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+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Anatole, Vol. 2 (of 2),
+
+Author: Sophie Gay
+
+Release Date: January 31, 2011 [EBook #35129]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
+
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+
+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+ Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par
+ le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été
+ conservée et n'a pas été harmonisée.
+
+
+
+
+ ANATOLE.
+
+ TOME SECOND.
+
+ _Tome II._
+
+
+
+
+ De l'Imprimerie de FIRMIN DIDOT.
+
+ _Se trouve aussi à Paris,_
+
+ {DELAUNAY, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.
+ Chez{RENARD, rue de Caumartin, nº 12.
+ {LAURENT-BEAUPRÉ, au Palais-Royal.
+
+
+
+
+ ANATOLE.
+
+ PAR L'AUTEUR
+
+ DE LÉONIE DE MONTBREUSE.
+
+ TOME SECOND.
+
+ A PARIS,
+
+ CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,
+
+ IMPRIMEUR DE L'INSTITUT DE FRANCE,
+
+ rue Jacob, nº 24.
+
+ 1815.
+
+
+
+
+ANATOLE.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIV.
+
+
+L'étourderie naturelle à l'âge d'Isaure lui empêcha de remarquer que
+sa tante revenait sans le voile de mousseline quelle lui avait vu le
+matin: mais mademoiselle Cécile, dont l'esprit d'ordre allait
+parfois jusqu'à la tyrannie, ne manqua pas de demander à sa
+maîtresse, d'un ton respectueusement impérieux, ce qu'elle avait
+fait de son voile. La marquise lui répondit, avec le trouble d'une
+enfant qui ment à sa gouvernante, qu'elle n'en savait rien.--Ah! je
+devine, madame l'aura sûrement oublié dans sa voiture; et, sans
+perdre de temps, mademoiselle Cécile descend dans la cour, retourne
+tous les coussins de la berline, et, ne trouvant rien, finit par
+conclure que la marquise aura laissé son voile dans l'église de
+Saint-Denis: elle veut absolument qu'un domestique monte à cheval
+pour l'aller chercher, mais on refuse tout net de lui obéir, en
+répondant qu'on ne fera ce voyage que par les ordres de madame; et
+la marquise est obligée d'employer son autorité pour s'opposer au
+zèle de mademoiselle Cécile, en disant que ce voile ne vaut pas tant
+de recherches, et qu'il est inutile d'en faire de nouvelles.
+
+On se doute bien que, le soir même de ce beau jour pour Anatole,
+Valentine reçut une lettre où le repentir, la reconnaissance, et
+l'amour, se peignaient à chaque ligne. L'espérance d'être aimé s'y
+laissait entrevoir à travers les regrets d'un amour sans espoir. Un
+reste de sentiment jaloux se mêlait aux serments de ne plus offenser
+par d'injustes reproches celle dont on n'avait pas le droit
+d'enchaîner la liberté. Pour le sacrifice de la vie entière, on
+n'exigeait d'autre retour qu'un peu d'amitié et quelque confiance:
+mais la moindre preuve d'indifférence frapperait d'un coup mortel le
+coeur le plus dévoué. Enfin, cette lettre était un chef-d'oeuvre de
+passion. C'est avouer qu'elle n'avait pas le sens commun. Aussi
+Valentine en fut elle enchantée; la joie qu'elle en ressentit donna
+à sa physionomie une expression si différente de celle qu'on y avait
+remarquée la veille, que madame de Nangis ne put s'empêcher de lui
+dire que l'aspect des tombeaux produisait sur elle d'étranges
+effets. »Je vous ai vue, ajouta-t-elle, revenir quelquefois de
+l'opéra, l'air triste et abattu, mais vivent les cimetières pour
+vous rendre à la gaité!» Valentine était de trop bonne humeur pour
+s'offenser de cette mauvaise plaisanterie; le chevalier d'Émerange y
+joignit les siennes en tâchant de les rendre piquantes, mais la
+marquise s'amusait à déconcerter leur malice par de vives reparties
+que la fatuité du chevalier lui fesait regarder comme autant
+d'agaceries de la part de Valentine. Cette petite lutte plaisait
+assez à la comtesse; elle remarquait dans les réponses du chevalier
+une certaine amertume qui devait piquer sa belle-soeur; et tout ce
+qui semblait nuire à leur intimité rassurait la comtesse. Jamais
+sécurité ne fut plus mal fondée, car pendant que le chevalier
+plaisantait Valentine sur la prétendue mélancolie qui lui fesait
+rechercher l'aspect des plus tristes lieux pour en rapporter les
+sentiments les plus gais, il admirait cette variété d'impressions
+qui la rendaient tour-à-tour si mélancolique si piquante, et se
+peignait d'avance tout le plaisir réservé à celui qui pourrait d'un
+seul mot faire naître la tristesse ou la joie sur ce beau visage.
+
+Malgré sa finesse et sa grande habitude d'observer, M. d'Émerange se
+flattait d'être pour beaucoup dans les agitations du coeur de
+Valentine: on s'étonnera peut-être de voir un homme d'esprit se
+tromper aussi lourdement sur les vrais sentiments d'une femme; mais
+quand on réfléchira que le chevalier, sans cesse témoin des hommages
+qu'on offrait à la marquise, avait pu se convaincre que nul n'était
+payé de la moindre préférence; que de plus, il s'était assuré, par
+M. de Nangis, de la parfaite indifférence de sa soeur pour ses
+voisins de Saverny; et qu'enfin tout décelait dans les actions de
+Valentine le trouble intérieur qui naît d'un sentiment combattu, on
+trouvera bien simple que M. d'Émerange s'en attribuât l'honneur;
+mais si toutes ses raisons ne justifiaient pas assez l'excès de sa
+présomption, l'expérience l'expliquerait suffisamment. Car personne
+n'ignore que si parfois l'amour rend fous les gens d'esprit,
+l'amour-propre les rend souvent imbécilles.
+
+Par une suite de son aveuglement, le chevalier crut devoir faire
+part à M. de Nangis des espérances qu'il concevait, et l'engager à
+prévenir, par quelques mots, la marquise sur leur projet. On devait
+profiter pour cela de la courte absence du chevalier, qui partait
+incessamment pour aller recevoir le dernier soupir de cet oncle dont
+l'avarice n'avait tant amassé que pour satisfaire la prodigalité
+d'un neveu.
+
+Ce fait convenu, le chevalier partit l'ame enivrée du plus doux
+espoir, et n'éprouvant d'autre embarras que celui de cacher sa joie
+aux amis du mourant. Le lendemain de son départ, Valentine était à
+l'opéra, parée d'un bouquet de jasmin qu'Anatole dut reconnaître, et
+bien plus occupée de sa présence que de l'absence du chevalier,
+lorsque M. de Nangis vint lui dire tout bas, et d'un air fin, que sa
+préoccupation serait remarquée de tout le monde, excepté de celui
+qui en était l'objet; c'est dommage, ajouta-t-il; car on doit être
+bien fier de vous rendre aussi rêveuse. Comme on suppose facilement
+ce que l'on craint, Valentine s'imagina que son frère voulait parler
+d'Anatole, et cette idée la troubla. Le comte ne s'étonna point de
+la voir aussi émue; et, sans s'expliquer davantage, il lui dit
+qu'ayant à lui parler d'affaires importantes, il l'engageait à venir
+déjeûner dans son cabinet le lendemain: elle promit de se rendre à
+l'invitation; mais cet entretien demandé avec tant de solennité
+tourmenta cruellement l'esprit de Valentine. Elle se perdit en
+conjectures pour en deviner le motif, et s'efforça vainement
+d'espérer quelque heureuse nouvelle. Un secret pressentiment lui
+fesait redouter les avis de son frère; et, comme le pigeon de La
+Fontaine, Valentine croyait beaucoup aux pressentiments.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXV.
+
+
+Après une réception plus cérémonieuse que fraternelle, M. de Nangis
+entama la grande question par un long préambule, et finit par
+féliciter sa soeur sur le beau sort qui l'attendait. Ce début fit
+battre le coeur de Valentine; elle ne douta plus que son frère,
+instruit de l'amour d'Anatole, ne conçût le projet de surmonter
+tous les obstacles pour assurer son bonheur. Mais cette douce idée
+s'évanouit bientôt, lorsqu'elle entendit M. de Nangis faire un grand
+éloge de M. d'Émerange, et y ajouter ces mots: «Tant d'agréments
+réunis méritaient votre préférence; aussi me suis-je bien gardé de
+la contrarier; vous avez vu mes soins à multiplier les assiduités du
+chevalier chez moi; mais vous devez penser que si je lui ai offert
+aussi souvent les occasions de vous faire sa cour, j'étais rassuré
+d'avance sur la crainte de vous compromettre. La manière noble et
+franche dont le chevalier m'avait déclaré ses intentions ne pouvait
+me laisser aucun doute sur ses sentiments pour vous, et c'est en
+vous approuvant que je vous les voyais partager.»--Moi, mon frère,
+interrompit Valentine, avec un embarras mêlé de dépit, je vous jure
+que loin de les partager, je les ignorais.--Ah! Valentine, soyez de
+bonne foi, et vous conviendrez de ce que tout le monde sait déjà.
+Une femme s'aperçoit si vîte de l'amour qu'elle inspire! D'ailleurs
+il faut avouer que M. d'Émerange dissimulait fort mal celui qu'il a
+pour vous; car il y a déja très-longtemps que, plaisantant madame de
+Nangis sur l'attrait qui fixait auprès d'elle tant de gens aimables,
+et particulièrement un homme dont les plus jolies femmes se
+disputaient l'hommage, elle me fit remarquer que vous seule aviez
+l'honneur de ce triomphe.--A ces mots le front de Valentine se
+couvrit de rougeur, elle frémit de laisser soupçonner à son frère
+l'idée qui excitait sa honte pour une personne chère à tous deux; et
+la bonté de son coeur la décida à convenir que le chevalier lui
+avait en effet témoigné quelquefois le desir de lui plaire; mais que
+le caractère frivole dont il fesait gloire, l'avait empêchée
+d'attacher la moindre importance à ses discours.--Il n'en est pas
+moins vrai qu'ils vous étaient agréables, reprit le comte; ils vous
+le paraîtront encore plus maintenant que vous savez que cette
+apparence de galanterie cache un sentiment profond. Mais je suis de
+votre avis sur ces airs légers, qui sont tant à la mode; vous en
+voyez l'inconvénient, on ne sait à quoi s'en tenir sur tout ce qui
+se dit; la gravité est moins amusante, j'en conviens: mais quand il
+s'agit d'une affaire d'où dépend le destin de sa vie, on pourrait
+bien se résigner à en parler sérieusement. Au reste, pour mon
+compte, je n'ai pas ce reproche à faire à M. d'Émerange; et c'est
+avec toute la solennité d'une semblable démarche qu'il est venu me
+prier de vous offrir sa main.--Je suis fort honorée de son choix,
+répondit Valentine en baissant les yeux, mais je ne saurais me
+décider aussi promptement... à former un nouveau lien.--Voilà tout
+justement une réponse de comédie; vous oubliez, ma chère Valentine,
+que ce n'est ni un tuteur, ni un oncle qui vous interroge, et
+qu'étant parfaitement libre d'agir selon votre volonté, vous n'avez
+besoin d'aucun prétexte pour la satisfaire. Il est vrai que le
+respect des usages, et ce que l'on se doit à soi-même, imposent
+quelquefois plus de sacrifices que n'en saurait exiger l'autorité
+des parents les plus sévères; mais vous connaissez aussi bien que
+moi l'empire de ces devoirs, et vous n'avez pas plus à redouter mes
+avis que ceux de votre raison; ainsi donc pourquoi me feriez-vous
+mystère de vos projets et de vos sentiments?--Puisque vous
+m'autorisez à vous parler franchement, reprit Valentine avec plus
+d'assurance, je vous avouerai que, tout en rendant justice aux
+avantages séduisants de M. d'Émerange, je le crois incapable de
+s'occuper du bonheur de sa femme. Quand on a, comme lui, contracté
+l'habitude des succès brillants, on ne se réduit pas sans regret à
+des plaisirs plus calmes; et je ne me sens point le courage de
+consacrer ma vie à un homme fort aimable, sans doute, mais qui me
+semble impossible à fixer.--Vous avez cru probablement triompher de
+ce raisonnement, quand vous avez consenti à recevoir les soins du
+chevalier?--Je ne les ai jamais encouragés.--Du moins les avez-vous
+accueillis sans dédain, car autrement il aurait bientôt cessé de
+vous les consacrer. Son caractère est trop connu pour qu'on lui
+soupçonne jamais la duperie de persister dans un amour sans espoir?
+Aussi est-on déja convaincu dans le monde de votre préférence pour
+lui, et de l'heureux événement qui doit en résulter.--C'est ce qui
+m'afflige, repartit Valentine, le coeur oppressé par le ton de
+sévérité que venait de prendre son frère; cependant, ajouta-t-elle,
+je ne me crois pas obligée d'accomplir les prédictions qu'il plaît à
+quelques personnes de faire.--Songez bien que ces sortes de
+prédictions sont presque toujours dictées par le sentiment des
+convenances. Mais j'ai tort de vouloir soutenir une cause que votre
+coeur plaidera bien mieux que moi. J'ai rempli mon devoir en vous
+instruisant de la proposition de M. d'Émerange: il doit être de
+retour ici dans huit jours; réfléchissez d'ici à ce moment sur la
+réponse que vous devez lui faire, et pensez sur-tout qu'on ne refuse
+pas impunément d'aussi grands avantages.» En finissant ces mots, le
+comte sortit pour donner quelques ordres. Valentine, empressée de
+terminer un entretien que la contrainte rendait insupportable,
+rentra dans son appartement, et s'y renferma pour méditer sur la
+réponse qu'on lui demandait. Son incertitude ne portait pas sur
+l'idée d'accepter ou non la proposition du chevalier. Elle était
+bien décidée au refus. Mais la manière de motiver ce refus lui
+présentait de grandes difficultés. L'aveu de ses rapports avec
+Anatole n'aurait pas trouvé grace auprès de M. de Nangis, dont la
+froide raison ne comprenait rien aux faiblesses du coeur. D'ailleurs
+comment se flatter de voir approuver par qui que ce soit le
+sacrifice d'un sort brillant, pour les plaisirs d'un amour
+romanesque! Cette réflexion devait empêcher Valentine de confier
+jamais le principal motif de sa résistance aux voeux du chevalier.
+Il ne lui restait donc plus qu'à répéter les lieux communs dont on
+se sert ordinairement pour rejeter de semblables propositions, sans
+humilier l'amour-propre de celui qu'on refuse, et sans trahir le
+secret de celui qu'on préfère.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVI.
+
+
+Deux jours après l'entretien qui avait jeté tant de trouble dans
+l'esprit de Valentine, elle reçut un billet du commandeur, qui lui
+demandait s'il pourrait avoir l'honneur de la voir dans la matinée;
+ce message lui inspira des soupçons: elle répondit au commandeur
+qu'elle l'attendait; et lorsqu'elle le vit arriver, elle lui
+témoigna franchement l'impatience qu'elle avait d'apprendre ce qui
+lui procurait le plaisir de le voir d'aussi bonne heure.--Ah! vous
+devinez, dit-il, que je ne viens pas ici tout simplement pour vous
+faire ma cour. Vous me trouvez peut-être l'air important d'un
+ambassadeur chargé d'une mission délicate; je suis bien aise d'avoir
+le maintien convenable dans une circonstance aussi solemnelle.--Ah
+mon Dieu! qu'allez-vous m'annoncer, interrompit Valentine en riant
+de la plaisante gravité qu'affectait le commandeur.--Il ne s'agit
+point de rire, reprit-il, mais d'écouter posément tout ce que
+l'ambition, la raison et l'intérêt, vont vous dire par ma bouche.
+Une personne qui me fait l'honneur de me supposer beaucoup de
+crédit sur votre esprit, compte sur mes conseils pour vous
+déterminer à assurer d'un seul mot le bonheur de toute votre
+famille. J'ai promis de répondre à cette honorable preuve de
+confiance par tout le zèle qui pourrait m'en rendre digne. En
+véritable diplomate, je me suis bien gardé de nier l'influence que
+l'on me croyait sur la grande puissance que l'on voulait soumettre;
+car j'ai remarqué que les professeurs en ce genre aimaient mieux
+compromettre leur crédit que d'en laisser douter; et vous voudrez
+bien, j'espère, ne pas démentir une réputation dont je suis aussi
+fier.--Quoi, vous seriez député par mon frère pour me parler
+mariage?--Précisément.--Et c'est sur les avis de votre sagesse que
+l'on fonde l'espérance de me faire faire une folie?--Pourquoi pas?
+Ce ne serait pas la première fois que ma sagesse aurait aussi bien
+réussi.--Eh bien! je veux la mettre à l'épreuve dans cette
+circonstance, et m'en rapporter à tout ce qu'elle décidera. Je
+verrai quels seront ses arguments pour me prouver que je dois
+épouser l'homme du monde qui me convient le moins?--Qu'il vous
+convînt, ou non, si vous l'aimiez, comme je l'ai cru un moment, vous
+trouveriez mes arguments admirables. Mais il n'est point question
+ici de vos sentiments. Un homme bien né, beau, riche, et spirituel,
+vous offre sa main. Tant d'avantages réunis ne vous laissent qu'un
+seul motif de refus. Je sais que vous pourrez parler de la crainte
+d'un nouveau lien, du desir de rester libre, et de l'inconstance
+reconnue du chevalier; mais tous ces prétextes ne voudront
+jamais dire au fond que ces mots: _Je ne vous aime pas_. Et je
+me trompe fort, où M. d'Émerange ne vous pardonnera pas cette
+injure.--Cependant, je ne compte pas l'épouser par terreur de son
+ressentiment.--Ce serait d'autant plus mal calculé, que cela ne vous
+mettrait point à l'abri de celui que vous devez le plus redouter.
+Dans la position où vous vous trouvez, vous n'avez qu'à choisir
+entre deux vengeances; si vous redoutez celle du chevalier, la
+comtesse vous en punira. Ne vous offensez pas de cette réflexion, ce
+n'est pas le moment d'employer des subterfuges pour vous démontrer
+la vérité; je n'ai pas envie d'insulter, par la plus sotte
+médisance, une femme que vous devez aimer en dépit de ses torts;
+mais l'amitié dont vous m'honorez, me fait un devoir de vous
+garantir, s'il se peut, du mal que sa vanité cherchera à vous
+faire.--J'avoue qu'elle est faible, inconsidérée, mais, j'en suis
+sûre, elle n'est pas méchante, dit Valentine, les larmes aux
+yeux.--Non; mais elle le deviendrait bientôt, si elle se doutait une
+minute de la préférence qu'on vous accorde.--Hélas! pour lui
+laisser ignorer cette malheureuse préférence, je m'exilerais, je
+crois, au bout du monde!--Beau moyen! M. d'Émerange vous y suivrait,
+la comtesse en tomberait malade, et rien ne manquerait au
+scandale.--Que faut-il donc faire pour éviter tant de malheurs?--Il
+faut se résoudre à tromper l'amour-propre du chevalier, ou bien
+consentir à le satisfaire.--Vous me supposez trop de finesse, ou
+trop de résignation.--Si vous vous décidez au premier parti, je vous
+réponds du succès; et, à vous parler sans détour, je ne vois pas ce
+qui vous empêcherait de prendre le second. Les défauts du chevalier
+auraient de grands inconvénients pour une femme ordinaire, mais
+celle dont l'esprit et la beauté flatteront son orgueil, n'aura
+jamais à en souffrir.--Il est égoïste.--Tant mieux; les égoïstes
+sont des maris parfaits; ils ont pour leurs femmes et leurs
+enfants cette tendre affection qu'ils portent sur tout ce qui
+fait partie d'eux-mêmes. Je vous proteste que ce défaut, si
+détestable dans la société, est une vertu de ménage.--Je ne saurais
+l'apprécier.--D'ailleurs, continua M. de Saint-Albert, je vous crois
+capable d'opérer de grandes conversions; et puis il y a si peu de
+différence entre les défauts des gens du monde, que ce n'est guère
+la peine de les discuter. Le mieux est de ne les pas voir ou de les
+aimer, et c'est ce que l'amour apprend à merveille.--Sans doute,
+mais il faut de l'amour.--A votre âge, on en a toujours.--Je ne m'en
+sens pourtant pas pour M. d'Émerange--C'est que vous en éprouvez
+pour un autre..... Voilà le grand secret que l'émotion qui vous
+colore en ce moment m'apprendrait assez, si je ne l'avais deviné
+depuis long-temps. Mais l'objet de cet amour, que le bonheur ne doit
+point couronner, tout en vous aimant avec idolâtrie, serait
+désespéré de vous voir sacrifier un sort brillant aux intérêts de sa
+folle passion; ne regardez pas ce noble sentiment comme une
+supposition de ma part, je viens d'en acquérir la preuve. Avant de
+me rendre auprès de vous, j'ai voulu consulter mon ami sur la
+démarche que votre frère exigeait de moi, et je dois rendre justice
+à celui qui vous inspire un si vif intérêt; il s'en est montré
+digne, en me conjurant de sacrifier sa vie au bonheur de la
+vôtre.--Indigne générosité! s'écria Valentine, hors d'elle-même; et
+c'est lui qui m'engage à épouser un homme qu'il méprise!--Ne vous
+abusez point, c'est de la haine qu'il a pour lui, et non pas du
+mépris. Son injustice envers le chevalier prouve assez les moyens
+qu'il lui croit de vous plaire; mais qu'importe l'opinion d'un
+rival? C'est de la probité qu'il faut, même en amour. Il n'est
+permis de disposer de la destinée d'une femme, qu'autant qu'on
+espère la rendre heureuse; lorsqu'on n'a pas cette espérance, on ne
+peut s'opposer à ce qu'un autre se charge du soin de son
+bonheur.--Je le sens, le mien est à jamais perdu; mais au moins
+n'aurai-je pas à me reprocher de l'avoir sacrifié à de vaines
+considérations. Ma résolution est irrévocablement prise, et je ne
+réclame plus vos conseils que sur la manière de la faire connaître;
+en refusant les offres de M. d'Émerange, je conviens que j'ai de
+grands ménagements à garder. Indiquez-moi les plus convenables, et
+je vous réponds de ma docilité. Mais n'en exigez pas davantage de la
+raison d'une femme, qui aime mieux vivre malheureuse à son gré, que
+de se voir comblée des bienfaits qui excitent l'envie de tout le
+monde.
+
+Après avoir écouté attentivement ces derniers mots de Valentine, le
+commandeur lui prit la main, la porta à ses lèvres avec toutes les
+marques d'un attendrissement qu'il ne pouvait dissimuler; et il
+sortit en répétant son exclamation favorite: Quel dommage!
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVII.
+
+
+On venait d'apprendre le retour de M. d'Émerange, et, comme le dit
+un de nos auteurs les plus spirituels, il rapportait de son voyage
+_le crêpe et_ _la joie_ d'un riche héritier. Il ne se passait guère
+d'heures sans que Valentine pensât à ce retour, et cependant elle en
+fut surprise comme d'une nouvelle inattendue. Tous les projets de
+réponses qu'elle avait si sagement combinées avec M. de Saint-Albert,
+se confondirent dans son esprit. Elle sentit qu'il lui serait bien
+difficile de soutenir l'entrevue dans laquelle le commandeur
+exigeait qu'elle déclarât au chevalier qu'une raison, dont elle ne
+pouvait convenir, l'obligeait à refuser ses flatteuses propositions.
+Elle devait accompagner cette phrase insidieuse de tous les
+compliments qui peuvent rassurer l'amour-propre. Par ce moyen
+le commandeur espérait voir retomber sur madame de Nangis le
+ressentiment de M. d'Émerange, car celui-ci ne manquerait pas
+d'accuser la comtesse d'inspirer à sa soeur l'excès de délicatesse
+qui lui fesait rejeter l'offre de sa main. Alors Valentine, loin
+d'être soupçonnée de dédaigner l'amour du chevalier, paraîtrait à
+ses yeux comme la victime d'une amitié héroïque. En calculant ainsi,
+M. de Saint-Albert s'était trop méfié de la candeur de Valentine,
+pour lui confier tout ce qu'il attendait de cette ruse. Il lui avait
+persuadé qu'en répondant de cette manière elle disait la vérité sans
+trahir son secret, et laissait au chevalier encore assez d'espoir
+pour lui ôter l'envie de se venger d'un refus humiliant.
+
+Ce point convenu, le commandeur instruisit M. de Nangis du projet
+que la marquise avait de répondre elle-même à M. d'Émerange. Le
+comte s'en réjouit en pensant que si sa soeur avait le dessein de
+rejetter les voeux du chevalier, elle se serait probablement épargné
+le désagrément de lui apprendre elle-même cette mauvaise nouvelle.
+Ravi de cette espérance, le comte s'empressa de la faire partager à
+celui qui devait en recueillir le fruit. M. d'Émerange reçut la
+confidence en homme que le succès n'étonne jamais; il promit au
+comte de se rendre à l'invitation qu'il lui fesait de dîner le jour
+même chez lui, et ne douta pas que Valentine ne lui offrît, dans
+cette journée, quelques moyens d'attendre patiemment sa réponse.
+
+Il était déja trois heures, on n'attendait plus qu'une seule
+personne pour se mettre à table, lorsqu'on annonça M. le comte
+d'Émerange (c'était son nouveau titre). Ce nom provoqua des émotions
+bien différentes: madame de Nangis tressaillit de plaisir, et
+Valentine rougit d'embarras. Mais, à moins d'être dans le secret des
+femmes, on risque souvent de se tromper sur les impressions qu'elles
+reçoivent; et de moins présomptueux que M. d'Émerange auraient pu
+interpréter comme lui le trouble de Valentine; cependant il n'eut
+pas l'air de le remarquer; mais, quand il lui adressait la parole,
+il prenait un ton de reconnaissance qui semblait la remercier
+d'avance de tout ce qu'il attendait de son amour. Ses mots
+ingénieux, ses regards pénétrants étaient pour Valentine, mais tous
+ses soins étaient pour la comtesse: il paraissait vouloir se faire
+un mérite auprès de la première des égards qu'il conservait pour
+l'autre. Du reste, sérieux sans affectation, il répondait avec
+politesse à tous ceux qui se composaient le visage pour venir lui
+adresser des compliments de condoléance et des félicitations, sur la
+perte et l'héritage qu'il venait de faire. Madame de Nangis, que ce
+genre de conversation ennuyait à périr, fit entendre aux personnes
+qui s'obstinaient à savoir les détails de la mort du défunt, que la
+sensibilité de M. d'Émerange en serait trop affectée, et les pria de
+parler d'autre chose. On lui obéit sans peine; car au fond les plus
+curieux ne se souciaient pas beaucoup d'en apprendre davantage sur
+un événement qui leur était indifférent. Aussi fut-il bientôt
+oublié; en moins d'un quart d'heure la gaîté redevint générale; et
+la sensibilité de M. d'Émerange ne s'en offensa point. Son naturel
+piquant et le penchant qui l'entraînait vers la plaisanterie, se
+laissaient même entrevoir à travers le maintien grave que lui
+imposait la couleur sombre de son vêtement; et comme on ne respecte
+guère dans le monde que le deuil qu'on porte sur la physionomie,
+une jeune femme qui ne se souvenait plus de celui du comte
+d'Émerange, vint l'engager à chanter. Aussitôt chacun joignit ses
+instances à celles de l'aimable étourdie; et ce n'est qu'à l'air
+indigné qu'il prit pour refuser la proposition, qu'on s'en rappella
+toute l'inconvenance.
+
+Cependant la soirée s'avançait, et M. d'Émerange n'avait pu trouver
+l'occasion de dire un mot en particulier à Valentine: il est vrai
+que placée auprès de sa belle-soeur, il était impossible de parler à
+l'une des deux sans être entendu de l'autre. Pour se dédommager de
+cette privation et faire comprendre à Valentine qu'il comptait sur
+ce qu'elle avait chargé le commandeur de lui faire savoir, M.
+d'Émerange ne quitta plus celui-ci, et lui fit de grandes
+démonstrations de reconnaissance, pour que la marquise devinât qu'il
+le remerciait de l'intérêt qu'il avait pris à lui dans cette
+circonstance. Valentine le comprit assez; et lorsque le commandeur
+s'approchant d'elle, lui dit tout bas: Allons, du courage, demain
+l'on ira chercher votre réponse; souvenez-vous de ce dont nous
+sommes convenus; elle répondit en tremblant: Jamais je n'aurai la
+présence d'esprit qu'exige un semblable entretien; par pitié,
+faites en sorte de me l'épargner.--Cela est impossible.--Du
+moins, n'aura-t-il pas lieu demain, car j'ai à sortir toute la
+journée.--Voilà bien le propos d'un enfant qui croit tout gagner en
+différant l'instant de boire sa médecine,--Pourquoi tant se presser
+d'annoncer une chose désagréable?--Pour n'avoir plus à la dire;
+d'ailleurs je vous ai suffisamment démontré la nécessité de cette
+démarche; mais je le vois bien, ce n'est pas moi qui vous y
+déciderai, un autre en pourra seul obtenir l'honneur. Ici on vint
+les interrompre; et Valentine se retira plus indécise que jamais sur
+ce qu'elle allait faire.
+
+Le billet qu'on lui remit le lendemain à son réveil, lui rappela les
+derniers mots du commandeur. Elle le décacheta en disant: Voilà qui
+va fixer toutes mes incertitudes; et son coeur se livra d'avance au
+plaisir si doux d'obéir à ce qu'on aime; il faut avoir souffert les
+tourments attachés à la détermination d'une décision importante
+pour connaître tout le prix d'un ordre absolu. De combien de
+responsabilités il délivre. On profite du bien qu'il produit sans
+avoir à se reprocher le mal qui en résulte; et, quand cet ordre
+n'est qu'un desir, que de charmes dans l'obéissance!
+
+
+ANATOLE A VALENTINE.
+
+«Il y va du repos de votre existence, me dit-on: ah! Valentine, au
+nom du ciel, au nom de celui qui ne respire que pour vous adorer,
+suivez le conseil qu'un ami sage vous donne; j'ignore ce qu'il exige
+de votre soumission, mais dût-il vous demander ma vie, n'hésitez pas
+à la promettre, elle est à vous. Enfin, quel que soit le sacrifice,
+oubliez la pitié que mon sort vous inspire, et songez que ma
+destinée entière est dans votre bonheur.»
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVIII.
+
+
+«Voilà qui est décidé, dit Valentine en serrant le billet dans son
+sein, je ne sortirai pas de la journée, et M. de Saint-Albert sera
+content de moi.» Ce qui voulait dire tout simplement: Anatole le
+desire, et j'obéis sans peine. En effet, dès ce moment l'ennui de
+l'entretien qu'elle redoutait disparut à ses yeux; elle rassembla
+ses idées avec ordre, et s'appliqua à prévoir les objections que lui
+ferait M. d'Émerange, pour arranger ses réponses d'avance. Mais
+cette belle précaution eut le succès ordinaire. La conversation
+s'entama tout autrement que la marquise ne l'avait prévu; et il lui
+fut impossible de placer une seule de ces phrases si ingénieusement
+méditées. Heureusement pour elle, son esprit suppléa sans peine au
+défaut de sa prévoyance.
+
+M. d'Émerange, qu'une conversation sérieuse effrayait toujours,
+commença par plaisanter Valentine sur l'excès de sa fraîcheur, en
+lui disant qu'il était bien cruel de retrouver la femme qu'on
+adorait ainsi embellie par l'absence. Ce ton de gaîté fut aussitôt
+adopté par la marquise; elle sentit qu'il servirait à-la-fois sa
+franchise et sa politesse. M. d'Émerange lui sut bon gré de prendre
+ainsi le ton qu'il préférait, et regarda cette condescendance comme
+une suite de la facilité qu'on a communément de saisir les manières
+des gens qu'on aime. Après lui avoir témoigné sa reconnaissance par
+mille choses flatteuses, il ajouta: Que je vous remercie de m'avoir
+épargné la frayeur d'entendre mon arrêt prononcé par votre frère;
+je sens qu'il m'aurait dit vingt fois que j'étais le plus heureux
+des hommes, sans me le persuader un instant, et je crois en vérité,
+qu'un refus de votre bouche m'attristerait moins qu'une bonne
+nouvelle sortie de la sienne.--Cela m'encourage, reprit en souriant
+Valentine.--N'allez pas abuser de cet aveu, pourtant.--Non, mais il
+me rassure, et m'engage à vous déclarer franchement...--Que vous me
+détestez peut-être.--Je mentirais; et vos procédés envers moi vous
+répondent au contraire de ma reconnaissance.--Je me soucie bien de
+votre reconnaissance; vraiment je ne la mérite pas, car j'ai fait
+tout ce que j'ai pu pour ne vous point aimer.--Pourquoi vous
+êtes-vous découragé sitôt?--Ah! vous vous en plaignez, c'est une
+manière de m'avouer....--Que toute honorée que je me trouve de votre
+choix, je n'y saurais répondre.--Et peut-on savoir la raison qui me
+condamne à d'éternels regrets? reprit le comte, d'un air moitié
+piqué et moitié dédaigneux.--Voilà ce qu'il faut que vous deviniez,
+dit en rougissant Valentine.--Mais si je la devine, vous n'en
+conviendrez pas?--Cela est vrai.--Eh bien! tant mieux, j'en agirai
+plus librement. Jusqu'à présent le desir de vous plaire et la
+crainte de voir troubler votre repos par la colère d'une femme dont
+la vanité se blesse de toutes les préférences qui ne sont pas pour
+elle, m'ont fait supporter patiemment ses caprices. Me voilà enfin
+dispensé de jouer plus long-temps un rôle ridicule qui n'eût jamais
+été le mien, sans l'espérance de me voir récompensé de tant de
+sacrifices. Au fait, je ne suis pas tenu à plus d'égards qu'on n'en
+a pour moi; et votre franchise me semble très-bonne à imiter. C'est
+bien assez d'avoir à souffrir de son amour, sans se laisser
+tourmenter par la folie d'une autre.--Vous n'avez pas toujours pensé
+ainsi, et cette folie qui vous importune aujourd'hui vous plaisait
+autrefois?--Faites-moi un crime de votre ouvrage! Pouvais-je
+deviner qu'il arriverait du fond de sa province une femme qui me
+tournerait la tête au point de ne plus voir qu'elle au monde?
+Certainement j'aurais mieux fait de répondre aux sentiments qu'on
+voulait bien me témoigner, que de persister dans ceux qu'elle
+dédaignerait; je ferais mieux encore d'oublier ma disgrace en
+cherchant loin d'elle quelques consolations; mais tout cela serait
+sage, et par conséquent au-dessus de mes forces. Je ne me pique
+point d'avoir cette vertu qui triomphe du sort; le mien veut que je
+vous aime en dépit de vous, et nous verrons qui l'emportera de votre
+volonté ou de ma constance.--Quels que soient vos projets, dit
+Valentine, d'un ton suppliant, par pitié pour moi ménagez la
+sensibilité d'une personne dont vous avez égaré la raison; songez
+qu'un éclat la perdrait pour toujours; et ne me réduisez pas au
+chagrin de la quitter pour la délivrer d'une odieuse présence.--Cette
+prière rendit au comte toutes ses espérances. Il s'affermit dans
+l'idée que la crainte de désespérer madame de Nangis était le seul
+motif du refus de Valentine, et il vit en un instant tout le parti
+qu'il pouvait tirer du sentiment généreux qui la mettait dans sa
+dépendance. Empressé d'en faire l'épreuve, il répondit «Je m'engage
+à suivre en tout votre exemple. Vous pouvez mieux qu'une autre
+m'apprendre les ménagements qu'on doit aux victimes d'un amour qui
+n'est point partagé.--Je le vois bien, reprit Valentine, en retenant
+des larmes de dépit, il faut que je m'éloigne de cette maison où le
+malheur va bientôt régner.--Oui, partez, répliqua M. d'Émerange avec
+feu, laissez ici l'intrigue et la vanité se débattre entre elles, et
+venez loin de cet empire de la coquetterie, venez éprouver la
+sincérité des sentiments que vous faites naître. Choisissez la
+retraite où rien ne saurait m'empêcher de vous suivre; là, vous
+pourrez vous convaincre que le bonheur de vous voir, de vous aimer,
+suffit à mon existence; et peut-être sentirez-vous alors le besoin
+de récompenser tant d'amour.--Oh ciel! que me proposez-vous!
+s'écria Valentine.--En ce moment la porte s'ouvrit, et l'on vit
+paraître madame de Nangis, pâle, les yeux égarés, et paraissant se
+soutenir avec peine; Isaure l'accompagnait, et quitta sa main pour
+venir se jeter dans les bras de sa tante. Les caresses de cette
+enfant tirèrent Valentine de l'espèce de stupeur où l'avait plongée
+la subite apparition de la comtesse. Elle essaya de dire quelques
+mots, mais le tremblement de sa voix trahissait son trouble, et lui
+donnait un air coupable, tandis que M. d'Émerange, jouissant de
+toute sa présence d'esprit, s'informait des nouvelles de la
+comtesse, du ton le plus naturel, et avec toute la sérénité d'une
+personne qui n'aurait pas eu la moindre chose à se reprocher envers
+elle. C'est ainsi que l'effronterie met plutôt à l'abri du soupçon
+que l'innocence.
+
+Le bavardage d'Isaure fut d'un grand secours dans cette circonstance,
+où chacun parlait au hasard, sans s'embarrasser de ce qu'il disait,
+pourvu que cela n'eût aucun rapport avec sa pensée; mais si la
+présence d'Isaure était appréciée, l'arrivée de madame de Réthel
+parut un coup du ciel. Elle venait rappeler à Valentine l'engagement
+qu'elles avaient pris de dîner le même jour chez la princesse de
+L.... Il était déja tard; la marquise n'avait point encore commencé
+sa toilette, madame de Réthel en fit la remarque, et M. d'Émerange
+se retira. Madame de Nangis le suivit, en priant sa belle-soeur de
+l'excuser auprès de la princesse.--«Je ne saurais profiter de son
+invitation, ajouta-t-elle, je souffre beaucoup, et vous pourrez lui
+affirmer que ce n'est pas d'un mal imaginaire.»--Ces derniers mots
+furent prononcés avec l'accent du reproche; ils allèrent frapper au
+coeur de Valentine; et la tristesse qu'elle en ressentit, résista
+même au souvenir d'Anatole.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIX
+
+
+Depuis ce jour, madame de Saverny ne goûta plus aucun repos.
+Persécutée par son frère, pour céder au desir de M. d'Émerange, dont
+la malignité inventait à chaque instant un nouveau moyen de la
+compromettre, et ne cessait de la menacer d'abandonner madame de
+Nangis à son ressentiment; poursuivie par la jalousie de sa
+belle-soeur; effrayée des transports de l'amour d'Anatole;
+Valentine, était dévorée de cette inquiétude qui précède le
+malheur. Ne sachant plus comment y échapper, elle confia à M. de
+Saint-Albert le projet qu'elle formait de partir secrètement pour
+l'Italie, en fesant savoir seulement à son frère, qu'elle
+entreprenait ce voyage pour se soustraire aux instances de M.
+d'Émerange, et faire cesser le bruit d'un mariage auquel elle ne
+consentirait jamais. Le commandeur, après avoir réfléchi long-temps
+sur ce voyage, finit par l'approuver, en disant: Vous avez raison,
+ce parti me semble le meilleur; mais il faut tout prévoir. Malgré le
+plus grand mystère, M. d'Émerange saura bientôt où vous allez. Il
+vous y suivra, il vous l'a promis, et dans sa position c'est le
+meilleur parti qu'il puisse prendre, car cette preuve de dévouement
+doit vous attendrir, ou vous perdre. Mais il est un moyen
+d'échapper à ce double danger, en ôtant au public l'occasion de mal
+interpréter une démarche fort simple; et ce moyen est d'emmener avec
+vous deux personnes dont l'âge et la réputation deviennent les
+garants de votre conduite aux yeux du monde, et dont l'amitié vous
+protége contre toutes les tentatives d'un fat.--Puisque mon frère
+m'abandonne, s'écria Valentine, en essuyant ses larmes, de qui
+puis-je espérer une si grande preuve d'attachement?--On croirait,
+reprit brusquement le commandeur, que votre coeur n'en est pas
+digne, à la manière dont vous doutez de celui de vos amis. Si
+quelqu'un m'avait dit: Il y a une personne dans le monde capable de
+grands sacrifices pour vous épargner un malheur; je vous aurais
+devinée tout de suite, moi.--Ah! mon ami! fut tout ce que put
+articuler Valentine; elle se jeta dans les bras de M. de
+Saint-Albert, qui la serra paternellement sur son coeur. Lorsque son
+émotion lui permit de parler, il assura Valentine que madame de
+Réthel serait enchantée de faire avec elle le voyage d'Italie. Nous
+irons à petites journées, ajouta-t-il en riant, par égard pour l'âge
+de l'aimable vieillard qui vous accompagne. Deux semaines suffiront
+pour les préparatifs de ce petit enlèvement; et si le monde en
+médit, comptez sur mon honneur pour réparer le tort que pourraient
+faire au vôtre mes moyens de séduction.--Cette plaisanterie fit
+sourire Valentine, et l'empêcha de se livrer à l'excès de son
+attendrissement. Elle se contenta de serrer la main du commandeur,
+en signe de reconnaissance; et tous deux se quittèrent, l'ame
+pénétrée de cette douce joie qui naît également du bien que l'on
+reçoit et de celui qu'on fait.
+
+Mais ce délai de quinze jours accordé aux différents manèges de
+l'amour-propre pouvait devenir bien funeste à Valentine; elle le
+prévoyait, sans oser en témoigner sa crainte. Un service obtenu sans
+l'avoir demandé rend si discret, qu'on préfère en perdre le prix,
+que de s'en assurer par une nouvelle sollicitation. Aussi la
+marquise se résigna-t-elle à attendre patiemment l'époque fixée pour
+son départ. Elle imagina de se composer une manière de vivre qui la
+mît à l'abri des scènes qu'elle redoutait le plus; et donnant
+l'ordre à ses gens de ne laisser entrer chez elle que le commandeur
+et sa nièce, elle se dit légèrement indisposée, et crut se faire
+oublier de ceux qui la tourmentaient, en se délivrant de leur
+présence. Pour se maintenir dans une résolution qui devait
+lui coûter le plaisir de rencontrer Anatole, il fallait bien
+trouver quelque dédommagement; et celui de lui écrire vint tout
+naturellement à sa pensée. A la veille de faire une longue absence
+on est plus confiant; il semble qu'on n'ait rien à redouter des
+aveux de sa faiblesse; l'idée qu'on ne se reverra peut-être jamais,
+en glaçant l'ame de terreur, la met au-dessus des considérations
+ordinaires, et ce qu'on dit alors a quelque chose de la solennité
+d'un dernier adieu. Cependant Valentine ne se laissa point entraîner
+par le charme d'exprimer ses pensées à celui qui les inspirait
+toutes. Elle lui parla des chagrins qui l'obligeaient à s'éloigner
+de sa famille, sans lui laisser soupçonner le secret de madame de
+Nangis; et comme elle donna pour raison de son voyage le desir de
+fuir M. d'Émerange, il est à présumer qu'Anatole fut de son avis,
+et qu'il trouva la lettre charmante.
+
+M. d'Émerange s'étant déja présenté plusieurs fois chez madame de
+Saverny, sans être reçu, devina qu'elle lui avait fait défendre sa
+porte. Ce procédé le choqua vivement; il se promit de s'en venger;
+et alla s'en plaindre à M. de Nangis, comme d'une insulte que sa
+conduite respectueuse envers sa soeur n'aurait pas dû lui attirer.
+M. de Nangis qui mettait le plus grand intérêt à maintenir les
+espérances du comte, l'assura que ce n'était sûrement qu'un
+malentendu de la part des gens de la marquise. Pour s'en convaincre,
+il se rendit chez elle, et demanda à la voir; mais on lui répondit
+que madame était souffrante, et reposait en ce moment. Assez
+mécontent de cette réponse, il fit appeler mademoiselle Cécile pour
+la questionner sur la maladie de sa maîtresse. A la manière dont on
+l'interrogeait, mademoiselle Cécile vit bien qu'il fallait mentir;
+mais, comme elle n'avait point reçu d'instructions à ce sujet, elle
+fit tant de mensonges inutiles, qu'elle laissa soupçonner la vérité.
+M. de Nangis en conçut beaucoup d'humeur, mais il la dissimula sous
+l'apparence d'une vive inquiétude. Se promettant bien d'éclaircir ce
+mystère, il entra chez sa femme en disant: Vous ignorez sûrement que
+Valentine est malade, elle n'est point sortie depuis deux jours, et
+ne reçoit personne; cela m'inquiète, et je vous engage à forcer sa
+porte pour lui offrir vos soins.--Je m'en garderai bien, reprit la
+comtesse d'un ton amer, cela m'est arrivé une fois la semaine
+dernière; et je n'ai pas envie de recommencer une pareille
+gaucherie. Cette phrase devait exciter la curiosité de M. de Nangis;
+et pour la satisfaire, la comtesse raconta comment elle avait trouvé
+M. d'Émerange en tête à tête avec sa belle-soeur. Elle accompagna ce
+récit de plusieurs réflexions malignes, qui indignèrent M. de
+Nangis. Il crut de son honneur de justifier Valentine des
+soupçons qu'on osait concevoir sur elle, en disant qu'il était
+bien permis de recevoir avec intimité l'homme que l'on devait épouser
+incessamment.--M. d'Émerange épouse votre soeur? s'écria la
+comtesse, d'une voix étouffée.--Vraiment nous en aurions parlé
+plutôt, reprit M. de Nangis, sans remarquer la fureur qui se
+peignait dans les yeux de sa femme, mais je ne sais quelle pruderie
+empêche Valentine de se décider; elle aime très-certainement M.
+d'Émerange; vous l'aviez déjà deviné, et depuis tout l'a confirmé.
+Cependant elle hésite, et donne pour prétexte la légèreté du comte,
+et cent autres mauvaises raisons dont vous pourriez facilement lui
+démontrer le ridicule. Peut-être aura-t-elle plus de confiance en
+vous: d'ailleurs vous triompherez mieux que moi de ces idées
+romanesques sur la constance. Ayez l'air de croire à celle du comte,
+et vous l'en convaincrez sans peine. Sur ce sujet, une femme sait
+toujours en persuader une autre; et je parie que votre esprit aura
+bientôt fait disparaître l'obstacle qu'elle oppose au mariage le
+plus brillant qu'elle puisse faire. Si vous réussissez, comme je
+n'en doute pas, vous pouvez compter sur la reconnaissance de M.
+d'Émerange, car il est amoureux fou de Valentine.» On peut imaginer
+ce qui se passa dans l'ame de la comtesse, à chaque mot de ce
+discours. Plongée dans une espèce d'anéantissement, elle s'efforçait
+vainement de rompre le silence; un poids énorme semblait oppresser
+sa poitrine; et, lorsque par un mouvement courageux elle essayait de
+répondre à ces mots cruels qui déchiraient son coeur, sa voix
+expirait sur ses lèvres livides. Un état aussi violent devenait
+impossible à dissimuler; et M. de Nangis allait peut-être découvrir
+le plus affreux secret, lorsqu'un domestique vint lui remettre un
+billet, qui demandait une prompte réponse. Le comte sortit alors en
+recommandant à sa femme de ne point oublier ce qu'il venait de lui
+dire, et tout ce qu'il attendait de sa complaisance.
+
+O vous, que de funestes passions égareront peut-être un jour, que ne
+pouvez-vous contempler leur hideux effet sur le coeur et les traits
+de cette femme jeune et belle! La pâleur de la mort couvre son
+visage; son regard éteint ne se ranime que lorsqu'un projet de
+vengeance vient flatter son imagination. Cette bouche, qu'embellissait
+l'expression d'une gaîté piquante, ne sourit plus qu'à l'idée de
+punir l'innocence du crime d'être aimée; et cet esprit élégant et
+coquet, autrefois uniquement occupé du desir de plaire, ne l'est
+plus maintenant que du barbare soin de chercher les moyens les plus
+sûrs de perdre sa rivale: aucun ne lui paraît trop cruel ou trop
+bas. Enfin les sentiments affreux que la vanité outragée inspire à
+cette femme coupable semblent flétrir à-la-fois son ame et sa
+beauté.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXX.
+
+
+Pendant qu'il se tramait tant de conspirations contre le repos de
+Valentine, mademoiselle Cécile l'instruisait de la visite de M. de
+Nangis, et de l'humeur qu'il avait témoignée lorsqu'on lui avait
+signifié qu'il ne pouvait entrer chez sa soeur. «Allons, dit
+Valentine, je vois qu'il me faut renoncer même au plaisir d'être
+seule, puisque je ne puis m'y livrer sans offenser quelqu'un.» Et
+elle se disposa à sortir pour échapper, s'il était possible, à
+quelque visite importune. En s'occupant d'habiller sa maîtresse,
+mademoiselle Cécile rompit le silence qui lui était imposé
+ordinairement par celui que gardait la marquise avec elle, pour lui
+dire: «Madame fait très-bien de sortir aujourd'hui, car je ne sais
+ce qui se passe dans la maison, mais c'est à coup sûr quelque chose
+d'étrange; madame la comtesse tourmente et gronde tous ses gens
+à-la-fois; M. de Nangis a demandé ses chevaux plutôt qu'à
+l'ordinaire; Richard a déja porté ce matin trois lettres de sa
+maîtresse chez le comte d'Émerange, et j'étais à peine levée quand
+madame votre soeur m'a fait appeler pour lui donner de vos
+nouvelles, et répondre à cent questions sur la santé et les
+occupations de madame; après avoir dit que madame avait été
+indisposée depuis plusieurs jours, j'ai répondu à tout le reste: _Je
+n'en sais rien_; et madame la comtesse, ennuyée de m'entendre
+toujours répéter la même chose, m'a renvoyée en disant: Quelle
+sotte!»
+
+La marquise n'eut pas l'air de faire grande attention au rapport de
+mademoiselle Cécile, et feignit de regarder la curiosité de sa
+belle-soeur comme une preuve de l'intérêt qu'elle portait à sa
+santé; mais elle s'affligea en secret de voir jusqu'où s'abaissait
+la fierté de la comtesse. Qu'aurait-elle donc pensé si elle avait pu
+deviner que l'excès du ressentiment de cette insensée la porterait
+ce jour-là même à user de son autorité dans sa maison, pour se
+faire remettre dans le plus grand mystère les lettres adressées à
+madame de Saverny. L'espérance d'en trouver une de M. d'Émerange,
+qui lui apprendrait plus sûrement la vérité de ses rapports avec
+Valentine, était le seul motif de cette indigne action, dont le vil
+confident vint bientôt chercher la récompense. Vingt-cinq louis
+furent le prix de trois lettres remises à la comtesse par un laquais
+infidèle. De ces trois lettres l'une portait le timbre de Nevers, la
+seconde était un simple billet d'invitation qu'on pouvait lire sans
+le décacheter, et, sur la troisième, on ne reconnaissait pas
+l'écriture de M. d'Émerange. C'était donc inutilement pour cette
+fois que madame de Nangis venait de se laisser entraîner au plus
+indigne procédé; mais elle en pouvait assurer le secret en rendant
+les trois lettres comme elle les avait reçues. Sa conscience
+accueillait cette idée; avec une morale peu sévère, on se croit
+facilement innocent du mal dont on ne recueille pas le fruit. La
+comtesse se parait déja à ses propres yeux du mérite de résister au
+mouvement d'une curiosité sans objet, lorsqu'un nouveau soupçon vint
+triompher de tous ses scrupules. Elle pensa que M. d'Émerange
+pouvait bien se servir d'une autre main que la sienne pour écrire
+l'adresse de ses lettres à madame de Saverny. C'était un moyen
+souvent employé pour tromper les regards des jaloux; et madame de
+Nangis se rendait justice en supposant aux autres le desir
+d'échapper à son indiscrétion; à force de supposer ce qu'elle
+espère, elle croit céder à la certitude de tout apprendre, et rompt
+le cachet.... Bientôt une joie féroce étincelle dans ses yeux. Elle
+tient enfin l'instrument d'une vengeance sûre, qui va frapper du
+même coup l'ingrat qui la trahit, et la femme qu'on lui préfère.
+Munie de ce précieux dépôt, elle attend dans toute l'agitation d'une
+affreuse espérance le moment où le comte d'Émerange a promis de se
+rendre chez elle. Pour obtenir de lui cette promesse, il avait fallu
+employer la ruse, et lui cacher sur-tout ce qu'on avait appris de
+M. de Nangis. Ce soin important était le sujet des billets dont
+mademoiselle Cécile avait parlé à sa maîtresse, et auxquels le comte
+venait de répondre, en cédant avec peine aux instances de madame de
+Nangis.
+
+Lorsque M. d'Émerange parut, la comtesse prit un air riant pour le
+complimenter sur son futur mariage et sur le bonheur d'être aimé
+d'une femme accomplie; elle se vanta d'avoir prévu que cette
+provinciale, dont on prétendait se moquer, serait avant peu
+l'héroïne d'un roman nouveau, qui finirait par le dénoûment
+ordinaire. Avant de répondre à ces compliments ironiques, le comte
+chercha a démêler la véritable pensée de madame de Nangis sur cet
+événement. Il crut un instant que sa fierté l'emportait sur sa
+jalousie, et que le dédain triomphait de sa colère; il se
+réjouissait de lui voir prendre un parti si convenable. Mais le
+dépit d'une femme, ainsi que son amour, se trahit par ses soins
+mêmes à le cacher; et ce fut à la gaîté factice de la comtesse, que
+M. d'Émerange devina l'excès de son ressentiment. Cette découverte
+l'engagea à nier l'amour qu'on lui supposait pour la marquise; il
+convint seulement d'avoir consenti au projet de M. de Nangis, qui
+mettait la plus grande importance à ce mariage, et en avait fait
+toutes les démarches, avant même qu'il les eût approuvées. Il
+ajouta, en regardant finement la comtesse, que des raisons faciles
+à comprendre l'avaient empêché d'apporter beaucoup de résistance aux
+volontés de son mari, et que d'ailleurs on lui avait fait sentir la
+nécessité de se marier, comme étant l'unique rejeton de sa famille.
