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+ The Project Gutenberg's eBook of Anatole, Tome Second, by Sophie Gay</title>
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+<pre>
+
+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Anatole, Vol. 2 (of 2),
+
+Author: Sophie Gay
+
+Release Date: January 31, 2011 [EBook #35129]
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+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
+
+
+
+
+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
+
+
+
+
+</pre>
+
+
+<div class="box">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p>
+<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans
+le texte d'origine.</p></div>
+
+<p class="p2"><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h4>TOME SECOND.</h4>
+
+<p class="p4 center"><i><b>Tome II.</b></i></p>
+
+<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a>
+De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p>
+
+<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p>
+
+<div class="left25">
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires">
+<tr>
+ <td valign="middle" class="cbrace">{</td>
+ <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br />
+ <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br />
+ <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td>
+</tr>
+</table>
+</div>
+
+<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p>
+
+<h1>ANATOLE.</h1>
+
+<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p>
+
+<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p>
+
+<p class="center p2"><big><b>TOME SECOND</b>.</big></p>
+
+<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" />
+</div>
+
+<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p>
+
+<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br />
+<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br />
+<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="center p2"><b>1815.</b></p>
+
+<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">5</a></span></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXIV" id="CHAPITRE_XXIV"></a>CHAPITRE XXIV.</h3>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="p2">L'étourderie naturelle à l'âge
+d'Isaure lui empêcha de remarquer
+que sa tante revenait sans le voile
+de mousseline quelle lui avait vu le
+matin: mais mademoiselle Cécile,
+dont l'esprit d'ordre allait parfois
+jusqu'à la tyrannie, ne manqua pas
+de demander à sa maîtresse, d'un
+ton respectueusement impérieux,
+ce qu'elle avait fait de son voile.
+La marquise lui répondit, avec le
+trouble d'une enfant qui ment à sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">6</a></span>
+gouvernante, qu'elle n'en savait rien.&mdash;Ah!
+je devine, madame l'aura
+sûrement oublié dans sa voiture; et,
+sans perdre de temps, mademoiselle
+Cécile descend dans la cour, retourne
+tous les coussins de la berline, et,
+ne trouvant rien, finit par conclure
+que la marquise aura laissé son
+voile dans l'église de Saint-Denis: elle
+veut absolument qu'un domestique
+monte à cheval pour l'aller chercher,
+mais on refuse tout net de lui obéir,
+en répondant qu'on ne fera ce
+voyage que par les ordres de madame;
+et la marquise est obligée
+d'employer son autorité pour s'opposer
+au zèle de mademoiselle Cécile,
+en disant que ce voile ne vaut pas
+tant de recherches, et qu'il est inutile
+d'en faire de nouvelles.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span>
+On se doute bien que, le soir
+même de ce beau jour pour Anatole,
+Valentine reçut une lettre où le repentir,
+la reconnaissance, et l'amour,
+se peignaient à chaque ligne. L'espérance
+d'être aimé s'y laissait entrevoir
+à travers les regrets d'un
+amour sans espoir. Un reste de sentiment
+jaloux se mêlait aux serments
+de ne plus offenser par d'injustes
+reproches celle dont on n'avait pas
+le droit d'enchaîner la liberté. Pour le
+sacrifice de la vie entière, on n'exigeait
+d'autre retour qu'un peu d'amitié
+et quelque confiance: mais la
+moindre preuve d'indifférence frapperait
+d'un coup mortel le c&oelig;ur le plus
+dévoué. Enfin, cette lettre était un
+chef-d'&oelig;uvre de passion. C'est avouer
+<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span>
+qu'elle n'avait pas le sens commun.
+Aussi Valentine en fut elle enchantée;
+la joie qu'elle en ressentit donna
+à sa physionomie une expression si
+différente de celle qu'on y avait remarquée
+la veille, que madame de
+Nangis ne put s'empêcher de lui dire
+que l'aspect des tombeaux produisait
+sur elle d'étranges effets. »Je vous ai
+vue, ajouta-t-elle, revenir quelquefois
+de l'opéra, l'air triste et abattu,
+mais vivent les cimetières pour vous
+rendre à la gaité!» Valentine était de
+trop bonne humeur pour s'offenser
+de cette mauvaise plaisanterie; le chevalier
+d'Émerange y joignit les siennes
+en tâchant de les rendre piquantes,
+mais la marquise s'amusait à déconcerter
+leur malice par de vives reparties
+<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span>
+que la fatuité du chevalier
+lui fesait regarder comme autant d'agaceries
+de la part de Valentine.
+Cette petite lutte plaisait assez à la
+comtesse; elle remarquait dans les
+réponses du chevalier une certaine
+amertume qui devait piquer sa belle-s&oelig;ur;
+et tout ce qui semblait nuire
+à leur intimité rassurait la comtesse.
+Jamais sécurité ne fut plus mal
+fondée, car pendant que le chevalier
+plaisantait Valentine sur la
+prétendue mélancolie qui lui fesait
+rechercher l'aspect des plus tristes
+lieux pour en rapporter les sentiments
+les plus gais, il admirait cette
+variété d'impressions qui la rendaient
+tour-à-tour si mélancolique
+si piquante, et se peignait d'avance
+<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span>
+tout le plaisir réservé à celui qui
+pourrait d'un seul mot faire naître
+la tristesse ou la joie sur ce beau
+visage.</p>
+
+<p>Malgré sa finesse et sa grande habitude
+d'observer, M. d'Émerange
+se flattait d'être pour beaucoup dans
+les agitations du c&oelig;ur de Valentine:
+on s'étonnera peut-être de voir un
+homme d'esprit se tromper aussi
+lourdement sur les vrais sentiments
+d'une femme; mais quand on réfléchira
+que le chevalier, sans cesse
+témoin des hommages qu'on offrait
+à la marquise, avait pu se convaincre
+que nul n'était payé de la moindre
+préférence; que de plus, il s'était
+assuré, par M. de Nangis, de la parfaite
+indifférence de sa s&oelig;ur pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span>
+ses voisins de Saverny; et qu'enfin
+tout décelait dans les actions de Valentine
+le trouble intérieur qui naît
+d'un sentiment combattu, on trouvera
+bien simple que M. d'Émerange
+s'en attribuât l'honneur; mais si toutes
+ses raisons ne justifiaient pas assez
+l'excès de sa présomption, l'expérience
+l'expliquerait suffisamment.
+Car personne n'ignore que si parfois
+l'amour rend fous les gens d'esprit,
+l'amour-propre les rend souvent
+imbécilles.</p>
+
+<p>Par une suite de son aveuglement,
+le chevalier crut devoir faire part à
+M. de Nangis des espérances qu'il
+concevait, et l'engager à prévenir,
+par quelques mots, la marquise sur
+leur projet. On devait profiter pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span>
+cela de la courte absence du chevalier,
+qui partait incessamment
+pour aller recevoir le dernier soupir
+de cet oncle dont l'avarice n'avait
+tant amassé que pour satisfaire la
+prodigalité d'un neveu.</p>
+
+<p>Ce fait convenu, le chevalier partit
+l'ame enivrée du plus doux espoir,
+et n'éprouvant d'autre embarras que
+celui de cacher sa joie aux amis du
+mourant. Le lendemain de son départ,
+Valentine était à l'opéra, parée
+d'un bouquet de jasmin qu'Anatole
+dut reconnaître, et bien plus occupée
+de sa présence que de l'absence du
+chevalier, lorsque M. de Nangis vint
+lui dire tout bas, et d'un air fin, que
+sa préoccupation serait remarquée
+de tout le monde, excepté de celui
+<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span>
+qui en était l'objet; c'est dommage,
+ajouta-t-il; car on doit être bien
+fier de vous rendre aussi rêveuse.
+Comme on suppose facilement ce
+que l'on craint, Valentine s'imagina
+que son frère voulait parler d'Anatole,
+et cette idée la troubla. Le comte
+ne s'étonna point de la voir aussi
+émue; et, sans s'expliquer davantage,
+il lui dit qu'ayant à lui parler d'affaires
+importantes, il l'engageait à
+venir déjeûner dans son cabinet le
+lendemain: elle promit de se rendre
+à l'invitation; mais cet entretien demandé
+avec tant de solennité tourmenta
+cruellement l'esprit de Valentine.
+Elle se perdit en conjectures
+pour en deviner le motif, et s'efforça
+vainement d'espérer quelque heureuse
+<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span>
+nouvelle. Un secret pressentiment
+lui fesait redouter les avis de
+son frère; et, comme le pigeon de
+La Fontaine, Valentine croyait beaucoup
+aux pressentiments.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXV" id="CHAPITRE_XXV"></a>CHAPITRE XXV.</h3>
+
+<p class="p2">Après une réception plus cérémonieuse
+que fraternelle, M. de Nangis
+entama la grande question par un
+long préambule, et finit par féliciter
+sa s&oelig;ur sur le beau sort qui l'attendait.
+Ce début fit battre le c&oelig;ur
+de Valentine; elle ne douta plus
+que son frère, instruit de l'amour
+d'Anatole, ne conçût le projet de
+<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span>
+surmonter tous les obstacles pour
+assurer son bonheur. Mais cette
+douce idée s'évanouit bientôt, lorsqu'elle
+entendit M. de Nangis faire
+un grand éloge de M. d'Émerange,
+et y ajouter ces mots: «Tant d'agréments
+réunis méritaient votre préférence;
+aussi me suis-je bien gardé
+de la contrarier; vous avez vu mes
+soins à multiplier les assiduités du
+chevalier chez moi; mais vous devez
+penser que si je lui ai offert aussi
+souvent les occasions de vous faire
+sa cour, j'étais rassuré d'avance sur
+la crainte de vous compromettre.
+La manière noble et franche dont
+le chevalier m'avait déclaré ses intentions
+ne pouvait me laisser aucun
+doute sur ses sentiments pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span>
+vous, et c'est en vous approuvant
+que je vous les voyais partager.»&mdash;Moi,
+mon frère, interrompit Valentine,
+avec un embarras mêlé de
+dépit, je vous jure que loin de les
+partager, je les ignorais.&mdash;Ah! Valentine,
+soyez de bonne foi, et vous
+conviendrez de ce que tout le monde
+sait déjà. Une femme s'aperçoit si vîte
+de l'amour qu'elle inspire! D'ailleurs
+il faut avouer que M. d'Émerange
+dissimulait fort mal celui qu'il a
+pour vous; car il y a déja très-longtemps
+que, plaisantant madame de
+Nangis sur l'attrait qui fixait auprès
+d'elle tant de gens aimables, et particulièrement
+un homme dont les
+plus jolies femmes se disputaient
+l'hommage, elle me fit remarquer
+<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span>
+que vous seule aviez l'honneur de
+ce triomphe.&mdash;A ces mots le front
+de Valentine se couvrit de rougeur,
+elle frémit de laisser soupçonner à
+son frère l'idée qui excitait sa honte
+pour une personne chère à tous
+deux; et la bonté de son c&oelig;ur la
+décida à convenir que le chevalier
+lui avait en effet témoigné quelquefois
+le desir de lui plaire; mais que
+le caractère frivole dont il fesait
+gloire, l'avait empêchée d'attacher
+la moindre importance à ses discours.&mdash;Il
+n'en est pas moins vrai
+qu'ils vous étaient agréables, reprit
+le comte; ils vous le paraîtront encore
+plus maintenant que vous savez
+que cette apparence de galanterie
+cache un sentiment profond. Mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span>
+je suis de votre avis sur ces airs
+légers, qui sont tant à la mode; vous
+en voyez l'inconvénient, on ne sait
+à quoi s'en tenir sur tout ce qui se
+dit; la gravité est moins amusante,
+j'en conviens: mais quand il s'agit
+d'une affaire d'où dépend le destin
+de sa vie, on pourrait bien se résigner
+à en parler sérieusement. Au
+reste, pour mon compte, je n'ai pas
+ce reproche à faire à M. d'Émerange;
+et c'est avec toute la solennité d'une
+semblable démarche qu'il est venu
+me prier de vous offrir sa main.&mdash;Je
+suis fort honorée de son choix,
+répondit Valentine en baissant les
+yeux, mais je ne saurais me décider
+aussi promptement... à former un
+nouveau lien.&mdash;Voilà tout justement
+<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span>
+une réponse de comédie; vous oubliez,
+ma chère Valentine, que ce
+n'est ni un tuteur, ni un oncle qui
+vous interroge, et qu'étant parfaitement
+libre d'agir selon votre volonté,
+vous n'avez besoin d'aucun prétexte
+pour la satisfaire. Il est vrai que le
+respect des usages, et ce que l'on
+se doit à soi-même, imposent quelquefois
+plus de sacrifices que n'en
+saurait exiger l'autorité des parents
+les plus sévères; mais vous connaissez
+aussi bien que moi l'empire
+de ces devoirs, et vous n'avez pas
+plus à redouter mes avis que ceux
+de votre raison; ainsi donc pourquoi
+me feriez-vous mystère de vos
+projets et de vos sentiments?&mdash;Puisque
+vous m'autorisez à vous parler
+<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span>
+franchement, reprit Valentine avec
+plus d'assurance, je vous avouerai
+que, tout en rendant justice aux
+avantages séduisants de M. d'Émerange,
+je le crois incapable de s'occuper
+du bonheur de sa femme.
+Quand on a, comme lui, contracté
+l'habitude des succès brillants, on
+ne se réduit pas sans regret à des
+plaisirs plus calmes; et je ne me sens
+point le courage de consacrer ma
+vie à un homme fort aimable, sans
+doute, mais qui me semble impossible
+à fixer.&mdash;Vous avez cru probablement
+triompher de ce raisonnement,
+quand vous avez consenti à
+recevoir les soins du chevalier?&mdash;Je
+ne les ai jamais encouragés.&mdash;Du
+moins les avez-vous accueillis sans
+<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span>
+dédain, car autrement il aurait bientôt
+cessé de vous les consacrer. Son
+caractère est trop connu pour qu'on
+lui soupçonne jamais la duperie de
+persister dans un amour sans espoir?
+Aussi est-on déja convaincu dans le
+monde de votre préférence pour lui,
+et de l'heureux événement qui doit
+en résulter.&mdash;C'est ce qui m'afflige,
+repartit Valentine, le c&oelig;ur oppressé
+par le ton de sévérité que venait
+de prendre son frère; cependant,
+ajouta-t-elle, je ne me crois pas
+obligée d'accomplir les prédictions
+qu'il plaît à quelques personnes de
+faire.&mdash;Songez bien que ces sortes
+de prédictions sont presque toujours
+dictées par le sentiment des convenances.
+Mais j'ai tort de vouloir soutenir
+<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span>
+une cause que votre c&oelig;ur plaidera
+bien mieux que moi. J'ai rempli
+mon devoir en vous instruisant de la
+proposition de M. d'Émerange: il doit
+être de retour ici dans huit jours;
+réfléchissez d'ici à ce moment sur la
+réponse que vous devez lui faire, et
+pensez sur-tout qu'on ne refuse pas
+impunément d'aussi grands avantages.»
+En finissant ces mots, le
+comte sortit pour donner quelques
+ordres. Valentine, empressée de terminer
+un entretien que la contrainte
+rendait insupportable, rentra dans
+son appartement, et s'y renferma
+pour méditer sur la réponse qu'on
+lui demandait. Son incertitude ne
+portait pas sur l'idée d'accepter ou
+non la proposition du chevalier. Elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span>
+était bien décidée au refus. Mais la
+manière de motiver ce refus lui présentait
+de grandes difficultés. L'aveu
+de ses rapports avec Anatole n'aurait
+pas trouvé grace auprès de M. de
+Nangis, dont la froide raison ne
+comprenait rien aux faiblesses du
+c&oelig;ur. D'ailleurs comment se flatter
+de voir approuver par qui que ce
+soit le sacrifice d'un sort brillant,
+pour les plaisirs d'un amour romanesque!
+Cette réflexion devait empêcher
+Valentine de confier jamais
+le principal motif de sa résistance
+aux v&oelig;ux du chevalier. Il ne lui restait
+donc plus qu'à répéter les lieux
+communs dont on se sert ordinairement
+pour rejeter de semblables
+propositions, sans humilier l'amour-propre
+<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span>
+de celui qu'on refuse, et
+sans trahir le secret de celui qu'on
+préfère.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVI" id="CHAPITRE_XXVI"></a>CHAPITRE XXVI.</h3>
+
+<p class="p2">Deux jours après l'entretien qui
+avait jeté tant de trouble dans l'esprit
+de Valentine, elle reçut un billet
+du commandeur, qui lui demandait
+s'il pourrait avoir l'honneur de la
+voir dans la matinée; ce message lui
+inspira des soupçons: elle répondit
+au commandeur qu'elle l'attendait;
+et lorsqu'elle le vit arriver, elle lui
+témoigna franchement l'impatience
+<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span>
+qu'elle avait d'apprendre ce qui
+lui procurait le plaisir de le voir
+d'aussi bonne heure.&mdash;Ah! vous devinez,
+dit-il, que je ne viens pas
+ici tout simplement pour vous faire
+ma cour. Vous me trouvez peut-être
+l'air important d'un ambassadeur
+chargé d'une mission délicate; je suis
+bien aise d'avoir le maintien convenable
+dans une circonstance aussi
+solemnelle.&mdash;Ah mon Dieu! qu'allez-vous
+m'annoncer, interrompit Valentine
+en riant de la plaisante gravité
+qu'affectait le commandeur.&mdash;Il
+ne s'agit point de rire, reprit-il,
+mais d'écouter posément tout ce que
+l'ambition, la raison et l'intérêt, vont
+vous dire par ma bouche. Une personne
+qui me fait l'honneur de
+<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span>
+me supposer beaucoup de crédit
+sur votre esprit, compte sur mes
+conseils pour vous déterminer à assurer
+d'un seul mot le bonheur de
+toute votre famille. J'ai promis de répondre
+à cette honorable preuve de
+confiance par tout le zèle qui pourrait
+m'en rendre digne. En véritable
+diplomate, je me suis bien gardé de
+nier l'influence que l'on me croyait
+sur la grande puissance que l'on
+voulait soumettre; car j'ai remarqué
+que les professeurs en ce genre aimaient
+mieux compromettre leur
+crédit que d'en laisser douter; et
+vous voudrez bien, j'espère, ne pas
+démentir une réputation dont je suis
+aussi fier.&mdash;Quoi, vous seriez député
+par mon frère pour me parler
+<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span>
+mariage?&mdash;Précisément.&mdash;Et c'est
+sur les avis de votre sagesse que l'on
+fonde l'espérance de me faire faire
+une folie?&mdash;Pourquoi pas? Ce ne
+serait pas la première fois que ma
+sagesse aurait aussi bien réussi.&mdash;Eh
+bien! je veux la mettre à l'épreuve
+dans cette circonstance, et m'en
+rapporter à tout ce qu'elle décidera.
+Je verrai quels seront ses arguments
+pour me prouver que je dois épouser
+l'homme du monde qui me convient
+le moins?&mdash;Qu'il vous convînt, ou
+non, si vous l'aimiez, comme je l'ai
+cru un moment, vous trouveriez mes
+arguments admirables. Mais il n'est
+point question ici de vos sentiments.
+Un homme bien né, beau, riche, et
+spirituel, vous offre sa main. Tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span>
+d'avantages réunis ne vous laissent
+qu'un seul motif de refus. Je sais que
+vous pourrez parler de la crainte
+d'un nouveau lien, du desir de rester
+libre, et de l'inconstance reconnue
+du chevalier; mais tous ces prétextes
+ne voudront jamais dire au fond que
+ces mots: <i>Je ne vous aime pas</i>. Et
+je me trompe fort, où M. d'Émerange
+ne vous pardonnera pas cette
+injure.&mdash;Cependant, je ne compte
+pas l'épouser par terreur de son ressentiment.&mdash;Ce
+serait d'autant plus
+mal calculé, que cela ne vous mettrait
+point à l'abri de celui que vous
+devez le plus redouter. Dans la position
+où vous vous trouvez, vous
+n'avez qu'à choisir entre deux vengeances;
+si vous redoutez celle du
+<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span>
+chevalier, la comtesse vous en punira.
+Ne vous offensez pas de cette
+réflexion, ce n'est pas le moment
+d'employer des subterfuges pour
+vous démontrer la vérité; je n'ai
+pas envie d'insulter, par la plus
+sotte médisance, une femme que
+vous devez aimer en dépit de ses
+torts; mais l'amitié dont vous m'honorez,
+me fait un devoir de vous
+garantir, s'il se peut, du mal que
+sa vanité cherchera à vous faire.&mdash;J'avoue
+qu'elle est faible, inconsidérée,
+mais, j'en suis sûre, elle n'est
+pas méchante, dit Valentine, les
+larmes aux yeux.&mdash;Non; mais elle
+le deviendrait bientôt, si elle se doutait
+une minute de la préférence
+qu'on vous accorde.&mdash;Hélas! pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span>
+lui laisser ignorer cette malheureuse
+préférence, je m'exilerais, je crois,
+au bout du monde!&mdash;Beau moyen!
+M. d'Émerange vous y suivrait, la
+comtesse en tomberait malade, et
+rien ne manquerait au scandale.&mdash;Que
+faut-il donc faire pour éviter
+tant de malheurs?&mdash;Il faut se résoudre
+à tromper l'amour-propre
+du chevalier, ou bien consentir à
+le satisfaire.&mdash;Vous me supposez
+trop de finesse, ou trop de résignation.&mdash;Si
+vous vous décidez au
+premier parti, je vous réponds du
+succès; et, à vous parler sans détour,
+je ne vois pas ce qui vous empêcherait
+de prendre le second. Les défauts
+du chevalier auraient de grands inconvénients
+pour une femme ordinaire,
+<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span>
+mais celle dont l'esprit et la
+beauté flatteront son orgueil, n'aura
+jamais à en souffrir.&mdash;Il est égoïste.&mdash;Tant
+mieux; les égoïstes sont des
+maris parfaits; ils ont pour leurs
+femmes et leurs enfants cette tendre
+affection qu'ils portent sur tout ce
+qui fait partie d'eux-mêmes. Je vous
+proteste que ce défaut, si détestable
+dans la société, est une vertu de
+ménage.&mdash;Je ne saurais l'apprécier.&mdash;D'ailleurs,
+continua M. de Saint-Albert,
+je vous crois capable d'opérer
+de grandes conversions; et puis
+il y a si peu de différence entre les
+défauts des gens du monde, que ce
+n'est guère la peine de les discuter.
+Le mieux est de ne les pas voir ou
+de les aimer, et c'est ce que l'amour
+<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span>
+apprend à merveille.&mdash;Sans doute,
+mais il faut de l'amour.&mdash;A votre
+âge, on en a toujours.&mdash;Je ne m'en
+sens pourtant pas pour M. d'Émerange&mdash;C'est
+que vous en éprouvez
+pour un autre..... Voilà le grand
+secret que l'émotion qui vous colore
+en ce moment m'apprendrait assez,
+si je ne l'avais deviné depuis long-temps.
+Mais l'objet de cet amour,
+que le bonheur ne doit point couronner,
+tout en vous aimant avec
+idolâtrie, serait désespéré de vous
+voir sacrifier un sort brillant aux
+intérêts de sa folle passion; ne regardez
+pas ce noble sentiment comme
+une supposition de ma part, je viens
+d'en acquérir la preuve. Avant de
+me rendre auprès de vous, j'ai voulu
+<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span>
+consulter mon ami sur la démarche
+que votre frère exigeait de moi, et
+je dois rendre justice à celui qui
+vous inspire un si vif intérêt; il s'en
+est montré digne, en me conjurant
+de sacrifier sa vie au bonheur de la
+vôtre.&mdash;Indigne générosité! s'écria
+Valentine, hors d'elle-même; et
+c'est lui qui m'engage à épouser un
+homme qu'il méprise!&mdash;Ne vous
+abusez point, c'est de la haine qu'il
+a pour lui, et non pas du mépris.
+Son injustice envers le chevalier
+prouve assez les moyens qu'il lui
+croit de vous plaire; mais qu'importe
+l'opinion d'un rival? C'est de la probité
+qu'il faut, même en amour. Il
+n'est permis de disposer de la destinée
+d'une femme, qu'autant qu'on
+<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span>
+espère la rendre heureuse; lorsqu'on
+n'a pas cette espérance, on ne peut
+s'opposer à ce qu'un autre se charge
+du soin de son bonheur.&mdash;Je le
+sens, le mien est à jamais perdu;
+mais au moins n'aurai-je pas à me
+reprocher de l'avoir sacrifié à de
+vaines considérations. Ma résolution
+est irrévocablement prise, et je ne
+réclame plus vos conseils que sur la
+manière de la faire connaître; en
+refusant les offres de M. d'Émerange,
+je conviens que j'ai de grands ménagements
+à garder. Indiquez-moi les
+plus convenables, et je vous réponds
+de ma docilité. Mais n'en exigez pas
+davantage de la raison d'une femme,
+qui aime mieux vivre malheureuse à
+son gré, que de se voir comblée des
+<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span>
+bienfaits qui excitent l'envie de tout
+le monde.</p>
+
+<p>Après avoir écouté attentivement
+ces derniers mots de Valentine, le
+commandeur lui prit la main, la
+porta à ses lèvres avec toutes les
+marques d'un attendrissement qu'il
+ne pouvait dissimuler; et il sortit en
+répétant son exclamation favorite:
+Quel dommage!</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVII" id="CHAPITRE_XXVII"></a>CHAPITRE XXVII.</h3>
+
+<p class="p2">On venait d'apprendre le retour de
+M. d'Émerange, et, comme le dit un
+de nos auteurs les plus spirituels, il
+rapportait de son voyage <i>le crêpe et</i>
+<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span>
+<i>la joie</i> d'un riche héritier. Il ne se
+passait guère d'heures sans que Valentine
+pensât à ce retour, et cependant
+elle en fut surprise comme
+d'une nouvelle inattendue. Tous les
+projets de réponses qu'elle avait si sagement
+combinées avec M. de Saint-Albert,
+se confondirent dans son
+esprit. Elle sentit qu'il lui serait
+bien difficile de soutenir l'entrevue
+dans laquelle le commandeur exigeait
+qu'elle déclarât au chevalier
+qu'une raison, dont elle ne pouvait
+convenir, l'obligeait à refuser ses
+flatteuses propositions. Elle devait
+accompagner cette phrase insidieuse
+de tous les compliments qui peuvent
+rassurer l'amour-propre. Par
+ce moyen, le commandeur espérait
+<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span>
+voir retomber sur madame de
+Nangis le ressentiment de M. d'Émerange,
+car celui-ci ne manquerait
+pas d'accuser la comtesse d'inspirer
+à sa s&oelig;ur l'excès de délicatesse qui
+lui fesait rejeter l'offre de sa main.
+Alors Valentine, loin d'être soupçonnée
+de dédaigner l'amour du chevalier,
+paraîtrait à ses yeux comme
+la victime d'une amitié héroïque.
+En calculant ainsi, M. de Saint-Albert
+s'était trop méfié de la candeur
+de Valentine, pour lui confier tout
+ce qu'il attendait de cette ruse. Il
+lui avait persuadé qu'en répondant
+de cette manière elle disait la vérité
+sans trahir son secret, et laissait au
+chevalier encore assez d'espoir pour
+lui ôter l'envie de se venger d'un
+refus humiliant.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span>
+Ce point convenu, le commandeur
+instruisit M. de Nangis du projet
+que la marquise avait de répondre
+elle-même à M. d'Émerange. Le
+comte s'en réjouit en pensant que si
+sa s&oelig;ur avait le dessein de rejetter
+les v&oelig;ux du chevalier, elle se serait
+probablement épargné le désagrément
+de lui apprendre elle-même
+cette mauvaise nouvelle. Ravi de
+cette espérance, le comte s'empressa
+de la faire partager à celui
+qui devait en recueillir le fruit.
+M. d'Émerange reçut la confidence
+en homme que le succès n'étonne
+jamais; il promit au comte de se
+rendre à l'invitation qu'il lui fesait
+de dîner le jour même chez lui, et
+ne douta pas que Valentine ne lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span>
+offrît, dans cette journée, quelques
+moyens d'attendre patiemment sa
+réponse.</p>
+
+<p>Il était déja trois heures, on n'attendait
+plus qu'une seule personne
+pour se mettre à table, lorsqu'on
+annonça M. le comte d'Émerange
+(c'était son nouveau titre). Ce nom
+provoqua des émotions bien différentes:
+madame de Nangis tressaillit
+de plaisir, et Valentine rougit d'embarras.
