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diff --git a/28604-8.txt b/28604-8.txt new file mode 100644 index 0000000..c93e2e9 --- /dev/null +++ b/28604-8.txt @@ -0,0 +1,1828 @@ +Project Gutenberg's Entretien d'un père avec ses enfants, by Denis Diderot + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Entretien d'un père avec ses enfants + +Author: Denis Diderot + +Editor: Jules Assézat + +Release Date: April 25, 2009 [EBook #28604] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + +[Extrait des OEuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, +5ème volume, Paris, Garnier Frères, 1875.] + + + + +ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS + +OU + +DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS. + +(Publié en 1773) + + + + +NOTICE PRÉLIMINAIRE + + +On lit dans la _Correspondance_ de Grimm, mars 1771: + +«M. Diderot, maître coutelier à Langres, mourut en 1759, généralement +regretté dans sa ville, laissant à ses enfants une fortune honnête pour +son état, et une réputation de vertu et de probité désirable en tout +état. Je le vis trois mois avant sa mort. En allant à Genève, au mois de +mars 1759, je passai exprès par Langres, et je m'applaudirai toute ma +vie d'avoir connu ce vieillard respectable. Il laissa trois enfants: un +fils aîné, Denis Diderot, né en 1713, c'est notre philosophe; une fille +d'un coeur excellent et d'une fermeté de caractère peu commune, qui, dès +l'instant de la mort de sa mère, se consacra entièrement au service de +son père et de sa maison, et refusa, par cette raison, de se marier; un +fils cadet qui a pris le parti de l'Église: il est chanoine de l'église +cathédrale de Langres et un des grands saints du diocèse. C'est un homme +d'un esprit bizarre, d'une dévotion outrée et à qui je crois peu d'idées +et de sentiments justes. Le père aimait son fils aîné d'inclination et +de passion; sa fille, de reconnaissance et de tendresse; et son fils +cadet, de réflexion, par respect pour l'état qu'il avait embrassé. Voilà +des éclaircissements qui m'ont paru devoir précéder le morceau que vous +allez lire.» + +Le testament, si fâcheusement retrouvé, a servi de donnée à une pièce +intitulée: _Une Journée de Diderot_, dont nous dirons quelques mots dans +la _Notice_ placée en tête du _Neveu de Rameau_. + + + + +ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS + +OU + +DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS + + +Mon père, homme d'un excellent jugement, mais homme pieux, était renommé +dans sa province pour sa probité rigoureuse. Il fut, plus d'une fois, +choisi pour arbitre entre ses concitoyens; et des étrangers qu'il ne +connaissait pas lui confièrent souvent l'exécution de leurs dernières +volontés. Les pauvres pleurèrent sa perte, lorsqu'il mourut. Pendant sa +maladie, les grands et les petits marquèrent l'intérêt qu'ils prenaient +à sa conservation. Lorsqu'on sut qu'il approchait de sa fin, toute la +ville fut attristée. Son image sera toujours présente à ma mémoire; il +me semble que je le vois dans son fauteuil à bras, avec son maintien +tranquille et son visage serein. Il me semble que je l'entends encore. +Voici l'histoire d'une de nos soirées, et un modèle de l'emploi des +autres. + + * * * * * + +C'était en hiver. Nous étions assis autour de lui, devant le feu, +l'abbé, ma soeur et moi. Il me disait, à la suite d'une conversation sur +les inconvénients de la célébrité: «Mon fils, nous avons fait tous les +deux du bruit dans le monde, avec cette différence que le bruit que vous +faisiez avec votre outil vous ôtait le repos; et que celui que je +faisais avec le mien ôtait le repos aux autres.» Après cette +plaisanterie, bonne ou mauvaise, du vieux forgeron, il se mit à rêver, à +nous regarder avec une attention tout à fait marquée, et l'abbé lui dit: +«Mon père, à quoi rêvez-vous? + +--Je rêve, lui répondit-il, que la réputation d'homme de bien, la plus +désirable de toutes, a ses périls, même pour celui qui la mérite.» Puis, +après une courte pause, il ajouta: «J'en frémis encore, quand j'y +pense... Le croiriez-vous, mes enfants? Une fois dans ma vie, j'ai été +sur le point de vous ruiner; oui, de vous ruiner de fond en comble. + +L'ABBÉ. + +Et comment cela? + +MON PÈRE. + +Comment? Le voici... + +Avant que je commence (dit-il à sa fille), soeurette[1], relève mon +oreiller qui est descendu trop bas; (à moi) et toi, ferme les pans de ma +robe de chambre, car le feu me brûle les jambes... Vous avez tous connu +le curé de Thivet[2]? + +MA SOEUR. + +Ce bon vieux prêtre, qui, à l'âge de cent ans, faisait ses quatre lieues +dans la matinée? + +L'ABBÉ. + +Qui s'éteignit à cent et un ans, en apprenant la mort d'un frère qui +demeurait avec lui, et qui en avait quatre-vingt-dix-neuf? + +MON PÈRE. + +Lui-même. + +L'ABBÉ. + +Eh bien? + +MON PÈRE. + +Eh bien, ses héritiers, gens pauvres et dispersés sur les grands +chemins, dans les campagnes, aux portes des églises où ils mendiaient +leur vie, m'envoyèrent une procuration, qui m'autorisait à me +transporter sur les lieux, et à pourvoir à la sûreté des effets du +défunt curé leur parent. Comment refuser à des indigents un service que +j'avais rendu à plusieurs familles opulentes? J'allai à Thivet; +j'appelai la justice du lieu; je fis apposer les scellés, et j'attendis +l'arrivée des héritiers. Ils ne tardèrent pas à venir; ils étaient au +nombre de dix à douze. C'étaient des femmes sans bas, sans souliers, +presque sans vêtements, qui tenaient contre leur sein des enfants +entortillés de mauvais tabliers; des vieillards couverts de haillons qui +s'étaient traînés jusque-là, portant sur leurs épaules avec un bâton, +une poignée de guenilles enveloppées dans une autre guenille; le +spectacle de la misère la plus hideuse. Imaginez, d'après cela, la joie +de ces héritiers à l'aspect d'une dizaine de mille francs qui revenait à +chacun d'eux; car, à vue de pays, la succession du curé pouvait aller à +une centaine de mille francs au moins. On lève les scellés. Je procède, +tout le jour, à l'inventaire des effets. La nuit vient. Ces malheureux +se retirent; je reste seul. J'étais pressé de les mettre en possession +de leurs lots, de les congédier, et de revenir à mes affaires. Il y +avait sous un bureau un vieux coffre, sans couvercle et rempli de toutes +sortes de paperasses; c'étaient de vieilles lettres, des brouillons de +réponses, des quittances surannées, des reçus de rebut, des comptes de +dépenses, et d'autres chiffons de cette nature; mais, en pareil cas, on +lit tout, on ne néglige rien. Je touchais à la fin de cette ennuyeuse +révision, lorsqu'il me tomba