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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 02:38:56 -0700 |
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diff --git a/28604-h/28604-h.htm b/28604-h/28604-h.htm new file mode 100644 index 0000000..25de050 --- /dev/null +++ b/28604-h/28604-h.htm @@ -0,0 +1,1959 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD HTML 4.01 Transitional//EN"> +<html lang="fr"> +<head> + <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=ISO-8859-1"> + <title>The Project Gutenberg ebook of Entretien d'un père avec ses enfants, by Denis Diderot.</title> + +<style type="text/css"> +<!-- +body { margin-left: 10%; margin-right: 10%; } +h1, h2, .c { text-align: center; line-height: 1.5em; } +h1, h2 { margin-top: 2em; } +p { text-align: justify; line-height: 1.2em; } +.sc { font-variant: small-caps; } +hr { text-align: center; width: 50%; margin-left: auto; margin-right: auto; + margin-top: 1.2em; margin-bottom: 1.2em; } +.fnanchor { font-size: 80%; vertical-align: 0.35em; padding: 0 .15em; + text-decoration: none; +} +.footnote .label { float: left; text-align: left; width: 2em; } +.footnote a { text-decoration: none; } + +--> +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's Entretien d'un père avec ses enfants, by Denis Diderot + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Entretien d'un père avec ses enfants + +Author: Denis Diderot + +Editor: Jules Assézat + +Release Date: April 25, 2009 [EBook #28604] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + +<p class="c">[Extrait des Œuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, 5<sup>ème</sup> volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]</p> + + + + +<h1>ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS</h1> + +<p class="c">OU</p> + +<p class="c"><big>DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS.</big></p> + +<p class="c">(Publié en 1773)</p> + + + + +<h2>NOTICE PRÉLIMINAIRE</h2> + + +<p>On lit dans la <i>Correspondance</i> de Grimm, mars 1771:</p> + +<p>«M. Diderot, maître coutelier à Langres, mourut en 1759, généralement +regretté dans sa ville, laissant à ses enfants une fortune honnête +pour son état, et une réputation de vertu et de probité désirable +en tout état. Je le vis trois mois avant sa mort. En allant à Genève, +au mois de mars 1759, je passai exprès par Langres, et je m'applaudirai +toute ma vie d'avoir connu ce vieillard respectable. Il laissa trois +enfants: un fils aîné, Denis Diderot, né en 1713, c'est notre philosophe; +une fille d'un cœur excellent et d'une fermeté de caractère peu commune, +qui, dès l'instant de la mort de sa mère, se consacra entièrement +au service de son père et de sa maison, et refusa, par cette raison, de +se marier; un fils cadet qui a pris le parti de l'Église: il est chanoine +de l'église cathédrale de Langres et un des grands saints du diocèse. +C'est un homme d'un esprit bizarre, d'une dévotion outrée et à qui je +crois peu d'idées et de sentiments justes. Le père aimait son fils aîné +d'inclination et de passion; sa fille, de reconnaissance et de tendresse; +et son fils cadet, de réflexion, par respect pour l'état qu'il avait +embrassé. Voilà des éclaircissements qui m'ont paru devoir précéder le +morceau que vous allez lire.»</p> + +<p>Le testament, si fâcheusement retrouvé, a servi de donnée à une +pièce intitulée: <i>Une Journée de Diderot</i>, dont nous dirons quelques +mots dans la <i>Notice</i> placée en tête du <i>Neveu de Rameau</i>.</p> + + + + +<h2>ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS</h2> + +<p class="c">OU</p> + +<p class="c"><big>DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS</big></p> + + +<p>Mon père, homme d'un excellent jugement, mais homme +pieux, était renommé dans sa province pour sa probité rigoureuse. +Il fut, plus d'une fois, choisi pour arbitre entre ses concitoyens; +et des étrangers qu'il ne connaissait pas lui confièrent +souvent l'exécution de leurs dernières volontés. Les pauvres +pleurèrent sa perte, lorsqu'il mourut. Pendant sa maladie, les +grands et les petits marquèrent l'intérêt qu'ils prenaient à sa +conservation. Lorsqu'on sut qu'il approchait de sa fin, toute la +ville fut attristée. Son image sera toujours présente à ma +mémoire; il me semble que je le vois dans son fauteuil à bras, +avec son maintien tranquille et son visage serein. Il me semble +que je l'entends encore. Voici l'histoire d'une de nos soirées, +et un modèle de l'emploi des autres.</p> + +<hr> + + +<p>C'était en hiver. Nous étions assis autour de lui, devant le +feu, l'abbé, ma sœur et moi. Il me disait, à la suite d'une conversation +sur les inconvénients de la célébrité: «Mon fils, nous +avons fait tous les deux du bruit dans le monde, avec cette +différence que le bruit que vous faisiez avec votre outil vous +ôtait le repos; et que celui que je faisais avec le mien ôtait le +repos aux autres.» Après cette plaisanterie, bonne ou mauvaise, +du vieux forgeron, il se mit à rêver, à nous regarder avec une +attention tout à fait marquée, et l'abbé lui dit: «Mon père, à +quoi rêvez-vous?</p> + +<p>—Je rêve, lui répondit-il, que la réputation d'homme de +bien, la plus désirable de toutes, a ses périls, même pour celui +qui la mérite.» Puis, après une courte pause, il ajouta: «J'en +frémis encore, quand j'y pense... Le croiriez-vous, mes enfants? +Une fois dans ma vie, j'ai été sur le point de vous ruiner; oui, +de vous ruiner de fond en comble.</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Et comment cela?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Comment? Le voici...</p> + +<p>Avant que je commence (dit-il à sa fille), sœurette<a id="FNanchor_1" name="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a>, relève +mon oreiller qui est descendu trop bas; (à moi) et toi, ferme les +pans de ma robe de chambre, car le feu me brûle les jambes... +Vous avez tous connu le curé de Thivet<a id="FNanchor_2" name="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class="fnanchor">2</a>?</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Ce bon vieux prêtre, qui, à l'âge de cent ans, faisait ses +quatre lieues dans la matinée?</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Qui s'éteignit à cent et un ans, en apprenant la mort d'un +frère qui demeurait avec lui, et qui en avait quatre-vingt-dix-neuf?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Lui-même.</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Eh bien?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Eh bien, ses héritiers, gens pauvres et dispersés sur les +grands chemins, dans les campagnes, aux portes des églises où +ils mendiaient leur vie, m'envoyèrent une procuration, qui +m'autorisait à me transporter sur les lieux, et à pourvoir à la +sûreté des effets du défunt curé leur parent. Comment refuser +à des indigents un service que j'avais rendu à plusieurs familles +opulentes? J'allai à Thivet; j'appelai la justice du lieu; je fis +apposer les scellés, et j'attendis l'arrivée des héritiers. Ils ne +tardèrent pas à venir; ils étaient au nombre de dix à douze. +C'étaient des femmes sans bas, sans souliers, presque sans vêtements, +qui tenaient contre leur sein des enfants entortillés de +mauvais tabliers; des vieillards couverts de haillons qui s'étaient +traînés jusque-là, portant sur leurs épaules avec un bâton, une +poignée de guenilles enveloppées dans une autre guenille; le +spectacle de la misère la plus hideuse. Imaginez, d'après cela, +la joie de ces héritiers à l'aspect d'une dizaine de mille francs +qui revenait à chacun d'eux; car, à vue de pays, la succession +du curé pouvait aller à une centaine de mille