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+The Project Gutenberg EBook of La Pantoufle de Sapho
+by Leopold Ritter von Sacher-Masoch
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La Pantoufle de Sapho
+
+Author: Leopold Ritter von Sacher-Masoch
+
+Translator: D. Dolorès
+
+Release Date: September 4, 2005 [EBook #16649]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA PANTOUFLE DE SAPHO ***
+
+
+
+
+Produced by Miranda van de Heijning, Melissa Er-Raqabi and
+the Online Distributed Proofreading Team at
+https://www.pgdp.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
+
+
+
+
+
+La Pantoufle
+de
+Sapho
+
+& Autres Contes
+
+CHARLES CARRINGTON,
+Libraire-Éditeur
+13, Faubourg Montmartre, Paris
+
+
+
+
+Transcriber's Notes:
+--All instances of oe should be read as a ligature, except in the name Goetz.
+--[*] indicates a missing word or probable typo in the text.
+--Other possible typos have been left as found in the original.
+--This is only one story from the collection named on the title page.
+ Some other stories were culled from the same collection and can also
+ be found at Project Gutenberg.
+
+
+
+
+
+
+SACHER MASOCH
+
+L'AMOUR CRUEL A TRAVERS LES AGES
+
+LA
+PANTOUFLE DE SAPHO
+et autres Contes
+
+Traduit par D. DOLORÈS
+
+[Illustration]
+
+PARIS
+CHARLES CARRINGTON, LIBRAIRE-ÉDITEUR
+13, FAUBOURG MONTMARTRE, 13
+
+1907
+
+
+
+
+LA PANTOUFLE DE SAPHO
+(1859)
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+LA PANTOUFLE DE SAPHO
+
+(1859)
+
+
+L'hiver de 1859 étendait son blanc et floconneux tapis de neige sur les
+remparts de la joyeuse capitale autrichienne et, aux environs, sur les
+coupoles du Kahlenberg et du Leopoldsberg. Le monde brillant et
+aristocratique était rentré des eaux et de ses terres, et l'on
+s'amusait, dans les salons privés, ainsi qu'aux lieux de réjouissances
+publiques, simplement et gaîment, comme cela n'était guère possible,
+alors, que dans la ville impériale, résidence de l'empereur Franz.
+
+Mais le point culminant des distractions et des plaisirs, comme de
+l'intérêt artistique et littéraire, était encore et toujours le
+Burgthéâtre, institution populaire au sens le plus élevé, où les
+aspirations idéales de l'élite de la nation se joignaient aux efforts
+les plus nobles, car une censure hautement sagace rognait les ailes
+fougueuses du Pégase autrichien, et la vie politique n'agitait encore
+que la Hongrie avoisinante, ne se manifestant guère que par les paroles,
+les chansons et les actes des compagnonnages allemands et de quelques
+étudiants des universités de Vienne ou de Prague.
+
+Entre le public et les acteurs, régnait une véritable intimité, car les
+Viennois de cette époque ne se contentaient pas d'admirer l'artiste sur
+la scène; ils le suivaient dans sa vie journalière et jusque dans sa
+demeure, non pour épier un scandale et s'amuser des vices des
+protagonistes chargés d'incarner les rêves héroïques ou spirituels des
+poètes, comme cela a lieu de nos jours, mais avec le naïf désir de voir
+la pâle Louise assise à sa table à thé, d'entendre la rêveuse Charlotte
+potiner en buvant du café, de surprendre la fière princesse Eboli en
+train de tricoter des bas ou le vaillant chevalier Goetz de faire sa
+partie de tarok. Le public viennois était au courant de tout ce qui se
+passait derrière les coulisses. Il connaissait le nom de chaque
+adorateur de la Stich; il savait toujours, à n'en pas douter, quel soir
+Korn était plus rauque que de coutume et en quel lieu il avait bu le
+champagne responsable, et, lorsqu'enfin Sophie Schroeder monta, tel un
+soleil, au firmament de l'art dramatique, faisant pâlir toutes les
+étoiles, il ne tomba pas une épingle dans le boudoir de la tragédienne
+sans que le Tout-Vienne en fût informé, depuis le chancelier d'Etat
+jusqu'à l'apprenti cordonnier, depuis le cocher de fiacre jusqu'à
+l'empereur.
+
+L'intérêt que prenait la ville entière à la personnalité de Sophie était
+de nature exclusivement artistique, bien que partant d'un sentiment très
+humain, car la Schroeder n'était ni belle ni même élégante.
+
+Mais, quand elle paraissait drapée à la grecque, sur les planches, quand
+sa superbe voix laissait tomber les ondes mélodiques de la langue
+rythmée, quand son génie invoquait des figures d'une vérité saisissante
+et d'une dignité surhumaine, elle entraînait les coeurs, comme jamais
+aucune artiste ne l'avait fait. A ces moments, elle devenait belle,
+d'une beauté antique et qu'on eût crue sortie d'un sarcophage ancien.
+
+Sophie n'était pas grande, mais elle avait ce port de tête imposant que
+possédait avant elle l'auteur du _Faust_, et qui la faisaient paraître
+plus haute qu'elle ne l'était en réalité.
+
+Il n'était pas une grande dame, pas une souveraine, qui ne lui eussent
+envié sa distinction native et l'empire qu'elle exerçait sur les
+mortels. Elle semblait née pour voir un peuple à ses pieds, tant son
+regard était dominateur.
+
+Sa situation matérielle eût pu être brillante, mais ne l'était point,
+parce qu'en vraie fille de l'art, la Schroeder n'entendait rien aux
+choses pratiques, et sa délicatesse s'opposait à ce qu'elle se laissât
+entourer, par ses adorateurs, de ce luxe princier que possèdent de nos
+jours les plus insignifiantes comédiennes.
+
+Sophie avait une idée trop haute de l'amour, de l'art et
+d'elle-même,--surtout d'elle-même,--pour se faire payer ses faveurs avec
+des diamants. Si elle souriait à un homme, ce sourire partait du
+coeur, et si elle consentait à l'enivrer, elle voulait être elle-même
+heureuse de toute son âme. La courtisanerie qui engendre le dégoût et
+dont, à l'heure actuelle, souffre et se meurt l'art dramatique, lui
+était complètement inconnue.
+
+Il était donc naturel que, ses fiers sourcils ayant décoché une fois de
+plus les flèches d'amour dans un coeur, elle fût la dernière à en être
+informée. On se chuchotait la nouvelle dans les loges, on en parlait
+dans les fauteuils, on en riait en se poussant du coude, au parterre et
+aux galeries, alors qu'elle-même ne savait rien encore du noble captif
+qu'elle avait fait.
+
+En l'année 1859, le public du Burgthéâtre remarqua un jeune homme qui,
+chaque soir où la Schroeder jouait, occupait le fauteuil du coin de
+gauche au premier rang, dont le regard, sitôt qu'elle paraissait,
+s'attachait avec une émotion fiévreuse à tous ses mouvements, et dont
+l'enthousiasme était si entraînant que, maintes fois, il oubliait les
+lois du théâtre pour applaudir au milieu d'une scène. Tout Vienne savait
+depuis longtemps que c'était un prince polonais, colossalement riche et
+épris d'une délirante passion pour la tragédienne, avant que la
+Schroeder se doutât seulement de l'existence de cet heureux
+malheureux.