+Toutes ces considérations, dit-il, m'ont déterminé à laisser agir le
+zèle de mes amis; leur choix est tombé sur madame de Saverny, dont
+le rang et l'éducation sont dignes de la place que le Roi veut bien
+destiner à ma femme. Et c'est plus encore par convenance que par
+inclination que je me décide à l'épouser.--Je suis bien aise de voir
+tant de raison dans votre amour, reprit la comtesse, en s'apercevant
+aussi de la mauvaise foi du comte, il en sera moins surpris du
+sort qu'on lui réserve.--Vous savez que sur ce point je suis
+très-philosophe.--On l'est sans peine quand on se croit aimé.--Je ne
+saurais me prévaloir de cet avantage, car votre belle-soeur ne m'a
+point fait d'aveu; elle prétend au contraire avoir une raison de
+refuser ma main, qu'elle ne veut avouer à personne.--La voulez-vous
+savoir?--Vous m'allez dire comme M. de Nangis, qu'elle a peur de
+ma légèreté.--Non, elle vous rend trop de justice.--Au fait,
+répliqua-t-il, en jetant un regard tendre sur la comtesse, elle
+ferait mieux peut-être de redouter ma constance.--Non, Monsieur,
+elle a, pour dédaigner votre amour, de meilleures raisons que
+toutes celles-là. Tenez et jugez-en vous-même. En disant ces mots
+elle remet au comte la lettre suivante, et savoure le plaisir de la
+lui voir lire en tremblant de colère.
+
+«Vous partez, Valentine, et c'est le desir d'échapper aux
+importunités d'un fat qui vous éloigne des lieux que vous
+embellissez! L'honneur de l'emporter sur vos rivales, celui de
+briller à la cour de tout l'éclat de la fortune et de la beauté; le
+triomphe plus grand encore de fixer un coeur voué à l'inconstance;
+enfin, tous ces plaisirs enivrants de la vanité ne peuvent donc vous
+séduire? Vous réalisez le voeu que je formai en vous voyant pour la
+première fois. Ah! me disais-je alors, si j'étais le créateur d'un
+aussi bel ouvrage, je voudrais le parer de toutes les vertus.
+
+«Vous partez, et des pleurs de regrets ne viennent pas obscurcir mes
+yeux, et je ne maudis point cet exil volontaire! Tant de courage
+doit vous sembler un prodige, à vous qui savez que j'ai besoin pour
+vivre du même air que vous respirez; mais songez à ces timides
+oiseaux, qui, sans oser approcher du soleil, traversent les mers
+pour jouir en tout temps des bienfaits de sa présence, et vous aurez
+bientôt le secret de ma résignation.»
+
+Après un moment de silence, pendant lequel M. d'Émerange cherchait
+à modérer sa rage, il jeta les yeux sur madame de Nangis, et fut
+frappé de la joie qu'il vit éclater dans les siens. L'idée qu'elle
+se repaissait du plaisir de le voir humilié, lui inspira l'envie de
+s'en venger en l'humiliant elle-même. «Cette lettre n'est point
+signée, dit-il avec mépris, et rien ne prouve qu'elle soit destinée
+à la marquise.--Quoi, s'écria la comtesse, transportée de fureur, le
+nom de la marquise de Saverny, n'est-il pas sur l'adresse; et ne
+lisez vous point celui de Valentine?--Belle preuve! chacun en peut
+écrire autant à la femme qu'il veut calomnier ou compromettre.
+D'ailleurs, si cette lettre était connue de la marquise, comment se
+trouverait elle entre vos mains? Ici madame de Nangis resta
+interdite, son front se couvrit de rougeur; mais tout-à-coup,
+bravant la honte par la colère, elle arracha la lettre des mains du
+comte, et dit: «Puisque votre misérable amour préfère m'outrager par
+le plus odieux soupçon que d'en croire l'évidence, je saurai bien
+vous convaincre sans m'abaisser à me justifier. Mais si je me livre
+à tout l'excès de mon indignation, n'accusez que vous des malheurs
+qui en seront la suite. Le ciel m'est témoin que d'aussi barbares
+sentiments n'ont jamais possédé mon ame; je vous les dois tous et
+vous en subirez l'effet. J'ai appris de vous comment on peut
+joindre la perfidie à l'insulte; vous apprendrez de moi comment on
+se venge du mépris.» En finissant ces mots, la comtesse sortit avec
+précipitation de la chambre; et, défendant au comte de la suivre,
+elle alla s'enfermer dans son cabinet.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXI.
+
+Le bruit d'une voiture qui entrait dans la cour réveilla madame de
+Nangis de l'espèce d'anéantissement qui avait succédé à sa colère;
+elle craignit de se faire voir dans le désordre où elle était, et
+s'empressa d'ordonner qu'on éloignât, sous un prétexte quelconque,
+la visite qui arrivait: mais on lui répondit que le carosse dont
+elle avait entendu le bruit, était celui de M. le comte, qui venait
+de rentrer. En effet, le comte arrive presque aussitôt. Frappé de
+l'altération qu'il remarque sur le visage de sa femme, il lui en
+demande la cause: elle hésite à répondre; son mari insiste; elle se
+trouble encore davantage; et la nécessité de sortir d'embarras
+venant ajouter au desir de se venger, la comtesse feint de trahir
+avec peine le secret de sa belle-soeur. Elle raconte qu'un hasard,
+dont on ne doit accuser que la négligence de Valentine, a fait
+tomber entre ses mains la lettre qu'elle montre à M. de Nangis, et
+donne pour prétexte de l'émotion que son mari a remarquée, le
+chagrin profond que lui cause la conduite d'une personne qu'elle
+n'aurait jamais soupçonnée d'une pareille intrigue. Cette première
+dénonciation accueillie l'oblige à de nouveaux mensonges. Plus cette
+indigne action coûte à sa conscience, et mieux elle en veut assurer
+le prix. Enfin, l'esprit, la ruse, la trahison, la fausse pitié,
+tout fut employé pour abuser la tendresse d'un frère, et le porter à
+la plus coupable injustice.
+
+Lorsque, par ses différentes insinuations, la comtesse eut exalté la
+colère de son mari contre Valentine, elle pensa que c'était le
+moment de les mettre en présence. La marquise venait justement de
+rentrer. Son frère la fit prier de se rendre auprès de lui. Elle
+arrive: à son aspect la comtesse frémit. Il lui semble que la preuve
+de ses torts est tout entière dans l'air innocent de Valentine, et
+que l'accusée n'a qu'à lever ses yeux pour se justifier de tant de
+calomnies.
+
+«Connaissez-vous cette lettre? dit alors M. de Nangis, du ton d'un
+juge sévère.»--J'ignore ce qu'elle contient, reprit en balbutiant
+Valentine, qui avait déjà reconnu l'écriture d'Anatole.--Cependant
+elle vous est adressée, reprit le comte, et celui qui l'écrit se
+croit probablement assez connu de vous pour n'être pas obligé de la
+signer.--Ici la marquise prit la lettre des mains de son frère, en
+lut l'adresse, et lança à sa belle-soeur un regard de mépris qui ne
+laissa à la comtesse aucun doute sur le soupçon qui venait
+d'éclairer Valentine. Confuse de voir sa lâcheté devinée, elle n'en
+supporta la honte que dans l'espérance de jouir à son tour de la
+confusion où se trouverait sa rivale, en lisant les expressions de
+cet amour qu'elle voulait cacher, et en répondant à l'espèce
+d'interrogatoire que M. de Nangis ne manquerait pas de lui faire
+subir. Mais elle fut bien étonnée, lorsqu'elle s'aperçut que cette
+lecture, loin de troubler Valentine, sembler ranimer son courage,
+et calmer son agitation. Le comte, surpris lui-même de cette
+tranquillité, dit avec impatience: Eh bien! madame, daignerez-vous
+m'expliquer ce mystère, et m'apprendre si vous connaissez l'auteur
+de cette lettre?--Je pourrais avant tout, reprit la marquise avec
+dignité, demander comment il se fait qu'elle se trouve dans vos
+mains avant de m'être parvenue; mais je veux ignorer sur qui doit
+tomber le mépris attaché à de tels procédés. Votre âge, le titre de
+chef de notre famille, et plus encore, la tendresse que vous m'avez
+toujours témoignée, vous donnent sur moi les droits d'un père; et
+c'est au nom de ces droits que je consens à vous répondre avec
+toute la sincérité que vous devez attendre de mon caractère. Cette
+lettre m'était destinée, et j'en connais l'auteur.--Je desire
+infiniment savoir le nom de ce monsieur qui traite si bien
+de fat l'homme le plus aimable que je connaisse.--Son nom? Je
+l'ignore.--Quoi? s'écria la comtesse, en éclatant de rire d'une
+manière impertinente, vous ignorez le nom de celui qui veut vous
+suivre au-delà des mers?--Valentine ne daigna point faire attention
+à cette épigramme; mais elle en punit bientôt la comtesse, en la
+livrant à la plus cruelle inquiétude. Après s'être épuisé en
+sentences plus ou moins éloquentes sur l'extravagance des femmes,
+M. de Nangis dit à sa soeur;--«Il ne faut pas douter que l'amour de
+ce beau sylphe ne soit l'unique cause des refus que vous adressez à
+M. d'Émerange!--Non, répondit Valentine, cet amour n'est pas la
+seule cause de mon refus.--C'est pourtant de cette belle passion
+dont vous avez voulu parler, en nous assurant qu'un motif secret
+vous empêchait d'accepter sa main.»--En cet instant, les yeux de
+Valentine se tournèrent sur madame de Nangis, elle la vit dans
+l'attitude d'un coupable qui attend le prix de ses méchancetés. Un
+affreux tremblement agitait ses membres; elle écoutait d'un air
+avide les mots qui allaient sortir de la bouche de sa belle-soeur,
+et semblait implorer la pitié de sa victime. Il fallait s'être
+laissée entraîner à tous les torts d'une passion insensée pour
+méconnaître ainsi le coeur de Valentine; mais le premier châtiment
+de ceux qui renoncent à la vertu est de n'y plus croire. Aussi
+l'étonnement de madame de Nangis fut-il à son comble, lorsqu'elle
+entendit Valentine donner pour raison de son refus la différence de
+son caractère avec celui de M. d'Émerange, et beaucoup d'autres
+motifs, sans ajouter un mot qui pût faire soupçonner les sentiments
+de la comtesse. Ce procédé généreux, en dissipant sa crainte, la
+livra au remords; et rien ne saurait peindre ce qu'elle souffrit en
+voyant son mari s'animer de plus en plus contre sa soeur, et finir
+par l'outrager au point d'appeler du nom d'intrigue son intimité
+avec Anatole. Valentine avait supporté cette injure avec la
+résignation qui naît de l'innocence; mais quand elle se vit en même
+temps accuser de tous les manèges de la coquetterie envers le comte
+d'Émerange, la fierté de son ame se révolta de cette insulte. Elle
+déclara qu'aucune considération ne pouvait l'engager à souffrir les
+expressions du mépris de personne, pas même de son frère; et elle
+sortit en l'assurant que désormais il n'aurait plus l'occasion de la
+traiter avec tant d'injustice.
+
+«Le voilà donc arrivé ce fatal moment que j'ai si souvent redouté!
+s'écria Valentine, quand elle fut seule. Mon imprudence et la plus
+indigne calomnie m'enlèvent jusqu'à l'estime de mon frère, je ne
+puis plus habiter sa maison, sans trahir l'horreur que m'inspire
+tout ce qui s'y passe. Il faut m'en éloigner; il faut quitter cette
+famille que j'avais regardée comme un asyle protecteur, et emporter
+avec moi le mépris et la haine de deux êtres sur qui j'avais placé
+mon respect et ma tendresse!» En se livrant à ces tristes pensées,
+Valentine fondait en larmes. Mais son attendrissement, loin
+d'affaiblir sa résolution, redoublait le desir qu'elle avait de
+cacher sa peine à tous les yeux. Dans ce dessein, elle écrivit au
+commandeur qu'un obstacle imprévu l'obligeait à renoncer au projet
+d'aller en Italie; qu'elle était à la veille de partir pour Saverny,
+où une affaire importante la rappelait, mais qu'elle desirait
+vivement le voir avant de s'éloigner de Paris. Le domestique chargé
+de porter ce billet eut ordre de n'en remettre la réponse qu'à la
+marquise elle-même. Cette réponse se fit attendre jusqu'à dix heures
+du soir; le domestique s'excusa de la rendre aussi tard, en disant
+qu'il s'était cru obligé d'aller la chercher jusque chez madame de
+Réthel, à Auteuil, ou M. de Saint-Albert devait dîner. Il ajouta,
+qu'en sortant de table le commandeur avait été pris subitement
+d'une attaque de goutte qui l'avait forcé de se mettre au lit. Le
+billet était écrit de la main de madame de Réthel, qui donnait à
+Valentine les détails de ce fâcheux accident, et l'engageait à
+venir s'établir quelques jours à Auteuil, pour adoucir par sa
+présence les maux de leur vieil ami. La plus sincère affection, la
+reconnaissance, tout fesait un devoir à Valentine de se rendre à
+cette invitation, qui lui offrait en même temps une occasion de
+prodiguer ses soins au seul protecteur qui lui restât, et un
+prétexte de s'éloigner de la maison de son frère.
+
+Elle résolut de partir le lendemain, de grand matin, pour qu'on ne
+s'étonnât point dans la maison de ne lui voir faire ses adieux à
+personne, et chargea mademoiselle Cécile d'instruire les gens de la
+comtesse du motif qui la déterminait à se rendre sans délai chez
+madame de Réthel. Ces arrangements finis, Valentine essaya de
+prendre quelque repos, mais le sommeil ne vint point calmer ses sens
+en la délivrant du souvenir de ses peines. L'idée de reposer pour la
+dernière fois sous le toit fraternel remplissait son ame d'amertume:
+elle contemplait avec douleur cet appartement si élégamment orné
+pour la recevoir, où elle croyait passer sa vie au sein de sa
+famille. La place où elle relisait les lettres d'Anatole, la table
+sur laquelle elle y répondait, tout, jusqu'au petit fauteuil
+d'Isaure, excitait ses regrets. Le coeur attache tant de prix aux
+moindres objets qu'il va perdre! Valentine avait souvent desiré de
+n'être jamais venue dans ces lieux témoins de ses chagrins; mais il
+fallait s'en exiler pour toujours, et ses larmes coulaient à la
+seule pensée de ne les plus revoir. C'est ainsi que la cause de nos
+malheurs l'est quelquefois aussi de nos regrets.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXII.
+
+
+Sept heures venaient de sonner, les chevaux étaient déjà à la
+voiture, et madame de Saverny, assise auprès d'une croisée,
+attendait en silence que mademoiselle Cécile eût fermé tous ses
+paquets pour se mettre en route; Antoinette venait à chaque instant
+demander s'il était nécessaire d'emporter telle robe ou tel chapeau,
+et mademoiselle Cécile s'empressait de lui répondre: «Cela est
+très-inutile, puisque madame ne doit rester que huit jours à la
+campagne.» Cette réponse fit soupirer Valentine, et la replongea
+dans une triste rêverie, dont elle sortit tout-à-coup en se sentant
+presser par les bras d'un enfant qui l'accablait de ses caresses.
+«Quoi, dit-elle, en embrassant Isaure, déja levée, chère petite! le
+bruit qu'on a fait dans la cour t'aura sans doute réveillée?--Oh!
+non, ma tante, reprit l'enfant; je savais que vous deviez partir de
+bonne heure; j'étais déja couchée depuis long-temps, lorsque
+mademoiselle Cécile est venue le dire hier soir à ma bonne: elles me
+croyaient endormie, et j'ai entendu tout ce qu'elles ont dit. Quand
+j'ai su que j'allais rester huit jours entiers sans voir ma bonne
+tante, j'ai voulu l'embrasser avant son départ. Mademoiselle Cécile
+avait souvent répété que les chevaux étaient commandés pour sept
+heures; je me suis dit: En comptant toutes les heures qui sonneront
+à la pendule, je me réveillerai à temps. En effet, j'avais si peur
+de me lever trop tard, que j'ai très-peu dormi. Quand j'ai entendu
+du bruit dans la maison, je me suis habillée tout doucement, et je
+suis vîte accourue ici.--Chère enfant, dit Valentine, en la
+baignant de ses larmes!--Tu t'en vas donc pour toujours? s'écria
+Isaure en voyant l'excès de la douleur de sa tante.--Non, je te
+reverrai bientôt, je l'espère. Ne m'oublie pas.... Dis à ton père
+que je pars en pleurant.... que je vous aime tous.... et que je vous
+regretterai toute ma vie.» Ces paroles entrecoupees par des sanglots
+achevèrent de désoler Isaure. Elle se jeta au cou de Valentine, en
+pleurant aussi, et dit: «Encore, si j'avais ton portrait pour me
+consoler quand tu n'y seras plus!--Eh bien, qu'est-il devenu?
+demanda Valentine, avec une sorte d'inquiétude.--Je ne voulais pas
+vous le dire, reprit Isaure en baissant les yeux, mais l'autre
+jour, en jouant avec M. d'Émerange, la chaîne qui soutient le
+médaillon s'est cassée, et le verre s'est brisé en tombant par
+terre; j'ai bien pleuré quand j'ai vu ce malheur! Mais M. d'Émerange
+m'a promis que bientôt il n'y paraîtrait plus. Il a pris le collier
+en se chargeant de le faire raccommoder par son bijoutier, et il
+doit me le rendre la semaine prochaine: c'est encore bien long à
+attendre.» Valentine apprit avec peine que son portrait était entre
+les mains du comte, mais elle ne fit aucun reproche à Isaure de le
+lui avoir livré. Le mal était fait; il était inutile d'en apprendre
+les conséquences à une enfant trop innocente pour les comprendre.
+Elle se contenta de recommander à Isaure de ne plus s'adresser qu'à
+elle lorsqu'il s'agirait de confier son portrait. Mademoiselle
+Cécile vint en ce moment annoncer à sa maîtresse que tout était
+prêt. Valentine fit un effort pour s'arracher des bras d'Isaure qui
+voulait absolument la suivre, et ne consentit à la laisser partir
+qu'à la condition d'aller la rejoindre à Auteuil aussitôt que madame
+de Nangis en aurait accordé la permission. Quand il fallut se
+séparer de _Love_, les pleurs d'Isaure redoublèrent. Enfin on calma
+son chagrin par des cadeaux et des promesses; mais on ne put obtenir
+d'elle de la faire rentrer dans la maison avant que la voiture ne
+fût sortie de la cour; et Valentine était déjà bien loin, que la
+petite voix d'Isaure lui criait encore adieu.
+
+Le premier soin de la marquise, en arrivant à Auteuil, fut
+d'instruire Anatole du séjour qu'elle comptait y faire, et d'une
+partie des raisons qui la contraignaient à s'éloigner de sa famille.
+La nécessité d'empêcher Anatole de lui adresser de nouvelles lettres
+à l'hôtel de Nangis, l'obligeait à lui apprendre le sort qu'avait eu
+la dernière; mais elle évita soigneusement de lui laisser soupçonner
+la véritable cause de cette indiscrétion, qu'elle mit sur le compte
+de la maladresse d'un laquais et d'une distraction de son frère.
+Elle parla seulement des justes reproches qu'il lui avait fallu
+supporter de la part de M. de Nangis, sur le tort de s'être ainsi
+compromise; et finit par dire que l'impossibilité d'expliquer sa
+conduite sans trahir un secret inviolable, lui avait fait prendre le
+parti d'attendre loin de son frère le moment où elle pourrait se
+justifier des soupçons qu'on osait concevoir contre elle. Mais, pour
+atteindre à ce but, il fallait s'imposer des sacrifices, et réduire
+aux plus simples expressions de l'amitié une correspondance qui
+n'aurait jamais dû être fondée sur un autre sentiment. C'était à
+cette seule condition que Valentine consentait à recevoir encore des
+lettres d'Anatole; et elle en parlait déjà comme d'une chose
+convenue, sans se douter qu'elle demandait l'impossible.
+
+La douleur qui l'accablait se dissipa un peu à l'aspect du plaisir
+que causa son arrivée chez madame de Réthel. Le commandeur prétendit
+que la goutte pouvait s'amuser à ses dépens aussi long-temps qu'il
+plairait à Valentine de lui servir de garde-malade; «Car, disait-il
+en riant, qu'est-ce que cela me fait de souffrir, pourvu que je ne
+le sente pas.» Cette folie paraîtra bien sensée à tous ceux qui ont
+reconnu le pouvoir magique de la présence d'un ami sur les
+souffrances les plus aiguës.
+
+Si la gaîté de M. de Saint-Albert avait bravé la maladie, elle
+s'éteignit bientôt en écoutant le récit des nouveaux chagrins de
+Valentine. Il s'indigna de la voir l'objet d'une persécution aussi
+peu méritée, et, dans son premier mouvement, il voulait écrire à M.
+de Nangis pour l'éclairer sur l'excès de son injustice, et lui
+prouver qu'il était de son honneur de la réparer. Mais Valentine le
+conjura de renoncer à ce projet, en lui démontrant l'impossibilité
+d'instruire son frère des calomnies dont elle était victime, sans
+lui en dénoncer les auteurs. «Je ne le persuaderais pas, ajoutait
+Valentine, il persisterait à me demander l'explication d'un mystère
+que je ne comprends pas moi-même; et le silence qu'il me faudrait
+garder sur plusieurs points envers lui, ajouterait encore à l'idée
+des torts qu'il me suppose. Je ne regagnerais point sa confiance, et
+sa femme la perdrait pour toujours. Le ciel me préserve de jeter
+dans cette famille les premières semences du trouble qui doit y
+naître un jour! J'en conviens, les reproches d'un frère pèsent
+cruellement sur mon coeur, mais ceux que je pourrais m'adresser
+l'oppresseraient bien plus encore!--Eh bien, soit, reprit le
+commandeur, je vous obéirai; mais promettez-moi de ne plus vous
+exposer à des scènes inévitables partout ailleurs qu'ici. Vous ne
+savez pas encore ce que l'on vous réserve, et le parti que la
+méchanceté va tirer d'une aussi belle circonstance; moi, je m'en
+doute, et j'exige que vous choisissiez cette retraite pendant
+l'orage. L'éclat que nous redoutions ne peut plus s'éviter. La
+vengeance d'un amour-propre tel que celui de M. d'Émerange doit être
+sanglante; puissent tous nos soins vous en mettre à l'abri. Mais
+il est de la plus grande importance qu'il ignore à jamais le nom
+de l'imprudent qui s'est permis sur son compte une injure
+impardonnable. Vous ne doutez pas de toutes ses recherches pour le
+découvrir. Joignez-vous à moi pour ordonner à Anatole de s'y
+soustraire en s'éloignant de vous. Il est persuadé que sa lettre
+n'est tombée qu'entre les mains de votre frère, et ne soupçonne pas
+que M. d'Émerange en ait eu connaissance. Profitons de son erreur
+pour lui demander au nom de votre repos un sacrifice que les peines
+qu'il vous cause vous donnent bien le droit d'exiger. Sur-tout plus
+de lettres, vous en voyez le danger. Il n'est point de secret qui y
+résiste. Fiez-vous à mon amitié du soin de dissiper ses inquiétudes
+sur votre sort. Calmez les agitations qui tourmentent votre ame, et
+laissez lui croire en partant que son absence est le prix de votre
+bonheur.--Disposez de moi, reprit en soupirant Valentine, je
+souscris d'avance à tout ce que votre sage bonté imaginera pour nous
+épargner de nouveaux malheurs. Mais je n'ai plus le courage qui
+soutient la volonté; ordonnez pour moi.» L'émotion de Valentine
+l'empêcha d'en dire davantage; elle sortit précipitamment pour
+cacher l'excès de sa faiblesse, et s'enfuit dans un des bosquets du
+jardin que le printemps commençait à parer, et là, sans s'apercevoir
+des bienfaits d'une saison charmante, Valentine s'écriait en
+pleurant: Il faut donc que je renonce à tout dans la nature!
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIII.
+
+
+Si le démon de la jalousie enfante les querelles entre les plus
+tendres amants, celui de la vengeance sait réunir les plus fiers
+ennemis, et l'humanité s'afflige de voir les serments consacrés a
+cette furie, plus fidèlement gardés que les serments inspirés par
+l'amour. Depuis long-temps M. d'Émerange convaincu de son empire sur
+le coeur de madame de Nangis, dédaignait un succès facile que tout
+le monde lui croyait acquis. Uniquement occupé d'un triomphe plus
+flatteur pour sa vanité, la tendresse de madame de Nangis lui
+semblait importune. Mais le plus humiliant revers avait remplacé ce
+triomphe qu'il croyait certain. L'aveu de madame de Saverny, en
+reconnaissant la lettre présentée par son frère, prouvait assez la
+vérité; et la comtesse ne pouvait plus être accusée de mensonge.
+Enfin, l'homme le plus brillant de la cour, celui dont tant de
+femmes délaissées attestaient la séduction et l'inconstance, se
+voyait joué par la simplicité d'une femme de province, et insulté
+par un rival inconnu, dont l'obscurité semblait être le partage.
+Tant d'injures réunies demandaient une réparation éclatante; et
+comme la gloire d'un homme à la mode ne se soutient que par le
+déshonneur d'un grand nombre de victimes, c'est la perte de la
+réputation de madame de Saverny qui doit réhabiliter celle du comte
+d'Émerange.
+
+Pénétré de cette idée, il se rend chez madame de Nangis, en obtient
+sans peine le pardon de ses torts; et, profitant de l'excès
+d'indulgence qu'inspire le retour au bonheur, il avoue que, séduit
+par les coquetteries de la marquise, il n'a pu se défendre d'un
+attrait passager pour elle; mais qu'ayant bientôt reconnu la
+différence du caprice au sentiment, il n'attendait plus qu'une
+occasion de rompre sans impolitesse, pour venir retomber aux pieds
+de la seule femme qu'il eût jamais aimée. Après ce perfide aveu,
+desirant offrir une preuve incontestable de la sincérité de son
+repentir, le comte sort d'un porte-feuille le portrait de Valentine,
+et le livre à la comtesse comme un sacrifice qui lui répond de la
+franchise de ses sentiments.
+
+Dans tout autre moment la vue de ce portrait eût transporté de
+colère madame de Nangis; mais quand le coupable dont on pleurait
+l'abandon vient demander grace, s'indigne-t-on de quelque chose?
+Elle ne vit dans cette preuve d'infidélité que le plaisir d'en
+triompher; et son amour-propre satisfait trouva mille excuses aux
+torts de M. d'Émerange. Mais plus elle redoublait de clémence pour
+lui, et plus son ressentiment s'animait contre sa rivale. «Venir
+ainsi, disait-elle, afficher les dehors d'une conduite austère,
+parler de grands principes, se parer d'une candeur factice, et tout
+cela pour enlever à son amie l'affection qui fesait son bonheur, et
+sacrifier, l'amour d'un homme comme il faut à quelque aventurier!
+Certainement je ne me donnerai point dans le monde le ridicule de
+tolérer de semblables intrigues. M. de Nangis est bien libre
+d'approuver les nombreuses faiblesses de sa soeur; mais il ne peut
+m'obliger à jouer le rôle de confidente: aussi vais-je lui déclarer
+que je ne saurais habiter plus long-temps avec elle. Il sentira bien
+le tort qu'une intimité de ce genre pourrait faire à la réputation
+de sa femme, et je ne doute pas qu'il n'écrive dès demain à la
+marquise, pour l'engager à prolonger son séjour chez madame de
+Réthel. Probablement son héros est quelque ami de cette prude; et
+soit fierté, ou faiblesse, elle obéira sans murmurer aux volontés de
+son frère.»
+
+Ce plan servait à merveille les intentions de M. d'Émerange, et il
+se félicitait en voyant à quel point on pouvait se servir de la
+passion d'une femme pour se venger du mépris d'une autre: il quitta
+la comtesse en la conjurant d'épargner sa belle-soeur auprès des
+personnes que leur séparation allait surprendre. «Songez qu'elle
+appartient à votre famille, disait-il, et que vous devez autant
+qu'il vous sera possible, lui garder le secret de ses fautes.
+D'ailleurs que vous importent ses caprices; vous êtes bien sûre
+maintenant qu'ils ne vous coûteront jamais rien, ajoutait-il en
+baisant la main de la comtesse. Ce qu'il faudrait seulement
+découvrir, pour nous amuser un peu, c'est le nom de ce monsieur qui
+m'honore d'une estime si particulière.--Pour peu que vous y teniez,
+reprit la comtesse, nous le saurons bientôt; mais, si je consens à
+vous servir dans la recherche que vous voulez en faire, c'est à
+condition que vous m'assurerez qu'il n'entre pas le moindre
+sentiment jaloux dans votre curiosité.--Moi, jaloux de ce chevalier
+invisible? Je vous jure de ne l'être jamais, à moins pourtant qu'il
+ne lui plaise aussi de vous tourner la tête.» Cette dernière
+flatterie acheva d'enivrer la comtesse. La joie de régner encore sur
+un coeur infidèle, la crainte de le voir s'échapper une seconde
+fois, et l'idée, si trompeuse de se l'attacher pour toujours par la
+reconnaissance, entraînèrent madame de Nangis dans tout l'excès
+d'une générosité coupable.
+
+Mais si les folies du coeur sont suivies d'un aveuglement complet
+qui dissimule également à nos yeux les défauts de l'objet aimé et
+les torts de notre faiblesse, il n'en est pas de même des égarements
+de l'imagination. Ils mènent aussi loin, mais sans cacher les
+dangers qui nous menacent. Cette fièvre d'idées qui naît des
+agitations de l'amour-propre a ses intermittences; et c'est alors
+que la raison, la méfiance, et le regret, remplissent l'ame d'une
+mortelle inquiétude qui fait desirer le retour de l'accès. Madame de
+Nangis offrait une grande preuve de cette vérité. Tant que M.
+d'Émerange était resté près d'elle, elle n'avait pas douté un
+instant de sa franchise; pas la moindre rancune n'était venue
+troubler les plaisirs d'un retour aussi inattendu; et le comte
+venait de la quitter en lui répétant les assurances les plus
+tendres. Mais tout le prestige avait disparu avec sa présence. La
+réflexion avait succédé à l'ivresse, le soupçon à la confiance, le
+repentir au bonheur. Les yeux fixés sur le portrait de Valentine, il
+lui sembla difficile de ne pas regretter tant d'attraits. Une autre
+incertitude la tourmentait encore. Ce portrait paraissait un gage
+trop certain de la faiblesse de madame de Saverny, mais avait-il
+été donné par elle? Étonnée de n'avoir pas été plutôt frappée de
+cette pensée, la comtesse fait appeler sa fille, et lui demande ce
+qu'est devenu le portrait de sa tante: «Le voici, répond Isaure, en
+détachant de son cou le collier que M. d'Émerange lui a rapporté la
+veille.» La comtesse le prend, confronte les deux miniatures. Dans
+chacune des deux la pose est la même, mais le costume est différent.
+Cependant elle croit reconnaître que celle d'Isaure a servi de
+modèle à l'autre. La supposition que M. d'Émerange la trompe, et
+qu'elle ne doit peut-être ce portrait qu'à une supercherie, anime
+ses yeux de colère. «Je suis sûre, dit-elle à Isaure avec
+emportement, que vous avez prêté ce portrait à quelqu'un?--L'enfant
+effrayée se décide à mentir pour éviter d'être grondée, et se
+félicite de sa ruse, en voyant le bon effet qu'elle produit sur sa
+mère, qui prend un air riant, l'embrasse, et la renvoie.
+
+La comtesse rassurée par cette première épreuve, en médite encore
+d'autres, pour se convaincre de ce qu'elle desire. Mais elle sent
+avant tout la nécessité d'éloigner une rivale dont la perte peut
+seule assurer sa tranquillité. Son esprit ne rêve plus qu'aux moyens
+d'abuser de la confiance de son mari, pour servir sa jalousie. Déja
+elle se réjouit des succès que lui promet sa supériorité dans l'art
+de tromper, sans se douter que pendant ce temps elle est dupe
+elle-même des erreurs de son imagination, des serments d'un perfide,
+et de la petite ruse d'une enfant.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIV.
+
+
+Les voeux de madame de Nangis ne furent que trop tôt remplis. Son
+mari, convaincu par l'évidence des preuves qu'elle lui donne contre
+Valentine, avoue que la conduite de sa soeur ne mérite plus
+d'indulgence, et c'est presque sous la dictée de la comtesse, qu'il
+écrit à madame de Saverny la lettre qui doit lui fermer pour jamais
+l'entrée de sa maison. La rupture bien constatée, madame de Nangis
+ne songe plus qu'à la publier dans le monde avec tous les détails
+qui doivent justifier la sévérité de son mari, et perdre la
+réputation de Valentine. En moins de huit jours l'histoire s'en est
+tellement répandue, qu'elle est l'objet de toutes les conversations.
+Les hommes, piqués de n'être pour rien dans les torts d'une aussi
+jolie personne, se plaisent à les exagérer; les femmes en parlent
+avec tout le mépris qui sert à déguiser l'envie. L'une se promet
+bien de ne pas lui rendre son salut, si jamais elle la rencontre;
+l'autre court chez son amie pour la prévenir du danger de recevoir
+une folle qui vient de s'afficher ainsi; et lorsque quelque ame
+charitable ose demander la cause de ces mesures rigoureuses:
+
+«Quoi, s'empresse-t-on de lui répondre, vous ignorez que cette belle
+marquise de Saverny, qu'on voulait nous donner pour modèle, et qui,
+disait-on, était insensible aux charmes de l'amour, menait tout
+doucement quatre intrigues à-la-fois? Vivent ces beautés timides
+pour savoir bien tromper leurs admirateurs! Ceux de la marquise en
+seraient peut-être encore dupes, si l'un de ses favoris n'avait eu
+la maladresse de laisser deviner son bonheur. On va jusqu'à dire que
+la preuve de ce bonheur oblige la marquise à faire une assez longue
+absence. Enfin, rien ne manque au scandale de ses aventures
+galantes; et pour peu qu'elle aime la célébrité, sa vanité doit être
+satisfaite.»
+
+A ces calomnies on joignait les plus injurieux commentaires; mais
+ces bruits n'étant pas encore parvenus à Versailles, Valentine reçut
+une lettre de la dame d'honneur de la reine, qui lui annonçait que
+le jour de sa présentation à la cour était fixé au dimanche suivant.
+Cette lettre était la réponse de la demande que M. de Nangis avait
+adressée quelques mois après l'arrivée de madame de Saverny. Cette
+présentation aurait eu lieu beaucoup plutôt, sans la grossesse de la
+reine, mais on venait de célébrer son retour à la santé, et la
+naissance d'une auguste princesse. La cour allait reprendre ses
+habitudes, et déja l'on se félicitait d'y voir paraître une femme
+qui devait y briller à tant de titres.
+
+C'était uniquement par condescendance aux volontés de son frère
+que Valentine avait consenti à réclamer l'honneur auquel sa famille
+et le nom du marquis de Saverny, lui donnaient des droits
+incontestables. Mais cette cérémonie qui, dans toute autre
+circonstance, aurait peut-être flatté son amour-propre, aujourd'hui
+devenait un supplice pour elle. L'idée de s'offrir à tout les
+regards dans un moment où le malheur et la méchanceté semblaient se
+réunir pour l'accabler effrayait son courage. Elle s'adressa encore
+à M. de Saint-Albert, pour le prier de lui indiquer un moyen de la
+dispenser de ce devoir pénible. Mais il lui répondit, qu'il en
+connaissait fort peu, et que tous offraient de grands inconvénients.
+«D'ailleurs, ajouta-t-il, votre position exige ce sacrifice. Quand,
+par l'effet d'un événement fâcheux, on a le malheur d'occuper de soi
+les oisifs d'une grande ville, on ne doit pas plus affecter de se
+montrer que de se cacher. Les mêmes gens qui vous blâmeraient s'ils
+vous voyaient braver dans le grand monde l'injustice de votre
+famille, ne manqueraient pas d'interpréter fort mal le motif qui
+retarderait votre présentation à la cour. Il y a tant de gens qui
+s'y feraient porter à l'agonie pour une semblable cérémonie, que
+vous ne leur persuaderez jamais qu'on s'en dispense volontairement;
+ils trouveront bien plus simple de supposer qu'on vous exclut de la
+cour, que de croire aux raisons qui vous en éloignent.» En lui
+tenant ce discours, le commandeur savait déja tous les bruits qui
+circulaient sur le compte de Valentine. La princesse de L... venait
+de les lui mander en lui marquant qu'elle ne saurait y ajouter foi,
+avant de les entendre confirmer par lui. On devine bien que malgré
+ses souffrances, M. de Saint-Albert ne perdit pas un moment pour
+aller convaincre la princesse de l'innocence de Valentine, et la
+conjurer d'accorder à cette intéressante victime de l'envie et de
+l'injustice, toute la protection qu'elle méritait. C'est dans la
+certitude que la princesse de L... partagerait l'indignation qui le
+transportait contre les ennemis de la marquise, et qu'elle prendrait
+hautement sa défense, qu'il engageait Valentine à paraître à la
+cour. Il pensait que l'appui d'une personne aussi justement révérée,
+devait servir d'égide contre les traits de la méchanceté; mais si la
+protection des princes est un grand titre à la bienveillance du
+souverain, elle en est un plus grand à la haine des envieux. Le
+respect des courtisans s'arrête aux favoris des rois; et c'est
+ordinairement sur les protégés de celui que la fortune favorise
+qu'on se venge des succès du protecteur.
+
+Valentine, soumise aux avis de M. de Saint-Albert, envoya
+mademoiselle Cécile à Paris, pour commander ses habits de cour et
+rapporter avec elle le reste des effets qu'elle avait laissés à
+l'hôtel de Nangis. Tous les gens attachés au service de la marquise
+reçurent l'ordre de venir la retrouver à Auteuil; et lorsque
+mademoiselle Cécile fut au moment d'y retourner, Richard lui dit:
+«Eh bien! c'est donc un parti pris, vous nous quittez pour toujours;
+ma foi j'en suis fâché, car la marquise est une excellente
+maîtresse, et si j'en juge par les bonnes étrennes qu'elle nous a
+données cet hiver, à nous, qui ne lui rendions pas de grands
+services, je pense que les vôtres sont bien payés. Richard
+accompagna ces derniers mots d'un air malin qui fut très-bien
+compris de mademoiselle Cécile; elle dissimula l'indignation qu'elle
+en ressentait pour mieux savoir jusqu'où Richard portait ses
+conjectures. Il ne se fit pas prier pour lui raconter assez
+grossièrement tout ce qui se disait dans les antichambres, de la
+séparation de la marquise d'avec sa belle-soeur. De cet entretien il
+résulta une vive querelle dans laquelle mademoiselle Cécile prit
+avec chaleur le parti de sa maîtresse, en injuriant de tout son
+pouvoir celle de Richard, et finit par dire: «Eh bien! quand madame
+de Saverny aurait autant d'amants que sa soeur lui en donne,
+n'est-elle pas libre de vivre à son gré? A-t-elle un mari à tromper,
+ou des enfants à corrompre par son mauvais exemple? Allez, M.
+Richard, le temps viendra bientôt où la vérité se fera connaître:
+votre maître ne sera pas toujours aussi dupe, et c'est alors qu'il
+récompensera le fidèle porteur des petits billets de la comtesse.»
+Ravie d'avoir répondu par ce trait malin aux propos de son camarade,
+mademoiselle Cécile prit congé des femmes de madame de Nangis, sans
+oublier de leur faire le détail de la magnifique parure qui
+embellirait la marquise le jour de sa présentation. Elle fut
+récompensée de cette preuve de confiance, par plusieurs petites
+confidences; on lui raconta le chagrin de la pauvre Isaure, à qui sa
+mère avait positivement défendu d'aller voir sa tante, et qui de
+plus, avait reçu l'ordre de ne jamais prononcer le nom de madame de
+Saverny. Enfin, après s'être longuement livrée à tous les plaisirs
+du commérage, mademoiselle Cécile sortit de l'hôtel de Nangis, sans
+éprouver d'autre regret que celui de n'y pouvoir causer encore.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXV.
+
+
+La nouvelle de la prochaine présentation de la marquise, jointe à
+toutes celles qui se débitaient sur ses prétendues aventures, excita
+les clameurs de toute la brillante société de Paris. Plusieurs
+femmes d'un rang distingué furent sollicitées, par ces officieuses
+personnes que l'on trouve partout, pour tâcher de faire parvenir aux
+oreilles de la Reine les bruits qui couraient sur madame de Saverny.
+Mais quand on avait l'honneur d'approcher souvent de la Reine, on
+savait avec quel mépris elle recevait toute espère de dénonciation
+de ce genre; d'ailleurs c'était madame la princesse de L... qui
+devait présenter elle-même la marquise, et toutes les tentatives de
+la méchanceté échouaient devant cette marque de considération
+particulière.
+
+Le dépit de ne pouvoir réussir à éloigner Valentine de la cour,
+redoubla la curiosité de voir l'accueil qu'elle y recevrait; et
+toutes les personnes qui par leur rang pouvaient y être admises ne
+manquèrent point à cette cérémonie. Déjà les galeries de Versailles
+étaient remplies de courtisans dont l'ironie s'exerçait, en
+attendant mieux, sur la famille de M. de Nangis, sans s'apercevoir
+que le comte était là très à portée de les entendre. Après y avoir
+bien réfléchi, il n'avait pas cru pouvoir se dispenser d'assister à
+la présentation de sa soeur, sur-tout en pensant qu'on l'avait
+accordée à sa sollicitation. Mais il avait conjuré la comtesse de
+n'en pas être témoin, pour éviter, disait-il, l'embarras d'une
+entrevue désagréable, et l'inconvénient d'offrir à toute la cour le
+spectacle de leur désunion.
+
+Enfin, l'on vint avertir que le Roi allait passer dans les grands
+appartements, et tout rentra dans le plus profond silence. Lorsque
+toute la cour fut rangée auprès de Sa Majesté, on vit paraître la
+princesse de L... dans le costume le plus simple, et tenant par la
+main la marquise de Saverny, dont la magnifique parure semblait
+rivaliser avec l'éclat de sa beauté. Jamais plus de noblesse et plus
+de modestie n'avaient embelli tant d'attraits. La timidité qui
+colorait son teint en augmentait la fraîcheur; son regard à demi
+baissé semblait réclamer l'indulgence, en même temps que sa taille
+élégante et son noble maintien commandaient l'admiration. Elle fit
+ses révérences sans assurance et sans gaucherie, et ce fut avec
+toutes les graces de la simplicité, qu'elle répondit aux choses
+obligeantes que le Roi daigna lui dire.
+
+Cette réception déconcertait bien de malignes espérances; les femmes
+en témoignaient tout haut leur dépit: «Voilà, disaient-elles, comme
+avec de la beauté on peut tout se permettre impunément: prêchons,
+après de pareils exemples, la vertu à nos filles! Mais si la vérité
+n'arrive jamais aux pieds du trône, le monde qui la connaît sait
+punir les erreurs.» A ces discours les hommes, déja séduits par
+l'aspect de Valentine, essayaient de répondre qu'avant de la juger
+aussi sévèrement, il fallait attendre des preuves plus positives de
+son inconséquence. Quelques-uns refusaient tout net de la croire
+coupable, et les plus malveillants ne savaient comment accorder tant
+de travers avec tant de modestie.
+
+Valentine, un peu remise du premier trouble inséparable d'une
+solennité dont on est le principal objet, essaya de lever les yeux
+pour contempler ce spectacle brillant et nouveau pour elle; mais
+toute la pompe de la cour disparut bientôt à ses regards, lorsque
+les portant du côté où était placé le corps diplomatique, elle
+reconnut l'ambassadeur d'Espagne, et près de lui... Anatole. Qui
+pourrait peindre l'émotion qui s'empara d'elle au moment où leurs
+yeux se rencontrèrent! Elle eut besoin de tout son courage pour n'y
+pas succomber, et elle crut que la princesse de L..., touchée de son
+état, arrivait pour lui sauver la vie, quand elle vint la prendre
+pour la conduire chez les princesses du sang, et lui faire faire,
+suivant l'usage, quelques visites dans le château.
+
+Elle fut invitée à souper le même jour chez la comtesse d'Art....
+C'est-là que l'attendaient l'intrigue et la jalousie des femmes qui
+se promettaient de lui faire payer ses triomphes du matin par toutes
+les humiliations de la soirée; la princesse de L... était chez la
+Reine, et madame de Réthel se trouvant forcée de retourner auprès de
+son oncle, rien ne s'opposait au projet d'affliger la marquise. Il
+est vrai que la bonté de la comtesse d'Art... lui répondait d'un
+accueil agréable; mais les premières politesses finies, la comtesse
+et les princes ses frères se mettraient au jeu, et la pauvre
+Valentine resterait livrée à elle-même ou plutôt à la vengeance de
+toutes ses rivales. C'est ce qui arriva bientôt. Dès que la
+comtesse rompit le cercle pour s'approcher de la table, toutes les
+femmes s'éloignèrent de Valentine en lui prodiguant les marques du
+plus humiliant dédain. Confuse de se voir ainsi abandonnée au milieu
+du salon, elle fut se placer auprès de la jeune duchesse de M...,
+qu'elle avait souvent rencontrée chez madame de Nangis. Mais la
+duchesse qui la croyait de bonne foi coupable de tous les procédés
+que lui reprochait sa belle-soeur, se mit à lui tourner le dos,
+comme pour l'empêcher d'entendre ce qu'elle racontait d'elle à une
+autre personne. Malgré la paix de sa conscience, Valentine éprouvait
+le supplice de s'entendre calomnier sans pouvoir se défendre, et de
+se voir insultée sans oser se plaindre. L'arrivée de M. d'Émerange
+vint encore ajouter à l'horreur de sa position. A peine daigna-t-il
+la saluer. Cette impolitesse ne l'aurait pas affectée, s'il ne
+l'avait pas aggravée par les airs les plus impertinents.
+
+La crainte de voir la marquise recevoir quelques soins du petit
+nombre de personnes qui ne jouaient pas, les lui fit rassembler
+autour de lui, et captiver leur attention par des récits amusants.
+Souvent on l'accablait de questions auxquelles il répondait en
+élevant le ton: «Non, ce n'est pas cela, vous êtes par trop méchant;
+puis, jetant un regard sur Valentine, il reprenait à voix basse la
+défense de l'accusée, et l'entremêlait de plaisanteries si
+piquantes, que les auditeurs riaient encore plus des ridicules de la
+coupable, qu'ils ne s'indignaient de ses fautes. Ce manège dura
+jusqu'au moment où la soirée finit. Valentine en vit approcher le
+terme avec toute l'impatience d'un prisonnier qui attend sa
+délivrance. Et lorsque ses chevaux l'entraînèrent loin de ce séjour
+où l'intrigue est un mérite, et l'innocence un ridicule, elle
+s'écria, le coeur oppressé de larmes. «Ah! fuyons pour toujours des
+lieux où la bonté du souverain ne garantit pas de tant d'insultes,
+où le moindre succès s'achète par tant d'humiliations! Je n'y dois
+plus paraître, puisque le ciel m'a refusé la fausseté, la souplesse
+et l'audace.»
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXVI.
+
+ANATOLE A VALENTINE.
+
+
+«Puisque l'ordre m'en vient de vous, j'obéirai, Valentine; demain, à
+cette même heure, je serai déjà bien loin de tout ce que j'adore.
+Ah! si le tort d'avoir compromis votre repos mérite le plus grand
+supplice, je le subirai... Mais non, rien ne saurait me punir assez
+du malheur d'avoir fait couler vos larmes. C'est ma coupable
+imprudence qui vous livre au ressentiment d'un frère; c'est avec
+l'assurance de ne pouvoir jamais causer votre bonheur que j'ose y
+attenter! Ah! ce n'est point assez de ma vie pour expier un tel
+crime, et sans les remords qui déchirent mon coeur, vous ne seriez
+point assez vengée.
+
+«Avant d'accomplir ma triste destinée, j'ai voulu m'enivrer encore
+une fois du plaisir de contempler tout ce que la nature a formé de
+plus divin; mais grands dieux! quels transports inconnus ont agité
+mon ame, lorsque j'ai vu paraître au milieu de cette assemblée
+brillante celle dont la beauté céleste éclipsait jusqu'à l'éclat du
+trône! A son aspect enchanteur, j'ai cru voir la cour entière
+partager mon délire! le souverain lui-même, séduit par la réunion de
+tant de charmes à tant de modestie, semblait fier de compter au
+nombre de ses sujets une femme si digne de régner sur tous les
+coeurs. Mais il faut vous avouer ma faiblesse, tout en jouissant de
+l'admiration qu'inspirait Valentine au plus puissant roi de
+l'Europe, j'ai frémi en pensant à ce que j'aurais redouté de cette
+admiration sous un roi, d'une vertu moins austère, et, dans ce
+moment, je n'ai pas regretté le siècle de Louis XIV.
+
+«Ce triomphe si beau, ce doux instant a passé comme un songe. Un
+regard de Valentine, ainsi que celui d'Orphée, après avoir comblé
+les voeux d'une ame passionnée, l'a replongée dans le néant.
+Bonheur, espoir, courage, j'ai tout perdu avec votre présence.
+L'affreuse idée d'en être privé pour toujours est venue me frapper
+d'un coup mortel, et les moments que j'ai passés depuis semblent ne
+plus appartenir à l'existence. Mais que l'excès de ce désespoir ne
+vous afflige pas, Valentine, je ne souffre déja plus. Ne vous
+accusez point sur-tout, des peines qui m'accablent; le ciel m'avait
+dès ma naissance condamné au malheur. C'est par vous seule que j'ai
+connu le charme de la vie. En me permettant de vous aimer, je vous
+ai dû une félicité au-dessus de mes espérances; et ce n'est pas
+votre faute si mon amour insensé a besoin de joindre un autre
+bonheur à celui de penser à vous... Je le sens: cet amour qui me
+dévore devait m'entraîner à tout braver pour tout obtenir de votre
+pitié... La mort la plus inévitable ne m'aurait pas arrêté... Mais
+s'exposer au mépris de Valentine... se voir l'objet de son
+dédain..... Ah! plutôt mille fois succomber à la douleur de
+s'éloigner d'elle. C'en est fait, mon sort est rempli; je l'ai vue,
+je l'ai adorée, ses yeux ont daigné quelquefois se fixer sur les
+miens; tant d'heureux souvenirs valent plus que ma vie. Adieu.
+Valentine! Adieu.»
+
+Cette lettre fut remise à madame de Saverny, à son retour de
+Versailles; et de tous les événements de la journée, le seul qui
+resta dans son souvenir, ce fut le moment où elle avait vu pour la
+dernière fois Anatole. «Il est parti, disait-elle avec l'accent d'un
+désespoir concentré; il est parti, et c'est pour m'obéir qu'il
+m'abandonne à tout l'excès de ma douleur!... Accablée d'injustices,
+rejetée par ma famille, je n'avais pour consolations que les preuves
+de son amour?... Ah! pourquoi sa barbare générosité m'a-t-elle sauvé
+la vie!... Que ferai-je d'un bien que je ne puis plus lui
+consacrer!... Car c'est en vain que je chercherais encore à m'abuser
+sur le sentiment qu'il m'inspire. Ce cruel sentiment règne seul dans
+mon coeur; l'amitié même ne peut m'offrir de secours contre les
+regrets qui me tuent.... Ah! puisque je consentais à t'aimer sans
+espoir de bonheur, cruel! pourquoi m'as-tu ravi les tourments
+délicieux qui agitaient mon ame?...»
+
+C'est en exhalant ainsi sa douleur, que Valentine passa le reste de
+la nuit; lorsqu'elle se rendit le matin auprès du commandeur, il fut
+frappé de l'altération de son visage. «Ah! lui dit-il en prenant sa
+main avec affection, ménagez-moi, Valentine, je ne suis pas en état
+de supporter l'accablement où je vous vois; si votre courage ne
+soutient pas le mien, je m'accuserai de vos peines, et vous me
+verrez mourir du remords d'avoir empoisonné votre existence.--Eh!
+quel reproche pourrait troubler votre repos? N'est-ce pas à vous,
+mon ami, que je dois l'unique consolation qui me reste.--Non, reprit
+M. de Saint-Albert, c'est peut-être à moi seul que vous devez tous
+vos malheurs. La connaissance du monde qui m'a servi tant de fois,
+m'a trompé celle-ci; j'avais remarqué toute ma vie, dans le
+caractère des femmes, un fond de légèreté qui devait les rendre
+incapables d'éprouver un sentiment profond. Les plus estimables
+mêmes ne me semblaient pas à l'abri des séductions de la vanité; et
+tout en rendant justice à leur sensibilité, à la durée de leurs
+affections, et au noble dévouement qui en était souvent la suite, je
+croyais qu'on ne pouvait obtenir autant de leur coeur, qu'en
+flattant leur amour-propre. J'en ai tant vu préférer la gloire
+d'être affichées publiquement, au bonheur d'être aimées en secret!
+Mais vous m'avez prouvé que ce bonheur pouvait suffire à l'ame la
+plus pure. Vous avez dissipé mon erreur, et vous me livrez
+maintenant au regret d'avoir fait naître dans votre coeur un
+sentiment que je n'y saurais détruire.--Ah! cessez de vous accuser
+d'un mal qui n'est pas votre ouvrage, interrompit Valentine, son
+image était gravée dans mon coeur, bien avant que vous ne l'eussiez
+fait battre en me parlant de lui!--Vous voulez en vain me justifier;
+à mon âge on ne se fait plus d'illusion sur ses torts. C'est en vous
+parlant des vertus d'Anatole, que je vous ai fait oublier le danger
+de l'aimer; c'est, rassuré par l'idée que cette passion qui égarait
+sa raison, ne troublerait jamais la vôtre; c'est peut-être aussi par
+je ne sais quelle vague espérance de voir récompenser tant d'amour
+par un sacrifice héroïque, que je me suis aveuglé moi-même sur les
+malheurs qui pouvaient résulter d'une intimité de ce genre. Enfin,
+je reconnais toute l'étendue de mon imprudence, et je ne me sens
+pas la force de vous en voir souffrir.»
+
+La première des consolations est d'en pouvoir offrir, et Valentine,
+en s'efforçant de consoler son ami des chagrins qui la désolaient,
+finit aussi par en être moins oppressée. Elle lui parla sans
+contrainte de son amour, et lui avoua qu'elle doutait que l'absence
+et le temps parvinssent à en triompher.--«Eh bien! faites-en
+toujours l'épreuve, reprit le commandeur; et, s'il est vrai que
+votre constance sache braver ces deux grands ennemis de l'amour,
+vous aurez peut-être le courage d'être heureuse en dépit de tous les
+obstacles.»