francs au moins. +On lève les scellés. Je procède, tout le jour, à l'inventaire des +effets. La nuit vient. Ces malheureux se retirent; je reste seul. +J'étais pressé de les mettre en possession de leurs lots, de les +congédier, et de revenir à mes affaires. Il y avait sous un +bureau un vieux coffre, sans couvercle et rempli de toutes +sortes de paperasses; c'étaient de vieilles lettres, des brouillons +de réponses, des quittances surannées, des reçus de rebut, des +comptes de dépenses, et d'autres chiffons de cette nature; mais, +en pareil cas, on lit tout, on ne néglige rien. Je touchais à la fin +de cette ennuyeuse révision, lorsqu'il me tomba sous les mains +un écrit assez long; et cet écrit, savez-vous ce que c'était? Un +testament! un testament signé du curé! Un testament, dont la +date était si ancienne, que ceux qu'il en nommait exécuteurs +n'existaient plus depuis vingt ans! Un testament où il rejetait +les pauvres qui dormaient autour de moi, et instituait légataires +universels les Frémins, ces riches libraires de Paris, que +tu dois connaître, toi. Je vous laisse à juger de ma surprise et +de ma douleur; car, que faire de cette pièce? La brûler? Pourquoi +non? N'avait-elle pas tous les caractères de la réprobation? +Et l'endroit où je l'avais trouvée, et les papiers avec lesquels +elle était confondue et assimilée, ne déposaient-ils pas assez +fortement contre elle, sans parler de son injustice révoltante? +Voilà ce que je me disais en moi-même; et me représentant en +même temps la désolation de ces malheureux héritiers spoliés, +frustrés de leur espérance, j'approchais tout doucement le testament +du feu; puis, d'autres idées croisaient les premières, je +ne sais quelle frayeur de me tromper dans la décision d'un cas +aussi important, la méfiance de mes lumières, la crainte +d'écouter plutôt la voix de la commisération, qui criait au fond +de mon cœur, que celle de la justice, m'arrêtaient subitement; +et je passai le reste de la nuit à délibérer sur cet acte inique +que je tins plusieurs fois au-dessus de la flamme, incertain si +je le brûlerais ou non. Ce dernier parti l'emporta; une minute +plus tôt ou plus tard, c'eût été le parti contraire. Dans ma perplexité, +je crus qu'il était sage de prendre le conseil de quelque +personne éclairée. Je monte à cheval dès la pointe du jour; je +m'achemine à toutes jambes vers la ville; je passe devant la +porte de ma maison, sans y entrer; je descends au séminaire +qui était alors occupé par des Oratoriens, entre lesquels il y en +avait un distingué par la sûreté de ses lumières et la sainteté +de ses mœurs: c'était un père Bouin, qui a laissé dans le diocèse +la réputation du plus grand casuiste.</p> + +<hr> + + +<p>Mon père en était là, lorsque le docteur Bissei entra: c'était +l'ami et le médecin de la maison. Il s'informa de la santé de +mon père, lui tâta le pouls, ajouta, retrancha à son régime, prit +une chaise, et se mit à causer avec nous.</p> + +<p>Mon père lui demanda des nouvelles de quelques-uns de ses +malades, entre autres, d'un vieux fripon d'intendant d'un M. de +La Mésangère, ancien maire de notre ville. Cet intendant avait +mis le désordre et le feu dans les affaires de son maître, avait +fait de faux emprunts sous son nom, avait égaré des titres, +s'était approprié des fonds, avait commis une infinité de friponneries +dont la plupart étaient avérées, et il était à la veille de +subir une peine infamante, sinon capitale. Cette affaire occupait +alors toute la province. Le docteur lui dit que cet homme +était fort mal, mais qu'il ne désespérait pas de le tirer d'affaire.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>C'est un très-mauvais service à lui rendre.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Et une très-mauvaise action à faire.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Une mauvaise action! Et la raison, s'il vous plaît?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>C'est qu'il y a tant de méchants dans ce monde, qu'il n'y +faut pas retenir ceux à qui il prend envie d'en sortir.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Mon affaire est de le guérir, et non de le juger; je le guérirai, +parce que c'est mon métier; ensuite le magistrat le fera +pendre, parce que c'est le sien.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Docteur, mais il y a une fonction commune à tout bon +citoyen, à vous, à moi, c'est de travailler de toute notre force +à l'avantage de la république; et il me semble que ce n'en est +pas un pour elle que le salut d'un malfaiteur, dont incessamment +les lois la délivreront.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Et à qui appartient-il de le déclarer malfaiteur? Est-ce à +moi?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Non, c'est à ses actions.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Et à qui appartient-il de connaître de ces actions? Est-ce à +moi?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Non; mais permettez, docteur, que je change un peu la +thèse, en supposant un malade dont les crimes soient de notoriété +publique. On vous appelle; vous accourez, vous ouvrez +les rideaux, et vous reconnaissez Cartouche ou Nivet<a id="FNanchor_3" name="FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">3</a>. Guérirez-vous +Cartouche ou Nivet?...</p> + +<p>Le docteur Bissei, après un moment d'incertitude, répondit +ferme qu'il le guérirait; qu'il oublierait le nom du malade, pour +ne s'occuper que du caractère de la maladie; que c'était la +seule chose dont il lui fût permis de connaître; que s'il faisait +un pas au delà, bientôt il ne saurait plus où s'arrêter; que ce +serait abandonner la vie des hommes à la merci de l'ignorance, +des passions, du préjugé, si l'ordonnance devait être précédée +de l'examen de la vie et des mœurs du malade. «Ce que vous +me dites de Nivet, un janséniste me le dira d'un moliniste, un +catholique d'un protestant. Si vous m'écartez du lit de Cartouche, +un fanatique m'écartera du lit d'un athée. C'est bien +assez que d'avoir à doser le remède, sans avoir encore à doser +la méchanceté qui permettrait ou non de l'administrer...</p> + +<p>—Mais, docteur, lui répondis-je, si après votre belle cure, +le premier essai que le scélérat fera de sa convalescence, c'est +d'assassiner votre ami, que direz-vous? Mettez la main sur la +conscience; ne vous repentirez-vous point de l'avoir guéri? Ne +vous écrierez-vous point avec amertume: Pourquoi l'ai-je +secouru! Que ne le laissais-je mourir! N'y a-t-il pas là de quoi +empoisonner le reste de votre vie?</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Assurément, je serai consumé de douleur; mais je n'aurai +point de remords.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Et quel remords pourriez-vous avoir, je ne dis point d'avoir +tué, car il ne s'agit pas de cela; mais d'avoir laissé périr un +chien enragé? Docteur, écoutez-moi. Je suis plus intrépide que +vous; je ne me laisse point brider par de vains raisonnements. +Je suis médecin. Je regarde mon malade; en le regardant, je +reconnais un scélérat, et voici le discours que je lui tiens: +«Malheureux, dépêche-toi de mourir; c'est tout ce qui peut +t'arriver de mieux pour les autres et pour toi. Je sais bien ce +qu'il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t'oppresse, +mais je n'ai garde de l'ordonner; je ne hais pas assez mes concitoyens, +pour te renvoyer de nouveau au milieu d'eux, et me +préparer à moi-même une douleur éternelle par les nouveaux +forfaits que tu commettrais. Je ne serai point ton complice. On +punirait celui qui te recèle dans sa maison, et je croirais innocent +celui qui t'aurait sauvé! Cela ne se peut. Si j'ai un regret, +c'est qu'en te livrant à la mort je t'arrache au dernier supplice. +Je ne m'occuperai point de rendre à la vie celui dont il m'est +enjoint par l'équité naturelle, le bien de la société, le salut de +mes semblables, d'être le dénonciateur. Meurs, et qu'il ne soit +pas dit que par mon art et mes soins il existe un monstre de +plus.»