+Mais, à moins d'être dans
+le secret des femmes, on risque souvent
+de se tromper sur les impressions
+qu'elles reçoivent; et de moins
+présomptueux que M. d'Émerange
+auraient pu interpréter comme lui
+le trouble de Valentine; cependant
+il n'eut pas l'air de le remarquer;
+<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span>
+mais, quand il lui adressait la parole,
+il prenait un ton de reconnaissance
+qui semblait la remercier
+d'avance de tout ce qu'il attendait
+de son amour. Ses mots ingénieux,
+ses regards pénétrants étaient pour
+Valentine, mais tous ses soins étaient
+pour la comtesse: il paraissait vouloir
+se faire un mérite auprès de la
+première des égards qu'il conservait
+pour l'autre. Du reste, sérieux sans
+affectation, il répondait avec politesse
+à tous ceux qui se composaient
+le visage pour venir lui adresser des
+compliments de condoléance et des
+félicitations, sur la perte et l'héritage
+qu'il venait de faire. Madame de
+Nangis, que ce genre de conversation
+ennuyait à périr, fit entendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span>
+aux personnes qui s'obstinaient à
+savoir les détails de la mort du défunt,
+que la sensibilité de M. d'Émerange
+en serait trop affectée, et les
+pria de parler d'autre chose. On lui
+obéit sans peine; car au fond les plus
+curieux ne se souciaient pas beaucoup
+d'en apprendre davantage sur
+un événement qui leur était indifférent.
+Aussi fut-il bientôt oublié; en
+moins d'un quart d'heure la gaîté
+redevint générale; et la sensibilité de
+M. d'Émerange ne s'en offensa point.
+Son naturel piquant et le penchant
+qui l'entraînait vers la plaisanterie, se
+laissaient même entrevoir à travers
+le maintien grave que lui imposait
+la couleur sombre de son vêtement;
+et comme on ne respecte guère dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span>
+le monde que le deuil qu'on porte
+sur la physionomie, une jeune femme
+qui ne se souvenait plus de celui du
+comte d'Émerange, vint l'engager à
+chanter. Aussitôt chacun joignit ses
+instances à celles de l'aimable étourdie;
+et ce n'est qu'à l'air indigné
+qu'il prit pour refuser la proposition,
+qu'on s'en rappella toute l'inconvenance.</p>
+
+<p>Cependant la soirée s'avançait, et
+M. d'Émerange n'avait pu trouver
+l'occasion de dire un mot en particulier
+à Valentine: il est vrai que
+placée auprès de sa belle-s&oelig;ur, il
+était impossible de parler à l'une
+des deux sans être entendu de l'autre.
+Pour se dédommager de cette
+privation et faire comprendre à Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span>
+qu'il comptait sur ce qu'elle
+avait chargé le commandeur de lui
+faire savoir, M. d'Émerange ne quitta
+plus celui-ci, et lui fit de grandes
+démonstrations de reconnaissance,
+pour que la marquise devinât qu'il
+le remerciait de l'intérêt qu'il avait
+pris à lui dans cette circonstance.
+Valentine le comprit assez; et lorsque
+le commandeur s'approchant
+d'elle, lui dit tout bas: Allons, du
+courage, demain l'on ira chercher
+votre réponse; souvenez-vous de ce
+dont nous sommes convenus; elle
+répondit en tremblant: Jamais je
+n'aurai la présence d'esprit qu'exige
+un semblable entretien; par pitié,
+faites en sorte de me l'épargner.&mdash;Cela
+est impossible.&mdash;Du moins,
+<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span>
+n'aura-t-il pas lieu demain, car j'ai
+à sortir toute la journée.&mdash;Voilà
+bien le propos d'un enfant qui croit
+tout gagner en différant l'instant
+de boire sa médecine,&mdash;Pourquoi
+tant se presser d'annoncer une chose
+désagréable?&mdash;Pour n'avoir plus à
+la dire; d'ailleurs je vous ai suffisamment
+démontré la nécessité de cette
+démarche; mais je le vois bien, ce
+n'est pas moi qui vous y déciderai,
+un autre en pourra seul obtenir
+l'honneur. Ici on vint les interrompre;
+et Valentine se retira plus indécise
+que jamais sur ce qu'elle allait
+faire.</p>
+
+<p>Le billet qu'on lui remit le lendemain
+à son réveil, lui rappela les
+derniers mots du commandeur. Elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span>
+le décacheta en disant: Voilà qui
+va fixer toutes mes incertitudes; et
+son c&oelig;ur se livra d'avance au plaisir
+si doux d'obéir à ce qu'on aime; il
+faut avoir souffert les tourments attachés
+à la détermination d'une décision
+importante pour connaître
+tout le prix d'un ordre absolu. De
+combien de responsabilités il délivre.
+On profite du bien qu'il produit
+sans avoir à se reprocher le mal qui
+en résulte; et, quand cet ordre n'est
+qu'un desir, que de charmes dans
+l'obéissance!</p>
+
+<p class="p2 left5"><span class="smcap"><b>ANATOLE a VALENTINE.</b></span></p>
+
+<p>«Il y va du repos de votre existence,
+me dit-on: ah! Valentine,
+au nom du ciel, au nom de celui
+<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span>
+qui ne respire que pour vous adorer,
+suivez le conseil qu'un ami
+sage vous donne; j'ignore ce qu'il
+exige de votre soumission, mais
+dût-il vous demander ma vie, n'hésitez
+pas à la promettre, elle est à
+vous. Enfin, quel que soit le sacrifice,
+oubliez la pitié que mon sort
+vous inspire, et songez que ma
+destinée entière est dans votre
+bonheur.»</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVIII" id="CHAPITRE_XXVIII"></a>CHAPITRE XXVIII.</h3>
+
+<p class="p2">«Voilà qui est décidé, dit Valentine
+en serrant le billet dans son
+sein, je ne sortirai pas de la journée,
+<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span>
+et M. de Saint-Albert sera content
+de moi.» Ce qui voulait dire tout
+simplement: Anatole le desire, et
+j'obéis sans peine. En effet, dès
+ce moment l'ennui de l'entretien
+qu'elle redoutait disparut à ses yeux;
+elle rassembla ses idées avec ordre,
+et s'appliqua à prévoir les objections
+que lui ferait M. d'Émerange, pour
+arranger ses réponses d'avance. Mais
+cette belle précaution eut le succès
+ordinaire. La conversation s'entama
+tout autrement que la marquise ne
+l'avait prévu; et il lui fut impossible
+de placer une seule de ces phrases
+si ingénieusement méditées. Heureusement
+pour elle, son esprit suppléa
+sans peine au défaut de sa prévoyance.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span>
+M. d'Émerange, qu'une conversation
+sérieuse effrayait toujours,
+commença par plaisanter Valentine
+sur l'excès de sa fraîcheur, en lui
+disant qu'il était bien cruel de retrouver
+la femme qu'on adorait
+ainsi embellie par l'absence. Ce ton
+de gaîté fut aussitôt adopté par la
+marquise; elle sentit qu'il servirait
+à-la-fois sa franchise et sa politesse.
+M. d'Émerange lui sut bon gré de
+prendre ainsi le ton qu'il préférait,
+et regarda cette condescendance
+comme une suite de la facilité qu'on
+a communément de saisir les manières
+des gens qu'on aime. Après
+lui avoir témoigné sa reconnaissance
+par mille choses flatteuses, il ajouta:
+Que je vous remercie de m'avoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span>
+épargné la frayeur d'entendre mon
+arrêt prononcé par votre frère; je
+sens qu'il m'aurait dit vingt fois que
+j'étais le plus heureux des hommes,
+sans me le persuader un instant, et
+je crois en vérité, qu'un refus de
+votre bouche m'attristerait moins
+qu'une bonne nouvelle sortie de la
+sienne.&mdash;Cela m'encourage, reprit
+en souriant Valentine.&mdash;N'allez pas
+abuser de cet aveu, pourtant.&mdash;Non,
+mais il me rassure, et m'engage à
+vous déclarer franchement...&mdash;Que
+vous me détestez peut-être.&mdash;Je
+mentirais; et vos procédés envers
+moi vous répondent au contraire
+de ma reconnaissance.&mdash;Je me soucie
+bien de votre reconnaissance;
+vraiment je ne la mérite pas, car
+<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span>
+j'ai fait tout ce que j'ai pu pour ne
+vous point aimer.&mdash;Pourquoi vous
+êtes-vous découragé sitôt?&mdash;Ah!
+vous vous en plaignez, c'est une
+manière de m'avouer....&mdash;Que toute
+honorée que je me trouve de votre
+choix, je n'y saurais répondre.&mdash;Et
+peut-on savoir la raison qui me
+condamne à d'éternels regrets? reprit
+le comte, d'un air moitié piqué
+et moitié dédaigneux.&mdash;Voilà ce
+qu'il faut que vous deviniez, dit en
+rougissant Valentine.&mdash;Mais si je
+la devine, vous n'en conviendrez
+pas?&mdash;Cela est vrai.&mdash;Eh bien! tant
+mieux, j'en agirai plus librement.
+Jusqu'à présent le desir de vous
+plaire et la crainte de voir troubler
+votre repos par la colère d'une
+<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span>
+femme dont la vanité se blesse de
+toutes les préférences qui ne sont
+pas pour elle, m'ont fait supporter
+patiemment ses caprices. Me voilà
+enfin dispensé de jouer plus long-temps
+un rôle ridicule qui n'eût
+jamais été le mien, sans l'espérance
+de me voir récompensé de tant de
+sacrifices. Au fait, je ne suis pas tenu
+à plus d'égards qu'on n'en a pour
+moi; et votre franchise me semble
+très-bonne à imiter. C'est bien assez
+d'avoir à souffrir de son amour, sans
+se laisser tourmenter par la folie
+d'une autre.&mdash;Vous n'avez pas toujours
+pensé ainsi, et cette folie qui
+vous importune aujourd'hui vous
+plaisait autrefois?&mdash;Faites-moi un
+crime de votre ouvrage! Pouvais-je
+<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span>
+deviner qu'il arriverait du fond de
+sa province une femme qui me tournerait
+la tête au point de ne plus
+voir qu'elle au monde? Certainement
+j'aurais mieux fait de répondre aux
+sentiments qu'on voulait bien me
+témoigner, que de persister dans
+ceux qu'elle dédaignerait; je ferais
+mieux encore d'oublier ma disgrace
+en cherchant loin d'elle quelques
+consolations; mais tout cela serait
+sage, et par conséquent au-dessus
+de mes forces. Je ne me pique point
+d'avoir cette vertu qui triomphe du
+sort; le mien veut que je vous aime
+en dépit de vous, et nous verrons
+qui l'emportera de votre volonté ou
+de ma constance.&mdash;Quels que soient
+vos projets, dit Valentine, d'un ton
+<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span>
+suppliant, par pitié pour moi ménagez
+la sensibilité d'une personne
+dont vous avez égaré la raison; songez
+qu'un éclat la perdrait pour toujours;
+et ne me réduisez pas au
+chagrin de la quitter pour la délivrer
+d'une odieuse présence.&mdash;Cette
+prière rendit au comte toutes ses
+espérances. Il s'affermit dans l'idée
+que la crainte de désespérer madame
+de Nangis était le seul motif
+du refus de Valentine, et il vit en
+un instant tout le parti qu'il pouvait
+tirer du sentiment généreux qui la
+mettait dans sa dépendance. Empressé
+d'en faire l'épreuve, il répondit
+«Je m'engage à suivre en
+tout votre exemple. Vous pouvez
+mieux qu'une autre m'apprendre les
+<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span>
+ménagements qu'on doit aux victimes
+d'un amour qui n'est point
+partagé.&mdash;Je le vois bien, reprit
+Valentine, en retenant des larmes
+de dépit, il faut que je m'éloigne de
+cette maison où le malheur va bientôt
+régner.&mdash;Oui, partez, répliqua
+M. d'Émerange avec feu, laissez ici
+l'intrigue et la vanité se débattre
+entre elles, et venez loin de cet empire
+de la coquetterie, venez éprouver
+la sincérité des sentiments que
+vous faites naître. Choisissez la retraite
+où rien ne saurait m'empêcher
+de vous suivre; là, vous pourrez
+vous convaincre que le bonheur de
+vous voir, de vous aimer, suffit à
+mon existence; et peut-être sentirez-vous
+alors le besoin de récompenser
+<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span>
+tant d'amour.&mdash;Oh ciel!
+que me proposez-vous! s'écria Valentine.&mdash;En
+ce moment la porte
+s'ouvrit, et l'on vit paraître madame
+de Nangis, pâle, les yeux égarés, et
+paraissant se soutenir avec peine;
+Isaure l'accompagnait, et quitta sa
+main pour venir se jeter dans les
+bras de sa tante. Les caresses de cette
+enfant tirèrent Valentine de l'espèce
+de stupeur où l'avait plongée la subite
+apparition de la comtesse. Elle
+essaya de dire quelques mots, mais
+le tremblement de sa voix trahissait
+son trouble, et lui donnait un air
+coupable, tandis que M. d'Émerange,
+jouissant de toute sa présence d'esprit,
+s'informait des nouvelles de la
+comtesse, du ton le plus naturel, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span>
+avec toute la sérénité d'une personne
+qui n'aurait pas eu la moindre chose
+à se reprocher envers elle. C'est ainsi
+que l'effronterie met plutôt à l'abri
+du soupçon que l'innocence.</p>
+
+<p>Le bavardage d'Isaure fut d'un
+grand secours dans cette circonstance,
+où chacun parlait au hasard,
+sans s'embarrasser de ce qu'il disait,
+pourvu que cela n'eût aucun rapport
+avec sa pensée; mais si la présence
+d'Isaure était appréciée, l'arrivée
+de madame de Réthel parut
+un coup du ciel. Elle venait rappeler
+à Valentine l'engagement qu'elles
+avaient pris de dîner le même jour
+chez la princesse de L.... Il était déja
+tard; la marquise n'avait point encore
+commencé sa toilette, madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span>
+Réthel en fit la remarque, et M. d'Émerange
+se retira. Madame de Nangis
+le suivit, en priant sa belle-s&oelig;ur de
+l'excuser auprès de la princesse.&mdash;«Je
+ne saurais profiter de son invitation,
+ajouta-t-elle, je souffre
+beaucoup, et vous pourrez lui affirmer
+que ce n'est pas d'un mal imaginaire.»&mdash;Ces
+derniers mots furent
+prononcés avec l'accent du reproche;
+ils allèrent frapper au c&oelig;ur de
+Valentine; et la tristesse qu'elle en
+ressentit, résista même au souvenir
+d'Anatole.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXIX" id="CHAPITRE_XXIX"></a>CHAPITRE XXIX</h3>
+
+<p class="p2">Depuis ce jour, madame de Saverny
+ne goûta plus aucun repos. Persécutée
+par son frère, pour céder au
+desir de M. d'Émerange, dont la malignité
+inventait à chaque instant
+un nouveau moyen de la compromettre,
+et ne cessait de la menacer
+d'abandonner madame de Nangis à
+son ressentiment; poursuivie par la
+jalousie de sa belle-s&oelig;ur; effrayée
+des transports de l'amour d'Anatole;
+Valentine, était dévorée de cette inquiétude
+qui précède le malheur.
+Ne sachant plus comment y échapper,
+<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span>
+elle confia à M. de Saint-Albert
+le projet qu'elle formait de partir
+secrètement pour l'Italie, en fesant
+savoir seulement à son frère, qu'elle
+entreprenait ce voyage pour se soustraire
+aux instances de M. d'Émerange,
+et faire cesser le bruit d'un
+mariage auquel elle ne consentirait
+jamais. Le commandeur, après avoir
+réfléchi long-temps sur ce voyage,
+finit par l'approuver, en disant:
+Vous avez raison, ce parti me semble
+le meilleur; mais il faut tout prévoir.
+Malgré le plus grand mystère,
+M. d'Émerange saura bientôt où
+vous allez. Il vous y suivra, il vous
+l'a promis, et dans sa position c'est
+le meilleur parti qu'il puisse prendre,
+car cette preuve de dévouement doit
+<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span>
+vous attendrir, ou vous perdre. Mais
+il est un moyen d'échapper à ce
+double danger, en ôtant au public
+l'occasion de mal interpréter une
+démarche fort simple; et ce moyen
+est d'emmener avec vous deux personnes
+dont l'âge et la réputation
+deviennent les garants de votre conduite
+aux yeux du monde, et dont
+l'amitié vous protége contre toutes
+les tentatives d'un fat.&mdash;Puisque
+mon frère m'abandonne, s'écria Valentine,
+en essuyant ses larmes, de
+qui puis-je espérer une si grande
+preuve d'attachement?&mdash;On croirait,
+reprit brusquement le commandeur,
+que votre c&oelig;ur n'en est pas
+digne, à la manière dont vous doutez
+de celui de vos amis. Si quelqu'un
+<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span>
+m'avait dit: Il y a une personne
+dans le monde capable de grands
+sacrifices pour vous épargner un
+malheur; je vous aurais devinée tout
+de suite, moi.&mdash;Ah! mon ami! fut
+tout ce que put articuler Valentine;
+elle se jeta dans les bras de M. de
+Saint-Albert, qui la serra paternellement
+sur son c&oelig;ur. Lorsque son
+émotion lui permit de parler, il
+assura Valentine que madame de
+Réthel serait enchantée de faire avec
+elle le voyage d'Italie. Nous irons
+à petites journées, ajouta-t-il en
+riant, par égard pour l'âge de l'aimable
+vieillard qui vous accompagne.
+Deux semaines suffiront pour les
+préparatifs de ce petit enlèvement;
+et si le monde en médit, comptez
+<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span>
+sur mon honneur pour réparer le
+tort que pourraient faire au vôtre
+mes moyens de séduction.&mdash;Cette
+plaisanterie fit sourire Valentine, et
+l'empêcha de se livrer à l'excès de
+son attendrissement. Elle se contenta
+de serrer la main du commandeur,
+en signe de reconnaissance; et tous
+deux se quittèrent, l'ame pénétrée de
+cette douce joie qui naît également
+du bien que l'on reçoit et de celui
+qu'on fait.</p>
+
+<p>Mais ce délai de quinze jours accordé
+aux différents manèges de
+l'amour-propre pouvait devenir bien
+funeste à Valentine; elle le prévoyait,
+sans oser en témoigner sa
+crainte. Un service obtenu sans l'avoir
+demandé rend si discret, qu'on préfère
+<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span>
+en perdre le prix, que de s'en
+assurer par une nouvelle sollicitation.
+Aussi la marquise se résigna-t-elle
+à attendre patiemment l'époque
+fixée pour son départ. Elle imagina
+de se composer une manière de vivre
+qui la mît à l'abri des scènes qu'elle
+redoutait le plus; et donnant l'ordre
+à ses gens de ne laisser entrer chez
+elle que le commandeur et sa nièce,
+elle se dit légèrement indisposée, et
+crut se faire oublier de ceux qui la
+tourmentaient, en se délivrant de
+leur présence. Pour se maintenir
+dans une résolution qui devait lui
+coûter le plaisir de rencontrer Anatole,
+il fallait bien trouver quelque
+dédommagement; et celui de lui
+écrire vint tout naturellement à sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span>
+pensée. A la veille de faire une
+longue absence on est plus confiant;
+il semble qu'on n'ait rien à redouter
+des aveux de sa faiblesse; l'idée qu'on
+ne se reverra peut-être jamais, en
+glaçant l'ame de terreur, la met au-dessus
+des considérations ordinaires,
+et ce qu'on dit alors a quelque chose
+de la solennité d'un dernier adieu.
+Cependant Valentine ne se laissa
+point entraîner par le charme d'exprimer
+ses pensées à celui qui les inspirait
+toutes. Elle lui parla des chagrins
+qui l'obligeaient à s'éloigner de sa
+famille, sans lui laisser soupçonner
+le secret de madame de Nangis; et
+comme elle donna pour raison de
+son voyage le desir de fuir M. d'Émerange,
+il est à présumer qu'Anatole
+<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span>
+fut de son avis, et qu'il trouva la
+lettre charmante.</p>
+
+<p>M. d'Émerange s'étant déja présenté
+plusieurs fois chez madame de
+Saverny, sans être reçu, devina
+qu'elle lui avait fait défendre sa porte.
+Ce procédé le choqua vivement; il
+se promit de s'en venger; et alla s'en
+plaindre à M. de Nangis, comme
+d'une insulte que sa conduite respectueuse
+envers sa s&oelig;ur n'aurait
+pas dû lui attirer. M. de Nangis
+qui mettait le plus grand intérêt à
+maintenir les espérances du comte,
+l'assura que ce n'était sûrement qu'un
+malentendu de la part des gens de
+la marquise. Pour s'en convaincre,
+il se rendit chez elle, et demanda à
+la voir; mais on lui répondit que
+<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span>
+madame était souffrante, et reposait
+en ce moment. Assez mécontent de
+cette réponse, il fit appeler mademoiselle
+Cécile pour la questionner
+sur la maladie de sa maîtresse. A la
+manière dont on l'interrogeait, mademoiselle
+Cécile vit bien qu'il fallait
+mentir; mais, comme elle n'avait
+point reçu d'instructions à ce sujet,
+elle fit tant de mensonges inutiles,
+qu'elle laissa soupçonner la vérité.
+M. de Nangis en conçut beaucoup
+d'humeur, mais il la dissimula sous
+l'apparence d'une vive inquiétude.
+Se promettant bien d'éclaircir ce
+mystère, il entra chez sa femme en
+disant: Vous ignorez sûrement que
+Valentine est malade, elle n'est point
+sortie depuis deux jours, et ne reçoit
+<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span>
+personne; cela m'inquiète, et
+je vous engage à forcer sa porte pour
+lui offrir vos soins.&mdash;Je m'en garderai
+bien, reprit la comtesse d'un
+ton amer, cela m'est arrivé une fois
+la semaine dernière; et je n'ai pas
+envie de recommencer une pareille
+gaucherie. Cette phrase devait exciter
+la curiosité de M. de Nangis;
+et pour la satisfaire, la comtesse
+raconta comment elle avait
+trouvé M. d'Émerange en tête à
+tête avec sa belle-s&oelig;ur. Elle accompagna
+ce récit de plusieurs réflexions
+malignes, qui indignèrent
+M. de Nangis. Il crut de son honneur
+de justifier Valentine des soupçons
+qu'on osait concevoir sur elle, en
+disant qu'il était bien permis de recevoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span>
+avec intimité l'homme que
+l'on devait épouser incessamment.&mdash;M.
+d'Émerange épouse votre
+s&oelig;ur? s'écria la comtesse, d'une
+voix étouffée.&mdash;Vraiment nous en
+aurions parlé plutôt, reprit M. de
+Nangis, sans remarquer la fureur
+qui se peignait dans les yeux de sa
+femme, mais je ne sais quelle pruderie
+empêche Valentine de se décider;
+elle aime très-certainement
+M. d'Émerange; vous l'aviez déjà
+deviné, et depuis tout l'a confirmé.
+Cependant elle hésite, et donne
+pour prétexte la légèreté du comte,
+et cent autres mauvaises raisons dont
+vous pourriez facilement lui démontrer
+le ridicule. Peut-être aura-t-elle
+plus de confiance en vous: d'ailleurs
+<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span>
+vous triompherez mieux que moi de
+ces idées romanesques sur la constance.
+Ayez l'air de croire à celle
+du comte, et vous l'en convaincrez
+sans peine. Sur ce sujet, une femme
+sait toujours en persuader une autre;
+et je parie que votre esprit aura bientôt
+fait disparaître l'obstacle qu'elle
+oppose au mariage le plus brillant
+qu'elle puisse faire. Si vous réussissez,
+comme je n'en doute pas, vous pouvez
+compter sur la reconnaissance
+de M. d'Émerange, car il est amoureux
+fou de Valentine.» On peut
+imaginer ce qui se passa dans l'ame
+de la comtesse, à chaque mot de ce
+discours. Plongée dans une espèce
+d'anéantissement, elle s'efforçait vainement
+de rompre le silence; un
+<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span>
+poids énorme semblait oppresser sa
+poitrine; et, lorsque par un mouvement
+courageux elle essayait de répondre
+à ces mots cruels qui déchiraient
+son c&oelig;ur, sa voix expirait
+sur ses lèvres livides. Un état aussi
+violent devenait impossible à dissimuler;
+et M. de Nangis allait peut-être
+découvrir le plus affreux secret,
+lorsqu'un domestique vint lui remettre
+un billet, qui demandait une
+prompte réponse. Le comte sortit
+alors en recommandant à sa femme
+de ne point oublier ce qu'il venait
+de lui dire, et tout ce qu'il attendait
+de sa complaisance.</p>
+
+<p>O vous, que de funestes passions
+égareront peut-être un jour, que
+ne pouvez-vous contempler leur
+<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span>
+hideux effet sur le c&oelig;ur et les traits
+de cette femme jeune et belle! La
+pâleur de la mort couvre son visage;
+son regard éteint ne se ranime que
+lorsqu'un projet de vengeance vient
+flatter son imagination. Cette bouche,
+qu'embellissait l'expression d'une
+gaîté piquante, ne sourit plus qu'à
+l'idée de punir l'innocence du crime
+d'être aimée; et cet esprit élégant et
+coquet, autrefois uniquement occupé
+du desir de plaire, ne l'est plus
+maintenant que du barbare soin de
+chercher les moyens les plus sûrs
+de perdre sa rivale: aucun ne lui
+paraît trop cruel ou trop bas. Enfin
+les sentiments affreux que la vanité
+outragée inspire à cette femme coupable
+semblent flétrir à-la-fois son
+ame et sa beauté.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXX" id="CHAPITRE_XXX"></a>CHAPITRE XXX.</h3>
+
+<p class="p2">Pendant qu'il se tramait tant de
+conspirations contre le repos de Valentine,
+mademoiselle Cécile l'instruisait
+de la visite de M. de Nangis,
+et de l'humeur qu'il avait témoignée
+lorsqu'on lui avait signifié qu'il ne
+pouvait entrer chez sa s&oelig;ur. «Allons,
+dit Valentine, je vois qu'il me faut
+renoncer même au plaisir d'être
+seule, puisque je ne puis m'y livrer
+sans offenser quelqu'un.» Et elle se
+disposa à sortir pour échapper, s'il
+était possible, à quelque visite importune.
