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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 04:48:26 -0700
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+The Project Gutenberg EBook of La Vénus d'Ille, by Prosper Mérimée
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: La Vénus d'Ille
+
+Author: Prosper Mérimée
+
+Release Date: July 7, 2005 [EBook #16240]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D'ILLE ***
+
+
+
+
+Produced by Ebooks libres et gratuits; this text is also
+available at http://www.ebooksgratuits.com
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+Prosper Mérimée
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+LA VÉNUS D'ILLE
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+(1837)
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+
+Je descendais le dernier coteau du Canigou, et, bien que le soleil
+fût déjà couché, je distinguais dans la plaine les maisons de la
+petite ville d'Ille, vers laquelle je me dirigeais.
+
+«Vous savez, dis-je au Catalan qui me servait de guide depuis la
+veille, vous savez sans doute où demeure M. de Peyrehorade?
+
+-- Si je le sais! s'écria-t-il, je connais sa maison comme la
+mienne; et s'il ne faisait pas si noir, je vous la montrerais.
+C'est la plus belle d'Ille. Il a de l'argent, oui,
+M. de Peyrehorade; et il marie son fils à plus riche que lui
+encore.
+
+-- Et ce mariage se fera-t-il bientôt? lui demandai-je.
+
+-- Bientôt! il se peut que déjà les violons soient commandés pour
+la noce. Ce soir, peut-être, demain, après-demain, que sais-je!
+C'est à Puygarrig que ça se fera; car c'est mademoiselle de
+Puygarrig que monsieur le fils épouse. Ce sera beau, oui!»
+
+J'étais recommandé à M. de Peyrehorade par mon ami M. de P.
+C'était, m'avait-il dit, un antiquaire fort instruit et d'une
+complaisance à toute épreuve. Il se ferait un plaisir de me
+montrer toutes les ruines à dix lieues à la ronde. Or je comptais
+sur lui pour visiter les environs d'Ille, que je savais riches en
+monuments antiques et du Moyen Âge. Ce mariage, dont on me parlait
+alors pour la première fois, dérangeait tous mes plans.
+
+Je vais être un trouble-fête, me dis-je. Mais j'étais attendu;
+annoncé par M. de P., il fallait bien me présenter.
+
+«Gageons, monsieur, me dit mon guide, comme nous étions déjà dans
+la plaine, gageons un cigare que je devine ce que vous allez faire
+chez M. de Peyrehorade?
+
+-- Mais, répondis-je en lui tendant un cigare, cela n'est pas bien
+difficile à deviner. À l'heure qu'il est, quand on a fait six
+lieues dans le Canigou, la grande affaire, c'est de souper.
+
+-- Oui, mais demain?... Tenez, je parierais que vous venez à Ille
+pour voir l'idole? j'ai deviné cela à vous voir tirer en portrait
+les saints de Serrabona.
+
+-- L'idole! quelle idole?» Ce mot avait excité ma curiosité.
+
+«Comment! on ne vous a pas conté, à Perpignan, comment
+M. de Peyrehorade avait trouvé une idole en terre?
+
+-- Vous voulez dire une statue en terre cuite, en argile?
+
+-- Non pas. Oui, bien en cuivre, et il y en a de quoi faire des
+gros sous. Elle vous pèse autant qu'une cloche d'église. C'est
+bien avant dans la terre, au pied d'un olivier, que nous l'avons
+eue.
+
+-- Vous étiez donc présent à la découverte?
+
+-- Oui, monsieur. M. de Peyrehorade nous dit, il y a quinze jours,
+à Jean Coll et à moi, de déraciner un vieil olivier qui était gelé
+de l'année dernière, car elle a été bien mauvaise, comme vous
+savez. Voilà donc qu'en travaillant Jean Coll qui y allait de tout
+coeur, il donne un coup de pioche, et j'entends bimm... comme s'il
+avait tapé sur une cloche. Qu'est-ce que c'est? que je dis. Nous
+piochons toujours, nous piochons, et voilà qu'il paraît une main
+noire, qui semblait la main d'un mort qui sortait de terre. Moi,
+la peur me prend. Je m'en vais à monsieur, et je lui dis: -- Des
+morts, notre maître, qui sont sous l'olivier! Faut appeler le
+curé. -- Quels morts? qu'il me dit. Il vient, et il n'a pas plutôt
+vu la main qu'il s'écrie: -- Un antique! un antique! -- Vous
+auriez cru qu'il avait trouvé un trésor. Et le voilà, avec la
+pioche, avec les mains, qui se démène et qui faisait quasiment
+autant d'ouvrage que nous deux.
+
+-- Et enfin que trouvâtes-vous?
+
+-- Une grande femme noire plus qu'à moitié nue, révérence parler,
+monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que
+c'était une idole du temps des païens... du temps de Charlemagne,
+quoi!
+
+-- Je vois ce que c'est... Quelque bonne Vierge en bronze d'un
+couvent détruit.
+
+-- Une bonne Vierge! ah bien oui!... Je l'aurais bien reconnue, si
+ç'avait été une bonne Vierge. C'est une idole, vous dis-je; on le
+voit bien à son air. Elle vous fixe avec ses grands yeux blancs...
+On dirait qu'elle vous dévisage. On baisse les yeux, oui, en la
+regardant.
+
+-- Des yeux blancs? Sans doute ils sont incrustés dans le bronze.
+Ce sera peut-être quelque statue romaine.
+
+-- Romaine! c'est cela. M. de Peyrehorade dit que c'est une
+Romaine. Ah! je vois bien que vous êtes un savant comme lui.
+
+-- Est-elle entière, bien conservée?
+
+-- Oh! monsieur, il ne lui manque rien. C'est encore plus beau et
+mieux fini que le buste de Louis-Philippe, qui est à la mairie, en
+plâtre peint. Mais avec tout cela, la figure de cette idole ne me
+revient pas. Elle a l'air méchante... et elle l'est aussi.
+
+-- Méchante! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite?
+
+-- Pas à moi précisément; mais vous allez voir. Nous nous étions
+mis à quatre pour la dresser debout, et M. de Peyrehorade, qui lui
+aussi tirait à la corde, bien qu'il n'ait guère plus de force
+qu'un poulet, le digne homme! Avec bien de la peine nous la
+mettons droite. J'amassais un tuileau pour la caler, quand,
+patatras! la voilà qui tombe à la renverse tout d'une masse. Je
+dis: Gare dessous! Pas assez vite pourtant, car Jean Coll n'a pas
+eu le temps de tirer sa jambe...
+
+-- Et il a été blessé?
+
+-- Cassée net comme un échalas, sa pauvre jambe! Pécaïre! quand
+j'ai vu cela, moi, j'étais furieux. Je voulais défoncer l'idole à
+coups de pioche, mais M. de Peyrehorade m'a retenu. Il a donné de
+l'argent à Jean Coll, qui tout de même est encore au lit depuis
+quinze jours que cela lui est arrivé, et le médecin dit qu'il ne
+marchera jamais de cette jambe-là comme de l'autre. C'est dommage,
+lui qui était notre meilleur coureur et, après monsieur le fils,
+le plus malin joueur de paume. C'est que M. Alphonse de
+Peyrehorade en a été triste, car c'est Coll qui faisait sa partie.
+Voilà qui était beau à voir comme ils se renvoyaient les balles.
+Paf! paf! Jamais elles ne touchaient terre.»
+
+Devisant de la sorte, nous entrâmes à Ille, et je me trouvai
+bientôt en présence de M. de Peyrehorade. C'était un petit
+vieillard vert encore et dispos, poudré, le nez rouge, l'air
+jovial et goguenard. Avant d'avoir ouvert la lettre de M. de P.,
+il m'avait installé devant une table bien servie, et m'avait
+présenté à sa femme et à son fils comme un archéologue illustre,
+qui devait tirer le Roussillon de l'oubli où le laissait
+l'indifférence des savants.
+
+Tout en mangeant de bon appétit, car rien ne dispose mieux que
+l'air vif des montagnes, j'examinais mes hôtes. J'ai dit un mot de
+M. de Peyrehorade; je dois ajouter que c'était la vivacité même.
+Il parlait, mangeait, se levait, courait à sa bibliothèque,
+m'apportait des livres, me montrait des estampes, me versait à
+boire; il n'était jamais deux minutes en repos. Sa femme, un peu
+trop grasse, comme la plupart des Catalanes lorsqu'elles ont passé
+quarante ans, me parut une provinciale renforcée, uniquement oc-
+cupée des soins de son ménage. Bien que le souper fût suffisant
+pour six personnes au moins, elle courut à la cuisine, fit tuer
+des pigeons, frire des miliasses, ouvrit je ne sais combien de
+pots de confitures. En un instant la table fut encombrée de plats
+et de bouteilles, et je serais certainement mort d'indigestion si
+j'avais goûté seulement à tout ce qu'on m'offrait. Cependant, à
+chaque plat que je refusais, c'étaient de nouvelles excuses. On
+craignait que je ne me trouvasse bien mal à Ille. Dans la province
+on a peu de ressources, et les Parisiens sont si difficiles!
