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diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes new file mode 100644 index 0000000..6833f05 --- /dev/null +++ b/.gitattributes @@ -0,0 +1,3 @@ +* text=auto +*.txt text +*.md text diff --git a/23618-8.txt b/23618-8.txt new file mode 100644 index 0000000..4685952 --- /dev/null +++ b/23618-8.txt @@ -0,0 +1,5804 @@ +The Project Gutenberg EBook of Gutenberg, by Louis Figuier + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Gutenberg + pièce historique en 5 actes, 8 tableaux + +Author: Louis Figuier + +Release Date: November 25, 2007 [EBook #23618] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GUTENBERG *** + + + + +Produced by Camille François, Chuck Greif, Laurent Vogel +and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + +GUTENBERG + +PIÈCE HISTORIQUE, EN CINQ ACTES, HUIT TABLEAUX + +Représentée pour la première fois à Strasbourg, sur le Théâtre municipal, +le 17 février 1886. + + + + +DU MÊME AUTEUR + +DENIS PAPIN, drame en cinq actes, huit tableaux, in-18, chez Calmann +Lévy, éditeur (1882).--Prix: 1 fr. 50. + +LES SIX PARTIES DU MONDE, pièce en cinq actes, huit tableaux, in-18, +chez Tresse et Stock, éditeurs, 2e édition (1885).--Prix: 1 fr. + +Imprimerie générale de Châtillon-sur-Seine.--A. Pichat. + + + + +GUTENBERG + +PIÈCE HISTORIQUE +EN CINQ ACTES, HUIT TABLEAUX + +PAR +M. LOUIS FIGUIER + +[Illustration] + + +PARIS +TRESSE & STOCK, ÉDITEURS +8, 9, 10, 11, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS +Palais-Royal +1886 +Droits de traduction et de reproduction réservés. + + + + +LISTE DES TABLEAUX: + + 1er Tableau.--Le départ de Mayence (1440). + 2e " --L'imagerie de Laurent Coster, à Harlem (1445). + 3e " --Le couvent de Saint-Arbogast, à Strasbourg (1452). + 4e " --La peste à Paris (1460). + 5e " --Archevêque et soldat (1462). + 6e " --La prise de Mayence. + 7e " --Jours de misère. + 8e " --Le retour à Mayence (1465). + +_L'action se passe en Allemagne, en Hollande et à Paris._ + + + + +PERSONNAGES + + + JEAN GUTENBERG MM. Lucien Jazon. + LAURENT COSTER Francis. + JEAN FUST Thorsigny. + PIERRE SCHEFFER E. Petit. + ANDRÉ DRITZEN Krafft. + CONRAD HUMMER Davoise. + DIETHER D'YSSEMBOURG, archevêque de Mayence Mendez. + FRIÉLO Rivey. + ZUM Valery. + LE PETIT ZUM Jardin. + MEYER, cabaretier Robert. + CORNÉLIUS, maître d'école Dumesnil. + LE DUC DE LA TRÉMOUILLE Fleury. + UN JUGE CRIMINEL Osmont. + UN JUGE ECCLÉSIASTIQUE Vorms. + + ANNETTE DE LA-PORTE-DE-FER Mmes D'Askhoff. + MARTHA, fille de Laurent Coster Félicia Mallet. + HÉBÈLE, soeur de Gutenberg Forval. + MARGUERITE MEYER Carlin. + UNE DAME Julia. + +Peuple, Ouvriers, Soldats, Bourgeois, Paysans, etc. + + + + +ACTE PREMIER + +PREMIER TABLEAU + +LE DÉPART DE MAYENCE + + _Une place publique, à Mayence.--À gauche, une boutique d'orfèvre, + avec cette enseigne: JEAN GUTENBERG, _orfèvre_.--Sur la façade de la + maison est sculptée une tête de taureau, avec cet exergue: _Rien ne + me résiste._--À droite, une boutique de marchand d'estampes, avec + cette enseigne: PIERRE GRIMMEL, _marchand d'estampes_._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +HÉBÈLE, FRIÉLO. + +FRIÉLO, _arrivant par la droite, pendant qu'Hébèle sort de la boutique +d'orfèvre, à gauche_. + +Damoiselle Hébèle, mon maître va rentrer; il voudrait vous parler. + +HÉBÈLE, _descendant en scène_[A]. + +Je l'attendrai... Mais sais-tu ce que mon frère veut me dire? + +FRIÉLO. + +Non, damoiselle. + +HÉBÈLE. + +Comment, toi, son frère de lait, tu n'es pas son confident? + +FRIÉLO. + +Mon Dieu, non! Depuis qu'il est devenu le premier orfèvre de Mayence, +maître Jean ne fait plus grand cas de moi... pauvre apprenti.... Mais il +ne devrait pas se méfier de ça!... (_Il frappe sur son coeur._) Un +orphelin recueilli par une noble et sainte famille, comme la vôtre, doit +avoir un bon coeur; et Dieu m'en a donné un si grand que malgré la place +qu'y tiennent déjà tous les Gensfleisch, de Mayence, je sens bien que la +femme de mon maître, les enfants et petits-enfants à venir, trouveraient +encore à s'y loger. + +HÉBÈLE. + +Bon Friélo! + +FRIÉLO. + +Mon métier, ma vie, je dois tout à mon maître; et il n'a pas confiance +en moi, qui me ferais hacher pour lui!... Car il se méfie de moi, +damoiselle. + +HÉBÈLE. + +Vraiment! + +FRIÉLO. + +Depuis quelque temps, il me renvoie de son atelier. Il s'y enferme +pendant de longues heures; et lorsqu'il en sort, il est tout préoccupé. +J'ai aperçu, l'autre jour, par la porte restée ouverte, des outils, dont +je ne peux comprendre l'usage... Tout cela n'est pas naturel. Et tenez, +(_Il montre les feuillets du marchand d'estampes._) voyez-vous ces +feuilles de papier sur lesquelles sont tracés des mots que n'a point +écrits une main humaine? C'est une de ses inventions. J'ai bien peur que +la fantaisie qu'il a eue d'exposer là ces singulières pages d'écriture, +ne lui attire quelque méchante affaire... Mais, silence, le voici. + +NOTES: + +[A] Hébèle, Friélo. + + +SCÈNE II + +Les Mêmes, GUTENBERG. + + _Gutenberg fait un signe à Friélo, qui sort, par la droite._ + +HÉBÈLE[A]. + +Tu désires me parler, mon frère? + +GUTENBERG, _prenant la main d'Hébèle_. + +Ce que j'ai à te dire est grave, Hébèle. Il s'agit de tout mon avenir. + +HÉBÈLE. + +Tu sais, Jean, que depuis la mort de nos parents, je t'ai considéré +comme le chef de la famille. Je suis persuadée que tu ne peux vouloir +rien que de bon et d'honnête. Parle donc. + +GUTENBERG. + +Notre père, tu le sais, était praticien de la ville; mais il était sans +fortune. En mourant, il ne nous laissa pour tout bien que cette maison, +la maison du _Taureau noir_, et le nom, sans tache, de Gensfleisch. Dans +notre libre cité de Mayence, la noblesse n'exclut pas le travail. Je +n'ai donc pas hésité, pour soutenir notre famille, à choisir une +profession; et je suis devenu orfèvre et bijoutier. Mon métier nous fait +vivre; mais depuis deux ans, chère soeur, une grande ambition s'est +emparée de moi: non cette ambition vulgaire, qui vise à des trésors ou à +des honneurs, mais la noble et sainte aspiration de l'homme qui veut +doter son pays d'un bienfait nouveau. Au lieu de fabriquer ici des +bijoux inutiles, je veux, dès aujourd'hui, consacrer ma vie à une +invention destinée à éclairer et à régénérer l'esprit humain. + +HÉBÈLE. + +Bien dit, mon frère! + +GUTENBERG. + +As-tu jamais songé à la triste vie de ces pauvres copistes, qui passent +leurs journées courbés sur des parchemins, et dont l'existence entière +ne suffit pas à transcrire une bible ou un psautier? N'as-tu jamais +regretté qu'il n'y eût aucun procédé mécanique pour remplacer le travail +de leur main? + +HÉBÈLE. + +Mais, mon frère, c'est impossible! + +GUTENBERG. + +Impossible! non! car je veux créer moi-même cet art nouveau. + +HÉBÈLE. + +Si cet art existait, le peuple pourrait lire et s'instruire; ce qui +n'est aujourd'hui que le privilège des gens assez riches pour payer les +manuscrits au poids de l'or. + +GUTENBERG. + +Sans doute! aussi cette idée me prive-t-elle de sommeil, de repos!... +Depuis un an j'essaie toutes sortes de moyens pour reproduire les +manuscrits par un art mécanique. À la mort de notre mère, je dus me +rendre à Gutenberg, pour hériter de son petit domaine. Là, je trouvai, +dans un grenier, une vieille presse à images; et l'idée me vint de +l'employer à la fabrication des manuscrits. Le résultat que j'obtins +dépassa mes espérances. J'ai résolu, dès lors, d'abandonner mon métier +d'orfèvre, pour me vouer, corps et âme, à cette entreprise. + +HÉBÈLE. + +Mais songes-tu aux difficultés... aux dépenses?... + +GUTENBERG. + +Mon courage sera à la hauteur de mon oeuvre... Mais tu le sais, il y a +ici une jeune fille, noble, riche et dévouée, à qui j'avais donné mon +coeur et promis ma main... + +HÉBÈLE. + +Annette de la-Porte-de-Fer. + +GUTENBERG. + +Je ne veux pas l'associer aux difficultés, aux dangers qui m'attendent +dans l'accomplissement de ma tâche; je veux quitter Mayence et partir +seul. Je viens donc te prier, chère Hébèle, de faire connaître à Annette +de la-Porte-de-Fer le sacrifice que je suis obligé de faire de mon +bonheur au succès de mon art. + +HÉBÈLE. + +Ce sera pour elle un coup cruel et inattendu... Mais je n'ai pas à +discuter les motifs de ta résolution, ni à sonder les sentiments de ton +coeur. La mission dont tu me charges, frère, je l'accomplirai. + +GUTENBERG. + +Merci, chère Hébèle, je n'attendais pas moins de toi... (_Il fait passer +Hébèle sur le seuil de la porte de la boutique d'orfèvre._) Et +maintenant, rentrons. Je veux mettre sous ta garde ma vieille presse et +mes premiers outils. + + _Ils rentrent dans la boutique._ + +NOTES: + +[A] Hébèle, Gutenberg. + + +SCÈNE III + +ANNETTE, FRIÉLO, _des feuillets à la main_[A]. + + _Ils arrivent par le fond au moment où Gutenberg et Hébèle entrent + dans la boutique d'orfèvre._ + +FRIÉLO. + +Comme je vous le dis, damoiselle Annette, c'est votre fiancé qui a +composé ces pages d'écriture mécanique qui vont ameuter tous les manants +de la ville... Cela nous portera malheur!... Continuer son bon état +d'orfèvre, vous épouser, et avoir une demi-douzaine de beaux enfants, +telle aurait été la conduite d'un homme sensé. Mais depuis le jour où il +a eu la malheureuse idée d'imiter les manuscrits, je ne reconnais plus +mon maître! Il est devenu taciturne, rêveur; et je vous assure qu'en ce +moment, il ne songe guère aux femmes, ni au mariage. Si chacun +l'imitait, le monde finirait bientôt... Heureusement il n'oblige +personne à penser comme lui. Voici l'heure où la petite Rosette, la +jolie blonde, m'attend à la fontaine, et si vous n'avez rien à me +commander... + +ANNETTE. + +Va, mon garçon, va... + + _Friélo sort, en courant, par le fond, droite._ + +NOTES: + +[A] Annette, Friélo. + + +SCÈNE IV + +ANNETTE, _seule_. + +La découverte d'un art nouveau serait le motif des préoccupations de +Jean?... Mais alors je peux encore faire de son amour le but et +l'orgueil de ma vie; car au lieu d'une rivale, je rencontre une ambition +qui servira mes projets. Enfant, je partageais sa joie et ses chagrins; +femme, je partagerai ses travaux et sa gloire. + + +SCÈNE V + +HÉBÈLE, _sortant de la boutique d'orfèvre_; ANNETTE. + +ANNETTE, _à Hébèle, qui a traversé la scène, d'un air pensif_[A]. + +Comme te voilà pensive et préoccupée, Hébèle! + +HÉBÈLE. + +C'est que j'ai à te faire une communication grave. + +ANNETTE. + +Une communication grave?... Et de la part de qui? + +HÉBÈLE. + +De la part de mon frère, de ton fiancé. + +ANNETTE. + +Ah! + +HÉBÈLE. + +Mon frère veut partir, il veut quitter Mayence. + +ANNETTE. + +Partir? et pourquoi? + +HÉBÈLE. + +Il a résolu de consacrer sa vie à la création d'un art utile à +l'humanité, et il te prie de lui rendre sa liberté. + +ANNETTE. + +Que dis-tu? + +HÉBÈLE. + +L'amour tient peu de place dans le coeur d'un homme absorbé par le +travail et l'étude. Que pourrait t'offrir mon frère, dans la vie de +labeur et de mécomptes qui l'attend!... (_Elle lui prend la main._) Je +t'afflige, ma bonne Annette, mais je serais coupable de te laisser un +espoir, que je n'ai plus. + +ANNETTE. + +Depuis que je me connais, Hébèle, je me regarde comme l'épouse de Jean. +N'a-t-il pas mis à mon doigt l'anneau des fiançailles?... Tu le sais, de +pareils serments sont sacrés. Pourquoi serait-il parjure? Je suis jeune +et noble. Ai-je cessé d'être honnête? (_Mouvement d'Hébèle._) Si je tire +quelque vanité des biens que la providence m'a accordés, c'est parce +qu'il m'est permis de les offrir à celui que j'aime. Oui, Hébèle, j'aime +ton frère, et rien ne me fera renoncer à lui. + +HÉBÈLE. + +Il est des occasions où les femmes doivent sacrifier leur bonheur à la +gloire de ceux qu'elles aiment. Cède à notre prière, Annette; et rends à +mon frère une liberté, sans laquelle il ne pourra réaliser ses projets. + +ANNETTE. + +Et pourquoi mon influence serait-elle contraire à son avenir? Pourquoi +ma présence, mon aide et mes encouragements, ne lui seraient-ils pas +salutaires? Le devoir d'une femme n'est pas d'abandonner celui qu'elle +aime aux difficultés de la vie, mais de lutter à côté de lui, avec lui, +contre l'adversité. Si Gutenberg est appelé à la gloire, il l'est aussi +à la souffrance, et je veux être l'appui, la consolation, la tendresse, +que son coeur réclamera dans les moments de doute et de défaillance. + +HÉBÈLE. + +Le sacrifice, chère Annette, n'est-il pas aussi de l'amour?... Mais +voici Gutenberg. Je voulais seulement te préparer à l'entendre. Je te +quitte. (_Fausse sortie._) Mon frère t'expliquera mieux que moi les +motifs de son départ. + + _Elle sort par le fond, droite._ + +NOTES: + +[A] Annette, Hébèle. + + +SCÈNE VI + +ANNETTE, _puis_ GUTENBERG[A]. + +ANNETTE, _reste un moment pensive, puis, avec résolution_. + +Non, personne ne m'enlèvera le coeur de Gutenberg. Mais le voici... du +calme! (_À Gutenberg, qui sort de la boutique d'orfèvre._) D'après ce +qu'Hébèle vient de me dire, tu comptes quitter bientôt Mayence? + +GUTENBERG. + +Ah!... Hébèle t'a appris ma résolution, mes projets... + +ANNETTE. + +Et ta fiancée, Jean? Le temps où tu jurais de me prendre pour femme, +est-il déjà si loin de ton souvenir? As-tu oublié la Pâques-Fleurie de +1437? C'était la foire de Mayence. Tu m'achetas une bague d'argent, en +me disant: «Ennel, voilà l'anneau des fiançailles. Je le remplacerai +bientôt par l'anneau d'or du mariage.» Trois ans se sont écoulés, et tu +ne m'as plus donné le doux surnom d'Ennel!... Tu pars, et tu ne parles +plus de m'épouser. + +GUTENBERG. + +Tu sais bien, Annette, qu'une ambition généreuse fait maintenant battre +mon coeur. Tu sais que je ne suis plus libre, que j'ai juré de me vouer, +corps et âme, à mon art... Oublions nos rêves d'enfance. + +ANNETTE. + +Oublier, dis-tu? La fleur oublie-t-elle la rosée qui la désaltère, +l'oiseau le nid qui lui sert de refuge, et l'homme le soleil qui +l'éclaire? Nous ne pouvons davantage oublier notre amour; car il a +rafraîchi nos coeurs, abrité nos jeunes ans, et porté la lumière en nos +âmes. Tes serments t'ont lié à ma vie, et tu ne saurais les renier sans +nous léguer, à toi la honte, à moi le désespoir. + +GUTENBERG. + +Nous devons nous incliner sous la fatalité qui nous sépare. Pour +atteindre le but auquel j'aspire, il me faut résister à la voix de +l'amour. Épargne donc à mon coeur le regret d'un parjure. + +ANNETTE. + +Je suis prête à m'immoler à ta gloire. Pars, puisque tu le veux. Je ne +retiendrai pas le noble élan qui te pousse vers une destinée inconnue. +Mais avant de t'engager dans une voie nouvelle, ne veux-tu pas me dire, +une fois encore, ce que tu m'as répété si souvent? + +GUTENBERG. + +Que désires-tu, Annette? Parle. Si c'est en mon pouvoir, je te +l'accorderai sur-le-champ. + +ANNETTE. + +Ce que je désire est bien simple, Jean. Donne-moi par écrit la promesse +de m'épouser, que tu me fis il y a cinq ans... (_Mouvement de +Gutenberg._) Tu ne réponds rien!... Hésiterais-tu à ratifier avec la +plume un serment fait avec le coeur? + +GUTENBERG. + +Ma vie s'annonce trop aventureuse pour que j'ose t'enchaîner à mon +avenir. En vérité, je ne puis t'accorder ce que tu me demandes. + +ANNETTE. + +Une autre te reprocherait tes serments et ton abandon; une autre te +poursuivrait de ses lamentations et de son ressentiment. Je ne te +demande, moi, que quelques lignes de ta main!... (_Jean regarde Annette, +fait quelques pas, hésite et revient._) Auras-tu la cruauté de refuser +cette consolation à celle dont ton départ va briser le coeur, à celle +qui avait mis en toi son espoir et sa vie?... + +GUTENBERG. + +Tout engagement est sacré. Je ne puis faire une promesse que je ne +saurais tenir. + +ANNETTE. + +C'est ton honneur qui est ici en jeu. L'homme n'est véritablement libre +que par le devoir accompli. Mets-toi donc en règle avec le passé, pour +que le ciel bénisse tes efforts à venir. Tu veux devenir un homme +illustre: commence par être un honnête homme!... + +GUTENBERG. + +Allons! qu'il soit fait selon ton désir. + + _Il entre dans la maison._ + +ANNETTE, _haletante, ne le perd pas de vue_. + +Enfin!... Dieu soit loué! Je n'avais pas trop présumé de son coeur! Je +n'aurai pas invoqué en vain les souvenirs de notre enfance! + +GUTENBERG, _revient, avec un parchemin, qu'il remet à Annette._ + +Voici la promesse de mariage que tu désires, Annette. Puissions-nous +n'avoir à nous repentir jamais, toi de l'avoir exigée, moi de te l'avoir +accordée! + +ANNETTE, _mettant le parchemin dans son escarcelle, après l'avoir lu_. + +Maintenant, je puis te dire adieu. Pars, je me considère comme ta femme. +De loin mon coeur suivra le tien; il ressentira tes joies et tes +souffrances... Adieu! + + _Elle sort par la droite, deuxième plan._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Hébèle. + + +SCÈNE VII + +GUTENBERG, _seul, puis_ FRIÉLO. + +GUTENBERG[A]. + +C'est peut-être une imprudence que j'ai commise, mais je n'ai pu +résister à ses larmes, à sa douleur. Enfin, chassons ces tristes +pensées. (_À Friélo._) Que veux-tu, Friélo? + +FRIÉLO, _sortant de la boutique du marchand d'estampes_. + +Maître, le seigneur Fust, l'argentier, est en ce moment dans la boutique +du père Grimmel, le marchand d'estampes, et il demande à vous voir. + +GUTENBERG. + +Que peut-il avoir à me dire? + +FRIÉLO. + +Il a longtemps examiné les feuillets gravés qui sont exposés à la +devanture et dans la boutique du père Grimmel; et c'est à ce sujet, je +crois, qu'il désire vous parler. + +GUTENBERG. + +Eh bien, va dire au seigneur Fust que je suis fort honoré de sa visite, +et tout à ses ordres. + + _Friélo sort par la boutique du marchand d'estampes._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Friélo. + + +SCÈNE VIII + +GUTENBERG, FRIÉLO, _puis_ FUST. + +GUTENBERG, _à part_. + +Que peut avoir à demander le riche financier au pauvre orfèvre? + +FRIÉLO, _revenant de la boutique du marchand d'estampes_. + +Voici le seigneur Fust. + +FUST, _sortant du la boutique du marchand d'estampes, quelques feuillets +à la main, à part[A]._ + +C'est une chose vraiment merveilleuse que d'avoir pu contrefaire ainsi +des manuscrits! Que de florins à gagner avec une pareille découverte! Si +je pouvais décider l'inventeur à me dire son secret! Il est jeune, il +est pauvre... j'en aurai facilement raison, (_Haut, à Gutenberg._) C'est +vous, jeune homme, qui avez gravé ces feuillets? + +GUTENBERG. + +Oui, messire. + +FRIÉLO, _à part_. + +Le vilain museau! On dirait une fouine! + +FUST. + +Mais avez-vous pensé au danger que vous pouvez courir en essayant +d'imiter les manuscrits? + +GUTENBERG. + +À quel danger, messire? + +FUST. + +Au plus grand de tous, à une accusation de sorcellerie. + +GUTENBERG. + +De sorcellerie? Par exemple!... + +FUST. + +Ceci est plus sérieux que vous ne le pensez, jeune homme. Il est certain +qu'en ce moment, les copistes de Mayence fomentent contre vous un +complot. Ils prétendent que vous avez fait là oeuvre de sorcellerie. Et +je viens, en ami, vous engager à ne pas continuer des travaux, qui ne +pourraient que vous devenir funestes. + +GUTENBERG. + +Je vous remercie, messire Fust, de l'intérêt que vous me témoignez; mais +espoir, fortune avenir, tout, pour moi, réside dans l'invention dont +vous tenez les premiers essais. Rien ne pourra m'obliger à abandonner +des travaux qui feront la gloire de ma vie. + +FUST. + +Réfléchissez, jeune homme! Une accusation de sorcellerie est chose bien +grave!... Dans les temps où nous vivons, c'est quelquefois s'exposer à +de grands périls que de lancer une idée nouvelle. + +GUTENBERG. + +Blâmeriez-vous une oeuvre qui doit être un des plus grands bienfaits +accordés à l'humanité? + +FUST. + +Nullement!... Aussi suis-je venu vous faire une proposition, qui +comblera tous vos voeux. + +GUTENBERG. + +Ah! + +FUST. + +Je vous l'ai dit, les bourgeois de Mayence sont mal disposés contre +vous. Ils s'inquiètent d'une invention qui leur paraît avoir un certain +caractère magique. Seul, inconnu et sans fortune, vous ne pourrez lutter +contre les préjugés populaires, et votre invention périra. + +GUTENBERG. + +Et moi je vous dis qu'elle vivra, messire Fust! + +FUST. + +Oui, si elle est patronnée par un homme dont le renom, la position et le +crédit, la mettent à l'abri de tout soupçon... Dites un mot et je suis +cet homme. Vous avez l'idée, j'ai l'expérience.... et l'argent. À nous +deux, nous réaliserons une oeuvre qui, sans mon appui, ne verrait jamais +le jour! + +FRIÉLO, _à part_. + +Ma foi, l'esprit du vieux renard vaut mieux que son visage. (_À +Gutenberg._) Acceptez, mon cher maître, et votre fortune est faite. Le +seigneur Fust est si riche! + +FUST. + +Eh bien! vous ne répondez rien? Vous ne me prenez pas au mot? + +GUTENBERG. + +Je regrette de si mal accueillir une ouverture, qui m'honore, messire +argentier; mais je n'ai besoin du secours de personne. Si la jeunesse +n'a ni renom, ni crédit, elle a, du moins, le courage et la foi, +c'est-à-dire, les leviers qui soulèvent le monde. Excusez-moi donc si je +refuse votre offre généreuse. + +FUST. + +Voilà bien la jeunesse! orgueilleuse, enthousiaste, et ne doutant de +rien! Vous ne penserez pas toujours de même. L'illusion, c'est par là +que commencent tous les inventeurs; mais bientôt arrivent les +difficultés, les mécomptes et le découragement. Un jour viendra où vous +regretterez amèrement votre refus, et où vous me supplierez de vous +accorder l'aide, la protection que vous repoussez aujourd'hui. + +FRIÉLO, _à Gutenberg_. + +Ah! cher maître! mieux vaut tout de suite que plus tard. Je vous en +conjure, écoutez les conseils du seigneur Fust: ce sont ceux de la +raison. + +GUTENBERG. + +Ma découverte m'est plus précieuse que la vie, messire. Je ne la +divulguerai à personne. + + _Jeu de scène de Friélo, qui supplie son maître d'accepter. + Gutenberg, impatienté, lui fait signe de sortir._ + +FUST, _à part_. + +Je veux ton secret, je l'aurai... je l'aurai à tout prix! (_Haut, il +remonte._) Au revoir, Jean Gutenberg, au revoir. + + _Il le salue et sort par la droite, deuxième plan.--Friélo sort par + la gauche, sur un nouveau signe de Gutenberg._ + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Fust. + + +SCÈNE IX + +GUTENBERG, _seul_. + +Les voilà bien ces hommes d'argent! Tout est pour eux une question de +lucre, de calculs et de bénéfice! Ils découragent, ils désespèrent +l'artiste, pour s'emparer de sa création, ou pour la payer moins cher! +(_Étendant le bras du côté où est sorti Fust._) Non, jamais, entends-tu, +jamais, tu ne toucheras à mon oeuvre! Plutôt la voir périr que de te la +confier! + + +SCÈNE X + +GUTENBERG, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN. + + _Conrad et Dritzen entrent par le fond gauche, et regardent + Gutenberg_[A]. + +CONRAD HUMMER. + +Qu'as-tu donc, Gutenberg? Te voilà tout agité. + + _Il serre la main de Gutenberg._ + +GUTENBERG. + +C'est que je viens d'avoir un entretien, et presque une altercation, +avec l'argentier Fust. + +ANDRÉ DRITZEN. + +L'argentier Fust! Méfie-toi de cet homme. Il est capable de tout, pour +arriver à ses fins. + +GUTENBERG. + +Il est sorti furieux, parce que j'ai refusé de le prendre pour associé. + +CONRAD HUMMER. + +Il ne veut, crois-le bien, le secret de ton invention que pour t'en +déposséder plus tard. + +GUTENBERG. + +Ce secret est bien simple, mes amis: et ce n'est pas avec vous que j'en +ferai mystère. Ce que j'obtiens n'est encore qu'une ébauche, mais elle +va m'amener à d'autres résultats. Vous savez que depuis assez longtemps, +nos artistes obtiennent des gravures, en sculptant en relief des dessins +sur le bois. C'est ainsi que j'opère. Seulement, au lieu de sculpter en +relief, sur le bois, les traits du dessin, je sculpte des lettres, des +mots, des phrases; et ces caractères, sculptés en relief sur le bois, +forment des pages de manuscrit, que je multiplie ensuite, à volonté, en +les tirant sur le papier, grâce à l'encre des graveurs, et à la vieille +presse qui sert aux imagiers. + +CONRAD HUMMER. + +C'est une très belle idée, mais tout dépend de la manière d'opérer... +Consentirais-tu à nous montrer ton travail? + + +GUTENBERG. + +Mais certainement! Suivez-moi, mes amis, dans mon atelier. (_Il passe +devant Conrad, ouvre la porte de la boutique et les fait entrer._) Je +vais vous montrer mes chefs-d'oeuvre. + + _Il entre derrière eux, dans la boutique._ + +NOTES: + +[A] Conrad, Gutenberg, Dritzen. + + +SCÈNE XI + +ZUM, LE PETIT ZUM, _ils ont, chacun, une longue plume derrière +l'oreille_. + + _La scène reste vide quelques instants; puis Zum et le petit Zum + entrent, l'un par la droite, l'autre par la gauche. Ils traversent + la scène, sans se voir, et se rencontrent, nez à nez, au second + tour, au milieu du théâtre._ + +ZUM. + +C'est toi, grand frère? Où vas-tu ainsi, le nez en l'air?[A] + +LE PETIT ZUM. + +C'est toi, petit frère? Où vas-tu ainsi, le poing sur la hanche? + +ZUM. + +Chez Gutenberg, l'orfèvre. + +LE PETIT ZUM. + +Et moi chez le père Grimmel, le marchand d'estampes. + +ZUM. + +Gageons que nous venons tous les deux pour la même chose. + +LE PETIT ZUM. + +Les feuillets gravés par Gutenberg, n'est-ce pas? + +ZUM. + +Tout juste. + +LE PETIT ZUM. + +Eh bien! Allons voir ça! + + _Ils vont prendre, à la devanture de la boutique du marchand + d'estampes, les feuillets, et reviennent au milieu du théâtre._ + +ZUM, _examinant les feuillets_[B]. + +C'est vraiment extraordinaire! Quelle écriture admirable! Pas une lettre +ne dépasse l'autre... Partout même largeur de lignes... Et s'il y a une +faute, un trait singulier sur un feuillet, on trouve la même faute, le +même trait, sur tous les autres... C'est la même page constamment +reproduite... Que dis-tu de cela, petit frère? + +LE PETIT ZUM. + +Je dis, grand frère, que si cette invention se répand, tout le corps de +Mayence, dont nous avons l'honneur de faire partie (_Ils saluent tous +les deux, du pied droit, et en ôtant leur bonnet_.) n'a plus de raison +d'être, ni de moyen d'existence... et que nous n'avons plus qu'à nous +faire moines ou soldats. + +ZUM, _allant à la boutique de Gutenberg, et lui montrant le poing_[B]. + +Et c'est ce Gutenberg qui a fait cela!... Je ne l'aimais déjà pas +beaucoup, ce jeune homme. Il est gentilhomme et de famille noble, et il +s'est fait artisan. Il avait un bon et vieux nom, celui des Gensfleisch, +et il l'a quitté, pour prendre le nom d'un petit domaine qu'il possède à +Gutenberg. Enfin, voilà qu'il lui vient la déplorable idée de ruiner les +copistes! + +LE PETIT ZUM. + +Et aucune loi ne peut l'empêcher de mettre subitement sur le pavé une +foule de pauvres diables, comme toi et moi? + +ZUM. + +Aucune... Nous n'avons rien contre lui... Excepté ceci. + + _Il tire un poignard._ + +LE PETIT ZUM. + +Ou cela... (_il tire un poignard plus grand._) Alors, grand frère, tu ne +verrais pas d'inconvénients? + + _Il fait le geste de poignarder._ + +ZUM, _bas_. + +Au contraire!... morte la bête, mort le venin. + +LE PETIT ZUM, _il regarde si personne ne l'écoute, et amène son frère à +l'extrême droite_. + +J'ai pris, à tout hasard, quelques informations sur notre homme... Il +sort, chaque soir, à huit heures, après son repas, et se rend à la +brasserie du Rhin, pour deviser, avec ses deux amis, Conrad Hummer et +André Dritzen, de choses de jeunesse et d'amour. + +ZUM, _même jeu: Zum amène son frère à l'extrême gauche_. + +De sorte qu'il suffirait, ce soir, par exemple, de nous cacher dans un +coin de la rue, et d'attendre notre cavalier. + +LE PETIT ZUM. + +À ce soir, grand frère! J'aurai mon poignard. + +ZUM. + +Et moi le mien... c'est-à-dire, non!... j'apporterai une dague: on +frappe de plus loin. + +LE PETIT ZUM. + +À ce soir!... Gutenberg est un homme mort. + +NOTES: + +[A] Le petit Zum, Zum. + +[B] Zum, le petit Zum. + + +SCÈNE XII + +Les Mêmes, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN, _sortant de la boutique de + Gutenberg.--Conrad Hummer et André Dritzen sont entrés à la fin de + la scène précédente, et ont entendu les dernières paroles des deux + Zum. Ils s'approchent vivement des deux Zum, et chacun les prend par + un bras._ + +CONRAD HUMMER. + +Ah! mes drôles, c'est l'assassinat de notre ami Gutenberg que vous +complotiez ainsi[A]. + +LE PETIT ZUM. + +Vous vous trompez! Vous avez espionné tout de travers. Nous ne parlions +pas du tout de faire du mal à votre ami. + +ANDRÉ DRITZEN. + +Et que disiez-vous donc? + +ZUM, _dégageant son bras de l'étreinte de Dritzen, et allant devant la +boutique du marchand d'estampes, (avec force.)_ + +Nous disions que celui qui a fait et exposé ces feuillets d'écriture, +est un mécréant et un sorcier; car jamais main d'homme ne saurait en +créer de pareils. J'en appelle à tout le monde[B]. Je demande à tous les +bourgeois de la ville (_Montrant les feuillets._) si ce n'est pas là une +oeuvre magique et diabolique. + +NOTES: + +[A] Conrad, Zum, le petit Zum, Dritzen. + +[B] Conrad, Dritzen, le petit Zum, Zum. + + + +SCÈNE XIII + +Les Mêmes, FRIÉLO, DRITZEN, CONRAD HUMMER, Bourgeois, Peuple, _puis_ +FUST _et_ GUTENBERG. + + _Pendant les dernières paroles de Zum, des bourgeois, des passants + sont entrés, et se sont peu à peu rassemblés devant la boutique de + Grimmel._ + +LE PETIT ZUM. + +Mon doux Jésus! Que restera-t-il aux honnêtes copistes pour vivre, si +les mécréants se mettent à faire leur besogne? En écrivant du matin au +soir, et du soir au matin, la vie d'un homme ne suffirait pas à copier +les manuscrits que Jean Gensfleich a livrés ce matin à ce marchand +d'estampes. + +FRIÉLO, _à Gutenberg_[A]. + +Hélas! maître, à quoi cela vous servira-t-il, sinon à vous faire brûler +comme sorcier, de pouvoir écrire plus vite que personne? Le monde en +ira-t-il mieux? Je crains qu'il n'aille, au contraire, plus mal, en +commençant par nous. Renoncez à vos projets, il en est temps encore. +Acceptez la protection du seigneur Fust, ou nous sommes perdus! + +GUTENBERG, _à Friélo_. + +Si tu m'aimes, tais-toi, si tu as peur, va-t'en. (_Au peuple._) Qu'y +a-t-il? que me voulez-vous? Amis, répondez. De quoi m'accuse-t-on? + +ZUM. + +On t'accuse de sorcellerie; car il n'y a que le démon qui ait pu, sans +l'aide d'une main humaine, tracer des caractères semblables. Tes +feuillets sentent le roussi: ce sont des oeuvres d'enfer! + +LE PETIT ZUM. + +Hésiterez-vous à condamner comme sorcier, celui qui écrit à l'aide de +maléfices? + +LE PEUPLE. + +Mort au renégat! mort à Gensfleisch!... mort à Gutenberg! À mort! à +mort! + +FUST, _s'avançant vers Gutenberg_. + +Eh bien! jeune homme, tu le vois, toi et ton oeuvre allez périr +ensemble. Un mot, et je te sauve: un mot, et ce peuple menaçant se +prosterne devant toi. Une dernière fois, je t'offre mon appui. Veux-tu +me confier ton secret? + +GUTENBERG. + +Jamais! + + _Fust fait un geste d'encouragement aux deux Zum, et sort, par la + droite._ + +LES DEUX ZUM _et_ LE PEUPLE. + +Mort à l'hérétique!... À mort! à mort! + + _Annette et Hébèle sortent de la boutique d'orfèvre; Friélo leur + montre le peuple en courroux; Conrad et Dritzen les rassurent._ + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Conrad Dritzen, Petit Zum, Zum, Fust, peuple et +bourgeois au fond. + + +SCÈNE XIV + +Les Mêmes, DIETHER D'YSSEMBOURG. + + _Diether est précédé de soldats, qui font reculer le peuple à droite + et à gauche, et restent au fond[A]._ + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Quel est ce tumulte? Pourquoi ces cris?... Silence, bourgeois et +manants! C'est moi, votre chef, votre souverain, votre père, qui ai seul +ici le droit d'accuser, de punir ou d'absoudre. Si Gutenberg est +coupable, il sera condamné; s'il est innocent, pourquoi ces menaces? +Justice sera faite. Retirez-vous un moment (_Le peuple se retire au fond +du théâtre. Friélo s'approche de Zum, et revient près de Conrad et +Dritzen, qui le rassurent. Il baise le bas de la robe de Diether. Sur un +mouvement menaçant de Zum, il s'écarte.--À Gutenberg._) Je sais, jeune +homme, que tu es un bon et loyal ouvrier. Je sais, que tu n'as jamais +fait aucune oeuvre de sorcellerie, et qu'en te livrant à des essais +nouveaux, tu obéis à une noble ambition. Il m'a été facile de te +préserver tout à l'heure de l'émeute populaire; mais la bourgeoisie de +Mayence, jalouse du rang qu'a su jadis conquérir ton père et de ton +mérite personnel, ne te pardonnera pas de sitôt une découverte appelée à +illustrer ton nom... Je ne te dirai pas de renoncer à une idée, que je +tiens, moi, pour excellente; mais comme mon devoir est de faire régner +l'ordre et la bonne harmonie dans la ville, je t'ordonne de partir, de +quitter Mayence, sur l'heure. Ton absence peut seule calmer la +surexcitation du peuple. (_Mouvement de Gutenberg._) Pars pour la +Hollande. Tu trouveras à Harlem l'imagier Laurent Coster; ses lumières +et ses conseils te seront utiles. C'est l'homme le plus propre à +comprendre et à encourager tes travaux. Présente-toi à lui de ma part. +Sois toujours laborieux et honnête, et lorsque tu reviendras, la ville, +apaisée, te fera bon accueil, je te le promets. + +GUTENBERG. + +Mon intention était de partir, pour aller perfectionner mon invention +loin de Mayence, loin des ennemis et des jaloux. Je l'ai annoncé ce +matin à ma soeur, à mes amis; mais je n'avais pas encore de résidence +déterminée. Vous me donnez, monseigneur, un excellent avis en +m'engageant à me rendre chez Laurent Coster. Je travaillerai sous ses +yeux, et je reviendrai un jour, pour rendre à mon pays l'art merveilleux +dont j'emporte le germe. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Compte toujours sur ma protection et mon appui. + + _Conrad va remercier Diether; Diether remonte près de Conrad._ + +GUTENBERG, _à Diether_. + +Merci, mille fois, monseigneur. (_À Hébèle._) Ne pleure pas, Hébèle. La +prière et le travail sont deux amis qui se retrouvent toujours: nous +nous reverrons. (_À Annette._) Ne veux-tu pas me serrer la main, +Annette? + +ANNETTE. + +Ah! Jean! ce n'est plus avec les larmes que je te dis adieu... c'est +avec orgueil! + +HÉBÈLE. + +Cher frère! + +GUTENBERG, _à Conrad Hummer et à André Dritzen, et saluant Diether_. + +Adieu! Conrad. Adieu, André. Pensez un peu à l'ami absent, qui ne vous +oubliera jamais. + + _Fausse sortie._ + +FRIÉLO, _courant après Gutenberg, d'une voix piteuse_. + +Vous oubliez quelqu'un, maître! + +GUTENBERG, _revenant_. + +C'est vrai: je ne t'ai rien dit, mon pauvre Friélo. (_Il lui tend la +main._) Que la providence veille sur toi! + +FRIÉLO. + +Ce n'est pas ça, mon cher maître; vos adieux ne me feront pas le coeur +plus content. Ce que je désire, c'est aller avec vous chez Laurent +Coster, l'imagier de Harlem. Comment avez-vous pu songer à partir seul? +Croyez-vous que je me soucie de rester sans vous à Mayence! + +GUTENBERG. + +Toi, Friélo, si casanier, si poltron et si amoureux des belles filles de +ton pays, tu consentirais à aller jusqu'en Hollande? + +FRIÉLO. + +Oui, car au-dessus de mes aises, de ma poltronnerie et de mes +amourettes, il y a mon frère de lait, il y a mon maître. Me +conduiriez-vous en enfer? (_À part._) je sais bien qu'il n'ira jamais de +ce vilain côté. (_Haut._) je vous suivrais partout! + +GUTENBERG. + +Eh bien, mon garçon, tu me suivras, puisque tu le veux. + +LE PETIT ZUM, _sortant de la foule restée au fond, à Diether_. + +Monseigneur, les amis m'envoient vous demander ce que vous avez décidé +contre ce mécréant. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Je lui ai ordonné de partir, de quitter Mayence. + +ZUM, _s'avançant_. + +Et de n'y jamais rentrer, nous l'espérons! (_La foule vient se ranger +autour de Gutenberg, de Diether et des autres personnes, avec un air +menaçant._) Qu'il parte à l'instant, s'il ne veut pas tomber sous nos +coups. + +LE PEUPLE. + +À mort! à mort! + +GUTENBERG. + +Malheur à qui oserait porter la main sur moi, ou sur cet enfant. +(_Écartant de la main le peuple qui se range aux deux côtés du +théâtre._) Place, bourgeois ingrats et félons! Je méprise vos injures et +brave vos menaces.... Viens, Friélo! + + _Il pose son bras sur l'épaule de Friélo, traverse la scène, et + sort, entre la double rangée du peuple et des bourgeois._ + +TOUS. + +Vive monseigneur! monseigneur Diether d'Yssembourg! + +NOTES: + +[A] Annette, Hébèle, Dritzen, Conrad, Friélo, Gutenberg, Diether, Petit +Zum, Zum, Soldats, Peuple, Bourgeois, au fond. + + + + +ACTE DEUXIÈME + +DEUXIÈME TABLEAU + +L'IMAGERIE DE LAURENT COSTER, À HARLEM + + _Une salle de l'imagerie de Laurent Coster, à Harlem.--Au fond, une + porte.--De chaque coté de la porte, un vitrage, sur lequel sont + accrochées des images.--Portes latérales.--À droite, un dressoir, + couvert de vaisselle.--À gauche, un bahut, sur lequel sont un vase + de fleurs et un sablier.--Près du bahut, un guéridon, avec ce qu'il + faut pour écrire.--Au milieu du théâtre, une table.--Escabeaux, + etc._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +MARTHA, _elle met le couvert, en allant du dressoir à la + table.--Gaîment_. + +Mon père m'a dit: «Martha, mets à la broche le poulet le plus gras; +monte de la cave le meilleur vin; sors de l'armoire une nappe de la plus +belle toile de notre Hollande, des assiettes de faïence et des gobelets +d'argent, car j'ai à déjeuner quelqu'un que je désire bien traiter, et +que tu ne seras pas fâchée de voir à notre table.» Pour accueillir ainsi +un convive, il faut que mon père le tienne en grand estime. (_Pensive._) +Si c'était Gutenberg? Je n'ose le croire, et pourtant quel autre +pourrait mériter mieux que lui l'amitié de mon père! Depuis que ce jeune +homme est entré à l'imagerie, il ne s'est pas attiré un seul reproche, +et j'ai souvent entendu dire à mon père qu'il est au-dessus du rôle de +contre-maître qu'il remplit ici... Oui, oui, c'est de Jean Gutenberg +qu'il s'agit. (_Elle approche un escabeau de la table._) C'est Jean qui +s'assiéra là. (_Elle met un pâté sur la table._) Toutes ces bonnes +choses seront pour lui... Il va venir!... (_Elle regarde au vitrage._) +Jamais le ciel ne me parut si beau. (_S'approchant du vase, prenant une +fleur et la respirant._) Jamais les fleurs ne m'ont paru aussi +parfumées. (_Elle met la fleur à sa ceinture._) Jamais enfin, je ne me +suis sentie si heureuse de vivre, et si fière d'être la fille de Laurent +Coster... Mais pourquoi suis-je pensive et distraite? J'aime à rêver +pendant de longues heures... Pourquoi? (_Elle s'assied.--Après un +silence._) Puisque je trouve Gutenberg aimable et bon, comment se +fait-il que je sois si craintive devant lui? Le son de sa voix suffit à +me faire rougir, (_Elle se lève._) et à la pensée de le voir, mon coeur +bat à briser ma poitrine. (_Elle s'approche du sablier._) Je +renverserais ce sablier, si cela pouvait ralentir la marche du temps, et +cependant je voudrais qu'il marquât déjà l'heure de midi!... Quel est +donc le sentiment étrange, qui me fait à la fois redouter et souhaiter +la présence de Gutenberg?... Pourquoi, en l'attendant, suis-je si émue? +Je me sens frémir, comme une feuille qui tremble au vent... + + +SCÈNE II + +FRIÉLO, MARTHA. + +FRIÉLO, _entrant par la droite, portant des feuilles et des images_. + +Pardine, damoiselle, ou je me trompe fort, ou ce mal mystérieux +s'appelle l'amour. Pour le soulager, il ne faut ni médecin, ni +sorcier.... Il faut seulement trouver un coeur qui réponde au sien. +(_Mouvement de Martha._) Ne baissez pas les yeux, damoiselle; votre +amour est de ceux qui peuvent s'avouer à la face de tous. La fille de +Laurent Coster, l'imagier, n'a point à se cacher d'aimer Jean Gutenberg! +Vrai Dieu! heureuse sera la main mignonne que le prêtre mettra dans la +main loyale de mon maître. (_Plaçant les feuillets au vitrage._) Là! + + _Il sort par la gauche._ + + +SCÈNE III + +MARTHA, _pensive_. + +C'est de l'amour, a dit Friélo!... J'aurais de l'amour pour Gutenberg! +Mais lui, m'aime-t-il?... Friélo ne l'a pas dit!... + + _Coster arrive par le fond._ + + +SCÈNE IV + +MARTHA, COSTER. + +COSTER. + +Tout est-il prêt, mon enfant? + +MARTHA. + +Oui, mon père. + +COSTER, _il l'embrasse_. + +Eh bien! va chercher, pour le dessert, un cruchon de vieux curaçao. + +MARTHA. + +J'y vais, mon père. + + _Elle sort par la gauche._ + +COSTER, _seul.--Il ferme la porte du fond, va à la porte de droite, puis +à celle de gauche.--Regardant autour de lui_. + +Je suis seul!... bien seul!... Vous savez, sainte dame, la vierge, si +j'aime ma fille, l'ange consolateur de ma vieillesse. Eh bien! que je +sois privé du salut éternel, si je ne regarde pas mon invention comme un +second enfant, qui, autant que ma fille, a droit à ma tendresse... (_Il +ouvre un tiroir du bahut, et y prend une casse d'imprimerie._) Mon +invention, la voilà! (_Il pose la casse sur le guéridon._) Jusqu'ici, +l'existence d'un pauvre copiste était à peine suffisante pour transcrire +une bible ou un livre d'heures; mais désormais, grâce à mes caractères +mobiles, on pourra reproduire mécaniquement les manuscrits. (_Il prend +quelques caractères dans la casse d'imprimerie, les regarde et s'assied +près du guéridon._) Chers caractères, enfants de mon esprit, fruits de +mes veilles et de mes labeurs, idée qui a germé dans ma tête, pendant +quarante années, quel bonheur j'éprouve à vous contempler!... À vous +appartiendra le pouvoir d'exprimer les sentiments les plus divers et les +plus opposés de l'âme humaine!... La science, l'histoire, la poésie, +naîtront, tour à tour, de votre arrangement multiple... En vous, +l'écolier épèlera son rudiment, le savant consignera ses doctrines, le +vieillard relira ses prières... Aux financiers, vous parlerez de +chiffres; aux femmes, de parures; à la jeunesse, de plaisirs. Vous +chanterez l'amour, après avoir célébré la gloire, et vous raconterez à +l'avenir, les événements du passé... À vous reviendra l'honneur de +régénérer le monde; car vous vous nommerez l'imprimerie, c'est-à-dire la +voix universelle de l'humanité!... Puisse l'hypocrisie, le mensonge, ni +la calomnie, ne jamais souiller vos empreintes!... (_Il se lève et va +remettre les caractères dans la casse, puis il replace la casse dans le +tiroir du bahut._) Personne ne connaît mon secret. Si mon imagerie est +ouverte et accessible à chacun, l'atelier où je cisèle et fonds mes +caractères, est fermé à tous les regards. Là, comme en un sanctuaire, où +l'on aime à prier seul, je travaille dans la solitude et le silence... +Mais, à mon âge, la mort est proche, et je dois léguer ma découverte à +un héritier capable de la faire grandir... Lorsque Gutenberg est arrivé +à Harlem, il m'a semblé que le ciel l'envoyait; car le feu sacré de +l'artiste brûle dans l'âme honnête de ce jeune ouvrier. Il aimera ma +fille et perfectionnera mon oeuvre. Je quitterai la terre avec moins de +regret, lorsque j'aurai assuré le bonheur de Martha et l'avenir de +l'imprimerie. (_Apercevant à travers le vitrage Gutenberg, qui arrive du +fond gauche._) Gutenberg! + + +SCÈNE V + +COSTER, GUTENBERG. + +COSTER, _tendant la main à Gutenberg_. + +Arrive donc, mon ami... aurais-tu oublié que tu déjeunes avec moi? + +GUTENBERG, _souriant_. + +Non, maître, je n'aurais garde de l'oublier. Et je vous remercie de tout +mon coeur, de l'honneur que vous me faites. + +COSTER. + +Alors, à table! (_Ils se mettent à table._)[A] Dès le jour où tu es +entré ici, j'ai vu que tu n'étais pas un ouvrier ordinaire, et je t'ai +voué une affection paternelle. + +GUTENBERG. + +Je suis fier de posséder votre estime, maître Coster; et je me +souviendrai toujours de l'accueil bienveillant que vous avez fait au +jeune inconnu qui vint frapper, il y a trois ans, à la porte de votre +maison. + +COSTER. + +C'est moi qui dois te remercier; car, depuis ton arrivée, mon imagerie +n'a cessé de prospérer. + +NOTES: + +[A] Coster, Gutenberg. + + +SCÈNE VI + +Les Mêmes, MARTHA. + + _Elle entre par la gauche, portant, sur un plateau, un cruchon de + curaçao, qu'elle place sur le bahut, à gauche.--Elle fait une + révérence à Gutenberg.--Gutenberg la salue et ne la quitte pas des + yeux, Coster regarde les deux jeunes gens, en se frottant les + mains._ + +COSTER, _à Gutenberg_[A]. + +Une coutume qui nous est douce, à nous, bourgeois de la Hollande, c'est +de nous faire servir par nos femmes et nos filles. Les mets et le vin +semblent meilleurs lorsque c'est une main chérie qui vous les +présente... Verse-nous à boire, Martha. (_Martha remplit les verres de +vin.--Élevant son verre._) À notre belle et bonne imagerie! + +GUTENBERG, _élevant son verre_. + +Oui, à l'imagerie de Harlem!... + + _Martha sert Coster et Gutenberg.--Gutenberg mange, les yeux + toujours attachés sur Martha._ + +COSTER, _regardant Gutenberg d'un air satisfait.--À part_. + +Allons, allons, je ne me suis pas trompé... (_À Martha._) Martha, +fais-moi passer ce curaçao. (_Martha va prendre le cruchon._) Il date de +ta naissance. Si notre convive a dans le coeur quelque tendre sentiment, +qu'il n'ose nous dire, eh bien! un verre de cette précieuse liqueur lui +donnera peut-être la force de l'exprimer. + + _Il verse du curaçao dans un petit verre, et le présente à Gutenberg._ + +GUTENBERG. + +Un tendre sentiment? Ah! oui, maître, (_Il regarde Martha._) bien +tendre!... (_À Coster._) Et puisque vous le permettez, (_Élevant son +verre_.) je boirai à... à... (_Regardant Martha.--À part._) Non, je +n'oserais jamais... + + _Il remet son verre sur la table._ + +COSTER. + +Eh bien!... Tu ne bois pas? + +GUTENBERG, _prenant une résolution subite_. + +Si!... (_Il se lève, prenant son verre._) À Hébèle, à ma chère, à ma +bien-aimée soeur! (_Il boit, mouvement de Coster.--À Coster._) Je suis +orphelin, messire, et ma soeur a été la seule tendresse de mon +enfance... (_À Martha._) Quand je quittai Mayence, ma soeur avait votre +âge, damoiselle. Tout en vous me la rappelle, et en buvant à elle, il me +semble que c'est à vous que je bois... Voulez-vous me permettre de +prendre votre main, comme je prenais la sienne, (_Il lui tend la main._) +et de vous dire qu'en m'apparaissant à travers votre visage, le souvenir +de ma soeur me devient plus cher encore. + +COSTER, _à part_. + +Il l'aime, mais il n'ose pas le lui avouer... Allons, c'est à moi de le +faire parler. (_Il se lève. Appelant à la porte de gauche._) Friélo! +Friélo! + +FRIÉLO, _entrant par la gauche_. + +Que voulez-vous, maître?[B] + +COSTER. + +Que tu aides Martha à emporter cette table. + +FRIÉLO, _enlève la chaise de gauche: Gutenberg écarte celle de droite_. + +Avec plaisir. + +COSTER, _à Martha_. + +Mon enfant, le déjeuner est fini, et Friélo t'attend, pour desservir. + +MARTHA, sortant comme d'un rêve. + +Ah!... + + _Elle emporte la table, avec Friélo, et sort, avec lui, par la + gauche.--Gutenberg la suit des yeux._ + +NOTES: + +[A] Coster, Gutenberg, Martha derrière la table, au fond. + +[B] Friélo, Coster, Martha, Gutenberg. + + +SCÈNE VII + +COSTER, GUTENBERG. + +COSTER. + +L'heure que marque ce sablier (_Il montra du doigt le sablier._) est +solennelle, Jean; car elle va décider de notre bonheur à tous. J'ai cru +comprendre que Martha ne t'est pas indifférente! + +GUTENBERG, _vivement_. + +Qui pourrait rester insensible à la grâce, à la beauté, à la candeur, de +cette nature angélique? Ce que j'éprouve pour Martha, c'est plus que de +l'amour, c'est de l'adoration[A]. + +COSTER. + +As-tu révélé à Martha ce tendre sentiment? + +GUTENBERG. + +Non, car dans ma famille, on sait obéir au devoir, et refouler dans son +coeur les désirs qu'on ne peut réaliser... Martha est riche, je suis +pauvre. Elle entre à peine dans l'existence, et ma jeunesse s'est déjà à +demi envolée. Elle a pour père le premier imagier de la Hollande, je ne +suis moi, qu'un pauvre artiste... Voilà pourquoi j'ai gardé jusqu'ici en +mon coeur le secret de cet amour. + +COSTER. + +Eh bien! Jean, si je venais te dire: «Tu peux aimer ma fille...» Et si, +avec la main de Martha, je te livrais le fruit de ma pensée, +c'est-à-dire le procédé qui a servi à imprimer ces livres? (_Il indique +de la main les livres posés sur la bahut._) Si je te disais: «Sois +doublement mon enfant, et par l'affection et par l'intelligence... Que +me répondrais-tu?» + +GUTENBERG. + +Vous me donneriez à la fois et la main de Martha et le secret de +l'imprimerie? + +COSTER. + +Oui, mon fils... (_Il lui serre la main._) puisque je veux t'appeler +ainsi. + +GUTENBERG. + +Ah! messire, tous mes voeux sont donc comblés! + +COSTER. + +Quand je pense que j'ai pu être jaloux de toi! + +GUTENBERG. + +De moi? + +COSTER. + +Oui, lorsque tu arrivas ici, tu te présentas avec la recommandation du +prince électeur, l'archevêque de Mayence, et comme l'auteur d'un procédé +mécanique pour imiter les manuscrits. J'eus peur, un moment, je l'avoue, +que ta découverte ne fût rivale de la mienne. Mais cette crainte fit +place à une satisfaction immense, lorsque je vis que tu n'employais que +des planches de bois sculptées en relief!... (_Avec dédain._) Des +planches de bois sculptées! + +GUTENBERG. + +Je sais combien ce procédé est imparfait, messire, mais, je n'en connais +pas d'autre, et je ne peux comprendre encore le moyen merveilleux que +vous avez trouvé... Et vous me livreriez ce secret? + +COSTER. + +Oui, le jour de ton mariage. + +GUTENBERG. + +Comment vous prouver ma reconnaissance? + +COSTER. + +En faisant le bonheur de Martha. + + _Il lui prend les mains._ + +GUTENBERG. + +Ah! venez![B] Allons la trouver. C'est devant vous que je veux lui jurer +un amour éternel. + +NOTES: + +[A] Coster, Gutenberg. + +[B] Gutenberg, Coster. + + +SCÈNE VIII + +Les Mêmes, FRIÉLO. + +FRIÉLO, _arrêtant Gutenberg, au moment où il va sortir par la gauche, +avec Coster_. + +Maître, une dame voilée demande à vous parler. + +GUTENBERG. + +C'est sans doute quelque étrangère qui vient acheter des missels... +Montre-lui les plus beaux, Friélo, et prie-la de vouloir bien +m'attendre. (_À Coster._) Venez, messire, je ne veux pas retarder le +moment de vous entendre répéter à Martha les paroles qui assurent le +bonheur de ma vie. + + _Gutenberg et Coster sortant ensemble, par la gauche._ + + +SCÈNE IX + +FRIÉLO, _puis_ ANNETTE, _voilée_. + +FRIÉLO, _parlant à la cantonade, à Annette, qui entre par le fond_. + +Par ici, damoiselle, par ici. (_À Annette, qui entre et regarde autour +d'elle.