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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 02:38:55 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of Ceci n'est pas un conte, by Denis Diderot
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: Ceci n'est pas un conte
+
+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28602]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CECI N'EST PAS UN CONTE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
+
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+
+[Extrait des OEuvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat,
+5ème volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]
+
+
+
+
+CECI N'EST PAS UN CONTE
+
+(Écrit vers 1772--Publié en 1798)
+
+
+
+
+Ce conte se trouve dans la _Correspondance_ de Grimm, sous la date
+d'avril 1773; mais il y est incomplet. Il y manque l'histoire de Tanié
+et de la Reymer, et la fin de l'histoire de Mlle de La Chaux.
+
+M. A.-A. Barbier (_Dictionnaire des Anonymes_) a supposé que Diderot, en
+attribuant à Mlle de La Chaux la traduction des «premiers essais de la
+métaphysique, de Hume (ci-après p. 321)» et des _Essais sur
+l'entendement humain_ (p. 328), avait été trompé par sa mémoire. Il n'en
+est rien. Diderot a seulement, comme toujours, donné à l'ouvrage de
+Hume, traduit par Mlle de La Chaux, un titre trop général. Il s'agit ici
+des _Political discourses_, formant la deuxième partie des _Essays_. La
+première traduction de cette partie (_Essais sur le commerce, le luxe,
+l'argent_, Amsterdam, 1752, 1753, in-12; Paris et Lyon, in-12) est bien
+de Mlle de La Chaux. Elle contient seulement sept des seize discours de
+Hume, avec des réflexions du traducteur. L'abbé Le Blanc et ensuite
+Mauvillon ne publièrent leurs travaux sur le même ouvrage qu'en 1754. La
+traduction de Mlle de La Chaux des _Essais économiques_ de Hume a pris
+place dans le tome XV de la _Collection des principaux économistes_.
+Mlle de La Chaux mourut en 1755.
+
+
+
+
+CECI N'EST PAS UN CONTE
+
+
+Lorsqu'on fait un conte, c'est à quelqu'un qui l'écoute; et pour peu que
+le conte dure, il est rare que le conteur ne soit pas interrompu
+quelquefois par son auditeur. Voilà pourquoi j'ai introduit dans le
+récit qu'on va lire, et qui n'est pas un conte, ou qui est un mauvais
+conte, si vous vous en doutez, un personnage qui fasse à peu près le
+rôle du lecteur; et je commence.
+
+ * * * * *
+
+Et vous concluez de là?
+
+--Qu'un sujet aussi intéressant devait mettre nos têtes en l'air;
+défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville; y être tourné et
+retourné jusqu'à l'insipidité: fournir à mille disputes, à vingt
+brochures au moins, et à quelques centaines de pièces de vers pour ou
+contre; et qu'en dépit de toute la finesse, de toutes les connaissances,
+de tout l'esprit de l'auteur, puisque son ouvrage n'a excité aucune
+fermentation violente, il est médiocre, et très-médiocre.
+
+--Mais il me semble que nous lui devons pourtant une soirée assez
+agréable, et que cette lecture a amené...
+
+--Quoi! une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait de part et
+d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue de toute éternité, c'est
+que l'homme et la femme sont deux bêtes très-malfaisantes.
+
+--Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé votre écot tout
+comme un autre.
+
+--C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au ton donné;
+qu'en entrant dans une société, d'usage, on arrange à la porte d'un
+appartement jusqu'à sa physionomie sur celles qu'on voit; qu'on
+contrefait le plaisant, quand on est triste; le triste, quand on serait
+tenté d'être plaisant; qu'on ne veut être étranger à quoi que ce soit;
+que le littérateur politique; que le politique métaphysique; que le
+métaphysicien moralise; que le moraliste parle finance; le financier,
+belles-lettres ou géométrie; que, plutôt que d'écouter ou se taire,
+chacun bavarde de ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte
+vanité ou par politesse.
+
+--Vous avez de l'humeur.
+
+--À mon ordinaire.
+
+--Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon historiette pour un
+moment plus favorable.
+
+--C'est-à-dire que vous attendrez que je n'y sois pas.
+
+--Ce n'est pas cela.
+
+--Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence pour vous, tête à
+tête, que je n'en aurais pour un indifférent en société.
+
+--Ce n'est pas cela.
+
+--Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.
+
+--C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles qui vous ont
+excédé.
+
+--Hé! dites toujours.
+
+--Non, non; vous en avez assez.
+
+--Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me faire enrager,
+la vôtre m'est la plus antipathique?
+
+--Et quelle est la mienne?
+
+--Celle d'être prié de la chose que vous mourez d'envie de faire. Hé
+bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie de vouloir bien vous
+satisfaire.
+
+--Me satisfaire!
+
+--Commencez, pour Dieu, commencez.
+
+--Je tâcherai d'être court.
+
+--Cela n'en sera pas plus mal.
+
+Ici, un peu par malice, je toussai, je crachai, je développai lentement
+mon mouchoir, je me mouchai, j'ouvris ma tabatière, je pris une prise de
+tabac; et j'entendais mon homme qui disait entre ses dents: «Si
+l'histoire est courte, les préliminaires sont longs...» Il me prit envie
+d'appeler un domestique, sous prétexte de quelque commission; mais je
+n'en fis rien, et je dis:
+
+ * * * * *
+
+«Il faut avouer qu'il y a des hommes bien bons, et des femmes bien
+méchantes.
+
+--C'est ce qu'on voit tous les jours, et quelquefois sans sortir de chez
+soi. Après?
+
+--Après? J'ai connu une Alsacienne belle, mais belle à faire accourir
+les vieillards, et à arrêter tout court les jeunes gens.
+
+--Et moi aussi, je l'ai connue; elle s'appelait Mme Reymer.
+
+--Il est vrai. Un nouveau débarqué de Nancy, appelé Tanié, en devint
+éperdument amoureux. Il était pauvre; c'était un de ces enfants perdus,
+que la dureté des parents, qui ont une famille nombreuse, chasse de la
+maison, et qui se jettent dans le monde sans savoir ce qu'ils
+deviendront, par un instinct qui leur dit qu'ils n'y auront pas un sort
+pire que celui qu'ils fuient. Tanié, amoureux de Mme Reymer, exalté par
+une passion qui soutenait son courage et ennoblissait à ses yeux toutes
+ses actions, se soumettait sans répugnance aux plus pénibles et aux plus
+viles, pour soulager la misère de son amie. Le jour, il allait
+travailler sur les ports; à la chute du jour, il mendiait dans les rues.
+
+--Cela était fort beau; mais cela ne pouvait durer.
+
+--Aussi Tanié, las de lutter contre le besoin, ou plutôt de retenir dans
+l'indigence une femme charmante, obsédée d'hommes opulents qui la
+pressaient de chasser ce gueux de Tanié...
+
+--Ce qu'elle aurait fait quinze jours, un mois plus tard.
+
+--Et d'accepter leurs richesses, résolut de la quitter, et d'aller
+tenter la fortune au loin. Il sollicite, il obtient son passage sur un
+vaisseau du roi. Le moment de son départ est venu. Il va prendre congé
+de Mme Reymer. «Mon amie, lui dit-il, je ne saurais abuser plus
+longtemps de votre tendresse. J'ai pris mon parti, je m'en vais.--Vous
+vous en allez!--Oui...--Et où allez-vous?...--Aux îles. Vous êtes digne
+d'un autre sort, et je ne saurais l'éloigner plus longtemps...»
+
+--Le bon Tanié!...
+
+«--Et que voulez-vous que je devienne?...»
+
+--La traîtresse!...
+
+«--Vous êtes environnée de gens qui cherchent à vous plaire. Je vous
+rends vos promesses; je vous rends vos serments. Voyez celui d'entre ces
+prétendants qui vous est le plus agréable; acceptez-le, c'est moi qui
+vous en conjure...--Ah! Tanié, c'est vous qui me proposez...»
+
+--Je vous dispense de la pantomime de Mme Reymer. Je la vois, je la
+sais...
+
+«--En m'éloignant, la seule grâce que j'exige de vous, c'est de ne
+former aucun engagement qui nous sépare à jamais. Jurez-le-moi, ma belle
+amie. Quelle que soit la contrée de la terre que j'habiterai, il faudra
+que j'y sois bien malheureux s'il se passe une année sans vous donner
+des preuves certaines de mon tendre attachement. Ne pleurez pas...»
+
+--Elles pleurent toutes quand elles veulent.
+
+--«... Et ne combattez pas un projet que les reproches de mon coeur
+m'ont enfin inspiré, et auxquels ils ne tarderont pas à me ramener.» Et
+voilà Tanié parti pour Saint-Domingue.
+
+--Et parti tout à temps pour Mme Reymer et pour lui.
+
+--Qu'en savez-vous?
+
+--Je sais, tout aussi bien qu'on le peut savoir, que quand Tanié lui
+conseilla de faire un choix, il était fait.
+
+--Bon!
+
+--Continuez votre récit.
+
+--Tanié avait de l'esprit et une grande aptitude aux affaires. Il ne
+tarda pas d'être connu. Il entra au conseil souverain du Cap. Il s'y
+distingua par ses lumières et par son équité. Il n'ambitionnait pas une
+grande fortune; il ne la désirait qu'honnête et rapide. Chaque année, il
+en envoyait une portion à Mme Reymer. Il revint au bout... de neuf à dix
+ans; non, je ne crois pas que son absence ait été plus longue...
+présenter à son amie un petit portefeuille qui renfermait le produit de
+ses vertus et de ses travaux... et heureusement pour Tanié, ce fut au
+moment où elle venait de se séparer du dernier des successeurs de Tanié.
+
+--Du dernier?
+
+--Oui.
+
+--Il en avait donc eu plusieurs?
+
+--Assurément.
+
+--Allez, allez.
+
+--Mais je n'ai peut-être rien à vous dire que vous ne sachiez mieux que
+moi.
+
+--Qu'importe, allez toujours.
+
+--Mme Reymer et Tanié occupaient un assez beau logement rue
+Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais grand cas de Tanié, et je
+fréquentais sa maison, qui était, sinon opulente, du moins fort aisée.
+
+--Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la Reymer, qu'elle
+avait mieux de quinze mille livres de rente avant le retour de Tanié.
+
+--À qui elle dissimulait sa fortune?
+
+--Oui.
+
+--Et pourquoi?
+
+--C'est qu'elle était avare et rapace.
+
+--Passe pour rapace; mais avare! une courtisane avare!... Il y avait
+cinq à six ans que ces deux amants vivaient dans la meilleure
+intelligence.
+
+--Grâce à l'extrême finesse de l'une et à la confiance sans bornes de
+l'autre.
+
+--Oh! il est vrai qu'il était impossible à l'ombre d'un soupçon d'entrer
+dans une âme aussi pure que celle de Tanié. La seule chose dont je me
+sois quelquefois aperçu, c'est que Mme Reymer avait bientôt oublié sa
+première indigence; qu'elle était tourmentée de l'amour du faste et de
+la richesse; qu'elle était humiliée qu'une aussi belle femme allât à
+pied.
+
+--Que n'allait-elle en carrosse?
+
+--Et que l'éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous riez?... Ce
+fut alors que M. de Maurepas[1] forma le projet d'établir au nord une
+maison de commerce. Le succès de cette entreprise demandait un homme
+actif et intelligent. Il jeta les yeux sur Tanié, à qui il avait confié
+la conduite de plusieurs affaires importantes pendant son séjour au Cap,
+et qui s'en était toujours acquitté à la satisfaction du ministre. Tanié
+fut désolé de cette marque de distinction. Il était si content, si
+heureux à côté de sa belle amie! Il aimait; il était ou il se croyait
+aimé.
+
+--C'est bien dit.
+
+--Qu'est-ce que l'or pouvait ajouter à son bonheur? Rien. Cependant le
+ministre insistait. Il fallait se déterminer, il fallait s'ouvrir à Mme
+Reymer. J'arrivai chez lui précisément sur la fin de cette scène
+fâcheuse. Le pauvre Tanié fondait en larmes. «Qu'avez-vous donc, lui
+dis-je, mon ami?» Il me dit en sanglotant: «C'est cette femme!» Mme
+Reymer travaillait tranquillement à un métier de tapisserie. Tanié se
+leva brusquement et sortit. Je restai seul avec son amie, qui ne me
+laissa pas ignorer ce qu'elle qualifiait de la déraison de Tanié. Elle
+m'exagéra la modicité de son état; elle mit à son plaidoyer tout l'art
+dont un esprit délié sait pallier les sophismes de l'ambition. «De quoi
+s'agit-il? D'une absence de deux ou trois ans au plus.--C'est bien du
+temps pour un homme que vous aimez et qui vous aime autant que
+lui.--Lui, il m'aime? S'il m'aimait, balancerait-il à me
+satisfaire?--Mais, madame, que ne le suivez-vous?--Moi! je ne vais point
+là; et tout extravagant qu'il est, il ne s'est point avisé de me le
+proposer. Doute-t-il de moi?--Je n'en crois rien.--Après l'avoir attendu
+pendant douze ans, il peut bien s'en reposer deux ou trois sur ma bonne
+foi. Monsieur, c'est que c'est une de ces occasions singulières qui ne
+se présentent qu'une fois dans la vie; et je ne veux pas qu'il ait un
+jour à se repentir et à me reprocher peut-être de l'avoir
+manquée.--Tanié ne regrettera rien, tant qu'il aura le bonheur de vous
+plaire.--Cela est fort honnête; mais soyez sûr qu'il sera très-content
+d'être riche quand je serai vieille. Le travers des femmes est de ne
+jamais penser à l'avenir; ce n'est pas le mien...» Le ministre était à
+Paris. De la rue Sainte-Marguerite à son hôtel, il n'y avait qu'un pas.
+Tanié y était allé, et s'était engagé. Il rentra l'oeil sec, mais l'âme
+serrée. «Madame, lui dit-il, j'ai vu M. de Maurepas; il a ma parole. Je
+m'en irai, je m'en irai; et vous serez satisfaite.--Ah! mon ami!...» Mme
+Reymer écarte son métier, s'élance vers Tanié, jette ses bras autour de
+son cou, l'accable de caresses et de propos doux. «Ah! c'est pour cette
+fois que je vois que je vous suis chère.» Tanié lui répondait
+froidement: «Vous voulez être riche.»
+
+--Elle l'était, la coquine, dix fois plus qu'elle ne méritait....
+
+«--Et vous le serez. Puisque c'est l'or que vous aimez, il faut aller
+vous chercher de l'or.» C'était le mardi; et le ministre avait fixé son
+départ au vendredi, sans délai. J'allai lui faire mes adieux au moment
+où il luttait avec lui-même, où il tâchait de s'arracher des bras de la
+belle, indigne et cruelle Reymer. C'était un désordre d'idées, un
+désespoir, une agonie, dont je n'ai jamais vu un second exemple. Ce
+n'était pas de la plainte; c'était un long cri. Mme Reymer était encore
+au lit. Il tenait une de ses mains. Il ne cessait de dire et de répéter:
+«Cruelle femme! femme cruelle! que te faut-il de plus que l'aisance dont
+tu jouis, et un ami, un amant tel que moi? J'ai été lui chercher la
+fortune dans les contrées brûlantes de l'Amérique; elle veut que j'aille
+la lui chercher encore au milieu des glaces du Nord. Mon ami, je sens
+que cette femme est folle; je sens que je suis un insensé; mais il m'est
+moins affreux de mourir que de la contrister. Tu veux que je te quitte;
+je vais te quitter.» Il était à genoux au bord de son lit, la bouche
+collée sur sa main et le visage caché dans les couvertures, qui, en
+étouffant son murmure, ne le rendaient que plus triste et plus
+effrayant. La porte de la chambre s'ouvrit; il releva brusquement la
+tête; il vit le postillon qui venait lui annoncer que les chevaux
+étaient à la chaise. Il fit un cri, et recacha son visage sur les
+couvertures. Après un moment de silence, il se leva; il dit à son amie:
+«Embrassez-moi, madame; embrasse-moi encore une fois, car tu ne me
+verras plus.» Son pressentiment n'était que trop vrai. Il partit. Il
+arriva à Pétersbourg, et, trois jours après, il fut attaqué d'une fièvre
+dont il mourut le quatrième.
