint-Guillaume, nº 9, au
+faubourg Saint-Germain) une société centrale des Sourds-Muets<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>, dont
+le but était de délibérer sur les intérêts de cette classe
+exceptionnelle, de réunir en faisceau les lumières de tous les
+sourds-muets épars sur la surface du globe et des hommes instruits qui
+ont fait une étude approfondie de cette spécialité, de resserrer les
+liens qui unissent cette<a name="page_002" id="page_002"></a> grande famille, d'offrir à chaque membre un
+point de ralliement, un foyer de communications réciproques, et de leur
+procurer les facilités qui leur sont indispensables pour se produire
+dans le monde.</p>
+
+<p>La Société centrale s'occupait, en outre, de fournir aux sourds-muets
+des moyens de réunion et d'études; de les entretenir dans de bonnes
+habitudes par l'assistance continuelle de leçons gratuites et de sages
+conseils; d'obtenir le placement de leurs ouvrages d'art, et de leur
+assurer le patronage des parlants qui, par leur position sociale et
+leurs relations, peuvent leur être utiles.</p>
+
+<p>L'année de sa fondation fut marquée par un événement qui fera époque.
+Les cendres de l'abbé de l'Épée, le <i>père spirituel</i> des pauvres
+sourds-muets, furent découvertes par ses enfants dans les caveaux de
+l'église Saint-Roch, à Paris.</p>
+
+<p>Il fut décidé, presque aussitôt, qu'un monument serait élevé à ces
+restes précieux. Honneur aux personnages éminents qui voulurent bien se
+mettre à la tête de cette &oelig;uvre réparatrice, et qui formèrent le
+noyau de la commission chargée de recueillir les fonds nécessaires et
+d'en régulariser l'emploi!</p>
+
+<p>A ces hommes dévoués notre éternelle reconnaissance est acquise; <i>la
+mémoire du c&oelig;ur</i> ne s'éteindra jamais chez les sourds-muets.</p>
+
+<p>La commission que fondèrent nos amis se composait de MM. Dupin aîné,
+alors président de la chambre des députés, ancien procureur général à la
+cour de cassation, <i>président</i>; Chapuys-Montlaville, député, maintenant
+préfet, <i>secrétaire</i>; Villemain, de l'académie<a name="page_003" id="page_003"></a> française, qui fut, plus
+tard, ministre de l'instruction publique; le baron de Schonen, alors
+procureur général à la cour des comptes, maintenant décédé; le baron de
+Gérando, alors pair de France, maintenant décédé; Cavé, alors directeur
+des beaux-arts au ministère de l'intérieur, maintenant décédé; l'abbé
+Olivier, curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux; Eugène Garay
+de Monglave, plus tard membre de la commission consultative de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris; Nestor d'Andert,
+artiste peintre; Ferdinand Berthier, doyen sourd-muet des professeurs de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris, président de la
+Société centrale; Forestier, sourd-muet, alors instituteur libre et
+vice-président de cette association, aujourd'hui directeur de l'école de
+Lyon, et Lenoir, professeur sourd-muet à l'Institution nationale de
+Paris, qui était secrétaire de la Société centrale.</p>
+
+<p>A peine formée, la Commission, en émettant le v&oelig;u qu'un écrit fût
+consacré à l'historique des bienfaits de l'abbé de l'Épée et de la
+découverte de ses restes précieux dont nous déplorions la perte, daigna,
+pour l'accomplissement de cette tâche, jeter les yeux sur moi, pensant
+peut-être que l'intervention d'un sourd-muet régénéré par ce grand homme
+exciterait naturellement l'intérêt public et provoquerait les
+souscriptions.</p>
+
+<p>Ce choix fut accueilli par l'unanime approbation de la Société centrale.</p>
+
+<p>M. Frédéric Peyson, sourd-muet, peintre d'histoire, élève de MM. Hersent
+et Léon Cogniet, fut invité par la même unanimité à reproduire pour cet
+opuscule les<a name="page_004" id="page_004"></a> traits du saint Vincent de Paule de ce peuple
+exceptionnel.</p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, en 1839, un prix était fondé par la Société des
+sciences morales, lettres et arts de Seine-et-Oise, en faveur du mémoire
+qui réunirait aux plus curieuses recherches historiques sur la condition
+des sourds-muets avant et depuis l'abbé de l'Épée, le meilleur éloge de
+ce bienfaiteur de l'humanité. M'occupant déjà de remplir les vues de la
+Commission, on pense bien que je ne laissai pas échapper cette occasion
+d'élever à la mémoire de ce sublime instituteur ce nouveau monument de
+la reconnaissance de ses enfants. J'osai donc m'aventurer dans la lice,
+et le Ciel bénit mon audace: mon mémoire obtint le prix.</p>
+
+<p>Cependant je réservais pour le travail que la Commission du monument de
+Saint-Roch m'avait confié la partie de mes recherches qui concerne plus
+spécialement les vertus de l'apôtre des sourds-muets, dans le but d'en
+former une introduction au simple narré de sa vie et des travaux de la
+Commission parisienne.</p>
+
+<p>La rédaction de mon mémoire touchait à sa fin; mais les circonstances ne
+me permettaient pas, à mon grand regret, de pouvoir en adresser un
+exemplaire à chacun des souscripteurs et de faire face aux frais de
+publication de l'&oelig;uvre au moyen du surplus du montant des
+souscriptions. Je me déterminai donc en juillet 1838 à tenter, par
+l'intermédiaire du garde des sceaux de cette époque (M. Barthe), une
+démarche auprès de l'imprimerie nationale. Malheureusement le comité,
+établi à la chancellerie pour examiner les ouvrages dignes de cette
+faveur, ne jugea pas qu'une production de la nature de<a name="page_005" id="page_005"></a> la mienne
+rentrât dans la catégorie de celles que les ordonnances qui régissent
+les impressions gratuites désignent comme pouvant être publiées sur les
+fonds de cet établissement, c'est-à-dire des ouvrages appartenant aux
+sciences et particulièrement aux langues orientales. On me fit observer
+que mon travail semblait concerner plus spécialement le ministère de
+l'intérieur ou celui de l'instruction publique.</p>
+
+<p>Dans le cours d'avril 1839, je m'adressai donc au directeur des
+beaux-arts, sollicitant son intervention auprès du ministre de
+l'intérieur, attendu que la Société centrale, dont je m'honorais d'être
+le président, n'était pas assez riche pour subvenir aux dépenses
+nécessitées par une semblable publication. Ma lettre resta sans réponse.</p>
+
+<p>Depuis, par un effet de la bienveillance de l'autorité municipale de
+Versailles, les divers documents relatifs à l'érection d'une statue de
+l'abbé de l'Épée dans cette ville m'étant tombés entre les mains, je les
+rassemblai et les coordonnai avec un empressement d'autant plus
+religieux que je crus y voir le complément naturel de mes recherches. La
+Commission de Seine-et-Oise me paraissait être la digne s&oelig;ur de celle
+qui allait enrichir l'église Saint-Roch, à Paris, d'un monument conçu
+dans le même but.</p>
+
+<p>Quant au succès matériel de mon &oelig;uvre, il ne repose plus maintenant
+tout entier, je l'avoue, que sur la sympathie des admirateurs du grand
+apôtre des sourds-muets.</p>
+
+<p>Le public jugera si, interprètes de la Société centrale, M. Peyson et
+moi sommes restés au-dessous, de notre<a name="page_006" id="page_006"></a> tâche. Les membres de cette
+ancienne réunion se bornent à déclarer qu'il est impossible, suivant
+eux, d'apporter à une &oelig;uvre de conscience plus de zèle et de
+désintéressement.</p>
+
+<p>Ils ont foi dans l'historique de la vie de leur <i>père spirituel</i>, qui,
+s'il remplit son but, deviendra le catéchisme de la grande famille des
+sourds-muets épars sur la surface du globe.</p>
+
+<p>Et ils recommandent à la mémoire de leurs frères présents et à venir,
+non-seulement les noms des membres composant la Commission de Paris, qui
+a si puissamment aidé la Société centrale à payer une dette sacrée de
+vénération et de gratitude à l'abbé de l'Épée, mais aussi ceux des
+membres de la Commission de Versailles, dont le dévouement si spontané,
+si actif, a su dignement réparer l'oubli de sa ville natale envers un de
+ses plus illustres enfants.<a name="page_007" id="page_007"></a></p>
+
+<h1>L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br />
+<small><small>SA VIE, SON APOSTOLAT, SES TRAVAUX, SA LUTTE<br />
+ET SES SUCCÈS.</small></small></h1>
+
+<hr />
+
+<h3><a name="I" id="I"></a>I</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.&mdash;Abandon
+général.&mdash;Quelques efforts tentés en leur faveur.&mdash;Ils échouent
+faute d'ensemble.&mdash;Naissance de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa vocation pour
+l'état ecclésiastique.&mdash;Le formulaire d'Alexandre VII.&mdash;Il refuse
+de le signer.&mdash;Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions
+du diaconat.&mdash;Il devient avocat et prête serment le même jour que
+M. de Maupeou.&mdash;Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin du
+sacerdoce.</p></div>
+
+<p>Parmi le peu de noms que la foule changeante ne prononce qu'avec
+vénération, noms plus imposants cent fois que tous ces magnifiques
+titres qui chatouillent la vanité humaine, nous n'en connaissons pas qui
+mérite plus d'occuper le premier rang dans l'admiration, l'amour et la
+reconnaissance<a name="page_008" id="page_008"></a> des peuples que celui du <i>père spirituel</i> des
+sourds-muets, l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>Dût-on nous taxer d'exagération, nous maintiendrons notre dire, et, nous
+ferons mieux, nous le prouverons.</p>
+
+<p>Qu'on établisse, en effet, un parallèle entre la condition des
+sourds-muets chez les anciens et celle dans laquelle les a placés le
+génie de cet humble missionnaire! Depuis des siècles, ces tristes
+victimes de la nature marâtre courbaient le front sous le joug d'un
+préjugé barbare. La foule indifférente<a name="FNanchor_2_2" id="FNanchor_2_2"></a><a href="#Footnote_2_2" class="fnanchor">[2]</a> regardait d'un &oelig;il de
+dédain cette caste de nouvelle espèce, comme elle les appelait, circuler
+au milieu d'elle. Ils languissaient, ces infortunés, dans l'ignorance et
+dans l'esclavage: ils attendaient un nouveau Messie qui vînt briser
+leurs fers.</p>
+
+<p>Pour preuve de l'empire qu'exerçait sur eux une aveugle prévention,
+quelque coin obscur du globe qu'ils habitassent, nous allons signaler la
+manière dont ils étaient traités chez les Flamands, par exemple.</p>
+
+<p>Au moyen âge, l'être atteint d'une pareille<a name="page_009" id="page_009"></a> infirmité était
+considéré<a name="FNanchor_3_3" id="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3" class="fnanchor">[3]</a> dans cette contrée, ou comme un maniaque, ou comme un
+innocent qu'on mettait en curatelle. C'était sous l'influence de cette
+opinion générale que ces malheureux étaient menés à l'église de Damme,
+où l'on vénérait les reliques de la Sainte-Croix, pour obtenir leur
+guérison. Cette croyance pouvait être autorisée par le miracle qu'avait
+opéré Jésus-Christ sur un homme muet possédé du démon. Il y avait en ce
+temps-là une femme salariée exprès pour mettre ordre à la foule et avoir
+soin des sourds-muets.</p>
+
+<p>Et cependant, vers le milieu du seizième siècle, un lent et
+consciencieux travail de réhabilitation se préparait silencieusement en
+leur faveur sur divers points du globe; quelques hommes d'élite (honneur
+leur soit rendu!) ne balançaient pas à tenter de généreux efforts pour
+ouvrir les sentiers de l'intelligence à cette classe déshéritée de toute
+participation aux avantages de l'union sociale; malheureusement
+l'obscurité dont leurs tentatives étaient enveloppées les condamnait à
+périr avec eux.<a name="page_010" id="page_010"></a></p>
+
+<p>Un seul homme se présenta, dont le regard puissant dit aux sourds-muets:
+<i>Et vous aussi, vous serez hommes!</i> Avec quel étonnement le dix-huitième
+siècle ne le vit-il pas, dès son apparition, ébranler cette effrayante
+barrière dressée entre ces infortunés et leurs frères parlants! Il l'a
+doté, ce siècle, si éclairé entre tous les siècles, d'une des plus
+belles conquêtes du génie de l'homme. Ces heureuses semences ne sont pas
+tombées sur un sol ingrat. On les a vues féconder à la fois l'esprit et
+le c&oelig;ur des sourds-muets régénérés. Rendus à toute la dignité
+humaine, ils ouvrent leurs c&oelig;urs aux consolantes vérités de la
+religion, contribuent aux charges de la communauté, partagent ses
+devoirs et ses avantages, cultivent aussi les sciences et les arts. Au
+milieu du concert d'admiration qui s'élève de tous les coins de
+l'univers pour bénir ces miracles, un sourd-muet ose accepter la tâche
+imposée par la bienveillance de ses anciens collègues de la Commission
+du monument de Saint-Roch, et tracer l'esquisse rapide de la vie du
+vertueux bienfaiteur de ses frères d'infortune. Si le sentiment d'une
+profonde vénération et le zèle d'une ardente reconnaissance ne
+remplacent pas en lui le talent, sa témérité aura du moins, il l'espère,
+quelques droits à l'indulgence du public.<a name="page_011" id="page_011"></a></p>
+
+<p>Charles-Michel de l'Épée<a name="FNanchor_4_4" id="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4" class="fnanchor">[4]</a> naquit à Versailles, le 24 novembre 1712<a name="FNanchor_5_5" id="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5" class="fnanchor">[5]</a>.
+Il eut pour père un expert ordinaire des bâtiments du roi, homme
+recommandable par ses qualités morales autant que par son savoir, et
+dont la tendresse éclairée se consacrait sans relâche à développer
+l'esprit et le c&oelig;ur de ses enfants. Aussi l'exercice des vertus
+devint-il de bonne heure chez le jeune de l'Épée un besoin plutôt qu'un
+devoir. A travers ses brillants succès dans les sciences, ses parents
+avaient remarqué en lui un penchant décidé pour l'état ecclésiastique,
+et ils s'étaient efforcés de le détourner d'une carrière qui contrariait
+leurs vues. Peine inutile! Dieu avait parlé, et le jeune homme suivait
+sa vocation.</p>
+
+<p>Ses études achevées, à dix-sept ans, il sollicita la faveur de gravir
+les premiers degrés du sacerdoce, et, suivant l'usage qui était alors
+une loi pour tout le diocèse de Paris, on lui demanda d'accepter le
+<i>formulaire d'Alexandre VII</i><a name="FNanchor_6_6" id="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6" class="fnanchor">[6]</a>, espèce de déclaration d'orthodoxie
+moliniste. Le jeune de l'Épée refusa<a name="page_012" id="page_012"></a> de le signer. Et pourtant il ne
+croyait obéir qu'à sa conscience, car l'Église n'eut jamais de fils plus
+respectueux et plus soumis. Toutefois on lui permit d'exercer les
+humbles fonctions du diaconat, compensation, hélas! bien faible pour
+toute l'ardeur, toute l'immensité du saint zèle dont il était embrasé!</p>
+
+<p>Que faire? Quel parti prendre? Charles-Michel tourna ses regards vers le
+barreau, dont sa famille avait déjà rêvé pour lui les triomphes; il
+subit avec succès ses examens; il se fit recevoir avocat au parlement de
+Paris et prêta serment en cette qualité le même jour qu'un autre adepte,
+destiné à devenir un jour chancelier du royaume,
+Nicolas-Charles-Augustin de Maupeou<a name="FNanchor_7_7" id="FNanchor_7_7"></a><a href="#Footnote_7_7" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
+
+<p>Cependant son âme douce et tendre regrettait sans cesse, au milieu du
+tumulte des tribunaux, le paisible ministère des autels. Il sentait que
+là seulement étaient sa vie, son bonheur, son avenir; il se livra donc
+avec une nouvelle ardeur aux études théologiques, et ses v&oelig;ux furent
+exaucés. Jacques-Benigne Bossuet, évêque de Troyes, neveu de l'immortel
+auteur du <i>Discours sur l'Histoire universelle</i>, l'appela près de lui,
+l'admit en 1736 dans les quatre ordres mineurs, le nomma desservant de
+Fouges, le<a name="page_013" id="page_013"></a> 23 mars de cette année, sous-diacre le 31, diacre le 22
+septembre, chanoine de Pougy, le 28 mars 1738, et prêtre, le 5 avril. Le
+20 août 1736, il avait fourni la preuve qu'il jouissait d'un revenu
+suffisant pour entrer dans les ordres. Son père et sa mère lui
+constituaient une rente de 250 livres sur les fermes qu'ils possédaient
+dans la principauté de Dombes<a name="FNanchor_8_8" id="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8" class="fnanchor">[8]</a>.<a name="page_014" id="page_014"></a></p>
+
+<h3><a name="II" id="II"></a>II</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa tolérance.&mdash;Ses rapports
+avec le protestant Ulrich.&mdash;Ses v&oelig;ux en faveur des juifs.&mdash;Son
+abnégation, son humilité.&mdash;Ses relations avec un évêque janséniste
+qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle <b>Unigenitus</b>.&mdash;On
+lui interdit le ministère de la parole et celui de la
+confession.&mdash;On lui refuse les cendres.&mdash;Sa réponse à un prêtre
+intolérant.&mdash;Vengeance sublime.&mdash;Commencement de son apostolat.</p></div>
+
+<p>Le talent de la parole que l'abbé de l'Épée avait cultivé dans les
+luttes tumultueuses du barreau lui ouvrit le chemin de la paisible
+chaire de vérité. Son éloquence, partie du c&oelig;ur, arrivait droit au
+c&oelig;ur; elle se répandait comme une rosée bienfaisante dans les villes
+et dans les campagnes du diocèse, et il jouissait du bien qu'elle
+produisait. Personne n'offrit un plus parfait modèle de tout ce qu'il
+enseigna. Sollicitude, bienveillance, activité, modestie, simplicité, il
+réunissait en lui,<a name="page_015" id="page_015"></a> au plus haut degré, toutes les vertus du sacerdoce.
+On eût dit que la Providence suscitait à l'Église gallicane un autre
+Fenélon au milieu des querelles qui la déchiraient. Ennemi de
+l'intolérance, il répétait sans cesse avec le grand Henri IV: «Tous ceux
+qui sont bons sont de ma religion.» Il se plaisait également à laisser
+échapper de ses lèvres cette belle maxime du cygne de Cambray:
+«Souffrons toutes les religions, puisque Dieu les souffre!»</p>
+
+<p>Imbu de ces principes de charité, il accueillit dans la suite, avec la
+sympathie la plus touchante, le protestant Ulrich, qui était venu du
+fond de la Suisse étudier sa méthode. Bientôt une étroite liaison
+établit une sorte de parenté entre leurs âmes, et porta Ulrich à abjurer
+ses anciennes croyances. L'abbé de l'Épée, désirant le retirer de la
+misère dans laquelle il gémissait à Paris, insistait pour qu'il acceptât
+une somme de 600 livres qu'il lui offrait: «Vous m'avez enseigné,
+répondit le fier Helvétien, combien est agréable au Ciel l'état de
+l'homme qui travaille en paix dans l'indigence et qui souffre les
+privations sans murmurer; vous m'avez inculqué vos principes. Après ce
+don, tous les autres me seraient inutiles; de plus nécessiteux jouiront
+de vos largesses. J'ai appris de vous à aimer Dieu, mes frères et le
+travail: je suis riche de vos bienfaits.»<a name="page_016" id="page_016"></a></p>
+
+<p>Et cette fraternité universelle inondait tellement son âme, que le
+v&oelig;u le plus ardent de son c&oelig;ur était de voir les juifs sortir
+enfin de leur longue servitude pour entrer dans la grande famille
+chrétienne.</p>
+
+<p>Véritable pasteur de ses frères, il tâchait de les conduire au Ciel,
+afin de mériter de le gagner pour lui-même. «Grâce à Dieu, disait-il sur
+la fin de ses jours, je n'ai jamais commis de ces fautes qui tuent les
+âmes, mais je suis épouvanté quand je réfléchis combien j'ai mal répondu
+à une telle faveur d'en haut: une mauvaise pensée m'a poursuivi une
+seule fois dans mon jeune âge; le Seigneur me donna la force de prier et
+de vaincre; ce fut sans retour, et j'arrive, après une carrière longue
+et tranquille, au jugement de Dieu, avec cette unique victoire. Ce sont
+les grands combats qui font les saints; Dieu a tout fait pour mon salut,
+et je n'ai rien fait qui réponde à l'excellence de sa grâce.»</p>
+
+<p>Cependant le protecteur, l'appui de l'abbé de l'Épée, l'évêque de
+Troyes, venait de s'endormir du sommeil du juste<a name="FNanchor_9_9" id="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9" class="fnanchor">[9]</a>. Il lui restait
+encore un ami, c'était le célèbre Soanen, évêque de Senez, qui s'était
+rallié aux principes de Port-Royal. Ses relations intimes avec le
+prélat, relations fondées sur une parfaite harmonie<a name="page_017" id="page_017"></a> de sentiments, lui
+attirèrent les censures de l'archevêque de Paris, Christophe de
+Beaumont. Il avait même rendu Soanen, qui avait longtemps repoussé la
+bulle <i>Unigenitus</i>, dépositaire de son acte d'adhésion à cette
+déclaration du saint-siége. C'est un modèle parfait de droiture d'âme et
+de pureté d'intention<a name="FNanchor_10_10" id="FNanchor_10_10"></a><a href="#Footnote_10_10" class="fnanchor">[10]</a>, et pourtant, contradiction remarquable dans
+un homme d'un esprit aussi supérieur, il y remercie très-humblement Dieu
+de la protection que sa grâce a daigné accorder à la cause qu'il a
+défendue, et des signes visibles de sa toute-puissance dont il lui a plu
+de l'entourer. En se soumettant, il confesse, dans l'effusion de sa
+candide reconnaissance, avoir vu de ses yeux quelques-unes des guérisons
+miraculeuses que le Seigneur a opérées par l'intercession du bienheureux
+diacre François Pâris.</p>
+
+<p>De pareilles restrictions ne pouvaient satisfaire l'archevêque de Paris.
+On interdit à l'abbé de l'Épée le ministère de la prédication: on lui
+défend de diriger les consciences, et, comme si la Providence eût voulu
+mettre sa vertu à une plus rude épreuve<a name="FNanchor_11_11" id="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11" class="fnanchor">[11]</a>, se présentant un<a name="page_018" id="page_018"></a> jour dans
+sa paroisse pour y recevoir les cendres avec les fidèles, il se voit
+repoussé publiquement par le prêtre qui préside à cette cérémonie. Mais
+lui, avec cette résignation chrétienne qui ne se dément jamais, se lève
+et répond à l'outrage en ces termes: «J'étais venu, pécheur contrit,
+m'humilier à vos pieds; votre refus ajoute à ma mortification; mon but
+est atteint devant Dieu; je n'insiste pas pour ne point tourmenter votre
+conscience<a name="FNanchor_12_12" id="FNanchor_12_12"></a><a href="#Footnote_12_12" class="fnanchor">[12]</a>.</p>
+
+<p>Plus tard, l'abbé de l'Épée, d'accord avec le curé de Saint-Roch, prêta
+généreusement à ce même ecclésiastique l'appui de son ministère près des
+tribunaux chargés des affaires spirituelles. Il avait interdit la sainte
+table à un pauvre prêtre pour lequel l'abbé de l'Épée professait la plus
+grande estime, et cela peut-être pour le même motif qui avait fait
+exclure l'abbé de l'Épée de la distribution des cendres. On rapporte
+que, dans la suite, la raison de ce ministre intolérant s'égara, et
+qu'en proie à d'horribles souffrances, il retrouva à son chevet l'âme
+généreuse de sa victime.</p>
+
+<p>Au milieu de toutes ces tribulations, la Providence le conduisait par
+des sentiers secrets à un pénible, mais glorieux apostolat, auprès de
+gentils d'une nouvelle espèce. A lui devait<a name="page_019" id="page_019"></a> échoir la tâche d'achever
+la grande &oelig;uvre de leur régénération morale à peine ébauchée par un
+vénérable prêtre de la doctrine chrétienne.<a name="page_020" id="page_020"></a></p>
+
+<h3><a name="III" id="III"></a>III</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Deux s&oelig;urs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la
+doctrine chrétienne.&mdash;La mort les ayant privées de leur
+instituteur, l'abbé de l'Épée se résout à continuer son
+&oelig;uvre.&mdash;Théorie du langage des gestes.&mdash;Il ignore entièrement
+les travaux de ses prédécesseurs.&mdash;Ses premières
+tentatives.&mdash;Objections des philosophes et des
+théologiens.&mdash;Réponses victorieuses à ces objections.&mdash;Important
+avis du R. P. Lacordaire.</p></div>
+
+<p>Ce fut vers l'année 1753, suivant toutes les probabilités, qu'une
+affaire de peu d'importance amena l'abbé de l'Épée dans une maison de la
+rue des Fossés-St-Victor, qui faisait face à celle des frères de la
+doctrine chrétienne. La maîtresse du logis étant absente, on
+l'introduisit dans une pièce où se tenaient ses deux filles, s&oelig;urs
+jumelles, le regard attentivement fixé sur leurs travaux d'aiguille. En
+attendant le retour de leur mère, il voulut leur adresser quelques
+paroles; mais quel fut son étonnement de ne recevoir d'elles aucune
+réponse! Il<a name="page_021" id="page_021"></a> eut beau élever la voix à plusieurs reprises, s'approcher
+d'elles avec douceur, tout fut inutile. A quelle cause attribuer ce
+silence opiniâtre?</p>
+
+<p>Le bon ecclésiastique s'y perdait. Enfin la mère arrive. Le vénérable
+visiteur est au fait de tout. Les deux pauvres enfants sont
+sourdes-muettes. Elles viennent de perdre leur maître, le vénérable R.
+P. Vanin ou Fanin, prêtre de la doctrine chrétienne de
+St-Julien-des-Ménétriers, à Paris. Il avait entrepris charitablement
+leur éducation au moyen d'estampes qui ne pouvaient leur être d'un grand
+secours. En ce moment décisif, un rayon du Ciel révèle à l'étranger sa
+vocation. Sans aucune expérience dans l'art difficile dont il va sonder
+les profondeurs inconnues, il est déjà tout prêt à se sacrifier.</p>
+
+<p>A partir de ce jour, il remplira auprès de ces infortunées la place que
+le père Vanin laisse vide. Après avoir mûrement réfléchi aux moyens par
+lesquels il pourra remplacer chez elles l'ouïe et la parole, il croit
+entrevoir dans le langage des gestes la pierre angulaire que le Ciel
+destine à soutenir l'édifice intellectuel du sourd-muet. Intimement
+convaincu de la possibilité d'appliquer à cet enseignement ce principe
+que les idées et les sons articulés n'ont pas de rapport plus immédiat
+entre eux que les idées et les caractères écrits, principe évident<a name="page_022" id="page_022"></a> qui
+s'est gravé dans sa jeune intelligence dès les bancs de l'école, il ne
+se laisse pas effrayer par les obstacles qu'il prévoit dans un monde
+nouveau dont il n'a pas exploré les routes; car il ne soupçonne pas même
+les travaux de ceux qui, avec des mérites divers, l'ont précédé dans la
+carrière. Son génie, planant sur la sphère des possibilités, a déjà
+saisi ce qui échappe aux regards vulgaires, et le globe entier retentira
+bientôt des succès inouïs obtenus par ce grand homme à l'aide de la
+mimique, cette langue universelle, vainement cherchée par les
+philosophes et par les savants de tous les siècles et de tous les
+pays<a name="FNanchor_13_13" id="FNanchor_13_13"></a><a href="#Footnote_13_13" class="fnanchor">[13]</a>. Les écoles que l'humanité a élevées, et qu'elle élève encore à
+l'envi sur tous les points de la France et dans toutes les contrées du
+monde, sont autant de temples qui proclament le Dieu dont le souffle
+vivifiant les a édifiées. Mais alors tout était encore à faire. De
+longtemps l'heure du repos ne sonnera pour l'apôtre des sourd-muets, ou
+plutôt il n'y aura jamais pour lui de repos sur la terre.<a name="page_023" id="page_023"></a></p>
+
+<p>En 1760, il met en lumière sa méthode, qui doit lui attirer les
+critiques de quelques philosophes et de quelques théologiens. Les
+premiers s'obstinent à dénier à tout autre sens qu'à l'ouïe la vertu de
+transmettre au sourd-muet les connaissances que reçoit le parlant par
+cette voie, quoiqu'ils affectent, contradiction flagrante! d'admettre
+sans peine le vieil axiome: <i>Nihil est in intellectu quod prius non
+fuerit in sensu</i> (Il n'est rien dans notre esprit qui n'y soit entré par
+nos sens).</p>
+
+<p>Les autres opposent à l'abbé de l'Épée ces paroles de l'apôtre: <i>Fides
+ex auditu</i> (I. Rom. 10-17). La foi nous vient par l'ouïe.</p>
+
+<p>Il ne fut pas difficile à notre instituteur de démontrer aux philosophes
+que les formes visibles peuvent produire le même effet que les sons
+fugitifs, et que ces deux moyens ne sont susceptibles de nous fournir
+des idées qu'à la condition qu'elles seront interprétées par quelque
+signe extérieur, commun à l'espèce humaine, et que ce signe extérieur
+fixera ensuite dans la mémoire ce que les mots prononcés ou écrits
+signifient dans l'intention de ceux qui les prononcent ou les écrivent.</p>
+
+<p>On ne se tint pas pour battu; on évoqua l'effrayant fantôme de la
+métaphysique. Il n'embarrassa pas davantage le grand homme. «Le langage
+mimique est, observa-t-il avec ses yeux<a name="page_024" id="page_024"></a> d'aigle, susceptible de
+traduire tous les mots d'une langue quelconque jusqu'aux nuances les
+plus délicates qui les différencient.» Nous ajouterons même qu'à l'égal
+de la parole et même au-dessus, il réunit l'énergie, la flexibilité à la
+clarté, à la vérité, et que cet immense avantage tient naturellement aux
+lois immuables et éternelles de notre organisation physique.</p>
+
+<p>On se rappelle, du reste, que la question avait été souverainement
+résolue ailleurs depuis des siècles, non-seulement dans une lutte
+engagée entre la mimique de Roscius et les périodes harmonieuses de
+Cicéron, mais aussi sur le théâtre de Rome, où, après ce célèbre
+comédien et après Ésope, l'art des Pylade et des Bathylle balançait,
+effaçait même l'art des Sophocle et des Ménandre.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée remet non moins victorieusement sous les yeux des
+théologiens le sentiment d'Estius sur le texte de saint Paul. «La
+lecture, dit-il, des vérités saintes de notre religion, qui, selon le
+docteur qu'il regarde<a name="FNanchor_14_14" id="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14" class="fnanchor">[14]</a> comme un des plus habiles commentateurs des
+Écritures divines, se fait par le secours des yeux, est comprise dans
+ces paroles de l'apôtre: <i>ex auditu</i>; car, s'il est vrai que le<a name="page_025" id="page_025"></a> plus
+grand nombre de ceux qui se sont convertis à la foi n'en ont appris les
+vérités saintes que par la voix éloquente des ministres qui les leur ont
+prêchées, on ne peut pas disconvenir, non plus, qu'il n'y en ait eu
+beaucoup auxquels ces vérités saintes ont été transmises par la lecture.
+Les saints Évangiles ont été écrits afin qu'en les lisant, on crût les
+vérités saintes qu'ils renferment: <i>Ces choses ont été écrites</i>, dit
+l'apôtre saint Jean dans son Évangile (chap. 28, v. 31), <i>afin que vous
+croyiez que Jésus est le fils de Dieu, et qu'en le croyant, vous ayez la
+vie en son nom</i>.»</p>
+
+<p>Notre infatigable athlète ne s'arrête pas là; il invoque avec une
+nouvelle force les lumières de saint Augustin, en démontrant comment ce
+grand docteur explique la raison d'un arrêt qui semble, au premier
+abord, exclure les sourds de naissance de la perception de la foi, arrêt
+dont, à la honte de l'humanité, on a fait si fréquemment un si étrange
+abus: <i>Quod vitium ipsam impedit fidem</i>. C'est, dit saint Augustin,
+parce que le sourd de naissance, ne pouvant apprendre à connaître les
+lettres, il lui est impossible de recevoir la foi par le moyen de la
+lecture: <i>Nàm surdus natus litteras, quibus lectis fidem concipiat,
+discere non potest</i>.</p>
+
+<p>«Après tout, que serait-il arrivé, s'écrie<a name="page_026" id="page_026"></a> enfin l'abbé de l'Épée, si
+l'un et l'autre eussent connu les secrets de la langue des
+sourds-muets?»</p>
+
+<p>Nous ne pensons pas qu'il soit hors de propos de placer ici, en passant,
+l'opinion du père Lacordaire, qui n'est certainement pas sans
+importance, même après celle de ses illustres devanciers.</p>
+
+<p>Lors du séjour du célèbre dominicain à Nancy, en 1844, un professeur
+sourd-muet de cette ville, M. Richardin me pressa de l'accompagner chez
+lui. Il y tenait d'autant plus, qu'il était loin d'être satisfait de la
+manière de voir de l'éloquent dominicain par rapport aux sourds-muets en
+ce qui touche la foi. Il se permit donc de l'interpeller à cet égard, et
+cette interpellation provoqua de la part du grand prédicateur un
+sourire, plein d'indulgence. Il saisit la plume et jette à la hâte sa
+réponse sur le papier. Qu'on juge de l'explosion de la joie de mon
+collègue à la lecture de l'explication suivante du texte de saint Paul!</p>
+
+<p>«L'apôtre des gentils veut dire que la foi vient de la révélation faite
+à l'homme par la parole de Dieu; peu importe que l'homme entende la
+parole de Dieu par l'ouïe ou par un sens qui supplée à l'ouïe.&mdash;La foi
+est l'adhésion de l'âme à la parole de Dieu, manifestée<a name="page_027" id="page_027"></a> à l'homme <i>de
+quelque manière que ce soit</i>.»</p>
+
+<p>Ainsi il demeure dûment avéré que c'est par la révélation extérieure que
+nous sommes initiés aux vérités naturelles et surnaturelles, et qu'on
+est fondé à interpréter de la même manière cette autre observation de S.
+Paul: «Comment les hommes invoqueraient-ils le Dieu en qui ils ne
+croient pas? Et comment croiraient-ils en lui, s'ils ne l'entendent pas?
+Et comment enfin l'entendraient-ils, s'il ne leur est pas annoncé?»
+<i>Quomodò ergò invocabunt in quem non crediderunt? Aut quomodò credent ei
+quem non audierunt? Quandò autem audient sinè predicante?</i> (Rom. 10,
+14-15.)<a name="page_028" id="page_028"></a></p>
+
+<h3><a name="IV" id="IV"></a>IV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec
+les hommes de sa spécialité.&mdash;Publication de ses divers travaux
+sous le voile de l'anonyme.&mdash;Succès de ses séances
+publiques.&mdash;Intérêt que lui portent Louis XVI, Joseph II et
+Catherine de Russie.&mdash;Sa réputation grandit avec son
+zèle.&mdash;Exercices en français, en latin, en italien, en espagnol, en
+anglais.&mdash;Quelques taches éparses dans l'ensemble de son
+système.&mdash;Puériles décompositions grecques et latines.</p></div>
+
+<p>L'abbé de l'Épée eut encore à lutter avec de nouveaux adversaires plus
+terribles pour lui: c'étaient des hommes spéciaux qui se livraient au
+même enseignement. Après avoir longtemps résisté aux instances réitérées
+de ses amis relativement à la publication de sa méthode, il dut se
+déterminer à faire violence à sa modestie, et non seulement prendre un
+parti qui importait à l'intérêt général de la nombreuse famille de
+déshérités dont il s'était constitué le père, mais admettre encore des<a name="page_029" id="page_029"></a>
+étrangers à suivre les cours qu'il leur faisait journellement.</p>
+
+<p>A chaque séance, l'admiration publique allait <i>crescendo</i> et se
+communiquait comme par un fil électrique d'un bout du monde à l'autre.
+C'est ce qui explique l'empressement des savants les plus distingués et
+des plus grands personnages à se presser autour de l'humble instituteur.
+Dire quel effet ses démonstrations lumineuses produisirent sur leur
+imagination est chose difficile. Tout le monde sait le haut intérêt dont
+elles furent également l'objet de la part de Louis XVI, de l'empereur
+Joseph II et de Catherine II, impératrice de Russie.</p>
+
+<p>Au milieu de ces félicitations universelles, l'abbé de l'Épée crut
+néanmoins devoir garder l'anonyme en publiant ses réponses aux pamphlets
+lancés contre son nouveau système, ses quatre lettres renfermant à la
+fois l'exposé et la défense de ce système, son livre de l'<i>Institution
+des Sourds-Muets par la voie des signes méthodiques</i>, in-12 (1774-1776),
+ouvrage qui contient le projet d'une langue universelle fondée sur des
+signes naturels assujettis à une méthode commune, et, huit ans après, sa
+<i>Véritable manière d'instruire les Sourds-Muets, confirmée par une
+longue expérience</i>. Toutefois, le célèbre instituteur eut beau
+envelopper son nom d'un voile épais, son mérite transcendant brilla à
+tous les yeux, et, s'il<a name="page_030" id="page_030"></a> dut lui en coûter beaucoup d'être si
+pompeusement prôné, si unanimement porté aux nues, sa joie intérieure
+n'en fut pas moins grande quand il vit qu'il recueillait la moisson
+bienfaisante qu'il avait semée à la sueur de son front. Laissons-le
+parler lui-même:</p>
+
+<p>«Aujourd'hui les choses sont changées de face. On a vu plusieurs
+sourds-muets se montrer au grand jour. Les exercices (en français, en
+latin, en italien, en espagnol, en allemand et en anglais) sur les
+sacrements et sur les vérités de la religion ont été annoncés par des
+programmes qui ont excité l'attention du public. Des personnes de tout
+état et de toute condition y sont venues en foule. Les souteneurs ont
+été embrassés, applaudis, comblés d'éloges, couronnés de lauriers. Ces
+enfants, qu'on avait regardés jusqu'alors comme des rebuts de la nature,
+ont paru avec plus de distinction et fait plus d'honneur à leurs pères
+et mères que leurs autres enfants qui n'étaient pas en état de faire la
+même chose, et qui en rougissaient. Les larmes de tendresse et de joie
+ont succédé aux gémissements et aux soupirs. On montrait ces acteurs de
+nouvelle espèce avec autant de confiance et de plaisir qu'on avait pris
+jusqu'alors de précaution pour les faire disparaître.»</p>
+
+<p>Toutefois, notre admiration aveugle ne va point jusqu'à nous faire
+accorder sans restriction<a name="page_031" id="page_031"></a> tous nos éloges à notre maître. Nous ne
+croyons pas même insulter à sa gloire en signalant ici les quelques
+écarts de son génie qui déparent son &oelig;uvre admirable. On va le voir,
+en effet, tout à l'heure se contredire lui-même, après avoir démontré
+avec une dialectique victorieuse à quel point il importe de s'en tenir
+religieusement aux principes fondamentaux sur lesquels repose
+l'éducation du sourd-muet, et quelles immenses ressources recèle la
+mimique quand on s'efforce sérieusement de la perfectionner.</p>
+
+<p>Je prends au hasard quelques passages de sa <i>véritable manière
+d'instruire les sourds-muets</i>.</p>
+
+<p>Voici de quelle manière il enseigne l'emploi des articles: «Nous faisons
+observer au sourd-muet (dit-il pages 16-17) les jointures de nos doigts,
+de nos mains, du poignet, du coude, etc., et nous les appelons
+<i>articles</i> ou <i>jointures</i>. Nous écrivons ensuite sur le tableau que <i>le,
+la, les, de, du, des</i>, joignent les mots comme nos articles joignent nos
+os (les grammairiens nous pardonneront si cette définition ne s'accorde
+pas avec la leur). Dès lors le mouvement de l'<i>index</i> droit, qui s'étend
+et se replie plusieurs fois en forme de crochet, devient le signe
+raisonné que nous donnons à tout article. Nous en exprimons le genre en
+portant la main au<a name="page_032" id="page_032"></a> chapeau pour l'article masculin <i>le</i>, et à
+l'oreille, où se termine la coiffure d'une personne du sexe, pour
+l'article féminin <i>la</i>. L'article pluriel <i>les</i> s'annonce par le
+mouvement répété des quatre doigts d'une ou de deux mains en forme de
+crochet. L'apostrophe s'indique en faisant en l'air une apostrophe avec
+l'<i>index</i> droit. Il faut y ajouter le signe de masculin, si l'apostrophe
+est suivie d'un nom substantif masculin, et, au contraire, le signe de
+féminin, si le nom substantif qui suit est un nom féminin.</p>
+
+<p>«<i>De, du, de la, des</i>, sont des articles au second cas. Il faut donc
+ajouter au signe d'article le signe de second et ensuite le signe de
+singulier ou de pluriel, de masculin ou de féminin. Nous avons soin de
+faire observer que le <i>de, du, des</i> de l'ablatif n'est point un article,
+mais une préposition qui a son signe particulier à proportion de l'usage
+auquel on l'emploie.»</p>
+
+<p>S'agit-il d'expliquer le cas? «Il faut (dit-il pages 18-19) en faire
+apprendre les noms au sourd-muet par la dactylologie, nominatif,
+génitif, datif, etc., sans se mettre en peine de lui expliquer pourquoi
+on leur a donné ces noms. Mais ils ont chacun les signes qui leur sont
+propres: premier, second, troisième degré, etc., par lesquels on descend
+du premier cas, qu'on appelle <i>le nominatif</i>, jusqu'au sixième, qu'on
+nomme l'ablatif, et ce sont des signes<a name="page_033" id="page_033"></a> beaucoup plus intelligibles que
+ceux qu'on pourrait appliquer à ces différents noms, après même en avoir
+donné la définition. Nous dirons (page 28) comment premier, second,
+troisième, etc., se distinguent d'un, deux, trois, etc.</p>
+
+<p>«Quant au signe du mot <i>cas</i>, il s'exprime de cette manière: on fait
+rouler l'un sur l'autre les deux <i>index</i> en déclinant, c'est-à-dire en
+descendant depuis le premier jusqu'au sixième.</p>
+
+<p class="cb">. . . . .
+. . . . .
+. . . . .
+. . . . .
+. . . . .</p>
+
+<p>Pour ce qui regarde les signes de certains mots composés<a name="FNanchor_15_15" id="FNanchor_15_15"></a><a href="#Footnote_15_15" class="fnanchor">[15]</a>, l'abbé de
+l'Épée est d'avis de les décomposer matériellement à l'aide du grec et
+du latin, au lieu d'en caractériser la valeur intrinsèque par un trait
+aussi rapide que la pensée. Ainsi, <i>satisfaire</i> signifie, selon lui,
+d'après sa décomposition latine, <small>FAIRE ASSEZ</small>; <i>introduire</i>, signifie
+<small>CONDUIRE DEDANS</small>.</p>
+
+<p>Elle n'est certainement pas moins étrange la distinction qu'il a cru
+devoir établir (pages 57-58 <i>ibid.</i>) entre les différents passés: <i>j'ai
+aimé,&mdash;j'aimai,&mdash;j'ai eu aimé,&mdash;j'eus aimé,&mdash;j'avais aimé</i>, en les
+désignant par premier, deuxième, troisième et quatrième parfait, après
+avoir jeté, pour chacun d'eux, la main par dessus l'épaule, signe commun
+à tout passé.<a name="page_034" id="page_034"></a></p>
+
+<p>Il n'entre pas dans le plan de mon ouvrage de m'attacher laborieusement
+à relever une à une les fautes dans lesquelles est tombé l'abbé de
+l'Épée. Ma tâche est plus belle; j'ai à le montrer à tous les yeux
+couronné d'une brillante auréole de gloire. D'ailleurs, de pareilles
+erreurs ne glissent-elles pas inaperçues à travers les innombrables
+démonstrations dictées par la plus saine logique, à travers les
+magnifiques préceptes qu'il puise dans les trésors de son inépuisable
+charité?.... Que conclure de là, sinon que notre grand apôtre serait
+Dieu lui-même, s'il était parfait?<a name="page_035" id="page_035"></a></p>
+
+<h3><a name="V" id="V"></a>V</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même
+des idées métaphysiques?&mdash;Divers essais infructueusement tentés
+pour arriver à une écriture universelle.&mdash;Descartes et Leibnitz ne
+croient pas à la possibilité d'un succès.&mdash;M. de Lamennais est d'un
+avis contraire.&mdash;La fusion de toutes les langues en une seule, si
+elle était possible, serait-elle durable?&mdash;La mimique est la seule
+langue universelle.&mdash;Tentative heureuse de Bébian pour peindre le
+geste et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.&mdash;Sa
+<small>MIMOGRAPHIE</small>.</p></div>
+
+<p>Avant de passer outre, il me reste à réfuter une objection qu'on a
+prétendu opposer à la donnée primitive de la méthode de l'abbé de
+l'Épée.</p>
+
+<p>«La langue des sourds-muets n'aurait pas besoin, a-t-on dit, d'être
+apprise, si elle ne consistait qu'en signes naturels; mais la diversité
+des opérations de l'esprit et le nombre infini de relations dont la
+combinaison des idées rend les objets susceptibles ne permettront
+jamais<a name="page_036" id="page_036"></a> d'exprimer par ces seuls signes tout ce qui se passe en nous,
+et, malgré les rêveries de St-Martin et de quelques autres idéologues,
+l'on sera toujours obligé de recourir aux signes conventionnels. Ces
+considérations auraient dû convaincre les glossographes de
+l'impossibilité même absolue d'établir une langue vraiment universelle.»</p>
+
+<p>Nous accorderons que les essais tentés par plusieurs savants, sous
+diverses dénominations<a name="FNanchor_16_16" id="FNanchor_16_16"></a><a href="#Footnote_16_16" class="fnanchor">[16]</a>, ont tous échoué jusqu'à présent, comme il
+était indubitable qu'ils échoueraient, puisqu'ils n'avaient rien moins
+pour but que de résoudre le problème, jusqu'alors insoluble, d'une
+classification raisonnée des idées à substituer à l'ancien catalogue des
+mots par ordre alphabétique.</p>
+
+<p>S'il faut ajouter foi à certains témoignages, Leibnitz aurait emprunté à
+Descartes l'idée de<a name="page_037" id="page_037"></a> son <i>Alphabet des pensées</i>, titre dont il a décoré
+sa langue caractéristique universelle, consistant dans le catalogue
+exact des notions composées, c'est-à-dire des pensées, des jugements,
+marqués chacun d'un caractère propre et spécial.</p>
+
+<p>Descartes, après avoir tâché de démontrer, de son côté, qu'il est
+absolument impossible d'essayer de fixer une langue universelle, à moins
+d'établir un ordre logique et suivi entre toutes les pensées qu'enfante
+l'esprit humain, comme il en existe naturellement entre les nombres, se
+croit fondé à conclure (<i>Lettres,&mdash;tom.</i> 2, <i>p.</i> 550), que ce n'est que
+dans le <i>pays des romans</i> que cette langue peut devenir familière à tous
+les habitants d'une ville, à tout un peuple, à tous les peuples.</p>
+
+<p>De nos jours, M. de Lamennais paraît, au contraire, intimement convaincu
+de la solution possible du problème, quand il dit dans son <i>Esquisse
+d'une philosophie</i>: «Le mélange des langues tend à rendre commun aux
+familles distinctes qui les parlent le développement de chacune d'elles,
+à fondre tous les progrès dans un seul progrès, le progrès de l'espèce:
+ce qui fait concevoir une époque future où, la fusion étant complète et
+le genre humain étant parvenu à se constituer dans l'unité, toutes les
+langues aussi se fondront dans une seule langue universelle.»<a name="page_038" id="page_038"></a></p>
+
+<p>Après les diverses raisons alléguées par ces grands philosophes,
+serons-nous mal venu à soutenir, supposé même que cette tentative fût
+couronnée d'un plein succès, que les passions ou les caprices de chaque
+peuple finiraient nécessairement par effacer bientôt le caractère
+d'unité qu'on serait parvenu à imprimer à ce projet de langue
+universelle?</p>
+
+<p>Et serons-nous plus mal venu, nous sourd-muet, à vous offrir pour essai
+(c'est aux savants que nous nous adressons), après notre illustre maître
+l'abbé de l'Épée, la langue dans laquelle nous nous communiquons nos
+pensées et nos sentiments sans proférer une parole, la mimique?
+Observez-le bien, cette langue suffit abondamment, selon nous, à tout ce
+qu'on est en droit d'exiger d'elle, si restreint qu'on suppose, <i>à
+priori</i>, le nombre d'éléments dont elle se compose. Mais ce que vous y
+remarquerez vous avertira assurément que, pour en arriver là, elle a
+besoin de vous voir réunir hardiment vos efforts aux nôtres. Et qui
+d'entre vous se refusera à reconnaître, après cela, que Descartes a eu
+tort de nous renvoyer au pays des chimères?</p>
+
+<p>D'un autre côté, un des disciples les plus brillants de l'abbé de
+l'Épée, Bébian, ancien censeur des études à l'institution des
+sourds-muets de Paris, est venu à bout de peindre le geste et de<a name="page_039" id="page_039"></a> le
+fixer sur le papier comme on y fixe la parole. <i>Sa mimographie</i>, qui
+n'est qu'un essai, ne renferme, il est vrai, qu'un petit nombre de
+caractères à l'aide desquels il démontre la possibilité d'écrire tous
+les signes qu'on veut, mais il ne tient qu'à nous d'élargir son cadre et
+de la mettre à la portée du genre humain. D'avance nous pouvons répondre
+du succès, car il repose sur le fond de notre nature même, je veux dire
+sur notre organisation physique. En effet, le langage des gestes
+n'est-il pas le premier que nous apportons tous en naissant? L'usage
+seul si commode de la parole vous force plus tard à négliger de le
+cultiver aussi soigneusement, aussi fructueusement que nous le faisons,
+nous qui sommes déshérités de cet avantage.<a name="page_040" id="page_040"></a></p>
+
+<h3><a name="VI" id="VI"></a>VI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.&mdash;A quel hasard en
+est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de
+l'Épée.&mdash;Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre
+latin sur cette spécialité.&mdash;Juan Pablo Bonet et Conrad
+Amman.&mdash;Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de
+l'Épée.&mdash;Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par
+ses leçons.&mdash;Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans
+l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues
+Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur.</p></div>
+
+<p>Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée!</p>
+
+<p>Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la
+parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette
+partie de l'enseignement.</p>
+
+<p>Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la
+langue de ses élèves.</p>
+
+<p>Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un
+livre espagnol, en<a name="page_041" id="page_041"></a> l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra
+un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il
+allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au
+hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols.
+Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le
+commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première
+page, ce titre frappe ses yeux: <i>Arte para enseñar à hablar à los
+mudos,</i> (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'&oelig;uvre de Juan
+Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, &oelig;uvre qui lui a
+valu dans sa patrie les plus grands éloges.</p>
+
+<p>Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue
+étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses
+élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet,
+composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par
+une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé:
+<i>Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun.</i></p>
+
+<p>De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer
+une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'&oelig;uvre de
+clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti
+possible<a name="FNanchor_17_17" id="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17" class="fnanchor">[17]</a>. Quel spectateur<a name="page_042" id="page_042"></a> eût pu, dès lors, rester froid et
+indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade
+prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir
+plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie,
+et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de
+ses condisciples<a name="FNanchor_18_18" id="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18" class="fnanchor">[18]</a>. «Les arguments étaient d'avance communiqués,»
+ajoute le<a name="page_043" id="page_043"></a> maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. <i>Véritable
+manière d'instruire les sourds-muets</i>.)</p>
+
+<p>Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter
+de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon
+Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les
+dimanches, etc.</p>
+
+<p>Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la
+véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune
+connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de
+son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire<a name="FNanchor_19_19" id="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19" class="fnanchor">[19]</a>? La
+manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux
+n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de
+cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire
+le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui?</p>
+
+<p>Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa
+<i>véritable manière d'instruire les sourds-muets:</i><a name="page_044" id="page_044"></a></p>
+
+<p>«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de
+l'instruction de deux s&oelig;urs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient
+pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la
+doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un
+instituteur<a name="FNanchor_20_20" id="FNanchor_20_20"></a><a href="#Footnote_20_20" class="fnanchor">[20]</a> qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette
+&oelig;uvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie
+à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux
+qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de
+laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les
+sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on
+devait de justes applaudissements.»<a name="page_045" id="page_045"></a></p>
+
+<h3><a name="VII" id="VII"></a>VII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et
+remonte à 1620.&mdash;Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet
+manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges.&mdash;Plusieurs
+instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.&mdash;Difficulté pour les
+commencements.&mdash;Notre dactylologie se popularise en France.&mdash;Ses
+avantages.&mdash;Quelques-unes de ses règles.&mdash;Son utilité pour les
+parlants.&mdash;Son usage dans les ténèbres.&mdash;Elle est inférieure à la
+mimique.&mdash;Justice rendue à Pereire par l'abbé de
+l'Épée.&mdash;Justification du célèbre instituteur par lui-même.&mdash;Exposé
+de sa méthode.&mdash;Attaque du sourd-muet Saboureux de
+Fontenay.&mdash;L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement
+avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré
+supérieur au sien.</p></div>
+
+<p>Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous
+permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas
+déplacées ici.</p>
+
+<p>Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets,
+il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot
+par différentes formes convenues qu'on donne aux<a name="page_046" id="page_046"></a> doigts d'une seule
+main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là
+de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage
+dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention
+de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui
+vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque,
+il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les
+institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique<a name="FNanchor_21_21" id="FNanchor_21_21"></a><a href="#Footnote_21_21" class="fnanchor">[21]</a>, et il commence
+déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception
+toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît
+devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où
+le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon
+du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode
+de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer
+pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement,
+en<a name="page_047" id="page_047"></a> effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux
+qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles
+les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout
+ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux
+parlants en vénération et en reconnaissance?</p>
+
+<p class="figcenter">
+<a href="images/ill_047.jpg">
+<img src="images/ill_047_sml.jpg" width="450" height="550" alt="Alphabet manuel des Sourds-Muets." title="" /></a>
+</p>
+
+<p>Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf
+quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la
+typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés
+depuis<a name="FNanchor_22_22" id="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22" class="fnanchor">[22]</a> à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus
+facile. Dix minutes d'application suffisent pour l'apprendre. La
+rapidité dépend ensuite de l'habitude. On conçoit que par ce moyen on
+doit parler toutes les langues qui ont les mêmes lettres que le
+français.</p>
+
+<p>La lettre J se représente comme la lettre I; seulement, pour la
+première, il faut imprimer au petit doigt un léger mouvement de droite à
+gauche, pour décrire la ligne tracée ci-contre.</p>
+
+<p>Quant à la lettre Z, elle s'écrit en l'air avec<a name="page_048" id="page_048"></a> l'index, absolument
+comme la plume ou le crayon la reproduirait sur le papier.</p>
+
+<p>Pour indiquer que chaque mot est terminé, on s'arrête et l'on tire en
+l'air avec le plat de la main, les ongles en dessus, une ligne
+horizontale de gauche à droite. L'habitude de cet exercice rend,
+d'ailleurs, cette précaution inutile.</p>
+
+<p>L'accentuation et la ponctuation sont figurées en l'air par l'index. Il
+en est de même pour les chiffres.</p>
+
+<p>De ce qui précède il résulte que notre alphabet manuel n'est pas à
+dédaigner des parlants eux-mêmes dont un accident voile ou éteint
+momentanément la voix, et de ceux qui, dans un âge plus ou moins avancé,
+perdent entièrement la parole.</p>
+
+<p>N'oublions pas de remarquer, en passant, que les jeunes sourds-muets,
+dans la plupart des établissements d'éducation qui leur sont ouverts,
+adoptent, de plus, en dehors de l'enseignement, divers signes
+caractéristiques particuliers qu'ils affectionnent, et à l'aide desquels
+ils augmentent et complètent leurs moyens de communication.</p>
+
+<p>Ainsi ils désignent les premiers nombres jusqu'à 10 en levant autant de
+doigts qu'ils veulent désigner d'objets. Depuis 10 jusqu'aux nombres les
+plus élevés ils ouvrent les deux mains autant qu'ils ont de dizaines à
+exprimer, et ils y<a name="page_049" id="page_049"></a> ajoutent les unités. Plus tard, afin d'éviter toute
+longueur, toute confusion, ils expriment le nombre de dizaines comme si
+c'étaient des unités; puis, pour tracer un zéro, ils forment un rond
+avec le pouce et l'index appuyés l'un sur l'autre, comme s'ils avaient à
+représenter la lettre <i>O</i> de l'alphabet manuel. S'agit-il d'exprimer
+<i>cent</i> et <i>mille</i>, ils ont recours au même procédé pour reproduire les
+chiffres romains C et M.</p>
+
+<p>On nous demande souvent comment il est possible aux sourds-muets de
+soutenir une conversation dans les ténèbres. L'obscurité n'est pas, tant
+s'en faut, chez nous un obstacle à cet échange d'idées et de sentiments.</p>
+
+<p>En plaçant sa main dans celle de son interlocuteur, on lui fait palper
+aisément toutes les formes de l'alphabet manuel. En lui faisant suivre
+les mouvements qu'exécutent les bras, on le met à même de saisir de
+l'&oelig;il, pour ainsi dire, les pensées qu'on exprime. Ou bien, l'on
+prend les deux bras de l'interlocuteur, et on leur fait exécuter les
+mouvements qu'ils font en plein jour. Dans ces divers exercices,
+l'habitude devance presque toujours la pensée d'autrui, quelque moyen
+qu'on emploie d'ailleurs pour se faire comprendre. Après ces quelques
+données suffisantes, il serait, pensons-nous, inutile de décrire ici les
+mille autres ressources que fournit au sourd-muet le besoin, ou, disons
+mieux, la nature<a name="page_050" id="page_050"></a> si ingénieuse et si bienfaisante à son égard.</p>
+
+<p>Toutefois, si l'alphabet manuel ne remplace pas entièrement la langue
+des gestes, cette langue sublime, universelle, basée sur la nature et la
+raison, qui tient lieu de toutes les autres, mais ne s'apprend pas en un
+jour, il peut, à la rigueur, la suppléer jusqu'à un certain point,
+quoiqu'il n'offre, en définitive, qu'un moyen de relation beaucoup moins
+parfait et beaucoup moins rapide.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée, tout en rendant le plus sincère hommage aux talents
+déployés par Pereire dans l'art de la parole, ne laisse pas de faire
+consciencieusement observer qu'il n'est pas l'auteur de cette méthode
+tant prônée, et qu'elle a été pratiquée plus de cent ans avant lui par
+Bonet, Conrad Amman, et, en Angleterre, par John Wallis, savant
+professeur de l'université d'Oxford. Comme pour compléter sa
+justification personnelle, il expose tout uniment, et sans se mettre en
+frais de protestations nouvelles, qu'il n'a connu aucun de ces illustres
+auteurs, tout absorbé qu'il a été jusqu'alors par les études d'un tout
+autre genre, et <i>qu'il n'a pas encore songé à désirer, encore moins à
+entreprendre de faire parler ses deux élèves</i>. Voilà ses propres
+expressions.</p>
+
+<p>Il avait, ajoute-t-il, uniquement en vue de leur apprendre à penser avec
+ordre, à combiner<a name="page_051" id="page_051"></a> méthodiquement leurs idées. Et c'est d'après ce
+principe fondamental qu'il s'est efforcé d'assujettir les signes
+représentatifs à une méthode dont il se propose de composer une espèce
+de grammaire.</p>
+
+<p>Voici, du reste, comment il raisonne<a name="FNanchor_23_23" id="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23" class="fnanchor">[23]</a> pour essayer de convaincre ses
+lecteurs de l'utilité de ses nouveaux procédés:</p>
+
+<p>«La route des estampes<a name="FNanchor_24_24" id="FNanchor_24_24"></a><a href="#Footnote_24_24" class="fnanchor">[24]</a> n'est point de mon goût. L'alphabet manuel
+français, que je savais dès ma plus tendre enfance, ne peut m'être utile
+que pour apprendre à lire à mes disciples. Il s'agit de les conduire à
+l'intelligence des mots. Les signes les plus simples, qui ne consistent
+qu'à montrer avec la main les choses dont on sait les noms, suffisent
+pour commencer l'ouvrage; mais ils ne mènent pas loin, parce que les
+objets ne tombent pas toujours sous nos yeux, et qu'il y en a beaucoup
+qui ne peuvent être aperçus par nos sens. Il me paraît donc qu'une
+méthode de signes combinés doit être la voie la plus commode et la plus
+sûre, parce qu'elle peut également s'appliquer aux choses absentes ou
+présentes, dépendantes ou indépendantes des sens.......»<a name="page_052" id="page_052"></a></p>
+
+<p>Ce point de départ qui, au premier aspect, semblait devoir paraître
+ingénieux et juste à tous les esprits non prévenus, devint cependant,
+dans le <i>Journal de Verdun</i>, l'objet d'une attaque irréfléchie, pour ne
+rien dire de plus, de la part du sourd-muet Saboureux de Fontenay<a name="FNanchor_25_25" id="FNanchor_25_25"></a><a href="#Footnote_25_25" class="fnanchor">[25]</a>,
+que l'abbé de l'Épée ne se lassait pas d'exalter lui-même comme un
+phénomène de son siècle, capable, par la variété et la supériorité de
+ses connaissances, d'occuper une place honorable dans la république des
+lettres. Quelle raison pouvait-il donc faire valoir pour justifier ses
+hostilités envers notre vénérable instituteur? Aucune, mon Dieu! mais,
+il faut le dire, rien au monde ne semblait devoir déraciner de son
+esprit la prévention obstinée qu'il était absolument impossible
+d'inculper à ses frères d'infortune des idées complètes des choses
+indépendantes des sens avec le secours des signes méthodiques. L'abbé de
+l'Épée ne pouvait manquer d'être étrangement surpris de se voir dans la
+nécessité de combattre<a name="page_053" id="page_053"></a> un pareil adversaire, auquel son infirmité avait
+forcément dérobé la partie la plus intéressante de son &oelig;uvre, qu'il
+avait exposée de vive voix devant des personnes présentes avec lui à une
+de ses leçons.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, dépouillant tout amour propre d'innovateur, et
+n'écoulant que sa philanthropie, sa charité chrétienne, il offre d'être
+jugé contradictoirement avec Pereire, et d'adopter même son système,
+s'il est déclaré supérieur au sien.</p>
+
+<p>Essayons de bien fixer la place qui, dans ce concert d'efforts dirigés
+vers le même but, doit être réservée à l'instituteur portugais. Mais,
+pour que les droits de chacun soient pesés en parfaite connaissance de
+cause, il nous semble important de remonter plus haut.<a name="page_054" id="page_054"></a></p>
+
+<h3><a name="VIII" id="VIII"></a>VIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande,
+en Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+Italie.&mdash;Travaux de saint Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola,
+de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de Pedro
+de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Carion, d'Emmanuel
+Ramirez de Cortone, de Pedro de Castro, de John Bulwer, de J.
+Wallis, de William Holder, de Degby, de Gregory, de Georges
+Dalgarno, de Van Helmont, de Conrad Amman, de Kerger, de Georges
+Raphel, de Lassius, d'Arnoldi, de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de
+Jacob Rodrigues Pereire.&mdash;Succès brillants des deux derniers à
+l'Académie des sciences de Paris.&mdash;Pension de Louis XV au second.
+Il le nomme son interprète pour les langues espagnole et
+portugaise.&mdash;Sa tolérance religieuse.&mdash;Secret absolu recommandé à
+ses élèves.&mdash;Il offre de vendre sa méthode au gouvernement.&mdash;Lettre
+de la sourde-muette Mlle Marois.&mdash;Legs du sourd-muet Coquebert de
+Montbret.</p></div>
+
+<p><i>L'histoire ecclésiastique des Anglais</i>, par Bède le Vénérable<a name="FNanchor_26_26" id="FNanchor_26_26"></a><a href="#Footnote_26_26" class="fnanchor">[26]</a>,
+rapporte qu'à la fin du septième<a name="page_055" id="page_055"></a> siècle, saint Jean de Beverley,
+archevêque de Yorck, se chargea d'enseigner la prononciation à un jeune
+sourd-muet qui avait trouvé chez lui un asile hospitalier.</p>
+
+<p>Rodolphe Agricola, professeur de philosophie à l'université de
+Heidelberg (mort en 1495), nous met devant les yeux, dans son <i>Tractatus
+de inventione dialecticâ</i>, comme un fait merveilleux, la facilité qu'un
+sourd-muet avait acquise, vers ce temps, de converser par écrit avec les
+parlants.</p>
+
+<p>Jérôme Cardan, né en 1501, mort en 1576, réformateur de la philosophie
+au XVI<sup>e</sup> siècle, prouva, par des réflexions aussi justes que subtiles
+sur la position exceptionnelle des sourds-muets dans le monde, que
+personne n'était plus à même que lui<a name="FNanchor_27_27" id="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27" class="fnanchor">[27]</a> de l'apprécier comme elle le
+mérite.<a name="page_056" id="page_056"></a></p>
+
+<p>Dès 1578, J. Pasck, prédicateur de la cour de l'électeur de Brandebourg,
+qui comptait parmi ses enfants deux sourds-muets, prit soin lui-même de
+leur éducation, sous la seule inspiration de sa tendresse paternelle.
+Mais il ne nous a laissé, chose fâcheuse! rien d'écrit sur ses procédés,
+qui paraissent toutefois empreints d'un sens profond.</p>
+
+<p>Pendant le séjour que saint François de Sales fit à la Roche (vers
+1604), il donna un exemple de charité qui ne surprendra personne, mais
+qui n'a pas dû laisser, disent ses contemporains, de lui être d'un grand
+mérite devant Dieu. Entre les malheureux qui venaient tous les jours
+recevoir l'aumône à sa porte, il rencontra un sourd-muet de naissance:
+c'était un homme d'une vie fort innocente, et qui, pourvu d'ailleurs
+d'une certaine adresse, trouvait à s'employer dans les bas services de
+l'évêché. Comme on savait que le saint prélat aimait les pauvres, on le
+lui amenait quelquefois pendant son repas, pour qu'il jouît du plaisir
+de le voir s'expliquer par signes et comprendre parfaitement ceux qu'on
+lui adressait. Saint François, touché de sa position, ordonna qu'on
+l'admît au nombre de ses domestiques et qu'on en eût le plus grand soin.
+Son maître d'hôtel lui ayant respectueusement fait observer qu'il
+n'avait pas besoin de ce surcroît de charge<a name="page_057" id="page_057"></a> inutile, et que, du reste,
+cet infirme ne pouvait être bon à rien: «Qu'appelez-vous bon à rien? lui
+répondit l'évêque; comptez-vous donc pour rien l'occasion qu'il m'offre
+de pratiquer la charité? Plus Dieu l'a affligé, plus on doit en avoir
+pitié. Si nous étions à sa place, voudrions-nous qu'on fût si ménager à
+notre égard?» Le sourd-muet fut donc reçu dans la domesticité de la
+maison, et saint François le garda jusqu'à sa mort.</p>
+
+<p>Le prélat fit plus encore; il entreprit de l'instruire lui-même par
+signes des mystères de la foi, et il y réussit, grâce à un travail
+persévérant, grâce à une patience infatigable. Il lui apprit à se
+confesser par gestes et désira être son directeur; il l'admit ensuite à
+la communion, dont il ne s'approchait qu'avec un respect et une dévotion
+qui édifiaient tous les fidèles. Il ne survécut guère à son admirable
+instituteur et mourut, dit-on, de douleur de l'avoir perdu<a name="FNanchor_28_28" id="FNanchor_28_28"></a><a href="#Footnote_28_28" class="fnanchor">[28]</a>.</p>
+
+<p>Dans la pléiade des instituteurs tant français qu'étrangers, j'en
+signalerai, chemin faisant, qui me paraissent mériter une mention
+honorable.</p>
+
+<p>Selon le témoignage unanime de tous ceux qui se sont consacrés plus ou
+moins directement à la science qui nous occupe, l'honneur<a name="page_058" id="page_058"></a> d'une
+initiative réelle et sérieuse remonte à 1570 et appartient de droit à
+Pedro de Ponce, bénédictin espagnol, mort en 1584, après avoir fait
+l'éducation de deux frères et d'une s&oelig;ur du connétable Velasco, ainsi
+que du fils du gouverneur d'Aragon, tous quatre atteints de
+surdi-mutité. Son manuscrit, ce premier manuscrit de l'histoire d'un art
+peu cultivé, qu'on avait cru longtemps perdu dans les révolutions
+incessantes de l'Espagne, a été retrouvé en 1839, au fond d'un de ses
+innombrables monastères, et transporté à Madrid, sous la philanthropique
+influence de M. Ramon de la Sagra. Treize ans auparavant, il avait été
+inutilement cherché par le savant baron de Gérando, ancien
+administrateur de notre Institution nationale des sourds-muets. Nous
+sommes encore à attendre l'effet de la promesse que son illustre ami, M.
+Ramon de la Sagra, lui avait faite de doter l'établissement de Paris
+d'une copie de ce précieux manuscrit.</p>
+
+<p>Le même pays vît paraître, après le célèbre bénédictin, Juan Pablo Bonet
+(<i>Art d'enseigner aux muets à parler</i>, 1620), qui eut pour élève le
+frère sourd-muet du connétable de Castille, auquel il était attaché
+comme secrétaire, et Ramirez de Carion, autre religieux<a name="FNanchor_29_29" id="FNanchor_29_29"></a><a href="#Footnote_29_29" class="fnanchor">[29]</a>, qui avait<a name="page_059" id="page_059"></a>
+fait jurer<a name="FNanchor_30_30" id="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30" class="fnanchor">[30]</a> à un sourd-muet de naissance, son disciple, Emmanuel
+Philibert, prince de Savoie Carignan<a name="FNanchor_31_31" id="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31" class="fnanchor">[31]</a>, de ne point révéler sa
+méthode. Ce ne fut que neuf ans après la publication du livre de Bonet
+que l'instituteur se décida à lancer dans le monde le sien, intitulé:
+<i>Maravillas de naturaleza, en que se contienen dos mil secretos de cosas
+naturales</i>, 1629. (<i>Merveilles de la nature, contenant deux mille
+secrets de choses naturelles</i>.)</p>
+
+<p>La carrière a été parcourue avec plus ou moins de succès en Italie par
+deux autres Espagnols, Emmanuel Ramirez de Cortone et<a name="page_060" id="page_060"></a> Pedro de Castro,
+premier médecin du duc de Mantoue, qui instruisait le fils sourd-muet du
+prince Thomas de Savoie (toujours des sourds-muets dans cette pauvre
+maison de Savoie!);&mdash;en Angleterre, par John Bulwer (<i>le Philosophe ou
+l'Ami des sourds-muets</i>, 1648), par J. Wallis (<i>Traité grammatico
+physique de la parole ou de la formation des sons vocaux</i>, 1660), par
+William Holder, Degby, Gregory et Georges Dalgarno, Écossais, qui,
+presque à la même époque (en 1620), publiait, en outre de son <i>Ars
+signorum</i><a name="FNanchor_32_32" id="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32" class="fnanchor">[32]</a>, l'exposition de sa manière d'instruire les sourds-muets,
+sous le titre de <i>Didas Colocophus</i> ou le <i>Précepteur du sourd-muet</i>.</p>
+
+<p>La Hollande est fière aussi d'avoir donné le jour à Van Helmont, dont
+les travaux ont pourtant été éclipsés par ceux de Conrad Amman, médecin
+suisse établi à Amsterdam (<i>Surdus loquens</i>, 1692, et <i>Dissertation sur
+la parole</i>, 1700).</p>
+
+<p>L'Allemagne a produit Kerger, Georges Raphel,<a name="page_061" id="page_061"></a> père de trois
+sourds-muets, Lassius, Arnoldi et Samuel Heinicke, directeur de l'École
+des sourds-muets de Leipsick.</p>
+
+<p>Enfin, Jacob-Rodrigues Pereire, juif portugais, forcé de quitter Cadix,
+où il avait essayé, mais en vain, de réunir quelques sourds-muets, se
+présenta, le 11 juin 1749, escorté de son élève Azy d'Etavigny, fils
+d'un directeur des fermes de Bordeaux, à l'Académie des sciences, où il
+fut autorisé à lire un mémoire sur sa méthode, lequel, dès le 9 juillet,
+devint l'objet d'un premier rapport de Buffon, Mairan et Ferrein. Le 13
+janvier 1751, un autre de ses élèves, dont nous avons déjà parlé,
+Saboureux de Fontenay<a name="FNanchor_33_33" id="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33" class="fnanchor">[33]</a>, comparut devant cette Académie, ce qui donna
+lieu, le 27, à un second rapport des mêmes savants. L'éloge de sa
+prétendue découverte se trouve, en outre, dans le troisième tome de
+l'<i>Histoire naturelle</i> de Buffon (1<sup>re</sup> édition). Telle est l'origine
+du titre glorieux d'inventeur dont il s'enorgueillissait.</p>
+
+<p>Parmi les notabilités qui assistèrent souvent<a name="page_062" id="page_062"></a> aux leçons de
+l'instituteur portugais, je citerai, outre le célèbre naturaliste, J.-J.
+Rousseau<a name="FNanchor_34_34" id="FNanchor_34_34"></a><a href="#Footnote_34_34" class="fnanchor">[34]</a>, La Condamine<a name="FNanchor_35_35" id="FNanchor_35_35"></a><a href="#Footnote_35_35" class="fnanchor">[35]</a>, d'Alembert, Diderot<a name="FNanchor_36_36" id="FNanchor_36_36"></a><a href="#Footnote_36_36" class="fnanchor">[36]</a>, Lecat<a name="FNanchor_37_37" id="FNanchor_37_37"></a><a href="#Footnote_37_37" class="fnanchor">[37]</a>, le
+P. André<a name="FNanchor_38_38" id="FNanchor_38_38"></a><a href="#Footnote_38_38" class="fnanchor">[38]</a>, etc.</p>
+
+<p>Je ne puis résister au désir de reproduire ici l'extrait d'une lettre
+adressée à M. Rodrigues, ami de l'instituteur portugais, par M<sup>lle</sup>
+Marois, sa plus chère élève:</p>
+
+<p>«........Buffon et Rousseau surtout ont été très-assidus à suivre les
+gradations de notre intelligence, qu'ils ont prise dès le néant, et
+qu'ils ont vu Pereire conduire sans effort jusqu'à l'art de la parole,
+jusqu'à la merveille de la compréhension, jusqu'à ce trésor précieux<a name="page_063" id="page_063"></a> de
+nous faire aimer la lecture même des choses abstraites et, le dirai-je?
+jusqu'à la connaissance de l'intérieur des hommes par les inflexions de
+toute leur figure, quand ils ont parlé devant nous un certain temps; car
+vous savez, Monsieur, que la figure de l'homme est le grand livre de ce
+qui se passe dans le secret du c&oelig;ur.»</p>
+
+<p>En 1749, à l'occasion de la présentation à la cour du premier élève de
+Pereire, que Louis XV interrogea pendant près d'une heure, en présence
+du dauphin, père de Louis XVI, le roi daigna accorder au maître une
+gratification de 800 livres, le 22 octobre 1751; plus tard, en 1765, une
+autre pension de la même somme; et il lui fit délivrer le brevet de son
+interprète pour les langues espagnole et portugaise.</p>
+
+<p>Quoique Israélite de religion, sa tolérance était telle, qu'il élevait
+ses élèves suivant la volonté de leurs familles. Il en était très-aimé;
+mais il tenait beaucoup à ce qu'ils gardassent le secret le plus absolu
+sur ses procédés, <i>qu'il offrait de vendre au gouvernement</i>.</p>
+
+<p>En quoi consistait cependant sa prétendue méthode<a name="FNanchor_39_39" id="FNanchor_39_39"></a><a href="#Footnote_39_39" class="fnanchor">[39]</a>? Qu'avait-elle de
+spécial, de différent<a name="page_064" id="page_064"></a> de toutes les autres? Mon Dieu! tout se bornait à
+un plagiat, comme on l'a vu tout à l'heure, sauf néanmoins l'application
+ingénieuse qu'il faisait des moyens mis en usage avant lui pour
+redresser, chez les sourds-muets, cet état déplorable de la nature. On a
+également prétendu que c'était sur le plan d'un de ses compatriotes, du
+nom de Fayoso, qu'il avait édifié tout son système.</p>
+
+<p>Ernaud, aussi chaud partisan de l'<i>alphabet labial</i> que son rival le fut
+de la dactylologie, vint, de son côté, en 1757, élever au sein de
+l'Académie des Sciences les mêmes prétentions à ce titre d'inventeur; et
+son ambition fut bientôt également satisfaite. Mais le voile dont l'un
+et l'autre avaient eu soin de se couvrir ne tarda pas à se déchirer. Ces
+hommes s'étaient parés des plumes des Bonet, des Amman et des Wallis.<a name="page_065" id="page_065"></a></p>
+
+<h3><a name="IX" id="IX"></a>IX</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Avènement de l'abbé de l'Épée.&mdash;Rivalité de l'abbé Deschamps.&mdash;Son
+cours élémentaire.&mdash;Il est combattu par le sourd-muet Desloges,
+ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet,
+domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.&mdash;L'abbé de l'Épée
+devient le confesseur de ses enfants d'adoption.&mdash;L'empereur Joseph
+II lui sert la messe.&mdash;Il amène dans son établissement sa s&oelig;ur
+la reine Marie-Antoinette et lui adresse un prêtre allemand, en le
+priant de le mettre à même de populariser sa méthode dans ses
+États.&mdash;Lettre de ce prince à l'abbé de l'Épée.</p></div>
+
+<p>Après eux, enfin, parut, en France, l'abbé de l'Épée, qui eut la gloire
+d'effacer l'espèce d'anathème jeté, dans cette sainte mission, par
+l'antériorité des autres peuples, sur notre terre classique des
+lumières, et ouvrit une carrière jusque-là inconnue à la grande famille
+des sourds-muets. Sa découverte fut dignement appréciée par un autre
+instituteur français, l'abbé Deschamps, chapelain de l'église d'Orléans.
+Son <i>Cours élémentaire de l'éducation des<a name="page_066" id="page_066"></a> sourds-muets</i> vit le jour
+cinq ans après la publication de l'<i>Institution des sourds-muets par la
+voie des signes méthodiques</i>. Il est à déplorer seulement que cet
+ecclésiastique, aussi recommandable par les qualités de l'esprit que par
+celles du c&oelig;ur, ait persisté à repousser aveuglément l'évidence qui
+militait en faveur de la méthode de l'abbé de l'Épée, en s'opiniâtrant à
+faire de la prononciation le grand pivot de son système et reléguant la
+mimique à la dernière période de l'enseignement, au lieu de l'appeler à
+jouer son rôle dans la première, pour des raisons qu'il est aisé de
+déduire à la première inspection de l'enfant sourd-muet. Cette
+persistance provoqua les <i>Observations d'un sourd-muet</i>, petit ouvrage
+aussi remarquable par la concision du style que par la rectitude des
+aperçus dont il est semé. Il est dû à la plume de Desloges, pauvre
+ouvrier relieur et colleur de papier, élève en pantomime d'un sourd-muet
+de naissance, Italien de nation, illettré, domestique d'un acteur de la
+Comédie-Italienne, ensuite dans plusieurs grandes maisons, et notamment
+chez M. le prince de Nassau.</p>
+
+<p>Au milieu de ces rivalités qui présageaient de nouveaux triomphes à
+notre célèbre instituteur, son troupeau croissait en âge, en raison, et
+touchait au moment où le besoin des secours<a name="page_067" id="page_067"></a> spirituels se fait
+généralement sentir aux jeunes âmes que Dieu ne repousse pas. Qui
+recevra leurs confidences? Qui recueillera le récit naïf de leurs
+fautes? Un seul parlant comprend leur langage muet. C'est leur maître,
+c'est l'abbé de l'Épée. Après avoir inutilement multiplié ses démarches
+auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, pour en obtenir l'autorisation
+de confesser ses élèves, il s'adresse, de guerre lasse, à l'archevêque
+de Paris. Ce prélat ne répond pas à ses deux lettres. Alors
+l'instituteur lui déclare qu'il regarde son silence comme une adhésion
+tacite et qu'il va, dès ce jour, remplir avec confiance les nouvelles
+fonctions auxquelles Dieu l'appelle.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée disait habituellement sa messe, de fort bonne heure, à
+l'église Saint-Roch. Un matin qu'il allait monter à l'autel, il cherche
+en vain des yeux l'enfant qui l'assiste: un inconnu, vêtu simplement,
+mais avec goût, s'offre pour le remplacer, et il le remplace, en effet,
+à la grande satisfaction du prêtre, qui l'invite à visiter son
+établissement. L'étranger est dans l'admiration de tout ce qu'il voit,
+et, en quittant l'abbé, il lui glisse dans la main un objet enveloppé de
+papier: «Voici, lui dit-il, un léger souvenir de ma visite.» C'était une
+magnifique tabatière avec le portrait de l'empereur d'Allemagne Joseph<a name="page_068" id="page_068"></a>
+II, enrichi de diamants. Nous tenons le fait d'un contemporain notre
+ami, M. le comte Armand d'Allonville, si connu par l'immensité et la
+précision de ses souvenirs.</p>
+
+<p>Pendant son séjour à Paris, en 1777, sous le nom de comte de
+Falkenstein, Joseph II fréquenta l'école du célèbre instituteur.