--À part._) Je ne connais pas cette acheteuse. (_Haut._) Vous +n'êtes pas de Harlem, n'est-ce pas, damoiselle[A]?... + +ANNETTE. + +Non, j'arrive de Mayence, et je voudrais parler à messire Jean +Gutenberg. + +FRIÉLO. + +Messire Jean Gutenberg n'est pas là, en ce moment; mais, si vous désirez +acheter des livres d'heures, je puis vous en montrer. + +ANNETTE, _sans l'écouter, à elle-même_. + +C'est donc ici que Gutenberg oublie ses serments et renie sa patrie? + +FRIÉLO. + +Est-ce un psautier fleurdelisé, qu'il vous faut? Je puis vous faire voir +des psautiers. + + _Il va prendre un psautier, et l'apporte._ + +ANNETTE, _sans l'écouter, à elle-même_. + +La richesse et le bonheur l'attendent dans sa ville natale; et il +préfère rester à travailler, obscur et pauvre, au fond d'une imagerie de +la Hollande! Il y a là-dessous un mystère! + +FRIÉLO. + +Si vous souhaitez une Bible en gros caractères, avec des encadrements, +nous avons de fort belles Bibles! + + _Il va prendre une Bible, et l'apporte._ + +ANNETTE, _sans l'écouter, à elle-même_. + +Ce mystère, je le découvrirai! + +FRIÉLO, _présentant à Annette un missel_. + +Tenez, damoiselle, voilà un missel rempli d'images... Si vous voulez le +feuilleter. + +ANNETTE, _repoussant le missel_. + +Je ne suis pas venue pour acheter des missels! (_Friélo remet le missel +au vitrage._) Je vous l'ai dit, je viens pour parler à Jean Gutenberg. +Il n'est pas là, je l'attendrai! + + _Elle s'assied à gauche, près du guéridon, et ôte son voile._ + +FRIÉLO, _la reconnaissant_. + +Ah! mon Dieu! c'est damoiselle Annette de la Porte-de-Fer! Que +vient-elle faire ici?... Le temps est à l'orage... Sauve qui peut! + + _Il sort par la droite._ + +ANNETTE, _seule_. + +Serait-il retenu dans les griffes du diable... je saurai l'en arracher! + +NOTES: + +[A] Annette, Friélo. + + +SCÈNE X + +ANNETTE, MARTHA, _entrant par la gauche_. + +MARTHA. + +Il m'a dit: «Je vous aime!» Mon père a ajouté: «Tu peux l'aimer!» Et +devant tant de bonheur, je m'arrête, étonnée et craintive... +(_Apercevant Annette._) Ah! damoiselle!... + + _Elle fait une révérence._ + +ANNETTE, _se levant, et toisant Martha avec méfiance_. + +Qui es-tu, mignonne[A]? + +MARTHA, _avec dignité_. + +Je m'appelle Martha, et je suis la fille de Laurent Coster, le maître de +cette imagerie... Voulez-vous une belle image, représentant les anges du +paradis, ou un almanach, avec messire saint Jacques, prieur de +l'ermitage de Compostelle? + +ANNETTE, _brusquement_. + +Non, ce n'est pas là ce que je veux. + +MARTHA. + +Eh bien, damoiselle, Jean va venir; et mieux que moi, il trouvera dans +l'imagerie, de belles miniatures qui vous plairont. + +ANNETTE, _vivement_. + +Jean, dites-vous? Quel Jean?... Serait-ce messire Jean Gutenberg, de +Mayence? + +MARTHA. + +Oui, damoiselle. + +ANNETTE, _avec véhémence_. + +Je trouve étrange que vous osiez parler avec cette familiarité d'un +homme qui n'est ni de votre pays, ni de votre famille! + +MARTHA, _s'excusant_. + +Mais, damoiselle, Jean Gutenberg est le contre-maître de cet atelier... +mon père lui a accordé ma main, et je vais l'épouser. + +ANNETTE. + +L'épouser?... Toi?... (_Lui prenant brusquement les mains, et l'amenant +au milieu du théâtre._) Fille de Laurent Coster, sais-tu qui je suis?... +Je suis, depuis huit ans, la fiancée de Jean Gutenberg. (_Mouvement de +Martha._) Et grâce à sainte Anne, ma patronne, j'arrive ici à temps pour +faire valoir mes droits. + +MARTHA. + +Vos droits? Mais Gutenberg m'a juré un amour éternel. + +ANNETTE. + +C'est possible; mais à la Pâques fleuries de 1437, c'était à moi qu'il +jurait un amour éternel. Ce jour-là, il passa à mon doigt, un anneau... +«Ennel, me dit-il, voilà l'anneau d'argent des fiançailles. Je le +remplacerai bientôt par l'anneau d'or du mariage.» Il y a huit ans de +cela!... Je viens réclamer l'anneau d'or. + +MARTHA, _douloureusement, s'appuyant sur le dossier de la chaise, à +gauche_. + +Mon Dieu! + +ANNETTE. + +Jean n'a pu te dire une seule parole d'amour qu'il ne me l'aie déjà dite +à moi-même (_Martha s'affaisse sur la chaise._) Il ne peut te faire un +serment qu'il ne m'ait déjà fait. Et si ses yeux se fixent tendrement +sur les tiens, c'est qu'ils ont conservé le reflet de mes yeux... J'ai +été la passion et l'orgueil de sa jeunesse... Jamais il ne t'aimera +autant qu'il m'a aimée... Pourrais-tu faire revivre en son coeur les +souvenirs d'un premier amour? Pourrais-tu lui rappeler les danses du +dimanche, dans la salle de la maison du _Taureau-Noir_, les promenades +du soir, au bord de notre grand fleuve, et les doux refrains que nous +chantions ensemble aux veillées de l'hiver? Pourrais-tu l'aimer comme je +l'ai aimé?... comme je l'aime encore? + +MARTHA, _se levant_. + +J'aime assez Gutenberg pour lui faire le sacrifice de ma vie! + +ANNETTE. + +Fais-lui le sacrifice de ton amour, c'est plus simple. + + _Elle passe à droite[B]._ + +MARTHA. + +S'il me fallait renoncer à lui, j'en mourrais. + +ANNETTE. + +Oui, mais Gutenberg vivrait pour la postérité! + +MARTHA, _anxieuse_. + +Que voulez-vous dire? + +ANNETTE. + +Écoute, jeune fille, celui que nous aimons toutes les deux a reçu du +ciel le don du génie... C'est son génie qu'il faut aimer. Ton tranquille +amour amollirait son âme; tandis que moi, je saurai le conduire à la +fortune, à la gloire, à l'immortalité. + +MARTHA. + +Et moi, damoiselle, je l'aurais conduit au bonheur. + +ANNETTE. + +Ah! sache-le bien, toute lutte contre moi est impossible... J'aime +Gutenberg sous la foi des serments; je l'aime de toute la force de mon +droit, et rien, entends-tu, rien ne pourra m'empêcher de l'épouser. + +MARTHA, _s'incline et se dirige vers la porte de gauche_. + +C'est bien, damoiselle, Gutenberg décidera entre nous deux. +(_Pleurant._) Ah! mon Jean adoré! + + _Elle sort._ + +ANNETTE, _seule, elle hausse les épaules_. + +Elle prétend aimer Gutenberg, et elle n'a rien dit de ses travaux, de +son art, de son génie!... Elle prétend l'aimer, et elle courbe la tête, +elle pleure, elle s'enfuit!... Ce n'est qu'une enfant. + +NOTES: + +[A] Martha, Annette. + +[B] Martha, Annette. + + +SCÈNE XI + +ANNETTE, GUTENBERG, _il entre par la gauche, deuxième plan_. + +GUTENBERG[A]. + +Friélo m'a dit qu'une étrangère me demandait. + +ANNETTE, _à part_. + +Lui!... (_Se retournant. Haut._) L'étrangère, c'est moi! + +GUTENBERG, _stupéfait_. + +Annette! + +ANNETTE. + +Vous ne m'attendiez pas? + +GUTENBERG. + +Non, je l'avoue... Et quel motif vous amène? + +ANNETTE. + +Vous le demandez?... (_Tendrement et presque bas, se rapprochant de +Gutenberg._) Tu le demandes? + +GUTENBERG, _embarrassé_. + +Vous ne m'avez jamais écrit, Annette; et, ne recevant de vous aucune +nouvelle, j'ai cru que vous m'aviez rendu ma liberté. + +ANNETTE. + +Mais vous-même, vous ne m'avez jamais écrit, et je ne vous ai pas fait +l'injure de douter de votre fidélité. + +GUTENBERG, _avec désespoir_. + +Ah! si j'avais reçu une seule lettre de vous! + +ANNETTE. + +Je n'avais pas promis d'écrire, j'avais promis d'agir, j'ai agi... «Ma +vie appartient à l'art que j'ai créé,» m'as-tu dit, en quittant Mayence. +Eh bien! si je suis venue à Harlem, c'est pour te soustraire à un labeur +ingrat et subalterne; c'est pour te rendre à ton art. + +GUTENBERG. + +Je ne vous comprends pas. + +ANNETTE. + +Je vais m'expliquer... Vous savez que ma famille occupe un rang élevé à +Strasbourg. Là, grâce à l'influence de l'échevin, mon oncle, j'ai décidé +trois de nos amis, Jean Riff, André Dritzen, et André Heilmann, à +s'associer avec toi, pour créer l'art nouveau de l'imprimerie. +(_Mouvement de Gutenberg._) Il y a près de Strasbourg, à la montagne +verte, un vieux couvent abandonné. Ses murs silencieux se cachent sous +un épais manteau de mousse. Les oiseaux font, sans bruit, leurs nids, +sous ses ombrages, et tout autour, un ruisseau glisse doucement à +travers la prairie. Le couvent de Saint-Arbogast est le refuge +tranquille que j'ai choisi pour te servir d'atelier. C'est là que tu +pourras, en toute sécurité, te livrer, avec tes trois amis, au +perfectionnement de ton art. (_Mouvement de Gutenberg._) Tes premiers +essais à Mayence ont fait naître des défiances, des menaces! Il faut +donc, pour assurer le succès de ton oeuvre, travailler dans l'ombre. Tes +futurs associés y sont bien décidés. Vous serez censés former une +société pour exploiter quelque industrie. Riff étant marchand de +papiers, Dritzen fabricant de miroirs, et toi, orfèvre, la chose sera +toute simple. Cent soixante florins vous seront comptés le jour de ton +arrivée à Strasbourg, afin que tu puisses te mettre à l'oeuvre sans +retard... Et maintenant hésiteras-tu à me suivre? Quel est ici ton +avenir? Qu'as-tu appris? qu'as-tu recueilli, depuis cinq ans, que tu vis +en Hollande, sous les ordres d'un vieil imagier? + +GUTENBERG. + +Dites-moi, Annette, avant de récolter, n'est-il pas d'usage +d'ensemencer? et ne doit-on pas préparer le terrain avant les semailles? + +ANNETTE. + +D'accord. + +GUTENBERG. + +Eh! bien, le moment de la moisson est arrivé pour moi. (_Il prend les +livres sur le bahut, et les lui montre._) Voyez ces livres, imprimés par +Laurent Coster. Ne laissent-ils pas bien loin mes pauvres feuillets de +Mayence? Ne trouvez-vous pas leurs caractères nets, précis, admirables? +Eh! bien, ce matin même, maître Coster m'a promis de me révéler le +secret de son art. Ce secret, Annette, vaut mieux que l'or de mes amis +de Strasbourg. Remerciez-les donc pour moi, et dites-leur que je reste à +Harlem, à Harlem, le berceau de l'imprimerie. + +ANNETTE, _froidement_. + +Vous oubliez de me dire une chose, Jean, c'est qu'en vous promettant son +secret, Coster vous promet aussi la main de sa fille. (_Se dressant +devant Gutenberg._) Et moi, je ne compte donc pour rien?... Vous avez +cru pouvoir me jurer un amour éternel, puis m'abandonner, me renier, et +donner votre nom à une étrangère? Heureusement, la tendre et timide +Ennel est devenue une femme énergique et résolue? Reconnaissez-vous +cette promesse de mariage. (_Elle lui montre un parchemin, qu'elle +retire de son corsage._) Ignorez-vous que cet écrit me donne le droit de +vous poursuivre en tous lieux, et de vous imposer ma main? Voulez-vous +que j'aille trouver les juges, et préféreriez-vous le scandale d'un +procès à l'association honorable que je viens vous proposer? + +GUTENBERG, _se laissant tomber sur une chaise, près du guéridon, et +posant sa tête sur sa main_. + +Ah! doux mirage d'un bonheur paisible, qu'êtes-vous devenu? Vers quels +horizons lointains vous êtes-vous à jamais envolé? + +ANNETTE, _posant la main sur son épaule_. + +Tu crois aimer la fille de Laurent Coster, tu te trompes. Un jour +viendra où tu comprendras que Martha n'est qu'une de ces poupées +charmantes dont l'unique rôle est d'embellir le logis... Crois-moi, ce +n'est pas un de ces timides anges du foyer qu'il te faut pour compagne: +c'est une femme énergique et fière, qui puisse s'associer à tes pensées, +encourager tes travaux, te soutenir dans tes luttes, applaudir à tes +succès... + +GUTENBERG, _se levant_. + +Quitter Martha, me serait impossible. Annette, je vous en supplie, +n'exigez pas de moi ce sacrifice. + +ANNETTE, _amèrement_. + +Vous m'aimiez bien aussi, à la Pâques fleuries de 1437! Je veux +apprendre à Martha la durée de vos serments. Je veux lui montrer la +promesse de mariage écrite, il y a huit ans, par la main que vous lui +offrez aujourd'hui. + +GUTENBERG. + +Ah! Annette! par pitié! pas un mot à Martha! Son âme est frêle et +délicate. Qu'elle ignore les chaînes qui m'attachent à vous. + +ANNETTE. + +Je garderai le silence, mais à une condition. Adressez vos adieux à +Martha, écrivez-lui et partons. (_Elle donne une plume à Gutenberg, qui +s'assied près du guéridon. Annette penchée sur son épaule, le regarde +d'un air inspiré._) Sache-le, Jean, ce n'est pas un sentiment égoïste, +ce n'est pas une jalousie mesquine, ce n'est pas un calcul personnel, +indigne de mon coeur, qui m'ont conduit vers toi. La passion qui m'anime +est plus sainte et plus ardente que l'amour même. Ce qui me fait +abaisser mon orgueil à les pieds, c'est ma foi, c'est mon enthousiasme, +pour ton art et pour ton génie. (_Elle se penche vers lui et, peu à peu, +se met à genoux à sa droite._) Reviens dans notre vieille Allemagne. +Qu'as-tu besoin du secret de Coster? Ne sauras-tu pas trouver toi-même +ce qu'il a découvert? Voudrais-tu que l'art de l'imprimerie, déjà conçu +dans ton esprit, aux jours de ta jeunesse, eût deux pères, au lieu d'un, +et partager avec un autre l'honneur d'une aussi noble invention? (_Elle +se relève._) Vois-tu, Jean, la meilleure partie de l'âme d'un artiste +passe dans son oeuvre. Travaille, et cherche toi-même à pénétrer un +secret dont la découverte rendra ton nom immortel! + + _Gutenberg qui a relevé peu à peu la tête, écoute attentivement et + se lève._ + +GUTENBERG[B]. + +Ta voix me rend à l'honneur; elle me rappelle dans ma patrie. Le coeur +de l'artiste est tissu de cordes sensibles, que le moindre choc fait +vibrer: elles dormaient en moi, tu les as réveillées!... Annette, je +consens à te suivre! + + _Il écrit._ + +ANNETTE. + +Merci pour toi-même, Jean! Ce que tu traces en ce moment c'est le +premier sillon de ta gloire. (_À part._) Je savais bien que je te +ramènerais. + +GUTENBERG, _lui montrant la lettre_. + +On remettra à Martha cette lettre, après mon départ. + +ANNETTE, _prenant vivement la lettre_. + +Je me charge de la faire parvenir... Et maintenant je vais tout disposer +pour notre départ. + + _Elle sort par la gauche._ + +GUTENBERG, _seul_. + +Et en perdant Martha, je perds aussi le secret de l'imprimerie. Tout +m'accable à la fois! + + _Il s'assied à droite, accablé._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Annette. + +[B] Gutenberg, Annette. + + +SCÈNE XII + +GUTENBERG, COSTER, _entrant par le fond_. + +COSTER. + +Non!... en même temps qu'il t'avait promis la main de sa fille, le vieil +imagier t'avait promis le secret de son art. Il tiendra sa parole... Tu +ne peux plus épouser Martha, ma fille vient de me le déclarer en +pleurant; mais tu restes toujours mon élève bien-aimé... Je veux que +dans l'avenir, les noms de Coster et de Gutenberg soient unis, comme le +furent leurs coeurs... Je suis vieux, la mort me menace: c'est à toi que +je laisse le soin de continuer et de faire vivre éternellement mon +oeuvre. (_Il lui remet un rouleau de parchemin._) Tiens! voilà le secret +de Coster, voilà le secret de l'imprimerie! Tu trouveras dans cet écrit, +l'explication complète de cet art, qui se résume dans les caractères +mobiles, que j'ai le premier inventés et appliqués à composer des +livres. Mais mon invention a besoin de grands progrès. Je m'en rapporte, +pour la développer et la perfectionner, à ton naissant génie. + +GUTENBERG. + +Merci, Laurent Coster! Je partirai puisqu'il le faut, mais mon âme +restera ici! Ah! nous étions tous si heureux ce matin! + +COSTER. + +Le bonheur, mon fils, n'est pas fait pour nous, inventeurs et savants! +Le ciel ne t'a pas envoyé sur la terre pour goûter les charmes de +l'existence. Il t'a envoyé pour consacrer les forces de ton corps à un +travail opiniâtre, et pour livrer ton âme à toutes les souffrances... À +ceux qui cherchent, à ceux qui pensent, à ceux qui créent, reviennent +les difficultés, les tortures, les amertumes de la vie. À eux la +jalousie des grands, la haine des petits, le mépris des ignorants. Mais +à eux aussi le rayon divin qui réchauffe, élève et fortifie les âmes. À +eux les nuits sans ténèbres, illuminées par le travail et l'espérance. +À eux les illusions suprêmes, qui donnent à l'esprit une jeunesse +éternelle. À eux les joies de l'artiste, les extases du poète et le +sourire des anges!... Pars, Gutenberg! Pendant que je m'endormirai de +l'éternel sommeil, tu traceras le sillon glorieux dans lequel l'humanité +doit marcher aux siècles à venir!... + +GUTENBERG. + +Merci, Laurent Coster. Je jure d'achever votre oeuvre, et de répandre +par toute la terre le trésor que vous léguez, par mes mains, à la +postérité! + + _Il sort par le fond._ + + +SCÈNE XIII + +COSTER, MARTHA, _entrant par la gauche_. + +COSTER. + +Te voilà toute triste, ma chère enfant![A] + +MARTHA. + +Oui, ces préparatifs de départ, que je viens de voir, l'air embarrassé +de Friélo, et cette lettre qu'il m'a remise, en s'empressant de me +quitter aussitôt, tout cela m'émeut et m'inquiète... Qui peut +m'écrire?... L'écriture de Gutenberg!... Ah! ma main tremble, et je puis +à peine lire... (_Lisant._) «Chère Martha... c'est le coeur déchiré que +je vous adresse ces lignes; mais un serment m'oblige à retourner +immédiatement à Mayence! Adieu donc, et pour toujours! Dieu fasse que je +survive à ma douleur!...» (Elle laisse tomber la lettre.) Ah! mon père! +(_Ou entend un bruit de grelots._) Il est parti!... Je ne le reverrai +plus!... + + _Elle se jette dans ses bras._ + +NOTES: + +[A] Martha, Coster. + + + + +ACTE TROISIÈME + +TROISIÈME TABLEAU + + _Le couvent de Saint-Arbogast, à Strasbourg.--Une salle voûtée du + couvent de Saint-Arbogast.--Au fond, une porte.--À gauche, un bureau + couvert de papiers et d'épreuves d'imprimerie.--À droite, au fond, + en pan coupé, une fenêtre, et près de la fenêtre, une presse + d'imprimerie.--Au premier plan, à droite, une casse.--Portes + latérales.--Une cloche près de la porte du fond, avec sa corde._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +ANDRÉ DRITZEN, GUTENBERG, FRIÉLO, Ouvriers imprimeurs. + + _Au lever du rideau, trois ouvriers tirent des feuilles à la presse, + deux autres sont debout, devant la casse d'imprimerie, à droite, et + composent. Deux autres, à gauche, au fond, près de la porte + latérale, serrent des formes, à coups de marteau.--Gutenberg est + assis devant le bureau et Dritzen se tient debout, devant le même + bureau. Friélo est près de la presse._ + + _Un ouvrier arrivant de droite, premier plan, porte une épreuve à + Friélo, qui la remet à Dritzen_[A]. + +FRIÉLO. + +Maître, voici les épreuves de la composition d'hier. + +DRITZEN. + +C'est bien! (_Il la parcourt des yeux._) Descendez-les à Riff, pour la +correction. + + _L'ouvrier sort par la gauche, deuxième plan, avec les épreuves.--Un + deuxième ouvrier, qui était occupé au fond, à droite, à tirer des + épreuves à la presse, remet une feuille à Friélo, qui la porte à + Dritzen._ + +FRIÉLO. + +Maître, l'encre du tampon ne prend plus sur le papier. + +DRITZEN. + +Prenez le pot de l'encre de Leipzig tenue en réserve. Allez et +dépêchez-vous. + + _Le deuxième ouvrier sort par la gauche, deuxième plan.--Un + troisième ouvrier, arrivant par le fond, remet à Friélo un papier, + que Friélo donne à Dritzen._ + +FRIÉLO. + +Maître, il est impossible de serrer les formes: les cadres sont trop +larges. + +DRITZEN. + +Ne pouvez-vous pas réduire votre cadre? + +FRIÉLO. + +On n'a pas les outils nécessaires. + +DRITZEN. + +Nous allons voir cela. + + _Il sort par le fond, avec le troisième ouvrier._ + +FRIÉLO, _quittant la presse au fond à droite.--À Gutenberg._ + +On a tiré deux cents feuilles; faut-il continuer? + +GUTENBERG. + +Non, c'est assez! + + _Friélo revient à la presse._ + +DRITZEN, _rentrant par la fond.--À Gutenberg._ + +Mon cher Jean, voici un contre-temps: un de nos ouvriers veut absolument +partir. + +GUTENBERG, _toujours assis à la table, à gauche_. + +Quel est cet ouvrier? + +DRITZEN. + +Pierre Scheffer. + +GUTENBERG. + +Ce jeune calligraphe qui nous est venu de Mayence? + +DRITZEN. + +Oui; et il va bien nous manquer, car il n'a pas son égal pour le dessin +des lettres gothiques et ornées qui servent de modèles à nos graveurs de +caractères. + +GUTENBERG. + +Sans compter qu'il y a un véritable danger pour nous à le laisser +sortir. Le lui as-tu bien fait comprendre? Lui as-tu rappelé le serment +qu'il a fait en entrant ici? + +DRITZEN. + +Je lui ai dit tout ce qui pouvait l'empêcher de partir; mais rien n'a pu +changer sa résolution!... Du reste, il est là... Je lui ai fait dire que +nous l'attendions ici. Tu pourras lui parler à ton tour. + +GUTENBERG. + +Eh bien! fais-le venir. + +DRITZEN, _parlant à la cantonade_. + +Entre, Pierre Scheffer. + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Dritzen, ouvriers, Friélo. + + +SCÈNE II + +GUTENBERG. ANDRÉ DRITZEN, FRIÉLO, Ouvriers, PIERRE SCHEFFER, _entrant +par le fond_. + +GUTENBERG, _il se lève_[A]. + +C'est donc toi, Pierre Scheffer, qui veux nous quitter et abandonner +tes camarades, au moment où notre oeuvre touche à sa fin? + +SCHEFFER. + +Pardonnez-moi, maître, mais il m'est impossible de rester plus longtemps +ici. + +GUTENBERG. + +Comment ne peux-tu supporter le régime auquel se soumettent tous les +autres ouvriers? N'as-tu pas juré, en entrant ici, de n'en pas sortir +avant que nous t'ayons rendu la liberté? Ne trouves-tu pas dans les +salles, les cours, les jardins de ce vaste couvent, les moyens de repos +et de distraction, quand ils te sont nécessaires. Es-tu mécontent du +salaire convenu? Je peux l'augmenter, si tu le désires; mais, je t'en +conjure, ne donne pas l'exemple de la désertion. Tu sais que les +accusations de sorcellerie qui ont accueilli nos premiers essais à +Mayence, nous poursuivent à Strasbourg, et que nous sommes forcés de +dérober aux yeux du monde notre travail et notre entreprise, jusqu'au +moment, peu éloigné du reste, où nous pourrons montrer nos livres +imprimés, les répandre, et repousser ainsi, par la simple vue de nos +productions, des soupçons ridicules et odieux. C'est pour cela que tous +nos ouvriers ont consenti à s'enfermer avec nous, dans ce couvent +abandonné. C'est pour cela qu'ils n'en sortent, ni jour ni nuit, et +qu'ils ne rentreront à Strasbourg qu'au jour de l'achèvement de notre +oeuvre. Voudrais-tu donc, ami Scheffer, (_Il lui met la main sur +l'épaule._) donner seul le triste exemple de la défection[B]? + +SCHEFFER. + +Vos paroles me remuent le coeur, maître!... Mais je suis forcé +d'insister, pour vous demander ma liberté. Un avis m'est parvenu, +m'annonçant que ma mère est au lit de mort, et qu'elle demande à me voir +et à m'embrasser à ses derniers instants. Voilà pourquoi je viens vous +supplier de me laisser partir. + + _Gutenberg et Dritzen se consultant à voix basse._ + +DRITZEN. + +Eh bien! puisque c'est le voeu d'une mourante qui t'appelle, tu +partiras. Mais avant de nous quitter, tu vas jurer sur l'évangile +(_Dritzen va prendre l'évangile, et le tient ouvert sur ses deux +mains._) que tu ne révéleras à personne ce que tes yeux ont vu dans ce +couvent, ce que tes mains ont fait dans cet atelier. + +SCHEFFER, _étendant la main sur la Bible_. + +Sur l'Évangile ouvert, devant Dieu qui m'entend, je vous jure, Jean +Gutenberg, je vous jure André Dritzen, de ne révéler à qui que ce soit +au monde, ce que mes yeux ont vu dans ce couvent, ce que mes mains ont +fait dans cet atelier. + +GUTENBERG. + +C'est bien, Scheffer, tu peux partir, (_Scheffer s'incline et sort par +le fond. Dritzen remet l'évangile sur le bureau.--Un ouvrier vient +sonner la cloche._) Voilà la cloche qui appelle les ouvriers au repas du +soir. Allez, mes enfants, allez au réfectoire. (_Les ouvriers sortent +par le fond gauche. Dritzen les suit. À Friélo, qui est resté à droite, +premier plan, occupé à travailler devant la casse._) Eh! bien, Friélo, +tu ne suis pas tes camarades? Tu ne veux pas prendre ta part du souper +en commun? + +FRIÉLO. + +Je n'ai pas faim, maître Jean; je n'ai jamais faim, depuis que je suis +enfermé dans ce sombre couvent, sans pouvoir en franchir le seuil. Je +pense que la jolie Rosette se désole, que la jeune Gretschen m'accuse +d'inconstance et que la belle madame Marsh déssèche sur pied... Et tout +cela m'ôte l'appétit... J'aime mieux rester à travailler, puisqu'il n'y +a pas d'autre manière de s'amuser ici. + +GUTENBERG, _va à son bureau_. _Friélo le suit._ + +Eh! bien, (_Il lui donne une forme de caractères._) voici des lignes à +distribuer! + +FRIÉLO, _prenant la forme, et allant à la casse, à droite_. + +Allons, autant cela qu'autre chose! Je vais distribuer, comme vous +dites. (_Distribuant les lettres dans la casse._) A (_Il jette la lettre +dans la casse._) O (_Il jette la lettre dans la casse._) R. S. T... +Comme c'est amusant!... (_Prenant une lettre._) Le voilà donc, ce fameux +secret, que maître Laurent Coster vous a si noblement révélé, malgré +l'affront que vous lui aviez fait de refuser la main de sa fille!... Des +lettres mobiles, en métal, et ornées d'une queue aussi longue que celle +d'une poêle, voilà le secret de l'imprimerie. + +GUTENBERG. + +Oui, monsieur Friélo, des lettres mobiles en métal, et posées à +l'extrémité d'une queue... comme vous le dites, voilà le secret de +l'imprimerie; et ce secret est plus précieux que tous les joyaux de la +couronne d'Allemagne. + +FRIÉLO, _distribuant toujours les lettres_. + +J'ignore ce qu'elles vous rapporteront un jour, mais jusqu'ici, depuis +votre association avec vos trois amis, elles ne vous ont causé que +beaucoup de dépenses, et votre réclusion dans ce couvent, où vous +tremblez sans cesse que l'on vienne vous surprendre, pour vous accuser +d'un travail diabolique, d'une oeuvre de sorcellerie, que menacent les +foudres de la sainte église romaine... Qu'est devenu le temps où, libres +et joyeux, nous n'avions d'autre souci que de ciseler, en chantant, de +riches bijoux, pour les belles filles de Mayence?... Aujourd'hui, nous +passons ici nos journées, vous à tailler et à fondre des moules de +lettres, vos ouvriers à en composer des lignes, et moi à les distribuer +dans ces casses... Ah! c'était bien la peine de travailler nuit et jour, +de suer sang et eau, de vous mettre enfin la cervelle à l'envers, pour +venir vous cacher derrière les murs de ce triste couvent. + +GUTENBERG. + +Un peu de patience, Friélo, et tu verras l'invention de l'imprimerie +faire ma fortune et ma gloire. + +FRIÉLO. + +A-t-elle fait la fortune de Laurent Coster? + +GUTENBERG. + +Non, car les caractères qu'employait Laurent Coster étaient en fonte, +c'est-à-dire cassants. Ils déchiraient le papier et s'écrasaient sous la +presse; tandis que ceux-ci, (_Il prend des caractères et vient en +scène._) composés d'un alliage de plomb et d'antimoine, ont le degré +convenable de dureté et de souplesse... L'avenir de l'imprimerie est +tout entier dans cet alliage, Friélo! Seulement, mon invention ressemble +à une dérision de la fortune, puisque je suis forcé de la dérober à tous +les yeux, jusqu'au moment où je pourrai montrer publiquement nos livres +imprimés... Ce qui me rend triste et rêveur, ami Friélo, ce n'est pas la +crainte d'être surpris dans mon mystérieux travail, c'est le souvenir de +mon amour perdu!... + +FRIÉLO. + +Cependant, puisque vous avez épousé damoiselle Annette, il me semble que +vous devriez oublier la fille de l'imagier de Harlem... Vous me direz +peut-être que, moi aussi, je pense à la jolie Rosette, à la jeune +Gretschen, et même à la sensible madame Marsh: c'est possible, mais je +n'ai épousé aucune des trois. + +GUTENBERG. + +Ah! Friélo, jamais je n'oublierai ma douce Martha. + +FRIÉLO. + +Mais voilà mon travail terminé; je puis aller rejoindre mes camarades au +réfectoire. Ils vont se lever de table; je ne trouverai que des croûtes +et des noisettes. + + _Il sort par la gauche._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Scheffer, Dritzen. + +[B] Dritzen, Gutenberg, Scheffer. + + +SCÈNE III + +GUTENBERG, _seul. Il s'approche de la croisée de droite_. + +Oui, là-bas, bien loin, sous le sombre ciel de la Hollande, au fond d'un +triste atelier, languit, comme une pauvre fleur privée de soleil, la +tendre enfant dont le souvenir rayonne en mon esprit, comme une vision +céleste. Mon amour pour celle que je ne dois plus revoir, et mon +indifférence pour celle qui s'est attachée à ma destinée, feront-ils +donc toujours le tourment de ma vie? + + _Il reste la tête appuyée sur la main.--La nuit arrive._ + + +SCÈNE IV + +GUTENBERG, _puis_ MARTHA. + +MARTHA, _en longue robe blanche de laine_. _Elle entre par le fond; elle +s'avance lentement, et s'arrête au milieu du théâtre, éclairée par les +rayons de la lune qui viennent de la croisée ouverte._ + +GUTENBERG, _regardant Martha avec surprise, et se levant. Avec émotion._ + +Si c'est une vision, prolongez-la, Seigneur! Ne la faites pas +disparaître avant que je lui aie dit mes souffrances, et qu'elle m'ait +accordé son pardon. + +MARTHA. + +Ce n'est pas un rêve, c'est bien moi, c'est Martha[A]. + +GUTENBERG. + +Mais comment se fait-il?... + +MARTHA. + +N'ayant pu vous appartenir, j'ai voulu appartenir à Dieu!... Il y a un +an, je perdis mon père. + +GUTENBERG. + +Eh! quoi! Laurent Coster, mon maître?... + +MARTHA, _tristement_. + +J'ai reçu son dernier soupir... Et rien ne me retenant à Harlem, sachant +que vous avez épousé Annette de la-Porte-de-Fer, j'entrai au couvent de +Sainte-Claire de Mayence... + +GUTENBERG. + +Religieuse!... (_À part._) Ah! elle est perdue pour moi. + +MARTHA. + +Je n'ai pas encore prononcé mes voeux, je suis simple novice, et notre +sainte abbesse m'envoie souvent de Mayence à Strasbourg, secourir des +malheureux. Je vois quelquefois à Mayence, votre soeur Hébèle, et nous +parlons de vous. Elle m'a dit qu'un avenir brillant de fortune et de +gloire vous attend ici; elle ne m'a rien dit de votre bonheur. + +GUTENBERG. + +Depuis que je vous ai quittée, Martha, j'ai renoncé à l'espoir d'être +jamais heureux. Qu'avez-vous pensé de mon brusque départ? +(_Tristement._) Vous m'avez accusé d'ingratitude, de trahison. + +MARTHA. + +Vous accuser! Pourquoi? Les serments qui vous liaient à Annette, +n'étaient-ils pas antérieurs à votre séjour en Hollande? Croyez-le bien, +Jean, après votre départ, votre image me souriait encore; je lui +parlais, elle était devenue ma confidente et ma compagne. + +GUTENBERG. + +Ah! chère Martha!... que votre voix est douce! Parlez, parlez encore. + +MARTHA. + +Nous avions fait ensemble un doux rêve, oublions-le. + +GUTENBERG. + +Est-ce bien toi, Martha, qui m'ordonnes de t'oublier. T'oublier? Est-ce +possible? + +MARTHA. + +Ne me faites pas regretter d'avoir eu confiance en votre loyauté. +Écoutez-moi, Jean, je ne suis pas venue pour vous rappeler l'amour de +nos jeunes années; car nos coeurs ne nous appartiennent plus... Le vôtre +est à Annette, le mien est à Dieu... Mais je viens vous dire de ne pas +vous abandonner à la tristesse, au désespoir. Annette est une femme à +l'âme forte et résolue. Elle vous guidera, vous soutiendra dans les +difficultés et les périls de votre carrière. Je ne suis, moi, qu'une +humble servante de Dieu; mais mon coeur ne se détachera jamais de celui +qui fut l'amour de ma jeunesse. Je veillerai sur vous, je prierai Dieu +pour qu'il écarte de votre chemin les embûches et les trahisons. Je +serai l'ange gardien de votre vie. Je vous éclairerai de mes conseils... +Et je viens commencer dès aujourd'hui... Apprenez qu'une conspiration +secrète vous menace. Fust, l'argentier de Mayence, dont vous avez, +peut-être à tort, dédaigné les offres, est animé contre vous d'une +violente haine, et il travaille sourdement à votre perte. Il a juré de +s'emparer, par ruse ou par violence, du secret que vous avez refusé de +lui communiquer, et tous les moyens lui seront bons pour vous attaquer, +car il est méchant et impitoyable. Il fait circuler dans Strasbourg, des +bruits calomnieux contre l'oeuvre que vous poursuivez à l'ombre de ce +cloître. Il prétend qu'il se trame sous ses arceaux, une oeuvre de +magie; et déjà, dit-on, le tribunal criminel de Strasbourg est entré en +campagne... C'est pour cela que je suis venue vous dire: «Veillez, car +vos ennemis s'agitent et vous menacent.» + +GUTENBERG. + +Merci, chère Martha, merci de votre bon avis. + +MARTHA. + +Et maintenant il faut nous séparer. Persévérez dans l'entreprise +glorieuse qui sera l'honneur de votre vie. Mon père vous a légué le +secret de l'imprimerie. Marchez sur ses traces, imitez-le. À votre tour, +travaillez, cherchez, inventez... trouvez!... Adieu, Jean Gutenberg. + +GUTENBERG. + +De grâce, un moment encore! + +MARTHA. + +Le destin nous sépare ici-bas. Acceptons ses décrets. Les joies sont +pour là-haut. + + _Elle montre le ciel, puis elle se dirige vers la porte et sort par + le fond._ + +GUTENBERG. + +Martha! Martha! + + _Il s'assied, accablé, à gauche, près de la porte du fond._ + +NOTES: + +[A] Martha, Gutenberg. + + +SCÈNE V + +GUTENBERG, _assis près de la porte du fond_, ZUM, LE PETIT ZUM. _Il fait +nuit._ + +ZUM, _entrant par la fenêtre, à droite_. + +M'y voilà! À toi, petit frère. + +LE PETIT ZUM, _tiré par la main par Zum_. + +Et m'y voilà aussi! Merci, grand frère! Il s'agit d'abord de se +reconnaître, car il fait ici, noir comme dans un four. + + _Il se heurte à un escabeau._ + +ZUM. + +Tu as ta lanterne? + +LE PETIT ZUM, _il tire une lanterne allumée de dessous son manteau_. + +Voilà! (_Le jour revient._) Tous les ouvriers sont au dortoir; nous +pouvons nous cacher derrière quelque meuble, en attendant l'arrivée de +nos compagnons. + +ZUM. + +Ah! commençons par le commencement. + + _Il monte sur un escabeau et coupe, avec son poignard, la corde de + la cloche._ + +GUTENBERG, _qui s'est levé, au bruit fait par Zum, en coupant la +corde_[A]. + +Qui va là? Quels sont ces hommes qui pénètrent ainsi par les fenêtres, +quand tout dort dans le couvent? + +ZUM. + +Gutenberg! + +GUTENBERG. + +Tu ne t'attendais pas à me trouver là? + +ZUM. + +Non! mais qu'importe!... Tu nous demandes qui nous sommes? Tu ne nous as +donc pas reconnus? + +GUTENBERG. + +Je ne connais pas les voleurs de nuit. + +LE PETIT ZUM. + +As-tu donc oublié l'émeute populaire de Mayence, du mois de juillet +1440, et les hommes qui criaient contre toi haine et vengeance! + +ZUM. + +Nous étions parmi ces hommes, moi et mon petit frère... que je te +présente. (_Le petit Zum salue._) Nous étions alors copistes à +l'archevêché. Mais ta diable d'invention d'écriture mécanique nous a +fait perdre notre métier; car sur le seul bruit de ton art prétendu, la +moitié des copistes de Mayence a été renvoyée des couvents... Alors, +nous nous sommes faits soldats. Nous sommes entrés, comme volontaires, +dans les troupes du comte Adolphe de Nassau. + +GUTENBERG. + +L'ennemi de votre ville? le compétiteur de notre archevêque, Diether +d'Yssembourg! Voilà du patriotisme!... Il est vrai que soldats +volontaires, cela veut dire reîtres, bandits et pillards. + +LE PETIT ZUM. + +Peut-être; mais le métier de soldat a fini par nous ennuyer; et nous +avons envoyé au diable la souquenille du reître. + +ZUM. + +Nous n'avons gardé que notre épée. + +GUTENBERG. + +Pour l'offrir à qui veut la payer? + +LE PETIT ZUM. + +Tu l'as dit[B]. Et sais-tu qui a accepté nos services? + +GUTENBERG. + +Vos services de spadassins et d'espions? + +ZUM. + +Comme tu voudras... c'est une personne de ta connaissance, mais non pas +de tes amis... l'argentier Fust. + +GUTENBERG. + +Oui, je sais qu'il trame dans l'ombre quelque perfidie contre moi. + +LE PETIT ZUM. + +Et nous sommes ici pour le seconder. + +GUTENBERG. + +Mais, au fait, comment êtes-vous entrés? La porte est aussi solide que +celle d'un château fort. Elle a herse, fossé et pont-levis, et de plus, +deux guichets, auxquels se tiennent, jour et nuit, deux de nos hommes, +demandant à ceux qui entrent ou qui sortent le mot d'ordre et la +consigne. Je ne puis donc comprendre... + +ZUM. + +Dis-moi, Gutenberg, quand on enferme des oiseaux, est-il prudent +d'ouvrir la porte de la cage? + +GUTENBERG. + +Que veux-tu dire? + +LE PETIT ZUM. + +Que ce matin, tu as ouvert la porte de ta cage, et qu'un de tes +prisonniers s'est envolé. Or, l'oiseau est bavard; il a jasé. + +ZUM. + +Il a dit à notre maître, Fust, tout ce que notre maître voulait savoir: +le mot d'ordre et la consigne, la manière de faire abattre herse et +pont-levis, l'heure favorable pour pénétrer en ce mystérieux manoir, +enfin le chemin à suivre pour arriver au pied de cette fenêtre. + +GUTENBERG. + +Ce matin, dites-vous? Mais ce matin, Pierre Scheffer seul a quitté le +couvent, et Pierre Scheffer n'est ni un traître, ni un parjure. Il a +juré devant moi, sur l'Évangile ouvert, de se taire sur tout ce qu'il a +vu ici. + +ZUM. + +Pierre Scheffer ne s'inquiète guère de l'Évangile. + +LE PETIT ZUM. + +Il est juif. + + _Ils rient._ + +GUTENBERG. + +Ah ça! mes drôles, est-ce que vous êtes fous, et moi aussi? Vous entrez +chez moi par la fenêtre, au milieu de la nuit; vous me racontez +tranquillement vos projets, et comment vous êtes attachés à l'entreprise +de ruse et de brigandage qui me menace; et vous n'avez pas l'air de vous +douter qu'à quelques pas d'ici, il a y trente ouvriers à ma solde, et +que je n'ai qu'à sonner cette cloche, pour les faire accourir? + +ZUM. + +Nous le savons; essaie d'appeler. + +GUTENBERG, _il va à la corde de la cloche, qu'il trouve coupée_. + +Les misérables! Ils ont coupé la corde de la cloche. (_Allant vers la +porte de gauche._) N'importe, je vais chercher mon monde. + +ZUM, _tirant son poignard, et se plaçant devant la porte_. + +Si tu fais un pas, tu es mort! (_Au petit Zum._) Et toi, petit frère, +donne le signal à nos compagnons. + + _Le petit Zum détache la ceinture qu'il porte autour du corps, monte + sur l'appui de la fenêtre de droite, et agite la ceinture._ + +LE PETIT ZUM. + +Voilà, grand, frère! + +ZUM, _tenant toujours le poignard devant la poitrine de Gutenberg_. + +Et maintenant, va ouvrir cette porte à nos amis. Inutile, n'est-ce pas, +d'enfoncer du dehors une porte, quand on peut l'ouvrir du dedans... + + _Le petit Zum sort par la porte du fond, et rentre avec tout le + monde._ + +NOTES: + +[A] Zum, Gutenberg, le petit Zum. + +[B] Gutenberg, le petit Zum, Zum. + + +SCÈNE VI + +FUST. _Entrée générale_, Un Juge Criminel, Soldats, Un Juge +Ecclésiastique. _Les soldats se rangent au fond[A]._ + +FUST. + +Seigneur, juge criminel, Seigneur juge de l'officialité, j'avais pris, +comme vous le voyez, toutes les mesures pour surprendre ici les preuves +du travail secret auquel se livre Gutenberg, assisté de sa bande de +complices. On travaille ici par le secours du diable! (_Il montre les +épreuves restées sur le bureau de Gutenberg._) Voyez ces pages et ces +caractères, si parfaitement semblables les uns aux autres qu'il est +impossible qu'ils proviennent de l'industrie humaine. Voyez ces lettres +rouges, évidemment obtenues avec le sang de tous ces réprouvés, et +dites-moi si ce n'est pas avec raison que j'ai dénoncé au tribunal +ecclésiastique de Strasbourg, ainsi qu'au tribunal criminel, cette +entreprise de sortilège et de magie. Je vous ai demandé, Seigneurs +juges, d'en venir saisir les pièces et les auteurs. Vous voyez que je ne +vous ai pas trompés! + +PETIT ZUM, _aux soldats, en leur désignant le côté gauche_. + +Par ici, mes amis! + +FUST, _à part_. + +Pierre Scheffer m'avait bien renseigné. + +FRIÉLO, _apparaissant à la fenêtre de droite, au-dehors_. + +Que se passe-t-il ici?... Des soldats, des juges! mon maître menacé! +Vite au dortoir, pour appeler les camarades! + +LE JUGE CRIMINEL. + +Soldats, emparez-vous de cette presse, de ces caractères, et de tous les +objets qui tomberont sous votre main, et transportez-les au greffe du +tribunal. + +FUST. + +Monsieur le juge criminel, si vous le permettez, je désirerais que tout +cela fût transporté dans ma maison. Je vous en rendrai bon compte. + +LE JUGE CRIMINEL, _aux soldats_. + +Ces papiers, cette presse, ces outils, seront transportés dans la +demeure de messire Fust, l'argentier, ici présent. + +NOTES: + +[A] Zum, Gutenberg, Fust, Juge criminel, Juge ecclésiastique, petit Zum. + + +SCÈNE VII + +Les Mêmes, DRITZEN, _puis_ Ouvriers, _entrant par la gauche_. + +DRITZEN. + +Jean, voici vos ouvriers! + +GUTENBERG. + +Dieu soit loué! nous allons pouvoir jeter par-dessus les murs, cette +bande de pillards et de traîtres! + +FUST, _à Zum, en montrant Dritzen et Gutenberg_. + +Il me faut la vie de ces deux hommes! + +ZUM. + +C'est bien, maître! (_Au petit Zum._) À toi, Gutenberg, à moi, Dritzen. + + _Il s'élance vers Dritzen._ + +LE PETIT ZUM. + +Tes ouvriers arriveront trop tard. + + _Il frappa Dritzen, qui tombe mort._ + +ZUM, _s'élance vers Gutenberg, le poignard levé_. + +Maintenant, à toi, Gutenberg. + +LES SOLDATS. + +Mort à l'hérétique! mort au sacrilège! + + +SCÈNE VIII + +Les Mêmes, MARTHA, _entrant par le fond[A]. Elle présente sa croix aux + hommes qui entourent Gutenberg._ + +«Mort à l'hérétique» dites-vous, «mort au sacrilège!...» Appelez-vous +hérétique et sacrilège, celui qui met son travail et son oeuvre sous les +auspices de Dieu, celui qui s'enferme dans un couvent, pour travailler à +la gloire de l'Éternel?... Savez-vous de quelle oeuvre on s'occupe dans +ce cloître?... (_Elle a pris sur la presse la Bible._) Inclinez-vous, +c'est le livre divin; c'est la sainte Bible, que l'on s'attache ici à +multiplier, pour le bien de la religion et la gloire du Christ! + +LE JUGE CRIMINEL. + +Nous te remercions, sainte fille du Seigneur, de nous avoir éclairés, et +d'avoir épargné un crime à notre conscience. + + _Rideau._ + +NOTES: + +[A] Petit Zum, Zum, Friélo, Martha, Gutenberg, Juge criminel, Juge +ecclésiastique. + + + + +QUATRIÈME TABLEAU + +LA PESTE À PARIS + + _Un magasin de librairie, à Paris.--Contre les murs, des armoires + pleines de livres.--Comptoir au fond.--À droite, au premier plan, + une chaise longue.--À gauche, au premier plan, un banc de bois + sculpté._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +ZUM, LE PETIT ZUM. + + _Au lever du rideau, Zum est devant le comptoir et le petit Zum + devant l'armoire. Ils descendent en scène._ + +LE PETIT ZUM. + +Nous voilà donc à Paris, grand frère! + +ZUM. + +Et dans un magasin de librairie, à la place Maubert[A]! + +LE PETIT ZUM. + +Qui nous aurait dit cela, il y a huit ans, quand nous fîmes cette +brillante expédition nocturne au couvent de Saint-Arbogast à Strasbourg, +sous la conduite de Fust? + +ZUM. + +Quel malin que ce père Fust! + +LE PETIT ZUM. + +Oui, il est assez retors. Après avoir fait saisir les outils, les +instruments et le matériel de Gutenberg, sous prétexte qu'ils servaient +à une oeuvre de sorcellerie et de magie, il n'a eu rien de plus pressé +que de faire reprendre à Mayence les mêmes travaux, par les mêmes +ouvriers. + +ZUM. + +Seulement, pour dérober son travail aux yeux des curieux, il a fait plus +que Gutenberg: il a enfermé les ouvriers dans les caves, et les a tenus +sous clef, nuit et jour. + +LE PETIT ZUM. + +Et au lieu de leur faire jurer sur la Bible de garder le silence, il +leur a fait signer des billets, dont il réclamera le montant, en cas +d'indiscrétion. + +ZUM. + +C'est ainsi qu'il est parvenu à faire imprimer mystérieusement, à +Mayence, plusieurs livres, qu'il a apportés à Paris, pour les vendre. + +LE PETIT ZUM. + +Et il les vend, le traître, comme des manuscrits; ce qui lui procure des +bénéfices énormes. Les acheteurs encombrent sa boutique, et quand la +boutique est pleine, il vient des amateurs jusque dans la salle où nous +sommes. + +ZUM, _regardant en bas._ + +Voici justement un acheteur... c'est-à-dire une acheteuse, qui monte +l'escalier... Elle est accompagnée de Scheffer. + +LE PETIT ZUM. + +Scheffer, l'ancien calligraphe?... Je n'aime pas beaucoup cet homme, +qui, autrefois simple ouvrier de Gutenberg, au couvent de +Saint-Arbogast, semble aujourd'hui commander en maître, chez Fust. + +ZUM. + +N'est-il pas son associé dans l'imprimerie de Mayence? + +LE PETIT ZUM. + +Oui, Fust a reconnu de cette manière, le service qu'il reçut de +Scheffer, quand ce traître nous ouvrit les portes du couvent d'Arbogast. +Et sa trahison semble lui avoir porté bonheur, car le père Fust ne voit +que par ses yeux, et le laisse maître absolu de ses affaires. On dit +même qu'il veut lui faire épouser sa fille Christine. + +ZUM. + +Ce mariage n'est pas encore fait. J'ai idée que Scheffer a le coeur pris +d'un tout autre côté... Mais, silence!... le voici. + + _Ils remontent tous les deux au comptoir._ + +NOTES: + +[A] Zum, le petit Zum. + + +SCÈNE II + +Les Deux ZUM, PIERRE SCHEFFER, _il entre à reculons,_ Une Dame. + +SCHEFFER. + +Excusez-moi, noble dame, de vous avoir fait monter jusque dans cette +salle. (_Il prend une chaise placée à gauche près du comptoir, et la +présente à la dame, qui s'assied[A]._) Mais c'est ici que nous enfermons +nos plus précieux manuscrits, ceux que nous réservons pour les personnes +capables d'en apprécier la valeur et le mérite. (_Il va ouvrir une des +armoires du droite, qui est pleine de livres._) Voici un missel, qui, je +le crois, par la richesse de ses ornements, de ses enluminures et de ses +lettres peintes, fixera votre attention... C'est un livre d'heures du +XIe siècle; veuillez l'examiner. + + _Il lui donne le livre._ + +LA DAME. + +Le manuscrit est, en effet, magnifique. Vous donnerez l'ordre de +l'envoyer à l'hôtel de la duchesse d'Arques. + + _Elle rend le livre, et sort. Zum s'approche de Scheffer. Scheffer + le regarde avec défiance, et referme l'armoire d'où il a tiré le + manuscrit d'heures. Il passe alors au milieu du théâtre, entre les + deux Zum, qu'il regarde et toise._ + +ZUM. + +Vous avez l'air de vous méfier de nous, Pierre Scheffer.... Nous sommes +pourtant d'anciens confrères. + +SCHEFFER. + +D'anciens confrères? + +LE PETIT ZUM. + +Vous étiez calligraphe à Mayence, et nous copistes. Vous êtes devenu +l'associé du seigneur Fust; nous sommes, nous, ses serviteurs, ses +écuyers: il n'y a pas grande différence entre nous. + +SCHEFFER. + +Tout ce qui vous plaira, mais je crois que vous ferez bien de quitter la +maison, et d'aller respirer un peu l'air de Paris. + +ZUM. + +L'air de Paris n'est pas bon, Pierre Scheffer. La peste a éclaté dans la +ville, et l'on y meurt comme des mouches. Nous trouvons plus simple de +rester ici, à la disposition de notre maître, le seigneur Fust. N'est-ce +pas ton avis, petit frère? + +LE PETIT ZUM, _tirant un cornet et des dés de sa poche, et jetant les +dés en l'air, puis enfourchant le banc de bois placé à gauche._ + +Voilà ma réponse... Pour ne pas rester à ne rien faire, entamons une +petite partie. + + _Zum enfourche le banc de l'autre côté, et ils se mettent à jouer + aux dés, sur le banc._ + +NOTES: + +[A] La dame assise, Scheffer, les deux Zum, au fond gauche. + + +SCÈNE III + +Les Mêmes, GUTENBERG, FRIÉLO. + + _Ils entrent par le fond. Ils sont fatigués, et leurs habits sont + couverts de poussière[A]._ + +GUTENBERG. + +Enfin!... j'ai cru que nous n'arriverions jamais à Paris. + +FRIÉLO. + +Cinquante lieues à cheval, sans s'arrêter que la nuit!... Je suis moulu. + + _Il s'assied sur le canapé, à gauche._ + +SCHEFFER, _allant à Gutenberg._ + +C'est Fust que vous cherchez, messire Gutenberg? + +GUTENBERG. + +Oui, c'est pour le voir que je voyage depuis huit jours, avec mon +compagnon fidèle... + +FRIÉLO, à part. + +Et exténué! + +GUTENBERG. + +Mais je tombe aussi de fatigue; permettez que je reprenne quelques +forces. + + _Il tombe près de Friélo, déjà assis sur le canapé. Zum et le petit + Zum se lèvent de leur banc, et viennent les saluer. Gutenberg et + Friélo les reconnaissent, et leur tournent le dos._ + +ZUM, _revenant en scène._ (_Au petit Zum._) + +Il me garde rancune... et moi aussi, de l'avoir manqué au couvent de +Saint-Arbogast. + +LE PETIT ZUM. + +On peut se retrouver. + + _Ils reprennent leurs places sur le banc à gauche, et se remettent à + jouer._ + +NOTES: + +[A] Petit Zum, Zum, jouant aux dés, Scheffer, Gutenberg, Friélo. + + +SCÈNE IV + +Les Mêmes, LE DUC DE LA TRÉMOUILLE, _entrant par le fond_, SCHEFFER. + +LE DUC, _à Scheffer._ + +On m'a dit que vous voudriez bien, monsieur Scheffer, me montrer les +«_Offices de Cicéron_» célèbre manuscrit du XIIe siècle? + +SCHEFFER, _prenant un livre dans l'armoire._ + +Voici, monsieur le duc, le manuscrit que vous désirez. (_Il le lui +remet_.) C'est un objet rare et précieux[A]. + +LE DUC, _examinant le manuscrit._ + +Je vous remercie de me montrer ce chef-d'oeuvre. + +SCHEFFER, _appuyant_. + +Nous le vendons vingt écus d'or. + +FRIÉLO, _à part._ + +Rien que ça! + +GUTENBERG, _se levant, et allant au duc, en passant devant Scheffer_. + +On vous trompe, monsieur le duc!... Les _Offices de Cicéron_ que vous +tenez, ne sont pas un manuscrit; c'est un livre imprimé à Mayence. Il +n'est pas écrit à la main, comme on vous le dit, mais fabriqué +mécaniquement, par l'art de l'imprimerie, récemment inventé. Et ce +prétendu manuscrit n'est pas unique; car Fust en a apporté de Mayence +plus de cinquante exemplaires, absolument pareils à celui qu'on vous +montre. Fust veut faire passer pour des manuscrits des livres imprimés, +et surprendre ainsi la bonne foi et l'or des Parisiens. + +LE DUC. + +Ce que vous dites est grave; en avez-vous vu la preuve? + +GUTENBERG. + +La meilleure preuve, monsieur le duc, c'est que je suis l'inventeur, le +créateur de cet art nouveau. Je suis Jean Gutenberg, et ce sont mes +anciens ouvriers qui ont imprimé, à Mayence, les _Offices de Cicéron_. +J'ai fait tout exprès le voyage d'Allemagne à Paris, pour venir +démasquer les mensonges de Fust. + + _Les deux Zum se lèvent._ + +LE DUC. + +S'il en est ainsi, Pierre Scheffer, je me retire. + +SCHEFFER. + +Pourtant, monseigneur.... + + _Le duc sort par le fond. Scheffer le suit, en paraissant insister._ + +ZUM, _s'approchant, menaçant, de Gutenberg._ + +Tu viens porter ici le trouble et l'agitation! Tu as échappé de mes +mains, au couvent de Saint-Arbogast... Mais cette fois tu ne t'en +tireras pas! + + _Il tire son épée et s'approche de plus près de Gutenberg, qui tire + également son épée._ + +GUTENBERG. + +Approche donc, misérable! + + _Ils se menacent tous deux de leur épée. Friélo prend un bâton dans + un coin, et le lève sur le petit Zum, qui a tiré son poignard[B]._ + +NOTES: + +[A] Petit Zum, Zum, le duc, Scheffer, Gutenberg, Friélo. + +[B] Gutenberg, Zum, Friélo, petit Zum. + + +SCÈNE V + +Les Mêmes, FUST, _entrant par le fond, entre les deux groupes._ + +FUST. + +Quel est ce bruit? que se passe-t-il ici?... Des épées, des +poignards?... D'où viennent ce tumulte, et ces menaces de mort? + +_Les deux Zum reculent, Friélo abaisse son bâton._ + +GUTENBERG, _à Fust._ + +Tu me reconnais, n'est-ce pas?... Je suis venu ici pour déjouer tes +ruses, pour confondre tes mensonges et tes perfidies... Tes chiens +aboient après moi, et je tiens tête aux chiens, en attendant que je +m'attaque au maître. + +FUST, _bas, à Zum._ + +Tu n'as donc pas pu me débarrasser de cet homme?... + +ZUM, _avec humeur._ + +Il arrive à l'instant. + +FUST, _bas._ + +Ne vous éloignez pas; tenez-vous derrière cette porte; vous le frapperez +à sa sortie. (_Zum et le petit Zum sortent par la gauche.--À Gutenberg, +avec hypocrisie._) Eh! quoi, messire Gutenberg, hors de l'Allemagne, à +Paris, vous venez me poursuivre de votre haine et de vos fureurs? Il y a +ici, heureusement, des juges et des prévôts, qui sauront me défendre[A]. + +GUTENBERG, _avec force._ + +Les juges et les prévôts arriveront trop tard, car je vais te tuer!... + +FUST. + +Me tuer!... Que vous ai-je fait? + +GUTENBERG. + +Ce que tu m'as fait?... Il demande ce qu'il m'a fait! Mais tu as voulu, +traître, détruire mon corps et mon âme! Et cela pour la soif de l'or, +par l'appât du gain!... Parce que j'avais refusé de te livrer mon +invention, tu as ourdi contre moi le plus noir des complots. Tu as +envahi, la nuit, à main armée, mon tranquille atelier. Tu as fait +assassiner mon ami, le pauvre Dritzen, qui a expiré sous mes yeux. Et si +je n'ai pas succombé, comme lui, je le dois à un ange du ciel, qui est +apparu pour me défendre... Et n'ayant pu me tuer, tu as entrepris de +tuer ma découverte... Tu fabriques des livres, et tu viens, en plein +Paris, à la face du ciel, déclarer que les livres imprimés n'existent +pas, et que l'art de l'imprimerie est un mensonge! Ces livres que tu as +fabriqués à Mayence, avec tes ouvriers, qui étaient les miens, tu les +vends audacieusement comme des manuscrits... Voilà ton nouveau crime, +Fust! C'est pour cela que tu vas mourir. + + _Il tire son épée. Les deux Zum rentrent par la gauche[B]._ + +FUST, _fléchissant les genoux, et s'asseyant sur le canapé_. + +Qu'est-ce que j'éprouve donc?... Je respire à peine... une sueur glacée +couvre mon corps. + +GUTENBERG. + +Ah! tu trembles, tu pâlis, tu as peur de la mort! + +FUST. + +Tu ne me connais pas, Gutenberg. Ce n'est pas la crainte de ton épée, ce +n'est pas la peur de la mort, qui me fait pâlir et trembler. + +GUTENBERG. + +Qu'est-ce donc? + +FUST. + +Ce matin, j'étais allé porter, sur sa demande, quelques manuscrits au +médecin de l'Hôtel-Dieu, Mannoury. On m'a fait traverser, pour arriver à +lui, une salle pleine de malades. La souffrance, les cris de douleur et +d'agonie, remplissaient ce lieu funeste. «Quelle est donc la salle que +nous traversons?» ai-je demandé à l'homme qui me conduisait. Et il m'a +répondu. «C'est la salle des pestiférés.» J'ai reculé d'horreur, j'ai +perdu connaissance... En ce moment, venait derrière moi une civière, +emportant le corps d'une malheureuse victime de l'épidémie. Je suis +tombé à la renverse, sur ce corps glacé, et, j'en frémis encore, il m'a +semblé que ce cadavre m'enlaçait de ses bras de marbre, et qu'il me +donnait le baiser de la mort!... Je suis sorti, éperdu, à demi fou de +terreur, croyant toujours sentir sur mes lèvres le funèbre baiser du +pestiféré de l'Hôtel-Dieu... Et maintenant, tes menaces, tes +emportements, ta fureur, tout cela m'accable, m'oppresse. Je souffre, je +souffre horriblement et je sens que j'ai rapporté de l'hôpital, la +maladie terrible... la peste!... + + _Il retombe sur le canapé._ + +ZUM. + +La peste!... + +LE PETIT ZUM. + +Sauve qui peut! + + _Ils sortent, avec les signes de la plus vive terreur._ + +FRIÉLO, _à Gutenberg_. + +Viens donc, maître!... + + _Gutenberg l'écarte du geste. Friélo sort, en courant._ + +GUTENBERG. + +Étranges créatures que nous sommes! Tout à l'heure, je voulais tuer cet +homme, et maintenant que je le vois haletant, accablé, un pied dans la +tombe, je voudrais le sauver. (_Il remet son épée au fourreau.