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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:38:58 -0700 |
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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Le poëme de Myrza - Hamlet + +Author: George Sand + +Release Date: April 27, 2009 [EBook #28623] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + + + + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + + +<br><br> + + + + + +<h1>LE POËME DE MYRZA</h1> + +<br><br> + +<p>Durant les quatre ou cinq siècles au milieu desquels +est jeté le grand événement de la vie du Christ, l'intelligence +humaine fut en proie aux douleurs et aux déchirements +de l'enfantement. Les hommes supérieurs de +la civilisation, sentant la nécessité d'un renouvellement +total dans les idées et dans la conduite des nations, +furent éclairés de ces lueurs divines dont Jésus fut le +centre et le foyer. Les sectes se formèrent autour de sa +courte et sublime apparition, comme des rayons plus ou +moins chauds de son astre. Il y eut des caraïtes, des +saducéens et des esséniens, des manichéens et des gnostiques, +des épicuriens, des stoïciens et des cyniques, +des philosophes et des prophètes, des devins et des astrologues, +des solitaires et des martyrs: les uns partant +du spiritualisme de Jésus, comme Origène et Manès; les +autres essayant d'y aller, sur les pas de Platon et de +Pythagore; tous escortant l'Évangile, soit devant, soit +derrière, et travaillant par leur dévouement ou leur +résistance à consolider son triomphe.</p> + +<p>Dans cette confusion de croyances, dans ce conflit de +rêves, de travaux fiévreux de la pensée, de divinations +maladives et de vertiges sublimes, une nouvelle forme +fut donnée à certains esprits, une forme agréable, élastique, +qui seule convenait aux esprits éclairés et aux +caractères faciles: cette disposition de l'esprit humain +qui domine dans tous les temps de dépravation, et chez +toutes les nations très-civilisées, nous l'appellerons, pour +nous servir d'une expression moderne, <i>éclectisme</i>, quoique +cette dénomination n'ait pas eu dans tout temps le +même sens; nous nous en tenons à celui qu'elle implique +aujourd'hui, pour qualifier la situation morale +des hommes qui n'appartenaient à aucune religion au +temps dont il est question ici.</p> + +<p>Parmi ces éclectiques, on vit des hommes d'un caractère +et d'un esprit tout opposés, des hommes graves et +des hommes frivoles, des savants et des femmes; car +cette doctrine, qui consistait dans l'absence de toute +règle, accueillit toute sorte de pédantisme et toute sorte +de poésie. Les rhéteurs s'y remplissaient l'estomac d'arguments, +et les poëtes s'y gonflaient le cerveau de métaphores. +L'Inde et la Chaldée, Homère et Moïse, tout +était bon à ces esprits avides et curieux de nouveautés, +indifférents en face des solutions: heureux caractères +qui, Dieu merci, fleurirent toujours ici-bas au milieu de +nos lourdes polémiques. Grands diseurs de sentences, +sincères admirateurs de la vertu et de la foi, le tout par +amour du beau et par estime de la sagesse, vrais épicuriens +dans la pratique de la vie, prophètes élégants et +joyeux, bardes demi-bibliques et demi-païens, intelligences +saisissantes, fines, éclairées, pleines de crédulités +poétiques et de scepticisme modeste; en un mot, ce +que sont aujourd'hui nos véritables artistes.</p> + +<p>Le petit poëme qu'on va lire fut récité, en vers hébraïques, +sous un portique de Césarée, par une femme +nommée Myrza, laquelle était une des prophétesses de +ce temps-là, espèce mixte entre la bohémienne et la sibylle, +poëte en jupons comme il en existe encore, mais +d'un caractère hardi et tranché qui s'est perdu dans le +monde, aventurière sans patrie, sans famille et sans +dieux, grande liseuse de romans et de psaumes, initiée +successivement par ses amants et ses confesseurs aux +diverses religions qui s'arrachaient lambeau par lambeau +l'empire de l'esprit humain. Cette femme était belle, +quoique n'appartenant plus à la première jeunesse; elle +jouait habilement le luth et la cithare, et, changeant +de rhythme, de croyance et de langage selon les pays +qu'elle parcourait, elle traversait les querelles philosophiques +et religieuses de son siècle, semant partout +quelques fleurs de poésie, et laissant sur ses traces un +étrange et vague parfum d'amour, de sainteté et de +folie; bonne personne du reste, que les princes faisaient +asseoir par curiosité à leur table, et que le peuple écoutait +avec admiration sur la place publique. Voici son +poëme tel que, de traduction en traduction, il a pu arriver +jusqu'à nous. Nous osons parfaitement le livrer aux +savants, aux poëtes et aux chrétiens de ce temps-ci, +sachant le bon marché que notre siècle panthéiste fait de +toutes choses, et la complaisance que son ennui lui +inspire pour toutes sortes de rêves.</p> +<br> +<h3>I.</h3> + +<p>En ce temps-là, longtemps avant le commencement +des jours que les hommes ont essayé de compter, Dieu +appela devant lui quatre Esprits, qui parcouraient d'un +vol capricieux les plaines de l'espace: Allez, leur dit-il, +prenez-vous par la main, marchez ensemble, et travaillez +de concert.</p> + +<p>Ils obéirent, et, ne se quittant plus, présidèrent +chacun à une des oeuvres de Dieu; et un nouvel astre +parut dans l'éther: cet astre est la terre que nous habitons +aujourd'hui, et ces quatre Esprits sont les éléments +qui la composent.</p> + +<p>Mais deux de ces Esprits, se sentant plus puissants, +firent la guerre aux deux autres.</p> + +<p>L'eau et le feu ravagèrent la terre, et l'air fut tantôt +infecté des vapeurs humides des marais, et tantôt embrasé +des feux d'un soleil dévorant.</p> + +<p>Et pendant un nombre de siècles que l'homme ne sait +pas, mais qui sont dans l'éternité de Dieu moins qu'une +heure dans la vie de l'homme, notre globe bondit +dans l'immensité, comme une cavale sauvage, sans +guide et sans frein; sa course ne fut réglée que par le +caprice des Esprits à qui Dieu l'avait abandonné; tantôt, +emporté d'un essor fougueux, il s'approcha du soleil jusqu'à +s'y brûler; tantôt il s'endormit languissant et morne, +loin des rayons vivifiants que chaque printemps nous +ramène. Il y eut des jours d'une année et des nuits d'un +siècle. Le globe n'ayant pas encore arrêté sa forme, les +froides régions qu'habitent le Calédonien et le Scandinave +furent calcinées par des étés brûlants. Les contrées +où la chaleur bronze les hommes se couvrirent de +glaciers incommensurables. L'Esprit du feu descendit dans +le sein de la terre; on eût dit qu'un démon enfonçait ses +ongles et ses dents dans les entrailles du globe: des +rugissements sourds s'échappaient des rochers ébranlés, +et la terre s'agitait comme une femme dans les convulsions +de l'enfantement. Quelquefois le monstre, en se +retournant dans le ventre de sa mère, sapait les fondements +d'une montagne, et creusait sous les vallées des +voûtes sans appui. La montagne et la vallée disparaissaient +ensemble, et des lacs de bitume s'étendaient en +bouillonnant sur les débris amoncelés; une fumée âcre +et fétide empoisonnait l'atmosphère; les plantes se desséchaient, +et l'eau, appelée par le feu, ravageait à son +tour le flanc déchiré de sa soeur.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/001.png"><br> +Que le peuple écoutait sur la place publique.</p> + +<p>Enfin le feu s'ouvrit un passage à travers le roc et +l'argile, et se répandit au dehors comme un fleuve débordé. +La mer, brisant ses digues de la veille, fit chaque +jour de nouvelles invasions, et chaque jour déserta +ses nouveaux rivages comme un lit trop étroit. On voyait, +dans l'espace d'une nuit, s'élever des montagnes de +fange ou de cendre, que le soleil et le vent façonnaient +à leur gré; des ravins se creusaient tels que la vie d'un +homme voyageant le jour et la nuit n'eût pas suffi pour +en trouver le fond; des météores gigantesques erraient +sur les eaux comme des soleils détachés de la voûte céleste, +et les vagues de l'océan roulaient sur les sommets +que les nuages enveloppent aujourd'hui bien loin au-dessus +de la demeure des hommes.