+Personne n'était plus digne que lui d'apprécier tout ce qu'au fond de
+son âme le génie de la charité couvait de feu créateur, tout ce que
+l'activité de son dévouement avait de désintéressé. Aussi y amena-t-il
+sa s&oelig;ur, la reine Marie-Antoinette, qui en revint, comme lui, saisie
+de respect et d'admiration. L'enthousiasme de ce prince philosophe ne
+fut pas stérile. Ayant à c&oelig;ur de fonder dans ses États une école de
+sourds-muets sur le modèle de celle de Paris, il envoya dans cette
+capitale un ecclésiastique de Vienne, l'abbé Storck, et supplia l'abbé
+de l'Épée de lui indiquer la route à suivre pour réussir à former
+l'esprit et le c&oelig;ur de ses sourds-muets allemands. Le jeune prêtre
+remit au vénérable fondateur la lettre suivante<a name="FNanchor_40_40" id="FNanchor_40_40"></a><a href="#Footnote_40_40" class="fnanchor">[40]</a>:</p>
+
+<p>«Monsieur l'abbé........ l'établissement que vous avez consacré au
+service du public, et dont j'ai eu l'occasion d'admirer les étonnants
+progrès, m'engage à vous adresser l'abbé<a name="page_069" id="page_069"></a> Storck, porteur de cette
+lettre. Je me flatte qu'il aura les qualités requises pour apprendre de
+vous à conduire un pareil établissement à Vienne. Je ne le connais pas
+autrement que par son ordinaire, qui me l'a choisi..... et qui croit
+pouvoir en répondre. Je me flatte que vous voudrez bien le prendre sous
+votre direction, en lui communiquant la méthode que vous avez établie
+avec tant de soin. Votre amour pour le bien de l'humanité et la gloire
+de rendre à la société de nouveaux sujets me font espérer que vous
+contribuerez de bon c&oelig;ur à étendre votre charité sur une partie des
+sourds-muets allemands, en leur formant un maître qui, par les yeux,
+leur fournira des moyens suffisants pour les faire penser et combiner
+leurs idées. Adieu...</p>
+
+<p class="r">»Signé: J<small>OSEPH.</small>»</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée avait déjà répondu en ces termes au désir que
+l'empereur lui avait manifesté de savoir quels étaient les moyens
+d'élever un jeune sourd-muet de Vienne, appartenant à une puissante
+famille: «Votre Majesté n'aurait qu'à me l'envoyer à Paris, ou, à
+défaut, un sujet intelligent, de trente ans au moins, que je mettrais en
+état de réussir parfaitement dans cette entreprise.»<a name="page_070" id="page_070"></a></p>
+
+<h3><a name="X" id="X"></a>X</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.&mdash;L'abbé de
+l'Épée intervient.&mdash;Il en appelle aux académies de Vienne, d'Upsal,
+de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.&mdash;Abstention générale,
+à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce en sa
+faveur.&mdash;Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.&mdash;Nouvelle
+victoire de l'abbé de l'Épée.&mdash;Condillac se prononce pour
+lui.&mdash;Extension trop grande donnée à la parole artificielle du
+sourd-muet&mdash;Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.</p></div>
+
+<p>C'est à l'occasion de la mise en pratique des théories de l'instituteur
+français dans la capitale de l'Autriche qu'un débat, devenu célèbre,
+s'engagea entre l'abbé Storck et Heinicke, qui, secondé par les
+libéralités de l'électeur de Saxe, avait fondé, en 1778, un nouvel
+institut de sourds-muets à Leipsick, presque en même temps que s'élevait
+celui de Paris, débat dans lequel la vanité jalouse de l'un des deux
+rivaux ne fit que donner un nouveau relief à l'humilité évangélique de
+l'autre.<a name="page_071" id="page_071"></a></p>
+
+<p>L'instituteur de Leipsick prétendait si bien à la prééminence de sa
+création, qu'il ne cherchait qu'à renouveler contre l'abbé de l'Épée des
+attaques indignes de son talent, d'ailleurs universellement apprécié. Ce
+dernier dut intervenir dans la querelle, et il le fit de la meilleure
+grâce du monde. Après s'être attaché une troisième et dernière fois à
+pulvériser ces deux objections de Heinicke: 1º l'absence de l'ouïe ne
+peut pas trouver de compensation dans la possession de la vue;&mdash;2º
+l'écriture, secondée par les signes méthodiques, ne saurait jamais faire
+entrer les idées abstraites dans le cerveau du sourd-muet;&mdash;il finit par
+en déférer généreusement à l'appréciation des académies ou sociétés
+littéraires de Vienne, d'Upsal, de Saint-Pétersbourg, de Zurich, en
+Suisse, et même de Leipsick. Toutes s'abstinrent de souscrire au v&oelig;u
+du fondateur français, excepté celle de Zurich, qui, après avoir
+consacré plusieurs séances à la discussion de ce procès littéraire<a name="FNanchor_41_41" id="FNanchor_41_41"></a><a href="#Footnote_41_41" class="fnanchor">[41]</a>,
+déclara, au milieu des applaudissements universels, qu'elle plaçait
+l'abbé de l'Épée au-dessus de Heinicke, comme ayant le mieux atteint le
+but.</p>
+
+<p>Un autre adversaire, non moins redoutable, entra presque aussitôt en
+lice, comme s'il n'eût pas voulu laisser l'instituteur français maître<a name="page_072" id="page_072"></a>
+paisible du champ de bataille. M. Nicolaï, membre de l'Académie de
+Berlin, l'attaqua vivement par la publication d'une lettre en allemand,
+reproduite par le <i>Journal de Paris</i>, dans laquelle il prétendait
+fulminer, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, un interdit sur le
+système entier, d'après la manière trop peu satisfaisante, selon lui,
+dont un des élèves de l'abbé Storck était sorti d'une épreuve à laquelle
+il avait voulu le soumettre. Il en concluait (belle conclusion!) que
+l'intelligence de cet élève ne s'étendait pas beaucoup au-delà de la
+sphère de la nomenclature des objets visibles, et que cette expérience
+suffisait abondamment pour faire condamner sans appel les principes sur
+lesquels reposait la méthode de notre premier instituteur. Cet
+échafaudage d'arguments spécieux ne tarda pas à être renversé de fond en
+comble par l'apparition de deux lettres de l'abbé de l'Épée, également
+insérées dans le <i>Journal de Paris</i> (27 mai 1785).</p>
+
+<p>Notre infatigable athlète a beau provoquer à cet égard l'examen sérieux
+de l'Académie de Berlin, le rapporteur Formey trouve plus commode
+d'abandonner la décision à intervenir au temps, à l'expérience, et de se
+tenir coi, les yeux fermés, que d'aller se jeter, à corps perdu, à
+travers les coups redoublés qu'on se porte de part et d'autre.<a name="page_073" id="page_073"></a></p>
+
+<p>Sur ces entrefaites, Condillac se présente en faveur de la méthode de
+l'abbé de l'Épée, avec son <i>Cours d'études pour l'instruction du prince
+de Parme</i> (t. 1<sup>er</sup>, 1<sup>re</sup> part., chap. 1<sup>er</sup>, p. 11) et avec sa
+<i>Grammaire</i>, publiée quatre ans après l'<i>Institution des sourds-muets
+par la voie des signes méthodiques</i>: il tient à honneur de faire justice
+de ce silence outrageant et de mettre, avant une plus longue épreuve, le
+sceau de la vérité et de l'immortalité à l'&oelig;uvre de son illustre
+contemporain.</p>
+
+<p>Jusqu'à l'abbé de l'Épée, l'art créé en Espagne, et créé de nouveau en
+Angleterre, avait semblé destiné à tomber dans un éternel oubli, ou peu
+s'en faut: c'est qu'en réalité il s'appuyait sur une fausse base. A
+quelques exceptions près, tous ceux qui l'avaient pratiqué avec plus ou
+moins de succès, avant ce respectable instituteur, s'imaginaient avoir
+résolu le problème en mettant les sourds-muets en possession de la
+parole artificielle.</p>
+
+<p>Ce n'est cependant pas qu'on doive, tant s'en faut, proscrire
+impitoyablement cet instrument, qui ressemble néanmoins, nous sommes
+obligé de le dire, au langage harmonieux de l'homme, à peu près comme la
+voix criarde et inintelligente du perroquet; mais il importe surtout de
+prendre garde à ne pas trop l'élever au-dessus de sa véritable valeur.<a name="page_074" id="page_074"></a></p>
+
+<p>Les jeunes sourds-muets sont-ils, en effet, tous aptes à réussir dans
+les expériences de ce genre que l'on voudrait tenter sur eux? Ne
+remarque-t-on pas, au contraire, un défaut plus ou moins absolu de
+souplesse dans les organes vocaux de l'immense majorité? Et ne
+s'aperçoit-on pas même le plus souvent de la répugnance ou tout au plus
+du mauvais vouloir avec lequel nos enfants reçoivent les leçons
+régulières de leur maître parleur? Puis, avec quelle folâtre
+satisfaction, dès qu'ils s'en voient débarrassés, ne se cramponnent-ils
+pas, pour ainsi dire, à la mimique, cette langue chérie où leurs jeunes
+imaginations, jusque-là emprisonnées dans un cercle de fer, reprennent
+tout leur essor!</p>
+
+<p>On aura beau le contester, l'enseignement de l'articulation n'est ni ne
+peut être autre chose qu'un complément d'instruction: encore le succès
+dépend-il des dispositions particulières de l'élève. C'est ce qu'a
+démontré, avec toute l'autorité de l'expérience, l'abbé de l'Épée, à qui
+se sont joints les instituteurs les plus habiles dont s'enorgueillit la
+nation sourde-muette.</p>
+
+<p>Nous voici arrivé bien au-delà de notre but. Notre tâche n'est cependant
+pas, bien s'en faut, encore achevée. Nous avons à parler des vertus de
+notre héros pacifique. Lecteur! un peu de patience, et de l'indulgence
+surtout!<a name="page_075" id="page_075"></a></p>
+
+<h3><a name="XI" id="XI"></a>XI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa soutane usée.&mdash;Presque
+octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+rigoureux.&mdash;Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le
+sourd-muet Léopold Loustau.&mdash;Il refuse un évêché en France et une
+abbaye en Allemagne.&mdash;Belles réponses à Joseph II et à Catherine de
+Russie.&mdash;Paroles mémorables.&mdash;Il ne demande qu'à instruire des
+sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de tous
+les pays.&mdash;Son désintéressement, ses sacrifices.&mdash;Louis XVI redoute
+d'abord son jansénisme.&mdash;Plus tard, il accepte le patronage de son
+école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des Célestins et
+lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.&mdash;La mort ne permet
+pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés dans ce nouveau
+local.&mdash;Statistique des pensions de sourds-muets et de
+sourdes-muettes, existantes à cette époque à Paris.&mdash;Son école à un
+second étage de la rue des Moulins.&mdash;Sa maison de campagne à loyer,
+rue des Martyrs.&mdash;Scènes attendrissantes.</p></div>
+
+<p>Si le génie de l'abbé de l'Épée était immense, ses bienfaits ne le
+furent pas moins. Pas un jour de sa vie ne s'écoula sans qu'un nouveau
+sacrifice de sa part vint adoucir la triste destinée de ceux qu'il
+regardait comme ses fils adoptifs. Le bon pasteur s'obstinait à traîner<a name="page_076" id="page_076"></a>
+une soutane usée, à garder la plus stricte économie dans ses repas, dans
+son entretien, et, quoique presque octogénaire et assiégé par les
+infirmités irréparables de ce grand âge, à se priver de feu pendant un
+hiver des plus rigoureux (1788), <i>pour ne pas faire tort</i>, disait-il,
+<i>au patrimoine sacré de ses enfants</i>. Un matin, la nouvelle de cette
+privation secrète est révélée par sa gouvernante; elle jette leur âme
+dans le désespoir, et, joignant leurs instances à celles de cette
+excellente femme, ils le supplient, les larmes aux yeux, dans leur
+langage empreint de la plus naïve éloquence, de se conserver pour ses
+fils adoptifs.</p>
+
+<p>Peu lui importait, d'ailleurs, que son indigence scandalisât un monde
+raffiné, quand il se contentait de sa seule parure, la vertu; ce n'était
+point toutefois chez lui une vertu rude, sauvage, repoussante, mais une
+vertu bienfaisante qui s'insinuait doucement dans les esprits. Au milieu
+de ses mortifications, il avait soin de se dérober à l'admiration de
+ceux qui l'approchaient. Il cherchait à se cacher à lui-même. Son âme,
+d'une rare trempe, s'était si bien endurcie à ses combats intérieurs de
+chaque jour, qu'on le voyait partager tout son temps entre le travail et
+la charité ou la prière. A le voir réciter les offices de l'Église à
+certaines heures fixes, on l'eût<a name="page_077" id="page_077"></a> pris pour un fervent cénobite qui prie
+sur les tombeaux.</p>
+
+<p>Jusqu'à présent, ô surprise! pas un grand maître n'a confié à la toile
+une scène aussi touchante! Eh bien! c'est pour nous un grand bonheur
+d'avoir à annoncer ici qu'un jeune artiste de talent, un sourd-muet, M.
+Léopold Loustau<a name="FNanchor_42_42" id="FNanchor_42_42"></a><a href="#Footnote_42_42" class="fnanchor">[42]</a>, ancien élève de l'Institution de Nancy, songe à
+réparer cette injure, trop prolongée, à la mémoire de notre saint
+Vincent de Paule.</p>
+
+<p>Sans doute, il est présent encore au souvenir de nos lecteurs ce
+désintéressement trop rare, hélas! dans notre siècle d'égoïsme, dont
+l'humble apôtre fit preuve dans une circonstance<a name="page_078" id="page_078"></a> antérieure,
+lorsqu'atteignant à peine sa vingt-sixième année, il refusa un évêché
+que le cardinal de Fleury lui offrait en reconnaissance d'un service
+personnel que son père lui avait rendu. A l'empereur Joseph II, qui lui
+proposait une abbaye dans ses États, il répondait ainsi: «Je suis
+confus, sire, de vos bontés; si, à l'époque où mon entreprise n'offrait
+encore aucune chance de succès, quelque médiateur puissant eût sollicité
+et obtenu pour moi un riche bénéfice, je l'aurais accepté pour en faire
+servir les ressources au profit de l'institution. Mais je suis déjà
+vieux; si Votre Majesté veut du bien aux sourds-muets, ce n'est pas sur
+ma tête déjà courbée vers la tombe qu'il faut le placer, c'est sur
+l'&oelig;uvre elle-même. Il est digne d'un grand prince de la perpétuer
+pour le bien de l'humanité.»</p>
+
+<p>Pas moins grande ne fut la surprise de Catherine II, la célèbre
+impératrice, toujours si empressée à accorder sa protection à tout ce
+qui était grand et populaire, en recueillant la réponse de l'abbé de
+l'Épée à son ambassadeur, chargé de lui offrir en 1780 de riches
+présents en son nom: «Monseigneur, lui avait-il dit, je ne reçois jamais
+d'or, mais dites à Sa Majesté que, si mes travaux lui ont paru dignes de
+quelque estime, je ne lui demande pour toute faveur que de<a name="page_079" id="page_079"></a> m'envoyer un
+sourd-muet de naissance que j'instruirai.»</p>
+
+<p>&mdash;«Les riches, dit-il quelque part, ne viennent chez moi que par
+tolérance; ce n'est point à eux que je me suis consacré, c'est aux
+pauvres: sans ces derniers, je n'aurais pas entrepris l'éducation des
+sourds-muets. Les riches ont le moyen de chercher et de payer quelqu'un
+pour les instruire.»</p>
+
+<p>Ce fut toujours dans l'intérêt des sourds-muets de toutes les nations
+que l'abbé de l'Épée apprit seul, dans la maturité de l'âge, l'italien,
+l'espagnol, l'anglais et l'allemand. «Je suis, disait-il, à l'âge de
+plus de soixante ans, je suis prêt à étudier toute autre langue dans
+laquelle il faudrait instruire un sourd-muet qui me sera envoyé par la
+Providence, car je ne regarde pas avec indifférence les sourds-muets des
+nations qui nous environnent.»</p>
+
+<p>Aux amis qui lui demandaient: «A quoi tant d'idiomes peuvent-ils vous
+servir quand il ne s'agit que de sourds-muets français?&mdash;A rien,
+répondait le bon abbé.&mdash;Alors pourquoi les leur faire
+apprendre?&mdash;Pourquoi? C'est que je suis mortel. Une partie
+très-considérable de ma carrière est déjà fournie.&mdash;Et qui instruira les
+sourds-muets après moi? Ce travail est pénible; il engage à des dépenses
+et il ne rapporte rien; trois pierres d'achoppement<a name="page_080" id="page_080"></a> pour bien des gens.
+Je me suis donc imaginé qu'en faisant faire à mes élèves un exercice où
+chacun serait libre de les interroger en différentes langues, il en
+résulterait une évidente preuve que les sourds-muets sont aussi
+susceptibles d'instruction que les autres enfants. Qui sait si quelque
+puissance ne voudra pas former dans ses États une maison de
+sourds-muets? Et, dès lors, il y aura quelqu'un après moi, n'importe en
+quel pays, qui continuera mon &oelig;uvre.»</p>
+
+<p>Seul, sans autre ressource qu'une modeste fortune de 12,000 livres de
+rente environ<a name="FNanchor_43_43" id="FNanchor_43_43"></a><a href="#Footnote_43_43" class="fnanchor">[43]</a>, il soutint une école nombreuse dont il payait les
+maîtres, les maîtresses, ainsi que la nourriture et l'entretien des
+élèves. Sa dépense personnelle ne s'éleva jamais à plus de 2,000 fr. Son
+frère, architecte du roi, dont les qualités personnelles le rendaient
+digne d'une telle parenté, s'empressait d'ouvrir sa bourse à sa première
+réquisition, lorsqu'il s'agissait de seconder les élans spontanés de son
+âme, de quelque indifférence que, dans le principe, son école fût
+l'objet de la part du pouvoir. Souvent même notre charitable instituteur
+entamait ses capitaux malgré les conseils de la prudence.<a name="page_081" id="page_081"></a></p>
+
+<p>Si l'on s'en rapporte à un journal mensuel de l'époque<a name="FNanchor_44_44" id="FNanchor_44_44"></a><a href="#Footnote_44_44" class="fnanchor">[44]</a>, Louis XVI
+aurait dit à l'abbé de Radonvilliers, ex-jésuite, son sous-précepteur:
+«L'abbé de l'Épée rend un grand service à ses élèves, mais mieux
+vaudrait pour eux qu'ils restassent sourds-muets que d'ouvrir l'oreille
+au jansénisme.»</p>
+
+<p>Il n'est plus question depuis longtemps, grâce à Dieu, des querelles du
+jésuitisme et du jansénisme, et, grâce à Dieu aussi, il n'est sorti de
+l'école de l'abbé de l'Épée ni jansénistes ni jésuites, mais de bons
+catholiques, des hommes vertueux et instruits, et des citoyens
+estimables.</p>
+
+<p>Au surplus, on doit rendre à la bonté naturelle de Louis XVI cette
+justice, que, plus tard, il ne se contenta pas d'accepter le patronage
+de l'enseignement de ces pauvres orphelins déshérités, en autorisant le
+transfert de leur école dans le couvent des Célestins supprimé, sur un
+v&oelig;u formulé par son conseil en date du 25 mars 1785, lequel conseil
+avait fait espérer cette translation à l'abbé de l'Épée par arrêt du 21
+novembre 1778<a name="FNanchor_45_45" id="FNanchor_45_45"></a><a href="#Footnote_45_45" class="fnanchor">[45]</a>; il fit don encore à cette école d'une rente annuelle
+de 6,000 livres sur sa cassette. Mais la mort si prompte, si imprévue de
+l'abbé de l'Épée, ne lui permit pas<a name="page_082" id="page_082"></a> de goûter la satisfaction de se
+voir installé avec ses élèves dans ce nouveau local.</p>
+
+<p>Du vivant de ce bienfaiteur de l'humanité, on comptait à Paris trois
+pensions de sourdes-muettes confiées aux soins de quatre ou cinq dames
+respectables<a name="FNanchor_46_46" id="FNanchor_46_46"></a><a href="#Footnote_46_46" class="fnanchor">[46]</a>, et une de sourds-muets, rue d'Argenteuil, dont M.
+Chevreau avait la direction. Tout près de là, dans une maison sise rue
+des Moulins, nº 14, à la butte Saint-Roch, dans un humble appartement au
+second étage, dont le premier était occupé par son frère, l'abbé de
+l'Épée réunissait tous ces pauvres enfants les mardis et vendredis de
+chaque semaine, de sept heures du matin à midi. Ils étaient au nombre de
+soixante-dix ou quatre-vingts, des deux sexes. Telle fut l'obscure
+origine de la célèbre institution de Paris et de toutes celles de France
+et de l'étranger.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée admettait, en outre, le public aux exercices de ses
+élèves, qui avaient souvent lieu de trois heures à cinq. Son dévouement
+allait jusqu'à renouveler parfois ses démonstrations de cinq heures à
+sept.</p>
+
+<p>Les jours de congé, il les conduisait à une petite habitation de
+Montmartre (rue des Martyrs<a name="page_083" id="page_083"></a>), qu'il tenait à loyer et qui était voisine
+de la maison de M. de Malesherbes. Là on le voyait se mêler parfois à
+leurs jeux et plus souvent encore captiver l'attention de ceux qui
+faisaient cercle autour de lui, en assaisonnant ses préceptes
+d'histoires instructives et édifiantes. Puis il partageait et faisait
+partager leur frugal repas à quelques-uns de ses amis, heureux de leur
+bonheur et semblable au plus chéri des pères qu'environnerait sa
+nombreuse famille.</p>
+
+<p>Au milieu de l'allégresse de cet essaim d'âmes innocentes et candides,
+le vénérable patriarche laisse échapper, un jour, involontairement un
+geste, leur annonçant sa mort peut-être prochaine. Le désespoir se peint
+aussitôt sur leur physionomie jusque-là radieuse. Les voilà qui lui font
+tous, pour ainsi dire, un rempart de leur corps, comme s'ils cherchaient
+à le dérober au coup qui le menace, ayant peine à croire qu'un si bon
+père doive être enlevé si tôt à leur amour. Lui, de son côté, s'efforce
+d'essuyer leurs larmes, sans pouvoir retenir les siennes. Il leur montre
+le ciel comme le séjour de l'immortalité et de la félicité éternelle,
+leur donnant à entendre que là il ira les attendre. Alors une douce
+tristesse prend la place du désespoir dans cette intéressante famille;
+et tous lui promettent<a name="page_084" id="page_084"></a> de ne rien épargner pour l'aller rejoindre un
+jour là haut, au sortir de cette vallée de larmes.</p>
+
+<p>Cependant un coup affreux devait venir bientôt briser l'âme du saint
+prêtre.<a name="page_085" id="page_085"></a></p>
+
+<h3><a name="XII" id="XII"></a>XII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Episode du jeune comte de Solar.&mdash;Un sourd-muet, de douze à treize
+ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre, puis
+à l'Hôtel-Dieu de Paris.&mdash;Quelques souvenirs confus.&mdash;Enlèvement et
+abandon.&mdash;Appartient-il à une famille riche?&mdash;Note envoyée à toutes
+les maréchaussées de France.&mdash;Étrange visite à l'Hôtel-Dieu.&mdash;Le
+sourd-muet en est retiré et mis en pension avec d'autres frères
+d'infortune.&mdash;Une confusion de personnes.&mdash;Nom de Joseph substitué
+à celui de Louis Leduc.&mdash;Le prince de Montbarey et Mme de
+Hauteserre.&mdash;Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar,
+à Toulouse.&mdash;Un trait de lumière.</p></div>
+
+<p>L'histoire du jeune sourd-muet abandonné, connu sous le nom du comte de
+Solar, est si palpitante d'intérêt, que nous croyons devoir en résumer
+succinctement, impartialement, les faits principaux, les circonstances,
+les péripéties, sans négliger d'examiner consciencieusement les
+témoignages que les parties adverses ont essayé d'invoquer contre lui.
+Nous pensons même que nos lecteurs nous sauront gré de<a name="page_086" id="page_086"></a> ménager leur
+attention en bannissant de ce récit certaines longueurs qui finiraient
+bientôt par la fatiguer dans un livre destiné principalement à démontrer
+qu'il n'y a rien ici-bas qui puisse rebuter la sainte trinité de la Foi,
+de l'Espérance et de la Charité chrétienne.</p>
+
+<p>Le 1<sup>er</sup> août 1773, sur la grande route de Péronne, à peu de distance
+du château de Séchelles, en Picardie, un enfant, âgé de douze à treize
+ans, est trouvé dans un état de délabrement capable de fendre le c&oelig;ur
+le plus insensible. M. Le Roux, receveur des aides à Cuvilly, et son
+épouse le recueillent à leur porte et le confient à une femme charitable
+(M<sup>me</sup> Paulin), qui le garde un mois entier chez elle. En vertu d'un
+ordre de M. de Sartine, lieutenant général de police, ordre motivé sur
+une recommandation de M<sup>me</sup> Hérault de Séchelles, le jeune sourd-muet
+est placé à Bicêtre le 2 septembre de la même année. Il y tombe malade
+et est transporté à l'Hôtel-Dieu le 13 juin 1775. Il y avait environ
+huit mois qu'il y languissait, lorsqu'une affaire conduisit l'abbé de
+l'Épée<a name="FNanchor_47_47" id="FNanchor_47_47"></a><a href="#Footnote_47_47" class="fnanchor">[47]</a> dans cet asile de la souffrance. L'enfant, vêtu d'une casaque
+grise et coiffé d'un bonnet de coton blanc, costume uniforme de
+l'hôpital, lui est présenté par la mère Saint-<a name="page_087" id="page_087"></a>Antoine, chargée de la
+salle au service de laquelle il est resté attaché. A une seconde visite,
+cette religieuse conjure l'abbé de le retirer de cet hôpital pour
+l'instruire. Il l'interroge. Les gestes du sourd-muet lui donnent à
+entendre qu'il appartient à des parents riches; que son père boitait et
+qu'il est mort; que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, deux
+s&oelig;urs ses aînées, lui et une s&oelig;ur plus jeune; qu'il y a dans la
+maison des domestiques et un grand jardin qui rapporte beaucoup de
+fruits; qu'un cavalier, enfin, après l'avoir mené bien loin, l'a
+abandonné, le visage couvert d'un masque ou d'un voile. Son maintien,
+son air distingué sous les haillons de la misère et sa pantomime
+expressive semblent confirmer cette déposition de l'orphelin, victime
+d'un préjugé barbare ou d'une ambition criminelle.</p>
+
+<p>D'après le conseil de M. Papillon, prévôt de la maréchaussée de
+l'Ile-de-France, l'abbé de l'Épée en réfère à M. le comte de
+Saint-Germain, ministre de la guerre, le suppliant de vouloir bien
+donner des ordres pour faire parvenir son signalement exact à toutes les
+maréchaussées du royaume. Ce signalement est reproduit à l'Imprimerie
+royale sous le titre de <i>Note intéressante</i>. En voici la teneur, portant
+en marge qu'on tient ces renseignements de<a name="page_088" id="page_088"></a> l'abbé de l'Épée,
+instituteur gratuit des sourds-muets:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="cb">DU PREMIER MARS 1776.<br />
+<br />
+<small>NOTE INTÉRESSANTE</small></p>
+
+<p>«Le 2 septembre 1773<a name="FNanchor_48_48" id="FNanchor_48_48"></a><a href="#Footnote_48_48" class="fnanchor">[48]</a>, on a trouvé sur le grand chemin de
+Péronne par Compiègne, proche Séchelles, un jeune enfant sourd et
+muet<a name="FNanchor_49_49" id="FNanchor_49_49"></a><a href="#Footnote_49_49" class="fnanchor">[49]</a>, âgé d'environ douze à treize ans. On l'a conduit à Paris
+et mis à l'hôpital général avec l'indication ci-dessus: il a été
+mené ensuite à l'Hôtel-Dieu pour cause de maladie, et y est resté
+pour servir selon ses forces dans une des salles.</p>
+
+<p>»Étant parvenu maintenant à l'âge de quinze ans, il s'exprime par
+signes d'une manière assez sensible pour faire entendre:</p>
+
+<p>«1º Qu'il est d'une famille honnête et aisée;</p>
+
+<p>«2º Que son père, qui était boiteux, est mort;</p>
+
+<p>«3º Que sa mère est restée veuve avec quatre enfants, savoir: trois
+filles et lui;</p>
+
+<p>«4º Que sadite mère portait des rubans, avait une montre, de beaux
+habits, une maison vaste et des domestiques pour la servir, et que
+lui-même y a toujours été servi;<a name="page_089" id="page_089"></a></p>
+
+<p>«5º Qu'il y avait un grand jardin, un jardinier pour le cultiver,
+et que ce jardin rapportait beaucoup de fruits: il explique ce
+qu'on faisait pour les conserver pendant l'hiver;</p>
+
+<p>«6º Qu'un certain jour on l'a fait monter sur un cheval avec un
+cavalier;</p>
+
+<p>«7º Qu'on lui a mis un masque, afin qu'il ne vît pas où on le
+menait;</p>
+
+<p>«8º Qu'après l'avoir mené bien loin, le cavalier l'a abandonné.</p>
+
+<p>«Il s'agit de faire rendre à ce misérable enfant son nom, son état
+et ses biens.</p>
+
+<p>«Monseigneur le comte de Saint-Germain, secrétaire d'État, ayant le
+département de la guerre, ordonne à toutes les brigades de
+maréchaussée du royaume de faire les informations et recherches les
+plus exactes pour découvrir, s'il est possible, le lieu de la
+naissance du jeune homme dont il s'agit, ainsi que les noms et
+qualités de ses parents, et de lui en donner avis sur-le-champ. Le
+zèle de la brigade qui sera parvenue à faire cette découverte
+intéressante, sera récompensé par une gratification.»</p>
+
+<p class="c">«A Paris, de l'Imprimerie royale, 1776.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Les lettres et les éclaircissements qui parvinrent de divers côtés au
+ministre, furent renvoyés à l'abbé de l'Épée. Dans le courant du même
+mois, un inconnu vêtu de noir se présente<a name="page_090" id="page_090"></a> à l'Hôtel-Dieu, demandant à
+voir le jeune sourd-muet, et, après l'avoir considéré en affectant un
+mépris outrageant, il s'écrie: «Ce n'est pas celui-là;» et sur
+l'observation qui lui est faite que c'est celui-là même, il réplique:
+«Je sais bien ce que je dis,» et il s'en va.</p>
+
+<p>Cependant le charitable abbé, craignant que quelque nouveau piége ne
+soit tendu au pauvre enfant, se décide, quoique déjà chargé d'un lourd
+fardeau, à le retirer de l'hôpital pour le placer chez M. Chevreau,
+maître de pension, à qui il a déjà confié vingt-six de ses frères
+d'infortune.</p>
+
+<p>Quelque temps après, il substitue le nom de Joseph à celui de Louis
+Leduc qu'il lui a d'abord donné sur la foi de lettres attestant la
+vérité de la déclaration faite, par une fille de vingt-deux ans, traitée
+à cette époque pour une blessure à l'Hôtel-Dieu; qu'elle connaissait le
+jeune sourd-muet, ainsi que toute sa famille. L'abbé n'a pas tardé à se
+convaincre, en effet, que l'enfant trouvé sur la route de Péronne, au
+mois d'août 1773, et conduit à Paris le 2 septembre suivant, ne peut
+être Louis Leduc, venu dans cette dernière ville, pour la première fois,
+à la fin de mars 1774. Celui-ci, né le 11 février 1764, et amené à
+l'Hôtel-Dieu le 23 mars 1774, a été conduit, dès le même jour, à
+l'hôpital de la Pitié, d'où il a été transféré, le 28 du même<a name="page_091" id="page_091"></a> mois, à
+Bicêtre, où il est mort le 19 janvier 1775.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée reçoit, le 5 juin 1776, une lettre du prince de
+Montbarey, avec une note de M<sup>me</sup> de Hauteserre, qui va passer, tous
+les ans, huit mois à Toulouse, où elle avait loué, au commencement de
+l'année 1773, chez Mme la comtesse de Solar, originaire de Paris et
+veuve de M. le comte de Solar, ancien militaire, mort à Alby, un
+appartement, au-dessous duquel il y a un très-beau et très-vaste jardin.</p>
+
+<p>«La comtesse, dit cette dame, avait une fille, âgée d'environ quatorze
+ans, et un garçon sourd-muet, qui pouvait en avoir douze à treize. Cet
+enfant partit de Toulouse vers le commencement du mois d'août de ladite
+année 1773, sous la conduite d'un jeune homme; on l'emmenait aux eaux de
+Barèges pour le guérir de sa surdité, et, depuis, on ne le vit plus: sa
+mère était morte en novembre ou décembre de l'année dernière, et sa
+s&oelig;ur habitait actuellement un couvent de Toulouse.»</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> de Hauteserre ajoutait que le jeune Solar avait les dents mal
+rangées et une surdent à la mâchoire inférieure, du côté gauche. M<sup>lle</sup>
+Caroline de Solar avait aussi une surdent au même endroit.<a name="page_092" id="page_092"></a></p>
+
+<h3><a name="XIII" id="XIII"></a>XIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié
+la Providence&mdash;Menaces dont il est l'objet.&mdash;L'autorité le
+protége.&mdash;Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.&mdash;Voyage
+du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont en Beauvoisis,
+sa ville natale.&mdash;Nouvelles reconnaissances.&mdash;Joseph se rappelle
+une cicatrice de son père.&mdash;Il est reconnu par son grand-père, mais
+sa s&oelig;ur hésite d'abord.&mdash;Une démarche auprès du duc de
+Penthièvre.&mdash;Elle réussit.&mdash;Le prince accorde une pension de 800
+livres au jeune Solar.&mdash;Le paiement en est bientôt
+suspendu.&mdash;Pourquoi.&mdash;Curieuse lettre de l'abbé de l'Épée.&mdash;Le
+premier semestre de la pension est payé.</p></div>
+
+<p>Le signalement du jeune Solar, donné par M<sup>me</sup> de Hauteserre,
+s'accordait parfaitement avec celui de Joseph, pris au moment de son
+arrivée à Paris. L'abbé de l'Épée se serait empressé, sans doute, de
+poursuivre incontinent ses recherches, s'il n'eût pas jugé plus à propos
+de se mettre en garde contre toute nouvelle surprise.<a name="page_093" id="page_093"></a></p>
+
+<p>D'autres personnes inconnues ont beau lui demander le dépôt que la
+Providence lui a confié, il lui semble trop sacré pour s'en défaire. On
+le menace, mais l'autorité le rassure en lui déclarant qu'aucune
+démarche sérieuse n'a encore été tentée pour lui soustraire son jeune
+protégé et qu'on ne prendra aucun parti sans l'avoir consulté au
+préalable.</p>
+
+<p>Vers le mois de juin ou de juillet 1777, une demoiselle de Bierre se
+présente à l'école de l'abbé de l'Épée, et, dès qu'elle voit Joseph,
+elle s'écrie: «Je le reconnais bien, c'est le fils de M. le comte de
+Solar.» Elle l'avait vu très-souvent, en effet, jusqu'à l'âge de sept ou
+huit ans, chez M<sup>lle</sup> Desgodets, grand'tante du jeune homme, dont elle
+était alors dame de compagnie. Sa déposition est confirmée non-seulement
+par celle de la nommée Anathot, ancienne domestique de M. d'Austel,
+conseiller de l'élection de Paris et grand-oncle du jeune Solar, mais
+aussi par celles de la dame Marguerite Roger, veuve de Guillaume Allin,
+maître maçon, et de sa fille.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée ayant entendu dire, sur ces entrefaites, que son
+protégé a vu le jour à Clermont en Beauvoisis, sollicite et obtient des
+deux ministres Amelot et le comte de Saint-Germain l'autorisation de se
+mettre en quête de nouveaux renseignements. Arrivé dans ce pays avec
+son<a name="page_094" id="page_094"></a> élève, il fait lever l'extrait de son acte de baptême et reçoit la
+déclaration de vingt-huit habitants de cette ville, à la tête desquels
+figure le nom de M. d'Austel de la Baronnière, lieutenant général du
+bailliage et parent maternel du jeune Solar. Cette déclaration est
+unanime: tous reconnaissent dans Joseph le fils du défunt comte. Ce
+parent lui a demandé s'il se rappelait avoir vu une marque au visage de
+son père. Aussitôt l'enfant trace sur sa joue la forme et les contours
+d'une cicatrice. Il fait plus, il en indique la couleur en montrant ses
+manchettes. En effet, le comte de Solar portait à la figure les traces
+d'un éclat de bombe.</p>
+
+<p>A son retour à Paris, l'abbé de l'Épée fait prier M. Clignet de
+Marqueny, avocat au parlement et père de la comtesse de Solar, de
+vouloir bien se rendre chez M. Joisneau, son parent et son ami, afin de
+reconnaître ou de méconnaître, selon son honneur et sa conscience, le
+jeune sourd-muet qu'il a à lui présenter. Devant eux, M. Cligny
+reconnaît, le 19 septembre 1777, cet enfant pour son petit-fils.</p>
+
+<p>De son côté, M. Moreau de Vormes, avocat au conseil et tuteur de M<sup>lle</sup>
+Caroline de Solar, a écrit à l'abbé de l'Épée qu'il ne doute plus que
+Joseph ne soit le comte de Solar. Dans la vue de ménager une entrevue
+entre les deux enfants,<a name="page_095" id="page_095"></a> on fait venir M<sup>lle</sup> de Solar à Paris de son
+couvent de Toulouse. Dès le premier jour, le frère et la s&oelig;ur ne se
+reconnaissent pas, mais bientôt, à l'aide d'entretiens muets, ils
+finissent par se livrer aux doux épanchements de l'amitié fraternelle.
+On cite, en outre, comme une nouvelle présomption en faveur du protégé
+de l'abbé de l'Épée, le <i>post scriptum</i> d'une lettre adressée le 8
+novembre 1777 par M<sup>lle</sup> de Solar, qui venait d'être placée dans une
+pension de Paris, à la maîtresse de pension de Joseph, madame Chevreau:
+«Je vous prie de dire <i>mille choses tendres à mon cher petit frère</i>.»</p>
+
+<p>Le respectable instituteur ne s'occupe plus, dès lors, que d'assurer le
+sort de son protégé. Il se présente au duc de Penthièvre, l'aïeul du roi
+Louis-Philippe, avec un placet, où il lui rappelle que M. le comte de
+Solar, père du jeune sourd-muet, a été page de la duchesse du Maine,
+gentilhomme de M. le prince de Dombes, puis de M. le comte d'Eu, et que
+le grand-père de cet enfant a été gentilhomme de M. le duc du Maine. A
+ce placet se trouvent jointes toutes les pièces qu'il a pu réunir en sa
+faveur. Le solliciteur est accueilli avec les plus bienveillantes
+démonstrations d'intérêt et de sympathie. Le prince lui promet que les
+pièces seront scrupuleusement examinées dans son conseil et qu'une
+réponse lui sera faite sous<a name="page_096" id="page_096"></a> quinzaine. Son Altesse tient parole. Voici
+la lettre en date du 8 novembre 1777 qu'elle lui fait écrire par M.
+l'abbé Lenoir, chef de son conseil et conseiller de la grand'chambre:</p>
+
+<p>«Monseigneur le duc de Penthièvre, Monsieur, a accordé une pension de
+800 livres à M. de Solar. Ce jeune homme la doit uniquement à vos bontés
+pour lui et aux peines que vous vous êtes données pour constater son
+état...... Je vous prie de me permettre de faire insérer dans le brevet
+qu'elle sera payée sur vos quittances. C'est le plus grand bien à faire
+à ce jeune-homme que de le laisser dans votre dépendance. Je suis, etc.»</p>
+
+<p>Ce ne fut toutefois qu'après six semaines environ d'attente, que l'abbé
+de l'Épée put avoir connaissance du motif qui avait arrêté l'envoi du
+brevet de pension qui devait lui être expédié immédiatement. On avait
+assuré à M. l'abbé Lenoir qu'il n'était pas impossible qu'il survînt un
+acte mortuaire renversant tout l'échafaudage de preuves réunies, à
+grand'peine, par l'abbé de l'Épée. M. de Vormes, craignant, de son côté,
+de voir sa pupille privée par ce contre-coup d'une pension de 400
+livres, qui lui avait été accordée pour les quelques années qu'il
+surveillerait son éducation, avait supplié le digne instituteur des
+sourds-muets de suspendre toute démarche jusqu'à nouvel
+éclaircissement.<a name="page_097" id="page_097"></a> Ce dernier lui adressa incontinent la réponse
+suivante<a name="FNanchor_50_50" id="FNanchor_50_50"></a><a href="#Footnote_50_50" class="fnanchor">[50]</a>:</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br />
+</p>
+
+<p>«J'ignorais jusqu'à ce moment tout ce que la malice des hommes a pu dire
+contre vous. Tout ce que je savais, c'est ce que vous aviez dit
+vous-même, en présence de M. le premier président du parlement de
+Toulouse et de M. l'abbé Dubourg, que vous aviez cru agir pour les
+intérêts de Mademoiselle votre pupille en arrêtant l'expédition du
+brevet accordé par S. A. S. Monseigneur le duc de Penthièvre au jeune
+comte de Solar. Ne vous offensez pas, Monsieur, si je l'appelle ainsi.
+C'est le nom qu'il prend du consentement de M. le lieutenant civil et de
+M. le procureur du roi, et c'est ainsi qu'il signe dans tous les actes
+de la procédure entamée au civil. Quel autre nom, en effet, peut prendre
+un jeune homme qui,<a name="page_098" id="page_098"></a> après n'avoir disparu que pendant quatre ans, est
+reconnu par son grand-père, par son grand-oncle à la mode de Bretagne et
+par bon nombre de témoins respectables?</p>
+
+<p>«Vous prétendez, Monsieur, que j'ai toujours été en avant depuis que
+vous m'avez marqué que la prudence exigeait que je ne fisse aucune
+démarche sous le nom du <i>comte de Solar</i>. Vous me permettrez de vous
+dire qu'à partir de ce moment, je n'ai pas avancé d'un quart de ligne.
+Mon placet au prince était antérieur à cet avis de votre part. Il vous
+sera facile de vérifier les dates. Depuis lors, je n'ai fait d'autre
+démarche que celle d'aller chez M. l'abbé Lenoir, sur l'avis qu'il
+m'avait donné que la pension était accordée et qu'il désirait me voir.</p>
+
+<p>«Vous paraissez, Monsieur, me reprocher que je ne vous ai pas montré
+l'extrait mortuaire que j'avais reçu. Vous avez donc oublié que j'ai eu
+l'honneur de vous dire que cela était impossible, parce que je l'avais
+envoyé à M. le procureur du roi. Vous pouvez lui demander à le voir, et
+je ne doute point qu'il ne vous le communique; mais, comme il m'a paru
+que cette pièce contenait des erreurs matérielles, j'ai désiré savoir si
+l'extrait qu'on vous a envoyé de Charlas même les renferme
+pareillement.<a name="page_099" id="page_099"></a></p>
+
+<p>«Je ne vous cacherai point, Monsieur, les erreurs que renferme la pièce
+qui m'est venue, et que j'ai envoyée à M. le procureur du roi. Il n'y a
+ni les noms de baptême, ni le premier nom de famille, ni l'âge du
+défunt, mais seulement le nom de <i>comte de Solar</i>, décédé le 28 janvier
+1774. Cherchez si c'est le fils, le père ou le grand-père, l'oncle ou le
+cousin germain, un homme ou un enfant. Vous ne trouverez rien. Je vous
+le demande, Monsieur, si c'est à tort que je désire savoir si l'extrait
+que vous avez reçu, est plus complet.</p>
+
+<p>«Je ne sais pas, non plus, pourquoi vous refusez de me dire, ou, du
+moins, pourquoi vous ne me dites pas si c'est de Barèges ou de Bagnères
+que vous avez reçu l'indication d'un enfant inconnu, mort en 1774. Il en
+sera question dans le procès. Il faudra toujours qu'on le sache. Vous
+nous éviteriez des longueurs par un seul trait de plume ou un petit
+morceau de papier, si vous avez l'extrait dont il s'agit.</p>
+
+<p>«Je vous souhaite, Monsieur, ainsi qu'à Madame votre épouse et à tout ce
+qui vous appartient, l'année la plus heureuse que vous puissiez désirer
+et espérer. Nous pouvons avoir des sentiments différents sur un fait
+particulier, mais cela ne change rien à<a name="page_100" id="page_100"></a> l'estime et au respect avec
+lesquels j'ai l'honneur d'être,</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 50%;">«Monsieur,</span><br />
+<span style="margin-left: 45%;">«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,</span><br />
+<span style="margin-left: 60%;">L'abbé <small>DE L</small>'É<small>PÉE</small>.</span><br />
+</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«Ce 31 décembre, immédiatement après avoir reçu l'honneur de la vôtre, à
+huit heures du soir.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Quelle ne dut pas être la surprise de l'abbé de l'Épée en recevant, dans
+le mois de janvier suivant, une ordonnance de 400 livres pour les six
+derniers mois de l'année 1777!<a name="page_101" id="page_101"></a></p>
+
+<h3><a name="XIV" id="XIV"></a>XIV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar,
+supprimé la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté à
+Toulouse et amené a Paris, les fers aux pieds et aux mains.&mdash;Ses
+moyens de défense.&mdash;Il demande à être transféré, avec le
+sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut
+devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.&mdash;Cette requête est
+jointe au fond; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que
+le transfert de l'enfant et de sa s&oelig;ur sur les lieux.&mdash;Enfin,
+une sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar,
+reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.&mdash;Commentaire des
+juges.</p></div>
+
+<p>Cependant, on avait écrit à Toulouse. On y avait demandé des
+renseignements sur le jeune de Solar, et ces renseignements étaient
+venus. Rien n'y était passé sous silence: on accusait formellement un
+sieur Cazeaux d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé la
+personne et l'état de l'enfant. Une plainte est dressée contre le
+prévenu; il est décrété de prise de corps le 5 février 1778, arrêté à<a name="page_102" id="page_102"></a>
+Toulouse le 10 mai, amené, les fers aux pieds et aux mains, à Paris, et
+plongé dans les cachots du grand Châtelet, à la suite d'un rapport
+foudroyant de M. Avril, conseiller au parlement.</p>
+
+<p>Les moyens de défense présentés par Cazeaux nous paraissent, pour
+l'éclaircissement de la question en elle-même, mériter d'être reproduits
+ici en entier:</p>
+
+<p>«En 1773, disait-il, j'étais clerc chez M. Belin, procureur à Toulouse;
+j'eus l'occasion de connaître M<sup>me</sup> la comtesse de Solar. Cette dame,
+sachant qu'à l'époque des vacances du parlement, je devais aller trouver
+ma famille à Charlas, et, de là, accompagner ma mère aux eaux de
+Bagnères, qui en sont proches, me pria instamment de me charger de son
+fils, sourd et muet, alors âgé de onze ans, auquel le régime des eaux
+avait été prescrit. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement, que je
+savais que M<sup>me</sup> de Solar avait des relations très-puissantes à
+Versailles, et que je pensai que ce service, rendu de bonne grâce, ne
+serait point inutile à mon avancement et à ma fortune.</p>
+
+<p>«L'enfant, qui me connaissait déjà, consentit facilement à me suivre,
+et, le samedi 4 septembre 1773, à cinq heures du soir, à la porte de
+l'auberge de l'<i>Écharpe</i>, dans l'une des rues les<a name="page_103" id="page_103"></a> plus fréquentées de
+Toulouse, en présence de cinquante à soixante personnes, je montai à
+cheval, en prenant sur le devant de ma selle le jeune comte de Solar.
+Nous partîmes, accompagnés de l'un de mes parents, l'abbé Cazeaux, et
+d'un domestique de mon père, qui, tous deux, étaient aussi à cheval.
+Ceci ne saurait faire l'objet d'un doute. Je donne les noms des
+personnes qui assistaient à mon départ. Nous nous rendîmes à Charlas, en
+passant par Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montaigut et Montoussin. A
+Charlas, je trouvai ma mère. L'enfant fut reçu à merveille par toute ma
+famille, et, bientôt après, nous partîmes avec ma mère pour Bagnères.</p>
+
+<p>»Après quinze jours de résidence aux eaux, le jeune de Solar revint avec
+nous à Charlas. Ma mère s'attacha à cet enfant, et j'écrivis à M<sup>me</sup> de
+Solar pour lui demander de nous le laisser jusqu'à la Saint-Martin,
+époque de mon retour. La comtesse y consentit; quelques affaires
+domestiques et le mauvais temps retardèrent mon départ, et, vers Noël,
+la petite vérole s'étant répandue dans le pays, l'enfant en fut atteint.
+On lui prodigua les soins les plus empressés. Moi-même j'étais
+constamment à son chevet, ce qui fut cause peut-être que je me vis
+bientôt à toute extrémité. D'un autre côté, l'état de l'enfant ne tarde
+pas à s'aggraver:<a name="page_104" id="page_104"></a> un dépôt se forme dans sa poitrine. On lui administre
+l'extrême-onction; et il meurt! Le jeune de Solar alors est enseveli,
+mis dans un cercueil, et enterré au cimetière de Charlas, dans la
+sépulture de ma famille.</p>
+
+<p>«Tous ces faits, je peux les établir de la manière la plus péremptoire.
+Je donne les noms de plus de quarante témoins qui ont vu l'enfant, qui
+ont assisté à ses derniers moments, qui l'ont conduit au cimetière. Que
+pourra-t-on répondre à ces témoins? Que l'acte de décès est
+irrégulier... Mais rien n'est plus facile à expliquer que cette
+irrégularité. Lorsque le curé de Charlas dressa cet acte, il manquait de
+renseignements, et cela se comprend aisément: l'enfant était étranger au
+pays; personne que moi, et j'étais alors dans un état de maladie
+désespéré, ne connaissait exactement son âge et son nom... On savait
+seulement que c'était le comte de Solar. Le curé constata donc que le
+comte de Solar était mort; c'était tout ce qu'il savait. J'ignore s'il
+demanda des renseignements pour compléter son acte, ou si ces
+renseignements ne lui parvinrent pas... Toujours est-il que, lorsque,
+pour se conformer à la loi, il fut obligé d'envoyer le double de l'acte
+au greffe de la sénéchaussée de Toulouse, il l'envoya dans l'état où il
+se trouvait alors. Plus tard, il s'aperçut que cet acte était
+insuffisant, parce qu'il<a name="page_105" id="page_105"></a> ne désignait pas clairement la personne
+décédée, et il crut devoir le compléter en ajoutant ces mots: <i>Un enfant
+âgé d'environ dix à onze ans, qui était muet, et qu'on appelait le comte
+de Solar</i>. Il est vrai que cet acte manque de régularité; mais on ne
+saurait contester que cet enfant, décédé à Charlas, fût le fils de la
+comtesse de Solar.</p>
+
+<p>«Quelles conséquences résultent de tout ceci? disait Cazeaux; c'est que
+d'abord l'enfant, à moi confié à Toulouse par la comtesse de Solar, le 4
+septembre 1773, est vraiment mort et enterré à Charlas, en janvier 1774,
+et que, dès lors, l'enfant, que présente l'abbé de l'Épée, ne saurait
+être le jeune de Solar, qui m'a été confié.&mdash;Ensuite, ajoutait-il, il
+suffirait d'un simple rapprochement de date pour se convaincre que le
+jeune comte de Solar, vu par un grand nombre de témoins, le 4 septembre
+1773, à Toulouse, au moment de son départ avec moi, ne pouvait être cet
+enfant sourd-et-muet, conduit, sur l'ordre de M. de Sartine au château
+de Bicêtre, le 2 du même mois de septembre 1773, et qu'un mois
+auparavant (le 1<sup>er</sup> août 1773) on avait trouvé abandonné sur le grand
+chemin de Péronne en Picardie!»</p>
+
+<p>Aussi Cazeaux, se faisant fort de prouver sa parfaite innocence,
+insiste-t-il pour être transféré avec le jeune sourd-muet partout où la
+justice<a name="page_106" id="page_106"></a> croira que sa présence peut devenir nécessaire pour éclaircir
+l'affaire.</p>
+
+<p>Cette requête est jointe au fond; on refuse non-seulement
+l'élargissement provisoire, mais encore le transfert de l'enfant et de
+Caroline de Solar sur les lieux indiqués.</p>
+
+<p>Enfin, par sentence de Messieurs du Châtelet, en date du 29 septembre
+1778, Joseph est reconnu et déclaré fils de M. le comte de Solar et
+frère de Caroline de Solar. Et le sieur Cazeaux est reconnu innocent et
+renvoyé absous.</p>
+
+<p>Ainsi s'expliquent Messieurs du Châtelet sur leur sentence:</p>
+
+<p>«Le public croyait que Joseph ne pouvait être Solar sans que Cazeaux fût
+coupable, et que celui-ci ne pouvait être innocent si Joseph était
+Solar; mais cette alternative est tout à fait étrangère au procès.
+L'enfant trouvé près de Péronne, dans les premiers jours d'août, et
+qu'on a nommé Joseph, nous a été démontré être le petit Solar. Rien de
+mieux établi que cette vérité; nous l'avons, en conséquence, déclaré
+être de la famille des comtes de Solar. Il nous a été démontré avec la
+même évidence que Cazeaux n'était pas et ne pouvait être complice de la
+perte de cet enfant. Il nous a rendu bon compte de l'enfant dont on l'a
+chargé sous le nom du petit Solar, dans le commencement<a name="page_107" id="page_107"></a> de septembre
+suivant, enfant qui est décédé ensuite. Cazeaux est donc innocent, et
+nous l'avons renvoyé tel.</p>
+
+<p>«La curiosité du public sur les aventures du petit Solar n'est pas
+satisfaite; la nôtre ne l'a pas été non plus. Comment a-t-il été conduit
+près de Péronne? Par qui? En quel temps? Où a-t-on trouvé un autre
+enfant sourd et muet, à peu près du même âge? Pourquoi l'a-t-on
+substitué? Quel dessein avait sa mère? Tout cela, sans doute, serait
+fort intéressant à savoir; mais ce n'est pas là ce que nous avions à
+juger. Si nous l'eussions appris, et si la Providence l'eût éclairci,
+nous en eussions, au plus tôt, instruit le public. Elle ne l'a pas fait;
+elle ne nous a appris que deux choses: Joseph est le comte de Solar et
+Cazeaux n'est pas coupable. Notre jugement n'a donc porté que sur ces
+deux points.&mdash;Mais à quoi bon, a-t-on dit, faire tant de dépenses, de la
+part du gouvernement, pour découvrir si peu? A quoi bon? A rendre à un
+malheureux enfant son état et à empêcher un innocent de subir la peine
+d'un coupable. La mère a emporté avec elle son secret; la justice n'a pu
+découvrir son complice; mais le crime se trouve sans effet, et celui à
+qui on l'imputait faussement, est sauvé. Voilà l'affaire que les dates
+rapprochées ont éclairée au point que la vérité nous a paru évidente.»<a name="page_108" id="page_108"></a></p>
+
+<h3><a name="XV" id="XV"></a>XV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Lettre de l'abbé de l'Épée à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, défenseur de
+Cazeaux.&mdash;Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité de
+Joseph et du comte de Solar.&mdash;Particularités remarquables.&mdash;Détails
+peu édifiants sur la mère du sourd-muet.&mdash;Réponse de M<sup>e</sup>
+Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.&mdash;Extrait mortuaire
+constatant, à son avis, le décès.&mdash;L'illustre avocat modifie, plus
+tard, son opinion.&mdash;Ses aveux à M. Bouilly, auteur du drame de
+L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;Confirmation de la sentence du Châtelet par le
+parlement de Paris, qui ordonne, en outre, un supplément d'enquête
+et d'instruction.</p></div>
+
+<p>L'abbé de l'Épée, dans sa lettre de 72 pages à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont,
+défenseur de Cazeaux, le même qui avait gagné le fameux procès de Calas,
+rend compte, sous la date du 1<sup>er</sup> février 1779, de tout ce qui regarde
+son jeune protégé, administre les preuves constatant l'identité du
+mineur Joseph avec le comte de Solar, et tâche de détruire les diverses
+objections soulevées par les dépositions de tous les témoins qui ont
+comparu dans cette affaire. L'identité, suivant lui,<a name="page_109" id="page_109"></a> consiste en ce
+que, comme le comte de Solar, Joseph avait une surdent qui lui a été
+arrachée par le chirurgien de l'Hôtel-Dieu, pendant le séjour qu'il y a
+fait, et en ce que, si le comte de Solar avait une marque, en forme de
+lentille, à la fesse gauche, Joseph a, sur la peau, plusieurs signes
+lenticulaires, dont un<a name="FNanchor_51_51" id="FNanchor_51_51"></a><a href="#Footnote_51_51" class="fnanchor">[51]</a> exactement à la même place.</p>
+
+<p>Notre illustre instituteur a soin d'expliquer, entre autres faits, que,
+dans la maison de l'île Saint-Louis, où sa mère l'avait mis en pension,
+il y avait aussi deux demoiselles pensionnaires, plus grandes que lui,
+qu'il croyait naturellement ses s&oelig;urs, de sorte que, toutes les fois
+qu'il allait dîner chez M. Daustel, son grand-oncle, et chez M<sup>me</sup>
+Desgodets, sa grand'tante, il avait soin de demander qu'on lui donnât
+quelque chose pour ses s&oelig;urs.</p>
+
+<p>La mère de Solar, prouve ailleurs l'abbé de l'Épée, survécut deux ans à
+son fils. Elle mourut en 1775. Elle ne possédait pour tout bien que 800
+livres de pension viagère, que lui faisait M. le comte d'Eu. Elle avait
+un loyer de 700 livres. Elle donnait à jouer à Toulouse... Elle ne
+vivait que d'emprunts.&mdash;Il existait encore, selon lui, une lettre de
+cette dame à M. Joisneau,<a name="page_110" id="page_110"></a> son parent et son ami, par laquelle elle le
+priait de ne pas lui refuser quelque argent pour se faire croire plus
+riche <i>vis-à-vis du père du monsieur qu'elle devait épouser</i>, le
+conjurant de lui garder le secret sur la mort de son fils, qui, depuis
+deux ans, lui a coûté, dit-elle, 3,500 livres en remèdes.</p>
+
+<p>A la fin de sa lettre, le vénérable instituteur s'écrie, du fond de sa
+conscience d'honnête homme:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p><i>Aperi os tuum muto et causis omnium filiorum qui pertranseunt.</i></p>
+
+<p><i>Ouvrez la bouche en faveur du muet et pour soutenir la cause de
+tous les innocents que l'on veut perdre.</i></p>
+
+<p class="c">(Traduction de la Bible, par M. Le Gros). Prov. 31, 8.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Ce travail, extrêmement remarquable au point de vue de la dialectique,
+est précédé d'un <i>Mémoire à consulter pour le sieur Bonvalet, avocat en
+parlement, tuteur du jeune comte de Solar, sourd et muet</i>, mémoire suivi
+d'une <i>Consultation du conseil, composé de MM. Boudet, Aubry, Cadet de
+Sainville</i>, et d'une seconde consultation des mêmes, en date du 18 mars
+1779.</p>
+
+<p>Tandis que l'abbé de l'Épée prétend, sous le double rapport de la forme
+et du fond, découvrir, dans l'irrégularité des deux actes mortuaires
+invoqués, la preuve, sans réplique, de<a name="page_111" id="page_111"></a> la parfaite identité du jeune
+Joseph avec le jeune comte de Solar, M<sup>e</sup> Tronçon-Ducoudray<a name="FNanchor_52_52" id="FNanchor_52_52"></a><a href="#Footnote_52_52" class="fnanchor">[52]</a>, autre
+défenseur du sieur Cazeaux, s'efforce de combattre, dans deux plaidoyers
+des 1<sup>er</sup> et 9 mars 1779, les inductions qu'il en tire au préjudice de
+son client, et conclut de l'énoncé officiel de l'extrait mortuaire
+consigné dans le double registre envoyé au greffe de Toulouse, suivant
+la déclaration de 1776, que cet extrait mortuaire démontre
+incontestablement le décès du comte de Solar. Selon le même défenseur,
+le jeune comte de Solar avait, comme nous l'avons vu, été inhumé le 28
+janvier 1774, dans la sépulture de la famille Cazeaux. Son père était
+mort au commencement de 1772, dans les environs d'Alby, chez un de ses
+amis, M. Cassagnac de Granier; quelques années avant son décès,<a name="page_112" id="page_112"></a> il
+avait été frappé de paralysie et marchait difficilement.</p>
+
+<p>M<sup>e</sup> Élie de Beaumont envisage la question sous toutes ses faces, et
+s'efforce de pulvériser les présomptions accumulées contre le sieur
+Cazeaux. Mais l'abbé de l'Épée ne se tient pas pour battu; il s'attache
+à expliquer toutes les contradictions imputées à Joseph dans ses
+interrogatoires, et prend à témoin, avec une nouvelle énergie, le
+mécontentement que son interprète sourd-muet, Didier ou Deydier, ne
+craignit pas de manifester au retour de l'audience, de ce que Joseph,
+selon lui, avait si mal répondu, et de ce que lui-même, pour remplir
+dignement son devoir, avait été obligé de traduire en conscience ses
+réponses. Le vénérable instituteur finit non-seulement par récuser les
+témoignages de ceux qui avaient été présents à l'acte d'inhumation comme
+n'étant, à ses yeux, de nulle valeur, mais encore par invoquer,
+principalement dans l'intérêt de sa cause, l'opinion d'un cousin germain
+de la dame Solar, magistrat respectable, qui ne cessait de la dépeindre
+comme très-expérimentée dans l'art de mentir.</p>
+
+<p>Le 20 avril 1779, sur les conclusions de M. d'Aguesseau des Frênes,
+petit-fils du grand d'Aguesseau, le parlement de Paris confirme la
+plainte et la procédure.<a name="page_113" id="page_113"></a></p>
+
+<p>«La cour ordonne que l'instruction sera continuée et qu'il sera informé
+par addition au village d'Orvilliers, à Roye, à Péronne et à Mondidier;</p>
+
+<p>Ordonne d'entendre le sieur Lacombe, officier de la maréchaussée
+d'Amiens, le sieur du Candas, exempt de celle de Mondidier, et autres
+témoins qui pourront avoir connaissance de l'enfant sourd et muet
+trouvé, <i>le premier août</i> 1773, au village de Cuvilly, et <i>vu quelques
+jours auparavant</i> à celui d'Orvilliers;</p>
+
+<p>Décrète de prise de corps le quidam qui a été demander aux sieur et dame
+Le Roux des nouvelles de <i>son frère</i>; ordonne qu'il sera amené
+prisonnier ès-prisons du Châtelet, et que son procès lui sera fait et
+parfait par les officiers du Châtelet;</p>
+
+<p>Donne acte à M. le procureur général de sa plainte des faits de rature,
+surcharges, interlignes et variations à l'acte mortuaire, du 28 janvier
+1774, du dénommé le comte de Solar, etc.; ordonne qu'il en sera informé
+par-devant les juges du Châtelet; décrète d'assigné, pour être ouïs, le
+sieur Durban, curé de Charlas, et les deux témoins de l'acte, etc.;</p>
+
+<p>Ordonne que le sourd et muet nommé Joseph, Deydier, son interprète,
+Caroline de Solar et le sieur Cazeaux seront conduits par les juges et
+officiers du Châtelet, etc., à Toulouse,<a name="page_114" id="page_114"></a> à Alby, la Granerie, les
+villages de Seisses, Saint-Elix-de-la-Terrasse, Montoussin, Montaigut,
+Charlas, et autres lieux qui se trouvent sur la route de Toulouse à
+Bagnères, ainsi qu'à Bagnères, pour être par eux dressé procès-verbal
+des <i>gestes, signes et observations dudit Joseph et de son interprète
+dans tous les lieux indiqués</i>;</p>
+
+<p>«Les autorise à informer, récoler, confronter, interroger, recevoir
+toutes déclarations, etc., à l'effet de constater si ledit Joseph
+<i>reconnaîtra les lieux et les personnes, etc., et s'il sera reconnu,
+etc.</i>;</p>
+
+<p>«Ordonne que le roi sera très-humblement supplié d'accorder lettres
+patentes attributives de juridiction et de territoire, etc., pour ce que
+dessus rapporté et joint au procès, être jugé définitivement, sauf
+l'appel en la cour;</p>
+
+<p>«Ordonne que les neuf lettres écrites par le comte et la comtesse de
+Solar aux sieurs Joisneau et Villot, en 1768, 1769, 1771 et le 26 août
+1773, seront déposées au greffe du Châtelet pour servir à l'instruction
+et au jugement dudit procès, ce que de raison.</p>
+
+<p>«En ce qui touche l'appel de la sentence du Châtelet du 29 septembre
+1778, met l'appelation et ce dont est appel au néant; émendant, ordonne
+que ledit Cazeaux sera par provisoire élargi des prisons où il est
+détenu par l'huissier<a name="page_115" id="page_115"></a> de la cour de service, à la charge de se
+représenter, en état de décret de prise de corps, toutefois et quantes,
+etc.;</p>
+
+<p>«Comme aussi à la charge que ledit Cazeaux ne pourra aller ni à
+Toulouse, ni à Charlas, ni dans tous les autres endroits où le mineur
+Joseph sera conduit, avant que les officiers du Châtelet aient procédé
+aux opérations ci-dessus et en leur présence, etc.»<a name="page_116" id="page_116"></a></p>
+
+<h3><a name="XVI" id="XVI"></a>XVI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Foi robuste de l'abbé de l'Épée.&mdash;Ses occupations et ses infirmités
+ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses courses
+au midi de la France.&mdash;Diverses personnes intéressées dans
+l'affaire prennent la même direction.&mdash;Recherches long-temps
+infructueuses.&mdash;Joseph ne se reconnaît nulle part, pas même en
+présence de la tombe de son père.&mdash;On en exhume une tête d'enfant,
+avec une surdent semblable à celle qu'on a arrachée à
+Joseph.&mdash;Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.&mdash;Parti qu'en tire
+le défenseur de Cazeaux.&mdash;Contradictions palpables, graves
+accusations formulées contre le pupille de l'abbé de l'Épée et
+contre les divers témoins qui déposent en sa faveur.&mdash;Nouvelle
+sentence confirmative du Châtelet.</p></div>
+
+<p>Le jeune sourd-muet Joseph ne connaissait ni sa patrie ni sa famille, et
+probablement le bon, le loyal instituteur avait affaire à trop forte
+partie. Néanmoins, sa constance ne se rebuta point. Sa foi dans la
+Providence ne lui permettait pas de douter du succès de ses démarches.
+Cette foi était si sincère, si robuste, qu'un docte et pieux
+ecclésiastique l'ayant supplié<a name="page_117" id="page_117"></a> de lui laisser vérifier les preuves par
+lui recueillies de la guérison d'un paralytique de Saint-Côme, dans la
+procession solennelle de l'Eucharistie, qui avait eu lieu en 1770 ou
+1771: «Monsieur, répondit l'abbé de l'Épée, si le miracle se faisait à
+ma porte, je ne l'ouvrirais pas pour le voir.»</p>
+
+<p>Il n'accompagna pas, comme on l'a prétendu par erreur, le jeune Solar
+dans ses courses au midi de la France; ses occupations et ses infirmités
+l'obligèrent à en charger le maître de pension M. Chevreau. Joseph eut,
+ainsi que nous l'avons dit, le sourd-muet Deydier pour compagnon et pour
+interprète. Comment réussiront-ils à découvrir le lieu de sa naissance?
+On conduit le pauvre délaissé à toutes les barrières de Paris; à la
+barrière d'Enfer, il indique que c'est par là qu'il est entré dans la
+capitale. Voilà un trait de lumière pour l'abbé de l'Épée, qui le fait
+partir pour Toulouse, le 19 août 1799, avec le sieur Olivier, conseiller
+au Châtelet, le sieur Deyeux, substitut, et un greffier. Ce ne fut que
+le 23 du même mois que le sieur Cazeaux et l'huissier, qui lui fut donné
+pour gardien, prirent la même route. M<sup>me</sup> de Vormes se chargea
+d'accompagner M<sup>lle</sup> de Solar dans cette direction.</p>
+
+<p>Le rendez-vous général était à Saint-Jorry, près de Toulouse. Le 6
+septembre, à six heures<a name="page_118" id="page_118"></a> du matin, tous ces personnages sont réunis à
+l'entrée de la ville, qu'inondent les flots d'une population immense,
+avide de suivre leurs pas, d'examiner les traits de leurs visages et
+d'interroger leurs moindres mouvements. Le juge ordonne à Joseph et à
+son interprète de s'arrêter devant chaque maison dont l'aspect frappera
+le jeune Solar. Après avoir parcouru successivement tous les lieux
+témoins de son enfance et s'être transporté, les jours suivants, dans
+tous les sites où il est censé avoir porté ses pas, Joseph déclare ne
+rien reconnaître, pas même le lieu où repose le feu comte de Solar, son
+père, tandis que cette vue arrache des torrents de larmes à la jeune
+Caroline. On descend dans la fosse, et, aux yeux de toute la paroisse,
+on en retire sans fracture la tête d'un jeune enfant. Un autre jour (le
+dimanche 26 septembre), on en extrait tous les ossements et différentes
+dents cariées; on trouve enfin cette surdent si importante dans
+l'affaire, au dire du défenseur du sieur Cazeaux, cette surdent qu'on
+prétend avoir été arrachée à Joseph.</p>
+
+<p>C'est en Picardie que se terminent les enquêtes. Nous jugeons à propos
+d'en extraire seulement ce qui a trait à l'inconnu qui vint à Cuvilly
+demander des nouvelles de son frère, et qu'on ne retrouva plus ensuite.<a name="page_119" id="page_119"></a></p>
+
+<p>C'était un jeune homme, de quinze à seize ans, nommé Alexandre Joseph,
+qui, ayant quitté son père, Pinchon de la Motte, employé aux mines de
+Charleroy, avait mendié son pain en compagnie de son frère sourd-muet,
+âgé de neuf à dix ans, nommé Pierre Joseph, et qui était vêtu d'une
+roulière. Alexandre, le voyant tellement accablé de lassitude, qu'il ne
+pouvait plus poursuivre sa route, l'avait abandonné du côté de Cuvilly.
+A son retour chez son père, il lui avait dit que son frère était à
+Paris, où une dame l'avait fait placer; il lui avait offert d'aller
+chercher un certificat constatant le fait qu'il avançait, et, étant
+revenu quelque temps après, il avait apporté à son père un écrit sans
+signature, lui annonçant que son fils Pierre était à Bicêtre.</p>
+
+<p>Cependant le défenseur de Cazeaux accuse l'abbé de l'Épée d'avoir laissé
+surprendre sa bonne foi. Il va jusqu'à soutenir qu'un homme revêtu d'un
+caractère honorable, le sieur Ducasse, juge à la monnaie de Toulouse, a
+préparé ce coup de théâtre avec le petit imposteur; il l'accuse
+formellement, il accuse les membres de la famille Hauteserre, témoins
+les plus favorables à Joseph. Il tire de nouveaux arguments contre ce
+dernier de ses variations, de ses contradictions manifestes, de ce qu'il
+appelle ses tergiversations incessantes. Il est, assure<a name="page_120" id="page_120"></a>-t-il,
+scandalisé de la liberté illimitée qu'on a laissée au principal acteur
+de cette mystification et à son digne interprète, de courir, de grand
+matin, dans les rues, tantôt avec le sieur Chevreau, tantôt avec
+différents domestiques, tantôt avec divers particuliers qui portent le
+plus vif intérêt à sa cause. Il arrive aux prétendues reconnaissances de
+certaines personnes et y voit le fruit évident, ou d'une prévention
+aveugle, ou d'une obstination opiniâtre, ou d'une mauvaise foi palpable.