+
+Au milieu des allées et venues de ses parents, M. Alphonse de
+Peyrehorade ne bougeait pas plus qu'un Terme. C'était un grand
+jeune homme de vingt-six ans, d'une physionomie belle et
+régulière, mais manquant d'expression. Sa taille et ses formes
+athlétiques justifiaient bien la réputation d'infatigable joueur
+de paume qu'on lui faisait dans le pays. Il était ce soir-là
+habillé avec élégance, exactement d'après la gravure du dernier
+numéro du Journal des modes. Mais il me semblait gêné dans ses
+vêtements; il était roide comme un piquet dans son col de velours,
+et ne se tournait que tout d'une pièce. Ses mains grosses et
+hâlées, ses ongles courts, contrastaient singulièrement avec son
+costume. C'étaient des mains de laboureur sortant des manches d'un
+dandy. D'ailleurs, bien qu'il me considérât de la tête aux pieds
+fort curieusement, en ma qualité de Parisien, il ne m'adressa
+qu'une seule fois la parole dans toute la soirée, ce fut pour me
+demander où j'avais acheté la chaîne de ma montre.
+
+«Ah çà! mon cher hôte, me dit M. de Peyrehorade, le souper tirant
+à sa fin, vous m'appartenez, vous êtes chez moi. Je ne vous lâche
+plus, sinon quand vous aurez vu tout ce que nous avons de curieux
+dans nos montagnes. Il faut que vous appreniez à connaître notre
+Roussillon, et que vous lui rendiez justice. Vous ne vous doutez
+pas de tout ce que nous allons vous montrer. Monuments phéniciens,
+celtiques, romains, arabes, byzantins, vous verrez tout, depuis le
+cèdre jusqu'à l'hysope. Je vous mènerai partout et ne vous ferai
+pas grâce d'une brique.»
+
+Un accès de toux l'obligea de s'arrêter. J'en profitai pour lui
+dire que je serais désolé de le déranger dans une circonstance
+aussi intéressante pour sa famille. S'il voulait bien me donner
+ses excellents conseils sur les excursions que j'aurais à faire,
+je pourrais, sans qu'il prît la peine de m'accompagner...
+
+«Ah! vous voulez parler du mariage de ce garçon-là, s'écria-t-il
+en m'interrompant. Bagatelle! ce sera fait après-demain. Vous
+ferez la noce avec nous, en famille, car la future est en deuil
+d'une tante dont elle hérite. Ainsi point de fête, point de bal...
+C'est dommage... vous auriez vu danser nos Catalanes... Elles sont
+jolies, et peut-être l'envie vous aurait-elle pris d'imiter mon
+Alphonse. Un mariage, dit-on, en amène d'autres... Samedi, les
+jeunes gens mariés, je suis libre, et nous nous mettons en course.
+Je vous demande pardon de vous donner l'ennui d'une noce de
+province. Pour un Parisien blasé sur les fêtes... et une noce sans
+bal encore! Pourtant, vous verrez une mariée... une mariée... vous
+m'en direz des nouvelles... Mais vous êtes un homme grave et vous
+ne regardez plus les femmes. J'ai mieux que cela à vous montrer.
+Je vous ferai voir quelque chose!... Je vous réserve une fière
+surprise pour demain.
+
+-- Mon Dieu! lui dis-je, il est difficile d'avoir un trésor dans
+sa maison sans que le public en soit instruit. Je crois deviner la
+surprise que vous me préparez. Mais si c'est de votre statue qu'il
+s'agit, la description que mon guide m'en a faite n'a servi qu'à
+exciter ma curiosité et à me disposer à l'admiration.
+
+-- Ah! il vous a parlé de l'idole, car c'est ainsi qu'ils
+appellent ma belle Vénus Tur... mais je ne veux rien vous dire.
+Demain, au grand jour, vous la verrez, et vous me direz si j'ai
+raison de la croire un chef-d'oeuvre. Parbleu! vous ne pouviez
+arriver plus à propos! Il y a des inscriptions que moi, pauvre
+ignorant, j'explique à ma manière... mais un savant de Paris!...
+Vous vous moquerez peut-être de mon interprétation... car j'ai
+fait un mémoire... moi qui vous parle... vieil antiquaire de
+province, je me suis lancé... Je veux faire gémir la presse... Si
+vous vouliez bien me lire et me corriger, je pourrais espérer...
+Par exemple, je suis bien curieux de savoir comment vous traduirez
+cette inscription sur le socle: CAVE... Mais je ne veux rien vous
+demander encore! À demain, à demain! Pas un mot sur la Vénus
+aujourd'hui!
+
+-- Tu as raison, Peyrehorade, dit sa femme, de laisser là ton
+idole. Tu devrais voir que tu empêches monsieur de manger. Va,
+monsieur a vu à Paris de bien plus belles statues que la tienne.
+Aux Tuileries, il y en a des douzaines, et en bronze aussi.
+
+-- Voilà bien l'ignorance, la sainte ignorance de la province!
+interrompit M. de Peyrehorade. Comparer un antique admirable aux
+plates figures de Coustou!
+
+Comme avec irrévérence
+Parle des dieux ma ménagère!
+
+Savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en
+faire une cloche à notre église. C'est qu'elle en eût été la
+marraine. Un chef-d'oeuvre de Myron, monsieur!
+
+-- Chef-d'oeuvre! chef-d'oeuvre! un beau chef-d'oeuvre qu'elle a
+fait! casser la jambe d'un homme!
+
+-- Ma femme, vois-tu? dit M. de Peyrehorade d'un ton résolu, et
+tendant vers elle sa jambe droite dans un bas de soie chinée, si
+ma Vénus m'avait cassé cette jambe-là, je ne la regretterais pas.
+
+-- Bon Dieu! Peyrehorade, comment peux-tu dire cela! Heureusement
+que l'homme va mieux... Et encore je ne peux pas prendre sur moi
+de regarder la statue qui fait des malheurs comme celui-là. Pauvre
+Jean Coll!
+
+-- Blessé par Vénus, monsieur, dit M. de Peyrehorade riant d'un
+gros rire, blessé par Vénus, le maraud se plaint.
+
+Veneris nec praemia noris.
+
+Qui n'a été blessé par Vénus?»
+
+M. Alphonse, qui comprenait le français mieux que le latin, cligna
+de l'oeil d'un air d'intelligence, et me regarda comme pour me
+demander: Et vous, Parisien, comprenez-vous?
+
+Le souper finit. Il y avait une heure que je ne mangeais plus.
+J'étais fatigué, et je ne pouvais parvenir à cacher les fréquents
+bâillements qui m'échappaient. Madame de Peyrehorade s'en aperçut
+la première, et remarqua qu'il était temps d'aller dormir. Alors
+commencèrent de nouvelles excuses sur le mauvais gîte que j'allais
+avoir. Je ne serais pas comme à Paris. En province on est si mal!
+Il fallait de l'indulgence pour les Roussillonnais. J'avais beau
+protester qu'après une course dans les montagnes une botte de
+paille me serait un coucher délicieux, on me priait toujours de
+pardonner à de pauvres campagnards s'ils ne me traitaient aussi
+bien qu'ils l'eussent désiré. Je montai enfin à la chambre qui
+m'était destinée, accompagné de M. de Peyrehorade. L'escalier,
+dont les marches supérieures étaient en bois, aboutissait au
+milieu d'un corridor, sur lequel donnaient plusieurs chambres.
+
+«À droite, me dit mon hôte, c'est l'appartement que je destine à
+la future madame Alphonse. Votre chambre est au bout du corridor
+opposé. Vous sentez bien, ajouta-t-il d'un air qu'il voulait
+rendre fin, vous sentez bien qu'il faut isoler de nouveaux mariés.
+Vous êtes à un bout de la maison, eux à l'autre.»
+
+Nous entrâmes dans une chambre bien meublée, où le premier objet
+sur lequel je portai la vue fut un lit long de sept pieds, large
+de six, et si haut qu'il fallait un escabeau pour s'y guinder. Mon
+hôte m'ayant indiqué la position de la sonnette, et s'étant assuré
+par lui-même que le sucrier était plein, les flacons d'eau de
+Cologne dûment placés sur la toilette, après m'avoir demandé
+plusieurs fois si rien ne me manquait, me souhaita une bonne nuit
+et me laissa seul.
