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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Anatole, Vol. 2 (of 2), + +Author: Sophie Gay + +Release Date: January 31, 2011 [EBook #35129] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), *** + + + + +Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + +<div class="box"> +<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. +L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. +Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p> +<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans +le texte d'origine.</p></div> + +<p class="p2"><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p> + +<h2>ANATOLE.</h2> + +<h4>TOME SECOND.</h4> + +<p class="p4 center"><i><b>Tome II.</b></i></p> + +<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a> +De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p> + +<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p> + +<div class="left25"> +<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires"> +<tr> + <td valign="middle" class="cbrace">{</td> + <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br /> + <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br /> + <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td> +</tr> +</table> +</div> + +<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p> + +<h1>ANATOLE.</h1> + +<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p> + +<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p> + +<p class="center p2"><big><b>TOME SECOND</b>.</big></p> + +<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" /> +</div> + +<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p> + +<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br /> +<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br /> +<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p> + +<hr class="c5" /> + +<p class="center p2"><b>1815.</b></p> + +<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">5</a></span></p> + +<h2>ANATOLE.</h2> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXIV" id="CHAPITRE_XXIV"></a>CHAPITRE XXIV.</h3> + +<hr class="c5" /> + +<p class="p2">L'étourderie naturelle à l'âge +d'Isaure lui empêcha de remarquer +que sa tante revenait sans le voile +de mousseline quelle lui avait vu le +matin: mais mademoiselle Cécile, +dont l'esprit d'ordre allait parfois +jusqu'à la tyrannie, ne manqua pas +de demander à sa maîtresse, d'un +ton respectueusement impérieux, +ce qu'elle avait fait de son voile. +La marquise lui répondit, avec le +trouble d'une enfant qui ment à sa +<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">6</a></span> +gouvernante, qu'elle n'en savait rien.—Ah! +je devine, madame l'aura +sûrement oublié dans sa voiture; et, +sans perdre de temps, mademoiselle +Cécile descend dans la cour, retourne +tous les coussins de la berline, et, +ne trouvant rien, finit par conclure +que la marquise aura laissé son +voile dans l'église de Saint-Denis: elle +veut absolument qu'un domestique +monte à cheval pour l'aller chercher, +mais on refuse tout net de lui obéir, +en répondant qu'on ne fera ce +voyage que par les ordres de madame; +et la marquise est obligée +d'employer son autorité pour s'opposer +au zèle de mademoiselle Cécile, +en disant que ce voile ne vaut pas +tant de recherches, et qu'il est inutile +d'en faire de nouvelles.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span> +On se doute bien que, le soir +même de ce beau jour pour Anatole, +Valentine reçut une lettre où le repentir, +la reconnaissance, et l'amour, +se peignaient à chaque ligne. L'espérance +d'être aimé s'y laissait entrevoir +à travers les regrets d'un +amour sans espoir. Un reste de sentiment +jaloux se mêlait aux serments +de ne plus offenser par d'injustes +reproches celle dont on n'avait pas +le droit d'enchaîner la liberté. Pour le +sacrifice de la vie entière, on n'exigeait +d'autre retour qu'un peu d'amitié +et quelque confiance: mais la +moindre preuve d'indifférence frapperait +d'un coup mortel le cœur le plus +dévoué. Enfin, cette lettre était un +chef-d'œuvre de passion. C'est avouer +<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span> +qu'elle n'avait pas le sens commun. +Aussi Valentine en fut elle enchantée; +la joie qu'elle en ressentit donna +à sa physionomie une expression si +différente de celle qu'on y avait remarquée +la veille, que madame de +Nangis ne put s'empêcher de lui dire +que l'aspect des tombeaux produisait +sur elle d'étranges effets. »Je vous ai +vue, ajouta-t-elle, revenir quelquefois +de l'opéra, l'air triste et abattu, +mais vivent les cimetières pour vous +rendre à la gaité!» Valentine était de +trop bonne humeur pour s'offenser +de cette mauvaise plaisanterie; le chevalier +d'Émerange y joignit les siennes +en tâchant de les rendre piquantes, +mais la marquise s'amusait à déconcerter +leur malice par de vives reparties +<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span> +que la fatuité du chevalier +lui fesait regarder comme autant d'agaceries +de la part de Valentine. +Cette petite lutte plaisait assez à la +comtesse; elle remarquait dans les +réponses du chevalier une certaine +amertume qui devait piquer sa belle-sœur; +et tout ce qui semblait nuire +à leur intimité rassurait la comtesse. +Jamais sécurité ne fut plus mal +fondée, car pendant que le chevalier +plaisantait Valentine sur la +prétendue mélancolie qui lui fesait +rechercher l'aspect des plus tristes +lieux pour en rapporter les sentiments +les plus gais, il admirait cette +variété d'impressions qui la rendaient +tour-à-tour si mélancolique +si piquante, et se peignait d'avance +<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span> +tout le plaisir réservé à celui qui +pourrait d'un seul mot faire naître +la tristesse ou la joie sur ce beau +visage.</p> + +<p>Malgré sa finesse et sa grande habitude +d'observer, M. d'Émerange +se flattait d'être pour beaucoup dans +les agitations du cœur de Valentine: +on s'étonnera peut-être de voir un +homme d'esprit se tromper aussi +lourdement sur les vrais sentiments +d'une femme; mais quand on réfléchira +que le chevalier, sans cesse +témoin des hommages qu'on offrait +à la marquise, avait pu se convaincre +que nul n'était payé de la moindre +préférence; que de plus, il s'était +assuré, par M. de Nangis, de la parfaite +indifférence de sa sœur pour +<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span> +ses voisins de Saverny; et qu'enfin +tout décelait dans les actions de Valentine +le trouble intérieur qui naît +d'un sentiment combattu, on trouvera +bien simple que M. d'Émerange +s'en attribuât l'honneur; mais si toutes +ses raisons ne justifiaient pas assez +l'excès de sa présomption, l'expérience +l'expliquerait suffisamment. +Car personne n'ignore que si parfois +l'amour rend fous les gens d'esprit, +l'amour-propre les rend souvent +imbécilles.</p> + +<p>Par une suite de son aveuglement, +le chevalier crut devoir faire part à +M. de Nangis des espérances qu'il +concevait, et l'engager à prévenir, +par quelques mots, la marquise sur +leur projet. On devait profiter pour +<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span> +cela de la courte absence du chevalier, +qui partait incessamment +pour aller recevoir le dernier soupir +de cet oncle dont l'avarice n'avait +tant amassé que pour satisfaire la +prodigalité d'un neveu.</p> + +<p>Ce fait convenu, le chevalier partit +l'ame enivrée du plus doux espoir, +et n'éprouvant d'autre embarras que +celui de cacher sa joie aux amis du +mourant. Le lendemain de son départ, +Valentine était à l'opéra, parée +d'un bouquet de jasmin qu'Anatole +dut reconnaître, et bien plus occupée +de sa présence que de l'absence du +chevalier, lorsque M. de Nangis vint +lui dire tout bas, et d'un air fin, que +sa préoccupation serait remarquée +de tout le monde, excepté de celui +<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span> +qui en était l'objet; c'est dommage, +ajouta-t-il; car on doit être bien +fier de vous rendre aussi rêveuse. +Comme on suppose facilement ce +que l'on craint, Valentine s'imagina +que son frère voulait parler d'Anatole, +et cette idée la troubla. Le comte +ne s'étonna point de la voir aussi +émue; et, sans s'expliquer davantage, +il lui dit qu'ayant à lui parler d'affaires +importantes, il l'engageait à +venir déjeûner dans son cabinet le +lendemain: elle promit de se rendre +à l'invitation; mais cet entretien demandé +avec tant de solennité tourmenta +cruellement l'esprit de Valentine. +Elle se perdit en conjectures +pour en deviner le motif, et s'efforça +vainement d'espérer quelque heureuse +<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span> +nouvelle. Un secret pressentiment +lui fesait redouter les avis de +son frère; et, comme le pigeon de +La Fontaine, Valentine croyait beaucoup +aux pressentiments.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXV" id="CHAPITRE_XXV"></a>CHAPITRE XXV.</h3> + +<p class="p2">Après une réception plus cérémonieuse +que fraternelle, M. de Nangis +entama la grande question par un +long préambule, et finit par féliciter +sa sœur sur le beau sort qui l'attendait. +Ce début fit battre le cœur +de Valentine; elle ne douta plus +que son frère, instruit de l'amour +d'Anatole, ne conçût le projet de +<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span> +surmonter tous les obstacles pour +assurer son bonheur. Mais cette +douce idée s'évanouit bientôt, lorsqu'elle +entendit M. de Nangis faire +un grand éloge de M. d'Émerange, +et y ajouter ces mots: «Tant d'agréments +réunis méritaient votre préférence; +aussi me suis-je bien gardé +de la contrarier; vous avez vu mes +soins à multiplier les assiduités du +chevalier chez moi; mais vous devez +penser que si je lui ai offert aussi +souvent les occasions de vous faire +sa cour, j'étais rassuré d'avance sur +la crainte de vous compromettre. +La manière noble et franche dont +le chevalier m'avait déclaré ses intentions +ne pouvait me laisser aucun +doute sur ses sentiments pour +<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span> +vous, et c'est en vous approuvant +que je vous les voyais partager.»—Moi, +mon frère, interrompit Valentine, +avec un embarras mêlé de +dépit, je vous jure que loin de les +partager, je les ignorais.—Ah! Valentine, +soyez de bonne foi, et vous +conviendrez de ce que tout le monde +sait déjà. Une femme s'aperçoit si vîte +de l'amour qu'elle inspire! D'ailleurs +il faut avouer que M. d'Émerange +dissimulait fort mal celui qu'il a +pour vous; car il y a déja très-longtemps +que, plaisantant madame de +Nangis sur l'attrait qui fixait auprès +d'elle tant de gens aimables, et particulièrement +un homme dont les +plus jolies femmes se disputaient +l'hommage, elle me fit remarquer +<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span> +que vous seule aviez l'honneur de +ce triomphe.—A ces mots le front +de Valentine se couvrit de rougeur, +elle frémit de laisser soupçonner à +son frère l'idée qui excitait sa honte +pour une personne chère à tous +deux; et la bonté de son cœur la +décida à convenir que le chevalier +lui avait en effet témoigné quelquefois +le desir de lui plaire; mais que +le caractère frivole dont il fesait +gloire, l'avait empêchée d'attacher +la moindre importance à ses discours.—Il +n'en est pas moins vrai +qu'ils vous étaient agréables, reprit +le comte; ils vous le paraîtront encore +plus maintenant que vous savez +que cette apparence de galanterie +cache un sentiment profond. Mais +<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span> +je suis de votre avis sur ces airs +légers, qui sont tant à la mode; vous +en voyez l'inconvénient, on ne sait +à quoi s'en tenir sur tout ce qui se +dit; la gravité est moins amusante, +j'en conviens: mais quand il s'agit +d'une affaire d'où dépend le destin +de sa vie, on pourrait bien se résigner +à en parler sérieusement. Au +reste, pour mon compte, je n'ai pas +ce reproche à faire à M. d'Émerange; +et c'est avec toute la solennité d'une +semblable démarche qu'il est venu +me prier de vous offrir sa main.—Je +suis fort honorée de son choix, +répondit Valentine en baissant les +yeux, mais je ne saurais me décider +aussi promptement... à former un +nouveau lien.—Voilà tout justement +<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span> +une réponse de comédie; vous oubliez, +ma chère Valentine, que ce +n'est ni un tuteur, ni un oncle qui +vous interroge, et qu'étant parfaitement +libre d'agir selon votre volonté, +vous n'avez besoin d'aucun prétexte +pour la satisfaire. Il est vrai que le +respect des usages, et ce que l'on +se doit à soi-même, imposent quelquefois +plus de sacrifices que n'en +saurait exiger l'autorité des parents +les plus sévères; mais vous connaissez +aussi bien que moi l'empire +de ces devoirs, et vous n'avez pas +plus à redouter mes avis que ceux +de votre raison; ainsi donc pourquoi +me feriez-vous mystère de vos +projets et de vos sentiments?—Puisque +vous m'autorisez à vous parler +<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span> +franchement, reprit Valentine avec +plus d'assurance, je vous avouerai +que, tout en rendant justice aux +avantages séduisants de M. d'Émerange, +je le crois incapable de s'occuper +du bonheur de sa femme. +Quand on a, comme lui, contracté +l'habitude des succès brillants, on +ne se réduit pas sans regret à des +plaisirs plus calmes; et je ne me sens +point le courage de consacrer ma +vie à un homme fort aimable, sans +doute, mais qui me semble impossible +à fixer.—Vous avez cru probablement +triompher de ce raisonnement, +quand vous avez consenti à +recevoir les soins du chevalier?—Je +ne les ai jamais encouragés.—Du +moins les avez-vous accueillis sans +<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span> +dédain, car autrement il aurait bientôt +cessé de vous les consacrer. Son +caractère est trop connu pour qu'on +lui soupçonne jamais la duperie de +persister dans un amour sans espoir? +Aussi est-on déja convaincu dans le +monde de votre préférence pour lui, +et de l'heureux événement qui doit +en résulter.—C'est ce qui m'afflige, +repartit Valentine, le cœur oppressé +par le ton de sévérité que venait +de prendre son frère; cependant, +ajouta-t-elle, je ne me crois pas +obligée d'accomplir les prédictions +qu'il plaît à quelques personnes de +faire.—Songez bien que ces sortes +de prédictions sont presque toujours +dictées par le sentiment des convenances. +Mais j'ai tort de vouloir soutenir +<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span> +une cause que votre cœur plaidera +bien mieux que moi. J'ai rempli +mon devoir en vous instruisant de la +proposition de M. d'Émerange: il doit +être de retour ici dans huit jours; +réfléchissez d'ici à ce moment sur la +réponse que vous devez lui faire, et +pensez sur-tout qu'on ne refuse pas +impunément d'aussi grands avantages.» +En finissant ces mots, le +comte sortit pour donner quelques +ordres. Valentine, empressée de terminer +un entretien que la contrainte +rendait insupportable, rentra dans +son appartement, et s'y renferma +pour méditer sur la réponse qu'on +lui demandait. Son incertitude ne +portait pas sur l'idée d'accepter ou +non la proposition du chevalier. Elle +<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span> +était bien décidée au refus. Mais la +manière de motiver ce refus lui présentait +de grandes difficultés. L'aveu +de ses rapports avec Anatole n'aurait +pas trouvé grace auprès de M. de +Nangis, dont la froide raison ne +comprenait rien aux faiblesses du +cœur. D'ailleurs comment se flatter +de voir approuver par qui que ce +soit le sacrifice d'un sort brillant, +pour les plaisirs d'un amour romanesque! +Cette réflexion devait empêcher +Valentine de confier jamais +le principal motif de sa résistance +aux vœux du chevalier. Il ne lui restait +donc plus qu'à répéter les lieux +communs dont on se sert ordinairement +pour rejeter de semblables +propositions, sans humilier l'amour-propre +<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span> +de celui qu'on refuse, et +sans trahir le secret de celui qu'on +préfère.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVI" id="CHAPITRE_XXVI"></a>CHAPITRE XXVI.</h3> + +<p class="p2">Deux jours après l'entretien qui +avait jeté tant de trouble dans l'esprit +de Valentine, elle reçut un billet +du commandeur, qui lui demandait +s'il pourrait avoir l'honneur de la +voir dans la matinée; ce message lui +inspira des soupçons: elle répondit +au commandeur qu'elle l'attendait; +et lorsqu'elle le vit arriver, elle lui +témoigna franchement l'impatience +<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span> +qu'elle avait d'apprendre ce qui +lui procurait le plaisir de le voir +d'aussi bonne heure.—Ah! vous devinez, +dit-il, que je ne viens pas +ici tout simplement pour vous faire +ma cour. Vous me trouvez peut-être +l'air important d'un ambassadeur +chargé d'une mission délicate; je suis +bien aise d'avoir le maintien convenable +dans une circonstance aussi +solemnelle.—Ah mon Dieu! qu'allez-vous +m'annoncer, interrompit Valentine +en riant de la plaisante gravité +qu'affectait le commandeur.—Il +ne s'agit point de rire, reprit-il, +mais d'écouter posément tout ce que +l'ambition, la raison et l'intérêt, vont +vous dire par ma bouche. Une personne +qui me fait l'honneur de +<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span> +me supposer beaucoup de crédit +sur votre esprit, compte sur mes +conseils pour vous déterminer à assurer +d'un seul mot le bonheur de +toute votre famille. J'ai promis de répondre +à cette honorable preuve de +confiance par tout le zèle qui pourrait +m'en rendre digne. En véritable +diplomate, je me suis bien gardé de +nier l'influence que l'on me croyait +sur la grande puissance que l'on +voulait soumettre; car j'ai remarqué +que les professeurs en ce genre aimaient +mieux compromettre leur +crédit que d'en laisser douter; et +vous voudrez bien, j'espère, ne pas +démentir une réputation dont je suis +aussi fier.—Quoi, vous seriez député +par mon frère pour me parler +<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span> +mariage?—Précisément.—Et c'est +sur les avis de votre sagesse que l'on +fonde l'espérance de me faire faire +une folie?—Pourquoi pas? Ce ne +serait pas la première fois que ma +sagesse aurait aussi bien réussi.—Eh +bien! je veux la mettre à l'épreuve +dans cette circonstance, et m'en +rapporter à tout ce qu'elle décidera. +Je verrai quels seront ses arguments +pour me prouver que je dois épouser +l'homme du monde qui me convient +le moins?—Qu'il vous convînt, ou +non, si vous l'aimiez, comme je l'ai +cru un moment, vous trouveriez mes +arguments admirables. Mais il n'est +point question ici de vos sentiments. +Un homme bien né, beau, riche, et +spirituel, vous offre sa main. Tant +<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span> +d'avantages réunis ne vous laissent +qu'un seul motif de refus. Je sais que +vous pourrez parler de la crainte +d'un nouveau lien, du desir de rester +libre, et de l'inconstance reconnue +du chevalier; mais tous ces prétextes +ne voudront jamais dire au fond que +ces mots: <i>Je ne vous aime pas</i>. Et +je me trompe fort, où M. d'Émerange +ne vous pardonnera pas cette +injure.—Cependant, je ne compte +pas l'épouser par terreur de son ressentiment.—Ce +serait d'autant plus +mal calculé, que cela ne vous mettrait +point à l'abri de celui que vous +devez le plus redouter. Dans la position +où vous vous trouvez, vous +n'avez qu'à choisir entre deux vengeances; +si vous redoutez celle du +<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span> +chevalier, la comtesse vous en punira. +Ne vous offensez pas de cette +réflexion, ce n'est pas le moment +d'employer des subterfuges pour +vous démontrer la vérité; je n'ai +pas envie d'insulter, par la plus +sotte médisance, une femme que +vous devez aimer en dépit de ses +torts; mais l'amitié dont vous m'honorez, +me fait un devoir de vous +garantir, s'il se peut, du mal que +sa vanité cherchera à vous faire.—J'avoue +qu'elle est faible, inconsidérée, +mais, j'en suis sûre, elle n'est +pas méchante, dit Valentine, les +larmes aux yeux.—Non; mais elle +le deviendrait bientôt, si elle se doutait +une minute de la préférence +qu'on vous accorde.—Hélas! pour +<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span> +lui laisser ignorer cette malheureuse +préférence, je m'exilerais, je crois, +au bout du monde!—Beau moyen! +M. d'Émerange vous y suivrait, la +comtesse en tomberait malade, et +rien ne manquerait au scandale.—Que +faut-il donc faire pour éviter +tant de malheurs?—Il faut se résoudre +à tromper l'amour-propre +du chevalier, ou bien consentir à +le satisfaire.—Vous me supposez +trop de finesse, ou trop de résignation.—Si +vous vous décidez au +premier parti, je vous réponds du +succès; et, à vous parler sans détour, +je ne vois pas ce qui vous empêcherait +de prendre le second. Les défauts +du chevalier auraient de grands inconvénients +pour une femme ordinaire, +<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span> +mais celle dont l'esprit et la +beauté flatteront son orgueil, n'aura +jamais à en souffrir.—Il est égoïste.—Tant +mieux; les égoïstes sont des +maris parfaits; ils ont pour leurs +femmes et leurs enfants cette tendre +affection qu'ils portent sur tout ce +qui fait partie d'eux-mêmes. Je vous +proteste que ce défaut, si détestable +dans la société, est une vertu de +ménage.—Je ne saurais l'apprécier.—D'ailleurs, +continua M. de Saint-Albert, +je vous crois capable d'opérer +de grandes conversions; et puis +il y a si peu de différence entre les +défauts des gens du monde, que ce +n'est guère la peine de les discuter. +Le mieux est de ne les pas voir ou +de les aimer, et c'est ce que l'amour +<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span> +apprend à merveille.—Sans doute, +mais il faut de l'amour.—A votre +âge, on en a toujours.—Je ne m'en +sens pourtant pas pour M. d'Émerange—C'est +que vous en éprouvez +pour un autre..... Voilà le grand +secret que l'émotion qui vous colore +en ce moment m'apprendrait assez, +si je ne l'avais deviné depuis long-temps. +Mais l'objet de cet amour, +que le bonheur ne doit point couronner, +tout en vous aimant avec +idolâtrie, serait désespéré de vous +voir sacrifier un sort brillant aux +intérêts de sa folle passion; ne regardez +pas ce noble sentiment comme +une supposition de ma part, je viens +d'en acquérir la preuve. Avant de +me rendre auprès de vous, j'ai voulu +<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span> +consulter mon ami sur la démarche +que votre frère exigeait de moi, et +je dois rendre justice à celui qui +vous inspire un si vif intérêt; il s'en +est montré digne, en me conjurant +de sacrifier sa vie au bonheur de la +vôtre.—Indigne générosité! s'écria +Valentine, hors d'elle-même; et +c'est lui qui m'engage à épouser un +homme qu'il méprise!—Ne vous +abusez point, c'est de la haine qu'il +a pour lui, et non pas du mépris. +Son injustice envers le chevalier +prouve assez les moyens qu'il lui +croit de vous plaire; mais qu'importe +l'opinion d'un rival? C'est de la probité +qu'il faut, même en amour. Il +n'est permis de disposer de la destinée +d'une femme, qu'autant qu'on +<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span> +espère la rendre heureuse; lorsqu'on +n'a pas cette espérance, on ne peut +s'opposer à ce qu'un autre se charge +du soin de son bonheur.—Je le +sens, le mien est à jamais perdu; +mais au moins n'aurai-je pas à me +reprocher de l'avoir sacrifié à de +vaines considérations. Ma résolution +est irrévocablement prise, et je ne +réclame plus vos conseils que sur la +manière de la faire connaître; en +refusant les offres de M. d'Émerange, +je conviens que j'ai de grands ménagements +à garder. Indiquez-moi les +plus convenables, et je vous réponds +de ma docilité. Mais n'en exigez pas +davantage de la raison d'une femme, +qui aime mieux vivre malheureuse à +son gré, que de se voir comblée des +<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span> +bienfaits qui excitent l'envie de tout +le monde.</p> + +<p>Après avoir écouté attentivement +ces derniers mots de Valentine, le +commandeur lui prit la main, la +porta à ses lèvres avec toutes les +marques d'un attendrissement qu'il +ne pouvait dissimuler; et il sortit en +répétant son exclamation favorite: +Quel dommage!</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVII" id="CHAPITRE_XXVII"></a>CHAPITRE XXVII.</h3> + +<p class="p2">On venait d'apprendre le retour de +M. d'Émerange, et, comme le dit un +de nos auteurs les plus spirituels, il +rapportait de son voyage <i>le crêpe et</i> +<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span> +<i>la joie</i> d'un riche héritier. Il ne se +passait guère d'heures sans que Valentine +pensât à ce retour, et cependant +elle en fut surprise comme +d'une nouvelle inattendue. Tous les +projets de réponses qu'elle avait si sagement +combinées avec M. de Saint-Albert, +se confondirent dans son +esprit. Elle sentit qu'il lui serait +bien difficile de soutenir l'entrevue +dans laquelle le commandeur exigeait +qu'elle déclarât au chevalier +qu'une raison, dont elle ne pouvait +convenir, l'obligeait à refuser ses +flatteuses propositions. Elle devait +accompagner cette phrase insidieuse +de tous les compliments qui peuvent +rassurer l'amour-propre. Par +ce moyen, le commandeur espérait +<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span> +voir retomber sur madame de +Nangis le ressentiment de M. d'Émerange, +car celui-ci ne manquerait +pas d'accuser la comtesse d'inspirer +à sa sœur l'excès de délicatesse qui +lui fesait rejeter l'offre de sa main. +Alors Valentine, loin d'être soupçonnée +de dédaigner l'amour du chevalier, +paraîtrait à ses yeux comme +la victime d'une amitié héroïque. +En calculant ainsi, M. de Saint-Albert +s'était trop méfié de la candeur +de Valentine, pour lui confier tout +ce qu'il attendait de cette ruse. Il +lui avait persuadé qu'en répondant +de cette manière elle disait la vérité +sans trahir son secret, et laissait au +chevalier encore assez d'espoir pour +lui ôter l'envie de se venger d'un +refus humiliant.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span> +Ce point convenu, le commandeur +instruisit M. de Nangis du projet +que la marquise avait de répondre +elle-même à M. d'Émerange. Le +comte s'en réjouit en pensant que si +sa sœur avait le dessein de rejetter +les vœux du chevalier, elle se serait +probablement épargné le désagrément +de lui apprendre elle-même +cette mauvaise nouvelle. Ravi de +cette espérance, le comte s'empressa +de la faire partager à celui +qui devait en recueillir le fruit. +M. d'Émerange reçut la confidence +en homme que le succès n'étonne +jamais; il promit au comte de se +rendre à l'invitation qu'il lui fesait +de dîner le jour même chez lui, et +ne douta pas que Valentine ne lui +<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span> +offrît, dans cette journée, quelques +moyens d'attendre patiemment sa +réponse.