+
+--Je savais tout cela.
+
+--Vous avez peut-être été un des successeurs de Tanié?
+
+--Vous l'avez dit; et c'est avec cette belle abominable que j'ai dérangé
+mes affaires.
+
+--Ce pauvre Tanié!
+
+--Il y a des gens dans le monde qui vous diront que c'est un sot.
+
+--Je ne le défendrai pas; mais je souhaiterai au fond de mon coeur que
+leur mauvais destin les adresse à une femme aussi belle et aussi
+artificieuse que Mme Reymer.
+
+--Vous êtes cruel dans vos vengeances.
+
+--Et puis, s'il y a des femmes méchantes et des hommes très-bons, il y a
+aussi des femmes très-bonnes et des hommes très-méchants; et ce que je
+vais ajouter n'est pas plus un conte[2] que ce qui précède.
+
+--J'en suis convaincu.
+
+--M. d'Hérouville...
+
+--Celui qui vit encore? le lieutenant général des armées du roi? celui
+qui épousa cette charmante créature appelée Lolotte[3]?
+
+--Lui-même.
+
+--C'est un galant homme, ami des sciences.
+
+--Et des savants. Il s'est longtemps occupé d'une histoire générale de
+la guerre dans tous les siècles et chez toutes les nations.
+
+--Le projet est vaste.
+
+--Pour le remplir, il avait appelé autour de lui quelques jeunes gens
+d'un mérite distingué, tels que M. de Montucla[5], l'auteur de
+l'_Histoire des Mathématiques_.
+
+--Diable! en avait-il beaucoup de cette force-là?
+
+--Mais celui qui se nommait Gardeil, le héros de l'aventure que je vais
+vous raconter, ne lui cédait guère dans sa partie. Une fureur commune
+pour l'étude de la langue grecque commença, entre Gardeil et moi, une
+liaison que le temps, la réciprocité des conseils, le goût de la
+retraite, et surtout la facilité de se voir, conduisirent à une assez
+grande intimité.
+
+--Vous demeuriez alors à l'Estrapade.
+
+--Lui, rue Sainte-Hyacinthe, et son amie, Mlle de La Chaux, place
+Saint-Michel. Je la nomme de son propre nom, parce que la pauvre
+malheureuse n'est plus, parce que sa vie ne peut que l'honorer dans tous
+les esprits bien faits et lui mériter l'admiration, les regrets et les
+larmes de ceux que la nature aura favorisés ou punis d'une petite
+portion de la sensibilité de son âme.
+
+--Mais votre voix s'entrecoupe, et je crois que vous pleurez.
+
+--Il me semble encore que je vois ses grands yeux noirs, brillants et
+doux, et que le son de sa voix touchante retentisse dans mon oreille et
+trouble mon coeur. Créature charmante! créature unique! tu n'es plus! Il
+y a près de vingt ans que tu n'es plus; et mon coeur se serre encore à
+ton souvenir.
+
+--Vous l'avez aimée?
+
+--Non. Ô La Chaux! ô Gardeil! Vous fûtes l'un et l'autre deux prodiges;
+vous, de la tendresse de la femme; vous, de l'ingratitude de l'homme.
+Mlle de La Chaux était d'une famille honnête. Elle quitta ses parents
+pour se jeter entre les bras de Gardeil. Gardeil n'avait rien, Mlle de
+La Chaux jouissait de quelque bien; et ce bien fut entièrement sacrifié
+aux besoins et aux fantaisies de Gardeil. Elle ne regretta ni sa fortune
+dissipée, ni son honneur flétri. Son amant lui tenait lieu de tout.
+
+--Ce Gardeil était donc bien séduisant, bien aimable?
+
+--Point du tout. Un petit homme bourru, taciturne et caustique; le
+visage sec, le teint basané; en tout, une figure mince et chétive; laid,
+si un homme peut l'être avec la physionomie de l'esprit.
+
+--Et voilà ce qui avait renversé la tête à une fille charmante?
+
+--Et cela vous surprend?
+
+--Toujours.
+
+--Vous?
+
+--Moi.
+
+--Mais vous ne vous rappelez donc plus votre aventure avec la Deschamps
+et le profond désespoir où vous tombâtes lorsque cette créature vous
+ferma sa porte?
+
+--Laissons cela; continuez.
+
+--Je vous disais: «Elle est donc bien belle?» Et vous me répondiez
+tristement: «Non.--Elle a donc bien de l'esprit?--C'est une sotte.--Ce
+sont donc ses talents qui vous entraînent?--Elle n'en a qu'un.--Et ce
+rare, ce sublime, ce merveilleux talent?--C'est de me rendre plus
+heureux entre ses bras que je ne le fus jamais entre les bras d'aucune
+autre femme.» Mais Mlle de La Chaux, l'honnête, la sensible Mlle de La
+Chaux se promettait secrètement, d'instinct, à son insu, le bonheur que
+vous connaissiez, et qui vous faisait dire de la Deschamps: «Si cette
+malheureuse, si cette infâme s'obstine à me chasser de chez elle, je
+prends un pistolet, et je me brise la cervelle dans son antichambre.»
+L'avez-vous dit, ou non?
+
+--Je l'ai dit; et même à présent, je ne sais pourquoi je ne l'ai pas
+fait.
+
+--Convenez donc.
+
+--Je conviens de tout ce qu'il vous plaira.
+
+--Mon ami, le plus sage d'entre nous est bien heureux de n'avoir pas
+rencontré la femme belle ou laide, spirituelle ou sotte, qui l'aurait
+rendu fou à enfermer aux Petites-Maisons. Plaignons beaucoup les hommes,
+blâmons-les sobrement; regardons nos années passées comme autant de
+moments dérobés à la méchanceté qui nous suit; et ne pensons jamais
+qu'en tremblant à la violence de certains attraits de nature, surtout
+pour les âmes chaudes et les imaginations ardentes. L'étincelle qui
+tombe fortuitement sur un baril de poudre ne produit pas un effet plus
+terrible. Le doigt prêt à secouer sur vous ou sur moi cette fatale
+étincelle est peut-être levé.
+
+M. d'Hérouville, jaloux d'accélérer son ouvrage, excédait de fatigue ses
+coopérateurs. La santé de Gardeil en fut altérée. Pour alléger sa tâche,
+Mlle de La Chaux apprit l'hébreu; et tandis que son ami reposait, elle
+passait une partie de la nuit à interpréter et transcrire des lambeaux
+d'auteurs hébreux. Le temps de dépouiller les auteurs grecs arriva; Mlle
+de La Chaux se hâta de se perfectionner dans cette langue dont elle
+avait déjà quelque teinture: et tandis que Gardeil dormait elle était
+occupée à traduire et à copier des passages de Xénophon et de Thucydide.
+À la connaissance du grec et de l'hébreu, elle joignit celle de
+l'italien et de l'anglais. Elle posséda l'anglais au point de rendre en
+français les premiers essais de la métaphysique de Hume; ouvrage où la
+difficulté de la matière ajoutait infiniment à celle de l'idiome.
+Lorsque l'étude avait épuisé ses forces, elle s'amusait à graver de la
+musique. Lorsqu'elle craignait que l'ennui ne s'emparât de son amant,
+elle chantait. Je n'exagère rien, j'en atteste M. Le Camus, docteur en
+médecine, qui l'a consolée dans ses peines et secourue dans son
+indigence; qui lui a rendu les services les plus continus; qui l'a
+suivie dans un grenier où sa pauvreté l'avait reléguée, et qui lui a
+fermé les yeux quand elle est morte. Mais j'oublie un de ses premiers
+malheurs; c'est la persécution qu'elle eut à souffrir d'une famille
+indignée d'un attachement public et scandaleux. On employa et la vérité
+et le mensonge, pour disposer de sa liberté d'une manière infamante. Ses
+parents et les prêtres la poursuivirent de quartier en quartier, de
+maison en maison, et la réduisirent plusieurs années à vivre seule et
+cachée. Elle passait les journées à travailler pour Gardeil. Nous lui
+apparaissions la nuit; et à la présence de son amant, tout son chagrin,
+toute son inquiétude était évanouie.
+
+--Quoi! jeune, pusillanime, sensible au milieu de tant de traverse, elle
+était heureuse.
+
+--Heureuse! Oui elle ne cessa de l'être que quand Gardeil fut ingrat.
+
+--Mais il est impossible que l'ingratitude ait été la récompense de tant
+de qualités rares, tant de marques de tendresse, tant de sacrifices de
+toute espèce.
+
+--Vous vous trompez, Gardeil fut ingrat. Un jour, Mlle de La Chaux se
+trouva seule dans ce monde, sans honneur, sans fortune, sans appui. Je
+vous en impose, je lui restai pendant quelque temps. Le docteur Le Camus
+lui resta toujours.
+
+--Ô les hommes, les hommes!
+
+--De qui parlez-vous?
+
+--De Gardeil.
+
+--Vous regardez le méchant; et vous ne voyez pas tout à côté l'homme de
+bien. Ce jour de douleur et de désespoir, elle accourut chez moi.
+C'était le matin. Elle était pâle comme la mort. Elle ne savait son sort
+que de la veille, et elle offrait l'image des longues souffrances. Elle
+ne pleurait pas; mais on voyait qu'elle avait beaucoup pleuré. Elle se
+jeta dans un fauteuil; elle ne parlait pas; elle ne pouvait parler; elle
+me tendait les bras, et en même temps elle poussait des cris. «Qu'est-ce
+qu'il y a, lui dis-je? Est-ce qu'il est mort?...--C'est pis: il ne
+m'aime plus; il m'abandonne...»
+
+--Allez donc.
+
+--Je ne saurais; je la vois, je l'entends; et mes yeux se remplissent de
+pleurs. «Il ne vous aime plus?...--Non.--Il vous abandonne!--Eh! oui.
+Après tout ce que j'ai fait!... Monsieur, ma tête s'embarrasse; ayez
+pitié de moi; ne me quittez pas... surtout ne me quittez pas...» En
+prononçant ces mots, elle m'avait saisi le bras, qu'elle me serrait
+fortement, comme s'il y avait eu près d'elle quelqu'un qui la menaçât de
+l'arracher et de l'entraîner... «Ne craignez rien, mademoiselle.--Je ne
+crains que moi.--Que faut-il faire pour vous?--D'abord, me sauver de
+moi-même... Il ne m'aime plus! je le fatigue! je l'excède! je l'ennuie!
+il me hait! il m'abandonne! il me laisse! il me laisse!» À ce mot répété
+succéda un silence profond; et à ce silence, des éclats d'un rire
+convulsif plus effrayants mille fois que les accents du désespoir ou le
+râle de l'agonie. Ce furent ensuite des pleurs, des cris, des mots
+inarticulés, des regards tournés vers le ciel, des lèvres tremblantes,
+un torrent de douleurs qu'il fallait abandonner à son cours; ce que je
+fis: et je ne commençai à m'adresser à sa raison, que quand je vis son
+âme brisée et stupide. Alors je repris: «Il vous hait, il vous laisse!
+et qui est-ce qui vous l'a dit?--Lui.--Allons, mademoiselle, un peu
+d'espérance et de courage. Ce n'est pas un monstre...--Vous ne le
+connaissez pas; vous le connaîtrez. C'est un monstre comme il n'y en a
+point, comme il n'y en eut jamais.--Je ne saurais le croire.--Vous le
+verrez.--Est-ce qu'il aime ailleurs?--Non.--Ne lui avez-vous donné aucun
+soupçon, aucun mécontentement?--Aucun, aucun.--Qu'est-ce donc?--Mon
+inutilité. Je n'ai plus rien. Je ne suis plus bonne à rien. Son
+ambition; il a toujours été ambitieux. La perte de ma santé, celle de
+mes charmes: j'ai tant souffert et tant fatigué; l'ennui, le dégoût.--On
+cesse d'être amants, mais on reste amis.--Je suis devenue un objet
+insupportable; ma présence lui pèse, ma vue l'afflige et le blesse. Si
+vous saviez ce qu'il m'a dit! Oui, monsieur, il m'a dit que s'il était
+condamné à passer vingt-quatre heures avec moi, il se jetterait par les
+fenêtres.--Mais cette aversion n'est pas l'ouvrage d'un moment.--Que
+sais-je? Il est naturellement si dédaigneux! si indifférent! si froid!
+Il est si difficile de lire au fond de ces âmes! et l'on a tant de
+répugnance à lire son arrêt de mort! Il me l'a prononcé, et avec quelle
+dureté!--Je n'y conçois rien.--J'ai une grâce à vous demander, et c'est
+pour cela que je suis venue: me l'accorderez-vous?--Quelle qu'elle
+soit.--Écoutez. Il vous respecte; vous savez tout ce qu'il me doit.
+Peut-être rougira-t-il de se montrer à vous tel qu'il est. Non, je ne
+crois pas qu'il en ait le front ni la force. Je ne suis qu'une femme, et
+vous êtes un homme. Un homme tendre, honnête et juste en impose. Vous
+lui en imposerez. Donnez-moi le bras, et ne refusez pas de m'accompagner
+chez lui. Je veux lui parler devant vous. Qui sait ce que ma douleur et
+votre présence pourront faire sur lui? Vous
+m'accompagnerez?--Très-volontiers.--Allons...»
+
+--Je crains bien que sa douleur et sa présence n'y fassent que de l'eau
+claire. Le dégoût! c'est une terrible chose que le dégoût en amour, et
+d'une femme!...
+
+--J'envoyai chercher une chaise à porteurs; car elle n'était guère en
+état de marcher. Nous arrivons chez Gardeil, à cette grande maison
+neuve, la seule qu'il y ait à droite dans la rue Hyacinthe, en entrant
+par la place Saint-Michel. Là, les porteurs arrêtent; ils ouvrent.
+J'attends. Elle ne sort point. Je m'approche, et je vois une femme
+saisie d'un tremblement universel; ses dents se frappaient comme dans le
+frisson de la fièvre; ses genoux se battaient l'un contre l'autre. «Un
+moment, monsieur; je vous demande pardon; je ne saurais... Que vais-je
+faire là? Je vous aurai dérangé de vos affaires inutilement; j'en suis
+fâchée; je vous demande pardon...» Cependant je lui tendais le bras.