+
+Un jour qu'elle attendait en scène le commencement du premier acte,
+Sophie remarqua quelques comédiennes qui examinaient la salle à travers
+le trou du rideau, et entendit le colloque suivant:
+
+--Le voilà encore.
+
+--Qui cela?
+
+--Le soupirant muet de la Schroeder.
+
+La Schroeder s'approcha pour mieux écouter.
+
+--Fais-le-moi voir. Où donc est-il?
+
+--Là, dans le coin de gauche, au premier rang.
+
+La Schroeder, cette fois, en savait assez et, quand le rideau fut
+levé, elle profita d'une réplique, pour chercher des yeux l'inconnu.
+
+Quinze jours se passèrent avant qu'elle n'apprît son nom. Il était
+effectivement polonais et fort riche, mais il n'était point prince, un
+simple gentilhomme, Félicien de Wasilewski.
+
+Depuis ce jour, Sophie le remarqua chaque fois qu'elle jouait, et elle
+apprit que, tout aussi régulièrement, il demeurait absent quand elle ne
+jouait point.
+
+Au bout de peu de temps, une entente tacite s'établit entre la
+tragédienne et son admirateur. En entrant en scène, son premier regard
+était pour lui, de même son dernier coup d'oeil avant de sortir. Si
+une tirade lui réussissait particulièrement, le Polonais hochait
+imperceptiblement la tête et ce léger mouvement n'échappait point à
+l'artiste. Quand, à l'issue de la représentation, elle montait dans le
+carrosse du Burgthéâtre, surnommé ironiquement le _Chariot de Thespis_
+parce qu'il résonnait avec un bruit de ferraille sur le pavé cahoteux de
+l'antique ville, le Polonais se trouvait à la porte de sortie, la
+dévorant de ses yeux ardents, bien qu'il ne pût apercevoir d'elle que le
+bout de son nez, tout le reste étant emmitouflé de fourrures et de
+voiles.
+
+Un soir qu'elle venait de remplir un de ses meilleurs rôles, elle était
+assise et prête à fermer la portière, quand une superbe couronne de
+lauriers vint s'abattre à ses pieds.
+
+Le Polonais la lui avait jetée et s'était aussitôt enfui.
+
+Ce mystérieux et craintif hommage, en ce lieu solitaire et sous le
+couvert de la nuit, toucha le coeur sensible et poétique de la
+tragédienne plus que les ovations bruyantes et impétueuses à la lumière
+des lustres et dans la salle comble.
+
+La Schroeder commença à s'intéresser au jeune homme et à se demander
+si elle pourrait l'aimer?
+
+Une autre fois, le dégel était survenu; des cascades ruisselaient des
+gouttières et des torrents mugissaient le long des trottoirs. La
+Schroeder hésitait à enjamber les flaques d'eau qui la séparaient du
+lourd véhicule. Le Polonais fut aussitôt sur place, étendit son manteau
+sur le pavé, et elle put atteindre sa voiture, les pieds secs.
+
+Cet exploit chevaleresque remplit de joie l'artiste, mais quand elle se
+pencha pour remercier son cavalier-servant, celui-ci, ramassant son
+manteau, s'était éclipsé.
+
+ * * * * *
+
+Grillparzer que son drame romantique de l'_Aïeule_ avait placé parmi les
+dramaturges favoris de l'Allemagne, au temps où la tragédie du Destin
+empruntée au théâtre espagnol, était de mode comme, de nos jours, le
+drame d'adultère français, venait de confier au Burgthéâtre une nouvelle
+pièce, intitulée _Sapho_. Quittant les abruptes sentiers romantiques, il
+reprenait la large voie classique où Schiller et Goethe, après plus d'un
+écart, s'étaient également retrouvés. Le rôle de Sapho avait été écrit,
+non à la manière de nos ouvriers modernes, qui ajustent leurs rôles sur
+les acteurs, comme un tailleur ajuste un costume,--Grillparzer était
+poète dans l'âme et c'est du fond de son être qu'il tirait ses
+héros--mais, pas plus que le reste du monde, il ne pouvait échapper à la
+puissante influence de la Schroeder, ni se dérober à l'impression
+grandiose qu'elle produisait, et le rôle de son héroïne avait pris, à
+son insu, les traits et l'allure de la tragédienne à qui naturellement
+il incombait.
+
+Le matin de la répétition de lecture, tandis que la pure et idéale
+diction de Sophie enthousiasmait ses camarades et remplissait le coeur
+modeste de l'auteur d'un glorieux espoir dans [*] succès futur, au coin
+de la place Saint-Michel et du marché aux choux, se tenait une femme
+pauvrement vêtue, qui cachait son visage sous le fichu passé sur sa
+tête. Elle semblait avoir honte, pourtant elle ne mendiait point et se
+serrait, inquiète, contre la muraille, en tremblant de tous ses membres,
+car il faisait un froid impitoyable et elle ne portait qu'une robe d'été
+rapiécée sous son vieux fichu.
+
+Pourtant elle ne mendiait point. Elle n'essayait même pas de tendre la
+main quand un grand seigneur ou une élégante dame, confortablement
+emmitouflés de fourrure, passaient auprès d'elle. Aussi, personne ne la
+remarquait, pas même le sergent de ville qui faisait les cent pas non
+loin de là.
+
+La pauvre vieille, plus morte que vive, ressemblait à une de ces statues
+de pierre que le pieux Moyen Age incrustait dans les murailles de ses
+églises en souvenir des défunts. Elle était tout aussi muette et privée
+de mouvement. Mais, quand les comédiens, après la répétition, sortirent
+par la petite porte du théâtre et se répandirent sur la place, une
+violente commotion fit tressaillir le corps de la pauvresse. Elle
+soupira et sa tremblante main, raidie par le froid, serra plus fort
+contre son visage ravagé par l'affliction, le fichu qui le couvrait.
+
+Les acteurs se séparèrent au milieu de la place en échangeant d'aimables
+saluts, et Sophie Schroeder se dirigea seule vers l'endroit où
+tremblait la vieille. Elle traversait le marché pour se rendre au Graben
+et, l'esprit tout rempli de son rôle, allait passer, comme tout le
+monde, si un hasard ne l'eût arrachée à ses pensées et attiré son
+attention.
+
+--Vous perdez quelque chose, lui dit une voix rauque qui semblait brisée
+et dont, cependant, le timbre lui parut familier.
+
+Se retournant, elle vit la main décharnée de la vieille lui tendant le
+rôle qu'elle avait laissé glisser de son manchon.
+
+Sophie Schroeder, surprise, considéra la pauvre femme.
+
+--Qu'avez-vous? lui dit-elle de sa merveilleuse voix, vous paraissez
+bien pauvre et malheureuse. Pourquoi me cachez-vous votre visage comme
+s'il m'était connu?
+
+La vieille femme étouffa un sanglot et voulut s'éloigner. La
+Schroeder, de son bras robuste, la retint et, doucement, écarta le
+fichu.