+En s'occupant d'habiller sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span>
+maîtresse, mademoiselle Cécile rompit
+le silence qui lui était imposé
+ordinairement par celui que gardait
+la marquise avec elle, pour lui dire:
+«Madame fait très-bien de sortir
+aujourd'hui, car je ne sais ce qui se
+passe dans la maison, mais c'est à
+coup sûr quelque chose d'étrange;
+madame la comtesse tourmente et
+gronde tous ses gens à-la-fois; M. de
+Nangis a demandé ses chevaux plutôt
+qu'à l'ordinaire; Richard a déja
+porté ce matin trois lettres de sa
+maîtresse chez le comte d'Émerange,
+et j'étais à peine levée quand madame
+votre s&oelig;ur m'a fait appeler
+pour lui donner de vos nouvelles,
+et répondre à cent questions sur la
+santé et les occupations de madame;
+<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span>
+après avoir dit que madame avait été
+indisposée depuis plusieurs jours,
+j'ai répondu à tout le reste: <i>Je n'en
+sais rien</i>; et madame la comtesse,
+ennuyée de m'entendre toujours répéter
+la même chose, m'a renvoyée
+en disant: Quelle sotte!»</p>
+
+<p>La marquise n'eut pas l'air de faire
+grande attention au rapport de mademoiselle
+Cécile, et feignit de regarder
+la curiosité de sa belle-s&oelig;ur
+comme une preuve de l'intérêt qu'elle
+portait à sa santé; mais elle s'affligea
+en secret de voir jusqu'où s'abaissait
+la fierté de la comtesse. Qu'aurait-elle
+donc pensé si elle avait pu deviner
+que l'excès du ressentiment de
+cette insensée la porterait ce jour-là
+même à user de son autorité dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span>
+sa maison, pour se faire remettre
+dans le plus grand mystère les lettres
+adressées à madame de Saverny. L'espérance
+d'en trouver une de M. d'Émerange,
+qui lui apprendrait plus
+sûrement la vérité de ses rapports
+avec Valentine, était le seul motif
+de cette indigne action, dont le vil
+confident vint bientôt chercher la
+récompense. Vingt-cinq louis furent
+le prix de trois lettres remises à la
+comtesse par un laquais infidèle. De
+ces trois lettres l'une portait le timbre
+de Nevers, la seconde était un simple
+billet d'invitation qu'on pouvait lire
+sans le décacheter, et, sur la troisième,
+on ne reconnaissait pas l'écriture
+de M. d'Émerange. C'était donc
+inutilement pour cette fois que madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span>
+de Nangis venait de se laisser
+entraîner au plus indigne procédé;
+mais elle en pouvait assurer le secret
+en rendant les trois lettres comme
+elle les avait reçues. Sa conscience accueillait
+cette idée; avec une morale
+peu sévère, on se croit facilement
+innocent du mal dont on ne recueille
+pas le fruit. La comtesse se parait
+déja à ses propres yeux du mérite
+de résister au mouvement d'une curiosité
+sans objet, lorsqu'un nouveau
+soupçon vint triompher de tous ses
+scrupules. Elle pensa que M. d'Émerange
+pouvait bien se servir d'une
+autre main que la sienne pour écrire
+l'adresse de ses lettres à madame de
+Saverny. C'était un moyen souvent
+employé pour tromper les regards
+<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span>
+des jaloux; et madame de Nangis se
+rendait justice en supposant aux
+autres le desir d'échapper à son indiscrétion;
+à force de supposer ce
+qu'elle espère, elle croit céder à la
+certitude de tout apprendre, et rompt
+le cachet.... Bientôt une joie féroce
+étincelle dans ses yeux. Elle tient
+enfin l'instrument d'une vengeance
+sûre, qui va frapper du même coup
+l'ingrat qui la trahit, et la femme
+qu'on lui préfère. Munie de ce précieux
+dépôt, elle attend dans toute
+l'agitation d'une affreuse espérance
+le moment où le comte d'Émerange
+a promis de se rendre chez elle. Pour
+obtenir de lui cette promesse, il avait
+fallu employer la ruse, et lui cacher
+sur-tout ce qu'on avait appris de
+<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span>
+M. de Nangis. Ce soin important
+était le sujet des billets dont mademoiselle
+Cécile avait parlé à sa maîtresse,
+et auxquels le comte venait
+de répondre, en cédant avec peine
+aux instances de madame de Nangis.</p>
+
+<p>Lorsque M. d'Émerange parut, la
+comtesse prit un air riant pour le
+complimenter sur son futur mariage
+et sur le bonheur d'être aimé d'une
+femme accomplie; elle se vanta d'avoir
+prévu que cette provinciale,
+dont on prétendait se moquer, serait
+avant peu l'héroïne d'un roman nouveau,
+qui finirait par le dénoûment
+ordinaire. Avant de répondre à ces
+compliments ironiques, le comte
+chercha a démêler la véritable pensée
+de madame de Nangis sur cet
+<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span>
+événement. Il crut un instant que
+sa fierté l'emportait sur sa jalousie,
+et que le dédain triomphait de sa
+colère; il se réjouissait de lui voir
+prendre un parti si convenable.
+Mais le dépit d'une femme, ainsi
+que son amour, se trahit par ses
+soins mêmes à le cacher; et ce fut à
+la gaîté factice de la comtesse, que
+M. d'Émerange devina l'excès de son
+ressentiment. Cette découverte l'engagea
+à nier l'amour qu'on lui supposait
+pour la marquise; il convint
+seulement d'avoir consenti au projet
+de M. de Nangis, qui mettait la
+plus grande importance à ce mariage,
+et en avait fait toutes les démarches,
+avant même qu'il les eût approuvées.
+Il ajouta, en regardant finement
+<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span>
+la comtesse, que des raisons faciles
+à comprendre l'avaient empêché
+d'apporter beaucoup de résistance
+aux volontés de son mari, et que
+d'ailleurs on lui avait fait sentir la
+nécessité de se marier, comme étant
+l'unique rejeton de sa famille. Toutes
+ces considérations, dit-il, m'ont
+déterminé à laisser agir le zèle de
+mes amis; leur choix est tombé sur
+madame de Saverny, dont le rang
+et l'éducation sont dignes de la place
+que le Roi veut bien destiner à ma
+femme. Et c'est plus encore par convenance
+que par inclination que je
+me décide à l'épouser.&mdash;Je suis bien
+aise de voir tant de raison dans votre
+amour, reprit la comtesse, en s'apercevant
+aussi de la mauvaise foi
+<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span>
+du comte, il en sera moins surpris
+du sort qu'on lui réserve.&mdash;Vous
+savez que sur ce point je suis très-philosophe.&mdash;On
+l'est sans peine
+quand on se croit aimé.&mdash;Je ne saurais
+me prévaloir de cet avantage, car
+votre belle-s&oelig;ur ne m'a point fait
+d'aveu; elle prétend au contraire
+avoir une raison de refuser ma main,
+qu'elle ne veut avouer à personne.&mdash;La
+voulez-vous savoir?&mdash;Vous
+m'allez dire comme M. de Nangis,
+qu'elle a peur de ma légèreté.&mdash;Non,
+elle vous rend trop de justice.&mdash;Au
+fait, répliqua-t-il, en jetant
+un regard tendre sur la comtesse,
+elle ferait mieux peut-être de redouter
+ma constance.&mdash;Non, Monsieur,
+elle a, pour dédaigner votre
+<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span>
+amour, de meilleures raisons que toutes
+celles-là. Tenez et jugez-en vous-même.
+En disant ces mots elle remet
+au comte la lettre suivante, et savoure
+le plaisir de la lui voir lire en
+tremblant de colère.</p>
+
+<p>«Vous partez, Valentine, et c'est
+le desir d'échapper aux importunités
+d'un fat qui vous éloigne
+des lieux que vous embellissez!
+L'honneur de l'emporter sur vos
+rivales, celui de briller à la cour
+de tout l'éclat de la fortune et de
+la beauté; le triomphe plus grand
+encore de fixer un c&oelig;ur voué à l'inconstance;
+enfin, tous ces plaisirs
+enivrants de la vanité ne peuvent
+donc vous séduire? Vous réalisez
+le v&oelig;u que je formai en vous voyant
+<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span>
+pour la première fois. Ah! me disais-je
+alors, si j'étais le créateur
+d'un aussi bel ouvrage, je voudrais
+le parer de toutes les vertus.</p>
+
+<p>«Vous partez, et des pleurs de
+regrets ne viennent pas obscurcir
+mes yeux, et je ne maudis point
+cet exil volontaire! Tant de courage
+doit vous sembler un prodige,
+à vous qui savez que j'ai besoin
+pour vivre du même air que vous
+respirez; mais songez à ces timides
+oiseaux, qui, sans oser approcher
+du soleil, traversent les mers
+pour jouir en tout temps des bienfaits
+de sa présence, et vous aurez
+bientôt le secret de ma résignation.»</p>
+
+<p>Après un moment de silence, pendant
+<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span>
+lequel M. d'Émerange cherchait
+à modérer sa rage, il jeta les yeux
+sur madame de Nangis, et fut frappé
+de la joie qu'il vit éclater dans les
+siens. L'idée qu'elle se repaissait du
+plaisir de le voir humilié, lui inspira
+l'envie de s'en venger en l'humiliant
+elle-même. «Cette lettre
+n'est point signée, dit-il avec mépris,
+et rien ne prouve qu'elle soit
+destinée à la marquise.&mdash;Quoi, s'écria
+la comtesse, transportée de fureur,
+le nom de la marquise de
+Saverny, n'est-il pas sur l'adresse;
+et ne lisez vous point celui de Valentine?&mdash;Belle
+preuve! chacun en
+peut écrire autant à la femme qu'il
+veut calomnier ou compromettre.
+D'ailleurs, si cette lettre était connue
+<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span>
+de la marquise, comment se trouverait
+elle entre vos mains? Ici madame
+de Nangis resta interdite, son
+front se couvrit de rougeur; mais
+tout-à-coup, bravant la honte par
+la colère, elle arracha la lettre des
+mains du comte, et dit: «Puisque
+votre misérable amour préfère m'outrager
+par le plus odieux soupçon
+que d'en croire l'évidence, je saurai
+bien vous convaincre sans m'abaisser
+à me justifier. Mais si je me livre
+à tout l'excès de mon indignation,
+n'accusez que vous des malheurs qui
+en seront la suite. Le ciel m'est témoin
+que d'aussi barbares sentiments
+n'ont jamais possédé mon
+ame; je vous les dois tous et vous
+en subirez l'effet. J'ai appris de vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span>
+comment on peut joindre la perfidie
+à l'insulte; vous apprendrez de moi
+comment on se venge du mépris.»
+En finissant ces mots, la comtesse
+sortit avec précipitation de la chambre;
+et, défendant au comte de la suivre,
+elle alla s'enfermer dans son
+cabinet.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXI" id="CHAPITRE_XXXI"></a>CHAPITRE XXXI.</h3>
+
+<p class="p2">Le bruit d'une voiture qui entrait
+dans la cour réveilla madame de
+Nangis de l'espèce d'anéantissement
+qui avait succédé à sa colère; elle
+craignit de se faire voir dans le désordre
+où elle était, et s'empressa
+<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span>
+d'ordonner qu'on éloignât, sous un
+prétexte quelconque, la visite qui
+arrivait: mais on lui répondit que
+le carosse dont elle avait entendu le
+bruit, était celui de M. le comte,
+qui venait de rentrer. En effet, le
+comte arrive presque aussitôt. Frappé
+de l'altération qu'il remarque
+sur le visage de sa femme, il lui
+en demande la cause: elle hésite
+à répondre; son mari insiste; elle
+se trouble encore davantage; et la
+nécessité de sortir d'embarras venant
+ajouter au desir de se venger,
+la comtesse feint de trahir avec peine
+le secret de sa belle-s&oelig;ur. Elle raconte
+qu'un hasard, dont on ne
+doit accuser que la négligence de
+Valentine, a fait tomber entre ses
+<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span>
+mains la lettre qu'elle montre à M. de
+Nangis, et donne pour prétexte de
+l'émotion que son mari a remarquée,
+le chagrin profond que lui cause
+la conduite d'une personne qu'elle
+n'aurait jamais soupçonnée d'une
+pareille intrigue. Cette première dénonciation
+accueillie l'oblige à de
+nouveaux mensonges. Plus cette indigne
+action coûte à sa conscience,
+et mieux elle en veut assurer le prix.
+Enfin, l'esprit, la ruse, la trahison,
+la fausse pitié, tout fut employé
+pour abuser la tendresse d'un
+frère, et le porter à la plus coupable
+injustice.</p>
+
+<p>Lorsque, par ses différentes insinuations,
+la comtesse eut exalté la
+colère de son mari contre Valentine,
+<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span>
+elle pensa que c'était le moment de
+les mettre en présence. La marquise
+venait justement de rentrer. Son
+frère la fit prier de se rendre auprès
+de lui. Elle arrive: à son aspect la
+comtesse frémit. Il lui semble que
+la preuve de ses torts est tout entière
+dans l'air innocent de Valentine,
+et que l'accusée n'a qu'à lever
+ses yeux pour se justifier de tant
+de calomnies.</p>
+
+<p>«Connaissez-vous cette lettre? dit
+alors M. de Nangis, du ton d'un juge
+sévère.»&mdash;J'ignore ce qu'elle contient,
+reprit en balbutiant Valentine,
+qui avait déjà reconnu l'écriture
+d'Anatole.&mdash;Cependant elle
+vous est adressée, reprit le comte,
+et celui qui l'écrit se croit probablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span>
+assez connu de vous pour
+n'être pas obligé de la signer.&mdash;Ici
+la marquise prit la lettre des mains
+de son frère, en lut l'adresse, et
+lança à sa belle-s&oelig;ur un regard de
+mépris qui ne laissa à la comtesse
+aucun doute sur le soupçon qui
+venait d'éclairer Valentine. Confuse
+de voir sa lâcheté devinée, elle n'en
+supporta la honte que dans l'espérance
+de jouir à son tour de la
+confusion où se trouverait sa rivale,
+en lisant les expressions de cet amour
+qu'elle voulait cacher, et en répondant
+à l'espèce d'interrogatoire que
+M. de Nangis ne manquerait pas de
+lui faire subir. Mais elle fut bien
+étonnée, lorsqu'elle s'aperçut que
+cette lecture, loin de troubler Valentine,
+<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span>
+sembler ranimer son courage,
+et calmer son agitation. Le comte,
+surpris lui-même de cette tranquillité,
+dit avec impatience: Eh
+bien! madame, daignerez-vous m'expliquer
+ce mystère, et m'apprendre
+si vous connaissez l'auteur de cette
+lettre?&mdash;Je pourrais avant tout, reprit
+la marquise avec dignité, demander
+comment il se fait qu'elle
+se trouve dans vos mains avant de
+m'être parvenue; mais je veux ignorer
+sur qui doit tomber le mépris
+attaché à de tels procédés. Votre
+âge, le titre de chef de notre famille,
+et plus encore, la tendresse que
+vous m'avez toujours témoignée,
+vous donnent sur moi les droits
+d'un père; et c'est au nom de ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span>
+droits que je consens à vous répondre
+avec toute la sincérité que
+vous devez attendre de mon caractère.
+Cette lettre m'était destinée, et
+j'en connais l'auteur.&mdash;Je desire infiniment
+savoir le nom de ce monsieur
+qui traite si bien de fat l'homme
+le plus aimable que je connaisse.&mdash;Son
+nom? Je l'ignore.&mdash;Quoi?
+s'écria la comtesse, en éclatant de
+rire d'une manière impertinente,
+vous ignorez le nom de celui qui
+veut vous suivre au-delà des mers?&mdash;Valentine
+ne daigna point faire
+attention à cette épigramme; mais
+elle en punit bientôt la comtesse,
+en la livrant à la plus cruelle inquiétude.
+Après s'être épuisé en
+sentences plus ou moins éloquentes
+<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span>
+sur l'extravagance des femmes, M. de
+Nangis dit à sa s&oelig;ur;&mdash;«Il ne faut
+pas douter que l'amour de ce beau
+sylphe ne soit l'unique cause des
+refus que vous adressez à M. d'Émerange!&mdash;Non,
+répondit Valentine,
+cet amour n'est pas la seule cause
+de mon refus.&mdash;C'est pourtant de
+cette belle passion dont vous avez
+voulu parler, en nous assurant qu'un
+motif secret vous empêchait d'accepter
+sa main.»&mdash;En cet instant,
+les yeux de Valentine se tournèrent
+sur madame de Nangis, elle la vit
+dans l'attitude d'un coupable qui
+attend le prix de ses méchancetés.
+Un affreux tremblement agitait ses
+membres; elle écoutait d'un air avide
+les mots qui allaient sortir de la
+<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span>
+bouche de sa belle-s&oelig;ur, et semblait
+implorer la pitié de sa victime. Il
+fallait s'être laissée entraîner à tous
+les torts d'une passion insensée pour
+méconnaître ainsi le c&oelig;ur de Valentine;
+mais le premier châtiment de
+ceux qui renoncent à la vertu est
+de n'y plus croire. Aussi l'étonnement
+de madame de Nangis fut-il
+à son comble, lorsqu'elle entendit
+Valentine donner pour raison de
+son refus la différence de son caractère
+avec celui de M. d'Émerange,
+et beaucoup d'autres motifs, sans
+ajouter un mot qui pût faire soupçonner
+les sentiments de la comtesse.
+Ce procédé généreux, en dissipant
+sa crainte, la livra au remords; et
+rien ne saurait peindre ce qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span>
+souffrit en voyant son mari s'animer
+de plus en plus contre sa s&oelig;ur, et
+finir par l'outrager au point d'appeler
+du nom d'intrigue son intimité
+avec Anatole. Valentine avait supporté
+cette injure avec la résignation
+qui naît de l'innocence; mais quand
+elle se vit en même temps accuser
+de tous les manèges de la coquetterie
+envers le comte d'Émerange, la
+fierté de son ame se révolta de cette
+insulte. Elle déclara qu'aucune considération
+ne pouvait l'engager à
+souffrir les expressions du mépris
+de personne, pas même de son frère;
+et elle sortit en l'assurant que désormais
+il n'aurait plus l'occasion
+de la traiter avec tant d'injustice.</p>
+
+<p>«Le voilà donc arrivé ce fatal
+<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span>
+moment que j'ai si souvent redouté!
+s'écria Valentine, quand elle fut
+seule. Mon imprudence et la plus
+indigne calomnie m'enlèvent jusqu'à
+l'estime de mon frère, je ne puis
+plus habiter sa maison, sans trahir
+l'horreur que m'inspire tout ce qui
+s'y passe. Il faut m'en éloigner; il
+faut quitter cette famille que j'avais
+regardée comme un asyle protecteur,
+et emporter avec moi le mépris et
+la haine de deux êtres sur qui j'avais
+placé mon respect et ma tendresse!»
+En se livrant à ces tristes pensées,
+Valentine fondait en larmes. Mais
+son attendrissement, loin d'affaiblir
+sa résolution, redoublait le desir
+qu'elle avait de cacher sa peine à
+tous les yeux. Dans ce dessein, elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span>
+écrivit au commandeur qu'un obstacle
+imprévu l'obligeait à renoncer
+au projet d'aller en Italie; qu'elle
+était à la veille de partir pour Saverny,
+où une affaire importante la
+rappelait, mais qu'elle desirait vivement
+le voir avant de s'éloigner de
+Paris. Le domestique chargé de
+porter ce billet eut ordre de n'en
+remettre la réponse qu'à la marquise
+elle-même. Cette réponse se fit attendre
+jusqu'à dix heures du soir;
+le domestique s'excusa de la rendre
+aussi tard, en disant qu'il s'était cru
+obligé d'aller la chercher jusque chez
+madame de Réthel, à Auteuil, ou
+M. de Saint-Albert devait dîner. Il
+ajouta, qu'en sortant de table le commandeur
+avait été pris subitement
+<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span>
+d'une attaque de goutte qui l'avait
+forcé de se mettre au lit. Le billet
+était écrit de la main de madame
+de Réthel, qui donnait à Valentine
+les détails de ce fâcheux accident,
+et l'engageait à venir s'établir quelques
+jours à Auteuil, pour adoucir
+par sa présence les maux de leur
+vieil ami. La plus sincère affection,
+la reconnaissance, tout fesait un devoir
+à Valentine de se rendre à cette
+invitation, qui lui offrait en même temps
+une occasion de prodiguer ses
+soins au seul protecteur qui lui restât,
+et un prétexte de s'éloigner de
+la maison de son frère.</p>
+
+<p>Elle résolut de partir le lendemain,
+de grand matin, pour qu'on ne
+s'étonnât point dans la maison de
+ne lui voir faire ses adieux à personne,
+<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span>
+et chargea mademoiselle Cécile
+d'instruire les gens de la comtesse
+du motif qui la déterminait à
+se rendre sans délai chez madame de
+Réthel. Ces arrangements finis, Valentine
+essaya de prendre quelque
+repos, mais le sommeil ne vint point
+calmer ses sens en la délivrant du
+souvenir de ses peines. L'idée de
+reposer pour la dernière fois sous
+le toit fraternel remplissait son ame
+d'amertume: elle contemplait avec
+douleur cet appartement si élégamment
+orné pour la recevoir, où elle
+croyait passer sa vie au sein de sa
+famille. La place où elle relisait les
+lettres d'Anatole, la table sur laquelle
+elle y répondait, tout, jusqu'au
+petit fauteuil d'Isaure, excitait
+<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span>
+ses regrets. Le c&oelig;ur attache tant de
+prix aux moindres objets qu'il va
+perdre! Valentine avait souvent desiré
+de n'être jamais venue dans ces
+lieux témoins de ses chagrins; mais
+il fallait s'en exiler pour toujours,
+et ses larmes coulaient à la seule
+pensée de ne les plus revoir. C'est
+ainsi que la cause de nos malheurs
+l'est quelquefois aussi de nos regrets.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXII" id="CHAPITRE_XXXII"></a>CHAPITRE XXXII.</h3>
+
+<p class="p2">Sept heures venaient de sonner,
+les chevaux étaient déjà à la voiture,
+et madame de Saverny, assise auprès
+d'une croisée, attendait en silence
+que mademoiselle Cécile eût fermé
+<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span>
+tous ses paquets pour se mettre en
+route; Antoinette venait à chaque
+instant demander s'il était nécessaire
+d'emporter telle robe ou tel chapeau,
+et mademoiselle Cécile s'empressait
+de lui répondre: «Cela est très-inutile,
+puisque madame ne doit rester
+que huit jours à la campagne.» Cette
+réponse fit soupirer Valentine, et la
+replongea dans une triste rêverie,
+dont elle sortit tout-à-coup en se
+sentant presser par les bras d'un enfant
+qui l'accablait de ses caresses.
+«Quoi, dit-elle, en embrassant Isaure,
+déja levée, chère petite! le bruit
+qu'on a fait dans la cour t'aura sans
+doute réveillée?&mdash;Oh! non, ma
+tante, reprit l'enfant; je savais que
+vous deviez partir de bonne heure;
+j'étais déja couchée depuis long-temps,
+<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span>
+lorsque mademoiselle Cécile
+est venue le dire hier soir à ma
+bonne: elles me croyaient endormie,
+et j'ai entendu tout ce qu'elles
+ont dit. Quand j'ai su que j'allais
+rester huit jours entiers sans voir
+ma bonne tante, j'ai voulu l'embrasser
+avant son départ. Mademoiselle
+Cécile avait souvent répété que les
+chevaux étaient commandés pour
+sept heures; je me suis dit: En comptant
+toutes les heures qui sonneront
+à la pendule, je me réveillerai à
+temps. En effet, j'avais si peur de
+me lever trop tard, que j'ai très-peu
+dormi. Quand j'ai entendu du
+bruit dans la maison, je me suis habillée
+tout doucement, et je suis vîte
+accourue ici.&mdash;Chère enfant, dit
+<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span>
+Valentine, en la baignant de ses larmes!&mdash;Tu
+t'en vas donc pour toujours?
+s'écria Isaure en voyant l'excès
+de la douleur de sa tante.&mdash;Non, je
+te reverrai bientôt, je l'espère. Ne
+m'oublie pas.... Dis à ton père que
+je pars en pleurant.... que je vous
+aime tous.... et que je vous regretterai
+toute ma vie.» Ces paroles entrecoupees
+par des sanglots achevèrent
+de désoler Isaure. Elle se
+jeta au cou de Valentine, en pleurant
+aussi, et dit: «Encore, si
+j'avais ton portrait pour me consoler
+quand tu n'y seras plus!&mdash;Eh
+bien, qu'est-il devenu? demanda
+Valentine, avec une sorte d'inquiétude.&mdash;Je
+ne voulais pas vous le
+dire, reprit Isaure en baissant les
+<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span>
+yeux, mais l'autre jour, en jouant
+avec M. d'Émerange, la chaîne qui
+soutient le médaillon s'est cassée,
+et le verre s'est brisé en tombant
+par terre; j'ai bien pleuré quand
+j'ai vu ce malheur! Mais M. d'Émerange
+m'a promis que bientôt il n'y
+paraîtrait plus. Il a pris le collier en
+se chargeant de le faire raccommoder
+par son bijoutier, et il doit me le
+rendre la semaine prochaine: c'est
+encore bien long à attendre.» Valentine
+apprit avec peine que son
+portrait était entre les mains du
+comte, mais elle ne fit aucun reproche
+à Isaure de le lui avoir livré.
+Le mal était fait; il était inutile d'en
+apprendre les conséquences à une
+enfant trop innocente pour les comprendre.
+<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span>
+Elle se contenta de recommander
+à Isaure de ne plus s'adresser
+qu'à elle lorsqu'il s'agirait de confier
+son portrait. Mademoiselle Cécile
+vint en ce moment annoncer à sa
+maîtresse que tout était prêt. Valentine
+fit un effort pour s'arracher
+des bras d'Isaure qui voulait absolument
+la suivre, et ne consentit à
+la laisser partir qu'à la condition
+d'aller la rejoindre à Auteuil aussitôt
+que madame de Nangis en aurait
+accordé la permission. Quand il fallut
+se séparer de <i>Love</i>, les pleurs
+d'Isaure redoublèrent. Enfin on calma
+son chagrin par des cadeaux et
+des promesses; mais on ne put obtenir
+d'elle de la faire rentrer dans
+la maison avant que la voiture ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span>
+fût sortie de la cour; et Valentine
+était déjà bien loin, que la petite
+voix d'Isaure lui criait encore adieu.</p>
+
+<p>Le premier soin de la marquise,
+en arrivant à Auteuil, fut d'instruire
+Anatole du séjour qu'elle comptait
+y faire, et d'une partie des raisons
+qui la contraignaient à s'éloigner de
+sa famille. La nécessité d'empêcher
+Anatole de lui adresser de nouvelles
+lettres à l'hôtel de Nangis, l'obligeait
+à lui apprendre le sort qu'avait eu
+la dernière; mais elle évita soigneusement
+de lui laisser soupçonner la
+véritable cause de cette indiscrétion,
+qu'elle mit sur le compte de la maladresse
+d'un laquais et d'une distraction
+de son frère. Elle parla seulement
+des justes reproches qu'il
+<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span>
+lui avait fallu supporter de la part
+de M. de Nangis, sur le tort de s'être
+ainsi compromise; et finit par dire
+que l'impossibilité d'expliquer sa
+conduite sans trahir un secret inviolable,
+lui avait fait prendre le
+parti d'attendre loin de son frère le
+moment où elle pourrait se justifier
+des soupçons qu'on osait concevoir
+contre elle. Mais, pour atteindre à
+ce but, il fallait s'imposer des sacrifices,
+et réduire aux plus simples
+expressions de l'amitié une correspondance
+qui n'aurait jamais dû
+être fondée sur un autre sentiment.
+C'était à cette seule condition que
+Valentine consentait à recevoir encore
+des lettres d'Anatole; et elle
+en parlait déjà comme d'une chose
+<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span>
+convenue, sans se douter qu'elle
+demandait l'impossible.</p>
+
+<p>La douleur qui l'accablait se dissipa
+un peu à l'aspect du plaisir que
+causa son arrivée chez madame de
+Réthel. Le commandeur prétendit
+que la goutte pouvait s'amuser à
+ses dépens aussi long-temps qu'il
+plairait à Valentine de lui servir de
+garde-malade; «Car, disait-il en
+riant, qu'est-ce que cela me fait de
+souffrir, pourvu que je ne le sente
+pas.» Cette folie paraîtra bien sensée
+à tous ceux qui ont reconnu le
+pouvoir magique de la présence
+d'un ami sur les souffrances les plus
+aiguës.</p>
+
+<p>Si la gaîté de M. de Saint-Albert
+avait bravé la maladie, elle s'éteignit
+<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span>
+bientôt en écoutant le récit des nouveaux
+chagrins de Valentine. Il s'indigna
+de la voir l'objet d'une persécution
+aussi peu méritée, et, dans
+son premier mouvement, il voulait
+écrire à M. de Nangis pour l'éclairer
+sur l'excès de son injustice, et
+lui prouver qu'il était de son honneur
+de la réparer. Mais Valentine
+le conjura de renoncer à ce projet,
+en lui démontrant l'impossibilité
+d'instruire son frère des calomnies
+dont elle était victime, sans lui en
+dénoncer les auteurs. «Je ne le persuaderais
+pas, ajoutait Valentine, il
+persisterait à me demander l'explication
+d'un mystère que je ne comprends
+pas moi-même; et le silence
+qu'il me faudrait garder sur plusieurs
+<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span>
+points envers lui, ajouterait encore
+à l'idée des torts qu'il me suppose.
+Je ne regagnerais point sa confiance,
+et sa femme la perdrait pour toujours.
+Le ciel me préserve de jeter
+dans cette famille les premières semences
+du trouble qui doit y naître
+un jour! J'en conviens, les reproches
+d'un frère pèsent cruellement sur
+mon c&oelig;ur, mais ceux que je pourrais
+m'adresser l'oppresseraient bien
+plus encore!&mdash;Eh bien, soit, reprit
+le commandeur, je vous obéirai;
+mais promettez-moi de ne plus vous
+exposer à des scènes inévitables partout
+ailleurs qu'ici. Vous ne savez
+pas encore ce que l'on vous réserve,
+et le parti que la méchanceté va tirer
+d'une aussi belle circonstance; moi,
+<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span>
+je m'en doute, et j'exige que vous
+choisissiez cette retraite pendant
+l'orage. L'éclat que nous redoutions
+ne peut plus s'éviter. La vengeance
+d'un amour-propre tel que celui de
+M. d'Émerange doit être sanglante;
+puissent tous nos soins vous en
+mettre à l'abri. Mais il est de la plus
+grande importance qu'il ignore à
+jamais le nom de l'imprudent qui
+s'est permis sur son compte une injure
+impardonnable. Vous ne doutez
+pas de toutes ses recherches pour le
+découvrir. Joignez-vous à moi pour
+ordonner à Anatole de s'y soustraire
+en s'éloignant de vous. Il est persuadé
+que sa lettre n'est tombée qu'entre
+les mains de votre frère, et ne soupçonne
+pas que M. d'Émerange en ait
+<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span>
+eu connaissance. Profitons de son
+erreur pour lui demander au nom
+de votre repos un sacrifice que les
+peines qu'il vous cause vous donnent
+bien le droit d'exiger. Sur-tout plus
+de lettres, vous en voyez le danger.