</p> + +<p>Dans cette lutte, la terre et l'eau, jalouses l'une de +l'autre, se mirent à créer des plantes et des animaux qui +à leur tour se firent la guerre entre eux; des lianes immenses +essayèrent d'arrêter le cours des fleuves, mais les +fleuves enfantèrent des polypes monstrueux, qui saisirent +les lianes dans leurs bras vivants, et leur étreinte fut +telle, que des myriades de races d'animaux s'y arrêtèrent +et y périrent; et de tous ces débris se forma le sol que +nous foulons aujourd'hui, et sous lequel a disparu +l'ancien monde.</p> + +<p>Cependant à toutes ces existences d'un jour succédaient +d'autres existences; les races se perdaient et se +renouvelaient; la matière inépuisable se reproduisait +sous mille formes. Du sein des mers sortaient les baleines +semblables à des îles, et les léviathans hideux +rampant sur le sable avec des crocodiles de vingt bras, +ses. Nul ne sait le nombre et la forme des espèces tombées +en poussière; l'imagination de l'homme ne saurait +les reconstruire; si elle le pouvait, l'homme mourrait +d'épouvante à la seule idée de les voir. L'abeille fut +peut-être la soeur de l'éléphant; peut-être une race +d'insectes, aujourd'hui perdue, détruisit celle du mammouth, +que l'homme appelle le colosse de la création. +Dans ces marécages qui couvraient des continents entiers, +il dut naître des serpents qui, en se déroulant, +faisaient le tour du globe, et les aigles de ces montagnes, +infranchissables pour nos gazelles abâtardies, enlevaient +dans leurs serres des rhinocéros de cent coudées. +En même temps que les dragons ailés arrivaient +des nuages de l'orient, les licornes indomptables descendaient +de l'occident, et quand une troisième race de +monstres, poussée par le vent du sud, avait dévoré les +deux autres, elle périssait gorgée de nourriture, et +l'odeur de la corruption appelait l'hyène du nord, des +vautours plus grands que l'hyène, et des fourmis plus +grandes que les vautours; et sur ces montagnes de cadavres, +parmi ces lacs de sang livide, au milieu de ces +bêtes immondes, dévorées et dévorantes, des arbres +sans nom élevaient jusqu'aux nues la profusion de leurs +rameaux splendides, et des roses plus belles et plus +grandes que les filles des hommes ne le furent jamais, +exhalaient des parfums dont s'enivraient les esprits de +la terre, couverts de robes diaprées, aujourd'hui réduits +à la taille du papillon, et aux trois grains d'or de l'étamine +de nos fleurs.</p> + +<p class="mid"><img alt="" src="images/002.png"><br> + L'ange du sommeil l'appela.</p> + +<p>Ces volcans, ces déluges, ces cataclysmes, cet ouvrage +informe du temps et de la matière, les saintes +Écritures l'appellent l'âge du chaos. Or, tandis que les +quatre Esprits se livraient à la guerre, il arriva qu'ils +passèrent près du char de Dieu, et, frappés de terreur, +ils s'arrêtèrent. Dieu les appela et leur dit: Qu'avez-vous +fait? Pourquoi ce monde que je vous ai confié +marche-t-il comme s'il était ivre? Avez-vous bu la coupe +de l'orgueil? Prétendez-vous faire les oeuvres de l'Éternel? +Un esprit plus puissant que vous va se lever à ma voix; il +vous enchaînera, et vous forcera de vivre en paix.</p> + +<p>L'Éternel passa; et quand les quatre Esprits virent +s'effacer dans l'espace le cercle de feu que traçaient les +roues de son char, ils reprirent courage, et, se regardant, +ils se dirent: Pourquoi ne résisterions-nous pas à +l'Éternel? Ne sommes-nous pas éternels, nous aussi? Il +nous a créés, mais il ne peut nous détruire, car il nous a +dit: Vous n'aurez pas de fin. L'Éternel ne peut reprendre +sa parole. Il nous a donné ce monde. Mais c'est nous +qui l'avons couvert de plantes et d'animaux. Nous aussi, +nous sommes créateurs. Unissons-nous, armons nos +volcans en guerre. Que l'océan gronde, que la lave +bouillonne, que la foudre sillonne les airs, et vienne +l'Éternel pour nous donner des lois!</p> + +<p>En parlant ainsi, ils cessèrent de se haïr; et, abaissant +leur vol sur les montagnes les plus élevées de la +terre: Nous allons, dirent-ils, entasser ces monts les +uns sur les autres, et nous atteindrons ainsi à la demeure +de Dieu. Nous le renverserons, et nous régnerons sur +tous les mondes.</p> + +<p>Mais comme ils commençaient leur travail insensé, +un ange envoyé par le Seigneur versa sur eux la coupe +du mépris, et, saisis de torpeur, ils s'endormirent +comme des hommes pris de vin.</p> + +<p>Et quand ils se réveillèrent, ils virent sur la mousse +un être inconnu, plus beau qu'eux, quoique délicat et +frêle. Sa tête n'était pas flamboyante, et son corps n'était +pas couvert d'une armure d'écailles de serpent; le ver à +soie semblait avoir filé l'or de sa chevelure, et sa peau +était lisse et blanche comme le tissu des lis.</p> + +<p>Les Esprits étonnés l'entourèrent pour le contempler, +s'émerveillant de sa beauté, et se demandant l'un à +l'autre si c'était là un esprit ou un corps. Cependant +cette créature dormait paisiblement sur la mousse, et +les fleurs se penchaient sur elle comme pour l'admirer; +les oiseaux et les insectes voltigeaient autour d'elle, +n'osant becqueter ses lèvres de pourpre, et formant un +rideau d'ailes doucement agitées entre son visage et le +soleil du matin, qui semblait jaloux aussi de le regarder. +Alors l'Esprit des eaux:--Quel est celui-ci? et qui de +nous l'a produit à l'insu des autres? Si c'est de la terre +qu'il est sorti, d'où vient que les vapeurs de mes rives +n'en savent rien? et où est le feu qui l'a fécondé? Est-ce +une plante, pour qu'il soit sans plumes, et sans fourrure, +et sans écaille? Et si c'est une plante, d'où vient que +je n'ai point arrosé son germe, d'où vient que l'air n'a +pas aidé sa tige à s'élever et son calice à se colorer? Si +c'est une créature, où est son créateur? Si c'est un esprit, +de quel droit vient-il s'établir dans notre empire, +et comment souffrons-nous qu'il s'y repose? Enchaînons le, +et que la bouche des volcans se referme derrière +lui, car il faut qu'il aille au fond de la terre et qu'il n'en +sorte plus.</p> + +<p>L'Esprit de la terre répondit: Ceci est un corps, car +le sommeil l'engourdit et le gouverne comme les animaux; +ce n'est pas une plante, car il respire et semble +destiné au mouvement comme l'oiseau ou le quadrupède: +cependant il n'a point d'ailes, et ne saurait voler; +il n'a pas les défenses du sanglier, ni les ongles du tigre +pour combattre, ni même l'écaille de la tortue pour +s'abriter. C'est un animal faible, que le moindre de nos +animaux pourrait empêcher de se reproduire et d'exister. +Et puisque aucun de nous ne l'a créé, il faut que ce soit +l'Éternel qui, par dérision, l'ait fait éclore, afin de nous +surprendre et de nous effrayer; mais il suffira du froid +pour lui donner la mort.</p> + +<p>--Ne nous en inquiétons point, dirent les autres, il est +en notre pouvoir, éveillons-le, et voyons comme il +marche et comme il se nourrit. Puisqu'il n'a ni ailes, +ni nageoires, ni arme d'aucune espèce, pour s'ouvrir +un chemin et se construire une demeure, il ne saurait +vivre dans aucun élément.</p> + +<p>Et les quatre Esprits de révolte se mirent à railler et +à mépriser l'oeuvre du Dieu tout-puissant.</p> + +<p>Alors cet être nouveau s'éveilla, et, à leur grande +surprise, il ne se mit ni à fuir, ni à ramper comme les +serpents, ni à marcher comme les quadrupèdes; il se +dressa sur ses pieds, et sa tête se trouvant tournée vers +le ciel, il éleva son regard, et les Esprits de révolte +virent, dans sa prunelle, étinceler un feu divin. Quel +est, dirent-ils, celui-ci, qui ne rampe, ni ne vole, et +qui a un rayon du soleil dans les yeux? Va-t-il monter +vers le ciel comme une fumée? et d'où vient qu'avec +un corps si chétif il est plus beau que le plus beau des +anges du ciel?--Alors ils furent saisis de crainte, et +l'interrogèrent en tremblant.</p> + +<p>Mais celle créature ne les entendit pas; on eût dit +que ses yeux ne pouvaient distinguer leur forme, car +elle ne leur donna aucun signe d'attention, et ne répondit +rien à leurs questions.</p> + +<p>Ils se réjouirent donc de nouveau, en disant: Cette +bête n'a ni le sens de l'ouïe, ni le sens de la vue; elle +ne saurait faire entendre aucun cri, elle est plus stupide +que les autres bêtes. Celles-ci ne nous comprennent +pas et ne nous voient pas non plus; mais l'instinct les +avertit de notre présence; et un tressaillement secret +s'empare du plus petit oiseau, lorsque le volcan gronde, +ou lorsque l'orage s'approche; l'ours et le chien s'enfuient +en hurlant, le dauphin s'éloigne des rivages, et +le dragon se réfugie sur les arbres les plus élevés des +forêts; mais cette bête n'a pas de sens, et les polypes +seuls suffiront pour la dévorer.