</p> + +<p>Il était déja trois heures, on n'attendait +plus qu'une seule personne +pour se mettre à table, lorsqu'on +annonça M. le comte d'Émerange +(c'était son nouveau titre). Ce nom +provoqua des émotions bien différentes: +madame de Nangis tressaillit +de plaisir, et Valentine rougit d'embarras. +Mais, à moins d'être dans +le secret des femmes, on risque souvent +de se tromper sur les impressions +qu'elles reçoivent; et de moins +présomptueux que M. d'Émerange +auraient pu interpréter comme lui +le trouble de Valentine; cependant +il n'eut pas l'air de le remarquer; +<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span> +mais, quand il lui adressait la parole, +il prenait un ton de reconnaissance +qui semblait la remercier +d'avance de tout ce qu'il attendait +de son amour. Ses mots ingénieux, +ses regards pénétrants étaient pour +Valentine, mais tous ses soins étaient +pour la comtesse: il paraissait vouloir +se faire un mérite auprès de la +première des égards qu'il conservait +pour l'autre. Du reste, sérieux sans +affectation, il répondait avec politesse +à tous ceux qui se composaient +le visage pour venir lui adresser des +compliments de condoléance et des +félicitations, sur la perte et l'héritage +qu'il venait de faire. Madame de +Nangis, que ce genre de conversation +ennuyait à périr, fit entendre +<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span> +aux personnes qui s'obstinaient à +savoir les détails de la mort du défunt, +que la sensibilité de M. d'Émerange +en serait trop affectée, et les +pria de parler d'autre chose. On lui +obéit sans peine; car au fond les plus +curieux ne se souciaient pas beaucoup +d'en apprendre davantage sur +un événement qui leur était indifférent. +Aussi fut-il bientôt oublié; en +moins d'un quart d'heure la gaîté +redevint générale; et la sensibilité de +M. d'Émerange ne s'en offensa point. +Son naturel piquant et le penchant +qui l'entraînait vers la plaisanterie, se +laissaient même entrevoir à travers +le maintien grave que lui imposait +la couleur sombre de son vêtement; +et comme on ne respecte guère dans +<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span> +le monde que le deuil qu'on porte +sur la physionomie, une jeune femme +qui ne se souvenait plus de celui du +comte d'Émerange, vint l'engager à +chanter. Aussitôt chacun joignit ses +instances à celles de l'aimable étourdie; +et ce n'est qu'à l'air indigné +qu'il prit pour refuser la proposition, +qu'on s'en rappella toute l'inconvenance.</p> + +<p>Cependant la soirée s'avançait, et +M. d'Émerange n'avait pu trouver +l'occasion de dire un mot en particulier +à Valentine: il est vrai que +placée auprès de sa belle-sœur, il +était impossible de parler à l'une +des deux sans être entendu de l'autre. +Pour se dédommager de cette +privation et faire comprendre à Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span> +qu'il comptait sur ce qu'elle +avait chargé le commandeur de lui +faire savoir, M. d'Émerange ne quitta +plus celui-ci, et lui fit de grandes +démonstrations de reconnaissance, +pour que la marquise devinât qu'il +le remerciait de l'intérêt qu'il avait +pris à lui dans cette circonstance. +Valentine le comprit assez; et lorsque +le commandeur s'approchant +d'elle, lui dit tout bas: Allons, du +courage, demain l'on ira chercher +votre réponse; souvenez-vous de ce +dont nous sommes convenus; elle +répondit en tremblant: Jamais je +n'aurai la présence d'esprit qu'exige +un semblable entretien; par pitié, +faites en sorte de me l'épargner.—Cela +est impossible.—Du moins, +<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span> +n'aura-t-il pas lieu demain, car j'ai +à sortir toute la journée.—Voilà +bien le propos d'un enfant qui croit +tout gagner en différant l'instant +de boire sa médecine,—Pourquoi +tant se presser d'annoncer une chose +désagréable?—Pour n'avoir plus à +la dire; d'ailleurs je vous ai suffisamment +démontré la nécessité de cette +démarche; mais je le vois bien, ce +n'est pas moi qui vous y déciderai, +un autre en pourra seul obtenir +l'honneur. Ici on vint les interrompre; +et Valentine se retira plus indécise +que jamais sur ce qu'elle allait +faire.</p> + +<p>Le billet qu'on lui remit le lendemain +à son réveil, lui rappela les +derniers mots du commandeur. Elle +<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span> +le décacheta en disant: Voilà qui +va fixer toutes mes incertitudes; et +son cœur se livra d'avance au plaisir +si doux d'obéir à ce qu'on aime; il +faut avoir souffert les tourments attachés +à la détermination d'une décision +importante pour connaître +tout le prix d'un ordre absolu. De +combien de responsabilités il délivre. +On profite du bien qu'il produit +sans avoir à se reprocher le mal qui +en résulte; et, quand cet ordre n'est +qu'un desir, que de charmes dans +l'obéissance!</p> + +<p class="p2 left5"><span class="smcap"><b>ANATOLE a VALENTINE.</b></span></p> + +<p>«Il y va du repos de votre existence, +me dit-on: ah! Valentine, +au nom du ciel, au nom de celui +<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span> +qui ne respire que pour vous adorer, +suivez le conseil qu'un ami +sage vous donne; j'ignore ce qu'il +exige de votre soumission, mais +dût-il vous demander ma vie, n'hésitez +pas à la promettre, elle est à +vous. Enfin, quel que soit le sacrifice, +oubliez la pitié que mon sort +vous inspire, et songez que ma +destinée entière est dans votre +bonheur.»</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVIII" id="CHAPITRE_XXVIII"></a>CHAPITRE XXVIII.</h3> + +<p class="p2">«Voilà qui est décidé, dit Valentine +en serrant le billet dans son +sein, je ne sortirai pas de la journée, +<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span> +et M. de Saint-Albert sera content +de moi.» Ce qui voulait dire tout +simplement: Anatole le desire, et +j'obéis sans peine. En effet, dès +ce moment l'ennui de l'entretien +qu'elle redoutait disparut à ses yeux; +elle rassembla ses idées avec ordre, +et s'appliqua à prévoir les objections +que lui ferait M. d'Émerange, pour +arranger ses réponses d'avance. Mais +cette belle précaution eut le succès +ordinaire. La conversation s'entama +tout autrement que la marquise ne +l'avait prévu; et il lui fut impossible +de placer une seule de ces phrases +si ingénieusement méditées. Heureusement +pour elle, son esprit suppléa +sans peine au défaut de sa prévoyance.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span> +M. d'Émerange, qu'une conversation +sérieuse effrayait toujours, +commença par plaisanter Valentine +sur l'excès de sa fraîcheur, en lui +disant qu'il était bien cruel de retrouver +la femme qu'on adorait +ainsi embellie par l'absence. Ce ton +de gaîté fut aussitôt adopté par la +marquise; elle sentit qu'il servirait +à-la-fois sa franchise et sa politesse. +M. d'Émerange lui sut bon gré de +prendre ainsi le ton qu'il préférait, +et regarda cette condescendance +comme une suite de la facilité qu'on +a communément de saisir les manières +des gens qu'on aime. Après +lui avoir témoigné sa reconnaissance +par mille choses flatteuses, il ajouta: +Que je vous remercie de m'avoir +<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span> +épargné la frayeur d'entendre mon +arrêt prononcé par votre frère; je +sens qu'il m'aurait dit vingt fois que +j'étais le plus heureux des hommes, +sans me le persuader un instant, et +je crois en vérité, qu'un refus de +votre bouche m'attristerait moins +qu'une bonne nouvelle sortie de la +sienne.—Cela m'encourage, reprit +en souriant Valentine.—N'allez pas +abuser de cet aveu, pourtant.—Non, +mais il me rassure, et m'engage à +vous déclarer franchement...—Que +vous me détestez peut-être.—Je +mentirais; et vos procédés envers +moi vous répondent au contraire +de ma reconnaissance.—Je me soucie +bien de votre reconnaissance; +vraiment je ne la mérite pas, car +<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span> +j'ai fait tout ce que j'ai pu pour ne +vous point aimer.—Pourquoi vous +êtes-vous découragé sitôt?—Ah! +vous vous en plaignez, c'est une +manière de m'avouer....—Que toute +honorée que je me trouve de votre +choix, je n'y saurais répondre.—Et +peut-on savoir la raison qui me +condamne à d'éternels regrets? reprit +le comte, d'un air moitié piqué +et moitié dédaigneux.—Voilà ce +qu'il faut que vous deviniez, dit en +rougissant Valentine.—Mais si je +la devine, vous n'en conviendrez +pas?—Cela est vrai.—Eh bien! tant +mieux, j'en agirai plus librement. +Jusqu'à présent le desir de vous +plaire et la crainte de voir troubler +votre repos par la colère d'une +<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span> +femme dont la vanité se blesse de +toutes les préférences qui ne sont +pas pour elle, m'ont fait supporter +patiemment ses caprices. Me voilà +enfin dispensé de jouer plus long-temps +un rôle ridicule qui n'eût +jamais été le mien, sans l'espérance +de me voir récompensé de tant de +sacrifices. Au fait, je ne suis pas tenu +à plus d'égards qu'on n'en a pour +moi; et votre franchise me semble +très-bonne à imiter. C'est bien assez +d'avoir à souffrir de son amour, sans +se laisser tourmenter par la folie +d'une autre.—Vous n'avez pas toujours +pensé ainsi, et cette folie qui +vous importune aujourd'hui vous +plaisait autrefois?—Faites-moi un +crime de votre ouvrage! Pouvais-je +<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span> +deviner qu'il arriverait du fond de +sa province une femme qui me tournerait +la tête au point de ne plus +voir qu'elle au monde? Certainement +j'aurais mieux fait de répondre aux +sentiments qu'on voulait bien me +témoigner, que de persister dans +ceux qu'elle dédaignerait; je ferais +mieux encore d'oublier ma disgrace +en cherchant loin d'elle quelques +consolations; mais tout cela serait +sage, et par conséquent au-dessus +de mes forces. Je ne me pique point +d'avoir cette vertu qui triomphe du +sort; le mien veut que je vous aime +en dépit de vous, et nous verrons +qui l'emportera de votre volonté ou +de ma constance.—Quels que soient +vos projets, dit Valentine, d'un ton +<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span> +suppliant, par pitié pour moi ménagez +la sensibilité d'une personne +dont vous avez égaré la raison; songez +qu'un éclat la perdrait pour toujours; +et ne me réduisez pas au +chagrin de la quitter pour la délivrer +d'une odieuse présence.—Cette +prière rendit au comte toutes ses +espérances. Il s'affermit dans l'idée +que la crainte de désespérer madame +de Nangis était le seul motif +du refus de Valentine, et il vit en +un instant tout le parti qu'il pouvait +tirer du sentiment généreux qui la +mettait dans sa dépendance. Empressé +d'en faire l'épreuve, il répondit +«Je m'engage à suivre en +tout votre exemple. Vous pouvez +mieux qu'une autre m'apprendre les +<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span> +ménagements qu'on doit aux victimes +d'un amour qui n'est point +partagé.—Je le vois bien, reprit +Valentine, en retenant des larmes +de dépit, il faut que je m'éloigne de +cette maison où le malheur va bientôt +régner.—Oui, partez, répliqua +M. d'Émerange avec feu, laissez ici +l'intrigue et la vanité se débattre +entre elles, et venez loin de cet empire +de la coquetterie, venez éprouver +la sincérité des sentiments que +vous faites naître. Choisissez la retraite +où rien ne saurait m'empêcher +de vous suivre; là, vous pourrez +vous convaincre que le bonheur de +vous voir, de vous aimer, suffit à +mon existence; et peut-être sentirez-vous +alors le besoin de récompenser +<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span> +tant d'amour.—Oh ciel! +que me proposez-vous! s'écria Valentine.—En +ce moment la porte +s'ouvrit, et l'on vit paraître madame +de Nangis, pâle, les yeux égarés, et +paraissant se soutenir avec peine; +Isaure l'accompagnait, et quitta sa +main pour venir se jeter dans les +bras de sa tante. Les caresses de cette +enfant tirèrent Valentine de l'espèce +de stupeur où l'avait plongée la subite +apparition de la comtesse. Elle +essaya de dire quelques mots, mais +le tremblement de sa voix trahissait +son trouble, et lui donnait un air +coupable, tandis que M. d'Émerange, +jouissant de toute sa présence d'esprit, +s'informait des nouvelles de la +comtesse, du ton le plus naturel, et +<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span> +avec toute la sérénité d'une personne +qui n'aurait pas eu la moindre chose +à se reprocher envers elle. C'est ainsi +que l'effronterie met plutôt à l'abri +du soupçon que l'innocence.</p> + +<p>Le bavardage d'Isaure fut d'un +grand secours dans cette circonstance, +où chacun parlait au hasard, +sans s'embarrasser de ce qu'il disait, +pourvu que cela n'eût aucun rapport +avec sa pensée; mais si la présence +d'Isaure était appréciée, l'arrivée +de madame de Réthel parut +un coup du ciel. Elle venait rappeler +à Valentine l'engagement qu'elles +avaient pris de dîner le même jour +chez la princesse de L.... Il était déja +tard; la marquise n'avait point encore +commencé sa toilette, madame de +<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span> +Réthel en fit la remarque, et M. d'Émerange +se retira. Madame de Nangis +le suivit, en priant sa belle-sœur de +l'excuser auprès de la princesse.—«Je +ne saurais profiter de son invitation, +ajouta-t-elle, je souffre +beaucoup, et vous pourrez lui affirmer +que ce n'est pas d'un mal imaginaire.»—Ces +derniers mots furent +prononcés avec l'accent du reproche; +ils allèrent frapper au cœur de +Valentine; et la tristesse qu'elle en +ressentit, résista même au souvenir +d'Anatole.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXIX" id="CHAPITRE_XXIX"></a>CHAPITRE XXIX</h3> + +<p class="p2">Depuis ce jour, madame de Saverny +ne goûta plus aucun repos. Persécutée +par son frère, pour céder au +desir de M. d'Émerange, dont la malignité +inventait à chaque instant +un nouveau moyen de la compromettre, +et ne cessait de la menacer +d'abandonner madame de Nangis à +son ressentiment; poursuivie par la +jalousie de sa belle-sœur; effrayée +des transports de l'amour d'Anatole; +Valentine, était dévorée de cette inquiétude +qui précède le malheur. +Ne sachant plus comment y échapper, +<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span> +elle confia à M. de Saint-Albert +le projet qu'elle formait de partir +secrètement pour l'Italie, en fesant +savoir seulement à son frère, qu'elle +entreprenait ce voyage pour se soustraire +aux instances de M. d'Émerange, +et faire cesser le bruit d'un +mariage auquel elle ne consentirait +jamais. Le commandeur, après avoir +réfléchi long-temps sur ce voyage, +finit par l'approuver, en disant: +Vous avez raison, ce parti me semble +le meilleur; mais il faut tout prévoir. +Malgré le plus grand mystère, +M. d'Émerange saura bientôt où +vous allez. Il vous y suivra, il vous +l'a promis, et dans sa position c'est +le meilleur parti qu'il puisse prendre, +car cette preuve de dévouement doit +<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span> +vous attendrir, ou vous perdre. Mais +il est un moyen d'échapper à ce +double danger, en ôtant au public +l'occasion de mal interpréter une +démarche fort simple; et ce moyen +est d'emmener avec vous deux personnes +dont l'âge et la réputation +deviennent les garants de votre conduite +aux yeux du monde, et dont +l'amitié vous protége contre toutes +les tentatives d'un fat.—Puisque +mon frère m'abandonne, s'écria Valentine, +en essuyant ses larmes, de +qui puis-je espérer une si grande +preuve d'attachement?—On croirait, +reprit brusquement le commandeur, +que votre cœur n'en est pas +digne, à la manière dont vous doutez +de celui de vos amis. Si quelqu'un +<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span> +m'avait dit: Il y a une personne +dans le monde capable de grands +sacrifices pour vous épargner un +malheur; je vous aurais devinée tout +de suite, moi.—Ah! mon ami! fut +tout ce que put articuler Valentine; +elle se jeta dans les bras de M. de +Saint-Albert, qui la serra paternellement +sur son cœur. Lorsque son +émotion lui permit de parler, il +assura Valentine que madame de +Réthel serait enchantée de faire avec +elle le voyage d'Italie. Nous irons +à petites journées, ajouta-t-il en +riant, par égard pour l'âge de l'aimable +vieillard qui vous accompagne. +Deux semaines suffiront pour les +préparatifs de ce petit enlèvement; +et si le monde en médit, comptez +<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span> +sur mon honneur pour réparer le +tort que pourraient faire au vôtre +mes moyens de séduction.—Cette +plaisanterie fit sourire Valentine, et +l'empêcha de se livrer à l'excès de +son attendrissement. Elle se contenta +de serrer la main du commandeur, +en signe de reconnaissance; et tous +deux se quittèrent, l'ame pénétrée de +cette douce joie qui naît également +du bien que l'on reçoit et de celui +qu'on fait.</p> + +<p>Mais ce délai de quinze jours accordé +aux différents manèges de +l'amour-propre pouvait devenir bien +funeste à Valentine; elle le prévoyait, +sans oser en témoigner sa +crainte. Un service obtenu sans l'avoir +demandé rend si discret, qu'on préfère +<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span> +en perdre le prix, que de s'en +assurer par une nouvelle sollicitation. +Aussi la marquise se résigna-t-elle +à attendre patiemment l'époque +fixée pour son départ. Elle imagina +de se composer une manière de vivre +qui la mît à l'abri des scènes qu'elle +redoutait le plus; et donnant l'ordre +à ses gens de ne laisser entrer chez +elle que le commandeur et sa nièce, +elle se dit légèrement indisposée, et +crut se faire oublier de ceux qui la +tourmentaient, en se délivrant de +leur présence. Pour se maintenir +dans une résolution qui devait lui +coûter le plaisir de rencontrer Anatole, +il fallait bien trouver quelque +dédommagement; et celui de lui +écrire vint tout naturellement à sa +<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span> +pensée. A la veille de faire une +longue absence on est plus confiant; +il semble qu'on n'ait rien à redouter +des aveux de sa faiblesse; l'idée qu'on +ne se reverra peut-être jamais, en +glaçant l'ame de terreur, la met au-dessus +des considérations ordinaires, +et ce qu'on dit alors a quelque chose +de la solennité d'un dernier adieu. +Cependant Valentine ne se laissa +point entraîner par le charme d'exprimer +ses pensées à celui qui les inspirait +toutes. Elle lui parla des chagrins +qui l'obligeaient à s'éloigner de sa +famille, sans lui laisser soupçonner +le secret de madame de Nangis; et +comme elle donna pour raison de +son voyage le desir de fuir M. d'Émerange, +il est à présumer qu'Anatole +<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span> +fut de son avis, et qu'il trouva la +lettre charmante.</p> + +<p>M. d'Émerange s'étant déja présenté +plusieurs fois chez madame de +Saverny, sans être reçu, devina +qu'elle lui avait fait défendre sa porte. +Ce procédé le choqua vivement; il +se promit de s'en venger; et alla s'en +plaindre à M. de Nangis, comme +d'une insulte que sa conduite respectueuse +envers sa sœur n'aurait +pas dû lui attirer. M. de Nangis +qui mettait le plus grand intérêt à +maintenir les espérances du comte, +l'assura que ce n'était sûrement qu'un +malentendu de la part des gens de +la marquise. Pour s'en convaincre, +il se rendit chez elle, et demanda à +la voir; mais on lui répondit que +<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span> +madame était souffrante, et reposait +en ce moment. Assez mécontent de +cette réponse, il fit appeler mademoiselle +Cécile pour la questionner +sur la maladie de sa maîtresse. A la +manière dont on l'interrogeait, mademoiselle +Cécile vit bien qu'il fallait +mentir; mais, comme elle n'avait +point reçu d'instructions à ce sujet, +elle fit tant de mensonges inutiles, +qu'elle laissa soupçonner la vérité. +M. de Nangis en conçut beaucoup +d'humeur, mais il la dissimula sous +l'apparence d'une vive inquiétude. +Se promettant bien d'éclaircir ce +mystère, il entra chez sa femme en +disant: Vous ignorez sûrement que +Valentine est malade, elle n'est point +sortie depuis deux jours, et ne reçoit +<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span> +personne; cela m'inquiète, et +je vous engage à forcer sa porte pour +lui offrir vos soins.—Je m'en garderai +bien, reprit la comtesse d'un +ton amer, cela m'est arrivé une fois +la semaine dernière; et je n'ai pas +envie de recommencer une pareille +gaucherie. Cette phrase devait exciter +la curiosité de M. de Nangis; +et pour la satisfaire, la comtesse +raconta comment elle avait +trouvé M. d'Émerange en tête à +tête avec sa belle-sœur. Elle accompagna +ce récit de plusieurs réflexions +malignes, qui indignèrent +M. de Nangis. Il crut de son honneur +de justifier Valentine des soupçons +qu'on osait concevoir sur elle, en +disant qu'il était bien permis de recevoir +<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span> +avec intimité l'homme que +l'on devait épouser incessamment.—M. +d'Émerange épouse votre +sœur? s'écria la comtesse, d'une +voix étouffée.—Vraiment nous en +aurions parlé plutôt, reprit M. de +Nangis, sans remarquer la fureur +qui se peignait dans les yeux de sa +femme, mais je ne sais quelle pruderie +empêche Valentine de se décider; +elle aime très-certainement +M. d'Émerange; vous l'aviez déjà +deviné, et depuis tout l'a confirmé. +Cependant elle hésite, et donne +pour prétexte la légèreté du comte, +et cent autres mauvaises raisons dont +vous pourriez facilement lui démontrer +le ridicule. Peut-être aura-t-elle +plus de confiance en vous: d'ailleurs +<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span> +vous triompherez mieux que moi de +ces idées romanesques sur la constance. +Ayez l'air de croire à celle +du comte, et vous l'en convaincrez +sans peine. Sur ce sujet, une femme +sait toujours en persuader une autre; +et je parie que votre esprit aura bientôt +fait disparaître l'obstacle qu'elle +oppose au mariage le plus brillant +qu'elle puisse faire. Si vous réussissez, +comme je n'en doute pas, vous pouvez +compter sur la reconnaissance +de M. d'Émerange, car il est amoureux +fou de Valentine.» On peut +imaginer ce qui se passa dans l'ame +de la comtesse, à chaque mot de ce +discours. Plongée dans une espèce +d'anéantissement, elle s'efforçait vainement +de rompre le silence; un +<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span> +poids énorme semblait oppresser sa +poitrine; et, lorsque par un mouvement +courageux elle essayait de répondre +à ces mots cruels qui déchiraient +son cœur, sa voix expirait +sur ses lèvres livides. Un état aussi +violent devenait impossible à dissimuler; +et M. de Nangis allait peut-être +découvrir le plus affreux secret, +lorsqu'un domestique vint lui remettre +un billet, qui demandait une +prompte réponse. Le comte sortit +alors en recommandant à sa femme +de ne point oublier ce qu'il venait +de lui dire, et tout ce qu'il attendait +de sa complaisance.</p> + +<p>O vous, que de funestes passions +égareront peut-être un jour, que +ne pouvez-vous contempler leur +<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span> +hideux effet sur le cœur et les traits +de cette femme jeune et belle! La +pâleur de la mort couvre son visage; +son regard éteint ne se ranime que +lorsqu'un projet de vengeance vient +flatter son imagination. Cette bouche, +qu'embellissait l'expression d'une +gaîté piquante, ne sourit plus qu'à +l'idée de punir l'innocence du crime +d'être aimée; et cet esprit élégant et +coquet, autrefois uniquement occupé +du desir de plaire, ne l'est plus +maintenant que du barbare soin de +chercher les moyens les plus sûrs +de perdre sa rivale: aucun ne lui +paraît trop cruel ou trop bas. Enfin +les sentiments affreux que la vanité +outragée inspire à cette femme coupable +semblent flétrir à-la-fois son +ame et sa beauté.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXX" id="CHAPITRE_XXX"></a>CHAPITRE XXX.</h3> + +<p class="p2">Pendant qu'il se tramait tant de +conspirations contre le repos de Valentine, +mademoiselle Cécile l'instruisait +de la visite de M. de Nangis, +et de l'humeur qu'il avait témoignée +lorsqu'on lui avait signifié qu'il ne +pouvait entrer chez sa sœur. «Allons, +dit Valentine, je vois qu'il me faut +renoncer même au plaisir d'être +seule, puisque je ne puis m'y livrer +sans offenser quelqu'un.» Et elle se +disposa à sortir pour échapper, s'il +était possible, à quelque visite importune. +En s'occupant d'habiller sa +<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span> +maîtresse, mademoiselle Cécile rompit +le silence qui lui était imposé +ordinairement par celui que gardait +la marquise avec elle, pour lui dire: +«Madame fait très-bien de sortir +aujourd'hui, car je ne sais ce qui se +passe dans la maison, mais c'est à +coup sûr quelque chose d'étrange; +madame la comtesse tourmente et +gronde tous ses gens à-la-fois; M. de +Nangis a demandé ses chevaux plutôt +qu'à l'ordinaire; Richard a déja +porté ce matin trois lettres de sa +maîtresse chez le comte d'Émerange, +et j'étais à peine levée quand madame +votre sœur m'a fait appeler +pour lui donner de vos nouvelles, +et répondre à cent questions sur la +santé et les occupations de madame; +<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span> +après avoir dit que madame avait été +indisposée depuis plusieurs jours, +j'ai répondu à tout le reste: <i>Je n'en +sais rien</i>; et madame la comtesse, +ennuyée de m'entendre toujours répéter +la même chose, m'a renvoyée +en disant: Quelle sotte!»