+Il n'est point de secret qui y résiste.
+Fiez-vous à mon amitié du soin de
+dissiper ses inquiétudes sur votre
+sort. Calmez les agitations qui tourmentent
+votre ame, et laissez lui
+croire en partant que son absence
+est le prix de votre bonheur.&mdash;Disposez
+de moi, reprit en soupirant
+Valentine, je souscris d'avance à
+tout ce que votre sage bonté imaginera
+pour nous épargner de nouveaux
+malheurs. Mais je n'ai plus le
+courage qui soutient la volonté; ordonnez
+<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span>
+pour moi.» L'émotion de
+Valentine l'empêcha d'en dire davantage;
+elle sortit précipitamment pour
+cacher l'excès de sa faiblesse, et s'enfuit
+dans un des bosquets du jardin
+que le printemps commençait à parer,
+et là, sans s'apercevoir des bienfaits
+d'une saison charmante, Valentine
+s'écriait en pleurant: Il faut
+donc que je renonce à tout dans la
+nature!</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIII" id="CHAPITRE_XXXIII"></a>CHAPITRE XXXIII.</h3>
+
+<p class="p2">Si le démon de la jalousie enfante
+les querelles entre les plus tendres
+amants, celui de la vengeance sait
+<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span>
+réunir les plus fiers ennemis, et
+l'humanité s'afflige de voir les serments
+consacrés a cette furie, plus
+fidèlement gardés que les serments
+inspirés par l'amour. Depuis long-temps
+M. d'Émerange convaincu de
+son empire sur le c&oelig;ur de madame
+de Nangis, dédaignait un succès facile
+que tout le monde lui croyait
+acquis. Uniquement occupé d'un
+triomphe plus flatteur pour sa vanité,
+la tendresse de madame de
+Nangis lui semblait importune. Mais
+le plus humiliant revers avait remplacé
+ce triomphe qu'il croyait certain.
+L'aveu de madame de Saverny,
+en reconnaissant la lettre présentée
+par son frère, prouvait assez la
+vérité; et la comtesse ne pouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span>
+plus être accusée de mensonge.
+Enfin, l'homme le plus brillant de
+la cour, celui dont tant de femmes
+délaissées attestaient la séduction et
+l'inconstance, se voyait joué par la
+simplicité d'une femme de province,
+et insulté par un rival inconnu, dont
+l'obscurité semblait être le partage.
+Tant d'injures réunies demandaient
+une réparation éclatante; et comme
+la gloire d'un homme à la mode ne
+se soutient que par le déshonneur
+d'un grand nombre de victimes, c'est
+la perte de la réputation de madame
+de Saverny qui doit réhabiliter celle
+du comte d'Émerange.</p>
+
+<p>Pénétré de cette idée, il se rend
+chez madame de Nangis, en obtient
+sans peine le pardon de ses torts;
+<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span>
+et, profitant de l'excès d'indulgence
+qu'inspire le retour au bonheur, il
+avoue que, séduit par les coquetteries
+de la marquise, il n'a pu se défendre
+d'un attrait passager pour elle; mais
+qu'ayant bientôt reconnu la différence
+du caprice au sentiment, il
+n'attendait plus qu'une occasion de
+rompre sans impolitesse, pour venir
+retomber aux pieds de la seule femme
+qu'il eût jamais aimée. Après ce
+perfide aveu, desirant offrir une
+preuve incontestable de la sincérité
+de son repentir, le comte sort d'un
+porte-feuille le portrait de Valentine,
+et le livre à la comtesse comme
+un sacrifice qui lui répond de la
+franchise de ses sentiments.</p>
+
+<p>Dans tout autre moment la vue
+<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span>
+de ce portrait eût transporté de
+colère madame de Nangis; mais
+quand le coupable dont on pleurait
+l'abandon vient demander grace,
+s'indigne-t-on de quelque chose?
+Elle ne vit dans cette preuve d'infidélité
+que le plaisir d'en triompher;
+et son amour-propre satisfait trouva
+mille excuses aux torts de M. d'Émerange.
+Mais plus elle redoublait de
+clémence pour lui, et plus son ressentiment
+s'animait contre sa rivale.
+«Venir ainsi, disait-elle, afficher les
+dehors d'une conduite austère, parler
+de grands principes, se parer
+d'une candeur factice, et tout cela
+pour enlever à son amie l'affection
+qui fesait son bonheur, et sacrifier,
+l'amour d'un homme comme il faut
+<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span>
+à quelque aventurier! Certainement
+je ne me donnerai point dans le
+monde le ridicule de tolérer de semblables
+intrigues. M. de Nangis est
+bien libre d'approuver les nombreuses
+faiblesses de sa s&oelig;ur; mais
+il ne peut m'obliger à jouer le rôle
+de confidente: aussi vais-je lui
+déclarer que je ne saurais habiter
+plus long-temps avec elle. Il sentira
+bien le tort qu'une intimité de ce
+genre pourrait faire à la réputation
+de sa femme, et je ne doute pas
+qu'il n'écrive dès demain à la marquise,
+pour l'engager à prolonger
+son séjour chez madame de Réthel.
+Probablement son héros est quelque
+ami de cette prude; et soit fierté,
+ou faiblesse, elle obéira sans murmurer
+aux volontés de son frère.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span>
+Ce plan servait à merveille les intentions
+de M. d'Émerange, et il se
+félicitait en voyant à quel point on
+pouvait se servir de la passion d'une
+femme pour se venger du mépris
+d'une autre: il quitta la comtesse
+en la conjurant d'épargner sa belle-s&oelig;ur
+auprès des personnes que leur
+séparation allait surprendre. «Songez
+qu'elle appartient à votre famille,
+disait-il, et que vous devez autant
+qu'il vous sera possible, lui garder
+le secret de ses fautes. D'ailleurs que
+vous importent ses caprices; vous
+êtes bien sûre maintenant qu'ils ne
+vous coûteront jamais rien, ajoutait-il
+en baisant la main de la comtesse.
+Ce qu'il faudrait seulement découvrir,
+pour nous amuser un peu,
+<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span>
+c'est le nom de ce monsieur qui
+m'honore d'une estime si particulière.&mdash;Pour
+peu que vous y teniez,
+reprit la comtesse, nous le saurons
+bientôt; mais, si je consens à vous
+servir dans la recherche que vous
+voulez en faire, c'est à condition
+que vous m'assurerez qu'il n'entre
+pas le moindre sentiment jaloux dans
+votre curiosité.&mdash;Moi, jaloux de
+ce chevalier invisible? Je vous jure
+de ne l'être jamais, à moins pourtant
+qu'il ne lui plaise aussi de
+vous tourner la tête.» Cette dernière
+flatterie acheva d'enivrer la comtesse.
+La joie de régner encore sur
+un c&oelig;ur infidèle, la crainte de le
+voir s'échapper une seconde fois, et
+l'idée, si trompeuse de se l'attacher
+<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span>
+pour toujours par la reconnaissance,
+entraînèrent madame de Nangis dans
+tout l'excès d'une générosité coupable.</p>
+
+<p>Mais si les folies du c&oelig;ur sont
+suivies d'un aveuglement complet
+qui dissimule également à nos yeux
+les défauts de l'objet aimé et les
+torts de notre faiblesse, il n'en est
+pas de même des égarements de
+l'imagination. Ils mènent aussi loin,
+mais sans cacher les dangers qui nous
+menacent. Cette fièvre d'idées qui
+naît des agitations de l'amour-propre
+a ses intermittences; et c'est alors que
+la raison, la méfiance, et le regret,
+remplissent l'ame d'une mortelle
+inquiétude qui fait desirer le retour
+de l'accès. Madame de Nangis offrait
+<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span>
+une grande preuve de cette vérité.
+Tant que M. d'Émerange était resté
+près d'elle, elle n'avait pas douté
+un instant de sa franchise; pas la
+moindre rancune n'était venue troubler
+les plaisirs d'un retour aussi
+inattendu; et le comte venait de la
+quitter en lui répétant les assurances
+les plus tendres. Mais tout le prestige
+avait disparu avec sa présence. La
+réflexion avait succédé à l'ivresse,
+le soupçon à la confiance, le repentir
+au bonheur. Les yeux fixés sur le
+portrait de Valentine, il lui sembla
+difficile de ne pas regretter tant d'attraits.
+Une autre incertitude la tourmentait
+encore. Ce portrait paraissait
+un gage trop certain de la faiblesse
+de madame de Saverny, mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span>
+avait-il été donné par elle? Étonnée
+de n'avoir pas été plutôt frappée
+de cette pensée, la comtesse fait
+appeler sa fille, et lui demande ce
+qu'est devenu le portrait de sa tante:
+«Le voici, répond Isaure, en détachant
+de son cou le collier que
+M. d'Émerange lui a rapporté la
+veille.» La comtesse le prend, confronte
+les deux miniatures. Dans
+chacune des deux la pose est la
+même, mais le costume est différent.
+Cependant elle croit reconnaître que
+celle d'Isaure a servi de modèle à
+l'autre. La supposition que M. d'Émerange
+la trompe, et qu'elle ne
+doit peut-être ce portrait qu'à une
+supercherie, anime ses yeux de colère.
+«Je suis sûre, dit-elle à Isaure
+<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span>
+avec emportement, que vous avez
+prêté ce portrait à quelqu'un?&mdash;L'enfant
+effrayée se décide à mentir
+pour éviter d'être grondée, et se
+félicite de sa ruse, en voyant le bon
+effet qu'elle produit sur sa mère,
+qui prend un air riant, l'embrasse,
+et la renvoie.</p>
+
+<p>La comtesse rassurée par cette
+première épreuve, en médite encore
+d'autres, pour se convaincre de ce
+qu'elle desire. Mais elle sent avant
+tout la nécessité d'éloigner une rivale
+dont la perte peut seule assurer
+sa tranquillité. Son esprit ne rêve
+plus qu'aux moyens d'abuser de la
+confiance de son mari, pour servir
+sa jalousie. Déja elle se réjouit des
+succès que lui promet sa supériorité
+<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span>
+dans l'art de tromper, sans se douter
+que pendant ce temps elle est dupe
+elle-même des erreurs de son imagination,
+des serments d'un perfide,
+et de la petite ruse d'une enfant.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIV" id="CHAPITRE_XXXIV"></a>CHAPITRE XXXIV.</h3>
+
+<p class="p2">Les v&oelig;ux de madame de Nangis
+ne furent que trop tôt remplis. Son
+mari, convaincu par l'évidence des
+preuves qu'elle lui donne contre
+Valentine, avoue que la conduite
+de sa s&oelig;ur ne mérite plus d'indulgence,
+et c'est presque sous la dictée
+de la comtesse, qu'il écrit à madame
+de Saverny la lettre qui doit lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span>
+fermer pour jamais l'entrée de sa
+maison. La rupture bien constatée,
+madame de Nangis ne songe plus
+qu'à la publier dans le monde avec
+tous les détails qui doivent justifier
+la sévérité de son mari, et
+perdre la réputation de Valentine.
+En moins de huit jours l'histoire
+s'en est tellement répandue, qu'elle
+est l'objet de toutes les conversations.
+Les hommes, piqués de n'être
+pour rien dans les torts d'une aussi
+jolie personne, se plaisent à les exagérer;
+les femmes en parlent avec
+tout le mépris qui sert à déguiser
+l'envie. L'une se promet bien de ne
+pas lui rendre son salut, si jamais
+elle la rencontre; l'autre court chez
+son amie pour la prévenir du danger
+<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span>
+de recevoir une folle qui vient
+de s'afficher ainsi; et lorsque quelque
+ame charitable ose demander
+la cause de ces mesures rigoureuses:</p>
+
+<p>«Quoi, s'empresse-t-on de lui répondre,
+vous ignorez que cette
+belle marquise de Saverny, qu'on
+voulait nous donner pour modèle,
+et qui, disait-on, était insensible
+aux charmes de l'amour, menait
+tout doucement quatre intrigues
+à-la-fois? Vivent ces beautés timides
+pour savoir bien tromper leurs
+admirateurs! Ceux de la marquise
+en seraient peut-être encore dupes,
+si l'un de ses favoris n'avait eu la
+maladresse de laisser deviner son
+bonheur. On va jusqu'à dire que
+la preuve de ce bonheur oblige
+<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span>
+la marquise à faire une assez longue
+absence. Enfin, rien ne manque au
+scandale de ses aventures galantes;
+et pour peu qu'elle aime la célébrité,
+sa vanité doit être satisfaite.»</p>
+
+<p>A ces calomnies on joignait les plus
+injurieux commentaires; mais ces
+bruits n'étant pas encore parvenus
+à Versailles, Valentine reçut une
+lettre de la dame d'honneur de la
+reine, qui lui annonçait que le jour
+de sa présentation à la cour était
+fixé au dimanche suivant. Cette lettre
+était la réponse de la demande que
+M. de Nangis avait adressée quelques
+mois après l'arrivée de madame
+de Saverny. Cette présentation aurait
+eu lieu beaucoup plutôt, sans la
+grossesse de la reine, mais on venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span>
+de célébrer son retour à la santé, et
+la naissance d'une auguste princesse.
+La cour allait reprendre ses
+habitudes, et déja l'on se félicitait
+d'y voir paraître une femme qui
+devait y briller à tant de titres.</p>
+
+<p>C'était uniquement par condescendance
+aux volontés de son frère
+que Valentine avait consenti à réclamer
+l'honneur auquel sa famille
+et le nom du marquis de Saverny,
+lui donnaient des droits incontestables.
+Mais cette cérémonie qui,
+dans toute autre circonstance, aurait
+peut-être flatté son amour-propre,
+aujourd'hui devenait un supplice
+pour elle. L'idée de s'offrir à tout
+les regards dans un moment où le
+malheur et la méchanceté semblaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span>
+se réunir pour l'accabler effrayait
+son courage. Elle s'adressa encore à
+M. de Saint-Albert, pour le prier de
+lui indiquer un moyen de la dispenser
+de ce devoir pénible. Mais il lui
+répondit, qu'il en connaissait fort
+peu, et que tous offraient de grands
+inconvénients. «D'ailleurs, ajouta-t-il,
+votre position exige ce sacrifice.
+Quand, par l'effet d'un événement
+fâcheux, on a le malheur d'occuper
+de soi les oisifs d'une grande
+ville, on ne doit pas plus affecter
+de se montrer que de se cacher.
+Les mêmes gens qui vous blâmeraient
+s'ils vous voyaient braver dans
+le grand monde l'injustice de votre
+famille, ne manqueraient pas d'interpréter
+fort mal le motif qui retarderait
+<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span>
+votre présentation à la cour. Il y a
+tant de gens qui s'y feraient porter
+à l'agonie pour une semblable cérémonie,
+que vous ne leur persuaderez
+jamais qu'on s'en dispense volontairement;
+ils trouveront bien plus
+simple de supposer qu'on vous exclut
+de la cour, que de croire aux
+raisons qui vous en éloignent.» En
+lui tenant ce discours, le commandeur
+savait déja tous les bruits qui
+circulaient sur le compte de Valentine.
+La princesse de L... venait de
+les lui mander en lui marquant
+qu'elle ne saurait y ajouter foi, avant
+de les entendre confirmer par lui.
+On devine bien que malgré ses souffrances,
+M. de Saint-Albert ne perdit
+pas un moment pour aller convaincre
+<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span>
+la princesse de l'innocence de Valentine,
+et la conjurer d'accorder à
+cette intéressante victime de l'envie
+et de l'injustice, toute la protection
+qu'elle méritait. C'est dans la certitude
+que la princesse de L... partagerait
+l'indignation qui le transportait
+contre les ennemis de la
+marquise, et qu'elle prendrait hautement
+sa défense, qu'il engageait
+Valentine à paraître à la cour. Il
+pensait que l'appui d'une personne
+aussi justement révérée, devait servir
+d'égide contre les traits de la
+méchanceté; mais si la protection
+des princes est un grand titre à la
+bienveillance du souverain, elle en
+est un plus grand à la haine des
+envieux. Le respect des courtisans
+<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span>
+s'arrête aux favoris des rois; et c'est
+ordinairement sur les protégés de
+celui que la fortune favorise qu'on se
+venge des succès du protecteur.</p>
+
+<p>Valentine, soumise aux avis de
+M. de Saint-Albert, envoya mademoiselle
+Cécile à Paris, pour commander
+ses habits de cour et rapporter
+avec elle le reste des effets qu'elle
+avait laissés à l'hôtel de Nangis. Tous
+les gens attachés au service de la
+marquise reçurent l'ordre de venir
+la retrouver à Auteuil; et lorsque
+mademoiselle Cécile fut au moment
+d'y retourner, Richard lui dit: «Eh
+bien! c'est donc un parti pris, vous
+nous quittez pour toujours; ma foi
+j'en suis fâché, car la marquise est
+une excellente maîtresse, et si j'en
+<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span>
+juge par les bonnes étrennes qu'elle
+nous a données cet hiver, à nous,
+qui ne lui rendions pas de grands services,
+je pense que les vôtres sont
+bien payés. Richard accompagna ces
+derniers mots d'un air malin qui
+fut très-bien compris de mademoiselle
+Cécile; elle dissimula l'indignation
+qu'elle en ressentait pour
+mieux savoir jusqu'où Richard portait
+ses conjectures. Il ne se fit pas
+prier pour lui raconter assez grossièrement
+tout ce qui se disait dans
+les antichambres, de la séparation
+de la marquise d'avec sa belle-s&oelig;ur.
+De cet entretien il résulta une vive
+querelle dans laquelle mademoiselle
+Cécile prit avec chaleur le parti de
+sa maîtresse, en injuriant de tout
+<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span>
+son pouvoir celle de Richard, et
+finit par dire: «Eh bien! quand madame
+de Saverny aurait autant d'amants
+que sa s&oelig;ur lui en donne,
+n'est-elle pas libre de vivre à son
+gré? A-t-elle un mari à tromper, ou
+des enfants à corrompre par son
+mauvais exemple? Allez, M. Richard,
+le temps viendra bientôt où la vérité
+se fera connaître: votre maître ne
+sera pas toujours aussi dupe, et c'est
+alors qu'il récompensera le fidèle
+porteur des petits billets de la comtesse.»
+Ravie d'avoir répondu par ce
+trait malin aux propos de son camarade,
+mademoiselle Cécile prit
+congé des femmes de madame de
+Nangis, sans oublier de leur faire
+le détail de la magnifique parure qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span>
+embellirait la marquise le jour de
+sa présentation. Elle fut récompensée
+de cette preuve de confiance, par
+plusieurs petites confidences; on lui
+raconta le chagrin de la pauvre
+Isaure, à qui sa mère avait positivement
+défendu d'aller voir sa tante,
+et qui de plus, avait reçu l'ordre
+de ne jamais prononcer le nom de
+madame de Saverny. Enfin, après
+s'être longuement livrée à tous les
+plaisirs du commérage, mademoiselle
+Cécile sortit de l'hôtel de Nangis,
+sans éprouver d'autre regret que
+celui de n'y pouvoir causer encore.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXV" id="CHAPITRE_XXXV"></a>CHAPITRE XXXV.</h3>
+
+<p class="p2">La nouvelle de la prochaine présentation
+de la marquise, jointe à
+toutes celles qui se débitaient sur
+ses prétendues aventures, excita les
+clameurs de toute la brillante société
+de Paris. Plusieurs femmes d'un rang
+distingué furent sollicitées, par ces
+officieuses personnes que l'on trouve
+partout, pour tâcher de faire parvenir
+aux oreilles de la Reine les
+bruits qui couraient sur madame
+de Saverny. Mais quand on avait
+l'honneur d'approcher souvent de la
+Reine, on savait avec quel mépris elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span>
+recevait toute espère de dénonciation
+de ce genre; d'ailleurs c'était madame
+la princesse de L... qui devait présenter
+elle-même la marquise, et
+toutes les tentatives de la méchanceté
+échouaient devant cette marque
+de considération particulière.</p>
+
+<p>Le dépit de ne pouvoir réussir à
+éloigner Valentine de la cour, redoubla
+la curiosité de voir l'accueil
+qu'elle y recevrait; et toutes les personnes
+qui par leur rang pouvaient
+y être admises ne manquèrent point
+à cette cérémonie. Déjà les galeries
+de Versailles étaient remplies de
+courtisans dont l'ironie s'exerçait,
+en attendant mieux, sur la famille
+de M. de Nangis, sans s'apercevoir
+que le comte était là très à portée
+<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span>
+de les entendre. Après y avoir bien
+réfléchi, il n'avait pas cru pouvoir
+se dispenser d'assister à la présentation
+de sa s&oelig;ur, sur-tout en pensant
+qu'on l'avait accordée à sa sollicitation.
+Mais il avait conjuré la
+comtesse de n'en pas être témoin,
+pour éviter, disait-il, l'embarras
+d'une entrevue désagréable, et l'inconvénient
+d'offrir à toute la cour
+le spectacle de leur désunion.</p>
+
+<p>Enfin, l'on vint avertir que le
+Roi allait passer dans les grands appartements,
+et tout rentra dans le
+plus profond silence. Lorsque toute
+la cour fut rangée auprès de Sa Majesté,
+on vit paraître la princesse
+de L... dans le costume le plus simple,
+et tenant par la main la marquise
+<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span>
+de Saverny, dont la magnifique parure
+semblait rivaliser avec l'éclat
+de sa beauté. Jamais plus de noblesse
+et plus de modestie n'avaient embelli
+tant d'attraits. La timidité qui
+colorait son teint en augmentait la
+fraîcheur; son regard à demi baissé
+semblait réclamer l'indulgence, en
+même temps que sa taille élégante
+et son noble maintien commandaient
+l'admiration. Elle fit ses révérences
+sans assurance et sans gaucherie, et
+ce fut avec toutes les graces de la simplicité,
+qu'elle répondit aux choses
+obligeantes que le Roi daigna lui
+dire.</p>
+
+<p>Cette réception déconcertait bien
+de malignes espérances; les femmes
+en témoignaient tout haut leur dépit:
+<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span>
+«Voilà, disaient-elles, comme
+avec de la beauté on peut tout se permettre
+impunément: prêchons, après
+de pareils exemples, la vertu à nos
+filles! Mais si la vérité n'arrive jamais
+aux pieds du trône, le monde
+qui la connaît sait punir les erreurs.»
+A ces discours les hommes, déja séduits
+par l'aspect de Valentine, essayaient
+de répondre qu'avant de
+la juger aussi sévèrement, il fallait
+attendre des preuves plus positives
+de son inconséquence. Quelques-uns
+refusaient tout net de la croire coupable,
+et les plus malveillants ne
+savaient comment accorder tant de
+travers avec tant de modestie.</p>
+
+<p>Valentine, un peu remise du premier
+trouble inséparable d'une solennité
+<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span>
+dont on est le principal objet,
+essaya de lever les yeux pour contempler
+ce spectacle brillant et nouveau
+pour elle; mais toute la pompe
+de la cour disparut bientôt à ses regards,
+lorsque les portant du côté où
+était placé le corps diplomatique, elle
+reconnut l'ambassadeur d'Espagne,
+et près de lui... Anatole. Qui pourrait
+peindre l'émotion qui s'empara
+d'elle au moment où leurs yeux se
+rencontrèrent! Elle eut besoin de
+tout son courage pour n'y pas succomber,
+et elle crut que la princesse
+de L..., touchée de son état, arrivait
+pour lui sauver la vie, quand elle
+vint la prendre pour la conduire
+chez les princesses du sang, et lui
+faire faire, suivant l'usage, quelques
+visites dans le château.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span>
+Elle fut invitée à souper le même
+jour chez la comtesse d'Art.... C'est-là
+que l'attendaient l'intrigue et la
+jalousie des femmes qui se promettaient
+de lui faire payer ses triomphes
+du matin par toutes les humiliations
+de la soirée; la princesse de
+L... était chez la Reine, et madame
+de Réthel se trouvant forcée de retourner
+auprès de son oncle, rien
+ne s'opposait au projet d'affliger la
+marquise. Il est vrai que la bonté
+de la comtesse d'Art... lui répondait
+d'un accueil agréable; mais les
+premières politesses finies, la comtesse
+et les princes ses frères se
+mettraient au jeu, et la pauvre Valentine
+resterait livrée à elle-même
+ou plutôt à la vengeance de toutes
+<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span>
+ses rivales. C'est ce qui arriva bientôt.
+Dès que la comtesse rompit le
+cercle pour s'approcher de la table,
+toutes les femmes s'éloignèrent de
+Valentine en lui prodiguant les marques
+du plus humiliant dédain.
+Confuse de se voir ainsi abandonnée
+au milieu du salon, elle fut se placer
+auprès de la jeune duchesse de M...,
+qu'elle avait souvent rencontrée chez
+madame de Nangis. Mais la duchesse
+qui la croyait de bonne foi coupable
+de tous les procédés que lui reprochait
+sa belle-s&oelig;ur, se mit à lui
+tourner le dos, comme pour l'empêcher
+d'entendre ce qu'elle racontait
+d'elle à une autre personne.
+Malgré la paix de sa conscience,
+Valentine éprouvait le supplice de
+<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span>
+s'entendre calomnier sans pouvoir
+se défendre, et de se voir insultée
+sans oser se plaindre. L'arrivée de
+M. d'Émerange vint encore ajouter
+à l'horreur de sa position. A peine
+daigna-t-il la saluer. Cette impolitesse
+ne l'aurait pas affectée, s'il ne
+l'avait pas aggravée par les airs les
+plus impertinents.</p>
+
+<p>La crainte de voir la marquise
+recevoir quelques soins du petit nombre
+de personnes qui ne jouaient
+pas, les lui fit rassembler autour de
+lui, et captiver leur attention par
+des récits amusants. Souvent on l'accablait
+de questions auxquelles il
+répondait en élevant le ton: «Non,
+ce n'est pas cela, vous êtes par trop
+méchant; puis, jetant un regard sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span>
+Valentine, il reprenait à voix basse
+la défense de l'accusée, et l'entremêlait
+de plaisanteries si piquantes,
+que les auditeurs riaient encore plus
+des ridicules de la coupable, qu'ils
+ne s'indignaient de ses fautes. Ce
+manège dura jusqu'au moment où
+la soirée finit. Valentine en vit approcher
+le terme avec toute l'impatience
+d'un prisonnier qui attend sa
+délivrance. Et lorsque ses chevaux
+l'entraînèrent loin de ce séjour où
+l'intrigue est un mérite, et l'innocence
+un ridicule, elle s'écria, le
+c&oelig;ur oppressé de larmes. «Ah! fuyons
+pour toujours des lieux où la bonté
+du souverain ne garantit pas de tant
+d'insultes, où le moindre succès
+s'achète par tant d'humiliations! Je
+<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span>
+n'y dois plus paraître, puisque le
+ciel m'a refusé la fausseté, la souplesse
+et l'audace.»</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXVI" id="CHAPITRE_XXXVI"></a>CHAPITRE XXXVI.</h3>
+
+<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p>
+
+<p>«Puisque l'ordre m'en vient de
+vous, j'obéirai, Valentine; demain,
+à cette même heure, je serai déjà
+bien loin de tout ce que j'adore.
+Ah! si le tort d'avoir compromis
+votre repos mérite le plus grand
+supplice, je le subirai... Mais
+non, rien ne saurait me punir
+<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span>
+assez du malheur d'avoir fait couler
+vos larmes. C'est ma coupable
+imprudence qui vous livre au ressentiment
+d'un frère; c'est avec
+l'assurance de ne pouvoir jamais
+causer votre bonheur que j'ose y
+attenter! Ah! ce n'est point assez
+de ma vie pour expier un tel crime,
+et sans les remords qui déchirent
+mon c&oelig;ur, vous ne seriez point
+assez vengée.</p>
+
+<p>«Avant d'accomplir ma triste destinée,
+j'ai voulu m'enivrer encore
+une fois du plaisir de contempler
+tout ce que la nature a formé de
+plus divin; mais grands dieux!
+quels transports inconnus ont agité
+mon ame, lorsque j'ai vu paraître
+au milieu de cette assemblée brillante
+<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span>
+celle dont la beauté céleste
+éclipsait jusqu'à l'éclat du trône! A
+son aspect enchanteur, j'ai cru voir
+la cour entière partager mon délire!