+Enfin, il oppose Joseph à Joseph lui-même, répondant contradictoirement
+aux questions qu'on lui adresse sur la reconnaissance dont il est
+l'objet de la part de la dame d'Hauteserre, de son fils, de ses s&oelig;urs
+et de la servante. Et, pour établir démonstrativement que le sourd-muet
+présent n'est pas le comte de Solar, il s'efforce de prouver 1º
+l'impossibilité physique, que l'individu qui a passé à Toulouse tout le
+mois d'août et les premiers jours de septembre 1773, soit le même qu'on
+découvre à Cuvilly, le 1<sup>er</sup> août 1773; 2º le fait de Joseph, méconnu
+par l'universalité morale des témoins les plus dignes de foi, rapproché
+du fait de Joseph méconnaissant les personnes et les lieux que le vrai
+Solar aurait dû reconnaître.</p>
+
+<p>Et, cependant, le 8 juin 1781, une nouvelle sentence du Châtelet
+réhabilite le jeune <i>Théodore<a name="page_121" id="page_121"></a></i>. (C'est le nouveau nom que l'abbé de
+l'Épée a donné à son protégé.) Voici le résumé de l'arrêt:</p>
+
+<p><i>Le mineur Joseph</i> est déclaré <i>comte de Solar</i>; défenses à toutes
+personnes de le troubler dans la possession de son état.</p>
+
+<p><i>Cazeaux</i> est déchargé de l'accusation, son écrou est rayé, biffé.</p>
+
+<p>Il est enjoint <i>au curé</i> d'être plus exact et de se conformer aux
+ordonnances et déclarations du roi.</p>
+
+<p><i>Cadours</i><a name="FNanchor_53_53" id="FNanchor_53_53"></a><a href="#Footnote_53_53" class="fnanchor">[53]</a> est mandé et admonesté à 3 fr. d'aumône.</p>
+
+<p><i>La demoiselle Solar</i> et la fille Lama sont mises hors de cour.</p>
+
+<p>Il est enjoint à <i>la demoiselle</i> de reconnaître Joseph pour son frère.</p>
+
+<p>L'énonciation faite sur le registre est rayée comme fausse.</p>
+
+<p>Et Cazeaux promet de faire afficher la sentence en ce qui le concerne
+seulement.<a name="page_122" id="page_122"></a></p>
+
+<h3><a name="XVII" id="XVII"></a>XVII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+l'Épée.&mdash;Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la
+sentence.&mdash;Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et
+l'abbé de l'Épée.&mdash;Les parlements sont détruits par la
+révolution.&mdash;Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu
+en faveur du pauvre délaissé.&mdash;Sans appui, sans famille, sans
+ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine
+et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon
+d'autres, dans un hôpital.&mdash;Son interprète, le sourd-muet Didier,
+suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.</p></div>
+
+<p>Cependant, la partie adverse qui soutenait que le jeune sourd-muet,
+unique héritier présumé de la maison de Solar, était mort en 1774, à
+Charlas, près de Bagnères, en appelle encore au parlement et, par des
+efforts inouïs, elle obtient que l'exécution de la sentence sera
+suspendue. Sur ces entrefaites, cet infortuné perd ses seuls
+protecteurs, l'abbé de l'Épée et le duc de Penthièvre, et, après la
+destruction des parlements, sa prétendue famille réussit, le 24 juillet
+1792,<a name="page_123" id="page_123"></a> à faire casser par le nouveau tribunal de Paris le jugement rendu
+en faveur du pauvre délaissé. Voici quelle est ta teneur de
+l'annulation:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="addr">«L<small>E</small> T<small>RIBUNAL,</small> etc.<a name="FNanchor_54_54" id="FNanchor_54_54"></a><a href="#Footnote_54_54" class="fnanchor">[54]</a>,</p>
+
+<p>«Considérant que le sieur Cazeaux n'a fondé son appel que sur ce
+que Joseph a été déclaré fils des sieur et dame Solar, disposition
+qui ne peut faire grief qu'à la demoiselle Solar; et que le sieur
+Cazeaux, qui a été complétement déchargé d'accusation, n'a ni
+qualité ni intérêt à contester;</p>
+
+<p>«Considérant sur les reproches, que ceux proposés contre la femme
+Lama, le sieur Ducasse, la veuve Daris, la dame Combette et ses
+deux enfants ne reposent que sur des faits vagues et insignifiants;</p>
+
+<p>«Qu'au contraire, le reproche contre l'individu connu au procès
+sous le nom de <i>Joseph</i> est fondé en droit, 1º sur son état de
+sourd et<a name="page_124" id="page_124"></a> muet qui ne lui a pas permis d'entendre par lui-même, la
+lecture des actes qui étaient la base de l'instruction, ni de se
+rendre un compte personnel des faits qui pouvaient être à sa
+connaissance; 2º sur ce que, quoique, lors de sa déposition, il ne
+fût pas ostensiblement partie au procès, il y avait néanmoins
+l'intérêt le plus sensible, intérêt qu'il a manifesté ouvertement,
+depuis, en se faisant recevoir partie intervenante;</p>
+
+<p>«Considérant, au fond, qu'il est clairement établi au procès que
+l'individu sourd et muet, connu sous le nom de <i>Joseph</i><a name="FNanchor_55_55" id="FNanchor_55_55"></a><a href="#Footnote_55_55" class="fnanchor">[55]</a>, a été
+trouvé sur la grande route de Péronne à Paris, au village de
+Cuvilly, en Picardie, le 1<sup>er</sup> août 1773;</p>
+
+<p>«Qu'à cette époque, il fut recueilli par le sieur Le Roux, receveur
+des aides à Cuvilly, et par la dame son épouse, chez lesquels il
+est resté jusqu'au 2 septembre suivant;</p>
+
+<p>«Que, le 2 de ce même mois, il est entré, par ordre du sieur de
+Sartine, dans la maison de Bicêtre à Paris, où il a résidé, tant
+dans cette maison qu'en celle de l'Hôtel-Dieu, plus de vingt mois
+consécutifs;</p>
+
+<p>«Qu'au contraire, Guillaume-Jean-Joseph,<a name="page_125" id="page_125"></a> aussi sourd et muet, seul
+fils, né à Clermont, en Beauvoisis, du mariage des sieur et dame
+Solar, le 1<sup>er</sup> novembre 1762, ayant quitté le séjour de la
+Granerie, près Alby, a habité la ville de Toulouse, avec sa mère et
+Caroline, sa s&oelig;ur, jusqu'au commencement de septembre 1773;</p>
+
+<p>«Que, dans les premiers jours de ce mois, sa mère le confia au
+sieur Cazeaux pour le conduire à Charlas, et de là aux eaux de
+Bagnères, où il a été vu dans le cours dudit mois, comme à Charlas
+les mois suivants, et positivement reconnu par les personnes qui
+l'avaient vu à Toulouse, immédiatement auparavant;</p>
+
+<p>«Qu'après le voyage de Bagnères et le retour de cet enfant à
+Charlas, chez le sieur Cazeaux père, dans la maison duquel il a
+habité assez longtemps, toujours connu sous le nom de <i>Solar</i>, il a
+été attaqué de la petite vérole, à la fin de l'année 1773, est mort
+des suites de cette maladie le 28 janvier suivant, et a été inhumé,
+le lendemain 29, dans le cimetière de la paroisse de Charlas, sous
+la dénomination seulement de <i>fils du comte de Solar</i>, parce
+qu'aucune des personnes présentes ne connaissait ses noms de
+baptême;</p>
+
+<p>«Qu'ainsi ce n'est que par une funeste erreur qu'en élevant des
+doutes sur la mort de cet enfant, on a présumé que l'individu
+Joseph<a name="page_126" id="page_126"></a> pouvait être Guillaume, fils des sieur et dame Solar, et
+que le sieur Cazeaux fils a été accusé de l'exposition et
+suppression d'état de cet enfant; et, par suite de la même erreur,
+que les premiers juges, en déchargeant le sieur Cazeaux
+d'accusation, ont néanmoins donné à Joseph une qualité que
+l'évidence des preuves lui refuse;</p>
+
+<p>«Considérant, sur les autres accusations, que, par rapport au sieur
+Durban, curé de Charlas, on ne voit que des omissions et
+négligences sans dessein criminel dans la rédaction de l'acte
+mortuaire de Guillaume, fils de Solar, et que, dès lors, il doit
+être déchargé d'accusation, en lui enjoignant de se conformer
+dorénavant aux lois existantes sur la tenue des registres de
+baptêmes, mariages, sépultures;</p>
+
+<p>«Qu'en ce qui concerne Jean-Marc Cadours, accusé de prétendus faits
+de suggestion envers quelques témoins, il n'y a pas de preuve à
+l'appui de l'accusation;</p>
+
+<p>«Et qu'en ce qui touche la demoiselle Solar et autres accusés
+(abstraction faite du <i>quidam</i>, nommé Alexandre, à l'égard duquel
+il n'est entendu rien préjuger), il n'existe pas au procès le
+moindre indice du plus léger délit;</p>
+
+<p>«Déclare Jean-François-Hippolyte Cazeaux non-recevable dans l'appel
+par lui interjeté de la sentence du Châtelet de Paris du 28 juin
+1781;<a name="page_127" id="page_127"></a></p>
+
+<p>«Reçoit Caroline Solar, Jean-Baptiste-François Durban et Jean-Marc
+Cadours, appelants de ladite sentence;</p>
+
+<p>«Dit qu'il a été mal jugé, quant aux chefs concernant lesdits
+accusés et l'individu connu au procès sous le nom de <i>Joseph</i>;
+émendant et ayant égard, sur les conclusions du ministère public,
+au reproche proposé contre ledit Joseph, premier témoin de
+l'information faite à Paris, le 23 juillet 1778, a ordonné que sa
+déposition soit rejetée, et non lue aux termes de l'ordonnance; et,
+sans s'arrêter aux reproches fournis contre les 7<sup>e</sup> et 10<sup>e</sup>
+témoins de l'information de Toulouse, du 13 mai 1778, et encore
+contre les 50<sup>e</sup>, 52<sup>e</sup> et 54<sup>e</sup> témoins d'autre information de
+Toulouse du 20 octobre 1779, et contre le 16<sup>e</sup> de l'information
+faite, en la même ville, le 30 septembre précédent, lesquels sont
+déclarés non pertinents et inadmissibles;</p>
+
+<p>«Faisant droit sur les appellations, fins et conclusions des
+parties,</p>
+
+<p>«Déclare que l'enfant sourd et muet, mort des suites de la petite
+vérole chez Cazeaux père, à Charlas, le 28 janvier 1774 et inhumé,
+le lendemain, dans le cimetière de la paroisse dudit lieu, était
+véritablement Guillaume-Jean-Joseph, sourd et muet, fils unique de
+Vincent-Joseph de la Fontaine Solar et de Jeanne-Pauline Antoinette
+Clignet, son épouse, lequel était<a name="page_128" id="page_128"></a> né à Clermont le premier
+novembre 1762;</p>
+
+<p>«En conséquence, ordonne qu'énonciation des noms dudit enfant et de
+ses père et mère, et que mention par extrait du présent jugement
+seront faites par le greffier du tribunal sur le registre joint au
+procès, lequel registre sera remis ensuite dans les archives de la
+paroisse de Charlas, et, en outre, sur le double registre étant au
+greffe de la sénéchaussée de Toulouse, par le greffier dépositaire
+actuel;</p>
+
+<p>«Décharge Caroline Solar<a name="FNanchor_56_56" id="FNanchor_56_56"></a><a href="#Footnote_56_56" class="fnanchor">[56]</a> de l'accusation contre elle intentée;
+fait défenses à l'individu nommé <i>Joseph</i> de se dire et qualifier
+fils des sieur et dame Solar et de prendre les noms et exercer les
+droits et actions appartenant à cette famille;</p>
+
+<p>«Décharge pareillement Jean-Marc Cadours et Jean-Baptiste-François
+Durban, curé de Charlas, d'accusation; et, cependant, enjoint audit
+Durban de se conformer aux lois existantes<a name="page_129" id="page_129"></a> sur la tenue des
+registres de baptêmes, mariages et sépultures de sa paroisse;</p>
+
+<p>«Faisant droit sur l'intervention de l'individu nommé <i>Joseph</i>,
+l'évince des fins et conclusions par lui prises en sa requête, et,
+sur les autres demandes des parties, les renvoie hors procès;</p>
+
+<p>«Ordonne qu'au résidu, la sentence, dont est appel, sortira son
+plein et entier effet;</p>
+
+<p>«Ordonne, en outre, qu'à la diligence du ministère public, le
+présent jugement sera exécuté, imprimé et affiché en cette ville de
+Paris et partout où besoin sera, et autorise Caroline Solar à le
+faire imprimer et afficher de sa part partout où elle jugera
+convenable.</p>
+
+<p class="r">Signé E<small>UDE,</small> rapporteur.»</p>
+
+<p>Un jugement conforme<a name="FNanchor_57_57" id="FNanchor_57_57"></a><a href="#Footnote_57_57" class="fnanchor">[57]</a> est rendu en dernier ressort le 24 juillet
+1792.</p></div>
+
+<p>Quel parti prendra l'ex-comte de Solar? Le voilà seul jeté au milieu de
+ce tourbillon égoïste qu'on appelle le monde, sans appui, sans famille,
+sans ressource. Mieux eût valu<a name="page_130" id="page_130"></a> cent fois qu'une pitié compatissante ne
+fût point venue à son secours, qu'on l'eût abandonné sur la route de
+Péronne. Masse encore brute et sans culture, n'ayant d'autre sentiment
+que celui du bien-être et de la douleur, il ignore et cette lumière
+céleste que la Providence a mise en nous et ces rapports fraternels de
+l'homme avec l'homme, que son âme neuve et candide colore des plus
+brillants reflets. Son réveil, après tant de secousses, dut être
+effrayant! Il lui fallait cependant se décider. La France
+révolutionnaire s'ébranlait pour courir à la frontière, pour voler à la
+victoire. Solar ne balance pas, il oublie son infirmité, il s'engage
+dans un régiment de dragons. Trois mois après, entouré d'ennemis, hors
+d'état d'entendre le signal de la retraite, il vend cher sa vie et
+montre, par son indomptable valeur, qu'il est digne du nom dont quelques
+personnes persistent à croire qu'il a été injustement, brutalement
+dépouillé, et que c'est le sang d'un brave officier qui coule dans ses
+veines. Suivant une autre version, le malheureux se serait enrôlé dans
+un régiment de cuirassiers, et mal préparé par l'aisance de ses
+premières années et par les misères de son adolescence à la rude vie des
+camps, il aurait, peu de temps après, rendu le dernier soupir dans un
+hôpital. C'est par erreur qu'on a prétendu que son camarade Didier
+n'avait<a name="page_131" id="page_131"></a> quitté les drapeaux qu'après avoir assisté à la mort de son
+frère d'armes et d'infortune. Le fait est qu'il n'en fut pas témoin. Non
+moins brave que son ami, il servait alors dans l'artillerie à Lyon.<a name="page_132" id="page_132"></a></p>
+
+<h3><a name="XVIII" id="XVIII"></a>XVIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Coup d'&oelig;il rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.&mdash;Est-ce
+une aventure réelle ou un roman historique?&mdash;Bonne foi, conviction
+de l'abbé de l'Épée.&mdash;Ses efforts pour rendre l'innocence et
+l'honneur à Cazeaux.&mdash;Un dilemme pour en finir.&mdash;M. Fournier des
+Ormes voit dans cette aventure une mystification.&mdash;Suivant lui, le
+pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complétement
+sourd.&mdash;Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.&mdash;La pièce de
+Bouilly.&mdash;Première représentation.&mdash;Grand succès.&mdash;Incident de la
+seconde.&mdash;L'abbé Sicard mis en liberté.</p></div>
+
+<p>Quelques personnes, à l'exemple du défenseur de Cazeaux, ont paru
+disposées à reprocher à l'abbé de l'Épée de s'être laissé entraîner dans
+cette mémorable affaire par l'excès d'un zèle aveugle et de s'être lancé
+à l'aventure dans une entreprise dont il a, suivant elles, mal calculé
+les conséquences. Nous faudra-t-il nous rallier à cette opinion ou
+soutenir celle du vénérable instituteur?</p>
+
+<p>A ne considérer, la main sur la conscience,<a name="page_133" id="page_133"></a> que le dénouement de ce
+procès, et principalement l'épisode dramatique du cimetière de Charlas,
+où cette fameuse surdent est enfin découverte et représentée comme une
+pièce de conviction à la décharge de Cazeaux, peut-être, malgré
+certaines présomptions palpables en faveur de l'élève de l'abbé de
+l'Épée, pencherions-nous, avec nos adversaires, pour y voir moins une
+aventure réelle qu'un roman historique.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit, de quel droit nous permettrions-nous de faire un
+crime à ce bienfaiteur de l'humanité d'avoir joué, dans ce drame si
+fécond en péripéties, un rôle indigne du caractère dont il était revêtu,
+et bien plus indigne encore de cette pureté d'intention qui, de l'aveu
+de tous ceux qui ont été à même de le connaître et de l'apprécier, ne se
+dément pas un instant dans le cours de cette vie d'abnégation et de
+sacrifices? Jusqu'à sa dernière heure, nous ne craignons pas de le dire,
+il eut la ferme conviction que son client appartenait à une famille
+honorable, et que, tôt ou tard, la vérité triompherait dans sa personne.</p>
+
+<p>En ce qui regarde Cazeaux, à voir avec quel consciencieux et généreux
+empressement notre illustre instituteur a tout mis en &oelig;uvre pour lui
+faire rendre l'innocence et l'honneur, ne semble-t-il pas qu'il
+s'imputait à lui-même,<a name="page_134" id="page_134"></a> en gémissant, les rigueurs qu'avait endurées ce
+malheureux jeune homme?</p>
+
+<p>Enfin pourquoi, au lieu de souiller la vie, si pure, de notre grand
+instituteur, ne pas lui rendre la justice d'admirer exclusivement, et en
+bannissant jusqu'à la moindre pensée outrageante, sa persévérance à
+consacrer tous les efforts de sa charité surhumaine à la défense des
+droits d'un de ses fils adoptifs, qu'il regarde, dans son for intérieur,
+nous le répétons une bonne fois pour toutes, comme un pauvre orphelin
+victime d'une barbare cupidité?</p>
+
+<p>Tout examiné, nous nous bornerons à poser le dilemme suivant:</p>
+
+<p>De deux choses l'une: ou le jeune sourd-muet, alors âgé de dix-sept à
+dix-huit ans, est un imposteur, ou il ne l'est pas. S'il a effrontément
+menti, pourquoi avoir négligé d'employer tous les moyens infaillibles
+qu'offrait la justice pour s'assurer si sa déposition est ou non
+véritable?</p>
+
+<p>Si, de sa part, il n'y a pas eu la moindre intention d'en imposer à qui
+que ce soit, pourquoi refuser d'admettre que la coïncidence ou la
+similitude des circonstances a pu produire une si étrange illusion?</p>
+
+<p>M. Fournier des Ormes, dans ses feuilletons intitulés: <i>le Sourd-Muet de
+l'abbé de l'Épée (Souvenirs historiques)</i>, qui ont paru dans le
+<i>Constitutionnel<a name="page_135" id="page_135"></a></i>, sur la fin de 1851, n'a pas craint de ranger
+l'histoire de Joseph au nombre des mystifications du dix-huitième
+siècle, et il a étayé victorieusement, selon lui, sa conviction à cet
+égard sur ce qu'il n'était pas complétement sourd.</p>
+
+<p>Nous croyons devoir opposer à cette opinion celle de M. Valade-Gabel,
+professeur distingué de sourds-muets, ancien directeur de l'Institution
+de Bordeaux, qui, à propos de la publication de ces feuilletons, a bien
+voulu nous adresser par écrit quelques observations, auxquelles nous
+paraît donner un poids considérable son expérience dans une matière
+qu'il a longtemps étudiée et pratiquée. Les voici:</p>
+
+<div class="blockquot2">
+<p class="r">«Paris, le 15 avril 1852.</p>
+
+<p class="addr">C<small>HER COLLÈGUE,</small></p>
+
+<p>«Vous ne vous êtes point trompé, elle est inadmissible, elle est
+impuissante, la supposition à l'aide de laquelle un jeune écrivain
+prétend expliquer ce qui reste à jamais inexplicable dans le procès
+du sourd-muet de Péronne, et ce qui fera toujours suspecter le bien
+jugé de la sentence qui le dépouilla même de son nom.</p>
+
+<p>«La prétendue tradition qui veut faire de lui un demi-sourd,
+capable de surprendre les secrets<a name="page_136" id="page_136"></a> des familles, est d'invention
+récente; l'auteur la qualifie lui-même de simple hypothèse. Mais en
+fût-il autrement, fût-il avéré que ce malheureux jeune homme avait
+conservé un certain degré d'audition, on ne saurait déduire de ce
+fait aucune conséquence légitime pour lui imputer un rôle infâme.
+Celui qui, dès l'enfance, n'entend qu'à demi, au tiers, au quart,
+n'entre pas, pour cela, en possession du quart, du tiers, de la
+moitié du langage; il contracte seulement l'habitude de s'exprimer
+et de comprendre à l'aide de signes mimiques, et quiconque s'est
+occupé de l'éducation des sons sait que l'habitude de penser
+autrement qu'avec la parole élève un obstacle invincible à
+l'audition de celle-ci. Ajoutons que l'instruction donnée par
+l'abbé de l'Épée à ses élèves ne ressemblait en rien à celle que le
+demi-sourd doit recevoir pour devenir capable d'écouter et de
+comprendre le discours verbal.</p>
+
+<p>«Interrogez à ce sujet M. Allibert. Vous le savez, durant nombre
+d'années, notre estimable collègue à l'Institution de Paris reçut
+du docteur Itard des leçons de parole. Eh bien! comme finalement
+c'est à l'aide des signes qu'il a acquis son instruction, tout
+demi-entendant et tout intelligent qu'il est, je soutiens que
+l'oreille ne lui révèle jamais rien de ce qui se dit autour de
+lui.<a name="page_137" id="page_137"></a></p>
+
+<p>«Il eût été plus raisonnable de supposer que le précurseur de
+Gaspard Hauser avait, comme Desloges, perdu l'ouïe, après avoir eu
+l'usage de la parole, et qu'il saisissait encore celle-ci au
+mouvement des lèvres. Malheureusement, cette supposition accuserait
+trop de naïveté et de bonhomie chez tous les hommes distingués qui
+furent en rapport avec lui.</p>
+
+<p>«J'ignore l'intention qui a pu dicter les feuilletons dont il
+s'agit; mais, à coup sûr, si l'auteur s'est proposé d'effacer
+jusqu'à leur dernière trace les soupçons qui planèrent sur
+certaines personnes qui ont figuré dans cette déplorable affaire,
+il a complétement manqué son but. Je ne suis pas le seul à qui il
+ait remis en mémoire que le respectable abbé Salvan, ce digne
+collaborateur de l'abbé de l'Épée, regrettait avec amertume
+l'impossibilité où, lors du procès de 1792, l'abbé Sicard s'était
+trouvé de faire usage des pièces que son prédécesseur lui avait
+laissées dans l'intérêt de son pupille.</p>
+
+<p>«Adieu, cher collègue; vous avez voulu connaître toute ma pensée,
+la voilà sans déguisement.»</p>
+</div>
+
+<p>Comme chacun sait, ce fut dans cette cause célèbre que Bouilly puisa,
+avec une heureuse hardiesse, le sujet de l'<i>Abbé de l'Épée, comédie<a name="page_138" id="page_138"></a>
+historique</i>, en cinq actes et en prose, dont le sous-titre fut remplacé
+par celui de <i>drame</i>, lors du dénoûment inattendu de cet étrange procès.
+Bouilly était déjà précédé d'une assez belle réputation due à sa
+<i>comédie historique de René Descartes</i>, jouée aussi sur le premier
+théâtre de la nation, quand il se présenta avec son nouvel ouvrage
+devant l'aréopage de la rue Richelieu. Sa lecture achevée, il n'y eut
+qu'une voix pour prédire à l'&oelig;uvre un succès immense, infaillible.
+Qui, d'ailleurs, en eût osé douter, quand l'élite de la scène
+française<a name="FNanchor_58_58" id="FNanchor_58_58"></a><a href="#Footnote_58_58" class="fnanchor">[58]</a> s'empressait de lui prêter le concours actif de ses
+talents, de son bon vouloir, de son âme tout entière?</p>
+
+<p>Ce fut le samedi 14 décembre 1799 qu'eut lieu la première représentation
+de l'<i>Abbé de l'Épée</i>. Chacun des acteurs s'efforçait d'imprimer un
+caractère particulier au rôle dont il s'était chargé. On comprendra
+aisément combien<a name="page_139" id="page_139"></a> le jeu de Monvel dut électriser l'assemblée, quand on
+saura ce que fut ce grand comédien, et avec quelle opiniâtreté
+invincible il lutta non-seulement dans sa jeunesse contre une nature
+rebelle, mais encore, plus tard, contre les infirmités de l'âge,
+lorsqu'elles vinrent l'assaillir.</p>
+
+<p>C'est au second acte que l'abbé de l'Épée, assis dans le cabinet de
+Franval, ayant auprès de lui la mère et la s&oelig;ur de cet avocat, leur
+explique par quelle persistance de moyens, d'efforts, de peines, de
+fatigues, il est parvenu à découvrir la ville où est né le jeune
+sourd-muet que la Providence lui a confié, quelle est sa famille, quel
+est le vrai nom enfin de cette intéressante victime de la perversité des
+hommes. Il commence ainsi son récit:</p>
+
+<p>«Voici le sujet qui m'amène. Je serai peut-être un peu long, mais je ne
+dois rien négliger pour arriver au but que je me propose.»</p>
+
+<p>A ces mots: «Je serai peut-être un peu long,» une voix
+du parterre s'écria: <i>Tant mieux!</i> et toute la salle applaudit.</p>
+
+<p>Après la chute du rideau, l'auteur, à la demande générale, parut sur la
+scène et fut accueilli par d'unanimes bravos. Les mêmes honneurs furent
+décernés au talent non moins impressionnable que gracieux de M<sup>me</sup>
+Vanhove-Talma<a name="page_140" id="page_140"></a> (depuis comtesse de Chalot), jouant, comme on vient de le
+voir, le personnage du jeune sourd-muet; et des vers tombèrent de toutes
+parts à ses pieds.</p>
+
+<p>Qu'on nous permette de citer les suivants, dont la forme a bien vieilli,
+mais qui, à défaut d'autres mérites, ont, au moins, celui de peindre
+l'époque:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Vous, dont les talents enchanteurs</td></tr>
+<tr><td align="left">Nous ont si souvent, sur la scène,</td></tr>
+<tr><td align="left">Fait entendre les sons flatteurs</td></tr>
+<tr><td align="left">De Thalie ou de Melpomène,</td></tr>
+<tr><td align="left"><i>Vanhove</i>, par quel art secret,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sans avoir besoin de paroles,</td></tr>
+<tr><td align="left">Faites-vous d'un sourd et muet</td></tr>
+<tr><td align="left">Le plus intéressant des rôles?</td></tr>
+</table>
+
+<p>Et ceux-ci d'une épître du citoyen Chazet, devenu depuis le chansonnier
+légitimiste Alisan de Chazet:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Vanhove, ce muet charmant,</td></tr>
+<tr><td align="left">Qui s'exprime avec éloquence</td></tr>
+<tr><td align="left">Et qui choisit le sentiment</td></tr>
+<tr><td align="left">Pour interprète du silence.</td></tr>
+</table>
+
+<p>La seconde représentation fut témoin d'un heureux incident, auquel les
+sourds-muets durent la liberté de l'abbé Sicard, le plus célèbre
+successeur de l'abbé de l'Épée. Laissons Bouilly<a name="page_141" id="page_141"></a> raconter lui-même ce
+touchant épisode:</p>
+
+<p>«....... M<sup>me</sup> Bonaparte m'avait fait prévenir qu'elle ne pourrait
+assister à la première représentation; mais elle vint à la seconde,
+accompagnée du premier consul, dont la présence me valut une des plus
+honorables jouissances que j'aie éprouvées dans ma carrière littéraire.
+Au cinquième acte, lorsque Monvel, représentant l'abbé de l'Épée, dit à
+l'avocat Franval: «Qu'il y a longtemps qu'il est séparé de ses nombreux
+élèves, et que, sans doute, ils souffrent beaucoup de son absence.,»
+Collin d'Harleville, placé à la galerie, avec plusieurs gens de lettres,
+en face de la loge de Bonaparte, se lève et s'écrie: «Que Sicard, qui
+gémit dans les fers, que le vertueux Sicard nous soit rendu!» A ce cri
+de l'honneur et de l'amitié, un grand nombre de spectateurs se lèvent et
+répètent: «La liberté de Sicard! la liberté de l'instituteur des
+sourds-muets!...» J'étais, en ce moment, au fond du théâtre, et ne
+sachant ce qui pouvait causer ce tumulte, je l'attribuai à quelque
+imperfection de mon ouvrage, que le public frappait de sa réprobation,
+lorsque Dazincourt, s'apercevant de l'altération répandue sur mon
+visage, s'avance vers moi, ivre de joie, et me dit: «Eh bien! cher ami,
+quel triomphe pour vous! Votre ouvrage va faire cesser l'incarcération
+d'un<a name="page_142" id="page_142"></a> ami de l'humanité<a name="FNanchor_59_59" id="FNanchor_59_59"></a><a href="#Footnote_59_59" class="fnanchor">[59]</a>.» J'apprends alors que le premier consul,
+frappé d'une réclamation aussi générale, et, cédant aux vives instances
+de Joséphine, avait annoncé qu'il se ferait rendre compte de la
+détention de l'abbé Sicard. Je l'avouerai, l'honneur que je ressentis me
+fit tressaillir bien délicieusement, et les félicitations de tous ceux
+qui m'entouraient sont encore présentes à mon souvenir. Il est de ces
+dates du c&oelig;ur qui ne s'effacent jamais.»</p>
+
+<p class="cb">. . . . .
+. . . . .
+. . . . .
+. . . . .
+. . . . .</p>
+
+<p><a name="page_143" id="page_143"></a></p>
+
+<h3><a name="XIX" id="XIX"></a>XIX</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M.
+Bouilly par les jeunes élèves de l'École nationale de
+Paris.&mdash;Félicitations du premier consul Bonaparte et du roi Louis
+XVIII à l'auteur du drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;Souvenirs
+intéressants de Mme Talma. Deux traits de présence d'esprit de
+cette admirable actrice à deux représentations de la pièce.&mdash;Tribut
+d'éloge de Monvel à son élève.&mdash;Conclusions de M.
+Villenave.&mdash;Heureux résultats pour les sourds-muets du succès du
+drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.</p></div>
+
+<p>Écoutons encore l'auteur du drame de l'<i>Abbé de l'Épée</i>, à propos d'une
+visite que lui firent les élèves de l'Institution nationale:</p>
+
+<p>«...... Les jeunes sourds-muets, dit-il, instruits par Sicard que
+c'était à ma pièce qu'il devait le bonheur de se retrouver parmi eux, et
+qui se livraient, dans leur institution, à l'étude des beaux-arts,
+avaient eux-mêmes modelé en terre cuite un fort beau buste de l'abbé de
+l'Épée, qu'ils me destinaient. Ils étaient sortis, de bonne heure, de
+leur école, située au haut du<a name="page_144" id="page_144"></a> faubourg Saint-Jacques, et s'adressèrent,
+d'abord, par écrit, au concierge du Théâtre-Français, qui leur indiqua
+mon adresse. J'habitais, à cette époque, la rue Villedot. Ils se
+présentent à la loge du portier, au nombre de trente environ, et lui
+font un grand nombre de signes rapides, expressifs, mais auxquels le
+pauvre homme ne comprenait rien. Il s'imagina que c'étaient des échappés
+de Charenton. Enfin, l'un d'eux saisit une plume et fait entendre
+clairement l'objet de leur mission. Mon portier les conduit alors
+lui-même à mon appartement, où ils m'entourent, m'expriment
+l'attachement et la reconnaissance qu'ils me portent, par des gestes
+parlants et d'une expression ravissante. De mon côté, je me fis
+comprendre d'eux par la pantomime que j'employais et par quelques-uns de
+leurs signes que j'imitais, à ce point qu'une heure entière s'écoula
+dans nos mutuels épanchements, qui m'offraient un charme tout nouveau,
+une jouissance inexprimable. Je reçus de leurs mains le buste de l'abbé
+de l'Épée, que je plaçai sur le marbre de mon secrétaire; et je leur
+demandai la permission d'aller les remercier à leur Institution et
+d'assister souvent à leurs études dirigées par Sicard; ce qu'ils
+m'accordèrent tous avec les démonstrations de la joie la plus franche.</p>
+
+<p>«Je mis une des fleurs du magnifique bouquet<a name="page_145" id="page_145"></a> qu'ils m'apportaient, sous
+le globe de verre dont j'avais fait couvrir le buste de l'abbé de
+l'Épée. Je les conserve encore dans ma galerie; et chaque fois que j'y
+porte les yeux, elles me rappellent mon double succès et la plus belle
+époque de ma carrière dramatique.»</p>
+
+<p>Bonaparte, de son côté, adressa à Bouilly les félicitations les plus
+flatteuses sur son double succès. «Je vous remercie, lui dit-il, <i>avec
+le sourire aux dents blanches qui rendait sa bouche si expressive</i>: vous
+m'avez procuré le plaisir de rendre Sicard à ses élèves.&mdash;Et moi,
+général, répondit Bouilly, je dois vous remercier bien plus encore de
+m'avoir procuré par cet acte de justice la plus honorable jouissance que
+puisse éprouver un auteur!.......»</p>
+
+<p>Louis XVIII, avec cette politesse exquise qui le caractérisait, tenait,
+longtemps après, ce langage à Bouilly: «Vous n'êtes pas seulement un
+conteur moraliste, vous avez obtenu sur la scène des succès mérités.
+J'ai vu jouer à Londres votre <i>Abbé de l'Épée</i>, vos <i>Deux Journées</i>; et
+la vive impression que m'ont fait éprouver ces deux créations
+dramatiques, est encore présente à mon souvenir.»</p>
+
+<p>M<sup>me</sup> Talma revendique, à son tour, ici la parole comme un légitime
+dédommagement du sacrifice qu'elle a fait généreusement au soulagement
+de ceux qui en sont privés, de cette voix<a name="page_146" id="page_146"></a> qui fut si longtemps en
+possession des suffrages du public. Le morceau délicieux qu'on va lire,
+donnera la mesure, non-seulement des difficultés qu'elle a eues à
+surmonter dans la création d'un rôle pour elle si nouveau, mais encore
+du talent admirable, à l'aide duquel elle est parvenue à reproduire si
+heureusement la nature. Il est emprunté au livre qu'elle a publié en
+1836, sous le titre de: <i>Études sur l'Art théâtral</i> (p. 226-270).</p>
+
+<p>«L'art de bien dire au théâtre ne suffit pas: un acteur intelligent doit
+encore savoir tirer parti des moindres circonstances pour augmenter
+l'illusion théâtrale, fût-ce même à ses risques et périls. Qu'il me soit
+permis de rappeler une de ces circonstances dans laquelle, ayant montré
+de la présence d'esprit, j'en fus récompensée immédiatement par les
+applaudissements du public. C'était à l'époque du brillant succès de
+<i>l'Abbé de l'Épée</i>; je jouais le rôle du sourd-muet (le jeune Solar), et
+j'avais toute l'illusion du personnage que je remplissais; car, pour
+mieux m'identifier avec cette nature nouvelle pour moi, j'avais
+recherché l'amitié de Massieu, si connu par son intelligence, sa belle
+âme, son esprit et son savoir.</p>
+
+<p>«Pendant plus de six mois, je m'étais préparée à représenter le
+personnage que m'avait confié M. Bouilly. Je me composai une société
+journalière de sourds-muets; ils étaient enchantés<a name="page_147" id="page_147"></a> de me voir profiter
+de leurs leçons; et Massieu surtout me donnait avec empressement les
+matériaux nécessaires à la composition de mon rôle. Enfin, le succès de
+la pièce fut complet, et le mien par contre-coup.</p>
+
+<p>«Un jour donc, une circonstance extraordinaire me fournit l'occasion de
+montrer à quel point je m'étais identifiée avec mon personnage: une
+machine qui servait à faire mouvoir les décorations tombe du cintre,
+derrière le théâtre; des cris se font entendre; un accident des plus
+graves semblait être arrivé; toute la salle se lève spontanément;
+Baptiste, Mlle Thénard et Mlle Bourgoin, qui étaient en scène, se voient
+forcés de la quitter; ils reviennent bientôt rassurer les spectateurs
+(très-nombreux), en affirmant que personne n'a été blessé; et le calme
+ne tarde pas à se rétablir.</p>
+
+<p>«Mais le public, qui ne perd jamais l'occasion d'être juste envers les
+acteurs, s'aperçut que, pendant ce temps, j'étais restée comme sourde à
+ma place, près d'une table, observant une mappemonde et complétement
+étrangère à l'événement qui avait interrompu le spectacle; le jeu de ma
+physionomie était loin d'exprimer la crainte. Alors, frappé de cet
+à-propos, le public me fit entendre des applaudissements réitérés à
+quatre reprises.... Ah! pour cette fois, je n'avais garde de rester dans
+mon rôle de sourd;<a name="page_148" id="page_148"></a> mon c&oelig;ur battait de plaisir.... J'avais senti
+l'importance de la mission dont je m'étais chargée: un seul mouvement de
+surprise ou de crainte eût détruit toute illusion.</p>
+
+<p>«Un jour, j'entrais avec Monvel sur la scène, au second acte de <i>l'Abbé
+de l'Épée</i>: c'est le moment où le jeune Solar reconnaît la maison dans
+laquelle il a passé ses premières années. Nous avions joué plusieurs
+fois cette pièce; son succès était complet: nous savions donc, Monvel et
+moi, ce que nous devions faire; nos effets étaient réglés presque
+invariablement. Cependant, un jour, au lieu de me trouver sous la main
+de Monvel, ou plutôt de l'abbé de l'Épée, au moment où il se retournait
+pour m'interroger de nouveau par les signes accoutumés, il regarde
+autour de lui, il me cherche et me trouve pressant de mes mains la
+muraille de la maison paternelle où il ne m'était plus permis d'entrer:
+mes yeux pleins de larmes exprimaient toute ma pensée. Monvel, en me
+regardant, s'attendrit lui-même à tel point, qu'il ne pouvait parler; et
+le public, s'apercevant de notre émotion mutuelle, fit entendre de longs
+applaudissements.</p>
+
+<p>«En rentrant dans la coulisse: «Parbleu, madame, me dit le célèbre
+artiste, vous avez bien opéré! Je ne savais, d'honneur, si je pourrais
+finir ma scène, moi! Je ne me doutais pas de ce nouveau jeu de théâtre;
+il fallait<a name="page_149" id="page_149"></a> donc m'avertir.&mdash;Sans doute, mon maître, si j'avais su
+moi-même ce que je ferais! En résultat, êtes-vous mécontent? Ai-je mal
+fait?&mdash;Non sans doute, chère petite, dit-il en m'embrassant. Avec tant
+d'âme on ne peut se tromper; suivez toujours vos inspirations!»</p>
+
+<p>Enfin, car il faut se borner de crainte de s'écarter beaucoup plus
+longtemps du sujet qu'il ne convient, reproduisons ici à la hâte les
+quelques lignes tracées sur la célèbre comédienne par un écrivain
+distingué, dont nous pleurons encore la perte, M. Villenave, dans la
+notice qui se trouve en tête du livre auquel nous empruntons ces
+détails. (Pages XIV-XV.)</p>
+
+<p>«M<sup>me</sup> Talma obtint un bien beau triomphe dans le drame de l'<i>Abbé de
+l'Épée</i>. Ce fut, en effet, un rôle bien difficile que celui de ce
+sourd-muet qu'on vit, avec une surprise mêlée d'attendrissement et
+d'admiration, remplir la scène pendant les quatre derniers actes, sans
+cesser d'intéresser profondément les spectateurs. Trente-six ans se sont
+écoulés (en 1836), et l'auteur, M. Bouilly, en conservant le souvenir de
+cette belle époque de sa vie, n'a pas oublié celle qui jouait le
+sourd-muet et à qui, dit-il, avec une modestie devenue bien rare, <i>je
+dus mon plus beau laurier</i>. Les poëtes firent des vers en l'honneur de
+l'excellente actrice,<a name="page_150" id="page_150"></a> et on eût pu lui appliquer cet heureux distique
+composé pour l'abbé de l'Épée par un de ses élèves (de Seine,
+sourd-muet).</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Il révèle à la fois le secret merveilleux</td></tr>
+<tr><td align="left">De parler par les mains, d'entendre par les yeux.</td></tr>
+</table>
+
+<p>S'étonnera-t-on ensuite que, malgré les critiques dont la pièce de
+Bouilly est devenue l'objet depuis lors, tant au point de vue du style,
+qui n'est peut-être pas celui qui convient le mieux au sujet, qu'au
+point de vue de la mimique qui, de nos jours, a fait des pas de géant,
+elle ait contribué si prodigieusement, grâce à d'aussi puissants
+éléments de succès, à agrandir l'intérêt que mérite une si cruelle
+privation, à populariser la gloire de son héros, à multiplier enfin les
+effets de la sympathie nationale et étrangère en faveur de cette famille
+exceptionnelle?<a name="page_151" id="page_151"></a></p>
+
+<h3><a name="XX" id="XX"></a>XX</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les
+représentations du drame de l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;L'auteur accusé par
+la presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur
+de certaines personnes.&mdash;M. Bouilly se disculpe.&mdash;Il offre de
+changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de
+C<small>OMÉDIE HISTORIQUE</small>.&mdash;Mort de l'abbé de l'Épée.&mdash;Touchant spectacle
+de ses derniers moments.&mdash;Tableau du sourd-muet Peyson.&mdash;Le célèbre
+instituteur inhumé à Saint-Roch.&mdash;On se dispute son image.&mdash;Sa
+répugnance à laisser reproduire ses traits, de son vivant.&mdash;Le
+sculpteur sourd-muet de Seine.&mdash;La Commune de Paris demande à
+l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets privés de
+leur père.&mdash;Ce v&oelig;u est réalisé.&mdash;Oraison funèbre de l'abbé de
+l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.&mdash;Supplice du
+panégyriste.</p></div>
+
+<p>Qui le croirait? Il se trouva des personnes intéressées que le succès du
+drame de l'<i>Abbé de l'Épée</i> offusqua, et qui ne craignirent pas d'agir
+auprès des autorités supérieures, dans la vue d'en obtenir que les
+représentations de la pièce fussent suspendues. Elles eurent même
+recours à la voie de la presse pour accuser l'auteur de<a name="page_152" id="page_152"></a> n'avoir mis son
+&oelig;uvre au théâtre qu'avec l'arrière-pensée de <i>troubler leur repos et
+de compromettre leur honneur</i>. D'aussi basses inculpations
+pouvaient-elles porter la moindre atteinte à l'estimable caractère de
+celui qui en était l'objet? Comment soupçonner l'auteur qui, en
+retraçant sur la scène un mémorable épisode de la vie de notre illustre
+fondateur, avait formellement déclaré ne tendre qu'à un double objet,
+honorer la mémoire de l'abbé de l'Épée, et intéresser le public en
+faveur non-seulement de celui qu'il avait institué, en mourant, le
+légataire de son génie, l'abbé Sicard, mais encore de tous ses
+successeurs à venir? Peu lui importait, disait-il, que la sentence du
+Châtelet de Paris, restituant ses droits à l'élève de notre illustre
+maître, eût été infirmée par un nouveau jugement en 1792, s'il voyait
+son but complétement atteint. Il croyait même sa conscience parfaitement
+en repos après avoir constaté qu'il s'était borné à la donnée
+principale, et n'avait fait autre chose que d'y ajouter quelques
+développements épisodiques, quelques nouveaux personnages de son
+invention.</p>
+
+<p>Supposons que les reproches dont on l'accabla fussent fondés, n'avait-il
+pas droit, au moins, à un peu d'indulgence pour l'attention scrupuleuse
+qu'il avait apportée à se renfermer strictement, d'un bout à l'autre de
+son &oelig;uvre,<a name="page_153" id="page_153"></a> dans les limites que lui imposaient la prudence humaine
+et les convenances sociales? Ne le vit-on pas, sur les réclamations de
+Cazeaux, se hâter, avec un empressement qui l'honorait, de supprimer du
+titre de sa pièce la qualification de <i>comédie historique</i>? Et sa
+générosité n'alla-t-elle pas même jusqu'à lui offrir de changer le lieu
+de la scène, l'assurant sur l'honneur que son &oelig;uvre ne le regardait
+ni directement ni indirectement?</p>
+
+<p>Avant la fin de ce procès célèbre qui occupe une si large place dans
+l'existence de l'abbé de l'Épée, ses forces avaient sensiblement
+décliné, et il penchait, à vue d'&oelig;il, vers la tombe. Déjà son état
+commençait à inspirer de sérieuses inquiétudes à tous ceux qui
+l'environnaient, lorsqu'un coup imprévu vint tout à coup confirmer leurs
+craintes. Il s'endormit dans le Seigneur le 23 décembre 1789, après
+avoir reçu les derniers sacrements du curé de l'église Saint-Roch, sa
+paroisse, M. Marduel, neveu et successeur de son ami, entouré d'une
+députation de l'Assemblée nationale, ayant à sa tête Mgr de Cicé,
+archevêque de Bordeaux, de ses parents et de ses élèves, fondant en
+larmes. Une pauvre fille inconnue se fit remarquer à genoux devant ce
+lit de mort. Sourde-muette, elle était venue de bien loin contempler son
+père adoptif, et elle le trouvait expirant. De tendres conseils,<a name="page_154" id="page_154"></a> de
+douces consolations tombaient encore de ses doigts glacés sur ces
+malheureux enfants qui n'allaient plus avoir de père. Tout à coup un
+dernier rayon d'espoir brille dans ses yeux qui s'éteignent. Dieu
+n'abandonnera pas ces pauvres orphelins. Ils l'ont compris, et leur
+séparation est moins cruelle, et les larmes qui coulent de leurs yeux,
+en présence du cadavre de leur ami, sont moins amères, et leur douleur a
+revêtu le caractère d'une pieuse résignation.</p>
+
+<p>Cette scène touchante a été reproduite sur la toile avec un talent
+supérieur par le sourd-muet Frédéric Peyson, de Montpellier. Ce fut un
+des tableaux les plus remarquables de l'exposition de 1839.</p>
+
+<p>L'auteur de ce mémoire avait proposé à ses amis, tant parlants que
+sourds-muets, réunis dans une circonstance solennelle, d'exprimer dans
+une pétition collective<a name="FNanchor_60_60" id="FNanchor_60_60"></a><a href="#Footnote_60_60" class="fnanchor">[60]</a> le v&oelig;u de voir le gouvernement se décider
+à faire l'acquisition de cette &oelig;uvre, et la requête avait été
+couverte aussitôt de nombreuses signatures. Mais le prix en ayant paru
+un peu trop élevé, le généreux artiste se décida à offrir son tableau à
+l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, dont il décore la
+chapelle, et chargea un professeur sourd-<a name="page_155" id="page_155"></a>muet distingué, M. Alphonse
+Lenoir, de transmettre cette résolution<a name="FNanchor_61_61" id="FNanchor_61_61"></a><a href="#Footnote_61_61" class="fnanchor">[61]</a> à la Commission consultative
+de cet établissement.</p>
+
+<p>L'abbé de l'Épée fut inhumé au sein de l'église Saint-Roch, dans le
+caveau de la chapelle Saint-Nicolas: c'est dans cette chapelle,
+appartenant à sa famille, qu'il avait coutume de célébrer la messe, que
+ses sourds-muets, à tour de rôle, servaient de vive voix.</p>
+
+<p>Quand le père spirituel des sourds-muets eut rendu le dernier soupir, ce
+fut à qui reproduirait sa vénérable image. De son vivant, il n'avait
+jamais voulu se prêter au désir d'aucun artiste, jaloux de conserver ses
+traits, ne fût-ce que pour le plus simple croquis. Il ne fit exception à
+la règle qu'en faveur d'une dame, dont le portrait a été prêté pour
+modèle, par le fils d'une de ses nièces, M<sup>me</sup> la comtesse de
+Courcel<a name="FNanchor_62_62" id="FNanchor_62_62"></a><a href="#Footnote_62_62" class="fnanchor">[62]</a> à M. Michaut (des Monnoies), auteur de la statue de l'Apôtre
+des sourds-muets érigée à Versailles.</p>
+
+<p>Un jour, s'apercevant que son élève de Seine, sculpteur et graveur,
+avait fait son buste, sur lequel<a name="page_156" id="page_156"></a> était écrit le distique que nous avons
+cité plus haut, il en demanda le prix à l'auteur, le paya et brisa cette
+image. L'artiste, qui s'était fait fort de triompher de la modestie du
+maître, ne vit d'autre moyen de gagner sa gageure, que d'épier les
+intervalles de recueillement où il lui arrivait parfois de se plonger,
+afin de saisir, à la dérobée, des traits si chers. Le bon abbé, instruit
+du succès de cette innocente man&oelig;uvre, ne put s'empêcher de sourire à
+l'opiniâtre reconnaissance du statuaire, qui ne fut pas, du reste, le
+seul à tromper sur ce point la vigilance du maître.</p>
+
+<p>Ce de Seine est le même qui, plus tard, moula la figure de Mirabeau, et
+remporta le prix du concours ouvert par l'Assemblée nationale pour
+l'exécution du buste du grand orateur. Les premiers artistes de l'époque
+avaient pris part à la lutte. Le vainqueur s'y était présenté sans
+appui, ni précédents. Le gouvernement lui accorda, en outre, 600 francs
+de pension et un logement au Louvre<a name="FNanchor_63_63" id="FNanchor_63_63"></a><a href="#Footnote_63_63" class="fnanchor">[63]</a>.<a name="page_157" id="page_157"></a></p>
+
+<p>Quatre députés de la Commune de Paris, M. Godard, avocat au parlement,
+portant la parole, exprimèrent à l'Assemblée nationale le v&oelig;u qu'un
+établissement fût ouvert, aux frais de l'État, aux malheureux orphelins
+que la mort de l'abbé de l'Épée laissait sans appui. Ce v&oelig;u, comme on
+le verra tout à l'heure, fut réalisé. Depuis lors, des écoles de ce
+genre se sont multipliées à l'infini, sur tous les points du globe, pour
+attester la supériorité de sa méthode sur celle de tous les instituteurs
+étrangers.</p>
+
+<p>A pareil jour, deux ans plus tard, le 23 février 1790, l'oraison funèbre
+de l'abbé de l'Épée fut prononcée dans l'église de
+Saint-Étienne-du-Mont, en présence d'une députation de l'Assemblée
+nationale, du maire de Paris, des membres de la Commune, et de tout ce
+que la capitale comptait de plus illustre dans les lettres et dans les
+sciences, par l'abbé Fauchet, prédicateur ordinaire du roi, dont le nom
+a conquis dans le monde politique une impérissable renommée par sa
+participation à la prise de la Bastille, par son dévouement à la cause
+du peuple et aux nouvelles institutions, par son supplice enfin, qui eut
+lieu le 31 octobre 1793. Ses juges l'avaient déclaré suspect de
+complicité<a name="page_158" id="page_158"></a> avec les Girondins, et plus particulièrement avec la
+courageuse Charlotte Corday.</p>
+
+<p>On nous saura peut-être gré de reproduire ici les paroles que l'abbé de
+l'Épée avait adressées à ce même abbé Fauchet, quand celui-ci lui avait
+soumis son panégyrique de saint Augustin.</p>
+
+<p>«Oui, disait-il à l'auteur, en lui témoignant son approbation de ce
+qu'il avait insisté sur les dangers de l'orgueil, c'est malheureusement
+notre péché d'origine à tous; c'est celui qu'il nous faut combattre
+toute la vie; il n'y a point de relâche à se permettre sur ce point;
+c'est tout le mal de l'homme; c'est le mien. Je l'éprouve à toute heure:
+vous m'avez loué en désirant mon suffrage, je pourrais vous louer aussi;
+mais assez d'autres vous empoisonneront d'éloges. De nous-mêmes nous ne
+sommes que trop enclins à nous applaudir au fond de nos c&oelig;urs, tandis
+que, si nous avons un motif de bénir le ciel pour nous avoir accordé
+quelques lumières, nous avons mille raisons de nous humilier de nos
+ténèbres.»<a name="page_159" id="page_159"></a></p>
+
+<h3><a name="XXI" id="XXI"></a>XXI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera
+inscrit parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité
+et de la patrie et que son Institution sera subventionnée par
+l'État.&mdash;Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à
+l'ancien couvent des Célestins.&mdash;La Convention fonde, dans chacune
+des écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées
+successivement, pour la première, à 80 et à 100.&mdash;La Convention
+avait eu un instant le projet de fonder, pour l'éducation de 4000
+sourds-muets, une école normale et six grandes institutions, avec
+ateliers et travaux agricoles.&mdash;Transfert de l'établissement de
+Paris dans le local actuel, à l'ancien séminaire
+Saint-Magloire.&mdash;Les frais d'éducation des sourds-muets rangés, en
+1832, parmi les <i>dépenses facultatives</i> des budgets
+départementaux.&mdash;M. de Gerando avait infructueusement proposé que
+ce fût parmi les <i>dépenses obligatoires</i>.</p></div>
+
+<p>Dans sa séance du 21 juillet 1791, l'Assemblée nationale, qui avait
+renvoyé, le 24 mai de l'année précédente, à son comité de mendicité, une
+pétition de l'abbé Sicard<a name="FNanchor_64_64" id="FNanchor_64_64"></a><a href="#Footnote_64_64" class="fnanchor">[64]</a>, relative à la<a name="page_160" id="page_160"></a> perpétuité de
+l'établissement ouvert aux sourds-muets, décréta<a name="FNanchor_65_65" id="FNanchor_65_65"></a><a href="#Footnote_65_65" class="fnanchor">[65]</a> que le nom de
+l'abbé de l'Épée serait placé au rang de ceux des citoyens qui avaient
+bien mérité de l'humanité et de la patrie, et que son Institution serait
+entretenue aux frais de l'État comme un monument digne de la nation
+française. Elle y fonda, mais pour une année seulement, vingt-quatre
+bourses gratuites, dont elle assurait la jouissance, par arrêt des 10-14
+septembre<a name="FNanchor_66_66" id="FNanchor_66_66"></a><a href="#Footnote_66_66" class="fnanchor">[66]</a>, aux titulaires, et assigna à l'Institution les bâtiments
+de l'ancien couvent des Célestins, qu'elle devait partager avec celle
+des aveugles, jusqu'au moment où un nouveau projet d'organisation des
+deux établissements, préparé par<a name="page_161" id="page_161"></a> un comité spécial, aurait reçu sa
+sanction définitive.</p>
+
+<p>C'est un devoir sacré, pour nos c&oelig;urs reconnaissants, de recommander
+à la mémoire des amis de l'humanité le nom de Prieur, député de Châlons,
+dont toutes les conclusions en faveur des pauvres sourds-muets furent
+votées par l'Assemblée nationale. Son rapport remarquable se terminait
+ainsi: «A votre voix, Messieurs, quatre mille infortunés (le nombre a dû
+en être quatre ou cinq fois plus grand) pourront recouvrer toutes leurs
+facultés, et, avec elles, l'usage de leurs droits; ils redeviendront des
+hommes et des citoyens.» Ainsi les sourds-muets, ces étrangers dans la
+société humaine, ces anciens parias de la civilisation, en imprimant ce
+rapport de leurs mains, tracèrent alors eux-mêmes, en caractères
+ineffaçables, leurs lettres de grande naturalisation intellectuelle,
+comme l'a si justement observé un de nos littérateurs les plus en
+renom<a name="FNanchor_67_67" id="FNanchor_67_67"></a><a href="#Footnote_67_67" class="fnanchor">[67]</a>.</p>
+
+<p>Un décret des 10-14 septembre 1792, concernant les établissements des
+sourds-muets et des aveugles-nés, alloua sur le trésor national les
+fonds nécessaires au paiement des pensions fondées dans lesdits
+établissements.<a name="page_162" id="page_162"></a></p>
+
+<p>La Convention nationale, par décret des 12-14 mai 1793, convertissant en
+Institution nationale l'École des sourds-muets de Bordeaux, et la
+plaçant sous la surveillance du département et de la municipalité, lui
+alloua une subvention annuelle de 16,000 francs, et y créa, ainsi que
+dans celle de Paris, vingt-quatre bourses gratuites. Elle décréta, en
+outre, que tous les sourds-muets recevraient indistinctement le bienfait
+de l'éducation publique, et que, pour atteindre ce but, en différents
+endroits de la république, d'autres établissements s'élèveraient, sur le
+modèle de ceux de Paris et de Bordeaux. Cependant, elle crut devoir se
+borner, pour le moment, à la création de soixante bourses<a name="FNanchor_68_68" id="FNanchor_68_68"></a><a href="#Footnote_68_68" class="fnanchor">[68]</a>, pour
+chacune des deux institutions alors existantes, qu'elle organisa sur le
+pied d'une parfaite égalité par son arrêté du 16 nivôse an III (5
+janvier 1795). Elle affecta définitivement, à la première les bâtiments
+de l'ancien séminaire de l'archevêque de Paris, rue du
+Faubourg-Saint-Jacques, n<sup>os</sup> 254 et 256, connu sous le nom de
+séminaire de Saint-Magloire et qu'elle occupe encore aujourd'hui<a name="FNanchor_69_69" id="FNanchor_69_69"></a><a href="#Footnote_69_69" class="fnanchor">[69]</a>.<a name="page_163" id="page_163"></a></p>
+
+<p>A cette époque, le citoyen Maignet, député du Puy-de-Dôme, s'exprimait
+ainsi, dans son rapport à la Convention nationale, sur le projet de
+décret d'organisation première de ces établissements:</p>
+
+<p>«L'on ne perdra jamais de vue que le principal but que nous nous
+proposons, est d'arracher les sourds-muets à l'indigence, en leur
+donnant une profession qui puisse leur faire trouver dans le travail des
+ressources suffisantes contre le besoin. Le soin des instituteurs sera
+de discerner quelle est la profession pour laquelle chacun d'eux montre
+le plus de talent, et de l'y appliquer.»</p>
+
+<p>Le même représentant s'était efforcé de démontrer la nécessité de créer
+une École centrale, pour y former des instituteurs. Il avait émis, en
+outre, le v&oelig;u que six établissements fussent fondés en France, pour
+recevoir 4,000 sourds-muets; qu'on y annexât divers ateliers, et que,
+plusieurs fois, par semaine, les instituteurs conduisissent leurs élèves
+dans les champs, et n'épargnassent rien pour leur inspirer le goût des
+travaux agricoles. Le rapporteur insistait pour que son projet fût
+adopté, quels que fussent les embarras dans lesquels la patrie était
+alors plongée. «Nous venons, s'écriait-il avec l'accent énergique d'une
+consciencieuse philanthropie, vous offrir un nouveau<a name="page_164" id="page_164"></a> genre d'alliance à
+contracter, alliance inconnue, jusqu'ici, dans les fastes de l'histoire,
+mais qui n'en sera que plus chère à vos c&oelig;urs; c'est l'alliance avec
+l'infortune; il s'agit de lier par la reconnaissance les enfants
+sourds-muets au règne de la liberté.»</p>
+
+<p>La Convention nationale décida, art. 2, titre III du décret du 3
+brumaire an IV, sur l'organisation de l'instruction publique, la
+création de plusieurs écoles publiques de sourds-muets dans les
+départements<a name="FNanchor_70_70" id="FNanchor_70_70"></a><a href="#Footnote_70_70" class="fnanchor">[70]</a>, outre celles de Paris et de Bordeaux; mais il ne fut
+pas donné suite à ce projet proposé par le comité de secours publics, et
+précédé d'un exposé des motifs de Roger-Ducos, député des Landes.</p>
+
+<p>Un décret du 16 vendémiaire an V déclara, art. 4:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«Les établissements existants, destinés aux aveugles et aux
+sourds-muets, resteront à la charge du trésor national.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>A partir de là, ce n'est plus qu'en 1832 que nous voyons, de nouveau,
+les sourds-muets fixer sérieusement sur eux la sollicitude du
+Gouvernement, et devenir l'objet d'une disposition spéciale dans le
+classement des attributions des conseils généraux. Cette disposition met
+leurs frais d'éducation au nombre des dépenses<a name="page_165" id="page_165"></a> facultatives des budgets
+départementaux.</p>
+
+<p>M. le baron de Gérando, chargé de rédiger cette disposition importante,
+avait proposé au ministre de l'intérieur de ranger ces dépenses parmi
+celles qui sont obligatoires, comme l'entretien des aliénés et des
+enfants-trouvés; il échoua malheureusement dans cette généreuse
+initiative.<a name="page_166" id="page_166"></a></p>
+
+<h3><a name="XXII" id="XXII"></a>XXII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Mode d'administration successif des Institutions nationales des
+sourds-muets de Paris et de Bordeaux.&mdash;Projets divers ayant pour
+but de généraliser en France cet enseignement
+spécial.&mdash;Sollicitations infructueuses jusqu'à ce jour.&mdash;Pétition
+adressée en 1851 par la Société centrale d'éducation et
+d'assistance pour les sourds-muets en France à l'Assemblée
+nationale législative.&mdash;Éloges de l'abbé de l'Épée, par MM. Bébian,
+ancien censeur des études de l'Institution nationale de Paris, et
+d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets de
+Madrid.&mdash;L'auteur des <small>TEMPLIERS</small>, M. Raynouard, de l'Académie
+française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le meilleur
+poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.&mdash;Nomenclature complète des
+&oelig;uvres du célèbre instituteur.</p></div>
+
+<p>Les écoles de sourds-muets de Paris et de Bordeaux, placées d'abord sous
+la surveillance des autorités départementales, furent, plus tard,
+administrées par un conseil, composé d'abord de trois membres, puis de
+cinq, et enfin de sept. Deux arrêtés, en date du 18 fructidor an VII et
+du 18 vendémiaire an IX, rendus par Lucien Bonaparte, alors ministre de
+l'intérieur,<a name="page_167" id="page_167"></a> avaient réglé l'organisation de l'école de Paris; un
+autre, en date du 8 brumaire an X, émanant de l'illustre Chaptal, avait
+modifié les deux statuts précédents. En 1822, tous les arrêtés
+antérieurs furent révisés et fondus en un règlement général, revêtu, le
+28 juin, de l'approbation ministérielle; enfin, une ordonnance royale,
+du 21 février 1841, concernant les établissements généraux de
+bienfaisance et d'utilité publique, créa un conseil supérieur, composé
+de vingt-quatre membres, chargé de les surveiller, et, en exécution de
+l'art. 6 de ladite ordonnance, un arrêté ministériel, du 16 mars de la
+même année, organisa, près de chacun de ces établissements, une
+commission consultative, composée de cinq membres, y compris le
+directeur.</p>
+
+<p>A diverses époques, le Gouvernement s'est occupé de mesures législatives
+pour procurer l'éducation à tous les sourds-muets.</p>
+
+<p>La Convention nationale voulait rattacher l'enseignement de ces
+infortunés au système général d'instruction publique de la France.</p>
+
+<p>Plus tard, Chaptal, par une lettre en date du 22 germinal an IX,
+consultait le conseil d'administration de l'École de Paris sur un projet
+semblable. Il insistait principalement pour que les établissements de
+sourds-muets fussent assis sur de solides bases.</p>
+
+<p>En 1836, un autre ministre, M. le comte<a name="page_168" id="page_168"></a> de Gasparin, ayant invité le
+conseil d'administration de l'Institution nationale de Paris à élaborer
+un projet de loi sur l'organisation définitive des écoles consacrées à
+ces malheureux, ne trouva pas celui qui lui fut remis de nature à être
+présenté à l'examen des Chambres.</p>
+
+<p>Six ans après, la même question fut débattue au sein du congrès
+scientifique de France, tenu à Strasbourg, où étaient accourus quatre
+instituteurs français de sourds-muets, MM. Piroux, directeur de l'école
+de Nancy; Edouard Morel, directeur actuel de celle de Bordeaux; Jacoutot
+et Selligsberger, dont chacun dirige un établissement de ce genre à
+Strasbourg. Les vues d'enseignement général, exposées dans cette
+enceinte d'une manière péremptoire par les deux premiers, furent
+favorablement accueillies par l'assemblée, qui en adopta les
+conclusions.</p>
+
+<p>Deux pétitions ont été simultanément adressées sur le même sujet, au
+Corps législatif, par M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la
+commission consultative de l'Institution des sourds-muets de Paris, et
+par l'auteur de ce mémoire. Depuis, l'une et l'autre ont été renouvelées
+jusqu'à trois ou quatre fois; mais elles n'ont obtenu aucun résultat
+immédiat, aucun résultat complet, malgré les<a name="page_169" id="page_169"></a> votes favorables dont
+elles n'ont cessé d'être l'objet de la part des diverses législatures.</p>
+
+<p>En juillet 1851, une pétition<a name="FNanchor_71_71" id="FNanchor_71_71"></a><a href="#Footnote_71_71" class="fnanchor">[71]</a> à l'Assemblée nationale a été proposée
+et adoptée unanimement au sein de la <i>Société centrale d'éducation et
+d'assistance pour les Sourds-Muets en France</i>, présidée par M. Dufaure,
+ancien ministre. Elle tend à l'extension de l'enseignement de ces
+infortunés et des jeunes aveugles, et à une augmentation de fonds
+nécessaires pour atteindre ce but.</p>
+
+<p>Mais la dissolution de cette Assemblée, ayant été amenée par l'événement
+du 2 décembre de la même année, a nécessité la rédaction d'un nouveau
+mémoire<a name="FNanchor_72_72" id="FNanchor_72_72"></a><a href="#Footnote_72_72" class="fnanchor">[72]</a> au Prince Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la
+République.</p>
+
+<p>La Société royale académique des sciences de Paris proposa, en 1817, au
+concours, l'éloge de l'abbé de l'Épée. Le prix fut décerné, en 1819, à
+M. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution des sourds-muets
+de Paris,<a name="page_170" id="page_170"></a> et l'accessit à M. Bazot, membre de l'Athénée des arts, etc.
+Nous avons de M. d'Aléa, ancien directeur du collége royal des
+sourds-muets de Madrid, <i>l'Éloge de l'abbé de l'Épée, ou Essai sur les
+avantages du système des signes méthodiques, appliqué à l'instruction
+générale élémentaire</i>, traduit de l'espagnol sous les yeux de l'auteur.
+M. d'Aléa était déjà connu dans sa patrie par une traduction espagnole
+de <i>Paul et Virginie</i>. On assure qu'il a travaillé à un <i>Dictionnaire de
+signes d'action analogiques</i>.</p>
+
+<p>On nous a rapporté que, quelque temps avant sa mort, le célèbre auteur
+des <i>Templiers</i>, M. Raynouard, avait manifesté l'intention de proposer
+pour sujet d'un prix de poésie l'éloge de notre <i>père spirituel</i>. Nous
+aurions voulu qu'il eût été donné suite à cette proposition, qui aurait
+certainement honoré la mémoire du savant académicien dont nous déplorons
+la perte.</p>
+
+<p>Voici la nomenclature complète des ouvrages de l'abbé de l'Épée:</p>
+
+<p>1º <i>Relation de la maladie et de la guérison miraculeuse opérée sur
+Marie-Anne Pigalle</i>, 1757, in-12;</p>
+
+<p>2º <i>Institution des sourds et muets, ou Recueil des exercices soutenus
+par les sourds et muets, pendant les années 1771, 1772, 1773 et 1774,
+avec les lettres qui ont accompagné les programmes de chacun de ces
+exercices</i>, Paris, 1774, in-12 de 112<a name="page_171" id="page_171"></a> pages (dans sa quatrième lettre,
+il développe les moyens dont il s'est servi pour conduire ses élèves à
+la connaissance de la divinité et des dogmes religieux; il y annonce que
+ce quatrième exercice public sera le dernier);</p>
+
+<p>3º <i>Institution des sourds et muets par la voie des signes méthodiques</i>,
+Paris, 1776, in-12; <i>nouvelle édition corrigée sous ce titre: La
+véritable manière d'instruire les sourds et muets, confirmée par une
+longue expérience</i>, Paris, 1784, in-12; cet ouvrage a été traduit en
+allemand;</p>
+
+<p>4º <i>Dictionnaire général des signes employés dans la langue des
+sourds-muets</i>, auquel la mort l'empêcha de mettre la dernière main.<a name="page_172" id="page_172"></a></p>
+
+<h3><a name="XXIII" id="XXIII"></a>XXIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.&mdash;Le plomb
+des cercueils fondu en balles sur les autels.&mdash;Mission que l'auteur
+s'était imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.&mdash;Lettre
+aux journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas
+au Musée historique de Versailles, de ce que sa statue ne se voit,
+ni dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de
+son successeur, l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un
+déplorable abandon.&mdash;Demande de renseignements au curé de
+Saint-Roch sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans
+cette église.&mdash;Comment on découvre que ses restes reposent dans le
+caveau de la chapelle Saint-Nicolas.&mdash;L'auteur y descend avec le
+sourd-muet Forestier et le docteur Doumic.&mdash;Spectacle
+déchirant!&mdash;Souscription ouverte dans les journaux pour élever un
+monument aux cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux
+inscriptions en français sur la maison où il est né et sur celle
+qui fut le berceau de son enseignement.</p></div>
+
+<p>J'ai terminé le tableau, malheureusement beaucoup trop incomplet, des
+exploits de notre héros pacifique. J'aurais voulu pouvoir en recueillir
+religieusement tous les traits. Ce n'est pas que je ne me sois adressé à
+bien des témoins de son admirable existence<a name="page_173" id="page_173"></a><a name="FNanchor_73_73" id="FNanchor_73_73"></a><a href="#Footnote_73_73" class="fnanchor">[73]</a> dans la vue de donner
+plus de prix à ce modeste travail; mais, à mon vif regret, aucun n'a pu
+me satisfaire pleinement. Par bonheur, les traces du passage de
+l'illustre fondateur sont trop profondes, trop lumineuses, pour qu'il
+soit besoin de rien ajouter à l'auréole de gloire qui couronne son front
+vénérable.</p>
+
+<p>Le <i>Mercure de France</i>, du 10 avril 1790, avait proposé, pour épitaphe
+au tombeau de l'abbé de l'Épée, ces quatre vers latins<a name="FNanchor_74_74" id="FNanchor_74_74"></a><a href="#Footnote_74_74" class="fnanchor">[74]</a>:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Hic jacet, egregio c&oelig;li qui munera pollens,</td></tr>
+<tr><td align="left">Naturæ imposuit (visu mirabile)! leges;</td></tr>
+<tr><td align="left">Auditum et surdis tribuit, mutisque loquelam.</td></tr>
+<tr><td align="left">An sit, ut hunc laudet, mutus vel surdus in orbe?</td></tr>
+</table>
+
+<p>Cette épitaphe de mauvais goût, et qui raconte si imparfaitement les
+bienfaits de celui que le peuple sourd-muet a canonisé dans le
+calendrier de sa reconnaissance, fut-elle réellement gravée sur sa
+tombe? Elle le méritait peu certainement. A tout hasard, en voici la
+traduction française:<a name="page_174" id="page_174"></a></p>
+
+<p>«Ci-gît qui, riche d'un admirable don du ciel, imposa (ô prodige!) des
+lois à la nature, en rendant l'ouïe aux sourds et la parole aux muets.
+Existe-t-il, pour le louer, un sourd ou un muet sur la terre?»</p>
+
+<p>Cette tombe, comme tant d'autres, fut violée en 93. Le plomb des
+cercueils, qui reposaient dans les caveaux de l'église Saint-Roch, fut
+brisé, fondu, converti en balles. On vit alors des centaines d'ouvriers
+travailler dans le saint lieu, devenu un vaste atelier, à fondre, sur
+les autels consacrés longtemps à la célébration des mystères du
+christianisme, des projectiles destinés à repousser les ennemis de la
+France révolutionnaire.</p>
+
+<p>Élève de l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, j'appris
+tout cela dès ma plus tendre enfance; je sus de mes maîtres que l'abbé
+de l'Épée avait été inhumé dans l'église Saint-Roch. Dès lors, je
+m'étais imposé la mission de retrouver, un jour, les restes mortels de
+notre bienfaiteur à tous. C'était, dans mon esprit, une idée arrêtée. Je
+ne voulais pas mourir sans avoir acquitté, au nom de mes frères épars
+sur le globe, ce tribut de pieuse reconnaissance.</p>
+
+<p>C'est dans ces sentiments que je crus devoir, avant tout, appeler, par
+l'entremise de la presse, l'attention publique sur la scandaleuse<a name="page_175" id="page_175"></a>
+absence d'un portrait de l'abbé de l'Épée au Musée historique de
+Versailles, ce Panthéon moderne de toutes nos gloires nationales.</p>
+
+<p>Le 20 novembre 1837, les journaux publiaient la lettre suivante:</p>
+
+<p>«Auriez-vous l'extrême bonté d'accueillir dans les colonnes de votre
+feuille l'expression tardive, mais franche, de l'étonnement dont une
+lacune déplorable a frappé une portion assez nombreuse de la grande
+famille française, les sourds-muets, ces enfants adoptifs de l'abbé de
+l'Épée, dans une revue attentive qu'ils ont faite du Musée de
+Versailles? Quoi! pas un coin, pas une esquisse consacrée à <i>notre père
+intellectuel</i>! Notre étonnement a dû être partagé par tous les
+appréciateurs de son talent, si national, quoique si modeste. Que de
+regards ont dû vainement le chercher dans ce vaste panorama des
+célébrités de toutes les époques! Le génie et la charité de cet homme ne
+devraient-ils pas aussi occuper une large et belle page dans les annales
+artistiques, à côté, et j'oserai dire même au-dessus des lumières ou des
+merveilles des siècles, comme son &oelig;uvre est placée par la postérité
+au rang des créations les plus extraordinaires de l'intelligence, et
+qualifiée de divine par les plus beaux génies de notre époque?</p>
+
+<p>«Dieu sait combien de médiocrités obscures<a name="page_176" id="page_176"></a> et ignorées ont obtenu ici
+les honneurs d'une représentation peu méritée! L'adulation est prodigue
+d'encens; l'admiration est avare d'hommages. Les Apelle, les Phidias ont
+trop souvent profané leur pinceau, leur ciseau; trop souvent ils ont
+immortalisé des ennemis du genre humain, des dévastateurs du monde; ils
+ont déifié même d'heureux scélérats; et l'homme de bien, le régénérateur
+d'une portion de l'espèce humaine, est indignement oublié! <i>Proh pudor!</i></p>
+
+<p>«Ce qui a droit de nous surprendre encore davantage, c'est que ce soit
+précisément dans les lieux qui l'ont vu naître, à Versailles, qu'on
+n'ait pas songé à élever un trophée à la mémoire de notre Messie, tandis
+qu'avec un empressement de compatriotes, digne des plus grands éloges,
+on y a payé un tribut d'estime et de reconnaissance au héros
+pacificateur de la Vendée, à Hoche. C'était un sublime caractère, sans
+doute; mais les généraux, amis de la concorde et de la paix, ont-ils
+jamais manqué à notre belle France? Qu'on nous dise, d'un autre côté,
+s'il s'est jamais rencontré, et s'il se rencontrera jamais peut-être un
+second abbé de l'Épée! Le sauveur dévoué d'une classe d'êtres rejetée
+ignominieusement en masse du sein de la société par de désolants
+préjugés, et plongée ainsi dans la plus déplorable dégradation, ne<a name="page_177" id="page_177"></a>
+mérite-t-il pas ici, je le demande, une statue, un portrait au moins, à
+défaut d'un temple que lui eût élevé la Grèce antique?</p>
+
+<p>«Ne pourrait-on pas, à juste titre, reprocher la même insouciance à
+notre capitale, à cette ville, berceau de la civilisation de nos frères
+d'infortune, et qui fut, la première, témoin des triomphes de l'art sur
+la nature? Il faut le publier à la honte de notre pays, les hommes
+utiles sont mieux appréciés à l'étranger.</p>
+
+<p>«En 1828, une souscription contribua à l'érection d'un monument de
+marbre blanc en l'honneur de Daniel Guyot, directeur de l'École des
+sourds-muets de Groningue, en Hollande, mort l'année précédente. On le
+voit sur la place de la ville, en face même de cette institution.</p>
+
+<p>«En 1829, à Gênes, les mêmes honneurs furent décernés au père Assarotti,
+directeur de l'École des sourds-muets de cette ville. Or, Guyot et
+Assarotti avaient puisé, l'un et l'autre, cet art bienfaisant dans la
+méthode de l'instituteur français. Pourquoi donc, lorsque les élèves
+sont, ailleurs, si justement, si dignement récompensés, le maître
+est-il, en France, dans sa patrie, laissé dans un coupable oubli? On ne
+sait pas même où reposent ses cendres. Les recherches auxquelles nous
+nous sommes livrés à cet égard n'ont produit aucun résultat.<a name="page_178" id="page_178"></a></p>
+
+<p>«Le gouvernement s'empressera (et son amour éclairé de la justice nous
+en est un sûr garant), de réparer ce honteux abandon, qui, prolongé,
+démentirait le titre de foyer des lumières, que l'Europe intellectuelle
+a, depuis longtemps, décerné à Paris.</p>
+
+<p>«Qu'il me soit permis de profiter de cette circonstance pour déplorer
+l'état de dépérissement où languit le monument élevé à l'abbé Sicard, à
+l'aide d'une souscription ouverte en 1822 par son respectable ami M.
+Lafon-Ladébat. Qu'on choisisse une commission chargée de réparer le
+modeste mausolée d'un homme de bien, et nous serons les premiers à
+contribuer de notre faible offrande à cette &oelig;uvre de reconnaissance.</p>
+
+<p>«En publiant cette lettre<a name="FNanchor_75_75" id="FNanchor_75_75"></a><a href="#Footnote_75_75" class="fnanchor">[75]</a>, expression sincère du v&oelig;u de tous mes
+frères, vous aurez acquitté, Monsieur, une trop minime partie,
+malheureusement, de notre dette sacrée envers nos deux bienfaiteurs, qui
+sont aussi ceux de l'humanité entière; car quel est le pays qui ne leur
+doit pas de nouveaux citoyens, tout aussi dévoués que ceux qui les ont
+précédés dans la carrière?<a name="page_179" id="page_179"></a></p>
+
+<p>«Agréez, je vous prie, d'avance, l'expression de leur gratitude, ainsi
+que l'assurance particulière de ma considération la plus distinguée.»</p>
+
+<p>Dans le courant de janvier 1838, je me présentai à M. l'abbé Olivier,
+alors curé de Saint-Roch, aujourd'hui évêque d'Évreux, lui demandant des
+renseignements sur l'emplacement qu'occupaient les restes précieux de
+l'abbé de l'Épée, emplacement sur lequel tout le monde ne s'accordait
+pas. Ce prélat, dont l'obligeance, dans cette grave circonstance, ne
+s'effacera jamais de nos souvenirs, m'ayant répondu qu'il ne connaissait
+dans sa paroisse personne qui eût assisté à l'inhumation, mais m'ayant
+bien promis de ne rien épargner pour découvrir si mention de sa
+sépulture ne serait point faite dans ce qui peut rester des registres du
+temps, je me mis, de mon côté, en quête d'informations, et, au bout de
+quatre mois, j'arrivai enfin au terme de mes recherches. Mes efforts
+furent couronnés du plus heureux succès. Une personne respectable,
+M<sup>me</sup> Guerin, qui venait de perdre une s&oelig;ur sourde-muette, élève de
+l'abbé de l'Épée, eut l'extrême bonté de me mener chez M<sup>lle</sup> Courtois,
+rue Villedot, nº 3, entendante-parlante, ancienne compagne et amie
+intime des demoiselles élèves du célèbre instituteur.<a name="page_180" id="page_180"></a></p>
+
+<p>Il serait difficile de peindre la joie et la reconnaissance qui
+brillaient dans les yeux de cette excellente femme en apprenant le motif
+de la visite du pauvre sourd-muet, député de ses frères. Les expressions
+me manquent pour reproduire ce qu'il y eut d'empressement dans son
+accueil. Nous n'éprouvâmes aucune difficulté à nous entendre,
+quoiqu'elle n'eût, disait-elle, depuis longues années, personne avec qui
+elle pût s'entretenir dans le langage des signes. Elle nous apprit que
+c'était le caveau de la chapelle Saint-Nicolas qui avait reçu le corps
+de l'abbé de l'Épée, et que ses ossements ne s'y trouvaient mêlés à
+aucuns autres. «Car, ajoutait-elle avec effusion, cette chapelle
+appartenait à sa famille; c'est là que tous les jours nous entendions sa
+messe.» Puis, elle se prit à nous raconter, toute joyeuse, avec de
+grands détails, l'histoire de son bienfaiteur et du nôtre; et ces
+détails, qui nous étaient connus dès l'enfance, venant d'elle, avaient
+pour nous un parfum de nouveauté que je n'oublierai de ma vie. Elle mit
+à notre disposition quelques manuscrits, quelques imprimés, que, depuis
+tant d'années, elle conservait comme de précieuses reliques. Dans les
+uns se trouvait exposée la méthode de l'abbé de l'Épée; les exercices
+publics de ses élèves étaient l'objet des autres. M<sup>me</sup> Guerin, avec le
+même empressement, offrit<a name="page_181" id="page_181"></a> à notre curiosité des lettres du respectable
+prêtre, adressées à quelques-unes de ses filles adoptives, et renfermant
+de paternelles instructions sur les vérités du christianisme et les
+dangers du monde.</p>
+
+<p>Ces renseignements pris, accompagné de mon ami Forestier, ancien élève
+de l'École, aujourd'hui directeur de l'institution des sourds-muets de
+Lyon, et de M. le docteur Doumic, qui, ayant un frère sourd-muet,
+possédait à fond la langue des signes, je me rendis chez le curé de
+Saint-Roch, pour lui faire part de nos découvertes et solliciter de son
+obligeance l'autorisation de vérifier nous-mêmes le témoignage de
+M<sup>lle</sup> Courtois. Un vieux gardien du temple, appelé par l'abbé Olivier,
+recueille ses souvenirs et confirme notre déposition. Tout ce que nous
+avons avancé lui a été raconté par son prédécesseur, témoin des obsèques
+de l'abbé de l'Épée. «Vite, s'écrie le digne prêtre dans son
+enthousiasme, vite, qu'on aille quérir un maçon, un fossoyeur! Il n'y a
+pas un instant à perdre. Ne voyez-vous pas l'impatience de ces enfants,
+à qui nous allons restituer les cendres de leur père?» Déjà la pierre
+qui ferme le caveau a cédé à nos efforts. Nous sommes tous descendus, et
+les premiers ossements ont été découverts.<a name="page_182" id="page_182"></a></p>
+
+<p>Le 6 juin, les journaux inséraient la lettre suivante:</p>
+
+<p>«Quand le Musée historique de Versailles s'ouvrit au public, les
+sourds-muets y cherchèrent en vain le portrait de l'abbé de l'Épée. Leur
+surprise trouva de l'écho dans la presse périodique, et l'oubli fut
+réparé. En même temps, ils exprimaient le regret de n'avoir pu arriver à
+la découverte du lieu qui recelait la dépouille mortelle de leur
+immortel bienfaiteur. Depuis, il nous est venu des informations,
+confirmées par l'ancien curé de Saint-Roch, feu l'abbé Marduel, qui
+assista au dernier soupir de son ami, <i>notre père spirituel</i>. Ses
+cendres reposent dans cette église, sous les marches de la chapelle
+Saint-Nicolas, celle où l'on voit le magnifique Christ de Michel-Ange.</p>
+
+<p>«Le curé actuel de Saint-Roch, M. l'abbé Olivier, qui n'avait pas trouvé
+la sépulture de l'abbé de l'Épée inscrite sur les anciens registres de
+l'église, nous a autorisés fort obligeamment, MM. le docteur Doumic,
+Forestier et moi, à descendre dans le caveau. Là, quel spectacle affreux
+s'est offert à nos regards! Plus de cercueil de plomb! De la poussière
+et quelques os épars, voilà tout ce qui reste d'un des plus grands
+bienfaiteurs de l'humanité! Nos c&oelig;urs se sont émus, et nous, les
+enfants de ce génie de charité, nous qui, sans lui, ne serions pas<a name="page_183" id="page_183"></a> des
+hommes, nous venons vous conjurer d'ouvrir les colonnes de votre journal
+à une souscription qui aurait pour but de réparer cet acte de
+vandalisme. Nous faisons un appel, non-seulement à tous les sourds-muets
+de l'univers,&mdash;c'est pour eux un devoir d'honneur, ils doivent se priver
+de pain pour donner un tombeau à leur père,&mdash;mais encore à toutes les
+âmes charitables, de quelque point du globe qu'elles viennent, à quelque
+opinion qu'elles se rallient, quelque religion qu'elles professent.
+L'appel de notre reconnaissance sera entendu, nous n'en doutons pas. Il
+n'est pas besoin d'énumérer ici les droits de l'abbé de l'Épée à cet
+acte de reconnaissance publique, ils sont dans vos bouches, hommes qui
+parlez, dans nos c&oelig;urs, à nous qui ne parlons pas. Il ne sera pas dit
+que, quand d'abondantes souscriptions affluent de toute la France pour
+honorer le plus beau génie qui ait illustré notre scène<a name="FNanchor_76_76" id="FNanchor_76_76"></a><a href="#Footnote_76_76" class="fnanchor">[76]</a>, le Messie
+d'une des classes les plus maltraitées de la société sera l'objet de
+l'indifférence publique. <i>Qui fecerit et docuerit bonum hic magnus
+vocabitur</i>, «celui qui aura fait et enseigné le bien, sera appelé
+grand.» (Saint Matthieu, v. 19.)</p>
+
+<p>«Ne conviendrait-il pas aussi de placer deux inscriptions, mais en
+français et non en latin,<a name="page_184" id="page_184"></a> pour que tous les sourds-muets qui savent
+lire pussent les comprendre, l'une sur la maison qu'habita notre premier
+instituteur, rue des Moulins, nº 14, à Paris, lieu où il recueillait les
+victimes de la nature marâtre, lieu où il mourut, l'autre sur la maison
+où il naquit, à Versailles, dans l'ancienne rue de Clagny, laquelle,
+depuis quelques mois seulement, porte le nom du grand homme.</p>
+
+<p>«Recevez, Monsieur, par anticipation, nos remercîments à tous et
+l'assurance de ma considération personnelle.»</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 50%;">«F<small>ERDINAND</small> B<small>ERTHIER,</small></span><br />
+<span style="margin-left: 30%;">«Professeur sourd-muet à l'Institution des sourds-muets de Paris.»</span><br />
+</p>
+
+<p><a name="page_185" id="page_185"></a></p>
+
+<h3><a name="XXIV" id="XXIV"></a>XXIV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+élever un monument à l'abbé de l'Épée.&mdash;M. Dupin aîné en accepte la
+présidence; M. Villemain consent à en faire partie.&mdash;Elle se
+compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando,
+Chapuys-Montlaville, Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor
+d'Andert, et de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier
+et Lenoir.&mdash;Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président
+Séguier.&mdash;Première séance à l'hôtel de la présidence de la
+Chambre.&mdash;Remercîments des trois membres sourds-muets.&mdash;Projet de
+M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement.&mdash;Voies et moyens:
+représentations à bénéfice, souscription de la famille royale.&mdash;Où
+s'élèvera le monument?&mdash;On repousse la cour de l'Institution; on
+préfère la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.&mdash;Organisation de
+la souscription.&mdash;Recherches à faire au Palais de Justice, à
+l'Hôtel de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de
+l'inhumation.&mdash;MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour
+aller constater l'identité des restes découverts ou à découvrir.</p></div>
+
+<p>Il restait à former une commission chargée de surveiller et de diriger
+cette &oelig;uvre éminemment philanthropique.</p>
+
+<p>Le 11 juin 1838, mon compatriote et ami, M. Chapuys-Montlaville, alors
+député de Saône-<a name="page_186" id="page_186"></a>et-Loire, aujourd'hui préfet de la Haute-Garonne, nous
+présenta, Lenoir, mon collègue à l'Institution nationale de Paris,
+Forestier et moi, à M. Dupin aîné, alors président de la Chambre des
+députés. Nous prîmes la liberté de lui offrir, au nom de nos frères, la
+présidence<a name="FNanchor_77_77" id="FNanchor_77_77"></a><a href="#Footnote_77_77" class="fnanchor">[77]</a> de cette commission, et de lui soumettre une liste de
+membres dont nous avions l'intention de la composer. M. Dupin, avec
+cette rapidité d'émotion que chacun lui connaît, saisit la plume et
+écrivit: «J'accepte bien volontiers; c'est un honneur, un plaisir et un
+devoir.»</p>
+
+<p>Le 13, M. Chapuys-Montlaville me chargea d'une lettre pour M. Villemain.
+La voici, avec la réponse de l'illustre académicien:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>
+«A M<small>ONSIEUR</small> V<small>ILLEMAIN.</small><br />
+</p>
+
+<p>«Les restes de l'abbé de l'Épée ont été découverts dans l'un des
+caveaux de l'église Saint-Roch. Les sourds-muets brûlent d'élever
+un monument à la mémoire de leur père. Une commission a été
+proposée par eux. M. Dupin en a accepté la présidence. Ils
+désirent, Monsieur, que vous en fassiez partie, et je suis heureux
+qu'ils aient bien voulu me choisir pour être l'interprète de leur
+v&oelig;u et de leurs<a name="page_187" id="page_187"></a> sentiments. C'est M. Berthier, président de la
+Société des sourds-muets, qui vous remettra cette lettre.</p>
+
+<p>«Veuillez agréer, Monsieur, l'hommage de mes sentiments les plus
+dévoués.»</p></div>
+
+<p class="c">RÉPONSE DE M. VILLEMAIN.</p>
+
+<p>«J'ai bien regretté d'avoir manqué l'honneur de vous voir; mais vous ne
+pouviez douter de mon empressement à faire tout ce qui vous était
+agréable, autant que je pouvais y contribuer. J'ai vu, ce matin, M.
+Berthier, qui m'a remis un opuscule d'un grand intérêt; je lui ai dit
+que je serais très-honoré de la confiance qui m'est témoignée. Mais, à
+cette époque de l'année, je suis tellement occupé de soins
+universitaires et académiques, que je craindrais de ne pouvoir être
+exact aux réunions. Je vous soumets, Monsieur, ce scrupule de ma part.
+Je vous prie d'en être juge. Si vous ne l'approuvez pas, je m'associerai
+bien volontiers à la commission qui serait formée pour honorer la
+mémoire du si vénérable abbé de l'Épée. J'ai soumis mon excuse à M.