sous les mains un écrit assez long; et cet +écrit, savez-vous ce que c'était? Un testament! un testament signé du +curé! Un testament, dont la date était si ancienne, que ceux qu'il en +nommait exécuteurs n'existaient plus depuis vingt ans! Un testament où +il rejetait les pauvres qui dormaient autour de moi, et instituait +légataires universels les Frémins, ces riches libraires de Paris, que tu +dois connaître, toi. Je vous laisse à juger de ma surprise et de ma +douleur; car, que faire de cette pièce? La brûler? Pourquoi non? +N'avait-elle pas tous les caractères de la réprobation? Et l'endroit où +je l'avais trouvée, et les papiers avec lesquels elle était confondue et +assimilée, ne déposaient-ils pas assez fortement contre elle, sans +parler de son injustice révoltante? Voilà ce que je me disais en +moi-même; et me représentant en même temps la désolation de ces +malheureux héritiers spoliés, frustrés de leur espérance, j'approchais +tout doucement le testament du feu; puis, d'autres idées croisaient les +premières, je ne sais quelle frayeur de me tromper dans la décision d'un +cas aussi important, la méfiance de mes lumières, la crainte d'écouter +plutôt la voix de la commisération, qui criait au fond de mon coeur, que +celle de la justice, m'arrêtaient subitement; et je passai le reste de +la nuit à délibérer sur cet acte inique que je tins plusieurs fois +au-dessus de la flamme, incertain si je le brûlerais ou non. Ce dernier +parti l'emporta; une minute plus tôt ou plus tard, c'eût été le parti +contraire. Dans ma perplexité, je crus qu'il était sage de prendre le +conseil de quelque personne éclairée. Je monte à cheval dès la pointe du +jour; je m'achemine à toutes jambes vers la ville; je passe devant la +porte de ma maison, sans y entrer; je descends au séminaire qui était +alors occupé par des Oratoriens, entre lesquels il y en avait un +distingué par la sûreté de ses lumières et la sainteté de ses moeurs: +c'était un père Bouin, qui a laissé dans le diocèse la réputation du +plus grand casuiste. + + * * * * * + +Mon père en était là, lorsque le docteur Bissei entra: c'était l'ami et +le médecin de la maison. Il s'informa de la santé de mon père, lui tâta +le pouls, ajouta, retrancha à son régime, prit une chaise, et se mit à +causer avec nous. + +Mon père lui demanda des nouvelles de quelques-uns de ses malades, entre +autres, d'un vieux fripon d'intendant d'un M. de La Mésangère, ancien +maire de notre ville. Cet intendant avait mis le désordre et le feu dans +les affaires de son maître, avait fait de faux emprunts sous son nom, +avait égaré des titres, s'était approprié des fonds, avait commis une +infinité de friponneries dont la plupart étaient avérées, et il était à +la veille de subir une peine infamante, sinon capitale. Cette affaire +occupait alors toute la province. Le docteur lui dit que cet homme était +fort mal, mais qu'il ne désespérait pas de le tirer d'affaire. + +MON PÈRE. + +C'est un très-mauvais service à lui rendre. + +MOI. + +Et une très-mauvaise action à faire. + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Une mauvaise action! Et la raison, s'il vous plaît? + +MOI. + +C'est qu'il y a tant de méchants dans ce monde, qu'il n'y faut pas +retenir ceux à qui il prend envie d'en sortir. + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Mon affaire est de le guérir, et non de le juger; je le guérirai, parce +que c'est mon métier; ensuite le magistrat le fera pendre, parce que +c'est le sien. + +MOI. + +Docteur, mais il y a une fonction commune à tout bon citoyen, à vous, à +moi, c'est de travailler de toute notre force à l'avantage de la +république; et il me semble que ce n'en est pas un pour elle que le +salut d'un malfaiteur, dont incessamment les lois la délivreront. + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Et à qui appartient-il de le déclarer malfaiteur? Est-ce à moi? + +MOI. + +Non, c'est à ses actions. + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Et à qui appartient-il de connaître de ces actions? Est-ce à moi? + +MOI. + +Non; mais permettez, docteur, que je change un peu la thèse, en +supposant un malade dont les crimes soient de notoriété publique. On +vous appelle; vous accourez, vous ouvrez les rideaux, et vous +reconnaissez Cartouche ou Nivet[3]. Guérirez-vous Cartouche ou Nivet?... + +Le docteur Bissei, après un moment d'incertitude, répondit ferme qu'il +le guérirait; qu'il oublierait le nom du malade, pour ne s'occuper que +du caractère de la maladie; que c'était la seule chose dont il lui fût +permis de connaître; que s'il faisait un pas au delà, bientôt il ne +saurait plus où s'arrêter; que ce serait abandonner la vie des hommes à +la merci de l'ignorance, des passions, du préjugé, si l'ordonnance +devait être précédée de l'examen de la vie et des moeurs du malade. «Ce +que vous me dites de Nivet, un janséniste me le dira d'un moliniste, un +catholique d'un protestant. Si vous m'écartez du lit de Cartouche, un +fanatique m'écartera du lit d'un athée. C'est bien assez que d'avoir à +doser le remède, sans avoir encore à doser la méchanceté qui permettrait +ou non de l'administrer... + +--Mais, docteur, lui répondis-je, si après votre belle cure, le premier +essai que le scélérat fera de sa convalescence, c'est d'assassiner votre +ami, que direz-vous? Mettez la main sur la conscience; ne vous +repentirez-vous point de l'avoir guéri? Ne vous écrierez-vous point avec +amertume: Pourquoi l'ai-je secouru! Que ne le laissais-je mourir! N'y +a-t-il pas là de quoi empoisonner le reste de votre vie? + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Assurément, je serai consumé de douleur; mais je n'aurai point de +remords. + +MOI. + +Et quel remords pourriez-vous avoir, je ne dis point d'avoir tué, car il +ne s'agit pas de cela; mais d'avoir laissé périr un chien enragé? +Docteur, écoutez-moi. Je suis plus intrépide que vous; je ne me laisse +point brider par de vains raisonnements. Je suis médecin. Je regarde mon +malade; en le regardant, je reconnais un scélérat, et voici le discours +que je lui tiens: «Malheureux, dépêche-toi de mourir; c'est tout ce qui +peut t'arriver de mieux pour les autres et pour toi. Je sais bien ce +qu'il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t'oppresse, +mais je n'ai garde de l'ordonner; je ne hais pas assez mes concitoyens, +pour te renvoyer de nouveau au milieu d'eux, et me préparer à moi-même +une douleur éternelle par les nouveaux forfaits que tu commettrais. Je +ne serai point ton complice. On punirait celui qui te recèle dans sa +maison, et je croirais innocent celui qui t'aurait