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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 02:38:56 -0700
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+Project Gutenberg's Entretien d'un père avec ses enfants, by Denis Diderot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Entretien d'un père avec ses enfants
+
+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28604]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
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+
+[Extrait des OEuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat,
+5ème volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]
+
+
+
+
+ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS
+
+OU
+
+DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS.
+
+(Publié en 1773)
+
+
+
+
+NOTICE PRÉLIMINAIRE
+
+
+On lit dans la _Correspondance_ de Grimm, mars 1771:
+
+«M. Diderot, maître coutelier à Langres, mourut en 1759, généralement
+regretté dans sa ville, laissant à ses enfants une fortune honnête pour
+son état, et une réputation de vertu et de probité désirable en tout
+état. Je le vis trois mois avant sa mort. En allant à Genève, au mois de
+mars 1759, je passai exprès par Langres, et je m'applaudirai toute ma
+vie d'avoir connu ce vieillard respectable. Il laissa trois enfants: un
+fils aîné, Denis Diderot, né en 1713, c'est notre philosophe; une fille
+d'un coeur excellent et d'une fermeté de caractère peu commune, qui, dès
+l'instant de la mort de sa mère, se consacra entièrement au service de
+son père et de sa maison, et refusa, par cette raison, de se marier; un
+fils cadet qui a pris le parti de l'Église: il est chanoine de l'église
+cathédrale de Langres et un des grands saints du diocèse. C'est un homme
+d'un esprit bizarre, d'une dévotion outrée et à qui je crois peu d'idées
+et de sentiments justes. Le père aimait son fils aîné d'inclination et
+de passion; sa fille, de reconnaissance et de tendresse; et son fils
+cadet, de réflexion, par respect pour l'état qu'il avait embrassé. Voilà
+des éclaircissements qui m'ont paru devoir précéder le morceau que vous
+allez lire.»
+
+Le testament, si fâcheusement retrouvé, a servi de donnée à une pièce
+intitulée: _Une Journée de Diderot_, dont nous dirons quelques mots dans
+la _Notice_ placée en tête du _Neveu de Rameau_.
+
+
+
+
+ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS
+
+OU
+
+DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS
+
+
+Mon père, homme d'un excellent jugement, mais homme pieux, était renommé
+dans sa province pour sa probité rigoureuse. Il fut, plus d'une fois,
+choisi pour arbitre entre ses concitoyens; et des étrangers qu'il ne
+connaissait pas lui confièrent souvent l'exécution de leurs dernières
+volontés. Les pauvres pleurèrent sa perte, lorsqu'il mourut. Pendant sa
+maladie, les grands et les petits marquèrent l'intérêt qu'ils prenaient
+à sa conservation. Lorsqu'on sut qu'il approchait de sa fin, toute la
+ville fut attristée. Son image sera toujours présente à ma mémoire; il
+me semble que je le vois dans son fauteuil à bras, avec son maintien
+tranquille et son visage serein. Il me semble que je l'entends encore.
+Voici l'histoire d'une de nos soirées, et un modèle de l'emploi des
+autres.
+
+ * * * * *
+
+C'était en hiver. Nous étions assis autour de lui, devant le feu,
+l'abbé, ma soeur et moi. Il me disait, à la suite d'une conversation sur
+les inconvénients de la célébrité: «Mon fils, nous avons fait tous les
+deux du bruit dans le monde, avec cette différence que le bruit que vous
+faisiez avec votre outil vous ôtait le repos; et que celui que je
+faisais avec le mien ôtait le repos aux autres.» Après cette
+plaisanterie, bonne ou mauvaise, du vieux forgeron, il se mit à rêver, à
+nous regarder avec une attention tout à fait marquée, et l'abbé lui dit:
+«Mon père, à quoi rêvez-vous?
+
+--Je rêve, lui répondit-il, que la réputation d'homme de bien, la plus
+désirable de toutes, a ses périls, même pour celui qui la mérite.» Puis,
+après une courte pause, il ajouta: «J'en frémis encore, quand j'y
+pense... Le croiriez-vous, mes enfants? Une fois dans ma vie, j'ai été
+sur le point de vous ruiner; oui, de vous ruiner de fond en comble.
+
+L'ABBÉ.
+
+Et comment cela?
+
+MON PÈRE.
+
+Comment? Le voici...
+
+Avant que je commence (dit-il à sa fille), soeurette[1], relève mon
+oreiller qui est descendu trop bas; (à moi) et toi, ferme les pans de ma
+robe de chambre, car le feu me brûle les jambes... Vous avez tous connu
+le curé de Thivet[2]?
+
+MA SOEUR.
+
+Ce bon vieux prêtre, qui, à l'âge de cent ans, faisait ses quatre lieues
+dans la matinée?
+
+L'ABBÉ.
+
+Qui s'éteignit à cent et un ans, en apprenant la mort d'un frère qui
+demeurait avec lui, et qui en avait quatre-vingt-dix-neuf?
+
+MON PÈRE.
+
+Lui-même.
+
+L'ABBÉ.
+
+Eh bien?
+
+MON PÈRE.
+
+Eh bien, ses héritiers, gens pauvres et dispersés sur les grands
+chemins, dans les campagnes, aux portes des églises où ils mendiaient
+leur vie, m'envoyèrent une procuration, qui m'autorisait à me
+transporter sur les lieux, et à pourvoir à la sûreté des effets du
+défunt curé leur parent. Comment refuser à des indigents un service que
+j'avais rendu à plusieurs familles opulentes? J'allai à Thivet;
+j'appelai la justice du lieu; je fis apposer les scellés, et j'attendis
+l'arrivée des héritiers. Ils ne tardèrent pas à venir; ils étaient au
+nombre de dix à douze. C'étaient des femmes sans bas, sans souliers,
+presque sans vêtements, qui tenaient contre leur sein des enfants
+entortillés de mauvais tabliers; des vieillards couverts de haillons qui
+s'étaient traînés jusque-là, portant sur leurs épaules avec un bâton,
+une poignée de guenilles enveloppées dans une autre guenille; le
+spectacle de la misère la plus hideuse. Imaginez, d'après cela, la joie
+de ces héritiers à l'aspect d'une dizaine de mille francs qui revenait à
+chacun d'eux; car, à vue de pays, la succession du curé pouvait aller à
+une centaine de mille francs au moins. On lève les scellés. Je procède,
+tout le jour, à l'inventaire des effets. La nuit vient. Ces malheureux
+se retirent; je reste seul. J'étais pressé de les mettre en possession
+de leurs lots, de les congédier, et de revenir à mes affaires. Il y
+avait sous un bureau un vieux coffre, sans couvercle et rempli de toutes
+sortes de paperasses; c'étaient de vieilles lettres, des brouillons de
+réponses, des quittances surannées, des reçus de rebut, des comptes de
+dépenses, et d'autres chiffons de cette nature; mais, en pareil cas, on
+lit tout, on ne néglige rien. Je touchais à la fin de cette ennuyeuse
+révision, lorsqu'il me tomba sous les mains un écrit assez long; et cet
+écrit, savez-vous ce que c'était? Un testament! un testament signé du
+curé! Un testament, dont la date était si ancienne, que ceux qu'il en
+nommait exécuteurs n'existaient plus depuis vingt ans! Un testament où
+il rejetait les pauvres qui dormaient autour de moi, et instituait
+légataires universels les Frémins, ces riches libraires de Paris, que tu
+dois connaître, toi. Je vous laisse à juger de ma surprise et de ma
+douleur; car, que faire de cette pièce? La brûler? Pourquoi non?
+N'avait-elle pas tous les caractères de la réprobation? Et l'endroit où
+je l'avais trouvée, et les papiers avec lesquels elle était confondue et
+assimilée, ne déposaient-ils pas assez fortement contre elle, sans
+parler de son injustice révoltante? Voilà ce que je me disais en
+moi-même; et me représentant en même temps la désolation de ces
+malheureux héritiers spoliés, frustrés de leur espérance, j'approchais
+tout doucement le testament du feu; puis, d'autres idées croisaient les
+premières, je ne sais quelle frayeur de me tromper dans la décision d'un
+cas aussi important, la méfiance de mes lumières, la crainte d'écouter
+plutôt la voix de la commisération, qui criait au fond de mon coeur, que
+celle de la justice, m'arrêtaient subitement; et je passai le reste de
+la nuit à délibérer sur cet acte inique que je tins plusieurs fois
+au-dessus de la flamme, incertain si je le brûlerais ou non. Ce dernier
+parti l'emporta; une minute plus tôt ou plus tard, c'eût été le parti
+contraire. Dans ma perplexité, je crus qu'il était sage de prendre le
+conseil de quelque personne éclairée. Je monte à cheval dès la pointe du
+jour; je m'achemine à toutes jambes vers la ville; je passe devant la
+porte de ma maison, sans y entrer; je descends au séminaire qui était
+alors occupé par des Oratoriens, entre lesquels il y en avait un
+distingué par la sûreté de ses lumières et la sainteté de ses moeurs:
+c'était un père Bouin, qui a laissé dans le diocèse la réputation du
+plus grand casuiste.
+
+ * * * * *
+
+Mon père en était là, lorsque le docteur Bissei entra: c'était l'ami et
+le médecin de la maison. Il s'informa de la santé de mon père, lui tâta
+le pouls, ajouta, retrancha à son régime, prit une chaise, et se mit à
+causer avec nous.
+
+Mon père lui demanda des nouvelles de quelques-uns de ses malades, entre
+autres, d'un vieux fripon d'intendant d'un M. de La Mésangère, ancien
+maire de notre ville. Cet intendant avait mis le désordre et le feu dans
+les affaires de son maître, avait fait de faux emprunts sous son nom,
+avait égaré des titres, s'était approprié des fonds, avait commis une
+infinité de friponneries dont la plupart étaient avérées, et il était à
+la veille de subir une peine infamante, sinon capitale. Cette affaire
+occupait alors toute la province. Le docteur lui dit que cet homme était
+fort mal, mais qu'il ne désespérait pas de le tirer d'affaire.
+
+MON PÈRE.
+
+C'est un très-mauvais service à lui rendre.
+
+MOI.
+
+Et une très-mauvaise action à faire.
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Une mauvaise action! Et la raison, s'il vous plaît?
+
+MOI.
+
+C'est qu'il y a tant de méchants dans ce monde, qu'il n'y faut pas
+retenir ceux à qui il prend envie d'en sortir.
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Mon affaire est de le guérir, et non de le juger; je le guérirai, parce
+que c'est mon métier; ensuite le magistrat le fera pendre, parce que
+c'est le sien.
+
+MOI.
+
+Docteur, mais il y a une fonction commune à tout bon citoyen, à vous, à
+moi, c'est de travailler de toute notre force à l'avantage de la
+république; et il me semble que ce n'en est pas un pour elle que le
+salut d'un malfaiteur, dont incessamment les lois la délivreront.
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Et à qui appartient-il de le déclarer malfaiteur? Est-ce à moi?
+
+MOI.
+
+Non, c'est à ses actions.
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Et à qui appartient-il de connaître de ces actions? Est-ce à moi?
+
+MOI.
+
+Non; mais permettez, docteur, que je change un peu la thèse, en
+supposant un malade dont les crimes soient de notoriété publique. On
+vous appelle; vous accourez, vous ouvrez les rideaux, et vous
+reconnaissez Cartouche ou Nivet[3]. Guérirez-vous Cartouche ou Nivet?...
+
+Le docteur Bissei, après un moment d'incertitude, répondit ferme qu'il
+le guérirait; qu'il oublierait le nom du malade, pour ne s'occuper que
+du caractère de la maladie; que c'était la seule chose dont il lui fût
+permis de connaître; que s'il faisait un pas au delà, bientôt il ne
+saurait plus où s'arrêter; que ce serait abandonner la vie des hommes à
+la merci de l'ignorance, des passions, du préjugé, si l'ordonnance
+devait être précédée de l'examen de la vie et des moeurs du malade. «Ce
+que vous me dites de Nivet, un janséniste me le dira d'un moliniste, un
+catholique d'un protestant. Si vous m'écartez du lit de Cartouche, un
+fanatique m'écartera du lit d'un athée. C'est bien assez que d'avoir à
+doser le remède, sans avoir encore à doser la méchanceté qui permettrait
+ou non de l'administrer...
+
+--Mais, docteur, lui répondis-je, si après votre belle cure, le premier
+essai que le scélérat fera de sa convalescence, c'est d'assassiner votre
+ami, que direz-vous? Mettez la main sur la conscience; ne vous
+repentirez-vous point de l'avoir guéri? Ne vous écrierez-vous point avec
+amertume: Pourquoi l'ai-je secouru! Que ne le laissais-je mourir! N'y
+a-t-il pas là de quoi empoisonner le reste de votre vie?
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Assurément, je serai consumé de douleur; mais je n'aurai point de
+remords.
+
+MOI.
+
+Et quel remords pourriez-vous avoir, je ne dis point d'avoir tué, car il
+ne s'agit pas de cela; mais d'avoir laissé périr un chien enragé?
+Docteur, écoutez-moi. Je suis plus intrépide que vous; je ne me laisse
+point brider par de vains raisonnements. Je suis médecin. Je regarde mon
+malade; en le regardant, je reconnais un scélérat, et voici le discours
+que je lui tiens: «Malheureux, dépêche-toi de mourir; c'est tout ce qui
+peut t'arriver de mieux pour les autres et pour toi. Je sais bien ce
+qu'il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t'oppresse,
+mais je n'ai garde de l'ordonner; je ne hais pas assez mes concitoyens,
+pour te renvoyer de nouveau au milieu d'eux, et me préparer à moi-même
+une douleur éternelle par les nouveaux forfaits que tu commettrais. Je
+ne serai point ton complice. On punirait celui qui te recèle dans sa
+maison, et je croirais innocent celui qui t'aurait sauvé! Cela ne se
+peut. Si j'ai un regret, c'est qu'en te livrant à la mort je t'arrache
+au dernier supplice. Je ne m'occuperai point de rendre à la vie celui
+dont il m'est enjoint par l'équité naturelle, le bien de la société, le
+salut de mes semblables, d'être le dénonciateur. Meurs, et qu'il ne soit
+pas dit que par mon art et mes soins il existe un monstre de plus.»
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Bonjour, papa. Ah çà, moins de café après dîner, entendez-vous?
+
+MON PÈRE.
+
+Ah! docteur, c'est une si bonne chose que le café!
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Du moins, beaucoup, beaucoup de sucre.
+
+MA SOEUR.
+
+Mais, docteur, ce sucre nous échauffera.
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Chansons! Adieu, philosophe.
+
+MOI.