+Elle le prit, elle essaya de se lever; elle ne le put. «Encore un
+moment, monsieur, me dit-elle; je vous fais peine; vous pâtissez de mon
+état...» Enfin elle se rassura un peu; et en sortant de la chaise, elle
+ajouta tout bas: «Il faut entrer; il faut le voir. Que sait-on? j'y
+mourrai peut-être...» Voilà la cour traversée; nous voilà à la porte de
+l'appartement; nous voilà dans le cabinet de Gardeil. Il était à son
+bureau, en robe de chambre, en bonnet de nuit. Il me fit un salut de la
+main, et continua le travail qu'il avait commencé. Ensuite il vint à
+moi, et me dit: «Convenez, monsieur, que les femmes sont bien
+incommodes. Je vous fais mille excuses des extravagances de
+mademoiselle.» Puis s'adressant à la pauvre créature, qui était plus
+morte que vive: «Mademoiselle, lui dit-il, que prétendez-vous encore de
+moi? Il me semble qu'après la manière nette et précise dont je me suis
+expliqué, tout doit être fini entre nous. Je vous ai dit que je ne vous
+aimais plus; je vous l'ai dit seul à seul; votre dessein est apparemment
+que je vous le répète devant monsieur: eh bien, mademoiselle, je ne vous
+aime plus. L'amour est un sentiment éteint dans mon coeur pour vous; et
+j'ajouterai, si cela peut vous consoler, pour toute autre femme.--Mais
+apprenez-moi pourquoi vous ne m'aimez plus?--Je l'ignore; tout ce que je
+sais, c'est que j'ai commencé sans savoir pourquoi; que j'ai cessé sans
+savoir pourquoi; et que je sens qu'il est impossible que cette passion
+revienne. C'est une gourme que j'ai jetée, et dont je me crois et me
+félicite d'être parfaitement guéri.--Quels sont mes torts?--Vous n'en
+avez aucun.--Auriez-vous quelque objection secrète à faire à ma
+conduite?--Pas la moindre; vous avez été la femme la plus constante, la
+plus honnête, la plus tendre qu'un homme pût désirer.--Ai-je omis
+quelque chose qu'il fût en mon pouvoir de faire?--Rien.--Ne vous ai-je
+pas sacrifié mes parents?--Il est vrai.--Ma fortune.--J'en suis au
+désespoir.--Ma santé?--Cela se peut.--Mon honneur, ma réputation, mon
+repos?--Tout ce qu'il vous plaira.--Et je te suis odieuse!--Cela est dur
+à dire, dur à entendre, mais puisque cela est, il faut en convenir.--Je
+lui suis odieuse!... Je le sens, et ne m'en estime pas davantage!...
+Odieuse! ah! dieux!...» À ces mots une pâleur mortelle se répandit sur
+son visage; ses lèvres se décolorèrent; les gouttes d'une sueur froide,
+qui se formait sur ses joues, se mêlaient aux larmes qui descendaient de
+ses yeux; ils étaient fermés; sa tête se renversa sur le dos de son
+fauteuil; ses dents se serrèrent; tous ses membres tressaillaient; à ce
+tressaillement succéda une défaillance qui me parut l'accomplissement de
+l'espérance qu'elle avait conçue à la porte de cette maison. La durée de
+cet état acheva de m'effrayer. Je lui ôtai son mantelet; je desserrai
+les cordons de sa robe; je relâchai ceux de ses jupons, et je lui jetai
+quelques gouttes d'eau fraîche sur le visage. Ses yeux se rouvrirent à
+demi; il se fit entendre un murmure sourd dans sa gorge; elle voulait
+prononcer: Je lui suis odieuse; et elle n'articulait que les dernières
+syllabes du mot; puis elle poussait un cri aigu. Ses paupières
+s'abaissaient; et l'évanouissement reprenait. Gardeil, froidement assis
+dans son fauteuil, son coude appuyé sur la table et sa tête appuyée sur
+sa main, la regardait sans émotion, et me laissait le soin de la
+secourir. Je lui dis à plusieurs reprises: «Mais, monsieur, elle se
+meurt... il faudrait appeler.» Il me répondit en souriant et haussant
+les épaules: «Les femmes ont la vie dure; elles ne meurent pas pour si
+peu; ce n'est rien; cela se passera. Vous ne les connaissez pas; elles
+font de leur corps tout ce qu'elles veulent...--Elle se meurt, vous
+dis-je.» En effet, son corps était comme sans force et sans vie; il
+s'échappait de dessus son fauteuil, et elle serait tombée à terre de
+droite ou de gauche, si je ne l'avais retenue. Cependant Gardeil s'était
+levé brusquement; et en se promenant dans son appartement, il disait
+d'un ton d'impatience et d'humeur: «Je me serais bien passé de cette
+maussade scène; mais j'espère bien que ce sera la dernière. À qui diable
+en veut cette créature? Je l'ai aimée; je me battrais la tête contre le
+mur qu'il n'en serait ni plus ni moins. Je ne l'aime plus; elle le sait
+à présent, ou elle ne le saura jamais. Tout est dit...--Non, monsieur,
+tout n'est pas dit. Quoi! vous croyez qu'un homme de bien n'a qu'à
+dépouiller une femme de tout ce qu'elle a, et la laisser.--Que
+voulez-vous que je fasse? je suis aussi gueux qu'elle.--Ce que je veux
+que vous fassiez? que vous associiez votre misère à celle où vous l'avez
+réduite.--Cela vous plaît à dire. Elle n'en serait pas mieux, et j'en
+serais beaucoup plus mal.--En useriez-vous ainsi avec un ami qui vous
+aurait tout sacrifié?--Un ami! un ami! je n'ai pas grande foi aux amis;
+et cette expérience m'a appris à n'en avoir aucune aux passions. Je suis
+fâché de ne l'avoir pas su plus tôt.--Et il est juste que cette
+malheureuse soit la victime de l'erreur de votre coeur.--Et qui vous a
+dit qu'un mois, un jour plus tard, je ne l'aurais pas été, moi, tout
+aussi cruellement, de l'erreur du sien?--Qui me l'a dit? tout ce qu'elle
+a fait pour vous, et l'état où vous la voyez.--Ce qu'elle a fait pour
+moi!... Oh! pardieu, il est acquitté de reste par la perte de mon
+temps.--Ah! monsieur Gardeil, quelle comparaison de votre temps et de
+toutes les choses sans prix que vous lui avez enlevées!--Je n'ai rien
+fait, je ne suis rien, j'ai trente ans; il est temps ou jamais de penser
+à soi, et d'apprécier toutes ces fadaises-là ce qu'elles valent...»
+
+Cependant la pauvre demoiselle était un peu revenue à elle-même. À ces
+derniers mots, elle reprit avec assez de vivacité: «Qu'a-t-il dit de la
+perte de son temps? J'ai appris quatre langues, pour le soulager dans
+ses travaux; j'ai lu mille volumes; j'ai écrit, traduit, copié les jours
+et les nuits; j'ai épuisé mes forces, usé mes yeux, brûlé mon sang; j'ai
+contracté une maladie fâcheuse, dont je ne guérirai peut-être jamais. La
+cause de son dégoût, il n'ose l'avouer; mais vous allez la connaître.» À
+l'instant elle arrache son fichu; elle sort un de ses bras de sa robe;
+elle met son épaule à nu; et, me montrant une tache érysipélateuse: «La
+raison de son changement, la voilà, me dit-elle, la voilà; voilà l'effet
+des nuits que j'ai veillées. Il arrivait le matin avec ses rouleaux de
+parchemin. M. d'Hérouville, me disait-il, est très-pressé de savoir ce
+qu'il y a là dedans; il faudrait que cette besogne fût faite demain; et
+elle l'était...» Dans ce moment, nous entendîmes le pas de quelqu'un qui
+s'avançait vers la porte; c'était un domestique qui annonçait l'arrivée
+de M. d'Hérouville. Gardeil en pâlit. J'invitai Mlle de La Chaux à se
+rajuster et à se retirer... «Non, dit-elle, non; je reste. Je veux
+démasquer l'indigne. J'attendrai M. d'Hérouville, je lui parlerai.--Et à
+quoi cela servira-t-il?--À rien, me répondit-elle; vous avez
+raison.--Demain vous en seriez désolée. Laissez-lui tous ses torts;
+c'est une vengeance digne de vous.--Mais est-elle digne de lui? Est-ce
+que vous ne voyez pas que cet homme-là n'est... Partons, monsieur,
+partons vite; car je ne puis répondre ni de ce que je ferais, ni de ce
+que je dirais...» Mlle de La Chaux répara en un clin d'oeil le désordre
+que cette scène avait mis dans ses vêtements, s'élança comme un trait
+hors du cabinet de Gardeil. Je la suivis, et j'entendis la porte qui se
+fermait sur nous avec violence. Depuis, j'ai appris qu'on avait donné
+son signalement au portier.
+
+Je la conduisis chez elle, où je trouvai le docteur Le Camus, qui nous
+attendait. La passion qu'il avait prise pour cette jeune fille différait
+peu de celle qu'elle ressentait pour Gardeil. Je lui fis le récit de
+notre visite; et tout à travers les signes de sa colère, de sa douleur,
+de son indignation...
+
+--Il n'était pas trop difficile de démêler sur son visage que votre peu
+de succès ne lui déplaisait pas trop.
+
+--Il est vrai.
+
+--Voilà l'homme. Il n'est pas meilleur que cela.
+
+--Cette rupture fut suivie d'une maladie violente, pendant laquelle le
+bon, l'honnête, le tendre et délicat docteur lui rendait des soins qu'il
+n'aurait pas eus pour la plus grande dame de France. Il venait trois,
+quatre fois par jour. Tant qu'il y eut du péril, il coucha dans sa
+chambre, sur un lit de sangle. C'est un bonheur qu'une maladie dans les
+grands chagrins.
+
+--En nous rapprochant de nous, elle écarte le souvenir des autres. Et
+puis c'est un prétexte pour s'affliger sans indiscrétion et sans
+contrainte.
+
+--Cette réflexion, juste d'ailleurs, n'était pas applicable à Mlle de La
+Chaux.
+
+Pendant sa convalescence, nous arrangeâmes l'emploi de son temps. Elle
+avait de l'esprit, de l'imagination, du goût, des connaissances, plus
+qu'il n'en fallait pour être admise à l'Académie des inscriptions. Elle
+nous avait tant et tant entendus métaphysiquer, que les matières les
+plus abstraites lui étaient devenues familières; et sa première
+tentative littéraire fut la traduction des _Essais sur l'entendement
+humain_, de Hume. Je la revis; et, en vérité, elle m'avait laissé bien
+peu de chose à rectifier. Cette traduction fut imprimée en Hollande et
+bien accueillie du public.
+
+Ma Lettre sur les Sourds et Muets parut presque en même temps. Quelques
+objections très-fines qu'elle me proposa donnèrent lieu à une addition
+qui lui fut dédiée[6]. Cette addition n'est pas ce que j'ai fait de plus
+mal.
+
+La gaieté de Mlle de La Chaux était un peu revenue. Le docteur nous
+donnait quelquefois à manger, et ces dîners n'étaient pas trop tristes.
+Depuis l'éloignement de Gardeil, la passion de Le Camus avait fait de
+merveilleux progrès. Un jour, à table, au dessert, qu'il s'en expliquait
+avec toute l'honnêteté, toute la sensibilité, toute la naïveté d'un
+enfant, toute la finesse d'un homme d'esprit, elle lui dit, avec une
+franchise qui me plut infiniment, mais qui déplaira peut-être à
+d'autres: «Docteur, il est impossible que l'estime que j'ai pour vous
+s'accroisse jamais. Je suis comblée de vos services; et je serais aussi
+noire que le monstre de la rue Hyacinthe, si je n'étais pénétrée de la
+plus vive reconnaissance. Votre tour d'esprit me plaît on ne saurait
+davantage. Vous me parlez de votre passion avec tant de délicatesse et
+de grâce, que je serais, je crois, fâchée que vous ne m'en parlassiez
+plus. La seule idée de perdre votre société ou d'être privée de votre
+amitié suffirait pour me rendre malheureuse. Vous êtes un homme de bien,
+s'il en fut jamais. Vous êtes d'une bonté et d'une douceur de caractère
+incomparables. Je ne crois pas qu'un coeur puisse tomber en de
+meilleures mains. Je prêche le mien du matin au soir en votre faveur;
+mais a beau prêcher qui n'a envie de bien faire. Je n'en avance pas
+davantage. Cependant vous souffrez; et j'en ressens une peine cruelle.
+Je ne connais personne qui soit plus digne que vous du bonheur que vous
+sollicitez, et je ne sais ce que je n'oserais pas pour vous rendre
+heureux. Tout le possible, sans exception. Tenez, docteur, j'irais...
+oui, j'irais jusqu'à coucher... jusque-là inclusivement. Voulez-vous
+coucher avec moi? vous n'avez qu'à dire. Voilà tout ce que je puis faire
+pour votre service; mais vous voulez être aimé, et c'est ce que je ne
+saurais.»
+
+Le docteur l'écoutait, lui prenait la main, la baisait, la mouillait de
+ses larmes; et moi, je ne savais si je devais rire ou pleurer. Mlle de
+La Chaux connaissait bien le docteur; et le lendemain que je lui disais:
+«Mais, mademoiselle, si le docteur vous eût prise au mot?» elle me
+répondit: «J'aurais tenu ma parole; mais cela ne pouvait arriver; mes
+offres n'étaient pas de nature à pouvoir être acceptées par un homme tel
+que lui...--Pourquoi non? Il me semble qu'à la place du docteur,
+j'aurais espéré que le reste viendrait après.--Oui; mais à la place du
+docteur, Mlle de La Chaux ne vous aurait pas fait la même proposition.»
+
+La traduction de Hume ne lui avait pas rendu grand argent. Les
+Hollandais impriment tant qu'on veut, pourvu qu'ils ne payent rien.
+
+--Heureusement pour nous; car, avec les entraves qu'on donne à l'esprit,
+s'ils s'avisent une fois de payer les auteurs, ils attireront chez eux
+tout le commerce de la librairie.
+
+--Nous lui conseillâmes de faire un ouvrage d'agrément, auquel il y
+aurait moins d'honneur et plus de profit. Elle s'en occupa pendant
+quatre à cinq mois, au bout desquels elle m'apporta un petit roman
+historique, intitulé: _les Trois Favorites_. Il y avait de la légèreté
+de style, de la finesse et de l'intérêt; mais, sans qu'elle s'en fût
+doutée, car elle était incapable d'aucune malice, il était parsemé d'une
+multitude de traits applicables à la maîtresse du souverain, la marquise
+de Pompadour; et je ne lui dissimulai pas que, quelque sacrifice qu'elle
+fît, soit en adoucissant, soit en supprimant ces endroits, il était
+presque impossible que son ouvrage parût sans la compromettre, et que le
+chagrin de gâter ce qui était bien ne la garantirait pas d'un autre.
+
+Elle sentit toute la justesse de mon observation et n'en fut que plus
+affligée. Le bon docteur prévenait tous ses besoins; mais elle usait de
+sa bienfaisance avec d'autant plus de réserve, qu'elle se sentait moins
+disposée à la sorte de reconnaissance qu'il en pouvait espérer.
+D'ailleurs, le docteur[7] n'était pas riche alors; et il n'était pas
+trop fait pour le devenir. De temps en temps, elle tirait son manuscrit
+de son portefeuille; et elle me disait tristement: «Eh bien! il n'y a
+donc pas moyen d'en rien faire; et il faut qu'il reste là.» Je lui
+donnai un conseil singulier, ce fut d'envoyer l'ouvrage tel qu'il était,
+sans adoucir, sans changer, à Mme de Pompadour même, avec un bout de
+lettre qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée lui plut. Elle
+écrivit une lettre charmante de tous points, mais surtout par un ton de
+vérité auquel il était impossible de se refuser. Deux ou trois mois
+s'écoulèrent sans qu'elle entendît parler de rien; et elle tenait la
+tentative pour infructueuse, lorsqu'une croix de Saint-Louis se présenta
+chez elle avec une réponse de la marquise. L'ouvrage y était loué comme
+il le méritait; on remerciait du sacrifice; on convenait des
+applications, on n'en était point offensée; et l'on invitait l'auteur à
+venir à Versailles, où l'on trouverait une femme reconnaissante et
+disposée à rendre les services qui dépendraient d'elle. L'envoyé, en
+sortant de chez Mlle de La Chaux, laissa adroitement sur sa cheminée un
+rouleau de cinquante louis.