sauvé! Cela ne se +peut. Si j'ai un regret, c'est qu'en te livrant à la mort je t'arrache +au dernier supplice. Je ne m'occuperai point de rendre à la vie celui +dont il m'est enjoint par l'équité naturelle, le bien de la société, le +salut de mes semblables, d'être le dénonciateur. Meurs, et qu'il ne soit +pas dit que par mon art et mes soins il existe un monstre de plus.» + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Bonjour, papa. Ah çà, moins de café après dîner, entendez-vous? + +MON PÈRE. + +Ah! docteur, c'est une si bonne chose que le café! + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Du moins, beaucoup, beaucoup de sucre. + +MA SOEUR. + +Mais, docteur, ce sucre nous échauffera. + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Chansons! Adieu, philosophe. + +MOI. + +Docteur, encore un moment. Galien, qui vivait sous Marc-Aurèle, et qui, +certes, n'était pas un homme ordinaire, bien qu'il crût aux songes, aux +amulettes et aux maléfices, dit de ses préceptes sur les moyens de +conserver les nouveau-nés: «C'est aux Grecs, aux Romains, à tous ceux +qui marchent sur leurs pas dans la carrière des sciences, que je les +adresse. Pour les Germains et le reste des barbares, ils n'en sont pas +plus dignes que les ours, les sangliers, les lions, et les autres bêtes +féroces.» + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Je savais cela. Vous avez tort tous les deux; Galien, d'avoir proféré sa +sentence absurde; vous, d'en faire une autorité. Vous n'existeriez pas, +ni vous ni votre éloge ou votre critique de Galien, si la nature n'avait +pas eu d'autre secret que le sien pour conserver les enfants des +Germains. + +MOI. + +Pendant la dernière peste de Marseille... + +LE DOCTEUR BISSEI. + +Dépêchez-vous, car je suis pressé. + +MOI. + +Il y avait des brigands qui se répandaient dans les maisons, pillant, +tuant, profitant du désordre général, pour s'enrichir par toutes sortes +de crimes. Un de ces brigands fut attaqué de la peste, et reconnu par un +des fossoyeurs que la police avait chargés d'enlever les morts. Ces +gens-ci allaient, et jetaient les cadavres dans la rue. Le fossoyeur +regarde le scélérat, et lui dit: «Ah! misérable, c'est toi;» et en même +temps, il le saisit par les pieds, et le traîne vers la fenêtre. Le +scélérat lui crie: «Je ne suis pas mort.» L'autre lui répond: «Tu es +assez mort,» et le précipite à l'instant d'un troisième étage. Docteur, +sachez que le fossoyeur qui dépêche si lestement ce méchant pestiféré, +est moins coupable à mes yeux qu'un habile médecin, comme vous, qui +l'aurait guéri; et partez. + +LE DOCTEUR. + +Cher philosophe, j'admirerai votre esprit et votre chaleur, tant qu'il +vous plaira; mais votre morale ne sera ni la mienne, ni celle de l'abbé, +je gage. + +L'ABBÉ. + +Vous gagez à coup sûr. + + * * * * * + +J'allais entreprendre l'abbé; mais mon père, s'adressant à moi, en +souriant, me dit: «Tu plaides contre ta propre cause. + +MOI. + +Comment cela? + +MON PÈRE. + +Tu veux la mort de ce coquin d'intendant de M. de La Mésangère, n'est-ce +pas? Eh! laisse donc faire le docteur. Tu dis quelque chose tout bas. + +MOI. + +Je dis que Bissei ne méritera jamais l'inscription que les Romains +placèrent au-dessus de la porte du médecin d'Adrien VI, après sa mort: +_Au libérateur de la patrie._ + +MA SOEUR. + +Et que, médecin du Mazarin, ce ministre décédé, il n'eût pas fait dire +aux charretiers, comme Guénaut: _Camarades, laissons passer monsieur le +docteur, c'est lui qui nous a fait la grâce de tuer le cardinal._ + + * * * * * + +Mon père sourit, et dit: «Où en étais-je de mon histoire? + +MA SOEUR. + +Vous en étiez au père Bouin. + +MON PÈRE. + +Je lui expose le fait. Le père Bouin me dit: «Rien n'est plus louable, +monsieur, que le sentiment de commisération dont vous êtes touché pour +ces malheureux héritiers. Supprimez le testament, secourez-les, j'y +consens; mais c'est à la condition de restituer au légataire universel +la somme précise dont vous l'aurez privé, ni plus, ni moins.» Mais je +sens du froid entre les épaules. Le docteur aura laissé la porte +ouverte; soeurette, va la fermer. + +MA SOEUR. + +J'y vais; mais j'espère que vous ne continuerez pas que je ne sois +revenue. + +MON PÈRE. + +Cela va sans dire. + + * * * * * + +Ma soeur, qui s'était fait attendre quelque temps, dit en rentrant, avec +un peu d'humeur: C'est ce fou qui a pendu deux écriteaux à sa porte, sur +l'un desquels on lit: _Maison à vendre vingt mille francs, ou à louer +douze cents francs par an, sans bail_; et sur l'autre: _Vingt mille +francs à prêter pour un an, à six pour cent_. + +MOI. + +Un fou, ma soeur? Et s'il n'y avait qu'un écriteau où vous en voyez +deux, et que l'écriteau du prêt ne fût qu'une traduction de celui de la +location? Mais laissons cela, et revenons au père Bouin. + +MON PÈRE. + +Le père Bouin ajouta: «Et qui est-ce qui vous a autorisé à ôter ou à +donner de la sanction aux actes? Qui est-ce qui vous a autorisé à +interpréter les intentions des morts? + +«--Mais, père Bouin, et le coffre? + +«--Qui est-ce qui vous a autorisé à décider si ce testament a été rebuté +de réflexion, ou s'il s'est égaré par méprise? Ne vous est-il jamais +arrivé d'en commettre de pareilles, et de retrouver au fond d'un seau un +papier précieux que vous y aviez jeté d'inadvertance? + +«--Mais, père Bouin, et la date et l'iniquité de ce papier? + +«--Qui est-ce qui vous a autorisé à prononcer sur la justice ou +l'injustice de cet acte, et à regarder le legs universel comme un don +illicite, plutôt que comme une restitution ou telle autre oeuvre +légitime qu'il vous plaira d'imaginer? + +«--Mais, père Bouin, et ces héritiers immédiats et pauvres, et ce +collatéral éloigné et riche? + +«--Qui est-ce qui vous a autorisé à peser ce que le défunt devait à ses +proches, que vous ne connaissez pas davantage? + +«--Mais, père Bouin, et ce tas de lettres du légataire, que le défunt ne +s'était pas seulement donné la peine d'ouvrir!...» + +Une circonstance que j'avais oubliée de vous dire, ajouta mon père, +c'est que dans l'amas de paperasses, entre lesquelles je trouvai ce +fatal testament, il y avait vingt, trente, je ne sais combien de lettres +des Frémins, toutes cachetées. + +«Il n'y a, dit le père Bouin, ni coffre, ni date, ni lettres, ni père +Bouin, ni si, ni mais, qui tienne; il n'est permis à personne +d'enfreindre les lois, d'entrer dans la pensée des morts, et de disposer +du bien d'autrui. Si la Providence a résolu de châtier ou l'héritier ou +le légataire, ou le défunt, car on ne sait lequel, par la conservation +fortuite de ce testament, il faut