</p> + +<p>Alors la créature inconnue éleva la voix, une voix plus +douce que celle des oiseaux les plus mélodieux, et elle +chanta un cantique d'actions de grâces au Seigneur, dans +une langue que les Esprits de révolte ne comprirent pas.</p> + +<p>Et leur colère fut grande, car ils se crurent insultés +par cette langue mystérieuse, et ces accents d'amour et +de ferveur remplirent leur sein de haine et de rage. Ils +voulurent saisir leur ennemi; mais l'ennemi, ne daignant +pas les voir, se prosterna devant l'Éternel, puis +se releva avec un front rempli d'allégresse, et se mit à +descendre vers la vallée, sans cesser d'être debout, et +posant ses pieds sur le bord des abîmes avec autant d'adresse +et de tranquillité que l'antilope ou le renard. +Comme les pierres et les épines offensaient sa peau, il +cueillit des herbes et des feuilles, et se fit une chaussure +avec tant de promptitude et d'industrie, que les +Esprits de révolte prirent plaisir à le regarder.</p> + +<p>Cependant, à mesure que la créature de Dieu marchait, +la terre semblait devenir plus riante, et la nature +se parait de mille grâces nouvelles. Les plantes exhalaient +de plus doux parfums, et la créature, comme +saisie d'un amour universel, se courbait, respirait les +fleurs, se penchait sur les cailloux transparents, souriait +aux oiseaux, aux arbres, aux vents du matin. Et +le vent caressait mollement sa poitrine; les oiseaux la +suivaient avec des chants de joie; les papillons venaient +se poser sur les fleurs qu'elle leur présentait; les arbres +se courbaient vers elle et lui offraient leurs fruits à +l'envi l'un de l'autre. Elle mangeait les fruits, et, loin de +dévorer avidement comme les bêtes, semblait savourer +avec délices les sucs parfumés de l'orange et de la grenade. +Une biche, suivie de son faon, vint à elle, et lui offrit +son lait qu'elle recueillit dans une conque de nacre, +qu'elle porta joyeusement à ses lèvres en caressant la +biche; puis elle présenta la coquille au faon, qui but +après elle, et qui la suivit, ainsi que sa mère.</p> + +<p>Les Esprits suivaient en silence, et ne concevaient +rien à ce qu'ils voyaient; enfin ils se réveillèrent de leur +stupeur et dirent: C'est assez nous laisser insulter par +une oeuvre de ténèbres et d'ignorance; ce vain fantôme +d'ange a un corps et se repaît comme les bêtes; il doit +être, comme elles, sujet à la mort et à la pourriture. Si +la biche et son faon, si l'oiseau et l'insecte, si l'arbre et +son fruit, si l'herbe et la brise se soumettent à lui, voici +venir le léopard et la panthère qui vont le déchirer.</p> + +<p>Mais le léopard passa sans toucher à la créature de +Dieu, et la panthère, l'ayant regardée un instant avec +méfiance, vint offrir son dos souple et doux à la main +caressante de son nouveau maître.</p> + +<p>--Voici le serpent qui va le couvrir de morsures empoisonnées, +dirent les Esprits de haine. Le serpent dormait +sur le sable. La créature divine l'appela dans cette +langue inconnue qu'elle avait parlée à l'Éternel, et le +serpent, déroulant ses anneaux, vint mettre sa tête humiliée +sous le pied du maître, qui se détourna sans lui +faire ni mal ni injure. L'éléphant s'approchant, les Esprits +espérèrent qu'il les débarrasserait de l'étranger, +mais l'éléphant, ayant pris des fruits dans sa main, le +suivit, obéissant à sa parole, et cueillant à son tour les +fruits et les fleurs sur les branches les plus élevées pour +les lui offrir avec sa trompe. Le chameau arriva, et, +pliant les genoux, offrit son dos à l'étranger, et le porta +dans la vallée. Alors les Esprits, transportés de colère, +s'assemblèrent sur une cime élevée; ils réunirent leurs +efforts pour créer un monstre qui surpassât en laideur, +en force et en cruauté les monstres les plus hideux +qu'eût produits la terre. Mais comme le Seigneur, qui +jusqu'alors avait habité avec eux, s'était retiré, ils ne +purent rien créer d'abord. Enfin, après beaucoup de conjurations +adressées aux éléments qu'ils croyaient gouverner, +ils firent sortir de terre un dragon redoutable, +et le forcèrent avec des menaces de marcher contre la +créature de Dieu. Mais celle-ci, le voyant venir, monta +sur le cheval, appela l'hippopotame, le taureau, et tous +les animaux forts de la terre et de la mer, et les oiseaux +forts du ciel, et tous se rangèrent autour d'elle comme +une armée. Le cheval bondit d'orgueil sous son maître, +et le porta comme un roi à la rencontre de l'ennemi. +Alors le dragon épouvanté revint vers ceux qui l'avaient +envoyé, et leur dit:--Vous voyez ce qui arrive; toutes +les créatures se rangent sous sa loi, celui-ci est le roi de +la terre, et l'esprit de Dieu est en lui.--Et le dragon +étendant ses ailes, l'Esprit de ténèbres qui était en lui +s'envola, et sa dépouille restant par terre, l'étranger la +ramassa, la regarda, et s'en fit un vêtement pour traverser +les régions froides.</p> + +<p>Car elle continua sa course vers le nord, et parcourut +le monde entier, se construisant partout des chariots +avec les arbres des forêts et les métaux de la terre; mangeant +de tous les fruits; se faisant aimer et servir par +toutes les créatures; traversant les fleuves à la nage, ou +sur des nacelles que son adresse improvisait; s'habituant +à tous les climats; prenant son sommeil à l'ombre des +forêts, à l'abri dans les grottes, ou dans des tentes de +feuillage qu'elle dressait au coucher du soleil; sachant +tirer le feu d'un caillou ou d'une branche sèche, et partout +louant l'Éternel, chantant ses bienfaits, et implorant +son appui.</p> + +<p>Quand cet être singulier eut fait le tour de la terre et +s'y fut installé comme dans son domaine, les Esprits de +révolte, enchaînés jusque-là par la curiosité, résolurent +de détruire ce qu'ils croyaient être leur ouvrage, et de +bouleverser le globe, afin d'anéantir leur ennemi avec +lui.--Ouvre une crevasse sous ses pieds, dirent-ils à la +terre, et dévore-le dans la gueule béante de tes abîmes.--Mais +la terre refusa d'obéir, et répondit: Celui-ci est +l'envoyé de Dieu, le roi de la création. Ils dirent au volcan +de l'envelopper d'un lac de feu et de faire pleuvoir +sur lui des pierres embrasées; mais le volcan refusa, et +répondit comme la terre. La mer refusa d'inonder, et +l'air de laisser passer la foudre. Alors les Esprits virent +qu'ils n'avaient plus de pouvoir, et, feignant de se soumettre +à l'envoyé de Dieu, ils s'offrirent au Seigneur +pour être les ministres de son favori. Mais Dieu, connaissant +leur dessein, répondit: La mer ne sortira plus +de ses bornes, la terre ne quittera plus la voie que je lui +ai tracée dans l'espace, le soleil ne s'éteindra plus, l'air +ne sera plus infecté de miasmes fétides; vous serez +enchaînés à jamais, et vous obéirez en esclaves, non +pas à mon envoyé, mais à l'ordre que je vous assigne, +et qui est ma parole, la loi éternelle de l'univers. +Quant à celui-ci, que vous ne connaissez pas, c'est mon +oeuvre, et je l'ai faite en souriant pour vous railler et +vous montrer que par vous-mêmes vous ne pouvez rien. +Je lui ai donné les besoins des animaux, un corps frêle, +sans défense et sans vêtement; je l'ai mise nue sur la +terre. Et vous voyez qu'en un jour elle a eu des chaussures, +des vêtements, des esclaves, de quoi pourvoir à +tous ses besoins, et régner sur la force sans posséder la +force. Vous n'avez pas compris où était sa puissance, et +voyant qu'elle n'avait les avantages naturels d'aucun +animal, vous vous êtes demandé comment elle savait +gouverner l'instinct de tous les animaux et leur commander. +C'est que j'ai mis en elle une étincelle de mon +esprit, et qu'elle est à la fois corps et intelligence, matière +et lumière. Allez, et que le monde soit son héritage. +Elle ne vous commandera pas, car elle pourrait, +comme vous, s'enivrer d'orgueil et succomber à son tour. +Allez, et sachez le nom du plus beau de mes anges, c'est +l'homme.</p> +<br> +<h3>II</h3> + +<p>La terre devint donc l'apanage de l'homme: il n'avait +ni ailes d'or, ni auréole de lumière; il ne pouvait contempler +les splendeurs du tabernacle de Jéhovah; mais +la part d'intelligence qu'il avait reçue était si grande, +qu'il savait toutes les merveilles de l'univers sans les +avoir jamais vues, et qu'il aimait Dieu et le servait mieux +que les Séraphins brûlants qui environnent son trône. +Son âme voyait ce que les yeux de son corps ne pouvaient +apercevoir. Il devinait par la réflexion les plus +profonds mystères de la nature, et sa pensée était plus +rapide que l'éclair.