summaryrefslogtreecommitdiff
path: root/13771-h
diff options
context:
space:
mode:
Diffstat (limited to '13771-h')
-rw-r--r--13771-h/13771-h.htm25818
-rw-r--r--13771-h/images/img001.jpgbin0 -> 10364 bytes
2 files changed, 25818 insertions, 0 deletions
diff --git a/13771-h/13771-h.htm b/13771-h/13771-h.htm
new file mode 100644
index 0000000..bcd94d6
--- /dev/null
+++ b/13771-h/13771-h.htm
@@ -0,0 +1,25818 @@
+<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Transitional//EN" "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-transitional.dtd">
+<html lang="fr">
+<head>
+ <meta http-equiv="Content-Type"
+ content="text/html; charset=UTF-8"/>
+ <title>The Project Gutenberg eBook of Aventures de Monsieur Pickwick:
+tome premier, by Charles Dickens.</title>
+ <style type="text/css">
+/*<![CDATA[ XML blockout */
+<!--
+ a {text-decoration: none;}
+
+ P { margin-top: .75em;
+ text-align: justify;
+ margin-bottom: .75em;
+ text-indent: 1em;
+ }
+ H1,H2,H3,H4,H5,H6 {
+ text-align: center; /* all headings centered */
+ }
+ HR { width: 33%;
+ margin-top: 1em;
+ margin-bottom: 1em;
+ }
+ BODY{margin-left: 10%;
+ margin-right: 10%;
+ }
+ .linenum {position: absolute; top: auto; left: 4%;} /* poetry number */
+ .note {margin-left: 2em; margin-right: 2em; margin-bottom: 1em;} /* footnote */
+ .blkquot {margin-left: 4em; margin-right: 4em;} /* block indent */
+ .pagenum {position: absolute; left: 92%; font-size: smaller; text-align: right;} /* page numbers */
+ .sidenote {width: 20%; margin-bottom: 1em; margin-top: 1em; padding-left: 1em; font-size: smaller; float: right; clear: right;}
+
+ .poem {margin-left:10%; margin-right:10%; text-align: left;}
+ .poem br {display: none;}
+ .poem .stanza {margin: 1em 0em 1em 0em;}
+ .poem span {display: block; margin: 0; padding-left: 3em; text-indent: -3em;}
+ .poem span.i2 {display: block; margin-left: 2em;}
+ .poem span.i4 {display: block; margin-left: 4em;}
+ .poem span.i8 {display: block; margin-left: 8em;}
+ .poem .caesura {vertical-align: -200%;}
+ // -->
+ /* XML end ]]>*/
+ </style>
+</head>
+<body>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 13771 ***</div>
+
+<br/>
+
+<h2 style="font-weight: bold;">CHARLES DICKENS</h2>
+<h1>AVENTURES</h1>
+<h1>DE MONSIEUR</h1>
+<h1>PICKWICK</h1>
+<h2>ROMAN ANGLAIS</h2>
+<br/>
+<h3>TRADUIT AVEC L'AUTORISATION DE L'AUTEUR</h3>
+<h3>SOUS LA DIRECTION DE P.
+LORAIN</h3>
+<h3>PAR P. GROLIER</h3>
+<br/>
+<h1>TOME PREMIER</h1>
+<h3>PARIS</h3>
+<h3>LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie</h3>
+<h3>79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79</h3>
+<h3>1893</h3>
+<hr style="width: 65%;"/><a name="CHAPITRE_PREMIER"></a>
+<h2>CHAPITRE PREMIER.</h2>
+<h3>Les Pickwickiens.</h3>
+<br/>
+<p>Le premier jet de lumi&egrave;re qui convertit en une clart&eacute;
+brillante les
+t&eacute;n&egrave;bres dont paraissait envelopp&eacute;e l'apparition
+de l'immortel Pickwick
+sur l'horizon du monde savant, la premi&egrave;re mention officielle de
+cet
+homme prodigieux, se trouve dans les statuts ins&eacute;r&eacute;s
+parmi les
+proc&egrave;s-verbaux du Pickwick-Club. L'&eacute;diteur du
+pr&eacute;sent ouvrage est
+heureux de pouvoir les mettre sous les yeux de ses lecteurs, comme une
+preuve de l'attention scrupuleuse, de l'infatigable assiduit&eacute;,
+de la
+sagacit&eacute; investigatrice, avec lesquelles il a conduit ses
+recherches, au
+sein des nombreux documents confi&eacute;s &agrave; ses soins.</p>
+<p>&laquo;<i>S&eacute;ance du 12 mai 1831, pr&eacute;sid&eacute;e par
+Joseph Smiggers, Esq.
+V.P.P.M.P.C.<a name="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1"><sup>1</sup></a>
+a &eacute;t&eacute; arr&ecirc;t&eacute; ce qu'il suit &agrave;
+l'unanimit&eacute;.</i></p>
+<p>&laquo;L'ASSOCIATION a entendu lire avec un sentiment de
+satisfaction sans
+m&eacute;lange et avec une approbation absolue, les papiers
+communiqu&eacute;s par
+Samuel Pickwick, Esq. P.P.M.P.C.<a name="FNanchor_2_2"></a><a
+ href="#Footnote_2_2"><sup>2</sup></a>, et intitul&eacute;s <i>Recherches
+sur les
+sources des &eacute;tangs de Hampstead, suivies de quelques
+observations sur la
+th&eacute;orie des t&ecirc;tards</i>.</p>
+<p>&laquo;L'ASSOCIATION en offre ses remerc&icirc;ments les plus
+sinc&egrave;res audit Samu&euml;l
+Pickwick, Esq. P.P.M.P.C.</p>
+<p>&laquo;L'ASSOCIATION, tout en appr&eacute;ciant au plus haut
+degr&eacute; les avantages que
+la science doit retirer des ouvrages susmentionn&eacute;s, aussi bien
+que des
+infatigables recherches de Samu&euml;l Pickwick dans Hornsey, Highgate,
+Brixton et Camberwell<a name="FNanchor_3_3"></a><a href="#Footnote_3_3"><sup>3</sup></a>,
+ne peut s'emp&ecirc;cher de reconna&icirc;tre les
+inappr&eacute;ciables r&eacute;sultats dont on pourrait se flatter pour
+la diffusion
+des connaissances utiles, et pour le perfectionnement de l'instruction,
+si les travaux de cet homme illustre avaient lieu sur une plus vaste
+&eacute;chelle, c'est-&agrave;-dire si ses voyages &eacute;taient plus
+&eacute;tendus, aussi bien
+que la sph&egrave;re de ses observations.</p>
+<p>&laquo;Dans ce but, l'ASSOCIATION a pris en s&eacute;rieuse
+consid&eacute;ration une
+proposition &eacute;manant du susdit Samu&euml;l Pickwick, Esq. P.
+P.M.P.C., et de
+trois autres pickwickiens ci-apr&egrave;s nomm&eacute;s, et tendant
+&agrave; former une
+nouvelle branche de pickwickiens-unis, sous le titre de <i>Soci&eacute;t&eacute;
+correspondante</i> du Pickwick-Club.</p>
+<p>&laquo;Ladite proposition ayant &eacute;t&eacute; approuv&eacute;e
+et sanctionn&eacute;e par
+l'ASSOCIATION,</p>
+<p>&laquo;La <i>Soci&eacute;t&eacute; correspondante</i> du
+Pickwick-Club est par les pr&eacute;sentes
+constitu&eacute;e; Samu&euml;l Pickwick, Esq. P.P.M.P.C., Auguste
+Snodgrass, Esq.
+M.P.C., Tracy Tupman, Esq. M.P. C., et Nathaniel Winkle, Esq. M.P.C.,
+sont &eacute;galement, par les pr&eacute;sentes, choisis et
+nomm&eacute;s membres de ladite
+<i>Soci&eacute;t&eacute; correspondante</i>, et charg&eacute;s
+d'adresser de temps en temps &agrave;
+l'ASSOCIATION DU PICKWICK-CLUB, &agrave; Londres, des d&eacute;tails
+authentiques sur
+leurs voyages et leurs investigations; leurs observations sur les
+caract&egrave;res et sur les m&#339;urs; toutes leurs aventures enfin, aussi
+bien
+que les r&eacute;cits et autres opuscules auxquels pourraient donner
+lieu les
+sc&egrave;nes locales, ou les souvenirs qui s'y rattachent.</p>
+<p>&laquo;L'ASSOCIATION reconna&icirc;t cordialement ce principe que
+les membres de la
+<i>Soci&eacute;t&eacute; correspondante</i> doivent supporter
+eux-m&ecirc;mes les d&eacute;penses de
+leurs voyages; et elle ne voit aucun inconv&eacute;nient &agrave; ce
+que les membres
+de ladite soci&eacute;t&eacute; poursuivent leurs recherches pendant
+tout le temps
+qu'il leur plaira, pourvu que ce soit aux m&ecirc;mes conditions.</p>
+<p>&laquo;Enfin les membres de la susdite soci&eacute;t&eacute; sont
+par les pr&eacute;sentes inform&eacute;s
+que leur proposition de payer le port de leurs lettres et de leurs
+envois a &eacute;t&eacute; discut&eacute;e par l'ASSOCIATION; que
+l'ASSOCIATION consid&egrave;re
+cette offre comme digne des grands esprits dont elle &eacute;mane, et
+qu'elle
+lui donne sa compl&egrave;te approbation.&raquo;</p>
+<p>Un observateur superficiel, ajoute le secr&eacute;taire, dans les
+notes duquel
+nous puisons le r&eacute;cit suivant; un observateur superficiel
+n'aurait
+peut-&ecirc;tre rien trouv&eacute; d'extraordinaire dans la t&ecirc;te
+chauve et dans les
+besicles circulaires qui &eacute;taient invariablement tourn&eacute;es
+vers le visage
+du secr&eacute;taire de l'Association, tandis qu'il lisait les statuts
+ci-dessus rapport&eacute;s; mais c'&eacute;tait un spectacle
+v&eacute;ritablement remarquable
+pour quiconque savait que le cerveau gigantesque de Pickwick
+travaillait
+sous ce front, et que les yeux expressifs de Pickwick
+&eacute;tincelaient
+derri&egrave;re ces verres de lunettes. En effet l'homme qui avait
+suivi
+jusqu'&agrave; leurs sources les vastes &eacute;tangs de Hampstead<a
+ name="FNanchor_4_4"></a><a href="#Footnote_4_4"><sup>4</sup></a>,
+l'homme qui
+avait remu&eacute; le monde scientifique par sa th&eacute;orie des
+t&ecirc;tards, &eacute;tait
+assis l&agrave;, aussi calme, aussi immuable que les eaux profondes de
+ces
+&eacute;tangs, par un jour de gel&eacute;e; ou plut&ocirc;t comme un
+solitaire sp&eacute;cimen de
+ces innocents t&ecirc;tards dans la profondeur caverneuse d'une jarre
+de
+terre.</p>
+<p>Mais combien ce spectacle devint plus int&eacute;ressant, quand aux
+cris
+r&eacute;p&eacute;t&eacute;s de Pickwick! Pickwick! qui
+s'&eacute;chappaient simultan&eacute;ment de la
+bouche de tous ses disciples, cet homme illustre se leva, plein de vie
+et d'animation, monta lentement l'escabeau rustique sur lequel il
+&eacute;tait
+primitivement assis, et adressa la parole au club que lui-m&ecirc;me
+avait
+fond&eacute;. Quelle &eacute;tude pour un artiste que cette
+sc&egrave;ne attachante!
+L'&eacute;loquent Pickwick &eacute;tait l&agrave;, une main
+gracieusement cach&eacute;e sous les
+pans de son habit, tandis que l'autre s'agitait dans l'air pour donner
+plus de force &agrave; sa d&eacute;clamation chaleureuse. Sa position
+&eacute;lev&eacute;e r&eacute;v&eacute;lait
+son pantalon collant et ses gu&ecirc;tres, auxquelles on n'aurait
+peut-&ecirc;tre
+pas accord&eacute; grande attention si elles avaient rev&ecirc;tu un
+autre homme,
+mais qui, par&eacute;es, illustr&eacute;es par le contact de Pickwick,
+s'il est permis
+d'employer cette expression, remplissaient involontairement les
+spectateurs d'un respect et d'une crainte religieuse. Il &eacute;tait
+entour&eacute;
+par ces hommes de c&#339;ur qui s'&eacute;taient offerts pour partager les
+p&eacute;rils de
+ses voyages, et qui devaient partager aussi la gloire de ses
+d&eacute;couvertes. A sa droite, si&eacute;geait Tracy Tupman, le trop
+inflammable
+Tupman, qui, &agrave; la sagesse et &agrave; l'exp&eacute;rience de
+l'&acirc;ge m&ucirc;r, unissait
+l'enthousiasme et l'ardeur d'un jeune homme, dans la plus
+int&eacute;ressante
+et la plus pardonnable des faiblesses humaines, l'amour!&#8212;le temps et la
+bonne ch&egrave;re avaient &eacute;paissi sa tournure, jadis si
+romantique; son gilet
+de soie noire &eacute;tait graduellement devenu plus arrondi, tandis
+que sa
+cha&icirc;ne d'or disparaissait pouce par pouce &agrave; ses propres
+yeux; son large
+menton d&eacute;bordait de plus en plus par-dessus sa cravate blanche;
+mais
+l'&acirc;me de Tupman n'avait point chang&eacute;; l'admiration pour le
+beau sexe
+&eacute;tait toujours sa passion dominante.&#8212;A gauche du ma&icirc;tre,
+on voyait le
+po&eacute;tique Snodgrass, myst&eacute;rieusement envelopp&eacute; d'un
+manteau bleu, fourr&eacute;
+d'une peau de chien. Aupr&egrave;s de lui, Winkle, le chasseur,
+&eacute;talait
+complaisamment sa veste de chasse toute neuve, sa cravate
+&eacute;cossaise, et
+son &eacute;troit pantalon de drap gris.</p>
+<p>Le discours de M. Pickwick et les d&eacute;bats qui
+s'&eacute;lev&egrave;rent &agrave; cette
+occasion, sont rapport&eacute;s dans les proc&egrave;s-verbaux du club.
+Ils offrent
+&eacute;galement une ressemblance frappante avec les discussions des
+assembl&eacute;es
+les plus c&eacute;l&egrave;bres; et comme il est toujours curieux de
+comparer les
+faits et gestes des grands hommes, nous allons transcrire le
+proc&egrave;s-verbal de cette s&eacute;ance m&eacute;morable.</p>
+<p>&laquo;M. Pickwick fait observer, dit le secr&eacute;taire, que la
+gloire est ch&egrave;re
+au c&#339;ur de tous les hommes. La gloire po&eacute;tique est ch&egrave;re
+au c&#339;ur de son
+ami Snodgrass; la gloire des conqu&ecirc;tes est &eacute;galement
+ch&egrave;re &agrave; son ami
+Tupman; et le d&eacute;sir d'acqu&eacute;rir de la renomm&eacute;e dans
+tous les exercices du
+corps, existe, au plus haut degr&eacute; dans le sein de son ami
+Winkle. Il (M.
+Pickwick) ne saurait nier l'influence qu'ont exerc&eacute;e sur
+lui-m&ecirc;me les
+passions humaines, les sentiments humains (<i>applaudissements</i>);
+peut-&ecirc;tre m&ecirc;me les faiblesses humaines (<i>violents cris
+de: non! non</i>).
+Mais il dira ceci: que si jamais le feu de l'amour-propre s'alluma dans
+son sein, le d&eacute;sir d'&ecirc;tre utile &agrave; l'esp&egrave;ce
+humaine l'&eacute;teignit
+enti&egrave;rement. Le d&eacute;sir d'obtenir l'estime du genre humain
+&eacute;tait son dada,
+la philanthropie son paratonnerre (<i>v&eacute;h&eacute;mente
+approbation</i>). Il a senti
+quelque orgueil, il l'avoue librement (et que ses ennemis s'emparent de
+cet aveu s'ils le veulent), il a senti quelque orgueil quand il a
+pr&eacute;sent&eacute; au monde sa th&eacute;orie des t&ecirc;tards.
+Cette th&eacute;orie peut &ecirc;tre
+c&eacute;l&egrave;bre, ou ne l'&ecirc;tre pas. (Une voix dit: <i>Elle
+l'est!&#8212;Grands
+applaudissements.</i>) Il accepte l'assertion de l'honorable
+pickwickien
+dont la voix vient de se faire entendre. Sa th&eacute;orie est
+c&eacute;l&egrave;bre! Mais si
+la renomm&eacute;e de ce trait&eacute; devait s'&eacute;tendre aux
+derni&egrave;res bornes du monde
+connu, l'orgueil que l'auteur ressentirait de cette production ne
+serait
+rien aupr&egrave;s de celui qu'il &eacute;prouve en ce moment, le plus
+glorieux de son
+existence (<i>acclamations</i>). Il n'est qu'un individu bien humble (<i>Non!
+non!</i>); cependant il ne peut se dissimuler qu'il est choisi par
+l'Association pour un service d'une grande importance, et qui offre
+quelques risques, aujourd'hui surtout que le d&eacute;sordre
+r&egrave;gne sur les
+grandes routes, et que les cochers sont d&eacute;moralis&eacute;s.
+Regardez sur le
+continent, et contemplez les sc&egrave;nes qui se passent chez toutes
+les
+nations. Les diligences versent de toutes parts; les chevaux prennent
+le
+mors aux dents; les bateaux chavirent, les chaudi&egrave;res
+&eacute;clatent!
+(<i>applaudissements.&#8212;Une voix crie, non!</i>) Non! (<i>applaudissements</i>)
+que
+l'honorable pickwickien qui a lanc&eacute; un non si bruyant, s'avance
+et me
+d&eacute;mente s'il ose! Qui est-ce qui a cri&eacute; non? (<i>Bruyantes
+acclamations.</i>)
+Serait-ce l'amour-propre d&eacute;sappoint&eacute; d'un homme... il ne
+veut pas dire
+d'un bonnetier (<i>vifs applaudissements</i>) qui, jaloux des louanges
+qu'on
+a accord&eacute;es, peut-&ecirc;tre sans motif, aux recherches de
+l'orateur, et piqu&eacute;
+par les censures dont on a accabl&eacute; les mis&eacute;rables
+tentatives sugg&eacute;r&eacute;es
+par l'envie, prend maintenant ce moyen vif et calomnieux....</p>
+<p>&laquo;M. Blotton (d'Algate) se l&egrave;ve pour demander le rappel
+&agrave; l'ordre.&#8212;Est-ce &agrave; lui que l'honorable pickwickien
+faisait allusion? (<i>Cris &agrave; l'ordre!&#8212;Le pr&eacute;sident<a
+ name="FNanchor_5_5"></a><a href="#Footnote_5_5"><sup>5</sup></a>:&#8212;Oui!&#8212;Non!&#8212;Continuez!&#8212;Assez!</i>&#8212;etc.)</p>
+<p>&laquo;M. Pickwick ne se laissera pas intimider par des clameurs. Il
+a fait
+allusion &agrave; l'honorable gentleman! (<i>Vive sensation.</i>)</p>
+<p>&laquo;Dans ce cas, M. Blotton n'a que deux mots &agrave; dire: il
+repousse avec un
+profond m&eacute;pris l'accusation de l'honorable gentleman, comme
+fausse et
+diffamatoire (<i>grands applaudissements</i>). L'honorable gentleman
+est un
+blagueur. (<i>Immense confusion. Grands cris de: Le pr&eacute;sident!
+&agrave;
+l'ordre!</i>)</p>
+<p>&laquo;M. Snodgrass se l&egrave;ve pour demander le rappel &agrave;
+l'ordre. Il en appelle
+au pr&eacute;sident. (<i>&Eacute;coutez!</i>) Il demande si l'on
+n'arr&ecirc;tera pas cette
+honteuse discussion entre deux membres du club. (<i>&Eacute;coutez!
+&eacute;coutez!</i>)</p>
+<p>&laquo;Le pr&eacute;sident est convaincu que l'honorable pickwickien
+retirera
+l'expression dont il vient de se servir.</p>
+<p>&laquo;M. Blotton, avec tout le respect possible pour le
+pr&eacute;sident, affirme
+qu'il n'en fera rien.</p>
+<p>&laquo;Le pr&eacute;sident regarde comme un devoir imp&eacute;ratif
+de demander &agrave;
+l'honorable gentleman s'il a employ&eacute; l'expression qui vient de
+lui
+&eacute;chapper, suivant le sens qu'on lui donne commun&eacute;ment.</p>
+<p>&laquo;M. Blotton n'h&eacute;site pas &agrave; dire que non, et
+qu'il n'a employ&eacute; ce mot
+que dans le sens pickwickien. (<i>&Eacute;coutez! &Eacute;coutez!</i>)
+Il est oblig&eacute; de
+reconna&icirc;tre que, personnellement, il professe la plus grande
+estime pour
+l'honorable gentleman en question. Il ne l'a consid&eacute;r&eacute;
+comme un blagueur
+que sous un point de vue enti&egrave;rement pickwickien. (<i>&Eacute;coutez!
+&eacute;coutez!</i>)</p>
+<p>&laquo;M. Pickwick d&eacute;clare qu'il est compl&eacute;tement
+satisfait par l'explication
+noble et candide de son honorable ami. Il d&eacute;sire qu'il soit bien
+entendu
+que ses propres observations n'ont d&ucirc; &ecirc;tre comprises que
+dans leur sens
+purement pickwickien (<i>applaudissements.</i>)&raquo;</p>
+<p>Ici finit le proc&egrave;s-verbal, et en effet la discussion ne
+pouvait
+continuer, puisqu'on &eacute;tait arriv&eacute; &agrave; une conclusion
+si satisfaisante, si
+claire. Nous n'avons pas d'autorit&eacute; officielle pour les faits
+que le
+lecteur trouvera dans le chapitre suivant, mais ils ont
+&eacute;t&eacute; recueillis
+d'apr&egrave;s des lettres et d'autres pi&egrave;ces manuscrites, dont
+on ne peut
+mettre en question l'authenticit&eacute;.<br/>
+<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_II"></a>
+<h2>CHAPITRE II.</h2>
+<h3>Le premier jour de voyage et la premi&egrave;re soir&eacute;e
+d'aventures, avec leurs
+cons&eacute;quences.</h3>
+<br/>
+<p>Le soleil, ce ponctuel factotum de l'univers, venait de se lever et
+commen&ccedil;ait &agrave; &eacute;clairer le matin du 13 mai 1831,
+quand M. Samu&euml;l Pickwick,
+semblable &agrave; cet astre radieux, sortit des bras du sommeil,
+ouvrit la
+crois&eacute;e de sa chambre, et laissa tomber ses regards sur le
+monde, qui
+s'agitait au-dessous de lui. La rue Goswell &eacute;tait &agrave; ses
+pieds, la rue
+Goswell &eacute;tait &agrave; sa droite, la rue Goswell &eacute;tait
+&agrave; sa gauche, aussi loin
+que l'&#339;il pouvait s'&eacute;tendre, et en face de lui se trouvait
+encore la rue
+Goswell. &laquo;Telles, pensa M. Pickwick, telles sont les vues
+&eacute;troites de
+ces philosophes, qui, satisfaits d'examiner la surface des choses, ne
+cherchent point &agrave; en &eacute;tudier les myst&egrave;res
+cach&eacute;s. Comme eux, je pourrais
+me contenter de regarder toujours sur la rue Goswell, sans faire aucun
+effort pour p&eacute;n&eacute;trer dans les contr&eacute;es inconnues
+qui l'environnent.&raquo;
+Ayant laiss&eacute; tomber cette pens&eacute;e sublime, M. Pickwick
+s'occupe de
+s'habiller et de serrer ses effets dans son portemanteau. Les grands
+hommes sont rarement tr&egrave;s-scrupuleux pour leur costume: aussi la
+barbe,
+la toilette, le d&eacute;jeuner se succ&eacute;d&egrave;rent-ils
+rapidement. Au bout d'une
+heure M. Pickwick &eacute;tait arriv&eacute; &agrave; la place des
+voitures de Saint-Martin
+le Grand, ayant son portemanteau sous son bras, son t&eacute;lescope
+dans la
+poche de sa redingote, et dans celle de son gilet son
+m&eacute;morandum,
+toujours pr&ecirc;t &agrave; recevoir les d&eacute;couvertes dignes
+d'&ecirc;tre not&eacute;es.</p>
+<p>&laquo;Cocher! cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, monsieur! r&eacute;pondit un &eacute;trange
+sp&eacute;cimen du genre homme, lequel
+avec son sarrau et son tablier de toile, portant au cou une plaque de
+cuivre num&eacute;rot&eacute;e, avait l'air d'&ecirc;tre
+catalogu&eacute; dans quelque collection
+d'objets rares. C'&eacute;tait le gar&ccedil;on de place. Voil&agrave;,
+monsieur. H&eacute;!
+cabriolet en t&ecirc;te!&raquo; Et le cocher &eacute;tant sorti de la
+taverne o&ugrave; il fumait
+sa pipe, M. Pickwick et son portemanteau furent hiss&eacute;s dans la
+voiture.</p>
+<p>&#8212;Golden-Cross, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est qu'une m&eacute;chante course d'un shilling, Tom, cria le
+cocher
+d'un ton de mauvaise humeur, pour l'&eacute;dification du gar&ccedil;on
+de place,
+comme la voiture partait.</p>
+<p>&#8212;Quel &acirc;ge a cette b&ecirc;te-l&agrave;, mon ami? demanda M.
+Pickwick en se frottant
+le nez avec le shilling qu'il tenait tout pr&ecirc;t pour payer sa
+course.</p>
+<p>&#8212;Quarante-deux ans, r&eacute;pliqua le cocher, apr&egrave;s avoir
+lorgn&eacute; M. Pickwick
+du coin de l'&#339;il.</p>
+<p>&#8212;Quoi! s'&eacute;cria l'homme illustre en mettant la main sur son
+carnet.&raquo;</p>
+<p>Le cocher r&eacute;it&eacute;ra son assertion; M. Pickwick le
+regarda fixement au
+visage; mais il ne d&eacute;couvrit aucune h&eacute;sitation dans ses
+traits, et nota
+le fait imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&laquo;Et combien de temps reste-t-il hors de l'&eacute;curie,
+continua M. Pickwick,
+cherchant toujours &agrave; acqu&eacute;rir quelques notions utiles.</p>
+<p>&#8212;Deux ou trois semaines.</p>
+<p>&#8212;Deux ou trois semaines hors de l'&eacute;curie! dit le philosophe
+plein
+d'&eacute;tonnement; et il tira de nouveau son portefeuille.</p>
+<p>&#8212;Les &eacute;curies, r&eacute;pliqua froidement le cocher, sont
+&agrave; Pentonville; mais
+il y entre rarement &agrave; cause de sa faiblesse.</p>
+<p>&#8212;A cause de sa faiblesse? r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick avec
+perplexit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Il tombe toujours quand on l'&ocirc;te du cabriolet. Mais au
+contraire quand
+il y est bien attel&eacute;, nous tenons les guides courtes et il ne
+peut pas
+broncher. Nous avons une paire de fameuses roues; aussi, pour peu qu'il
+bouge, elles roulent apr&egrave;s lui, et il faut bien qu'il marche. Il
+ne peut
+pas s'en emp&ecirc;cher.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick enregistra chaque parole de ce r&eacute;cit, pour en
+faire part &agrave;
+son club, comme d'une singuli&egrave;re preuve de la vitalit&eacute;
+des chevaux dans
+les circonstances les plus difficiles. Il achevait d'&eacute;crire,
+lorsque le
+cabriolet atteignit Golden-Cross. Aussit&ocirc;t le cocher saute en
+bas, M.
+Pickwick descend avec pr&eacute;caution, et MM. Tupman, Snodgrass et
+Winkle,
+qui attendaient avec anxi&eacute;t&eacute; l'arriv&eacute;e de leur
+illustre chef,
+s'approchent de lui pour le f&eacute;liciter.</p>
+<p>&laquo;Tenez, cocher,&raquo; dit M. Pickwick en tendant le shilling
+&agrave; son
+conducteur.</p>
+<p>Mais quel fut l'&eacute;tonnement du savant personnage lorsque cet
+homme
+inconcevable, jetant l'argent sur le pav&eacute;, d&eacute;clara, en
+langage figur&eacute;,
+qu'il ne demandait d'autre payement que le plaisir de boxer avec M.
+Pickwick tout son shilling.</p>
+<p>&laquo;Vous &ecirc;tes fou, dit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Ivre, reprit M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Tous les deux, ajouta M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Avancez! disait le cocher, lan&ccedil;ant dans l'espace une
+multitude de
+coups de poings pr&eacute;paratoires. Avancez tous les quatre!</p>
+<p>&#8212;En voil&agrave; une bonne! s'&eacute;cri&egrave;rent une
+demi-douzaine d'autres cochers: A
+la besogne, John! et ils se rang&egrave;rent en cercle avec une grande
+satisfaction.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'y a, John? demanda un gentleman, porteur de manches de
+calicot noir.</p>
+<p>&#8212;Ce qu'y a! r&eacute;pliqua le cocher. Ce vieux a pris mon
+num&eacute;ro!</p>
+<p>&#8212;Je n'ai pas pris votre num&eacute;ro, dit M. Pickwick d'un ton
+indign&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi l'avez-vous not&eacute;, alors? demanda le cocher.</p>
+<p>&#8212;Je ne l'ai pas not&eacute;! s'&eacute;cria M. Pickwick, avec
+indignation.</p>
+<p>&#8212;Croiriez-vous, continua le cocher, en s'adressant &agrave; la
+foule;
+croiriez-vous que ce mouchard-l&agrave; monte dans mon cabriolet, prend
+mon
+num&eacute;ro, et couche sur le papier chaque parole que j'ai
+dite?&raquo; (Le
+m&eacute;morandum revint comme un trait de lumi&egrave;re dans la
+m&eacute;moire de M.
+Pickwick.)</p>
+<p>&laquo;Il a fait &ccedil;a? cria un autre cocher.</p>
+<p>&#8212;Oui, il a fait &ccedil;a. Apr&egrave;s m'avoir induit par ses
+vexations &agrave;
+l'attaquer, voil&agrave; qu'il a trois t&eacute;moins tout pr&ecirc;ts
+pour d&eacute;poser contre
+moi. Mais il me le payera, quand je devrais en avoir pour six mois!
+Avancez donc.&raquo; Et dans son exasp&eacute;ration, avec un
+d&eacute;dain superbe pour ses
+propres effets, le cocher lan&ccedil;a son chapeau sur le pav&eacute;,
+fit sauter les
+lunettes de M. Pickwick, envoya un coup de poing sous le nez de M.
+Pickwick, un autre coup de poing dans la poitrine de M. Pickwick, un
+troisi&egrave;me dans l'&#339;il de M. Snodgrass, un quatri&egrave;me pour
+varier dans le
+gilet de M. Tupman; puis s'en alla d'un saut au milieu de la rue, puis
+revint sur le trottoir, et finalement enleva &agrave; M. Winkle le peu
+d'air
+respirable que renfermaient momentan&eacute;ment ses poumons, le tout
+en une
+douzaine de secondes.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; y a-t-il un constable? dit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Mettez-les sous la pompe, sugg&eacute;ra un marchand de
+p&acirc;t&eacute;s chauds.</p>
+<p>&#8212;Vous me le payerez, dit M. Pickwick respirant avec
+difficult&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Mouchards! cri&egrave;rent quelques voix dans la foule.</p>
+<p>&#8212;Avancez donc, beugla le cocher, qui pendant ce temps avait
+continu&eacute; de
+lancer des coups de poings dans le vide.&raquo;</p>
+<p>Jusqu'alors la populace avait contempl&eacute; passivement cette
+sc&egrave;ne; mais le
+bruit que les pickwickiens &eacute;taient des mouchards s'&eacute;tant
+r&eacute;pandu de
+proche en proche, les assistants commenc&egrave;rent &agrave; discuter
+avec beaucoup
+de chaleur s'il ne conviendrait pas de suivre la proposition de
+l'irascible marchand de p&acirc;t&eacute;s. On ne peut dire &agrave;
+quelles voies de fait
+ils se seraient port&eacute;s, si l'intervention d'un nouvel arrivant
+n'avait
+termin&eacute; inopin&eacute;ment la bagarre.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'il y a? demanda un grand jeune homme
+effil&eacute;, rev&ecirc;tu d'un
+habit vert, et qui sortait du bureau des voitures.</p>
+<p>&#8212;Mouchards! hurla de nouveau la foule.</p>
+<p>&#8212;C'est faux! cria M. Pickwick avec un accent qui devait convaincre
+tout
+auditeur exempt de pr&eacute;jug&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Bien vrai? bien vrai?&raquo; demanda le jeune homme, en se faisant
+passage &agrave;
+travers la multitude, par l'infaillible proc&eacute;d&eacute; qui
+consiste &agrave; donner
+des coups de coude &agrave; droite et &agrave; gauche.</p>
+<p>M. Pickwick, en quelques phrases pr&eacute;cipit&eacute;es, lui
+expliqua le v&eacute;ritable
+&eacute;tat des choses.</p>
+<p>&laquo;S'il en est ainsi, venez avec moi, dit l'habit vert,
+entra&icirc;nant l'homme
+illustre et parlant tout le long du chemin. Ici, n&deg; 924, prenez le
+prix
+de votre course, et allez vous-en. Respectable gentleman, je
+r&eacute;ponds de
+lui. Pas de sottises. Par ici, monsieur. O&ugrave; sont vos amis?
+Erreur &agrave; ce
+que je vois. N'importe. Des accidents. &Ccedil;a arrive &agrave; tout
+le monde.
+Courage! on n'en meurt pas; il faut faire contre fortune bon c&#339;ur.
+Citez-le devant le commissaire; qu'il mette cela dans sa poche si cela
+lui va. Damn&eacute;s coquins! et d&eacute;bitant avec une
+volubilit&eacute; extraordinaire
+un long chapelet de sentences semblables, l'&eacute;tranger introduisit
+M.
+Pickwick et ses disciples dans la chambre d'attente des voyageurs.</p>
+<p>&#8212;Gar&ccedil;on! cria l'&eacute;tranger en tirant la sonnette avec
+une violence
+formidable, des verres pour tout le monde; du grog &agrave;
+l'eau-de-vie chaud,
+fort sucr&eacute;, et qu'il y en ait beaucoup. L'&#339;il endommag&eacute;,
+monsieur?
+Gar&ccedil;on, un bifteck cru, pour l'&#339;il de monsieur. Rien comme le
+bifteck
+cru pour une contusion, monsieur. Un cand&eacute;labre &agrave; gaz,
+excellent, mais
+incommode. Diablement dr&ocirc;le de se tenir en pleine rue une
+demi-heure,
+l'&#339;il appuy&eacute; sur un cand&eacute;labre &agrave; gaz. La bonne
+plaisanterie, hein! Ha!
+ha!&raquo; Et l'&eacute;tranger, sans s'arr&ecirc;ter pour reprendre
+haleine, avala d'un
+seul trait une demi-pinte de grog br&ucirc;lant, puis il s'&eacute;tala
+sur une
+chaise, avec autant d'aisance que si rien de remarquable n'&eacute;tait
+arriv&eacute;.</p>
+<p>M. Pickwick eut le temps d'observer le costume et la tournure de
+cette
+nouvelle connaissance, tandis que ses trois compagnons &eacute;taient
+occup&eacute;s &agrave;
+lui offrir leurs remerciements.</p>
+<p>C'&eacute;tait un homme d'une taille moyenne; mais comme il avait le
+corps
+mince et les jambes tr&egrave;s-longues, il paraissait beaucoup plus
+grand
+qu'il ne l'&eacute;tait en r&eacute;alit&eacute;. Son habit vert avait
+&eacute;t&eacute; un v&ecirc;tement
+&eacute;l&eacute;gant dans les beaux jours des habits &agrave; queue de
+morue;
+malheureusement, dans ce temps-l&agrave;, il avait sans doute
+&eacute;t&eacute; fait pour un
+homme beaucoup plus petit que l'&eacute;tranger, car les manches salies
+et
+fan&eacute;es lui descendaient &agrave; peine aux poignets. Sans
+&eacute;gard pour l'&acirc;ge
+respectable de cet habit, il l'avait boutonn&eacute; jusqu'au menton,
+au hasard
+imminent d'en faire craquer le dos. Son cou &eacute;tait
+d&eacute;cor&eacute; d'un vieux col
+noir, mais on n'y apercevait aucun vestige d'un col de chemise. Son
+&eacute;troit pantalon &eacute;talait &ccedil;&agrave; et l&agrave; des
+places luisantes qui indiquaient de
+longs services; il &eacute;tait fortement tendu par des sous-pieds sur
+des
+souliers rapi&eacute;c&eacute;s, afin de cacher, sans doute, des bas,
+jadis blancs,
+qui se trahissaient encore malgr&eacute; cette pr&eacute;caution
+inutile. De chaque
+c&ocirc;t&eacute; d'un chapeau &agrave; bords retrouss&eacute;s
+tombaient en boucles n&eacute;glig&eacute;es les
+longs cheveux noirs du personnage, et l'on entrevoyait la chair de ses
+poignets entre ses gants et les parements de son habit Enfin son visage
+&eacute;tait maigre et p&acirc;le, et dans toute sa personne
+r&eacute;gnait un air
+ind&eacute;finissable d'impudence h&acirc;bleuse et d'aplomb
+imperturbable.</p>
+<p>Tel &eacute;tait l'individu que M. Pickwick examinait &agrave;
+travers ses lunettes
+(heureusement retrouv&eacute;es), et auquel il offrit, en termes
+choisis, ses
+remerc&icirc;ments, apr&egrave;s que ses trois amis eurent
+&eacute;puis&eacute; les leurs.</p>
+<p>&laquo;N'en parlons plus, dit l'&eacute;tranger, coupant court aux
+compliments, &ccedil;a
+suffit. Fameux gaillard, ce cocher, il jouait bien des poings, mais si
+j'avais &eacute;t&eacute; votre ami &agrave; l'habit de chasse vert,
+Dieu me damne! j'aurais
+bris&eacute; la t&ecirc;te du cocher en moins de rien; celle du
+p&acirc;tissier aussi,
+parole d'honneur!&raquo;</p>
+<p>Ce discours tout d'une haleine fut interrompu par le cocher de
+Rochester, annon&ccedil;ant que le <i>Commodore</i> &eacute;tait
+pr&ecirc;t &agrave; partir.</p>
+<p>&laquo;Commodore! murmura l'&eacute;tranger en se levant: ma
+voiture, place retenue.
+Place d'imp&eacute;riale. Payez l'eau-de-vie et l'eau; faudrait changer
+un
+billet de cinq livres; il circule beaucoup de pi&egrave;ces fausses,
+monnaie de
+Birmingham; connu. Et il secoua la t&ecirc;te d'un air fin.&raquo;</p>
+<p>Or, M. Pickwick et ses trois compagnons avaient
+pr&eacute;cis&eacute;ment projet&eacute; de
+faire leur premi&egrave;re halte &agrave; Rochester. Ils
+d&eacute;clar&egrave;rent donc &agrave; leur
+nouvelle connaissance qu'ils suivaient la m&ecirc;me route, et
+convinrent
+d'occuper le si&eacute;ge de derri&egrave;re de la voiture, o&ugrave;
+ils pourraient tenir
+tous les cinq.</p>
+<p>&laquo;Allons! haut! dit l'&eacute;tranger, en aidant M. Pickwick
+&agrave; grimper sur
+l'imp&eacute;riale, avec une pr&eacute;cipitation qui d&eacute;rangea
+mat&eacute;riellement la
+gravit&eacute; ordinaire du philosophe.</p>
+<p>&#8212;Aucun bagage, monsieur? demanda le cocher.</p>
+<p>&#8212;Qui? moi? r&eacute;pliqua l'&eacute;tranger: Paquet de papier gris,
+voil&agrave;! le reste
+parti par eau; grosses caisses clou&eacute;es, grosses comme des
+maisons,
+lourdes, lourdes, diablement lourdes!&raquo; Et il enfon&ccedil;a dans
+sa poche, le
+plus qu'il put, le paquet de papier gris, qui, &agrave; en juger
+d'apr&egrave;s les
+apparences paraissait contenir une chemise et un mouchoir.</p>
+<p>&laquo;Gare! gare les t&ecirc;tes! cria le babillard
+&eacute;tranger, quand ils arriv&egrave;rent
+sous la vo&ucirc;te, par laquelle entraient ou sortaient les voitures;
+terrible endroit, tr&egrave;s-dangereux; l'autre jour; cinq enfants;
+m&egrave;re;
+grande femme, mangeant des sandwiches, oublie la vo&ucirc;te; crac! les
+enfants se retournent; la t&ecirc;te de la m&egrave;re enlev&eacute;e!
+les sandwiches dans
+sa main; pas de bouche pour les mettre, le chef de la famille n'y
+&eacute;tait
+plus. Horrible! horrible! Vous regardez Whitehall, monsieur? beau
+palais, petite crois&eacute;e; la t&ecirc;te de quelqu'un tomb&eacute;e
+l&agrave;<a name="FNanchor_6_6"></a><a href="#Footnote_6_6"><sup>6</sup></a>...
+Eh! Il
+n'avait pas pris garde non plus! Eh! monsieur, eh!</p>
+<p>&#8212;Je ruminais, dit M. Pickwick, sur l'&eacute;trange
+mutabilit&eacute; des choses de
+ce monde.</p>
+<p>&#8212;Ah! je devine: on entre par la porte du palais un jour; on en sort
+par
+la fen&ecirc;tre le lendemain. Philosophe, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Observateur de la nature humaine, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Moi aussi, comme la plupart des hommes, quand ils n'ont pas
+grand'chose &agrave; faire, et encore moins &agrave; gagner.
+Po&euml;te, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Mon ami, M. Snodgrass, a une disposition po&eacute;tique
+tr&egrave;s-prononc&eacute;e,
+r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Moi aussi, reprit l'&eacute;tranger, po&euml;me &eacute;pique; dix
+mille vers; r&eacute;volution
+de juillet; compos&eacute; sur place; Mars le jour, Apollon la nuit;
+d&eacute;chargeant la fusil, pin&ccedil;ant la lyre.</p>
+<p>&#8212;Vous &eacute;tiez pr&eacute;sent &agrave; cette glorieuse
+sc&egrave;ne? demanda M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Pr&eacute;sent! un peu<a name="FNanchor_7_7"></a><a
+ href="#Footnote_7_7"><sup>7</sup></a>, j'ajustais un Suisse;
+j'ajustais un vers; j'entre
+chez un marchand de vin et je l'&eacute;cris; je retourne dans la rue,
+pouf!
+pan! une autre id&eacute;e; je rentre dans la boutique, plume et encre;
+dans la
+rue, d'estoc et de taille. Noble temps, monsieur! Chasseur, monsieur?
+se
+tournant brusquement vers M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Un peu, r&eacute;pliqua celui-ci.</p>
+<p>&#8212;Belle occupation! belle occupation! des chiens?</p>
+<p>&#8212;Pas dans ce moment.</p>
+<p>&#8212;Ah! vous devriez en avoir. Noble animal, cr&eacute;ature
+intelligente! J'en
+avais un jadis, chien d'arr&ecirc;t, instinct surprenant. Je chasse un
+jour,
+j'entre dans un enclos, je siffle, chien immobile; je siffle encore;
+Ponto! Inutile: bouge pas. Ponto! Ponto! il ne remue pas. Chien
+p&eacute;trifi&eacute;, en arr&ecirc;t devant un &eacute;criteau. Une
+inscription. <i>Les
+gardes-chasse ont ordre de tuer tous les chiens qu'ils trouveront dans
+cet enclos.</i> Il ne voulait pas avancer. Chien &eacute;tonnant.
+Fameuse b&ecirc;te,
+oh! oui, fameuse!</p>
+<p>&#8212;Singuli&egrave;re circonstance, dit M. Pickwick. Voulez-vous me
+permettre
+d'en prendre note?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur, certainement; cent autres anecdotes du
+m&ecirc;me
+animal. Jolie fille, monsieur! continua l'&eacute;tranger en
+s'adressant &agrave; M.
+Tracy Tupman, lequel s'occupait &agrave; lancer des &#339;illades
+antipickwickiennes
+&agrave; une jeune femme qui passait sur le bord de la route.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-jolie, r&eacute;pondit M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Les Anglaises ne valent pas les Espagnoles: nobles
+cr&eacute;atures; cheveux
+de jais, noires prunelles, formes s&eacute;duisantes; douces
+cr&eacute;atures,
+charmantes!</p>
+<p>&#8212;Vous avez &eacute;t&eacute; en Espagne, monsieur? demanda M. Tracy
+Tupman.</p>
+<p>&#8212;J'y ai v&eacute;cu des si&egrave;cles.</p>
+<p>&#8212;Vous avez fait beaucoup de conqu&ecirc;tes?</p>
+<p>&#8212;Des conqu&ecirc;tes? par milliers. Don Bolaro Fizzgig, grand
+d'Espagne;
+fille unique; do&ntilde;a Christina, superbe cr&eacute;ature; elle
+m'aimait &agrave; la
+folie. P&egrave;re jaloux; fille passionn&eacute;e; bel Anglais;
+do&ntilde;a Christina au
+d&eacute;sespoir; acide prussique; pompe stomacale dans mon
+portemanteau; je
+pratique l'op&eacute;ration; vieux Bolaro en extase, consent &agrave;
+notre union;
+joint nos mains, ruisseaux de pleurs; histoire romantique,
+tr&egrave;s-romantique.</p>
+<p>&#8212;Cette dame est-elle maintenant en Angleterre? reprit M. Tupman, sur
+lequel la description de tant de charmes avait produit une vive
+impression.</p>
+<p>&#8212;Morte! monsieur, morte! r&eacute;pondit l'&eacute;tranger en
+appliquant &agrave; son &#339;il
+droit les tristes restes d'un mouchoir de batiste. Ne gu&eacute;rit
+jamais de
+la pompe stomacale, constitution d&eacute;truite, victime de l'amour.</p>
+<p>&#8212;Et le p&egrave;re? demanda le po&eacute;tique Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Saisi de remords, disparition subite, conversation de toute la
+ville.
+Recherches dans tous les coins, sans succ&egrave;s. Jet d'eau de la
+fontaine
+publique dans la grande place s'arr&ecirc;te subitement: le temps
+passe,
+toujours point d'eau; les ouvriers s'y mettent: mon beau-p&egrave;re
+dans le
+gros tuyau, une confession compl&egrave;te dans sa botte droite. On le
+retire,
+la fontaine coule de plus belle.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous me permettre d'&eacute;crire ce petit roman? dit M.
+Snodgrass,
+profond&eacute;ment affect&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur, certainement. Cinquante autres &agrave;
+votre
+service. &Eacute;trange histoire que la mienne, non pas extraordinaire,
+mais
+curieuse.&raquo;</p>
+<p>Durant toute la route, l'&eacute;tranger continua &agrave; parler de
+la sorte,
+s'interrompant seulement aux relais pour avaler un verre d'ale, en
+guise
+de ponctuation. Aussi, lorsque la voiture arriva au pont de Rochester,
+les carnets de MM. Pickwick et Snodgrass &eacute;taient
+compl&eacute;tement remplis
+d'un choix de ses aventures.</p>
+<p>Lorsqu'on aper&ccedil;ut le vieux ch&acirc;teau, M. Auguste
+Snodgrass s'&eacute;cria avec la
+ferveur po&eacute;tique qui le distinguait: &laquo;Quelles magnifiques
+ruines!</p>
+<p>&#8212;Quelle &eacute;tude pour un antiquaire! furent les propres paroles
+qui
+s'&eacute;chapp&egrave;rent de la bouche de M. Pickwick, tandis qu'il
+appliquait son
+t&eacute;lescope &agrave; son &#339;il.</p>
+<p>&#8212;Ah! un bel endroit, r&eacute;pliqua l'&eacute;tranger. Superbe
+masse, sombres
+murailles, arcades branlantes, noirs recoins, escaliers
+cro&ucirc;lants.
+Vieille cath&eacute;drale aussi, odeur terreuse, les marches
+us&eacute;es par les
+pieds des p&egrave;lerins, petites portes saxonnes, confessionnaux
+comme les
+gu&eacute;rites de ceux qui re&ccedil;oivent l'argent au spectacle.
+Dr&ocirc;les de gens que
+ces moines, papes et tr&eacute;soriers, et toutes sortes de vieux
+gaillards,
+avec des grosses faces rouges et des nez &eacute;corn&eacute;s, qu'on
+d&eacute;terre tous les
+jours. Des pourpoints de buffle, des arquebuses &agrave; m&egrave;che,
+sarcophages.
+Belle place, vieilles l&eacute;gendes, dr&ocirc;les d'histoires,
+&eacute;tonnantes.&raquo; Et
+l'&eacute;tranger continua son soliloque jusqu'au moment o&ugrave; la
+voiture
+s'arr&ecirc;ta, dans la grande rue, devant l'auberge du <i>Taureau</i>.</p>
+<p>&#8212;Allez-vous rester ici, monsieur, lui demanda M. Nathaniel Winkle.</p>
+<p>&laquo;Ici? non, monsieur. Mais vous ferez bien d'y
+s&eacute;journer, bonne maison,
+lits propres. L'h&ocirc;tel <i>Wright</i>, &agrave; c&ocirc;t&eacute;,
+tr&egrave;s-cher, une demi-couronne de
+plus sur votre compte, si vous regardez seulement le gar&ccedil;on;
+fait payer
+plus cher si vous d&icirc;nez en ville que si vous d&icirc;niez
+&agrave; l'h&ocirc;tel: dr&ocirc;les de
+gens, vraiment.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle s'approcha de M. Pickwick et lui dit quelques paroles
+&agrave;
+l'oreille. Un chuchotement passa de M. Pickwick &agrave; M. Snodgrass,
+de M.
+Snodgrass &agrave; M. Tupman, et des signes d'assentiment ayant
+&eacute;t&eacute; &eacute;chang&eacute;s,
+M. Pickwick s'adressa ainsi &agrave; l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&laquo;Vous nous avez rendu ce matin un important service, monsieur.
+Permettez-moi de vous offrir une l&eacute;g&egrave;re marque de notre
+reconnaissance,
+en vous priant de nous faire l'honneur de d&icirc;ner avec nous.</p>
+<p>&#8212;Grand plaisir. Ne me permettrai pas de dire mon go&ucirc;t;
+volaille r&ocirc;tie
+et champignons, excellente chose; quelle heure?</p>
+<p>&#8212;Voyons, r&eacute;pondit M. Pickwick, en tirant sa montre. Il est
+maintenant
+pr&egrave;s de trois heures. A cinq heures, si vous voulez.</p>
+<p>&#8212;Convient parfaitement; cinq heures pr&eacute;cises, jusqu'alors
+prenez soin
+de vous.&raquo;</p>
+<p>Ainsi parla l'&eacute;tranger, et il souleva de quelques pouces son
+chapeau &agrave;
+bords retrouss&eacute;s, le repla&ccedil;a n&eacute;gligemment sur le
+coin de l'oreille,
+traversa la cour d'un air d&eacute;lib&eacute;r&eacute;, et tourna dans
+la grande rue, ayant
+toujours hors de sa poche la moiti&eacute; du paquet de papier gris.</p>
+<p>&laquo;&Eacute;videmment un grand voyageur dans divers climats et un
+profond
+observateur des hommes et des choses, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;J'aimerais &agrave; voir son po&euml;me, reprit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Et moi je voudrais avoir vu son chien,&raquo; ajouta M. Winkle.</p>
+<p>M. Tupman ne parla point, mais il pensa a do&ntilde;a Christina,
+&agrave; l'acide
+prussique, &agrave; la fontaine, et ses yeux se remplirent de larmes.</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir retenu une salle &agrave; manger
+particuli&egrave;re, examin&eacute; les lits,
+command&eacute; le d&icirc;ner, nos voyageurs sortirent pour observer
+la ville et les
+environs.</p>
+<p>Nous avons lu soigneusement les notes de M. Pickwick sur les quatre
+villes de Stroud, Rochester, Chatham et Brompton, et nous n'avons pas
+trouv&eacute; que ses opinions diff&eacute;rassent
+mat&eacute;riellement de celles des autres
+savants qui ont parcouru les m&ecirc;mes lieux. On peut r&eacute;sumer
+ainsi sa
+description.</p>
+<p>Les principales productions de ces villes paraissent &ecirc;tre des
+soldats,
+des matelote, des juifs, de la craie, des crevettes, des officiers et
+des employ&eacute;s de la marine. Les principales marchandises
+&eacute;tal&eacute;es dans les
+rues sont des denr&eacute;es pour la marine, du caramel, des pommes,
+des
+poissons plats et des hu&icirc;tres. Les rues ont un air vivant et
+anim&eacute;, qui
+provient principalement de la bonne humeur des militaires. Quand ces
+vaillants hommes, sous l'influence d'un exc&egrave;s de gaiet&eacute;
+et de
+spiritueux, font, en chantant, des zigzags dans les rues, ils offrent
+un
+spectacle vraiment d&eacute;licieux pour un esprit philanthropique,
+surtout si
+nous consid&eacute;rons quel amusement innocent et peu cher ils
+fournissent &agrave;
+tous les enfants de la ville, qui les suivent en plaisantent avec eux.
+Rien (ajouta M. Pickwick), rien n'&eacute;gale leur bonne humeur. La
+veille de
+mon arriv&eacute;e, l'un d'eux avait &eacute;t&eacute;
+grossi&egrave;rement insult&eacute; dans une
+auberge. La fille avait refus&eacute; de le laisser boire davantage.
+Sur quoi,
+et par pur badinage, le soldat tira sa ba&iuml;onnette et blessa la
+servante
+&agrave; l'&eacute;paule: cependant, le lendemain, ce brave
+gar&ccedil;on se rendit d&egrave;s le
+matin &agrave; l'auberge, et fut le premier &agrave; promettre de ne
+conserver aucun
+ressentiment, et d'oublier ce qui s'&eacute;tait pass&eacute;.</p>
+<p>&laquo;La consommation de tabac doit &ecirc;tre tr&egrave;s-grande
+dans cette ville,
+continue M. Pickwick; et l'odeur de ce v&eacute;g&eacute;tal,
+r&eacute;pandue dans toutes les
+rues, doit &ecirc;tre &eacute;tonnamment d&eacute;licieuse pour ceux
+qui aiment &agrave; fumer. Un
+voyageur superficiel critiquerait peut-&ecirc;tre les boues qui
+caract&eacute;risent
+leur viabilit&eacute;, mais elles offrent, au contraire, un
+v&eacute;ritable sujet de
+jouissance &agrave; ceux qui y d&eacute;couvrent un indice de mouvement
+et de
+prosp&eacute;rit&eacute; commerciale.&raquo;</p>
+<p>Cinq heures pr&eacute;cises amen&egrave;rent &agrave; la fois le
+d&icirc;ner et l'&eacute;tranger. Il
+s'&eacute;tait d&eacute;barrass&eacute; de son paquet de papier gris,
+mais il n'avait fait
+aucun changement dans son costume et d&eacute;ployait toujours sa
+loquacit&eacute;
+accoutum&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce que cela? demanda-t-il, comme le gar&ccedil;on
+&ocirc;tait une des cloches
+d'argent. Des soles! ha! fameux poisson; toutes soles viennent de
+Londres. Les entrepreneurs de diligences poussent aux d&icirc;ners
+politiques
+pour avoir le transport des soles; des paniers par douzaines; ils
+savent
+bien ce qu'ils font. Eh! eh! Un verre de vin avec moi, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Avec plaisir,&raquo; r&eacute;pondit M. Pickwick. Et
+l'&eacute;tranger prit du vin,
+d'abord avec lui, puis avec M. Snodgrass, puis avec M. Tupman, puis
+avec
+M. Winkle, puis enfin avec la soci&eacute;t&eacute; collectivement; et
+le tout sans
+cesser un seul instant de discourir.</p>
+<p>&laquo;Diable de bacchanale sur l'escalier! Banquettes qu'on monte,
+charpentiers qui descendent, lampes, verres, harpe. Qu'y a-t-il donc,
+gar&ccedil;on?</p>
+<p>&#8212;Un bal, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Un bal par souscription?</p>
+<p>&#8212;Non, monsieur. Monsieur, un bal public au b&eacute;n&eacute;fice
+des pauvres,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, dit M. Tupman avec un vif int&eacute;r&ecirc;t,
+savez-vous si les femmes
+sont bien dans cette ville?</p>
+<p>&#8212;Superbes, magnifiques. Kent, monsieur; tout le monde conna&icirc;t
+le comt&eacute;
+de Kent, c&eacute;l&egrave;bre pour ses pommes, ses cerises, son
+houblon et ses
+femmes. Un verre de vin, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Avec grand plaisir, r&eacute;pondit M. Tupman; et l'&eacute;tranger
+emplit son
+verre, et le vida.</p>
+<p>&#8212;J'aimerais beaucoup aller &agrave; ce bal, reprit M. Tupman,
+beaucoup.</p>
+<p>&#8212;Nous avons des billets au comptoir, monsieur. Une
+demi-guin&eacute;e chaque,
+monsieur, dit le gar&ccedil;on.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman exprima de nouveau le d&eacute;sir d'&ecirc;tre
+pr&eacute;sent &agrave; cette f&ecirc;te; mais
+ne rencontrant aucune r&eacute;ponse dans l'&#339;il obscurci de M.