+
+--Mon Dieu, balbutia-t-elle en découvrant le visage défait, c'est vous,
+ma chère Muller? Vous, dans cette situation? Dois-je trouver la belle
+artiste, aux pieds de qui se prosternaient les comtes et les princes,
+réduite ... à mendier!
+
+--Je n'ai pas mendié, murmura la vieille, tandis que des larmes
+brûlantes coulaient le long de ses joues émaciées. Je suis seulement
+restée debout dans ce coin.
+
+»C'est la première fois, j'avais si affreusement faim, mais personne ne
+m'a rien donné et je mourrais plutôt que de recommencer.
+
+--Je ne veux pas que vous recommenciez, s'écria Sophie. C'est moi qui
+vais ...
+
+La tragédienne ouvrit sa bourse, mais l'intérieur de cette bourse
+offrait un spectacle bien triste ou bien risible, comme on voudra. La
+grande Sophie eut de la peine à rassembler vingt kreuzer, qu'elle glissa
+dans la main de la vieille tout en lui montrant sa bourse vide.
+
+--Voyez, chère Muller, je ne possède rien moi-même. Il n'en va pas
+autrement avec nous autres comédiens, si quelques marchands ne me
+faisaient crédit, je serais souvent bien embarrassée pour m'habiller.
+Mais cette bagatelle ne vous tire pas d'affaire.
+
+--Mais si, mais si, murmura la comédienne en serrant la main de sa
+camarade.
+
+--Non, non, il vous faut beaucoup plus. Comment ferons-nous?
+
+Sophie se mit à réfléchir. Des badauds de tous rangs s'étaient
+rassemblés autour des deux femmes, car la curiosité des Viennois est
+notoire. Tout à coup, la Schroeder fendit le groupe. Une belle et
+heureuse inspiration venait d'illuminer sa physionomie d'habitude
+austère. Elle entra précipitamment dans une boutique de confiseur et en
+revint, une assiette à la main. C'est moi qui mendirai[*] pour vous,
+Muller, dit-elle avec ce sourire qui lui ouvrait tous les coeurs.
+
+Effectivement, elle se plaça à côté de la vieille actrice et tendit
+l'assiette.
+
+--Une aumôme[*] pour une malheureuse, je vous prie, la charité pour une
+pauvre comédienne âgée.
+
+En quelques secondes, l'assiette se couvrit de pièces d'argent et de
+cuivre de toutes sortes. Mais cela ne satisfit pas la quêteuse. Quand
+Sophie se mêlait de quelque chose, elle voulait que ce fût bien, et elle
+ne se lassa pas de prier et de tendre l'assiette. Les passants, qui
+apercevaient la Schroeder, dans sa pelisse brune bien connue, entourée
+d'une foule de curieux, s'arrêtaient et se frayaient un chemin jusqu'à
+elle. Grands seigneurs et grandes dames jouaient des coudes et se
+mêlaient à la foule, pour le plaisir de déposer une bank-note dans
+l'assiette que tenait la main de la célèbre femme, jusqu'au policier,
+qui approcha, les sourcils froncés, et s'effaça en reconnaissant la
+Schroeder.
+
+--La mendicité est interdite sous peine d'amende, grommela-t-il
+respectueusement dans sa moustache noire, mais non aux comédiens
+impériaux et royaux.
+
+--Mon Dieu, que vous êtes bonne, soupira la vieille. Que Dieu vous le
+rende! moi je ne le puis, c'est trop, beaucoup trop.
+
+Enfin la Schroeder elle-même se déclara satisfaite. Elle souleva le
+pan du fichu de la vieille et, d'un geste hardi, y jeta pêle-mêle les
+bank-notes, les pièces d'argent et les monnaies de cuivre, lorsqu'au
+moment de rapporter l'assiette, elle dut la tendre une fois encore: son
+adorateur, le gentilhomme polonais, surgit inopinément, la tête
+découverte, offrant un billet de 50 florins.
+
+Un regard rayonnant de la femme adorée fut sa récompense.
+
+--Cela suffira bien pour quelque temps, n'est-ce pas, Muller? dit la
+tragédienne en se tournant une dernière fois vers sa camarade. Puis, tu
+reviendras, n'oublie pas, Muller, promets-moi de ne pas oublier!
+
+Mais les badauds de Vienne n'abandonnèrent pas aussi facilement leur
+comédienne favorite. Ils l'escortèrent au delà du marché aux chevaux
+jusqu'au Graben, où elle dut se réfugier sous la voûte de la «Chatte»
+jusqu'à ce que la foule se fût dispersée.
+
+Chemin faisant, Sophie ne put s'empêcher de repenser au Polonais.
+
+«Il m'intéresse, s'avouait-elle. Il est beau, ses manières sont nobles
+et il a certainement bon coeur. Mais je ne suis pas dans l'âge où l'on
+recherche les adolescents!
+
+Il n'est pas assez viril, il lui manque d'être un homme et, à moi,
+d'être Sapho. Je pourrais difficilement l'aimer. Et lui? Espérons qu'il
+sera raisonnable et ne se jettera pas dans le Danube.»
+
+ * * * * *
+
+L'Autriche ne possédait encore, à ce moment, aucune littérature digne de
+ce nom et qui méritât de fixer l'attention de l'Europe. Les oeuvres
+dont on s'occupait dans la ville impériale, étaient d'importation
+étrangère, comme Frédéric Schlegel et Zacharie Werner. L'empereur Franz,
+qui eût volontiers entouré son trône nouvellement redoré après tant de
+difficultés et de luttes, de noms illustres et glorieux, témoigna une
+joie qui ne lui était pas habituelle en des circonstances de ce genre,
+en apprenant que l'auteur de l'oeuvre qui venait de triompher à la
+Burg, était un Autrichien. Il le fit venir dans sa loge, lui tapa
+familièrement sur l'épaule et prononça toutes sortes de paroles
+aimables, dans le débonnaire dialecte viennois. Mais lorsque,
+s'enquérant des conditions du poète, il apprit qu'il était
+fonctionnaire, l'Empereur arrêta net l'entretien et lui tourna le dos. A
+ses yeux, quand on servait l'Etat, écrire autre chose que des actes
+officiels constituait un délit. Aussi Grillparzer que la critique
+viennoise traitait sans bienveillance, n'eut, après comme avant,
+d'autres ressources que son talent et la faveur du public. Celle-ci,
+d'ailleurs, ne lui fut point ménagée; l'_Aïeule_ fut acclamée avant que
+les gazettes eussent eu le temps de formuler leur avis, et non moins
+chaudement après.
+
+C'est en ce public si avisé et si vibrant, que Grillparzer mit toute son
+espérance lors de la mise à l'étude de _Sapho_, paraissant deux ans
+après l'_Aïeule_, et sa foi fut non moins inébranlable en la puissance
+dramatique de la Schroeder. Il savait que non seulement elle ne
+trahirait aucune de ses intentions de poète, mais que la plénitude de
+son jeu et la majesté plastique de ses mouvements infuseraient la vie à
+son héroïne. Il allait voir l'artiste presque journellement et plus
+souvent encore pendant les jours qui précédèrent la représentation, non
+pour lui donner des conseils, mais pour puiser chez elle courage et
+confiance, le jeune auteur de 30 ans commençant déjà à souffrir de ce
+pessimisme artistique qui, plus tard, devait envenimer tous ses efforts
+et lui faire abandonner la lice.