</p> + +<p>Ce que voyant, les Esprits jaloux se disaient entre +eux: Dieu a fait pour celui-ci plus que pour nous tous. +Le plus petit insecte, il est vrai, s'élève plus haut que +lui dans l'air qu'il respire; mais le plus puissant des +Archanges ne saurait monter aussi hardiment et aussi +vite dans l'éther de l'immensité que l'esprit de l'homme +par sa volonté.</p> + +<p>Et Dieu, se complaisant dans son ouvrage, créa beaucoup +d'autres hommes semblables au premier, et en +couvrit la face de la terre, en leur disant: La terre est à +vous, cultivez-la, et vivez de ses fruits. Gouvernez les +animaux; les espèces ne périront plus, la terre ne sera +plus ravagée, les plantes et les animaux se reproduiront +toujours, et vous, vous ne mourrez point.</p> + +<p>Les hommes vivaient ensemble, et ils étaient heureux; +ils ne connaissaient pas le mal, et ils étaient purs, sans +avoir la vanité de savoir qu'ils l'étaient; car ils l'étaient +tous également, et ils ne s'imaginaient point que la source +de leur grandeur fût en eux-mêmes. Ils adoraient le +Seigneur, et se servaient de ses dons avec frugalité. Ils +respectaient la vie des animaux, et n'employaient leur +dépouille à leur usage que lorsque les animaux mouraient +selon les lois de la nature. Ils considéraient les +bêtes comme des productions choisies de la matière, +qui, étant douées de sensibilité et d'une sorte de volonté, +avaient des droits sacrés à leur protection. Les bêtes ne +s'enfuyaient pas à leur approche, et comme le chien +obéit encore aujourd'hui à son maître et comprend ses +ordres, le lion, le castor et tous les autres animaux comprenaient +le geste, le regard et l'autorité de l'homme; ils +l'aidaient à bâtir des maisons, des temples, à exécuter +des migrations sur les continents, à cultiver la terre, à +travailler les métaux et à les façonner, non en vile monnaie +ou en armes cruelles, mais en instruments de travail +et en ornements pour les temples.</p> + +<p>Or, tout était commun parmi les hommes, le travail et +les fruits de la terre. Ils se regardaient tous comme +vivant sous la volonté de Dieu, chargés de veiller à l'équilibre +de cette nature dont ils étaient rois; ils s'occupaient +sans cesse à réparer les ravages des précédents +cataclysmes, à dessécher les marais fétides qui corrompaient +l'air et engendraient trop de reptiles et d'insectes, +à ouvrir des canaux pour l'écoulement des lacs et +des étangs, à rassembler en troupeaux les animaux trop +nombreux sur certains points du globe, et à les conduire +vers d'autres régions désertes, à distribuer de +même la végétation selon les climats qui lui convenaient; +car, avant l'homme, la matière, livrée à sa vorace faculté +de produire, s'épuisait sans cesse, et, renaissant de ses +propres débris, offrait partout des ruines auprès des +créations nouvelles. Cet homme, que les Esprits des terribles +éléments avaient pris d'abord pour un souffle +débile dans le corps d'une bête avortée, devint donc, +sans autre magie et sans autre prestige que sa patience +et son industrie, plus puissant que les éléments eux-mêmes. +La terre fut bientôt un jardin si beau et si fécond, +que les anges du ciel venaient s'y promener, et +ne pouvant converser directement avec les hommes, +parce que Dieu l'avait défendu, ils chantaient doucement +dans les brises et dans les flots, et les hommes les +voyaient alors en songe avec les yeux de l'âme.</p> + +<p>Mais il arriva que, la terre étant pacifiée et embellie, +et l'ordre des saisons réglé, le travail devint moins actif. +Les hommes eurent plus de temps à donner à la prière +et à la méditation: leur nombre n'augmentait pas et ne +diminuait pas; il avait été calculé par l'Eternel, pour +opérer les grands travaux, qui se terminaient maintenant, +et l'esprit humain commençait à souffrir de sa +propre force, et à désirer quelque chose au delà de ce +qu'il possédait. Les hommes voulaient, pour faire cesser +leur inquiétude, que Dieu leur accordât un don; mais +ils ne savaient lequel, car ils ne souffraient que parce +qu'ils ne manquaient plus de rien.</p> + +<p>Leur sommeil devint moins paisible; durant les belles +nuits d'été, ils s'asseyaient par groupes sur les hauteurs, +et au lieu de contempler avec bonheur, comme autrefois, +le cours des astres et la beauté de la voûte céleste, +ils soupiraient tristement, et dans leurs cantiques éplorés +ils demandaient à Dieu de faire cesser leur ennui.</p> + +<p>Alors il y en eut qui dirent:--Les bêtes souffrent les +maladies du corps, et elles meurent; les hommes ne +sont pas soumis aux maux de la chair, et ne meurent +pas. Bénissons Dieu. Mais l'esprit de l'homme souffre +une douleur dont il ne sait pas le remède. Demandons à +Dieu qu'il nous ôte la réflexion, et nous laisse seulement +l'intelligence nécessaire pour commander aux animaux.</p> + +<p>Mais cet avis fut combattu par quelques-uns, qui +considéraient la richesse de leur intelligence comme ce +qu'ils avaient de plus précieux au monde.</p> + +<p>Il y en eut alors d'autres qui s'avisèrent d'un désir +plus noble, et dirent:--Nous avons comparé le sommeil +paisible des bêtes aux aspirations de nos veilles +brûlantes, et nous avons découvert les causes de nos +ennuis; dépêchons les oiseaux en messagers aux hommes +de tous les pays. Et quand la foule, accourue de toutes +parts, se fut réunie autour de ces sages, debout sous le +portique des temples, ils parlèrent ainsi:</p> + +<p>--Le malheur de l'homme ne vient pas d'une cause +accidentelle; cette cause est son organisation défectueuse +et le triste destin qu'il accomplit dans l'univers. C'est +un être borné dans ses jouissances, quoique infini dans +ses désirs. Il souffre, et ne sait comment se guérir: cela +est injuste, car les animaux connaissent la plante qui +doit leur rendre l'appétit lorsqu'ils l'ont perdu, et l'âme +de l'homme ne peut embrasser le but de ses vagues désirs. +Mais ce n'est pas le seul avantage que les bêtes +aient sur nous. Elles sont divisées en sexes différents; +c'est pourquoi elles se cherchent, se rapprochent et +s'unissent dans une extase qui les élève au-dessus d'elles-mêmes, +et qui nous est inconnue. Le charme qui les +attire est si puissant, qu'il n'est aucune caresse, aucune +menace de l'homme, aucun attrait de la gourmandise, +aucune injonction de la faim qui les empêche de courir +au fond des bois et des vallées à la suite les unes des autres. +Le tigre ou le lion enfermé loin de sa compagne se +couche en rugissant, et semble renoncer à la vie, car il +refuse toute nourriture. Le cheval séparé de la cavale, +le taureau de la génisse, au temps de leurs amours, +deviennent indociles, et brisent les chariots. Tous devinent +l'approche de leur compagne: le loup sent venir la +louve du fond des forêts ténébreuses, le chien hurle et +tressaille à l'arrivée de la lice sans la voir ni l'entendre; +l'oiseau sait se frayer une route au travers des plaines +immenses de l'air pour aller rejoindre sa compagne: il +n'a vu qu'un point noir vers l'horizon, et pourtant il ne +se trompe pas; l'ibis ne court point après la grue, ni le +chardonneret après la mésange. Qui donc leur enseigne +ces merveilleux instincts qui ne sont pas donnés à +l'homme? C'est l'amour qu'ils ont pour un sexe différent +du leur.</p> + +<p>Quant à nous, nous ne connaissons pas ces sublimes +extases, ces transports de joie et ces caresses enivrantes: +nous aimons à converser ensemble, à partager nos +repas; mais cette amitié n'est pas assez puissante pour +que la séparation soit désespérée, ni pour que le battement +du coeur nous annonce l'approche de l'ami absent. +Nous n'avons que des peines légères et des joies tièdes. +Dieu seul, Dieu notre immortel principe, nous ravit +d'une joie inaccoutumée; mais pouvons-nous toujours +penser à lui? Sa grandeur, que nous adorons, nous +défend-elle de comparer notre destinée à celle des autres +créatures, et de leur envier les biens que nous n'avons pas?