+
+Docteur, encore un moment. Galien, qui vivait sous Marc-Aurèle, et qui,
+certes, n'était pas un homme ordinaire, bien qu'il crût aux songes, aux
+amulettes et aux maléfices, dit de ses préceptes sur les moyens de
+conserver les nouveau-nés: «C'est aux Grecs, aux Romains, à tous ceux
+qui marchent sur leurs pas dans la carrière des sciences, que je les
+adresse. Pour les Germains et le reste des barbares, ils n'en sont pas
+plus dignes que les ours, les sangliers, les lions, et les autres bêtes
+féroces.»
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Je savais cela. Vous avez tort tous les deux; Galien, d'avoir proféré sa
+sentence absurde; vous, d'en faire une autorité. Vous n'existeriez pas,
+ni vous ni votre éloge ou votre critique de Galien, si la nature n'avait
+pas eu d'autre secret que le sien pour conserver les enfants des
+Germains.
+
+MOI.
+
+Pendant la dernière peste de Marseille...
+
+LE DOCTEUR BISSEI.
+
+Dépêchez-vous, car je suis pressé.
+
+MOI.
+
+Il y avait des brigands qui se répandaient dans les maisons, pillant,
+tuant, profitant du désordre général, pour s'enrichir par toutes sortes
+de crimes. Un de ces brigands fut attaqué de la peste, et reconnu par un
+des fossoyeurs que la police avait chargés d'enlever les morts. Ces
+gens-ci allaient, et jetaient les cadavres dans la rue. Le fossoyeur
+regarde le scélérat, et lui dit: «Ah! misérable, c'est toi;» et en même
+temps, il le saisit par les pieds, et le traîne vers la fenêtre. Le
+scélérat lui crie: «Je ne suis pas mort.» L'autre lui répond: «Tu es
+assez mort,» et le précipite à l'instant d'un troisième étage. Docteur,
+sachez que le fossoyeur qui dépêche si lestement ce méchant pestiféré,
+est moins coupable à mes yeux qu'un habile médecin, comme vous, qui
+l'aurait guéri; et partez.
+
+LE DOCTEUR.
+
+Cher philosophe, j'admirerai votre esprit et votre chaleur, tant qu'il
+vous plaira; mais votre morale ne sera ni la mienne, ni celle de l'abbé,
+je gage.
+
+L'ABBÉ.
+
+Vous gagez à coup sûr.
+
+ * * * * *
+
+J'allais entreprendre l'abbé; mais mon père, s'adressant à moi, en
+souriant, me dit: «Tu plaides contre ta propre cause.
+
+MOI.
+
+Comment cela?
+
+MON PÈRE.
+
+Tu veux la mort de ce coquin d'intendant de M. de La Mésangère, n'est-ce
+pas? Eh! laisse donc faire le docteur. Tu dis quelque chose tout bas.
+
+MOI.
+
+Je dis que Bissei ne méritera jamais l'inscription que les Romains
+placèrent au-dessus de la porte du médecin d'Adrien VI, après sa mort:
+_Au libérateur de la patrie._
+
+MA SOEUR.
+
+Et que, médecin du Mazarin, ce ministre décédé, il n'eût pas fait dire
+aux charretiers, comme Guénaut: _Camarades, laissons passer monsieur le
+docteur, c'est lui qui nous a fait la grâce de tuer le cardinal._
+
+ * * * * *
+
+Mon père sourit, et dit: «Où en étais-je de mon histoire?
+
+MA SOEUR.
+
+Vous en étiez au père Bouin.
+
+MON PÈRE.
+
+Je lui expose le fait. Le père Bouin me dit: «Rien n'est plus louable,
+monsieur, que le sentiment de commisération dont vous êtes touché pour
+ces malheureux héritiers. Supprimez le testament, secourez-les, j'y
+consens; mais c'est à la condition de restituer au légataire universel
+la somme précise dont vous l'aurez privé, ni plus, ni moins.» Mais je
+sens du froid entre les épaules. Le docteur aura laissé la porte
+ouverte; soeurette, va la fermer.
+
+MA SOEUR.
+
+J'y vais; mais j'espère que vous ne continuerez pas que je ne sois
+revenue.
+
+MON PÈRE.
+
+Cela va sans dire.
+
+ * * * * *
+
+Ma soeur, qui s'était fait attendre quelque temps, dit en rentrant, avec
+un peu d'humeur: C'est ce fou qui a pendu deux écriteaux à sa porte, sur
+l'un desquels on lit: _Maison à vendre vingt mille francs, ou à louer
+douze cents francs par an, sans bail_; et sur l'autre: _Vingt mille
+francs à prêter pour un an, à six pour cent_.
+
+MOI.
+
+Un fou, ma soeur? Et s'il n'y avait qu'un écriteau où vous en voyez
+deux, et que l'écriteau du prêt ne fût qu'une traduction de celui de la
+location? Mais laissons cela, et revenons au père Bouin.
+
+MON PÈRE.
+
+Le père Bouin ajouta: «Et qui est-ce qui vous a autorisé à ôter ou à
+donner de la sanction aux actes? Qui est-ce qui vous a autorisé à
+interpréter les intentions des morts?
+
+«--Mais, père Bouin, et le coffre?
+
+«--Qui est-ce qui vous a autorisé à décider si ce testament a été rebuté
+de réflexion, ou s'il s'est égaré par méprise? Ne vous est-il jamais
+arrivé d'en commettre de pareilles, et de retrouver au fond d'un seau un
+papier précieux que vous y aviez jeté d'inadvertance?
+
+«--Mais, père Bouin, et la date et l'iniquité de ce papier?
+
+«--Qui est-ce qui vous a autorisé à prononcer sur la justice ou
+l'injustice de cet acte, et à regarder le legs universel comme un don
+illicite, plutôt que comme une restitution ou telle autre oeuvre
+légitime qu'il vous plaira d'imaginer?
+
+«--Mais, père Bouin, et ces héritiers immédiats et pauvres, et ce
+collatéral éloigné et riche?
+
+«--Qui est-ce qui vous a autorisé à peser ce que le défunt devait à ses
+proches, que vous ne connaissez pas davantage?
+
+«--Mais, père Bouin, et ce tas de lettres du légataire, que le défunt ne
+s'était pas seulement donné la peine d'ouvrir!...»
+
+Une circonstance que j'avais oubliée de vous dire, ajouta mon père,
+c'est que dans l'amas de paperasses, entre lesquelles je trouvai ce
+fatal testament, il y avait vingt, trente, je ne sais combien de lettres
+des Frémins, toutes cachetées.
+
+«Il n'y a, dit le père Bouin, ni coffre, ni date, ni lettres, ni père
+Bouin, ni si, ni mais, qui tienne; il n'est permis à personne
+d'enfreindre les lois, d'entrer dans la pensée des morts, et de disposer
+du bien d'autrui. Si la Providence a résolu de châtier ou l'héritier ou
+le légataire, ou le défunt, car on ne sait lequel, par la conservation
+fortuite de ce testament, il faut qu'il reste.»
+
+Après une décision aussi nette, aussi précise de l'homme le plus éclairé
+de notre clergé, je demeurai stupéfait et tremblant, songeant en
+moi-même à ce que je devenais, à ce que vous deveniez, mes enfants, s'il
+me fût arrivé de brûler le testament, comme j'en avais été tenté dix
+fois; d'être ensuite tourmenté de scrupules, et d'aller consulter le
+père Bouin. J'aurais restitué; oh! j'aurais restitué; rien n'est plus
+sûr, et vous étiez ruinés.
+
+MA SOEUR.
+
+Mais, mon père, il fallut, après cela, s'en revenir au presbytère, et
+annoncer à cette troupe d'indigents qu'il n'y avait rien là qui leur
+appartînt, et qu'ils pouvaient s'en retourner comme ils étaient venus.
+Avec l'âme compatissante que vous avez, comment en eûtes-vous le
+courage?
+
+MON PÈRE.
+
+Ma foi, je n'en sais rien. Dans le premier moment, je pensai à me
+départir de ma procuration, et à me remplacer par un homme de loi; mais
+un homme de loi en eût usé dans toute la rigueur, pris et chassé par les
+épaules ces pauvres gens dont je pouvais peut-être alléger l'infortune.
+Je retournai donc le même jour à Thivet. Mon absence subite, et les
+précautions que j'avais prises en partant, avaient inquiété; l'air de
+tristesse avec lequel je reparus, inquiéta bien davantage. Cependant je
+me contraignis, je dissimulai de mon mieux.
+
+MOI.
+
+C'est-à-dire assez mal.
+
+MON PÈRE.
+
+Je commençai par mettre à couvert tous les effets précieux. J'assemblai
+dans la maison un certain nombre d'habitants, qui me prêteraient
+main-forte, en cas de besoin. J'ouvris la cave et les greniers que
+j'abandonnai à ces malheureux, les invitant à boire, à manger, et à
+partager entre eux le vin, le blé et toutes les autres provisions de
+bouche.
+
+L'ABBÉ.
+
+Mais, mon père!...
+
+MON PÈRE.
+
+Je le sais, cela ne leur appartenait pas plus que le reste.
+
+MOI.
+
+Allons donc, l'abbé, tu nous interromps.
+
+MON PÈRE.
+
+Ensuite, pâle comme la mort, tremblant sur mes jambes, ouvrant la
+bouche, et ne trouvant aucune parole, m'asseyant, me relevant,
+commençant une phrase, et ne pouvant l'achever, pleurant; tous ces gens
+effrayés m'environnant, s'écriant autour de moi: «Eh bien! mon cher
+monsieur, qu'est-ce qu'il y a?--Qu'est-ce qu'il y a? repris-je... Un
+testament, un testament qui vous déshérite.» Ce peu de mots me coûta
+tant à dire, que je me sentis presque défaillir.
+
+MA SOEUR.
+
+Je conçois cela.
+
+MON PÈRE.
+
+Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit! Je frémis
+de la rappeler. Il me semble que j'entends encore les cris de la
+douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des imprécations... Ici,
+mon père portait ses mains sur ses yeux, sur ses oreilles... Ces femmes,
+disait-il, ces femmes, je les vois; les unes se roulaient à terre,
+s'arrachaient les cheveux, se déchiraient les joues et les mamelles; les
+autres écumaient, tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur
+écacher la tête contre le pavé, si on les eût laissé faire; les hommes
+saisissaient, renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les
+mains; ils menaçaient de mettre le feu à la maison; d'autres, en
+rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s'ils y eussent
+cherché le cadavre du curé pour le déchirer; et, tout au travers de ce
+tumulte, c'étaient les cris aigus des enfants qui partageaient, sans
+savoir pourquoi, le désespoir de leurs parents, qui s'attachaient à
+leurs vêtements, et qui en étaient inhumainement repoussés. Je ne crois
+pas avoir jamais autant souffert de ma vie.
+
+Cependant j'avais écrit au légataire de Paris, je l'instruisais de tout
+et je le pressais de faire diligence, le seul moyen de prévenir quelque
+accident qu'il ne serait pas en mon pouvoir d'empêcher.
+
+J'avais un peu calmé les malheureux par l'espérance dont je me flattais,
+en effet, d'obtenir du légataire une renonciation complète à ses droits
+ou de l'amener à quelque traitement favorable; et je les avais dispersés
+dans les chaumières les plus éloignées du village.
+
+Le Frémin de Paris arriva; je le regardai fixement et je lui trouvai une
+physionomie dure qui ne promettait rien de bon.
+
+MOI.
+
+De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et petits, une
+large bouche, un peu de travers, un teint basané et criblé de petite
+vérole?
+
+MON PÈRE.
+
+C'est cela. Il n'avait pas mis plus de trente heures à faire ses
+soixante lieues. Je commençai par lui montrer les misérables dont
+j'avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout devant lui, en
+silence; les femmes pleuraient; les hommes, appuyés sur leurs bâtons, la
+tête nue, avaient la main dans leurs bonnets. Le Frémin, assis, les yeux
+fermés, la tête penchée et le menton appuyé sur sa poitrine, ne les
+regardait pas. Je parlai en leur faveur de toute ma force; je ne sais où
+l'on prend ce qu'on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt
+combien il était incertain que cette succession lui fût légitimement
+acquise; je le conjurai par son opulence, par la misère qu'il avait sous
+les yeux; je crois même que je me jetai à ses pieds; je n'en pus tirer
+une obole. Il me répondit qu'il n'entrait point dans toutes ces
+considérations; qu'il y avait un testament; que l'histoire de ce
+testament lui était indifférente, et qu'il aimait mieux s'en rapporter à
+ma conduite qu'à mes discours. D'indignation, je lui jetai les clefs au
+nez; il les ramassa, s'empara de tout; et je m'en revins si troublé, si
+peiné, si changé, que votre mère, qui vivait encore, crut qu'il m'était
+arrivé quelque grand malheur... Ah! mes enfants! quel homme que ce
+Frémin!
+
+ * * * * *
+
+Après ce récit, nous tombâmes dans le silence, chacun rêvant à sa
+manière sur cette singulière aventure. Il vint quelques visites; un
+ecclésiastique, dont je ne me rappelle pas le nom: c'était un gros
+prieur, qui se connaissait mieux en bon vin qu'en morale, et qui avait
+plus feuilleté le _Moyen de parvenir_ que les _Conférences de Grenoble_;
+un homme de justice, notaire et lieutenant de police, appelé Dubois; et,
+peu de temps après, un ouvrier qui demandait à parler à mon père. On le
+fit entrer, et avec lui un ancien ingénieur de la province, qui vivait
+retiré et qui cultivait les mathématiques, qu'il avait autrefois
+professées; c'était un des voisins de l'ouvrier, l'ouvrier était
+chapelier.
+
+Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon père que
+l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait à lui dire. Tout
+le monde se leva, et il ne resta que le prieur, l'homme de loi, le
+géomètre et moi, que le chapelier retint.
+
+«Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir regardé autour de
+l'appartement s'il ne pouvait être entendu, c'est votre probité et vos
+lumières qui m'amènent chez vous; et je ne suis pas fâché d'y rencontrer
+ces autres messieurs dont je ne suis peut-être pas connu, mais que je
+connais tous. Un prêtre, un homme de loi, un savant, un philosophe et un
+homme de bien! Ce serait grand hasard, si je ne trouvais pas dans des
+personnes d'état si différent, et toutes également justes et éclairées,
+le conseil dont j'ai besoin.»
+
+Le chapelier ajouta ensuite: «Promettez-moi d'abord de garder le secret
+sur mon affaire, quel que soit le parti que je juge à propos de suivre.»
+
+On le lui promit, et il continua.
+
+«Je n'ai point d'enfants, je n'en ai point eu de ma dernière femme, que
+j'ai perdue il y a environ quinze jours. Depuis ce temps, je ne vis pas;
+je ne saurais ni boire, ni manger, ni travailler, ni dormir. Je me lève,
+je m'habille, je sors et je rôde par la ville dévoré d'un souci profond.