+Berthier. Mais, comme personne n'est plus occupé que M. Dupin, je sens
+que, malgré l'embarras où je me trouve dans les mois de juillet et
+d'août, je dois trouver moyen d'être disponible pour toute convocation
+qu'il voudra bien m'adresser. Et un<a name="page_188" id="page_188"></a> intermédiaire comme vous, Monsieur,
+ne me permet pas d'hésiter.</p>
+
+<p>«Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de ma considération la plus
+distinguée et de mes dévoués sentiments.»</p>
+
+<p>Le 16, une nouvelle lettre paraissait dans les feuilles publiques. Elle
+était ainsi conçue:</p>
+
+<p>«L'empressement avec lequel tous les journaux ont bien voulu accueillir
+la proposition que j'ai faite d'élever un monument à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée, m'enhardit à solliciter une nouvelle preuve de leur
+bienveillance accoutumée. Une commission, chargée de cette sainte
+mission, vient de se former; elle se compose de:<a name="page_189" id="page_189"></a></p>
+
+<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary="">
+
+<tr><td rowspan="12" valign="top">MM.</td><td>D<small>UPIN</small> aîné, président de la Chambre des députés,<br />
+&nbsp; &nbsp; <i>président</i>;</td></tr>
+
+<tr><td>V<small>ILLEMAIN</small>, pair de France, vice-président du<br />
+&nbsp; &nbsp; Conseil royal de l'Instruction publique;</td></tr>
+
+<tr><td>D<small>E</small> S<small>CHONEN</small>, pair de France, procureur-général à<br />
+&nbsp; &nbsp; la Cour des Comptes;</td></tr>
+
+<tr><td>Le baron <small>DE</small> G<small>ÉRANDO</small>, pair de France, président du<br />
+&nbsp; &nbsp; Conseil d'administration de l'Institution des<br />
+&nbsp; &nbsp; sourds-muets de Paris;</td></tr>
+
+<tr><td>C<small>HAPUYS</small>-M<small>ONTLAVILLE</small>, député de Saône-et-Loire;</td></tr>
+
+<tr><td>C<small>AVÉ</small>, chef de la division des Beaux-Arts au ministère<br />
+&nbsp; &nbsp; de l'Intérieur;</td></tr>
+
+<tr><td>L'abbé O<small>LIVIER</small>, curé de Saint-Roch;</td></tr>
+
+<tr><td>Eugène G<small>ARAY DE</small> M<small>ONGLAVE</small>, homme de lettres;</td></tr>
+
+<tr><td>N<small>ESTOR</small> d'A<small>NDERT</small>, artiste;</td></tr>
+
+<tr><td>Ferdinand B<small>ERTHIER</small>, professeur sourd-muet à l'Institution<br />
+&nbsp; &nbsp; de Paris, président de la Société centrale<br />
+&nbsp; &nbsp; des sourds-muets;</td></tr>
+
+<tr><td>F<small>ORESTIER</small>, instituteur sourd-muet, vice-président<br />
+&nbsp; &nbsp; de cette association;</td></tr>
+
+<tr><td>L<small>ENOIR</small>, professeur sourd-muet à l'Institution de<br />
+&nbsp; &nbsp; Paris, secrétaire de cette société.</td></tr>
+</table>
+
+<p>«Vous qui nous avez aidés à rendre un premier hommage à notre immortel
+bienfaiteur, vous ne refuserez pas, nous en avons la certitude, de
+mettre le comble à votre obligeance en annonçant la formation de la
+commission, et en ouvrant vos colonnes à la souscription dont elle doit
+régulariser l'emploi.</p>
+
+<p>»Agréez, etc., etc.</p>
+
+<p class="r">«Ferdinand B<small>ERTHIER</small>.»</p>
+
+<p>Nous avions proposé à M. le vicomte de Chateaubriand et à M. le baron
+Séguier, premier président de la cour royale de Paris, de faire partie
+de la commission. Nous croyons devoir insérer ici les lettres que l'un
+et l'autre nous adressèrent en réponse.</p>
+
+<p class="r">«Paris, 13 juin 1838.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ESSIEURS</small>,</span><br />
+</p>
+
+<p>»Je serais infiniment flatté d'être compté au nombre des membres d'une
+commission chargée d'un monument à élever à l'abbé de l'Épée; ma
+séparation complète du monde me prive de l'honneur que vous vouliez me
+faire; mais je<a name="page_190" id="page_190"></a> serai très-heureux d'être porté sur votre liste comme un
+des premiers souscripteurs.</p>
+
+<p>«Agréez, Messieurs, je vous prie, mes regrets sincères, mes remercîments
+empressés et l'assurance de la considération distinguée avec laquelle je
+suis</p>
+
+<p class="r">«Votre très-humble et très-obéissant serviteur:<br />
+«C<small>HATEAUBRIAND.</small>»</p>
+
+<p class="r">«Paris, le 13 juin 1838.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEURS,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Vous avez eu trop de bonté de penser à moi pour entrer dans une
+commission fort honorable. Quand je suis appelé à prendre part à quelque
+chose, c'est pour m'en occuper réellement; et je sens que mes
+occupations très-nombreuses et des forces physiques bien insuffisantes
+me rendent impropre à tout surcroît d'entreprise. Président de la
+commission du monument Périer, je n'ai pu encore le terminer
+complétement, ce qui m'avertit de ne pas tenter une nouvelle besogne.
+Veuillez, Messieurs, recevoir, avec mes excuses et regrets, l'expression
+de ma haute considération.</p>
+
+<p class="r">«Le président S<small>ÉGUIER</small>.»</p>
+
+<p>Le mercredi 20, M. Dupin aîné convoqua, dans l'hôtel de la présidence,
+les membres de<a name="page_191" id="page_191"></a> la commission. M. Chapuys-Montlaville, secrétaire, donna
+lecture de notre discours de remercîment à nos nouveaux collègues, et
+ensuite d'une lettre de M. Victor Lenoir, frère du professeur
+sourd-muet, qui offrait, pour le monument à élever, son concours gratuit
+comme architecte du gouvernement.</p>
+
+<p>Notre discours de remercîment était conçu en ces termes:</p>
+
+<p>«Ferdinand Berthier, Forestier et Alphonse Lenoir à Messieurs leurs
+collègues de la commission pour le monument de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ESSIEURS,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Le premier sentiment qui saisit nos c&oelig;urs au moment où nous nous
+trouvons, pour la première fois, dans une occasion aussi solennelle, an
+milieu des représentants des grands corps politiques, de l'Église, des
+beaux-arts et des sciences, est celui de la plus vive et de la plus
+sincère gratitude. Permettez-nous, à nous pauvres sourds-muets, de vous
+l'exprimer avant tout, comme nous la sentons. Si quelque chose peut
+alléger, en ce jour, le poids de notre infirmité, c'est votre
+empressement honorable et bienveillant à concourir à honorer la mémoire
+de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>»Vous allez vous occuper, Messieurs, d'acquitter<a name="page_192" id="page_192"></a> une dette sacrée de la
+reconnaissance publique. Souffrez que nous vous rappelions le v&oelig;u que
+nous avons formé, les premiers, de voir une tombe rendue aux restes
+mortels de ce bienfaiteur de l'humanité, et une double inscription
+indiquer, d'une part, la maison qui vit naître l'apôtre des
+sourds-muets, de l'autre, celle qui fut témoin de sa charité et de ses
+derniers moments.</p>
+
+<p>»Nous avons reçu deux lettres de M. Victor Lenoir<a name="FNanchor_78_78" id="FNanchor_78_78"></a><a href="#Footnote_78_78" class="fnanchor">[78]</a>, architecte du
+Gouvernement, frère de l'un de nous, par laquelle il offre d'ériger
+gratuitement un monument à l'abbé de l'Épée. Notre
+secrétaire-interprète, M. Chapuys-Montlaville, va vous en donner
+lecture.</p>
+
+<p>»Nous avons des projets à vous soumettre; mais nous ne voulons pas
+anticiper sur la proposition de Monsieur le secrétaire et sur les
+vôtres, sans doute, Messieurs. Nous attendons que vous nous autorisiez à
+vous en faire part.»</p>
+
+<p>La commission désira savoir quelles étaient nos vues sur les moyens à
+employer pour hâter et grossir la souscription, et nous nous empressâmes
+de la satisfaire: nous demandions que les théâtres nationaux et les
+autres scènes, vraiment dignes de ce nom, fussent priés d'accorder une
+représentation au bénéfice du monument<a name="page_193" id="page_193"></a> que nous projetions. Nous
+offrions nos conseils pour le rôle de Théodore, dans le drame de l'<i>Abbé
+de l'Épée</i>, pour celui de la <i>Muette de Portici</i>, pour tous les autres
+rôles, enfin, de notre spécialité.</p>
+
+<p>Le v&oelig;u fut émis que le roi Louis-Philippe et sa famille fussent priés
+d'inscrire leurs noms en tête de notre liste de souscripteurs.</p>
+
+<p>On s'occupa ensuite de la place à assigner au monument.</p>
+
+<p>Un membre proposa la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris,
+comme point central de l'édifice où se perpétue l'&oelig;uvre immortelle de
+l'abbé de l'Épée. Cet avis fut combattu par plusieurs membres qui
+paraissaient redouter que, dans un temps de révolution, ce sanctuaire ne
+fût pas respecté, qu'on n'en changeât la destination, qu'il ne fût
+métamorphosé en caserne, en magasin à fourrage, etc.</p>
+
+<p>Un autre membre déclara qu'il pensait que le monument ne pouvait être
+élevé que là où le vénérable bienfaiteur de l'humanité avait été inhumé,
+dans l'église St-Roch, où il disait habituellement la messe, et qui est
+toute peuplée de ses souvenirs. «Désormais, ajouta-t-il, si l'on
+considère le sentiment religieux qui s'est emparé de tous les esprits,
+l'église deviendra l'asile le plus inviolable, et ses murs seront les
+derniers que la sédition tentera de renverser.»<a name="page_194" id="page_194"></a></p>
+
+<p>Cette proposition ayant été adoptée par un mouvement unanime, M. le curé
+de cette paroisse déclara qu'il était heureux de s'associer à ce
+sentiment, et de pouvoir mettre à la disposition de ses collègues,
+non-seulement le lieu où reposaient les dépouilles mortelles de l'abbé
+de l'Épée, mais encore la chapelle de St-Nicolas, qui deviendrait ainsi
+le but d'un saint pèlerinage, et où, chaque année, un service pourrait
+être célébré pour le repos de l'âme de notre père spirituel. Des
+remercîments unanimes accueillirent l'offre de M. l'abbé Olivier, et la
+commission décida que la souscription serait immédiatement ouverte en
+France et à l'étranger, au secrétariat de la Chambre des députés, chez
+le trésorier de l'Institution nationale des sourds-muets, et chez six
+notaires de Paris: MM. Moreau, Aumont-Thiéville, Cotelle, Bertinot,
+Roquebert et Perrin.</p>
+
+<p>M. Chapuys-Montlaville fut invité à faire des recherches au Palais de
+Justice, à l'Hôtel de Ville et aux Archives nationales, pour recueillir
+le plus de renseignements possible sur le jour et le lieu de
+l'inhumation, et à se réunir à M. Eugène Garay de Monglave, et à
+l'auteur de cet écrit, pour constater, par des preuves évidentes,
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.<a name="page_195" id="page_195"></a></p>
+
+<h3><a name="XXV" id="XXV"></a>XXV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.&mdash;Découverte de
+fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet carré et
+d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports avec le
+grand instituteur.&mdash;La pipe de terre.&mdash;Oubli ou profanation.&mdash;Noms
+des premiers souscripteurs.&mdash;Appel éloquent à toutes les âmes
+généreuses.&mdash;Propositions de MM. Michaut (des Monnoies), Victor
+Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.&mdash;Appel aux
+ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes, aux
+cours d'appel, etc.&mdash;Réponse de l'ambassadeur de Bavière.</p></div>
+
+<p>Le lendemain, jeudi 21 juin 1838, dès huit heures du matin, nous étions
+réunis tous trois, M. Chapuys-Montlaville, M. de Monglave et moi, à la
+chapelle St-Nicolas. Le caveau a été rouvert, la terre retournée
+profondément, et aussitôt des ossements plus nombreux sont venus à la
+surface avec des débris que les personnes attachées à l'église ont
+reconnus pour des fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet
+carré et d'étole. Il ne nous paraissait plus douteux<a name="page_196" id="page_196"></a> qu'un
+ecclésiastique avait été enseveli à cette place, avec ses vêtements
+sacerdotaux; mais cet ecclésiastique était-il bien l'abbé de l'Épée?
+M<sup>lle</sup> Courtois, présente à ces fouilles, déclara devant nous, à M. le
+curé, qu'elle reconnaissait parfaitement ces divers objets pour avoir
+appartenu au vénérable instituteur, et cita plusieurs circonstances
+importantes à l'appui de son assertion. Une pipe de terre courte, noire,
+fut trouvée près du crâne. Un des profanateurs de ces tombeaux l'y
+avait-il laissé tomber? Ou plutôt faut-il soupçonner ici une hideuse,
+une sacrilége dérision, qui rappellerait la couronne d'épines du Fils de
+l'Homme? Nos c&oelig;urs en furent profondément émus.</p>
+
+<p>Nous dressâmes procès-verbal des dires de M<sup>lle</sup> Courtois. Avant de
+s'éloigner, cette excellente personne nous exprima le v&oelig;u de garder,
+comme souvenir, un des fragments d'étole trouvés dans le tombeau de son
+bienfaiteur. Elle fut satisfaite. J'en ai conservé un aussi, et cette
+précieuse relique ne me quittera jamais.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le lundi 25 juin, eut lieu la seconde réunion de la commission, sous la
+présidence de M. Dupin aîné. Déjà les journaux avaient annoncé les
+premiers résultats de la souscription. Voici les premiers noms
+inscrits:<a name="page_197" id="page_197"></a></p>
+
+<p>D'abord, tous les membres de la commission; puis, MM. Lacave-Laplagne,
+ministre des finances; de Salvandy, ministre de l'instruction publique;
+de Chateaubriand, Benjamin Delessert, député; le comte Lepelletier
+d'Aunay, le comte d'Allonville, A. de Gasparin, le marquis de Maleville,
+Wustenberg, Daguenet, le maréchal Clauzel, Fulchiron, Salverte, St-Réal,
+Cerclet, Delespaul, le général Bachelu, Denis Lagarde, etc., etc.</p>
+
+<p>M. Villemain avait été chargé de préparer un projet de prospectus. Il en
+donna lecture, et ce projet fut approuvé d'une voix unanime, comme tout
+ce qui sort de la plume de ce brillant écrivain. Immédiatement après, le
+secrétaire lut une copie de l'acte authentique constatant l'enterrement
+de l'abbé de l'Épée, et le procès-verbal de la déclaration de M<sup>lle</sup>
+Courtois.</p>
+
+<p>Avant de se séparer, il fut arrêté que la commission reprendrait le
+cours de ses séances à la prochaine ouverture des Chambres.</p>
+
+<p>Voici l'appel éloquent fait par M. Villemain à toutes les âmes
+généreuses:</p>
+
+<p>«Parmi les bienfaiteurs de l'humanité, il n'est pas de nom plus connu et
+plus vénéré que celui de l'abbé de l'Épée. Avant lui, l'art de rendre à
+la plénitude de la vie morale des êtres intelligents, que la nature
+semble avoir séparés du commerce de leurs semblables, n'avait<a name="page_198" id="page_198"></a> été que
+rarement pratiqué, et n'avait produit çà et là que quelques prodiges
+accidentels de patience et de tendresse.</p>
+
+<p>«L'abbé de l'Épée, en créant une méthode et en l'appliquant avec
+étendue, fut le véritable fondateur de cette belle Institution des
+sourds-muets, qui honore la philanthropie si éclairée de la France, et
+qui a été imitée dans toute l'Europe et dans le Nouveau-Monde. Sa
+découverte fut une &oelig;uvre constante de vertu, autant qu'une invention
+utile et ingénieuse. Aussi la France, à l'époque même la plus agitée de
+sa régénération politique, ne négligea-t-elle rien pour assurer la
+perpétuité d'une semblable création; mais la mémoire même de l'inventeur
+ne reçut aucun hommage particulier.</p>
+
+<p>«L'Institution nationale des sourds-muets à Paris est florissante;
+d'autres maisons de charité, fondées sur le même modèle, ont étendu le
+même bienfait. La statue de l'abbé de l'Épée n'est nulle part; il y a
+peu de temps même on ne savait où était sa tombe. Le zèle religieux de
+quelques-uns de ses enfants, de ceux qui lui doivent leur place dans la
+société intelligente, est parvenu à découvrir que les restes de cet
+homme vénérable avaient été déposés dans un des caveaux de l'église
+St-Roch, à Paris. La date officielle de cette inhumation (24 décembre
+1789) et d'autres circonstances authentiques<a name="page_199" id="page_199"></a> ont fait retrouver les
+ossements à la place indiquée. De là est venue la pensée de les honorer
+par un témoignage national du respect profond de la France pour la
+science, la vertu, la religion, activement consacrées au soulagement des
+misères humaines.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«Un comité s'est formé dans l'espérance que des offres lui viendraient
+de toutes parts pour élever aux restes mortels de l'abbé de l'Épée un
+monument modeste comme sa vie, monument qui serait placé dans l'église
+même où il avait été enseveli, et où la reconnaissance et le respect
+publics viendraient chercher son image.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le samedi 15 février 1840, la commission s'assembla dans une des salles
+de l'hôtel de la présidence de la Chambre des députés, salle que M.
+Sauzet, alors président, avait bien voulu mettre à sa disposition.
+L'année précédente, outre la multiplicité des travaux de la Chambre, la
+célèbre affaire <i>de la coalition</i>, qui avait si vivement préoccupé
+l'attention publique, avait dû être un obstacle à l'activité accoutumée
+de nos honorables collègues.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Un membre proposa à la commission de s'adjoindre M. Benjamin Delessert
+en qualité de trésorier. En cas d'acceptation de la part de<a name="page_200" id="page_200"></a> l'honorable
+banquier, tous les fonds seraient versés chez lui.</p>
+
+<p>Lecture fut donnée de lettres adressées à la commission par MM. Michaut
+(des Monnoies), Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault,
+statuaire.</p>
+
+<p>A la suite de ces diverses lectures, un membre émit le v&oelig;u qu'il fût
+procédé à la nomination d'une sous-commission, chargée d'examiner les
+plans et projets présentés, et de soumettre à la commission ceux qui lui
+paraîtraient dignes de son attention.</p>
+
+<p>Cette sous-commission, composée du président, du secrétaire de la
+commission, de M. Nestor d'Andert et de M. Ferdinand Berthier, prit
+connaissance des lettres suivantes:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="hang">M<small>ICHAUT</small> <i>(des Monnoies) à Monsieur le président de la commission du
+monument à élever à l'abbé de l'Épée.</i></p></div>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE PRÉSIDENT,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Au moment où la commission va se réunir de nouveau, permettez-moi,
+comme vous avez eu la bonté de m'y encourager, de vous rappeler ma
+statuette, vue, je puis le dire, avec quelque intérêt par la plupart des
+membres de cette commission, et le désir que j'aurais (dégagé de toute
+idée spéculative) d'être chargé du monument<a name="page_201" id="page_201"></a> à élever à la mémoire de
+l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«Il y a cinq ans environ, Monsieur le président, que je m'occupais d'une
+statue, de grandeur naturelle, représentant ce bienfaiteur de
+l'humanité, au moment où il découvrit l'alphabet manuel. M. le comte de
+Montalivet, alors intendant de la liste civile, voulut bien me faire
+espérer pour mon &oelig;uvre une place au Musée de Versailles; mais il a
+été décidé, depuis, qu'il n'y aurait pas de statue de l'abbé de l'Épée
+dans cette galerie historique; qu'il n'y avait place que pour un buste,
+et ce buste m'a été confié.</p>
+
+<p>«Quant à ma statue, plusieurs juges compétents l'avaient vue; je puis
+citer MM. le député de Jouvencel, le directeur de l'École des
+sourds-muets, Léon Cogniet, Paulin Guérin, et quelques autres peintres.
+Tous avaient eu la bonté d'encourager mes efforts et de me prédire un
+succès.</p>
+
+<p>«La longue maladie qui m'a enlevé mon père interrompit mon travail; la
+terre se sécha, le dégoût me prit, et la figure s'en alla en morceaux.
+Je n'en pus tirer qu'un souvenir, une statuette qu'ont vue plusieurs
+membres de la commission, et pour laquelle ils ont bien voulu me faire
+concevoir des espérances.</p>
+
+<p>«Que mon titre de graveur n'effarouche pas mes juges! Le premier, je
+monte sur la brèche; je ne demande qu'à être examiné et jugé. Bien<a name="page_202" id="page_202"></a>
+jeune, j'étudiai la statuaire sous des maîtres habiles, dans les
+ateliers de Moitte et de Lemot, et déjà j'obtenais des succès, quand la
+maladie vint me forcer à suspendre un art trop fatigant. Je fis de la
+gravure avec quelque bonheur, et, dans ce temps, mes succès ne furent
+attribués par les artistes compétents qu'à mes longues études de
+sculpteur.</p>
+
+<p>«Je serais aujourd'hui au comble de la satisfaction s'il m'était permis
+de faire encore de la sculpture, et de reprendre en grand l'exécution
+d'une statue dont la pensée m'occupe depuis si longtemps.</p>
+
+<p>«L'intérêt n'entre pour rien dans mon projet. Être utile, revenir à une
+carrière que j'ai eu tort d'abandonner, produire une &oelig;uvre digne du
+bienfaiteur des sourds-muets, digne de la commission qui préside à
+l'exécution du monument qu'on lui destine, digne de moi-même, Monsieur
+le président, voilà mon seul but, voilà tout mon espoir d'avenir.</p>
+
+<p>«Vos collègues, comme vous, Monsieur le président, ont daigné nourrir
+cet espoir; vous ne détruirez point votre &oelig;uvre; j'ose en attendre
+les effets, heureux de me dire avec un profond respect, etc., etc.»<a name="page_203" id="page_203"></a></p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="hang">V<small>ICTOR</small> L<small>ENOIR</small>, <i>architecte du gouvernement, à Messieurs les membres
+de la commission du monument à élever à l'abbé de l'Épée.</i></p></div>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEURS,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«J'ai l'honneur de vous adresser une esquisse du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée. J'ai désiré arrêter votre attention sur l'idée
+principale, subordonnant les détails des figures à l'étude spéciale du
+sculpteur. La tête vénérable de l'abbé de l'Épée sera mieux reconnue
+dans un simple buste que dans une figure en pied, en raison de la masse,
+peu favorable à la sculpture des vêtements. On peut s'en rendre compte
+par la statue de Malesherbes, au Palais de Justice; ce qui doit faire
+renoncer sans regret à la dépense d'une statue en pied.</p>
+
+<p>«Motif:</p>
+
+<p>«Au pied du buste de l'abbé de l'Épée, un jeune sourd-muet et une jeune
+sourde-muette tiennent, ouvert à tous, le précieux livre que leur <i>père
+intellectuel</i> (comme ils l'appellent) leur a laissé. Ils déposent une
+couronne sur ce livre. J'ai pensé que la reconnaissance des sourds-muets
+ne saurait jamais s'exprimer d'une manière trop lisible, et qu'il
+conviendrait peut-être de donner à ces deux enfants le costume connu des
+élèves de l'Institution.</p>
+
+<p>«La simplicité du motif serait relevée par un<a name="page_204" id="page_204"></a> piédestal d'une masse
+assez imposante pour être un symbole de durée. Sur ses faces de marbre
+blanc, les sourds-muets, habitués à voir des enseignements écrits sur
+tous les murs de leur Institution, aimeraient à lire les principaux
+traits de la vie de l'abbé de l'Épée; et les parlants, en réfléchissant
+à ce qu'un homme seul a osé entreprendre pour les sourds-muets,
+comprendraient mieux ce qu'il reste à faire pour répartir, entre tous
+les sourds-muets de France, le bienfait, pour eux, indispensable de
+l'éducation. Quand l'idée fut conçue d'honorer la mémoire de l'abbé de
+l'Épée par un monument, je me proposai comme architecte pour le
+construire. Ma position particulière de frère d'un sourd-muet m'a fait
+offrir de confondre les honoraires de l'architecte dans la dépense
+générale.</p>
+
+<p>«Je proposerais de ne pas adosser tout à fait le monument au fond de la
+chapelle, afin de lui conserver l'effet des ombres plus longues qui
+seraient favorablement produites par le jour venant des fenêtres en
+face.</p>
+
+<p>«Je joins ici l'évaluation des dépenses.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«J'ai l'honneur d'être, etc., etc.»</span><br />
+</p>
+
+<p><a name="page_205" id="page_205"></a></p>
+
+<p class="cb"><br /><i>Devis des dépenses du monument de l'abbé
+de l'Épée</i>.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">«Le buste en marbre et les deux figures avec le motif qui les relie.</td><td align="left">3,500 f.</td></tr>
+<tr><td align="left">«Piédestal en marbre blanc sur massif en pierre</td><td align="left">3,500</td></tr>
+<tr><td align="center">Total</td><td align="left"
+style="border-top: 1px solid black;">7,000</td></tr>
+</table>
+
+<p>«N<small>OTA</small>. Les honoraires de l'architecte seraient employés à faire les
+inscriptions.</p>
+
+<p>M. N<small>OVION</small>, entre autres entrepreneurs de marbre, offre d'exécuter le
+monument, en confiant les figures aux meilleurs sculpteurs, pour le prix
+de sept mille francs.</p>
+
+<p>«Si les fonds ne permettaient pas d'atteindre cette somme, et qu'il
+fallût réserver une dépense pour le caveau, on pourrait très-dignement
+exécuter le buste et les figures en fer coulé. La position abritée du
+monument ne laisse aucun inconvénient à l'emploi du fer, dont la fusion
+peut être d'une entière perfection dans les ateliers de M. Calla. Je
+citerai mon expérience, y ayant fait exécuter le bazar Montesquieu,
+entièrement construit en fer.</p>
+
+<p class="r">«V<sup>r</sup> L<small>ENOIR</small>.»</p>
+
+<p><a name="page_206" id="page_206"></a></p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="hang">A<small>UGUSTE</small> P<small>RÉAULT,</small> <i>statuaire, à Monsieur Chapuys-Montlaville,
+secrétaire de la commission du monument à élever à l'abbé de
+l'Épée.</i></p></div>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br />
+</p>
+
+<p>«La commission nommée pour élever un monument à la mémoire de l'<i>abbé de
+l'Épée</i> n'ayant pas de statuaire désigné pour le charger de ce travail,
+permettez-moi de vous demander votre voix et votre protection pour
+obtenir cet honneur, qui me serait bien cher.</p>
+
+<p>«Je désire que le monument soit en bronze, en marbre ou en granit.
+L'objet principal doit être la représentation fidèle de l'<i>abbé de
+l'Épée</i>, c'est-à-dire la tête, le buste et les mains, tels que les
+statuaires de l'antiquité les consacraient aux grands penseurs. Je pense
+qu'il faut éviter la statue en pied, qui entraînerait à des frais
+inutiles, et se garder de tout ce qui ne serait ni la tête, ni le
+c&oelig;ur, ni la mimique des deux mains pour exprimer le travail des deux
+premières parties; le reste du monument ne doit être que l'accessoire et
+servir seulement à développer ce que j'expose.</p>
+
+<p>«Je désirerais, en outre, qu'une ou deux personnes fussent désignées
+pour surveiller les progrès de l'&oelig;uvre, et éviter tout ennui à la
+commission.</p>
+
+<p>«Le statuaire s'engagerait à ne pas s'éloigner<a name="page_207" id="page_207"></a> de cette donnée, qui est
+certainement très-vague, mais en dehors de laquelle il ne croit pas
+qu'il soit possible de présenter un projet plus arrêté, tant que
+l'artiste ne sera pas définitivement choisi, que l'on n'aura pas désigné
+la place où doit s'élever le monument, et que l'on ne sera pas renfermé
+dans un chiffre fixé d'avance pour faire face aux travaux de statuaire,
+d'architecture, de fonte, etc.</p>
+
+<p>«La souscription resterait ouverte pendant six mois, et l'on
+commencerait d'abord le buste; la commission aurait toute confiance dans
+le sculpteur et dans ses deux membres surveillants, pour l'exécution de
+l'&oelig;uvre. Quant à moi, si j'en étais chargé, je m'engagerais à faire
+tout ce que mon talent et mon honneur me commanderaient.</p>
+
+<p>«Dans cette attente, j'ai bien l'honneur d'être, etc., etc.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Cette lecture achevée, la commission s'ajourna au samedi 29 février.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Ce jour-là, il fut donné communication de la réponse suivante de M.
+Benjamin Delessert à l'invitation qui lui avait été adressée par M.
+Chapuys-Montlaville, au nom de la commission:<a name="page_208" id="page_208"></a></p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="r">«Paris, 17 février 1840.</p>
+
+<p><span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span></p>
+
+<p>«Je reçois la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser
+le 16 courant, pour m'entretenir de la souscription relative au
+monument à élever à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>Ainsi que je l'ai dit à M. Dupin, je souscrirai volontiers pour une
+somme de 60 francs; mais il me serait de toute impossibilité de
+faire partie du comité, ni de remplir les fonctions de trésorier,
+mes occupations absorbant tout mon temps, et ayant déjà refusé
+d'être le caissier de plusieurs souscriptions analogues.</p>
+
+<p>Agréez, etc.»</p></div>
+
+<p>Un membre indique M. Caccia, banquier, pour remplacer M. Benjamin
+Delessert. Mais il n'est pas donné suite à cette proposition.</p>
+
+<p>M. le secrétaire annonce qu'il a écrit aux ambassadeurs étrangers, à la
+cour de cassation, à la cour des comptes, aux cours d'appel, et qu'il a
+reçu la réponse de l'ambassadeur de Bavière, dont voici la teneur:<a name="page_209" id="page_209"></a></p>
+
+<p class="r">7 septembre 1839.</p>
+
+<p class="cb">LÉGATION DE BAVIÈRE.<br />
+<i>A Monsieur le secrétaire de la commission pour<br />
+le monument de l'abbé de l'Épée.</i></p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Je me suis empressé de communiquer à mon gouvernement le contenu de la
+lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser dans les premiers
+jours du mois de juillet dernier.</p>
+
+<p>«Le roi, mon souverain, digne appréciateur du mérite et des vertus de
+l'homme célèbre dont toute l'humanité partage les bienfaits, s'est
+empressé d'autoriser les personnes auxquelles vous confierez cette
+honorable mission, à recueillir, en Bavière, les dons gratuits destinés
+à l'érection du monument consacré à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«Je m'empresse, Monsieur, de vous transmettre copie de l'ordonnance
+royale<a name="FNanchor_79_79" id="FNanchor_79_79"></a><a href="#Footnote_79_79" class="fnanchor">[79]</a>, datée du 22 août dernier, qui vient de m'être communiquée à
+cet effet.</p>
+
+<p>«Recevez, Monsieur, les assurances de ma très-parfaite considération.»</p>
+
+<p>Voici la teneur de la lettre qui avait été adressée, en juin 1839, aux
+ambassadeurs des cours étrangères:<a name="page_210" id="page_210"></a></p>
+
+<p>«Une commission est formée pour recueillir des souscriptions à l'effet
+d'élever un monument à l'abbé de l'Épée dans l'église Saint-Roch, lieu
+de sa sépulture.</p>
+
+<p>«Le bienfait de l'abbé de l'Épée est universel. Cet homme de bien
+n'appartient pas seulement à la France, mais à toutes les nations
+civilisées.</p>
+
+<p>«Nous sommes convaincus, Monsieur l'ambassadeur, que vos nationaux
+éprouveront le besoin de s'unir à nous pour accomplir cet acte de piété,
+et nous venons, pleins de confiance, vous prier de vouloir bien
+recueillir les souscriptions de vos compatriotes, afin qu'il soit dit
+que tous ceux qui ont profité du bienfait, ont témoigné ensemble de la
+reconnaissance qu'ils gardent au bienfaiteur.</p>
+
+<p>«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur l'ambassadeur, l'hommage
+de notre haute considération.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="3" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center">«Le secrétaire,</td><td align="center">Le président de la commission,</td></tr>
+<tr><td align="center">C<small>HAPUYS</small>-M<small>ONTLAVILLE.</small></td><td align="center">D<small>UPIN.</small>»</td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_211" id="page_211"></a></p>
+
+<h3><a name="XXVI" id="XXVI"></a>XXVI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la
+commission.&mdash;Préférence acquise à celui de M. Préault.&mdash;Les
+ministres invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du
+monument.&mdash;Celui de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour
+3,000 fr.&mdash;Devis à forfait de M. Préault&mdash;La commission l'accepte,
+à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à recevoir
+qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt en février
+1841.&mdash;Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès des grands
+corps de l'État.&mdash;Appel à Louis-Philippe et à sa famille.&mdash;On en
+ignore le résultat.&mdash;L'ancien curé de Saint-Roch, devenu évêque
+d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le jour de l'inauguration
+du monument.&mdash;On s'adresse à l'abbé C&oelig;ur, qui ne peut, à cause
+de ses nombreux travaux, accepter cette honorable
+mission.&mdash;Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.</p></div>
+
+<p>M. Nestor d'Andert fait un rapport sur le résultat de l'examen des
+divers projets de monuments dont la sous-commission a été chargée.</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>«Messieurs, dit-il, la sous-commission, réunie, le jeudi 27
+février, chez son président M. Dupin, s'est occupée attentivement
+des divers projets de monuments à élever à la mémoire de l'abbé de
+l'Épée.<a name="page_212" id="page_212"></a></p>
+
+<p>«Deux concurrents se sont présentés.</p>
+
+<p>«Quatre dessins ont été soumis.</p>
+
+<p>«Trois portent la signature de M. Lelong, architecte.</p>
+
+<p>«La sous-commission a été frappée du manque absolu d'expression
+dans les trois premiers projets, qui lui ont paru n'offrir aucun
+trait caractéristique du génie, des travaux et de la gloire de
+l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«Elle a remarqué surtout que la sculpture, d'où devait jaillir la
+pensée fondatrice du monument, sa signification prompte, facile,
+intelligible, était trop sacrifiée à la partie architecturale,
+toujours destinée, dans de pareils ouvrages, à accompagner plutôt
+qu'à prévaloir, à subir plutôt qu'à dominer.</p>
+
+<p>«L'architecture est le cadre, la statue est le tableau, vous le
+savez, Messieurs.</p>
+
+<p>«En outre, elle a paru craindre l'abus trop prolongé de la
+décoration dans ces trois monuments, une ornementation banale,
+exagérée, et conséquemment d'un luxe usé, mesquin, plus théâtral
+que vrai.</p>
+
+<p>«Enfin, la sous-commission a pensé que cette exagération, que cette
+profusion d'ornements pourraient entraîner, malgré l'autorité des
+chiffres posés par l'auteur, dans des dépenses considérables et
+sans compensation avantageuse.<a name="page_213" id="page_213"></a></p>
+
+<p>«Il restait à la sous-commission à examiner le quatrième projet
+présenté par MM. Auguste Préault et Lassus. Et d'abord, la
+sous-commission a été saisie de l'harmonie élevée et de l'heureuse
+ordonnance du monument. La réputation et le talent incisif du
+sculpteur étaient déjà une garantie de la perfection de l'&oelig;uvre,
+tandis que le plan de M. Lelong, pour y revenir dans un
+rapprochement nécessaire entre des artistes de mérite, n'indique
+aucunement quel serait le sculpteur chargé du soin des bas-reliefs
+et rondes bosses.</p>
+
+<p>«Le projet de MM. Auguste Préault et Lassus semble donc réunir
+toutes les conditions désirables sous le triple rapport de
+l'expression dans la sculpture, de l'art répandu dans l'ensemble et
+de l'économie dans les dépenses, ce qui a engagé la sous-commission
+à désigner ce dernier plan à vos lumières comme étant le plus
+convenable à tous les titres.»</p></div>
+
+<p>A l'issue de la séance, on écrivait aux ministres:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>«Les restes de l'illustre abbé de l'Épée ont été retrouvés, par les
+soins et la piété de quelques-uns de ses enfants adoptifs, dans
+l'un des caveaux de l'église Saint-Roch, lieu de sa sépulture.</p>
+
+<p>«Des preuves authentiques ont été recueillies,<a name="page_214" id="page_214"></a> et une commission
+s'est formée spontanément pour honorer la mémoire de ce bienfaiteur
+de l'humanité, en lui élevant un monument funéraire.</p>
+
+<p>«La souscription, ouverte depuis bientôt deux ans, marche
+lentement; toutefois, nous avons déjà une certaine somme à notre
+disposition.</p>
+
+<p>«Le ministre de l'intérieur<a name="FNanchor_80_80" id="FNanchor_80_80"></a><a href="#Footnote_80_80" class="fnanchor">[80]</a>, un grand nombre de membres des
+deux Chambres, les diverses écoles de sourds-muets, toutes les
+personnes, enfin, auxquelles nous nous sommes adressées, ont bien
+voulu concourir à cette &oelig;uvre de gratitude et de respect.</p>
+
+<p>«Deux artistes, MM. Lassus et Préault, ont déclaré ne demander que
+le remboursement de leurs déboursés, dans le cas où ils seraient
+chargés du monument. Ils proposent même de le prendre à leurs
+risques et périls. Ils se contenteraient de 6 à 7,000 francs pour
+l'exécuter.</p>
+
+<p>«La commission, reconnaissante de leurs offres, est disposée à les
+accepter. Son but sera ainsi tout à fait rempli. En effet, elle n'a
+pas prétendu élever un monument somptueux, tout de luxe, à un homme
+d'une modestie proverbiale. Il aurait formé un contraste trop
+évident avec son caractère et sa vie.</p>
+
+<p>«Une simple manifestation, un souvenir, acquitteront notre dette.<a name="page_215" id="page_215"></a></p>
+
+<p>«Nous évaluons à 3,000 francs environ les sommes qui sont ou seront
+versées dans la caisse de la souscription.</p>
+
+<p>«Une autre somme de 4,000 francs est donc indispensable pour former
+le complément de celle qui est demandée pour le monument.</p>
+
+<p>«Nous espérons, Monsieur le ministre, que vous voudrez bien vous
+associer à notre &oelig;uvre, et faire contribuer l'État à cet acte de
+justice et de gratitude.</p>
+
+<p>«Veuillez agréer, etc.»</p></div>
+
+<p>La commission s'est réunie le 13 juin 1840.</p>
+
+<p>M. le président annonce à la commission que M. le ministre de
+l'intérieur souscrit pour une somme de 3,000 francs, ainsi qu'il résulte
+d'une lettre de M. Cavé, directeur des Beaux-Arts, en date du 9 de ce
+mois, ainsi conçue:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>«Monsieur le président, je m'empresse d'avoir l'honneur de vous
+informer que M. le ministre de l'intérieur a alloué, selon votre
+désir, une somme de 3,000 francs pour le monument de l'abbé de
+l'Épée dans l'église Saint-Roch. Vous recevrez incessamment avis
+officiel de cette décision.</p>
+
+<p>«Agréez, etc.»</p></div>
+
+<p>M. Dupin aîné donne ensuite lecture d'un devis fourni par MM. Préault et
+Lassus. Ce devis<a name="page_216" id="page_216"></a><a name="FNanchor_81_81" id="FNanchor_81_81"></a><a href="#Footnote_81_81" class="fnanchor">[81]</a> est suivi d'un engagement formel, pris par M.
+Préault, d'exécuter à forfait et de livrer, pour le prix de 7,000
+francs, le monument dont le modèle en relief et au lavis se trouve sous
+les yeux de la commission. M. Préault déclare que, dans le cas où le
+chiffre de la souscription ne s'élèverait pas à 7,000 francs, il
+n'aurait aucun recours à exercer contre la commission et se contenterait
+des 3,000 francs du ministre de l'intérieur, et des autres sommes qui
+résulteraient des diverses souscriptions.</p>
+
+<p>Le plan, le devis et l'engagement de M. Préault demeurent annexés au
+procès-verbal.</p>
+
+<p>M. le président propose à la commission d'accepter les offres de MM.
+Lassus et Préault, aux conditions précitées, contenues dans le dossier
+et dans l'engagement mentionné ci-dessus.</p>
+
+<p>Après en avoir délibéré, la commission arrête que les offres de MM.
+Préault et Lassus sont acceptées telles qu'elles se trouvent contenues
+dans leurs devis et leurs déclarations; toutefois, elle prie M. le
+président de mettre à cette acceptation deux nouvelles conditions: la
+première, c'est que les paiements ne pourront être demandés qu'aux
+époques de rentrée des sommes<a name="page_217" id="page_217"></a> provenant de la souscription; la seconde,
+c'est que le monument sera entièrement achevé et posé d'ici au mois de
+février 1841.</p>
+
+<p>MM. le président et le secrétaire de la commission sont autorisés à
+signer le présent marché avec MM. Lassus et Préault.</p>
+
+<p>En juillet 1841 parut une circulaire du président de la commission,
+contresignée par le secrétaire, dont voici la teneur:</p>
+
+<div class="blockquot2">
+<p class="addr">«M<small>ONSIEUR,</small><br />
+</p>
+
+<p>«Les restes de l'illustre abbé de l'Épée, le père des pauvres
+enfants que vous initiez à la vie en pratiquant sa méthode, ont été
+retrouvés dans l'église de Saint-Roch, à Paris.</p>
+
+<p>«Cette sépulture devait être honorée. Une commission s'est formée,
+une souscription a été ouverte; le gouvernement français s'est
+associé à cette &oelig;uvre de respect et de gratitude.</p>
+
+<p>«Un artiste, M. Préault, n'a pas voulu attendre que la souscription
+eût produit tout son effet; il a demandé et obtenu l'entreprise du
+monument.</p>
+
+<p>«Il l'achève en ce moment, et, cependant, nos fonds sont loin de
+pouvoir couvrir tous les frais. Nous avons recours à vous,
+Monsieur, à tous les sourds-muets du pays que vous habitez,<a name="page_218" id="page_218"></a> à
+leurs familles, à leurs amis, à tous les amis de l'humanité.</p>
+
+<p>«Nous vous prions d'ouvrir une souscription pour le monument de
+l'abbé de l'Épée et de vous unir à nous pour honorer la mémoire de
+cet homme de bien.</p>
+
+<p>«Votre réponse devra être adressée à M. Dupin, procureur général à
+la Cour de cassation et président de la commission, sous le couvert
+de M. le président de la Chambre des députés.</p>
+
+<p>«Nous avons l'honneur de vous offrir, Monsieur, l'assurance de nos
+sentiments distingués.»</p></div>
+
+<p>Le jeudi 24 février 1842, se réunirent, au domicile de M. Dupin, les
+membres de la commission, MM. Chapuys-Montlaville, Nestor d'Andert,
+Monglave, Ferdinand Berthier et Alphonse Lenoir. Le président était si
+pressé d'expédier les affaires urgentes de la Chambre, qu'à peine
+avait-il le loisir d'examiner celles du monument. Cependant, M.
+Chapuys-Montlaville, après avoir donné lecture d'une réclamation de M.
+Auguste Préault, fut autorisé par le président: 1º à envoyer un garçon
+de la Chambre des députés, en uniforme, aux ministres, aux pairs de
+France, aux députés, aux banquiers, à l'archevêque de Paris, etc.; 2º à
+écrire au roi pour<a name="page_219" id="page_219"></a> en solliciter une souscription au monument; 3º enfin
+à supplier l'évêque d'Évreux<a name="FNanchor_82_82" id="FNanchor_82_82"></a><a href="#Footnote_82_82" class="fnanchor">[82]</a> de vouloir bien prêcher dans l'église
+Saint-Roch le jour de l'inauguration.</p>
+
+<p>On devait fixer ultérieurement l'époque de la cérémonie.</p>
+
+<p>Voici la demande de la commission au roi Louis-Philippe, datée de mars
+1842:</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«S<small>IRE,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Nous allons élever un modeste monument à l'abbé de l'Épée dans l'église
+Saint-Roch, à Paris, à l'endroit où ses restes profanés ont été
+retrouvés et où il avait été enseveli primitivement.</p>
+
+<p>«Confiants dans les sentiments élevés et généreux de Votre Majesté, nous
+osons espérer qu'Elle voudra bien contribuer avec nous à rendre un pieux
+et solennel hommage à l'un des plus grands bienfaiteurs de l'humanité.</p>
+
+<p>«Nous sommes, avec le plus profond respect, etc.»</p>
+
+<p>Nous ignorons encore si le roi Louis-Philippe a souscrit et si sa
+famille s'est associée à lui dans cette pensée sainte.</p>
+
+<p>Monseigneur l'évêque d'Évreux s'étant excusé sur ses tournées pastorales
+de ne pouvoir<a name="page_220" id="page_220"></a> satisfaire au désir de la commission, on s'adressa à M.
+l'abbé C&oelig;ur, alors professeur d'éloquence sacrée à la Sorbonne, qui
+ne put, à son grand regret, à cause de ses nombreux travaux, accepter
+cette honorable mission.<a name="page_221" id="page_221"></a></p>
+
+<h3><a name="XXVII" id="XXVII"></a>XXVII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">La Commission cesse de s'assembler.&mdash;M. Préault, presque abandonné
+à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave et
+Berthier, tient religieusement sa promesse.&mdash;Le monument est
+inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis
+clos.&mdash;Description et éloge de cette &oelig;uvre remarquable.&mdash;Mais
+pourquoi une inscription latine?&mdash;Sur 22,000 sourds-muets que
+renferme la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le
+latin.&mdash;Hommage des sourds-muets suédois.&mdash;Couronne de bronze due
+aussi à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui
+orne la façade de l'hôtel de ville de Paris.&mdash;Cruels sacrifices
+pécuniaires de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour
+celui qu'il a élevé au général Marceau sur une place de
+Chartres.&mdash;Un buste du grand instituteur dû à un sculpteur
+sourd-muet, offert à l'école de Paris.&mdash;Séance
+d'inauguration.&mdash;Souscription ouverte pour élever une statue à
+l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles, sa ville
+natale.&mdash;L'Institution de Paris s'associe à cet acte de
+reconnaissance.</p></div>
+
+<p>Depuis lors, la commission ne fut plus convoquée. Toutefois, selon
+l'engagement de l'architecte et du sculpteur, le monument élevé à la
+mémoire de l'abbé de l'Épée fut inauguré presque à l'époque convenue,
+c'est-à-dire en<a name="page_222" id="page_222"></a> août 1841, mais sans cérémonie, et presque à huis clos!
+Pourquoi? Dieu le sait.</p>
+
+<p>Ce tombeau consiste en une pierre triangulaire portant, au sommet, le
+buste en bronze du célèbre instituteur, et, à la base, deux figures de
+même métal, représentant un jeune enfant et une jeune fille, les mains
+levées, en signe de reconnaissance, vers l'homme qui les a arrachés à
+leur triste infirmité et leur a donné, en dépit de la nature, le bien
+précieux de l'éducation.</p>
+
+<p class="figcenter">
+<a href="images/ill_223.jpg">
+<img src="images/ill_223_sml.jpg" width="238" height="550" alt="Monument de l&#39;abbé de l&#39;Épée dans une chapelle de
+l&#39;Église Saint-Roch, à Paris.
+
+Sculpteur, M. PRÉAULT.&mdash;Architecte, M. LASSUS." title="" /></a>
+</p>
+
+<p>L'inscription simple et noble qui la décore<a name="FNanchor_83_83" id="FNanchor_83_83"></a><a href="#Footnote_83_83" class="fnanchor">[83]</a> serait en parfaite
+harmonie avec le monument si, malgré notre avis réitéré et à notre bien
+vif regret, on eût consenti à l'écrire en français et non en latin,
+langue inconnue à l'immense majorité des sourds-muets du globe.
+L'&oelig;uvre en elle-même fait le plus grand honneur aux artistes
+distingués qui ont concouru à son érection. M. Lassus, architecte, et M.
+Auguste Préault ont compris qu'il devait être d'une conception simple et
+grave, comme le génie de l'homme à la mémoire duquel il est consacré. Le
+buste et les figures sont exécutés, d'ailleurs, avec une grâce et une
+délicatesse qui révèlent<a name="page_223" id="page_223"></a> une face toute nouvelle dans le talent si
+neuf, si hardi, si original de M. Préault.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Quatre ans plus tard, par l'intermédiaire de M. Eugène Garay de Monglave
+et de l'auteur de ce mémoire, à côté du monument fut attachée une
+couronne de lauriers, en bronze, due au même statuaire, avec
+l'inscription suivante: <i>A l'abbé de l'Épée, les sourds-muets suédois.</i>
+C'était la réalisation d'un v&oelig;u, exprimé par M. O.-E. Borg, directeur
+de l'Institution des sourds-muets et des aveugles de Stockholm. Il
+n'était arrivé à Paris, avec le montant de la souscription de ses
+élèves, qu'en 1845, longtemps après que le monument de Saint-Roch était
+terminé.</p>
+
+<p>Presque dans le même temps, c'est-à-dire en 1844, sur la façade
+monumentale de l'hôtel de ville de Paris, l'administration municipale
+faisait poser la statue, de grandeur naturelle, de l'abbé de l'Épée, due
+également au ciseau de M. Préault, entre celles des grands hommes qui
+sont nés dans la capitale, ou qui l'ont illustrée par leurs travaux et
+leurs écrits. Elles sont placées dans des niches pratiquées au premier
+étage et dans les entre-colonnements des deux ailes de cet édifice.</p>
+
+<p>Dans ce dernier travail, M. Préault a trouvé, on nous l'assure du moins,
+la stricte rémunération de ses peines. Malheureusement nous<a name="page_224" id="page_224"></a> avons tout
+lieu de croire qu'il n'en a pas été de même pour le monument de
+Saint-Roch, et qu'outre son inspiration, sa main d'&oelig;uvre et son
+temps, l'honorable statuaire a dû parfaire de sa bourse la somme assez
+élevée qui était nécessaire à la rémunération complète des ouvriers et
+des fournisseurs avec lesquels il avait traité, la souscription n'ayant
+pas produit suffisamment pour faire face à toutes les dépenses, ou la
+dispersion subite des membres de la Commission avant l'achèvement des
+travaux ayant jeté le désordre dans la rentrée régulière des fonds
+recueillis en divers lieux et par diverses mains.</p>
+
+<p>C'est toujours un spectacle douloureux que celui d'un artiste victime de
+son dévouement à la gloire et à l'humanité. Si ce qu'on nous rapporte
+est vrai, M. Préault serait, du reste, à cet égard, coutumier du fait,
+et sa belle statue du général républicain Marceau, que tout Paris a
+admirée, et qui décore aujourd'hui une des principales places publiques
+de Chartres, ville natale du célèbre guerrier, aurait été, de sa part,
+l'occasion d'un nouveau sacrifice obligé à l'art qu'il professe avec
+tant d'éclat, et à une des gloires de la France, dont personne n'est
+plus enthousiaste que lui. <i>Macte animo, generose puer!</i></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>En avril 1840, le neveu du sculpteur sourd-muet, Amédée Durand, avec un
+tact qui l'honore,<a name="page_225" id="page_225"></a> avait bien voulu offrir à l'Institution nationale
+des sourds-muets de Paris le buste original de son illustre fondateur,
+terminé, à son insu, par son oncle, trois ans avant la mort du célèbre
+instituteur, c'est-à-dire à la date de 1786, buste d'après lequel ont
+été exécutés ceux qu'on a vus circuler dans le public sur une échelle
+réduite. Cet artiste était aussi l'auteur d'un second buste dont il
+avait changé les proportions. Ainsi se trouva dûment constatée l'origine
+de ces copies, jusque-là inconnue.</p>
+
+<p>Le don de M. Amédée Durand, accepté par l'ancienne administration de
+l'Institution, avec tout l'empressement qu'il méritait, fut inauguré, le
+11 mai 1840, dans la salle des séances publiques.</p>
+
+<p>Ce jour-là, à une heure de l'après-midi, quatre élèves sourds-muets,
+signalés les premiers par ordre de mérite, ont été introduits dans la
+salle du conseil d'administration, pour y recevoir le buste. Ils l'ont
+transporté dans celle des exercices publics, précédés de quatre élèves
+sourdes-muettes, désignées également par rang de mérite, chargées de
+couronnes d'immortelles, de lauriers et de guirlandes de fleurs. Les
+membres des anciens conseils d'administration et de perfectionnement<a name="FNanchor_84_84" id="FNanchor_84_84"></a><a href="#Footnote_84_84" class="fnanchor">[84]</a>
+venaient à la suite.<a name="page_226" id="page_226"></a></p>
+
+<p>Le buste de l'abbé de l'Épée a été placé sur un piédestal, au haut de
+l'estrade; les quatre élèves sourds-muets rangés à droite, les quatre
+sourdes-muettes, à gauche, figuraient la famille des sourds-muets réunis
+autour de leur père.</p>
+
+<p>Les dames du comité, M. Amédée Durand, les élèves de l'un et l'autre
+sexe étaient assis dans la salle, en face du buste; les fonctionnaires
+des deux maisons occupaient les deux parties latérales.</p>
+
+<p>M. le baron de Gérando, président et doyen à la fois du conseil
+d'administration, s'est avancé et a adressé aux fonctionnaires et aux
+élèves des deux maisons une allocution analogue à la circonstance.</p>
+
+<p>A la suite de ce discours, aussi profondément senti que fortement
+exprimé, les couronnes ont été déposées sur le buste par deux élèves (un
+sourd-muet et une sourde-muette); le piédestal a été entouré de
+guirlandes par les autres, aux applaudissements réitérés de l'assemblée.</p>
+
+<p>Ensuite, M. le président a procédé à une distribution de livrets de la
+caisse d'épargne, provenant d'un premier fonds de 200 fr., de ses<a name="page_227" id="page_227"></a>
+deniers, placé par M. Désiré Ordinaire, alors directeur de l'École des
+sourds-muets de Paris, pour former le noyau d'une masse commune, somme
+que d'autres dons étaient venus accroître successivement. Avec
+l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur, le conseil
+d'administration avait statué que le dépôt, s'élevant à un total de 664
+fr., serait réparti, proportionnellement à leur mérite, entre les élèves
+des deux maisons qui, d'après les notes comparées des divers
+fonctionnaires, se seraient le plus distingués par leur conduite, leur
+travail et leurs progrès.</p>
+
+<p>Le président faisait observer qu'en distribuant ces livrets en pareille
+circonstance, l'administration s'était proposé, non-seulement de
+décerner un témoignage de satisfaction aux élèves les plus méritants,
+mais aussi d'offrir à tous un sujet utile de réflexion, une instruction
+sensible, qui leur fît apprécier, de bonne heure, les avantages de
+l'ordre et de l'économie dans toutes les conditions sociales.</p>
+
+<p>Alors, les élèves des deux maisons sont venus successivement défiler
+devant le buste de l'abbé de l'Épée, et l'ont salué; ceux d'entre eux
+auxquels les livrets étaient destinés les ont reçus des mains du
+président, et leurs noms ont été en même temps proclamés.</p>
+
+<p>Le président, au moment de lever la séance,<a name="page_228" id="page_228"></a> a fait connaître à
+l'assemblée que la ville de Versailles, qui s'honore d'avoir vu naître
+l'abbé de l'Épée, venait d'ouvrir une souscription pour ériger un
+monument à ce bienfaiteur de l'humanité; que le conseil
+d'administration, désirant s'associer à l'hommage public rendu par sa
+ville natale à la mémoire de l'immortel fondateur de l'Institution
+nationale, avait arrêté qu'un registre de souscription, sur lequel ses
+membres s'inscriraient individuellement, serait ouvert par les soins et
+dans les mains de l'agent comptable, et qu'il en serait donné avis au
+Maire de Versailles.</p>
+
+<p>A deux heures et demie, l'assemblée se retirait, visiblement émue.<a name="page_229" id="page_229"></a></p>
+
+<h3><a name="XXVIII" id="XXVIII"></a>XXVIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de
+l'Épée, avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet
+commémoratif de sa naissance, par une proposition que je fis aux
+sourds-muets et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du
+célèbre instituteur.&mdash;Empressement unanime de tous les
+convives.&mdash;Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et
+inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.&mdash;Transports
+d'allégresse de tous les assistants.&mdash;Mon allocution.&mdash;Bienfaits de
+la Société centrale des sourds-muets.&mdash;Projet de cours publics et
+gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.</p></div>
+
+<p>Ces divers tributs d'admiration, payés à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés par l'appel qu'au second banquet<a name="FNanchor_85_85" id="FNanchor_85_85"></a><a href="#Footnote_85_85" class="fnanchor">[85]</a> du<a name="page_230" id="page_230"></a> 123<sup>e</sup>
+anniversaire de sa naissance (6 décembre 1835), j'avais fait, comme
+président, au concours sympathique de mes frères, tant sourds-muets que
+parlants, dans la vue d'acquérir un buste en bronze de ce bienfaiteur de
+l'humanité, ce <i>palladium</i>, ce drapeau de notre association commune, qui
+devait être désormais arboré au milieu de nous, à chaque anniversaire de
+ce bienheureux événement. Tous répondirent, comme un seul homme, à cet
+appel. Aussi, dès le 4 décembre de l'année suivante, l'&oelig;uvre du
+sculpteur Parfait Merlieux fut-elle, sur la fin du repas, découverte et
+saluée d'unanimes applaudissements. Ces applaudissements redoublèrent
+quand on vit une couronne d'immortelles descendre sur la tête vénérée du
+premier apôtre des sourds-muets. Je me levai alors pour adresser aux
+convives l'allocution mimique suivante:</p>
+
+<p>«Frères, la voilà, s'offrant enfin à vos joies et à vos bénédictions,
+cette image chérie qui, à notre grand regret, manquait toujours à notre
+fête annuelle! Le voilà ce visage de notre saint Vincent de Paule, qu'a
+su reproduire, avec tant de fidélité, un artiste de mérite, Parfait
+Merlieux,<a name="page_231" id="page_231"></a> que vous voyez assis ici à mes côtés. Contemplez avec moi ces
+traits de l'abbé de l'Épée, brillants de toute la puissance du génie, de
+tout l'éclat des plus rares vertus! Contemplez cette auréole qui annonce
+un envoyé de Dieu, ce front majestueux d'où jaillit, comme une flamme
+céleste, cette admirable conception qui nous a placés au niveau des
+hommes privilégiés, qui nous a élevés jusqu'à lui, jusqu'à la divinité!</p>
+
+<p>«Notre âme, alors que pas la plus légère clarté n'y pénétrait encore,
+n'était-elle pas emprisonnée dans le monde matériel? Aujourd'hui,
+rompant ses fers et secouant son engourdissement, elle prend un rapide
+essor vers le monde de l'intelligence.</p>
+
+<p>«Nous étions esclaves de nos sens, de nos passions. Maintenant, nous
+sommes maîtres de notre conduite; la raison est notre flambeau, notre
+reine!</p>
+
+<p>«D'autre part, et tout le monde le reconnaît, depuis l'institution de
+cette fête et de notre comité, le cercle de nos idées s'est
+prodigieusement agrandi.</p>
+
+<p>«N'est-ce pas à l'heureux contact de tous ceux qui ont bien voulu
+s'associer à nos efforts, qu'est dû cet étonnant progrès de notre
+civilisation? Nous ne sommes plus en dehors du grand travail des
+intelligences humaines: nous gravitons avec elles vers le pôle de la
+perfectibilité;<a name="page_232" id="page_232"></a> et, pourtant, je vous vois murmurer contre d'injustes
+préventions. Rassurez-vous, frères, rassurez-vous et espérez! L'évidence
+est notre arme à nous. Le temps n'est peut-être pas éloigné où elle
+détruira toutes ces préventions, comme l'art créateur de l'abbé de
+l'Épée, après avoir soulevé, à sa naissance, les attaques de
+l'ignorance, en sortit triomphant à la fin.</p>
+
+<p>«Elles sont présentes, frères, à votre mémoire ces paroles simples qu'un
+respectable ecclésiastique adressa à notre <i>sauveur</i> en venant
+d'assister à un de ses exercices: «Je vous plaignais avant de vous avoir
+vu, je ne vous plains plus maintenant; vous rendez à la société et à la
+religion des êtres qui étaient étrangers à l'une et à l'autre.»</p>
+
+<p>«Au milieu des témoignages d'intérêt et de bienveillance qui nous
+environnent, qu'il me soit permis de signaler à votre reconnaissance la
+constante sollicitude du gouvernement en faveur des sourds-muets moins
+heureux que nous. Il vient d'ordonner un recensement général de cette
+population à part; et je crois savoir qu'il s'occupe de multiplier,
+autant qu'il est en son pouvoir, les écoles consacrées à l'éducation de
+ces infortunés.</p>
+
+<p>«Si le sort des jeunes sourds-muets excite l'intérêt public, celui des
+pauvres ouvriers sourds-muets qui languissent dans une complète<a name="page_233" id="page_233"></a>
+ignorance des droits et des devoirs du citoyen, et qui, pour mieux
+gagner leur pain, ont besoin de savoir appliquer la chimie à
+l'industrie, n'a-t-il pas autant de droits à notre bienveillance à tous?
+Pourquoi ne prendrions-nous donc pas la liberté de supplier le
+gouvernement de nous autoriser à créer des cours publics et gratuits
+dont il apprécierait certainement l'importance? Ce serait nous aider à
+ouvrir une école aux m&oelig;urs et au respect des lois. Plusieurs hommes
+de mérite ont bien voulu nous promettre de nous seconder dans
+l'accomplissement de cette grande &oelig;uvre de l'émancipation des
+sourds-muets.</p>
+
+<p>«Tel était, frères, l'esprit de charité qui animait l'apôtre dont nous
+sommes heureux de fêter, en ce moment, l'anniversaire.</p>
+
+<p>«Imitons-le! C'est le meilleur moyen de reconnaître ce qu'il a fait pour
+nous.</p>
+
+<p>«J'ai abusé, sans doute, de votre attention; et, cependant, j'en ai
+encore besoin pour quelques secondes: je n'ai pas fini.</p>
+
+<p>«Agréez l'expression de ma vive et profonde reconnaissance pour
+l'éclatant honneur que j'ai reçu de vous et qui m'impose de nouveaux
+efforts pour justifier votre choix!</p>
+
+<p>«C'est dans vos encouragements et dans votre approbation que je puiserai
+cette constance nécessaire pour surmonter les obstacles et pour<a name="page_234" id="page_234"></a> arriver
+au but de nos v&oelig;ux. Je termine, mes frères, en vous proposant un
+toast cher à nos c&oelig;urs:</p>
+
+<p class="c">«<small>A L'IMMORTEL ABBÉ DE L'ÉPÉE!</small>»<a name="page_235" id="page_235"></a></p>
+
+<h3><a name="XXIX" id="XXIX"></a>XXIX</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur
+ami Eugène Garay de Monglave.&mdash;Revue des célébrités de cette nation
+exceptionnelle.&mdash;Professeurs, lauréats, jurisconsultes, prosateurs
+et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens,
+inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits,
+marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaire,
+graveurs, mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout
+genre, militaires.&mdash;Trait héroïque de dévouement et de courage d'un
+sourd-muet de douze ans.&mdash;Le gouvernement lui décerne une marins et
+médaille.&mdash;Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen
+d'assister à notre banquet.&mdash;Mon toast à M. Bouilly et la réponse
+de ce doyen de nos auteurs dramatiques.</p></div>
+
+<p>Dans ce banquet des sourds-muets, comme dans tous ceux qui l'avaient
+précédé et dans tous ceux qui le suivirent, on vit, immédiatement après
+le président, se succéder à la tribune plusieurs orateurs<a name="FNanchor_86_86" id="FNanchor_86_86"></a><a href="#Footnote_86_86" class="fnanchor">[86]</a>, faisant
+assaut de sentiments, de verve, d'éloquence, dans ce concert unanime
+d'actions de grâces. Au nombre des rares parlants, devenant alors
+sourds-<a name="page_236" id="page_236"></a>muets, afin d'apporter leur fraternel concours à cette
+solennité, M. Eugène Garay de Monglave se fit remarquer par la chaleur
+expansive qu'il mit, selon sa coutume, à défendre les intérêts d'une
+classe nombreuse de citoyens, trop peu comprise encore de nos jours.
+C'est pour acquitter, en partie du moins, à son égard, une dette sacrée
+de reconnaissance, que nous croyons devoir assigner ici une place
+spéciale au toast brillant de cet ami dévoué de nos frères d'infortune.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">«A la gloire des sourds-muets:!</td></tr>
+<tr><td align="left">«Ils ont déjà leur jurisconsulte: . . . . . .</td></tr>
+</table>
+
+<p>...(1)<a name="FNanchor_87_87" id="FNanchor_87_87"></a><a href="#Footnote_87_87" class="fnanchor">[87]</a>, qui recherche leurs titres enfouis, correspond avec le
+<i>Droit</i>, avec la <i>Gazette des Tribunaux</i>, et adresse, pour ses frères
+méconnus, des pétitions aux assemblées législatives, qui les renvoient
+aux Ministres;</p>
+
+<p>«Des prosateurs: ce même...........(2), au style incisif et harmonieux,
+auteur de divers ouvrages remarquables, et couronné par une académie;
+Claudius Forestier, directeur de l'École des sourds-muets de Lyon, qui
+aspire à devenir le Rollin de ses frères d'infortune, et prépare, pour
+eux, un cours complet d'éducation; puis, le fils du général Gazan,<a name="page_237" id="page_237"></a> leur
+La Bruyère, à la pensée originale et hardie; puis, leurs professeurs et
+écrivains distingués, Lenoir, Allibert, Richardin, Chambellan, Imbert et
+d'autres encore;</p>
+
+<p>«Des poëtes: Pélissier, que Lamartine a chanté, et chez qui la plus
+suave harmonie arrive, non par l'oreille, mais par le c&oelig;ur;
+Pélissier, dont les délicieuses mélodies sont, en ce moment, sous
+presse<a name="FNanchor_88_88" id="FNanchor_88_88"></a><a href="#Footnote_88_88" class="fnanchor">[88]</a>; et son émule, son rival peut-être un jour, Châtelain, qui
+s'est formé, comme lui, à l'École des sourds-muets de Toulouse;</p>
+
+<p>«Un bachelier qui a subi ses examens avec succès: E. Laurent de Blois;
+un mathématicien, un physicien de mérite, à qui l'on doit de curieuses
+découvertes, et dont l'Académie des sciences a mentionné les précieux
+travaux: Paul de Vigan;</p>
+
+<p>«Plusieurs peintres dont les tableaux figurent aux expositions et au
+Musée de Versailles: M<sup>lle</sup> Fanny Robert, la gracieuse élève de
+Girodot, dont le pinceau a tant de délicatesse et d'abandon; Peyson,
+l'Apelle méridional, qui a retracé <i>les derniers moments de l'abbé de
+l'Épée</i>; Loustau, à qui le gouvernement commande des sujets religieux;
+de Widerkehr, qui<a name="page_238" id="page_238"></a> excelle dans les marines; Gouin, surnommé, à juste
+titre, le Dubufe de la daguerréotypie<a name="FNanchor_89_89" id="FNanchor_89_89"></a><a href="#Footnote_89_89" class="fnanchor">[89]</a>, qui a inventé, de concert
+avec un autre sourd-muet, Richardin, frère du professeur, une machine à
+polir les plaques daguerriennes; Armand Godard, Levassor, Duneuf,
+l'Américain du Nord John Carlin; le Péruvien Varela; l'excellent Octave
+Bézu, qui s'est fait un nom dans le pastel, et qui, de simple ouvrier,
+est devenu, à force de labeur et de persévérance, un artiste de mérite;</p>
+
+<p>«Des lithographes: Bézu encore, Widerkehr, Ed. Robert, le frère de cette
+personne si habile dans la peinture, dont je viens de vous parler;</p>
+
+<p>«Un statuaire de talent: Cary;</p>
+
+<p>«Des graveurs: Boclet, attaché au dépôt de la guerre; Gamble et M<sup>lle</sup>
+Alavoine;</p>
+
+<p>«Des mécaniciens, à la tête desquels Maloisel<a name="FNanchor_90_90" id="FNanchor_90_90"></a><a href="#Footnote_90_90" class="fnanchor">[90]</a>, Leclerc<a name="FNanchor_91_91" id="FNanchor_91_91"></a><a href="#Footnote_91_91" class="fnanchor">[91]</a>, Haacke
+réclament une place;<a name="page_239" id="page_239"></a></p>
+
+<p>«Des horlogers distingués: Barbat et Alavoine, le frère de la
+sourde-muette qui excelle dans la gravure;</p>
+
+<p>«Des imprimeurs: Boulard, Doumic, Romiguières; d'autres encore qui ont
+fait leurs preuves à l'Imprimerie nationale, chez Didot et ailleurs;</p>
+
+<p>«Tout un peuple d'ouvriers laborieux et patients qui se font remarquer
+dans tous les arts manuels, et dont les noms seuls dépasseraient, de
+beaucoup, les bornes de cette allocution rapide;</p>
+
+<p>«Des marins même: l'un d'eux, nègre robuste, au service des États-Unis
+(dont le nom m'échappe), estimé de ses chefs, aimé de ses camarades,
+vint, il y a quelques années, visiter ses frères blancs de l'école de
+Paris, et s'entretenir avec eux dans cette langue si pleine d'images que
+leur a donnée, à tous, la nature compatissante;</p>
+
+<p>«Des militaires enfin: l'un d'eux, Lamazure, garde national, a fait
+bravement la guerre de la Vendée; un autre, Deydier, a longtemps servi
+dans l'artillerie, et s'est vu, avec douleur, mis à la retraite après de
+brillants exploits, dans la<a name="page_240" id="page_240"></a> force de l'âge, parce qu'il était
+sourd-muet; un troisième, le comte de Solar, noble fils d'une noble
+maison, jeté sur la voie publique par ses nobles parents, recueilli,
+adopté par l'abbé de l'Épée, ballotté par les tribunaux, joué sur la
+scène française, devint dragon dans les armées de la République, et
+tomba sous les coups d'une nuée d'Autrichiens, parce que, seul, il
+n'avait pas entendu le signal de la retraite.</p>
+
+<p>«Vous le voyez bien! aucune gloire ne manque à ceux qui nous entourent.
+A la gloire donc des sourds-muets, à leur bonheur, à leur avenir!</p>
+
+<p>«Après avoir gravé sur la colonne immortelle de cette gloire silencieuse
+des noms de professeurs et d'hommes de lettres, de bacheliers et de
+poëtes, de mathématiciens, de chimistes, de peintres, de lithographes,
+de statuaire, de graveurs, de mécaniciens, d'imprimeurs, d'ouvriers en
+tout genre, de marins même et de soldats intrépides, qu'il me soit
+permis d'y inscrire un nouveau nom!</p>
+
+<p>«Dernièrement, un petit sourd-muet de douze ans se présente à notre
+école, où il est admis par le Gouvernement. Une somme de cinquante
+francs lui a été donnée par le Ministre de l'intérieur, autant par le
+ministre de la marine, et à sa boutonnière brille une médaille<a name="page_241" id="page_241"></a><a name="FNanchor_92_92" id="FNanchor_92_92"></a><a href="#Footnote_92_92" class="fnanchor">[92]</a>,
+prix de son courage et de son dévouement.</p>
+
+<p>«Les sourds-muets sont fiers de compter dans leurs rangs ce nouveau
+camarade décoré. Ils le montrent avec orgueil et racontent avec bonheur
+son histoire.</p>
+
+<p>«C'était le 14 juin dernier, sur la côte du Havre: quatre enfants ont
+aperçu sur le sable une chaloupe abandonnée; ils s'en emparent, y
+montent, rament et s'y balancent, ignorant, pauvres petits, le danger
+qu'ils courent; mais l'un d'eux est entraîné par son aviron trop pesant,
+il tombe dans l'eau, il s'y débat; ses camarades poussent des cris
+déchirants, tous les spectateurs frémissent, l'enfant va périr....</p>
+
+<p>«Heureusement les deux frères Hurtrelle<a name="page_242" id="page_242"></a> (Alexandre et
+Léopold-Hippolyte), âgés, le premier, de quatorze ans, le second, qui
+est sourd-muet, de douze, se trouvaient aussi sur la plage. L'un a
+entendu, l'autre a vu; ils démarrent la petite barque des bains, ils s'y
+précipitent, ils font force de rames, ils sont bientôt près de l'enfant
+qui disparaît. Le sourd-muet se jette dans l'eau, il nage, il atteint
+l'enfant; mais comment réussir à le faire entrer avec lui dans
+l'embarcation? Ses forces et celles de son frère s'y refusent. Tout à
+coup, une idée s'offre à l'esprit du petit sourd-muet; il saisit le
+jeune imprudent par la tête, la soutient hors de l'eau, fait signe à son
+frère de ramer, et tous trois arrivent sur la grève, aux acclamations de
+la ville entière, témoin de cet acte d'héroïsme.</p>
+
+<p>«Léopold, entré dans notre école, se montre, au milieu de ses frères
+sourds-muets, aussi modeste qu'il a été courageux au moment du danger;
+il ne comprend rien aux félicitations qu'on lui adresse, il ne comprend
+pas qu'il ait fait autre chose que son devoir.</p>
+
+<p>«Ses camarades avaient décidé qu'il assisterait à ce banquet; mais, pour
+y être admis, il faut payer sept francs, somme énorme pour notre héros,
+qui ne possède que trois sous. Qu'importe! Ses camarades se cotiseront,
+ils feront, entre eux, une quête; celui-ci donnera un sou, celui là,
+deux sous, cet autre, plus favorisé<a name="page_243" id="page_243"></a> de la fortune, trois sous au plus;
+et tous ces modestes sous, qu'ils destinaient à leurs plaisirs, étant
+réunis, formeront les sept francs exigés. Ils en feront hommage à leur
+nouveau condisciple, que, grâce à ces offrandes fraternelles, nous
+sommes heureux de voir aujourd'hui au milieu de nous.</p>
+
+<p>«Eh bien! Messieurs, qu'en pensez-vous? N'avais-je pas raison de vous
+dire qu'un nouveau nom restait à graver sur la colonne de votre gloire?</p>
+
+<p>«Un toast donc encore à l'élève Hurtrelle! un toast à la gloire des
+sourds-muets!»</p>
+
+<p>Il est superflu, sans doute, de dire que M. de Monglave, en descendant
+de la tribune, s'est vu entouré, aussitôt, de flots de sourds-muets, qui
+lui serraient la main avec effusion. La reconnaissance d'Hurtrelle,
+surtout, ne saurait se décrire.</p>
+
+<p>Pour clore cet hymne à la louange de la quasi-divinité, objet de nos
+hommages, on ne trouvera pas peut-être déplacé ici le toast qu'en
+pareille circonstance je portai à M. Bouilly, et la réponse dont il fut
+l'objet de la part de ce respectable doyen de nos auteurs dramatiques.
+Voici l'un et l'autre:</p>
+
+<p class="c"><br /><i>Mon toast:</i></p>
+
+<p>«A la santé de M. Bouilly, qui, sur la scène<a name="page_244" id="page_244"></a> française, a fait revivre
+l'abbé de l'Épée et son cher <i>Théodore</i>, connu sous le nom de <i>comte de
+Solar</i>, au milieu d'un attendrissement général, mêlé de la plus vive
+admiration! Son nom restera gravé dans nos c&oelig;urs comme celui d'un
+ardent défenseur de la cause de l'humanité, d'un éloquent interprète des
+sourds-muets.»</p>
+
+<p class="c"><br /><i>Réponse de M. Bouilly:</i></p>
+
+<p>«Messieurs, je n'ai pas moins éprouvé que vous l'influence bienfaisante
+de l'homme célèbre dont vous honorez si dignement la mémoire. J'obtins,
+sous l'auréole de son nom, mon plus beau laurier dramatique: l'ouvrage
+que m'inspira un des plus beaux traits de l'humanité et du génie
+français, excita l'intérêt public, non-seulement sur tous les théâtres
+de France, mais sur ceux des grandes cités de l'Europe entière.</p>
+
+<p>«Il ne faut que jeter un regard sur cette figure, où l'empreinte de la
+bonté semble voiler le feu sacré du génie, pour être convaincu que
+l'abbé de l'Épée ne fut inspiré dans ses travaux, ni par une vaine
+ambition de fortune, ni même par l'insatiable désir de la célébrité. Il
+obéissait ingénument à la piété la plus pure et à l'amour de ses
+semblables. Aussi, jamais on ne le vit briguer les faveurs ni la
+protection des puissants du jour. Il employa un capital de<a name="page_245" id="page_245"></a> 15,000 liv.
+de rente, c'est-à-dire plus de 100,000 écus, à soutenir l'admirable
+institution dont il était le fondateur. Il s'imposait même, à cet effet,
+les plus dures privations. On le vit, pendant un hiver rigoureux,
+quoique atteint des infirmités de la vieillesse, se refuser du bois pour
+son modeste foyer; et, lorsque ses élèves, instruits de cette touchante
+économie, le forçaient à se garantir des rigueurs de la saison, afin
+qu'il se conservât pour eux, il disait, de ce ton paternel et pénétrant
+qui le caractérisait: <i>Vous l'avez voulu, mes enfants, je vous ai fait
+tort de 300 livres.</i></p>
+
+<p>«En 1780, l'ambassadeur de Russie vint lui offrir un présent
+considérable de la part de l'impératrice Catherine; il le refusa en
+disant: <i>Veuillez dire à Sa Majesté que tout ce que j'ose attendre
+d'elle, c'est de m'envoyer un sourd-muet de naissance.</i></p>
+
+<p>«Paroles admirables! noble fierté d'un philanthrope français, qui aimait
+mieux dissiper son patrimoine que de recevoir d'une main étrangère ce
+qu'aurait dû lui offrir celle qui portait le sceptre de la France!......
+Mais alors, comme aujourd'hui, le choc des partis défigurait tout et
+méconnaissait jusqu'à la vertu même.</p>
+
+<p>«Oh! s'il est vrai qu'une émanation secrète, invisible, s'échappant de
+la tombe d'un homme de bien, lui apporte la récompense de ce qu'il<a name="page_246" id="page_246"></a> a
+fait sur la terre, quelle gloire, quelle jouissance doit éprouver
+l'ombre de l'abbé de l'Épée en voyant son buste chéri, couronné de
+fleurs, entouré de ceux qu'il vengea d'un oubli de la nature, en
+comptant, parmi eux, des littérateurs profonds, des peintres célèbres,
+des mécaniciens renommés, des imprimeurs habiles, des hommes enfin
+honorables, placés dans tous les rangs de l'ordre social!....</p>
+
+<p>«On vante, et avec justice, les hauts faits d'un héros, les grandes
+découvertes d'un savant, l'immuable intégrité d'un magistrat, les
+immortelles productions d'un artiste...... Mais quels droits n'a pas,
+comme eux, à la vénération et à la reconnaissance nationales le
+philanthrope simple et modeste, s'occupant, sans relâche, à recréer des
+âmes, à les doter de toute l'intelligence qui leur est nécessaire pour
+sentir la dignité de leur être et connaître tous les bienfaits du
+Créateur!</p>
+
+<p>«Enlacez-vous donc, heureux sourds-muets, devenus citoyens, hommes
+distingués dans tous les genres; enlacez-vous autour de l'image révérée
+de votre bienfaiteur! Que la vive expression de vos regards et de vos
+gestes parlants lui prouve combien l'institution qu'il a créée devient
+féconde, et comme elle se propage dans les deux hémisphères, grâce au
+développement que lui donnent, chaque jour, ses dignes successeurs!<a name="page_247" id="page_247"></a>
+Jurez-vous, de nouveau, de vous porter estime, amitié, secours mutuel,
+consolation dans les peines, part active dans les succès, en un mot,
+cette inaltérable fraternité d'êtres régénérés, ne formant plus qu'une
+même famille!</p>
+
+<p>«Alors le vieux littérateur, qui osa retracer un des plus beaux traits
+de votre second père, se confondant parmi vous, ajoutera ces mots que
+daignera vous faire comprendre M. Berthier, votre cher instituteur:</p>
+
+<p>«Homme à jamais célèbre! génie modeste, mais immortel! je te dus, à la
+fleur de l'âge, ma plus belle couronne; elle ne s'est pas fanée sur ma
+tête septuagénaire; et je te dois, en ce moment encore, un des plus
+beaux jours de ma vie.»<a name="page_248" id="page_248"></a></p>
+
+<h3><a name="XXX" id="XXX"></a>XXX</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de
+Versailles, sa ville natale.&mdash;Communication officieuse du maire du
+chef-lieu de Seine-et-Oise.&mdash;Honorable initiative d'un citoyen, M.