</p> + +<p>D'autres hommes se levèrent à leur tour, et dirent:--Les +bêtes ont encore un avantage que nous n'avons +pas. Elles se reproduisent d'elles-mêmes, elles donnent +la vie à des créatures de leur espèce, qui sont leur chair +et leur sang. Il y a plusieurs siècles, avant que la terre +fût tranquille et féconde, la reproduction nous semblait +une tâche pénible, un sceau de misère imprimé à la +matière. Nous avions compassion de la jument obligée +de porter son fruit dans son flanc durant le cours de +plusieurs lunes, de la perdrix forcée de couver patiemment +ses oeufs et de les féconder par la chaleur de son +sein. Nous pensions que l'homme avait assez de cultiver +la terre et de protéger les animaux; que Dieu, dans sa +sagesse, l'avait dispensé du rude travail de la génération, +et lui avait donné l'immortalité, la jeunesse et la +santé éternelle, pour marquer sa royauté sur la terre. +Mais aujourd'hui nos grands travaux sont accomplis. +Les animaux, libres et paisibles sous notre domination, +s'aiment avec plus de bonheur encore, et nous voyons +en eux des joies et des forces que nous n'avons pas. +Nous admirons le soin avec lequel l'hirondelle nourrit +sa compagne accroupie sur ses oeufs, nous admirons +surtout la mère qui décrit de grands cercles dans les +cieux pour attraper une pauvre mouche, dont elle se +prive afin de l'apporter à ses enfants, car les oiseaux à +cette époque sont maigres et malades; mais le gazouillement +de leurs oisillons semble les réjouir plus que toutes +les graines d'un champ, et plus encore peut-être que +les caresses de l'amour. Les plus faibles créatures acquièrent +alors une folle audace pour la défense de ce +qu'elles ont de plus cher: la brebis défend son agneau +contre le loup, et la poule, cachant ses poussins sous +son aile, glousse avec colère quand le renard approche; +c'est elle qui meurt la première, et l'ennemi est forcé +de passer sur son cadavre pour s'emparer de la famille +abandonnée.</p> + +<p>Tout cela n'est-il pas digne d'admiration? et s'il y a +des fatigues et des douleurs attachées à ces devoirs, n'y +a-t-il pas des ravissements et des émotions qui les rachètent? +Quand ce ne serait que pour chasser l'ennui que +nous éprouvons, ne devrions-nous pas les demander à +Dieu?</p> + +<p>Quand ceux-là eurent dit, il y en eut d'autres qui +répondirent:--Avez-vous songé à ce que vous proposez? +Si l'homme se reproduisait sans cesser d'être immortel, +la terre ne pourrait bientôt lui suffire. Voulez-vous +accepter la maladie, la vieillesse et la mort en +échange des biens et des maux dont vous parlez? Lequel +de nous peut concevoir l'idée de mourir? N'est-ce +pas demander à Dieu qu'il fasse de nous la dernière +créature du monde? Lequel de nous voudra renoncer à +être ange?</p> + +<p>--Nous ne sommes pas des anges, reprirent les premiers. +Les anges que nous voyons dans nos rêves ont +des ailes pour parcourir l'immensité, et quoiqu'ils se +révèlent à nous sous une forme à peu près semblable à +la nôtre, cette forme n'est pas saisissable; nous ne pouvons +les retenir au matin, lorsqu'ils s'éloignent; nous +embrassons le vide, ils nous échappent comme notre +ombre au soleil. Ils n'ont de commun avec nous que +l'esprit, lequel n'est que la moitié de nous-mêmes. Nous +appartenons à la terre où notre corps est à jamais fixé. +Si nous sommes condamnés à la misère d'exister corporellement, +pouvons-nous sans injustice être privés +des avantages accordés aux autres animaux? Pourquoi +serions-nous imparfaits et déshérités du bonheur qui leur +est échu?</p> + +<p>Ces différents avis excitèrent dans l'esprit des hommes +une douloureuse inquiétude. Les uns pensaient qu'en +effet la partie physique était incomplète chez eux; les +autres répondaient que l'immortalité, l'absence de maladie +et de caducité, étaient des compensations suffisantes +à cette absence de sexe.</p> + +<p>Et, en effet, rien n'était plus suave et plus paisible +en ce temps-là que le sort de l'homme. N'éprouvant +que des besoins immédiatement satisfaits par la fécondité +de la terre et la liberté commune, la faim, la soif +et le sommeil étaient pour lui une source de jouissance +douce et jamais de douleur. La privation était inconnue; +aucun despotisme social n'imposait les corvées et la fatigue; +il n'y avait ni larmes, ni jalousies, ni injustices, +ni violences. Rien n'était un sujet de rivalité ou de contestation. +L'abondance régnait avec l'amitié et la bienveillance.</p> + +<p>Mais cette secrète inquiétude, qui est la cause de +toutes les grandeurs et de toutes les misères de l'esprit, +tourmentait presque également ceux qui désiraient un +changement dans leur sort et ceux qui le redoutaient.</p> + +<p>Alors les hommes firent de grandes prières dans les +temples, et ils invoquèrent Dieu afin qu'il daignât se +manifester.</p> + +<p>Mais l'Eternel garda le silence; car il veut que les +hommes et les anges soient librement placés entre l'erreur +et la vérité. Autrement l'ange et l'homme seraient +Dieu.</p> +<br> +<h3>III.</h3> + +<p>Mais comme le coeur de l'homme était humble et doux +en ce temps-là, la sagesse éternelle fut touchée; car les +hommes ne disaient pas:--Il nous faut cela, fais-le; +mais ils disaient:--Tu sais ce qui nous convient, sois +béni;--et ils souffraient sans blasphémer.</p> + +<p>La Sagesse, la Miséricorde et la Nécessité, les trois +essences infinies du Dieu vivant, tinrent conseil dans le +sein de l'Eternel; et comme il fallait que l'homme connût +l'amour ou la mort, la matière ne pouvant s'augmenter +indéfiniment, l'Esprit saint dit par la bouche de la Sagesse:</p> + +<p>«Livrons l'homme aux chances de sa destinée; que +sa vie sur la terre soit éphémère et douloureuse, qu'il +connaisse le bien et le mal, et qu'entre les deux il soit +libre de choisir.»</p> + +<p>Alors le Verbe de miséricorde ajouta: «Que dans la +douleur il ait pour remède l'espérance, et dans le bonheur +pour loi la charité.»</p> + +<p>Jéhovah envoya donc ses anges sur la terre en leur +disant: «Qu'il soit fait à chaque homme selon son désir.»</p> + +<p>Et l'ange étant entré la nuit dans la demeure des +hommes, et au nom de l'Eternel ayant interrogé leurs +pensées, il n'en trouva qu'un seul qui désirât l'amour +au point d'accepter la mort sans crainte. C'était un de +ceux qui n'avaient jamais rien demandé au Seigneur. +Il vivait retiré sur une montagne, occupé le soir à contempler +les étoiles, et le jour à nourrir les chevrettes +et les chamois. C'était une âme forte et un des plus beaux +parmi les anges terrestres.</p> + +<p>L'ange du sommeil l'appela, et lui dit comme aux +autres hommes:--Fils de Dieu, demandes-tu la fille +de Dieu? Et cet homme, au lieu de répondre en frissonnant +comme les autres: Que la volonté de Dieu soit +faite, s'écria, en se soulevant sur sa couche:--Où est +la fille de Dieu? L'ange lui répondit:--Sors de ta demeure, +tu la trouveras au bord de la source, elle vient +vers toi, elle vient du sein de Dieu.</p> + +<p>Alors l'ange disparut, et l'homme, s'étant levé plein +de surprise, se sentit accablé d'une grande tristesse; +car il pensa que c'était un vain songe, et que la fille de +Dieu n'était pas au bord de la source.</p> + +<p>Cependant il se leva et sortit de sa demeure, et il +trouva la fille de Dieu qui marchait vers lui, mais qui, +le voyant venir, s'arrêta tremblante au bord de la +source.</p> + +<p>Et comme la source était sombre, et qu'il distinguait +à peine une forme vague, il lui dit:--Etes-vous la fille +de Dieu?--Oui, répondit-elle, et je cherche le fils de +Dieu.</p> + +<p>--Je suis le fils de Dieu, reprit l'homme, vous êtes +ma soeur et mon amour. Que venez-vous m'annoncer de +la part de Dieu?</p> + +<p>--Rien, répondit la femme, car Dieu ne m'a rien +enseigné, et je ne sais pourquoi il m'envoie. Il y a un +instant que j'existe; j'ai entendu une voix qui m'a dit: +«Fille de Dieu, va sur la terre, et tu trouveras le fils +de Dieu qui t'attend.» J'ai reconnu que c'était la voix +de l'Eternel, et je suis venue.</p> + +<p>L'homme lui dit:--Suis-moi, car tu es le don de +Dieu, et tout ce qui m'appartient t'appartient.</p> + +<p>Il marcha devant elle, et elle le suivit jusqu'à la porte +de sa demeure, qui était faite de bois de cèdre et recouverte +d'écorce de palmier. Il y avait un lit de mousse +fraîche; l'homme cueillit les fleurs d'un rosier qui tapissait +le seuil, et, les effeuillant sur sa couche, il y fit +asseoir la femme en lui disant:--L'Eternel soit béni.</p> + +<p>Et, allumant une torche de mélèze, il la regarda, et +la trouva si belle qu'il pleura, et il ne sut quelle rosée +tombait de ses yeux, car jusque-là l'homme n'avait jamais +pleuré.