+
+Malgré le mystère répandu dans cette dernière phrase, Valentine
+sentit qu'elle ranimait sa vie en lui rendant quelque espoir. Dès ce
+moment, elle promit au commandeur de surmonter sa faiblesse, et se
+prêta de bonne grace à tous les moyens qu'il imagina pour la
+distraire. L'ingénieuse bonté de madame de Réthel en inventait
+chaque jour de nouveaux; mais Valentine refusait obstinément de
+jouir d'autres plaisirs que de ceux de la campagne. Le récit qu'elle
+avait fait à madame de Réthel de sa soirée de Versailles, lui
+donnait bien le droit de fuir le grand monde; et le commandeur était
+d'avis qu'elle laissât passer ce premier feu de méchanceté, qui
+s'éteint comme tant d'autres, quand il n'est pas alimenté par la
+présence de l'objet qui l'excite. Ainsi Valentine passa l'été chez
+madame de Réthel, dans cette retraite agréable, où les charmes de
+l'esprit et les douceurs de l'amitié se disputaient le plaisir de
+tromper ses regrets. Occupée de répondre aux soins de ses amis, elle
+vivait dans l'ignorance de ce qui se passait chez les personnes dont
+elle avait tant à se plaindre, et se consolait de la haine de ses
+ennemis, par le souvenir de l'amour d'Anatole.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXVII.
+
+
+Deux mois s'écoulèrent dans cette vie paisible, pendant lesquels le
+commandeur avait reçu plusieurs lettres d'Anatole. Valentine était
+souvent présente quand on les lui remettait, mais il gardait le plus
+profond silence sur leur contenu; et si elles n'avaient pas porté le
+timbre de Madrid, Valentine eût ignoré jusqu'au pays où vivait
+Anatole. Tant de discrétion lui paraissait quelquefois pénible à
+supporter. Cependant elle n'osait s'en plaindre; et, forte de la
+sagesse de son ami, elle se livrait à toute la folie de son amour.
+
+La patience et le beau temps ayant triomphé de la goutte de M. de
+Saint-Albert, il arriva un matin chez madame de Saverny, et lui dit:
+«Pour cette fois, il n'y a pas moyen de refuser. Lisez ce billet, et
+voyez si nous pouvons nous dispenser de céder aux instances d'une
+personne qui vous aime tant.» Ce billet contenait une invitation de
+la princesse de L..., qui priait le commandeur d'employer tout son
+ascendant sur Valentine, pour l'engager à venir souper chez elle le
+sur-lendemain. C'était le jour de sa fête, et elle ajoutait dans les
+termes les plus affectueux, qu'elle douterait de l'amitié de
+Valentine, si elle ne venait pas se joindre aux amis qui devaient la
+fêter. Le commandeur n'eut pas besoin d'insister pour faire sentir à
+Valentine combien un refus de sa part serait déplacé dans cette
+circonstance; et il fut convenu entre eux et madame de Réthel, qu'on
+se rendrait le sur-lendemain à Paris, d'assez bonne heure, pour
+aller voir le salon des tableaux dont on venait de faire
+l'exposition au Louvre; et qu'après avoir dîné chez le commandeur,
+on se rendrait chez la princesse. Ce ne fut pas sans beaucoup
+d'émotion que Valentine passa devant l'hôtel de Nangis, pour se
+rendre au Louvre. Mais elle en éprouva bien davantage lorsqu'elle
+entra dans ce palais des arts et du génie. Ses yeux furent d'abord
+éblouis par le mélange de ces vives couleurs, dont les jeunes élèves
+se plaisent à recouvrir les défauts de leurs dessins, sans penser
+qu'ils ne tirent d'autre avantage de ce charlatanisme, que
+d'absorber l'effet des tableaux des grands maîtres. Son bon goût
+admira les premiers essais de ces beaux talents qui devaient un jour
+faire l'orgueil de la France. Elle envia au pinceau d'une femme
+charmante cette grace enchanteresse qui, dans chacun de ses
+portraits, semblait passer de l'artiste au modèle. Enfin la
+curiosité la conduisit auprès d'un tableau qui attirait la foule des
+amateurs. Elle fut long-temps sans pouvoir en approcher, et prenait
+patience en écoutant les éloges que tout le monde en fesait. «C'est,
+disait-on, d'une composition admirable, d'une vérité parfaite.
+L'ensemble du monument, le fini des détails, le dessin des figures,
+le coloris, enfin tout en est ravissant.» Chacun de ces éloges
+donnait à Valentine le desir de les vérifier; mais lorsque la
+politesse d'une personne qui lui céda sa place la mit à portée d'en
+juger, le dessin, les détails, le coloris ne furent pas l'objet de
+son admiration. Ses yeux frappés d'étonnement croyaient se tromper
+en reconnaissant cette chapelle de l'abbaye de Saint-Denis, qui
+renfermait le tombeau de Valentine de Milan. On voyait sur le
+premier plan une enfant en prière sur les marches d'un autel; plus
+loin, une femme était posée de manière à ne laisser voir que la
+beauté de sa taille et une partie de son profil, que des cheveux
+flottants dissimulaient encore. Un voile de mousseline venait de
+tomber à ses pieds, et l'on voyait un jeune homme sous le costume
+d'un simple ménestrel se prosterner pour ramasser le voile, et le
+presser sur son coeur. A cet aspect inattendu, Valentine fut saisie
+d'un tremblement si violent, qu'elle se vit obligée de s'appuyer sur
+la balustrade qui entoure la galerie. Quand l'émotion causée par un
+souvenir aussi vif lui eut permis de reprendre ses sens, elle
+appela madame de Réthel, et lui dit: «Sortons d'ici, je ne me sens
+pas bien.» Madame de Réthel, effrayée du trouble où elle la vit,
+l'entraîna sur-le-champ hors de la salle.
+
+Le commandeur vint bientôt les rejoindre dans le vestibule, en se
+plaignant de leur fuite précipitée qui l'avait privé, disait-il, du
+plaisir d'admirer ce tableau qui captivait tous les suffrages du
+public. Valentine lui répondit qu'en regardant ce même tableau, elle
+avait été saisie d'un étourdissement qui l'avait forcée de sortir
+pour venir prendre l'air. «Si ce tableau magique produit d'aussi
+grands effets, reprit en souriant le commandeur, j'en regrette moins
+la vue.--Je dois avouer, dit Valentine, qu'il m'a fait une vive
+impression.--Il est donc d'une grande beauté, dit madame de
+Réthel?--Vraiment, je n'en sais rien, repartit Valentine; tout ce
+que je puis vous en dire, c'est qu'il est d'une exacte vérité.--On
+vous a sûrement dit quel en est l'auteur?--Je n'ai pas pensé à le
+demander, mais comme je me souviens qu'il est sous le nº 63, nous
+pouvons le voir dans le livret.» Alors Valentine chercha l'article
+qui concernait le tableau, et n'y lut que ces mots: Vue de
+l'intérieur d'une chapelle de l'abbaye de Saint-Denis, par un
+anonyme. «Ah! le succès qu'il obtient, dit madame de Réthel, nous
+promet que l'auteur ne gardera pas long-temps son secret;
+d'ailleurs les amateurs vont s'empresser d'acquérir cet ouvrage pour
+en décorer leurs galeries; et l'on sait que, pour la plupart de ces
+amateurs, le nom du peintre a presqu'autant de prix que le mérite du
+tableau.--Si je savais que celui-là fût à vendre, dit Valentine, je
+ferais de grands sacrifices pour l'acheter.--Vous le payeriez
+peut-être trop cher, reprit le commandeur; chargez moi du soin de
+cette affaire; je connais la personne qui préside aux expositions du
+Louvre; il est par sa place dans la confidence de tous les artistes;
+et je suis sûr qu'il m'indiquera le moyen d'obtenir à peu de frais
+le tableau que vous desirez.» Un regard plein de reconnaissance,
+fut le seul remerciement de Valentine. L'idée de posséder bientôt ce
+charmant ouvrage, qui ne pouvait avoir été fait ou commandé que pour
+elle, remplit son ame d'une douce joie. Quelle manière ingénieuse,
+se disait-elle, de m'assurer de son souvenir; et comment pourrais-je
+oublier celui qui se rappelle sans cesse à mon coeur par tant de
+preuves d'amour!
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXVIII.
+
+
+A l'heure indiquée, on se rendit chez la princesse de L... Dès les
+premières marches du palais, on sentait le parfum des fleurs; les
+vestibules étaient ornés de caisses remplies d'arbustes étrangers,
+de plantes odoriférantes. Chacun de ces tributs semblait avoir été
+déposé par la reconnaissance. Enfin, on y voyait jusqu'au bouquet
+des pauvres de la paroisse.
+
+Arrivées dans le sallon qui précédait celui de la princesse, madame
+de Réthel et Valentine se trouvèrent au milieu d'un petit bal
+d'enfants dont les cris joyeux l'emportaient sur le bruit de
+l'orchestre. Il y avait un grand désordre dans la marche des
+contredanses; et, malgré les efforts d'un petit monsieur qui, l'épée
+au côté et la tête droite, semblait commander d'une voix enrouée à
+toute une armée, la déroute était complète, et le maître à danser se
+désespérait de voir ses élèves sauter et se divertir ainsi contre
+toutes les règles de l'art. Ce fut encore bien pis lorsque Isaure
+laissant-là son danseur, vint se jeter dans les bras de sa tante. Le
+plaisir que Valentine éprouva en l'embrassant fut un peu troublé par
+l'idée qu'elle allait probablement rencontrer sa mère. Elle aurait
+préféré le plaisir de rester toute la soirée dans cette petite
+réunion, à l'honneur de s'offrir aux regards d'une plus grande
+assemblée. Elle frémissait déja de l'effet qu'allait produire son
+entrée dans le sallon de la princesse, et tâchait par mille
+prétextes d'en reculer l'instant, mais le commandeur qui devinait sa
+pensée vint lui prendre la main; elle entendit annoncer «Madame la
+marquise de Saverny»; elle fut bien obligée de paraître. A ce nom,
+le silence de l'étonnement régna dans l'assemblée; chacun se
+retourna pour voir s'il était bien vrai que la marquise reparût
+tout-à-coup dans le monde, après s'en être éloignée si long-temps.
+La princesse ayant remarqué le mouvement qui s'était fait à
+l'arrivée de Valentine, se leva pour aller au-devant d'elle, et la
+conduisit, ainsi que madame de Réthel, à des places qui avaient été
+réservées à côté de la sienne. Cette aimable attention toucha
+sensiblement Valentine; elle pensa que la princesse avait appris les
+mauvais procédés dont elle avait souffert la dernière fois qu'elle
+s'était trouvée dans une semblable réunion, et qu'elle voulait la
+protéger par les marques d'une considération particulière contre
+l'impertinence de ses ennemis. En pensant ainsi, elle rendait
+justice à la princesse, et ne se doutait pas que l'influence de
+l'opinion d'une personne aussi respectable dût ramener celle de
+tous les gens raisonnables. En effet, tous ceux que les manières
+inconsidérées et l'ironie continuelle de madame de Nangis
+commençaient à importuner, trouvèrent assez simple que sa
+belle-soeur eût témoigné le desir de ne plus vivre avec elle, et
+finirent par conclure qu'une femme honorée par la constante amitié
+de la princesse de L..., et par l'attachement du commandeur, ne
+pouvait être indigne de l'estime des gens comme il faut. D'après ce
+raisonnement, plusieurs personnes vinrent s'informer, d'un ton
+respectueux, des nouvelles de madame de Saverny, et se plaindre de
+son goût pour la retraite, qui les privait aussi long-temps du
+plaisir de la voir. Madame de Nangis, placée en face, de l'autre
+côté du salon, voyait avec humeur les marques de considération que
+l'on donnait à Valentine, et mettait tous ses soins à cacher le
+dépit qu'elle en ressentait, par les signes d'une gaîté factice.
+Cherchant par différents moyens à détourner l'attention favorable
+qui se portait sur sa belle-soeur, elle demanda la lecture des vers
+dont chaque poëte, invité à la fête, s'était cru obligé
+d'accompagner son bouquet. A cette proposition, les plus modestes
+réclamèrent l'avantage de passer les premiers, pour s'épargner,
+disaient-ils, le désagrément d'arriver après un succès. Le fait est
+qu'ils savaient bien à quoi s'en tenir sur la nouveauté de leurs
+pensées à tous, et qu'ils préféraient le plaisir de les dire, à
+l'ennui de les répéter.
+
+Déja plusieurs d'entre eux avaient assiégé l'Olympe pour en
+rapporter les comparaisons les plus exagérées, et l'on commençait à
+s'ennuyer de ce cours de Mythologie, lorsque le chevalier de
+Florian, et le chevalier de Boufflers, vinrent au secours des
+auditeurs, l'un avec une fable ingénieuse, l'autre avec des couplets
+charmants. Ceux que le premier avait attendris par les traits d'une
+sensibilité touchante étaient transportés par l'esprit piquant et la
+gaîté de l'auteur d'Aline; il est vrai que son nom et son état dans
+le monde lui donnaient les moyens de faire valoir à son gré tous
+les agréments de son esprit. Quand un homme de la cour se donne la
+peine d'avoir des talents, et qu'il daigne y joindre quelque
+instruction, ses succès n'ont plus de bornes, il peut prendre à son
+choix tous les tons; sa gravité passe pour celle d'un homme d'état,
+et sa gaîté ne paraît jamais trop familière; tandis qu'un pauvre
+poëte est toujours obligé de soumettre son talent au ton de la
+flatterie.
+
+On croit peut-être qu'après les applaudissements si justement
+prodigués aux jolis couplets du chevalier de Boufflers, personne
+n'osa plus se présenter pour en chanter d'autres. Mais s'il y a des
+gens qui ne doutent de rien dans le monde, c'est bien sûrement dans
+la classe des feseurs de madrigaux qu'on peut les rencontrer. Un des
+plus intrépides entamait déja son préambule, lorsque la princesse,
+fatiguée du retour de ces éternelles rimes: _de la fête, qu'on
+apprête, et de l'ivresse, de la tendresse_, vint en suspendre le
+cours en priant le comte d'Émerange de chanter quelques romances.
+C'était prévenir ses desirs; et il se rendit aussitôt à ceux de la
+princesse. En préludant sur le piano, ses yeux se portèrent sur
+madame de Saverny, et il la regarda d'une manière qui semblait dire
+à chacun: C'est d'elle que je vais vous parler. Lorsque le plus
+profond silence l'eut assuré de l'attention générale, il commença
+cette romance de M. de Moncrif, qui n'était alors connue que de ses
+intimes amis, et dont voici le premier couplet:
+
+ Elle m'aima cette belle Aspasie,
+ En moi trouva le plus tendre retour;
+ Elle m'aima: ce fut sa fantaisie;
+ Mais celle-là ne lui dura qu'un jour.
+
+La malignité fit bientôt l'application de ces paroles à madame de
+Saverny. Les chuchotements des femmes et cet empressement à mettre
+leur éventail devant leur visage pour cacher un rire moqueur que
+décelait leur attitude, apprirent sans peine à la marquise le succès
+qu'obtenait la fatuité du comte. Elle résolut de la déjouer, en
+dissimulant l'embarras qu'elle en ressentait, et fit bonne
+contenance. La joie que montra madame de Nangis dans cette
+circonstance, et son affectation à conjurer M. d'Émerange de
+recommencer cette romance dont les paroles étaient si piquantes,
+déplurent à beaucoup de personnes, et particulièrement à la
+princesse, qui fit changer sur-le-champ la conversation, en
+demandant à Valentine si elle avait été à l'exposition du Louvre.
+Dès-lors la discussion s'engagea sur le mérite des peintres modernes
+et de leurs ouvrages, et il ne fut plus question de musique.
+
+On ne tarda pas à parler de ce tableau qui fesait tant de bruit, et
+chacun s'étonna de n'en pouvoir connaître l'auteur. «C'est,
+m'a-t-on assuré, dit la baronne de T..., l'ouvrage d'un amateur.--Un
+amateur de cette force, reprit une autre, sera bientôt connu.--Mais
+il y a quelqu'un ici, reprit un troisième, qui pourra nous tirer
+d'incertitude; c'est le marquis d'Alvaro. Je lui ai entendu dire
+qu'il avait vu l'esquisse de ce tableau dans l'atelier d'un amateur
+de ses amis.»--Il faut absolument qu'il nous dise son nom, s'écria
+tout le monde; et plusieurs personnes s'empressèrent d'aller
+chercher le marquis d'Alvaro, qui fesait une partie d'échecs dans
+une pièce voisine. Si le coeur de Valentine avait battu dès les
+premiers mots qui s'étaient dits sur ce tableau, on peut s'imaginer
+l'agitation où elle se trouva pendant que l'on cherchait le marquis
+d'Alvaro, et le tremblement qui la saisit en le voyant paraître.
+D'abord, on lui adressa cent questions à-la-fois; ce qui ne lui
+permit d'en distinguer aucune. Mais la princesse lui ayant expliqué
+ce qu'on desirait savoir de lui, il répondit que ce tableau, qui
+excitait si vivement la curiosité, était l'ouvrage du jeune duc de
+Linarès, dont le talent en peinture égalait celui des plus grands
+professeurs. Quoi! s'écria la princesse, c'est le parent de
+l'ambassadeur d'Espagne? ce jeune Anatole, si beau, si spirituel,
+qui est sourd-muet de naissance?... Valentine n'en entendit pas
+davantage. Un froid mortel circula dans ses veines; sa tête se
+pencha vers madame de Réthel; et elle perdit connaissance.
+
+Cet événement causa un effroi général; on transporta Valentine sur
+le lit de la princesse, où les plus prompts secours lui furent
+prodigués par le docteur P... qui se trouvait présent. Il ordonna
+que chacun se retirât pour laisser respirer la malade, et ne laissa
+près d'elle que la princesse et madame de Réthel. Lorsque Valentine
+reprit ses sens, un violent accès de fièvre se déclara, et le
+docteur craignit que ce ne fût le symptôme d'une véritable maladie;
+il insista pour que la marquise restât à Paris, en disant qu'il
+serait plus à portée de lui donner ses soins. La princesse joignit
+ses instances à celles du docteur pour la déterminer à accepter un
+appartement chez elle; mais rien ne put faire renoncer Valentine au
+projet de retourner le soir même à Auteuil; et l'on fut obligé de
+céder à sa volonté. Elle pria madame de Réthel d'avertir son oncle
+qu'elle était décidée à partir sur-le-champ. Elle adressa d'une voix
+éteinte ses remerciements à la princesse, lui serra tendrement la
+main, promit au docteur de suivre ses avis, et se fit porter dans sa
+voiture. Elle arriva bientôt à Auteuil. Le commandeur et sa nièce
+qui l'avaient accompagnée, passèrent la nuit auprès d'elle. Ils
+l'engagèrent vainement à prendre quelque repos; ses sens étaient
+agités, ses yeux égarés, sa tête en délire; mais, au milieu de ses
+souffrances, l'ardeur de la fièvre la délivrait au moins du tourment
+de penser.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIX.
+
+
+«L'auriez-vous jamais deviné? s'écria madame de Nangis, lorsqu'elle
+se trouva seule avec M. d'Émerange, en sortant de chez la princesse.
+Vraiment je conçois qu'on en meure de surprise. Voilà une découverte
+bien autrement dramatique que celle de madame de V...., lorsqu'elle
+reconnut son amant dans un marchand d'étoffes. C'est quelque chose
+de fort glorieux sans doute que d'inspirer de l'amour à un jeune
+homme beau, riche, et qui, par-dessus tout cela, porte le nom de duc
+de Linarès. Mais c'est acheter un peu cher ce grand avantage, que
+d'être réduite au plaisir de faire signe à son amant, qu'on
+l'aime.--Au moins peut-on compter sur sa discrétion, dit en riant le
+comte.--Vous vous trompez, reprit la comtesse, on n'est pas plus en
+sûreté avec ces muets-là qu'avec vous. Depuis que l'abbé de l'Épée
+s'est imaginé de leur donner une éducation savante, ils se
+dédommagent du malheur de ne pouvoir bavarder par la manie
+d'écrire; et la seule différence qui existe entre leurs billets et
+les propos d'un indiscret, est celle de la preuve au soupçon.
+Celui-ci vous en offre un exemple, et sa lettre à Valentine
+vous en a certainement plus dit que toutes les conversations
+possibles.--Rien n'était plus clair, j'en conviens; et si je
+connaissais quelques moyens de me faire entendre aussi clairement de
+ce beau silencieux, je ne me refuserais point la petite satisfaction
+de lui prouver ma reconnaissance.--Quelle folie! n'allez vous pas
+chercher à vous battre avec un pauvre infirme?--Ah! quand je lui
+couperais un peu les oreilles, pour ce qu'il en fait, il n'y aurait
+pas grand dommage.--Allons donc, ce serait une lâcheté; voulez-vous
+qu'on dise dans le monde que vous vous êtes battu avec un muet pour
+ses propos? Il y aurait là de quoi vous couvrir d'un ridicule
+éternel.--Cependant, il m'a grièvement insulté!--Bah! qui s'en
+doute?--Mais, lui et moi, par exemple, et cela suffit bien.--Si l'on
+est convenu d'excuser les injures d'un rival ordinaire, on doit
+encore moins se blesser de celles d'un pauvre homme qui ignore
+peut-être la valeur des mots dont il se sert. Qui sait? Dans le
+langage de l'abbé de l'Épée, _fat_ veut peut-être dire, _amant
+heureux_?--Oui, tout aussi bien que _Belmen_ veut dire en turc,
+pour M. Jourdain: _Allez vîte vous préparer pour la cérémonie, afin
+de voir ensuite votre fille, et de..._--Ah! vous êtes insupportable,
+interrompit la comtesse, en éclatant de rire; on ne saurait parler
+raison un instant avec vous.--C'est votre faute, vraiment, en
+cherchant à me mystifier avec votre langage muet, vous me rappelez
+tout naturellement la meilleure mystification que je connaisse en ce
+genre. Mais, puisque vous l'exigez, parlons sérieusement. Que
+pensez-vous du résultat de ce coup de théâtre qui a fait tant de
+sensation ce soir chez la princesse?--Mais je ne serais pas étonnée
+que, ce premier moment de surprise une fois passé, Valentine ne
+s'accoutumât petit à petit à l'idée d'aimer un homme de cette
+espèce: il est passionné; elle est romanesque, et s'il lui est bien
+prouvé qu'aucune femme ne puisse être capable d'un pareil
+dévouement, vous verrez qu'elle en fera la folie.--C'est ce qu'il
+faut empêcher au nom de l'humanité; mais je m'en rapporte bien à M.
+de Nangis pour cela. Vraiment, je regrette qu'il n'ait pas retardé
+de deux jours son départ pour la campagne; j'aurais voulu voir de
+quel air il eût appris cette étrange nouvelle!--Ah! je puis vous
+assurer que le nom du duc de Linarès aurait seul captivé son
+intérêt, et qu'il ne se serait point embarrassé du reste. Dans son
+opinion, il est si convaincu qu'il ne manque jamais rien à un grand
+seigneur pour rendre une femme heureuse!--Ah! vous le vantez, et je
+ne saurais jamais lui supposer tant de respect pour les grandeurs.
+C'est une vertu de parvenus....--Dont beaucoup de gens de qualités
+sont susceptibles, interrompit la comtesse. Mais si vous doutez de
+l'exactitude de mon jugement sur M. de Nangis, venez vous en
+convaincre en lui apprenant vous-même le nom et les agréments du
+rival à qui sa soeur vous sacrifiait.--Quoi! vous voulez
+sitôt...?--Vous savez à quelle condition j'ai promis de rejoindre le
+comte à Varennes, et s'il me serait possible d'aller m'enterrer à la
+campagne seule avec lui; c'est uniquement à vos sollicitations que
+j'ai cédé, en consentant à partir cette semaine: j'ai déja prévenu
+toutes les personnes qui doivent m'accompagner; mais si vous n'êtes
+pas du nombre, je reste. Enfin, je ne tiendrai ma parole qu'autant
+que vous serez fidèle à la vôtre. Cette déclaration intimida M.
+d'Émerange. Il promit à la comtesse de partir avec elle pour sa
+terre, en se réservant un prétexte de revenir à Paris où différents
+intérêts le rappeleraient bientôt. Le plus vif était bien
+certainement de savoir quel parti allait prendre madame de Saverny
+dans cette circonstance. Il lui semblait impossible que son amour
+résistât au coup qui venait de lui être porté. Braver les
+convenances, les obstacles, les devoirs les plus sacrés, lui
+paraissait l'effort d'un courage ordinaire; mais braver le ridicule,
+était à ses yeux le comble de l'héroïsme; et, malgré toute
+l'admiration que lui inspirait le caractère de Valentine, il ne la
+supposait point capable d'une vertu qu'il regardait comme au-dessus
+de l'humanité.
+
+Le bruit de la maladie de la marquise étant parvenu à madame de
+Nangis, elle se contenta d'envoyer savoir de ses nouvelles; et,
+comme on lui fit répondre au bout de quelques jours qu'elle était
+hors de danger, la comtesse partit pour la campagne, suivie d'une
+partie de sa cour. Fière d'entraîner à son char M. d'Émerange, elle
+ne s'occupa que des moyens de l'enchaîner près d'elle par l'attrait
+des plaisirs les plus variés; mais combien il entre d'amertume dans
+cette peine continuelle de rechercher des plaisirs étrangers à
+l'amour, pour retenir près de soi l'objet qu'on aime! et qu'il est
+douloureux de s'avouer qu'on ne doit ses succès qu'à son _adresse_ à
+plaire! Oui, le tourment de sacrifier au devoir un amant justement
+adoré, vaut mieux que le triste bonheur de captiver quelques
+instants un infidèle.
+
+
+
+
+CHAPITRE XL.
+
+
+Après huit jours de fièvre, Valentine revint à la santé, et au
+souvenir de ses peines. Mais l'affaiblissement qui suit la maladie
+calme aussi les idées, et l'on croirait qu'après avoir ainsi
+approché de la mort, l'ame renaît dégagée des illusions qui égarent
+dans la vie. Ce repos des sens, que produit la raison, n'est pas
+toujours de longue durée; et Valentine en desira profiter pour
+entendre du commandeur le récit de tout ce qui lui restait encore à
+apprendre sur Anatole. M. de Saint-Albert voulut d'abord se
+justifier, par le serment qui l'engageait, du secret qu'il avait
+gardé envers elle. Mais Valentine lui ayant répondu que sa
+discrétion était un titre de plus à l'estime qu'elle lui portait, il
+lui dit: «Vous avez raison de m'en louer, car elle m'a bien coûté;
+mais vous allez voir si je pouvais moins faire pour l'être que
+j'aime le plus au monde.
+
+J'avais vingt-huit ans, une fortune médiocre, et le peu d'avantages
+que vous me connaissez, lorsque je devins passionnément amoureux de
+la fille du marquis de Belduc. Sa beauté a fait tant de bruit dans
+le temps, que M. de Saverny vous en aura peut-être parlé. Les
+attraits qui captivaient les hommages d'un grand nombre
+d'adorateurs, ne m'auraient pas séduit, si l'intimité de son père
+avec toute ma famille ne m'avait fourni les occasions de la voir
+souvent, et de me convaincre qu'il était possible de réunir les
+qualités d'une ame sensible aux ornements d'un esprit supérieur, et
+tous les charmes de la modestie à ceux de la figure. Cette
+découverte décida du destin de ma vie; je me reprochai le temps que
+j'avais perdu dans ce commerce de galanterie, où plusieurs femmes
+s'étaient livrées au plaisir de me trahir sans se donner la peine de
+me tromper, et je consacrai tous mes instants au soin de prouver à
+Mélanie que je ne vivais que pour elle. Son coeur me devina bientôt,
+et répondit au mien. Modestie à part, je ne puis expliquer cette
+préférence que par l'excès de mon amour; car, dans le nombre de mes
+rivaux, il y en avait de très-séduisants; et je crois que s'ils
+avaient pu se résoudre à s'aimer un peu moins eux-mêmes, ils
+auraient été plus aimés que moi.
+
+Lorsque je reçus l'aveu de Mélanie, je me crus roi de l'univers, et
+je défiai toutes les puissances du monde de s'opposer à
+l'accomplissement de notre bonheur mutuel. Nous en avions déja fixé
+l'époque; et, comme nous formions tous ces projets sous les yeux de
+nos parents, nous ne doutions pas de leur consentement. Mais le
+marquis de Belduc ne nous laissa pas long-temps jouir d'une si
+douce illusion: il entra un matin chez sa fille, l'embrassa plus
+tendrement qu'à l'ordinaire, et lui déclara qu'il touchait enfin au
+moment de voir son ambition satisfaite. Ce début glaça l'ame de
+Mélanie; elle pressentit nos malheurs; et ce fut avec tous les
+signes d'un profond désespoir qu'elle apprit de son père qu'il
+venait de promettre sa main au duc de Linarès. Mélanie, insensible à
+l'honneur de devenir la femme d'un Grand d'Espagne, osa le refuser.
+Son père, furieux, l'accusa de caprice; elle crut se justifier en
+avouant notre amour. En effet, cette nouvelle fut assez bien
+accueillie de son père; il approuva son choix tout en déplorant la
+nécessité de le sacrifier aux grands intérêts de sa famille, et
+finit par lui dire qu'il connaissait assez la noblesse de mes
+sentiments pour attendre de moi la soumission qui servirait
+d'exemple à Mélanie. A peine eut-il terminé cet entretien, qu'il se
+rendit chez moi, et commença sans préambule le récit de ce qui
+venait de se passer entre sa fille et lui.--«J'ai répondu de votre
+honneur, ajouta-t-il, et ne crois pas m'être trop engagé en assurant
+ma fille que vous étiez incapable d'abuser de votre empire sur son
+coeur pour l'encourager dans une désobéissance qui détruirait mon
+bonheur sans accomplir le vôtre. Vous savez comme moi le résultat de
+ces mariages d'inclination qui font d'abord le désespoir des
+parents, et bientôt après celui des époux. D'ailleurs, avec Mélanie,
+vous n'auriez même pas la ressource de tenter cette folie; elle est
+trop attachée à ses devoirs pour que la passion la plus vive l'égare
+au point de se déshonorer. Mais vous pouvez la rendre malheureuse
+toute sa vie: dites-lui que le sublime de l'amour est de résister
+aux obstacles; qu'elle doit refuser le plus beau sort pour vivre
+d'un sentiment dont la constance finira par m'attendrir. Elle croira
+toutes ces belles phrases, persistera dans son refus; je
+l'enfermerai au couvent; elle y prendra le voile; et je partirai
+pour Saint-Domingue, où j'irai vivre du produit de la seule
+habitation qui me reste.» J'essayai vainement d'opposer à toutes
+ces raisons les intérêts de notre amour et le bonheur que je
+trouverais à donner ma fortune à Mélanie, sans rien attendre de
+celle de son père. Il répondait à tout: «Je suis ruiné: le duc de
+Linarès, épris de Mélanie, consent à l'épouser sans dot: il a déjà
+obtenu de son souverain la promesse d'un gouvernement qu'il me
+destine; vous voyez que ce mariage, en plaçant ma fille au rang le
+plus distingué, illustre ma maison et répare ma fortune. Jugez
+maintenant si un galant homme peut se permettre de priver toute une
+famille d'aussi grands avantages, sans s'exposer aux reproches de sa
+conscience, et même à ceux de la femme qu'il rendrait victime de
+son amour.» Ce dernier argument l'emporta sur tous les autres.
+L'honneur parut m'ordonner ce grand sacrifice. Je le promis au
+marquis; et je tins parole.
+
+Je ne vous dirai pas ce qu'il m'en coûta pour déterminer Mélanie à
+se soumettre aux ordres de son père. Dès que j'eus obtenu de son
+amour la promesse de m'oublier, je m'enfuis en Angleterre pour
+n'être pas témoin de ce fatal mariage. Quelques mois après, je
+passai à Malte, où je prononçai des voeux dictés par le désespoir.
+Lorsque je revins en France au bout de deux ans, Mélanie était en
+Espagne: j'appris qu'elle était mère, et qu'elle devait peut-être
+la vie à son enfant; car, lors de son départ de Paris, elle était
+atteinte d'une maladie de langueur qu'elle ne voulait combattre
+d'aucune manière. Le desir de conserver son enfant fut le seul motif
+qui l'engagea à prendre quelque soin de sa santé; et je crois que
+c'est à cette maladie qu'on doit attribuer l'infirmité d'Anatole. On
+fut quelque temps sans s'en apercevoir, et plus encore à espérer
+pour lui un heureux changement. Il paraissait impossible que la
+nature, en comblant cet enfant de ses dons les plus précieux, eût
+voulu en détruire l'effet par la privation la plus cruelle. Le duc
+de Linarès, après avoir mis à bout la science de tous les médecins
+d'Espagne, se décida à venir consulter ceux de Paris. C'est alors
+que je revis Mélanie; elle me présenta à son mari en lui disant:
+«Voici un ancien ami de ma famille, je l'aime comme un frère;» et
+tout me prouva à mon grand regret la sincérité de cet aveu. L'amour
+maternel remplissait uniquement le coeur de Mélanie, et j'aurais pu
+penser qu'elle avait perdu jusqu'au souvenir de ma passion pour
+elle, si le nom d'Anatole qu'elle avait donné à son fils, ne m'avait
+prouvé que ce nom, qui est le mien, lui était encore cher. Un
+sentiment très-blâmable et très-commun chez la plupart des hommes,
+me fit tenter plusieurs moyens de ranimer dans le coeur de Mélanie
+l'amour qu'elle avait sacrifié au devoir; mais ce coupable projet
+faillit me coûter jusqu'à l'estime de Mélanie; je n'obtins le pardon
+d'en avoir conçu l'idée que par le serment d'y renoncer à jamais, et
+plus encore peut-être par le penchant qui m'entraînait à partager sa
+tendresse pour son fils. Dès-lors l'état de cet aimable enfant
+devint l'objet de toutes mes sollicitudes; je fis plusieurs voyages
+dans la seule intention de courir après de prétendus docteurs dont
+les journaux attestaient les miracles, et dont les consultations
+prouvaient l'ignorance. Enfin, lorsqu'il nous fut bien démontré
+qu'il n'existait aucun moyen de guérir de cette infirmité, nous
+prîmes le parti de chercher à en triompher, en confiant Anatole aux
+soins de ce bienfaiteur de l'humanité, dont les élèves sont autant
+de prodiges. L'abbé de l'Épée fut bientôt frappé des dispositions
+inouies d'Anatole; il prédit tout ce qu'il serait un jour; mais,
+pour accomplir une éducation qui lui promettait tant de succès, il
+exigea du duc et de la duchesse de Linarès une entière confiance, et
+la promesse de ne déranger par aucune distraction le plan qu'il
+formait pour son élève. Comme la faiblesse de Mélanie ne lui aurait
+pas permis de tenir cet engagement dans toute la rigueur nécessaire,
+elle consentit à retourner avec son mari en Espagne, après m'avoir
+fait jurer de veiller sur son fils aussi tendrement que s'il était
+le mien. C'est à ce devoir sacré que j'ai dû toutes les consolations
+de ma vie. Avec quel plaisir je rendais compte à cette tendre mère
+de tous les progrès de son enfant! Et comment vous peindrai-je la
+joie qui pénétra mon ame, lorsqu'après dix années d'absence, je
+conduisis cet aimable jeune homme dans les bras de sa mère. Je crus
+qu'elle succomberait à l'excès de son bonheur, en retrouvant dans
+son fils la sensibilité, l'esprit, et toutes les qualités qui le
+mettent au rang des gens les plus aimables. Dans sa reconnaissance
+pour l'abbé de l'Épée, elle aurait voulu pouvoir lui faire accepter
+sa fortune entière; mais on sait que le désintéressement de ce
+philosophe égalait sa bienfesance. A cette époque, je fus rappelé en
+France pour le mariage de ma nièce, et quelques affaires de famille,
+dont le résultat vint augmenter de beaucoup ma fortune. J'appris,
+peu de temps après, la mort du duc de Linarès, et la faveur dont le
+roi d'Espagne venait d'honorer son fils, en employant ses talents
+dans la diplomatie. Il avait alors vingt ans, et le séjour de la
+cour commençait à devenir dangereux pour lui; plusieurs des femmes
+qu'il y rencontrait sans cesse, affectaient d'abord de le traiter
+avec le dédain ou la protection qu'on a pour un infirme; mais
+s'apercevant bientôt que ce défaut était racheté par les agréments
+et les qualités les plus séduisantes, on les voyait changer de
+manières et devenir aussi prévenantes pour lui qu'elles avaient paru
+dédaigneuses. Sa fierté naturelle le garantit quelque temps des
+pièges de la coquetterie; il sentait que dans sa position le succès
+pouvait seul mettre à l'abri du ridicule, et son coeur n'étant pas
+encore atteint, il triomphait sans peine du trouble de son
+imagination; mais quand on n'est soutenu dans sa sagesse que par la
+crainte d'un revers, on doit facilement succomber à la certitude de
+réussir: et c'est ce qui arriva. Anatole, se trouvant un soir chez
+la reine, reçut deux mots tracés au crayon sur l'éventail de la
+jolie comtesse d'Alméria. Cette jeune veuve, aussi emportée dans ses
+desirs, qu'inconstante dans ses affections, avait imaginé que le
+plus sûr moyen de lui inspirer une passion folle, était de
+l'attacher par la reconnaissance. L'idée de captiver tous les
+sentiments d'un homme que son malheur et ses avantages rendaient
+également intéressant, flattait son amour-propre. Ce caprice lui
+présentait tous les charmes d'une liaison piquante, qui pouvait se
+changer en attachement sérieux, et devenir le but de son ambition,
+après avoir été celui de son amusement. Mais la duchesse de Linarès,
+qui redoutait l'empire qu'une femme de ce caractère pourrait exercer
+sur le coeur exalté de son fils, mit tous ses soins à l'éloigner
+d'elle. L'état de sa santé lui en fournit bientôt l'occasion. A la
+suite d'une maladie grave, les médecins ordonnèrent à la duchesse
+les eaux de Pise, et son fils s'empressa de l'y accompagner. Quelque
+temps après le départ d'Anatole, la comtesse Alméria le punit du
+tort d'être absent. C'était un crime qui n'obtenait jamais grace à
+ses yeux. Le bruit de sa vengeance parvint bientôt à la duchesse;
+elle en instruisit Anatole avec tous les ménagements convenables, et
+fut très-étonnée de le trouver beaucoup plus modéré dans ses regrets
+qu'elle ne l'aurait espéré. La précipitation avec laquelle il avait
+obtenu son bonheur lui avait souvent donné l'idée qu'il pourrait le
+perdre de même; et d'ailleurs cette félicité fugitive avait plus
+enivré ses sens, que pénétré son ame. Loin d'éprouver ce vide
+affreux où laisse l'abandon du seul objet qu'on puisse aimer au
+monde, quelque chose l'avertissait que la perte d'une femme, qui
+n'était que jolie, se réparait facilement par la possession d'une
+autre; et il fut bientôt convaincu de cette vérité, lorsque les
+préférences de plusieurs belles Italiennes vinrent achever de le
+distraire du chagrin d'être trahi. La duchesse de Linarès, ravie de
+voir l'effet que produisait sur son fils le séjour de l'Italie,
+résolut de s'y fixer quelques temps. Elle se rendit à Rome dans
+l'intention d'y passer l'hiver; mais lorsque le printemps vint
+parer de sa verdure les beaux sites et les ruines dont raffolait
+Anatole, il fut impossible de l'arracher de cette terre de
+souvenirs. Son imagination s'enflamma à l'aspect de tant de
+merveilles; le desir de les chanter et de les retracer le rendit
+peintre et poëte; et il se livra aux arts avec toute la passion de
+son caractère. Mais, comme ce genre d'étude est celui qui dispose le
+mieux un coeur tendre aux impressions de l'amour, on le vit bientôt
+tomber dans des accès de mélancolie qui menaçaient d'altérer sa
+santé. Sa mère s'en inquiéta, et voulut en savoir la cause. C'est
+alors qu'il lui fit l'aveu du sentiment pénible qui attristait son
+ame, en pensant que le ciel l'avait condamné à ne jamais goûter
+l'unique bonheur qui lui fesait envie. Je n'ai rien lu de plus
+touchant que la lettre où il demandait pardon à sa mère d'oser
+desirer la tendresse d'une autre femme, lorsqu'il était l'objet de
+son amour maternel. Mais, lui disait-il, peignez-vous le désespoir
+d'un coeur dévoré du besoin d'aimer, sans jamais pouvoir prétendre à
+inspirer le moindre retour. Quoi! ce délire enchanteur dont je vois
+partout les traces, ce feu qui anima le Tasse et Pétrarque, cette
+reconnaissance divine qui naît des faveurs d'un sentiment partagé;
+enfin, tous ces bienfaits de l'amour, je ne les connaîtrai jamais:
+réduit au misérable avantage de profiter d'un instant de caprice, ou
+des calculs de l'intérêt, je dois mourir sans rencontrer un coeur
+qui réponde jamais aux battements du mien. La duchesse affligée de
+le voir se livrer ainsi aux idées d'un malheur sans espoir, imagina
+de distraire Anatole par un voyage à Paris. Elle le chargea d'y
+faire l'acquisition d'une terre qu'elle viendrait habiter aussitôt
+qu'elle aurait obtenu de la reine d'Espagne la permission de se
+retirer de la cour. Ce fut par pure obéissance qu'Anatole se sépara
+de sa mère pour se rendre ici, suivi de son ancien gouverneur. Ils
+me remirent une lettre de la duchesse qui m'instruisait de ses
+craintes sur son fils, et le confiait encore une fois à mes soins.
+Vous devinez sans peine avec quel plaisir je les lui prodiguais. En
+recherchant toutes les occasions de le distraire, je me crus
+simplement inspiré par le desir d'accomplir les volontés d'une femme
+chérie; mais bientôt, captivé par tout ce qu'Anatole a d'aimable, je
+sentis que son bonheur était indispensable au mien, et dès ce moment
+je ne m'occupai plus que des moyens de l'assurer. L'acquisition du
+château de Merville fut celui qui me réussit le mieux. Anatole
+s'obstinait à fuir les plaisirs du grand monde. Vainement
+l'ambassadeur d'Espagne, son parent, l'ancien ami de son père,
+voulut le présenter dans les maisons les plus agréables de Paris.
+Excepté à la cour, où il consentit à le suivre quelquefois, il
+refusa de l'accompagner dans les endroits où ses manières et son
+rang lui promettaient l'accueil le plus flatteur. Dans cette
+disposition d'esprit, le séjour de la campagne lui parut le seul
+convenable à ses goûts. Il s'y fixa pour faire exécuter sous ses
+yeux le plan tracé par lui, et qui devait rendre Merville un des
+plus beaux lieux de la France. Le soin d'embellir la retraite
+destinée à sa mère parvint à le distraire, pendant plusieurs mois,
+de ses tristes rêveries; mais j'en prévoyais le retour, et je
+cherchais à l'éloigner en attirant Anatole à Paris sous différents
+prétextes. Ses amis se joignaient à moi pour imaginer sans cesse de
+nouveaux motifs de l'y retenir: mais nous commencions à nous voir au
+bout de nos ressources en ce genre, lorsqu'un soir, d'heureuse ou
+fatale mémoire, dit le commandeur en fixant les yeux sur Valentine,
+je vis entrer chez moi M. de Selmos, cet ancien gouverneur
+d'Anatole, la pâleur sur le front, et dans tout le désordre d'un
+homme qui vient annoncer une affreuse nouvelle. L'excès de sa
+douleur ne lui permit pas de me préparer au spectacle qui allait me
+frapper, et je pensai mourir d'effroi en voyant déposer sur mon lit
+le corps inanimé de ce pauvre Anatole. Le désespoir de son
+gouverneur, les larmes que répandaient ses gens, tout me persuada
+qu'il n'existait plus, et je frémis encore du souvenir de ce qui se
+passa dans mon ame à cette horrible idée. Mais le chirurgien qu'on
+avait fait appeler vint me rendre la vie en m'assurant que le malade
+ne tarderait pas à revenir de l'évanouissement où l'avait plongé la
+violence du coup qu'il avait reçu. En effet, Anatole ouvrit bientôt
+les yeux: son premier mouvement fut de me tendre la main, ensuite il
+la porta sur sa blessure, en me fesant signe qu'elle n'était point
+dangereuse. Cependant il avait l'épaule cassée, et une forte
+contusion à la poitrine. On le saigna après avoir pansé sa blessure,
+et je fus étonné de voir son visage conserver, au milieu des
+souffrances les plus aiguës, une expression de bonheur que j'y
+remarquais pour la première fois. Impatient d'expliquer ce mystère,
+je questionnai M. de Selmos, qui me raconta ce qui venait de se
+passer à l'Opéra. Quand j'appris que c'était pour vous que mon ami
+venait de risquer sa vie, et peut-être celle de sa mère; je vous en
+demande pardon, Valentine, je me fis le reproche de lui avoir peint,
+trop fidèlement, le plaisir que j'avais eu à vous rencontrer, et
+celui que je trouvais chaque jour à découvrir autant de sensibilité
+que de modestie dans une femme que son esprit et sa beauté auraient
+pu rendre vaine. Je me reprochai surtout de lui avoir dit qu'il
+existait entre vous et la duchesse de Linarès, une ressemblance qui
+me rappelait sa mère à votre âge. Car, à dater de ce moment, il ne
+chercha plus qu'une occasion de vous voir; le hasard la lui fourni
+bientôt; et j'ai su qu'il avait déja joui plusieurs fois du plaisir
+de vous admirer avant d'avoir eu le bonheur de vous secourir.
+
+La joie qu'il ressentait de vous avoir peut-être sauvé la vie,
+approchait du délire; je tentai vainement de lui persuader que sa
+blessure exigeait le plus parfait repos: il voulut être transporté
+sur le champ à Merville, pour mieux cacher les suites de cet
+événement; et, après m'avoir déclaré que son existence entière
+tenait au secret qu'il voulait garder auprès de vous, il défendit à
+ses gens de dire un mot de ce qui lui était arrivé a la sortie de
+l'Opéra. Le chirurgien reçut la même recommandation, et je le
+décidai à nous suivre à Merville, pour y soigner Anatole jusqu'à son
+parfait rétablissement. Ce voyage ne parut pas augmenter les
+souffrances du malade, ou du moins il n'osa point s'en plaindre.
+Pour obtenir de lui quelque soumission aux ordres du docteur,
+j'étais obligé de lui donner chaque jour de vos nouvelles, et de
+répondre à toutes les questions qu'il ne cessait de me faire sur
+votre compte. Comme son état exigeait une parfaite immobilité, nous
+ne lui permettions aucun signe, mais il s'en vengeait en écrivant au
+crayon sur ses tablettes, des phrases auxquelles je répondais dans
+son langage; ensuite il essayait de tracer un profil dont je
+reconnaissais les traits, et que pour rendre plus frappant il
+effaçait, puis retraçait encore; enfin, je reconnus tous les
+symptômes d'une passion qui allait ranimer sa vie. Je pressentis les
+chagrins qu'elle pourrait lui coûter, et lui en fis un tableau
+effrayant; mais je me sentis forcé de l'approuver, lorsqu'il
+m'assura que tous les tourments de l'amour étaient préférables à cet
+état de langueur qui menaçait d'éteindre toutes les facultés de son
+ame. D'ailleurs il prétendait être fort heureux du seul bonheur de
+vous aimer, pourvu qu'il n'eût jamais à supporter vos dédains.
+L'idée de vous attacher par la reconnaissance, en vous restant
+inconnu, l'égarait au point de croire que, s'il obtenait cette
+faveur, il ne lui resterait plus rien à desirer. Ce sentiment si
+désintéressé, si peu dangereux pour vous, me toucha vivement, et je
+le regardai comme un moyen d'occuper dignement le coeur d'Anatole.
+En pensant ainsi, j'étais loin de me flatter du moindre succès pour
+son amour; mais je dois vous avouer que voyant tout ce que la
+reconnaissance vous inspirait pour lui, je n'ai pas eu le courage
+d'en diminuer l'impression, en vous cachant qu'il était aussi digne
+de votre estime que de votre intérêt; comment aurais-je pu me
+refuser au plaisir de voir ses yeux briller de la plus pure joie,
+quand je lui parlais de vous, comment n'aurais-je pas été entraîné
+par la certitude plus séduisante encore de lui faire passer des
+moments enchanteurs, en lui disant seulement que vous pensiez
+souvent à lui. Ici Valentine leva les yeux au ciel, et le commandeur
+répondit à ce regard en ajoutant: Je sens combien cette complaisance
+vous paraît coupable, mais, avant de blâmer ma conduite, voyez un
+peu ce qui la justifie: d'abord j'étais lié par un serment qui ne
+me permettait pas d'arrêter les conjectures de votre imagination par
+le moindre mot qui aurait pu vous faire soupçonner la vérité; je
+savais que la loyauté du caractère d'Anatole s'opposerait toujours à
+ce qu'il vous trompât, et que, loin de profiter de l'intérêt
+romanesque que son mystérieux amour devait vous inspirer, il vous
+avait avoué qu'un obstacle invincible le condamnait à s'éloigner
+éternellement de vous. Ensuite je vous dirai que cet obstacle, qui
+paraît si insurmontable aux yeux de beaucoup de personnes et
+peut-être aux vôtres, ne me frappait pas de même. Habitué à voir
+Anatole depuis son enfance, je me suis plus occupé des avantages qui
+le distinguent, que de la disgrace qui l'afflige. D'ailleurs, ayant
+appris sans peine son langage, je ne sentais aucun des inconvénients
+de ce malheur; j'étais avec lui comme auprès d'un étranger dont on
+entend la langue, et qui s'exprime avec toute la vivacité d'une
+imagination ardente et d'un esprit supérieur. Combien de fois cette
+conversation originale et piquante m'a-t-elle consolé de l'ennui
+d'un bavardage insipide! Enfin, les moments que j'ai passés près
+d'Anatole sont au nombre des plus heureux de ma vie; et l'on ne doit
+pas s'étonner que, trouvant en lui la réunion de toutes les qualités
+aimables, j'aie pu concevoir un instant l'espérance de le voir aimé.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLI
+
+
+Le récit du commandeur fit rêver long-temps Valentine; elle ne
+l'avait interrompu par aucune réflexion, et n'en fit pas davantage
+après l'avoir attentivement écouté, mais elle adressa à M. de
+Saint-Albert plusieurs questions sur différents petits événements
+qui avaient excité sa surprise, et que l'intimité secrète de
+Saint-Jean et de mademoiselle Cécile lui expliqua bientôt. Le prix
+des innocents services de mademoiselle Cécile, qui se bornait à dire
+à Saint-Jean les projets de sa maîtresse, était tout entier dans
+l'espérance d'épouser ce brave garçon, que son maître récompensait
+généreusement; et Valentine n'osa pas punir des indiscrétions
+qu'elle feignit de regarder comme un excès de confiance amoureuse.
+
+Le commandeur s'apercevant de l'espèce d'abattement où paraissait
+être Valentine, s'excusa de l'avoir fatiguée par un aussi long
+entretien, et voulut se retirer pour lui laisser prendre quelque
+repos; mais elle n'y consentit qu'après lui avoir fait promettre de
+cacher au duc de Linarès quelle avait découvert son secret. Il lui
+en donna l'assurance: Comptez sur ma parole, lui dit-il: j'y serai
+d'autant plus fidèle que je ne saurais vous trahir sans le
+désespérer; jugez-en vous-même. En finissant ces mots, le commandeur
+remit à Valentine la lettre suivante, et il sortit:
+
+ANATOLE, A M. DE SAINT-ALBERT.
+
+«J'apprends, mon excellent ami, que le marquis d'Alvaro vient
+d'exposer, au salon du Louvre, le tableau que je lui avais envoyé
+pour le faire encadrer, et vous l'offrir. Je tremble que cette
+indiscrétion ne me coûte plus que la vie, en apprenant à Valentine
+mon nom et mes malheurs. La seule idée de perdre avec mon secret
+jusqu'au souvenir qu'elle me conserve, me livre au plus affreux
+désespoir. Car il n'en faut pas douter, l'instant qui lui
+dévoilerait à quel supplice la nature m'a condamné, changerait tous
+ses sentiments pour moi. A la place de ce tendre intérêt, dont je
+relis chaque jour les témoignages, la dédaigneuse pitié viendrait
+accabler mon amour du poids de ses humiliations; au lieu d'inspirer
+à Valentine cette affection qui fesait mon bonheur, je serais réduit
+à sa reconnaissance; ou peut-être son coeur, indigné de l'audace du
+mien, ne me pardonnerait pas d'oser l'adorer. Ah! mon ami!
+sauvez-moi de ce malheur cent fois pire que la mort; et n'essayez
+plus de me prouver que mes craintes à ce sujet sont exagérées. Je
+sais comme vous de combien d'éléments divins le ciel a composé l'ame
+de Valentine; mais, plus elle est supérieure à tout ce qu'on admire,
+plus elle a le droit d'exiger de celui qui aspire à lui plaire. Je
+me rends justice; les faibles qualités qui m'ont acquis votre amitié
+pourraient me mériter la sienne. Mais le même sentiment qui dans
+votre coeur est la source de mes plus douces consolations, de sa
+part ne me semblerait qu'un outrage fait à mon amour. Songez qu'un
+moment dans ma vie j'ai joui du plaisir enivrant de contempler sur
+ses traits enchanteurs une partie de l'émotion qui pénétrait mes
+sens; que plus d'une fois ses yeux ont répondu aux miens; et voyez
+si je pourrais survivre à l'illusion qui m'a valu tant de félicité.»
+
+A cette lettre en était jointe une autre pour le marquis d'Alvaro,
+par laquelle on le priait de faire porter sans délai le tableau
+d'Anatole chez le commandeur. Deux jours après, Valentine sortit
+pour la première fois de son appartement, et lorsqu'elle entra chez
+M. de Saint-Albert, elle ne s'étonna point d'y trouver ce tableau à
+la place d'un ancien portrait de famille, qui jusqu'alors avait eu
+les honneurs du salon. Souvent, les yeux fixés sur l'ouvrage
+d'Anatole, elle le considérait sans proférer une parole. Ses amis
+respectaient son silence, et bornaient leurs soins à distraire son
+esprit, sans chercher à pénétrer ce qui se passait dans son ame.
+Discrétion bien rare en amitié!
+
+Les médecins venaient de déclarer que la santé de Valentine était
+parfaitement rétablie; cependant son teint n'avait point repris son
+éclat; son regard était triste; et tout en elle montrait un état
+languissant; mais lorsque madame de Réthel en témoignait quelque
+inquiétude au docteur, il lui répondait, avec cette assurance que
+l'on met assez souvent à décider des choses que l'on ne comprend
+pas, que les maladies inflammatoires étaient toujours suivies d'un
+accablement profond, qui n'empêchait pas de se bien porter; et
+madame de Réthel, sans y rien comprendre non plus, adoptait cette
+sentence.