</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Bonjour, papa. Ah çà, moins de café après dîner, entendez-vous?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Ah! docteur, c'est une si bonne chose que le café!</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Du moins, beaucoup, beaucoup de sucre.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Mais, docteur, ce sucre nous échauffera.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Chansons! Adieu, philosophe.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Docteur, encore un moment. Galien, qui vivait sous Marc-Aurèle, +et qui, certes, n'était pas un homme ordinaire, bien +qu'il crût aux songes, aux amulettes et aux maléfices, dit de ses +préceptes sur les moyens de conserver les nouveau-nés: «C'est +aux Grecs, aux Romains, à tous ceux qui marchent sur leurs pas +dans la carrière des sciences, que je les adresse. Pour les Germains +et le reste des barbares, ils n'en sont pas plus dignes que +les ours, les sangliers, les lions, et les autres bêtes féroces.»</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Je savais cela. Vous avez tort tous les deux; Galien, d'avoir +proféré sa sentence absurde; vous, d'en faire une autorité. Vous +n'existeriez pas, ni vous ni votre éloge ou votre critique de +Galien, si la nature n'avait pas eu d'autre secret que le sien +pour conserver les enfants des Germains.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Pendant la dernière peste de Marseille...</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p> + +<p>Dépêchez-vous, car je suis pressé.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Il y avait des brigands qui se répandaient dans les maisons, +pillant, tuant, profitant du désordre général, pour s'enrichir par +toutes sortes de crimes. Un de ces brigands fut attaqué de la +peste, et reconnu par un des fossoyeurs que la police avait +chargés d'enlever les morts. Ces gens-ci allaient, et jetaient les +cadavres dans la rue. Le fossoyeur regarde le scélérat, et lui +dit: «Ah! misérable, c'est toi;» et en même temps, il le saisit +par les pieds, et le traîne vers la fenêtre. Le scélérat lui crie: +«Je ne suis pas mort.» L'autre lui répond: «Tu es assez mort,» +et le précipite à l'instant d'un troisième étage. Docteur, sachez +que le fossoyeur qui dépêche si lestement ce méchant pestiféré, +est moins coupable à mes yeux qu'un habile médecin, comme +vous, qui l'aurait guéri; et partez.</p> + +<p class="c"><small>LE DOCTEUR.</small></p> + +<p>Cher philosophe, j'admirerai votre esprit et votre chaleur, +tant qu'il vous plaira; mais votre morale ne sera ni la mienne, +ni celle de l'abbé, je gage.</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Vous gagez à coup sûr.</p> + +<hr> + + +<p>J'allais entreprendre l'abbé; mais mon père, s'adressant à +moi, en souriant, me dit: «Tu plaides contre ta propre cause.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Comment cela?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Tu veux la mort de ce coquin d'intendant de M. de La +Mésangère, n'est-ce pas? Eh! laisse donc faire le docteur. Tu +dis quelque chose tout bas.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je dis que Bissei ne méritera jamais l'inscription que les +Romains placèrent au-dessus de la porte du médecin d'Adrien VI, +après sa mort: <i>Au libérateur de la patrie.</i></p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Et que, médecin du Mazarin, ce ministre décédé, il n'eût +pas fait dire aux charretiers, comme Guénaut: <i>Camarades, +laissons passer monsieur le docteur, c'est lui qui nous a fait la +grâce de tuer le cardinal.</i></p> + +<hr> + + +<p>Mon père sourit, et dit: «Où en étais-je de mon histoire?</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Vous en étiez au père Bouin.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Je lui expose le fait. Le père Bouin me dit: «Rien n'est plus +louable, monsieur, que le sentiment de commisération dont +vous êtes touché pour ces malheureux héritiers. Supprimez le +testament, secourez-les, j'y consens; mais c'est à la condition +de restituer au légataire universel la somme précise dont vous +l'aurez privé, ni plus, ni moins.» Mais je sens du froid entre +les épaules. Le docteur aura laissé la porte ouverte; sœurette, +va la fermer.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>J'y vais; mais j'espère que vous ne continuerez pas que je ne +sois revenue.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Cela va sans dire.</p> + +<hr> + + +<p>Ma sœur, qui s'était fait attendre quelque temps, dit en +rentrant, avec un peu d'humeur: C'est ce fou qui a pendu deux +écriteaux à sa porte, sur l'un desquels on lit: <i>Maison à vendre +vingt mille francs, ou à louer douze cents francs par an, sans +bail</i>; et sur l'autre: <i>Vingt mille francs à prêter pour un an, à +six pour cent</i>.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Un fou, ma sœur? Et s'il n'y avait qu'un écriteau où vous +en voyez deux, et que l'écriteau du prêt ne fût qu'une traduction +de celui de la location? Mais laissons cela, et revenons au père +Bouin.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Le père Bouin ajouta: «Et qui est-ce qui vous a autorisé +à ôter ou à donner de la sanction aux actes? Qui est-ce qui +vous a autorisé à interpréter les intentions des morts?</p> + +<p>«—Mais, père Bouin, et le coffre?</p> + +<p>«—Qui est-ce qui vous a autorisé à décider si ce testament +a été rebuté de réflexion, ou s'il s'est égaré par méprise? Ne vous +est-il jamais arrivé d'en commettre de pareilles, et de retrouver +au fond d'un seau un papier précieux que vous y aviez jeté +d'inadvertance?</p> + +<p>«—Mais, père Bouin, et la date et l'iniquité de ce papier?</p> + +<p>«—Qui est-ce qui vous a autorisé à prononcer sur la justice +ou l'injustice de cet acte, et à regarder le legs universel comme +un don illicite, plutôt que comme une restitution ou telle autre +œuvre légitime qu'il vous plaira d'imaginer?</p> + +<p>«—Mais, père Bouin, et ces héritiers immédiats et pauvres, +et ce collatéral éloigné et riche?</p> + +<p>«—Qui est-ce qui vous a autorisé à peser ce que le défunt +devait à ses proches, que vous ne connaissez pas davantage?</p> + +<p>«—Mais, père Bouin, et ce tas de lettres du légataire, que +le défunt ne s'était pas seulement donné la peine d'ouvrir!...»</p> + +<p>Une circonstance que j'avais oubliée de vous dire, ajouta +mon père, c'est que dans l'amas de paperasses, entre lesquelles +je trouvai ce fatal testament, il y avait vingt, trente, je ne sais +combien de lettres des Frémins, toutes cachetées.</p> + +<p>«Il n'y a, dit le père Bouin, ni coffre, ni date, ni lettres, ni +père Bouin, ni si, ni mais, qui tienne; il n'est permis à personne +d'enfreindre les lois, d'entrer dans la pensée des morts, et de +disposer du bien d'autrui. Si la Providence a résolu de châtier +ou l'héritier ou le légataire, ou le défunt, car on ne sait lequel, +par la conservation fortuite de ce testament, il faut qu'il reste.»</p> + +<p>Après une décision aussi nette, aussi précise de l'homme le +plus éclairé de notre clergé, je demeurai stupéfait et tremblant, +songeant en moi-même à ce que je devenais, à ce que vous +deveniez, mes enfants, s'il me fût arrivé de brûler le testament, +comme j'en avais été tenté dix fois; d'être ensuite tourmenté +de scrupules, et d'aller consulter le père Bouin. J'aurais restitué; +oh! j'aurais restitué; rien n'est plus sûr, et vous étiez ruinés.