</p> + +<p>Et l'homme connut la femme dans les pleurs et dans +la joie.</p> + +<p>Quand l'étoile du matin vint à pâlir sur la mer, +l'homme s'éveilla, il ne faisait pas encore jour dans sa +demeure. Se souvenant de ce qui lui était arrivé, il +n'osait point tâter sa couche, car il craignait d'avoir fait +un rêve, et il attendit le jour, désirant et redoutant ce +qu'il attendait.</p> + +<p>Mais la femme, qui s'était éveillée, lui parla, et sa +voix fut plus douce à l'homme que celle de l'alouette qui +venait chanter sur sa fenêtre au lever de l'aube.</p> + +<p>Mais aussitôt il se mit à verser des pleurs d'amertume +et de désolation.</p> + +<p>Ce que voyant, elle pleura aussi, et lui dit:--Pourquoi +pleures-tu?</p> + +<p>--C'est, dit l'homme, que je t'ai, et que bientôt je +ne t'aurai plus, car il faut que je meure; c'est à ce prix +que je t'ai reçue de l'Eternel. Avant de te voir, je ne +m'inquiétais pas de mourir; la faiblesse et la peur sont +entrées en moi avec l'amour. Car tu vaux mieux que la +vie, et pourtant je te perdrai avec elle.</p> + +<p>La femme cessa de pleurer, et, avec un sourire qui +fit passer dans le coeur de l'homme une espérance inconnue, +elle lui dit:--Si tu dois mourir, je mourrai +aussi, et j'aime mieux un seul jour avec toi que l'éternité +sans toi.</p> + +<p>Cette parole de la femme endormit la douleur de +l'homme. Il courut chercher des fruits et du lait pour la +nourrir, et des fleurs pour la parer. Et, dans le jour, +quand il se remit au travail, il planta de nouveaux arbres +fruitiers, en songeant au surcroît de besoins que la présence +d'un nouvel être apportait dans sa retraite, sans +songer qu'un arbre serait moins prompt à grandir que +lui et la femme à mourir.</p> + +<p>Cependant le souci avait pénétré chez lui avec la +femme. La pensée de la mort empoisonnait toutes ses +joies. Il priait Dieu avec plus de crainte que d'amour; +les moindres bruits de la nuit l'effrayaient, et, au lieu +d'écouter avec une religieuse admiration les murmures +des grandes mers, il tressaillait sur son lit, comme si la +voix des éléments eût pleuré à son oreille, comme si les +oiseaux de la tempête lui eussent apporté des nouvelles +funèbres. La femme était plus courageuse ou plus imprévoyante. +Ses faibles membres se fatiguaient vite, et, +quand son époux trouvait dans le travail une excitation +douloureuse, elle s'étendait nonchalante sur les fleurs de +la montagne, et s'endormait dans une sainte langueur en +murmurant des paroles de bénédiction pour son époux et +pour son Dieu.</p> + +<p>Elle ne savait rien des choses de la terre où elle venait +d'être jetée; elle trouvait partout de la joie, et ne +s'effrayait de rien. La brièveté de la vie, si terrible pour +l'homme, lui semblait un bienfait de la Providence. +L'homme la contemplait chaque jour avec une surprise +et une admiration nouvelles. Il la regardait comme supérieure +à lui, malgré sa faiblesse, et souvent il lui disait:--Tu +n'es pas ma soeur, tu n'es pas ma femme, tu es +un ange que Dieu m'a envoyé pour me consoler, et qu'il +me reprendra peut-être dans quelques jours, car il est +impossible que tu meures. Une si belle création ne peut +pas être anéantie. Promets-moi que, si tu me vois mourir, +tu retourneras aux cieux pour n'appartenir à personne +après moi.</p> + +<p>Et elle promettait en souriant tout ce qu'il voulait, car +elle ne savait pas si elle était immortelle, elle ne s'en inquiétait +pas, pourvu que son époux lui répétât sans cesse +qu'il l'aimait plus que sa vie.</p> + +<p>Or, ils vivaient sur une montagne élevée, loin des +lieux habités par les autres hommes; car l'époux de la +femme, tourmenté de crainte, avait transporté sa demeure +et ses troupeaux dans le désert, afin de mieux +cacher le trésor qui faisait son bonheur et ses angoisses.--Je +ne comprends pas, lui disait-il, le sentiment que +vous m'avez inspiré pour mes frères. Je les chérissais +avant de vous connaître, et, malgré mon goût pour la +solitude, j'aurais tout partagé volontiers avec eux. Quand +je descendais dans la vallée aux jours de fête, leur vue +réjouissait mon âme, et je priais avec plus de ferveur +prosterné au milieu d'eux dans le temple. Aujourd'hui +leur approche m'est odieuse, et quand je les vois de loin +je me cache, de peur qu'ils ne m'abordent et ne cherchent +à pénétrer aux lieux où vous êtes. A la seule idée +qu'un de mes frères pourrait vous apercevoir, je frissonne +comme si l'heure de ma mort était venue. L'autre jour +j'ai vu près d'ici la trace d'un pied humain sur le sable, +et j'aurais voulu être un rocher pour attendre au bord du +sentier l'audacieux qui pouvait revenir, et l'écraser à son +passage. Mais, hélas! ajoutait-il, les autres hommes sont +immortels, et seul je puis craindre la chute d'un rocher. +Si je tombais dans un précipice, vous descendriez dans +la vallée pour être nourrie et protégée par un autre +homme, et vous m'auriez bientôt oublié; car il n'est pas +un de ces immortels qui ne fît le sacrifice de son immortalité +pour vous posséder. C'est pourquoi, malgré mon +amour pour vous, je ne puis m'empêcher de désirer que +la mort vous atteigne aussi tôt que moi.</p> + +<p>Et la femme lui répondait:--Si tu tombais dans un +ravin, je m'y jetterais après toi; et si Dieu me refusait la +mort, je mutilerais mon corps et je détruirais ma beauté +pour ne pas plaire à un autre.</p> + +<p>Lorsque la femme mit au monde son premier-né, il +lui sembla que sa mort était proche, car elle sentait de +grandes douleurs; et comme son époux criait avec angoisses +vers le Seigneur, elle lui dit:--Ne pleurez point +et réjouissez-vous, car mon corps se brise, et mon âme +est heureuse de ce qui m'arrive; je sens que je ne suis +pas immortelle, et que je ne resterai pas sans vous sur +la terre.</p> + +<p>L'époux de la femme fut rencontré dans les montagnes +par quelques-uns de ses frères, et ceux-ci virent qu'il +était pâle et maigri, et qu'une singulière inquiétude était +répandue sur sa figure. Ils racontèrent ce qu'ils avaient +vu; et comme jusque-là les fatigues et l'ennui n'avaient +point été assez rudes à l'esprit de l'homme pour que son +corps indestructible pût en recevoir une telle altération, +chacun s'étonna de ce qu'il entendait de la bouche de ces +témoins, comme s'ils eussent annoncé l'apparition d'une +nouvelle race dans le monde, ou une perturbation dans +l'ordre de la nature.</p> + +<p>Plusieurs, entraînés par la curiosité, s'enfoncèrent +dans les montagnes pour chercher leur frère; mais il +avait si bien caché sa demeure derrière les lianes des +forêts et les pics des rochers, qu'il se passa plusieurs +années avant qu'on la découvrît. Enfin il fut rencontré, et +ceux qui le virent s'écrièrent:--Homme, quel mal as-tu +fait pour être ainsi vieilli et malade comme les animaux +périssables? Il répondit:--Je ne ressemble pas à mes +frères, mais je n'ai fait aucun mal, et Dieu m'a visité et +révélé plusieurs secrets que je vous enseignerai. Il parlait +ainsi pour donner le change à leur curiosité, et pendant +la nuit il essaya de transporter sa famille dans un lieu +encore plus inaccessible. Mais le jour le surprit avant +qu'il fût parvenu à sa nouvelle retraite, et il fut rencontré +avec sa femme montée sur un âne sauvage, et ses enfants, +dont le plus jeune était dans ses bras.</p> + +<p>A cette vue, les voyageurs se prosternèrent; la femme +leur parut si belle qu'ils la prirent pour un ange; et, +malgré la résistance de l'époux, ils l'entraînèrent dans +la vallée, la firent entrer dans le temple, et, lui élevant +un autel, ils l'adorèrent. Ce fut la première idolâtrie.</p> + +<p>L'époux espérait que le respect les empêcherait de +convoiter cette femme; mais elle, craignant d'offenser +le Seigneur, brisa les liens de fleurs dont on l'avait enlacée, +et tomba dans les bras de son époux en s'écriant:--Je +ne suis point une divinité, mais une esclave de +Dieu, une créature périssable et faible, la femme et la +soeur de cet homme. Je lui appartiens, parce que Dieu +m'a envoyée vers lui; si vous essayez de m'en séparer, +je me briserai la tête contre cet autel, et vous me verrez +mourir, car je suis mortelle, et mon époux l'est aussi.