+
+Le commandeur, moins facile à rassurer, desirait qu'un événement
+quelconque pût distraire Valentine de la vie monotone qu'elle avait
+adoptée. Une lettre de M. de Nangis ne vint que trop tôt seconder
+ses voeux. Elle était datée de Londres, et contenait le récit de
+l'aventure scandaleuse qui venait de lui révéler l'indigne conduite
+de sa femme. La scène s'était passée au château de Varennes, où la
+comtesse avait eu l'imprudence d'emmener avec elle la jeune baronne
+de Tresanne, dont la beauté commençait à faire autant de bruit que
+les extravagances. La certitude de la rencontrer à Varennes était
+entrée pour beaucoup dans la promesse que M. d'Émerange avait faite
+à madame de Nangis de l'y suivre; deux jours s'étaient à peine
+écoulés, que la plus parfaite intimité régnait déja entre le comte
+et la jolie baronne; mais ce n'était pas sans conditions que madame
+de Tresanne s'était décidée à récompenser d'avance l'éternel amour
+que lui avait juré M. d'Émerange. Le sacrifice de madame de Nangis
+en avait été la première récompense; et il fut résolu entre eux
+qu'après avoir satisfait aux devoirs d'usage en pareil cas, le
+comte se dégagerait, sans retour, d'une chaîne importune. Déja
+plusieurs tentatives lui avaient prouvé la difficulté de réussir. La
+comtesse était moins résignée que jamais à perdre les avantages
+d'une liaison qui coûtait aussi cher à sa conscience qu'à son repos;
+et madame de Tresanne, prévoyant bien que les ménagements du comte
+ne serviraient qu'à prolonger l'erreur de sa victime, feignit de
+s'irriter de tant de complaisance, et déclara positivement à M.
+d'Émerange, qu'elle aimait mieux céder l'empire de son coeur, que de
+le partager plus long-temps. Cette menace produisit tout l'effet
+qu'elle en pouvait attendre; la crainte de voir s'échapper sa
+nouvelle conquête avant de l'avoir constatée publiquement, soumit
+les volontés du comte à toutes celles de madame de Tresanne, et il
+s'en remit à elle du choix des moyens à employer. La persévérance de
+la comtesse en ayant fait échouer plusieurs, madame de Tresanne se
+décida au plus atroce comme au plus infaillible. Un billet anonyme
+instruisit M. de Nangis de la perfidie de sa femme, en lui indiquant
+une occasion de s'en convaincre. Dès ce moment la colère et le
+désespoir régnèrent dans le château de Varennes: madame de Tresanne
+s'empressa d'en sortir au premier bruit de l'éclat qu'elle avait
+provoqué; et sans vouloir en apprendre la cause au comte
+d'Émerange, elle lui ordonna de tout quitter pour la suivre à
+Bagnères. Elle s'y rendit sans s'arrêter pour soustraire M.
+d'Émerange aux premiers effets du ressentiment de M. de Nangis. Les
+amis de la comtesse retournèrent bientôt à Paris dans l'intention
+charitable d'y publier l'aventure scandaleuse dont ils venaient
+d'être témoins, et que le brusque départ de M. de Nangis allait
+certifier à tous ceux qui oseraient en douter. Effectivement, ce
+malheureux époux, sans calculer si la conduite présente de sa femme
+n'était pas le fruit de l'indulgence outrée qu'il avait montrée pour
+ses premières inconséquences, croyait reparer les torts de sa
+faiblesse par l'on punit souvent des fautes qu'avec plus de soin on
+aurait pu prévenir. Après une scène violente, dans laquelle la
+comtesse avait fait l'aveu de tout ce que sa folle passion lui avait
+suggéré contre Valentine, le comte de Nangis était parti brusquement
+pour Londres, en arrachant Isaure des bras de sa coupable mère.
+Abandonnée de tout ce qui lui était cher; livrée aux injures de sa
+médisance implacable dont elle avait si souvent dirigé les traits;
+enfin, seule avec ses remords, cette infortunée s'était réfugiée
+dans un couvent de Paris, où les soins pieux des Soeurs de la
+Miséricorde ne parvenaient point à calmer les tourments de son
+coeur. Ce coeur, si souvent dominé par la vanité, n'éprouvait plus
+alors que la honte et les regrets d'avoir perdu tous ses droits
+maternels. La crainte de ne pouvoir réparer les fautes de sa vie en
+la consacrant toute entière à l'éducation et au bonheur de sa fille,
+ôtait à madame de Nangis tout espoir de consolation. Malgré la
+frivolité de son esprit, elle avait observé que la sévérité des gens
+du monde se laissait désarmer à la vue d'une jeune personne dont la
+candeur et les vertus fesaient oublier les égarements de sa mère. En
+effet, comment se rappeler les torts d'une femme coupable, en
+admirant l'ouvrage d'une mère aussi tendre que sage! Et quel homme
+assez méchant oserait porter atteinte au respect qu'elle inspire à
+sa fille, en affectant de ne le point partager?
+
+
+
+
+CHAPITRE XLII.
+
+
+Valentine prévoyait depuis long-temps les malheurs qui menaçaient sa
+famille, et cependant, en les apprenant, elle en fut frappée comme
+d'une nouvelle inattendue; le bonheur de reconquérir l'estime de son
+frère, qui le priait en grace de se charger de l'éducation d'Isaure,
+ne la consolait pas du triste événement qui lui valait une aussi
+éclatante réparation. En répondant à la lettre où M. de Nangis la
+conjurait de lui pardonner son injustice et les injures qui lui
+avaient été dictées par une femme perfide, elle avait tenté de
+modérer l'indignation de son frère, en excitant sa pitié pour le
+sort de cette malheureuse mère, qui, lui disait-elle, serait encore
+digne de sa tendresse, si de misérables flatteurs, trop bien
+accueillis par lui-même, ne s'étaient fait un jeu d'égarer sa
+raison. Il y avait autant de vérité que d'indulgence dans cette
+supposition; mais M. de Nangis était trop irrité pour se rendre aux
+avis de sa soeur; il les mit sur le compte de la générosité
+naturelle au caractère de Valentine, et n'en persista pas moins dans
+le dessein de punir rigoureusement celle qui venait de l'outrager.
+
+Comme il se méfiait avec juste raison de l'extrême bonté de sa
+soeur, ce n'est qu'après avoir exigé d'elle la promesse de ne
+jamais confier à une autre le soin d'élever Isaure, qu'il s'était
+déterminé à la lui envoyer. Avec quel plaisir cette aimable enfant
+se retrouva dans les bras de Valentine! et combien de fois elle
+remercia son père de l'avoir confiée à sa tante, pendant le grand
+voyage que venait d'entreprendre sa mère! car c'est ainsi qu'on
+avait motivé l'absence de la comtesse, et la cause des larmes
+qu'elle avait vues inonder son visage au moment de leur séparation.
+
+La présence d'Isaure sembla ranimer l'existence de Valentine. Elle
+consentit à quitter la campagne pour se rendre à Paris, dans
+l'unique intention d'y faire donner à son élève les leçons des
+meilleurs maîtres. Mais l'attachement qu'elle portait à ses amis ne
+lui permettant pas de s'en séparer, elle accepta la proposition que
+lui fit madame de Réthel, de partager l'hôtel qu'elle occupait avec
+son oncle.
+
+De retour à Paris, il se fit un grand changement dans les habitudes
+de la marquise: on la voyait sortir tous les matins à la même heure,
+et passer le reste de la journée dans la retraite. Le salon du
+commandeur était le seul où l'on pût la rencontrer quelquefois; car
+pour les fêtes et le spectacle, elle paraissait également décidée à
+les fuir; et l'on trouvait cette conduite assez simple après
+l'éclat qui venait d'avoir lieu dans sa famille. Mais ce qui parfois
+échappe aux yeux des indifférents, attire l'attention d'un ami, et
+M. de Saint-Albert, loin d'expliquer si facilement les motifs qui
+inspiraient à Valentine le desir de s'éloigner de toutes les
+personnes qui possédaient autrefois sa confiance, redoutait les
+suites de cet état de contrainte perpétuelle. Il essayait
+quelquefois de vaincre la résolution qu'elle semblait avoir prise
+d'éviter toute conversation relative à Anatole, en se fesant
+apporter devant elle les lettres qu'il recevait de lui; mais il en
+lisait tout haut le timbre, la date, et même les premières lignes,
+sans que Valentine lui témoignât la moindre curiosité d'en savoir
+davantage; et le commandeur ne retirait d'autre résultat de ces
+petites épreuves, que de voir se prolonger le silence rêveur de
+Valentine.
+
+Un jour pourtant que M. de Saint-Albert lisait, comme à l'ordinaire,
+sa correspondance, tandis que sa nièce et madame de Saverny
+s'occupaient à broder, elles l'entendirent prononcer quelques mots
+sans suite, et d'une voix qui semblait altérée par l'émotion la plus
+pénible.--Ciel! s'écria madame de Réthel, quelle triste nouvelle
+vous apprend-on?--Ce n'est rien, reprit-il, en cherchant à se
+remettre, mais vous savez qu'il est impossible de ne point partager
+les impressions que la duchesse de Linarès sait peindre avec tant
+de vérité; sa manière touchante de parler de ses peines, de ses
+inquiétudes, les fait passer tout entières dans le coeur de ses
+amis.--Lui serait-il arrivé quelque malheur? demanda vivement
+Valentine.--Non pas à elle.--Cette réponse fit pâlir la marquise, et
+parut lui ôter la force de faire une autre question. Madame de
+Réthel, s'apercevant de ce qu'elle éprouvait, s'empressa
+d'interroger son oncle sur la santé d'Anatole.--Mais, lui
+répondit-il, d'après ce que me mande sa mère, il se porte aussi bien
+qu'on peut le faire avec un coup d'épée dans le bras.--Un coup
+d'épée s'écrièrent à-la-fois Valentine et son amie.--Il faut bien,
+reprit le commandeur, d'un ton calme, payer de quelque chose le
+plaisir de punir les impertinences d'un fat. Ce nom de fat, que M.
+de Saint-Albert ne prononçait jamais qu'en parlant de M. d'Émerange,
+fit tressaillir Valentine, elle pensa qu'elle seule était cause de
+l'événement malheureux dont elle n'osait demander les détails, elle
+s'en fit tout haut le reproche, et ses yeux se remplirent de
+larmes.--Cessez de vous accuser, lui répondit le commandeur, d'un
+fait dont vous êtes complètement innocente. C'est pour y soigner la
+santé de sa mère qu'Anatole est resté a Bagnères un mois de plus
+qu'il ne le devait. Vous savez quel motif vient d'y conduire
+dernièrement M. d'Émerange; ce n'est pas vous qui lui avez dicté
+les couplets insultants qu'il s'est amusé à composer sur les amours
+discrets d'un muet de naissance, et dont, malheureusement pour lui,
+une copie est tombée entre les mains d'Anatole. Ainsi donc ne vous
+reprochez pas la blessure qui vient de défigurer pour toujours un
+visage moins joli qu'insolent; c'est un trait de la justice divine,
+dont la gloire était réservée à l'adresse d'Anatole. M. d'Émerange a
+follement pensé qu'on pouvait insulter impunément un homme que son
+infirmité dispensait du devoir de la vengeance. Cette lâcheté a été
+justement punie; et la providence devrait frapper de même tous ceux
+qui ne consacrent qu'à nuire les dons heureux qu'ils ont reçus du
+ciel.--Mais Anatole est aussi blessé, dit Valentine, avec
+inquiétude.--Très-légèrement, reprit le commandeur, et sur ce point
+on peut en croire la duchesse: je voudrais bien être aussi rassuré
+sur l'état de cette bonne mère. Jugez de ce qu'elle a dû souffrir
+lorsqu'elle a appris par l'effet du hasard le moment où son fils
+allait se battre. Je m'étonne qu'elle ait résisté à une semblable
+épreuve, et j'en redoute les suites pour sa santé.--Ah! mon cher
+oncle, interrompit madame de Réthel, si vous avez cette crainte, ne
+souffrez pas que la duchesse de Linarès se livre avec confiance aux
+médecins des eaux. Écrivez à son fils de nous la ramener. C'est ici
+qu'elle trouvera les plus savants docteurs et ses meilleurs
+amis.--Vraiment elle avait bien le projet de se rendre à Paris; mais
+son fils refuse de l'y suivre, ajouta le commandeur, en regardant
+Valentine, avant d'avoir obtenu un consentement à son retour de la
+même personne qui ordonna son départ..--Eh! qu'allez-vous répondre?
+demanda la marquise.--Mais ce qu'il vous plaira.--Je ne saurais,
+reprit-elle, me prévaloir d'un ordre que je n'ai donné qu'en
+obéissant. C'est à vous à le rétracter.--Je ne le puis.--Qui vous en
+empêche?--Le devoir que je me suis imposé de ne plus décider des
+actions de mes amis.--Vous n'avez pas juré, j'espère, de ne plus
+leur servir d'interprète.--Non: mais c'est un oubli que je peux
+réparer.--Attendez pour cela, dit Valentine, en se levant, que vous
+ayez répondu au duc de Linarès que rien ne s'oppose à son prochain
+retour.»
+
+
+
+
+CHAPITRE XLIII.
+
+
+Peu de jours après cet entretien, Valentine fut péniblement
+distraite du souvenir qu'elle en conservait par de mortelles
+inquiétudes. M. de Nangis, ennemi déclaré de toutes les innovations,
+s'était constamment opposé au desir que lui avait souvent témoigné
+sa femme, de faire inoculer Isaure, et la pauvre enfant venait
+d'être atteinte de tous les symptômes d'une violente petite-vérole.
+Dès les premiers moments de la maladie, Valentine s'était comme
+attachée au pied du lit de sa nièce, et avait recommandé qu'on ne
+laissât pénétrer personne dans son appartement. Déja six nuits
+s'étaient écoulées sans qu'elle eût consenti à prendre le moindre
+repos, lorsqu'on vint l'avertir qu'une femme à laquelle on avait
+répété plusieurs fois que madame de Saverny n'était pas visible,
+s'obstinait à rester sur les marches de l'escalier, pour y attendre
+le moment où le docteur P... sortirait de chez elle. Valentine
+s'informa du nom de cette femme, et apprit avec étonnement qu'elle
+refusait de le dire. C'est probablement, ajouta le domestique,
+quelque pauvre femme qui se recommande à la charité de Madame; elle
+est vêtue de manière à le faire croire, et le soin qu'elle prend de
+cacher son visage sous un grand voile noir, prouve qu'elle est
+honteuse de demander l'aumône.--Si c'est ainsi, reprit la marquise,
+dites-lui de me laisser son adresse, et qu'avant peu j'enverrai chez
+elle; recommandez-lui surtout de s'éloigner au plus vîte d'une
+maison dont l'air est infecté par une affreuse maladie. Le
+domestique sortit pour remplir cette commission; mais il rentra
+bientôt en disant à sa mai tresse, avec l'accent de la plus vive
+pitié:--Ah! Madame, si vous ne daignez pas venir à son secours,
+cette pauvre femme va mourir; je lui ai vainement répété qu'elle
+pouvait compter sur la bienfesance de madame la marquise: Je ne
+veux point de ses bienfaits, s'est-elle écriée en sanglotant, je ne
+lui demande qu'un seul mot; qu'elle me l'accorde, ou je meurs à
+l'instant. En disant cela elle s'est traînée jusqu'à la porte du
+salon en me suppliant de ne la point renvoyer; et vraiment je ne
+l'aurais pu faire, car ses forces l'ayant abandonnée, elle est
+tombée sans connaissance; je viens demander à Madame s'il ne faut
+pas lui faire prendre quelques gouttes d'éther.--Conduisez-moi vers
+elle, dit aussitôt la marquise, après avoir recommandé à
+mademoiselle Cécile de ne pas quitter Isaure. En entrant dans le
+sallon, Valentine fut saisie d'un battement de coeur qui lui ôtait
+presque la respiration. Son visage, déja altéré par l'inquiétude et
+les veilles, prit tout-à-coup un air d'effroi en apercevant cette
+infortunée, si digne de pitié; elle veut s'en approcher pour la
+secourir, mais à peine a-t-elle fait un mouvement, que des yeux
+égarés se fixent sur les siens, et qu'une voix s'écrie:
+«Malheureuse, elle est morte!» Ce cri funèbre retentit au coeur de
+Valentine, elle n'y répond que par ces mots: «Ah! ma soeur!» Mais
+ils ne sont pas entendus de cette misérable mère, elle a cru lire
+l'arrêt de son enfant dans le regard désespéré de Valentine; un
+frisson mortel a glacé ses veines, et c'est en vain que sa soeur la
+rassure, la presse sur son sein; l'excès de la douleur à suspendu
+sa vie. Valentine, qui la voit expirante, tente un dernier moyen:
+elle compte sur cet instinct maternel qui survit à tout pour lui
+faire deviner la présence de son enfant, et sans calculer si ses
+forces répondent à son courage, elle entraîne elle-même cette mère
+mourante, et la dépose aux pieds du lit de sa fille.
+
+Les inspirations du coeur sont rarement trompeuses, et l'on
+croirait, au succès qu'elles obtiennent dans les moments extrêmes de
+la vie, que, touchée de notre infortune, la divinité daigne alors
+penser pour nous. Ce que tous les secours n'avaient pu faire, une
+seule plainte d'Isaure l'opéra: le son de cette voix chérie ranima
+les esprits de madame de Nangis, et l'existence parut lui revenir
+avec la certitude que son enfant respirait encore.
+
+En ce moment le docteur P... arriva, et partagea ses soins entre
+Isaure et sa mère. Il les prodigua avec d'autant plus de zèle, qu'il
+s'accusait d'être la cause de l'état ou il voyait la comtesse. En
+effet, c'est lui qui avait parlé la veille, chez l'abbesse du
+couvent des Filles de la Miséricorde, du danger où se trouvait la
+nièce de madame de Saverny. Il l'avait peint dans toute sa force,
+pour engager ces dames à prendre de grandes précautions pour leurs
+pensionnaires, sans se rappeler que madame de Nangis habitait leur
+maison. Le bruit de la maladie de sa fille lui parvint bientôt,
+avec tous les détails qui pouvaient augmenter son effroi. Son
+imagination, déja exaltée par le repentir et la douleur, se peignit
+la mort de son enfant comme un châtiment dû à ses fautes. Et
+dès-lors, le désespoir s'emparant de son ame, elle ne pensa plus
+qu'à revoir une seule fois l'objet de ses regrets, avant de le
+suivre au tombeau. Quelques louis donnés à la tourière, lui
+obtinrent la facilité de sortir du couvent avant qu'il fît jour.
+Elle erra long-temps dans les rues de Paris, sans pouvoir
+reconnaître celles qui la conduiraient chez Valentine; enfin,
+s'étant adressée à un pauvre savoyard que la misère rendait plus
+matinal qu'un autre, il lui indiqua son chemin, en marchant devant
+elle. C'est avec ce guide qu'elle était arrivée à la porte de
+l'hôtel du commandeur; et c'est assise sur un banc de pierre,
+qu'elle avait attendu le moment de la voir ouvrir.
+
+Après avoir long-temps examiné l'état d'Isaure, le docteur déclara
+qu'il lui paraissait moins alarmant que la veille, mais qu'il ne
+pouvait répondre de rien avant la fin du neuvième jour. En écoutant
+ces mots, la plus vive terreur se manifesta dans les yeux de la
+comtesse; elle pensa que, par pitié pour elle, le docteur n'osait
+prononcer la sentence d'Isaure, et qu'il voulait la préparer au
+coup fatal par trois jours d'anxiété; et pénétrée de cette horrible
+pensée, toute son attitude semblait dire: «Où vais-je passer ces
+trois jours de supplice.» Valentine comprit son silence, et dit en
+lui serrant la main: «Rassurez-vous, ma soeur, nos soins la
+sauveront.--Quoi, s'écria la comtesse, en se précipitant aux genoux
+de Valentine, vous permettrez que je ne la quitte pas! vous, à qui
+l'on a fait jurer de la tenir éloignée pour toujours de sa mère,
+vous que j'ai si cruellement offensée, qui devez me haïr! Ah! tant
+de générosité ajoute à mes remords; et c'est vous venger deux fois
+que de vouloir prolonger ma vie jusqu'au dernier soupir de mon
+enfant.» A ces mots un torrent de larmes inonda le sein de cette
+malheureuse mère, et la soulagea un instant de l'oppression qui
+l'accablait. Valentine redoubla cet attendrissement par les
+expressions de la plus touchante amitié, et le docteur lui-même ne
+put se défendre d'une émotion très-vive en contemplant le spectacle
+si doux du repentir qui implore, et de la vertu qui pardonne.
+
+Avant de le laisser partir, la marquise exigea de lui le secret sur
+la scène dont il venait d'être témoin, et le pria de se charger d'un
+mot pour l'abbesse du couvent de la Miséricorde, à qui elle devait
+rendre compte de l'absence de la comtesse. Tout fut disposé pour
+cacher l'arrivée de madame de Nangis chez Valentine: les gens de la
+maison reçurent l'ordre de n'en point parler, même à ceux du
+commandeur; et mademoiselle Cécile fut d'autant plus discrète dans
+cette circonstance, qu'elle avait à réparer sa réputation. Valentine
+fit valoir le grand intérêt qui devait les occuper uniquement, pour
+empêcher sa soeur de revenir trop souvent sur les regrets de sa
+conduite passée, et il fut convenu entre elles que désormais les
+soins relatifs à Isaure seraient l'unique sujet de leurs
+conversations.
+
+Enfin arriva ce neuvième jour aussi redouté qu'attendu. Après un
+redoublement de fièvre et de délire, le calme survint tout-à-coup,
+et fut suivi d'un sommeil profond. A son réveil, Isaure entr'ouvrit
+les yeux, reconnut sa mère, la nomma; et ce premier mot échappé de
+son coeur devint le signal de la résurrection de toutes deux. Dans
+ce passage subit du désespoir à la joie, madame de Nangis oublia
+tout ce qu'elle avait promis à Valentine pour se livrer sans réserve
+à l'excès de sa reconnaissance. «Ah! mon amie, lui disait-elle,
+disposez de l'existence qui nous est rendue; c'est à vos voeux que
+le ciel l'accorde, sa justice devait me punir en m'arrachant le seul
+lien qui m'attache à la terre; mais, en adoptant ma fille, en
+protégeant sa mère, vous avez obtenu sa vie et mon pardon: tant de
+bienfaits n'étaient dus qu'aux célestes vertus d'un ange.»
+
+A la vue d'un bonheur qui était en partie son ouvrage, Valentine
+recueillit le fruit de tous ses sacrifices, et se félicita d'avoir
+acquis, par sa générosité, le droit de ramener à tous les charmes
+d'une vie douce et pure l'amie que tant d'erreurs semblaient
+condamner à d'éternels chagrins. Mais, tout en se livrant au desir
+d'adoucir le sort de sa belle-soeur, Valentine voulait rester fidèle
+à sa promesse envers son frère; et voilà ce qu'elle imagina pour
+concilier ces deux intérêts. En fesant le serment de ne jamais se
+séparer d'Isaure, elle ne s'était point engagée à la priver des
+soins étrangers que pourrait exiger son éducation, et rien ne
+l'empêchait de les partager avec madame de Nangis, pourvu que cette
+dernière consentît à ne pas abuser de son autorité maternelle. Cette
+condition une fois remplie, Valentine proposa à sa belle-soeur
+d'habiter un petit appartement attenant au sien, où elle pourrait
+accomplir facilement le voeu de retraite absolue qu'elle avait
+formé. Avant d'accepter cette proposition qui comblait tous ses
+desirs, la comtesse prévint Valentine qu'elle ne consentirait à
+s'établir chez elle qu'en qualité d'institutrice d'Isaure; et que,
+pour ôter tout soupçon, elle prendrait le nom de madame
+Sainte-Hélène, et passerait dans la maison pour une de ces
+personnes qu'un revers de fortune oblige à fuir le monde pour se
+consacrer à l'éducation des enfants. Le but de ce mystère était de
+cacher à M. de Nangis la demeure de sa femme, et Valentine
+l'approuva. Dès que le docteur lui eut déclaré qu'Isaure était en
+pleine convalescence, elle reconduisit elle-même la comtesse à son
+couvent, et deux jours après annonça chez elle la prochaine arrivée
+de madame de Sainte-Hélène. Une femme-de-chambre nouvelle fut
+arrêtée pour le service particulier de cette institutrice dont
+mademoiselle Cécile avait seule le secret. Quant à Isaure, il ne fut
+pas difficile de lui faire croire que la moindre indiscrétion de sa
+part la priverait pour toujours de la présence de sa mère. L'effroi
+que lui inspirait cette menace répondait de sa soumission, et jamais
+on n'eut à lui reprocher un mot qui pût trahir le mystère qu'elle
+respecta sans chercher à en comprendre la cause.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLIV.
+
+
+Isaure avait repris ses forces, sa gaieté, et l'on ne craignait même
+plus pour son joli visage; Valentine venait d'en apprendre
+l'heureuse nouvelle à son frère; madame de Nangis, ravie du bonheur
+de retrouver son enfant, de recevoir les consolations d'une amie,
+oubliait le monde et ses travers, auprès des objets de son
+affection. Enfin tout semblait promettre à Valentine le repos auquel
+elle aspirait depuis si long-temps. Mais une seule idée troublait
+encore son ame, et lui fesait éprouver que la douceur d'une vie
+calme ne peut rien contre les agitations du coeur.
+
+Un matin, la marquise se disposant à sortir, comme à son ordinaire,
+Isaure vint lui demander, de la part de sa mère, à qui était une
+voiture attelée de six chevaux de poste qui venait d'entrer dans la
+cour. Devinant bien ce qui motivait la curiosité de la comtesse,
+Valentine fit appeler mademoiselle Cécile, qui répondit: Cette
+voiture est celle de la duchesse de Linarès.--Viendrait-elle loger
+ici? demanda vivement la marquise?--Je ne le crois pas, madame, car
+les gens qui se trouvaient dans sa voiture de suite, ont reçu ordre
+d'aller tout préparer pour la recevoir dans l'appartement qu'elle
+occupe ordinairement chez l'ambassadeur d'Espagne.--Dites qu'on ôte
+mes chevaux, reprit Valentine, après un moment de silence; je ne
+sortirai pas. En donnant cet ordre, elle congédia Isaure et alla se
+renfermer dans son cabinet. Elle y était depuis une heure, lorsque
+M. de Saint-Albert se fit annoncer. A son aspect il la vit rougir,
+et il s'excusa de venir ainsi la troubler: Je le vois, dit-il, ma
+présence vous importune; c'est l'effet que produit communément celle
+d'un ami qui n'inspire plus de confiance; mais tranquillisez-vous;
+je ne viens pas questionner votre coeur, ni vous parler des
+sentiments que je lui suppose; j'avais prévu ce que vous cherchez à
+dissimuler, et je suis bien loin de le blâmer. Tout ce que je vous
+demande, c'est de m'aider à rappeler la raison d'un insensé qui est
+au moins digne de votre pitié; puis s'apercevant que Valentine
+hésitait à répondre, le commandeur ajouta: Anatole sait que vous
+demeurez ici, et dans sa résolution de n'y point venir, il me
+supplie de lui permettre de vous écrire. Comme je me rends à
+l'instant même chez lui pour le lui défendre par toute l'autorité de
+mon amitié, j'ai cru devoir vous en prévenir, et vous supplier de
+vous prêter au moyen très-innocent dont je viens de convenir avec sa
+mère, pour le ramener à des sentiments plus raisonnables.--Et quel
+est ce moyen, demanda Valentine?--Mais en pareil cas, celui qui ôte
+toute espérance, me semble le meilleur. La passion d'Anatole est
+arrivée à un point qui touche au délire. Six mois d'absence et de
+regrets n'ont fait que l'exalter, et l'idée qu'elle ne peut plus
+troubler votre repos, l'encourage encore. Il est temps d'y mettre
+un frein en lui prouvant qu'il ne doit exister entre vous qu'une
+simple amitié, puisque le choix d'un nouvel époux va bientôt assurer
+votre bonheur.--Mais ce serait l'abuser....--Que vous importe,
+interrompit le commandeur, cela ne vous engage à rien, pas même à le
+tromper; nous vous demandons pour toute grace, de ne pas nous
+contredire. C'est de moi seul qu'il apprendra les projets que je
+vous supposerai, et je sais d'avance qu'il se soumettra à tout ce
+que l'honneur ordonne en pareille circonstance. Une fois convaincu
+de votre prochain mariage, il sentira la nécessité de renoncer aux
+illusions romanesques qu'il nourrit depuis trop long-temps, et
+cessant de garder un secret désormais inutile, il sacrifiera bientôt
+les intérêts de son amour-propre au plaisir de jouir sans contrainte
+de votre affection. Combien alors cette tendre mère vous bénira
+d'avoir rendu son fils à la vie par l'amour, et à la raison par
+l'amitié. Vous deviendrez l'ange tutélaire de cette intéressante
+famille, et votre vieil ami vous devra la fin de toutes ses
+peines.--Ah! si tant de bonheur est en ma puissance, s'écria
+Valentine avec l'accent de la plus vive émotion, je consens à tout
+pour vous l'assurer. Oui, dites à votre ami que mon coeur n'est plus
+libre, et qu'avant peu j'aurai disposé de ma main; mais en lui
+fesant cette confidence, ménagez sa sensibilité, persuadez-lui bien
+que j'ai besoin de son bonheur pour être heureuse, et qu'il doit
+vivre pour être l'objet de mon éternelle reconnaissance.
+
+En disant ces derniers mots, le visage de Valentine s'anima des plus
+vives couleurs, et son regard brilla du feu de l'enthousiasme; le
+commandeur surpris de l'air inspiré qu'il remarquait en elle, la
+considéra quelque temps en silence, puis se levant tout-à-coup, il
+la quitta pour se rendre auprès d'Anatole.
+
+Deux heures après, la marquise reçut le billet suivant:
+
+
+ANATOLE A VALENTINE.
+
+«Votre bonheur est décidé, madame, et vous daignez encore vous
+occuper du mien! Tant de bonté ne m'étonne pas. J'y voudrais
+répondre en vous obéissant; mais vous m'ordonnez en vain d'être
+heureux; le ciel, moins généreux que vous, me défend d'y prétendre,
+et la fin de mes tourments est l'unique voeu qu'il me permette
+désormais de former. Ah! puisse-t-il bientôt l'accomplir, en me
+laissant pour dernière pensée le souvenir du seul moment où j'aie
+aimé la vie!»
+
+A peine Valentine a-t-elle achevé la lecture de ce billet, qu'elle
+fait demander si M. de Saint-Albert est de retour. On lui répond
+qu'il vient de rentrer; elle se rend aussitôt près de lui, et, sans
+perdre de temps, elle le prie de lui dire franchement comment
+Anatole a reçu la nouvelle qu'il vient de lui porter. Le ton décidé
+qui accompagnait cette prière en fesait presque un ordre, et le
+commandeur pensa qu'il fallait qu'un sentiment violent agitât
+Valentine pour altérer ainsi la douceur de sa voix. Il essaya
+d'abord de lui répondre vaguement, en lui laissant entendre qu'il
+valait mieux pour elle-même qu'elle ignorât l'effet d'un désespoir
+que le temps seul pourrait calmer; mais la marquise ayant insisté de
+manière à ne lui laisser aucun moyen d'éluder une réponse positive:
+«Eh bien! dit-il, puisque vous voulez savoir les projets qu'il
+médite en son extravagance, apprenez qu'il part cette nuit même pour
+aller cacher, je ne sais où, la douleur qui l'accable. J'ai
+vainement employé mon ascendant sur lui pour le déterminer à prendre
+quelque parti plus sage. Je n'ai rien obtenu de tout ce que j'ai
+demandé, même au nom de sa mère. Il m'a fait jurer de ne la quitter
+de ma vie, et de faire tout ce qui dépendrait de moi pour vous lier
+avec elle; car il ne doute pas que le bonheur de vous voir souvent
+ne la console de l'absence de son fils. Il a paru attacher le plus
+vif intérêt à ce que je pusse vous réunir ce soir même toutes deux
+chez moi. J'ai promis de satisfaire à tout ce qu'il exigeait de mon
+amitié, pourvu qu'il renonçât au desir de vous revoir encore une
+fois. Il ne voulait que se trouver sur votre passage, au moment où
+vous viendrez chez ma nièce; mais j'ai résolu de vous sauver une
+semblable entrevue, qu'il n'est pas lui-même en état de
+supporter.--Je vous en remercie, interrompit Valentine (sans
+paraître fort émue de ce qu'elle venait d'entendre), et j'accepte
+avec empressement l'offre que vous me faites de me présenter
+aujourd'hui à votre ancienne amie. Vous m'excuserez, si j'arrive un
+peu tard. Je me suis engagée à conduire ce soir Isaure à l'Opéra;
+c'est une récompense depuis long-temps promise, je ne saurais
+manquer à ma parole: madame de Réthel vient de s'engager à nous y
+accompagner, et si la duchesse ne doit se rendre qu'à dix heures
+chez vous, nous nous y trouverons avant elle.--Puisque cet
+arrangement est celui qui vous convient le mieux, reprit le
+commandeur d'un air piqué, je vais tout disposer pour satisfaire au
+voeu de mon ami, sans nuire à vos projets.» A ces mots, Valentine
+quitta le commandeur, sans paraître remarquer le mécontentement
+qu'il témoignait.
+
+Voilà bien les femmes! s'écria-t-il, lorsqu'elle fut partie:
+exaltées jusqu'à la folie, quand l'amour les domine; insensibles
+jusqu'à la dureté, quand le prestige de leur imagination est
+détruit.
+
+A l'heure du spectacle, la marquise et son amie font de vaines
+instances pour le déterminer à leur donner la main; il s'y refuse en
+disant que de tristes adieux à faire le privent de l'avantage de
+partager les plaisirs de ces dames. Après plusieurs phrases de ce
+genre, fort bien comprises de Valentine, il la voit s'éloigner sans
+en obtenir d'autre réponse que ces mots: _A ce soir_.
+
+Blessé de tant de marques de légèreté, il veut en faire le récit à
+son malheureux ami, et lui prouver qu'il ne peut sans crime
+sacrifier le bonheur de sa famille entière au regret de n'être
+point aimé d'une femme ingrate. Dans ce dessein, il se fait conduire
+chez Anatole, et n'apprend pas sans étonnement qu'il vient de partir
+pour l'Opéra. Un valet de chambre est appelé, il confirme cette
+réponse, et dit qu'en effet son maître s'est déterminé tout-à-coup à
+sortir après avoir reçu un billet.--Et savez-vous de quelle part il
+venait, interrompt vivement le commandeur?--Non, monsieur. Je sais
+seulement qu'un domestique, portant la livrée de madame la marquise
+de Saverny, m'a chargé de le remettre à mon maître.--Ces mots
+augmentent encore la surprise de M. de Saint-Albert. Il veut
+éclaircir le mystère, et se rend sans délai à l'Opéra. En entrant
+dans la salle, il aperçoit Anatole dans le fond de la loge de
+l'ambassadeur d'Espagne. Il le voit debout, appuyé sur une colonne,
+et les yeux fixés de manière à lui indiquer l'endroit où se trouve
+madame de Saverny. Le commandeur tourne alors ses regards de ce
+côté, et il est frappé de l'air rayonnant de Valentine. L'émotion la
+plus vive semble animer ses traits, et tout en elle démontre autant
+de trouble que de joie. En vain la plus célèbre danseuse captive
+l'attention du public. Valentine profite de ce moment pour se livrer
+au plaisir de revoir Anatole, mais l'expression d'un bonheur dont il
+ne se croit pas la cause, lui devient bientôt insupportable. Son
+désespoir s'en irrite, il veut fuir pour en cacher l'excès. Déja il
+n'a plus qu'un pas à faire pour être à jamais séparé de celle qu'il
+adore. Cette funeste pensée l'arrête un instant; il se retourne, et
+veut par un dernier regard lui dire un éternel adieu; mais un signe
+de Valentine lui dit: _Restez_. Il n'ose en croire ses yeux, ni
+reconnaître le seul langage qu'il parle, qu'il entende, et que
+Valentine vient d'apprendre pour lui; un second signe ajoute, _je
+vous aime_, et il tombe anéanti sous le poids de sa félicité.
+
+Au même instant le commandeur arrive, l'entraîne hors de la salle,
+et lui prodigue tous ses soins; Valentine, tourmentée d'une douce
+inquiétude, n'attend pas la fin du spectacle pour se rendre chez M.
+de Saint-Albert. Un seul mot instruit madame de Réthel de ce qui se
+passe dans l'ame de son amie. Elle n'a plus de secrets pour elle, et
+trouve du plaisir à lui avouer que depuis trois mois les leçons de
+l'abbé de l'Épée l'ont rendue très-savante dans le langage
+d'Anatole.--Quoi! s'écrie madame de Réthel, c'est donc à cette
+occupation que vous consacriez ces longues matinées où vous étiez
+invisible pour tout le monde.--Vraiment oui, répondit Valentine;
+lorsque j'ai senti que rien ne pouvait m'empêcher de l'aimer, j'ai
+voulu apprendre à le lui dire.»
+
+Comme elle achevait ces mots, la voiture s'arrête; on l'ouvre
+précipitamment, et la marquise s'élance dans les bras de M. de
+Saint-Albert, qui s'écrie: O mon amie! est-il bien vrai?» L'émotion
+de Valentine ne lui permet pas de répondre; elle se laisse conduire
+par le commandeur sans voir où il l'entraîne. Bientôt Anatole est à
+ses pieds. Une femme, baignée de pleurs, la presse sur son sein; à
+ses traits, aux transports de sa reconnaissance, Valentine devine
+qu'elle embrasse la mère d'Anatole, et son coeur éprouve tout ce que
+le ciel a voulu attacher de divin au plaisir de faire des heureux.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLV ET DERNIER.
+
+
+Voilà, dira-t-on, un trait d'héroïsme au-dessus du courage des
+femmes. Ce n'est pas dans l'amour qu'inspire un homme, dont les
+qualités brillantes rachètent une disgrace qui ne le rend à charge à
+personne, qu'on doit admirer l'effort d'un si beau dévouement; c'est
+dans la résolution de braver le ridicule attaché à un choix
+semblable, que se trouve tout le sublime d'une action si généreuse!
+Madame de Saverny n'eut pas à se repentir d'en avoir offert
+l'exemple. En la voyant devenir l'épouse d'Anatole, d'abord on
+pensa dans le monde qu'elle se sacrifiait à la reconnaissance; mais
+bientôt la réalité de son bonheur vint prouver aux plus incrédules,
+que la certitude d'être constamment adorée peut suffire à la
+félicité d'une femme sensible; et que, dans une union formée par
+l'amour, on s'entend toujours assez tant qu'on s'aime beaucoup.
+
+M. de Nangis quitta Londres pour être témoin du mariage de sa soeur,
+qui se fit à Merville. Avant de se rendre à l'église, Valentine
+demanda à son frère la permission de lui présenter la gouvernante
+d'Isaure, l'amie intéressante dont les soins l'avaient aidée à
+rappeler son enfant à la vie.--Conduisez-moi vers elle, répond le
+comte, impatient de remercier celle à qui il croit devoir la plus
+douce consolation qui lui reste.» Au même instant, Valentine ouvre
+la porte d'un cabinet où madame de Nangis attendait en tremblant
+l'arrêt qui devait finir ou éterniser son supplice. Sans laisser aux
+deux époux le temps de se livrer aux différents sentiments qui les
+agitent, Valentine les conduit dans les bras l'un de l'autre, en
+disant: «Le pardon de madame de Nangis est bien dû à la mère
+d'Isaure!» Mais que dira le monde, s'écria le comte, en essuyant les
+larmes qui s'échappaient de ses yeux?--Restez ici près de nous,
+reprit Valentine; et vous ne le saurez pas. Ce monde vaut-il donc
+la peine de tant lui sacrifier? et la peur d'une raillerie doit-elle
+empêcher de pardonner des torts expiés par la douleur et le
+repentir? Ah! tout me le prouve: ce n'est pas dans les plaisirs
+bruyants de ce monde frivole qu'on peut trouver l'oubli de ses
+chagrins. Imitez-moi, mon frère; ayez le courage d'être heureux.
+Qu'en arrivera-t-il? On plaisantera de l'excès de votre bonté; on
+rira de mon choix; et l'on enviera bientôt notre bonheur.
+
+FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
+
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+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
+Foundation as set forth in Section 3 below.
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+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
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+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
+INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
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+the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
+provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+ The Project Gutenberg's eBook of Anatole, Tome Second, by Sophie Gay</title>
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+The Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+Title: Anatole, Vol. 2 (of 2),
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+Author: Sophie Gay
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+Release Date: January 31, 2011 [EBook #35129]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
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+Produced by Hélène de Mink and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
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+<div class="box">
+<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
+L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
+Les numéros des pages blanches non pas été repris.</p>
+<p>Une table des chapitres a été créée pour ce livre électronique qui ne figure pas dans
+le texte d'origine.</p></div>
+
+<p class="p2"><a name="Page_1" id="Page_1"></a></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h4>TOME SECOND.</h4>
+
+<p class="p4 center"><i><b>Tome II.</b></i></p>
+
+<p class="center p4"><a name="Page_2" id="Page_2"></a>
+De l'Imprimerie de <span class="smcap">Firmin Didot</span>.</p>
+
+<p class="p2 center"><i>Se trouve aussi à Paris</i>,</p>
+
+<div class="left25">
+<table border="0" cellpadding="0" cellspacing="0" summary="libraires">
+<tr>
+ <td valign="middle" class="cbrace">{</td>
+ <td><span class="smcap">Delaunay</span>, Libraire, Galerie de Bois, au Palais-Royal.<br />
+ <span class="smcap">Renard</span>, rue de Caumartin, n<sup>o</sup> 12.<br />
+ <span class="smcap">Laurent-Beaupré</span>, au Palais-Royal.</td>
+</tr>
+</table>
+</div>
+
+<p class="p4"><a name="Page_3" id="Page_3"></a></p>
+
+<h1>ANATOLE.</h1>
+
+<p class="p2 center"><small><b>PAR L'AUTEUR</b></small></p>
+
+<p class="center"><big><b>DE LÉONIE DE MONTBREUSE.</b></big></p>
+
+<p class="center p2"><big><b>TOME SECOND</b>.</big></p>
+
+<div class="figcenter"><img src="images/logo.jpg" width="100" height="86" alt="logo" title="" />
+</div>
+
+<p class="center p2"><small><b>A PARIS,</b></small></p>
+
+<p class="p2 center"><b>CHEZ FIRMIN DIDOT, LIBRAIRE,</b><br />
+<span class="smcap"><b>Imprimeur de l'Institut de France</b></span>,<br />
+<b>rue Jacob, n<sup>o</sup> 24.</b></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="center p2"><b>1815.</b></p>
+
+<p><a name="Page_4" id="Page_4"></a></p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">5</a></span></p>
+
+<h2>ANATOLE.</h2>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXIV" id="CHAPITRE_XXIV"></a>CHAPITRE XXIV.</h3>
+
+<hr class="c5" />
+
+<p class="p2">L'étourderie naturelle à l'âge
+d'Isaure lui empêcha de remarquer
+que sa tante revenait sans le voile
+de mousseline quelle lui avait vu le
+matin: mais mademoiselle Cécile,
+dont l'esprit d'ordre allait parfois
+jusqu'à la tyrannie, ne manqua pas
+de demander à sa maîtresse, d'un
+ton respectueusement impérieux,
+ce qu'elle avait fait de son voile.
+La marquise lui répondit, avec le
+trouble d'une enfant qui ment à sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">6</a></span>
+gouvernante, qu'elle n'en savait rien.&mdash;Ah!
+je devine, madame l'aura
+sûrement oublié dans sa voiture; et,
+sans perdre de temps, mademoiselle
+Cécile descend dans la cour, retourne
+tous les coussins de la berline, et,
+ne trouvant rien, finit par conclure
+que la marquise aura laissé son
+voile dans l'église de Saint-Denis: elle
+veut absolument qu'un domestique
+monte à cheval pour l'aller chercher,
+mais on refuse tout net de lui obéir,
+en répondant qu'on ne fera ce
+voyage que par les ordres de madame;
+et la marquise est obligée
+d'employer son autorité pour s'opposer
+au zèle de mademoiselle Cécile,
+en disant que ce voile ne vaut pas
+tant de recherches, et qu'il est inutile
+d'en faire de nouvelles.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">7</a></span>
+On se doute bien que, le soir
+même de ce beau jour pour Anatole,
+Valentine reçut une lettre où le repentir,
+la reconnaissance, et l'amour,
+se peignaient à chaque ligne. L'espérance
+d'être aimé s'y laissait entrevoir
+à travers les regrets d'un
+amour sans espoir. Un reste de sentiment
+jaloux se mêlait aux serments
+de ne plus offenser par d'injustes
+reproches celle dont on n'avait pas
+le droit d'enchaîner la liberté. Pour le
+sacrifice de la vie entière, on n'exigeait
+d'autre retour qu'un peu d'amitié
+et quelque confiance: mais la
+moindre preuve d'indifférence frapperait
+d'un coup mortel le c&oelig;ur le plus
+dévoué. Enfin, cette lettre était un
+chef-d'&oelig;uvre de passion. C'est avouer
+<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">8</a></span>
+qu'elle n'avait pas le sens commun.
+Aussi Valentine en fut elle enchantée;
+la joie qu'elle en ressentit donna
+à sa physionomie une expression si
+différente de celle qu'on y avait remarquée
+la veille, que madame de
+Nangis ne put s'empêcher de lui dire
+que l'aspect des tombeaux produisait
+sur elle d'étranges effets. »Je vous ai
+vue, ajouta-t-elle, revenir quelquefois
+de l'opéra, l'air triste et abattu,
+mais vivent les cimetières pour vous
+rendre à la gaité!» Valentine était de
+trop bonne humeur pour s'offenser
+de cette mauvaise plaisanterie; le chevalier
+d'Émerange y joignit les siennes
+en tâchant de les rendre piquantes,
+mais la marquise s'amusait à déconcerter
+leur malice par de vives reparties
+<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">9</a></span>
+que la fatuité du chevalier
+lui fesait regarder comme autant d'agaceries
+de la part de Valentine.
+Cette petite lutte plaisait assez à la
+comtesse; elle remarquait dans les
+réponses du chevalier une certaine
+amertume qui devait piquer sa belle-s&oelig;ur;
+et tout ce qui semblait nuire
+à leur intimité rassurait la comtesse.
+Jamais sécurité ne fut plus mal
+fondée, car pendant que le chevalier
+plaisantait Valentine sur la
+prétendue mélancolie qui lui fesait
+rechercher l'aspect des plus tristes
+lieux pour en rapporter les sentiments
+les plus gais, il admirait cette
+variété d'impressions qui la rendaient
+tour-à-tour si mélancolique
+si piquante, et se peignait d'avance
+<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">10</a></span>
+tout le plaisir réservé à celui qui
+pourrait d'un seul mot faire naître
+la tristesse ou la joie sur ce beau
+visage.</p>
+
+<p>Malgré sa finesse et sa grande habitude
+d'observer, M. d'Émerange
+se flattait d'être pour beaucoup dans
+les agitations du c&oelig;ur de Valentine:
+on s'étonnera peut-être de voir un
+homme d'esprit se tromper aussi
+lourdement sur les vrais sentiments
+d'une femme; mais quand on réfléchira
+que le chevalier, sans cesse
+témoin des hommages qu'on offrait
+à la marquise, avait pu se convaincre
+que nul n'était payé de la moindre
+préférence; que de plus, il s'était
+assuré, par M. de Nangis, de la parfaite
+indifférence de sa s&oelig;ur pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">11</a></span>
+ses voisins de Saverny; et qu'enfin
+tout décelait dans les actions de Valentine
+le trouble intérieur qui naît
+d'un sentiment combattu, on trouvera
+bien simple que M. d'Émerange
+s'en attribuât l'honneur; mais si toutes
+ses raisons ne justifiaient pas assez
+l'excès de sa présomption, l'expérience
+l'expliquerait suffisamment.
+Car personne n'ignore que si parfois
+l'amour rend fous les gens d'esprit,
+l'amour-propre les rend souvent
+imbécilles.</p>
+
+<p>Par une suite de son aveuglement,
+le chevalier crut devoir faire part à
+M. de Nangis des espérances qu'il
+concevait, et l'engager à prévenir,
+par quelques mots, la marquise sur
+leur projet. On devait profiter pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">12</a></span>
+cela de la courte absence du chevalier,
+qui partait incessamment
+pour aller recevoir le dernier soupir
+de cet oncle dont l'avarice n'avait
+tant amassé que pour satisfaire la
+prodigalité d'un neveu.</p>
+
+<p>Ce fait convenu, le chevalier partit
+l'ame enivrée du plus doux espoir,
+et n'éprouvant d'autre embarras que
+celui de cacher sa joie aux amis du
+mourant. Le lendemain de son départ,
+Valentine était à l'opéra, parée
+d'un bouquet de jasmin qu'Anatole
+dut reconnaître, et bien plus occupée
+de sa présence que de l'absence du
+chevalier, lorsque M. de Nangis vint
+lui dire tout bas, et d'un air fin, que
+sa préoccupation serait remarquée
+de tout le monde, excepté de celui
+<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">13</a></span>
+qui en était l'objet; c'est dommage,
+ajouta-t-il; car on doit être bien
+fier de vous rendre aussi rêveuse.
+Comme on suppose facilement ce
+que l'on craint, Valentine s'imagina
+que son frère voulait parler d'Anatole,
+et cette idée la troubla. Le comte
+ne s'étonna point de la voir aussi
+émue; et, sans s'expliquer davantage,
+il lui dit qu'ayant à lui parler d'affaires
+importantes, il l'engageait à
+venir déjeûner dans son cabinet le
+lendemain: elle promit de se rendre
+à l'invitation; mais cet entretien demandé
+avec tant de solennité tourmenta
+cruellement l'esprit de Valentine.
+Elle se perdit en conjectures
+pour en deviner le motif, et s'efforça
+vainement d'espérer quelque heureuse
+<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">14</a></span>
+nouvelle. Un secret pressentiment
+lui fesait redouter les avis de
+son frère; et, comme le pigeon de
+La Fontaine, Valentine croyait beaucoup
+aux pressentiments.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXV" id="CHAPITRE_XXV"></a>CHAPITRE XXV.</h3>
+
+<p class="p2">Après une réception plus cérémonieuse
+que fraternelle, M. de Nangis
+entama la grande question par un
+long préambule, et finit par féliciter
+sa s&oelig;ur sur le beau sort qui l'attendait.
+Ce début fit battre le c&oelig;ur
+de Valentine; elle ne douta plus
+que son frère, instruit de l'amour
+d'Anatole, ne conçût le projet de
+<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">15</a></span>
+surmonter tous les obstacles pour
+assurer son bonheur. Mais cette
+douce idée s'évanouit bientôt, lorsqu'elle
+entendit M. de Nangis faire
+un grand éloge de M. d'Émerange,
+et y ajouter ces mots: «Tant d'agréments
+réunis méritaient votre préférence;
+aussi me suis-je bien gardé
+de la contrarier; vous avez vu mes
+soins à multiplier les assiduités du
+chevalier chez moi; mais vous devez
+penser que si je lui ai offert aussi
+souvent les occasions de vous faire
+sa cour, j'étais rassuré d'avance sur
+la crainte de vous compromettre.
+La manière noble et franche dont
+le chevalier m'avait déclaré ses intentions
+ne pouvait me laisser aucun
+doute sur ses sentiments pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">16</a></span>
+vous, et c'est en vous approuvant
+que je vous les voyais partager.»&mdash;Moi,
+mon frère, interrompit Valentine,
+avec un embarras mêlé de
+dépit, je vous jure que loin de les
+partager, je les ignorais.&mdash;Ah! Valentine,
+soyez de bonne foi, et vous
+conviendrez de ce que tout le monde
+sait déjà. Une femme s'aperçoit si vîte
+de l'amour qu'elle inspire! D'ailleurs
+il faut avouer que M. d'Émerange
+dissimulait fort mal celui qu'il a
+pour vous; car il y a déja très-longtemps
+que, plaisantant madame de
+Nangis sur l'attrait qui fixait auprès
+d'elle tant de gens aimables, et particulièrement
+un homme dont les
+plus jolies femmes se disputaient
+l'hommage, elle me fit remarquer
+<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">17</a></span>
+que vous seule aviez l'honneur de
+ce triomphe.&mdash;A ces mots le front
+de Valentine se couvrit de rougeur,
+elle frémit de laisser soupçonner à
+son frère l'idée qui excitait sa honte
+pour une personne chère à tous
+deux; et la bonté de son c&oelig;ur la
+décida à convenir que le chevalier
+lui avait en effet témoigné quelquefois
+le desir de lui plaire; mais que
+le caractère frivole dont il fesait
+gloire, l'avait empêchée d'attacher
+la moindre importance à ses discours.&mdash;Il
+n'en est pas moins vrai
+qu'ils vous étaient agréables, reprit
+le comte; ils vous le paraîtront encore
+plus maintenant que vous savez
+que cette apparence de galanterie
+cache un sentiment profond. Mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">18</a></span>
+je suis de votre avis sur ces airs
+légers, qui sont tant à la mode; vous
+en voyez l'inconvénient, on ne sait
+à quoi s'en tenir sur tout ce qui se
+dit; la gravité est moins amusante,
+j'en conviens: mais quand il s'agit
+d'une affaire d'où dépend le destin
+de sa vie, on pourrait bien se résigner
+à en parler sérieusement. Au
+reste, pour mon compte, je n'ai pas
+ce reproche à faire à M. d'Émerange;
+et c'est avec toute la solennité d'une
+semblable démarche qu'il est venu
+me prier de vous offrir sa main.&mdash;Je
+suis fort honorée de son choix,
+répondit Valentine en baissant les
+yeux, mais je ne saurais me décider
+aussi promptement... à former un
+nouveau lien.&mdash;Voilà tout justement
+<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">19</a></span>
+une réponse de comédie; vous oubliez,
+ma chère Valentine, que ce
+n'est ni un tuteur, ni un oncle qui
+vous interroge, et qu'étant parfaitement
+libre d'agir selon votre volonté,
+vous n'avez besoin d'aucun prétexte
+pour la satisfaire. Il est vrai que le
+respect des usages, et ce que l'on
+se doit à soi-même, imposent quelquefois
+plus de sacrifices que n'en
+saurait exiger l'autorité des parents
+les plus sévères; mais vous connaissez
+aussi bien que moi l'empire
+de ces devoirs, et vous n'avez pas
+plus à redouter mes avis que ceux
+de votre raison; ainsi donc pourquoi
+me feriez-vous mystère de vos
+projets et de vos sentiments?&mdash;Puisque
+vous m'autorisez à vous parler
+<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">20</a></span>
+franchement, reprit Valentine avec
+plus d'assurance, je vous avouerai
+que, tout en rendant justice aux
+avantages séduisants de M. d'Émerange,
+je le crois incapable de s'occuper
+du bonheur de sa femme.