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Mais, mon père, il fallut, après cela, s'en revenir au presbytère, +et annoncer à cette troupe d'indigents qu'il n'y avait +rien là qui leur appartînt, et qu'ils pouvaient s'en retourner +comme ils étaient venus. Avec l'âme compatissante que vous +avez, comment en eûtes-vous le courage?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Ma foi, je n'en sais rien. Dans le premier moment, je pensai +à me départir de ma procuration, et à me remplacer par un +homme de loi; mais un homme de loi en eût usé dans toute la +rigueur, pris et chassé par les épaules ces pauvres gens dont je +pouvais peut-être alléger l'infortune. Je retournai donc le même +jour à Thivet. Mon absence subite, et les précautions que j'avais +prises en partant, avaient inquiété; l'air de tristesse avec lequel +je reparus, inquiéta bien davantage. Cependant je me contraignis, +je dissimulai de mon mieux.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>C'est-à-dire assez mal.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Je commençai par mettre à couvert tous les effets précieux. +J'assemblai dans la maison un certain nombre d'habitants, qui +me prêteraient main-forte, en cas de besoin. J'ouvris la cave et +les greniers que j'abandonnai à ces malheureux, les invitant à +boire, à manger, et à partager entre eux le vin, le blé et toutes +les autres provisions de bouche.</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Mais, mon père!...</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Je le sais, cela ne leur appartenait pas plus que le reste.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Allons donc, l'abbé, tu nous interromps.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Ensuite, pâle comme la mort, tremblant sur mes jambes, +ouvrant la bouche, et ne trouvant aucune parole, m'asseyant, +me relevant, commençant une phrase, et ne pouvant l'achever, +pleurant; tous ces gens effrayés m'environnant, s'écriant autour +de moi: «Eh bien! mon cher monsieur, qu'est-ce qu'il y a?—Qu'est-ce +qu'il y a? repris-je... Un testament, un testament +qui vous déshérite.» Ce peu de mots me coûta tant à dire, que +je me sentis presque défaillir.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Je conçois cela.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit! +Je frémis de la rappeler. Il me semble que j'entends encore les +cris de la douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des +imprécations... Ici, mon père portait ses mains sur ses yeux, +sur ses oreilles... Ces femmes, disait-il, ces femmes, je les vois; +les unes se roulaient à terre, s'arrachaient les cheveux, se +déchiraient les joues et les mamelles; les autres écumaient, +tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur écacher la tête +contre le pavé, si on les eût laissé faire; les hommes saisissaient, +renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les +mains; ils menaçaient de mettre le feu à la maison; d'autres, +en rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s'ils +y eussent cherché le cadavre du curé pour le déchirer; et, tout +au travers de ce tumulte, c'étaient les cris aigus des enfants +qui partageaient, sans savoir pourquoi, le désespoir de leurs +parents, qui s'attachaient à leurs vêtements, et qui en étaient +inhumainement repoussés. Je ne crois pas avoir jamais autant +souffert de ma vie.</p> + +<p>Cependant j'avais écrit au légataire de Paris, je l'instruisais +de tout et je le pressais de faire diligence, le seul moyen de +prévenir quelque accident qu'il ne serait pas en mon pouvoir +d'empêcher.</p> + +<p>J'avais un peu calmé les malheureux par l'espérance dont je +me flattais, en effet, d'obtenir du légataire une renonciation +complète à ses droits ou de l'amener à quelque traitement favorable; +et je les avais dispersés dans les chaumières les plus +éloignées du village.</p> + +<p>Le Frémin de Paris arriva; je le regardai fixement et je lui +trouvai une physionomie dure qui ne promettait rien de bon.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et +petits, une large bouche, un peu de travers, un teint basané et +criblé de petite vérole?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>C'est cela. Il n'avait pas mis plus de trente heures à faire +ses soixante lieues. Je commençai par lui montrer les misérables +dont j'avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout +devant lui, en silence; les femmes pleuraient; les hommes, +appuyés sur leurs bâtons, la tête nue, avaient la main dans leurs +bonnets. Le Frémin, assis, les yeux fermés, la tête penchée et +le menton appuyé sur sa poitrine, ne les regardait pas. Je parlai +en leur faveur de toute ma force; je ne sais où l'on prend ce +qu'on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt combien il +était incertain que cette succession lui fût légitimement acquise; +je le conjurai par son opulence, par la misère qu'il avait sous +les yeux; je crois même que je me jetai à ses pieds; je n'en pus +tirer une obole. Il me répondit qu'il n'entrait point dans +toutes ces considérations; qu'il y avait un testament; que l'histoire +de ce testament lui était indifférente, et qu'il aimait +mieux s'en rapporter à ma conduite qu'à mes discours. D'indignation, +je lui jetai les clefs au nez; il les ramassa, s'empara de +tout; et je m'en revins si troublé, si peiné, si changé, que votre +mère, qui vivait encore, crut qu'il m'était arrivé quelque grand +malheur... Ah! mes enfants! quel homme que ce Frémin!</p> + +<hr> + + +<p>Après ce récit, nous tombâmes dans le silence, chacun rêvant +à sa manière sur cette singulière aventure. Il vint quelques +visites; un ecclésiastique, dont je ne me rappelle pas le nom: +c'était un gros prieur, qui se connaissait mieux en bon vin +qu'en morale, et qui avait plus feuilleté le <i>Moyen de parvenir</i> que +les <i>Conférences de Grenoble</i>; un homme de justice, notaire et +lieutenant de police, appelé Dubois; et, peu de temps après, un +ouvrier qui demandait à parler à mon père. On le fit entrer, et +avec lui un ancien ingénieur de la province, qui vivait retiré et +qui cultivait les mathématiques, qu'il avait autrefois professées; +c'était un des voisins de l'ouvrier, l'ouvrier était chapelier.</p> + +<p>Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon +père que l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait +à lui dire. Tout le monde se leva, et il ne resta que le prieur, +l'homme de loi, le géomètre et moi, que le chapelier retint.</p> + +<p>«Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir regardé +autour de l'appartement s'il ne pouvait être entendu, c'est votre +probité et vos lumières qui m'amènent chez vous; et je ne suis +pas fâché d'y rencontrer ces autres messieurs dont je ne suis +peut-être pas connu, mais que je connais tous. Un prêtre, un +homme de loi, un savant, un philosophe et un homme de bien! +Ce serait grand hasard, si je ne trouvais pas dans des personnes +d'état si différent, et toutes également justes et éclairées, le +conseil dont j'ai besoin.»</p> + +<p>Le chapelier ajouta ensuite: «Promettez-moi d'abord de +garder le secret sur mon affaire, quel que soit le parti que je +juge à propos de suivre.»</p> + +<p>On le lui promit, et il continua.