+le docteur Bataille.&mdash;Sa lettre à un journal du
+département.&mdash;Nobles sentiments.&mdash;Modèle de la statue de notre
+illustre instituteur par M. Michaut, le célèbre graveur des
+monnaies.&mdash;Offres désintéressées.&mdash;Premier noyau de la commission
+de Versailles.</p></div>
+
+<p>Occupons-nous, maintenant, des travaux de la commission de Versailles,
+qui réclament une place ici à des titres non moins respectables. Et,
+avant tout, qu'il me soit permis de proclamer ma vive reconnaissance
+pour la rare obligeance avec laquelle M. Remilly, alors maire du
+chef-lieu de Seine-et-Oise, a daigné, sur ma demande, m'accorder
+l'autorisation d'en prendre communication, tant aux archives de la
+Mairie, qu'à la bibliothèque de la ville.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Ma lettre, du 6 juin 1838, demandant une<a name="page_249" id="page_249"></a> éclatante réparation pour les
+dépouilles mortelles de l'abbé de l'Épée, avait trouvé un écho
+sympathique dans l'âme d'un digne compatriote de notre illustre
+instituteur, M. le docteur Bataille, qui s'empressa d'adresser un appel
+énergique au public, dans la lettre suivante, que la <i>Presse de
+Seine-et-Oise</i> inséra dans son numéro du 25 juillet de la même année:</p>
+
+<p class="cb"><br />PROJET D'UN MONUMENT A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE RÉDACTEUR</small>,</span><br />
+</p>
+
+<p>«De tous côtés, la France s'efforce à rendre, en honneurs
+reconnaissants, à la mémoire des grands hommes qu'elle a produits, ce
+qu'elle a reçu d'eux en illustration ou en bienfaits.</p>
+
+<p>«Ce noble échange entre la patrie et ses plus glorieux enfants est un
+des beaux essors de notre époque, et n'en sera pas le trait le moins
+caractéristique. Ce sera, dans l'histoire morale de notre siècle, un bel
+épisode que celui qui montrera une nation, surchargée d'affaires pendant
+quarante années, mettre à profit ces temps de paix, si chèrement
+achetés, ces temps de douce culture des sciences, des lettres, des arts,
+et de tout ce qui est intelligence ou vertu, pour régler ses comptes
+avec le passé et solder ses arriérés de reconnaissance, arriérés
+nombreux,<a name="page_250" id="page_250"></a> dont l'acquittement, tout en rehaussant l'éclat de sa gloire
+et son légitime orgueil, tournera, en définitive, au profit de la
+morale.</p>
+
+<p>«Ce n'est pas assez d'être riche, on n'est pas fâché de montrer ses
+richesses. Aussi voyez avec quel patriotique entraînement chaque
+province, chaque département, chaque ville, chaque individu même, suit
+ce mouvement dont je parlais tout à l'heure, et répond à l'appel fait au
+denier de tous pour exposer à l'admiration publique les traits de nos
+hommes illustres. Voyez <i>Molière</i>, <i>Racine</i>, <i>Voltaire</i>, <i>Foy</i>, <i>etc.</i>,
+à Paris; <i>Corneille</i>, <i>Boïeldieu</i>, à Rouen; <i>Malherbe</i>, à Caen; <i>Jeanne
+d'Arc</i>, à Orléans; <i>Kléber</i>, à Strasbourg; <i>Hoche</i>, à Versailles;
+<i>Marceau</i>, à Chartres, et tant d'autres statues élevées dans tant
+d'autres localités, (la France oubliera-t-elle le noble, le preux et
+loyal Eugène Beauharnais, cette brillante exhumation des beaux
+caractères de la Grèce antique?); enfin, et comme type de grandiose, ce
+colossal monument, colossal comme notre gloire, ces somptueuses
+galeries, objet d'éternelle admiration des siècles à venir, grande
+banque de <i>toutes les gloires de la France</i>, qui ne connaît pas de
+prescription, et où se paient au porteur les créances, partout ailleurs
+insolvables.</p>
+
+<p>«C'est, sans doute, par cet entraînement pour<a name="page_251" id="page_251"></a> tout ce qui est éclat
+national, et plus encore, je le crois, par un sentiment privé qui ne
+l'honore pas moins, que nous venons de voir un jeune professeur<a name="FNanchor_93_93" id="FNanchor_93_93"></a><a href="#Footnote_93_93" class="fnanchor">[93]</a>,
+dont l'âme, n'est ni <i>sourde</i> au cri de la reconnaissance, ni <i>muette</i> à
+l'expression d'un chaleureux enthousiasme, provoquer, avec la simple
+éloquence d'un c&oelig;ur tout plein des bienfaits de son maître,
+l'érection à Paris d'un monument à l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«Mais nous donc, Monsieur le rédacteur, nous, citoyens de cette ville
+qui a vu naître cet apôtre de la plus utile charité, laisserons-nous à
+d'autres le soin d'honorer seuls nos concitoyens? Et croirons-nous avoir
+assez fait pour sa mémoire en donnant son nom à une des rues les moins
+connues des étrangers qui nous viennent visiter, et peut-être même
+inconnue d'une partie des habitants de la ville? Ne signalerons-nous par
+aucun monument public l'orgueil que nous éprouvons de compter l'abbé de
+l'Épée au nombre des enfants de Versailles?</p>
+
+<p>«Hoche fut, sans doute, une de nos gloires les plus pures; car, s'il fut
+guerrier, il ne le fut que pour être pacificateur; il fut brave, mais
+humain; fort, mais généreux, même au milieu de ces tragiques et
+sanglantes hécatombes<a name="page_252" id="page_252"></a> de nos guerres civiles. Mais l'abbé de l'Épée...
+à quel titre refuserait-on à l'homme de modeste patience et de généreux
+dévouement, à l'homme de bienfaisant génie et de tendre philanthropie,
+les honneurs accordés, avec tant d'élan, à l'homme de guerre et de
+pacification?</p>
+
+<p>«Quant à moi, je pense que ces deux gloires sont trop également vraies,
+trop également belles, pour qu'une ville qui a le rare bonheur de les
+compter ensemble pour siennes, au milieu de quelques autres célébrités,
+puisse n'en honorer qu'une, sans se rendre coupable d'un déni de justice
+envers l'autre.</p>
+
+<p>«J'émets donc le v&oelig;u et formule ici la proposition qu'il soit élevé
+une statue à l'abbé de l'Épée sur un des points les plus apparents de
+Versailles.</p>
+
+<p>«L'emplacement qui réunirait les conditions les plus favorables à cet
+objet, me paraît être l'espace compris entre la rue Pétigny et la rue
+Neuve. Là, nul, pour ainsi dire, ne pourrait aller visiter nos royales
+galeries, notre somptueux jardin, Trianon le favori, venir de
+Saint-Germain, ou s'y rendre, sans payer son tribut d'admiration au père
+des sourds-muets; et, pour faire de ce monument d'illustration pour la
+ville un objet d'utilité publique, il serait aisé d'y établir la
+fontaine qui occupe actuellement le coin du boulevard de la Reine.<a name="page_253" id="page_253"></a></p>
+
+<p>«Je ne me dissimule pas que les dépenses d'exécution sont considérables;
+que, de plus, il faut faire l'acquisition du bâtiment et du terrain
+qu'il occupe. Mais ne peut-on fonder aucun espoir d'allégement sur la
+caisse municipale, lorsqu'il s'agira d'un appel à faire, par voie de
+souscription, au patriotisme des habitants, et qu'on invoquera encore du
+gouvernement un acte de générosité, semblable à celui dont il nous a
+gratifiés pour la statue de Hoche?</p>
+
+<p>«Quel sera, Monsieur le rédacteur, le sort de ma proposition? Je
+l'ignore. Mais, quel qu'il puisse être, je ne me hasarde pas moins à la
+confier à votre journal, si utilement consacré à la prospérité de la
+ville, comme à tout ce qui touche à son éclat.</p>
+
+<p>«Agréez, etc.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Au commencement de 1839, M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies,
+présenta à un grand nombre d'habitants de Versailles une statuette de
+l'abbé de l'Épée, et proposa d'en exécuter le modèle en grand, sans
+autre condition que le remboursement de ses frais. Les offres
+désintéressées de l'artiste, premier souscripteur, furent accueillies
+comme elles devaient l'être, et il eut la satisfaction de voir tous ceux
+de ses<a name="page_254" id="page_254"></a> concitoyens auxquels il s'adressait, promettre de s'associer à
+lui, afin de couvrir les dépenses du monument.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Dans une séance préparatoire se réunirent, en conséquence, le jeudi 24
+janvier 1839, dans l'étude de M. Besnard, notaire à Versailles, MM. le
+lieutenant général Wathiez, le vicomte de Beaucours, l'abbé Caron,
+Lebrun, le docteur Bataille, Ferrand, Gauguin, Fassman et Besnard, tous
+faisant partie des souscripteurs au monument à élever, dans sa ville
+natale, à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>M. Michaut était présent.</p>
+
+<p>Cette réunion, à laquelle avaient été appelées les personnes ayant
+apporté, jusqu'alors, leur adhésion au projet, avait pour objet de
+nommer une commission à laquelle serait confié le soin de donner
+l'impulsion à la souscription et de l'amener à un prompt résultat. M.
+l'abbé Caron fut désigné par les souscripteurs présents pour présider
+l'assemblée. M. Besnard accepta les fonctions de secrétaire provisoire.
+Le bureau ainsi constitué, il fut procédé à la nomination dont il
+s'agissait. Cette nomination eut lieu par acclamation, et les membres
+proclamés furent MM. le marquis de Sémonville, le baron de Fresquienne,
+l'abbé Caron, le lieutenant général vicomte Wathiez, Lebrun, de
+Sainte-James,<a name="page_255" id="page_255"></a> Bernard de Mauchamps, Gauguin, Boisselier et Besnard.</p>
+
+<p>Toutes les personnes qui assistaient à la réunion déclarèrent qu'elles
+n'entendaient pas, en nommant une commission de dix membres, limiter à
+ce nombre celle qui devait représenter tous les souscripteurs, laissant,
+au contraire, à la commission permanente élue, la faculté de s'adjoindre
+les membres qui lui paraîtraient utiles aux intérêts de la
+souscription.<a name="page_256" id="page_256"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXI" id="XXXI"></a>XXXI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Membres présents à la première réunion.&mdash;Formation du bureau
+définitif.&mdash;Comment on pourra activer les souscriptions.&mdash;Voies et
+moyens.&mdash;Plusieurs projets.&mdash;Divers modes de publicité.&mdash;Le maire
+de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.&mdash;La
+statue sera en bronze et de taille héroïque.&mdash;Divers emplacements
+proposés.&mdash;Deux seuls paraissent convenables.&mdash;Autorisation à
+demander au conseil municipal.&mdash;Comité de trois membres, chargé,
+sous le titre de jury de surveillance, de suivre l'exécution des
+travaux.&mdash;Publication de la liste des souscripteurs tous les deux
+mois.</p></div>
+
+<p>La première séance de la commission eut lieu le 25 janvier, dans le
+cabinet de M. Besnard. Les membres présents étaient:</p>
+
+<p><a name="page_257" id="page_257"></a></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left" rowspan="7" valign="top">MM.</td><td>B<small>ERNARD DE</small> M<small>AUCHAMPS,</small> vice-président du tribunal;</td></tr>
+<tr><td align="left">B<small>ESNARD</small>, notaire;</td></tr>
+<tr><td align="left">D<small>E</small> F<small>RESQUIENNE</small> (le baron), membre du conseil municipal;</td></tr>
+<tr><td align="left">G<small>AUGUIN</small> receveur principal;</td></tr>
+<tr><td align="left">L<small>EBRUN,</small> directeur de l'École normaleprimaire;</td></tr>
+<tr><td align="left">D<small>E</small> S<small>AINTE</small>-J<small>AMES,</small> avocat;</td></tr>
+<tr><td align="left">W<small>ATHIEZ</small> (le vicomte), lieutenant général.</td></tr>
+</table>
+
+<p>On procéda ensuite, par acclamation, au choix des membres du bureau de
+la commission. En voici le résultat: Président, M. le marquis de
+Sémonville, pair de France; vice-président, M. le baron de Fresquienne;
+secrétaire, M. Besnard; trésorier, M. Gauguin.</p>
+
+<p>La commission, sur la proposition de son président provisoire, décida
+qu'il y avait lieu, pour elle, d'user de la faculté qui lui était
+accordée par les souscripteurs, d'appeler, dans son sein, les personnes
+qui, par leurs lumières, leur position ou leur dévouement, lui
+paraîtraient devoir lui apporter un utile concours. En conséquence, en
+furent élus membres, par acclamation, MM. Remilly, maire de Versailles;
+Taphinon, conseiller de préfecture; Douchain, architecte du département.</p>
+
+<p>La discussion roula, dès lors, sur le meilleur mode à adopter pour
+activer les souscriptions. Plusieurs projets et moyens furent exposés;
+mais la commission remit sa décision à une prochaine séance. Elle se
+borna, pour le moment, à arrêter qu'elles seraient ouvertes chez M.
+Gauguin, son trésorier, et chez MM. les notaires de la<a name="page_258" id="page_258"></a> ville. Quant au
+mode de publicité, il fut statué que l'on adresserait des notices sur le
+projet d'érection aux principales feuilles de la capitale et aux deux
+journaux qui se publiaient à Versailles; que des affiches seraient, en
+outre, placées dans tous les lieux apparents de la ville; que des
+lettres seraient enfin écrites aux principaux chefs de famille de la
+localité. Pour donner encore plus de publicité au projet et à la
+souscription, il fut convenu qu'une lettre serait adressée à M. le
+préfet de Seine-et-Oise, pour l'inviter à consentir à une insertion dans
+le <i>Mémorial administratif du département</i>.</p>
+
+<p>Il fut décidé que l'en-tête des lettres serait ainsi conçue: <i>Commission
+pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée</i>, et que les affiches
+et notices pour les journaux seraient intitulées: <i>Commission pour le
+monument à élever à l'abbé de l'Épée, dans Versailles, sa ville natale</i>.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Dans la seconde séance, qui eut lieu le 30 janvier, chez le
+vice-président, M. de Fresquienne, il fut donné lecture d'un projet de
+proposition destiné aux affiches et aux lettres à adresser aux
+souscripteurs. Ce prospectus fut adopté après discussion. Il portait
+que, dans les trois mois qui suivraient l'érection de la statue, il
+serait publié un compte-rendu de la souscription et de son emploi.<a name="page_259" id="page_259"></a></p>
+
+<p>M. le vice-président parla de la visite qu'il avait faite à M. le maire
+de Versailles, pour lui annoncer la résolution de la commission de
+l'appeler dans son sein. Enfin, le mode de souscription dans les
+départements fut l'objet d'une discussion générale.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 6 février, M. le maire acceptait avec empressement l'honneur qui lui
+était offert de faire partie de la commission.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>A l'ouverture de la troisième séance, qui eut lieu le 16 février, il fut
+donné communication de cinq lettres de notaires de Paris, acceptant le
+dépôt, dans leurs études, de registres destinés à recevoir les
+souscriptions.</p>
+
+<p>M. le président ouvrit la discussion sur la matière à employer de
+préférence par l'artiste dans la confection de la statue. La commission
+décida: 1º qu'elle serait en bronze; 2º qu'elle serait de taille
+héroïque, c'est-à-dire de huit pieds au moins.</p>
+
+<p>Il fut décidé que M. Michaut serait prié de soumettre à la commission un
+devis approximatif des dépenses qui devraient lui être remboursées;
+puis, M. le président mit aux voix l'emplacement. Douze points de la
+ville étaient proposés: 1º l'axe de la rue des Réservoirs et de la rue
+de la Paroisse, 2º l'axe des boulevards<a name="page_260" id="page_260"></a> de la Reine et du Roi, 3º l'axe
+du boulevard de la Reine et de la rue Duplessis, 4º la demi-lune qui
+devait exister prochainement sur le boulevard de la Reine à la
+prolongation de la rue de l'abbé de l'Épée, 5º le marché Notre-Dame, 6º
+le carrefour de Montreuil, 7º le carrefour Charost, 8º la place des
+Tribunaux, 9º l'ancien hémicycle de l'avenue de la Mairie, 10º la rampe
+qui prolonge l'avenue de Sceaux, 11º la place Saint-Louis, 12º le
+Marché-Neuf.</p>
+
+<p>Deux seuls de ces emplacements réunirent les suffrages de la commission:
+la place Saint-Louis et la place des Tribunaux. Il fut arrêté qu'un
+extrait du procès-verbal (relativement à ce qui concernait l'emplacement
+désigné) serait soumis à M. le maire, afin d'obtenir l'autorisation du
+conseil municipal.</p>
+
+<p>Il fut nommé un comité de trois membres, destiné uniquement à suivre
+l'exécution de la statue, sous le titre de <i>jury de surveillance</i>, et on
+l'autorisa à s'adjoindre telles personnes qu'il jugerait capables de
+l'aider à éclairer la commission, et qu'il serait libre de choisir, soit
+dans le sein de la commission, soit en dehors.</p>
+
+<p>Puis on s'occupa de divers projets relatifs à la souscription et au mode
+de publicité, et l'on procéda à l'examen des ressources pécuniaires<a name="page_261" id="page_261"></a>
+dont on pourrait disposer pour les dépenses d'impression et d'envoi.</p>
+
+<p>Dans le but de stimuler l'élan du public, il fut arrêté que l'avis
+suivant serait inséré à la fin du prospectus:</p>
+
+<p>«La commission publiera successivement, de deux mois en deux mois, la
+liste des souscripteurs.»<a name="page_262" id="page_262"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXII" id="XXXII"></a>XXXII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Mort du président de la commission, M. le marquis de
+Sémonville.&mdash;M. le baron de Fresquienne élu à sa place.&mdash;Demande
+d'autorisation au Ministre de l'instruction publique pour élever la
+statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École
+normale.&mdash;Réponse favorable.&mdash;M. Michaut s'engage à ce que les
+frais de la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à
+en commencer le modèle en argile plastique.&mdash;M. l'architecte Petit
+invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et
+des grilles.&mdash;Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois
+le v&oelig;u qu'on choisisse un emplacement plus convenable.&mdash;Projet
+d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.</p></div>
+
+<p>La quatrième séance eut lieu le 3 août, à l'École normale primaire, dans
+le salon de M. Lebrun, l'un des membres de la commission. En l'absence
+du vice-président, M. l'abbé Caron annonça, avec douleur, à ses
+collègues que la commission venait de perdre M. le marquis de
+Sémonville, qui en avait accepté la présidence. Il fut immédiatement
+procédé à l'élection, au scrutin secret, d'un nouveau président<a name="page_263" id="page_263"></a> et d'un
+nouveau vice-président. M. le baron de Fresquienne et M. l'abbé Caron
+furent promus à ces fonctions.</p>
+
+<p>On soumit à l'assemblée un projet de lettre à adresser au Ministre de
+l'instruction publique, ayant pour but d'en obtenir l'érection de la
+statue sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale,
+au milieu d'un espace dont elle se dégagerait, et qui formerait un
+hémicycle de 5 mètres sur le terrain du jardin pratique de cette école.</p>
+
+<p>Un plan, dressé par M. Petit, architecte de la ville, fut déposé sur le
+bureau, afin de mettre la commission de surveillance à même d'apprécier
+l'étendue du terrain demandée au Ministre.</p>
+
+<p>Lecture fut donnée d'une lettre de M. Michaut, qui, sur l'invitation qui
+lui en avait été adressée, s'engageait à ce que les frais de la statue
+ne dépassassent pas la somme de dix mille francs, et qui demandait, en
+même temps, à être autorisé à en commencer le modèle en argile
+plastique, aux conditions par lui proposées. Il fut fait droit tout de
+suite à cette demande, et l'on décida, de plus, que l'architecte Petit
+dresserait un devis estimatif des dépenses qu'occasionneraient le
+piédestal du monument et les grilles qui l'entoureraient.</p>
+
+<p>Ces travaux devaient consister en maçonnerie,<a name="page_264" id="page_264"></a> marbrerie, serrurerie,
+peinture, charpente, terrasse et pavage:</p>
+
+<p>En maçonnerie, pour établir l'hémicycle, fonder le piédestal, en former
+le noyau en pierre de taille, élever la plate-forme sur laquelle il
+serait placé et l'entourer d'un stylobate;</p>
+
+<p>En marbrerie, pour revêtir le piédestal de marbre blanc veiné;</p>
+
+<p>En serrurerie, pour entourer l'hémicycle d'une grille en fer, reposant
+sur le stylobate, et d'une autre grille, dite d'appui, reposant sur le
+bord de la plate-forme;</p>
+
+<p>En peinture, pour peindre la grille en couleur bronze;</p>
+
+<p>En charpente, pour enfermer les travaux pendant leur durée et jusqu'à ce
+que la statue fût érigée;</p>
+
+<p>En terrasse, enfin, et en pavage, pour les fouilles à pratiquer, afin
+d'établir les fondations du monument et d'en paver les approches.</p>
+
+<p>Tous ces travaux étaient estimés approximativement, d'après détails
+circonstanciés, à la somme de onze mille six cent soixante francs,
+répartis comme suit:</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Maçonnerie.</td><td align="right">3,500</td><td align="left">fr.</td></tr>
+<tr><td align="left">Marbrerie.</td><td align="right">4,550</td><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Serrurerie.</td><td align="right">3,000</td><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Transport.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">11,050</td><td align="left"
+style="border-top:1px solid black;">fr.</td></tr>
+<tr><td align="left">Peinture.</td><td align="right">160</td><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Charpente.</td><td align="right">150</td><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Terrasse et pavage.</td><td align="right">300</td><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Total.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;border-bottom:double 3px black;">11,660</td><td align="left"
+style="border-top:1px solid black;border-bottom:double 3px black;">fr.</td></tr>
+</table>
+
+<p>A la cinquième séance, le 9 décembre, M. le secrétaire donna lecture de
+l'autorisation accordée par M. Villemain, Ministre de l'instruction
+publique, grand maître de l'Université. Elle était ainsi conçue:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p class="hang"><i>A M. le baron de Fresquienne, président de la commission pour
+l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles.</i></p></div>
+
+<p class="r">A Paris, le 10 septembre 1839.</p>
+
+<p>«Monsieur le baron, j'ai reçu les renseignements officiels qui m'étaient
+nécessaires pour prononcer définitivement sur la demande formée par la
+commission que vous présidez, à l'effet d'obtenir la concession d'une
+petite portion du terrain affecté au jardin botanique de l'École normale
+primaire de Versailles, dans le but d'agrandir la place où doit s'élever
+la statue de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«D'après ces renseignements, j'ai décidé que la dite portion de terrain,
+ayant une surface de 39 m. 27 c., serait concédée à la société<a name="page_266" id="page_266"></a> des
+souscripteurs pour le monument, aux conditions suivantes: 1º que la
+grille, formant l'entourage de l'hémicycle qui existera derrière la
+statue, soit suffisamment élevée pour garantir la clôture du jardin de
+l'école; 2º qu'une grille plus basse soit placée devant la statue, afin
+d'empêcher le public d'entrer dans l'intérieur de l'hémicycle; 3º enfin,
+qu'une porte de sortie soit réservée dans l'une et l'autre grille, afin
+de conserver à l'École normale l'issue qu'elle a, en cet endroit, sur la
+rue Saint-Pierre. Je vous prie, Monsieur le baron, de faire part de ma
+décision à la commission que vous présidez.</p>
+
+<p>«Recevez, Monsieur le baron, etc.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Il fut arrêté que M. le président adresserait, au nom de la commission,
+une lettre de remercîment à M. le Ministre de l'instruction publique.</p>
+
+<p>Puis, M. le secrétaire donna lecture de la décision prise par le conseil
+municipal de Versailles, dans sa séance du 14 novembre, et dont voici
+les conclusions:</p>
+
+<p>«Le conseil, vu la demande qui lui a été adressée par les souscripteurs
+à la statue de l'abbé de l'Épée, et après avoir entendu le rapport de sa
+commission, décide:</p>
+
+<p>«1º Le conseil autorise l'érection d'une statue<a name="page_267" id="page_267"></a> de l'abbé de l'Épée sur
+une des places de la ville de Versailles;</p>
+
+<p>«2º Ce monument sera élevé sur l'emplacement désigné par la commission
+des souscripteurs, ou sur le terrain situé sur l'avenue de la Mairie, en
+face l'Hôtel de Ville, si, par suite, il est jugé plus convenable par le
+conseil, après avoir entendu la commission des souscripteurs;</p>
+
+<p>«3º Le conseil se réserve d'apprécier le mérite de la statue, avant son
+érection, d'après le modèle en plâtre qui devra être fait dans les mêmes
+proportions que celles que doit avoir cette statue, et de fixer la
+saillie que le monument aura sur la voie publique.</p>
+
+<p>«L'ensemble des conclusions de la commission a été mis aux voix et
+adopté avec la modification suivante, qui vient d'être exprimée pour le
+deuxième paragraphe:</p>
+
+<p>«Le conseil est d'avis que la statue soit érigée sur l'emplacement
+proposé par la commission des souscripteurs, émettant le v&oelig;u que les
+résultats de la souscription permettent à la commission de proposer la
+place Saint-Louis, qui lui paraît préférable sous tous les rapports, ou
+tout autre endroit, jugé convenable par le conseil, sur la proposition
+de la commission.»</p>
+
+<p>Cette lecture entendue, la commission discuta<a name="page_268" id="page_268"></a> les conclusions du
+conseil municipal. Elle vota des remercîments à M. le maire, pour
+l'autorisation<a name="FNanchor_94_94" id="FNanchor_94_94"></a><a href="#Footnote_94_94" class="fnanchor">[94]</a> que ce magistrat s'était empressé de lui faire
+obtenir.</p>
+
+<p>M. le président ouvrit la discussion sur la quotité des dépenses
+prévues.</p>
+
+<p>L'avis de M. Lebrun fut qu'une médaille serait le moyen le plus propre à
+stimuler les souscriptions et à en augmenter le nombre et la quotité.
+Puis, il déposa sur le bureau le croquis de la médaille projetée.</p>
+
+<p>M. le secrétaire donna lecture d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à
+faire gratuitement la médaille, qu'il regardait comme un accessoire du
+monument.</p>
+
+<p>On pensa qu'une médaille, &oelig;uvre de M. Michaut, dont la réputation, au
+point de vue de la gravure surtout, est européenne, exciterait les
+citoyens à souscrire, afin de se procurer une représentation fidèle du
+monument, un souvenir de leur générosité, et de jouir ainsi
+individuellement de leur propre sacrifice pécuniaire.</p>
+
+<p>La commission arrêta, en conséquence, 1º que le projet d'une médaille à
+distribuer aux souscripteurs était décidé en principe;<a name="page_269" id="page_269"></a> 2º que cette
+médaille serait du dessin du croquis présenté et du module de trente
+lignes; 3º qu'elle serait en bronze, mais délivrée néanmoins en métal
+plus précieux aux souscripteurs qui en feraient la demande, en en payant
+préalablement le prix. On arrêta, en outre, que le nom du souscripteur
+serait gravé sur sa médaille, et que le bureau conviendrait avec M.
+Michaut des conditions de cette gravure supplémentaire.</p>
+
+<p>La commission nomma, enfin, <i>un comité chargé de rédiger et d'envoyer
+les prospectus, de dresser les listes de souscripteurs et d'accélérer
+les travaux</i>, concurremment avec le président et le secrétaire.<a name="page_270" id="page_270"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXIII" id="XXXIII"></a>XXXIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son
+approbation complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé
+de l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui
+s'y rattachent.&mdash;Réponses de la commission aux différentes
+questions qui lui ont été soumises par M. le préfet.&mdash;Première
+pensée d'une entrevue de quelques membres du conseil municipal de
+Versailles avec quelques membres de la commission du monument,
+ayant pour but d'essayer de lever en commun ces
+obstacles.&mdash;Délibération favorable du conseil municipal en réponse
+aux objections soulevées par M. le préfet.&mdash;Rédaction d'un
+prospectus à répandre pour activer les souscriptions.</p></div>
+
+<p>M. le préfet de Seine-et-Oise, dans une lettre du 14 janvier 1840,
+adressée à M. le maire de Versailles, lui faisait observer que, comme il
+n'était pas complétement édifié sur l'affaire du monument à élever à
+l'abbé de l'Épée, il ne pensait pas pouvoir, dans l'état actuel des
+choses, y donner son approbation. Il désirait, avant tout, être éclairé:</p>
+
+<p>1º Sur la forme et le mérite de la statue<a name="page_271" id="page_271"></a> projetée, question qui ne
+pouvait être résolue que par la présentation d'un modèle en plâtre, de
+la grandeur même de la statue;</p>
+
+<p>2º Sur l'emplacement, choisi par les souscripteurs, qui ne lui
+paraissait pas être agréé par le conseil municipal, opinion que
+partageait M. le préfet, l'hémicycle qui devait être pris sur le jardin
+de l'École normale lui semblant trop restreint, et la place Saint-Louis
+offrant, à son avis, un emplacement plus convenable;</p>
+
+<p>3º Sur le montant de la dépense, sur la garantie que cette dépense
+serait intégralement couverte au moyen des souscriptions, et sur les
+ressources que la ville de Versailles se proposait d'y affecter afin de
+compléter la somme exigée pour les frais, dans le cas où les
+souscriptions ne seraient pas suffisantes;</p>
+
+<p>4º Enfin, sur le fait même de la concession du terrain, qui aurait dû
+être faite à la ville, et non aux souscripteurs.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 17 janvier, M. le maire de Versailles écrivit à la commission des
+souscripteurs, en lui adressant copie de la lettre de M. le préfet de
+Seine-et-Oise.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>En conséquence, dans la sixième séance du<a name="page_272" id="page_272"></a> 27 janvier 1840, M. le
+président exposa à la commission que M. le préfet de Seine-et-Oise
+n'avait pas paru complétement satisfait des explications fournies par la
+commission, ni de la délibération du conseil municipal, et qu'il croyait
+nécessaire d'obtenir de nouveaux renseignements avant d'homologuer une
+délibération sur laquelle il regrettait de ne pas se trouver nanti de
+documents suffisants. Il était donc d'avis, d'après la lecture des
+délibération et décision ci-dessus mentionnées, de rassembler le comité
+de rédaction, à l'effet de préparer une réponse.</p>
+
+<p>M. Lebrun développa son travail, qui fut entièrement approuvé dans son
+ensemble et dans ses détails, dans son esprit et dans sa forme. La
+commission décida, à l'unanimité, que ce mémoire serait adressé, en
+double exemplaire, à M. le maire de Versailles.</p>
+
+<p>M. le secrétaire donna, ensuite, lecture du prospectus<a name="FNanchor_95_95" id="FNanchor_95_95"></a><a href="#Footnote_95_95" class="fnanchor">[95]</a>, avec les
+additions qui y avaient été faites par le comité de rédaction, et il fit
+connaître les listes qui avaient été dressées, de l'avis de ce comité.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 5 février, la commission répondit aux quatre questions qui lui
+avaient été soumises<a name="page_273" id="page_273"></a> par M. le préfet, et finit par proposer, dans le
+cas où ses réponses ne paraîtraient pas suffisantes et ne porteraient
+pas la conviction dans tous les esprits, un moyen qui rendrait plus
+prompte et plus facile la conclusion d'une affaire qui avait déjà
+souffert tant de retard. «Si le conseil municipal, observait-elle,
+voulait bien désigner quelques-uns de ses membres à l'effet de
+s'entendre avec la commission des souscripteurs sur les points en
+désaccord, sans aucun doute de telles communications auraient bientôt
+levé tous les obstacles.»</p>
+
+<p>Comme la commission du conseil municipal qui devait présenter
+incessamment un rapport au conseil sur les observations faites par M. le
+préfet de Seine-et-Oise relativement à l'érection de la statue de l'abbé
+de l'Épée, désirait entendre encore les membres du comité des
+souscripteurs, M. le maire écrivit, le 11 février 1840, à M. de
+Fresquienne, pour le prier de vouloir bien inviter les membres du comité
+à se réunir à la commission, qui devait être convoquée le 14, à la
+Mairie.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Dans la septième séance, qui eut lieu le 3 mai, il fut donné lecture
+d'un rapport étendu, contenant l'exposé de ce qui avait été fait depuis
+le 27 janvier. M. le secrétaire porta ensuite à<a name="page_274" id="page_274"></a> la connaissance de la
+commission le nombre des prospectus délivrés, d'après les états qu'il
+avait tenus.</p>
+
+<p>M. le trésorier exposa l'état de la caisse au 16 avril 1840. La
+commission déclara approuver cet aperçu de la situation.</p>
+
+<p>M. le président communiqua la délibération suivante du conseil
+municipal, qui répondait aux différentes questions proposées par M. le
+préfet:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«Le conseil,</span><br />
+</p>
+
+<p>«Vu les motifs exprimés dans le rapport qui précède, estime qu'il y a
+lieu de répondre à M. le préfet:</p>
+
+<p>«1º Que le conseil municipal a reçu de la commission des souscripteurs,
+par l'organe de M. le baron de Fresquienne, son président, la promesse
+écrite de la production préalable d'un modèle en plâtre, de grandeur
+d'exécution;</p>
+
+<p>«2º Que l'emplacement choisi sur la place des Tribunaux ne lui paraît
+pas heureux, et qu'une statue de deux mètres, douze centimètres, suivant
+la mesure annoncée, ne lui semble pouvoir convenir à aucun autre
+emplacement de la ville;</p>
+
+<p>«3º Que la ville de Versailles n'a pas eu d'engagement pécuniaire à
+prendre, et qu'aucun<a name="page_275" id="page_275"></a> sacrifice n'a été réclamé d'elle pour cet objet;</p>
+
+<p>«4º Que la concession du terrain de l'École normale n'a pu être faite,
+ni aux souscripteurs, ni à la ville, et que l'Université, qui en jouit,
+aurait seulement transféré la jouissance à la ville, devenue
+propriétaire du monument.</p>
+
+<p>«Les propositions de la commission sont successivement mises aux voix et
+adoptées.»<a name="page_276" id="page_276"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXIV" id="XXXIV"></a>XXXIV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Lettre d'envoi du prospectus.&mdash;Premières listes de
+souscriptions.&mdash;Empressement des évêques et du clergé.&mdash;Offrande de
+300 francs de la part du roi Louis-Philippe.&mdash;Les membres de la
+commission invités à donner chacun son avis sur le modèle de la
+statue.&mdash;Le statuaire Michaut promet d'en profiter.&mdash;Souscriptions
+des sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.&mdash;Projet
+d'exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution
+des sourds-muets de Paris.&mdash;Le préfet de Seine-et-Oise accepte les
+fonctions de président d'honneur de la commission.&mdash;MM. Molé,
+Lepelletier-d'Aunay, Berlin de Vaux et le duc de Luynes désignés
+pour en être membres d'honneur.&mdash;Le Ministre de la guerre regrette
+de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande pour la
+confection de la statue.</p></div>
+
+<p>Une circulaire, signée du président baron de Fresquienne, et
+contre-signée du secrétaire E.-B. de Sainte-James, membres du conseil
+municipal, avait déjà été répandue. Elle était conçue en ces termes:</p>
+
+<p>«La commission, en vous adressant ses prospectus, vous prie de vouloir
+bien considérer<a name="page_277" id="page_277"></a> que le monument qu'elle se propose d'ériger ne doit pas
+être confondu avec ceux dont l'objet peut toucher seulement les vanités
+municipales. Ce n'est pas un hommage ordinaire à rendre à un guerrier, à
+un magistrat, à un savant, mais un témoignage national de
+reconnaissance. L'abbé de l'Épée est un homme de lumières et de charité,
+un apôtre de l'infortune, le saint Vincent de Paule de notre époque.
+C'est ainsi que vous comprendrez sa position et que vous aimerez,
+non-seulement à vous associer à notre &oelig;uvre, mais encore à provoquer
+l'assistance des personnes qui sont placées sous votre direction, ou
+avec lesquelles vous vous trouvez en rapports fréquents.</p>
+
+<p>«Nous espérons que vous voudrez bien nous faire obtenir quelques
+souscriptions, et nous vous prions de recevoir l'assurance de nos
+sentiments les plus distingués.»</p>
+
+<p class="r">
+ <i>Le président</i>, Baron DE PRESQUIENNE,<br />
+ <i>Le secrétaire</i>, E. B. DE SAINTE-JAMES,<br />
+ Membres du conseil municipal.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>A peine la commission avait-elle commencé l'envoi de son prospectus, que
+déjà l'on répondait avec un honorable empressement à l'appel qu'elle
+faisait aux gens de bien, aux admirateurs du génie, à toutes les
+personnes qui éprouvaient de la sympathie pour une idée patriotique<a name="page_278" id="page_278"></a> et
+morale. C'était ce que prouvait la première liste qu'elle publiait, et
+dont le total s'élevait à 2,060 fr. 75 c.</p>
+
+<p>Le roi Louis-Philippe, informé de ce projet, fit remettre au trésorier
+une somme de 300 fr. pour accélérer la réalisation des fonds
+nécessaires, et témoigner, en même temps, de sa sympathie pour ce
+monument vraiment national.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>A l'ouverture de la huitième séance, le 14 juin, M. le président exprima
+le désir de voir inviter chaque membre à formuler son opinion
+personnelle sur le modèle de la statue en plâtre qu'il avait été admis à
+visiter. On procéda immédiatement à l'audition de chacun d'eux, et il
+fut arrêté que l'envoi des notes de la commission serait fait
+immédiatement à M. Michaut, par les soins du secrétaire, et qu'il serait
+prié de formuler aussi promptement que possible une réponse à ses
+observations.</p>
+
+<p>M. le président déposa sur le bureau une lettre de M. le docteur Doumic,
+frère d'un sourd-muet, proposant de faire souscrire les 30,000
+infortunés de cette catégorie que peut contenir la France<a name="FNanchor_96_96" id="FNanchor_96_96"></a><a href="#Footnote_96_96" class="fnanchor">[96]</a>. Des
+remercîments furent votés à M. Doumic, pour le zèle éclairé<a name="page_279" id="page_279"></a> qu'il
+apportait à l'érection du monument, et il fut décidé qu'on lui
+transmettrait l'expression des sentiments de sympathie dont la
+commission était animée pour ses louables efforts.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Dans la neuvième séance, tenue le 3 juillet, il fut donné communication
+d'une lettre de M. Michaut, s'engageant à profiter des observations de
+la commission pour certains détails. Il proposait ensuite de solliciter
+de M. le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris<a name="FNanchor_97_97" id="FNanchor_97_97"></a><a href="#Footnote_97_97" class="fnanchor">[97]</a> l'autorisation d'exposer le modèle de sa statue dans cet
+établissement, afin que le public pût être admis à le contempler, et
+qu'il en résultât un nouveau stimulant pour la souscription.</p>
+
+<p>M. le président porta à la connaissance de la commission une nouvelle
+lettre de M. le docteur Doumic, annonçant qu'il tenait à sa disposition
+une somme de 348 fr. 50 c., qui lui avait été versée par 83
+sourds-muets. Il annonçait, en outre, qu'il allait continuer à réunir de
+nouvelles souscriptions.</p>
+
+<p>Le secrétaire rendit compte de la visite que M. le baron de Fresquienne
+l'avait autorisé à faire à M. le directeur de l'Institution des
+sourds-muets, <a name="page_280" id="page_280"></a>pour s'entendre avec lui sur la convenance du projet
+d'exposition de la statue dans cet établissement. Le directeur
+regrettait de n'y pouvoir consacrer la salle des séances de l'École;
+mais il consentait volontiers à ce que l'exposition eût lieu dans la
+cour de la maison, où des mesures pourraient être prises pour veiller à
+la conservation de la statue en plein air; mais, ajoutait-il, il était
+nécessaire, avant tout, que la proposition qui lui était faite, fût
+approuvée par l'autorité supérieure, M. le Ministre de l'intérieur. Le
+secrétaire avait, en conséquence, déclaré au directeur qu'il s'engageait
+à proposer à la commission de faire face à tous les frais que pourraient
+entraîner la pose de la statue et son enlèvement, ainsi que l'abri qu'il
+pourrait être utile de lui donner. Le directeur s'engagea, de son côté,
+à demander promptement l'autorisation ministérielle, et à faire part à
+la commission du résultat de sa démarche. Il promit, en outre, de mettre
+l'agent, chargé des dépenses de l'établissement, à la disposition de la
+commission pour recueillir les offrandes.</p>
+
+<p>La commission décida, en conséquence, que le modèle de la statue serait
+transporté, 1º dans la cour de l'hôtel de ville de Versailles, 2º vers
+le mois d'octobre, dans celle de l'Institution nationale des
+sourds-muets de Paris, 3º au mois de février suivant, dans celle du
+Louvre, en<a name="page_281" id="page_281"></a> obtenant toutes les autorisations indispensables pour
+arriver à ces fins.</p>
+
+<p>La commission s'occupa incontinent de la question de savoir s'il ne
+serait pas utile de lui agréger de nouveaux membres, afin de lui donner
+plus de puissance et de popularité.</p>
+
+<p>Le titre de membres d'honneur serait offert à MM. le comte Molé et
+Lepelletier-d'Aunay, tous deux membres du conseil général du
+département, ainsi qu'à M. Bertin de Vaux, ancien député du département,
+pair de France, et à M. le duc de Luynes.</p>
+
+<p>En juillet 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise répondit à M. l'abbé
+Caron, vice-président de la commission, qu'il acceptait la présidence
+d'honneur qui lui était décernée par les membres de cette commission.
+Cette offre avait été motivée, non-seulement sur ce que ce fonctionnaire
+occupait si dignement le poste honorable auquel la confiance du
+gouvernement l'avait élevé, mais encore sur ce qu'il avait tenu à être
+le premier patron de cette entreprise, et sur ce que son nom, inscrit
+par lui en tête de la liste de souscription, attestait le désir qu'il
+éprouvait de voir une statue érigée à l'abbé de l'Épée dans sa ville
+natale.</p>
+
+<p>Ce magistrat annonça, en même temps, à M. l'abbé Caron qu'il s'était
+empressé de transmettre à M. le Ministre de la guerre la demande<a name="page_282" id="page_282"></a> que ce
+respectable ecclésiastique avait faite pour obtenir le bronze nécessaire
+à la confection de la statue, ajoutant qu'il avait vivement insisté pour
+que les 1,500 kilog., qui paraissaient devoir suffire, fussent accordés
+par le gouvernement.</p>
+
+<p>Le président du conseil, Ministre secrétaire d'État de la guerre,
+maréchal, duc de Dalmatie, répondit à M. le préfet de Seine-et-Oise
+qu'une semblable demande lui avait déjà été adressée par M. le baron de
+Fresquienne, au nom de la commission, et qu'il lui avait fait connaître
+les motifs qui le forçaient, à son grand regret, de refuser le bronze
+demandé. «En effet, il n'existe pas, dit le Ministre, de vieux bronzes
+dont nous puissions disposer, si ce n'est pour la fabrication des
+bouches à feu et de différents autres objets qui sont confectionnés dans
+les fonderies de l'État pour le service de la guerre. Tout autre emploi
+pour un service étranger serait blâmable, et la cour des comptes ne
+manquerait pas de le signaler comme tel.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>La commission publia, dans le courant du même mois, une seconde liste de
+souscriptions, qui en portait le montant à 4,664 fr. Il était à
+remarquer que cette liste ne comprenait que bien peu de personnes qui ne
+fussent pas de Versailles, et, cependant, la commission espérait<a name="page_283" id="page_283"></a>
+beaucoup des souscriptions dont elle avait provoqué l'ouverture dans les
+départements et à l'étranger. Elle était également convaincue que tous
+les sourds-muets qui auraient connaissance du projet d'érection de ce
+monument, s'empresseraient de suivre l'exemple des quatre vingt-trois de
+leurs frères qui, à la vue du modèle en plâtre, avaient spontanément
+souscrit pour plusieurs centaines de francs. Parmi ses premiers
+souscripteurs, elle comptait déjà un grand nombre d'évêques et de
+membres du clergé. Ce bon exemple devait, suivant elle, porter ses
+fruits. Elle faisait donc un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui avaient profité des
+services rendus par l'abbé de l'Épée, non-seulement en France, mais chez
+toutes les nations, car il s'agissait moins d'élever un monument au
+génie, que d'acquitter une dette de reconnaissance.<a name="page_284" id="page_284"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXV" id="XXXV"></a>XXXV</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+sourds-muets de Paris.&mdash;Description. Éloge.&mdash;Visite du préfet de
+Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de
+délégués du conseil municipal, de membres de la commission des
+souscripteurs.&mdash;Mes impressions en présence de la
+statue.&mdash;Engagement du fondeur.&mdash;Adoption de la statue par le
+conseil municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des
+rues Royale et d'Anjou.&mdash;M. Michaut se soumet aux corrections
+indiquées.&mdash;L'architecte de la ville mis à la disposition de
+l'&oelig;uvre.&mdash;Nouveaux moyens à employer pour activer les
+souscriptions.</p></div>
+
+<p>Le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée, destinée à la ville de
+Versailles, venait, enfin, d'être exposé, ainsi qu'on l'avait annoncé,
+dans la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue
+Saint-Jacques, nº 254. Ce modèle avait deux mètres et demi de
+proportion; il représentait l'abbé de l'Épée à quarante ans environ, en
+costume de prêtre. Aujourd'hui que nous avons pu nous livrer à un examen
+sérieux de l'&oelig;uvre de M. Michaut, c'est un devoir pour<a name="page_285" id="page_285"></a> nous de
+féliciter le statuaire. Il a su résoudre heureusement un problème
+difficile, longtemps discuté, mais qu'il faudra bien admettre désormais
+comme une vérité artistique, à savoir que l'habit ecclésiastique peut
+devenir riche et gracieux sous le ciseau d'un habile sculpteur. Nous
+pensons qu'on nous saura gré de quelques détails sur cette composition
+remarquable.</p>
+
+<p>Debout sur un piédestal, le vénérable instituteur des sourds-muets, dont
+le petit collet est relevé avec grâce, tient de la main gauche un crayon
+et une tablette, sur laquelle est écrit le mot <i>Dieu</i>, d'abord en
+caractères symboliques, puis en caractères ordinaires. Sa main droite,
+élevée vers le ciel, indique que c'est là qu'il faut que l'humanité
+adresse ses témoignages de reconnaissance pour le nouveau bienfait dont
+elle vient d'être dotée. Les doigts sont disposés de manière à former la
+première lettre du mot <i>Dieu</i>. C'était dans cette position simple,
+naturelle, c'était avec cette physionomie pleine de bienveillance que
+l'illustre abbé devait chercher à créer ces intelligences enfantines,
+trop longtemps plongées dans les ténèbres du néant.&mdash;Vue de face, la
+statue est tout à fait à l'abri de la critique; de profil, elle est
+belle. L'&oelig;il est satisfait autant que le c&oelig;ur.&mdash;La soutane est de
+l'effet le plus<a name="page_286" id="page_286"></a> vrai, le mieux senti.&mdash;Par derrière, les plis du
+manteau retombent naturellement et sans contrainte.</p>
+
+<p>Sur le socle sont indiqués trois bas-reliefs; celui de face représente
+le tombeau de l'abbé de l'Épée, auprès duquel la Charité, sous ses
+emblèmes, rend grâce à Dieu du nouveau moyen de soulagement offert à
+l'humanité. Ceux de droite et de gauche représentent les deux premiers
+élèves de ce maître dévoué.</p>
+
+<p>Le travail de l'artiste est aussi beau que son désintéressement est
+honorable. Pour que son &oelig;uvre puisse être citée comme un des plus
+beaux ornements de la ville, qui déjà possède tant de richesses en ce
+genre, il attend impatiemment le moment où le modèle sera descendu, afin
+de pouvoir travailler à donner plus de légèreté aux plis du manteau, qui
+retombent sur le bras gauche.&mdash;Il a droit, désormais, à nos
+félicitations autant qu'à notre reconnaissance.</p>
+
+<p>Le samedi 21 août 1841, M. le préfet de Seine-et-Oise se rendit, à trois
+heures de l'après-midi, dans la cour de l'Institution des sourds-muets
+de Paris. M. Remilly, maire de Versailles, et M. Delerot, l'un des
+adjoints, s'y trouvaient déjà, avec les membres du conseil municipal
+composant la commission d'examen du monument. Ils y furent reçus par
+une<a name="page_287" id="page_287"></a> députation de membres de la commission des souscripteurs.</p>
+
+<p>La visite dura une demi-heure, pendant laquelle ces Messieurs
+examinèrent attentivement la statue, et témoignèrent, plusieurs fois,
+leur satisfaction du talent avec lequel M. Michaut avait traité son
+sujet et su imprimer à sa figure le caractère de bienveillance, de
+douceur et de fermeté tout à la fois, qui est devenu le cachet
+historique du vénérable abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>Le piédestal sur lequel était placée, en ce moment, la statue, était
+loin de représenter exactement celui sur lequel elle devait être élevée
+à Versailles; celui-ci était hexagone, tandis que le projet définitif
+annonçait un piédestal carré, plus gros, plus haut, et faisant
+probablement ressortir la statue avec plus d'avantage.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 25 août, le <i>Journal de Seine-et-Oise</i> publiait l'article suivant,
+intitulé<a name="FNanchor_98_98" id="FNanchor_98_98"></a><a href="#Footnote_98_98" class="fnanchor">[98]</a>: <i>Impressions des sourds-muets en présence de la statue de
+l'abbé de l'Épée, dans la cour de l'Institution des sourds-muets de
+Paris:</i></p>
+
+<p>«La statue de l'abbé de l'Épée, dont le modèle en plâtre est exposé dans
+la cour de l'Institution des sourds-muets de Paris, rue Saint-Jacques,
+nº 254, doit être coulée en bronze et<a name="page_288" id="page_288"></a> orner une des places publiques de
+Versailles. C'est l'&oelig;uvre de M. Michaut, le célèbre graveur des
+monnaies. Ce tribut de reconnaissance nationale était un devoir pour la
+ville qui a vu naître un des plus illustres bienfaiteurs de l'humanité.
+Grâces soient rendues à la commission chargée de ce soin pieux, à cette
+commission qui a eu la louable idée de faire placer provisoirement ce
+monument, simple et majestueux, sur le théâtre des miracles de <i>notre
+père spirituel</i>. Il me semble inutile de décrire la profonde vénération,
+la vive reconnaissance qui, à son apparition soudaine, ont saisi les
+c&oelig;urs de tous ces enfants, anciens et nouveaux élèves de notre
+Institution, et de peindre l'avidité religieuse avec laquelle ils
+dévoraient des yeux les traits si chéris de leur Messie. Les <i>aînés</i>, je
+veux dire les plus anciens, racontaient en détail l'histoire de sa vie à
+leurs <i>cadets</i>, et ceux-ci la répétaient aux plus jeunes de leurs
+condisciples. De toutes parts, dans l'École, les crayons et les plumes
+étaient en mouvement. C'était à qui consacrerait quelques lignes,
+tracées d'inspiration, au sublime instituteur des sourds-muets; c'était
+à qui dessinerait ses traits, mélange heureux de noblesse et de bonté.
+Déjà la lithographie les a reproduits par centaines dans l'atelier même
+de l'établissement.</p>
+
+<p>«Tous les yeux sont fixés sur cette image<a name="page_289" id="page_289"></a> chérie. Que de sensations
+elle excite! Nos enfants s'extasient; leur c&oelig;ur s'enflamme au
+souvenir de ce courage inébranlable, de ce sublime dévouement qu'il lui
+a fallu pour lutter avec avantage contre tant de préjugés injustes et
+puissants. Nos frères, se disent-ils, étaient retranchés, il y a
+soixante ans à peine, de la communion du monde moral et physique. Ils
+étaient repoussés impitoyablement, ou du moins dédaigneusement exclus du
+banquet de la vie, et marqués, pour ainsi dire, d'un signe visible du
+courroux céleste. On les fuyait comme des pestiférés. Il n'y avait pas
+jusqu'aux tendres mères qui ne fissent violence à leur affection pour ne
+pas blesser les regards de la multitude par le spectacle de cette
+infirmité. La foule criait arrière à ces innocentes victimes de
+l'ignorance, de la barbarie, condamnées à ne jamais savourer la coupe
+des jouissances communes, et cela parce qu'il avait plu à Aristote de
+les reléguer bien au-dessous des animaux les plus stupides! Oh! combien
+tout cela est changé maintenant! Tournons nos yeux sur nous-mêmes,
+regardons autour de nous, comparons-nous à eux! N'avons-nous pas de
+puissants motifs de bénir la mémoire de notre saint apôtre?</p>
+
+<p>«Du milieu de tous ces groupes de muets s'échappe soudain un geste
+énergique. Qu'elle devienne la propriété de l'école, cette statue<a name="page_290" id="page_290"></a> dont
+l'exécution répond si bien à toutes les sensations de nos c&oelig;urs, à
+toutes les pensées des admirateurs du génie, cette statue dont le
+travail honore le talent d'un modeste artiste! Ce v&oelig;u trouve de
+l'écho dans l'Institution entière. Mais, mes amis, leur a-t-on dit, à
+quoi pensez-vous donc? Ne voyez-vous pas que c'est une dette sacrée que
+Versailles a hâte d'acquitter envers le plus digne de ses enfants,
+envers l'abbé de l'Épée? La voyez-vous, cette ville des rois de France,
+tendant son casque et demandant l'aumône pour qu'on érige, au plus vite,
+le monument qu'elle a voté à notre grand instituteur? Elle ne repoussera
+pas l'obole des orphelins qu'il a laissés ici-bas. Leur place est, au
+premier rang, dans la fête qui se prépare. Patience donc, mes amis!
+Votre tour ne peut manquer de venir. L'École doit posséder aussi une
+image de l'abbé de l'Épée. Pour Versailles doit être le grand homme, la
+statue monumentale! Pour vous, le bienfaiteur modeste, l'instituteur qui
+préside à vos jeux, à vos travaux, à vos espérances! Vous l'aurez, vous
+dis-je; patience, mes amis! car à Versailles, au noble berceau de notre
+père, doit appartenir l'exemple de tous les hommages.</p>
+
+<p>«Qu'il me soit permis, après avoir traduit aussi fidèlement que possible
+les sentiments si naïfs de mes jeunes frères, d'enregistrer ici<a name="page_291" id="page_291"></a> une
+réponse touchante qu'il y a cinq jours, à la distribution de nos prix,
+une jeune sourde-muette, Aimée Duval, élève de M<sup>lle</sup> Barbier<a name="FNanchor_99_99" id="FNanchor_99_99"></a><a href="#Footnote_99_99" class="fnanchor">[99]</a>, a
+faite à cette question:</p>
+
+<p>«Quel sentiment éprouvez-vous en voyant la statue de l'abbé de l'Épée
+dans l'Institution des sourds-muets?»</p>
+
+<p>«En voyant ici l'image de celui qui a tant fait pour nous, nous croyons
+voir un bon père au milieu de ses enfants. Avant que l'abbé de l'Épée se
+fût occupé de nous, combien notre sort était triste et malheureux! nous
+ne connaissions ni notre Dieu, ni nos devoirs. Aujourd'hui, nous ne
+sommes plus séparés du reste de la société, et nous savons que, si nous
+obéissons toujours à la loi de Dieu, nous serons aussi heureux dans le
+ciel que ceux qui ont toutes leurs facultés. Soyez mille fois béni, vous
+qui avez été, pour nous, comme un second père, vous à qui nous devons
+plus que la vie! Jamais nous ne contemplerons vos traits sans un vif
+sentiment d'amour et de reconnaissance. Nous savons que vous êtes au
+ciel, où vous jouissez du bien que vous avez fait à tant de malheureux;
+que la plus douce récompense pour votre belle âme est de voir les
+sourds-muets pratiquer<a name="page_292" id="page_292"></a> toutes les vertus, et que nous ne pouvons mieux
+vous prouver notre reconnaissance qu'en remplissant tous nos devoirs. Si
+jamais nous étions tentés de nous en écarter, votre pensée viendrait
+nous retenir, et c'est ainsi que vous ne cesserez jamais d'être le
+bienfaiteur des sourds-muets.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>M. Saint-Denis, dans sa lettre du 10 octobre 1841, au président de la
+commission du monument, s'engageait: 1º à faire transporter le modèle en
+plâtre de la statue de l'abbé de l'Épée, qui se trouvait dans la cour de
+l'Institution des sourds-muets, rue des Trois-Bornes, nº 15, afin de l'y
+mouler en deux parties seulement;</p>
+
+<p>2º A le couler en bronze, qu'il garantissait composé de 84 livres cuivre
+pur de Russie et 16 livres de blanc (qui pourrait, d'ailleurs, être
+essayé par expert sur la statue même);</p>
+
+<p>3º A la faire réparer avec tous les soins convenables, sous la direction
+de M. Michaut, et, enfin, à la faire transporter à Versailles et placer
+sur son piédestal, avec toutes les précautions et solidités nécessaires;
+le tout, pour la somme de <i>six mille francs</i>.</p>
+
+<p>Il s'engageait, en outre, si on l'exigeait, à la livrer, toute terminée,
+deux mois après le jour de l'arrivée du modèle dans sa fonderie.<a name="page_293" id="page_293"></a></p>
+
+<p>Le maire de Versailles annonça, le 17 décembre, à M. le baron de
+Fresquienne, qu'il avait adressé à M. le préfet la délibération du
+conseil municipal du 8 novembre, ayant pour objet l'érection de la
+statue de l'abbé de l'Épée sur le point de jonction des rues Royale et
+d'Anjou. M. le préfet était tout disposé à soumettre cette délibération
+à l'approbation de M. le Ministre de l'intérieur; mais, auparavant, il
+lui paraissait nécessaire d'être parfaitement fixé sur le montant de la
+dépense, ainsi que sur les moyens d'y pourvoir.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>A l'ouverture de la dixième séance de la commission, le 19 mars 1842, M.
+le président a annoncé que la statue n'avait pu être exposée au Louvre
+ni à Versailles, à cause des frais de transport et de la fragilité du
+plâtre, mais que l'exposition avait eu lieu à l'Institution des
+sourds-muets, en vertu de l'autorisation de M. le Ministre de
+l'intérieur.</p>
+
+<p>Il a fait connaître, de plus, que M. le préfet du département avait bien
+voulu accepter la présidence d'honneur et faire espérer son concours le
+plus efficace à la commission. Ce patronage lui permettait, en
+conséquence, de se dispenser d'adjoindre des propriétaires éminents du
+département à l'accomplissement du projet qu'elle poursuivait avec zèle,
+la sollicitude<a name="page_294" id="page_294"></a> de M. le préfet lui ayant fait obtenir, en outre, de M.
+le Ministre de l'intérieur, une somme de 3,000 francs, pour faire face
+aux dépenses de la fonte de la statue.</p>
+
+<p>«Le 21 août, a dit ensuite M. le président, M. le préfet, M. le maire,
+des membres de la commission municipale et de la commission du monument
+se sont rendus à l'Institution des sourds-muets pour examiner la statue.
+D'autres personnages éminents s'y sont rendus aussi. Le 8 novembre, le
+conseil municipal a adopté la statue, et décidé qu'elle serait posée à
+la croix des rues Royale et d'Anjou, mais à condition que des
+corrections y seraient faites.... Depuis, il a été transmis à M. le
+préfet un état de prévision des dépenses, pour éclairer M. le Ministre
+de l'intérieur sur l'autorisation à accorder à l'emplacement de la
+statue. Le 4 mars, M. le maire a mis l'architecte de la ville à la
+disposition du bureau, pour aviser, de concert avec lui, à la
+réalisation des projets de la commission....»</p>
+
+<p>Déjà elle avait accepté les offres de M. Saint-Denis, mais à la
+condition qu'elles ne l'engageraient, à son égard, que lorsque les
+corrections à faire par l'artiste auraient été exécutées, et il était
+bien entendu que le moulage n'aurait lieu que sur l'avis écrit du
+président, et après l'approbation de la commission.<a name="page_295" id="page_295"></a></p>
+
+<p>M. le trésorier lui communique la situation de son avoir.</p>
+
+<p>M. le président rappelle que plusieurs appels de fonds pourraient amener
+des résultats: 1º chez les habitants du quartier Saint-Louis, qui
+voyaient avec plaisir les décisions du conseil et de la commission, 2º
+près des évêques de France, 3º près des établissements de sourds-muets
+qui avaient fait des promesses, 4º près de MM. les présidents de chambre
+des notaires d'arrondissements, 5º enfin, près de MM. les correspondants
+de la commission.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Dans la onzième séance du 17 décembre, le président d'honneur, M. le
+préfet Aubernon, proposa de s'occuper, avant tout, des moyens financiers
+à la disposition de la commission.&mdash;Il fut décidé que le bureau
+provoquerait immédiatement les rentrées en retard, par des lettres
+adressées aux personnes et aux chefs d'établissements mentionnés
+ci-dessus.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Puis, la commission arrêta ce qui suit:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«La statue sera immédiatement mise à la disposition du fondeur, pour
+être moulée et coulée. Elle sera, par l'entremise du bureau, au nom de
+la commission des souscripteurs, offerte à la ville de Versailles; le
+maire et le conseil municipal de cette ville seront priés de<a name="page_296" id="page_296"></a> prêter
+leur concours, par une mise de fonds, qui, tout en facilitant
+l'achèvement du monument, sera un signe de l'hommage rendu par la ville
+à l'abbé de l'Épée.»</p>
+
+<p>M. le président mit aussitôt à l'ordre du jour le détail des corrections
+faites à la statue.</p>
+
+<p>Quelques interpellations furent adressées à M. Michaut, présent à la
+séance; il satisfit avec empressement aux demandes qui lui furent
+faites. En conséquence, la commission décida que le modèle serait
+définitivement adopté et livré au fondeur, sous la direction de M.
+Michaut, dans l'état où il se trouvait en ce moment.</p>
+
+<p>On s'occupa ensuite du traité à passer avec le fondeur. M. Besnard,
+vice-secrétaire, qui avait été adjoint au bureau, pour lui prêter
+assistance dans une opération qui rentrait dans ses études spéciales,
+donna lecture de la lettre que nous avons déjà rapportée, par laquelle
+M. Saint-Denis offrait de mouler, couler, transporter et poser la
+statue, moyennant 6,000 fr. Il passa incontinent à la lecture du projet
+de traité, qui fut adopté à l'unanimité.</p>
+
+<p>M. le président d'honneur appela l'attention de la commission sur les
+moyens à mettre en usage pour provoquer de nouvelles souscriptions. On
+arriva à l'examen de ce qui était relatif à la médaille: M. Michaut
+demanda<a name="page_297" id="page_297"></a> à contribuer à la dépense, lors même qu'on ne recueillerait pas
+les fonds nécessaires, La commission ajourna cette discussion à une
+époque plus opportune.<a name="page_298" id="page_298"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXVI" id="XXXVI"></a>XXXVI</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal
+de la statue de l'abbé de l'Épée.&mdash;Examen du bronze destiné à cette
+&oelig;uvre.&mdash;Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à
+l'achèvement des travaux.&mdash;Le conseil municipal en vote
+2,000.&mdash;Projet d'une plaque commémorative.&mdash;Inscription de la face
+principale du monument.&mdash;Travaux du fondeur surveillés par le
+statuaire.&mdash;Érection fixée au 8 septembre 1843.&mdash;Dernières
+dispositions.&mdash;Programme de la fête.&mdash;Décision du conseil
+municipal.&mdash;Je suis invité à adresser une allocution mimique aux
+sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.</p></div>
+
+<p>Le 6 février 1843, la commission des souscripteurs, reconnaissante de
+l'accueil bienveillant que le conseil municipal avait fait à ses projets
+en désignant un emplacement pour que la statue de l'illustre bienfaiteur
+de l'humanité restât perpétuellement exposée à la vénération publique
+dans sa ville natale, le pria d'accepter, au nom de cette ville, le don
+qu'elle lui faisait de la fidèle image du célèbre instituteur<a name="page_299" id="page_299"></a> des
+sourds-muets, en lui exposant que la seule charge qui pesait encore sur
+elle était la dépense relative à la construction du piédestal. Elle fit
+connaître, en outre, au conseil municipal qu'elle avait traité avec un
+fondeur, et donné l'ordre que la statue fût immédiatement coulée en
+bronze, pour lui être livrée le 15 avril 1843.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 19 juin, fut adressée à la commission une note de M. Berthier,
+inspecteur général des mines, ainsi qu'une lettre de M. l'inspecteur des
+mines de Seine-et-Oise, sur l'analyse de deux échantillons de bronze,
+envoyés au laboratoire des mines à Paris par M. le baron de Fresquienne.</p>
+
+<p>M. le maire de Versailles transmit, le 22 juillet, à la commission, la
+délibération du conseil municipal, en date du 6 février, dont la teneur
+suit:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>«M. le maire communique une lettre de la commission pour la statue
+de l'abbé de l'Épée, qui annonce l'achèvement de ce monument, et en
+fait l'offre à la ville, au nom des souscripteurs.</p>
+
+<p>«Dans un rapport, joint à la lettre de la commission, M. le
+secrétaire rend compte des corrections faites à la statue.</p>
+
+<p>«La commission a annexé aux pièces un état<a name="page_300" id="page_300"></a> de la situation
+financière de la souscription; de cet exposé il ressort un déficit
+de 2,700 fr.; cette somme est, à peu près, égale à celle qui figure
+au devis pour la construction du piédestal de la statue.</p>
+
+<p>«Plusieurs membres sont d'avis, les uns, de voter une somme de
+2,000 fr., les autres, de charger la ville de la construction du
+piédestal; ces deux opinions se réunissent dans la supposition que
+le rabais qui résultera de l'adjudication des travaux du piédestal
+réduira probablement cette dépense à 2,000 fr.</p>
+
+<p>«Le conseil décide que l'acceptation de la statue n'aura lieu
+qu'après son érection sur la place qu'elle doit occuper;</p>
+
+<p>«Que la construction du piédestal sera supportée par la
+souscription;</p>
+
+<p>«Que la ville souscrit pour une somme de 2,000 fr., au paiement de
+laquelle il sera pourvu dans la session de mai.»</p></div>
+
+<p>Dans la douzième séance de la commission des souscripteurs, du 1<sup>er</sup>
+août 1843, présidée par M. le préfet de Seine-et-Oise, il fut donné
+communication de deux rapports, l'un sur l'état de la souscription en
+général, l'autre sur celui de la souscription particulière de la ville,
+et il fut arrêté, 1º que l'on s'adresserait aux habitants notables, par
+le moyen de lettres et<a name="page_301" id="page_301"></a> par celui de visites, dont serait chargée une
+personne investie de la confiance de la commission; 2º que l'on
+s'adresserait à M. le Ministre de l'instruction publique, qui avait pris
+tant d'intérêt à l'érection de la statue; 3º que l'on ferait une
+démarche vis-à-vis de Messieurs les membres du conseil général du
+département, dont la session devait s'ouvrir le 21 août.</p>
+
+<p>D'autres rapports furent lus sur la qualité du bronze, sur les travaux
+du piédestal, etc., etc.</p>
+
+<p>Quant à la plaque commémorative, il fut arrêté qu'elle serait en cuivre,
+enfermée dans une boîte de chêne ou de plomb, et qu'elle porterait
+l'inscription suivante:<a name="page_302" id="page_302"></a></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="c"><b>AD. MAJ. GLOR. DEI.</b><br />
+&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;<br />
+Sous le Règne de LOUIS-PHILIPPE I<sup>er</sup>, Roi des Français,<br />
+<small>EN AOÛT</small> 1843,<br />
+Ce monument a été érigé par la reconnaissance publique<br />
+A LA MÉMOIRE DE<br />
+<b><big>CHARLES-MICHEL DE L'ÉPÉE,</big></b><br />
+Prêtre, premier Instituteur des Sourds-Muets,<br />
+<small>NÉ A VERSAILLES, LE 24 NOV. 1712, MORT A PARIS, LE 23 DÉCEM. 1789.</small><br />
+&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;<br />
+MONUMENT EXÉCUTÉ AVEC LES OFFRANDES DE LA VILLE<br />
+ET DES HABITANTS,<br />
+DES SOURDS-MUETS ET D'AUTRES PERSONNES,<br />
+
+Par les soins des Commissaires:<br />
+
+MM. AUBERNON, Pair et Préfet, Président d'honneur;</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary=""
+style="font-size: 90%;">
+<tr><td>REMILLY, Député et Maire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;LEBRUN;</td></tr>
+<tr><td>B<sup>on</sup> DE FRESQUIENNE, ex-Maire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;COUPIN DE LA COUPERIE;</td></tr>
+<tr><td>L'abbé CARON, Vice-Président;</td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;BOISSELLIER;</td></tr>
+<tr><td>DE S<small>TE</small>-JAMES GAUCOURS, S<sup>re</sup></td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;DOUCHAIN;</td></tr>
+<tr><td>BESNARD, Vice-Secrétaire;</td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;D<sup>r</sup> BATTAILLE;</td></tr>
+<tr><td>GAUGUIN, Trésorier;</td><td style="border-left:1px solid black;"> &nbsp;Feu le M<sup>is</sup> DE SÉMONVILLE, Pair;</td></tr>
+<tr><td>L<sup>t</sup>-G<sup>al</sup> V<sup>te</sup> WATHIEZ;</td><td rowspan="3" style="border-left:1px solid black;">Feu le Ch<sup>er</sup> DE JOUVENCEL,<br /> ex-Maire et ex-Député.</td></tr>
+<tr><td>B. DE MAUCHAMPS;</td></tr>
+<tr><td>TAPHINON;</td></tr>
+</table>
+
+<p class="c">
+Statuaire: MICHAUT, Graveur des monnaies;<br />
+Architecte: PARIS, Architecte de la ville;<br />
+Fondeur: SAINT-DENIS.<br />
+&mdash;&mdash;&mdash;<br />
+Épreuve de la planche, placée sous la première pierre du Monument.</p>
+
+<p class="r">G<small>ABRIEL</small> F., à Versailles.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p><a name="page_303" id="page_303"></a></p>
+
+<p>Il fut décidé, en outre, que cette plaque serait posée sans cérémonie,
+en présence du bureau, et que procès-verbal en serait dressé en double
+exemplaire, l'un pour être joint à la plaque, l'autre pour rester aux
+archives de la ville.&mdash;On n'y ajoutait point de monnaies de l'époque,
+suivant l'usage, à cause de l'exiguïté des ressources de la commission.</p>
+
+<p>On arrêta que l'on graverait en creux, sur la face principale du
+piédestal, l'inscription suivante:</p>
+
+<p class="c">L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br />
+NÉ A VERSAILLES,<br />
+LE XXIV NOV. MDCCXII.</p>
+
+<p>Relativement au jour de l'inauguration, la commission fut d'avis qu'il
+en serait référé à M. le maire et à M. le préfet, et qu'en tout cas,
+l'autorité municipale devrait prescrire ce qu'il y aurait à faire; mais
+on était d'avis que le dimanche 27 août serait le jour le plus opportun.</p>
+
+<p>Ce qui est relatif à la médaille, a été renvoyé à une époque plus
+éloignée, selon les ressources de la commission.</p>
+
+<p>M. Michaut fit, le 15 août 1843, un rapport par lequel il déclara que
+les conditions imposées par la commission du monument, d'après les
+articles du traité passé entre M. le baron de Fresquienne, président de
+la commission et<a name="page_304" id="page_304"></a> M. de Saint-Denis, étaient convenablement remplies par
+le fondeur, dont il avait suivi les travaux avec l'assiduité
+nécessaire.&mdash;Et que, quant à l'aplomb, on ne pourrait le juger que sur
+place.</p>
+
+<p>Sur l'invitation de M. le préfet de Seine-et-Oise, président d'honneur,
+la treizième séance de la commission eut lieu, le 26 août 1843, chez M.
+l'abbé Caron, vice-président.</p>
+
+<p>La commission, considérant que les travaux ne pouvaient être terminés
+pour le 27, rapporta la décision qu'elle avait prise précédemment, et
+décida qu'elle fixerait ultérieurement le jour de l'inauguration, quand
+elle aurait été éclairée par M. Paris sur l'époque de la clôture des
+travaux.</p>
+
+<p>Cet architecte, ayant été immédiatement introduit, exposa son avis sur
+l'exécution matérielle et la teneur de l'inscription. Chaque membre prit
+successivement part à la discussion. Après un long débat, la commission
+déclara choisir les lettres en bronze appliquées par des tenons scellés.
+Elle rapporta sa décision du 1<sup>er</sup> août, et arrêta que cette
+inscription, posée sur la face principale du monument, serait conçue en
+ces termes:</p>
+
+<p class="c">
+L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br />
+PREMIER INSTITUTEUR DES SOURDS-MUETS,<br />
+NÉ A VERSAILLES,<br />
+LE XXIV NOVEMBRE MDCCXII.</p>
+
+<p><a name="page_305" id="page_305"></a></p>
+
+<p>Puis, l'architecte ayant donné l'assurance que tous les travaux seraient
+terminés la semaine suivante, la commission décida qu'elle fixerait
+irrévocablement le jour de l'inauguration au dimanche 3 septembre, vers
+une heure de relevée.</p>
+
+<p>Après que M. Paris se fut retiré, M. Gabriel, graveur de la plaque, fut
+introduit, et il proposa d'en faire tirer des exemplaires. La commission
+arrêta qu'il en serait remis un à chaque souscripteur, et que les quatre
+sur papier porcelaine, qui avaient été apportés par M. Gabriel, seraient
+offerts, un au roi Louis-Philippe, souscripteur, par les soins de M. le
+préfet; un autre à M. le préfet lui-même, président d'honneur de la
+commission; le troisième à M. Remilly, maire de Versailles; et le
+quatrième à M. le baron de Fresquienne, président de la commission.</p>
+
+<p>L'ordre du jour appelait la délibération relative à l'inauguration de la
+statue. La commission décida ce qui suit:</p>
+
+<p>Le jour de l'arrivée de la statue, M. le maire serait prévenu que, le
+monument étant terminé, la commission proposait de fixer le jour de son
+inauguration au dimanche 3 septembre, à une heure; qu'elle l'en
+informait, en le priant d'inviter les autorités, et de vouloir bien
+prendre toutes les mesures de police qu'il croirait nécessaires,
+notamment pour empêcher la commission<a name="page_306" id="page_306"></a> et les souscripteurs d'être
+confondus avec la foule. Il fut arrêté que cette lettre à M. le maire
+serait présentée à l'approbation et à la signature de M. le préfet,
+président d'honneur. De plus, il fut décidé, à l'unanimité, que ledit
+président d'honneur serait invité, par la commission, à vouloir bien lui
+donner un dernier témoignage de sa haute bienveillance, en daignant être
+son interprète, le jour de l'inauguration, pour l'hommage à faire de la
+statue à la ville de Versailles.</p>
+
+<p>La commission arrêta, aussi, que MM. les souscripteurs, habitant Paris
+et Versailles, seraient invités à la cérémonie, de même que diverses
+personnes qui ont rendu différents services à la commission.</p>
+
+<p>Il fut enfin décidé qu'une notice sur la vie de l'abbé de l'Épée serait
+imprimée et distribuée aux souscripteurs; qu'elle serait lue le jour de
+l'inauguration, et qu'en conséquence, la cérémonie de l'inauguration
+devrait se composer: 1º de l'offre de la statue à la ville de
+Versailles; 2º de la réponse de M. le maire; 3º de la lecture de la
+notice.</p>
+
+<p>M. le maire, dans la séance extraordinaire du conseil municipal, du 2
+septembre, fit, au sujet de cette offre, un rapport dans lequel il
+rappela la délibération suivante du conseil municipal, après avoir
+entendu, le 8 novembre<a name="page_307" id="page_307"></a> 1841, celui de la commission qui avait été
+chargée de visiter le modèle de la statue de l'abbé de l'Épée:</p>
+
+<p>«L'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, d'après le modèle de M.
+Michaut, est autorisée: cette statue sera élevée sur le point de
+jonction des rues Royale et d'Anjou<a name="FNanchor_100_100" id="FNanchor_100_100"></a><a href="#Footnote_100_100" class="fnanchor">[100]</a>.»</p>
+
+<p>M. le maire s'empressa, sur la proposition de la commission du monument,
+de fixer au dimanche 3 septembre l'inauguration de la statue, dont elle
+devait renouveler solennellement, le même jour, l'offre à la ville, et
+lui annonça qu'il avait prescrit déjà toutes les mesures<a name="page_308" id="page_308"></a> de police qui
+lui paraissaient nécessaires pour maintenir le bon ordre pendant la
+cérémonie.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, m'écrivait, le
+2 septembre, de Versailles, en ces termes:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Le bureau de la commission, ayant connu hier soir, à sept heures, le
+programme de l'inauguration, s'est réuni chez M. l'abbé Caron, et a
+décidé, a l'unanimité, que M. Ferdinand Berthier serait prié de vouloir
+bien adresser une allocution <i>mimique</i> aux sourds-muets réunis au pied
+de la statue. Cette allocution devra durer de trois à quatre minutes au
+plus; on laisse à M. Berthier le soin d'exprimer à ses compagnons
+d'infortune la reconnaissance qui les anime pour l'abbé de l'Épée, leur
+bienfaiteur, et de leur témoigner que <i>la ville de Versailles</i> tient à
+honneur de perpétuer sa mémoire. Les sentiments de M. Berthier sont la
+garantie de l'éloquence de ses paroles.</p>
+
+<p>«Personnellement je prie M. Berthier de remettre au secrétaire, ou
+encore mieux au président, une note de son allocution, après l'avoir
+prononcée.</p>
+
+<p>«Si M. Berthier n'eût pas annoncé, par lettre, qu'il devait partir pour
+Lyon le 24 ou le 25, on<a name="page_309" id="page_309"></a> aurait pu convenir de ces faits beaucoup plus
+tôt.</p>
+
+<p>«Si, d'ailleurs, M. Berthier veut se rendre à <i>midi et demi précis</i> sur
+remplacement de la statue, il y trouvera la commission, dont les
+présidents lui communiqueront plus en détail leurs intentions.</p>
+
+<p>«J'ai à me féliciter d'être l'interprète de v&oelig;ux qui doivent
+sympathiser avec ceux de M. Berthier, et j'ai l'honneur d'être son
+très-humble et très-obéissant serviteur.»<a name="page_310" id="page_310"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXVII" id="XXXVII"></a>XXXVII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa
+ville natale.&mdash;Autorités, garde nationale, les sourds-muets de
+Paris et d'Orléans.&mdash;Désintéressement du chemin de fer.&mdash;Absence
+regrettable du clergé.&mdash;Nombreuse affluence de
+spectateurs.&mdash;Discours du préfet, au nom de la commission des
+souscripteurs. Réponse du maire.&mdash;Notice sur la vie et les travaux
+de l'abbé de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la
+commission du monument.&mdash;Mon allocution mimique.&mdash;Salves
+d'artillerie.&mdash;Absence du vénérable Paulmier.&mdash;Discours qu'il
+devait prononcer.</p></div>
+
+<p class="figcenter">
+<a href="images/ill_311.jpg">
+<img src="images/ill_311_sml.jpg" width="282" height="550" alt="Statue de l&#39;abbé de l&#39;Épée, à Versailles.
+
+Par M. MICHAUT (Des Monnoies)." title="" /></a>
+</p>
+
+<p>Le dimanche 3 septembre 1843, à midi et demi, au point de jonction des
+rues Royale et d'Anjou, la statue de l'abbé de l'Épée s'élevait sur un
+piédestal, couverte d'un voile. Une enceinte avait été réservée tout
+autour, par les soins de l'administration municipale; des piquets de
+garde nationale formaient la haie; aux deux côtés du monument se
+tenaient des sourds-muets de tout âge, de tout sexe, de toute<a name="page_311" id="page_311"></a>
+condition, les élèves de l'Institution de Paris, parmi lesquels on
+remarquait leurs jeunes frères d'Orléans, que l'administration du chemin
+de fer s'était empressée de faire transporter gratuitement, sous la
+conduite de leur respectable aumônier, M. l'abbé Bouchet. A une heure,
+la commission, précédée de son président d'honneur, M. Aubernon, pair de
+France et préfet de Seine-et-Oise, prit place sur la face principale du
+monument, ainsi que le corps municipal, en présence des autorités (moins
+le clergé<a name="FNanchor_101_101" id="FNanchor_101_101"></a><a href="#Footnote_101_101" class="fnanchor">[101]</a>), des souscripteurs, et d'une immense affluence; là, aux
+applaudissements répétés de tous les spectateurs, M. le préfet, ayant
+donné l'ordre d'enlever le voile qui couvrait la statue, l'offrit à la
+ville dans les termes suivants:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>
+«M<small>ONSIEUR LE MAIRE,</small><br />
+</p>
+
+<p>«La statue de l'abbé de l'Épée s'offre aux regards de la foule qui
+nous environne, et je suis chargé, par la commission de
+souscription, d'en faire hommage à la ville de Versailles,
+représentée par son corps municipal.<a name="page_312" id="page_312"></a></p>
+
+<p>«Le zèle des souscripteurs, dans cette &oelig;uvre de reconnaissance,
+a été soutenu par l'appui du roi, par le concours du corps
+municipal lui-même, par l'honorable désintéressement de l'artiste,
+par l'assentiment de la ville entière où l'abbé de l'Épée a reçu le
+jour.</p>
+
+<p>«Versailles doit, en effet, ressentir un juste orgueil d'avoir vu
+naître le premier instituteur des sourds-muets, le prêtre vénérable
+qui, animé par la piété et la charité, a su trouver, dans les
+inspirations de son génie bienfaisant, le secret de leur rendre la
+parole et l'ouïe, de les initier aux vérités de la religion et de
+toutes les connaissances humaines, et de leur donner, pour ainsi
+dire, une seconde vie, la vie véritable, celle de la foi, de la
+morale, de l'intelligence et de la raison.</p>
+
+<p>«Cette belle cité, si remplie de mémorables monuments et de grands
+souvenirs, sera satisfaite de voir élever la statue de l'abbé de
+l'Épée non loin de celle qu'elle a dédiée au général Hoche; elle
+s'associera aux sentiments qui nous animent, et elle pensera, comme
+nous, que la gloire et la reconnaissance qui perpétuent le souvenir
+du guerrier défenseur de la patrie, doivent être aussi le partage
+du bienfaiteur du pauvre et de l'humanité.»</p></div>
+
+<p>M. Remilly, maire de Versailles, membre<a name="page_313" id="page_313"></a> de la Chambre des députés, a
+répondu ainsi:</p>
+
+<div class="blockquot2"><p>«Oui, Monsieur le préfet, Versailles doit ressentir un juste
+orgueil.</p>
+
+<p>«Un homme d'un sublime et, cependant, modeste génie, un homme dans
+l'âme duquel Dieu plaça ce foyer d'ardente charité dont il anime
+ceux qui sont destinés par lui à soulager l'humanité souffrante,
+naquit dans cette ville. La sollicitude divine qui, à côté des plus
+grands maux, place toujours quelque heureux allégement, confia une
+auguste mission à notre concitoyen: il devait créer la vie
+intellectuelle et morale chez une partie de ses semblables qui en
+était déshéritée.&mdash;Ses veilles laborieuses, toute sa vie furent
+consacrées à cette grande entreprise, et il put, enfin, suppléer
+aux organes de ces malheureux, privés des moyens de communiquer
+leurs pensées au moyen des mots, et, par suite, privés, en quelque
+sorte, de toutes pensées. Son intelligence supérieure et
+observatrice, scrutant, approfondissant la pensée, l'intelligence
+humaine, rendit, sous une autre forme, à des frères infortunés, la
+faculté qui leur avait été refusée; et en leur donnant la langue
+intelligente des signes, l'usage de ce langage expressif et fécond,
+il fit participer ces pauvres parias de la nature aux bienfaits de
+l'éducation, les aida à cultiver leur intelligence,<a name="page_314" id="page_314"></a> éveilla dans
+leurs âmes les idées endormies, étouffées sous une infirmité
+horrible: noble tâche! dont le but fut atteint par cet homme, à
+l'âme haute et sainte, à laquelle le bien accompli semblait si
+naturel, qu'il ne croyait pas qu'on dût jamais lui en tenir compte.</p>
+
+<p>«Oui, Monsieur le préfet, heureuse et fière de l'avoir vu naître
+dans son sein, la ville de Versailles, par l'intermédiaire de son
+corps municipal, accepte la statue de l'un de ses plus illustres
+enfants, de l'un des plus sublimes bienfaiteurs de l'humanité, de
+l'abbé de l'Épée!</p>
+
+<p>«Honneur à ceux qui ont voulu cette exaltation publique, si
+justement méritée! qui ont provoqué avec une louable persévérance
+la sympathie des nobles c&oelig;urs pour un génie vertueux et modeste!