+J'ai gardé ma femme malade pendant dix-huit ans; tous les services qui
+ont dépendu de moi et que sa triste situation exigeait, je les lui ai
+rendus. Les dépenses que j'ai faites pour elle ont consommé le produit
+de notre petit revenu et de mon travail, m'ont laissé chargé de dettes;
+et je me trouverais, à sa mort, épuisé de fatigues, le temps de mes
+jeunes années perdu; je ne serais, en un mot, pas plus avancé que le
+premier jour de mon établissement, si j'observais les lois et si je
+laissais aller à des collatéraux éloignés la portion qui leur revient de
+ce qu'elle m'avait apporté en dot: c'était un trousseau bien
+conditionné; car son père et sa mère, qui aimaient beaucoup leur fille,
+firent pour elle tout ce qu'ils purent, plus qu'ils ne purent; de belles
+et bonnes nippes en quantité, qui sont restées toutes neuves; car la
+pauvre femme n'a pas eu le temps de s'en servir; et vingt mille francs
+en argent, provenus du remboursement d'un contrat constitué sur M.
+Michelin, lieutenant du procureur général. À peine la défunte a-t-elle
+eu les yeux fermés, que j'ai soustrait et les nippes et l'argent.
+Messieurs, vous savez actuellement mon affaire. Ai-je bien fait? Ai-je
+mal fait? Ma conscience n'est pas en repos. Il me semble que j'entends
+là quelque chose qui me dit: Tu as volé, tu as volé; rends, rends. Qu'en
+pensez-vous? Songez, messieurs, que ma femme m'a emporté, en s'en
+allant, tout ce que j'ai gagné pendant vingt ans; que je ne suis presque
+plus en état de travailler; que je suis endetté, et que si je restitue,
+il ne me reste que l'hôpital, si ce n'est aujourd'hui, ce sera demain.
+Parlez, messieurs, j'attends votre décision. Faut-il restituer et s'en
+aller à l'hôpital?
+
+--À tout seigneur, tout honneur, dit mon père, en s'inclinant vers
+l'ecclésiastique; à vous, monsieur le prieur.
+
+--Mon enfant, dit le prieur au chapelier, je n'aime pas les scrupules,
+cela brouille la tête et ne sert à rien; peut-être ne fallait-il pas
+prendre cet argent; mais, puisque tu l'as pris, mon avis est que tu le
+gardes.
+
+MON PÈRE.
+
+Mais, monsieur le prieur, ce n'est pas là votre dernier mot?
+
+LE PRIEUR.
+
+Ma foi si; je n'en sais pas plus long.
+
+MON PÈRE.
+
+Vous n'avez pas été loin. À vous, monsieur le magistrat.
+
+LE MAGISTRAT.
+
+Mon ami, ta position est fâcheuse; un autre te conseillerait peut-être
+d'assurer le fonds aux collatéraux de ta femme, afin qu'en cas de mort
+ce fonds ne passât pas aux tiens, et de jouir, ta vie durant, de
+l'usufruit. Mais il y a des lois; et ces lois ne t'accordent ni
+l'usufruit, ni la propriété du capital. Crois-moi, satisfais aux lois et
+sois honnête homme; à l'hôpital, s'il le faut.
+
+MOI.
+
+Il y a des lois! Quelles lois?
+
+MON PÈRE.
+
+Et vous, monsieur le mathématicien, comment résolvez-vous ce problème?
+
+LE GÉOMÈTRE.
+
+Mon ami, ne m'as-tu pas dit que tu avais pris environ vingt mille
+francs?
+
+LE CHAPELIER.
+
+Oui, monsieur.
+
+LE GÉOMÈTRE.
+
+Et combien à peu près t'a coûté la maladie de ta femme?
+
+LE CHAPELIER.
+
+À peu près la même somme.
+
+LE GÉOMÈTRE.
+
+Eh bien! qui de vingt mille francs paye vingt mille francs, reste zéro.
+
+MON PÈRE, à moi.
+
+Et qu'en dit la philosophie?
+
+MOI.
+
+La philosophie se tait où la loi n'a pas le sens commun...
+
+Mon père sentit qu'il ne fallait pas me presser; et portant tout de
+suite la parole au chapelier: «Maître un tel, lui dit-il, vous nous avez
+confessé que depuis que vous aviez spolié la succession de votre femme,
+vous aviez perdu le repos. Et à quoi vous sert donc cet argent, qui vous
+a ôté le plus grand des biens? Défaites-vous-en vite; et buvez, mangez,
+dormez, travaillez, soyez heureux chez vous, si vous y pouvez tenir, ou
+ailleurs, si vous ne pouvez pas tenir chez vous.»
+
+Le chapelier répliqua brusquement: «Non, monsieur, je m'en irai à
+Genève.
+
+«--Et tu crois que tu laisseras le remords ici?
+
+«--Je ne sais, mais j'irai à Genève.
+
+«--Va où tu voudras, tu y trouveras ta conscience.»
+
+Le chapelier partit; sa réponse bizarre devint le sujet de l'entretien.
+On convint que peut-être la distance des lieux et du temps affaiblissait
+plus ou moins tous les sentiments, toutes les sortes de consciences,
+même celle du crime. L'assassin, transporté sur le rivage de la Chine,
+est trop loin pour apercevoir le cadavre qu'il a laissé sanglant sur les
+bords de la Seine. Le remords naît peut-être moins de l'horreur de soi
+que de la crainte des autres; moins de la honte de l'action que du blâme
+et du châtiment qui la suivraient s'il arrivait qu'on la découvrît. Et
+quel est le criminel clandestin assez tranquille dans l'obscurité pour
+ne pas redouter la trahison d'une circonstance imprévue ou
+l'indiscrétion d'un mot peu réfléchi? Quelle certitude a-t-il qu'il ne
+se décèlera point dans le délire de la fièvre ou du rêve? On l'entendra
+sur le lieu de la scène, et il est perdu. Ceux qui l'environneront à la
+Chine ne le comprendront pas. «Mes enfants, les jours du méchant sont
+remplis d'alarmes. Le repos n'est fait que pour l'homme de bien. C'est
+lui seul qui vit et meurt tranquille.»
+
+Ce texte épuisé, les visites s'en allèrent; mon frère et ma soeur
+rentrèrent; la conversation interrompue fut reprise, et mon père dit:
+«Dieu soit loué! nous voilà ensemble. Je me trouve bien avec les autres,
+mais mieux avec vous.» Puis s'adressant à moi: «Pourquoi, me
+demanda-t-il, n'as-tu pas dit ton avis au chapelier?
+
+--C'est que vous m'en avez empêché.
+
+--Ai-je mal fait?
+
+--Non, parce qu'il n'y a point de bon conseil pour un sot. Quoi donc,
+est-ce que cet homme n'est pas le plus proche parent de sa femme? Est-ce
+que le bien qu'il a retenu ne lui a pas été donné en dot? Est-ce qu'il
+ne lui appartient pas au titre le plus légitime? Quel est le droit de
+ces collatéraux?
+
+MON PÈRE.
+
+Tu ne vois que la loi, mais tu n'en vois pas l'esprit.
+
+MOI.
+
+Je vois comme vous, mon père, le peu de sûreté des femmes, méprisées,
+haïes à tort à travers de leurs maris, si la mort saisissait ceux-ci de
+leurs biens. Mais qu'est-ce que cela me fait à moi, honnête homme, qui
+ai bien rempli mes devoirs avec la mienne? Ne suis-je pas assez
+malheureux de l'avoir perdue? Faut-il qu'on vienne encore m'enlever sa
+dépouille?
+
+MON PÈRE.
+
+Mais si tu reconnais la sagesse de la loi, il faut t'y conformer, ce me
+semble.
+
+MA SOEUR.
+
+Sans la loi il n'y a plus de vol.
+
+MOI.
+
+Vous vous trompez, ma soeur.
+
+MON FRÈRE.
+
+Sans la loi tout est à tous, et il n'y a plus de propriété.
+
+MOI.
+
+Vous vous trompez, mon frère.
+
+MON FRÈRE.
+
+Et qu'est-ce qui fonde donc la propriété?
+
+MOI.
+
+Primitivement, c'est la prise de possession par le travail. La nature a
+fait les bonnes lois de toute éternité; c'est une force légitime qui en
+assure l'exécution; et cette force, qui peut tout contre le méchant, ne
+peut rien contre l'homme de bien. Je suis cet homme de bien; et dans ces
+circonstances et beaucoup d'autres que je vous détaillerais, je la cite
+au tribunal de mon coeur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de
+l'équité naturelle; je l'interroge, je m'y soumets ou je l'annule.
+
+MON PÈRE.
+
+Prêche ces principes-là sur les toits, je te promets qu'ils feront
+fortune, et tu verras les belles choses qui en résulteront.
+
+MOI.
+
+Je ne les prêcherai pas; il y a des vérités qui ne sont pas faites pour
+les fous; mais je les garderai pour moi.
+
+MON PÈRE.
+
+Pour toi qui es un sage?
+
+MOI.
+
+Assurément.
+
+MON PÈRE.
+
+D'après cela, je pense bien que tu n'approuveras pas autrement la
+conduite que j'ai tenue dans l'affaire du curé de Thivet. Mais toi,
+l'abbé, qu'en penses-tu?
+
+L'ABBÉ.
+
+Je pense, mon père, que vous avez agi prudemment de consulter, et d'en
+croire le père Bouin; et que si vous eussiez suivi votre premier
+mouvement, nous étions en effet ruinés.
+
+MON PÈRE.
+
+Et toi, grand philosophe, tu n'es pas de cet avis?
+
+MOI.
+
+Non.
+
+MON PÈRE.
+
+Cela est bien court. Va ton chemin.
+
+MOI.
+
+Vous me l'ordonnez?
+
+MON PÈRE.
+
+Sans doute.
+
+MOI.
+
+Sans ménagement?
+
+MON PÈRE.
+
+Sans doute.
+
+MOI.
+
+Non, certes, lui répondis-je avec chaleur, je ne suis pas de cet avis.
+Je pense, moi, que, si vous avez jamais fait une mauvaise action dans
+votre vie, c'est celle-là; et que si vous vous fussiez cru obligé à
+restitution envers le légataire après avoir déchiré le testament, vous
+l'êtes bien davantage envers les héritiers pour y avoir manqué.
+
+MON PÈRE.
+
+Il faut que je l'avoue, cette action m'est toujours restée sur le coeur;
+mais le père Bouin!...
+
+MOI.
+
+Votre père Bouin, avec toute sa réputation de science et de sainteté,
+n'était qu'un mauvais raisonneur, un bigot à tête rétrécie.
+
+MA SOEUR, à voix basse.
+
+Est-ce que ton projet est de nous ruiner?
+
+MON PÈRE.
+
+Paix! paix! laisse là le père Bouin; et dis-nous tes raisons, sans
+injurier personne.
+
+MOI.
+
+Mes raisons? Elles sont simples; et les voici. Ou le testateur a voulu
+supprimer l'acte qu'il avait fait dans la dureté de son coeur, comme
+tout concourait à le démontrer; et vous avez annulé sa résipiscence: ou
+il a voulu que cet acte atroce eût son effet: et vous vous êtes associé
+à son injustice.
+
+MON PÈRE.
+
+À son injustice? C'est bientôt dit.
+
+MOI.
+
+Oui, oui, à son injustice; car tout ce que le père Bouin vous a débité
+ne sont que de vaines subtilités, de pauvres conjectures, des peut-être
+sans aucune valeur, sans aucun poids, auprès des circonstances qui
+ôtaient tout caractère de validité à l'acte injuste que vous avez tiré
+de la poussière, produit et réhabilité. Un coffre à paperasses; parmi
+ces paperasses une vieille paperasse proscrite; par sa date, par son
+injustice, par son mélange avec d'autres paperasses, par la mort des
+exécuteurs, par le mépris des lettres du légataire, par la richesse de
+ce légataire, et par la pauvreté des véritables héritiers!
+Qu'oppose-t-on à cela? Une restitution présumée! Vous verrez que ce
+pauvre diable de prêtre, qui n'avait pas un sou lorsqu'il arriva dans sa
+cure, et qui avait passé quatre-vingts ans de sa vie à amasser environ
+cent mille francs en entassant sou sur sou, avait fait autrefois aux
+Frémins, chez qui il n'avait point demeuré, et qu'il n'avait peut-être
+jamais connus que de nom, un vol de cent mille francs. Et quand ce
+prétendu vol eût été réel, le grand malheur que... J'aurais brûlé cet
+acte d'iniquité. Il fallait le brûler, vous dis-je; il fallait écouter
+votre coeur, qui n'a cessé de réclamer depuis, et qui en savait plus que
+votre imbécile Bouin, dont la décision ne prouve que l'autorité
+redoutable des opinions religieuses sur les têtes les mieux organisées,
+et l'influence pernicieuse des lois injustes, des faux principes sur le
+bon sens et l'équité naturelle. Si vous eussiez été à côté du curé,
+lorsqu'il écrivit cet inique testament, ne l'eussiez-vous pas mis en
+pièces? Le sort le jette entre vos mains, et vous le conservez?
+
+MON PÈRE.
+
+Et si le curé t'avait institué son légataire universel?...
+
+MOI.
+
+L'acte odieux n'en aurait été que plus promptement cassé.
+
+MON PÈRE.
+
+Je n'en doute nullement; mais n'y a-t-il aucune différence entre le
+donataire d'un autre, et le tien?...
+
+MOI.
+
+Aucune. Ils sont tous les deux justes ou injustes, honnêtes ou
+malhonnêtes...
+
+MON PÈRE.
+
+Lorsque la loi ordonne, après le décès, l'inventaire et la lecture de
+tous les papiers, sans exception, elle a son motif, sans doute; et ce
+motif quel est-il?
+
+MOI.
+
+Si j'étais caustique, je vous répondrais: de dévorer les héritiers, en
+multipliant ce qu'on appelle des vacations; mais songez que vous n'étiez
+point l'homme de la loi; et qu'affranchi de toute forme juridique, vous
+n'aviez de fonctions à remplir que celles de la bienfaisance et de
+l'équité naturelle.
+
+ * * * * *
+
+Ma soeur se taisait; mais elle me serrait la main en signe
+d'approbation. L'abbé secouait les oreilles, et mon père disait: Et puis
+encore une petite injure au père Bouin. Tu crois du moins que ma
+religion m'absout?
+
+MOI.
+
+Je le crois; mais tant pis pour elle.
+
+MON PÈRE.
+
+Cet acte, que tu brûles de ton autorité privée, tu crois qu'il aurait
+été déclaré valide au tribunal de la loi?
+
+MOI.
+
+Cela se peut; mais tant pis pour la loi.
+
+MON PÈRE.
+
+Tu crois qu'elle aurait négligé toutes ces circonstances, que tu fais
+valoir avec tant de force?