+Snodgrass, ni
+dans le regard distrait de M. Pickwick, il se rejeta, avec un nouvel
+int&eacute;r&ecirc;t, sur le vin de Porto et sur le dessert qu'on
+venait d'apporter.
+Le gar&ccedil;on se retira, et nos cinq voyageurs continu&egrave;rent
+&agrave; savourer les
+deux heures d'abandon qui suivent le d&icirc;ner.</p>
+<p>&laquo;Pardon, monsieur, dit l'&eacute;tranger, la bouteille dort,
+faites-lui faire
+le tour comme le soleil, par la soute au pain, rubis sur
+l'ongle,&raquo; et il
+vida son verre qu'il avait rempli deux minutes auparavant, et s'en
+versa
+un autre avec l'aplomb d'un homme accoutum&eacute; &agrave; ce
+man&egrave;ge.</p>
+<p>Le vin fut bu, et l'on en demanda d'autre: le visiteur parla, les
+pickwickiens &eacute;cout&egrave;rent; M. Tupman se sentait &agrave;
+chaque instant plus de
+disposition pour le bal; la figure de M. Pickwick brillait d'une
+expression de philanthropie universelle; MM. Winkle et Snodgrass
+&eacute;taient
+tomb&eacute;s dans un profond sommeil.</p>
+<p>&laquo;Ils commencent l&agrave; haut, dit l'&eacute;tranger;
+&eacute;coutez, on accorde les
+violons, maintenant la harpe; les voil&agrave; partis.&raquo;</p>
+<p>En effet, les sons vari&eacute;s qui descendaient le long de
+l'escalier
+annon&ccedil;aient le commencement du premier quadrille.</p>
+<p>&laquo;J'aimerais beaucoup aller &agrave; ce bal,
+r&eacute;p&eacute;ta M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Moi aussi; maudit bagage; bateau en retard: rien &agrave; mettre;
+dr&ocirc;le,
+hein?&raquo;</p>
+<p>Une bienveillance g&eacute;n&eacute;rale &eacute;tait le trait
+caract&eacute;ristique des
+pickwickiens, et M. Tupman en &eacute;tait dou&eacute; plus qu'aucun
+autre. En
+feuilletant les proc&egrave;s-verbaux du club, on est
+&eacute;tonn&eacute; de voir combien de
+fois cet excellent homme envoya chez les autres membres de
+l'Association
+les infortun&eacute;s qui s'adressaient &agrave; lui, pour en obtenir
+de vieux
+v&ecirc;tements ou des secours p&eacute;cuniaires.</p>
+<p>&laquo;Je serais heureux de vous pr&ecirc;ter un habit pour cette
+occasion, dit-il
+&agrave; l'&eacute;tranger; mais vous &ecirc;tes assez mince, et je
+suis...</p>
+<p>&#8212;Assez gros. Bacchus sur le retour, descendu de son tonneau, les
+pampres au diable, portant des culottes. Ah! ah! Passez le vin.&raquo;</p>
+<p>Nous ne saurions dire si M. Tupman fut indign&eacute; du ton
+p&eacute;remptoire avec
+lequel l'&eacute;tranger l'engageait &agrave; passer le vin, qui
+passait en effet si
+vite par son gosier, ou s'il &eacute;tait justement scandalis&eacute;
+de voir un
+membre influent de Pickwick-Club compar&eacute; ignominieusement
+&agrave; un Bacchus
+d&eacute;mont&eacute;; mais, apr&egrave;s avoir pass&eacute; le vin, il
+toussa deux fois et regarda
+l'&eacute;tranger, durant quelques secondes, avec une fixit&eacute;
+s&eacute;v&egrave;re. Cependant,
+cet individu &eacute;tant demeur&eacute; parfaitement calme et serein
+sous son regard
+scrutateur, il en diminua par degr&eacute;s l'intensit&eacute; et
+recommen&ccedil;a &agrave; parler
+du bal.</p>
+<p>&laquo;J'&eacute;tais sur le point d'observer, monsieur, lui dit-il,
+que si mes
+v&ecirc;tements doivent vous &ecirc;tre trop larges, ceux de mon ami,
+M. Winkle,
+pourraient peut-&ecirc;tre vous aller mieux.&raquo;</p>
+<p>L'&eacute;tranger prit d'un coup d'&#339;il la mesure de M. Winkle et
+s'&eacute;cria avec
+satisfaction: &laquo;Justement ce qu'il me faut!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman regarda autour de lui. Le vin, qui avait exerc&eacute; son
+influence
+somnif&egrave;re sur MM. Snodgrass et Winkle, avait aussi appesanti les
+sens de
+M. Pickwick. Ce gentleman avait parcouru successivement les diverses
+phases qui pr&eacute;c&egrave;dent la l&eacute;thargie produite par le
+d&icirc;ner et par le vin.
+Il avait subi les phases ordinaires depuis l'exc&egrave;s de la
+gaiet&eacute; jusqu'&agrave;
+l'ab&icirc;me de la tristesse. Comme un bec de gaz, dans une rue,
+lorsque le
+vent a p&eacute;n&eacute;tr&eacute; dans le tuyau, il avait
+d&eacute;ploy&eacute; par moments, une clart&eacute;
+extraordinaire, puis il &eacute;tait tomb&eacute; si bas qu'on pouvait
+&agrave; peine
+l'apercevoir; apr&egrave;s un court intervalle il avait fait jaillir de
+nouveau
+une &eacute;blouissante lumi&egrave;re, puis il avait oscill&eacute;
+rapidement, et il
+s'&eacute;tait &eacute;teint tout &agrave; fait. Sa t&ecirc;te
+&eacute;tait pench&eacute;e sur sa poitrine, et un
+ronflement perp&eacute;tuel, accompagn&eacute; parfois d'un sourd
+grognement, &eacute;taient
+les seules preuves auriculaires qui pussent attester encore la
+pr&eacute;sence
+de ce grand homme.</p>
+<p>M. Tupman &eacute;tait violemment tent&eacute; d'aller au bal, pour
+porter son
+jugement sur les beaut&eacute;s du comt&eacute; de Kent; il
+&eacute;tait &eacute;galement tent&eacute;
+d'emmener avec lui l'&eacute;tranger; car il l'entendait parler des
+habitants
+et de la ville comme s'il y avait v&eacute;cu depuis sa naissance,
+tandis que
+lui-m&ecirc;me se trouvait enti&egrave;rement d&eacute;pays&eacute;. M.
+Winkle dormait
+profond&eacute;ment, et M. Tupman avait assez d'exp&eacute;rience de
+l'&eacute;tat o&ugrave; il le
+voyait pour savoir que, suivant le cours ordinaire de la nature, son
+ami
+ne songerait point &agrave; autre chose, en s'&eacute;veillant,
+qu'&agrave; se tra&icirc;ner
+pesamment vers son lit. Cependant il restait encore dans
+l'ind&eacute;cision.</p>
+<p>&laquo;Remplissez votre verre, et passez le vin;&raquo; dit
+l'infatigable visiteur.</p>
+<p>M. Tupman fit comme il lui &eacute;tait demand&eacute;, et le
+stimulant additionnel du
+dernier verre le d&eacute;termina.</p>
+<p>&laquo;La chambre &agrave; coucher de Winkle, dit-il &agrave;
+l'&eacute;tranger, ouvre dans la
+mienne; si je l'&eacute;veillais maintenant je ne pourrais pas lui
+faire
+comprendre ce que je d&eacute;sire: mais je sais qu'il a un costume
+complet
+dans son sac de nuit. Supposez que vous le mettiez pour aller au bal et
+que vous l'&ocirc;tiez en rentrant, je pourrais le replacer facilement,
+sans
+d&eacute;ranger notre ami le moins du monde.</p>
+<p>&#8212;Admirable! r&eacute;pondit l'&eacute;tranger; fameux plan!
+Damn&eacute;e position, bizarre,
+quatorze habits dans ma malle et oblig&eacute; de mettre celui d'un
+autre.
+Tr&egrave;s-dr&ocirc;le! vraiment.</p>
+<p>&#8212;Il faut prendre nos billets, dit M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Pas la peine de changer une guin&eacute;e. Jouons qui payera les
+deux, jetez
+une pi&egrave;ce en l'air, moi je nomme, allez. Femme, femme, femme
+enchanteresse! et le souverain &eacute;tant tomb&eacute; laissa voir
+sur sa face
+sup&eacute;rieure le dragon, appel&eacute; par courtoisie, une femme.
+Condamn&eacute; par le
+sort, M. Tupman tira la sonnette, prit les billets et demanda de la
+lumi&egrave;re. Au bout d'un quart d'heure l'&eacute;tranger
+&eacute;tait compl&eacute;tement par&eacute;
+des d&eacute;pouilles de M. Nathaniel Winkle.</p>
+<p>&#8212;C'est un habit neuf, dit M. Tupman, tandis que l'&eacute;tranger se
+mirait
+avec complaisance: c'est le premier qui soit orn&eacute; des boutons de
+notre
+club;&raquo; et il fit remarquer &agrave; son compagnon les larges
+boutons dor&eacute;s, sur
+lesquels on voyait les lettres P.C. de chaque c&ocirc;t&eacute; du
+buste de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&laquo;P.C. r&eacute;p&eacute;ta l'&eacute;tranger; dr&ocirc;le de
+devise, le portrait du vieux bonhomme,
+avec P.C. Qu'est-ce que P.C. signifie, portrait curieux, hein?&raquo;</p>
+<p>M. Tupman, avec une grande importance et une indignation mal
+comprim&eacute;e,
+expliqua le symbole mystique du Pickwick-Club, tandis que
+l'&eacute;tranger se
+tordait pour apercevoir dans la glace le derri&egrave;re de l'habit
+dont la
+taille lui montait au milieu du dos.</p>
+<p>&laquo;Un peu court de taille, n'est-ce pas? Comme les vestes des
+facteurs:
+dr&ocirc;les d'habits, ceux-l&agrave;, faits &agrave; l'entreprise,
+sans mesures: voies
+myst&eacute;rieuses de la providence, &agrave; tous les petits hommes,
+de longs
+habits; &agrave; tous les grands, des habits courts.&raquo;</p>
+<p>En babillant de cette mani&egrave;re, le nouveau compagnon de M.
+Tupman acheva
+d'ajuster son costume, ou plut&ocirc;t celui de M. Winkle, et,
+bient&ocirc;t apr&egrave;s,
+les deux amateurs de f&ecirc;tes mont&egrave;rent ensemble l'escalier.</p>
+<p>&laquo;Quels noms, messieurs? dit l'homme qui se tenait &agrave; la
+porte. M. Tupman
+s'avan&ccedil;ait pour &eacute;noncer ses titres et qualit&eacute;s,
+quand l'&eacute;tranger
+l'arr&ecirc;ta en disant:</p>
+<p>&#8212;Pas de nom du tout; et il murmura &agrave; l'oreille de M. Tupman:
+&laquo;Les noms
+ne valent rien; inconnus, excellents noms dans leur genre, mais pas
+illustres; fameux noms dans une petite r&eacute;union, mais qui ne
+feraient pas
+d'effet dans une grande assembl&eacute;e. Incognito, voil&agrave; la
+chose. Gentlemen
+de Londres, nobles &eacute;trangers, n'importe quoi.&raquo;</p>
+<p>La porte s'ouvrit &agrave; ces derniers mots prononc&eacute;s
+&agrave; voix haute, et M.
+Tupman entra dans la salle de bal avec l'&eacute;tranger.</p>
+<p>C'&eacute;tait une longue chambre garnie de banquettes cramoisies,
+et &eacute;clair&eacute;e
+par des bougies, plac&eacute;es dans des lustres de cristal. Les
+musiciens
+&eacute;taient soigneusement retranch&eacute;s sur une haute estrade,
+et trois ou
+quatre quadrilles se m&ecirc;laient et se d&eacute;m&ecirc;laient d'une
+mani&egrave;re
+scientifique. Dans une pi&egrave;ce voisine on apercevait deux tables
+&agrave; jouer,
+sur lesquelles quatre vieilles dames, avec un pareil nombre de gros
+messieurs, ex&eacute;cutaient gravement leur whist.</p>
+<p>La finale termin&eacute;e, les danseurs se promen&egrave;rent dans
+la salle, et nos
+deux compagnons se plant&egrave;rent dans un coin pour observer la
+compagnie.</p>
+<p>&laquo;Charmantes femmes! soupira M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Attendez un instant. Vous allez voir tout &agrave; l'heure. Les
+gros bonnets
+pas encore venus. Dr&ocirc;le d'endroit. Les employ&eacute;s
+sup&eacute;rieurs de la marine
+ne parlent pas aux petits employ&eacute;s, les petits employ&eacute;s
+ne parlent pas &agrave;
+la bourgeoisie, la bourgeoisie ne parle pas aux marchands, le
+commissaire du gouvernement ne parle &agrave; personne.</p>
+<p>&#8212;Quel est ce petit gar&ccedil;on aux cheveux blonds, aux yeux
+rouges, avec un
+habit de fantaisie?</p>
+<p>&#8212;Silence, s'il vous pla&icirc;t! yeux rouges, habit de fantaisie,
+petit
+gar&ccedil;on, allons donc! Chut! chut! c'est un enseigne du 97e,
+l'honorable
+Wilmot-B&eacute;casse. Grande famille, les B&eacute;casses, famille
+nombreuse.</p>
+<p>&#8212;Sir Thomas Clubber, lady Clubber et Mlles Clubber! cria d'une voix
+de
+stentor l'homme qui annon&ccedil;ait.&raquo;</p>
+<p>Une profonde sensation se propagea dans toute la salle, &agrave;
+l'entr&eacute;e d'un
+&eacute;norme gentleman, en habit bleu, avec des boutons brillants;
+d'une vaste
+lady en satin bleu, et de deux jeunes ladies taill&eacute;es sur le
+m&ecirc;me patron
+et par&eacute;es de robes &eacute;l&eacute;gantes de la m&ecirc;me
+couleur.</p>
+<p>&laquo;Commissaire du gouvernement, chef de la marine, grand homme,
+remarquablement grand! dit tout bas l'&eacute;tranger &agrave; M.
+Tupman, pendant que
+les commissaires du bal conduisaient sir Thomas Clubber et sa famille
+jusqu'au haut bout de la salle. L'honorable Wilmot-B&eacute;casse et
+les
+meneurs de distinction s'empress&egrave;rent de pr&eacute;senter leurs
+hommages aux
+demoiselles Clubber, et sir Thomas Clubber, droit comme un i,
+contemplait majestueusement l'assembl&eacute;e du haut de sa cravate
+noire.&raquo;</p>
+<p>M. Smithie, Mme Smithie et mesdemoiselles Smithie, furent
+annonc&eacute;s
+imm&eacute;diatement apr&egrave;s.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce que M. Smithie? demanda M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Quelque chose de la marine,&raquo; r&eacute;pondit
+l'&eacute;tranger.</p>
+<p>M. Smithie s'inclina avec d&eacute;f&eacute;rence devant sir Thomas
+Clubber, et sir
+Thomas Clubber lui rendit son salut avec une condescendance
+marqu&eacute;e.
+Lady Clubber examina &agrave; travers son lorgnon Mme Smithie et sa
+famille; et
+&agrave; son tour Mme Smithie regarda du haut en bas madame je ne sais
+qui,
+dont le mari n'&eacute;tait pas dans la marine.</p>
+<p>&laquo;Colonel Bulder, Mme Bulder et miss Bulder!</p>
+<p>&#8212;Chef de la garnison,&raquo; dit l'&eacute;tranger, en
+r&eacute;ponse &agrave; un coup d'&#339;il
+interrogateur de M. Tupman.</p>
+<p>Miss Bulder fut chaudement accueillie par les miss Clubber; les
+salutations entre Mme Bulder et lady Clubber furent des plus
+affectueuses; le colonel Bulder et sir Thomas s'offrirent mutuellement
+une prise de tabac, et tous deux regard&egrave;rent autour d'eux comme
+une
+paire d'Alexandre Selkirk, monarques de tout ce qui les entourait.</p>
+<p>Tandis que l'aristocratie de l'endroit, les Bulder, les Clubber et
+les
+B&eacute;casse conservaient ainsi leur dignit&eacute; au haut bout de
+la salle, les
+autres classes de la soci&eacute;t&eacute; les imitaient, au bas bout,
+autant qu'il
+leur &eacute;tait possible. Les officiers les moins aristocratiques du
+97e se
+d&eacute;vouaient aux familles des fonctionnaires les moins importants
+de la
+marine; les femmes des avou&eacute;s et la femme du marchand de vin
+&eacute;taient &agrave;
+la t&ecirc;te d'une faction; la femme du brasseur visitait les Bulder;
+et Mme
+Tomlinson, directrice du bureau de poste, semblait avoir
+&eacute;t&eacute; choisie par
+un assentiment universel, pour diriger le parti marchand.</p>
+<p>Un des personnages les plus populaires dans son propre cercle
+&eacute;tait un
+gros petit homme, dont le cr&acirc;ne chauve &eacute;tait
+entour&eacute; d'une couronne de
+cheveux noirs et roides; c'&eacute;tait le docteur Slammer, chirurgien
+du 97e.
+Le docteur Slammer prenait du tabac avec tout le monde, riait, dansait,
+plaisantait, jouait au whist, &eacute;tait partout, faisait tout. A ces
+occupations, toutes nombreuses qu'elles fussent d&eacute;j&agrave;, le
+docteur en
+joignait une autre, plus importante encore: il enveloppait des
+attentions les plus d&eacute;vou&eacute;es, les plus infatigables, une
+vieille petite
+veuve, dont la riche toilette et les nombreux bijoux annon&ccedil;aient
+une
+fortune qui en faisait un parti fort d&eacute;sirable pour un homme
+d'un revenu
+limit&eacute;.</p>
+<p>Les yeux de M. Tupman et de son compagnon avaient &eacute;t&eacute;
+fix&eacute;s sur le
+docteur et sur la veuve depuis quelque temps, lorsque l'&eacute;tranger
+rompit
+le silence.</p>
+<p>&laquo;Un tas d'argent, vieille fille, le docteur fait sa
+t&ecirc;te, excellente
+id&eacute;e, bonne charge.&raquo;</p>
+<p>Tandis que ces sentences peu intelligibles s'&eacute;chappaient de
+la bouche de
+l'&eacute;tranger, M. Tupman le regardait d'un air interrogateur.</p>
+<p>&laquo;Je vais danser avec la veuve.</p>
+<p>&#8212;Qui est-elle?</p>
+<p>&#8212;N'en sais rien, jamais vue. Supplanter le docteur. En avant,
+marche!&raquo;</p>
+<p>En achevant ces mots, l'&eacute;tranger traversa la pi&egrave;ce,
+s'appuya contre le
+manteau de la chemin&eacute;e, et attacha ses regards, avec un air
+d'admiration
+respectueuse et m&eacute;lancolique, sur la grosse figure de la vieille
+petite
+dame. M. Tupman regardait muet d'&eacute;tonnement. L'&eacute;tranger
+faisait
+&eacute;videmment des progr&egrave;s rapides: le docteur dansait avec
+une autre dame!
+La veuve laissa tomber son &eacute;ventail; l'&eacute;tranger le
+releva, et le lui
+rendit avec empressement: un sourire, un salut, une
+r&eacute;v&eacute;rence, quelques
+paroles de conversation. L'&eacute;tranger retraversa hardiment la
+salle, pour
+chercher le ma&icirc;tre des c&eacute;r&eacute;monies, retourna avec
+lui pr&egrave;s de la veuve,
+et, apr&egrave;s quelques instants de pantomime introductrice, il
+saisit la
+main de sa conqu&ecirc;te et prit place avec elle dans un quadrille.</p>
+<p>Grande fut la surprise de M. Tupman &agrave; ce
+proc&eacute;d&eacute; sommaire; mais
+l'&eacute;tonnement du petit docteur paraissait encore plus grand.
+L'&eacute;tranger
+&eacute;tait jeune; la veuve &eacute;tait flatt&eacute;e; elle ne
+prenait plus garde aux
+attentions du docteur, et l'indignation de celui-ci ne faisait aucune
+impression sur son imperturbable rival. Le docteur Slammer resta
+paralys&eacute;. Lui, le docteur Slammer, du 97e, &ecirc;tre
+an&eacute;anti en un moment,
+par un homme que personne n'avait jamais vu, que personne ne
+connaissait! Le docteur Slammer! le docteur Slammer, du 97e!
+Incroyable!
+cela ne se pouvait pas. Et pourtant cela &eacute;tait. Bon,
+voil&agrave; que
+l'&eacute;tranger pr&eacute;sente son ami? Le docteur pouvait-il en
+croire ses yeux?
+Il regarda de nouveau et il se trouva dans la p&eacute;nible
+n&eacute;cessit&eacute; de
+reconna&icirc;tre la v&eacute;racit&eacute; de ses nerfs optiques. Mme
+Budger dansait avec
+M. Tupman, il n'y avait pas moyen de s'y tromper. Sa veuve
+elle-m&ecirc;me est
+l&agrave; devant lui, en chair et en os, bondissant avec une vigueur
+inaccoutum&eacute;e. L&agrave; aussi &eacute;tait M. Tupman, sautant
+&agrave; droite et &agrave; gauche,
+d'un air plein de gravit&eacute;, et dansant (ce qui arrive &agrave;
+beaucoup de
+personnes) comme si la contredanse &eacute;tait une &eacute;preuve
+solennelle, et
+qu'il fall&ucirc;t, pour s'en tirer, armer son moral d'une inflexible
+r&eacute;solution.</p>
+<p>Silencieusement et patiemment le docteur supporta tout ceci. Il vit
+l'&eacute;tranger offrir du vin chaud, remporter les verres, se
+pr&eacute;cipiter sur
+des biscuits; il vit mille coquetteries &eacute;chang&eacute;es, et il
+ne dit rien:
+mais quelques secondes apr&egrave;s que l'&eacute;tranger eut disparu
+avec Mme Budger,
+pour la conduire &agrave; sa voiture, il s'&eacute;lan&ccedil;a hors de
+la chambre, et chaque
+particule de sa col&egrave;re, longtemps contenue, sembla
+s'&eacute;chapper de son
+visage en un ruisseau de sueur.</p>
+<p>L'&eacute;tranger revenait, il parlait &agrave; voix basse &agrave;
+M. Tupman, il riait, il
+&eacute;tait radieux, il avait triomph&eacute;. Le petit docteur eut
+soif de sa vie.</p>
+<p>&laquo;Monsieur! dit-il d'une voix terrible, en montrant sa carte et
+en se
+retirant dans un angle du passage: mon nom est Slammer! Le docteur
+Slammer, monsieur! 97e r&eacute;giment, caserne de Chatham. Ma carte,
+monsieur!
+ma carte! Il aurait voulu poursuivre, mais son indignation
+l'&eacute;touffait.</p>
+<p>&#8212;Ah! r&eacute;pliqua l'&eacute;tranger n&eacute;gligemment, Slammer,
+bien oblig&eacute;; merci,
+merci de votre attention d&eacute;licate, pas malade maintenant,
+Slammer,
+quand je le serai, m'adresserai a vous.</p>
+<p>&#8212;Vous... vous &ecirc;tes un intrigant... un poltron... un
+l&acirc;che... un
+menteur... un... un.... Vous d&eacute;ciderez-vous &agrave; me donner
+votre carte,
+monsieur?</p>
+<p>&#8212;Ah! je vois, dit l'&eacute;tranger &agrave; demi-voix, punch trop
+fort, h&ocirc;te
+lib&eacute;ral. La limonade beaucoup meilleure, des chambres trop
+chaudes,
+gentlemen d'un certain &acirc;ge, s'en ressentent le lendemain,
+cruelles
+souffrances.... et il fit quelques pas.</p>
+<p>&#8212;Vous demeurez dans cette maison, monsieur? cria le petit homme
+furieux; vous &ecirc;tes ivre maintenant, monsieur! Vous entendrez
+parler de
+moi, monsieur! Je vous retrouverai, monsieur! je vous retrouverai!</p>
+<p>&#8212;Vous ferez bien d'abord de retrouver votre lit,&raquo;
+r&eacute;pondit l'impassible
+&eacute;tranger.</p>
+<p>Le docteur Slammer le regarda avec une f&eacute;rocit&eacute;
+inexprimable, et en
+s'&eacute;loignant il enfon&ccedil;a son chapeau sur sa t&ecirc;te
+d'une mani&egrave;re qui
+indiquait toute son indignation.</p>
+<p>Cependant l'&eacute;tranger et M. Tupman mont&egrave;rent dans la
+chambre de celui-ci
+pour restituer le plumage qu'ils avaient emprunt&eacute; &agrave;
+l'innocent M.
+Winkle. Ils le trouv&egrave;rent profond&eacute;ment endormi, et la
+restitution fut
+bient&ocirc;t faite. L'&eacute;tranger &eacute;tait extr&ecirc;mement
+fac&eacute;tieux, et M. Tupman,
+&eacute;tourdi par le vin, par le punch, par les lumi&egrave;res, par
+la vue de tant
+de femmes, regardait toute cette affaire comme une excellente
+plaisanterie. Apr&egrave;s le d&eacute;part de son nouvel ami, il
+&eacute;prouva quelque
+difficult&eacute; &agrave; d&eacute;couvrir l'ouverture de son bonnet
+de nuit: dans ses
+efforts pour le mettre sur sa t&ecirc;te, il renversa son flambeau, et
+ce fut
+seulement par une s&eacute;rie d &eacute;volutions
+tr&egrave;s-compliqu&eacute;es qu'il parvint &agrave;
+entrer dans son lit. Malgr&eacute; ces petits accidents il ne tarda pas
+&agrave;
+trouver le repos.</p>
+<p>Le lendemain matin, sept heures avaient &agrave; peine cess&eacute;
+de sonner, quand
+l'esprit universel de M. Pickwick fut tir&eacute; de l'&eacute;tat de
+torpeur o&ugrave;
+l'avait plong&eacute; le sommeil, par des coups violents frapp&eacute;s
+&agrave; sa porte.</p>
+<p>&laquo;Qui est la? cria-t-il, se dressant sur son s&eacute;ant.</p>
+<p>&#8212;Le gar&ccedil;on, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Que voulez-vous?</p>
+<p>&#8212;Pourriez-vous me dire, monsieur, quelle personne de votre
+soci&eacute;t&eacute; a un
+habit bleu &agrave; boutons dor&eacute;s, avec P.C. dessus?&raquo;</p>
+<p>On le lui aura donn&eacute; pour le brosser, pensa M. Pickwick, et
+il a oubli&eacute;
+&agrave; qui il appartient. &laquo;M. Winkle, cria-t-il, la
+troisi&egrave;me chambre &agrave;
+droite.</p>
+<p>&#8212;Merci, monsieur, dit le gar&ccedil;on; et il passa.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que c'est? demanda M. Tupman, en entendant frapper
+violemment &agrave; sa porte.</p>
+<p>&#8212;Puis-je parler &agrave; M. Winkle, monsieur? r&eacute;pliqua le
+gar&ccedil;on du dehors.</p>
+<p>&#8212;Winkle! Winkle! cria M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! r&eacute;pondit une faible voix qui sortait du lit de
+la chambre
+int&eacute;rieure.</p>
+<p>&#8212;On vous demande.... Quelqu'un &agrave; la porte; et ayant
+articul&eacute; avec
+effort ces paroles, M. Tupman se retourna et se rendormit
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&#8212;On me demande? dit M. Winkle en sautant hors de son lit et en
+s'habillant rapidement. A cette distance de Londres, qui diable peut me
+demander?</p>
+<p>&#8212;Un gentleman, en bas, au caf&eacute;, monsieur. Il dit qu'il ne
+vous
+d&eacute;rangera qu'un instant, monsieur; mais il ne veut accepter
+aucun d&eacute;lai.</p>
+<p>&#8212;Fort &eacute;trange! r&eacute;pliqua M. Winkle. Dites que je
+descends.&raquo;</p>
+<p>Il s'enveloppa d'une robe de chambre; mit un ch&acirc;le de voyage
+autour de
+son cou, et descendit. Une vieille femme et une couple de
+gar&ccedil;ons
+balayaient la salle du caf&eacute;. Aupr&egrave;s de la fen&ecirc;tre
+&eacute;tait un officier en
+petite tenue, qui se retourna en entendant entrer M. Winkle, le salua
+d'un air roide, fit retirer les domestiques, ferma soigneusement les
+portes, et dit: &laquo;M. Winkle, je pr&eacute;sume.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, mon nom est Winkle.</p>
+<p>&#8212;Je viens, monsieur, de la part de mon ami, le docteur Slammer, du
+97e.
+Cela ne doit pas vous surprendre.</p>
+<p>&#8212;Le docteur Slammer! r&eacute;p&eacute;ta M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Le docteur Slammer. Il m'a charg&eacute; de vous dire de sa part
+que votre
+conduite d'hier au soir n'&eacute;tait pas celle d'un gentleman, et
+qu'un
+gentleman ne pouvait pas la supporter.&raquo;</p>
+<p>L'&eacute;tonnement de M. Winkle &eacute;tait trop r&eacute;el et
+trop &eacute;vident pour n'&ecirc;tre
+pas remarqu&eacute; par le d&eacute;put&eacute; du docteur Slammer,
+c'est pourquoi il
+poursuivit ainsi: &laquo;Mon ami, le docteur Slammer, m'a paru
+fermement
+convaincu que, pendant une partie de la soir&eacute;e vous &eacute;tiez
+gris, et
+peut-&ecirc;tre hors d'&eacute;tat de sentir l'&eacute;tendue de
+l'insulte dont vous vous
+&ecirc;tes rendu coupable. Il m'a charg&eacute; de vous dire que si
+vous plaidiez
+cette raison comme une excuse de votre conduite, il consentirait
+&agrave;
+recevoir des excuses, &eacute;crites par vous sous ma dict&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Des excuses &eacute;crites! r&eacute;p&eacute;ta de nouveau M.
+Winkle avec le ton de la
+plus grande surprise.</p>
+<p>&#8212;Autrement, reprit froidement l'officier, vous connaissez
+l'alternative.</p>
+<p>&#8212;Avez-vous &eacute;t&eacute; charg&eacute; de ce message pour moi
+nominativement? demanda M.
+Winkle, dont l'intelligence &eacute;tait singuli&egrave;rement
+d&eacute;sorganis&eacute;e par cette
+conversation extraordinaire.</p>
+<p>&#8212;Je n'&eacute;tais pas pr&eacute;sent &agrave; la sc&egrave;ne, et,
+en cons&eacute;quence de votre refus
+obstin&eacute; de donner votre carte au docteur Slammer, j'ai
+&eacute;t&eacute; pri&eacute; par lui
+de rechercher qui &eacute;tait porteur d'un habit
+tr&egrave;s-remarquable: un habit
+bleu clair avec des boutons dor&eacute;s, portant un buste, et les
+lettres
+P.C.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle chancela d'&eacute;tonnement, en entendant d&eacute;crire
+si minutieusement
+son propre costume. L'ami du docteur Slammer continua:</p>
+<p>&laquo;J'ai appris dans la maison que le propri&eacute;taire de
+l'habit en question
+&eacute;tait arriv&eacute; ici hier avec trois messieurs. J'ai
+envoy&eacute; aupr&egrave;s de celui
+qui paraissait &ecirc;tre le principal de la soci&eacute;t&eacute;, et
+c'est lui qui m'a
+adress&eacute; &agrave; vous.&raquo;</p>
+<p>Si la grosse tour du ch&acirc;teau de Rochester s'&eacute;tait
+soudainement d&eacute;tach&eacute;e
+de ses fondations, et &eacute;tait venue se placer en face de la
+fen&ecirc;tre, la
+surprise de M. Winkle aurait &eacute;t&eacute; peu de chose,
+compar&eacute;e avec celle qu'il
+&eacute;prouva en &eacute;coutant ce discours. Sa premi&egrave;re
+id&eacute;e fut qu'on avait pu lui
+voler son habit, et il dit &agrave; l'officier: &laquo;Voulez-vous
+avoir la bont&eacute; de
+m'attendre un instant?</p>
+<p>&#8212;Certainement;&raquo; r&eacute;pondit son h&ocirc;te malencontreux.</p>
+<p>M. Winkle monta rapidement les escaliers; il ouvrit son sac de nuit
+d'une main tremblante, l'habit bleu s'y trouvait &agrave; sa place
+habituelle;
+mais, en l'examinant avec soin, on voyait clairement qu'il avait
+&eacute;t&eacute;
+port&eacute; la nuit pr&eacute;c&eacute;dente.</p>
+<p>&laquo;C'est vrai, dit M. Winkle, en laissant tomber l'habit de ses
+mains.
+J'ai bu trop de vin hier, apr&egrave;s d&icirc;ner, et j'ai une vague
+id&eacute;e d'avoir
+ensuite march&eacute; dans les rues, et d'avoir fum&eacute; un cigare.
+Le fait est que
+j'&eacute;tais tout &agrave; fait dedans. J'aurai chang&eacute;
+d'habit; j'aurai &eacute;t&eacute; quelque
+part; j'aurai insult&eacute; quelqu'un: je n'en doute plus, et ce
+message en
+est le terrible r&eacute;sultat.&raquo; Tourment&eacute; par ces
+id&eacute;es, il redescendit au
+caf&eacute; avec la sombre r&eacute;solution d'accepter le cartel du
+vaillant docteur
+et d'en subir les cons&eacute;quences les plus funestes.</p>
+<p>Il &eacute;tait pouss&eacute; &agrave; cette d&eacute;termination
+par des consid&eacute;rations diverses.
+La premi&egrave;re de toutes &eacute;tait le soin de sa
+r&eacute;putation aupr&egrave;s du club. Il
+y avait toujours &eacute;t&eacute; regard&eacute; comme une
+autorit&eacute; imposante dans tous les
+exercices du corps, soit offensifs, soit d&eacute;fensifs, soit
+inoffensifs.
+S'il venait &agrave; reculer, d&egrave;s la premi&egrave;re
+&eacute;preuve, sous les yeux de son
+chef, sa position dans l'association &eacute;tait perdue pour toujours.
+En
+second lieu, il se souvenait d'avoir entendu dire (par ceux qui ne sont
+point initi&eacute;s &agrave; ces myst&egrave;res) que les
+t&eacute;moins se concertent
+ordinairement pour ne point mettre de balles dans les pistolets. Enfin,
+il pensait qu'en choisissant M. Snodgrass pour second et en lui
+d&eacute;peignant avec force le danger, ce gentleman pourrait bien en
+faire
+part &agrave; M. Pickwick; lequel, assur&eacute;ment, s'empresserait
+d'informer les
+autorit&eacute;s locales, dans la crainte de voir tuer ou
+d&eacute;t&eacute;riorer son
+disciple.</p>
+<p>Ayant calcul&eacute; toutes ces chances, il revint dans la salle du
+caf&eacute; et
+d&eacute;clara qu'il acceptait le d&eacute;fi du docteur.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous m'indiquer un ami, pour r&eacute;gler l'heure et le
+lieu du
+rendez-vous, dit alors l'obligeant officier.</p>
+<p>&#8212;C'est tout &agrave; fait inutile. Veuillez me les nommer, et
+j'am&egrave;nerai mon
+t&eacute;moin avec moi.</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien! reprit l'officier d'un ton indiff&eacute;rent, ce
+soir, si cela vous
+convient; au coucher du soleil.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, r&eacute;pliqua M. Winkle, pensant dans son c&#339;ur
+que c'&eacute;tait
+tr&egrave;s-mal.</p>
+<p>&#8212;Vous connaissez le fort Pitt?</p>
+<p>&#8212;Oui, je l'ai vu hier.</p>
+<p>&#8212;Prenez la peine d'entrer dans le champ qui borde le foss&eacute;;
+suivez le
+sentier &agrave; gauche quand vous arriverez &agrave; un angle des
+fortifications, et
+marchez droit devant vous jusqu'&agrave; ce que vous m'aperceviez; vous
+me
+suivrez alors et je vous conduirai dans un endroit solitaire o&ugrave;
+l'affaire pourra se terminer sans crainte d'interruption.</p>
+<p>&#8212;Crainte d'interruption! pensa M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Nous n'avons plus rien, je crois, &agrave; arranger?</p>
+<p>&#8212;Pas que je sache.</p>
+<p>&#8212;Alors je vous salue.</p>
+<p>&#8212;Je vous salue.&raquo; Et l'officier s'en alla lestement en sifflant
+un air
+de contredanse.</p>
+<p>Le d&eacute;jeuner de ce jour-l&agrave; se passa tristement pour nos
+voyageurs. M.
+Tupman, apr&egrave;s les d&eacute;bauches inaccoutum&eacute;es de la
+nuit pr&eacute;c&eacute;dente, n'&eacute;tait
+point en &eacute;tat de se lever; M. Snodgrass paraissait subir une
+po&eacute;tique
+d&eacute;pression d'esprit; M. Pickwick lui-m&ecirc;me montrait un
+attachement
+inaccoutum&eacute; &agrave; l'eau de seltz et au silence; quant
+&agrave; M. Winkle il &eacute;piait
+soigneusement une occasion de retenir son t&eacute;moin. Cette occasion
+ne
+tarda pas &agrave; se pr&eacute;senter: M. Snodgrass proposa de visiter
+le ch&acirc;teau, et
+comme M. Winkle &eacute;tait le seul membre de la soci&eacute;t&eacute;
+qui f&ucirc;t dispos&eacute; &agrave;
+faire une promenade, ils sortirent ensemble.</p>
+<p>&laquo;Snodgrass, dit M. Winkle, lorsqu'ils eurent tourn&eacute; le
+coin de la rue,
+Snodgrass, mon cher ami, puis-je compter sur votre discr&eacute;tion?
+Et en
+parlant ainsi il d&eacute;sirait ardemment de n'y pouvoir point compter.</p>
+<p>&#8212;Vous le pouvez, r&eacute;pliqua M. Snodgrass. Je jure....</p>
+<p>&#8212;Non, non! interrompit M. Winkle, &eacute;pouvant&eacute; par
+l'id&eacute;e que son
+compagnon pouvait innocemment s'engager &agrave; ne pas le
+d&eacute;noncer. Ne jurez
+pas, ne jurez pas; cela n'est point n&eacute;cessaire.&raquo;</p>
+<p>M. Snodgrass laissa retomber la main qu'il avait po&eacute;tiquement
+lev&eacute;e vers
+les nuages, et prit une attitude attentive.</p>
+<p>&laquo;Mon cher ami, dit alors M. Winkle, j'ai besoin de votre
+assistance dans
+une affaire d'honneur.</p>
+<p>&#8212;Vous l'aurez, r&eacute;pliqua M. Snodgrass, en serrant la main de
+son
+compagnon.</p>
+<p>&#8212;Avec un docteur, le docteur Slammer, du 97e, ajouta M. Winkle,
+d&eacute;sirant faire para&icirc;tre la chose aussi solennelle que
+possible. Une
+affaire avec un officier, ayant pour t&eacute;moin un autre officier;
+ce soir,
+au coucher du soleil, dans un champ solitaire, au del&agrave; du fort
+Pitt.</p>
+<p>&#8212;Comptez sur moi, r&eacute;pondit M. Snodgrass, avec
+&eacute;tonnement, mais sans
+&ecirc;tre autrement affect&eacute;. En effet, rien n'est plus
+remarquable que la
+froideur avec laquelle on prend ces sortes d'affaires, quand on n'y est
+point partie principale. M. Winkle avait oubli&eacute; cela: il avait
+jug&eacute; les
+sentiments de son ami d'apr&egrave;s les siens.</p>
+<p>&#8212;Les cons&eacute;quences peuvent &ecirc;tre terribles, reprit M.
+Winkle.</p>
+<p>&#8212;J'esp&egrave;re que non.</p>
+<p>&#8212;Le docteur est, je pense, un tr&egrave;s-bon tireur.</p>
+<p>&#8212;La plupart des militaires le sont, observa M. Snodgrass avec calme;
+mais ne l'&ecirc;tes-vous point aussi?&raquo;</p>
+<p>M. Winkle r&eacute;pondit affirmativement, et s'apercevant qu'il
+n'avait point
+suffisamment alarm&eacute; son compagnon, il changea de batterie.</p>
+<p>&laquo;Snodgrass, dit-il d'une voix tremblante d'&eacute;motion, si
+je succombe vous
+trouverez dans mon portefeuille une lettre pour mon... pour mon
+p&egrave;re.&raquo;</p>
+<p>Cette attaque ne r&eacute;ussit point davantage. M. Snodgrass fut
+touch&eacute;, mais
+il s'engagea &agrave; remettre la lettre aussi facilement que s'il
+avait fait
+toute sa vie le m&eacute;tier de facteur.</p>
+<p>&laquo;Si je meurs, continua M. Winkle, ou si le docteur
+p&eacute;rit, vous, mon cher
+ami, vous serez jug&eacute; comme complice en
+pr&eacute;m&eacute;ditation. Faut-il donc que
+j'expose un ami &agrave; la transportation? peut-&ecirc;tre pour toute
+sa vie!&raquo;</p>
+<p>Pour le coup, M. Snodgrass h&eacute;sita; mais son
+h&eacute;ro&iuml;sme fut invincible.
+&laquo;Dans la cause de l'amiti&eacute;, s'&eacute;cria-t-il avec
+ferveur, je braverai tous
+les dangers.&raquo;</p>
+<p>Dieu sait combien notre duelliste maudit int&eacute;rieurement le
+d&eacute;vouement de
+son ami. Ils march&egrave;rent pendant quelque temps en silence,
+ensevelis tous
+les deux dans leurs m&eacute;ditations. La matin&eacute;e
+s'&eacute;coulait et M. Winkle
+sentait s'enfuir toute chance de salut.</p>
+<p>&laquo;Snodgrass, dit-il en s'arr&ecirc;tant tout d'un coup, n'allez
+point me trahir
+aupr&egrave;s des autorit&eacute;s locales; ne demandez point des
+constables pour
+pr&eacute;venir le duel; ne vous assurez pas de ma personne, ou de
+celle du
+docteur Slammer, du 97e, actuellement en garnison dans la caserne de
+Chatham. Afin d'emp&ecirc;cher le duel, n'ayez point cette prudence, je
+vous
+en prie.&raquo;</p>
+<p>M. Snodgrass saisit avec chaleur la main de son compagnon et
+s'&eacute;cria,
+plein d'enthousiasme: &laquo;Non! pour rien au monde.&raquo;</p>
+<p>Un frisson parcourut le corps de M. Winkle quand il vit qu'il
+n'avait
+rien &agrave; esp&eacute;rer des craintes de son ami, et qu'il
+&eacute;tait irr&eacute;vocablement
+destin&eacute; &agrave; devenir une cible vivante.</p>
+<p>Lorsqu'il eut racont&eacute; formellement &agrave; M. Snodgrass les
+d&eacute;tails de son
+affaire, ils entr&egrave;rent tous deux chez un armurier; ils
+lou&egrave;rent une
+bo&icirc;te de ces pistolets qui sont destin&eacute;s &agrave; donner
+et &agrave; obtenir
+<i>satisfaction</i>, ils y joignirent un assortiment <i>satisfaisant</i>
+de
+poudre, de capsules et de balles; puis ils retourn&egrave;rent &agrave;
+leur auberge,
+M. Winkle pour r&eacute;fl&eacute;chir sur la lutte qu'il avait
+&agrave; soutenir; M.
+Snodgrass pour arranger les armes de guerre, et les mettre en
+&eacute;tat de
+servir imm&eacute;diatement.</p>
+<p>Lorsqu'ils sortirent de nouveau pour leur d&eacute;sagr&eacute;able
+entreprise, le
+soir s'approchait, triste et pesant. M. Winkle, de peur d'&ecirc;tre
+observ&eacute;,
+s'&eacute;tait envelopp&eacute; dans un large manteau: M. Snodgrass
+portait sous le
+sien les instruments de destruction.</p>
+<p>&laquo;Avez-vous pris tout ce qu'il faut? demanda M. Winkle, d'un
+ton agit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Tout ce qu'il faut. Quantit&eacute; de munitions, dans le cas
+o&ugrave; les premiers
+coups n'auraient point de r&eacute;sultats. Il y a un quarteron de
+poudre dans
+la botte, et j'ai deux journaux dans ma poche pour servir de
+bourre.&raquo;</p>
+<p>C'&eacute;taient l&agrave; des preuves d'amiti&eacute; dont il
+&eacute;tait impossible de n'&ecirc;tre
+point reconnaissant. Il est probable que la gratitude de M. Winkle fut
+trop vive pour qu'il p&ucirc;t l'exprimer, car il ne dit rien, mais il
+continua de marcher, assez lentement.</p>
+<p>&laquo;Nous arrivons juste &agrave; l'heure, dit M. Snodgrass en
+franchissant la haie
+du premier champ; voil&agrave; le soleil qui descend derri&egrave;re
+l'horizon.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle regarda le disque qui s'abaissait, et il pensa
+douloureusement
+aux chances qu'il courait de ne jamais le revoir.</p>
+<p>&laquo;Voici l'officier, s'&eacute;cria-t-il au bout de quelque
+temps.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave;? dit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;L&agrave;. Ce gentleman en manteau bleu.&raquo;</p>
+<p>Les yeux de M. Snodgrass suivirent le doigt de son compagnon, et
+aper&ccedil;urent une longue figure drap&eacute;e, qui fit un
+l&eacute;ger signe de la main,
+et continua de marcher. Nos deux amis s'avanc&egrave;rent
+silencieusement &agrave; sa
+suite.</p>
+<p>De moment en moment la soir&eacute;e devenait plus sombre. Un vent
+m&eacute;lancolique
+retentissait dans les champs d&eacute;serts: on e&ucirc;t dit le
+sifflement lointain
+d'un g&eacute;ant, appelant son chien. La tristesse de cette
+sc&egrave;ne communiquait
+une teinte lugubre &agrave; l'&acirc;me de M. Winkle. En passant
+l'angle du foss&eacute;, il
+tressaillit, il avait cru voir une tombe colossale.</p>
+<p>L'officier quitta tout &agrave; coup le sentier, et apr&egrave;s
+avoir escalad&eacute; une
+palissade et enjamb&eacute; une haie, il entra dans un champ
+&eacute;cart&eacute;. Deux
+messieurs l'y attendaient. L'un &eacute;tait un petit personnage gros
+et gras,
+avec des cheveux noirs; l'autre, grand et bel homme, avec une redingote
+couverte de brandebourgs, &eacute;tait assis sur un pliant avec une
+s&eacute;r&eacute;nit&eacute;
+parfaite.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; nos gens, avec un chirurgien, &agrave; ce que je
+suppose dit M.
+Snodgrass. Prenez une goutte d'eau-de-vie.&raquo; M. Winkle saisit
+avidement
+la bouteille d'osier que lui tendait son compagnon et avala une longue
+gorg&eacute;e de ce liquide fortifiant.</p>
+<p>&laquo;Mon ami, M. Snodgrass,&raquo; dit M. Winkle &agrave;
+l'officier qui s'approchait.</p>
+<p>Le second du docteur Slammer salua et produisit une bo&icirc;te
+semblable &agrave;
+celle que M. Snodgrass avait apport&eacute;e. &laquo;Je pense que nous
+n'avons rien
+de plus &agrave; nous dire, monsieur, remarqua-t-il froidement, en
+ouvrant sa
+bo&icirc;te. Des excuses ont &eacute;t&eacute; absolument
+refus&eacute;es.</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, monsieur, r&eacute;pondit M. Snodgrass, qui
+commen&ccedil;ait &agrave; se
+sentir mal &agrave; son aise.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous que nous mesurions le terrain? dit l'officier.</p>
+<p>&#8212;Certainement,&raquo; r&eacute;pliqua M. Snodgrass.</p>
+<p>Lorsque le terrain eut &eacute;t&eacute; mesur&eacute; et les
+pr&eacute;liminaires arrang&eacute;s,
+l'officier dit &agrave; M. Snodgrass: &laquo;Vous trouverez ces
+pistolets meilleurs
+que les v&ocirc;tres, monsieur. Vous me les avez vu charger; vous
+opposez-vous
+&agrave; ce qu'on en fasse usage?</p>
+<p>&#8212;Non, certainement, r&eacute;pondit M. Snodgrass. Cette offre le
+tirait d'un
+grand embarras, car ses id&eacute;es sur la mani&egrave;re de charger
+un pistolet
+&eacute;taient tant soit peu vagues et ind&eacute;finies.</p>
+<p>&#8212;Alors je pense que nous pouvons placer nos hommes, continua
+l'officier, avec autant d'indiff&eacute;rence que s'il s'&eacute;tait
+agi d'une partie
+d'&eacute;checs.</p>
+<p>&#8212;Je pense que nous le pouvons,&raquo; r&eacute;pliqua M. Snodgrass,
+qui aurait
+consenti &agrave; toute autre proposition, vu qu'il n'entendait rien
+&agrave; ces
+sortes d'affaires.</p>
+<p>L'officier alla vers le docteur Slammer, tandis que M. Snodgrass
+s'approchait de M. Winkle.</p>
+<p>&laquo;Tout est pr&ecirc;t, dit-il, en lui offrant le pistolet.
+Donnez-moi votre
+manteau.</p>
+<p>&#8212;Vous avez mon portefeuille, mon cher ami, dit le pauvre Winkle.</p>
+<p>&#8212;Tout va bien. Soyez calme et visez tout bonnement &agrave;
+l'&eacute;paule.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle trouva que cet avis ressemblait beaucoup &agrave; celui
+que les
+spectateurs donnent invariablement au plus petit gamin dans les duels
+des rues. &laquo;Mets-le dessous et tiens-le ferme.&raquo; Admirable
+conseil, si
+l'on savait seulement comment l'ex&eacute;cuter! Quoi qu'il en soit, il
+&ocirc;ta son
+manteau en silence (ce manteau &eacute;tait toujours tr&egrave;s-long
+&agrave; d&eacute;faire); il
+accepta le pistolet: les seconds se retir&egrave;rent, le monsieur au
+pliant en
+fit autant, et les bellig&eacute;rants s'avanc&egrave;rent l'un vers
+l'autre.</p>
+<p>M. Winkle a toujours &eacute;t&eacute; remarquable par son
+extr&ecirc;me humanit&eacute;. On
+suppose que dans cette occasion la r&eacute;pugnance qu'il
+&eacute;prouvait &agrave; nuire
+intentionnellement &agrave; l'un de ses semblables, l'engagea &agrave;
+fermer les yeux
+en arrivant &agrave; l'endroit fatal, et que cette circonstance
+l'emp&ecirc;cha de
+remarquer la conduite inexplicable du docteur Slammer. Ce monsieur, en
+s'approchant de M. Winkle, tressaillit, ouvrit de grands yeux, recula,
+frotta ses paupi&egrave;res, ouvrit de nouveau ses yeux, autant qu'il
+lui fut
+possible, et finalement s'&eacute;cria: &laquo;Arr&ecirc;tez!
+arr&ecirc;tez!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que cela veut dire? continua-t-il lorsque son ami et M.
+Snodgrass arriv&egrave;rent en courant. Ce n'est pas l&agrave; mon
+homme.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas votre homme! s'&eacute;cria le second du docteur
+Slammer.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas son homme! dit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas son homme! r&eacute;p&eacute;ta le monsieur qui tenait
+le pliant dans
+sa main.</p>
+<p>&#8212;Certainement non, reprit le petit docteur. &Ccedil;a n'est pas la
+personne
+qui m'a insult&eacute; la nuit pass&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Fort extraordinaire! dit l'officier.</p>
+<p>&#8212;Fort extraordinaire! r&eacute;p&eacute;ta le gentleman au pliant.
+Mais maintenant,
+ajouta-t-il, voici la question. Le monsieur se trouvant actuellement
+sur
+le terrain, ne doit-il pas &ecirc;tre consid&eacute;r&eacute;, pour la
+forme, comme &eacute;tant
+l'individu qui a insult&eacute; hier soir notre ami, le docteur
+Slammer?&raquo; Ayant
+sugg&eacute;r&eacute; cette id&eacute;e nouvelle d'un air sage et
+myst&eacute;rieux, l'homme au
+pliant prit une &eacute;norme pinc&eacute;e de tabac, et regarda autour
+de lui, avec
+la profondeur de quelqu'un qui est habitu&eacute; &agrave; faire
+autorit&eacute;.</p>
+<p>Or, M. Winkle avait ouvert ses yeux et ses oreilles aussi, quand il
+avait entendu son adversaire demander une cessation
+d'hostilit&eacute;s.
+S'apercevant par ce qui avait &eacute;t&eacute; dit ensuite qu'il y
+avait quelque
+erreur de personnes, il comprit tout d'un coup combien sa
+r&eacute;putation
+pouvait s'accro&icirc;tre s'il cachait les motifs r&eacute;els qui
+l'avaient
+d&eacute;termin&eacute; &agrave; se battre. Il s'avan&ccedil;a donc
+hardiment et dit:</p>
+<p>&laquo;Je sais bien que je ne suis pas l'adversaire de monsieur.</p>
+<p>&#8212;Alors, dit l'homme au pliant, ceci est un affront pour le docteur
+Slammer, et un motif suffisant de continuer.</p>
+<p>&#8212;Tenez-vous tranquille, Payne, interrompit le second du docteur; et
+s'adressant &agrave; M. Winkle: Pourquoi ne m'avez-vous pas
+communiqu&eacute; cela ce
+matin, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Assur&eacute;ment! assur&eacute;ment! s'&eacute;cria avec
+indignation l'homme au pliant.</p>
+<p>&#8212;Je vous supplie de vous tenir tranquille, Payne, reprit l'autre.