+Quand on a, comme lui, contracté
+l'habitude des succès brillants, on
+ne se réduit pas sans regret à des
+plaisirs plus calmes; et je ne me sens
+point le courage de consacrer ma
+vie à un homme fort aimable, sans
+doute, mais qui me semble impossible
+à fixer.&mdash;Vous avez cru probablement
+triompher de ce raisonnement,
+quand vous avez consenti à
+recevoir les soins du chevalier?&mdash;Je
+ne les ai jamais encouragés.&mdash;Du
+moins les avez-vous accueillis sans
+<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">21</a></span>
+dédain, car autrement il aurait bientôt
+cessé de vous les consacrer. Son
+caractère est trop connu pour qu'on
+lui soupçonne jamais la duperie de
+persister dans un amour sans espoir?
+Aussi est-on déja convaincu dans le
+monde de votre préférence pour lui,
+et de l'heureux événement qui doit
+en résulter.&mdash;C'est ce qui m'afflige,
+repartit Valentine, le c&oelig;ur oppressé
+par le ton de sévérité que venait
+de prendre son frère; cependant,
+ajouta-t-elle, je ne me crois pas
+obligée d'accomplir les prédictions
+qu'il plaît à quelques personnes de
+faire.&mdash;Songez bien que ces sortes
+de prédictions sont presque toujours
+dictées par le sentiment des convenances.
+Mais j'ai tort de vouloir soutenir
+<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">22</a></span>
+une cause que votre c&oelig;ur plaidera
+bien mieux que moi. J'ai rempli
+mon devoir en vous instruisant de la
+proposition de M. d'Émerange: il doit
+être de retour ici dans huit jours;
+réfléchissez d'ici à ce moment sur la
+réponse que vous devez lui faire, et
+pensez sur-tout qu'on ne refuse pas
+impunément d'aussi grands avantages.»
+En finissant ces mots, le
+comte sortit pour donner quelques
+ordres. Valentine, empressée de terminer
+un entretien que la contrainte
+rendait insupportable, rentra dans
+son appartement, et s'y renferma
+pour méditer sur la réponse qu'on
+lui demandait. Son incertitude ne
+portait pas sur l'idée d'accepter ou
+non la proposition du chevalier. Elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">23</a></span>
+était bien décidée au refus. Mais la
+manière de motiver ce refus lui présentait
+de grandes difficultés. L'aveu
+de ses rapports avec Anatole n'aurait
+pas trouvé grace auprès de M. de
+Nangis, dont la froide raison ne
+comprenait rien aux faiblesses du
+c&oelig;ur. D'ailleurs comment se flatter
+de voir approuver par qui que ce
+soit le sacrifice d'un sort brillant,
+pour les plaisirs d'un amour romanesque!
+Cette réflexion devait empêcher
+Valentine de confier jamais
+le principal motif de sa résistance
+aux v&oelig;ux du chevalier. Il ne lui restait
+donc plus qu'à répéter les lieux
+communs dont on se sert ordinairement
+pour rejeter de semblables
+propositions, sans humilier l'amour-propre
+<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">24</a></span>
+de celui qu'on refuse, et
+sans trahir le secret de celui qu'on
+préfère.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVI" id="CHAPITRE_XXVI"></a>CHAPITRE XXVI.</h3>
+
+<p class="p2">Deux jours après l'entretien qui
+avait jeté tant de trouble dans l'esprit
+de Valentine, elle reçut un billet
+du commandeur, qui lui demandait
+s'il pourrait avoir l'honneur de la
+voir dans la matinée; ce message lui
+inspira des soupçons: elle répondit
+au commandeur qu'elle l'attendait;
+et lorsqu'elle le vit arriver, elle lui
+témoigna franchement l'impatience
+<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">25</a></span>
+qu'elle avait d'apprendre ce qui
+lui procurait le plaisir de le voir
+d'aussi bonne heure.&mdash;Ah! vous devinez,
+dit-il, que je ne viens pas
+ici tout simplement pour vous faire
+ma cour. Vous me trouvez peut-être
+l'air important d'un ambassadeur
+chargé d'une mission délicate; je suis
+bien aise d'avoir le maintien convenable
+dans une circonstance aussi
+solemnelle.&mdash;Ah mon Dieu! qu'allez-vous
+m'annoncer, interrompit Valentine
+en riant de la plaisante gravité
+qu'affectait le commandeur.&mdash;Il
+ne s'agit point de rire, reprit-il,
+mais d'écouter posément tout ce que
+l'ambition, la raison et l'intérêt, vont
+vous dire par ma bouche. Une personne
+qui me fait l'honneur de
+<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">26</a></span>
+me supposer beaucoup de crédit
+sur votre esprit, compte sur mes
+conseils pour vous déterminer à assurer
+d'un seul mot le bonheur de
+toute votre famille. J'ai promis de répondre
+à cette honorable preuve de
+confiance par tout le zèle qui pourrait
+m'en rendre digne. En véritable
+diplomate, je me suis bien gardé de
+nier l'influence que l'on me croyait
+sur la grande puissance que l'on
+voulait soumettre; car j'ai remarqué
+que les professeurs en ce genre aimaient
+mieux compromettre leur
+crédit que d'en laisser douter; et
+vous voudrez bien, j'espère, ne pas
+démentir une réputation dont je suis
+aussi fier.&mdash;Quoi, vous seriez député
+par mon frère pour me parler
+<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">27</a></span>
+mariage?&mdash;Précisément.&mdash;Et c'est
+sur les avis de votre sagesse que l'on
+fonde l'espérance de me faire faire
+une folie?&mdash;Pourquoi pas? Ce ne
+serait pas la première fois que ma
+sagesse aurait aussi bien réussi.&mdash;Eh
+bien! je veux la mettre à l'épreuve
+dans cette circonstance, et m'en
+rapporter à tout ce qu'elle décidera.
+Je verrai quels seront ses arguments
+pour me prouver que je dois épouser
+l'homme du monde qui me convient
+le moins?&mdash;Qu'il vous convînt, ou
+non, si vous l'aimiez, comme je l'ai
+cru un moment, vous trouveriez mes
+arguments admirables. Mais il n'est
+point question ici de vos sentiments.
+Un homme bien né, beau, riche, et
+spirituel, vous offre sa main. Tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">28</a></span>
+d'avantages réunis ne vous laissent
+qu'un seul motif de refus. Je sais que
+vous pourrez parler de la crainte
+d'un nouveau lien, du desir de rester
+libre, et de l'inconstance reconnue
+du chevalier; mais tous ces prétextes
+ne voudront jamais dire au fond que
+ces mots: <i>Je ne vous aime pas</i>. Et
+je me trompe fort, où M. d'Émerange
+ne vous pardonnera pas cette
+injure.&mdash;Cependant, je ne compte
+pas l'épouser par terreur de son ressentiment.&mdash;Ce
+serait d'autant plus
+mal calculé, que cela ne vous mettrait
+point à l'abri de celui que vous
+devez le plus redouter. Dans la position
+où vous vous trouvez, vous
+n'avez qu'à choisir entre deux vengeances;
+si vous redoutez celle du
+<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">29</a></span>
+chevalier, la comtesse vous en punira.
+Ne vous offensez pas de cette
+réflexion, ce n'est pas le moment
+d'employer des subterfuges pour
+vous démontrer la vérité; je n'ai
+pas envie d'insulter, par la plus
+sotte médisance, une femme que
+vous devez aimer en dépit de ses
+torts; mais l'amitié dont vous m'honorez,
+me fait un devoir de vous
+garantir, s'il se peut, du mal que
+sa vanité cherchera à vous faire.&mdash;J'avoue
+qu'elle est faible, inconsidérée,
+mais, j'en suis sûre, elle n'est
+pas méchante, dit Valentine, les
+larmes aux yeux.&mdash;Non; mais elle
+le deviendrait bientôt, si elle se doutait
+une minute de la préférence
+qu'on vous accorde.&mdash;Hélas! pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">30</a></span>
+lui laisser ignorer cette malheureuse
+préférence, je m'exilerais, je crois,
+au bout du monde!&mdash;Beau moyen!
+M. d'Émerange vous y suivrait, la
+comtesse en tomberait malade, et
+rien ne manquerait au scandale.&mdash;Que
+faut-il donc faire pour éviter
+tant de malheurs?&mdash;Il faut se résoudre
+à tromper l'amour-propre
+du chevalier, ou bien consentir à
+le satisfaire.&mdash;Vous me supposez
+trop de finesse, ou trop de résignation.&mdash;Si
+vous vous décidez au
+premier parti, je vous réponds du
+succès; et, à vous parler sans détour,
+je ne vois pas ce qui vous empêcherait
+de prendre le second. Les défauts
+du chevalier auraient de grands inconvénients
+pour une femme ordinaire,
+<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">31</a></span>
+mais celle dont l'esprit et la
+beauté flatteront son orgueil, n'aura
+jamais à en souffrir.&mdash;Il est égoïste.&mdash;Tant
+mieux; les égoïstes sont des
+maris parfaits; ils ont pour leurs
+femmes et leurs enfants cette tendre
+affection qu'ils portent sur tout ce
+qui fait partie d'eux-mêmes. Je vous
+proteste que ce défaut, si détestable
+dans la société, est une vertu de
+ménage.&mdash;Je ne saurais l'apprécier.&mdash;D'ailleurs,
+continua M. de Saint-Albert,
+je vous crois capable d'opérer
+de grandes conversions; et puis
+il y a si peu de différence entre les
+défauts des gens du monde, que ce
+n'est guère la peine de les discuter.
+Le mieux est de ne les pas voir ou
+de les aimer, et c'est ce que l'amour
+<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">32</a></span>
+apprend à merveille.&mdash;Sans doute,
+mais il faut de l'amour.&mdash;A votre
+âge, on en a toujours.&mdash;Je ne m'en
+sens pourtant pas pour M. d'Émerange&mdash;C'est
+que vous en éprouvez
+pour un autre..... Voilà le grand
+secret que l'émotion qui vous colore
+en ce moment m'apprendrait assez,
+si je ne l'avais deviné depuis long-temps.
+Mais l'objet de cet amour,
+que le bonheur ne doit point couronner,
+tout en vous aimant avec
+idolâtrie, serait désespéré de vous
+voir sacrifier un sort brillant aux
+intérêts de sa folle passion; ne regardez
+pas ce noble sentiment comme
+une supposition de ma part, je viens
+d'en acquérir la preuve. Avant de
+me rendre auprès de vous, j'ai voulu
+<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">33</a></span>
+consulter mon ami sur la démarche
+que votre frère exigeait de moi, et
+je dois rendre justice à celui qui
+vous inspire un si vif intérêt; il s'en
+est montré digne, en me conjurant
+de sacrifier sa vie au bonheur de la
+vôtre.&mdash;Indigne générosité! s'écria
+Valentine, hors d'elle-même; et
+c'est lui qui m'engage à épouser un
+homme qu'il méprise!&mdash;Ne vous
+abusez point, c'est de la haine qu'il
+a pour lui, et non pas du mépris.
+Son injustice envers le chevalier
+prouve assez les moyens qu'il lui
+croit de vous plaire; mais qu'importe
+l'opinion d'un rival? C'est de la probité
+qu'il faut, même en amour. Il
+n'est permis de disposer de la destinée
+d'une femme, qu'autant qu'on
+<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">34</a></span>
+espère la rendre heureuse; lorsqu'on
+n'a pas cette espérance, on ne peut
+s'opposer à ce qu'un autre se charge
+du soin de son bonheur.&mdash;Je le
+sens, le mien est à jamais perdu;
+mais au moins n'aurai-je pas à me
+reprocher de l'avoir sacrifié à de
+vaines considérations. Ma résolution
+est irrévocablement prise, et je ne
+réclame plus vos conseils que sur la
+manière de la faire connaître; en
+refusant les offres de M. d'Émerange,
+je conviens que j'ai de grands ménagements
+à garder. Indiquez-moi les
+plus convenables, et je vous réponds
+de ma docilité. Mais n'en exigez pas
+davantage de la raison d'une femme,
+qui aime mieux vivre malheureuse à
+son gré, que de se voir comblée des
+<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">35</a></span>
+bienfaits qui excitent l'envie de tout
+le monde.</p>
+
+<p>Après avoir écouté attentivement
+ces derniers mots de Valentine, le
+commandeur lui prit la main, la
+porta à ses lèvres avec toutes les
+marques d'un attendrissement qu'il
+ne pouvait dissimuler; et il sortit en
+répétant son exclamation favorite:
+Quel dommage!</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVII" id="CHAPITRE_XXVII"></a>CHAPITRE XXVII.</h3>
+
+<p class="p2">On venait d'apprendre le retour de
+M. d'Émerange, et, comme le dit un
+de nos auteurs les plus spirituels, il
+rapportait de son voyage <i>le crêpe et</i>
+<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">36</a></span>
+<i>la joie</i> d'un riche héritier. Il ne se
+passait guère d'heures sans que Valentine
+pensât à ce retour, et cependant
+elle en fut surprise comme
+d'une nouvelle inattendue. Tous les
+projets de réponses qu'elle avait si sagement
+combinées avec M. de Saint-Albert,
+se confondirent dans son
+esprit. Elle sentit qu'il lui serait
+bien difficile de soutenir l'entrevue
+dans laquelle le commandeur exigeait
+qu'elle déclarât au chevalier
+qu'une raison, dont elle ne pouvait
+convenir, l'obligeait à refuser ses
+flatteuses propositions. Elle devait
+accompagner cette phrase insidieuse
+de tous les compliments qui peuvent
+rassurer l'amour-propre. Par
+ce moyen, le commandeur espérait
+<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">37</a></span>
+voir retomber sur madame de
+Nangis le ressentiment de M. d'Émerange,
+car celui-ci ne manquerait
+pas d'accuser la comtesse d'inspirer
+à sa s&oelig;ur l'excès de délicatesse qui
+lui fesait rejeter l'offre de sa main.
+Alors Valentine, loin d'être soupçonnée
+de dédaigner l'amour du chevalier,
+paraîtrait à ses yeux comme
+la victime d'une amitié héroïque.
+En calculant ainsi, M. de Saint-Albert
+s'était trop méfié de la candeur
+de Valentine, pour lui confier tout
+ce qu'il attendait de cette ruse. Il
+lui avait persuadé qu'en répondant
+de cette manière elle disait la vérité
+sans trahir son secret, et laissait au
+chevalier encore assez d'espoir pour
+lui ôter l'envie de se venger d'un
+refus humiliant.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">38</a></span>
+Ce point convenu, le commandeur
+instruisit M. de Nangis du projet
+que la marquise avait de répondre
+elle-même à M. d'Émerange. Le
+comte s'en réjouit en pensant que si
+sa s&oelig;ur avait le dessein de rejetter
+les v&oelig;ux du chevalier, elle se serait
+probablement épargné le désagrément
+de lui apprendre elle-même
+cette mauvaise nouvelle. Ravi de
+cette espérance, le comte s'empressa
+de la faire partager à celui
+qui devait en recueillir le fruit.
+M. d'Émerange reçut la confidence
+en homme que le succès n'étonne
+jamais; il promit au comte de se
+rendre à l'invitation qu'il lui fesait
+de dîner le jour même chez lui, et
+ne douta pas que Valentine ne lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">39</a></span>
+offrît, dans cette journée, quelques
+moyens d'attendre patiemment sa
+réponse.</p>
+
+<p>Il était déja trois heures, on n'attendait
+plus qu'une seule personne
+pour se mettre à table, lorsqu'on
+annonça M. le comte d'Émerange
+(c'était son nouveau titre). Ce nom
+provoqua des émotions bien différentes:
+madame de Nangis tressaillit
+de plaisir, et Valentine rougit d'embarras.
+Mais, à moins d'être dans
+le secret des femmes, on risque souvent
+de se tromper sur les impressions
+qu'elles reçoivent; et de moins
+présomptueux que M. d'Émerange
+auraient pu interpréter comme lui
+le trouble de Valentine; cependant
+il n'eut pas l'air de le remarquer;
+<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">40</a></span>
+mais, quand il lui adressait la parole,
+il prenait un ton de reconnaissance
+qui semblait la remercier
+d'avance de tout ce qu'il attendait
+de son amour. Ses mots ingénieux,
+ses regards pénétrants étaient pour
+Valentine, mais tous ses soins étaient
+pour la comtesse: il paraissait vouloir
+se faire un mérite auprès de la
+première des égards qu'il conservait
+pour l'autre. Du reste, sérieux sans
+affectation, il répondait avec politesse
+à tous ceux qui se composaient
+le visage pour venir lui adresser des
+compliments de condoléance et des
+félicitations, sur la perte et l'héritage
+qu'il venait de faire. Madame de
+Nangis, que ce genre de conversation
+ennuyait à périr, fit entendre
+<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">41</a></span>
+aux personnes qui s'obstinaient à
+savoir les détails de la mort du défunt,
+que la sensibilité de M. d'Émerange
+en serait trop affectée, et les
+pria de parler d'autre chose. On lui
+obéit sans peine; car au fond les plus
+curieux ne se souciaient pas beaucoup
+d'en apprendre davantage sur
+un événement qui leur était indifférent.
+Aussi fut-il bientôt oublié; en
+moins d'un quart d'heure la gaîté
+redevint générale; et la sensibilité de
+M. d'Émerange ne s'en offensa point.
+Son naturel piquant et le penchant
+qui l'entraînait vers la plaisanterie, se
+laissaient même entrevoir à travers
+le maintien grave que lui imposait
+la couleur sombre de son vêtement;
+et comme on ne respecte guère dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">42</a></span>
+le monde que le deuil qu'on porte
+sur la physionomie, une jeune femme
+qui ne se souvenait plus de celui du
+comte d'Émerange, vint l'engager à
+chanter. Aussitôt chacun joignit ses
+instances à celles de l'aimable étourdie;
+et ce n'est qu'à l'air indigné
+qu'il prit pour refuser la proposition,
+qu'on s'en rappella toute l'inconvenance.</p>
+
+<p>Cependant la soirée s'avançait, et
+M. d'Émerange n'avait pu trouver
+l'occasion de dire un mot en particulier
+à Valentine: il est vrai que
+placée auprès de sa belle-s&oelig;ur, il
+était impossible de parler à l'une
+des deux sans être entendu de l'autre.
+Pour se dédommager de cette
+privation et faire comprendre à Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">43</a></span>
+qu'il comptait sur ce qu'elle
+avait chargé le commandeur de lui
+faire savoir, M. d'Émerange ne quitta
+plus celui-ci, et lui fit de grandes
+démonstrations de reconnaissance,
+pour que la marquise devinât qu'il
+le remerciait de l'intérêt qu'il avait
+pris à lui dans cette circonstance.
+Valentine le comprit assez; et lorsque
+le commandeur s'approchant
+d'elle, lui dit tout bas: Allons, du
+courage, demain l'on ira chercher
+votre réponse; souvenez-vous de ce
+dont nous sommes convenus; elle
+répondit en tremblant: Jamais je
+n'aurai la présence d'esprit qu'exige
+un semblable entretien; par pitié,
+faites en sorte de me l'épargner.&mdash;Cela
+est impossible.&mdash;Du moins,
+<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">44</a></span>
+n'aura-t-il pas lieu demain, car j'ai
+à sortir toute la journée.&mdash;Voilà
+bien le propos d'un enfant qui croit
+tout gagner en différant l'instant
+de boire sa médecine,&mdash;Pourquoi
+tant se presser d'annoncer une chose
+désagréable?&mdash;Pour n'avoir plus à
+la dire; d'ailleurs je vous ai suffisamment
+démontré la nécessité de cette
+démarche; mais je le vois bien, ce
+n'est pas moi qui vous y déciderai,
+un autre en pourra seul obtenir
+l'honneur. Ici on vint les interrompre;
+et Valentine se retira plus indécise
+que jamais sur ce qu'elle allait
+faire.</p>
+
+<p>Le billet qu'on lui remit le lendemain
+à son réveil, lui rappela les
+derniers mots du commandeur. Elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">45</a></span>
+le décacheta en disant: Voilà qui
+va fixer toutes mes incertitudes; et
+son c&oelig;ur se livra d'avance au plaisir
+si doux d'obéir à ce qu'on aime; il
+faut avoir souffert les tourments attachés
+à la détermination d'une décision
+importante pour connaître
+tout le prix d'un ordre absolu. De
+combien de responsabilités il délivre.
+On profite du bien qu'il produit
+sans avoir à se reprocher le mal qui
+en résulte; et, quand cet ordre n'est
+qu'un desir, que de charmes dans
+l'obéissance!</p>
+
+<p class="p2 left5"><span class="smcap"><b>ANATOLE a VALENTINE.</b></span></p>
+
+<p>«Il y va du repos de votre existence,
+me dit-on: ah! Valentine,
+au nom du ciel, au nom de celui
+<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">46</a></span>
+qui ne respire que pour vous adorer,
+suivez le conseil qu'un ami
+sage vous donne; j'ignore ce qu'il
+exige de votre soumission, mais
+dût-il vous demander ma vie, n'hésitez
+pas à la promettre, elle est à
+vous. Enfin, quel que soit le sacrifice,
+oubliez la pitié que mon sort
+vous inspire, et songez que ma
+destinée entière est dans votre
+bonheur.»</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXVIII" id="CHAPITRE_XXVIII"></a>CHAPITRE XXVIII.</h3>
+
+<p class="p2">«Voilà qui est décidé, dit Valentine
+en serrant le billet dans son
+sein, je ne sortirai pas de la journée,
+<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">47</a></span>
+et M. de Saint-Albert sera content
+de moi.» Ce qui voulait dire tout
+simplement: Anatole le desire, et
+j'obéis sans peine. En effet, dès
+ce moment l'ennui de l'entretien
+qu'elle redoutait disparut à ses yeux;
+elle rassembla ses idées avec ordre,
+et s'appliqua à prévoir les objections
+que lui ferait M. d'Émerange, pour
+arranger ses réponses d'avance. Mais
+cette belle précaution eut le succès
+ordinaire. La conversation s'entama
+tout autrement que la marquise ne
+l'avait prévu; et il lui fut impossible
+de placer une seule de ces phrases
+si ingénieusement méditées. Heureusement
+pour elle, son esprit suppléa
+sans peine au défaut de sa prévoyance.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">48</a></span>
+M. d'Émerange, qu'une conversation
+sérieuse effrayait toujours,
+commença par plaisanter Valentine
+sur l'excès de sa fraîcheur, en lui
+disant qu'il était bien cruel de retrouver
+la femme qu'on adorait
+ainsi embellie par l'absence. Ce ton
+de gaîté fut aussitôt adopté par la
+marquise; elle sentit qu'il servirait
+à-la-fois sa franchise et sa politesse.
+M. d'Émerange lui sut bon gré de
+prendre ainsi le ton qu'il préférait,
+et regarda cette condescendance
+comme une suite de la facilité qu'on
+a communément de saisir les manières
+des gens qu'on aime. Après
+lui avoir témoigné sa reconnaissance
+par mille choses flatteuses, il ajouta:
+Que je vous remercie de m'avoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">49</a></span>
+épargné la frayeur d'entendre mon
+arrêt prononcé par votre frère; je
+sens qu'il m'aurait dit vingt fois que
+j'étais le plus heureux des hommes,
+sans me le persuader un instant, et
+je crois en vérité, qu'un refus de
+votre bouche m'attristerait moins
+qu'une bonne nouvelle sortie de la
+sienne.&mdash;Cela m'encourage, reprit
+en souriant Valentine.&mdash;N'allez pas
+abuser de cet aveu, pourtant.&mdash;Non,
+mais il me rassure, et m'engage à
+vous déclarer franchement...&mdash;Que
+vous me détestez peut-être.&mdash;Je
+mentirais; et vos procédés envers
+moi vous répondent au contraire
+de ma reconnaissance.&mdash;Je me soucie
+bien de votre reconnaissance;
+vraiment je ne la mérite pas, car
+<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">50</a></span>
+j'ai fait tout ce que j'ai pu pour ne
+vous point aimer.&mdash;Pourquoi vous
+êtes-vous découragé sitôt?&mdash;Ah!
+vous vous en plaignez, c'est une
+manière de m'avouer....&mdash;Que toute
+honorée que je me trouve de votre
+choix, je n'y saurais répondre.&mdash;Et
+peut-on savoir la raison qui me
+condamne à d'éternels regrets? reprit
+le comte, d'un air moitié piqué
+et moitié dédaigneux.&mdash;Voilà ce
+qu'il faut que vous deviniez, dit en
+rougissant Valentine.&mdash;Mais si je
+la devine, vous n'en conviendrez
+pas?&mdash;Cela est vrai.&mdash;Eh bien! tant
+mieux, j'en agirai plus librement.
+Jusqu'à présent le desir de vous
+plaire et la crainte de voir troubler
+votre repos par la colère d'une
+<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">51</a></span>
+femme dont la vanité se blesse de
+toutes les préférences qui ne sont
+pas pour elle, m'ont fait supporter
+patiemment ses caprices. Me voilà
+enfin dispensé de jouer plus long-temps
+un rôle ridicule qui n'eût
+jamais été le mien, sans l'espérance
+de me voir récompensé de tant de
+sacrifices. Au fait, je ne suis pas tenu
+à plus d'égards qu'on n'en a pour
+moi; et votre franchise me semble
+très-bonne à imiter. C'est bien assez
+d'avoir à souffrir de son amour, sans
+se laisser tourmenter par la folie
+d'une autre.&mdash;Vous n'avez pas toujours
+pensé ainsi, et cette folie qui
+vous importune aujourd'hui vous
+plaisait autrefois?&mdash;Faites-moi un
+crime de votre ouvrage! Pouvais-je
+<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">52</a></span>
+deviner qu'il arriverait du fond de
+sa province une femme qui me tournerait
+la tête au point de ne plus
+voir qu'elle au monde? Certainement
+j'aurais mieux fait de répondre aux
+sentiments qu'on voulait bien me
+témoigner, que de persister dans
+ceux qu'elle dédaignerait; je ferais
+mieux encore d'oublier ma disgrace
+en cherchant loin d'elle quelques
+consolations; mais tout cela serait
+sage, et par conséquent au-dessus
+de mes forces. Je ne me pique point
+d'avoir cette vertu qui triomphe du
+sort; le mien veut que je vous aime
+en dépit de vous, et nous verrons
+qui l'emportera de votre volonté ou
+de ma constance.&mdash;Quels que soient
+vos projets, dit Valentine, d'un ton
+<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">53</a></span>
+suppliant, par pitié pour moi ménagez
+la sensibilité d'une personne
+dont vous avez égaré la raison; songez
+qu'un éclat la perdrait pour toujours;
+et ne me réduisez pas au
+chagrin de la quitter pour la délivrer
+d'une odieuse présence.&mdash;Cette
+prière rendit au comte toutes ses
+espérances. Il s'affermit dans l'idée
+que la crainte de désespérer madame
+de Nangis était le seul motif
+du refus de Valentine, et il vit en
+un instant tout le parti qu'il pouvait
+tirer du sentiment généreux qui la
+mettait dans sa dépendance. Empressé
+d'en faire l'épreuve, il répondit
+«Je m'engage à suivre en
+tout votre exemple. Vous pouvez
+mieux qu'une autre m'apprendre les
+<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">54</a></span>
+ménagements qu'on doit aux victimes
+d'un amour qui n'est point
+partagé.&mdash;Je le vois bien, reprit
+Valentine, en retenant des larmes
+de dépit, il faut que je m'éloigne de
+cette maison où le malheur va bientôt
+régner.&mdash;Oui, partez, répliqua
+M. d'Émerange avec feu, laissez ici
+l'intrigue et la vanité se débattre
+entre elles, et venez loin de cet empire
+de la coquetterie, venez éprouver
+la sincérité des sentiments que
+vous faites naître. Choisissez la retraite
+où rien ne saurait m'empêcher
+de vous suivre; là, vous pourrez
+vous convaincre que le bonheur de
+vous voir, de vous aimer, suffit à
+mon existence; et peut-être sentirez-vous
+alors le besoin de récompenser
+<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">55</a></span>
+tant d'amour.&mdash;Oh ciel!
+que me proposez-vous! s'écria Valentine.&mdash;En
+ce moment la porte
+s'ouvrit, et l'on vit paraître madame
+de Nangis, pâle, les yeux égarés, et
+paraissant se soutenir avec peine;
+Isaure l'accompagnait, et quitta sa
+main pour venir se jeter dans les
+bras de sa tante. Les caresses de cette
+enfant tirèrent Valentine de l'espèce
+de stupeur où l'avait plongée la subite
+apparition de la comtesse. Elle
+essaya de dire quelques mots, mais
+le tremblement de sa voix trahissait
+son trouble, et lui donnait un air
+coupable, tandis que M. d'Émerange,
+jouissant de toute sa présence d'esprit,
+s'informait des nouvelles de la
+comtesse, du ton le plus naturel, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">56</a></span>
+avec toute la sérénité d'une personne
+qui n'aurait pas eu la moindre chose
+à se reprocher envers elle. C'est ainsi
+que l'effronterie met plutôt à l'abri
+du soupçon que l'innocence.</p>
+
+<p>Le bavardage d'Isaure fut d'un
+grand secours dans cette circonstance,
+où chacun parlait au hasard,
+sans s'embarrasser de ce qu'il disait,
+pourvu que cela n'eût aucun rapport
+avec sa pensée; mais si la présence
+d'Isaure était appréciée, l'arrivée
+de madame de Réthel parut
+un coup du ciel. Elle venait rappeler
+à Valentine l'engagement qu'elles
+avaient pris de dîner le même jour
+chez la princesse de L.... Il était déja
+tard; la marquise n'avait point encore
+commencé sa toilette, madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">57</a></span>
+Réthel en fit la remarque, et M. d'Émerange
+se retira. Madame de Nangis
+le suivit, en priant sa belle-s&oelig;ur de
+l'excuser auprès de la princesse.&mdash;«Je
+ne saurais profiter de son invitation,
+ajouta-t-elle, je souffre
+beaucoup, et vous pourrez lui affirmer
+que ce n'est pas d'un mal imaginaire.»&mdash;Ces
+derniers mots furent
+prononcés avec l'accent du reproche;
+ils allèrent frapper au c&oelig;ur de
+Valentine; et la tristesse qu'elle en
+ressentit, résista même au souvenir
+d'Anatole.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">58</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXIX" id="CHAPITRE_XXIX"></a>CHAPITRE XXIX</h3>
+
+<p class="p2">Depuis ce jour, madame de Saverny
+ne goûta plus aucun repos. Persécutée
+par son frère, pour céder au
+desir de M. d'Émerange, dont la malignité
+inventait à chaque instant
+un nouveau moyen de la compromettre,
+et ne cessait de la menacer
+d'abandonner madame de Nangis à
+son ressentiment; poursuivie par la
+jalousie de sa belle-s&oelig;ur; effrayée
+des transports de l'amour d'Anatole;
+Valentine, était dévorée de cette inquiétude
+qui précède le malheur.
+Ne sachant plus comment y échapper,
+<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">59</a></span>
+elle confia à M. de Saint-Albert
+le projet qu'elle formait de partir
+secrètement pour l'Italie, en fesant
+savoir seulement à son frère, qu'elle
+entreprenait ce voyage pour se soustraire
+aux instances de M. d'Émerange,
+et faire cesser le bruit d'un
+mariage auquel elle ne consentirait
+jamais. Le commandeur, après avoir
+réfléchi long-temps sur ce voyage,
+finit par l'approuver, en disant:
+Vous avez raison, ce parti me semble
+le meilleur; mais il faut tout prévoir.
+Malgré le plus grand mystère,
+M. d'Émerange saura bientôt où
+vous allez. Il vous y suivra, il vous
+l'a promis, et dans sa position c'est
+le meilleur parti qu'il puisse prendre,
+car cette preuve de dévouement doit
+<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">60</a></span>
+vous attendrir, ou vous perdre. Mais
+il est un moyen d'échapper à ce
+double danger, en ôtant au public
+l'occasion de mal interpréter une
+démarche fort simple; et ce moyen
+est d'emmener avec vous deux personnes
+dont l'âge et la réputation
+deviennent les garants de votre conduite
+aux yeux du monde, et dont
+l'amitié vous protége contre toutes
+les tentatives d'un fat.&mdash;Puisque
+mon frère m'abandonne, s'écria Valentine,
+en essuyant ses larmes, de
+qui puis-je espérer une si grande
+preuve d'attachement?&mdash;On croirait,
+reprit brusquement le commandeur,
+que votre c&oelig;ur n'en est pas
+digne, à la manière dont vous doutez
+de celui de vos amis. Si quelqu'un
+<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">61</a></span>
+m'avait dit: Il y a une personne
+dans le monde capable de grands
+sacrifices pour vous épargner un
+malheur; je vous aurais devinée tout
+de suite, moi.&mdash;Ah! mon ami! fut
+tout ce que put articuler Valentine;
+elle se jeta dans les bras de M. de
+Saint-Albert, qui la serra paternellement
+sur son c&oelig;ur. Lorsque son
+émotion lui permit de parler, il
+assura Valentine que madame de
+Réthel serait enchantée de faire avec
+elle le voyage d'Italie. Nous irons
+à petites journées, ajouta-t-il en
+riant, par égard pour l'âge de l'aimable
+vieillard qui vous accompagne.
+Deux semaines suffiront pour les
+préparatifs de ce petit enlèvement;
+et si le monde en médit, comptez
+<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">62</a></span>
+sur mon honneur pour réparer le
+tort que pourraient faire au vôtre
+mes moyens de séduction.&mdash;Cette
+plaisanterie fit sourire Valentine, et
+l'empêcha de se livrer à l'excès de
+son attendrissement. Elle se contenta
+de serrer la main du commandeur,
+en signe de reconnaissance; et tous
+deux se quittèrent, l'ame pénétrée de
+cette douce joie qui naît également
+du bien que l'on reçoit et de celui
+qu'on fait.</p>
+
+<p>Mais ce délai de quinze jours accordé
+aux différents manèges de
+l'amour-propre pouvait devenir bien
+funeste à Valentine; elle le prévoyait,
+sans oser en témoigner sa
+crainte. Un service obtenu sans l'avoir
+demandé rend si discret, qu'on préfère
+<span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">63</a></span>
+en perdre le prix, que de s'en
+assurer par une nouvelle sollicitation.
+Aussi la marquise se résigna-t-elle
+à attendre patiemment l'époque
+fixée pour son départ. Elle imagina
+de se composer une manière de vivre
+qui la mît à l'abri des scènes qu'elle
+redoutait le plus; et donnant l'ordre
+à ses gens de ne laisser entrer chez
+elle que le commandeur et sa nièce,
+elle se dit légèrement indisposée, et
+crut se faire oublier de ceux qui la
+tourmentaient, en se délivrant de
+leur présence. Pour se maintenir
+dans une résolution qui devait lui
+coûter le plaisir de rencontrer Anatole,
+il fallait bien trouver quelque
+dédommagement; et celui de lui
+écrire vint tout naturellement à sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">64</a></span>
+pensée. A la veille de faire une
+longue absence on est plus confiant;
+il semble qu'on n'ait rien à redouter
+des aveux de sa faiblesse; l'idée qu'on
+ne se reverra peut-être jamais, en
+glaçant l'ame de terreur, la met au-dessus
+des considérations ordinaires,
+et ce qu'on dit alors a quelque chose
+de la solennité d'un dernier adieu.
+Cependant Valentine ne se laissa
+point entraîner par le charme d'exprimer
+ses pensées à celui qui les inspirait
+toutes. Elle lui parla des chagrins
+qui l'obligeaient à s'éloigner de sa
+famille, sans lui laisser soupçonner
+le secret de madame de Nangis; et
+comme elle donna pour raison de
+son voyage le desir de fuir M. d'Émerange,
+il est à présumer qu'Anatole
+<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">65</a></span>
+fut de son avis, et qu'il trouva la
+lettre charmante.</p>
+
+<p>M. d'Émerange s'étant déja présenté
+plusieurs fois chez madame de
+Saverny, sans être reçu, devina
+qu'elle lui avait fait défendre sa porte.
+Ce procédé le choqua vivement; il
+se promit de s'en venger; et alla s'en
+plaindre à M. de Nangis, comme
+d'une insulte que sa conduite respectueuse
+envers sa s&oelig;ur n'aurait
+pas dû lui attirer. M. de Nangis
+qui mettait le plus grand intérêt à
+maintenir les espérances du comte,
+l'assura que ce n'était sûrement qu'un
+malentendu de la part des gens de
+la marquise. Pour s'en convaincre,
+il se rendit chez elle, et demanda à
+la voir; mais on lui répondit que
+<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">66</a></span>
+madame était souffrante, et reposait
+en ce moment. Assez mécontent de
+cette réponse, il fit appeler mademoiselle
+Cécile pour la questionner
+sur la maladie de sa maîtresse. A la
+manière dont on l'interrogeait, mademoiselle
+Cécile vit bien qu'il fallait
+mentir; mais, comme elle n'avait
+point reçu d'instructions à ce sujet,
+elle fit tant de mensonges inutiles,
+qu'elle laissa soupçonner la vérité.
+M. de Nangis en conçut beaucoup
+d'humeur, mais il la dissimula sous
+l'apparence d'une vive inquiétude.
+Se promettant bien d'éclaircir ce
+mystère, il entra chez sa femme en
+disant: Vous ignorez sûrement que
+Valentine est malade, elle n'est point
+sortie depuis deux jours, et ne reçoit
+<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">67</a></span>
+personne; cela m'inquiète, et
+je vous engage à forcer sa porte pour
+lui offrir vos soins.&mdash;Je m'en garderai
+bien, reprit la comtesse d'un
+ton amer, cela m'est arrivé une fois
+la semaine dernière; et je n'ai pas
+envie de recommencer une pareille
+gaucherie. Cette phrase devait exciter
+la curiosité de M. de Nangis;
+et pour la satisfaire, la comtesse
+raconta comment elle avait
+trouvé M. d'Émerange en tête à
+tête avec sa belle-s&oelig;ur. Elle accompagna
+ce récit de plusieurs réflexions
+malignes, qui indignèrent
+M. de Nangis. Il crut de son honneur
+de justifier Valentine des soupçons
+qu'on osait concevoir sur elle, en
+disant qu'il était bien permis de recevoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">68</a></span>
+avec intimité l'homme que
+l'on devait épouser incessamment.&mdash;M.
+d'Émerange épouse votre
+s&oelig;ur? s'écria la comtesse, d'une
+voix étouffée.&mdash;Vraiment nous en
+aurions parlé plutôt, reprit M. de
+Nangis, sans remarquer la fureur
+qui se peignait dans les yeux de sa
+femme, mais je ne sais quelle pruderie
+empêche Valentine de se décider;
+elle aime très-certainement
+M. d'Émerange; vous l'aviez déjà
+deviné, et depuis tout l'a confirmé.
+Cependant elle hésite, et donne
+pour prétexte la légèreté du comte,
+et cent autres mauvaises raisons dont
+vous pourriez facilement lui démontrer
+le ridicule. Peut-être aura-t-elle
+plus de confiance en vous: d'ailleurs
+<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">69</a></span>
+vous triompherez mieux que moi de
+ces idées romanesques sur la constance.
+Ayez l'air de croire à celle
+du comte, et vous l'en convaincrez
+sans peine. Sur ce sujet, une femme
+sait toujours en persuader une autre;
+et je parie que votre esprit aura bientôt
+fait disparaître l'obstacle qu'elle
+oppose au mariage le plus brillant
+qu'elle puisse faire. Si vous réussissez,
+comme je n'en doute pas, vous pouvez
+compter sur la reconnaissance
+de M. d'Émerange, car il est amoureux
+fou de Valentine.» On peut
+imaginer ce qui se passa dans l'ame
+de la comtesse, à chaque mot de ce
+discours. Plongée dans une espèce
+d'anéantissement, elle s'efforçait vainement
+de rompre le silence; un
+<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">70</a></span>
+poids énorme semblait oppresser sa
+poitrine; et, lorsque par un mouvement
+courageux elle essayait de répondre
+à ces mots cruels qui déchiraient
+son c&oelig;ur, sa voix expirait
+sur ses lèvres livides. Un état aussi
+violent devenait impossible à dissimuler;
+et M. de Nangis allait peut-être
+découvrir le plus affreux secret,
+lorsqu'un domestique vint lui remettre
+un billet, qui demandait une
+prompte réponse. Le comte sortit
+alors en recommandant à sa femme
+de ne point oublier ce qu'il venait
+de lui dire, et tout ce qu'il attendait
+de sa complaisance.</p>
+
+<p>O vous, que de funestes passions
+égareront peut-être un jour, que
+ne pouvez-vous contempler leur
+<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">71</a></span>
+hideux effet sur le c&oelig;ur et les traits
+de cette femme jeune et belle! La
+pâleur de la mort couvre son visage;
+son regard éteint ne se ranime que
+lorsqu'un projet de vengeance vient
+flatter son imagination. Cette bouche,
+qu'embellissait l'expression d'une
+gaîté piquante, ne sourit plus qu'à
+l'idée de punir l'innocence du crime
+d'être aimée; et cet esprit élégant et
+coquet, autrefois uniquement occupé
+du desir de plaire, ne l'est plus
+maintenant que du barbare soin de
+chercher les moyens les plus sûrs
+de perdre sa rivale: aucun ne lui
+paraît trop cruel ou trop bas. Enfin
+les sentiments affreux que la vanité
+outragée inspire à cette femme coupable
+semblent flétrir à-la-fois son
+ame et sa beauté.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">72</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXX" id="CHAPITRE_XXX"></a>CHAPITRE XXX.</h3>
+
+<p class="p2">Pendant qu'il se tramait tant de
+conspirations contre le repos de Valentine,
+mademoiselle Cécile l'instruisait
+de la visite de M. de Nangis,
+et de l'humeur qu'il avait témoignée
+lorsqu'on lui avait signifié qu'il ne
+pouvait entrer chez sa s&oelig;ur. «Allons,
+dit Valentine, je vois qu'il me faut
+renoncer même au plaisir d'être
+seule, puisque je ne puis m'y livrer
+sans offenser quelqu'un.» Et elle se
+disposa à sortir pour échapper, s'il
+était possible, à quelque visite importune.
+En s'occupant d'habiller sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">73</a></span>
+maîtresse, mademoiselle Cécile rompit
+le silence qui lui était imposé
+ordinairement par celui que gardait
+la marquise avec elle, pour lui dire:
+«Madame fait très-bien de sortir
+aujourd'hui, car je ne sais ce qui se
+passe dans la maison, mais c'est à
+coup sûr quelque chose d'étrange;
+madame la comtesse tourmente et
+gronde tous ses gens à-la-fois; M. de
+Nangis a demandé ses chevaux plutôt
+qu'à l'ordinaire; Richard a déja
+porté ce matin trois lettres de sa
+maîtresse chez le comte d'Émerange,
+et j'étais à peine levée quand madame
+votre s&oelig;ur m'a fait appeler
+pour lui donner de vos nouvelles,
+et répondre à cent questions sur la
+santé et les occupations de madame;
+<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">74</a></span>
+après avoir dit que madame avait été
+indisposée depuis plusieurs jours,
+j'ai répondu à tout le reste: <i>Je n'en
+sais rien</i>; et madame la comtesse,
+ennuyée de m'entendre toujours répéter
+la même chose, m'a renvoyée
+en disant: Quelle sotte!»</p>
+
+<p>La marquise n'eut pas l'air de faire
+grande attention au rapport de mademoiselle
+Cécile, et feignit de regarder
+la curiosité de sa belle-s&oelig;ur
+comme une preuve de l'intérêt qu'elle
+portait à sa santé; mais elle s'affligea
+en secret de voir jusqu'où s'abaissait
+la fierté de la comtesse. Qu'aurait-elle
+donc pensé si elle avait pu deviner
+que l'excès du ressentiment de
+cette insensée la porterait ce jour-là
+même à user de son autorité dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">75</a></span>
+sa maison, pour se faire remettre
+dans le plus grand mystère les lettres
+adressées à madame de Saverny. L'espérance
+d'en trouver une de M. d'Émerange,
+qui lui apprendrait plus
+sûrement la vérité de ses rapports
+avec Valentine, était le seul motif
+de cette indigne action, dont le vil
+confident vint bientôt chercher la
+récompense. Vingt-cinq louis furent
+le prix de trois lettres remises à la
+comtesse par un laquais infidèle. De
+ces trois lettres l'une portait le timbre
+de Nevers, la seconde était un simple
+billet d'invitation qu'on pouvait lire
+sans le décacheter, et, sur la troisième,
+on ne reconnaissait pas l'écriture
+de M. d'Émerange. C'était donc
+inutilement pour cette fois que madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">76</a></span>
+de Nangis venait de se laisser
+entraîner au plus indigne procédé;
+mais elle en pouvait assurer le secret
+en rendant les trois lettres comme
+elle les avait reçues. Sa conscience accueillait
+cette idée; avec une morale
+peu sévère, on se croit facilement
+innocent du mal dont on ne recueille
+pas le fruit. La comtesse se parait
+déja à ses propres yeux du mérite
+de résister au mouvement d'une curiosité
+sans objet, lorsqu'un nouveau
+soupçon vint triompher de tous ses
+scrupules. Elle pensa que M. d'Émerange
+pouvait bien se servir d'une
+autre main que la sienne pour écrire
+l'adresse de ses lettres à madame de
+Saverny. C'était un moyen souvent
+employé pour tromper les regards
+<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">77</a></span>
+des jaloux; et madame de Nangis se
+rendait justice en supposant aux
+autres le desir d'échapper à son indiscrétion;
+à force de supposer ce
+qu'elle espère, elle croit céder à la
+certitude de tout apprendre, et rompt
+le cachet.... Bientôt une joie féroce
+étincelle dans ses yeux. Elle tient
+enfin l'instrument d'une vengeance
+sûre, qui va frapper du même coup
+l'ingrat qui la trahit, et la femme
+qu'on lui préfère. Munie de ce précieux
+dépôt, elle attend dans toute
+l'agitation d'une affreuse espérance
+le moment où le comte d'Émerange
+a promis de se rendre chez elle. Pour
+obtenir de lui cette promesse, il avait
+fallu employer la ruse, et lui cacher
+sur-tout ce qu'on avait appris de
+<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">78</a></span>
+M. de Nangis. Ce soin important
+était le sujet des billets dont mademoiselle
+Cécile avait parlé à sa maîtresse,
+et auxquels le comte venait
+de répondre, en cédant avec peine
+aux instances de madame de Nangis.</p>
+
+<p>Lorsque M. d'Émerange parut, la
+comtesse prit un air riant pour le
+complimenter sur son futur mariage
+et sur le bonheur d'être aimé d'une
+femme accomplie; elle se vanta d'avoir
+prévu que cette provinciale,
+dont on prétendait se moquer, serait
+avant peu l'héroïne d'un roman nouveau,
+qui finirait par le dénoûment
+ordinaire. Avant de répondre à ces
+compliments ironiques, le comte
+chercha a démêler la véritable pensée
+de madame de Nangis sur cet
+<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">79</a></span>
+événement. Il crut un instant que
+sa fierté l'emportait sur sa jalousie,
+et que le dédain triomphait de sa
+colère; il se réjouissait de lui voir
+prendre un parti si convenable.
+Mais le dépit d'une femme, ainsi
+que son amour, se trahit par ses
+soins mêmes à le cacher; et ce fut à
+la gaîté factice de la comtesse, que
+M. d'Émerange devina l'excès de son
+ressentiment. Cette découverte l'engagea
+à nier l'amour qu'on lui supposait
+pour la marquise; il convint
+seulement d'avoir consenti au projet
+de M. de Nangis, qui mettait la
+plus grande importance à ce mariage,
+et en avait fait toutes les démarches,
+avant même qu'il les eût approuvées.
+Il ajouta, en regardant finement
+<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">80</a></span>
+la comtesse, que des raisons faciles
+à comprendre l'avaient empêché
+d'apporter beaucoup de résistance
+aux volontés de son mari, et que
+d'ailleurs on lui avait fait sentir la
+nécessité de se marier, comme étant
+l'unique rejeton de sa famille. Toutes
+ces considérations, dit-il, m'ont
+déterminé à laisser agir le zèle de
+mes amis; leur choix est tombé sur
+madame de Saverny, dont le rang
+et l'éducation sont dignes de la place
+que le Roi veut bien destiner à ma
+femme. Et c'est plus encore par convenance
+que par inclination que je
+me décide à l'épouser.&mdash;Je suis bien
+aise de voir tant de raison dans votre
+amour, reprit la comtesse, en s'apercevant
+aussi de la mauvaise foi
+<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">81</a></span>
+du comte, il en sera moins surpris
+du sort qu'on lui réserve.&mdash;Vous
+savez que sur ce point je suis très-philosophe.&mdash;On
+l'est sans peine
+quand on se croit aimé.&mdash;Je ne saurais
+me prévaloir de cet avantage, car
+votre belle-s&oelig;ur ne m'a point fait
+d'aveu; elle prétend au contraire
+avoir une raison de refuser ma main,
+qu'elle ne veut avouer à personne.&mdash;La
+voulez-vous savoir?&mdash;Vous
+m'allez dire comme M. de Nangis,
+qu'elle a peur de ma légèreté.&mdash;Non,
+elle vous rend trop de justice.&mdash;Au
+fait, répliqua-t-il, en jetant
+un regard tendre sur la comtesse,
+elle ferait mieux peut-être de redouter
+ma constance.&mdash;Non, Monsieur,
+elle a, pour dédaigner votre
+<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">82</a></span>
+amour, de meilleures raisons que toutes
+celles-là. Tenez et jugez-en vous-même.
+En disant ces mots elle remet
+au comte la lettre suivante, et savoure
+le plaisir de la lui voir lire en
+tremblant de colère.</p>
+
+<p>«Vous partez, Valentine, et c'est
+le desir d'échapper aux importunités
+d'un fat qui vous éloigne
+des lieux que vous embellissez!
+L'honneur de l'emporter sur vos
+rivales, celui de briller à la cour
+de tout l'éclat de la fortune et de
+la beauté; le triomphe plus grand
+encore de fixer un c&oelig;ur voué à l'inconstance;
+enfin, tous ces plaisirs
+enivrants de la vanité ne peuvent
+donc vous séduire? Vous réalisez
+le v&oelig;u que je formai en vous voyant
+<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">83</a></span>
+pour la première fois. Ah! me disais-je
+alors, si j'étais le créateur
+d'un aussi bel ouvrage, je voudrais
+le parer de toutes les vertus.</p>
+
+<p>«Vous partez, et des pleurs de
+regrets ne viennent pas obscurcir
+mes yeux, et je ne maudis point
+cet exil volontaire! Tant de courage
+doit vous sembler un prodige,
+à vous qui savez que j'ai besoin
+pour vivre du même air que vous
+respirez; mais songez à ces timides
+oiseaux, qui, sans oser approcher
+du soleil, traversent les mers
+pour jouir en tout temps des bienfaits
+de sa présence, et vous aurez
+bientôt le secret de ma résignation.»</p>
+
+<p>Après un moment de silence, pendant
+<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">84</a></span>
+lequel M. d'Émerange cherchait
+à modérer sa rage, il jeta les yeux
+sur madame de Nangis, et fut frappé
+de la joie qu'il vit éclater dans les
+siens. L'idée qu'elle se repaissait du
+plaisir de le voir humilié, lui inspira
+l'envie de s'en venger en l'humiliant
+elle-même. «Cette lettre
+n'est point signée, dit-il avec mépris,
+et rien ne prouve qu'elle soit
+destinée à la marquise.&mdash;Quoi, s'écria
+la comtesse, transportée de fureur,
+le nom de la marquise de
+Saverny, n'est-il pas sur l'adresse;
+et ne lisez vous point celui de Valentine?&mdash;Belle
+preuve! chacun en
+peut écrire autant à la femme qu'il
+veut calomnier ou compromettre.
+D'ailleurs, si cette lettre était connue
+<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">85</a></span>
+de la marquise, comment se trouverait
+elle entre vos mains? Ici madame
+de Nangis resta interdite, son
+front se couvrit de rougeur; mais
+tout-à-coup, bravant la honte par
+la colère, elle arracha la lettre des
+mains du comte, et dit: «Puisque
+votre misérable amour préfère m'outrager
+par le plus odieux soupçon
+que d'en croire l'évidence, je saurai
+bien vous convaincre sans m'abaisser
+à me justifier. Mais si je me livre
+à tout l'excès de mon indignation,
+n'accusez que vous des malheurs qui
+en seront la suite. Le ciel m'est témoin
+que d'aussi barbares sentiments
+n'ont jamais possédé mon
+ame; je vous les dois tous et vous
+en subirez l'effet. J'ai appris de vous
+<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">86</a></span>
+comment on peut joindre la perfidie
+à l'insulte; vous apprendrez de moi
+comment on se venge du mépris.»
+En finissant ces mots, la comtesse
+sortit avec précipitation de la chambre;
+et, défendant au comte de la suivre,
+elle alla s'enfermer dans son
+cabinet.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXI" id="CHAPITRE_XXXI"></a>CHAPITRE XXXI.</h3>
+
+<p class="p2">Le bruit d'une voiture qui entrait
+dans la cour réveilla madame de
+Nangis de l'espèce d'anéantissement
+qui avait succédé à sa colère; elle
+craignit de se faire voir dans le désordre
+où elle était, et s'empressa
+<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">87</a></span>
+d'ordonner qu'on éloignât, sous un
+prétexte quelconque, la visite qui
+arrivait: mais on lui répondit que
+le carosse dont elle avait entendu le
+bruit, était celui de M. le comte,
+qui venait de rentrer. En effet, le
+comte arrive presque aussitôt. Frappé
+de l'altération qu'il remarque
+sur le visage de sa femme, il lui
+en demande la cause: elle hésite
+à répondre; son mari insiste; elle
+se trouble encore davantage; et la
+nécessité de sortir d'embarras venant
+ajouter au desir de se venger,
+la comtesse feint de trahir avec peine
+le secret de sa belle-s&oelig;ur. Elle raconte
+qu'un hasard, dont on ne
+doit accuser que la négligence de
+Valentine, a fait tomber entre ses
+<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">88</a></span>
+mains la lettre qu'elle montre à M. de
+Nangis, et donne pour prétexte de
+l'émotion que son mari a remarquée,
+le chagrin profond que lui cause
+la conduite d'une personne qu'elle
+n'aurait jamais soupçonnée d'une
+pareille intrigue. Cette première dénonciation
+accueillie l'oblige à de
+nouveaux mensonges. Plus cette indigne
+action coûte à sa conscience,
+et mieux elle en veut assurer le prix.