</p> + +<p>La marquise n'eut pas l'air de faire +grande attention au rapport de mademoiselle +Cécile, et feignit de regarder +la curiosité de sa belle-sœur +comme une preuve de l'intérêt qu'elle +portait à sa santé; mais elle s'affligea +en secret de voir jusqu'où s'abaissait +la fierté de la comtesse. Qu'aurait-elle +donc pensé si elle avait pu deviner +que l'excès du ressentiment de +cette insensée la porterait ce jour-là +même à user de son autorité dans +<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span> +sa maison, pour se faire remettre +dans le plus grand mystère les lettres +adressées à madame de Saverny. L'espérance +d'en trouver une de M. d'Émerange, +qui lui apprendrait plus +sûrement la vérité de ses rapports +avec Valentine, était le seul motif +de cette indigne action, dont le vil +confident vint bientôt chercher la +récompense. Vingt-cinq louis furent +le prix de trois lettres remises à la +comtesse par un laquais infidèle. De +ces trois lettres l'une portait le timbre +de Nevers, la seconde était un simple +billet d'invitation qu'on pouvait lire +sans le décacheter, et, sur la troisième, +on ne reconnaissait pas l'écriture +de M. d'Émerange. C'était donc +inutilement pour cette fois que madame +<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span> +de Nangis venait de se laisser +entraîner au plus indigne procédé; +mais elle en pouvait assurer le secret +en rendant les trois lettres comme +elle les avait reçues. Sa conscience accueillait +cette idée; avec une morale +peu sévère, on se croit facilement +innocent du mal dont on ne recueille +pas le fruit. La comtesse se parait +déja à ses propres yeux du mérite +de résister au mouvement d'une curiosité +sans objet, lorsqu'un nouveau +soupçon vint triompher de tous ses +scrupules. Elle pensa que M. d'Émerange +pouvait bien se servir d'une +autre main que la sienne pour écrire +l'adresse de ses lettres à madame de +Saverny. C'était un moyen souvent +employé pour tromper les regards +<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span> +des jaloux; et madame de Nangis se +rendait justice en supposant aux +autres le desir d'échapper à son indiscrétion; +à force de supposer ce +qu'elle espère, elle croit céder à la +certitude de tout apprendre, et rompt +le cachet.... Bientôt une joie féroce +étincelle dans ses yeux. Elle tient +enfin l'instrument d'une vengeance +sûre, qui va frapper du même coup +l'ingrat qui la trahit, et la femme +qu'on lui préfère. Munie de ce précieux +dépôt, elle attend dans toute +l'agitation d'une affreuse espérance +le moment où le comte d'Émerange +a promis de se rendre chez elle. Pour +obtenir de lui cette promesse, il avait +fallu employer la ruse, et lui cacher +sur-tout ce qu'on avait appris de +<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span> +M. de Nangis. Ce soin important +était le sujet des billets dont mademoiselle +Cécile avait parlé à sa maîtresse, +et auxquels le comte venait +de répondre, en cédant avec peine +aux instances de madame de Nangis.</p> + +<p>Lorsque M. d'Émerange parut, la +comtesse prit un air riant pour le +complimenter sur son futur mariage +et sur le bonheur d'être aimé d'une +femme accomplie; elle se vanta d'avoir +prévu que cette provinciale, +dont on prétendait se moquer, serait +avant peu l'héroïne d'un roman nouveau, +qui finirait par le dénoûment +ordinaire. Avant de répondre à ces +compliments ironiques, le comte +chercha a démêler la véritable pensée +de madame de Nangis sur cet +<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span> +événement. Il crut un instant que +sa fierté l'emportait sur sa jalousie, +et que le dédain triomphait de sa +colère; il se réjouissait de lui voir +prendre un parti si convenable. +Mais le dépit d'une femme, ainsi +que son amour, se trahit par ses +soins mêmes à le cacher; et ce fut à +la gaîté factice de la comtesse, que +M. d'Émerange devina l'excès de son +ressentiment. Cette découverte l'engagea +à nier l'amour qu'on lui supposait +pour la marquise; il convint +seulement d'avoir consenti au projet +de M. de Nangis, qui mettait la +plus grande importance à ce mariage, +et en avait fait toutes les démarches, +avant même qu'il les eût approuvées. +Il ajouta, en regardant finement +<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span> +la comtesse, que des raisons faciles +à comprendre l'avaient empêché +d'apporter beaucoup de résistance +aux volontés de son mari, et que +d'ailleurs on lui avait fait sentir la +nécessité de se marier, comme étant +l'unique rejeton de sa famille. Toutes +ces considérations, dit-il, m'ont +déterminé à laisser agir le zèle de +mes amis; leur choix est tombé sur +madame de Saverny, dont le rang +et l'éducation sont dignes de la place +que le Roi veut bien destiner à ma +femme. Et c'est plus encore par convenance +que par inclination que je +me décide à l'épouser.—Je suis bien +aise de voir tant de raison dans votre +amour, reprit la comtesse, en s'apercevant +aussi de la mauvaise foi +<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span> +du comte, il en sera moins surpris +du sort qu'on lui réserve.—Vous +savez que sur ce point je suis très-philosophe.—On +l'est sans peine +quand on se croit aimé.—Je ne saurais +me prévaloir de cet avantage, car +votre belle-sœur ne m'a point fait +d'aveu; elle prétend au contraire +avoir une raison de refuser ma main, +qu'elle ne veut avouer à personne.—La +voulez-vous savoir?—Vous +m'allez dire comme M. de Nangis, +qu'elle a peur de ma légèreté.—Non, +elle vous rend trop de justice.—Au +fait, répliqua-t-il, en jetant +un regard tendre sur la comtesse, +elle ferait mieux peut-être de redouter +ma constance.—Non, Monsieur, +elle a, pour dédaigner votre +<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span> +amour, de meilleures raisons que toutes +celles-là. Tenez et jugez-en vous-même. +En disant ces mots elle remet +au comte la lettre suivante, et savoure +le plaisir de la lui voir lire en +tremblant de colère.</p> + +<p>«Vous partez, Valentine, et c'est +le desir d'échapper aux importunités +d'un fat qui vous éloigne +des lieux que vous embellissez! +L'honneur de l'emporter sur vos +rivales, celui de briller à la cour +de tout l'éclat de la fortune et de +la beauté; le triomphe plus grand +encore de fixer un cœur voué à l'inconstance; +enfin, tous ces plaisirs +enivrants de la vanité ne peuvent +donc vous séduire? Vous réalisez +le vœu que je formai en vous voyant +<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span> +pour la première fois. Ah! me disais-je +alors, si j'étais le créateur +d'un aussi bel ouvrage, je voudrais +le parer de toutes les vertus.</p> + +<p>«Vous partez, et des pleurs de +regrets ne viennent pas obscurcir +mes yeux, et je ne maudis point +cet exil volontaire! Tant de courage +doit vous sembler un prodige, +à vous qui savez que j'ai besoin +pour vivre du même air que vous +respirez; mais songez à ces timides +oiseaux, qui, sans oser approcher +du soleil, traversent les mers +pour jouir en tout temps des bienfaits +de sa présence, et vous aurez +bientôt le secret de ma résignation.»</p> + +<p>Après un moment de silence, pendant +<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span> +lequel M. d'Émerange cherchait +à modérer sa rage, il jeta les yeux +sur madame de Nangis, et fut frappé +de la joie qu'il vit éclater dans les +siens. L'idée qu'elle se repaissait du +plaisir de le voir humilié, lui inspira +l'envie de s'en venger en l'humiliant +elle-même. «Cette lettre +n'est point signée, dit-il avec mépris, +et rien ne prouve qu'elle soit +destinée à la marquise.—Quoi, s'écria +la comtesse, transportée de fureur, +le nom de la marquise de +Saverny, n'est-il pas sur l'adresse; +et ne lisez vous point celui de Valentine?—Belle +preuve! chacun en +peut écrire autant à la femme qu'il +veut calomnier ou compromettre. +D'ailleurs, si cette lettre était connue +<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span> +de la marquise, comment se trouverait +elle entre vos mains? Ici madame +de Nangis resta interdite, son +front se couvrit de rougeur; mais +tout-à-coup, bravant la honte par +la colère, elle arracha la lettre des +mains du comte, et dit: «Puisque +votre misérable amour préfère m'outrager +par le plus odieux soupçon +que d'en croire l'évidence, je saurai +bien vous convaincre sans m'abaisser +à me justifier. Mais si je me livre +à tout l'excès de mon indignation, +n'accusez que vous des malheurs qui +en seront la suite. Le ciel m'est témoin +que d'aussi barbares sentiments +n'ont jamais possédé mon +ame; je vous les dois tous et vous +en subirez l'effet. J'ai appris de vous +<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span> +comment on peut joindre la perfidie +à l'insulte; vous apprendrez de moi +comment on se venge du mépris.» +En finissant ces mots, la comtesse +sortit avec précipitation de la chambre; +et, défendant au comte de la suivre, +elle alla s'enfermer dans son +cabinet.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXI" id="CHAPITRE_XXXI"></a>CHAPITRE XXXI.</h3> + +<p class="p2">Le bruit d'une voiture qui entrait +dans la cour réveilla madame de +Nangis de l'espèce d'anéantissement +qui avait succédé à sa colère; elle +craignit de se faire voir dans le désordre +où elle était, et s'empressa +<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span> +d'ordonner qu'on éloignât, sous un +prétexte quelconque, la visite qui +arrivait: mais on lui répondit que +le carosse dont elle avait entendu le +bruit, était celui de M. le comte, +qui venait de rentrer. En effet, le +comte arrive presque aussitôt. Frappé +de l'altération qu'il remarque +sur le visage de sa femme, il lui +en demande la cause: elle hésite +à répondre; son mari insiste; elle +se trouble encore davantage; et la +nécessité de sortir d'embarras venant +ajouter au desir de se venger, +la comtesse feint de trahir avec peine +le secret de sa belle-sœur. Elle raconte +qu'un hasard, dont on ne +doit accuser que la négligence de +Valentine, a fait tomber entre ses +<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span> +mains la lettre qu'elle montre à M. de +Nangis, et donne pour prétexte de +l'émotion que son mari a remarquée, +le chagrin profond que lui cause +la conduite d'une personne qu'elle +n'aurait jamais soupçonnée d'une +pareille intrigue. Cette première dénonciation +accueillie l'oblige à de +nouveaux mensonges. Plus cette indigne +action coûte à sa conscience, +et mieux elle en veut assurer le prix. +Enfin, l'esprit, la ruse, la trahison, +la fausse pitié, tout fut employé +pour abuser la tendresse d'un +frère, et le porter à la plus coupable +injustice.</p> + +<p>Lorsque, par ses différentes insinuations, +la comtesse eut exalté la +colère de son mari contre Valentine, +<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span> +elle pensa que c'était le moment de +les mettre en présence. La marquise +venait justement de rentrer. Son +frère la fit prier de se rendre auprès +de lui. Elle arrive: à son aspect la +comtesse frémit. Il lui semble que +la preuve de ses torts est tout entière +dans l'air innocent de Valentine, +et que l'accusée n'a qu'à lever +ses yeux pour se justifier de tant +de calomnies.</p> + +<p>«Connaissez-vous cette lettre? dit +alors M. de Nangis, du ton d'un juge +sévère.»—J'ignore ce qu'elle contient, +reprit en balbutiant Valentine, +qui avait déjà reconnu l'écriture +d'Anatole.—Cependant elle +vous est adressée, reprit le comte, +et celui qui l'écrit se croit probablement +<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span> +assez connu de vous pour +n'être pas obligé de la signer.—Ici +la marquise prit la lettre des mains +de son frère, en lut l'adresse, et +lança à sa belle-sœur un regard de +mépris qui ne laissa à la comtesse +aucun doute sur le soupçon qui +venait d'éclairer Valentine. Confuse +de voir sa lâcheté devinée, elle n'en +supporta la honte que dans l'espérance +de jouir à son tour de la +confusion où se trouverait sa rivale, +en lisant les expressions de cet amour +qu'elle voulait cacher, et en répondant +à l'espèce d'interrogatoire que +M. de Nangis ne manquerait pas de +lui faire subir. Mais elle fut bien +étonnée, lorsqu'elle s'aperçut que +cette lecture, loin de troubler Valentine, +<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span> +sembler ranimer son courage, +et calmer son agitation. Le comte, +surpris lui-même de cette tranquillité, +dit avec impatience: Eh +bien! madame, daignerez-vous m'expliquer +ce mystère, et m'apprendre +si vous connaissez l'auteur de cette +lettre?—Je pourrais avant tout, reprit +la marquise avec dignité, demander +comment il se fait qu'elle +se trouve dans vos mains avant de +m'être parvenue; mais je veux ignorer +sur qui doit tomber le mépris +attaché à de tels procédés. Votre +âge, le titre de chef de notre famille, +et plus encore, la tendresse que +vous m'avez toujours témoignée, +vous donnent sur moi les droits +d'un père; et c'est au nom de ces +<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span> +droits que je consens à vous répondre +avec toute la sincérité que +vous devez attendre de mon caractère. +Cette lettre m'était destinée, et +j'en connais l'auteur.—Je desire infiniment +savoir le nom de ce monsieur +qui traite si bien de fat l'homme +le plus aimable que je connaisse.—Son +nom? Je l'ignore.—Quoi? +s'écria la comtesse, en éclatant de +rire d'une manière impertinente, +vous ignorez le nom de celui qui +veut vous suivre au-delà des mers?—Valentine +ne daigna point faire +attention à cette épigramme; mais +elle en punit bientôt la comtesse, +en la livrant à la plus cruelle inquiétude. +Après s'être épuisé en +sentences plus ou moins éloquentes +<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span> +sur l'extravagance des femmes, M. de +Nangis dit à sa sœur;—«Il ne faut +pas douter que l'amour de ce beau +sylphe ne soit l'unique cause des +refus que vous adressez à M. d'Émerange!—Non, +répondit Valentine, +cet amour n'est pas la seule cause +de mon refus.—C'est pourtant de +cette belle passion dont vous avez +voulu parler, en nous assurant qu'un +motif secret vous empêchait d'accepter +sa main.»—En cet instant, +les yeux de Valentine se tournèrent +sur madame de Nangis, elle la vit +dans l'attitude d'un coupable qui +attend le prix de ses méchancetés. +Un affreux tremblement agitait ses +membres; elle écoutait d'un air avide +les mots qui allaient sortir de la +<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span> +bouche de sa belle-sœur, et semblait +implorer la pitié de sa victime. Il +fallait s'être laissée entraîner à tous +les torts d'une passion insensée pour +méconnaître ainsi le cœur de Valentine; +mais le premier châtiment de +ceux qui renoncent à la vertu est +de n'y plus croire. Aussi l'étonnement +de madame de Nangis fut-il +à son comble, lorsqu'elle entendit +Valentine donner pour raison de +son refus la différence de son caractère +avec celui de M. d'Émerange, +et beaucoup d'autres motifs, sans +ajouter un mot qui pût faire soupçonner +les sentiments de la comtesse. +Ce procédé généreux, en dissipant +sa crainte, la livra au remords; et +rien ne saurait peindre ce qu'elle +<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span> +souffrit en voyant son mari s'animer +de plus en plus contre sa sœur, et +finir par l'outrager au point d'appeler +du nom d'intrigue son intimité +avec Anatole. Valentine avait supporté +cette injure avec la résignation +qui naît de l'innocence; mais quand +elle se vit en même temps accuser +de tous les manèges de la coquetterie +envers le comte d'Émerange, la +fierté de son ame se révolta de cette +insulte. Elle déclara qu'aucune considération +ne pouvait l'engager à +souffrir les expressions du mépris +de personne, pas même de son frère; +et elle sortit en l'assurant que désormais +il n'aurait plus l'occasion +de la traiter avec tant d'injustice.</p> + +<p>«Le voilà donc arrivé ce fatal +<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span> +moment que j'ai si souvent redouté! +s'écria Valentine, quand elle fut +seule. Mon imprudence et la plus +indigne calomnie m'enlèvent jusqu'à +l'estime de mon frère, je ne puis +plus habiter sa maison, sans trahir +l'horreur que m'inspire tout ce qui +s'y passe. Il faut m'en éloigner; il +faut quitter cette famille que j'avais +regardée comme un asyle protecteur, +et emporter avec moi le mépris et +la haine de deux êtres sur qui j'avais +placé mon respect et ma tendresse!» +En se livrant à ces tristes pensées, +Valentine fondait en larmes. Mais +son attendrissement, loin d'affaiblir +sa résolution, redoublait le desir +qu'elle avait de cacher sa peine à +tous les yeux. Dans ce dessein, elle +<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span> +écrivit au commandeur qu'un obstacle +imprévu l'obligeait à renoncer +au projet d'aller en Italie; qu'elle +était à la veille de partir pour Saverny, +où une affaire importante la +rappelait, mais qu'elle desirait vivement +le voir avant de s'éloigner de +Paris. Le domestique chargé de +porter ce billet eut ordre de n'en +remettre la réponse qu'à la marquise +elle-même. Cette réponse se fit attendre +jusqu'à dix heures du soir; +le domestique s'excusa de la rendre +aussi tard, en disant qu'il s'était cru +obligé d'aller la chercher jusque chez +madame de Réthel, à Auteuil, ou +M. de Saint-Albert devait dîner. Il +ajouta, qu'en sortant de table le commandeur +avait été pris subitement +<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span> +d'une attaque de goutte qui l'avait +forcé de se mettre au lit. Le billet +était écrit de la main de madame +de Réthel, qui donnait à Valentine +les détails de ce fâcheux accident, +et l'engageait à venir s'établir quelques +jours à Auteuil, pour adoucir +par sa présence les maux de leur +vieil ami. La plus sincère affection, +la reconnaissance, tout fesait un devoir +à Valentine de se rendre à cette +invitation, qui lui offrait en même temps +une occasion de prodiguer ses +soins au seul protecteur qui lui restât, +et un prétexte de s'éloigner de +la maison de son frère.</p> + +<p>Elle résolut de partir le lendemain, +de grand matin, pour qu'on ne +s'étonnât point dans la maison de +ne lui voir faire ses adieux à personne, +<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span> +et chargea mademoiselle Cécile +d'instruire les gens de la comtesse +du motif qui la déterminait à +se rendre sans délai chez madame de +Réthel. Ces arrangements finis, Valentine +essaya de prendre quelque +repos, mais le sommeil ne vint point +calmer ses sens en la délivrant du +souvenir de ses peines. L'idée de +reposer pour la dernière fois sous +le toit fraternel remplissait son ame +d'amertume: elle contemplait avec +douleur cet appartement si élégamment +orné pour la recevoir, où elle +croyait passer sa vie au sein de sa +famille. La place où elle relisait les +lettres d'Anatole, la table sur laquelle +elle y répondait, tout, jusqu'au +petit fauteuil d'Isaure, excitait +<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span> +ses regrets. Le cœur attache tant de +prix aux moindres objets qu'il va +perdre! Valentine avait souvent desiré +de n'être jamais venue dans ces +lieux témoins de ses chagrins; mais +il fallait s'en exiler pour toujours, +et ses larmes coulaient à la seule +pensée de ne les plus revoir. C'est +ainsi que la cause de nos malheurs +l'est quelquefois aussi de nos regrets.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXII" id="CHAPITRE_XXXII"></a>CHAPITRE XXXII.</h3> + +<p class="p2">Sept heures venaient de sonner, +les chevaux étaient déjà à la voiture, +et madame de Saverny, assise auprès +d'une croisée, attendait en silence +que mademoiselle Cécile eût fermé +<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span> +tous ses paquets pour se mettre en +route; Antoinette venait à chaque +instant demander s'il était nécessaire +d'emporter telle robe ou tel chapeau, +et mademoiselle Cécile s'empressait +de lui répondre: «Cela est très-inutile, +puisque madame ne doit rester +que huit jours à la campagne.» Cette +réponse fit soupirer Valentine, et la +replongea dans une triste rêverie, +dont elle sortit tout-à-coup en se +sentant presser par les bras d'un enfant +qui l'accablait de ses caresses. +«Quoi, dit-elle, en embrassant Isaure, +déja levée, chère petite! le bruit +qu'on a fait dans la cour t'aura sans +doute réveillée?—Oh! non, ma +tante, reprit l'enfant; je savais que +vous deviez partir de bonne heure; +j'étais déja couchée depuis long-temps, +<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span> +lorsque mademoiselle Cécile +est venue le dire hier soir à ma +bonne: elles me croyaient endormie, +et j'ai entendu tout ce qu'elles +ont dit. Quand j'ai su que j'allais +rester huit jours entiers sans voir +ma bonne tante, j'ai voulu l'embrasser +avant son départ. Mademoiselle +Cécile avait souvent répété que les +chevaux étaient commandés pour +sept heures; je me suis dit: En comptant +toutes les heures qui sonneront +à la pendule, je me réveillerai à +temps. En effet, j'avais si peur de +me lever trop tard, que j'ai très-peu +dormi. Quand j'ai entendu du +bruit dans la maison, je me suis habillée +tout doucement, et je suis vîte +accourue ici.—Chère enfant, dit +<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span> +Valentine, en la baignant de ses larmes!—Tu +t'en vas donc pour toujours? +s'écria Isaure en voyant l'excès +de la douleur de sa tante.—Non, je +te reverrai bientôt, je l'espère. Ne +m'oublie pas.... Dis à ton père que +je pars en pleurant.... que je vous +aime tous.... et que je vous regretterai +toute ma vie.» Ces paroles entrecoupees +par des sanglots achevèrent +de désoler Isaure. Elle se +jeta au cou de Valentine, en pleurant +aussi, et dit: «Encore, si +j'avais ton portrait pour me consoler +quand tu n'y seras plus!—Eh +bien, qu'est-il devenu? demanda +Valentine, avec une sorte d'inquiétude.—Je +ne voulais pas vous le +dire, reprit Isaure en baissant les +<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span> +yeux, mais l'autre jour, en jouant +avec M. d'Émerange, la chaîne qui +soutient le médaillon s'est cassée, +et le verre s'est brisé en tombant +par terre; j'ai bien pleuré quand +j'ai vu ce malheur! Mais M. d'Émerange +m'a promis que bientôt il n'y +paraîtrait plus. Il a pris le collier en +se chargeant de le faire raccommoder +par son bijoutier, et il doit me le +rendre la semaine prochaine: c'est +encore bien long à attendre.» Valentine +apprit avec peine que son +portrait était entre les mains du +comte, mais elle ne fit aucun reproche +à Isaure de le lui avoir livré. +Le mal était fait; il était inutile d'en +apprendre les conséquences à une +enfant trop innocente pour les comprendre. +<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span> +Elle se contenta de recommander +à Isaure de ne plus s'adresser +qu'à elle lorsqu'il s'agirait de confier +son portrait. Mademoiselle Cécile +vint en ce moment annoncer à sa +maîtresse que tout était prêt. Valentine +fit un effort pour s'arracher +des bras d'Isaure qui voulait absolument +la suivre, et ne consentit à +la laisser partir qu'à la condition +d'aller la rejoindre à Auteuil aussitôt +que madame de Nangis en aurait +accordé la permission. Quand il fallut +se séparer de <i>Love</i>, les pleurs +d'Isaure redoublèrent. Enfin on calma +son chagrin par des cadeaux et +des promesses; mais on ne put obtenir +d'elle de la faire rentrer dans +la maison avant que la voiture ne +<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span> +fût sortie de la cour; et Valentine +était déjà bien loin, que la petite +voix d'Isaure lui criait encore adieu.</p> + +<p>Le premier soin de la marquise, +en arrivant à Auteuil, fut d'instruire +Anatole du séjour qu'elle comptait +y faire, et d'une partie des raisons +qui la contraignaient à s'éloigner de +sa famille. La nécessité d'empêcher +Anatole de lui adresser de nouvelles +lettres à l'hôtel de Nangis, l'obligeait +à lui apprendre le sort qu'avait eu +la dernière; mais elle évita soigneusement +de lui laisser soupçonner la +véritable cause de cette indiscrétion, +qu'elle mit sur le compte de la maladresse +d'un laquais et d'une distraction +de son frère. Elle parla seulement +des justes reproches qu'il +<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span> +lui avait fallu supporter de la part +de M. de Nangis, sur le tort de s'être +ainsi compromise; et finit par dire +que l'impossibilité d'expliquer sa +conduite sans trahir un secret inviolable, +lui avait fait prendre le +parti d'attendre loin de son frère le +moment où elle pourrait se justifier +des soupçons qu'on osait concevoir +contre elle. Mais, pour atteindre à +ce but, il fallait s'imposer des sacrifices, +et réduire aux plus simples +expressions de l'amitié une correspondance +qui n'aurait jamais dû +être fondée sur un autre sentiment. +C'était à cette seule condition que +Valentine consentait à recevoir encore +des lettres d'Anatole; et elle +en parlait déjà comme d'une chose +<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span> +convenue, sans se douter qu'elle +demandait l'impossible.</p> + +<p>La douleur qui l'accablait se dissipa +un peu à l'aspect du plaisir que +causa son arrivée chez madame de +Réthel. Le commandeur prétendit +que la goutte pouvait s'amuser à +ses dépens aussi long-temps qu'il +plairait à Valentine de lui servir de +garde-malade; «Car, disait-il en +riant, qu'est-ce que cela me fait de +souffrir, pourvu que je ne le sente +pas.» Cette folie paraîtra bien sensée +à tous ceux qui ont reconnu le +pouvoir magique de la présence +d'un ami sur les souffrances les plus +aiguës.</p> + +<p>Si la gaîté de M. de Saint-Albert +avait bravé la maladie, elle s'éteignit +<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span> +bientôt en écoutant le récit des nouveaux +chagrins de Valentine. Il s'indigna +de la voir l'objet d'une persécution +aussi peu méritée, et, dans +son premier mouvement, il voulait +écrire à M. de Nangis pour l'éclairer +sur l'excès de son injustice, et +lui prouver qu'il était de son honneur +de la réparer. Mais Valentine +le conjura de renoncer à ce projet, +en lui démontrant l'impossibilité +d'instruire son frère des calomnies +dont elle était victime, sans lui en +dénoncer les auteurs. «Je ne le persuaderais +pas, ajoutait Valentine, il +persisterait à me demander l'explication +d'un mystère que je ne comprends +pas moi-même; et le silence +qu'il me faudrait garder sur plusieurs +<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span> +points envers lui, ajouterait encore +à l'idée des torts qu'il me suppose. +Je ne regagnerais point sa confiance, +et sa femme la perdrait pour toujours. +Le ciel me préserve de jeter +dans cette famille les premières semences +du trouble qui doit y naître +un jour! J'en conviens, les reproches +d'un frère pèsent cruellement sur +mon cœur, mais ceux que je pourrais +m'adresser l'oppresseraient bien +plus encore!—Eh bien, soit, reprit +le commandeur, je vous obéirai; +mais promettez-moi de ne plus vous +exposer à des scènes inévitables partout +ailleurs qu'ici. Vous ne savez +pas encore ce que l'on vous réserve, +et le parti que la méchanceté va tirer +d'une aussi belle circonstance; moi, +<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span> +je m'en doute, et j'exige que vous +choisissiez cette retraite pendant +l'orage. L'éclat que nous redoutions +ne peut plus s'éviter. La vengeance +d'un amour-propre tel que celui de +M. d'Émerange doit être sanglante; +puissent tous nos soins vous en +mettre à l'abri. Mais il est de la plus +grande importance qu'il ignore à +jamais le nom de l'imprudent qui +s'est permis sur son compte une injure +impardonnable. Vous ne doutez +pas de toutes ses recherches pour le +découvrir. Joignez-vous à moi pour +ordonner à Anatole de s'y soustraire +en s'éloignant de vous. Il est persuadé +que sa lettre n'est tombée qu'entre +les mains de votre frère, et ne soupçonne +pas que M. d'Émerange en ait +<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span> +eu connaissance. Profitons de son +erreur pour lui demander au nom +de votre repos un sacrifice que les +peines qu'il vous cause vous donnent +bien le droit d'exiger. Sur-tout plus +de lettres, vous en voyez le danger. +Il n'est point de secret qui y résiste. +Fiez-vous à mon amitié du soin de +dissiper ses inquiétudes sur votre +sort. Calmez les agitations qui tourmentent +votre ame, et laissez lui +croire en partant que son absence +est le prix de votre bonheur.