+le souverain lui-même, séduit par
+la réunion de tant de charmes à
+tant de modestie, semblait fier de
+compter au nombre de ses sujets
+une femme si digne de régner sur
+tous les c&oelig;urs. Mais il faut vous
+avouer ma faiblesse, tout en jouissant
+de l'admiration qu'inspirait Valentine
+au plus puissant roi de l'Europe,
+j'ai frémi en pensant à ce que
+j'aurais redouté de cette admiration
+sous un roi, d'une vertu moins austère,
+et, dans ce moment, je n'ai
+pas regretté le siècle de Louis XIV.</p>
+
+<p>«Ce triomphe si beau, ce doux
+<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span>
+instant a passé comme un songe.
+Un regard de Valentine, ainsi que
+celui d'Orphée, après avoir comblé
+les v&oelig;ux d'une ame passionnée,
+l'a replongée dans le néant.
+Bonheur, espoir, courage, j'ai tout
+perdu avec votre présence. L'affreuse
+idée d'en être privé pour
+toujours est venue me frapper d'un
+coup mortel, et les moments que
+j'ai passés depuis semblent ne plus
+appartenir à l'existence. Mais que
+l'excès de ce désespoir ne vous afflige
+pas, Valentine, je ne souffre
+déja plus. Ne vous accusez point
+sur-tout, des peines qui m'accablent;
+le ciel m'avait dès ma naissance
+condamné au malheur. C'est
+par vous seule que j'ai connu le
+<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span>
+charme de la vie. En me permettant
+de vous aimer, je vous ai dû
+une félicité au-dessus de mes espérances;
+et ce n'est pas votre faute
+si mon amour insensé a besoin de
+joindre un autre bonheur à celui
+de penser à vous... Je le sens: cet
+amour qui me dévore devait m'entraîner
+à tout braver pour tout
+obtenir de votre pitié... La mort
+la plus inévitable ne m'aurait pas
+arrêté... Mais s'exposer au mépris
+de Valentine... se voir l'objet de
+son dédain..... Ah! plutôt mille
+fois succomber à la douleur de
+s'éloigner d'elle. C'en est fait, mon
+sort est rempli; je l'ai vue, je l'ai
+adorée, ses yeux ont daigné quelquefois
+se fixer sur les miens; tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span>
+d'heureux souvenirs valent plus
+que ma vie. Adieu. Valentine!
+Adieu.»</p>
+
+<p>Cette lettre fut remise à madame
+de Saverny, à son retour de Versailles;
+et de tous les événements de
+la journée, le seul qui resta dans son
+souvenir, ce fut le moment où elle
+avait vu pour la dernière fois Anatole.
+«Il est parti, disait-elle avec
+l'accent d'un désespoir concentré;
+il est parti, et c'est pour m'obéir
+qu'il m'abandonne à tout l'excès de
+ma douleur!... Accablée d'injustices,
+rejetée par ma famille, je n'avais
+pour consolations que les preuves
+de son amour?... Ah! pourquoi sa
+barbare générosité m'a-t-elle sauvé
+la vie!... Que ferai-je d'un bien que
+<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span>
+je ne puis plus lui consacrer!... Car
+c'est en vain que je chercherais encore
+à m'abuser sur le sentiment qu'il
+m'inspire. Ce cruel sentiment règne
+seul dans mon c&oelig;ur; l'amitié même
+ne peut m'offrir de secours contre
+les regrets qui me tuent.... Ah!
+puisque je consentais à t'aimer sans
+espoir de bonheur, cruel! pourquoi
+m'as-tu ravi les tourments délicieux
+qui agitaient mon ame?...»</p>
+
+<p>C'est en exhalant ainsi sa douleur,
+que Valentine passa le reste de la
+nuit; lorsqu'elle se rendit le matin
+auprès du commandeur, il fut frappé
+de l'altération de son visage. «Ah! lui
+dit-il en prenant sa main avec affection,
+ménagez-moi, Valentine, je
+ne suis pas en état de supporter l'accablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span>
+où je vous vois; si votre
+courage ne soutient pas le mien, je
+m'accuserai de vos peines, et vous
+me verrez mourir du remords d'avoir
+empoisonné votre existence.&mdash;Eh!
+quel reproche pourrait troubler
+votre repos? N'est-ce pas à vous,
+mon ami, que je dois l'unique consolation
+qui me reste.&mdash;Non, reprit
+M. de Saint-Albert, c'est peut-être
+à moi seul que vous devez tous vos
+malheurs. La connaissance du monde
+qui m'a servi tant de fois, m'a trompé
+celle-ci; j'avais remarqué toute ma
+vie, dans le caractère des femmes,
+un fond de légèreté qui devait les
+rendre incapables d'éprouver un
+sentiment profond. Les plus estimables
+mêmes ne me semblaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span>
+pas à l'abri des séductions de la vanité;
+et tout en rendant justice à
+leur sensibilité, à la durée de leurs
+affections, et au noble dévouement
+qui en était souvent la suite, je
+croyais qu'on ne pouvait obtenir
+autant de leur c&oelig;ur, qu'en flattant
+leur amour-propre. J'en ai tant vu
+préférer la gloire d'être affichées
+publiquement, au bonheur d'être
+aimées en secret! Mais vous m'avez
+prouvé que ce bonheur pouvait suffire
+à l'ame la plus pure. Vous avez
+dissipé mon erreur, et vous me livrez
+maintenant au regret d'avoir
+fait naître dans votre c&oelig;ur un sentiment
+que je n'y saurais détruire.&mdash;Ah!
+cessez de vous accuser d'un
+mal qui n'est pas votre ouvrage,
+<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span>
+interrompit Valentine, son image
+était gravée dans mon c&oelig;ur, bien
+avant que vous ne l'eussiez fait battre
+en me parlant de lui!&mdash;Vous voulez
+en vain me justifier; à mon âge on
+ne se fait plus d'illusion sur ses
+torts. C'est en vous parlant des vertus
+d'Anatole, que je vous ai fait
+oublier le danger de l'aimer; c'est,
+rassuré par l'idée que cette passion
+qui égarait sa raison, ne troublerait
+jamais la vôtre; c'est peut-être aussi
+par je ne sais quelle vague espérance
+de voir récompenser tant d'amour
+par un sacrifice héroïque, que je
+me suis aveuglé moi-même sur les
+malheurs qui pouvaient résulter
+d'une intimité de ce genre. Enfin,
+je reconnais toute l'étendue de mon
+<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span>
+imprudence, et je ne me sens pas la
+force de vous en voir souffrir.»</p>
+
+<p>La première des consolations est
+d'en pouvoir offrir, et Valentine, en
+s'efforçant de consoler son ami des
+chagrins qui la désolaient, finit aussi
+par en être moins oppressée. Elle
+lui parla sans contrainte de son
+amour, et lui avoua qu'elle doutait
+que l'absence et le temps parvinssent
+à en triompher.&mdash;«Eh bien! faites-en
+toujours l'épreuve, reprit le
+commandeur; et, s'il est vrai que
+votre constance sache braver ces
+deux grands ennemis de l'amour,
+vous aurez peut-être le courage
+d'être heureuse en dépit de tous
+les obstacles.»</p>
+
+<p>Malgré le mystère répandu dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span>
+cette dernière phrase, Valentine sentit
+qu'elle ranimait sa vie en lui rendant
+quelque espoir. Dès ce moment, elle
+promit au commandeur de surmonter
+sa faiblesse, et se prêta de
+bonne grace à tous les moyens qu'il
+imagina pour la distraire. L'ingénieuse
+bonté de madame de Réthel
+en inventait chaque jour de nouveaux;
+mais Valentine refusait obstinément
+de jouir d'autres plaisirs
+que de ceux de la campagne. Le récit
+qu'elle avait fait à madame de Réthel
+de sa soirée de Versailles, lui donnait
+bien le droit de fuir le grand monde;
+et le commandeur était d'avis qu'elle
+laissât passer ce premier feu de méchanceté,
+qui s'éteint comme tant
+d'autres, quand il n'est pas alimenté
+<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span>
+par la présence de l'objet qui l'excite.
+Ainsi Valentine passa l'été chez madame
+de Réthel, dans cette retraite
+agréable, où les charmes de l'esprit
+et les douceurs de l'amitié se disputaient
+le plaisir de tromper ses
+regrets. Occupée de répondre aux
+soins de ses amis, elle vivait dans
+l'ignorance de ce qui se passait chez
+les personnes dont elle avait tant à
+se plaindre, et se consolait de la
+haine de ses ennemis, par le souvenir
+de l'amour d'Anatole.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXVII" id="CHAPITRE_XXXVII"></a>CHAPITRE XXXVII.</h3>
+
+<p>Deux mois s'écoulèrent dans cette
+vie paisible, pendant lesquels le
+commandeur avait reçu plusieurs
+lettres d'Anatole. Valentine était
+souvent présente quand on les lui
+remettait, mais il gardait le plus
+profond silence sur leur contenu;
+et si elles n'avaient pas porté le
+timbre de Madrid, Valentine eût
+ignoré jusqu'au pays où vivait Anatole.
+Tant de discrétion lui paraissait
+quelquefois pénible à supporter.
+Cependant elle n'osait s'en plaindre;
+et, forte de la sagesse de son ami,
+<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span>
+elle se livrait à toute la folie de son
+amour.</p>
+
+<p>La patience et le beau temps ayant
+triomphé de la goutte de M. de Saint-Albert,
+il arriva un matin chez
+madame de Saverny, et lui dit:
+«Pour cette fois, il n'y a pas moyen
+de refuser. Lisez ce billet, et voyez
+si nous pouvons nous dispenser de
+céder aux instances d'une personne
+qui vous aime tant.» Ce billet contenait
+une invitation de la princesse
+de L..., qui priait le commandeur
+d'employer tout son ascendant sur
+Valentine, pour l'engager à venir
+souper chez elle le sur-lendemain.
+C'était le jour de sa fête, et elle ajoutait
+dans les termes les plus affectueux,
+qu'elle douterait de l'amitié
+<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span>
+de Valentine, si elle ne venait pas
+se joindre aux amis qui devaient
+la fêter. Le commandeur n'eut pas
+besoin d'insister pour faire sentir
+à Valentine combien un refus de
+sa part serait déplacé dans cette circonstance;
+et il fut convenu entre
+eux et madame de Réthel, qu'on
+se rendrait le sur-lendemain à Paris,
+d'assez bonne heure, pour aller voir
+le salon des tableaux dont on venait
+de faire l'exposition au Louvre; et
+qu'après avoir dîné chez le commandeur,
+on se rendrait chez la princesse.
+Ce ne fut pas sans beaucoup
+d'émotion que Valentine passa devant
+l'hôtel de Nangis, pour se rendre
+au Louvre. Mais elle en éprouva
+bien davantage lorsqu'elle entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span>
+dans ce palais des arts et du génie.
+Ses yeux furent d'abord éblouis par
+le mélange de ces vives couleurs,
+dont les jeunes élèves se plaisent à
+recouvrir les défauts de leurs dessins,
+sans penser qu'ils ne tirent d'autre
+avantage de ce charlatanisme, que
+d'absorber l'effet des tableaux des
+grands maîtres. Son bon goût admira
+les premiers essais de ces beaux
+talents qui devaient un jour faire
+l'orgueil de la France. Elle envia au
+pinceau d'une femme charmante
+cette grace enchanteresse qui, dans
+chacun de ses portraits, semblait
+passer de l'artiste au modèle. Enfin
+la curiosité la conduisit auprès d'un
+tableau qui attirait la foule des amateurs.
+Elle fut long-temps sans pouvoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span>
+en approcher, et prenait patience
+en écoutant les éloges que
+tout le monde en fesait. «C'est, disait-on,
+d'une composition admirable,
+d'une vérité parfaite. L'ensemble
+du monument, le fini des détails,
+le dessin des figures, le coloris,
+enfin tout en est ravissant.» Chacun
+de ces éloges donnait à Valentine le
+desir de les vérifier; mais lorsque
+la politesse d'une personne qui lui
+céda sa place la mit à portée d'en
+juger, le dessin, les détails, le coloris
+ne furent pas l'objet de son admiration.
+Ses yeux frappés d'étonnement
+croyaient se tromper en reconnaissant
+cette chapelle de l'abbaye de
+Saint-Denis, qui renfermait le tombeau
+de Valentine de Milan. On
+<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span>
+voyait sur le premier plan une
+enfant en prière sur les marches
+d'un autel; plus loin, une femme
+était posée de manière à ne laisser
+voir que la beauté de sa taille et une
+partie de son profil, que des cheveux
+flottants dissimulaient encore. Un
+voile de mousseline venait de tomber
+à ses pieds, et l'on voyait un jeune
+homme sous le costume d'un simple
+ménestrel se prosterner pour ramasser
+le voile, et le presser sur son
+c&oelig;ur. A cet aspect inattendu, Valentine
+fut saisie d'un tremblement
+si violent, qu'elle se vit obligée de
+s'appuyer sur la balustrade qui entoure
+la galerie. Quand l'émotion
+causée par un souvenir aussi vif lui
+eut permis de reprendre ses sens, elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span>
+appela madame de Réthel, et lui dit:
+«Sortons d'ici, je ne me sens pas
+bien.» Madame de Réthel, effrayée
+du trouble où elle la vit, l'entraîna
+sur-le-champ hors de la salle.</p>
+
+<p>Le commandeur vint bientôt les
+rejoindre dans le vestibule, en se
+plaignant de leur fuite précipitée
+qui l'avait privé, disait-il, du plaisir
+d'admirer ce tableau qui captivait
+tous les suffrages du public. Valentine
+lui répondit qu'en regardant
+ce même tableau, elle avait
+été saisie d'un étourdissement qui
+l'avait forcée de sortir pour venir
+prendre l'air. «Si ce tableau magique
+produit d'aussi grands effets,
+reprit en souriant le commandeur,
+j'en regrette moins la vue.&mdash;Je
+<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span>
+dois avouer, dit Valentine, qu'il m'a
+fait une vive impression.&mdash;Il est
+donc d'une grande beauté, dit madame
+de Réthel?&mdash;Vraiment, je
+n'en sais rien, repartit Valentine;
+tout ce que je puis vous en dire,
+c'est qu'il est d'une exacte vérité.&mdash;On
+vous a sûrement dit quel en
+est l'auteur?&mdash;Je n'ai pas pensé
+à le demander, mais comme je me
+souviens qu'il est sous le n<sup>o</sup> 63, nous
+pouvons le voir dans le livret.» Alors
+Valentine chercha l'article qui concernait
+le tableau, et n'y lut que
+ces mots: Vue de l'intérieur d'une
+chapelle de l'abbaye de Saint-Denis,
+par un anonyme. «Ah! le succès qu'il
+obtient, dit madame de Réthel, nous
+promet que l'auteur ne gardera pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span>
+long-temps son secret; d'ailleurs les
+amateurs vont s'empresser d'acquérir
+cet ouvrage pour en décorer leurs
+galeries; et l'on sait que, pour la plupart
+de ces amateurs, le nom du
+peintre a presqu'autant de prix que
+le mérite du tableau.&mdash;Si je savais
+que celui-là fût à vendre, dit Valentine,
+je ferais de grands sacrifices
+pour l'acheter.&mdash;Vous le payeriez
+peut-être trop cher, reprit le commandeur;
+chargez moi du soin de
+cette affaire; je connais la personne
+qui préside aux expositions du Louvre;
+il est par sa place dans la confidence
+de tous les artistes; et je
+suis sûr qu'il m'indiquera le moyen
+d'obtenir à peu de frais le tableau
+que vous desirez.» Un regard plein
+<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span>
+de reconnaissance, fut le seul
+remerciement de Valentine. L'idée
+de posséder bientôt ce charmant
+ouvrage, qui ne pouvait avoir été
+fait ou commandé que pour elle,
+remplit son ame d'une douce joie.
+Quelle manière ingénieuse, se disait-elle,
+de m'assurer de son souvenir;
+et comment pourrais-je oublier
+celui qui se rappelle sans cesse à
+mon c&oelig;ur par tant de preuves d'amour!</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXVIII" id="CHAPITRE_XXXVIII"></a>CHAPITRE XXXVIII.</h3>
+
+<p class="p2">A l'heure indiquée, on se rendit
+chez la princesse de L... Dès les premières
+marches du palais, on sentait
+le parfum des fleurs; les vestibules
+étaient ornés de caisses remplies
+d'arbustes étrangers, de plantes
+odoriférantes. Chacun de ces tributs
+semblait avoir été déposé par la
+reconnaissance. Enfin, on y voyait
+jusqu'au bouquet des pauvres de la
+paroisse.</p>
+
+<p>Arrivées dans le sallon qui précédait
+celui de la princesse, madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span>
+de Réthel et Valentine se trouvèrent
+au milieu d'un petit bal d'enfants
+dont les cris joyeux l'emportaient
+sur le bruit de l'orchestre. Il
+y avait un grand désordre dans la
+marche des contredanses; et, malgré
+les efforts d'un petit monsieur qui,
+l'épée au côté et la tête droite, semblait
+commander d'une voix enrouée
+à toute une armée, la déroute était
+complète, et le maître à danser se
+désespérait de voir ses élèves sauter
+et se divertir ainsi contre toutes les
+règles de l'art. Ce fut encore bien
+pis lorsque Isaure laissant-là son
+danseur, vint se jeter dans les bras
+de sa tante. Le plaisir que Valentine
+éprouva en l'embrassant fut un peu
+troublé par l'idée qu'elle allait probablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span>
+rencontrer sa mère. Elle
+aurait préféré le plaisir de rester toute
+la soirée dans cette petite réunion,
+à l'honneur de s'offrir aux regards
+d'une plus grande assemblée. Elle
+frémissait déja de l'effet qu'allait produire
+son entrée dans le sallon de
+la princesse, et tâchait par mille prétextes
+d'en reculer l'instant, mais le
+commandeur qui devinait sa pensée
+vint lui prendre la main; elle entendit
+annoncer «Madame la marquise
+de Saverny»; elle fut bien obligée
+de paraître. A ce nom, le silence de
+l'étonnement régna dans l'assemblée;
+chacun se retourna pour voir s'il était
+bien vrai que la marquise reparût
+tout-à-coup dans le monde, après s'en
+être éloignée si long-temps. La princesse
+<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span>
+ayant remarqué le mouvement
+qui s'était fait à l'arrivée de Valentine,
+se leva pour aller au-devant
+d'elle, et la conduisit, ainsi que madame
+de Réthel, à des places qui
+avaient été réservées à côté de la
+sienne. Cette aimable attention toucha
+sensiblement Valentine; elle
+pensa que la princesse avait appris
+les mauvais procédés dont elle avait
+souffert la dernière fois qu'elle s'était
+trouvée dans une semblable réunion,
+et qu'elle voulait la protéger par les
+marques d'une considération particulière
+contre l'impertinence de ses
+ennemis. En pensant ainsi, elle rendait
+justice à la princesse, et ne se
+doutait pas que l'influence de l'opinion
+d'une personne aussi respectable
+<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span>
+dût ramener celle de tous les
+gens raisonnables. En effet, tous ceux
+que les manières inconsidérées et
+l'ironie continuelle de madame de
+Nangis commençaient à importuner,
+trouvèrent assez simple que sa belle-s&oelig;ur
+eût témoigné le desir de ne
+plus vivre avec elle, et finirent par
+conclure qu'une femme honorée par
+la constante amitié de la princesse
+de L..., et par l'attachement du commandeur,
+ne pouvait être indigne
+de l'estime des gens comme il faut.
+D'après ce raisonnement, plusieurs
+personnes vinrent s'informer, d'un
+ton respectueux, des nouvelles de
+madame de Saverny, et se plaindre
+de son goût pour la retraite, qui les
+privait aussi long-temps du plaisir
+<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span>
+de la voir. Madame de Nangis,
+placée en face, de l'autre côté du
+salon, voyait avec humeur les marques
+de considération que l'on donnait
+à Valentine, et mettait tous ses
+soins à cacher le dépit qu'elle en
+ressentait, par les signes d'une gaîté
+factice. Cherchant par différents
+moyens à détourner l'attention favorable
+qui se portait sur sa belle-s&oelig;ur,
+elle demanda la lecture des
+vers dont chaque poëte, invité à
+la fête, s'était cru obligé d'accompagner
+son bouquet. A cette proposition,
+les plus modestes réclamèrent
+l'avantage de passer les premiers,
+pour s'épargner, disaient-ils, le désagrément
+d'arriver après un succès.
+Le fait est qu'ils savaient bien à quoi
+<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span>
+s'en tenir sur la nouveauté de leurs
+pensées à tous, et qu'ils préféraient
+le plaisir de les dire, à l'ennui de
+les répéter.</p>
+
+<p>Déja plusieurs d'entre eux avaient
+assiégé l'Olympe pour en rapporter
+les comparaisons les plus exagérées,
+et l'on commençait à s'ennuyer de
+ce cours de Mythologie, lorsque le
+chevalier de Florian, et le chevalier
+de Boufflers, vinrent au secours des
+auditeurs, l'un avec une fable ingénieuse,
+l'autre avec des couplets
+charmants. Ceux que le premier avait
+attendris par les traits d'une sensibilité
+touchante étaient transportés
+par l'esprit piquant et la gaîté de l'auteur
+d'Aline; il est vrai que son nom
+et son état dans le monde lui donnaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span>
+les moyens de faire valoir à
+son gré tous les agréments de son
+esprit. Quand un homme de la cour
+se donne la peine d'avoir des talents,
+et qu'il daigne y joindre quelque
+instruction, ses succès n'ont plus de
+bornes, il peut prendre à son choix
+tous les tons; sa gravité passe pour
+celle d'un homme d'état, et sa gaîté
+ne paraît jamais trop familière; tandis
+qu'un pauvre poëte est toujours
+obligé de soumettre son talent au
+ton de la flatterie.</p>
+
+<p>On croit peut-être qu'après les
+applaudissements si justement prodigués
+aux jolis couplets du chevalier
+de Boufflers, personne n'osa
+plus se présenter pour en chanter
+d'autres. Mais s'il y a des gens qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span>
+ne doutent de rien dans le monde,
+c'est bien sûrement dans la classe
+des feseurs de madrigaux qu'on
+peut les rencontrer. Un des plus
+intrépides entamait déja son préambule,
+lorsque la princesse, fatiguée
+du retour de ces éternelles rimes:
+<i>de la fête, qu'on apprête, et de
+l'ivresse, de la tendresse</i>, vint en suspendre
+le cours en priant le comte
+d'Émerange de chanter quelques romances.
+C'était prévenir ses desirs;
+et il se rendit aussitôt à ceux de la
+princesse. En préludant sur le piano,
+ses yeux se portèrent sur madame
+de Saverny, et il la regarda d'une
+manière qui semblait dire à chacun:
+C'est d'elle que je vais vous parler.
+Lorsque le plus profond silence l'eut
+<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span>
+assuré de l'attention générale, il
+commença cette romance de M. de
+Moncrif, qui n'était alors connue
+que de ses intimes amis, et dont
+voici le premier couplet:</p>
+
+<p class="left35 font90">Elle m'aima cette belle Aspasie,<br />
+En moi trouva le plus tendre retour;<br />
+Elle m'aima: ce fut sa fantaisie;<br />
+Mais celle-là ne lui dura qu'un jour.</p>
+
+<p>La malignité fit bientôt l'application
+de ces paroles à madame de
+Saverny. Les chuchotements des
+femmes et cet empressement à mettre
+leur éventail devant leur visage
+pour cacher un rire moqueur que
+décelait leur attitude, apprirent sans
+peine à la marquise le succès qu'obtenait
+la fatuité du comte. Elle résolut
+<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span>
+de la déjouer, en dissimulant
+l'embarras qu'elle en ressentait, et
+fit bonne contenance. La joie que
+montra madame de Nangis dans
+cette circonstance, et son affectation
+à conjurer M. d'Émerange de
+recommencer cette romance dont
+les paroles étaient si piquantes, déplurent
+à beaucoup de personnes,
+et particulièrement à la princesse,
+qui fit changer sur-le-champ la conversation,
+en demandant à Valentine
+si elle avait été à l'exposition du
+Louvre. Dès-lors la discussion s'engagea
+sur le mérite des peintres
+modernes et de leurs ouvrages, et
+il ne fut plus question de musique.</p>
+
+<p>On ne tarda pas à parler de ce
+tableau qui fesait tant de bruit, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span>
+chacun s'étonna de n'en pouvoir
+connaître l'auteur. «C'est, m'a-t-on
+assuré, dit la baronne de T..., l'ouvrage
+d'un amateur.&mdash;Un amateur
+de cette force, reprit une autre, sera
+bientôt connu.&mdash;Mais il y a quelqu'un
+ici, reprit un troisième, qui
+pourra nous tirer d'incertitude; c'est
+le marquis d'Alvaro. Je lui ai entendu
+dire qu'il avait vu l'esquisse de ce
+tableau dans l'atelier d'un amateur
+de ses amis.»&mdash;Il faut absolument
+qu'il nous dise son nom, s'écria tout
+le monde; et plusieurs personnes
+s'empressèrent d'aller chercher le
+marquis d'Alvaro, qui fesait une
+partie d'échecs dans une pièce voisine.
+Si le c&oelig;ur de Valentine avait
+battu dès les premiers mots qui s'étaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span>
+dits sur ce tableau, on peut
+s'imaginer l'agitation où elle se trouva
+pendant que l'on cherchait le
+marquis d'Alvaro, et le tremblement
+qui la saisit en le voyant paraître.
+D'abord, on lui adressa cent questions
+à-la-fois; ce qui ne lui permit
+d'en distinguer aucune. Mais
+la princesse lui ayant expliqué ce
+qu'on desirait savoir de lui, il répondit
+que ce tableau, qui excitait
+si vivement la curiosité, était l'ouvrage
+du jeune duc de Linarès, dont
+le talent en peinture égalait celui
+des plus grands professeurs. Quoi!
+s'écria la princesse, c'est le parent de
+l'ambassadeur d'Espagne? ce jeune
+Anatole, si beau, si spirituel, qui est
+sourd-muet de naissance?... Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span>
+n'en entendit pas davantage.
+Un froid mortel circula dans ses
+veines; sa tête se pencha vers madame
+de Réthel; et elle perdit connaissance.</p>
+
+<p>Cet événement causa un effroi général;
+on transporta Valentine sur
+le lit de la princesse, où les plus
+prompts secours lui furent prodigués
+par le docteur P... qui se
+trouvait présent. Il ordonna que
+chacun se retirât pour laisser respirer
+la malade, et ne laissa près
+d'elle que la princesse et madame de
+Réthel. Lorsque Valentine reprit ses
+sens, un violent accès de fièvre se
+déclara, et le docteur craignit que
+ce ne fût le symptôme d'une véritable
+maladie; il insista pour que la
+<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span>
+marquise restât à Paris, en disant
+qu'il serait plus à portée de lui donner
+ses soins. La princesse joignit
+ses instances à celles du docteur pour
+la déterminer à accepter un appartement
+chez elle; mais rien ne put
+faire renoncer Valentine au projet
+de retourner le soir même à Auteuil;
+et l'on fut obligé de céder à sa volonté.
+Elle pria madame de Réthel
+d'avertir son oncle qu'elle était décidée
+à partir sur-le-champ. Elle
+adressa d'une voix éteinte ses remerciements
+à la princesse, lui serra
+tendrement la main, promit au docteur
+de suivre ses avis, et se fit porter
+dans sa voiture. Elle arriva bientôt à
+Auteuil. Le commandeur et sa nièce
+qui l'avaient accompagnée, passèrent
+<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span>
+la nuit auprès d'elle. Ils l'engagèrent
+vainement à prendre quelque repos;
+ses sens étaient agités, ses yeux égarés,
+sa tête en délire; mais, au milieu
+de ses souffrances, l'ardeur de la
+fièvre la délivrait au moins du tourment
+de penser.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIX" id="CHAPITRE_XXXIX"></a>CHAPITRE XXXIX.</h3>
+
+<p class="p2">«L'auriez-vous jamais deviné?
+s'écria madame de Nangis, lorsqu'elle
+se trouva seule avec M. d'Émerange,
+en sortant de chez la princesse.
+Vraiment je conçois qu'on en
+meure de surprise. Voilà une découverte
+<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span>
+bien autrement dramatique
+que celle de madame de V...., lorsqu'elle
+reconnut son amant dans un
+marchand d'étoffes. C'est quelque
+chose de fort glorieux sans doute que
+d'inspirer de l'amour à un jeune
+homme beau, riche, et qui, par-dessus
+tout cela, porte le nom de duc de Linarès.