+
+Quelques heures avant la première, Grillparzer se trouvait encore sur le
+petit canapé à fleurs du salon de Sophie, tandis que les affiches de la
+_Sapho_ s'étalaient sur tous les murs attirant les curieux qui faisaient
+cercle autour, et que les amateurs de théâtre suivaient impatiemment des
+yeux les aiguilles de leurs pendules. Le poète regardait la comédienne
+arranger, avec l'aide de Mlle Babette, des étoffes, dans le grand
+panier qui lui servait de garde-robe.
+
+--Mais, mon cher maître dit soudain l'actrice en se plaçant devant lui
+et en rejetant la tête en arrière, d'un mouvement qui lui était
+familier, je n'ai plus que faire de vous.
+
+--Vraiment? fit le poète, et il leva vers elle ses beaux yeux bleus
+suppliants. Puis, d'un ton résigné:--Alors il me faut partir.
+
+Grillparzer se leva en poussant un soupir, prit son chapeau et soupira
+de nouveau.
+
+La Schroeder lui tendit la main.
+
+--Je pars, dit-il en considérant cette main, mais--vous savez que je
+déteste le baise-main--je dois vous baiser la main. Si j'étais
+berlinois, je dirais que votre main est spirituelle, mais, en bon
+Viennois, je vous dis seulement: vous avez des menottes affriolantes.
+
+Il porta la main, qui paraissait sculptée dans de l'ivoire, à ses lèvres
+et partit.
+
+A peine la Schroeder se trouva-t-elle seule, qu'on frappa à la porte.
+
+La vieille comédienne, Mme Muller, entra timidement.
+
+--Mon Dieu, vous allez m'en vouloir de me présenter au moment d'une
+première. Je sais que ce n'est pas agréable et qu'on n'aime pas cela.
+J'ai été moi-même dans ce cas. Mais vous me pardonnerez, quand vous
+saurez que j'ai été bien malade et que je le suis encore, mais, quand
+j'ai appris qu'on jouait aujourd'hui une pièce nouvelle de l'auteur de
+l'_Aïeule_ et que c'est vous, divine Schroeder, qui créiez _Sapho_, je
+suis sautée de mon lit et accourue. Il faut que je vous voie jouer, il
+le faut. Ayez pitié de moi, donnez-moi une carte pour la galerie.
+
+La vieille levait des mains suppliantes.
+
+--Rassurez-vous, vous me verrez jouer, ma chère Muller, mais, avant
+tout, prenez une tasse de café bien chaud, cela vous fera du bien.
+
+La Schroeder força sa vieille camarade à prendre place sur le canapé,
+et la servit de ses propres mains.
+
+Pendant qu'elle était assise à humer le breuvage réconfortant et qu'un
+sourire de bonheur épanouissait ses vieux traits ridés, la Schroeder
+terminait ses préparatifs tout en causant.
+
+--Il est impossible que vous montiez à la galerie ce soir, je ne le
+permettrai pas. On s'y étouffera, vous pourriez vous trouver mal, la
+foule, la chaleur ... Le parterre doit être comble également, vous ne
+pourriez vous tenir debout et les sièges doivent être tous loués.
+
+Elle réfléchissait.
+
+--Savez-vous quoi? je vous emmène dans les coulisses au lieu de Babette,
+qui trouvera une place à l'orchestre où on la connaît bien.
+
+--Que vous êtes bonne!
+
+--Et où en est l'argent? poursuivit la tragédienne. Nous autres
+artistes en manquons toujours. Ainsi, parlez franc. Que vous faut-il? La
+maladie a tout absorbé?
+
+--Vous croyez cela? repartit la vieille en souriant. Oh non, je suis
+devenue très économe. Avec ce que je dois à votre générosité, je puis
+encore vivre le quart d'une année.
+
+La Schroeder avait ouvert son porte-monnaie et éclata de rire.
+
+--Voyez, dit-elle, joyeuse comme une enfant, je voulais vous gâter et ne
+possède rien moi-même. Vous êtes en ce moment plus riche que moi. Je
+donne à Babette ce qu'il lui faut pour tout le mois, une fois qu'elle
+l'a dans ses mains, je n'ai plus le droit d'y toucher; le reste passe
+par la fenêtre, je ne sais comment. L'important est que vous soyez
+momentanément à l'abri du besoin. Mais occupons-nous de l'avenir.
+
+--Divine amie, si je pouvais entreprendre un petit commerce, un tout
+petit commerce, soupira la vieille actrice.
+
+--Bon. Et combien faudrait-il? je n'en ai pas le moindre soupçon. Mille
+écus peut-être?
+
+La vieille femme eut presque une frayeur.
+
+--Mille écus? s'écria-t-elle, le dixième suffirait. Cent écus.
+
+--Vous les aurez, assura la Schroeder. Mais j'entends le vacarme de
+notre arche de Noé. Babette, donne-moi ma pelisse.
+
+D'un geste rapide, elle glissa dans la chaude fourrure et descendit
+majestueusement les marches de l'escalier. La vieille Muller suivit,
+toujours enveloppée de son fichu.
+
+Le Burgthéâtre était plein à s'étouffer, jusque dans les plus petits
+recoins. Un public de choix attendait avec une impatience fébrile le
+lever du rideau. Au premier rang, se tenait, à sa place accoutumée,
+Félicien Wasilewski, en proie à une agitation extraordinaire. Il se
+levait, se rasseyait, couvrait son visage de ses mains et déchirait son
+mouchoir de poche en mille petits morceaux. Enfin, la pièce commença. Le
+premier acte se passa dans l'habituel mouvement d'une salle trop pleine.
+Mais les mots du choeur: «Salut! Sapho, Salut!» eurent un effet
+magique. Il se fit un profond silence et tous les regards se tournèrent
+vers Sophie, faisant son entrée sur un char de triomphe, comme un être
+que la nature a créé pour dominer.
+
+Les modes gréco-romaines de ce temps permettaient à l'artiste une
+liberté d'habillement, telle que, de nos jours, on ne la concède qu'aux
+chanteuses d'opérettes. Une ample draperie blanche, retenue sur l'épaule
+par une agrafe en or massif, suivait de près le contour ferme et
+élastique des seins, laissant à découvert des bras superbes. Du côté
+gauche, tombait, le long de la hanche, un manteau écarlate brodé d'or.
+Séparée, au milieu du front, l'opulente chevelure se déroulait en
+anneaux le long des tempes et, retenue par un bandeau blanc tissé d'or
+formait un noeud de boucles sombres, qui retombaient sur la nuque.