—Disposez +de moi, reprit en soupirant +Valentine, je souscris d'avance à +tout ce que votre sage bonté imaginera +pour nous épargner de nouveaux +malheurs. Mais je n'ai plus le +courage qui soutient la volonté; ordonnez +<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span> +pour moi.» L'émotion de +Valentine l'empêcha d'en dire davantage; +elle sortit précipitamment pour +cacher l'excès de sa faiblesse, et s'enfuit +dans un des bosquets du jardin +que le printemps commençait à parer, +et là, sans s'apercevoir des bienfaits +d'une saison charmante, Valentine +s'écriait en pleurant: Il faut +donc que je renonce à tout dans la +nature!</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIII" id="CHAPITRE_XXXIII"></a>CHAPITRE XXXIII.</h3> + +<p class="p2">Si le démon de la jalousie enfante +les querelles entre les plus tendres +amants, celui de la vengeance sait +<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span> +réunir les plus fiers ennemis, et +l'humanité s'afflige de voir les serments +consacrés a cette furie, plus +fidèlement gardés que les serments +inspirés par l'amour. Depuis long-temps +M. d'Émerange convaincu de +son empire sur le cœur de madame +de Nangis, dédaignait un succès facile +que tout le monde lui croyait +acquis. Uniquement occupé d'un +triomphe plus flatteur pour sa vanité, +la tendresse de madame de +Nangis lui semblait importune. Mais +le plus humiliant revers avait remplacé +ce triomphe qu'il croyait certain. +L'aveu de madame de Saverny, +en reconnaissant la lettre présentée +par son frère, prouvait assez la +vérité; et la comtesse ne pouvait +<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span> +plus être accusée de mensonge. +Enfin, l'homme le plus brillant de +la cour, celui dont tant de femmes +délaissées attestaient la séduction et +l'inconstance, se voyait joué par la +simplicité d'une femme de province, +et insulté par un rival inconnu, dont +l'obscurité semblait être le partage. +Tant d'injures réunies demandaient +une réparation éclatante; et comme +la gloire d'un homme à la mode ne +se soutient que par le déshonneur +d'un grand nombre de victimes, c'est +la perte de la réputation de madame +de Saverny qui doit réhabiliter celle +du comte d'Émerange.</p> + +<p>Pénétré de cette idée, il se rend +chez madame de Nangis, en obtient +sans peine le pardon de ses torts; +<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span> +et, profitant de l'excès d'indulgence +qu'inspire le retour au bonheur, il +avoue que, séduit par les coquetteries +de la marquise, il n'a pu se défendre +d'un attrait passager pour elle; mais +qu'ayant bientôt reconnu la différence +du caprice au sentiment, il +n'attendait plus qu'une occasion de +rompre sans impolitesse, pour venir +retomber aux pieds de la seule femme +qu'il eût jamais aimée. Après ce +perfide aveu, desirant offrir une +preuve incontestable de la sincérité +de son repentir, le comte sort d'un +porte-feuille le portrait de Valentine, +et le livre à la comtesse comme +un sacrifice qui lui répond de la +franchise de ses sentiments.</p> + +<p>Dans tout autre moment la vue +<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span> +de ce portrait eût transporté de +colère madame de Nangis; mais +quand le coupable dont on pleurait +l'abandon vient demander grace, +s'indigne-t-on de quelque chose? +Elle ne vit dans cette preuve d'infidélité +que le plaisir d'en triompher; +et son amour-propre satisfait trouva +mille excuses aux torts de M. d'Émerange. +Mais plus elle redoublait de +clémence pour lui, et plus son ressentiment +s'animait contre sa rivale. +«Venir ainsi, disait-elle, afficher les +dehors d'une conduite austère, parler +de grands principes, se parer +d'une candeur factice, et tout cela +pour enlever à son amie l'affection +qui fesait son bonheur, et sacrifier, +l'amour d'un homme comme il faut +<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span> +à quelque aventurier! Certainement +je ne me donnerai point dans le +monde le ridicule de tolérer de semblables +intrigues. M. de Nangis est +bien libre d'approuver les nombreuses +faiblesses de sa sœur; mais +il ne peut m'obliger à jouer le rôle +de confidente: aussi vais-je lui +déclarer que je ne saurais habiter +plus long-temps avec elle. Il sentira +bien le tort qu'une intimité de ce +genre pourrait faire à la réputation +de sa femme, et je ne doute pas +qu'il n'écrive dès demain à la marquise, +pour l'engager à prolonger +son séjour chez madame de Réthel. +Probablement son héros est quelque +ami de cette prude; et soit fierté, +ou faiblesse, elle obéira sans murmurer +aux volontés de son frère.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span> +Ce plan servait à merveille les intentions +de M. d'Émerange, et il se +félicitait en voyant à quel point on +pouvait se servir de la passion d'une +femme pour se venger du mépris +d'une autre: il quitta la comtesse +en la conjurant d'épargner sa belle-sœur +auprès des personnes que leur +séparation allait surprendre. «Songez +qu'elle appartient à votre famille, +disait-il, et que vous devez autant +qu'il vous sera possible, lui garder +le secret de ses fautes. D'ailleurs que +vous importent ses caprices; vous +êtes bien sûre maintenant qu'ils ne +vous coûteront jamais rien, ajoutait-il +en baisant la main de la comtesse. +Ce qu'il faudrait seulement découvrir, +pour nous amuser un peu, +<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span> +c'est le nom de ce monsieur qui +m'honore d'une estime si particulière.—Pour +peu que vous y teniez, +reprit la comtesse, nous le saurons +bientôt; mais, si je consens à vous +servir dans la recherche que vous +voulez en faire, c'est à condition +que vous m'assurerez qu'il n'entre +pas le moindre sentiment jaloux dans +votre curiosité.—Moi, jaloux de +ce chevalier invisible? Je vous jure +de ne l'être jamais, à moins pourtant +qu'il ne lui plaise aussi de +vous tourner la tête.» Cette dernière +flatterie acheva d'enivrer la comtesse. +La joie de régner encore sur +un cœur infidèle, la crainte de le +voir s'échapper une seconde fois, et +l'idée, si trompeuse de se l'attacher +<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span> +pour toujours par la reconnaissance, +entraînèrent madame de Nangis dans +tout l'excès d'une générosité coupable.</p> + +<p>Mais si les folies du cœur sont +suivies d'un aveuglement complet +qui dissimule également à nos yeux +les défauts de l'objet aimé et les +torts de notre faiblesse, il n'en est +pas de même des égarements de +l'imagination. Ils mènent aussi loin, +mais sans cacher les dangers qui nous +menacent. Cette fièvre d'idées qui +naît des agitations de l'amour-propre +a ses intermittences; et c'est alors que +la raison, la méfiance, et le regret, +remplissent l'ame d'une mortelle +inquiétude qui fait desirer le retour +de l'accès. Madame de Nangis offrait +<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span> +une grande preuve de cette vérité. +Tant que M. d'Émerange était resté +près d'elle, elle n'avait pas douté +un instant de sa franchise; pas la +moindre rancune n'était venue troubler +les plaisirs d'un retour aussi +inattendu; et le comte venait de la +quitter en lui répétant les assurances +les plus tendres. Mais tout le prestige +avait disparu avec sa présence. La +réflexion avait succédé à l'ivresse, +le soupçon à la confiance, le repentir +au bonheur. Les yeux fixés sur le +portrait de Valentine, il lui sembla +difficile de ne pas regretter tant d'attraits. +Une autre incertitude la tourmentait +encore. Ce portrait paraissait +un gage trop certain de la faiblesse +de madame de Saverny, mais +<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span> +avait-il été donné par elle? Étonnée +de n'avoir pas été plutôt frappée +de cette pensée, la comtesse fait +appeler sa fille, et lui demande ce +qu'est devenu le portrait de sa tante: +«Le voici, répond Isaure, en détachant +de son cou le collier que +M. d'Émerange lui a rapporté la +veille.» La comtesse le prend, confronte +les deux miniatures. Dans +chacune des deux la pose est la +même, mais le costume est différent. +Cependant elle croit reconnaître que +celle d'Isaure a servi de modèle à +l'autre. La supposition que M. d'Émerange +la trompe, et qu'elle ne +doit peut-être ce portrait qu'à une +supercherie, anime ses yeux de colère. +«Je suis sûre, dit-elle à Isaure +<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span> +avec emportement, que vous avez +prêté ce portrait à quelqu'un?—L'enfant +effrayée se décide à mentir +pour éviter d'être grondée, et se +félicite de sa ruse, en voyant le bon +effet qu'elle produit sur sa mère, +qui prend un air riant, l'embrasse, +et la renvoie.</p> + +<p>La comtesse rassurée par cette +première épreuve, en médite encore +d'autres, pour se convaincre de ce +qu'elle desire. Mais elle sent avant +tout la nécessité d'éloigner une rivale +dont la perte peut seule assurer +sa tranquillité. Son esprit ne rêve +plus qu'aux moyens d'abuser de la +confiance de son mari, pour servir +sa jalousie. Déja elle se réjouit des +succès que lui promet sa supériorité +<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span> +dans l'art de tromper, sans se douter +que pendant ce temps elle est dupe +elle-même des erreurs de son imagination, +des serments d'un perfide, +et de la petite ruse d'une enfant.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIV" id="CHAPITRE_XXXIV"></a>CHAPITRE XXXIV.</h3> + +<p class="p2">Les vœux de madame de Nangis +ne furent que trop tôt remplis. Son +mari, convaincu par l'évidence des +preuves qu'elle lui donne contre +Valentine, avoue que la conduite +de sa sœur ne mérite plus d'indulgence, +et c'est presque sous la dictée +de la comtesse, qu'il écrit à madame +de Saverny la lettre qui doit lui +<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span> +fermer pour jamais l'entrée de sa +maison. La rupture bien constatée, +madame de Nangis ne songe plus +qu'à la publier dans le monde avec +tous les détails qui doivent justifier +la sévérité de son mari, et +perdre la réputation de Valentine. +En moins de huit jours l'histoire +s'en est tellement répandue, qu'elle +est l'objet de toutes les conversations. +Les hommes, piqués de n'être +pour rien dans les torts d'une aussi +jolie personne, se plaisent à les exagérer; +les femmes en parlent avec +tout le mépris qui sert à déguiser +l'envie. L'une se promet bien de ne +pas lui rendre son salut, si jamais +elle la rencontre; l'autre court chez +son amie pour la prévenir du danger +<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span> +de recevoir une folle qui vient +de s'afficher ainsi; et lorsque quelque +ame charitable ose demander +la cause de ces mesures rigoureuses:</p> + +<p>«Quoi, s'empresse-t-on de lui répondre, +vous ignorez que cette +belle marquise de Saverny, qu'on +voulait nous donner pour modèle, +et qui, disait-on, était insensible +aux charmes de l'amour, menait +tout doucement quatre intrigues +à-la-fois? Vivent ces beautés timides +pour savoir bien tromper leurs +admirateurs! Ceux de la marquise +en seraient peut-être encore dupes, +si l'un de ses favoris n'avait eu la +maladresse de laisser deviner son +bonheur. On va jusqu'à dire que +la preuve de ce bonheur oblige +<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span> +la marquise à faire une assez longue +absence. Enfin, rien ne manque au +scandale de ses aventures galantes; +et pour peu qu'elle aime la célébrité, +sa vanité doit être satisfaite.»</p> + +<p>A ces calomnies on joignait les plus +injurieux commentaires; mais ces +bruits n'étant pas encore parvenus +à Versailles, Valentine reçut une +lettre de la dame d'honneur de la +reine, qui lui annonçait que le jour +de sa présentation à la cour était +fixé au dimanche suivant. Cette lettre +était la réponse de la demande que +M. de Nangis avait adressée quelques +mois après l'arrivée de madame +de Saverny. Cette présentation aurait +eu lieu beaucoup plutôt, sans la +grossesse de la reine, mais on venait +<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span> +de célébrer son retour à la santé, et +la naissance d'une auguste princesse. +La cour allait reprendre ses +habitudes, et déja l'on se félicitait +d'y voir paraître une femme qui +devait y briller à tant de titres.</p> + +<p>C'était uniquement par condescendance +aux volontés de son frère +que Valentine avait consenti à réclamer +l'honneur auquel sa famille +et le nom du marquis de Saverny, +lui donnaient des droits incontestables. +Mais cette cérémonie qui, +dans toute autre circonstance, aurait +peut-être flatté son amour-propre, +aujourd'hui devenait un supplice +pour elle. L'idée de s'offrir à tout +les regards dans un moment où le +malheur et la méchanceté semblaient +<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span> +se réunir pour l'accabler effrayait +son courage. Elle s'adressa encore à +M. de Saint-Albert, pour le prier de +lui indiquer un moyen de la dispenser +de ce devoir pénible. Mais il lui +répondit, qu'il en connaissait fort +peu, et que tous offraient de grands +inconvénients. «D'ailleurs, ajouta-t-il, +votre position exige ce sacrifice. +Quand, par l'effet d'un événement +fâcheux, on a le malheur d'occuper +de soi les oisifs d'une grande +ville, on ne doit pas plus affecter +de se montrer que de se cacher. +Les mêmes gens qui vous blâmeraient +s'ils vous voyaient braver dans +le grand monde l'injustice de votre +famille, ne manqueraient pas d'interpréter +fort mal le motif qui retarderait +<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span> +votre présentation à la cour. Il y a +tant de gens qui s'y feraient porter +à l'agonie pour une semblable cérémonie, +que vous ne leur persuaderez +jamais qu'on s'en dispense volontairement; +ils trouveront bien plus +simple de supposer qu'on vous exclut +de la cour, que de croire aux +raisons qui vous en éloignent.» En +lui tenant ce discours, le commandeur +savait déja tous les bruits qui +circulaient sur le compte de Valentine. +La princesse de L... venait de +les lui mander en lui marquant +qu'elle ne saurait y ajouter foi, avant +de les entendre confirmer par lui. +On devine bien que malgré ses souffrances, +M. de Saint-Albert ne perdit +pas un moment pour aller convaincre +<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span> +la princesse de l'innocence de Valentine, +et la conjurer d'accorder à +cette intéressante victime de l'envie +et de l'injustice, toute la protection +qu'elle méritait. C'est dans la certitude +que la princesse de L... partagerait +l'indignation qui le transportait +contre les ennemis de la +marquise, et qu'elle prendrait hautement +sa défense, qu'il engageait +Valentine à paraître à la cour. Il +pensait que l'appui d'une personne +aussi justement révérée, devait servir +d'égide contre les traits de la +méchanceté; mais si la protection +des princes est un grand titre à la +bienveillance du souverain, elle en +est un plus grand à la haine des +envieux. Le respect des courtisans +<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span> +s'arrête aux favoris des rois; et c'est +ordinairement sur les protégés de +celui que la fortune favorise qu'on se +venge des succès du protecteur.</p> + +<p>Valentine, soumise aux avis de +M. de Saint-Albert, envoya mademoiselle +Cécile à Paris, pour commander +ses habits de cour et rapporter +avec elle le reste des effets qu'elle +avait laissés à l'hôtel de Nangis. Tous +les gens attachés au service de la +marquise reçurent l'ordre de venir +la retrouver à Auteuil; et lorsque +mademoiselle Cécile fut au moment +d'y retourner, Richard lui dit: «Eh +bien! c'est donc un parti pris, vous +nous quittez pour toujours; ma foi +j'en suis fâché, car la marquise est +une excellente maîtresse, et si j'en +<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span> +juge par les bonnes étrennes qu'elle +nous a données cet hiver, à nous, +qui ne lui rendions pas de grands services, +je pense que les vôtres sont +bien payés. Richard accompagna ces +derniers mots d'un air malin qui +fut très-bien compris de mademoiselle +Cécile; elle dissimula l'indignation +qu'elle en ressentait pour +mieux savoir jusqu'où Richard portait +ses conjectures. Il ne se fit pas +prier pour lui raconter assez grossièrement +tout ce qui se disait dans +les antichambres, de la séparation +de la marquise d'avec sa belle-sœur. +De cet entretien il résulta une vive +querelle dans laquelle mademoiselle +Cécile prit avec chaleur le parti de +sa maîtresse, en injuriant de tout +<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span> +son pouvoir celle de Richard, et +finit par dire: «Eh bien! quand madame +de Saverny aurait autant d'amants +que sa sœur lui en donne, +n'est-elle pas libre de vivre à son +gré? A-t-elle un mari à tromper, ou +des enfants à corrompre par son +mauvais exemple? Allez, M. Richard, +le temps viendra bientôt où la vérité +se fera connaître: votre maître ne +sera pas toujours aussi dupe, et c'est +alors qu'il récompensera le fidèle +porteur des petits billets de la comtesse.» +Ravie d'avoir répondu par ce +trait malin aux propos de son camarade, +mademoiselle Cécile prit +congé des femmes de madame de +Nangis, sans oublier de leur faire +le détail de la magnifique parure qui +<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span> +embellirait la marquise le jour de +sa présentation. Elle fut récompensée +de cette preuve de confiance, par +plusieurs petites confidences; on lui +raconta le chagrin de la pauvre +Isaure, à qui sa mère avait positivement +défendu d'aller voir sa tante, +et qui de plus, avait reçu l'ordre +de ne jamais prononcer le nom de +madame de Saverny. Enfin, après +s'être longuement livrée à tous les +plaisirs du commérage, mademoiselle +Cécile sortit de l'hôtel de Nangis, +sans éprouver d'autre regret que +celui de n'y pouvoir causer encore.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXXV" id="CHAPITRE_XXXV"></a>CHAPITRE XXXV.</h3> + +<p class="p2">La nouvelle de la prochaine présentation +de la marquise, jointe à +toutes celles qui se débitaient sur +ses prétendues aventures, excita les +clameurs de toute la brillante société +de Paris. Plusieurs femmes d'un rang +distingué furent sollicitées, par ces +officieuses personnes que l'on trouve +partout, pour tâcher de faire parvenir +aux oreilles de la Reine les +bruits qui couraient sur madame +de Saverny. Mais quand on avait +l'honneur d'approcher souvent de la +Reine, on savait avec quel mépris elle +<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span> +recevait toute espère de dénonciation +de ce genre; d'ailleurs c'était madame +la princesse de L... qui devait présenter +elle-même la marquise, et +toutes les tentatives de la méchanceté +échouaient devant cette marque +de considération particulière.</p> + +<p>Le dépit de ne pouvoir réussir à +éloigner Valentine de la cour, redoubla +la curiosité de voir l'accueil +qu'elle y recevrait; et toutes les personnes +qui par leur rang pouvaient +y être admises ne manquèrent point +à cette cérémonie. Déjà les galeries +de Versailles étaient remplies de +courtisans dont l'ironie s'exerçait, +en attendant mieux, sur la famille +de M. de Nangis, sans s'apercevoir +que le comte était là très à portée +<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span> +de les entendre. Après y avoir bien +réfléchi, il n'avait pas cru pouvoir +se dispenser d'assister à la présentation +de sa sœur, sur-tout en pensant +qu'on l'avait accordée à sa sollicitation. +Mais il avait conjuré la +comtesse de n'en pas être témoin, +pour éviter, disait-il, l'embarras +d'une entrevue désagréable, et l'inconvénient +d'offrir à toute la cour +le spectacle de leur désunion.</p> + +<p>Enfin, l'on vint avertir que le +Roi allait passer dans les grands appartements, +et tout rentra dans le +plus profond silence. Lorsque toute +la cour fut rangée auprès de Sa Majesté, +on vit paraître la princesse +de L... dans le costume le plus simple, +et tenant par la main la marquise +<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span> +de Saverny, dont la magnifique parure +semblait rivaliser avec l'éclat +de sa beauté. Jamais plus de noblesse +et plus de modestie n'avaient embelli +tant d'attraits. La timidité qui +colorait son teint en augmentait la +fraîcheur; son regard à demi baissé +semblait réclamer l'indulgence, en +même temps que sa taille élégante +et son noble maintien commandaient +l'admiration. Elle fit ses révérences +sans assurance et sans gaucherie, et +ce fut avec toutes les graces de la simplicité, +qu'elle répondit aux choses +obligeantes que le Roi daigna lui +dire.</p> + +<p>Cette réception déconcertait bien +de malignes espérances; les femmes +en témoignaient tout haut leur dépit: +<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span> +«Voilà, disaient-elles, comme +avec de la beauté on peut tout se permettre +impunément: prêchons, après +de pareils exemples, la vertu à nos +filles! Mais si la vérité n'arrive jamais +aux pieds du trône, le monde +qui la connaît sait punir les erreurs.» +A ces discours les hommes, déja séduits +par l'aspect de Valentine, essayaient +de répondre qu'avant de +la juger aussi sévèrement, il fallait +attendre des preuves plus positives +de son inconséquence. Quelques-uns +refusaient tout net de la croire coupable, +et les plus malveillants ne +savaient comment accorder tant de +travers avec tant de modestie.</p> + +<p>Valentine, un peu remise du premier +trouble inséparable d'une solennité +<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span> +dont on est le principal objet, +essaya de lever les yeux pour contempler +ce spectacle brillant et nouveau +pour elle; mais toute la pompe +de la cour disparut bientôt à ses regards, +lorsque les portant du côté où +était placé le corps diplomatique, elle +reconnut l'ambassadeur d'Espagne, +et près de lui... Anatole. Qui pourrait +peindre l'émotion qui s'empara +d'elle au moment où leurs yeux se +rencontrèrent! Elle eut besoin de +tout son courage pour n'y pas succomber, +et elle crut que la princesse +de L..., touchée de son état, arrivait +pour lui sauver la vie, quand elle +vint la prendre pour la conduire +chez les princesses du sang, et lui +faire faire, suivant l'usage, quelques +visites dans le château.</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span> +Elle fut invitée à souper le même +jour chez la comtesse d'Art.... C'est-là +que l'attendaient l'intrigue et la +jalousie des femmes qui se promettaient +de lui faire payer ses triomphes +du matin par toutes les humiliations +de la soirée; la princesse de +L... était chez la Reine, et madame +de Réthel se trouvant forcée de retourner +auprès de son oncle, rien +ne s'opposait au projet d'affliger la +marquise. Il est vrai que la bonté +de la comtesse d'Art... lui répondait +d'un accueil agréable; mais les +premières politesses finies, la comtesse +et les princes ses frères se +mettraient au jeu, et la pauvre Valentine +resterait livrée à elle-même +ou plutôt à la vengeance de toutes +<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span> +ses rivales. C'est ce qui arriva bientôt. +Dès que la comtesse rompit le +cercle pour s'approcher de la table, +toutes les femmes s'éloignèrent de +Valentine en lui prodiguant les marques +du plus humiliant dédain. +Confuse de se voir ainsi abandonnée +au milieu du salon, elle fut se placer +auprès de la jeune duchesse de M..., +qu'elle avait souvent rencontrée chez +madame de Nangis. Mais la duchesse +qui la croyait de bonne foi coupable +de tous les procédés que lui reprochait +sa belle-sœur, se mit à lui +tourner le dos, comme pour l'empêcher +d'entendre ce qu'elle racontait +d'elle à une autre personne. +Malgré la paix de sa conscience, +Valentine éprouvait le supplice de +<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span> +s'entendre calomnier sans pouvoir +se défendre, et de se voir insultée +sans oser se plaindre. L'arrivée de +M. d'Émerange vint encore ajouter +à l'horreur de sa position. A peine +daigna-t-il la saluer. Cette impolitesse +ne l'aurait pas affectée, s'il ne +l'avait pas aggravée par les airs les +plus impertinents.</p> + +<p>La crainte de voir la marquise +recevoir quelques soins du petit nombre +de personnes qui ne jouaient +pas, les lui fit rassembler autour de +lui, et captiver leur attention par +des récits amusants. Souvent on l'accablait +de questions auxquelles il +répondait en élevant le ton: «Non, +ce n'est pas cela, vous êtes par trop +méchant; puis, jetant un regard sur +<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span> +Valentine, il reprenait à voix basse +la défense de l'accusée, et l'entremêlait +de plaisanteries si piquantes, +que les auditeurs riaient encore plus +des ridicules de la coupable, qu'ils +ne s'indignaient de ses fautes. Ce +manège dura jusqu'au moment où +la soirée finit. Valentine en vit approcher +le terme avec toute l'impatience +d'un prisonnier qui attend sa +délivrance. Et lorsque ses chevaux +l'entraînèrent loin de ce séjour où +l'intrigue est un mérite, et l'innocence +un ridicule, elle s'écria, le +cœur oppressé de larmes. «Ah! fuyons +pour toujours des lieux où la bonté +du souverain ne garantit pas de tant +d'insultes, où le moindre succès +s'achète par tant d'humiliations! Je +<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span> +n'y dois plus paraître, puisque le +ciel m'a refusé la fausseté, la souplesse +et l'audace.»</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXVI" id="CHAPITRE_XXXVI"></a>CHAPITRE XXXVI.</h3> + +<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p> + +<p>«Puisque l'ordre m'en vient de +vous, j'obéirai, Valentine; demain, +à cette même heure, je serai déjà +bien loin de tout ce que j'adore. +Ah! si le tort d'avoir compromis +votre repos mérite le plus grand +supplice, je le subirai... Mais +non, rien ne saurait me punir +<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span> +assez du malheur d'avoir fait couler +vos larmes. C'est ma coupable +imprudence qui vous livre au ressentiment +d'un frère; c'est avec +l'assurance de ne pouvoir jamais +causer votre bonheur que j'ose y +attenter! Ah! ce n'est point assez +de ma vie pour expier un tel crime, +et sans les remords qui déchirent +mon cœur, vous ne seriez point +assez vengée.