</p> + +<p>«Je n'ai point d'enfants, je n'en ai point eu de ma dernière +femme, que j'ai perdue il y a environ quinze jours. Depuis ce +temps, je ne vis pas; je ne saurais ni boire, ni manger, ni travailler, +ni dormir. Je me lève, je m'habille, je sors et je rôde +par la ville dévoré d'un souci profond. J'ai gardé ma femme +malade pendant dix-huit ans; tous les services qui ont dépendu +de moi et que sa triste situation exigeait, je les lui ai rendus. +Les dépenses que j'ai faites pour elle ont consommé le produit +de notre petit revenu et de mon travail, m'ont laissé chargé de +dettes; et je me trouverais, à sa mort, épuisé de fatigues, le +temps de mes jeunes années perdu; je ne serais, en un mot, +pas plus avancé que le premier jour de mon établissement, si +j'observais les lois et si je laissais aller à des collatéraux éloignés +la portion qui leur revient de ce qu'elle m'avait apporté +en dot: c'était un trousseau bien conditionné; car son père et +sa mère, qui aimaient beaucoup leur fille, firent pour elle tout +ce qu'ils purent, plus qu'ils ne purent; de belles et bonnes +nippes en quantité, qui sont restées toutes neuves; car la pauvre +femme n'a pas eu le temps de s'en servir; et vingt mille +francs en argent, provenus du remboursement d'un contrat constitué +sur M. Michelin, lieutenant du procureur général. À +peine la défunte a-t-elle eu les yeux fermés, que j'ai soustrait +et les nippes et l'argent. Messieurs, vous savez actuellement +mon affaire. Ai-je bien fait? Ai-je mal fait? Ma conscience n'est +pas en repos. Il me semble que j'entends là quelque chose qui +me dit: Tu as volé, tu as volé; rends, rends. Qu'en pensez-vous? +Songez, messieurs, que ma femme m'a emporté, en s'en +allant, tout ce que j'ai gagné pendant vingt ans; que je ne suis +presque plus en état de travailler; que je suis endetté, et que +si je restitue, il ne me reste que l'hôpital, si ce n'est aujourd'hui, +ce sera demain. Parlez, messieurs, j'attends votre décision. +Faut-il restituer et s'en aller à l'hôpital?</p> + +<p>—À tout seigneur, tout honneur, dit mon père, en s'inclinant +vers l'ecclésiastique; à vous, monsieur le prieur.</p> + +<p>—Mon enfant, dit le prieur au chapelier, je n'aime pas les +scrupules, cela brouille la tête et ne sert à rien; peut-être ne +fallait-il pas prendre cet argent; mais, puisque tu l'as pris, mon +avis est que tu le gardes.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Mais, monsieur le prieur, ce n'est pas là votre dernier mot?</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Ma foi si; je n'en sais pas plus long.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Vous n'avez pas été loin. À vous, monsieur le magistrat.</p> + +<p class="c"><small>LE MAGISTRAT.</small></p> + +<p>Mon ami, ta position est fâcheuse; un autre te conseillerait +peut-être d'assurer le fonds aux collatéraux de ta femme, afin +qu'en cas de mort ce fonds ne passât pas aux tiens, et de jouir, +ta vie durant, de l'usufruit. Mais il y a des lois; et ces lois ne +t'accordent ni l'usufruit, ni la propriété du capital. Crois-moi, +satisfais aux lois et sois honnête homme; à l'hôpital, s'il le +faut.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Il y a des lois! Quelles lois?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Et vous, monsieur le mathématicien, comment résolvez-vous +ce problème?</p> + +<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p> + +<p>Mon ami, ne m'as-tu pas dit que tu avais pris environ +vingt mille francs?</p> + +<p class="c"><small>LE CHAPELIER.</small></p> + +<p>Oui, monsieur.</p> + +<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p> + +<p>Et combien à peu près t'a coûté la maladie de ta femme?</p> + +<p class="c"><small>LE CHAPELIER.</small></p> + +<p>À peu près la même somme.</p> + +<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p> + +<p>Eh bien! qui de vingt mille francs paye vingt mille francs, +reste zéro.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE</small>, à moi.</p> + +<p>Et qu'en dit la philosophie?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>La philosophie se tait où la loi n'a pas le sens commun...</p> + +<p>Mon père sentit qu'il ne fallait pas me presser; et portant +tout de suite la parole au chapelier: «Maître un tel, lui dit-il, +vous nous avez confessé que depuis que vous aviez spolié la +succession de votre femme, vous aviez perdu le repos. Et à +quoi vous sert donc cet argent, qui vous a ôté le plus grand +des biens? Défaites-vous-en vite; et buvez, mangez, dormez, +travaillez, soyez heureux chez vous, si vous y pouvez tenir, ou +ailleurs, si vous ne pouvez pas tenir chez vous.»</p> + +<p>Le chapelier répliqua brusquement: «Non, monsieur, je +m'en irai à Genève.</p> + +<p>«—Et tu crois que tu laisseras le remords ici?</p> + +<p>«—Je ne sais, mais j'irai à Genève.</p> + +<p>«—Va où tu voudras, tu y trouveras ta conscience.»</p> + +<p>Le chapelier partit; sa réponse bizarre devint le sujet de +l'entretien. On convint que peut-être la distance des lieux et +du temps affaiblissait plus ou moins tous les sentiments, toutes +les sortes de consciences, même celle du crime. L'assassin, +transporté sur le rivage de la Chine, est trop loin pour apercevoir +le cadavre qu'il a laissé sanglant sur les bords de la +Seine. Le remords naît peut-être moins de l'horreur de soi que +de la crainte des autres; moins de la honte de l'action que du +blâme et du châtiment qui la suivraient s'il arrivait qu'on la +découvrît. Et quel est le criminel clandestin assez tranquille +dans l'obscurité pour ne pas redouter la trahison d'une circonstance +imprévue ou l'indiscrétion d'un mot peu réfléchi? Quelle +certitude a-t-il qu'il ne se décèlera point dans le délire de la +fièvre ou du rêve? On l'entendra sur le lieu de la scène, et il +est perdu. Ceux qui l'environneront à la Chine ne le comprendront +pas. «Mes enfants, les jours du méchant sont remplis +d'alarmes. Le repos n'est fait que pour l'homme de bien. C'est +lui seul qui vit et meurt tranquille.»</p> + +<p>Ce texte épuisé, les visites s'en allèrent; mon frère et ma +sœur rentrèrent; la conversation interrompue fut reprise, et +mon père dit: «Dieu soit loué! nous voilà ensemble. Je me +trouve bien avec les autres, mais mieux avec vous.» Puis s'adressant +à moi: «Pourquoi, me demanda-t-il, n'as-tu pas dit ton +avis au chapelier?</p> + +<p>—C'est que vous m'en avez empêché.</p> + +<p>—Ai-je mal fait?</p> + +<p>—Non, parce qu'il n'y a point de bon conseil pour un sot. +Quoi donc, est-ce que cet homme n'est pas le plus proche +parent de sa femme? Est-ce que le bien qu'il a retenu ne lui +a pas été donné en dot? Est-ce qu'il ne lui appartient pas au +titre le plus légitime? Quel est le droit de ces collatéraux?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Tu ne vois que la loi, mais tu n'en vois pas l'esprit.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je vois comme vous, mon père, le peu de sûreté des femmes, +méprisées, haïes à tort à travers de leurs maris, si la mort +saisissait ceux-ci de leurs biens. Mais qu'est-ce que cela me fait +à moi, honnête homme, qui ai bien rempli mes devoirs avec la +mienne? Ne suis-je pas assez malheureux de l'avoir perdue? +Faut-il qu'on vienne encore m'enlever sa dépouille?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Mais si tu reconnais la sagesse de la loi, il faut t'y conformer, +ce me semble.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Sans la loi il n'y a plus de vol.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Vous vous trompez, ma sœur.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Sans la loi tout est à tous, et il n'y a plus de propriété.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Vous vous trompez, mon frère.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Et qu'est-ce qui fonde donc la propriété?