+
+Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la bienveillance de
+Mme de Pompadour; mais nous avions affaire à une fille dont la modestie
+et la timidité égalaient le mérite. Comment se présenter là avec ses
+haillons? Le docteur leva tout de suite cette difficulté. Après les
+habits, ce furent d'autres prétextes, et puis d'autres prétextes encore.
+Le voyage de Versailles fut différé de jour en jour, jusqu'à ce qu'il ne
+convenait presque plus de le faire. Il y avait déjà du temps que nous ne
+lui en parlions pas, lorsque le même émissaire revint, avec une seconde
+lettre remplie des reproches les plus obligeants et une autre
+gratification équivalente à la première et offerte avec le même
+ménagement. Cette action généreuse de Mme de Pompadour n'a point été
+connue. J'en ai parlé à M. Collin, son homme de confiance et le
+distributeur de ses grâces secrètes. Il l'ignorait; et j'aime à me
+persuader que ce n'est pas la seule que sa tombe recèle.
+
+Ce fut ainsi que Mlle de La Chaux manqua deux fois l'occasion de se
+tirer de la détresse.
+
+Depuis, elle transporta sa demeure sur les extrémités de la ville, et je
+la perdis tout à fait de vue. Ce que j'ai su du reste de sa vie, c'est
+qu'il n'a été qu'un tissu de chagrins, d'infirmités et de misère. Les
+portes de sa famille lui furent opiniâtrement fermées. Elle sollicita
+inutilement l'intercession de ces saints personnages qui l'avaient
+persécutée avec tant de zèle.
+
+--Cela est dans la règle.
+
+--Le docteur ne l'abandonna point. Elle mourut sur la paille, dans un
+grenier, tandis que le petit tigre de la rue Hyacinthe, le seul amant
+qu'elle ait eu, exerçait la médecine à Montpellier ou à Toulouse, et
+jouissait, dans la plus grande aisance, de la réputation méritée
+d'habile homme, et de la réputation usurpée d'honnête homme.
+
+--Mais cela est encore à peu près dans la règle. S'il y a un bon et
+honnête Tanié, c'est à une Reymer que la Providence l'envoie; s'il y a
+une bonne et honnête de La Chaux, elle deviendra le partage d'un
+Gardeil[8], afin que tout soit fait pour le mieux.
+
+Mais on me dira peut-être que c'est aller trop vite que de prononcer
+définitivement sur le caractère d'un homme d'après une seule action;
+qu'une règle aussi sévère réduirait le nombre des gens de bien au point
+d'en laisser moins sur la terre que l'Évangile du chrétien n'admet
+d'élus dans le ciel; qu'on peut être inconstant en amour, se piquer même
+de peu de religion avec les femmes, sans être dépourvu d'honneur et de
+probité; qu'on n'est le maître ni d'arrêter une passion qui s'allume, ni
+d'en prolonger une qui s'éteint; qu'il y a déjà assez d'hommes dans les
+maisons et les rues qui méritent à juste titre le nom de coquins, sans
+inventer des crimes imaginaires qui les multiplieraient à l'infini. On
+me demandera si je n'ai jamais ni trahi, ni trompé, ni délaissé aucune
+femme sans sujet. Si je voulais répondre à ces questions, ma réponse ne
+demeurerait pas sans réplique, et ce serait une dispute à ne finir qu'au
+jugement dernier. Mais mettez la main sur la conscience, et dites-moi,
+vous, monsieur l'apologiste des trompeurs et des infidèles, si vous
+prendriez le docteur de Toulouse pour votre ami?... Vous hésitez? Tout
+est dit; et sur ce, je prie Dieu de tenir en sa sainte garde toute femme
+à qui il vous prendra fantaisie d'adresser votre hommage.
+
+
+
+
+NOTES
+
+
+[Note du transcripteur: Les mentions (N.) et (BR.) désignent les notes
+tirées respectivement des écrits et de l'édition de Naigeon, et de
+l'édition de Brière. Les notes d'Assézat ne portent pas de marque
+particulière.]
+
+ [1] En 1749, M. de Maurepas, encore ministre de la marine, remit à
+ Louis XV un mémoire dans lequel il développait les moyens d'ouvrir,
+ par l'intérieur du Canada, un commerce avec les colonies anglaises.
+ Ce projet fut adopté par la suite, et Maurepas le vit exécuté avant
+ sa mort. (BR.)
+
+ [2] Ce mot seul suffirait pour ôter au lecteur toute confiance dans le
+ récit qui va suivre; et cependant il est littéralement vrai. Diderot
+ n'ajoute rien ni aux événements, ni au caractère des personnages
+ qu'il met en scène. La passion de Mlle de La Chaux pour Gardeil,
+ l'ingratitude monstrueuse de son amant, les détails de son entrevue
+ avec lui, de leur conversation en présence de Diderot, qui l'avait
+ accompagnée chez cette bête féroce; le désespoir touchant de cette
+ femme trahie, délaissée par celui à qui elle avait sacrifié son
+ repos, sa fortune, sa réputation, sa santé, et jusqu'aux charmes
+ mêmes par lesquels elle l'avait séduit: tout cela est de la plus
+ grande exactitude. Comme Diderot avait particulièrement connu les
+ acteurs de ce drame, et que les faits dont il avait été témoin, ou
+ que l'amitié lui avait confiés, étaient encore récents lorsqu'il
+ résolut de les écrire, son imagination n'avait pas eu le temps de
+ les altérer, en ajoutant ou en retranchant quelque circonstance pour
+ produire un plus grand effet: et c'est encore ici un de ces cas
+ assez rares dans l'histoire de sa vie, où il n'a dit que ce qu'il
+ avait vu, et où il n'a vu que ce qui était.
+
+ Aux particularités curieuses qu'il avait recueillies sur Mlle de La
+ Chaux, et qu'il a consignées dans cet écrit, je n'ajouterai qu'un
+ fait, qu'il a omis par oubli et qui mérite d'être conservé; c'est
+ que cette femme si tendre, si passionnée, si intéressante par son
+ extrême sensibilité et par ses malheurs, si digne surtout d'un
+ meilleur sort, avait eu aussi pour amis D'Alembert et l'abbé de
+ Condillac. Elle était en état d'entendre et de juger les ouvrages de
+ ces deux philosophes; elle avait même donné au dernier, dont elle
+ avait lu l'_Essai sur l'origine des connaissances humaines_, le
+ conseil très-sage de revenir sur ses premières pensées, et, pour me
+ servir de son expression, _de commencer par le commencement_;
+ c'est-à-dire de rejeter avec Hobbes l'hypothèse absurde de la
+ distinction des deux substances dans l'homme. J'ose dire que cette
+ vue très-philosophique, cette seule idée de Mlle de La Chaux suppose
+ plus d'étendue, de justesse et de profondeur dans l'esprit, que
+ toute la métaphysique de Condillac, dans laquelle il y a en effet un
+ vice radical et destructeur qui influe sur tout le système, et qui
+ en rend les résultats plus ou moins vagues et incertains. On voit
+ que Mlle de La Chaux l'avait senti; et l'on regrette que Condillac,
+ plus docile aux conseils judicieux de cette femme éclairée et d'une
+ pénétration peu commune, n'ait pas suivi la route qu'elle lui
+ indiquait. Il n'aurait pas semé de tant d'erreurs celle qu'il s'est
+ tracée, et sur laquelle on ne peut que s'égarer avec lui, comme cela
+ arrive tous les jours à ceux qui le prennent pour guide. Voyez, sur
+ ce philosophe, les réflexions préliminaires qui servent
+ d'introduction à son article, dans l'ENCYCLOPÉDIE MÉTHODIQUE,
+ _Dictionnaire de la Philosophie ancienne et moderne_, t. II, et ce
+ que j'en ai dit encore dans mes _Mémoires historiques et
+ philosophiques sur la vie et les ouvrages de Diderot_. (N.)
+
+ [3] Antoine de Ricouart, comte d'Hérouville, né à Paris en 1713, est
+ auteur du _Traité des Légions_, qui porte le nom du maréchal de
+ Saxe[4]. Paris, 1757. Il a fourni des Mémoires curieux aux
+ rédacteurs de l'_Encyclopédie_. On voulut le porter au ministère
+ sous Louis XV, mais un mariage _inégal_ l'en fit exclure. Il mourut
+ en 1782. (BR.)
+
+ [4] Dans les trois premières éditions seulement. L'ouvrage avait été
+ imprimé d'abord sur une copie communiquée au maréchal, et trouvée
+ dans ses papiers.
+
+ [5] Montucla n'avait que trente ans lorsqu'il publia son _Histoire des
+ Mathématiques_. Paris, 1758. Elle a été revue et achevée par
+ Lalande. Paris, 1799-1802. (BR.)
+
+ [6] Voir t. 1er, p. 399.
+
+ [7] Le Camus (Antoine), qui a laissé après lui d'autres souvenirs de
+ bienfaisance, était né à Paris en 1722.
+
+ On lui doit un grand nombre d'ouvrages de médecine et de
+ littérature. Nous citerons seulement: _La Médecine de l'Esprit_,
+ Paris, 1753. _Projet d'anéantir la petite vérole_, 1767. _Médecine
+ pratique rendue plus simple, plus sûre et plus méthodique_, 1769.
+ Plusieurs Mémoires sur différents sujets de médecine. _Abdéker, ou
+ l'Art de conserver la beauté_, 1754-1756. _L'Amour et l'Amitié_,
+ comédie, 1763. _Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé_,
+ traduites du grec de Longus, par Amyot, avec une double traduction,
+ Paris, 1757. Cette nouvelle traduction de Le Camus mérite encore
+ d'être lue après celle que vient de publier M. Courier à
+ Sainte-Pélagie, où il était détenu pour un écrit sur l'acquisition
+ du domaine de Chambord. Paris, 1821. (BR.)
+
+ [8] Gardeil est mort le 19 avril 1808, à l'âge de quatre-vingt-deux
+ ans. On a de lui une _Traduction des OEuvres médicales
+ d'Hippocrate_, sur le texte grec, d'après l'édition de Foës;
+ Toulouse, 1801. (BR.)--C'est à Montpellier qu'il exerçait.
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Ceci n'est pas un conte, by Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CECI N'EST PAS UN CONTE ***
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+works. See paragraph 1.E below.
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+collection are in the public domain in the United States. If an
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+ has agreed to donate royalties under this paragraph to the
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+ address specified in Section 4, "Information about donations to
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
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+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+The Project Gutenberg EBook of Ceci n'est pas un conte, by Denis Diderot
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
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+with this eBook or online at www.gutenberg.org
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+
+Title: Ceci n'est pas un conte
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+Author: Denis Diderot
+
+Editor: Jules Assézat
+
+Release Date: April 25, 2009 [EBook #28602]
+
+Language: French
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+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CECI N'EST PAS UN CONTE ***
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+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was
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+
+<p class="c">[Extrait des &OElig;uvres complètes de Diderot, éditées par Jules Assézat, 5<sup>ème</sup> volume, Paris, Garnier Frères, 1875.]</p>
+
+
+
+
+<h1>CECI N'EST PAS UN CONTE</h1>
+
+<p class="c">(Écrit vers 1772&mdash;Publié en 1798)</p>
+
+
+
+
+<p>Ce conte se trouve dans la <i>Correspondance</i> de Grimm, sous la date
+d'avril 1773; mais il y est incomplet. Il y manque l'histoire de Tanié et
+de la Reymer, et la fin de l'histoire de M<sup>lle</sup> de La Chaux.</p>
+
+<p>M. A.-A. Barbier (<i>Dictionnaire des Anonymes</i>) a supposé que Diderot,
+en attribuant à M<sup>lle</sup> de La Chaux la traduction des «premiers essais de
+la métaphysique, de Hume (ci-après p. <a href="#p321">321</a>)» et des <i>Essais sur l'entendement
+humain</i> (p. <a href="#p328">328</a>), avait été trompé par sa mémoire. Il n'en est
+rien. Diderot a seulement, comme toujours, donné à l'ouvrage de
+Hume, traduit par M<sup>lle</sup> de La Chaux, un titre trop général. Il s'agit
+ici des <i>Political discourses</i>, formant la deuxième partie des <i>Essays</i>.