+Puis-je r&eacute;p&eacute;ter ma question, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Parce que, r&eacute;pliqua M. Winkle qui avait eu le temps de
+d&eacute;lib&eacute;rer sa
+r&eacute;ponse: parce que vous m'avez dit, monsieur, que l'individu en
+question
+&eacute;tait rev&ecirc;tu d'un habit que j'ai l'honneur, non-seulement
+de porter,
+mais d'avoir invent&eacute;. C'est l'uniforme projet&eacute; du
+Pickwick-Club, &agrave;
+Londres. Je me crois oblig&eacute; de soutenir l'honneur de cet
+uniforme, et
+dans cette vue, sans autres informations, j'ai accept&eacute; le
+d&eacute;fi que vous
+me faisiez.</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur, dit le bon petit docteur, en lui tendant la
+main,
+j'honore votre courage. Permettez-moi d'ajouter que j'admire
+extr&ecirc;mement
+votre conduite, et que je regrette beaucoup de vous avoir fait
+d&eacute;ranger
+inutilement.</p>
+<p>&#8212;Je vous prie de ne point parler de cela, r&eacute;pondit M. Winkle
+avec
+politesse.</p>
+<p>&#8212;Je me trouverai honor&eacute;, monsieur, de faire votre
+connaissance,
+poursuivit le petit docteur.</p>
+<p>&#8212;Et moi, monsieur, j'&eacute;prouverai le plus grand plaisir
+&agrave; vous
+conna&icirc;tre,&raquo; r&eacute;pliqua M. Winkle. Et l&agrave;-dessus
+il donna une poign&eacute;e de
+main au docteur, une poign&eacute;e de main &agrave; son second, le
+lieutenant
+Tappleton, une poign&eacute;e de main &agrave; l'homme qui tenait le
+pliant, une
+poign&eacute;e de main, enfin, &agrave; M. Snodgrass, dont l'admiration
+&eacute;tait
+excessive pour la noble conduite de son h&eacute;ro&iuml;que ami.</p>
+<p>&laquo;Je pense que nous pouvons nous en retourner maintenant, dit
+le
+lieutenant Tappleton.</p>
+<p>&#8212;Certainement, r&eacute;pondit le docteur.</p>
+<p>&#8212;A moins, sugg&eacute;ra l'homme au pliant, &agrave; moins que
+monsieur Winkle ne se
+trouve offens&eacute; par la provocation qu'il a re&ccedil;ue. Si cela
+&eacute;tait, je
+confesse qu'il aurait droit &agrave; une satisfaction.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle, avec une grande abn&eacute;gation de son <i>moi</i>,
+d&eacute;clara qu'il &eacute;tait
+enti&egrave;rement satisfait.</p>
+<p>&laquo;Peut-&ecirc;tre, reprit l'autre, peut-&ecirc;tre le
+t&eacute;moin du gentleman aura-t-il
+&eacute;t&eacute; personnellement bless&eacute; de quelques
+observations que j'ai faites au
+commencement de cette rencontre. Dans ce cas, je serais heureux de lui
+donner satisfaction imm&eacute;diatement.&raquo;</p>
+<p>M. Snodgrass se h&acirc;ta de d&eacute;clarer qu'il &eacute;tait
+bien oblig&eacute; au gentleman de
+l'offre aimable qu'il lui faisait. La seule raison qui
+l'emp&ecirc;ch&acirc;t d'en
+profiter, c'est qu'il &eacute;tait fort satisfait de la mani&egrave;re
+dont les choses
+s'&eacute;taient pass&eacute;es.</p>
+<p>L'affaire s'&eacute;tant ainsi termin&eacute;e heureusement, les
+t&eacute;moins arrang&egrave;rent
+leurs bo&icirc;tes, et tous quitt&egrave;rent le terrain avec beaucoup
+plus de gaiet&eacute;
+qu'ils n'en laissaient voir en y arrivant.</p>
+<p>&laquo;Resterez-vous longtemps ici? demanda le docteur Slammer
+&agrave; M. Winkle,
+tandis qu'ils marchaient amicalement c&ocirc;te &agrave; c&ocirc;te.</p>
+<p>&#8212;Je crois que nous partirons apr&egrave;s-demain.</p>
+<p>&#8212;Je serais tr&egrave;s-heureux, apr&egrave;s ce ridicule quiproquo,
+si vous vouliez
+bien me faire l'honneur de venir ce soir chez moi, avec votre ami.
+&Ecirc;tes-vous engag&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Nous avons plusieurs amis &agrave; l'h&ocirc;tel du <i>Taureau</i>,
+et je ne voudrais
+point les quitter aujourd'hui. Mais nous serions enchant&eacute;s si
+vous
+consentiez &agrave; amener ces messieurs pour passer la soir&eacute;e
+avec nous.</p>
+<p>&#8212;Avec grand plaisir. Ne sera-t-il point trop tard, &agrave; dix
+heures, pour
+vous faire une petite visite d'une demi-heure?</p>
+<p>&#8212;Non certainement. Je serai fort heureux de vous pr&eacute;senter
+&agrave; mes amis,
+M. Pickwick et M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;J'en serai charm&eacute;, r&eacute;pliqua le petit docteur, ne
+soup&ccedil;onnant gu&egrave;re
+qu'il connaissait d&eacute;j&agrave; M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Vous viendrez sans faute? demanda M Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Oh! assur&eacute;ment.&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi, ils &eacute;taient arriv&eacute;s sur la grande
+route. Les adieux se
+firent avec cordialit&eacute;, et tandis que le docteur et ses amis se
+rendirent &agrave; leur caserne, M. Winkle et M. Snodgrass
+rentr&egrave;rent
+joyeusement &agrave; l'h&ocirc;tel.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_III"></a>
+<h2>CHAPITRE III.</h2>
+<h3>Une nouvelle connaissance. Histoire d'un clown. Une interruption
+d&eacute;sagr&eacute;able et une rencontre f&acirc;cheuse.</h3>
+<br/>
+<p>M. Pickwick avait ressenti quelque inqui&eacute;tude en voyant se
+prolonger
+l'absence de ses deux amis, et en se rappelant leur conduite
+myst&eacute;rieuse
+pendant toute la matin&eacute;e. Ce fut donc avec un v&eacute;ritable
+plaisir qu'il se
+leva pour les recevoir, et avec un int&eacute;r&ecirc;t peu ordinaire
+qu'il leur
+demanda ce qui avait pu les retenir si longtemps. En r&eacute;ponse
+&agrave; cette
+question, M. Snodgrass allait faire l'historique des circonstances que
+nous venons de rapporter, lorsqu'il s'aper&ccedil;ut qu'entre M. Tupman
+et
+leur compagnon de voyage il y avait dans la chambre un nouvel
+&eacute;tranger,
+d'une apparence &eacute;galement singuli&egrave;re. C'&eacute;tait un
+homme vieilli par les
+soucis, dont la face creuse, aux pommettes pro&eacute;minentes, avec
+des yeux
+&eacute;tincelants quoique profond&eacute;ment encaiss&eacute;s,
+&eacute;tait rendue plus frappante
+encore par les cheveux noirs et lisses qui pendaient en d&eacute;sordre
+sur son
+collet. Sa m&acirc;choire &eacute;tait si longue et si maigre qu'on
+aurait pu croire
+qu'il faisait expr&egrave;s de retirer ses joues, par une contraction
+des
+muscles, si l'expression immobile de ses traits et de sa bouche
+entrouverte n'avait pas fait voir que c'&eacute;tait l&agrave; sa
+physionomie
+habituelle. Son cou &eacute;tait entour&eacute; d'un ch&acirc;le vert,
+dont les larges
+bouts, descendant sur sa poitrine, &eacute;taient aper&ccedil;us
+&agrave; travers les
+boutonni&egrave;res us&eacute;es d'un vieux gilet. Enfin, il avait une
+longue
+redingote noire, un pantalon de gros drap et des bottes tombant en
+ruines.</p>
+<p>Les yeux de M. Snodgrass s'arr&ecirc;t&egrave;rent donc sur ce
+personnage mal l&eacute;ch&eacute;,
+et M. Pickwick, qui s'en aper&ccedil;ut, dit en &eacute;tendant la main
+de son c&ocirc;t&eacute;:
+&laquo;Un ami de notre nouvel ami. Nous avons d&eacute;couvert ce matin
+que notre ami
+est engag&eacute; au th&eacute;&acirc;tre de cet endroit, quoiqu'il
+d&eacute;sire que cette
+circonstance ne soit pas g&eacute;n&eacute;ralement connue. Ce
+gentleman est un membre
+de la m&ecirc;me profession, et il allait nous r&eacute;galer d'une
+petite anecdote
+lorsque vous &ecirc;tes entr&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Masse d'anecdotes, dit l'&eacute;tranger du jour
+pr&eacute;c&eacute;dent, en s'approchant
+de M. Winkle et lui parlant &agrave; voix basse: singulier gaillard,
+pas
+acteur, fait les utilit&eacute;s, homme &eacute;trange, toutes sortes
+de mis&egrave;res. Nous
+l'appelons Jemmy le Lugubre.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle et M. Snodgrass firent des politesses au gentleman qui
+portait
+ce nom &eacute;l&eacute;gant, et s'&eacute;tant assis autour de la
+table demand&egrave;rent de l'eau
+et de l'eau-de-vie, en imitation du reste de la soci&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur, dit M. Pickwick, voulez-vous nous faire
+le
+plaisir de commencer votre r&eacute;cit?&raquo;</p>
+<p>L'individu lugubre tira de sa poche un rouleau de papier malpropre,
+et
+se tournant vers M. Snodgrass qui venait d'aveindre son
+m&eacute;morandum, il
+lui dit d'une voix creuse, parfaitement en harmonie avec son
+ext&eacute;rieur:</p>
+<p>&laquo;&Ecirc;tes-vous le po&euml;te?</p>
+<p>&#8212;Je... je m'exerce un peu dans ce genre, r&eacute;pondit M.
+Snodgrass,
+l&eacute;g&egrave;rement d&eacute;concert&eacute; par la brusquerie de
+la question.</p>
+<p>&#8212;Ah! la po&eacute;sie est dans la vie ce que la lumi&egrave;re et la
+musique sont au
+th&eacute;&acirc;tre. D&eacute;pouillez celui-ci de ses faux
+embellissements et celle-l&agrave; de
+ses illusions, que reste-t-il de r&eacute;el et d'int&eacute;ressant
+dans tous les
+deux?</p>
+<p>&#8212;Cela est bien vrai, monsieur, r&eacute;pliqua M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Assis devant les quinquets, vous faites partie du cercle royal;
+vous
+admirez les v&ecirc;tements de soie de la foule brillante; vous
+tenez-vous, au
+contraire, dans la coulisse, vous &ecirc;tes le peuple qui fabrique ces
+beaux
+v&ecirc;tements; gens inconnus et m&eacute;pris&eacute;s qui peuvent
+tomber et se relever,
+vivre et mourir, comme il pla&icirc;t &agrave; la fortune, sans que
+personne s'en
+inqui&egrave;te.</p>
+<p>&#8212;Certainement, r&eacute;pondit M. Snodgrass, car l'&#339;il profond de
+l'homme
+lugubre &eacute;tait fix&eacute; sur lui, et il sentait la
+n&eacute;cessit&eacute; de dire quelque
+chose.</p>
+<p>&#8212;Allons, Jemmy, dit le voyageur espagnol, soyons vifs, pas de
+croassements, ayez l'air sociable.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous pr&eacute;parer un autre verre avant de
+commencer?&raquo; dit M.
+Pickwick.</p>
+<p>L'homme lugubre accepta l'offre, m&eacute;langea un verre d'eau et
+d'eau-de-vie, en avala lentement la moiti&eacute;, d&eacute;veloppa son
+rouleau de
+papier et commen&ccedil;a &agrave; lire et &agrave; raconter tour
+&agrave; tour les &eacute;v&eacute;nements que
+l'on va lire, et que nous avons trouv&eacute;s inscrits dans les
+registres du
+club sous le titre de: <br/>
+</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">HISTOIRE D'UN CLOWN.</p>
+<p>&laquo;Vous ne trouverez rien de merveilleux dans le r&eacute;cit
+que je vais vous
+faire. Besoins et maladie, ce sont des choses trop connues, dans
+beaucoup d'existences, pour m&eacute;riter plus d'attention qu'on n'en
+accorde
+aux vicissitudes journali&egrave;res de la vie humaine. J'ai
+rassembl&eacute; ces
+notes parce que celui qui en fait le sujet m'&eacute;tait connu depuis
+fort
+longtemps. J'ai suivi pas &agrave; pas sa descente dans l'ab&icirc;me,
+jusqu'au
+moment o&ugrave; il atteignit le dernier degr&eacute; de la
+mis&egrave;re, dont il ne s'est
+jamais relev&eacute; depuis.</p>
+<p>&laquo;L'homme dont il s'agit &eacute;tait un acteur pantomime, et,
+comme beaucoup de
+gens de cet &eacute;tat, un ivrogne inv&eacute;t&eacute;r&eacute;. Dans
+ses beaux jours, avant
+d'&ecirc;tre affaibli par la d&eacute;bauche, il recevait un bon
+salaire, et s'il
+avait &eacute;t&eacute; rang&eacute; et prudent, il aurait pu le
+toucher encore durant
+quelques ann&eacute;es; quelques ann&eacute;es seulement, car ceux qui
+font ce m&eacute;tier
+meurent de bonne heure ou du moins perdent avant le temps
+l'&eacute;nergie
+physique dont ils ont abus&eacute;, et qui &eacute;tait leur unique
+gagne-pain.
+Celui-ci se laissa abrutir si vite qu'il devint impossible de
+l'employer
+dans les r&ocirc;les o&ugrave; il &eacute;tait r&eacute;ellement utile
+au th&eacute;&acirc;tre. Le cabaret avait
+pour lui des charmes auxquels il ne pouvait r&eacute;sister. Les
+maladies, la
+pauvret&eacute; l'attendaient aussi s&ucirc;rement que la mort s'il
+continuait le
+m&ecirc;me genre de vie, et cependant il le continua. Vous devinez ce
+qui dut
+en r&eacute;sulter. Il ne put obtenir d'engagement et il manqua de pain.</p>
+<p>Tous ceux qui connaissent un peu le th&eacute;&acirc;tre savent
+quelle nu&eacute;e
+d'individus mis&eacute;rables, r&acirc;p&eacute;s, affam&eacute;s,
+entourent toujours un vaste
+&eacute;tablissement de ce genre. Ce ne sont pas des acteurs
+engag&eacute;s
+r&eacute;guli&egrave;rement, mais des comparses passagers, des
+figurants, des
+paillasses, etc., qui sont employ&eacute;s tant que dure une pantomime
+ou
+quelque f&eacute;erie de No&euml;l et qui sont remerci&eacute;s
+ensuite, jusqu'&agrave; ce qu'une
+nouvelle pi&egrave;ce, exigeant un nombreux personnel, r&eacute;clame
+de nouveau leurs
+services. Notre homme fut oblig&eacute; d'avoir recours &agrave; ce
+genre de vie, et
+comme, en outre, il prit chaque soir le fauteuil dans un de ces
+caf&eacute;s
+chantants de bas &eacute;tage qui restent ouverts apr&egrave;s la
+fermeture des
+th&eacute;&acirc;tres, il gagna quelques shillings de plus par semaine,
+ce qui lui
+permit de se livrer &agrave; ses vieux penchants. Mais cette ressource
+m&ecirc;me lui
+manqua bient&ocirc;t, son ivrognerie l'emp&ecirc;chant de
+m&eacute;riter la faible pitance
+qu'il aurait pu se procurer de cette mani&egrave;re. Il se trouva donc
+r&eacute;duit &agrave;
+la mis&egrave;re la plus absolue; toujours sur le point de mourir de
+faim, et
+n'&eacute;chappant &agrave; cette destin&eacute;e qu'en recevant
+quelques secours d'un ancien
+camarade, ou en obtenant d'&ecirc;tre employ&eacute; par hasard
+&agrave; l'un des plus
+petits spectacles. Encore, le peu qu'il attrapait ainsi &eacute;tait-il
+d&eacute;pens&eacute;
+suivant le m&ecirc;me syst&egrave;me.</p>
+<p>Vers cette &eacute;poque (il y avait d&eacute;j&agrave; plus d'un an
+qu'il vivait ainsi, sans
+qu'on s&ucirc;t de quelles ressources) je fus engag&eacute; &agrave; un
+des th&eacute;&acirc;tres situ&eacute;s
+du c&ocirc;t&eacute; sud de la Tamise, et je revis cet homme que
+j'avais perdu de
+vue, car j'avais parcouru la province pendant qu'il fl&acirc;nait dans
+les
+carrefours de Londres. La toile &eacute;tait tomb&eacute;e; je venais
+de me rhabiller,
+et je traversais la sc&egrave;ne, quand il me frappa sur
+l'&eacute;paule. Non, jamais
+je n'oublierai la figure repoussante qui se pr&eacute;senta &agrave;
+mes yeux lorsque
+je me retournai. Les personnages fantastiques de la danse des morts,
+les
+figures les plus horribles, trac&eacute;es par les peintres les plus
+habiles,
+rien n'offrit jamais un aspect aussi s&eacute;pulcral. Il portait le
+costume
+ridicule d'un paillasse; et son corps bouffi, ses jambes de squelette
+&eacute;taient rendus plus horribles encore par cet habit de mascarade.
+Ses
+yeux vitreux contrastaient affreusement avec la blancheur mate dont
+toute sa face &eacute;tait couverte. Sa t&ecirc;te, grotesquement
+coiff&eacute;e et
+tremblante de paralysie, ses longues mains osseuses, frott&eacute;es de
+blanc
+d'Espagne, tout contribuait &agrave; lui donner une apparence hideuse,
+hors de
+nature, qu'aucune description ne peut rendre, qu'aujourd'hui encore je
+ne me rappelle qu'en fr&eacute;missant. Il me prit &agrave; part, et
+d'une voix cass&eacute;e
+et tremblante, il me raconta un long catalogue de maladies et de
+privations, qu'il termina comme &agrave; l'ordinaire en me suppliant de
+lui
+pr&ecirc;ter une bagatelle. Je mis quelque argent dans sa main, et,
+tandis que
+je m'&eacute;loignais, le rideau se leva et j'entendis les bruyants
+&eacute;clats de
+rire que causa sa premi&egrave;re culbute sur le th&eacute;&acirc;tre.</p>
+<p>Quelques jours apr&egrave;s, un petit gar&ccedil;on m'apporta un
+morceau de papier
+malpropre, par lequel j'&eacute;tais inform&eacute; que cet homme
+&eacute;tait dangereusement
+malade, et qu'il me priait de l'aller voir apr&egrave;s la
+com&eacute;die, dans une
+rue dont j'ai oubli&eacute; le nom, mais qui n'&eacute;tait pas
+&eacute;loign&eacute;e du th&eacute;&acirc;tre.
+Je promis de m'y rendre aussit&ocirc;t que je le pourrais, et quand la
+toile
+fut baiss&eacute;e je partis pour ce triste office.</p>
+<p>Il &eacute;tait tard, car j'avais jou&eacute; dans la
+derni&egrave;re pi&egrave;ce, et comme c'&eacute;tait
+une repr&eacute;sentation &agrave; b&eacute;n&eacute;fice, elle avait
+dur&eacute; fort longtemps. La nuit
+&eacute;tait sombre et froide, un vent glacial fouettait violemment la
+pluie
+contre les vitres des crois&eacute;es; des mares d'eau s'&eacute;taient
+amass&eacute;es dans
+ces rues &eacute;troites et peu fr&eacute;quent&eacute;es; une partie
+des r&eacute;verb&egrave;res, assez
+rares en tout temps, avaient &eacute;t&eacute; &eacute;teints par la
+violence de la temp&ecirc;te,
+et je n'&eacute;tais pas s&ucirc;r de trouver la demeure qui
+m'appelait, dans des
+circonstances bien faites pour attrister. Heureusement je ne
+m'&eacute;tais pas
+tromp&eacute; de chemin et je d&eacute;couvris, quoique avec peine, la
+maison que je
+cherchais. Elle n'avait qu'un seul &eacute;tage, et l'infortun&eacute;
+que je venais
+voir gisait dans une esp&egrave;ce de grenier, au-dessus d'un hangar
+qui
+servait de magasin de charbon de terre.</p>
+<p>Une femme, &agrave; l'air mis&eacute;rable, la femme du paillasse,
+me re&ccedil;ut sur
+l'escalier, me dit qu'il venait de s'assoupir, et m'ayant introduit
+doucement, me fit asseoir sur une chaise aupr&egrave;s de son lit. Il
+avait la
+t&ecirc;te tourn&eacute;e du c&ocirc;t&eacute; du mur, et, comme il ne
+s'aper&ccedil;ut pas d'abord de ma
+pr&eacute;sence, j'eus le temps d'examiner l'endroit o&ugrave; je me
+trouvais.</p>
+<p>Au chevet du grabat pr&egrave;s duquel j'&eacute;tais assis, on
+avait suspendu des
+lambeaux de couvertures pour pr&eacute;server le malade du vent qui
+p&eacute;n&eacute;trait,
+par mille crevasses, dans cette chambre d&eacute;sol&eacute;e, et qui,
+&agrave; chaque
+instant, agitait ce lourd rideau. Sur une grille rouill&eacute;e et
+descell&eacute;e,
+br&ucirc;lait lentement du poussier de charbon de terre. A
+c&ocirc;t&eacute;, sur une
+vieille table &agrave; trois pieds, il y avait plusieurs fioles, un
+miroir
+bris&eacute; et quelques autres ustensiles. Un enfant dormait sur un
+matelas
+&eacute;tendu par terre, et sa m&egrave;re &eacute;tait assise
+aupr&egrave;s de lui, sur une chaise
+&agrave; moiti&eacute; bris&eacute;e. Quelques assiettes, quelques
+tasses, quelques &eacute;cuelles,
+&eacute;taient plac&eacute;es sur une couple de tablettes: au-dessous
+on avait
+accroch&eacute; des fleurets avec une paire de souliers de
+th&eacute;&acirc;tre, et ces
+objets composaient seuls l'ameublement de la chambre, si l'on excepte
+deux ou trois petits paquets de haillons, jet&eacute;s en
+d&eacute;sordre dans les
+coins.</p>
+<p>Tandis que je consid&eacute;rais cette sc&egrave;ne de
+d&eacute;solation et que je remarquais
+la respiration pesante, les soubresauts fi&eacute;vreux du
+mis&eacute;rable com&eacute;dien,
+il se tournait et se retournait sans cesse pour trouver une position
+moins douloureuse. Une de ses mains sortit de son lit et me toucha: il
+tressaillit et me regarda avec des yeux hagards.</p>
+<p>&laquo;John, lui dit sa femme, c'est M. Hutley que vous avez
+envoy&eacute; cherch&eacute; ce
+soir, vous savez.</p>
+<p>&#8212;Ha! dit-il en passant sa main sur son front, Hutley! Hutley!
+voyons.
+Pendant quelques secondes il parut s'efforcer de rassembler ses
+id&eacute;es,
+et ensuite, me saisissant fortement par le poignet, il s'&eacute;cria:
+Oh! ne
+me quittez pas! ne me quittez pas, vieux camarade! Elle m'assassinera.
+Je sais qu'elle en a envie.</p>
+<p>&#8212;Y a-t-il longtemps qu'il est comme cela? demandai-je &agrave; cette
+femme qui
+pleurait.</p>
+<p>&#8212;Depuis hier soir, monsieur. John! John! ne me reconnaissez-vous
+pas?&raquo;</p>
+<p>En disant ces mots elle se courbait vers son lit, mais il
+s'&eacute;cria avec
+un frisson d'effroi:</p>
+<p>&laquo;Ne la laissez pas approcher! Repoussez-la! Je ne peux pas la
+supporter
+pr&egrave;s de moi! En parlant ainsi il la regardait d'un air
+&eacute;gar&eacute; et plein
+d'une terreur mortelle, puis il me dit &agrave; l'oreille: Je l'ai
+battue, Jem.
+Je l'ai battue hier, et bien d'autres fois auparavant. Je l'ai fait
+mourir de faim, et son enfant aussi; et maintenant que je suis faible
+et
+sans secours, elle va m'assassiner. Je sais qu'elle en a envie. Si
+comme
+moi, aussi souvent que moi, vous l'aviez entendue g&eacute;mir et
+crier, vous
+n'en douteriez pas. &Eacute;loignez-la!&raquo;</p>
+<p>En achevant ces mots il l&acirc;cha ma main et retomba
+&eacute;puis&eacute; sur son
+oreiller.</p>
+<p>Je n'entendais que trop ce que cela signifiait. Si j'avais pu en
+douter
+un seul instant, il m'aurait suffi, pour le comprendre, d'un coup d'&#339;il
+jet&eacute; sur le visage p&acirc;le, sur les formes amaigries de sa
+malheureuse
+femme. &laquo;Vous feriez mieux de vous retirer, dis-je &agrave; cette
+pauvre
+cr&eacute;ature, vous ne pouvez pas lui faire de bien. Peut-&ecirc;tre
+sera-t-il plus
+calme s'il ne vous voit pas.&raquo; Elle se recula hors de sa vue. Au
+bout de
+quelques secondes, il ouvrit les yeux et regarda avec
+anxi&eacute;t&eacute; autour de
+lui, en demandant: &laquo;Est-elle partie?</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, lui dis-je, elle ne vous fera pas de mal.</p>
+<p>&#8212;Je vais vous dire ce qui en est, reprit-il d'une voix caverneuse.
+Elle
+me fait mal! il y a quelque chose dans ses yeux qui me remplit le c&#339;ur
+de crainte et qui me rend fou. Toute la nuit derni&egrave;re ses grands
+yeux
+fixes et son visage p&acirc;le ont &eacute;t&eacute; devant moi.
+O&ugrave; je me tournais, elle se
+tournait. Quand je me r&eacute;veillais en sursaut, elle
+&eacute;tait-l&agrave;, tout aupr&egrave;s
+de mon lit, &agrave; me regarder.&raquo; Il s'approcha plus pr&egrave;s
+de moi et ajouta
+d'une voix basse et tremblante: &laquo;Jem, il faut qu'elle soit mon
+mauvais
+ange! un d&eacute;mon! Chut! j'en suis s&ucirc;r. Si elle
+n'&eacute;tait qu'une femme, il y
+a longtemps qu'elle serait morte. Aucune femme n'aurait pu endurer ce
+qu'elle a endur&eacute;.&raquo;</p>
+<p>Je me sentis fr&eacute;mir en pensant &agrave; la longue
+s&eacute;rie de m&eacute;pris et de
+cruaut&eacute;s dont un tel homme devait s'&ecirc;tre rendu coupable,
+pour en
+conserver une telle impression. Je ne pus rien lui r&eacute;pondre, car
+quelle
+esp&eacute;rance, quelle consolation &eacute;tait-il possible d'offrir
+&agrave; un &ecirc;tre aussi
+abject?</p>
+<p>Je restai l&agrave; plus de deux heures, pendant lesquelles il se
+retourna cent
+fois de c&ocirc;t&eacute; et d'autre, jetant ses bras &agrave; droite
+et &agrave; gauche, et
+murmurant des exclamations de douleur ou d'impatience. A la fin il
+tomba
+dans cet &eacute;tat d'oubli imparfait, o&ugrave; l'esprit erre
+p&eacute;niblement de place
+en place, de sc&egrave;ne en sc&egrave;ne, sans &ecirc;tre
+contr&ocirc;l&eacute; par la raison, mais sans
+pouvoir se d&eacute;barrasser d'un vague sentiment de souffrances
+pr&eacute;sentes.
+Jugeant alors que son mal ne s'aggraverait pas sur-le-champ, je le
+quittai en promettant &agrave; sa femme que je viendrais le revoir le
+lendemain
+soir, et que je passerais la nuit aupr&egrave;s de lui, si cela
+&eacute;tait
+n&eacute;cessaire.</p>
+<p>Je tins ma promesse. Les vingt-quatre heures qui s'&eacute;taient
+&eacute;coul&eacute;es
+avaient produit en lui une alt&eacute;ration affreuse. Ses yeux,
+profond&eacute;ment
+creus&eacute;s, brillaient d'un &eacute;clat effrayant; ses
+l&egrave;vres &eacute;taient dess&eacute;ch&eacute;es
+et fendues en plusieurs endroits; sa peau luisait, s&egrave;che et
+br&ucirc;lante;
+enfin, on voyait sur son visage une expression d'anxi&eacute;t&eacute;
+farouche, qui
+indiquait encore plus fortement les ravages de la maladie, et qui ne
+semblait d&eacute;j&agrave; plus appartenir &agrave; la terre. La
+fi&egrave;vre le d&eacute;vorait.</p>
+<p>Je pris le si&eacute;ge que j'avais occup&eacute; la nuit
+pr&eacute;c&eacute;dente. Je savais, par
+ce que j'avais entendu dire au m&eacute;decin, qu'il &eacute;tait
+&agrave; son lit de mort;
+et je restai l&agrave;, durant les longues heures de la nuit,
+pr&ecirc;tant l'oreille
+&agrave; des sons capables d'&eacute;mouvoir les &acirc;mes les plus
+endurcies; c'&eacute;taient
+les r&ecirc;veries myst&eacute;rieuses d'un agonisant.</p>
+<p>Je vis ses membres d&eacute;charn&eacute;s, qui peu d'heures
+auparavant se
+disloquaient pour amuser une foule rieuse, je les vis se tordre sous
+les
+tortures d'une fi&egrave;vre ardente. J'entendis le rire aigu du
+paillasse se
+m&ecirc;ler aux murmures du moribond.</p>
+<p>C'est une chose touchante de suivre les pens&eacute;es qui
+ram&egrave;nent un malade
+vers les sc&egrave;nes ordinaires, vers les occupations de la vie
+active,
+lorsque son corps est &eacute;tendu sans force et sans mouvement devant
+vos
+yeux. Mais cette impression est infiniment plus forte quand ces
+occupations sont enti&egrave;rement oppos&eacute;es &agrave; toute
+id&eacute;e grave et religieuse.
+Le th&eacute;&acirc;tre et le cabaret &eacute;taient les principaux
+sujets de divagation de
+ce malheureux. Dans son d&eacute;lire, il s'imaginait qu'il avait un
+r&ocirc;le &agrave;
+jouer cette nuit m&ecirc;me, qu'il &eacute;tait tard et qu'il devait
+quitter la
+maison sur-le-champ. Pourquoi le retenait-on? pourquoi
+l'emp&ecirc;chait-on de
+partir? Il allait perdre son salaire. Il fallait qu'il part&icirc;t!
+Non; on
+le retenait! Il cachait son visage dans ses mains br&ucirc;lantes, et
+il
+g&eacute;missait sur sa faiblesse et sur la cruaut&eacute; de ses
+pers&eacute;cuteurs. Une
+courte pause, et il braillait quelques rimes burlesques, les
+derni&egrave;res
+qu'il eut apprises: tout d'un coup il se leva dans son lit,
+&eacute;tendit ses
+membres de squelette et se posa d'une mani&egrave;re grotesque. Il
+&eacute;tait sur la
+sc&egrave;ne, il jouait son r&ocirc;le. Encore un silence, et il
+murmura le refrain
+d'une autre chanson. Enfin, il avait regagn&eacute; son caf&eacute;
+chantant! Comme la
+salle &eacute;tait chaude! Il avait &eacute;t&eacute; malade,
+tr&egrave;s-malade; mais maintenant il
+allait bien, il &eacute;tait heureux! Remplissez mon verre! Qui est-ce
+qui le
+brise entre mes l&egrave;vres? C'&eacute;tait le m&ecirc;me
+pers&eacute;cuteur qui l'avait
+poursuivi. Il retomba sur son oreiller et poussa de sourds
+g&eacute;missements.
+Apr&egrave;s un court intervalle d'oubli, il se retrouva errant dans un
+labyrinthe inextricable de chambres obscures, dont les vo&ucirc;tes
+&eacute;taient si
+basses qu'il lui fallait quelquefois se tra&icirc;ner sur ses mains et
+sur ses
+genoux pour pouvoir avancer. Tout &eacute;tait r&eacute;tr&eacute;ci et
+mena&ccedil;ant; et de
+quelque cot&eacute; qu'il se tourn&acirc;t, un nouvel obstacle
+s'opposait &agrave; son
+passage. Des reptiles immondes rampaient autour de lui; leurs yeux
+luisants dardaient des flammes au milieu des t&eacute;n&egrave;bres
+visibles qui
+l'entouraient; les murailles, les vo&ucirc;tes, l'air m&ecirc;me,
+&eacute;taient
+empoisonn&eacute;s d'insectes d&eacute;go&ucirc;tants. Tout &agrave;
+coup les vo&ucirc;tes s'agrandirent
+et devinrent d'une &eacute;tendue effrayante; des spectres effroyables
+voltigeaient de toutes parts, et parmi eux il voyait appara&icirc;tre
+des
+visages qu'il connaissait, et que rendaient difformes des grimaces, des
+contorsions hideuses. Ces fant&ocirc;mes s'empar&egrave;rent de lui;
+ils br&ucirc;l&egrave;rent
+ses chairs avec des fers rouges; ils serr&egrave;rent des cordes autour
+de ses
+tempes, jusqu'&agrave; en faire jaillir le sang; et il se
+d&eacute;battit violemment
+pour &eacute;chapper &agrave; la mort qui le saisissait.</p>
+<p>A la fin d'un de ces paroxysmes, pendant lequel j'avais eu beaucoup
+de
+peine &agrave; le retenir dans son lit, il se laissa retomber
+&eacute;puis&eacute;, et c&eacute;da
+bient&ocirc;t &agrave; une sorte d'assoupissement. Accabl&eacute; de
+veilles et de fatigues,
+j'avais ferm&eacute; les yeux depuis quelques minutes, lorsque je
+sentis une
+main me saisir violemment par l'&eacute;paule: je me r&eacute;veillai
+aussit&ocirc;t. Il
+s'&eacute;tait soulev&eacute; et s'&eacute;tait assis dans son lit. Son
+visage &eacute;tait chang&eacute;
+d'une mani&egrave;re effrayante; cependant le d&eacute;lire avait
+cess&eacute;, car il &eacute;tait
+&eacute;vident qu'il me reconnaissait. L'enfant qui avait
+&eacute;t&eacute; si longtemps
+troubl&eacute; par les cris de son p&egrave;re, accourut vers lui en
+criant avec
+terreur, mais sa m&egrave;re le saisit promptement dans ses bras,
+craignant que
+John ne le bless&acirc;t dans la violence de ses transports, puis, en
+remarquant l'alt&eacute;ration de ses traits, elle resta
+effray&eacute;e et immobile
+au pied du lit. Lui, cependant, serrait convulsivement mon
+&eacute;paule, et
+frappant de son autre main sa poitrine, il faisait d'horribles efforts
+pour articuler: c'&eacute;tait en vain. Il &eacute;tendit les bras vers
+sa femme et
+vers son enfant; ses l&egrave;vres blanches s'agit&egrave;rent, mais
+elles ne purent
+produire d'autre son qu'un r&acirc;lement sourd, un g&eacute;missement
+&eacute;touff&eacute;: ses
+yeux brill&egrave;rent un instant; et il retomba en arri&egrave;re,
+mort!<br/>
+<br/>
+</p>
+<p>Nous &eacute;prouverions la satisfaction la plus vive si nous
+pouvions
+transmettre au lecteur l'opinion de M. Pickwick sur l'anecdote que nous
+venons de rapporter, et nous sommes presque certain que cela nous
+aurait
+&eacute;t&eacute; possible, sans une circonstance malheureuse.</p>
+<p>M. Pickwick venait de replacer sur la table le verre qu'il avait
+tenu
+dans sa main pendant les derni&egrave;res phrases de ce r&eacute;cit;
+il s'&eacute;tait
+d&eacute;cid&eacute; &agrave; parler, et m&ecirc;me, si nous en croyons
+le m&eacute;morandum de M.
+Snodgrass, il avait ouvert la bouche; quand le gar&ccedil;on entra dans
+la
+chambre, et dit: &laquo;Monsieur, il y a l&agrave; plusieurs
+gentleman.&raquo;</p>
+<p>Lorsque M. Pickwick fut ainsi interrompu, il &eacute;tait sans doute
+sur le
+point de prof&eacute;rer quelque sentence qui aurait illumin&eacute; le
+monde, sinon
+la Tamise<a name="FNanchor_8_8"></a><a href="#Footnote_8_8"><sup>8</sup></a>,
+car il examina le gar&ccedil;on d'un air s&eacute;v&egrave;re, puis il
+regarda
+successivement toute la compagnie, comme pour demander quels pouvaient
+&ecirc;tre ces interrupteurs.</p>
+<p>&laquo;Oh! fit M. Winkle, en se levant, ce sont quelques-uns de mes
+amis.
+Faites-les entrer; et quand le gar&ccedil;on se fut retir&eacute;, il
+ajouta: des gens
+fort agr&eacute;ables, des officiers du 97e, dont j'ai fait
+tant&ocirc;t la
+connaissance d'une mani&egrave;re assez &eacute;trange; ils vous
+plairont beaucoup.&raquo;</p>
+<p>La s&eacute;r&eacute;nit&eacute; de M. Pickwick fut sur-le-champ
+restaur&eacute;e; le gar&ccedil;on revint,
+introduisant dans la chambre trois gentlemen, et M. Winkle prit la
+parole: &laquo;Lieutenant Tappleton, dit-il; M. Pickwick. Docteur
+Payne, M.
+Pickwick... vous connaissez d&eacute;j&agrave; M. Snodgrass... mon ami,
+M. Tupman.
+Docteur Slammer, M. Pickwick.... M. Tup....&raquo;</p>
+<p>Ici M. Winkle s'arr&ecirc;ta soudainement en remarquant
+l'&eacute;motion profonde qui
+se manifestait sur la contenance de M. Tupman et du docteur.</p>
+<p>&laquo;J'ai d&eacute;j&agrave; rencontr&eacute; ce gentleman dit le
+docteur avec &eacute;nergie.</p>
+<p>&#8212;Ha! ha! fit M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Et cet individu aussi, si je ne me trompe, reprit le docteur
+Slammer,
+en attachant un regard scrutateur sur l'&eacute;tranger &agrave;
+l'habit vert. Je
+pense que j'ai fait &agrave; cet individu, la nuit derni&egrave;re, une
+invitation
+tr&egrave;s-pressante, qu'il a jug&eacute; &agrave; propos de
+refuser.&raquo; En disant ces mots le
+docteur lan&ccedil;a sur l'&eacute;tranger un regard plein
+d'indignation, et commen&ccedil;a
+&agrave; parler &agrave; voix basse et avec chaleur &agrave; son ami le
+lieutenant Tappleton.</p>
+<p>Quand il eut fini, celui-ci s'&eacute;cria: &laquo;Bah!
+vraiment?&raquo;</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pondit le docteur Slammer.</p>
+<p>&#8212;Il faut l'assommer sur la place! dit avec le plus grand
+s&eacute;rieux le
+propri&eacute;taire du pliant.</p>
+<p>&#8212;Je vous en prie, Payne, tenez-vous tranquille,&raquo; interrompit
+le
+lieutenant. Puis s'adressant &agrave; M. Pickwick, qui &eacute;tait
+singuli&egrave;rement
+intrigu&eacute; de ces <i>a parte</i> impolis, il continua en ces
+termes:
+&laquo;Voulez-vous me permettre, monsieur, de vous demander si cette
+personne
+appartient &agrave; votre soci&eacute;t&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Non, monsieur, r&eacute;pondit M. Pickwick. C'est seulement un de
+nos h&ocirc;tes.</p>
+<p>&#8212;C'est, je pense, un membre de votre club?</p>
+<p>&#8212;Non, certainement.</p>
+<p>&#8212;Et il ne porte jamais l'uniforme du club?</p>
+<p>&#8212;Non, jamais,&raquo; r&eacute;pliqua M. Pickwick avec
+&eacute;tonnement.</p>
+<p>Le lieutenant Tappleton se retourna vers son ami, le docteur
+Slammer,
+avec un l&eacute;ger mouvement d'&eacute;paules, qui semblait impliquer
+quelque doute
+de l'exactitude de ses souvenirs.</p>
+<p>Le docteur paraissait enrag&eacute;, mais confondu, et M. Payne
+consid&eacute;rait
+avec une expression f&eacute;roce la contenance bienveillante de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&laquo;Monsieur, vous &eacute;tiez au bal la nuit
+derni&egrave;re,&raquo; dit tout d'un coup le
+docteur &agrave; M. Tupman, d'un ton qui le fit tressaillir aussi
+visiblement
+que si une &eacute;pingle avait &eacute;t&eacute; ins&eacute;r&eacute;e
+m&eacute;chamment dans son mollet. Il
+r&eacute;pondit un faible &laquo;Oui;&raquo; mais sans cesser de
+regarder M. Pickwick.</p>
+<p>&laquo;Cette personne &eacute;tait avec vous,&raquo; continua le
+docteur en montrant
+l'immuable &eacute;tranger.</p>
+<p>M. Tupman admit le fait.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur, dit le docteur &agrave;
+l'&eacute;tranger, je vous demande
+encore une fois, en pr&eacute;sence de ces gentlemen, si vous voulez me
+donner
+votre carte et vous voir trait&eacute; en gentleman, ou si vous voulez
+m'imposer la n&eacute;cessit&eacute; de vous ch&acirc;tier
+personnellement sur la place.</p>
+<p>&#8212;Arr&ecirc;tez, monsieur, interrompit M. Pickwick. Je ne puis
+r&eacute;ellement pas
+laisser aller plus loin cette affaire sans quelques explications.
+Tupman, racontez-en les circonstances.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman, ainsi adjur&eacute; solennellement, raconta le fait en
+peu de
+paroles, passa l&eacute;g&egrave;rement sur l'emprunt de l'habit,
+s'&eacute;tendit longuement
+sur ce que cela avait &eacute;t&eacute; fait apr&egrave;s d&icirc;ner,
+exprima un peu de repentir
+pour son compte, et laissa l'&eacute;tranger se tirer d'affaire comme
+il
+pourrait.</p>
+<p>Celui-ci se disposait &agrave; parler, quand le lieutenant
+Tappleton, qui
+l'avait examin&eacute; avec une grande curiosit&eacute;, lui dit d'un
+ton d&eacute;daigneux:</p>
+<p>&laquo;Ne vous ai-je pas vu au th&eacute;&acirc;tre, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Certainement, r&eacute;pliqua l'&eacute;tranger sans se laisser
+intimider.</p>
+<p>&#8212;C'est un com&eacute;dien ambulant, reprit le lieutenant avec
+m&eacute;pris; et en
+se tournant vers le docteur Slammer, il ajouta: Il joue dans la
+pi&egrave;ce
+que les officiels du 52e ont mont&eacute;e pour demain sur le
+th&eacute;&acirc;tre de
+Rochester. Vous ne pouvez pas pousser cela plus loin, Slammer,
+impossible.</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait impossible! r&eacute;p&eacute;ta le hautain
+docteur Payne.</p>
+<p>&#8212;Je suis f&acirc;ch&eacute; de vous avoir plac&eacute; dans cette
+d&eacute;sagr&eacute;able situation,
+dit le lieutenant Tappleton &agrave; M. Pickwick. Mais permettez-moi
+d'ajouter
+que le meilleur moyen d'&eacute;viter de semblables sc&egrave;nes,
+&agrave; l'avenir, serait
+d'apporter plus de soin dans le choix de vos compagnons. Votre
+serviteur, monsieur. Et en disant ces mots le lieutenant
+s'&eacute;lan&ccedil;a hors
+de la chambre.</p>
+<p>&#8212;Et permettez-moi de dire, monsieur, ajouta l'irascible docteur
+Payne,
+que si j'avais &eacute;t&eacute; &agrave; la place de Tappleton, ou
+&agrave; celle de Slammer, je
+vous aurais tir&eacute; le nez, monsieur, et &agrave; tous les
+individus pr&eacute;sents.
+Oui, monsieur, &agrave; tous les individus pr&eacute;sents. Payne est
+mon nom,
+monsieur, le docteur Payne, du 43e. Bonsoir, monsieur.&raquo; Ayant
+termin&eacute; ce
+discours, dont les derniers mots furent prononc&eacute;s d'une voix
+&eacute;lev&eacute;e, il
+marcha majestueusement sur les traces de son ami, et fut suivi
+imm&eacute;diatement par le docteur Slammer, qui ne dit rien, mais qui
+soulagea
+sa bile en &eacute;crasant la compagnie d'un regard m&eacute;prisant.</p>
+<p>Pendant ces longues provocations, un abasourdissement extr&ecirc;me,
+une rage
+toujours croissante, avaient enfl&eacute; le noble sein de M. Pickwick
+jusqu'au
+point de faire crever son gilet. Il &eacute;tait rest&eacute;
+p&eacute;trifi&eacute;, regardant
+encore la place que le docteur Payne avait occup&eacute;e, quand le
+bruit de la
+porte qui se fermait le rappela &agrave; lui-m&ecirc;me. Il se
+pr&eacute;cipita, la fureur
+peinte sur le visage et lan&ccedil;ant des flammes de ses yeux. Sa main
+&eacute;tait
+sur la serrure. Un instant plus tard elle aurait &eacute;t&eacute;
+&agrave; la gorge du
+docteur Payne, du 43e si M. Snodgrass ne s'&eacute;tait empress&eacute;
+de saisir son
+v&eacute;n&eacute;rable mentor par le pan de son habit et de le tirer
+en arri&egrave;re.</p>
+<p>&laquo;Winkle, Tupman, s'&eacute;cria-t-il en m&ecirc;me temps, avec
+l'accent du d&eacute;sespoir,
+retenez-le! Il ne doit pas risquer sa pr&eacute;cieuse vie dans une
+cause comme
+celle-ci.</p>
+<p>&#8212;Laissez-moi! dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Tenez ferme, cria M. Snodgrass, et par les efforts r&eacute;unis de
+toute la
+compagnie M. Pickwick fut assis dans un fauteuil.</p>
+<p>&#8212;Laissez-le, dit l'&eacute;tranger &agrave; l'habit vert. Un verre
+de grog. Quel
+vieux gaillard, plein de courage! Avalez &ccedil;a. Hein! fameuse
+boisson!&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi et apr&egrave;s avoir pr&eacute;alablement
+go&ucirc;t&eacute; la rasade fumante,
+l'&eacute;tranger appliqua le verre &agrave; la bouche de M. Pickwick,
+et le reste de
+ce qu'il contenait disparut, en peu de temps, dans le gosier du divin
+philosophe. Il y eu une courte pause: le grog faisait son effet, et la
+contenance aimable de M. Pickwick reprit rapidement son expression
+accoutum&eacute;e, tandis que l'&eacute;tranger lui disait: &laquo;Ils
+sont indignes de
+votre attention....</p>
+<p>&#8212;Vous avez raison, monsieur, r&eacute;pliqua M. Pickwick. Ils n'en
+sont pas
+dignes. Je suis honteux de m'&ecirc;tre laiss&eacute; entra&icirc;ner
+&agrave; la chaleur de mes
+sentiments. Approchez votre chaise, monsieur.&raquo;</p>
+<p>Le com&eacute;dien ne se fit pas prier. On se r&eacute;unit en
+cercle autour de la
+table, et l'harmonie r&eacute;gna de nouveau. M. Winkle lui seul
+paraissait
+conserver encore quelques restes d'irritabilit&eacute;. Cette
+disposition
+&eacute;tait-elle occasionn&eacute;e par la soustraction temporaire de
+son habit? Une
+circonstance aussi futile pouvait-elle allumer un sentiment de
+col&egrave;re,
+m&ecirc;me passager dans un c&#339;ur pickwickien? Nous l'ignorons, mais
+&agrave; cette
+exception pr&egrave;s, la bonne humeur &eacute;tait compl&eacute;tement
+r&eacute;tablie, et la
+soir&eacute;e se termina avec toute la jovialit&eacute; qui en avait
+signal&eacute; le
+commencement.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_IV"></a>
+<h2>CHAPITRE IV.</h2>
+<h3>La petite guerre.&#8212;De nouveaux amis.&#8212;Une invitation pour la campagne.</h3>
+<br/>
+<p>Beaucoup d'auteurs &eacute;prouvent une r&eacute;pugnance ridicule
+et m&ecirc;me ind&eacute;licate
+&agrave; r&eacute;v&eacute;ler les sources o&ugrave; ils ont
+puis&eacute; leur sujet. Nous ne pensons point
+de la m&ecirc;me mani&egrave;re, et toujours nos efforts tendront
+simplement &agrave; nous
+acquitter d'une fa&ccedil;on honorable des devoirs que nous impose
+notre r&ocirc;le
+d'&eacute;diteur. Malgr&eacute; la juste ambition qui, dans d'autres
+circonstances,
+aurait pu nous porter &agrave; r&eacute;clamer la gloire d'avoir
+compos&eacute; cet ouvrage,
+nos &eacute;gards pour la v&eacute;rit&eacute; nous emp&ecirc;chent de
+pr&eacute;tendre &agrave; d'autre m&eacute;rite
+qu'&agrave; celui d'un arrangement judicieux et d'une impartiale
+narration. Les
+papiers du Pickwick-Club sont comme un immense r&eacute;servoir de
+faits
+importants. Ce que nous avons &agrave; faire, c'est de les distribuer
+soigneusement &agrave; l'univers, qui a soif de conna&icirc;tre les
+pickwickiens.</p>
+<p>Agissant d'apr&egrave;s ces principes, et toujours
+d&eacute;termin&eacute; a avouer nos
+obligations pour les autorit&eacute;s que nous avons consult&eacute;es,
+nous d&eacute;clarons
+franchement que c'est au m&eacute;morandum de M. Snodgrass que nous
+devons les
+particularit&eacute;s contenues dans ce chapitre et dans le suivant,
+particularit&eacute;s que nous allons rapporter sans autre commentaire,
+maintenant que nous avons soulag&eacute; notre conscience.</p>
+<p>Le lendemain, tous les habitants de Rochester et des lieux
+environnants
+sortirent de leur lit de tr&egrave;s-bonne heure, dans un &eacute;tat
+d'excitation et
+d'empressement inaccoutum&eacute;s, car il s'agissait pour eux de voir
+les
+grandes man&#339;uvres. Une demi-douzaine de r&eacute;giments devaient
+&ecirc;tre
+inspect&eacute;s par le regard d'aigle du commandant en chef; des
+fortifications temporaires avaient &eacute;t&eacute;
+&eacute;lev&eacute;es; la citadelle allait &ecirc;tre
+attaqu&eacute;e et emport&eacute;e d'assaut; enfin on devait faire
+jouer une mine.</p>
+<p>Comme nos lecteurs ont pu le conclure, d'apr&egrave;s les notes de
+M. Pickwick
+sur la ville de Chatham, il &eacute;tait admirateur enthousiaste de
+l'arm&eacute;e.
+Rien ne pouvait donc &ecirc;tre plus d&eacute;licieux pour lui et pour
+ses compagnons
+que la vue d'une petite guerre; aussi furent-ils bient&ocirc;t debout.
+Ils se
+dirig&egrave;rent &agrave; grands pas vers les fortifications,
+o&ugrave; se rendaient d&eacute;j&agrave; de
+tous c&ocirc;t&eacute;s une foule de curieux.</p>
+<p>Tout annon&ccedil;ait que la c&eacute;r&eacute;monie devait
+&ecirc;tre d'une importance et d'une
+grandeur peu communes. On avait pos&eacute; des sentinelles pour
+maintenir
+libre le terrain n&eacute;cessaire aux man&#339;uvres; on avait plac&eacute;
+des
+domestiques dans les batteries afin de retenir des places pour les
+dames. Des sergents couraient de toutes parts, portant sous leurs bras
+des registres reli&eacute;s en parchemin. Le colonel Bulder, en grand
+uniforme,
+galopait d'un c&ocirc;t&eacute;; puis, d'un autre, faisait reculer son
+cheval sur les
+curieux; lui faisait faire des voltes, des courbettes, et criait avec
+tant de violence, que son visage en &eacute;tait tout rouge, sa voix
+tout
+enrou&eacute;e, sans que personne p&ucirc;t comprendre quelle
+n&eacute;cessit&eacute; il y avait &agrave;
+cela. Des officiers s'&eacute;lan&ccedil;aient en avant, en
+arri&egrave;re; parlaient au
+colonel Bulder, donnaient des ordres aux sergents, puis repartaient au
+galop et disparaissaient. Enfin, les soldats eux-m&ecirc;mes, sous
+leurs cols
+de cuir, avaient un air de solennit&eacute; myst&eacute;rieuse qui
+indiquait
+suffisamment la nature sp&eacute;ciale de la r&eacute;union.</p>
+<p>M. Pickwick et ses trois compagnons sa plac&egrave;rent sur le
+premier rang
+des curieux, et attendirent patiemment la commencement des man&#339;uvres.
+La
+foule augmentait constamment, et les efforts qu'ils &eacute;taient
+oblig&eacute;s de
+faire pour conserver leur position, occup&egrave;rent suffisamment les
+deux
+heures qui s'&eacute;coul&egrave;rent dans l'attente. Quelquefois il se
+faisait par
+derri&egrave;re une pouss&eacute;e soudaine, et alors M. Pickwick
+&eacute;tait lanc&eacute; en avant
+avec une vitesse et une &eacute;lasticit&eacute; peu conformes &agrave;
+la gravit&eacute; ordinaire
+de son maintien. D'autres fois les soldats engageaient les spectateurs
+&agrave;
+reculer, et laissaient tomber les crosses de leurs fusils sur les pieds
+de M. Pickwick, pour lui rappeler leur consigne, ou lui bourraient
+ladite crosse dans la poitrine pour l'engager &agrave; s'y conformer.
+Dans un
+autre instant, quelques gentlemen fac&eacute;tieux se pressant autour
+de M.
+Snodgrass, le r&eacute;duisaient &agrave; sa plus simple expression, et
+apr&egrave;s lui
+avoir fait endurer les tortures les plus aigu&euml;s, lui demandaient
+pourquoi il avait le toupet de pousser les gens de cette
+fa&ccedil;on-l&agrave;. A
+peine M. Winkle avait-il achev&eacute; d'exprimer l'indignation
+excessive que
+lui causait cette insulte non provoqu&eacute;e, et &eacute;puis&eacute;
+son courroux, qu'un
+individu plac&eacute; par derri&egrave;re lui enfon&ccedil;ait son
+chapeau sur les yeux, en
+le priant d'avoir la complaisance de mettre sa t&ecirc;te dans sa
+poche. Ces
+mystifications, jointes &agrave; l'inqui&eacute;tude que leur causait
+la disparition
+inexplicable et subite de M. Tupman, rendaient, au total, leur
+situation
+plus incommode que d&eacute;licieuse.</p>
+<p>A la fin on entendit courir parmi la foule ce bruyant murmure qui
+annonce l'arriv&eacute;e de ce qu'elle a attendu pendant longtemps.
+Tous les
+yeux se tourn&egrave;rent vers le fort, et l'on vit bataillons
+apr&egrave;s bataillons
+se r&eacute;pandre dans la plaine, les drapeaux flottant gracieusement
+dans les
+airs, et les armes &eacute;tincelant au soleil. Les troupes firent
+halte et
+prirent position. Les cris inarticul&eacute;s du commandement coururent
+sur
+toute la ligne; les armes furent pr&eacute;sent&eacute;es avec un
+cliquetis g&eacute;n&eacute;ral;
+le commandant en chef, le colonel Bulder et un nombreux
+&eacute;tat-major
+pass&egrave;rent au petit galop en t&ecirc;te des troupes. Tout d'un
+coup la musique
+de tous les r&eacute;giments fit explosion; les chevaux se
+dress&egrave;rent sur deux
+pieds, et recul&egrave;rent en fouettant leurs queues dans toutes les
+directions; les chiens aboy&egrave;rent; la multitude cria; les troupes
+re&ccedil;urent le commandement de fixe; et autant que les yeux
+pouvaient
+s'&eacute;tendre on ne vit plus rien &agrave; droite et &agrave; gauche
+qu'une longue
+perspective d'habits rouges et de pantalons blancs, immobiles, et comme
+p&eacute;trifi&eacute;s.</p>
+<p>M. Pickwick avait &eacute;t&eacute; si absorb&eacute; par le soin de
+se reculer et de se
+d&eacute;gager d'entre les pieds des chevaux, qu'il n'avait pas eu le
+temps de
+jouir de la sc&egrave;ne qui se d&eacute;roulait devant lui. Lorsqu'il
+lui fut enfin
+possible de se tenir d'aplomb sur ses jambes, les troupes avaient pris
+l'apparence inanim&eacute;e que nous venons de d&eacute;crire, et son
+admiration, ses
+jouissances furent inexprimables.</p>
+<p>&laquo;Y a-t-il rien de plus beau, rien de plus d&eacute;licieux?