qu'il reste.» + +Après une décision aussi nette, aussi précise de l'homme le plus éclairé +de notre clergé, je demeurai stupéfait et tremblant, songeant en +moi-même à ce que je devenais, à ce que vous deveniez, mes enfants, s'il +me fût arrivé de brûler le testament, comme j'en avais été tenté dix +fois; d'être ensuite tourmenté de scrupules, et d'aller consulter le +père Bouin. J'aurais restitué; oh! j'aurais restitué; rien n'est plus +sûr, et vous étiez ruinés. + +MA SOEUR. + +Mais, mon père, il fallut, après cela, s'en revenir au presbytère, et +annoncer à cette troupe d'indigents qu'il n'y avait rien là qui leur +appartînt, et qu'ils pouvaient s'en retourner comme ils étaient venus. +Avec l'âme compatissante que vous avez, comment en eûtes-vous le +courage? + +MON PÈRE. + +Ma foi, je n'en sais rien. Dans le premier moment, je pensai à me +départir de ma procuration, et à me remplacer par un homme de loi; mais +un homme de loi en eût usé dans toute la rigueur, pris et chassé par les +épaules ces pauvres gens dont je pouvais peut-être alléger l'infortune. +Je retournai donc le même jour à Thivet. Mon absence subite, et les +précautions que j'avais prises en partant, avaient inquiété; l'air de +tristesse avec lequel je reparus, inquiéta bien davantage. Cependant je +me contraignis, je dissimulai de mon mieux. + +MOI. + +C'est-à-dire assez mal. + +MON PÈRE. + +Je commençai par mettre à couvert tous les effets précieux. J'assemblai +dans la maison un certain nombre d'habitants, qui me prêteraient +main-forte, en cas de besoin. J'ouvris la cave et les greniers que +j'abandonnai à ces malheureux, les invitant à boire, à manger, et à +partager entre eux le vin, le blé et toutes les autres provisions de +bouche. + +L'ABBÉ. + +Mais, mon père!... + +MON PÈRE. + +Je le sais, cela ne leur appartenait pas plus que le reste. + +MOI. + +Allons donc, l'abbé, tu nous interromps. + +MON PÈRE. + +Ensuite, pâle comme la mort, tremblant sur mes jambes, ouvrant la +bouche, et ne trouvant aucune parole, m'asseyant, me relevant, +commençant une phrase, et ne pouvant l'achever, pleurant; tous ces gens +effrayés m'environnant, s'écriant autour de moi: «Eh bien! mon cher +monsieur, qu'est-ce qu'il y a?--Qu'est-ce qu'il y a? repris-je... Un +testament, un testament qui vous déshérite.» Ce peu de mots me coûta +tant à dire, que je me sentis presque défaillir. + +MA SOEUR. + +Je conçois cela. + +MON PÈRE. + +Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit! Je frémis +de la rappeler. Il me semble que j'entends encore les cris de la +douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des imprécations... Ici, +mon père portait ses mains sur ses yeux, sur ses oreilles... Ces femmes, +disait-il, ces femmes, je les vois; les unes se roulaient à terre, +s'arrachaient les cheveux, se déchiraient les joues et les mamelles; les +autres écumaient, tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur +écacher la tête contre le pavé, si on les eût laissé faire; les hommes +saisissaient, renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les +mains; ils menaçaient de mettre le feu à la maison; d'autres, en +rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s'ils y eussent +cherché le cadavre du curé pour le déchirer; et, tout au travers de ce +tumulte, c'étaient les cris aigus des enfants qui partageaient, sans +savoir pourquoi, le désespoir de leurs parents, qui s'attachaient à +leurs vêtements, et qui en étaient inhumainement repoussés. Je ne crois +pas avoir jamais autant souffert de ma vie. + +Cependant j'avais écrit au légataire de Paris, je l'instruisais de tout +et je le pressais de faire diligence, le seul moyen de prévenir quelque +accident qu'il ne serait pas en mon pouvoir d'empêcher. + +J'avais un peu calmé les malheureux par l'espérance dont je me flattais, +en effet, d'obtenir du légataire une renonciation complète à ses droits +ou de l'amener à quelque traitement favorable; et je les avais dispersés +dans les chaumières les plus éloignées du village. + +Le Frémin de Paris arriva; je le regardai fixement et je lui trouvai une +physionomie dure qui ne promettait rien de bon. + +MOI. + +De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et petits, une +large bouche, un peu de travers, un teint basané et criblé de petite +vérole? + +MON PÈRE. + +C'est cela. Il n'avait pas mis plus de trente heures à faire ses +soixante lieues. Je commençai par lui montrer les misérables dont +j'avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout devant lui, en +silence; les femmes pleuraient; les hommes, appuyés sur leurs bâtons, la +tête nue, avaient la main dans leurs bonnets. Le Frémin, assis, les yeux +fermés, la tête penchée et le menton appuyé sur sa poitrine, ne les +regardait pas. Je parlai en leur faveur de toute ma force; je ne sais où +l'on prend ce qu'on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt +combien il était incertain que cette succession lui fût légitimement +acquise; je le conjurai par son opulence, par la misère qu'il avait sous +les yeux; je crois même que je me jetai à ses pieds; je n'en pus tirer +une obole. Il me répondit qu'il n'entrait point dans toutes ces +considérations; qu'il y avait un testament; que l'histoire de ce +testament lui était indifférente, et qu'il aimait mieux s'en rapporter à +ma conduite qu'à mes discours. D'indignation, je lui jetai les clefs au +nez; il les ramassa, s'empara de tout; et je m'en revins si troublé, si +peiné, si changé, que votre mère, qui vivait encore, crut qu'il m'était +arrivé quelque grand malheur... Ah! mes enfants! quel homme que ce +Frémin! + + * * * * * + +Après ce récit, nous tombâmes dans le silence, chacun rêvant à sa +manière sur cette singulière aventure. Il vint quelques visites; un +ecclésiastique, dont je ne me rappelle pas le nom: c'était un gros +prieur, qui se connaissait mieux en bon vin qu'en morale, et qui avait +plus feuilleté le _Moyen de parvenir_ que les _Conférences de Grenoble_; +un homme de justice, notaire et lieutenant de police, appelé Dubois; et, +peu de temps après, un ouvrier qui demandait à parler à mon père. On le +fit entrer, et avec lui un ancien ingénieur de la province, qui vivait +retiré et qui cultivait les mathématiques, qu'il avait autrefois +professées; c'était un des voisins de l'ouvrier, l'ouvrier était +chapelier. + +Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon père que +l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait à lui dire. Tout +le monde se leva, et il ne resta que le prieur, l'homme de loi, le +géomètre et moi, que le chapelier