+
+Félicien tressaillit en la voyant ainsi. Elle lui sembla presque
+terrible. Dans la majesté de ses formes, il y avait une puissance
+presque violente qui le terrassait, et son pied délicat chaussé de
+sandales d'or appelait son baiser plus impérieusement que jamais ne
+l'avaient fait la main blanche ou les lèvres rouges d'une femme. Mais,
+quand elle commença de parler, quand sa voix merveilleuse résonna,
+pareille tantôt à un son de cloches, tantôt à un murmure de harpe,
+lorsque dans chaque mouvement s'exprima la grande âme de la poétesse
+adorée du peuple et souveraine des coeurs rentrant victorieuse des
+jeux olympiques, Sapho lui parut être la divine Sophie elle-même, la
+femme fière et dominatrice, despotique en amour, comme en art. Il sentit
+alors combien follement il l'aimait, mais aussi à quel point le courage
+lui manquerait de jamais lui demander ses faveurs.
+
+Grillparzer et Sophie fêtèrent ce soir un triomphe complet et qui ne
+devait être surpassé que plus tard, lorsque, en Médée, la Schroeder
+pétrifia littéralement son auditoire par le mot trois fois répété:
+«Malheur»!
+
+C'est surtout à la tombée du rideau que les applaudissements devinrent
+délirants et, pendant que Sophie se voyait contrainte de paraître et de
+reparaître indéfiniment, le Polonais, saisi d'une idée subite, enjamba
+la rampe de l'orchestre et fut en quelques instants dans la rue.
+
+Mlle Babette était, comme toujours, rentrée la première à la maison,
+afin de s'occuper du thé que Sophie aimait à trouver tout fumant sur la
+table. Elle haletait en montant les marches de l'escalier et tâtonna en
+cherchant le trou de la serrure. Soudain, une main glacée s'empara de la
+sienne et elle sentit une ombre se dresser près d'elle.
+
+Mlle Babette en éprouva une telle frayeur que la voix lui manqua pour
+crier. En ces temps de romantisme et d'histoires de brigands,
+l'apparition d'un revenant était, pour une imagination exaltée par les
+pièces de théâtre et les romans, quelque chose de tout naturel.
+
+La gouvernante tremblait de tous ses membres et menaçait de s'évanouir.
+Heureusement, une formule pour conjurer les esprits lui revint en
+mémoire, et elle murmura d'une voix étouffée par l'angoisse:
+
+--Tous les bons esprits louent le Seigneur.
+
+--Je suis un très bon esprit, répondit une voix douce, et le Seigneur
+que je loue, s'appelle Sophie Schroeder.
+
+--Qui êtes-vous? questionna Fräulein Babette légèrement rassurée, et que
+me voulez-vous à cette heure?
+
+--Ouvrez d'abord, poursuivit l'invisible visiteur, et faites de la
+lumière, je m'expliquerai ensuite.
+
+--Mais je ne puis vous laisser entrer, soupira Mademoiselle, vous êtes
+peut-être....
+
+--_Rinaldo Rinaldini_ ou _Jaromir_ en personne? railla le noctambule.
+Tranquillisez-vous, je ne suis ni un brigand, ni un démon de l'enfer,
+ni même un simple revenant, seulement un enthousiaste adorateur de la
+divine Schroeder et de son talent.
+
+--Et vous venez si tard ...
+
+--Je le sais bien, mademoiselle Babette, mais il me faut vous parler, à
+vous seule. Ouvrez, au nom du ciel, sans quoi Sapho va revenir et tout
+serait perdu.
+
+Mlle Babette, se laissant enfin convaincre, ouvrit et chercha du feu. A
+la lumière douteuse d'une chandelle, elle reconnut le Polonais. Il se
+tenait devant elle, moitié gêné, moitié railleur, enveloppé d'un long
+manteau et tenant à la main une magnifique couronne de lauriers.
+
+--Ah! c'est vous, dit-elle. Et vous désirez que je remette cette
+couronne à la Schroeder?
+
+Elle étendait sa maigre main, pour la prendre.
+
+--Certainement, je le veux, mais ce n'est pas tout ce que j'ai à vous
+demander.
+
+--Parlez vite, car elle va venir, et il faut qu'elle trouve son thé
+prêt, sans quoi elle se fâchera.
+
+--Laissez-le-moi faire. Nous autres Polonais nous y entendons à la
+perfection. Je serai si heureux que la grande Sapho bût, ce soir, du
+thé préparé de ma main.
+
+--Nous n'avons pas le temps ...
+
+--Plus qu'il ne faut.
+
+Babette secoua la tête, puis se hâta de chercher ce qu'il fallait.
+
+--Au moins, entrez dans ma chambre, continua-t-elle, afin que je puisse
+vous faire sortir inaperçu. Par ici, monsieur le Comte.
+
+On donnait, en ce temps, le titre de comte à tous les Polonais
+indistinctement.
+
+Le jeune homme obéit et fit montre d'une véritable virtuosité à composer
+le breuvage ambré.
+
+Mlle Babette ne revenait pas de son étonnement. Tout en manipulant le
+samovar, il s'entretenait avec la gouvernante.
+
+--Donc, chère Mademoiselle, vous lui remettrez la couronne?
+
+--Certainement.
+
+--Et vous lui exprimerez toute ma fervente admiration pour son rôle
+d'aujourd'hui?
+
+--Oui, monsieur le Comte.
+
+--Elle a été insurpassable.
+
+--Grandiose!
+
+--Vous comprenez donc que je vénère votre maîtresse.
+
+--Je m'étonnerais du contraire.
+
+--Et vous comprenez que je l'aime, que je suis forcé de l'aimer, de
+l'adorer?
+
+--Si j'étais homme, je ferais comme vous.
+
+--Par conséquent, ma chère, ma bonne, mon angélique Mademoiselle,
+procurez-moi quelque chose que Sophie Schroeder ait porté, et si ce
+n'était qu'un simple ruban ayant reposé sur sa divine poitrine, je le
+conserverais comme un fétiche, un talisman, aussi longtemps que je
+vivrais et jusqu'à l'heure de ma mort.
+
+--C'est ce que je ne puis pas, monsieur le Comte.
+
+--Vous ne pouvez pas? se récria le Polonais. Et me laisser mourir, sans
+une consolation, sans un réconfort, cela vous le pouvez?
+
+--Mais que voulez-vous que je vous donne?
+
+--Ce que vous voudrez.
+
+--Il n'y a pas un seul objet dont elle puisse se passer.
+
+Le Polonais, qui avait fini de préparer le thé, saisit le flambeau avec
+une hâte fébrile, et se dirigea d'un pas rapide, à travers les salles,
+jusqu'à la chambre à coucher de la tragédienne. Là il s'arrêta avec un
+tressaillement d'extase et regarda autour de lui avec émotion.
+
+--Que faites-vous? s'écria Babette qui l'avait suivi épouvantée, ne
+savez-vous pas que c'est ici un sanctuaire que le pied d'aucun mortel
+n'est autorisé à fouler?
+
+--Laissez-moi jouir de ce moment divin, repartit le Polonais avec feu.
+C'est derrière ces rideaux que repose ce corps divin et, ce tapis, son
+pied l'effleure journellement!
+
+Il s'agenouilla et baisa le tapis. En se relevant, il tenait à la main
+une pantoufle, qu'il brandit triomphalement.