+
+Les fenêtres étaient fermées. Avant de me déshabiller, j'en ouvris
+une pour respirer l'air frais de la nuit, délicieux après un long
+souper. En face était le Canigou, d'un aspect admirable en tout
+temps, mais qui me parut ce soir-là la plus belle montagne du
+monde, éclairé qu'il était par une lune resplendissante. Je
+demeurai quelques minutes à contempler sa silhouette merveilleuse,
+et j'allais fermer ma fenêtre, lorsque, baissant les yeux,
+j'aperçus la statue sur un piédestal à une vingtaine de toises de
+la maison. Elle était placée à l'angle d'une haie vive qui
+séparait un petit jardin d'un vaste carré parfaitement uni, qui,
+je l'appris plus tard, était le jeu de paume de la ville. Ce
+terrain, propriété de M. de Peyrehorade, avait été cédé par lui à
+la commune, sur les pressantes sollicitations de son fils.
+
+À la distance où j'étais, il m'était difficile de distinguer
+l'attitude de la statue; je ne pouvais juger que de sa hauteur,
+qui me parut de six pieds environ. En ce moment, deux polissons de
+la ville passaient sur le jeu de paume, assez près de la haie,
+sifflant le joli air du Roussillon: Montagnes régalades. Ils
+s'arrêtèrent pour regarder la statue; un d'eux l'apostropha même à
+haute voix. Il parlait catalan; mais j'étais dans le Roussillon
+depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu'il
+disait.
+
+«Te voilà donc, coquine! (Le terme catalan était plus énergique.)
+Te voilà! disait-il. C'est donc toi qui as cassé la jambe à Jean
+Coll! Si tu étais à moi, je te casserais le cou.
+
+-- Bah! avec quoi? dit l'autre. Elle est de cuivre, et si dure
+qu'Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l'entamer. C'est du
+cuivre du temps des païens; c'est plus dur que je ne sais quoi.
+
+-- Si j'avais mon ciseau à froid (il paraît que c'était un
+apprenti serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux
+blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour
+plus de cent sous d'argent.»
+
+Ils firent quelques pas en s'éloignant.
+
+«Il faut que je souhaite le bonsoir à l'idole», dit le plus grand
+des apprentis, s'arrêtant tout à coup.
+
+Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis
+déployer le bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore
+retentit sur le bronze. Au même instant l'apprenti porta la main à
+sa tête en poussant un cri de douleur.
+
+«Elle me l'a rejetée!» s'écria-t-il.
+
+Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était
+évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce
+drôle de l'outrage qu'il faisait à la déesse.
+
+Je fermai la fenêtre en riant de bon coeur.
+
+«Encore un Vandale puni par Vénus! Puissent tous les destructeurs
+de nos vieux monuments avoir ainsi la tête cassée!» Sur ce souhait
+charitable, je m'endormis.
+
+Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit
+étaient d'un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre; de
+l'autre, un domestique envoyé par sa femme, une tasse de chocolat
+à la main.
+
+«Allons, debout, Parisien! Voilà bien mes paresseux de la
+capitale! disait mon hôte pendant que je m'habillais à la hâte. Il
+est huit heures, et encore au lit! je suis levé, moi, depuis six
+heures. Voilà trois fois que je monte; je me suis approché de
+votre porte sur la pointe du pied: personne, nul signe de vie.
+Cela vous fera mal de trop dormir à votre âge. Et ma Vénus que
+vous n'avez pas encore vue! Allons, prenez-moi vite cette tasse de
+chocolat de Barcelone... Vraie contrebande... Du chocolat comme on
+n'en a pas à Paris. Prenez des forces, car lorsque vous serez
+devant ma Vénus, on ne pourra plus vous en arracher.»
+
+En cinq minutes je fus prêt, c'est-à-dire à moitié rasé, mal
+boutonné, et brûlé par le chocolat que j'avalai bouillant. Je
+descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable
+statue.
+
+C'était bien une Vénus, et d'une merveilleuse beauté. Elle avait
+le haut du corps nu, comme les Anciens représentaient d'ordinaire
+les grandes divinités; la main droite, levée à la hauteur du sein,
+était tournée, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers
+doigts étendus, les deux autres légèrement ployés. L'autre main,
+rapprochée de la hanche, soutenait la draperie qui couvrait la
+partie inférieure du corps. L'attitude de cette statue rappelait
+celle du Joueur de mourre qu'on désigne, je ne sais trop pourquoi,
+sous le nom de Germanicus. Peut-être avait-on voulu représenter la
+déesse jouant au jeu de mourre.
+
+Quoi qu'il en soit, il est impossible de voir quelque chose de
+plus parfait que le corps de cette Vénus; rien de plus suave, de
+plus voluptueux que ses contours; rien de plus élégant et de plus
+noble que sa draperie. Je m'attendais à quelque ouvrage du Bas-
+Empire; je voyais un chef-d'oeuvre du meilleur temps de la
+statuaire. Ce qui me frappait surtout, c'était l'exquise vérité
+des formes, en sorte qu'on aurait pu les croire moulées sur
+nature, si la nature produisait d'aussi parfaits modèles.
+
+La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir été dorée
+autrefois. La tête, petite comme celle de presque toutes les
+statues grecques, était légèrement inclinée en avant. Quant à la
+figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange,
+et dont le type ne se rapprochait de celui d'aucune statue antique
+dont il me souvienne. Ce n'était point cette beauté calme et
+sévère des sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à tous
+les traits une majestueuse immobilité. Ici, au contraire,
+j'observais avec surprise l'intention marquée de l'artiste de
+rendre la malice arrivant jusqu'à la méchanceté. Tous les traits
+étaient contractés légèrement: les yeux un peu obliques, la bouche
+relevée des coins, les narines quelque peu gonflées. Dédain,
+ironie, cruauté, se lisaient sur ce visage d'une incroyable beauté
+cependant. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, et
+plus on éprouvait le sentiment pénible qu'une si merveilleuse
+beauté pût s'allier à l'absence de toute sensibilité.
+
+«Si le modèle a jamais existé, dis-je à M. de Peyrehorade, et je
+doute que le ciel ait jamais produit une telle femme, que je
+plains ses amants! Elle a dû se complaire à les faire mourir de
+désespoir. Il y a dans son expression quelque chose de féroce, et
+pourtant je n'ai jamais vu rien de si beau.
+
+-- C'est Vénus tout entière à sa proie attachée!»
+s'écria M. de Peyrehorade, satisfait de mon enthousiasme.
+
+Cette expression d'ironie infernale était augmentée peut-être par
+le contraste de ses yeux incrustés d'argent et très brillants avec
+la patine d'un vert noirâtre que le temps avait donnée à toute la
+statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui
+rappelait la réalité, la vie. Je me souvins de ce que m'avait dit
+mon guide, qu'elle faisait baisser les yeux à ceux qui la
+regardaient. Cela était presque vrai, et je ne pus me défendre
+d'un mouvement de colère contre moi-même en me sentant un peu mal
+à mon aise devant cette figure de bronze.
+
+«Maintenant que vous avez tout admiré en détail, mon cher collègue
+en antiquaillerie, dit mon hôte, ouvrons, s'il vous plaît, une
+conférence scientifique. Que dites-vous de cette inscription, à
+laquelle vous n'avez point pris garde encore?»
+
+Il me montrait le socle de la statue, et j'y lus ces mots:
+
+CAVE AMANTEM.
+
+«Quid dicis, doctissime? me demanda-t-il en se frottant les mains.
+Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce cave amantem!
+
+-- Mais, répondis-je, il y a deux sens. On peut traduire: «Prends
+garde à celui qui t'aime, défie-toi des amants.» Mais, dans ce
+sens, je ne sais si cave amantem serait d'une bonne latinité. En
+voyant l'expression diabolique de la dame, je croirais plutôt que
+l'artiste a voulu mettre en garde le spectateur contre cette
+terrible beauté. Je traduirais donc: «Prends garde à toi si elle
+t'aime.»
+
+-- Humph! dit M. de Peyrehorade, oui, c'est un sens admirable;
+mais, ne vous en déplaise, je préfère la première traduction, que
+je développerai pourtant. Vous connaissez l'amant de Vénus?
+
+-- Il y en a plusieurs.
+
+-- Oui; mais le premier, c'est Vulcain. N'a-t-on pas voulu dire:
+«Malgré toute ta beauté, ton air dédaigneux, tu auras un forgeron,
+un vilain boiteux pour amant!» Leçon profonde, monsieur, pour les
+coquettes!»
+
+Je ne pus m'empêcher de sourire, tant l'explication me parut tirée
+par les cheveux.
+
+«C'est une terrible langue que le latin avec sa concision,
+observai-je pour éviter de contredire formellement mon antiquaire,
+et je reculai de quelques pas afin de mieux contempler la statue.