retint. + +«Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir regardé autour de +l'appartement s'il ne pouvait être entendu, c'est votre probité et vos +lumières qui m'amènent chez vous; et je ne suis pas fâché d'y rencontrer +ces autres messieurs dont je ne suis peut-être pas connu, mais que je +connais tous. Un prêtre, un homme de loi, un savant, un philosophe et un +homme de bien! Ce serait grand hasard, si je ne trouvais pas dans des +personnes d'état si différent, et toutes également justes et éclairées, +le conseil dont j'ai besoin.» + +Le chapelier ajouta ensuite: «Promettez-moi d'abord de garder le secret +sur mon affaire, quel que soit le parti que je juge à propos de suivre.» + +On le lui promit, et il continua. + +«Je n'ai point d'enfants, je n'en ai point eu de ma dernière femme, que +j'ai perdue il y a environ quinze jours. Depuis ce temps, je ne vis pas; +je ne saurais ni boire, ni manger, ni travailler, ni dormir. Je me lève, +je m'habille, je sors et je rôde par la ville dévoré d'un souci profond. +J'ai gardé ma femme malade pendant dix-huit ans; tous les services qui +ont dépendu de moi et que sa triste situation exigeait, je les lui ai +rendus. Les dépenses que j'ai faites pour elle ont consommé le produit +de notre petit revenu et de mon travail, m'ont laissé chargé de dettes; +et je me trouverais, à sa mort, épuisé de fatigues, le temps de mes +jeunes années perdu; je ne serais, en un mot, pas plus avancé que le +premier jour de mon établissement, si j'observais les lois et si je +laissais aller à des collatéraux éloignés la portion qui leur revient de +ce qu'elle m'avait apporté en dot: c'était un trousseau bien +conditionné; car son père et sa mère, qui aimaient beaucoup leur fille, +firent pour elle tout ce qu'ils purent, plus qu'ils ne purent; de belles +et bonnes nippes en quantité, qui sont restées toutes neuves; car la +pauvre femme n'a pas eu le temps de s'en servir; et vingt mille francs +en argent, provenus du remboursement d'un contrat constitué sur M. +Michelin, lieutenant du procureur général. À peine la défunte a-t-elle +eu les yeux fermés, que j'ai soustrait et les nippes et l'argent. +Messieurs, vous savez actuellement mon affaire. Ai-je bien fait? Ai-je +mal fait? Ma conscience n'est pas en repos. Il me semble que j'entends +là quelque chose qui me dit: Tu as volé, tu as volé; rends, rends. Qu'en +pensez-vous? Songez, messieurs, que ma femme m'a emporté, en s'en +allant, tout ce que j'ai gagné pendant vingt ans; que je ne suis presque +plus en état de travailler; que je suis endetté, et que si je restitue, +il ne me reste que l'hôpital, si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain. +Parlez, messieurs, j'attends votre décision. Faut-il restituer et s'en +aller à l'hôpital? + +--À tout seigneur, tout honneur, dit mon père, en s'inclinant vers +l'ecclésiastique; à vous, monsieur le prieur. + +--Mon enfant, dit le prieur au chapelier, je n'aime pas les scrupules, +cela brouille la tête et ne sert à rien; peut-être ne fallait-il pas +prendre cet argent; mais, puisque tu l'as pris, mon avis est que tu le +gardes. + +MON PÈRE. + +Mais, monsieur le prieur, ce n'est pas là votre dernier mot? + +LE PRIEUR. + +Ma foi si; je n'en sais pas plus long. + +MON PÈRE. + +Vous n'avez pas été loin. À vous, monsieur le magistrat. + +LE MAGISTRAT. + +Mon ami, ta position est fâcheuse; un autre te conseillerait peut-être +d'assurer le fonds aux collatéraux de ta femme, afin qu'en cas de mort +ce fonds ne passât pas aux tiens, et de jouir, ta vie durant, de +l'usufruit. Mais il y a des lois; et ces lois ne t'accordent ni +l'usufruit, ni la propriété du capital. Crois-moi, satisfais aux lois et +sois honnête homme; à l'hôpital, s'il le faut. + +MOI. + +Il y a des lois! Quelles lois? + +MON PÈRE. + +Et vous, monsieur le mathématicien, comment résolvez-vous ce problème? + +LE GÉOMÈTRE. + +Mon ami, ne m'as-tu pas dit que tu avais pris environ vingt mille +francs? + +LE CHAPELIER. + +Oui, monsieur. + +LE GÉOMÈTRE. + +Et combien à peu près t'a coûté la maladie de ta femme? + +LE CHAPELIER. + +À peu près la même somme. + +LE GÉOMÈTRE. + +Eh bien! qui de vingt mille francs paye vingt mille francs, reste zéro. + +MON PÈRE, à moi. + +Et qu'en dit la philosophie? + +MOI. + +La philosophie se tait où la loi n'a pas le sens commun... + +Mon père sentit qu'il ne fallait pas me presser; et portant tout de +suite la parole au chapelier: «Maître un tel, lui dit-il, vous nous avez +confessé que depuis que vous aviez spolié la succession de votre femme, +vous aviez perdu le repos. Et à quoi vous sert donc cet argent, qui vous +a ôté le plus grand des biens? Défaites-vous-en vite; et buvez, mangez, +dormez, travaillez, soyez heureux chez vous, si vous y pouvez tenir, ou +ailleurs, si vous ne pouvez pas tenir chez vous.» + +Le chapelier répliqua brusquement: «Non, monsieur, je m'en irai à +Genève. + +«--Et tu crois que tu laisseras le remords ici? + +«--Je ne sais, mais j'irai à Genève. + +«--Va où tu voudras, tu y trouveras ta conscience.» + +Le chapelier partit; sa réponse bizarre devint le sujet de l'entretien. +On convint que peut-être la distance des lieux et du temps affaiblissait +plus ou moins tous les sentiments, toutes les sortes de consciences, +même celle du crime. L'assassin, transporté sur le rivage de la Chine, +est trop loin pour apercevoir le cadavre qu'il a laissé sanglant sur les +bords de la Seine. Le remords naît peut-être moins de l'horreur de soi +que de la crainte des autres; moins de la honte de l'action que du blâme +et du châtiment qui la suivraient s'il arrivait qu'on la découvrît. Et +quel est le criminel clandestin assez tranquille dans l'obscurité pour +ne pas redouter la trahison d'une circonstance imprévue ou +l'indiscrétion d'un mot peu réfléchi? Quelle certitude a-t-il qu'il ne +se décèlera point dans le délire de la fièvre ou du rêve? On l'entendra +sur le lieu de la scène, et il est perdu. Ceux qui l'environneront à la +Chine ne le comprendront pas. «Mes enfants, les jours du méchant sont +remplis d'alarmes. Le repos n'est fait que pour l'homme de bien. C'est +lui seul qui vit et meurt tranquille.» + +Ce texte épuisé, les visites s'en allèrent; mon frère et ma soeur +rentrèrent; la conversation interrompue fut reprise, et mon père dit: +«Dieu soit loué! nous voilà ensemble. Je me trouve bien avec les autres, +mais mieux avec vous.» Puis s'adressant à moi: «Pourquoi, me +demanda-t-il, n'as-tu pas dit ton avis au chapelier? + +--C'est que vous m'en avez empêché. + +--Ai-je mal fait? + +--Non, parce qu'il n'y a point de bon conseil pour un sot. Quoi donc, +est-ce que cet homme