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Primitivement, c'est la prise de possession par le travail. La +nature a fait les bonnes lois de toute éternité; c'est une force +légitime qui en assure l'exécution; et cette force, qui peut +tout contre le méchant, ne peut rien contre l'homme de bien. +Je suis cet homme de bien; et dans ces circonstances et beaucoup +d'autres que je vous détaillerais, je la cite au tribunal +de mon cœur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de +l'équité naturelle; je l'interroge, je m'y soumets ou je l'annule.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Prêche ces principes-là sur les toits, je te promets qu'ils +feront fortune, et tu verras les belles choses qui en résulteront.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je ne les prêcherai pas; il y a des vérités qui ne sont pas +faites pour les fous; mais je les garderai pour moi.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Pour toi qui es un sage?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Assurément.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>D'après cela, je pense bien que tu n'approuveras pas autrement +la conduite que j'ai tenue dans l'affaire du curé de Thivet. +Mais toi, l'abbé, qu'en penses-tu?</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Je pense, mon père, que vous avez agi prudemment de consulter, +et d'en croire le père Bouin; et que si vous eussiez +suivi votre premier mouvement, nous étions en effet ruinés.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Et toi, grand philosophe, tu n'es pas de cet avis?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Non.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Cela est bien court. Va ton chemin.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Vous me l'ordonnez?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Sans doute.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Sans ménagement?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Sans doute.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Non, certes, lui répondis-je avec chaleur, je ne suis pas de +cet avis. Je pense, moi, que, si vous avez jamais fait une +mauvaise action dans votre vie, c'est celle-là; et que si vous +vous fussiez cru obligé à restitution envers le légataire après +avoir déchiré le testament, vous l'êtes bien davantage envers +les héritiers pour y avoir manqué.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Il faut que je l'avoue, cette action m'est toujours restée +sur le cœur; mais le père Bouin!...</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Votre père Bouin, avec toute sa réputation de science et +de sainteté, n'était qu'un mauvais raisonneur, un bigot à tête +rétrécie.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR</small>, à voix basse.</p> + +<p>Est-ce que ton projet est de nous ruiner?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Paix! paix! laisse là le père Bouin; et dis-nous tes raisons, +sans injurier personne.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Mes raisons? Elles sont simples; et les voici. Ou le testateur +a voulu supprimer l'acte qu'il avait fait dans la dureté de +son cœur, comme tout concourait à le démontrer; et vous avez +annulé sa résipiscence: ou il a voulu que cet acte atroce +eût son effet: et vous vous êtes associé à son injustice.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>À son injustice? C'est bientôt dit.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Oui, oui, à son injustice; car tout ce que le père Bouin +vous a débité ne sont que de vaines subtilités, de pauvres +conjectures, des peut-être sans aucune valeur, sans aucun +poids, auprès des circonstances qui ôtaient tout caractère de +validité à l'acte injuste que vous avez tiré de la poussière, +produit et réhabilité. Un coffre à paperasses; parmi ces paperasses +une vieille paperasse proscrite; par sa date, par son +injustice, par son mélange avec d'autres paperasses, par la +mort des exécuteurs, par le mépris des lettres du légataire, +par la richesse de ce légataire, et par la pauvreté des véritables +héritiers! Qu'oppose-t-on à cela? Une restitution présumée! +Vous verrez que ce pauvre diable de prêtre, qui n'avait pas +un sou lorsqu'il arriva dans sa cure, et qui avait passé quatre-vingts +ans de sa vie à amasser environ cent mille francs en +entassant sou sur sou, avait fait autrefois aux Frémins, chez +qui il n'avait point demeuré, et qu'il n'avait peut-être jamais +connus que de nom, un vol de cent mille francs. Et quand +ce prétendu vol eût été réel, le grand malheur que... J'aurais +brûlé cet acte d'iniquité. Il fallait le brûler, vous dis-je; il +fallait écouter votre cœur, qui n'a cessé de réclamer depuis, +et qui en savait plus que votre imbécile Bouin, dont la décision +ne prouve que l'autorité redoutable des opinions religieuses +sur les têtes les mieux organisées, et l'influence pernicieuse des +lois injustes, des faux principes sur le bon sens et l'équité +naturelle. Si vous eussiez été à côté du curé, lorsqu'il écrivit +cet inique testament, ne l'eussiez-vous pas mis en pièces? +Le sort le jette entre vos mains, et vous le conservez?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Et si le curé t'avait institué son légataire universel?...</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>L'acte odieux n'en aurait été que plus promptement +cassé.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Je n'en doute nullement; mais n'y a-t-il aucune différence +entre le donataire d'un autre, et le tien?...</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Aucune. Ils sont tous les deux justes ou injustes, honnêtes +ou malhonnêtes...</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Lorsque la loi ordonne, après le décès, l'inventaire et la +lecture de tous les papiers, sans exception, elle a son motif, +sans doute; et ce motif quel est-il?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Si j'étais caustique, je vous répondrais: de dévorer les +héritiers, en multipliant ce qu'on appelle des vacations; mais +songez que vous n'étiez point l'homme de la loi; et qu'affranchi +de toute forme juridique, vous n'aviez de fonctions à remplir +que celles de la bienfaisance et de l'équité naturelle.</p> + +<hr> + + +<p>Ma sœur se taisait; mais elle me serrait la main en signe +d'approbation. L'abbé secouait les oreilles, et mon père disait: +Et puis encore une petite injure au père Bouin. Tu crois du +moins que ma religion m'absout?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je le crois; mais tant pis pour elle.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Cet acte, que tu brûles de ton autorité privée, tu crois qu'il +aurait été déclaré valide au tribunal de la loi?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Cela se peut; mais tant pis pour la loi.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Tu crois qu'elle aurait négligé toutes ces circonstances, que +tu fais valoir avec tant de force?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je n'en sais rien; mais j'en aurais voulu avoir le cœur net. +J'y aurais sacrifié une cinquantaine de louis: ç'aurait été une +charité bien faite, et j'aurais attaqué le testament au nom de +ces pauvres héritiers.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Oh! pour cela, si tu avais été avec moi, et que tu m'en +eusses donné le conseil, quoique, dans les commencements +d'un établissement, cinquante louis ce soit une somme, il y a +tout à parier que je l'aurais suivi.</p> + +<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p> + +<p>Pour moi, j'aurais autant aimé donner cet argent aux +pauvres héritiers qu'aux gens de justice.