+Mais c'est acheter un peu
+cher ce grand avantage, que d'être
+réduite au plaisir de faire signe à
+son amant, qu'on l'aime.&mdash;Au moins
+peut-on compter sur sa discrétion,
+dit en riant le comte.&mdash;Vous vous
+trompez, reprit la comtesse, on n'est
+pas plus en sûreté avec ces muets-là
+qu'avec vous. Depuis que l'abbé de
+l'Épée s'est imaginé de leur donner
+une éducation savante, ils se dédommagent
+<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span>
+du malheur de ne pouvoir
+bavarder par la manie d'écrire;
+et la seule différence qui existe entre
+leurs billets et les propos d'un indiscret,
+est celle de la preuve au soupçon.
+Celui-ci vous en offre un
+exemple, et sa lettre à Valentine
+vous en a certainement plus dit que
+toutes les conversations possibles.&mdash;Rien
+n'était plus clair, j'en conviens;
+et si je connaissais quelques
+moyens de me faire entendre aussi
+clairement de ce beau silencieux, je
+ne me refuserais point la petite satisfaction
+de lui prouver ma reconnaissance.&mdash;Quelle
+folie! n'allez
+vous pas chercher à vous battre avec
+un pauvre infirme?&mdash;Ah! quand je
+lui couperais un peu les oreilles, pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span>
+ce qu'il en fait, il n'y aurait pas
+grand dommage.&mdash;Allons donc, ce
+serait une lâcheté; voulez-vous
+qu'on dise dans le monde que vous
+vous êtes battu avec un muet pour
+ses propos? Il y aurait là de quoi
+vous couvrir d'un ridicule éternel.&mdash;Cependant,
+il m'a grièvement insulté!&mdash;Bah!
+qui s'en doute?&mdash;Mais,
+lui et moi, par exemple, et
+cela suffit bien.&mdash;Si l'on est convenu
+d'excuser les injures d'un rival
+ordinaire, on doit encore moins se
+blesser de celles d'un pauvre homme
+qui ignore peut-être la valeur des
+mots dont il se sert. Qui sait? Dans
+le langage de l'abbé de l'Épée, <i>fat</i>
+veut peut-être dire, <i>amant heureux</i>?&mdash;Oui,
+tout aussi bien que <i>Belmen</i>
+<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span>
+veut dire en turc, pour M. Jourdain:
+<i>Allez vîte vous préparer pour la cérémonie,
+afin de voir ensuite votre fille,
+et de...</i>&mdash;Ah! vous êtes insupportable,
+interrompit la comtesse, en
+éclatant de rire; on ne saurait parler
+raison un instant avec vous.&mdash;C'est
+votre faute, vraiment, en cherchant
+à me mystifier avec votre langage
+muet, vous me rappelez tout
+naturellement la meilleure mystification
+que je connaisse en ce genre.
+Mais, puisque vous l'exigez, parlons
+sérieusement. Que pensez-vous du
+résultat de ce coup de théâtre qui a
+fait tant de sensation ce soir chez la
+princesse?&mdash;Mais je ne serais pas
+étonnée que, ce premier moment de
+surprise une fois passé, Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span>
+ne s'accoutumât petit à petit à l'idée
+d'aimer un homme de cette espèce:
+il est passionné; elle est romanesque,
+et s'il lui est bien prouvé qu'aucune
+femme ne puisse être capable d'un
+pareil dévouement, vous verrez
+qu'elle en fera la folie.&mdash;C'est ce
+qu'il faut empêcher au nom de l'humanité;
+mais je m'en rapporte bien
+à M. de Nangis pour cela. Vraiment,
+je regrette qu'il n'ait pas retardé de
+deux jours son départ pour la campagne;
+j'aurais voulu voir de quel
+air il eût appris cette étrange nouvelle!&mdash;Ah!
+je puis vous assurer
+que le nom du duc de Linarès aurait
+seul captivé son intérêt, et qu'il ne
+se serait point embarrassé du reste.
+Dans son opinion, il est si convaincu
+<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span>
+qu'il ne manque jamais rien à un
+grand seigneur pour rendre une
+femme heureuse!&mdash;Ah! vous le
+vantez, et je ne saurais jamais lui
+supposer tant de respect pour les
+grandeurs. C'est une vertu de parvenus....&mdash;Dont
+beaucoup de gens
+de qualités sont susceptibles, interrompit
+la comtesse. Mais si vous
+doutez de l'exactitude de mon jugement
+sur M. de Nangis, venez vous
+en convaincre en lui apprenant
+vous-même le nom et les agréments
+du rival à qui sa s&oelig;ur vous sacrifiait.&mdash;Quoi!
+vous voulez sitôt...?&mdash;Vous
+savez à quelle condition
+j'ai promis de rejoindre le comte à
+Varennes, et s'il me serait possible
+d'aller m'enterrer à la campagne
+<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span>
+seule avec lui; c'est uniquement à
+vos sollicitations que j'ai cédé, en
+consentant à partir cette semaine:
+j'ai déja prévenu toutes les personnes
+qui doivent m'accompagner;
+mais si vous n'êtes pas du nombre,
+je reste. Enfin, je ne tiendrai ma
+parole qu'autant que vous serez fidèle
+à la vôtre. Cette déclaration intimida
+M. d'Émerange. Il promit à la
+comtesse de partir avec elle pour sa
+terre, en se réservant un prétexte
+de revenir à Paris où différents intérêts
+le rappeleraient bientôt. Le plus
+vif était bien certainement de savoir
+quel parti allait prendre madame
+de Saverny dans cette circonstance.
+Il lui semblait impossible que son
+amour résistât au coup qui venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span>
+de lui être porté. Braver les convenances,
+les obstacles, les devoirs les
+plus sacrés, lui paraissait l'effort d'un
+courage ordinaire; mais braver le
+ridicule, était à ses yeux le comble de
+l'héroïsme; et, malgré toute l'admiration
+que lui inspirait le caractère
+de Valentine, il ne la supposait point
+capable d'une vertu qu'il regardait
+comme au-dessus de l'humanité.</p>
+
+<p>Le bruit de la maladie de la marquise
+étant parvenu à madame de
+Nangis, elle se contenta d'envoyer
+savoir de ses nouvelles; et, comme on
+lui fit répondre au bout de quelques
+jours qu'elle était hors de danger,
+la comtesse partit pour la campagne,
+suivie d'une partie de sa cour. Fière
+d'entraîner à son char M. d'Émerange,
+<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span>
+elle ne s'occupa que des
+moyens de l'enchaîner près d'elle
+par l'attrait des plaisirs les plus variés;
+mais combien il entre d'amertume
+dans cette peine continuelle
+de rechercher des plaisirs étrangers
+à l'amour, pour retenir près de soi
+l'objet qu'on aime! et qu'il est douloureux
+de s'avouer qu'on ne doit
+ses succès qu'à son <i>adresse</i> à plaire!
+Oui, le tourment de sacrifier au devoir
+un amant justement adoré, vaut
+mieux que le triste bonheur de captiver
+quelques instants un infidèle.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XL" id="CHAPITRE_XL"></a>CHAPITRE XL.</h3>
+
+<p class="p2">Après huit jours de fièvre, Valentine
+revint à la santé, et au souvenir
+de ses peines. Mais l'affaiblissement
+qui suit la maladie calme aussi les
+idées, et l'on croirait qu'après avoir
+ainsi approché de la mort, l'ame renaît
+dégagée des illusions qui égarent
+dans la vie. Ce repos des sens,
+que produit la raison, n'est pas toujours
+de longue durée; et Valentine
+en desira profiter pour entendre
+du commandeur le récit de tout ce
+qui lui restait encore à apprendre
+sur Anatole. M. de Saint-Albert voulut
+<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span>
+d'abord se justifier, par le serment
+qui l'engageait, du secret qu'il
+avait gardé envers elle. Mais Valentine
+lui ayant répondu que sa discrétion
+était un titre de plus à l'estime
+qu'elle lui portait, il lui dit:
+«Vous avez raison de m'en louer, car
+elle m'a bien coûté; mais vous allez
+voir si je pouvais moins faire pour
+l'être que j'aime le plus au monde.</p>
+
+<p>J'avais vingt-huit ans, une fortune
+médiocre, et le peu d'avantages que
+vous me connaissez, lorsque je devins
+passionnément amoureux de la
+fille du marquis de Belduc. Sa beauté
+a fait tant de bruit dans le temps,
+que M. de Saverny vous en aura
+peut-être parlé. Les attraits qui captivaient
+les hommages d'un grand
+<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span>
+nombre d'adorateurs, ne m'auraient
+pas séduit, si l'intimité de son père
+avec toute ma famille ne m'avait
+fourni les occasions de la voir souvent,
+et de me convaincre qu'il était
+possible de réunir les qualités d'une
+ame sensible aux ornements d'un
+esprit supérieur, et tous les charmes
+de la modestie à ceux de la figure.
+Cette découverte décida du destin de
+ma vie; je me reprochai le temps
+que j'avais perdu dans ce commerce
+de galanterie, où plusieurs femmes
+s'étaient livrées au plaisir de me trahir
+sans se donner la peine de me
+tromper, et je consacrai tous mes
+instants au soin de prouver à Mélanie
+que je ne vivais que pour elle.
+Son c&oelig;ur me devina bientôt, et répondit
+<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span>
+au mien. Modestie à part, je
+ne puis expliquer cette préférence
+que par l'excès de mon amour; car,
+dans le nombre de mes rivaux, il y
+en avait de très-séduisants; et je crois
+que s'ils avaient pu se résoudre à
+s'aimer un peu moins eux-mêmes,
+ils auraient été plus aimés que moi.</p>
+
+<p>Lorsque je reçus l'aveu de Mélanie,
+je me crus roi de l'univers, et
+je défiai toutes les puissances du
+monde de s'opposer à l'accomplissement
+de notre bonheur mutuel.
+Nous en avions déja fixé l'époque;
+et, comme nous formions tous ces
+projets sous les yeux de nos parents,
+nous ne doutions pas de leur consentement.
+Mais le marquis de Belduc
+ne nous laissa pas long-temps jouir
+<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span>
+d'une si douce illusion: il entra un
+matin chez sa fille, l'embrassa plus
+tendrement qu'à l'ordinaire, et lui
+déclara qu'il touchait enfin au moment
+de voir son ambition satisfaite.
+Ce début glaça l'ame de Mélanie; elle
+pressentit nos malheurs; et ce fut
+avec tous les signes d'un profond
+désespoir qu'elle apprit de son père
+qu'il venait de promettre sa main
+au duc de Linarès. Mélanie, insensible
+à l'honneur de devenir la femme
+d'un Grand d'Espagne, osa le refuser.
+Son père, furieux, l'accusa de
+caprice; elle crut se justifier en
+avouant notre amour. En effet, cette
+nouvelle fut assez bien accueillie de
+son père; il approuva son choix tout
+en déplorant la nécessité de le sacrifier
+<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span>
+aux grands intérêts de sa famille,
+et finit par lui dire qu'il connaissait
+assez la noblesse de mes sentiments
+pour attendre de moi la soumission
+qui servirait d'exemple à Mélanie. A
+peine eut-il terminé cet entretien,
+qu'il se rendit chez moi, et commença
+sans préambule le récit de ce
+qui venait de se passer entre sa fille
+et lui.&mdash;«J'ai répondu de votre
+honneur, ajouta-t-il, et ne crois pas
+m'être trop engagé en assurant ma
+fille que vous étiez incapable d'abuser
+de votre empire sur son c&oelig;ur
+pour l'encourager dans une désobéissance
+qui détruirait mon bonheur
+sans accomplir le vôtre. Vous savez
+comme moi le résultat de ces mariages
+d'inclination qui font d'abord
+<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span>
+le désespoir des parents, et bientôt
+après celui des époux. D'ailleurs,
+avec Mélanie, vous n'auriez même
+pas la ressource de tenter cette folie;
+elle est trop attachée à ses devoirs
+pour que la passion la plus vive
+l'égare au point de se déshonorer.
+Mais vous pouvez la rendre malheureuse
+toute sa vie: dites-lui que le
+sublime de l'amour est de résister
+aux obstacles; qu'elle doit refuser
+le plus beau sort pour vivre d'un
+sentiment dont la constance finira
+par m'attendrir. Elle croira toutes
+ces belles phrases, persistera dans
+son refus; je l'enfermerai au couvent;
+elle y prendra le voile; et je
+partirai pour Saint-Domingue, où
+j'irai vivre du produit de la seule
+<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span>
+habitation qui me reste.» J'essayai
+vainement d'opposer à toutes ces
+raisons les intérêts de notre amour
+et le bonheur que je trouverais à
+donner ma fortune à Mélanie, sans
+rien attendre de celle de son père.
+Il répondait à tout: «Je suis ruiné:
+le duc de Linarès, épris de Mélanie,
+consent à l'épouser sans dot: il a
+déjà obtenu de son souverain la promesse
+d'un gouvernement qu'il me
+destine; vous voyez que ce mariage,
+en plaçant ma fille au rang le plus
+distingué, illustre ma maison et répare
+ma fortune. Jugez maintenant
+si un galant homme peut se permettre
+de priver toute une famille
+d'aussi grands avantages, sans s'exposer
+aux reproches de sa conscience,
+<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span>
+et même à ceux de la femme qu'il
+rendrait victime de son amour.» Ce
+dernier argument l'emporta sur tous
+les autres. L'honneur parut m'ordonner
+ce grand sacrifice. Je le promis
+au marquis; et je tins parole.</p>
+
+<p>Je ne vous dirai pas ce qu'il m'en
+coûta pour déterminer Mélanie à se
+soumettre aux ordres de son père.
+Dès que j'eus obtenu de son amour la
+promesse de m'oublier, je m'enfuis
+en Angleterre pour n'être pas témoin
+de ce fatal mariage. Quelques
+mois après, je passai à Malte, où
+je prononçai des v&oelig;ux dictés par
+le désespoir. Lorsque je revins en
+France au bout de deux ans, Mélanie
+était en Espagne: j'appris qu'elle
+était mère, et qu'elle devait peut-être
+<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span>
+la vie à son enfant; car, lors de
+son départ de Paris, elle était atteinte
+d'une maladie de langueur
+qu'elle ne voulait combattre d'aucune
+manière. Le desir de conserver
+son enfant fut le seul motif qui
+l'engagea à prendre quelque soin
+de sa santé; et je crois que c'est à
+cette maladie qu'on doit attribuer
+l'infirmité d'Anatole. On fut quelque
+temps sans s'en apercevoir, et
+plus encore à espérer pour lui un
+heureux changement. Il paraissait
+impossible que la nature, en comblant
+cet enfant de ses dons les plus
+précieux, eût voulu en détruire l'effet
+par la privation la plus cruelle.
+Le duc de Linarès, après avoir mis
+à bout la science de tous les médecins
+<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span>
+d'Espagne, se décida à venir
+consulter ceux de Paris. C'est alors
+que je revis Mélanie; elle me présenta
+à son mari en lui disant: «Voici
+un ancien ami de ma famille, je
+l'aime comme un frère;» et tout
+me prouva à mon grand regret la
+sincérité de cet aveu. L'amour maternel
+remplissait uniquement le
+c&oelig;ur de Mélanie, et j'aurais pu penser
+qu'elle avait perdu jusqu'au souvenir
+de ma passion pour elle, si le
+nom d'Anatole qu'elle avait donné
+à son fils, ne m'avait prouvé que ce
+nom, qui est le mien, lui était encore
+cher. Un sentiment très-blâmable
+et très-commun chez la plupart
+des hommes, me fit tenter plusieurs
+moyens de ranimer dans le c&oelig;ur de
+<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span>
+Mélanie l'amour qu'elle avait sacrifié
+au devoir; mais ce coupable projet
+faillit me coûter jusqu'à l'estime de
+Mélanie; je n'obtins le pardon d'en
+avoir conçu l'idée que par le serment
+d'y renoncer à jamais, et plus encore
+peut-être par le penchant qui m'entraînait
+à partager sa tendresse pour
+son fils. Dès-lors l'état de cet aimable
+enfant devint l'objet de toutes
+mes sollicitudes; je fis plusieurs
+voyages dans la seule intention de
+courir après de prétendus docteurs
+dont les journaux attestaient les miracles,
+et dont les consultations prouvaient
+l'ignorance. Enfin, lorsqu'il
+nous fut bien démontré qu'il n'existait
+aucun moyen de guérir de cette
+infirmité, nous prîmes le parti de
+<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span>
+chercher à en triompher, en confiant
+Anatole aux soins de ce bienfaiteur
+de l'humanité, dont les élèves
+sont autant de prodiges. L'abbé de
+l'Épée fut bientôt frappé des dispositions
+inouies d'Anatole; il prédit
+tout ce qu'il serait un jour; mais,
+pour accomplir une éducation qui
+lui promettait tant de succès, il exigea
+du duc et de la duchesse de
+Linarès une entière confiance, et la
+promesse de ne déranger par aucune
+distraction le plan qu'il formait pour
+son élève. Comme la faiblesse de
+Mélanie ne lui aurait pas permis de
+tenir cet engagement dans toute la
+rigueur nécessaire, elle consentit à
+retourner avec son mari en Espagne,
+après m'avoir fait jurer de veiller
+<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span>
+sur son fils aussi tendrement que s'il
+était le mien. C'est à ce devoir sacré
+que j'ai dû toutes les consolations de
+ma vie. Avec quel plaisir je rendais
+compte à cette tendre mère de tous
+les progrès de son enfant! Et comment
+vous peindrai-je la joie qui pénétra
+mon ame, lorsqu'après dix
+années d'absence, je conduisis cet
+aimable jeune homme dans les bras
+de sa mère. Je crus qu'elle succomberait
+à l'excès de son bonheur, en
+retrouvant dans son fils la sensibilité,
+l'esprit, et toutes les qualités
+qui le mettent au rang des gens les
+plus aimables. Dans sa reconnaissance
+pour l'abbé de l'Épée, elle
+aurait voulu pouvoir lui faire accepter
+sa fortune entière; mais on sait
+<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span>
+que le désintéressement de ce philosophe
+égalait sa bienfesance. A
+cette époque, je fus rappelé en
+France pour le mariage de ma nièce,
+et quelques affaires de famille, dont le
+résultat vint augmenter de beaucoup
+ma fortune. J'appris, peu de temps
+après, la mort du duc de Linarès,
+et la faveur dont le roi d'Espagne
+venait d'honorer son fils, en employant
+ses talents dans la diplomatie.
+Il avait alors vingt ans, et le
+séjour de la cour commençait à devenir
+dangereux pour lui; plusieurs
+des femmes qu'il y rencontrait sans
+cesse, affectaient d'abord de le traiter
+avec le dédain ou la protection
+qu'on a pour un infirme; mais
+s'apercevant bientôt que ce défaut
+<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span>
+était racheté par les agréments et les
+qualités les plus séduisantes, on les
+voyait changer de manières et devenir
+aussi prévenantes pour lui qu'elles
+avaient paru dédaigneuses. Sa fierté
+naturelle le garantit quelque temps
+des pièges de la coquetterie; il sentait
+que dans sa position le succès
+pouvait seul mettre à l'abri du ridicule,
+et son c&oelig;ur n'étant pas encore
+atteint, il triomphait sans peine du
+trouble de son imagination; mais
+quand on n'est soutenu dans sa sagesse
+que par la crainte d'un revers,
+on doit facilement succomber à la
+certitude de réussir: et c'est ce
+qui arriva. Anatole, se trouvant un
+soir chez la reine, reçut deux mots
+tracés au crayon sur l'éventail de
+<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span>
+la jolie comtesse d'Alméria. Cette
+jeune veuve, aussi emportée dans
+ses desirs, qu'inconstante dans ses
+affections, avait imaginé que le plus
+sûr moyen de lui inspirer une passion
+folle, était de l'attacher par la reconnaissance.
+L'idée de captiver tous
+les sentiments d'un homme que son
+malheur et ses avantages rendaient
+également intéressant, flattait son
+amour-propre. Ce caprice lui présentait
+tous les charmes d'une liaison
+piquante, qui pouvait se changer en
+attachement sérieux, et devenir le
+but de son ambition, après avoir été
+celui de son amusement. Mais la
+duchesse de Linarès, qui redoutait
+l'empire qu'une femme de ce caractère
+pourrait exercer sur le c&oelig;ur
+<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span>
+exalté de son fils, mit tous ses soins
+à l'éloigner d'elle. L'état de sa santé
+lui en fournit bientôt l'occasion. A la
+suite d'une maladie grave, les médecins
+ordonnèrent à la duchesse les
+eaux de Pise, et son fils s'empressa
+de l'y accompagner. Quelque temps
+après le départ d'Anatole, la comtesse
+Alméria le punit du tort d'être
+absent. C'était un crime qui n'obtenait
+jamais grace à ses yeux. Le
+bruit de sa vengeance parvint bientôt
+à la duchesse; elle en instruisit
+Anatole avec tous les ménagements
+convenables, et fut très-étonnée de
+le trouver beaucoup plus modéré
+dans ses regrets qu'elle ne l'aurait
+espéré. La précipitation avec laquelle
+il avait obtenu son bonheur lui avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span>
+souvent donné l'idée qu'il pourrait
+le perdre de même; et d'ailleurs
+cette félicité fugitive avait plus enivré
+ses sens, que pénétré son ame. Loin
+d'éprouver ce vide affreux où laisse
+l'abandon du seul objet qu'on puisse
+aimer au monde, quelque chose l'avertissait
+que la perte d'une femme,
+qui n'était que jolie, se réparait
+facilement par la possession d'une
+autre; et il fut bientôt convaincu de
+cette vérité, lorsque les préférences
+de plusieurs belles Italiennes vinrent
+achever de le distraire du chagrin
+d'être trahi. La duchesse de
+Linarès, ravie de voir l'effet que
+produisait sur son fils le séjour de
+l'Italie, résolut de s'y fixer quelques
+temps. Elle se rendit à Rome dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span>
+l'intention d'y passer l'hiver; mais
+lorsque le printemps vint parer de sa
+verdure les beaux sites et les ruines
+dont raffolait Anatole, il fut impossible
+de l'arracher de cette terre
+de souvenirs. Son imagination s'enflamma
+à l'aspect de tant de merveilles;
+le desir de les chanter et
+de les retracer le rendit peintre et
+poëte; et il se livra aux arts avec
+toute la passion de son caractère.
+Mais, comme ce genre d'étude est
+celui qui dispose le mieux un c&oelig;ur
+tendre aux impressions de l'amour,
+on le vit bientôt tomber dans des
+accès de mélancolie qui menaçaient
+d'altérer sa santé. Sa mère s'en inquiéta,
+et voulut en savoir la cause.
+C'est alors qu'il lui fit l'aveu du
+<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span>
+sentiment pénible qui attristait son
+ame, en pensant que le ciel l'avait
+condamné à ne jamais goûter l'unique
+bonheur qui lui fesait envie. Je n'ai
+rien lu de plus touchant que la lettre
+où il demandait pardon à sa mère
+d'oser desirer la tendresse d'une
+autre femme, lorsqu'il était l'objet
+de son amour maternel. Mais, lui
+disait-il, peignez-vous le désespoir
+d'un c&oelig;ur dévoré du besoin d'aimer,
+sans jamais pouvoir prétendre à inspirer
+le moindre retour. Quoi! ce
+délire enchanteur dont je vois partout
+les traces, ce feu qui anima le
+Tasse et Pétrarque, cette reconnaissance
+divine qui naît des faveurs
+d'un sentiment partagé; enfin, tous
+ces bienfaits de l'amour, je ne les
+<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span>
+connaîtrai jamais: réduit au misérable
+avantage de profiter d'un instant
+de caprice, ou des calculs de l'intérêt,
+je dois mourir sans rencontrer
+un c&oelig;ur qui réponde jamais aux
+battements du mien. La duchesse
+affligée de le voir se livrer ainsi aux
+idées d'un malheur sans espoir,
+imagina de distraire Anatole par un
+voyage à Paris. Elle le chargea d'y
+faire l'acquisition d'une terre qu'elle
+viendrait habiter aussitôt qu'elle aurait
+obtenu de la reine d'Espagne la
+permission de se retirer de la cour.
+Ce fut par pure obéissance qu'Anatole
+se sépara de sa mère pour se
+rendre ici, suivi de son ancien gouverneur.
+Ils me remirent une lettre
+de la duchesse qui m'instruisait de
+<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span>
+ses craintes sur son fils, et le confiait
+encore une fois à mes soins.
+Vous devinez sans peine avec quel
+plaisir je les lui prodiguais. En recherchant
+toutes les occasions de le
+distraire, je me crus simplement
+inspiré par le desir d'accomplir les
+volontés d'une femme chérie; mais
+bientôt, captivé par tout ce qu'Anatole
+a d'aimable, je sentis que son
+bonheur était indispensable au mien,
+et dès ce moment je ne m'occupai
+plus que des moyens de l'assurer.
+L'acquisition du château de Merville
+fut celui qui me réussit le mieux.
+Anatole s'obstinait à fuir les plaisirs
+du grand monde. Vainement l'ambassadeur
+d'Espagne, son parent,
+l'ancien ami de son père, voulut
+<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span>
+le présenter dans les maisons les
+plus agréables de Paris. Excepté à
+la cour, où il consentit à le suivre
+quelquefois, il refusa de l'accompagner
+dans les endroits où ses manières
+et son rang lui promettaient
+l'accueil le plus flatteur. Dans cette
+disposition d'esprit, le séjour de la
+campagne lui parut le seul convenable
+à ses goûts. Il s'y fixa pour
+faire exécuter sous ses yeux le plan
+tracé par lui, et qui devait rendre
+Merville un des plus beaux lieux de la
+France. Le soin d'embellir la retraite
+destinée à sa mère parvint à le distraire,
+pendant plusieurs mois, de ses
+tristes rêveries; mais j'en prévoyais le
+retour, et je cherchais à l'éloigner en
+attirant Anatole à Paris sous différents
+<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span>
+prétextes. Ses amis se joignaient
+à moi pour imaginer sans cesse de
+nouveaux motifs de l'y retenir: mais
+nous commencions à nous voir au
+bout de nos ressources en ce genre,
+lorsqu'un soir, d'heureuse ou fatale
+mémoire, dit le commandeur en
+fixant les yeux sur Valentine, je vis
+entrer chez moi M. de Selmos, cet
+ancien gouverneur d'Anatole, la pâleur
+sur le front, et dans tout le
+désordre d'un homme qui vient annoncer
+une affreuse nouvelle. L'excès
+de sa douleur ne lui permit pas
+de me préparer au spectacle qui
+allait me frapper, et je pensai mourir
+d'effroi en voyant déposer sur
+mon lit le corps inanimé de ce pauvre
+Anatole. Le désespoir de son gouverneur,
+<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span>
+les larmes que répandaient ses
+gens, tout me persuada qu'il n'existait
+plus, et je frémis encore du souvenir
+de ce qui se passa dans mon
+ame à cette horrible idée. Mais le
+chirurgien qu'on avait fait appeler
+vint me rendre la vie en m'assurant
+que le malade ne tarderait pas
+à revenir de l'évanouissement où
+l'avait plongé la violence du coup
+qu'il avait reçu. En effet, Anatole
+ouvrit bientôt les yeux: son premier
+mouvement fut de me tendre la
+main, ensuite il la porta sur sa blessure,
+en me fesant signe qu'elle n'était
+point dangereuse. Cependant
+il avait l'épaule cassée, et une forte
+contusion à la poitrine. On le saigna
+après avoir pansé sa blessure,
+<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span>
+et je fus étonné de voir son visage
+conserver, au milieu des souffrances
+les plus aiguës, une expression de
+bonheur que j'y remarquais pour
+la première fois. Impatient d'expliquer
+ce mystère, je questionnai
+M. de Selmos, qui me raconta ce
+qui venait de se passer à l'Opéra.