n'est pas le plus proche parent de sa femme? Est-ce +que le bien qu'il a retenu ne lui a pas été donné en dot? Est-ce qu'il +ne lui appartient pas au titre le plus légitime? Quel est le droit de +ces collatéraux? + +MON PÈRE. + +Tu ne vois que la loi, mais tu n'en vois pas l'esprit. + +MOI. + +Je vois comme vous, mon père, le peu de sûreté des femmes, méprisées, +haïes à tort à travers de leurs maris, si la mort saisissait ceux-ci de +leurs biens. Mais qu'est-ce que cela me fait à moi, honnête homme, qui +ai bien rempli mes devoirs avec la mienne? Ne suis-je pas assez +malheureux de l'avoir perdue? Faut-il qu'on vienne encore m'enlever sa +dépouille? + +MON PÈRE. + +Mais si tu reconnais la sagesse de la loi, il faut t'y conformer, ce me +semble. + +MA SOEUR. + +Sans la loi il n'y a plus de vol. + +MOI. + +Vous vous trompez, ma soeur. + +MON FRÈRE. + +Sans la loi tout est à tous, et il n'y a plus de propriété. + +MOI. + +Vous vous trompez, mon frère. + +MON FRÈRE. + +Et qu'est-ce qui fonde donc la propriété? + +MOI. + +Primitivement, c'est la prise de possession par le travail. La nature a +fait les bonnes lois de toute éternité; c'est une force légitime qui en +assure l'exécution; et cette force, qui peut tout contre le méchant, ne +peut rien contre l'homme de bien. Je suis cet homme de bien; et dans ces +circonstances et beaucoup d'autres que je vous détaillerais, je la cite +au tribunal de mon coeur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de +l'équité naturelle; je l'interroge, je m'y soumets ou je l'annule. + +MON PÈRE. + +Prêche ces principes-là sur les toits, je te promets qu'ils feront +fortune, et tu verras les belles choses qui en résulteront. + +MOI. + +Je ne les prêcherai pas; il y a des vérités qui ne sont pas faites pour +les fous; mais je les garderai pour moi. + +MON PÈRE. + +Pour toi qui es un sage? + +MOI. + +Assurément. + +MON PÈRE. + +D'après cela, je pense bien que tu n'approuveras pas autrement la +conduite que j'ai tenue dans l'affaire du curé de Thivet. Mais toi, +l'abbé, qu'en penses-tu? + +L'ABBÉ. + +Je pense, mon père, que vous avez agi prudemment de consulter, et d'en +croire le père Bouin; et que si vous eussiez suivi votre premier +mouvement, nous étions en effet ruinés. + +MON PÈRE. + +Et toi, grand philosophe, tu n'es pas de cet avis? + +MOI. + +Non. + +MON PÈRE. + +Cela est bien court. Va ton chemin. + +MOI. + +Vous me l'ordonnez? + +MON PÈRE. + +Sans doute. + +MOI. + +Sans ménagement? + +MON PÈRE. + +Sans doute. + +MOI. + +Non, certes, lui répondis-je avec chaleur, je ne suis pas de cet avis. +Je pense, moi, que, si vous avez jamais fait une mauvaise action dans +votre vie, c'est celle-là; et que si vous vous fussiez cru obligé à +restitution envers le légataire après avoir déchiré le testament, vous +l'êtes bien davantage envers les héritiers pour y avoir manqué. + +MON PÈRE. + +Il faut que je l'avoue, cette action m'est toujours restée sur le coeur; +mais le père Bouin!... + +MOI. + +Votre père Bouin, avec toute sa réputation de science et de sainteté, +n'était qu'un mauvais raisonneur, un bigot à tête rétrécie. + +MA SOEUR, à voix basse. + +Est-ce que ton projet est de nous ruiner? + +MON PÈRE. + +Paix! paix! laisse là le père Bouin; et dis-nous tes raisons, sans +injurier personne. + +MOI. + +Mes raisons? Elles sont simples; et les voici. Ou le testateur a voulu +supprimer l'acte qu'il avait fait dans la dureté de son coeur, comme +tout concourait à le démontrer; et vous avez annulé sa résipiscence: ou +il a voulu que cet acte atroce eût son effet: et vous vous êtes associé +à son injustice. + +MON PÈRE. + +À son injustice? C'est bientôt dit. + +MOI. + +Oui, oui, à son injustice; car tout ce que le père Bouin vous a débité +ne sont que de vaines subtilités, de pauvres conjectures, des peut-être +sans aucune valeur, sans aucun poids, auprès des circonstances qui +ôtaient tout caractère de validité à l'acte injuste que vous avez tiré +de la poussière, produit et réhabilité. Un coffre à paperasses; parmi +ces paperasses une vieille paperasse proscrite; par sa date, par son +injustice, par son mélange avec d'autres paperasses, par la mort des +exécuteurs, par le mépris des lettres du légataire, par la richesse de +ce légataire, et par la pauvreté des véritables héritiers! +Qu'oppose-t-on à cela? Une restitution présumée! Vous verrez que ce +pauvre diable de prêtre, qui n'avait pas un sou lorsqu'il arriva dans sa +cure, et qui avait passé quatre-vingts ans de sa vie à amasser environ +cent mille francs en entassant sou sur sou, avait fait autrefois aux +Frémins, chez qui il n'avait point demeuré, et qu'il n'avait peut-être +jamais connus que de nom, un vol de cent mille francs. Et quand ce +prétendu vol eût été réel, le grand malheur que... J'aurais brûlé cet +acte d'iniquité. Il fallait le brûler, vous dis-je; il fallait écouter +votre coeur, qui n'a cessé de réclamer depuis, et qui en savait plus que +votre imbécile Bouin, dont la décision ne prouve que l'autorité +redoutable des opinions religieuses sur les têtes les mieux organisées, +et l'influence pernicieuse des lois injustes, des faux principes sur le +bon sens et l'équité naturelle. Si vous eussiez été à côté du curé, +lorsqu'il écrivit cet inique testament, ne l'eussiez-vous pas mis en +pièces? Le sort le jette entre vos mains, et vous le conservez? + +MON PÈRE. + +Et si le curé t'avait institué son légataire universel?... + +MOI. + +L'acte odieux n'en aurait été que plus promptement cassé. + +MON PÈRE. + +Je n'en doute nullement; mais n'y a-t-il aucune différence entre le +donataire d'un autre, et le tien?... + +MOI. + +Aucune. Ils sont tous les deux justes ou injustes, honnêtes ou +malhonnêtes... + +MON PÈRE. + +Lorsque la loi ordonne, après le décès, l'inventaire et la lecture de +tous les papiers, sans exception, elle a son motif, sans doute; et ce +motif quel est-il? + +MOI. + +Si j'étais caustique, je vous répondrais: de dévorer les héritiers, en +multipliant ce qu'on appelle des vacations; mais songez que vous n'étiez +point l'homme de la loi; et qu'affranchi de toute forme juridique, vous +n'aviez de fonctions à remplir que celles de la bienfaisance et de +l'équité naturelle. + + * * * * * + +Ma soeur se taisait; mais elle me serrait la main en signe +d'approbation. L'abbé secouait les oreilles, et mon père disait: Et puis +encore une petite injure au père Bouin. Tu crois du moins que ma +religion m'absout? + +MOI. + +Je le crois; mais tant pis pour elle. + +MON PÈRE. + +Cet acte, que tu brûles de ton autorité privée, tu crois qu'il aurait +été déclaré valide au tribunal de la