+
+MOI.
+
+Je n'en sais rien; mais j'en aurais voulu avoir le coeur net. J'y aurais
+sacrifié une cinquantaine de louis: ç'aurait été une charité bien faite,
+et j'aurais attaqué le testament au nom de ces pauvres héritiers.
+
+MON PÈRE.
+
+Oh! pour cela, si tu avais été avec moi, et que tu m'en eusses donné le
+conseil, quoique, dans les commencements d'un établissement, cinquante
+louis ce soit une somme, il y a tout à parier que je l'aurais suivi.
+
+L'ABBÉ.
+
+Pour moi, j'aurais autant aimé donner cet argent aux pauvres héritiers
+qu'aux gens de justice.
+
+MOI.
+
+Et vous croyez, mon frère, qu'on aurait perdu ce procès?
+
+MON FRÈRE.
+
+Je n'en doute pas. Les juges s'en tiennent strictement à la loi, comme
+mon père et le père Bouin; et font bien. Les juges ferment, en pareils
+cas, les yeux sur les circonstances, comme mon père et le père Bouin,
+par l'effroi des inconvénients qui s'ensuivraient; et font bien. Ils
+sacrifient quelquefois contre le témoignage même de leur conscience,
+comme mon père et le père Bouin, l'intérêt du malheureux et de
+l'innocent qu'ils ne pourraient sauver sans lâcher la bride à une
+infinité de fripons; et font bien. Ils redoutent, comme mon père et le
+père Bouin, de prononcer un arrêt équitable dans un cas déterminé, mais
+funeste dans mille autres par la multitude de désordres auxquels il
+ouvrirait la porte; et font bien. Et dans le cas du testament dont il
+s'agit...
+
+MON PÈRE.
+
+Tes raisons, comme particulières, étaient peut-être bonnes; mais comme
+publiques, elles seraient mauvaises. Il y a tel avocat peu scrupuleux,
+qui m'aurait dit tête à tête: Brûlez ce testament; ce qu'il n'aurait osé
+écrire dans sa consultation.
+
+MOI.
+
+J'entends; c'était une affaire à n'être pas portée devant les juges.
+Aussi, parbleu! n'y aurait-elle pas été portée, si j'avais été à votre
+place.
+
+MON PÈRE.
+
+Tu aurais préféré ta raison à la raison publique; la décision de l'homme
+à celle de l'homme de loi.
+
+MOI.
+
+Assurément. Est-ce que l'homme n'est pas antérieur à l'homme de loi?
+Est-ce que la raison de l'espèce humaine n'est pas tout autrement sacrée
+que la raison d'un législateur? Nous nous appelons civilisés, et nous
+sommes pires que des sauvages. Il semble qu'il nous faille encore
+tournoyer pendant des siècles, d'extravagances en extravagances et
+d'erreurs en erreurs, pour arriver où la première étincelle de jugement,
+l'instinct seul, nous eût menés tout droit. Aussi nous nous sommes si
+bien fourvoyés...
+
+MON PÈRE.
+
+Mon fils, mon fils, c'est un bon oreiller, que celui de la raison; mais
+je trouve que ma tête repose plus doucement encore sur celui de la
+religion et des lois: et point de réplique là-dessus; car je n'ai pas
+besoin d'insomnie. Mais il me semble que tu prends de l'humeur. Dis-moi
+donc, si j'avais brûlé le testament, est-ce que tu m'aurais empêché de
+restituer?
+
+MOI.
+
+Non, mon père; votre repos m'est un peu plus cher que tous les biens du
+monde.
+
+MON PÈRE.
+
+Ta réponse me plaît et pour cause.
+
+MOI.
+
+Et cette cause, vous allez nous la dire?
+
+MON PÈRE.
+
+Volontiers. Le chanoine Vigneron, ton oncle, était un homme dur, mal
+avec ses confrères dont il faisait la satire continuelle par sa conduite
+et par ses discours. Tu étais destiné à lui succéder; mais, au moment de
+sa mort, on pensa dans la famille qu'il valait mieux envoyer en cour de
+Rome, que de faire, entre les mains du chapitre, une résignation qui ne
+serait point agréée. Le courrier part. Ton oncle meurt une heure ou deux
+avant l'arrivée présumée du courrier, et voilà le canonicat et dix-huit
+cents francs perdus. Ta mère, tes tantes, nos parents, nos amis étaient
+tous d'avis de celer la mort du chanoine. Je rejetai ce conseil; et je
+fis sonner les cloches sur-le-champ.
+
+MOI.
+
+Et vous fîtes bien.
+
+MON PÈRE.
+
+Si j'avais écouté les bonnes femmes, et que j'en eusse eu du remords, je
+vois que tu n'aurais pas balancé à me sacrifier ton aumusse.
+
+MOI.
+
+Sans cela. J'aurais mieux aimé être un bon philosophe, ou rien que
+d'être un mauvais chanoine.
+
+ * * * * *
+
+Le gros prieur rentra, et dit sur mes derniers mots qu'il avait
+entendus: «Un mauvais chanoine! Je voudrais bien savoir comment on est
+un bon ou un mauvais prieur, un bon ou un mauvais chanoine; ce sont des
+états si indifférents.» Mon père haussa les épaules, et se retira pour
+quelques devoirs pieux qui lui restaient à remplir. Le prieur dit: «J'ai
+un peu scandalisé le papa.
+
+MON FRÈRE.
+
+Cela se pourrait.
+
+Puis, tirant un livre de sa poche: «Il faut, ajouta-t-il, que je vous
+lise quelques pages d'une description de la Sicile par le père Labat.
+
+MOI.
+
+Je les connais. C'est l'histoire du _calzolaio_[4] de Messine.
+
+MON FRÈRE.
+
+Précisément.
+
+LE PRIEUR.
+
+Et ce _calzolaio_, que faisait-il?
+
+MON FRÈRE.
+
+L'historien raconte que, né vertueux, ami de l'ordre et de la justice,
+il avait beaucoup à souffrir dans un pays où les lois n'étaient pas
+seulement sans vigueur, mais sans exercice. Chaque jour était marqué par
+quelque crime. Des assassins connus marchaient tête levée, et bravaient
+l'indignation publique. Des parents se désolaient sur leurs filles
+séduites et jetées du déshonneur dans la misère, par la cruauté des
+ravisseurs. Le monopole enlevait à l'homme laborieux sa subsistance et
+celle de ses enfants; des concussions de toute espèce arrachaient des
+larmes amères aux citoyens opprimés. Les coupables échappaient au
+châtiment, ou par leur crédit, ou par leur argent, ou par le subterfuge
+des formes. Le _calzolaio_ voyait tout cela; il en avait le coeur percé;
+et il rêvait sans cesse sur sa selle aux moyens d'arrêter ces désordres.
+
+LE PRIEUR.
+
+Que pouvait un pauvre diable comme lui?
+
+MON FRÈRE.
+
+Vous allez le savoir. Un jour, il établit une cour de justice dans sa
+boutique.
+
+LE PRIEUR.
+
+Comment cela?
+
+MOI.
+
+Le prieur voudrait qu'on lui expédiât un récit, comme il expédie ses
+matines.
+
+LE PRIEUR.
+
+Pourquoi non? L'art oratoire veut que le récit soit bref, et l'Évangile
+que la prière soit courte.
+
+MON FRÈRE.
+
+Au bruit de quelque délit atroce, il en informait; il en poursuivait
+chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa double fonction de
+rapporteur et de juge remplie, le procès criminel parachevé, et la
+sentence prononcée, il sortait avec une arquebuse sous son manteau; et,
+le jour, s'il rencontrait les malfaiteurs dans quelques lieux écartés,
+ou la nuit, dans leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement
+cinq ou six balles à travers le corps.
+
+LE PRIEUR.
+
+Je crains bien que ce brave homme-là n'ait été rompu vif. J'en suis
+fâché.
+
+MON FRÈRE.
+
+Après l'exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en
+approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu'un qui aurait
+tué un chien enragé.
+
+LE PRIEUR.
+
+En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là?
+
+MON FRÈRE.
+
+On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition; lorsque le
+vice-roi proposa deux mille écus de récompense au délateur; et jura, en
+face des autels, de pardonner au coupable s'il se déférait lui-même.
+
+LE PRIEUR.
+
+Quelque sot!
+
+MON FRÈRE.
+
+Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent sur un
+innocent...
+
+LE PRIEUR.
+
+Il se présenta au vice-roi!
+
+MON FRÈRE.
+
+Il lui tint ce discours: «J'ai fait votre devoir. C'est moi qui ai
+condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir. Voilà les
+procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y verrez la marche de
+la procédure judiciaire que j'ai suivie. J'ai été tenté de commencer par
+vous; mais j'ai respecté dans votre personne le maître auguste que vous
+représentez. Ma vie est entre vos mains, et vous en pouvez disposer.»
+
+LE PRIEUR.
+
+Ce qui fut fait.
+
+MON FRÈRE.
+
+Je l'ignore; mais je sais qu'avec tout ce beau zèle pour la justice, cet
+homme n'était qu'un meurtrier.
+
+LE PRIEUR.
+
+Un meurtrier! le mot est dur: quel autre nom pourrait-on lui donner,
+s'il avait assassiné des gens de bien?
+
+MOI.
+
+Le beau délire!
+
+MA SOEUR.
+
+Il serait à souhaiter...
+
+MON FRÈRE, à moi.
+
+Vous êtes le souverain: cette affaire est soumise à votre décision;
+quelle sera-t-elle?
+
+MOI.
+
+L'abbé, vous me tendez un piége; et je veux bien y donner. Je
+condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le savetier à
+prendre la place du vice-roi.
+
+MA SOEUR.
+
+Fort bien, mon frère.
+
+ * * * * *
+
+Mon père reparut avec ce visage serein qu'il avait toujours après la
+prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence de l'abbé. Ma
+soeur ajouta: «et voilà Messine privée, sinon du seul homme juste, du
+moins du seul brave citoyen qu'il y eût. Cela m'afflige.»
+
+On servit; on disputa encore un peu contre moi; on plaisanta beaucoup le
+prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de cas qu'il faisait des
+prieurs et des chanoines. On lui proposa le cas du testament; au lieu de
+le résoudre, il nous raconta un fait qui lui était personnel.
+
+LE PRIEUR.
+
+Vous vous rappelez l'énorme faillite du changeur Bourmont.
+
+MON PÈRE.
+
+Si je me rappelle! j'y étais pour quelque chose.
+
+LE PRIEUR.
+
+Tant mieux!
+
+MON PÈRE.
+
+Pourquoi tant mieux?
+
+LE PRIEUR.
+
+C'est que, si j'ai mal fait, ma conscience en sera soulagée d'autant. Je
+fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi les effets actifs de
+Bourmont un billet de cent écus sur un pauvre marchand grènetier son
+voisin. Ce billet, partagé au prorata de la multitude des créanciers,
+n'allait pas à douze sous pour chacun d'eux; et exigé du grènetier,
+c'était sa ruine. Je supposai...
+
+MON PÈRE.
+
+Que chaque créancier n'aurait pas refusé 12 sous à ce malheureux; vous
+déchirâtes le billet, et vous fîtes l'aumône de ma bourse.
+
+LE PRIEUR.
+
+Il est vrai; en êtes-vous fâché?
+
+MON PÈRE.
+
+Non.
+
+LE PRIEUR.
+
+Ayez la bonté de croire que les autres n'en seraient pas plus fâchés que
+vous; et tout sera dit.
+
+MON PÈRE.
+
+Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité privée un
+billet, pourquoi n'en lacérerez-vous pas deux, trois, quatre; tout
+autant qu'il se trouvera d'indigents à secourir aux dépens d'autrui? Ce
+principe de commisération peut nous mener loin, monsieur le prieur: la
+justice, la justice...
+
+LE PRIEUR.
+
+On l'a dit, est souvent une grande injustice.
+
+ * * * * *
+
+Une jeune femme, qui occupait le premier, descendit; c'était la gaieté
+et la folie en personne. Mon père lui demanda des nouvelles de son mari:
+ce mari était un libertin qui avait donné à sa femme l'exemple des
+mauvaises moeurs, qu'elle avait, je crois, un peu suivi; et qui, pour
+échapper à la poursuite de ses créanciers, s'en était allé à la
+Martinique. Mme d'Isigny, c'était le nom de notre locataire, répondit à
+mon père: «M. d'Isigny? Dieu merci! je n'en ai plus entendu parler; il
+est peut-être noyé.
+
+LE PRIEUR.
+
+Noyé! je vous en félicite.
+
+MADAME D'ISIGNY.
+
+Qu'est-ce que cela vous fait, monsieur l'abbé?
+
+LE PRIEUR.
+
+Rien, mais à vous?
+
+MADAME D'ISIGNY.
+
+Et qu'est-ce que cela me fait à moi?
+
+LE PRIEUR.
+
+Mais, on dit...
+
+MADAME D'ISIGNY.
+
+Et qu'est-ce qu'on dit?
+
+LE PRIEUR.
+
+Puisque vous le voulez savoir, on dit qu'il avait surpris quelques-unes
+de vos lettres.
+
+MADAME D'ISIGNY.
+
+Et n'avais-je pas un beau recueil des siennes?...
+
+ * * * * *
+
+Et puis voilà une querelle tout à fait comique entre le prieur et Mme
+d'Isigny sur les priviléges des deux sexes. Mme d'Isigny m'appela à son
+secours; et j'allais prouver au prieur que le premier des deux époux qui
+manquait au pacte, rendait à l'autre sa liberté; mais mon père demanda
+son bonnet de nuit, rompit la conversation, et nous envoya coucher.
+Lorsque ce fut à mon tour de lui souhaiter la bonne nuit, en
+l'embrassant, je lui dis à l'oreille: «Mon père, c'est qu'à la rigueur
+il n'y a point de lois pour le sage...
+
+--Parlez plus bas...
+
+--Toutes étant sujettes à des exceptions, c'est à lui qu'il appartient
+de juger des cas où il faut s'y soumettre ou s'en affranchir.
+
+--Je ne serais pas trop fâché, me répondit-il, qu'il y eût dans la ville
+un ou deux citoyens comme toi; mais je n'y habiterais pas, s'ils
+pensaient tous de même.»
+
+
+
+
+NOTES
+
+ [1] Nous rétablissons ce terme familier d'après l'édition originale.
+ Les suivantes l'ont remplacé par _petite soeur_.
+
+ [2] Village situé entre Chaumont et Langres. (Note de l'édition de
+ BRIÈRE.)
+
+ [3] On connaît Cartouche. «Son affaire n'était rien, dit l'avocat
+ Barbier, en comparaison de celle de Nivet,» coupable d'un grand
+ nombre d'assassinats. Nivet fut roué en Grève le 1er juin 1729.