+La première traduction de cette partie (<i>Essais sur le commerce,
+le luxe, l'argent</i>, Amsterdam, 1752, 1753, in-12; Paris et Lyon, in-12)
+est bien de M<sup>lle</sup> de La Chaux. Elle contient seulement sept des seize
+discours de Hume, avec des réflexions du traducteur. L'abbé Le Blanc
+et ensuite Mauvillon ne publièrent leurs travaux sur le même ouvrage
+qu'en 1754. La traduction de M<sup>lle</sup> de La Chaux des <i>Essais économiques</i>
+de Hume a pris place dans le tome XV de la <i>Collection des principaux
+économistes</i>. M<sup>lle</sup> de La Chaux mourut en 1755.</p>
+
+
+
+
+<h2>CECI N'EST PAS UN CONTE</h2>
+
+
+<p>Lorsqu'on fait un conte, c'est à quelqu'un qui l'écoute; et
+pour peu que le conte dure, il est rare que le conteur ne soit
+pas interrompu quelquefois par son auditeur. Voilà pourquoi
+j'ai introduit dans le récit qu'on va lire, et qui n'est pas un
+conte, ou qui est un mauvais conte, si vous vous en doutez,
+un personnage qui fasse à peu près le rôle du lecteur; et je
+commence.</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>Et vous concluez de là?</p>
+
+<p>&mdash;Qu'un sujet aussi intéressant devait mettre nos têtes en
+l'air; défrayer pendant un mois tous les cercles de la ville; y
+être tourné et retourné jusqu'à l'insipidité: fournir à mille disputes,
+à vingt brochures au moins, et à quelques centaines de
+pièces de vers pour ou contre; et qu'en dépit de toute la
+finesse, de toutes les connaissances, de tout l'esprit de l'auteur,
+puisque son ouvrage n'a excité aucune fermentation violente,
+il est médiocre, et très-médiocre.</p>
+
+<p>&mdash;Mais il me semble que nous lui devons pourtant une
+soirée assez agréable, et que cette lecture a amené...</p>
+
+<p>&mdash;Quoi! une litanie d'historiettes usées qu'on se décochait
+de part et d'autre, et qui ne disaient qu'une chose connue de
+<span class="pagenum"> -<a name="p312" id="p312">312</a>- </span>
+toute éternité, c'est que l'homme et la femme sont deux bêtes
+très-malfaisantes.</p>
+
+<p>&mdash;Cependant l'épidémie vous a gagné, et vous avez payé
+votre écot tout comme un autre.</p>
+
+<p>&mdash;C'est que bon gré, mal gré qu'on en ait, on se prête au
+ton donné; qu'en entrant dans une société, d'usage, on arrange
+à la porte d'un appartement jusqu'à sa physionomie sur celles
+qu'on voit; qu'on contrefait le plaisant, quand on est triste; le
+triste, quand on serait tenté d'être plaisant; qu'on ne veut être
+étranger à quoi que ce soit; que le littérateur politique; que le
+politique métaphysique; que le métaphysicien moralise; que le
+moraliste parle finance; le financier, belles-lettres ou géométrie;
+que, plutôt que d'écouter ou se taire, chacun bavarde de
+ce qu'il ignore, et que tous s'ennuient par sotte vanité ou par
+politesse.</p>
+
+<p>&mdash;Vous avez de l'humeur.</p>
+
+<p>&mdash;À mon ordinaire.</p>
+
+<p>&mdash;Et je crois qu'il est à propos que je réserve mon historiette
+pour un moment plus favorable.</p>
+
+<p>&mdash;C'est-à-dire que vous attendrez que je n'y sois pas.</p>
+
+<p>&mdash;Ce n'est pas cela.</p>
+
+<p>&mdash;Ou que vous craignez que je n'aie moins d'indulgence
+pour vous, tête à tête, que je n'en aurais pour un indifférent
+en société.</p>
+
+<p>&mdash;Ce n'est pas cela.</p>
+
+<p>&mdash;Ayez donc pour agréable de me dire ce que c'est.</p>
+
+<p>&mdash;C'est que mon historiette ne prouve pas plus que celles
+qui vous ont excédé.</p>
+
+<p>&mdash;Hé! dites toujours.</p>
+
+<p>&mdash;Non, non; vous en avez assez.</p>
+
+<p>&mdash;Savez-vous que de toutes les manières qu'ils ont de me
+faire enrager, la vôtre m'est la plus antipathique?</p>
+
+<p>&mdash;Et quelle est la mienne?</p>
+
+<p>&mdash;Celle d'être prié de la chose que vous mourez d'envie de
+faire. Hé bien, mon ami, je vous prie, je vous supplie de vouloir
+bien vous satisfaire.</p>
+
+<p>&mdash;Me satisfaire!</p>
+
+<p>&mdash;Commencez, pour Dieu, commencez.</p>
+
+<p>&mdash;Je tâcherai d'être court.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p313" id="p313">313</a>- </span>&mdash;Cela n'en sera pas plus mal.</p>
+
+<p>Ici, un peu par malice, je toussai, je crachai, je développai
+lentement mon mouchoir, je me mouchai, j'ouvris ma tabatière,
+je pris une prise de tabac; et j'entendais mon homme
+qui disait entre ses dents: «Si l'histoire est courte, les préliminaires
+sont longs...» Il me prit envie d'appeler un domestique,
+sous prétexte de quelque commission; mais je n'en fis
+rien, et je dis:</p>
+
+<hr>
+
+
+<p>«Il faut avouer qu'il y a des hommes bien bons, et des
+femmes bien méchantes.</p>
+
+<p>&mdash;C'est ce qu'on voit tous les jours, et quelquefois sans
+sortir de chez soi. Après?</p>
+
+<p>&mdash;Après? J'ai connu une Alsacienne belle, mais belle à faire
+accourir les vieillards, et à arrêter tout court les jeunes gens.</p>
+
+<p>&mdash;Et moi aussi, je l'ai connue; elle s'appelait M<sup>me</sup> Reymer.</p>
+
+<p>&mdash;Il est vrai. Un nouveau débarqué de Nancy, appelé Tanié,
+en devint éperdument amoureux. Il était pauvre; c'était un de
+ces enfants perdus, que la dureté des parents, qui ont une
+famille nombreuse, chasse de la maison, et qui se jettent dans
+le monde sans savoir ce qu'ils deviendront, par un instinct qui
+leur dit qu'ils n'y auront pas un sort pire que celui qu'ils
+fuient. Tanié, amoureux de M<sup>me</sup> Reymer, exalté par une passion
+qui soutenait son courage et ennoblissait à ses yeux toutes ses
+actions, se soumettait sans répugnance aux plus pénibles et aux
+plus viles, pour soulager la misère de son amie. Le jour, il allait
+travailler sur les ports; à la chute du jour, il mendiait dans
+les rues.</p>
+
+<p>&mdash;Cela était fort beau; mais cela ne pouvait durer.</p>
+
+<p>&mdash;Aussi Tanié, las de lutter contre le besoin, ou plutôt
+de retenir dans l'indigence une femme charmante, obsédée
+d'hommes opulents qui la pressaient de chasser ce gueux de
+Tanié...</p>
+
+<p>&mdash;Ce qu'elle aurait fait quinze jours, un mois plus tard.</p>
+
+<p>&mdash;Et d'accepter leurs richesses, résolut de la quitter, et
+d'aller tenter la fortune au loin. Il sollicite, il obtient son passage
+sur un vaisseau du roi. Le moment de son départ est venu.
+Il va prendre congé de M<sup>me</sup> Reymer. «Mon amie, lui dit-il, je
+ne saurais abuser plus longtemps de votre tendresse. J'ai pris
+<span class="pagenum"> -<a name="p314" id="p314">314</a>- </span>mon parti, je m'en vais.&mdash;Vous vous en allez!&mdash;Oui...&mdash;Et
+où allez-vous?...&mdash;Aux îles. Vous êtes digne d'un autre
+sort, et je ne saurais l'éloigner plus longtemps...»</p>
+
+<p>&mdash;Le bon Tanié!...</p>
+
+<p>«&mdash;Et que voulez-vous que je devienne?...»</p>
+
+<p>&mdash;La traîtresse!...</p>
+
+<p>«&mdash;Vous êtes environnée de gens qui cherchent à vous
+plaire. Je vous rends vos promesses; je vous rends vos serments.
+Voyez celui d'entre ces prétendants qui vous est le
+plus agréable; acceptez-le, c'est moi qui vous en conjure...&mdash;Ah!
+Tanié, c'est vous qui me proposez...»</p>
+
+<p>&mdash;Je vous dispense de la pantomime de M<sup>me</sup> Reymer. Je la
+vois, je la sais...</p>
+
+<p>«&mdash;En m'éloignant, la seule grâce que j'exige de vous,
+c'est de ne former aucun engagement qui nous sépare à
+jamais. Jurez-le-moi, ma belle amie. Quelle que soit la contrée
+de la terre que j'habiterai, il faudra que j'y sois bien malheureux
+s'il se passe une année sans vous donner des preuves
+certaines de mon tendre attachement. Ne pleurez pas...»</p>
+
+<p>&mdash;Elles pleurent toutes quand elles veulent.</p>
+
+<p>&mdash;«... Et ne combattez pas un projet que les reproches de
+mon c&oelig;ur m'ont enfin inspiré, et auxquels ils ne tarderont
+pas à me ramener.» Et voilà Tanié parti pour Saint-Domingue.</p>
+
+<p>&mdash;Et parti tout à temps pour M<sup>me</sup> Reymer et pour lui.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'en savez-vous?</p>
+
+<p>&mdash;Je sais, tout aussi bien qu'on le peut savoir, que quand
+Tanié lui conseilla de faire un choix, il était fait.</p>
+
+<p>&mdash;Bon!</p>
+
+<p>&mdash;Continuez votre récit.</p>
+
+<p>&mdash;Tanié avait de l'esprit et une grande aptitude aux affaires.
+Il ne tarda pas d'être connu. Il entra au conseil souverain du
+Cap. Il s'y distingua par ses lumières et par son équité. Il n'ambitionnait
+pas une grande fortune; il ne la désirait qu'honnête
+et rapide. Chaque année, il en envoyait une portion à M<sup>me</sup> Reymer.
+Il revint au bout... de neuf à dix ans; non, je ne crois
+pas que son absence ait été plus longue... présenter à son amie
+un petit portefeuille qui renfermait le produit de ses vertus et
+de ses travaux... et heureusement pour Tanié, ce fut au moment
+où elle venait de se séparer du dernier des successeurs de Tanié.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p315" id="p315">315</a>- </span>&mdash;Du dernier?</p>
+
+<p>&mdash;Oui.</p>
+
+<p>&mdash;Il en avait donc eu plusieurs?</p>
+
+<p>&mdash;Assurément.</p>
+
+<p>&mdash;Allez, allez.</p>
+
+<p>&mdash;Mais je n'ai peut-être rien à vous dire que vous ne sachiez
+mieux que moi.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'importe, allez toujours.</p>
+
+<p>&mdash;M<sup>me</sup> Reymer et Tanié occupaient un assez beau logement
+rue Sainte-Marguerite, à ma porte. Je faisais grand cas de Tanié,
+et je fréquentais sa maison, qui était, sinon opulente, du moins
+fort aisée.</p>
+
+<p>&mdash;Je puis vous assurer, moi, sans avoir compté avec la Reymer,
+qu'elle avait mieux de quinze mille livres de rente avant
+le retour de Tanié.</p>
+
+<p>&mdash;À qui elle dissimulait sa fortune?</p>
+
+<p>&mdash;Oui.</p>
+
+<p>&mdash;Et pourquoi?</p>
+
+<p>&mdash;C'est qu'elle était avare et rapace.</p>
+
+<p>&mdash;Passe pour rapace; mais avare! une courtisane avare!...
+Il y avait cinq à six ans que ces deux amants vivaient dans la
+meilleure intelligence.</p>
+
+<p>&mdash;Grâce à l'extrême finesse de l'une et à la confiance sans
+bornes de l'autre.</p>
+
+<p>&mdash;Oh! il est vrai qu'il était impossible à l'ombre d'un soupçon
+d'entrer dans une âme aussi pure que celle de Tanié. La
+seule chose dont je me sois quelquefois aperçu, c'est que
+M<sup>me</sup> Reymer avait bientôt oublié sa première indigence; qu'elle
+était tourmentée de l'amour du faste et de la richesse; qu'elle
+était humiliée qu'une aussi belle femme allât à pied.</p>
+
+<p>&mdash;Que n'allait-elle en carrosse?</p>
+
+<p>&mdash;Et que l'éclat du vice lui en dérobait la bassesse. Vous
+riez?... Ce fut alors que M. de Maurepas<a id="FNanchor_1" name="FNanchor_1"></a><a href="#Footnote_1" class="fnanchor">1</a> forma le projet d'établir
+au nord une maison de commerce. Le succès de cette entreprise
+demandait un homme actif et intelligent. Il jeta les yeux
+<span class="pagenum"> -<a name="p316" id="p316">316</a>- </span>sur Tanié, à qui il avait confié la conduite de plusieurs affaires
+importantes pendant son séjour au Cap, et qui s'en était toujours
+acquitté à la satisfaction du ministre. Tanié fut désolé de cette
+marque de distinction. Il était si content, si heureux à côté de
+sa belle amie! Il aimait; il était ou il se croyait aimé.</p>
+
+<p>&mdash;C'est bien dit.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'est-ce que l'or pouvait ajouter à son bonheur? Rien.
+Cependant le ministre insistait. Il fallait se déterminer, il fallait
+s'ouvrir à M<sup>me</sup> Reymer. J'arrivai chez lui précisément sur la fin de
+cette scène fâcheuse. Le pauvre Tanié fondait en larmes.
+«Qu'avez-vous donc, lui dis-je, mon ami?» Il me dit en sanglotant:
+«C'est cette femme!» M<sup>me</sup> Reymer travaillait tranquillement
+à un métier de tapisserie. Tanié se leva brusquement et
+sortit. Je restai seul avec son amie, qui ne me laissa pas ignorer
+ce qu'elle qualifiait de la déraison de Tanié. Elle m'exagéra la
+modicité de son état; elle mit à son plaidoyer tout l'art dont un
+esprit délié sait pallier les sophismes de l'ambition. «De quoi
+s'agit-il? D'une absence de deux ou trois ans au plus.&mdash;C'est
+bien du temps pour un homme que vous aimez et qui vous
+aime autant que lui.&mdash;Lui, il m'aime? S'il m'aimait, balancerait-il
+à me satisfaire?&mdash;Mais, madame, que ne le suivez-vous?&mdash;Moi!
+je ne vais point là; et tout extravagant qu'il
+est, il ne s'est point avisé de me le proposer. Doute-t-il de
+moi?&mdash;Je n'en crois rien.&mdash;Après l'avoir attendu pendant
+douze ans, il peut bien s'en reposer deux ou trois sur ma
+bonne foi. Monsieur, c'est que c'est une de ces occasions singulières
+qui ne se présentent qu'une fois dans la vie; et je ne
+veux pas qu'il ait un jour à se repentir et à me reprocher peut-être
+de l'avoir manquée.&mdash;Tanié ne regrettera rien, tant qu'il
+aura le bonheur de vous plaire.&mdash;Cela est fort honnête; mais
+soyez sûr qu'il sera très-content d'être riche quand je serai
+vieille. Le travers des femmes est de ne jamais penser à l'avenir;
+ce n'est pas le mien...» Le ministre était à Paris. De la
+rue Sainte-Marguerite à son hôtel, il n'y avait qu'un pas. Tanié
+y était allé, et s'était engagé. Il rentra l'&oelig;il sec, mais l'âme serrée.
+«Madame, lui dit-il, j'ai vu M. de Maurepas; il a ma parole.
+Je m'en irai, je m'en irai; et vous serez satisfaite.&mdash;Ah! mon
+ami!...» M<sup>me</sup> Reymer écarte son métier, s'élance vers Tanié,
+jette ses bras autour de son cou, l'accable de caresses et de propos
+<span class="pagenum"> -<a name="p317" id="p317">317</a>- </span>doux. «Ah! c'est pour cette fois que je vois que je vous
+suis chère.» Tanié lui répondait froidement: «Vous voulez
+être riche.»</p>
+
+<p>&mdash;Elle l'était, la coquine, dix fois plus qu'elle ne méritait....</p>
+
+<p>«&mdash;Et vous le serez. Puisque c'est l'or que vous aimez, il
+faut aller vous chercher de l'or.» C'était le mardi; et le
+ministre avait fixé son départ au vendredi, sans délai. J'allai lui
+faire mes adieux au moment où il luttait avec lui-même, où il
+tâchait de s'arracher des bras de la belle, indigne et cruelle
+Reymer. C'était un désordre d'idées, un désespoir, une agonie,
+dont je n'ai jamais vu un second exemple. Ce n'était pas de la
+plainte; c'était un long cri. M<sup>me</sup> Reymer était encore au lit. Il
+tenait une de ses mains. Il ne cessait de dire et de répéter:
+«Cruelle femme! femme cruelle! que te faut-il de plus que l'aisance
+dont tu jouis, et un ami, un amant tel que moi? J'ai été
+lui chercher la fortune dans les contrées brûlantes de l'Amérique;
+elle veut que j'aille la lui chercher encore au milieu des
+glaces du Nord. Mon ami, je sens que cette femme est folle; je
+sens que je suis un insensé; mais il m'est moins affreux de
+mourir que de la contrister. Tu veux que je te quitte; je vais
+te quitter.» Il était à genoux au bord de son lit, la bouche
+collée sur sa main et le visage caché dans les couvertures, qui,
+en étouffant son murmure, ne le rendaient que plus triste et plus
+effrayant. La porte de la chambre s'ouvrit; il releva brusquement
+la tête; il vit le postillon qui venait lui annoncer que les
+chevaux étaient à la chaise. Il fit un cri, et recacha son visage
+sur les couvertures. Après un moment de silence, il se leva; il
+dit à son amie: «Embrassez-moi, madame; embrasse-moi
+encore une fois, car tu ne me verras plus.» Son pressentiment
+n'était que trop vrai. Il partit. Il arriva à Pétersbourg, et,
+trois jours après, il fut attaqué d'une fièvre dont il mourut le
+quatrième.</p>
+
+<p>&mdash;Je savais tout cela.</p>
+
+<p>&mdash;Vous avez peut-être été un des successeurs de Tanié?</p>
+
+<p>&mdash;Vous l'avez dit; et c'est avec cette belle abominable que
+j'ai dérangé mes affaires.</p>
+
+<p>&mdash;Ce pauvre Tanié!</p>
+
+<p>&mdash;Il y a des gens dans le monde qui vous diront que c'est
+un sot.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p318" id="p318">318</a>- </span>&mdash;Je ne le défendrai pas; mais je souhaiterai au fond de
+mon c&oelig;ur que leur mauvais destin les adresse à une femme aussi
+belle et aussi artificieuse que M<sup>me</sup> Reymer.</p>
+
+<p>&mdash;Vous êtes cruel dans vos vengeances.</p>
+
+<p>&mdash;Et puis, s'il y a des femmes méchantes et des hommes
+très-bons, il y a aussi des femmes très-bonnes et des hommes
+très-méchants; et ce que je vais ajouter n'est pas plus un conte<a id="FNanchor_2" name="FNanchor_2"></a><a href="#Footnote_2" class="fnanchor">2</a>
+que ce qui précède.</p>
+
+<p>&mdash;J'en suis convaincu.</p>
+
+<p>&mdash;M. d'Hérouville...</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p319" id="p319">319</a>- </span>&mdash;Celui qui vit encore? le lieutenant général des armées du
+roi? celui qui épousa cette charmante créature appelée Lolotte<a id="FNanchor_3" name="FNanchor_3"></a><a href="#Footnote_3" class="fnanchor">3</a>?</p>
+
+<p>&mdash;Lui-même.</p>
+
+<p>&mdash;C'est un galant homme, ami des sciences.</p>
+
+<p>&mdash;Et des savants. Il s'est longtemps occupé d'une histoire
+générale de la guerre dans tous les siècles et chez toutes les
+nations.</p>
+
+<p>&mdash;Le projet est vaste.</p>
+
+<p>&mdash;Pour le remplir, il avait appelé autour de lui quelques
+jeunes gens d'un mérite distingué, tels que M. de Montucla<a id="FNanchor_5" name="FNanchor_5"></a><a href="#Footnote_5" class="fnanchor">5</a>,
+l'auteur de l'<i>Histoire des Mathématiques</i>.</p>
+
+<p>&mdash;Diable! en avait-il beaucoup de cette force-là?</p>
+
+<p>&mdash;Mais celui qui se nommait Gardeil, le héros de l'aventure
+que je vais vous raconter, ne lui cédait guère dans sa partie.