</p> + +<p>A ces mots, les voyageurs éprouvèrent une émotion +inconnue, et furent saisis d'une sympathie étrange pour +ces deux infortunés; comme ils étaient bons et justes, +ils respectèrent la fidélité de la femme. Ils la contemplèrent +avec admiration, prirent ses enfants dans leurs +bras, et, ravis de leur beauté délicate et de leurs naïves +paroles, ils se mirent à les aimer.</p> + +<p>Alors le peuple immortel, tombant à genoux, s'écria:--O +Dieu, ôte-nous l'immortalité, et donne à chacun +de nous une femme comme celle-ci; nous aimerons ses +enfants, et nous travaillerons pour notre famille jusqu'à +l'heure où tu nous enverras la mort; nous te bénirons +tous les jours si tu exauces notre voeu.</p> + +<p>La voûte du temple fut enlevée par une main invisible, +un escalier ardent, dont chaque marche était une nuance +de l'arc-en-ciel, parut se dérouler jusqu'à la terre. Du sommet +invisible de cet escalier, on vit descendre des formes +vagues et lumineuses, qui peu à peu se dessinèrent en +se rapprochant; des choeurs de femmes plus belles que +toutes les fleurs de la terre et toutes les étoiles des cieux +remplirent le sanctuaire en chantant; un ange était +venu s'abattre sur le dernier degré, et à chaque femme +qui le franchissait, il appelait un homme qu'il choisissait +selon les desseins de Dieu, et mettait la main de l'époux +dans la sienne.</p> + +<p>Quelques hommes, cependant, voulurent conserver +leur immortalité. Mais l'amour de la femme était si enivrant +et si précieux, qu'ils ne purent résister au désir +de le goûter, et qu'ils essayèrent de séduire les femmes +de leurs frères. Mais ils moururent de mort violente; +Dieu les châtia, afin que le premier crime commis sur +la terre n'eût point d'imitateurs.</p> + +<p>Pendant longtemps, malgré les souffrances de cette +race éphémère, l'âge d'or régna parmi les hommes, et +la fidélité fut observée entre les époux.</p> + +<p>Mais peu à peu le principe divin et immortel qui avait +animé les premiers hommes s'affaiblissant de génération +en génération, l'adultère, la haine, la jalousie, la violence, +le meurtre et tous les maux de la race présente +se répandirent dans l'humanité; Dieu fut obligé de voiler +sa face et de rappeler à lui ses anges. La Providence devint +de plus en plus mystérieuse et muette, la terre +moins féconde, l'homme plus débile, et sa conscience +plus voilée et plus incertaine. Les sociétés inventèrent, +pour se maintenir, des lois qui hâtèrent leur chute; la +vertu devint difficile et se réfugia dans quelques âmes +choisies. Mais Dieu infligea pour châtiment éternel à cette +race perverse le besoin d'aimer. A mesure que les lois +plus absurdes ou plus cruelles multipliaient l'adultère, +l'instinct de mutuelle fidélité devenait de jour en jour +plus impérieux: aujourd'hui encore il fait le tourment +et le regret des coeurs les plus corrompus. Les courtisanes +se retirent au désert pour pleurer l'amour qu'elles +n'ont plus droit d'attendre de l'homme, et la demandent +à Dieu. Les libertins se désolent dans la débauche et +appellent avec des sanglots furieux une femme chaste et +fidèle qu'ils ne peuvent trouver. L'homme a oublié son +immortalité; il s'est consolé de ne plus être l'égal des +anges, mais il ne se consolera jamais d'avoir perdu +l'amour, l'amour qui avait amené la mort par la main, et +si beau qu'il avait obtenu grâce pour la laideur de cette +soeur terrible: il ne sera guéri qu'en le retrouvant. Car, +écoutez les Juifs: ils disent que la femme a apporté en +dot le péché et la mort, mais ils disent aussi qu'au dernier +jour elle écrasera la tête du serpent, qui est le génie +du mal....</p> + +<p>Comme Myrza achevait les derniers versets de son +poëme, des prophètes austères, qui l'avaient entendue, +dirent au peuple assemblé autour d'elle:--Lapidez cette +femme impie; elle insulte à la vraie religion et à toutes +les religions, en confondant sous la forme allégorique les +dogmes et les principes de toutes les genèses. Elle joue +sur les cordes de son luth avec les choses les plus saintes, +et la poésie qu'elle chante est un poison subtil qui égare +les hommes. Ramassez des pierres et lapidez cette +femme de mauvaise vie, qui ose venir ici prêcher les +vertus qu'elle a foulées aux pieds; lapidez-la, car ses +lèvres souillées profanent les noms de divinité et de +chasteté.</p> + +<p>Mais le peuple refusa de lapider Myrza.--La vertu, +répondit un vieux prêtre d'Esculape, est comme la +science: elle est toujours belle, utile et sainte, quelle +que soit la bouche qui l'annonce, et nous tirons des +plantes les plus humbles que chaque jour le passant foule +sur les chemins un baume précieux pour les blessures. +Laissez partir cette sibylle; elle vient souvent ici, nous la +connaissons et nous l'aimons. Ses fictions nous plaisent, à +nous, vieux adorateurs des puissants dieux de l'Olympe, +et les jeunes partisans des religions nouvelles y trouvent +un fonds de saine morale et de douce philosophie. +Nous l'écoutons en souriant, et nos femmes lui font +d'innocents présents de jeunes agneaux et de robes de +laine sans tache. Qu'elle parle et qu'elle revienne, nous +ne la maudissons point; et si ses voies sont mauvaises, +que Minerve les redresse et l'accompagne.</p> + +<p>--Mais nous parlons au nom de la vertu, reprirent les +prophètes; nous avons fait serment de ne jamais connaître +un embrassement féminin.....</p> + +<p>--Hier, interrompit une femme, d'autres prophètes +nous engageaient, au nom de je sais quel nouveau dieu, +à nous abandonner à notre appétit; et la veille, d'autres +nous disaient d'être esclaves d'un seul maître: les uns +fixent la chasteté d'une femme au nombre de sept maris, +les autres veulent qu'elle n'en ait point, nous ne savons +plus à qui entendre. Mais ce que dit cette Myrza +nous plaît: elle nous amuse et ne nous enseigne point. +Que ses fautes soient oubliées, et qu'elle soit vêtue d'une +robe de pourpre, pour être conduite au temple du Destin, +qui est le dieu des dieux.</p> + +<p>Et comme les disciples des prophètes furieux s'acharnaient +à la maudire, et ramassaient de la boue et des +pierres, le peuple prit parti pour elle, et voulut la porter +en triomphe. Mais elle se dégagea, et, montant sur le +dromadaire qui l'avait amenée, elle dit à ce peuple en +le quittant:--Laissez-moi partir, et si ces hommes vous +disent quelque chose de bon, écoutez-le, et recueillez-le +de quelque part qu'il vienne. Pour moi, je vous ai dit +ma foi, c'est l'amour. Et voyez pourtant que je suis +seule, que j'arrive seule, et que je pars seule.... Alors +Myrza répandit beaucoup de larmes, puis elle ajouta:--Comprenez-vous +mes pleurs, et savez-vous où je +vais?</p> + +<p>Et elle s'en alla par la route qui mène au désert de +Thébaïde. + +<span class="rig">GEORGE SAND.</span></p> +<br><br><br> + +<h1>HAMLET.</h1> + +<p>O Hamlet, dis-nous le secret de ta douleur immense, et +pourquoi nous nous sentons vibrer autour de toi, comme +autant d'échos de ta plainte mystérieuse? Est-ce seulement +qu'on a assassiné ton père, et que tu ne te sens pas +la force de le venger? C'est là une destinée tragique, mais +exceptionnelle et bizarre, qui se peint seulement à notre +imagination et qui ne remuerait guère nos coeurs, s'il n'y +avait pas en toi autre chose qu'un souvenir, une vision +et un serment. Hamlet le danois<a id="footnotetag1" name="footnotetag1"></a> +<a href="#footnote1"><sup class="sml">1</sup></a>, que nous importe à +nous, hommes d'aujourd'hui, le crime d'une reine, le +meurtre d'un roi, et la colère d'un prince dépossédé? Nous +avons vu bien d'autres drames de sang que ce drame +imaginaire où ton prestige nous entraîne. Quel mystère +de poignante sympathie le poëte qui t'a donné l'être, a-t-il +donc enfermé dans ton sein et comme attaché à ton nom?</p> + +<blockquote class="footnote"><a id="footnote1" +name="footnote1"><b>Note 1: </b></a><a href="#footnotetag1"> +(retour) </a> This is I. Hamlet the dane!...</blockquote> + +<p>Création sublime, n'est-ce donc pas que tu résumes en +toi toutes les souffrances d'une âme pure jetée au milieu +de la corruption et condamnée à lutter contre le mal qui +l'étreint et la brise? Il n'y a pas d'autre fatalité dans ta +vie, Hamlet, et ton délire n'a pas d'autre cause. Jeune, +tendre et confiant, l'âme ouverte à l'amour et à l'amitié, +la découverte du crime commis dans ta maison vient bouleverser +toutes tes affections, toutes tes croyances. Tu +pleurais un mort chéri, et tu t'étonnais de le pleurer seul. +Un vague soupçon planait à peine sur ton esprit: tout à +coup ce soupçon devient certitude; une vision déchirante, +un songe peut-être, t'a éclairé, et dès lors, frappé de vertige, +tu sens ta raison ébranlée, et ta vie n'est plus qu'un +accès de délire amer et sombre.