loi? + +MOI. + +Cela se peut; mais tant pis pour la loi. + +MON PÈRE. + +Tu crois qu'elle aurait négligé toutes ces circonstances, que tu fais +valoir avec tant de force? + +MOI. + +Je n'en sais rien; mais j'en aurais voulu avoir le coeur net. J'y aurais +sacrifié une cinquantaine de louis: ç'aurait été une charité bien faite, +et j'aurais attaqué le testament au nom de ces pauvres héritiers. + +MON PÈRE. + +Oh! pour cela, si tu avais été avec moi, et que tu m'en eusses donné le +conseil, quoique, dans les commencements d'un établissement, cinquante +louis ce soit une somme, il y a tout à parier que je l'aurais suivi. + +L'ABBÉ. + +Pour moi, j'aurais autant aimé donner cet argent aux pauvres héritiers +qu'aux gens de justice. + +MOI. + +Et vous croyez, mon frère, qu'on aurait perdu ce procès? + +MON FRÈRE. + +Je n'en doute pas. Les juges s'en tiennent strictement à la loi, comme +mon père et le père Bouin; et font bien. Les juges ferment, en pareils +cas, les yeux sur les circonstances, comme mon père et le père Bouin, +par l'effroi des inconvénients qui s'ensuivraient; et font bien. Ils +sacrifient quelquefois contre le témoignage même de leur conscience, +comme mon père et le père Bouin, l'intérêt du malheureux et de +l'innocent qu'ils ne pourraient sauver sans lâcher la bride à une +infinité de fripons; et font bien. Ils redoutent, comme mon père et le +père Bouin, de prononcer un arrêt équitable dans un cas déterminé, mais +funeste dans mille autres par la multitude de désordres auxquels il +ouvrirait la porte; et font bien. Et dans le cas du testament dont il +s'agit... + +MON PÈRE. + +Tes raisons, comme particulières, étaient peut-être bonnes; mais comme +publiques, elles seraient mauvaises. Il y a tel avocat peu scrupuleux, +qui m'aurait dit tête à tête: Brûlez ce testament; ce qu'il n'aurait osé +écrire dans sa consultation. + +MOI. + +J'entends; c'était une affaire à n'être pas portée devant les juges. +Aussi, parbleu! n'y aurait-elle pas été portée, si j'avais été à votre +place. + +MON PÈRE. + +Tu aurais préféré ta raison à la raison publique; la décision de l'homme +à celle de l'homme de loi. + +MOI. + +Assurément. Est-ce que l'homme n'est pas antérieur à l'homme de loi? +Est-ce que la raison de l'espèce humaine n'est pas tout autrement sacrée +que la raison d'un législateur? Nous nous appelons civilisés, et nous +sommes pires que des sauvages. Il semble qu'il nous faille encore +tournoyer pendant des siècles, d'extravagances en extravagances et +d'erreurs en erreurs, pour arriver où la première étincelle de jugement, +l'instinct seul, nous eût menés tout droit. Aussi nous nous sommes si +bien fourvoyés... + +MON PÈRE. + +Mon fils, mon fils, c'est un bon oreiller, que celui de la raison; mais +je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la +religion et des lois: et point de réplique là-dessus; car je n'ai pas +besoin d'insomnie. Mais il me semble que tu prends de l'humeur. Dis-moi +donc, si j'avais brûlé le testament, est-ce que tu m'aurais empêché de +restituer? + +MOI. + +Non, mon père; votre repos m'est un peu plus cher que tous les biens du +monde. + +MON PÈRE. + +Ta réponse me plaît et pour cause. + +MOI. + +Et cette cause, vous allez nous la dire? + +MON PÈRE. + +Volontiers. Le chanoine Vigneron, ton oncle, était un homme dur, mal +avec ses confrères dont il faisait la satire continuelle par sa conduite +et par ses discours. Tu étais destiné à lui succéder; mais, au moment de +sa mort, on pensa dans la famille qu'il valait mieux envoyer en cour de +Rome, que de faire, entre les mains du chapitre, une résignation qui ne +serait point agréée. Le courrier part. Ton oncle meurt une heure ou deux +avant l'arrivée présumée du courrier, et voilà le canonicat et dix-huit +cents francs perdus. Ta mère, tes tantes, nos parents, nos amis étaient +tous d'avis de celer la mort du chanoine. Je rejetai ce conseil; et je +fis sonner les cloches sur-le-champ. + +MOI. + +Et vous fîtes bien. + +MON PÈRE. + +Si j'avais écouté les bonnes femmes, et que j'en eusse eu du remords, je +vois que tu n'aurais pas balancé à me sacrifier ton aumusse. + +MOI. + +Sans cela. J'aurais mieux aimé être un bon philosophe, ou rien que +d'être un mauvais chanoine. + + * * * * * + +Le gros prieur rentra, et dit sur mes derniers mots qu'il avait +entendus: «Un mauvais chanoine! Je voudrais bien savoir comment on est +un bon ou un mauvais prieur, un bon ou un mauvais chanoine; ce sont des +états si indifférents.» Mon père haussa les épaules, et se retira pour +quelques devoirs pieux qui lui restaient à remplir. Le prieur dit: «J'ai +un peu scandalisé le papa. + +MON FRÈRE. + +Cela se pourrait. + +Puis, tirant un livre de sa poche: «Il faut, ajouta-t-il, que je vous +lise quelques pages d'une description de la Sicile par le père Labat. + +MOI. + +Je les connais. C'est l'histoire du _calzolaio_[4] de Messine. + +MON FRÈRE. + +Précisément. + +LE PRIEUR. + +Et ce _calzolaio_, que faisait-il? + +MON FRÈRE. + +L'historien raconte que, né vertueux, ami de l'ordre et de la justice, +il avait beaucoup à souffrir dans un pays où les lois n'étaient pas +seulement sans vigueur, mais sans exercice. Chaque jour était marqué par +quelque crime. Des assassins connus marchaient tête levée, et bravaient +l'indignation publique. Des parents se désolaient sur leurs filles +séduites et jetées du déshonneur dans la misère, par la cruauté des +ravisseurs. Le monopole enlevait à l'homme laborieux sa subsistance et +celle de ses enfants; des concussions de toute espèce arrachaient des +larmes amères aux citoyens opprimés. Les coupables échappaient au +châtiment, ou par leur crédit, ou par leur argent, ou par le subterfuge +des formes. Le _calzolaio_ voyait tout cela; il en avait le coeur percé; +et il rêvait sans cesse sur sa selle aux moyens d'arrêter ces désordres. + +LE PRIEUR. + +Que pouvait un pauvre diable comme lui? + +MON FRÈRE. + +Vous allez le savoir. Un jour, il établit une cour de justice dans sa +boutique. + +LE PRIEUR. + +Comment cela? + +MOI. + +Le prieur voudrait qu'on lui expédiât un récit, comme il expédie ses +matines. + +LE PRIEUR. + +Pourquoi non? L'art oratoire veut que le récit soit bref, et l'Évangile +que la prière soit courte. + +MON FRÈRE. + +Au bruit de quelque délit atroce, il en informait; il en poursuivait +chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa double fonction de +rapporteur et de juge remplie, le procès criminel parachevé, et la +sentence prononcée, il sortait avec une arquebuse sous son manteau; et, +le jour, s'il rencontrait les malfaiteurs dans quelques lieux écartés, +ou la nuit, dans leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement +cinq ou six balles à travers le corps. + +LE PRIEUR. + +Je crains bien que ce brave homme-là n'ait été rompu vif. J'en suis +fâché. + +MON FRÈRE. + +Après l'exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en +approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu'un qui aurait +tué un chien enragé. + +LE PRIEUR. + +En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là? + +MON FRÈRE. + +On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition; lorsque le +vice-roi proposa deux mille écus de récompense au délateur; et jura, en +face des autels, de pardonner au coupable s'il se déférait lui-même. + +LE PRIEUR. + +Quelque sot! + +MON FRÈRE. + +Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent sur un +innocent... + +LE PRIEUR. + +Il se présenta au vice-roi! + +MON FRÈRE. + +Il lui tint ce discours: «J'ai fait votre devoir. C'est moi qui ai +condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir. Voilà les +procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y verrez la marche de +la procédure judiciaire que j'ai suivie. J'ai été tenté de commencer par +vous; mais j'ai respecté dans votre personne le maître auguste que vous +représentez. Ma vie est entre vos mains, et vous en pouvez disposer.» + +LE PRIEUR. + +Ce qui fut fait. + +MON FRÈRE. + +Je l'ignore; mais je sais qu'avec tout ce beau zèle pour la justice, cet +homme n'était qu'un meurtrier. + +LE PRIEUR. + +Un meurtrier! le mot est dur: quel autre nom pourrait-on lui donner, +s'il avait assassiné des gens de bien? + +MOI. + +Le beau délire! + +MA SOEUR. + +Il serait à souhaiter... + +MON FRÈRE, à moi. + +Vous êtes le souverain: cette affaire est soumise à votre décision; +quelle sera-t-elle? + +MOI. + +L'abbé, vous me tendez un piége; et je veux bien y donner. Je +condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le savetier à +prendre la place du vice-roi. + +MA SOEUR. + +Fort bien, mon frère. + + * * * * * + +Mon père reparut avec ce visage serein qu'il avait toujours après la +prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence de l'abbé. Ma +soeur ajouta: «et voilà Messine privée, sinon du seul homme juste, du +moins du seul brave citoyen qu'il y eût. Cela m'afflige.» + +On servit; on disputa encore un peu contre moi; on plaisanta beaucoup le +prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de cas qu'il faisait des +prieurs et des chanoines. On lui proposa le cas du testament; au lieu de +le résoudre, il nous raconta un fait qui lui était personnel. + +LE PRIEUR. + +Vous vous rappelez l'énorme faillite du changeur Bourmont. + +MON PÈRE. + +Si je me rappelle! j'y étais pour quelque chose. + +LE PRIEUR. + +Tant mieux! + +MON PÈRE. + +Pourquoi tant mieux? + +LE PRIEUR. + +C'est que, si j'ai mal fait, ma conscience en sera soulagée d'autant. Je +fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi les effets actifs de +Bourmont un billet de cent écus sur un pauvre marchand grènetier son +voisin. Ce billet, partagé au prorata de la multitude des créanciers, +n'allait pas à douze sous pour chacun d'eux; et exigé du grènetier, +c'était sa ruine. Je supposai... + +MON PÈRE. + +Que chaque créancier n'aurait pas refusé 12 sous à ce malheureux; vous +déchirâtes le billet, et vous fîtes l'aumône de ma bourse. + +LE PRIEUR. + +Il est vrai; en êtes-vous fâché? + +MON PÈRE. + +Non. + +LE PRIEUR. + +Ayez la bonté de croire que les autres n'en seraient pas plus fâchés que +vous; et tout sera dit. + +MON PÈRE. + +Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité privée un +billet, pourquoi n'en lacérerez-vous pas deux, trois, quatre; tout +autant qu'il se trouvera d'indigents à secourir aux dépens d'autrui? Ce +principe de commisération peut nous mener loin, monsieur le prieur: la +justice, la justice... + +LE PRIEUR. + +On l'a dit, est souvent une grande injustice. + + * * * * * + +Une jeune femme, qui occupait le premier, descendit; c'était la gaieté +et la folie en personne. Mon père lui demanda des nouvelles de son mari: +ce mari était un libertin qui avait donné à sa femme l'exemple des +mauvaises moeurs, qu'elle avait, je crois, un peu suivi; et qui, pour +échapper à la poursuite de ses créanciers, s'en était allé à la +Martinique. Mme d'Isigny, c'était le nom de notre locataire, répondit à +mon père: «M. d'Isigny? Dieu merci! je n'en ai plus entendu parler; il +est peut-être noyé. + +LE PRIEUR. + +Noyé! je vous en félicite. + +MADAME D'ISIGNY. + +Qu'est-ce que cela vous fait, monsieur l'abbé? + +LE PRIEUR. + +Rien, mais à vous? + +MADAME D'ISIGNY. + +Et qu'est-ce que cela me fait à moi? + +LE PRIEUR. + +Mais, on dit... + +MADAME D'ISIGNY. + +Et qu'est-ce qu'on dit? + +LE PRIEUR. + +Puisque vous le voulez savoir, on dit qu'il avait surpris quelques-unes +de vos lettres. + +MADAME D'ISIGNY. + +Et n'avais-je pas un beau recueil des siennes?... + + * * * * * + +Et puis voilà une querelle tout à fait comique entre le prieur et Mme +d'Isigny sur les priviléges des deux sexes. Mme d'Isigny m'appela à son +secours; et j'allais prouver au prieur que le premier des deux époux qui +manquait au pacte, rendait à l'autre sa liberté; mais mon père demanda +son bonnet de nuit, rompit la conversation, et nous envoya coucher. +Lorsque ce fut à mon tour de lui souhaiter la bonne nuit, en +l'embrassant, je lui dis à l'oreille: «Mon père, c'est qu'à la rigueur +il n'y a point de lois pour le sage... + +--Parlez plus bas... + +--Toutes étant sujettes à des exceptions, c'est à lui qu'il appartient +de juger des cas où il faut s'y soumettre ou s'en affranchir. + +--Je ne serais pas trop fâché, me répondit-il, qu'il y eût dans la ville +un ou deux citoyens comme toi; mais je n'y habiterais pas, s'ils +pensaient tous de même.» + + + + +NOTES + + [1] Nous rétablissons ce terme familier d'après l'édition originale. + Les suivantes l'ont remplacé par _petite soeur_. + + [2] Village situé entre Chaumont et Langres. (Note de l'édition de + BRIÈRE.) + + [3] On connaît Cartouche. «Son affaire n'était rien, dit l'avocat + Barbier, en comparaison de celle de Nivet,» coupable d'un grand + nombre d'assassinats. Nivet fut roué en Grève le 1er juin 1729. + + [4] Cordonnier. + + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Entretien d'un père avec ses enfants, by +Denis Diderot + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS *** + +***** This file should be named 28604-8.txt or 28604-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/8/6/0/28604/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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