+
+ [4] Cordonnier.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Entretien d'un père avec ses enfants, by
+Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS ***
+
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+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
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+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+will be renamed.
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+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
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+1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
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+- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
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+ you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
+ Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
+ must be paid within 60 days following each date on which you
+ prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
+ returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
+ sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
+ address specified in Section 4, "Information about donations to
+ the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
+
+- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
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+ does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
+ Project Gutenberg-tm works.
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+- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
+ electronic work is discovered and reported to you within 90 days
+ of receipt of the work.
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+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
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+Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
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+effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
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+of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
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+LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
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+DAMAGE.
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
+is also defective, you may demand a refund in writing without further
+opportunities to fix the problem.
+
+1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
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+law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
+interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
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+
+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
+promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
+that arise directly or indirectly from any of the following which you do
+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+<pre>
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+Project Gutenberg's Entretien d'un père avec ses enfants, by Denis Diderot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Entretien d'un père avec ses enfants
+
+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28604]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
+
+
+
+
+
+</pre>
+
+<p class="c">[Extrait des &OElig;uvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, 5<sup>ème</sup> volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]</p>
+
+
+
+
+<h1>ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS</h1>
+
+<p class="c">OU</p>
+
+<p class="c"><big>DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS.</big></p>
+
+<p class="c">(Publié en 1773)</p>
+
+
+
+
+<h2>NOTICE PRÉLIMINAIRE</h2>
+
+
+<p>On lit dans la <i>Correspondance</i> de Grimm, mars 1771:</p>
+
+<p>«M. Diderot, maître coutelier à Langres, mourut en 1759, généralement
+regretté dans sa ville, laissant à ses enfants une fortune honnête
+pour son état, et une réputation de vertu et de probité désirable
+en tout état. Je le vis trois mois avant sa mort. En allant à Genève,
+au mois de mars 1759, je passai exprès par Langres, et je m'applaudirai
+toute ma vie d'avoir connu ce vieillard respectable. Il laissa trois
+enfants: un fils aîné, Denis Diderot, né en 1713, c'est notre philosophe;
+une fille d'un c&oelig;ur excellent et d'une fermeté de caractère peu commune,
+qui, dès l'instant de la mort de sa mère, se consacra entièrement
+au service de son père et de sa maison, et refusa, par cette raison, de
+se marier; un fils cadet qui a pris le parti de l'Église: il est chanoine
+de l'église cathédrale de Langres et un des grands saints du diocèse.
+C'est un homme d'un esprit bizarre, d'une dévotion outrée et à qui je
+crois peu d'idées et de sentiments justes. Le père aimait son fils aîné
+d'inclination et de passion; sa fille, de reconnaissance et de tendresse;
+et son fils cadet, de réflexion, par respect pour l'état qu'il avait
+embrassé. Voilà des éclaircissements qui m'ont paru devoir précéder le
+morceau que vous allez lire.»</p>
+
+<p>Le testament, si fâcheusement retrouvé, a servi de donnée à une
+pièce intitulée: <i>Une Journée de Diderot</i>, dont nous dirons quelques
+mots dans la <i>Notice</i> placée en tête du <i>Neveu de Rameau</i>.</p>
+
+
+
+
+<h2>ENTRETIEN D'UN PÈRE AVEC SES ENFANTS</h2>
+
+<p class="c">OU</p>
+
+<p class="c"><big>DU DANGER DE SE METTRE AU-DESSUS DES LOIS</big></p>
+
+
+<p>Mon père, homme d'un excellent jugement, mais homme
+pieux, était renommé dans sa province pour sa probité rigoureuse.
+Il fut, plus d'une fois, choisi pour arbitre entre ses concitoyens;
+et des étrangers qu'il ne connaissait pas lui confièrent
+souvent l'exécution de leurs dernières volontés. Les pauvres
+pleurèrent sa perte, lorsqu'il mourut. Pendant sa maladie, les
+grands et les petits marquèrent l'intérêt qu'ils prenaient à sa
+conservation. Lorsqu'on sut qu'il approchait de sa fin, toute la
+ville fut attristée. Son image sera toujours présente à ma
+mémoire; il me semble que je le vois dans son fauteuil à bras,
+avec son maintien tranquille et son visage serein. Il me semble
+que je l'entends encore. Voici l'histoire d'une de nos soirées,
+et un modèle de l'emploi des autres.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>C'était en hiver. Nous étions assis autour de lui, devant le
+feu, l'abbé, ma s&oelig;ur et moi. Il me disait, à la suite d'une conversation
+sur les inconvénients de la célébrité: «Mon fils, nous
+avons fait tous les deux du bruit dans le monde, avec cette
+différence que le bruit que vous faisiez avec votre outil vous
+ôtait le repos; et que celui que je faisais avec le mien ôtait le
+repos aux autres.» Après cette plaisanterie, bonne ou mauvaise,
+du vieux forgeron, il se mit à rêver, à nous regarder avec une
+attention tout à fait marquée, et l'abbé lui dit: «Mon père, à
+quoi rêvez-vous?</p>
+
+<p>&mdash;Je rêve, lui répondit-il, que la réputation d'homme de
+bien, la plus désirable de toutes, a ses périls, même pour celui
+qui la mérite.» Puis, après une courte pause, il ajouta: «J'en
+frémis encore, quand j'y pense... Le croiriez-vous, mes enfants?
+Une fois dans ma vie, j'ai été sur le point de vous ruiner; oui,
+de vous ruiner de fond en comble.</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Et comment cela?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Comment? Le voici...</p>
+
+<p>Avant que je commence (dit-il à sa fille), s&oelig;urette<a id="FNanchor_1" name="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a>, relève
+mon oreiller qui est descendu trop bas; (à moi) et toi, ferme les
+pans de ma robe de chambre, car le feu me brûle les jambes...
+Vous avez tous connu le curé de Thivet<a id="FNanchor_2" name="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class="fnanchor">2</a>?</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Ce bon vieux prêtre, qui, à l'âge de cent ans, faisait ses
+quatre lieues dans la matinée?</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Qui s'éteignit à cent et un ans, en apprenant la mort d'un
+frère qui demeurait avec lui, et qui en avait quatre-vingt-dix-neuf?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Lui-même.</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Eh bien?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Eh bien, ses héritiers, gens pauvres et dispersés sur les
+grands chemins, dans les campagnes, aux portes des églises où
+ils mendiaient leur vie, m'envoyèrent une procuration, qui
+m'autorisait à me transporter sur les lieux, et à pourvoir à la
+sûreté des effets du défunt curé leur parent. Comment refuser
+à des indigents un service que j'avais rendu à plusieurs familles
+opulentes? J'allai à Thivet; j'appelai la justice du lieu; je fis
+apposer les scellés, et j'attendis l'arrivée des héritiers. Ils ne
+tardèrent pas à venir; ils étaient au nombre de dix à douze.
+C'étaient des femmes sans bas, sans souliers, presque sans vêtements,
+qui tenaient contre leur sein des enfants entortillés de
+mauvais tabliers; des vieillards couverts de haillons qui s'étaient
+traînés jusque-là, portant sur leurs épaules avec un bâton, une
+poignée de guenilles enveloppées dans une autre guenille; le
+spectacle de la misère la plus hideuse. Imaginez, d'après cela,
+la joie de ces héritiers à l'aspect d'une dizaine de mille francs
+qui revenait à chacun d'eux; car, à vue de pays, la succession
+du curé pouvait aller à une centaine de mille francs au moins.
+On lève les scellés. Je procède, tout le jour, à l'inventaire des
+effets. La nuit vient. Ces malheureux se retirent; je reste seul.
+J'étais pressé de les mettre en possession de leurs lots, de les
+congédier, et de revenir à mes affaires. Il y avait sous un
+bureau un vieux coffre, sans couvercle et rempli de toutes
+sortes de paperasses; c'étaient de vieilles lettres, des brouillons
+de réponses, des quittances surannées, des reçus de rebut, des
+comptes de dépenses, et d'autres chiffons de cette nature; mais,
+en pareil cas, on lit tout, on ne néglige rien. Je touchais à la fin
+de cette ennuyeuse révision, lorsqu'il me tomba sous les mains
+un écrit assez long; et cet écrit, savez-vous ce que c'était? Un
+testament! un testament signé du curé! Un testament, dont la
+date était si ancienne, que ceux qu'il en nommait exécuteurs
+n'existaient plus depuis vingt ans! Un testament où il rejetait
+les pauvres qui dormaient autour de moi, et instituait légataires
+universels les Frémins, ces riches libraires de Paris, que
+tu dois connaître, toi. Je vous laisse à juger de ma surprise et
+de ma douleur; car, que faire de cette pièce? La brûler? Pourquoi
+non? N'avait-elle pas tous les caractères de la réprobation?
+Et l'endroit où je l'avais trouvée, et les papiers avec lesquels
+elle était confondue et assimilée, ne déposaient-ils pas assez
+fortement contre elle, sans parler de son injustice révoltante?
+Voilà ce que je me disais en moi-même; et me représentant en
+même temps la désolation de ces malheureux héritiers spoliés,
+frustrés de leur espérance, j'approchais tout doucement le testament
+du feu; puis, d'autres idées croisaient les premières, je
+ne sais quelle frayeur de me tromper dans la décision d'un cas
+aussi important, la méfiance de mes lumières, la crainte
+d'écouter plutôt la voix de la commisération, qui criait au fond
+de mon c&oelig;ur, que celle de la justice, m'arrêtaient subitement;
+et je passai le reste de la nuit à délibérer sur cet acte inique
+que je tins plusieurs fois au-dessus de la flamme, incertain si
+je le brûlerais ou non. Ce dernier parti l'emporta; une minute
+plus tôt ou plus tard, c'eût été le parti contraire. Dans ma perplexité,
+je crus qu'il était sage de prendre le conseil de quelque
+personne éclairée. Je monte à cheval dès la pointe du jour; je
+m'achemine à toutes jambes vers la ville; je passe devant la
+porte de ma maison, sans y entrer; je descends au séminaire
+qui était alors occupé par des Oratoriens, entre lesquels il y en
+avait un distingué par la sûreté de ses lumières et la sainteté
+de ses m&oelig;urs: c'était un père Bouin, qui a laissé dans le diocèse
+la réputation du plus grand casuiste.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Mon père en était là, lorsque le docteur Bissei entra: c'était
+l'ami et le médecin de la maison. Il s'informa de la santé de
+mon père, lui tâta le pouls, ajouta, retrancha à son régime, prit
+une chaise, et se mit à causer avec nous.</p>
+
+<p>Mon père lui demanda des nouvelles de quelques-uns de ses
+malades, entre autres, d'un vieux fripon d'intendant d'un M. de
+La Mésangère, ancien maire de notre ville. Cet intendant avait
+mis le désordre et le feu dans les affaires de son maître, avait
+fait de faux emprunts sous son nom, avait égaré des titres,
+s'était approprié des fonds, avait commis une infinité de friponneries
+dont la plupart étaient avérées, et il était à la veille de
+subir une peine infamante, sinon capitale. Cette affaire occupait
+alors toute la province. Le docteur lui dit que cet homme
+était fort mal, mais qu'il ne désespérait pas de le tirer d'affaire.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>C'est un très-mauvais service à lui rendre.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Et une très-mauvaise action à faire.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Une mauvaise action! Et la raison, s'il vous plaît?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>C'est qu'il y a tant de méchants dans ce monde, qu'il n'y
+faut pas retenir ceux à qui il prend envie d'en sortir.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Mon affaire est de le guérir, et non de le juger; je le guérirai,
+parce que c'est mon métier; ensuite le magistrat le fera
+pendre, parce que c'est le sien.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Docteur, mais il y a une fonction commune à tout bon
+citoyen, à vous, à moi, c'est de travailler de toute notre force
+à l'avantage de la république; et il me semble que ce n'en est
+pas un pour elle que le salut d'un malfaiteur, dont incessamment
+les lois la délivreront.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Et à qui appartient-il de le déclarer malfaiteur? Est-ce à
+moi?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Non, c'est à ses actions.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Et à qui appartient-il de connaître de ces actions? Est-ce à
+moi?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Non; mais permettez, docteur, que je change un peu la
+thèse, en supposant un malade dont les crimes soient de notoriété
+publique. On vous appelle; vous accourez, vous ouvrez
+les rideaux, et vous reconnaissez Cartouche ou Nivet<a id="FNanchor_3" name="FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">3</a>. Guérirez-vous
+Cartouche ou Nivet?...</p>
+
+<p>Le docteur Bissei, après un moment d'incertitude, répondit
+ferme qu'il le guérirait; qu'il oublierait le nom du malade, pour
+ne s'occuper que du caractère de la maladie; que c'était la
+seule chose dont il lui fût permis de connaître; que s'il faisait
+un pas au delà, bientôt il ne saurait plus où s'arrêter; que ce
+serait abandonner la vie des hommes à la merci de l'ignorance,
+des passions, du préjugé, si l'ordonnance devait être précédée
+de l'examen de la vie et des m&oelig;urs du malade. «Ce que vous
+me dites de Nivet, un janséniste me le dira d'un moliniste, un
+catholique d'un protestant. Si vous m'écartez du lit de Cartouche,
+un fanatique m'écartera du lit d'un athée. C'est bien
+assez que d'avoir à doser le remède, sans avoir encore à doser
+la méchanceté qui permettrait ou non de l'administrer...</p>
+
+<p>&mdash;Mais, docteur, lui répondis-je, si après votre belle cure,
+le premier essai que le scélérat fera de sa convalescence, c'est
+d'assassiner votre ami, que direz-vous? Mettez la main sur la
+conscience; ne vous repentirez-vous point de l'avoir guéri? Ne
+vous écrierez-vous point avec amertume: Pourquoi l'ai-je
+secouru! Que ne le laissais-je mourir! N'y a-t-il pas là de quoi
+empoisonner le reste de votre vie?</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Assurément, je serai consumé de douleur; mais je n'aurai
+point de remords.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Et quel remords pourriez-vous avoir, je ne dis point d'avoir
+tué, car il ne s'agit pas de cela; mais d'avoir laissé périr un
+chien enragé? Docteur, écoutez-moi. Je suis plus intrépide que
+vous; je ne me laisse point brider par de vains raisonnements.
+Je suis médecin. Je regarde mon malade; en le regardant, je
+reconnais un scélérat, et voici le discours que je lui tiens:
+«Malheureux, dépêche-toi de mourir; c'est tout ce qui peut
+t'arriver de mieux pour les autres et pour toi. Je sais bien ce
+qu'il y aurait à faire pour dissiper ce point de côté qui t'oppresse,
+mais je n'ai garde de l'ordonner; je ne hais pas assez mes concitoyens,
+pour te renvoyer de nouveau au milieu d'eux, et me
+préparer à moi-même une douleur éternelle par les nouveaux
+forfaits que tu commettrais. Je ne serai point ton complice. On
+punirait celui qui te recèle dans sa maison, et je croirais innocent
+celui qui t'aurait sauvé! Cela ne se peut. Si j'ai un regret,
+c'est qu'en te livrant à la mort je t'arrache au dernier supplice.