+Une fureur commune pour l'étude de la langue grecque commença,
+entre Gardeil et moi, une liaison que le temps, la réciprocité
+des conseils, le goût de la retraite, et surtout la facilité
+de se voir, conduisirent à une assez grande intimité.</p>
+
+<p>&mdash;Vous demeuriez alors à l'Estrapade.</p>
+
+<p>&mdash;Lui, rue Sainte-Hyacinthe, et son amie, M<sup>lle</sup> de La Chaux,
+place Saint-Michel. Je la nomme de son propre nom, parce que
+la pauvre malheureuse n'est plus, parce que sa vie ne peut que
+l'honorer dans tous les esprits bien faits et lui mériter l'admiration,
+les regrets et les larmes de ceux que la nature aura favorisés
+ou punis d'une petite portion de la sensibilité de son
+âme.</p>
+
+<p>&mdash;Mais votre voix s'entrecoupe, et je crois que vous pleurez.</p>
+
+<p>&mdash;Il me semble encore que je vois ses grands yeux noirs,
+brillants et doux, et que le son de sa voix touchante retentisse
+dans mon oreille et trouble mon c&oelig;ur. Créature charmante!
+<span class="pagenum"> -<a name="p320" id="p320">320</a>- </span>créature unique! tu n'es plus! Il y a près de vingt ans que tu
+n'es plus; et mon c&oelig;ur se serre encore à ton souvenir.</p>
+
+<p>&mdash;Vous l'avez aimée?</p>
+
+<p>&mdash;Non. Ô La Chaux! ô Gardeil! Vous fûtes l'un et l'autre
+deux prodiges; vous, de la tendresse de la femme; vous, de l'ingratitude
+de l'homme. M<sup>lle</sup> de La Chaux était d'une famille honnête.
+Elle quitta ses parents pour se jeter entre les bras de
+Gardeil. Gardeil n'avait rien, M<sup>lle</sup> de La Chaux jouissait de quelque
+bien; et ce bien fut entièrement sacrifié aux besoins et aux
+fantaisies de Gardeil. Elle ne regretta ni sa fortune dissipée, ni
+son honneur flétri. Son amant lui tenait lieu de tout.</p>
+
+<p>&mdash;Ce Gardeil était donc bien séduisant, bien aimable?</p>
+
+<p>&mdash;Point du tout. Un petit homme bourru, taciturne et caustique;
+le visage sec, le teint basané; en tout, une figure mince
+et chétive; laid, si un homme peut l'être avec la physionomie de
+l'esprit.</p>
+
+<p>&mdash;Et voilà ce qui avait renversé la tête à une fille charmante?</p>
+
+<p>&mdash;Et cela vous surprend?</p>
+
+<p>&mdash;Toujours.</p>
+
+<p>&mdash;Vous?</p>
+
+<p>&mdash;Moi.</p>
+
+<p>&mdash;Mais vous ne vous rappelez donc plus votre aventure avec
+la Deschamps et le profond désespoir où vous tombâtes lorsque
+cette créature vous ferma sa porte?</p>
+
+<p>&mdash;Laissons cela; continuez.</p>
+
+<p>&mdash;Je vous disais: «Elle est donc bien belle?» Et vous me
+répondiez tristement: «Non.&mdash;Elle a donc bien de l'esprit?&mdash;C'est
+une sotte.&mdash;Ce sont donc ses talents qui vous entraînent?&mdash;Elle
+n'en a qu'un.&mdash;Et ce rare, ce sublime, ce merveilleux
+talent?&mdash;C'est de me rendre plus heureux entre ses bras
+que je ne le fus jamais entre les bras d'aucune autre femme.»
+Mais M<sup>lle</sup> de La Chaux, l'honnête, la sensible M<sup>lle</sup> de La Chaux
+se promettait secrètement, d'instinct, à son insu, le bonheur
+que vous connaissiez, et qui vous faisait dire de la Deschamps:
+«Si cette malheureuse, si cette infâme s'obstine à me chasser de
+chez elle, je prends un pistolet, et je me brise la cervelle dans
+son antichambre.» L'avez-vous dit, ou non?</p>
+
+<p>&mdash;Je l'ai dit; et même à présent, je ne sais pourquoi je ne
+l'ai pas fait.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p321" id="p321">321</a>- </span>&mdash;Convenez donc.</p>
+
+<p>&mdash;Je conviens de tout ce qu'il vous plaira.</p>
+
+<p>&mdash;Mon ami, le plus sage d'entre nous est bien heureux de
+n'avoir pas rencontré la femme belle ou laide, spirituelle ou
+sotte, qui l'aurait rendu fou à enfermer aux Petites-Maisons.
+Plaignons beaucoup les hommes, blâmons-les sobrement;
+regardons nos années passées comme autant de moments dérobés
+à la méchanceté qui nous suit; et ne pensons jamais qu'en
+tremblant à la violence de certains attraits de nature, surtout
+pour les âmes chaudes et les imaginations ardentes. L'étincelle
+qui tombe fortuitement sur un baril de poudre ne produit pas
+un effet plus terrible. Le doigt prêt à secouer sur vous ou sur
+moi cette fatale étincelle est peut-être levé.</p>
+
+<p>M. d'Hérouville, jaloux d'accélérer son ouvrage, excédait de
+fatigue ses coopérateurs. La santé de Gardeil en fut altérée.
+Pour alléger sa tâche, M<sup>lle</sup> de La Chaux apprit l'hébreu;
+et tandis que son ami reposait, elle passait une partie de
+la nuit à interpréter et transcrire des lambeaux d'auteurs
+hébreux. Le temps de dépouiller les auteurs grecs arriva; M<sup>lle</sup> de
+La Chaux se hâta de se perfectionner dans cette langue dont
+elle avait déjà quelque teinture: et tandis que Gardeil dormait
+elle était occupée à traduire et à copier des passages de Xénophon
+et de Thucydide. À la connaissance du grec et de l'hébreu, elle
+joignit celle de l'italien et de l'anglais. Elle posséda l'anglais au
+point de rendre en français les premiers essais de la métaphysique
+de Hume; ouvrage où la difficulté de la matière ajoutait
+infiniment à celle de l'idiome. Lorsque l'étude avait épuisé ses
+forces, elle s'amusait à graver de la musique. Lorsqu'elle craignait
+que l'ennui ne s'emparât de son amant, elle chantait. Je
+n'exagère rien, j'en atteste M. Le Camus, docteur en médecine,
+qui l'a consolée dans ses peines et secourue dans son indigence;
+qui lui a rendu les services les plus continus; qui l'a suivie
+dans un grenier où sa pauvreté l'avait reléguée, et qui lui a
+fermé les yeux quand elle est morte. Mais j'oublie un de ses
+premiers malheurs; c'est la persécution qu'elle eut à souffrir
+d'une famille indignée d'un attachement public et scandaleux.
+On employa et la vérité et le mensonge, pour disposer de sa
+liberté d'une manière infamante. Ses parents et les prêtres la
+poursuivirent de quartier en quartier, de maison en maison, et
+<span class="pagenum"> -<a name="p322" id="p322">322</a>- </span>la réduisirent plusieurs années à vivre seule et cachée. Elle
+passait les journées à travailler pour Gardeil. Nous lui apparaissions
+la nuit; et à la présence de son amant, tout son chagrin,
+toute son inquiétude était évanouie.</p>
+
+<p>&mdash;Quoi! jeune, pusillanime, sensible au milieu de tant de
+traverse, elle était heureuse.</p>
+
+<p>&mdash;Heureuse! Oui elle ne cessa de l'être que quand Gardeil
+fut ingrat.</p>
+
+<p>&mdash;Mais il est impossible que l'ingratitude ait été la récompense
+de tant de qualités rares, tant de marques de tendresse,
+tant de sacrifices de toute espèce.</p>
+
+<p>&mdash;Vous vous trompez, Gardeil fut ingrat. Un jour, M<sup>lle</sup> de
+La Chaux se trouva seule dans ce monde, sans honneur, sans
+fortune, sans appui. Je vous en impose, je lui restai pendant
+quelque temps. Le docteur Le Camus lui resta toujours.</p>
+
+<p>&mdash;Ô les hommes, les hommes!</p>
+
+<p>&mdash;De qui parlez-vous?</p>
+
+<p>&mdash;De Gardeil.</p>
+
+<p>&mdash;Vous regardez le méchant; et vous ne voyez pas tout à
+côté l'homme de bien. Ce jour de douleur et de désespoir, elle
+accourut chez moi. C'était le matin. Elle était pâle comme la
+mort. Elle ne savait son sort que de la veille, et elle offrait
+l'image des longues souffrances. Elle ne pleurait pas; mais on
+voyait qu'elle avait beaucoup pleuré. Elle se jeta dans un fauteuil;
+elle ne parlait pas; elle ne pouvait parler; elle me tendait
+les bras, et en même temps elle poussait des cris. «Qu'est-ce
+qu'il y a, lui dis-je? Est-ce qu'il est mort?...&mdash;C'est pis: il
+ne m'aime plus; il m'abandonne...»</p>
+
+<p>&mdash;Allez donc.</p>
+
+<p>&mdash;Je ne saurais; je la vois, je l'entends; et mes yeux se
+remplissent de pleurs. «Il ne vous aime plus?...&mdash;Non.&mdash;Il
+vous abandonne!&mdash;Eh! oui. Après tout ce que j'ai fait!...
+Monsieur, ma tête s'embarrasse; ayez pitié de moi; ne me
+quittez pas... surtout ne me quittez pas...» En prononçant ces
+mots, elle m'avait saisi le bras, qu'elle me serrait fortement,
+comme s'il y avait eu près d'elle quelqu'un qui la menaçât de
+l'arracher et de l'entraîner... «Ne craignez rien, mademoiselle.&mdash;Je
+ne crains que moi.&mdash;Que faut-il faire pour vous?&mdash;D'abord,
+me sauver de moi-même... Il ne m'aime plus! je le
+<span class="pagenum"> -<a name="p323" id="p323">323</a>- </span>fatigue! je l'excède! je l'ennuie! il me hait! il m'abandonne! il
+me laisse! il me laisse!» À ce mot répété succéda un silence
+profond; et à ce silence, des éclats d'un rire convulsif plus
+effrayants mille fois que les accents du désespoir ou le râle de
+l'agonie. Ce furent ensuite des pleurs, des cris, des mots inarticulés,
+des regards tournés vers le ciel, des lèvres tremblantes,
+un torrent de douleurs qu'il fallait abandonner à son cours; ce
+que je fis: et je ne commençai à m'adresser à sa raison, que
+quand je vis son âme brisée et stupide. Alors je repris: «Il vous
+hait, il vous laisse! et qui est-ce qui vous l'a dit?&mdash;Lui.&mdash;Allons,
+mademoiselle, un peu d'espérance et de courage. Ce
+n'est pas un monstre...&mdash;Vous ne le connaissez pas; vous le
+connaîtrez. C'est un monstre comme il n'y en a point, comme
+il n'y en eut jamais.&mdash;Je ne saurais le croire.&mdash;Vous le
+verrez.&mdash;Est-ce qu'il aime ailleurs?&mdash;Non.&mdash;Ne lui avez-vous
+donné aucun soupçon, aucun mécontentement?&mdash;Aucun,
+aucun.&mdash;Qu'est-ce donc?&mdash;Mon inutilité. Je n'ai plus rien.
+Je ne suis plus bonne à rien. Son ambition; il a toujours été
+ambitieux. La perte de ma santé, celle de mes charmes: j'ai
+tant souffert et tant fatigué; l'ennui, le dégoût.&mdash;On cesse
+d'être amants, mais on reste amis.&mdash;Je suis devenue un objet
+insupportable; ma présence lui pèse, ma vue l'afflige et le
+blesse. Si vous saviez ce qu'il m'a dit! Oui, monsieur, il m'a
+dit que s'il était condamné à passer vingt-quatre heures avec
+moi, il se jetterait par les fenêtres.&mdash;Mais cette aversion n'est
+pas l'ouvrage d'un moment.&mdash;Que sais-je? Il est naturellement
+si dédaigneux! si indifférent! si froid! Il est si difficile de lire
+au fond de ces âmes! et l'on a tant de répugnance à lire son
+arrêt de mort! Il me l'a prononcé, et avec quelle dureté!&mdash;Je
+n'y conçois rien.&mdash;J'ai une grâce à vous demander, et
+c'est pour cela que je suis venue: me l'accorderez-vous?&mdash;Quelle
+qu'elle soit.&mdash;Écoutez. Il vous respecte; vous savez
+tout ce qu'il me doit. Peut-être rougira-t-il de se montrer à
+vous tel qu'il est. Non, je ne crois pas qu'il en ait le front ni la
+force. Je ne suis qu'une femme, et vous êtes un homme. Un
+homme tendre, honnête et juste en impose. Vous lui en imposerez.
+Donnez-moi le bras, et ne refusez pas de m'accompagner
+chez lui. Je veux lui parler devant vous. Qui sait ce
+que ma douleur et votre présence pourront faire sur lui?