</p> + +<p>«Avant d'accomplir ma triste destinée, +j'ai voulu m'enivrer encore +une fois du plaisir de contempler +tout ce que la nature a formé de +plus divin; mais grands dieux! +quels transports inconnus ont agité +mon ame, lorsque j'ai vu paraître +au milieu de cette assemblée brillante +<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span> +celle dont la beauté céleste +éclipsait jusqu'à l'éclat du trône! A +son aspect enchanteur, j'ai cru voir +la cour entière partager mon délire! +le souverain lui-même, séduit par +la réunion de tant de charmes à +tant de modestie, semblait fier de +compter au nombre de ses sujets +une femme si digne de régner sur +tous les cœurs. Mais il faut vous +avouer ma faiblesse, tout en jouissant +de l'admiration qu'inspirait Valentine +au plus puissant roi de l'Europe, +j'ai frémi en pensant à ce que +j'aurais redouté de cette admiration +sous un roi, d'une vertu moins austère, +et, dans ce moment, je n'ai +pas regretté le siècle de Louis XIV.</p> + +<p>«Ce triomphe si beau, ce doux +<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span> +instant a passé comme un songe. +Un regard de Valentine, ainsi que +celui d'Orphée, après avoir comblé +les vœux d'une ame passionnée, +l'a replongée dans le néant. +Bonheur, espoir, courage, j'ai tout +perdu avec votre présence. L'affreuse +idée d'en être privé pour +toujours est venue me frapper d'un +coup mortel, et les moments que +j'ai passés depuis semblent ne plus +appartenir à l'existence. Mais que +l'excès de ce désespoir ne vous afflige +pas, Valentine, je ne souffre +déja plus. Ne vous accusez point +sur-tout, des peines qui m'accablent; +le ciel m'avait dès ma naissance +condamné au malheur. C'est +par vous seule que j'ai connu le +<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span> +charme de la vie. En me permettant +de vous aimer, je vous ai dû +une félicité au-dessus de mes espérances; +et ce n'est pas votre faute +si mon amour insensé a besoin de +joindre un autre bonheur à celui +de penser à vous... Je le sens: cet +amour qui me dévore devait m'entraîner +à tout braver pour tout +obtenir de votre pitié... La mort +la plus inévitable ne m'aurait pas +arrêté... Mais s'exposer au mépris +de Valentine... se voir l'objet de +son dédain..... Ah! plutôt mille +fois succomber à la douleur de +s'éloigner d'elle. C'en est fait, mon +sort est rempli; je l'ai vue, je l'ai +adorée, ses yeux ont daigné quelquefois +se fixer sur les miens; tant +<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span> +d'heureux souvenirs valent plus +que ma vie. Adieu. Valentine! +Adieu.»</p> + +<p>Cette lettre fut remise à madame +de Saverny, à son retour de Versailles; +et de tous les événements de +la journée, le seul qui resta dans son +souvenir, ce fut le moment où elle +avait vu pour la dernière fois Anatole. +«Il est parti, disait-elle avec +l'accent d'un désespoir concentré; +il est parti, et c'est pour m'obéir +qu'il m'abandonne à tout l'excès de +ma douleur!... Accablée d'injustices, +rejetée par ma famille, je n'avais +pour consolations que les preuves +de son amour?... Ah! pourquoi sa +barbare générosité m'a-t-elle sauvé +la vie!... Que ferai-je d'un bien que +<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span> +je ne puis plus lui consacrer!... Car +c'est en vain que je chercherais encore +à m'abuser sur le sentiment qu'il +m'inspire. Ce cruel sentiment règne +seul dans mon cœur; l'amitié même +ne peut m'offrir de secours contre +les regrets qui me tuent.... Ah! +puisque je consentais à t'aimer sans +espoir de bonheur, cruel! pourquoi +m'as-tu ravi les tourments délicieux +qui agitaient mon ame?...»</p> + +<p>C'est en exhalant ainsi sa douleur, +que Valentine passa le reste de la +nuit; lorsqu'elle se rendit le matin +auprès du commandeur, il fut frappé +de l'altération de son visage. «Ah! lui +dit-il en prenant sa main avec affection, +ménagez-moi, Valentine, je +ne suis pas en état de supporter l'accablement +<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span> +où je vous vois; si votre +courage ne soutient pas le mien, je +m'accuserai de vos peines, et vous +me verrez mourir du remords d'avoir +empoisonné votre existence.—Eh! +quel reproche pourrait troubler +votre repos? N'est-ce pas à vous, +mon ami, que je dois l'unique consolation +qui me reste.—Non, reprit +M. de Saint-Albert, c'est peut-être +à moi seul que vous devez tous vos +malheurs. La connaissance du monde +qui m'a servi tant de fois, m'a trompé +celle-ci; j'avais remarqué toute ma +vie, dans le caractère des femmes, +un fond de légèreté qui devait les +rendre incapables d'éprouver un +sentiment profond. Les plus estimables +mêmes ne me semblaient +<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span> +pas à l'abri des séductions de la vanité; +et tout en rendant justice à +leur sensibilité, à la durée de leurs +affections, et au noble dévouement +qui en était souvent la suite, je +croyais qu'on ne pouvait obtenir +autant de leur cœur, qu'en flattant +leur amour-propre. J'en ai tant vu +préférer la gloire d'être affichées +publiquement, au bonheur d'être +aimées en secret! Mais vous m'avez +prouvé que ce bonheur pouvait suffire +à l'ame la plus pure. Vous avez +dissipé mon erreur, et vous me livrez +maintenant au regret d'avoir +fait naître dans votre cœur un sentiment +que je n'y saurais détruire.—Ah! +cessez de vous accuser d'un +mal qui n'est pas votre ouvrage, +<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span> +interrompit Valentine, son image +était gravée dans mon cœur, bien +avant que vous ne l'eussiez fait battre +en me parlant de lui!—Vous voulez +en vain me justifier; à mon âge on +ne se fait plus d'illusion sur ses +torts. C'est en vous parlant des vertus +d'Anatole, que je vous ai fait +oublier le danger de l'aimer; c'est, +rassuré par l'idée que cette passion +qui égarait sa raison, ne troublerait +jamais la vôtre; c'est peut-être aussi +par je ne sais quelle vague espérance +de voir récompenser tant d'amour +par un sacrifice héroïque, que je +me suis aveuglé moi-même sur les +malheurs qui pouvaient résulter +d'une intimité de ce genre. Enfin, +je reconnais toute l'étendue de mon +<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span> +imprudence, et je ne me sens pas la +force de vous en voir souffrir.»</p> + +<p>La première des consolations est +d'en pouvoir offrir, et Valentine, en +s'efforçant de consoler son ami des +chagrins qui la désolaient, finit aussi +par en être moins oppressée. Elle +lui parla sans contrainte de son +amour, et lui avoua qu'elle doutait +que l'absence et le temps parvinssent +à en triompher.—«Eh bien! faites-en +toujours l'épreuve, reprit le +commandeur; et, s'il est vrai que +votre constance sache braver ces +deux grands ennemis de l'amour, +vous aurez peut-être le courage +d'être heureuse en dépit de tous +les obstacles.»</p> + +<p>Malgré le mystère répandu dans +<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span> +cette dernière phrase, Valentine sentit +qu'elle ranimait sa vie en lui rendant +quelque espoir. Dès ce moment, elle +promit au commandeur de surmonter +sa faiblesse, et se prêta de +bonne grace à tous les moyens qu'il +imagina pour la distraire. L'ingénieuse +bonté de madame de Réthel +en inventait chaque jour de nouveaux; +mais Valentine refusait obstinément +de jouir d'autres plaisirs +que de ceux de la campagne. Le récit +qu'elle avait fait à madame de Réthel +de sa soirée de Versailles, lui donnait +bien le droit de fuir le grand monde; +et le commandeur était d'avis qu'elle +laissât passer ce premier feu de méchanceté, +qui s'éteint comme tant +d'autres, quand il n'est pas alimenté +<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span> +par la présence de l'objet qui l'excite. +Ainsi Valentine passa l'été chez madame +de Réthel, dans cette retraite +agréable, où les charmes de l'esprit +et les douceurs de l'amitié se disputaient +le plaisir de tromper ses +regrets. Occupée de répondre aux +soins de ses amis, elle vivait dans +l'ignorance de ce qui se passait chez +les personnes dont elle avait tant à +se plaindre, et se consolait de la +haine de ses ennemis, par le souvenir +de l'amour d'Anatole.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXXVII" id="CHAPITRE_XXXVII"></a>CHAPITRE XXXVII.</h3> + +<p>Deux mois s'écoulèrent dans cette +vie paisible, pendant lesquels le +commandeur avait reçu plusieurs +lettres d'Anatole. Valentine était +souvent présente quand on les lui +remettait, mais il gardait le plus +profond silence sur leur contenu; +et si elles n'avaient pas porté le +timbre de Madrid, Valentine eût +ignoré jusqu'au pays où vivait Anatole. +Tant de discrétion lui paraissait +quelquefois pénible à supporter. +Cependant elle n'osait s'en plaindre; +et, forte de la sagesse de son ami, +<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span> +elle se livrait à toute la folie de son +amour.</p> + +<p>La patience et le beau temps ayant +triomphé de la goutte de M. de Saint-Albert, +il arriva un matin chez +madame de Saverny, et lui dit: +«Pour cette fois, il n'y a pas moyen +de refuser. Lisez ce billet, et voyez +si nous pouvons nous dispenser de +céder aux instances d'une personne +qui vous aime tant.» Ce billet contenait +une invitation de la princesse +de L..., qui priait le commandeur +d'employer tout son ascendant sur +Valentine, pour l'engager à venir +souper chez elle le sur-lendemain. +C'était le jour de sa fête, et elle ajoutait +dans les termes les plus affectueux, +qu'elle douterait de l'amitié +<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span> +de Valentine, si elle ne venait pas +se joindre aux amis qui devaient +la fêter. Le commandeur n'eut pas +besoin d'insister pour faire sentir +à Valentine combien un refus de +sa part serait déplacé dans cette circonstance; +et il fut convenu entre +eux et madame de Réthel, qu'on +se rendrait le sur-lendemain à Paris, +d'assez bonne heure, pour aller voir +le salon des tableaux dont on venait +de faire l'exposition au Louvre; et +qu'après avoir dîné chez le commandeur, +on se rendrait chez la princesse. +Ce ne fut pas sans beaucoup +d'émotion que Valentine passa devant +l'hôtel de Nangis, pour se rendre +au Louvre. Mais elle en éprouva +bien davantage lorsqu'elle entra +<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span> +dans ce palais des arts et du génie. +Ses yeux furent d'abord éblouis par +le mélange de ces vives couleurs, +dont les jeunes élèves se plaisent à +recouvrir les défauts de leurs dessins, +sans penser qu'ils ne tirent d'autre +avantage de ce charlatanisme, que +d'absorber l'effet des tableaux des +grands maîtres. Son bon goût admira +les premiers essais de ces beaux +talents qui devaient un jour faire +l'orgueil de la France. Elle envia au +pinceau d'une femme charmante +cette grace enchanteresse qui, dans +chacun de ses portraits, semblait +passer de l'artiste au modèle. Enfin +la curiosité la conduisit auprès d'un +tableau qui attirait la foule des amateurs. +Elle fut long-temps sans pouvoir +<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span> +en approcher, et prenait patience +en écoutant les éloges que +tout le monde en fesait. «C'est, disait-on, +d'une composition admirable, +d'une vérité parfaite. L'ensemble +du monument, le fini des détails, +le dessin des figures, le coloris, +enfin tout en est ravissant.» Chacun +de ces éloges donnait à Valentine le +desir de les vérifier; mais lorsque +la politesse d'une personne qui lui +céda sa place la mit à portée d'en +juger, le dessin, les détails, le coloris +ne furent pas l'objet de son admiration. +Ses yeux frappés d'étonnement +croyaient se tromper en reconnaissant +cette chapelle de l'abbaye de +Saint-Denis, qui renfermait le tombeau +de Valentine de Milan. On +<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span> +voyait sur le premier plan une +enfant en prière sur les marches +d'un autel; plus loin, une femme +était posée de manière à ne laisser +voir que la beauté de sa taille et une +partie de son profil, que des cheveux +flottants dissimulaient encore. Un +voile de mousseline venait de tomber +à ses pieds, et l'on voyait un jeune +homme sous le costume d'un simple +ménestrel se prosterner pour ramasser +le voile, et le presser sur son +cœur. A cet aspect inattendu, Valentine +fut saisie d'un tremblement +si violent, qu'elle se vit obligée de +s'appuyer sur la balustrade qui entoure +la galerie. Quand l'émotion +causée par un souvenir aussi vif lui +eut permis de reprendre ses sens, elle +<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span> +appela madame de Réthel, et lui dit: +«Sortons d'ici, je ne me sens pas +bien.» Madame de Réthel, effrayée +du trouble où elle la vit, l'entraîna +sur-le-champ hors de la salle.</p> + +<p>Le commandeur vint bientôt les +rejoindre dans le vestibule, en se +plaignant de leur fuite précipitée +qui l'avait privé, disait-il, du plaisir +d'admirer ce tableau qui captivait +tous les suffrages du public. Valentine +lui répondit qu'en regardant +ce même tableau, elle avait +été saisie d'un étourdissement qui +l'avait forcée de sortir pour venir +prendre l'air. «Si ce tableau magique +produit d'aussi grands effets, +reprit en souriant le commandeur, +j'en regrette moins la vue.—Je +<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span> +dois avouer, dit Valentine, qu'il m'a +fait une vive impression.—Il est +donc d'une grande beauté, dit madame +de Réthel?—Vraiment, je +n'en sais rien, repartit Valentine; +tout ce que je puis vous en dire, +c'est qu'il est d'une exacte vérité.—On +vous a sûrement dit quel en +est l'auteur?—Je n'ai pas pensé +à le demander, mais comme je me +souviens qu'il est sous le n<sup>o</sup> 63, nous +pouvons le voir dans le livret.» Alors +Valentine chercha l'article qui concernait +le tableau, et n'y lut que +ces mots: Vue de l'intérieur d'une +chapelle de l'abbaye de Saint-Denis, +par un anonyme. «Ah! le succès qu'il +obtient, dit madame de Réthel, nous +promet que l'auteur ne gardera pas +<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span> +long-temps son secret; d'ailleurs les +amateurs vont s'empresser d'acquérir +cet ouvrage pour en décorer leurs +galeries; et l'on sait que, pour la plupart +de ces amateurs, le nom du +peintre a presqu'autant de prix que +le mérite du tableau.—Si je savais +que celui-là fût à vendre, dit Valentine, +je ferais de grands sacrifices +pour l'acheter.—Vous le payeriez +peut-être trop cher, reprit le commandeur; +chargez moi du soin de +cette affaire; je connais la personne +qui préside aux expositions du Louvre; +il est par sa place dans la confidence +de tous les artistes; et je +suis sûr qu'il m'indiquera le moyen +d'obtenir à peu de frais le tableau +que vous desirez.» Un regard plein +<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span> +de reconnaissance, fut le seul +remerciement de Valentine. L'idée +de posséder bientôt ce charmant +ouvrage, qui ne pouvait avoir été +fait ou commandé que pour elle, +remplit son ame d'une douce joie. +Quelle manière ingénieuse, se disait-elle, +de m'assurer de son souvenir; +et comment pourrais-je oublier +celui qui se rappelle sans cesse à +mon cœur par tant de preuves d'amour!</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XXXVIII" id="CHAPITRE_XXXVIII"></a>CHAPITRE XXXVIII.</h3> + +<p class="p2">A l'heure indiquée, on se rendit +chez la princesse de L... Dès les premières +marches du palais, on sentait +le parfum des fleurs; les vestibules +étaient ornés de caisses remplies +d'arbustes étrangers, de plantes +odoriférantes. Chacun de ces tributs +semblait avoir été déposé par la +reconnaissance. Enfin, on y voyait +jusqu'au bouquet des pauvres de la +paroisse.</p> + +<p>Arrivées dans le sallon qui précédait +celui de la princesse, madame +<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span> +de Réthel et Valentine se trouvèrent +au milieu d'un petit bal d'enfants +dont les cris joyeux l'emportaient +sur le bruit de l'orchestre. Il +y avait un grand désordre dans la +marche des contredanses; et, malgré +les efforts d'un petit monsieur qui, +l'épée au côté et la tête droite, semblait +commander d'une voix enrouée +à toute une armée, la déroute était +complète, et le maître à danser se +désespérait de voir ses élèves sauter +et se divertir ainsi contre toutes les +règles de l'art. Ce fut encore bien +pis lorsque Isaure laissant-là son +danseur, vint se jeter dans les bras +de sa tante. Le plaisir que Valentine +éprouva en l'embrassant fut un peu +troublé par l'idée qu'elle allait probablement +<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span> +rencontrer sa mère. Elle +aurait préféré le plaisir de rester toute +la soirée dans cette petite réunion, +à l'honneur de s'offrir aux regards +d'une plus grande assemblée. Elle +frémissait déja de l'effet qu'allait produire +son entrée dans le sallon de +la princesse, et tâchait par mille prétextes +d'en reculer l'instant, mais le +commandeur qui devinait sa pensée +vint lui prendre la main; elle entendit +annoncer «Madame la marquise +de Saverny»; elle fut bien obligée +de paraître. A ce nom, le silence de +l'étonnement régna dans l'assemblée; +chacun se retourna pour voir s'il était +bien vrai que la marquise reparût +tout-à-coup dans le monde, après s'en +être éloignée si long-temps. La princesse +<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span> +ayant remarqué le mouvement +qui s'était fait à l'arrivée de Valentine, +se leva pour aller au-devant +d'elle, et la conduisit, ainsi que madame +de Réthel, à des places qui +avaient été réservées à côté de la +sienne. Cette aimable attention toucha +sensiblement Valentine; elle +pensa que la princesse avait appris +les mauvais procédés dont elle avait +souffert la dernière fois qu'elle s'était +trouvée dans une semblable réunion, +et qu'elle voulait la protéger par les +marques d'une considération particulière +contre l'impertinence de ses +ennemis. En pensant ainsi, elle rendait +justice à la princesse, et ne se +doutait pas que l'influence de l'opinion +d'une personne aussi respectable +<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span> +dût ramener celle de tous les +gens raisonnables. En effet, tous ceux +que les manières inconsidérées et +l'ironie continuelle de madame de +Nangis commençaient à importuner, +trouvèrent assez simple que sa belle-sœur +eût témoigné le desir de ne +plus vivre avec elle, et finirent par +conclure qu'une femme honorée par +la constante amitié de la princesse +de L..., et par l'attachement du commandeur, +ne pouvait être indigne +de l'estime des gens comme il faut. +D'après ce raisonnement, plusieurs +personnes vinrent s'informer, d'un +ton respectueux, des nouvelles de +madame de Saverny, et se plaindre +de son goût pour la retraite, qui les +privait aussi long-temps du plaisir +<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span> +de la voir. Madame de Nangis, +placée en face, de l'autre côté du +salon, voyait avec humeur les marques +de considération que l'on donnait +à Valentine, et mettait tous ses +soins à cacher le dépit qu'elle en +ressentait, par les signes d'une gaîté +factice. Cherchant par différents +moyens à détourner l'attention favorable +qui se portait sur sa belle-sœur, +elle demanda la lecture des +vers dont chaque poëte, invité à +la fête, s'était cru obligé d'accompagner +son bouquet. A cette proposition, +les plus modestes réclamèrent +l'avantage de passer les premiers, +pour s'épargner, disaient-ils, le désagrément +d'arriver après un succès. +Le fait est qu'ils savaient bien à quoi +<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span> +s'en tenir sur la nouveauté de leurs +pensées à tous, et qu'ils préféraient +le plaisir de les dire, à l'ennui de +les répéter.</p> + +<p>Déja plusieurs d'entre eux avaient +assiégé l'Olympe pour en rapporter +les comparaisons les plus exagérées, +et l'on commençait à s'ennuyer de +ce cours de Mythologie, lorsque le +chevalier de Florian, et le chevalier +de Boufflers, vinrent au secours des +auditeurs, l'un avec une fable ingénieuse, +l'autre avec des couplets +charmants. Ceux que le premier avait +attendris par les traits d'une sensibilité +touchante étaient transportés +par l'esprit piquant et la gaîté de l'auteur +d'Aline; il est vrai que son nom +et son état dans le monde lui donnaient +<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span> +les moyens de faire valoir à +son gré tous les agréments de son +esprit. Quand un homme de la cour +se donne la peine d'avoir des talents, +et qu'il daigne y joindre quelque +instruction, ses succès n'ont plus de +bornes, il peut prendre à son choix +tous les tons; sa gravité passe pour +celle d'un homme d'état, et sa gaîté +ne paraît jamais trop familière; tandis +qu'un pauvre poëte est toujours +obligé de soumettre son talent au +ton de la flatterie.</p> + +<p>On croit peut-être qu'après les +applaudissements si justement prodigués +aux jolis couplets du chevalier +de Boufflers, personne n'osa +plus se présenter pour en chanter +d'autres. Mais s'il y a des gens qui +<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span> +ne doutent de rien dans le monde, +c'est bien sûrement dans la classe +des feseurs de madrigaux qu'on +peut les rencontrer. Un des plus +intrépides entamait déja son préambule, +lorsque la princesse, fatiguée +du retour de ces éternelles rimes: +<i>de la fête, qu'on apprête, et de +l'ivresse, de la tendresse</i>, vint en suspendre +le cours en priant le comte +d'Émerange de chanter quelques romances. +C'était prévenir ses desirs; +et il se rendit aussitôt à ceux de la +princesse. En préludant sur le piano, +ses yeux se portèrent sur madame +de Saverny, et il la regarda d'une +manière qui semblait dire à chacun: +C'est d'elle que je vais vous parler. +Lorsque le plus profond silence l'eut +<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span> +assuré de l'attention générale, il +commença cette romance de M. de +Moncrif, qui n'était alors connue +que de ses intimes amis, et dont +voici le premier couplet:</p> + +<p class="left35 font90">Elle m'aima cette belle Aspasie,<br /> +En moi trouva le plus tendre retour;<br /> +Elle m'aima: ce fut sa fantaisie;<br /> +Mais celle-là ne lui dura qu'un jour.</p> + +<p>La malignité fit bientôt l'application +de ces paroles à madame de +Saverny. Les chuchotements des +femmes et cet empressement à mettre +leur éventail devant leur visage +pour cacher un rire moqueur que +décelait leur attitude, apprirent sans +peine à la marquise le succès qu'obtenait +la fatuité du comte. Elle résolut +<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span> +de la déjouer, en dissimulant +l'embarras qu'elle en ressentait, et +fit bonne contenance. La joie que +montra madame de Nangis dans +cette circonstance, et son affectation +à conjurer M. d'Émerange de +recommencer cette romance dont +les paroles étaient si piquantes, déplurent +à beaucoup de personnes, +et particulièrement à la princesse, +qui fit changer sur-le-champ la conversation, +en demandant à Valentine +si elle avait été à l'exposition du +Louvre. Dès-lors la discussion s'engagea +sur le mérite des peintres +modernes et de leurs ouvrages, et +il ne fut plus question de musique.</p> + +<p>On ne tarda pas à parler de ce +tableau qui fesait tant de bruit, et +<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span> +chacun s'étonna de n'en pouvoir +connaître l'auteur. «C'est, m'a-t-on +assuré, dit la baronne de T..., l'ouvrage +d'un amateur.—Un amateur +de cette force, reprit une autre, sera +bientôt connu.—Mais il y a quelqu'un +ici, reprit un troisième, qui +pourra nous tirer d'incertitude; c'est +le marquis d'Alvaro. Je lui ai entendu +dire qu'il avait vu l'esquisse de ce +tableau dans l'atelier d'un amateur +de ses amis.»—Il faut absolument +qu'il nous dise son nom, s'écria tout +le monde; et plusieurs personnes +s'empressèrent d'aller chercher le +marquis d'Alvaro, qui fesait une +partie d'échecs dans une pièce voisine. +Si le cœur de Valentine avait +battu dès les premiers mots qui s'étaient +<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span> +dits sur ce tableau, on peut +s'imaginer l'agitation où elle se trouva +pendant que l'on cherchait le +marquis d'Alvaro, et le tremblement +qui la saisit en le voyant paraître. +D'abord, on lui adressa cent questions +à-la-fois; ce qui ne lui permit +d'en distinguer aucune. Mais +la princesse lui ayant expliqué ce +qu'on desirait savoir de lui, il répondit +que ce tableau, qui excitait +si vivement la curiosité, était l'ouvrage +du jeune duc de Linarès, dont +le talent en peinture égalait celui +des plus grands professeurs. Quoi! +s'écria la princesse, c'est le parent de +l'ambassadeur d'Espagne? ce jeune +Anatole, si beau, si spirituel, qui est +sourd-muet de naissance?... Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span> +n'en entendit pas davantage. +Un froid mortel circula dans ses +veines; sa tête se pencha vers madame +de Réthel; et elle perdit connaissance.</p> + +<p>Cet événement causa un effroi général; +on transporta Valentine sur +le lit de la princesse, où les plus +prompts secours lui furent prodigués +par le docteur P... qui se +trouvait présent. Il ordonna que +chacun se retirât pour laisser respirer +la malade, et ne laissa près +d'elle que la princesse et madame de +Réthel. Lorsque Valentine reprit ses +sens, un violent accès de fièvre se +déclara, et le docteur craignit que +ce ne fût le symptôme d'une véritable +maladie; il insista pour que la +<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span> +marquise restât à Paris, en disant +qu'il serait plus à portée de lui donner +ses soins. La princesse joignit +ses instances à celles du docteur pour +la déterminer à accepter un appartement +chez elle; mais rien ne put +faire renoncer Valentine au projet +de retourner le soir même à Auteuil; +et l'on fut obligé de céder à sa volonté. +Elle pria madame de Réthel +d'avertir son oncle qu'elle était décidée +à partir sur-le-champ. Elle +adressa d'une voix éteinte ses remerciements +à la princesse, lui serra +tendrement la main, promit au docteur +de suivre ses avis, et se fit porter +dans sa voiture. Elle arriva bientôt à +Auteuil. Le commandeur et sa nièce +qui l'avaient accompagnée, passèrent +<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span> +la nuit auprès d'elle. Ils l'engagèrent +vainement à prendre quelque repos; +ses sens étaient agités, ses yeux égarés, +sa tête en délire; mais, au milieu +de ses souffrances, l'ardeur de la +fièvre la délivrait au moins du tourment +de penser.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIX" id="CHAPITRE_XXXIX"></a>CHAPITRE XXXIX.</h3> + +<p class="p2">«L'auriez-vous jamais deviné? +s'écria madame de Nangis, lorsqu'elle +se trouva seule avec M. d'Émerange, +en sortant de chez la princesse. +Vraiment je conçois qu'on en +meure de surprise. Voilà une découverte +<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span> +bien autrement dramatique +que celle de madame de V...., lorsqu'elle +reconnut son amant dans un +marchand d'étoffes. C'est quelque +chose de fort glorieux sans doute que +d'inspirer de l'amour à un jeune +homme beau, riche, et qui, par-dessus +tout cela, porte le nom de duc de Linarès. +Mais c'est acheter un peu +cher ce grand avantage, que d'être +réduite au plaisir de faire signe à +son amant, qu'on l'aime.