+
+--Vous vous demandez ce que vous allez me donner? chère, délicieuse
+Babette, donnez-moi cette pantoufle de l'immortelle, vous ferez de moi
+le plus heureux des mortels.
+
+--Cette pantoufle moins que toute autre chose, repartit Babette, elle va
+rentrer et voudra la mettre.
+
+--Plus jamais elle ne la mettra, s'écria l'amoureux d'un ton résolu.
+
+En vain, l'excellente fille fit tous ses efforts pour la lui reprendre,
+le jeune homme échappait sans cesse à sa poursuite et elle dut lui
+faire la chasse, à travers toute la série des chambres, jusque dans la
+cuisine. Là, le Polonais prit son manteau, mit son chapeau et voulut
+sortir, mais Mlle Babette le retint, nouvelle Putiphar, par le pan de
+son manteau.
+
+--Seigneur Dieu! gémit-elle, vous ferez encore mon malheur. Je ne vous
+laisserai point partir, monsieur le Comte, que vous ne m'ayez rendu la
+pantoufle.
+
+--Je ne la rendrai qu'avec la vie.
+
+--Êtes-vous donc tout à fait fou?
+
+--Je vous en donne son poids d'or, fit l'exalté en tirant de sa poche,
+sa main pleine de ducats qu'il jeta sur la table.
+
+--Non, non, cria la malheureuse gouvernante avec angoisse, je ne veux
+pas de votre or, je ne prends point d'argent, je veux la pantoufle!
+
+--Ayez pitié, donnez-la-moi!
+
+--Pourquoi donc vous faut-il absolument cette pantoufle?
+
+--La pantoufle de Sapho, reprit le gentilhomme avec solennité, pour y
+imprimer chaque jour mes lèvres, à l'endroit qu'a touché son doux pied.
+
+--Mon Dieu, tout cela est bien bel et bon, soupira Mlle Babette, les
+chevaliers et les nobles brigands en agissaient ainsi; mais, si la
+pantoufle manque, je suis perdue. Rendez-la-moi.
+
+--Babette, céleste Babette, pouvez-vous être assez cruelle pour
+m'arracher l'objet de mon adoration?
+
+--Oui, je suis assez cruelle ... dit-elle en souriant, le rôle de
+cruelle lui plaisait évidemment.
+
+--Même, si je vous implore à genoux?
+
+Le jeune homme s'était jeté à ses pieds et levait la pantoufle d'un air
+suppliant.
+
+--Mais, mon Dieu, que faites-vous donc?
+
+Au même instant, la porte s'ouvrit, on perçut un froissement de jupes,
+Babette poussa un cri et le Polonais, bondissant sur ses pieds, demeura
+comme pétrifié.
+
+La Schroeder venait de paraître sur le seuil. Elle portait encore le
+bandeau tissé d'or autour de sa tête et le péplum blanc de Sapho. Elle
+n'avait quitté que son manteau, le remplaçant par sa chaude pelisse.
+
+Sophie se présentait la tête haute, dans toute sa majesté, ses formes
+opulentes et son bras robuste entourés de la sombre fourrure, comme sur
+l'image fameuse que nous possédons d'elle.
+
+Un regard, un éclair de ses yeux qui eut relégué dans l'ombre toutes
+les impératrices et les princesses régnantes que les Viennois avaient eu
+récemment le loisir d'admirer au grand Congrès, et le jeune enthousiaste
+se trouva à genoux.
+
+Elle fit deux pas en avant et s'arrêta, comme une souveraine devant un
+esclave qui s'est attiré le plus terrible châtiment. Les yeux de la
+tragédienne le fixèrent un moment, puis, se tournant vers Babette:
+
+--Que se passe-t-il? questionna-t-elle. Comment Monsieur se trouve-t-il
+dans ma demeure? et qui l'a autorisé à y pénétrer?
+
+Mlle Babette, rouge jusqu'aux oreilles, se tenait, les jambes
+tremblantes, comme une pécheresse.
+
+--Il ... je ... parce que ... balbutia-t-elle.
+
+--Je demande une réponse. Qui a fait entrer Monsieur?
+
+Wasilewski se releva.
+
+--Ne la grondez pas, dit-il, elle ne pouvait faire autrement. Mon
+enthousiasme pour vous, Madame, a triomphé de ses résistances. Je suis
+le seul coupable, le seul.
+
+--Vous avouez donc?
+
+--Je ne nie point, je demande grâce.
+
+--Vous reconnaissez votre faute?
+
+--Grâce!
+
+L'actrice ne put s'empêcher de sourire.
+
+--D'abord l'instruction et la sentence. La grâce ne vient qu'ensuite.
+
+--Oui, punissez-moi, supplia le gentilhomme d'une voix tremblante
+d'amour et, un peu aussi, de crainte. Punissez-moi cruellement, le
+châtiment même que vous m'infligerez, me sera une joie et une
+consolation.
+
+--Avant tout, je désire savoir ce que vous vouliez de ma fidèle Babette
+et pourquoi vous lui avez offert de l'argent.
+
+--Je l'ai priée, répondit loyalement et simplement le jeune homme, de me
+donner la pantoufle de Sapho et, comme elle me la refusait et cherchait
+à me l'arracher, je lui ai offert ...
+
+Il se tut en baissant les yeux.
+
+--Une poignée d'or pour une vieille pantoufle? railla la Schroeder,
+tandis qu'un charmant sourire éclairait son austère visage. Mais où donc
+est ce précieux objet? Je suis lasse et en ai besoin pour me reposer...
+
+--Oserais-je vous prier de me laisser gracieusement ce que Mlle Babette
+m'a si impitoyablement refusé?
+
+--Quelle valeur attribuez-vous donc à cette pantoufle? questionna la
+tragédienne, s'égayant de plus en plus.
+
+--Je ne puis vous dire cela ici ...
+
+--Suivez-moi donc au salon, dit Sophie, qui commençait à s'amuser
+royalement de la situation. Là, vous me donnerez l'explication de votre
+singulier désir.
+
+Elle passa devant, avec l'allure d'une souveraine, et il suivit
+docilement, comme un enfant ou un fol amoureux. La Schroeder alluma
+les bougies d'un candélabre en argent qui se trouvait, sur une console
+dorée, devant un trumeau, et se laissa choir, avec cette majesté qui
+sied mieux aux femmes opulentes que la grâce aux maigres, sur le canapé,
+et indiqua un siège à son hôte, d'un geste plein de noblesse.
+
+--Vous vous nommez?...
+
+--Félicien Wasilewski.
+
+--Donc monsieur Wa ... comment dites-vous?
+
+--Wasilewski.
+
+--C'est un nom difficile. Wasilewski, est-ce bien cela?
+
+Le Polonais s'inclina.
+
+--Et ce serait réellement le seul désir de vous approprier ma pantoufle,
+qui vous aurait fait pénétrer à une heure aussi insolite dans mon
+domicile?
+
+--Je vous ai vue dans tous vos rôles. A chaque création nouvelle,
+grandissait mon admiration pour la grande tragédienne, maîtresse de
+toutes les cordes du clavier humain, et mon adoration pour la belle
+artiste ...