+Enfin, l'esprit, la ruse, la trahison,
+la fausse pitié, tout fut employé
+pour abuser la tendresse d'un
+frère, et le porter à la plus coupable
+injustice.</p>
+
+<p>Lorsque, par ses différentes insinuations,
+la comtesse eut exalté la
+colère de son mari contre Valentine,
+<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">89</a></span>
+elle pensa que c'était le moment de
+les mettre en présence. La marquise
+venait justement de rentrer. Son
+frère la fit prier de se rendre auprès
+de lui. Elle arrive: à son aspect la
+comtesse frémit. Il lui semble que
+la preuve de ses torts est tout entière
+dans l'air innocent de Valentine,
+et que l'accusée n'a qu'à lever
+ses yeux pour se justifier de tant
+de calomnies.</p>
+
+<p>«Connaissez-vous cette lettre? dit
+alors M. de Nangis, du ton d'un juge
+sévère.»&mdash;J'ignore ce qu'elle contient,
+reprit en balbutiant Valentine,
+qui avait déjà reconnu l'écriture
+d'Anatole.&mdash;Cependant elle
+vous est adressée, reprit le comte,
+et celui qui l'écrit se croit probablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">90</a></span>
+assez connu de vous pour
+n'être pas obligé de la signer.&mdash;Ici
+la marquise prit la lettre des mains
+de son frère, en lut l'adresse, et
+lança à sa belle-s&oelig;ur un regard de
+mépris qui ne laissa à la comtesse
+aucun doute sur le soupçon qui
+venait d'éclairer Valentine. Confuse
+de voir sa lâcheté devinée, elle n'en
+supporta la honte que dans l'espérance
+de jouir à son tour de la
+confusion où se trouverait sa rivale,
+en lisant les expressions de cet amour
+qu'elle voulait cacher, et en répondant
+à l'espèce d'interrogatoire que
+M. de Nangis ne manquerait pas de
+lui faire subir. Mais elle fut bien
+étonnée, lorsqu'elle s'aperçut que
+cette lecture, loin de troubler Valentine,
+<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">91</a></span>
+sembler ranimer son courage,
+et calmer son agitation. Le comte,
+surpris lui-même de cette tranquillité,
+dit avec impatience: Eh
+bien! madame, daignerez-vous m'expliquer
+ce mystère, et m'apprendre
+si vous connaissez l'auteur de cette
+lettre?&mdash;Je pourrais avant tout, reprit
+la marquise avec dignité, demander
+comment il se fait qu'elle
+se trouve dans vos mains avant de
+m'être parvenue; mais je veux ignorer
+sur qui doit tomber le mépris
+attaché à de tels procédés. Votre
+âge, le titre de chef de notre famille,
+et plus encore, la tendresse que
+vous m'avez toujours témoignée,
+vous donnent sur moi les droits
+d'un père; et c'est au nom de ces
+<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">92</a></span>
+droits que je consens à vous répondre
+avec toute la sincérité que
+vous devez attendre de mon caractère.
+Cette lettre m'était destinée, et
+j'en connais l'auteur.&mdash;Je desire infiniment
+savoir le nom de ce monsieur
+qui traite si bien de fat l'homme
+le plus aimable que je connaisse.&mdash;Son
+nom? Je l'ignore.&mdash;Quoi?
+s'écria la comtesse, en éclatant de
+rire d'une manière impertinente,
+vous ignorez le nom de celui qui
+veut vous suivre au-delà des mers?&mdash;Valentine
+ne daigna point faire
+attention à cette épigramme; mais
+elle en punit bientôt la comtesse,
+en la livrant à la plus cruelle inquiétude.
+Après s'être épuisé en
+sentences plus ou moins éloquentes
+<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">93</a></span>
+sur l'extravagance des femmes, M. de
+Nangis dit à sa s&oelig;ur;&mdash;«Il ne faut
+pas douter que l'amour de ce beau
+sylphe ne soit l'unique cause des
+refus que vous adressez à M. d'Émerange!&mdash;Non,
+répondit Valentine,
+cet amour n'est pas la seule cause
+de mon refus.&mdash;C'est pourtant de
+cette belle passion dont vous avez
+voulu parler, en nous assurant qu'un
+motif secret vous empêchait d'accepter
+sa main.»&mdash;En cet instant,
+les yeux de Valentine se tournèrent
+sur madame de Nangis, elle la vit
+dans l'attitude d'un coupable qui
+attend le prix de ses méchancetés.
+Un affreux tremblement agitait ses
+membres; elle écoutait d'un air avide
+les mots qui allaient sortir de la
+<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">94</a></span>
+bouche de sa belle-s&oelig;ur, et semblait
+implorer la pitié de sa victime. Il
+fallait s'être laissée entraîner à tous
+les torts d'une passion insensée pour
+méconnaître ainsi le c&oelig;ur de Valentine;
+mais le premier châtiment de
+ceux qui renoncent à la vertu est
+de n'y plus croire. Aussi l'étonnement
+de madame de Nangis fut-il
+à son comble, lorsqu'elle entendit
+Valentine donner pour raison de
+son refus la différence de son caractère
+avec celui de M. d'Émerange,
+et beaucoup d'autres motifs, sans
+ajouter un mot qui pût faire soupçonner
+les sentiments de la comtesse.
+Ce procédé généreux, en dissipant
+sa crainte, la livra au remords; et
+rien ne saurait peindre ce qu'elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">95</a></span>
+souffrit en voyant son mari s'animer
+de plus en plus contre sa s&oelig;ur, et
+finir par l'outrager au point d'appeler
+du nom d'intrigue son intimité
+avec Anatole. Valentine avait supporté
+cette injure avec la résignation
+qui naît de l'innocence; mais quand
+elle se vit en même temps accuser
+de tous les manèges de la coquetterie
+envers le comte d'Émerange, la
+fierté de son ame se révolta de cette
+insulte. Elle déclara qu'aucune considération
+ne pouvait l'engager à
+souffrir les expressions du mépris
+de personne, pas même de son frère;
+et elle sortit en l'assurant que désormais
+il n'aurait plus l'occasion
+de la traiter avec tant d'injustice.</p>
+
+<p>«Le voilà donc arrivé ce fatal
+<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">96</a></span>
+moment que j'ai si souvent redouté!
+s'écria Valentine, quand elle fut
+seule. Mon imprudence et la plus
+indigne calomnie m'enlèvent jusqu'à
+l'estime de mon frère, je ne puis
+plus habiter sa maison, sans trahir
+l'horreur que m'inspire tout ce qui
+s'y passe. Il faut m'en éloigner; il
+faut quitter cette famille que j'avais
+regardée comme un asyle protecteur,
+et emporter avec moi le mépris et
+la haine de deux êtres sur qui j'avais
+placé mon respect et ma tendresse!»
+En se livrant à ces tristes pensées,
+Valentine fondait en larmes. Mais
+son attendrissement, loin d'affaiblir
+sa résolution, redoublait le desir
+qu'elle avait de cacher sa peine à
+tous les yeux. Dans ce dessein, elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">97</a></span>
+écrivit au commandeur qu'un obstacle
+imprévu l'obligeait à renoncer
+au projet d'aller en Italie; qu'elle
+était à la veille de partir pour Saverny,
+où une affaire importante la
+rappelait, mais qu'elle desirait vivement
+le voir avant de s'éloigner de
+Paris. Le domestique chargé de
+porter ce billet eut ordre de n'en
+remettre la réponse qu'à la marquise
+elle-même. Cette réponse se fit attendre
+jusqu'à dix heures du soir;
+le domestique s'excusa de la rendre
+aussi tard, en disant qu'il s'était cru
+obligé d'aller la chercher jusque chez
+madame de Réthel, à Auteuil, ou
+M. de Saint-Albert devait dîner. Il
+ajouta, qu'en sortant de table le commandeur
+avait été pris subitement
+<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">98</a></span>
+d'une attaque de goutte qui l'avait
+forcé de se mettre au lit. Le billet
+était écrit de la main de madame
+de Réthel, qui donnait à Valentine
+les détails de ce fâcheux accident,
+et l'engageait à venir s'établir quelques
+jours à Auteuil, pour adoucir
+par sa présence les maux de leur
+vieil ami. La plus sincère affection,
+la reconnaissance, tout fesait un devoir
+à Valentine de se rendre à cette
+invitation, qui lui offrait en même temps
+une occasion de prodiguer ses
+soins au seul protecteur qui lui restât,
+et un prétexte de s'éloigner de
+la maison de son frère.</p>
+
+<p>Elle résolut de partir le lendemain,
+de grand matin, pour qu'on ne
+s'étonnât point dans la maison de
+ne lui voir faire ses adieux à personne,
+<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">99</a></span>
+et chargea mademoiselle Cécile
+d'instruire les gens de la comtesse
+du motif qui la déterminait à
+se rendre sans délai chez madame de
+Réthel. Ces arrangements finis, Valentine
+essaya de prendre quelque
+repos, mais le sommeil ne vint point
+calmer ses sens en la délivrant du
+souvenir de ses peines. L'idée de
+reposer pour la dernière fois sous
+le toit fraternel remplissait son ame
+d'amertume: elle contemplait avec
+douleur cet appartement si élégamment
+orné pour la recevoir, où elle
+croyait passer sa vie au sein de sa
+famille. La place où elle relisait les
+lettres d'Anatole, la table sur laquelle
+elle y répondait, tout, jusqu'au
+petit fauteuil d'Isaure, excitait
+<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">100</a></span>
+ses regrets. Le c&oelig;ur attache tant de
+prix aux moindres objets qu'il va
+perdre! Valentine avait souvent desiré
+de n'être jamais venue dans ces
+lieux témoins de ses chagrins; mais
+il fallait s'en exiler pour toujours,
+et ses larmes coulaient à la seule
+pensée de ne les plus revoir. C'est
+ainsi que la cause de nos malheurs
+l'est quelquefois aussi de nos regrets.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXII" id="CHAPITRE_XXXII"></a>CHAPITRE XXXII.</h3>
+
+<p class="p2">Sept heures venaient de sonner,
+les chevaux étaient déjà à la voiture,
+et madame de Saverny, assise auprès
+d'une croisée, attendait en silence
+que mademoiselle Cécile eût fermé
+<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">101</a></span>
+tous ses paquets pour se mettre en
+route; Antoinette venait à chaque
+instant demander s'il était nécessaire
+d'emporter telle robe ou tel chapeau,
+et mademoiselle Cécile s'empressait
+de lui répondre: «Cela est très-inutile,
+puisque madame ne doit rester
+que huit jours à la campagne.» Cette
+réponse fit soupirer Valentine, et la
+replongea dans une triste rêverie,
+dont elle sortit tout-à-coup en se
+sentant presser par les bras d'un enfant
+qui l'accablait de ses caresses.
+«Quoi, dit-elle, en embrassant Isaure,
+déja levée, chère petite! le bruit
+qu'on a fait dans la cour t'aura sans
+doute réveillée?&mdash;Oh! non, ma
+tante, reprit l'enfant; je savais que
+vous deviez partir de bonne heure;
+j'étais déja couchée depuis long-temps,
+<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">102</a></span>
+lorsque mademoiselle Cécile
+est venue le dire hier soir à ma
+bonne: elles me croyaient endormie,
+et j'ai entendu tout ce qu'elles
+ont dit. Quand j'ai su que j'allais
+rester huit jours entiers sans voir
+ma bonne tante, j'ai voulu l'embrasser
+avant son départ. Mademoiselle
+Cécile avait souvent répété que les
+chevaux étaient commandés pour
+sept heures; je me suis dit: En comptant
+toutes les heures qui sonneront
+à la pendule, je me réveillerai à
+temps. En effet, j'avais si peur de
+me lever trop tard, que j'ai très-peu
+dormi. Quand j'ai entendu du
+bruit dans la maison, je me suis habillée
+tout doucement, et je suis vîte
+accourue ici.&mdash;Chère enfant, dit
+<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">103</a></span>
+Valentine, en la baignant de ses larmes!&mdash;Tu
+t'en vas donc pour toujours?
+s'écria Isaure en voyant l'excès
+de la douleur de sa tante.&mdash;Non, je
+te reverrai bientôt, je l'espère. Ne
+m'oublie pas.... Dis à ton père que
+je pars en pleurant.... que je vous
+aime tous.... et que je vous regretterai
+toute ma vie.» Ces paroles entrecoupees
+par des sanglots achevèrent
+de désoler Isaure. Elle se
+jeta au cou de Valentine, en pleurant
+aussi, et dit: «Encore, si
+j'avais ton portrait pour me consoler
+quand tu n'y seras plus!&mdash;Eh
+bien, qu'est-il devenu? demanda
+Valentine, avec une sorte d'inquiétude.&mdash;Je
+ne voulais pas vous le
+dire, reprit Isaure en baissant les
+<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">104</a></span>
+yeux, mais l'autre jour, en jouant
+avec M. d'Émerange, la chaîne qui
+soutient le médaillon s'est cassée,
+et le verre s'est brisé en tombant
+par terre; j'ai bien pleuré quand
+j'ai vu ce malheur! Mais M. d'Émerange
+m'a promis que bientôt il n'y
+paraîtrait plus. Il a pris le collier en
+se chargeant de le faire raccommoder
+par son bijoutier, et il doit me le
+rendre la semaine prochaine: c'est
+encore bien long à attendre.» Valentine
+apprit avec peine que son
+portrait était entre les mains du
+comte, mais elle ne fit aucun reproche
+à Isaure de le lui avoir livré.
+Le mal était fait; il était inutile d'en
+apprendre les conséquences à une
+enfant trop innocente pour les comprendre.
+<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">105</a></span>
+Elle se contenta de recommander
+à Isaure de ne plus s'adresser
+qu'à elle lorsqu'il s'agirait de confier
+son portrait. Mademoiselle Cécile
+vint en ce moment annoncer à sa
+maîtresse que tout était prêt. Valentine
+fit un effort pour s'arracher
+des bras d'Isaure qui voulait absolument
+la suivre, et ne consentit à
+la laisser partir qu'à la condition
+d'aller la rejoindre à Auteuil aussitôt
+que madame de Nangis en aurait
+accordé la permission. Quand il fallut
+se séparer de <i>Love</i>, les pleurs
+d'Isaure redoublèrent. Enfin on calma
+son chagrin par des cadeaux et
+des promesses; mais on ne put obtenir
+d'elle de la faire rentrer dans
+la maison avant que la voiture ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">106</a></span>
+fût sortie de la cour; et Valentine
+était déjà bien loin, que la petite
+voix d'Isaure lui criait encore adieu.</p>
+
+<p>Le premier soin de la marquise,
+en arrivant à Auteuil, fut d'instruire
+Anatole du séjour qu'elle comptait
+y faire, et d'une partie des raisons
+qui la contraignaient à s'éloigner de
+sa famille. La nécessité d'empêcher
+Anatole de lui adresser de nouvelles
+lettres à l'hôtel de Nangis, l'obligeait
+à lui apprendre le sort qu'avait eu
+la dernière; mais elle évita soigneusement
+de lui laisser soupçonner la
+véritable cause de cette indiscrétion,
+qu'elle mit sur le compte de la maladresse
+d'un laquais et d'une distraction
+de son frère. Elle parla seulement
+des justes reproches qu'il
+<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">107</a></span>
+lui avait fallu supporter de la part
+de M. de Nangis, sur le tort de s'être
+ainsi compromise; et finit par dire
+que l'impossibilité d'expliquer sa
+conduite sans trahir un secret inviolable,
+lui avait fait prendre le
+parti d'attendre loin de son frère le
+moment où elle pourrait se justifier
+des soupçons qu'on osait concevoir
+contre elle. Mais, pour atteindre à
+ce but, il fallait s'imposer des sacrifices,
+et réduire aux plus simples
+expressions de l'amitié une correspondance
+qui n'aurait jamais dû
+être fondée sur un autre sentiment.
+C'était à cette seule condition que
+Valentine consentait à recevoir encore
+des lettres d'Anatole; et elle
+en parlait déjà comme d'une chose
+<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">108</a></span>
+convenue, sans se douter qu'elle
+demandait l'impossible.</p>
+
+<p>La douleur qui l'accablait se dissipa
+un peu à l'aspect du plaisir que
+causa son arrivée chez madame de
+Réthel. Le commandeur prétendit
+que la goutte pouvait s'amuser à
+ses dépens aussi long-temps qu'il
+plairait à Valentine de lui servir de
+garde-malade; «Car, disait-il en
+riant, qu'est-ce que cela me fait de
+souffrir, pourvu que je ne le sente
+pas.» Cette folie paraîtra bien sensée
+à tous ceux qui ont reconnu le
+pouvoir magique de la présence
+d'un ami sur les souffrances les plus
+aiguës.</p>
+
+<p>Si la gaîté de M. de Saint-Albert
+avait bravé la maladie, elle s'éteignit
+<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">109</a></span>
+bientôt en écoutant le récit des nouveaux
+chagrins de Valentine. Il s'indigna
+de la voir l'objet d'une persécution
+aussi peu méritée, et, dans
+son premier mouvement, il voulait
+écrire à M. de Nangis pour l'éclairer
+sur l'excès de son injustice, et
+lui prouver qu'il était de son honneur
+de la réparer. Mais Valentine
+le conjura de renoncer à ce projet,
+en lui démontrant l'impossibilité
+d'instruire son frère des calomnies
+dont elle était victime, sans lui en
+dénoncer les auteurs. «Je ne le persuaderais
+pas, ajoutait Valentine, il
+persisterait à me demander l'explication
+d'un mystère que je ne comprends
+pas moi-même; et le silence
+qu'il me faudrait garder sur plusieurs
+<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">110</a></span>
+points envers lui, ajouterait encore
+à l'idée des torts qu'il me suppose.
+Je ne regagnerais point sa confiance,
+et sa femme la perdrait pour toujours.
+Le ciel me préserve de jeter
+dans cette famille les premières semences
+du trouble qui doit y naître
+un jour! J'en conviens, les reproches
+d'un frère pèsent cruellement sur
+mon c&oelig;ur, mais ceux que je pourrais
+m'adresser l'oppresseraient bien
+plus encore!&mdash;Eh bien, soit, reprit
+le commandeur, je vous obéirai;
+mais promettez-moi de ne plus vous
+exposer à des scènes inévitables partout
+ailleurs qu'ici. Vous ne savez
+pas encore ce que l'on vous réserve,
+et le parti que la méchanceté va tirer
+d'une aussi belle circonstance; moi,
+<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">111</a></span>
+je m'en doute, et j'exige que vous
+choisissiez cette retraite pendant
+l'orage. L'éclat que nous redoutions
+ne peut plus s'éviter. La vengeance
+d'un amour-propre tel que celui de
+M. d'Émerange doit être sanglante;
+puissent tous nos soins vous en
+mettre à l'abri. Mais il est de la plus
+grande importance qu'il ignore à
+jamais le nom de l'imprudent qui
+s'est permis sur son compte une injure
+impardonnable. Vous ne doutez
+pas de toutes ses recherches pour le
+découvrir. Joignez-vous à moi pour
+ordonner à Anatole de s'y soustraire
+en s'éloignant de vous. Il est persuadé
+que sa lettre n'est tombée qu'entre
+les mains de votre frère, et ne soupçonne
+pas que M. d'Émerange en ait
+<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">112</a></span>
+eu connaissance. Profitons de son
+erreur pour lui demander au nom
+de votre repos un sacrifice que les
+peines qu'il vous cause vous donnent
+bien le droit d'exiger. Sur-tout plus
+de lettres, vous en voyez le danger.
+Il n'est point de secret qui y résiste.
+Fiez-vous à mon amitié du soin de
+dissiper ses inquiétudes sur votre
+sort. Calmez les agitations qui tourmentent
+votre ame, et laissez lui
+croire en partant que son absence
+est le prix de votre bonheur.&mdash;Disposez
+de moi, reprit en soupirant
+Valentine, je souscris d'avance à
+tout ce que votre sage bonté imaginera
+pour nous épargner de nouveaux
+malheurs. Mais je n'ai plus le
+courage qui soutient la volonté; ordonnez
+<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">113</a></span>
+pour moi.» L'émotion de
+Valentine l'empêcha d'en dire davantage;
+elle sortit précipitamment pour
+cacher l'excès de sa faiblesse, et s'enfuit
+dans un des bosquets du jardin
+que le printemps commençait à parer,
+et là, sans s'apercevoir des bienfaits
+d'une saison charmante, Valentine
+s'écriait en pleurant: Il faut
+donc que je renonce à tout dans la
+nature!</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIII" id="CHAPITRE_XXXIII"></a>CHAPITRE XXXIII.</h3>
+
+<p class="p2">Si le démon de la jalousie enfante
+les querelles entre les plus tendres
+amants, celui de la vengeance sait
+<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">114</a></span>
+réunir les plus fiers ennemis, et
+l'humanité s'afflige de voir les serments
+consacrés a cette furie, plus
+fidèlement gardés que les serments
+inspirés par l'amour. Depuis long-temps
+M. d'Émerange convaincu de
+son empire sur le c&oelig;ur de madame
+de Nangis, dédaignait un succès facile
+que tout le monde lui croyait
+acquis. Uniquement occupé d'un
+triomphe plus flatteur pour sa vanité,
+la tendresse de madame de
+Nangis lui semblait importune. Mais
+le plus humiliant revers avait remplacé
+ce triomphe qu'il croyait certain.
+L'aveu de madame de Saverny,
+en reconnaissant la lettre présentée
+par son frère, prouvait assez la
+vérité; et la comtesse ne pouvait
+<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">115</a></span>
+plus être accusée de mensonge.
+Enfin, l'homme le plus brillant de
+la cour, celui dont tant de femmes
+délaissées attestaient la séduction et
+l'inconstance, se voyait joué par la
+simplicité d'une femme de province,
+et insulté par un rival inconnu, dont
+l'obscurité semblait être le partage.
+Tant d'injures réunies demandaient
+une réparation éclatante; et comme
+la gloire d'un homme à la mode ne
+se soutient que par le déshonneur
+d'un grand nombre de victimes, c'est
+la perte de la réputation de madame
+de Saverny qui doit réhabiliter celle
+du comte d'Émerange.</p>
+
+<p>Pénétré de cette idée, il se rend
+chez madame de Nangis, en obtient
+sans peine le pardon de ses torts;
+<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">116</a></span>
+et, profitant de l'excès d'indulgence
+qu'inspire le retour au bonheur, il
+avoue que, séduit par les coquetteries
+de la marquise, il n'a pu se défendre
+d'un attrait passager pour elle; mais
+qu'ayant bientôt reconnu la différence
+du caprice au sentiment, il
+n'attendait plus qu'une occasion de
+rompre sans impolitesse, pour venir
+retomber aux pieds de la seule femme
+qu'il eût jamais aimée. Après ce
+perfide aveu, desirant offrir une
+preuve incontestable de la sincérité
+de son repentir, le comte sort d'un
+porte-feuille le portrait de Valentine,
+et le livre à la comtesse comme
+un sacrifice qui lui répond de la
+franchise de ses sentiments.</p>
+
+<p>Dans tout autre moment la vue
+<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">117</a></span>
+de ce portrait eût transporté de
+colère madame de Nangis; mais
+quand le coupable dont on pleurait
+l'abandon vient demander grace,
+s'indigne-t-on de quelque chose?
+Elle ne vit dans cette preuve d'infidélité
+que le plaisir d'en triompher;
+et son amour-propre satisfait trouva
+mille excuses aux torts de M. d'Émerange.
+Mais plus elle redoublait de
+clémence pour lui, et plus son ressentiment
+s'animait contre sa rivale.
+«Venir ainsi, disait-elle, afficher les
+dehors d'une conduite austère, parler
+de grands principes, se parer
+d'une candeur factice, et tout cela
+pour enlever à son amie l'affection
+qui fesait son bonheur, et sacrifier,
+l'amour d'un homme comme il faut
+<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">118</a></span>
+à quelque aventurier! Certainement
+je ne me donnerai point dans le
+monde le ridicule de tolérer de semblables
+intrigues. M. de Nangis est
+bien libre d'approuver les nombreuses
+faiblesses de sa s&oelig;ur; mais
+il ne peut m'obliger à jouer le rôle
+de confidente: aussi vais-je lui
+déclarer que je ne saurais habiter
+plus long-temps avec elle. Il sentira
+bien le tort qu'une intimité de ce
+genre pourrait faire à la réputation
+de sa femme, et je ne doute pas
+qu'il n'écrive dès demain à la marquise,
+pour l'engager à prolonger
+son séjour chez madame de Réthel.
+Probablement son héros est quelque
+ami de cette prude; et soit fierté,
+ou faiblesse, elle obéira sans murmurer
+aux volontés de son frère.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">119</a></span>
+Ce plan servait à merveille les intentions
+de M. d'Émerange, et il se
+félicitait en voyant à quel point on
+pouvait se servir de la passion d'une
+femme pour se venger du mépris
+d'une autre: il quitta la comtesse
+en la conjurant d'épargner sa belle-s&oelig;ur
+auprès des personnes que leur
+séparation allait surprendre. «Songez
+qu'elle appartient à votre famille,
+disait-il, et que vous devez autant
+qu'il vous sera possible, lui garder
+le secret de ses fautes. D'ailleurs que
+vous importent ses caprices; vous
+êtes bien sûre maintenant qu'ils ne
+vous coûteront jamais rien, ajoutait-il
+en baisant la main de la comtesse.
+Ce qu'il faudrait seulement découvrir,
+pour nous amuser un peu,
+<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">120</a></span>
+c'est le nom de ce monsieur qui
+m'honore d'une estime si particulière.&mdash;Pour
+peu que vous y teniez,
+reprit la comtesse, nous le saurons
+bientôt; mais, si je consens à vous
+servir dans la recherche que vous
+voulez en faire, c'est à condition
+que vous m'assurerez qu'il n'entre
+pas le moindre sentiment jaloux dans
+votre curiosité.&mdash;Moi, jaloux de
+ce chevalier invisible? Je vous jure
+de ne l'être jamais, à moins pourtant
+qu'il ne lui plaise aussi de
+vous tourner la tête.» Cette dernière
+flatterie acheva d'enivrer la comtesse.
+La joie de régner encore sur
+un c&oelig;ur infidèle, la crainte de le
+voir s'échapper une seconde fois, et
+l'idée, si trompeuse de se l'attacher
+<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">121</a></span>
+pour toujours par la reconnaissance,
+entraînèrent madame de Nangis dans
+tout l'excès d'une générosité coupable.</p>
+
+<p>Mais si les folies du c&oelig;ur sont
+suivies d'un aveuglement complet
+qui dissimule également à nos yeux
+les défauts de l'objet aimé et les
+torts de notre faiblesse, il n'en est
+pas de même des égarements de
+l'imagination. Ils mènent aussi loin,
+mais sans cacher les dangers qui nous
+menacent. Cette fièvre d'idées qui
+naît des agitations de l'amour-propre
+a ses intermittences; et c'est alors que
+la raison, la méfiance, et le regret,
+remplissent l'ame d'une mortelle
+inquiétude qui fait desirer le retour
+de l'accès. Madame de Nangis offrait
+<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">122</a></span>
+une grande preuve de cette vérité.
+Tant que M. d'Émerange était resté
+près d'elle, elle n'avait pas douté
+un instant de sa franchise; pas la
+moindre rancune n'était venue troubler
+les plaisirs d'un retour aussi
+inattendu; et le comte venait de la
+quitter en lui répétant les assurances
+les plus tendres. Mais tout le prestige
+avait disparu avec sa présence. La
+réflexion avait succédé à l'ivresse,
+le soupçon à la confiance, le repentir
+au bonheur. Les yeux fixés sur le
+portrait de Valentine, il lui sembla
+difficile de ne pas regretter tant d'attraits.
+Une autre incertitude la tourmentait
+encore. Ce portrait paraissait
+un gage trop certain de la faiblesse
+de madame de Saverny, mais
+<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">123</a></span>
+avait-il été donné par elle? Étonnée
+de n'avoir pas été plutôt frappée
+de cette pensée, la comtesse fait
+appeler sa fille, et lui demande ce
+qu'est devenu le portrait de sa tante:
+«Le voici, répond Isaure, en détachant
+de son cou le collier que
+M. d'Émerange lui a rapporté la
+veille.» La comtesse le prend, confronte
+les deux miniatures. Dans
+chacune des deux la pose est la
+même, mais le costume est différent.
+Cependant elle croit reconnaître que
+celle d'Isaure a servi de modèle à
+l'autre. La supposition que M. d'Émerange
+la trompe, et qu'elle ne
+doit peut-être ce portrait qu'à une
+supercherie, anime ses yeux de colère.
+«Je suis sûre, dit-elle à Isaure
+<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">124</a></span>
+avec emportement, que vous avez
+prêté ce portrait à quelqu'un?&mdash;L'enfant
+effrayée se décide à mentir
+pour éviter d'être grondée, et se
+félicite de sa ruse, en voyant le bon
+effet qu'elle produit sur sa mère,
+qui prend un air riant, l'embrasse,
+et la renvoie.</p>
+
+<p>La comtesse rassurée par cette
+première épreuve, en médite encore
+d'autres, pour se convaincre de ce
+qu'elle desire. Mais elle sent avant
+tout la nécessité d'éloigner une rivale
+dont la perte peut seule assurer
+sa tranquillité. Son esprit ne rêve
+plus qu'aux moyens d'abuser de la
+confiance de son mari, pour servir
+sa jalousie. Déja elle se réjouit des
+succès que lui promet sa supériorité
+<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">125</a></span>
+dans l'art de tromper, sans se douter
+que pendant ce temps elle est dupe
+elle-même des erreurs de son imagination,
+des serments d'un perfide,
+et de la petite ruse d'une enfant.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIV" id="CHAPITRE_XXXIV"></a>CHAPITRE XXXIV.</h3>
+
+<p class="p2">Les v&oelig;ux de madame de Nangis
+ne furent que trop tôt remplis. Son
+mari, convaincu par l'évidence des
+preuves qu'elle lui donne contre
+Valentine, avoue que la conduite
+de sa s&oelig;ur ne mérite plus d'indulgence,
+et c'est presque sous la dictée
+de la comtesse, qu'il écrit à madame
+de Saverny la lettre qui doit lui
+<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">126</a></span>
+fermer pour jamais l'entrée de sa
+maison. La rupture bien constatée,
+madame de Nangis ne songe plus
+qu'à la publier dans le monde avec
+tous les détails qui doivent justifier
+la sévérité de son mari, et
+perdre la réputation de Valentine.
+En moins de huit jours l'histoire
+s'en est tellement répandue, qu'elle
+est l'objet de toutes les conversations.
+Les hommes, piqués de n'être
+pour rien dans les torts d'une aussi
+jolie personne, se plaisent à les exagérer;
+les femmes en parlent avec
+tout le mépris qui sert à déguiser
+l'envie. L'une se promet bien de ne
+pas lui rendre son salut, si jamais
+elle la rencontre; l'autre court chez
+son amie pour la prévenir du danger
+<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">127</a></span>
+de recevoir une folle qui vient
+de s'afficher ainsi; et lorsque quelque
+ame charitable ose demander
+la cause de ces mesures rigoureuses:</p>
+
+<p>«Quoi, s'empresse-t-on de lui répondre,
+vous ignorez que cette
+belle marquise de Saverny, qu'on
+voulait nous donner pour modèle,
+et qui, disait-on, était insensible
+aux charmes de l'amour, menait
+tout doucement quatre intrigues
+à-la-fois? Vivent ces beautés timides
+pour savoir bien tromper leurs
+admirateurs! Ceux de la marquise
+en seraient peut-être encore dupes,
+si l'un de ses favoris n'avait eu la
+maladresse de laisser deviner son
+bonheur. On va jusqu'à dire que
+la preuve de ce bonheur oblige
+<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">128</a></span>
+la marquise à faire une assez longue
+absence. Enfin, rien ne manque au
+scandale de ses aventures galantes;
+et pour peu qu'elle aime la célébrité,
+sa vanité doit être satisfaite.»</p>
+
+<p>A ces calomnies on joignait les plus
+injurieux commentaires; mais ces
+bruits n'étant pas encore parvenus
+à Versailles, Valentine reçut une
+lettre de la dame d'honneur de la
+reine, qui lui annonçait que le jour
+de sa présentation à la cour était
+fixé au dimanche suivant. Cette lettre
+était la réponse de la demande que
+M. de Nangis avait adressée quelques
+mois après l'arrivée de madame
+de Saverny. Cette présentation aurait
+eu lieu beaucoup plutôt, sans la
+grossesse de la reine, mais on venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">129</a></span>
+de célébrer son retour à la santé, et
+la naissance d'une auguste princesse.
+La cour allait reprendre ses
+habitudes, et déja l'on se félicitait
+d'y voir paraître une femme qui
+devait y briller à tant de titres.</p>
+
+<p>C'était uniquement par condescendance
+aux volontés de son frère
+que Valentine avait consenti à réclamer
+l'honneur auquel sa famille
+et le nom du marquis de Saverny,
+lui donnaient des droits incontestables.
+Mais cette cérémonie qui,
+dans toute autre circonstance, aurait
+peut-être flatté son amour-propre,
+aujourd'hui devenait un supplice
+pour elle. L'idée de s'offrir à tout
+les regards dans un moment où le
+malheur et la méchanceté semblaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">130</a></span>
+se réunir pour l'accabler effrayait
+son courage. Elle s'adressa encore à
+M. de Saint-Albert, pour le prier de
+lui indiquer un moyen de la dispenser
+de ce devoir pénible. Mais il lui
+répondit, qu'il en connaissait fort
+peu, et que tous offraient de grands
+inconvénients. «D'ailleurs, ajouta-t-il,
+votre position exige ce sacrifice.
+Quand, par l'effet d'un événement
+fâcheux, on a le malheur d'occuper
+de soi les oisifs d'une grande
+ville, on ne doit pas plus affecter
+de se montrer que de se cacher.
+Les mêmes gens qui vous blâmeraient
+s'ils vous voyaient braver dans
+le grand monde l'injustice de votre
+famille, ne manqueraient pas d'interpréter
+fort mal le motif qui retarderait
+<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">131</a></span>
+votre présentation à la cour. Il y a
+tant de gens qui s'y feraient porter
+à l'agonie pour une semblable cérémonie,
+que vous ne leur persuaderez
+jamais qu'on s'en dispense volontairement;
+ils trouveront bien plus
+simple de supposer qu'on vous exclut
+de la cour, que de croire aux
+raisons qui vous en éloignent.» En
+lui tenant ce discours, le commandeur
+savait déja tous les bruits qui
+circulaient sur le compte de Valentine.
+La princesse de L... venait de
+les lui mander en lui marquant
+qu'elle ne saurait y ajouter foi, avant
+de les entendre confirmer par lui.
+On devine bien que malgré ses souffrances,
+M. de Saint-Albert ne perdit
+pas un moment pour aller convaincre
+<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">132</a></span>
+la princesse de l'innocence de Valentine,
+et la conjurer d'accorder à
+cette intéressante victime de l'envie
+et de l'injustice, toute la protection
+qu'elle méritait. C'est dans la certitude
+que la princesse de L... partagerait
+l'indignation qui le transportait
+contre les ennemis de la
+marquise, et qu'elle prendrait hautement
+sa défense, qu'il engageait
+Valentine à paraître à la cour. Il
+pensait que l'appui d'une personne
+aussi justement révérée, devait servir
+d'égide contre les traits de la
+méchanceté; mais si la protection
+des princes est un grand titre à la
+bienveillance du souverain, elle en
+est un plus grand à la haine des
+envieux. Le respect des courtisans
+<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">133</a></span>
+s'arrête aux favoris des rois; et c'est
+ordinairement sur les protégés de
+celui que la fortune favorise qu'on se
+venge des succès du protecteur.</p>
+
+<p>Valentine, soumise aux avis de
+M. de Saint-Albert, envoya mademoiselle
+Cécile à Paris, pour commander
+ses habits de cour et rapporter
+avec elle le reste des effets qu'elle
+avait laissés à l'hôtel de Nangis. Tous
+les gens attachés au service de la
+marquise reçurent l'ordre de venir
+la retrouver à Auteuil; et lorsque
+mademoiselle Cécile fut au moment
+d'y retourner, Richard lui dit: «Eh
+bien! c'est donc un parti pris, vous
+nous quittez pour toujours; ma foi
+j'en suis fâché, car la marquise est
+une excellente maîtresse, et si j'en
+<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">134</a></span>
+juge par les bonnes étrennes qu'elle
+nous a données cet hiver, à nous,
+qui ne lui rendions pas de grands services,
+je pense que les vôtres sont
+bien payés. Richard accompagna ces
+derniers mots d'un air malin qui
+fut très-bien compris de mademoiselle
+Cécile; elle dissimula l'indignation
+qu'elle en ressentait pour
+mieux savoir jusqu'où Richard portait
+ses conjectures. Il ne se fit pas
+prier pour lui raconter assez grossièrement
+tout ce qui se disait dans
+les antichambres, de la séparation
+de la marquise d'avec sa belle-s&oelig;ur.
+De cet entretien il résulta une vive
+querelle dans laquelle mademoiselle
+Cécile prit avec chaleur le parti de
+sa maîtresse, en injuriant de tout
+<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">135</a></span>
+son pouvoir celle de Richard, et
+finit par dire: «Eh bien! quand madame
+de Saverny aurait autant d'amants
+que sa s&oelig;ur lui en donne,
+n'est-elle pas libre de vivre à son
+gré? A-t-elle un mari à tromper, ou
+des enfants à corrompre par son
+mauvais exemple? Allez, M. Richard,
+le temps viendra bientôt où la vérité
+se fera connaître: votre maître ne
+sera pas toujours aussi dupe, et c'est
+alors qu'il récompensera le fidèle
+porteur des petits billets de la comtesse.»
+Ravie d'avoir répondu par ce
+trait malin aux propos de son camarade,
+mademoiselle Cécile prit
+congé des femmes de madame de
+Nangis, sans oublier de leur faire
+le détail de la magnifique parure qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">136</a></span>
+embellirait la marquise le jour de
+sa présentation. Elle fut récompensée
+de cette preuve de confiance, par
+plusieurs petites confidences; on lui
+raconta le chagrin de la pauvre
+Isaure, à qui sa mère avait positivement
+défendu d'aller voir sa tante,
+et qui de plus, avait reçu l'ordre
+de ne jamais prononcer le nom de
+madame de Saverny. Enfin, après
+s'être longuement livrée à tous les
+plaisirs du commérage, mademoiselle
+Cécile sortit de l'hôtel de Nangis,
+sans éprouver d'autre regret que
+celui de n'y pouvoir causer encore.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">137</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXV" id="CHAPITRE_XXXV"></a>CHAPITRE XXXV.</h3>
+
+<p class="p2">La nouvelle de la prochaine présentation
+de la marquise, jointe à
+toutes celles qui se débitaient sur
+ses prétendues aventures, excita les
+clameurs de toute la brillante société
+de Paris. Plusieurs femmes d'un rang
+distingué furent sollicitées, par ces
+officieuses personnes que l'on trouve
+partout, pour tâcher de faire parvenir
+aux oreilles de la Reine les
+bruits qui couraient sur madame
+de Saverny. Mais quand on avait
+l'honneur d'approcher souvent de la
+Reine, on savait avec quel mépris elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">138</a></span>
+recevait toute espère de dénonciation
+de ce genre; d'ailleurs c'était madame
+la princesse de L... qui devait présenter
+elle-même la marquise, et
+toutes les tentatives de la méchanceté
+échouaient devant cette marque
+de considération particulière.</p>
+
+<p>Le dépit de ne pouvoir réussir à
+éloigner Valentine de la cour, redoubla
+la curiosité de voir l'accueil
+qu'elle y recevrait; et toutes les personnes
+qui par leur rang pouvaient
+y être admises ne manquèrent point
+à cette cérémonie. Déjà les galeries
+de Versailles étaient remplies de
+courtisans dont l'ironie s'exerçait,
+en attendant mieux, sur la famille
+de M. de Nangis, sans s'apercevoir
+que le comte était là très à portée
+<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">139</a></span>
+de les entendre. Après y avoir bien
+réfléchi, il n'avait pas cru pouvoir
+se dispenser d'assister à la présentation
+de sa s&oelig;ur, sur-tout en pensant
+qu'on l'avait accordée à sa sollicitation.
+Mais il avait conjuré la
+comtesse de n'en pas être témoin,
+pour éviter, disait-il, l'embarras
+d'une entrevue désagréable, et l'inconvénient
+d'offrir à toute la cour
+le spectacle de leur désunion.</p>
+
+<p>Enfin, l'on vint avertir que le
+Roi allait passer dans les grands appartements,
+et tout rentra dans le
+plus profond silence. Lorsque toute
+la cour fut rangée auprès de Sa Majesté,
+on vit paraître la princesse
+de L... dans le costume le plus simple,
+et tenant par la main la marquise
+<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">140</a></span>
+de Saverny, dont la magnifique parure
+semblait rivaliser avec l'éclat
+de sa beauté. Jamais plus de noblesse
+et plus de modestie n'avaient embelli
+tant d'attraits. La timidité qui
+colorait son teint en augmentait la
+fraîcheur; son regard à demi baissé
+semblait réclamer l'indulgence, en
+même temps que sa taille élégante
+et son noble maintien commandaient
+l'admiration. Elle fit ses révérences
+sans assurance et sans gaucherie, et
+ce fut avec toutes les graces de la simplicité,
+qu'elle répondit aux choses
+obligeantes que le Roi daigna lui
+dire.</p>
+
+<p>Cette réception déconcertait bien
+de malignes espérances; les femmes
+en témoignaient tout haut leur dépit:
+<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">141</a></span>
+«Voilà, disaient-elles, comme
+avec de la beauté on peut tout se permettre
+impunément: prêchons, après
+de pareils exemples, la vertu à nos
+filles! Mais si la vérité n'arrive jamais
+aux pieds du trône, le monde
+qui la connaît sait punir les erreurs.»
+A ces discours les hommes, déja séduits
+par l'aspect de Valentine, essayaient
+de répondre qu'avant de
+la juger aussi sévèrement, il fallait
+attendre des preuves plus positives
+de son inconséquence. Quelques-uns
+refusaient tout net de la croire coupable,
+et les plus malveillants ne
+savaient comment accorder tant de
+travers avec tant de modestie.</p>
+
+<p>Valentine, un peu remise du premier
+trouble inséparable d'une solennité
+<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">142</a></span>
+dont on est le principal objet,
+essaya de lever les yeux pour contempler
+ce spectacle brillant et nouveau
+pour elle; mais toute la pompe
+de la cour disparut bientôt à ses regards,
+lorsque les portant du côté où
+était placé le corps diplomatique, elle
+reconnut l'ambassadeur d'Espagne,
+et près de lui... Anatole. Qui pourrait
+peindre l'émotion qui s'empara
+d'elle au moment où leurs yeux se
+rencontrèrent! Elle eut besoin de
+tout son courage pour n'y pas succomber,
+et elle crut que la princesse
+de L..., touchée de son état, arrivait
+pour lui sauver la vie, quand elle
+vint la prendre pour la conduire
+chez les princesses du sang, et lui
+faire faire, suivant l'usage, quelques
+visites dans le château.</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">143</a></span>
+Elle fut invitée à souper le même
+jour chez la comtesse d'Art.... C'est-là
+que l'attendaient l'intrigue et la
+jalousie des femmes qui se promettaient
+de lui faire payer ses triomphes
+du matin par toutes les humiliations
+de la soirée; la princesse de
+L... était chez la Reine, et madame
+de Réthel se trouvant forcée de retourner
+auprès de son oncle, rien
+ne s'opposait au projet d'affliger la
+marquise. Il est vrai que la bonté
+de la comtesse d'Art... lui répondait
+d'un accueil agréable; mais les
+premières politesses finies, la comtesse
+et les princes ses frères se
+mettraient au jeu, et la pauvre Valentine
+resterait livrée à elle-même
+ou plutôt à la vengeance de toutes
+<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">144</a></span>
+ses rivales. C'est ce qui arriva bientôt.
+Dès que la comtesse rompit le
+cercle pour s'approcher de la table,
+toutes les femmes s'éloignèrent de
+Valentine en lui prodiguant les marques
+du plus humiliant dédain.
+Confuse de se voir ainsi abandonnée
+au milieu du salon, elle fut se placer
+auprès de la jeune duchesse de M...,
+qu'elle avait souvent rencontrée chez
+madame de Nangis. Mais la duchesse
+qui la croyait de bonne foi coupable
+de tous les procédés que lui reprochait
+sa belle-s&oelig;ur, se mit à lui
+tourner le dos, comme pour l'empêcher
+d'entendre ce qu'elle racontait
+d'elle à une autre personne.
+Malgré la paix de sa conscience,
+Valentine éprouvait le supplice de
+<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">145</a></span>
+s'entendre calomnier sans pouvoir
+se défendre, et de se voir insultée
+sans oser se plaindre. L'arrivée de
+M. d'Émerange vint encore ajouter
+à l'horreur de sa position. A peine
+daigna-t-il la saluer. Cette impolitesse
+ne l'aurait pas affectée, s'il ne
+l'avait pas aggravée par les airs les
+plus impertinents.</p>
+
+<p>La crainte de voir la marquise
+recevoir quelques soins du petit nombre
+de personnes qui ne jouaient
+pas, les lui fit rassembler autour de
+lui, et captiver leur attention par
+des récits amusants. Souvent on l'accablait
+de questions auxquelles il
+répondait en élevant le ton: «Non,
+ce n'est pas cela, vous êtes par trop
+méchant; puis, jetant un regard sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">146</a></span>
+Valentine, il reprenait à voix basse
+la défense de l'accusée, et l'entremêlait
+de plaisanteries si piquantes,
+que les auditeurs riaient encore plus
+des ridicules de la coupable, qu'ils
+ne s'indignaient de ses fautes. Ce
+manège dura jusqu'au moment où
+la soirée finit. Valentine en vit approcher
+le terme avec toute l'impatience
+d'un prisonnier qui attend sa
+délivrance. Et lorsque ses chevaux
+l'entraînèrent loin de ce séjour où
+l'intrigue est un mérite, et l'innocence
+un ridicule, elle s'écria, le
+c&oelig;ur oppressé de larmes. «Ah! fuyons
+pour toujours des lieux où la bonté
+du souverain ne garantit pas de tant
+d'insultes, où le moindre succès
+s'achète par tant d'humiliations! Je
+<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">147</a></span>
+n'y dois plus paraître, puisque le
+ciel m'a refusé la fausseté, la souplesse
+et l'audace.»</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXVI" id="CHAPITRE_XXXVI"></a>CHAPITRE XXXVI.</h3>
+
+<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p>
+
+<p>«Puisque l'ordre m'en vient de
+vous, j'obéirai, Valentine; demain,
+à cette même heure, je serai déjà
+bien loin de tout ce que j'adore.
+Ah! si le tort d'avoir compromis
+votre repos mérite le plus grand
+supplice, je le subirai... Mais
+non, rien ne saurait me punir
+<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">148</a></span>
+assez du malheur d'avoir fait couler
+vos larmes. C'est ma coupable
+imprudence qui vous livre au ressentiment
+d'un frère; c'est avec
+l'assurance de ne pouvoir jamais
+causer votre bonheur que j'ose y
+attenter! Ah! ce n'est point assez
+de ma vie pour expier un tel crime,
+et sans les remords qui déchirent
+mon c&oelig;ur, vous ne seriez point
+assez vengée.</p>
+
+<p>«Avant d'accomplir ma triste destinée,
+j'ai voulu m'enivrer encore
+une fois du plaisir de contempler
+tout ce que la nature a formé de
+plus divin; mais grands dieux!
+quels transports inconnus ont agité
+mon ame, lorsque j'ai vu paraître
+au milieu de cette assemblée brillante
+<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">149</a></span>
+celle dont la beauté céleste
+éclipsait jusqu'à l'éclat du trône! A
+son aspect enchanteur, j'ai cru voir
+la cour entière partager mon délire!
+le souverain lui-même, séduit par
+la réunion de tant de charmes à
+tant de modestie, semblait fier de
+compter au nombre de ses sujets
+une femme si digne de régner sur
+tous les c&oelig;urs. Mais il faut vous
+avouer ma faiblesse, tout en jouissant
+de l'admiration qu'inspirait Valentine
+au plus puissant roi de l'Europe,
+j'ai frémi en pensant à ce que
+j'aurais redouté de cette admiration
+sous un roi, d'une vertu moins austère,
+et, dans ce moment, je n'ai
+pas regretté le siècle de Louis XIV.</p>
+
+<p>«Ce triomphe si beau, ce doux
+<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">150</a></span>
+instant a passé comme un songe.
+Un regard de Valentine, ainsi que
+celui d'Orphée, après avoir comblé
+les v&oelig;ux d'une ame passionnée,
+l'a replongée dans le néant.
+Bonheur, espoir, courage, j'ai tout
+perdu avec votre présence. L'affreuse
+idée d'en être privé pour
+toujours est venue me frapper d'un
+coup mortel, et les moments que
+j'ai passés depuis semblent ne plus
+appartenir à l'existence. Mais que
+l'excès de ce désespoir ne vous afflige
+pas, Valentine, je ne souffre
+déja plus. Ne vous accusez point
+sur-tout, des peines qui m'accablent;
+le ciel m'avait dès ma naissance
+condamné au malheur. C'est
+par vous seule que j'ai connu le
+<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">151</a></span>
+charme de la vie. En me permettant
+de vous aimer, je vous ai dû
+une félicité au-dessus de mes espérances;
+et ce n'est pas votre faute
+si mon amour insensé a besoin de
+joindre un autre bonheur à celui
+de penser à vous... Je le sens: cet
+amour qui me dévore devait m'entraîner
+à tout braver pour tout
+obtenir de votre pitié... La mort
+la plus inévitable ne m'aurait pas
+arrêté... Mais s'exposer au mépris
+de Valentine... se voir l'objet de
+son dédain..... Ah! plutôt mille
+fois succomber à la douleur de
+s'éloigner d'elle. C'en est fait, mon
+sort est rempli; je l'ai vue, je l'ai
+adorée, ses yeux ont daigné quelquefois
+se fixer sur les miens; tant
+<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">152</a></span>
+d'heureux souvenirs valent plus
+que ma vie. Adieu. Valentine!
+Adieu.»</p>
+
+<p>Cette lettre fut remise à madame
+de Saverny, à son retour de Versailles;
+et de tous les événements de
+la journée, le seul qui resta dans son
+souvenir, ce fut le moment où elle
+avait vu pour la dernière fois Anatole.
+«Il est parti, disait-elle avec
+l'accent d'un désespoir concentré;
+il est parti, et c'est pour m'obéir
+qu'il m'abandonne à tout l'excès de
+ma douleur!... Accablée d'injustices,
+rejetée par ma famille, je n'avais
+pour consolations que les preuves
+de son amour?... Ah! pourquoi sa
+barbare générosité m'a-t-elle sauvé
+la vie!... Que ferai-je d'un bien que
+<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">153</a></span>
+je ne puis plus lui consacrer!... Car
+c'est en vain que je chercherais encore
+à m'abuser sur le sentiment qu'il
+m'inspire. Ce cruel sentiment règne
+seul dans mon c&oelig;ur; l'amitié même
+ne peut m'offrir de secours contre
+les regrets qui me tuent.... Ah!
+puisque je consentais à t'aimer sans
+espoir de bonheur, cruel! pourquoi
+m'as-tu ravi les tourments délicieux
+qui agitaient mon ame?...»</p>
+
+<p>C'est en exhalant ainsi sa douleur,
+que Valentine passa le reste de la
+nuit; lorsqu'elle se rendit le matin
+auprès du commandeur, il fut frappé
+de l'altération de son visage. «Ah! lui
+dit-il en prenant sa main avec affection,
+ménagez-moi, Valentine, je
+ne suis pas en état de supporter l'accablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">154</a></span>
+où je vous vois; si votre
+courage ne soutient pas le mien, je
+m'accuserai de vos peines, et vous
+me verrez mourir du remords d'avoir
+empoisonné votre existence.&mdash;Eh!
+quel reproche pourrait troubler
+votre repos? N'est-ce pas à vous,
+mon ami, que je dois l'unique consolation
+qui me reste.&mdash;Non, reprit
+M. de Saint-Albert, c'est peut-être
+à moi seul que vous devez tous vos
+malheurs. La connaissance du monde
+qui m'a servi tant de fois, m'a trompé
+celle-ci; j'avais remarqué toute ma
+vie, dans le caractère des femmes,
+un fond de légèreté qui devait les
+rendre incapables d'éprouver un
+sentiment profond. Les plus estimables
+mêmes ne me semblaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">155</a></span>
+pas à l'abri des séductions de la vanité;
+et tout en rendant justice à
+leur sensibilité, à la durée de leurs
+affections, et au noble dévouement
+qui en était souvent la suite, je
+croyais qu'on ne pouvait obtenir
+autant de leur c&oelig;ur, qu'en flattant
+leur amour-propre. J'en ai tant vu
+préférer la gloire d'être affichées
+publiquement, au bonheur d'être
+aimées en secret! Mais vous m'avez
+prouvé que ce bonheur pouvait suffire
+à l'ame la plus pure. Vous avez
+dissipé mon erreur, et vous me livrez
+maintenant au regret d'avoir
+fait naître dans votre c&oelig;ur un sentiment
+que je n'y saurais détruire.&mdash;Ah!
+cessez de vous accuser d'un
+mal qui n'est pas votre ouvrage,
+<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">156</a></span>
+interrompit Valentine, son image
+était gravée dans mon c&oelig;ur, bien
+avant que vous ne l'eussiez fait battre
+en me parlant de lui!&mdash;Vous voulez
+en vain me justifier; à mon âge on
+ne se fait plus d'illusion sur ses
+torts. C'est en vous parlant des vertus
+d'Anatole, que je vous ai fait
+oublier le danger de l'aimer; c'est,
+rassuré par l'idée que cette passion
+qui égarait sa raison, ne troublerait
+jamais la vôtre; c'est peut-être aussi
+par je ne sais quelle vague espérance
+de voir récompenser tant d'amour
+par un sacrifice héroïque, que je
+me suis aveuglé moi-même sur les
+malheurs qui pouvaient résulter
+d'une intimité de ce genre. Enfin,
+je reconnais toute l'étendue de mon
+<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">157</a></span>
+imprudence, et je ne me sens pas la
+force de vous en voir souffrir.»</p>
+
+<p>La première des consolations est
+d'en pouvoir offrir, et Valentine, en
+s'efforçant de consoler son ami des
+chagrins qui la désolaient, finit aussi
+par en être moins oppressée. Elle
+lui parla sans contrainte de son
+amour, et lui avoua qu'elle doutait
+que l'absence et le temps parvinssent
+à en triompher.&mdash;«Eh bien! faites-en
+toujours l'épreuve, reprit le
+commandeur; et, s'il est vrai que
+votre constance sache braver ces
+deux grands ennemis de l'amour,
+vous aurez peut-être le courage
+d'être heureuse en dépit de tous
+les obstacles.»</p>
+
+<p>Malgré le mystère répandu dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">158</a></span>
+cette dernière phrase, Valentine sentit
+qu'elle ranimait sa vie en lui rendant
+quelque espoir. Dès ce moment, elle
+promit au commandeur de surmonter
+sa faiblesse, et se prêta de
+bonne grace à tous les moyens qu'il
+imagina pour la distraire. L'ingénieuse
+bonté de madame de Réthel
+en inventait chaque jour de nouveaux;
+mais Valentine refusait obstinément
+de jouir d'autres plaisirs
+que de ceux de la campagne. Le récit
+qu'elle avait fait à madame de Réthel
+de sa soirée de Versailles, lui donnait
+bien le droit de fuir le grand monde;
+et le commandeur était d'avis qu'elle
+laissât passer ce premier feu de méchanceté,
+qui s'éteint comme tant
+d'autres, quand il n'est pas alimenté
+<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">159</a></span>
+par la présence de l'objet qui l'excite.