—Au moins +peut-on compter sur sa discrétion, +dit en riant le comte.—Vous vous +trompez, reprit la comtesse, on n'est +pas plus en sûreté avec ces muets-là +qu'avec vous. Depuis que l'abbé de +l'Épée s'est imaginé de leur donner +une éducation savante, ils se dédommagent +<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span> +du malheur de ne pouvoir +bavarder par la manie d'écrire; +et la seule différence qui existe entre +leurs billets et les propos d'un indiscret, +est celle de la preuve au soupçon. +Celui-ci vous en offre un +exemple, et sa lettre à Valentine +vous en a certainement plus dit que +toutes les conversations possibles.—Rien +n'était plus clair, j'en conviens; +et si je connaissais quelques +moyens de me faire entendre aussi +clairement de ce beau silencieux, je +ne me refuserais point la petite satisfaction +de lui prouver ma reconnaissance.—Quelle +folie! n'allez +vous pas chercher à vous battre avec +un pauvre infirme?—Ah! quand je +lui couperais un peu les oreilles, pour +<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span> +ce qu'il en fait, il n'y aurait pas +grand dommage.—Allons donc, ce +serait une lâcheté; voulez-vous +qu'on dise dans le monde que vous +vous êtes battu avec un muet pour +ses propos? Il y aurait là de quoi +vous couvrir d'un ridicule éternel.—Cependant, +il m'a grièvement insulté!—Bah! +qui s'en doute?—Mais, +lui et moi, par exemple, et +cela suffit bien.—Si l'on est convenu +d'excuser les injures d'un rival +ordinaire, on doit encore moins se +blesser de celles d'un pauvre homme +qui ignore peut-être la valeur des +mots dont il se sert. Qui sait? Dans +le langage de l'abbé de l'Épée, <i>fat</i> +veut peut-être dire, <i>amant heureux</i>?—Oui, +tout aussi bien que <i>Belmen</i> +<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span> +veut dire en turc, pour M. Jourdain: +<i>Allez vîte vous préparer pour la cérémonie, +afin de voir ensuite votre fille, +et de...</i>—Ah! vous êtes insupportable, +interrompit la comtesse, en +éclatant de rire; on ne saurait parler +raison un instant avec vous.—C'est +votre faute, vraiment, en cherchant +à me mystifier avec votre langage +muet, vous me rappelez tout +naturellement la meilleure mystification +que je connaisse en ce genre. +Mais, puisque vous l'exigez, parlons +sérieusement. Que pensez-vous du +résultat de ce coup de théâtre qui a +fait tant de sensation ce soir chez la +princesse?—Mais je ne serais pas +étonnée que, ce premier moment de +surprise une fois passé, Valentine +<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span> +ne s'accoutumât petit à petit à l'idée +d'aimer un homme de cette espèce: +il est passionné; elle est romanesque, +et s'il lui est bien prouvé qu'aucune +femme ne puisse être capable d'un +pareil dévouement, vous verrez +qu'elle en fera la folie.—C'est ce +qu'il faut empêcher au nom de l'humanité; +mais je m'en rapporte bien +à M. de Nangis pour cela. Vraiment, +je regrette qu'il n'ait pas retardé de +deux jours son départ pour la campagne; +j'aurais voulu voir de quel +air il eût appris cette étrange nouvelle!—Ah! +je puis vous assurer +que le nom du duc de Linarès aurait +seul captivé son intérêt, et qu'il ne +se serait point embarrassé du reste. +Dans son opinion, il est si convaincu +<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span> +qu'il ne manque jamais rien à un +grand seigneur pour rendre une +femme heureuse!—Ah! vous le +vantez, et je ne saurais jamais lui +supposer tant de respect pour les +grandeurs. C'est une vertu de parvenus....—Dont +beaucoup de gens +de qualités sont susceptibles, interrompit +la comtesse. Mais si vous +doutez de l'exactitude de mon jugement +sur M. de Nangis, venez vous +en convaincre en lui apprenant +vous-même le nom et les agréments +du rival à qui sa sœur vous sacrifiait.—Quoi! +vous voulez sitôt...?—Vous +savez à quelle condition +j'ai promis de rejoindre le comte à +Varennes, et s'il me serait possible +d'aller m'enterrer à la campagne +<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span> +seule avec lui; c'est uniquement à +vos sollicitations que j'ai cédé, en +consentant à partir cette semaine: +j'ai déja prévenu toutes les personnes +qui doivent m'accompagner; +mais si vous n'êtes pas du nombre, +je reste. Enfin, je ne tiendrai ma +parole qu'autant que vous serez fidèle +à la vôtre. Cette déclaration intimida +M. d'Émerange. Il promit à la +comtesse de partir avec elle pour sa +terre, en se réservant un prétexte +de revenir à Paris où différents intérêts +le rappeleraient bientôt. Le plus +vif était bien certainement de savoir +quel parti allait prendre madame +de Saverny dans cette circonstance. +Il lui semblait impossible que son +amour résistât au coup qui venait +<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span> +de lui être porté. Braver les convenances, +les obstacles, les devoirs les +plus sacrés, lui paraissait l'effort d'un +courage ordinaire; mais braver le +ridicule, était à ses yeux le comble de +l'héroïsme; et, malgré toute l'admiration +que lui inspirait le caractère +de Valentine, il ne la supposait point +capable d'une vertu qu'il regardait +comme au-dessus de l'humanité.</p> + +<p>Le bruit de la maladie de la marquise +étant parvenu à madame de +Nangis, elle se contenta d'envoyer +savoir de ses nouvelles; et, comme on +lui fit répondre au bout de quelques +jours qu'elle était hors de danger, +la comtesse partit pour la campagne, +suivie d'une partie de sa cour. Fière +d'entraîner à son char M. d'Émerange, +<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span> +elle ne s'occupa que des +moyens de l'enchaîner près d'elle +par l'attrait des plaisirs les plus variés; +mais combien il entre d'amertume +dans cette peine continuelle +de rechercher des plaisirs étrangers +à l'amour, pour retenir près de soi +l'objet qu'on aime! et qu'il est douloureux +de s'avouer qu'on ne doit +ses succès qu'à son <i>adresse</i> à plaire! +Oui, le tourment de sacrifier au devoir +un amant justement adoré, vaut +mieux que le triste bonheur de captiver +quelques instants un infidèle.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XL" id="CHAPITRE_XL"></a>CHAPITRE XL.</h3> + +<p class="p2">Après huit jours de fièvre, Valentine +revint à la santé, et au souvenir +de ses peines. Mais l'affaiblissement +qui suit la maladie calme aussi les +idées, et l'on croirait qu'après avoir +ainsi approché de la mort, l'ame renaît +dégagée des illusions qui égarent +dans la vie. Ce repos des sens, +que produit la raison, n'est pas toujours +de longue durée; et Valentine +en desira profiter pour entendre +du commandeur le récit de tout ce +qui lui restait encore à apprendre +sur Anatole. M. de Saint-Albert voulut +<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span> +d'abord se justifier, par le serment +qui l'engageait, du secret qu'il +avait gardé envers elle. Mais Valentine +lui ayant répondu que sa discrétion +était un titre de plus à l'estime +qu'elle lui portait, il lui dit: +«Vous avez raison de m'en louer, car +elle m'a bien coûté; mais vous allez +voir si je pouvais moins faire pour +l'être que j'aime le plus au monde.</p> + +<p>J'avais vingt-huit ans, une fortune +médiocre, et le peu d'avantages que +vous me connaissez, lorsque je devins +passionnément amoureux de la +fille du marquis de Belduc. Sa beauté +a fait tant de bruit dans le temps, +que M. de Saverny vous en aura +peut-être parlé. Les attraits qui captivaient +les hommages d'un grand +<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span> +nombre d'adorateurs, ne m'auraient +pas séduit, si l'intimité de son père +avec toute ma famille ne m'avait +fourni les occasions de la voir souvent, +et de me convaincre qu'il était +possible de réunir les qualités d'une +ame sensible aux ornements d'un +esprit supérieur, et tous les charmes +de la modestie à ceux de la figure. +Cette découverte décida du destin de +ma vie; je me reprochai le temps +que j'avais perdu dans ce commerce +de galanterie, où plusieurs femmes +s'étaient livrées au plaisir de me trahir +sans se donner la peine de me +tromper, et je consacrai tous mes +instants au soin de prouver à Mélanie +que je ne vivais que pour elle. +Son cœur me devina bientôt, et répondit +<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span> +au mien. Modestie à part, je +ne puis expliquer cette préférence +que par l'excès de mon amour; car, +dans le nombre de mes rivaux, il y +en avait de très-séduisants; et je crois +que s'ils avaient pu se résoudre à +s'aimer un peu moins eux-mêmes, +ils auraient été plus aimés que moi.</p> + +<p>Lorsque je reçus l'aveu de Mélanie, +je me crus roi de l'univers, et +je défiai toutes les puissances du +monde de s'opposer à l'accomplissement +de notre bonheur mutuel. +Nous en avions déja fixé l'époque; +et, comme nous formions tous ces +projets sous les yeux de nos parents, +nous ne doutions pas de leur consentement. +Mais le marquis de Belduc +ne nous laissa pas long-temps jouir +<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span> +d'une si douce illusion: il entra un +matin chez sa fille, l'embrassa plus +tendrement qu'à l'ordinaire, et lui +déclara qu'il touchait enfin au moment +de voir son ambition satisfaite. +Ce début glaça l'ame de Mélanie; elle +pressentit nos malheurs; et ce fut +avec tous les signes d'un profond +désespoir qu'elle apprit de son père +qu'il venait de promettre sa main +au duc de Linarès. Mélanie, insensible +à l'honneur de devenir la femme +d'un Grand d'Espagne, osa le refuser. +Son père, furieux, l'accusa de +caprice; elle crut se justifier en +avouant notre amour. En effet, cette +nouvelle fut assez bien accueillie de +son père; il approuva son choix tout +en déplorant la nécessité de le sacrifier +<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span> +aux grands intérêts de sa famille, +et finit par lui dire qu'il connaissait +assez la noblesse de mes sentiments +pour attendre de moi la soumission +qui servirait d'exemple à Mélanie. A +peine eut-il terminé cet entretien, +qu'il se rendit chez moi, et commença +sans préambule le récit de ce +qui venait de se passer entre sa fille +et lui.—«J'ai répondu de votre +honneur, ajouta-t-il, et ne crois pas +m'être trop engagé en assurant ma +fille que vous étiez incapable d'abuser +de votre empire sur son cœur +pour l'encourager dans une désobéissance +qui détruirait mon bonheur +sans accomplir le vôtre. Vous savez +comme moi le résultat de ces mariages +d'inclination qui font d'abord +<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span> +le désespoir des parents, et bientôt +après celui des époux. D'ailleurs, +avec Mélanie, vous n'auriez même +pas la ressource de tenter cette folie; +elle est trop attachée à ses devoirs +pour que la passion la plus vive +l'égare au point de se déshonorer. +Mais vous pouvez la rendre malheureuse +toute sa vie: dites-lui que le +sublime de l'amour est de résister +aux obstacles; qu'elle doit refuser +le plus beau sort pour vivre d'un +sentiment dont la constance finira +par m'attendrir. Elle croira toutes +ces belles phrases, persistera dans +son refus; je l'enfermerai au couvent; +elle y prendra le voile; et je +partirai pour Saint-Domingue, où +j'irai vivre du produit de la seule +<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span> +habitation qui me reste.» J'essayai +vainement d'opposer à toutes ces +raisons les intérêts de notre amour +et le bonheur que je trouverais à +donner ma fortune à Mélanie, sans +rien attendre de celle de son père. +Il répondait à tout: «Je suis ruiné: +le duc de Linarès, épris de Mélanie, +consent à l'épouser sans dot: il a +déjà obtenu de son souverain la promesse +d'un gouvernement qu'il me +destine; vous voyez que ce mariage, +en plaçant ma fille au rang le plus +distingué, illustre ma maison et répare +ma fortune. Jugez maintenant +si un galant homme peut se permettre +de priver toute une famille +d'aussi grands avantages, sans s'exposer +aux reproches de sa conscience, +<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span> +et même à ceux de la femme qu'il +rendrait victime de son amour.» Ce +dernier argument l'emporta sur tous +les autres. L'honneur parut m'ordonner +ce grand sacrifice. Je le promis +au marquis; et je tins parole.</p> + +<p>Je ne vous dirai pas ce qu'il m'en +coûta pour déterminer Mélanie à se +soumettre aux ordres de son père. +Dès que j'eus obtenu de son amour la +promesse de m'oublier, je m'enfuis +en Angleterre pour n'être pas témoin +de ce fatal mariage. Quelques +mois après, je passai à Malte, où +je prononçai des vœux dictés par +le désespoir. Lorsque je revins en +France au bout de deux ans, Mélanie +était en Espagne: j'appris qu'elle +était mère, et qu'elle devait peut-être +<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span> +la vie à son enfant; car, lors de +son départ de Paris, elle était atteinte +d'une maladie de langueur +qu'elle ne voulait combattre d'aucune +manière. Le desir de conserver +son enfant fut le seul motif qui +l'engagea à prendre quelque soin +de sa santé; et je crois que c'est à +cette maladie qu'on doit attribuer +l'infirmité d'Anatole. On fut quelque +temps sans s'en apercevoir, et +plus encore à espérer pour lui un +heureux changement. Il paraissait +impossible que la nature, en comblant +cet enfant de ses dons les plus +précieux, eût voulu en détruire l'effet +par la privation la plus cruelle. +Le duc de Linarès, après avoir mis +à bout la science de tous les médecins +<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span> +d'Espagne, se décida à venir +consulter ceux de Paris. C'est alors +que je revis Mélanie; elle me présenta +à son mari en lui disant: «Voici +un ancien ami de ma famille, je +l'aime comme un frère;» et tout +me prouva à mon grand regret la +sincérité de cet aveu. L'amour maternel +remplissait uniquement le +cœur de Mélanie, et j'aurais pu penser +qu'elle avait perdu jusqu'au souvenir +de ma passion pour elle, si le +nom d'Anatole qu'elle avait donné +à son fils, ne m'avait prouvé que ce +nom, qui est le mien, lui était encore +cher. Un sentiment très-blâmable +et très-commun chez la plupart +des hommes, me fit tenter plusieurs +moyens de ranimer dans le cœur de +<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span> +Mélanie l'amour qu'elle avait sacrifié +au devoir; mais ce coupable projet +faillit me coûter jusqu'à l'estime de +Mélanie; je n'obtins le pardon d'en +avoir conçu l'idée que par le serment +d'y renoncer à jamais, et plus encore +peut-être par le penchant qui m'entraînait +à partager sa tendresse pour +son fils. Dès-lors l'état de cet aimable +enfant devint l'objet de toutes +mes sollicitudes; je fis plusieurs +voyages dans la seule intention de +courir après de prétendus docteurs +dont les journaux attestaient les miracles, +et dont les consultations prouvaient +l'ignorance. Enfin, lorsqu'il +nous fut bien démontré qu'il n'existait +aucun moyen de guérir de cette +infirmité, nous prîmes le parti de +<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span> +chercher à en triompher, en confiant +Anatole aux soins de ce bienfaiteur +de l'humanité, dont les élèves +sont autant de prodiges. L'abbé de +l'Épée fut bientôt frappé des dispositions +inouies d'Anatole; il prédit +tout ce qu'il serait un jour; mais, +pour accomplir une éducation qui +lui promettait tant de succès, il exigea +du duc et de la duchesse de +Linarès une entière confiance, et la +promesse de ne déranger par aucune +distraction le plan qu'il formait pour +son élève. Comme la faiblesse de +Mélanie ne lui aurait pas permis de +tenir cet engagement dans toute la +rigueur nécessaire, elle consentit à +retourner avec son mari en Espagne, +après m'avoir fait jurer de veiller +<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span> +sur son fils aussi tendrement que s'il +était le mien. C'est à ce devoir sacré +que j'ai dû toutes les consolations de +ma vie. Avec quel plaisir je rendais +compte à cette tendre mère de tous +les progrès de son enfant! Et comment +vous peindrai-je la joie qui pénétra +mon ame, lorsqu'après dix +années d'absence, je conduisis cet +aimable jeune homme dans les bras +de sa mère. Je crus qu'elle succomberait +à l'excès de son bonheur, en +retrouvant dans son fils la sensibilité, +l'esprit, et toutes les qualités +qui le mettent au rang des gens les +plus aimables. Dans sa reconnaissance +pour l'abbé de l'Épée, elle +aurait voulu pouvoir lui faire accepter +sa fortune entière; mais on sait +<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span> +que le désintéressement de ce philosophe +égalait sa bienfesance. A +cette époque, je fus rappelé en +France pour le mariage de ma nièce, +et quelques affaires de famille, dont le +résultat vint augmenter de beaucoup +ma fortune. J'appris, peu de temps +après, la mort du duc de Linarès, +et la faveur dont le roi d'Espagne +venait d'honorer son fils, en employant +ses talents dans la diplomatie. +Il avait alors vingt ans, et le +séjour de la cour commençait à devenir +dangereux pour lui; plusieurs +des femmes qu'il y rencontrait sans +cesse, affectaient d'abord de le traiter +avec le dédain ou la protection +qu'on a pour un infirme; mais +s'apercevant bientôt que ce défaut +<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span> +était racheté par les agréments et les +qualités les plus séduisantes, on les +voyait changer de manières et devenir +aussi prévenantes pour lui qu'elles +avaient paru dédaigneuses. Sa fierté +naturelle le garantit quelque temps +des pièges de la coquetterie; il sentait +que dans sa position le succès +pouvait seul mettre à l'abri du ridicule, +et son cœur n'étant pas encore +atteint, il triomphait sans peine du +trouble de son imagination; mais +quand on n'est soutenu dans sa sagesse +que par la crainte d'un revers, +on doit facilement succomber à la +certitude de réussir: et c'est ce +qui arriva. Anatole, se trouvant un +soir chez la reine, reçut deux mots +tracés au crayon sur l'éventail de +<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span> +la jolie comtesse d'Alméria. Cette +jeune veuve, aussi emportée dans +ses desirs, qu'inconstante dans ses +affections, avait imaginé que le plus +sûr moyen de lui inspirer une passion +folle, était de l'attacher par la reconnaissance. +L'idée de captiver tous +les sentiments d'un homme que son +malheur et ses avantages rendaient +également intéressant, flattait son +amour-propre. Ce caprice lui présentait +tous les charmes d'une liaison +piquante, qui pouvait se changer en +attachement sérieux, et devenir le +but de son ambition, après avoir été +celui de son amusement. Mais la +duchesse de Linarès, qui redoutait +l'empire qu'une femme de ce caractère +pourrait exercer sur le cœur +<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span> +exalté de son fils, mit tous ses soins +à l'éloigner d'elle. L'état de sa santé +lui en fournit bientôt l'occasion. A la +suite d'une maladie grave, les médecins +ordonnèrent à la duchesse les +eaux de Pise, et son fils s'empressa +de l'y accompagner. Quelque temps +après le départ d'Anatole, la comtesse +Alméria le punit du tort d'être +absent. C'était un crime qui n'obtenait +jamais grace à ses yeux. Le +bruit de sa vengeance parvint bientôt +à la duchesse; elle en instruisit +Anatole avec tous les ménagements +convenables, et fut très-étonnée de +le trouver beaucoup plus modéré +dans ses regrets qu'elle ne l'aurait +espéré. La précipitation avec laquelle +il avait obtenu son bonheur lui avait +<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span> +souvent donné l'idée qu'il pourrait +le perdre de même; et d'ailleurs +cette félicité fugitive avait plus enivré +ses sens, que pénétré son ame. Loin +d'éprouver ce vide affreux où laisse +l'abandon du seul objet qu'on puisse +aimer au monde, quelque chose l'avertissait +que la perte d'une femme, +qui n'était que jolie, se réparait +facilement par la possession d'une +autre; et il fut bientôt convaincu de +cette vérité, lorsque les préférences +de plusieurs belles Italiennes vinrent +achever de le distraire du chagrin +d'être trahi. La duchesse de +Linarès, ravie de voir l'effet que +produisait sur son fils le séjour de +l'Italie, résolut de s'y fixer quelques +temps. Elle se rendit à Rome dans +<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span> +l'intention d'y passer l'hiver; mais +lorsque le printemps vint parer de sa +verdure les beaux sites et les ruines +dont raffolait Anatole, il fut impossible +de l'arracher de cette terre +de souvenirs. Son imagination s'enflamma +à l'aspect de tant de merveilles; +le desir de les chanter et +de les retracer le rendit peintre et +poëte; et il se livra aux arts avec +toute la passion de son caractère. +Mais, comme ce genre d'étude est +celui qui dispose le mieux un cœur +tendre aux impressions de l'amour, +on le vit bientôt tomber dans des +accès de mélancolie qui menaçaient +d'altérer sa santé. Sa mère s'en inquiéta, +et voulut en savoir la cause. +C'est alors qu'il lui fit l'aveu du +<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span> +sentiment pénible qui attristait son +ame, en pensant que le ciel l'avait +condamné à ne jamais goûter l'unique +bonheur qui lui fesait envie. Je n'ai +rien lu de plus touchant que la lettre +où il demandait pardon à sa mère +d'oser desirer la tendresse d'une +autre femme, lorsqu'il était l'objet +de son amour maternel. Mais, lui +disait-il, peignez-vous le désespoir +d'un cœur dévoré du besoin d'aimer, +sans jamais pouvoir prétendre à inspirer +le moindre retour. Quoi! ce +délire enchanteur dont je vois partout +les traces, ce feu qui anima le +Tasse et Pétrarque, cette reconnaissance +divine qui naît des faveurs +d'un sentiment partagé; enfin, tous +ces bienfaits de l'amour, je ne les +<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span> +connaîtrai jamais: réduit au misérable +avantage de profiter d'un instant +de caprice, ou des calculs de l'intérêt, +je dois mourir sans rencontrer +un cœur qui réponde jamais aux +battements du mien. La duchesse +affligée de le voir se livrer ainsi aux +idées d'un malheur sans espoir, +imagina de distraire Anatole par un +voyage à Paris. Elle le chargea d'y +faire l'acquisition d'une terre qu'elle +viendrait habiter aussitôt qu'elle aurait +obtenu de la reine d'Espagne la +permission de se retirer de la cour. +Ce fut par pure obéissance qu'Anatole +se sépara de sa mère pour se +rendre ici, suivi de son ancien gouverneur. +Ils me remirent une lettre +de la duchesse qui m'instruisait de +<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span> +ses craintes sur son fils, et le confiait +encore une fois à mes soins. +Vous devinez sans peine avec quel +plaisir je les lui prodiguais. En recherchant +toutes les occasions de le +distraire, je me crus simplement +inspiré par le desir d'accomplir les +volontés d'une femme chérie; mais +bientôt, captivé par tout ce qu'Anatole +a d'aimable, je sentis que son +bonheur était indispensable au mien, +et dès ce moment je ne m'occupai +plus que des moyens de l'assurer. +L'acquisition du château de Merville +fut celui qui me réussit le mieux. +Anatole s'obstinait à fuir les plaisirs +du grand monde. Vainement l'ambassadeur +d'Espagne, son parent, +l'ancien ami de son père, voulut +<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span> +le présenter dans les maisons les +plus agréables de Paris. Excepté à +la cour, où il consentit à le suivre +quelquefois, il refusa de l'accompagner +dans les endroits où ses manières +et son rang lui promettaient +l'accueil le plus flatteur. Dans cette +disposition d'esprit, le séjour de la +campagne lui parut le seul convenable +à ses goûts. Il s'y fixa pour +faire exécuter sous ses yeux le plan +tracé par lui, et qui devait rendre +Merville un des plus beaux lieux de la +France. Le soin d'embellir la retraite +destinée à sa mère parvint à le distraire, +pendant plusieurs mois, de ses +tristes rêveries; mais j'en prévoyais le +retour, et je cherchais à l'éloigner en +attirant Anatole à Paris sous différents +<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span> +prétextes. Ses amis se joignaient +à moi pour imaginer sans cesse de +nouveaux motifs de l'y retenir: mais +nous commencions à nous voir au +bout de nos ressources en ce genre, +lorsqu'un soir, d'heureuse ou fatale +mémoire, dit le commandeur en +fixant les yeux sur Valentine, je vis +entrer chez moi M. de Selmos, cet +ancien gouverneur d'Anatole, la pâleur +sur le front, et dans tout le +désordre d'un homme qui vient annoncer +une affreuse nouvelle. L'excès +de sa douleur ne lui permit pas +de me préparer au spectacle qui +allait me frapper, et je pensai mourir +d'effroi en voyant déposer sur +mon lit le corps inanimé de ce pauvre +Anatole. Le désespoir de son gouverneur, +<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span> +les larmes que répandaient ses +gens, tout me persuada qu'il n'existait +plus, et je frémis encore du souvenir +de ce qui se passa dans mon +ame à cette horrible idée. Mais le +chirurgien qu'on avait fait appeler +vint me rendre la vie en m'assurant +que le malade ne tarderait pas +à revenir de l'évanouissement où +l'avait plongé la violence du coup +qu'il avait reçu. En effet, Anatole +ouvrit bientôt les yeux: son premier +mouvement fut de me tendre la +main, ensuite il la porta sur sa blessure, +en me fesant signe qu'elle n'était +point dangereuse. Cependant +il avait l'épaule cassée, et une forte +contusion à la poitrine. On le saigna +après avoir pansé sa blessure, +<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span> +et je fus étonné de voir son visage +conserver, au milieu des souffrances +les plus aiguës, une expression de +bonheur que j'y remarquais pour +la première fois. Impatient d'expliquer +ce mystère, je questionnai +M. de Selmos, qui me raconta ce +qui venait de se passer à l'Opéra. +Quand j'appris que c'était pour vous +que mon ami venait de risquer sa +vie, et peut-être celle de sa mère; +je vous en demande pardon, Valentine, +je me fis le reproche de lui avoir +peint, trop fidèlement, le plaisir +que j'avais eu à vous rencontrer, +et celui que je trouvais chaque jour +à découvrir autant de sensibilité que +de modestie dans une femme que +son esprit et sa beauté auraient pu +<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span> +rendre vaine. Je me reprochai surtout +de lui avoir dit qu'il existait +entre vous et la duchesse de Linarès, +une ressemblance qui me rappelait +sa mère à votre âge. Car, à dater +de ce moment, il ne chercha plus +qu'une occasion de vous voir; le hasard +la lui fourni bientôt; et j'ai su +qu'il avait déja joui plusieurs fois du +plaisir de vous admirer avant d'avoir +eu le bonheur de vous secourir.