+Je ne m'occuperai point de rendre à la vie celui dont il m'est
+enjoint par l'équité naturelle, le bien de la société, le salut de
+mes semblables, d'être le dénonciateur. Meurs, et qu'il ne soit
+pas dit que par mon art et mes soins il existe un monstre de
+plus.»</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Bonjour, papa. Ah çà, moins de café après dîner, entendez-vous?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Ah! docteur, c'est une si bonne chose que le café!</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Du moins, beaucoup, beaucoup de sucre.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Mais, docteur, ce sucre nous échauffera.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Chansons! Adieu, philosophe.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Docteur, encore un moment. Galien, qui vivait sous Marc-Aurèle,
+et qui, certes, n'était pas un homme ordinaire, bien
+qu'il crût aux songes, aux amulettes et aux maléfices, dit de ses
+préceptes sur les moyens de conserver les nouveau-nés: «C'est
+aux Grecs, aux Romains, à tous ceux qui marchent sur leurs pas
+dans la carrière des sciences, que je les adresse. Pour les Germains
+et le reste des barbares, ils n'en sont pas plus dignes que
+les ours, les sangliers, les lions, et les autres bêtes féroces.»</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Je savais cela. Vous avez tort tous les deux; Galien, d'avoir
+proféré sa sentence absurde; vous, d'en faire une autorité. Vous
+n'existeriez pas, ni vous ni votre éloge ou votre critique de
+Galien, si la nature n'avait pas eu d'autre secret que le sien
+pour conserver les enfants des Germains.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Pendant la dernière peste de Marseille...</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR BISSEI.</small></p>
+
+<p>Dépêchez-vous, car je suis pressé.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Il y avait des brigands qui se répandaient dans les maisons,
+pillant, tuant, profitant du désordre général, pour s'enrichir par
+toutes sortes de crimes. Un de ces brigands fut attaqué de la
+peste, et reconnu par un des fossoyeurs que la police avait
+chargés d'enlever les morts. Ces gens-ci allaient, et jetaient les
+cadavres dans la rue. Le fossoyeur regarde le scélérat, et lui
+dit: «Ah! misérable, c'est toi;» et en même temps, il le saisit
+par les pieds, et le traîne vers la fenêtre. Le scélérat lui crie:
+«Je ne suis pas mort.» L'autre lui répond: «Tu es assez mort,»
+et le précipite à l'instant d'un troisième étage. Docteur, sachez
+que le fossoyeur qui dépêche si lestement ce méchant pestiféré,
+est moins coupable à mes yeux qu'un habile médecin, comme
+vous, qui l'aurait guéri; et partez.</p>
+
+<p class="c"><small>LE DOCTEUR.</small></p>
+
+<p>Cher philosophe, j'admirerai votre esprit et votre chaleur,
+tant qu'il vous plaira; mais votre morale ne sera ni la mienne,
+ni celle de l'abbé, je gage.</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Vous gagez à coup sûr.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>J'allais entreprendre l'abbé; mais mon père, s'adressant à
+moi, en souriant, me dit: «Tu plaides contre ta propre cause.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Comment cela?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Tu veux la mort de ce coquin d'intendant de M. de La
+Mésangère, n'est-ce pas? Eh! laisse donc faire le docteur. Tu
+dis quelque chose tout bas.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je dis que Bissei ne méritera jamais l'inscription que les
+Romains placèrent au-dessus de la porte du médecin d'Adrien VI,
+après sa mort: <i>Au libérateur de la patrie.</i></p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Et que, médecin du Mazarin, ce ministre décédé, il n'eût
+pas fait dire aux charretiers, comme Guénaut: <i>Camarades,
+laissons passer monsieur le docteur, c'est lui qui nous a fait la
+grâce de tuer le cardinal.</i></p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Mon père sourit, et dit: «Où en étais-je de mon histoire?</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Vous en étiez au père Bouin.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Je lui expose le fait. Le père Bouin me dit: «Rien n'est plus
+louable, monsieur, que le sentiment de commisération dont
+vous êtes touché pour ces malheureux héritiers. Supprimez le
+testament, secourez-les, j'y consens; mais c'est à la condition
+de restituer au légataire universel la somme précise dont vous
+l'aurez privé, ni plus, ni moins.» Mais je sens du froid entre
+les épaules. Le docteur aura laissé la porte ouverte; s&oelig;urette,
+va la fermer.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>J'y vais; mais j'espère que vous ne continuerez pas que je ne
+sois revenue.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Cela va sans dire.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Ma s&oelig;ur, qui s'était fait attendre quelque temps, dit en
+rentrant, avec un peu d'humeur: C'est ce fou qui a pendu deux
+écriteaux à sa porte, sur l'un desquels on lit: <i>Maison à vendre
+vingt mille francs, ou à louer douze cents francs par an, sans
+bail</i>; et sur l'autre: <i>Vingt mille francs à prêter pour un an, à
+six pour cent</i>.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Un fou, ma s&oelig;ur? Et s'il n'y avait qu'un écriteau où vous
+en voyez deux, et que l'écriteau du prêt ne fût qu'une traduction
+de celui de la location? Mais laissons cela, et revenons au père
+Bouin.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Le père Bouin ajouta: «Et qui est-ce qui vous a autorisé
+à ôter ou à donner de la sanction aux actes? Qui est-ce qui
+vous a autorisé à interpréter les intentions des morts?</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, père Bouin, et le coffre?</p>
+
+<p>«&mdash;Qui est-ce qui vous a autorisé à décider si ce testament
+a été rebuté de réflexion, ou s'il s'est égaré par méprise? Ne vous
+est-il jamais arrivé d'en commettre de pareilles, et de retrouver
+au fond d'un seau un papier précieux que vous y aviez jeté
+d'inadvertance?</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, père Bouin, et la date et l'iniquité de ce papier?</p>
+
+<p>«&mdash;Qui est-ce qui vous a autorisé à prononcer sur la justice
+ou l'injustice de cet acte, et à regarder le legs universel comme
+un don illicite, plutôt que comme une restitution ou telle autre
+&oelig;uvre légitime qu'il vous plaira d'imaginer?</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, père Bouin, et ces héritiers immédiats et pauvres,
+et ce collatéral éloigné et riche?</p>
+
+<p>«&mdash;Qui est-ce qui vous a autorisé à peser ce que le défunt
+devait à ses proches, que vous ne connaissez pas davantage?</p>
+
+<p>«&mdash;Mais, père Bouin, et ce tas de lettres du légataire, que
+le défunt ne s'était pas seulement donné la peine d'ouvrir!...»</p>
+
+<p>Une circonstance que j'avais oubliée de vous dire, ajouta
+mon père, c'est que dans l'amas de paperasses, entre lesquelles
+je trouvai ce fatal testament, il y avait vingt, trente, je ne sais
+combien de lettres des Frémins, toutes cachetées.</p>
+
+<p>«Il n'y a, dit le père Bouin, ni coffre, ni date, ni lettres, ni
+père Bouin, ni si, ni mais, qui tienne; il n'est permis à personne
+d'enfreindre les lois, d'entrer dans la pensée des morts, et de
+disposer du bien d'autrui. Si la Providence a résolu de châtier
+ou l'héritier ou le légataire, ou le défunt, car on ne sait lequel,
+par la conservation fortuite de ce testament, il faut qu'il reste.»</p>
+
+<p>Après une décision aussi nette, aussi précise de l'homme le
+plus éclairé de notre clergé, je demeurai stupéfait et tremblant,
+songeant en moi-même à ce que je devenais, à ce que vous
+deveniez, mes enfants, s'il me fût arrivé de brûler le testament,
+comme j'en avais été tenté dix fois; d'être ensuite tourmenté
+de scrupules, et d'aller consulter le père Bouin. J'aurais restitué;
+oh! j'aurais restitué; rien n'est plus sûr, et vous étiez ruinés.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Mais, mon père, il fallut, après cela, s'en revenir au presbytère,
+et annoncer à cette troupe d'indigents qu'il n'y avait
+rien là qui leur appartînt, et qu'ils pouvaient s'en retourner
+comme ils étaient venus. Avec l'âme compatissante que vous
+avez, comment en eûtes-vous le courage?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Ma foi, je n'en sais rien. Dans le premier moment, je pensai
+à me départir de ma procuration, et à me remplacer par un
+homme de loi; mais un homme de loi en eût usé dans toute la
+rigueur, pris et chassé par les épaules ces pauvres gens dont je
+pouvais peut-être alléger l'infortune. Je retournai donc le même
+jour à Thivet. Mon absence subite, et les précautions que j'avais
+prises en partant, avaient inquiété; l'air de tristesse avec lequel
+je reparus, inquiéta bien davantage. Cependant je me contraignis,
+je dissimulai de mon mieux.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>C'est-à-dire assez mal.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Je commençai par mettre à couvert tous les effets précieux.
+J'assemblai dans la maison un certain nombre d'habitants, qui
+me prêteraient main-forte, en cas de besoin. J'ouvris la cave et
+les greniers que j'abandonnai à ces malheureux, les invitant à
+boire, à manger, et à partager entre eux le vin, le blé et toutes
+les autres provisions de bouche.</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Mais, mon père!...</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Je le sais, cela ne leur appartenait pas plus que le reste.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Allons donc, l'abbé, tu nous interromps.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Ensuite, pâle comme la mort, tremblant sur mes jambes,
+ouvrant la bouche, et ne trouvant aucune parole, m'asseyant,
+me relevant, commençant une phrase, et ne pouvant l'achever,
+pleurant; tous ces gens effrayés m'environnant, s'écriant autour
+de moi: «Eh bien! mon cher monsieur, qu'est-ce qu'il y a?&mdash;Qu'est-ce
+qu'il y a? repris-je... Un testament, un testament
+qui vous déshérite.» Ce peu de mots me coûta tant à dire, que
+je me sentis presque défaillir.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Je conçois cela.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Quelle scène, quelle scène, mes enfants, que celle qui suivit!
+Je frémis de la rappeler. Il me semble que j'entends encore les
+cris de la douleur, de la fureur, de la rage, le hurlement des
+imprécations... Ici, mon père portait ses mains sur ses yeux,
+sur ses oreilles... Ces femmes, disait-il, ces femmes, je les vois;
+les unes se roulaient à terre, s'arrachaient les cheveux, se
+déchiraient les joues et les mamelles; les autres écumaient,
+tenaient leurs enfants par les pieds, prêtes à leur écacher la tête
+contre le pavé, si on les eût laissé faire; les hommes saisissaient,
+renversaient, cassaient tout ce qui leur tombait sous les
+mains; ils menaçaient de mettre le feu à la maison; d'autres,
+en rugissant, grattaient la terre avec leurs ongles, comme s'ils
+y eussent cherché le cadavre du curé pour le déchirer; et, tout
+au travers de ce tumulte, c'étaient les cris aigus des enfants
+qui partageaient, sans savoir pourquoi, le désespoir de leurs
+parents, qui s'attachaient à leurs vêtements, et qui en étaient
+inhumainement repoussés. Je ne crois pas avoir jamais autant
+souffert de ma vie.</p>
+
+<p>Cependant j'avais écrit au légataire de Paris, je l'instruisais
+de tout et je le pressais de faire diligence, le seul moyen de
+prévenir quelque accident qu'il ne serait pas en mon pouvoir
+d'empêcher.</p>
+
+<p>J'avais un peu calmé les malheureux par l'espérance dont je
+me flattais, en effet, d'obtenir du légataire une renonciation
+complète à ses droits ou de l'amener à quelque traitement favorable;
+et je les avais dispersés dans les chaumières les plus
+éloignées du village.</p>
+
+<p>Le Frémin de Paris arriva; je le regardai fixement et je lui
+trouvai une physionomie dure qui ne promettait rien de bon.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>De grands sourcils noirs et touffus, des yeux couverts et
+petits, une large bouche, un peu de travers, un teint basané et
+criblé de petite vérole?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>C'est cela. Il n'avait pas mis plus de trente heures à faire
+ses soixante lieues. Je commençai par lui montrer les misérables
+dont j'avais à plaider la cause. Ils étaient tous debout
+devant lui, en silence; les femmes pleuraient; les hommes,
+appuyés sur leurs bâtons, la tête nue, avaient la main dans leurs
+bonnets. Le Frémin, assis, les yeux fermés, la tête penchée et
+le menton appuyé sur sa poitrine, ne les regardait pas. Je parlai
+en leur faveur de toute ma force; je ne sais où l'on prend ce
+qu'on dit en pareil cas. Je lui fis toucher au doigt combien il
+était incertain que cette succession lui fût légitimement acquise;
+je le conjurai par son opulence, par la misère qu'il avait sous
+les yeux; je crois même que je me jetai à ses pieds; je n'en pus
+tirer une obole. Il me répondit qu'il n'entrait point dans
+toutes ces considérations; qu'il y avait un testament; que l'histoire
+de ce testament lui était indifférente, et qu'il aimait
+mieux s'en rapporter à ma conduite qu'à mes discours. D'indignation,
+je lui jetai les clefs au nez; il les ramassa, s'empara de
+tout; et je m'en revins si troublé, si peiné, si changé, que votre
+mère, qui vivait encore, crut qu'il m'était arrivé quelque grand
+malheur... Ah! mes enfants! quel homme que ce Frémin!</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Après ce récit, nous tombâmes dans le silence, chacun rêvant
+à sa manière sur cette singulière aventure. Il vint quelques
+visites; un ecclésiastique, dont je ne me rappelle pas le nom:
+c'était un gros prieur, qui se connaissait mieux en bon vin
+qu'en morale, et qui avait plus feuilleté le <i>Moyen de parvenir</i> que
+les <i>Conférences de Grenoble</i>; un homme de justice, notaire et
+lieutenant de police, appelé Dubois; et, peu de temps après, un
+ouvrier qui demandait à parler à mon père. On le fit entrer, et
+avec lui un ancien ingénieur de la province, qui vivait retiré et
+qui cultivait les mathématiques, qu'il avait autrefois professées;
+c'était un des voisins de l'ouvrier, l'ouvrier était chapelier.</p>
+
+<p>Le premier mot du chapelier fut de faire entendre à mon
+père que l'auditoire était un peu nombreux pour ce qu'il avait
+à lui dire. Tout le monde se leva, et il ne resta que le prieur,
+l'homme de loi, le géomètre et moi, que le chapelier retint.</p>
+
+<p>«Monsieur Diderot, dit-il à mon père, après avoir regardé
+autour de l'appartement s'il ne pouvait être entendu, c'est votre
+probité et vos lumières qui m'amènent chez vous; et je ne suis
+pas fâché d'y rencontrer ces autres messieurs dont je ne suis
+peut-être pas connu, mais que je connais tous. Un prêtre, un
+homme de loi, un savant, un philosophe et un homme de bien!