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Et vous croyez, mon frère, qu'on aurait perdu ce procès?</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Je n'en doute pas. Les juges s'en tiennent strictement à la +loi, comme mon père et le père Bouin; et font bien. Les juges +ferment, en pareils cas, les yeux sur les circonstances, comme +mon père et le père Bouin, par l'effroi des inconvénients qui +s'ensuivraient; et font bien. Ils sacrifient quelquefois contre le +témoignage même de leur conscience, comme mon père et le +père Bouin, l'intérêt du malheureux et de l'innocent qu'ils ne +pourraient sauver sans lâcher la bride à une infinité de fripons; +et font bien. Ils redoutent, comme mon père et le père Bouin, +de prononcer un arrêt équitable dans un cas déterminé, mais +funeste dans mille autres par la multitude de désordres auxquels +il ouvrirait la porte; et font bien. Et dans le cas du testament +dont il s'agit...</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Tes raisons, comme particulières, étaient peut-être bonnes; +mais comme publiques, elles seraient mauvaises. Il y a tel +avocat peu scrupuleux, qui m'aurait dit tête à tête: Brûlez ce +testament; ce qu'il n'aurait osé écrire dans sa consultation.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>J'entends; c'était une affaire à n'être pas portée devant les +juges. Aussi, parbleu! n'y aurait-elle pas été portée, si j'avais +été à votre place.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Tu aurais préféré ta raison à la raison publique; la décision +de l'homme à celle de l'homme de loi.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Assurément. Est-ce que l'homme n'est pas antérieur à +l'homme de loi? Est-ce que la raison de l'espèce humaine n'est +pas tout autrement sacrée que la raison d'un législateur? Nous +nous appelons civilisés, et nous sommes pires que des sauvages. Il +semble qu'il nous faille encore tournoyer pendant des siècles, +d'extravagances en extravagances et d'erreurs en erreurs, pour +arriver où la première étincelle de jugement, l'instinct seul, +nous eût menés tout droit. Aussi nous nous sommes si bien +fourvoyés...</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Mon fils, mon fils, c'est un bon oreiller, que celui de la +raison; mais je trouve que ma tête repose plus doucement +encore sur celui de la religion et des lois: et point de réplique +là-dessus; car je n'ai pas besoin d'insomnie. Mais il me semble +que tu prends de l'humeur. Dis-moi donc, si j'avais brûlé le +testament, est-ce que tu m'aurais empêché de restituer?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Non, mon père; votre repos m'est un peu plus cher que +tous les biens du monde.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Ta réponse me plaît et pour cause.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Et cette cause, vous allez nous la dire?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Volontiers. Le chanoine Vigneron, ton oncle, était un +homme dur, mal avec ses confrères dont il faisait la satire continuelle +par sa conduite et par ses discours. Tu étais destiné à +lui succéder; mais, au moment de sa mort, on pensa dans la +famille qu'il valait mieux envoyer en cour de Rome, que de +faire, entre les mains du chapitre, une résignation qui ne serait +point agréée. Le courrier part. Ton oncle meurt une heure ou +deux avant l'arrivée présumée du courrier, et voilà le canonicat +et dix-huit cents francs perdus. Ta mère, tes tantes, nos parents, +nos amis étaient tous d'avis de celer la mort du chanoine. Je +rejetai ce conseil; et je fis sonner les cloches sur-le-champ.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Et vous fîtes bien.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Si j'avais écouté les bonnes femmes, et que j'en eusse eu +du remords, je vois que tu n'aurais pas balancé à me sacrifier +ton aumusse.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Sans cela. J'aurais mieux aimé être un bon philosophe, ou +rien que d'être un mauvais chanoine.</p> + +<hr> + + +<p>Le gros prieur rentra, et dit sur mes derniers mots qu'il +avait entendus: «Un mauvais chanoine! Je voudrais bien savoir +comment on est un bon ou un mauvais prieur, un bon ou un +mauvais chanoine; ce sont des états si indifférents.» Mon père +haussa les épaules, et se retira pour quelques devoirs pieux +qui lui restaient à remplir. Le prieur dit: «J'ai un peu scandalisé +le papa.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Cela se pourrait.</p> + +<p>Puis, tirant un livre de sa poche: «Il faut, ajouta-t-il, que je +vous lise quelques pages d'une description de la Sicile par le +père Labat.</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Je les connais. C'est l'histoire du <i>calzolaio</i><a id="FNanchor_4" name="FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class="fnanchor">4</a> de Messine.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Précisément.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Et ce <i>calzolaio</i>, que faisait-il?</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>L'historien raconte que, né vertueux, ami de l'ordre et de +la justice, il avait beaucoup à souffrir dans un pays où les lois +n'étaient pas seulement sans vigueur, mais sans exercice. +Chaque jour était marqué par quelque crime. Des assassins +connus marchaient tête levée, et bravaient l'indignation publique. +Des parents se désolaient sur leurs filles séduites et jetées +du déshonneur dans la misère, par la cruauté des ravisseurs. +Le monopole enlevait à l'homme laborieux sa subsistance et +celle de ses enfants; des concussions de toute espèce arrachaient +des larmes amères aux citoyens opprimés. Les coupables +échappaient au châtiment, ou par leur crédit, ou par leur argent, +ou par le subterfuge des formes. Le <i>calzolaio</i> voyait tout cela; +il en avait le cœur percé; et il rêvait sans cesse sur sa selle +aux moyens d'arrêter ces désordres.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Que pouvait un pauvre diable comme lui?</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Vous allez le savoir. Un jour, il établit une cour de justice +dans sa boutique.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Comment cela?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Le prieur voudrait qu'on lui expédiât un récit, comme il +expédie ses matines.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Pourquoi non? L'art oratoire veut que le récit soit bref, et +l'Évangile que la prière soit courte.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Au bruit de quelque délit atroce, il en informait; il en +poursuivait chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa +double fonction de rapporteur et de juge remplie, le procès +criminel parachevé, et la sentence prononcée, il sortait avec +une arquebuse sous son manteau; et, le jour, s'il rencontrait +les malfaiteurs dans quelques lieux écartés, ou la nuit, dans +leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement cinq ou +six balles à travers le corps.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Je crains bien que ce brave homme-là n'ait été rompu vif. +J'en suis fâché.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Après l'exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en +approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu'un +qui aurait tué un chien enragé.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là?</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition; +lorsque le vice-roi proposa deux mille écus de récompense +au délateur; et jura, en face des autels, de pardonner au +coupable s'il se déférait lui-même.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Quelque sot!