+
+-- Un instant, collègue! dit M. de Peyrehorade en m'arrêtant par
+le bras, vous n'avez pas tout vu. Il y a encore une autre inscrip-
+tion. Montez sur le socle et regardez au bras droit.»
+
+En parlant ainsi il m'aidait à monter.
+
+Je m'accrochai sans trop de façons au cou de la Vénus, avec
+laquelle je commençais à me familiariser. Je la regardai même un
+instant sous le nez, et la trouvai de près encore plus méchante et
+encore plus belle. Puis je reconnus qu'il y avait, gravés sur le
+bras, quelques caractères d'écriture cursive antique, à ce qu'il
+me sembla. À grand renfort de besicles j'épelai ce qui suit, et
+cependant M. de Peyrehorade répétait chaque mot à mesure que je le
+prononçais, approuvant du geste et de la voix. Je lus donc:
+
+VENERI TVRBVL... EVTYCHES MYRO IMPERIO FECIT.
+
+Après ce mot TVRBVL de la première ligne, il me sembla qu'il y
+avait quelques lettres effacées; mais TVRBVL était parfaitement
+lisible.
+
+«Ce qui veut dire?...» me demanda mon hôte radieux et souriant
+avec malice, car il pensait bien que je ne me tirerais pas faci-
+lement de ce TVRBVL.
+
+«Il y a un mot que je ne m'explique pas encore, lui dis-je; tout
+le reste est facile. Eutychès Myron a fait cette offrande à Vénus
+par son ordre.
+
+-- À merveille. Mais TVRBVL, qu'en faites-vous? Qu'est-ce que
+TVRBVL?
+
+-- TVRBVL m'embarrasse fort. Je cherche en vain quelque épithète
+connue de Vénus qui puisse m'aider. Voyons, que diriez-vous de
+TVRBVLENTA? Vénus qui trouble, qui agite... Vous vous apercevez
+que je suis toujours préoccupé de son expression méchante.
+TVRBVLENTA, ce n'est point une trop mauvaise épithète pour Vénus»,
+ajoutai-je d'un ton modeste, car je n'étais pas moi-même fort
+satisfait de mon explication.
+
+«Vénus turbulente! Vénus la tapageuse! Ah! vous croyez donc que ma
+Vénus est une Vénus de cabaret? Point du tout, monsieur; c'est une
+Vénus de bonne compagnie. Mais je vais vous expliquer ce TVRBVL...
+Au moins vous me promettez de ne point divulguer ma découverte
+avant l'impression de mon mémoire. C'est que, voyez-vous, je m'en
+fais gloire, de cette trouvaille-là... Il faut bien que vous nous
+laissiez quelques épis à glaner, à nous autres pauvres diables de
+provinciaux. Vous êtes si riches, messieurs les savants de Paris!»
+
+Du haut du piédestal, où j'étais toujours perché, je lui promis
+solennellement que je n'aurais jamais l'indignité de lui voler sa
+découverte.
+
+«TVRBVL..., monsieur, dit-il en se rapprochant et baissant la voix
+de peur qu'un autre que moi ne pût l'entendre, lisez TVRBVLNERAE.
+
+-- Je ne comprends pas davantage.
+
+-- Écoutez bien. À une lieue d'ici, au pied de la montagne, il y a
+un village qui s'appelle Boulternère. C'est une corruption du mot
+latin TVRBVLNERA. Rien de plus commun que ces inversions.
+Boulternère, monsieur, a été une ville romaine. Je m'en étais
+toujours douté, mais jamais je n'en avais eu la preuve. La preuve,
+la voilà. Cette Vénus était la divinité topique de la cité de
+Boulternère; et ce mot de Boulternère, que je viens de démontrer
+d'origine antique, prouve une chose bien plus curieuse, c'est que
+Boulternère, avant d'être une ville romaine, a été une ville
+phénicienne!»
+
+Il s'arrêta un moment pour respirer et jouir de ma surprise. Je
+parvins à réprimer une forte envie de rire.
+
+«En effet, poursuivit-il, TVRBVLNERA est pur phénicien, TVR,
+prononcez TOUR... TOUR et SOUR, même mot, n'est-ce pas? SOUR est
+le nom phénicien de Tyr; je n'ai pas besoin de vous en rappeler le
+sens. BVL, c'est Baal; Bâl, Bel, Bul, légères différences de
+prononciation. Quant à NERA, cela me donne un peu de peine. Je
+suis tenté de croire, faute de trouver un mot phénicien, que cela
+vient du grec ?????, humide, marécageux. Ce serait donc un mot
+hybride. Pour justifier ?????, je vous montrerai à Boulternère
+comment les ruisseaux de la montagne y forment des mares infectes.
+D'autre part, la terminaison NERA aurait pu être ajoutée beaucoup
+plus tard en l'honneur de Nera Pivesuvia, femme de Tétricus,
+laquelle aurait fait quelque bien à la cité de Turbul. Mais, à
+cause des mares, je préfère l'étymologie de ?????.»
+
+Il prit une prise de tabac d'un air satisfait.
+
+«Mais laissons les Phéniciens, et revenons à l'inscription. Je
+traduis donc: "À Vénus de Boulternère Myron dédie par son ordre
+cette statue, son ouvrage."«
+
+Je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à
+mon tour faire preuve de pénétration, et je lui dis:
+
+«Halte-là, monsieur. Myron a consacré quelque chose, mais je ne
+vois nullement que ce soit cette statue.
+
+-- Comment! s'écria-t-il, Myron n'était-il pas un fameux sculpteur
+grec? Le talent se sera perpétué dans sa famille: c'est un de ses
+descendants qui aura fait cette statue. Il n'y a rien de plus sûr.
+
+-- Mais, répliquai-je, je vois sur le bras un petit trou. Je pense
+qu'il a servi à fixer quelque chose, un bracelet, par exemple, que
+ce Myron donna à Vénus en offrande expiatoire. Myron était un
+amant malheureux. Vénus était irritée contre lui: il l'apaisa en
+lui consacrant un bracelet d'or. Remarquez que fecit se prend fort
+souvent pour consecravit. Cc sont termes synonymes. Je vous en
+montrerais plus d'un exemple si j'avais sous la main Gruter ou
+bien Orelli. Il est naturel qu'un amoureux voie Vénus en rêve,
+qu'il s'imagine qu'elle lui commande de donner un bracelet d'or à
+sa statue. Myron lui consacra un bracelet... Puis les barbares ou
+bien quelque voleur sacrilège...
+
+-- Ah! qu'on voit bien que vous avez fait des romans! s'écria mon
+hôte en me donnant la main pour descendre. Non, monsieur, c'est un
+ouvrage de l'école de Myron. Regardez seulement le travail, et
+vous en conviendrez.»
+
+M'étant fait une loi de ne jamais contredire à outrance les
+antiquaires entêtés, je baissai la tête d'un air convaincu en
+disant:
+
+«C'est un admirable morceau.
+
+-- Ah! mon Dieu, s'écria M. de Peyrehorade, encore un trait de
+vandalisme! On aura jeté une pierre à ma statue!»
+
+Il venait d'apercevoir une marque blanche un peu au-dessus du sein
+de la Vénus. Je remarquai une trace semblable sur les doigts de la
+main droite, qui, je le supposai alors, avaient été touchés dans
+le trajet de la pierre, ou bien un fragment s'en était détaché par
+le choc et avait ricoché sur la main. Je contai à mon hôte
+l'insulte dont j'avais été témoin et la prompte punition qui s'en
+était suivie. Il en rit beaucoup, et, comparant l'apprenti à Dio-
+mède, il lui souhaita de voir, comme le héros grec, tous ses
+compagnons changés en oiseaux blancs.
+
+La cloche du déjeuner interrompit cet entretien classique, et, de
+même que la veille, je fus obligé de manger comme quatre. Puis
+vinrent des fermiers de M. de Peyrehorade; et pendant qu'il leur
+donnait audience, son fils me mena voir une calèche qu'il avait
+achetée à Toulouse pour sa fiancée, et que j'admirai, cela va sans
+dire. Ensuite j'entrai avec lui dans l'écurie, où il me tint une
+demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie, à
+me conter les prix qu'ils avaient gagnés aux courses du
+département. Enfin il en vint à me parler de sa future, par la
+transition d'une jument grise qu'il lui destinait.
+
+«Nous la verrons aujourd'hui, dit-il. Je ne sais si vous la
+trouverez jolie. Vous êtes difficiles, à Paris; mais tout le
+monde, ici et à Perpignan, la trouve charmante. Le bon, c'est
+qu'elle est fort riche. Sa tante de Prades lui a laissé son bien.