+Ainsi Valentine passa l'été chez madame
+de Réthel, dans cette retraite
+agréable, où les charmes de l'esprit
+et les douceurs de l'amitié se disputaient
+le plaisir de tromper ses
+regrets. Occupée de répondre aux
+soins de ses amis, elle vivait dans
+l'ignorance de ce qui se passait chez
+les personnes dont elle avait tant à
+se plaindre, et se consolait de la
+haine de ses ennemis, par le souvenir
+de l'amour d'Anatole.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">160</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXVII" id="CHAPITRE_XXXVII"></a>CHAPITRE XXXVII.</h3>
+
+<p>Deux mois s'écoulèrent dans cette
+vie paisible, pendant lesquels le
+commandeur avait reçu plusieurs
+lettres d'Anatole. Valentine était
+souvent présente quand on les lui
+remettait, mais il gardait le plus
+profond silence sur leur contenu;
+et si elles n'avaient pas porté le
+timbre de Madrid, Valentine eût
+ignoré jusqu'au pays où vivait Anatole.
+Tant de discrétion lui paraissait
+quelquefois pénible à supporter.
+Cependant elle n'osait s'en plaindre;
+et, forte de la sagesse de son ami,
+<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">161</a></span>
+elle se livrait à toute la folie de son
+amour.</p>
+
+<p>La patience et le beau temps ayant
+triomphé de la goutte de M. de Saint-Albert,
+il arriva un matin chez
+madame de Saverny, et lui dit:
+«Pour cette fois, il n'y a pas moyen
+de refuser. Lisez ce billet, et voyez
+si nous pouvons nous dispenser de
+céder aux instances d'une personne
+qui vous aime tant.» Ce billet contenait
+une invitation de la princesse
+de L..., qui priait le commandeur
+d'employer tout son ascendant sur
+Valentine, pour l'engager à venir
+souper chez elle le sur-lendemain.
+C'était le jour de sa fête, et elle ajoutait
+dans les termes les plus affectueux,
+qu'elle douterait de l'amitié
+<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">162</a></span>
+de Valentine, si elle ne venait pas
+se joindre aux amis qui devaient
+la fêter. Le commandeur n'eut pas
+besoin d'insister pour faire sentir
+à Valentine combien un refus de
+sa part serait déplacé dans cette circonstance;
+et il fut convenu entre
+eux et madame de Réthel, qu'on
+se rendrait le sur-lendemain à Paris,
+d'assez bonne heure, pour aller voir
+le salon des tableaux dont on venait
+de faire l'exposition au Louvre; et
+qu'après avoir dîné chez le commandeur,
+on se rendrait chez la princesse.
+Ce ne fut pas sans beaucoup
+d'émotion que Valentine passa devant
+l'hôtel de Nangis, pour se rendre
+au Louvre. Mais elle en éprouva
+bien davantage lorsqu'elle entra
+<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">163</a></span>
+dans ce palais des arts et du génie.
+Ses yeux furent d'abord éblouis par
+le mélange de ces vives couleurs,
+dont les jeunes élèves se plaisent à
+recouvrir les défauts de leurs dessins,
+sans penser qu'ils ne tirent d'autre
+avantage de ce charlatanisme, que
+d'absorber l'effet des tableaux des
+grands maîtres. Son bon goût admira
+les premiers essais de ces beaux
+talents qui devaient un jour faire
+l'orgueil de la France. Elle envia au
+pinceau d'une femme charmante
+cette grace enchanteresse qui, dans
+chacun de ses portraits, semblait
+passer de l'artiste au modèle. Enfin
+la curiosité la conduisit auprès d'un
+tableau qui attirait la foule des amateurs.
+Elle fut long-temps sans pouvoir
+<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">164</a></span>
+en approcher, et prenait patience
+en écoutant les éloges que
+tout le monde en fesait. «C'est, disait-on,
+d'une composition admirable,
+d'une vérité parfaite. L'ensemble
+du monument, le fini des détails,
+le dessin des figures, le coloris,
+enfin tout en est ravissant.» Chacun
+de ces éloges donnait à Valentine le
+desir de les vérifier; mais lorsque
+la politesse d'une personne qui lui
+céda sa place la mit à portée d'en
+juger, le dessin, les détails, le coloris
+ne furent pas l'objet de son admiration.
+Ses yeux frappés d'étonnement
+croyaient se tromper en reconnaissant
+cette chapelle de l'abbaye de
+Saint-Denis, qui renfermait le tombeau
+de Valentine de Milan. On
+<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">165</a></span>
+voyait sur le premier plan une
+enfant en prière sur les marches
+d'un autel; plus loin, une femme
+était posée de manière à ne laisser
+voir que la beauté de sa taille et une
+partie de son profil, que des cheveux
+flottants dissimulaient encore. Un
+voile de mousseline venait de tomber
+à ses pieds, et l'on voyait un jeune
+homme sous le costume d'un simple
+ménestrel se prosterner pour ramasser
+le voile, et le presser sur son
+c&oelig;ur. A cet aspect inattendu, Valentine
+fut saisie d'un tremblement
+si violent, qu'elle se vit obligée de
+s'appuyer sur la balustrade qui entoure
+la galerie. Quand l'émotion
+causée par un souvenir aussi vif lui
+eut permis de reprendre ses sens, elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">166</a></span>
+appela madame de Réthel, et lui dit:
+«Sortons d'ici, je ne me sens pas
+bien.» Madame de Réthel, effrayée
+du trouble où elle la vit, l'entraîna
+sur-le-champ hors de la salle.</p>
+
+<p>Le commandeur vint bientôt les
+rejoindre dans le vestibule, en se
+plaignant de leur fuite précipitée
+qui l'avait privé, disait-il, du plaisir
+d'admirer ce tableau qui captivait
+tous les suffrages du public. Valentine
+lui répondit qu'en regardant
+ce même tableau, elle avait
+été saisie d'un étourdissement qui
+l'avait forcée de sortir pour venir
+prendre l'air. «Si ce tableau magique
+produit d'aussi grands effets,
+reprit en souriant le commandeur,
+j'en regrette moins la vue.&mdash;Je
+<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">167</a></span>
+dois avouer, dit Valentine, qu'il m'a
+fait une vive impression.&mdash;Il est
+donc d'une grande beauté, dit madame
+de Réthel?&mdash;Vraiment, je
+n'en sais rien, repartit Valentine;
+tout ce que je puis vous en dire,
+c'est qu'il est d'une exacte vérité.&mdash;On
+vous a sûrement dit quel en
+est l'auteur?&mdash;Je n'ai pas pensé
+à le demander, mais comme je me
+souviens qu'il est sous le n<sup>o</sup> 63, nous
+pouvons le voir dans le livret.» Alors
+Valentine chercha l'article qui concernait
+le tableau, et n'y lut que
+ces mots: Vue de l'intérieur d'une
+chapelle de l'abbaye de Saint-Denis,
+par un anonyme. «Ah! le succès qu'il
+obtient, dit madame de Réthel, nous
+promet que l'auteur ne gardera pas
+<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">168</a></span>
+long-temps son secret; d'ailleurs les
+amateurs vont s'empresser d'acquérir
+cet ouvrage pour en décorer leurs
+galeries; et l'on sait que, pour la plupart
+de ces amateurs, le nom du
+peintre a presqu'autant de prix que
+le mérite du tableau.&mdash;Si je savais
+que celui-là fût à vendre, dit Valentine,
+je ferais de grands sacrifices
+pour l'acheter.&mdash;Vous le payeriez
+peut-être trop cher, reprit le commandeur;
+chargez moi du soin de
+cette affaire; je connais la personne
+qui préside aux expositions du Louvre;
+il est par sa place dans la confidence
+de tous les artistes; et je
+suis sûr qu'il m'indiquera le moyen
+d'obtenir à peu de frais le tableau
+que vous desirez.» Un regard plein
+<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">169</a></span>
+de reconnaissance, fut le seul
+remerciement de Valentine. L'idée
+de posséder bientôt ce charmant
+ouvrage, qui ne pouvait avoir été
+fait ou commandé que pour elle,
+remplit son ame d'une douce joie.
+Quelle manière ingénieuse, se disait-elle,
+de m'assurer de son souvenir;
+et comment pourrais-je oublier
+celui qui se rappelle sans cesse à
+mon c&oelig;ur par tant de preuves d'amour!</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">170</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XXXVIII" id="CHAPITRE_XXXVIII"></a>CHAPITRE XXXVIII.</h3>
+
+<p class="p2">A l'heure indiquée, on se rendit
+chez la princesse de L... Dès les premières
+marches du palais, on sentait
+le parfum des fleurs; les vestibules
+étaient ornés de caisses remplies
+d'arbustes étrangers, de plantes
+odoriférantes. Chacun de ces tributs
+semblait avoir été déposé par la
+reconnaissance. Enfin, on y voyait
+jusqu'au bouquet des pauvres de la
+paroisse.</p>
+
+<p>Arrivées dans le sallon qui précédait
+celui de la princesse, madame
+<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">171</a></span>
+de Réthel et Valentine se trouvèrent
+au milieu d'un petit bal d'enfants
+dont les cris joyeux l'emportaient
+sur le bruit de l'orchestre. Il
+y avait un grand désordre dans la
+marche des contredanses; et, malgré
+les efforts d'un petit monsieur qui,
+l'épée au côté et la tête droite, semblait
+commander d'une voix enrouée
+à toute une armée, la déroute était
+complète, et le maître à danser se
+désespérait de voir ses élèves sauter
+et se divertir ainsi contre toutes les
+règles de l'art. Ce fut encore bien
+pis lorsque Isaure laissant-là son
+danseur, vint se jeter dans les bras
+de sa tante. Le plaisir que Valentine
+éprouva en l'embrassant fut un peu
+troublé par l'idée qu'elle allait probablement
+<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">172</a></span>
+rencontrer sa mère. Elle
+aurait préféré le plaisir de rester toute
+la soirée dans cette petite réunion,
+à l'honneur de s'offrir aux regards
+d'une plus grande assemblée. Elle
+frémissait déja de l'effet qu'allait produire
+son entrée dans le sallon de
+la princesse, et tâchait par mille prétextes
+d'en reculer l'instant, mais le
+commandeur qui devinait sa pensée
+vint lui prendre la main; elle entendit
+annoncer «Madame la marquise
+de Saverny»; elle fut bien obligée
+de paraître. A ce nom, le silence de
+l'étonnement régna dans l'assemblée;
+chacun se retourna pour voir s'il était
+bien vrai que la marquise reparût
+tout-à-coup dans le monde, après s'en
+être éloignée si long-temps. La princesse
+<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">173</a></span>
+ayant remarqué le mouvement
+qui s'était fait à l'arrivée de Valentine,
+se leva pour aller au-devant
+d'elle, et la conduisit, ainsi que madame
+de Réthel, à des places qui
+avaient été réservées à côté de la
+sienne. Cette aimable attention toucha
+sensiblement Valentine; elle
+pensa que la princesse avait appris
+les mauvais procédés dont elle avait
+souffert la dernière fois qu'elle s'était
+trouvée dans une semblable réunion,
+et qu'elle voulait la protéger par les
+marques d'une considération particulière
+contre l'impertinence de ses
+ennemis. En pensant ainsi, elle rendait
+justice à la princesse, et ne se
+doutait pas que l'influence de l'opinion
+d'une personne aussi respectable
+<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">174</a></span>
+dût ramener celle de tous les
+gens raisonnables. En effet, tous ceux
+que les manières inconsidérées et
+l'ironie continuelle de madame de
+Nangis commençaient à importuner,
+trouvèrent assez simple que sa belle-s&oelig;ur
+eût témoigné le desir de ne
+plus vivre avec elle, et finirent par
+conclure qu'une femme honorée par
+la constante amitié de la princesse
+de L..., et par l'attachement du commandeur,
+ne pouvait être indigne
+de l'estime des gens comme il faut.
+D'après ce raisonnement, plusieurs
+personnes vinrent s'informer, d'un
+ton respectueux, des nouvelles de
+madame de Saverny, et se plaindre
+de son goût pour la retraite, qui les
+privait aussi long-temps du plaisir
+<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">175</a></span>
+de la voir. Madame de Nangis,
+placée en face, de l'autre côté du
+salon, voyait avec humeur les marques
+de considération que l'on donnait
+à Valentine, et mettait tous ses
+soins à cacher le dépit qu'elle en
+ressentait, par les signes d'une gaîté
+factice. Cherchant par différents
+moyens à détourner l'attention favorable
+qui se portait sur sa belle-s&oelig;ur,
+elle demanda la lecture des
+vers dont chaque poëte, invité à
+la fête, s'était cru obligé d'accompagner
+son bouquet. A cette proposition,
+les plus modestes réclamèrent
+l'avantage de passer les premiers,
+pour s'épargner, disaient-ils, le désagrément
+d'arriver après un succès.
+Le fait est qu'ils savaient bien à quoi
+<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">176</a></span>
+s'en tenir sur la nouveauté de leurs
+pensées à tous, et qu'ils préféraient
+le plaisir de les dire, à l'ennui de
+les répéter.</p>
+
+<p>Déja plusieurs d'entre eux avaient
+assiégé l'Olympe pour en rapporter
+les comparaisons les plus exagérées,
+et l'on commençait à s'ennuyer de
+ce cours de Mythologie, lorsque le
+chevalier de Florian, et le chevalier
+de Boufflers, vinrent au secours des
+auditeurs, l'un avec une fable ingénieuse,
+l'autre avec des couplets
+charmants. Ceux que le premier avait
+attendris par les traits d'une sensibilité
+touchante étaient transportés
+par l'esprit piquant et la gaîté de l'auteur
+d'Aline; il est vrai que son nom
+et son état dans le monde lui donnaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">177</a></span>
+les moyens de faire valoir à
+son gré tous les agréments de son
+esprit. Quand un homme de la cour
+se donne la peine d'avoir des talents,
+et qu'il daigne y joindre quelque
+instruction, ses succès n'ont plus de
+bornes, il peut prendre à son choix
+tous les tons; sa gravité passe pour
+celle d'un homme d'état, et sa gaîté
+ne paraît jamais trop familière; tandis
+qu'un pauvre poëte est toujours
+obligé de soumettre son talent au
+ton de la flatterie.</p>
+
+<p>On croit peut-être qu'après les
+applaudissements si justement prodigués
+aux jolis couplets du chevalier
+de Boufflers, personne n'osa
+plus se présenter pour en chanter
+d'autres. Mais s'il y a des gens qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">178</a></span>
+ne doutent de rien dans le monde,
+c'est bien sûrement dans la classe
+des feseurs de madrigaux qu'on
+peut les rencontrer. Un des plus
+intrépides entamait déja son préambule,
+lorsque la princesse, fatiguée
+du retour de ces éternelles rimes:
+<i>de la fête, qu'on apprête, et de
+l'ivresse, de la tendresse</i>, vint en suspendre
+le cours en priant le comte
+d'Émerange de chanter quelques romances.
+C'était prévenir ses desirs;
+et il se rendit aussitôt à ceux de la
+princesse. En préludant sur le piano,
+ses yeux se portèrent sur madame
+de Saverny, et il la regarda d'une
+manière qui semblait dire à chacun:
+C'est d'elle que je vais vous parler.
+Lorsque le plus profond silence l'eut
+<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">179</a></span>
+assuré de l'attention générale, il
+commença cette romance de M. de
+Moncrif, qui n'était alors connue
+que de ses intimes amis, et dont
+voici le premier couplet:</p>
+
+<p class="left35 font90">Elle m'aima cette belle Aspasie,<br />
+En moi trouva le plus tendre retour;<br />
+Elle m'aima: ce fut sa fantaisie;<br />
+Mais celle-là ne lui dura qu'un jour.</p>
+
+<p>La malignité fit bientôt l'application
+de ces paroles à madame de
+Saverny. Les chuchotements des
+femmes et cet empressement à mettre
+leur éventail devant leur visage
+pour cacher un rire moqueur que
+décelait leur attitude, apprirent sans
+peine à la marquise le succès qu'obtenait
+la fatuité du comte. Elle résolut
+<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">180</a></span>
+de la déjouer, en dissimulant
+l'embarras qu'elle en ressentait, et
+fit bonne contenance. La joie que
+montra madame de Nangis dans
+cette circonstance, et son affectation
+à conjurer M. d'Émerange de
+recommencer cette romance dont
+les paroles étaient si piquantes, déplurent
+à beaucoup de personnes,
+et particulièrement à la princesse,
+qui fit changer sur-le-champ la conversation,
+en demandant à Valentine
+si elle avait été à l'exposition du
+Louvre. Dès-lors la discussion s'engagea
+sur le mérite des peintres
+modernes et de leurs ouvrages, et
+il ne fut plus question de musique.</p>
+
+<p>On ne tarda pas à parler de ce
+tableau qui fesait tant de bruit, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">181</a></span>
+chacun s'étonna de n'en pouvoir
+connaître l'auteur. «C'est, m'a-t-on
+assuré, dit la baronne de T..., l'ouvrage
+d'un amateur.&mdash;Un amateur
+de cette force, reprit une autre, sera
+bientôt connu.&mdash;Mais il y a quelqu'un
+ici, reprit un troisième, qui
+pourra nous tirer d'incertitude; c'est
+le marquis d'Alvaro. Je lui ai entendu
+dire qu'il avait vu l'esquisse de ce
+tableau dans l'atelier d'un amateur
+de ses amis.»&mdash;Il faut absolument
+qu'il nous dise son nom, s'écria tout
+le monde; et plusieurs personnes
+s'empressèrent d'aller chercher le
+marquis d'Alvaro, qui fesait une
+partie d'échecs dans une pièce voisine.
+Si le c&oelig;ur de Valentine avait
+battu dès les premiers mots qui s'étaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">182</a></span>
+dits sur ce tableau, on peut
+s'imaginer l'agitation où elle se trouva
+pendant que l'on cherchait le
+marquis d'Alvaro, et le tremblement
+qui la saisit en le voyant paraître.
+D'abord, on lui adressa cent questions
+à-la-fois; ce qui ne lui permit
+d'en distinguer aucune. Mais
+la princesse lui ayant expliqué ce
+qu'on desirait savoir de lui, il répondit
+que ce tableau, qui excitait
+si vivement la curiosité, était l'ouvrage
+du jeune duc de Linarès, dont
+le talent en peinture égalait celui
+des plus grands professeurs. Quoi!
+s'écria la princesse, c'est le parent de
+l'ambassadeur d'Espagne? ce jeune
+Anatole, si beau, si spirituel, qui est
+sourd-muet de naissance?... Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">183</a></span>
+n'en entendit pas davantage.
+Un froid mortel circula dans ses
+veines; sa tête se pencha vers madame
+de Réthel; et elle perdit connaissance.</p>
+
+<p>Cet événement causa un effroi général;
+on transporta Valentine sur
+le lit de la princesse, où les plus
+prompts secours lui furent prodigués
+par le docteur P... qui se
+trouvait présent. Il ordonna que
+chacun se retirât pour laisser respirer
+la malade, et ne laissa près
+d'elle que la princesse et madame de
+Réthel. Lorsque Valentine reprit ses
+sens, un violent accès de fièvre se
+déclara, et le docteur craignit que
+ce ne fût le symptôme d'une véritable
+maladie; il insista pour que la
+<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">184</a></span>
+marquise restât à Paris, en disant
+qu'il serait plus à portée de lui donner
+ses soins. La princesse joignit
+ses instances à celles du docteur pour
+la déterminer à accepter un appartement
+chez elle; mais rien ne put
+faire renoncer Valentine au projet
+de retourner le soir même à Auteuil;
+et l'on fut obligé de céder à sa volonté.
+Elle pria madame de Réthel
+d'avertir son oncle qu'elle était décidée
+à partir sur-le-champ. Elle
+adressa d'une voix éteinte ses remerciements
+à la princesse, lui serra
+tendrement la main, promit au docteur
+de suivre ses avis, et se fit porter
+dans sa voiture. Elle arriva bientôt à
+Auteuil. Le commandeur et sa nièce
+qui l'avaient accompagnée, passèrent
+<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">185</a></span>
+la nuit auprès d'elle. Ils l'engagèrent
+vainement à prendre quelque repos;
+ses sens étaient agités, ses yeux égarés,
+sa tête en délire; mais, au milieu
+de ses souffrances, l'ardeur de la
+fièvre la délivrait au moins du tourment
+de penser.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XXXIX" id="CHAPITRE_XXXIX"></a>CHAPITRE XXXIX.</h3>
+
+<p class="p2">«L'auriez-vous jamais deviné?
+s'écria madame de Nangis, lorsqu'elle
+se trouva seule avec M. d'Émerange,
+en sortant de chez la princesse.
+Vraiment je conçois qu'on en
+meure de surprise. Voilà une découverte
+<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">186</a></span>
+bien autrement dramatique
+que celle de madame de V...., lorsqu'elle
+reconnut son amant dans un
+marchand d'étoffes. C'est quelque
+chose de fort glorieux sans doute que
+d'inspirer de l'amour à un jeune
+homme beau, riche, et qui, par-dessus
+tout cela, porte le nom de duc de Linarès.
+Mais c'est acheter un peu
+cher ce grand avantage, que d'être
+réduite au plaisir de faire signe à
+son amant, qu'on l'aime.&mdash;Au moins
+peut-on compter sur sa discrétion,
+dit en riant le comte.&mdash;Vous vous
+trompez, reprit la comtesse, on n'est
+pas plus en sûreté avec ces muets-là
+qu'avec vous. Depuis que l'abbé de
+l'Épée s'est imaginé de leur donner
+une éducation savante, ils se dédommagent
+<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">187</a></span>
+du malheur de ne pouvoir
+bavarder par la manie d'écrire;
+et la seule différence qui existe entre
+leurs billets et les propos d'un indiscret,
+est celle de la preuve au soupçon.
+Celui-ci vous en offre un
+exemple, et sa lettre à Valentine
+vous en a certainement plus dit que
+toutes les conversations possibles.&mdash;Rien
+n'était plus clair, j'en conviens;
+et si je connaissais quelques
+moyens de me faire entendre aussi
+clairement de ce beau silencieux, je
+ne me refuserais point la petite satisfaction
+de lui prouver ma reconnaissance.&mdash;Quelle
+folie! n'allez
+vous pas chercher à vous battre avec
+un pauvre infirme?&mdash;Ah! quand je
+lui couperais un peu les oreilles, pour
+<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">188</a></span>
+ce qu'il en fait, il n'y aurait pas
+grand dommage.&mdash;Allons donc, ce
+serait une lâcheté; voulez-vous
+qu'on dise dans le monde que vous
+vous êtes battu avec un muet pour
+ses propos? Il y aurait là de quoi
+vous couvrir d'un ridicule éternel.&mdash;Cependant,
+il m'a grièvement insulté!&mdash;Bah!
+qui s'en doute?&mdash;Mais,
+lui et moi, par exemple, et
+cela suffit bien.&mdash;Si l'on est convenu
+d'excuser les injures d'un rival
+ordinaire, on doit encore moins se
+blesser de celles d'un pauvre homme
+qui ignore peut-être la valeur des
+mots dont il se sert. Qui sait? Dans
+le langage de l'abbé de l'Épée, <i>fat</i>
+veut peut-être dire, <i>amant heureux</i>?&mdash;Oui,
+tout aussi bien que <i>Belmen</i>
+<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">189</a></span>
+veut dire en turc, pour M. Jourdain:
+<i>Allez vîte vous préparer pour la cérémonie,
+afin de voir ensuite votre fille,
+et de...</i>&mdash;Ah! vous êtes insupportable,
+interrompit la comtesse, en
+éclatant de rire; on ne saurait parler
+raison un instant avec vous.&mdash;C'est
+votre faute, vraiment, en cherchant
+à me mystifier avec votre langage
+muet, vous me rappelez tout
+naturellement la meilleure mystification
+que je connaisse en ce genre.
+Mais, puisque vous l'exigez, parlons
+sérieusement. Que pensez-vous du
+résultat de ce coup de théâtre qui a
+fait tant de sensation ce soir chez la
+princesse?&mdash;Mais je ne serais pas
+étonnée que, ce premier moment de
+surprise une fois passé, Valentine
+<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">190</a></span>
+ne s'accoutumât petit à petit à l'idée
+d'aimer un homme de cette espèce:
+il est passionné; elle est romanesque,
+et s'il lui est bien prouvé qu'aucune
+femme ne puisse être capable d'un
+pareil dévouement, vous verrez
+qu'elle en fera la folie.&mdash;C'est ce
+qu'il faut empêcher au nom de l'humanité;
+mais je m'en rapporte bien
+à M. de Nangis pour cela. Vraiment,
+je regrette qu'il n'ait pas retardé de
+deux jours son départ pour la campagne;
+j'aurais voulu voir de quel
+air il eût appris cette étrange nouvelle!&mdash;Ah!
+je puis vous assurer
+que le nom du duc de Linarès aurait
+seul captivé son intérêt, et qu'il ne
+se serait point embarrassé du reste.
+Dans son opinion, il est si convaincu
+<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">191</a></span>
+qu'il ne manque jamais rien à un
+grand seigneur pour rendre une
+femme heureuse!&mdash;Ah! vous le
+vantez, et je ne saurais jamais lui
+supposer tant de respect pour les
+grandeurs. C'est une vertu de parvenus....&mdash;Dont
+beaucoup de gens
+de qualités sont susceptibles, interrompit
+la comtesse. Mais si vous
+doutez de l'exactitude de mon jugement
+sur M. de Nangis, venez vous
+en convaincre en lui apprenant
+vous-même le nom et les agréments
+du rival à qui sa s&oelig;ur vous sacrifiait.&mdash;Quoi!
+vous voulez sitôt...?&mdash;Vous
+savez à quelle condition
+j'ai promis de rejoindre le comte à
+Varennes, et s'il me serait possible
+d'aller m'enterrer à la campagne
+<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">192</a></span>
+seule avec lui; c'est uniquement à
+vos sollicitations que j'ai cédé, en
+consentant à partir cette semaine:
+j'ai déja prévenu toutes les personnes
+qui doivent m'accompagner;
+mais si vous n'êtes pas du nombre,
+je reste. Enfin, je ne tiendrai ma
+parole qu'autant que vous serez fidèle
+à la vôtre. Cette déclaration intimida
+M. d'Émerange. Il promit à la
+comtesse de partir avec elle pour sa
+terre, en se réservant un prétexte
+de revenir à Paris où différents intérêts
+le rappeleraient bientôt. Le plus
+vif était bien certainement de savoir
+quel parti allait prendre madame
+de Saverny dans cette circonstance.
+Il lui semblait impossible que son
+amour résistât au coup qui venait
+<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">193</a></span>
+de lui être porté. Braver les convenances,
+les obstacles, les devoirs les
+plus sacrés, lui paraissait l'effort d'un
+courage ordinaire; mais braver le
+ridicule, était à ses yeux le comble de
+l'héroïsme; et, malgré toute l'admiration
+que lui inspirait le caractère
+de Valentine, il ne la supposait point
+capable d'une vertu qu'il regardait
+comme au-dessus de l'humanité.</p>
+
+<p>Le bruit de la maladie de la marquise
+étant parvenu à madame de
+Nangis, elle se contenta d'envoyer
+savoir de ses nouvelles; et, comme on
+lui fit répondre au bout de quelques
+jours qu'elle était hors de danger,
+la comtesse partit pour la campagne,
+suivie d'une partie de sa cour. Fière
+d'entraîner à son char M. d'Émerange,
+<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">194</a></span>
+elle ne s'occupa que des
+moyens de l'enchaîner près d'elle
+par l'attrait des plaisirs les plus variés;
+mais combien il entre d'amertume
+dans cette peine continuelle
+de rechercher des plaisirs étrangers
+à l'amour, pour retenir près de soi
+l'objet qu'on aime! et qu'il est douloureux
+de s'avouer qu'on ne doit
+ses succès qu'à son <i>adresse</i> à plaire!
+Oui, le tourment de sacrifier au devoir
+un amant justement adoré, vaut
+mieux que le triste bonheur de captiver
+quelques instants un infidèle.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">195</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XL" id="CHAPITRE_XL"></a>CHAPITRE XL.</h3>
+
+<p class="p2">Après huit jours de fièvre, Valentine
+revint à la santé, et au souvenir
+de ses peines. Mais l'affaiblissement
+qui suit la maladie calme aussi les
+idées, et l'on croirait qu'après avoir
+ainsi approché de la mort, l'ame renaît
+dégagée des illusions qui égarent
+dans la vie. Ce repos des sens,
+que produit la raison, n'est pas toujours
+de longue durée; et Valentine
+en desira profiter pour entendre
+du commandeur le récit de tout ce
+qui lui restait encore à apprendre
+sur Anatole. M. de Saint-Albert voulut
+<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">196</a></span>
+d'abord se justifier, par le serment
+qui l'engageait, du secret qu'il
+avait gardé envers elle. Mais Valentine
+lui ayant répondu que sa discrétion
+était un titre de plus à l'estime
+qu'elle lui portait, il lui dit:
+«Vous avez raison de m'en louer, car
+elle m'a bien coûté; mais vous allez
+voir si je pouvais moins faire pour
+l'être que j'aime le plus au monde.</p>
+
+<p>J'avais vingt-huit ans, une fortune
+médiocre, et le peu d'avantages que
+vous me connaissez, lorsque je devins
+passionnément amoureux de la
+fille du marquis de Belduc. Sa beauté
+a fait tant de bruit dans le temps,
+que M. de Saverny vous en aura
+peut-être parlé. Les attraits qui captivaient
+les hommages d'un grand
+<span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">197</a></span>
+nombre d'adorateurs, ne m'auraient
+pas séduit, si l'intimité de son père
+avec toute ma famille ne m'avait
+fourni les occasions de la voir souvent,
+et de me convaincre qu'il était
+possible de réunir les qualités d'une
+ame sensible aux ornements d'un
+esprit supérieur, et tous les charmes
+de la modestie à ceux de la figure.
+Cette découverte décida du destin de
+ma vie; je me reprochai le temps
+que j'avais perdu dans ce commerce
+de galanterie, où plusieurs femmes
+s'étaient livrées au plaisir de me trahir
+sans se donner la peine de me
+tromper, et je consacrai tous mes
+instants au soin de prouver à Mélanie
+que je ne vivais que pour elle.
+Son c&oelig;ur me devina bientôt, et répondit
+<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">198</a></span>
+au mien. Modestie à part, je
+ne puis expliquer cette préférence
+que par l'excès de mon amour; car,
+dans le nombre de mes rivaux, il y
+en avait de très-séduisants; et je crois
+que s'ils avaient pu se résoudre à
+s'aimer un peu moins eux-mêmes,
+ils auraient été plus aimés que moi.</p>
+
+<p>Lorsque je reçus l'aveu de Mélanie,
+je me crus roi de l'univers, et
+je défiai toutes les puissances du
+monde de s'opposer à l'accomplissement
+de notre bonheur mutuel.
+Nous en avions déja fixé l'époque;
+et, comme nous formions tous ces
+projets sous les yeux de nos parents,
+nous ne doutions pas de leur consentement.
+Mais le marquis de Belduc
+ne nous laissa pas long-temps jouir
+<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">199</a></span>
+d'une si douce illusion: il entra un
+matin chez sa fille, l'embrassa plus
+tendrement qu'à l'ordinaire, et lui
+déclara qu'il touchait enfin au moment
+de voir son ambition satisfaite.
+Ce début glaça l'ame de Mélanie; elle
+pressentit nos malheurs; et ce fut
+avec tous les signes d'un profond
+désespoir qu'elle apprit de son père
+qu'il venait de promettre sa main
+au duc de Linarès. Mélanie, insensible
+à l'honneur de devenir la femme
+d'un Grand d'Espagne, osa le refuser.
+Son père, furieux, l'accusa de
+caprice; elle crut se justifier en
+avouant notre amour. En effet, cette
+nouvelle fut assez bien accueillie de
+son père; il approuva son choix tout
+en déplorant la nécessité de le sacrifier
+<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">200</a></span>
+aux grands intérêts de sa famille,
+et finit par lui dire qu'il connaissait
+assez la noblesse de mes sentiments
+pour attendre de moi la soumission
+qui servirait d'exemple à Mélanie. A
+peine eut-il terminé cet entretien,
+qu'il se rendit chez moi, et commença
+sans préambule le récit de ce
+qui venait de se passer entre sa fille
+et lui.&mdash;«J'ai répondu de votre
+honneur, ajouta-t-il, et ne crois pas
+m'être trop engagé en assurant ma
+fille que vous étiez incapable d'abuser
+de votre empire sur son c&oelig;ur
+pour l'encourager dans une désobéissance
+qui détruirait mon bonheur
+sans accomplir le vôtre. Vous savez
+comme moi le résultat de ces mariages
+d'inclination qui font d'abord
+<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">201</a></span>
+le désespoir des parents, et bientôt
+après celui des époux. D'ailleurs,
+avec Mélanie, vous n'auriez même
+pas la ressource de tenter cette folie;
+elle est trop attachée à ses devoirs
+pour que la passion la plus vive
+l'égare au point de se déshonorer.
+Mais vous pouvez la rendre malheureuse
+toute sa vie: dites-lui que le
+sublime de l'amour est de résister
+aux obstacles; qu'elle doit refuser
+le plus beau sort pour vivre d'un
+sentiment dont la constance finira
+par m'attendrir. Elle croira toutes
+ces belles phrases, persistera dans
+son refus; je l'enfermerai au couvent;
+elle y prendra le voile; et je
+partirai pour Saint-Domingue, où
+j'irai vivre du produit de la seule
+<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">202</a></span>
+habitation qui me reste.» J'essayai
+vainement d'opposer à toutes ces
+raisons les intérêts de notre amour
+et le bonheur que je trouverais à
+donner ma fortune à Mélanie, sans
+rien attendre de celle de son père.
+Il répondait à tout: «Je suis ruiné:
+le duc de Linarès, épris de Mélanie,
+consent à l'épouser sans dot: il a
+déjà obtenu de son souverain la promesse
+d'un gouvernement qu'il me
+destine; vous voyez que ce mariage,
+en plaçant ma fille au rang le plus
+distingué, illustre ma maison et répare
+ma fortune. Jugez maintenant
+si un galant homme peut se permettre
+de priver toute une famille
+d'aussi grands avantages, sans s'exposer
+aux reproches de sa conscience,
+<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">203</a></span>
+et même à ceux de la femme qu'il
+rendrait victime de son amour.» Ce
+dernier argument l'emporta sur tous
+les autres. L'honneur parut m'ordonner
+ce grand sacrifice. Je le promis
+au marquis; et je tins parole.</p>
+
+<p>Je ne vous dirai pas ce qu'il m'en
+coûta pour déterminer Mélanie à se
+soumettre aux ordres de son père.
+Dès que j'eus obtenu de son amour la
+promesse de m'oublier, je m'enfuis
+en Angleterre pour n'être pas témoin
+de ce fatal mariage. Quelques
+mois après, je passai à Malte, où
+je prononçai des v&oelig;ux dictés par
+le désespoir. Lorsque je revins en
+France au bout de deux ans, Mélanie
+était en Espagne: j'appris qu'elle
+était mère, et qu'elle devait peut-être
+<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">204</a></span>
+la vie à son enfant; car, lors de
+son départ de Paris, elle était atteinte
+d'une maladie de langueur
+qu'elle ne voulait combattre d'aucune
+manière. Le desir de conserver
+son enfant fut le seul motif qui
+l'engagea à prendre quelque soin
+de sa santé; et je crois que c'est à
+cette maladie qu'on doit attribuer
+l'infirmité d'Anatole. On fut quelque
+temps sans s'en apercevoir, et
+plus encore à espérer pour lui un
+heureux changement. Il paraissait
+impossible que la nature, en comblant
+cet enfant de ses dons les plus
+précieux, eût voulu en détruire l'effet
+par la privation la plus cruelle.
+Le duc de Linarès, après avoir mis
+à bout la science de tous les médecins
+<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">205</a></span>
+d'Espagne, se décida à venir
+consulter ceux de Paris. C'est alors
+que je revis Mélanie; elle me présenta
+à son mari en lui disant: «Voici
+un ancien ami de ma famille, je
+l'aime comme un frère;» et tout
+me prouva à mon grand regret la
+sincérité de cet aveu. L'amour maternel
+remplissait uniquement le
+c&oelig;ur de Mélanie, et j'aurais pu penser
+qu'elle avait perdu jusqu'au souvenir
+de ma passion pour elle, si le
+nom d'Anatole qu'elle avait donné
+à son fils, ne m'avait prouvé que ce
+nom, qui est le mien, lui était encore
+cher. Un sentiment très-blâmable
+et très-commun chez la plupart
+des hommes, me fit tenter plusieurs
+moyens de ranimer dans le c&oelig;ur de
+<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">206</a></span>
+Mélanie l'amour qu'elle avait sacrifié
+au devoir; mais ce coupable projet
+faillit me coûter jusqu'à l'estime de
+Mélanie; je n'obtins le pardon d'en
+avoir conçu l'idée que par le serment
+d'y renoncer à jamais, et plus encore
+peut-être par le penchant qui m'entraînait
+à partager sa tendresse pour
+son fils. Dès-lors l'état de cet aimable
+enfant devint l'objet de toutes
+mes sollicitudes; je fis plusieurs
+voyages dans la seule intention de
+courir après de prétendus docteurs
+dont les journaux attestaient les miracles,
+et dont les consultations prouvaient
+l'ignorance. Enfin, lorsqu'il
+nous fut bien démontré qu'il n'existait
+aucun moyen de guérir de cette
+infirmité, nous prîmes le parti de
+<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">207</a></span>
+chercher à en triompher, en confiant
+Anatole aux soins de ce bienfaiteur
+de l'humanité, dont les élèves
+sont autant de prodiges. L'abbé de
+l'Épée fut bientôt frappé des dispositions
+inouies d'Anatole; il prédit
+tout ce qu'il serait un jour; mais,
+pour accomplir une éducation qui
+lui promettait tant de succès, il exigea
+du duc et de la duchesse de
+Linarès une entière confiance, et la
+promesse de ne déranger par aucune
+distraction le plan qu'il formait pour
+son élève. Comme la faiblesse de
+Mélanie ne lui aurait pas permis de
+tenir cet engagement dans toute la
+rigueur nécessaire, elle consentit à
+retourner avec son mari en Espagne,
+après m'avoir fait jurer de veiller
+<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">208</a></span>
+sur son fils aussi tendrement que s'il
+était le mien. C'est à ce devoir sacré
+que j'ai dû toutes les consolations de
+ma vie. Avec quel plaisir je rendais
+compte à cette tendre mère de tous
+les progrès de son enfant! Et comment
+vous peindrai-je la joie qui pénétra
+mon ame, lorsqu'après dix
+années d'absence, je conduisis cet
+aimable jeune homme dans les bras
+de sa mère. Je crus qu'elle succomberait
+à l'excès de son bonheur, en
+retrouvant dans son fils la sensibilité,
+l'esprit, et toutes les qualités
+qui le mettent au rang des gens les
+plus aimables. Dans sa reconnaissance
+pour l'abbé de l'Épée, elle
+aurait voulu pouvoir lui faire accepter
+sa fortune entière; mais on sait
+<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">209</a></span>
+que le désintéressement de ce philosophe
+égalait sa bienfesance. A
+cette époque, je fus rappelé en
+France pour le mariage de ma nièce,
+et quelques affaires de famille, dont le
+résultat vint augmenter de beaucoup
+ma fortune. J'appris, peu de temps
+après, la mort du duc de Linarès,
+et la faveur dont le roi d'Espagne
+venait d'honorer son fils, en employant
+ses talents dans la diplomatie.
+Il avait alors vingt ans, et le
+séjour de la cour commençait à devenir
+dangereux pour lui; plusieurs
+des femmes qu'il y rencontrait sans
+cesse, affectaient d'abord de le traiter
+avec le dédain ou la protection
+qu'on a pour un infirme; mais
+s'apercevant bientôt que ce défaut
+<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">210</a></span>
+était racheté par les agréments et les
+qualités les plus séduisantes, on les
+voyait changer de manières et devenir
+aussi prévenantes pour lui qu'elles
+avaient paru dédaigneuses. Sa fierté
+naturelle le garantit quelque temps
+des pièges de la coquetterie; il sentait
+que dans sa position le succès
+pouvait seul mettre à l'abri du ridicule,
+et son c&oelig;ur n'étant pas encore
+atteint, il triomphait sans peine du
+trouble de son imagination; mais
+quand on n'est soutenu dans sa sagesse
+que par la crainte d'un revers,
+on doit facilement succomber à la
+certitude de réussir: et c'est ce
+qui arriva. Anatole, se trouvant un
+soir chez la reine, reçut deux mots
+tracés au crayon sur l'éventail de
+<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">211</a></span>
+la jolie comtesse d'Alméria. Cette
+jeune veuve, aussi emportée dans
+ses desirs, qu'inconstante dans ses
+affections, avait imaginé que le plus
+sûr moyen de lui inspirer une passion
+folle, était de l'attacher par la reconnaissance.
+L'idée de captiver tous
+les sentiments d'un homme que son
+malheur et ses avantages rendaient
+également intéressant, flattait son
+amour-propre. Ce caprice lui présentait
+tous les charmes d'une liaison
+piquante, qui pouvait se changer en
+attachement sérieux, et devenir le
+but de son ambition, après avoir été
+celui de son amusement. Mais la
+duchesse de Linarès, qui redoutait
+l'empire qu'une femme de ce caractère
+pourrait exercer sur le c&oelig;ur
+<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">212</a></span>
+exalté de son fils, mit tous ses soins
+à l'éloigner d'elle. L'état de sa santé
+lui en fournit bientôt l'occasion. A la
+suite d'une maladie grave, les médecins
+ordonnèrent à la duchesse les
+eaux de Pise, et son fils s'empressa
+de l'y accompagner. Quelque temps
+après le départ d'Anatole, la comtesse
+Alméria le punit du tort d'être
+absent. C'était un crime qui n'obtenait
+jamais grace à ses yeux. Le
+bruit de sa vengeance parvint bientôt
+à la duchesse; elle en instruisit
+Anatole avec tous les ménagements
+convenables, et fut très-étonnée de
+le trouver beaucoup plus modéré
+dans ses regrets qu'elle ne l'aurait
+espéré. La précipitation avec laquelle
+il avait obtenu son bonheur lui avait
+<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">213</a></span>
+souvent donné l'idée qu'il pourrait
+le perdre de même; et d'ailleurs
+cette félicité fugitive avait plus enivré
+ses sens, que pénétré son ame. Loin
+d'éprouver ce vide affreux où laisse
+l'abandon du seul objet qu'on puisse
+aimer au monde, quelque chose l'avertissait
+que la perte d'une femme,
+qui n'était que jolie, se réparait
+facilement par la possession d'une
+autre; et il fut bientôt convaincu de
+cette vérité, lorsque les préférences
+de plusieurs belles Italiennes vinrent
+achever de le distraire du chagrin
+d'être trahi. La duchesse de
+Linarès, ravie de voir l'effet que
+produisait sur son fils le séjour de
+l'Italie, résolut de s'y fixer quelques
+temps. Elle se rendit à Rome dans
+<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">214</a></span>
+l'intention d'y passer l'hiver; mais
+lorsque le printemps vint parer de sa
+verdure les beaux sites et les ruines
+dont raffolait Anatole, il fut impossible
+de l'arracher de cette terre
+de souvenirs. Son imagination s'enflamma
+à l'aspect de tant de merveilles;
+le desir de les chanter et
+de les retracer le rendit peintre et
+poëte; et il se livra aux arts avec
+toute la passion de son caractère.
+Mais, comme ce genre d'étude est
+celui qui dispose le mieux un c&oelig;ur
+tendre aux impressions de l'amour,
+on le vit bientôt tomber dans des
+accès de mélancolie qui menaçaient
+d'altérer sa santé. Sa mère s'en inquiéta,
+et voulut en savoir la cause.
+C'est alors qu'il lui fit l'aveu du
+<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">215</a></span>
+sentiment pénible qui attristait son
+ame, en pensant que le ciel l'avait
+condamné à ne jamais goûter l'unique
+bonheur qui lui fesait envie. Je n'ai
+rien lu de plus touchant que la lettre
+où il demandait pardon à sa mère
+d'oser desirer la tendresse d'une
+autre femme, lorsqu'il était l'objet
+de son amour maternel. Mais, lui
+disait-il, peignez-vous le désespoir
+d'un c&oelig;ur dévoré du besoin d'aimer,
+sans jamais pouvoir prétendre à inspirer
+le moindre retour. Quoi! ce
+délire enchanteur dont je vois partout
+les traces, ce feu qui anima le
+Tasse et Pétrarque, cette reconnaissance
+divine qui naît des faveurs
+d'un sentiment partagé; enfin, tous
+ces bienfaits de l'amour, je ne les
+<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">216</a></span>
+connaîtrai jamais: réduit au misérable
+avantage de profiter d'un instant
+de caprice, ou des calculs de l'intérêt,
+je dois mourir sans rencontrer
+un c&oelig;ur qui réponde jamais aux
+battements du mien. La duchesse
+affligée de le voir se livrer ainsi aux
+idées d'un malheur sans espoir,
+imagina de distraire Anatole par un
+voyage à Paris. Elle le chargea d'y
+faire l'acquisition d'une terre qu'elle
+viendrait habiter aussitôt qu'elle aurait
+obtenu de la reine d'Espagne la
+permission de se retirer de la cour.
+Ce fut par pure obéissance qu'Anatole
+se sépara de sa mère pour se
+rendre ici, suivi de son ancien gouverneur.
+Ils me remirent une lettre
+de la duchesse qui m'instruisait de
+<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">217</a></span>
+ses craintes sur son fils, et le confiait
+encore une fois à mes soins.
+Vous devinez sans peine avec quel
+plaisir je les lui prodiguais. En recherchant
+toutes les occasions de le
+distraire, je me crus simplement
+inspiré par le desir d'accomplir les
+volontés d'une femme chérie; mais
+bientôt, captivé par tout ce qu'Anatole
+a d'aimable, je sentis que son
+bonheur était indispensable au mien,
+et dès ce moment je ne m'occupai
+plus que des moyens de l'assurer.
+L'acquisition du château de Merville
+fut celui qui me réussit le mieux.
+Anatole s'obstinait à fuir les plaisirs
+du grand monde. Vainement l'ambassadeur
+d'Espagne, son parent,
+l'ancien ami de son père, voulut
+<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">218</a></span>
+le présenter dans les maisons les
+plus agréables de Paris. Excepté à
+la cour, où il consentit à le suivre
+quelquefois, il refusa de l'accompagner
+dans les endroits où ses manières
+et son rang lui promettaient
+l'accueil le plus flatteur. Dans cette
+disposition d'esprit, le séjour de la
+campagne lui parut le seul convenable
+à ses goûts. Il s'y fixa pour
+faire exécuter sous ses yeux le plan
+tracé par lui, et qui devait rendre
+Merville un des plus beaux lieux de la
+France. Le soin d'embellir la retraite
+destinée à sa mère parvint à le distraire,
+pendant plusieurs mois, de ses
+tristes rêveries; mais j'en prévoyais le
+retour, et je cherchais à l'éloigner en
+attirant Anatole à Paris sous différents
+<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">219</a></span>
+prétextes. Ses amis se joignaient
+à moi pour imaginer sans cesse de
+nouveaux motifs de l'y retenir: mais
+nous commencions à nous voir au
+bout de nos ressources en ce genre,
+lorsqu'un soir, d'heureuse ou fatale
+mémoire, dit le commandeur en
+fixant les yeux sur Valentine, je vis
+entrer chez moi M. de Selmos, cet
+ancien gouverneur d'Anatole, la pâleur
+sur le front, et dans tout le
+désordre d'un homme qui vient annoncer
+une affreuse nouvelle. L'excès
+de sa douleur ne lui permit pas
+de me préparer au spectacle qui
+allait me frapper, et je pensai mourir
+d'effroi en voyant déposer sur
+mon lit le corps inanimé de ce pauvre
+Anatole. Le désespoir de son gouverneur,
+<span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">220</a></span>
+les larmes que répandaient ses
+gens, tout me persuada qu'il n'existait
+plus, et je frémis encore du souvenir
+de ce qui se passa dans mon
+ame à cette horrible idée. Mais le
+chirurgien qu'on avait fait appeler
+vint me rendre la vie en m'assurant
+que le malade ne tarderait pas
+à revenir de l'évanouissement où
+l'avait plongé la violence du coup
+qu'il avait reçu. En effet, Anatole
+ouvrit bientôt les yeux: son premier
+mouvement fut de me tendre la
+main, ensuite il la porta sur sa blessure,
+en me fesant signe qu'elle n'était
+point dangereuse. Cependant
+il avait l'épaule cassée, et une forte
+contusion à la poitrine. On le saigna
+après avoir pansé sa blessure,
+<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">221</a></span>
+et je fus étonné de voir son visage
+conserver, au milieu des souffrances
+les plus aiguës, une expression de
+bonheur que j'y remarquais pour
+la première fois. Impatient d'expliquer
+ce mystère, je questionnai
+M. de Selmos, qui me raconta ce
+qui venait de se passer à l'Opéra.
+Quand j'appris que c'était pour vous
+que mon ami venait de risquer sa
+vie, et peut-être celle de sa mère;
+je vous en demande pardon, Valentine,
+je me fis le reproche de lui avoir
+peint, trop fidèlement, le plaisir
+que j'avais eu à vous rencontrer,
+et celui que je trouvais chaque jour
+à découvrir autant de sensibilité que
+de modestie dans une femme que
+son esprit et sa beauté auraient pu
+<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">222</a></span>
+rendre vaine. Je me reprochai surtout
+de lui avoir dit qu'il existait
+entre vous et la duchesse de Linarès,
+une ressemblance qui me rappelait
+sa mère à votre âge. Car, à dater
+de ce moment, il ne chercha plus
+qu'une occasion de vous voir; le hasard
+la lui fourni bientôt; et j'ai su
+qu'il avait déja joui plusieurs fois du
+plaisir de vous admirer avant d'avoir
+eu le bonheur de vous secourir.</p>
+
+<p>La joie qu'il ressentait de vous
+avoir peut-être sauvé la vie, approchait
+du délire; je tentai vainement
+de lui persuader que sa blessure
+exigeait le plus parfait repos:
+il voulut être transporté sur le champ
+à Merville, pour mieux cacher les
+suites de cet événement; et, après
+<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">223</a></span>
+m'avoir déclaré que son existence
+entière tenait au secret qu'il voulait
+garder auprès de vous, il défendit
+à ses gens de dire un mot
+de ce qui lui était arrivé a la sortie
+de l'Opéra. Le chirurgien reçut la
+même recommandation, et je le
+décidai à nous suivre à Merville,
+pour y soigner Anatole jusqu'à son
+parfait rétablissement. Ce voyage
+ne parut pas augmenter les souffrances
+du malade, ou du moins
+il n'osa point s'en plaindre. Pour
+obtenir de lui quelque soumission
+aux ordres du docteur, j'étais obligé
+de lui donner chaque jour de vos
+nouvelles, et de répondre à toutes
+les questions qu'il ne cessait de me
+faire sur votre compte. Comme son
+<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">224</a></span>
+état exigeait une parfaite immobilité,
+nous ne lui permettions aucun
+signe, mais il s'en vengeait en
+écrivant au crayon sur ses tablettes,
+des phrases auxquelles je répondais
+dans son langage; ensuite il essayait
+de tracer un profil dont je reconnaissais
+les traits, et que pour rendre
+plus frappant il effaçait, puis retraçait
+encore; enfin, je reconnus
+tous les symptômes d'une passion
+qui allait ranimer sa vie. Je pressentis
+les chagrins qu'elle pourrait
+lui coûter, et lui en fis un tableau
+effrayant; mais je me sentis
+forcé de l'approuver, lorsqu'il m'assura
+que tous les tourments de l'amour
+étaient préférables à cet état
+de langueur qui menaçait d'éteindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">225</a></span>
+toutes les facultés de son ame. D'ailleurs
+il prétendait être fort heureux
+du seul bonheur de vous aimer,
+pourvu qu'il n'eût jamais à supporter
+vos dédains. L'idée de vous attacher
+par la reconnaissance, en vous
+restant inconnu, l'égarait au point
+de croire que, s'il obtenait cette
+faveur, il ne lui resterait plus rien
+à desirer. Ce sentiment si désintéressé,
+si peu dangereux pour vous,
+me toucha vivement, et je le regardai
+comme un moyen d'occuper dignement
+le c&oelig;ur d'Anatole. En pensant
+ainsi, j'étais loin de me flatter
+du moindre succès pour son amour;
+mais je dois vous avouer que voyant
+tout ce que la reconnaissance vous
+inspirait pour lui, je n'ai pas eu
+<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">226</a></span>
+le courage d'en diminuer l'impression,
+en vous cachant qu'il était
+aussi digne de votre estime que de
+votre intérêt; comment aurais-je pu
+me refuser au plaisir de voir ses yeux
+briller de la plus pure joie, quand
+je lui parlais de vous, comment n'aurais-je
+pas été entraîné par la certitude
+plus séduisante encore de lui
+faire passer des moments enchanteurs,
+en lui disant seulement que
+vous pensiez souvent à lui. Ici Valentine
+leva les yeux au ciel, et le commandeur
+répondit à ce regard en
+ajoutant: Je sens combien cette
+complaisance vous paraît coupable,
+mais, avant de blâmer ma conduite,
+voyez un peu ce qui la justifie: d'abord
+j'étais lié par un serment qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">227</a></span>
+ne me permettait pas d'arrêter les
+conjectures de votre imagination par
+le moindre mot qui aurait pu vous
+faire soupçonner la vérité; je savais
+que la loyauté du caractère d'Anatole
+s'opposerait toujours à ce qu'il
+vous trompât, et que, loin de profiter
+de l'intérêt romanesque que son mystérieux
+amour devait vous inspirer,
+il vous avait avoué qu'un obstacle
+invincible le condamnait à s'éloigner
+éternellement de vous. Ensuite je
+vous dirai que cet obstacle, qui paraît
+si insurmontable aux yeux de
+beaucoup de personnes et peut-être
+aux vôtres, ne me frappait pas de
+même. Habitué à voir Anatole depuis
+son enfance, je me suis plus occupé
+des avantages qui le distinguent, que
+<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">228</a></span>
+de la disgrace qui l'afflige. D'ailleurs,
+ayant appris sans peine son langage,
+je ne sentais aucun des inconvénients
+de ce malheur; j'étais avec lui
+comme auprès d'un étranger dont
+on entend la langue, et qui s'exprime
+avec toute la vivacité d'une imagination
+ardente et d'un esprit supérieur.