+Ce serait grand hasard, si je ne trouvais pas dans des personnes
+d'état si différent, et toutes également justes et éclairées, le
+conseil dont j'ai besoin.»</p>
+
+<p>Le chapelier ajouta ensuite: «Promettez-moi d'abord de
+garder le secret sur mon affaire, quel que soit le parti que je
+juge à propos de suivre.»</p>
+
+<p>On le lui promit, et il continua.</p>
+
+<p>«Je n'ai point d'enfants, je n'en ai point eu de ma dernière
+femme, que j'ai perdue il y a environ quinze jours. Depuis ce
+temps, je ne vis pas; je ne saurais ni boire, ni manger, ni travailler,
+ni dormir. Je me lève, je m'habille, je sors et je rôde
+par la ville dévoré d'un souci profond. J'ai gardé ma femme
+malade pendant dix-huit ans; tous les services qui ont dépendu
+de moi et que sa triste situation exigeait, je les lui ai rendus.
+Les dépenses que j'ai faites pour elle ont consommé le produit
+de notre petit revenu et de mon travail, m'ont laissé chargé de
+dettes; et je me trouverais, à sa mort, épuisé de fatigues, le
+temps de mes jeunes années perdu; je ne serais, en un mot,
+pas plus avancé que le premier jour de mon établissement, si
+j'observais les lois et si je laissais aller à des collatéraux éloignés
+la portion qui leur revient de ce qu'elle m'avait apporté
+en dot: c'était un trousseau bien conditionné; car son père et
+sa mère, qui aimaient beaucoup leur fille, firent pour elle tout
+ce qu'ils purent, plus qu'ils ne purent; de belles et bonnes
+nippes en quantité, qui sont restées toutes neuves; car la pauvre
+femme n'a pas eu le temps de s'en servir; et vingt mille
+francs en argent, provenus du remboursement d'un contrat constitué
+sur M. Michelin, lieutenant du procureur général. À
+peine la défunte a-t-elle eu les yeux fermés, que j'ai soustrait
+et les nippes et l'argent. Messieurs, vous savez actuellement
+mon affaire. Ai-je bien fait? Ai-je mal fait? Ma conscience n'est
+pas en repos. Il me semble que j'entends là quelque chose qui
+me dit: Tu as volé, tu as volé; rends, rends. Qu'en pensez-vous?
+Songez, messieurs, que ma femme m'a emporté, en s'en
+allant, tout ce que j'ai gagné pendant vingt ans; que je ne suis
+presque plus en état de travailler; que je suis endetté, et que
+si je restitue, il ne me reste que l'hôpital, si ce n'est aujourd'hui,
+ce sera demain. Parlez, messieurs, j'attends votre décision.
+Faut-il restituer et s'en aller à l'hôpital?</p>
+
+<p>&mdash;À tout seigneur, tout honneur, dit mon père, en s'inclinant
+vers l'ecclésiastique; à vous, monsieur le prieur.</p>
+
+<p>&mdash;Mon enfant, dit le prieur au chapelier, je n'aime pas les
+scrupules, cela brouille la tête et ne sert à rien; peut-être ne
+fallait-il pas prendre cet argent; mais, puisque tu l'as pris, mon
+avis est que tu le gardes.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Mais, monsieur le prieur, ce n'est pas là votre dernier mot?</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Ma foi si; je n'en sais pas plus long.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Vous n'avez pas été loin. À vous, monsieur le magistrat.</p>
+
+<p class="c"><small>LE MAGISTRAT.</small></p>
+
+<p>Mon ami, ta position est fâcheuse; un autre te conseillerait
+peut-être d'assurer le fonds aux collatéraux de ta femme, afin
+qu'en cas de mort ce fonds ne passât pas aux tiens, et de jouir,
+ta vie durant, de l'usufruit. Mais il y a des lois; et ces lois ne
+t'accordent ni l'usufruit, ni la propriété du capital. Crois-moi,
+satisfais aux lois et sois honnête homme; à l'hôpital, s'il le
+faut.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Il y a des lois! Quelles lois?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Et vous, monsieur le mathématicien, comment résolvez-vous
+ce problème?</p>
+
+<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p>
+
+<p>Mon ami, ne m'as-tu pas dit que tu avais pris environ
+vingt mille francs?</p>
+
+<p class="c"><small>LE CHAPELIER.</small></p>
+
+<p>Oui, monsieur.</p>
+
+<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p>
+
+<p>Et combien à peu près t'a coûté la maladie de ta femme?</p>
+
+<p class="c"><small>LE CHAPELIER.</small></p>
+
+<p>À peu près la même somme.</p>
+
+<p class="c"><small>LE GÉOMÈTRE.</small></p>
+
+<p>Eh bien! qui de vingt mille francs paye vingt mille francs,
+reste zéro.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE</small>, à moi.</p>
+
+<p>Et qu'en dit la philosophie?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>La philosophie se tait où la loi n'a pas le sens commun...</p>
+
+<p>Mon père sentit qu'il ne fallait pas me presser; et portant
+tout de suite la parole au chapelier: «Maître un tel, lui dit-il,
+vous nous avez confessé que depuis que vous aviez spolié la
+succession de votre femme, vous aviez perdu le repos. Et à
+quoi vous sert donc cet argent, qui vous a ôté le plus grand
+des biens? Défaites-vous-en vite; et buvez, mangez, dormez,
+travaillez, soyez heureux chez vous, si vous y pouvez tenir, ou
+ailleurs, si vous ne pouvez pas tenir chez vous.»</p>
+
+<p>Le chapelier répliqua brusquement: «Non, monsieur, je
+m'en irai à Genève.</p>
+
+<p>«&mdash;Et tu crois que tu laisseras le remords ici?</p>
+
+<p>«&mdash;Je ne sais, mais j'irai à Genève.</p>
+
+<p>«&mdash;Va où tu voudras, tu y trouveras ta conscience.»</p>
+
+<p>Le chapelier partit; sa réponse bizarre devint le sujet de
+l'entretien. On convint que peut-être la distance des lieux et
+du temps affaiblissait plus ou moins tous les sentiments, toutes
+les sortes de consciences, même celle du crime. L'assassin,
+transporté sur le rivage de la Chine, est trop loin pour apercevoir
+le cadavre qu'il a laissé sanglant sur les bords de la
+Seine. Le remords naît peut-être moins de l'horreur de soi que
+de la crainte des autres; moins de la honte de l'action que du
+blâme et du châtiment qui la suivraient s'il arrivait qu'on la
+découvrît. Et quel est le criminel clandestin assez tranquille
+dans l'obscurité pour ne pas redouter la trahison d'une circonstance
+imprévue ou l'indiscrétion d'un mot peu réfléchi? Quelle
+certitude a-t-il qu'il ne se décèlera point dans le délire de la
+fièvre ou du rêve? On l'entendra sur le lieu de la scène, et il
+est perdu. Ceux qui l'environneront à la Chine ne le comprendront
+pas. «Mes enfants, les jours du méchant sont remplis
+d'alarmes. Le repos n'est fait que pour l'homme de bien. C'est
+lui seul qui vit et meurt tranquille.»</p>
+
+<p>Ce texte épuisé, les visites s'en allèrent; mon frère et ma
+s&oelig;ur rentrèrent; la conversation interrompue fut reprise, et
+mon père dit: «Dieu soit loué! nous voilà ensemble. Je me
+trouve bien avec les autres, mais mieux avec vous.» Puis s'adressant
+à moi: «Pourquoi, me demanda-t-il, n'as-tu pas dit ton
+avis au chapelier?</p>
+
+<p>&mdash;C'est que vous m'en avez empêché.</p>
+
+<p>&mdash;Ai-je mal fait?</p>
+
+<p>&mdash;Non, parce qu'il n'y a point de bon conseil pour un sot.
+Quoi donc, est-ce que cet homme n'est pas le plus proche
+parent de sa femme? Est-ce que le bien qu'il a retenu ne lui
+a pas été donné en dot? Est-ce qu'il ne lui appartient pas au
+titre le plus légitime? Quel est le droit de ces collatéraux?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Tu ne vois que la loi, mais tu n'en vois pas l'esprit.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je vois comme vous, mon père, le peu de sûreté des femmes,
+méprisées, haïes à tort à travers de leurs maris, si la mort
+saisissait ceux-ci de leurs biens. Mais qu'est-ce que cela me fait
+à moi, honnête homme, qui ai bien rempli mes devoirs avec la
+mienne? Ne suis-je pas assez malheureux de l'avoir perdue?
+Faut-il qu'on vienne encore m'enlever sa dépouille?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Mais si tu reconnais la sagesse de la loi, il faut t'y conformer,
+ce me semble.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Sans la loi il n'y a plus de vol.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Vous vous trompez, ma s&oelig;ur.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Sans la loi tout est à tous, et il n'y a plus de propriété.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Vous vous trompez, mon frère.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Et qu'est-ce qui fonde donc la propriété?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Primitivement, c'est la prise de possession par le travail. La
+nature a fait les bonnes lois de toute éternité; c'est une force
+légitime qui en assure l'exécution; et cette force, qui peut
+tout contre le méchant, ne peut rien contre l'homme de bien.
+Je suis cet homme de bien; et dans ces circonstances et beaucoup
+d'autres que je vous détaillerais, je la cite au tribunal
+de mon c&oelig;ur, de ma raison, de ma conscience, au tribunal de
+l'équité naturelle; je l'interroge, je m'y soumets ou je l'annule.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Prêche ces principes-là sur les toits, je te promets qu'ils
+feront fortune, et tu verras les belles choses qui en résulteront.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je ne les prêcherai pas; il y a des vérités qui ne sont pas
+faites pour les fous; mais je les garderai pour moi.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Pour toi qui es un sage?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Assurément.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>D'après cela, je pense bien que tu n'approuveras pas autrement
+la conduite que j'ai tenue dans l'affaire du curé de Thivet.
+Mais toi, l'abbé, qu'en penses-tu?</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Je pense, mon père, que vous avez agi prudemment de consulter,
+et d'en croire le père Bouin; et que si vous eussiez
+suivi votre premier mouvement, nous étions en effet ruinés.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Et toi, grand philosophe, tu n'es pas de cet avis?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Non.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Cela est bien court. Va ton chemin.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Vous me l'ordonnez?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Sans doute.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Sans ménagement?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Sans doute.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Non, certes, lui répondis-je avec chaleur, je ne suis pas de
+cet avis. Je pense, moi, que, si vous avez jamais fait une
+mauvaise action dans votre vie, c'est celle-là; et que si vous
+vous fussiez cru obligé à restitution envers le légataire après
+avoir déchiré le testament, vous l'êtes bien davantage envers
+les héritiers pour y avoir manqué.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Il faut que je l'avoue, cette action m'est toujours restée
+sur le c&oelig;ur; mais le père Bouin!...</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Votre père Bouin, avec toute sa réputation de science et
+de sainteté, n'était qu'un mauvais raisonneur, un bigot à tête
+rétrécie.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR</small>, à voix basse.</p>
+
+<p>Est-ce que ton projet est de nous ruiner?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Paix! paix! laisse là le père Bouin; et dis-nous tes raisons,
+sans injurier personne.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Mes raisons? Elles sont simples; et les voici. Ou le testateur
+a voulu supprimer l'acte qu'il avait fait dans la dureté de
+son c&oelig;ur, comme tout concourait à le démontrer; et vous avez
+annulé sa résipiscence: ou il a voulu que cet acte atroce
+eût son effet: et vous vous êtes associé à son injustice.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>À son injustice? C'est bientôt dit.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Oui, oui, à son injustice; car tout ce que le père Bouin
+vous a débité ne sont que de vaines subtilités, de pauvres
+conjectures, des peut-être sans aucune valeur, sans aucun
+poids, auprès des circonstances qui ôtaient tout caractère de
+validité à l'acte injuste que vous avez tiré de la poussière,
+produit et réhabilité. Un coffre à paperasses; parmi ces paperasses
+une vieille paperasse proscrite; par sa date, par son
+injustice, par son mélange avec d'autres paperasses, par la
+mort des exécuteurs, par le mépris des lettres du légataire,
+par la richesse de ce légataire, et par la pauvreté des véritables
+héritiers! Qu'oppose-t-on à cela? Une restitution présumée!
+Vous verrez que ce pauvre diable de prêtre, qui n'avait pas
+un sou lorsqu'il arriva dans sa cure, et qui avait passé quatre-vingts
+ans de sa vie à amasser environ cent mille francs en
+entassant sou sur sou, avait fait autrefois aux Frémins, chez
+qui il n'avait point demeuré, et qu'il n'avait peut-être jamais
+connus que de nom, un vol de cent mille francs. Et quand
+ce prétendu vol eût été réel, le grand malheur que... J'aurais
+brûlé cet acte d'iniquité. Il fallait le brûler, vous dis-je; il
+fallait écouter votre c&oelig;ur, qui n'a cessé de réclamer depuis,
+et qui en savait plus que votre imbécile Bouin, dont la décision
+ne prouve que l'autorité redoutable des opinions religieuses
+sur les têtes les mieux organisées, et l'influence pernicieuse des
+lois injustes, des faux principes sur le bon sens et l'équité
+naturelle. Si vous eussiez été à côté du curé, lorsqu'il écrivit
+cet inique testament, ne l'eussiez-vous pas mis en pièces?
+Le sort le jette entre vos mains, et vous le conservez?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Et si le curé t'avait institué son légataire universel?...</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>L'acte odieux n'en aurait été que plus promptement
+cassé.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Je n'en doute nullement; mais n'y a-t-il aucune différence
+entre le donataire d'un autre, et le tien?...</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Aucune. Ils sont tous les deux justes ou injustes, honnêtes
+ou malhonnêtes...</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Lorsque la loi ordonne, après le décès, l'inventaire et la
+lecture de tous les papiers, sans exception, elle a son motif,
+sans doute; et ce motif quel est-il?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Si j'étais caustique, je vous répondrais: de dévorer les
+héritiers, en multipliant ce qu'on appelle des vacations; mais
+songez que vous n'étiez point l'homme de la loi; et qu'affranchi
+de toute forme juridique, vous n'aviez de fonctions à remplir
+que celles de la bienfaisance et de l'équité naturelle.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Ma s&oelig;ur se taisait; mais elle me serrait la main en signe
+d'approbation. L'abbé secouait les oreilles, et mon père disait:
+Et puis encore une petite injure au père Bouin. Tu crois du
+moins que ma religion m'absout?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je le crois; mais tant pis pour elle.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Cet acte, que tu brûles de ton autorité privée, tu crois qu'il
+aurait été déclaré valide au tribunal de la loi?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Cela se peut; mais tant pis pour la loi.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Tu crois qu'elle aurait négligé toutes ces circonstances, que
+tu fais valoir avec tant de force?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je n'en sais rien; mais j'en aurais voulu avoir le c&oelig;ur net.