--À +Fust._) Tu le vois, seul je suis resté. Mon coeur s'amollit au spectacle +de tes souffrances, et je demeurerai près de toi, pour te faire donner +les soins qui te sont nécessaires. + +FUST. + +Béni sois-tu, Gutenberg! Malheur à moi de t'avoir méconnu, et de t'avoir +si longtemps poursuivi de ma haine! Pardonne-moi, je t'en supplie, mes +torts envers toi. Que je ne paraisse pas devant Dieu, chargé de ton +mépris et de ta malédiction. + +GUTENBERG. + +Du fond du coeur, je te pardonne! Que Dieu reçoive ton âme en son saint +paradis. + +FUST, _à part_. + +Ah! la vengeance! la vengeance! (_Haut._) Ce n'est pas assez de tes +paroles, ami Gutenberg. Je veux que tu me donnes le baiser du pardon... +Je veux, pour être bien sûr de tes sentiments, que tu me permettes de +t'embrasser... de t'embrasser comme un fils. (_À part._) Ah! qu'il +vienne! qu'il vienne, et que je lui rende le baiser mortel du pestiféré +de l'Hôtel-Dieu! + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Fust. + +[B] Petit Zum, Zum, Friélo, Gutenberg, Fust. + + +SCÈNE VI + +FUST, GUTENBERG, MARTHA. _Elle entre par le fond[A]._ + +GUTENBERG. + +Eh bien! puisque tu demandes cette consolation suprême... + + _Il fait un pas vers Fust, Martha l'arrête._ + +MARTHA. + +Que fais-tu?... Ne comprends-tu pas que c'est la mort que ce misérable +t'offre dans son fatal baiser!... + +GUTENBERG. + +Serait-il vrai?... une dernière perfidie... Et j'allais en être +victime... Merci, Martha, vous m'avez sauvé une fois encore... Mais +comment vous trouvez-vous ici? + +MARTHA. + +On a demandé, au couvent de Sainte-Claire de Mayence, quelques +religieuses, pour aller soigner les pestiférés de Paris; et je suis +partie, avec quelques autres soeurs. Tout à l'heure, on est venu +chercher une religieuse, pour donner des secours à un mourant, et +j'accours. Je me charge de cet homme. Laissez-moi le conduire dans sa +chambre. + +GUTENBERG. + +Vous m'écartez de lui, et vous allez vous exposer vous-même à la +contagion? + +MARTHA. + +Oh! moi, c'est différent! Les filles de Dieu qui se dévouent aux malades +et aux mourants, ont fait d'avance le sacrifice de leur vie. Quand l'une +d'elles meurt, une autre la remplace. Sa mission est finie ici-bas; une +nouvelle soeur remplira son office. C'est à peine si l'on s'en aperçoit, +car c'est le même costume et presque la même personne, qui assiste le +malade... Dieu la voit, cela suffit! + +GUTENBERG. + +Tes paroles me remplissent d'admiration et de respect, Martha. Je ne +veux pas que seule tu t'exposes au danger. Laisse-moi prendre une part +des soins à donner à ce malade. + +_Il passe derrière Martha, et fait lever et sortir, avec Martha, Fust, +qui se tient à peine.--Ils sortent par la droite, Fust regardant +Gutenberg avec un mélange d'admiration et du remords._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Martha, Fust. + + +SCÈNE VII + +ANNETTE, SCHEFFER. + + _La scène reste vide pendant quelques instants; puis Scheffer et + Annette entrent ensemble par le fond[A]._ + +SCHEFFER. + +Quel bonheur pour moi, dame Annette, de vous voir ici! Vous avez donc +accompagné à Paris, Gutenberg? + +ANNETTE. + +Nous sommes arrivés ce matin, et Gutenberg n'a pas voulu tarder un +instant de se rendre chez Fust. Quant à moi, je suis restée quelques +heures à l'hôtellerie, pour prendre un peu de repos, et quitter ma +toilette de voyage... Et me voilà!... Que se passe-t-il ici? J'ai vu, en +arrivant, tous les visages renversés. + +SCHEFFER. + +La maison est, en effet, en proie à l'agitation, au vertige. Fust vient +d'être atteint de la peste; il est moribond. + +ANNETTE. + +Que m'apprenez-vous? + +SCHEFFER. + +Dame Annette, les moments sont précieux. Je ne trouverai peut-être pas +une autre occasion de vous voir, de vous parler sans témoin... +Laissez-moi donc vous dire ce qui remplit mon coeur... + +ANNETTE. + +Parlez! + +SCHEFFER. + +Voilà huit ans que je vous vis pour la première fois. J'étais alors, +vous le savez, calligraphe dans l'imprimerie de Gutenberg, au couvent de +Saint-Arbogast. Tous les jours, vous vous occupiez activement des +travaux de l'atelier, et tous les jours, j'admirais votre haute et +sereine intelligence; je m'enivrais de la douceur et de l'éclat de vos +regards. + +ANNETTE. + +Scheffer![B] + +SCHEFFER. + +Comment aurais-je pu rester insensible à votre beauté, au charme de +votre voix, aux mille perfections qui vous élèvent au-dessus des autres +femmes? J'étais désolé de vous voir, vous si belle, si jeune encore, +languir sous la froideur d'un époux usé par les soucis, plus encore que +par l'âge, et qui ne pouvait vous donner ni fortune ni amour. + +ANNETTE, _avec force_. + +C'est pour cela sans doute, que seul de tous nos ouvriers, tu sortis du +couvent? C'est pour cela que, dans la nuit même qui suivit ton départ, +les sbires du tribunal criminel nous surprenaient, pillaient nos +ateliers, massacraient le pauvre Dritzen, et consommaient notre ruine! +Ôte-toi de mes yeux! Tu n'es qu'un artisan de crime et de trahison. + +SCHEFFER. + +Ah! ne m'accusez pas. La fatalité a fait tout le mal. J'étais fou, fou +d'amour et de jalousie. Je ne pouvais plus vivre en vous voyant sans +cesse aux côtés de l'homme que je haïssais, parce qu'il était votre +époux. D'ailleurs, il était bien vrai que ma mère m'appelait, pour +recueillir son dernier soupir. C'est pour ce double motif que je +demandai à vous quitter. Le malheur voulut que Fust apprît ma sortie du +couvent. Il vint aussitôt me trouver, il m'accabla de questions, de +demandes, de promesses... Que vous dirai-je? J'avais la tête perdue et +de mon amour inavoué, et de la mort imminente de ma mère. Fust tira de +moi quelques paroles, quelques indications, qui lui étaient du reste, +bien peu nécessaires, avec sa résolution d'agir par la violence autant +que par la ruse... Il y a longtemps que j'ai expliqué tout cela à votre +époux, et qu'il m'a pardonné... Mais, je vous en supplie, dame Annette, +l'heure me presse, laissez-moi, sans perdre de temps, achever ce qu'il +me reste à vous dire... Fust vient d'être frappé de la maladie terrible +qui désole Paris. En le voyant près d'expirer, en songeant que sa place +va être libre dans l'imprimerie de Mayence, j'ai fait un rêve... + +ANNETTE. + +Un rêve? + +SCHEFFER. + +Oui, je rêvais au bonheur qui m'attendait si Gutenberg, à la place de +Fust, devenait mon associé dans l'imprimerie; s'il rentrait avec moi +dans ces ateliers, qui sont les siens, et dont l'a chassé la déloyauté +de son ennemi. Alors, et dans ce même rêve, dame Annette, je vivais sans +cesse près de vous, je m'enivrais de vos regards, de votre esprit. Vous +étiez la reine de ce monde de travailleurs et d'artistes; vous nous +inspiriez tous de votre ardeur, de votre ambition, de vos audaces... Et +tous, heureux et soumis, nous marchions ensemble à la gloire et au +bonheur. + +ANNETTE. + +Ce ne sont pas seulement des pensées coupables que tu exprimes là, +Pierre Scheffer, ce sont des pensées impies. Oublies-tu qu'il y a là +(_Elle passe et montre la chambre de Fust._)[C] un homme qui souffre et +qui meurt? Ce sont les dépouilles d'un mourant qui te préoccupent en ce +moment, et qui te dictent ces propositions déloyales... Mais tu te +trompes, Scheffer, et ton espoir n'est pour moi qu'une offense. Jamais, +jamais, entends-tu! je ne faillirai à mes devoirs!... Renonce donc à me +poursuivre des élans d'un amour coupable. Gutenberg fut ton protecteur +et ton maître, respecte sa femme. + +SCHEFFER. + +Croyez-vous donc que l'on commande à son coeur? Suis-je le maître de +vous oublier? Est-ce ma faute si votre seule présence, si votre voix +seule me troublent et m'enivrent? Quelle est la puissance qui pourrait +m'empêcher de tomber à vos pieds, et de vous répéter que mon coeur et ma +vie sont à vous à jamais? + + _Il prend la main d'Annette, et se met à genoux._ + +NOTES: + +[A] Scheffer, Annette. + +[B] Annette, Scheffer. + +[C] Scheffer, Annette. + + +SCÈNE VIII + +SCHEFFER, ANNETTE, MARTHA, _sortant de la chambre de Fust_[A]. + +MARTHA, _qui a entendu les dernières paroles de Scheffer, à part._ + +Qu'ai-je vu?... Annette!... Scheffer!... Ah!... (_Scheffer se relève. +Haut, à Annette._) C'est vous, dame Annette, vous êtes arrivée dans un +triste moment. + +ANNETTE. + +Oui, Fust est en danger de mort. Comment se trouve-t-il? + +MARTHA. + +Plus d'espoir!... mais voici Gutenberg, que j'ai laissé près de lui. + + +SCÈNE IX + +Les Mêmes, GUTENBERG, _entrant par la droite[B]._ + +ANNETTE. + +Eh! bien? + +GUTENBERG. + +Tout est fini! + +MARTHA. + +À genoux, mes amis, et prions Dieu pour cette âme qui s'envole dans +l'éternité! (_Ils s'agenouillent._) Que la miséricorde céleste s'étende +sur celui que la grâce a touché à ses derniers instants: que Dieu +reçoive en son sein le pécheur repenti. + + _Ils se relèvent._ + +SCHEFFER, _à Gutenberg_[C]. + +Puisque Dieu a jugé bon de rappeler à lui notre maître Fust, il n'y a +plus de raisons de laisser subsister entre nous la discorde et la haine. +Permets-moi donc, Gutenberg, de te dire: «Il y a, à Mayence, tout ce que +peuvent désirer tes justes ambitions. Là, s'exerce, dans toute son +ampleur, dans toute son activité, l'art auquel tu as voué ta vie. +L'imprimerie de Fust et Scheffer est veuve de l'un de ses chefs: +Gutenberg, veux-tu prendre la place de celui que Dieu vient de rappeler +à lui? Veux-tu concourir avec moi aux travaux qui nous illustreront +tous, en répandant dans le monde entier, les oeuvres de la science de la +littérature et des arts? Veux-tu rentrer en maître dans ces ateliers +d'où t'a banni un concours fatal de circonstances, que je déplore, et +auxquelles, tu le sais, je suis resté étranger?» + +GUTENBERG. + +Tes paroles sympathiques, cette proposition inattendue, l'horizon +nouveau que tu ouvres à ma pensée, tout cela m'éblouit, Scheffer. +Laisse-moi reprendre un moment mes esprits, et réfléchir à ton offre +amicale... + +ANNETTE. + +Et qu'est-il besoin de réflexions et de délais? Peux-tu te méprendre à +l'importance de l'offre généreuse que te fait l'amitié de Scheffer? +Peux-tu hésiter? Peux-tu faire attendre un moment ton acceptation? Où +trouveras-tu une occasion plus brillante et plus facile de te consacrer +au perfectionnement de l'art qui te doit sa naissance? (_À Scheffer._) +Oui, Scheffer, oui, j'en réponds pour lui, Gutenberg accepte avec +reconnaissance l'association que tu lui proposes. + +GUTENBERG, _à Scheffer, en lui prenant la main_. + +Eh! bien oui, j'accepte! Viens, ami; demain nous partirons pour Mayence. + + _Ils sortent par la droite._ + +NOTES: + +[A] Scheffer à genoux, Annette, Martha. + +[B] Annette, Scheffer, Martha, Gutenberg. + +[C] Annette, Martha, Scheffer, Gutenberg. + + +SCÈNE X + +MARTHA, ANNETTE[A]. + +MARTHA. + +Et moi, je dis, madame, que Gutenberg ne doit pas partir! + +ANNETTE. + +Il ne doit pas partir!... et pourquoi? + +MARTHA. + +N'insistez pas; je ne pourrai vous répondre. Seulement, dans l'intérêt +de tout ce qu'il a de plus sacré, de plus précieux au monde, que +Gutenberg n'habite jamais sous le même toit que Scheffer. + +ANNETTE. + +Mais, encore une fois, quel motif invoques-tu pour détourner mon époux +d'une carrière où tout l'appelle, son intérêt, ses goûts, l'avenir de +son art? + +MARTHA. + +Je n'ai rien à répondre. + +ANNETTE. + +Ainsi, tu viens te jeter au travers de nos projets, de nos plans +d'avenir, de fortune et de gloire, et tu ne veux donner aucune raison de +tes paroles!... Que veux-tu dire et que caches-tu sous tant de +réticences et de mystère? + +MARTHA. + +Je n'ai ni à me défendre, ni à accuser... Adieu, Annette. + + _Fausse sortie._ + +ANNETTE, _prenant Martha par la main, et l'amenant au milieu du +théâtre_. + +Soeur de Sainte-Claire, tu as aimé avant de prendre le voile, et celui +que tu aimais, c'était Gutenberg, celui qui est maintenant mon époux. +Pourquoi, je te le demande en secret, mes yeux dans tes yeux, mon regard +dans ton regard, pourquoi, ne veux-tu pas que Gutenberg retourne à +Mayence?... Est-ce parce qu'il ne t'y trouverait plus? Sous le voile de +la soeur Sainte-Claire sentirais-tu encore battre le coeur de l'imagière +de Harlem, et voudrais-tu être, comme autrefois, ma rivale d'amour?... + +MARTHA. + +Oui, j'ai aimé celui qui est aujourd'hui ton époux, et qui devait être +le mien; et depuis longtemps mon amour s'est transformé en une affection +profonde et douloureuse. Tu me demandes pourquoi je conseille qu'il ne +retourne pas à Mayence?... Je vais te le dire. C'est parce que son +honneur m'est plus cher que la vie, et que son honneur serait à la merci +de l'homme qui te poursuit... + +ANNETTE. + +De qui parles-tu? + +MARTHA. + +De Pierre Scheffer, qui t'aime, qui t'aime d'un amour insensé. Tu ne +l'ignores pas; car il te le disait tout à l'heure, et je l'ai vu à tes +pieds! + +ANNETTE, _confuse et s'asseyant sur le canapé_. + +Ah! + + _Elle se cache la figure dans ses mains._ + +MARTHA. + +Tu finirais par succomber à cet amour. C'est donc pour toi, Annette, +autant que pour Gutenberg, que j'ai parlé... Maintenant j'ai tout dit, +j'ai rempli mon devoir, j'ai agi selon ma conscience et mon coeur: le +reste à la grâce de Dieu! + + _Elle sort par le fond, Annette tombe sur le canapé._ + + +NOTES: + +[A] Martha, Annette. + + + + +ACTE QUATRIÈME + +CINQUIÈME TABLEAU + +ARCHEVÊQUE ET SOLDAT + + _L'intérieur de l'imprimerie de Scheffer et de Gutenberg à + Mayence.--Porte au fond.--À gauche de la porte, une presse.--À + droite de la porte, une armoire.--Au premier plan, à gauche, un + bureau.--Au premier plan, à droite, une table.--Au deuxième plan, à + droite, une fenêtre.--Portes latérales._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +ANNETTE, HÉBÈLE, FRIÉLO. + + _Au lever du rideau, Annette range sur le bureau à gauche. Friélo + est devant la presse. Hébèle entre par la porte du fond, et va + ranger sur la table, à droite._ + +HÉBÈLE. + +Quelle activité, aujourd'hui, chère Annette, dans l'imprimerie de +Gutenberg et de Scheffer! Tout le monde est occupé et tout le monde est +content. + +ANNETTE. + +Oui, leur association a merveilleusement réussi. Les livres qui sortent +de leurs presses font l'admiration de l'Allemagne, et Mayence est +justement fière d'avoir été le bureau de cet art. + +HÉBÈLE. + +On tire aujourd'hui la dernière feuille de la Bible. Mon frère a décidé +que le tirage de cette feuille serait fait avec quelque solennité, et +qu'un banquet fraternel réunirait ensuite tous les ouvriers de +l'imprimerie. + + +SCÈNE II + +ANNETTE, HÉBÈLE, FRIÉLO, GUTENBERG, _ensuite_ Ouvriers imprimeurs, _en +habits de fête, des bouquets à la boutonnière[A]._ + +GUTENBERG, _à Friélo_. + +Friélo, va prévenir les ouvriers que tout est prêt, et que nous les +attendons. + + _Friélo sort par le fond._ + +ANNETTE. + +Je présiderai au festin, et tu resteras ici, avec Scheffer. C'est bien +là ce qui est convenu? + +GUTENBERG. + +Parfaitement. + +FRIÉLO, _précédant les ouvriers_. + +Par ici, camarades. + + _Les ouvriers entrent par la gauche, et se rangent des deux côtés du + théâtre._ + +GUTENBERG[B]. + +Mes amis, il ne manque plus qu'une feuille à notre Bible, et j'ai voulu +vous réunir, pour la faire tirer devant vous. (_On tire une feuille de +la presse, et Gutenberg la montre aux assistants, avec solennité._) La +voilà, cette dernière feuille! La Bible est achevée. L'éternelle lumière +de ce livre divin pourra désormais luire par tous les hommes. Remercions +le Seigneur qui a permis la création de l'imprimerie, et prions-le de +bénir les premiers ouvriers de cet art nouveau. + + _Les hommes se découvrent et les femmes s'agenouillent, pendant que + Gutenberg montre la feuille de la Bible. Puis les femmes se + relèvent, Friélo prend la feuille des mains de Gutenberg, la plie et + la joint aux autres feuilles déjà pliées, pour en faire un volume._ + +ANNETTE. + +Quel grand jour, que celui où tu as terminé le plus beau livre de ton +imprimerie, le chef-d'oeuvre qui fera vivre à jamais ton nom dans la +mémoire des hommes! Tes longs travaux, les recherches qui ont occupé ta +vie entière, sont ainsi récompensés. Tu trouvas le germe de cette +invention dans l'atelier de Laurent Coster, et tu as su le porter à sa +perfection. Aux ébauches de l'imagier de Harlem tu as substitué ce +chef-d'oeuvre, et le titre de créateur de l'imprimerie t'est justement +acquis. + +GUTENBERG, _aux ouvriers_. + +Et maintenant, mes amis, mes enfants, je veux qu'un banquet cordial +réunisse tous ceux qui ont contribué, par leur zèle, par leur +dévouement, par leurs labeurs, au succès de l'oeuvre que nous avons +accomplie. Les tables sont dressées dans la grande salle. Allons +célébrer, le verre en main, cette heureuse journée. + +LES OUVRIERS. + +Vive Gutenberg! + +_Friélo ouvre la porte de droite, va aux ouvriers, les fait sortir et +les suit. Scheffer prend par la main Hébèle et la conduit à la porte de +droite. Gutenberg prend Annette par la main et lui fait signe de suivre +les ouvriers; Scheffer s'efface, pour la laisser passer._ + +NOTES: + +[A] Annette, Friélo, Gutenberg, Scheffer, Hébèle. + +[B] Annette, Gutenberg, Scheffer, Friélo, Hébèle, ouvriers au fond et +des deux côtés. + + +SCÈNE III + +GUTENBERG, SCHEFFER[A]. + +GUTENBERG. + +Les chers enfants! Quelle joie, quel orgueil ils éprouvent! Voilà des +instants qu'on n'oublie pas. (_À Scheffer._) Mais il ne faut pas que la +solennité de ce jour nous fasse perdre de vue les affaires. Travaillons, +ami Scheffer... On vient de me remettre, de la part de notre prince, +l'archevêque, ce manuscrit à composer! + +SCHEFFER. + +De la part du prince?... Ceci nous touche de près; car le sort de notre +ville et nos libertés municipales sont en jeu dans la situation critique +où se trouve notre digne souverain, Diether d'Yssembourg. Voyons de quoi +il s'agit. (_Il s'asseoit et lit._) «_À l'Empereur d'Allemagne, Frédéric +II, archevêque de Mayence, contre les attaques, violences et iniquités +de son voisin, le comte Adolphe de Nassau._» C'est une pièce que le +prince archevêque veut faire imprimer et publier, pour protester, devant +l'Europe, contre la guerre que lui a déclarée le comte de Nassau, et +pour réclamer de l'Empereur d'Allemagne, Frédéric II, des forces +militaires à opposer à celles de son ennemi. + +GUTENBERG. + +Et que dit notre cher souverain, dans sa protestation? + +SCHEFFER, _parcourant des yeux le manuscrit_. + +Il commence par rappeler la cause première du conflit armé qui règne +entre lui et le comte de Nassau. + +GUTENBERG, _debout près de Scheffer, assis_. + +La cause est assez connue, et d'ailleurs, fort singulière. C'est +l'archevêque de Mayence qui a le droit de convoquer les princes +d'Allemagne, quand il s'agit d'élire les empereurs; et c'est dans la +cathédrale de Mayence qu'a toujours lieu le couronnement de l'empereur +élu. Or, le pape Pie II, qui est bien le plus remuant, le plus intrigant +de tous les papes présents et passés, exigeait que notre prince électeur +s'engageât à ne jamais convoquer, sans son ordre à lui, le pape, le +collège électoral des princes d'Allemagne. Notre prince a répondu que si +le pape était maître à Rome, lui, Diether d'Yssembourg, était le maître +à Mayence; qu'il ne se mêlait point des querelles du pape avec les +Napolitains, les Toscans ou les Lombards, et qu'il entendait que le pape +n'intervînt point dans ses rapports avec les princes allemands. + +SCHEFFER. + +La réplique était juste, mais le pape Pie II, qui a passé sa vie à +batailler contre tous les souverains de l'Europe, et à se mêler à toutes +les intrigues des cours, n'était pas homme à s'arrêter devant les +protestations d'un archevêque. Par une bulle foudroyante, il a déposé +Diether d'Yssembourg, et institué à sa place, comme souverain de +Mayence, notre puissant voisin, le comte Adolphe de Nassau. (_Parcourant +les papiers._) Tout cela est rappelé dans cette pièce... Mais notre cher +souverain ajoute qu'il n'a pas voulu subir la décision pontificale. Il a +fait appel aux amis qu'il possède parmi les princes régnants de +l'Allemagne, et l'un d'eux, l'électeur Palatin, a mis à sa disposition +des armes et des troupes, pour les opposer à celles du comte de Nassau. + +GUTENBERG. + +Et de bonnes troupes, puisqu'il y a un an, le 14 septembre 1461, une +bataille rangée a eu lieu, sur les bords du Mein, près d'Heidelberg, et +que les soldats de Nassau ont été complètement battus par les nôtres. +(_Il se lève._) Victoire fâcheuse, peut-être, car le comte de Nassau, +furieux de sa défaite, et le pape, irrité d'une pareille résistance, ont +si bien manoeuvré qu'ils ont détaché de notre cause l'électeur Palatin. +Notre ancien allié nous a retiré ses troupes; de sorte qu'aujourd'hui, +nous en sommes réduits à nos propres forces, c'est-à-dire à la garde +civique, pour repousser les attaques des gens de Nassau. + +SCHEFFER. + +Tout cela est expliqué ici, et Diether d'Yssembourg conclut en demandant +à l'Empereur d'Allemagne, le prompt secours de forces militaires. + +GUTENBERG. + +Ce secours viendrait trop tard, car Adolphe de Nassau presse ses +armements; et comme nous n'avons, pour défendre la ville, que ses vieux +remparts et ses anciennes fortifications, je suis loin, ami Scheffer, +d'être rassuré sur le sort de Mayence. + + _Il va au bureau à gauche._ + +SCHEFFER. + +L'avenir me paraît, en effet, assez sombre pour nous. (_Il se lève et +frappe sur un timbre. Friélo entre par la droite, premier plan._) +Friélo, va porter ceci aux ateliers, et qu'on le compose sans retard[B]. + +FRIÉLO, _lisant le papier qu'on lui a remis_. + +«_Supplique du prince électeur, Diether d'Yssembourg, à l'Empereur +d'Allemagne._» Eh bien, il ne fera pas mal de se presser de nous envoyer +des secours, l'Empereur d'Allemagne; car la pauvre ville de Mayence en a +grand besoin. Tout y est sens dessus dessous. Les femmes pleurent et les +enfants crient. Les gardes civiques fourbissent leurs rapières et +astiquent leurs hallebardes; tandis que les artilleurs traînent les +bombardes du côté des remparts. Comment tout cela finira-t-il? + +SCHEFFER. + +Va donc porter cette copie, Friélo... Je t'ai dit que c'était pressé! + +FRIÉLO. + +J'y cours, maître, j'y cours. (_Il va pour sortir par la porte de +droite, mais il s'arrête.--Regardant à gauche._) Monsieur Scheffer, +voyez donc la visite qui nous arrive! + +SCHEFFER. + +Une visite? + +FRIÉLO. + +Je ne vois pas les visages, mais ce sont des personnages de très haut +rang, car tous les ouvriers s'inclinent sur leur passage, avec les +signes du plus profond respect. + + _Il sort par la droite._ + +NOTES: + +[A] Scheffer, Gutenberg. + +[B] Gutenberg, Scheffer, Friélo. + + +SCÈNE IV + +DIETHER D'YSSEMBOURG, SCHEFFER, GUTENBERG, CONRAD HUMMER, Hallebardiers. + + _Les hallebardiers se rangent des deux côtés de la porte._ + +UN SOLDAT, _annonçant_. + +Monseigneur Diether d'Yssembourg, prince électeur, archevêque de +Mayence; M. Conrad Hummer, Syndic de la ville! + + _Le prince électeur et Conrad Hummer entrent[A]._ + +GUTENBERG. + +Heureuse et honorée la maison qui reçoit aujourd'hui le souverain de +Mayence!... ainsi que toi, mon cher Conrad, toi qui es maintenant le +Syndic de notre bonne ville. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Mon cher Gutenberg, mon cher Scheffer, nous laisserons pour un autre +moment les cérémonies et les discours. Les circonstances sont graves, et +ma visite vous dit assez qu'un grand péril menace la cité. Notre +constant ennemi, celui qui, soutenu par le pape, a juré de détruire vos +libertés municipales, et d'absorber Mayence dans ses États, a rassemblé +toutes ses forces, et il marche sur notre ville. Il ne faut pas nous +laisser surprendre. C'est pour cela qu'avec le Syndic de la ville, je +viens donner mes instructions aux chefs des gardes civiques auxquels est +confiée la défense des dix portes fortifiées de la ville. Vous, +Scheffer, et vous, Gutenberg, êtes chargés de garder deux portes, +n'est-ce pas? + +CONRAD HUMMER. + +Oui; Gutenberg et Scheffer doivent se placer, avec les hommes de leur +quartier, dans les poternes et bastions qui défendent la troisième et la +quatrième porte du côté du Rhin. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Eh! bien, Scheffer, eh! bien, Gutenberg, voici le relevé des forces dont +vous disposerez. (_Il leur remet à chacun un pli. Gutenberg et Scheffer +prennent le pli et s'inclinent._) Dans cette note se trouve le détail +des quantités de poudre et de boulets de pierre accompagnant la bombarde +qui a été placée sur le rempart, entre la troisième et la quatrième +porte du Rhin. Il y a aussi le détail de l'approvisionnement, en grains +et fourrages, pour les chevaux, en cas d'une sortie de notre part. + +SCHEFFER. + +Nous avons ici soixante ouvriers solides, qui peuvent se rendre, avec +nous, à la porte du Rhin; mais ils ne sont pas encore armés. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Qu'ils se rendent sur la place du Dom. Là, les piques, les lances et les +épées, leur seront délivrées. Nous n'avons, malheureusement pas d'armes +à feu portatives, couleuvrines ou arquebuses, à opposer à nos ennemis, +qui en ont fait venir d'Espagne. Mais la vaillance elle patriotisme des +citoyens suppléeront à l'insuffisance de leurs armes. + + _Fausse sortie du prince et de Conrad Hummer._ + +DIETHER D'YSSEMBOURG, _revenant_. + +Ah! un mot encore. Des vedettes sont placées sur les tours des Églises, +aux quatre coins de la ville. Elles ont pour mission, dès qu'elles +apercevront l'ennemi, de sonner aussitôt le tocsin. Ce sera le signal +d'alarme et d'appel pour toutes les gardes civiques et pour les +habitants de la ville en état de porter les armes... Ainsi, dès que vous +entendrez le tocsin, Scheffer, dès que vous l'entendrez, Gutenberg, +n'hésitez pas un instant, courez, volez aux remparts. Seriez-vous près +de votre fils nouveau né, seriez-vous au chevet de votre mère mourante, +abandonnez tout, courez au combat! + +GUTENBERG. + +Il s'agit de défendre nos femmes et nos enfants, et de sauver nos +libertés civiques. Nos bras, nos forces, notre existence, sont à vous, +monseigneur. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Je savais que je pouvais compter sur votre courage et votre dévouement. +Adieu donc; je vais continuer à donner mes instructions aux chefs des +autres bastions et poternes. + +CONRAD HUMMER, _prenant la main de Gutenberg_. + +Nous nous retrouverons, cher camarade, devant l'ennemi. + +GUTENBERG. + +Permettez, monseigneur, que je vous reconduise jusqu'à votre carrosse. + + _Diether sort, suivi de Conrad et de Gutenberg. Les soldats suivent. + Scheffer qui les a suivis, rentre en scène._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Conrad, Diether, Scheffer, Hallebardiers, au fond. + + +SCÈNE V + +SCHEFFER, ANNETTE. + +ANNETTE, _entrant par la droite_[A]. + +C'est le prince électeur et le Syndic de la ville qui sortent d'ici?... +Que se passe-t-il donc? Je meurs d'inquiétude. + +SCHEFFER. + +Des événements très graves se préparent. Le temps presse et je vous prie +de m'écouter; car j'ai à vous parler, et de choses sérieuses. + +ANNETTE. + +Je vous écoute. + +SCHEFFER. + +Depuis trois ans, je travaille en secret, au perfectionnement de +l'imprimerie, et j'ai été assez heureux pour trouver un procédé qui va +simplifier extraordinairement la fabrication des caractères. Vous savez +que les lettres métalliques dont nous nous servons, sont sculptées une à +une. C'est un travail énorme et très dispendieux. Or, j'ai imaginé de +graver en acier un type, qui me sert à frapper ensuite un moule à +lettres. Je coule dans ce moule l'alliage destiné à former les +caractères, et j'obtiens ainsi des lettres ayant toute la perfection +désirable, tout en conservant le type primitif en acier. + +ANNETTE. + +C'est assurément une grande simplification, et je reconnais là votre +talent. + +SCHEFFER. + +Attendez! je n'ai pas fini. Gutenberg emploie, pour imprimer ses livres, +les lettres gothiques des anciens manuscrits. Je veux, moi, faire usage +des caractères romains, dont la netteté est précieuse, non seulement +pour l'imprimeur, car elle simplifie son travail, mais aussi pour le +lecteur, car elle facilite la lecture. + +ANNETTE. + +C'est encore là une belle idée! Mais pourquoi, Scheffer, est-ce à moi +que vous parlez de tout cela, au lieu de le communiquer à Gutenberg, à +votre associé[B]? S'il est vrai que vous ayez découvert plusieurs +perfectionnements utiles à l'art de l'imprimerie, votre devoir serait de +les communiquer à Gutenberg, qui, depuis deux ans, n'a aucun secret pour +vous, qui vous a initié à ses travaux, et vous a traité comme un fils. + +SCHEFFER. + +Vous oubliez que je vous aime, dame Annette! C'est pour me rendre digne +de vous que j'ai voulu surpasser Gutenberg. Je vous savais ambitieuse de +gloire et passionnée pour notre art. C'est pour cela que je viens vous +dire: «Gutenberg n'est pas le seul créateur de l'imprimerie. Un autre +qui a reçu du ciel ce même don suprême que vous admirez en lui, un +autre, après avoir découvert de nouveaux procédés pour l'imprimerie, met +à vos pieds ses talents et son coeur». Que me répondrez-vous? + +ANNETTE. + +Je vous répondrai que celui qui veut, du même coup, ravir le bonheur et +la gloire à son bienfaiteur, est un double traître. Je lui dirai qu'il a +menti; car l'art de l'imprimerie a été créé par celui là même qu'il veut +trahir, comme inventeur et comme époux. + +SCHEFFER. + +Annette! ne me repoussez pas. Croyez en ma parole, et ne vous abusez pas +plus longtemps sur le compte d'un homme qui ne peut plus répondre aux +aspirations de votre coeur, ni de votre esprit. + +ANNETTE. + +Je vous l'ai déjà dit, Scheffer, j'aime Gutenberg pour son génie, pour +l'affection qu'il me porte, et je suis véritablement indignée de vos +paroles. + +SCHEFFER. + +Quoi! c'est lorsque j'ai réussi dans mes travaux, au point de surpasser +Gutenberg; c'est lorsque je viens vous offrir les prémices de ma +découverte et le don de mon coeur, que vous m'écrasez de votre +orgueilleuse préférence pour un autre! Ne prononcez plus devant moi le +nom de mon rival; car ce nom ne m'inspire que révolte et jalousie! +Annette, prenez garde, car maintenant, je hais Gutenberg!... + +ANNETTE, _elle marche sur Scheffer, qui recule_. + +Des menaces, Scheffer! des menaces, parce que je refuse de répondre à un +amour coupable! Esprit envieux, serpent réchauffé dans le sein de +l'amitié, la passion te fait oublier le respect que tu dois à ton maître +et à moi[C]. + +SCHEFFER. + +Annette! de grâce, écoutez-moi! Je n'ai pas tout dit... J'ai pris toutes +mes dispositions pour créer une imprimerie nouvelle, qui fera une +révolution dans cet art. C'est à Francfort que je compte l'établir. Mais +j'entends ne conserver aucun rapport avec Gutenberg. Venez avec moi, +chère Annette; venez partager la destinée brillante qui m'attend, et +laissez s'écouler votre vie, heureuse et tranquille, entre la richesse +et la gloire. Que l'amour ardent que je vous ai voué depuis dix années, +ait enfin son couronnement!... (_Il prend Annette dans ses bras._) +Consentez à me suivre. Tout est préparé pour nous rendre ensemble à +Francfort. + +GUTENBERG, _vers les dernières paroles de Scheffer était entré sans rien +dire. Il avait ouvert l'armoire, pris son épée et bouclé son ceinturon. +Il a entendu les dernières paroles de Scheffer._ + +Misérable! Tu veux, à la fois, suborner ma femme et me ravir ma gloire! +Je suis stupéfait de tant de duplicité et de tant d'audace[D]! + +SCHEFFER. + +Tu as entendu mes paroles? Tu nous épiais! Eh bien! assez de +dissimulation, assez d'ombre et de mystères. Oui, depuis longtemps +j'aime Annette, et je ne vois en toi qu'un rival que j'abhorre. Autant +que toi, j'ai le génie de l'art, et je te le prouverai en ouvrant à +Francfort une imprimerie rivale, qui fera oublier jusqu'à ton nom. Quant +à Annette, laisse-la choisir entre nous deux. + +GUTENBERG. + +Quelle indignité! + +SCHEFFER. + +Ah! maintenant, rien ne m'arrêtera plus, ni pour parler, ni pour agir. +J'aime, je te le répète, Annette de la Porte-de-Fer, et je l'ai toujours +aimée. Je l'aimais déjà quand je travaillais sous tes ordres, au couvent +de Saint-Arbogast. Je l'aime plus encore depuis que je vis sans cesse +près de vous; et toi je te hais, parce que tu es son époux... Ainsi, +qu'elle prononce entre nous, qu'elle dise si elle veut, oui ou non, me +suivre à Francfort! + +GUTENBERG. + +Voilà donc tes vrais sentiments! Le voilà donc jeté le masque qui +cachait la noirceur de ton âme! Traître, tu ne périras que de ma +main!... Défends-toi! + + _Ils tirent leurs épées, qu'ils portaient à la ceinture, et se + battent. Le tocsin sonne._ + +ANNETTE. + +C'est le tocsin! Que veut dire cela? + + _Ils abaissent leurs épées._ + +GUTENBERG, _avec force_. + +Cela veut dire que l'ennemi est aux portes de la ville; cela veut dire +que le combat va s'engager sous nos murs; cela veut dire qu'il faut, +pour le moment, faire trêve à nos querelles, à nos ressentiments, à nos +haines, et courir au poste dont le commandement nous a été confié. + + _Il remet l'épée au fourreau._ + +SCHEFFER, _remettant l'épée au fourreau_. + +Tu as raison, Gutenberg. Courons où la patrie nous appelle! Et à demain +nos querelles et ma vengeance! + +GUTENBERG. + +Aux remparts! à la poterne! + +SCHEFFER. + +Aux remparts! à la poterne! + + _Ils sortent en courant. Le canon gronde pendant la chute du rideau. + Annette veut retenir Gutenberg, mais celui-ci la repousse avec + colère. Annette tombe au milieu du théâtre._ + +NOTES: + +[A] Scheffer, Annette. + +[B] Scheffer, Annette. + +[C] Annette, Scheffer. + +[D] Scheffer, Gutenberg, Annette. + + + + +SIXIÈME TABLEAU + +LA PRISE DE MAYENCE + + _Même décor, mais sans les accessoires._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +ANNETTE, FRIÉLO. + + _Au lever du rideau, Annette est agenouillée à droite, devant la + fenêtre.--Friélo est au fond, regardant à gauche, à la cantonade._ + +ANNETTE, _priant_. + +Seigneur! ta colère est terrible! Avec quelle rigueur ton bras s'est +abattu sur tes malheureux enfants! Mais tu es aussi le Dieu de clémence +et de bonté. Assez de ruines se sont accumulées; assez de sang a coulé +de nos veines, assez de larmes sont tombées de nos yeux. Seigneur, +suspends les coups dont ta main nous accable. Sauve ce qui reste des +personnes et des biens de la pauvre cité de Mayence! (_Elle se lève et +va à la fenêtre._) Quel affreux spectacle! Le feu est aux quatre coins +de la ville. La rue est pleine de fuyards et de soldats, ivres de la +victoire, et encore enflammés de la fureur du combat. On n'entend que +des cris de douleur et d'épouvante. Partout la désolation, la terreur et +la mort! + +FRIÉLO, _à la porte du fond_. + +Quel est ce groupe de fuyards?... Ce sont nos ouvriers. Ils sont +poursuivis et viennent se réfugier ici... + +ANNETTE. + +Gutenberg est-il avec eux? + +FRIÉLO. + +Oui! grâce à Dieu!... Je vois aussi Scheffer! + +ANNETTE. + +Ah! + +FRIÉLO. + +Ils ont franchi la porte, ils rentrent! Les voici! + + +SCÈNE II + +ANNETTE, FRIÉLO, Ouvriers, _entrant en tumulte par le fond, les habits +déchirés_, GUTENBERG, SCHEFFER[A]. + +ANNETTE, _courant à Gutenberg_. + +Dieu soit loué! tu me reviens! Je n'ai pas tout perdu, puisque tu es +vivant! + +GUTENBERG, _tenant son épée nue_. + +Quelle affreuse journée! La ville a été surprise au milieu de la nuit. +Les troupes du comte de Nassau ont franchi les remparts, presque sans +résistance, et ont tout envahi, Diether a pu s'enfuir, en franchissant +le mur d'enceinte du côté du Rhin, et en prenant une barque. Encore +a-t-il failli périr dans le fleuve, au milieu de l'obscurité de la nuit. +Cependant il est en sûreté. Par ordre du comte de Nassau, la ville est, +depuis ce matin, livrée au pillage, et toutes les horreurs s'y +commettent. (_Bruit au dehors._) Quels sont ces cris?... (_Annette va à +la fenêtre, Gutenberg la suit._) Une troupe de volontaires remplit la +rue et se dirige vers nous! (_Aux ouvriers, à la cantonade._) Barricadez +la porte, mes amis... + +ANNETTE. + +Il serait trop tard! Ils sont là. + +NOTES: + +[A] Annette, Gutenberg, Scheffer, Friélo, Ouvriers, au fond. + + +SCÈNE III + +Les Mêmes, Soldats DE NASSAU, _entrant par le fond_, ZUM, _et_ LE PETIT +ZUM, _les précédant_. + +ZUM, _entre par le fond, suivi du petit Zum. Au fond, les soldats se +battent avec les ouvriers_. + +Par ici, mes amis, par ici. Je connais la maison et ses habitants; vous +y trouverez, j'en réponds, un riche butin[A]. + +GUTENBERG, _à Zum_. + +Ah! c'est toi! Tu as donc repris la souquenille du reître? + +ZUM. + +Oui; quand j'ai appris qu'il y avait guerre et promesse de pillage, j'ai +demandé à rentrer dans les troupes volontaires du comte de Nassau... et +mon petit frère aussi. + +GUTENBERG. + +Et vous venez, naturellement, faire ici oeuvre de pillards et de +bandits! Je te reconnais, misérable, c'est toi qui as tué Dritzen, à +Strasbourg, et qui as bien manqué, à Paris, de me frapper +traîtreusement. + +SCHEFFER. + +Et voilà les hommes dont nos ennemis invoquent les services! Ils +prennent à leur solde des spadassins et des brigands de grande route! + +ZUM. + +Tu as le verbe bien haut pour un vaincu et un fuyard! Ton sang va payer +tes injures! + + _Il tire son épée._ + +SCHEFFER, _tirant son épée_. + +Avance donc! + + _Zum fond sur lui, l'épée à la main. Ils se battent._ + +LE PETIT ZUM, _se battant avec Gutenberg, tandis que Zum se bat avec +Scheffer_. + +Mon grand frère prétend que je ne suis bon à rien... Nous allons voir... +(_Tout en se battant avec Gutenberg, il frappe, par derrière, avec son +poignard, Scheffer, pendant que ce dernier se bat avec Zum. Scheffer +tombe mort._) Voilà, je crois, de l'ouvrage assez propre! Qu'en dis-tu, +grand frère? + +ZUM, _regardant le corps de Scheffer_. + +Oui, ce n'est pas mal travaillé! (_À Gutenberg._) À nous deux, +maintenant, Gutenberg! + + _Friélo entre, avec une arquebuse, dont il menace le petit Zum, pour + l'empêcher d'attaquer Gutenberg. Zum, attaque Gutenberg, qui a tiré + son épée. Ils se battent[B]._ + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Zum, petit Zum, Scheffer. + +[B] Petit Zum, Zum, Gutenberg, Friélo. + + +SCÈNE IV + +Les Mêmes, CONRAD HUMMER. + +CONRAD HUMMER, _il tient un papier à la main. Il a un bras en écharpe._ + +Que tout combat cesse! Que toute épée rentre au fourreau. Voici l'ordre, +que je viens d'obtenir du comte Adolphe de Nassau, d'arrêter le pillage, +et de faire rentrer toutes les troupes dans le camp établi sous les +remparts. Les hérauts d'armes proclament dans Mayence la cessation des +hostilités, et l'on bat la retraite, pour faire rentrer les troupes. + +ZUM, _remettant l'épée au fourreau_. + +On ne peut donc pas nous laisser achever notre besogne, et gagner +honnêtement notre solde? (_Au petit Zum._) Viens, petit... et rentrons +au camp, puisque tel est le bon plaisir de notre seigneur et maître, le +comte de Nassau. + + _Ils sortent, les soldats les suivent._ + +GUTENBERG, _à Conrad Hummer_. + +Ami, tu as sauvé mes jours, merci! Mais peut-être aurais-je autant aimé +perdre la vie que de survivre à la défaite et à la ruine de notre +cité... Mais tu es blessé. + +CONRAD HUMMER. + +Oui, mais qu'importe! c'est notre pauvre ville qu'il faut plaindre. +C'est elle qu'il faut songer à sauver, si c'est possible encore... +Viens, allons relever nos blessés. + + _Ils sortent par le fond gauche. La scène reste vide._ + + +SCÈNE V + +LE PETIT ZUM, _il entre par le fond droit; il tient à la main une torche +enflammée. Il s'avance au milieu du théâtre, et s'assure qu'il n'y a +personne. Il tâte le corps de Scheffer et s'assure qu'il est mort._ + +Mon grand frère est un grand entêté. Il m'a encore soutenu, tout à +l'heure, que je ne suis bon à rien... Je vais lui prouver le contraire! +(_Il met le feu à gauche, puis à droite, enfin au fond, et s'enfuit par +le fond, en brandissant sa torche allumée._) Voilà qui est fait! + + _L'incendie éclate.--Tableau._ + + + + +ACTE CINQUIÈME + +JOURS DE MISÈRE + + _La campagne aux environs de Wiesbade.--À gauche, au premier plan, + un tonneau, sur lequel est monté un violonneux.--À gauche, au + deuxième plan, des tables occupées par des buveurs.--À droite, au + deuxième plan, une autre table.--À droite, au premier plan, l'entrée + du cabaret._ + + +SCÈNE PREMIÈRE + +CORNÉLIUS, MEYER, MARGUERITE, MEYER, Paysans, Buveurs[A]. + + _Au lever du rideau, le violonneux, monté sur un tonneau, joue, les + paysans et paysannes valsent, accompagnés par l'orchestre; Meyer est + debout près du violonneux._ + +CORNÉLIUS, _ramenant de la valse, Marguerite_. + +Oui, il faut valser! oui, il faut danser! oui, il faut s'amuser, rire et +boire! car, dans tout le duché, on célèbre aujourd'hui l'anniversaire de +la prise de Mayence par notre prince Adolphe de Nassau. Wiesbade est en +fête, et notre village de Fremesberg prend sa part aux réjouissances +publiques! Donc, monsieur le violonneux, ne laissez pas, je vous prie, +reposer votre archet. Nous allons recommencer. + +MEYER, _au violonneux_. + +Tenez, rafraîchissez-vous d'un bon verre de cette bière nouvelle; cela +vous donnera du coeur pour continuer à râcler vos boyaux. (_Il donne un +verre de bière au violonneux, qui boit, et s'essuie la bouche avec sa +manche._) Mais à propos de la prise de Mayence, il y a une chanson là +dessus. Il faudrait nous la chanter!... Mais qui va nous la dire? + +CORNÉLIUS. + +Pardine! ce n'est pas malin! c'est ta fille Marguerite; elle a la plus +jolie voix du village! (_À Marguerite._) Allons, Marguerite, la chanson. + +MARGUERITE. + +Je le veux bien, mais à une condition, monsieur Cornélius, c'est que +vous me soufflerez, si je me trompe! + +MEYER. + +Ne te gêne pas, ma fille, il te faut M. le maître d'école pour te mettre +en voix! + +MARGUERITE. + +Dame! + +CORNÉLIUS. + +Me voilà, jolie Marguerite! me voilà! et je vous soufflerai tout ce +qu'il vous plaira. + +MARGUERITE. + +Eh bien, je commence! + + _Elle chante._ + +LA PRISE DE MAYENCE (_Ballade._)[B] + + Dans notre joli duché de Nassau, + Sont de frais vallons, de vertes montagnes, + Des champs infinis, de riches campagnes, + Des bois, des blés, de murmurants ruisseaux. + + Mais à Mayence on voit de grandes cathédrales, + Des jardins enchantés, des palais somptueux, + Et la place du Dom, avec ses grandes dalles, + Et sous ses murs, le Rhin, aux flots majestueux. + + Dans notre joli duché de Nassau, + On voit le dimanche, au bal du village, + Valser doucement, sous le vert feuillage + La jeune fillette et le jouvenceau. + + Mais à Mayence on voit grands seigneurs, nobles dames, + En leur palais superbe, aux sons joyeux du cor, + De l'amour et du vin allumant les deux flammes, + Chercher l'heureuse ivresse au fond des coupes d'or. + + Notre prince a sonné la fanfare guerrière, + Alors sont accourus ses soldats valeureux, + Les éclairs de la poudre ont brillé dans les cieux, + La bombarde a lancé son lourd boulet de pierre. + + Et maintenant, à Nassau conquérant + Sont les palais, la vieille cathédrale + Le marbre et l'or de sa vieille rivale. + Honneur et gloire au prince triomphant! + +CORNÉLIUS. + +Je ne sais si vous avez remarqué que rien ne donne soif comme une +chanson patriotique. On met tant de chaleur à chanter ses victoires, que +le gosier se dessèche à un point extraordinaire. Pour moi, je suis au +moment d'avaler ma langue. + +MEYER. + +Il vaut mieux que tu avales ma bière, maître Cornélius. On va t'en +servir à discrétion, ainsi qu'à tous nos amis. On paie et chacun est +content. + +CORNÉLIUS. + +Eh bien, vide ta cave sur nos tables, généreux cabaretier! + + _Tous les paysans s'assoient aux tables de droite et de gauche[C]._ + +MEYER. + +Vous qui êtes si savant, monsieur le maître d'école... + +MARGUERITE, _assis près de Cornélius_. + +Oh! oui, qu'il est savant, M. le maître d'école!... + + _Elle le regarde avec admiration._ + +MEYER. + +Pourriez-vous nous dire si la bière nouvelle désaltère davantage que la +bière conservée, et si le vin nouveau... + +CORNÉLIUS. + +Attendez!... Quel est ce singulier équipage qui nous arrive? + +NOTES: + +[A] Violonneux, Meyer, Marguerite, Cornélius. + +[B] Musique de M. Ch. Balanqué, de l'Opéra-Comique de Paris. + +[C] Meyer, Marguerite, Cornélius, assis à la même table à droite. + + +SCÈNE II + +Les Mêmes, GUTENBERG, FRIÉLO. + + _Gutenberg, avec une longue barbe blanche et un bâton à la main, + conduit par la bride un cheval, qui traîne une charrette, contenant + une presse d'imprimerie, des formes et une casse d'imprimerie. Il + arrive par la gauche, et s'arrête au milieu du théâtre._ + +FRIÉLO. + +Nous sommes partis de Wiesbade à six heures du matin; il est quatre +heures de l'après-midi, et nous n'avons pas cessé de marcher. Nous +n'avons pas recueilli un pfenning, et je ne tiens plus sur mes jambes. +Je crois que nous ferons bien de nous arrêter un moment. Au milieu de ce +village en fête, nous trouverons bien un coin, pour nous reposer. + +GUTENBERG. + +Eh bien, va attacher Bijou à un arbre; puis, nous irons nous asseoir au +milieu de ces braves gens. (_Friélo fait sortir le cheval et la +charrette. Ils vont ensuite s'asseoir à gauche au bout d'une table +occupée par des buveurs._)[A] On nous permettra sans doute de prendre +place ici! + +MEYER, _s'approche des buveurs de la table de gauche, pour les servir_. + +Y a-t-il quelque chose encore dans vos verres, gais compagnons? + +LE BUVEUR. + +Non, nos hanaps sont vides; va les remplir. (_Retenant Meyer par la +manche._) Mais, dis-moi, quel est cet homme, à barbe blanche, qui vient +de s'asseoir là? + + _Friélo revient._ + +MEYER. + +Ah! ne faites pas attention! C'est un pauvre diable qui est venu déjà +ici, dimanche dernier. Sa cervelle est un peu détraquée; mais il ne fait +de mal à personne! + +LE BUVEUR. + +Ah! sa cervelle est détraquée!... Je n'aime pas beaucoup à me trouver +près d'un fou. + + _Il prend son verre, quitte la table, et va se placer à la table de + droite. Les autres buveurs, l'ayant vu faire et l'ayant interrogé du + regard, quittent tous également la table, et vont se placer à la + table de droite._ + +MEYER. + +Eh bien? Eh bien, que se passe-t-il? Pourquoi tout le monde quitte-t-il +cette place? (_Les buveurs, sans lui répondre, lui montrent Gutenberg._) +C'est cet homme à la barbe blanche qui vous fait fuir? Je vais mettre +ordre à ça! (_Il s'approche de Gutenberg, qui est assis._) Vous ne +commandez donc rien, mon brave homme: ni bière, ni pain, ni jambon? + +GUTENBERG. + +Je n'ai pas d'argent. + +FRIÉLO, _frappant sur son escarcelle, d'un air piteux_. + +Ni moi non plus! + +MEYER. + +Il ne faudrait pas, alors, prendre la place de ceux qui paient! Vous +faites fuir tout le monde et vous ne demandez rien? + +GUTENBERG. + +Vous avez raison, monsieur l'aubergiste; je ne veux pas vous faire du +tort. Nous allons partir. (_Ils se lèvent._) Seulement, une charité. +Donnez-nous à chacun un verre d'eau; car nous mourons de soif. + +MEYER, _il va à Marguerite, qui est assise près de Cornélius, à la table +de droite_. + +Ce vieux, à la barbe blanche, demande, avant de partir, un verre d'eau. +Apporte-le lui, et qu'ils détalent d'ici, car ils font fuir les clients. + + _Marguerite emplit un verre d'eau et l'apporte à Gutenberg._ + +GUTENBERG, _prenant le verre_. + +Merci, charmante enfant. (_Il va pour boire, Marguerite arrête son bras, +prend le verre et jette l'eau._) Que faites-vous? + +MARGUERITE. + +Attendez! Il ne sera pas dit qu'en ce jour de fête, un malheureux n'aura +pas trouvé la charité dans notre village. + + _Elle va remplir un verre de bière, et l'apporte à Gutenberg._ + +FRIÉLO. + +Ah! merci, merci, mademoiselle l'aubergiste; Dieu vous rendra cela en +paradis. + +MARGUERITE, _à Gutenberg_. + +Comme vous êtes pâle et fatigué! C'est le besoin... la faim, peut-être? +Nous avons aujourd'hui du jambon, du pain frais et du vin à discrétion. +Je vais vous servir tout cela; et comme l'a dit le petit, Dieu me rendra +en paradis, mon pain et mon jambon. (_Marguerite va prendre un plateau +contenant du vin et deux verres, qu'elle va porter à Gutenberg et à +Friélo._) Tenez, bonnes gens, buvez, mangez, et prenez des forces, pour +continuer votre route. (_À Meyer, qui s'est levé, pour regarder manger +Gutenberg._) Regarde, mon père, avec quel appétit ils font honneur à +notre repas. + +MEYER, _avec humeur_. + +Oui, oui, un repas qui ne coûte rien, c'est toujours bon; mais ce n'est +pas aussi agréable pour l'aubergiste. (_À Gutenberg._) Vous savez qu'on +attend votre place, quand vous aurez fini. Ainsi, dépêchez-vous, si +c'est possible. + +MARGUERITE. + +Ah! mon père, tu ne peux donc pas être bon pour les malheureux, une fois +dans ta vie! + +LES BUVEURS, _criant et appelant_. + +De la bière!... du vin!... De la bière, donc, Marguerite! + +MARGUERITE, _allant aux buveurs_[B]. + +Voilà! voilà! + + _Elle sort par la droite, et revient, avec de la bière._ + +MEYER, _qui est resté près de Gutenberg_. + +Comme ça, mon vieux, vous courez les pays avec votre charrette? Et +qu'est-ce qu'il y a dans votre charrette? + +GUTENBERG. + +Un matériel d'imprimerie... une presse... une casse, des formes et des +caractères. + +FRIÉLO. + +Dans les villages que nous traversons, nous faisons connaître à ceux qui +l'ignorent l'art de l'imprimerie, nouvellement inventé en Allemagne. +Cela intéresse quelques personnes, qui nous donnent, en échange, un +morceau de pain... comme vous l'avez fait tout à l'heure, mon bon +monsieur Meyer. + +GUTENBERG. + +Tu n'ajoutes pas, Friélo, que l'inventeur de l'imprimerie, c'est moi! +que je m'appelle Jean Gutenberg, et que je suis gentilhomme de Mayence! + +MEYER, _surpris_. + +Vous êtes l'inventeur de l'imprimerie! vous êtes gentilhomme! (_À +part._) Pauvre diable! On a raison... sa cervelle est détraquée. +(_Haut._) Eh bien, Monseigneur, eh bien, mon gentilhomme, achevez votre +somptueux festin, moi, je retourne donner à boire à mes vilains. + + _Il va à la table de droite._ + +CORNÉLIUS. + +Eh bien, vous avez parlé à cet homme?... Que vous a-t-il dit? + +MEYER. + +Ah! des folies!... Il prétend être gentilhomme, s'appeler Gutenberg, et +être tout bonnement l'inventeur de l'imprimerie! + +CORNÉLIUS. + +Voyez-vous ça! J'ai, en effet, entendu parler, à Mayence, d'un certain +Gutenberg; mais il n'était pas gentilhomme, il était orfèvre. Quant à la +prétention de ce pauvre diable d'avoir inventé l'imprimerie, ce n'est +pas à moi qu'on contera de ces sornettes. + +MARGUERITE. + +Oh! non, monsieur Cornélius, ce n'est pas à vous! à vous, le maître +d'école du village, que l'on contera de ces sornettes!... Vous êtes si +savant, monsieur Cornélius! + + _Elle le regarde avec admiration._ + +CORNÉLIUS, _avec importance._ + +Je connais sur le bout du doigt toute cette histoire, et si vous le +voulez, je vais vous la dire, pour votre instruction et celle de vos +enfants. (_Les buveurs quittent la table, et font demi-cercle autour de +lui._) Voyez-vous, l'imprimerie a eu trois pères: d'abord Laurent +Coster, l'imagier de Harlem, qui a imprimé quelques volumes avec des +caractères mobiles. Ensuite, le célèbre Jean Fust, qui a imprimé des +psautiers, des missels, les _Offices de Cicéron_ et autres ouvrages, et +qui est mort de la peste, à Paris. Enfin, Pierre Scheffer, qui a +perfectionné la manière de fabriquer les caractères, et qui fut tué à la +prise de Mayence, par les troupes de notre prince, Adolphe de Nassau. +Nous avons, dans nos écoles, des exemplaires de tous les ouvrages dont +je viens de vous parler et je puis vous les montrer. (_Il tire de sa +poche trois volumes._) Voici d'abord un des petits volumes de l'imagier +de Harlem: _Lettres d'Indulgence_. Voyez: _imprimé par Laurent Coster, à +Harlem_. (_Ils regardent le volume._) Voici l'un des volumes imprimé +par Fust, à Mayence (_Il leur montre le livre._) et qui porte: +_Imprimerie de Fust, à Mayence_. Voici enfin, la bible imprimée par +Scheffer, à Mayence. Aucun livre imprimé ne porte, que je sache, le nom +de Gutenberg. Montrez-moi un seul livre portant la mention: _Imprimé par +Gutenberg_ et je vous donnerai raison. + +MARGUERITE. + +Oui, montrez-lui un livre imprimé par Gutenberg... (_Le regardant avec +admiration._) Comme il parle bien!... comme il est savant! + +MEYER. + +Alors, ce vagabond qui se prétend gentilhomme... Attendez, je vais lui +dire son fait! (_Il va à Gutenberg, qui est toujours assis à la table de +gauche._) Vous savez, mon vieux, que vous n'êtes pas plus gentilhomme +que ma pantoufle, et vous n'avez rien inventé du tout!... L'imprimerie a +eu trois pères... on n'en a qu'un, d'habitude, mais l'imprimerie est une +si grande dame qu'elle peut se donner le luxe de trois papas. Donc +l'imprimerie a eu pour premier papa Laurent... Laurent... enfin, un +marchand d'images. + +GUTENBERG. + +Laurent Coster, l'imagier de Harlem!... Tu dis vrai. + +MEYER. + +Le second papa a été le célèbre Fust, qui, étant à Paris, a inventé la +peste... (_Marguerite le tire par la manche._) C'est-à-dire, qui est +mort de la peste à Paris. + +GUTENBERG, _d'un air concentré._ + +Continue! + +MEYER. + +Et son troisième papa, c'est Scheffer, qui a fait le siège de Mayence, +(_Même jeu de Marguerite._) c'est-à-dire qui a été tué au siège de +Mayence. + +GUTENBERG, _d'un air plus concentré._ + +Après? + +MEYER. + +Après, c'est tout... (_D'un air d'importance._) Montrez-moi un seul +livre portant la mention: _Imprimé par Gutenberg_, et je vous donnerai +raison. Par ainsi, vieux farceur, vous nous avez conté des contes, et ce +que vous avez de mieux à faire, c'est de détaler d'ici... Je ne vous +reproche pas mon jambon, ni ma bière, mais enfin... + +GUTENBERG, _se levant et éclatant._ + +Qui a dit que je ne suis pas l'inventeur de l'imprimerie? Qui a dit que +Fust et Scheffer ne sont pas des imposteurs et des voleurs d'idées? Qui +a dit que Gutenberg est menteur et traître? (_Il lève son bâton. Les +buveurs reculent. Cornélius, Meyer, et Marguerite, s'écartent et vont à +l'extrême droite[C]._) Je suis ici au milieu de mes ennemis, des ennemis +de Mayence, ma patrie. Je suis au milieu de ces hommes barbares et +cruels, qui ont envahi, à main armée, notre malheureuse ville, et qui +l'ont saccagée. Je suis au milieu de ceux qui ont brûlé mes ateliers, +causé ma ruine et tué Pierre Scheffer! (_Il brandit son bâton._) Prenez +garde à vous, gens de Nassau, Gutenberg, Gutenberg, de Mayence, que vous +avez ruiné, volé, perdu à jamais, Gutenberg vous menace et vous brave. + + _Ils s'écartent davantage[C]._ + +MEYER. + +Prenons garde, il est complètement fou! + +FRIÉLO. + +Mon cher maître, calmez-vous; on ne vous veut aucun mal! + +GUTENBERG. + +Je ne resterai pas plus longtemps dans le pays de Nassau. Nous avons +laissé à l'hôtellerie, ma femme, ma chère Annette: cours, Friélo, va lui +dire que je veux partir tout de suite, et ramène-la. + +FRIÉLO. + +L'hôtellerie où nous avons laissé dame Annette, est près d'ici. Dans un +quart d'heure, je vous l'amène. + + _Il sort._ + +NOTES: + +[A] Gutenberg, Friélo. + +[B] Friélo, Gutenberg, Meyer, Cornélius, Marguerite, buveurs au fond. + +[C] Friélo, Gutenberg, Meyer, Cornélius, Marguerite. + + +SCÈNE III + +Les Mêmes, _moins_ FRIÉLO. + +MEYER. + +Je savais bien qu'il avait un coup de marteau, mais je ne le savais pas +enragé. Flattons sa manie. (_Allant à Gutenberg et le saluant._) +Monseigneur, monseigneur de Gutenberg, mon digne gentilhomme, mon +prince, on est allé chercher la princesse, votre femme, pour vous +ramener en pompe, dans le palais de vos pères. (_À part._) S'il n'est +pas content! + + _Gutenberg est tombé sur le banc des buveurs à droite, comme absorbé + dans ses pensées._ + +CORNÉLIUS. + +Laisse ce pauvre homme! Nous n'avons rien à craindre de lui; il est +maintenant abattu et sans forces. + +MEYER. + +Il est certain que Sa Seigneurie n'est pas en ce moment dans une passe +brillante! + + +SCÈNE IV + +Les Mêmes, FRIÉLO. + +GUTENBERG, _se levant_. + +Eh bien, Friélo, ramènes-tu Annette? + +FRIÉLO. + +Hélas, mon maître, malheur sur malheur! Je n'ai plus retrouvé dame +Annette à l'hôtellerie. Elle venait de partir, en chargeant l'hôtelier +de nous annoncer son départ. + +GUTENBERG. + +Et, a-t-elle dit, au moins, en quel lieu elle se rend? + +FRIÉLO. + +Non! + +GUTENBERG. + +Oh! dernier coup de la fatalité qui m'accable! Annette, ma femme, qui +dirigeait mes pas chancelants dans la carrière de la vie, Annette, mon +soutien, mon guide, elle me quitte, elle m'abandonne! Et pourquoi? Ah! +le courage aura fini par lui manquer. Elle se sera fatiguée d'un si +long, d'un si constant dévouement, et elle sera partie, en m'abandonnant +à ma triste destinée. Et comment la blâmer? Une telle abnégation, si +longtemps continuée, n'est pas dans la nature humaine. On s'épuise en +efforts, en dévouement, mais une heure vient où les forces vous +manquent, pour continuer le sacrifice. Et l'on part; et l'on livre à son +désespoir, à sa faiblesse, le triste compagnon de sa vie misérable. Ah! +Friélo, je ne survivrai pas à ce dernier coup!... Je voudrais mourir! + + _Il retombe, accablé, sur le banc, les mains sur ses yeux._ + + +SCÈNE V + +Les Mêmes, MARTHA. + + _Elle entre par le fond droite, et vient près de Gutenberg._ + +FRIÉLO. + +Levez les yeux, maître, et vous verrez que Dieu ne vous a pas abandonné. +L'un de vos anges gardiens s'est envolé, mais l'autre vous est resté +fidèle. + +MARTHA, _à Friélo_. + +Oui, cher Friélo, je viens encore protéger et défendre ton maître. Mais +n'accusez pas Annette d'ingratitude et d'oubli. C'est elle qui, en +passant devant la succursale du couvent de Sainte-Claire, établie à +Wiesbade, m'a prévenue de son départ, m'en a expliqué les raisons, qui +n'ont rien que d'heureux, et m'a chargée de la remplacer auprès de +Gutenberg. J'ai pour mission de vous ramener tous deux à Mayence! (_À +Gutenberg qui, pendant la réplique précédente, a regardé avec surprise +Martha, cherchant à la reconnaître._) Vous avez entendu, messire Jean, +nous allons partir; je vous ramène à Mayence. Vous allez rentrer, et +pour ne plus la quitter, dans votre ville natale. + +GUTENBERG[A]. + +Un ange est descendu du ciel, pour prendre par la main le vieillard +abattu sous les coups de l'infortune, pour l'arracher au désespoir et à +la mort. Mais pourquoi ce messager céleste prend-il la voix et les +traits enchanteurs de la jeune fille qui fut l'amour et la passion +sereine de ma jeunesse? Fille de Laurent Coster, enfant du maître vénéré +qui forma mon esprit et m'ouvrit la carrière, tu portes les habits des +saintes femmes vouées au culte de Dieu. C'est pour me dire, n'est-ce +pas, que tu vas me transporter dans les sphères célestes, et m'amener +aux pieds du Seigneur? (_Il se lève._) Merci à toi, noble envoyée des +divines phalanges. Je suis prêt à te suivre!... J'ai hâte de mourir, +pour que tu m'emportes sur tes blanches ailes, au sein de l'éternelle +clarté, dans l'infini des cieux!... + +MARTHA. + +Il ne me reconnaît pas! Une longue série de malheurs, la misère, les +souffrances de l'exil, ont altéré sa raison. C'est à nous de consoler, +d'apaiser, de rendre à elle-même cette âme meurtrie. Je ne faillirai pas +à cette dernière et suprême mission. Annette m'a chargée de ramener à +Mayence le pauvre Gutenberg. Partons, Friélo, et que Dieu nous conduise! + + _Ils sortent, Gutenberg posant les bras sur les épaules de Martha et + de Friélo._ + + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Martha, Marguerite, Cornélius. + + + + +HUITIÈME TABLEAU + +LE RETOUR À MAYENCE + + + _Même décor qu'au premier acte. On a seulement supprimé les deux + enseignes. Banc de pierre, à droite._ + + + +SCÈNE PREMIÈRE + +ANNETTE, _puis_ HÉBÈLE. + +ANNETTE, _sortant de la maison du Taureau-Noir_. + +Mettez tout bien en ordre. Nettoyez les vitraux de la grande salle et +les cuivres des cuisines. Pour le reste, attendez mon retour. + + _Elle descend en scène, et rencontre Hébèle, venant par le fond[A]._ + +HÉBÈLE. + +Je viens d'apprendre ton arrivée, et j'accours te demander pourquoi tu +reviens seule, et où tu as laissé mon pauvre frère? + +ANNETTE. + +Depuis la ruine et l'incendie de notre imprimerie, à Mayence, nous +errions, Gutenberg et moi, à travers l'Allemagne, pauvres, malheureux, +et ayant souvent besoin de recourir à la charité publique. Mon mari +transportait avec lui son vieux matériel d'imprimerie, et nous vivions +de quelque semblant de travail, accordé par la pitié. Mais, le plus +souvent, nous ne rencontrions que des refus, des risées ou des menaces, +et les pierres du chemin auraient été tout aussi utiles à transporter, +que notre attirail d'imprimerie. Nous étions à Wiesbade lorsque j'appris +que Diether d'Yssembourg, venait d'être rétabli sur le trône +archiépiscopal de Mayence, redevenue, comme auparavant, ville libre de +l'Empire. + +HÉBÈLE. + +Oui, la mort du pape Pie II, en 1464, suivie de celle du comte Adolphe +de Nassau, a permis que les réclamations des habitants de Mayence +fussent écoutées par le Conseil de l'Empire, et, finalement, notre +bien-aimé Diether d'Yssembourg est revenu à Mayence, ramenant avec lui +nos libertés municipales. + +ANNETTE. + +Dès que cet heureux événement me fut connu, je m'empressai de quitter +Wiesbade, pour venir exposer à notre prince bien-aimé la situation +lamentable du créateur de l'imprimerie, de Gutenberg, qu'il a toujours +affectionné. En partant, je confiai mon mari aux soins dévoués de soeur +Martha, qui se chargea de le guérir et de le ramener à Mayence. + +HÉBÈLE. + +De le guérir! + +ANNETTE. + +Oui, le malheur, les persécutions répétées, le désespoir d'avoir tout +perdu dans l'incendie de son imprimerie, avaient un moment altéré sa +raison; mais les soins attentifs de Martha l'ont bientôt rendu à +lui-même. Le prince a écouté avec le plus vif intérêt le récit de ses +infortunes, et il a pris ses dispositions pour rendre toute justice à +Gutenberg, dès son retour. Je me rends à son palais; viens avec moi, je +te dirai en chemin mes projets et mes espérances. + + _Elles sortent par le fond gauche._ + +NOTES: + +[A] Annette, Hébèle. + + +SCÈNE II + +GUTENBERG, _avec une barbe blanche_, MARTHA, FRIÉLO, _ayant chacun sur +l'épaule le bras de Gutenberg_[A]. + +MARTHA. + +Dieu soit loué! nous voici enfin au terme du voyage! Nous avons été +assez heureux pour rendre à la santé, à la raison, le pauvre Gutenberg. +Friélo, je te le confie, et je rentre au couvent. + + _Elle sort par la gauche._ + +FRIÉLO. _Il conduit Gutenberg près du banc de pierre à droite, et le +fait asseoir sur le banc._ + +Marcher un jour, marcher le lendemain, marcher encore, quel métier pour +des jambes qui n'ont plus vingt ans! Et dire que nous revenons aussi +pauvres que nous sommes partis!... et de plus, très fatigués!... Enfin, +voilà la maison du _Taureau-Noir_, et, j'espère bien, cette fois, que +nous allons nous y arrêter pour le reste de nos jours! + + _Il entre dans la maison du Taureau-Noir_. + +GUTENBERG, _seul_. _Il se lève et paraît rencontrer peu à peu les +lieux._ + +Je te salue, ô maison paternelle!... Plus de vingt ans se sont écoulés, +depuis le jour où, pour la première fois, je dis adieu à tes vieux +murs!... Pages envolées, de ma vie, que j'aime à vous relire en face de +ces lieux paisibles où s'écoula mon enfance! Je sens renaître ici tous +les souvenirs du passé, et, comme en un miroir fidèle, mon existence +entière se reflète à mes regards!... Mon départ de Mayence au milieu des +colères du peuple; mon séjour dans l'atelier de Laurent Coster, à +Harlem; mes veilles, mes longues études, et l'amour ingénu de Martha, +reviennent à ma pensée. Mais je vois aussi s'évanouir, l'un après +l'autre, tous mes rêves de bonheur! Mon cher Dritzen frappé de mort à +mes côtés, et le traître Fust, s'emparant de mon secret. Scheffer, tué à +son tour, et mes ateliers consumés par les flammes; enfin, ma vie +errante à travers l'Allemagne, et cette longue période, où, nouveau +Bélisaire, j'implorais la pitié et l'aumône des passants!... Avec quelle +émotion je revois les lieux où s'écoula ma jeunesse. Le nid de cigognes +que j'ai laissé au moment de mon départ, est encore suspendu à la +corniche de cette tour. Les petits, devenus grands, sont partis; mais +plus heureux que moi, ils sont plusieurs fois revenus, battant des +ailes, pour nourrir des générations nouvelles. Jeunesse, illusions, +amour et gloire, j'ai tout laissé sur la route épineuse de la vie... +Ainsi, la souffrance et le malheur sont, ici-bas, la récompense de ceux +qui se dévouent au progrès de l'humanité! Pendant que l'Europe entière +s'enrichit de ma découverte, je rentre brisé, sans ressources et sans +espoir, dans ma ville natale. + +NOTES: + +[A] Friélo, Gutenberg, Martha. + + +SCÈNE III + +GUTENBERG, ANNETTE, FRIÉLO, HÉBÈLE, _Annette et Hébèle entrent par le +fond gauche_. + +ANNETTE, _courant à Gutenberg_. + +Je viens d'apprendre ton arrivée, et je ne me sens pas de joie. + + _Elle l'embrasse[A]._ + +HÉBÈLE. + +Mon bon frère! que je te presse à mon tour dans mes bras! + + _Elle l'embrasse._ + +GUTENBERG. + +Chère soeur jamais plus lamentable voyage, ni plus triste retour! + +ANNETTE. + +Oui, Friélo, m'a raconté vos dernières étapes. La misère, la tristesse, +les privations, ont été vos compagnons de route, depuis Wiesbade +jusqu'ici. Ton âme est abattue, ton corps est fatigué, ton visage est +vieilli, et tes habits sont usés; aucun cortège ne fête ton retour, ton +escarcelle est vide, et ta tête est blanchie par le travail et le +malheur. Mais tu as su rester digne, indépendant, loyal et sincère. Qui +donc pourrait se dire aussi riche que toi? Cependant, ne perds pas +courage; car si j'en crois mes pressentiments, l'heure qui t'apportera +la fortune, la gloire et le repos, n'est pas éloignée. + +GUTENBERG. + +Ah! ma pauvre Annette! Tu as conservé toutes les illusions de la +jeunesse. Mais moi, j'ai tant souffert que j'ai perdu jusqu'à +l'espérance. Si tes beaux rêves se réalisaient jamais, je ne serais plus +sur la terre, pour en jouir. + +ANNETTE. + +Et la devise de ta famille: _Rien ne me résiste!_ l'as-tu donc oubliée? +Cette devise est aussi celle de l'art que tu as fondé. C'est la devise +de la vérité, de l'intelligence et du courage... elle ne peut mentir!... +Apprends donc que si je t'ai quitté si brusquement à Wiesbade, c'est que +je venais de recevoir la nouvelle du retour de notre souverain, Diether +d'Yssembourg, dans sa bonne ville de Mayence, et que j'avais hâte de +rappeler au prince tes titres à sa reconnaissance. + +GUTENBERG, _avec doute_. + +Mais que peux-tu avoir obtenu? + +NOTES: + +[A] Hébèle, Gutenberg, Annette. + + +SCÈNE IV + +Les Mêmes, Friélo, _arrivant en courant, par le fond, gauche_. + +FRIÉLO[A]. + +Mon maître! mon cher maître! Je ne sais comment on a appris votre +retour; mais vos anciens ouvriers, les bourgeois, les seigneurs, tout +Mayence enfin, s'apprête à venir vous souhaiter la bienvenue[B]. Les +visages ont tous un air de fête qui vous réjouit le coeur. Cela m'a fait +pleurer. Je croyais qu'il n'y avait que le chagrin qui fît couler des +larmes. Il paraît que le bonheur produit le même effet. Enfin, je pleure +et ris tout à la fois. + +_Il remonte au fond gauche._ + +ANNETTE, _pressant les mains de Gutenberg_. + +Ce jour mémorable effacera tous les tristes souvenirs du passé! + +FRIÉLO. + +Voilà le peuple, avec ses habits de fête; voilà le Prince Électeur, avec +sa belle cape; voilà le docteur Conrad Hummer, Syndic de Mayence, avec +sa longue robe. Ah! doux Jésus, les larmes n'empêchent d'y voir clair! +C'est bête de pleurer comme ça, quand on est si content! + +NOTES: + +[A] Friélo, Annette, Gutenberg, Hébèle. + +[B] Friélo, Gutenberg, Hébèle, Annette. + + +SCÈNE V + +Les Mêmes, DIETHER D'YSSEMBOURG, CONRAD HUMMER, Ouvriers Imprimeurs, +Peuple. + + _Entrée générale par le fond gauche: Diether, Conrad, Soldats, + restant au fond._ + +PEUPLE _et_ OUVRIERS. + +Vive Gutenberg! vive Gutenberg! + +DIETHER D'YSSEMBOURG, _tenant un parchemin_[A]. + +Gutenberg, ta digne et vaillante épouse m'a raconté les malheurs qui +t'ont si longtemps poursuivi, et l'état de détresse où t'a réduit la +prise et l'incendie de notre bonne ville. Je sais que, depuis plusieurs +années, le créateur de l'imprimerie, vit, errant et malheureux à travers +l'Allemagne. Rétabli, comme par miracle, à la tête de notre cité, je +veux rendre justice au mérite de tous, et j'ai à coeur de reconnaître +les services que le plus illustre des enfants de Mayence a rendus à sa +patrie et à l'humanité... Gutenberg, malgré les tentatives que Fust et +Scheffer ont faites pour s'approprier ta découverte, je tiens à te +proclamer devant tous l'inventeur de l'imprimerie, et je t'assure, par +ce décret, une pension pour le reste de tes jours. + + _Il donne le parchemin à Gutenberg._ + +GUTENBERG. + +Ah! monseigneur! + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Je te nomme, en même temps, premier gentilhomme de mon palais. (_Il +prend un collier des mains de Conrad, et le passe au cou de Gutenberg, +qui a mis genou en terre._) Je ne connais personne qui soit plus digne +que toi de porter ces insignes, destinés à signaler, parmi mes +gentilshommes, celui que j'honore le plus. + +GUTENBERG, _se relevant_. + +N'est-ce point un rêve? Que de bienfaits, monseigneur!... (_Tendant la +main à Annette._) Je vois que tu as plaidé ma cause avec éloquence! + +ANNETTE. + +Je n'ai fait que demander justice pour toi! + +NOTES: + +[A] Friélo, Conrad, Diether, Gutenberg, Annette, Hébèle. + + +SCÈNE VI + +Les Mêmes, MARTHA, _entrant par la gauche, deuxième plan_. + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Quelle est cette religieuse?... Son visage inspire la sympathie... (_À +Martha._) Qui êtes-vous? + +MARTHA. + +Martha, soeur de Sainte-Claire, fille de Laurent Coster, l'imagier de +Harlem! + +GUTENBERG. + +Je vous remercie, Martha, d'être venue joindre à mon triomphe le +souvenir de mon vieux maître. (_En se découvrant._) Rendons tous ici +hommage à la mémoire de Laurent Coster. Aucun de nous ne doit oublier +que l'imprimerie a eu pour berceau l'humble imagerie de Harlem. + +MARTHA. + +Je suis heureuse de cet hommage rendu à la mémoire de mon père; mais ce +n'est pas pour cela que je me présente à notre souverain. Je suis soeur +du couvent de Sainte-Claire, mais je n'ai pas encore prononcé mes voeux: +je suis toujours simple novice. C'est pour cela que j'ai pu être envoyée +en mission en divers pays, tantôt à Paris, pour soigner les pestiférés, +tantôt à Mayence, ou dans le duché de Nassau, pour y panser les blessés +et prodiguer les secours de la religion aux victimes de la guerre. Mais +aujourd'hui, ma mission est terminée. Gutenberg est maintenant heureux +et honoré dans sa patrie. Les portes du cloître peuvent donc se fermer +sur moi. Je peux dire au monde et à ceux que j'ai aimés un éternel +adieu. Et je viens vous dire, à vous, prince de l'Église: +«Daignerez-vous placer, de vos propres mains, sur mon front, le voile +sacré?» + +DIETHER D'YSSEMBOURG. + +Oui, Martha Coster, c'est avec bonheur que je présiderai la cérémonie de +votre prise de voile! + + _Martha baise la main du prince._ + +GUTENBERG, _avec douleur_. + +Hélas! ma chère Martha! Adieu! pour toujours! + + _Martha lui donne la main, s'incline devant le prince, et sort, par + la gauche._ + +DIETHER D'YSSEMBOURG, _mettant la main sur l'épaule de Gutenberg_. + +Et maintenant, messire Gutenberg, à mon palais! Je veux qu'aujourd'hui +même, vous y preniez le rang de mon premier gentilhomme! + +LE PEUPLE _et_ LES OUVRIERS. + +Vive Gutenberg! + +GUTENBERG. + +Non, mes amis, vive l'imprimerie, l'imprimerie mère du progrès, mère de +la science et de la liberté! + +FIN + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Gutenberg, by Louis Figuier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GUTENBERG *** + +***** This file should be named 23618-8.txt or 23618-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/3/6/1/23618/ + +Produced by Camille François, Chuck Greif, Laurent Vogel +and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. Special rules, +set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to +copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to +protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project +Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you +charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you +do not charge anything for copies of this eBook, complying with the +rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose +such as creation of derivative works, reports, performances and +research. They may be modified and printed and given away--you may do +practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is +subject to the trademark license, especially commercial +redistribution. + + + +*** START: FULL LICENSE *** + +THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE +PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK + +To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free +distribution of electronic works, by using or distributing this work +(or any other work associated in any way with the phrase "Project +Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project +Gutenberg-tm License (available with this file or online at +http://gutenberg.org/license). + + +Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm +electronic works + +1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm +electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to +and accept all the terms of this license and intellectual property +(trademark/copyright) agreement. 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INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the +trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone +providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance +with this agreement, and any volunteers associated with the production, +promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, +harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, +that arise directly or indirectly from any of the following which you do +or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm +work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any +Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. + + +Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm + +Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of +electronic works in formats readable by the widest variety of computers +including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/23618-8.zip b/23618-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..b7aab60 --- /dev/null +++ b/23618-8.zip diff --git a/23618-h.zip b/23618-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..11e40dc --- /dev/null +++ b/23618-h.zip diff --git a/23618-h/23618-h.htm b/23618-h/23618-h.htm new file mode 100644 index 0000000..73ae13a --- /dev/null +++ b/23618-h/23618-h.htm @@ -0,0 +1,6302 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml"> + <head> + <meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=iso-8859-1" /> + <title> + The Project Gutenberg eBook of Gutenberg, by Louis Figuier. + </title> + <style type="text/css"> +/*<![CDATA[ XML blockout */ +<!-- +p { margin-top: .75em; text-align: justify; margin-bottom: .75em; } + +h1, .t1 { text-align: center; font-size: 200%; margin-top: 2em; line-height: 1.5em; } +h2, .t2 { text-align: center; font-size: 125%; line-height: 1.5em; } +h3, .t3 { text-align: center; font-size: 110%; margin-top: 1.5em; line-height: 1.3em; } +h4 { text-align: center; font-weight: bold; margin-top: 1.5em; } +.notes { text-align: left; } + +hr { width: 33%; margin-top: 2em; margin-bottom: 2em; + margin-left: auto; margin-right: auto; clear: both; } + +table {margin-left: auto; margin-right: auto;} + +body { margin-left: 10%; margin-right: 10%; } + +.center {text-align: center;} +.smcap {font-variant: small-caps;} + +.liste { text-align: center; margin-left: 10%; margin-right: 10%; } +.perso { text-align: center; margin-left: 5%; margin-right: 5%; } +.indic, .tableau { margin-left: 10%; margin-right: 10%; } + +.footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;} +.footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;} +.fnanchor {vertical-align: super; font-size: .8em; text-decoration: none;} + +.poem {margin-left:10%; margin-right:10%; text-align: left;} +.poem br {display: none;} +.poem .stanza {margin: 1em 0em 1em 0em;} +.poem span.i0 {display: block; margin-left: 0em; padding-left: 3em; text-indent: -3em;} +// --> + /* XML end ]]>*/ + </style> + </head> +<body> + + +<pre> + +The Project Gutenberg EBook of Gutenberg, by Louis Figuier + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: Gutenberg + pièce historique en 5 actes, 8 tableaux + +Author: Louis Figuier + +Release Date: November 25, 2007 [EBook #23618] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GUTENBERG *** + + + + +Produced by Camille François, Chuck Greif, Laurent Vogel +and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + + + + +<h1>GUTENBERG</h1> + +<p class="t3">PIÈCE HISTORIQUE, EN CINQ ACTES, HUIT TABLEAUX<br /> +<small>Représentée pour la première fois à Strasbourg, sur le Théâtre municipal, +le 17 février 1886.</small></p> + +<hr style="width: 25%;" /> + +<p class="t2">DU MÊME AUTEUR</p> + +<p><small>DENIS PAPIN</small>, drame en cinq actes, huit tableaux, in-18, +chez Calmann Lévy, éditeur (1882).—Prix: 1 fr. 50.</p> + +<p><small>LES SIX PARTIES DU MONDE</small>, pièce en cinq actes, huit +tableaux, in-18, chez Tresse et Stock, éditeurs, 2<sup>e</sup> édition +(1885).—Prix: 1 fr.</p> + +<div class="center">Imprimerie générale de Châtillon-sur-Seine.—<span class="smcap">A. Pichat</span>.</div> + +<hr style="width: 25%;" /> + + + +<p class="t1">GUTENBERG</p> + +<p class="t2">PIÈCE HISTORIQUE<br /> +<small>EN CINQ ACTES, HUIT TABLEAUX</small><br /> +PAR<br /> +<big>M. LOUIS FIGUIER</big></p> + + + + +<p class="t3">PARIS<br /> +TRESSE & STOCK, ÉDITEURS<br /> +<small>8, 9, 10, 11, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS<br /> +Palais-Royal</small></p> + +<p class="t3">1886</p> + +<p class="t3">Droits de traduction et de reproduction réservés.</p> + + + +<hr style="width: 65%;" /> +<h2>LISTE DES TABLEAUX:</h2> + +<div class="center"> +<table border="0" cellpadding="4" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align="left">1<sup>er</sup></td><td>Tableau.</td><td align="left">—<a href="#PREMIER_TABLEAU">Le départ de Mayence</a> (1440).</td></tr> +<tr><td align="left">2<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#DEUXIEgraveME_TABLEAU">L'imagerie de Laurent Coster, à Harlem</a> (1445).</td></tr> +<tr><td align="left">3<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#TROISIEgraveME_TABLEAU">Le couvent de Saint-Arbogast, à Strasbourg</a> (1452).</td></tr> +<tr><td align="left">4<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#QUATRIEME_TABLEAU">La peste à Paris</a> (1460).</td></tr> +<tr><td align="left">5<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#CINQUIEgraveME_TABLEAU">Archevêque et soldat</a> (1462).</td></tr> +<tr><td align="left">6<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#SIXIEME_TABLEAU">La prise de Mayence.</a></td></tr> +<tr><td align="left">7<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#JOURS_DE_MISEgraveRE">Jours de misère.</a></td></tr> +<tr><td align="left">8<sup>e</sup></td><td align="center">"</td><td align="left">—<a href="#HUITIEME_TABLEAU">Le retour à Mayence</a> (1465).</td></tr> +</table> +</div> + +<p class="center"><small>L'action se passe en Allemagne, en Hollande et à Paris.</small></p> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2>PERSONNAGES</h2> + + + + +<div class='center'> +<table border="0" cellpadding="4" cellspacing="0" summary=""> +<tr><td align='left'>JEAN GUTENBERG</td><td align='right'>MM.</td><td align='left'><span class="smcap">Lucien Jazon.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>LAURENT COSTER</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Francis.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>JEAN FUST</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Thorsigny.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>PIERRE SCHEFFER</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">E. Petit.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>ANDRÉ DRITZEN</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Krafft.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>CONRAD HUMMER</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Davoise.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>DIETHER D'YSSEMBOURG, archevêque de Mayence</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Mendez.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>FRIÉLO</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Rivey.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>ZUM</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Valery.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>LE PETIT ZUM</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Jardin.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>MEYER, cabaretier</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Robert.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>CORNÉLIUS, maître d'école</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Dumesnil.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>LE DUC DE LA TRÉMOUILLE</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Fleury.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>UN JUGE CRIMINEL</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Osmont.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>UN JUGE ECCLÉSIASTIQUE</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Vorms.</span></td></tr> +<tr><td colspan="3"> </td></tr> +<tr><td align='left'>ANNETTE DE LA-PORTE-DE-FER</td><td align='right'>Mmes</td><td align='left'><span class="smcap">D'Askhoff.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>MARTHA, fille de Laurent Coster</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Félicia Mallet.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>HÉBÈLE, sœur de Gutenberg</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Forval.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>MARGUERITE MEYER</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Carlin.</span></td></tr> +<tr><td align='left'>UNE DAME</td><td> </td><td align='left'><span class="smcap">Julia.</span></td></tr> +</table></div> + + +<div class="center"><span class="smcap">Peuple, Ouvriers, Soldats, Bourgeois, Paysans, etc.</span></div> + + + +<hr style="width: 45%;" /> +<h2>ACTE PREMIER</h2> + +<h2><a name="PREMIER_TABLEAU" id="PREMIER_TABLEAU"></a>PREMIER TABLEAU</h2> + +<p class="t2">LE DÉPART DE MAYENCE</p> + +<p class="tableau"><small>Une place publique, à Mayence.—À gauche, une boutique d'orfèvre, +avec cette enseigne</small>: <span class="smcap">Jean Gutenberg</span>,<i> orfèvre</i>.—<small>Sur la +façade de la maison est sculptée une tête de taureau, avec cet +exergue:</small> <i>Rien ne me résiste</i>.—<small>À droite, une boutique de marchand +d'estampes, avec cette enseigne</small>: <span class="smcap">Pierre Grimmel</span>, <i>marchand +d'estampes</i>.</p> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">HÉBÈLE, FRIÉLO</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>arrivant par la droite, pendant qu'Hébèle sort de la boutique +d'orfèvre, à gauche</small>.</p> + +<p>Damoiselle Hébèle, mon maître va rentrer; il voudrait +vous parler.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE, <small>descendant en scène</small><a name="FNanchor_A_1" id="FNanchor_A_1"></a><a href="#Footnote_A_1" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Je l'attendrai... Mais sais-tu ce que mon frère veut me +dire?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Non, damoiselle.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Comment, toi, son frère de lait, tu n'es pas son confident?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Mon Dieu, non! Depuis qu'il est devenu le premier orfèvre +de Mayence, maître Jean ne fait plus grand cas de +moi... pauvre apprenti.... Mais il ne devrait pas se méfier +de ça!... (<small>Il frappe sur son cœur.</small>) Un orphelin recueilli +par une noble et sainte famille, comme la vôtre, doit avoir +un bon cœur; et Dieu m'en a donné un si grand que +malgré la place qu'y tiennent déjà tous les Gensfleisch, de +Mayence, je sens bien que la femme de mon maître, les +enfants et petits-enfants à venir, trouveraient encore à s'y +loger.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Bon Friélo!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Mon métier, ma vie, je dois tout à mon maître; et il +n'a pas confiance en moi, qui me ferais hacher pour lui!... +Car il se méfie de moi, damoiselle.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Vraiment!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Depuis quelque temps, il me renvoie de son atelier. Il +s'y enferme pendant de longues heures; et lorsqu'il en +sort, il est tout préoccupé. J'ai aperçu, l'autre jour, par +la porte restée ouverte, des outils, dont je ne peux comprendre +l'usage... Tout cela n'est pas naturel. Et tenez, +(<small>Il montre les feuillets du marchand d'estampes.</small>) voyez-vous ces +feuilles de papier sur lesquelles sont tracés des mots que +n'a point écrits une main humaine? C'est une de ses inventions. +J'ai bien peur que la fantaisie qu'il a eue +d'exposer là ces singulières pages d'écriture, ne lui attire +quelque méchante affaire... Mais, silence, le voici.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><a name="Footnote_A_1" id="Footnote_A_1"></a><a href="#FNanchor_A_1"><span class="label">[A]</span></a> Hébèle, Friélo.</div> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, GUTENBERG</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg fait un signe à Friélo, qui sort, par la droite.</small></p> + +<p class="perso">HÉBÈLE<a name="FNanchor_A_2" id="FNanchor_A_2"></a><a href="#Footnote_A_2" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Tu désires me parler, mon frère?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>prenant la main d'Hébèle</small>.</p> + +<p>Ce que j'ai à te dire est grave, Hébèle. Il s'agit de tout +mon avenir.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Tu sais, Jean, que depuis la mort de nos parents, je t'ai +considéré comme le chef de la famille. Je suis persuadée +que tu ne peux vouloir rien que de bon et d'honnête. +Parle donc.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Notre père, tu le sais, était praticien de la ville; mais il +était sans fortune. En mourant, il ne nous laissa pour +tout bien que cette maison, la maison du <small>Taureau noir</small>, et +le nom, sans tache, de Gensfleisch. Dans notre libre cité +de Mayence, la noblesse n'exclut pas le travail. Je n'ai +donc pas hésité, pour soutenir notre famille, à choisir +une profession; et je suis devenu orfèvre et bijoutier. +Mon métier nous fait vivre; mais depuis deux ans, chère +sœur, une grande ambition s'est emparée de moi: non +cette ambition vulgaire, qui vise à des trésors ou à des +honneurs, mais la noble et sainte aspiration de l'homme +qui veut doter son pays d'un bienfait nouveau. Au lieu +de fabriquer ici des bijoux inutiles, je veux, dès aujourd'hui, +consacrer ma vie à une invention destinée à éclairer +et à régénérer l'esprit humain.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Bien dit, mon frère!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>As-tu jamais songé à la triste vie de ces pauvres copistes, +qui passent leurs journées courbés sur des parchemins, +et dont l'existence entière ne suffit pas à transcrire +une bible ou un psautier? N'as-tu jamais regretté +qu'il n'y eût aucun procédé mécanique pour remplacer +le travail de leur main?</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Mais, mon frère, c'est impossible!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Impossible! non! car je veux créer moi-même cet art +nouveau.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Si cet art existait, le peuple pourrait lire et s'instruire; +ce qui n'est aujourd'hui que le privilège des gens assez +riches pour payer les manuscrits au poids de l'or.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Sans doute! aussi cette idée me prive-t-elle de sommeil, +de repos!... Depuis un an j'essaie toutes sortes de +moyens pour reproduire les manuscrits par un art mécanique. +À la mort de notre mère, je dus me rendre à Gutenberg, +pour hériter de son petit domaine. Là, je trouvai, +dans un grenier, une vieille presse à images; et l'idée +me vint de l'employer à la fabrication des manuscrits. +Le résultat que j'obtins dépassa mes espérances. J'ai +résolu, dès lors, d'abandonner mon métier d'orfèvre, +pour me vouer, corps et âme, à cette entreprise.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Mais songes-tu aux difficultés... aux dépenses?...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mon courage sera à la hauteur de mon œuvre... Mais +tu le sais, il y a ici une jeune fille, noble, riche et dévouée, +à qui j'avais donné mon cœur et promis ma +main...</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Annette de la-Porte-de-Fer.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je ne veux pas l'associer aux difficultés, aux dangers +qui m'attendent dans l'accomplissement de ma tâche; je +veux quitter Mayence et partir seul. Je viens donc te +prier, chère Hébèle, de faire connaître à Annette de la-Porte-de-Fer +le sacrifice que je suis obligé de faire de +mon bonheur au succès de mon art.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Ce sera pour elle un coup cruel et inattendu... Mais je +n'ai pas à discuter les motifs de ta résolution, ni à sonder +les sentiments de ton cœur. La mission dont tu me charges, +frère, je l'accomplirai.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Merci, chère Hébèle, je n'attendais pas moins de toi... +(<small>Il fait passer Hébèle sur le seuil de la porte de la boutique +d'orfèvre.</small>) Et maintenant, rentrons. Je veux mettre sous ta +garde ma vieille presse et mes premiers outils.</p> + +<p class="indic"><small>Ils rentrent dans la boutique.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_2" id="Footnote_A_2"></a><a href="#FNanchor_A_2"><span class="label">[A]</span></a> Hébèle, Gutenberg.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, FRIÉLO, <small>des feuillets à la main</small><a name="FNanchor_A_3" id="FNanchor_A_3"></a><a href="#Footnote_A_3" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="indic"><small>Ils arrivent par le fond au moment où Gutenberg et Hébèle entrent +dans la boutique d'orfèvre.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Comme je vous le dis, damoiselle Annette, c'est votre +fiancé qui a composé ces pages d'écriture mécanique qui +vont ameuter tous les manants de la ville... Cela nous +portera malheur!... Continuer son bon état d'orfèvre, vous +épouser, et avoir une demi-douzaine de beaux enfants, +telle aurait été la conduite d'un homme sensé. Mais depuis +le jour où il a eu la malheureuse idée d'imiter les +manuscrits, je ne reconnais plus mon maître! Il est devenu +taciturne, rêveur; et je vous assure qu'en ce moment, +il ne songe guère aux femmes, ni au mariage. Si +chacun l'imitait, le monde finirait bientôt... Heureusement +il n'oblige personne à penser comme lui. Voici +l'heure où la petite Rosette, la jolie blonde, m'attend à la +fontaine, et si vous n'avez rien à me commander...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Va, mon garçon, va...</p> + +<p class="indic"><small>Friélo sort, en courant, par le fond, droite.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_3" id="Footnote_A_3"></a><a href="#FNanchor_A_3"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, <small>seule</small></p> + +<p>La découverte d'un art nouveau serait le motif des préoccupations +de Jean?... Mais alors je peux encore faire de +son amour le but et l'orgueil de ma vie; car au lieu d'une +rivale, je rencontre une ambition qui servira mes projets. +Enfant, je partageais sa joie et ses chagrins; femme, +je partagerai ses travaux et sa gloire.</p> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste">HÉBÈLE, <small>sortant de la boutique d'orfèvre</small>; ANNETTE</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>à Hébèle, qui a traversé la scène, d'un air pensif</small><a name="FNanchor_A_4" id="FNanchor_A_4"></a><a href="#Footnote_A_4" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Comme te voilà pensive et préoccupée, Hébèle!</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>C'est que j'ai à te faire une communication grave.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Une communication grave?... Et de la part de qui?</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>De la part de mon frère, de ton fiancé.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ah!</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Mon frère veut partir, il veut quitter Mayence.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Partir? et pourquoi?</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Il a résolu de consacrer sa vie à la création d'un art +utile à l'humanité, et il te prie de lui rendre sa liberté.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Que dis-tu?</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>L'amour tient peu de place dans le cœur d'un homme +absorbé par le travail et l'étude. Que pourrait t'offrir +mon frère, dans la vie de labeur et de mécomptes qui +l'attend!... (<small>Elle lui prend la main.</small>) Je t'afflige, ma bonne +Annette, mais je serais coupable de te laisser un espoir, +que je n'ai plus.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Depuis que je me connais, Hébèle, je me regarde +comme l'épouse de Jean. N'a-t-il pas mis à mon doigt +l'anneau des fiançailles?... Tu le sais, de pareils serments +sont sacrés. Pourquoi serait-il parjure? Je suis jeune et +noble. Ai-je cessé d'être honnête? (<small>Mouvement d'Hébèle.</small>) Si +je tire quelque vanité des biens que la providence m'a +accordés, c'est parce qu'il m'est permis de les offrir à +celui que j'aime. Oui, Hébèle, j'aime ton frère, et +rien ne me fera renoncer à lui.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Il est des occasions où les femmes doivent sacrifier leur +bonheur à la gloire de ceux qu'elles aiment. Cède à notre +prière, Annette; et rends à mon frère une liberté, sans +laquelle il ne pourra réaliser ses projets.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Et pourquoi mon influence serait-elle contraire à son +avenir? Pourquoi ma présence, mon aide et mes encouragements, +ne lui seraient-ils pas salutaires? Le devoir +d'une femme n'est pas d'abandonner celui qu'elle aime +aux difficultés de la vie, mais de lutter à côté de lui, +avec lui, contre l'adversité. Si Gutenberg est appelé à la +gloire, il l'est aussi à la souffrance, et je veux être l'appui, +la consolation, la tendresse, que son cœur réclamera +dans les moments de doute et de défaillance.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Le sacrifice, chère Annette, n'est-il pas aussi de l'amour?... +Mais voici Gutenberg. Je voulais seulement te +préparer à l'entendre. Je te quitte. (<small>Fausse sortie.</small>) Mon frère +t'expliquera mieux que moi les motifs de son départ.</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par le fond, droite.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_4" id="Footnote_A_4"></a><a href="#FNanchor_A_4"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Hébèle.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, <small>puis</small> GUTENBERG<a name="FNanchor_A_5" id="FNanchor_A_5"></a><a href="#Footnote_A_5" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>reste un moment pensive, puis, avec résolution</small>.</p> + +<p>Non, personne ne m'enlèvera le cœur de Gutenberg. +Mais le voici... du calme! (<small>À Gutenberg, qui sort de la boutique +d'orfèvre.</small>) D'après ce qu'Hébèle vient de me dire, tu +comptes quitter bientôt Mayence?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah!... Hébèle t'a appris ma résolution, mes projets...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Et ta fiancée, Jean? Le temps où tu jurais de me +prendre pour femme, est-il déjà si loin de ton souvenir? +As-tu oublié la Pâques-Fleurie de 1437? C'était la +foire de Mayence. Tu m'achetas une bague d'argent, en +me disant: «Ennel, voilà l'anneau des fiançailles. Je le +remplacerai bientôt par l'anneau d'or du mariage.» +Trois ans se sont écoulés, et tu ne m'as plus donné le +doux surnom d'Ennel!... Tu pars, et tu ne parles plus +de m'épouser.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tu sais bien, Annette, qu'une ambition généreuse fait +maintenant battre mon cœur. Tu sais que je ne suis plus +libre, que j'ai juré de me vouer, corps et âme, à mon +art... Oublions nos rêves d'enfance.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oublier, dis-tu? La fleur oublie-t-elle la rosée qui la +désaltère, l'oiseau le nid qui lui sert de refuge, et l'homme +le soleil qui l'éclaire? Nous ne pouvons davantage oublier +notre amour; car il a rafraîchi nos cœurs, abrité +nos jeunes ans, et porté la lumière en nos âmes. Tes +serments t'ont lié à ma vie, et tu ne saurais les renier +sans nous léguer, à toi la honte, à moi le désespoir.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Nous devons nous incliner sous la fatalité qui nous +sépare. Pour atteindre le but auquel j'aspire, il me faut +résister à la voix de l'amour. Épargne donc à mon cœur +le regret d'un parjure.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je suis prête à m'immoler à ta gloire. Pars, puisque +tu le veux. Je ne retiendrai pas le noble élan qui te +pousse vers une destinée inconnue. Mais avant de t'engager +dans une voie nouvelle, ne veux-tu pas me dire, +une fois encore, ce que tu m'as répété si souvent?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Que désires-tu, Annette? Parle. Si c'est en mon pouvoir, +je te l'accorderai sur-le-champ.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ce que je désire est bien simple, Jean. Donne-moi par +écrit la promesse de m'épouser, que tu me fis il y a +cinq ans... (<small>Mouvement de Gutenberg.</small>) Tu ne réponds rien!... +Hésiterais-tu à ratifier avec la plume un serment fait +avec le cœur?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ma vie s'annonce trop aventureuse pour que j'ose +t'enchaîner à mon avenir. En vérité, je ne puis t'accorder +ce que tu me demandes.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Une autre te reprocherait tes serments et ton abandon; +une autre te poursuivrait de ses lamentations et +de son ressentiment. Je ne te demande, moi, que quelques +lignes de ta main!... (<small>Jean regarde Annette, fait quelques +pas, hésite et revient.</small>) Auras-tu la cruauté de refuser cette +consolation à celle dont ton départ va briser le cœur, à +celle qui avait mis en toi son espoir et sa vie?...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tout engagement est sacré. Je ne puis faire une promesse +que je ne saurais tenir.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>C'est ton honneur qui est ici en jeu. L'homme n'est +véritablement libre que par le devoir accompli. Mets-toi +donc en règle avec le passé, pour que le ciel bénisse +tes efforts à venir. Tu veux devenir un homme illustre: +commence par être un honnête homme!...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Allons! qu'il soit fait selon ton désir.</p> + +<p class="indic"><small>Il entre dans la maison.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>haletante, ne le perd pas de vue</small>.</p> + +<p>Enfin!... Dieu soit loué! Je n'avais pas trop présumé +de son cœur! Je n'aurai pas invoqué en vain les souvenirs +de notre enfance!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>revient, avec un parchemin, qu'il remet à Annette.</small></p> + +<p>Voici la promesse de mariage que tu désires, Annette. +Puissions-nous n'avoir à nous repentir jamais, toi de +l'avoir exigée, moi de te l'avoir accordée!</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>mettant le parchemin dans son escarcelle, après l'avoir lu</small>.</p> + +<p>Maintenant, je puis te dire adieu. Pars, je me considère +comme ta femme. De loin mon cœur suivra le tien; il +ressentira tes joies et tes souffrances... Adieu!</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par la droite, deuxième plan.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_5" id="Footnote_A_5"></a><a href="#FNanchor_A_5"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Hébèle.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VII</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, <small>seul, puis</small> FRIÉLO</p> + +<p class="perso">GUTENBERG<a name="FNanchor_A_6" id="FNanchor_A_6"></a><a href="#Footnote_A_6" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>C'est peut-être une imprudence que j'ai commise, mais +je n'ai pu résister à ses larmes, à sa douleur. Enfin, chassons +ces tristes pensées. (<small>À Friélo.</small>) Que veux-tu, Friélo?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>sortant de la boutique du marchand d'estampes</small>.</p> + +<p>Maître, le seigneur Fust, l'argentier, est en ce moment +dans la boutique du père Grimmel, le marchand d'estampes, +et il demande à vous voir.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Que peut-il avoir à me dire?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Il a longtemps examiné les feuillets gravés qui sont +exposés à la devanture et dans la boutique du père Grimmel; +et c'est à ce sujet, je crois, qu'il désire vous parler.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh bien, va dire au seigneur Fust que je suis fort honoré +de sa visite, et tout à ses ordres.</p> + +<p class="indic"><small>Friélo sort par la boutique du marchand d'estampes.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_6" id="Footnote_A_6"></a><a href="#FNanchor_A_6"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VIII</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, FRIÉLO, <small>puis</small> FUST</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à part</small>.</p> + +<p>Que peut avoir à demander le riche financier au pauvre +orfèvre?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>revenant de la boutique du marchand d'estampes</small>.</p> + +<p>Voici le seigneur Fust.</p> + +<p class="perso">FUST, <small>sortant du la boutique du marchand d'estampes, quelques feuillets +à la main, à part<a name="FNanchor_A_7" id="FNanchor_A_7"></a><a href="#Footnote_A_7" class="fnanchor">[A]</a></small>.</p> + +<p>C'est une chose vraiment merveilleuse que d'avoir pu +contrefaire ainsi des manuscrits! Que de florins à gagner +avec une pareille découverte! Si je pouvais décider l'inventeur +à me dire son secret! Il est jeune, il est pauvre... +j'en aurai facilement raison, (<small>Haut, à Gutenberg.</small>) C'est vous, +jeune homme, qui avez gravé ces feuillets?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Oui, messire.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à part</small>.</p> + +<p>Le vilain museau! On dirait une fouine!</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Mais avez-vous pensé au danger que vous pouvez courir +en essayant d'imiter les manuscrits?