+
+--Je ne suis pas belle, Monsieur.
+
+--Pour moi, vous êtes belle, et si vous ne l'êtes point, le sentiment
+que vous inspirez à mon coeur est encore cent fois plus idéal et plus
+sacré, puisqu'il vous rend belle, plus belle que toutes les femmes de la
+terre. Je vous aime.
+
+--Monsieur!
+
+--Pardonnez-moi, je ne puis faire autrement. Ce n'est point un
+enivrement de mes sens, un aveuglement de mon esprit, je dois vous aimer
+comme je dois respirer ... pour vivre.
+
+Cette fois, la Schroeder baissa son regard altier.
+
+--Monsieur, je serai sincère: l'intérêt que vous me portez a cessé,
+depuis longtemps, d'être un mystère pour moi. Vous l'avez exprimé si
+souvent, d'une manière aussi chevaleresque que délicate, mais je n'y
+voyais qu'un hommage à la tragédienne ...
+
+--C'est plus, beaucoup plus, c'est tout ce qu'un coeur d'homme peut
+éprouver pour une femme ...
+
+--Nous parlions de ma pantoufle, interrompit la jeune femme.
+
+--Oui ... c'est vrai ... en effet. Écoutez-moi donc. J'étais rempli
+d'admiration pour vous, je vous adorais, vous seule. Vint la soirée
+d'aujourd'hui. Je vous vis dans votre nouveau rôle et fus saisi d'un
+enthousiasme, d'un saint délire, qui me poussa à enfreindre toutes les
+règles des convenances et à déposer à vos pieds une couronne de
+lauriers, en vous dérobant, en échange, un objet quelconque qui vous eût
+servi, et si ce n'était qu'un ruban. J'aperçus votre pantoufle ...
+
+--Vous avez pénétré dans ma chambre à coucher? interrompit l'actrice en
+fronçant les sourcils.
+
+--Pardonnez-moi, supplia le jeune homme.
+
+En prononçant ces mots, son regard avait une expression si enfantine, si
+sincère, sa main s'empara de celle de l'actrice avec une passion si
+convaincue, qu'elle ne se sentit pas le coeur de lui garder rancune.
+
+--Je vous pardonne, dit-elle.
+
+--Et ... vous me permettez de vous dire ... que je vous aime ...
+
+--Non, pas cela.
+
+--Vous me condamnez au silence?
+
+--Je vous y condamne.
+
+--Vous êtes cruelle.
+
+--C'est la première fois qu'on me dit cela. Cruelle est la femme qui
+attire en souriant un homme dans ses filets pour, ensuite, s'en moquer
+et s'amuser de son tourment. Je ne suis pas une coquette, Monsieur, et
+l'on n'a jamais pu se plaindre que de ma franchise et de ma loyauté. Ne
+pas entretenir une vaine espérance, n'est pas cruel mais honnête.
+
+--Je sais, Madame, que vous possédez cette loyauté de caractère, si rare
+dans le monde du théâtre, et je sais aussi que vous êtes vertueuse.
+
+--Oui et non, repartit l'actrice avec un sourire. Selon moi, la vertu ne
+consiste pas dans les principes, mais uniquement dans l'amour. Une femme
+qui, par amour du lucre et du luxe, accorde sa main à un homme qu'elle
+n'aime point, n'est pas moins vicieuse que Phryné qui vend ses faveurs.
+Le calcul est aussi répugnant que le dévergondage. En revanche, une
+jeune femme qui aime sincèrement, est toujours vertueuse, qu'elle offre
+ses lèvres roses au baiser dans une chambre nuptiale somptueusement
+décorée, ou sous les tilleuls et sur la bruyère, ainsi que chante le
+poète d'amour, Walther de la Vogelweide.
+
+--Je vous comprends.
+
+--Me comprenez-vous tout à fait?
+
+--Je le crains.
+
+--Reparlons de la pantoufle.
+
+--Non, parlons du sentiment qui me domine et me remplit, qui me fait
+tressaillir au son de votre voix, au moindre froissement de votre robe.
+Ne croyez pas que je sois assez téméraire pour oser espérer être payé de
+retour. Je serais trop heureux déjà, de pouvoir, journellement, vous
+mettre et ôter vos souliers, et vous offrir mon bras pour monter dans
+votre carrosse ...
+
+--De tels rapports sont impossibles, déclara la jeune femme d'un ton
+ferme, du moins en ce qui me concerne. Une coquette prendrait sans doute
+quelque plaisir à recevoir ces hommages, et s'en ferait un jeu. Mais
+moi, je ne me sens pas capable d'occasionner des tourments que je ne
+pourrais apaiser, les augmenter, me paraîtrait indigne de moi. Je suis
+sincère, monsieur Wasilewski. Vous m'intéressez, mais je ne puis être à
+vous. C'est pourquoi, il faut nous séparer. Vous voulez être mon
+esclave? Je suis fort capable de réduire un homme en esclavage, mais un
+homme que j'aimerais et que je pourrais rendre heureux.
+
+--Vous avez raison, soupira Wasilewski après un long et douloureux
+silence. Je dois vous fuir. Je vous aime de toute la folle ardeur d'un
+coeur innocent, mais votre compassion me serait intolérable. Une femme
+cruelle peut seule renoncer à l'amour, et vous, vous êtes bonne. Je me
+ressaisirai, je ne vous verrai plus. Je retournerai dans ma patrie et
+tâcherai de vous oublier, mais--un sourire d'enfant éclaira sa
+tristesse--il faut que vous me donniez un talisman, divine Sapho, votre
+pantoufle.
+
+--Et pourquoi justement ma pantoufle?
+
+--Il est d'usage, dans mon pays, lorsqu'on aime et qu'on veut offrir le
+suprême hommage à une femme, de lui dérober son soulier et d'y boire à
+sa santé, répondit le jeune homme avec un sérieux atteignant presque à
+la solennité. Je baiserai journellement l'endroit qu'a touché votre
+pied.
+
+La grande Schroeder s'abîmait dans les réflexions. Autour de ses
+lèvres, se jouait comme de l'espièglerie.
+
+--Bien, monsieur, dit-elle enfin, je vous fais cadeau de la pantoufle.
+
+--Comment vous remercier? s'exclama le jeune homme en lui prenant la
+main et en la couvrant de baisers.
+
+--Ecoutez la suite. Vous offriez à Babette une poignée de ducats pour
+cet objet?...
+
+--En effet.
+
+--Si vous étiez prêt à payer d'une telle prodigalité une vieille
+pantoufle usée, que donneriez-vous pour le pied même de Sapho?
+
+--Le pied! comment cela?
+
+--Ecoutez-moi jusqu'au bout. J'ai ici une pauvre comédienne qui se nomme
+Muller, une artiste de mérite et une excellente femme. Actuellement,
+elle meurt de faim et de froid et est presque toujours malade.
+
+--Je devine, cette mendiante ...
+
+--Elle-même. Vous la rendriez heureuse en lui donnant les moyens
+d'entreprendre un petit commerce, et c'est pourquoi je vous demande, à
+vous qui offriez de l'or pour baiser la pantoufle de Sapho, combien vous
+donneriez pour baiser son pied même?