+J'y aurais sacrifié une cinquantaine de louis: ç'aurait été une
+charité bien faite, et j'aurais attaqué le testament au nom de
+ces pauvres héritiers.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Oh! pour cela, si tu avais été avec moi, et que tu m'en
+eusses donné le conseil, quoique, dans les commencements
+d'un établissement, cinquante louis ce soit une somme, il y a
+tout à parier que je l'aurais suivi.</p>
+
+<p class="c"><small>L'ABBÉ.</small></p>
+
+<p>Pour moi, j'aurais autant aimé donner cet argent aux
+pauvres héritiers qu'aux gens de justice.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Et vous croyez, mon frère, qu'on aurait perdu ce procès?</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Je n'en doute pas. Les juges s'en tiennent strictement à la
+loi, comme mon père et le père Bouin; et font bien. Les juges
+ferment, en pareils cas, les yeux sur les circonstances, comme
+mon père et le père Bouin, par l'effroi des inconvénients qui
+s'ensuivraient; et font bien. Ils sacrifient quelquefois contre le
+témoignage même de leur conscience, comme mon père et le
+père Bouin, l'intérêt du malheureux et de l'innocent qu'ils ne
+pourraient sauver sans lâcher la bride à une infinité de fripons;
+et font bien. Ils redoutent, comme mon père et le père Bouin,
+de prononcer un arrêt équitable dans un cas déterminé, mais
+funeste dans mille autres par la multitude de désordres auxquels
+il ouvrirait la porte; et font bien. Et dans le cas du testament
+dont il s'agit...</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Tes raisons, comme particulières, étaient peut-être bonnes;
+mais comme publiques, elles seraient mauvaises. Il y a tel
+avocat peu scrupuleux, qui m'aurait dit tête à tête: Brûlez ce
+testament; ce qu'il n'aurait osé écrire dans sa consultation.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>J'entends; c'était une affaire à n'être pas portée devant les
+juges. Aussi, parbleu! n'y aurait-elle pas été portée, si j'avais
+été à votre place.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Tu aurais préféré ta raison à la raison publique; la décision
+de l'homme à celle de l'homme de loi.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Assurément. Est-ce que l'homme n'est pas antérieur à
+l'homme de loi? Est-ce que la raison de l'espèce humaine n'est
+pas tout autrement sacrée que la raison d'un législateur? Nous
+nous appelons civilisés, et nous sommes pires que des sauvages. Il
+semble qu'il nous faille encore tournoyer pendant des siècles,
+d'extravagances en extravagances et d'erreurs en erreurs, pour
+arriver où la première étincelle de jugement, l'instinct seul,
+nous eût menés tout droit. Aussi nous nous sommes si bien
+fourvoyés...</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Mon fils, mon fils, c'est un bon oreiller, que celui de la
+raison; mais je trouve que ma tête repose plus doucement
+encore sur celui de la religion et des lois: et point de réplique
+là-dessus; car je n'ai pas besoin d'insomnie. Mais il me semble
+que tu prends de l'humeur. Dis-moi donc, si j'avais brûlé le
+testament, est-ce que tu m'aurais empêché de restituer?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Non, mon père; votre repos m'est un peu plus cher que
+tous les biens du monde.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Ta réponse me plaît et pour cause.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Et cette cause, vous allez nous la dire?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Volontiers. Le chanoine Vigneron, ton oncle, était un
+homme dur, mal avec ses confrères dont il faisait la satire continuelle
+par sa conduite et par ses discours. Tu étais destiné à
+lui succéder; mais, au moment de sa mort, on pensa dans la
+famille qu'il valait mieux envoyer en cour de Rome, que de
+faire, entre les mains du chapitre, une résignation qui ne serait
+point agréée. Le courrier part. Ton oncle meurt une heure ou
+deux avant l'arrivée présumée du courrier, et voilà le canonicat
+et dix-huit cents francs perdus. Ta mère, tes tantes, nos parents,
+nos amis étaient tous d'avis de celer la mort du chanoine. Je
+rejetai ce conseil; et je fis sonner les cloches sur-le-champ.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Et vous fîtes bien.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Si j'avais écouté les bonnes femmes, et que j'en eusse eu
+du remords, je vois que tu n'aurais pas balancé à me sacrifier
+ton aumusse.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Sans cela. J'aurais mieux aimé être un bon philosophe, ou
+rien que d'être un mauvais chanoine.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Le gros prieur rentra, et dit sur mes derniers mots qu'il
+avait entendus: «Un mauvais chanoine! Je voudrais bien savoir
+comment on est un bon ou un mauvais prieur, un bon ou un
+mauvais chanoine; ce sont des états si indifférents.» Mon père
+haussa les épaules, et se retira pour quelques devoirs pieux
+qui lui restaient à remplir. Le prieur dit: «J'ai un peu scandalisé
+le papa.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Cela se pourrait.</p>
+
+<p>Puis, tirant un livre de sa poche: «Il faut, ajouta-t-il, que je
+vous lise quelques pages d'une description de la Sicile par le
+père Labat.</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Je les connais. C'est l'histoire du <i>calzolaio</i><a id="FNanchor_4" name="FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class="fnanchor">4</a> de Messine.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Précisément.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Et ce <i>calzolaio</i>, que faisait-il?</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>L'historien raconte que, né vertueux, ami de l'ordre et de
+la justice, il avait beaucoup à souffrir dans un pays où les lois
+n'étaient pas seulement sans vigueur, mais sans exercice.
+Chaque jour était marqué par quelque crime. Des assassins
+connus marchaient tête levée, et bravaient l'indignation publique.
+Des parents se désolaient sur leurs filles séduites et jetées
+du déshonneur dans la misère, par la cruauté des ravisseurs.
+Le monopole enlevait à l'homme laborieux sa subsistance et
+celle de ses enfants; des concussions de toute espèce arrachaient
+des larmes amères aux citoyens opprimés. Les coupables
+échappaient au châtiment, ou par leur crédit, ou par leur argent,
+ou par le subterfuge des formes. Le <i>calzolaio</i> voyait tout cela;
+il en avait le c&oelig;ur percé; et il rêvait sans cesse sur sa selle
+aux moyens d'arrêter ces désordres.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Que pouvait un pauvre diable comme lui?</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Vous allez le savoir. Un jour, il établit une cour de justice
+dans sa boutique.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Comment cela?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Le prieur voudrait qu'on lui expédiât un récit, comme il
+expédie ses matines.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Pourquoi non? L'art oratoire veut que le récit soit bref, et
+l'Évangile que la prière soit courte.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Au bruit de quelque délit atroce, il en informait; il en
+poursuivait chez lui une instruction rigoureuse et secrète. Sa
+double fonction de rapporteur et de juge remplie, le procès
+criminel parachevé, et la sentence prononcée, il sortait avec
+une arquebuse sous son manteau; et, le jour, s'il rencontrait
+les malfaiteurs dans quelques lieux écartés, ou la nuit, dans
+leurs tournées, il vous leur déchargeait équitablement cinq ou
+six balles à travers le corps.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Je crains bien que ce brave homme-là n'ait été rompu vif.
+J'en suis fâché.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Après l'exécution, il laissait le cadavre sur la place sans en
+approcher, et regagnait sa demeure, content comme quelqu'un
+qui aurait tué un chien enragé.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>En tua-t-il beaucoup de ces chiens-là?</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>On en comptait plus de cinquante, et tous de haute condition;
+lorsque le vice-roi proposa deux mille écus de récompense
+au délateur; et jura, en face des autels, de pardonner au
+coupable s'il se déférait lui-même.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Quelque sot!</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Dans la crainte que le soupçon et le châtiment ne tombassent
+sur un innocent...</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Il se présenta au vice-roi!</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Il lui tint ce discours: «J'ai fait votre devoir. C'est moi qui
+ai condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir.
+Voilà les procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y
+verrez la marche de la procédure judiciaire que j'ai suivie. J'ai
+été tenté de commencer par vous; mais j'ai respecté dans votre
+personne le maître auguste que vous représentez. Ma vie est
+entre vos mains, et vous en pouvez disposer.»</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Ce qui fut fait.</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE.</small></p>
+
+<p>Je l'ignore; mais je sais qu'avec tout ce beau zèle pour la
+justice, cet homme n'était qu'un meurtrier.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Un meurtrier! le mot est dur: quel autre nom pourrait-on
+lui donner, s'il avait assassiné des gens de bien?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>Le beau délire!</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Il serait à souhaiter...</p>
+
+<p class="c"><small>MON FRÈRE</small>, à moi.</p>
+
+<p>Vous êtes le souverain: cette affaire est soumise à votre
+décision; quelle sera-t-elle?</p>
+
+<p class="c"><small>MOI.</small></p>
+
+<p>L'abbé, vous me tendez un piége; et je veux bien y donner.
+Je condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le
+savetier à prendre la place du vice-roi.</p>
+
+<p class="c"><small>MA S&OElig;UR.</small></p>
+
+<p>Fort bien, mon frère.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Mon père reparut avec ce visage serein qu'il avait toujours
+après la prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence
+de l'abbé. Ma s&oelig;ur ajouta: «et voilà Messine privée, sinon du
+seul homme juste, du moins du seul brave citoyen qu'il y eût.
+Cela m'afflige.»</p>
+
+<p>On servit; on disputa encore un peu contre moi; on plaisanta
+beaucoup le prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de
+cas qu'il faisait des prieurs et des chanoines. On lui proposa le
+cas du testament; au lieu de le résoudre, il nous raconta un
+fait qui lui était personnel.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Vous vous rappelez l'énorme faillite du changeur Bourmont.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Si je me rappelle! j'y étais pour quelque chose.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Tant mieux!</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Pourquoi tant mieux?</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>C'est que, si j'ai mal fait, ma conscience en sera soulagée
+d'autant. Je fus nommé syndic des créanciers. Il y avait parmi
+les effets actifs de Bourmont un billet de cent écus sur un
+pauvre marchand grènetier son voisin. Ce billet, partagé au
+prorata de la multitude des créanciers, n'allait pas à douze sous
+pour chacun d'eux; et exigé du grènetier, c'était sa ruine. Je
+supposai...</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Que chaque créancier n'aurait pas refusé 12 sous à ce
+malheureux; vous déchirâtes le billet, et vous fîtes l'aumône
+de ma bourse.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Il est vrai; en êtes-vous fâché?</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Non.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Ayez la bonté de croire que les autres n'en seraient pas plus
+fâchés que vous; et tout sera dit.</p>
+
+<p class="c"><small>MON PÈRE.</small></p>
+
+<p>Mais, monsieur le prieur, si vous lacérez de votre autorité
+privée un billet, pourquoi n'en lacérerez-vous pas deux, trois,
+quatre; tout autant qu'il se trouvera d'indigents à secourir aux
+dépens d'autrui? Ce principe de commisération peut nous mener
+loin, monsieur le prieur: la justice, la justice...</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>On l'a dit, est souvent une grande injustice.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Une jeune femme, qui occupait le premier, descendit; c'était
+la gaieté et la folie en personne. Mon père lui demanda des
+nouvelles de son mari: ce mari était un libertin qui avait donné
+à sa femme l'exemple des mauvaises m&oelig;urs, qu'elle avait, je
+crois, un peu suivi; et qui, pour échapper à la poursuite de ses
+créanciers, s'en était allé à la Martinique. M<sup>me</sup> d'Isigny, c'était le
+nom de notre locataire, répondit à mon père: «M. d'Isigny? Dieu
+merci! je n'en ai plus entendu parler; il est peut-être noyé.</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Noyé! je vous en félicite.</p>
+
+<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p>
+
+<p>Qu'est-ce que cela vous fait, monsieur l'abbé?</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Rien, mais à vous?</p>
+
+<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p>
+
+<p>Et qu'est-ce que cela me fait à moi?</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Mais, on dit...</p>
+
+<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p>
+
+<p>Et qu'est-ce qu'on dit?</p>
+
+<p class="c"><small>LE PRIEUR.</small></p>
+
+<p>Puisque vous le voulez savoir, on dit qu'il avait surpris
+quelques-unes de vos lettres.</p>
+
+<p class="c"><small>MADAME D'ISIGNY.</small></p>
+
+<p>Et n'avais-je pas un beau recueil des siennes?...</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Et puis voilà une querelle tout à fait comique entre le
+prieur et M<sup>me</sup> d'Isigny sur les priviléges des deux sexes.
+M<sup>me</sup> d'Isigny m'appela à son secours; et j'allais prouver au
+prieur que le premier des deux époux qui manquait au pacte,
+rendait à l'autre sa liberté; mais mon père demanda son bonnet
+de nuit, rompit la conversation, et nous envoya coucher.
+Lorsque ce fut à mon tour de lui souhaiter la bonne nuit, en
+l'embrassant, je lui dis à l'oreille: «Mon père, c'est qu'à la
+rigueur il n'y a point de lois pour le sage...</p>
+
+<p>&mdash;Parlez plus bas...</p>
+
+<p>&mdash;Toutes étant sujettes à des exceptions, c'est à lui qu'il
+appartient de juger des cas où il faut s'y soumettre ou s'en
+affranchir.</p>
+
+<p>&mdash;Je ne serais pas trop fâché, me répondit-il, qu'il y eût
+dans la ville un ou deux citoyens comme toi; mais je n'y habiterais
+pas, s'ils pensaient tous de même.»</p>
+
+
+
+
+<h2>NOTES</h2>
+
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a>
+<a href="#FNanchor_1">
+<span class="label">[1]</span></a> Nous rétablissons ce terme familier d'après l'édition originale. Les suivantes
+l'ont remplacé par <i>petite s&oelig;ur</i>.</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2"></a>
+<a href="#FNanchor_2">
+<span class="label">[2]</span></a> Village situé entre Chaumont et Langres. (Note de l'édition de <span class="sc">Brière</span>.)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3"></a>
+<a href="#FNanchor_3">
+<span class="label">[3]</span></a> On connaît Cartouche. «Son affaire n'était rien, dit l'avocat Barbier, en
+comparaison de celle de Nivet,» coupable d'un grand nombre d'assassinats. Nivet
+fut roué en Grève le 1<sup>er</sup> juin 1729.</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4"></a>
+<a href="#FNanchor_4">
+<span class="label">[4]</span></a> Cordonnier.</p>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of Entretien d'un père avec ses enfants, by
+Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ENTRETIEN D'UN PERE AVEC SES ENFANTS ***
+
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+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
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+
+
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+
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+
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