+<span class="pagenum"> -<a name="p324" id="p324">324</a>- </span>Vous m'accompagnerez?&mdash;Très-volontiers.&mdash;Allons...»</p>
+
+<p>&mdash;Je crains bien que sa douleur et sa présence n'y fassent
+que de l'eau claire. Le dégoût! c'est une terrible chose que le
+dégoût en amour, et d'une femme!...</p>
+
+<p>&mdash;J'envoyai chercher une chaise à porteurs; car elle n'était
+guère en état de marcher. Nous arrivons chez Gardeil, à cette
+grande maison neuve, la seule qu'il y ait à droite dans la rue
+Hyacinthe, en entrant par la place Saint-Michel. Là, les porteurs
+arrêtent; ils ouvrent. J'attends. Elle ne sort point. Je m'approche,
+et je vois une femme saisie d'un tremblement universel;
+ses dents se frappaient comme dans le frisson de la fièvre; ses
+genoux se battaient l'un contre l'autre. «Un moment, monsieur;
+je vous demande pardon; je ne saurais... Que vais-je faire là?
+Je vous aurai dérangé de vos affaires inutilement; j'en suis
+fâchée; je vous demande pardon...» Cependant je lui tendais
+le bras. Elle le prit, elle essaya de se lever; elle ne le put.
+«Encore un moment, monsieur, me dit-elle; je vous fais peine;
+vous pâtissez de mon état...» Enfin elle se rassura un peu; et
+en sortant de la chaise, elle ajouta tout bas: «Il faut entrer;
+il faut le voir. Que sait-on? j'y mourrai peut-être...» Voilà la
+cour traversée; nous voilà à la porte de l'appartement; nous
+voilà dans le cabinet de Gardeil. Il était à son bureau, en robe
+de chambre, en bonnet de nuit. Il me fit un salut de la main,
+et continua le travail qu'il avait commencé. Ensuite il vint à
+moi, et me dit: «Convenez, monsieur, que les femmes sont bien
+incommodes. Je vous fais mille excuses des extravagances de
+mademoiselle.» Puis s'adressant à la pauvre créature, qui était
+plus morte que vive: «Mademoiselle, lui dit-il, que prétendez-vous
+encore de moi? Il me semble qu'après la manière nette et
+précise dont je me suis expliqué, tout doit être fini entre nous.
+Je vous ai dit que je ne vous aimais plus; je vous l'ai dit seul
+à seul; votre dessein est apparemment que je vous le répète
+devant monsieur: eh bien, mademoiselle, je ne vous aime plus.
+L'amour est un sentiment éteint dans mon c&oelig;ur pour vous; et
+j'ajouterai, si cela peut vous consoler, pour toute autre femme.&mdash;Mais
+apprenez-moi pourquoi vous ne m'aimez plus?&mdash;Je
+l'ignore; tout ce que je sais, c'est que j'ai commencé sans
+savoir pourquoi; que j'ai cessé sans savoir pourquoi; et que je
+sens qu'il est impossible que cette passion revienne. C'est une
+<span class="pagenum"> -<a name="p325" id="p325">325</a>- </span>gourme que j'ai jetée, et dont je me crois et me félicite d'être
+parfaitement guéri.&mdash;Quels sont mes torts?&mdash;Vous n'en
+avez aucun.&mdash;Auriez-vous quelque objection secrète à faire à
+ma conduite?&mdash;Pas la moindre; vous avez été la femme la
+plus constante, la plus honnête, la plus tendre qu'un homme
+pût désirer.&mdash;Ai-je omis quelque chose qu'il fût en mon
+pouvoir de faire?&mdash;Rien.&mdash;Ne vous ai-je pas sacrifié mes
+parents?&mdash;Il est vrai.&mdash;Ma fortune.&mdash;J'en suis au désespoir.&mdash;Ma
+santé?&mdash;Cela se peut.&mdash;Mon honneur, ma
+réputation, mon repos?&mdash;Tout ce qu'il vous plaira.&mdash;Et je
+te suis odieuse!&mdash;Cela est dur à dire, dur à entendre, mais
+puisque cela est, il faut en convenir.&mdash;Je lui suis odieuse!...
+Je le sens, et ne m'en estime pas davantage!... Odieuse! ah!
+dieux!...» À ces mots une pâleur mortelle se répandit sur son
+visage; ses lèvres se décolorèrent; les gouttes d'une sueur
+froide, qui se formait sur ses joues, se mêlaient aux larmes qui
+descendaient de ses yeux; ils étaient fermés; sa tête se renversa
+sur le dos de son fauteuil; ses dents se serrèrent; tous ses
+membres tressaillaient; à ce tressaillement succéda une défaillance
+qui me parut l'accomplissement de l'espérance qu'elle
+avait conçue à la porte de cette maison. La durée de cet état
+acheva de m'effrayer. Je lui ôtai son mantelet; je desserrai les
+cordons de sa robe; je relâchai ceux de ses jupons, et je lui
+jetai quelques gouttes d'eau fraîche sur le visage. Ses yeux se
+rouvrirent à demi; il se fit entendre un murmure sourd dans
+sa gorge; elle voulait prononcer: Je lui suis odieuse; et elle
+n'articulait que les dernières syllabes du mot; puis elle poussait
+un cri aigu. Ses paupières s'abaissaient; et l'évanouissement
+reprenait. Gardeil, froidement assis dans son fauteuil, son
+coude appuyé sur la table et sa tête appuyée sur sa main,
+la regardait sans émotion, et me laissait le soin de la
+secourir. Je lui dis à plusieurs reprises: «Mais, monsieur,
+elle se meurt... il faudrait appeler.» Il me répondit en
+souriant et haussant les épaules: «Les femmes ont la vie
+dure; elles ne meurent pas pour si peu; ce n'est rien; cela se
+passera. Vous ne les connaissez pas; elles font de leur corps
+tout ce qu'elles veulent...&mdash;Elle se meurt, vous dis-je.» En
+effet, son corps était comme sans force et sans vie; il s'échappait
+de dessus son fauteuil, et elle serait tombée à terre de droite
+<span class="pagenum"> -<a name="p326" id="p326">326</a>- </span>ou de gauche, si je ne l'avais retenue. Cependant Gardeil s'était
+levé brusquement; et en se promenant dans son appartement,
+il disait d'un ton d'impatience et d'humeur: «Je me serais bien
+passé de cette maussade scène; mais j'espère bien que ce sera
+la dernière. À qui diable en veut cette créature? Je l'ai aimée;
+je me battrais la tête contre le mur qu'il n'en serait ni plus ni
+moins. Je ne l'aime plus; elle le sait à présent, ou elle ne le
+saura jamais. Tout est dit...&mdash;Non, monsieur, tout n'est pas
+dit. Quoi! vous croyez qu'un homme de bien n'a qu'à dépouiller
+une femme de tout ce qu'elle a, et la laisser.&mdash;Que voulez-vous
+que je fasse? je suis aussi gueux qu'elle.&mdash;Ce que je
+veux que vous fassiez? que vous associiez votre misère à celle
+où vous l'avez réduite.&mdash;Cela vous plaît à dire. Elle n'en
+serait pas mieux, et j'en serais beaucoup plus mal.&mdash;En
+useriez-vous ainsi avec un ami qui vous aurait tout sacrifié?&mdash;Un
+ami! un ami! je n'ai pas grande foi aux amis; et cette
+expérience m'a appris à n'en avoir aucune aux passions. Je suis
+fâché de ne l'avoir pas su plus tôt.&mdash;Et il est juste que cette
+malheureuse soit la victime de l'erreur de votre c&oelig;ur.&mdash;Et
+qui vous a dit qu'un mois, un jour plus tard, je ne l'aurais pas
+été, moi, tout aussi cruellement, de l'erreur du sien?&mdash;Qui
+me l'a dit? tout ce qu'elle a fait pour vous, et l'état où vous la
+voyez.&mdash;Ce qu'elle a fait pour moi!... Oh! pardieu, il est
+acquitté de reste par la perte de mon temps.&mdash;Ah! monsieur
+Gardeil, quelle comparaison de votre temps et de toutes les choses
+sans prix que vous lui avez enlevées!&mdash;Je n'ai rien fait, je ne
+suis rien, j'ai trente ans; il est temps ou jamais de penser à soi,
+et d'apprécier toutes ces fadaises-là ce qu'elles valent...»</p>
+
+<p>Cependant la pauvre demoiselle était un peu revenue à elle-même.
+À ces derniers mots, elle reprit avec assez de vivacité:
+«Qu'a-t-il dit de la perte de son temps? J'ai appris quatre
+langues, pour le soulager dans ses travaux; j'ai lu mille
+volumes; j'ai écrit, traduit, copié les jours et les nuits;
+j'ai épuisé mes forces, usé mes yeux, brûlé mon sang; j'ai contracté
+une maladie fâcheuse, dont je ne guérirai peut-être
+jamais. La cause de son dégoût, il n'ose l'avouer; mais vous
+allez la connaître.» À l'instant elle arrache son fichu; elle sort
+un de ses bras de sa robe; elle met son épaule à nu; et, me
+montrant une tache érysipélateuse: «La raison de son changement,
+<span class="pagenum"> -<a name="p327" id="p327">327</a>- </span>la voilà, me dit-elle, la voilà; voilà l'effet des nuits que
+j'ai veillées. Il arrivait le matin avec ses rouleaux de parchemin.
+M. d'Hérouville, me disait-il, est très-pressé de savoir ce
+qu'il y a là dedans; il faudrait que cette besogne fût faite
+demain; et elle l'était...» Dans ce moment, nous entendîmes le
+pas de quelqu'un qui s'avançait vers la porte; c'était un domestique
+qui annonçait l'arrivée de M. d'Hérouville. Gardeil en
+pâlit. J'invitai M<sup>lle</sup> de La Chaux à se rajuster et à se retirer...
+«Non, dit-elle, non; je reste. Je veux démasquer l'indigne.
+J'attendrai M. d'Hérouville, je lui parlerai.&mdash;Et à quoi cela
+servira-t-il?&mdash;À rien, me répondit-elle; vous avez raison.&mdash;Demain
+vous en seriez désolée. Laissez-lui tous ses torts;
+c'est une vengeance digne de vous.&mdash;Mais est-elle digne de
+lui? Est-ce que vous ne voyez pas que cet homme-là n'est...
+Partons, monsieur, partons vite; car je ne puis répondre ni de
+ce que je ferais, ni de ce que je dirais...» M<sup>lle</sup> de La Chaux
+répara en un clin d'&oelig;il le désordre que cette scène avait mis
+dans ses vêtements, s'élança comme un trait hors du cabinet
+de Gardeil. Je la suivis, et j'entendis la porte qui se fermait
+sur nous avec violence. Depuis, j'ai appris qu'on avait donné
+son signalement au portier.</p>
+
+<p>Je la conduisis chez elle, où je trouvai le docteur Le Camus,
+qui nous attendait. La passion qu'il avait prise pour cette jeune
+fille différait peu de celle qu'elle ressentait pour Gardeil. Je lui
+fis le récit de notre visite; et tout à travers les signes de sa
+colère, de sa douleur, de son indignation...</p>
+
+<p>&mdash;Il n'était pas trop difficile de démêler sur son visage que
+votre peu de succès ne lui déplaisait pas trop.</p>
+
+<p>&mdash;Il est vrai.</p>
+
+<p>&mdash;Voilà l'homme. Il n'est pas meilleur que cela.</p>
+
+<p>&mdash;Cette rupture fut suivie d'une maladie violente, pendant
+laquelle le bon, l'honnête, le tendre et délicat docteur lui rendait
+des soins qu'il n'aurait pas eus pour la plus grande dame
+de France. Il venait trois, quatre fois par jour. Tant qu'il y eut
+du péril, il coucha dans sa chambre, sur un lit de sangle. C'est
+un bonheur qu'une maladie dans les grands chagrins.</p>
+
+<p>&mdash;En nous rapprochant de nous, elle écarte le souvenir
+des autres. Et puis c'est un prétexte pour s'affliger sans indiscrétion
+et sans contrainte.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p328" id="p328">328</a>- </span>&mdash;Cette réflexion, juste d'ailleurs, n'était pas applicable à
+M<sup>lle</sup> de La Chaux.</p>
+
+<p>Pendant sa convalescence, nous arrangeâmes l'emploi de
+son temps. Elle avait de l'esprit, de l'imagination, du goût, des
+connaissances, plus qu'il n'en fallait pour être admise à l'Académie
+des inscriptions. Elle nous avait tant et tant entendus
+métaphysiquer, que les matières les plus abstraites lui étaient
+devenues familières; et sa première tentative littéraire fut la
+traduction des <i>Essais sur l'entendement humain</i>, de Hume. Je
+la revis; et, en vérité, elle m'avait laissé bien peu de chose à
+rectifier. Cette traduction fut imprimée en Hollande et bien
+accueillie du public.</p>
+
+<p>Ma Lettre sur les Sourds et Muets parut presque en même
+temps. Quelques objections très-fines qu'elle me proposa donnèrent
+lieu à une addition qui lui fut dédiée<a id="FNanchor_6" name="FNanchor_6"></a><a href="#Footnote_6" class="fnanchor">6</a>. Cette addition
+n'est pas ce que j'ai fait de plus mal.</p>
+
+<p>La gaieté de M<sup>lle</sup> de La Chaux était un peu revenue. Le docteur
+nous donnait quelquefois à manger, et ces dîners n'étaient
+pas trop tristes. Depuis l'éloignement de Gardeil, la passion de
+Le Camus avait fait de merveilleux progrès. Un jour, à table,
+au dessert, qu'il s'en expliquait avec toute l'honnêteté, toute la
+sensibilité, toute la naïveté d'un enfant, toute la finesse d'un
+homme d'esprit, elle lui dit, avec une franchise qui me plut
+infiniment, mais qui déplaira peut-être à d'autres: «Docteur,
+il est impossible que l'estime que j'ai pour vous s'accroisse
+jamais. Je suis comblée de vos services; et je serais aussi noire
+que le monstre de la rue Hyacinthe, si je n'étais pénétrée de la
+plus vive reconnaissance. Votre tour d'esprit me plaît on ne
+saurait davantage. Vous me parlez de votre passion avec tant
+de délicatesse et de grâce, que je serais, je crois, fâchée que
+vous ne m'en parlassiez plus. La seule idée de perdre votre
+société ou d'être privée de votre amitié suffirait pour me rendre
+malheureuse. Vous êtes un homme de bien, s'il en fut jamais.
+Vous êtes d'une bonté et d'une douceur de caractère incomparables.
+Je ne crois pas qu'un c&oelig;ur puisse tomber en de meilleures
+mains. Je prêche le mien du matin au soir en votre
+faveur; mais a beau prêcher qui n'a envie de bien faire. Je n'en
+avance pas davantage. Cependant vous souffrez; et j'en ressens
+une peine cruelle. Je ne connais personne qui soit plus digne
+que vous du bonheur que vous sollicitez, et je ne sais ce que je
+n'oserais pas pour vous rendre heureux. Tout le possible, sans
+exception. Tenez, docteur, j'irais... oui, j'irais jusqu'à coucher...
+jusque-là inclusivement. Voulez-vous coucher avec
+moi? vous n'avez qu'à dire. Voilà tout ce que je puis faire pour
+votre service; mais vous voulez être aimé, et c'est ce que je ne
+saurais.»</p>
+
+<p>Le docteur l'écoutait, lui prenait la main, la baisait, la
+mouillait de ses larmes; et moi, je ne savais si je devais rire
+ou pleurer. M<sup>lle</sup> de La Chaux connaissait bien le docteur; et le
+lendemain que je lui disais: «Mais, mademoiselle, si le docteur
+vous eût prise au mot?» elle me répondit: «J'aurais tenu
+ma parole; mais cela ne pouvait arriver; mes offres n'étaient
+pas de nature à pouvoir être acceptées par un homme tel que
+lui...&mdash;Pourquoi non? Il me semble qu'à la place du docteur,
+j'aurais espéré que le reste viendrait après.&mdash;Oui; mais
+à la place du docteur, M<sup>lle</sup> de La Chaux ne vous aurait pas fait
+la même proposition.»</p>
+
+<p>La traduction de Hume ne lui avait pas rendu grand argent.