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>À quel danger, messire?</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Au plus grand de tous, à une accusation de sorcellerie.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>De sorcellerie? Par exemple!...</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Ceci est plus sérieux que vous ne le pensez, jeune +homme. Il est certain qu'en ce moment, les copistes de +Mayence fomentent contre vous un complot. Ils prétendent +que vous avez fait là œuvre de sorcellerie. Et je +viens, en ami, vous engager à ne pas continuer des travaux, +qui ne pourraient que vous devenir funestes.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je vous remercie, messire Fust, de l'intérêt que vous +me témoignez; mais espoir, fortune avenir, tout, pour +moi, réside dans l'invention dont vous tenez les premiers +essais. Rien ne pourra m'obliger à abandonner des +travaux qui feront la gloire de ma vie.</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Réfléchissez, jeune homme! Une accusation de sorcellerie +est chose bien grave!... Dans les temps où nous +vivons, c'est quelquefois s'exposer à de grands périls +que de lancer une idée nouvelle.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Blâmeriez-vous une œuvre qui doit être un des plus +grands bienfaits accordés à l'humanité?</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Nullement!... Aussi suis-je venu vous faire une proposition, +qui comblera tous vos vœux.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah!</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Je vous l'ai dit, les bourgeois de Mayence sont mal disposés +contre vous. Ils s'inquiètent d'une invention qui +leur paraît avoir un certain caractère magique. Seul, inconnu +et sans fortune, vous ne pourrez lutter contre les +préjugés populaires, et votre invention périra.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Et moi je vous dis qu'elle vivra, messire Fust!</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Oui, si elle est patronnée par un homme dont le renom, +la position et le crédit, la mettent à l'abri de tout soupçon... +Dites un mot et je suis cet homme. Vous avez +l'idée, j'ai l'expérience.... et l'argent. À nous deux, nous +réaliserons une œuvre qui, sans mon appui, ne verrait +jamais le jour!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à part</small>.</p> + +<p>Ma foi, l'esprit du vieux renard vaut mieux que son +visage. (<small>À Gutenberg.</small>) Acceptez, mon cher maître, et votre +fortune est faite. Le seigneur Fust est si riche!</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Eh bien! vous ne répondez rien? Vous ne me prenez +pas au mot?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je regrette de si mal accueillir une ouverture, qui +m'honore, messire argentier; mais je n'ai besoin du +secours de personne. Si la jeunesse n'a ni renom, ni +crédit, elle a, du moins, le courage et la foi, c'est-à-dire, +les leviers qui soulèvent le monde. Excusez-moi donc si +je refuse votre offre généreuse.</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Voilà bien la jeunesse! orgueilleuse, enthousiaste, et +ne doutant de rien! Vous ne penserez pas toujours de +même. L'illusion, c'est par là que commencent tous les +inventeurs; mais bientôt arrivent les difficultés, les mécomptes +et le découragement. Un jour viendra où vous +regretterez amèrement votre refus, et où vous me supplierez +de vous accorder l'aide, la protection que vous +repoussez aujourd'hui.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Ah! cher maître! mieux vaut tout de suite que plus +tard. Je vous en conjure, écoutez les conseils du seigneur +Fust: ce sont ceux de la raison.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ma découverte m'est plus précieuse que la vie, messire. +Je ne la divulguerai à personne.</p> + +<p class="indic"><small>Jeu de scène de Friélo, qui supplie son maître d'accepter. Gutenberg, +impatienté, lui fait signe de sortir.</small></p> + +<p class="perso">FUST, <small>à part</small>.</p> + +<p>Je veux ton secret, je l'aurai... je l'aurai à tout prix! +(<small>Haut, il remonte.</small>) Au revoir, Jean Gutenberg, au revoir.</p> + +<p class="indic"><small>Il le salue et sort par la droite, deuxième plan.—Friélo sort +par la gauche, sur un nouveau signe de Gutenberg.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_7" id="Footnote_A_7"></a><a href="#FNanchor_A_7"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Fust.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IX</h3> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>seul</small></p> + +<p>Les voilà bien ces hommes d'argent! Tout est pour +eux une question de lucre, de calculs et de bénéfice! Ils +découragent, ils désespèrent l'artiste, pour s'emparer de +sa création, ou pour la payer moins cher! (<small>Étendant le bras +du côté où est sorti Fust.</small>) Non, jamais, entends-tu, jamais, +tu ne toucheras à mon œuvre! Plutôt la voir périr que +de te la confier!</p> + + +<h3>SCÈNE X</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN</p> + +<p class="indic"><small>Conrad et Dritzen entrent par le fond gauche, et regardent +Gutenberg</small><a name="FNanchor_A_8" id="FNanchor_A_8"></a><a href="#Footnote_A_8" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>Qu'as-tu donc, Gutenberg? Te voilà tout agité.</p> + +<p class="indic"><small>Il serre la main de Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>C'est que je viens d'avoir un entretien, et presque +une altercation, avec l'argentier Fust.</p> + +<p class="perso">ANDRÉ DRITZEN.</p> + +<p>L'argentier Fust! Méfie-toi de cet homme. Il est capable +de tout, pour arriver à ses fins.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Il est sorti furieux, parce que j'ai refusé de le prendre +pour associé.</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>Il ne veut, crois-le bien, le secret de ton invention que +pour t'en déposséder plus tard.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ce secret est bien simple, mes amis: et ce n'est pas +avec vous que j'en ferai mystère. Ce que j'obtiens n'est +encore qu'une ébauche, mais elle va m'amener à d'autres +résultats. Vous savez que depuis assez longtemps, nos +artistes obtiennent des gravures, en sculptant en relief +des dessins sur le bois. C'est ainsi que j'opère. Seulement, +au lieu de sculpter en relief, sur le bois, les traits +du dessin, je sculpte des lettres, des mots, des phrases; +et ces caractères, sculptés en relief sur le bois, forment +des pages de manuscrit, que je multiplie ensuite, à volonté, +en les tirant sur le papier, grâce à l'encre des graveurs, +et à la vieille presse qui sert aux imagiers.</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>C'est une très belle idée, mais tout dépend de la manière +d'opérer... Consentirais-tu à nous montrer ton travail?</p> + + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mais certainement! Suivez-moi, mes amis, dans mon +atelier. (<small>Il passe devant Conrad, ouvre la porte de la boutique et les +fait entrer.</small>) Je vais vous montrer mes chefs-d'œuvre.</p> + +<p class="indic"><small>Il entre derrière eux, dans la boutique.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_8" id="Footnote_A_8"></a><a href="#FNanchor_A_8"><span class="label">[A]</span></a> Conrad, Gutenberg, Dritzen.</p></div> + + +<h3>SCÈNE XI</h3> + +<p class="liste">ZUM, LE PETIT ZUM, <small>ils ont, chacun, une longue plume derrière +l'oreille</small>.</p> + +<p class="indic"><small>La scène reste vide quelques instants; puis Zum et le petit Zum entrent, +l'un par la droite, l'autre par la gauche. Ils traversent la scène, sans +se voir, et se rencontrent, nez à nez, au second tour, au milieu du +théâtre.</small></p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>C'est toi, grand frère? Où vas-tu ainsi, le nez en l'air?<a name="FNanchor_A_9" id="FNanchor_A_9"></a><a href="#Footnote_A_9" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>C'est toi, petit frère? Où vas-tu ainsi, le poing sur la +hanche?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Chez Gutenberg, l'orfèvre.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Et moi chez le père Grimmel, le marchand d'estampes.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Gageons que nous venons tous les deux pour la même +chose.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Les feuillets gravés par Gutenberg, n'est-ce pas?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Tout juste.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Eh bien! Allons voir ça!</p> + +<p class="indic"><small>Ils vont prendre, à la devanture de la boutique du marchand d'estampes, +les feuillets, et reviennent au milieu du théâtre.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>examinant les feuillets</small><a name="FNanchor_B_10" id="FNanchor_B_10"></a><a href="#Footnote_B_10" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p>C'est vraiment extraordinaire! Quelle écriture admirable! +Pas une lettre ne dépasse l'autre... Partout même +largeur de lignes... Et s'il y a une faute, un trait singulier +sur un feuillet, on trouve la même faute, le même +trait, sur tous les autres... C'est la même page constamment +reproduite... Que dis-tu de cela, petit frère?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Je dis, grand frère, que si cette invention se répand, +tout le corps de Mayence, dont nous avons l'honneur de +faire partie (<small>Ils saluent tous les deux, du pied droit, et en ôtant leur +bonnet</small>.) n'a plus de raison d'être, ni de moyen d'existence... +et que nous n'avons plus qu'à nous faire moines +ou soldats.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>allant à la boutique de Gutenberg, et lui montrant le poing</small><a href="#Footnote_B_10" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p>Et c'est ce Gutenberg qui a fait cela!... Je ne l'aimais +déjà pas beaucoup, ce jeune homme. Il est gentilhomme +et de famille noble, et il s'est fait artisan. Il avait +un bon et vieux nom, celui des Gensfleisch, et il l'a +quitté, pour prendre le nom d'un petit domaine qu'il +possède à Gutenberg. Enfin, voilà qu'il lui vient la déplorable +idée de ruiner les copistes!</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Et aucune loi ne peut l'empêcher de mettre subitement +sur le pavé une foule de pauvres diables, comme toi et +moi?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Aucune... Nous n'avons rien contre lui... Excepté ceci.</p> + +<p class="indic"><small>Il tire un poignard.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Ou cela... (<small>il tire un poignard plus grand.</small>) Alors, grand +frère, tu ne verrais pas d'inconvénients?</p> + +<p class="indic"><small>Il fait le geste de poignarder.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>bas</small>.</p> + +<p>Au contraire!... morte la bête, mort le venin.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>il regarde si personne ne l'écoute, et amène son +frère à l'extrême droite</small>.</p> + +<p>J'ai pris, à tout hasard, quelques informations sur notre +homme... Il sort, chaque soir, à huit heures, après son +repas, et se rend à la brasserie du Rhin, pour deviser, +avec ses deux amis, Conrad Hummer et André Dritzen, +de choses de jeunesse et d'amour.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>même jeu: Zum amène son frère à l'extrême gauche</small>.</p> + +<p>De sorte qu'il suffirait, ce soir, par exemple, de nous +cacher dans un coin de la rue, et d'attendre notre cavalier.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>À ce soir, grand frère! J'aurai mon poignard.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Et moi le mien... c'est-à-dire, non!... j'apporterai une +dague: on frappe de plus loin.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>À ce soir!... Gutenberg est un homme mort.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_9" id="Footnote_A_9"></a><a href="#FNanchor_A_9"><span class="label">[A]</span></a> Le petit Zum, Zum.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_10" id="Footnote_B_10"></a><a href="#FNanchor_B_10"><span class="label">[B]</span></a> Zum, le petit Zum.</p></div> + + +<h3>SCÈNE XII</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, CONRAD HUMMER, ANDRÉ DRITZEN, <small>sortant +de la boutique de Gutenberg.</small></p> + +<p class="indic"><small>Conrad Hummer et André Dritzen +sont entrés à la fin de la scène précédente, et ont entendu les dernières +paroles des deux Zum. Ils s'approchent vivement des deux Zum, et +chacun les prend par un bras.</small></p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>Ah! mes drôles, c'est l'assassinat de notre ami Gutenberg +que vous complotiez ainsi<a name="FNanchor_A_11" id="FNanchor_A_11"></a><a href="#Footnote_A_11" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Vous vous trompez! Vous avez espionné tout de travers. +Nous ne parlions pas du tout de faire du mal à votre +ami.</p> + +<p class="perso">ANDRÉ DRITZEN.</p> + +<p>Et que disiez-vous donc?</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>dégageant son bras de l'étreinte de Dritzen, et allant devant la +boutique du marchand d'estampes, (avec force.)</small></p> + +<p>Nous disions que celui qui a fait et exposé ces feuillets +d'écriture, est un mécréant et un sorcier; car jamais main +d'homme ne saurait en créer de pareils. J'en appelle à +tout le monde<a name="FNanchor_B_12" id="FNanchor_B_12"></a><a href="#Footnote_B_12" class="fnanchor">[B]</a>. Je demande à tous les bourgeois de la +ville (<small>Montrant les feuillets.</small>) si ce n'est pas là une œuvre +magique et diabolique.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_11" id="Footnote_A_11"></a><a href="#FNanchor_A_11"><span class="label">[A]</span></a> Conrad, Zum, le petit Zum, Dritzen.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_12" id="Footnote_B_12"></a><a href="#FNanchor_B_12"><span class="label">[B]</span></a> Conrad, Dritzen, le petit Zum, Zum.</p></div> + + + +<h3>SCÈNE XIII</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, FRIÉLO, DRITZEN, CONRAD HUMMER, +<span class="smcap">Bourgeois, Peuple</span>, <small>puis</small> FUST <small>et</small> GUTENBERG</p> + +<p class="indic"><small>Pendant les dernières paroles de Zum, des bourgeois, des passants +sont entrés, et se sont peu à peu rassemblés devant la boutique de +Grimmel.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Mon doux Jésus! Que restera-t-il aux honnêtes copistes +pour vivre, si les mécréants se mettent à faire leur besogne? +En écrivant du matin au soir, et du soir au matin, +la vie d'un homme ne suffirait pas à copier les manuscrits +que Jean Gensfleich a livrés ce matin à ce marchand +d'estampes.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à Gutenberg</small><a name="FNanchor_A_13" id="FNanchor_A_13"></a><a href="#Footnote_A_13" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Hélas! maître, à quoi cela vous servira-t-il, sinon à +vous faire brûler comme sorcier, de pouvoir écrire plus +vite que personne? Le monde en ira-t-il mieux? Je crains +qu'il n'aille, au contraire, plus mal, en commençant par +nous. Renoncez à vos projets, il en est temps encore. Acceptez +la protection du seigneur Fust, ou nous sommes +perdus!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Friélo</small>.</p> + +<p>Si tu m'aimes, tais-toi, si tu as peur, va-t'en. (<small>Au peuple.</small>) +Qu'y a-t-il? que me voulez-vous? Amis, répondez. De +quoi m'accuse-t-on?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>On t'accuse de sorcellerie; car il n'y a que le démon +qui ait pu, sans l'aide d'une main humaine, tracer des +caractères semblables. Tes feuillets sentent le roussi: ce +sont des œuvres d'enfer!</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Hésiterez-vous à condamner comme sorcier, celui qui +écrit à l'aide de maléfices?</p> + +<p class="perso">LE PEUPLE.</p> + +<p>Mort au renégat! mort à Gensfleisch!... mort à Gutenberg! +À mort! à mort!</p> + +<p class="perso">FUST, <small>s'avançant vers Gutenberg</small>.</p> + +<p>Eh bien! jeune homme, tu le vois, toi et ton œuvre +allez périr ensemble. Un mot, et je te sauve: un mot, et +ce peuple menaçant se prosterne devant toi. Une dernière +fois, je t'offre mon appui. Veux-tu me confier ton +secret?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Jamais!</p> + +<p class="indic"><small>Fust fait un geste d'encouragement aux deux Zum, et sort, par +la droite.</small></p> + +<p class="perso">LES DEUX ZUM <small>et</small> LE PEUPLE.</p> + +<p>Mort à l'hérétique!... À mort! à mort!</p> + +<p class="indic"><small>Annette et Hébèle sortent de la boutique d'orfèvre; Friélo leur +montre le peuple en courroux; Conrad et Dritzen les rassurent.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_13" id="Footnote_A_13"></a><a href="#FNanchor_A_13"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Conrad Dritzen, Petit Zum, Zum, Fust, peuple +et bourgeois au fond.</p></div> + + +<h3>SCÈNE XIV</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, DIETHER D'YSSEMBOURG</p> + +<p class="indic"><small>Diether est précédé de soldats, qui font reculer le peuple à droite et à +gauche, et restent au fond.</small><a name="FNanchor_A_14" id="FNanchor_A_14"></a><a href="#Footnote_A_14" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Quel est ce tumulte? Pourquoi ces cris?... Silence, bourgeois +et manants! C'est moi, votre chef, votre souverain, +votre père, qui ai seul ici le droit d'accuser, de punir ou +d'absoudre. Si Gutenberg est coupable, il sera condamné; +s'il est innocent, pourquoi ces menaces? Justice sera +faite. Retirez-vous un moment (<small>Le peuple se retire au fond du +théâtre. Friélo s'approche de Zum, et revient près de Conrad et Dritzen, +qui le rassurent. Il baise le bas de la robe de Diether. Sur un mouvement +menaçant de Zum, il s'écarte.—À Gutenberg.</small>) Je sais, jeune +homme, que tu es un bon et loyal ouvrier. Je sais, que tu +n'as jamais fait aucune œuvre de sorcellerie, et qu'en te +livrant à des essais nouveaux, tu obéis à une noble ambition. +Il m'a été facile de te préserver tout à l'heure de l'émeute +populaire; mais la bourgeoisie de Mayence, jalouse +du rang qu'a su jadis conquérir ton père et de ton mérite +personnel, ne te pardonnera pas de sitôt une découverte +appelée à illustrer ton nom... Je ne te dirai pas de renoncer +à une idée, que je tiens, moi, pour excellente; mais +comme mon devoir est de faire régner l'ordre et la bonne +harmonie dans la ville, je t'ordonne de partir, de quitter +Mayence, sur l'heure. Ton absence peut seule calmer +la surexcitation du peuple. (<small>Mouvement de Gutenberg.</small>) Pars +pour la Hollande. Tu trouveras à Harlem l'imagier Laurent +Coster; ses lumières et ses conseils te seront utiles. +C'est l'homme le plus propre à comprendre et à encourager +tes travaux. Présente-toi à lui de ma part. Sois +toujours laborieux et honnête, et lorsque tu reviendras, +la ville, apaisée, te fera bon accueil, je te le promets.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mon intention était de partir, pour aller perfectionner +mon invention loin de Mayence, loin des ennemis et des +jaloux. Je l'ai annoncé ce matin à ma sœur, à mes amis; +mais je n'avais pas encore de résidence déterminée. Vous +me donnez, monseigneur, un excellent avis en m'engageant +à me rendre chez Laurent Coster. Je travaillerai +sous ses yeux, et je reviendrai un jour, pour rendre à +mon pays l'art merveilleux dont j'emporte le germe.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Compte toujours sur ma protection et mon appui.</p> + +<p class="indic"><small>Conrad va remercier Diether; Diether remonte près de Conrad.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Diether</small>.</p> + +<p>Merci, mille fois, monseigneur. (<small>À Hébèle.</small>) Ne pleure pas, +Hébèle. La prière et le travail sont deux amis qui se +retrouvent toujours: nous nous reverrons. (<small>À Annette.</small>) Ne +veux-tu pas me serrer la main, Annette?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ah! Jean! ce n'est plus avec les larmes que je te dis +adieu... c'est avec orgueil!</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Cher frère!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Conrad Hummer et à André Dritzen, et saluant Diether</small>.</p> + +<p>Adieu! Conrad. Adieu, André. Pensez un peu à l'ami +absent, qui ne vous oubliera jamais.</p> + +<div style="margin-left: 4em;"><small>Fausse sortie.</small></div> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>courant après Gutenberg, d'une voix piteuse</small>.</p> + +<p>Vous oubliez quelqu'un, maître!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>revenant</small>.</p> + +<p>C'est vrai: je ne t'ai rien dit, mon pauvre Friélo. (<small>Il lui +tend la main.</small>) Que la providence veille sur toi!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Ce n'est pas ça, mon cher maître; vos adieux ne me +feront pas le cœur plus content. Ce que je désire, c'est +aller avec vous chez Laurent Coster, l'imagier de Harlem. +Comment avez-vous pu songer à partir seul? Croyez-vous +que je me soucie de rester sans vous à Mayence!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Toi, Friélo, si casanier, si poltron et si amoureux des +belles filles de ton pays, tu consentirais à aller jusqu'en +Hollande?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Oui, car au-dessus de mes aises, de ma poltronnerie et +de mes amourettes, il y a mon frère de lait, il y a mon +maître. Me conduiriez-vous en enfer? (<small>À part.</small>) je sais bien +qu'il n'ira jamais de ce vilain côté. (<small>Haut.</small>) je vous suivrais +partout!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh bien, mon garçon, tu me suivras, puisque tu le veux.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>sortant de la foule restée au fond, à Diether</small>.</p> + +<p>Monseigneur, les amis m'envoient vous demander ce +que vous avez décidé contre ce mécréant.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Je lui ai ordonné de partir, de quitter Mayence.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>s'avançant</small>.</p> + +<p>Et de n'y jamais rentrer, nous l'espérons! (<small>La foule vient +se ranger autour de Gutenberg, de Diether et des autres personnes, +avec un air menaçant.</small>) Qu'il parte à l'instant, s'il ne veut pas +tomber sous nos coups.</p> + +<p class="perso">LE PEUPLE.</p> + +<p>À mort! à mort!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Malheur à qui oserait porter la main sur moi, ou sur +cet enfant. (<small>Écartant de la main le peuple qui se range aux deux +côtés du théâtre.</small>) Place, bourgeois ingrats et félons! Je méprise +vos injures et brave vos menaces.... Viens, Friélo!</p> + +<p class="indic"><small>Il pose son bras sur l'épaule de Friélo, traverse la scène, et sort, +entre la double rangée du peuple et des bourgeois.</small></p> + +<p class="perso">TOUS.</p> +<p>Vive monseigneur! monseigneur Diether d'Yssembourg!</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_14" id="Footnote_A_14"></a><a href="#FNanchor_A_14"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Hébèle, Dritzen, Conrad, Friélo, Gutenberg, Diether, +Petit Zum, Zum, Soldats, Peuple, Bourgeois, au fond.</p></div> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2>ACTE DEUXIÈME</h2> + +<h2><a name="DEUXIEgraveME_TABLEAU" id="DEUXIEgraveME_TABLEAU"></a>DEUXIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">L'IMAGERIE DE LAURENT COSTER, À HARLEM</p> + +<p class="tableau"><small>Une salle de l'imagerie de Laurent Coster, à Harlem.—Au fond, une +porte.—De chaque coté de la porte, un vitrage, sur lequel sont accrochées +des images.—Portes latérales.—À droite, un dressoir, +couvert de vaisselle.—À gauche, un bahut, sur lequel sont un vase +de fleurs et un sablier.—Près du bahut, un guéridon, avec +ce qu'il faut pour écrire.—Au milieu du théâtre, une table.—Escabeaux, +etc.</small></p> + + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="perso">MARTHA, <small>elle met le couvert, en allant du dressoir à la table.—Gaiment</small></p> + +<p>Mon père m'a dit: «Martha, mets à la broche le poulet +le plus gras; monte de la cave le meilleur vin; sors +de l'armoire une nappe de la plus belle toile de notre +Hollande, des assiettes de faïence et des gobelets d'argent, +car j'ai à déjeuner quelqu'un que je désire bien +traiter, et que tu ne seras pas fâchée de voir à notre +table.» Pour accueillir ainsi un convive, il faut que +mon père le tienne en grand estime. (<small>Pensive.</small>) Si c'était +Gutenberg? Je n'ose le croire, et pourtant quel autre +pourrait mériter mieux que lui l'amitié de mon père! +Depuis que ce jeune homme est entré à l'imagerie, il +ne s'est pas attiré un seul reproche, et j'ai souvent entendu +dire à mon père qu'il est au-dessus du rôle de +contre-maître qu'il remplit ici... Oui, oui, c'est de Jean +Gutenberg qu'il s'agit. (<small>Elle approche un escabeau de la table.</small>) +C'est Jean qui s'assiéra là. (<small>Elle met un pâté sur la table.</small>) +Toutes ces bonnes choses seront pour lui... Il va venir!... +(<small>Elle regarde au vitrage.</small>) Jamais le ciel ne me parut si beau. +(<small>S'approchant du vase, prenant une fleur et la respirant.</small>) Jamais +les fleurs ne m'ont paru aussi parfumées. (<small>Elle met la fleur à +sa ceinture.</small>) Jamais enfin, je ne me suis sentie si heureuse +de vivre, et si fière d'être la fille de Laurent Coster... Mais +pourquoi suis-je pensive et distraite? J'aime à rêver pendant +de longues heures... Pourquoi? (<small>Elle s'assied.—Après +un silence.</small>) Puisque je trouve Gutenberg aimable et bon, +comment se fait-il que je sois si craintive devant lui? Le +son de sa voix suffit à me faire rougir, (<small>Elle se lève.</small>) et à la +pensée de le voir, mon cœur bat à briser ma poitrine. +(<small>Elle s'approche du sablier.</small>) Je renverserais ce sablier, si cela +pouvait ralentir la marche du temps, et cependant je +voudrais qu'il marquât déjà l'heure de midi!... Quel est +donc le sentiment étrange, qui me fait à la fois redouter +et souhaiter la présence de Gutenberg?... Pourquoi, en +l'attendant, suis-je si émue? Je me sens frémir, comme +une feuille qui tremble au vent...</p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste">FRIÉLO, MARTHA</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>entrant par la droite, portant des feuilles et des images</small>.</p> + +<p>Pardine, damoiselle, ou je me trompe fort, ou ce mal +mystérieux s'appelle l'amour. Pour le soulager, il ne faut +ni médecin, ni sorcier.... Il faut seulement trouver un +cœur qui réponde au sien. (<small>Mouvement de Martha.</small>) Ne baissez +pas les yeux, damoiselle; votre amour est de ceux qui +peuvent s'avouer à la face de tous. La fille de Laurent +Coster, l'imagier, n'a point à se cacher d'aimer Jean +Gutenberg! Vrai Dieu! heureuse sera la main mignonne +que le prêtre mettra dans la main loyale de mon maître. +(<small>Plaçant les feuillets au vitrage.</small>) Là!</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par la gauche.</small></p> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="perso">MARTHA, <small>pensive</small></p> + +<p>C'est de l'amour, a dit Friélo!... J'aurais de l'amour +pour Gutenberg! Mais lui, m'aime-t-il?... Friélo ne l'a +pas dit!...</p> + +<p class="indic"><small>Coster arrive par le fond.</small></p> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste">MARTHA, COSTER</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Tout est-il prêt, mon enfant?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Oui, mon père.</p> + +<p class="perso">COSTER, <small>il l'embrasse</small>.</p> + +<p>Eh bien! va chercher, pour le dessert, un cruchon de +vieux curaçao.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>J'y vais, mon père.</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par la gauche.</small></p> + +<p class="perso">COSTER, <small>seul.—Il ferme la porte du fond, va à la porte de droite, +puis à celle de gauche.—Regardant autour de lui</small>.</p> + +<p>Je suis seul!... bien seul!... Vous savez, sainte dame, +la vierge, si j'aime ma fille, l'ange consolateur de ma +vieillesse. Eh bien! que je sois privé du salut éternel, si +je ne regarde pas mon invention comme un second enfant, +qui, autant que ma fille, a droit à ma tendresse... +(<small>Il ouvre un tiroir du bahut, et y prend une casse d'imprimerie.</small>) +Mon invention, la voilà! (<small>Il pose la casse sur le guéridon.</small>) Jusqu'ici, +l'existence d'un pauvre copiste était à peine suffisante +pour transcrire une bible ou un livre d'heures; +mais désormais, grâce à mes caractères mobiles, on +pourra reproduire mécaniquement les manuscrits. (<small>Il +prend quelques caractères dans la casse d'imprimerie, les regarde et +s'assied près du guéridon.</small>) Chers caractères, enfants de mon +esprit, fruits de mes veilles et de mes labeurs, idée qui a +germé dans ma tête, pendant quarante années, quel +bonheur j'éprouve à vous contempler!... À vous appartiendra +le pouvoir d'exprimer les sentiments les plus divers +et les plus opposés de l'âme humaine!... La science, +l'histoire, la poésie, naîtront, tour à tour, de votre arrangement +multiple... En vous, l'écolier épèlera son rudiment, +le savant consignera ses doctrines, le vieillard +relira ses prières... Aux financiers, vous parlerez de +chiffres; aux femmes, de parures; à la jeunesse, de plaisirs. +Vous chanterez l'amour, après avoir célébré la +gloire, et vous raconterez à l'avenir, les événements du +passé... À vous reviendra l'honneur de régénérer le +monde; car vous vous nommerez l'imprimerie, c'est-à-dire +la voix universelle de l'humanité!... Puisse l'hypocrisie, +le mensonge, ni la calomnie, ne jamais souiller +vos empreintes!... (<small>Il se lève et va remettre les caractères dans la +casse, puis il replace la casse dans le tiroir du bahut.</small>) Personne +ne connaît mon secret. Si mon imagerie est ouverte et +accessible à chacun, l'atelier où je cisèle et fonds mes +caractères, est fermé à tous les regards. Là, comme en un +sanctuaire, où l'on aime à prier seul, je travaille dans la +solitude et le silence... Mais, à mon âge, la mort est proche, +et je dois léguer ma découverte à un héritier capable +de la faire grandir... Lorsque Gutenberg est arrivé à +Harlem, il m'a semblé que le ciel l'envoyait; car le feu +sacré de l'artiste brûle dans l'âme honnête de ce jeune +ouvrier. Il aimera ma fille et perfectionnera mon œuvre. +Je quitterai la terre avec moins de regret, lorsque j'aurai +assuré le bonheur de Martha et l'avenir de l'imprimerie. +(<small>Apercevant à travers le vitrage Gutenberg, qui arrive du fond gauche.</small>) +Gutenberg!</p> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste">COSTER, GUTENBERG</p> + +<p class="perso">COSTER, <small>tendant la main à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Arrive donc, mon ami... aurais-tu oublié que tu déjeunes +avec moi?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>souriant</small>.</p> + +<p>Non, maître, je n'aurais garde de l'oublier. Et je vous +remercie de tout mon cœur, de l'honneur que vous me +faites.</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Alors, à table! (<small>Ils se mettent à table.</small>)<a name="FNanchor_A_15" id="FNanchor_A_15"></a><a href="#Footnote_A_15" class="fnanchor">[A]</a> Dès le jour où tu +es entré ici, j'ai vu que tu n'étais pas un ouvrier ordinaire, +et je t'ai voué une affection paternelle.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je suis fier de posséder votre estime, maître Coster; et +je me souviendrai toujours de l'accueil bienveillant que +vous avez fait au jeune inconnu qui vint frapper, il y a +trois ans, à la porte de votre maison.</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>C'est moi qui dois te remercier; car, depuis ton arrivée, +mon imagerie n'a cessé de prospérer.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_15" id="Footnote_A_15"></a><a href="#FNanchor_A_15"><span class="label">[A]</span></a> Coster, Gutenberg.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, MARTHA</p> + +<p class="indic"><small>Elle entre par la gauche, portant, sur un plateau, un cruchon de curaçao, +qu'elle place sur le bahut, à gauche.—Elle fait une révérence +à Gutenberg.—Gutenberg la salue et ne la quitte pas des yeux, +Coster regarde les deux jeunes gens, en se frottant les mains.</small></p> + +<p class="perso">COSTER, <small>à Gutenberg</small><a name="FNanchor_A_16" id="FNanchor_A_16"></a><a href="#Footnote_A_16" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Une coutume qui nous est douce, à nous, bourgeois de +la Hollande, c'est de nous faire servir par nos femmes et +nos filles. Les mets et le vin semblent meilleurs lorsque +c'est une main chérie qui vous les présente... Verse-nous +à boire, Martha. (<small>Martha remplit les verres de vin.—Élevant +son verre.</small>) À notre belle et bonne imagerie!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>élevant son verre</small>.</p> + +<p>Oui, à l'imagerie de Harlem!...</p> + +<p class="indic"><small>Martha sert Coster et Gutenberg.—Gutenberg mange, les yeux +toujours attachés sur Martha.</small></p> + +<p class="perso">COSTER, <small>regardant Gutenberg d'un air satisfait.—À part</small>.</p> + +<p>Allons, allons, je ne me suis pas trompé... (<small>À Martha.</small>) +Martha, fais-moi passer ce curaçao. (<small>Martha va prendre le +cruchon.</small>) Il date de ta naissance. Si notre convive a dans +le cœur quelque tendre sentiment, qu'il n'ose nous dire, +eh bien! un verre de cette précieuse liqueur lui donnera +peut-être la force de l'exprimer.</p> + +<p class="indic"><small>Il verse du curaçao dans un petit verre, et le présente à Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Un tendre sentiment? Ah! oui, maître, (<small>Il regarde Martha.</small>) +bien tendre!... (<small>À Coster.</small>) Et puisque vous le permettez, +(<small>Élevant son verre</small>.) je boirai à... à... (<small>Regardant Martha.—À +part.</small>) Non, je n'oserais jamais...</p> + +<p class="indic"><small>Il remet son verre sur la table.</small></p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Eh bien!... Tu ne bois pas?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>prenant une résolution subite</small>.</p> + +<p>Si!... (<small>Il se lève, prenant son verre.</small>) À Hébèle, à ma chère, +à ma bien-aimée sœur! (<small>Il boit, mouvement de Coster.—À +Coster.</small>) Je suis orphelin, messire, et ma sœur a été la +seule tendresse de mon enfance... (<small>À Martha.</small>) Quand je +quittai Mayence, ma sœur avait votre âge, damoiselle. +Tout en vous me la rappelle, et en buvant à elle, il me +semble que c'est à vous que je bois... Voulez-vous me +permettre de prendre votre main, comme je prenais la +sienne, (<small>Il lui tend la main.</small>) et de vous dire qu'en m'apparaissant +à travers votre visage, le souvenir de ma +sœur me devient plus cher encore.</p> + +<p class="perso">COSTER, <small>à part</small>.</p> + +<p>Il l'aime, mais il n'ose pas le lui avouer... Allons, c'est +à moi de le faire parler. (<small>Il se lève. Appelant à la porte de gauche.</small>) +Friélo! Friélo!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>entrant par la gauche</small>.</p> + +<p>Que voulez-vous, maître?<a name="FNanchor_B_17" id="FNanchor_B_17"></a><a href="#Footnote_B_17" class="fnanchor">[B]</a></p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Que tu aides Martha à emporter cette table.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>enlève la chaise de gauche: Gutenberg écarte celle de droite</small>.</p> + +<p>Avec plaisir.</p> + +<p class="perso">COSTER, <small>à Martha</small>.</p> + +<p>Mon enfant, le déjeuner est fini, et Friélo t'attend, pour +desservir.</p> + +<p class="perso">MARTHA, sortant comme d'un rêve.</p> + +<p>Ah!...</p> + +<p class="indic"><small>Elle emporte la table, avec Friélo, et sort, avec lui, par la gauche.—Gutenberg +la suit des yeux.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_16" id="Footnote_A_16"></a><a href="#FNanchor_A_16"><span class="label">[A]</span></a> Coster, Gutenberg, Martha derrière la table, au fond.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_17" id="Footnote_B_17"></a><a href="#FNanchor_B_17"><span class="label">[B]</span></a> Friélo, Coster, Martha, Gutenberg.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VII</h3> + +<p class="liste">COSTER, GUTENBERG</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>L'heure que marque ce sablier (<small>Il montra du doigt le sablier.</small>) +est solennelle, Jean; car elle va décider de notre +bonheur à tous. J'ai cru comprendre que Martha ne t'est +pas indifférente!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>vivement</small>.</p> + +<p>Qui pourrait rester insensible à la grâce, à la beauté, à +la candeur, de cette nature angélique? Ce que j'éprouve +pour Martha, c'est plus que de l'amour, c'est de l'adoration<a name="FNanchor_A_18" id="FNanchor_A_18"></a><a href="#Footnote_A_18" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>As-tu révélé à Martha ce tendre sentiment?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Non, car dans ma famille, on sait obéir au devoir, et +refouler dans son cœur les désirs qu'on ne peut réaliser... +Martha est riche, je suis pauvre. Elle entre à peine dans +l'existence, et ma jeunesse s'est déjà à demi envolée. Elle +a pour père le premier imagier de la Hollande, je ne suis +moi, qu'un pauvre artiste... Voilà pourquoi j'ai gardé +jusqu'ici en mon cœur le secret de cet amour.</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Eh bien! Jean, si je venais te dire: «Tu peux aimer +ma fille...» Et si, avec la main de Martha, je te livrais le +fruit de ma pensée, c'est-à-dire le procédé qui a servi à +imprimer ces livres? (<small>Il indique de la main les livres posés sur la +bahut.</small>) Si je te disais: «Sois doublement mon enfant, et +par l'affection et par l'intelligence... Que me répondrais-tu?»</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Vous me donneriez à la fois et la main de Martha et le +secret de l'imprimerie?</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Oui, mon fils... (<small>Il lui serre la main.</small>) puisque je veux t'appeler +ainsi.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! messire, tous mes vœux sont donc comblés!</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Quand je pense que j'ai pu être jaloux de toi!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>De moi?</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Oui, lorsque tu arrivas ici, tu te présentas avec la +recommandation du prince électeur, l'archevêque de +Mayence, et comme l'auteur d'un procédé mécanique +pour imiter les manuscrits. J'eus peur, un moment, je +l'avoue, que ta découverte ne fût rivale de la mienne. +Mais cette crainte fit place à une satisfaction immense, +lorsque je vis que tu n'employais que des planches de +bois sculptées en relief!... (<small>Avec dédain.</small>) Des planches de +bois sculptées!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je sais combien ce procédé est imparfait, messire, mais, +je n'en connais pas d'autre, et je ne peux comprendre +encore le moyen merveilleux que vous avez trouvé... Et +vous me livreriez ce secret?</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Oui, le jour de ton mariage.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Comment vous prouver ma reconnaissance?</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>En faisant le bonheur de Martha.</p> + +<p class="indic"><small>Il lui prend les mains.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! venez!<a name="FNanchor_B_19" id="FNanchor_B_19"></a><a href="#Footnote_B_19" class="fnanchor">[B]</a> Allons la trouver. C'est devant vous que +je veux lui jurer un amour éternel.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_18" id="Footnote_A_18"></a><a href="#FNanchor_A_18"><span class="label">[A]</span></a> Coster, Gutenberg.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_19" id="Footnote_B_19"></a><a href="#FNanchor_B_19"><span class="label">[B]</span></a> Gutenberg, Coster.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VIII</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, FRIÉLO</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>arrêtant Gutenberg, au moment où il va sortir par la gauche, +avec Coster</small>.</p> + +<p>Maître, une dame voilée demande à vous parler.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>C'est sans doute quelque étrangère qui vient acheter +des missels... Montre-lui les plus beaux, Friélo, +et prie-la de vouloir bien m'attendre. (<small>À Coster.</small>) Venez, +messire, je ne veux pas retarder le moment de vous entendre +répéter à Martha les paroles qui assurent le bonheur +de ma vie.</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg et Coster sortant ensemble, par la gauche.</small></p> + + +<h3>SCÈNE IX</h3> + +<p class="liste">FRIÉLO, <small>puis</small> ANNETTE, <small>voilée</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>parlant à la cantonade, à Annette, qui entre par le fond</small>.</p> + +<p>Par ici, damoiselle, par ici. (<small>À Annette, qui entre et regarde +autour d'elle.—À part.</small>) Je ne connais pas cette acheteuse. (<small>Haut.</small>) +Vous n'êtes pas de Harlem, n'est-ce pas, damoiselle<a name="FNanchor_A_20" id="FNanchor_A_20"></a><a href="#Footnote_A_20" class="fnanchor">[A]</a>?...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Non, j'arrive de Mayence, et je voudrais parler à messire +Jean Gutenberg.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Messire Jean Gutenberg n'est pas là, en ce moment; +mais, si vous désirez acheter des livres d'heures, je puis +vous en montrer.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>sans l'écouter, à elle-même</small>.</p> + +<p>C'est donc ici que Gutenberg oublie ses serments et +renie sa patrie?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Est-ce un psautier fleurdelisé, qu'il vous faut? Je puis +vous faire voir des psautiers.</p> + +<p class="indic"><small>Il va prendre un psautier, et l'apporte.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>sans l'écouter, à elle-même</small>.</p> + +<p>La richesse et le bonheur l'attendent dans sa ville natale; +et il préfère rester à travailler, obscur et pauvre, au +fond d'une imagerie de la Hollande! Il y a là-dessous un +mystère!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Si vous souhaitez une Bible en gros caractères, avec +des encadrements, nous avons de fort belles Bibles!</p> + +<p class="indic"><small>Il va prendre une Bible, et l'apporte.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>sans l'écouter, à elle-même</small>.</p> + +<p>Ce mystère, je le découvrirai!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>présentant à Annette un missel</small>.</p> + +<p>Tenez, damoiselle, voilà un missel rempli d'images... +Si vous voulez le feuilleter.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>repoussant le missel</small>.</p> + +<p>Je ne suis pas venue pour acheter des missels! (<small>Friélo +remet le missel au vitrage.</small>) Je vous l'ai dit, je viens pour parler +à Jean Gutenberg. Il n'est pas là, je l'attendrai!</p> + +<p class="indic"><small>Elle s'assied à gauche, près du guéridon, et ôte son voile.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>la reconnaissant</small>.</p> + +<p>Ah! mon Dieu! c'est damoiselle Annette de la Porte-de-Fer! +Que vient-elle faire ici?... Le temps est à l'orage... +Sauve qui peut!</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par la droite.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>seule</small>.</p> + +<p>Serait-il retenu dans les griffes du diable... je saurai +l'en arracher!</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_20" id="Footnote_A_20"></a><a href="#FNanchor_A_20"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE X</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, MARTHA, <small>entrant par la gauche</small></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Il m'a dit: «Je vous aime!» Mon père a ajouté: «Tu +peux l'aimer!» Et devant tant de bonheur, je m'arrête, +étonnée et craintive... (<small>Apercevant Annette.</small>) Ah! damoiselle!...</p> + +<p class="indic"><small>Elle fait une révérence.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>se levant, et toisant Martha avec méfiance</small>.</p> + +<p>Qui es-tu, mignonne<a name="FNanchor_A_21" id="FNanchor_A_21"></a><a href="#Footnote_A_21" class="fnanchor">[A]</a>?</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>avec dignité</small>.</p> + +<p>Je m'appelle Martha, et je suis la fille de Laurent Coster, +le maître de cette imagerie... Voulez-vous une belle image, +représentant les anges du paradis, ou un almanach, avec +messire saint Jacques, prieur de l'ermitage de Compostelle?</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>brusquement</small>.</p> + +<p>Non, ce n'est pas là ce que je veux.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Eh bien, damoiselle, Jean va venir; et mieux que moi, +il trouvera dans l'imagerie, de belles miniatures qui vous +plairont.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>vivement</small>.</p> + +<p>Jean, dites-vous? Quel Jean?... Serait-ce messire Jean +Gutenberg, de Mayence?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Oui, damoiselle.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>avec véhémence</small>.</p> + +<p>Je trouve étrange que vous osiez parler avec cette familiarité +d'un homme qui n'est ni de votre pays, ni de +votre famille!</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>s'excusant</small>.</p> + +<p>Mais, damoiselle, Jean Gutenberg est le contre-maître +de cet atelier... mon père lui a accordé ma main, et je +vais l'épouser.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>L'épouser?... Toi?... (<small>Lui prenant brusquement les mains, et +l'amenant au milieu du théâtre</small>). Fille de Laurent Coster, sais-tu +qui je suis?... Je suis, depuis huit ans, la fiancée de +Jean Gutenberg. (<small>Mouvement de Martha.</small>) Et grâce à sainte +Anne, ma patronne, j'arrive ici à temps pour faire valoir +mes droits.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Vos droits? Mais Gutenberg m'a juré un amour éternel.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>C'est possible; mais à la Pâques fleuries de 1437, c'était +à moi qu'il jurait un amour éternel. Ce jour-là, il passa à +mon doigt, un anneau... «Ennel, me dit-il, voilà l'anneau +d'argent des fiançailles. Je le remplacerai bientôt par +l'anneau d'or du mariage.» Il y a huit ans de cela!... +Je viens réclamer l'anneau d'or.</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>douloureusement, s'appuyant sur le dossier de la chaise, à +gauche</small>.</p> + +<p>Mon Dieu!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Jean n'a pu te dire une seule parole d'amour qu'il ne +me l'aie déjà dite à moi-même (<small>Martha s'affaisse sur la chaise.</small>) +Il ne peut te faire un serment qu'il ne m'ait déjà fait. Et +si ses yeux se fixent tendrement sur les tiens, c'est qu'ils +ont conservé le reflet de mes yeux... J'ai été la passion +et l'orgueil de sa jeunesse... Jamais il ne t'aimera autant +qu'il m'a aimée... Pourrais-tu faire revivre en son cœur +les souvenirs d'un premier amour? Pourrais-tu lui rappeler +les danses du dimanche, dans la salle de la maison +du <small>Taureau-Noir</small>, les promenades du soir, au bord de notre +grand fleuve, et les doux refrains que nous chantions +ensemble aux veillées de l'hiver? Pourrais-tu l'aimer +comme je l'ai aimé?... comme je l'aime encore?</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>se levant</small>.</p> + +<p>J'aime assez Gutenberg pour lui faire le sacrifice de ma +vie!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Fais-lui le sacrifice de ton amour, c'est plus simple.</p> + +<p class="indic"><small>Elle passe à droite</small><a name="FNanchor_B_22" id="FNanchor_B_22"></a><a href="#Footnote_B_22" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>S'il me fallait renoncer à lui, j'en mourrais.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oui, mais Gutenberg vivrait pour la postérité!</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>anxieuse</small>.</p> + +<p>Que voulez-vous dire?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Écoute, jeune fille, celui que nous aimons toutes les +deux a reçu du ciel le don du génie... C'est son génie +qu'il faut aimer. Ton tranquille amour amollirait son +âme; tandis que moi, je saurai le conduire à la fortune, +à la gloire, à l'immortalité.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Et moi, damoiselle, je l'aurais conduit au bonheur.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ah! sache-le bien, toute lutte contre moi est impossible... +J'aime Gutenberg sous la foi des serments; je l'aime +de toute la force de mon droit, et rien, entends-tu, rien +ne pourra m'empêcher de l'épouser.</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>s'incline et se dirige vers la porte de gauche</small>.</p> + +<p>C'est bien, damoiselle, Gutenberg décidera entre nous +deux. (<small>Pleurant.</small>) Ah! mon Jean adoré!</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>seule, elle hausse les épaules</small>.</p> + +<p>Elle prétend aimer Gutenberg, et elle n'a rien dit de +ses travaux, de son art, de son génie!... Elle prétend l'aimer, +et elle courbe la tête, elle pleure, elle s'enfuit!... +Ce n'est qu'une enfant.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_21" id="Footnote_A_21"></a><a href="#FNanchor_A_21"><span class="label">[A]</span></a> Martha, Annette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_22" id="Footnote_B_22"></a><a href="#FNanchor_B_22"><span class="label">[B]</span></a> Martha, Annette.</p></div> + + +<h3>SCÈNE XI</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, GUTENBERG, <small>il entre par la gauche, deuxième plan</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG<a name="FNanchor_A_23" id="FNanchor_A_23"></a><a href="#Footnote_A_23" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Friélo m'a dit qu'une étrangère me demandait.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>à part</small>.</p> + +<p>Lui!... (<small>Se retournant. Haut.</small>) L'étrangère, c'est moi!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>stupéfait</small>.</p> + +<p>Annette!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Vous ne m'attendiez pas?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Non, je l'avoue... Et quel motif vous amène?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Vous le demandez?... (<small>Tendrement et presque bas, se rapprochant +de Gutenberg.</small>) Tu le demandes?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>embarrassé</small>.</p> + +<p>Vous ne m'avez jamais écrit, Annette; et, ne recevant +de vous aucune nouvelle, j'ai cru que vous m'aviez rendu +ma liberté.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Mais vous-même, vous ne m'avez jamais écrit, et je ne +vous ai pas fait l'injure de douter de votre fidélité.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>avec désespoir</small>.</p> + +<p>Ah! si j'avais reçu une seule lettre de vous!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je n'avais pas promis d'écrire, j'avais promis d'agir, +j'ai agi... «Ma vie appartient à l'art que j'ai créé,» m'as-tu +dit, en quittant Mayence. Eh bien! si je suis venue +à Harlem, c'est pour te soustraire à un labeur ingrat et +subalterne; c'est pour te rendre à ton art.