+dit-il &agrave; M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Rien, assur&eacute;ment, r&eacute;pliqua ce dernier, qui pendant
+plus d'un quart
+d'heure avait port&eacute; un petit homme sur chacun de ses pieds.</p>
+<p>&#8212;Oui! s'&eacute;cria M. Snodgrass, dans le sein duquel s'allumait
+rapidement
+une flamme po&eacute;tique, oui! c'est un noble et magnifique spectacle
+de voir
+ainsi les vaillants d&eacute;fenseurs de la patrie se d&eacute;ployer
+en files
+brillantes devant ses paisibles citoyens. Leur visage est empreint, non
+d'une f&eacute;rocit&eacute; guerri&egrave;re, mais d'un esprit de
+civilisation; leurs yeux
+n'&eacute;tincellent pas du feu sauvage de la rapine et de la
+vengeance, mais
+de la douce lumi&egrave;re de l'intelligence et de
+l'humanit&eacute;!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick s'unissait enti&egrave;rement &agrave; ces
+&eacute;loges, quant &agrave; l'esprit qui
+les dictait, mais il ne pouvait pas en approuver aussi
+compl&eacute;tement les
+termes. En effet, <i>la douce lumi&egrave;re de l'intelligence</i>
+brillait assez
+faiblement, attendu que le commandement de &laquo;yeux, front!&raquo;
+avait &eacute;t&eacute;
+donn&eacute;, et que les spectateurs n'apercevaient pas autre chose que
+plusieurs milliers de prunelles, regardant directement devant elles, et
+enti&egrave;rement d&eacute;nu&eacute;es de toute expression quelconque.</p>
+<p>Cependant la foule s'&eacute;tait &eacute;coul&eacute;e peu &agrave;
+peu, et nos voyageurs se
+trouvaient presque seuls dans cet endroit.</p>
+<p>&laquo;Nous sommes maintenant dans une excellente position, dit M.
+Pickwick,
+en regardant autour de lui.</p>
+<p>&#8212;Excellente: repartirent &agrave; la fois MM. Winkle et Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Que font-ils maintenant? reprit M. Pickwick, en ajustant ses
+lunettes.</p>
+<p>&#8212;Il me.... Il me semble..., balbutia M. Winkle en changeant de
+couleur,
+il me semble qu'ils vont faire feu!</p>
+<p>&#8212;Allons donc! s'&eacute;cria M. Pickwick avec pr&eacute;cipitation.</p>
+<p>&#8212;Je crois.... je crois qu'il a raison, observa M. Snodgrass avec
+quelque alarme.</p>
+<p>&#8212;Impossible! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick.&raquo; Mais &agrave;
+peine avait-il prononc&eacute; ces
+mots, que les six r&eacute;giments, agissant comme un seul homme, et
+comme
+s'ils n'avaient eu qu'un seul point de mire, couch&egrave;rent en joue
+les
+malheureux pickwickiens, et firent la plus effroyable d&eacute;charge
+qui ait
+jamais &eacute;branl&eacute; le centre de la terre ou le courage d'un
+gentleman un peu
+m&ucirc;r.</p>
+<p>Dans cette situation critique, expos&eacute; &agrave; un feu
+continuel de cartouches
+blanches, harrass&eacute; par les op&eacute;rations des troupes,
+auxquelles un nouveau
+renfort venait d'arriver, se d&eacute;veloppant derri&egrave;re M.
+Pickwick, il montra
+cet admirable sang-froid, compagnon n&eacute;cessaire d'un esprit
+sup&eacute;rieur.
+Saisissant M. Winkle par le bras, et se pla&ccedil;ant entre lui et M.
+Snodgrass, il les engagea instamment a remarquer qu'except&eacute; le
+danger
+d'&ecirc;tre assourdi par le bruit, il n'y avait aucun p&eacute;ril
+&agrave; redouter.</p>
+<p>&laquo;Mais.... mais..., dit M. Winkle, en p&acirc;lissant, supposez
+que les soldats
+aient quelques cartouches &agrave; balles, par erreur? Je viens
+d'entendre un
+sifflement aigu, juste &agrave; mon oreille.</p>
+<p>&#8212;Ne ferions-nous pas mieux de nous jeter &agrave; plat-ventre?
+demanda M.
+Snodgrass?</p>
+<p>&#8212;Non, non, tout est fini maintenant, r&eacute;pondit M.
+Pickwick.&raquo; Et en
+disant ces mots, ses l&egrave;vres pouvaient trembler, ses joues
+pouvaient
+blanchir, mais aucune expression de crainte ou d'inqui&eacute;tude ne
+s'&eacute;chappa
+de la bouche de cet homme immortel.</p>
+<p>M. Pickwick ne s'&eacute;tait pas tromp&eacute;; la fusillade
+&eacute;tait termin&eacute;e. Il ne
+songeait donc plus qu'&agrave; se f&eacute;liciter de la justesse de
+son hypoth&egrave;se,
+quand il aper&ccedil;ut sur toute la ligne un mouvement rapide. Les
+cris de
+commandement retentirent, et avant que nos voyageurs eussent en le
+temps
+de former une conjecture relativement &agrave; cette nouvelle man&#339;uvre,
+les six
+r&eacute;giments tout entiers firent une charge &agrave; la
+ba&iuml;onnette au pas de
+course sur le lieu m&ecirc;me o&ugrave; M. Pickwick et ses amis
+&eacute;taient stationn&eacute;s.</p>
+<p>Tout homme est mortel, et le courage humain a des bornes. Pendant un
+instant M. Pickwick regarda &agrave; travers ses lunettes la masse
+compacte qui
+s'avan&ccedil;ait; puis il lui tourna le dos, et se mit... nous ne
+dirons pas
+<i>&agrave; fuir</i>, premi&egrave;rement, parce que c'est une
+expression d&eacute;shonorante;
+secondement, parce que la personne de M. Pickwick n'&eacute;tait
+nullement
+appropri&eacute;e &agrave; ce genre de retraite. Il se mit &agrave;
+trotter aussi vite que le
+lui permettaient le peu de longueur de ses jambes et la pesanteur de
+son corps; si vite, en effet, qu'il s'aper&ccedil;ut trop tard de tous
+les
+dangers de sa situation.</p>
+<p>Les troupes, dont l'apparition sur ses derri&egrave;res avait
+d&eacute;j&agrave; inqui&eacute;t&eacute; M.
+Pickwick quelques secondes auparavant, s'&eacute;taient
+d&eacute;ploy&eacute;es en bataille
+pour repousser la feinte attaque des assi&eacute;geants fictifs de la
+citadelle; de sorte que les trois amis se trouv&egrave;rent
+enferm&eacute;s entre deux
+longues murailles de ba&iuml;onnettes, dont l'une s'avan&ccedil;ait
+rapidement,
+tandis que l'autre attendait avec fermet&eacute; le choc
+&eacute;pouvantable.</p>
+<p>&laquo;Hoh&eacute;! hoh&eacute;! cri&egrave;rent les officiers de la
+colonne mouvante.</p>
+<p>&#8212;Otez-vous de l&agrave;! beugl&egrave;rent les officiers de la
+colonne stationnaire.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; pouvons-nous aller? s'&eacute;cri&egrave;rent les
+pickwickiens pleins de trouble.</p>
+<p>&#8212;Hoh&eacute;! hoh&eacute;!&raquo; telle fut la seule r&eacute;ponse;
+puis il y eut un moment
+d'&eacute;garement inou&iuml;, un bruit lourd de pas cadenc&eacute;s,
+un choc violent, une
+confusion de rires &eacute;touff&eacute;s, et les troupes se
+retrouv&egrave;rent &agrave; cinq cents
+toises de distance, et les semelles des bottes de M. Pickwick furent
+aper&ccedil;ues en l'air.</p>
+<p>M. Snodgrass et M. Winkle venaient d'ex&eacute;cuter, avec beaucoup
+de
+prestesse, une culbute oblig&eacute;e. M. Winkle, assis par terre,
+&eacute;tanchait,
+avec un mouchoir de soie jaune, le sang qui s'&eacute;coulait de son
+nez, quand
+ils virent leur v&eacute;n&eacute;rable chef courant, &agrave; quelque
+distance, apr&egrave;s son
+chapeau, lequel s'&eacute;loignait en caracolant avec malice.</p>
+<p>Il y a peu d'instants dans l'existence d'un homme o&ugrave; il
+&eacute;prouve plus de
+d&eacute;tresse visible, o&ugrave; il excite moins de
+commis&eacute;ration que lorsqu'il
+donne la chasse &agrave; son propre chapeau. Il faut avoir une grande
+dose de
+sang-froid, un jugement bien s&ucirc;r pour le pouvoir rattraper. Si
+l'on
+court trop vite, on passe par-dessus; si l'on se baisse trop lentement,
+au moment o&ugrave; l'on croit le saisir, il est d&eacute;j&agrave;
+bien loin. La meilleure
+m&eacute;thode est de trotter parall&egrave;lement &agrave; l'objet de
+votre poursuite,
+d'&ecirc;tre prudent et attentif, de bien guetter l'occasion, de gagner
+les
+devants par degr&eacute;s, puis de plonger rapidement, de prendre votre
+chapeau
+par la forme, et de le planter solidement sur votre t&ecirc;te, en
+souriant
+gracieusement pendant tout ce temps, comme si vous trouviez la
+plaisanterie aussi bonne que tout le monde.</p>
+<p>Il faisait un petit vent frais, et le chapeau de M. Pickwick roulait
+comme en se jouant devant lui. Le vent soufflait et M. Pickwick
+s'essoufflait; et le chapeau roulait, et roulait aussi gaiement qu'un
+marsouin en belle humeur dans un courant rapide; il roulerait encore,
+bien au del&agrave; de la port&eacute;e de M. Pickwick, s'il
+n'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; arr&ecirc;t&eacute; par un
+obstacle providentiel, au moment o&ugrave; notre voyageur allait
+l'abandonner &agrave;
+son malheureux sort.</p>
+<p>M. Pickwick, compl&eacute;tement &eacute;puis&eacute;, allait donc
+abandonner sa poursuite,
+quand le chapeau s'aplatit contre la roue d'un carrosse qui se trouvait
+rang&eacute; en ligne avec une douzaine d'autres v&eacute;hicules. Le
+philosophe,
+apercevant son avantage, s'&eacute;lan&ccedil;a vivement, s'empara de
+son couvre-chef,
+le pla&ccedil;a sur sa t&ecirc;te, et s'arr&ecirc;ta pour reprendre
+haleine. Il y avait une
+demi-minute environ qu'il &eacute;tait l&agrave;, lorsqu'il entendit
+son nom
+chaleureusement prononc&eacute; par une voix amie; il leva les yeux et
+d&eacute;couvrit un spectacle qui le remplit &agrave; la fois de
+surprise et de
+plaisir.</p>
+<p>Dans une cal&egrave;che d&eacute;couverte, dont les chevaux avaient
+&eacute;t&eacute; retir&eacute;s &agrave;
+cause de la foule, se tenaient debout les personnes ci-apr&egrave;s
+d&eacute;sign&eacute;es:
+un vieux gentleman, gros et vigoureux, v&ecirc;tu d'un habit bleu
+&agrave; boutons
+d'or, d'une culotte de velours et de bottes &agrave; revers; deux
+jeunes
+demoiselles, avec des &eacute;charpes et des plumes; un jeune homme,
+apparemment amoureux d'une des jeunes demoiselles; une dame, d'un
+&acirc;ge
+douteux, probablement tante desdites demoiselles; et enfin M. Tupman,
+aussi tranquille, aussi &agrave; son aise que s'il avait fait partie de
+la
+famille depuis son enfance. Derri&egrave;re la voiture &eacute;tait
+attach&eacute;e une
+bourriche d'une vaste dimension, une de ces bourriches qui, par
+association d'id&eacute;es, &eacute;veillent toujours, dans un esprit
+contemplatif,
+des pens&eacute;es de volailles froides, de langues fourr&eacute;es et
+de bouteilles
+de bon vin. Enfin, sur le si&eacute;ge de la cal&egrave;che, dans un
+&eacute;tat heureux de
+somnolence, &eacute;tait assis un jeune gar&ccedil;on, gros, rougeaud
+et joufflu,
+qu'un observateur sp&eacute;culatif ne pouvait regarder pendant
+quelques
+secondes sans conclure qu'il devait &ecirc;tre le dispensateur officiel
+des
+tr&eacute;sors de la bourriche, lorsque le temps convenable pour leur
+consommation serait arriv&eacute;.</p>
+<p>M. Pickwick avait &agrave; peine jet&eacute; un coup d'&#339;il rapide
+sur ces int&eacute;ressants
+objets, quand il fut h&eacute;l&eacute; de nouveau par son
+fid&egrave;le disciple.</p>
+<p>&laquo;Pickwick! Pickwick! lui disait-il! montez! montez vite!</p>
+<p>&#8212;Venez, monsieur, venez, je vous en prie, ajouta le vieux gentleman.
+Joe! Que le diable emporte ce gar&ccedil;on! Il est encore &agrave;
+dormir! Joe!
+abaissez le marchepied.&raquo;</p>
+<p>La gros joufflu se laissa lentement glisser &agrave; bas du
+si&eacute;ge, abaissa le
+marchepied, et, d'une mani&egrave;re engageante, ouvrit la
+porti&egrave;re du
+carrosse. M. Snodgrass et M. Winkle arriv&egrave;rent dans ce moment.</p>
+<p>&laquo;Il y a de la place pour vous tous, messieurs, reprit le
+propri&eacute;taire de
+la voiture. Deux dedans, un dehors. Joe, faites de la place sur le
+si&eacute;ge
+pour l'un de ces messieurs. Maintenant, monsieur, montez.&raquo; Et le
+vieux
+gentleman, &eacute;tendant le bras, hissa de vive force dans la
+cal&egrave;che,
+d'abord M. Pickwick, ensuite M. Snodgrass. M. Winkle monta sur le
+si&eacute;ge;
+le gros joufflu se percha pr&egrave;s de lui et se rendormit
+instantan&eacute;ment.</p>
+<p>&laquo;Je suis charm&eacute; de vous voir, messieurs, poursuivit le
+gentleman, je
+vous connais tr&egrave;s-bien, messieurs, quoique vous ne vous
+souveniez
+peut-&ecirc;tre pas de moi. J'ai pass&eacute; plusieurs soir&eacute;es
+dans votre club,
+l'hiver dernier. Ce matin j'ai rencontr&eacute; ici mon ami, M. Tupman,
+et j'ai
+&eacute;t&eacute; enchant&eacute; de le voir. H&eacute; bien! monsieur,
+comment &ccedil;a va-t-il? Tous
+avez l'air tout &agrave; fait bien portant, mais l&agrave;,
+tr&egrave;s-bien portant!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick, &agrave; qui ces derni&egrave;res paroles
+&eacute;taient adress&eacute;es, r&eacute;torqua le
+compliment, et donna une vigoureuse poign&eacute;e de mains au vieux
+gentleman.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! monsieur, comment &ccedil;a va-t-il? continua
+celui-ci en regardant
+M. Snodgrass avec une sollicitude paternelle. A merveille, n'est-ce
+pas?
+Ah! tant mieux, tant mieux! Et comment cela va-t-il, monsieur Winkle?
+Bien? J'en suis charm&eacute;. Mes filles, messieurs. Et voil&agrave;
+ma s&#339;ur Rachel
+Wardle: c'est une demoiselle, sans que cela paraisse. N'est-ce pas,
+monsieur? N'est-ce pas? ajouta-t-il en riant &agrave; gorge
+d&eacute;ploy&eacute;e, et en
+ins&eacute;rant plaisamment son coude entre les c&ocirc;tes de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Mon Dieu! fr&egrave;re.... dit miss Wardle, avec un sourire
+suppliant.</p>
+<p>&#8212;Vrai, vrai, reprit le vieux gentleman, personne ne peut le nier,
+messieurs, je vous pr&eacute;sente mon ami, M. Trundle. Et maintenant
+que vous
+vous connaissez tous, t&acirc;chons d'&ecirc;tre confortables et
+heureux, et voyons
+ce qui se passe. Voil&agrave; mon opinion.&raquo; Ayant ainsi
+parl&eacute;, il mit ses
+lunettes, tandis que M. Pickwick tirait son t&eacute;lescope; et chacun
+se tint
+debout dans la voiture pour regarder les &eacute;volutions des
+militaires.</p>
+<p>C'&eacute;taient des man&#339;uvres &eacute;tonnantes. Un rang tirait
+par-dessus la t&ecirc;te
+d'un autre rang et se pr&eacute;cipitait aussit&ocirc;t en
+arri&egrave;re, puis un autre
+rang tirait par-dessus la t&ecirc;te d'un autre rang et se
+pr&eacute;cipitait en
+arri&egrave;re &agrave; son tour; ensuite il y avait des formations de
+carr&eacute;s, avec
+les officiers dans le centre; des descentes dans la tranch&eacute;e
+avec des
+&eacute;chelles; de l'autre c&ocirc;t&eacute; des ascensions par le
+m&ecirc;me moyen; pais on
+abattait des barricades de paniers; et tout cela se faisait avec un
+courage sans pareil. Dans les batteries, les artilleurs fourraient de
+gros tampons dans les bouches d'effroyables canons, et il fallait tant
+de pr&eacute;paratifs pour les bourrer, et ils faisaient tant de bruit
+quand on
+y avait mis le feu, que l'air r&eacute;sonnait au loin des cris
+plaintifs des
+femmes. Dans le carrosse, les jeunes miss Wardle &eacute;taient si
+effray&eacute;es
+que M. Trundle fut absolument oblig&eacute; de soutenir l'une d'elles,
+tandis
+que M. Snodgrass supportait la seconde: et les nerfs de miss Rachel
+Wardle &eacute;taient dans un &eacute;tat d'alarme si terrible que M.
+Tupman trouva
+indispensable de passer le bras autour de sa taille pour
+l'emp&ecirc;cher de
+tomber. Enfin tout le monde &eacute;prouvait une exaltation
+prodigieuse,
+except&eacute; le groom joufflu, qui dormait au tonnerre du canon aussi
+profond&eacute;ment que si &ccedil;'avait &eacute;t&eacute; la chanson
+habituelle de sa nourrice.</p>
+<p>Lorsque la citadelle fut prise et qu'on servit &agrave; d&icirc;ner
+au assi&eacute;geants et
+aux assi&eacute;g&eacute;s, le vieux gentleman s'&eacute;cria:
+&laquo;Joe! Joe! Damn&eacute; gar&ccedil;on, il
+est encore &agrave; dormir! Soyez assez bon, monsieur, pour lui pincer
+la
+jambe, s'il vous pla&icirc;t, c'est le seul moyen de le
+r&eacute;veiller. Je vous
+remercie. Joe, d&eacute;faites la bourriche.&raquo;</p>
+<p>Le gros joufflu, qui avait &eacute;t&eacute; effectivement
+&eacute;veill&eacute; par la compression
+d'une partie de son mollet, entre le pouce et l'index de M. Winkle, se
+laissa de nouveau glisser &agrave; bas du si&eacute;ge et s'occupa
+&agrave; d&eacute;paqueter la
+bourriche, d'une mani&egrave;re plus exp&eacute;ditive qu'on n'aurait
+pu l'attendre de
+sa pr&eacute;c&eacute;dente inactivit&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Maintenant il faut nous asseoir serr&eacute;s,&raquo; dit le
+vieux gentleman. Apr&egrave;s
+beaucoup de plaisanteries sur le froissement des manches des dames,
+apr&egrave;s beaucoup de rougeur occasionn&eacute;e par la joyeuse
+proposition de les
+faire asseoir sur les genoux des messieurs, la soci&eacute;t&eacute;
+tout enti&egrave;re
+parvint &agrave; s'empiler dans la cal&egrave;che, et le vieux
+gentleman s'occupa de
+faire circuler les objets que le gros joufflu lui tendait de
+derri&egrave;re la
+voiture o&ugrave; il &eacute;tait mont&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, Joe, les couteaux, les fourchettes.&raquo; Les
+couteaux et les
+fourchettes furent pass&eacute;s. Les dames et les messieurs de
+l'int&eacute;rieur, et
+M. Winkle sur son si&eacute;ge, furent fournis de ces ustensiles
+n&eacute;cessaires.</p>
+<p>&laquo;Des assiettes, Joe! des assiettes!&raquo; Les assiettes
+furent distribu&eacute;es
+de la m&ecirc;me mani&egrave;re.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, Joe, la volaille. Damn&eacute; gar&ccedil;on, il
+est encore &agrave; dormir.
+Joe! Joe! Plusieurs coups de canne administr&eacute;s sur la t&ecirc;te
+du dormeur le
+tir&egrave;rent enfin de sa l&eacute;thargie. Allons passez-nous les
+comestibles.&raquo;</p>
+<p>Il y avait quelque chose, dans le son de ce dernier mot, qui
+r&eacute;veilla
+enti&egrave;rement le gros dormeur. Il tressaillit, et ses yeux
+plomb&eacute;s, &agrave;
+moiti&eacute; cach&eacute;s par ses joues bouffies, lorgn&egrave;rent
+amoureusement les
+comestibles &agrave; mesure qu'il les d&eacute;ballait.</p>
+<p>&laquo;Allons, d&eacute;p&ecirc;chons,&raquo; dit H. Wardle, car le
+gros joufflu d&eacute;vorait du
+regard un chapon, dont il paraissait ne pas pouvoir se s&eacute;parer.
+Il
+soupira profond&eacute;ment, jeta un coup d'&#339;il
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute; sur la volaille
+dodue, et la remit tristement &agrave; son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&laquo;Bon! Un peu de vivacit&eacute;! Maintenant la langue.
+Maintenant le p&acirc;t&eacute; de
+pigeons! Prenez garde au veau et au jambon. Attention aux
+&eacute;crevisses.
+Otez la salade de la serviette. Passez-moi l'assaisonnement.&raquo;
+Tout en
+donnant ces ordres pr&eacute;cipit&eacute;s, M. Wardle distribuait dans
+l'int&eacute;rieur de
+la voiture les articles qu'il nommait, et pla&ccedil;ait des plats sans
+nombre
+dans les mains et sur les genoux de chacun.</p>
+<p>Lorsque l'&#339;uvre de destruction fut commenc&eacute;e, le joyeux
+h&ocirc;te demanda &agrave;
+ses convives: &laquo;Eh bien! n'est-ce pas d&eacute;licieux?</p>
+<p>&#8212;D&eacute;licieux! r&eacute;pondit M. Winkle, qui d&eacute;coupait
+une volaille sur le
+si&eacute;ge.</p>
+<p>&#8212;Un verre de vin?</p>
+<p>&#8212;Avec le plus grand plaisir.</p>
+<p>&#8212;Ne feriez-vous pas mieux d'avoir une bouteille pour vous,
+l&agrave;-haut?</p>
+<p>&#8212;Tous &ecirc;tes bien bon.</p>
+<p>&#8212;Joe!</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur. (Il n'&eacute;tait point endormi, cette fois,
+&eacute;tant parvenu &agrave;
+soustraire un petit p&acirc;t&eacute; de veau.)</p>
+<p>&#8212;Une bouteille de vin au gentleman sur le si&eacute;ge. Je suis
+charm&eacute; de vous
+voir, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Bien oblig&eacute;, r&eacute;pondit M. Winkle, en pla&ccedil;ant la
+bouteille &agrave; c&ocirc;t&eacute; de
+lui.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous me permettre de prendre un verre de vin avec vous? dit
+M.
+Trundle &agrave; M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Avec grand plaisir,&raquo; repartit celui-ci; et les deux gentlemen
+prirent
+du vin ensemble; et tous les assistants, m&ecirc;me les dames,
+suivirent leur
+judicieux exemple.</p>
+<p>&laquo;Comme notre ch&egrave;re &Eacute;mily coquette avec ce jeune
+homme, observa tout bas
+&agrave; M. Wardle la tante demoiselle, avec toute l'envie convenable
+&agrave; une
+tante demoiselle.</p>
+<p>&#8212;Bah! r&eacute;pliqua le brave homme de p&egrave;re. &Ccedil;a n'a
+rien d'extraordinaire.
+C'est fort naturel. M. Pickwick, un verre de vin?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick, interrompant pour un instant les profondes recherches
+qu'il
+faisait dans l'int&eacute;rieur du p&acirc;t&eacute; de pigeons,
+accepta en rendant gr&acirc;ce.</p>
+<p>&laquo;&Eacute;mily, ma ch&egrave;re, dit la tante demoiselle avec
+un air de chaperon; ne
+parlez pas si haut, mon amour.</p>
+<p>&#8212;Pla&icirc;t-il, ma tante?</p>
+<p>&#8212;Il para&icirc;t que ma tante et le vieux petit monsieur voudraient
+qu'il n'y
+en e&ucirc;t que peur eux, chuchota miss Isabella Wardle &agrave; sa
+s&#339;ur &Eacute;mily. Puis
+les deux jeunes demoiselles se mirent &agrave; rire de tout leur c&#339;ur,
+et la
+vieille demoiselle s'effor&ccedil;a de prendre une physionomie aimable,
+mais
+elle ne put en venir &agrave; bout.</p>
+<p>&laquo;Les jeunes filles ont tant de gaiet&eacute;! observa-t-elle
+&agrave; M. Tupman avec
+un air de tendre commis&eacute;ration, comme si la gaiet&eacute;
+e&ucirc;t &eacute;t&eacute; marchandise
+de contrebande, et comme si c'e&ucirc;t &eacute;t&eacute; un crime que
+d'en porter sur soi
+sans avoir un laissez-passer; mais M. Tupman ne fit pas exactement la
+r&eacute;ponse d&eacute;sir&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Vous avez bien raison, dit-il; c'est tout &agrave; fait charmant!</p>
+<p>&#8212;Hem! fit miss Wardle d'un ton dubitatif.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous me permettre, reprit M. Tupman, de la mani&egrave;re la
+plus
+insinuante, en touchant de la main gauche le poignet de la
+s&eacute;duisante
+Rachel, tandis que de la main droite il levait tout doucement une
+bouteille. Voulez-vous me permettre?...</p>
+<p>&#8212;Oh! monsieur!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman prit un air encore plus persuasif, et miss Rachel exprima
+la
+crainte qu'on ne tir&acirc;t encore des coups de canon, ce qui aurait
+naturellement oblig&eacute; son cavalier &agrave; la soutenir.</p>
+<p>&laquo;Trouvez-vous mes ni&egrave;ces jolies? murmura ensuite la
+tante affectueuse &agrave;
+l'oreille de M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Je les trouverais jolies si leur tante n'&eacute;tait pas ici,
+r&eacute;pondit le
+galant pickwickien, avec un regard passionn&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Oh! le m&eacute;chant homme! Mais r&eacute;ellement, si elles
+avaient un peu de
+fra&icirc;cheur, ne trouvez-vous pas qu'elles feraient de l'effet....
+&agrave; la
+lumi&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Oui,... je le crois, r&eacute;pliqua M. Tupman d'un air
+indiff&eacute;rent.</p>
+<p>&#8212;Oh! moqueur! Je sais ce que vous alliez dire.</p>
+<p>&#8212;Quoi donc? demanda M. Tupman, qui n'&eacute;tait pas bien
+d&eacute;cid&eacute; &agrave; dire
+quelque chose.</p>
+<p>&#8212;Vous alliez dire qu'Isabelle est vo&ucirc;t&eacute;e. Je sais que
+vous l'alliez
+dire. Les hommes sont de si bons observateurs! Eh bien! c'est vrai; je
+ne puis pas le nier! Et certainement s'il y a quelque chose de vilain
+pour une jeune personne, c'est d'&ecirc;tre vo&ucirc;t&eacute;e. Je le
+lui dis souvent, et
+qu'elle deviendra tout &agrave; fait effroyable quand elle sera un peu
+plus
+vieille. Je vois que vous avez l'esprit malin.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman, charm&eacute; d'obtenir cette r&eacute;putation &agrave;
+si bon march&eacute;, s'effor&ccedil;a
+de prendre un air fin, et sourit myst&eacute;rieusement.</p>
+<p>&laquo;Quel sourire sarcastique! s'&eacute;cria l'inflammable
+Rachel. Je vous assure
+que vous m'effrayez.</p>
+<p>&#8212;Je vous effraye?</p>
+<p>&#8212;Oh! vous ne pouvez rien me cacher. Je sais ce que ce sourire
+signifie.</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien? dit M. Tupman, qui lui-m&ecirc;me n'en avait pas la
+plus l&eacute;g&egrave;re
+id&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Vous voulez dire, poursuivit l'aimable tante, en parlant encore
+plus
+bas, vous voulez dire que la tournure d'Isabelle vous
+d&eacute;pla&icirc;t encore
+moins que l'effronterie d'&Eacute;mily. C'est vrai, elle est
+effront&eacute;e. Vous ne
+pouvez croire combien cela me rend parfois malheureuse. Je suis
+s&ucirc;re que
+j'en ai pleur&eacute; pendant des heures enti&egrave;res. Mon cher
+fr&egrave;re est si bon,
+si peu soup&ccedil;onneux, qu'il n'en voit rien. S'il le voyait, je
+suis
+certaine que cela lui briserait le c&#339;ur. Je voudrais pouvoir me
+persuader qu'il n'y a pas de mal au fond. Je le d&eacute;sire si
+vivement! (Ici
+l'affectueuse parente poussa un profond soupir, et secoua tristement la
+t&ecirc;te.)</p>
+<p>&#8212;Je suis s&ucirc;re que ma tante parle de nous, dit tout bas miss
+&Eacute;mily
+Wardle &agrave; sa s&#339;ur. J'en suis tout &agrave; fait s&ucirc;re: elle
+a pris son air
+malicieux.</p>
+<p>&#8212;Tu crois, r&eacute;pondit Isabelle. Hem! tante, ch&egrave;re tante!</p>
+<p>&#8212;Oui, mon cher amour.</p>
+<p>&#8212;J'ai bien peur que vous ne vous enrhumiez, ma tante: mettez donc un
+mouchoir de soie autour de votre bonne vieille t&ecirc;te. Vous devriez
+prendre plus soin de vous, &agrave; votre &acirc;ge.&raquo;</p>
+<p>Quoique cette revanche fut bien motiv&eacute;e, elle &eacute;tait
+tellement poignante
+qu'il est impossible d'imaginer de quelle mani&egrave;re se serait
+exhal&eacute; le
+courroux de la tante, si M. Wardle n'avait pas fait diversion, sans y
+penser, en criant d'une voix forte:</p>
+<p>&laquo;Joe! Damn&eacute; gar&ccedil;on! il est encore &agrave;
+dormir!</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; un jeune homme bien extraordinaire, dit M. Pickwick.
+Est-ce
+qu'il est toujours assoupi comme cela?</p>
+<p>&#8212;Assoupi! Il dort toujours. Il fait mes commissions en dormant; et
+quand il sert &agrave; table, il ronfle.</p>
+<p>&#8212;Bien extraordinaire! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Ha! extraordinaire en v&eacute;rit&eacute;, reprit le vieux
+gentleman. Je suis
+orgueilleux de ce gar&ccedil;on. Je ne voudrais m'en s&eacute;parer
+&agrave; aucun prix, sur
+mon &acirc;me. C'est une curiosit&eacute; naturelle. H&eacute;! Joe!
+Joe! &ocirc;tez tout cela, et
+d&eacute;bouchez une autre bouteille, m'entendez-vous?&raquo;</p>
+<p>Le gros joufflu ouvrit les yeux, avala l'&eacute;norme morceau de
+p&acirc;t&eacute; qu'il
+&eacute;tait en train de mastiquer lorsqu'il s'&eacute;tait endormi, et
+tout en
+ex&eacute;cutant les ordres de son ma&icirc;tre, il lorgnait
+languissamment les
+d&eacute;bris de la f&ecirc;te, &agrave; mesure qu'il les remettait
+dans la bourriche. La
+nouvelle bouteille fut d&eacute;bouch&eacute;e et vid&eacute;e
+rapidement: la bourriche fut
+rattach&eacute;e &agrave; son ancienne place, le gros joufflu remonta
+sur le si&eacute;ge;
+les besicles et les lunettes d'approche furent braqu&eacute;es sur
+nouveaux
+frais, et les &eacute;volutions des soldats recommenc&egrave;rent. Il y
+eut encore un
+grand tapage de canons et de grandes terreurs de femmes; puis on fit
+jouer une mine &agrave; l'immense satisfaction de tout le monde; et
+quand la
+mine eut parti, les troupes et les spectateurs suivirent son exemple,
+et
+partirent aussi.</p>
+<p>A la fin d'une conversation interrompue par les d&eacute;charges, le
+vieux
+gentleman dit &agrave; M. Pickwick, en lui secouant la main:</p>
+<p>&laquo;Souvenez-vous que vous venez tous nous voir demain matin.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-certainement, r&eacute;pliqua M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Vous avez l'adresse?</p>
+<p>&#8212;Manoir-ferme, Dingley-Dell, r&eacute;pondit M. Pickwick en
+consultant son
+m&eacute;morandum.</p>
+<p>&#8212;C'est cela; et songez bien que je vous garde au moins une semaine.
+Je
+me charge de vous faire voir tout ce qu'il y a de curieux aux environs,
+et puisque vous voulez &eacute;tudier la vie champ&ecirc;tre, venez
+chez moi, je vous
+en donnerai, en veux-tu, en voil&agrave;. Joe! Damn&eacute;
+gar&ccedil;on! il est encore &agrave;
+dormir. Joe, aidez Tom &agrave; mettre les chevaux.&raquo;</p>
+<p>Les chevaux furent mis; le cocher monta sur son si&eacute;ge, le
+gros joufflu
+grimpa &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui; les adieux furent
+&eacute;chang&eacute;s, et le carrosse roula.
+Au moment o&ugrave; les pickwickiens se retourn&egrave;rent pour
+l'apercevoir encore
+une fois, le soleil couchant jetait une teinte chaleureuse sur le
+visage
+de leur h&ocirc;te, et faisait ressortir l'attitude somnolente du gros
+joufflu: il avait laissa tomber sa t&ecirc;te sur sa poitrine, et il
+&eacute;tait
+encore &agrave; dormir!</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/><a name="CHAPITRE_V"></a>
+<h2>CHAPITRE V.</h2>
+<h3>Faisant voir entre autres choses comment M. Pickwick entreprit de
+conduire une voiture, et M. Winkle de monter un cheval; et comment l'un
+et l'autre en vinrent &agrave; bout.</h3>
+<br/>
+<p>Le ciel &eacute;tait brillant et calme; l'air semblait
+embaum&eacute;; tous les objets
+de la cr&eacute;ation &eacute;taient remplis d'un charme inexprimable,
+et M. Pickwick,
+appuy&eacute; sur le parapet du pont de Rochester, contemplait la
+nature, et
+attendait l'heure du d&eacute;jeuner.</p>
+<p>La sc&egrave;ne qui se d&eacute;roulait &agrave; ses regards aurait
+pu charmer un esprit bien
+moins admirateur des beaut&eacute;s champ&ecirc;tres. A sa gauche
+s'&eacute;tendait une
+antique muraille, &eacute;boul&eacute;e dans beaucoup d'endroits, mais
+qui, dans
+d'autres, dominait de sa masse sombre, les rives verdoyantes de la
+Medway. Des touffes de lierre couronnaient tristement les noirs
+cr&eacute;neaux, tandis que des festons de plantes marines, suspendues
+aux
+pierres dentel&eacute;es, tremblaient au souffle du vent.
+Derri&egrave;re ces ruines
+s'&eacute;levait le vieux ch&acirc;teau, dont les tours sans toiture,
+dont les
+murailles croulantes attestaient encore l'ancienne grandeur, lorsque le
+bruit des armes ou les chants de f&ecirc;te retentissaient sous ses
+vo&ucirc;tes
+splendides. De chaque c&ocirc;t&eacute;, aussi loin que la vue pouvait
+s'&eacute;tendre, on
+apercevait les bords de la rivi&egrave;re couverts de prairies et de
+champs de
+bl&eacute;, au milieu desquels se d&eacute;tachaient &ccedil;&agrave;
+et l&agrave; des moulins et des
+&eacute;glises; paysage riche et vari&eacute;, que rendaient plus
+admirable encore les
+ombres errantes des l&eacute;gers nuages qui flottaient dans la
+lumi&egrave;re du
+soleil matinal. La Medway, r&eacute;fl&eacute;chissant l'azur
+argent&eacute; du ciel, coulait
+silencieusement en nappes brillantes; et parfois, avec un l&eacute;ger
+murmure, elle &eacute;tincelait sous les rames des p&ecirc;cheurs, qui
+suivaient
+lentement le courant, dans leurs bateaux lourds mais pittoresques.</p>
+<p>La vue de ce riant tableau avait plong&eacute; M. Pickwick dans une
+agr&eacute;able
+r&ecirc;verie. Il en fut tir&eacute; par un profond soupir qu'il
+entendit aupr&egrave;s de
+lui, et par un l&eacute;ger coup frapp&eacute; sur son &eacute;paule.
+Il se retourna et
+reconnut l'homme lugubre.</p>
+<p>&laquo;Vous contempliez cette sc&egrave;ne? lui dit celui-ci d'une
+voix grave.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pliqua M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Et vous vous f&eacute;licitiez d'&ecirc;tre lev&eacute; de si bonne
+heure?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick fit un signe d'assentiment.</p>
+<p>&laquo;Ah! il faut se lever de bonne heure en effet, pour voir le
+soleil dans
+sa splendeur, car son &eacute;clat dure rarement pendant toute la
+journ&eacute;e. Le
+commencement du jour et le matin de la vie ne sont, h&eacute;las! que
+trop
+semblables!</p>
+<p>&#8212;Vous avez raison, monsieur.</p>
+<p>&#8212;On dit souvent, continua l'homme lugubre, on dit souvent: le temps
+est
+trop beau ce matin, cela ne durera pas. Avec quelle justesse cette
+r&eacute;flexion s'applique &agrave; notre existence! Que ne
+donnerais-je pas pour
+revoir les jours de mon enfance, ou pour les oublier &agrave; jamais!</p>
+<p>&#8212;Vous avez eu beaucoup de chagrins? demanda M. Pickwick avec
+compassion.</p>
+<p>&#8212;Oui certes, r&eacute;pliqua l'homme lugubre d'une voix
+saccad&eacute;e; plus qu'on
+ne pourrait le croire en me voyant aujourd'hui. Il s'arr&ecirc;ta une
+minute
+et reprit brusquement: Avez-vous jamais pens&eacute;, par une
+matin&eacute;e comme
+celle-ci, que ce serait une chose douce et d&eacute;licieuse de se
+noyer?</p>
+<p>&#8212;Non! que Dieu me prot&egrave;ge! s'&eacute;cria M. Pickwick, en se
+reculant un peu,
+dans la crainte que l'&eacute;tranger n'e&ucirc;t envie de le pousser
+par-dessus le
+parapet pour faire une exp&eacute;rience.</p>
+<p>&#8212;Moi, je l'ai souvent pens&eacute;, poursuivit l'homme lugubre sans
+avoir
+l'air de remarquer ce mouvement: cette eau froide et tranquille semble
+m'inviter, en murmurant, &agrave; y chercher le repos et l'oubli. On
+saute...
+pouf!... on se d&eacute;bat un instant... l'onde s'&eacute;l&egrave;ve
+par-dessus votre
+t&ecirc;te... le tourbillon s'efface... l'eau redevient claire... et
+vos
+douleurs sont &agrave; jamais termin&eacute;es!&raquo;</p>
+<p>L'&#339;il caverneux de l'homme lugubre lan&ccedil;ait des flammes tandis
+qu'il
+parlait ainsi. Mais cette excitation momentan&eacute;e s'apaisa
+bient&ocirc;t; il se
+d&eacute;tourna d'un air calme, et dit:</p>
+<p>&laquo;En voil&agrave; assez sur ce sujet: je voulais vous parler
+d'autre chose.
+Vous m'avez invit&eacute; hier soir &agrave; vous lire une anecdote, et
+vous l'avez
+&eacute;cout&eacute;e attentivement....</p>
+<p>&#8212;Oui certainement, dit M. Pickwick, et je pensais....</p>
+<p>&#8212;Je ne vous ai pas demand&eacute; votre opinion, interrompit l'homme
+lugubre,
+et je n'en ai pas besoin. Vous voyagez pour vous amuser et pour vous
+instruire; supposez que je vous adresse un manuscrit curieux.... Faites
+attention;&#8212;non pas improbable ni extraordinaire, mais curieux comme une
+page du roman de la vie r&eacute;elle;&#8212;le communiqueriez-vous au club
+dont
+vous m'avez parl&eacute; si souvent?</p>
+<p>&#8212;Certainement, si vous le d&eacute;sirez; et nous le ferons
+ins&eacute;rer dans les
+m&eacute;moires du club.</p>
+<p>&#8212;Vous l'aurez donc, r&eacute;pliqua l'homme lugubre. Votre
+adresse?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick lui ayant communiqu&eacute; son itin&eacute;raire
+probable, l'homme
+lugubre le nota soigneusement dans un portefeuille assez gros, ramena
+le
+savant gentleman &agrave; son h&ocirc;tel, et refusant le
+d&eacute;jeuner qu'il lui offrait,
+s'&eacute;loigna d'un pas lent et sombre.</p>
+<p>Les trois compagnons de M. Pickwick l'attendaient pour attaquer le
+d&eacute;jeuner qui &eacute;tait d&eacute;j&agrave; dispos&eacute; sur
+la table d'une fa&ccedil;on fort
+s&eacute;duisante. Ils s'assirent avec lui, et le jambon grill&eacute;,
+les &#339;ufs, le
+caf&eacute;, le th&eacute; et le reste, commenc&egrave;rent &agrave;
+dispara&icirc;tre avec une rapidit&eacute;
+qui t&eacute;moignait, &agrave; la fois, en faveur de la bonne
+ch&egrave;re et de l'app&eacute;tit
+des voyageurs.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, dit M. Pickwick, il s'agit de savoir comment nous
+irons &agrave;
+Manoir-ferme.</p>
+<p>&#8212;Nous ferions peut-&ecirc;tre bien de consulter le gar&ccedil;on,
+sugg&eacute;ra M. Tupman;
+et ce judicieux conseil ayant &eacute;t&eacute; accueilli comme il le
+m&eacute;ritait, le
+gar&ccedil;on fut appel&eacute; et consult&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Dingley-Dell, monsieur? Quinze milles, monsieur; chemin de
+traverse,
+mauvaise route.... Une chaise de poste, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Une chaise de poste ne tient que deux, r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai, monsieur, cependant je vous demande pardon, monsieur:
+nous
+avons une tr&egrave;s-jolie chaise &agrave; quatre roues: deux places
+au fond, un
+si&eacute;ge pour le gentleman qui conduit.... Oh! je vous demande
+pardon,
+monsieur, elle ne peut tenir que trois.</p>
+<p>&#8212;Comment donc ferons-nous? dit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Peut-&ecirc;tre qu'un de ces messieurs aimerait &agrave; faire la
+route &agrave; cheval,
+dit le gar&ccedil;on en regardant M. Winkle. Nous avons de
+tr&egrave;s-bons chevaux de
+selle, monsieur. Les gens de M. Wardle, en venant &agrave; Rochester,
+pourraient les ramener, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; notre affaire, s'&eacute;cria M. Pickwick, Winkle,
+voulez-vous faire la
+route &agrave; cheval?&raquo;</p>
+<p>M. Winkle &eacute;prouvait, dans les plus secrets replis de son
+c&#339;ur, des
+doutes accablants sur sa science &eacute;questre; mais, comme il
+n'aurait voulu
+les laisser soup&ccedil;onner &agrave; aucun prix, il r&eacute;pondit
+sur-le-champ avec une
+noble hardiesse: &laquo;Certainement, j'en serai charm&eacute;!&raquo;
+Il s'&eacute;tait pr&eacute;cipit&eacute;
+lui-m&ecirc;me au-devant de sa destin&eacute;e: il n'y avait plus
+&agrave; reculer.</p>
+<p>&laquo;Amenez-les &agrave; onze heures, dit alors M. Pickwick au
+gar&ccedil;on.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur,&raquo; r&eacute;pliqua celui-ci, et il
+sortit.</p>
+<p>Le d&eacute;jeuner achev&eacute;, les voyageurs mont&egrave;rent
+dans leurs chambres pour
+pr&eacute;parer les effets qu'ils voulaient emporter avec eux.</p>
+<p>M. Pickwick avait termin&eacute; ses arrangements
+pr&eacute;liminaires, et regardait
+dans la rue par-dessus les stores du caf&eacute;, lorsque le
+gar&ccedil;on entra, et
+annon&ccedil;a que la chaise &eacute;tait pr&ecirc;te, ce qui fut
+confirm&eacute; par l'apparition
+de ladite chaise derri&egrave;re les susdits stores.</p>
+<p>C'&eacute;tait une petite bo&icirc;te verte, pos&eacute;e sur quatre
+roues; sur le devant
+s'&eacute;levait une esp&egrave;ce de perchoir pour le cocher; sur le
+derri&egrave;re se
+trouvait un banc r&eacute;tr&eacute;ci, pour deux patients. Cette
+curieuse machine
+&eacute;tait mise en mouvement par un immense cheval brun, sur lequel
+on
+pouvait &eacute;tudier l'ost&eacute;ologie avec beaucoup de
+facilit&eacute;. Un valet
+d'&eacute;curie tenait par la bride, pour M. Winkle, un autre cheval
+immense,
+apparemment parent tr&egrave;s-proche de l'animal du cabriolet.</p>
+<p>&laquo;Dieu nous prot&egrave;ge! dit M. Pickwick, tandis qu'on
+mettait leurs paquets
+dans la voiture; Dieu nous prot&egrave;ge! Qui est-ce qui va conduire?
+Je n'y
+avais point song&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Vous naturellement, repartit M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Naturellement, ajouta M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Moi! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas le plus petit danger, monsieur, insinua le valet
+d'&eacute;curie. Je vous le garantis pour la douceur: un enfant au
+maillot le
+conduirait.</p>
+<p>&#8212;Il n'est pas ombrageux, hein?</p>
+<p>&#8212;Ombrageux? il ne broncherait pas quand il verrait passer une
+charret&eacute;e
+de singes, avec la queue en feu.&raquo;</p>
+<p>Cette derni&egrave;re recommandation &eacute;tait convaincante. M.
+Tupman et M.
+Snodgrass furent pr&eacute;cieusement enferm&eacute;s dans la caisse.
+M. Pickwick
+monta sur son perchoir, et appuya ses pieds sur une planche
+rev&ecirc;tue d'un
+tapis de toile cir&eacute;e qu'il supposa &ecirc;tre destin&eacute;e
+&agrave; cet usage.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, brillant William, dit le valet d'&eacute;curie
+&agrave; son adjoint;
+donne les rubans au gentleman.&raquo;</p>
+<p>Brillant William, ainsi d&eacute;nomm&eacute; sans doute &agrave;
+cause de ses cheveux gras
+et de sa figure huileuse, pla&ccedil;a les guides dans la main gauche
+de M.
+Pickwick, tandis que son sup&eacute;rieur insinuait le fouet dans la
+main
+droite du philosophe.</p>
+<p>&laquo;Tout beau! cria M. Pickwick, car le grand quadrup&egrave;de
+t&eacute;moignait une
+inclination d&eacute;cid&eacute;e &agrave; reculer dans la
+fen&ecirc;tre du caf&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Tout beau! r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent MM. Tupman et Snodgrass,
+de leur caisse.</p>
+<p>&#8212;Il s'amuse un peu, messieurs, voil&agrave; tout, dit le premier
+gar&ccedil;on
+d'&eacute;curie d'un ton encourageant. Tenez-le un instant,
+William.&raquo;</p>
+<p>Le substitut restreignit l'imp&eacute;tuosit&eacute; de l'animal, et
+l'&eacute;cuyer en chef
+courut aider M. Winkle &agrave; monter en selle.</p>
+<p>&laquo;De l'autre c&ocirc;t&eacute;, monsieur, s'il vous pla&icirc;t.</p>
+<p>&#8212;J'veux et' pendu, si le gentleman n'allait pas monter &agrave;
+l'envers!&raquo; dit
+un postillon grima&ccedil;ant, au gar&ccedil;on de l'h&ocirc;tel, qui
+paraissait go&ucirc;ter une
+satisfaction indicible.</p>
+<p>M. Winkle ayant re&ccedil;u cet avis se hissa sur sa selle, avec
+autant de
+difficult&eacute;s, &agrave; peu pr&egrave;s, qu'il en aurait
+&eacute;prouv&eacute; pour monter sur un
+vaisseau de guerre.</p>
+<p>&laquo;Tout va-t-il bien? demanda M. Pickwick, tourment&eacute; par
+un sentiment
+intuitif que tout allait mal.</p>
+<p>&#8212;Tout va bien, r&eacute;pondit faiblement M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;En route! cria le valet d'&eacute;curie. Tenez-le bien,
+monsieur.&raquo;</p>
+<p>Et parmi les &eacute;clats de rire de tous les assistants, la
+voiture et le
+cheval de selle d&eacute;camp&egrave;rent, M. Pickwick sur le
+si&eacute;ge de l'un, et M.
+Winkle sur le dos de l'autre.</p>
+<p>&laquo;Pourquoi donc va-t-il ainsi de travers? demanda M. Snodgrass,
+de dedans
+sa bo&icirc;te, &agrave; M. Winkle sur sa selle.</p>
+<p>&#8212;Je n'y comprends rien du tout,&raquo; r&eacute;pliqua le pauvre
+cavalier, dont le
+cheval, en effet, s'avan&ccedil;ait d'une mani&egrave;re excentrique,
+un de ses flancs
+en avant, la t&ecirc;te d'un c&ocirc;t&eacute; de la rue, la queue de
+l'autre.</p>
+<p>M. Pickwick n'avait point le loisir d'observer ce qui se passait
+derri&egrave;re lui, car il &eacute;tait oblig&eacute; de concentrer
+toutes ses facult&eacute;s
+ratiocinantes sur la conduite de l'animal attach&eacute; &agrave; la
+voiture. Celui-ci
+d&eacute;ployait des singularit&eacute;s, fort amusantes pour un
+spectateur
+d&eacute;sint&eacute;ress&eacute;, mais fort peu rassurantes pour ceux
+qui se trouvaient
+entra&icirc;n&eacute;s &agrave; sa suite. Secouant sans cesse sa
+t&ecirc;te d'une mani&egrave;re aussi
+d&eacute;plaisante qu'incommode, il pesait sur les guides avec tant de
+force
+que M. Pickwick avait beaucoup de peine &agrave; le soutenir, et pour
+comble
+d'infortune il &eacute;prouvait un &eacute;trange plaisir &agrave; se
+jeter tout d'un coup
+sur un c&ocirc;t&eacute; de la route. L&agrave; il s'arr&ecirc;tait
+court; puis il repartait
+pendant quelques minutes avec une v&eacute;locit&eacute; qu'il
+&eacute;tait physiquement
+impossible de mod&eacute;rer.</p>
+<p>Il venait d'ex&eacute;cuter cette man&#339;uvre pour la vingti&egrave;me
+fois, lorsque M.
+Snodgrass dit &agrave; son compagnon:</p>
+<p>&laquo;Qu'a donc ce cheval?</p>
+<p>&#8212;Je n'en sais rien, r&eacute;pondit M. Tupman. N'est-ce pas qu'il
+serait
+ombrageux? Cela m'en a bien l'air.&raquo;</p>
+<p>M. Snodgrass allait r&eacute;pliquer, quand il fut interrompu par un
+cri de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&laquo;Oh! disait-il. J'ai laiss&eacute; tomber mon fouet!&raquo;</p>
+<p>Dans ce moment, M. Winkle, avec son chapeau enfonc&eacute; sur ses
+oreilles,
+arrivait en trottant sur l'&eacute;norme cheval, qui le secouait avec
+tant de
+violence qu'il semblait devoir le mettre en pi&egrave;ces.</p>
+<p>&laquo;Winkle, lui cria M. Snodgrass. Vous qui &ecirc;tes un bon
+gar&ccedil;on, ramassez
+donc le fouet.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle, se penchant en arri&egrave;re, tira la bride avec tant
+d'efforts que
+son visage en devint tout noir. Lorsqu'il fut parvenu &agrave;
+arr&ecirc;ter son
+grand coursier, il descendit, tendit le fouet &agrave; M. Pickwick, et,
+saisissant les r&ecirc;nes, se pr&eacute;para &agrave; remonter.</p>
+<p>Nous ne saurions dire, et on le comprendra facilement, si le grand
+cheval, dans l'innocente gaiet&eacute; de son c&#339;ur, voulut s'amuser un
+peu avec
+M. Winkle; on s'il s'imagina qu'il trouverait plus de plaisir &agrave;
+faire la
+route sans cavalier; mais, quels que fussent ses motifs
+d&eacute;terminants, le
+fait est que M. Winkle avait &agrave; peine touch&eacute; les
+r&ecirc;nes, lorsque l'animal,
+baissant la t&ecirc;te, les fit glisser par-dessus, et
+s'&eacute;lan&ccedil;a en arri&egrave;re de
+toute leur longueur.</p>
+<p>&laquo;Bonne b&ecirc;te, dit M. Winkle d'une voix insinuante; bon
+vieux cheval!&raquo;</p>
+<p>Mais la bonne b&ecirc;te &eacute;tait &agrave; l'&eacute;preuve de
+la flatterie, et plus M. Winkle
+s'effor&ccedil;ait de l'approcher, plus elle avait soin de se tenir
+&agrave; distance:
+tellement qu'au bout de dix minutes, et malgr&eacute; toutes sortes de
+cajoleries et de ruses, M. Winkle et le grand cheval, apr&egrave;s
+avoir
+continuellement tourn&eacute; l'un autour de l'autre se retrouvaient
+exactement
+dans la m&ecirc;me position. C'&eacute;tait une situation fort
+d&eacute;sagr&eacute;able en toutes
+circonstances, et principalement sur une route d&eacute;serte,
+o&ugrave; l'on ne
+pouvait se procurer aucun secours.</p>
+<p>Ce man&egrave;ge s'&eacute;tant prolong&eacute; encore quelque
+temps, M. Winkle cria &agrave; ses
+compagnons:</p>
+<p>&laquo;Comment vais-je faire? Je ne puis pas monter dessus?</p>
+<p>&#8212;Vous ferez bien de le conduire ainsi jusqu'&agrave; ce que nous
+arrivions &agrave;
+une barri&egrave;re; r&eacute;pliqua M. Pickwick de son si&eacute;ge.</p>
+<p>&#8212;Mais il ne veut pas avancer! s'&eacute;cria M. Winkle, venez, je
+vous en
+prie, me le tenir un peu.</p>
+<p>M. Pickwick &eacute;tait la personnification de l'obligeance et de
+l'humanit&eacute;.
+Il jeta les guides sur le dos de son cheval, descendit du si&eacute;ge,
+conduisit soigneusement la voiture le long de la haie, afin de ne point
+embarrasser la route, et retourna vers son compagnon pour soulager sa
+d&eacute;tresse, laissant dans la voiture M. Tupman et M. Snodgrass.</p>
+<p>Aussit&ocirc;t que le cheval vit M. Pickwick s'avancer vers lui avec
+son grand
+fouet dans sa main, il fit succ&eacute;der au mouvement de rotation
+dont il
+s'&eacute;tait amus&eacute; jusqu'alors un mouvement r&eacute;trograde
+si d&eacute;cid&eacute;, qu'il for&ccedil;a
+M. Winkle, qui ne voulait pas l&acirc;cher le bout de la bride,
+&agrave; marcher
+d'une vitesse extr&ecirc;me du c&ocirc;t&eacute; de Rochester. M.