+Honneur à l'artiste désintéressé qui a su le faire revivre parmi
+nous, qui a voulu faire descendre dans son &oelig;uvre, dans ce
+bronze, la bienfaisante et grande pensée qui animait ce génie
+durant sa vie de vertu et d'abnégation!</p>
+
+<p>«Je suis heureux, Monsieur le préfet, d'être l'interprète des
+sentiments de gratitude de la ville envers tous ceux qui ont voulu
+exposer à la vénération publique l'image du vertueux abbé de
+l'Épée, en rappelant le souvenir de<a name="page_315" id="page_315"></a> ses utiles travaux, de son
+dévouement sans bornes à l'humanité, que cette image inspire à
+d'autres, en même temps que le noble désir de s'élever comme lui,
+la volonté de faire servir leur génie au bonheur de leurs
+semblables, à l'exemple des nobles et saints travaux qui
+immortalisent notre grand concitoyen.»</p></div>
+
+<p>M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission, lut une notice
+biographique sur l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>Je vins, à mon tour, payer un tribut de reconnaissance à la mémoire de
+l'illustre instituteur de mes frères, et je mimai le discours suivant:</p>
+
+<div class="blockquot2">
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«F<small>RÈRES ET S&OElig;URS!</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«Dans une circonstance solennelle, qui rappelle tant de souvenirs
+glorieux, il était naturel que l'éloge du grand homme que nous célébrons
+sortît, d'abord, de la bouche éloquente d'un de ses concitoyens, d'un
+habitant respectable de cette ville, qui a le droit d'être fière de
+l'avoir vu naître. A la mimique maintenant son tour! Place à cet
+admirable langage qu'il nous a révélé! D'autres ont charmé les oreilles
+attentives; qu'il nous soit permis de nous faire entendre aussi des yeux
+impatients!</p>
+
+<p>«O image si justement vénérée de notre père spirituel, souris à la naïve
+énergie de nos<a name="page_316" id="page_316"></a> sentiments exprimés dans une langue qui est notre
+patrimoine à nous, que Dieu, à l'heure de la création, dispensa
+également à tous les hommes; que, le premier après Dieu, tu soumis au
+frein de l'intelligence humaine, et qui, plus tard, s'est posée en
+égale, au moins, de la parole dans tous les genres, secouant les vieux
+oripeaux dont l'avait affublée l'ignorance, et reprenant sa robe blanche
+de néophyte pour saluer ton ombre en ce jour solennel.</p>
+
+<p>«Mais quel spectacle a frappé mes regards étonnés, attendris? D'où
+viennent les flots d'admiration qui se pressent autour de vous, pauvres
+enfants que la nature a traités en marâtre? Pourquoi tous ces rangs
+divers, confondus en un seul et même sentiment sur cette place publique
+de la cité royale? Ah! je le vois, mes frères, mes s&oelig;urs en Dieu,
+vous venez expier ici, à la face du Très-Haut, de funestes erreurs qui
+ont trop longtemps voilé la terre. Vous venez, vous, les heureux de la
+création, proclamer, dans cette enceinte, trop souvent souillée par la
+flatterie, que tous les hommes sont vos frères, sont vos égaux, et que,
+quelles que soient les épreuves que le ciel leur envoie, ils n'en sont
+pas moins les fils du même Dieu. Reportons toute la gloire de ces aveux
+publics à l'objet si cher de nos hommages! Oh! comme nous le contemplons
+religieusement! Quel<a name="page_317" id="page_317"></a> langage parlent à nos regards ce geste expressif,
+cette attitude pleine de majesté, ce front large et haut, tout sillonné
+par l'étude. Allez, nous dit notre Rédempteur, allez, mes disciples
+bien-aimés, par toute la terre» instruire vos frères et vos s&oelig;urs
+d'infortune, les éclairer, comme je vous ai éclairés, et féconder dans
+leurs c&oelig;urs, dans leurs esprits, les heureuses semences que j'ai fait
+fructifier dans les vôtres. Allez! ne redoutez pas la fatigue et les
+ronces du chemin, et que Dieu vous conduise!</p>
+
+<p>«Frères et s&oelig;urs! non, certainement, vous ne faillirez pas à cette
+mission sainte. Vous l'avez promis, promettez-le encore devant ce
+bronze, pour nous si palpitant de souvenirs!</p>
+
+<p>«Avec moi, remerciez aussi l'artiste, si bien inspiré, qui a rendu notre
+Messie à notre adoration, qui a buriné la pensée dont il était animé, en
+caractères ineffaçables!</p>
+
+<p>«Grâces aussi, grâces, mille fois, à la commission, si digne de mener à
+bonne fin cette &oelig;uvre de réparation qu'attendait la mémoire d'un des
+plus grands hommes de notre belle France, si féconde en grands hommes,
+qu'attendait Versailles, fière, dans la postérité la plus reculée, de
+l'avoir vu naître dans ses murs!»<a name="page_318" id="page_318"></a></p></div>
+
+<p>M. Eugène Garay de Monglave, ancien membre de la commission consultative
+de l'Institution des sourds-muets de Paris, traduisit aussitôt
+verbalement mon discours avec une grande énergie et une vive
+sensibilité.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>M. le président annonça, à une heure trois quarts, la fin de la
+cérémonie, pendant que des salves d'artillerie apprenaient au monde que
+la ville de Versailles venait de consacrer un monument digne de ses
+immortels travaux à l'impérissable mémoire de l'un de ses plus illustres
+enfants.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Lors de l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, l'absence du
+vénérable Paulmier, professeur émérite parlant de l'Institution des
+sourds-muets de Paris, avait été remarquée; cette absence avait pour
+cause une indisposition grave qui le retenait à l'École. On n'avait eu
+garde de l'oublier dans les invitations faites pour cette cérémonie, où
+sa place était marquée en sa qualité de vétéran de la science mimique.
+Une lettre particulière lui avait été exactement adressée par le
+président et le secrétaire de la commission.</p>
+
+<p>Voici le discours que l'honorable instituteur devait prononcer au pied
+de la statue:</p>
+
+<p>«Nul n'est plus digne d'aussi solennels hommages<a name="page_319" id="page_319"></a> que l'immortel abbé de
+l'Épée: autant l'âme est au-dessus du corps, autant son &oelig;uvre est
+au-dessus des jeux de l'esprit et de toutes les imitations et fictions
+des arts. O belle et sublime conception que celle qui crée, pour ainsi
+dire, l'âme d'un sourd-muet! Le statuaire, avec son ciseau, travaille la
+pierre, et parvient, à force de tourmenter un bloc de marbre, à faire,
+en quelque sorte, mouvoir la matière; l'instituteur éveille l'âme,
+développe l'entendement, rend la parole à un muet, fait jaillir la
+pensée de son cerveau presque inanimé, et lui apprend à s'exprimer avec
+autant de pureté, d'élégance et de force, que l'écrivain le plus
+éloquent.</p>
+
+<p>«Qu'on ne croie pas que cette noble et singulière occupation soit
+bornée; elle tient aux beaux-arts et à la pantomime de la scène par le
+langage d'action. La logique et la grammaire, qui sont les yeux du
+discours, comme la géographie et la chronologie sont ceux de l'histoire,
+introduisent le sourd-muet dans le sanctuaire des sciences; les mots
+appelés <i>pronoms</i> par les grammairiens désignent les relations
+personnelles, découvrent le principe du drame, et conduisent
+naturellement aux premiers éléments de l'ordre social.</p>
+
+<p>«Si l'on parcourt, d'un coup d'&oelig;il, le siècle qui vient de s'écouler,
+on ne trouve pas d'invention<a name="page_320" id="page_320"></a> plus utile à l'humanité. Sans doute,
+durant cette période de gloire, plusieurs beaux génies ont jeté un vif
+éclat sur la philosophie et les lettres: l'un surprend, éclaire, éblouit
+par la variété et la prodigieuse fécondité de son rare talent<a name="FNanchor_102_102" id="FNanchor_102_102"></a><a href="#Footnote_102_102" class="fnanchor">[102]</a>;
+l'autre, doué de la plus profonde sensibilité<a name="FNanchor_103_103" id="FNanchor_103_103"></a><a href="#Footnote_103_103" class="fnanchor">[103]</a> et d'une éloquence
+mâle et persuasive, défend victorieusement la liberté de l'homme et des
+peuples, en même temps qu'il trace les devoirs des mères, des
+précepteurs de l'enfance et de la jeunesse; celui-ci, chargé d'une haute
+magistrature, occupé par état de faire exécuter les lois, médite toute
+sa vie sur l'objet de ses devoirs, et lègue aux hommes, comme fruit de
+ses veilles, l'<i>Esprit des lois</i><a name="FNanchor_104_104" id="FNanchor_104_104"></a><a href="#Footnote_104_104" class="fnanchor">[104]</a>: toutefois, aucun de ces grands
+hommes, par le noble cachet de son invention, ne s'est placé au-dessus
+du fondateur de l'Institution des sourds-muets de naissance, dont le
+génie, par sa douce influence, semble un astre nouveau, se levant pour
+féconder, éclairer une tête qui paraissait frappée de stérilité et
+abandonnée de la nature entière: c'est plus que l'humanité, c'est une
+inspiration divine qui lui fit concevoir la première idée de cette
+céleste invention; c'est le désir de faire naître<a name="page_321" id="page_321"></a> Jésus-Christ dans le
+c&oelig;ur de tant d'infortunés, et de les initier aux mystères de cette
+religion sainte, qui embrasa le c&oelig;ur de l'abbé de l'Épée et de son
+digne continuateur, l'abbé Sicard, dont, jusqu'à mon dernier soupir, je
+m'honorerai d'avoir été l'humble élève.»<a name="page_322" id="page_322"></a></p>
+
+<h3><a name="XXXVIII" id="XXXVIII"></a>XXXVIII</h3>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang">Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la
+statue de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du
+sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.&mdash;Le
+conseil municipal autorise le maire à accepter le monument, et
+adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs et au
+statuaire.&mdash;La commission sollicite en vain de M. le Ministre de
+l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière
+subvention pour solder ses comptes.&mdash;Relevé définitif des recettes
+et dépenses.&mdash;Tribut de regret de la commission à quatre de ses
+membres décédés.&mdash;Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.&mdash;Elle
+décerne une médaille au statuaire Michaut.&mdash;Désir des souscripteurs
+sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les journaux, afin de
+constater leur reconnaissance pour l'abbé de l'Épée. La commission
+ne peut que faire lithographier des listes générales.&mdash;Conclusion:
+sept v&oelig;ux émis; trois encore à exaucer, une statue dans
+l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets; deux
+inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit, à
+Versailles; l'autre, sur la maison modeste où il commença à
+enseigner, à Paris.</p></div>
+
+<p>A l'occasion de l'inauguration de la statue, plusieurs pièces de vers,
+plus remarquables, en général, sous le rapport de l'intention que sous
+celui du talent, parurent dans les journaux de Seine-et-Oise.<a name="page_323" id="page_323"></a></p>
+
+<p>Notre poëte sourd-muet, Pélissier<a name="FNanchor_105_105" id="FNanchor_105_105"></a><a href="#Footnote_105_105" class="fnanchor">[105]</a>, voulut chanter, à son tour, cet
+envoyé du ciel, et, plus heureux, il réussit à le faire dans la
+véritable langue des dieux.</p>
+
+<p>Ses vers ont pour épigraphe cette pensée d'un de nos frères:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Élever des statues aux grands hommes, c'est léguer
+à la postérité de sublimes leçons.</p>
+
+<p class="r">A. L<small>ENOIR.</small></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Il est de certains noms consacrés par la gloire,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ainsi que ces feux purs qui scintillent aux cieux,</td></tr>
+<tr><td align="left">Astres éblouissants qu'aux pages de l'histoire</td></tr>
+<tr><td align="left">Les siècles font éclore en jalons lumineux.</td></tr>
+<tr><td align="left">L'esprit de l'Évangile, en dépit de l'envie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Fait rayonner leur front d'un éclat souverain,</td></tr>
+<tr><td align="left">Et l'artiste leur doit une seconde vie</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp; &nbsp; &nbsp;Dans le granit ou dans l'airain.</td></tr>
+</table>
+
+<p>M. le préfet, président d'honneur de la commission, adressa, le 16
+septembre, à M. le baron de Fresquienne, expédition d'une délibération
+par laquelle le conseil municipal de Versailles autorisait M. le maire à
+accepter l'hommage fait à la ville du monument de l'abbé de l'Épée. Dans
+cette même délibération,<a name="page_324" id="page_324"></a> le conseil municipal votait des remercîments
+aux commissaires, aux souscripteurs et à l'artiste désintéressé, auteur
+de la statue.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>M. le préfet transmit, le 30 avril 1844, à M. le Ministre de
+l'intérieur, la demande formée par les membres de la commission, à
+l'effet d'obtenir une nouvelle subvention de 1,800 francs, pour
+acquitter la somme restant à payer aux entrepreneurs qui ont contribué à
+la construction et à l'érection du monument. Malgré la recommandation et
+les démarches personnelles de ce fonctionnaire, M. le Ministre ne put
+accueillir favorablement cette pétition, et voici en quels termes il
+l'en informa:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«J'aurais voulu, Monsieur le préfet, qu'il me fût possible de donner
+suite à votre demande, mais l'état des fonds dont je dispose pour
+encouragement aux beaux-arts ne m'en offre pas les moyens. Je vous en
+témoigne tous mes regrets.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Le 25 juin 1845, les membres composant la commission ouvraient leur
+quatorzième et dernière séance chez M. le baron de Fresquienne, pour
+procéder à la clôture définitive de leurs opérations.<a name="page_325" id="page_325"></a></p>
+
+<p>Lecture fut faite d'un rapport divisé en cinq paragraphes:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>1º Compte-rendu des opérations depuis la première séance jusqu'au jour
+de l'inauguration;</p>
+
+<p>2º Procès-verbal de la séance d'inauguration;</p>
+
+<p>3º Compte-rendu des travaux jusqu'à ce jour, 25 juin 1845;</p>
+
+<p>4º Examen des comptes de M. le trésorier, et rapport;</p>
+
+<p>5º Inventaire des pièces écrites et imprimées de la commission.<a name="page_326" id="page_326"></a></p>
+
+<table border="0" cellpadding="1" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center" colspan="5">COMPTES DE M. LE TRÉSORIER,</td></tr>
+
+<tr><td colspan="4" align="center"><i>Recettes.</i></td></tr>
+<tr><td>1º Subvention du Ministre de l'intérieur.</td><td align="right">3,000</td><td align="right">f.</td><td align="center">»</td><td align="right">c.</td></tr>
+
+<tr><td>2º Souscription du roi.</td><td align="right">300</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>3º Souscription de la ville de Versailles.</td><td align="right">2,000</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>4º Souscriptions particulières.</td><td align="right">6,499</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>5º Intérêts de fonds libres placés<br />
+&nbsp; &nbsp; momentanément chez M. le receveur<br />
+&nbsp; &nbsp; général.</td><td align="right">208</td><td>&nbsp;</td><td align="right">40</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>6º Allocation de la ville de Versailles<br />
+&nbsp; &nbsp; pour solder les travaux.</td><td align="right">1,805</td><td>&nbsp;</td><td align="right">47</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="center">Total.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">13,812</td><td align="right" style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="right" style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">87</td><td align="right">c.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td colspan="4" align="center"><i>Dépenses.</i></td></tr>
+<tr><td>1º Acquisition de registres et autres<br />
+&nbsp; &nbsp; menues dépenses.</td><td align="right">11</td><td align="right">f. </td><td align="right"></td><td align="right">c.</td></tr>
+<tr><td>2º Frais d'un modèle en bois, et<br />
+&nbsp; &nbsp; papier.</td><td align="right">27</td><td>&nbsp;</td><td align="right">50</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>3º Frais d'impressions diverses.</td><td align="right">1,099</td><td>&nbsp;</td><td align="right">50</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>4º Affranchissements et ports de<br />
+&nbsp; &nbsp; lettres</td><td align="right">531</td><td>&nbsp;</td><td align="right">45</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="center"><a name="page_327" id="page_327"></a>Transport.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">1,669</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">55</td><td align="right">c.</td></tr>
+<tr><td>5º Remboursement à M. Michaut<br />
+&nbsp; &nbsp; des déboursés du modèle de la<br />
+&nbsp; &nbsp; statue et de son transport à<br />
+&nbsp; &nbsp; l'Institution des sourds-muets,<br />
+&nbsp; &nbsp; où elle a été exposée.</td><td align="right">1,270</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>6º Prix du bronze et de la fonte<br />
+&nbsp; &nbsp; de la statue payé à M. Saint-Denis.</td><td align="right">6,000</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>7º Acquisition et frais de transport<br />
+&nbsp; &nbsp; du granit de Soignies, pour le<br />
+&nbsp; &nbsp; piédestal, et frais accessoires.</td><td align="right">1,462</td><td>&nbsp;</td><td align="right">96</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>8º Prix de la grille d'entourage<br />
+&nbsp; &nbsp; en fonte.</td><td align="right">993</td><td>&nbsp;</td><td align="right">80</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>9º Écritures diverses payées au<br />
+&nbsp; &nbsp; sieur G..., et à d'autres personnes<br />
+&nbsp; &nbsp; employées par M. de Sainte-James.</td><td align="right">155</td><td>&nbsp;</td><td align="right">05</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>10º Gravure d'une planche en cuivre<br />
+&nbsp; &nbsp; placée sous le piédestal,<br />
+&nbsp; &nbsp; payée à M. Gabriel Cerf.</td><td align="right">77</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="center">»</td></tr>
+<tr><td>11º Travaux d'établissement de la<br />
+&nbsp; &nbsp; statue, du piédestal, et accessoires<br />
+&nbsp; &nbsp; payés aux divers entrepreneurs.</td><td align="right">2,182</td><td>&nbsp;</td><td align="right">51</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="center">Total.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">13,810</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">87</td><td align="right">c.</td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td colspan="4" align="center"><a name="page_328" id="page_328"></a><i>Balance.</i></td></tr>
+<tr><td>La recette s'élève à</td><td align="right">13,812</td><td align="right">f.</td><td align="right">87</td><td align="right">c.</td></tr>
+<tr><td>La dépense à</td><td align="right">13,810</td><td>&nbsp;</td><td align="right">87</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Par conséquent, le trésorier<br />
+&nbsp; &nbsp; est reliquataire de</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">2</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">f.</td><td align="center"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">»</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 3px black;">&nbsp;</td></tr>
+</table>
+
+<p>Quant à l'engagement pris de publier l'état des recettes et dépenses
+dans les trois mois de la clôture des travaux,</p>
+
+<p>Attendu qu'il a été impossible de pourvoir plus tôt à cette obligation;
+que, d'un autre côté, la publication serait suffisante si elle était
+faite dans les journaux du département,</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>La commission arrête ce qui suit:</p>
+
+<p>Il sera fait une seule publication dans l'un des journaux qui paraissent
+à Versailles; elle sera ainsi conçue:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«La commission des souscripteurs au monument de l'abbé de l'Épée, en
+terminant ses travaux, a arrêté le chiffre de ses recettes et de ses
+dépenses dans sa dernière séance du 25 juin, et, afin de se montrer
+fidèle à l'engagement qu'elle a pris dans ses prospectus, elle a fait la
+déclaration qui précède.»<a name="page_329" id="page_329"></a></p>
+
+<p>L'excédant en recette de 2 francs fut versé à la caisse du bureau de
+bienfaisance.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>La commission, en se séparant, crut devoir exprimer les vifs regrets
+qu'elle avait éprouvés de ce que quatre de ses membres les plus
+distingués, dont elle avait été à même d'apprécier le zèle et les
+lumières, n'avaient pu assister au terme de ses travaux.</p>
+
+<p>La mémoire du marquis de Sémonville et du chevalier de Jouvencel, et les
+souvenirs si rapprochés encore de MM. Taphinon et Douchain, lui étaient
+précieux, et l'on savait combien leur concours avait été généreux et
+utile.</p>
+
+<p>La commission voulut aussi témoigner sa vive reconnaissance à M.
+Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, qui, en acceptant le titre de
+président d'honneur, avait facilité l'accomplissement de ses travaux.</p>
+
+<p>Heureuse et flattée de son bienveillant patronage, elle aimait à
+renouveler à ce digne magistrat l'expression de sa profonde gratitude.</p>
+
+<p>Après avoir pris l'avis de ses collègues, M. le président déclara les
+travaux terminés et la commission dissoute.<a name="page_330" id="page_330"></a></p>
+
+<p class="c"><br />EXTRAIT DU COMPTE-RENDU DES OPÉRATIONS DU BUREAU<br />
+DEPUIS L'INAUGURATION.</p>
+
+<p>«Le conseil municipal, sur la proposition d'un de ses membres, étranger
+à la commission, a décerné, en 1843, à M. Michaut, notre statuaire, une
+médaille comme témoignage de sa reconnaissance pour son zèle
+désintéressé. Ce don, modeste en apparence, vous paraîtra néanmoins
+précieux, et honorer autant l'artiste qui s'en est rendu digne que le
+corps qui le lui a décerné.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Les sourds-muets souscripteurs du monument avaient exprimé le v&oelig;u que
+leurs noms fussent publiés dans les journaux. Ce n'était pas orgueil de
+leur part, c'était le besoin impérieux de prouver à leurs frères, à
+leurs parents, à leurs amis, qu'ils avaient répondu, comme c'était, pour
+eux, un devoir, à l'appel d'une légitime reconnaissance. Certainement le
+plus vif désir de la commission Versaillaise eût été de se rendre à leur
+juste empressement; mais elle recula devant les dépenses auxquelles cet
+objet l'aurait entraînée. Il eût fallu payer les frais d'insertion 50
+centimes la ligne, et il en aurait coûté 200 francs, au moins, pour
+obtenir cette publicité dans un seul grand journal de Paris; de plus, on
+eût dû envoyer un exemplaire<a name="page_331" id="page_331"></a> de cette liste à chaque sourd-muet
+souscripteur. C'était, à 20 centimes l'un, 16 francs encore! non compris
+ceux qui avaient souscrit collectivement. La commission pensa qu'il
+valait mieux faire lithographier des listes de tous les souscripteurs,
+sans exception, lesquelles leur seraient distribuées, et permettraient
+d'en reproduire d'autres dans la suite. Ces listes, d'accord avec les
+quittances individuelles, appartiennent à chaque souscripteur, pour qui
+elles constituent comme un titre personnel<a name="FNanchor_106_106" id="FNanchor_106_106"></a><a href="#Footnote_106_106" class="fnanchor">[106]</a>.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Sur les sept v&oelig;ux émis dans cet ouvrage, quatre seulement sont
+exaucés:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Un monument s'élève dans l'église Saint-Roch, à Paris, près de l'autel
+où l'abbé de l'Épée célébrait la sainte messe, sur l'emplacement même où
+reposent ses dépouilles mortelles.</p>
+
+<p>Sa statue orne le fronton de l'Hôtel de Ville de la capitale de la
+France.</p>
+
+<p>Une autre statue du saint Vincent de Paule de nos frères d'infortune
+décore une des places de Versailles, sa patrie.</p>
+
+<p>Son portrait a été inauguré au Musée national de cette ville.</p>
+
+<p>Mais le berceau de son admirable création, mais l'Institution nationale
+des sourds-muets<a name="page_332" id="page_332"></a> de Paris, attend encore sa statue, qui lui a été
+promise.</p>
+
+<p>Mais rien ne signale même au respect public la maison modeste où il
+naquit à Versailles, la maison modeste où il commença à enseigner à
+Paris.</p>
+
+<p>Paris, Versailles, la France, le monde entier, acquitteront-ils donc
+enfin ces trois dernières dettes de reconnaissance?</p>
+
+<p>En douter un instant serait leur faire injure.</p>
+
+<p>Nous attendons avec une pleine confiance la réalisation prochaine de nos
+trois derniers v&oelig;ux.</p>
+
+<p>
+<br />
+<br />
+</p>
+
+<p class="c"><a name="page_333" id="page_333"></a>FIN.</p>
+
+<h3><a name="NOTES" id="NOTES"></a>NOTES.</h3>
+
+<p><a name="page_334" id="page_334"></a></p>
+
+<p><a name="page_335" id="page_335"></a></p>
+
+<p>(<a name="A" id="A"></a>A) L'orthographe du nom de l'abbé de l'Épée a été l'objet d'une
+discussion intéressante, à l'époque où l'on s'occupait de l'érection de
+sa statue à Versailles.</p>
+
+<p><i>Lespée</i>, c'est ainsi que ce nom est signé par son père dans l'extrait
+du registre de 1712 des actes de l'état civil de la ville de Versailles,
+que nous rapportons textuellement plus bas. <i>Lespée</i>, c'est ainsi qu'il
+est écrit encore au frontispice <i>d'un petit livre pour étudier les
+règles du jeu de trictrac</i>, qui porte le millésime de 1698, et qu'une
+des nièces du célèbre instituteur, madame la comtesse de Courcel, a bien
+voulu me communiquer il y a onze ou douze ans. Mais à cette orthographe
+nous opposons, non-seulement celle de la signature qu'on lit au bas
+d'une lettre autographe par lui adressée à l'abbé Salvan, son élève, et,
+comme lui, instituteur des sourds-muets, mais encore celle du nom de <i>de
+l'Épée</i> retrouvé sur un livre dont il fit don à <i>Anne-Catherine
+Dessales, sourde-muette, pour récompense de la science dont elle avait
+donné des preuves dont un exercice public à Paris, le 8 août 1779</i>.</p>
+
+<p>D'ailleurs, n'avons-nous pas plus d'un exemple de ces altérations
+d'orthographe?</p>
+
+<p>L'empereur Napoléon, qui s'appelait d'abord <i>Buonaparte</i> (un nom
+italien), ne signa-t-il pas <i>Bonaparte</i> dès qu'il se vit investi du
+commandement de l'armée d'Italie?</p>
+
+<p>A la vue de la noble particule, précédant le nom de notre héros
+pacifique, quelqu'un osera-t-il accuser sa vanité? Mais qui donc ignore
+que son humilité était devenue proverbiale?<a name="page_336" id="page_336"></a></p>
+
+<p class="c">(3<sup>e</sup> Arrondissement de Seine-et-Oise. )<br />
+<br />
+MAIRIE DE VERSAILLES.<br />
+<br />
+<i>Extrait du registre des actes de naissance de la ville de<br />
+Versailles, pour l'année</i> 1712.
+</p>
+
+<p>L'an mil sept cent douze, le vingt-six novembre, a été baptisé
+<i>Charles-Michel</i> né avant-hier, fils de Charles-François Lespée, expert
+ordinaire des bâtiments du roi, et de Françoise-Marguerite Varignon, son
+épouse, de cette paroisse. Le parrain a été Michel Varignon, oncle
+maternel; la marraine, Catherine Portier, veuve de Thomas Valleran,
+entrepreneur des bâtiments du roi, qui ont signé avec le père présent.</p>
+
+<p>Signé: Michel Varignon, Catherine Portier, Lespée et Blaise, prêtre.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="B" id="B"></a>B) Voici une note, concernant les formulaires, que nous devons à
+l'obligeance d'un de nos amis, M. Dupoux:</p>
+
+<p>«Deux formulaires, ou actes d'adhésion, furent imposés aux catholiques,
+à l'occasion des disputes sur le jansénisme.</p>
+
+<p>«Voici la traduction du premier, arrêté par l'Assemblée du clergé, en
+1656, et sanctionné par une bulle d'Alexandre VII, du 16 octobre de la
+même année:</p>
+
+<p>«Je me soumets entièrement à la Constitution de notre Saint Père le pape
+Innocent X, du 31 mai 1653, selon son véritable sens, expliqué par
+l'Assemblée de Messeigneurs les prélats de France, du 28 mars 1654, et
+confirmée, depuis, par le bref de Sa Sainteté, du 29 septembre de la
+même année. Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d'obéir à
+cette Constitution, et je condamne, de c&oelig;ur et de bouche, la doctrine
+des cinq propositions de Cornélius Jansenius, contenues dans son livre,
+intitulé <i>Augustinius</i>, que le pape et les évêques ont condamnées,
+laquelle doctrine n'est point celle de saint Augustin, que Jansenius a
+mal expliquée contre le vrai sens du saint docteur.»</p>
+
+<p>«La signature pure et simple de ce premier formulaire fut<a name="page_337" id="page_337"></a> ordonnée par
+l'Assemblée du clergé de 1660, et rendue obligatoire comme loi de l'État
+par une déclaration royale du 20 avril 1664.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«Voici maintenant la traduction du second formulaire, appelé le
+<i>formulaire d'Alexandre VII</i>, parce qu'il fut imposé par ce souverain
+pontife, et inséré dans sa bulle du 15 février 1665.</p>
+
+<p>«Je me soumets à la Constitution apostolique d'Innocent X, du 3 mai
+1653, et à celle d'Alexandre VII, du 16 octobre 1656; et je rejette et
+condamne sincèrement les cinq propositions extraites du livre de
+Cornelius Jansenius, intitulé <i>Augustinus</i>, et dans le sens du même
+auteur, comme le Saint-Siége apostolique les a condamnées par les
+susdites Constitutions. C'est ce que j'assure: ainsi Dieu m'aide et les
+saints Évangiles!»</p>
+
+<p>«Une déclaration du roi, promulguée le 25 avril 1666, ordonna à tous les
+archevêques et évêques du royaume de signer ou de faire signer ce
+formulaire par tous les ecclésiastiques séculiers et réguliers, par les
+religieuses et les maîtres d'écoles, sans aucune distinction,
+explication ou restriction.</p>
+
+<p>«Il est présumable que le second formulaire, celui d'Alexandre VII, est
+le même qu'on proposa à l'abbé de l'Épée de signer, lorsqu'il se
+présenta pour entrer dans les ordres; car il ne paraît pas qu'il en ait
+été prescrit un troisième.</p>
+
+<p>«La bulle de Clément XI, publiée en 1705, et qui commence par ces mots:
+<i>vineam domini Sabaoth</i>, se borne à condamner ce que l'on appelait le
+<i>silence respectueux</i>, c'est-à-dire la prétention des jansénistes, qui
+consistait à condamner les cinq propositions, mais sans reconnaître
+qu'elles fussent extraites du livre de Jansenius, sous le prétexte que,
+ce dernier point étant une question de fait non révélé, l'on n'était
+point, en conscience, tenu de le confesser, même sur l'ordre du pape.</p>
+
+<p>«La bulle <i>unigenitus</i> du même pontife, en date du 8 septembre 1713,
+contient la condamnation du fameux livre du père Quesnel, intitulé:
+<i>Réflexion morales sur le Nouveau Testament</i>. Elle ne propose pas, non
+plus, de nouveau formulaire. C'est, du reste, le dernier acte relatif au
+jansénisme qui soit émané du Saint-Siége.<a name="page_338" id="page_338"></a></p>
+
+<p>«Les querelles du jansénisme furent terminées par un ouvrage intitulé:
+<i>Corps de doctrine</i>, adopté, en 1720, par l'Assemblée du clergé de
+France. Je ne sache pas que cet ouvrage contienne un nouveau formulaire.
+On le vérifierait en se reportant aux procès-verbaux de l'Assemblée du
+clergé à cette époque.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Désireux de ne conserver aucun doute à cet égard, et de savoir
+positivement si le formulaire imposé par Alexandre VII est bien celui
+qu'on voulut faire signer à l'abbé de l'Épée, lorsqu'à dix-sept ans, il
+demanda à être admis dans les ordres sacrés (dans le courant de 1729 à
+30), je m'adressai au savant abbé Girard, sous-bibliothécaire de la
+Sorbonne, qui, avec un empressement que je n'oublierai de ma vie, se
+livra incontinent à d'actives recherches, relativement au fait qui me
+préoccupait. Il en résulta clairement qu'il n'avait été publié que deux
+formulaires, l'un, par le clergé de France, en 1656, l'autre, par le
+pape Alexandre VII, en 1665. C'est, à son avis, ce dernier dont
+l'approbation a été constamment exigée. Ce ne peut donc être, a-t-il
+ajouté, que celui-là auquel l'abbé de l'Épée aura été obligé d'apposer
+sa signature.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="C" id="C"></a>C) Qu'on juge de l'étrange surprise que j'éprouvai en lisant en note ce
+qui suit, à la page 11 d'une brochure intitulée: <i>Inauguration de la
+statue de l'abbé de l'Épée dans Versailles, sa ville natale</i>.</p>
+
+<p>«Jamais l'abbé de l'Épée n'a été avocat au parlement, ni même admis au
+stage. C'est ce qui résulte de recherches dues récemment à l'obligeance
+de M. Caubert, doyen du conseil de l'ordre des avocats à Paris.»</p>
+
+<p>Or, cette déclaration est contraire au témoignage unanime de toutes les
+notices qui ont été publiées, jusqu'à ce jour, sur la vie de l'apôtre
+des sourds-muets.</p>
+
+<p>Ayant tout lieu de présumer que les recherches en question n'avaient pas
+été faites aussi scrupuleusement qu'on aurait pu le désirer (loin de
+moi, d'ailleurs, la moindre pensée de douter de la bonne volonté qu'on y
+a apportée), ou, du moins, que les archives du Palais avaient dû
+souffrir de la révolution de 93, je<a name="page_339" id="page_339"></a> me décidai à procéder moi-même à de
+nouvelles investigations à ce sujet, et je parvins enfin à savoir qu'aux
+Archives de la République existait l'acte de réception de M. l'abbé de
+l'Épée comme avocat, à la date du lundi 13 juillet 1733.</p>
+
+<p>La preuve de son admission est consignée, en outre, dans une lettre de
+ce bienfaiteur de l'humanité à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, datée du 1<sup>er</sup>
+février 1779, laquelle commence par ces mots:</p>
+
+<p>«Nous avons eu l'honneur, l'un et l'autre, d'être reçus avocats en la
+cour... Pour moi, l'état auquel je me suis consacré depuis 1731, ne me
+permet de défendre, comme avocat, que ceux que les canons des conciles
+appellent <i>miserabiles personæ</i>....»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="D" id="D"></a>D) Réponse de M. l'abbé Coffinet, chanoine, secrétaire de l'évêché de
+Troyes, à M. de Sainte-James Gaucourt, secrétaire de la commission pour
+l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée, en date du 21 août 1843:</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 3em;">21 août 1843:</span><br />
+</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>«En recevant votre lettre, j'éprouvais d'abord la crainte de ne pouvoir
+répondre à votre désir; car les archives du secrétariat de l'évêché de
+Troyes ne remontent pas au-delà de 1802. Mais bientôt je me rappelai
+qu'à l'époque de 1793, quelques actes épiscopaux avaient été transférés
+à la Préfecture. Je m'empressai donc d'écrire à M. le préfet, pour le
+prier d'ordonner des recherches <i>depuis</i> 1712 <i>jusqu'à</i> 1737. Elles
+furent couronnées d'un plein succès. Elles fournirent même des
+renseignements imprévus. C'est avec un vif plaisir que je vous transmets
+l'extrait de ces documents, destinés a éclaircir, tout à la fois, une
+partie de la vie d'un homme justement illustre, et à donner toute la
+certitude désirable à un fragment de son histoire.</p>
+
+<p>«Je dois les extraits ci-joints à l'obligeance de M. Ph. Guignard,
+archiviste de l'Aube. Ce jeune homme, aussi distingué par sa science que
+par sa piété, me demande, pour échange de son travail, un exemplaire de
+la notice que vous préparez sur l'abbé de l'Épée. Il vous prévient que,
+dans le cas où vous ne<a name="page_340" id="page_340"></a> relateriez pas ces documents à la suite de votre
+ouvrage, il se propose de faire imprimer tout au long ces fragments
+précieux pour le nom de l'homme qu'ils concernent, dans la <i>Bibliothèque
+de l'école des chartes</i>.</p>
+
+<p>«Si je ne craignais d'être indiscret, je vous prierais de m'adresser
+également un autre exemplaire de votre notice, que je conserverais avec
+soin dans mes archives.</p>
+
+<p>«Agréez l'assurance des sentiments respectueux avec lesquels je suis,
+etc.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr valign="top"><th colspan="2" align="center">ARCHIVES DU DÉPARTEMENT DE L'AUBE.</th></tr>
+<tr valign="top"><td colspan="2" align="center"><i>Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes).</i></td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>23 mars 1736.</td><td>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de
+Feuges (arrondissement d'Arcis-sur-Aube).</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>31 mars 1736.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres
+mineurs et au sous-diaconat.</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>26 août 1736.</td><td>Patrimoine de M. Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant
+pour qu'il puisse être promu aux ordres sacrés.</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>22&nbsp;septembre&nbsp;1736.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée au diaconat.</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>28 mars 1738.</td><td>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée au canonicat de
+Pougy.</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td>5 avril 1738.</td><td>Promotion de M. Charles-Michel de l'Épée à la prêtrise.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr valign="top"><td colspan="2" align="center"><i>Registre des actes épiscopaux (titres de l'évêché de Troyes).</i><br />
+Inventaire Vallet. Registre nº 37, de 1731 à 1742, page 190.<br /><br />
+1736. <i>Nomination de M. Charles-Michel de l'Épée à la cure de Feuges.</i></td></tr>
+</table>
+
+<p class="nind">1<sup>e</sup> 23 mars 1736<br />
+fº 62, vº<br />
+<br />
+Cura de <i>Feugiis</i> (Feuges.)<br />
+</p>
+
+<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, clerico parisiensi,
+salutem in Domino! Curam, seu parochialem ecclesiam, sub invocatione
+sancti Benedicti de Feugiis (Feuges, arrondissement d'Arcis-sur-Aube),
+in nostrâ di&oelig;cesi, cujus, occurente<a name="page_341" id="page_341"></a> vacatione, collatio, provisio et
+alia quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis,
+pleno jure, spectare et pertinere dignoscitur, proùt spectans et
+pertinens, liberam nunc et vacantem per desertionem Magistri Laurenti
+Cuchin presbyteri, illius ultimi et immediati possessoris pacifici, aut
+alio quovis modo et ex cujuscumque personâ, tibi presenti atque
+sufficienti, capaci et idoneo per prævium examen reperto, contulimus et
+donavimus, conferimusque et donamus, ac de illâ, illiusque juribus et
+pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.&mdash;Quocircà
+<i>Mandamus</i> notario apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs
+te, seu procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et
+pro te, in possessionem corporalem, realem et actualem dictæ parochialis
+ecclesiæ, juriumque et pertinentium ejusdem universorum ponat et
+inducat, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.</p>
+
+<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Martii vigesimâ tertiâ,
+presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir, presbyterio
+Trecis respectivè commorantibus, testibus ad premissa vocatis, et in
+presenti minutâ, cum vicario nostro generali, subsignatis.</p>
+
+<p>Signé: Noel, Philippe, vicarius generalis, Lenoir.</p>
+
+<p class="c"><br />
+<i>Promotion de Charles-Michel de l'Épée aux quatre ordres mineurs
+et au sous-diaconat</i>.</p>
+
+<p class="nind">2<sup>e</sup> 31 mars<br />
+1736<br />
+même reg.<br />
+fº 63, rº.<br />
+</p>
+
+<p>Clericali tonsurâ initiati et promoti ad quatuor minores, subdiaconatûs,
+diaconatûs et presbiteratûs, ordines per nos Jacobum Benignum Bossuet,
+permissione divinâ, Trecensem episcopum, in sacello palatii nostri
+episcopalis Trecensis, anno Domini millesimo septingentesimo trigesimo
+sexto, die verò Sabbati Sancti mensis Martii ultimâ.</p>
+
+<p class="c"><br />Ad quatuor minores ordines.</p>
+
+<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, clericus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ di&oelig;cesi.</p>
+
+<p class="c"><br />Ad subdiaconatum.</p>
+
+<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, acolytus parisiensis, pastor parochialis<a name="page_342" id="page_342"></a>
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ di&oelig;cesi, sub titulo patrimonii
+approbando.</p>
+
+<p class="c"><br />
+<i>Patrimoine de Charles-Michel de l'Épée trouvé suffisant pour<br />
+qu'il puisse être promu aux ordres sacrés</i>.</p>
+
+<p class="nind">
+3<sup>e</sup> 20 août<br />
+1736<br />
+même reg.<br />
+fº 65, vº.</p>
+
+<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+universis presentes litteras inspecturis notum facimus quod, viso quodam
+instrumento publico coràm Magistris Billeheu et Baptiste, notariis,
+Lutetiæ commorantibus, die quintâ mensis Maii proximè elapsi confecto,
+quo Carolus-Franciscus de l'Épée et Franscisca Margareta Varignon, prius
+uxor, Parisiis, in vico Ludovici magni, commorantes, summam ducentarum
+et quinquaginta librarum annui reditûs, dilecto nostro Magistro
+Carolo-Michæli de l'Épée, subdiacono parisiensi, pastori parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ di&oelig;cesi, et ipsorum filio, in titulum
+patrimonii cujus ope ad sacros (etiam presbyteratûs) ordines promoveri
+possit, cessisse et donasse dignoscuntur; quam quidem summam 250 liv. ex
+tributis et vectigalibus, principatûs Dumbensis ad hoc oppigneratis ob
+collocatam quinque millium librarum summam, singulis annis percipiendi
+jus habebant, ipsi donatores juxtà instrumentum publicum hâc de re coràm
+Poncet, notario in ditione Dumbensi, die octavâ mensis Julii anni
+millesimi septingentesimi vigesimi septimi confectum; cujus quidem
+donationis sponsores existunt. Achilles Bellanger et Antonius Dionysius
+Goblain, Parisiis commorantes; nos, pr&oelig;fatam summam 250 liv. annui
+reditûs sufficientem ut, ope hujusmodi tituli patrimonii, pr&oelig;fatus
+Magister Carolus-Michæl de l'Épée ad sacros (etiam presbyteratûs)
+ordines promoveri possit et valeat, judicavimus et approbavimus,
+judicamusque et approbamus, cum hoc tamen vinculo quod dictus Magister
+de l'Épée, suum præditum reditum vendere, donare aut alio pacto alienare
+non poterit, absque nostrâ aut vicarii nostri generalis licentiâ, quod
+ei strictè sub pænis juris interdicimus.</p>
+
+<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo sexto, die verò mensis Augusti vigesimo.<a name="page_343" id="page_343"></a></p>
+
+<p class="c"><br />
+<i>Promotion de Charles de l'Épée au diaconat.</i></p>
+
+<p class="nind">4º 22 sept. 1736,<br />
+même reg.<br />
+fº 66, rº et vº</p>
+
+<p>Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domini 1736, die verò sabbati
+Quatuor Temporum septembris vigesimâ secundâ, per Jac. Ben. Bossuet.</p>
+
+<p class="c"><br />Ad diaconatum.</p>
+
+<p>M. Carolus-Michæl l'Épée subdiaconus parisiensis, pastor parochialis
+ecclesiæ de Feugiis, in nostrâ di&oelig;cesi.</p>
+
+<p class="c"><br />
+<i>Nomination de Charles de l'Épée au canonicat de Pougy</i>.</p>
+
+<p class="nind">5º 28 mars 1738,<br />
+même reg.<br />
+fº 66, rº et vº</p>
+
+<p>Jacobus Benignus Bossuet, permissione divinâ, Trecensis episcopus,
+dilecto nostro Magistro Carolo-Michæli l'Épée, diacono parisiensi,
+salutem in Domino! Canonicatum et præbendam collegiatæ ecclesiæ sancti
+Nicolai de Pugiaco (Pougy,&mdash;arrondissement d'Arcis-sur-Aube), in nostrâ
+di&oelig;cesi, quorum, occurente vacatione, collatio, presentatio et alia
+quævis dispositio ad nos, ratione nostræ dignitatis episcopalis, pleno
+jure, spectare et pertinere dignoscuntur, proùt spectans et pertinens,
+liberos nunc et vacantes per puram et simplicem resignationem Magistri
+Petri Lorin presbyteri, illorum ultimi et immediati possessoris
+pacifici, in manibus nostris spontè et liberè factam et per nos
+admissam, tibi presenti atque sufficienti, capaci et idoneo, contulimus
+et donavimus, conferimusque et donamus, ac de illis illorumque juribus
+et pertinentiis universis providimus et providemus per presentes.
+Quocircà <i>Mandamus</i> dilectis nostris canonicis et capitulo pr&oelig;fatæ
+ecclesiæ collegiatæ de Pugiaco et in eorum recusationem, P., notario
+apostolico qui super hoc fuerit requisitus, quatenùs te, seu
+procuratorem tuum, ad hoc legitimè constitutum, nomine tuo et pro te, in
+possessionem corporalem, realem et actualem dictorum canonicatûs et
+præbendæ, juriumque et pertinentium eorumdem universorum, ponent et
+inducant, seu ponat et inducat, stallum in choro, locum et vocem in
+capitulo, tibi, vel dicto tuo procuratori, pro te, assignent, seu
+assignet, adhibitis solemnitatibus in talibus assuetis, jureque
+cujuslibet salvo.</p>
+
+<p>Datum Trecis, sub signo vicarii nostri generalis, anno Domini millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò<a name="page_344" id="page_344"></a> mensis Martii vigesimâ
+octavâ, presentibus ibidem Magistro Petro Noel et Daniele Lenoir,
+presbyterio Trecis respectivè commorantibus, testibus ad præmissa
+vocatis et in presenti minutâ, cum vicario nostro générali, subsignatis.</p>
+
+<p class="c"><br />
+Signé: Lefebvre, vicarius generalis; Lenoir, Noel.<br />
+<br />
+<i>Promotion de Charles de l'Épée à la prêtrise</i>.</p>
+
+<p class="nind">6º 5 avril 1738,<br />
+même reg.<br />
+fº 84, vº et 85, rº.<br />
+</p>
+
+<p>Clericali tonsurâ initiati, etc...... anno Domino millesimo
+septingentesimo trigesimo octavo, die verò Sabbati Sancti quintâ mensis
+Aprilis, per Jac. Ben. Bossuet.</p>
+
+<p class="c"><br />
+Ad Presbyteratum.</p>
+
+<p>M. Carolus-Michæl l'Épée, diaconus parisiensis, canonicus ecclesiæ
+collegiatæ de Pugiaco, in di&oelig;cesi Trecensi.</p>
+
+<p>Je soussigné, certifie que tous les documents ci-dessus sont
+très-authentiques. Ils ont été, sur ma demande, et d'après
+l'autorisation de M. le préfet, puisés par M. Ph. Guignard, archiviste
+de l'Aube, dans les <i>Actes épiscopaux</i> qui furent déposés à la
+Préfecture avant 1793.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Troyes, le 21 août 1843.</span><br />
+</p>
+
+<p class="r">Signé: C<small>OFFINET,</small><br />
+Chanoine, secrétaire de l'évêché de Troyes.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="E" id="E"></a>E) «Les agiographes, remarque M. l'abbé Bouchet, avec une sagacité
+impartiale qui l'honore, ont la sotte habitude, dans leurs vies des
+saints, de ne nous présenter que le beau côté de leurs héros, ce qui
+nuit à la vérité historique et en fausse les conséquences morales, car,
+avec de telles vies, les lecteurs s'imaginent toujours que les saints ne
+sont pas des hommes comme eux, et que, eux, lecteurs, étant hommes, ils
+ne peuvent pas être des saints.</p>
+
+<p>«Quand même nous écririons la vie d'un saint, nous croirions de notre
+devoir d'historien de chercher et de montrer en lui quelque point
+vulnérable dans son existence. Si l'abbé de l'Épée n'est pas proprement
+un saint canonisé, c'est un homme de génie, et, ce qui vaut mieux encore
+qu'un homme de génie, un bienfaiteur, le plus grand bienfaiteur des
+sourds-muets.<a name="page_345" id="page_345"></a></p>
+
+<p>«Son génie et sa bienfaisance ne l'ont malheureusement pas mis à l'abri
+des faiblesses humaines, et, loin d'atténuer ses fautes, nous les dirons
+aussi nettement que ses vertus, tout en gémissant de voir un homme aussi
+supérieur tomber formellement dans l'hérésie, et, loin de taxer l'Église
+catholique d'intolérance et de crier au rigorisme outré, nous préférons
+dire franchement que l'abbé de l'Épée a erré dans la foi et s'est attiré
+les rigueurs de l'Église, société divinement instituée pour garder le
+dépôt sacré des doctrines.</p>
+
+<p>«Puis, dans le parti janséniste, aujourd'hui presque entièrement éteint,
+les bonnes &oelig;uvres étaient communément matière à ostentation;
+cependant, nous croyons que l'abbé de l'Épée fut toujours un homme
+profondément modeste, comme le sont presque tous les hommes de génie, et
+nous ne pouvons nous empêcher d'admirer la réponse qu'il fit au prêtre
+qui se crut obligé de lui refuser les cendres.</p>
+
+<p>«Le jansénisme répand une large tache sur cette belle vie de l'abbé de
+l'Épée, et les éloges maladroits des historiens et des panégyristes
+ignorants ne parviendront jamais à l'effacer. Consolons-nous en disant:
+le <i>soleil a ses taches</i>. Et notre pénible fonction d'historien une fois
+remplie, nous ne persistons pas moins à croire que la question de bonne
+foi et l'immense charité de l'ami des sourds-muets lui auront fait
+trouver grâce devant celui qui est le Dieu de vérité, mais qui est aussi
+et surtout le Dieu de charité: <i>Deus caritas est</i>.</p>
+
+<p>«Comme ami des sourds-muets, nous admirons le premier instituteur public
+des sourds-muets en France; mais, comme chrétien, nous aimons encore
+davantage l'Église catholique, dont, avant tout, il eût dû regretter de
+ne pas rester le ministre soumis.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="c">(<a name="F" id="F"></a>F) <i>Copie du certificat délivré par l'abbé de l'Épée à
+M<sup>lle</sup> Blouïn</i>.</p>
+
+<p>Je soussigné, instituteur gratuit des sourds-muets de Paris, certifie à
+tous ceux auxquels il appartiendra, que M<sup>lle</sup>
+Charlotte-Louise-Jacqueline Blouïn, native d'Angers, m'ayant été
+adressée par feu Monsieur Ducluzel, intendant de Tours, pour que je lui
+apprisse à instruire les sourds-muets, cette demoiselle<a name="page_346" id="page_346"></a> a fait, dans
+cet art, des progrès qui ont surpassé mon attente, et que le témoignage
+que j'en ai rendu, lorsqu'elle est retournée dans son pays, a engagé
+Monsieur l'intendant, quelques mois après, à m'écrire la lettre
+suivante, en date du 19 février 1782:</p>
+
+<p>«Enfin, Monsieur, la demoiselle Blouïn, pour laquelle je vous avais
+demandé vos bontés, vient d'être autorisée à ouvrir un cours d'éducation
+pour les sourds-muets à Angers. Ses talents sont votre ouvrage: je ne
+dois mes succès qu'aux vôtres, dans l'art où vous avez daigné lui
+communiquer vos lumières: agréez-en le premier hommage. Ce n'est pas
+assez que la capitale vous admire, ma Généralité va jouir de vos
+bienfaits; je m'estime heureux d'avoir pu contribuer, avec vous, à
+diminuer les malheurs de l'humanité.</p>
+
+<p>«J'ai l'honneur d'être....»</p>
+
+<p class="r">Signé: D<small>UCLUZEL.</small></p>
+
+<p>M<sup>lle</sup> Blouïn, étant revenue à Paris pendant les vacances de 1782,
+vient d'y faire un second voyage sur la fin de celles de la présente
+année, où nous avions déjà repris nos leçons. Dès qu'elle y est entrée,
+<i>j'ai cessé de les dicter par signes aux sourds-muets</i>, pour lui en
+laisser faire la fonction, qu'elle a remplie parfaitement. Ses
+opérations lui ont attiré les applaudissements d'un grand nombre de
+personnes de différents pays, qui ne pouvaient se lasser d'admirer les
+talents que Dieu lui a donnés pour réussir dans cette &oelig;uvre. Je la
+crois donc capable de conduire ses élèves au degré d'instruction auquel
+sont parvenus ceux de nos sourds-muets qui en ont donné des preuves dans
+des exercices publics, et singulièrement dans celui du 13 août 1783, en
+présence de Monseigneur le nonce du pape, et de Monseigneur l'archevêque
+de Tours, accompagné de quelques-uns de ses illustres confrères.</p>
+
+<p>En foi de quoi, j'ai délivré le présent certificat.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Paris, ce 11 novembre 1783.</span><br />
+</p>
+
+<p class="r">Signé: l'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small></p>
+
+<p><a name="page_347" id="page_347"></a></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="G" id="G"></a>G) <i>A Monsieur le directeur de l'Institution nationale des sourds-muets
+de Paris, sur la nouvelle dactylologie de M. Leménager</i>.</p>
+
+<p class="r"><br />
+«Ce 17 juillet 1842.<br />&nbsp;</p>
+
+<p>«Le mémoire de M. Leménager, sur lequel vous demandez l'avis des
+professeurs de l'institution, afin de remplir le v&oelig;u de M. le
+ministre de l'Intérieur, ne tend à rien moins qu'à remplacer la
+dactylologie usuelle de nos sourds-muets par une nouvelle dactylologie
+de l'invention de l'auteur.</p>
+
+<p>«D'abord, tant s'en faut que le travail de M. Leménager soit une méthode
+nouvelle, comme il le prétend. C'est, tout au plus, au contraire, si
+l'on y voit seulement un jeu de mains ingénieux. Or, il est ici question
+d'examiner s'il est vrai, comme il le soutient encore, que son nouveau
+mode digital de communication est plus commode, plus prompt, et plus
+facile que celui que nous employons. M. Leménager est dans une étrange
+erreur, lorsqu'il prête à ce dernier les inconvénients qu'il n'a pas. Ce
+n'est pas la faute de l'instrument, mais celle de la personne qui en
+fait usage, si elle ne met pas autant ou presque autant de rapidité dans
+ses doigts que M. Leménager dans les siens. Cet instrument exige des
+doigts tant de souplesse ou d'agilité qu'on n'aperçoive pas le plus
+léger mouvement dans le bras. Je ne prétends pas, toutefois, que notre
+alphabet manuel puisse suivre la parole à la course. Ce but sembla
+atteint un instant par le <i>Syllabaire dactylologique</i> de M. Recoing, qui
+entreprit d'instruire lui-même son fils sourd-muet, travail sur lequel
+divers rapports furent présentés à notre conseil d'administration. Et,
+cependant, on ne pensa pas qu'il pût être d'une utilité indispensable
+dans notre éducation générale, et l'on allégua, comme l'une des
+principales raisons de son rejet, le temps considérable qu'exigeait
+cette étude encore compliquée, quoique déjà fort abrégée depuis.</p>
+
+<p>«Quant à l'alphabet qui nous occupe, il ne me paraît pas plus utile,
+malgré sa simplicité, de l'appliquer à l'enseignement d'une école de
+sourds-muets. A quoi bon former nos enfants à apprendre de mémoire un
+alphabet qui semble plutôt fait pour les parlants que pour eux? car,
+indépendamment des vingt-<a name="page_348" id="page_348"></a>cinq lettres de l'alphabet ordinaire, on y
+trouve des indications représentant une <i>série de voyelles combinées et
+accompagnées d'autres lettres qui forment des sons pour l'épellation et
+la terminaison d'un grand nombre de mots</i>. Adoptât-on même aujourd'hui
+cet alphabet de pure convention, qui peut répondre que, dans un temps
+plus ou moins éloigné, il n'en surgirait pas, comme à l'envi, une
+multitude d'autres? Dans cette hypothèse, auquel d'entre eux attribuer
+la stabilité et la prééminence sur les autres?</p>
+
+<p>«En raisonnant ainsi, je suis loin, Dieu m'en garde! de me constituer le
+chevalier de notre dactylologie, originaire d'Espagne, et qui, après
+avoir été introduite par l'abbé de l'Épée, avec quelques modifications,
+dans son école, s'est propagée, à l'exception de l'Angleterre, dans
+presque toutes celles d'Europe et d'Amérique, bien qu'on puisse lui
+reprocher, sans injustice, de ne pas s'adapter parfaitement, dans ses
+diverses positions, aux différents caractères de l'écriture et de la
+typographie. Mais pourquoi, au lieu de nous arrêter inutilement à
+discuter le mérite respectif que peut avoir tel ou tel alphabet
+dactylologique, ne pas nous consacrer au perfectionnement, à la
+généralisation de notre langue naturelle, de notre langue universelle,
+de la langue des signes? Loin de chercher à étendre le domaine de la
+dactylologie, pourquoi ne pas travailler à le restreindre au profit de
+l'intelligence? Dans l'état actuel de l'enseignement, nous arrivons au
+point où la dactylologie ne servira plus qu'à tracer les noms propres de
+personnes ou de lieux, et encore transitoirement, en attendant qu'on
+leur impose des signes de convention qui expriment leurs qualités bonnes
+ou mauvaises, procédant, en cela, comme les parlants ont procédé dans
+leur baptême universel des hommes et des lieux! Or, pour cette mission
+transitoire, dont l'importance diminue chaque jour, la vieille
+dactylologie espagnole est plus que suffisante, et elle a l'immense
+avantage, d'être adoptée et connue.</p>
+
+<p>«Loin donc de s'occuper à perfectionner et à répandre la dactylologie,
+il faudrait, je le répète, chercher à la restreindre, travaillant de
+plus en plus, dans notre enseignement, à substituer l'intelligence à la
+matière, l'idée à sa représentation brute.<a name="page_349" id="page_349"></a> C'est ce que n'a pu
+comprendre M. Leménager, étranger qu'il est au véritable langage
+mimique. C'est ce langage qui, plus que toutes les dactylologies
+possibles, peut nous être d'une immense ressource dans notre infirmité
+et l'emporter même de vitesse, comme il le désire, sur la langue parlée.</p>
+
+<p>«Ce sujet m'a emporté beaucoup trop loin à propos d'une nouvelle
+trouvaille dactylologique, trouvaille, selon moi, sans importance et
+même sans objet.</p>
+
+<p>«Je termine en vous réitérant la nouvelle assurance du profond respect
+et du sincère dévouement avec lequel j'ai l'honneur d'être, mon cher
+directeur,</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Votre dévoué serviteur.</span><br />
+</p>
+
+<div class="blockquot"><p class="hang"><i>A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+l'Institution nationale des sourds-muets de Paris, sur la nouvelle
+dactylologie de M. Charles Wilhorgne.</i></p></div>
+
+<p class="r"><br />
+«Ce 4 mai 1847.<br />&nbsp;
+</p>
+
+<p>Vous m'avez chargé, sur la demande de M. le Ministre de l'intérieur, de
+vous rendre compte d'un essai de M. Charles Wilhorgne, avocat à Rouen,
+sur <i>la dactylographie</i> ou <i>sténographie des doigts</i>, laquelle, suivant
+l'auteur, aurait, sur ce qu'on est convenu d'appeler chez nous la
+<i>dactylologie</i>, l'avantage de rivaliser presque avec la parole
+elle-même. Pour le prouver, M. Wilhorgne s'efforce d'établir, entre l'un
+et l'autre système, un parallèle qui, il faut bien le dire tout d'abord,
+révèle, en lui, peu de connaissance des procédés en usage dans nos
+écoles. A la simple inspection des deux planches gravées que renferme sa
+brochure, et qui représentent l'alphabet manuel de son invention, on ne
+voit pas trop en quoi cet instrument peut être utilisé avec fruit dans
+nos études. <i>La dactylographie</i> de M. Wilhorgne a pour but,
+non-seulement d'indiquer les lettres ou syllabes sur les phalanges de la
+main, mais encore, dit-il, «d'exprimer d'une façon abrégée, et sans
+jamais s'écarter des lois de l'orthographe, une prodigieuse quantité de
+mots par l'emploi des terminaisons les plus usitées du langage, à la
+représentation desquelles sont affectées certaines<a name="page_350" id="page_350"></a> parties extérieures
+de la main gauche.» L'auteur se croit fondé à en conclure que son
+nouveau mode digital de communication doit infailliblement produire une
+grande rapidité dans l'expression de la pensée, et il ajoute que, pour
+éviter la confusion des mots, qui semblerait, au premier abord,
+inséparable de l'adoption de son procédé, on sera tenu de fermer la main
+après chaque mot. Ici il fait jouer d'abord un rôle important à la main
+gauche; mais, plus tard, après avoir paru reconnaître l'inconvénient
+qu'il peut y avoir à employer les deux mains, il se voit obligé de
+transférer la fonction de la gauche à la droite, en réservant,
+toutefois, aux ongles du pouce et du petit doigt de la main gauche le
+privilége de reproduire certaines terminaisons chaque fois que l'index
+de la droite les indique.</p>
+
+<p>«Si l'on veut que l'importance de tel ou tel alphabet manuel se mesure
+sur le plus ou moins de promptitude qu'il offre, celui que nous
+employons aujourd'hui ne demande, pour être presque aussi rapide que la
+parole elle-même, qu'une certaine souplesse dans les doigts, lors même
+que l'usage en serait restreint à représenter, sans en omettre une
+seule, les lettres composant, soit un mot, soit une phrase. Tout bien
+considéré, nous pensons que celui de M. Wilhorgne ne réussira pas mieux
+que tous ceux qu'on a essayé d'introduire dans notre enseignement à
+diverses époques, à supplanter le système espagnol adopté par l'abbé de
+l'Épée avec quelques modifications. Celui-ci obtiendra toujours la
+préférence, non-seulement des sourds-muets, mais des parlants eux-mêmes.</p>
+
+<p>«L'auteur commet une non moins grande erreur, lorsqu'il prétend que sa
+dactylographie présente un avantage marqué sur notre dactylologie en ce
+qui concerne les rapports des sourds-muets, devenus aveugles avec les
+autres.</p>
+
+<p>«Les aveugles de naissance peuvent aussi facilement que les
+sourds-muets, <i>devenus aveugles</i>, converser avec les autres hommes, au
+moyen de notre alphabet manuel. Il leur suffit, pour cela, de suivre,
+par le toucher, les contours rapides de la main <i>parlante</i>.</p>
+
+<p>«En somme, la dactylographie de M. Wilhorgne ne nous paraît guère
+mériter que la Commission Consultative en propose<a name="page_351" id="page_351"></a> l'adoption à M. le
+Ministre en faveur de nos jeunes sourds-muets. C'est un système tout
+conventionnel, qui peut paraître plus ou moins ingénieux à certaines
+personnes, mais qui ne saurait aspirer au mérite d'une utilité réelle et
+d'une pratique générale. Il semble devoir plutôt être abandonné au choix
+des parlants, dont les doigts se montrent rebelles au mécanisme de la
+dactylologie usuelle des sourds-muets.</p>
+
+<p>«A notre avis, la dactylologie de l'abbé de l'Épée répond amplement aux
+besoins de cette branche secondaire de notre enseignement. On a beau
+faire, les principaux moyens de communication des sourds-muets seront
+toujours (et de plus en plus) d'abord la mimique naturelle
+perfectionnée, excluant les représentations dactylologiques des lettres
+d'une langue et peignant, indépendamment des langues, chaque idée par un
+signe, puis l'articulation et la lecture sur les lèvres pour
+quelques-uns, et le dessin et l'écriture pour le grand nombre.</p>
+
+<p>«Essayer de ramener aujourd'hui notre enseignement à une dactylologie ou
+dactylographie plus ou moins rapide, plus ou moins saisissante, c'est
+vouloir lui faire rebrousser chemin, c'est chercher à le pousser dans
+une fausse route. L'importance de la dactylologie ou de la
+dactylographie (n'importe) diminue chaque jour, à mesure du progrès de
+notre enseignement. Les hommes d'activité et de savoir, au lieu d'user
+leurs efforts à poursuivre le progrès dans ces moyens secondaires,
+insuffisants, applicables à la seule représentation isolée d'une langue
+et non à l'idéologie de toutes, devraient s'entendre pour concentrer
+leurs vues sur des problèmes beaucoup plus importants, dont notre
+spécialité attend, en vain, la solution, tels que les meilleurs moyens
+d'initiation à la connaissance, plus ou moins complète, de sa langue
+maternelle, et l'emploi du peu de loisir que laisse à nos élèves cette
+étude, toujours longue et difficile, à quelques travaux intellectuels,
+variés, qui les intéresseraient en les y ramenant.</p>
+
+<p>«Chaque année voit éclore de prétendues découvertes qui émanent de
+philanthropes mus par les meilleures intentions, mais, malheureusement,
+tout à fait étrangers à l'enseignement des sourds-muets. Il en résulte
+que, souvent, ils nous donnent, soit pour du nouveau, soit pour de
+l'utile, ou ce que nous connaissons<a name="page_352" id="page_352"></a> depuis fort longtemps, ou ce qui,
+en définitive, ne nous offre qu'une utilité plus que contestable. Il
+serait à désirer que ces personnes, qui pourraient rendre de véritables
+services, si elles étaient plus éclairées sur un enseignement qu'elles
+ignorent, voulussent bien consulter les hommes spéciaux avant de bâtir
+leurs systèmes et de prendre la plume; il en résulterait une grande
+économie de temps et pour eux-mêmes et pour les hommes spéciaux qu'on
+charge ensuite d'examiner leurs écrits. Or, rien n'est plus précieux que
+le temps, à une époque où l'on vit si vite.»</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="H" id="H"></a>H) <i>Legs d'un sourd-muet.</i>&mdash;Un legs fort important a été fait à la
+ville de Rouen par une personne qui est morte au mois d'août 1847, en
+laissant, par un acte de sa dernière volonté, toute sa fortune à cette
+ville.</p>
+
+<p>Cette fortune consiste, assure-t-on, en biens-fonds d'une valeur de
+300,000 fr., et en une bibliothèque dans laquelle on ne compte pas moins
+de soixante mille volumes.</p>
+
+<p>Le donateur est un sourd-muet, M. le baron Coquebert de Montbret,
+célibataire, appartenant à une famille fort riche, et dont l'unique
+plaisir était de collectionner des publications littéraires de toutes
+sortes. M. Coquebert de Montbret avait des manières rustiques; il fuyait
+la société pour vivre dans l'intimité de ses chers bouquins, et il était
+animé d'une telle ardeur pour la science, que, malgré son infirmité, il
+parvint à connaître à fond les langues et les littératures orientales.
+Sa passion favorite pour les livres fut souvent exploitée, aux dépens de
+sa fortune, par d'indignes spéculateurs, qui auraient dû respecter, au
+moins, son infirmité.</p>
+
+<p>Le Conseil Municipal de Rouen eut à délibérer sur le testament, dont la
+validité était contestée par les héritiers. M<sup>me</sup> Brongniart, s&oelig;ur
+de M. de Montbret, attaqua cet acte en nullité, se fondant sur ce que le
+testateur n'avait pas la plénitude de ses facultés intellectuelles au
+moment où il disposait de sa bibliothèque et de son patrimoine en faveur
+de la ville de Rouen. Sa passion pour les livres avait souvent entraîné
+M. de Montbret à consentir à des prix énormes pour l'acquisition de
+raretés bibliographiques; sa famille les considérait<a name="page_353" id="page_353"></a> comme des
+prodigalités qui mettaient en péril sa fortune; elle voulut le protéger
+contre la rapacité des exploitateurs, lesquels pouvaient d'autant plus
+aisément abuser des fantaisies du bibliomane, qu'il était privé de la
+ressource ordinaire de débattre un marché verbalement, parce qu'il était
+sourd-muet, et elle obtint qu'il lui fût constitué un conseil
+judiciaire.</p>
+
+<p>Les prodigues sont des fous aux yeux du monde; mais tous les prodigues
+ne sont pas des fous aux yeux de la science. Jusqu'à son dernier jour,
+M. Coquebert de Montbret parut dans les conditions d'un homme qui, non
+seulement conserve ses facultés intellectuelles, mais encore les possède
+à un degré fort éminent. Les termes mêmes de son testament, les motifs
+assignés à ses dispositions dernières sont des témoignages, en quelque
+sorte complémentaires, que cet homme, voué pendant toute sa vie aux plus
+nobles investigations de l'esprit, était resté, jusqu'au bout, sain de
+tête et de c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Telle fut, du moins, la présomption qui ressortit des informations
+préliminaires auxquelles le conseil municipal de Rouen dut se livrer;
+mais ce fut une présomption assez puissante pour l'amener à accorder
+l'autorisation de plaider et de soutenir en justice la validité du legs
+de M. de Montbret.</p>
+
+<p>Ajoutons qu'à la présomption de lucidité se joignait, chez le testateur,
+celle de la fermeté et de la fixité de sa volonté dans l'acte important
+de sa munificence; car le testament avait été fait en quadruple
+expédition et déposé en quatre endroits différents, afin qu'il fût mieux
+garanti par le donataire.</p>
+
+<p>Des légataires particuliers demandèrent à la ville la délivrance de
+leurs legs; mais leurs prétentions restèrent nécessairement subordonnées
+à l'issue de la contestation. Toutefois, la levée des scellés eut lieu à
+la requête de la ville et de M<sup>me</sup> Brongniart, sous réserve des droits
+de chaque partie.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="Z" id="Z"></a>I) La méthode de l'abbé de l'Épée, couronnée des succès les plus
+heureux, donna lieu, d'abord, à un arrêt rendu en conseil d'État, le 21
+novembre 1778, par lequel le roi Louis XVI annonçait qu'il prenait sous
+sa protection l'établissement de ce grand instituteur, non moins
+recommandable par ses vertus<a name="page_354" id="page_354"></a> qu'estimable par ses talents, et qu'il
+avait l'intention d'en assurer la perpétuité.</p>
+
+<p>Ce premier arrêt fut suivi d'un second, du 25 mars 1785, que nous
+croyons devoir rapporter textuellement:</p>
+
+<div class="blockquot2">
+<p>«Le roi s'étant fait représenter, en son conseil, l'arrêt rendu en
+icelui le 21 novembre 1778, par lequel, étant informée du zèle et du
+désintéressement avec lequel le sieur abbé de l'Épée s'est dévoué à
+l'instruction des sourds et muets de naissance, Sa Majesté aurait
+ordonné qu'il serait incessamment procédé à l'examen des moyens les plus
+propres à former, sous sa protection, dans la ville de Paris, un
+établissement d'éducation et d'enseignement en faveur des sujets de l'un
+et de l'autre sexe qui seraient affligés de cette double infirmité, et
+que, à cet effet, il serait proposé à Sa Majesté tels statuts et
+règlements qu'il appartiendrait, tant pour sa fondation que pour le
+gouvernement et direction desdits établissements, et, en attendant qu'il
+y ait été pourvu définitivement, Sa Majesté aurait ordonné que, sur la
+portion libre des biens que les monastères des Célestins, situés dans le
+diocèse de Paris, tenaient de la libéralité des rois ses prédécesseurs,
+il serait, sous les ordres des sieurs commissaires établis par ledit
+arrêt pour veiller particulièrement à tout ce qui pourrait accélérer et
+préparer ledit établissement, payé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, commis à la régie desdits biens par les arrêts des 29 mars
+et 6 juillet 1776, toutes les sommes qui seraient jugées nécessaires,
+soit pour la subsistance et entretien des sourds et muets qui seraient
+sans fortune, soit, en général, pour toutes les dépenses préparatoires
+dudit établissement. Et Sa Majesté s'étant fait rendre compte, tant de
+ce qui a été fait jusqu'à présent, en exécution dudit arrêt, que de
+l'empressement avec lequel plusieurs évêques, et notamment ceux
+d'Orléans, d'Amiens et de Soissons, ont déjà concouru à l'exécution de
+ses vues pour la dotation de cet établissement, elle aurait reconnu que
+le moyen d'exciter et d'étendre une émulation aussi précieuse pour
+l'humanité, serait d'en fixer, dès à présent, le siége, et de mettre
+ainsi les pauvres qui seront forcés d'y avoir recours, en état de jouir,
+sans délai, de l'enseignement qui leur aura été assuré, et les autres
+évêques<a name="page_355" id="page_355"></a> du royaume à portée de faire participer leurs diocésains à cet
+avantage, par l'application et cession d'une légère portion des biens
+vacants qui pourront se trouver, à l'avenir, à leur disposition, et
+principalement de ceux qui proviendront de la dotation royale. Et Sa
+Majesté s'étant pareillement fait représenter les divers plans, devis et
+projets, qui ont été dressés par les ordres desdits sieurs commissaires
+pour la construction d'un hospice propre à recevoir les sujets de l'un
+et de l'autre sexe, elle aurait de même reconnu que cet établissement ne
+pouvait être mieux placé, et avec plus de célérité et moins de dépenses,
+que dans la partie des bâtiments conventuels du monastère des Célestins
+de Paris, qui a son entrée par la rue du Petit-Musc, et est séparée des
+autres lieux claustraux, ainsi que de l'église, par une ligne
+transversale de démarcation, qui a été tracée, à cet effet, du levant au
+couchant, par le sieur Lemoine de Couson, architecte; et comme,
+d'ailleurs, le grand nombre d'élèves dont le sieur abbé de l'Épée est
+aujourd'hui surchargé, ne permet pas de différer plus longtemps la
+fondation de cet établissement, Sa Majesté, en attendant que le sieur
+archevêque de Paris ait prononcé, en la forme ordinaire, sur la
+destination des biens dudit monastère, et, néanmoins, après avoir pris
+l'avis dudit sieur archevêque, a jugé convenable de faire connaître ses
+intentions définitives, tant sur son emplacement, que sur les conditions
+qui seront nécessaires pour y être admis. A quoi voulant pourvoir, ouï
+le rapport, et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a ordonné
+et ordonne ce qui suit:</p>
+
+<p>«Art. 1<sup>er</sup>. Il sera incessamment pourvu à la confection des
+distributions et réparations nécessaires pour recevoir l'établissement
+des sourds et muets, de l'un et de l'autre sexe, dans la partie des
+bâtiments et lieux conventuels des Célestins de Paris à ce destinée, et
+y former un hospice permanent d'éducation et d'enseignement en leur
+faveur, par le sieur abbé de l'Épée et autres instituteurs qui lui
+succéderont à l'avenir.</p>
+
+<p>«2. Le montant des frais desdites réparations, lesquelles seront faites
+sur les plans et devis qui en auront été préalablement dressés et agréés
+par Sa Majesté, sera avancé et délivré par le sieur Bollioud de
+Saint-Julien, receveur général du clergé, sur les revenus libres des
+biens des Célestins du diocèse<a name="page_356" id="page_356"></a> de Paris, sur les ordonnances du sieur
+archevêque, et dans les termes qui seront convenus à ce sujet, sauf,
+lors du décret à intervenir pour l'union et application desdits biens, à
+retenir lesdites avances sur les deniers comptants qui seraient destinés
+à former la dotation de cet établissement.</p>
+
+<p>«3. Jusqu'à ce que, en conséquence dudit décret, il ait été pourvu d'une
+manière convenable à ladite dotation, il sera annuellement payé et
+délivré par ledit sieur de Saint-Julien, sur les mêmes biens, au sieur
+abbé de l'Épée, et sur ses simples quittances, la somme de 3,400 liv.,
+pour être employée à l'entretien des pauvres sourds et muets, de l'un et
+de l'autre sexe, qui pourront en avoir besoin, et à faciliter
+l'instruction de l'ecclésiastique adjoint à ses travaux pour se former
+audit enseignement.</p>
+
+<p>«4. A compter du jour du présent arrêt, et jusqu'à ce que ledit
+établissement ait été consolidé par lettres-patentes de Sa Majesté, les
+rentes et redevances qui ont été ou seront, par la suite, unies et
+affectées à la fondation et entretien d'icelui par les décrets des
+évêques, et notamment ceux des évêques d'Orléans et d'Amiens, des 14
+mars 1780 et 1<sup>er</sup> août 1781, et lettres-patentes confirmatives, dûment
+enregistrées, seront perçues par ledit sieur de Saint-Julien; en
+conséquence, seront les divers établissements chargés de l'acquit
+d'icelles, ensemble les fermiers et débiteurs, même les payeurs des
+rentes de l'Hôtel de Ville de Paris, tenus de payer et vider leurs mains
+en celles dudit sieur de Saint-Julien, au moyen de quoi et sur les
+quittances qu'ils en recevront, ils seront et demeureront bien et
+valablement déchargés; et seront lesdites sommes par lui remises audit
+sieur abbé de l'Épée, et employées au profit des sourds et muets, aux
+conditions imposées auxdits décrets en faveur des sujets de chaque
+diocèse.</p>
+
+<p>«5. La pension gratuite entière pour chaque élève sera et demeurera
+fixée à la somme de 400 liv. par an, et la demi-pension à celle de 200
+liv.; et ne pourront être lesdites pensions payées et continuées au-delà
+du terme de trois années, passé lequel les mêmes sujets ne pourront plus
+en jouir, sous quelque prétexte que ce soit.</p>
+
+<p>«6. Lesdites pensions et demi-pensions gratuites ne seront<a name="page_357" id="page_357"></a> accordées
+qu'à des sujets d'une pauvreté reconnue et attestée par le certificat du
+curé de la paroisse et par l'extrait du rôle des impositions, qui sera,
+à cet effet, délivré par le receveur particulier de l'élection; et
+seront lesdits extraits et certificats dûment légalisés par le juge
+royal le plus prochain, pour être, s'il y a lieu, sur iceux procédé à
+l'admission du sujet dans ledit hospice.</p>
+
+<p>7. Toutes les dispositions ci-dessus seront exécutées jusqu'à ce qu'il
+en ait été autrement ordonné par les décrets, règlements et
+lettres-patentes à intervenir, pour la direction et administration
+temporelle et spirituelle dudit établissement; et sera, en conséquence,
+le présent arrêt notifié, de l'ordre du roi, aux débiteurs des
+redevances et payeurs des rentes affectées à la dotation d'icelui, à ce
+qu'ils n'en ignorent et aient à s'y conformer.</p>
+
+<p>Fait au conseil d'État du roi, etc.»</p>
+</div>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="J" id="J"></a>J) <i>Différence entre les mots</i> sourd et muet <i>et</i> sourd-muet.</p>
+
+<p>Dans les premiers temps où le triste sort des enfants atteints de
+surdi-mutité éveilla la commisération publique, on se servait
+habituellement de l'expression <i>sourd et muet</i>. Ce n'est que vers la fin
+du dix-huitième siècle que <i>sourd-muet</i> devint le terme consacré.</p>
+
+<p>Quoi qu'il en soit de ces deux appellations, l'analogie fondée sur les
+rapports des causes avec leurs effets nous amène à établir entre l'un et
+l'autre une distinction raisonnée.</p>
+
+<p>La dénomination de <i>sourd et muet</i> suppose deux incapacités distinctes
+et ne découlant pas forcément l'une de l'autre; d'une part, l'incapacité
+d'entendre, occasionnée par la paralysie du nerf auditif ou par toute
+autre cause, de l'autre, l'incapacité absolue d'articuler la parole
+humaine, cette incapacité étant le résultat physiologique d'une
+paralysie ou lésion survenue dans la langue ou dans toute autre partie
+de l'appareil vocal, tandis que l'appellation de <i>sourd-muet</i> renferme,
+au contraire, l'idée du rapport direct de la surdité au mutisme, de
+telle façon que celui-ci soit considéré alors comme la conséquence
+obligée de celle-là.<a name="page_358" id="page_358"></a></p>
+
+<p>En thèse générale, ne remarque-t-on pas que l'appareil vocal de nos
+jeunes sourds-muets est tout aussi bien conformé que celui des jeunes
+entendants-parlants? Toutefois, évidemment les premiers ne réussissent
+pas, comme les seconds, toutes conditions égales, d'ailleurs, à acquérir
+l'usage, proprement dit, de la parole, savoir: la flexibilité, la
+pureté, la douceur, le charme de l'articulation. Quelle cause peut
+amener un tel désavantage si ce n'est l'inaction, plus ou moins
+prolongée, des organes vocaux du jeune sourd-muet, et surtout l'absence
+complète chez lui, de la surveillante, de l'institutrice élémentaire de
+la parole, du juge infaillible des sons, une oreille ouverte, attentive,
+exercée?</p>
+
+<p>N'est-on pas fondé a induire de là que, chez le jeune sourd-muet, les
+organes de la parole sont tout à fait dans le cas d'une arme dont les
+ressorts, faute d'usage, se rouilleraient et perdraient leur élasticité?</p>
+
+<p>Le nombre des <i>sourds et muets</i> paraît, en ce moment, si faible
+comparativement à celui <i>des sourds-muets</i>, que c'est de ces derniers
+seuls que les gouvernements s'occupent exclusivement aujourd'hui, et
+que, sur la porte des établissements qui leur sont consacrés, on ne lit
+plus que ces mots: <i>Institution</i> ou <i>école des sourds-muets</i> et non des
+<i>sourds et muets</i>.</p>
+
+<p>On a prétendu établir cinq catégories<a name="FNanchor_107_107" id="FNanchor_107_107"></a><a href="#Footnote_107_107" class="fnanchor">[107]</a> parmi les jeunes sourds-muets
+de chaque année réunis à l'Institution nationale de Paris, catégories
+qu'on a basées sur leurs différents degrés de surdité. Moi, homme
+incompétent en pareille matière, je laisse à tout autre le soin de
+constater l'exactitude ou l'inexactitude de cette remarque<a name="FNanchor_108_108" id="FNanchor_108_108"></a><a href="#Footnote_108_108" class="fnanchor">[108]</a>.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="K" id="K"></a>K) <i>Extrait de l'allocution de M. Ferdinand Berthier au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, du 11 décembre 1842</i>.</p>
+
+<p>«Mes amis! le moment qui s'enfuit est trop précieux, trop solennel pour
+que je néglige l'occasion qu'il m'offre de faire<a name="page_359" id="page_359"></a> un appel à votre
+concours de camarades et de frères. Cet appel n'est pas nouveau pour
+vous: déjà, il vous a été fait par moi; déjà vous vous y êtes associés
+de c&oelig;ur. Il s'agit de l'achat du tableau de notre frère Peyson (de
+Montpellier), représentant les derniers moments de l'abbé de l'Épée. Mes
+démarches pour y parvenir sont connues de plusieurs d'entre vous;
+malheureusement, à mon bien vif regret, jusqu'ici elles n'ont été
+couronnées d'aucune assurance positive. Quoi qu'il en soit, et pour
+l'acquit de ma conscience, il était de mon devoir, c'était, dans ma
+pensée, un parti pris de venir vous en rendre compte dans une occasion
+solennelle comme celle-ci. J'avais besoin de clore ainsi la mission de
+mandataire que vous m'aviez confiée depuis si longtemps et à laquelle je
+m'enorgueillis d'avoir toujours été fidèle. Permettez-moi donc, en
+finissant, de soumettre à votre approbation une nouvelle demande que
+j'ai signée et qu'aucun de vous, j'en suis sûr, ne refusera de signer, à
+mon exemple. Demain elle pourra être déposée entre les mains de M. le
+Ministre de l'intérieur. Que Dieu soit en aide aux pauvres
+sourds-muets!»</p>
+
+<p class="c"><i>Pétition à M. le comte Duchâtel, ministre de l'intérieur.</i></p>
+
+<p class="r">«Paris, le 11 décembre 1842.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Monsieur le ministre,</span><br />
+</p>
+
+<p>Les sourds-muets de tous les pays, de toutes les conditions, réunis
+aujourd'hui, suivant l'usage, en famille et dans un banquet pour fêter
+l'anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, pensent qu'ils ne
+sauraient mieux faire éclater leur reconnaissance envers celui qu'ils
+ont l'habitude d'appeler leur <i>père intellectuel</i> qu'en tendant vers
+Votre Excellence leurs mains timides, mais confiantes, et la sollicitant
+en faveur d'un des leurs, de Peyson, artiste distingué, auteur d'un
+portrait de l'abbé Sicard, que la liste civile a daigné lui commander
+pour le musée historique de Versailles, où il figure en ce moment.</p>
+
+<p>Peyson a, de plus, exposé, au salon de 1839, un grand tableau
+représentant <i>les deniers moments de l'abbé de l'Épée</i>. Cette &oelig;uvre
+remarquable n'a pas trouvé, jusqu'à ce jour, un Mécène.</p>
+
+<p>Peyson, sans protecteur, presque délaissé, aurait, depuis<a name="page_360" id="page_360"></a> longtemps,
+brisé son pinceau, si ses frères ne s'étaient efforcés de faire luire, à
+ses yeux, un rayon d'espérance en lui répétant qu'il y a ici-bas une
+Providence pour les jeunes talents malheureux. Votre Excellence ne
+refusera pas de réaliser cette prédiction de l'amitié en autorisant
+l'acquisition du tableau de notre artiste. Qui de nous peut en douter en
+se rappelant ce que vous avez déjà fait, Monsieur le ministre, pour un
+autre de nos frères, pour Léopold Loustau, peintre habile, à qui vous
+avez commandé successivement deux grands tableaux religieux?</p>
+
+<p>Tous les sourds-muets et tous leurs amis attendent avec une égale
+confiance l'effet de votre sollicitude en faveur de Peyson, son digne
+émule.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 20%;">Nous sommes, avec le plus profond respect,</span><br />
+<span style="margin-left: 30%;">Monsieur le Ministre,</span><br />
+<span style="margin-left: 50%;">Les très-humbles, etc.</span><br />
+</p>
+
+<p class="hang">Avec la plus instante recommandation à l'intérêt de Monsieur le Ministre
+de l'intérieur, L. De Jussieu, membre du Conseil supérieur des
+établissements de bienfaisance;</p>
+
+<p class="hang">A. de Lanneau, directeur de l'Institution royale des sourds-muets;
+Ferdinand Berthier, doyen des professeurs de l'Institution royale des
+sourds-muets; Victor Lenoir; de Nogent; Imbert; Salcède de Monville;
+Leroy; Pélissier; D<sup>el</sup> Portal; L. Fabrège; Bonniol; Ch. Michel; A.