+
+La bienfaisante artiste, en un caprice olympien, avait eu cette
+charmante pensée; mais, à l'instant où elle la formulait, elle en eut
+honte, rougit et baissa les yeux. Wasilewski ne lui laissa pas le temps
+de se reprendre.
+
+--J'offre ma fortune entière pour une telle faveur.
+
+--Vous prenez ma folle idée au sérieux?
+
+--Ne reprenez point votre parole, je vous en supplie.
+
+--Eh bien, soit, fit la Schroeder en retrouvant son sourire. Vous
+pourrez me baiser le pied, mais ...
+
+--Je vais vous faire un écrit ...
+
+--Non, non, interrompit la tragédienne, je n'accepte qu'une somme
+pouvant tirer de souci ma pauvre Muller et dont vous puissiez facilement
+vous passer, car je vous sais riche.
+
+--Je suis à vos ordres.
+
+--Peut-être cent ducats?...
+
+Le gentilhomme se précipita dans la chambre voisine où il avait remarqué
+la présence d'un écritoire, et rapporta à la tragédienne une feuille
+couverte de sable d'or. Elle la parcourut. C'était un chèque de 500
+ducats. Sophie plia la feuille lentement, très lentement, et la cacha
+dans son sein palpitant, tandis qu'une rougeur révélatrice montait de
+ses joues à son front et, bientôt, couvrait son visage tout entier.
+Enfin, rejetant avec décision, sa fière tête en arrière:
+
+--Il le faut, dit-elle. Avec ces mots, toute sa sérénité rayonnante de
+déesse lui revint.
+
+--Venez, prononça-t-elle de sa voix sonore. Elle alla brusquement au
+fauteuil le plus proche, s'y laissa tomber et, avant que son adorateur
+eût compris son intention, elle rejeta sa sandale et dénuda son pied,
+d'une forme aussi parfaite que n'importe quel marbre antique.
+
+--Ici, commanda-t-elle.
+
+Wasilewski vit briller le pied sous la sombre fourrure qui enveloppait
+les divins membres de l'artiste, et tressaillit.
+
+--Eh bien, vous ne voulez pas le baiser? dit-elle avec un sourire
+enchanteur. Elle était vraiment belle, en ce moment.
+
+Le jeune homme se prosterna devant elle et pressa ses lèvres brûlantes
+sur le marbre glacé qu'elle lui présentait, une fois, deux fois. Puis
+il mit son front contre terre et, avant qu'elle n'eût pu l'empêcher,
+saisit le pied et le posa sur sa nuque.
+
+--Laissez-moi être votre esclave, pour toujours.
+
+La Schroeder retira vivement son pied.
+
+--Levez-vous, ordonna-t-elle. Vous ne pouvez pas être mon esclave.
+
+--Non, non, je ne dois pas.
+
+Il restait toujours à genoux et la contemplait en extase. Enfin, il
+revint à lui, baisa une fois encore, avec une tendresse passionnée, le
+pied de Sapho et sortit précipitamment.
+
+Sophie Schroeder demeura immobile, le front appuyé dans sa main, et
+perdue dans ses pensées.
+
+ * * * * *
+
+Félicien Wasilewski est mort, il y a quelques années, dans ses terres de
+Pologne. Il avait atteint un grand âge et ne s'était jamais marié.
+
+Ses héritiers découvrirent, parmi toutes sortes d'objets précieux, un
+coffret d'ébène incrusté d'ivoire, où se trouvait une vieille pantoufle
+fanée. Le premier étonnement passé, ils s'en amusèrent, et n'en parlent
+jamais qu'en riant.
+
+
+
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+La Porte du Baiser, traduit de l'anglais de J.W. HARDING, par F. BOUTET,
+préface de M. le Comte Robert DE MONTESQUIOU.--Un vol. in-18 jésus,
+couv. illustrée, dessins hors texte . . . 3 fr. 50
+
+«_La Porte du Baiser_ illustre l'une des épopées les plus intéressantes
+de l'histoire du peuple d'Israël: la guerre entre Ezéchias et
+Sennachérib, le terrible roi de Babylone.»
+
+
+
+Le Beau Nègre, par HECTOR FRANCE.--Nul mieux que M. H. FRANCE ne pouvait
+peindre cette intensité de couleur, les paysages tropicaux où se joue ce
+drame véridique. Nul ne pouvait analyser, avec cette finesse et cette
+sûreté, les passions ardentes dont sont agités les personnages de ce
+livre plein de vie. La couverture, tirée en couleurs, est de L. MALTESTE,
+les illustrations sont de G. DOLA.--Un vol. in-8° . . . 3 fr. 50
+
+
+
+Pan Michaël (Messire Volodyovski) par HENRYK SIENKIEWICZ, auteur de
+_«QUO VADIS»_.--Un fort vol. in-18 jésus de 600 pages. 10 dessins hors
+texte de M. VAN MAELE, couv. illustrée . . . 3 fr. 50
+
+_Pan Michaël_, qui clôt magnifiquement la trilogie consacrée à
+l'histoire de la Pologne du temps de Sobieski, ne le cède en rien aux
+ouvrages qu'il complète: _Par le Fer et par le Feu_ et _Le Déluge_.
+
+
+
+Au-delà des Portes, par E. STUART-PHELPS. Ouvrage consacré à la vie
+d'outre-tombe. Traduction française et préface de CH. GROLLEAU.--Un vol.
+in-12, couvert. illustrée . . . 3 fr. 50
+
+
+
+Les Quatrains d'Omar Khayyam, traduits du persan et publiés avec une
+introduction et des notes par CH. GROLLEAU.--1 vol. pet. in-4°, papier
+de Hollande, cadres de style persan tirés en rouge, couv. rempliée,
+titre or en relief. Tirage limité à 500 ex. numérotes . . . 10 fr.
+
+
+
+La Destinée de l'Homme, par JOHN FISKE. Traduction et préface par CH.
+GROLLEAU.--Un vol. in-12 oblong . . . 4 fr.
+
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La Pantoufle de Sapho
+by Leopold Ritter von Sacher-Masoch
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA PANTOUFLE DE SAPHO ***
+
+***** This file should be named 16649-8.txt or 16649-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
+ https://www.gutenberg.org/1/6/6/4/16649/
+
+Produced by Miranda van de Heijning, Melissa Er-Raqabi and
+the Online Distributed Proofreading Team at
+https://www.pgdp.net. This file was produced from images
+generously made available by the Bibliothèque nationale
+de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
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+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+electronic works
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+
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
+agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
+
+1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
+located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
+copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
+works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
+are removed. Of course, we hope that you will support the Project
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+
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+ License. You must require such a user to return or
+ destroy all copies of the works possessed in a physical medium
+ and discontinue all use of and all access to other copies of
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+
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+
+- You comply with all other terms of this agreement for free
+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
+
+1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
+electronic work or group of works on different terms than are set
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+1.F.
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+providing it to you may choose to give you a second opportunity to
+receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
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+
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO OTHER
+WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
+1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
+warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+*** END: FULL LICENSE ***
+