+Pickwick courut &agrave; son
+secours; mais plus M. Pickwick courait en avant, plus le cheval courait
+en arri&egrave;re. Ses pieds sonnaient sur la route; la
+poussi&egrave;re volait autour
+de lui, et, &agrave; la fin, M. Winkle, dont les bras &eacute;taient
+presque
+d&eacute;mantibul&eacute;s, fut oblig&eacute; de laisser aller la
+bride. Le cheval s'arr&ecirc;ta,
+regarda autour de lui d'un air &eacute;tonn&eacute;, se retourna, et se
+mit &agrave; trotter
+tranquillement vers son &eacute;curie, laissant l&agrave; M. Winkle et
+M. Pickwick,
+qui &eacute;chang&egrave;rent entre eux des regards de
+d&eacute;sappointement. Tout &agrave; coup le
+roulement d'une voiture &agrave; peu de distance attira leur attention;
+ils
+tourn&egrave;rent la t&ecirc;te: &laquo;Il ne manquait plus que cela!
+s'&eacute;cria M. Pickwick
+avec d&eacute;sespoir; voil&agrave; l'autre cheval qui s'en va
+aussi!&raquo;</p>
+<p>Cela n'&eacute;tait que trop vrai. Le buc&eacute;phale de la chaise
+avait &eacute;t&eacute; effray&eacute;
+par le bruit que faisait son compagnon; il avait la bride sur le cou,
+et
+l'on peut sans peine imaginer le r&eacute;sultat!</p>
+<p>Il s'&eacute;chappa, entra&icirc;nant avec rapidit&eacute; MM.
+Tupman et Snodgrass. H&eacute;las!
+leur carri&egrave;re ne fut pas longue. M. Tupman, hors de
+lui-m&ecirc;me, se jeta
+dans la haie, et M. Snodgrass suivit instinctivement son exemple. Le
+cheval brisa la voiture contre un pont de bois, s&eacute;para les roues
+du
+brancard, le brancard de la caisse, et, finalement, resta immobile
+&agrave;
+contempler les ruines qu'il avait faites.</p>
+<p>Le premier soin des deux amis intacts fut d'extraire les deux amis
+naufrag&eacute;s de leur lit d'&eacute;pines. Quand ils y furent
+parvenus, ils
+s'aper&ccedil;urent avec une satisfaction inexprimable que ceux-ci
+n'avaient
+pas souffert de dommage s&eacute;rieux, et qu'ils en &eacute;taient
+quittes pour de
+nombreuses d&eacute;chirures dans leurs v&ecirc;tements et dans leur
+peau. Tous
+ensemble, ils s'occup&egrave;rent alors &agrave; d&eacute;barrasser le
+cheval des d&eacute;bris de
+la chaise; et lorsque cette op&eacute;ration compliqu&eacute;e fut
+termin&eacute;e, ils le
+plac&egrave;rent au milieu d'eux, et poursuivirent lentement leur
+chemin,
+abandonnant les restes de la voiture &agrave; leur triste
+destin&eacute;e.</p>
+<p>Une heure de marche amena nos voyageurs aupr&egrave;s d'une petite
+auberge
+plant&eacute;e entre deux ormes sur le bord de la route. On voyait
+par-devant
+une grande auge et une &eacute;norme enseigne; par derri&egrave;re, une
+ou deux meules
+d&eacute;form&eacute;es; sur le c&ocirc;t&eacute;, un jardin potager;
+et tout autour, entass&eacute;s dans
+une &eacute;trange confusion, des hangars ruin&eacute;s et des appentis
+couverts de
+mousse. Un paysan, porteur d'une t&ecirc;te rousse, travaillait dans le
+jardin. M. Pickwick l'aper&ccedil;ut et lui cria: &laquo;Oh&eacute;,
+l&agrave; bas!&raquo; Le paysan se
+releva lentement, abrita ses yeux avec ses mains, et examina froidement
+M. Pickwick et ses compagnons.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;, l&agrave; bas! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;, r&eacute;pondit la t&ecirc;te rousse.</p>
+<p>&#8212;Combien y a-t-il d'ici &agrave; Dingley-Dell?</p>
+<p>&#8212;Sept bons milles.</p>
+<p>&#8212;La route est-elle bonne?</p>
+<p>&#8212;Non!&raquo; r&eacute;torqua bri&egrave;vement le paysan. Puis,
+ayant fait subir &agrave; nos
+voyageurs un nouvel examen, il se remit &agrave; travailler, sans
+s'occuper
+d'eux davantage.</p>
+<p>&laquo;Nous voudrions laisser ce cheval ici, reprit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Laisser le cheval ici? r&eacute;p&eacute;ta l'homme en s'appuyant
+sur sa b&ecirc;che.</p>
+<p>&#8212;Pr&eacute;cis&eacute;ment, r&eacute;pondit M. Pickwick, qui
+s'&eacute;tait avanc&eacute; avec son
+coursier jusqu'&agrave; la porte de la palissade du jardin.</p>
+<p>&#8212;Ma&icirc;tresse! beugla l'homme &agrave; la t&ecirc;te rousse, en
+sortant du potager et
+en regardant le cheval d'un air soup&ccedil;onneux;
+ma&icirc;tresse!&raquo;</p>
+<p>Une grande femme osseuse et toute droite du haut en bas
+r&eacute;pondit &agrave; cet
+appel. Elle &eacute;tait couverte d'un gros sarrau bleu, et sa taille
+se
+trouvait &agrave; un pouce ou deux de ses aisselles.</p>
+<p>&laquo;Ma bonne femme, dit M. Pickwick en s'approchant et en faisant
+usage de
+sa voix la plus insinuante, pouvons-nous laisser ce cheval ici?&raquo;</p>
+<p>Le paysan dit quelque chose &agrave; l'oreille de la grande femme.
+Celle-ci
+regarda toute la caravane du haut en bas, et, apr&egrave;s un instant
+de
+r&eacute;flexion, r&eacute;pondit: &laquo;Non, je n'en avons pas le
+c&#339;ur!</p>
+<p>&#8212;Le c&#339;ur! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick; qu'est-ce qu'elle parle
+de son c&#339;ur?</p>
+<p>&#8212;J'avons &eacute;t&eacute; inqui&eacute;t&eacute;e pour &ccedil;a
+l'autre fois, dit la femme, en rentrant
+dans la maison, et je ne voulons pu rien y voir.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; la chose la plus extraordinaire qui me soit jamais
+arriv&eacute;e dans
+tous mes voyages, s'&eacute;cria M. Pickwick, rempli
+d'&eacute;tonnement.</p>
+<p>&#8212;Je crois.... je crois r&eacute;ellement, murmura M. Winkle &agrave;
+ses amis, je
+crois qu'ils nous soup&ccedil;onnent d'avoir d&eacute;rob&eacute; ce
+cheval.</p>
+<p>&#8212;Comment! s'&eacute;cria M. Pickwick, avec une explosion
+d'indignation. M.
+Winkle r&eacute;p&eacute;ta modestement l'opinion qu'il venait
+d'&eacute;mettre.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! l'homme! cria M. Pickwick, irrit&eacute;, pensez-vous
+donc que nous
+avons vol&eacute; ce cheval?</p>
+<p>&#8212;Je ne le crois pas, j'en suis s&ucirc;r! r&eacute;pondit l'homme
+&agrave; la t&ecirc;te rouge,
+avec une esp&egrave;ce de sourire qui agita toute sa physionomie de
+l'une &agrave;
+l'autre oreille; et en parlant ainsi, il entra dans la maison, dont il
+ferma soigneusement la porte.</p>
+<p>&#8212;C'est comme un r&ecirc;ve! s'&eacute;cria M. Pickwick, un hideux
+cauchemar! O ciel!
+imaginez-vous un homme marchant toute une journ&eacute;e, poursuivi par
+un
+cheval &eacute;pouvantable, dont il ne peut pas se d&eacute;barrasser!</p>
+<p>Les pickwickiens abattus se remirent tristement en route,
+l'&eacute;norme
+quadrup&egrave;de, pour qui ils ressentaient le plus profond
+d&eacute;go&ucirc;t, marchant
+lentement sur leurs talons.</p>
+<p>L'apr&egrave;s-midi &eacute;tait fort avanc&eacute;e lorsque nos
+quatre amis, toujours suivis
+du malencontreux animal, arriv&egrave;rent enfin dans la ruelle qui
+conduisait
+&agrave; Manoir-ferme. Mais quoiqu'ils touchassent au terme de leurs
+fatigues,
+leur satisfaction &eacute;tait prodigieusement amortie par l'absurde
+singularit&eacute; de leur apparence; des habits
+d&eacute;chir&eacute;s, des visages
+&eacute;gratign&eacute;s, des souliers sales, des figures
+ext&eacute;nu&eacute;es; et par-dessus
+tout, l'affreux cheval. Oh! combien M. Pickwick le maudissait! De temps
+en temps il jetait sur lui des regards o&ugrave; se peignaient la haine
+et le
+d&eacute;sir d'une &eacute;pouvantable vengeance. Plus d'une fois, il
+avait calcul&eacute; le
+montant probable de ce qu'il faudrait payer pour avoir la satisfaction
+de lui couper la gorge; et maintenant la tentation de l'assassiner ou
+de
+l'abandonner dans les champs d&eacute;serts se pr&eacute;sentait
+&agrave; son esprit avec dix
+fois plus de violence. Cependant il avan&ccedil;ait toujours, et
+&agrave; l'un des
+d&eacute;tours de la ruelle, il fut distrait de ses horribles
+pens&eacute;es par
+l'apparition soudaine de deux personnages. C'&eacute;taient M. Wardle
+et son
+fid&egrave;le serviteur, le gros gar&ccedil;on rougeaud.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! o&ugrave; donc avez-vous &eacute;t&eacute;? demanda
+le gentleman hospitalier. Je
+vous ai attendu toute la journ&eacute;e. Vous avez l'air
+fatigu&eacute;s. Quoi! des
+&eacute;gratignures! pas de blessures, j'esp&egrave;re?... Non... j'en
+suis bien aise.
+Vous avez vers&eacute;? N'y pensez plus, c'est un accident commun dans
+ce
+pays-ci.&#8212;Joe, damn&eacute; gar&ccedil;on, il est encore &agrave;
+dormir! Joe, prenez ce
+cheval et conduisez-le dans l'&eacute;curie.&raquo;</p>
+<p>Le gros joufflu tenant en bride le fatal coursier, se tra&icirc;na
+d'un pas
+paresseux derri&egrave;re la compagnie, tandis que le vieux gentleman
+s'effor&ccedil;ait de consoler ses h&ocirc;tes de la partie de leurs
+aventures qu'ils
+jug&egrave;rent &agrave; propos de lui communiquer.</p>
+<p>Arriv&eacute;s &agrave; Manoir-ferme, il commen&ccedil;a par les
+faire entrer dans la cuisine
+en leur disant: &laquo;Nous allons tout r&eacute;parer ici, et ensuite
+je vous
+introduirai dans le salon.&#8212;Emma, apportez l'eau-de-vie de
+cerises.&#8212;Maintenant, Jane, une aiguille et du fil.&#8212;Mary, des
+serviettes et de l'eau. Allons vite, mes filles,
+d&eacute;p&ecirc;chons.&raquo;</p>
+<p>Trois ou quatre grosses r&eacute;jouies se dispers&egrave;rent
+rapidement pour aller
+chercher les articles demand&eacute;s, tandis qu'un couple de
+domestiques
+m&acirc;les, aux t&ecirc;tes rondes et aux larges visages, se
+lev&egrave;rent des si&eacute;ges
+qu'ils occupaient aupr&egrave;s de la chemin&eacute;e comme s'ils
+avaient &eacute;t&eacute; &agrave; No&euml;l,
+se plong&egrave;rent dans l'obscurit&eacute; de divers recoins, et en
+ressortirent
+bient&ocirc;t, arm&eacute;s d'une bouteille de cirage et d'une
+demi-douzaine de
+brosses.</p>
+<p>&laquo;Allons, vite!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta le vieux gentleman.
+Mais c'&eacute;tait une exhortation
+tout &agrave; fait inutile, car l'une des servantes versait
+l'eau-de-vie,
+l'autre apportait les serviettes, et l'un des hommes saisissant
+soudainement M. Pickwick par la jambe, au hasard imminent de lui faire
+perdre l'&eacute;quilibre, brossait ses bottes avec tant d'ardeur que
+ses cors
+en rougirent au blanc. Dans le m&ecirc;me temps, un second domestique
+frottait
+M. Winkle avec une &eacute;norme brosse, tout en produisant avec sa
+bouche
+cette esp&egrave;ce de sifflement que les gar&ccedil;ons
+d'&eacute;curie ont l'habitude de
+faire entendre quand ils &eacute;trillent un cheval.</p>
+<p>Quant &agrave; M. Snodgrass, apr&egrave;s avoir termin&eacute; ses
+ablutions, il tourna son
+dos au feu, et savourant avec d&eacute;lices son eau-de-vie, il se mit
+&agrave;
+examiner la pi&egrave;ce o&ugrave; il se trouvait.</p>
+<p>D'apr&egrave;s la description qu'il en a faite, c'&eacute;tait une
+vaste chambre pav&eacute;e
+de briques rouges. La chemin&eacute;e paraissait immense; le plafond
+s'honorait
+d'une garniture de bottes d'oignons, de jambons et de lard; les murs
+&eacute;taient d&eacute;cor&eacute;s de plusieurs cravaches, de deux ou
+trois brides, d'une
+selle et d'une vieille espingole rouill&eacute;e. Au-dessous de
+celle-ci, on
+lisait en gros caract&egrave;re: CHARG&Eacute;E, et elle devait
+l'&ecirc;tre depuis plus
+d'un demi-si&egrave;cle, s'il fallait en croire son apparence et celle
+de
+l'inscription. Un vieux coucou, au mouvement tranquille et solennel,
+tictaquait gravement dans un coin, tandis qu'une montre d'argent, d'une
+&eacute;gale antiquit&eacute;, se dandinait &agrave; l'un des nombreux
+crochets dont la
+muraille &eacute;tait sem&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;&Ecirc;tes-vous pr&ecirc;ts? demanda le vieux gentleman
+&agrave; ses h&ocirc;tes, quand il les
+vit bien lav&eacute;s, bien recousus, bien bross&eacute;s, bien
+restaur&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait, r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Alors, venez avec moi.&raquo; Trois des voyageurs le suivirent
+&agrave; travers
+plusieurs corridors sombres, ils furent rejoints &agrave; la porte du
+salon par
+M. Tupman, qui &eacute;tait rest&eacute; derri&egrave;re pour
+d&eacute;rober un baiser &agrave; Emma, mais
+qui n'avait obtenu, pour toute r&eacute;compense, qu'un certain nombre
+de
+bourrades et d'&eacute;gratignures. Cependant le vieillard les
+introduisit en
+disant: &laquo;Gentlemen, soyez les bienvenus &agrave;
+Manoir-ferme.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_VI"></a>
+<h2>CHAPITRE VI.</h2>
+<h3>Une soir&eacute;e d'autrefois. Histoire racont&eacute;e par un
+eccl&eacute;siastique.</h3>
+<br/>
+<p>Plusieurs visites r&eacute;unies dans le salon se lev&egrave;rent
+pour recevoir les
+nouveaux venus, et pendant qu'on accomplissait les formalit&eacute;s
+c&eacute;r&eacute;monieuses des introductions, M. Pickwick eut le
+loisir d'examiner la
+figure des assistants et de sp&eacute;culer sur leur caract&egrave;re
+et sur leurs
+occupations. C'&eacute;tait un genre d'amusement auquel il se livrait
+volontiers, ainsi que beaucoup d'autres grands hommes.</p>
+<p>Une tr&egrave;s-vieille dame, avec un &eacute;norme bonnet et une
+robe de soie fan&eacute;e,
+occupait le poste d'honneur &agrave; l'angle droit de la
+chemin&eacute;e. Ce n'&eacute;tait
+pas un moindre personnage que la m&egrave;re de M. Wardle. Plusieurs
+certificats, prouvant qu'elle avait &eacute;t&eacute; bien
+&eacute;lev&eacute;e et n'avait pas
+quitt&eacute; la bonne route en vieillissant, &eacute;taient appendus
+aux murailles,
+sous la forme d'antiques paysages en tapisserie, d'alphabets en point
+de
+marque, non moins antiques, et de poign&eacute;es &agrave; bouilloires
+en soie
+cramoisie, d'une plus r&eacute;cente p&eacute;riode. La tante
+demoiselle, les deux
+jeunes filles et M. Wardle, group&eacute;s autour de la vieille dame,
+semblaient disputer &agrave; qui lui t&eacute;moignerait les attentions
+les plus
+infatigables. L'une tenait son cornet acoustique, l'autre une orange,
+la
+troisi&egrave;me un flacon d'odeurs, tandis que M. Wardle tamponnait
+soigneusement les coussins qui la supportaient. De l'autre
+c&ocirc;t&eacute; de la
+chemin&eacute;e &eacute;tait assis un vieux gentleman, dou&eacute;
+d'une contenance
+bienveillante et d'une t&ecirc;te chauve c'&eacute;tait le vicaire de
+Dingley-Dell;
+aupr&egrave;s de lui se trouvait sa femme, bonne vieille dame dont la
+physionomie robuste et le teint anim&eacute; semblaient annoncer que,
+si elle
+&eacute;tait savante dans la confection de tous les cordiaux
+fabriqu&eacute;s par une
+bonne m&eacute;nag&egrave;re, elle savait aussi se les administrer
+&agrave; propos. Un petit
+homme, porteur d'une t&ecirc;te semblable &agrave; une pomme de
+reinette, causait
+dans un coin avec un gentleman vieux et gros, tandis que deux ou trois
+autres vieillards et tout autant de vieilles ladies &eacute;taient
+assis,
+roides et immobiles sur leurs chaises, consid&eacute;rant
+impitoyablement M.
+Pickwick et ses compagnons de voyage.</p>
+<p>&laquo;Ma m&egrave;re!&raquo; dit M. Wardle, de toute
+l'&eacute;tendue de sa voix, M. Pickwick!</p>
+<p>&#8212;Oh! fit la vieille lady, en secouant la t&ecirc;te, je ne vous
+entends pas.</p>
+<p>&#8212;M. Pickwick! grand'maman! cri&egrave;rent ensemble les deux jeunes
+demoiselles.</p>
+<p>&#8212;Ah! reprit la vieille dame, c'est bon; cela ne fait pas
+grand'chose.
+Il ne se soucie gu&egrave;re d'une vieille femme comme moi, j'en suis
+certaine.</p>
+<p>&#8212;Je vous assure, madame, dit M. Pickwick, en saisissant la main de
+la
+vieille lady, et en parlant tellement fort, que sa bienveillante figure
+en devint &eacute;carlate, je vous assure, madame, que rien ne me
+charme autant
+que de voir, &agrave; la t&ecirc;te d'une si belle famille, une
+personne de votre
+&acirc;ge, paraissant aussi jeune et aussi bien portante.</p>
+<p>&#8212;Ah! reprit la vieille dame, apr&egrave;s une courte pose, tout cela
+est fort
+joli, j'en suis s&ucirc;re; mais je ne peux pas l'entendre.</p>
+<p>&#8212;Grand'maman est mal dispos&eacute;e maintenant, dit doucement miss
+Isabella
+Wardle, mais elle vous parlera tout &agrave; l'heure.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick exprima par un signe son empressement &agrave; se
+pr&ecirc;ter aux
+infirmit&eacute;s de l'&acirc;ge; et, se retournant, il prit part
+&agrave; la conversation
+g&eacute;n&eacute;rale.</p>
+<p>&laquo;Charmante habitation! situation d&eacute;licieuse! dit-il.</p>
+<p>&#8212;D&eacute;licieuse! r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent MM. Snodgrass,
+Tupman et Winkle.</p>
+<p>&#8212;Oui, je m'en flatte, repondit M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, dit l'homme &agrave; la t&ecirc;te de pomme de reinette,
+il n'y a pas un
+meilleur morceau de terre dans tout le comt&eacute; de Kent; il n'y en
+a pas,
+en v&eacute;rit&eacute;, monsieur. Je suis s&ucirc;r qu'il n'y en a
+pas!&raquo; Et il regarda
+autour de lui d'un air triomphant, comme s'il avait &eacute;t&eacute;
+violemment
+contredit par quelqu'un, et qu'il f&ucirc;t parvenu &agrave; lui
+imposer silence.</p>
+<p>&laquo;Il n'y a pas un meilleur morceau de terre dans tout le
+comt&eacute; de Kent,
+r&eacute;p&eacute;ta l'homme &agrave; la t&ecirc;te de pomme de
+reinette, apr&egrave;s une pause.</p>
+<p>&#8212;Except&eacute; le pr&eacute; de Mullins, articula solennellement le
+gros gentleman.</p>
+<p>&#8212;Le pr&eacute; de Mullins! s'&eacute;cria l'autre avec un profond
+m&eacute;pris.</p>
+<p>&#8212;C'est une excellente terre, insinua un second gros homme.</p>
+<p>&#8212;Oui, assur&eacute;ment, dit un troisi&egrave;me gros homme.</p>
+<p>&#8212;Tout le monde sait cela,&raquo; poursuivit l'h&ocirc;te corpulent.</p>
+<p>L'homme &agrave; t&ecirc;te de pomme de reinette regarda
+dubitativement autour de
+lui; mais, se trouvant d&eacute;cid&eacute;ment en minorit&eacute;, il
+prit un air de
+sup&eacute;riorit&eacute; compatissante, et n'ajouta plus rien.</p>
+<p>&laquo;De quoi parle-t-on? demanda la vieille dame &agrave; l'une de
+ses
+petites-filles d'un son de voix tr&egrave;s-&eacute;lev&eacute;; car,
+suivant l'usage des
+sourds, elle ne semblait pas imaginer que d'autres pussent entendre ce
+qu'elle-m&ecirc;me disait.</p>
+<p>&#8212;On parle de la terre, grand'maman.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'on dit de la terre? Est-ce qu'il est arriv&eacute;
+quelque
+chose?</p>
+<p>&#8212;Non, non. M. Miller disait que notre terre est meilleure que le
+pr&eacute; de
+Mullins.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il en sait? demanda la vieille dame avec indignation.
+Miller est un fat impertinent, et vous pouvez le lui dire de ma
+part.&raquo;
+Ayant prof&eacute;r&eacute; cette sentence, la vieille dame se
+redressa, et regarda le
+d&eacute;linquant d'un air s&eacute;v&egrave;re, sans se douter un seul
+instant qu'elle avait
+parl&eacute; de mani&egrave;re &agrave; &ecirc;tre entendue de tout le
+monde.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! fit M. Wardle en s'empressant avec une
+anxi&eacute;t&eacute;
+naturelle de changer la conversation; que dites-vous d'un whist,
+monsieur Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Je l'aimerais par-dessus toute chose; mais, je vous prie, ne le
+faites
+pas &agrave; cause de moi.</p>
+<p>&#8212;Oh! je vous assure que ma m&egrave;re aime beaucoup &agrave; faire
+son whist.
+N'est-ce pas vrai, ma m&egrave;re?&raquo;</p>
+<p>La vieille dame, qui &eacute;tait beaucoup moins sourde sur ce sujet
+que sur
+tout autre, r&eacute;pondit affirmativement.</p>
+<p>&laquo;Joe! Joe! cria le vieux gentleman, Joe! damn&eacute;
+gar&ccedil;on.... Ah! le voil&agrave;!
+Dressez les tables de jeu.&raquo;</p>
+<p>Le l&eacute;thargique jeune homme vint &agrave; bout de dresser,
+sans autre stimulant,
+deux tables de jeu: l'une pour faire le whist, l'autre pour jouer
+&agrave; la
+papesse Jeanne. Les joueurs de whist &eacute;taient: M. Pickwick et la
+vieille
+lady, M. Miller et le gros gentleman. L'autre jeu comprenait le reste
+de
+la soci&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>Le whist fut conduit avec tout le s&eacute;rieux, avec toute la
+gravit&eacute;
+qu'exige cet acte solennel, auquel, suivant nous, on a mal &agrave;
+propos et
+avec irr&eacute;v&eacute;rence donn&eacute; le nom de jeu. Mais,
+&agrave; la table ronde, on faisait
+&eacute;clater une gaiet&eacute; si bruyante, qu'elle nuisait
+notablement aux
+r&eacute;flexions de M. Miller. Ce malheureux personnage n'&eacute;tant
+pas aussi
+absorb&eacute; par son jeu qu'il aurait d&ucirc; l'&ecirc;tre, tombait
+dans des fautes,
+dans des crimes impardonnables, qui excitaient au plus haut
+degr&eacute; la
+rage du gros gentleman, et &eacute;veillaient proportionnellement la
+bonne
+humeur de la vieille lady.</p>
+<p>&laquo;Ah! ah! fit le criminel Miller d'un ton victorieux en prenant
+la
+septi&egrave;me lev&eacute;e. Je ne pouvais pas mieux jouer,
+j'esp&egrave;re; il &eacute;tait
+impossible de faire un trick de plus.&raquo;</p>
+<p>La vieille dame ne le laissa pas longtemps dans cette heureuse
+situation
+d'esprit. &laquo;Miller aurait d&ucirc; couper le carreau, dit-elle;
+n'est-il pas
+vrai, monsieur?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick salua affirmativement.</p>
+<p>Le joueur infortun&eacute; fit un appel &agrave; la
+g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; de son partner en
+disant d'un ton dubitatif: &laquo;Devais-je r&eacute;ellement le couper?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur, r&eacute;pondit s&egrave;chement le gros
+gentleman.</p>
+<p>&#8212;J'en suis d&eacute;sol&eacute;, r&eacute;pliqua Miller avec
+abattement.</p>
+<p>&#8212;Il est bien temps! grommela son partner.</p>
+<p>&#8212;Deux d'honneurs. Cela nous fait huit,&raquo; dit M. Pickwick.</p>
+<p>On redonna des cartes.</p>
+<p>&laquo;Pouvez-vous en faire encore une? demanda la vieille dame.</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pondit M. Pickwick. Double, simple; et le rob.</p>
+<p>&#8212;On n'a jamais vu une pareille chance! fit observer M. Miller.</p>
+<p>&#8212;Ni d'aussi vilaines cartes!&raquo; ajouta le gros gentleman.</p>
+<p>Un silence solennel s'ensuivit. M. Pickwick &eacute;tait
+enjou&eacute;, la vieille
+dame attentive, le gros gentleman querelleur, et M. Miller craintif.</p>
+<p>&laquo;Encore une partie double! s'&eacute;cria la vieille dame
+triomphante, en
+pla&ccedil;ant sous le flambeau une pi&egrave;ce de six pence et un
+demi-penny, sans
+empreinte, comme m&eacute;morandum du fait.</p>
+<p>&#8212;Encore une partie double, monsieur, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Je le sais bien, monsieur,&raquo; r&eacute;pliqua le gros gentleman
+avec aigreur.</p>
+<p>Dans le courant d'une autre partie, dont le r&eacute;sultat fut le
+m&ecirc;me, M.
+Miller eut le malheur de faire une renonce. Aussi, le gros gentleman ne
+fut plus ma&icirc;tre de contenir son irritation. La vieille dame, au
+contraire, entendait de mieux en mieux, tandis que l'infortun&eacute;
+Miller
+paraissait aussi peu dans son &eacute;l&eacute;ment qu'un dauphin dans
+une gu&eacute;rite.
+Quand le whist fut termin&eacute;, le gros gentleman se retint dans un
+coin et
+resta parfaitement muet durant une heure vingt-sept minutes: alors
+seulement, sortant de sa retraite, il offrit &agrave; M. Pickwick une
+prise de
+tabac, avec l'air g&eacute;n&eacute;reux d'un homme que la
+charit&eacute; chr&eacute;tienne engage &agrave;
+pardonner les injures qu'il a re&ccedil;ues.</p>
+<p>Pendant ces &eacute;v&eacute;nements, le jeu de la table ronde
+continuait avec gaiet&eacute;.
+Isabelle Wardle s'&eacute;tait associ&eacute;e avec M. Trundle,
+&Eacute;mily Wardle avec M.
+Snodgrass, et qui plus est, M. Tupman et la tante demoiselle avaient
+aussi form&eacute; une soci&eacute;t&eacute; de fiches et de
+galanteries. Le vieux M. Wardle
+&eacute;tait au comble de la joie; il conduisait une banque avec tant
+d'astuce,
+les dames montraient tant d'&acirc;pret&eacute; au gain, qu'un tonnerre
+d'&eacute;clats de
+rire retentissait continuellement autour de la table. Il y avait une
+vieille lady qui &eacute;tait toujours oblig&eacute;e de payer pour une
+demi-douzaine
+de cartes. Tout le monde en riait r&eacute;guli&egrave;rement &agrave;
+chaque tour, et quand
+la vieille lady avait l'air vex&eacute; de payer, on riait encore plus
+fort:
+alors son visage s'&eacute;panouissait par degr&eacute;s, et elle
+finissait par faire
+chorus avec les autres. Quand la tante demoiselle faisait un <i>mariage</i>,
+les jeunes personnes &eacute;clataient de nouveau et la tante
+demoiselle
+devenait de tr&egrave;s-mauvaise humeur; mais elle sentait la main de
+M. Tupman
+qui saisissait la sienne par-dessous la table, et son visage
+s'&eacute;panouissait aussi, puis elle prenait un air &agrave; peu
+pr&egrave;s malin, comme
+si le mariage n'avait pas &eacute;t&eacute; aussi loin de la question
+qu'on le
+supposait. Alors tout le monde recommen&ccedil;ait &agrave; rire,
+surtout le vieux
+Wardle qui s'amusait d'une plaisanterie au moins autant que les plus
+jeunes. Cependant, M. Snodgrass murmurait continuellement dans
+l'oreille
+de sa partner des sentiments po&eacute;tiques, qui faisaient faire
+&agrave; un vieux
+gentleman sur les associations pour les cartes et sur les associations
+pour la vie, des remarques fac&eacute;tieuses et malignes,
+accompagn&eacute;es de
+coups d'&#339;il, de coups de coude et de sourires. L'hilarit&eacute; de la
+compagnie en &eacute;tait redoubl&eacute;e, et sp&eacute;cialement
+celle de l'&eacute;pouse du
+susdit vieux gentleman. De temps en temps M. Winkle &eacute;ditait des
+bons
+mots, fort connus dans la ville, mais qui ne l'&eacute;taient pas
+encore dans
+la province; et comme tout le monde en riait de tr&egrave;s-bon c&#339;ur et
+les
+trouvait excellente, M. Winkle &eacute;tait resplendissant d'honneur et
+de
+gloire. Quant au bienveillant eccl&eacute;siastique, il regardait cette
+sc&egrave;ne
+d'un air satisfait, car le bon vieillard &eacute;tait heureux de voir
+des
+visages heureux autour de lui; et, quoique la joie f&ucirc;t assez
+bruyante,
+elle venait du c&#339;ur, non des l&egrave;vres, c'est-&agrave;-dire que
+c'&eacute;tait la
+v&eacute;ritable joie, apr&egrave;s tout.</p>
+<p>La soir&eacute;e s'&eacute;coula rapidement au sein de ces
+r&eacute;cr&eacute;ations. Apr&egrave;s un
+souper simple et substantiel, un cercle sociable fut form&eacute;
+autour du
+feu, et M. Pickwick d&eacute;clara que jamais de sa vie il n'avait
+ressenti
+plus de vrai bonheur et n'avait &eacute;t&eacute; mieux dispos&eacute;
+&agrave; jouir du pr&eacute;sent
+h&eacute;las! trop fugitif.</p>
+<p>Le vieillard hospitalier &eacute;tait assis en
+c&eacute;r&eacute;monie aupr&egrave;s du fauteuil de
+sa m&egrave;re, et tenait une de ses mains dans les siennes:
+&laquo;Voil&agrave; pr&eacute;cis&eacute;ment
+ce que j'aime, disait-il. Les plus heureux instants de mon existence se
+sont pass&eacute;s aupr&egrave;s de ce vieux foyer, et je trouve du
+plaisir &agrave; y faire
+flamber du feu jusqu'&agrave; ce que la chaleur devienne insupportable.
+Voyez-vous... ma pauvre vieille m&egrave;re que voil&agrave;,
+s'asseyait dans cette
+chemin&eacute;e sur ce petit tabouret, quand elle &eacute;tait enfant.
+N'est-il pas
+vrai, ma m&egrave;re?&raquo;</p>
+<p>La vieille lady secoua la t&ecirc;te avec un sourire
+m&eacute;lancolique, et l'on vit
+couler lentement sur ses joues ces larmes involontaires qui
+s'&eacute;veillent
+au souvenir des anciens temps et du bonheur &eacute;coul&eacute; depuis
+de longues
+ann&eacute;es.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Pickwick, continua leur h&ocirc;te apr&egrave;s un
+court silence, vous
+m'excuserez si je parle souvent de cet endroit, car je l'aime
+passionn&eacute;ment, et je n'en connais pas d'autre. La vieille maison
+et les
+champs m&ecirc;mes semblent &ecirc;tre pour moi d'anciens amis. J'en
+dis autant de
+notre petite &eacute;glise garnie d'une &eacute;paisse tenture de
+lierre, sur lequel,
+par parenth&egrave;se, notre excellent ami que voil&agrave; a fait une
+chanson &agrave; son
+arriv&eacute;e ici. Monsieur Snodgrass, il me semble que votre verre
+est vide.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande pardon, r&eacute;pliqua ce gentleman, dont la
+curiosit&eacute;
+po&eacute;tique avait &eacute;t&eacute; grandement excit&eacute;e par
+la derni&egrave;re phrase de son
+h&ocirc;te. Vous parliez ce me semble d'une chanson sur le lierre?</p>
+<p>&#8212;C'est &agrave; notre ami qu'il faut vous adresser &agrave; ce
+sujet, dit M. Wardle
+en indiquant l'eccl&eacute;siastique par un signe.</p>
+<p>&#8212;Oserais-je vous prier, monsieur, de nous faire conna&icirc;tre
+cette
+composition? dit alors M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;V&eacute;ritablement, r&eacute;pondit le v&eacute;n&eacute;rable
+eccl&eacute;siastique, c'est fort peu de
+chose et ma seule excuse pour m'en &ecirc;tre rendu coupable, c'est que
+j'&eacute;tais tr&egrave;s-jeune dans ce temps-l&agrave;. Telle qu'elle
+est, toutefois, vous
+allez l'entendre, si vous le d&eacute;sirez.&raquo;</p>
+<p>Un murmure de curiosit&eacute; fut naturellement la r&eacute;plique,
+et le vieil
+eccl&eacute;siastique, souffl&eacute; de temps en temps par sa femme,
+commen&ccedil;a &agrave;
+r&eacute;citer la pi&egrave;ce de vers en question. &laquo;Je
+l'appelle,&raquo; dit-il:</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>LE LIERRE.<br/>
+</span></div>
+<div class="stanza"><span>Oh! quelle plante singuli&egrave;re<br/>
+</span><span>Que ce vieux gourmand de lierre,<br/>
+</span><span>Qui rampe sur d'anciens d&eacute;bris!<br/>
+</span><span>Il lui faut l'antique poussi&egrave;re<br/>
+</span><span>Que les si&egrave;cles seuls ont pu faire,<br/>
+</span><span>Pour contenter ses app&eacute;tits.<br/>
+</span><span>Oh! quelle plante singuli&egrave;re<br/>
+</span><span>Que ce vieux gourmand de lierre!<br/>
+</span></div>
+<div class="stanza"><span>Dans son domaine solitaire,<br/>
+</span><span>Tant&ocirc;t il s'&eacute;tend sur la terre,<br/>
+</span><span>Rongeant la pierre des tombeaux;<br/>
+</span><span>Et tant&ocirc;t, relevant la t&ecirc;te,<br/>
+</span><span>Il grimpe, d'un air de conqu&ecirc;te,<br/>
+</span><span>Au sommet des plus grands ormeaux.<br/>
+</span><span>Oh! quelle plante singuli&egrave;re<br/>
+</span><span>Que ce vieux gourmand de lierre!<br/>
+</span></div>
+<div class="stanza"><span>Par le cours fatal des ann&eacute;es,<br/>
+</span><span>Les nations sont ruin&eacute;es,<br/>
+</span><span>Mais lui, rien ne peut le fl&eacute;trir.<br/>
+</span><span>Les plus grands monuments de l'homme,<br/>
+</span><span>A quoi donc servent-ils, en somme?<br/>
+</span><span>A l'abriter, &agrave; le nourrir.<br/>
+</span><span>Oh! quelle plante singuli&egrave;re<br/>
+</span><span>Que ce vieux gourmand de lierre!<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>Tandis que le bienveillant eccl&eacute;siastique
+r&eacute;p&eacute;tait ses vers une seconde
+fois pour permettre &agrave; M. Snodgrass d'en prendre note, M.
+Pickwick
+&eacute;tudiait avec un grand int&eacute;r&ecirc;t l'expression de sa
+physionomie. Il prit
+ensuite la parole et dit au vicaire:</p>
+<p>&laquo;Voulez-vous me permettre, monsieur, malgr&eacute; la
+nouveaut&eacute; de notre
+connaissance, de vous demander si, dans le cours de votre
+carri&egrave;re,
+comme ministre de l'&eacute;vangile, vous n'avez pas observ&eacute;
+beaucoup
+d'&eacute;v&eacute;nements dignes d'&ecirc;tre conserv&eacute;s dans la
+m&eacute;moire des hommes?</p>
+<p>&#8212;Effectivement, monsieur, r&eacute;pliqua le ministre; j'ai
+observ&eacute; beaucoup
+d'&eacute;v&eacute;nements, mais dans une sph&egrave;re &eacute;troite;
+et ils ont toujours &eacute;t&eacute;
+d'une nature simple et ordinaire.</p>
+<p>&#8212;Vous avez r&eacute;uni, je pense, quelques notes sur John
+Edmunds?&raquo; reprit
+M. Wardle, qui d&eacute;sirait mettre son ami en &eacute;vidence, pour
+l'&eacute;dification
+de ses nouveaux h&ocirc;tes.</p>
+<p>La vicaire fit un l&eacute;ger signe d'assentiment et se
+pr&eacute;parait &agrave; changer le
+sujet de la conversation, lorsque M. Pickwick lui dit:
+&laquo;Pardonnez-moi,
+monsieur; mais je vous serais oblig&eacute; de m'apprendre qui
+&eacute;tait ce John
+Edmunds?</p>
+<p>&#8212;C'est pr&eacute;cis&eacute;ment ce que j'allais demander; ajouta M.
+Snodgrass avec
+vivacit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes pris, s'&eacute;cria le joyeux h&ocirc;te. Il
+faudra, t&ocirc;t ou tard, que
+vous satisfassiez la curiosit&eacute; de ces messieurs; ainsi, vous
+feriez
+mieux de profiter de l'occasion et d'en finir sur-le-champ.&raquo;</p>
+<p>Le vieux ministre sourit avec bonhomie et rapprocha sa chaise de la
+chemin&eacute;e. Les autres membres se serr&egrave;rent aussi,
+principalement M.
+Tupman et la tante demoiselle, qui avaient peut-&ecirc;tre l'ou&iuml;e
+un peu dure.
+Le cornet de la vieille lady fut ajust&eacute; soigneusement; M.
+Miller, qui
+s'&eacute;tait endormi, fut r&eacute;veill&eacute; par son ex-partner,
+au moyen d'un pin&ccedil;on
+monitoire, administr&eacute; par-dessous la table, et le ministre, sans
+autre
+pr&eacute;face, commen&ccedil;a le r&eacute;cit suivant, auquel nous
+avons pris la libert&eacute; de
+donner pour titre:</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;"><br/>
+LE RETOUR DU CONVICT.</p>
+<p>&laquo;Lorsque je fus nomm&eacute; vicaire de ce village, il y a
+juste vingt-cinq
+ans, j'y trouvai, parmi mes paroissiens, un certain Edmunds qui tenait
+&agrave;
+bail une petite ferme du voisinage. C'&eacute;tait un m&eacute;chant
+homme, paresseux
+et dissolu par habitude, morose et f&eacute;roce par disposition.
+Except&eacute;
+quelques vagabonds abandonn&eacute;s qui fl&acirc;naient avec lui dans
+les champs ou
+qui s'abrutissaient &agrave; la taverne, il n'avait pas un seul ami,
+pas m&ecirc;me
+une connaissance. En g&eacute;n&eacute;ral on l'&eacute;vitait, car
+personne ne se souciait
+de parler &agrave; un individu redout&eacute; par plusieurs,
+d&eacute;test&eacute; par tous.</p>
+<p>Cet homme avait une femme et un fils &acirc;g&eacute; d'environ
+douze ans. Je vous
+attristerais sans n&eacute;cessit&eacute; en vous d&eacute;peignant les
+souffrances qu'avait
+endur&eacute;es sa femme, et tout ce que je pourrais vous dire ne
+suffirait pas
+pour appr&eacute;cier suffisamment la douceur et la r&eacute;signation
+qu'elle
+d&eacute;ployait dans les circonstances les plus d&eacute;licates, ni
+la sollicitude
+pleine de tendresse et de douleur avec laquelle elle &eacute;levait son
+enfant.
+Que Dieu me pardonne ce que je vais dire, si c'est un soup&ccedil;on
+peu
+charitable, mais, dans mon &acirc;me et conscience, je crois que son
+mari
+essaya syst&eacute;matiquement, pendant plusieurs ann&eacute;es, de la
+faire mourir de
+chagrin. Elle supporta tout, cependant, pour l'amour de son fils; et
+m&ecirc;me, quoique cela puisse para&icirc;tre &eacute;trange &agrave;
+bien des gens, pour l'amour
+de son mari. Elle l'avait aim&eacute; autrefois, et malgr&eacute; ses
+brutalit&eacute;s,
+malgr&eacute; la cruaut&eacute; qu'il lui t&eacute;moignait, le
+souvenir de ce qu'il avait
+&eacute;t&eacute; pour elle &eacute;veillait encore dans son sein des
+sentiments de douce
+indulgence, auxquels, except&eacute; la femme, toutes les autres
+cr&eacute;atures de
+Dieu sont &eacute;trang&egrave;res.</p>
+<p>Ils &eacute;taient pauvres: la conduite du mari ne permettait pas
+qu'il en f&ucirc;t
+autrement; mais le travail obstin&eacute;, incessant de la femme, les
+maintenait au-dessus du besoin. Cependant ses efforts &eacute;taient
+bien mal
+r&eacute;compens&eacute;s. Les gens qui passaient aupr&egrave;s de leur
+maison, le soir,
+entendaient souvent les pleurs, les g&eacute;missements de la
+malheureuse
+femme, et le bruit des coups qu'elle recevait. Plus d'une fois,
+apr&egrave;s
+minuit, l'enfant vint frapper doucement &agrave; la porte de quelque
+maison
+voisine, o&ugrave; il &eacute;tait envoy&eacute; par sa m&egrave;re,
+pour &eacute;chapper &agrave; l'ivresse
+furieuse du p&egrave;re d&eacute;natur&eacute;.</p>
+<p>Pendant tout ce temps, et quoique la pauvre cr&eacute;ature
+port&acirc;t souvent des
+marques de mauvais traitements, qu'elle ne pouvait pas
+enti&egrave;rement
+cacher, elle assistait r&eacute;guli&egrave;rement au service divin.
+Chaque dimanche,
+matin et soir, elle occupait avec son fils le m&ecirc;me banc dans
+notre
+petite &eacute;glise; et quoique la m&egrave;re et l'enfant fussent
+tous deux
+pauvrement habill&eacute;s (plus pauvrement m&ecirc;me que beaucoup de
+leurs voisins
+qui se trouvaient dans une position encore plus pr&eacute;caire), leur
+toilette
+&eacute;tait toujours d&eacute;cente et propre. Chacun avait un signe
+amical et une
+parole bienveillante pour cette <i>pauvre madame Edmunds</i>, et
+parfois
+quand, au sortir de l'&eacute;glise, elle s'arr&ecirc;tait sous les
+ormes qui
+conduisaient au porche, pour &eacute;changer quelques mots avec un
+voisin; ou
+quand elle ralentissait le pas pour regarder, avec l'orgueil et la
+tendresse d'une m&egrave;re, son enfant, rose et bien portant, qui
+jouait
+devant elle avec quelques petits camarades, sa figure fatigu&eacute;e
+s'&eacute;clairait d'une expression de gratitude profond&eacute;ment
+ressentie, et
+elle paraissait &ecirc;tre sinon heureuse ou gaie, du moins
+r&eacute;sign&eacute;e et
+tranquille.</p>
+<p>Cinq ou six ans s'&eacute;coul&egrave;rent: l'enfant &eacute;tait
+devenu un jeune homme
+robuste et bien b&acirc;ti, mais le temps, qui avait renforc&eacute;
+ses membres
+d&eacute;licats, avait courb&eacute; la taille de sa m&egrave;re et
+affaibli sa d&eacute;marche; et
+cependant le bras qui aurait d&ucirc; la supporter n'&eacute;tait plus
+encha&icirc;n&eacute; sous
+le sien, le visage qui aurait d&ucirc; la r&eacute;jouir ne la
+regardait plus en
+souriant. Elle occupait toujours le m&ecirc;me banc, mais il y avait
+une place
+vacante &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'elle; sa bible &eacute;tait
+toujours tenue avec autant de
+soin, elle y faisait des signets pour l'ouvrir aux diff&eacute;rentes
+lectures;
+mais il n'y avait plus personne pour la lire avec elle, et ses larmes
+coulaient sur son livre, et d&eacute;robaient &agrave; ses yeux le
+texte sacr&eacute;. Ses
+voisins &eacute;taient encore aussi bienveillants qu'autrefois, mais
+maintenant
+elle d&eacute;tournait la t&ecirc;te pour &eacute;viter leur salut;
+elle ne s'arr&ecirc;tait plus
+sous les vieux ormes, et elle n'enfermait plus dans son c&#339;ur des
+tr&eacute;sors
+de bonheur et d'esp&eacute;rance. Dans sa d&eacute;solation elle
+enfon&ccedil;ait sa coiffe
+sur son visage et elle s'&eacute;loignait d'un pas
+pr&eacute;cipit&eacute;. Faut-il vous le
+dire? Ce jeune homme qui aurait d&ucirc; conserver pieusement dans sa
+m&eacute;moire
+le souvenir des privations volontaires, des mauvais traitements que sa
+m&egrave;re avait endur&eacute;s pour lui; oubliant au contraire tout
+ce qu'il lui
+devait, et m&eacute;prisant cruellement les angoisses de son c&#339;ur
+bris&eacute;,
+s'&eacute;tait li&eacute; avec les hommes les plus
+d&eacute;prav&eacute;s, les plus abandonn&eacute;s de
+Dieu, et suivait une carri&egrave;re de vices et de crimes, qui devait
+aboutir
+&agrave; la mort pour lui, &agrave; la honte pour elle. H&eacute;las!
+pauvre nature humaine!
+Vous avez d&eacute;j&agrave; devin&eacute; cela depuis longtemps.</p>
+<p>La malheureuse femme &eacute;tait sur le point de voir
+compl&eacute;ter la mesure de
+ses infortunes. Des d&eacute;lits nombreux avaient &eacute;t&eacute;
+commis dans le
+voisinage. Les coupables &eacute;taient rest&eacute;s impunis, et leur
+audace s'en
+augmentait. Un vol nocturne, accompagn&eacute; de circonstances
+aggravantes,
+occasionna des poursuites actives, des recherches
+s&eacute;v&egrave;res, auxquelles il
+&eacute;tait impossible d'&eacute;chapper. Le jeune Edmunds fut
+soup&ccedil;onn&eacute;, ainsi que
+trois de ses compagnons; il fut arr&ecirc;t&eacute;, jug&eacute; et
+condamn&eacute; &agrave; mort.</p>
+<p>Le cri per&ccedil;ant et &eacute;gar&eacute;, le cri maternel qui
+effraya l'audience quand le
+jugement solennel fut prononc&eacute;, retentit encore &agrave; mon
+oreille. Ce cri
+frappa de terreur le c&#339;ur du coupable, que le jugement, la
+condamnation,
+l'approche de la mort m&ecirc;me n'avaient pu &eacute;branler. Ses
+l&egrave;vres,
+jusqu'alors comprim&eacute;es avec une sombre obstination,
+trembl&egrave;rent et se
+s&eacute;par&egrave;rent involontairement. Son visage devint
+p&acirc;le, une sueur froide
+mouilla son front, ses membres vigoureux frissonn&egrave;rent, et il
+chancela
+sur son banc.</p>
+<p>Dans le premier transport de ses angoisses, la m&egrave;re
+d&eacute;sol&eacute;e se jeta &agrave;
+genoux, et supplia douloureusement l'&Ecirc;tre infini, qui l'avait
+soutenue
+jusqu'alors dans ses &eacute;preuves, de la d&eacute;livrer de ce monde
+de mis&egrave;re, et
+d'&eacute;pargner la vie de son unique enfant. A cette pri&egrave;re
+succ&eacute;da une
+explosion de pleurs, une agonie de d&eacute;sespoir, telles que
+j'esp&egrave;re bien
+n'en revoir jamais de semblables. D&egrave;s cet instant, je fus
+convaincu que
+la douleur abr&eacute;gerait sa vie, mais je n'entendis plus une seule
+plainte,
+un seul murmure s'&eacute;chapper de ses l&egrave;vres.</p>
+<p>C'&eacute;tait un d&eacute;chirant spectacle de voir de jour en
+jour, dans la cour de
+la prison, cette malheureuse m&egrave;re qui s'effor&ccedil;ait avec
+ferveur de
+toucher par l'affection, par les pri&egrave;res, le c&#339;ur
+p&eacute;trifi&eacute; de son fils.
+Ce fut en vain: il resta sombre, farouche, imp&eacute;nitent. La
+commutation
+inesp&eacute;r&eacute;e de sa peine, en celle de la transportation pour
+quatorze ans,
+ne put pas m&ecirc;me adoucir pour un seul instant son endurcissement
+obstin&eacute;.</p>
+<p>L'esprit de r&eacute;signation qui avait si longtemps soutenu sa
+m&egrave;re ne
+pouvait plus lutter contre la faiblesse et la maladie. Pourtant elle
+voulut revoir son fils encore une fois. Elle d&eacute;roba &agrave; son
+lit de
+souffrances ses membres chancelants; mais ses forces la trahirent, et
+elle tomba presque inanim&eacute;e sur le carreau.</p>
+<p>C'est alors que l'indiff&eacute;rence et le sto&iuml;cisme tant
+vant&eacute;s du coupable
+furent mis &agrave; une rude &eacute;preuve. Un jour se passa sans
+qu'il v&icirc;t sa m&egrave;re.
+Un second jour s'&eacute;coula, et elle ne vint pas. Un
+troisi&egrave;me soir arriva,
+et sa m&egrave;re n'avait pas paru. Et dans vingt-quatre heures il
+devait &ecirc;tre
+s&eacute;par&eacute; d'elle peut-&ecirc;tre pour toujours!</p>
+<p>Ce nouveau ch&acirc;timent, qui tombait si pesamment sur lui, le
+rendit
+presque fou. Oh! comme les pens&eacute;es longtemps oubli&eacute;es de
+son enfance
+revinrent en foule dans son esprit, tandis qu'il arpentait
+l'&eacute;troite
+cour d'un pas rapide, comme si la rapidit&eacute; de sa course
+e&ucirc;t pu h&acirc;ter
+l'arriv&eacute;e des nouvelles attendues; comme le sentiment de sa
+mis&egrave;re et de
+son abandon s'empara am&egrave;rement de lui, lorsqu'il apprit la
+v&eacute;rit&eacute;
+fatale! Sa m&egrave;re, la seule personne qui l'e&ucirc;t jamais
+aim&eacute;, sa m&egrave;re &eacute;tait
+malade, peut-&ecirc;tre mourante, &agrave; une demi-lieue de lui;
+quelques minutes
+auraient pu le porter pr&egrave;s de son lit, s'il avait
+&eacute;t&eacute; libre, mais il ne
+devait plus la revoir. Il se pr&eacute;cipita sur la grille, et
+saisissant les
+barreaux de fer avec l'&eacute;nergie du d&eacute;sespoir, il la secoua
+et la fit
+trembler; il s'&eacute;lan&ccedil;a contre les murailles
+&eacute;paisses comme s'il avait
+voulu les briser. Mais la prison solide bravait ses efforts
+insens&eacute;s, et
+il se mit &agrave; pleurer comme un faible enfant, en se tordant les
+mains.</p>
+<p>Je portai au fils emprisonn&eacute; les paroles de pardon et les
+b&eacute;n&eacute;dictions
+de sa m&egrave;re, mais sans lui dire jusqu'&agrave; quel point son
+&eacute;tat &eacute;tait grave:
+je rapportai au lit de la mourante ses solennelles assurances de
+repentir et ses supplications ferventes pour obtenir ce pardon.
+J'&eacute;coutai avec une triste compassion les mille projets que le
+coupable
+repentant faisait d&eacute;j&agrave; pour soutenir sa m&egrave;re, pour
+la rendre heureuse
+quand il reviendrait de son exil. Et je savais que longtemps avant
+qu'il
+e&ucirc;t atteint le but de son voyage elle ne serait plus de ce monde!</p>
+<p>Il fut emmen&eacute; pendant la nuit. Peu de semaines apr&egrave;s,
+l'&acirc;me de la pauvre
+femme prit son vol, et, comme je le crois avec confiance, pour une
+r&eacute;gion de paix et de bonheur &eacute;ternel. J'accomplis
+moi-m&ecirc;me le service
+fun&egrave;bre sur ses restes, qui reposent maintenant dans notre petit
+cimeti&egrave;re: il n'y a point de pierre &agrave; la t&ecirc;te de sa
+tombe, &agrave; quoi bon?
+Ses chagrins &eacute;taient connus aux hommes et ses vertus &agrave;
+Dieu.</p>
+<p>Il avait &eacute;t&eacute; convenu, avant le d&eacute;part du
+condamn&eacute;, qu'il &eacute;crirait &agrave; sa
+m&egrave;re aussit&ocirc;t qu'il en pourrait obtenir la permission, et
+que ses
+lettres me seraient adress&eacute;es, car son p&egrave;re avait
+positivement refus&eacute; de
+le voir, depuis le moment de son arrestation, et se souciait peu qu'il
+f&ucirc;t mort ou vivant. Nombre d'ann&eacute;es
+s'&eacute;coul&egrave;rent sans que je re&ccedil;usse de
+ses nouvelles; et lorsque la moiti&eacute; de son temps fut
+pass&eacute;e, j'en
+conclus qu'il n'existait plus, et en v&eacute;rit&eacute;, je le
+souhaitais presque.</p>
+<p>Je me trompais cependant. A son arriv&eacute;e &agrave; Botany-Bay<a
+ name="FNanchor_9_9"></a><a href="#Footnote_9_9"><sup>9</sup></a>, il
+avait &eacute;t&eacute;
+envoy&eacute; dans l'int&eacute;rieur des terres, et ce fut apparemment
+pour cela
+qu'aucune de ses lettres ne me parvint. Il resta au m&ecirc;me endroit
+pendant
+quatorze ann&eacute;es, pers&eacute;v&eacute;rant constamment dans ses
+bonnes r&eacute;solutions, et
+fid&egrave;le aux promesses qu'il avait faites &agrave; sa m&egrave;re.