+Lenoir; Léopold Loustau; Greux; Dumont; A. Gamble; Leguillon; Lardé;
+Brézillon; Worner; Damien; Fouret; Boudin; Convert; Boulard; de
+Widerkehr; Chomat; Steiner; Rouet; Duneuf; Dréville; Cervoni; Huart;
+Lemarié; Franclet; Bézu; Puybonnieux, professeur à l'Institution royale
+des sourds-muets; Pollet; Trezel; Nonnen; Michelet, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets;
+Queilhe; E. Allibert; Lecomte; Eug. Garay de Monglave, membre de la
+Commission Consultative de l'Institution royale des sourds-muets,
+remplissant les fonctions d'inspecteur-général des études; Léon Gilles;
+Robillard; A. Levassor.<a name="page_361" id="page_361"></a></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="L" id="L"></a>L) «<i>A Messieurs les membres de la Commission Consultative de
+l'Institution royale des sourds-muets de Paris.</i></p>
+
+<p class="r">«Paris, ce 14 mai 1845.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR</small>,</span><br />
+</p>
+
+<p>«J'ai l'honneur de vous rappeler qu'au dernier banquet annuel des
+sourds-muets en commémoration de l'anniversaire de la naissance de
+l'abbé de l'Épée, banquet auquel la plupart d'entre vous avaient bien
+voulu s'empresser de prendre part, j'avais été chargé, comme président,
+d'annoncer qu'un de nos frères, M. Peyson, peintre d'histoire, par un
+élan spontané de son c&oelig;ur reconnaissant, offrait à l'Institution
+royale de Paris son tableau représentant les derniers moments de ce
+grand homme de bien. Nous fûmes heureux de vous voir témoigner hautement
+que l'Institution, dont l'administration vous est confiée, serait fière
+de posséder dans son sein un souvenir d'un de nos artistes qui ont le
+mieux recueilli les précieux fruits de l'éducation qu'on reçoit dans cet
+établissement.</p>
+
+<p>«Si un v&oelig;u de sa part avait quelque droit à être écouté de vous, il
+demanderait que son tableau figurât dans votre salle du conseil, car il
+ne serait pas à sa place dans celle des séances publiques, qui, par la
+disposition du jour, nuirait plutôt à son exposition, et qui,
+d'ailleurs, renferme déjà un grand tableau reproduisant un beau trait de
+la vie de l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>«Les sourds-muets osent espérer que vous voudrez bien faire apposer au
+bas du tableau une inscription constatant, à la fois, et le nom du
+donateur, et le motif de son offrande.</p>
+
+<p>«Veuillez, le plus tôt que vous jugerez convenable, envoyer prendre le
+tableau, dans l'atelier du peintre, quai Bourbon, 39.</p>
+
+<p>«Permettez-moi, Messieurs, de saisir cette occasion de vous prier
+d'agréer l'hommage de notre reconnaissance et de celle de tous les
+élèves, qui seront heureux de voir multiplier autour d'eux l'image de
+leur créateur intellectuel.</p>
+
+<p>«Votre très-humble et très-obéissant serviteur,</p>
+
+<p class="r">«A. L<small>ENOIR.</small>»</p>
+
+<p><a name="page_362" id="page_362"></a></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="M" id="M"></a>M) L'emplacement actuel de l'Institution des sourds-muets de Paris fut
+jadis la propriété d'une colonie de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
+situé en Italie, dans le territoire de la république de Lucques, colonie
+connue sous le nom des <i>religieux de cet hôpital</i> ou de <i>frères
+pontifes</i> ou <i>constructeurs de ponts</i>.</p>
+
+<p>Nous ignorons l'époque précise de cette fondation à Paris. Seulement des
+lettres de Charles-le-Bel, de l'année 1322, ainsi que d'autres lettres
+de Philippe de Valois, de l'année 1335, nous apprennent que ces
+religieux avaient la jouissance de la moitié d'un local nommé le <i>Clos
+du roi</i>; qu'ils y recueillaient les pèlerins de la Terre-Sainte, et
+portaient le signe du tan sur leurs habits. On les appelait aussi les
+<i>frères hospitaliers</i>.</p>
+
+<p>Leur première chapelle fut bénie en 1350. Une autre plus vaste, dont les
+chefs avaient le titre de <i>commandeurs</i>, s'éleva en 1519, et fut érigée,
+dans le cours de 1566, en succursale de l'église paroissiale, malgré
+l'opposition des curés du voisinage.</p>
+
+<p>«Avons permis et permettons, porte la Sentence de l'Official de Paris,
+aux manants et habitants desdits faubourgs de la porte Saint-Jacques et
+de Notre-Dame-des-Champs, avoir, à leurs dépens, autres personnes qui
+<i>disent, chantent et célèbrent</i> à haute voix, et avec chants, lesdits
+offices divins, etc.»</p>
+
+<p>En 1572, il ne restait plus que deux religieux dans cet hôpital, presque
+abandonné. Catherine de Médicis s'étant fait bâtir un nouvel hôtel
+appelé <i>Hôtel de la reine</i>, et, plus tard, <i>Hôtel de Soissons</i>, sur
+l'emplacement qu'occupaient alors les <i>Filles repenties</i>, et où s'élève
+aujourd'hui la Halle au Blé, ces filles, dépossédées, vinrent
+s'installer dans le monastère des moines de Saint-Magloire, qui, par
+contre coup, prirent possession de la maison de
+Saint-Jacques-du-Haut-Pas, emportant avec eux les reliques de leur
+patron. De là cette demeure prit le nom de leur ordre.</p>
+
+<p>La chapelle du monastère vit, en 1584, s'édifier, à côté d'elle, une
+nouvelle succursale, consacrée aux besoins spirituels des fidèles du
+quartier, qui ne pouvaient guère s'accommoder des heures des religieux.</p>
+
+<p>Mais cette église fut bientôt trouvée si petite, qu'on se vit<a name="page_363" id="page_363"></a> forcé,
+dans l'année 1630, d'en entreprendre la reconstruction, qui ne put être
+terminée qu'en 1688. <i>Monsieur</i>, frère de Louis XIII, en avait posé la
+première pierre, et les libéralités du prince de Longueville
+contribuèrent à son achèvement.</p>
+
+<p>Le bâtiment qui avait servi à l'ancien hôpital, et qui fut démoli en
+1823, était séparé de l'église paroissiale par une ruelle connue, à
+cette époque, sous le nom de rue des <i>Deux Eglises</i>, auquel celui de rue
+de <i>l'Abbé de l'Épée</i> a été récemment substitué, à la demande de
+l'Institution des sourds-muets.</p>
+
+<p>La vie que menaient les moines de Saint-Magloire, scandalisa tellement
+l'évêque de Paris, Henri de Gondi, qu'il résolut de les supprimer, et de
+donner leur établissement aux prêtres de l'Oratoire. Cette maison devint
+ainsi le premier séminaire dont la capitale ait été pourvue. Elle se
+maintint avec cette destination jusqu'à la révolution de 1792, qui y
+transféra, ainsi que nous l'avons dit, l'Institution des sourds-muets,
+fondée par l'abbé de l'Épée.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>Voici la description exacte de cet édifice, tel qu'il existe
+aujourd'hui:</p>
+
+<p>Il est situé au-dessus de l'église de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. Son
+portail, lourd et massif, disgracieux à l'&oelig;il, n'offre rien de
+remarquable comme &oelig;uvre architecturale. Les principaux corps de
+logis, formant les trois côtés de la grande cour, sont: le bâtiment des
+garçons, en face de l'entrée; à gauche, celui des filles; à droite, un
+autre bâtiment qui renferme un atelier (celui des menuisiers), la salle
+des séances publiques, communiquant à la Bibliothèque, l'infirmerie des
+garçons, outre les logements du médecin, de l'aumônier et des employés.
+Au nord, un vaste appendice a été consacré à tous les détails de
+l'administration et aux appartements du directeur, du professeur faisant
+fonctions de sous-directeur et du receveur-économe. La salle des séances
+de la Commission Consultative est attenante aux premiers. Du même côté,
+se déroulent trois jardins: le premier est destiné au directeur, le
+second au receveur-économe, le troisième à l'aumônier. Le niveau de ces
+trois jardins, qui côtoyent la rue de l'abbé de l'Épée, est élevé d'un
+mètre au-dessus de celui du grand jardin de la maison.<a name="page_364" id="page_364"></a></p>
+
+<p>Comme les trois petits jardins qui l'avoisinent, le bâtiment en question
+donne sur la rue de l'abbé de l'Épée, et fait angle intérieurement, du
+côté du grand jardin, avec la façade du principal corps de logis.</p>
+
+<p>Pour isoler complétement l'Institution des sourds-muets, on a démoli, il
+y a quelques années, une vieille masure formant l'angle des rues d'Enfer
+et de l'abbé de l'Épée, laquelle avait abrité jadis le quartier des
+filles, et tombait en ruine depuis long-temps.</p>
+
+<p>L'ensemble de ces constructions, surmontées de paratonnerres, et élevées
+de quatre étages, réunit presque toutes les conditions de commodité et
+de salubrité désirables.</p>
+
+<p>Le bâtiment des garçons, faisant face au grand portail, est situé entre
+le jardin, avec terrasse au couchant, et la cour au levant. Dans cette
+cour, on contemple un orme colossal, dont la tête domine majestueusement
+les plus hautes maisons du quartier Saint-Jacques, et s'aperçoit de
+toutes les éminences de Paris et des alentours. Ce géant végétal, dont
+l'existence remonte à plus de trois siècles, ombragea le bon La
+Fontaine, lorsqu'il vint passer deux ans dans une cellule du séminaire
+de Saint-Magloire. Il vit s'asseoir fréquemment aussi, sous son
+feuillage, l'éloquent auteur du <i>Petit Carême</i>.</p>
+
+<p>Un bassin occupe le centre du jardin, à l'extrémité duquel règne un
+quinconce de beaux tilleuls, au milieu duquel s'élève un gymnase. Au
+fond de ce quinconce, un mur sépare d'une institution de jeunes parlants
+une longue file d'élégants parterres que nos jeunes sourds-muets se
+plaisent à cultiver à leurs heures de récréation. Le Jardin des Plantes
+leur envoie le superflu de ses richesses. A frais communs, ils y ont
+taillé, industrieux horticulteurs, des voûtes, des berceaux, des grottes
+de charmille. Là, faisant trêve à leurs jeux, ils se groupent pour
+étudier sur des tables éparses, et, dans leur libéralité, livrent
+ensuite, tout le reste du jour, leurs fraîches oasis à qui veut en
+jouir.</p>
+
+<p>La maison des garçons est surmontée d'une horloge à deux cadrans
+tournés, l'un vers la cour, l'autre du côté du jardin. Cette horloge est
+abritée par un petit campanile que couronne une girouette. Tout le long
+de la grande façade de la cour règne,<a name="page_365" id="page_365"></a> au rez-de-chaussée, une galerie
+couverte, intérieurement tapissée de tableaux extraits de revues pour
+les enfants; d'images reproduisant leurs jeux; de cartes géographiques;
+de tableaux synoptiques d'histoire; de gravures représentant les
+hauts-faits des annales de tous les peuples, les merveilles de la
+nature, les grands hommes de France, etc., etc. Ses piliers supportent,
+au premier étage, une autre galerie vitrée, faisant saillie sur le
+bâtiment. Le long du rez-de-chaussée s'ouvrent des salles d'étude, un
+atelier (celui des tourneurs), le réfectoire, la cuisine et l'office.</p>
+
+<p>Il y a, dans l'établissement, deux escaliers conduisant aux divers
+étages. Le plus grand a des marches en pierre et une rampe en fer;
+l'autre est en bois.</p>
+
+<p>Le premier étage est occupé par les classes et la chapelle; le second,
+par les salles de dessin et d'écriture et par les trois ateliers de
+lithographes, de cordonniers et de tailleurs; les troisième et
+quatrième, par les dortoirs. Celui des plus grands élèves est au
+troisième; celui des plus petits, au quatrième. Au troisième, tous les
+lits sont de fer, tandis que, au quatrième, il n'y a presque que des
+lits de bois. Au bout de chaque dortoir, on a pratiqué un vestiaire et
+un salon de toilette, avec lavabo. Les rez-de-chaussée sont pavés en
+dalles; le reste de l'établissement est parqueté.</p>
+
+<p>Les classes sont au nombre de six, que domine une septième, dite <i>de
+perfectionnement</i>, fondée par feu le docteur Itard, ancien médecin de
+l'Institution. Les arrivants suivent, d'année en année et de classe en
+classe, le professeur respectif qui les a reçus à leur entrée dans la
+maison, lequel leur fait ainsi parcourir l'échelle graduelle du cours
+général d'études, fixé à six années par le règlement. C'est ce qu'on
+appelle le <i>système de rotation</i>. L'enseignement comprend les préceptes
+de la religion et les éléments de grammaire générale, d'histoire, de
+géographie et de calcul, sans compter la parole artificielle et la
+lecture sur les lèvres, enseignées par un professeur et son adjoint,
+dans deux salles d'étude, à tous les élèves qui font preuve de
+dispositions pour cette double spécialité.</p>
+
+<p>Il y a, dans chaque classe, des tableaux noirs, sur lesquels la leçon
+est écrite à la craie, et une rangée de pupitres, devant<a name="page_366" id="page_366"></a> lesquels les
+jeunes sourds-muets, assis, écrivent sur des ardoises les dictées qu'on
+leur fait par signes, ou les compositions dont on leur donne le sujet.</p>
+
+<p>Les élèves de sixième année sont, en outre, admis à un concours annuel
+qui détermine l'admission de deux d'entre eux, pour trois années de
+plus, à la classe de perfectionnement dont nous avons parlé, et qui doit
+toujours se composer de six élèves.</p>
+
+<p>Tous les exercices de la maison des garçons ont lieu au son de la
+caisse, qu'ils battent eux-mêmes, avec la précision, avec l'ensemble de
+vieux tambours de la ligne, et dont les moindres vibrations leur sont
+sensibles, soit par l'épigastre, soit par la plante des pieds ou la
+paume des mains.</p>
+
+<p>Dans la chapelle, éclairée par cinq fenêtres percées dans le mur de
+droite et ornée de quatorze bas-reliefs en plastique, représentant le
+Chemin de la Croix, on remarque, derrière le maître-autel, un grand
+tableau de Steph. Barth. Garnier, qui représente Jésus-Christ rendant
+l'ouïe et la parole à un jeune sourd-muet.</p>
+
+<p>Sur l'arc de la voûte qui couronne cette peinture, on lit cette
+inscription:</p>
+
+<p>«Il a bien fait toutes choses. Il a fait entendre les sourds et parler
+les muets.»</p>
+
+<p class="r">«Saint-Marc, ch. <small>VII</small>, verset <small>XXXVII</small>.»</p>
+
+<p>A gauche, on admire le beau tableau dont nous avons parlé, &oelig;uvre et
+don affectueux d'un sourd-muet vivant, Frédéric Peyson, ancien élève de
+l'École, et disciple de Léon Cogniet, représentant <i>les derniers moments
+de l'abbé de l'Épée</i>. A côté, un second autel avec la statue de la
+Sainte Vierge. A droite, enfin, une plaque de marbre portant cette
+inscription en lettres d'or:</p>
+
+<p>«L'an 1805 et le 13 février, cette chapelle a été solennellement bénie
+et consacrée à Dieu, sous l'invocation de saint Roch et de saint
+Ambroise, par Sa Sainteté le pape Pie VII, lors de sa visite à cette
+Institution, sous le ministère de Son Excellence Monseigneur de
+Champagny; étant administrateurs,<a name="page_367" id="page_367"></a> MM. Brousse-Desfaucherets, Mathieu de
+Montmorency, Bonnefoux, Duquesnoy, Sicard.</p>
+
+<p>«Réédifiée en 1830, par A.-M. Peyre, architecte.»</p>
+
+<p>Au-dessus de la porte du saint lieu règne une tribune destinée aux
+jeunes sourdes-muettes, et au-dessous un confessionnal.</p>
+
+<p>Dans les classes et les études, toutes les prières sont faites, à tour
+de rôle, par un élève, à l'aide de la mimique.</p>
+
+<p>Sous la chapelle est la cuisine, spacieuse et bien tenue, munie d'un
+réservoir qu'on remplit au moyen d'une pompe, et d'un grand fourneau de
+fonte, sur lequel est appendue une abondante batterie de cuisine. Par un
+perron de quelques marches on monte de cette pièce au réfectoire des
+garçons, dont la fontaine est de marbre, ainsi que les tables, qui
+reposent sur des pieds de fonte; au moyen d'un tour pratiqué dans
+l'office, la même cuisine dessert le réfectoire des filles, qui en est
+entièrement séparé, et occupe l'autre extrémité des bâtiments.</p>
+
+<p>En arrivant dans la salle des séances publiques, qui se trouve dans
+l'aile de droite, en entrant par la rue Saint-Jacques, le regard
+s'arrête, tout d'abord, sur un grand tableau exécuté et donné à
+l'Institution, en 1835, par Ponce Camus. Cette peinture représente le
+jeune sourd-muet connu sous le nom du <i>comte de Solar</i>(sujet du drame de
+M. Bouilly, joué à la Comédie-Française), accompagné de son maître et
+protecteur, l'abbé de l'Épée, reconnaissant la maison où il a vu le
+jour, sur une des places publiques de Toulouse. Aux murs de droite et de
+gauche sont gravés les noms des anciens administrateurs de
+l'établissement, qu'on retrouve encore entre les bustes du fondateur et
+de son élève et successeur, l'abbé Sicard. Ces deux vénérables images
+ornent les deux côtés du tableau noir destiné aux exercices publics, sur
+lequel repose un autre buste plus grand de l'abbé de l'Épée, &oelig;uvre
+remarquable de M. Auguste Préault. Au-dessus du tableau noir on lit
+cette inscription:</p>
+
+<p>«L'École des sourds-muets, en France, a été fondée par l'abbé de l'Épée,
+qui l'a établie à ses frais, en 1760, rue des Moulins, à la butte
+Saint-Roch. Elle a été érigée en Institution nationale par les lois des
+24 et 29 juillet 1791.»</p>
+
+<p>Devant le tableau règne une estrade consacrée aux exercices,<a name="page_368" id="page_368"></a> d'où l'on
+descend, par un double perron, à une série de gradins disposés en
+amphithéâtre pour le public. Le long du mur de droite on lit, sur une
+pierre de marbre:</p>
+
+<p>«M<sup>me</sup> Suzanne-Elisabeth-Eulalie Champion, veuve Vignette, décédée à
+Paris, le 3 février 1831, a légué à l'Institution royale des
+sourds-muets trois fermes, sous la condition que, à perpétuité, huit
+enfants sourds-muets, pauvres, seraient admis gratuitement dans cette
+Institution.»</p>
+
+<p>Le mur de gauche a pour pendant cette autre inscription:</p>
+
+<p>«Jean-Marc-Gaspard Itard, chevalier de la Légion-d'Honneur, membre de
+l'Académie royale de médecine et de plusieurs Sociétés savantes,
+médecin, pendant trente-huit ans, de l'Institution, né à Oraison
+(Basses-Alpes), le 15 avril 1774, décédé le 5 juillet 1838, a, par son
+testament, fait à Paris, le 4 octobre 1837, légué a cette Institution
+huit mille francs de rente perpétuelle, 5 pour 100, pour y fonder une
+classe d'instruction complémentaire et six bourses triennales gratuites
+en faveur de six sourds-muets désignés au concours parmi les élèves qui
+ont atteint le terme ordinaire des études.</p>
+
+<p>«Le conseil d'administration a voulu que ce marbre perpétuât le souvenir
+de ce bienfait et l'expression de la reconnaissance de l'Institut.»</p>
+
+<p>L'uniforme des garçons est, à peu près, le même que celui des jeunes
+lycéens parlants. Les dimanches et jours fériés, il consiste en une
+tunique, un pantalon et un képi de drap bleu foncé, avec liséré rouge.
+Pendant la semaine, ils sont vêtus d'une blouse bleue.</p>
+
+<p>Les élèves sont divisés en compagnies et en pelotons, ayant à leur tête
+un sergent-major, des sergents et des caporaux, portant fièrement, sur
+leurs manches, les marques distinctives de leurs grades respectifs.</p>
+
+<p>Deux petits pavillons, élevés des deux côtés du grand portail, font
+saillie sur la cour. Dans l'un est le bureau du contrôleur du service;
+l'autre sert de logement au concierge.</p>
+
+<p>Pour entrer dans le quartier des filles, on passe devant ce dernier
+pavillon, qui est contigu à la salle des bains, et l'on arrive à la loge
+spéciale de la portière de cette partie de la maison.<a name="page_369" id="page_369"></a></p>
+
+<p>La distribution du quartier des filles reproduit, à peu de choses près,
+en diminutif, celle du quartier des garçons. Cette aile de l'édifice est
+composée de quatre étages.</p>
+
+<p>Le rez-de-chaussée renferme une pièce d'entrée, avec une fontaine au
+fond, une salle de récréation et un réfectoire. De là on descend par
+quelques marches dans un jardin, clos de murs, contenant un bassin et un
+gymnase, sans compter les parterres des sous-maîtresses.</p>
+
+<p>Le premier étage est occupé par les classes et par une grande salle
+d'étude, qui se transforme en ouvroir, à certaines heures du jour; le
+second, par les dortoirs; le troisième, par l'infirmerie et la lingerie;
+le quatrième, par les logements de la surveillante en chef et de ses
+subordonnées.</p>
+
+<p>L'établissement entier, qui a coûté plus de 1,200,000 francs, a été
+élevé par la munificence du gouvernement, à la place des vieux bâtiments
+de l'hôpital Saint-Jacques-du-Haut-Pas, qui, ainsi que nous l'avons dit
+plus haut, menaçaient ruine, ayant été construits en 1386, sous
+Philippe-le-Hardi.</p>
+
+<p>Le personnel des deux établissements se compose comme suit: un directeur
+responsable, assisté d'une commission consultative de quatre membres,
+qui se renouvelle par quart; un receveur-économe et un aumônier.</p>
+
+<p>Quartier des garçons: sept professeurs, dont quatre sourds-muets (un des
+professeurs parlants remplit les fonctions de sous-directeur; un autre,
+celles de bibliothécaire-archiviste).</p>
+
+<p>Un professeur suppléant, un surveillant sourd-muet, un maître d'étude
+sourd-muet, des aspirants sourds-muets ou parlants, dont le nombre est
+fixé, chaque année, par le ministre; six chefs d'ateliers, dont un
+sourd-muet; un maître de dessin, un maître d'écriture, un contrôleur du
+service, un veilleur et cinq hommes de peine.</p>
+
+<p>166 élèves, dont 100 à la charge du gouvernement, et 8 aux frais des
+familles.</p>
+
+<p>Quartier des filles: une surveillante en chef, trois dames professeurs,
+trois répétitrices, des aspirantes dont le nombre est également fixé
+chaque année; deux maîtresses d'étude, dont une sourde-muette; une
+maîtresse de dessin, une maîtresse<a name="page_370" id="page_370"></a> d'écriture, une infirmière, une
+portière, une veilleuse et deux servantes, dont une sourde-muette.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="N" id="N"></a>N) <i>Le</i> 17 <i>décembre, on lisait dans le</i> N<small>ATIONAL</small>:</p>
+
+<p>«La lettre de M. Berthier, sur l'absence du portrait de l'abbé de l'Épée
+au Musée de Versailles, a inspiré à un jeune sourd-muet de Gourdon les
+vers suivants, que nous nous faisons un devoir d'insérer dans nos
+colonnes. Nous donnons rarement place à des vers, à cette époque peu
+poétique; mais on ne lira pas, sans en être vivement touché, cette
+nouvelle preuve des bienfaits de l'abbé de l'Épée. Son génie a rendu la
+vie morale à ceux dont l'âme aurait passé, sans guide et sans flambeau,
+de la nuit d'ici-bas dans la nuit de la tombe.»</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center">LE SOURD-MUET.</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Et souvent je me dis: Pourquoi, sur cette terre,</td></tr>
+<tr><td align="left">Où l'homme n'a reçu qu'une vie éphémère,</td></tr>
+<tr><td align="left">Doit-il toujours pleurer, doit-il toujours gémir?</td></tr>
+<tr><td align="left">Est-ce un crime de naître, une loi de souffrir?</td></tr>
+<tr><td align="left">Bercé d'illusions, dévoré de rancune,</td></tr>
+<tr><td align="left">Revêtu de douleur, couronné d'infortune,</td></tr>
+<tr><td align="left">Pourquoi meurt-il éteint par la fatalité?</td></tr>
+<tr><td align="left">Que de maux ont pesé sur notre humanité!</td></tr>
+<tr><td align="left">Sans doute que, parmi ces brillantes planètes</td></tr>
+<tr><td align="left">Qui scintillent aux cieux et roulent sur nos têtes,</td></tr>
+<tr><td align="left">Un météore horrible, annonçant le malheur,</td></tr>
+<tr><td align="left">N'éclaire que misère, et souffrance, et douleur,</td></tr>
+<tr><td align="left">Qu'il embrase le monde, et, de son orbe immense,</td></tr>
+<tr><td align="left">Répand dans tous les lieux sa funeste influence.</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Sous cet astre fatal ma mère me conçut;</td></tr>
+<tr><td align="left">Au cri de mes douleurs mon père me reçut.</td></tr>
+<tr><td align="left">Le malheur fut mon roi. Le c&oelig;ur rongé d'envie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Il m'avait attendu sur le seuil de la vie;</td></tr>
+<tr><td align="left">Et, quand, dans mon berceau, le double éclat des cieux,</td></tr>
+<tr><td align="left">Pour la première fois, resplendit à mes yeux,<a name="page_371" id="page_371"></a></td></tr>
+<tr><td align="left">Un plus épais nuage enveloppa mon âme.</td></tr>
+<tr><td align="left">Nulle voix d'harmonie, ou d'espoir, ou de flamme,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ne vint me convier aux champs de l'avenir.</td></tr>
+<tr><td align="left">Orphelin, sans amis, ange déchu, martyr,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sur le portail doré qui s'ouvre à l'existence,</td></tr>
+<tr><td align="left">Je n'ai pas lu ce mot, ce doux mot: <i>Espérance</i>!</td></tr>
+<tr><td align="left">Comme le nautonnier égaré dans les mers,</td></tr>
+<tr><td align="left">Errant de plage en plage, et, seul dans l'univers,</td></tr>
+<tr><td align="left">Moi, sur l'esquif brisé, pilote sans étoile,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sans un souffle qui vînt, le soir, enfler ma voile,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sur la mer de la vie, à la merci des flots,</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ai vogué tristement à travers bien des maux.</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Du moins, dans son naufrage, une voix le console.</td></tr>
+<tr><td align="left">C'est l'alcyon plaintif qui, sur l'eau, chante et vole;</td></tr>
+<tr><td align="left">C'est le vent qui soupire à l'oreille en passant;</td></tr>
+<tr><td align="left">C'est l'écume blanchâtre, au reflet caressant.</td></tr>
+<tr><td align="left">Ces vibrations d'air, musique aérienne,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ces concerts, aussi doux qu'une âme éolienne,</td></tr>
+<tr><td align="left">Parlent au nautonnier: sensible à cet accord,</td></tr>
+<tr><td align="left">Captif lui-même, il chante, il s'oublie, il s'endort.</td></tr>
+<tr><td align="left">Moi, pauvre sourd-muet, dans ce désert immense,</td></tr>
+<tr><td align="left">Je n'eus pas une voix pour charmer ma souffrance.</td></tr>
+<tr><td align="left">Ma mère, en son amour, me berçant sur son sein,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ne ferma pas mes yeux au souffle d'un refrain.</td></tr>
+<tr><td align="left">Dans mot isolement, jamais tendre parole</td></tr>
+<tr><td align="left">Qui fait bondir le c&oelig;ur, qui ramène et console,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sur mon âme captive, en sons mélodieux,</td></tr>
+<tr><td align="left">N'est descendue, hélas! messagère des cieux.</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Hélas! je traversais, sans amis et sans guide,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ce monde, ne m'offrant qu'un désert bien aride,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ne sachant où j'allais et d'où j'étais venu,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ignorant l'univers, à moi-même inconnu.</td></tr>
+<tr><td align="left">Amour, gloire, vertu, beaux-arts et poésie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Grave inspiration, légère fantaisie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Tous vos dons me manquaient pour exalter mon c&oelig;ur,</td></tr>
+<tr><td align="left">Pour me guider au bien, au plaisir, au bonheur.<a name="page_372" id="page_372"></a></td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Ils passaient à mes yeux, ils passaient sur mon âme,</td></tr>
+<tr><td align="left">Comme un feu sous le vent, sans irriter la flamme.</td></tr>
+<tr><td align="left">Je t'ignorais encor, douce religion.</td></tr>
+<tr><td align="left">Trésor de dévoûment, de consolation,</td></tr>
+<tr><td align="left">De l'homme malheureux visible Providence,</td></tr>
+<tr><td align="left">Toi qui, dans cet enfer, lui portes l'espérance,</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ignorais que l'on pût, sous tes blanches couleurs,</td></tr>
+<tr><td align="left">Épancher en silence et ses maux et ses pleurs,</td></tr>
+<tr><td align="left">Et qu'il me fût permis, à la fête d'Isaure<a name="FNanchor_109_109" id="FNanchor_109_109"></a><a href="#Footnote_109_109" class="fnanchor">[109]</a>,</td></tr>
+<tr><td align="left">Écartant les douleurs qui m'agitent encore,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sur un luth gracieux laissant glisser mes doigts,</td></tr>
+<tr><td align="left">Chanter, comme aujourd'hui, mes peines d'autrefois,</td></tr>
+<tr><td align="left">Mes rêves d'avenir, d'amour, de délivrance,</td></tr>
+<tr><td align="left">Dire l'hymne sacré de la reconnaissance,</td></tr>
+<tr><td align="left">Et, de la mélodie invoquant les faveurs,</td></tr>
+<tr><td align="left">Aspirer à cueillir la poésie en fleurs.</td></tr>
+<tr><td align="left">Et toi, lyre fidèle, aux paroles de flamme,</td></tr>
+<tr><td align="left">Délices de mon c&oelig;ur, doux écho de mon âme,</td></tr>
+<tr><td align="left">Mon amour, mon souci, mon trésor et mon Dieu,</td></tr>
+<tr><td align="left">Il m'eût fallu te dire un éternel adieu!</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Béni soit à jamais l'art divin de l'Épée!</td></tr>
+<tr><td align="left">Mon âme, par sa voix, se relève frappée;</td></tr>
+<tr><td align="left">Il l'a dit, et j'ai vu surgir à l'horizon</td></tr>
+<tr><td align="left">Le flambeau de l'esprit, l'astre de la raison;</td></tr>
+<tr><td align="left">Ces rayons bienfaisants, de leur vive lumière</td></tr>
+<tr><td align="left">Éclairent, à mes yeux, une vaste carrière.</td></tr>
+<tr><td align="left">L'ange de poésie, ange gardien du c&oelig;ur,</td></tr>
+<tr><td align="left">Est descendu du ciel m'enivrer de douceur;</td></tr>
+<tr><td align="left">Sous son aile d'amour, à sa voix d'harmonie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Je me suis abrité, devinant le génie:</td></tr>
+<tr><td align="left">Il m'ouvre, en souriant, un avenir heureux;</td></tr>
+<tr><td align="left">Il me prête son luth, et nous chantons tous deux.</td></tr>
+<tr><td align="left">Souvenir enivrant! à son réveil, mon âme</td></tr>
+<tr><td align="left">Se consume d'extase, et d'ivresse, et de flamme;<a name="page_373" id="page_373"></a></td></tr>
+<tr><td align="left">Ravi, hors de moi-même, en cet instant si doux,</td></tr>
+<tr><td align="left">Je bénis le bon ange, et fléchis les genoux.</td></tr>
+<tr><td align="left">Lui, soudain, agitant sa baguette magique,</td></tr>
+<tr><td align="left">A mes yeux, fait jaillir un univers mystique,</td></tr>
+<tr><td align="left">Univers idéal, monde mélodieux</td></tr>
+<tr><td align="left">Où mille doux échos, comme un essaim joyeux</td></tr>
+<tr><td align="left">D'esprits aériens, de légères sylphides,</td></tr>
+<tr><td align="left">Apportent à mon c&oelig;ur des accents frais, splendides,</td></tr>
+<tr><td align="left">Des bruits surnaturels, de ravissants accords,</td></tr>
+<tr><td align="left">L'extase de la lyre et ses vagues transports,</td></tr>
+<tr><td align="left">Concerts délicieux, musique intérieure</td></tr>
+<tr><td align="left">Qui font qu'en écoutant, l'âme palpite et pleure.</td></tr>
+<tr><td align="left">Reprends ta harpe d'or, terrestre séraphin,</td></tr>
+<tr><td align="left">Poëte de l'espoir, chantre de Jocelyn!</td></tr>
+<tr><td align="left">Ouvre à nos pas errants tes lacs mélancoliques</td></tr>
+<tr><td align="left">Et sème notre ciel d'étoiles poétiques!</td></tr>
+<tr><td align="left">Dans mon exil moral, un Dieu m'a visité;</td></tr>
+<tr><td align="left">Il s'est fait mon ami, ce Dieu de charité;</td></tr>
+<tr><td align="left">Il a brisé mes fers... J'ai volé vers ta sphère;</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ai senti ton éclat inonder ma paupière;</td></tr>
+<tr><td align="left">Ivre de ton ivresse et rempli de tes vers,</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ai tenté mon essor, au bruit de tes concerts.</td></tr>
+<tr><td align="left">Une lyre à la main, guidé par ton génie,</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ai, comme un rêve d'or, goûté ton harmonie,</td></tr>
+<tr><td align="left">Céleste volupté! charmante illusion!</td></tr>
+<tr><td align="left">Et, soudain, au flambeau de l'inspiration,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ravi d'enthousiasme, en mes élans immenses,</td></tr>
+<tr><td align="left">J'ai secoué mon aile aux pures jouissances.</td></tr>
+<tr><td align="left">Pareil au jeune aiglon qui, dans son frêle essor,</td></tr>
+<tr><td align="left">Attiré par l'instinct, d'une aile faible encor</td></tr>
+<tr><td align="left">S'essaie, en se jouant, sur les profonds abîmes,</td></tr>
+<tr><td align="left">Ou, rasant des rochers les gigantesques cimes,</td></tr>
+<tr><td align="left">Va là-haut contempler l'astre de l'univers;</td></tr>
+<tr><td align="left">Long-temps se balançant dans l'empire des airs,</td></tr>
+<tr><td align="left">Aspirant, beau d'orgueil, à braver les orages,</td></tr>
+<tr><td align="left">Il monte, monte encor par dessus les nuages!</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Gloire à toi, de l'Épée! Oh! si jamais ma voix,<a name="page_374" id="page_374"></a></td></tr>
+<tr><td align="left">Pour immortaliser le héros de mon choix,</td></tr>
+<tr><td align="left">Pouvait, dans ses accents, égaler mon délire,</td></tr>
+<tr><td align="left">Si jamais je pouvais demander à ma lyre</td></tr>
+<tr><td align="left">Des vers heureux, échos d'infinis sentiments,</td></tr>
+<tr><td align="left">C'est pour toi que j'aurais mes plus sublimes chants.</td></tr>
+<tr><td align="left">Pour toi, j'exhalerais honneur, reconnaissance.</td></tr>
+<tr><td align="left">Mes succès seraient doux et mon ivresse immense.</td></tr>
+<tr><td align="left">De quel nom te nommer, mon second créateur,</td></tr>
+<tr><td align="left">Et sur quel piédestal un transport de mon c&oelig;ur</td></tr>
+<tr><td align="left">Doit-il placer ton buste, éterniser ta gloire,</td></tr>
+<tr><td align="left">Perpétuer ton &oelig;uvre et venger ta mémoire?</td></tr>
+<tr><td align="left">O tendre de l'Épée, ange de charité,</td></tr>
+<tr><td align="left">Sois à jamais béni dans la postérité!</td></tr>
+<tr><td align="left">Ton génie immortel, vainqueur de la nature,</td></tr>
+<tr><td align="left">Concevant l'impossible, a comblé la mesure</td></tr>
+<tr><td align="left">De l'abîme profond où m'avait relégué</td></tr>
+<tr><td align="left">Le malheur qu'en naissant, le sort m'avait légué.</td></tr>
+<tr><td align="left">Amour et gloire à toi! plein du Dieu qui m'anime,</td></tr>
+<tr><td align="left">Je redirai toujours ton dévoûment sublime.</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="right">P<small>ÉLISSIER</small>, de Gourdon (Lot),</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="right"><small>Professeur sourd-muet à l'Institution nationale de Paris.</small></td></tr>
+</table>
+
+<div class="blockquot2">
+<p>(<a name="O" id="O"></a>O) <i>A Monsieur Dupin aîné, président de la Chambre des députés.</i></p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">«M<small>ONSIEUR LE PRÉSIDENT,</small></span><br />
+</p>
+
+<p>Les journaux ont bien voulu s'empresser de rendre public notre v&oelig;u
+relatif au monument de l'abbé de l'Épée, et ils sont prêts à nous ouvrir
+leurs colonnes à cet effet. Nous venons, au nom de nos frères, vous
+offrir la présidence de la commission qui surveillerait et dirigerait
+cette &oelig;uvre éminemment philanthropique. Elle se composerait de MM. le
+baron de Schonen, le baron Séguier, le vicomte de Chateaubriand,
+Chapuys-Montlaville, Eugène Garay de Monglave, l'abbé Olivier, Cavé,
+chef de la division des beaux-arts (de laquelle ressortissent les écoles
+des sourds-muets); Ferdinand Berthier, président de la Société<a name="page_375" id="page_375"></a> centrale
+des sourds-muets; Forestier, vice-président, et Lenoir, secrétaire.
+L'intérêt que vous portez à nos frères ne nous permet pas de douter de
+votre assentiment.»</p>
+</div>
+
+<p>(<a name="P" id="P"></a>P) <i>Lettre de M. Victor Lenoir, architecte du gouvernement, à M.
+Ferdinand Berthier, en date du 12 juin 1838.</i></p>
+
+<p>«J'ai pour l'abbé de l'Épée la reconnaissance d'un fils: il a élevé mon
+frère avec vous, et j'ai pris l'habitude de me croire de la famille des
+sourds-muets.</p>
+
+<p>«J'éprouve le plus vif désir de m'associer à votre pieuse intention de
+lui élever un monument durable comme ses bienfaits.</p>
+
+<p>«Les fonds de la souscription détermineront le degré de richesse du
+monument; tâchez d'obtenir la statue assise, en bronze, de l'abbé de
+l'Épée, enseignant deux enfants attentifs à son regard, sinon un
+piédestal portant des bas-reliefs en bronze, et, sur le piédestal, un
+livre, signe de l'Évangile de l'apôtre des sourds-muets!</p>
+
+<p>«J'offre à la commission de lui proposer divers projets, en lui
+soumettant les devis; je ne demande, ni honoraires, ni gloire, car je
+veux seulement signer mon &oelig;uvre de mon nom de frère d'un sourd-muet.</p>
+
+<p>«Agréez tous mes compliments et mes amitiés!»</p>
+
+<p class="c"><br />
+<i>Autre lettre du même à M. Ferdinand Berthier et à<br />
+M. Alphonse Lenoir.</i></p>
+
+<p>«Mon cher ami, et mon cher frère, je vous renouvelle l'offre de
+m'associer à l'&oelig;uvre pieuse qui a pour but d'élever un monument à
+l'abbé de l'Épée, le père intellectuel de tous les sourds-muets.</p>
+
+<p>«Je vous offre mon concours gratuit comme architecte du gouvernement.
+Les fonds de la souscription détermineront le caractère de richesse du
+monument. Tâchez d'obtenir qu'on fasse une statue en bronze, assise, et
+aux trois quarts de nature! A défaut, que des bas-reliefs et un
+médaillon, sur un piédestal en marbre, rappellent, au moins, les
+principaux traits de la vie la plus généreuse et la plus utile!</p>
+
+<p>«Agréez mes embrassements de frère!»<a name="page_376" id="page_376"></a></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>(<a name="Q" id="Q"></a>Q) Pièces à l'appui de la proposition de MM. Lassus, architecte, et
+Auguste Préault, statuaire.</p>
+
+<p class="c">DEVIS ESTIMATIF DE TROIS PROJETS<br />
+<i>Concernant un Monument à élever, dans l'église Saint-Roch,<br />
+à la mémoire de l'abbé de l'Épée.</i></p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><br />
+PREMIER PROJET.</td></tr>
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr>
+
+<tr><td align="left">La figure de 1m 80 c (5 p. 6 p.) de hauteur.</td><td align="right">9,000</td><td align="right">f.</td><td align="right">00</td><td align="right">c.</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Le piédestal et tous ses accessoires.</td><td align="right">3,020</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">00</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">00</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">Total du monument.</td>
+<td align="right" style="border-top:1px black solid;border-bottom:1px black solid;">12,220</td>
+<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">f.</td>
+<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">00</td><td align="right">c.</td>
+<td align="right">ci.</td><td>12,220</td><td>f.</td><td>00</td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td align="left">Décors de la chapelle.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td align="right">5,861</td><td>&nbsp;</td><td align="right">00</td></tr>
+<tr><td align="center">Total général.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+
+<td>&nbsp;</td>
+
+<td align="right"
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">18,081</td><td
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">f.</td><td
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">00</td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><br />
+DEUXIÈME PROJET.</td></tr>
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr>
+
+<tr><td>Un buste en bas-relief.</td><td align="right">6,500 </td><td>f.</td><td align="right">00</td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td>Colonnes, consoles et tous autres
+accessoires.</td><td align="right">11,035 </td><td> &nbsp;</td><td align="right">00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200 </td><td>&nbsp; </td><td align="right">00</td><td> &nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Total du monument. </td><td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">17,735</td><td
+ style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;"> f.</td><td align="right"
+ style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;"> 00 </td><td
+ style="border-top:1px black solid; border-bottom:1px black solid;">c.</td><td> ci. </td><td>17,735</td><td> f. </td><td>00</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td>Décors de la chapelle.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td align="right">5,861</td><td>&nbsp;</td>
+<td align="right">00</td></tr>
+
+<tr><td align="center">Total général.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">23,596</td><td style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> f.</td><td align="right" style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> 00</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><br />
+TROISIÈME PROJET.</td></tr>
+
+<tr><td colspan="5" align="center"><i>Monument</i>.</td></tr>
+
+<tr><td>Un buste et deux petites figures. </td><td align="right">10,500</td><td> f.</td><td align="right"> 00</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td>La pyramide. </td><td align="right">600 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>Le piédestal et tous les ornements </td><td align="right">5,120 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>Gravure des inscriptions.</td><td align="right">200 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td></tr>
+<tr><td align="center">Total du monument.</td><td align="right"
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">16,420</td>
+<td
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> f.</td>
+<td align="right"
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> 00</td>
+<td
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> c.</td><td style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;"> ci.</td><td> 16,420</td><td> f. </td><td>00 </td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td>Décors de la chapelle.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td><td align="right">5,861 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td align="center">Total général.</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td>&nbsp;</td><td align="right"
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">22,281 </td><td
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">f. </td><td align="right"
+style="border-top:1px black solid; border-bottom:3px black double;">00 </td><td>c.</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="c">DESCRIPTION.</p>
+
+<p>Ce monument, couronné par le buste en bronze de l'abbé de l'Épée,
+aurait, à droite et à gauche, un jeune sourd-muet représenté, à l'instar
+des statues antiques du silence, par une figure dont la bouche serait
+fermée par un anneau.</p>
+
+<p>Ces deux enfants formuleraient un mot de reconnaissance dans le langage
+mimique inventé par le fondateur de l'Institution des sourds-muets.</p>
+
+<p>Au-dessous serait placée une guirlande de fleurs funèbres, entourée d'un
+philactère, sur lequel serait gravée une inscription indiquant, par
+quelques mots, le lien que cet homme vertueux a su établir d'abord entre
+tous ces malheureux êtres que la nature semblait vouer à l'isolement,
+puis entre eux et la société dont ils étaient séparés.</p>
+
+<p>Enfin le Christianisme, dominant et inspirant cet acte de dévoûment,
+serait représenté par la croix placée au-dessus.</p>
+
+<p>Sous le buste le nom serait gravé en lettres d'or sur une plaque de
+marbre noir.</p>
+
+<p>La grande plaque de marbre de même couleur, placée entre<a name="page_378" id="page_378"></a> les deux
+enfants, recevrait une inscription composée de deux parties: la
+première, écrite en caractères ordinaires; la seconde, avec les signes
+employés par les sourds-muets.</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="center" colspan="3">DEVIS DES TRAVAUX.</td></tr>
+
+<tr><td align="center" colspan="3"><i>Maçonnerie.</i></td></tr>
+
+<tr><td>La fondation en moëllon neuf et mortier de chaux
+hydraulique, de 1,50 sur 0,60 et 0,80 de haut,
+estimée.</td><td align="right">15 </td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>La fouille pour ledit déblai et sortie des terres,
+estimée. </td><td align="right">4 </td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>Le piédestal en pierre neuve de Forjet, de 1,20
+de large, sur 0,95 de haut, et 0,45 d'épaisseur,
+produit en cube.</td><td align="right">0 </td><td align="right">513</td></tr>
+
+<tr><td>La taille des parements en trois sens, 2,10, sur
+0,75 de haut, produit.</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>La double taille pour le dégagement du socle et
+de la table, 2,00 développé sur 0,75 de haut,
+produit.</td><td align="right">1 </td><td align="right"> 50</td></tr>
+
+<tr><td>Les moulures du socle et celle de la table, de 2,40
+développées sur ensemble, 1,20 de profil, produisent.</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 8</td></tr>
+
+<tr><td>Le morceau au-dessus, 1,80 de haut, sur 1,05 et
+0,45 d'épaisseur, produit.</td><td align="right">0 </td><td align="right">851</td></tr>
+
+<tr><td>Les parements en trois sens, 2,00 développés sur
+1,80 de haut, produisent.</td><td align="right">3 </td><td align="right"> 60</td></tr>
+
+<tr><td>Les doubles tailles pour le dégagement des figures
+et des saillies de moulures, évaluées à.</td><td align="right">10 </td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>Les moulures au pourtour de la table, 1,80, sur
+0,60 de profil, produisent.</td><td align="right">1</td><td align="right"> 080</td></tr>
+
+<tr><td>Les moulures de couronnement, ensemble 3,10,
+sur 1,50 de profil, produisent.</td><td align="right">4 </td><td align="right"> 65</td></tr>
+
+<tr><td>Les différentes tailles au petit socle qui porte le
+buste et le dégagement des consoles, évaluées à</td><td align="right">2 </td><td align="right"> 00</td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td colspan="2" align="center"><i>Résumé de la maçonnerie.</i></td></tr>
+
+<tr><td>1,364 m. cubes de pierre neuve, en Forjet de choix,
+pour sculpture, pour fourniture, taille des lits et
+joints, bardage et double transport, entrée difficile,
+et pose à 1 fr. 25 c. le mètre, valent. </td><td align="right"> 170 </td><td>f.</td><td align="right"> 50</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td>19,100 m. superficiels de tailles de parements layés,
+et évaluation en Forget, à 6 25 le mètre. </td><td align="right"> 119 </td> <td>&nbsp; </td><td align="right">39</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>8,61 m. superficiels de taille de moulures ragrées
+et passées au grès avec grand soin, à 8 50 le
+mètre. </td><td align="right"> 73 </td><td>&nbsp; </td><td align="right">18</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>Les articles, appréciés à prix d'argent, montent ensemble
+à. </td><td align="right"> 19 </td><td>&nbsp; </td><td align="right">00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td align="center">Total de la maçonnerie. </td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;"> 382 </td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">f. </td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">05 </td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">c.</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td colspan="2" align="center"><i>Marbrerie.</i></td></tr>
+
+<tr><td>Une table de marbre noir, de 0,64 X 0,35 =</td><td>0,224</td></tr>
+
+<tr><td>Une autre de marbre noir, de 0,25 X 0,11 =</td><td>0,027</td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp; </td><td
+style="border-top:1px solid black;"> 0,251</td></tr>
+<tr><td align="center">Déchets, 1/10<sup>e</sup>. </td><td>0,025</td></tr>
+
+<tr><td align="right">Total. &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:4px double black;">0,276</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td>A raison de 60 fr. le mètre, produit.</td><td align="right">16 </td><td>f.</td><td align="right"> 56</td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td>400 lettres, à 25 fr. le cent.</td>
+<td align="right">100</td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td align="right"> 00</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>L'incrustement, surface 0,276, à 30 fr. le mètre.</td>
+<td align="right">8 </td>
+<td>&nbsp;</td>
+<td align="right"> 28</td>
+<td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>Le transport et la pose.</td><td align="right">5</td><td>&nbsp;</td>
+<td align="right">00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>Total.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">129 </td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">f. </td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;">84</td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:3px double black;"> c.</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+
+<tr><td colspan="2" align="center"><i>Sculptures d'ornements.</i></td></tr>
+
+<tr><td>Un couronnement dans le bas du buste, de 0,60
+de long. </td><td align="right"> 60</td><td>f.</td><td align="right">00</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td>Deux consoles, de 0 m. 20 c. de haut, sur 0 m. 13 c.
+de longueur. </td><td align="right"> 80 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td>Sept rosaces, de 0 m. 10 c. de diamètre, à 28 f. 60 c.
+chaque, valent</td> <td align="right"> 200 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td align="center">Transport. </td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;"> 340</td><td
+style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">00 </td><td
+style="border-top:1px solid black;">c.</td></tr>
+
+<tr><td>Une guirlanle de fleurs funèbres, de 1 m. 10 c.
+0,25 de haut </td><td align="right"> 300 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Deux rinceaux, placés à droite et à gauche de la
+croix, de 0,25 à 60 fr. 00 c. chaque, produit.. </td><td align="right"> 120 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Pour l'établissement des modèles </td><td align="right"> 210 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td align="right">Total &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;"> 970</td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">00 </td><td>c.</td></tr>
+
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td colspan="2" align="center"><i>Statuaire et bronzes.</i></td></tr>
+
+<tr><td>Modèles en fonte, en bronze, du buste de l'abbé
+de l'Épée et de deux jeunes muets </td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;"> 5,168</td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">11</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td align="right">Total &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right"> 5,168</td><td>f.</td><td align="right">11</td><td>c.</td></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td colspan="2" align="center"><i>Résumé général.</i></td></tr>
+
+<tr><td>Maçonnerie </td><td align="right"> 382</td><td>f.</td><td align="right">05 </td><td>c.</td></tr>
+<tr><td>Marbrerie </td><td align="right"> 129 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 84</td><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Sculpture d'ornements </td><td align="right"> 970 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+<tr><td>Statuaire et bronze </td><td align="right"> 5,168 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 11</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td align="right">Total &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;"> 6,650</td><td
+style="border-top:1px solid black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;">00</td><td> c.</td></tr>
+
+<tr><td>Honoraires de l'architecte et frais de direction ... </td><td align="right"> 350 </td><td>&nbsp;</td><td align="right"> 00</td><td>&nbsp;</td></tr>
+
+<tr><td align="right">Total général. &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;"> 7,000</td><td
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">00 </td><td>c.</td></tr>
+</table>
+
+<p>Le présent devis dressé par l'architecte soussigné.</p>
+
+<p><span style="margin-left: 2em;">Paris, 1<sup>er</sup> mai 1840.</span></p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Signé:</td><td align="left">L<small>ASSUS,</small> architecte;</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td><td align="left">A<small>UGUSTE</small> P<small>RÉAULT,</small> statuaire;</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td><td align="left">B<small>ERNARD</small>, marbrier;</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td><td align="left">F<small>RÉMY,</small> maçon;</td></tr>
+<tr><td align="left">&nbsp;</td><td align="left">P<small>YANET,</small> sculpteur ornemaniste.</td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_381" id="page_381"></a></p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Les soussignés:</span><br />
+</p>
+
+<p>1º Auguste Préault, statuaire, demeurant à Paris, place de l'Arsenal, nº
+2;</p>
+
+<p>2º Victor-Joseph Pyanet, sculpteur ornemaniste, demeurant place
+Furstemberg, nº 9;</p>
+
+<p>3º Charles-Jean Frémy, entrepreneur de maçonnerie, demeurant rue
+Vanneau, nº 12;</p>
+
+<p>4º Louis-François Bernard, entrepreneur de marbrerie, demeurant rue
+d'Enfer, nº 100;</p>
+
+<p>Tous appelés par M. Lassus, architecte, demeurant rue
+Saint-Germain-l'Auxerrois, nº 65, pour prendre connaissance du projet
+adopté par la commission instituée pour le monument à élever à l'abbé de
+l'Épée, et pour examiner le devis de la dépense, dressé par cet
+architecte, lequel devis s'élève:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<table border="0" cellpadding="2" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">1º Pour la statuaire et bronze, à la somme de &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right">5,168</td><td align="right">f.</td><td align="right">11</td><td align="right">c.</td></tr>
+<tr><td align="left">2º Pour la sculpture d'ornements, à</td><td align="right">970</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">00</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">3º Pour la maçonnerie, à..</td><td align="right">382</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">05</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="left">4º Pour la marbrerie, à</td><td align="right">129</td><td align="right">&nbsp;</td><td align="right">84</td><td align="right">&nbsp;</td></tr>
+<tr><td align="center">Total général &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">6,650</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">f.</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">00</td><td align="right"
+style="border-top:1px solid black;
+border-bottom:double 4px black;">c.</td></tr>
+</table>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="nind">s'engagent, envers la commission, à exécuter les travaux de statuaire,
+bronze, sculpture d'ornements, maçonnerie et marbrerie, chacun en ce qui
+le concerne, conformément aux projet, devis et modèles adoptés par la
+commission, le tout, sans dépasser le montant des devis partiels, et
+sans, cependant, se prévaloir de cette disposition pour ceux de ces
+travaux qui seront susceptibles d'être réglés, chacun devant fournir un
+mémoire, qui sera vérifié et réglé.</p>
+
+<p>Il est bien entendu que la présente soumission ne comprend que les
+travaux relatifs au monument, tel qu'il est indiqué dans les projet et
+devis adoptés par la commission, et qu'elle ne s'applique nullement aux
+travaux que l'on pourrait juger convenable<a name="page_382" id="page_382"></a> de faire dans la chapelle où
+l'on doit placer le monument, soit pour le recevoir, soit pour compléter
+la décoration de cette chapelle. Ces travaux nécessiteront de nouveaux
+projets et devis.</p>
+
+<p>La présente soumission, faite en double expédition, dont une sera
+déposée entre les mains de M. le président de la commission, et l'autre
+restera entre les mains de M. Lassus, architecte, constitué, par le
+président, arbitre dans le cas où il y aurait nécessité.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Paris, le 1<sup>er</sup> mai 1840.</span><br />
+</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 3em;">Signé: <i>Lassus</i>, architecte; <i>Auguste Préaut, Bernard, Frémy, Pyanet</i>.</span><br />
+</p>
+
+<p>Dans le cas où le produit de la souscription ouverte pour le monument à
+élever à l'abbé de l'Épée, n'atteindrait pas le chiffre de 7,000 fr.,
+total général du devis, M. Auguste Préault s'engage, envers la
+commission, à exécuter et livrer tous les travaux de statuaire et
+bronze, en acceptant d'abord la somme de 3,000 fr., donnée par le
+Ministère de l'intérieur, s'engageant, en outre, à forfait, à supporter
+les chances de la souscription, et dégageant complètement la commission
+de toute responsabilité, dans le cas où le chiffre de 7,000 fr. ne
+serait pas atteint.</p>
+
+<p>
+<span style="margin-left: 2em;">Paris, le 1<sup>er</sup> mai 1840.</span><br />
+</p>
+
+<p><span style="margin-left: 3em;">Signé: <i>Auguste Préault</i>.</span></p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="cb">(<a name="R" id="R"></a>R) <i>Extrait du registre des délibérations du Conseil municipal de
+Versailles.&mdash;Séance du 14 novembre 1839.</i></p>
+
+<p>Il serait superflu de rappeler les droits de l'abbé de l'Épée à la
+reconnaissance publique. Animé d'une charité persévérante, il est
+parvenu à triompher d'une des plua grandes infirmités qui affligent
+l'espèce humaine. Sa mémoire sera vénérée aussi loin que son bienfait
+pourra s'étendre. Jalouse, à juste titre, de pouvoir revendiquer cet
+apôtre de l'humanité, Versailles, sa ville natale, s'est empressée de
+lui payer son tribut et de lui décerner le plus grand honneur municipal
+en<a name="page_383" id="page_383"></a> donnant son nom à la rue près de laquelle il est né. Le roi des
+Français a voulu que son buste figurât dans le monument qu'il a élevé à
+toutes les gloires de la France. Il a fait plus encore: il a voulu lui
+décerner un honneur tout particulier en plaçant son portrait dans la
+galerie de la Mairie. Mais ces honneurs, tout grands qu'ils sont, n'ont
+pas paru à plusieurs de nos concitoyens reconnaître suffisamment les
+services rendus par l'abbé de l'Épée: dans leur louable admiration, ils
+ont formé le projet d'élever, à leurs frais, une statue, et se sont
+adressés à M. le maire pour obtenir l'autorisation nécessaire; ce
+magistrat, entrant dans leurs vues et partageant leur zèle, vous demande
+votre sanction.</p>
+
+<p>Représentants de la commune, interprètes des sentiments de nos
+concitoyens, vous n'hésiterez pas à la donner.</p>
+
+<p>Cette sanction est accordée à l'unanimité.</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p class="cb">(<a name="S" id="S"></a>S) COMMISSION POUR LE MONUMENT<br /><br />
+A ÉLEVER<br /><br />
+A L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,<br /><br />
+<small>DANS VERSAILLES, SA VILLE NATALE.</small><br /><br />
+&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;<br /><br />
+Souscription. &mdash; Prospectus</p>
+
+<p>Un des hommes que la ville de Versailles compte, avec le plus juste
+orgueil, au nombre de ses enfants est <i>l'abbé de l'Épée</i>, qui, animé par
+la charité la plus éclairée, a su, en inventant l'alphabet manuel,
+donner la parole et l'intelligence aux sourds-muets, et, par là, les
+mettre en communication de sentiments et de pensées avec les autres
+hommes.</p>
+
+<p>Depuis longtemps, on a manifesté le désir d'ériger une statue à la
+mémoire de ce bienfaiteur de l'humanité; ce soin est surtout un devoir
+pour ses compatriotes.</p>
+
+<p>Un artiste distingué, M. M<small>ICHAUT</small> (des Monnaies), en a formulé la pensée
+dans une statuette. Un grand nombre d'habitants de cette ville ont vu et
+apprécié son &oelig;uvre; ils ont élu<a name="page_384" id="page_384"></a> une commission chargée d'en
+surveiller l'exécution, et de provoquer des souscriptions pour en
+assurer le succès.</p>
+
+<p>Ce monument, destiné a perpétuer, sur l'une des places de Versailles, le
+souvenir de <i>l'abbé de l'Épée</i>, représentera ce grand homme au moment où
+il vient d'inventer son alphabet manuel. Ses yeux, levés vers le ciel,
+expriment sa reconnaissance pour l'heureuse découverte que Dieu lui a
+inspirée.</p>
+
+<p>Dignité dans la pose, onction dans les traits, fidélité historique dans
+la ressemblance et les vêtements, tous ces précieux avantages, garantis
+par le talent sévère et consciencieux de l'artiste, font vivement
+désirer l'exécution en grand de cette &oelig;uvre d'art, si noblement
+conçue.</p>
+
+<p>M. M<small>ICHAUT</small>, habitant de Versailles, fait généreusement l'offre gratuite
+de son travail. La matière et les accessoires, auxquels on veut attacher
+un caractère monumental, seront les seuls objets de dépense.</p>
+
+<p>La commission ose compter sur un concours généreux à l'exécution de son
+projet; elle fait un appel à tous les gens de bien, à tous les
+admirateurs du génie, à toutes les familles qui ont profité des services
+rendus par <i>l'abbé de l'Épée</i>, et ne doute pas qu'on ne s'empresse d'y
+répondre, non-seulement dans Versailles et dans toute la France, mais
+encore chez les nations qui ont adopté les procédés de cette
+bienfaisante institution; car il s'agit, moins d'élever un monument au
+génie, que de payer la dette de la reconnaissance.</p>
+
+<p>La commission voulant, dans l'intérêt de tous les souscripteurs,
+multiplier, en quelque sorte, le monument qu'elle se propose d'élever, a
+décidé que:</p>
+
+<p>1º Une médaille de bronze, du module de 0,067 &frac12; millimètres (30
+lignes), serait délivrée à toute personne qui souscrirait pour la somme
+de vingt francs;</p>
+
+<p>2º Les souscripteurs qui désireraient obtenir des médailles en or ou en
+argent, en préviendraient la commission;</p>
+
+<p>3º La commission publierait successivement la liste des
+souscripteurs.&mdash;Dans les trois mois qui suivraient l'érection de la
+statue, il serait publié un compte de la souscription et de son emploi.<a name="page_385" id="page_385"></a></p>
+
+<p>En conséquence, une souscription est ouverte:</p>
+
+<p>Chez les notaires Besnard, Giroud-Mollier, Lemoine, Lenoble et Marchand,
+à Versailles;</p>
+
+<p>Chez les notaires Delapalme, Casimir Noel, Damaison, Fourchy, Hochon,
+Guénin, Schneider, Tourain, à Paris;</p>
+
+<p>Dans les départements, chez MM. les présidents des chambres de notaires
+de chaque arrondissement;</p>
+
+<p>A l'étranger, chez les correspondants de MM. Mallet et C<sup>e</sup>., banquiers
+à Paris.</p>
+
+<p>Arrêté à Versailles, en décembre 1839, par les membres de la Commission
+soussignés:</p>
+
+<p><i>Président</i>, le baron de Fresquienne, membre du Conseil municipal et
+ancien maire de Versailles;&mdash;<i>Vice-Président</i>, M. l'abbé Caron, ancien
+professeur de l'Université;&mdash;<i>Secrétaire</i>, M. E. Baudard de
+Sainte-James;&mdash;<i>Vice-secrétaire</i>, M. Besnard, notaire, membre du Conseil
+municipal;&mdash;<i>Trésorier</i>, M. Gauguin, receveur municipal;&mdash;<i>Membres</i>, MM.
+Rémilly, membre de la Chambre des députés et maire de Versailles;
+vicomte Wathiez, lieutenant-général; le chevalier de Jouvencel, ancien
+député et ancien maire de Versailles; Bernard de Mauchamps,
+vice-président du Tribunal; Taphinon, conseiller de préfecture; Coupin
+de la Couperie, peintre d'histoire et membre du Conseil municipal;
+Douchain, architecte et membre du Conseil municipal; Lebrun, directeur
+de l'École normale primaire; Battaille, docteur en médecine; Boisselier,
+peintre paysagiste.<a name="page_386" id="page_386"></a></p>
+
+<p class="c"><br />
+IGNORANCE DE L'HOMME PAR LE DÉFAUT DU COMMERCE DE<br />
+LA SOCIÉTÉ.</p>
+
+<p>Au moment de terminer ce travail, nous sommes redevable à l'obligeance
+de M. le baron de Stassart, ancien président du sénat belge, ministre
+plénipotentiaire, de la communication de l'autographe suivant, qui
+figure dans sa précieuse collection, et dont nous croyons devoir donner
+une copie exacte à nos lecteurs:</p>
+
+<p>
+<br />
+</p>
+
+<p>«M. Félibien, de l'Académie des Inscriptions fit savoir à l'Académie des
+Sciences, un événement singulier, peut-être inouï, qui venoit d'arriver
+à Chartres.</p>
+
+<p>»Un jeune homme, de vingt-trois à vingt-quatre ans, fils d'un artisan,
+sourd et muet de naissance, commença tout-d'un-coup à parler, au grand
+étonnement de toute la ville; on sut de lui que, quelque trois ou quatre
+mois auparavant, il avoit entendu le son des cloches et avoit été
+extrêmement surpris de cette sensation nouvelle et inconnue; ensuite, il
+lui étoit sorti une espèce d'eau de l'oreille gauche, et il avoit
+entendu parfaitement des deux oreilles. Il fut, ces trois ou quatre
+mois, à écouter, sans rien dire, s'accoutumant à répéter tout bas les
+paroles qu'il entendoit, et s'affermissant dans la prononciation et dans
+les idées attachées aux mots; enfin, il se crut en état de rompre le
+silence, et il déclara qu'il parloit, quoique ce ne fût encore
+qu'imparfaitement. Aussitôt des théologiens habiles l'interrogèrent sur
+son état passé, et leurs principales questions roulèrent sur Dieu, sur
+l'âme, sur la bonté ou la malice morale des actions; il ne parut pas
+avoir poussé ses pensées jusque-là; quoiqu'il fût né de parents
+catholiques, qu'il fût instruit à faire le signe de la croix et à se
+mettre à genoux dans la contenance d'un homme qui prie, il n'avoit
+jamais joint à tout cela aucune intention, ni compris celle que les
+autres y joignoient; il ne savoit pas bien distinctement ce que c'était
+que la mort, et il n'y pensoit jamais; il menoit une vie purement
+animale; tout occupé des objets sensibles et présents, et du peu d'idées
+qu'il recevoit<a name="page_387" id="page_387"></a> par les yeux, il ne tiroit pas même de la comparaison de
+ces idées tout ce qu'il semble qu'il en auroit pu tirer. Ce n'est pas
+qu'il n'eût naturellement de l'esprit, mais l'esprit d'un homme privé du
+commerce des autres est si peu exercé et si peu cultivé, qu'il ne pense
+qu'autant qu'il y est indispensablement forcé par les objets extérieurs;
+le plus grand fonds des idées des hommes est dans leur commerce
+réciproque. (<i>Mémoires de l'Académie des Sciences, année 1703, pag.
+18</i>.)</p>
+
+<p class="r">L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>»</p>
+
+<p><a name="page_388" id="page_388"></a></p>
+
+<p><a name="page_389" id="page_389"></a></p>
+
+<h3><a name="SOUSCRIPTION" id="SOUSCRIPTION"></a>SOUSCRIPTION<br /><br />
+<small>AU</small><br /><br />
+MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE.</h3>
+
+<p><a name="page_390" id="page_390"></a></p>
+
+<p><a name="page_391" id="page_391"></a></p>
+
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><th colspan="2" align="center">(<a name="T" id="T"></a>T) SOUSCRIPTION AU MONUMENT DE L'ABBÉ DE L'ÉPÉE,</th></tr>
+<tr><td>&nbsp;</td><td>Le roi L<small>OUIS</small>-P<small>HILIPPE</small></td><td align="right" valign="bottom">300</td><td>fr.</td><td>&nbsp; </td></tr>
+<tr valign="top"><td rowspan="345">MM.</td><td colspan="1">Aubernon, pair de France, préfet de Seine-et-Oise,<br />
+ &nbsp; &nbsp;président d'honneur de la commission du monument</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le baron de Fresquienne, conseiller municipal, président de idem</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'abbé Caron, vice-président de idem</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Sainte-James Gaucourt, conseiller municipal, secrétaire de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Besnard, notaire, conseiller municipal, vice-secrétaire de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Gauguin, receveur municipal, trésorier de idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Rémilly, député et maire, membre de idem</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Wathiez, lieutenant-général (vicomte), idem</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bernard de Mauchamps, président du tribunal, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Taphinon, conseiller de préfecture, idem</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lebrun, directeur de l'école normale, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Coupin de la Couperie, ex-conseiller municipal, idem</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Douchain, architecte, ex-conseiller municipal, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Boisselier, peintre paysagiste, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Battaille, docteur en médecine, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Marquis de Sémonville, idem</td><td align="right" valign="bottom">500 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le chevalier de Jouvencel, ancien député, ancien maire de Versailles, idem</td><td align="right" valign="bottom">200 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Baroche, élève de l'abbé d» l'Épée, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+
+<tr><td>Grégoire, id. &nbsp; .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr>
+
+<tr><td>Foucque, id. id.</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50</td></tr>
+<tr><td>Dubois, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Lefébure, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_392" id="page_392"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Lanneau, directeur de l'Institution des sourds-muets de Paris</td><td align="right" valign="bottom">20</td></tr>
+<tr><td>Ed. Morel, professeur de .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Lafon de Ladébat, agent-comptable de .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Sellier, chef d'atelier, à .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Desportes, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Jourdain, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Girault, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Léon Vaisse, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr>
+<tr><td>Lecoq, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Lenoir, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Langlois, chef d'atelier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Allibert, aspirant, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Barbier, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Morel, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> F. Auber, répétitrice, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> E. Ferment, professeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Roger, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Legay, aspirante, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Alleton, monitrice, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Meunier, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">3</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>me</sup> Nysten, maltresse d'étude, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>lle</sup> Wiser, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Vion, surveillante en chef aux sourdes-muettes</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>M<sup>me</sup> Lafargue, maîtresse de dessin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Leforestier, aumônier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Menière, médecin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Taupier, maître d'écriture, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Des élèves de l'Institution des sourds-muets de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">28</td><td align="right" valign="bottom">90 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Michelot, membre du conseil de perfectionnement de l'Institution des sourds-muets de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Jean Dourgnon, sourd-muet, valet de chambre de M. Borelli,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Mamès Dourgnon, son cocher,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Ferdinand Berthier, sourd-muet, doyen des professeurs de l'Institution nationale de Paris,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Allonor, serrurier, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Alavoine, horloger, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Aucher, chapelier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom">50<a name="page_393" id="page_393"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Audibert, cordonnier, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">8</td></tr>
+<tr><td>Bejat, nacrier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Bloïn, fondeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Bouly, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Breüer, serrurier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Brejillon .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Chabot, orfèvre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Choquet, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Contremoulin, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td>Crispaille, brossier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Daudin, fondeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Delarue, manufacturier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Delille, maçon, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Deruez, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Deschenes, rentier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Dorel, relieur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Doumic, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Dubois, de l'île de Ré, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Ducornoy, ébéniste, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Dumont, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Emeux, bottier, .id</td><td align="right" valign="bottom">15 </td></tr>
+<tr><td>Fèvre, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Franclet, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Fontaine .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Filleron, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Frédéric, grainier, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Galbois .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Gamble, graveur, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Gevold .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td>Gonet, bijoutier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Gouttebarge, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Graize, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Guillaume, orfèvre, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Barielle, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Hennequin, dessinateur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Joulin, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Jumentier, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Knecht, sellier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Lavaud, marinier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Legras, fleuriste, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50<a name="page_394" id="page_394"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Levert, ciseleur, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">3</td></tr>
+<tr><td>Levite, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Lhuillier, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td>Mairet, sellier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Maloisel, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Mauviel, libraire, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Metais, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Michel, pâtissier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Michel, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Mondlange, graveur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Mullot, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Nicolas, souffletier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Nogaret, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>De Nogent, propriétaire, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Nonnen, rentier, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Page, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Pagez, dessinateur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Pasly, employé, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td>Pollet, nacrier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Quentin, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Quinsard, cordonnier, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Richard, ébéniste, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Richard, serrurier, .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Robert .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Roche, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Romain, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Romanet (le comte de), .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td>Romiguière, imprimeur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Savaton, cordonnier, .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Trovalet, tailleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Verlet, papetier, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Vincent, tourneur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Wallon, mosaïcien, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Brocheton (le docteur),</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Boyd, de Ceylan</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Boyd Dundas</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le conseil de préfecture de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Fasman, artiste peintre, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Fessard, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lenud (le colonel)</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Loz de Beaucours</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Noble (le docteur) père</td><td align="right" valign="bottom">10<a name="page_395" id="page_395"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Pinard, curé de Notre-Dame de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">30</td></tr>
+<tr><td colspan="1">Petit, architecte de la ville de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Savouré</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Usquin, lieut.-col. de la garde nationale de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Veytard, ancien capitaine, de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Demanche, ancien adjoint au maire de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Ed. Tassin de Villiers,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'Évêque de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Chabin, entrepreneur de pavage,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Binart, entrepreneur de menuiserie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Decret, garde du génie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Michel, colonel de la garde nationale de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Denis fils, entrepreneur de serrurerie,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Tîssot, entrepreneur de maçonnerie,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Cormué fils, entrepreneur de peinture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lambert-Baudry, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bardet, entrepreneur de couverture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Membré, chef d'institution, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Francolin aîné</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Angouillant, entrepreneur de maçonnerie,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Meunier, curé de Saint-Symphorien de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">80 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Rendu, conseiller de l'Université,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Wartel, artiste de l'Opéra,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Odout</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Périchot, conseiller municipal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Reboul Berville</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lebeau, entrepreneur de peinture,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bourgeois, marchand tapissier,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Mathieu (le colonel)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Paumier</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Delorme</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bléry</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Dupont (le chevalier)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Christophe (le général)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Louvet</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Mazuel</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lemazurier (le docteur)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lebert</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Valery, bibliothécaire du château de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>e</sup> Haussmann</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Vollot</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_396" id="page_396"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">D'Hastrel (le général)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lemoine, notaire,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Marchand, idem</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Gady, ancien juge,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Saint-Cyr</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un officier de la garde nationale de Versailles..</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un clerc de notaire</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> de Breuilly</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M. Gr<sup>***</sup></td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Legendre</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Guillemot</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un petit clerc</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Boullé</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>me</sup> Guillemot</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Ledoux-Leroy</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Croiset, receveur de l'hospice de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lepoitevin, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Hamouy, coiffeur,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Théry, propriétaire</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Morel, marchand tapissier,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Gauthier, avocat, conseiller municipal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Horeau, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>lle</sup> Giraud-Chaudra</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Les contrôleur et employés de l'octroi de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Legrand, ancien greffier du tribunal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bailly de Villeneuve</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Haley (de Londres)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Morel jeune</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Berthod, professeur au collège royal de Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Merlin (le général baron)</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Les secrétaire, chefs de bureau et employés de la mairie de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">21 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Deshayes, supérieur général des Filles de la Sagesse,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Delacomble, directeur des contributions directes, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td>Devouges, inspecteur, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Levieil, contrôleur principal, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>De Poiféré, contrôleur, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Ineriz, .id .id id. à Saint-Germain,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Dubois, .id .id id. à Meulan,</td><td align="right" valign="bottom">5<a name="page_397" id="page_397"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Desclozeaux, contrôleur des contr. direct., à Mantes,</td><td align="right" valign="bottom">5</td></tr>
+<tr><td>Salerne, .id .id id.</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Michelin, .id .id à Pontoise,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Soulas, .id .id à Gonesse,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Delahaytrée, .id .id à Luzarches,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Fechez, .id .id à Corbeil,</td><td align="right" valign="bottom">8 </td></tr>
+<tr><td>Dubois, .id .id id.</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Odoard, .id .id à Etampes,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Crosse, .id .id à Rambouillet,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Thomas, .id .id à Dourdan,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Dahirel, surnuméraire, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td>Tellot, aspirant .id</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Doudeauville (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Praslin (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Bastard (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Camille Perrier</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Guéneau de Mussy</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Gérando (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Rendu (le baron)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">La société archéologique de Rambouillet</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">La société d'Agriculture de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">La société des Sciences naturelles de Seine-et-Oise</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'archevêque de Bourges</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le Chapitre métropolitain de Bourges</td><td align="right" valign="bottom">40 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Berry-Baldwin, membre de la chambre des Communes,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Coster, ingénieur en chef, au Puy,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bouchitté, professeur,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le curé de Saint-Louis, à Versailles</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">M<sup>lle</sup> Laloua, peintre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+
+<tr><td colspan="1">M. Gringoire</td></tr>
+
+<tr><td colspan="1">Bonnet de Ville, économe au collège de Versailles</td></tr>
+
+<tr><td colspan="1">Barthe, chef d'institution, à Versailles</td></tr>
+
+<tr><td colspan="1">Huvé, ancien notaire</td></tr>
+
+<tr><td colspan="1">Corneille, propriétaire,</td><td align="right" valign="bottom">0 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Boulanger, marchand papetier,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lenoble, notaire à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Les clercs de son étude</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Gerdolle</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Pesse-Remont</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Nourtier, juge de paix,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Borelli, procureur-général à la cour royale d'Aix,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Larochefoucauld (le duc)</td><td align="right" valign="bottom">20<a name="page_398" id="page_398"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Souscription faite au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville par MM. les officiers, sous-officiers et gardes nationaux de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">284</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;75</td></tr>
+<tr><td colspan="1">Blanc, aumônier de l'École normale</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Anquetil, professeur de .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Peyré, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Philippar, id. .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Deschamps, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Aubry, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Vitry, médecin,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Auger, instituteur,</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Vilmay, maître adjoint à l'école normale primaire,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Stoos, idem</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Les élèves maîtres</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">La conférence des instituteurs primaires du canton de Versailles</td><td align="right" valign="bottom">30 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Collet, vicaire de Notre-Dame,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Morand</td><td align="right" valign="bottom">19</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">H. de B.</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le Bourgeois, notaire au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le chevalier de Barneville, capitaine d'artillerie, au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Anry, courtier de commerce, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lacour, avoué, au Havre,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td>Pipereau, .id</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Mme Borel</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'évêque de Dijon</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Droz, de l'Académie française,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'évêque de Saint-Brieux</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le marquis Théodore Duprat</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">La chambre de commerce de Marseille</td><td align="right" valign="bottom">100 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le ministère de l'ºintérieur</td><td align="right" valign="bottom">3000 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Tavernier, négociant, à Paris,</td><td align="right" valign="bottom">25 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Delapalme, notaire, idem</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un anonyme</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Genain, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Bazin, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Peyson, de Montpellier, peintre, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td>Queilhe, .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr>
+<tr><td>Boclet, graveur au dépôt de la guerre, .id</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td>Boulard, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 <a name="page_399" id="page_399"></a></td></tr>
+<tr><td colspan="1">Gers, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">20</td></tr>
+<tr><td>Allibert, prof. à l'Institution nationale de Paris, .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Portal, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Chalumeau, .id</td><td align="right" valign="bottom">4 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">De Duras (la duchesse)</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Pelmer</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Bruère</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un anonyme</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Institut des sourds-muets de Zurich.</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Duhamel, juge suppléant, à Versailles,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Souscription des visiteurs de la statue à l'Institution des sourds-muets de Paris</td><td align="right" valign="bottom">66 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Steinnhouwer</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Oudet, juge de paix,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Aubertin</td><td align="right" valign="bottom">3 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le baron Dennée, intendant militaire,</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">L'abbé Van den Hecke</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Griolet (Ernest), sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Imbert (Jules), .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">&nbsp;50 </td></tr>
+<tr><td>Loustau, peintre, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Levassor, .id .id</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td>Pelissier, prof. à l'institution nationale de Paris, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Lecomte (Eugène), employé, sourd-muet</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Verrier (Gustave), .id</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td>Laroucault, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Dumont (Félix), .id</td><td align="right" valign="bottom">1 </td></tr>
+<tr><td>Chalumeau, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Badolle, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Un ancien élève de l'institution nationale des sourds-muets de Bordeaux</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Haacke, sourd-muet,</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Damien, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td>Greux, .id</td><td align="right" valign="bottom">2</td><td align="right" valign="bottom">50 </td></tr>
+<tr><td>Convert, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Fouret, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Sainton, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Saverot, .id</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td>Laurent (Edmond), à Blois, .id</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+<tr><td>Trézel, .id</td><td align="right" valign="bottom">2 </td></tr>
+<tr><td>Bézu, peintre .id</td><td align="right" valign="bottom">2<a name="page_400" id="page_400"></a> </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Letellier, négociant</td><td align="right" valign="bottom">3</td></tr>
+<tr><td colspan="1">F. de Jouvencel, maître des requêtes et député,</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Néglet, architecte,</td><td align="right" valign="bottom">5 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le baron de Stassart, sénateur belge</td><td align="right" valign="bottom">10 </td></tr>
+<tr><td colspan="1">Le comte d'Epinay Saint-Luc</td><td align="right" valign="bottom">20 </td></tr>
+</table>
+
+<p class="cb">FIN DES NOTES.</p>
+
+<p><a name="page_401" id="page_401"></a></p>
+
+<h3><a name="TABLE_DES_CHAPITRES" id="TABLE_DES_CHAPITRES"></a>TABLE DES CHAPITRES.</h3>
+
+<table border="0" cellpadding="4" cellspacing="0" summary="contents"
+style="margin:4% 15% 4% 15%;">
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#I">I</a></td><td align="right"><a href="#page_007">7</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Les sourds-muets dans l'antiquité et le moyen âge.&mdash;Abandon général.