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je ne vous comprends pas.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je vais m'expliquer... Vous savez que ma famille occupe +un rang élevé à Strasbourg. Là, grâce à l'influence de +l'échevin, mon oncle, j'ai décidé trois de nos amis, Jean +Riff, André Dritzen, et André Heilmann, à s'associer avec +toi, pour créer l'art nouveau de l'imprimerie. (<small>Mouvement +de Gutenberg.</small>) Il y a près de Strasbourg, à la montagne +verte, un vieux couvent abandonné. Ses murs silencieux +se cachent sous un épais manteau de mousse. Les oiseaux +font, sans bruit, leurs nids, sous ses ombrages, et tout +autour, un ruisseau glisse doucement à travers la prairie. +Le couvent de Saint-Arbogast est le refuge tranquille que +j'ai choisi pour te servir d'atelier. C'est là que tu pourras, +en toute sécurité, te livrer, avec tes trois amis, au perfectionnement +de ton art. (<small>Mouvement de Gutenberg.</small>) Tes +premiers essais à Mayence ont fait naître des défiances, +des menaces! Il faut donc, pour assurer le succès de ton +œuvre, travailler dans l'ombre. Tes futurs associés y +sont bien décidés. Vous serez censés former une société +pour exploiter quelque industrie. Riff étant marchand +de papiers, Dritzen fabricant de miroirs, et toi, orfèvre, +la chose sera toute simple. Cent soixante florins vous seront +comptés le jour de ton arrivée à Strasbourg, afin que +tu puisses te mettre à l'œuvre sans retard... Et maintenant +hésiteras-tu à me suivre? Quel est ici ton avenir? +Qu'as-tu appris? qu'as-tu recueilli, depuis cinq ans, +que tu vis en Hollande, sous les ordres d'un vieil imagier?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Dites-moi, Annette, avant de récolter, n'est-il pas d'usage +d'ensemencer? et ne doit-on pas préparer le terrain +avant les semailles?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>D'accord.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh! bien, le moment de la moisson est arrivé pour +moi. (<small>Il prend les livres sur le bahut, et les lui montre.</small>) Voyez ces +livres, imprimés par Laurent Coster. Ne laissent-ils pas +bien loin mes pauvres feuillets de Mayence? Ne trouvez-vous +pas leurs caractères nets, précis, admirables? Eh! +bien, ce matin même, maître Coster m'a promis de me +révéler le secret de son art. Ce secret, Annette, vaut +mieux que l'or de mes amis de Strasbourg. Remerciez-les +donc pour moi, et dites-leur que je reste à Harlem, à Harlem, +le berceau de l'imprimerie.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>froidement</small>.</p> + +<p>Vous oubliez de me dire une chose, Jean, c'est qu'en +vous promettant son secret, Coster vous promet aussi +la main de sa fille. (<small>Se dressant devant Gutenberg.</small>) Et moi, je +ne compte donc pour rien?... Vous avez cru pouvoir me +jurer un amour éternel, puis m'abandonner, me renier, +et donner votre nom à une étrangère? Heureusement, la +tendre et timide Ennel est devenue une femme énergique +et résolue? Reconnaissez-vous cette promesse de mariage. +(<small>Elle lui montre un parchemin, qu'elle retire de son corsage.</small>) Ignorez-vous +que cet écrit me donne le droit de vous poursuivre +en tous lieux, et de vous imposer ma main? Voulez-vous +que j'aille trouver les juges, et préféreriez-vous +le scandale d'un procès à l'association honorable que je +viens vous proposer?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se laissant tomber sur une chaise, près du guéridon, +et posant sa tête sur sa main</small>.</p> + +<p>Ah! doux mirage d'un bonheur paisible, qu'êtes-vous +devenu? Vers quels horizons lointains vous êtes-vous à +jamais envolé?</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>posant la main sur son épaule</small>.</p> + +<p>Tu crois aimer la fille de Laurent Coster, tu te trompes. +Un jour viendra où tu comprendras que Martha n'est +qu'une de ces poupées charmantes dont l'unique rôle est +d'embellir le logis... Crois-moi, ce n'est pas un de ces timides +anges du foyer qu'il te faut pour compagne: c'est +une femme énergique et fière, qui puisse s'associer à tes +pensées, encourager tes travaux, te soutenir dans tes +luttes, applaudir à tes succès...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se levant</small>.</p> + +<p>Quitter Martha, me serait impossible. Annette, je vous +en supplie, n'exigez pas de moi ce sacrifice.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>amèrement</small>.</p> + +<p>Vous m'aimiez bien aussi, à la Pâques fleuries de 1437! +Je veux apprendre à Martha la durée de vos serments. Je +veux lui montrer la promesse de mariage écrite, il y a +huit ans, par la main que vous lui offrez aujourd'hui.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! Annette! par pitié! pas un mot à Martha! Son âme +est frêle et délicate. Qu'elle ignore les chaînes qui m'attachent +à vous.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je garderai le silence, mais à une condition. Adressez +vos adieux à Martha, écrivez-lui et partons. (<small>Elle donne une +plume à Gutenberg, qui s'assied près du guéridon. Annette penchée +sur son épaule, le regarde d'un air inspiré.</small>) Sache-le, Jean, ce +n'est pas un sentiment égoïste, ce n'est pas une jalousie +mesquine, ce n'est pas un calcul personnel, indigne de +mon cœur, qui m'ont conduit vers toi. La passion qui +m'anime est plus sainte et plus ardente que l'amour même. +Ce qui me fait abaisser mon orgueil à les pieds, c'est +ma foi, c'est mon enthousiasme, pour ton art et pour ton +génie. (<small>Elle se penche vers lui et, peu à peu, se met à genoux à sa +droite.</small>) Reviens dans notre vieille Allemagne. Qu'as-tu besoin +du secret de Coster? Ne sauras-tu pas trouver toi-même +ce qu'il a découvert? Voudrais-tu que l'art de l'imprimerie, +déjà conçu dans ton esprit, aux jours de ta jeunesse, eût +deux pères, au lieu d'un, et partager avec un autre l'honneur +d'une aussi noble invention? (<small>Elle se relève.</small>) Vois-tu, +Jean, la meilleure partie de l'âme d'un artiste passe dans +son œuvre. Travaille, et cherche toi-même à pénétrer un +secret dont la découverte rendra ton nom immortel!</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg qui a relevé peu à peu la tête, écoute attentivement +et se lève.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG<a name="FNanchor_B_24" id="FNanchor_B_24"></a><a href="#Footnote_B_24" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p>Ta voix me rend à l'honneur; elle me rappelle dans ma +patrie. Le cœur de l'artiste est tissu de cordes sensibles, +que le moindre choc fait vibrer: elles dormaient en moi, +tu les as réveillées!... Annette, je consens à te suivre!</p> + +<p class="indic"><small>Il écrit.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Merci pour toi-même, Jean! Ce que tu traces en ce moment +c'est le premier sillon de ta gloire. (<small>À part.</small>) Je savais +bien que je te ramènerais.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>lui montrant la lettre</small>.</p> + +<p>On remettra à Martha cette lettre, après mon départ.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>prenant vivement la lettre</small>.</p> + +<p>Je me charge de la faire parvenir... Et maintenant je +vais tout disposer pour notre départ.</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par la gauche.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>seul</small>.</p> + +<p>Et en perdant Martha, je perds aussi le secret de l'imprimerie. +Tout m'accable à la fois!</p> + +<p class="indic"><small>Il s'assied à droite, accablé.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_23" id="Footnote_A_23"></a><a href="#FNanchor_A_23"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Annette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_24" id="Footnote_B_24"></a><a href="#FNanchor_B_24"><span class="label">[B]</span></a> Gutenberg, Annette.</p></div> + + +<h3>SCÈNE XII</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, COSTER, <small>entrant par le fond</small></p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Non!... en même temps qu'il t'avait promis la main +de sa fille, le vieil imagier t'avait promis le secret de +son art. Il tiendra sa parole... Tu ne peux plus épouser +Martha, ma fille vient de me le déclarer en pleurant; +mais tu restes toujours mon élève bien-aimé... Je veux +que dans l'avenir, les noms de Coster et de Gutenberg +soient unis, comme le furent leurs cœurs... Je suis vieux, +la mort me menace: c'est à toi que je laisse le soin de +continuer et de faire vivre éternellement mon œuvre. (<small>Il +lui remet un rouleau de parchemin.</small>) Tiens! voilà le secret de +Coster, voilà le secret de l'imprimerie! Tu trouveras dans +cet écrit, l'explication complète de cet art, qui se résume +dans les caractères mobiles, que j'ai le premier inventés +et appliqués à composer des livres. Mais mon invention +a besoin de grands progrès. Je m'en rapporte, pour la développer +et la perfectionner, à ton naissant génie.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Merci, Laurent Coster! Je partirai puisqu'il le faut, +mais mon âme restera ici! Ah! nous étions tous si heureux +ce matin!</p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Le bonheur, mon fils, n'est pas fait pour nous, inventeurs +et savants! Le ciel ne t'a pas envoyé sur la terre +pour goûter les charmes de l'existence. Il t'a envoyé pour +consacrer les forces de ton corps à un travail opiniâtre, +et pour livrer ton âme à toutes les souffrances... À ceux +qui cherchent, à ceux qui pensent, à ceux qui créent, reviennent +les difficultés, les tortures, les amertumes de la +vie. À eux la jalousie des grands, la haine des petits, le +mépris des ignorants. Mais à eux aussi le rayon divin +qui réchauffe, élève et fortifie les âmes. À eux les nuits +sans ténèbres, illuminées par le travail et l'espérance. À +eux les illusions suprêmes, qui donnent à l'esprit une +jeunesse éternelle. À eux les joies de l'artiste, les extases +du poète et le sourire des anges!... Pars, Gutenberg! Pendant +que je m'endormirai de l'éternel sommeil, tu traceras +le sillon glorieux dans lequel l'humanité doit marcher +aux siècles à venir!...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Merci, Laurent Coster. Je jure d'achever votre œuvre, +et de répandre par toute la terre le trésor que vous léguez, +par mes mains, à la postérité!</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par le fond.</small></p> + + +<h3>SCÈNE XIII</h3> + +<p class="liste">COSTER, MARTHA, <small>entrant par la gauche</small></p> + +<p class="perso">COSTER.</p> + +<p>Te voilà toute triste, ma chère enfant!<a name="FNanchor_A_25" id="FNanchor_A_25"></a><a href="#Footnote_A_25" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Oui, ces préparatifs de départ, que je viens de voir, +l'air embarrassé de Friélo, et cette lettre qu'il m'a remise, +en s'empressant de me quitter aussitôt, tout cela +m'émeut et m'inquiète... Qui peut m'écrire?... L'écriture +de Gutenberg!... Ah! ma main tremble, et je puis à peine +lire... (<small>Lisant.</small>) «Chère Martha... c'est le cœur déchiré que +je vous adresse ces lignes; mais un serment m'oblige à +retourner immédiatement à Mayence! Adieu donc, et +pour toujours! Dieu fasse que je survive à ma douleur!...» +(Elle laisse tomber la lettre.) Ah! mon père! (<small>Ou +entend un bruit de grelots.</small>) Il est parti!... Je ne le reverrai +plus!...</p> + +<p class="indic"><small>Elle se jette dans ses bras.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_25" id="Footnote_A_25"></a><a href="#FNanchor_A_25"><span class="label">[A]</span></a> Martha, Coster.</p></div> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2>ACTE TROISIÈME</h2> + +<h2><a name="TROISIEgraveME_TABLEAU" id="TROISIEgraveME_TABLEAU"></a>TROISIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">LE COUVENT DE SAINT-ARBOGAST, À STRASBOURG.</p> + +<p class="tableau"><small>Une salle voûtée du +couvent de Saint-Arbogast.—Au fond, une porte.—À gauche, +un bureau couvert de papiers et d'épreuves d'imprimerie.—À +droite, au fond, en pan coupé, une fenêtre, et près de la fenêtre, +une presse d'imprimerie.—Au premier plan, à droite, une casse.—Portes +latérales.—Une cloche près de la porte du fond, avec sa +corde.</small></p> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">ANDRÉ DRITZEN, GUTENBERG, FRIÉLO, <span class="smcap">Ouvriers +imprimeurs</span></p> + +<p class="indic"><small>Au lever du rideau, trois ouvriers tirent des feuilles à la presse, deux +autres sont debout, devant la casse d'imprimerie, à droite, et composent. +Deux autres, à gauche, au fond, près de la porte latérale, +serrent des formes, à coups de marteau.—Gutenberg est assis devant +le bureau et Dritzen se tient debout, devant le même bureau. +Friélo est près de la presse.</small></p> + +<p class="indic"><small>Un ouvrier arrivant de droite, premier plan, porte une épreuve à +Friélo, qui la remet à Dritzen</small><a name="FNanchor_A_26" id="FNanchor_A_26"></a><a href="#Footnote_A_26" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Maître, voici les épreuves de la composition d'hier.</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>C'est bien! (<small>Il la parcourt des yeux.</small>) Descendez-les à Riff, +pour la correction.</p> + +<p class="indic"><small>L'ouvrier sort par la gauche, deuxième plan, avec les épreuves.—Un +deuxième ouvrier, qui était occupé au fond, à droite, à +tirer des épreuves à la presse, remet une feuille à Friélo, qui la +porte à Dritzen.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Maître, l'encre du tampon ne prend plus sur le papier.</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Prenez le pot de l'encre de Leipzig tenue en réserve. +Allez et dépêchez-vous.</p> + +<p class="indic"><small>Le deuxième ouvrier sort par la gauche, deuxième plan.—Un +troisième ouvrier, arrivant par le fond, remet à Friélo un papier, +que Friélo donne à Dritzen.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Maître, il est impossible de serrer les formes: les cadres +sont trop larges.</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Ne pouvez-vous pas réduire votre cadre?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>On n'a pas les outils nécessaires.</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Nous allons voir cela.</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par le fond, avec le troisième ouvrier.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>quittant la presse au fond à droite.—À Gutenberg.</small></p> + +<p>On a tiré deux cents feuilles; faut-il continuer?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Non, c'est assez!</p> + +<p class="indic"><small>Friélo revient à la presse.</small></p> + +<p class="perso">DRITZEN, <small>rentrant par la fond.—À Gutenberg.</small></p> + +<p>Mon cher Jean, voici un contre-temps: un de nos ouvriers +veut absolument partir.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>toujours assis à la table, à gauche</small>.</p> + +<p>Quel est cet ouvrier?</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Pierre Scheffer.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ce jeune calligraphe qui nous est venu de Mayence?</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Oui; et il va bien nous manquer, car il n'a pas son égal +pour le dessin des lettres gothiques et ornées qui servent +de modèles à nos graveurs de caractères.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Sans compter qu'il y a un véritable danger pour nous +à le laisser sortir. Le lui as-tu bien fait comprendre? Lui +as-tu rappelé le serment qu'il a fait en entrant ici?</p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Je lui ai dit tout ce qui pouvait l'empêcher de partir; +mais rien n'a pu changer sa résolution!... Du reste, il est +là... Je lui ai fait dire que nous l'attendions ici. Tu pourras +lui parler à ton tour.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh bien! fais-le venir.</p> + +<p class="perso">DRITZEN, <small>parlant à la cantonade</small>.</p> + +<p>Entre, Pierre Scheffer.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_26" id="Footnote_A_26"></a><a href="#FNanchor_A_26"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Dritzen, ouvriers, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG. ANDRÉ DRITZEN, FRIÉLO, <span class="smcap">Ouvriers</span>, +PIERRE SCHEFFER, <small>entrant par le fond</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>il se lève<a name="FNanchor_A_27" id="FNanchor_A_27"></a><a href="#Footnote_A_27" class="fnanchor">[A]</a></small>.</p> + +<p>C'est donc toi, Pierre Scheffer, qui veux nous quitter +et abandonner tes camarades, au moment où notre œuvre +touche à sa fin?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Pardonnez-moi, maître, mais il m'est impossible de +rester plus longtemps ici.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Comment ne peux-tu supporter le régime auquel se +soumettent tous les autres ouvriers? N'as-tu pas juré, en +entrant ici, de n'en pas sortir avant que nous t'ayons +rendu la liberté? Ne trouves-tu pas dans les salles, les +cours, les jardins de ce vaste couvent, les moyens de +repos et de distraction, quand ils te sont nécessaires. Es-tu +mécontent du salaire convenu? Je peux l'augmenter, +si tu le désires; mais, je t'en conjure, ne donne pas +l'exemple de la désertion. Tu sais que les accusations de +sorcellerie qui ont accueilli nos premiers essais à Mayence, +nous poursuivent à Strasbourg, et que nous sommes +forcés de dérober aux yeux du monde notre travail et +notre entreprise, jusqu'au moment, peu éloigné du reste, +où nous pourrons montrer nos livres imprimés, les répandre, +et repousser ainsi, par la simple vue de nos productions, +des soupçons ridicules et odieux. C'est pour +cela que tous nos ouvriers ont consenti à s'enfermer avec +nous, dans ce couvent abandonné. C'est pour cela qu'ils +n'en sortent, ni jour ni nuit, et qu'ils ne rentreront à +Strasbourg qu'au jour de l'achèvement de notre œuvre. +Voudrais-tu donc, ami Scheffer, (<small>Il lui met la main sur l'épaule.</small>) +donner seul le triste exemple de la défection<a name="FNanchor_B_28" id="FNanchor_B_28"></a><a href="#Footnote_B_28" class="fnanchor">[B]</a>?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Vos paroles me remuent le cœur, maître!... Mais je suis +forcé d'insister, pour vous demander ma liberté. Un avis +m'est parvenu, m'annonçant que ma mère est au lit de +mort, et qu'elle demande à me voir et à m'embrasser à +ses derniers instants. Voilà pourquoi je viens vous supplier +de me laisser partir.</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg et Dritzen se consultant à voix basse.</small></p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Eh bien! puisque c'est le vœu d'une mourante qui +t'appelle, tu partiras. Mais avant de nous quitter, tu vas +jurer sur l'évangile (<small>Dritzen va prendre l'évangile, et le tient +ouvert sur ses deux mains.</small>) que tu ne révéleras à personne +ce que tes yeux ont vu dans ce couvent, ce que tes mains +ont fait dans cet atelier.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>étendant la main sur la Bible</small>.</p> + +<p>Sur l'Évangile ouvert, devant Dieu qui m'entend, je +vous jure, Jean Gutenberg, je vous jure André Dritzen, +de ne révéler à qui que ce soit au monde, ce que mes +yeux ont vu dans ce couvent, ce que mes mains ont fait +dans cet atelier.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>C'est bien, Scheffer, tu peux partir, (<small>Scheffer s'incline et +sort par le fond. Dritzen remet l'évangile sur le bureau.—Un ouvrier +vient sonner la cloche.</small>) Voilà la cloche qui appelle les ouvriers +au repas du soir. Allez, mes enfants, allez au réfectoire. +(<small>Les ouvriers sortent par le fond gauche. Dritzen les suit. À Friélo, +qui est resté à droite, premier plan, occupé à travailler devant la casse.</small>) +Eh! bien, Friélo, tu ne suis pas tes camarades? Tu ne +veux pas prendre ta part du souper en commun?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Je n'ai pas faim, maître Jean; je n'ai jamais faim, depuis +que je suis enfermé dans ce sombre couvent, sans +pouvoir en franchir le seuil. Je pense que la jolie Rosette +se désole, que la jeune Gretschen m'accuse d'inconstance +et que la belle madame Marsh déssèche sur pied... Et +tout cela m'ôte l'appétit... J'aime mieux rester à travailler, +puisqu'il n'y a pas d'autre manière de s'amuser +ici.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>va à son bureau</small>. <small>Friélo le suit.</small></p> + +<p>Eh! bien, (<small>Il lui donne une forme de caractères.</small>) voici des +lignes à distribuer!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>prenant la forme, et allant à la casse, à droite</small>.</p> + +<p>Allons, autant cela qu'autre chose! Je vais distribuer, +comme vous dites. (<small>Distribuant les lettres dans la casse.</small>) A (<small>Il +jette la lettre dans la casse.</small>) O (<small>Il jette la lettre dans la casse.</small>) R. +S. T... Comme c'est amusant!... (<small>Prenant une lettre.</small>) Le +voilà donc, ce fameux secret, que maître Laurent Coster +vous a si noblement révélé, malgré l'affront que vous lui +aviez fait de refuser la main de sa fille!... Des lettres mobiles, +en métal, et ornées d'une queue aussi longue que +celle d'une poêle, voilà le secret de l'imprimerie.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Oui, monsieur Friélo, des lettres mobiles en métal, et +posées à l'extrémité d'une queue... comme vous le dites, +voilà le secret de l'imprimerie; et ce secret est plus précieux +que tous les joyaux de la couronne d'Allemagne.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>distribuant toujours les lettres</small>.</p> + +<p>J'ignore ce qu'elles vous rapporteront un jour, mais +jusqu'ici, depuis votre association avec vos trois amis, +elles ne vous ont causé que beaucoup de dépenses, et +votre réclusion dans ce couvent, où vous tremblez sans +cesse que l'on vienne vous surprendre, pour vous accuser +d'un travail diabolique, d'une œuvre de sorcellerie, +que menacent les foudres de la sainte église romaine... +Qu'est devenu le temps où, libres et joyeux, nous n'avions +d'autre souci que de ciseler, en chantant, de riches +bijoux, pour les belles filles de Mayence?... Aujourd'hui, +nous passons ici nos journées, vous à tailler et à fondre +des moules de lettres, vos ouvriers à en composer des +lignes, et moi à les distribuer dans ces casses... Ah! c'était +bien la peine de travailler nuit et jour, de suer sang +et eau, de vous mettre enfin la cervelle à l'envers, pour +venir vous cacher derrière les murs de ce triste couvent.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Un peu de patience, Friélo, et tu verras l'invention de +l'imprimerie faire ma fortune et ma gloire.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>A-t-elle fait la fortune de Laurent Coster?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Non, car les caractères qu'employait Laurent Coster +étaient en fonte, c'est-à-dire cassants. Ils déchiraient le +papier et s'écrasaient sous la presse; tandis que ceux-ci, +(<small>Il prend des caractères et vient en scène.</small>) composés d'un alliage +de plomb et d'antimoine, ont le degré convenable +de dureté et de souplesse... L'avenir de l'imprimerie est +tout entier dans cet alliage, Friélo! Seulement, mon invention +ressemble à une dérision de la fortune, puisque +je suis forcé de la dérober à tous les yeux, jusqu'au moment +où je pourrai montrer publiquement nos livres imprimés... +Ce qui me rend triste et rêveur, ami Friélo, ce +n'est pas la crainte d'être surpris dans mon mystérieux +travail, c'est le souvenir de mon amour perdu!...</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Cependant, puisque vous avez épousé damoiselle Annette, +il me semble que vous devriez oublier la fille de +l'imagier de Harlem... Vous me direz peut-être que, moi +aussi, je pense à la jolie Rosette, à la jeune Gretschen, +et même à la sensible madame Marsh: c'est possible, +mais je n'ai épousé aucune des trois.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! Friélo, jamais je n'oublierai ma douce Martha.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Mais voilà mon travail terminé; je puis aller rejoindre +mes camarades au réfectoire. Ils vont se lever de table; je +ne trouverai que des croûtes et des noisettes.</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par la gauche.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_27" id="Footnote_A_27"></a><a href="#FNanchor_A_27"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Scheffer, Dritzen.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_28" id="Footnote_B_28"></a><a href="#FNanchor_B_28"><span class="label">[B]</span></a> Dritzen, Gutenberg, Scheffer.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>seul. Il s'approche de la croisée de droite</small>.</p> + +<p>Oui, là-bas, bien loin, sous le sombre ciel de la Hollande, +au fond d'un triste atelier, languit, comme une +pauvre fleur privée de soleil, la tendre enfant dont le +souvenir rayonne en mon esprit, comme une vision céleste. +Mon amour pour celle que je ne dois plus revoir, +et mon indifférence pour celle qui s'est attachée à ma +destinée, feront-ils donc toujours le tourment de ma vie?</p> + +<p class="indic"><small>Il reste la tête appuyée sur la main.—La nuit arrive.</small></p> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, <small>puis</small> MARTHA</p> + +<p class="indic">MARTHA, <small>en longue robe blanche de laine</small>. <small>Elle entre par le +fond; elle s'avance lentement, et s'arrête au milieu du théâtre, +éclairée par les rayons de la lune qui viennent de la croisée +ouverte.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>regardant Martha avec surprise, et se levant. +Avec émotion.</small></p> + +<p>Si c'est une vision, prolongez-la, Seigneur! Ne la faites +pas disparaître avant que je lui aie dit mes souffrances, +et qu'elle m'ait accordé son pardon.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Ce n'est pas un rêve, c'est bien moi, c'est Martha<a name="FNanchor_A_29" id="FNanchor_A_29"></a><a href="#Footnote_A_29" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mais comment se fait-il?...</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>N'ayant pu vous appartenir, j'ai voulu appartenir à +Dieu!... Il y a un an, je perdis mon père.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh! quoi! Laurent Coster, mon maître?...</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>tristement</small>.</p> + +<p>J'ai reçu son dernier soupir... Et rien ne me retenant +à Harlem, sachant que vous avez épousé Annette de la-Porte-de-Fer, +j'entrai au couvent de Sainte-Claire de +Mayence...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Religieuse!... (<small>À part.</small>) Ah! elle est perdue pour moi.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Je n'ai pas encore prononcé mes vœux, je suis simple +novice, et notre sainte abbesse m'envoie souvent de +Mayence à Strasbourg, secourir des malheureux. Je vois +quelquefois à Mayence, votre sœur Hébèle, et nous parlons +de vous. Elle m'a dit qu'un avenir brillant de fortune +et de gloire vous attend ici; elle ne m'a rien dit de +votre bonheur.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Depuis que je vous ai quittée, Martha, j'ai renoncé à +l'espoir d'être jamais heureux. Qu'avez-vous pensé de +mon brusque départ? (<small>Tristement.</small>) Vous m'avez accusé +d'ingratitude, de trahison.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Vous accuser! Pourquoi? Les serments qui vous liaient +à Annette, n'étaient-ils pas antérieurs à votre séjour en +Hollande? Croyez-le bien, Jean, après votre départ, +votre image me souriait encore; je lui parlais, elle était +devenue ma confidente et ma compagne.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! chère Martha!... que votre voix est douce! Parlez, +parlez encore.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Nous avions fait ensemble un doux rêve, oublions-le.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Est-ce bien toi, Martha, qui m'ordonnes de t'oublier. +T'oublier? Est-ce possible?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Ne me faites pas regretter d'avoir eu confiance en votre +loyauté. Écoutez-moi, Jean, je ne suis pas venue pour +vous rappeler l'amour de nos jeunes années; car nos cœurs +ne nous appartiennent plus... Le vôtre est à Annette, le +mien est à Dieu... Mais je viens vous dire de ne pas vous +abandonner à la tristesse, au désespoir. Annette est une +femme à l'âme forte et résolue. Elle vous guidera, vous +soutiendra dans les difficultés et les périls de votre carrière. +Je ne suis, moi, qu'une humble servante de Dieu; +mais mon cœur ne se détachera jamais de celui qui fut +l'amour de ma jeunesse. Je veillerai sur vous, je prierai +Dieu pour qu'il écarte de votre chemin les embûches et +les trahisons. Je serai l'ange gardien de votre vie. Je +vous éclairerai de mes conseils... Et je viens commencer +dès aujourd'hui... Apprenez qu'une conspiration secrète +vous menace. Fust, l'argentier de Mayence, dont vous +avez, peut-être à tort, dédaigné les offres, est animé contre +vous d'une violente haine, et il travaille sourdement à votre +perte. Il a juré de s'emparer, par ruse ou par violence, du +secret que vous avez refusé de lui communiquer, et tous +les moyens lui seront bons pour vous attaquer, car il est +méchant et impitoyable. Il fait circuler dans Strasbourg, +des bruits calomnieux contre l'œuvre que vous poursuivez +à l'ombre de ce cloître. Il prétend qu'il se trame sous ses +arceaux, une œuvre de magie; et déjà, dit-on, le tribunal +criminel de Strasbourg est entré en campagne... C'est +pour cela que je suis venue vous dire: «Veillez, car +vos ennemis s'agitent et vous menacent.»</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Merci, chère Martha, merci de votre bon avis.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Et maintenant il faut nous séparer. Persévérez dans +l'entreprise glorieuse qui sera l'honneur de votre vie. +Mon père vous a légué le secret de l'imprimerie. Marchez +sur ses traces, imitez-le. À votre tour, travaillez, cherchez, +inventez... trouvez!... Adieu, Jean Gutenberg.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>De grâce, un moment encore!</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Le destin nous sépare ici-bas. Acceptons ses décrets. +Les joies sont pour là-haut.</p> + +<p class="indic"><small>Elle montre le ciel, puis elle se dirige vers la porte et sort +par le fond.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Martha! Martha!</p> + +<p class="indic"><small>Il s'assied, accablé, à gauche, près de la porte du fond.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_29" id="Footnote_A_29"></a><a href="#FNanchor_A_29"><span class="label">[A]</span></a> Martha, Gutenberg.</p></div> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, <small>assis près de la porte du fond</small>, ZUM, +LE PETIT ZUM. <small>Il fait nuit.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>entrant par la fenêtre, à droite</small>.</p> + +<p>M'y voilà! À toi, petit frère.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>tiré par la main par Zum</small>.</p> + +<p>Et m'y voilà aussi! Merci, grand frère! Il s'agit d'abord +de se reconnaître, car il fait ici, noir comme dans un +four.</p> + +<p class="indic"><small>Il se heurte à un escabeau.</small></p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Tu as ta lanterne?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>il tire une lanterne allumée de dessous son manteau</small>.</p> + +<p>Voilà! (<small>Le jour revient.</small>) Tous les ouvriers sont au dortoir; +nous pouvons nous cacher derrière quelque meuble, en +attendant l'arrivée de nos compagnons.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Ah! commençons par le commencement.</p> + +<p class="indic"><small>Il monte sur un escabeau et coupe, avec son poignard, la corde de +la cloche.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>qui s'est levé, au bruit fait par Zum, en coupant la +corde<a name="FNanchor_A_30" id="FNanchor_A_30"></a><a href="#Footnote_A_30" class="fnanchor">[A]</a></small>.</p> + +<p>Qui va là? Quels sont ces hommes qui pénètrent ainsi +par les fenêtres, quand tout dort dans le couvent?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Gutenberg!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tu ne t'attendais pas à me trouver là?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Non! mais qu'importe!... Tu nous demandes qui nous +sommes? Tu ne nous as donc pas reconnus?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je ne connais pas les voleurs de nuit.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>As-tu donc oublié l'émeute populaire de Mayence, du +mois de juillet 1440, et les hommes qui criaient contre toi +haine et vengeance!</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Nous étions parmi ces hommes, moi et mon petit +frère... que je te présente. (<small>Le petit Zum salue.</small>) Nous étions +alors copistes à l'archevêché. Mais ta diable d'invention +d'écriture mécanique nous a fait perdre notre métier; +car sur le seul bruit de ton art prétendu, la moitié des +copistes de Mayence a été renvoyée des couvents... Alors, +nous nous sommes faits soldats. Nous sommes entrés, +comme volontaires, dans les troupes du comte Adolphe +de Nassau.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>L'ennemi de votre ville? le compétiteur de notre archevêque, +Diether d'Yssembourg! Voilà du patriotisme!... +Il est vrai que soldats volontaires, cela veut dire reîtres, +bandits et pillards.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Peut-être; mais le métier de soldat a fini par nous ennuyer; +et nous avons envoyé au diable la souquenille +du reître.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Nous n'avons gardé que notre épée.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Pour l'offrir à qui veut la payer?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Tu l'as dit<a name="FNanchor_B_31" id="FNanchor_B_31"></a><a href="#Footnote_B_31" class="fnanchor">[B]</a>. Et sais-tu qui a accepté nos services?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Vos services de spadassins et d'espions?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Comme tu voudras... c'est une personne de ta connaissance, +mais non pas de tes amis... l'argentier Fust.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Oui, je sais qu'il trame dans l'ombre quelque perfidie +contre moi.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Et nous sommes ici pour le seconder.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mais, au fait, comment êtes-vous entrés? La porte est +aussi solide que celle d'un château fort. Elle a herse, fossé +et pont-levis, et de plus, deux guichets, auxquels se tiennent, +jour et nuit, deux de nos hommes, demandant à +ceux qui entrent ou qui sortent le mot d'ordre et la consigne. +Je ne puis donc comprendre...</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Dis-moi, Gutenberg, quand on enferme des oiseaux, +est-il prudent d'ouvrir la porte de la cage?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Que veux-tu dire?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Que ce matin, tu as ouvert la porte de ta cage, et +qu'un de tes prisonniers s'est envolé. Or, l'oiseau est bavard; +il a jasé.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Il a dit à notre maître, Fust, tout ce que notre maître +voulait savoir: le mot d'ordre et la consigne, la manière +de faire abattre herse et pont-levis, l'heure favorable +pour pénétrer en ce mystérieux manoir, enfin le chemin +à suivre pour arriver au pied de cette fenêtre.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ce matin, dites-vous? Mais ce matin, Pierre Scheffer +seul a quitté le couvent, et Pierre Scheffer n'est ni un traître, +ni un parjure. Il a juré devant moi, sur l'Évangile ouvert, +de se taire sur tout ce qu'il a vu ici.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Pierre Scheffer ne s'inquiète guère de l'Évangile.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Il est juif.</p> + +<p class="indic"><small>Ils rient.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah ça! mes drôles, est-ce que vous êtes fous, et moi +aussi? Vous entrez chez moi par la fenêtre, au milieu de +la nuit; vous me racontez tranquillement vos projets, et +comment vous êtes attachés à l'entreprise de ruse et de +brigandage qui me menace; et vous n'avez pas l'air de +vous douter qu'à quelques pas d'ici, il a y trente ouvriers +à ma solde, et que je n'ai qu'à sonner cette cloche, pour +les faire accourir?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Nous le savons; essaie d'appeler.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>il va à la corde de la cloche, qu'il trouve coupée</small>.</p> + +<p>Les misérables! Ils ont coupé la corde de la cloche. +(<small>Allant vers la porte de gauche.</small>) N'importe, je vais chercher +mon monde.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>tirant son poignard, et se plaçant devant la porte</small>.</p> + +<p>Si tu fais un pas, tu es mort! (<small>Au petit Zum.</small>) Et toi, +petit frère, donne le signal à nos compagnons.</p> + +<p class="indic"><small>Le petit Zum détache la ceinture qu'il porte autour du corps, +monte sur l'appui de la fenêtre de droite, et agite la ceinture.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Voilà, grand, frère!</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>tenant toujours le poignard devant la poitrine de Gutenberg</small>.</p> + +<p>Et maintenant, va ouvrir cette porte à nos amis. Inutile, +n'est-ce pas, d'enfoncer du dehors une porte, quand +on peut l'ouvrir du dedans...</p> + +<p class="indic"><small>Le petit Zum sort par la porte du fond, et rentre avec tout le monde.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_30" id="Footnote_A_30"></a><a href="#FNanchor_A_30"><span class="label">[A]</span></a> Zum, Gutenberg, le petit Zum.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_31" id="Footnote_B_31"></a><a href="#FNanchor_B_31"><span class="label">[B]</span></a> Gutenberg, le petit Zum, Zum.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="liste">FUST. <small>Entrée générale</small>, <span class="smcap">Un Juge Criminel, Soldats, Un +Juge Ecclésiastique</span>. <small>Les soldats se rangent au fond</small><a name="FNanchor_A_32" id="FNanchor_A_32"></a><a href="#Footnote_A_32" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Seigneur, juge criminel, Seigneur juge de l'officialité, +j'avais pris, comme vous le voyez, toutes les mesures pour +surprendre ici les preuves du travail secret auquel se livre +Gutenberg, assisté de sa bande de complices. On travaille +ici par le secours du diable! (<small>Il montre les épreuves restées +sur le bureau de Gutenberg.</small>) Voyez ces pages et ces caractères, +si parfaitement semblables les uns aux autres qu'il +est impossible qu'ils proviennent de l'industrie humaine. +Voyez ces lettres rouges, évidemment obtenues avec le +sang de tous ces réprouvés, et dites-moi si ce n'est pas +avec raison que j'ai dénoncé au tribunal ecclésiastique +de Strasbourg, ainsi qu'au tribunal criminel, cette entreprise +de sortilège et de magie. Je vous ai demandé, Seigneurs +juges, d'en venir saisir les pièces et les auteurs. +Vous voyez que je ne vous ai pas trompés!</p> + +<p class="perso">PETIT ZUM, <small>aux soldats, en leur désignant le côté gauche</small>.</p> + +<p>Par ici, mes amis!</p> + +<p class="perso">FUST, <small>à part</small>.</p> + +<p>Pierre Scheffer m'avait bien renseigné.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>apparaissant à la fenêtre de droite, au-dehors</small>.</p> + +<p>Que se passe-t-il ici?... Des soldats, des juges! mon +maître menacé! Vite au dortoir, pour appeler les camarades!</p> + +<p class="perso">LE JUGE CRIMINEL.</p> + +<p>Soldats, emparez-vous de cette presse, de ces caractères, +et de tous les objets qui tomberont sous votre main, et +transportez-les au greffe du tribunal.</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Monsieur le juge criminel, si vous le permettez, je désirerais +que tout cela fût transporté dans ma maison. Je +vous en rendrai bon compte.</p> + +<p class="perso">LE JUGE CRIMINEL, <small>aux soldats</small>.</p> + +<p>Ces papiers, cette presse, ces outils, seront transportés +dans la demeure de messire Fust, l'argentier, ici présent.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_32" id="Footnote_A_32"></a><a href="#FNanchor_A_32"><span class="label">[A]</span></a> Zum, Gutenberg, Fust, Juge criminel, Juge ecclésiastique, petit +Zum.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VII</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, DRITZEN, <small>puis</small> <span class="smcap">Ouvriers</span>, <small>entrant par la gauche</small></p> + +<p class="perso">DRITZEN.</p> + +<p>Jean, voici vos ouvriers!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Dieu soit loué! nous allons pouvoir jeter par-dessus les +murs, cette bande de pillards et de traîtres!</p> + +<p class="perso">FUST, <small>à Zum, en montrant Dritzen et Gutenberg</small>.</p> + +<p>Il me faut la vie de ces deux hommes!</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>C'est bien, maître! (<small>Au petit Zum.</small>) À toi, Gutenberg, à +moi, Dritzen.</p> + +<p class="indic"><small>Il s'élance vers Dritzen.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Tes ouvriers arriveront trop tard.</p> + +<p class="indic"><small>Il frappa Dritzen, qui tombe mort.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>s'élance vers Gutenberg, le poignard levé</small>.</p> + +<p>Maintenant, à toi, Gutenberg.</p> + +<p class="perso">LES SOLDATS.</p> + +<p>Mort à l'hérétique! mort au sacrilège!</p> + + +<h3>SCÈNE VIII</h3> + +<p class="perso"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, MARTHA, <small>entrant par le fond<a name="FNanchor_A_33" id="FNanchor_A_33"></a><a href="#Footnote_A_33" class="fnanchor">[A]</a>. Elle présente sa +croix aux hommes qui entourent Gutenberg.</small></p> + +<p>«Mort à l'hérétique» dites-vous, «mort au sacrilège!...» +Appelez-vous hérétique et sacrilège, celui qui met son +travail et son œuvre sous les auspices de Dieu, celui qui +s'enferme dans un couvent, pour travailler à la gloire de +l'Éternel?... Savez-vous de quelle œuvre on s'occupe dans +ce cloître?... (<small>Elle a pris sur la presse la Bible.</small>) Inclinez-vous, +c'est le livre divin; c'est la sainte Bible, que l'on s'attache +ici à multiplier, pour le bien de la religion et la gloire +du Christ!</p> + +<p class="perso">LE JUGE CRIMINEL.</p> + +<p>Nous te remercions, sainte fille du Seigneur, de nous +avoir éclairés, et d'avoir épargné un crime à notre conscience.</p> + +<p class="indic"><small>Rideau.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_33" id="Footnote_A_33"></a><a href="#FNanchor_A_33"><span class="label">[A]</span></a> Petit Zum, Zum, Friélo, Martha, Gutenberg, Juge criminel, Juge ecclésiastique.</p></div> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2><a name="QUATRIEME_TABLEAU" id="QUATRIEME_TABLEAU"></a>QUATRIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">LA PESTE À PARIS</p> + +<p class="tableau"><small>Un magasin de librairie, à Paris.—Contre les murs, des armoires pleines de +livres.—Comptoir au fond.—À droite, au premier plan, une chaise longue.—À +gauche, au premier plan, un banc de bois sculpté.</small></p> + + +<p>SCÈNE PREMIÈRE</p> + +<p class="liste">ZUM, LE PETIT ZUM.</p> + +<p class="indic"><small>Au lever du rideau, Zum est devant le comptoir et le petit Zum devant l'armoire. +Ils descendent en scène.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Nous voilà donc à Paris, grand frère!</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Et dans un magasin de librairie, à la place Maubert<a name="FNanchor_A_34" id="FNanchor_A_34"></a><a href="#Footnote_A_34" class="fnanchor">[A]</a>!</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Qui nous aurait dit cela, il y a huit ans, quand nous +fîmes cette brillante expédition nocturne au couvent de +Saint-Arbogast à Strasbourg, sous la conduite de Fust?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Quel malin que ce père Fust!</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Oui, il est assez retors. Après avoir fait saisir les outils, +les instruments et le matériel de Gutenberg, sous prétexte +qu'ils servaient à une œuvre de sorcellerie et de +magie, il n'a eu rien de plus pressé que de faire reprendre +à Mayence les mêmes travaux, par les mêmes +ouvriers.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Seulement, pour dérober son travail aux yeux des curieux, +il a fait plus que Gutenberg: il a enfermé les ouvriers +dans les caves, et les a tenus sous clef, nuit et +jour.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Et au lieu de leur faire jurer sur la Bible de garder le +silence, il leur a fait signer des billets, dont il réclamera +le montant, en cas d'indiscrétion.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>C'est ainsi qu'il est parvenu à faire imprimer mystérieusement, +à Mayence, plusieurs livres, qu'il a apportés à +Paris, pour les vendre.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Et il les vend, le traître, comme des manuscrits; ce qui +lui procure des bénéfices énormes. Les acheteurs encombrent +sa boutique, et quand la boutique est pleine, il +vient des amateurs jusque dans la salle où nous sommes.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>regardant en bas.</small></p> + +<p>Voici justement un acheteur... c'est-à-dire une acheteuse, +qui monte l'escalier... Elle est accompagnée de +Scheffer.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Scheffer, l'ancien calligraphe?... Je n'aime pas beaucoup +cet homme, qui, autrefois simple ouvrier de Gutenberg, +au couvent de Saint-Arbogast, semble aujourd'hui +commander en maître, chez Fust.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>N'est-il pas son associé dans l'imprimerie de Mayence?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Oui, Fust a reconnu de cette manière, le service qu'il +reçut de Scheffer, quand ce traître nous ouvrit les portes +du couvent d'Arbogast. Et sa trahison semble lui avoir +porté bonheur, car le père Fust ne voit que par ses yeux, +et le laisse maître absolu de ses affaires. On dit même +qu'il veut lui faire épouser sa fille Christine.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Ce mariage n'est pas encore fait. J'ai idée que Scheffer +a le cœur pris d'un tout autre côté... Mais, silence!... le +voici.</p> + +<p class="indic"><small>Ils remontent tous les deux au comptoir.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_34" id="Footnote_A_34"></a><a href="#FNanchor_A_34"><span class="label">[A]</span></a> Zum, le petit Zum.</p></div> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Deux</span> ZUM, PIERRE SCHEFFER, <small>il entre à reculons,</small> +<span class="smcap">Une Dame</span></p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Excusez-moi, noble dame, de vous avoir fait monter +jusque dans cette salle. (<small>Il prend une chaise placée à gauche +près du comptoir, et la présente à la dame, qui s'assied<a name="FNanchor_A_35" id="FNanchor_A_35"></a><a href="#Footnote_A_35" class="fnanchor">[A]</a>.</small>) Mais c'est +ici que nous enfermons nos plus précieux manuscrits, +ceux que nous réservons pour les personnes capables +d'en apprécier la valeur et le mérite. (<small>Il va ouvrir une des +armoires du droite, qui est pleine de livres.</small>) Voici un missel, qui, +je le crois, par la richesse de ses ornements, de ses enluminures +et de ses lettres peintes, fixera votre attention... +C'est un livre d'heures du <small>XI</small><sup>e</sup> siècle; veuillez l'examiner.</p> + +<p class="indic"><small>Il lui donne le livre.</small></p> + +<p class="perso">LA DAME.</p> + +<p>Le manuscrit est, en effet, magnifique. Vous donnerez +l'ordre de l'envoyer à l'hôtel de la duchesse d'Arques.</p> + +<p class="indic"><small>Elle rend le livre, et sort. Zum s'approche de Scheffer. Scheffer le regarde +avec défiance, et referme l'armoire d'où il a tiré le manuscrit +d'heures. Il passe alors au milieu du théâtre, entre les deux Zum, +qu'il regarde et toise.</small></p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Vous avez l'air de vous méfier de nous, Pierre Scheffer.... +Nous sommes pourtant d'anciens confrères.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>D'anciens confrères?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Vous étiez calligraphe à Mayence, et nous copistes. +Vous êtes devenu l'associé du seigneur Fust; nous sommes, +nous, ses serviteurs, ses écuyers: il n'y a pas grande +différence entre nous.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Tout ce qui vous plaira, mais je crois que vous ferez +bien de quitter la maison, et d'aller respirer un peu l'air +de Paris.</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>L'air de Paris n'est pas bon, Pierre Scheffer. La peste a +éclaté dans la ville, et l'on y meurt comme des mouches. +Nous trouvons plus simple de rester ici, à la disposition +de notre maître, le seigneur Fust. N'est-ce pas ton avis, +petit frère?</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>tirant un cornet et des dés de sa poche, et jetant +les dés en l'air, puis enfourchant le banc de bois placé à gauche.</small></p> + +<p>Voilà ma réponse... Pour ne pas rester à ne rien faire, +entamons une petite partie.</p> + +<p class="indic"><small>Zum enfourche le banc de l'autre côté, et ils se mettent à jouer +aux dés, sur le banc.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_35" id="Footnote_A_35"></a><a href="#FNanchor_A_35"><span class="label">[A]</span></a> La dame assise, Scheffer, les deux Zum, au fond gauche.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, GUTENBERG, FRIÉLO</p> + +<p class="indic"><small>Ils entrent par le fond. Ils sont fatigués, et leurs habits sont couverts +de poussière<a name="FNanchor_A_36" id="FNanchor_A_36"></a><a href="#Footnote_A_36" class="fnanchor">[A]</a>.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Enfin!... j'ai cru que nous n'arriverions jamais à +Paris.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Cinquante lieues à cheval, sans s'arrêter que la nuit!... +Je suis moulu.</p> + +<p class="indic"><small>Il s'assied sur le canapé, à gauche.</small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>allant à Gutenberg.</small></p> + +<p>C'est Fust que vous cherchez, messire Gutenberg?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Oui, c'est pour le voir que je voyage depuis huit jours, +avec mon compagnon fidèle...</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, à part.</p> + +<p>Et exténué!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Mais je tombe aussi de fatigue; permettez que je reprenne +quelques forces.</p> + +<p class="indic"><small>Il tombe près de Friélo, déjà assis sur le canapé. Zum et le +petit Zum se lèvent de leur banc, et viennent les saluer. +Gutenberg et Friélo les reconnaissent, et leur tournent le dos.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>revenant en scène.</small> (<small>Au petit Zum.</small>)</p> + +<p>Il me garde rancune... et moi aussi, de l'avoir manqué +au couvent de Saint-Arbogast.</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>On peut se retrouver.