+Quand son temps fut
+fini, il surmonta d'&eacute;normes difficult&eacute;s pour regagner
+l'Angleterre, et
+revint &agrave; pied au lieu de sa naissance.</p>
+<p>Par une belle soir&eacute;e du mois d'ao&ucirc;t, John Edmunds
+rentra dans le village
+dont il avait &eacute;t&eacute; honteusement emmen&eacute; dix-sept
+ann&eacute;es auparavant. Le
+chemin qu'il suivait passait au milieu du cimeti&egrave;re, et son c&#339;ur
+se
+gonfla en le traversant, les rayons du soleil couchant se jouaient
+&agrave;
+travers les branches gigantesques des vieux ormes qui
+r&eacute;veillaient dans
+l'esprit du lib&eacute;r&eacute; les souvenirs de son jeune &acirc;ge;
+il se rappelait le
+temps o&ugrave;, s'attachant &agrave; la main de sa m&egrave;re, il se
+rendait gaiement &agrave;
+l'&eacute;glise avec elle; il croyait voir encore son p&acirc;le
+visage; il croyait
+sentir les larmes br&ucirc;lantes qui tombaient sur son front
+lorsqu'elle se
+baissait pour l'embrasser, et qui le faisaient pleurer aussi, quoiqu'il
+ne s&ucirc;t gu&egrave;re alors combien ces larmes &eacute;taient
+remplies d'amertume. Il se
+rappelait encore combien de fois il avait couru joyeusement dans ce
+m&ecirc;me
+sentier avec quelques-uns de ses petits camarades, se retournant de
+temps en temps pour apercevoir le sourire de sa m&egrave;re, ou pour
+entendre
+sa douce voix; et alors il lui sembla qu'un rideau se tirait dans sa
+m&eacute;moire; et mille souvenirs de tendresse m&eacute;connue et
+d'avertissements
+m&eacute;pris&eacute;s, de promesses oubli&eacute;es, vinrent se
+presser dans son cerveau et
+d&eacute;chirer son c&#339;ur.</p>
+<p>Il entra dans l'&eacute;glise, car c'&eacute;tait un dimanche, et
+quoique le service
+du soir f&ucirc;t fini et que les assistants fussent dispers&eacute;s,
+la vieille
+porte de ch&ecirc;ne, aux larges clous, n'&eacute;tait point encore
+ferm&eacute;e. Les pas
+du convict retentirent sous la vo&ucirc;te, et dans le calme religieux
+qui
+r&eacute;gnait autour de lui, il se trouva si isol&eacute; qu'il eut
+presque peur. Il
+regarda les objets qui l'entouraient: rien n'&eacute;tait
+chang&eacute;. L'&eacute;glise lui
+paraissait plus petite que dans son enfance, mais elle renfermait
+toujours les vieux monuments qu'il avait contempl&eacute;s mille fois
+avec une
+crainte enfantine. L&agrave; se trouvait la petite chaire, orn&eacute;e
+du coussin
+fan&eacute; o&ugrave; le ministre posait sa bible, et o&ugrave; il
+avait entendu pr&ecirc;cher la
+parole de Dieu; ici la table de communion, devant laquelle il avait si
+souvent r&eacute;p&eacute;t&eacute;, dans son enfance, les
+commandements qu'il avait oubli&eacute;s
+quand il &eacute;tait devenu homme. Il s'approcha de l'ancien banc de
+sa m&egrave;re;
+le coussin avait &eacute;t&eacute; retir&eacute;, la bible n'y
+&eacute;tait point. Il pensa que
+peut-&ecirc;tre Mme Edmunds occupait maintenant un si&eacute;ge plus
+pauvre, ou que
+peut-&ecirc;tre elle &eacute;tait devenue infirme et ne pouvait plus
+aller seule
+jusqu'&agrave; l'&eacute;glise. Il n'osait pas arr&ecirc;ter son esprit
+sur une autre
+supposition. Une sensation de froid s'empara de lui, et il tremblait de
+tous ses membres en se d&eacute;tournant pour sortir.</p>
+<p>Comme il arrivait sous le porche, il y vit entrer un homme vieux et
+cass&eacute;. Il tressaillit, car il le reconnaissait: souvent il
+l'avait vu
+creuser des fosses dans le cimeti&egrave;re derri&egrave;re
+l'&eacute;glise: et maintenant
+qu'est-ce que l'honn&ecirc;te sacristain allait dire au convict
+lib&eacute;r&eacute;? Le
+vieillard leva les yeux, le regarda un instant, lui souhaita le
+bonsoir,
+et s'&eacute;loigna avec lenteur. Il ne l'avait pas reconnu.</p>
+<p>Edmunds descendit la colline et traversa le village. La saison
+&eacute;tait
+chaude, et les habitants, assis &agrave; leur porte ou se promenant
+dans leur
+petit jardin, jouissaient de la fra&icirc;cheur du soir et des douceurs
+du
+repos, apr&egrave;s les fatigues de la journ&eacute;e. Beaucoup de
+regards se
+dirig&egrave;rent vers l'&eacute;tranger, et il jeta &agrave; droite et
+&agrave; gauche bien des
+coups d'&#339;il inquiets, pour voir si on se souvenait de lui et si on
+l'&eacute;vitait. Il y avait des figures nouvelles dans presque toutes
+les
+maisons; &agrave; la porte de quelques-unes il reconnaissait la
+physionomie
+d'un camarade d'&eacute;cole, un bambin lorsqu'il l'avait
+quitt&eacute;, et maintenant
+environn&eacute; de ses joyeux enfants: devant d'autres
+chaumi&egrave;res il voyait,
+assis dans un fauteuil, un vieillard faible et infirme, qu'il se
+rappelait avoir connu encore jeune et vigoureux. Tous l'avaient
+oubli&eacute;
+et il passa sans que personne lui adress&acirc;t une parole.</p>
+<p>Les derniers et doux rayons du soleil avaient jet&eacute; sur la
+terre une
+riche teinte de pourpre, donnant un &eacute;clat dor&eacute; aux
+&eacute;pis jaunis et
+allongeant l'ombre des arbres, lorsqu'il arriva devant la vieille
+maison, la maison de son enfance, apr&egrave;s laquelle son c&#339;ur avait
+soupir&eacute;
+si souvent, si ardemment, durant de longues et p&eacute;nibles
+ann&eacute;es de
+captivit&eacute; et de douleur. La palissade &eacute;tait basse,
+quoiqu'il se rappel&acirc;t
+le temps o&ugrave; elle lui paraissait gigantesque; il regarda
+par-dessus dans
+le jardin. Il y vit beaucoup plus de fleurs qu'il n'y en avait
+autrefois, mais les vieux arbres y &eacute;taient encore. Il reconnut
+celui
+sous lequel il s'&eacute;tait couch&eacute; mille fois lorsqu'il
+&eacute;tait fatigu&eacute; de
+jouer au soleil, laissant doucement aller ses sens au l&eacute;ger
+sommeil
+d'une enfance heureuse. Il entendit des voix dans l'int&eacute;rieur de
+la
+maison, mais elles affect&egrave;rent p&eacute;niblement son oreille,
+car il ne les
+connaissait point, et elles exprimaient la gaiet&eacute;. Or il savait
+bien que
+sa pauvre vieille m&egrave;re ne pouvait pas &ecirc;tre gaie, lui
+absent. La porte
+s'ouvrit et il en vit sortir une troupe de petits enfante riant et
+gambadant.</p>
+<p>Le p&egrave;re, avec un marmot dans ses bras, parut sur le seuil et
+les enfants
+se press&egrave;rent autour de lui, frappant joyeusement des mains, et
+le
+tirant de toutes leurs forces pour lui faire prendre part &agrave;
+leurs jeux.
+Le convict se rappela combien de fois, &agrave; la m&ecirc;me place, il
+s'&eacute;tait
+d&eacute;rob&eacute; aux regards de son p&egrave;re; il se rappela
+combien de fois il avait
+cach&eacute; sous ses draps sa t&ecirc;te tremblante, en entendant les
+sanglote
+&eacute;touff&eacute;s de sa malheureuse m&egrave;re quand elle avait
+&eacute;t&eacute; injuri&eacute;e et battue
+par son mari furieux. Il se d&eacute;tourna, et ses poings
+&eacute;taient crisp&eacute;s,
+ses dents &eacute;taient serr&eacute;es avec rage, lorsqu'il
+s'&eacute;loigna de la maison
+paternelle.</p>
+<p>Tel &eacute;tait donc le retour qui avait occup&eacute; son esprit
+pendant un si grand
+nombre d'ann&eacute;es p&eacute;nibles, et pour lequel il avait
+support&eacute; tant de
+souffrances! Pas un visage ami, pas un regard de pardon, pas une main
+pour l'aider, pas une maison pour l'accueillir; et cela dans le village
+o&ugrave; il &eacute;tait n&eacute;! Quel abandon! quelle solitude!
+plus am&egrave;re mille fois que
+celle des contr&eacute;es sauvages o&ugrave; il avait &eacute;t&eacute;
+exil&eacute;!</p>
+<p>Il reconnut alors que, sur la terre lointaine de l'infamie et de la
+servitude, il s'&eacute;tait repr&eacute;sent&eacute; les lieux de sa
+naissance tels qu'il
+les avait laiss&eacute;s, non pas tels qu'il devait les retrouver. La
+triste
+r&eacute;alit&eacute; se d&eacute;voila tout d'un coup &agrave; son
+esprit, et abattit son courage.
+Il n'eut pas la force de prendre des informations ni de se
+pr&eacute;senter &agrave;
+la seule personne qui devait le recevoir avec compassion. Il marcha
+lentement devant lui, &eacute;vitant la grande route, comme un
+coupable, entra
+dans une prairie qu'il avait parcourue jadis dans tous les sens,
+couvrit
+son visage de ses mains, et se laissa tomber sur l'herbe.</p>
+<p>Un homme, qu'Edmunds n'avait point aper&ccedil;u, &eacute;tait assis
+tout aupr&egrave;s de
+lui sur la terre. Il se retourna pour regarder le nouveau venu, et
+Edmunds entendant le fr&ocirc;lement de ses habits releva la t&ecirc;te.</p>
+<p>Cet homme portait le costume du Work-House; son corps &eacute;tait
+courb&eacute;, sa
+face jaune et rid&eacute;e. Il paraissait tr&egrave;s-vieux, mais
+plut&ocirc;t par l'effet
+destructeur de l'intemp&eacute;rance et des maladies que par le
+r&eacute;sultat
+graduel des ann&eacute;es. Ses yeux &eacute;taient lourds et ternes,
+mais quand ils
+eurent contempl&eacute; Edmunds pendant quelques instants, ils
+s'anim&egrave;rent
+d'une &eacute;trange expression d'alarme, et s'ouvrirent si
+horriblement qu'ils
+semblaient pr&egrave;s de sortir de leur orbite.</p>
+<p>Le convict, se levant peu &agrave; peu sur ses genoux, examinait
+avec une
+anxi&eacute;t&eacute; toujours croissante le visage du vieillard. Ils
+s'observ&egrave;rent
+ainsi en silence durant assez longtemps.</p>
+<p>Tout &agrave; coup le vieillard tressaillit, devint affreusement
+p&acirc;le, se leva
+en chancelant et recula quelques pas, en voyant qu'Edmunds se levait
+aussi.</p>
+<p>&laquo;Parlez-moi! que j'entende le son de votre voix!
+s'&eacute;cria le lib&eacute;r&eacute;
+palpitant d'&eacute;motion.</p>
+<p>&#8212;N'avance pas!&raquo; s'&eacute;cria le vieillard en
+blasph&eacute;mant.</p>
+<p>Mais Edmunds ne l'&eacute;coutait point et continuait &agrave;
+s'approcher de lui.</p>
+<p>&laquo;N'avance pas! r&eacute;p&eacute;ta-t-il en fr&eacute;missant
+de rage et de terreur; et en
+m&ecirc;me temps, levant son b&acirc;ton, il en frappa violemment le
+lib&eacute;r&eacute; au
+visage.</p>
+<p>&#8212;Mon p&egrave;re!... Mis&eacute;rable!...&raquo; murmura celui-ci
+entre ses dents serr&eacute;es;
+puis, s'&eacute;lan&ccedil;ant avec fureur, il saisit le vieillard
+&agrave; la gorge; mais il
+se souvint que c'&eacute;tait son p&egrave;re, et ses mains
+retomb&egrave;rent sans force &agrave;
+ses c&ocirc;t&eacute;s.</p>
+<p>Le vieillard jeta un cri per&ccedil;ant, qui retentit &agrave;
+travers les champs
+d&eacute;serts comme les hurlements d'un mauvais esprit. Sa face devint
+livide,
+le sang jaillit de sa bouche et de son nez, il chancela et tomba en
+arri&egrave;re. Il s'&eacute;tait rompu un vaisseau, et lorsque son
+fils le releva de
+la mare de sang noir et &eacute;pais qu'il avait vomie, il &eacute;tait
+mort.</p>
+<p>Dans un coin de notre cimeti&egrave;re, repose un homme que j'ai
+employ&eacute; &agrave; mon
+service pendant trois ann&eacute;es, apr&egrave;s cet
+&eacute;v&eacute;nement. Il &eacute;tait r&eacute;ellement
+repentant et corrig&eacute;. Personne n'a su durant sa vie qui il
+&eacute;tait, ni
+d'o&ugrave; il venait. C'&eacute;tait Edmunds le convict
+lib&eacute;r&eacute;.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_VII"></a>
+<h2>CHAPITRE VII.</h2>
+<h3>Comment M. Winkle, au lieu de tirer le pigeon et de tuer la
+corneille,
+tira la corneille et blessa le pigeon. Comment le club de la Crosse de
+Dingley-Dell lutta contre celui de Muggleton, et comment Muggleton
+d&icirc;na
+aux d&eacute;pens de Dingley-Dell. Avec diverses autres mati&egrave;res
+&eacute;galement
+instructives et int&eacute;ressantes.</h3>
+<br/>
+<p>Les fatigantes aventures de la journ&eacute;e, ou peut-&ecirc;tre
+l'influence
+somnif&egrave;re de l'histoire racont&eacute;e par le ministre,
+op&eacute;r&egrave;rent si fortement
+sur les nerfs de M. Pickwick qu'il &eacute;tait &agrave; peine au lit
+depuis cinq
+minutes, lorsqu'il s'endormit d'un sommeil profond. Il n'en fut
+tir&eacute; que
+le lendemain matin par les brillants rayons du soleil levant, qui
+p&eacute;n&eacute;traient dans sa chambre, et qui semblaient lui
+adresser des
+reproches.</p>
+<p>M. Pickwick n'&eacute;tait pas paresseux: comme un vaillant
+guerrier, il
+s'&eacute;lan&ccedil;a hors de sa tente... je veux dire &agrave; bas de
+son lit.</p>
+<p>&laquo;Quel d&eacute;licieux pays! s'&eacute;cria-t-il avec
+enthousiasme en ouvrant sa
+jalousie. Ah! lorsqu'on a senti l'influence d'un semblable paysage,
+pourrait-on consentir &agrave; vivre pour n'apercevoir chaque jour que
+des
+briques et des ardoises? Pourrait-on continuer d'exister dans un lieu
+o&ugrave;
+l'on ne voit pas de foin, except&eacute; dans les &eacute;curies; pas
+de plantes
+fleuries except&eacute; des joubarbes sur les toits; pas de vaches,
+except&eacute;
+celles de l'imp&eacute;riale des voitures? Rien qui rappelle le dieu
+Pan,
+except&eacute; des pans de muraille. Pourrait-on consentir &agrave;
+tra&icirc;ner sa vie
+dans un tel s&eacute;jour? je le demande, pourrait-on endurer une
+semblable
+existence?&raquo;</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir ainsi, durant longtemps, interrog&eacute; la
+solitude, suivant
+l'usage des plus grands po&euml;tes, M. Pickwick allongea la t&ecirc;te
+hors de la
+crois&eacute;e, et regarda autour de lui.</p>
+<p>La douce et p&eacute;n&eacute;trante odeur des foins qu'on venait de
+faucher montait
+jusqu'&agrave; lui. Les mille parfums des petites fleurs au jardin
+embaumaient
+l'air d'alentour; la verte prairie brillait sous la ros&eacute;e
+matinale, et
+chaque brin d'herbe &eacute;tincelait agit&eacute; par un doux
+z&eacute;phyr. Enfin les
+oiseaux chantaient, comme si chacune des larmes de l'aurore avait
+&eacute;t&eacute;
+pour eux une source d'inspiration. En contemplant ce spectacle, M.
+Pickwick tomba dans une douce et myst&eacute;rieuse r&ecirc;verie.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;!&raquo; tels furent les sons qui le
+rappel&egrave;rent &agrave; la vie r&eacute;elle.</p>
+<p>Sa vue se porta rapidement sur la droite; mais il ne
+d&eacute;couvrit personne.
+Ses yeux s'&eacute;gar&egrave;rent vers la gauche et perc&egrave;rent
+en vain l'&eacute;tendue. Il
+mesura d'un regard audacieux le firmament; mais ce n'&eacute;tait point
+de l&agrave;
+qu'on l'appelait; enfin il fit ce qu'un esprit vulgaire aurait fait du
+premier coup, il regarda dans le jardin et y vit M. Wardle.</p>
+<p>&laquo;Comment &ccedil;a va-t-il? lui demanda son joyeux h&ocirc;te.
+Belle matin&eacute;e,
+n'est-ce pas? Charm&eacute; de vous voir lev&eacute; de si bonne heure.
+D&eacute;p&ecirc;chez-vous
+de descendre, je vous attendrai ici.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick n'eut pas besoin d'une seconde invitation. Dix minutes
+lui
+suffirent pour compl&eacute;ter sa toilette, et &agrave; l'expiration
+de ce terme, il
+&eacute;tait &agrave; c&ocirc;t&eacute; du vieux gentleman.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'il y a? demanda M. Pickwick en voyant que son
+h&ocirc;te &eacute;tait
+arm&eacute; d'un fusil et qu'il y en avait un second pr&egrave;s de
+lui, sur le gazon.</p>
+<p>&#8212;Votre ami et moi, r&eacute;pliqua M. Wardle, nous allons tirer des
+corneilles
+avant d&eacute;jeuner. Il est tr&egrave;s-bon tireur, n'est-il pas vrai?</p>
+<p>&#8212;Je le lui ai entendu dire, mais je ne lui ai jamais vu ajuster la
+moindre chose.</p>
+<p>&#8212;Je voudrais bien qu'il se d&eacute;p&ecirc;ch&acirc;t, murmura M.
+Wardle; et il appela:
+Joe! Joe!&raquo;</p>
+<p>Peu de temps apr&egrave;s on vit sortir de la maison le gros
+joufflu, qui,
+gr&acirc;ce &agrave; l'influence excitante de la matin&eacute;e,
+n'&eacute;tait gu&egrave;re assoupi
+qu'aux trois quarts.</p>
+<p>&laquo;Allez appeler le gentleman, lui dit son ma&icirc;tre, et
+pr&eacute;venez-le qu'il me
+trouvera avec M. Pickwick, dans le bois. Vous lui montrerez le chemin,
+entendez-vous?&raquo;</p>
+<p>Joe s'&eacute;loigna pour ex&eacute;cuter cette commission, et M.
+Wardle, portant les
+deux fusils, conduisit M. Pickwick hors du jardin.</p>
+<p>&laquo;Voici la place,&raquo; dit-il au bout de quelques minutes en
+s'arr&ecirc;tant dans
+une avenue d'arbres. C'&eacute;tait un avertissement inutile, car le
+croassement continuel des pauvres corneilles indiquait suffisamment
+leur
+domicile.</p>
+<p>Le vieux gentleman posa l'un des fusils sur la terre et chargea
+l'autre.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; nos gens, dit M. Pickwick. Et en effet on
+aper&ccedil;ut au loin M.
+Tupman, M. Snodgrass et M. Winkle, car Joe ne sachant pas, au juste,
+lequel de ces messieurs il devait amener, avait jug&eacute;, dans sa
+sagacit&eacute;
+profonde, que pour pr&eacute;venir toute erreur, le meilleur moyen
+&eacute;tait de les
+convoquer tous les trois.</p>
+<p>&laquo;Arrivez! arrivez! cria le vieux gentleman &agrave; M. Winkle.
+Un fameux tireur
+comme vous aurait d&ucirc; &ecirc;tre pr&ecirc;t depuis longtemps,
+m&ecirc;me pour si peu de
+chose.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle r&eacute;pondit par un sourire contraint, et ramassa le
+fusil qui lui
+&eacute;tait destin&eacute;, avec l'expression de physionomie qui
+aurait pu convenir &agrave;
+une corneille m&eacute;taphysicienne, tourment&eacute;e par le
+pressentiment d'une
+mort prochaine et violente. C'&eacute;tait peut-&ecirc;tre de
+l'indiff&eacute;rence, mais
+cela ressemblait prodigieusement &agrave; de l'abattement.</p>
+<p>Le vieux gentleman fit un signe, et deux gamins
+d&eacute;guenill&eacute;s commenc&egrave;rent
+&agrave; grimper lestement sur deux arbres.</p>
+<p>&laquo;Pourquoi faire ces enfants?&raquo; demanda brusquement M.
+Pickwick.</p>
+<p>Son bon c&#339;ur s'&eacute;tait alarm&eacute;, car il avait tant entendu
+parler de la
+d&eacute;tresse des laboureurs, qu'il n'&eacute;tait pas
+&eacute;loign&eacute; de croire que leurs
+enfants pussent &ecirc;tre forc&eacute;s par la mis&egrave;re, &agrave;
+s'offrir eux-m&ecirc;mes pour but
+aux chasseurs, afin d'assurer ainsi &agrave; leurs parents une
+ch&eacute;tive
+subsistance.</p>
+<p>&laquo;Seulement pour faire lever le gibier, r&eacute;pondit en
+riant M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Pour faire quoi?</p>
+<p>&#8212;Pour effrayer les corneilles.</p>
+<p>&#8212;Ah! voil&agrave; tout?</p>
+<p>&#8212;Oui. Vous voil&agrave; enti&egrave;rement tranquille?</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien! Commencerai-je? ajouta le vieux gentleman en
+s'adressant &agrave;
+M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Oui, s'il vous pla&icirc;t, r&eacute;pondit celui-ci,
+enchant&eacute; d'avoir un moment de
+r&eacute;pit.</p>
+<p>&#8212;Reculez-vous un peu. Allons! voil&agrave; le moment!&raquo;</p>
+<p>L'un des enfants cria en secouant une branche, sur laquelle
+&eacute;tait un
+nid, et aussit&ocirc;t une douzaine de jeunes corneilles, interrompues
+au
+milieu d'une tr&egrave;s-bruyante conversation,
+s'&eacute;lanc&egrave;rent au dehors pour
+demander de quoi il s'agissait. Le vieux gentleman fit feu, par
+mani&egrave;re
+de r&eacute;plique. L'un des oiseaux tomba et les autres
+s'envol&egrave;rent.</p>
+<p>&#8212;Ramassez-le Joe,&raquo; dit le vieux gentleman.</p>
+<p>Le corpulent jeune homme s'avan&ccedil;a, et ses traits
+s'&eacute;panouirent en guise
+de sourire: des visions indistinctes de p&acirc;t&eacute;s de
+corneilles flottaient
+devant son imagination. En emportant l'oiseau, il riait, car la victime
+&eacute;tait grasse et tendre.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, &agrave; votre tour, monsieur Winkle, dit le
+vieux gentleman en
+rechargeant son fusil. Allons! tirez!&raquo;</p>
+<p>M. Winkle s'avan&ccedil;a, et &eacute;paula son fusil. M. Pickwick
+et ses compagnons
+se recul&egrave;rent involontairement, pour &eacute;viter la pluie de
+corneilles
+qu'ils &eacute;taient s&ucirc;rs de voir tomber sous le plomb
+d&eacute;vastateur de leur
+ami. Il y eut une pose solennelle, un grand cri, un battement d'ailes,
+un l&eacute;ger clic....</p>
+<p>&laquo;Oh! oh! fit le vieux gentleman.</p>
+<p>&#8212;Il ne veut pas partir? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Il a rat&eacute;, r&eacute;pondit M. Winkle, qui &eacute;tait fort
+p&acirc;le, probablement de
+d&eacute;sappointement.</p>
+<p>&#8212;C'est &eacute;trange, dit le vieux gentleman en prenant le fusil.
+Cela ne lui
+est jamais arriv&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Comment? je ne vois aucun reste de la capsule.</p>
+<p>&#8212;En v&eacute;rit&eacute;? r&eacute;partit M. Winkle: j'aurai
+compl&eacute;tement oubli&eacute; la
+capsule.&raquo;</p>
+<p>Cette l&eacute;g&egrave;re omission fut r&eacute;par&eacute;e; M.
+Pickwick s'abrita de nouveau, et
+M. Tupman se mit derri&egrave;re un arbre. M. Winkle fit un pas en
+avant, d'un
+air d&eacute;termin&eacute;, en tenant son fusil &agrave; deux mains.
+L'enfant cria; quatre
+oiseaux s'envol&egrave;rent; M. Winkle leva son arme; on entendit une
+explosion, puis un cri d'angoisse; mais ce n'&eacute;tait pas le cri
+d'une
+corneille. M. Tupman avait sauv&eacute; la vie &agrave; beaucoup
+d'innocents oiseaux,
+en recevant dans son bras gauche une partie de la charge.</p>
+<p>Il serait impossible d'exprimer la confusion qui s'en suivit; de
+dire
+comment M. Pickwick, dans les premiers transports de son
+&eacute;motion, appela
+M. Winkle, mis&eacute;rable! comment M. Tupman &eacute;tait
+&eacute;tendu sur le gazon;
+comment M. Winkle, frapp&eacute; d'horreur, s'&eacute;tait
+agenouill&eacute; aupr&egrave;s de lui;
+comment M. Tupman, dans le d&eacute;lire, invoquait plusieurs noms de
+bapt&ecirc;me
+f&eacute;minins, puis ouvrait un &#339;il, puis l'autre, et retombait en
+arri&egrave;re, en
+les fermant tous les deux. Une telle sc&egrave;ne serait aussi
+difficile &agrave;
+d&eacute;crire, qu'il le serait de peindre le malheureux bless&eacute;
+revenant
+graduellement &agrave; lui-m&ecirc;me, voyant bander ses plaies avec
+des mouchoirs,
+et regagnant lentement la maison, appuy&eacute; sur ses amis inquiets.</p>
+<p>Les dames &eacute;taient sur le seuil de la porte, attendant le
+retour de ces
+messieurs pour d&eacute;jeuner. La tante demoiselle brillait entre
+toutes; elle
+sourit et leur fit signe de venir plus vite. Il &eacute;tait
+&eacute;vident qu'elle ne
+savait point l'accident arriv&eacute;. Pauvre cr&eacute;ature! Il y a
+des moments o&ugrave;
+l'ignorance est v&eacute;ritablement un bienfait.</p>
+<p>On approchait de plus en plus.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-il donc arriv&eacute; au vieux petit monsieur? dit
+&agrave; demi-voix miss
+Isabella Wardle. La tante demoiselle ne fit pas attention &agrave;
+cette
+remarque. Elle crut qu'il s'agissait de M. Pickwick; car &agrave; ses
+yeux,
+Tracy Tupman &eacute;tait un jeune homme: elle voyait ses ann&eacute;es
+&agrave; travers un
+verre rapetissant.</p>
+<p>&#8212;Ne vous effrayez point! cria M. Wardle &agrave; ses filles; et la
+petite
+troupe &eacute;tait tellement press&eacute;e autour de M. Tupman, qu'on
+ne pouvait pas
+encore distinguer clairement la nature de l'&eacute;v&eacute;nement.</p>
+<p>&#8212;Ne vous effrayez point, r&eacute;p&eacute;ta M. Wardle quelques pas
+plus loin.</p>
+<p>&#8212;Qu'y a-t-il donc! s'&eacute;cri&egrave;rent les dames horriblement
+alarm&eacute;es par
+cette pr&eacute;caution.</p>
+<p>&#8212;IL est arriv&eacute; un petit accident &agrave; M. Tupman;
+voil&agrave; tout.&raquo;</p>
+<p>La tante demoiselle poussa un cri per&ccedil;ant, ferma les yeux et
+se laissa
+tomber &agrave; la renverse dans les bras des deux jeunes personnes.</p>
+<p>&laquo;Jetez-lui de l'eau froide au visage, s'&eacute;cria le vieux
+gentleman.</p>
+<p>&#8212;Non! Non! murmura la tante demoiselle. Je suis mieux maintenant,
+Bella.... &Eacute;mily.... Un chirurgien.... Est-il bless&eacute;?
+est-il mort?
+est-il.... Ah! ah! ah!...&raquo; Et la tante demoiselle, poussant de
+nouveaux
+cris, eut une attaque de nerfs n&deg; 2.</p>
+<p>&laquo;Calmez-vous, dit M. Tupman affect&eacute; presque jusqu'aux
+larmes de cette
+expression de sympathie pour ses souffrances. Ch&egrave;re demoiselle,
+calmez-vous!</p>
+<p>&#8212;C'est sa voix! s'&eacute;cria la tante demoiselle; et de violents
+sympt&ocirc;mes
+d'une attaque n&deg; 3 se manifest&egrave;rent aussit&ocirc;t.</p>
+<p>&#8212;Ne vous tourmentez pas, je vous en supplie,
+tr&egrave;s-ch&egrave;re demoiselle,
+reprit M. Tupman d'une voix consolante. Je suis fort peu bless&eacute;,
+je vous
+assure.</p>
+<p>&#8212;Vous n'&ecirc;tes donc pas mort? s'&eacute;cria la nerveuse
+personne. Oh! dites que
+vous n'&ecirc;tes pas mort.</p>
+<p>&#8212;Ne faites pas la folle, Rachel, interrompit M. Wardle, d'une
+mani&egrave;re
+plus brusque que ne semblait le comporter la nature po&eacute;tique de
+cette
+sc&egrave;ne. Quelle diable de n&eacute;cessit&eacute; y a-t-il, qu'il
+vous dise lui-m&ecirc;me
+qu'il n'est pas mort?</p>
+<p>&#8212;Non! je ne le suis pas, reprit M. Tupman; je n'ai pas besoin
+d'autres
+secours que les v&ocirc;tres. Laissez-moi m'appuyer sur votre
+bras....&raquo; Et il
+ajouta &agrave; son oreille: &laquo;O miss Rachel!&raquo; Pleine
+d'agitation, la dame de
+ses pens&eacute;es s'avan&ccedil;a et lui offrit son bras. Ils
+entr&egrave;rent ensemble dans
+le salon. M. Tracy Tupman pressa doucement sur ses l&egrave;vres une
+main qu'on
+lui abandonna, et se laissa tomber ensuite sur un canap&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Vous trouvez-vous mal? demanda Rachel avec
+anxi&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Non, ce n'est rien; je serai mieux dans un instant, r&eacute;pondit
+M. Tupman
+en fermant les yeux.</p>
+<p>&#8212;Il dort! murmura la tante demoiselle (il avait clos ses
+paupi&egrave;res
+depuis pr&egrave;s de vingt secondes). Il dort! cher M. Tupman!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman sauta sur ses pieds. Oh! r&eacute;p&eacute;tez ces
+paroles! s'&eacute;cria-t-il.</p>
+<p>La dame tressaillit. &laquo;S&ucirc;rement vous ne les avez pas
+entendues, dit-elle
+avec pudeur.</p>
+<p>&#8212;Oh! si, je les ai entendues, r&eacute;pliqua chaleureusement M.
+Tupman.
+R&eacute;p&eacute;tez ces paroles, si vous voulez que je
+gu&eacute;risse! r&eacute;p&eacute;tez-les.</p>
+<p>&#8212;Silence! dit la dame! voil&agrave; mon fr&egrave;re!&raquo;</p>
+<p>M. Tracy Tupman reprit sa premi&egrave;re position, et M. Wardle
+entra dans la
+chambre, accompagn&eacute; d'un chirurgien.</p>
+<p>Le bras fut examin&eacute;; la blessure pans&eacute;e, et
+d&eacute;clar&eacute;e fort l&eacute;g&egrave;re; et
+l'esprit des assistants se trouvant ainsi rassur&eacute; ils
+proc&eacute;d&egrave;rent &agrave;
+satisfaire leur app&eacute;tit. La gaiet&eacute; brillait de nouveau
+sur leurs
+visages. M. Pickwick seul restait silencieux et r&eacute;serv&eacute;;
+la doute et la
+m&eacute;fiance se peignaient sur sa physionomie expressive, car sa
+confiance
+en M. Winkle avait &eacute;t&eacute; &eacute;branl&eacute;e, grandement
+&eacute;branl&eacute;e par les aventures
+du matin.</p>
+<p>&laquo;Jouez-vous &agrave; la crosse? demanda M. Wardle au chasseur.</p>
+<p>Dans tout autre temps M. Winkle aurait r&eacute;pondu d'une
+mani&egrave;re
+affirmative, mais il sentit la d&eacute;licatesse de sa position, et
+r&eacute;pliqua
+modestement: &laquo;Non monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et vous, monsieur? demanda M. Snodgrass au joyeux vieillard.</p>
+<p>&#8212;J'y jouais autrefois, r&eacute;pliqua celui-ci; mais j'y ai
+renonc&eacute;
+d&eacute;sormais. Cependant je souscris au club, quoique je ne joue
+plus.</p>
+<p>&#8212;N'est-ce pas aujourd'hui qu'a lieu la grande partie entre les camps
+oppos&eacute;s de Muggleton et de Dingley-Dell? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pliqua leur h&ocirc;te: vous y viendrez, n'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pondit M. Pickwick: j'ai grand plaisir
+&agrave; voir des
+exercices auxquels on peut se livrer sans danger, et dans lesquels la
+maladresse des gens ne met pas en p&eacute;ril la vie de leurs
+semblables.&raquo; En
+pronon&ccedil;ant ces mots M. Pickwick fit une pause expressive, et
+regarda
+fixement M. Winkle, qui ne put soutenir sans fr&eacute;mir le coup
+d'&#339;il
+p&eacute;n&eacute;trant de son mentor. Celui-ci ajouta alors: &laquo;Ne
+serait-il pas
+convenable de confier notre ami bless&eacute; aux soins de ces dames?</p>
+<p>&#8212;Vous ne pouvez pas me placer dans de meilleures mains, murmura M
+Tupman.</p>
+<p>&#8212;Ce serait impossible,&raquo; ajouta M. Snodgrass.</p>
+<p>Il fut donc convenu que M. Tupman resterait &agrave; la maison sous
+la
+surveillance des dames, et que la portion masculine de la
+soci&eacute;t&eacute;,
+conduite par M. Wardle, irait juger des coups dans ce combat
+d'habilet&eacute;
+qui avait tir&eacute; Muggleton de sa torpeur, et inocul&eacute;
+&agrave; Dingley-Dell une
+excitation f&eacute;brile.</p>
+<p>Il n'y avait gu&egrave;re qu'une demi-lieue de distance &agrave;
+parcourir, et le
+sentier couvert de mousse passait par des all&eacute;es
+ombrag&eacute;es. La
+conversation roula principalement sur les d&eacute;licieux paysages qui
+se
+d&eacute;couvraient tour &agrave; tour, et M. Pickwick regretta presque
+d'avoir &eacute;t&eacute; si
+vite, lorsqu'il se trouva dans la grande rue de Muggleton.</p>
+<p>Toutes les personnes dont le g&eacute;nie est dou&eacute; de la
+moindre propension
+g&eacute;ographique savent, n&eacute;cessairement, que la ville de
+Muggleton jouit
+d'une corporation, qu'elle poss&egrave;de un maire, des bourgeois, des
+&eacute;lecteurs: et quiconque consultera les Adresses du maire aux <i>freemen</i>,
+ou celles des <i>freemen</i> au maire, ou celles du maire et des <i>freemen</i>
+&agrave;
+la corporation, ou celles du maire, des <i>freemen</i> et de la
+corporation
+au Parlement, apprendra par l&agrave; ce qu'il aurait d&ucirc;
+conna&icirc;tre auparavant:
+&agrave; savoir, que Muggleton est un <i>bourg</i> ancien et loyal,
+unissant une
+ferveur z&eacute;l&eacute;e pour les principes du christianisme
+&agrave; un attachement
+solide aux droits commerciaux. En preuve de quoi, le maire, la
+corporation et divers habitants, ont pr&eacute;sent&eacute; &agrave;
+diff&eacute;rentes reprises
+soixante-huit p&eacute;titions pour qu'on permit la vente des
+b&eacute;n&eacute;fices dans
+l'&eacute;glise, quatre-vingt-six p&eacute;titions pour qu'on
+d&eacute;fend&icirc;t la vente dans
+les rues le dimanche, mille quatre cent vingt p&eacute;titions contre
+la traite
+des noirs en Am&eacute;rique, avec un nombre &eacute;gal de
+p&eacute;titions contre toute
+esp&egrave;ce d'intervention l&eacute;gislative, au sujet du travail
+exag&eacute;r&eacute; des
+enfants, dans les manufactures anglaises.</p>
+<p>Lorsque M. Pickwick se trouva dans la grande rue de cet illustre
+bourg,
+il contempla la sc&egrave;ne qui s'offrit &agrave; ses yeux avec une
+curiosit&eacute;
+m&eacute;lang&eacute;e d'int&eacute;r&ecirc;t.</p>
+<p>La place du march&eacute; avait la forme d'un carr&eacute; au centre
+duquel s'&eacute;tait
+&eacute;rig&eacute;e une vaste auberge. Son enseigne &eacute;norme
+&eacute;talait un objet fort
+commun dans les arts, mais qu'on rencontre rarement dans la nature,
+c'est-&agrave;-dire un lion bleu, ayant trois pattes en l'air et se
+balan&ccedil;ant
+sur l'extr&eacute;mit&eacute; de l'ongle central de la
+quatri&egrave;me. On voyait aux
+environs un bureau d'assurance contre l'incendie et celui d'un
+commissaire-priseur, les magasins d'un marchand de bl&eacute; et d'un
+marchand
+de toile, les boutiques d'un sellier, d'un distillateur, d'un
+&eacute;picier et
+d'un cordonnier, lequel cordonnier faisait &eacute;galement servir son
+local &agrave;
+la diffusion des chapeaux, des bonnets, des hardes de toute
+esp&egrave;ce, des
+parapluies et des connaissances utiles. Il y avait en outre une petite
+maison de briques rouges, pr&eacute;c&eacute;d&eacute;e d'une sorte de
+cour pav&eacute;e, et que
+tout le monde, &agrave; la premi&egrave;re vue, reconnaissait pour
+appartenir &agrave; un
+avou&eacute;. Il y avait encore une autre maison en briques rouges sur
+la porte
+de laquelle s'&eacute;talait une large plaque de cuivre
+annon&ccedil;ant, en
+caract&egrave;res tr&egrave;s-lisibles, que cette maison appartenait
+&agrave; un chirurgien.
+Quelques jeunes gens se dirigeaient vers le jeu de crosse, et deux ou
+trois boutiquiers, se tenant debout sur le pav&eacute; de leur porte,
+avaient
+l'air fort d&eacute;sireux de se rendre au m&ecirc;me endroit, comme
+ils auraient pu
+le faire, selon toutes les apparences, sans perdre un grand nombre de
+chalands.</p>
+<p>M. Pickwick s'&eacute;tait d&eacute;j&agrave; arr&ecirc;t&eacute;
+pour faire ces observations qu'il se
+proposait de noter &agrave; son aise, mais comme ses amis avaient
+quitt&eacute; la
+grande rue, il se h&acirc;ta de les rejoindre et les retrouva en vue du
+champ
+de bataille.</p>
+<p>Les barres que les joueurs doivent conqu&eacute;rir ou
+d&eacute;fendre &eacute;taient d&eacute;j&agrave;
+plac&eacute;es, aussi bien qu'une couple de tentes pour servir au repos
+et au
+rafra&icirc;chissement des parties bellig&eacute;rantes. Mais le jeu
+n'&eacute;tait pas
+encore commenc&eacute;. Deux ou trois Dingley-Dellois ou Muggletoniens
+s'amusaient d'un air majestueux &agrave; jeter n&eacute;gligemment leur
+balle d'une
+main dans l'autre. Ils avaient des chapeaux de paille, des jaquettes de
+flanelle et des pantalons blancs, ce qui leur donnait tout &agrave;
+fait la
+tournure d'amateurs tailleurs de pierre. Quelques autres gentlemen,
+v&ecirc;tus de la m&ecirc;me mani&egrave;re, &eacute;taient
+&eacute;parpill&eacute;s autour des tentes, vers
+l'une desquelles M. Wardle conduisit sa soci&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>Plusieurs douzaines de &laquo;Comment vous portez-vous?&raquo;
+salu&egrave;rent l'arriv&eacute;e
+du vieux gentleman, et il y eut un soul&egrave;vement
+g&eacute;n&eacute;ral de chapeaux de
+paille, avec une inclinaison contagieuse de gilets de flanelle,
+lorsqu'il introduisit ses h&ocirc;tes comme des gentlemen de Londres,
+qui
+d&eacute;siraient vivement assister aux agr&eacute;ables
+divertissements de la
+journ&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Je crois, monsieur, que vous feriez mieux d'entrer dans la
+marquise,
+dit un tr&egrave;s-volumineux gentleman, dont le corps paraissait
+&ecirc;tre la
+moiti&eacute; d'une gigantesque pi&egrave;ce de flanelle,
+perch&eacute;e sur une couple de
+traversins.</p>
+<p>&#8212;Vous y seriez beaucoup mieux, monsieur, ajouta un autre gentleman
+aussi volumineux que le pr&eacute;c&eacute;dent, et qui ressemblait
+&agrave; l'autre moiti&eacute;
+de la susdite pi&egrave;ce de flanelle.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes bien bon, r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Par ici, reprit le premier gentleman; c'est ici que l'on marque,
+c'est
+la place la meilleure;&raquo; et il les pr&eacute;c&eacute;da en
+soufflant comme un cheval
+poussif.</p>
+<p>Jeu superbe,&#8212;noble occupation,&#8212;bel exercice,&#8212;charmant! Telles furent
+les paroles qui frapp&egrave;rent les oreilles de M. Pickwick en
+entrant dans
+la tente, et le premier objet qui s'offrit &agrave; ses regards fut son
+ami de
+la voiture de Rochester. Il &eacute;tait en train de p&eacute;rorer,
+&agrave; la grande
+satisfaction d'un cercle choisi des joueurs &eacute;lus par la ville de
+Muggleton. Son costume s'&eacute;tait l&eacute;g&egrave;rement
+am&eacute;lior&eacute;. Il avait des bottes
+neuves, mais il &eacute;tait impossible de le m&eacute;conna&icirc;tre.</p>
+<p>L'&eacute;tranger reconnut imm&eacute;diatement ses amis. Avec son
+imp&eacute;tuosit&eacute;
+ordinaire et en parlant continuellement, il se pr&eacute;cipita vers M.
+Pickwick, le saisit par la main et le tira vers un si&eacute;ge, comme
+si tous
+les arrangements du jeu avaient &eacute;t&eacute; sp&eacute;cialement
+sous sa direction.</p>
+<p>&laquo;Par ici!&#8212;par ici!&#8212;&ccedil;a sera fi&egrave;rement
+amusant,&#8212;muids de
+bi&egrave;re,&#8212;monceaux de b&#339;uf,&#8212;tonneaux de moutarde,&#8212;glorieuse
+journ&eacute;e,&#8212;asseyez-vous,&#8212;mettez-vous &agrave; votre
+aise,&#8212;charm&eacute; de vous voir,
+tr&egrave;s-charm&eacute;.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick s'assit comme on le lui disait, et MM. Winkle et
+Snodgrass
+suivirent &eacute;galement les indications de leur myst&eacute;rieux
+ami. M. Wardle
+l'examinait avec un &eacute;tonnement silencieux.</p>
+<p>&#8212;M. Wardle, un de mes amis, dit M. Pickwick &agrave;
+l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&#8212;Un de vos amis? s'&eacute;cria celui-ci. Mon cher monsieur, comment
+vous
+portez-vous?&#8212;Les amis de nos amis sont....&#8212;Votre main, monsieur.&raquo;</p>
+<p>En enfilant ces phrases, l'&eacute;tranger saisit la main de M.
+Wardle avec
+toute la chaleur d'une vieille intimit&eacute;, puis se recula de deux
+ou trois
+pas, comme pour mieux voir son visage et sa tournure, puis secoua sa
+main de nouveau plus chaudement encore que la premi&egrave;re fois,
+s'il est
+possible.</p>
+<p>&laquo;Et comment &ecirc;tes-vous venu ici? demanda M. Pickwick avec
+un sourire o&ugrave;
+la bienveillance luttait contre la surprise.</p>
+<p>&#8212;Venu?&#8212;Je loge &agrave; l'auberge de la Couronne, &agrave;
+Muggleton.&#8212;Rencontr&eacute; une
+soci&eacute;t&eacute;.&#8212;Jaquettes de flanelle,&#8212;pantalons
+blancs,&#8212;sandwiches aux
+anchois,&#8212;rognons brais&eacute;s,&#8212;fameux gaillards,&#8212;charmant!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick connaissait assez le syst&egrave;me
+st&eacute;nographique de l'&eacute;tranger
+pour conclure de cette communication rapide et disloqu&eacute;e que,
+d'une
+mani&egrave;re ou d'une autre, il avait fait connaissance avec les
+Muggletoniens, et que, par un proc&eacute;d&eacute; qui lui
+&eacute;tait particulier, il
+&eacute;tait parvenu &agrave; en extraire une invitation
+g&eacute;n&eacute;rale. La curiosit&eacute; de M.
+Pickwick ainsi satisfaite, il ajusta ses lunettes et se pr&eacute;para
+&agrave;
+consid&eacute;rer le jeu qui venait de commencer.</p>
+<p>Les deux joueurs les plus renomm&eacute;s du fameux club de
+Muggleton, M.
+Dumkins et M. Podder, tenant leurs crosses &agrave; la main, se
+port&egrave;rent
+solennellement vers leurs guichets respectifs. M. Luffey, le plus noble
+ornement de Dingley-Dell, fut choisi pour <i>bouler</i> contre le
+redoutable
+Dumkins, et M. Struggles fut &eacute;lu pour rendre le m&ecirc;me
+office &agrave;
+l'invincible Podder. Plusieurs joueurs furent plac&eacute;s pour <i>guetter</i>
+les
+balles en diff&eacute;rents endroits de la plaine, et chacun d'eux se
+mit dans
+l'attitude convenable, en appuyant une main sur chaque genou et en se
+courbant, comme s'il avait voulu offrir un dos favorable &agrave;
+quelque
+apprenti <i>saute-mouton</i>. Tous les joueurs classiques se posent
+ainsi, et
+m&ecirc;me on pense g&eacute;n&eacute;ralement qu'il serait impossible
+de bien voir venir
+une balle dans une autre attitude.</p>
+<p>Les arbitres se plac&egrave;rent derri&egrave;re les guichets et les
+compteurs se
+pr&eacute;par&egrave;rent &agrave; noter les points. Il se fit alors un
+profond silence. M.
+Luffey se retira quelques pas en arri&egrave;re du guichet de
+l'immuable
+Podder, et, durant quelques secondes, il appliqua sa balle &agrave; son
+&#339;il
+droit. Dumkins, les yeux fix&eacute;s sur chaque mouvement de Luffey,
+attendait
+l'arriv&eacute;e de la balle avec une noble confiance.</p>
+<p>&laquo;Attention, s'&eacute;cria soudain le <i>bouleur</i>, et en
+m&ecirc;me temps la balle
+s'&eacute;chappe de sa main, rapide comme l'&eacute;clair, et se dirige
+vers le centre
+du guichet. Le prudent Dumkins &eacute;tait sur ses gardes; il
+re&ccedil;ut la balle
+sur le bout de sa crosse et la fit voler au loin par-dessus les
+&eacute;claireurs, qui s'&eacute;taient baiss&eacute;s justement assez
+pour la laisser passer
+au-dessus de leur t&ecirc;te.</p>
+<p>&#8212;Courez! courez!&#8212;Une autre balle!&#8212;Maintenant!
+&#8212;Allons!&#8212;Jetez-la!&#8212;Allons!&#8212;Arr&ecirc;tez-la!&#8212;Une autre!
+&#8212;Non!&#8212;Oui!&#8212;Non!&#8212;Jetez-la!&#8212;Jetez-la.&raquo; Telles furent les
+acclamations
+qui suivirent ce coup, &agrave; la conclusion duquel Muggleton avait
+gagn&eacute; deux
+points.</p>
+<p>Cependant Podder n'&eacute;tait pas moins actif &agrave; se couvrir
+de lauriers, dont
+l'&eacute;clat rejaillissait &eacute;galement sur Muggleton. Il
+bloquait les balles
+douteuses, laissait passer les mauvaises, prenait les bonnes et les
+faisait voler dans tous les coins de la plaine. Les coureurs
+&eacute;taient sur
+les dents. Les <i>bouleurs</i> furent chang&eacute;s et d'autres <i>boul&egrave;rent</i>
+jusqu'&agrave;
+ce que leur bras en devinssent roides; mais Dumkins et Podder
+rest&egrave;rent
+invaincus. Vainement la balle &eacute;tait lanc&eacute;e droit au
+centre du guichet,
+ils y arrivaient avant elle et la repoussaient au loin. Un gentleman
+d'un certain &acirc;ge s'effor&ccedil;ait-il d'arr&ecirc;ter son
+mouvement, elle roulait
+entre ses jambes ou glissait entre ses doigts; un mince gentleman
+essayait-il de l'attraper, elle lui choquait le nez et rebondissait
+plaisamment avec une nouvelle force, pendant que les yeux du joueur
+maladroit se remplissaient de larmes et que son corps se tordait par la
+violence de ses angoisses. Enfin, quand on fit le compte de Dumkins et
+de Podder, Muggleton avait marqu&eacute; cinquante-quatre points,
+tandis que la
+marque des Dingley-Dellois &eacute;tait aussi blanche que leurs
+visages.
+L'avantage &eacute;tait trop grand pour &ecirc;tre reconquis. Vainement
+l'imp&eacute;tueux
+Luffey, vainement l'enthousiaste Struggles firent-ils tout ce que
+l'exp&eacute;rience et le savoir pouvaient leur sugg&eacute;rer pour
+regagner le
+terrain perdu par Dingley-Dell, tout fut inutile, et bient&ocirc;t
+Dingley-Dell fut oblig&eacute; de reconna&icirc;tre Muggleton pour son
+vainqueur.</p>
+<p>Cependant l'&eacute;tranger &agrave; l'habit vert n'avait fait que
+boire, manger et
+parler &agrave; la fois et sans interruption. A chaque coup bien
+jou&eacute;, il
+exprimait son approbation d'une mani&egrave;re pleine de condescendance
+et qui
+ne pouvait manquer d'&ecirc;tre singuli&egrave;rement flatteuse pour
+les joueurs qui
+la m&eacute;ritaient. Mais aussi, chaque fois qu'un joueur ne pouvait
+saisir la
+balle ou l'arr&ecirc;ter, il fulminait contre le maladroit. Ah!
+stupide!&#8212;Allons, maladroit!&#8212;Imb&eacute;cile!&#8212;Cruche! etc. Exclamations
+au
+moyen desquelles il se posait aux yeux des assistants, comme un juge
+excellent, infaillible dans tous les myst&egrave;res du noble jeu de la
+crosse.</p>
+<p>&laquo;Fameuse partie! bien jou&eacute;e! Certains coups admirables!
+dit l'&eacute;tranger &agrave;
+la fin du jeu, au moment o&ugrave; les deux partis se pressaient dans
+la tente.</p>
+<p>&#8212;Vous y jouez, monsieur? demanda M. Wardle qui avait
+&eacute;t&eacute; amus&eacute; par sa
+loquacit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Jou&eacute;? parbleu! Mille fois. Pas ici; aux Indes occidentales.
+Jeu
+entra&icirc;nant! chaude besogne, tr&egrave;s-chaude!</p>
+<p>&#8212;Ce jeu doit &ecirc;tre bien &eacute;chauffant dans un pareil
+climat! fit observer
+M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;chauffant? Dites br&ucirc;lant! grillant! d&eacute;vorant!
+Un jour, je jouais un
+seul guichet contre mon ami le colonel sir Thomas Blazo, &agrave; qui
+ferait le
+plus de points. Jouant &agrave; pile ou face qui commencera, je gagne:
+sept
+heures du matin: six indig&egrave;nes pour ramasser les balles. Je
+commence. Je
+renvoie toutes les balles du colonel. Chaleur intense! Les
+indig&egrave;nes se
+trouvent mal. On les emporte. Une autre demi-douzaine les remplace; ils
+se trouvent mal de m&ecirc;me. Blazo joue, soutenu par deux
+indig&egrave;nes. Moi,
+infatigable, je lui renvoie toujours ses balles. Blazo se trouve mal
+aussi. Enfonc&eacute; le colonel! Moi, je ne veut pas cesser. Quanko
+Samba
+restait seul. Le soleil &eacute;tait rouge, les crosses br&ucirc;laient
+comme des
+charbons ardents, les balles avaient des boutons de chaleur. Cinq cent
+soixante-dix points! Je n'en pouvais plus. Quanko recueille un reste de
+force. Sa balle renverse mon guichet; mais je prends un bain, et vais
+d&icirc;ner.</p>
+<p>&#8212;Et que devint ce monsieur... Chose? demanda un vieux gentleman.</p>
+<p>&#8212;Qui? Le colonel Blazo?</p>
+<p>&#8212;Non, l'autre gentleman.</p>
+<p>&#8212;Quanko Samba?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Pauvre Quanko! n'en releva jamais, quitta le jeu, quitta la vie,
+mourut, monsieur!&raquo; En pronon&ccedil;ant ces mots,
+l'&eacute;tranger ensevelit son
+visage dans un pot d'ale. Mais &eacute;tait-ce pour en savourer le
+contenu, ou
+pour cacher son &eacute;motion? C'est ce que nous n'avons jamais pu
+&eacute;claircir.
+Nous savons seulement qu'il s'arr&ecirc;ta tout &agrave; coup, qu'il
+poussa un long
+et profond soupir, et qu'il regarda avec anxi&eacute;t&eacute; deux des
+principaux
+membres du club de Dingley-Dell qui s'approchaient de M. Pickwick, et
+qui lui disaient:</p>
+<p>&laquo;Nous allons faire un modeste repas au <i>Lion bleu</i>. Nous
+esp&eacute;rons,
+monsieur, que vous voudrez bien y prendre part, avec vos amis.</p>
+<p>&#8212;Et naturellement, dit M. Wardle, parmi nos amis nous comptons
+monsieur..., et il se tourna vers l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&#8212;Jingle, r&eacute;pondit cet universel personnage. Alfred Jingle,
+esquire, de
+Sansterre.</p>
+<p>&#8212;J'accepte avec grand plaisir, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Et moi aussi, cria M. Alfred Jingle en prenant d'un
+c&ocirc;t&eacute; le bras de M.