+Quand j'appris que c'était pour vous
+que mon ami venait de risquer sa
+vie, et peut-être celle de sa mère;
+je vous en demande pardon, Valentine,
+je me fis le reproche de lui avoir
+peint, trop fidèlement, le plaisir
+que j'avais eu à vous rencontrer,
+et celui que je trouvais chaque jour
+à découvrir autant de sensibilité que
+de modestie dans une femme que
+son esprit et sa beauté auraient pu
+<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span>
+rendre vaine. Je me reprochai surtout
+de lui avoir dit qu'il existait
+entre vous et la duchesse de Linarès,
+une ressemblance qui me rappelait
+sa mère à votre âge. Car, à dater
+de ce moment, il ne chercha plus
+qu'une occasion de vous voir; le hasard
+la lui fourni bientôt; et j'ai su
+qu'il avait déja joui plusieurs fois du
+plaisir de vous admirer avant d'avoir
+eu le bonheur de vous secourir.</p>
+
+<p>La joie qu'il ressentait de vous
+avoir peut-être sauvé la vie, approchait
+du délire; je tentai vainement
+de lui persuader que sa blessure
+exigeait le plus parfait repos:
+il voulut être transporté sur le champ
+à Merville, pour mieux cacher les
+suites de cet événement; et, après
+<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span>
+m'avoir déclaré que son existence
+entière tenait au secret qu'il voulait
+garder auprès de vous, il défendit
+à ses gens de dire un mot
+de ce qui lui était arrivé a la sortie
+de l'Opéra. Le chirurgien reçut la
+même recommandation, et je le
+décidai à nous suivre à Merville,
+pour y soigner Anatole jusqu'à son
+parfait rétablissement. Ce voyage
+ne parut pas augmenter les souffrances
+du malade, ou du moins
+il n'osa point s'en plaindre. Pour
+obtenir de lui quelque soumission
+aux ordres du docteur, j'étais obligé
+de lui donner chaque jour de vos
+nouvelles, et de répondre à toutes
+les questions qu'il ne cessait de me
+faire sur votre compte. Comme son
+<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span>
+état exigeait une parfaite immobilité,
+nous ne lui permettions aucun
+signe, mais il s'en vengeait en
+écrivant au crayon sur ses tablettes,
+des phrases auxquelles je répondais
+dans son langage; ensuite il essayait
+de tracer un profil dont je reconnaissais
+les traits, et que pour rendre
+plus frappant il effaçait, puis retraçait
+encore; enfin, je reconnus
+tous les symptômes d'une passion
+qui allait ranimer sa vie. Je pressentis
+les chagrins qu'elle pourrait
+lui coûter, et lui en fis un tableau
+effrayant; mais je me sentis
+forcé de l'approuver, lorsqu'il m'assura
+que tous les tourments de l'amour
+étaient préférables à cet état
+de langueur qui menaçait d'éteindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span>
+toutes les facultés de son ame. D'ailleurs
+il prétendait être fort heureux
+du seul bonheur de vous aimer,
+pourvu qu'il n'eût jamais à supporter
+vos dédains. L'idée de vous attacher
+par la reconnaissance, en vous
+restant inconnu, l'égarait au point
+de croire que, s'il obtenait cette
+faveur, il ne lui resterait plus rien
+à desirer. Ce sentiment si désintéressé,
+si peu dangereux pour vous,
+me toucha vivement, et je le regardai
+comme un moyen d'occuper dignement
+le c&oelig;ur d'Anatole. En pensant
+ainsi, j'étais loin de me flatter
+du moindre succès pour son amour;
+mais je dois vous avouer que voyant
+tout ce que la reconnaissance vous
+inspirait pour lui, je n'ai pas eu
+<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span>
+le courage d'en diminuer l'impression,
+en vous cachant qu'il était
+aussi digne de votre estime que de
+votre intérêt; comment aurais-je pu
+me refuser au plaisir de voir ses yeux
+briller de la plus pure joie, quand
+je lui parlais de vous, comment n'aurais-je
+pas été entraîné par la certitude
+plus séduisante encore de lui
+faire passer des moments enchanteurs,
+en lui disant seulement que
+vous pensiez souvent à lui. Ici Valentine
+leva les yeux au ciel, et le commandeur
+répondit à ce regard en
+ajoutant: Je sens combien cette
+complaisance vous paraît coupable,
+mais, avant de blâmer ma conduite,
+voyez un peu ce qui la justifie: d'abord
+j'étais lié par un serment qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span>
+ne me permettait pas d'arrêter les
+conjectures de votre imagination par
+le moindre mot qui aurait pu vous
+faire soupçonner la vérité; je savais
+que la loyauté du caractère d'Anatole
+s'opposerait toujours à ce qu'il
+vous trompât, et que, loin de profiter
+de l'intérêt romanesque que son mystérieux
+amour devait vous inspirer,
+il vous avait avoué qu'un obstacle
+invincible le condamnait à s'éloigner
+éternellement de vous. Ensuite je
+vous dirai que cet obstacle, qui paraît
+si insurmontable aux yeux de
+beaucoup de personnes et peut-être
+aux vôtres, ne me frappait pas de
+même. Habitué à voir Anatole depuis
+son enfance, je me suis plus occupé
+des avantages qui le distinguent, que
+<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span>
+de la disgrace qui l'afflige. D'ailleurs,
+ayant appris sans peine son langage,
+je ne sentais aucun des inconvénients
+de ce malheur; j'étais avec lui
+comme auprès d'un étranger dont
+on entend la langue, et qui s'exprime
+avec toute la vivacité d'une imagination
+ardente et d'un esprit supérieur.
+Combien de fois cette conversation
+originale et piquante m'a-t-elle
+consolé de l'ennui d'un bavardage
+insipide! Enfin, les moments
+que j'ai passés près d'Anatole sont
+au nombre des plus heureux de ma
+vie; et l'on ne doit pas s'étonner que,
+trouvant en lui la réunion de toutes
+les qualités aimables, j'aie pu concevoir
+un instant l'espérance de le
+voir aimé.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLI" id="CHAPITRE_XLI"></a>CHAPITRE XLI</h3>
+
+<p class="p2">Le récit du commandeur fit rêver
+long-temps Valentine; elle ne l'avait
+interrompu par aucune réflexion,
+et n'en fit pas davantage après l'avoir
+attentivement écouté, mais elle
+adressa à M. de Saint-Albert plusieurs
+questions sur différents petits événements
+qui avaient excité sa surprise,
+et que l'intimité secrète de Saint-Jean
+et de mademoiselle Cécile lui
+expliqua bientôt. Le prix des innocents
+services de mademoiselle Cécile,
+qui se bornait à dire à Saint-Jean
+les projets de sa maîtresse, était
+<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span>
+tout entier dans l'espérance d'épouser
+ce brave garçon, que son maître
+récompensait généreusement; et Valentine
+n'osa pas punir des indiscrétions
+qu'elle feignit de regarder
+comme un excès de confiance amoureuse.</p>
+
+<p>Le commandeur s'apercevant de
+l'espèce d'abattement où paraissait
+être Valentine, s'excusa de l'avoir
+fatiguée par un aussi long entretien,
+et voulut se retirer pour lui laisser
+prendre quelque repos; mais elle
+n'y consentit qu'après lui avoir fait
+promettre de cacher au duc de Linarès
+quelle avait découvert son
+secret. Il lui en donna l'assurance:
+Comptez sur ma parole, lui dit-il:
+j'y serai d'autant plus fidèle que je ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span>
+saurais vous trahir sans le désespérer;
+jugez-en vous-même. En finissant
+ces mots, le commandeur remit
+à Valentine la lettre suivante, et il
+sortit:</p>
+
+<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole, a M. de Saint-Albert.</b></span></p>
+
+<p>«J'apprends, mon excellent ami,
+que le marquis d'Alvaro vient d'exposer,
+au salon du Louvre, le
+tableau que je lui avais envoyé
+pour le faire encadrer, et vous
+l'offrir. Je tremble que cette indiscrétion
+ne me coûte plus que la
+vie, en apprenant à Valentine mon
+nom et mes malheurs. La seule
+idée de perdre avec mon secret
+jusqu'au souvenir qu'elle me conserve,
+<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span>
+me livre au plus affreux désespoir.
+Car il n'en faut pas douter,
+l'instant qui lui dévoilerait à
+quel supplice la nature m'a condamné,
+changerait tous ses sentiments
+pour moi. A la place de ce
+tendre intérêt, dont je relis chaque
+jour les témoignages, la dédaigneuse
+pitié viendrait accabler mon
+amour du poids de ses humiliations;
+au lieu d'inspirer à Valentine
+cette affection qui fesait mon
+bonheur, je serais réduit à sa reconnaissance;
+ou peut-être son
+c&oelig;ur, indigné de l'audace du mien,
+ne me pardonnerait pas d'oser
+l'adorer. Ah! mon ami! sauvez-moi
+de ce malheur cent fois pire que
+la mort; et n'essayez plus de me
+<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span>
+prouver que mes craintes à ce sujet
+sont exagérées. Je sais comme vous
+de combien d'éléments divins le
+ciel a composé l'ame de Valentine;
+mais, plus elle est supérieure à
+tout ce qu'on admire, plus elle a
+le droit d'exiger de celui qui aspire
+à lui plaire. Je me rends justice;
+les faibles qualités qui m'ont acquis
+votre amitié pourraient me mériter
+la sienne. Mais le même sentiment
+qui dans votre c&oelig;ur est la source
+de mes plus douces consolations,
+de sa part ne me semblerait qu'un
+outrage fait à mon amour. Songez
+qu'un moment dans ma vie j'ai
+joui du plaisir enivrant de contempler
+sur ses traits enchanteurs
+une partie de l'émotion qui pénétrait
+<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span>
+mes sens; que plus d'une fois
+ses yeux ont répondu aux miens;
+et voyez si je pourrais survivre à
+l'illusion qui m'a valu tant de félicité.»</p>
+
+<p>A cette lettre en était jointe une
+autre pour le marquis d'Alvaro, par
+laquelle on le priait de faire porter
+sans délai le tableau d'Anatole chez
+le commandeur. Deux jours après,
+Valentine sortit pour la première
+fois de son appartement, et lorsqu'elle
+entra chez M. de Saint-Albert,
+elle ne s'étonna point d'y trouver
+ce tableau à la place d'un ancien
+portrait de famille, qui jusqu'alors
+avait eu les honneurs du salon.
+Souvent, les yeux fixés sur l'ouvrage
+<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span>
+d'Anatole, elle le considérait sans
+proférer une parole. Ses amis respectaient
+son silence, et bornaient
+leurs soins à distraire son esprit,
+sans chercher à pénétrer ce qui se
+passait dans son ame. Discrétion bien
+rare en amitié!</p>
+
+<p>Les médecins venaient de déclarer
+que la santé de Valentine était parfaitement
+rétablie; cependant son
+teint n'avait point repris son éclat;
+son regard était triste; et tout en
+elle montrait un état languissant;
+mais lorsque madame de Réthel en
+témoignait quelque inquiétude au
+docteur, il lui répondait, avec cette
+assurance que l'on met assez souvent
+à décider des choses que l'on ne
+comprend pas, que les maladies inflammatoires
+<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span>
+étaient toujours suivies
+d'un accablement profond, qui n'empêchait
+pas de se bien porter; et
+madame de Réthel, sans y rien
+comprendre non plus, adoptait cette
+sentence.</p>
+
+<p>Le commandeur, moins facile à
+rassurer, desirait qu'un événement
+quelconque pût distraire Valentine
+de la vie monotone qu'elle avait
+adoptée. Une lettre de M. de Nangis
+ne vint que trop tôt seconder ses
+v&oelig;ux. Elle était datée de Londres,
+et contenait le récit de l'aventure
+scandaleuse qui venait de lui révéler
+l'indigne conduite de sa femme. La
+scène s'était passée au château de
+Varennes, où la comtesse avait eu
+l'imprudence d'emmener avec elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span>
+la jeune baronne de Tresanne, dont
+la beauté commençait à faire autant
+de bruit que les extravagances. La
+certitude de la rencontrer à Varennes
+était entrée pour beaucoup dans la
+promesse que M. d'Émerange avait
+faite à madame de Nangis de l'y suivre;
+deux jours s'étaient à peine
+écoulés, que la plus parfaite intimité
+régnait déja entre le comte et la
+jolie baronne; mais ce n'était pas
+sans conditions que madame de
+Tresanne s'était décidée à récompenser
+d'avance l'éternel amour que lui
+avait juré M. d'Émerange. Le sacrifice
+de madame de Nangis en avait
+été la première récompense; et il
+fut résolu entre eux qu'après avoir
+satisfait aux devoirs d'usage en
+<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span>
+pareil cas, le comte se dégagerait,
+sans retour, d'une chaîne importune.
+Déja plusieurs tentatives lui
+avaient prouvé la difficulté de réussir.
+La comtesse était moins résignée
+que jamais à perdre les avantages
+d'une liaison qui coûtait aussi cher
+à sa conscience qu'à son repos;
+et madame de Tresanne, prévoyant
+bien que les ménagements du comte
+ne serviraient qu'à prolonger l'erreur
+de sa victime, feignit de s'irriter
+de tant de complaisance, et déclara
+positivement à M. d'Émerange,
+qu'elle aimait mieux céder l'empire
+de son c&oelig;ur, que de le partager
+plus long-temps. Cette menace
+produisit tout l'effet qu'elle en pouvait
+attendre; la crainte de voir s'échapper
+<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span>
+sa nouvelle conquête avant
+de l'avoir constatée publiquement,
+soumit les volontés du comte à toutes
+celles de madame de Tresanne, et il
+s'en remit à elle du choix des moyens
+à employer. La persévérance de la
+comtesse en ayant fait échouer plusieurs,
+madame de Tresanne se décida
+au plus atroce comme au plus
+infaillible. Un billet anonyme instruisit
+M. de Nangis de la perfidie
+de sa femme, en lui indiquant une
+occasion de s'en convaincre. Dès ce
+moment la colère et le désespoir
+régnèrent dans le château de Varennes:
+madame de Tresanne s'empressa
+d'en sortir au premier bruit
+de l'éclat qu'elle avait provoqué; et
+sans vouloir en apprendre la cause
+<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span>
+au comte d'Émerange, elle lui ordonna
+de tout quitter pour la suivre
+à Bagnères. Elle s'y rendit sans s'arrêter
+pour soustraire M. d'Émerange
+aux premiers effets du ressentiment
+de M. de Nangis. Les amis de la comtesse
+retournèrent bientôt à Paris
+dans l'intention charitable d'y publier
+l'aventure scandaleuse dont ils
+venaient d'être témoins, et que le
+brusque départ de M. de Nangis allait
+certifier à tous ceux qui oseraient
+en douter. Effectivement, ce
+malheureux époux, sans calculer si
+la conduite présente de sa femme
+n'était pas le fruit de l'indulgence outrée
+qu'il avait montrée pour ses
+premières inconséquences, croyait
+reparer les torts de sa faiblesse par
+<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span>
+l'on punit souvent des fautes qu'avec
+plus de soin on aurait pu prévenir.
+Après une scène violente,
+dans laquelle la comtesse avait fait
+l'aveu de tout ce que sa folle passion
+lui avait suggéré contre Valentine,
+le comte de Nangis était parti
+brusquement pour Londres, en arrachant
+Isaure des bras de sa coupable
+mère. Abandonnée de tout ce
+qui lui était cher; livrée aux injures
+de sa médisance implacable dont
+elle avait si souvent dirigé les traits;
+enfin, seule avec ses remords, cette
+infortunée s'était réfugiée dans un
+couvent de Paris, où les soins pieux
+des S&oelig;urs de la Miséricorde ne
+parvenaient point à calmer les tourments
+de son c&oelig;ur. Ce c&oelig;ur, si souvent
+<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span>
+dominé par la vanité, n'éprouvait
+plus alors que la honte et les
+regrets d'avoir perdu tous ses droits
+maternels. La crainte de ne pouvoir
+réparer les fautes de sa vie en la
+consacrant toute entière à l'éducation
+et au bonheur de sa fille, ôtait à
+madame de Nangis tout espoir de
+consolation. Malgré la frivolité de
+son esprit, elle avait observé que la
+sévérité des gens du monde se laissait
+désarmer à la vue d'une jeune personne
+dont la candeur et les vertus
+fesaient oublier les égarements de
+sa mère. En effet, comment se rappeler
+les torts d'une femme coupable,
+en admirant l'ouvrage d'une
+mère aussi tendre que sage! Et quel
+homme assez méchant oserait porter
+<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span>
+atteinte au respect qu'elle inspire à
+sa fille, en affectant de ne le point
+partager?</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLII" id="CHAPITRE_XLII"></a>CHAPITRE XLII.</h3>
+
+<p class="p2">Valentine prévoyait depuis long-temps
+les malheurs qui menaçaient
+sa famille, et cependant, en les apprenant,
+elle en fut frappée comme d'une
+nouvelle inattendue; le bonheur de
+reconquérir l'estime de son frère,
+qui le priait en grace de se charger
+de l'éducation d'Isaure, ne la
+consolait pas du triste événement qui
+lui valait une aussi éclatante réparation.
+En répondant à la lettre où M. de
+Nangis la conjurait de lui pardonner
+son injustice et les injures qui lui
+avaient été dictées par une femme
+<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span>
+perfide, elle avait tenté de modérer
+l'indignation de son frère, en excitant
+sa pitié pour le sort de cette
+malheureuse mère, qui, lui disait-elle,
+serait encore digne de sa tendresse,
+si de misérables flatteurs,
+trop bien accueillis par lui-même,
+ne s'étaient fait un jeu d'égarer sa
+raison. Il y avait autant de vérité
+que d'indulgence dans cette supposition;
+mais M. de Nangis était trop
+irrité pour se rendre aux avis de sa
+s&oelig;ur; il les mit sur le compte de la
+générosité naturelle au caractère de
+Valentine, et n'en persista pas moins
+dans le dessein de punir rigoureusement
+celle qui venait de l'outrager.</p>
+
+<p>Comme il se méfiait avec juste
+raison de l'extrême bonté de sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span>
+s&oelig;ur, ce n'est qu'après avoir exigé
+d'elle la promesse de ne jamais confier
+à une autre le soin d'élever
+Isaure, qu'il s'était déterminé à la
+lui envoyer. Avec quel plaisir cette
+aimable enfant se retrouva dans les
+bras de Valentine! et combien de
+fois elle remercia son père de l'avoir
+confiée à sa tante, pendant le grand
+voyage que venait d'entreprendre sa
+mère! car c'est ainsi qu'on avait
+motivé l'absence de la comtesse,
+et la cause des larmes qu'elle avait
+vues inonder son visage au moment
+de leur séparation.</p>
+
+<p>La présence d'Isaure sembla ranimer
+l'existence de Valentine. Elle
+consentit à quitter la campagne pour
+se rendre à Paris, dans l'unique intention
+<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span>
+d'y faire donner à son élève
+les leçons des meilleurs maîtres. Mais
+l'attachement qu'elle portait à ses
+amis ne lui permettant pas de s'en
+séparer, elle accepta la proposition
+que lui fit madame de Réthel, de
+partager l'hôtel qu'elle occupait avec
+son oncle.</p>
+
+<p>De retour à Paris, il se fit un
+grand changement dans les habitudes
+de la marquise: on la voyait
+sortir tous les matins à la même
+heure, et passer le reste de la journée
+dans la retraite. Le salon du
+commandeur était le seul où l'on
+pût la rencontrer quelquefois; car
+pour les fêtes et le spectacle, elle
+paraissait également décidée à les
+fuir; et l'on trouvait cette conduite
+<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span>
+assez simple après l'éclat qui venait
+d'avoir lieu dans sa famille. Mais ce
+qui parfois échappe aux yeux des
+indifférents, attire l'attention d'un
+ami, et M. de Saint-Albert, loin d'expliquer
+si facilement les motifs qui
+inspiraient à Valentine le desir de
+s'éloigner de toutes les personnes qui
+possédaient autrefois sa confiance,
+redoutait les suites de cet état de contrainte
+perpétuelle. Il essayait quelquefois
+de vaincre la résolution
+qu'elle semblait avoir prise d'éviter
+toute conversation relative à Anatole,
+en se fesant apporter devant elle les
+lettres qu'il recevait de lui; mais il
+en lisait tout haut le timbre, la date,
+et même les premières lignes, sans
+que Valentine lui témoignât la moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span>
+curiosité d'en savoir davantage;
+et le commandeur ne retirait d'autre
+résultat de ces petites épreuves, que
+de voir se prolonger le silence rêveur
+de Valentine.</p>
+
+<p>Un jour pourtant que M. de Saint-Albert
+lisait, comme à l'ordinaire,
+sa correspondance, tandis que sa
+nièce et madame de Saverny s'occupaient
+à broder, elles l'entendirent
+prononcer quelques mots sans suite,
+et d'une voix qui semblait altérée
+par l'émotion la plus pénible.&mdash;Ciel!
+s'écria madame de Réthel,
+quelle triste nouvelle vous apprend-on?&mdash;Ce
+n'est rien, reprit-il, en
+cherchant à se remettre, mais vous
+savez qu'il est impossible de ne point
+partager les impressions que la duchesse
+<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span>
+de Linarès sait peindre avec
+tant de vérité; sa manière touchante
+de parler de ses peines, de ses inquiétudes,
+les fait passer tout entières
+dans le c&oelig;ur de ses amis.&mdash;Lui
+serait-il arrivé quelque malheur?
+demanda vivement Valentine.&mdash;Non
+pas à elle.&mdash;Cette réponse fit pâlir
+la marquise, et parut lui ôter la
+force de faire une autre question.
+Madame de Réthel, s'apercevant de
+ce qu'elle éprouvait, s'empressa d'interroger
+son oncle sur la santé d'Anatole.&mdash;Mais,
+lui répondit-il, d'après
+ce que me mande sa mère, il se
+porte aussi bien qu'on peut le faire
+avec un coup d'épée dans le bras.&mdash;Un
+coup d'épée s'écrièrent à-la-fois
+Valentine et son amie.&mdash;Il faut bien,
+<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span>
+reprit le commandeur, d'un ton
+calme, payer de quelque chose le
+plaisir de punir les impertinences
+d'un fat. Ce nom de fat, que M. de
+Saint-Albert ne prononçait jamais
+qu'en parlant de M. d'Émerange,
+fit tressaillir Valentine, elle pensa
+qu'elle seule était cause de l'événement
+malheureux dont elle n'osait
+demander les détails, elle s'en fit
+tout haut le reproche, et ses yeux se
+remplirent de larmes.&mdash;Cessez de
+vous accuser, lui répondit le commandeur,
+d'un fait dont vous êtes
+complètement innocente. C'est pour
+y soigner la santé de sa mère qu'Anatole
+est resté a Bagnères un mois
+de plus qu'il ne le devait. Vous savez
+quel motif vient d'y conduire dernièrement
+<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span>
+M. d'Émerange; ce n'est
+pas vous qui lui avez dicté les couplets
+insultants qu'il s'est amusé à
+composer sur les amours discrets
+d'un muet de naissance, et dont,
+malheureusement pour lui, une
+copie est tombée entre les mains
+d'Anatole. Ainsi donc ne vous reprochez
+pas la blessure qui vient de
+défigurer pour toujours un visage
+moins joli qu'insolent; c'est un trait
+de la justice divine, dont la gloire
+était réservée à l'adresse d'Anatole.
+M. d'Émerange a follement pensé
+qu'on pouvait insulter impunément
+un homme que son infirmité dispensait
+du devoir de la vengeance.
+Cette lâcheté a été justement punie;
+et la providence devrait frapper de
+<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span>
+même tous ceux qui ne consacrent
+qu'à nuire les dons heureux qu'ils ont
+reçus du ciel.&mdash;Mais Anatole est aussi
+blessé, dit Valentine, avec inquiétude.&mdash;Très-légèrement,
+reprit le
+commandeur, et sur ce point on
+peut en croire la duchesse: je voudrais
+bien être aussi rassuré sur
+l'état de cette bonne mère. Jugez
+de ce qu'elle a dû souffrir lorsqu'elle
+a appris par l'effet du hasard le
+moment où son fils allait se battre.
+Je m'étonne qu'elle ait résisté à une
+semblable épreuve, et j'en redoute
+les suites pour sa santé.&mdash;Ah! mon
+cher oncle, interrompit madame de
+Réthel, si vous avez cette crainte, ne
+souffrez pas que la duchesse de Linarès
+se livre avec confiance aux
+<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span>
+médecins des eaux. Écrivez à son fils
+de nous la ramener. C'est ici qu'elle
+trouvera les plus savants docteurs
+et ses meilleurs amis.&mdash;Vraiment
+elle avait bien le projet de se rendre
+à Paris; mais son fils refuse de l'y
+suivre, ajouta le commandeur, en
+regardant Valentine, avant d'avoir
+obtenu un consentement à son retour
+de la même personne qui ordonna
+son départ..&mdash;Eh! qu'allez-vous
+répondre? demanda la marquise.&mdash;Mais
+ce qu'il vous plaira.&mdash;Je ne
+saurais, reprit-elle, me prévaloir
+d'un ordre que je n'ai donné qu'en
+obéissant. C'est à vous à le rétracter.&mdash;Je
+ne le puis.&mdash;Qui vous en empêche?&mdash;Le
+devoir que je me suis
+imposé de ne plus décider des actions
+<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span>
+de mes amis.&mdash;Vous n'avez
+pas juré, j'espère, de ne plus leur
+servir d'interprète.&mdash;Non: mais
+c'est un oubli que je peux réparer.&mdash;Attendez
+pour cela, dit Valentine,
+en se levant, que vous ayez répondu
+au duc de Linarès que rien ne s'oppose
+à son prochain retour.»</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLIII" id="CHAPITRE_XLIII"></a>CHAPITRE XLIII.</h3>
+
+<p class="p2">Peu de jours après cet entretien,
+Valentine fut péniblement distraite
+du souvenir qu'elle en conservait
+par de mortelles inquiétudes. M. de
+Nangis, ennemi déclaré de toutes les
+innovations, s'était constamment opposé
+au desir que lui avait souvent
+témoigné sa femme, de faire inoculer
+Isaure, et la pauvre enfant venait
+d'être atteinte de tous les symptômes
+d'une violente petite-vérole.
+Dès les premiers moments de la maladie,
+Valentine s'était comme attachée
+au pied du lit de sa nièce, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span>
+avait recommandé qu'on ne laissât
+pénétrer personne dans son appartement.
+Déja six nuits s'étaient écoulées
+sans qu'elle eût consenti à
+prendre le moindre repos, lorsqu'on
+vint l'avertir qu'une femme à laquelle
+on avait répété plusieurs
+fois que madame de Saverny n'était
+pas visible, s'obstinait à rester sur
+les marches de l'escalier, pour y
+attendre le moment où le docteur
+P... sortirait de chez elle. Valentine
+s'informa du nom de cette
+femme, et apprit avec étonnement
+qu'elle refusait de le dire. C'est
+probablement, ajouta le domestique,
+quelque pauvre femme qui se
+recommande à la charité de Madame;
+elle est vêtue de manière à
+<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span>
+le faire croire, et le soin qu'elle
+prend de cacher son visage sous un
+grand voile noir, prouve qu'elle est
+honteuse de demander l'aumône.&mdash;Si
+c'est ainsi, reprit la marquise,
+dites-lui de me laisser son adresse,
+et qu'avant peu j'enverrai chez elle;
+recommandez-lui surtout de s'éloigner
+au plus vîte d'une maison dont
+l'air est infecté par une affreuse
+maladie. Le domestique sortit pour
+remplir cette commission; mais il
+rentra bientôt en disant à sa maitresse,
+avec l'accent de la plus vive
+pitié:&mdash;Ah! Madame, si vous ne
+daignez pas venir à son secours,
+cette pauvre femme va mourir; je
+lui ai vainement répété qu'elle pouvait
+compter sur la bienfesance de
+<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span>
+madame la marquise: Je ne veux
+point de ses bienfaits, s'est-elle écriée
+en sanglotant, je ne lui demande
+qu'un seul mot; qu'elle me l'accorde,
+ou je meurs à l'instant. En disant
+cela elle s'est traînée jusqu'à la porte
+du salon en me suppliant de ne la
+point renvoyer; et vraiment je ne
+l'aurais pu faire, car ses forces
+l'ayant abandonnée, elle est tombée
+sans connaissance; je viens demander
+à Madame s'il ne faut pas lui
+faire prendre quelques gouttes d'éther.&mdash;Conduisez-moi
+vers elle,
+dit aussitôt la marquise, après avoir
+recommandé à mademoiselle Cécile
+de ne pas quitter Isaure. En entrant
+dans le sallon, Valentine fut
+saisie d'un battement de c&oelig;ur qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span>
+lui ôtait presque la respiration. Son
+visage, déja altéré par l'inquiétude
+et les veilles, prit tout-à-coup un air
+d'effroi en apercevant cette infortunée,
+si digne de pitié; elle veut
+s'en approcher pour la secourir,
+mais à peine a-t-elle fait un mouvement,
+que des yeux égarés se fixent
+sur les siens, et qu'une voix s'écrie:
+«Malheureuse, elle est morte!» Ce
+cri funèbre retentit au c&oelig;ur de Valentine,
+elle n'y répond que par ces
+mots: «Ah! ma s&oelig;ur!» Mais ils ne
+sont pas entendus de cette misérable
+mère, elle a cru lire l'arrêt de
+son enfant dans le regard désespéré
+de Valentine; un frisson mortel a
+glacé ses veines, et c'est en vain
+que sa s&oelig;ur la rassure, la presse sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span>
+son sein; l'excès de la douleur à suspendu
+sa vie. Valentine, qui la voit
+expirante, tente un dernier moyen:
+elle compte sur cet instinct maternel
+qui survit à tout pour lui faire deviner
+la présence de son enfant, et
+sans calculer si ses forces répondent
+à son courage, elle entraîne elle-même
+cette mère mourante, et la
+dépose aux pieds du lit de sa fille.</p>
+
+<p>Les inspirations du c&oelig;ur sont rarement
+trompeuses, et l'on croirait,
+au succès qu'elles obtiennent dans
+les moments extrêmes de la vie, que,
+touchée de notre infortune, la divinité
+daigne alors penser pour nous.