+Combien de fois cette conversation
+originale et piquante m'a-t-elle
+consolé de l'ennui d'un bavardage
+insipide! Enfin, les moments
+que j'ai passés près d'Anatole sont
+au nombre des plus heureux de ma
+vie; et l'on ne doit pas s'étonner que,
+trouvant en lui la réunion de toutes
+les qualités aimables, j'aie pu concevoir
+un instant l'espérance de le
+voir aimé.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">229</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLI" id="CHAPITRE_XLI"></a>CHAPITRE XLI</h3>
+
+<p class="p2">Le récit du commandeur fit rêver
+long-temps Valentine; elle ne l'avait
+interrompu par aucune réflexion,
+et n'en fit pas davantage après l'avoir
+attentivement écouté, mais elle
+adressa à M. de Saint-Albert plusieurs
+questions sur différents petits événements
+qui avaient excité sa surprise,
+et que l'intimité secrète de Saint-Jean
+et de mademoiselle Cécile lui
+expliqua bientôt. Le prix des innocents
+services de mademoiselle Cécile,
+qui se bornait à dire à Saint-Jean
+les projets de sa maîtresse, était
+<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">230</a></span>
+tout entier dans l'espérance d'épouser
+ce brave garçon, que son maître
+récompensait généreusement; et Valentine
+n'osa pas punir des indiscrétions
+qu'elle feignit de regarder
+comme un excès de confiance amoureuse.</p>
+
+<p>Le commandeur s'apercevant de
+l'espèce d'abattement où paraissait
+être Valentine, s'excusa de l'avoir
+fatiguée par un aussi long entretien,
+et voulut se retirer pour lui laisser
+prendre quelque repos; mais elle
+n'y consentit qu'après lui avoir fait
+promettre de cacher au duc de Linarès
+quelle avait découvert son
+secret. Il lui en donna l'assurance:
+Comptez sur ma parole, lui dit-il:
+j'y serai d'autant plus fidèle que je ne
+<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">231</a></span>
+saurais vous trahir sans le désespérer;
+jugez-en vous-même. En finissant
+ces mots, le commandeur remit
+à Valentine la lettre suivante, et il
+sortit:</p>
+
+<p class="p2 center"><span class="smcap"><b>Anatole, a M. de Saint-Albert.</b></span></p>
+
+<p>«J'apprends, mon excellent ami,
+que le marquis d'Alvaro vient d'exposer,
+au salon du Louvre, le
+tableau que je lui avais envoyé
+pour le faire encadrer, et vous
+l'offrir. Je tremble que cette indiscrétion
+ne me coûte plus que la
+vie, en apprenant à Valentine mon
+nom et mes malheurs. La seule
+idée de perdre avec mon secret
+jusqu'au souvenir qu'elle me conserve,
+<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">232</a></span>
+me livre au plus affreux désespoir.
+Car il n'en faut pas douter,
+l'instant qui lui dévoilerait à
+quel supplice la nature m'a condamné,
+changerait tous ses sentiments
+pour moi. A la place de ce
+tendre intérêt, dont je relis chaque
+jour les témoignages, la dédaigneuse
+pitié viendrait accabler mon
+amour du poids de ses humiliations;
+au lieu d'inspirer à Valentine
+cette affection qui fesait mon
+bonheur, je serais réduit à sa reconnaissance;
+ou peut-être son
+c&oelig;ur, indigné de l'audace du mien,
+ne me pardonnerait pas d'oser
+l'adorer. Ah! mon ami! sauvez-moi
+de ce malheur cent fois pire que
+la mort; et n'essayez plus de me
+<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">233</a></span>
+prouver que mes craintes à ce sujet
+sont exagérées. Je sais comme vous
+de combien d'éléments divins le
+ciel a composé l'ame de Valentine;
+mais, plus elle est supérieure à
+tout ce qu'on admire, plus elle a
+le droit d'exiger de celui qui aspire
+à lui plaire. Je me rends justice;
+les faibles qualités qui m'ont acquis
+votre amitié pourraient me mériter
+la sienne. Mais le même sentiment
+qui dans votre c&oelig;ur est la source
+de mes plus douces consolations,
+de sa part ne me semblerait qu'un
+outrage fait à mon amour. Songez
+qu'un moment dans ma vie j'ai
+joui du plaisir enivrant de contempler
+sur ses traits enchanteurs
+une partie de l'émotion qui pénétrait
+<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">234</a></span>
+mes sens; que plus d'une fois
+ses yeux ont répondu aux miens;
+et voyez si je pourrais survivre à
+l'illusion qui m'a valu tant de félicité.»</p>
+
+<p>A cette lettre en était jointe une
+autre pour le marquis d'Alvaro, par
+laquelle on le priait de faire porter
+sans délai le tableau d'Anatole chez
+le commandeur. Deux jours après,
+Valentine sortit pour la première
+fois de son appartement, et lorsqu'elle
+entra chez M. de Saint-Albert,
+elle ne s'étonna point d'y trouver
+ce tableau à la place d'un ancien
+portrait de famille, qui jusqu'alors
+avait eu les honneurs du salon.
+Souvent, les yeux fixés sur l'ouvrage
+<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">235</a></span>
+d'Anatole, elle le considérait sans
+proférer une parole. Ses amis respectaient
+son silence, et bornaient
+leurs soins à distraire son esprit,
+sans chercher à pénétrer ce qui se
+passait dans son ame. Discrétion bien
+rare en amitié!</p>
+
+<p>Les médecins venaient de déclarer
+que la santé de Valentine était parfaitement
+rétablie; cependant son
+teint n'avait point repris son éclat;
+son regard était triste; et tout en
+elle montrait un état languissant;
+mais lorsque madame de Réthel en
+témoignait quelque inquiétude au
+docteur, il lui répondait, avec cette
+assurance que l'on met assez souvent
+à décider des choses que l'on ne
+comprend pas, que les maladies inflammatoires
+<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">236</a></span>
+étaient toujours suivies
+d'un accablement profond, qui n'empêchait
+pas de se bien porter; et
+madame de Réthel, sans y rien
+comprendre non plus, adoptait cette
+sentence.</p>
+
+<p>Le commandeur, moins facile à
+rassurer, desirait qu'un événement
+quelconque pût distraire Valentine
+de la vie monotone qu'elle avait
+adoptée. Une lettre de M. de Nangis
+ne vint que trop tôt seconder ses
+v&oelig;ux. Elle était datée de Londres,
+et contenait le récit de l'aventure
+scandaleuse qui venait de lui révéler
+l'indigne conduite de sa femme. La
+scène s'était passée au château de
+Varennes, où la comtesse avait eu
+l'imprudence d'emmener avec elle
+<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">237</a></span>
+la jeune baronne de Tresanne, dont
+la beauté commençait à faire autant
+de bruit que les extravagances. La
+certitude de la rencontrer à Varennes
+était entrée pour beaucoup dans la
+promesse que M. d'Émerange avait
+faite à madame de Nangis de l'y suivre;
+deux jours s'étaient à peine
+écoulés, que la plus parfaite intimité
+régnait déja entre le comte et la
+jolie baronne; mais ce n'était pas
+sans conditions que madame de
+Tresanne s'était décidée à récompenser
+d'avance l'éternel amour que lui
+avait juré M. d'Émerange. Le sacrifice
+de madame de Nangis en avait
+été la première récompense; et il
+fut résolu entre eux qu'après avoir
+satisfait aux devoirs d'usage en
+<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">238</a></span>
+pareil cas, le comte se dégagerait,
+sans retour, d'une chaîne importune.
+Déja plusieurs tentatives lui
+avaient prouvé la difficulté de réussir.
+La comtesse était moins résignée
+que jamais à perdre les avantages
+d'une liaison qui coûtait aussi cher
+à sa conscience qu'à son repos;
+et madame de Tresanne, prévoyant
+bien que les ménagements du comte
+ne serviraient qu'à prolonger l'erreur
+de sa victime, feignit de s'irriter
+de tant de complaisance, et déclara
+positivement à M. d'Émerange,
+qu'elle aimait mieux céder l'empire
+de son c&oelig;ur, que de le partager
+plus long-temps. Cette menace
+produisit tout l'effet qu'elle en pouvait
+attendre; la crainte de voir s'échapper
+<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">239</a></span>
+sa nouvelle conquête avant
+de l'avoir constatée publiquement,
+soumit les volontés du comte à toutes
+celles de madame de Tresanne, et il
+s'en remit à elle du choix des moyens
+à employer. La persévérance de la
+comtesse en ayant fait échouer plusieurs,
+madame de Tresanne se décida
+au plus atroce comme au plus
+infaillible. Un billet anonyme instruisit
+M. de Nangis de la perfidie
+de sa femme, en lui indiquant une
+occasion de s'en convaincre. Dès ce
+moment la colère et le désespoir
+régnèrent dans le château de Varennes:
+madame de Tresanne s'empressa
+d'en sortir au premier bruit
+de l'éclat qu'elle avait provoqué; et
+sans vouloir en apprendre la cause
+<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">240</a></span>
+au comte d'Émerange, elle lui ordonna
+de tout quitter pour la suivre
+à Bagnères. Elle s'y rendit sans s'arrêter
+pour soustraire M. d'Émerange
+aux premiers effets du ressentiment
+de M. de Nangis. Les amis de la comtesse
+retournèrent bientôt à Paris
+dans l'intention charitable d'y publier
+l'aventure scandaleuse dont ils
+venaient d'être témoins, et que le
+brusque départ de M. de Nangis allait
+certifier à tous ceux qui oseraient
+en douter. Effectivement, ce
+malheureux époux, sans calculer si
+la conduite présente de sa femme
+n'était pas le fruit de l'indulgence outrée
+qu'il avait montrée pour ses
+premières inconséquences, croyait
+reparer les torts de sa faiblesse par
+<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">241</a></span>
+l'on punit souvent des fautes qu'avec
+plus de soin on aurait pu prévenir.
+Après une scène violente,
+dans laquelle la comtesse avait fait
+l'aveu de tout ce que sa folle passion
+lui avait suggéré contre Valentine,
+le comte de Nangis était parti
+brusquement pour Londres, en arrachant
+Isaure des bras de sa coupable
+mère. Abandonnée de tout ce
+qui lui était cher; livrée aux injures
+de sa médisance implacable dont
+elle avait si souvent dirigé les traits;
+enfin, seule avec ses remords, cette
+infortunée s'était réfugiée dans un
+couvent de Paris, où les soins pieux
+des S&oelig;urs de la Miséricorde ne
+parvenaient point à calmer les tourments
+de son c&oelig;ur. Ce c&oelig;ur, si souvent
+<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">242</a></span>
+dominé par la vanité, n'éprouvait
+plus alors que la honte et les
+regrets d'avoir perdu tous ses droits
+maternels. La crainte de ne pouvoir
+réparer les fautes de sa vie en la
+consacrant toute entière à l'éducation
+et au bonheur de sa fille, ôtait à
+madame de Nangis tout espoir de
+consolation. Malgré la frivolité de
+son esprit, elle avait observé que la
+sévérité des gens du monde se laissait
+désarmer à la vue d'une jeune personne
+dont la candeur et les vertus
+fesaient oublier les égarements de
+sa mère. En effet, comment se rappeler
+les torts d'une femme coupable,
+en admirant l'ouvrage d'une
+mère aussi tendre que sage! Et quel
+homme assez méchant oserait porter
+<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">243</a></span>
+atteinte au respect qu'elle inspire à
+sa fille, en affectant de ne le point
+partager?</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">244</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLII" id="CHAPITRE_XLII"></a>CHAPITRE XLII.</h3>
+
+<p class="p2">Valentine prévoyait depuis long-temps
+les malheurs qui menaçaient
+sa famille, et cependant, en les apprenant,
+elle en fut frappée comme d'une
+nouvelle inattendue; le bonheur de
+reconquérir l'estime de son frère,
+qui le priait en grace de se charger
+de l'éducation d'Isaure, ne la
+consolait pas du triste événement qui
+lui valait une aussi éclatante réparation.
+En répondant à la lettre où M. de
+Nangis la conjurait de lui pardonner
+son injustice et les injures qui lui
+avaient été dictées par une femme
+<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">245</a></span>
+perfide, elle avait tenté de modérer
+l'indignation de son frère, en excitant
+sa pitié pour le sort de cette
+malheureuse mère, qui, lui disait-elle,
+serait encore digne de sa tendresse,
+si de misérables flatteurs,
+trop bien accueillis par lui-même,
+ne s'étaient fait un jeu d'égarer sa
+raison. Il y avait autant de vérité
+que d'indulgence dans cette supposition;
+mais M. de Nangis était trop
+irrité pour se rendre aux avis de sa
+s&oelig;ur; il les mit sur le compte de la
+générosité naturelle au caractère de
+Valentine, et n'en persista pas moins
+dans le dessein de punir rigoureusement
+celle qui venait de l'outrager.</p>
+
+<p>Comme il se méfiait avec juste
+raison de l'extrême bonté de sa
+<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">246</a></span>
+s&oelig;ur, ce n'est qu'après avoir exigé
+d'elle la promesse de ne jamais confier
+à une autre le soin d'élever
+Isaure, qu'il s'était déterminé à la
+lui envoyer. Avec quel plaisir cette
+aimable enfant se retrouva dans les
+bras de Valentine! et combien de
+fois elle remercia son père de l'avoir
+confiée à sa tante, pendant le grand
+voyage que venait d'entreprendre sa
+mère! car c'est ainsi qu'on avait
+motivé l'absence de la comtesse,
+et la cause des larmes qu'elle avait
+vues inonder son visage au moment
+de leur séparation.</p>
+
+<p>La présence d'Isaure sembla ranimer
+l'existence de Valentine. Elle
+consentit à quitter la campagne pour
+se rendre à Paris, dans l'unique intention
+<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">247</a></span>
+d'y faire donner à son élève
+les leçons des meilleurs maîtres. Mais
+l'attachement qu'elle portait à ses
+amis ne lui permettant pas de s'en
+séparer, elle accepta la proposition
+que lui fit madame de Réthel, de
+partager l'hôtel qu'elle occupait avec
+son oncle.</p>
+
+<p>De retour à Paris, il se fit un
+grand changement dans les habitudes
+de la marquise: on la voyait
+sortir tous les matins à la même
+heure, et passer le reste de la journée
+dans la retraite. Le salon du
+commandeur était le seul où l'on
+pût la rencontrer quelquefois; car
+pour les fêtes et le spectacle, elle
+paraissait également décidée à les
+fuir; et l'on trouvait cette conduite
+<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">248</a></span>
+assez simple après l'éclat qui venait
+d'avoir lieu dans sa famille. Mais ce
+qui parfois échappe aux yeux des
+indifférents, attire l'attention d'un
+ami, et M. de Saint-Albert, loin d'expliquer
+si facilement les motifs qui
+inspiraient à Valentine le desir de
+s'éloigner de toutes les personnes qui
+possédaient autrefois sa confiance,
+redoutait les suites de cet état de contrainte
+perpétuelle. Il essayait quelquefois
+de vaincre la résolution
+qu'elle semblait avoir prise d'éviter
+toute conversation relative à Anatole,
+en se fesant apporter devant elle les
+lettres qu'il recevait de lui; mais il
+en lisait tout haut le timbre, la date,
+et même les premières lignes, sans
+que Valentine lui témoignât la moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">249</a></span>
+curiosité d'en savoir davantage;
+et le commandeur ne retirait d'autre
+résultat de ces petites épreuves, que
+de voir se prolonger le silence rêveur
+de Valentine.</p>
+
+<p>Un jour pourtant que M. de Saint-Albert
+lisait, comme à l'ordinaire,
+sa correspondance, tandis que sa
+nièce et madame de Saverny s'occupaient
+à broder, elles l'entendirent
+prononcer quelques mots sans suite,
+et d'une voix qui semblait altérée
+par l'émotion la plus pénible.&mdash;Ciel!
+s'écria madame de Réthel,
+quelle triste nouvelle vous apprend-on?&mdash;Ce
+n'est rien, reprit-il, en
+cherchant à se remettre, mais vous
+savez qu'il est impossible de ne point
+partager les impressions que la duchesse
+<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">250</a></span>
+de Linarès sait peindre avec
+tant de vérité; sa manière touchante
+de parler de ses peines, de ses inquiétudes,
+les fait passer tout entières
+dans le c&oelig;ur de ses amis.&mdash;Lui
+serait-il arrivé quelque malheur?
+demanda vivement Valentine.&mdash;Non
+pas à elle.&mdash;Cette réponse fit pâlir
+la marquise, et parut lui ôter la
+force de faire une autre question.
+Madame de Réthel, s'apercevant de
+ce qu'elle éprouvait, s'empressa d'interroger
+son oncle sur la santé d'Anatole.&mdash;Mais,
+lui répondit-il, d'après
+ce que me mande sa mère, il se
+porte aussi bien qu'on peut le faire
+avec un coup d'épée dans le bras.&mdash;Un
+coup d'épée s'écrièrent à-la-fois
+Valentine et son amie.&mdash;Il faut bien,
+<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">251</a></span>
+reprit le commandeur, d'un ton
+calme, payer de quelque chose le
+plaisir de punir les impertinences
+d'un fat. Ce nom de fat, que M. de
+Saint-Albert ne prononçait jamais
+qu'en parlant de M. d'Émerange,
+fit tressaillir Valentine, elle pensa
+qu'elle seule était cause de l'événement
+malheureux dont elle n'osait
+demander les détails, elle s'en fit
+tout haut le reproche, et ses yeux se
+remplirent de larmes.&mdash;Cessez de
+vous accuser, lui répondit le commandeur,
+d'un fait dont vous êtes
+complètement innocente. C'est pour
+y soigner la santé de sa mère qu'Anatole
+est resté a Bagnères un mois
+de plus qu'il ne le devait. Vous savez
+quel motif vient d'y conduire dernièrement
+<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">252</a></span>
+M. d'Émerange; ce n'est
+pas vous qui lui avez dicté les couplets
+insultants qu'il s'est amusé à
+composer sur les amours discrets
+d'un muet de naissance, et dont,
+malheureusement pour lui, une
+copie est tombée entre les mains
+d'Anatole. Ainsi donc ne vous reprochez
+pas la blessure qui vient de
+défigurer pour toujours un visage
+moins joli qu'insolent; c'est un trait
+de la justice divine, dont la gloire
+était réservée à l'adresse d'Anatole.
+M. d'Émerange a follement pensé
+qu'on pouvait insulter impunément
+un homme que son infirmité dispensait
+du devoir de la vengeance.
+Cette lâcheté a été justement punie;
+et la providence devrait frapper de
+<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">253</a></span>
+même tous ceux qui ne consacrent
+qu'à nuire les dons heureux qu'ils ont
+reçus du ciel.&mdash;Mais Anatole est aussi
+blessé, dit Valentine, avec inquiétude.&mdash;Très-légèrement,
+reprit le
+commandeur, et sur ce point on
+peut en croire la duchesse: je voudrais
+bien être aussi rassuré sur
+l'état de cette bonne mère. Jugez
+de ce qu'elle a dû souffrir lorsqu'elle
+a appris par l'effet du hasard le
+moment où son fils allait se battre.
+Je m'étonne qu'elle ait résisté à une
+semblable épreuve, et j'en redoute
+les suites pour sa santé.&mdash;Ah! mon
+cher oncle, interrompit madame de
+Réthel, si vous avez cette crainte, ne
+souffrez pas que la duchesse de Linarès
+se livre avec confiance aux
+<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">254</a></span>
+médecins des eaux. Écrivez à son fils
+de nous la ramener. C'est ici qu'elle
+trouvera les plus savants docteurs
+et ses meilleurs amis.&mdash;Vraiment
+elle avait bien le projet de se rendre
+à Paris; mais son fils refuse de l'y
+suivre, ajouta le commandeur, en
+regardant Valentine, avant d'avoir
+obtenu un consentement à son retour
+de la même personne qui ordonna
+son départ..&mdash;Eh! qu'allez-vous
+répondre? demanda la marquise.&mdash;Mais
+ce qu'il vous plaira.&mdash;Je ne
+saurais, reprit-elle, me prévaloir
+d'un ordre que je n'ai donné qu'en
+obéissant. C'est à vous à le rétracter.&mdash;Je
+ne le puis.&mdash;Qui vous en empêche?&mdash;Le
+devoir que je me suis
+imposé de ne plus décider des actions
+<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">255</a></span>
+de mes amis.&mdash;Vous n'avez
+pas juré, j'espère, de ne plus leur
+servir d'interprète.&mdash;Non: mais
+c'est un oubli que je peux réparer.&mdash;Attendez
+pour cela, dit Valentine,
+en se levant, que vous ayez répondu
+au duc de Linarès que rien ne s'oppose
+à son prochain retour.»</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">256</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLIII" id="CHAPITRE_XLIII"></a>CHAPITRE XLIII.</h3>
+
+<p class="p2">Peu de jours après cet entretien,
+Valentine fut péniblement distraite
+du souvenir qu'elle en conservait
+par de mortelles inquiétudes. M. de
+Nangis, ennemi déclaré de toutes les
+innovations, s'était constamment opposé
+au desir que lui avait souvent
+témoigné sa femme, de faire inoculer
+Isaure, et la pauvre enfant venait
+d'être atteinte de tous les symptômes
+d'une violente petite-vérole.
+Dès les premiers moments de la maladie,
+Valentine s'était comme attachée
+au pied du lit de sa nièce, et
+<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">257</a></span>
+avait recommandé qu'on ne laissât
+pénétrer personne dans son appartement.
+Déja six nuits s'étaient écoulées
+sans qu'elle eût consenti à
+prendre le moindre repos, lorsqu'on
+vint l'avertir qu'une femme à laquelle
+on avait répété plusieurs
+fois que madame de Saverny n'était
+pas visible, s'obstinait à rester sur
+les marches de l'escalier, pour y
+attendre le moment où le docteur
+P... sortirait de chez elle. Valentine
+s'informa du nom de cette
+femme, et apprit avec étonnement
+qu'elle refusait de le dire. C'est
+probablement, ajouta le domestique,
+quelque pauvre femme qui se
+recommande à la charité de Madame;
+elle est vêtue de manière à
+<span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">258</a></span>
+le faire croire, et le soin qu'elle
+prend de cacher son visage sous un
+grand voile noir, prouve qu'elle est
+honteuse de demander l'aumône.&mdash;Si
+c'est ainsi, reprit la marquise,
+dites-lui de me laisser son adresse,
+et qu'avant peu j'enverrai chez elle;
+recommandez-lui surtout de s'éloigner
+au plus vîte d'une maison dont
+l'air est infecté par une affreuse
+maladie. Le domestique sortit pour
+remplir cette commission; mais il
+rentra bientôt en disant à sa maitresse,
+avec l'accent de la plus vive
+pitié:&mdash;Ah! Madame, si vous ne
+daignez pas venir à son secours,
+cette pauvre femme va mourir; je
+lui ai vainement répété qu'elle pouvait
+compter sur la bienfesance de
+<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">259</a></span>
+madame la marquise: Je ne veux
+point de ses bienfaits, s'est-elle écriée
+en sanglotant, je ne lui demande
+qu'un seul mot; qu'elle me l'accorde,
+ou je meurs à l'instant. En disant
+cela elle s'est traînée jusqu'à la porte
+du salon en me suppliant de ne la
+point renvoyer; et vraiment je ne
+l'aurais pu faire, car ses forces
+l'ayant abandonnée, elle est tombée
+sans connaissance; je viens demander
+à Madame s'il ne faut pas lui
+faire prendre quelques gouttes d'éther.&mdash;Conduisez-moi
+vers elle,
+dit aussitôt la marquise, après avoir
+recommandé à mademoiselle Cécile
+de ne pas quitter Isaure. En entrant
+dans le sallon, Valentine fut
+saisie d'un battement de c&oelig;ur qui
+<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">260</a></span>
+lui ôtait presque la respiration. Son
+visage, déja altéré par l'inquiétude
+et les veilles, prit tout-à-coup un air
+d'effroi en apercevant cette infortunée,
+si digne de pitié; elle veut
+s'en approcher pour la secourir,
+mais à peine a-t-elle fait un mouvement,
+que des yeux égarés se fixent
+sur les siens, et qu'une voix s'écrie:
+«Malheureuse, elle est morte!» Ce
+cri funèbre retentit au c&oelig;ur de Valentine,
+elle n'y répond que par ces
+mots: «Ah! ma s&oelig;ur!» Mais ils ne
+sont pas entendus de cette misérable
+mère, elle a cru lire l'arrêt de
+son enfant dans le regard désespéré
+de Valentine; un frisson mortel a
+glacé ses veines, et c'est en vain
+que sa s&oelig;ur la rassure, la presse sur
+<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">261</a></span>
+son sein; l'excès de la douleur à suspendu
+sa vie. Valentine, qui la voit
+expirante, tente un dernier moyen:
+elle compte sur cet instinct maternel
+qui survit à tout pour lui faire deviner
+la présence de son enfant, et
+sans calculer si ses forces répondent
+à son courage, elle entraîne elle-même
+cette mère mourante, et la
+dépose aux pieds du lit de sa fille.</p>
+
+<p>Les inspirations du c&oelig;ur sont rarement
+trompeuses, et l'on croirait,
+au succès qu'elles obtiennent dans
+les moments extrêmes de la vie, que,
+touchée de notre infortune, la divinité
+daigne alors penser pour nous.
+Ce que tous les secours n'avaient
+pu faire, une seule plainte d'Isaure
+l'opéra: le son de cette voix chérie
+<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">262</a></span>
+ranima les esprits de madame de
+Nangis, et l'existence parut lui revenir
+avec la certitude que son enfant
+respirait encore.</p>
+
+<p>En ce moment le docteur P... arriva,
+et partagea ses soins entre
+Isaure et sa mère. Il les prodigua
+avec d'autant plus de zèle, qu'il s'accusait
+d'être la cause de l'état ou
+il voyait la comtesse. En effet, c'est
+lui qui avait parlé la veille, chez
+l'abbesse du couvent des Filles de
+la Miséricorde, du danger où se trouvait
+la nièce de madame de Saverny.
+Il l'avait peint dans toute sa force,
+pour engager ces dames à prendre
+de grandes précautions pour leurs
+pensionnaires, sans se rappeler que
+madame de Nangis habitait leur
+<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">263</a></span>
+maison. Le bruit de la maladie de
+sa fille lui parvint bientôt, avec
+tous les détails qui pouvaient augmenter
+son effroi. Son imagination,
+déja exaltée par le repentir
+et la douleur, se peignit la mort
+de son enfant comme un châtiment
+dû à ses fautes. Et dès-lors, le désespoir
+s'emparant de son ame, elle
+ne pensa plus qu'à revoir une seule
+fois l'objet de ses regrets, avant de
+le suivre au tombeau. Quelques louis
+donnés à la tourière, lui obtinrent
+la facilité de sortir du couvent avant
+qu'il fît jour. Elle erra long-temps
+dans les rues de Paris, sans pouvoir
+reconnaître celles qui la conduiraient
+chez Valentine; enfin, s'étant
+adressée à un pauvre savoyard que
+<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">264</a></span>
+la misère rendait plus matinal qu'un
+autre, il lui indiqua son chemin, en
+marchant devant elle. C'est avec ce
+guide qu'elle était arrivée à la porte
+de l'hôtel du commandeur; et c'est
+assise sur un banc de pierre, qu'elle
+avait attendu le moment de la voir
+ouvrir.</p>
+
+<p>Après avoir long-temps examiné
+l'état d'Isaure, le docteur déclara
+qu'il lui paraissait moins alarmant
+que la veille, mais qu'il ne pouvait
+répondre de rien avant la fin du
+neuvième jour. En écoutant ces
+mots, la plus vive terreur se manifesta
+dans les yeux de la comtesse;
+elle pensa que, par pitié pour elle,
+le docteur n'osait prononcer la sentence
+d'Isaure, et qu'il voulait la
+<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">265</a></span>
+préparer au coup fatal par trois jours
+d'anxiété; et pénétrée de cette horrible
+pensée, toute son attitude semblait
+dire: «Où vais-je passer ces
+trois jours de supplice.» Valentine
+comprit son silence, et dit en lui
+serrant la main: «Rassurez-vous,
+ma s&oelig;ur, nos soins la sauveront.&mdash;Quoi,
+s'écria la comtesse,en se précipitant
+aux genoux de Valentine,
+vous permettrez que je ne la quitte
+pas! vous, à qui l'on a fait jurer de la
+tenir éloignée pour toujours de sa
+mère, vous que j'ai si cruellement offensée,
+qui devez me haïr! Ah! tant
+de générosité ajoute à mes remords;
+et c'est vous venger deux fois que de
+vouloir prolonger ma vie jusqu'au
+dernier soupir de mon enfant.» A
+<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">266</a></span>
+ces mots un torrent de larmes inonda
+le sein de cette malheureuse
+mère, et la soulagea un instant de
+l'oppression qui l'accablait. Valentine
+redoubla cet attendrissement
+par les expressions de la plus touchante
+amitié, et le docteur lui-même
+ne put se défendre d'une émotion
+très-vive en contemplant le
+spectacle si doux du repentir qui
+implore, et de la vertu qui pardonne.</p>
+
+<p>Avant de le laisser partir, la marquise
+exigea de lui le secret sur la
+scène dont il venait d'être témoin,
+et le pria de se charger d'un mot
+pour l'abbesse du couvent de la
+Miséricorde, à qui elle devait rendre
+compte de l'absence de la comtesse.
+Tout fut disposé pour cacher
+<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">267</a></span>
+l'arrivée de madame de Nangis chez
+Valentine: les gens de la maison
+reçurent l'ordre de n'en point parler,
+même à ceux du commandeur;
+et mademoiselle Cécile fut d'autant
+plus discrète dans cette circonstance,
+qu'elle avait à réparer sa réputation.
+Valentine fit valoir le grand intérêt
+qui devait les occuper uniquement,
+pour empêcher sa s&oelig;ur de revenir
+trop souvent sur les regrets de sa conduite
+passée, et il fut convenu entre
+elles que désormais les soins relatifs
+à Isaure seraient l'unique sujet de
+leurs conversations.</p>
+
+<p>Enfin arriva ce neuvième jour
+aussi redouté qu'attendu. Après un
+redoublement de fièvre et de délire,
+le calme survint tout-à-coup, et fut
+<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">268</a></span>
+suivi d'un sommeil profond. A son
+réveil, Isaure entr'ouvrit les yeux,
+reconnut sa mère, la nomma; et ce
+premier mot échappé de son c&oelig;ur
+devint le signal de la résurrection
+de toutes deux. Dans ce passage subit
+du désespoir à la joie, madame
+de Nangis oublia tout ce qu'elle avait
+promis à Valentine pour se livrer
+sans réserve à l'excès de sa reconnaissance.
+«Ah! mon amie, lui disait-elle,
+disposez de l'existence qui nous
+est rendue; c'est à vos v&oelig;ux que le
+ciel l'accorde, sa justice devait me
+punir en m'arrachant le seul lien
+qui m'attache à la terre; mais, en
+adoptant ma fille, en protégeant sa
+mère, vous avez obtenu sa vie et
+mon pardon: tant de bienfaits n'étaient
+<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">269</a></span>
+dus qu'aux célestes vertus
+d'un ange.»</p>
+
+<p>A la vue d'un bonheur qui était
+en partie son ouvrage, Valentine recueillit
+le fruit de tous ses sacrifices,
+et se félicita d'avoir acquis,
+par sa générosité, le droit de ramener
+à tous les charmes d'une vie
+douce et pure l'amie que tant d'erreurs
+semblaient condamner à d'éternels
+chagrins. Mais, tout en se livrant
+au desir d'adoucir le sort de
+sa belle-s&oelig;ur, Valentine voulait rester
+fidèle à sa promesse envers son
+frère; et voilà ce qu'elle imagina
+pour concilier ces deux intérêts. En
+fesant le serment de ne jamais se
+séparer d'Isaure, elle ne s'était point
+engagée à la priver des soins étrangers
+<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">270</a></span>
+que pourrait exiger son éducation,
+et rien ne l'empêchait de les
+partager avec madame de Nangis,
+pourvu que cette dernière consentît
+à ne pas abuser de son autorité
+maternelle. Cette condition une fois
+remplie, Valentine proposa à sa
+belle-s&oelig;ur d'habiter un petit appartement
+attenant au sien, où elle
+pourrait accomplir facilement le
+v&oelig;u de retraite absolue qu'elle avait
+formé. Avant d'accepter cette proposition
+qui comblait tous ses desirs,
+la comtesse prévint Valentine qu'elle
+ne consentirait à s'établir chez elle
+qu'en qualité d'institutrice d'Isaure;
+et que, pour ôter tout soupçon, elle
+prendrait le nom de madame Sainte-Hélène,
+et passerait dans la maison
+<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">271</a></span>
+pour une de ces personnes qu'un
+revers de fortune oblige à fuir le
+monde pour se consacrer à l'éducation
+des enfants. Le but de ce mystère
+était de cacher à M. de Nangis
+la demeure de sa femme, et Valentine
+l'approuva. Dès que le docteur
+lui eut déclaré qu'Isaure était en
+pleine convalescence, elle reconduisit
+elle-même la comtesse à son couvent,
+et deux jours après annonça
+chez elle la prochaine arrivée de
+madame de Sainte-Hélène. Une
+femme-de-chambre nouvelle fut
+arrêtée pour le service particulier
+de cette institutrice dont mademoiselle
+Cécile avait seule le secret.
+Quant à Isaure, il ne fut pas difficile
+de lui faire croire que la moindre
+<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">272</a></span>
+indiscrétion de sa part la priverait
+pour toujours de la présence de sa
+mère. L'effroi que lui inspirait cette
+menace répondait de sa soumission,
+et jamais on n'eut à lui reprocher
+un mot qui pût trahir le mystère
+qu'elle respecta sans chercher à en
+comprendre la cause.</p>
+
+<h3 class="p4"><a name="CHAPITRE_XLIV" id="CHAPITRE_XLIV"></a>CHAPITRE XLIV.</h3>
+
+<p class="p2">Isaure avait repris ses forces, sa
+gaieté, et l'on ne craignait même
+plus pour son joli visage; Valentine
+venait d'en apprendre l'heureuse
+nouvelle à son frère; madame de
+<span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">273</a></span>
+Nangis, ravie du bonheur de retrouver
+son enfant, de recevoir les
+consolations d'une amie, oubliait le
+monde et ses travers, auprès des
+objets de son affection. Enfin tout
+semblait promettre à Valentine le
+repos auquel elle aspirait depuis si
+long-temps. Mais une seule idée
+troublait encore son ame, et lui fesait
+éprouver que la douceur d'une
+vie calme ne peut rien contre les
+agitations du c&oelig;ur.</p>
+
+<p>Un matin, la marquise se disposant
+à sortir, comme à son ordinaire,
+Isaure vint lui demander, de
+la part de sa mère, à qui était
+une voiture attelée de six chevaux
+de poste qui venait d'entrer dans la
+cour. Devinant bien ce qui motivait
+<span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">274</a></span>
+la curiosité de la comtesse, Valentine
+fit appeler mademoiselle
+Cécile, qui répondit: Cette voiture
+est celle de la duchesse de Linarès.&mdash;Viendrait-elle
+loger ici? demanda
+vivement la marquise?&mdash;Je ne le
+crois pas, madame, car les gens qui
+se trouvaient dans sa voiture de
+suite, ont reçu ordre d'aller tout
+préparer pour la recevoir dans l'appartement
+qu'elle occupe ordinairement
+chez l'ambassadeur d'Espagne.&mdash;Dites
+qu'on ôte mes chevaux, reprit
+Valentine, après un moment de
+silence; je ne sortirai pas. En donnant
+cet ordre, elle congédia Isaure
+et alla se renfermer dans son cabinet.
+Elle y était depuis une heure,
+lorsque M. de Saint-Albert se fit
+<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">275</a></span>
+annoncer. A son aspect il la vit rougir,
+et il s'excusa de venir ainsi
+la troubler: Je le vois, dit-il,
+ma présence vous importune; c'est
+l'effet que produit communément
+celle d'un ami qui n'inspire plus
+de confiance; mais tranquillisez-vous;
+je ne viens pas questionner
+votre c&oelig;ur, ni vous parler des sentiments
+que je lui suppose; j'avais
+prévu ce que vous cherchez à dissimuler,
+et je suis bien loin de le
+blâmer. Tout ce que je vous demande,
+c'est de m'aider à rappeler
+la raison d'un insensé qui est au
+moins digne de votre pitié; puis
+s'apercevant que Valentine hésitait
+à répondre, le commandeur ajouta:
+Anatole sait que vous demeurez ici,
+<span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">276</a></span>
+et dans sa résolution de n'y point
+venir, il me supplie de lui permettre
+de vous écrire. Comme je
+me rends à l'instant même chez
+lui pour le lui défendre par toute
+l'autorité de mon amitié, j'ai cru
+devoir vous en prévenir, et vous
+supplier de vous prêter au moyen
+très-innocent dont je viens de convenir
+avec sa mère, pour le ramener
+à des sentiments plus raisonnables.&mdash;Et
+quel est ce moyen,
+demanda Valentine?&mdash;Mais en pareil
+cas, celui qui ôte toute espérance,
+me semble le meilleur. La passion
+d'Anatole est arrivée à un point qui
+touche au délire. Six mois d'absence
+et de regrets n'ont fait que l'exalter,
+et l'idée qu'elle ne peut plus troubler
+<span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">277</a></span>
+votre repos, l'encourage encore.
+Il est temps d'y mettre un frein en
+lui prouvant qu'il ne doit exister
+entre vous qu'une simple amitié,
+puisque le choix d'un nouvel époux
+va bientôt assurer votre bonheur.&mdash;Mais
+ce serait l'abuser....&mdash;Que
+vous importe, interrompit le commandeur,
+cela ne vous engage à
+rien, pas même à le tromper; nous
+vous demandons pour toute grace,
+de ne pas nous contredire. C'est de
+moi seul qu'il apprendra les projets
+que je vous supposerai, et je sais
+d'avance qu'il se soumettra à tout
+ce que l'honneur ordonne en pareille
+circonstance. Une fois convaincu
+de votre prochain mariage,
+il sentira la nécessité de renoncer
+<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">278</a></span>
+aux illusions romanesques qu'il
+nourrit depuis trop long-temps, et
+cessant de garder un secret désormais
+inutile, il sacrifiera bientôt
+les intérêts de son amour-propre
+au plaisir de jouir sans contrainte
+de votre affection. Combien alors
+cette tendre mère vous bénira d'avoir
+rendu son fils à la vie par l'amour,
+et à la raison par l'amitié. Vous
+deviendrez l'ange tutélaire de cette
+intéressante famille, et votre vieil
+ami vous devra la fin de toutes
+ses peines.&mdash;Ah! si tant de bonheur
+est en ma puissance, s'écria
+Valentine avec l'accent de la plus
+vive émotion, je consens à tout
+pour vous l'assurer. Oui, dites à
+votre ami que mon c&oelig;ur n'est plus
+<span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">279</a></span>
+libre, et qu'avant peu j'aurai disposé
+de ma main; mais en lui fesant
+cette confidence, ménagez sa sensibilité,
+persuadez-lui bien que j'ai
+besoin de son bonheur pour être
+heureuse, et qu'il doit vivre pour
+être l'objet de mon éternelle reconnaissance.</p>
+
+<p>En disant ces derniers mots, le
+visage de Valentine s'anima des plus
+vives couleurs, et son regard brilla
+du feu de l'enthousiasme; le commandeur
+surpris de l'air inspiré
+qu'il remarquait en elle, la considéra
+quelque temps en silence, puis
+se levant tout-à-coup, il la quitta
+pour se rendre auprès d'Anatole.</p>
+
+<p>Deux heures après, la marquise
+reçut le billet suivant:</p>
+
+<p class="center p2"><span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">280</a></span>
+<span class="smcap"><b>Anatole a Valentine.</b></span></p>
+
+<p>«Votre bonheur est décidé, madame,
+et vous daignez encore vous
+occuper du mien! Tant de bonté
+ne m'étonne pas. J'y voudrais répondre
+en vous obéissant; mais
+vous m'ordonnez en vain d'être
+heureux; le ciel, moins généreux
+que vous, me défend d'y prétendre,
+et la fin de mes tourments est l'unique
+v&oelig;u qu'il me permette désormais
+de former. Ah! puisse-t-il
+bientôt l'accomplir, en me laissant
+pour dernière pensée le souvenir
+du seul moment où j'aie aimé la
+vie!»</p>
+
+<p>A peine Valentine a-t-elle achevé
+la lecture de ce billet, qu'elle fait
+<span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">281</a></span>
+demander si M. de Saint-Albert est de
+retour. On lui répond qu'il vient de
+rentrer; elle se rend aussitôt près
+de lui, et, sans perdre de temps,
+elle le prie de lui dire franchement
+comment Anatole a reçu la nouvelle
+qu'il vient de lui porter. Le
+ton décidé qui accompagnait cette
+prière en fesait presque un ordre,
+et le commandeur pensa qu'il fallait
+qu'un sentiment violent agitât Valentine
+pour altérer ainsi la douceur
+de sa voix. Il essaya d'abord
+de lui répondre vaguement, en
+lui laissant entendre qu'il valait
+mieux pour elle-même qu'elle ignorât
+l'effet d'un désespoir que le
+temps seul pourrait calmer; mais la
+marquise ayant insisté de manière à
+<span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">282</a></span>
+ne lui laisser aucun moyen d'éluder
+une réponse positive: «Eh bien!
+dit-il, puisque vous voulez savoir
+les projets qu'il médite en son extravagance,
+apprenez qu'il part cette
+nuit même pour aller cacher, je ne
+sais où, la douleur qui l'accable. J'ai
+vainement employé mon ascendant
+sur lui pour le déterminer à prendre
+quelque parti plus sage. Je n'ai rien
+obtenu de tout ce que j'ai demandé,
+même au nom de sa mère. Il m'a fait
+jurer de ne la quitter de ma vie, et de
+faire tout ce qui dépendrait de moi
+pour vous lier avec elle; car il ne
+doute pas que le bonheur de vous voir
+souvent ne la console de l'absence de
+son fils. Il a paru attacher le plus vif
+intérêt à ce que je pusse vous réunir
+<span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">283</a></span>
+ce soir même toutes deux chez moi.
+J'ai promis de satisfaire à tout ce
+qu'il exigeait de mon amitié, pourvu
+qu'il renonçât au desir de vous revoir
+encore une fois. Il ne voulait que
+se trouver sur votre passage, au moment
+où vous viendrez chez ma
+nièce; mais j'ai résolu de vous
+sauver une semblable entrevue,
+qu'il n'est pas lui-même en état de
+supporter.&mdash;Je vous en remercie,
+interrompit Valentine (sans paraître
+fort émue de ce qu'elle venait d'entendre),
+et j'accepte avec empressement
+l'offre que vous me faites de
+me présenter aujourd'hui à votre
+ancienne amie. Vous m'excuserez, si
+j'arrive un peu tard. Je me suis engagée
+à conduire ce soir Isaure à
+<span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">284</a></span>
+l'Opéra; c'est une récompense depuis
+long-temps promise, je ne saurais
+manquer à ma parole: madame de
+Réthel vient de s'engager à nous y
+accompagner, et si la duchesse ne
+doit se rendre qu'à dix heures chez
+vous, nous nous y trouverons avant
+elle.&mdash;Puisque cet arrangement est
+celui qui vous convient le mieux,
+reprit le commandeur d'un air piqué,
+je vais tout disposer pour satisfaire
+au v&oelig;u de mon ami, sans nuire à
+vos projets.» A ces mots, Valentine
+quitta le commandeur, sans paraître
+remarquer le mécontentement qu'il
+témoignait.</p>
+
+<p>Voilà bien les femmes! s'écria-t-il,
+lorsqu'elle fut partie: exaltées jusqu'à
+la folie, quand l'amour les domine;
+<span class="pagenum"><a name="Page_285" id="Page_285">285</a></span>
+insensibles jusqu'à la dureté, quand
+le prestige de leur imagination est
+détruit.</p>
+
+<p>A l'heure du spectacle, la marquise
+et son amie font de vaines
+instances pour le déterminer à leur
+donner la main; il s'y refuse en disant
+que de tristes adieux à faire le
+privent de l'avantage de partager
+les plaisirs de ces dames. Après plusieurs
+phrases de ce genre, fort bien
+comprises de Valentine, il la voit
+s'éloigner sans en obtenir d'autre
+réponse que ces mots: <i>A ce soir</i>.</p>
+
+<p>Blessé de tant de marques de légèreté,
+il veut en faire le récit à son
+malheureux ami, et lui prouver qu'il
+ne peut sans crime sacrifier le bonheur
+de sa famille entière au regret
+<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">286</a></span>
+de n'être point aimé d'une femme
+ingrate. Dans ce dessein, il se fait
+conduire chez Anatole, et n'apprend
+pas sans étonnement qu'il vient de
+partir pour l'Opéra. Un valet de
+chambre est appelé, il confirme cette
+réponse, et dit qu'en effet son maître
+s'est déterminé tout-à-coup à sortir
+après avoir reçu un billet.&mdash;Et savez-vous
+de quelle part il venait,
+interrompt vivement le commandeur?&mdash;Non,
+monsieur. Je sais seulement
+qu'un domestique, portant
+la livrée de madame la marquise de
+Saverny, m'a chargé de le remettre
+à mon maître.&mdash;Ces mots augmentent
+encore la surprise de M. de
+Saint-Albert. Il veut éclaircir le mystère,
+et se rend sans délai à l'Opéra.
+<span class="pagenum"><a name="Page_287" id="Page_287">287</a></span>
+En entrant dans la salle, il aperçoit
+Anatole dans le fond de la loge de
+l'ambassadeur d'Espagne. Il le voit
+debout, appuyé sur une colonne, et
+les yeux fixés de manière à lui indiquer
+l'endroit où se trouve madame
+de Saverny. Le commandeur
+tourne alors ses regards de ce côté,
+et il est frappé de l'air rayonnant de
+Valentine. L'émotion la plus vive
+semble animer ses traits, et tout en
+elle démontre autant de trouble que
+de joie. En vain la plus célèbre danseuse
+captive l'attention du public.
+Valentine profite de ce moment
+pour se livrer au plaisir de revoir
+Anatole, mais l'expression d'un bonheur
+dont il ne se croit pas la cause,
+lui devient bientôt insupportable.
+<span class="pagenum"><a name="Page_288" id="Page_288">288</a></span>
+Son désespoir s'en irrite, il veut fuir
+pour en cacher l'excès. Déja il n'a
+plus qu'un pas à faire pour être à
+jamais séparé de celle qu'il adore.
+Cette funeste pensée l'arrête un
+instant; il se retourne, et veut par
+un dernier regard lui dire un éternel
+adieu; mais un signe de Valentine
+lui dit: <i>Restez</i>. Il n'ose en croire ses
+yeux, ni reconnaître le seul langage
+qu'il parle, qu'il entende, et que
+Valentine vient d'apprendre pour
+lui; un second signe ajoute, <i>je vous
+aime</i>, et il tombe anéanti sous le
+poids de sa félicité.</p>
+
+<p>Au même instant le commandeur
+arrive, l'entraîne hors de la salle, et
+lui prodigue tous ses soins; Valentine,
+tourmentée d'une douce inquiétude,
+<span class="pagenum"><a name="Page_289" id="Page_289">289</a></span>
+n'attend pas la fin du spectacle
+pour se rendre chez M. de Saint-Albert.
+Un seul mot instruit madame
+de Réthel de ce qui se passe dans
+l'ame de son amie. Elle n'a plus de
+secrets pour elle, et trouve du plaisir
+à lui avouer que depuis trois
+mois les leçons de l'abbé de l'Épée
+l'ont rendue très-savante dans le
+langage d'Anatole.&mdash;Quoi! s'écrie
+madame de Réthel, c'est donc à cette
+occupation que vous consacriez ces
+longues matinées où vous étiez invisible
+pour tout le monde.&mdash;Vraiment
+oui, répondit Valentine; lorsque
+j'ai senti que rien ne pouvait
+m'empêcher de l'aimer, j'ai voulu
+apprendre à le lui dire.»</p>
+
+<p><span class="pagenum"><a name="Page_290" id="Page_290">290</a></span>
+Comme elle achevait ces mots, la
+voiture s'arrête; on l'ouvre précipitamment,
+et la marquise s'élance
+dans les bras de M. de Saint-Albert,
+qui s'écrie: O mon amie! est-il
+bien vrai?» L'émotion de Valentine
+ne lui permet pas de répondre; elle
+se laisse conduire par le commandeur
+sans voir où il l'entraîne.
+Bientôt Anatole est à ses pieds. Une
+femme, baignée de pleurs, la presse
+sur son sein; à ses traits, aux transports
+de sa reconnaissance, Valentine
+devine qu'elle embrasse la mère
+d'Anatole, et son c&oelig;ur éprouve tout
+ce que le ciel a voulu attacher de
+divin au plaisir de faire des heureux.</p>
+
+<p class="p4"><span class="pagenum"><a name="Page_291" id="Page_291">291</a></span></p>
+
+<h3><a name="CHAPITRE_XLV" id="CHAPITRE_XLV"></a>CHAPITRE XLV <span class="smcap">et dernier.</span></h3>
+
+<p class="p2">Voilà, dira-t-on, un trait d'héroïsme
+au-dessus du courage des femmes.
+Ce n'est pas dans l'amour qu'inspire
+un homme, dont les qualités brillantes
+rachètent une disgrace qui ne
+le rend à charge à personne, qu'on
+doit admirer l'effort d'un si beau
+dévouement; c'est dans la résolution
+de braver le ridicule attaché à un
+choix semblable, que se trouve tout
+le sublime d'une action si généreuse!
+Madame de Saverny n'eut pas à se
+repentir d'en avoir offert l'exemple.
+En la voyant devenir l'épouse d'Anatole,
+<span class="pagenum"><a name="Page_292" id="Page_292">292</a></span>
+d'abord on pensa dans le
+monde qu'elle se sacrifiait à la reconnaissance;
+mais bientôt la réalité
+de son bonheur vint prouver aux
+plus incrédules, que la certitude
+d'être constamment adorée peut
+suffire à la félicité d'une femme sensible;
+et que, dans une union formée
+par l'amour, on s'entend toujours
+assez tant qu'on s'aime beaucoup.</p>
+
+<p>M. de Nangis quitta Londres pour
+être témoin du mariage de sa s&oelig;ur,
+qui se fit à Merville. Avant de se
+rendre à l'église, Valentine demanda
+à son frère la permission
+de lui présenter la gouvernante
+d'Isaure, l'amie intéressante dont
+les soins l'avaient aidée à rappeler
+<span class="pagenum"><a name="Page_293" id="Page_293">293</a></span>
+son enfant à la vie.&mdash;Conduisez-moi
+vers elle, répond le comte,
+impatient de remercier celle à qui
+il croit devoir la plus douce consolation
+qui lui reste.» Au même
+instant, Valentine ouvre la porte
+d'un cabinet où madame de Nangis
+attendait en tremblant l'arrêt qui
+devait finir ou éterniser son supplice.
+Sans laisser aux deux époux
+le temps de se livrer aux différents
+sentiments qui les agitent, Valentine
+les conduit dans les bras l'un
+de l'autre, en disant: «Le pardon
+de madame de Nangis est bien dû à
+la mère d'Isaure!» Mais que dira le
+monde, s'écria le comte, en essuyant
+les larmes qui s'échappaient de ses
+yeux?&mdash;Restez ici près de nous,
+<span class="pagenum"><a name="Page_294" id="Page_294">294</a></span>
+reprit Valentine; et vous ne le saurez
+pas. Ce monde vaut-il donc la
+peine de tant lui sacrifier? et la peur
+d'une raillerie doit-elle empêcher
+de pardonner des torts expiés par
+la douleur et le repentir? Ah! tout
+me le prouve: ce n'est pas dans les
+plaisirs bruyants de ce monde frivole
+qu'on peut trouver l'oubli de
+ses chagrins. Imitez-moi, mon frère;
+ayez le courage d'être heureux.
+Qu'en arrivera-t-il? On plaisantera
+de l'excès de votre bonté; on rira
+de mon choix; et l'on enviera bientôt
+notre bonheur.</p>
+
+<p class="p2 center"><small><b>FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.</b></small></p>
+
+<hr class="c5" />
+
+<h3 class="p4">TABLE DES CHAPITRES</h3>
+
+<p class="left35 p2"><a href="#CHAPITRE_XXIV">CHAPITRE XXIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXV">CHAPITRE XXV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVI">CHAPITRE XXVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVII">CHAPITRE XXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXVIII">CHAPITRE XXVIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXIX">CHAPITRE XXIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXX">CHAPITRE XXX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXI">CHAPITRE XXXI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXII">CHAPITRE XXXII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIII">CHAPITRE XXXIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIV">CHAPITRE XXXIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXV">CHAPITRE XXXV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVI">CHAPITRE XXXVI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXVII">CHAPITRE XXXVII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XXXIX">CHAPITRE XXXIX</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XL">CHAPITRE XL</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLI">CHAPITRE XLI</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLII">CHAPITRE XLII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLIII">CHAPITRE XLIII</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLIV">CHAPITRE XLIV</a><br />
+<a href="#CHAPITRE_XLV">CHAPITRE XLV</a></p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Anatole, Vol. 2 (of 2), by Sophie Gay
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ANATOLE, VOL. 2 (OF 2), ***
+
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
+providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
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+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
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+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
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+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
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+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
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+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
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+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
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+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
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+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
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+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
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+with these requirements. We do not solicit donations in locations
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+approach us with offers to donate.
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
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+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
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+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
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+
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