</p> + +<p class="indic"><small>Ils reprennent leurs places sur le banc à gauche, et se remettent à +jouer.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_36" id="Footnote_A_36"></a><a href="#FNanchor_A_36"><span class="label">[A]</span></a> Petit Zum, Zum, jouant aux dés, Scheffer, Gutenberg, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, LE DUC DE LA TRÉMOUILLE, <small>entrant par le +fond</small>, SCHEFFER</p> + +<p class="perso">LE DUC, <small>à Scheffer.</small></p> + +<p>On m'a dit que vous voudriez bien, monsieur Scheffer, +me montrer les «<i>Offices de Cicéron</i>» célèbre manuscrit du +<small>XII</small><sup>e</sup> siècle?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>prenant un livre dans l'armoire.</small></p> + +<p>Voici, monsieur le duc, le manuscrit que vous désirez. +(<small>Il le lui remet</small>.) C'est un objet rare et précieux<a name="FNanchor_A_37" id="FNanchor_A_37"></a><a href="#Footnote_A_37" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">LE DUC, <small>examinant le manuscrit.</small></p> + +<p>Je vous remercie de me montrer ce chef-d'œuvre.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>appuyant</small>.</p> + +<p>Nous le vendons vingt écus d'or.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à part.</small></p> + +<p>Rien que ça!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se levant, et allant au duc, en passant devant Scheffer</small>.</p> + +<p>On vous trompe, monsieur le duc!... Les <i>Offices de +Cicéron</i> que vous tenez, ne sont pas un manuscrit; +c'est un livre imprimé à Mayence. Il n'est pas écrit à la +main, comme on vous le dit, mais fabriqué mécaniquement, +par l'art de l'imprimerie, récemment inventé. Et +ce prétendu manuscrit n'est pas unique; car Fust en a +apporté de Mayence plus de cinquante exemplaires, absolument +pareils à celui qu'on vous montre. Fust veut +faire passer pour des manuscrits des livres imprimés, et +surprendre ainsi la bonne foi et l'or des Parisiens.</p> + +<p class="perso">LE DUC.</p> + +<p>Ce que vous dites est grave; en avez-vous vu la preuve?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>La meilleure preuve, monsieur le duc, c'est que je suis +l'inventeur, le créateur de cet art nouveau. Je suis Jean +Gutenberg, et ce sont mes anciens ouvriers qui ont +imprimé, à Mayence, les <i>Offices de Cicéron</i>. J'ai fait tout +exprès le voyage d'Allemagne à Paris, pour venir démasquer +les mensonges de Fust.</p> + +<p class="indic"><small>Les deux Zum se lèvent.</small></p> + +<p class="perso">LE DUC.</p> + +<p>S'il en est ainsi, Pierre Scheffer, je me retire.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Pourtant, monseigneur....</p> + +<p class="indic"><small>Le duc sort par le fond. Scheffer le suit, en paraissant insister.</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>s'approchant, menaçant, de Gutenberg.</small></p> + +<p>Tu viens porter ici le trouble et l'agitation! Tu as +échappé de mes mains, au couvent de Saint-Arbogast... +Mais cette fois tu ne t'en tireras pas!</p> + +<p class="indic"><small>Il tire son épée et s'approche de plus près de Gutenberg, qui tire +également son épée.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Approche donc, misérable!</p> + +<p class="indic"><small>Ils se menacent tous deux de leur épée. Friélo prend un bâton dans +un coin, et le lève sur le petit Zum, qui a tiré son poignard</small><a name="FNanchor_B_38" id="FNanchor_B_38"></a><a href="#Footnote_B_38" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_37" id="Footnote_A_37"></a><a href="#FNanchor_A_37"><span class="label">[A]</span></a> Petit Zum, Zum, le duc, Scheffer, Gutenberg, Friélo.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_38" id="Footnote_B_38"></a><a href="#FNanchor_B_38"><span class="label">[B]</span></a> Gutenberg, Zum, Friélo, petit Zum.</p></div> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, FUST, <small>entrant par le fond, entre les deux groupes.</small></p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Quel est ce bruit? que se passe-t-il ici?... Des épées, des +poignards?... D'où viennent ce tumulte, et ces menaces +de mort?</p> + +<p class="indic"><small>Les deux Zum reculent, Friélo abaisse son bâton.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Fust.</small></p> + +<p>Tu me reconnais, n'est-ce pas?... Je suis venu ici pour +déjouer tes ruses, pour confondre tes mensonges et tes +perfidies... Tes chiens aboient après moi, et je tiens tête +aux chiens, en attendant que je m'attaque au maître.</p> + +<p class="perso">FUST, <small>bas, à Zum.</small></p> + +<p>Tu n'as donc pas pu me débarrasser de cet homme?...</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>avec humeur.</small></p> + +<p>Il arrive à l'instant.</p> + +<p class="perso">FUST, <small>bas.</small></p> + +<p>Ne vous éloignez pas; tenez-vous derrière cette porte; +vous le frapperez à sa sortie. (<small>Zum et le petit Zum sortent par +la gauche.—À Gutenberg, avec hypocrisie.</small>) Eh! quoi, messire +Gutenberg, hors de l'Allemagne, à Paris, vous venez me +poursuivre de votre haine et de vos fureurs? Il y a ici, +heureusement, des juges et des prévôts, qui sauront me +défendre<a name="FNanchor_A_39" id="FNanchor_A_39"></a><a href="#Footnote_A_39" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>avec force.</small></p> + +<p>Les juges et les prévôts arriveront trop tard, car je vais +te tuer!...</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Me tuer!... Que vous ai-je fait?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ce que tu m'as fait?... Il demande ce qu'il m'a fait! +Mais tu as voulu, traître, détruire mon corps et mon âme! +Et cela pour la soif de l'or, par l'appât du gain!... Parce +que j'avais refusé de te livrer mon invention, tu as ourdi +contre moi le plus noir des complots. Tu as envahi, la +nuit, à main armée, mon tranquille atelier. Tu as fait +assassiner mon ami, le pauvre Dritzen, qui a expiré sous +mes yeux. Et si je n'ai pas succombé, comme lui, je le +dois à un ange du ciel, qui est apparu pour me défendre... +Et n'ayant pu me tuer, tu as entrepris de tuer ma découverte... +Tu fabriques des livres, et tu viens, en plein Paris, +à la face du ciel, déclarer que les livres imprimés n'existent +pas, et que l'art de l'imprimerie est un mensonge! +Ces livres que tu as fabriqués à Mayence, avec tes ouvriers, +qui étaient les miens, tu les vends audacieusement +comme des manuscrits... Voilà ton nouveau crime, Fust! +C'est pour cela que tu vas mourir.</p> + +<p class="indic"><small>Il tire son épée. Les deux Zum rentrent par la gauche<a name="FNanchor_B_40" id="FNanchor_B_40"></a><a href="#Footnote_B_40" class="fnanchor">[B]</a>.</small></p> + +<p class="perso">FUST, <small>fléchissant les genoux, et s'asseyant sur le canapé</small>.</p> + +<p>Qu'est-ce que j'éprouve donc?... Je respire à peine... une +sueur glacée couvre mon corps.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! tu trembles, tu pâlis, tu as peur de la mort!</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Tu ne me connais pas, Gutenberg. Ce n'est pas la crainte +de ton épée, ce n'est pas la peur de la mort, qui me fait +pâlir et trembler.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Qu'est-ce donc?</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Ce matin, j'étais allé porter, sur sa demande, quelques +manuscrits au médecin de l'Hôtel-Dieu, Mannoury. On +m'a fait traverser, pour arriver à lui, une salle pleine de +malades. La souffrance, les cris de douleur et d'agonie, +remplissaient ce lieu funeste. «Quelle est donc la salle que +nous traversons?» ai-je demandé à l'homme qui me +conduisait. Et il m'a répondu. «C'est la salle des pestiférés.» +J'ai reculé d'horreur, j'ai perdu connaissance... En +ce moment, venait derrière moi une civière, emportant +le corps d'une malheureuse victime de l'épidémie. Je suis +tombé à la renverse, sur ce corps glacé, et, j'en frémis +encore, il m'a semblé que ce cadavre m'enlaçait de ses +bras de marbre, et qu'il me donnait le baiser de la mort!... +Je suis sorti, éperdu, à demi fou de terreur, croyant +toujours sentir sur mes lèvres le funèbre baiser du pestiféré +de l'Hôtel-Dieu... Et maintenant, tes menaces, tes +emportements, ta fureur, tout cela m'accable, m'oppresse. +Je souffre, je souffre horriblement et je sens que j'ai rapporté +de l'hôpital, la maladie terrible... la peste!...</p> + +<p class="indic"><small>Il retombe sur le canapé.</small></p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>La peste!...</p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM.</p> + +<p>Sauve qui peut!</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent, avec les signes de la plus vive terreur.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Viens donc, maître!...</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg l'écarte du geste. Friélo sort, en courant.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Étranges créatures que nous sommes! Tout à l'heure, +je voulais tuer cet homme, et maintenant que je le vois +haletant, accablé, un pied dans la tombe, je voudrais le +sauver. (<small>Il remet son épée au fourreau.—À Fust.</small>) Tu le vois, +seul je suis resté. Mon cœur s'amollit au spectacle de tes +souffrances, et je demeurerai près de toi, pour te faire donner +les soins qui te sont nécessaires.</p> + +<p class="perso">FUST.</p> + +<p>Béni sois-tu, Gutenberg! Malheur à moi de t'avoir méconnu, +et de t'avoir si longtemps poursuivi de ma haine! +Pardonne-moi, je t'en supplie, mes torts envers toi. Que +je ne paraisse pas devant Dieu, chargé de ton mépris et +de ta malédiction.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Du fond du cœur, je te pardonne! Que Dieu reçoive +ton âme en son saint paradis.</p> + +<p class="perso">FUST, <small>à part</small>.</p> + +<p>Ah! la vengeance! la vengeance! (<small>Haut.</small>) Ce n'est pas +assez de tes paroles, ami Gutenberg. Je veux que tu me +donnes le baiser du pardon... Je veux, pour être bien sûr +de tes sentiments, que tu me permettes de t'embrasser... +de t'embrasser comme un fils. (<small>À part.</small>) Ah! qu'il vienne! +qu'il vienne, et que je lui rende le baiser mortel du pestiféré +de l'Hôtel-Dieu!</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_39" id="Footnote_A_39"></a><a href="#FNanchor_A_39"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Fust.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_40" id="Footnote_B_40"></a><a href="#FNanchor_B_40"><span class="label">[B]</span></a> Petit Zum, Zum, Friélo, Gutenberg, Fust.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="liste">FUST, GUTENBERG, MARTHA. <small>Elle entre par le fond</small><a name="FNanchor_A_41" id="FNanchor_A_41"></a><a href="#Footnote_A_41" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh bien! puisque tu demandes cette consolation suprême...</p> + +<p class="indic"><small>Il fait un pas vers Fust, Martha l'arrête.</small></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Que fais-tu?... Ne comprends-tu pas que c'est la mort +que ce misérable t'offre dans son fatal baiser!...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Serait-il vrai?... une dernière perfidie... Et j'allais en +être victime... Merci, Martha, vous m'avez sauvé une fois +encore... Mais comment vous trouvez-vous ici?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>On a demandé, au couvent de Sainte-Claire de Mayence, +quelques religieuses, pour aller soigner les pestiférés de +Paris; et je suis partie, avec quelques autres sœurs. Tout +à l'heure, on est venu chercher une religieuse, pour donner +des secours à un mourant, et j'accours. Je me +charge de cet homme. Laissez-moi le conduire dans sa +chambre.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Vous m'écartez de lui, et vous allez vous exposer vous-même +à la contagion?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Oh! moi, c'est différent! Les filles de Dieu qui se dévouent +aux malades et aux mourants, ont fait d'avance le +sacrifice de leur vie. Quand l'une d'elles meurt, une autre +la remplace. Sa mission est finie ici-bas; une nouvelle sœur +remplira son office. C'est à peine si l'on s'en aperçoit, car +c'est le même costume et presque la même personne, qui +assiste le malade... Dieu la voit, cela suffit!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tes paroles me remplissent d'admiration et de respect, +Martha. Je ne veux pas que seule tu t'exposes au danger. +Laisse-moi prendre une part des soins à donner à ce malade.</p> + +<p class="indic"><small>Il passe derrière Martha, et fait lever et sortir, avec Martha, Fust, +qui se tient à peine.—Ils sortent par la droite, Fust regardant +Gutenberg avec un mélange d'admiration et du remords.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_41" id="Footnote_A_41"></a><a href="#FNanchor_A_41"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Martha, Fust.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VII</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, SCHEFFER</p> + +<p class="indic"><small>La scène reste vide pendant quelques instants; puis Scheffer et Annette +entrent ensemble par le fond.<a name="FNanchor_A_42" id="FNanchor_A_42"></a><a href="#Footnote_A_42" class="fnanchor">[A]</a></small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Quel bonheur pour moi, dame Annette, de vous voir +ici! Vous avez donc accompagné à Paris, Gutenberg?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Nous sommes arrivés ce matin, et Gutenberg n'a pas +voulu tarder un instant de se rendre chez Fust. Quant à +moi, je suis restée quelques heures à l'hôtellerie, pour +prendre un peu de repos, et quitter ma toilette de voyage... +Et me voilà!... Que se passe-t-il ici? J'ai vu, en arrivant, +tous les visages renversés.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>La maison est, en effet, en proie à l'agitation, au vertige. +Fust vient d'être atteint de la peste; il est moribond.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Que m'apprenez-vous?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Dame Annette, les moments sont précieux. Je ne trouverai +peut-être pas une autre occasion de vous voir, de +vous parler sans témoin... Laissez-moi donc vous dire ce +qui remplit mon cœur...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Parlez!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Voilà huit ans que je vous vis pour la première fois. +J'étais alors, vous le savez, calligraphe dans l'imprimerie +de Gutenberg, au couvent de Saint-Arbogast. Tous les +jours, vous vous occupiez activement des travaux de l'atelier, +et tous les jours, j'admirais votre haute et sereine +intelligence; je m'enivrais de la douceur et de l'éclat de +vos regards.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Scheffer!<a name="FNanchor_B_43" id="FNanchor_B_43"></a><a href="#Footnote_B_43" class="fnanchor">[B]</a></p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Comment aurais-je pu rester insensible à votre beauté, +au charme de votre voix, aux mille perfections qui vous +élèvent au-dessus des autres femmes? J'étais désolé de +vous voir, vous si belle, si jeune encore, languir sous la +froideur d'un époux usé par les soucis, plus encore que +par l'âge, et qui ne pouvait vous donner ni fortune ni +amour.</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>avec force</small>.</p> + +<p>C'est pour cela sans doute, que seul de tous nos ouvriers, +tu sortis du couvent? C'est pour cela que, dans la +nuit même qui suivit ton départ, les sbires du tribunal +criminel nous surprenaient, pillaient nos ateliers, massacraient +le pauvre Dritzen, et consommaient notre ruine! +Ôte-toi de mes yeux! Tu n'es qu'un artisan de crime et +de trahison.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Ah! ne m'accusez pas. La fatalité a fait tout le mal. J'étais +fou, fou d'amour et de jalousie. Je ne pouvais plus +vivre en vous voyant sans cesse aux côtés de l'homme +que je haïssais, parce qu'il était votre époux. D'ailleurs, il +était bien vrai que ma mère m'appelait, pour recueillir +son dernier soupir. C'est pour ce double motif que je +demandai à vous quitter. Le malheur voulut que Fust +apprît ma sortie du couvent. Il vint aussitôt me trouver, +il m'accabla de questions, de demandes, de promesses... +Que vous dirai-je? J'avais la tête perdue et de mon +amour inavoué, et de la mort imminente de ma mère. +Fust tira de moi quelques paroles, quelques indications, +qui lui étaient du reste, bien peu nécessaires, avec sa +résolution d'agir par la violence autant que par la ruse... +Il y a longtemps que j'ai expliqué tout cela à votre époux, +et qu'il m'a pardonné... Mais, je vous en supplie, dame Annette, +l'heure me presse, laissez-moi, sans perdre de +temps, achever ce qu'il me reste à vous dire... Fust vient +d'être frappé de la maladie terrible qui désole Paris. +En le voyant près d'expirer, en songeant que sa place va +être libre dans l'imprimerie de Mayence, j'ai fait un rêve...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Un rêve?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Oui, je rêvais au bonheur qui m'attendait si Gutenberg, +à la place de Fust, devenait mon associé dans l'imprimerie; +s'il rentrait avec moi dans ces ateliers, qui sont +les siens, et dont l'a chassé la déloyauté de son ennemi. +Alors, et dans ce même rêve, dame Annette, je vivais +sans cesse près de vous, je m'enivrais de vos regards, de +votre esprit. Vous étiez la reine de ce monde de travailleurs +et d'artistes; vous nous inspiriez tous de votre ardeur, +de votre ambition, de vos audaces... Et tous, heureux +et soumis, nous marchions ensemble à la gloire et +au bonheur.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ce ne sont pas seulement des pensées coupables que +tu exprimes là, Pierre Scheffer, ce sont des pensées impies. +Oublies-tu qu'il y a là (<small>Elle passe et montre la chambre +de Fust.</small>)<a name="FNanchor_C_44" id="FNanchor_C_44"></a><a href="#Footnote_C_44" class="fnanchor">[C]</a> un homme qui souffre et qui meurt? Ce sont +les dépouilles d'un mourant qui te préoccupent en ce moment, +et qui te dictent ces propositions déloyales... Mais +tu te trompes, Scheffer, et ton espoir n'est pour moi qu'une +offense. Jamais, jamais, entends-tu! je ne faillirai à mes +devoirs!... Renonce donc à me poursuivre des élans d'un +amour coupable. Gutenberg fut ton protecteur et ton +maître, respecte sa femme.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Croyez-vous donc que l'on commande à son cœur? +Suis-je le maître de vous oublier? Est-ce ma faute si votre +seule présence, si votre voix seule me troublent et m'enivrent? +Quelle est la puissance qui pourrait m'empêcher +de tomber à vos pieds, et de vous répéter que mon cœur +et ma vie sont à vous à jamais?</p> + +<p class="indic"><small>Il prend la main d'Annette, et se met à genoux.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_42" id="Footnote_A_42"></a><a href="#FNanchor_A_42"><span class="label">[A]</span></a> Scheffer, Annette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_43" id="Footnote_B_43"></a><a href="#FNanchor_B_43"><span class="label">[B]</span></a> Annette, Scheffer.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_44" id="Footnote_C_44"></a><a href="#FNanchor_C_44"><span class="label">[C]</span></a> Scheffer, Annette.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VIII</h3> + +<p class="liste">SCHEFFER, ANNETTE, MARTHA, <small>sortant de la chambre de +Fust</small>.<a name="FNanchor_A_45" id="FNanchor_A_45"></a><a href="#Footnote_A_45" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>qui a entendu les dernières paroles de Scheffer, à part.</small></p> + +<p>Qu'ai-je vu?... Annette!... Scheffer!... Ah!... (<small>Scheffer +se relève. Haut, à Annette.</small>) C'est vous, dame Annette, vous +êtes arrivée dans un triste moment.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oui, Fust est en danger de mort. Comment se trouve-t-il?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Plus d'espoir!... mais voici Gutenberg, que j'ai laissé +près de lui.</p> + + +<h3>SCÈNE IX</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, GUTENBERG, <small>entrant par la droite.</small><a name="FNanchor_B_46" id="FNanchor_B_46"></a><a href="#Footnote_B_46" class="fnanchor">[B]</a></p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Eh! bien?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tout est fini!</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>À genoux, mes amis, et prions Dieu pour cette âme qui +s'envole dans l'éternité! (<small>Ils s'agenouillent.</small>) Que la miséricorde +céleste s'étende sur celui que la grâce a touché à ses +derniers instants: que Dieu reçoive en son sein le pécheur +repenti.</p> + +<p class="indic"><small>Ils se relèvent.</small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>à Gutenberg</small>.<a name="FNanchor_C_47" id="FNanchor_C_47"></a><a href="#Footnote_C_47" class="fnanchor">[C]</a></p> + +<p>Puisque Dieu a jugé bon de rappeler à lui notre maître +Fust, il n'y a plus de raisons de laisser subsister entre +nous la discorde et la haine. Permets-moi donc, Gutenberg, +de te dire: «Il y a, à Mayence, tout ce que peuvent +désirer tes justes ambitions. Là, s'exerce, dans toute son +ampleur, dans toute son activité, l'art auquel tu as voué +ta vie. L'imprimerie de Fust et Scheffer est veuve de l'un +de ses chefs: Gutenberg, veux-tu prendre la place de +celui que Dieu vient de rappeler à lui? Veux-tu concourir +avec moi aux travaux qui nous illustreront tous, +en répandant dans le monde entier, les œuvres de la +science de la littérature et des arts? Veux-tu rentrer en +maître dans ces ateliers d'où t'a banni un concours fatal +de circonstances, que je déplore, et auxquelles, tu le +sais, je suis resté étranger?»</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tes paroles sympathiques, cette proposition inattendue, +l'horizon nouveau que tu ouvres à ma pensée, tout cela +m'éblouit, Scheffer. Laisse-moi reprendre un moment mes +esprits, et réfléchir à ton offre amicale...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Et qu'est-il besoin de réflexions et de délais? Peux-tu +te méprendre à l'importance de l'offre généreuse que te +fait l'amitié de Scheffer? Peux-tu hésiter? Peux-tu faire +attendre un moment ton acceptation? Où trouveras-tu +une occasion plus brillante et plus facile de te consacrer +au perfectionnement de l'art qui te doit sa naissance? +(<small>À Scheffer.</small>) Oui, Scheffer, oui, j'en réponds pour lui, Gutenberg +accepte avec reconnaissance l'association que +tu lui proposes.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Scheffer, en lui prenant la main</small>.</p> + +<p>Eh! bien oui, j'accepte! Viens, ami; demain nous partirons +pour Mayence.</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent par la droite.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_45" id="Footnote_A_45"></a><a href="#FNanchor_A_45"><span class="label">[A]</span></a> Scheffer à genoux, Annette, Martha.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_46" id="Footnote_B_46"></a><a href="#FNanchor_B_46"><span class="label">[B]</span></a> Annette, Scheffer, Martha, Gutenberg.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_47" id="Footnote_C_47"></a><a href="#FNanchor_C_47"><span class="label">[C]</span></a> Annette, Martha, Scheffer, Gutenberg.</p></div> + + +<h3>SCÈNE X</h3> + +<p class="liste">MARTHA, ANNETTE<a name="FNanchor_A_48" id="FNanchor_A_48"></a><a href="#Footnote_A_48" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Et moi, je dis, madame, que Gutenberg ne doit pas +partir!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Il ne doit pas partir!... et pourquoi?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>N'insistez pas; je ne pourrai vous répondre. Seulement, +dans l'intérêt de tout ce qu'il a de plus sacré, de plus +précieux au monde, que Gutenberg n'habite jamais sous +le même toit que Scheffer.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Mais, encore une fois, quel motif invoques-tu pour détourner +mon époux d'une carrière où tout l'appelle, son +intérêt, ses goûts, l'avenir de son art?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Je n'ai rien à répondre.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ainsi, tu viens te jeter au travers de nos projets, de nos +plans d'avenir, de fortune et de gloire, et tu ne veux +donner aucune raison de tes paroles!... Que veux-tu dire +et que caches-tu sous tant de réticences et de mystère?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Je n'ai ni à me défendre, ni à accuser... Adieu, Annette.</p> + +<p class="indic"><small>Fausse sortie.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>prenant Martha par la main, et l'amenant au milieu du +théâtre</small>.</p> + +<p>Sœur de Sainte-Claire, tu as aimé avant de prendre le +voile, et celui que tu aimais, c'était Gutenberg, celui qui +est maintenant mon époux. Pourquoi, je te le demande +en secret, mes yeux dans tes yeux, mon regard dans +ton regard, pourquoi, ne veux-tu pas que Gutenberg +retourne à Mayence?... Est-ce parce qu'il ne t'y trouverait +plus? Sous le voile de la sœur Sainte-Claire sentirais-tu +encore battre le cœur de l'imagière de Harlem, et voudrais-tu +être, comme autrefois, ma rivale d'amour?...</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Oui, j'ai aimé celui qui est aujourd'hui ton époux, et +qui devait être le mien; et depuis longtemps mon amour +s'est transformé en une affection profonde et douloureuse. +Tu me demandes pourquoi je conseille qu'il ne retourne +pas à Mayence?... Je vais te le dire. C'est parce que son +honneur m'est plus cher que la vie, et que son honneur +serait à la merci de l'homme qui te poursuit...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>De qui parles-tu?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>De Pierre Scheffer, qui t'aime, qui t'aime d'un amour +insensé. Tu ne l'ignores pas; car il te le disait tout à +l'heure, et je l'ai vu à tes pieds!</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>confuse et s'asseyant sur le canapé</small>.</p> + +<p>Ah!</p> + +<p class="indic"><small>Elle se cache la figure dans ses mains.</small></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Tu finirais par succomber à cet amour. C'est donc +pour toi, Annette, autant que pour Gutenberg, que j'ai +parlé... Maintenant j'ai tout dit, j'ai rempli mon devoir, +j'ai agi selon ma conscience et mon cœur: le reste à la +grâce de Dieu!</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par le fond, Annette tombe sur le canapé.</small></p> + + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_48" id="Footnote_A_48"></a><a href="#FNanchor_A_48"><span class="label">[A]</span></a> Martha, Annette.</p></div> + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2>ACTE QUATRIÈME</h2> + +<h2><a name="CINQUIEgraveME_TABLEAU" id="CINQUIEgraveME_TABLEAU"></a>CINQUIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">ARCHEVÊQUE ET SOLDAT</p> + +<p class="tableau"><small>L'intérieur de l'imprimerie de Scheffer et de Gutenberg à Mayence.—Porte +au fond.—À gauche de la porte, une presse.—À droite de +la porte, une armoire.—Au premier plan, à gauche, un bureau.—Au +premier plan, à droite, une table.—Au deuxième plan, à +droite, une fenêtre.—Portes latérales.</small></p> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, HÉBÈLE, FRIÉLO</p> + +<p class="indic"><small>Au lever du rideau, Annette range sur le bureau à gauche. Friélo est +devant la presse. Hébèle entre par la porte du fond, et va ranger sur +la table, à droite.</small></p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Quelle activité, aujourd'hui, chère Annette, dans l'imprimerie +de Gutenberg et de Scheffer! Tout le monde est +occupé et tout le monde est content.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oui, leur association a merveilleusement réussi. Les +livres qui sortent de leurs presses font l'admiration de +l'Allemagne, et Mayence est justement fière d'avoir été le +bureau de cet art.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>On tire aujourd'hui la dernière feuille de la Bible. Mon +frère a décidé que le tirage de cette feuille serait fait avec +quelque solennité, et qu'un banquet fraternel réunirait +ensuite tous les ouvriers de l'imprimerie.</p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, HÉBÈLE, FRIÉLO, GUTENBERG, <small>ensuite</small> <span class="smcap">Ouvriers +imprimeurs</span>, <small>en habits de fête, des bouquets à la boutonnière</small><a name="FNanchor_A_49" id="FNanchor_A_49"></a><a href="#Footnote_A_49" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Friélo</small>.</p> + +<p>Friélo, va prévenir les ouvriers que tout est prêt, et +que nous les attendons.</p> + +<p class="indic"><small>Friélo sort par le fond.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je présiderai au festin, et tu resteras ici, avec Scheffer. +C'est bien là ce qui est convenu?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Parfaitement.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>précédant les ouvriers</small>.</p> + +<p>Par ici, camarades.</p> + +<p class="indic"><small>Les ouvriers entrent par la gauche, et se rangent des deux côtés +du théâtre.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG<a name="FNanchor_B_50" id="FNanchor_B_50"></a><a href="#Footnote_B_50" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p>Mes amis, il ne manque plus qu'une feuille à notre Bible, +et j'ai voulu vous réunir, pour la faire tirer devant +vous. (<small>On tire une feuille de la presse, et Gutenberg la montre aux +assistants, avec solennité.</small>) La voilà, cette dernière feuille! La +Bible est achevée. L'éternelle lumière de ce livre divin +pourra désormais luire par tous les hommes. Remercions +le Seigneur qui a permis la création de l'imprimerie, et +prions-le de bénir les premiers ouvriers de cet art nouveau.</p> + +<p class="indic"><small>Les hommes se découvrent et les femmes s'agenouillent, pendant +que Gutenberg montre la feuille de la Bible. Puis les femmes +se relèvent, Friélo prend la feuille des mains de Gutenberg, la +plie et la joint aux autres feuilles déjà pliées, pour en faire un +volume.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Quel grand jour, que celui où tu as terminé le plus +beau livre de ton imprimerie, le chef-d'œuvre qui fera vivre +à jamais ton nom dans la mémoire des hommes! Tes +longs travaux, les recherches qui ont occupé ta vie entière, +sont ainsi récompensés. Tu trouvas le germe de +cette invention dans l'atelier de Laurent Coster, et tu as +su le porter à sa perfection. Aux ébauches de l'imagier +de Harlem tu as substitué ce chef-d'œuvre, et le titre de +créateur de l'imprimerie t'est justement acquis.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>aux ouvriers</small>.</p> + +<p>Et maintenant, mes amis, mes enfants, je veux qu'un +banquet cordial réunisse tous ceux qui ont contribué, par +leur zèle, par leur dévouement, par leurs labeurs, au succès +de l'œuvre que nous avons accomplie. Les tables sont +dressées dans la grande salle. Allons célébrer, le verre en +main, cette heureuse journée.</p> + +<p class="perso">LES OUVRIERS.</p> + +<p>Vive Gutenberg!</p> + +<p class="indic"><small>Friélo ouvre la porte de droite, va aux ouvriers, les fait sortir +et les suit. Scheffer prend par la main Hébèle et la conduit à la +porte de droite. Gutenberg prend Annette par la main et lui +fait signe de suivre les ouvriers; Scheffer s'efface, pour la laisser +passer.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_49" id="Footnote_A_49"></a><a href="#FNanchor_A_49"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Friélo, Gutenberg, Scheffer, Hébèle.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_50" id="Footnote_B_50"></a><a href="#FNanchor_B_50"><span class="label">[B]</span></a> Annette, Gutenberg, Scheffer, Friélo, Hébèle, ouvriers au fond +et des deux côtés.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, SCHEFFER<a name="FNanchor_A_51" id="FNanchor_A_51"></a><a href="#Footnote_A_51" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Les chers enfants! Quelle joie, quel orgueil ils éprouvent! +Voilà des instants qu'on n'oublie pas. (<small>À Scheffer.</small>) +Mais il ne faut pas que la solennité de ce jour nous fasse +perdre de vue les affaires. Travaillons, ami Scheffer... On +vient de me remettre, de la part de notre prince, l'archevêque, +ce manuscrit à composer!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>De la part du prince?... Ceci nous touche de près; car +le sort de notre ville et nos libertés municipales sont en +jeu dans la situation critique où se trouve notre digne +souverain, Diether d'Yssembourg. Voyons de quoi il s'agit. +(<small>Il s'asseoit et lit.</small>) «<i>À l'Empereur d'Allemagne, Frédéric +II, archevêque de Mayence, contre les attaques, violences +et iniquités de son voisin, le comte Adolphe de +Nassau.</i>» C'est une pièce que le prince archevêque veut +faire imprimer et publier, pour protester, devant l'Europe, +contre la guerre que lui a déclarée le comte de +Nassau, et pour réclamer de l'Empereur d'Allemagne, Frédéric +II, des forces militaires à opposer à celles de son +ennemi.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Et que dit notre cher souverain, dans sa protestation?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>parcourant des yeux le manuscrit</small>.</p> + +<p>Il commence par rappeler la cause première du conflit +armé qui règne entre lui et le comte de Nassau.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>debout près de Scheffer, assis</small>.</p> + +<p>La cause est assez connue, et d'ailleurs, fort singulière. +C'est l'archevêque de Mayence qui a le droit de convoquer +les princes d'Allemagne, quand il s'agit d'élire les +empereurs; et c'est dans la cathédrale de Mayence qu'a +toujours lieu le couronnement de l'empereur élu. Or, le +pape Pie II, qui est bien le plus remuant, le plus intrigant +de tous les papes présents et passés, exigeait que +notre prince électeur s'engageât à ne jamais convoquer, +sans son ordre à lui, le pape, le collège électoral des +princes d'Allemagne. Notre prince a répondu que si le +pape était maître à Rome, lui, Diether d'Yssembourg, +était le maître à Mayence; qu'il ne se mêlait point des +querelles du pape avec les Napolitains, les Toscans ou les +Lombards, et qu'il entendait que le pape n'intervînt point +dans ses rapports avec les princes allemands.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>La réplique était juste, mais le pape Pie II, qui a passé +sa vie à batailler contre tous les souverains de l'Europe, +et à se mêler à toutes les intrigues des cours, n'était pas +homme à s'arrêter devant les protestations d'un archevêque. +Par une bulle foudroyante, il a déposé Diether +d'Yssembourg, et institué à sa place, comme souverain de +Mayence, notre puissant voisin, le comte Adolphe de +Nassau. (<small>Parcourant les papiers.</small>) Tout cela est rappelé dans +cette pièce... Mais notre cher souverain ajoute qu'il n'a +pas voulu subir la décision pontificale. Il a fait appel aux +amis qu'il possède parmi les princes régnants de l'Allemagne, +et l'un d'eux, l'électeur Palatin, a mis à sa disposition +des armes et des troupes, pour les opposer à celles +du comte de Nassau.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Et de bonnes troupes, puisqu'il y a un an, le 14 septembre +1461, une bataille rangée a eu lieu, sur les bords +du Mein, près d'Heidelberg, et que les soldats de Nassau +ont été complètement battus par les nôtres. (<small>Il se lève.</small>) +Victoire fâcheuse, peut-être, car le comte de Nassau, furieux +de sa défaite, et le pape, irrité d'une pareille résistance, +ont si bien manœuvré qu'ils ont détaché de notre +cause l'électeur Palatin. Notre ancien allié nous a retiré +ses troupes; de sorte qu'aujourd'hui, nous en sommes +réduits à nos propres forces, c'est-à-dire à la garde civique, +pour repousser les attaques des gens de Nassau.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Tout cela est expliqué ici, et Diether d'Yssembourg conclut +en demandant à l'Empereur d'Allemagne, le prompt +secours de forces militaires.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ce secours viendrait trop tard, car Adolphe de Nassau +presse ses armements; et comme nous n'avons, pour défendre +la ville, que ses vieux remparts et ses anciennes +fortifications, je suis loin, ami Scheffer, d'être rassuré sur +le sort de Mayence.</p> + +<p class="indic"><small>Il va au bureau à gauche.</small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>L'avenir me paraît, en effet, assez sombre pour nous. +(<small>Il se lève et frappe sur un timbre. Friélo entre par la droite, premier +plan.</small>) Friélo, va porter ceci aux ateliers, et qu'on le compose +sans retard<a name="FNanchor_B_52" id="FNanchor_B_52"></a><a href="#Footnote_B_52" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>lisant le papier qu'on lui a remis</small>.</p> + +<p>«<i>Supplique du prince électeur, Diether d'Yssembourg, à +l'Empereur d'Allemagne.</i>» Eh bien, il ne fera pas mal +de se presser de nous envoyer des secours, l'Empereur +d'Allemagne; car la pauvre ville de Mayence en a grand +besoin. Tout y est sens dessus dessous. Les femmes pleurent +et les enfants crient. Les gardes civiques fourbissent +leurs rapières et astiquent leurs hallebardes; tandis que +les artilleurs traînent les bombardes du côté des remparts. +Comment tout cela finira-t-il?</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Va donc porter cette copie, Friélo... Je t'ai dit que +c'était pressé!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>J'y cours, maître, j'y cours. (<small>Il va pour sortir par la porte de +droite, mais il s'arrête.—Regardant à gauche.</small>) Monsieur Scheffer, +voyez donc la visite qui nous arrive!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Une visite?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Je ne vois pas les visages, mais ce sont des personnages +de très haut rang, car tous les ouvriers s'inclinent +sur leur passage, avec les signes du plus profond respect.</p> + +<p class="indic"><small>Il sort par la droite.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_51" id="Footnote_A_51"></a><a href="#FNanchor_A_51"><span class="label">[A]</span></a> Scheffer, Gutenberg.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_52" id="Footnote_B_52"></a><a href="#FNanchor_B_52"><span class="label">[B]</span></a> Gutenberg, Scheffer, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste">DIETHER D'YSSEMBOURG, SCHEFFER, +GUTENBERG, CONRAD HUMMER, <span class="smcap">Hallebardiers</span></p> + +<p class="indic"><small>Les hallebardiers se rangent des deux côtés de la porte.</small></p> + +<p class="perso">UN SOLDAT, <small>annonçant</small>.</p> + +<p>Monseigneur Diether d'Yssembourg, prince électeur, +archevêque de Mayence; M. Conrad Hummer, Syndic +de la ville!</p> + +<p class="indic"><small>Le prince électeur et Conrad Hummer entrent</small><a name="FNanchor_A_53" id="FNanchor_A_53"></a><a href="#Footnote_A_53" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Heureuse et honorée la maison qui reçoit aujourd'hui +le souverain de Mayence!... ainsi que toi, mon cher Conrad, +toi qui es maintenant le Syndic de notre bonne +ville.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Mon cher Gutenberg, mon cher Scheffer, nous laisserons +pour un autre moment les cérémonies et les discours. +Les circonstances sont graves, et ma visite vous +dit assez qu'un grand péril menace la cité. Notre constant +ennemi, celui qui, soutenu par le pape, a juré de +détruire vos libertés municipales, et d'absorber Mayence +dans ses États, a rassemblé toutes ses forces, et il marche +sur notre ville. Il ne faut pas nous laisser surprendre. +C'est pour cela qu'avec le Syndic de la ville, je viens donner +mes instructions aux chefs des gardes civiques auxquels +est confiée la défense des dix portes fortifiées de la +ville. Vous, Scheffer, et vous, Gutenberg, êtes chargés de +garder deux portes, n'est-ce pas?</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>Oui; Gutenberg et Scheffer doivent se placer, avec les +hommes de leur quartier, dans les poternes et bastions +qui défendent la troisième et la quatrième porte du côté +du Rhin.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Eh! bien, Scheffer, eh! bien, Gutenberg, voici le relevé +des forces dont vous disposerez. (<small>Il leur remet à chacun un pli. +Gutenberg et Scheffer prennent le pli et s'inclinent.</small>) Dans cette note +se trouve le détail des quantités de poudre et de boulets +de pierre accompagnant la bombarde qui a été placée +sur le rempart, entre la troisième et la quatrième porte +du Rhin. Il y a aussi le détail de l'approvisionnement, en +grains et fourrages, pour les chevaux, en cas d'une sortie +de notre part.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Nous avons ici soixante ouvriers solides, qui peuvent +se rendre, avec nous, à la porte du Rhin; mais ils ne sont +pas encore armés.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Qu'ils se rendent sur la place du Dom. Là, les piques, +les lances et les épées, leur seront délivrées. Nous n'avons, +malheureusement pas d'armes à feu portatives, couleuvrines +ou arquebuses, à opposer à nos ennemis, qui +en ont fait venir d'Espagne. Mais la vaillance elle patriotisme +des citoyens suppléeront à l'insuffisance de leurs +armes.</p> + +<p class="indic"><small>Fausse sortie du prince et de Conrad Hummer.</small></p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG, <small>revenant</small>.</p> + +<p>Ah! un mot encore. Des vedettes sont placées sur les +tours des Églises, aux quatre coins de la ville. Elles ont +pour mission, dès qu'elles apercevront l'ennemi, de sonner +aussitôt le tocsin. Ce sera le signal d'alarme et d'appel +pour toutes les gardes civiques et pour les habitants de +la ville en état de porter les armes... Ainsi, dès que vous +entendrez le tocsin, Scheffer, dès que vous l'entendrez, +Gutenberg, n'hésitez pas un instant, courez, volez aux +remparts. Seriez-vous près de votre fils nouveau né, seriez-vous +au chevet de votre mère mourante, abandonnez +tout, courez au combat!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Il s'agit de défendre nos femmes et nos enfants, et de +sauver nos libertés civiques. Nos bras, nos forces, notre +existence, sont à vous, monseigneur.</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Je savais que je pouvais compter sur votre courage et +votre dévouement. Adieu donc; je vais continuer à donner +mes instructions aux chefs des autres bastions et poternes.</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER, <small>prenant la main de Gutenberg</small>.</p> + +<p>Nous nous retrouverons, cher camarade, devant l'ennemi.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Permettez, monseigneur, que je vous reconduise jusqu'à +votre carrosse.</p> + +<p class="indic"><small>Diether sort, suivi de Conrad et de Gutenberg. Les soldats suivent. +Scheffer qui les a suivis, rentre en scène.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_53" id="Footnote_A_53"></a><a href="#FNanchor_A_53"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Conrad, Diether, Scheffer, Hallebardiers, au fond.</p></div> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste">SCHEFFER, ANNETTE</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>entrant par la droite</small><a name="FNanchor_A_54" id="FNanchor_A_54"></a><a href="#Footnote_A_54" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>C'est le prince électeur et le Syndic de la ville qui sortent +d'ici?... Que se passe-t-il donc? Je meurs d'inquiétude.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Des événements très graves se préparent. Le temps +presse et je vous prie de m'écouter; car j'ai à vous parler, +et de choses sérieuses.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je vous écoute.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Depuis trois ans, je travaille en secret, au perfectionnement +de l'imprimerie, et j'ai été assez heureux pour trouver +un procédé qui va simplifier extraordinairement la +fabrication des caractères. Vous savez que les lettres métalliques +dont nous nous servons, sont sculptées une à +une. C'est un travail énorme et très dispendieux. Or, j'ai +imaginé de graver en acier un type, qui me sert à frapper +ensuite un moule à lettres. Je coule dans ce moule +l'alliage destiné à former les caractères, et j'obtiens ainsi +des lettres ayant toute la perfection désirable, tout en +conservant le type primitif en acier.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>C'est assurément une grande simplification, et je reconnais +là votre talent.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Attendez! je n'ai pas fini. Gutenberg emploie, pour +imprimer ses livres, les lettres gothiques des anciens +manuscrits. Je veux, moi, faire usage des caractères romains, +dont la netteté est précieuse, non seulement pour +l'imprimeur, car elle simplifie son travail, mais aussi pour +le lecteur, car elle facilite la lecture.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>C'est encore là une belle idée! Mais pourquoi, Scheffer, +est-ce à moi que vous parlez de tout cela, au lieu de le +communiquer à Gutenberg, à votre associé<a name="FNanchor_B_55" id="FNanchor_B_55"></a><a href="#Footnote_B_55" class="fnanchor">[B]</a>? S'il est +vrai que vous ayez découvert plusieurs perfectionnements +utiles à l'art de l'imprimerie, votre devoir serait de les +communiquer à Gutenberg, qui, depuis deux ans, n'a +aucun secret pour vous, qui vous a initié à ses travaux, +et vous a traité comme un fils.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Vous oubliez que je vous aime, dame Annette! C'est +pour me rendre digne de vous que j'ai voulu surpasser +Gutenberg. Je vous savais ambitieuse de gloire et passionnée +pour notre art. C'est pour cela que je viens vous +dire: «Gutenberg n'est pas le seul créateur de l'imprimerie. +Un autre qui a reçu du ciel ce même don suprême +que vous admirez en lui, un autre, après avoir découvert +de nouveaux procédés pour l'imprimerie, met à vos +pieds ses talents et son cœur». Que me répondrez-vous?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je vous répondrai que celui qui veut, du même coup, +ravir le bonheur et la gloire à son bienfaiteur, est un +double traître. Je lui dirai qu'il a menti; car l'art de l'imprimerie +a été créé par celui là même qu'il veut trahir, +comme inventeur et comme époux.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Annette! ne me repoussez pas. Croyez en ma parole, +et ne vous abusez pas plus longtemps sur le compte d'un +homme qui ne peut plus répondre aux aspirations de votre +cœur, ni de votre esprit.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je vous l'ai déjà dit, Scheffer, j'aime Gutenberg pour +son génie, pour l'affection qu'il me porte, et je suis véritablement +indignée de vos paroles.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Quoi! c'est lorsque j'ai réussi dans mes travaux, au +point de surpasser Gutenberg; c'est lorsque je viens vous +offrir les prémices de ma découverte et le don de mon +cœur, que vous m'écrasez de votre orgueilleuse préférence +pour un autre! Ne prononcez plus devant moi le +nom de mon rival; car ce nom ne m'inspire que révolte +et jalousie! Annette, prenez garde, car maintenant, je +hais Gutenberg!...</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>elle marche sur Scheffer, qui recule</small>.</p> + +<p>Des menaces, Scheffer! des menaces, parce que je refuse +de répondre à un amour coupable! Esprit envieux, +serpent réchauffé dans le sein de l'amitié, la passion te +fait oublier le respect que tu dois à ton maître et à moi<a name="FNanchor_C_56" id="FNanchor_C_56"></a><a href="#Footnote_C_56" class="fnanchor">[C]</a>.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Annette! de grâce, écoutez-moi! Je n'ai pas tout dit... +J'ai pris toutes mes dispositions pour créer une imprimerie +nouvelle, qui fera une révolution dans cet art. +C'est à Francfort que je compte l'établir. Mais j'entends +ne conserver aucun rapport avec Gutenberg. Venez avec +moi, chère Annette; venez partager la destinée brillante +qui m'attend, et laissez s'écouler votre vie, heureuse et +tranquille, entre la richesse et la gloire. Que l'amour ardent +que je vous ai voué depuis dix années, ait enfin son +couronnement!... (<small>Il prend Annette dans ses bras.</small>) Consentez +à me suivre. Tout est préparé pour nous rendre ensemble +à Francfort.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>vers les dernières paroles de Scheffer était entré sans +rien dire. Il avait ouvert l'armoire, pris son épée et bouclé son +ceinturon. Il a entendu les dernières paroles de Scheffer.</small></p> + +<p>Misérable! Tu veux, à la fois, suborner ma femme et me +ravir ma gloire! Je suis stupéfait de tant de duplicité et +de tant d'audace<a name="FNanchor_D_57" id="FNanchor_D_57"></a><a href="#Footnote_D_57" class="fnanchor">[D]</a>!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Tu as entendu mes paroles? Tu nous épiais! Eh bien! +assez de dissimulation, assez d'ombre et de mystères. +Oui, depuis longtemps j'aime Annette, et je ne vois en +toi qu'un rival que j'abhorre. Autant que toi, j'ai le génie +de l'art, et je te le prouverai en ouvrant à Francfort une +imprimerie rivale, qui fera oublier jusqu'à ton nom. +Quant à Annette, laisse-la choisir entre nous deux.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Quelle indignité!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Ah! maintenant, rien ne m'arrêtera plus, ni pour parler, +ni pour agir. J'aime, je te le répète, Annette de la +Porte-de-Fer, et je l'ai toujours aimée. Je l'aimais déjà +quand je travaillais sous tes ordres, au couvent de Saint-Arbogast. +Je l'aime plus encore depuis que je vis sans +cesse près de vous; et toi je te hais, parce que tu es son +époux... Ainsi, qu'elle prononce entre nous, qu'elle dise +si elle veut, oui ou non, me suivre à Francfort!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Voilà donc tes vrais sentiments! Le voilà donc jeté le +masque qui cachait la noirceur de ton âme! Traître, tu +ne périras que de ma main!... Défends-toi!</p> + +<p class="indic"><small>Ils tirent leurs épées, qu'ils portaient à la ceinture, et se battent. +Le tocsin sonne.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>C'est le tocsin! Que veut dire cela?</p> + +<p class="indic"><small>Ils abaissent leurs épées.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>avec force</small>.</p> + +<p>Cela veut dire que l'ennemi est aux portes de la ville; +cela veut dire que le combat va s'engager sous nos murs; +cela veut dire qu'il faut, pour le moment, faire trêve à +nos querelles, à nos ressentiments, à nos haines, et courir +au poste dont le commandement nous a été confié.</p> + +<p class="indic"><small>Il remet l'épée au fourreau.</small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>remettant l'épée au fourreau</small>.</p> + +<p>Tu as raison, Gutenberg. Courons où la patrie nous +appelle! Et à demain nos querelles et ma vengeance!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Aux remparts! à la poterne!</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Aux remparts! à la poterne!</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent en courant. Le canon gronde pendant la chute du rideau. +Annette veut retenir Gutenberg, mais celui-ci la repousse +avec colère. Annette tombe au milieu du théâtre.