+Oh! je vais être fort heureux.»
+
+Je fus profondément choqué de voir un jeune homme paraître plus
+touché de la dot que des beaux yeux de sa future.
+
+«Vous vous connaissez en bijoux, poursuivit M. Alphonse, comment
+trouvez-vous ceci? Voici l'anneau que je lui donnerai demain.»
+
+En parlant ainsi, il tirait de la première phalange de son petit
+doigt une grosse bague enrichie de diamants, et formée de deux
+mains entrelacées; allusion qui me parut infiniment poétique. Le
+travail en était ancien, mais je jugeai qu'on l'avait retouchée
+pour enchâsser les diamants. Dans l'intérieur de la bague se
+lisaient ces mots en lettres gothiques: Sempr'ab ti, c'est-à-dire,
+toujours avec toi.
+
+«C'est une jolie bague, lui dis-je; mais ces diamants ajoutés lui
+ont fait perdre un peu de son caractère.
+
+-- Oh! elle est bien plus belle comme cela, répondit-il en
+souriant. Il y a là pour douze cents francs de diamants. C'est ma
+mère qui me l'a donnée. C'était une bague de famille, très
+ancienne... du temps de la chevalerie. Elle avait servi à ma
+grand-mère, qui la tenait de la sienne. Dieu sait quand cela a été
+fait.
+
+-- L'usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout
+simple, ordinairement composé de deux métaux différents, comme de
+l'or et du platine. Tenez, cette autre bague, que vous avez à ce
+doigt, serait fort convenable. Celle-ci, avec ses diamants et ses
+mains en relief, est si grosse, qu'on ne pourrait mettre un gant
+par-dessus.
+
+-- Oh! madame Alphonse s'arrangera comme elle voudra. Je crois
+qu'elle sera toujours bien contente de l'avoir. Douze cents francs
+au doigt, c'est agréable. Cette petite bague-là, ajouta-t-il en
+regardant d'un air de satisfaction l'anneau tout uni qu'il portait
+à la main, celle-là, c'est une femme à Paris qui me l'a donnée un
+jour de mardi gras. Ah! comme je m'en suis donné quand j'étais à
+Paris, il y a deux ans! C'est là qu'on s'amuse!...» Et il soupira
+de regret.
+
+Nous devions dîner ce jour-là à Puygarrig, chez les parents de la
+future; nous montâmes en calèche, et nous nous rendîmes au château
+éloigné d'Ille d'environ une lieue et demie. Je fus présenté et
+accueilli comme l'ami de la famille. Je ne parlerai pas du dîner
+ni de la conversation qui s'ensuivit, et à laquelle je pris peu de
+part. M. Alphonse, placé à côté de sa future, lui disait un mot à
+l'oreille tous les quarts d'heure. Pour elle, elle ne levait guère
+les yeux, et, chaque fois que son prétendu lui parlait, elle
+rougissait avec modestie, mais lui répondait sans embarras.
+
+Mademoiselle de Puygarrig avait dix-huit ans; sa taille souple et
+délicate contrastait avec les formes osseuses de son robuste
+fiancé. Elle était non seulement belle, mais séduisante.
+J'admirais le naturel parfait de toutes ses réponses; et son air
+de bonté, qui pourtant n'était pas exempt d'une légère teinte de
+malice, me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte. Dans cette
+comparaison que je fis en moi-même, je me demandais si la
+supériorité de beauté qu'il fallait bien accorder à la statue ne
+tenait pas, en grande partie, à son expression de tigresse; car
+l'énergie, même dans les mauvaises passions, excite toujours en
+nous un étonnement et une espèce d'admiration involontaire.
+
+«Quel dommage, me dis-je en quittant Puygarrig, qu'une si aimable
+personne soit riche, et que sa dot la fasse rechercher par un
+homme indigne d'elle!»
+
+En revenant à Ille, et ne sachant trop que dire à madame de
+Peyrehorade, à qui je croyais convenable d'adresser quelquefois la
+parole:
+
+«Vous êtes bien esprits forts en Roussillon! m'écriai-je; comment,
+madame, vous faites un mariage un vendredi! À Paris nous aurions
+plus de superstition; personne n'oserait prendre femme un tel
+jour.
+
+-- Mon Dieu! ne m'en parlez pas, me dit-elle, si cela n'avait
+dépendu que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais
+Peyrehorade l'a voulu, et il a fallu lui céder. Cela me fait de la
+peine pourtant. S'il arrivait quelque malheur? Il faut bien qu'il
+y ait une raison, car enfin pourquoi tout le monde a-t-il peur du
+vendredi?
+
+-- Vendredi! s'écria son mari, c'est le jour de Vénus! Bon jour
+pour un mariage! Vous le voyez, mon cher collègue, je ne pense
+qu'à ma Vénus. D'honneur! c'est à cause d'elle que j'ai choisi le
+vendredi. Demain, si vous voulez, avant la noce, nous lui ferons
+un petit sacrifice; nous sacrifierons deux palombes, et si je
+savais où trouver de l'encens...
+
+-- Fi donc, Peyrehorade! interrompit sa femme scandalisée au
+dernier point. Encenser une idole! Ce serait une abomination! Que
+dirait-on de nous dans le pays?
+
+-- Au moins, dit M. de Peyrehorade, tu me permettras de lui mettre
+sur la tête une couronne de roses et de lis:
+
+Manibus date lilia plenis.
+
+Vous le voyez, monsieur, la charte est un vain mot. Nous n'avons
+pas la liberté des cultes!»
+
+Les arrangements du lendemain furent réglés de la manière
+suivante. Tout le monde devait être prêt et en toilette à dix
+heures précises. Le chocolat pris, on se rendrait en voiture à
+Puygarrig. Le mariage civil devait se faire à la mairie du
+village, et la cérémonie religieuse dans la chapelle du château.
+Viendrait ensuite un déjeuner. Après le déjeuner on passerait le
+temps comme l'on pourrait jusqu'à sept heures. À sept heures, on
+retournerait à Ille, chez M. de Peyrehorade, où devaient souper
+les deux familles réunies. Le reste s'ensuit naturellement. Ne
+pouvant danser, on avait voulu manger le plus possible.
+
+Dès huit heures j'étais assis devant la Vénus, un crayon à la
+main, recommençant pour la vingtième fois la tête de la statue,
+sans pouvoir parvenir à en saisir l'expression. M. de Peyrehorade
+allait et venait autour de moi, me donnait des conseils, me
+répétait ses étymologies phéniciennes; puis disposait des roses du
+Bengale sur le piédestal de la statue, et d'un ton tragi-comique
+lui adressait des voeux pour le couple qui allait vivre sous son
+toit. Vers neuf heures il rentra pour songer à sa toilette, et en
+même temps parut M. Alphonse, bien serré dans un habit neuf, en
+gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés, une rose à la
+boutonnière.
+
+«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en se penchant sur
+mon dessin. Elle est jolie aussi.»
+
+En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j'ai parlé, une
+partie qui, sur-le-champ, attira l'attention de M. Alphonse. Et
+moi, fatigué, et désespérant de rendre cette diabolique figure, je
+quittai bientôt mon dessin pour regarder les joueurs. Il y avait
+parmi eux quelques muletiers espagnols arrivés de la veille.
+C'étaient des Aragonais et des Navarrois, presque tous d'une
+adresse merveilleuse. Aussi les Illois, bien qu'encouragés par la
+présence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assez
+promptement battus par ces nouveaux champions. Les spectateurs
+nationaux étaient consternés. M. Alphonse regarda à sa montre. Il
+n'était encore que neuf heures et demie. Sa mère n'était pas
+coiffée. Il n'hésita plus: il ôta son habit, demanda une veste, et
+défia les Espagnols. Je le regardais faire en souriant, et un peu
+surpris.
+
+«Il faut soutenir l'honneur du pays», dit-il.
+
+Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Sa
+toilette, qui l'occupait si fort tout à l'heure, n'était plus rien
+pour lui. Quelques minutes avant il eût craint de tourner la tête
+de peur de déranger sa cravate. Maintenant il ne pensait plus à
+ses cheveux frisés ni à son jabot si bien plissé. Et sa
+fiancée?... Ma foi, si cela eût été nécessaire, il aurait, je
+crois, fait ajourner le mariage. Je le vis chausser à la hâte une
+paire de sandales, retrousser ses manches, et, d'un air assuré, se
+mettre à la tête du parti vaincu, comme César ralliant ses soldats
+à Dyrrachium. Je sautai la haie, et me plaçai commodément à
+l'ombre d'un micocoulier, de façon à bien voir les deux camps.
+
+Contre l'attente générale, M. Alphonse manqua la première balle;
+il est vrai qu'elle vint rasant la terre et lancée avec une force
+surprenante par un Aragonais qui paraissait être le chef des
+Espagnols.