+Wardle, et, de l'autre, celui de M. Pickwick, et en murmurant &agrave;
+l'oreille de celui-ci:</p>
+<p>&#8212;Fameux d&icirc;ner! froid, mais bon. J'ai lorgn&eacute; dans la
+chambre, ce matin:
+volailles et p&acirc;t&eacute;s, et le reste. Charmantes gens, et polis
+par-dessus le
+march&eacute;, tr&egrave;s-polis.&raquo;</p>
+<p>Comme il n'y avait point d'autres pr&eacute;liminaires &agrave;
+arranger, la compagnie
+traversa le bourg en petits groupes, et un quart d'heure apr&egrave;s
+elle
+&eacute;tait tout enti&egrave;re assise dans la grande salle du <i>Lion
+bleu</i> de
+Muggleton.</p>
+<p>M. Dumkins remplit les fonctions de pr&eacute;sident, et M. Luffey
+celles de
+vice-pr&eacute;sident.</p>
+<p>Il y eut un grand cliquetis de paroles et d'assiettes, de
+fourchettes
+et de couteaux. Trois gar&ccedil;ons couraient de tous
+c&ocirc;t&eacute;s, et les mets
+substantiels disparaissaient rapidement. Le fac&eacute;tieux M. Jingle
+contribuait, au moins comme une demi-douzaine d'hommes ordinaires,
+&agrave;
+chacune de ces causes de confusion. Lorsque tous les convives eurent
+mang&eacute; autant qu'ils purent, la nappe fut enlev&eacute;e; des
+bouteilles, des
+verres et le dessert furent plac&eacute;s sur la table, et les
+gar&ccedil;ons se
+retir&egrave;rent pour d&eacute;barrasser, en d'autres termes pour
+s'approprier tous
+les restes mangeables ou buvables sur lesquels il leur fut possible de
+mettre la main.</p>
+<p>Bient&ocirc;t on n'entendit plus dans la salle qu'un vaste murmure
+de
+conversations et d'&eacute;clats de rire. Il se trouvait l&agrave; un
+petit homme
+bouffi, qui avait un air de &laquo;ne-me-dites-rien,
+ou-je-vous-contredirai,&raquo;
+et qui jusqu'alors &eacute;tait demeur&eacute; fort tranquille.
+Seulement, lorsque,
+par accident, la conversation se ralentissait, il regardait autour de
+lui, comme s'il avait eu envie de dire quelque chose de remarquable, et
+de temps en temps il faisait entendre une sorte de toux s&egrave;che
+d'une
+inexprimable dignit&eacute;. A la fin, pendant un instant de silence
+comparatif, le petit homme s'&eacute;cria d'une voix haute et
+solennelle:
+&laquo;Monsieur Luffey!&raquo;</p>
+<p>Tout le monde se tut, et l'individu interpell&eacute;
+r&eacute;pliqua, au milieu d'un
+profond silence: &laquo;Monsieur?&raquo;</p>
+<p>&laquo;Je d&eacute;sire vous adresser quelques paroles, monsieur, si
+vous voulez
+engager ces messieurs &agrave; remplir leurs verres.&raquo;</p>
+<p>M. Jingle, d'un ton protecteur, s'&eacute;cria:
+&laquo;&Eacute;coutez! &eacute;coutez!&raquo; et ces
+paroles furent r&eacute;p&eacute;t&eacute;es en ch&#339;ur par toute la
+compagnie. Le
+vice-pr&eacute;sident prit un air de gravit&eacute; attentive et dit:
+&laquo;Monsieur
+Staple?&raquo;</p>
+<p>&laquo;Monsieur! dit le petit homme en se levant, je d&eacute;sire
+adresser ce que
+j'ai &agrave; dire &agrave; vous et non pas &agrave; notre digne
+pr&eacute;sident, parce que notre
+digne pr&eacute;sident est en quelque sorte, et je puis dire en grande
+partie,
+le sujet de ce que j'ai &agrave; dire, et je puis dire &agrave;...
+&agrave;...</p>
+<p>&#8212;A d&eacute;montrer, sugg&eacute;ra M. Jingle.</p>
+<p>&#8212;Oui, &agrave; d&eacute;montrer, reprit le petit homme; je remercie
+mon honorable
+ami, s'il veut me permettre de l'appeler ainsi (quatre <i>&eacute;coutez!</i>
+et un
+<i>certainement</i> de M. Jingle) pour la suggestion. Monsieur, je suis
+un
+Dellois, un Dingley-Dellois. (Applaudissements.) Je ne puis
+r&eacute;clamer
+l'honneur d'ajouter une unit&eacute; au chiffre de la population de
+Muggleton.
+Et je l'avouerai franchement, monsieur, je ne d&eacute;sire point cet
+honneur.
+Je vous dirai pourquoi, monsieur. (&Eacute;coutez!) Je
+reconna&icirc;trai volontiers
+&agrave; Muggleton toutes les distinctions, tous les honneurs qu'il
+peut
+r&eacute;clamer; ils sont trop nombreux et trop bien connus pour qu'il
+soit
+n&eacute;cessaire que je les r&eacute;capitule. Mais, monsieur, tandis
+que nous nous
+rappelons que Muggleton a donn&eacute; naissance &agrave; un Dumkins,
+&agrave; un Podder,
+n'oublions jamais que Dingley-Dell peut se vanter d'avoir produit un
+Luffey et un Struggles! (Applaudissements tumultueux.) Qu'on ne me
+croie
+pas d&eacute;sireux d'obscurcir la gloire des gentlemen que j'ai
+nomm&eacute;s en
+premier lieu, monsieur, je leur envie les jouissances qu'ils ont
+d&ucirc;
+ressentir dans cette m&eacute;morable journ&eacute;e.
+(Applaudissements.) Vous
+connaissez tous, messieurs, la r&eacute;plique faite &agrave;
+l'empereur Alexandre par
+un individu qui, pour me servir d'une expression vulgaire, faisait sa
+t&ecirc;te dans un tonneau: <i>Si je n'&eacute;tais pas
+Diog&egrave;ne, je voudrais &ecirc;tre
+Alexandre</i>. Je m'imagine que ces messieurs doivent dire: Si je
+n'&eacute;tais
+pas Dumkins, je voudrais &ecirc;tre Luffey; si je n'&eacute;tais pas
+Podder, je
+voudrais &ecirc;tre Struggles! (Enthousiasme.) Mais, gentlemen de
+Muggleton,
+est-ce seulement &agrave; la crosse que vos compatriotes sont
+remarquables?
+N'avez-vous jamais entendu citer Dumkins comme un exemple de
+pers&eacute;v&eacute;rance? N'avez-vous jamais appris &agrave; associer
+Podder et la
+propri&eacute;t&eacute;? (Grands applaudissements.) En luttant pour vos
+droits, pour
+votre libert&eacute;, pour vos privil&egrave;ges, n'avez-vous jamais
+&eacute;t&eacute; r&eacute;duits, ne
+f&ucirc;t-ce que pour un instant, au doute et au d&eacute;sespoir? et,
+quand vous
+&eacute;tiez ainsi d&eacute;courag&eacute;s, le nom de Dumkins n'a-t-il
+pas ranim&eacute; dans votre
+c&#339;ur le feu de l'esp&eacute;rance? Une seule parole de cet homme
+colossal ne
+l'a-t-elle pas fait briller avec plus d'&eacute;clat que s'il ne
+s'&eacute;tait jamais
+&eacute;teint? (Grands applaudissements.) Gentlemen, je vous prie
+d'entourer
+d'une riche aur&eacute;ole d'applaudissements fr&eacute;n&eacute;tiques
+les noms unis de
+Dumkins et de Podder!&raquo;</p>
+<p>Ici le petit homme se tut, et la compagnie commen&ccedil;a un tapage
+de cris,
+de coups frapp&eacute;s sur la table, qui dura, avec peu
+d'interruptions,
+pendant le reste de la soir&eacute;e. D'autres toasts furent
+port&eacute;s. M. Luffey
+et M. Struggles, M. Pickwick et M. Jingle, furent, chacun &agrave; son
+tour, le
+sujet d'&eacute;loges sans m&eacute;lange; et chacun &agrave; son tour
+exprima ses
+remerc&icirc;ments pour cet honneur.</p>
+<p>Enthousiaste comme nous le sommes pour la noble entreprise &agrave;
+laquelle
+nous nous sommes d&eacute;vou&eacute;, nous aurions
+&eacute;prouv&eacute; une inexprimable sensation
+d'orgueil, nous nous serions cru certain de l'immortalit&eacute; dont
+nous
+sommes priv&eacute; actuellement, si nous avions pu mettre sous les
+yeux de nos
+ardents lecteurs le plus faible compte rendu de ces discours. Comme
+&agrave;
+l'ordinaire, M. Snodgrass prit une grande quantit&eacute; de notes, et
+sans
+doute nous y aurions puis&eacute; les renseignements les plus
+importants, si
+l'&eacute;loquence br&ucirc;lante des orateurs ou l'influence
+f&eacute;brile du vin n'avait
+point fait trembler la main du gentleman, au point de rendre son
+&eacute;criture presque inintelligible et son style compl&eacute;tement
+obscur. A
+force de patience, nous sommes parvenu &agrave; reconna&icirc;tre
+quelques caract&egrave;res
+qui ont une faible ressemblance avec les noms des orateurs. Nous avons
+pu distinguer aussi le squelette d'une chanson (probablement
+chant&eacute;e par
+M. Jingle), dans laquelle les mots <i>vin</i> et <i>divin</i>, <i>rubis</i>
+et <i>ravis</i>,
+sont r&eacute;p&eacute;t&eacute;s &agrave; de courts intervalles. Nous
+nous imaginons aussi pouvoir
+d&eacute;chiffrer &agrave; la fin de ces notes quelques allusions
+&agrave; des restes de
+gigot ou de volaille brais&eacute;e. Puis ensuite nous distinguons les
+mots de
+grog froid et d'ale; mais comme les hypoth&egrave;ses que nous
+pourrions b&acirc;tir
+sur ces indices n'auraient jamais d'autre fondement que nos
+conjectures,
+nous ne voulons nous permettre d'exprimer aucune des suppositions
+nombreuses qui se pr&eacute;sentent &agrave; notre esprit.</p>
+<p>C'est pourquoi nous allons retourner &agrave; M. Tupman, nous
+contentant
+d'ajouter que, peu de minutes avant minuit, les sommit&eacute;s
+r&eacute;unies de
+Dingley-Dell et de Muggleton furent entendues, chantant avec
+enthousiasme cet air si po&eacute;tique et si national:</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>Nous ne rentrerons que demain matin,<br/>
+</span><span>Nous n'irons coucher qu'au jour!<br/>
+</span><span>Nous ne rentrerons que demain matin,<br/>
+</span><span>Nous n'irons coucher qu'au jour!<br/>
+</span><span>Demain matin au point du jour,<br/>
+</span><span>Nous n'irons coucher qu'au jour!<a name="FNanchor_10_10"></a><a
+ href="#Footnote_10_10"><sup>10</sup></a><br/>
+</span>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;" /></div>
+</div>
+<a name="CHAPITRE_VIII"></a>
+<h2>CHAPITRE VIII.</h2>
+<h3>Faisant voir clairement que la route du v&eacute;ritable amour
+n'est aussi unie
+qu'un chemin de fer.</h3>
+<br/>
+<p>La tranquille solitude de Dingley-Dell, la pr&eacute;sence de tant
+de personnes
+du beau sexe, la sollicitude et l'anxi&eacute;t&eacute; qu'elles
+t&eacute;moignaient &agrave; M.
+Tupman, &eacute;taient autant de circonstances favorables &agrave; la
+germination et &agrave;
+la croissance des doux sentiments que la nature avait sem&eacute;s dans
+son
+sein, et qui paraissaient maintenant se concentrer sur un aimable
+objet.
+Les jeunes demoiselles &eacute;taient jolies, leurs mani&egrave;res
+engageantes, leur
+caract&egrave;re aussi aimable que possible, mais &agrave; leur
+&acirc;ge elles ne pouvaient
+pr&eacute;tendre &agrave; la dignit&eacute; de la d&eacute;marche, au <i>noli
+me tangere</i> (ne me
+touchez pas) du maintien, &agrave; la majest&eacute; du regard, qui,
+aux yeux de M.
+Tupman, distinguaient la tante demoiselle de toutes les femmes qu'il
+avait jamais lorgn&eacute;es. Il &eacute;tait &eacute;vident que leurs
+&acirc;mes &eacute;taient parentes,
+qu'il y avait un je ne sais quoi sympathique dans leur nature, une
+myst&eacute;rieuse ressemblance dans leurs sentiments. Son nom fut le
+premier
+qui s'&eacute;chappa des l&egrave;vres de M. Tupman, lorsqu'il
+&eacute;tait &eacute;tendu bless&eacute; sur
+la terre; le cri d&eacute;chirant de miss Wardle fut le premier qui
+frappa
+l'oreille de M. Tupman, lorsqu'il fut rapport&eacute; &agrave; la
+maison. Mais cette
+agitation avait-elle &eacute;t&eacute; caus&eacute;e par une
+sensibilit&eacute; aimable et f&eacute;minine,
+qui se serait &eacute;galement manifest&eacute;e pour tout autre; ou
+bien avait-elle
+&eacute;t&eacute; enfant&eacute;e par un sentiment plus
+passionn&eacute;, plus ardent, que lui seul,
+parmi tous les mortels, pouvait &eacute;veiller dans son c&#339;ur? Tels
+&eacute;taient les
+doutes qui tourmentaient l'esprit de M. Tupman, tandis qu'il gisait
+&eacute;tendu sur le sofa; tels &eacute;taient les doutes qu'il se
+d&eacute;cida &agrave; r&eacute;soudre
+sur-le-champ et pour toujours.</p>
+<p>Le soleil venait de terminer sa carri&egrave;re: MM. Pickwick,
+Winkle et
+Snodgrass &eacute;taient all&eacute;s avec leur joyeux h&ocirc;te
+assister &agrave; la f&ecirc;te voisine
+de Muggleton; Isabella et &Eacute;mily se promenaient avec M. Trundle;
+la
+vieille dame sourde s'&eacute;tait endormie dans sa berg&egrave;re; le
+ronflement du
+gros joufflu arrivait, lent et monotone, de la cuisine lointaine. Les
+servantes r&eacute;jouies, fl&acirc;nant sur le pas de la porte,
+jouissaient des
+charmes de la brune, et du plaisir de coqueter, d'une fa&ccedil;on
+toute
+primitive, avec certains animaux lourds et gauches attach&eacute;s
+&agrave; la ferme.
+Le couple int&eacute;ressant &eacute;tait assis dans le salon,
+n&eacute;glig&eacute;s de tout le
+monde, ne se souciant de personne, et r&ecirc;vant seulement
+d'eux-m&ecirc;mes. Ils
+ressemblaient, en un mot, &agrave; une paire de gants d'agneau,
+repli&eacute;s l'un
+dans l'autre et soigneusement serr&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;J'ai oubli&eacute; mes pauvres fleurs, murmura la tante
+demoiselle.</p>
+<p>&#8212;Arrosez-les maintenant, r&eacute;pliqua M. Tupman avec l'accent de
+la
+persuasion.</p>
+<p>&#8212;L'air du soir vous refroidirait peut-&ecirc;tre, chuchota
+tendrement miss
+Rachel.</p>
+<p>&#8212;Non, non, s'&eacute;cria M. Tupman en se levant, cela me fera du
+bien au
+contraire. Laissez-moi vous accompagner.&raquo;</p>
+<p>L'int&eacute;ressante lady ajusta soigneusement l'&eacute;charpe qui
+soutenait le bras
+gauche du jouvenceau, et, prenant son bras droit, elle le conduisit
+dans
+le jardin.</p>
+<p>A l'une des extr&eacute;mit&eacute;s, on voyait un berceau de
+ch&egrave;vrefeuille, de jasmin
+et d'autres plantes odorif&eacute;rantes; une de ces douces retraites
+que les
+propri&eacute;taires compatissants &eacute;l&egrave;vent pour la
+satisfaction des araign&eacute;es.</p>
+<p>La tante demoiselle y prit, dans un coin, un grand arrosoir de
+cuivre
+rouge, et se disposa &agrave; quitter le berceau. M. Tupman la retint
+et
+l'attira sur un si&eacute;ge &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui.</p>
+<p>&laquo;Miss Wardle,&raquo; soupira-t-il.</p>
+<p>La tante demoiselle fut saisie d'un tremblement si fort que les
+cailloux, qui se trouvaient par hasard dans l'arrosoir, se
+heurt&egrave;rent
+contre les parois de zinc, et produisirent un bruit semblable &agrave;
+celui
+que ferait entendre le hochet d'un enfant.</p>
+<p>&laquo;Miss Wardle, r&eacute;p&eacute;ta M. Tupman, vous &ecirc;tes
+un ange.</p>
+<p>&#8212;Monsieur Tupman? s'&eacute;cria Rachel en devenant aussi rouge que
+son
+arrosoir.</p>
+<p>&#8212;Oui, poursuivit l'&eacute;loquent pickwickien. Je le sais trop...
+pour mon
+malheur!</p>
+<p>&#8212;Toutes les dames sont des anges, &agrave; ce que disent les
+messieurs,
+r&eacute;torqua Rachel d'un ton enjou&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce donc que vous pouvez &ecirc;tre alors; &agrave; quoi
+puis-je vous
+comparer? O&ugrave; serait-il possible de rencontrer une femme qui vous
+ressembl&acirc;t? O&ugrave; pourrais-je trouver une aussi rare
+combinaison
+d'excellence et de beaut&eacute;? O&ugrave; pourrais-je aller
+chercher.... Oh!&raquo; Ici
+M. Tupman s'arr&ecirc;ta et serra la blanche main qui tenait l'anse de
+l'heureux arrosoir.</p>
+<p>La timide h&eacute;ro&iuml;ne d&eacute;tourna un peu la t&ecirc;te.
+&laquo;Les hommes sont de si grands
+trompeurs, objecta-t-elle faiblement.</p>
+<p>&#8212;Oui, vous avez raison, exclama M. Tupman; mais ils ne le sont pas
+tous.... Il existe au moins un &ecirc;tre qui ne changera jamais! Un
+&ecirc;tre qui
+serait heureux de d&eacute;vouer toute son existence &agrave; votre
+bonheur! Un &ecirc;tre
+qui ne vit que dans vos yeux, qui ne respire que dans votre sourire! Un
+&ecirc;tre qui ne supporte que pour vous seule le pesant fardeau de la
+vie!</p>
+<p>&#8212;Si l'on pouvait trouver un &ecirc;tre semblable....</p>
+<p>&#8212;Mais il est trouv&eacute;! interrompit l'ardent Tupman. Il est
+trouv&eacute;! Il est
+ici, miss Wardle! Et avant que la dame p&ucirc;t deviner ses
+intentions, il se
+prosterna &agrave; ses pieds.</p>
+<p>&#8212;Monsieur Tupman, levez-vous! s'&eacute;cria Rachel.</p>
+<p>&#8212;Jamais! r&eacute;pliqua-t-il bravement. Oh! Rachel! Il saisit sa
+main
+complaisante, qui laissa tomber l'arrosoir, et il la pressa sur ses
+l&egrave;vres. Oh! Rachel! dites que vous m'aimez!</p>
+<p>&#8212;Monsieur Tupman, murmura la ci-devant jeune personne en tournant la
+t&ecirc;te, j'ose &agrave; peine vous r&eacute;pondre.... mais.... vous
+ne m'&ecirc;tes pas tout &agrave;
+fait indiff&eacute;rent.&raquo;</p>
+<p>Aussit&ocirc;t que M. Tupman eut entendu ce doux aveu, il s'empressa
+de faire
+ce que lui inspirait son &eacute;motion enthousiaste, et ce que tout le
+monde
+fait dans les m&ecirc;mes circonstances (&agrave; ce que nous croyons
+du moins, car
+nous sommes peu familiaris&eacute; avec ces sortes de choses), il se
+leva
+pr&eacute;cipitamment, jeta ses bras autour du cou de la tendre
+demoiselle, et
+imprima sur ses l&egrave;vres de nombreux baisers. Apr&egrave;s une
+r&eacute;sistance
+convenable, elle se soumit &agrave; les recevoir si passivement qu'on
+ne
+saurait dire combien M. Tupman lui en aurait donn&eacute;, si elle
+n'avait pas
+tressailli tout d'un coup, sans aucune affectation, cette fois, et ne
+s'&eacute;tait pas &eacute;cri&eacute;e d'une voix effray&eacute;e:
+&laquo;Monsieur Tupman! on nous voit!
+Nous sommes perdus!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman se retourna. Le gros joufflu &eacute;tait derri&egrave;re
+lui, parfaitement
+immobile, braquant sur le berceau ses gros yeux circulaires, nais avec
+un visage si d&eacute;nu&eacute; d'expression, que le plus habile
+physionomiste
+n'aurait pu y d&eacute;couvrir de traces d'&eacute;tonnement, de
+curiosit&eacute;, ni
+d'aucune des passions connues qui agitent le c&#339;ur humain. M. Tupman
+regarda le gros joufflu, et le gros joufflu regarda M. Tupman; et plus
+M. Tupman &eacute;tudiait la compl&egrave;te torpeur de sa physionomie,
+plus il
+demeurait convaincu que le somnolent jeune homme n'avait pas vu ou
+n'avait pas compris ce qui s'&eacute;tait pass&eacute;. Dans cette
+persuasion il lui
+dit avec une grande fermet&eacute;: &laquo;Que venez-vous faire ici?</p>
+<p>&#8212;Le souper est pr&ecirc;t, monsieur, r&eacute;pliqua Joe sans
+h&eacute;siter.</p>
+<p>&#8212;Arrivez-vous &agrave; l'instant? lui demanda M. Tupman, en le
+transper&ccedil;ant du
+regard.</p>
+<p>&#8212;A l'instant,&raquo; r&eacute;pondit-il.</p>
+<p>M. Tupman le consid&eacute;ra de nouveau tr&egrave;s-fixement, mais
+ses yeux ne
+clign&egrave;rent pas; il n'y avait pas un pli sur son visage.</p>
+<p>M. Tupman prit le bras de la tante demoiselle, et marcha avec elle
+vers
+la maison; le jeune homme les suivit par derri&egrave;re.</p>
+<p>&laquo;Il ne sait rien de ce qui vient de se passer, dit tout bas
+l'heureux
+pickwickien.</p>
+<p>&#8212;Rien,&raquo; r&eacute;pliqua la dame.</p>
+<p>Un bruit se fit entendre derri&egrave;re eux, semblable &agrave; un
+ricanement
+&eacute;touff&eacute;. M. Tupman se retourna vivement. Non... ce ne
+pouvait pas &ecirc;tre
+le gros joufflu: on ne distinguait pas sur son visage le moindre rayon
+de gaiet&eacute;; on n'y voyait que de la gloutonnerie.</p>
+<p>&laquo;Il dormait sans doute tout en marchant, chuchota M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Je n'en ai pas le moindre doute,&raquo; r&eacute;partit la tante
+demoiselle; et
+alors ils se mirent &agrave; rire tous les deux.</p>
+<p>Ils se trompaient, cependant. Une fois en sa vie le
+l&eacute;thargique jeune
+homme n'&eacute;tait pas endormi. Il &eacute;tait
+&eacute;veill&eacute;, bien &eacute;veill&eacute;, et il avait
+tout remarqu&eacute;.</p>
+<p>Le souper se passa sans que personne fit aucun effort pour rendre la
+conversation g&eacute;n&eacute;rale. La vieille lady &eacute;tait
+all&eacute;e se coucher; Isabella
+Wardle se d&eacute;vouait exclusivement &agrave; M. Trundle; les
+attentions de sa
+tante &eacute;taient r&eacute;serv&eacute;es pour M. Tupman, et les
+pens&eacute;es d'&Eacute;mily
+paraissaient occup&eacute;es de quelque objet lointain; peut-&ecirc;tre
+&eacute;taient-elles
+errantes autour de M. Snodgrass.</p>
+<p>Onze heures, minuit, une heure avaient sonn&eacute; successivement,
+et les
+gentlemen n'&eacute;taient pas revenus de Muggleton. La consternation
+&eacute;tait
+peinte sur tous les visages. Avaient-ils &eacute;t&eacute;
+attaqu&eacute;s et vol&eacute;s?
+Fallait-il envoyer des hommes et des lanternes sur tous les chemins
+qu'ils avaient pu prendre? Fallait-il.... &Eacute;coutez.... Les
+voil&agrave;!&#8212;Qui
+peut les avoir tant attard&eacute;s?&#8212;Une voix &eacute;trang&egrave;re?
+&agrave; qui peut-elle
+appartenir? Tout le monde se pr&eacute;cipita dans la cuisine o&ugrave;
+les truands
+&eacute;taient d&eacute;barqu&eacute;s, et l'on reconnut au premier
+coup d'&#339;il le v&eacute;ritable
+&eacute;tat des choses.</p>
+<p>M. Pickwick, avec ses mains dans ses poches et son chapeau
+compl&eacute;tement
+enfonc&eacute; sur un &#339;il, &eacute;tait appuy&eacute; contre le buffet,
+et, balan&ccedil;ant sa t&ecirc;te
+de droite &agrave; gauche, produisait une constante succession de
+sourires, les
+plus doux, les plus bienveillants du monde, mais sans aucune cause ou
+pr&eacute;texte appr&eacute;ciable. Le vieux M. Wardle, dont le visage
+&eacute;tait
+prodigieusement enflamm&eacute;, serrait les mains d'un visiteur
+&eacute;tranger en
+b&eacute;gayant des protestations d'amiti&eacute; &eacute;ternelle. M.
+Winkle, se soutenant &agrave;
+la bo&icirc;te d'une horloge &agrave; poids, appelait, d'une voix
+faible, les
+vengeances du ciel sur tout membre de la famille qui lui conseillerait
+d'aller se coucher. Enfin M. Snodgrass s'&eacute;tait affaiss&eacute;
+sur une chaise,
+et chaque trait de son visage expressif portait l'empreinte de la
+mis&egrave;re
+la plus abjecte et la plus profonde que se puisse figurer l'esprit
+humain.</p>
+<p>&laquo;Est-il arriv&eacute; quelque chose? demand&egrave;rent les
+trois dames.</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, r&eacute;pondit M. Pickwick. Nous... sommes...
+tous... en bon
+&eacute;tat.... Dites donc.... Wardle.... nous sommes... tous... en bon
+&eacute;tat.... N'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Un peu, r&eacute;pliqua le joyeux h&ocirc;te. Mes ch&eacute;ries...
+voici mon ami, M.
+Jingle... l'ami de M. Pickwick.... M. Jingle... venu... pour une petite
+visite....</p>
+<p>&#8212;Monsieur, demanda &Eacute;mily avec anxi&eacute;t&eacute;, est-il
+arriv&eacute; quelque chose &agrave; M.
+Snodgrass?</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, madame, r&eacute;pliqua l'&eacute;tranger.
+D&icirc;ner de Club,&#8212;joyeuse
+compagnie,&#8212;chansons admirables,&#8212;vieux porto,&#8212;vin de
+Bordeaux,&#8212;bon,&#8212;tr&egrave;s-bon.&#8212;C'est le vin, madame, le vin.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas le vin, b&eacute;gaya M. Snodgrass d'un ton grave.
+C'est le
+saumon. (Remarquez qu'en pareille circonstance ce n'est jamais le vin.)</p>
+<p>&#8212;Ne feraient-ils pas mieux d'aller se coucher, madame? demanda Emma.
+Deux des gens pourraient porter ces messieurs dans leur chambre.</p>
+<p>&#8212;Je n'irai pas me coucher! s'&eacute;cria M. Winkle avec
+fermet&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Aucun homme vivant ne me portera! dit intr&eacute;pidement M.
+Pickwick; et il
+continua de sourire comme auparavant.</p>
+<p>&#8212;Hourra! balbutia faiblement M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Hourra! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick, et prenant son chapeau il
+l'aplatit sur la
+terre, saisit ses lunettes et les fit voler &agrave; travers la
+cuisine; puis,
+ayant accompli cette heureuse plaisanterie, il recommen&ccedil;a
+&agrave; rire comme
+un insens&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Apportez-nous une... une autre... bouteille! cria M. Winkle en
+commen&ccedil;ant sur un ton tr&egrave;s-&eacute;lev&eacute; et
+finissant sur un ton tr&egrave;s-bas. Mais
+peu apr&egrave;s sa t&ecirc;te tomba sur sa poitrine; il murmura encore
+son
+invincible d&eacute;termination de ne pas s'aller coucher,
+b&eacute;gaya un regret
+sanguinaire de n'avoir pas, dans la matin&eacute;e, <i>fait l'affaire
+du vieux
+Tupman</i>, puis il s'endormit profond&eacute;ment. En cet &eacute;tat
+il fut transport&eacute;
+dans sa chambre par deux jeunes g&eacute;ants, sous la surveillance
+imm&eacute;diate
+du gros joufflu. Bient&ocirc;t apr&egrave;s M. Snodgrass confia sa
+personne aux soins
+protecteurs du jeune somnambule. M. Pickwick accepta le bras de M.
+Tupman et disparut tranquillement, en souriant plus que jamais. M.
+Wardle fit ses adieux &agrave; toute sa famille d'une mani&egrave;re
+aussi tendre,
+aussi path&eacute;tique, que s'il l'avait quitt&eacute;e pour monter
+sur l'&eacute;chafaud,
+accorda &agrave; M. Trundle l'honneur de lui faire gravir les
+escaliers, et
+s'&eacute;loigna en faisant d'inutiles efforts pour prendre un air
+digne et
+solennel.</p>
+<p>&laquo;Quelle sc&egrave;ne choquante! s'&eacute;cria la tante
+demoiselle.</p>
+<p>&#8212;D&eacute;go&ucirc;tante! r&eacute;pondirent les deux jeunes ladies.</p>
+<p>&#8212;Terrible! terrible! dit M. Jingle d'un air tr&egrave;s-grave. (Il
+&eacute;tait en
+avance sur tous ses compagnons d'au moins une bouteille et demie.)
+Horrible spectacle! Tr&egrave;s-horrible.</p>
+<p>&#8212;Quel aimable homme! dit tout bas la tante demoiselle &agrave; M.
+Tupman.</p>
+<p>&#8212;Et joli gar&ccedil;on par-dessus le march&eacute;, murmura
+&Eacute;mily Wardle.</p>
+<p>&#8212;Oh! tout &agrave; fait, observa la tante demoiselle.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman pensa &agrave; la petite veuve de Rochester, et son esprit
+fut
+troubl&eacute;. La demi-heure de conversation qui suivit n'&eacute;tait
+pas de nature
+&agrave; le rassurer. Le nouveau visiteur parla beaucoup, et le nombre
+de ses
+anecdotes fut pourtant moins grand que celui de ses politesses. M.
+Tupman sentit que sa faveur d&eacute;croissait &agrave; mesure que
+celle de M. Jingle
+devenait plus grande. Son rire &eacute;tait forc&eacute;, sa
+gaiet&eacute; &eacute;tait feinte, et
+lorsqu'&agrave; la fin il posa sur son oreiller ses tempes
+br&ucirc;lantes, il pensa,
+avec une horrible satisfaction, au plaisir qu'il aurait &agrave; tenir
+en ce
+moment la t&ecirc;te de M. Jingle entre son lit de plumes et son
+matelas.</p>
+<p>L'infatigable &eacute;tranger se leva le lendemain de bonne heure,
+et tandis
+que ses compagnons demeuraient dans leur lit, accabl&eacute;s par les
+d&eacute;bauches de la nuit pr&eacute;c&eacute;dente, il s'employa avec
+succ&egrave;s &agrave; &eacute;gayer le
+d&eacute;jeuner. Ses efforts, &agrave; cet &eacute;gard, furent
+tellement heureux que la
+vieille dame sourde se fit r&eacute;p&eacute;ter, &agrave; travers son
+cornet, deux ou trois
+de ses meilleures plaisanteries, et poussa m&ecirc;me la condescendance
+jusqu'&agrave; dire tout haut &agrave; la tante demoiselle que
+c'&eacute;tait un charmant
+mauvais sujet. Les autres membres pr&eacute;sents de la famille
+partageaient
+compl&eacute;tement cette opinion.</p>
+<p>Dans les belles matin&eacute;es d'&eacute;t&eacute;, la vieille dame
+avait l'habitude de se
+rendre sous le berceau o&ugrave; M. Tupman s'&eacute;tait si bien
+signal&eacute;. Les choses
+se passaient ainsi: d'abord le gros joufflu prenait sur un champignon,
+dans la chambre &agrave; coucher de la vieille lady, un chapeau ou
+plut&ocirc;t un
+capuchon de satin noir, un ch&acirc;le de coton bien chaud, puis une
+solide
+canne, orn&eacute;e d'une poign&eacute;e commode. Ensuite, la vieille
+dame ayant mis
+pos&eacute;ment le capuchon et le ch&acirc;le, s'appuyait d'une main
+sur la canne, de
+l'autre sur l'&eacute;paule de son page bouffi, et marchait lentement
+jusqu'au
+berceau, o&ugrave; Joe la laissait jouir de la fra&icirc;cheur de l'air
+pendant une
+demi-heure: apr&egrave;s quoi il retournait la chercher et la ramenait
+&agrave; la
+maison.</p>
+<p>La vieille dame aimait la pr&eacute;cision et la
+r&eacute;gularit&eacute;, et, comme depuis
+trois &eacute;t&eacute;s successifs cette c&eacute;r&eacute;monie
+s'&eacute;tait accomplie sans la plus
+l&eacute;g&egrave;re infraction aux r&egrave;gles &eacute;tablies, elle
+ne fut pas l&eacute;g&egrave;rement
+surprise, dans la matin&eacute;e en question, lorsqu'elle vit le gros
+joufflu,
+au lieu de quitter le berceau d'un pas lourd, en faire le tour avec
+pr&eacute;caution, regarder soigneusement de tous cot&eacute;s, et se
+rapprocher
+d'elle sur la pointe du pied, avec l'air du plus profond myst&egrave;re.</p>
+<p>La vieille dame &eacute;tait poltronne;&#8212;presque toutes les vieilles
+dames le
+sont;&#8212;sa premi&egrave;re pens&eacute;e fut que l'enfl&eacute;
+personnage allait lui faire
+quelque atroce violence pour s'emparer de la menue monnaie qu'elle
+pouvait avoir sur elle. Elle aurait voulu crier au secours, mais
+l'&acirc;ge
+et l'infirmit&eacute; l'avaient depuis longtemps priv&eacute;e de la
+facult&eacute; de crier.
+Elle se contenta donc d'&eacute;pier les mouvements de son page avec
+une
+terreur profonde, qui ne fut nullement diminu&eacute;e lorsqu'il
+s'approcha
+tout pr&egrave;s d'elle, et lui cria dans l'oreille d'une voix
+agit&eacute;e, et qui
+lui parut mena&ccedil;ante: &laquo;Ma&icirc;tresse!&raquo;</p>
+<p>Or il arriva par hasard que M. Jingle se promenait dans le jardin
+pr&egrave;s
+du berceau, dans ce m&ecirc;me moment. Lui aussi entendit crier
+&laquo;Ma&icirc;tresse!&raquo;
+et il s'arr&ecirc;ta pour en entendre davantage. Il avait trois raisons
+pour
+agir ainsi. Premi&egrave;rement, il &eacute;tait inoccup&eacute; et
+curieux; secondement, il
+n'avait aucune esp&egrave;ce de scrupule; troisi&egrave;mement, il
+&eacute;tait cach&eacute; par
+quelques buissons. Il s'arr&ecirc;ta donc, et &eacute;couta.</p>
+<p>&laquo;Ma&icirc;tresse! cria le gros joufflu.</p>
+<p>&#8212;Eh bien, Joe! dit la vieille dame toute tremblante. Vous savez que
+j'ai toujours &eacute;t&eacute; une bien bonne ma&icirc;tresse pour
+vous. Vous avez toujours
+&eacute;t&eacute; bien trait&eacute;, Joe. Vous n'avez jamais eu
+grand'chose &agrave; faire, et vous
+avez toujours eu suffisamment &agrave; manger.&raquo;</p>
+<p>Cet habile discours ayant fait vibrer les cordes les plus intimes du
+gros gar&ccedil;on, il r&eacute;pondit avec expression: &laquo;Je sais
+&ccedil;a.</p>
+<p>&#8212;Alors, pourquoi m'effrayer ainsi? Que voulez-vous me faire?
+continua
+la vieille dame en reprenant courage.</p>
+<p>&#8212;Je veux vous faire frissonner!&raquo;</p>
+<p>C'&eacute;tait l&agrave; une cruelle mani&egrave;re de prouver sa
+gratitude, et, comme la
+vieille dame ne comprenait pas bien clairement comment ce
+r&eacute;sultat
+serait obtenu, elle sentit rena&icirc;tre toutes ses terreurs.</p>
+<p>&laquo;Savez-vous ce que j'ai vu dans ce berceau, hier au soir?
+demanda le
+gros joufflu.</p>
+<p>&#8212;Dieu nous b&eacute;nisse! Quoi donc? s'&eacute;cria la vieille
+lady, alarm&eacute;e par
+l'air solennel du corpulent jeune homme.</p>
+<p>&#8212;Le gentleman au bras en &eacute;charpe qui embrassait....</p>
+<p>&#8212;Qui? Joe, qui? aucune des servantes, j'esp&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Pire que &ccedil;a!&raquo; cria le jeune homme dans l'oreille de la
+vieille dame.</p>
+<p>&#8212;Aucune de mes petites-filles?</p>
+<p>&#8212;Pire que &ccedil;a!</p>
+<p>&#8212;Pire que cela, Joe! s'&eacute;cria la vieille dame, qui avait
+pens&eacute; que
+c'&eacute;tait l&agrave; la plus grande des atrocit&eacute;s humaines.
+Qui &eacute;tait-ce, Joe? Je
+veux absolument le savoir.&raquo;</p>
+<p>Le d&eacute;lateur regarda soigneusement autour de lui, et, ayant
+termin&eacute; son
+inspection, cria dans l'oreille de la vieille lady:</p>
+<p>&laquo;Miss Rachel!</p>
+<p>&#8212;Quoi? dit-elle d'une voix aigu&euml;. Parlez plus haut!</p>
+<p>&#8212;Miss Rachel! hurla le gros joufflu.</p>
+<p>&#8212;Ma fille!&raquo;</p>
+<p>Joe r&eacute;pondit par une succession de signes affirmatifs, qui
+imprim&egrave;rent &agrave;
+ses joues un mouvement ondulatoire semblable &agrave; celui d'un plat
+de
+blanc-manger.</p>
+<p>&laquo;Et elle l'a souffert! s'&eacute;cria la vieille dame.</p>
+<p>&#8212;Elle l'a embrass&eacute; &agrave; son tour! Je l'ai vue!&raquo;
+r&eacute;pondu le gros joufflu
+en ricanant.</p>
+<p>Si M. Jingle, de sa cachette, avait pu voir l'expression du visage
+de la
+vieille dame, &agrave; cette communication, il est probable qu'un
+soudain &eacute;clat
+de rire aurait trahi sa pr&eacute;sence aupr&egrave;s du berceau. Mais
+il recueillit
+seulement des fragments de phrases irrit&eacute;es, telles que:</p>
+<p>&laquo;Sans ma permission!... A son &acirc;ge!... Mis&eacute;rable
+vieille que je suis!...
+Elle aurait pu attendre que je fusse morte!...&raquo;</p>
+<p>Puis, ensuite, il entendit les pas pesants du gros gar&ccedil;on qui
+s'&eacute;loignait et laissait la vieille lady toute seule.</p>
+<p>C'est un fait remarquable, peut-&ecirc;tre, mais n&eacute;anmoins
+c'est un fait, que
+M. Jingle, cinq minutes apr&egrave;s son arriv&eacute;e &agrave;
+Manoir-ferme, avait r&eacute;solu,
+dans son for int&eacute;rieur, d'assi&eacute;ger sans d&eacute;lai le
+c&#339;ur de la tante
+demoiselle. Il &eacute;tait assez bon observateur pour avoir
+remarqu&eacute; que ses
+mani&egrave;res d&eacute;gag&eacute;es ne d&eacute;plaisaient nullement
+au bel objet de ses
+attaques, et il la soup&ccedil;onnait fortement de poss&eacute;der la
+plus d&eacute;sirable
+de toutes les perfections: une petite fortune ind&eacute;pendante.
+L'imp&eacute;rative
+n&eacute;cessit&eacute; de d&eacute;busquer son rival d'une
+mani&egrave;re ou d'une autre s'offrit
+donc imm&eacute;diatement &agrave; son esprit, et il r&eacute;solut de
+prendre sans d&eacute;lai des
+mesures &agrave; cet &eacute;gard. Fielding nous dit quo l'homme est de
+feu, que la
+femme est d'&eacute;toupe, et que le prince des t&eacute;n&egrave;bres
+se pla&icirc;t &agrave; les
+rapprocher. M. Jingle savait que les jeunes gens sont aux tantes
+demoiselles comme le gaz enflamm&eacute; &agrave; la poudre fulminante,
+et il se
+d&eacute;termina &agrave; essayer sur-le-champ l'effet d'une explosion.</p>
+<p>Tout en r&eacute;fl&eacute;chissant aux moyens d'ex&eacute;cuter
+cette importante r&eacute;solution,
+il se glissa hors de sa cachette, et, prot&eacute;g&eacute; par les
+buissons
+susmentionn&eacute;s, regagna la maison sans &ecirc;tre aper&ccedil;u.
+La fortune semblait
+d&eacute;termin&eacute;e &agrave; favoriser ses desseins. Il vit de
+loin M. Tupman et les
+autres gentlemen s'enfoncer dans le jardin; il savait que les jeunes
+demoiselles &eacute;taient sorties ensemble apr&egrave;s le
+d&eacute;jeuner: la c&ocirc;te &eacute;tait
+donc libre.</p>
+<p>La porte du salon se trouvant entr'ouverte, M. Jingle allongea la
+t&ecirc;te
+et regarda. La tante demoiselle &eacute;tait en train de tricoter. Il
+toussa,
+elle leva les yeux et sourit. Il n'existait aucune dose
+d'h&eacute;sitation
+dans le caract&egrave;re de M. Jingle; il posa myst&eacute;rieusement
+son doigt sur sa
+bouche, entra dans la chambre et ferma la porte.</p>
+<p>&laquo;Miss Wardle, dit-il avec une chaleur affect&eacute;e,
+pardonnez cette
+t&eacute;m&eacute;rit&eacute;... courte connaissance... pas de temps
+pour la c&eacute;r&eacute;monie....
+Tout est d&eacute;couvert.</p>
+<p>&#8212;Monsieur! s'&eacute;cria la tante demoiselle fort
+&eacute;tonn&eacute;e, et doutant presque
+que M. Jingle f&ucirc;t dans son bon sens.</p>
+<p>&#8212;Silence! dit M. Jingle d'une voix th&eacute;&acirc;trale. Gros
+enfl&eacute;... face de
+poupard... les yeux ronds... canaille!...&raquo;</p>
+<p>Ici il secoua la t&ecirc;te d'une mani&egrave;re expressive, et la
+tante demoiselle
+devint toute tremblante d'agitation.</p>
+<p>&laquo;Je pr&eacute;sume que vous voulez parler de Joseph, monsieur?
+dit-elle en
+faisant effort pour para&icirc;tre calme.</p>
+<p>&#8212;Oui, madame. Damnation sur votre Joe!... Chien de tra&icirc;tre que
+ce
+Joe!... A instruit la vieille dame... la vieille dame furieuse...
+enrag&eacute;e... d&eacute;lirante!... Berceau... Tupman... caresses...
+baisers et
+tout le reste.... Eh! madame, eh!</p>
+<p>&#8212;M. Jingle, s'&eacute;cria la tante demoiselle, si vous &ecirc;tes
+venu ici pour
+m'insulter....</p>
+<p>&#8212;Pas du tout; pas le moins du monde. Entendu l'histoire, venu pour
+vous
+avertir du danger, offrir mes services, pr&eacute;venir les cancans.
+Tout est
+dit. Vous prenez cela pour une insulte... je quitte la place....&raquo;</p>
+<p>Et il tourna sur ses talons comme pour ex&eacute;cuter cette menace.</p>
+<p>&laquo;Que dois-je faire? s'&eacute;cria la pauvre demoiselle, en
+fondant en larmes.
+Mon fr&egrave;re sera furieux!</p>
+<p>&#8212;Naturellement. Enrag&eacute;!</p>
+<p>&#8212;Oh! monsieur Jingle, que puis-je faire?</p>
+<p>&#8212;Dites qu'il a r&ecirc;v&eacute;, r&eacute;pliqua M. Jingle avec
+aplomb.&raquo;</p>
+<p>Un rayon de consolation &eacute;claira l'esprit de la tante
+demoiselle &agrave; cette
+suggestion. M. Jingle s'en aper&ccedil;ut et poursuivit son avantage.</p>
+<p>&laquo;Bah! bah! rien de plus ais&eacute;: gar&ccedil;on mauvais
+sujet, femme aimable, gros
+gar&ccedil;on fustig&eacute;. Vous toujours crue; terminaison de
+l'affaire... tout
+s'arrange.&raquo;</p>
+<p>Soit que la probabilit&eacute; d'&eacute;chapper aux
+cons&eacute;quences de cette
+malencontreuse d&eacute;couverte f&ucirc;t d&eacute;licieuse pour les
+sentiments de la tante
+demoiselle, soit que l'&acirc;cret&eacute; de son chagrin f&ucirc;t
+adoucie en s'entendant
+appeler femme aimable, elle tourna vers M. Jingle son visage
+reconnaissant et couvert d'une l&eacute;g&egrave;re rougeur.</p>
+<p>L'insinuant gentleman soupira profond&eacute;ment, attacha ses
+regards pendant
+quelques minutes sur la figure de la tante demoiselle, puis tressaillit
+m&eacute;lodramatiquement, et d&eacute;tourna ses yeux avec
+pr&eacute;cipitation.</p>
+<p>&laquo;Vous paraissez malheureux, monsieur Jingle, dit la dame d'une
+voix
+plaintive. Puis-je vous t&eacute;moigner ma reconnaissance en vous
+demandant la
+cause de vos chagrins, afin de t&acirc;cher de les all&eacute;ger?</p>
+<p>&#8212;Ah! s'&eacute;cria M. Jingle avec un autre tressaillement,
+soulager! les
+all&eacute;ger! quand votre amour s'est r&eacute;pandu sur un homme
+indigne d'une
+telle b&eacute;n&eacute;diction! qui maintenant m&ecirc;me a
+l'inf&acirc;me dessein de captiver la
+ni&egrave;ce d'un ange.... Mais non! il est mon ami et je ne veux pas
+d&eacute;voiler
+ses vices. Miss Wardle, adieu!&raquo;</p>
+<p>En terminant ce discours, le plus suivi qu'on lui e&ucirc;t jamais
+entendu
+prof&eacute;rer, M. Jingle appliqua sur ses yeux le reste du mouchoir
+dont nous
+avons d&eacute;j&agrave; parl&eacute;, et se dirigea vers la porte.</p>
+<p>&laquo;Arr&ecirc;tez, monsieur Jingle, dit avec force la tante
+demoiselle. Vous avez
+fait une allusion &agrave; M. Tupman; expliquez-la.</p>
+<p>&#8212;Jamais! s'&eacute;cria M. Jingle d'un air th&eacute;&acirc;tral,
+jamais!&raquo;</p>
+<p>Et, pour montrer qu'il ne voulait pas &ecirc;tre questionn&eacute;
+davantage, il prit
+une chaise et s'assit tout aupr&egrave;s de la tante demoiselle.</p>
+<p>&laquo;M. Jingle, reprit-elle, je vous implore, je vous supplie de
+me r&eacute;v&eacute;ler
+l'affreux myst&egrave;re qui enveloppe M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Ah! repartit M. Jingle en fixant ses yeux sur le visage de la
+tante,
+puis-je voir... charmante cr&eacute;ature... sacrifi&eacute;e &agrave;
+l'autel? Avarice
+sordide!&raquo;</p>
+<p>Il parut lutter pendant quelques secondes contre des &eacute;motions
+de toute
+nature; puis il dit d'une voix basse et profonde:</p>
+<p>&laquo;Tupman n'aime que votre argent.</p>
+<p>&#8212;Le mis&eacute;rable!&raquo; s'&eacute;cria la demoiselle avec une
+&eacute;nergique indignation.</p>
+<p>Les doutes de M. Jingle &eacute;taient r&eacute;solus: elle avait de
+l'argent.</p>
+<p>&laquo;Bien plus, ajouta-t-il, il en aime une autre....</p>
+<p>&#8212;Une autre! balbutia la tante. Et qui?</p>
+<p>&#8212;Petite jeune fille... les yeux noirs... ni&egrave;ce
+&Eacute;mily.&raquo;</p>
+<p>Il y eut un silence; car s'il existait dans tout l'univers un
+individu
+femelle pour qui Rachel ressentit une jalousie mortelle,
+inv&eacute;t&eacute;r&eacute;e,
+c'&eacute;tait pr&eacute;cis&eacute;ment cette ni&egrave;ce. Le rouge
+lui monta au visage et au col,
+et elle secoua silencieusement sa t&ecirc;te avec une expression
+d'ineffable
+d&eacute;dain.</p>
+<p>A la fin, mordant sa l&egrave;vre mince et se redressant un peu,
+elle dit
+d'une voix aigrelette;</p>
+<p>&laquo;Cela ne se peut pas. Je ne veux pas le croire.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;piez-les, r&eacute;pliqua M. Jingle.</p>
+<p>&#8212;Je le ferai.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;piez les regards de Tupman.</p>
+<p>&#8212;Je le ferai.</p>
+<p>&#8212;Ses chuchotements.</p>
+<p>&#8212;Je le ferai!</p>
+<p>&#8212;Il ira s'asseoir aupr&egrave;s d'elle &agrave; d&icirc;ner.</p>
+<p>&#8212;Nous verrons.</p>
+<p>&#8212;Il lui fera des compliments.</p>
+<p>&#8212;Nous verrons.</p>
+<p>&#8212;Et il vous plantera l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Me planter l&agrave;! cria-t-elle en tremblant de rage. Me planter
+l&agrave;!</p>
+<p>&#8212;Avez-vous des yeux pour vous en convaincre? reprit M. Jingle.</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Montrerez-vous du caract&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;L'&eacute;couterez-vous ensuite?</p>
+<p>&#8212;Jamais!</p>
+<p>&#8212;Prendrez-vous un autre amant?</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Ce sera moi?&raquo;</p>
+<p>Et M. Jingle tomba sur ses genoux et y resta pendant cinq minutes.
+Quand
+il se releva, il &eacute;tait l'amant accept&eacute; de la tante
+demoiselle,
+conditionnellement, toutefois, et pourvu que l'infid&eacute;lit&eacute;
+de M. Tupman
+f&ucirc;t rendue manifeste.</p>
+<p>M. Jingle devait en fournir des preuves, et elles arriv&egrave;rent
+d&egrave;s le
+d&icirc;ner. Miss Rachel pouvait &agrave; peine en croire ses yeux. M.
+Tracy Tupman
+&eacute;tait assis &agrave; c&ocirc;t&eacute; d'&Eacute;mily, lorgnant,
+souriant, parlant bas, en rivalit&eacute;
+avec M. Snodgrass. Pas un mot, pas un regard, pas un signe
+n'&eacute;taient
+dirig&eacute;s vers celle qui, le soir pr&eacute;c&eacute;dent,
+&eacute;tait l'orgueil de son c&#339;ur.</p>
+<p>&laquo;Damn&eacute; gar&ccedil;on! pensa le vieux Wardle, qui avait
+appris de sa m&egrave;re toute
+l'histoire; damn&eacute; gar&ccedil;on! Il &eacute;tait endormi. C'est
+pure imagination!</p>
+<p>&#8212;Sc&eacute;l&eacute;rat! pensait la tante demoiselle. Cher monsieur
+Jingle, vous ne
+me trompiez pas. Oh! que je d&eacute;teste le mis&eacute;rable!&raquo;</p>
+<p>L'inexplicable changement que semblait annoncer la conduite de M.
+Tupman sera expliqu&eacute; &agrave; nos lecteurs par la conversation
+suivante.</p>
+<p>C'&eacute;tait le soir du m&ecirc;me jour, et la sc&egrave;ne se
+passait dans le jardin.
+Deux personnages marchaient dans une all&eacute;e
+&eacute;cart&eacute;e. L'un &eacute;tait assez
+gros et assez court, l'autre assez long et assez gr&ecirc;le. L'un
+&eacute;tait M.
+Tupman, l'autre, M. Jingle.</p>
+<p>Le gros personnage commen&ccedil;a le dialogue en demandant:</p>
+<p>&laquo;M'en suis-je bien tir&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Superbe! fameux! N'aurais pas mieux jou&eacute; le r&ocirc;le
+moi-m&ecirc;me. Il faut
+recommencer demain, tous les jours, jusqu'&agrave; nouvel ordre.</p>
+<p>&#8212;Rachel le d&eacute;sire encore?</p>
+<p>&#8212;Cela ne l'amuse pas, naturellement; mais il le faut bien. Le
+fr&egrave;re est
+terrible; elle a peur. On ne peut faire autrement. Dans quelques jours,
+les soup&ccedil;ons d&eacute;truits, les vieilles gens
+d&eacute;rout&eacute;s, elle couronnera votre
+bonheur.</p>
+<p>&#8212;Vous n'avez pas d'autre message?</p>
+<p>&#8212;L'amour, le plus tendre amour, les plus doux sentiments, une
+affection
+inalt&eacute;rable. Puis-je dire quelque chose pour vous?</p>
+<p>&#8212;Mon cher, r&eacute;pondit l'innocent M. Tupman en serrant
+chaleureusement la
+main de son ami, portez-lui mes plus vives tendresses. Dites-lui
+combien
+j'ai de peine &agrave; dissimuler. Dites tout ce qu'on peut dire
+d'aimable;
+mais ajoutez que je reconnais la n&eacute;cessit&eacute; du r&ocirc;le
+qu'elle m'a impos&eacute; ce
+matin par votre conseil. Dites que j'applaudis &agrave; sa sagesse et
+que
+j'admire sa discr&eacute;tion.</p>
+<p>&#8212;Je le lui dirai. Est-ce tout?</p>
+<p>&#8212;Oui. Ajoutez seulement que je soupire ardemment apr&egrave;s
+l'&eacute;poque o&ugrave; elle
+m'appartiendra, o&ugrave; toute dissimulation deviendra inutile.</p>
+<p>&#8212;Certainement, certainement. Est-ce tout?</p>
+<p>&#8212;Oh! mon ami! dit le pauvre M. Tupman en pressant de nouveau la main
+de
+son compagnon, oh! mon ami, recevez mes remerc&icirc;ments les plus
+sinc&egrave;res
+pour votre bont&eacute; d&eacute;sint&eacute;ress&eacute;e, et
+pardonnez-moi si, m&ecirc;me en
+imagination, je vous ai jamais fait l'injustice de supposer que vous
+pourriez me nuire. Mon cher ami, pourrai-je jamais reconna&icirc;tre un
+tel
+service?</p>
+<p>&#8212;Ne parlez pas de &ccedil;a, r&eacute;pliqua M. Jingle, ne
+par....&raquo;</p>
+<p>Et il s'interrompit, comme s'il s'&eacute;tait rappel&eacute; tout
+d'un coup quelque
+chose.</p>
+<p>&laquo;A propos, reprit-il, vous ne pourriez pas me pr&ecirc;ter dix
+guin&eacute;es, hein?
+Affaire tr&egrave;s-urgente. Vous rendrai &ccedil;a dans trois jours.</p>
+<p>&#8212;Je crois que je puis vous obliger, r&eacute;pondit M. Tupman dans
+la
+pl&eacute;nitude de son c&#339;ur. Dans trois jours, dites-vous?</p>
+<p>&#8212;Rien que trois jours; tout fini, alors, plus de
+difficult&eacute;s.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman compta les dix guin&eacute;es dans la main de son
+compagnon, et
+celui-ci les insinua dans son gousset, pi&egrave;ce par pi&egrave;ce,
+tout en
+regagnant la maison.</p>
+<p>&laquo;Attention! dit M. Jingle, pas un regard.</p>
+<p>&#8212;Pas un coup d'&#339;il, repartit M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Pas un mot!</p>
+<p>&#8212;Pas une syllabe.</p>
+<p>&#8212;Toutes vos cajoleries pour la ni&egrave;ce; plut&ocirc;t brutal
+qu'autre chose
+envers la tante, seul moyen de tromper les envieux....</p>
+<p>&#8212;Je ne m'oublierai pas, r&eacute;pondit tout haut M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Et je ne m'oublierai pas non plus,&raquo; dit tout bas M. Jingle.</p>
+<p>Ils entraient alors dans la maison.</p>
+<p>La sc&egrave;ne du d&icirc;ner fut r&eacute;p&eacute;t&eacute;e le
+soir m&ecirc;me et pendant trois autres
+d&icirc;ners et trois soir&eacute;es subs&eacute;quentes. Le
+quatri&egrave;me soir, le vieux Wardle
+paraissait fort satisfait, car il s'&eacute;tait convaincu que M.