+Ce que tous les secours n'avaient
+pu faire, une seule plainte d'Isaure
+l'opéra: le son de cette voix chérie
+<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span>
+ranima les esprits de madame de
+Nangis, et l'existence parut lui revenir
+avec la certitude que son enfant
+respirait encore.</p>
+
+<p>En ce moment le docteur P... arriva,
+et partagea ses soins entre
+Isaure et sa mère. Il les prodigua
+avec d'autant plus de zèle, qu'il s'accusait
+d'être la cause de l'état ou
+il voyait la comtesse. En effet, c'est
+lui qui avait parlé la veille, chez
+l'abbesse du couvent des Filles de
+la Miséricorde, du danger où se trouvait
+la nièce de madame de Saverny.
+Il l'avait peint dans toute sa force,
+pour engager ces dames à prendre
+de grandes précautions pour leurs
+pensionnaires, sans se rappeler que
+madame de Nangis habitait leur
+<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span>
+maison. Le bruit de la maladie de
+sa fille lui parvint bientôt, avec
+tous les détails qui pouvaient augmenter
+son effroi. Son imagination,
+déja exaltée par le repentir
+et la douleur, se peignit la mort
+de son enfant comme un châtiment
+dû à ses fautes. Et dès-lors, le désespoir
+s'emparant de son ame, elle
+ne pensa plus qu'à revoir une seule
+fois l'objet de ses regrets, avant de
+le suivre au tombeau. Quelques louis
+donnés à la tourière, lui obtinrent
+la facilité de sortir du couvent avant
+qu'il fît jour. Elle erra long-temps
+dans les rues de Paris, sans pouvoir
+reconnaître celles qui la conduiraient
+chez Valentine; enfin, s'étant
+adressée à un pauvre savoyard que
+<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span>
+la misère rendait plus matinal qu'un
+autre, il lui indiqua son chemin, en
+marchant devant elle. C'est avec ce
+guide qu'elle était arrivée à la porte
+de l'hôtel du commandeur; et c'est
+assise sur un banc de pierre, qu'elle
+avait attendu le moment de la voir
+ouvrir.</p>
+
+<p>Après avoir long-temps examiné
+l'état d'Isaure, le docteur déclara
+qu'il lui paraissait moins alarmant
+que la veille, mais qu'il ne pouvait
+répondre de rien avant la fin du
+neuvième jour. En écoutant ces
+mots, la plus vive terreur se manifesta
+dans les yeux de la comtesse;
+elle pensa que, par pitié pour elle,
+le docteur n'osait prononcer la sentence
+d'Isaure, et qu'il voulait la
+<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span>
+préparer au coup fatal par trois jours
+d'anxiété; et pénétrée de cette horrible
+pensée, toute son attitude semblait
+dire: «Où vais-je passer ces
+trois jours de supplice.» Valentine
+comprit son silence, et dit en lui
+serrant la main: «Rassurez-vous,
+ma s&oelig;ur, nos soins la sauveront.&mdash;Quoi,
+s'écria la comtesse,en se précipitant
+aux genoux de Valentine,
+vous permettrez que je ne la quitte
+pas! vous, à qui l'on a fait jurer de la
+tenir éloignée pour toujours de sa
+mère, vous que j'ai si cruellement offensée,
+qui devez me haïr! Ah! tant
+de générosité ajoute à mes remords;
+et c'est vous venger deux fois que de
+vouloir prolonger ma vie jusqu'au
+dernier soupir de mon enfant.» A
+<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span>
+ces mots un torrent de larmes inonda
+le sein de cette malheureuse
+mère, et la soulagea un instant de
+l'oppression qui l'accablait. Valentine
+redoubla cet attendrissement
+par les expressions de la plus touchante
+amitié, et le docteur lui-même
+ne put se défendre d'une émotion
+très-vive en contemplant le
+spectacle si doux du repentir qui
+implore, et de la vertu qui pardonne.</p>
+
+<p>Avant de le laisser partir, la marquise
+exigea de lui le secret sur la
+scène dont il venait d'être témoin,
+et le pria de se charger d'un mot
+pour l'abbesse du couvent de la
+Miséricorde, à qui elle devait rendre
+compte de l'absence de la comtesse.
+Tout fut disposé pour cacher
+<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span>
+l'arrivée de madame de Nangis chez
+Valentine: les gens de la maison
+reçurent l'ordre de n'en point parler,
+même à ceux du commandeur;
+et mademoiselle Cécile fut d'autant
+plus discrète dans cette circonstance,
+qu'elle avait à réparer sa réputation.
+Valentine fit valoir le grand intérêt
+qui devait les occuper uniquement,
+pour empêcher sa s&oelig;ur de revenir
+trop souvent sur les regrets de sa conduite
+passée, et il fut convenu entre
+elles que désormais les soins relatifs
+à Isaure seraient l'unique sujet de
+leurs conversations.</p>
+
+<p>Enfin arriva ce neuvième jour
+aussi redouté qu'attendu. Après un
+redoublement de fièvre et de délire,
+le calme survint tout-à-coup, et fut
+<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span>
+suivi d'un sommeil profond. A son
+réveil, Isaure entr'ouvrit les yeux,
+reconnut sa mère, la nomma; et ce
+premier mot échappé de son c&oelig;ur
+devint le signal de la résurrection
+de toutes deux. Dans ce passage subit
+du désespoir à la joie, madame
+de Nangis oublia tout ce qu'elle avait
+promis à Valentine pour se livrer
+sans réserve à l'excès de sa reconnaissance.
+«Ah! mon amie, lui disait-elle,
+disposez de l'existence qui nous
+est rendue; c'est à vos v&oelig;ux que le
+ciel l'accorde, sa justice devait me
+punir en m'arrachant le seul lien
+qui m'attache à la terre; mais, en
+adoptant ma fille, en protégeant sa
+mère, vous avez obtenu sa vie et
+mon pardon: tant de bienfaits n'étaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span>
+dus qu'aux célestes vertus
+d'un ange.»</p>
+
+<p>A la vue d'un bonheur qui était
+en partie son ouvrage, Valentine recueillit
+le fruit de tous ses sacrifices,
+et se félicita d'avoir acquis,
+par sa générosité, le droit de ramener
+à tous les charmes d'une vie
+douce et pure l'amie que tant d'erreurs
+semblaient condamner à d'éternels
+chagrins. Mais, tout en se livrant
+au desir d'adoucir le sort de
+sa belle-s&oelig;ur, Valentine voulait rester
+fidèle à sa promesse envers son
+frère; et voilà ce qu'elle imagina
+pour concilier ces deux intérêts. En
+fesant le serment de ne jamais se
+séparer d'Isaure, elle ne s'était point
+engagée à la priver des soins étrangers
+<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span>
+que pourrait exiger son éducation,
+et rien ne l'empêchait de les
+partager avec madame de Nangis,
+pourvu que cette dernière consentît
+à ne pas abuser de son autorité
+maternelle. Cette condition une fois
+remplie, Valentine proposa à sa
+belle-s&oelig;ur d'habiter un petit appartement
+attenant au sien, où elle
+pourrait accomplir facilement le
+v&oelig;u de retraite absolue qu'elle avait
+formé. Avant d'accepter cette proposition
+qui comblait tous ses desirs,
+la comtesse prévint Valentine qu'elle
+ne consentirait à s'établir chez elle
+qu'en qualité d'institutrice d'Isaure;
+et que, pour ôter tout soupçon, elle
+prendrait le nom de madame Sainte-Hélène,
+et passerait dans la maison
+<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span>
+pour une de ces personnes qu'un
+revers de fortune oblige à fuir le
+monde pour se consacrer à l'éducation
+des enfants. Le but de ce mystère
+était de cacher à M. de Nangis
+la demeure de sa femme, et Valentine
+l'approuva. Dès que le docteur
+lui eut déclaré qu'Isaure était en
+pleine convalescence, elle reconduisit
+elle-même la comtesse à son couvent,
+et deux jours après annonça
+chez elle la prochaine arrivée de
+madame de Sainte-Hélène. Une
+femme-de-chambre nouvelle fut
+arrêtée pour le service particulier
+de cette institutrice dont mademoiselle
+Cécile avait seule le secret.
+Quant à Isaure, il ne fut pas difficile
+de lui faire croire que la moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span>
+indiscrétion de sa part la priverait
+pour toujours de la présence de sa
+mère. L'effroi que lui inspirait cette
+menace répondait de sa soumission,
+et jamais on n'eut à lui reprocher
+un mot qui pût trahir le mystère
+qu'elle respecta sans chercher à en
+comprendre la cause.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XLIV" id="CHAPITRE_XLIV"></a>CHAPITRE XLIV.</h3>
+
+<p class="p2">Isaure avait repris ses forces, sa
+gaieté, et l'on ne craignait même
+plus pour son joli visage; Valentine
+venait d'en apprendre l'heureuse
+nouvelle à son frère; madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">273</a></span>
+Nangis, ravie du bonheur de retrouver
+son enfant, de recevoir les
+consolations d'une amie, oubliait le
+monde et ses travers, auprès des
+objets de son affection. Enfin tout
+semblait promettre à Valentine le
+repos auquel elle aspirait depuis si
+long-temps. Mais une seule idée
+troublait encore son ame, et lui fesait
+éprouver que la douceur d'une
+vie calme ne peut rien contre les
+agitations du c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Un matin, la marquise se disposant
+à sortir, comme à son ordinaire,
+Isaure vint lui demander, de
+la part de sa mère, à qui était
+une voiture attelée de six chevaux
+de poste qui venait d'entrer dans la
+cour. Devinant bien ce qui motivait
+<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">274</a></span>
+la curiosité de la comtesse, Valentine
+fit appeler mademoiselle
+Cécile, qui répondit: Cette voiture
+est celle de la duchesse de Linarès.&mdash;Viendrait-elle
+loger ici? demanda
+vivement la marquise?&mdash;Je ne le
+crois pas, madame, car les gens qui
+se trouvaient dans sa voiture de
+suite, ont reçu ordre d'aller tout
+préparer pour la recevoir dans l'appartement
+qu'elle occupe ordinairement
+chez l'ambassadeur d'Espagne.&mdash;Dites
+qu'on ôte mes chevaux, reprit
+Valentine, après un moment de
+silence; je ne sortirai pas. En donnant
+cet ordre, elle congédia Isaure
+et alla se renfermer dans son cabinet.
+Elle y était depuis une heure,
+lorsque M. de Saint-Albert se fit
+<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">275</a></span>
+annoncer. A son aspect il la vit rougir,
+et il s'excusa de venir ainsi
+la troubler: Je le vois, dit-il,
+ma présence vous importune; c'est
+l'effet que produit communément
+celle d'un ami qui n'inspire plus
+de confiance; mais tranquillisez-vous;
+je ne viens pas questionner
+votre c&oelig;ur, ni vous parler des sentiments
+que je lui suppose; j'avais
+prévu ce que vous cherchez à dissimuler,
+et je suis bien loin de le
+blâmer. Tout ce que je vous demande,
+c'est de m'aider à rappeler
+la raison d'un insensé qui est au
+moins digne de votre pitié; puis
+s'apercevant que Valentine hésitait
+à répondre, le commandeur ajouta:
+Anatole sait que vous demeurez ici,
+<span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">276</a></span>
+et dans sa résolution de n'y point
+venir, il me supplie de lui permettre
+de vous écrire. Comme je
+me rends à l'instant même chez
+lui pour le lui défendre par toute
+l'autorité de mon amitié, j'ai cru
+devoir vous en prévenir, et vous
+supplier de vous prêter au moyen
+très-innocent dont je viens de convenir
+avec sa mère, pour le ramener
+à des sentiments plus raisonnables.&mdash;Et
+quel est ce moyen,
+demanda Valentine?&mdash;Mais en pareil
+cas, celui qui ôte toute espérance,
+me semble le meilleur. La passion
+d'Anatole est arrivée à un point qui
+touche au délire. Six mois d'absence
+et de regrets n'ont fait que l'exalter,
+et l'idée qu'elle ne peut plus troubler
+<span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">277</a></span>
+votre repos, l'encourage encore.
+Il est temps d'y mettre un frein en
+lui prouvant qu'il ne doit exister
+entre vous qu'une simple amitié,
+puisque le choix d'un nouvel époux
+va bientôt assurer votre bonheur.&mdash;Mais
+ce serait l'abuser....&mdash;Que
+vous importe, interrompit le commandeur,
+cela ne vous engage à
+rien, pas même à le tromper; nous
+vous demandons pour toute grace,
+de ne pas nous contredire. C'est de
+moi seul qu'il apprendra les projets
+que je vous supposerai, et je sais
+d'avance qu'il se soumettra à tout
+ce que l'honneur ordonne en pareille
+circonstance. Une fois convaincu
+de votre prochain mariage,
+il sentira la nécessité de renoncer
+<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">278</a></span>
+aux illusions romanesques qu'il
+nourrit depuis trop long-temps, et
+cessant de garder un secret désormais
+inutile, il sacrifiera bientôt
+les intérêts de son amour-propre
+au plaisir de jouir sans contrainte
+de votre affection. Combien alors
+cette tendre mère vous bénira d'avoir
+rendu son fils à la vie par l'amour,
+et à la raison par l'amitié. Vous
+deviendrez l'ange tutélaire de cette
+intéressante famille, et votre vieil
+ami vous devra la fin de toutes
+ses peines.&mdash;Ah! si tant de bonheur
+est en ma puissance, s'écria
+Valentine avec l'accent de la plus
+vive émotion, je consens à tout
+pour vous l'assurer. Oui, dites à
+votre ami que mon c&oelig;ur n'est plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">279</a></span>
+libre, et qu'avant peu j'aurai disposé
+de ma main; mais en lui fesant
+cette confidence, ménagez sa sensibilité,
+persuadez-lui bien que j'ai
+besoin de son bonheur pour être
+heureuse, et qu'il doit vivre pour
+être l'objet de mon éternelle reconnaissance.</p>
+
+<p>En disant ces derniers mots, le
+visage de Valentine s'anima des plus
+vives couleurs, et son regard brilla
+du feu de l'enthousiasme; le commandeur
+surpris de l'air inspiré
+qu'il remarquait en elle, la considéra
+quelque temps en silence, puis
+se levant tout-à-coup, il la quitta
+pour se rendre auprès d'Anatole.</p>
+
+<p>Deux heures après, la marquise
+reçut le billet suivant:</p>
+
+<p class="center p2"><span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">280</a></span>
+<span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p>
+
+<p>«Votre bonheur est décidé, madame,
+et vous daignez encore vous
+occuper du mien! Tant de bonté
+ne m'étonne pas. J'y voudrais répondre
+en vous obéissant; mais
+vous m'ordonnez en vain d'être
+heureux; le ciel, moins généreux
+que vous, me défend d'y prétendre,
+et la fin de mes tourments est l'unique
+v&oelig;u qu'il me permette désormais
+de former. Ah! puisse-t-il
+bientôt l'accomplir, en me laissant
+pour dernière pensée le souvenir
+du seul moment où j'aie aimé la
+vie!»</p>
+
+<p>A peine Valentine a-t-elle achevé
+la lecture de ce billet, qu'elle fait
+<span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">281</a></span>
+demander si M. de Saint-Albert est de
+retour. On lui répond qu'il vient de
+rentrer; elle se rend aussitôt près
+de lui, et, sans perdre de temps,
+elle le prie de lui dire franchement
+comment Anatole a reçu la nouvelle
+qu'il vient de lui porter. Le
+ton décidé qui accompagnait cette
+prière en fesait presque un ordre,
+et le commandeur pensa qu'il fallait
+qu'un sentiment violent agitât Valentine
+pour altérer ainsi la douceur
+de sa voix. Il essaya d'abord
+de lui répondre vaguement, en
+lui laissant entendre qu'il valait
+mieux pour elle-même qu'elle ignorât
+l'effet d'un désespoir que le
+temps seul pourrait calmer; mais la
+marquise ayant insisté de manière à
+<span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">282</a></span>
+ne lui laisser aucun moyen d'éluder
+une réponse positive: «Eh bien!
+dit-il, puisque vous voulez savoir
+les projets qu'il médite en son extravagance,
+apprenez qu'il part cette
+nuit même pour aller cacher, je ne
+sais où, la douleur qui l'accable. J'ai
+vainement employé mon ascendant
+sur lui pour le déterminer à prendre
+quelque parti plus sage. Je n'ai rien
+obtenu de tout ce que j'ai demandé,
+même au nom de sa mère. Il m'a fait
+jurer de ne la quitter de ma vie, et de
+faire tout ce qui dépendrait de moi
+pour vous lier avec elle; car il ne
+doute pas que le bonheur de vous voir
+souvent ne la console de l'absence de
+son fils. Il a paru attacher le plus vif
+intérêt à ce que je pusse vous réunir
+<span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">283</a></span>
+ce soir même toutes deux chez moi.
+J'ai promis de satisfaire à tout ce
+qu'il exigeait de mon amitié, pourvu
+qu'il renonçât au desir de vous revoir
+encore une fois. Il ne voulait que
+se trouver sur votre passage, au moment
+où vous viendrez chez ma
+nièce; mais j'ai résolu de vous
+sauver une semblable entrevue,
+qu'il n'est pas lui-même en état de
+supporter.&mdash;Je vous en remercie,
+interrompit Valentine (sans paraître
+fort émue de ce qu'elle venait d'entendre),
+et j'accepte avec empressement
+l'offre que vous me faites de
+me présenter aujourd'hui à votre
+ancienne amie. Vous m'excuserez, si
+j'arrive un peu tard. Je me suis engagée
+à conduire ce soir Isaure à
+<span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">284</a></span>
+l'Opéra; c'est une récompense depuis
+long-temps promise, je ne saurais
+manquer à ma parole: madame de
+Réthel vient de s'engager à nous y
+accompagner, et si la duchesse ne
+doit se rendre qu'à dix heures chez
+vous, nous nous y trouverons avant
+elle.&mdash;Puisque cet arrangement est
+celui qui vous convient le mieux,
+reprit le commandeur d'un air piqué,
+je vais tout disposer pour satisfaire
+au v&oelig;u de mon ami, sans nuire à
+vos projets.» A ces mots, Valentine
+quitta le commandeur, sans paraître
+remarquer le mécontentement qu'il
+témoignait.</p>
+
+<p>Voilà bien les femmes! s'écria-t-il,
+lorsqu'elle fut partie: exaltées jusqu'à
+la folie, quand l'amour les domine;
+<span class="pagenum"><a name="Page_285" id="Page_285">285</a></span>
+insensibles jusqu'à la dureté, quand
+le prestige de leur imagination est
+détruit.</p>
+
+<p>A l'heure du spectacle, la marquise
+et son amie font de vaines
+instances pour le déterminer à leur
+donner la main; il s'y refuse en disant
+que de tristes adieux à faire le
+privent de l'avantage de partager
+les plaisirs de ces dames. Après plusieurs
+phrases de ce genre, fort bien
+comprises de Valentine, il la voit
+s'éloigner sans en obtenir d'autre
+réponse que ces mots: <i>A ce soir</i>.</p>
+
+<p>Blessé de tant de marques de légèreté,
+il veut en faire le récit à son
+malheureux ami, et lui prouver qu'il
+ne peut sans crime sacrifier le bonheur
+de sa famille entière au regret
+<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">286</a></span>
+de n'être point aimé d'une femme
+ingrate. Dans ce dessein, il se fait
+conduire chez Anatole, et n'apprend
+pas sans étonnement qu'il vient de
+partir pour l'Opéra. Un valet de
+chambre est appelé, il confirme cette
+réponse, et dit qu'en effet son maître
+s'est déterminé tout-à-coup à sortir
+après avoir reçu un billet.&mdash;Et savez-vous
+de quelle part il venait,
+interrompt vivement le commandeur?&mdash;Non,
+monsieur. Je sais seulement
+qu'un domestique, portant
+la livrée de madame la marquise de
+Saverny, m'a chargé de le remettre
+à mon maître.&mdash;Ces mots augmentent
+encore la surprise de M. de
+Saint-Albert. Il veut éclaircir le mystère,
+et se rend sans délai à l'Opéra.
+<span class="pagenum"><a name="Page_287" id="Page_287">287</a></span>
+En entrant dans la salle, il aperçoit
+Anatole dans le fond de la loge de
+l'ambassadeur d'Espagne. Il le voit
+debout, appuyé sur une colonne, et
+les yeux fixés de manière à lui indiquer
+l'endroit où se trouve madame
+de Saverny. Le commandeur
+tourne alors ses regards de ce côté,
+et il est frappé de l'air rayonnant de
+Valentine. L'émotion la plus vive
+semble animer ses traits, et tout en
+elle démontre autant de trouble que
+de joie. En vain la plus célèbre danseuse
+captive l'attention du public.
+Valentine profite de ce moment
+pour se livrer au plaisir de revoir
+Anatole, mais l'expression d'un bonheur
+dont il ne se croit pas la cause,
+lui devient bientôt insupportable.
+<span class="pagenum"><a name="Page_288" id="Page_288">288</a></span>
+Son désespoir s'en irrite, il veut fuir
+pour en cacher l'excès. Déja il n'a
+plus qu'un pas à faire pour être à
+jamais séparé de celle qu'il adore.
+Cette funeste pensée l'arrête un
+instant; il se retourne, et veut par
+un dernier regard lui dire un éternel
+adieu; mais un signe de Valentine
+lui dit: <i>Restez</i>. Il n'ose en croire ses
+yeux, ni reconnaître le seul langage
+qu'il parle, qu'il entende, et que
+Valentine vient d'apprendre pour
+lui; un second signe ajoute, <i>je vous
+aime</i>, et il tombe anéanti sous le
+poids de sa félicité.</p>
+
+<p>Au même instant le commandeur
+arrive, l'entraîne hors de la salle, et
+lui prodigue tous ses soins; Valentine,
+tourmentée d'une douce inquiétude,
+<span class="pagenum"><a name="Page_289" id="Page_289">289</a></span>
+n'attend pas la fin du spectacle
+pour se rendre chez M. de Saint-Albert.
+Un seul mot instruit madame
+de Réthel de ce qui se passe dans
+l'ame de son amie. Elle n'a plus de
+secrets pour elle, et trouve du plaisir
+à lui avouer que depuis trois
+mois les leçons de l'abbé de l'Épée
+l'ont rendue très-savante dans le
+langage d'Anatole.&mdash;Quoi! s'écrie
+madame de Réthel, c'est donc à cette
+occupation que vous consacriez ces
+longues matinées où vous étiez invisible
+pour tout le monde.&mdash;Vraiment
+oui, répondit Valentine; lorsque
+j'ai senti que rien ne pouvait
+m'empêcher de l'aimer, j'ai voulu
+apprendre à le lui dire.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_290" id="Page_290">290</a></span>
+Comme elle achevait ces mots, la
+voiture s'arrête; on l'ouvre précipitamment,
+et la marquise s'élance
+dans les bras de M. de Saint-Albert,
+qui s'écrie: O mon amie! est-il
+bien vrai?» L'émotion de Valentine
+ne lui permet pas de répondre; elle
+se laisse conduire par le commandeur
+sans voir où il l'entraîne.
+Bientôt Anatole est à ses pieds. Une
+femme, baignée de pleurs, la presse
+sur son sein; à ses traits, aux transports
+de sa reconnaissance, Valentine
+devine qu'elle embrasse la mère
+d'Anatole, et son c&oelig;ur éprouve tout
+ce que le ciel a voulu attacher de
+divin au plaisir de faire des heureux.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_291" id="Page_291">291</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLV" id="CHAPITRE_XLV"></a>CHAPITRE XLV <span class="smcap">et dernier.</span></h3>
+
+<p class="p2">Voilà, dira-t-on, un trait d'héroïsme
+au-dessus du courage des femmes.
+Ce n'est pas dans l'amour qu'inspire
+un homme, dont les qualités brillantes
+rachètent une disgrace qui ne
+le rend à charge à personne, qu'on
+doit admirer l'effort d'un si beau
+dévouement; c'est dans la résolution
+de braver le ridicule attaché à un
+choix semblable, que se trouve tout
+le sublime d'une action si généreuse!
+Madame de Saverny n'eut pas à se
+repentir d'en avoir offert l'exemple.
+En la voyant devenir l'épouse d'Anatole,
+<span class="pagenum"><a name="Page_292" id="Page_292">292</a></span>
+d'abord on pensa dans le
+monde qu'elle se sacrifiait à la reconnaissance;
+mais bientôt la réalité
+de son bonheur vint prouver aux
+plus incrédules, que la certitude
+d'être constamment adorée peut
+suffire à la félicité d'une femme sensible;
+et que, dans une union formée
+par l'amour, on s'entend toujours
+assez tant qu'on s'aime beaucoup.</p>
+
+<p>M. de Nangis quitta Londres pour
+être témoin du mariage de sa s&oelig;ur,
+qui se fit à Merville. Avant de se
+rendre à l'église, Valentine demanda
+à son frère la permission
+de lui présenter la gouvernante
+d'Isaure, l'amie intéressante dont
+les soins l'avaient aidée à rappeler
+<span class="pagenum"><a name="Page_293" id="Page_293">293</a></span>
+son enfant à la vie.&mdash;Conduisez-moi
+vers elle, répond le comte,
+impatient de remercier celle à qui
+il croit devoir la plus douce consolation
+qui lui reste.» Au même
+instant, Valentine ouvre la porte
+d'un cabinet où madame de Nangis
+attendait en tremblant l'arrêt qui
+devait finir ou éterniser son supplice.
+Sans laisser aux deux époux
+le temps de se livrer aux différents
+sentiments qui les agitent, Valentine
+les conduit dans les bras l'un
+de l'autre, en disant: «Le pardon
+de madame de Nangis est bien dû à
+la mère d'Isaure!» Mais que dira le
+monde, s'écria le comte, en essuyant
+les larmes qui s'échappaient de ses
+yeux?&mdash;Restez ici près de nous,
+<span class="pagenum"><a name="Page_294" id="Page_294">294</a></span>
+reprit Valentine; et vous ne le saurez
+pas. Ce monde vaut-il donc la
+peine de tant lui sacrifier? et la peur
+d'une raillerie doit-elle empêcher
+de pardonner des torts expiés par
+la douleur et le repentir? Ah! tout
+me le prouve: ce n'est pas dans les
+plaisirs bruyants de ce monde frivole
+qu'on peut trouver l'oubli de
+ses chagrins. Imitez-moi, mon frère;
+ayez le courage d'être heureux.
+Qu'en arrivera-t-il? On plaisantera
+de l'excès de votre bonté; on rira
+de mon choix; et l'on enviera bientôt
+notre bonheur.</p>
+
+<p class="p2 center"><small><b>FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.</b></small></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3>
+
+<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_XXIV">CHAPITRE XXIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXV">CHAPITRE XXV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVI">CHAPITRE XXVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVII">CHAPITRE XXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVIII">CHAPITRE XXVIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXIX">CHAPITRE XXIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXX">CHAPITRE XXX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXI">CHAPITRE XXXI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXII">CHAPITRE XXXII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIII">CHAPITRE XXXIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIV">CHAPITRE XXXIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXV">CHAPITRE XXXV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVI">CHAPITRE XXXVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIX">CHAPITRE XXXIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XL">CHAPITRE XL</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLI">CHAPITRE XLI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLII">CHAPITRE XLII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLIII">CHAPITRE XLIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLIV">CHAPITRE XLIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLV">CHAPITRE XLV</a></p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
+
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+posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
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+License as specified in paragraph 1.E.1.
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+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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