+
+C'était un homme d'une quarantaine d'années, sec et nerveux, haut
+de six pieds, et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi
+foncée que le bronze de la Vénus.
+
+M. Alphonse jeta sa raquette à terre avec fureur. «C'est cette
+maudite bague, s'écria-t-il, qui me serre le doigt, et me fait
+manquer une balle sûre!»
+
+Il ôta, non sans peine, sa bague de diamants: je m'approchais pour
+la recevoir; mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la
+bague au doigt annulaire, et reprit son poste à la tête des
+Illois. Il était pâle, mais calme et résolu. Dès lors il ne fit
+plus une seule faute, et les Espagnols furent battus complètement.
+Ce fut un beau spectacle que l'enthousiasme des spectateurs: les
+uns poussaient mille cris de joie en jetant leurs bonnets en
+l'air; d'autres lui serraient les mains, l'appelant l'honneur du
+pays. S'il eût repoussé une invasion, je doute qu'il eût reçu des
+félicitations plus vives et plus sincères. Le chagrin des vaincus
+ajoutait encore à l'éclat de sa victoire.
+
+«Nous ferons d'autres parties, mon brave, dit-il à l'Aragonais
+d'un ton de supériorité; mais je vous rendrai des points.»
+
+J'aurais désiré que M. Alphonse fût plus modeste, et je fus
+presque peiné de l'humiliation de son rival.
+
+Le géant espagnol ressentit profondément cette insulte. Je le vis
+pâlir sous sa peau basanée. Il regardait d'un air morne sa ra-
+quette en serrant les dents; puis, d'une voix étouffée, il dit
+tout bas: Me lo pagarás.
+
+La voix de M. de Peyrehorade troubla le triomphe de son fils; mon
+hôte, fort étonné de ne point le trouver présidant aux apprêts de
+la calèche neuve, le fut bien plus encore en le voyant tout en
+sueur, la raquette à la main. M. Alphonse courut à la maison, se
+lava la figure et les mains, remit son habit neuf et ses souliers
+vernis, et cinq minutes après nous étions au grand trot sur la
+route de Puygarrig. Tous les joueurs de paume de la ville et grand
+nombre de spectateurs nous suivirent avec des cris de joie. À
+peine les chevaux vigoureux qui nous traînaient pouvaient-ils
+maintenir leur avance sur ces intrépides Catalans.
+
+Nous étions à Puygarrig, et le cortège allait se mettre en marche
+pour la mairie, lorsque M. Alphonse, se frappant le front, me dit
+tout bas:
+
+«Quelle brioche! J'ai oublié la bague! Elle est au doigt de la
+Vénus, que le diable puisse emporter! Ne le dites pas à ma mère au
+moins. Peut-être qu'elle ne s'apercevra de rien.
+
+-- Vous pourriez envoyer quelqu'un, lui dis-je.
+
+-- Bah! mon domestique est resté à Ille. Ceux-ci, je ne m'y fie
+guère. Douze cents francs de diamants! cela pourrait en tenter
+plus d'un. D'ailleurs que penserait-on ici de ma distraction? Ils
+se moqueraient trop de moi. Ils m'appelleraient le mari de la
+statue... Pourvu qu'on ne me la vole pas! Heureusement que l'idole
+fait peur à mes coquins. Ils n'osent l'approcher à longueur de
+bras. Bah! ce n'est rien; j'ai une autre bague.»
+
+Les deux cérémonies civile et religieuse s'accomplirent avec la
+pompe convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l'anneau
+d'une modiste de Paris, sans se douter que son fiancé lui faisait
+le sacrifice d'un gage amoureux. Puis on se mit à table, où l'on
+but, mangea, chanta même, le tout fort longuement. Je souffrais
+pour la mariée de la grosse joie qui éclatait autour d'elle;
+pourtant elle faisait meilleure contenance que je ne l'aurais
+espéré, et son embarras n'était ni de la gaucherie ni de
+l'affectation.
+
+Peut-être le courage vient-il avec les situations difficiles.
+
+Le déjeuner terminé quand il plut à Dieu, il était quatre heures;
+les hommes allèrent se promener dans le parc, qui était
+magnifique, ou regardèrent danser sur la pelouse du château les
+paysannes de Puygarrig, parées de leurs habits de fête. De la
+sorte, nous employâmes quelques heures. Cependant les femmes
+étaient fort empressées autour de la mariée, qui leur faisait
+admirer sa corbeille. Puis elle changea de toilette, et je
+remarquai qu'elle couvrit ses beaux cheveux d'un bonnet et d'un
+chapeau à plumes, car les femmes n'ont rien de plus pressé que de
+prendre, aussitôt qu'elles le peuvent, les parures que l'usage
+leur défend de porter quand elles sont encore demoiselles.
+
+Il était près de huit heures quand on se disposa à partir pour
+Ille. Mais d'abord eut lieu une scène pathétique. La tante de
+mademoiselle de Puygarrig, qui lui servait de mère, femme très
+âgée et fort dévote, ne devait point aller avec nous à la ville.
+Au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses devoirs
+d'épouse, duquel sermon résulta un torrent de larmes et des
+embrassements sans fin. M. de Peyrehorade comparait cette
+séparation à l'enlèvement des Sabines. Nous partîmes pourtant, et,
+pendant la route, chacun s'évertua pour distraire la mariée et la
+faire rire; mais ce fut en vain.
+
+À Ille, le souper nous attendait, et quel souper! Si la grosse
+joie du matin m'avait choqué, je le fus bien davantage des équivo-
+ques et des plaisanteries dont le marié et la mariée surtout
+furent l'objet. Le marié, qui avait disparu un instant avant de se
+mettre à table, était pâle et d'un sérieux de glace. Il buvait à
+chaque instant du vieux vin de Collioure presque aussi fort que de
+l'eau-de-vie. J'étais à côté de lui, et me crus obligé de
+l'avertir:
+
+«Prenez garde! on dit que le vin...»
+
+Je ne sais quelle sottise je lui dis pour me mettre à l'unisson
+des convives.
+
+Il me poussa le genou, et très bas il me dit:
+
+«Quand on se lèvera de table..., que je puisse vous dire deux
+mots.»
+
+Son ton solennel me surprit. Je le regardai plus attentivement, et
+je remarquai l'étrange altération de ses traits.
+
+«Vous sentez-vous indisposé? lui demandai-je.
+
+-- Non.»
+
+Et il se remit à boire.
+
+Cependant, au milieu des cris et des battements de mains, un
+enfant de onze ans, qui s'était glissé sous la table, montrait aux
+assistants un joli ruban blanc et rose qu'il venait de détacher de
+la cheville de la mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut
+aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en
+ornèrent leur boutonnière, suivant un antique usage qui se
+conserve encore dans quelques familles patriarcales. Ce fut pour
+la mariée une occasion de rougir jusqu'au blanc des yeux. Mais son
+trouble fut au comble lorsque M. de Peyrehorade, ayant réclamé le
+silence, lui chanta quelques vers catalans, impromptus, disait-il.
+En voici le sens, si je l'ai bien compris:
+
+«Qu'est-ce donc, mes amis? Le vin que j'ai bu me fait-il voir
+double? Il y a deux Vénus ici...»
+
+Le marié tourna brusquement la tête d'un air effaré, qui fit rire
+tout le monde.
+
+«Oui, poursuivit M. de Peyrehorade, il y a deux Vénus sous mon
+toit. L'une, je l'ai trouvée dans la terre comme une truffe;
+l'autre, descendue des cieux, vient de nous partager sa ceinture.»
+
+Il voulait dire sa jarretière.
+
+«Mon fils, choisis de la Vénus romaine ou de la catalane celle que
+tu préfères. Le maraud prend la catalane, et sa part est la
+meilleure. La romaine est noire, la catalane est blanche. La
+romaine est froide, la catalane enflamme tout ce qui l'approche.»
+
+Cette chute excita un tel hourra, des applaudissements si bruyants
+et des rires si sonores, que je crus que le plafond allait nous
+tomber sur la tête. Autour de la table il n'y avait que trois
+visages sérieux, ceux des mariés et le mien. J'avais un grand mal
+de tête; et puis, je ne sais pourquoi, un mariage m'attriste
+toujours. Celui-là, en outre, me dégoûtait un peu.
+
+Les derniers couplets ayant été chantés par l'adjoint du maire, et
+ils étaient fort lestes, je dois le dire, on passa dans le salon
+pour jouir du départ de la mariée, qui devait être bientôt
+conduite à sa chambre, car il était près de minuit.