</p> + +<p>La joie qu'il ressentait de vous +avoir peut-être sauvé la vie, approchait +du délire; je tentai vainement +de lui persuader que sa blessure +exigeait le plus parfait repos: +il voulut être transporté sur le champ +à Merville, pour mieux cacher les +suites de cet événement; et, après +<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span> +m'avoir déclaré que son existence +entière tenait au secret qu'il voulait +garder auprès de vous, il défendit +à ses gens de dire un mot +de ce qui lui était arrivé a la sortie +de l'Opéra. Le chirurgien reçut la +même recommandation, et je le +décidai à nous suivre à Merville, +pour y soigner Anatole jusqu'à son +parfait rétablissement. Ce voyage +ne parut pas augmenter les souffrances +du malade, ou du moins +il n'osa point s'en plaindre. Pour +obtenir de lui quelque soumission +aux ordres du docteur, j'étais obligé +de lui donner chaque jour de vos +nouvelles, et de répondre à toutes +les questions qu'il ne cessait de me +faire sur votre compte. Comme son +<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span> +état exigeait une parfaite immobilité, +nous ne lui permettions aucun +signe, mais il s'en vengeait en +écrivant au crayon sur ses tablettes, +des phrases auxquelles je répondais +dans son langage; ensuite il essayait +de tracer un profil dont je reconnaissais +les traits, et que pour rendre +plus frappant il effaçait, puis retraçait +encore; enfin, je reconnus +tous les symptômes d'une passion +qui allait ranimer sa vie. Je pressentis +les chagrins qu'elle pourrait +lui coûter, et lui en fis un tableau +effrayant; mais je me sentis +forcé de l'approuver, lorsqu'il m'assura +que tous les tourments de l'amour +étaient préférables à cet état +de langueur qui menaçait d'éteindre +<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span> +toutes les facultés de son ame. D'ailleurs +il prétendait être fort heureux +du seul bonheur de vous aimer, +pourvu qu'il n'eût jamais à supporter +vos dédains. L'idée de vous attacher +par la reconnaissance, en vous +restant inconnu, l'égarait au point +de croire que, s'il obtenait cette +faveur, il ne lui resterait plus rien +à desirer. Ce sentiment si désintéressé, +si peu dangereux pour vous, +me toucha vivement, et je le regardai +comme un moyen d'occuper dignement +le cœur d'Anatole. En pensant +ainsi, j'étais loin de me flatter +du moindre succès pour son amour; +mais je dois vous avouer que voyant +tout ce que la reconnaissance vous +inspirait pour lui, je n'ai pas eu +<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span> +le courage d'en diminuer l'impression, +en vous cachant qu'il était +aussi digne de votre estime que de +votre intérêt; comment aurais-je pu +me refuser au plaisir de voir ses yeux +briller de la plus pure joie, quand +je lui parlais de vous, comment n'aurais-je +pas été entraîné par la certitude +plus séduisante encore de lui +faire passer des moments enchanteurs, +en lui disant seulement que +vous pensiez souvent à lui. Ici Valentine +leva les yeux au ciel, et le commandeur +répondit à ce regard en +ajoutant: Je sens combien cette +complaisance vous paraît coupable, +mais, avant de blâmer ma conduite, +voyez un peu ce qui la justifie: d'abord +j'étais lié par un serment qui +<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span> +ne me permettait pas d'arrêter les +conjectures de votre imagination par +le moindre mot qui aurait pu vous +faire soupçonner la vérité; je savais +que la loyauté du caractère d'Anatole +s'opposerait toujours à ce qu'il +vous trompât, et que, loin de profiter +de l'intérêt romanesque que son mystérieux +amour devait vous inspirer, +il vous avait avoué qu'un obstacle +invincible le condamnait à s'éloigner +éternellement de vous. Ensuite je +vous dirai que cet obstacle, qui paraît +si insurmontable aux yeux de +beaucoup de personnes et peut-être +aux vôtres, ne me frappait pas de +même. Habitué à voir Anatole depuis +son enfance, je me suis plus occupé +des avantages qui le distinguent, que +<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span> +de la disgrace qui l'afflige. D'ailleurs, +ayant appris sans peine son langage, +je ne sentais aucun des inconvénients +de ce malheur; j'étais avec lui +comme auprès d'un étranger dont +on entend la langue, et qui s'exprime +avec toute la vivacité d'une imagination +ardente et d'un esprit supérieur. +Combien de fois cette conversation +originale et piquante m'a-t-elle +consolé de l'ennui d'un bavardage +insipide! Enfin, les moments +que j'ai passés près d'Anatole sont +au nombre des plus heureux de ma +vie; et l'on ne doit pas s'étonner que, +trouvant en lui la réunion de toutes +les qualités aimables, j'aie pu concevoir +un instant l'espérance de le +voir aimé.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XLI" id="CHAPITRE_XLI"></a>CHAPITRE XLI</h3> + +<p class="p2">Le récit du commandeur fit rêver +long-temps Valentine; elle ne l'avait +interrompu par aucune réflexion, +et n'en fit pas davantage après l'avoir +attentivement écouté, mais elle +adressa à M. de Saint-Albert plusieurs +questions sur différents petits événements +qui avaient excité sa surprise, +et que l'intimité secrète de Saint-Jean +et de mademoiselle Cécile lui +expliqua bientôt. Le prix des innocents +services de mademoiselle Cécile, +qui se bornait à dire à Saint-Jean +les projets de sa maîtresse, était +<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span> +tout entier dans l'espérance d'épouser +ce brave garçon, que son maître +récompensait généreusement; et Valentine +n'osa pas punir des indiscrétions +qu'elle feignit de regarder +comme un excès de confiance amoureuse.</p> + +<p>Le commandeur s'apercevant de +l'espèce d'abattement où paraissait +être Valentine, s'excusa de l'avoir +fatiguée par un aussi long entretien, +et voulut se retirer pour lui laisser +prendre quelque repos; mais elle +n'y consentit qu'après lui avoir fait +promettre de cacher au duc de Linarès +quelle avait découvert son +secret. Il lui en donna l'assurance: +Comptez sur ma parole, lui dit-il: +j'y serai d'autant plus fidèle que je ne +<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span> +saurais vous trahir sans le désespérer; +jugez-en vous-même. En finissant +ces mots, le commandeur remit +à Valentine la lettre suivante, et il +sortit:</p> + +<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole, a M. de Saint-Albert.</b></span></p> + +<p>«J'apprends, mon excellent ami, +que le marquis d'Alvaro vient d'exposer, +au salon du Louvre, le +tableau que je lui avais envoyé +pour le faire encadrer, et vous +l'offrir. Je tremble que cette indiscrétion +ne me coûte plus que la +vie, en apprenant à Valentine mon +nom et mes malheurs. La seule +idée de perdre avec mon secret +jusqu'au souvenir qu'elle me conserve, +<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span> +me livre au plus affreux désespoir. +Car il n'en faut pas douter, +l'instant qui lui dévoilerait à +quel supplice la nature m'a condamné, +changerait tous ses sentiments +pour moi. A la place de ce +tendre intérêt, dont je relis chaque +jour les témoignages, la dédaigneuse +pitié viendrait accabler mon +amour du poids de ses humiliations; +au lieu d'inspirer à Valentine +cette affection qui fesait mon +bonheur, je serais réduit à sa reconnaissance; +ou peut-être son +cœur, indigné de l'audace du mien, +ne me pardonnerait pas d'oser +l'adorer. Ah! mon ami! sauvez-moi +de ce malheur cent fois pire que +la mort; et n'essayez plus de me +<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span> +prouver que mes craintes à ce sujet +sont exagérées. Je sais comme vous +de combien d'éléments divins le +ciel a composé l'ame de Valentine; +mais, plus elle est supérieure à +tout ce qu'on admire, plus elle a +le droit d'exiger de celui qui aspire +à lui plaire. Je me rends justice; +les faibles qualités qui m'ont acquis +votre amitié pourraient me mériter +la sienne. Mais le même sentiment +qui dans votre cœur est la source +de mes plus douces consolations, +de sa part ne me semblerait qu'un +outrage fait à mon amour. Songez +qu'un moment dans ma vie j'ai +joui du plaisir enivrant de contempler +sur ses traits enchanteurs +une partie de l'émotion qui pénétrait +<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span> +mes sens; que plus d'une fois +ses yeux ont répondu aux miens; +et voyez si je pourrais survivre à +l'illusion qui m'a valu tant de félicité.»</p> + +<p>A cette lettre en était jointe une +autre pour le marquis d'Alvaro, par +laquelle on le priait de faire porter +sans délai le tableau d'Anatole chez +le commandeur. Deux jours après, +Valentine sortit pour la première +fois de son appartement, et lorsqu'elle +entra chez M. de Saint-Albert, +elle ne s'étonna point d'y trouver +ce tableau à la place d'un ancien +portrait de famille, qui jusqu'alors +avait eu les honneurs du salon. +Souvent, les yeux fixés sur l'ouvrage +<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span> +d'Anatole, elle le considérait sans +proférer une parole. Ses amis respectaient +son silence, et bornaient +leurs soins à distraire son esprit, +sans chercher à pénétrer ce qui se +passait dans son ame. Discrétion bien +rare en amitié!</p> + +<p>Les médecins venaient de déclarer +que la santé de Valentine était parfaitement +rétablie; cependant son +teint n'avait point repris son éclat; +son regard était triste; et tout en +elle montrait un état languissant; +mais lorsque madame de Réthel en +témoignait quelque inquiétude au +docteur, il lui répondait, avec cette +assurance que l'on met assez souvent +à décider des choses que l'on ne +comprend pas, que les maladies inflammatoires +<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span> +étaient toujours suivies +d'un accablement profond, qui n'empêchait +pas de se bien porter; et +madame de Réthel, sans y rien +comprendre non plus, adoptait cette +sentence.</p> + +<p>Le commandeur, moins facile à +rassurer, desirait qu'un événement +quelconque pût distraire Valentine +de la vie monotone qu'elle avait +adoptée. Une lettre de M. de Nangis +ne vint que trop tôt seconder ses +vœux. Elle était datée de Londres, +et contenait le récit de l'aventure +scandaleuse qui venait de lui révéler +l'indigne conduite de sa femme. La +scène s'était passée au château de +Varennes, où la comtesse avait eu +l'imprudence d'emmener avec elle +<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span> +la jeune baronne de Tresanne, dont +la beauté commençait à faire autant +de bruit que les extravagances. La +certitude de la rencontrer à Varennes +était entrée pour beaucoup dans la +promesse que M. d'Émerange avait +faite à madame de Nangis de l'y suivre; +deux jours s'étaient à peine +écoulés, que la plus parfaite intimité +régnait déja entre le comte et la +jolie baronne; mais ce n'était pas +sans conditions que madame de +Tresanne s'était décidée à récompenser +d'avance l'éternel amour que lui +avait juré M. d'Émerange. Le sacrifice +de madame de Nangis en avait +été la première récompense; et il +fut résolu entre eux qu'après avoir +satisfait aux devoirs d'usage en +<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span> +pareil cas, le comte se dégagerait, +sans retour, d'une chaîne importune. +Déja plusieurs tentatives lui +avaient prouvé la difficulté de réussir. +La comtesse était moins résignée +que jamais à perdre les avantages +d'une liaison qui coûtait aussi cher +à sa conscience qu'à son repos; +et madame de Tresanne, prévoyant +bien que les ménagements du comte +ne serviraient qu'à prolonger l'erreur +de sa victime, feignit de s'irriter +de tant de complaisance, et déclara +positivement à M. d'Émerange, +qu'elle aimait mieux céder l'empire +de son cœur, que de le partager +plus long-temps. Cette menace +produisit tout l'effet qu'elle en pouvait +attendre; la crainte de voir s'échapper +<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span> +sa nouvelle conquête avant +de l'avoir constatée publiquement, +soumit les volontés du comte à toutes +celles de madame de Tresanne, et il +s'en remit à elle du choix des moyens +à employer. La persévérance de la +comtesse en ayant fait échouer plusieurs, +madame de Tresanne se décida +au plus atroce comme au plus +infaillible. Un billet anonyme instruisit +M. de Nangis de la perfidie +de sa femme, en lui indiquant une +occasion de s'en convaincre. Dès ce +moment la colère et le désespoir +régnèrent dans le château de Varennes: +madame de Tresanne s'empressa +d'en sortir au premier bruit +de l'éclat qu'elle avait provoqué; et +sans vouloir en apprendre la cause +<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span> +au comte d'Émerange, elle lui ordonna +de tout quitter pour la suivre +à Bagnères. Elle s'y rendit sans s'arrêter +pour soustraire M. d'Émerange +aux premiers effets du ressentiment +de M. de Nangis. Les amis de la comtesse +retournèrent bientôt à Paris +dans l'intention charitable d'y publier +l'aventure scandaleuse dont ils +venaient d'être témoins, et que le +brusque départ de M. de Nangis allait +certifier à tous ceux qui oseraient +en douter. Effectivement, ce +malheureux époux, sans calculer si +la conduite présente de sa femme +n'était pas le fruit de l'indulgence outrée +qu'il avait montrée pour ses +premières inconséquences, croyait +reparer les torts de sa faiblesse par +<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span> +l'on punit souvent des fautes qu'avec +plus de soin on aurait pu prévenir. +Après une scène violente, +dans laquelle la comtesse avait fait +l'aveu de tout ce que sa folle passion +lui avait suggéré contre Valentine, +le comte de Nangis était parti +brusquement pour Londres, en arrachant +Isaure des bras de sa coupable +mère. Abandonnée de tout ce +qui lui était cher; livrée aux injures +de sa médisance implacable dont +elle avait si souvent dirigé les traits; +enfin, seule avec ses remords, cette +infortunée s'était réfugiée dans un +couvent de Paris, où les soins pieux +des Sœurs de la Miséricorde ne +parvenaient point à calmer les tourments +de son cœur. Ce cœur, si souvent +<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span> +dominé par la vanité, n'éprouvait +plus alors que la honte et les +regrets d'avoir perdu tous ses droits +maternels. La crainte de ne pouvoir +réparer les fautes de sa vie en la +consacrant toute entière à l'éducation +et au bonheur de sa fille, ôtait à +madame de Nangis tout espoir de +consolation. Malgré la frivolité de +son esprit, elle avait observé que la +sévérité des gens du monde se laissait +désarmer à la vue d'une jeune personne +dont la candeur et les vertus +fesaient oublier les égarements de +sa mère. En effet, comment se rappeler +les torts d'une femme coupable, +en admirant l'ouvrage d'une +mère aussi tendre que sage! Et quel +homme assez méchant oserait porter +<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span> +atteinte au respect qu'elle inspire à +sa fille, en affectant de ne le point +partager?</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XLII" id="CHAPITRE_XLII"></a>CHAPITRE XLII.</h3> + +<p class="p2">Valentine prévoyait depuis long-temps +les malheurs qui menaçaient +sa famille, et cependant, en les apprenant, +elle en fut frappée comme d'une +nouvelle inattendue; le bonheur de +reconquérir l'estime de son frère, +qui le priait en grace de se charger +de l'éducation d'Isaure, ne la +consolait pas du triste événement qui +lui valait une aussi éclatante réparation. +En répondant à la lettre où M. de +Nangis la conjurait de lui pardonner +son injustice et les injures qui lui +avaient été dictées par une femme +<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span> +perfide, elle avait tenté de modérer +l'indignation de son frère, en excitant +sa pitié pour le sort de cette +malheureuse mère, qui, lui disait-elle, +serait encore digne de sa tendresse, +si de misérables flatteurs, +trop bien accueillis par lui-même, +ne s'étaient fait un jeu d'égarer sa +raison. Il y avait autant de vérité +que d'indulgence dans cette supposition; +mais M. de Nangis était trop +irrité pour se rendre aux avis de sa +sœur; il les mit sur le compte de la +générosité naturelle au caractère de +Valentine, et n'en persista pas moins +dans le dessein de punir rigoureusement +celle qui venait de l'outrager.</p> + +<p>Comme il se méfiait avec juste +raison de l'extrême bonté de sa +<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span> +sœur, ce n'est qu'après avoir exigé +d'elle la promesse de ne jamais confier +à une autre le soin d'élever +Isaure, qu'il s'était déterminé à la +lui envoyer. Avec quel plaisir cette +aimable enfant se retrouva dans les +bras de Valentine! et combien de +fois elle remercia son père de l'avoir +confiée à sa tante, pendant le grand +voyage que venait d'entreprendre sa +mère! car c'est ainsi qu'on avait +motivé l'absence de la comtesse, +et la cause des larmes qu'elle avait +vues inonder son visage au moment +de leur séparation.</p> + +<p>La présence d'Isaure sembla ranimer +l'existence de Valentine. Elle +consentit à quitter la campagne pour +se rendre à Paris, dans l'unique intention +<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span> +d'y faire donner à son élève +les leçons des meilleurs maîtres. Mais +l'attachement qu'elle portait à ses +amis ne lui permettant pas de s'en +séparer, elle accepta la proposition +que lui fit madame de Réthel, de +partager l'hôtel qu'elle occupait avec +son oncle.</p> + +<p>De retour à Paris, il se fit un +grand changement dans les habitudes +de la marquise: on la voyait +sortir tous les matins à la même +heure, et passer le reste de la journée +dans la retraite. Le salon du +commandeur était le seul où l'on +pût la rencontrer quelquefois; car +pour les fêtes et le spectacle, elle +paraissait également décidée à les +fuir; et l'on trouvait cette conduite +<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span> +assez simple après l'éclat qui venait +d'avoir lieu dans sa famille. Mais ce +qui parfois échappe aux yeux des +indifférents, attire l'attention d'un +ami, et M. de Saint-Albert, loin d'expliquer +si facilement les motifs qui +inspiraient à Valentine le desir de +s'éloigner de toutes les personnes qui +possédaient autrefois sa confiance, +redoutait les suites de cet état de contrainte +perpétuelle. Il essayait quelquefois +de vaincre la résolution +qu'elle semblait avoir prise d'éviter +toute conversation relative à Anatole, +en se fesant apporter devant elle les +lettres qu'il recevait de lui; mais il +en lisait tout haut le timbre, la date, +et même les premières lignes, sans +que Valentine lui témoignât la moindre +<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span> +curiosité d'en savoir davantage; +et le commandeur ne retirait d'autre +résultat de ces petites épreuves, que +de voir se prolonger le silence rêveur +de Valentine.</p> + +<p>Un jour pourtant que M. de Saint-Albert +lisait, comme à l'ordinaire, +sa correspondance, tandis que sa +nièce et madame de Saverny s'occupaient +à broder, elles l'entendirent +prononcer quelques mots sans suite, +et d'une voix qui semblait altérée +par l'émotion la plus pénible.—Ciel! +s'écria madame de Réthel, +quelle triste nouvelle vous apprend-on?—Ce +n'est rien, reprit-il, en +cherchant à se remettre, mais vous +savez qu'il est impossible de ne point +partager les impressions que la duchesse +<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span> +de Linarès sait peindre avec +tant de vérité; sa manière touchante +de parler de ses peines, de ses inquiétudes, +les fait passer tout entières +dans le cœur de ses amis.—Lui +serait-il arrivé quelque malheur? +demanda vivement Valentine.—Non +pas à elle.—Cette réponse fit pâlir +la marquise, et parut lui ôter la +force de faire une autre question. +Madame de Réthel, s'apercevant de +ce qu'elle éprouvait, s'empressa d'interroger +son oncle sur la santé d'Anatole.—Mais, +lui répondit-il, d'après +ce que me mande sa mère, il se +porte aussi bien qu'on peut le faire +avec un coup d'épée dans le bras.—Un +coup d'épée s'écrièrent à-la-fois +Valentine et son amie.—Il faut bien, +<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span> +reprit le commandeur, d'un ton +calme, payer de quelque chose le +plaisir de punir les impertinences +d'un fat. Ce nom de fat, que M. de +Saint-Albert ne prononçait jamais +qu'en parlant de M. d'Émerange, +fit tressaillir Valentine, elle pensa +qu'elle seule était cause de l'événement +malheureux dont elle n'osait +demander les détails, elle s'en fit +tout haut le reproche, et ses yeux se +remplirent de larmes.—Cessez de +vous accuser, lui répondit le commandeur, +d'un fait dont vous êtes +complètement innocente. C'est pour +y soigner la santé de sa mère qu'Anatole +est resté a Bagnères un mois +de plus qu'il ne le devait. Vous savez +quel motif vient d'y conduire dernièrement +<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span> +M. d'Émerange; ce n'est +pas vous qui lui avez dicté les couplets +insultants qu'il s'est amusé à +composer sur les amours discrets +d'un muet de naissance, et dont, +malheureusement pour lui, une +copie est tombée entre les mains +d'Anatole. Ainsi donc ne vous reprochez +pas la blessure qui vient de +défigurer pour toujours un visage +moins joli qu'insolent; c'est un trait +de la justice divine, dont la gloire +était réservée à l'adresse d'Anatole. +M. d'Émerange a follement pensé +qu'on pouvait insulter impunément +un homme que son infirmité dispensait +du devoir de la vengeance. +Cette lâcheté a été justement punie; +et la providence devrait frapper de +<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span> +même tous ceux qui ne consacrent +qu'à nuire les dons heureux qu'ils ont +reçus du ciel.—Mais Anatole est aussi +blessé, dit Valentine, avec inquiétude.—Très-légèrement, +reprit le +commandeur, et sur ce point on +peut en croire la duchesse: je voudrais +bien être aussi rassuré sur +l'état de cette bonne mère. Jugez +de ce qu'elle a dû souffrir lorsqu'elle +a appris par l'effet du hasard le +moment où son fils allait se battre. +Je m'étonne qu'elle ait résisté à une +semblable épreuve, et j'en redoute +les suites pour sa santé.—Ah! mon +cher oncle, interrompit madame de +Réthel, si vous avez cette crainte, ne +souffrez pas que la duchesse de Linarès +se livre avec confiance aux +<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span> +médecins des eaux. Écrivez à son fils +de nous la ramener. C'est ici qu'elle +trouvera les plus savants docteurs +et ses meilleurs amis.—Vraiment +elle avait bien le projet de se rendre +à Paris; mais son fils refuse de l'y +suivre, ajouta le commandeur, en +regardant Valentine, avant d'avoir +obtenu un consentement à son retour +de la même personne qui ordonna +son départ..—Eh! qu'allez-vous +répondre? demanda la marquise.—Mais +ce qu'il vous plaira.—Je ne +saurais, reprit-elle, me prévaloir +d'un ordre que je n'ai donné qu'en +obéissant. C'est à vous à le rétracter.—Je +ne le puis.—Qui vous en empêche?—Le +devoir que je me suis +imposé de ne plus décider des actions +<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span> +de mes amis.—Vous n'avez +pas juré, j'espère, de ne plus leur +servir d'interprète.—Non: mais +c'est un oubli que je peux réparer.—Attendez +pour cela, dit Valentine, +en se levant, que vous ayez répondu +au duc de Linarès que rien ne s'oppose +à son prochain retour.»</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XLIII" id="CHAPITRE_XLIII"></a>CHAPITRE XLIII.</h3> + +<p class="p2">Peu de jours après cet entretien, +Valentine fut péniblement distraite +du souvenir qu'elle en conservait +par de mortelles inquiétudes. M. de +Nangis, ennemi déclaré de toutes les +innovations, s'était constamment opposé +au desir que lui avait souvent +témoigné sa femme, de faire inoculer +Isaure, et la pauvre enfant venait +d'être atteinte de tous les symptômes +d'une violente petite-vérole. +Dès les premiers moments de la maladie, +Valentine s'était comme attachée +au pied du lit de sa nièce, et +<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span> +avait recommandé qu'on ne laissât +pénétrer personne dans son appartement. +Déja six nuits s'étaient écoulées +sans qu'elle eût consenti à +prendre le moindre repos, lorsqu'on +vint l'avertir qu'une femme à laquelle +on avait répété plusieurs +fois que madame de Saverny n'était +pas visible, s'obstinait à rester sur +les marches de l'escalier, pour y +attendre le moment où le docteur +P... sortirait de chez elle. Valentine +s'informa du nom de cette +femme, et apprit avec étonnement +qu'elle refusait de le dire. C'est +probablement, ajouta le domestique, +quelque pauvre femme qui se +recommande à la charité de Madame; +elle est vêtue de manière à +<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span> +le faire croire, et le soin qu'elle +prend de cacher son visage sous un +grand voile noir, prouve qu'elle est +honteuse de demander l'aumône.—Si +c'est ainsi, reprit la marquise, +dites-lui de me laisser son adresse, +et qu'avant peu j'enverrai chez elle; +recommandez-lui surtout de s'éloigner +au plus vîte d'une maison dont +l'air est infecté par une affreuse +maladie. Le domestique sortit pour +remplir cette commission; mais il +rentra bientôt en disant à sa maitresse, +avec l'accent de la plus vive +pitié:—Ah! Madame, si vous ne +daignez pas venir à son secours, +cette pauvre femme va mourir; je +lui ai vainement répété qu'elle pouvait +compter sur la bienfesance de +<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span> +madame la marquise: Je ne veux +point de ses bienfaits, s'est-elle écriée +en sanglotant, je ne lui demande +qu'un seul mot; qu'elle me l'accorde, +ou je meurs à l'instant. En disant +cela elle s'est traînée jusqu'à la porte +du salon en me suppliant de ne la +point renvoyer; et vraiment je ne +l'aurais pu faire, car ses forces +l'ayant abandonnée, elle est tombée +sans connaissance; je viens demander +à Madame s'il ne faut pas lui +faire prendre quelques gouttes d'éther.—Conduisez-moi +vers elle, +dit aussitôt la marquise, après avoir +recommandé à mademoiselle Cécile +de ne pas quitter Isaure. En entrant +dans le sallon, Valentine fut +saisie d'un battement de cœur qui +<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span> +lui ôtait presque la respiration. Son +visage, déja altéré par l'inquiétude +et les veilles, prit tout-à-coup un air +d'effroi en apercevant cette infortunée, +si digne de pitié; elle veut +s'en approcher pour la secourir, +mais à peine a-t-elle fait un mouvement, +que des yeux égarés se fixent +sur les siens, et qu'une voix s'écrie: +«Malheureuse, elle est morte!» Ce +cri funèbre retentit au cœur de Valentine, +elle n'y répond que par ces +mots: «Ah! ma sœur!» Mais ils ne +sont pas entendus de cette misérable +mère, elle a cru lire l'arrêt de +son enfant dans le regard désespéré +de Valentine; un frisson mortel a +glacé ses veines, et c'est en vain +que sa sœur la rassure, la presse sur +<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span> +son sein; l'excès de la douleur à suspendu +sa vie. Valentine, qui la voit +expirante, tente un dernier moyen: +elle compte sur cet instinct maternel +qui survit à tout pour lui faire deviner +la présence de son enfant, et +sans calculer si ses forces répondent +à son courage, elle entraîne elle-même +cette mère mourante, et la +dépose aux pieds du lit de sa fille.