</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent +sur un innocent...</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Il se présenta au vice-roi!</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Il lui tint ce discours: «J'ai fait votre devoir. C'est moi qui +ai condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir. +Voilà les procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y +verrez la marche de la procédure judiciaire que j'ai suivie. J'ai +été tenté de commencer par vous; mais j'ai respecté dans votre +personne le maître auguste que vous représentez. Ma vie est +entre vos mains, et vous en pouvez disposer.»</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Ce qui fut fait.</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p> + +<p>Je l'ignore; mais je sais qu'avec tout ce beau zèle pour la +justice, cet homme n'était qu'un meurtrier.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Un meurtrier! le mot est dur: quel autre nom pourrait-on +lui donner, s'il avait assassiné des gens de bien?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>Le beau délire!</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Il serait à souhaiter...</p> + +<p class="c"><small>MON FRÈRE</small>, à moi.</p> + +<p>Vous êtes le souverain: cette affaire est soumise à votre +décision; quelle sera-t-elle?</p> + +<p class="c"><small>MOI.</small></p> + +<p>L'abbé, vous me tendez un piége; et je veux bien y donner. +Je condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le +savetier à prendre la place du vice-roi.</p> + +<p class="c"><small>MA SŒUR.</small></p> + +<p>Fort bien, mon frère.</p> + +<hr> + + +<p>Mon père reparut avec ce visage serein qu'il avait toujours +après la prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence +de l'abbé. Ma sœur ajouta: «et voilà Messine privée, sinon du +seul homme juste, du moins du seul brave citoyen qu'il y eût. +Cela m'afflige.»</p> + +<p>On servit; on disputa encore un peu contre moi; on plaisanta +beaucoup le prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de +cas qu'il faisait des prieurs et des chanoines. On lui proposa le +cas du testament; au lieu de le résoudre, il nous raconta un +fait qui lui était personnel.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Vous vous rappelez l'énorme faillite du changeur Bourmont.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Si je me rappelle! j'y étais pour quelque chose.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Tant mieux!</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Pourquoi tant mieux?</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>C'est que, si j'ai mal fait, ma conscience en sera soulagée +d'autant. Je fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi +les effets actifs de Bourmont un billet de cent écus sur un +pauvre marchand grènetier son voisin. Ce billet, partagé au +prorata de la multitude des créanciers, n'allait pas à douze sous +pour chacun d'eux; et exigé du grènetier, c'était sa ruine. Je +supposai...</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Que chaque créancier n'aurait pas refusé 12 sous à ce +malheureux; vous déchirâtes le billet, et vous fîtes l'aumône +de ma bourse.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Il est vrai; en êtes-vous fâché?</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Non.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Ayez la bonté de croire que les autres n'en seraient pas plus +fâchés que vous; et tout sera dit.</p> + +<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p> + +<p>Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité +privée un billet, pourquoi n'en lacérerez-vous pas deux, trois, +quatre; tout autant qu'il se trouvera d'indigents à secourir aux +dépens d'autrui? Ce principe de commisération peut nous mener +loin, monsieur le prieur: la justice, la justice...</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>On l'a dit, est souvent une grande injustice.</p> + +<hr> + + +<p>Une jeune femme, qui occupait le premier, descendit; c'était +la gaieté et la folie en personne. Mon père lui demanda des +nouvelles de son mari: ce mari était un libertin qui avait donné +à sa femme l'exemple des mauvaises mœurs, qu'elle avait, je +crois, un peu suivi; et qui, pour échapper à la poursuite de ses +créanciers, s'en était allé à la Martinique. M<sup>me</sup> d'Isigny, c'était le +nom de notre locataire, répondit à mon père: «M. d'Isigny? Dieu +merci! je n'en ai plus entendu parler; il est peut-être noyé.</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Noyé! je vous en félicite.</p> + +<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p> + +<p>Qu'est-ce que cela vous fait, monsieur l'abbé?</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Rien, mais à vous?</p> + +<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p> + +<p>Et qu'est-ce que cela me fait à moi?</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Mais, on dit...</p> + +<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p> + +<p>Et qu'est-ce qu'on dit?</p> + +<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p> + +<p>Puisque vous le voulez savoir, on dit qu'il avait surpris +quelques-unes de vos lettres.</p> + +<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p> + +<p>Et n'avais-je pas un beau recueil des siennes?...</p> + +<hr> + + +<p>Et puis voilà une querelle tout à fait comique entre le +prieur et M<sup>me</sup> d'Isigny sur les priviléges des deux sexes. +M<sup>me</sup> d'Isigny m'appela à son secours; et j'allais prouver au +prieur que le premier des deux époux qui manquait au pacte, +rendait à l'autre sa liberté; mais mon père demanda son bonnet +de nuit, rompit la conversation, et nous envoya coucher. +Lorsque ce fut à mon tour de lui souhaiter la bonne nuit, en +l'embrassant, je lui dis à l'oreille: «Mon père, c'est qu'à la +rigueur il n'y a point de lois pour le sage...</p> + +<p>—Parlez plus bas...</p> + +<p>—Toutes étant sujettes à des exceptions, c'est à lui qu'il +appartient de juger des cas où il faut s'y soumettre ou s'en +affranchir.</p> + +<p>—Je ne serais pas trop fâché, me répondit-il, qu'il y eût +dans la ville un ou deux citoyens comme toi; mais je n'y habiterais +pas, s'ils pensaient tous de même.»</p> + + + + +<h2>NOTES</h2> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a> +<a href="#FNanchor_1"> +<span class="label">[1]</span></a> Nous rétablissons ce terme familier d'après l'édition originale. Les suivantes +l'ont remplacé par <i>petite sœur</i>.</p> +</div> +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2"></a> +<a href="#FNanchor_2"> +<span class="label">[2]</span></a> Village situé entre Chaumont et Langres. (Note de l'édition de <span class="sc">Brière</span>.)</p> +</div> +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3"></a> +<a href="#FNanchor_3"> +<span class="label">[3]</span></a> On connaît Cartouche. «Son affaire n'était rien, dit l'avocat Barbier, en +comparaison de celle de Nivet,» coupable d'un grand nombre d'assassinats. Nivet +fut roué en Grève le 1<sup>er</sup> juin 1729.</p> +</div> +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4"></a> +<a href="#FNanchor_4"> +<span class="label">[4]</span></a> Cordonnier.</p> +</div> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Entretien d'un père avec ses enfants, by +Denis Diderot + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS *** + +***** This file should be named 28604-h.htm or 28604-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/2/8/6/0/28604/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. 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