+
+M. Alphonse me tira dans l'embrasure d'une fenêtre, et me dit en
+détournant les yeux: «Vous allez vous moquer de moi... Mais je ne
+sais ce que j'ai... je suis ensorcelé! le diable m'emporte!»
+
+La première pensée qui me vint fut qu'il se croyait menacé de
+quelque malheur du genre de ceux dont parlent Montaigne et madame
+de Sévigné:
+
+«Tout l'empire amoureux est plein d'histoires tragiques», etc. Je
+croyais que ces sortes d'accidents n'arrivaient qu'aux gens
+d'esprit, me dis-je à moi-même.
+
+«Vous avez trop bu de vin de Collioure, mon cher monsieur
+Alphonse, lui dis-je. Je vous avais prévenu.
+
+-- Oui, peut-être. Mais c'est quelque chose de bien plus
+terrible.»
+
+Il avait la voix entrecoupée. Je le crus tout à fait ivre.
+
+«Vous savez bien mon anneau? poursuivit-il après un silence.
+
+-- Eh bien! on l'a pris?
+
+-- Non.
+
+-- En ce cas, vous l'avez?
+
+-- Non... je... Je ne puis l'ôter du doigt de cette diable de
+Vénus.
+
+-- Bon! vous n'avez pas tiré assez fort.
+
+-- Si fait... Mais la Vénus... elle a serré le doigt.»
+
+Il me regardait fixement d'un air hagard, s'appuyant à
+l'espagnolette pour ne pas tomber.
+
+«Quel conte! lui dis-je. Vous avez trop enfoncé l'anneau. Demain
+vous l'aurez avec des tenailles. Mais prenez garde de gâter la
+statue.
+
+-- Non, vous dis-je. Le doigt de la Vénus est retiré, reployé;
+elle serre la main, m'entendez-vous?... C'est ma femme, apparem-
+ment, puisque je lui ai donné mon anneau... Elle ne veut plus le
+rendre.»
+
+J'éprouvai un frisson subit, et j'eus un instant la chair de
+poule. Puis, un grand soupir qu'il fit m'envoya une bouffée de
+vin, et toute émotion disparut.
+
+Le misérable, pensai-je, est complètement ivre.
+
+«Vous êtes antiquaire, monsieur, ajouta le marié d'un ton
+lamentable; vous connaissez ces statues-là... il y a peut-être
+quelque ressort, quelque diablerie, que je ne connais point... Si
+vous alliez voir?
+
+-- Volontiers, dis-je. Venez avec moi.
+
+-- Non, j'aime mieux que vous y alliez seul.»
+
+Je sortis du salon.
+
+Le temps avait changé pendant le souper, et la pluie commençait à
+tomber avec force. J'allais demander un parapluie, lorsqu'une
+réflexion m'arrêta. Je serais un bien grand sot, me dis-je,
+d'aller vérifier ce que m'a dit un homme ivre! Peut-être,
+d'ailleurs, a-t-il voulu me faire quelque méchante plaisanterie
+pour apprêter à rire à ces honnêtes provinciaux; et le moins qu'il
+puisse m'en arriver, c'est d'être trempé jusqu'aux os et
+d'attraper un bon rhume.
+
+De la porte je jetai un coup d'oeil sur la statue ruisselante
+d'eau, et je montai dans ma chambre sans rentrer dans le salon. Je
+me couchai; mais le sommeil fut long à venir. Toutes les scènes de
+la journée se représentaient à mon esprit. Je pensais à cette
+jeune fille si belle et si pure abandonnée à un ivrogne brutal.
+Quelle odieuse chose, me disais-je, qu'un mariage de convenance!
+Un maire revêt une écharpe tricolore, un curé une étole, et voilà
+la plus honnête fille du monde livrée au Minotaure! Deux êtres qui
+ne s'aiment pas, que peuvent-ils se dire dans un pareil moment,
+que deux amants achèteraient au prix de leur existence? Une femme
+peut-elle jamais aimer un homme qu'elle aura vu grossier une fois?
+Les premières impressions ne s'effacent pas, et j'en suis sûr ce
+M. Alphonse méritera bien d'être haï...
+
+Durant mon monologue, que j'abrège beaucoup, j'avais entendu force
+allées et venues dans la maison, les portes s'ouvrir et se fermer,
+des voitures partir; puis il me semblait avoir entendu sur
+l'escalier les pas légers de plusieurs femmes se dirigeant vers
+l'extrémité du corridor opposé à ma chambre. C'était probablement
+le cortège de la mariée qu'on menait au lit. Ensuite on avait
+redescendu l'escalier. La porte de madame de Peyrehorade s'était
+fermée. Que cette pauvre fille, me dis-je, doit être troublée et
+mal à son aise! Je me tournais dans mon lit de mauvaise humeur. Un
+garçon joue un sot rôle dans une maison où s'accomplit un mariage.
+
+Le silence régnait depuis quelque temps lorsqu'il fut troublé par
+des pas lourds qui montaient l'escalier. Les marches de bois
+craquèrent fortement.
+
+«Quel butor! m'écriai-je. Je parie qu'il va tomber dans
+l'escalier.»
+
+Tout redevint tranquille. Je pris un livre pour changer le cours
+de mes idées. C'était une statistique du département, ornée d'un
+mémoire de M. de Peyrehorade sur les monuments druidiques de
+l'arrondissement de Prades. Je m'assoupis à la troisième page.
+
+Je dormis mal et me réveillai plusieurs fois. Il pouvait être cinq
+heures du matin, et j'étais éveillé depuis plus de vingt minutes
+lorsque le coq chanta. Le jour allait se lever. Alors j'entendis
+distinctement les mêmes pas lourds, le même craquement de
+l'escalier que j'avais entendus avant de m'endormir. Cela me parut
+singulier. J'essayai, en bâillant, de deviner pourquoi M. Alphonse
+se levait si matin. Je n'imaginais rien de vraisemblable. J'allais
+refermer les yeux lorsque mon attention fut de nouveau excitée par
+des trépignements étranges auxquels se mêlèrent bientôt le
+tintement des sonnettes et le bruit de portes qui s'ouvraient avec
+fracas, puis je distinguai des cris confus.
+
+Mon ivrogne aura mis le feu quelque part! pensais-je en sautant à
+bas de mon lit.
+
+Je m'habillai rapidement et j'entrai dans le corridor. De
+l'extrémité opposée partaient des cris et des lamentations, et une
+voix déchirante dominait toutes les autres: «Mon fils! mon fils!»
+Il était évident qu'un malheur était arrivé à M. Alphonse. Je
+courus à la chambre nuptiale: elle était pleine de monde. Le
+premier spectacle qui frappa ma vue fut le jeune homme à demi-
+vêtu, étendu en travers sur le lit dont le bois était brisé. Il
+était livide, sans mouvement. Sa mère pleurait et criait à côté de
+lui. M. de Peyrehorade s'agitait, lui frottait les tempes avec de
+l'eau de Cologne, ou lui mettait des sels sous le nez. Hélas!
+depuis longtemps son fils était mort. Sur un canapé, à l'autre
+bout de la chambre, était la mariée, en proie à d'horribles
+convulsions. Elle poussait des cris inarticulés, et deux robustes
+servantes avaient toutes les peines du monde à la contenir.
+
+«Mon Dieu! m'écriai-je, qu'est-il donc arrivé?»
+
+Je m'approchai du lit et soulevai le corps du malheureux jeune
+homme; il était déjà roide et froid. Ses dents serrées et sa
+figure noircie exprimaient les plus affreuses angoisses. Il
+paraissait assez que sa mort avait été violente et son agonie
+terrible. Nulle trace de sang cependant sur ses habits. J'écartai
+sa chemise et vis sur sa poitrine une empreinte livide qui se
+prolongeait sur les côtes et le dos. On eût dit qu'il avait été
+étreint dans un cercle de fer. Mon pied posa sur quelque chose de
+dur qui se trouvait sur le tapis; je me baissai et vis la bague de
+diamants.
+
+J'entraînai M. de Peyrehorade et sa femme dans leur chambre; puis
+j'y fis porter la mariée. «Vous avez encore une fille, leur dis-
+je, vous lui devez vos soins.» Alors je les laissai seuls.
+
+Il ne me paraissait pas douteux que M. Alphonse n'eût été victime
+d'un assassinat dont les auteurs avaient trouvé moyen de
+s'introduire la nuit dans la chambre de la mariée. Ces
+meurtrissures à la poitrine, leur direction circulaire
+m'embarrassaient beaucoup pourtant, car un bâton ou une barre de
+fer n'aurait pu les produire. Tout d'un coup je me souvins d'avoir
+entendu dire qu'à Valence des braves se servaient de longs sacs de
+cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on leur
+avait payé la mort. Aussitôt je me rappelai le muletier aragonais
+et sa menace; toutefois j'osais à peine penser qu'il eût tiré une
+si terrible vengeance d'une plaisanterie légère.