+&mdash;Quelques efforts tentés en leur faveur.&mdash;Ils échouent, faute
+d'ensemble.&mdash;Naissance de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa vocation pour
+l'état ecclésiastique.&mdash;Le formulaire d'Alexandre VII.&mdash;Il refuse
+de le signer.&mdash;Il est autorisé, néanmoins, à remplir les fonctions du
+diaconat.&mdash;Il devient avocat et prête serment le même jour que
+M. de Maupeou.&mdash;Enfin, un neveu de Bossuet lui fraie le chemin
+du sacerdoce.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#II">II</a></td><td align="right"><a href="#page_014">14</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Vertus et maximes de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa tolérance.&mdash;Ses rapports
+avec le protestant Ulrich.&mdash;Ses v&oelig;ux en faveur des juifs.&mdash;Son
+abnégation, son humilité.&mdash;Ses relations avec un évêque janséniste,
+qu'il rend dépositaire de son adhésion à la bulle <b>Unigenitus</b>&mdash;On lui interdit le ministère de la parole et celui de la confession.
+&mdash;On lui refuse les cendres.&mdash;Sa réponse à un prêtre intolérant.
+&mdash;Vengeance sublime.&mdash;Commencement de son apostolat.<a name="page_402" id="page_402"></a></td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#III">III</a></td><td align="right"><a href="#page_020">20</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Deux s&oelig;urs sourdes-muettes, élèves du R. P. Vanin, de la doctrine
+chrétienne.&mdash;La mort les ayant privées de leur instituteur, l'abbé
+de l'Épée se résout à continuer son &oelig;uvre.&mdash;Théorie du langage
+des gestes.&mdash;Il ignore entièrement les travaux de ses prédécesseurs.&mdash;Ses premières tentatives.&mdash;Objections des philosophes et
+des théologiens.&mdash;Réponses victorieuses à ces objections.&mdash;Important
+avis du R. P. Lacordaire.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#IV">IV</a></td><td align="right"><a href="#page_028">28</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Lutte plus sérieuse du célèbre instituteur des sourds-muets avec les
+hommes de sa spécialité.&mdash;Publication de ses divers travaux sous
+le voile de l'anonyme.&mdash;Succès de ses séances publiques.&mdash;Intérêt
+que lui portent Louis XVI, Joseph II et Catherine de Russie.&mdash;Sa
+réputation grandit avec son zèle.&mdash;Exercices en français, en latin,
+en italien, en espagnol, en anglais.&mdash;Quelques taches éparses dans
+l'ensemble de son système.&mdash;Puériles décompositions grecques et
+latines.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#V">V</a></td><td align="right"><a href="#page_035">35</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Les signes naturels seuls peuvent-ils suffire à l'expression même des
+idées métaphysiques?&mdash;Divers essais infructueusement tentés pour
+arriver à une écriture universelle.&mdash;Descartes et Leibnitz ne croient
+pas à la possibilité d'un succès.&mdash;M. de Lamennais est d'un avis
+contraire.&mdash;La fusion de toutes les langues en une seule, si elle
+était possible, serait-elle durable?&mdash;La mimique est la seule langue
+universelle.&mdash;Tentative heureuse de Bébian pour peindre le geste
+et le fixer sur le papier comme on y fixe la parole.&mdash;Sa <small>MIMOGRAPHIE</small>.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#VI">VI</a></td><td align="right"><a href="#page_040">40</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Parole artificielle enseignée aux sourds-muets.&mdash;A quel hasard en est
+due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de l'Épée.&mdash;
+Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin sur
+cette spécialité.&mdash;Juan Pablo Bonet et Conrad Amman.&mdash;Quelques
+ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée.&mdash;Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par ses leçons.
+&mdash;Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle,
+un juif portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complètement
+notre célèbre instituteur.<a name="page_403" id="page_403"></a></td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#VII">VII</a></td><td align="right"><a href="#page_045">45</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte
+à 1620.&mdash;Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet
+manuel à deux mains, pareil à celui de nos collèges.&mdash;Plusieurs
+instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun.&mdash;Difficulté pour
+les commencements.&mdash;Notre dactylologie se popularise en France.
+&mdash;Ses avantages.&mdash;Quelques-unes de ses règles.&mdash;Son utilité
+pour les parlants.&mdash;Son usage dans les ténèbres.&mdash;Elle est inférieure
+à la mimique.&mdash;Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée.
+&mdash;Justification du célèbre instituteur par lui-même.&mdash;Exposé de sa
+méthode.&mdash;Attaque du sourd-muet Saboureux de Fontenay.&mdash;L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement avec Pereire
+et d'adopter même son système, s'il est déclaré supérieur au sien.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#VIII">VIII</a></td><td align="right"><a href="#page_054">54</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Tentatives en faveur des sourds-muets en Angleterre, en Hollande, en
+Allemagne, en France, à Genève, en Espagne, en Portugal, en
+Italie.&mdash;Travaux de Saint-Jean de Beverley, de Rodolphe Agricola,
+de Jérôme Cardan, de J. Pasck, de saint François de Sales, de
+Pedro de Ponce, de Juan Pablo Bonet, de Ramirez de Cortone, de
+Pedro de Castro, de John Bulwer, de J. Wallis, de William Holder,
+de Degby, de Gregory, de Georges Dalgarno, de Van Helmont, de
+Conrad Amman, de Kerger, de Georges Raphel, de Lassius, d'Arnoldi,
+de Samuel Heinicke, d'Ernaud, de Jacob Rodrigues Pereire.
+&mdash;Succès brillants des deux derniers à l'Académie des sciences de
+Paris.&mdash;Pension de Louis XV au second.&mdash;Il le nomme son interprète
+pour les langues espagnole et portugaise.&mdash;Sa tolérance
+religieuse.&mdash;Secret absolu recommandé à ses élèves.&mdash;Il offre
+de vendre sa méthode au gouvernement.&mdash;Lettre de la sourde-muette
+M<sup>lle</sup> Marois.&mdash;Legs du sourd-muet Coquebert de Montbret.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#IX">IX</a></td><td align="right"><a href="#page_065">65</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Avènement de l'abbé de l'Épée.&mdash;Rivalité de l'abbé Deschamps.&mdash;Son cours élémentaire.&mdash;Il est combattu par le sourd-muet Desloges,
+ouvrier relieur et colleur de papier, élève d'un autre sourd-muet,
+domestique d'un acteur de la Comédie-Italienne.&mdash;L'abbé
+de l'Épée devient le confesseur de ses enfants d'adoption.&mdash;
+L'empereur Joseph II lui sert la messe.&mdash;Il amène dans son
+établissement sa s&oelig;ur la reine Marie-Antoinette et lui adresse un
+prêtre allemand, en le priant de le mettre à même de populariser<a name="page_404" id="page_404"></a>
+sa méthode dans ses États.&mdash;Lettre de ce prince à l'abbé de
+l'Épée.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#X">X</a></td><td align="right"><a href="#page_070">70</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Lutte entre deux instituteurs allemands de sourds-muets.&mdash;L'abbé de
+l'Épée intervient.&mdash;Il en appelle aux académies de Vienne,
+d'Upsal, de St-Pétersbourg, de Zurich et de Leipsick.&mdash;Abstention
+générale, à l'exception de celle de Zurich, qui se prononce
+en sa faveur.&mdash;Nouvelle attaque de M. Nicolaï de Berlin.&mdash;
+Nouvelle victoire de l'abbé de l'Épée.&mdash;Condillac se prononce pour
+lui.&mdash;Extension trop grande donnée à la parole artificielle du
+sourd-muet.&mdash;Opinion de l'abbé de l'Épée sur ce sujet.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XI">XI</a></td><td align="right"><a href="#page_075">75</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Vertus et bienfaits de l'abbé de l'Épée.&mdash;Sa soutane usée.&mdash;Presque
+octogénaire, il se prive de feu pour ses enfants, durant un hiver
+rigoureux.&mdash;Projet d'un tableau de l'abbé de l'Épée par le sourd-muet
+Léopold Loustau.&mdash;Il refuse un évêché en France et une
+abbaye en Allemagne.&mdash;Belles réponses à Joseph II et à Catherine
+de Russie.&mdash;Paroles mémorables.&mdash;Il ne demande qu'à instruire
+des sourds-muets pauvres et à apprendre pour eux les langues de
+tous les pays.&mdash;Son désintéressement, ses sacrifices.&mdash;Louis XVI
+redoute d'abord son jansénisme.&mdash;Plus tard, il accepte le patronage
+de son école, en autorise le transfert à l'ancien couvent des
+Célestins et lui assigne une rente annuelle sur sa cassette.&mdash;La
+mort ne permet pas à l'abbé de l'Épée de voir ses élèves installés
+dans ce nouveau local.&mdash;Statistique des pensions de sourds-muets
+et de sourdes-muettes, existant à cette époque à Paris.&mdash;Son
+école à un second étage de la rue des Moulins.&mdash;Sa maison de
+campagne à loyer, rue des Martyrs.&mdash;Scènes attendrissantes.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XII">XII</a></td><td align="right"><a href="#page_085">85</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Episode du jeune comte de Solar.&mdash;Un sourd-muet, de douze à
+treize ans, trouvé sur la grande route de Péronne, envoyé à Bicêtre,
+puis à l'Hôtel-Dieu de Paris.&mdash;Quelques souvenirs
+confus.&mdash;Enlèvement et abandon.&mdash;Appartient-il à une famille
+riche?&mdash;Note envoyée à toutes les maréchaussées de France.&mdash;Étrange visite à l'Hôtel-Dieu&mdash;Le sourd-muet en est retiré
+et mis en pension avec d'autres frères d'infortune.&mdash;Une confusion
+de personnes.&mdash;Nom de Joseph substitué à celui de<a name="page_405" id="page_405"></a>
+Louis Leduc.&mdash;Le prince de Montbarey et Mme de Hauteserre.&mdash;Découverte de la demeure de Mme la comtesse de Solar, à Toulouse.
+&mdash;Un trait de lumière.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XIII">XIII</a></td><td align="right"><a href="#page_092">92</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">L'abbé de l'Épée veille attentivement sur le dépôt que lui a confié la
+Providence&mdash;Menaces dont il est l'objet.&mdash;L'autorité le
+protège.&mdash;Diverses personnes reconnaissent le jeune Solar.
+&mdash;Voyage du célèbre instituteur, avec son protégé, à Clermont,
+en Beauvoisis, sa ville natale.&mdash;Nouvelles reconnaissances.
+&mdash;Joseph se rappelle une cicatrice de son père.&mdash;Il est reconnu
+par son grand-père, mais sa s&oelig;ur hésite d'abord.
+&mdash;Une démarche auprès du duc de Penthièvre&mdash;Elle réussit.
+&mdash;Le prince accorde une pension de 800 livres au jeune Solar.
+&mdash;Le paiement en est bientôt suspendu.&mdash;Pourquoi.&mdash;Curieuse
+lettre de l'abbé de l'Épée.&mdash;Le premier semestre de la
+pension est payé.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XIV">XIV</a></td><td align="right"><a href="#page_101">101</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Cazeaux, accusé d'avoir, de concert avec la comtesse de Solar, supprimé
+la personne et l'état de l'enfant sourd-muet, est arrêté
+à Toulouse et amené à Paris, les fers aux pieds et aux mains.
+&mdash;Ses moyens de défense.&mdash;Il demande à être transféré, avec
+le sourd-muet, partout où la justice croira que sa présence peut
+devenir nécessaire pour éclaircir l'affaire.&mdash;Cette requête est
+jointe au fonds; on refuse son élargissement provisoire, ainsi que
+le transfert de l'enfant et de sa s&oelig;ur sur les lieux.&mdash;Enfin, une
+sentence du Châtelet déclare Joseph fils du comte de Solar,
+reconnaît Cazeaux innocent et le renvoie absous.&mdash;Commentaire
+des juges.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XV">XV</a></td><td align="right"><a href="#page_108">108</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Lettre de l'abbé de l'Épée à M<sup>e</sup> Élie de Beaumont, défenseur de
+Cazeaux.&mdash;Preuves, suivant le célèbre instituteur, de l'identité
+de Joseph et du comte de Solar.&mdash;Particularités remarquables.
+&mdash;Détails peu édifiants sur la mère du sourd-muet.&mdash;Réponse
+de M<sup>e</sup> Tronçon-Ducoudray à l'abbé de l'Épée.&mdash;Extrait mortuaire
+constatant, à son avis, le décès.&mdash;L'illustre avocat
+modifie, plus tard, son opinion.&mdash;Ses aveux à M. Bouilly, auteur<a name="page_406" id="page_406"></a>
+du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;Confirmation de la sentence
+du Châtelet par le parlement de Paris, qui ordonne, en outre,
+un supplément d'enquête et d'instruction.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XVI">XVI</a></td><td align="right"><a href="#page_116">116</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Foi robuste de l'abbé de l'Épée.&mdash;Ses occupations et ses infirmités
+ne lui permettent pas d'accompagner le jeune Solar dans ses
+courses au midi de la France&mdash;Diverses personnes intéressées
+dans l'affaire prennent la même direction.&mdash;Recherches longtemps
+infructueuses.&mdash;Joseph ne se reconnaît nulle part, pas
+même en présence de la tombe de son père.&mdash;On en exhume
+une tête d'enfant, avec une surdent semblable à celle qu'on a
+arrachée à Joseph.&mdash;Aventures d'un sourd-muet de Charleroi.&mdash;Parti qu'en tire le défenseur de Cazeaux.&mdash;Contradictions
+palpables, graves accusations formulées contre le pupille de
+l'abbé de l'Épée et contre les divers témoins qui déposent en sa
+faveur.&mdash;Nouvelle sentence confirmative du Châtelet.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XVII">XVII</a></td><td align="right"><a href="#page_122">122</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Redoublement d'efforts des adversaires du pupille de l'abbé de
+l'Épée.&mdash;Ils réussissent à faire suspendre l'exécution de la sentence.
+&mdash;Joseph perd ses protecteurs le duc de Penthièvre et
+l'abbé de l'Épée.&mdash;Les parlements sont détruits par la révolution.&mdash;
+Le nouveau tribunal de Paris casse le jugement rendu en
+faveur du pauvre délaissé.&mdash;Sans appui, sans famille, sans
+ressource, l'ex-comte de Solar s'enrôle dans l'armée républicaine
+et meurt, suivant les uns, sur un champ de bataille, selon d'autres,
+dans un hôpital.&mdash;Son interprète, le sourd-muet Didier,
+suit son exemple et s'engage dans l'artillerie.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XVIII">XVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_132">132</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Coup d'&oelig;il rétrospectif sur l'épisode du comte de Solar.&mdash;Est-ce une
+aventure réelle on un roman historique?&mdash;Bonne foi, conviction
+de l'abbé de l'Épée.&mdash;Ses efforts pour rendre l'innocence et l'honneur
+à Cazeaux.&mdash;Un dilemme pour en finir.&mdash;M. Fournier des
+Ormes voit dans cette aventure une mystification.&mdash;Suivant lui,
+le pupille du célèbre instituteur n'aurait pas été complètement
+sourd.&mdash;Cette opinion combattue par M. Valade-Gabel.&mdash;La
+pièce de Bouilly.&mdash;Première représentation.&mdash;Grand succès.&mdash;
+Incident de la seconde.&mdash;L'abbé Sicard mis en liberté.<a name="page_407" id="page_407"></a></td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XIX">XIX</a></td><td align="right"><a href="#page_143">143</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Le buste du célèbre instituteur des sourds-muets offert à M. Bouilly
+par les jeunes élèves de l'École nationale de Paris.&mdash;Félicitations
+du premier consul Bonaparte et du roi Louis XVIII à l'auteur du
+drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;Souvenirs intéressants de M<sup>me</sup> Talma.
+Deux traits de présence d'esprit de cette admirable actrice à deux
+représentations de la pièce.&mdash;Tribut d'éloges de Monvel à son
+élève.&mdash;Conclusions de M. Villenave.&mdash;Heureux résultats pour
+les sourds-muets du succès du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XX">XX</a></td><td align="right"><a href="#page_151">151</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Efforts tentés auprès du gouvernement pour suspendre les représentations
+du drame de L'abbé de <small>L</small>'É<small>PÉE.</small>.&mdash;L'auteur accusé par la
+presse d'avoir voulu troubler le repos et compromettre l'honneur
+de certaines personnes.&mdash;M. Bouilly se disculpe.&mdash;Il offre de
+changer le lieu de la scène et efface du titre la qualification de C<small>O
+MÉDIE HISTORIQUE.</small>&mdash;Mort de l'abbé de l'Épée.&mdash;Touchant spectacle
+de ses derniers moments.&mdash;Tableau du sourd-muet Peyson.&mdash;Le
+célèbre instituteur inhumé à Saint-Roch.&mdash;On se dispute son
+image.&mdash;Sa répugnance à laisser reproduire ses traits, de son
+vivant.&mdash;Le sculpteur sourd-muet de Seine.&mdash;La Commune de
+Paris demande à l'Assemblée nationale que l'État adopte les sourds-muets
+privés de leur père.&mdash;Ce v&oelig;u est réalisé.&mdash;Oraison
+funèbre de l'abbé de l'Épée, prononcée dans l'église Saint-Étienne-du-Mont.&mdash;Supplice
+du panégyriste.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXI">XXI</a></td><td align="right"><a href="#page_159">159</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">L'Assemblée nationale décrète que le nom de l'abbé de l'Épée sera inscrit
+parmi ceux des citoyens qui ont bien mérité de l'humanité et de
+la patrie, et que son Institution sera subventionnée par l'État.&mdash;Fondation de 24 bourses gratuites, projet de translation à l'ancien
+couvent des Célestins.&mdash;La Convention fonde, dans chacune des
+écoles de Paris et de Bordeaux, 60 bourses, portées successivement,
+pour la première, à 80 et à 100.&mdash;La Convention avait eu, un instant,
+le projet de fonder, pour l'éducation de 4000 sourds-muets,
+une école normale et six grandes institutions, avec ateliers et travaux
+agricoles.&mdash;Transfert de l'établissement de Paris dans le
+local actuel, à l'ancien séminaire Saint-Magloire.&mdash;Les frais d'éducation
+des sourds-muets rangés, en 1832, parmi les <i>dépenses facultatives</i>
+des budgets départementaux.&mdash;M. de Gerando avait infructueusement
+proposé que ce fût parmi les <i>dépenses obligatoires</i>.<a name="page_408" id="page_408"></a></td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXII">XXII</a></td><td align="right"><a href="#page_166">166</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Mode d'administration successif des Institutions nationales de sourds-muets
+de Paris et de Bordeaux.&mdash;Projets divers ayant pour but de
+généraliser en France cet enseignement spécial.&mdash;Sollicitations infructueuses
+jusqu'à ce jour.&mdash;Pétition adressée en 1851, par la Société
+centrale d'éducation et d'assistance pour les sourds-muets en France
+à l'Assemblée nationale législative.&mdash;Éloges de l'abbé de l'Épée par
+MM. Bébian, ancien censeur des études de l'Institution nationale de
+Paris, et d'Aléa, ancien directeur du collège royal des sourds-muets
+de Madrid.&mdash;L'auteur des <small>TEMPLIERS</small>, M. Raynouard, de
+l'Académie française, voulait, à sa mort, fonder un prix pour le
+meilleur poème à la gloire de l'abbé de l'Épée.&mdash;Nomenclature
+complète des &oelig;uvres du célèbre instituteur.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXIII">XXIII</a></td><td align="right"><a href="#page_172">172</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Violation des sépultures de l'église Saint-Roch en 93.&mdash;Le plomb des cercueils
+fondu en balles sur les autels.&mdash;Mission que l'auteur s'était
+imposée de retrouver la tombe de l'abbé de l'Épée.&mdash;Lettre aux
+journaux pour se plaindre de ce que son portrait ne figure pas au
+Musée historique de Versailles; de ce que sa statue ne se voit, ni
+dans sa ville natale, ni à Paris; de ce que la tombe enfin de son successeur,
+l'abbé Sicard, languit sans honneur, dans un déplorable
+abandon.&mdash;Demande de renseignements au curé de Saint-Roch
+sur le lieu de la sépulture de l'abbé de l'Épée dans cette église.&mdash;Comment on découvre que ses restes reposent dans le caveau de la
+chapelle Saint-Nicolas&mdash;L'auteur y descend avec le sourd-muet
+Forestier et le docteur Doumic.&mdash;Spectacle déchirant!&mdash;Souscription
+ouverte dans les journaux pour élever un monument aux
+cendres du célèbre instituteur et faire apposer deux inscriptions
+en français sur la maison où il est né et sur celle qui fut le berceau
+de son enseignement.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXIV">XXIV</a></td><td align="right"><a href="#page_185">185</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Une commission se forme pour régulariser la souscription destinée à
+élever un monument à l'abbé de l'Épée.&mdash;M. Dupin aîné en accepte
+la présidence; M. Villemain consent à en faire partie.&mdash;Elle se
+compose, en outre, de MM. de Schonen, de Gérando, Chapuys-Montlaville,
+Cavé, l'abbé Olivier, Monglave, Nestor d'Andert, et
+de trois sourds-muets, Ferdinand Berthier, Forestier et Lenoir.&mdash;Regrets de M. de Chateaubriand et du premier président Séguier.&mdash;Première séance à l'hôtel de la présidence de la Chambre.&mdash;Remercîments<a name="page_409" id="page_409"></a>
+des trois membres sourds-muets.&mdash;Projet de M. Victor
+Lenoir, architecte du gouvernement.&mdash;Voies et moyens: représentations
+à bénéfice, souscription de la famille royale.&mdash;Où s'élèvera
+le monument?&mdash;On repousse la cour de l'Institution; on préfère
+la chapelle Saint-Nicolas, à Saint-Roch.&mdash;Organisation de la
+souscription.&mdash;Recherches à faire au Palais de Justice, à l'Hôtel
+de Ville, aux Archives nationales, sur le lieu de l'inhumation.&mdash;
+MM. Montlaville, Monglave et Berthier, délégués pour aller constater
+l'identité des restes découverts ou à découvrir.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXV">XXV</a></td><td align="right"><a href="#page_195">195</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Exhumation des restes mortels de l'abbé de l'Épée par MM. Garay de
+Monglave, Chapuys-Montlaville et Ferdinand Berthier.&mdash;Découverte
+de fragments de souliers, de rabat, de soutane, de bonnet
+carré et d'étole, reconnus par une personne qui a eu des rapports
+avec le grand instituteur.&mdash;La pipe de terre.&mdash;Oubli ou profanation.&mdash;Noms
+des premiers souscripteurs.&mdash;Appel éloquent à toutes
+les âmes généreuses.&mdash;Propositions de MM. Michaut (des Monnoies),
+Victor Lenoir, architecte, et Auguste Préault, statuaire.&mdash;Appel aux
+ambassadeurs étrangers, aux cours de cassation et des comptes,
+aux cours d'appel, etc.&mdash;Réponse de l'ambassadeur de Bavière.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXVI">XXVI</a></td><td align="right"><a href="#page_211">211</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Rapport de M. Nestor d'Andert sur les projets soumis à la commission.&mdash;Préférence
+acquise à celui de M. Préault.&mdash;Les ministres
+invités à compléter la somme nécessaire à l'érection du monument.&mdash;Celui
+de l'Intérieur, M. de Montalivet, souscrit pour
+3,000 fr.&mdash;Devis à forfait de M. Préault.&mdash;La commission l'accepte,
+à condition que l'artiste ne pourra exiger les sommes à
+recevoir qu'à mesure des rentrées, et que le monument sera prêt
+en février 1841.&mdash;Nouvelle circulaire, nouvelles démarches auprès
+des grands corps de l'État.&mdash;Appel à Louis-Philippe et à
+sa famille.&mdash;On en ignore le résultat.&mdash;L'ancien curé de Saint-Roch,
+devenu évêque d'Évreux, regrette de ne pouvoir prêcher le
+jour de l'inauguration du monument.&mdash;On s'adresse à l'abbé
+C&oelig;ur, qui ne peut, à cause de ses nombreux travaux, accepter cette
+honorable mission.&mdash;Fixation ultérieure du jour de la cérémonie.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXVII">XXVII</a></td><td align="right"><a href="#page_221">221</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">La Commission cesse de s'assembler.&mdash;M. Préault, presque abandonné
+à lui-même et n'ayant plus que les conseils de MM. de Monglave
+et Berthier, tient religieusement sa promesse.&mdash;Le monument est<a name="page_410" id="page_410"></a>
+inauguré en août 1841, sans cérémonie et presque à huis clos.&mdash;Description et éloge de cette &oelig;uvre remarquable.&mdash;Mais pourquoi
+une inscription latine?&mdash;Sur 33,000 sourds-muets que renferme
+la France, il n'y en a pas 22 qui sachent le latin.&mdash;Hommage
+des sourds-muets suédois.&mdash;Couronne de bronze due aussi
+à M. Préault, ainsi que la statue de l'abbé de l'Épée qui orne la
+façade de l'hôtel de ville de Paris.&mdash;Cruels sacrifices pécuniaires
+de l'artiste pour le monument de Saint-Roch et pour celui qu'il a
+élevé au général Marceau sur une place de Chartres.&mdash;Un buste
+du grand instituteur dû à un sculpteur sourd-muet, offert à l'école
+de Paris.&mdash;Séance d'inauguration.&mdash;Souscription ouverte pour
+élever une statue à l'abbé de l'Épée sur une des places de Versailles,
+sa ville natale.&mdash;L'Institution de Paris s'associe à cet
+acte de reconnaissance.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXVIII">XXVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_229">229</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Ces hommages, rendus, de toutes parts, à la mémoire de l'abbé de l'Épée,
+avaient été devancés, dès 1835, dans un banquet commémoratif
+de sa naissance, par une proposition que je fis aux sourds-muets
+et à leurs amis d'acquérir un buste en bronze du célèbre
+instituteur.&mdash;Empressement unanime de tous les convives.
+&mdash;Le buste est commandé au sculpteur Parfait Merlieux, et
+inauguré sur la fin du banquet de l'année suivante.&mdash;Transports
+d'allégresse de tous les assistants.&mdash;Mon allocution.&mdash;Bienfaits
+de la Société centrale des sourds-muets.&mdash;Projet de cours
+publics et gratuits en faveur des ouvriers atteints de cette infirmité.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXIX">XXIX</a></td><td align="right"><a href="#page_235">235</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Toast porté en langue mimique à la gloire des sourds-muets par leur
+ami Eugène Garay de Monglave.&mdash;Revue des célébrités de cette
+nation exceptionnelle.&mdash;Professeurs, lauréats, jurisconsultes,
+prosateurs et poëtes, bacheliers, mathématiciens, chimistes, physiciens,
+inventeurs, peintres (histoire, sujets religieux, portraits,
+marines, pastel, daguerréotype et lithographie), statuaires, graveurs,
+mécaniciens, horlogers, imprimeurs, ouvriers en tout genre,
+marins et militaires.&mdash;Trait héroïque de dévouement et de courage
+d'un sourd-muet de douze ans.&mdash;Le gouvernement lui décerne une
+médaille.&mdash;Ses condisciples se cotisent pour lui fournir le moyen
+d'assister è notre banquet.&mdash;Mon toast à M. Bouilly, et la réponse
+de ce doyen de nos auteurs dramatiques.<a name="page_411" id="page_411"></a></td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXX">XXX</a></td><td align="right"><a href="#page_248">248</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Résumé des travaux de la commission créée pour l'inauguration d'une
+statue de l'abbé de l'Épée sur une des places publiques de Versailles,
+sa ville natale.&mdash;Communication officieuse du maire du chef-lieu
+de Seine-et-Oise.&mdash;Honorable initiative d'un citoyen, M. le docteur
+Bataille.&mdash;Sa lettre à un journal du département.&mdash;Nobles sentiments.&mdash;Modèle de la statue de notre illustre instituteur par
+M. Michaut, le célèbre graveur des monnaies.&mdash;Offres désintéressées.&mdash;Premier noyau de la commission de Versailles.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXI">XXXI</a></td><td align="right"><a href="#page_256">256</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Membres présents à la première réunion.&mdash;Formation du bureau définitif.&mdash;Comment on pourra activer les souscriptions.&mdash;Voies et
+moyens.&mdash;Plusieurs projets.&mdash;Divers modes de publicité.&mdash;Le
+maire de la ville accepte les fonctions de membre de la commission.&mdash;La statue sera en bronze et de taille héroïque.&mdash;Divers
+emplacements proposés.&mdash;Deux seuls paraissent convenables.&mdash;Autorisation à demander au conseil municipal.&mdash;Comité de trois
+membres, chargé, sous le titre de jury de surveillance, de suivre
+l'exécution des travaux.&mdash;Publication de la liste des souscripteurs
+tous les deux mois.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXII">XXXII</a></td><td align="right"><a href="#page_262">262</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Mort du président de la commission, M. le marquis de Sémonville.&mdash;
+M. le baron de Fresquienne élu à sa place.&mdash;Demande d'autorisation
+au Ministre de l'instruction publique pour élever la statue
+sur l'axe de la grille de clôture du jardin de l'École normale.&mdash;Réponse favorable.&mdash;M. Michaut s'engage à ce que les frais de
+la statue ne dépassent pas dix mille francs, et demande à en
+commencer le modèle en argile plastique.&mdash;M. l'architecte Petit
+invité à dresser un devis estimatif des dépenses du piédestal et
+des grilles.&mdash;Autorisation du conseil municipal, émettant toutefois
+le v&oelig;u qu'on choisisse un emplacement plus convenable.&mdash;Projet d'une médaille en bronze, destinée à chaque souscripteur.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXIII">XXXIII</a></td><td align="right"><a href="#page_270">270</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">M. Aubernon, préfet de Seine-et-Oise, avant de donner son approbation
+complète au projet de monument qu'on prépare à l'abbé de
+l'Épée, désire être mieux édifié sur diverses circonstances qui s'y<a name="page_412" id="page_412"></a>
+rattachent.&mdash;Réponses de la commission aux différentes questions
+qui lui ont été soumises par M. le préfet.&mdash;Première pensée d'une
+entrevue de quelques membres du conseil municipal de Versailles
+avec quelques membres de la commission du monument, ayant
+pour but d'essayer de lever en commun ces obstacles.&mdash;Délibération
+favorable du conseil municipal en réponse aux objections
+soulevées par M. le préfet.&mdash;Rédaction d'un prospectus à répandre
+pour activer les souscriptions.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXIV">XXXIV</a></td><td align="right"><a href="#page_276">276</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Lettre d'envoi du prospectus.&mdash;Premières listes de souscriptions.&mdash;Empressement des évêques et du clergé.&mdash;Offrande de 300 francs
+de la part du roi Louis-Philippe.&mdash;Les membres de la commission
+invités à donner chacun son avis sur le modèle de la statue.
+&mdash;Le statuaire Michaut promet d'en profiter.&mdash;Souscriptions des
+sourds-muets, recueillies par le docteur Doumic.&mdash;Projet d'exposition
+du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+sourds-muets de Paris.&mdash;Le préfet de Seine-et-Oise accepte les
+fonctions de président d'honneur de la commission.&mdash;MM. Molé,
+Lepelletier-d'Aunay, Bertin de Vaux et le duc de Luynes désignés
+pour en être membres d'honneur.&mdash;Le Ministre de la guerre
+regrette de ne pouvoir accorder le bronze qu'on lui demande
+pour la confection de la statue.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXV">XXXV</a></td><td align="right"><a href="#page_284">284</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Exposition du modèle de la statue dans la cour de l'Institution des
+sourds-muets de Paris.&mdash;Description. Éloge.&mdash;Visite du préfet de
+Seine-et-Oise, du maire de Versailles, d'un de ses adjoints, de délégués
+du conseil municipal, de membres de la commission des
+souscripteurs.&mdash;Mes impressions en présence de la statue.&mdash;Engagement du fondeur.&mdash;Adoption de la statue par le conseil
+municipal, qui décide qu'elle sera placée à la croix des rues
+Royale et d'Anjou.&mdash;M. Michaut se soumet aux corrections indiquées.
+&mdash;L'architecte de la ville mis à la disposition de l'&oelig;uvre.
+&mdash;Nouveaux moyens à employer pour activer les souscriptions.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVI">XXXVI</a></td><td align="right"><a href="#page_298">298</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Hommage, par la commission des souscripteurs, au conseil municipal
+de la statue de l'abbé de l'Épée.&mdash;Examen du bronze destiné à
+cette &oelig;uvre.&mdash;Déficit de 2,700 fr. sur la somme nécessaire à
+l'achèvement des travaux.&mdash;Le conseil municipal en vote 2,000.<a name="page_413" id="page_413"></a>&mdash;Projet
+d'une plaque commémorative.&mdash;Inscription de la face
+principale du monument.&mdash;Travaux du fondeur surveillés par le
+statuaire.&mdash;Érection fixée au 3 septembre 1843.&mdash;Dernières dispositions.
+&mdash;Programme de la fête.&mdash;Décision du conseil municipal.&mdash;Je
+suis invité à adresser une allocution mimique aux
+sourds-muets qui assisteront à la cérémonie.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVII">XXXVII</a></td><td align="right"><a href="#page_310">310</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Inauguration de la statue de l'abbé de l'Épée à Versailles, sa ville
+natale.&mdash;Autorités, garde nationale, les sourds-muets de Paris
+et d'Orléans.&mdash;Désintéressement du chemin de fer.&mdash;Absence
+regrettable du clergé.&mdash;Nombreuse affluence de spectateurs.&mdash;Discours du préfet, au nom de la commission des souscripteurs.
+Réponse du maire.&mdash;Notice sur la vie et les travaux de l'abbé
+de l'Épée, par M. de Sainte-James, secrétaire de la commission
+du monument.&mdash;Mon allocution mimique.&mdash;Salves d'artillerie.
+&mdash;Absence du vénérable Paulmier.&mdash;Discours qu'il devait prononcer.</td></tr>
+
+<tr><td>Chapitre <a href="#XXXVIII">XXXVIII</a></td><td align="right"><a href="#page_322">322</a></td></tr>
+
+<tr><td colspan="2">Pièces de vers auxquelles donne naissance l'inauguration de la statue
+de l'abbé de l'Épée, à Versailles. Improvisation poétique du
+sourd-muet Pélissier, avec épigraphe du sourd-muet Lenoir.&mdash;Le conseil municipal autorise le maire à accepter le monument,
+et adresse des remercîments aux commissaires, aux souscripteurs
+et au statuaire.&mdash;La commission sollicite en vain de M. le Ministre
+de l'intérieur, par l'intermédiaire de M. le préfet, une dernière subvention
+pour solder ses comptes.&mdash;Relevé définitif des recettes et
+dépenses.&mdash;Tribut de regret de la commission à quatre de ses
+membres décédés.&mdash;Ses remercîments à M. le préfet Aubernon.
+&mdash;Elle décerne une médaille au statuaire Michaut.&mdash;Désir des
+souscripteurs sourds-muets de voir leurs noms imprimés dans les
+journaux, afin de constater leur reconnaissance pour l'abbé de
+l'Épée. La commission ne peut que faire lithographier des listes
+générales.&mdash;Conclusion: sept v&oelig;ux émis; trois encore à exaucer,
+une statue dans l'Institution, berceau de l'art d'élever les sourds-muets;
+deux inscriptions, l'une, sur la maison modeste où il naquit,
+à Versailles, l'autre, sur la maison modeste où il commença
+à enseigner, à Paris.</td></tr>
+
+<tr><td><a href="#NOTES">Notes</a></td><td align="right"><a href="#page_335">335</a></td></tr>
+</table>
+
+<p><a name="page_414" id="page_414"></a></p>
+
+<div class="footnotes"><p class="cb"><a name="Notes_de_bas_de_page" id="Notes_de_bas_de_page"></a>Notes de bas de page:</p>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> <i>Résumé des travaux</i> de l'ex-Société centrale des
+sourds-muets de 1838 à 1843, par MM. Lenoir et Allibert, professeurs
+sourds-muets.&mdash;Rapports sur l'état des recettes et dépenses de cette
+Société dans le même intervalle de temps, par MM. Dubois et Imbert, le
+premier sourd seulement, le second sourd-muet.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2_2" id="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2"><span class="label">[2]</span></a> Toutefois, il y a apparence que ces infortunés étaient
+mieux traités chez les Romains, pourvu toutefois qu'ils montrassent de
+l'aptitude à une spécialité quelconque, puisque nous voyons Pline citer
+l'un d'eux, nommé Pedius, comme s'exerçant dans les beaux-arts.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3_3" id="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3"><span class="label">[3]</span></a> Extrait de l'<i>Annuaire de l'Institut des sourds-muets et
+des aveugles de Bruges</i>, 1841, par M. l'abbé Carton, directeur de cet
+établissement.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4_4" id="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4"><span class="label">[4]</span></a> Voyez <a href="#A">la note A</a> à la fin du volume.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5_5" id="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5"><span class="label">[5]</span></a> La maison qui fut son berceau n'existe plus. Elle était
+située sur le terrain actuel de l'hospice, à l'angle des rues de Bourbon
+et de l'Abbé-de-l'Épée (naguère de Clagny).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6_6" id="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6"><span class="label">[6]</span></a> Voyez <a href="#B">la note B</a>.</p></div>
+
+<div class="footnote">
+<p>
+<a name="Footnote_7_7" id="Footnote_7_7"></a>
+<a href="#FNanchor_7_7"><span class="label">[7]</span></a>
+Voyez <a href="#C">la note C</a>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8_8" id="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8"><span class="label">[8]</span></a> Voyez <a href="#D">la note D</a>.&mdash;Copies authentiques de six pièces émanées
+des anciennes archives du diocèse de Troyes et déposées à la préfecture
+de l'Aube, précédées de la réponse de M. le chanoine Coffinet,
+secrétaire de cet évêché, à M. Sainte-James de Gaucourt, secrétaire de
+la Commission pour l'érection de la statue de l'abbé de l'Épée à
+Versailles.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_9_9" id="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9"><span class="label">[9]</span></a> En 1743.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_10_10" id="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>La Revue ecclésiastique</i>, 33<sup>e</sup> livraison, février.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_11_11" id="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11"><span class="label">[11]</span></a> Voyez <a href="#E">la note E</a>.&mdash;Observations d'un ecclésiastique aussi
+tolérant qu'éclairé, M. l'abbé Bouchot, aumônier de l'institution des
+sourds-muets d'Orléans.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_12_12" id="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12"><span class="label">[12]</span></a> Éloge de l'abbé de l'Épée, par Bébian, censeur des études
+de l'institution des sourds-muets de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_13_13" id="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13"><span class="label">[13]</span></a> Chateaubriand a dit quelque part en parlant des sauvages
+de l'Amérique:
+</p><p>
+«La conversation devint bientôt générale, c'est-à-dire par quelques mots
+entrecoupés de ma part et par beaucoup de gestes, langage expressif que
+ces nations entendent à merveille et que j'avais appris parmi elles.»</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_14_14" id="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14"><span class="label">[14]</span></a> Lettre seconde de l'instituteur des sourds-muets à M.
+l'abbé *** en 1772 (<i>Institution des sourds-muets par la voie des signes
+méthodiques</i>).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_15_15" id="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15"><span class="label">[15]</span></a> <i>Institution des Sourds-Muets, par la voie des signes
+méthodiques</i>. 1<sup>re</sup> partie. Page 89.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_16_16" id="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16"><span class="label">[16]</span></a> La <i>Polygraphie</i> ou <i>écriture universelle, cabalistique</i>,
+de Trithème.&mdash;L'ouvrage de Comenius intitulé: <i>Janua linguarum reserta</i>
+(1601).&mdash;Bécher de Spire (1661). <i>Character pro notitiâ linguarum
+universale</i>.&mdash;John Wilkins, <i>an essay towards a real character and
+philosophical</i>.&mdash;La <i>Pasigraphie</i>, ou écriture universelle, du chevalier
+de Maimieux.&mdash;<i>L'anti-pasigraphie</i> de Vater.&mdash;<i>Manuel polyglote</i> de
+Cambry, d'après le plan de Bécher.&mdash;<i>Essai pasigraphique</i> de Zacharie
+Nather.&mdash;<i>Cours de Pasigraphie</i> de Schmid, ouvert en 1807 au lycée de
+Dilengen.
+</p><p>
+Ces citations sont extraites de l'<i>Investigateur</i>, journal de l'institut
+historique. Tome IX, 172<sup>e</sup> livraison.&mdash;Mars 1849.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_17_17" id="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17"><span class="label">[17]</span></a> Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue.
+Contentons-nous donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés
+en français:
+</p><p>
+<i>Essai sur l'articulation de la voix,</i> par Laurent de Blois, 1831.
+</p><p>
+&mdash;<i>La parole rendue aux sourds-muets,</i> par le même.&mdash;<i>Tableau des
+éléments de la parole artificielle et de la lecture sur les lèvres à
+l'usage des sourds et demi-sourds de naissance et par accident,</i> par M.
+Piroux, directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy,
+1838.&mdash;<i>Méthode de phonologie et de labéologie,</i> par le même,
+idem.&mdash;<i>Mécanisme de la parole mis à la portée des sourds de naissance,</i>
+par M. Vaïsse, professeur de la classe de perfectionnement de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris.&mdash;Brochure de M.
+Valade-Gabel, ancien directeur de l'institution, nationale des
+sourds-muets de Bordeaux, 1839, intitulée: <i>Quel rôle l'articulation et
+la lecture sur les lèvres doivent-elles jouer dans l'enseignement des
+sourds-muets?&mdash;La parole enseignée aux sourds-muets, sans le secours de
+l'oreille,</i> par J. B. Puybonnieux, professeur et
+archiviste-bibliothécaire à l'institution nationale des sourds-muets de
+Paris, 1843.&mdash;<i>Mutisme et surdité ou influence de la surdité native sur
+les facultés physiques, intellectuelles et morales,</i> par le même, 1846.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_18_18" id="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18"><span class="label">[18]</span></a> Voyez à <a href="#F">la note F</a>. un <i>certificat délivré par l'abbé de
+l'Épée à Mademoiselle Blouïn,</i> certificat publié par M. Piroux,
+directeur de l'institution des sourds-muets de Nancy dans son
+intéressant journal mensuel: <i>l'Ami des Sourds-Muets.</i> (2<sup>e</sup> année,
+1839-1840.)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_19_19" id="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19"><span class="label">[19]</span></a> Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure
+portugaise, à 36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à
+Berlango, dans l'Estramadure espagnole. On appelait alors
+indifféremment, a-t-on remarqué à cet égard, <i>juifs portugais</i> ou
+<i>nouveaux chrétiens</i> les premiers Israélites venus de la péninsule
+hispanique et admis légalement en France par les ordonnances de Henri
+II.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_20_20" id="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20"><span class="label">[20]</span></a> Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_21_21" id="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21"><span class="label">[21]</span></a> M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent <i>Manuel
+d'enseignement pratique des sourds-muets</i>, que plusieurs institutions
+d'Allemagne ne faisaient usage d'aucun alphabet manuel, mais qu'on y
+traçait en l'air la forme des lettres comme si on les écrivait. Selon
+cet instituteur éminent, les lettres ainsi tracées sont beaucoup trop
+fugitives; elles supposent d'ailleurs une grande habitude d'écrire sur
+le papier et ne peuvent être par conséquent d'aucune utilité pour les
+premières leçons.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_22_22" id="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22"><span class="label">[22]</span></a> Voyez à <a href="#G">la note G</a>:&mdash;1º ma lettre au directeur de
+l'institution nationale des sourds-muets de Paris sur la <i>dactylologie </i>
+de M. Leménager; 2º celle que j'ai adressée à la Commission consultative
+de cet établissement sur la <i>dactylographie</i> de M. Ch. Wilhorgne.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_23_23" id="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23"><span class="label">[23]</span></a> <i>Institution des Sourds-Muets</i>, chap. 1, pag. 9-10.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_24_24" id="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24"><span class="label">[24]</span></a> C'est par ce moyen que le père Vanin avait commencé
+l'éducation des deux s&oelig;urs sourdes-muettes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_25_25" id="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25"><span class="label">[25]</span></a> Il a fait paraître un grand nombre de traductions
+d'ouvrages anglais qui lui étaient commandés par des éditeurs, des
+lettres sur la dactylologie et un mémoire publié par le <i>Journal de
+Physique</i>, en 1770.&mdash;Il avait, en outre, formé lui-même quelques élèves,
+parmi lesquels se distinguait une demoiselle de Rennes, dont Le Bouvier
+Desmortiers cite quelques écrits.&mdash;La <i>dactylologie</i> était l'instrument
+favori de ce sourd-muet très-remarquable, auquel nous sommes redevables,
+dit-on, de l'adoption de ce mot grec.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_26_26" id="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26"><span class="label">[26]</span></a> Ce moine anglo-saxon passe pour avoir composé le premier
+un travail méthodique ayant trait au langage doigté.&mdash;Il a pour titre
+<i>Loquela digitorum</i>, art d'exprimer les nombres par la position des
+doigts sur les mains ou des mains sur le corps. Il se compose d'un texte
+très-court et n'ayant guère que l'étendue d'une des pages du <i>Magasin
+pittoresque</i> (16<sup>e</sup> année), et de 55 figures. Les 36 premières
+expriment les nombres avec les doigts seulement et constituent ainsi ce
+que l'on est convenu d'appeler la <i>dactylonomie</i>; les 19 autres,
+relatives à la <i>Chiromamie</i>, empruntent leur signification aux diverses
+positions des mains.
+</p><p>
+Des savants font remonter de pareils systèmes à une haute antiquité. Ils
+en citent pour preuves un assez grand nombre de passages des auteurs
+anciens, sacrés et profanes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_27_27" id="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27"><span class="label">[27]</span></a> <i>Paralipomenn</i>, lib. III, cap 3, tome XVI de la collection
+de ses &oelig;uvres, page 462.&mdash;<i>De utilitate ex advertis capiendâ</i>, lib.
+II, cap. 7, tome II de ses &oelig;uvres, pag. 73.
+</p><p>
+<i>De subtilitate</i>, lib XIV, pag. 425 (édition de Bâle, 1622).</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_28_28" id="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28"><span class="label">[28]</span></a> <i>Extrait de la vie de saint François de Sales</i>, par
+Marsollier. Paris, Dufour, 1826. Tome 1<sup>er</sup>, livre 5<sup>e</sup>, page 394.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_29_29" id="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29"><span class="label">[29]</span></a> J'ai été induit en erreur, comme beaucoup d'autres, quand
+j'ai écrit autre part qu'il était muet de naissance.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_30_30" id="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30"><span class="label">[30]</span></a> C'est ce que m'a assuré, du moins, M. Coquebert de
+Montbret, homme fort instruit, membre sourd-muet de la Société
+Asiatique, qui, en 1847, a, par son testament, légué non seulement sa
+fortune, mais sa riche bibliothèque à la ville de Rouen. Voyez <a href="#H">la note H</a>
+où il est parlé de ce legs d'après les <i>Annales de l'éducation des
+Sourds-Muets et des Aveugles</i>, publiées par M. Edouard Morel, 4<sup>e</sup>
+année, 4<sup>e</sup> volume, 1847.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_31_31" id="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31"><span class="label">[31]</span></a> J'ai lu dans l'<i>Illustration</i>, 3 novembre 1849, nº 349,
+vol. XIV, que M. de Carignan, frère aîné du Comte de Soissons, qui était
+bègue, eut pour percepteur M. de Vaugelas. La grande occupation de ce
+dernier pendant quatre ans fut de lui enseigner les plus ingénieuses
+décompositions des mots pour lui en faciliter la prononciation. Le
+maître étant mort de chagrin de voir ses efforts échouer devant les
+organes rebelles de l'élève, un Italien nommé Vicenzio Barini prit sa
+place. Le nouvel instituteur imagina un moyen de lui faire prononcer et
+assembler quelques lettres on ne sait comment. D'après Armand de
+Barenta, à qui j'emprunte cette note, il ne paraît pas que M. de
+Carignan en ait mieux profité.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_32_32" id="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32"><span class="label">[32]</span></a> Ce traité, dont Locke, Leibnitz, Fontenelle, dans son
+éloge de Leibnitz, et le célèbre philosophe écossais Dugald Stewart,
+faisaient un grand cas, était devenu si rare, en 1834, qu'une société de
+bibliophiles de Glascow, connue sous le nom de <i>club Maitland</i>, résolut
+d'en faire, à Edimbourg, tirer, au nombre de cent exemplaires seulement,
+une nouvelle édition réservée à ses membres. L'Institution nationale des
+Sourds-Muets de Paris, grâce aux soins éclairés de M. Edouard Morel,
+alors son secrétaire-bibliothécaire, est parvenu à s'en procurer un,
+malgré l'énormité du prix, 120 francs.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_33_33" id="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33"><span class="label">[33]</span></a> Il comptait déjà treize ans, et avait reçu un commencement
+d'instruction de M. Lucas aîné, entrepreneur des bâtiments du Roi pour
+les ouvrages de plomberie, quand il fut mis en pension, le 26 octobre
+1750, chez Pereire, quai des Augustins, par le duc de Chaulnes, son
+parrain.&mdash;Selon M. Coquebert de Montbret, ce sourd-muet, fils d'un
+maréchal des logis des chevau-légers de la garde, aurait été l'oncle de
+notre grand orateur Berryer.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_34_34" id="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34"><span class="label">[34]</span></a> Voir son <i>Dictionnaire de Musique</i>, art. <i>Chant</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_35_35" id="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35"><span class="label">[35]</span></a> Voici le commencement de quelques vers de La Condamine,
+qu'une considération inconnue ne permit pas, dit-on, d'inscrire sur le
+tombeau de Pereire:
+</p>
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">Pereire! ton génie et tes puissants secours</td></tr>
+<tr><td align="left">Ont rendu la parole à des muets nés sourds!</td></tr>
+<tr><td align="left">Des muets ont parlé!.......</td></tr>
+</table>
+<p>
+Saboureux de Fontenay avait répondu par une dissertation remarquable aux
+questions de ce savant. Peu importe, d'ailleurs, l'époque précise! A
+quoi notre frère d'infortune devait-il d'être arrivé à cette supériorité
+de connaissances qui excitait l'admiration générale? L'abbé de l'Épée
+pense que c'était bien plus à la lecture qu'à l'habileté de son maître
+Pereire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_36_36" id="Footnote_36_36"></a><a href="#FNanchor_36_36"><span class="label">[36]</span></a> Voir l'<i>Encyclopédie</i> et ses <i>Lettres sur les
+Sourds-Muets</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_37_37" id="Footnote_37_37"></a><a href="#FNanchor_37_37"><span class="label">[37]</span></a> Voir son <i>Traité des Sensations</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_38_38" id="Footnote_38_38"></a><a href="#FNanchor_38_38"><span class="label">[38]</span></a> Voir sa <i>Dissertation sur la manière d'apprendre à parler
+aux muets</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_39_39" id="Footnote_39_39"></a><a href="#FNanchor_39_39"><span class="label">[39]</span></a> C'est seulement comme instituteur et non pas comme savant
+que je considère ici Pereire.&mdash;Il mourut à Paris, en 1780, revêtu du
+titre de membre de la Société Royale de Londres, et fut enterré dans le
+cimetière des juifs portugais, à La Villette.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_40_40" id="Footnote_40_40"></a><a href="#FNanchor_40_40"><span class="label">[40]</span></a> L'abbé de l'Épée a supprimé, par modestie sans doute,
+quelques expressions de cette lettre qui s'adressaient à lui.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_41_41" id="Footnote_41_41"></a><a href="#FNanchor_41_41"><span class="label">[41]</span></a> Toutes les pièces furent fournies en latin de part et
+d'autre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_42_42" id="Footnote_42_42"></a><a href="#FNanchor_42_42"><span class="label">[42]</span></a> Léopold Loustau a exposé au salon de 1839 un grand tableau
+qui représente saint Pierre guérissant un boiteux;&mdash;en 1840, le <i>Sermon
+de Jésus-Christ sur la Montagne</i>, dont le ministre de l'intérieur a fait
+l'acquisition;&mdash;en 1844, <i>Jésus enfant parmi les docteurs de la loi</i>,
+tableau donné par le ministre à la chapelle du lycée de Strasbourg et
+pour lequel le jeune artiste a obtenu une médaille d'or;&mdash;en 1842,
+<i>Jésus-Christ bénissant les petits enfants</i>, tableau commandé par le
+ministre pour servir de pendant à ce dernier;&mdash;en 1845, l'<i>Apparition de
+Saint-Nicolas devant Constantin le Grand</i>, tableau placé par ordre du
+ministre dans la cathédrale de Haguenau (département du Bas-Rhin), dont
+le saint est le patron;&mdash;en 1846, <i>Bonaparte quittant l'Égypte pour
+venir sauver la France</i>. Il est accompagné des généraux Murat, Lannes,
+Marmont, Berthier, Andréossy et de deux savants, Monge et Berthollet.
+Loustau excelle également dans les portraits, dont il reçoit chaque jour
+de nouvelles commandes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_43_43" id="Footnote_43_43"></a><a href="#FNanchor_43_43"><span class="label">[43]</span></a> La comtesse de Courcel, sa nièce, ne l'évalue qu'à 7 ou
+8,000 fr.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_44_44" id="Footnote_44_44"></a><a href="#FNanchor_44_44"><span class="label">[44]</span></a> <i>Revue ecclésiastique</i>, 33<sup>e</sup> livraison, février.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_45_45" id="Footnote_45_45"></a><a href="#FNanchor_45_45"><span class="label">[45]</span></a> Voyez la note 1.(44)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_46_46" id="Footnote_46_46"></a><a href="#FNanchor_46_46"><span class="label">[46]</span></a> M<sup>lles</sup> Cornu, Trumeau, Vissera, Duhamel et Lefebure.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_47_47" id="Footnote_47_47"></a><a href="#FNanchor_47_47"><span class="label">[47]</span></a> Il était alors âgé de soixante-quatre ans.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_48_48" id="Footnote_48_48"></a><a href="#FNanchor_48_48"><span class="label">[48]</span></a> La date du 1<sup>er</sup> août n'a été connue de l'auteur de la
+note que depuis les informations faites par ordre du ministère.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_49_49" id="Footnote_49_49"></a><a href="#FNanchor_49_49"><span class="label">[49]</span></a> Voyez à <a href="#J">la note J</a> la différence entre les mots
+<i>sourd-et-muet</i> et <i>sourd-muet</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_50_50" id="Footnote_50_50"></a><a href="#FNanchor_50_50"><span class="label">[50]</span></a> Cette pièce a été donnée à M. Théodore Tarbé, par Mesd.
+Moreau de Vormes, ses parentes, petites-filles de M. Moreau de Vormes,
+avocat au Conseil, à qui elle était adressée.
+</p><p>
+Elle se trouve maintenant entre les mains de M. Amant, artiste aimé du
+public, du théâtre Montansier, qui possède une magnifique collection
+d'autographes des souverains qui ont régné sur différentes nations, des
+savants les plus illustres, des plus profonds génies, des hommes les
+plus vénérables, les plus remarquables, des célébrités féminines enfin
+qui ont brillé sur la scène du monde.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_51_51" id="Footnote_51_51"></a><a href="#FNanchor_51_51"><span class="label">[51]</span></a> Des témoins prétendaient avoir vu la lentille; c'étaient
+la nourrice de Joseph de Solar, la maîtresse de pension de l'île
+Saint-Louis et un maître d'école de Toulouse.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_52_52" id="Footnote_52_52"></a><a href="#FNanchor_52_52"><span class="label">[52]</span></a> Plus tard M. Tronçon-Ducoudray avoua à M. Bouilly, auteur
+du drame de <i>l'Abbé de l'Épée</i>, que l'instruction du procès, modifiant
+son opinion, avait achevé de le convaincre que l'élève du célèbre
+instituteur était bien véritablement l'unique rejeton mâle de la noble
+famille qui le reniait. Il l'entretenait même si souvent de cette cause,
+dans laquelle il n'avait pu qu'admirer l'ascendant irrésistible des plus
+douces vertus unies à la philanthropie la plus chrétienne, qu'il n'avait
+pas peu contribué à échauffer l'imagination si vive et l'âme si sensible
+de son interlocuteur dont il soutenait et affermissait les pas après
+l'avoir présenté lui-même, en 1787, au barreau français. On n'ignore pas
+que Tronçon-Ducoudray, déporté à la Guyane, paya, dans la suite, de sa
+liberté et de sa vie, la gloire d'avoir défendu la reine
+Marie-Antoinette au tribunal révolutionnaire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_53_53" id="Footnote_53_53"></a><a href="#FNanchor_53_53"><span class="label">[53]</span></a> Ce maître d'école de Toulouse a été accusé d'avoir suborné
+ses écoliers pour les engager à ne pas reconnaître le sourd-muet en
+question.
+</p><p>
+Le 2 décembre 1772, il reçut Guillaume-Jean Joseph, sourd-muet, né à
+Clermont le 1<sup>er</sup> novembre 1762, et il marqua sur son registre la
+sortie de cet enfant au 2 septembre de l'année suivante.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_54_54" id="Footnote_54_54"></a><a href="#FNanchor_54_54"><span class="label">[54]</span></a> Extrait du rapport du procès Solar, fait le 5 juin 1792 et
+jours suivants à l'audience publique du second tribunal criminel, établi
+par la loi du 14 mars 1791, et séant à Paris, au Palais de Justice, par
+Jean-François Eude, juge à ce tribunal, sur l'appel de la sentence
+définitive rendue au Châtelet de Paris le 8 juin 1781.
+</p><p>
+C'est par le plus grand des hasards que cette pièce est tombée tout
+récemment entre mes mains. Sur ma demande, des recherches, relatives à
+ladite annulation, avaient été faites jusque-là, mais infructueusement,
+dans les minutes du greffe de la cour d'appel, au greffe du tribunal de
+première instance et aux archives nationales.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_55_55" id="Footnote_55_55"></a><a href="#FNanchor_55_55"><span class="label">[55]</span></a> Il n'est, selon le rapporteur, autre que
+Pierre-Hyacinthe-Joseph, fils de Matthias Pinchon de la Motte, employé
+dans les Pays-Bas aux travaux des mines.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_56_56" id="Footnote_56_56"></a><a href="#FNanchor_56_56"><span class="label">[56]</span></a> On a remarqué qu'elle a varié dans ses déclarations sur
+Joseph. Pour se justifier, elle disait que c'était sur la foi d'autrui
+qu'elle croyait qu'il était son frère, mais que, devant la justice, elle
+devait à la vérité de déclarer qu'elle ne le reconnaissait pas. C'est
+pour cette raison que, par l'organe de son tuteur, celui-ci a formé
+contre elle une demande en communication de l'inventaire fait après le
+décès de la comtesse de Solar. C'était, selon lui, un moyen d'arriver
+ainsi à faire reconnaître judiciairement l'état de Joseph et son
+identité avec le comte de Solar.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_57_57" id="Footnote_57_57"></a><a href="#FNanchor_57_57"><span class="label">[57]</span></a> Depuis lors, nous apprend le rapporteur par
+<i>post-scriptum</i>, M<sup>e</sup> Avril, défenseur de Cazeaux, lui fit donation, à
+sa mort, de tous ses biens, pour le dédommager du tort involontaire que
+sa compagnie lui avait fait éprouver. Cette donation, évaluée à 200,000
+fr., et qui consistait principalement en une jolie maison, sise aux
+environs de Brunoy, donna lieu au mariage de Cazeaux avec Caroline de
+Solar.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_58_58" id="Footnote_58_58"></a><a href="#FNanchor_58_58"><span class="label">[58]</span></a> Voici la distribution des rôles:</p>
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="">
+<tr><td align="left">L'<small>ABBÉ DE L'</small>É<small>PÉE</small></td><td align="left">Monvel.</td></tr>
+<tr><td align="left">J<small>ULES</small></td><td align="left">Mad. Vanhove-Talma.</td></tr>
+<tr><td align="left">D<small>ARLEMONT</small></td><td align="left">Grandménil.</td></tr>
+<tr><td align="left">S<small>AINT</small>-A<small>LME</small></td><td align="left">Damas.</td></tr>
+<tr><td align="left">F<small>RANVAL</small></td><td align="left">Baptiste aîné.</td></tr>
+<tr><td align="left">D<small>OMINIQUE</small></td><td align="left">Dazincourt.</td></tr>
+<tr><td align="left">M<small>AD.</small> F<small>RANVAL</small></td><td align="left">Mad. Suin.</td></tr>
+<tr><td align="left">C<small>LÉMENCE, S&OElig;UR DE</small> F<small>RANVAL</small> &nbsp; &nbsp; &nbsp;</td><td align="left">Mlle Mézerai.</td></tr>
+<tr><td align="left">M<small>ARIANNE</small></td><td align="left">Mad. Lachassaigne.</td></tr>
+</table>
+
+</div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_59_59" id="Footnote_59_59"></a><a href="#FNanchor_59_59"><span class="label">[59]</span></a> L'abbé Sicard fut réintégré dans ses fonctions le 22
+nivôse an VIII.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_60_60" id="Footnote_60_60"></a><a href="#FNanchor_60_60"><span class="label">[60]</span></a> Voyez à <a href="#K">la note K</a> un extrait de mon allocution au banquet
+anniversaire de la naissance de l'abbé de l'Épée, le 11 décembre 1842.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_61_61" id="Footnote_61_61"></a><a href="#FNanchor_61_61"><span class="label">[61]</span></a> Voyez à <a href="#L">la note L</a> la lettre de ce professeur, en date du
+14 mai 1845.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_62_62" id="Footnote_62_62"></a><a href="#FNanchor_62_62"><span class="label">[62]</span></a> Une autre nièce de ce bienfaiteur de l'humanité est morte
+le 24 décembre 1844, à l'hôpital Necker, salle Sainte-Adélaïde, où elle
+occupait le lit nº 29. Elle était dans le plus complet dénûment.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_63_63" id="Footnote_63_63"></a><a href="#FNanchor_63_63"><span class="label">[63]</span></a> Roger Ducos, député des Landes, nous apprend dans son
+rapport et son projet de décret sur l'organisation de six établissements
+pour tous les sourds-muets de la république, à Paris, à Bordeaux, à
+Rennes, à Clermont, à Grenoble et à Nancy, d'après les décrets des 28
+juin 1793 (vieux style) et 9 pluviôse, que le 23 pluviôse le statuaire
+de Seine, sourd-muet, avait offert à la Convention nationale, par
+l'organe d'une citoyenne, le buste de Mutius Scevola, par lui sculpté,
+et qu'il avait, en outre, fait don à la même assemblée de ceux de
+Lepelletier et de Marat.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_64_64" id="Footnote_64_64"></a><a href="#FNanchor_64_64"><span class="label">[64]</span></a> Il venait d'être proclamé successeur de l'abbé de l'Épée
+par l'unanimité des suffrages à l'issue d'un concours public ouvert à
+l'effet de recueillir cet héritage de gloire et de bienfaisance. Afin
+d'apprendre sous cet illustre maître à régénérer moralement ces
+malheureux, il avait été envoyé de Bordeaux, où il dirigeait une école
+de sourds-muets, fondée en 1786, à l'instar de celle de Paris, par M.
+Champion de Cicé, archevêque de cette ville.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_65_65" id="Footnote_65_65"></a><a href="#FNanchor_65_65"><span class="label">[65]</span></a> Le décret de l'Assemblée nationale fut converti en loi par
+la sanction royale le 29 du même mois.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_66_66" id="Footnote_66_66"></a><a href="#FNanchor_66_66"><span class="label">[66]</span></a> L'article I<sup>er</sup> du décret des 10-14 septembre 1791 était
+ainsi conçu:
+</p><p>
+«Le nom de l'abbé de l'Épée, fondateur de cet établissement, sera placé
+au rang de ceux des citoyens qui ont le mieux mérité de l'humanité et de
+la patrie.»
+</p><p>
+L'art. 2 lui assigna la totalité du local et des bâtiments des
+Célestins.
+</p><p>
+Il devait l'occuper concurremment avec les jeunes aveugles sur lesquels
+les travaux de Haüy commençaient, dès cette époque, à attirer
+l'attention publique.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_67_67" id="Footnote_67_67"></a><a href="#FNanchor_67_67"><span class="label">[67]</span></a> Alphonse Esquiros.&mdash;Revue de Paris.&mdash;<i>Les sourds-muets de
+Paris</i>. Novembre 1844.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_68_68" id="Footnote_68_68"></a><a href="#FNanchor_68_68"><span class="label">[68]</span></a> D'autres arrêtés ministériels ont plus tard élevé d'abord
+de 60 à 80, puis de 80 à 100, le nombre des places gratuites réservées
+aux sourds-muets indigents dans l'Institution de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_69_69" id="Footnote_69_69"></a><a href="#FNanchor_69_69"><span class="label">[69]</span></a> Voyez à <a href="#M">la note M</a> quelques détails sur l'origine du
+bâtiment concédé aux jeunes sourds-muets et sur sa situation actuelle.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_70_70" id="Footnote_70_70"></a><a href="#FNanchor_70_70"><span class="label">[70]</span></a> Rennes.&mdash;Clermont.&mdash;Grenoble.&mdash;Nancy.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_71_71" id="Footnote_71_71"></a><a href="#FNanchor_71_71"><span class="label">[71]</span></a> Le rédacteur était M. Valade-Gabel, à qui furent adjoints
+MM. E. Durieu, ancien directeur général de l'administration des cultes,
+et Hyde de Neuville, ancien ministre de Chartes X, qui avait émis, le
+premier, un semblable v&oelig;u, lequel ne doit point surprendre quiconque
+a été à même d'apprécier, de près ou de loin, ses nobles qualités.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_72_72" id="Footnote_72_72"></a><a href="#FNanchor_72_72"><span class="label">[72]</span></a> Le nouveau rédacteur est M. Puybonnieux, professeur et
+bibliothécaire-archiviste de l'Institution nationale des sourds-muets de
+Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_73_73" id="Footnote_73_73"></a><a href="#FNanchor_73_73"><span class="label">[73]</span></a> Entre autres, M<sup>lle</sup> Courtois; l'abbé Salvan, élève et
+ami de l'abbé de l'Épée, ancien instituteur en second à l'Institution
+des sourds-muets de Paris; l'abbé Dujardin, curé de Bry-sur-Marne, près
+de Nogent-sur Seine, que le comte de Romanet, sourd-muet, m'avait
+désigné comme un des amis les plus dévoués de l'admirable rédempteur de
+mes frères d'infortune.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_74_74" id="Footnote_74_74"></a><a href="#FNanchor_74_74"><span class="label">[74]</span></a> Ils sont de M. Audet de la Mésenquère, maître-ès-arts et
+de pension à Picpus, ancien professeur de belles-lettres et membre de
+l'Académie de Châlons-sur-Marne.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_75_75" id="Footnote_75_75"></a><a href="#FNanchor_75_75"><span class="label">[75]</span></a> Voyez à <a href="#N">la note N</a> les vers composés à cette occasion sous
+ce titre: <i>le Sourd-Muet</i>, par un de nos frères les plus distingués,
+Pélissier, aujourd'hui professeur à l'Institution nationale de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_76_76" id="Footnote_76_76"></a><a href="#FNanchor_76_76"><span class="label">[76]</span></a> Molière.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_77_77" id="Footnote_77_77"></a><a href="#FNanchor_77_77"><span class="label">[77]</span></a> Voyez à <a href="#O">la note O</a> la demande textuelle des mandataires
+sourds-muets, adressée à M. Dupin aîné.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_78_78" id="Footnote_78_78"></a><a href="#FNanchor_78_78"><span class="label">[78]</span></a> Voyez <a href="#P">la note P</a>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_79_79" id="Footnote_79_79"></a><a href="#FNanchor_79_79"><span class="label">[79]</span></a> Écrite en allemand.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_80_80" id="Footnote_80_80"></a><a href="#FNanchor_80_80"><span class="label">[80]</span></a> M. le comte de Montalivet.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_81_81" id="Footnote_81_81"></a><a href="#FNanchor_81_81"><span class="label">[81]</span></a> Voyez à <a href="#Q">la note Q</a> les pièces fournies à l'appui de la
+proposition de MM. Lassus, architecte, et Auguste Préault, statuaire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_82_82" id="Footnote_82_82"></a><a href="#FNanchor_82_82"><span class="label">[82]</span></a> M. l'abbé Olivier, curé de Saint Roch, venait d'être promu
+à cette dignité.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_83_83" id="Footnote_83_83"></a><a href="#FNanchor_83_83"><span class="label">[83]</span></a> Viro&mdash;admodum mirabili&mdash;sacerdoti de l'Épée&mdash;qui fecit
+exemplo Salvatoris&mdash;mutos loqui&mdash;cives Galliæ&mdash;hoc&mdash;monumentum
+dedicarunt&mdash;Natus 1712&mdash;Mortuus 1789.&mdash;Préault, 1840.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_84_84" id="Footnote_84_84"></a><a href="#FNanchor_84_84"><span class="label">[84]</span></a> MM. le baron de Gérando, le duc de Doudeauville, Gueneau
+de Mussy, Camille Périer, le duc de Praslin, administrateurs.&mdash;MM.
+Feuillet, Droz, Michelot, de Cardaillac, Raynouard, Abel Remusat,
+Burnouf, Sylvestre de Sacy, Frédéric Cuvier, membres du conseil de
+perfectionnement.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_85_85" id="Footnote_85_85"></a><a href="#FNanchor_85_85"><span class="label">[85]</span></a> Un comité, chargé du soin de remplir les intentions des
+sourds-muets de toutes les écoles, de tous les pays et de toutes les
+professions, et composé de M. Ferd. Berthier et de dix membres, MM. A.
+Lenoir, Forestier, Boclet, Peyson, Mosca, Gouttebarge, Gire, Deruez,
+Gouin et Doumic, avait arrêté, dans sa séance du 15 novembre 1834, que
+cet anniversaire serait célébré, chaque année, par un banquet, auquel
+les amis des sourds-muets seraient admis.
+</p><p>
+Cette fête annuelle est devenue le germe de leur Société centrale, dont
+il est fait mention dans les prolégomènes de ce livre.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_86_86" id="Footnote_86_86"></a><a href="#FNanchor_86_86"><span class="label">[86]</span></a> Les comptes-rendus des banquets des sourds-muets, réunis
+pour fêter les anniversaires de la naissance de l'abbé de l'Épée, se
+trouvent chez le libraire Hachette.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_87_87" id="Footnote_87_87"></a><a href="#FNanchor_87_87"><span class="label">[87]</span></a> La position de l'auteur de ce livre ne lui permet pas de
+combler ces deux lacunes.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_88_88" id="Footnote_88_88"></a><a href="#FNanchor_88_88"><span class="label">[88]</span></a> Les poésies de Pélissier ont paru depuis et ont obtenu un
+succès complet.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_89_89" id="Footnote_89_89"></a><a href="#FNanchor_89_89"><span class="label">[89]</span></a> Gouin a obtenu, depuis, une mention honorable à
+l'Exposition universelle de Londres.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_90_90" id="Footnote_90_90"></a><a href="#FNanchor_90_90"><span class="label">[90]</span></a> Maloisel, chef de l'atelier des tourneurs à l'Institution
+nationale des Sourds-Muets de Paris, est inventeur d'une machine qui, se
+substituant à la main du sculpteur, produit, comme par enchantement, des
+bustes, des statuettes, en quelque matière que ce soit, en marbre, par
+exemple, en ivoire, en fer, d'après un modèle qu'on a sous les yeux,
+sans qu'il soit besoin de recourir à aucun des instruments usités,
+jusqu'à ce jour, pour les travaux de cette nature.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_91_91" id="Footnote_91_91"></a><a href="#FNanchor_91_91"><span class="label">[91]</span></a> Leclerc a réussi, après des essais réitérés, à imprimer un
+mouvement presque sans fin à une machine quelconque, de quelque force
+qu'elle soit, sans recourir à la vapeur. Il n'attend plus que l'examen
+d'un jury spécial pour enrichir l'humanité de sa précieuse découverte.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_92_92" id="Footnote_92_92"></a><a href="#FNanchor_92_92"><span class="label">[92]</span></a> La médaille porte cette inscription:
+</p>
+
+<p class="cb"><small>MINISTÈRE DE LA MARINE.</small><br />
+<i>A Hurtrelle (Léopold-Hippolyte), âgé de</i> 12 <i>ans, sourd-muet.<br />
+Courage et dévouement pour sauver des enfants<br />
+en danger de se noyer.</i></p>
+
+<p>Elle est accompagnée du certificat suivant, délivré à l'enfant
+sourd-muet:
+</p><p>
+«Le commissaire général, chef du service de la marine, commandeur de la
+Légion-d'Honneur, certifie que le ministre de la marine et des colonies
+a décerné une médaille d'honneur en argent au nommé Hurtrelle
+(Léopold-Hippolyte), enfant de douze ans, sourd-muet, pour le courage et
+le dévouement dont il a fait preuve, en sauvant des personnes en danger
+de périr dans les flots.
+</p><p>
+«Enregistré au secrétariat, au Havre.»</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_93_93" id="Footnote_93_93"></a><a href="#FNanchor_93_93"><span class="label">[93]</span></a> M. Ferdinand Berthier, sourd-muet, professeur à l'Institut
+royal des sourds-muets de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_94_94" id="Footnote_94_94"></a><a href="#FNanchor_94_94"><span class="label">[94]</span></a> Voyez à <a href="#R">la note R</a> l'<i>extrait du registre des délibérations
+du conseil municipal de Versailles.&mdash;Séance du</i> 14 <i>novembre</i> 1839.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_95_95" id="Footnote_95_95"></a><a href="#FNanchor_95_95"><span class="label">[95]</span></a> Voyez le <i>prospectus</i> à <a href="#S">la note S</a>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_96_96" id="Footnote_96_96"></a><a href="#FNanchor_96_96"><span class="label">[96]</span></a> Selon toutes les probabilités, ce nombre ne peut être
+évalué au-dessus de 24,000.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_97_97" id="Footnote_97_97"></a><a href="#FNanchor_97_97"><span class="label">[97]</span></a> M. Ad. de Lanneau, ancien maire du XII<sup>e</sup> arrondissement
+de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_98_98" id="Footnote_98_98"></a><a href="#FNanchor_98_98"><span class="label">[98]</span></a> Il m'avait été demandé par un membre de la commission
+chargée de l'érection du monument.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_99_99" id="Footnote_99_99"></a><a href="#FNanchor_99_99"><span class="label">[99]</span></a> Dame professeur a l'Institution nationale des sourds-muets
+de Paris.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_100_100" id="Footnote_100_100"></a><a href="#FNanchor_100_100"><span class="label">[100]</span></a> On avait pensé que c'était un heureux prétexte pour faire
+évacuer les maisons de tolérance et pour déporter leur immonde
+population dans des lieux plus écartés; que c'était encore, pour les
+riverains, une occasion favorable d'exhausser leurs maisons et de leur
+donner ainsi un aspect plus régulier. On avait observé, quant à
+l'emplacement sur la place de la Cathédrale, que le monument, qui a, en
+tout, 4 m 80 de hauteur, serait comme écrasé par le portail, et que,
+pour qu'ils fussent en rapport, la statue et le piédestal réunis
+devraient avoir 7 m de hauteur; par conséquent, occuper une superficie
+de 17,30, au lieu de celle de 10,50 qu'ils comprennent, avec l'entourage
+obligé.
+</p><p>
+L'emplacement de l'École normale primaire n'était pas davantage à l'abri
+de la critique: Il eût donné lieu, observait-on, à se demander en
+passant si les élèves de cette École étaient subitement devenus
+sourds-muets, ou, en regardant le tribunal situé en lace, si l'abbé de
+l'Épée avait été, durant sa vie, magistrat. (<i>Note de la commission de
+Versailles.</i>)
+</p><p>
+J'ai fait remarquer ailleurs que cette dernière hypothèse provenait
+d'une erreur historique. (<i>Note de l'Auteur.</i>)</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_101_101" id="Footnote_101_101"></a><a href="#FNanchor_101_101"><span class="label">[101]</span></a> Cette abstention aurait-elle été motivée, comme on l'a
+prétendu, par les opinions jansénistes de notre célèbre instituteur?
+Nous ne pouvons le croire. Plus de cinquante ans se sont écoulés depuis
+sa mort; et une tombe, des bienfaits inouïs et des honneurs mérités nous
+séparent de cette époque.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_102_102" id="Footnote_102_102"></a><a href="#FNanchor_102_102"><span class="label">[102]</span></a> Voltaire.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_103_103" id="Footnote_103_103"></a><a href="#FNanchor_103_103"><span class="label">[103]</span></a> J.-J. Rousseau.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_104_104" id="Footnote_104_104"></a><a href="#FNanchor_104_104"><span class="label">[104]</span></a> Montesquieu.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_105_105" id="Footnote_105_105"></a><a href="#FNanchor_105_105"><span class="label">[105]</span></a> P<small>OÉSIES D'UN SOURD-MUET</small>, avec une introduction par M.
+Laurent de Jussieu, à la librairie de Charles Gosselin, rue Jacob, 30.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_106_106" id="Footnote_106_106"></a><a href="#FNanchor_106_106"><span class="label">[106]</span></a> Voyez <a href="#T">la note T</a>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_107_107" id="Footnote_107_107"></a><a href="#FNanchor_107_107"><span class="label">[107]</span></a> <i>Traité de feu le docteur Itard sur les maladies de
+l'oreille et de l'audition</i>.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_108_108" id="Footnote_108_108"></a><a href="#FNanchor_108_108"><span class="label">[108]</span></a> On peut consulter avec fruit le travail de M. J.-B.
+Puybonnieux, cité plus haut.</p></div>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_109_109" id="Footnote_109_109"></a><a href="#FNanchor_109_109"><span class="label">[109]</span></a> Allusion à une solennité de l'Académie des Jeux Floraux
+de Toulouse.</p></div>
+
+</div>
+<hr class="full" />
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'Abbé de l'Épée, by Ferdinand Berthier
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ABBÉ DE L'ÉPÉE ***
+
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+
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