</p> + +<p>Les inspirations du cœur sont rarement +trompeuses, et l'on croirait, +au succès qu'elles obtiennent dans +les moments extrêmes de la vie, que, +touchée de notre infortune, la divinité +daigne alors penser pour nous. +Ce que tous les secours n'avaient +pu faire, une seule plainte d'Isaure +l'opéra: le son de cette voix chérie +<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span> +ranima les esprits de madame de +Nangis, et l'existence parut lui revenir +avec la certitude que son enfant +respirait encore.</p> + +<p>En ce moment le docteur P... arriva, +et partagea ses soins entre +Isaure et sa mère. Il les prodigua +avec d'autant plus de zèle, qu'il s'accusait +d'être la cause de l'état ou +il voyait la comtesse. En effet, c'est +lui qui avait parlé la veille, chez +l'abbesse du couvent des Filles de +la Miséricorde, du danger où se trouvait +la nièce de madame de Saverny. +Il l'avait peint dans toute sa force, +pour engager ces dames à prendre +de grandes précautions pour leurs +pensionnaires, sans se rappeler que +madame de Nangis habitait leur +<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span> +maison. Le bruit de la maladie de +sa fille lui parvint bientôt, avec +tous les détails qui pouvaient augmenter +son effroi. Son imagination, +déja exaltée par le repentir +et la douleur, se peignit la mort +de son enfant comme un châtiment +dû à ses fautes. Et dès-lors, le désespoir +s'emparant de son ame, elle +ne pensa plus qu'à revoir une seule +fois l'objet de ses regrets, avant de +le suivre au tombeau. Quelques louis +donnés à la tourière, lui obtinrent +la facilité de sortir du couvent avant +qu'il fît jour. Elle erra long-temps +dans les rues de Paris, sans pouvoir +reconnaître celles qui la conduiraient +chez Valentine; enfin, s'étant +adressée à un pauvre savoyard que +<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span> +la misère rendait plus matinal qu'un +autre, il lui indiqua son chemin, en +marchant devant elle. C'est avec ce +guide qu'elle était arrivée à la porte +de l'hôtel du commandeur; et c'est +assise sur un banc de pierre, qu'elle +avait attendu le moment de la voir +ouvrir.</p> + +<p>Après avoir long-temps examiné +l'état d'Isaure, le docteur déclara +qu'il lui paraissait moins alarmant +que la veille, mais qu'il ne pouvait +répondre de rien avant la fin du +neuvième jour. En écoutant ces +mots, la plus vive terreur se manifesta +dans les yeux de la comtesse; +elle pensa que, par pitié pour elle, +le docteur n'osait prononcer la sentence +d'Isaure, et qu'il voulait la +<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span> +préparer au coup fatal par trois jours +d'anxiété; et pénétrée de cette horrible +pensée, toute son attitude semblait +dire: «Où vais-je passer ces +trois jours de supplice.» Valentine +comprit son silence, et dit en lui +serrant la main: «Rassurez-vous, +ma sœur, nos soins la sauveront.—Quoi, +s'écria la comtesse,en se précipitant +aux genoux de Valentine, +vous permettrez que je ne la quitte +pas! vous, à qui l'on a fait jurer de la +tenir éloignée pour toujours de sa +mère, vous que j'ai si cruellement offensée, +qui devez me haïr! Ah! tant +de générosité ajoute à mes remords; +et c'est vous venger deux fois que de +vouloir prolonger ma vie jusqu'au +dernier soupir de mon enfant.» A +<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span> +ces mots un torrent de larmes inonda +le sein de cette malheureuse +mère, et la soulagea un instant de +l'oppression qui l'accablait. Valentine +redoubla cet attendrissement +par les expressions de la plus touchante +amitié, et le docteur lui-même +ne put se défendre d'une émotion +très-vive en contemplant le +spectacle si doux du repentir qui +implore, et de la vertu qui pardonne.</p> + +<p>Avant de le laisser partir, la marquise +exigea de lui le secret sur la +scène dont il venait d'être témoin, +et le pria de se charger d'un mot +pour l'abbesse du couvent de la +Miséricorde, à qui elle devait rendre +compte de l'absence de la comtesse. +Tout fut disposé pour cacher +<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span> +l'arrivée de madame de Nangis chez +Valentine: les gens de la maison +reçurent l'ordre de n'en point parler, +même à ceux du commandeur; +et mademoiselle Cécile fut d'autant +plus discrète dans cette circonstance, +qu'elle avait à réparer sa réputation. +Valentine fit valoir le grand intérêt +qui devait les occuper uniquement, +pour empêcher sa sœur de revenir +trop souvent sur les regrets de sa conduite +passée, et il fut convenu entre +elles que désormais les soins relatifs +à Isaure seraient l'unique sujet de +leurs conversations.</p> + +<p>Enfin arriva ce neuvième jour +aussi redouté qu'attendu. Après un +redoublement de fièvre et de délire, +le calme survint tout-à-coup, et fut +<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span> +suivi d'un sommeil profond. A son +réveil, Isaure entr'ouvrit les yeux, +reconnut sa mère, la nomma; et ce +premier mot échappé de son cœur +devint le signal de la résurrection +de toutes deux. Dans ce passage subit +du désespoir à la joie, madame +de Nangis oublia tout ce qu'elle avait +promis à Valentine pour se livrer +sans réserve à l'excès de sa reconnaissance. +«Ah! mon amie, lui disait-elle, +disposez de l'existence qui nous +est rendue; c'est à vos vœux que le +ciel l'accorde, sa justice devait me +punir en m'arrachant le seul lien +qui m'attache à la terre; mais, en +adoptant ma fille, en protégeant sa +mère, vous avez obtenu sa vie et +mon pardon: tant de bienfaits n'étaient +<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span> +dus qu'aux célestes vertus +d'un ange.»</p> + +<p>A la vue d'un bonheur qui était +en partie son ouvrage, Valentine recueillit +le fruit de tous ses sacrifices, +et se félicita d'avoir acquis, +par sa générosité, le droit de ramener +à tous les charmes d'une vie +douce et pure l'amie que tant d'erreurs +semblaient condamner à d'éternels +chagrins. Mais, tout en se livrant +au desir d'adoucir le sort de +sa belle-sœur, Valentine voulait rester +fidèle à sa promesse envers son +frère; et voilà ce qu'elle imagina +pour concilier ces deux intérêts. En +fesant le serment de ne jamais se +séparer d'Isaure, elle ne s'était point +engagée à la priver des soins étrangers +<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span> +que pourrait exiger son éducation, +et rien ne l'empêchait de les +partager avec madame de Nangis, +pourvu que cette dernière consentît +à ne pas abuser de son autorité +maternelle. Cette condition une fois +remplie, Valentine proposa à sa +belle-sœur d'habiter un petit appartement +attenant au sien, où elle +pourrait accomplir facilement le +vœu de retraite absolue qu'elle avait +formé. Avant d'accepter cette proposition +qui comblait tous ses desirs, +la comtesse prévint Valentine qu'elle +ne consentirait à s'établir chez elle +qu'en qualité d'institutrice d'Isaure; +et que, pour ôter tout soupçon, elle +prendrait le nom de madame Sainte-Hélène, +et passerait dans la maison +<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span> +pour une de ces personnes qu'un +revers de fortune oblige à fuir le +monde pour se consacrer à l'éducation +des enfants. Le but de ce mystère +était de cacher à M. de Nangis +la demeure de sa femme, et Valentine +l'approuva. Dès que le docteur +lui eut déclaré qu'Isaure était en +pleine convalescence, elle reconduisit +elle-même la comtesse à son couvent, +et deux jours après annonça +chez elle la prochaine arrivée de +madame de Sainte-Hélène. Une +femme-de-chambre nouvelle fut +arrêtée pour le service particulier +de cette institutrice dont mademoiselle +Cécile avait seule le secret. +Quant à Isaure, il ne fut pas difficile +de lui faire croire que la moindre +<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span> +indiscrétion de sa part la priverait +pour toujours de la présence de sa +mère. L'effroi que lui inspirait cette +menace répondait de sa soumission, +et jamais on n'eut à lui reprocher +un mot qui pût trahir le mystère +qu'elle respecta sans chercher à en +comprendre la cause.</p> + +<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XLIV" id="CHAPITRE_XLIV"></a>CHAPITRE XLIV.</h3> + +<p class="p2">Isaure avait repris ses forces, sa +gaieté, et l'on ne craignait même +plus pour son joli visage; Valentine +venait d'en apprendre l'heureuse +nouvelle à son frère; madame de +<span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">273</a></span> +Nangis, ravie du bonheur de retrouver +son enfant, de recevoir les +consolations d'une amie, oubliait le +monde et ses travers, auprès des +objets de son affection. Enfin tout +semblait promettre à Valentine le +repos auquel elle aspirait depuis si +long-temps. Mais une seule idée +troublait encore son ame, et lui fesait +éprouver que la douceur d'une +vie calme ne peut rien contre les +agitations du cœur.</p> + +<p>Un matin, la marquise se disposant +à sortir, comme à son ordinaire, +Isaure vint lui demander, de +la part de sa mère, à qui était +une voiture attelée de six chevaux +de poste qui venait d'entrer dans la +cour. Devinant bien ce qui motivait +<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">274</a></span> +la curiosité de la comtesse, Valentine +fit appeler mademoiselle +Cécile, qui répondit: Cette voiture +est celle de la duchesse de Linarès.—Viendrait-elle +loger ici? demanda +vivement la marquise?—Je ne le +crois pas, madame, car les gens qui +se trouvaient dans sa voiture de +suite, ont reçu ordre d'aller tout +préparer pour la recevoir dans l'appartement +qu'elle occupe ordinairement +chez l'ambassadeur d'Espagne.—Dites +qu'on ôte mes chevaux, reprit +Valentine, après un moment de +silence; je ne sortirai pas. En donnant +cet ordre, elle congédia Isaure +et alla se renfermer dans son cabinet. +Elle y était depuis une heure, +lorsque M. de Saint-Albert se fit +<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">275</a></span> +annoncer. A son aspect il la vit rougir, +et il s'excusa de venir ainsi +la troubler: Je le vois, dit-il, +ma présence vous importune; c'est +l'effet que produit communément +celle d'un ami qui n'inspire plus +de confiance; mais tranquillisez-vous; +je ne viens pas questionner +votre cœur, ni vous parler des sentiments +que je lui suppose; j'avais +prévu ce que vous cherchez à dissimuler, +et je suis bien loin de le +blâmer. Tout ce que je vous demande, +c'est de m'aider à rappeler +la raison d'un insensé qui est au +moins digne de votre pitié; puis +s'apercevant que Valentine hésitait +à répondre, le commandeur ajouta: +Anatole sait que vous demeurez ici, +<span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">276</a></span> +et dans sa résolution de n'y point +venir, il me supplie de lui permettre +de vous écrire. Comme je +me rends à l'instant même chez +lui pour le lui défendre par toute +l'autorité de mon amitié, j'ai cru +devoir vous en prévenir, et vous +supplier de vous prêter au moyen +très-innocent dont je viens de convenir +avec sa mère, pour le ramener +à des sentiments plus raisonnables.—Et +quel est ce moyen, +demanda Valentine?—Mais en pareil +cas, celui qui ôte toute espérance, +me semble le meilleur. La passion +d'Anatole est arrivée à un point qui +touche au délire. Six mois d'absence +et de regrets n'ont fait que l'exalter, +et l'idée qu'elle ne peut plus troubler +<span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">277</a></span> +votre repos, l'encourage encore. +Il est temps d'y mettre un frein en +lui prouvant qu'il ne doit exister +entre vous qu'une simple amitié, +puisque le choix d'un nouvel époux +va bientôt assurer votre bonheur.—Mais +ce serait l'abuser....—Que +vous importe, interrompit le commandeur, +cela ne vous engage à +rien, pas même à le tromper; nous +vous demandons pour toute grace, +de ne pas nous contredire. C'est de +moi seul qu'il apprendra les projets +que je vous supposerai, et je sais +d'avance qu'il se soumettra à tout +ce que l'honneur ordonne en pareille +circonstance. Une fois convaincu +de votre prochain mariage, +il sentira la nécessité de renoncer +<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">278</a></span> +aux illusions romanesques qu'il +nourrit depuis trop long-temps, et +cessant de garder un secret désormais +inutile, il sacrifiera bientôt +les intérêts de son amour-propre +au plaisir de jouir sans contrainte +de votre affection. Combien alors +cette tendre mère vous bénira d'avoir +rendu son fils à la vie par l'amour, +et à la raison par l'amitié. Vous +deviendrez l'ange tutélaire de cette +intéressante famille, et votre vieil +ami vous devra la fin de toutes +ses peines.—Ah! si tant de bonheur +est en ma puissance, s'écria +Valentine avec l'accent de la plus +vive émotion, je consens à tout +pour vous l'assurer. Oui, dites à +votre ami que mon cœur n'est plus +<span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">279</a></span> +libre, et qu'avant peu j'aurai disposé +de ma main; mais en lui fesant +cette confidence, ménagez sa sensibilité, +persuadez-lui bien que j'ai +besoin de son bonheur pour être +heureuse, et qu'il doit vivre pour +être l'objet de mon éternelle reconnaissance.</p> + +<p>En disant ces derniers mots, le +visage de Valentine s'anima des plus +vives couleurs, et son regard brilla +du feu de l'enthousiasme; le commandeur +surpris de l'air inspiré +qu'il remarquait en elle, la considéra +quelque temps en silence, puis +se levant tout-à-coup, il la quitta +pour se rendre auprès d'Anatole.</p> + +<p>Deux heures après, la marquise +reçut le billet suivant:</p> + +<p class="center p2"><span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">280</a></span> +<span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p> + +<p>«Votre bonheur est décidé, madame, +et vous daignez encore vous +occuper du mien! Tant de bonté +ne m'étonne pas. J'y voudrais répondre +en vous obéissant; mais +vous m'ordonnez en vain d'être +heureux; le ciel, moins généreux +que vous, me défend d'y prétendre, +et la fin de mes tourments est l'unique +vœu qu'il me permette désormais +de former. Ah! puisse-t-il +bientôt l'accomplir, en me laissant +pour dernière pensée le souvenir +du seul moment où j'aie aimé la +vie!»</p> + +<p>A peine Valentine a-t-elle achevé +la lecture de ce billet, qu'elle fait +<span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">281</a></span> +demander si M. de Saint-Albert est de +retour. On lui répond qu'il vient de +rentrer; elle se rend aussitôt près +de lui, et, sans perdre de temps, +elle le prie de lui dire franchement +comment Anatole a reçu la nouvelle +qu'il vient de lui porter. Le +ton décidé qui accompagnait cette +prière en fesait presque un ordre, +et le commandeur pensa qu'il fallait +qu'un sentiment violent agitât Valentine +pour altérer ainsi la douceur +de sa voix. Il essaya d'abord +de lui répondre vaguement, en +lui laissant entendre qu'il valait +mieux pour elle-même qu'elle ignorât +l'effet d'un désespoir que le +temps seul pourrait calmer; mais la +marquise ayant insisté de manière à +<span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">282</a></span> +ne lui laisser aucun moyen d'éluder +une réponse positive: «Eh bien! +dit-il, puisque vous voulez savoir +les projets qu'il médite en son extravagance, +apprenez qu'il part cette +nuit même pour aller cacher, je ne +sais où, la douleur qui l'accable. J'ai +vainement employé mon ascendant +sur lui pour le déterminer à prendre +quelque parti plus sage. Je n'ai rien +obtenu de tout ce que j'ai demandé, +même au nom de sa mère. Il m'a fait +jurer de ne la quitter de ma vie, et de +faire tout ce qui dépendrait de moi +pour vous lier avec elle; car il ne +doute pas que le bonheur de vous voir +souvent ne la console de l'absence de +son fils. Il a paru attacher le plus vif +intérêt à ce que je pusse vous réunir +<span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">283</a></span> +ce soir même toutes deux chez moi. +J'ai promis de satisfaire à tout ce +qu'il exigeait de mon amitié, pourvu +qu'il renonçât au desir de vous revoir +encore une fois. Il ne voulait que +se trouver sur votre passage, au moment +où vous viendrez chez ma +nièce; mais j'ai résolu de vous +sauver une semblable entrevue, +qu'il n'est pas lui-même en état de +supporter.—Je vous en remercie, +interrompit Valentine (sans paraître +fort émue de ce qu'elle venait d'entendre), +et j'accepte avec empressement +l'offre que vous me faites de +me présenter aujourd'hui à votre +ancienne amie. Vous m'excuserez, si +j'arrive un peu tard. Je me suis engagée +à conduire ce soir Isaure à +<span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">284</a></span> +l'Opéra; c'est une récompense depuis +long-temps promise, je ne saurais +manquer à ma parole: madame de +Réthel vient de s'engager à nous y +accompagner, et si la duchesse ne +doit se rendre qu'à dix heures chez +vous, nous nous y trouverons avant +elle.—Puisque cet arrangement est +celui qui vous convient le mieux, +reprit le commandeur d'un air piqué, +je vais tout disposer pour satisfaire +au vœu de mon ami, sans nuire à +vos projets.» A ces mots, Valentine +quitta le commandeur, sans paraître +remarquer le mécontentement qu'il +témoignait.</p> + +<p>Voilà bien les femmes! s'écria-t-il, +lorsqu'elle fut partie: exaltées jusqu'à +la folie, quand l'amour les domine; +<span class="pagenum"><a name="Page_285" id="Page_285">285</a></span> +insensibles jusqu'à la dureté, quand +le prestige de leur imagination est +détruit.</p> + +<p>A l'heure du spectacle, la marquise +et son amie font de vaines +instances pour le déterminer à leur +donner la main; il s'y refuse en disant +que de tristes adieux à faire le +privent de l'avantage de partager +les plaisirs de ces dames. Après plusieurs +phrases de ce genre, fort bien +comprises de Valentine, il la voit +s'éloigner sans en obtenir d'autre +réponse que ces mots: <i>A ce soir</i>.</p> + +<p>Blessé de tant de marques de légèreté, +il veut en faire le récit à son +malheureux ami, et lui prouver qu'il +ne peut sans crime sacrifier le bonheur +de sa famille entière au regret +<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">286</a></span> +de n'être point aimé d'une femme +ingrate. Dans ce dessein, il se fait +conduire chez Anatole, et n'apprend +pas sans étonnement qu'il vient de +partir pour l'Opéra. Un valet de +chambre est appelé, il confirme cette +réponse, et dit qu'en effet son maître +s'est déterminé tout-à-coup à sortir +après avoir reçu un billet.—Et savez-vous +de quelle part il venait, +interrompt vivement le commandeur?—Non, +monsieur. Je sais seulement +qu'un domestique, portant +la livrée de madame la marquise de +Saverny, m'a chargé de le remettre +à mon maître.—Ces mots augmentent +encore la surprise de M. de +Saint-Albert. Il veut éclaircir le mystère, +et se rend sans délai à l'Opéra. +<span class="pagenum"><a name="Page_287" id="Page_287">287</a></span> +En entrant dans la salle, il aperçoit +Anatole dans le fond de la loge de +l'ambassadeur d'Espagne. Il le voit +debout, appuyé sur une colonne, et +les yeux fixés de manière à lui indiquer +l'endroit où se trouve madame +de Saverny. Le commandeur +tourne alors ses regards de ce côté, +et il est frappé de l'air rayonnant de +Valentine. L'émotion la plus vive +semble animer ses traits, et tout en +elle démontre autant de trouble que +de joie. En vain la plus célèbre danseuse +captive l'attention du public. +Valentine profite de ce moment +pour se livrer au plaisir de revoir +Anatole, mais l'expression d'un bonheur +dont il ne se croit pas la cause, +lui devient bientôt insupportable. +<span class="pagenum"><a name="Page_288" id="Page_288">288</a></span> +Son désespoir s'en irrite, il veut fuir +pour en cacher l'excès. Déja il n'a +plus qu'un pas à faire pour être à +jamais séparé de celle qu'il adore. +Cette funeste pensée l'arrête un +instant; il se retourne, et veut par +un dernier regard lui dire un éternel +adieu; mais un signe de Valentine +lui dit: <i>Restez</i>. Il n'ose en croire ses +yeux, ni reconnaître le seul langage +qu'il parle, qu'il entende, et que +Valentine vient d'apprendre pour +lui; un second signe ajoute, <i>je vous +aime</i>, et il tombe anéanti sous le +poids de sa félicité.</p> + +<p>Au même instant le commandeur +arrive, l'entraîne hors de la salle, et +lui prodigue tous ses soins; Valentine, +tourmentée d'une douce inquiétude, +<span class="pagenum"><a name="Page_289" id="Page_289">289</a></span> +n'attend pas la fin du spectacle +pour se rendre chez M. de Saint-Albert. +Un seul mot instruit madame +de Réthel de ce qui se passe dans +l'ame de son amie. Elle n'a plus de +secrets pour elle, et trouve du plaisir +à lui avouer que depuis trois +mois les leçons de l'abbé de l'Épée +l'ont rendue très-savante dans le +langage d'Anatole.—Quoi! s'écrie +madame de Réthel, c'est donc à cette +occupation que vous consacriez ces +longues matinées où vous étiez invisible +pour tout le monde.—Vraiment +oui, répondit Valentine; lorsque +j'ai senti que rien ne pouvait +m'empêcher de l'aimer, j'ai voulu +apprendre à le lui dire.»</p> + +<p><span class="pagenum"><a name="Page_290" id="Page_290">290</a></span> +Comme elle achevait ces mots, la +voiture s'arrête; on l'ouvre précipitamment, +et la marquise s'élance +dans les bras de M. de Saint-Albert, +qui s'écrie: O mon amie! est-il +bien vrai?» L'émotion de Valentine +ne lui permet pas de répondre; elle +se laisse conduire par le commandeur +sans voir où il l'entraîne. +Bientôt Anatole est à ses pieds. Une +femme, baignée de pleurs, la presse +sur son sein; à ses traits, aux transports +de sa reconnaissance, Valentine +devine qu'elle embrasse la mère +d'Anatole, et son cœur éprouve tout +ce que le ciel a voulu attacher de +divin au plaisir de faire des heureux.</p> + +<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_291" id="Page_291">291</a></span></p> + +<h3><a name="CHAPITRE_XLV" id="CHAPITRE_XLV"></a>CHAPITRE XLV <span class="smcap">et dernier.</span></h3> + +<p class="p2">Voilà, dira-t-on, un trait d'héroïsme +au-dessus du courage des femmes. +Ce n'est pas dans l'amour qu'inspire +un homme, dont les qualités brillantes +rachètent une disgrace qui ne +le rend à charge à personne, qu'on +doit admirer l'effort d'un si beau +dévouement; c'est dans la résolution +de braver le ridicule attaché à un +choix semblable, que se trouve tout +le sublime d'une action si généreuse! +Madame de Saverny n'eut pas à se +repentir d'en avoir offert l'exemple. +En la voyant devenir l'épouse d'Anatole, +<span class="pagenum"><a name="Page_292" id="Page_292">292</a></span> +d'abord on pensa dans le +monde qu'elle se sacrifiait à la reconnaissance; +mais bientôt la réalité +de son bonheur vint prouver aux +plus incrédules, que la certitude +d'être constamment adorée peut +suffire à la félicité d'une femme sensible; +et que, dans une union formée +par l'amour, on s'entend toujours +assez tant qu'on s'aime beaucoup.</p> + +<p>M. de Nangis quitta Londres pour +être témoin du mariage de sa sœur, +qui se fit à Merville. Avant de se +rendre à l'église, Valentine demanda +à son frère la permission +de lui présenter la gouvernante +d'Isaure, l'amie intéressante dont +les soins l'avaient aidée à rappeler +<span class="pagenum"><a name="Page_293" id="Page_293">293</a></span> +son enfant à la vie.—Conduisez-moi +vers elle, répond le comte, +impatient de remercier celle à qui +il croit devoir la plus douce consolation +qui lui reste.» Au même +instant, Valentine ouvre la porte +d'un cabinet où madame de Nangis +attendait en tremblant l'arrêt qui +devait finir ou éterniser son supplice. +Sans laisser aux deux époux +le temps de se livrer aux différents +sentiments qui les agitent, Valentine +les conduit dans les bras l'un +de l'autre, en disant: «Le pardon +de madame de Nangis est bien dû à +la mère d'Isaure!» Mais que dira le +monde, s'écria le comte, en essuyant +les larmes qui s'échappaient de ses +yeux?—Restez ici près de nous, +<span class="pagenum"><a name="Page_294" id="Page_294">294</a></span> +reprit Valentine; et vous ne le saurez +pas. Ce monde vaut-il donc la +peine de tant lui sacrifier? et la peur +d'une raillerie doit-elle empêcher +de pardonner des torts expiés par +la douleur et le repentir? Ah! tout +me le prouve: ce n'est pas dans les +plaisirs bruyants de ce monde frivole +qu'on peut trouver l'oubli de +ses chagrins. Imitez-moi, mon frère; +ayez le courage d'être heureux. +Qu'en arrivera-t-il? On plaisantera +de l'excès de votre bonté; on rira +de mon choix; et l'on enviera bientôt +notre bonheur.</p> + +<p class="p2 center"><small><b>FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.</b></small></p> + +<hr class="c5" /> + +<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3> + +<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_XXIV">CHAPITRE XXIV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXV">CHAPITRE XXV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXVI">CHAPITRE XXVI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXVII">CHAPITRE XXVII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXVIII">CHAPITRE XXVIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXIX">CHAPITRE XXIX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXX">CHAPITRE XXX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXI">CHAPITRE XXXI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXII">CHAPITRE XXXII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXIII">CHAPITRE XXXIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXIV">CHAPITRE XXXIV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXV">CHAPITRE XXXV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXVI">CHAPITRE XXXVI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XXXIX">CHAPITRE XXXIX</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XL">CHAPITRE XL</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XLI">CHAPITRE XLI</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XLII">CHAPITRE XLII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XLIII">CHAPITRE XLIII</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XLIV">CHAPITRE XLIV</a><br /> +<a href="#CHAPITRE_XLV">CHAPITRE XLV</a></p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), *** + +***** This file should be named 35129-h.htm or 35129-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/3/5/1/2/35129/ + +Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/35129-h/images/logo.jpg b/35129-h/images/logo.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2e4d154 --- /dev/null +++ b/35129-h/images/logo.jpg |