+Les Hollandais impriment tant qu'on veut, pourvu qu'ils ne
+payent rien.</p>
+
+<p>&mdash;Heureusement pour nous; car, avec les entraves qu'on
+donne à l'esprit, s'ils s'avisent une fois de payer les auteurs, ils
+attireront chez eux tout le commerce de la librairie.</p>
+
+<p>&mdash;Nous lui conseillâmes de faire un ouvrage d'agrément,
+auquel il y aurait moins d'honneur et plus de profit. Elle s'en
+occupa pendant quatre à cinq mois, au bout desquels elle
+m'apporta un petit roman historique, intitulé: <i>les Trois Favorites</i>.
+Il y avait de la légèreté de style, de la finesse et de
+l'intérêt; mais, sans qu'elle s'en fût doutée, car elle était incapable
+d'aucune malice, il était parsemé d'une multitude de
+traits applicables à la maîtresse du souverain, la marquise de
+Pompadour; et je ne lui dissimulai pas que, quelque sacrifice
+qu'elle fît, soit en adoucissant, soit en supprimant ces endroits,
+il était presque impossible que son ouvrage parût sans la compromettre,
+et que le chagrin de gâter ce qui était bien ne la
+garantirait pas d'un autre.</p>
+
+<p><span class="pagenum"> -<a name="p330" id="p330">330</a>- </span>Elle sentit toute la justesse de mon observation et n'en fut
+que plus affligée. Le bon docteur prévenait tous ses besoins;
+mais elle usait de sa bienfaisance avec d'autant plus de réserve,
+qu'elle se sentait moins disposée à la sorte de reconnaissance
+qu'il en pouvait espérer. D'ailleurs, le docteur<a id="FNanchor_7" name="FNanchor_7"></a><a href="#Footnote_7" class="fnanchor">7</a> n'était pas riche
+alors; et il n'était pas trop fait pour le devenir. De temps en
+temps, elle tirait son manuscrit de son portefeuille; et elle me
+disait tristement: «Eh bien! il n'y a donc pas moyen d'en rien
+faire; et il faut qu'il reste là.» Je lui donnai un conseil singulier,
+ce fut d'envoyer l'ouvrage tel qu'il était, sans adoucir, sans
+changer, à M<sup>me</sup> de Pompadour même, avec un bout de lettre
+qui la mît au fait de cet envoi. Cette idée lui plut. Elle écrivit
+une lettre charmante de tous points, mais surtout par un ton
+de vérité auquel il était impossible de se refuser. Deux ou trois
+mois s'écoulèrent sans qu'elle entendît parler de rien; et elle
+tenait la tentative pour infructueuse, lorsqu'une croix de Saint-Louis
+se présenta chez elle avec une réponse de la marquise.
+L'ouvrage y était loué comme il le méritait; on remerciait du
+sacrifice; on convenait des applications, on n'en était point
+offensée; et l'on invitait l'auteur à venir à Versailles, où l'on
+trouverait une femme reconnaissante et disposée à rendre les
+services qui dépendraient d'elle. L'envoyé, en sortant de chez
+M<sup>lle</sup> de La Chaux, laissa adroitement sur sa cheminée un rouleau
+de cinquante louis.</p>
+
+<p>Nous la pressâmes, le docteur et moi, de profiter de la bienveillance
+de M<sup>me</sup> de Pompadour; mais nous avions affaire à une
+fille dont la modestie et la timidité égalaient le mérite. Comment
+se présenter là avec ses haillons? Le docteur leva tout de
+suite cette difficulté. Après les habits, ce furent d'autres prétextes,
+<span class="pagenum"> -<a name="p331" id="p331">331</a>- </span>et puis d'autres prétextes encore. Le voyage de Versailles
+fut différé de jour en jour, jusqu'à ce qu'il ne convenait presque
+plus de le faire. Il y avait déjà du temps que nous ne lui en
+parlions pas, lorsque le même émissaire revint, avec une
+seconde lettre remplie des reproches les plus obligeants et une
+autre gratification équivalente à la première et offerte avec le
+même ménagement. Cette action généreuse de M<sup>me</sup> de Pompadour
+n'a point été connue. J'en ai parlé à M. Collin, son homme
+de confiance et le distributeur de ses grâces secrètes. Il l'ignorait;
+et j'aime à me persuader que ce n'est pas la seule que sa
+tombe recèle.</p>
+
+<p>Ce fut ainsi que M<sup>lle</sup> de La Chaux manqua deux fois l'occasion
+de se tirer de la détresse.</p>
+
+<p>Depuis, elle transporta sa demeure sur les extrémités de la
+ville, et je la perdis tout à fait de vue. Ce que j'ai su du reste
+de sa vie, c'est qu'il n'a été qu'un tissu de chagrins, d'infirmités
+et de misère. Les portes de sa famille lui furent opiniâtrement
+fermées. Elle sollicita inutilement l'intercession de ces
+saints personnages qui l'avaient persécutée avec tant de zèle.</p>
+
+<p>&mdash;Cela est dans la règle.</p>
+
+<p>&mdash;Le docteur ne l'abandonna point. Elle mourut sur la
+paille, dans un grenier, tandis que le petit tigre de la rue Hyacinthe,
+le seul amant qu'elle ait eu, exerçait la médecine à Montpellier
+ou à Toulouse, et jouissait, dans la plus grande aisance,
+de la réputation méritée d'habile homme, et de la réputation
+usurpée d'honnête homme.</p>
+
+<p>&mdash;Mais cela est encore à peu près dans la règle. S'il y a un
+bon et honnête Tanié, c'est à une Reymer que la Providence
+l'envoie; s'il y a une bonne et honnête de La Chaux, elle
+deviendra le partage d'un Gardeil<a id="FNanchor_8" name="FNanchor_8"></a><a href="#Footnote_8" class="fnanchor">8</a>, afin que tout soit fait pour
+le mieux.</p>
+
+<p>Mais on me dira peut-être que c'est aller trop vite que de
+prononcer définitivement sur le caractère d'un homme d'après
+une seule action; qu'une règle aussi sévère réduirait le nombre
+des gens de bien au point d'en laisser moins sur la terre que
+l'Évangile du chrétien n'admet d'élus dans le ciel; qu'on peut
+être inconstant en amour, se piquer même de peu de religion
+avec les femmes, sans être dépourvu d'honneur et de probité;
+qu'on n'est le maître ni d'arrêter une passion qui s'allume, ni
+d'en prolonger une qui s'éteint; qu'il y a déjà assez d'hommes
+dans les maisons et les rues qui méritent à juste titre le nom
+de coquins, sans inventer des crimes imaginaires qui les multiplieraient
+à l'infini. On me demandera si je n'ai jamais ni trahi,
+ni trompé, ni délaissé aucune femme sans sujet. Si je voulais
+répondre à ces questions, ma réponse ne demeurerait pas sans
+réplique, et ce serait une dispute à ne finir qu'au jugement
+dernier. Mais mettez la main sur la conscience, et dites-moi,
+vous, monsieur l'apologiste des trompeurs et des infidèles, si
+vous prendriez le docteur de Toulouse pour votre ami?... Vous
+hésitez? Tout est dit; et sur ce, je prie Dieu de tenir en sa
+sainte garde toute femme à qui il vous prendra fantaisie
+d'adresser votre hommage.</p>
+
+
+
+
+<h2>NOTES</h2>
+
+
+<div class="trnote">
+Note
+du transcripteur: Les mentions (N.) et (<span class="sc">Br.</span>) désignent les
+notes tirées respectivement des écrits et de l'édition de Naigeon, et
+de l'édition de Brière. Les notes d'Assézat ne portent pas de marque
+particulière.
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1" id="Footnote_1"></a>
+<a href="#FNanchor_1">
+<span class="label">[1]</span></a> En 1749, M. de Maurepas, encore ministre de la marine, remit à Louis XV un
+mémoire dans lequel il développait les moyens d'ouvrir, par l'intérieur du Canada,
+un commerce avec les colonies anglaises. Ce projet fut adopté par la suite, et Maurepas
+le vit exécuté avant sa mort. (<span class="sc">Br.</span>)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_2" id="Footnote_2"></a>
+<a href="#FNanchor_2">
+<span class="label">[2]</span></a> Ce mot seul suffirait pour ôter au lecteur toute confiance dans le récit qui
+va suivre; et cependant il est littéralement vrai. Diderot n'ajoute rien ni aux événements,
+ni au caractère des personnages qu'il met en scène. La passion de M<sup>lle</sup> de
+La Chaux pour Gardeil, l'ingratitude monstrueuse de son amant, les détails de son
+entrevue avec lui, de leur conversation en présence de Diderot, qui l'avait accompagnée
+chez cette bête féroce; le désespoir touchant de cette femme trahie, délaissée
+par celui à qui elle avait sacrifié son repos, sa fortune, sa réputation, sa santé,
+et jusqu'aux charmes mêmes par lesquels elle l'avait séduit: tout cela est de la
+plus grande exactitude. Comme Diderot avait particulièrement connu les acteurs de
+ce drame, et que les faits dont il avait été témoin, ou que l'amitié lui avait confiés,
+étaient encore récents lorsqu'il résolut de les écrire, son imagination n'avait
+pas eu le temps de les altérer, en ajoutant ou en retranchant quelque circonstance
+pour produire un plus grand effet: et c'est encore ici un de ces cas assez rares dans
+l'histoire de sa vie, où il n'a dit que ce qu'il avait vu, et où il n'a vu que ce qui était.</p>
+
+<p>Aux particularités curieuses qu'il avait recueillies sur M<sup>lle</sup> de La Chaux, et qu'il
+a consignées dans cet écrit, je n'ajouterai qu'un fait, qu'il a omis par oubli et qui
+mérite d'être conservé; c'est que cette femme si tendre, si passionnée, si intéressante
+par son extrême sensibilité et par ses malheurs, si digne surtout d'un meilleur
+sort, avait eu aussi pour amis D'Alembert et l'abbé de Condillac. Elle était en
+état d'entendre et de juger les ouvrages de ces deux philosophes; elle avait même
+donné au dernier, dont elle avait lu l'<i>Essai sur l'origine des connaissances humaines</i>,
+le conseil très-sage de revenir sur ses premières pensées, et, pour me servir
+de son expression, <i>de commencer par le commencement</i>; c'est-à-dire de rejeter
+avec Hobbes l'hypothèse absurde de la distinction des deux substances dans
+l'homme. J'ose dire que cette vue très-philosophique, cette seule idée de M<sup>lle</sup> de La
+Chaux suppose plus d'étendue, de justesse et de profondeur dans l'esprit, que toute
+la métaphysique de Condillac, dans laquelle il y a en effet un vice radical et destructeur
+qui influe sur tout le système, et qui en rend les résultats plus ou moins
+vagues et incertains. On voit que M<sup>lle</sup> de La Chaux l'avait senti; et l'on regrette
+que Condillac, plus docile aux conseils judicieux de cette femme éclairée et d'une
+pénétration peu commune, n'ait pas suivi la route qu'elle lui indiquait. Il n'aurait
+pas semé de tant d'erreurs celle qu'il s'est tracée, et sur laquelle on ne peut que
+s'égarer avec lui, comme cela arrive tous les jours à ceux qui le prennent pour guide.
+Voyez, sur ce philosophe, les réflexions préliminaires qui servent d'introduction à
+son article, dans l'<span class="sc">Encyclopédie méthodique</span>, <i>Dictionnaire de la Philosophie ancienne
+et moderne</i>, t. II, et ce que j'en ai dit encore dans mes <i>Mémoires historiques et philosophiques
+sur la vie et les ouvrages de Diderot</i>. (N.)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_3" id="Footnote_3"></a>
+<a href="#FNanchor_3">
+<span class="label">[3]</span></a> Antoine de Ricouart, comte d'Hérouville, né à Paris en 1713, est auteur du
+<i>Traité des Légions</i>, qui porte le nom du maréchal de Saxe<a id="FNanchor_4" name="FNanchor_4"></a><a href="#Footnote_4" class="fnanchor">4</a>. Paris, 1757. Il a fourni
+des Mémoires curieux aux rédacteurs de l'<i>Encyclopédie</i>. On voulut le porter au
+ministère sous Louis XV, mais un mariage <i>inégal</i> l'en fit exclure. Il mourut
+en 1782. (<span class="sc">Br.</span>)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_4" id="Footnote_4"></a>
+<a href="#FNanchor_4">
+<span class="label">[4]</span></a> Dans les trois premières éditions seulement. L'ouvrage avait été imprimé d'abord sur une
+copie communiquée au maréchal, et trouvée dans ses papiers.</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_5" id="Footnote_5"></a>
+<a href="#FNanchor_5">
+<span class="label">[5]</span></a> Montucla n'avait que trente ans lorsqu'il publia son <i>Histoire des Mathématiques</i>.
+Paris, 1758. Elle a été revue et achevée par Lalande. Paris, 1799-1802. (<span class="sc">Br.</span>)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_6" id="Footnote_6"></a>
+<a href="#FNanchor_6">
+<span class="label">[6]</span></a> Voir t. 1<sup>er</sup>, p. 399.</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_7" id="Footnote_7"></a>
+<a href="#FNanchor_7">
+<span class="label">[7]</span></a> Le Camus (Antoine), qui a laissé après lui d'autres souvenirs de bienfaisance,
+était né à Paris en 1722.</p>
+
+<p>On lui doit un grand nombre d'ouvrages de médecine et de littérature. Nous
+citerons seulement: <i>La Médecine de l'Esprit</i>, Paris, 1753. <i>Projet d'anéantir la petite
+vérole</i>, 1767. <i>Médecine pratique rendue plus simple, plus sûre et plus méthodique</i>,
+1769. Plusieurs Mémoires sur différents sujets de médecine. <i>Abdéker, ou
+l'Art de conserver la beauté</i>, 1754-1756. <i>L'Amour et l'Amitié</i>, comédie, 1763. <i>Les
+Amours pastorales de Daphnis et Chloé</i>, traduites du grec de Longus, par Amyot,
+avec une double traduction, Paris, 1757. Cette nouvelle traduction de Le Camus
+mérite encore d'être lue après celle que vient de publier M. Courier à Sainte-Pélagie,
+où il était détenu pour un écrit sur l'acquisition du domaine de Chambord.
+Paris, 1821. (<span class="sc">Br.</span>)</p>
+</div>
+<div class="footnote"><p><a name="Footnote_8" id="Footnote_8"></a>
+<a href="#FNanchor_8">
+<span class="label">[8]</span></a> Gardeil est mort le 19 avril 1808, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. On a de lui
+une <i>Traduction des &OElig;uvres médicales d'Hippocrate</i>, sur le texte grec, d'après
+l'édition de Foës; Toulouse, 1801. (<span class="sc">Br.</span>)&mdash;C'est à Montpellier qu'il exerçait.</p>
+</div>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's Ceci n'est pas un conte, by Denis Diderot
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CECI N'EST PAS UN CONTE ***
+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
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+ gbnewby@pglaf.org
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+
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+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
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+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
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+works.
+
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+concept of a library of electronic works that could be freely shared
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+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
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+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
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+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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+
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+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
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@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #28602 (https://www.gutenberg.org/ebooks/28602)