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_54" id="Footnote_A_54"></a><a href="#FNanchor_A_54"><span class="label">[A]</span></a> Scheffer, Annette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_55" id="Footnote_B_55"></a><a href="#FNanchor_B_55"><span class="label">[B]</span></a> Scheffer, Annette.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_56" id="Footnote_C_56"></a><a href="#FNanchor_C_56"><span class="label">[C]</span></a> Annette, Scheffer.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_D_57" id="Footnote_D_57"></a><a href="#FNanchor_D_57"><span class="label">[D]</span></a> Scheffer, Gutenberg, Annette.</p></div> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2><a name="SIXIEME_TABLEAU" id="SIXIEME_TABLEAU"></a>SIXIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">LA PRISE DE MAYENCE</p> + +<p class="tableau"><small>Même décor, mais sans les accessoires.</small></p> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, FRIÉLO</p> + +<p class="indic"><small>Au lever du rideau, Annette est agenouillée à droite, devant la fenêtre.—Friélo +est au fond, regardant à gauche, à la cantonade.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>priant</small>.</p> + +<p>Seigneur! ta colère est terrible! Avec quelle rigueur ton +bras s'est abattu sur tes malheureux enfants! Mais tu es +aussi le Dieu de clémence et de bonté. Assez de ruines se +sont accumulées; assez de sang a coulé de nos veines, +assez de larmes sont tombées de nos yeux. Seigneur, suspends +les coups dont ta main nous accable. Sauve ce qui +reste des personnes et des biens de la pauvre cité de +Mayence! (<small>Elle se lève et va à la fenêtre.</small>) Quel affreux spectacle! +Le feu est aux quatre coins de la ville. La rue est +pleine de fuyards et de soldats, ivres de la victoire, et +encore enflammés de la fureur du combat. On n'entend +que des cris de douleur et d'épouvante. Partout la désolation, +la terreur et la mort!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>à la porte du fond</small>.</p> + +<p>Quel est ce groupe de fuyards?... Ce sont nos ouvriers. +Ils sont poursuivis et viennent se réfugier ici...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Gutenberg est-il avec eux?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Oui! grâce à Dieu!... Je vois aussi Scheffer!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Ah!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Ils ont franchi la porte, ils rentrent! Les voici!</p> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, FRIÉLO, <span class="smcap">Ouvriers</span>, <small>entrant en tumulte par le fond, +les habits déchirés</small>, GUTENBERG, SCHEFFER<a name="FNanchor_A_58" id="FNanchor_A_58"></a><a href="#Footnote_A_58" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>courant à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Dieu soit loué! tu me reviens! Je n'ai pas tout perdu, +puisque tu es vivant!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>tenant son épée nue</small>.</p> + +<p>Quelle affreuse journée! La ville a été surprise au milieu +de la nuit. Les troupes du comte de Nassau ont franchi +les remparts, presque sans résistance, et ont tout envahi, +Diether a pu s'enfuir, en franchissant le mur d'enceinte +du côté du Rhin, et en prenant une barque. Encore a-t-il +failli périr dans le fleuve, au milieu de l'obscurité de la +nuit. Cependant il est en sûreté. Par ordre du comte de +Nassau, la ville est, depuis ce matin, livrée au pillage, et +toutes les horreurs s'y commettent. (<small>Bruit au dehors.</small>) Quels +sont ces cris?... (<small>Annette va à la fenêtre, Gutenberg la suit.</small>) Une +troupe de volontaires remplit la rue et se dirige vers nous! +(<small>Aux ouvriers, à la cantonade.</small>) Barricadez la porte, mes +amis...</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Il serait trop tard! Ils sont là.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_58" id="Footnote_A_58"></a><a href="#FNanchor_A_58"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Gutenberg, Scheffer, Friélo, Ouvriers, au fond.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes, Soldats</span> DE NASSAU, <small>entrant par le fond</small>, ZUM, +<small>et</small> LE PETIT ZUM, <small>les précédant</small></p> + +<p class="perso">ZUM, <small>entre par le fond, suivi du petit Zum. Au fond, les soldats se +battent avec les ouvriers</small>.</p> + +<p>Par ici, mes amis, par ici. Je connais la maison et ses +habitants; vous y trouverez, j'en réponds, un riche butin<a name="FNanchor_A_59" id="FNanchor_A_59"></a><a href="#Footnote_A_59" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Zum</small>.</p> + +<p>Ah! c'est toi! Tu as donc repris la souquenille du +reître?</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Oui; quand j'ai appris qu'il y avait guerre et promesse +de pillage, j'ai demandé à rentrer dans les troupes volontaires +du comte de Nassau... et mon petit frère aussi.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Et vous venez, naturellement, faire ici œuvre de pillards +et de bandits! Je te reconnais, misérable, c'est toi qui as +tué Dritzen, à Strasbourg, et qui as bien manqué, à Paris, +de me frapper traîtreusement.</p> + +<p class="perso">SCHEFFER.</p> + +<p>Et voilà les hommes dont nos ennemis invoquent les +services! Ils prennent à leur solde des spadassins et des +brigands de grande route!</p> + +<p class="perso">ZUM.</p> + +<p>Tu as le verbe bien haut pour un vaincu et un fuyard! +Ton sang va payer tes injures!</p> + +<p class="indic"><small>Il tire son épée.</small></p> + +<p class="perso">SCHEFFER, <small>tirant son épée</small>.</p> + +<p>Avance donc!</p> + +<p class="indic"><small>Zum fond sur lui, l'épée à la main. Ils se battent.</small></p> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>se battant avec Gutenberg, tandis que Zum se +bat avec Scheffer</small>.</p> + +<p>Mon grand frère prétend que je ne suis bon à rien... +Nous allons voir... (<small>Tout en se battant avec Gutenberg, il frappe, +par derrière, avec son poignard, Scheffer, pendant que ce dernier se +bat avec Zum. Scheffer tombe mort.</small>) Voilà, je crois, de l'ouvrage +assez propre! Qu'en dis-tu, grand frère?</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>regardant le corps de Scheffer</small>.</p> + +<p>Oui, ce n'est pas mal travaillé! (<small>À Gutenberg.</small>) À nous +deux, maintenant, Gutenberg!</p> + +<p class="indic"><small>Friélo entre, avec une arquebuse, dont il menace le petit Zum, +pour l'empêcher d'attaquer Gutenberg. Zum, attaque Gutenberg, +qui a tiré son épée. Ils se battent<a name="FNanchor_B_60" id="FNanchor_B_60"></a><a href="#Footnote_B_60" class="fnanchor">[B]</a>.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_59" id="Footnote_A_59"></a><a href="#FNanchor_A_59"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Zum, petit Zum, Scheffer.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_60" id="Footnote_B_60"></a><a href="#FNanchor_B_60"><span class="label">[B]</span></a> Petit Zum, Zum, Gutenberg, Friélo.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, CONRAD HUMMER</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER, <small>il tient un papier à la main</small>. <small>Il a un bras en +écharpe.</small></p> + +<p>Que tout combat cesse! Que toute épée rentre au fourreau. +Voici l'ordre, que je viens d'obtenir du comte Adolphe +de Nassau, d'arrêter le pillage, et de faire rentrer +toutes les troupes dans le camp établi sous les remparts. +Les hérauts d'armes proclament dans Mayence la cessation +des hostilités, et l'on bat la retraite, pour faire rentrer les +troupes.</p> + +<p class="perso">ZUM, <small>remettant l'épée au fourreau</small>.</p> + +<p>On ne peut donc pas nous laisser achever notre besogne, +et gagner honnêtement notre solde? (<small>Au petit Zum.</small>) +Viens, petit... et rentrons au camp, puisque tel est le bon +plaisir de notre seigneur et maître, le comte de Nassau.</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent, les soldats les suivent.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>à Conrad Hummer</small>.</p> + +<p>Ami, tu as sauvé mes jours, merci! Mais peut-être aurais-je +autant aimé perdre la vie que de survivre à la défaite +et à la ruine de notre cité... Mais tu es blessé.</p> + +<p class="perso">CONRAD HUMMER.</p> + +<p>Oui, mais qu'importe! c'est notre pauvre ville qu'il +faut plaindre. C'est elle qu'il faut songer à sauver, si c'est +possible encore... Viens, allons relever nos blessés.</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent par le fond gauche. La scène reste vide.</small></p> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="perso">LE PETIT ZUM, <small>il entre par le fond droit; il tient à la main une +torche enflammée. Il s'avance au milieu du théâtre, et s'assure qu'il +n'y a personne. Il tâte le corps de Scheffer et s'assure qu'il est +mort.</small></p> + +<p>Mon grand frère est un grand entêté. Il m'a encore soutenu, +tout à l'heure, que je ne suis bon à rien... Je vais lui +prouver le contraire! (<small>Il met le feu à gauche, puis à droite, enfin +au fond, et s'enfuit par le fond, en brandissant sa torche allumée.</small>) +Voilà qui est fait!</p> + +<p class="indic"><small>L'incendie éclate.—Tableau.</small></p> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2>ACTE CINQUIÈME</h2> + +<p class="t2"><a name="JOURS_DE_MISEgraveRE" id="JOURS_DE_MISEgraveRE"></a>JOURS DE MISÈRE</p> + +<p class="tableau"><small>La campagne aux environs de Wiesbade.—À gauche, au premier plan, un +tonneau, sur lequel est monté un violonneux.—À gauche, au deuxième +plan, des tables occupées par des buveurs.—À droite, au deuxième plan, +une autre table.—À droite, au premier plan, l'entrée du cabaret.</small></p> + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">CORNÉLIUS, MEYER, MARGUERITE, MEYER, +<span class="smcap">Paysans, Buveurs</span><a name="FNanchor_A_61" id="FNanchor_A_61"></a><a href="#Footnote_A_61" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="indic"><small>Au lever du rideau, le violonneux, monté sur un tonneau, joue, les +paysans et paysannes valsent, accompagnés par l'orchestre; Meyer +est debout près du violonneux.</small></p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS, <small>ramenant de la valse, Marguerite</small>.</p> + +<p>Oui, il faut valser! oui, il faut danser! oui, il faut s'amuser, +rire et boire! car, dans tout le duché, on célèbre +aujourd'hui l'anniversaire de la prise de Mayence par +notre prince Adolphe de Nassau. Wiesbade est en fête, +et notre village de Fremesberg prend sa part aux réjouissances +publiques! Donc, monsieur le violonneux, ne laissez +pas, je vous prie, reposer votre archet. Nous allons +recommencer.</p> + +<p class="perso">MEYER, <small>au violonneux</small>.</p> + +<p>Tenez, rafraîchissez-vous d'un bon verre de cette bière +nouvelle; cela vous donnera du cœur pour continuer à +râcler vos boyaux. (<small>Il donne un verre de bière au violonneux, +qui boit, et s'essuie la bouche avec sa manche.</small>) Mais à propos de +la prise de Mayence, il y a une chanson là dessus. Il faudrait +nous la chanter!... Mais qui va nous la dire?</p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Pardine! ce n'est pas malin! c'est ta fille Marguerite; +elle a la plus jolie voix du village! (<small>À Marguerite.</small>) Allons, +Marguerite, la chanson.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Je le veux bien, mais à une condition, monsieur Cornélius, +c'est que vous me soufflerez, si je me trompe!</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Ne te gêne pas, ma fille, il te faut M. le maître d'école +pour te mettre en voix!</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Dame!</p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Me voilà, jolie Marguerite! me voilà! et je vous soufflerai +tout ce qu'il vous plaira.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Eh bien, je commence!</p> + +<p class="indic"><small>Elle chante.</small></p> + +<h4>LA PRISE DE MAYENCE (<small>Ballade.</small>)<a name="FNanchor_B_62" id="FNanchor_B_62"></a><a href="#Footnote_B_62" class="fnanchor">[B]</a></h4> + +<div class="poem"><div class="stanza"> +<span class="i0">Dans notre joli duché de Nassau,<br /></span> +<span class="i0">Sont de frais vallons, de vertes montagnes,<br /></span> +<span class="i0">Des champs infinis, de riches campagnes,<br /></span> +<span class="i0">Des bois, des blés, de murmurants ruisseaux.<br /><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Mais à Mayence on voit de grandes cathédrales,<br /></span> +<span class="i0">Des jardins enchantés, des palais somptueux,<br /></span> +<span class="i0">Et la place du Dom, avec ses grandes dalles,<br /></span> +<span class="i0">Et sous ses murs, le Rhin, aux flots majestueux.<br /><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Dans notre joli duché de Nassau,<br /></span> +<span class="i0">On voit le dimanche, au bal du village,<br /></span> +<span class="i0">Valser doucement, sous le vert feuillage<br /></span> +<span class="i0">La jeune fillette et le jouvenceau.<br /><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Mais à Mayence on voit grands seigneurs, nobles dames,<br /></span> +<span class="i0">En leur palais superbe, aux sons joyeux du cor,<br /></span> +<span class="i0">De l'amour et du vin allumant les deux flammes,<br /></span> +<span class="i0">Chercher l'heureuse ivresse au fond des coupes d'or.<br /><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Notre prince a sonné la fanfare guerrière,<br /></span> +<span class="i0">Alors sont accourus ses soldats valeureux,<br /></span> +<span class="i0">Les éclairs de la poudre ont brillé dans les cieux,<br /></span> +<span class="i0">La bombarde a lancé son lourd boulet de pierre.<br /><br /></span> +</div><div class="stanza"> +<span class="i0">Et maintenant, à Nassau conquérant<br /></span> +<span class="i0">Sont les palais, la vieille cathédrale<br /></span> +<span class="i0">Le marbre et l'or de sa vieille rivale.<br /></span> +<span class="i0">Honneur et gloire au prince triomphant!<br /></span> +</div></div> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Je ne sais si vous avez remarqué que rien ne donne +soif comme une chanson patriotique. On met tant de chaleur +à chanter ses victoires, que le gosier se dessèche à +un point extraordinaire. Pour moi, je suis au moment +d'avaler ma langue.</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Il vaut mieux que tu avales ma bière, maître Cornélius. +On va t'en servir à discrétion, ainsi qu'à tous nos +amis. On paie et chacun est content.</p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Eh bien, vide ta cave sur nos tables, généreux cabaretier!</p> + +<p class="indic"><small>Tous les paysans s'assoient aux tables de droite et de gauche</small><a name="FNanchor_C_63" id="FNanchor_C_63"></a><a href="#Footnote_C_63" class="fnanchor">[C]</a>.</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Vous qui êtes si savant, monsieur le maître d'école...</p> + +<p class="perso">MARGUERITE, <small>assis près de Cornélius</small>.</p> + +<p>Oh! oui, qu'il est savant, M. le maître d'école!...</p> + +<p class="indic"><small>Elle le regarde avec admiration.</small></p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Pourriez-vous nous dire si la bière nouvelle désaltère +davantage que la bière conservée, et si le vin nouveau...</p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Attendez!... Quel est ce singulier équipage qui nous +arrive?</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_61" id="Footnote_A_61"></a><a href="#FNanchor_A_61"><span class="label">[A]</span></a> Violonneux, Meyer, Marguerite, Cornélius.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_62" id="Footnote_B_62"></a><a href="#FNanchor_B_62"><span class="label">[B]</span></a> Musique de M. Ch. Balanqué, de l'Opéra-Comique de Paris.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_63" id="Footnote_C_63"></a><a href="#FNanchor_C_63"><span class="label">[C]</span></a> Meyer, Marguerite, Cornélius, assis à la même table à droite.</p></div> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, GUTENBERG, FRIÉLO</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg, avec une longue barbe blanche et un bâton à la main, conduit +par la bride un cheval, qui traîne une charrette, contenant une +presse d'imprimerie, des formes et une casse d'imprimerie. Il arrive +par la gauche, et s'arrête au milieu du théâtre.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Nous sommes partis de Wiesbade à six heures du matin; +il est quatre heures de l'après-midi, et nous n'avons +pas cessé de marcher. Nous n'avons pas recueilli un pfenning, +et je ne tiens plus sur mes jambes. Je crois que nous +ferons bien de nous arrêter un moment. Au milieu de ce +village en fête, nous trouverons bien un coin, pour nous +reposer.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Eh bien, va attacher Bijou à un arbre; puis, nous +irons nous asseoir au milieu de ces braves gens. (<small>Friélo +fait sortir le cheval et la charrette. Ils vont ensuite s'asseoir à gauche +au bout d'une table occupée par des buveurs.</small>)<a name="FNanchor_A_64" id="FNanchor_A_64"></a><a href="#Footnote_A_64" class="fnanchor">[A]</a> On nous permettra +sans doute de prendre place ici!</p> + +<p class="perso">MEYER, <small>s'approche des buveurs de la table de gauche, pour les +servir</small>.</p> + +<p>Y a-t-il quelque chose encore dans vos verres, gais +compagnons?</p> + +<p class="perso">LE BUVEUR.</p> + +<p>Non, nos hanaps sont vides; va les remplir. (<small>Retenant +Meyer par la manche.</small>) Mais, dis-moi, quel est cet homme, à +barbe blanche, qui vient de s'asseoir là?</p> + +<p class="indic"><small>Friélo revient.</small></p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Ah! ne faites pas attention! C'est un pauvre diable qui +est venu déjà ici, dimanche dernier. Sa cervelle est un +peu détraquée; mais il ne fait de mal à personne!</p> + +<p class="perso">LE BUVEUR.</p> + +<p>Ah! sa cervelle est détraquée!... Je n'aime pas beaucoup +à me trouver près d'un fou.</p> + +<p class="indic"><small>Il prend son verre, quitte la table, et va se placer à la table de +droite. Les autres buveurs, l'ayant vu faire et l'ayant interrogé +du regard, quittent tous également la table, et vont se placer +à la table de droite.</small></p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Eh bien? Eh bien, que se passe-t-il? Pourquoi tout le +monde quitte-t-il cette place? (<small>Les buveurs, sans lui répondre, +lui montrent Gutenberg.</small>) C'est cet homme à la barbe blanche +qui vous fait fuir? Je vais mettre ordre à ça! (<small>Il s'approche +de Gutenberg, qui est assis.</small>) Vous ne commandez donc rien, +mon brave homme: ni bière, ni pain, ni jambon?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je n'ai pas d'argent.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO, <small>frappant sur son escarcelle, d'un air piteux</small>.</p> + +<p>Ni moi non plus!</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Il ne faudrait pas, alors, prendre la place de ceux qui +paient! Vous faites fuir tout le monde et vous ne demandez +rien?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Vous avez raison, monsieur l'aubergiste; je ne veux +pas vous faire du tort. Nous allons partir. (<small>Ils se lèvent.</small>) +Seulement, une charité. Donnez-nous à chacun un verre +d'eau; car nous mourons de soif.</p> + +<p class="perso">MEYER, <small>il va à Marguerite, qui est assise près de Cornélius, à la table +de droite</small>.</p> + +<p>Ce vieux, à la barbe blanche, demande, avant de partir, +un verre d'eau. Apporte-le lui, et qu'ils détalent d'ici, +car ils font fuir les clients.</p> + +<p class="indic"><small>Marguerite emplit un verre d'eau et l'apporte à Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>prenant le verre</small>.</p> + +<p>Merci, charmante enfant. (<small>Il va pour boire, Marguerite arrête +son bras, prend le verre et jette l'eau.</small>) Que faites-vous?</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Attendez! Il ne sera pas dit qu'en ce jour de fête, un +malheureux n'aura pas trouvé la charité dans notre village.</p> + +<p class="indic"><small>Elle va remplir un verre de bière, et l'apporte à Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Ah! merci, merci, mademoiselle l'aubergiste; Dieu vous +rendra cela en paradis.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE, <small>à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Comme vous êtes pâle et fatigué! C'est le besoin... la +faim, peut-être? Nous avons aujourd'hui du jambon, du +pain frais et du vin à discrétion. Je vais vous servir tout +cela; et comme l'a dit le petit, Dieu me rendra en paradis, +mon pain et mon jambon. (<small>Marguerite va prendre un plateau +contenant du vin et deux verres, qu'elle va porter à Gutenberg et à +Friélo.</small>) Tenez, bonnes gens, buvez, mangez, et prenez +des forces, pour continuer votre route. (<small>À Meyer, qui s'est +levé, pour regarder manger Gutenberg.</small>) Regarde, mon père, +avec quel appétit ils font honneur à notre repas.</p> + +<p class="perso">MEYER, <small>avec humeur</small>.</p> + +<p>Oui, oui, un repas qui ne coûte rien, c'est toujours bon; +mais ce n'est pas aussi agréable pour l'aubergiste. (<small>À Gutenberg.</small>) +Vous savez qu'on attend votre place, quand +vous aurez fini. Ainsi, dépêchez-vous, si c'est possible.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Ah! mon père, tu ne peux donc pas être bon pour les +malheureux, une fois dans ta vie!</p> + +<p class="perso">LES BUVEURS, <small>criant et appelant</small>.</p> + +<p>De la bière!... du vin!... De la bière, donc, Marguerite!</p> + +<p class="perso">MARGUERITE, <small>allant aux buveurs</small><a name="FNanchor_B_65" id="FNanchor_B_65"></a><a href="#Footnote_B_65" class="fnanchor">[B]</a>.</p> + +<p>Voilà! voilà!</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par la droite, et revient, avec de la bière.</small></p> + +<p class="perso">MEYER, <small>qui est resté près de Gutenberg</small>.</p> + +<p>Comme ça, mon vieux, vous courez les pays avec votre +charrette? Et qu'est-ce qu'il y a dans votre charrette?</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Un matériel d'imprimerie... une presse... une casse, +des formes et des caractères.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Dans les villages que nous traversons, nous faisons +connaître à ceux qui l'ignorent l'art de l'imprimerie, nouvellement +inventé en Allemagne. Cela intéresse quelques +personnes, qui nous donnent, en échange, un morceau +de pain... comme vous l'avez fait tout à l'heure, mon bon +monsieur Meyer.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Tu n'ajoutes pas, Friélo, que l'inventeur de l'imprimerie, +c'est moi! que je m'appelle Jean Gutenberg, et que je +suis gentilhomme de Mayence!</p> + +<p class="perso">MEYER, <small>surpris</small>.</p> + +<p>Vous êtes l'inventeur de l'imprimerie! vous êtes gentilhomme! +(<small>À part.</small>) Pauvre diable! On a raison... sa cervelle +est détraquée. (<small>Haut.</small>) Eh bien, Monseigneur, eh bien, +mon gentilhomme, achevez votre somptueux festin, +moi, je retourne donner à boire à mes vilains.</p> + +<p class="indic"><small>Il va à la table de droite.</small></p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Eh bien, vous avez parlé à cet homme?... Que vous a-t-il +dit?</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Ah! des folies!... Il prétend être gentilhomme, s'appeler +Gutenberg, et être tout bonnement l'inventeur de l'imprimerie!</p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Voyez-vous ça! J'ai, en effet, entendu parler, à Mayence, +d'un certain Gutenberg; mais il n'était pas gentilhomme, +il était orfèvre. Quant à la prétention de ce pauvre diable +d'avoir inventé l'imprimerie, ce n'est pas à moi qu'on +contera de ces sornettes.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Oh! non, monsieur Cornélius, ce n'est pas à vous! à +vous, le maître d'école du village, que l'on contera de ces +sornettes!... Vous êtes si savant, monsieur Cornélius!</p> + +<p class="indic"><small>Elle le regarde avec admiration.</small></p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS, <small>avec importance.</small></p> + +<p>Je connais sur le bout du doigt toute cette histoire, et +si vous le voulez, je vais vous la dire, pour votre instruction +et celle de vos enfants. (<small>Les buveurs quittent la table, et +font demi-cercle autour de lui.</small>) Voyez-vous, l'imprimerie a eu +trois pères: d'abord Laurent Coster, l'imagier de Harlem, +qui a imprimé quelques volumes avec des caractères +mobiles. Ensuite, le célèbre Jean Fust, qui a imprimé des +psautiers, des missels, les <i>Offices de Cicéron</i> et autres ouvrages, +et qui est mort de la peste, à Paris. Enfin, Pierre +Scheffer, qui a perfectionné la manière de fabriquer les +caractères, et qui fut tué à la prise de Mayence, par les +troupes de notre prince, Adolphe de Nassau. Nous avons, +dans nos écoles, des exemplaires de tous les ouvrages +dont je viens de vous parler et je puis vous les montrer. +(<small>Il tire de sa poche trois volumes.</small>) Voici d'abord un des petits +volumes de l'imagier de Harlem: <i>Lettres d'Indulgence</i>. +Voyez: <i>imprimé par Laurent Coster, à Harlem</i>. (<small>Ils regardent le +volume.</small>) Voici l'un des volumes imprimé par Fust, à Mayence +(<small>Il leur montre le livre.</small>) et qui porte: <i>Imprimerie de +Fust, à Mayence</i>. Voici enfin, la bible imprimée par +Scheffer, à Mayence. Aucun livre imprimé ne porte, que +je sache, le nom de Gutenberg. Montrez-moi un seul livre +portant la mention: <i>Imprimé par Gutenberg</i> et je vous +donnerai raison.</p> + +<p class="perso">MARGUERITE.</p> + +<p>Oui, montrez-lui un livre imprimé par Gutenberg... (<small>Le +regardant avec admiration.</small>) Comme il parle bien!... comme +il est savant!</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Alors, ce vagabond qui se prétend gentilhomme... +Attendez, je vais lui dire son fait! (<small>Il va à Gutenberg, qui est +toujours assis à la table de gauche.</small>) Vous savez, mon vieux, que +vous n'êtes pas plus gentilhomme que ma pantoufle, et +vous n'avez rien inventé du tout!... L'imprimerie a eu +trois pères... on n'en a qu'un, d'habitude, mais l'imprimerie +est une si grande dame qu'elle peut se donner le +luxe de trois papas. Donc l'imprimerie a eu pour premier +papa Laurent... Laurent... enfin, un marchand d'images.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Laurent Coster, l'imagier de Harlem!... Tu dis vrai.</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Le second papa a été le célèbre Fust, qui, étant à Paris, +a inventé la peste... (<small>Marguerite le tire par la manche.</small>) C'est-à-dire, +qui est mort de la peste à Paris.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>d'un air concentré.</small></p> + +<p>Continue!</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Et son troisième papa, c'est Scheffer, qui a fait le siège +de Mayence, (<small>Même jeu de Marguerite.</small>) c'est-à-dire qui a +été tué au siège de Mayence.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>d'un air plus concentré.</small></p> + +<p>Après?</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Après, c'est tout... (<small>D'un air d'importance.</small>) Montrez-moi +un seul livre portant la mention: <i>Imprimé par Gutenberg</i>, +et je vous donnerai raison. Par ainsi, vieux farceur, +vous nous avez conté des contes, et ce que vous avez de +mieux à faire, c'est de détaler d'ici... Je ne vous reproche +pas mon jambon, ni ma bière, mais enfin...</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se levant et éclatant.</small></p> + +<p>Qui a dit que je ne suis pas l'inventeur de l'imprimerie? +Qui a dit que Fust et Scheffer ne sont pas des imposteurs +et des voleurs d'idées? Qui a dit que Gutenberg est menteur +et traître? (<small>Il lève son bâton. Les buveurs reculent. Cornélius, +Meyer, et Marguerite, s'écartent et vont à l'extrême droite</small><a name="FNanchor_C_66" id="FNanchor_C_66"></a><a href="#Footnote_C_66" class="fnanchor">[C]</a>.) Je suis +ici au milieu de mes ennemis, des ennemis de Mayence, ma +patrie. Je suis au milieu de ces hommes barbares et cruels, +qui ont envahi, à main armée, notre malheureuse ville, et +qui l'ont saccagée. Je suis au milieu de ceux qui ont brûlé +mes ateliers, causé ma ruine et tué Pierre Scheffer! (<small>Il +brandit son bâton.</small>) Prenez garde à vous, gens de Nassau, Gutenberg, +Gutenberg, de Mayence, que vous avez ruiné, volé, +perdu à jamais, Gutenberg vous menace et vous brave.</p> + +<p class="indic"><small>Ils s'écartent davantage</small><a href="#Footnote_C_66" class="fnanchor">[C]</a>.</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Prenons garde, il est complètement fou!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Mon cher maître, calmez-vous; on ne vous veut aucun +mal!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je ne resterai pas plus longtemps dans le pays de +Nassau. Nous avons laissé à l'hôtellerie, ma femme, ma +chère Annette: cours, Friélo, va lui dire que je veux partir +tout de suite, et ramène-la.</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>L'hôtellerie où nous avons laissé dame Annette, est +près d'ici. Dans un quart d'heure, je vous l'amène.</p> + +<p class="indic"><small>Il sort.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_64" id="Footnote_A_64"></a><a href="#FNanchor_A_64"><span class="label">[A]</span></a> Gutenberg, Friélo.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_65" id="Footnote_B_65"></a><a href="#FNanchor_B_65"><span class="label">[B]</span></a> Friélo, Gutenberg, Meyer, Cornélius, Marguerite, buveurs au fond.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_C_66" id="Footnote_C_66"></a><a href="#FNanchor_C_66"><span class="label">[C]</span></a> Friélo, Gutenberg, Meyer, Cornélius, Marguerite.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, <small>moins</small> FRIÉLO</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Je savais bien qu'il avait un coup de marteau, mais je +ne le savais pas enragé. Flattons sa manie. (<small>Allant à Gutenberg +et le saluant.</small>) Monseigneur, monseigneur de Gutenberg, +mon digne gentilhomme, mon prince, on est allé +chercher la princesse, votre femme, pour vous ramener +en pompe, dans le palais de vos pères. (<small>À part.</small>) S'il n'est +pas content!</p> + +<p class="indic"><small>Gutenberg est tombé sur le banc des buveurs à droite, comme +absorbé dans ses pensées.</small></p> + +<p class="perso">CORNÉLIUS.</p> + +<p>Laisse ce pauvre homme! Nous n'avons rien à craindre +de lui; il est maintenant abattu et sans forces.</p> + +<p class="perso">MEYER.</p> + +<p>Il est certain que Sa Seigneurie n'est pas en ce moment +dans une passe brillante!</p> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, FRIÉLO</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se levant</small>.</p> + +<p>Eh bien, Friélo, ramènes-tu Annette?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Hélas, mon maître, malheur sur malheur! Je n'ai plus +retrouvé dame Annette à l'hôtellerie. Elle venait de partir, +en chargeant l'hôtelier de nous annoncer son départ.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Et, a-t-elle dit, au moins, en quel lieu elle se rend?</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Non!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Oh! dernier coup de la fatalité qui m'accable! Annette, +ma femme, qui dirigeait mes pas chancelants dans la +carrière de la vie, Annette, mon soutien, mon guide, +elle me quitte, elle m'abandonne! Et pourquoi? Ah! le +courage aura fini par lui manquer. Elle se sera fatiguée +d'un si long, d'un si constant dévouement, et elle sera +partie, en m'abandonnant à ma triste destinée. Et comment +la blâmer? Une telle abnégation, si longtemps +continuée, n'est pas dans la nature humaine. On s'épuise +en efforts, en dévouement, mais une heure vient où les +forces vous manquent, pour continuer le sacrifice. Et l'on +part; et l'on livre à son désespoir, à sa faiblesse, le triste +compagnon de sa vie misérable. Ah! Friélo, je ne survivrai +pas à ce dernier coup!... Je voudrais mourir!</p> + +<p class="indic"><small>Il retombe, accablé, sur le banc, les mains sur ses yeux.</small></p> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, MARTHA</p> + +<p class="indic"><small>Elle entre par le fond droite, et vient près de Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Levez les yeux, maître, et vous verrez que Dieu ne +vous a pas abandonné. L'un de vos anges gardiens s'est +envolé, mais l'autre vous est resté fidèle.</p> + +<p class="perso">MARTHA, <small>à Friélo</small>.</p> + +<p>Oui, cher Friélo, je viens encore protéger et défendre +ton maître. Mais n'accusez pas Annette d'ingratitude et +d'oubli. C'est elle qui, en passant devant la succursale +du couvent de Sainte-Claire, établie à Wiesbade, m'a prévenue +de son départ, m'en a expliqué les raisons, qui +n'ont rien que d'heureux, et m'a chargée de la remplacer +auprès de Gutenberg. J'ai pour mission de vous ramener +tous deux à Mayence! (<small>À Gutenberg qui, pendant la réplique +précédente, a regardé avec surprise Martha, cherchant à la reconnaître.</small>) +Vous avez entendu, messire Jean, nous allons partir; je +vous ramène à Mayence. Vous allez rentrer, et pour ne +plus la quitter, dans votre ville natale.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG<a name="FNanchor_A_67" id="FNanchor_A_67"></a><a href="#Footnote_A_67" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Un ange est descendu du ciel, pour prendre par la +main le vieillard abattu sous les coups de l'infortune, +pour l'arracher au désespoir et à la mort. Mais pourquoi +ce messager céleste prend-il la voix et les traits enchanteurs +de la jeune fille qui fut l'amour et la passion sereine +de ma jeunesse? Fille de Laurent Coster, enfant du maître +vénéré qui forma mon esprit et m'ouvrit la carrière, tu +portes les habits des saintes femmes vouées au culte de +Dieu. C'est pour me dire, n'est-ce pas, que tu vas me +transporter dans les sphères célestes, et m'amener aux +pieds du Seigneur? (<small>Il se lève.</small>) Merci à toi, noble envoyée +des divines phalanges. Je suis prêt à te suivre!... J'ai +hâte de mourir, pour que tu m'emportes sur tes blanches +ailes, au sein de l'éternelle clarté, dans l'infini des +cieux!...</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Il ne me reconnaît pas! Une longue série de malheurs, +la misère, les souffrances de l'exil, ont altéré sa raison. +C'est à nous de consoler, d'apaiser, de rendre à elle-même +cette âme meurtrie. Je ne faillirai pas à cette dernière et +suprême mission. Annette m'a chargée de ramener à +Mayence le pauvre Gutenberg. Partons, Friélo, et que +Dieu nous conduise!</p> + +<p class="indic"><small>Ils sortent, Gutenberg posant les bras sur les épaules de Martha +et de Friélo.</small></p> + + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_67" id="Footnote_A_67"></a><a href="#FNanchor_A_67"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Martha, Marguerite, Cornélius.</p></div> + + + +<hr style="width: 25%;" /> +<h2><a name="HUITIEME_TABLEAU" id="HUITIEME_TABLEAU"></a>HUITIÈME TABLEAU</h2> + +<p class="t2">LE RETOUR À MAYENCE</p> + +<p class="tableau"><small>Même décor qu'au premier acte. On a seulement supprimé les +deux enseignes. Banc de pierre, à droite.</small></p> + + + +<h3>SCÈNE PREMIÈRE</h3> + +<p class="liste">ANNETTE, <small>puis</small> HÉBÈLE</p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>sortant de la maison du Taureau-Noir</small>.</p> + +<p>Mettez tout bien en ordre. Nettoyez les vitraux de la +grande salle et les cuivres des cuisines. Pour le reste, attendez +mon retour.</p> + +<p class="indic"><small>Elle descend en scène, et rencontre Hébèle, venant par le fond.</small><a name="FNanchor_A_68" id="FNanchor_A_68"></a><a href="#Footnote_A_68" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Je viens d'apprendre ton arrivée, et j'accours te demander +pourquoi tu reviens seule, et où tu as laissé mon +pauvre frère?</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Depuis la ruine et l'incendie de notre imprimerie, à +Mayence, nous errions, Gutenberg et moi, à travers +l'Allemagne, pauvres, malheureux, et ayant souvent +besoin de recourir à la charité publique. Mon mari transportait +avec lui son vieux matériel d'imprimerie, et nous +vivions de quelque semblant de travail, accordé par la +pitié. Mais, le plus souvent, nous ne rencontrions que des +refus, des risées ou des menaces, et les pierres du chemin +auraient été tout aussi utiles à transporter, que notre +attirail d'imprimerie. Nous étions à Wiesbade lorsque +j'appris que Diether d'Yssembourg, venait d'être rétabli +sur le trône archiépiscopal de Mayence, redevenue, comme +auparavant, ville libre de l'Empire.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Oui, la mort du pape Pie II, en 1464, suivie de celle du +comte Adolphe de Nassau, a permis que les réclamations +des habitants de Mayence fussent écoutées par le Conseil +de l'Empire, et, finalement, notre bien-aimé Diether d'Yssembourg +est revenu à Mayence, ramenant avec lui nos +libertés municipales.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Dès que cet heureux événement me fut connu, je m'empressai +de quitter Wiesbade, pour venir exposer à notre +prince bien-aimé la situation lamentable du créateur de +l'imprimerie, de Gutenberg, qu'il a toujours affectionné. +En partant, je confiai mon mari aux soins dévoués de +sœur Martha, qui se chargea de le guérir et de le ramener +à Mayence.</p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>De le guérir!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oui, le malheur, les persécutions répétées, le désespoir +d'avoir tout perdu dans l'incendie de son imprimerie, +avaient un moment altéré sa raison; mais les soins attentifs +de Martha l'ont bientôt rendu à lui-même. Le prince +a écouté avec le plus vif intérêt le récit de ses infortunes, +et il a pris ses dispositions pour rendre toute justice à +Gutenberg, dès son retour. Je me rends à son palais; viens +avec moi, je te dirai en chemin mes projets et mes espérances.</p> + +<p class="indic"><small>Elles sortent par le fond gauche.</small></p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_68" id="Footnote_A_68"></a><a href="#FNanchor_A_68"><span class="label">[A]</span></a> Annette, Hébèle.</p></div> + + +<h3>SCÈNE II</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, <small>avec une barbe blanche</small>, MARTHA, FRIÉLO, <small>ayant +chacun sur l'épaule le bras de Gutenberg</small><a name="FNanchor_A_69" id="FNanchor_A_69"></a><a href="#Footnote_A_69" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Dieu soit loué! nous voici enfin au terme du voyage! +Nous avons été assez heureux pour rendre à la santé, à +la raison, le pauvre Gutenberg. Friélo, je te le confie, et +je rentre au couvent.</p> + +<p class="indic"><small>Elle sort par la gauche.</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO. <small>Il conduit Gutenberg près du banc de pierre à droite, et le +fait asseoir sur le banc.</small></p> + +<p>Marcher un jour, marcher le lendemain, marcher encore, +quel métier pour des jambes qui n'ont plus vingt +ans! Et dire que nous revenons aussi pauvres que nous +sommes partis!... et de plus, très fatigués!... Enfin, voilà +la maison du <small>Taureau-Noir</small>, et, j'espère bien, cette fois, +que nous allons nous y arrêter pour le reste de nos jours!</p> + +<p class="indic"><small>Il entre dans la maison du</small> <i>Taureau-Noir</i>.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>seul</small>. <small>Il se lève et paraît rencontrer peu à peu les lieux.</small></p> + +<p>Je te salue, ô maison paternelle!... Plus de vingt ans se +sont écoulés, depuis le jour où, pour la première fois, je dis +adieu à tes vieux murs!... Pages envolées, de ma vie, que +j'aime à vous relire en face de ces lieux paisibles où s'écoula +mon enfance! Je sens renaître ici tous les souvenirs +du passé, et, comme en un miroir fidèle, mon existence +entière se reflète à mes regards!... Mon départ de Mayence +au milieu des colères du peuple; mon séjour dans l'atelier +de Laurent Coster, à Harlem; mes veilles, mes longues +études, et l'amour ingénu de Martha, reviennent à ma +pensée. Mais je vois aussi s'évanouir, l'un après l'autre, +tous mes rêves de bonheur! Mon cher Dritzen frappé de +mort à mes côtés, et le traître Fust, s'emparant de mon +secret. Scheffer, tué à son tour, et mes ateliers consumés +par les flammes; enfin, ma vie errante à travers l'Allemagne, +et cette longue période, où, nouveau Bélisaire, +j'implorais la pitié et l'aumône des passants!... Avec +quelle émotion je revois les lieux où s'écoula ma jeunesse. +Le nid de cigognes que j'ai laissé au moment de mon +départ, est encore suspendu à la corniche de cette tour. +Les petits, devenus grands, sont partis; mais plus heureux +que moi, ils sont plusieurs fois revenus, battant des +ailes, pour nourrir des générations nouvelles. Jeunesse, +illusions, amour et gloire, j'ai tout laissé sur la route +épineuse de la vie... Ainsi, la souffrance et le malheur +sont, ici-bas, la récompense de ceux qui se dévouent au +progrès de l'humanité! Pendant que l'Europe entière s'enrichit +de ma découverte, je rentre brisé, sans ressources +et sans espoir, dans ma ville natale.</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_69" id="Footnote_A_69"></a><a href="#FNanchor_A_69"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Gutenberg, Martha.</p></div> + + +<h3>SCÈNE III</h3> + +<p class="liste">GUTENBERG, ANNETTE, FRIÉLO, HÉBÈLE, <small>Annette et Hébèle +entrent par le fond gauche</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>courant à Gutenberg</small>.</p> + +<p>Je viens d'apprendre ton arrivée, et je ne me sens pas +de joie.</p> + +<p class="indic"><small>Elle l'embrasse.</small><a name="FNanchor_A_70" id="FNanchor_A_70"></a><a href="#Footnote_A_70" class="fnanchor">[A]</a></p> + +<p class="perso">HÉBÈLE.</p> + +<p>Mon bon frère! que je te presse à mon tour dans mes +bras!</p> + +<p class="indic"><small>Elle l'embrasse.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Chère sœur jamais plus lamentable voyage, ni plus +triste retour!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Oui, Friélo, m'a raconté vos dernières étapes. La misère, +la tristesse, les privations, ont été vos compagnons +de route, depuis Wiesbade jusqu'ici. Ton âme est abattue, +ton corps est fatigué, ton visage est vieilli, et tes habits +sont usés; aucun cortège ne fête ton retour, ton escarcelle +est vide, et ta tête est blanchie par le travail et le +malheur. Mais tu as su rester digne, indépendant, loyal +et sincère. Qui donc pourrait se dire aussi riche que toi? +Cependant, ne perds pas courage; car si j'en crois mes +pressentiments, l'heure qui t'apportera la fortune, la +gloire et le repos, n'est pas éloignée.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! ma pauvre Annette! Tu as conservé toutes les illusions +de la jeunesse. Mais moi, j'ai tant souffert que +j'ai perdu jusqu'à l'espérance. Si tes beaux rêves se réalisaient +jamais, je ne serais plus sur la terre, pour en +jouir.</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Et la devise de ta famille: <small>Rien ne me résiste!</small> l'as-tu +donc oubliée? Cette devise est aussi celle de l'art que tu +as fondé. C'est la devise de la vérité, de l'intelligence et +du courage... elle ne peut mentir!... Apprends donc que +si je t'ai quitté si brusquement à Wiesbade, c'est que je +venais de recevoir la nouvelle du retour de notre souverain, +Diether d'Yssembourg, dans sa bonne ville de +Mayence, et que j'avais hâte de rappeler au prince tes titres +à sa reconnaissance.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>avec doute</small>.</p> + +<p>Mais que peux-tu avoir obtenu?</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_70" id="Footnote_A_70"></a><a href="#FNanchor_A_70"><span class="label">[A]</span></a> Hébèle, Gutenberg, Annette.</p></div> + + +<h3>SCÈNE IV</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, Friélo, <small>arrivant en courant, par le fond, gauche</small></p> + +<p class="perso">FRIÉLO<a name="FNanchor_A_71" id="FNanchor_A_71"></a><a href="#Footnote_A_71" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Mon maître! mon cher maître! Je ne sais comment on +a appris votre retour; mais vos anciens ouvriers, les +bourgeois, les seigneurs, tout Mayence enfin, s'apprête à +venir vous souhaiter la bienvenue<a name="FNanchor_B_72" id="FNanchor_B_72"></a><a href="#Footnote_B_72" class="fnanchor">[B]</a>. Les visages ont tous +un air de fête qui vous réjouit le cœur. Cela m'a fait +pleurer. Je croyais qu'il n'y avait que le chagrin qui fît +couler des larmes. Il paraît que le bonheur produit le +même effet. Enfin, je pleure et ris tout à la fois.</p> + +<p class="indic"><small>Il remonte au fond gauche.</small></p> + +<p class="perso">ANNETTE, <small>pressant les mains de Gutenberg</small>.</p> + +<p>Ce jour mémorable effacera tous les tristes souvenirs +du passé!</p> + +<p class="perso">FRIÉLO.</p> + +<p>Voilà le peuple, avec ses habits de fête; voilà le Prince +Électeur, avec sa belle cape; voilà le docteur Conrad +Hummer, Syndic de Mayence, avec sa longue robe. Ah! +doux Jésus, les larmes n'empêchent d'y voir clair! C'est +bête de pleurer comme ça, quand on est si content!</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_71" id="Footnote_A_71"></a><a href="#FNanchor_A_71"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Annette, Gutenberg, Hébèle.</p></div> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_B_72" id="Footnote_B_72"></a><a href="#FNanchor_B_72"><span class="label">[B]</span></a> Friélo, Gutenberg, Hébèle, Annette.</p></div> + + +<h3>SCÈNE V</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, DIETHER D'YSSEMBOURG, CONRAD +HUMMER, <span class="smcap">Ouvriers Imprimeurs, Peuple</span></p> + +<p class="indic"><small>Entrée générale par le fond gauche: Diether, Conrad, +Soldats, restant au fond.</small></p> + +<p class="perso">PEUPLE <small>et</small> OUVRIERS.</p> + +<p>Vive Gutenberg! vive Gutenberg!</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG, <small>tenant un parchemin</small><a name="FNanchor_A_73" id="FNanchor_A_73"></a><a href="#Footnote_A_73" class="fnanchor">[A]</a>.</p> + +<p>Gutenberg, ta digne et vaillante épouse m'a raconté +les malheurs qui t'ont si longtemps poursuivi, et l'état de +détresse où t'a réduit la prise et l'incendie de notre bonne +ville. Je sais que, depuis plusieurs années, le créateur de +l'imprimerie, vit, errant et malheureux à travers l'Allemagne. +Rétabli, comme par miracle, à la tête de notre +cité, je veux rendre justice au mérite de tous, et j'ai à +cœur de reconnaître les services que le plus illustre des +enfants de Mayence a rendus à sa patrie et à l'humanité... +Gutenberg, malgré les tentatives que Fust et Scheffer +ont faites pour s'approprier ta découverte, je tiens à te +proclamer devant tous l'inventeur de l'imprimerie, et je +t'assure, par ce décret, une pension pour le reste de tes +jours.</p> + +<p class="indic"><small>Il donne le parchemin à Gutenberg.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Ah! monseigneur!</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Je te nomme, en même temps, premier gentilhomme +de mon palais. (<small>Il prend un collier des mains de Conrad, et le +passe au cou de Gutenberg, qui a mis genou en terre.</small>) Je ne connais +personne qui soit plus digne que toi de porter ces +insignes, destinés à signaler, parmi mes gentilshommes, +celui que j'honore le plus.</p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>se relevant</small>.</p> + +<p>N'est-ce point un rêve? Que de bienfaits, monseigneur!... +(<small>Tendant la main à Annette.</small>) Je vois que tu as plaidé +ma cause avec éloquence!</p> + +<p class="perso">ANNETTE.</p> + +<p>Je n'ai fait que demander justice pour toi!</p> + +<h4 class="notes">NOTES:</h4> + +<div class="footnote"><p><a name="Footnote_A_73" id="Footnote_A_73"></a><a href="#FNanchor_A_73"><span class="label">[A]</span></a> Friélo, Conrad, Diether, Gutenberg, Annette, Hébèle.</p></div> + + +<h3>SCÈNE VI</h3> + +<p class="liste"><span class="smcap">Les Mêmes</span>, MARTHA, <small>entrant par la gauche, deuxième plan</small></p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Quelle est cette religieuse?... Son visage inspire la +sympathie... (<small>À Martha.</small>) Qui êtes-vous?</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Martha, sœur de Sainte-Claire, fille de Laurent Coster, +l'imagier de Harlem!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Je vous remercie, Martha, d'être venue joindre à mon +triomphe le souvenir de mon vieux maître. (<small>En se découvrant.</small>) +Rendons tous ici hommage à la mémoire de Laurent +Coster. Aucun de nous ne doit oublier que l'imprimerie a +eu pour berceau l'humble imagerie de Harlem.</p> + +<p class="perso">MARTHA.</p> + +<p>Je suis heureuse de cet hommage rendu à la mémoire +de mon père; mais ce n'est pas pour cela que je me présente +à notre souverain. Je suis sœur du couvent de +Sainte-Claire, mais je n'ai pas encore prononcé mes vœux: +je suis toujours simple novice. C'est pour cela que j'ai +pu être envoyée en mission en divers pays, tantôt à +Paris, pour soigner les pestiférés, tantôt à Mayence, ou +dans le duché de Nassau, pour y panser les blessés et +prodiguer les secours de la religion aux victimes de la +guerre. Mais aujourd'hui, ma mission est terminée. Gutenberg +est maintenant heureux et honoré dans sa patrie. +Les portes du cloître peuvent donc se fermer sur +moi. Je peux dire au monde et à ceux que j'ai aimés un +éternel adieu. Et je viens vous dire, à vous, prince de +l'Église: «Daignerez-vous placer, de vos propres mains, +sur mon front, le voile sacré?»</p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG.</p> + +<p>Oui, Martha Coster, c'est avec bonheur que je présiderai +la cérémonie de votre prise de voile!</p> + +<p class="indic"><small>Martha baise la main du prince.</small></p> + +<p class="perso">GUTENBERG, <small>avec douleur</small>.</p> + +<p>Hélas! ma chère Martha! Adieu! pour toujours!</p> + +<p class="indic"><small>Martha lui donne la main, s'incline devant le prince, et sort, par +la gauche.</small></p> + +<p class="perso">DIETHER D'YSSEMBOURG, <small>mettant la main sur l'épaule +de Gutenberg</small>.</p> + +<p>Et maintenant, messire Gutenberg, à mon palais! Je +veux qu'aujourd'hui même, vous y preniez le rang de +mon premier gentilhomme!</p> + +<p class="perso">LE PEUPLE <small>et</small> LES OUVRIERS.</p> + +<p>Vive Gutenberg!</p> + +<p class="perso">GUTENBERG.</p> + +<p>Non, mes amis, vive l'imprimerie, l'imprimerie mère +du progrès, mère de la science et de la liberté!</p> + +<p class="center">FIN</p> + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of Gutenberg, by Louis Figuier + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK GUTENBERG *** + +***** This file should be named 23618-h.htm or 23618-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/2/3/6/1/23618/ + +Produced by Camille François, Chuck Greif, Laurent Vogel +and the Online Distributed Proofreading Team at +http://www.pgdp.net (This file was produced from images +generously made available by the Bibliothèque nationale +de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> + diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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