</p> + +<p>Car tu es fou, Hamlet, et tu ne mens pas quand tu dis:</p> + +<p class="mid"><i>His madness is poor Hamlet's ennemy.</i></p> + +<p>On ne se joue pas impunément avec la folie, et, d'ailleurs, +le choix de ton rôle de fou atteste que tu es dominé +par la préoccupation, l'angoisse et la terreur de la démence. +Tu ne feins pas à la manière de Brutus, car tu +n'es pas l'austère Brutus. Amoureux et poëte, rêveur +tendre et studieux écolier, tu n'as rien de cette nature +implacable et patiente du conspirateur. Pauvre Hamlet, +ton âme est trop fière et trop aimante pour supporter la +douleur et couver la vengeance. Te voilà forcé de haïr les +hommes, toi qui naquis pour les aimer, et dès ce premier +choc te voilà brisé sans retour. C'est l'horreur du crime, +le mépris du mensonge et l'effroi du mal, qui mettent +tous les éléments de ton être en guerre les uns contre les +autres. Oh! qui ne te plaindrait d'être ainsi détourné de +tes voies et lancé sur une pente fatale!</p> + +<p>L'harmonie de tes facultés est bien amèrement troublée, +ô victime de l'iniquité! Aux heures où tu philosophes +sur la vie et sur la mort, sur le mystère de la tombe et +la peur de l'inconnu, tu sembles avoir retrouvé toutes les +lumières de ton intelligence: mais c'est à ces heures-là +même que nous devinons le mieux ton désastre, ce désastre +moral dont tu ne peux plus mesurer l'étendue, et +qui se voile en vain sous de brillantes et solennelles +paroles. Plus que jamais divisé contre toi-même, peut-on +dire que, dans ces moments de rêverie où ton âme quitte +la terre, tu t'appartiennes réellement? Non, car alors le +souvenir de tes maux et de tes excès est comme effacé de +ta mémoire affaiblie, et la moitié de ton âme est paralysée. +Lorsque tu te demandes ce que c'est qu'<i>être ou +n'être pas, mourir ou dormir... ou rêver!...</i> tu ne vois +pas Ophélia agenouillée près de toi; et lorsque tu songes +au destin d'Alexandre et au néant de la gloire, en soulevant +le crâne d'Yorick, tu ne te souviens pas du meurtre +que tu as commis, et de ton amante que tu as rendue +folle. Tu n'as même pas songé à t'enquérir de son sort; +tu ne te doutes pas que c'est sa fosse que tu regardes +creuser. Il est donc des heures où ton pauvre coeur est +mort, et alors ton intelligence se perd dans des abstractions +où tu n'as pas la notion distincte de ton propre malheur. +Est-ce un état de raison que celui où le cerveau +fonctionne dans l'oubli absolu des déchirements du coeur? +L'homme n'est-il pas décomplété quand il ne peut plus +penser et sentir que séparément et tour à tour?</p> + +<p>Qu'on ne nous dise donc plus que tu n'es pas fou, car +tu serais odieux, et nous sentons si bien au contraire que +tu ne t'appartiens plus, que ta violence et ta cruauté +nous font plus souffrir que toi-même.</p> + +<p>Le noble Hamlet brise la frêle Ophélia en brisant l'amour +dans son propre sein, et il ne comprend pas qu'il +la tue. Il ne la reconnaît que dans son linceul, et ses regrets +disent sa surprise et son repentir. Le noble Hamlet +brise l'orgueil impuni de sa mère, et son propre coeur se +brise de remords et de pitié en accomplissant ce devoir +effroyable. Le noble Hamlet raille et insulte Laërte, et +bientôt il s'accuse et se repent devant lui, mais sans paraître +se rendre compte du mal qu'il lui a fait, et en lui +disant: «Le ciel m'est témoin que je vous ai toujours +aimé.» Partout Hamlet est noble et bon, mais aussi partout +Hamlet est hors de lui et gouverné par la démence, +démence rêveuse et accablante quand il est seul ou avec +Horatio, démence furieuse et méprisante quand il est en +contact avec les sots et les méchants de ce monde.</p> + +<p>La folie est toujours ou si repoussante, ou si navrante, +que nous en détournons les yeux avec effroi. La pauvre +Ophélia elle-même, si pure, si douce et si belle, n'a le +don de nous intéresser qu'un instant, après que sa raison +l'a abandonnée. Son délire est trop complet, bien qu'inoffensif. +Ce n'est là qu'une douleur toute personnelle. D'où +vient donc, ô triste Hamlet, que ta folie, à toi, nous attache +et nous passionne du commencement à la fin? C'est +à cause que ta douleur est la nôtre à tous, et c'est cela +qui la fait si humaine et si vraie. C'est ce dessèchement +qui se fait en toi de toutes les sources de la vie, l'amour, +la confiance, la franchise et la bonté. C'est ce déplorable +adieu que tu es forcé de dire à la paix de la conscience +et aux instincts de ta tendresse. C'est cette nécessité de +devenir ombrageux, hautain, violent, ironique, vindicatif +et cruel. C'est cette fatalité qui arme contre ton semblable +ta main loyale et brave. C'est cet amour même du vrai et du +juste qui te condamne à devenir stupide ou méchant; et, ne +pouvant être ni l'un ni l'autre, tu te sens devenir fou:</p> + +<p class="mid"> + <i>They fool me to the top of my bent<br> +They compell me to play the fool till I can endure to do it no longer.</i> +</p> + +<p>Hélas! cette amertume de ta vie, ce désespoir tour à +tour furieux et morne se résument en un cri intérieur +dont le retentissement se fait en nous tous, et qui peut +se traduire ainsi: Mon Dieu, pourquoi des méchants +parmi nous? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi le mal dans +ton oeuvre?</p> + +<p>Oui, te voilà tout entier, Hamlet, dans ce cri de l'humanité +révoltée contre elle-même. Voilà le secret de tes +larmes, de tes fureurs et de tes épouvantes. Voilà le secret +de notre pitié, de notre tendresse et de notre effroi +pour ton mal. Lequel de nous oserait dire, quand il contemple +l'étendue de ce mal auquel la terre est livrée, qu'il +sera plus fort, plus juste et plus patient que toi? Lequel +de nous, quand il s'égare aux abstractions de la métaphysique, +ou, quand il s'abandonne aux entraînements de la +réalité, aux jouissances de l'esprit, aux amusements de +la jeunesse, aux espérances de l'amour, oserait s'assurer +qu'il n'est pas un fou, un esprit débile et troublé en qui +le souvenir de l'inévitable fatalité s'efface trop aisément, +en qui le moi égoïste ou frivole étouffe le sentiment de la +vérité et le culte de la sagesse? Soit que nous cherchions +dans les livres la cause du malheur et de l'impuissance +de l'homme, soit que nous demandions ce secret fatal à +la rêverie, soit que nous tâchions de nous y soustraire +par l'étourdissement du plaisir, nous sommes toujours +des infirmes de corps et d'esprit, dominés par d'insondables +mystères, épouvantés avec excès, oublieux avec +ivresse, poltrons ou fanfarons, prompts à épuiser la coupe +de nos joies, prompts à nous lasser de la recherche du +vrai, et tristes surtout, toujours tristes!</p> + +<p>Pleure, Hamlet, pleure! Il n'y a vraiment que des sujets +de larmes ici-bas! Tremble aussi; car il n'est rien de si +effrayant que notre destinée en ce monde. Tue et meurs, +détruis et disparais: c'est le sort de l'homme. Depuis le +berceau jusqu'à la tombe, depuis Adam jusqu'à toi, +Hamlet, depuis tes jours jusqu'aux nôtres, la voix de la +terre est un éternel sanglot qui se perd dans l'éternel +silence des cieux.<span class="rig">GEORGE SAND.</span></p> + + + + + + + + +<br><br> + + + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's Le poëme de Myrza - Hamlet, by George Sand + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE POËME DE MYRZA - HAMLET *** + +***** This file should be named 28623-h.htm or 28623-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/8/6/2/28623/ + +Produced by Carlo Traverso, Rénald Lévesque and the Online +Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This +file was produced from images generously made available +by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + https://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + + diff --git a/28623-h/images/001.png b/28623-h/images/001.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f177dc4 --- /dev/null +++ b/28623-h/images/001.png diff --git a/28623-h/images/002.png b/28623-h/images/002.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..2e364d3 --- /dev/null +++ b/28623-h/images/002.png |