+
+J'allais dans la maison, cherchant partout des traces
+d'effraction, et n'en trouvant nulle part. Je descendis dans le
+jardin pour voir si les assassins avaient pu s'introduire de ce
+côté; mais je ne trouvai aucun indice certain. La pluie de la
+veille avait d'ailleurs tellement détrempé le sol, qu'il n'aurait
+pu garder d'empreinte bien nette. J'observai pourtant quelques pas
+profondément imprimés dans la terre: il y en avait dans deux
+directions contraires, mais sur une même ligne, partant de l'angle
+de la haie contiguë au jeu de paume et aboutissant à la porte de
+la maison. Ce pouvaient être les pas de M. Alphonse lorsqu'il
+était allé chercher son anneau au doigt de la statue. D'un autre
+côté, la haie, en cet endroit, étant moins fourrée qu'ailleurs, ce
+devait être sur ce point que les meurtriers l'auraient franchie.
+Passant et repassant devant la statue, je m'arrêtai un instant
+pour la considérer. Cette fois, je l'avouerai, je ne pus
+contempler sans effroi son expression de méchanceté ironique; et,
+la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d'être le
+témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au
+malheur qui frappait cette maison.
+
+Je regagnai ma chambre et j'y restai jusqu'à midi. Alors je sortis
+et demandai des nouvelles de mes hôtes. Ils étaient un peu plus
+calmes. Mademoiselle de Puygarrig, je devrais dire la veuve de
+M. Alphonse, avait repris connaissance. Elle avait même parlé au
+procureur du roi de Perpignan, alors en tournée à Ille, et ce
+magistrat avait reçu sa déposition. Il me demanda la mienne. Je
+lui dis ce que je savais, et ne lui cachai pas mes soupçons contre
+le muletier aragonais. Il ordonna qu'il fût arrêté sur-le-champ.
+
+«Avez-vous appris quelque chose de madame Alphonse?» demandai-je
+au procureur du roi, lorsque ma déposition fut écrite et signée.
+
+«Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en
+souriant tristement. Folle! tout à fait folle. Voici ce qu'elle
+conte:
+
+«Elle était couchée, dit-elle, depuis quelques minutes, les
+rideaux tirés, lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit, et
+quelqu'un entra. Alors madame Alphonse était dans la ruelle du
+lit, la figure tournée vers la muraille. Elle ne fit pas un
+mouvement, persuadée que c'était son mari. Au bout d'un instant le
+lit cria comme s'il était chargé d'un poids énorme. Elle eut
+grand'peur, mais n'osa pas tourner la tête. Cinq minutes, dix
+minutes peut-être... elle ne peut se rendre compte du temps, se
+passèrent de la sorte. Puis elle fit un mouvement involontaire, ou
+bien la personne qui était dans le lit en fit un, et elle sentit
+le contact de quelque chose de froid comme la glace, ce sont ses
+expressions. Elle s'enfonça dans la ruelle tremblant de tous ses
+membres. Peu après, la porte s'ouvrit une seconde fois, et
+quelqu'un entra, qui dit: Bonsoir, ma petite femme. Bientôt après
+on tira les rideaux. Elle entendit un cri étouffé. La personne qui
+était dans le lit, à côté d'elle, se leva sur son séant et parut
+étendre les bras en avant. Elle tourna la tête alors... et vit,
+dit-elle, son mari à genoux auprès du lit, la tête à la hauteur de
+l'oreiller, entre les bras d'une espèce de géant verdâtre qui
+l'étreignait avec force. Elle dit, et m'a répété vingt fois,
+pauvre femme!... elle dit qu'elle a reconnu... devinez-vous? la
+Vénus de bronze, la statue de M. de Peyrehorade... Depuis qu'elle
+est dans le pays, tout le monde en rêve. Mais je reprends le récit
+de la malheureuse folle. À ce spectacle, elle perdit connaissance,
+et probablement depuis quelques instants elle avait perdu la
+raison. Elle ne peut en aucune façon dire combien de temps elle
+demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit le fantôme, ou la
+statue, comme elle dit toujours, immobile, les jambes et le bas du
+corps dans le lit, le buste et les bras étendus en avant, et entre
+ses bras son mari, sans mouvement. Un coq chanta. Alors la statue
+sortit du lit, laissa tomber le cadavre et sortit. Mme Alphonse se
+pendit à la sonnette, et vous savez le reste.»
+
+On amena l'Espagnol; il était calme, et se défendit avec beaucoup
+de sang-froid et de présence d'esprit. Du reste, il ne nia pas le
+propos que j'avais entendu; mais il l'expliquait, prétendant qu'il
+n'avait voulu dire autre chose, sinon que le lendemain, reposé
+qu'il serait, il aurait gagné une partie de paume à son vainqueur.
+Je me rappelle qu'il ajouta:
+
+«Un Aragonais, lorsqu'il est outragé, n'attend pas au lendemain
+pour se venger. Si j'avais cru que M. Alphonse eût voulu
+m'insulter, je lui aurais sur-le-champ donné de mon couteau dans
+le ventre.»
+
+On compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin;
+ses souliers étaient beaucoup plus grands.
+
+Enfin l'hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu'il avait
+passé toute la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets
+qui était malade.
+
+D'ailleurs cet Aragonais était un homme bien famé, fort connu dans
+le pays, où il venait tous les ans pour son commerce. On le
+relâcha donc en lui faisant des excuses.
+
+J'oubliais la déposition d'un domestique qui le dernier avait vu
+M. Alphonse vivant. C'était au moment qu'il allait monter chez sa
+femme, et, appelant cet homme, il lui demanda d'un air
+d'inquiétude s'il savait où j'étais. Le domestique répondit qu'il
+ne m'avait point vu. Alors M. Alphonse fit un soupir et resta plus
+d'une minute sans parler, puis il dit: Allons! le diable l'aura
+emporté aussi!
+
+Je demandai à cet homme si M. Alphonse avait sa bague de diamants,
+lorsqu'il lui parla. Le domestique hésita pour répondre; enfin il
+dit qu'il ne le croyait pas, qu'il n'y avait fait au reste aucune
+attention. «S'il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se
+reprenant, je l'aurais sans doute remarquée, car je croyais qu'il
+l'avait donnée à madame Alphonse.»
+
+En questionnant cet homme je ressentais un peu de la terreur
+superstitieuse que la déposition de Mme Alphonse avait répandue
+dans toute la maison. Le procureur du roi me regarda en souriant,
+et je me gardai bien d'insister.
+
+Quelques heures après les funérailles de M. Alphonse, je me
+disposai à quitter Ille. La voiture de M. de Peyrehorade devait me
+conduire à Perpignan. Malgré son état de faiblesse, le pauvre
+vieillard voulut m'accompagner jusqu'à la porte de son jardin.
+Nous le traversâmes en silence, lui se traînant à peine, appuyé
+sur mon bras. Au moment de nous séparer, je jetai un dernier
+regard sur la Vénus. Je prévoyais bien que mon hôte, quoiqu'il ne
+partageât point les terreurs et les haines qu'elle inspirait à une
+partie de sa famille, voudrait se défaire d'un objet qui lui
+rappellerait sans cesse un malheur affreux. Mon intention était de
+l'engager à la placer dans un musée. J'hésitais pour entrer en
+matière, quand M. de Peyrehorade tourna machinalement la tête du
+côté où il me voyait regarder fixement. Il aperçut la statue et
+aussitôt fondit en larmes. Je l'embrassai, et, sans oser lui dire
+un seul mot, je montai dans la voiture.
+
+Depuis mon départ je n'ai point appris que quelque jour nouveau
+soit venu éclairer cette mystérieuse catastrophe.
+
+M. de Peyrehorade mourut quelques mois après son fils. Par son
+testament il m'a légué ses manuscrits, que je publierai peut-être
+un jour. Je n'y ai point trouvé le mémoire relatif aux
+inscriptions de la Vénus.
+
+P. S. Mon ami M. de P. vient de m'écrire que la statue n'existe
+plus. Après la mort de son mari, le premier soin de Madame de
+Peyrehorade fut de la faire fondre en cloche, et sous cette
+nouvelle forme elle sert à l'église d'Ille. Mais, ajoute M. de P.,
+il semble qu'un mauvais sort poursuive ceux qui possèdent ce
+bronze. Depuis que cette cloche sonne à l'Ille, les vignes ont
+gelé deux fois.
+
+1837.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of La Vénus d'Ille, by Prosper Mérimée
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VÉNUS D'ILLE ***
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+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
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+or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
+work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
+
+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+*** END: FULL LICENSE ***
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