+Tupman avait
+&eacute;t&eacute; faussement accus&eacute;; celui-ci &eacute;tait
+&eacute;galement joyeux, car M. Jingle
+lui avait dit que son affaire serait bient&ocirc;t termin&eacute;e; M.
+Pickwick se
+trouvait tr&egrave;s-heureux, car c'&eacute;tait son &eacute;tat
+habituel; M. Snodgrass ne
+l'&eacute;tait pas, car il devenait jaloux de M. Tupman; la vieille
+lady &eacute;tait
+de fort bonne humeur, car elle gagnait au whist; enfin M. Jingle et
+miss
+Wardle &eacute;taient enchant&eacute;s, pour des raisons tellement
+importantes dans
+cette v&eacute;ridiques histoire, qu'elles seront racont&eacute;es dans
+un autre
+chapitre.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_IX"></a>
+<h2>CHAPITRE IX.</h2>
+<h3>La d&eacute;couverte et la poursuite.</h3>
+<br/>
+<p>Le souper &eacute;tait servi, les chaises &eacute;taient
+plac&eacute;es autour de la table;
+des bouteilles, des pots et des verres &eacute;taient rang&eacute;s sur
+le buffet;
+tout enfin annon&ccedil;ait l'approche du moment le plus sociable des
+vingt-quatre heures, c'est-&agrave;-dire le moment du souper.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; est Rachel? demanda M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Et Jingle, ajouta M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Tiens! reprit son h&ocirc;te, comment ne nous sommes-nous pas
+aper&ccedil;us plus
+t&ocirc;t de son absence? Il y a au moins deux heures que je n'ai
+entendu sa
+voix. &Eacute;mily, ma ch&egrave;re, tirez la sonnette.&raquo;</p>
+<p>La sonnette retentit et le gros joufflu parut.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; est miss Rachel?&raquo;</p>
+<p>Il n'en savait rien.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; est M. Jingle, alors?&raquo;</p>
+<p>Il ne pouvait le dire.</p>
+<p>Tout le monde parut surpris. Il &eacute;tait tard: onze heures
+pass&eacute;es. M.
+Tupman riait dans sa barbe, car ils devaient &ecirc;tre dans quelque
+coin &agrave;
+parler de lui.</p>
+<p>&laquo;Dr&ocirc;le de farce, ha! ha!</p>
+<p>&#8212;Cela ne fait rien, dit M. Wardle apr&egrave;s une courte pause. Je
+suis s&ucirc;r
+qu'ils vont revenir &agrave; l'instant. Je n'attends jamais personne,
+au
+souper.</p>
+<p>&#8212;Excellente r&egrave;gle! repartit M. Pickwick. Admirable!</p>
+<p>&#8212;Je vous en prie, asseyez-vous, poursuivit son h&ocirc;te.</p>
+<p>&#8212;Certainement,&raquo; dit M. Pickwick.</p>
+<p>Et ils s'assirent.</p>
+<p>Il y avait sur la table une gigantesque pi&egrave;ce de b&#339;uf froid,
+et M.
+Pickwick en avait re&ccedil;u une abondante portion. Il avait
+port&eacute; la
+fourchette vers ses l&egrave;vres et &eacute;tait sur le point d'ouvrir
+la bouche pour
+y introduire un morceau convenable, quand un grand bruit de voix
+s'&eacute;leva
+tout &agrave; coup dans la cuisine. M. Pickwick leva la t&ecirc;te et
+abaissa sa
+fourchette; M. Wardle cessa de d&eacute;couper, et insensiblement
+l&acirc;cha le
+couteau, qui resta ins&eacute;r&eacute; dans la morceau de b&#339;uf. Il
+regarda M.
+Pickwick, et M. Pickwick le regarda.</p>
+<p>Des pas lourds retentirent dans le passage. La porte de la salle
+&agrave;
+manger s'ouvrit tout &agrave; coup, et l'homme qui avait nettoy&eacute;
+les bottes de
+M. Pickwick le jour de son arriv&eacute;e, se pr&eacute;cipita dans la
+chambre, suivi
+du gros joufflu et de tous les autres domestiques.</p>
+<p>&laquo;Que diable cela veut-il dire? s'&eacute;cria l'amphytrion.</p>
+<p>&#8212;Est-ce que le feu est dans la chemin&eacute;e de la cuisine?
+demanda la
+vieille lady.</p>
+<p>&#8212;Non! grand'maman! cri&egrave;rent les deux jeunes personnes.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il y a?&raquo; reprit le ma&icirc;tre de la maison.</p>
+<p>L'homme respira profond&eacute;ment, et dit d'une voix
+essouffl&eacute;e:</p>
+<p>&laquo;Ils sont partis, monsieur; partis sans tambour, ni trompette,
+monsieur!&raquo;</p>
+<p>Dans ce moment, on remarqua que M. Tupman posait sa fourchette et
+son
+couteau et devenait excessivement p&acirc;le.</p>
+<p>&laquo;Qui est-ce qui est parti? demanda M. Wardle avec
+col&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;M. Jingle et miss Rachel, dans une chaise de poste du <i>Lion Bleu</i>,
+&agrave;
+Muggleton! J'&eacute;tais l&agrave;, mais je n'ai pas pu les
+arr&ecirc;ter; alors, je suis
+accouru pour vous dire....</p>
+<p>&#8212;J'ai pay&eacute; ses frais! s'&eacute;cria M. Tupman en se dressant
+sur ses pieds
+d'un air fr&eacute;n&eacute;tique. Il m'a attrap&eacute; dix
+guin&eacute;es! arr&ecirc;tez-le! Il m'a
+filout&eacute;! C'est trop fort! Je me vengerai, Pickwick! Je ne le
+souffrirai
+pas!&raquo;</p>
+<p>Et, tout en prof&eacute;rant mille exclamations incoh&eacute;rentes
+de cette nature,
+le malheureux gentleman tournait tout autour de la chambre dans un
+transport de fureur.</p>
+<p>&laquo;Le seigneur nous prot&egrave;ge! s'&eacute;cria M. Pickwick
+en regardant avec une
+surprise m&ecirc;l&eacute;e de crainte les gestes extraordinaires de
+son ami. Il est
+devenu fou! qu'allons-nous faire?</p>
+<p>&#8212;Ce que nous allons faire! repartit le vigoureux vieillard, qui ne
+pr&ecirc;ta d'attention qu'aux derniers mots de son convive; mettez le
+cheval
+au cabriolet; je vais prendre une chaise au <i>Lion Bleu</i>, et les
+poursuivre sur-le-champ! O&ugrave; est ce sc&eacute;l&eacute;rat de Joe?</p>
+<p>&#8212;Me voici, mais je ne suis pas un sc&eacute;l&eacute;rat!
+r&eacute;pliqua une voix, c'&eacute;tait
+celle du gros joufflu.</p>
+<p>&#8212;Laissez-moi l'attraper, Pickwick! cria M. Wardle en se
+pr&eacute;cipitant
+vers le malencontreux jeune homme. Il a &eacute;t&eacute; pay&eacute;
+par ce fripon de Jingle
+pour me faire perdre la trace en me contant des balivernes sur ma s&#339;ur
+et sur votre ami Tupman. (Ici M. Tupman se laissa tomber sur une
+chaise.) Laissez-moi l'attraper!</p>
+<p>&#8212;Retenez-le! s'&eacute;cri&egrave;rent toutes les femmes; et
+par-dessus leurs voix
+effray&eacute;es, on entendait distinctement les sanglots du gros
+gar&ccedil;on.</p>
+<p>&#8212;Je ne veux pas qu'on me retienne! b&eacute;gayait le
+col&eacute;rique vieillard. M.
+Winkle, &ocirc;tez vos mains! M. Pickwick! L&acirc;chez-moi,
+monsieur!&raquo;</p>
+<p>Dans ce moment de tourmente et de confusion, c'&eacute;tait un beau
+spectacle
+de voir l'attitude calme et philosophique de M. Pickwick. Une
+tranquillit&eacute; majestueuse r&eacute;gnait sur sa figure
+quoiqu'elle f&ucirc;t un peu
+enflamm&eacute;e par les efforts qu'il faisait pour mod&eacute;rer les
+passions
+imp&eacute;tueuses de son h&ocirc;te, dont il avait fortement
+embrass&eacute; la vaste
+ceinture. Pendant ce temps, Joe &eacute;tait &eacute;gratign&eacute;,
+tir&eacute;, bouscul&eacute;, pouss&eacute;
+hors de la chambre par toutes les femmes qui s'y trouvaient
+rassembl&eacute;es.
+Apr&egrave;s sa disparition, M. Wardle fut rel&acirc;ch&eacute;, et
+dans le m&ecirc;me instant, on
+vint annoncer que le cabriolet &eacute;tait pr&ecirc;t.</p>
+<p>&laquo;Ne le laissez pas aller seul, cri&egrave;rent les femmes, il
+tuera quelqu'un.</p>
+<p>&#8212;J'irai avec lui, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes un bon gar&ccedil;on, Pickwick, repartit M. Wardle
+en lui serrant
+la main. Emma, donnez un ch&acirc;le &agrave; M. Pickwick pour attacher
+autour de son
+cou. D&eacute;p&ecirc;chez! Soignez votre grand-m&egrave;re, enfants,
+elle se trouve mal.
+Allons, &ecirc;tes-vous pr&ecirc;t?&raquo;</p>
+<p>La bouche et le menton de M. Pickwick ayant &eacute;t&eacute;
+rapidement envelopp&eacute;s
+d'un ch&acirc;le, son chapeau ayant &eacute;t&eacute; enfonc&eacute;
+sur sa t&ecirc;te, et son pardessus
+jet&eacute; sur son bras, il r&eacute;pliqua affirmativement.</p>
+<p>Lorsque nos deux amis furent mont&eacute;s dans le cabriolet:</p>
+<p>&laquo;L&acirc;chez-lui la bride, Tom,&raquo; cria le vieillard. Et
+la voiture partit &agrave;
+travers les ruelles &eacute;troites, tombant dans les orni&egrave;res
+et fr&ocirc;lant les
+haies, au hasard de se briser &agrave; chaque instant.</p>
+<p>&laquo;Ont-ils beaucoup d'avance?... cria M. Wardle en arrivant
+&agrave; la porte du
+<i>Lion Bleu</i> autour de laquelle, malgr&eacute; l'heure
+avanc&eacute;e, il s'&eacute;tait form&eacute;
+un groupe de causeurs.</p>
+<p>&#8212;Pas plus de trois quarts d'heure; r&eacute;pondirent tous les
+assistants &agrave; la
+fois.</p>
+<p>&#8212;Une chaise et quatre chevaux! sur-le-champ. Allons! Allons! Vous
+rentrerez le cabriolet apr&egrave;s.</p>
+<p>&#8212;Allons, enfants! cria l'aubergiste, une chaise et quatre chevaux.
+Alerte! Alerte!&raquo;</p>
+<p>Sans retard s'empress&egrave;rent valets et postillons. Les
+lanternes
+brill&egrave;rent, les hommes coururent &ccedil;&agrave; et l&agrave;,
+les fers des chevaux
+retentirent sur les pav&eacute;s in&eacute;gaux de la cour, le
+roulement de la chaise
+se fit entendre comme on la tirait de la remise: tout &eacute;tait
+bruit et
+mouvement.</p>
+<p>&laquo;Allons donc! cette chaise viendra-t-elle cette nuit? cria M.
+Wardle.</p>
+<p>&#8212;La voil&agrave; dans la cour, monsieur, r&eacute;pondit
+l'aubergiste.&raquo;</p>
+<p>La chaise sortit en effet; les chevaux y furent attel&eacute;s; les
+postillons
+mont&egrave;rent sur ceux-ci, les voyageurs dans celle-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Postillon! cria M. Wardle, les sept milles de ce relai en moins
+d'une
+demi-heure!</p>
+<p>&#8212;En route!&raquo;</p>
+<p>Les postillons appliqu&egrave;rent le fouet et l'&eacute;peron; les
+gar&ccedil;ons salu&egrave;rent;
+les palefreniers cri&egrave;rent, et ils partirent d'un train furieux.</p>
+<p>&laquo;Jolie situation! pensa M. Pickwick quand il eut le loisir de
+la
+r&eacute;flexion. Jolie situation pour le pr&eacute;sident
+perp&eacute;tuel du Pickwick-Club!
+Une chaise humide, des chevaux enrag&eacute;s, quinze milles &agrave;
+l'heure et
+minuit pass&eacute;!&raquo;</p>
+<p>Pendant les trois ou quatre premiers milles, les deux amis,
+ensevelis
+dans leurs r&eacute;flexions, n'&eacute;chang&egrave;rent pas une seule
+parole, mais lorsque
+les chevaux, qui s'&eacute;taient &eacute;chauff&eacute;s,
+commenc&egrave;rent &agrave; d&eacute;vorer le terrain,
+M. Pickwick devint trop anim&eacute; par la rapidit&eacute; du
+mouvement pour
+continuer &agrave; rester enti&egrave;rement muet.</p>
+<p>&laquo;Nous sommes s&ucirc;rs de les attraper, je pense?
+commen&ccedil;a-t-il.</p>
+<p>&#8212;Je l'esp&egrave;re, r&eacute;pliqua son compagnon.</p>
+<p>&#8212;Une belle nuit! continua M. Pickwick en regardant la lune qui
+brillait
+paisiblement.</p>
+<p>&#8212;Tant pis, car ils ont eu l'avantage du clair de lune pour prendre
+l'avance, et nous allons en &ecirc;tre priv&eacute;s. Elle sera
+couch&eacute;e dans une
+heure.</p>
+<p>&#8212;Il sera assez d&eacute;sagr&eacute;able d'aller de ce
+train-l&agrave; dans l'obscurit&eacute;,
+n'est-il pas vrai?</p>
+<p>&#8212;Certainement,&raquo; r&eacute;pliqua s&egrave;chement M. Wardle.</p>
+<p>L'excitation temporaire de M. Pickwick commen&ccedil;a &agrave; se
+calmer un peu,
+lorsqu'il r&eacute;fl&eacute;chit aux inconv&eacute;nients et aux
+dangers de l'exp&eacute;dition
+dans laquelle il s'&eacute;tait embarqu&eacute; si
+l&eacute;g&egrave;rement. Il fut tir&eacute; de ces
+pens&eacute;es d&eacute;plaisantes par les clameurs des postillons.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;!
+cria le premier postillon.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! hurla
+le second postillon.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;!
+vocif&eacute;ra le vieux Wardle lui-m&ecirc;me en mettant
+la moiti&eacute; de son corps hors de la porti&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;! oh&eacute;!&raquo;
+r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick, en s'unissant au
+refrain, sans avoir la plus l&eacute;g&egrave;re id&eacute;e de ce
+qu'il signifiait.</p>
+<p>Au milieu de ces cris pouss&eacute;s par tous les quatre &agrave; la
+fois, la chaise
+s'arr&ecirc;ta.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qui nous arrive? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Il y a une barri&egrave;re ici, r&eacute;pondit le vieux Wardle, et
+nous aurons des
+nouvelles des fugitifs.&raquo;</p>
+<p>Au bout de cinq minutes consomm&eacute;es &agrave; frapper et
+&agrave; crier sans rel&acirc;che, un
+vieux bonhomme, n'ayant que sa chemise et son pantalon, sortit de la
+maison du <i>Turnpike</i> et ouvrit la barri&egrave;re<a
+ name="FNanchor_11_11"></a><a href="#Footnote_11_11"><sup>11</sup></a>.</p>
+<p>&laquo;Combien y a-t-il qu'une chaise est pass&eacute;e ici? demanda
+M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Combien y a?</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Ma foi je n'en sais trop rien. N'y a pas trop longtemps, ni trop
+peu
+non plus. Juste entre les deux peut-&ecirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Est-il pass&eacute; une chaise, seulement.</p>
+<p>&#8212;Ah! mais oui, il est pass&eacute; une chaise.</p>
+<p>&#8212;Combien y a-t-il de temps, mon ami? dit M. Pickwick en
+s'interposant.
+Une heure?</p>
+<p>&#8212;Ah! cela se pourrait bien, r&eacute;pliqua l'homme.</p>
+<p>&#8212;Ou deux heures? demanda le premier postillon.</p>
+<p>&#8212;Je n'en serais pas bien &eacute;tonn&eacute;, r&eacute;pondit
+l'homme d'un air de doute.</p>
+<p>&#8212;En route, postillons! s'&eacute;cria M. Wardle irrit&eacute;;
+voil&agrave; assez de temps
+de perdu avec ce vieil idiot.</p>
+<p>&#8212;Idiot! r&eacute;p&eacute;ta le vieux, en contemplant avec un
+ricanement la chaise
+qui diminuait rapidement &agrave; mesure que la distance augmentait.
+Non! Pas
+si idiot que vous croyez. Vous avez perdu dix minutes ici, et vous
+&ecirc;tes
+juste aussi savant qu'auparavant. Si tous les camarades sur la route
+re&ccedil;oivent une guin&eacute;e et la gagnent moiti&eacute; aussi
+bien, vous ne
+rattraperez pas l'autre chaise avant la Saint-Michel, mon gros
+courtaud!&raquo;</p>
+<p>Ayant fait suivre son discours d'un ricanement prolong&eacute;, le
+vieux
+bonhomme ferma la barri&egrave;re, rentra dans sa maison, et barricada
+la porte
+apr&egrave;s lui.</p>
+<p>Cependant nos voyageurs poursuivaient leur route sans aucun
+ralentissement. La lune, comme M. Wardle l'avait pr&eacute;dit,
+d&eacute;clinait avec
+rapidit&eacute;; de sombres et pesants nuages, qui depuis quelques
+temps
+s'&eacute;taient graduellement &eacute;tendus dans le ciel, venaient de
+se r&eacute;unir au
+z&eacute;nith en une masse noire et compacte. De larges gouttes de
+pluie
+fouettaient de temps en temps les glaces de la chaise, et semblaient
+avertir les voyageurs de l'approche rapide d'une temp&ecirc;te. Le vent
+qui
+soufflait directement contre eux, s'engouffrait en tourbillon furieux
+dans la route &eacute;troite, et g&eacute;missait tristement &agrave;
+travers les arbres. M.
+Pickwick resserra plus soigneusement sa redingote, s'&eacute;tablit
+plus
+commod&eacute;ment dans son coin, et tomba dans un profond sommeil,
+dont il fut
+tir&eacute; bient&ocirc;t apr&egrave;s par la cessation de tout
+mouvement, par le bruit
+d'une sonnette, et par ce cri r&eacute;p&eacute;t&eacute; &agrave; voix
+haute:</p>
+<p>&laquo;Des chevaux sur-le-champ!&raquo;</p>
+<p>Mais ici il arriva un autre d&eacute;lai. Les postillons dormaient
+d'un sommeil
+si myst&eacute;rieusement profond, qu'il fallut plus de cinq minutes
+pour
+&eacute;veiller chacun d'eux. Le palefrenier avait perdu la clef de
+l'&eacute;curie,
+et quand &agrave; la fin elle fut trouv&eacute;e, deux gar&ccedil;ons
+endormis transpos&egrave;rent
+les harnais des chevaux, et il fallut recommencer toute
+l'op&eacute;ration du
+harnachement. Si M. Pickwick avait &eacute;t&eacute; seul, ces
+obstacles multipli&eacute;s
+auraient bient&ocirc;t mis un terme &agrave; la poursuite; mais le
+vieux Wardle
+n'&eacute;tait pas d&eacute;mont&eacute; si ais&eacute;ment. Il
+s'employa avec tant de bonne
+volont&eacute;, poussant l'un, bousculant l'autre, prenant une
+cha&icirc;ne par-ci,
+attachant une boucle par-l&agrave;, que la chaise fut pr&ecirc;te
+&agrave; rouler en un
+espace de temps beaucoup plus court qu'on n'aurait pu l'esp&eacute;rer
+raisonnablement, sous l'influence de tant de difficult&eacute;s.</p>
+<p>Ils recommenc&egrave;rent donc leur voyage, et certainement avec une
+perspective fort peu engageante. Le relai &eacute;tait de 15 milles, la
+nuit
+sombre, le vent violent, la pluie battante. Il &eacute;tait impossible
+de faire
+beaucoup de chemin en luttant contre tant d'obstacles, aussi ne
+fallut-il gu&egrave;re moins de deux heures pour arriver au relai
+suivant. Mais
+ici, se pr&eacute;senta &agrave; leurs yeux un objet qui
+r&eacute;veilla leur courage et
+ranima leurs esprits abattus.</p>
+<p>&laquo;Quand cette chaise est-elle arriv&eacute;e? s'&eacute;cria le
+vieux Wardle, en
+sautant hors de sa voiture et montrant une autre chaise couverte d'une
+boue encore humide, qui &eacute;tait rest&eacute;e dans la cour.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas un quart d'heure, monsieur, r&eacute;pliqua le valet
+d'&eacute;curie &agrave;
+qui cette question &eacute;tait adress&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Une dame et un gentleman? demanda Wardle, pantelant d'impatience.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Grand homme en habit, longues jambes, le corps mince?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Une dame d'un certain &acirc;ge, le visage maigre, rien que la peau
+sur les
+os, hein?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Pardieu! Pickwick, ce sont eux! s'&eacute;cria le vieux gentleman.</p>
+<p>&#8212;Ils auraient &eacute;t&eacute; ici plus t&ocirc;t, poursuivit le
+palefrenier; mais un de
+leurs traits s'est cass&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Ce sont eux, reprit Wardle. Ce sont eux, par Jupiter! Une chaise et
+quatre chevaux, &agrave; l'instant! Nous les attraperons avant l'autre
+relai.
+Allons, postillons! de l'activit&eacute;. Une guin&eacute;e chacun,
+postillons!
+Vivement; d&eacute;p&ecirc;chons, mes enfants, en route!&raquo;</p>
+<p>Tout en prof&eacute;rant ces exhortations, le vieux gentleman
+courait &agrave; droite
+et &agrave; gauche, et s'occupait de tous les d&eacute;tails avec une
+excitation qui
+se communiqua &agrave; M. Pickwick. Sous cette influence contagieuse,
+celui-ci
+s'emp&ecirc;tra les jambes dans les harnais, se fourra au milieu des
+chevaux,
+se fit comprimer l'abdomen par les roues de la chaise, s'imaginant et
+croyant fermement qu'en faisant tout cela il acc&eacute;l&eacute;rait
+mat&eacute;riellement
+les pr&eacute;paratifs de leur d&eacute;part.</p>
+<p>&laquo;Grimpez, grimpez vite! s'&eacute;cria le vieux Wardle en
+montant dans la
+chaise, relevant le marchepied, et fermant la porti&egrave;re
+apr&egrave;s lui. Allons
+donc! d&eacute;p&ecirc;chez-vous.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick &eacute;tait de l'autre c&ocirc;t&eacute; de la voiture,
+et avant qu'il p&ucirc;t
+savoir pr&eacute;cis&eacute;ment de quoi il s'agissait, il se sentit
+soulever par le
+vieux gentleman, pousser par le valet d'&eacute;curie; et en route! ils
+&eacute;taient
+partis au grand galop.</p>
+<p>&laquo;Ah! voil&agrave; qui s'appelle marcher maintenant! dit M.
+Wardle avec
+complaisance.&raquo;</p>
+<p>Et en effet, ils <i>marchaient</i>, comme le t&eacute;moignaient
+suffisamment &agrave; M.
+Pickwick ses constantes collisions avec les durs panneaux de la voiture
+ou avec son compagnon.</p>
+<p>&laquo;Tenez-vous ferme, dit le robuste vieillard au philosophe, qui
+venait de
+piquer une t&ecirc;te au beau milieu de l'immense gilet de son
+compagnon de
+voyage.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai jamais &eacute;t&eacute; aussi cahot&eacute; de ma vie;
+r&eacute;pondit-il.</p>
+<p>&#8212;Ne faites pas attention, reprit son camarade. Ce sera bient&ocirc;t
+fini.
+Ferme! ferme!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick se planta dans son coin aussi solidement qu'il le put,
+et la
+chaise roula plus vite que jamais.</p>
+<p>Ils avaient br&ucirc;l&eacute; de cette mani&egrave;re environ trois
+milles, quand M. Wardle
+qui, depuis quelques minutes, tenait sa t&ecirc;te hors de la
+porti&egrave;re, la
+retira toute couverte d'&eacute;claboussures, et s'&eacute;cria,
+haletant
+d'impatience: &laquo;Les voil&agrave;!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick mit aussit&ocirc;t la t&ecirc;te &agrave; l'autre
+porti&egrave;re et vit, &agrave; peu de
+distance devant eux, une voiture qui d&eacute;talait au grand galop.</p>
+<p>&laquo;En avant! en avant!&raquo; vocif&eacute;ra le vieux
+gentleman. &laquo;Deux guin&eacute;es,
+postillons! Rattrapez-les! rattrapez-les!&raquo;</p>
+<p>Les chevaux de la premi&egrave;re chaise repartirent de toute leur
+vitesse, et
+ceux de M. Wardle galopp&egrave;rent avec fureur apr&egrave;s eux.</p>
+<p>&laquo;Je vois sa t&ecirc;te!&raquo; s'&eacute;cria le
+col&eacute;rique vieillard. &laquo;Dieu me damne! je
+vois sa t&ecirc;te!</p>
+<p>&#8212;Et moi aussi,&raquo; dit M. Pickwick. &laquo;C'est
+lui-m&ecirc;me.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick ne se trompait point. On apercevait clairement &agrave;
+la porti&egrave;re
+de la chaise la figure de M. Jingle, compl&eacute;tement couverte par
+la boue
+que lan&ccedil;aient les roues de sa voiture. Le mouvement de ses bras
+qu'il
+agitait violemment vers les postillons d&eacute;notait qu'il les
+encourageait &agrave;
+redoubler leurs efforts.</p>
+<p>L'int&eacute;r&ecirc;t devint immense. Les champs, les arbres, les
+haies semblaient
+tourbillonner autour d'eux. Ils arriv&egrave;rent tout aupr&egrave;s de
+la premi&egrave;re
+chaise; ils entendaient, par-dessus le bruit des roues, la voix de M.
+Jingle qui gourmandait ses postillons. Le vieux Wardle &eacute;cumait
+de rage
+et d'excitation; il rugissait par douzaine des &laquo;coquin!&raquo;
+des &laquo;sc&eacute;l&eacute;rat!&raquo;
+Il brandissait son poing et en mena&ccedil;ait l'objet de son
+indignation; mais
+M. Jingle ne r&eacute;pondait &agrave; ces outrages que par un sourire
+moqueur, puis
+par un cri de triomphe et de d&eacute;rision, lorsque ses chevaux,
+ob&eacute;issant &agrave;
+l'&eacute;nergie croissante du fouet et de l'&eacute;peron,
+redoubl&egrave;rent de vitesse et
+laiss&egrave;rent en arri&egrave;re ceux qui les poursuivaient.</p>
+<p>M. Pickwick venait de retirer sa t&ecirc;te de la porti&egrave;re,
+et M. Wardle,
+fatigu&eacute; de crier, en avait fait autant, quand une secousse
+terrible les
+jeta tous les deux sur le devant de la voiture. Un craquement violent
+se
+fit entendre, une roue se d&eacute;tacha, et la chaise versa sur le
+flanc.</p>
+<p>Apr&egrave;s quelques secondes de confusion o&ugrave; l'on ne
+pouvait rien discerner
+que le tr&eacute;pignement des chevaux et le brisement des glaces, M.
+Pickwick
+se sentit tirer violemment des d&eacute;combres, et, aussit&ocirc;t
+qu'il fut
+d'aplomb sur ses pieds et qu'il eut d&eacute;gag&eacute; sa t&ecirc;te
+du collet de sa
+redingote, par lequel se trouvaient notablement obstru&eacute;es les
+fonctions
+de ses besicles, il reconnut toute l'&eacute;tendue de leur
+d&eacute;sastre. Le jour
+venait de para&icirc;tre, et la sc&egrave;ne &eacute;tait parfaitement
+&eacute;clair&eacute;e par la grise
+lumi&egrave;re du matin.</p>
+<p>Le vieux Wardle &eacute;tait debout, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de
+lui, sans chapeau, les habits
+d&eacute;chir&eacute;s. A ses pieds gisaient les d&eacute;bris de la
+voiture. Les postillons,
+d&eacute;figur&eacute;s par la boue et par une course violente
+&eacute;taient parvenus &agrave;
+couper les traits et se tenaient &agrave; la t&ecirc;te de leurs
+chevaux. A une
+centaine de pas en avant, on voyait l'autre chaise qui s'&eacute;tait
+arr&ecirc;t&eacute;e
+en entendant le bruit de leur naufrage. Les postillons, dont la figure
+&eacute;tait contourn&eacute;e par un ricanement f&eacute;roce,
+contemplaient du haut de leur
+selle leurs adversaires d&eacute;mont&eacute;s, tandis que M. Jingle,
+&agrave; la porti&egrave;re,
+examinait, avec une &eacute;vidente satisfaction la ruine de ses
+pers&eacute;cuteurs.</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;? cria l'effront&eacute; com&eacute;dien; personne
+d'endommag&eacute;?&#8212;Gentlemen d'un
+certain &acirc;ge,&#8212;assez lourds,&#8212;dangereux,&#8212;tr&egrave;s-dangereux.</p>
+<p>&#8212;Canaille! vocif&eacute;ra M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Ah! ah! ah!&raquo; r&eacute;pliqua Jingle; et ensuite il ajouta, en
+clignant de
+l'&#339;il d'un air malin, et en d&eacute;signant avec son pouce
+l'int&eacute;rieur de la
+chaise: &laquo;Elle va tr&egrave;s-bien,&#8212;vous offre ses
+compliments,&#8212;vous prie de
+ne pas vous d&eacute;ranger. Des amiti&eacute;s &agrave; <i>Tuppy</i>.&#8212;Ne
+voulez-vous pas monter
+derri&egrave;re?&#8212;En route, postillons!&raquo;</p>
+<p>Les postillons se remirent en selle; la chaise recommen&ccedil;a
+&agrave; rouler, et
+M. Jingle, &eacute;tendant son bras hors de la porti&egrave;re,
+agitait, par d&eacute;rision,
+un mouchoir blanc.</p>
+<p>Rien, dans toute cette aventure, n'avait pu troubler l'humeur
+&eacute;gale et
+tranquille de M, Pickwick, pas m&ecirc;me la culbute de sa voiture et
+de sa
+personne. Mais il ne put supporter patiemment l'infamie de celui qui,
+apr&egrave;s avoir emprunt&eacute; de l'argent &agrave; son
+fid&egrave;le disciple, se permettait
+d'abr&eacute;ger son nom en celui de Tuppy. Il devint rouge jusqu'au
+bord de
+ses lunettes, et, ayant respir&eacute; fortement, il dit d'une voix
+lente et
+emphatique: &laquo;Si jamais je rencontre cet homme, je veux....</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, interrompit M. Wardle, tout cela est fort bien, mais,
+tandis
+que nous restons l&agrave; &agrave; parler, ils obtiendront une licence
+et seront
+mari&eacute;s &agrave; Londres.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick s'arr&ecirc;ta et renferma sa vengeance au fond de son
+c&#339;ur.</p>
+<p>&laquo;Combien y a-t-il d'ici au premier relai! demanda M. Wardle
+&agrave; l'un des
+postillons.</p>
+<p>&#8212;Six milles, n'est-ce pas, Tom?</p>
+<p>&#8212;Un peu plus.</p>
+<p>&#8212;Un peu plus de six milles, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas de rem&egrave;de, il faut les faire &agrave; pied,
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas de rem&egrave;de,&raquo; r&eacute;p&eacute;ta cet
+homme vraiment grand.</p>
+<p>Par l'ordre de M. Wardle, l'un des postillons partit devant,
+&agrave; cheval,
+pour faire atteler une nouvelle chaise, et l'autre resta en
+arri&egrave;re pour
+prendre soin de celle qui &eacute;tait bris&eacute;e. En m&ecirc;me
+temps, M. Pickwick et le
+vieux gentleman se mettaient courageusement en marche, apr&egrave;s
+avoir
+soigneusement attach&eacute; leurs ch&acirc;les autour de leur cou et
+avoir enfonc&eacute;
+leur chapeau sur leurs oreilles, pour &eacute;viter autant que possible
+le
+d&eacute;luge de pluie qui recommen&ccedil;ait &agrave; tomber.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_X"></a>
+<h2>CHAPITRE X.</h2>
+<h3>Destin&eacute; &agrave; dissiper tous les doutes qui pourraient
+exister sur le
+d&eacute;sint&eacute;ressement de M. Jingle.</h3>
+<br/>
+<p>Il y a dans Londres plusieurs vieilles auberges qui servaient de
+quartier g&eacute;n&eacute;ral aux coches les plus
+c&eacute;l&egrave;bres, dans le temps o&ugrave; les
+coches accomplissaient leurs voyages d'une mani&egrave;re grave et
+solennelle;
+mais ces auberges ont d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute; peu &agrave;
+peu, et n'abritent plus gu&egrave;re que
+des voitures de roulage. Le lecteur chercherait en vain quelqu'une de
+ces anciennes h&ocirc;telleries parmi les <i>Bouches d'or</i>, les <i>Croix
+d'or</i>,
+les <i>Taureaux d'or</i> qui l&egrave;vent leur front superbe dans les
+belles rues
+de Londres. S'il veut en &eacute;tudier les restes, il fera bien de
+diriger ses
+pas vers les quartiers les plus obscurs de la ville, et l&agrave;, dans
+quelque
+coin retir&eacute;, il en trouvera un certain nombre qui restent encore
+debout,
+avec une sombre obstination, au milieu des innovations modernes.</p>
+<p>Dans le <i>Borough</i><a name="FNanchor_12_12"></a><a
+ href="#Footnote_12_12"><sup>12</sup></a> surtout, il reste encore une
+demi-douzaine de ces
+anciennes maisons, qui ont conserv&eacute; sans changement leur
+singuli&egrave;re
+physionomie, et qui ont &eacute;galement &eacute;chapp&eacute; &agrave;
+la rage des am&eacute;liorations
+publiques et des sp&eacute;culations priv&eacute;es. Ce sont
+d'&eacute;tranges b&acirc;timents,
+avec des galeries, des corridors, des escaliers sans nombre, et assez
+antiques, assez vastes pour fournir des mat&eacute;riaux &agrave; mille
+histoires de
+revenants, si nous sommes jamais r&eacute;duits &agrave; la lamentable
+n&eacute;cessit&eacute; d'en
+inventer quelques-unes, et si le monde dure assez longtemps pour
+&eacute;puiser
+les innombrables et v&eacute;ridiques l&eacute;gendes qui se rattachent
+au vieux pont
+de Londres et &agrave; ses environs.</p>
+<p>Dans la cour du <i>Blanc-Cerf</i>, l'une des plus
+c&eacute;l&egrave;bres entre ces auberges
+gothiques, et de bonne heure dans la matin&eacute;e qui suivit les
+&eacute;v&eacute;nements
+funestes racont&eacute;s dans le pr&eacute;c&eacute;dent chapitre, un
+homme s'occupait
+activement &agrave; enlever la boue d'une paire de bottes. Cet homme
+avait un
+gilet ray&eacute;, orn&eacute; de manches de calicot noir et de boutons
+de verre bleu,
+une culotte de gros drap et des gu&ecirc;tres. Autour de son cou
+s'enroulait
+n&eacute;gligemment un mouchoir d'un rouge &eacute;clatant; un vieux
+chapeau blanc
+&eacute;tait pos&eacute; sans fa&ccedil;on sur le c&ocirc;t&eacute;
+gauche de sa t&ecirc;te. Il y avait devant
+ce personnage deux rang&eacute;es de bottes, les unes propres, les
+autres
+crott&eacute;es, et, &agrave; chaque addition qu'il faisait aux bottes
+nettoy&eacute;es, il
+s'arr&ecirc;tait un instant pour contempler son ouvrage avec une
+satisfaction
+&eacute;vidente.</p>
+<p>La cour n'offrait aucun indice de ce tapage, de ce mouvement qui
+caract&eacute;risent les h&ocirc;tels o&ugrave; s'arr&ecirc;tent les
+diligences. Deux ou trois
+cabriolets, deux ou trois chaises de poste s'abritaient sous
+diff&eacute;rents
+petits toits en appentis. Trois ou quatre voitures de roulage,
+charg&eacute;es
+d'une montagne de marchandises aussi &eacute;lev&eacute;e que le second
+&eacute;tage d'une
+maison ordinaire, restaient immobiles &agrave; l'ombre d'un
+&eacute;norme hangar
+suspendu sur un des c&ocirc;t&eacute;s de la cour, tandis qu'un autre
+camion, qui
+probablement devait commencer son voyage dans la matin&eacute;e,
+&eacute;tait tir&eacute;
+dans la partie d&eacute;couverte. Les b&acirc;timents qui bordaient
+deux c&ocirc;t&eacute;s du
+parall&eacute;logramme &eacute;taient garnis d'une double rang&eacute;e
+de galeries, orn&eacute;es
+d'&eacute;normes garde-fous en bois, et sur lesquelles deux files de
+chambres &agrave;
+coucher venaient s'ouvrir. Deux lignes de sonnettes, qui leur
+correspondaient, se dandinaient au-dessus de la porte d'entr&eacute;e,
+recouverte par un petit toit en ardoise. Enfin, de temps en temps, le
+pi&eacute;tinement pesant d'un cheval de charge, ou le cliquetis d'une
+cha&icirc;ne,
+annon&ccedil;ait, &agrave; ceux qui s'en inqui&eacute;taient, que les
+&eacute;curies &eacute;taient au bout
+de la cour. Si nous ajoutons &agrave; ce tableau quelques hommes en
+blouse,
+dormant sur des ballots; quelques sacs de laine et autres articles de
+ce
+genre, r&eacute;pandus sur des monceaux de foin, nous aurons
+d&eacute;crit, autant
+qu'il est n&eacute;cessaire, l'apparence que pr&eacute;sentait, dans la
+matin&eacute;e dont
+il s'agit, la cour du <i>Blanc-Cerf</i>, grande rue du Borough.</p>
+<p>Le carillon d'une des sonnettes fut suivi de l'apparition d'une
+servante
+coquette, dans l'une des galeries du second &eacute;tage. Elle frappa
+&agrave; l'une
+des portes, et, ayant re&ccedil;u une requ&ecirc;te de
+l'int&eacute;rieur, elle cria
+par-dessus la balustrade: Sam!&raquo;</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave;! r&eacute;pliqua l'homme au chapeau blanc.</p>
+<p>&#8212;Le n&deg;22 demande ses bottes sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! demandes-y s'il veut les avoir de suite, ou bien attendre
+qu'on les lui porte cir&eacute;es.</p>
+<p>&#8212;Allons, Sam! pas de b&ecirc;tises! reprit la jeune fille d'un air
+engageant;
+le gentleman a besoin de ses bottes sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;Parole d'honneur! vous &ecirc;tes bonne l&agrave;! repartit le
+d&eacute;crotteur.
+Regardez-moi un peu ces bottes. Onze paires de bottes, et un soulier
+qui
+appartient au n&deg; 6, avec une jambe de bois. Les bottes doivent
+&ecirc;tre
+livr&eacute;es &agrave; huit heures et demie, et le soulier &agrave;
+neuf. Qu'est-ce que
+c'est que le n&deg; 22, pour monter sur le dos &agrave; tous les
+autres? Non! non!
+chacun son tour! comme disait Jack Ketch &agrave; des particuliers
+qu'il avait
+&agrave; pendre. F&acirc;ch&eacute; de vous faire attendre, monsieur;
+mais je ferai vot'
+affaire tout &agrave; l'heure.&raquo;</p>
+<p>Parlant ainsi, l'homme au chapeau blanc se remit &agrave; travailler
+sur une
+botte &agrave; revers, avec une vitesse acc&eacute;l&eacute;r&eacute;e.</p>
+<p>On entendit un autre carillon, et la vieille aubergiste du <i>Blanc-Cerf</i>
+parut d'un air affair&eacute; dans la galerie oppos&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Sam! cria l'h&ocirc;tesse. O&ugrave; est-il, ce paresseux, ce
+fain&eacute;ant, ce.... Oh!
+vous voil&agrave; donc, Sam! Pourquoi ne r&eacute;pondiez-vous pas?</p>
+<p>&#8212;&Ccedil;a serait-y gentil de r&eacute;pondre avant que vous eussiez
+fini de parler?
+r&eacute;pliqua Sam un peu brusquement.</p>
+<p>&#8212;Tenez, cirez ces souliers pour le n&deg; 17, sur-le-champ, et
+portez-les &agrave;
+la salle &agrave; manger particuli&egrave;re, n&deg; 5, au
+rez-de-chauss&eacute;e. Ayant ainsi
+parl&eacute;, l'aubergiste jeta dans la cour des souliers de femme, et
+s'&eacute;loigna en trottinant.</p>
+<p>&#8212;N&deg; 5, dit Sam en ramassant les souliers et tirant un morceau de
+craie
+de sa poche, pour noter leur destination sous la semelle: Souliers de
+femme et salle &agrave; manger particuli&egrave;re, je parie bien
+qu'elle n'est pas
+venue en charrette, celle-l&agrave;!</p>
+<p>&#8212;Elle est venue de bonne heure ce matin, cria la servante, qui
+&eacute;tait
+encore appuy&eacute;e sur la balustrade de la galerie, dans un fiacre,
+avec un
+gentleman, et c'est lui qui demande ses bottes, que vous feriez mieux
+de
+lui donner: voil&agrave; l'histoire.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi ne m'avez-vous pas dit &ccedil;a d'abord? s'&eacute;cria
+Sam avec une
+grande indignation, en choisissant les bottes en question parmi toutes
+celles qui &eacute;taient devant lui. Je croyais que c'&eacute;tait une
+de nos
+pratiques &agrave; trois pence. Salle &agrave; manger
+particuli&egrave;re! et une lady
+encore! S'il y a dans sa peau un peu du v&eacute;ritable gentleman, il
+me
+vaudra au moins un shilling par jour, sans compter les
+commissions.&raquo;</p>
+<p>Stimul&eacute; par cette r&eacute;flexion consolante, M. Samuel
+brossa avec tant de
+bonne volont&eacute;, qu'au bout de peu de minutes, il avait
+donn&eacute; aux souliers
+et aux bottes un luisant qui aurait rempli de jalousie l'&acirc;me de
+l'aimable M. <i>Warenn</i>; car, au <i>Blanc-Cerf</i>, on employait
+le cirage de
+MM. Day et Martin.</p>
+<p>Arriv&eacute; &agrave; la porte du n&deg; 5, Sam frappa
+respectueusement.</p>
+<p>&laquo;Entrez!&raquo; r&eacute;pondit une voix d'homme.</p>
+<p>Sam fit son plus beau salut, et parut en pr&eacute;sence d'une dame
+et d'un
+gentleman qui &eacute;taient en train de d&eacute;jeuner. Ayant
+officieusement d&eacute;pos&eacute;
+les bottes de droite et de gauche aux pieds respectifs du gentleman, et
+les souliers de droite et de gauche &agrave; ceux de la dame, il se
+retira vers
+la porte.</p>
+<p>&laquo;Gar&ccedil;on! dit le gentleman.</p>
+<p>&#8212;Monsieur! r&eacute;pondit Sam en fermant la porte et tenant la main
+sur le
+bouton de la serrure.</p>
+<p>&#8212;Connaissez-vous... comment cela s'appelle-t-il? <i>Doctors Commons</i>?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; est-ce?</p>
+<p>&#8212;<i>Paul's church-yards</i>, monsieur. Une arcade basse; un libraire
+d'un
+c&ocirc;t&eacute;, un h&ocirc;tel de l'autre, et deux commissionnaires
+qui se chargent
+d'obtenir des permis de mariage pour ceux qui en ont besoin.</p>
+<p>&#8212;Des permis de mariage? r&eacute;p&eacute;ta le gentleman.</p>
+<p>&#8212;Oui, des permis de mariage! r&eacute;p&eacute;ta Sam. Deux
+individus en tablier
+blanc touchent leurs chapeaux quand vous entrez: &laquo;Un permis,
+monsieur,
+un permis?&raquo; Dr&ocirc;les de gens, et leurs ma&icirc;tres aussi!
+Ils ne valent pas
+mieux que les procureurs que consultent les plaideurs de la Cour
+d'assises.</p>
+<p>&#8212;Et que font-ils? demanda le gentleman.</p>
+<p>&#8212;Ce qu'ils font? Ils vous mettent dedans, monsieur! Et ce n'est pas
+tout: ils fourrent dans la t&ecirc;te des vieilles gens des choses
+comme ils
+n'en auraient jamais r&ecirc;v&eacute;. Mon p&egrave;re, monsieur,
+&eacute;tait un cocher, un
+cocher veuf, monsieur, et assez gros pour &ecirc;tre capable de tout;
+&eacute;tonnamment gros, mon p&egrave;re. Sa ch&egrave;re &eacute;pouse
+d&eacute;c&egrave;de, et lui laisse quatre
+cents guin&eacute;es. Bien! Il s'en va aux <i>Commons</i> pour voir
+l'homme de loi,
+et toucher le quibus. Fameuse tournure, mon p&egrave;re! Bottes
+&agrave; revers,
+bouquet &agrave; la boutonni&egrave;re, chapeau &agrave; grands bords,
+ch&acirc;le vert, gentleman
+fini! Il passe sous l'arcade, pensant o&ugrave; il placerait son
+argent. Bon!
+arrive le commissionnaire. Il touche son chapeau: &laquo;Un permis,
+monsieur?&#8212;Quoi qu'c'est? dit mon p&egrave;re.&#8212;Permis de mariage,
+dit-il.&#8212;Dieu me damne! dit mon p&egrave;re, je n'y avais jamais
+pens&eacute;.&#8212;J'imagine qu'il vous en faut un, monsieur,&raquo; dit le
+commissionnaire. Mon p&egrave;re s'arr&ecirc;te et
+r&eacute;fl&eacute;chit un brin. &laquo;Non! dit-il,
+diable m'emporte! Je suis trop vieux. D'ailleurs, je suis beaucoup trop
+gros, dit-il.&#8212;Allons donc, monsieur! dit l'autre.&#8212;Vous croyez? dit mon
+p&egrave;re.&#8212;J'en suis s&ucirc;r, qu'il dit. Nous avons mari&eacute; un
+gentleman deux fois
+vot' corporence lundi pass&eacute;.&#8212;Vrai? dit mon p&egrave;re.&#8212;Bien
+vrai! dit
+l'autre; vous n'&ecirc;tes qu'un gringalet aupr&egrave;s. Par ici,
+monsieur, par
+ici.&raquo; Et ne voil&agrave;-t-il pas mon p&egrave;re qui marche
+apr&egrave;s lui, comme un singe
+apprivois&eacute; derri&egrave;re un orgue, dans un petit bureau noir,
+o&ugrave;s qu'il y
+avait un gaillard avec des papiers crasseux et des bo&icirc;tes
+d'&eacute;tain, qui
+travaillait &agrave; faire croire qu'il &eacute;tait bien
+occup&eacute;. &laquo;Asseyez-vous,
+monsieur, pendant que je vas faire le certificat, dit l'homme de
+loi.&#8212;Merci, monsieur!&raquo; dit mon p&egrave;re; et il s'assoit et il
+examine de
+tous ses yeux, et avec sa bouche ouverte les noms qu'il y avait sur les
+bo&icirc;tes. &laquo;Comment vous appelez-vous, monsieur? dit l'homme
+de loi.&#8212;Tony
+Weller, dit mon p&egrave;re. &#8212;Votre paroisse? dit l'autre.&#8212;<i>La
+Belle-Sauvage</i>, dit mon p&egrave;re, car il s'arr&ecirc;tait
+&agrave; cet h&ocirc;tel-l&agrave; quand il
+conduisait, et il ne connaissait rien aux paroisses.&#8212;Et comment
+s'appelle la dame?&raquo; dit l'homme de loi. Voil&agrave; mon
+p&egrave;re qui n'y est plus
+du tout. &laquo;Diable m'emporte si j'en sais rien! qu'il dit.&#8212;Vous
+n'en
+savez rien? dit l'autre.&#8212;Pas plus que vous, dit mon p&egrave;re.
+Pourrais-je
+pas ajouter le nom plus tard? dit-il.&#8212;Impossible! dit
+l'autre.&#8212;Tr&egrave;s-bien, dit mon p&egrave;re, apr&egrave;s avoir
+r&eacute;fl&eacute;chi un instant.
+Mettez Mme Clarke.&#8212;Clarke quoi? dit l'homme de loi en trempant sa plume
+dans l'encrier.&#8212;Suzanne Clarke, &agrave; l'enseigne du <i>Marquis de
+Granby,
+Dorking</i>, dit mon p&egrave;re. Je crois bien qu'elle me prendra, si
+je la
+demande. Je n'y en ai jamais touch&eacute; un mot; mais elle me
+prendra, je le
+sais.&raquo; Comme &ccedil;a, le permis fut enregistr&eacute;. Et bien
+s&ucirc;r qu'elle l'a pris;
+et ce qu'il y a de pire, c'est qu'elle le tient encore au jour
+d'aujourd'hui, et moi je n'ai pas seulement vu la couleur des quatre
+cents guin&eacute;es. Pas de chance! Je vous demande excuse, monsieur,
+ajouta
+Sam, &agrave; la fin de son r&eacute;cit; mais quand je commence sur
+c'te dol&eacute;ance-l&agrave;,
+je ne peux pas plus m'arr&ecirc;ter qu'une brouette neuve qui a une
+roue bien
+graiss&eacute;e.&raquo; Ayant tout dit, et ayant attendu un instant
+pour voir si l'on
+n'avait pas besoin de lui, il sortit de la chambre.</p>
+<p>&laquo;Neuf heures et demie! C'est l'heure; en route! dit alors le
+gentleman
+que nous pouvons nous dispenser d'introduire comme &eacute;tant M.
+Jingle.</p>
+<p>&#8212;L'heure de quoi? demanda la tante demoiselle avec coquetterie.</p>
+<p>&#8212;Du permis, ange ch&eacute;ri; apr&egrave;s, il faudra avertir
+&agrave; l'&eacute;glise. Demain
+matin, vous serez &agrave; moi, r&eacute;pondit M. Jingle en serrant la
+main de la
+tante demoiselle.</p>
+<p>&#8212;Le permis! soupira Rachel en rougissant.</p>
+<p>&#8212;Le permis, r&eacute;p&eacute;ta M. Jingle:</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span><i>Au galop! au galop! je cours le chercher.<br/>
+</i></span><span><i>Au galop! et flonflon! je reviens pr&egrave;s de
+vous!</i><br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>&#8212;Comme vous allez vite! dit Rachel.</p>
+<p>&#8212;Vite! Vous verrez comme iront les heures, jours, semaines, mois,
+ann&eacute;es, quand nous serons unis. Vite! Tonnerre, &eacute;clairs,
+locomotive,
+force de mille chevaux, rien n'ira si vite!</p>
+<p>&#8212;Ne pourrions-nous pas... ne pourrions-nous pas &ecirc;tre
+mari&eacute;s avant
+demain matin? demanda Rachel.</p>
+<p>&#8212;Impossible! Ne se peut pas! Il faut avertir l'&eacute;glise,
+laisser le
+permis aujourd'hui, c&eacute;r&eacute;monie demain!</p>
+<p>&#8212;J'ai une si grande frayeur que mon fr&egrave;re ne nous
+d&eacute;couvre!</p>
+<p>&#8212;Nous d&eacute;couvre! Folie! Trop secou&eacute; par sa culbute!
+D'ailleurs, extr&ecirc;me
+pr&eacute;caution: quitt&eacute; la chaise de poste, march&eacute;,
+pris une voiture, venus
+ici, la derni&egrave;re place o&ugrave; il nous cherchera. Eh! eh!
+fameuse id&eacute;e!</p>
+<p>&#8212;Ne soyez pas longtemps, dit la tante demoiselle avec affection,
+lorsqu'elle vit M. Jingle enfoncer son chapeau r&acirc;p&eacute; sur sa
+t&ecirc;te.</p>
+<p>&#8212;Longtemps loin de vous! beaut&eacute; cruelle! Et M. Jingle
+s'avan&ccedil;a d'un air
+enjou&eacute; vers Rachel, imprima un chaste baiser sur ses
+l&egrave;vres, et sortit
+en dansant de la chambre.</p>
+<p>&#8212;Cher amant! dit la demoiselle, tandis qu'il fermait la porte.</p>
+<p>&#8212;Dr&ocirc;le de vieille folle!&raquo; pensa Jingle en arpentant les
+corridors.</p>
+<p>Il est p&eacute;nible de s'appesantir sur la perfidie de notre
+esp&egrave;ce, et nous
+ne suivrons pas le fil des m&eacute;ditations de M. Jingle pendant son
+trajet
+aux <i>Doctors' Commons</i>. Il suffira de dire qu'il &eacute;chappa
+aux emb&ucirc;ches
+des gens en tablier blanc qui gardent la porte de cette r&eacute;gion
+enchant&eacute;e, et qu'il atteignit en s&ucirc;ret&eacute; le bureau
+du vicaire g&eacute;n&eacute;ral.
+L&agrave;, il se procura une gracieuse &eacute;p&icirc;tre de
+l'archev&ecirc;que de Cantorb&eacute;ry: &laquo;A
+ses am&eacute;s et f&eacute;aux Alfred Jingle et Rachel Wardle,
+salut.&raquo; Il d&eacute;posa
+soigneusement dans sa poche le document mystique, et retourna au
+Borough, en triomphe.</p>
+<p>Il &eacute;tait encore en chemin, lorsque deux gentlemen puissants
+et un
+gentleman maigre entr&egrave;rent dans la cour du <i>Blanc-Cerf</i>,
+et cherch&egrave;rent
+des yeux quelque personne &agrave; laquelle ils pussent adresser un
+certain
+nombre de questions. M. Samuel Weller, d&eacute;crotteur attitr&eacute;
+du
+<i>Blanc-Cerf</i>, &eacute;tait en ce moment occup&eacute; &agrave;
+brunir une paire de bottes. Ce
+fut vers lui que se dirigea le gentleman maigre.</p>
+<p>&laquo;Mon ami! dit-il.</p>
+<p>&#8212;Il para&icirc;t que celui-l&agrave; aime les consultations
+gratuites; autrement, il
+ne serait pas si amoureux de moi du premier coup, pensa le sagace
+gar&ccedil;on; mais il se contenta de dire: &laquo;Eh bien!
+monsieur?&raquo;</p>
+<p>&#8212;Mon ami! r&eacute;p&eacute;ta le maigre gentleman avec un <i>hem!</i>
+conciliateur,
+avez-vous beaucoup de voyageurs en ce moment? hein? Bien occup&eacute;,
+n'est-ce pas?&raquo;</p>
+<p>Sam examina l'interrogateur. C'&eacute;tait un petit homme, &agrave;
+l'air affair&eacute;, au
+visage brun et anguleux, dont les deux petits yeux toujours clignotants
+et scintillants de chaque c&ocirc;t&eacute; d'un nez mince et
+inquisitif, semblaient
+faire une perp&eacute;tuelle partie de cache-cache au moyen de cet
+organe. Son
+habit noir faisait ressortir la blancheur de sa chemise et de son
+&eacute;troite cravate; sur son pantalon noir se d&eacute;tachait une
+cha&icirc;ne avec des
+breloques d'or, et ses bottes &eacute;taient aussi luisantes que ses
+yeux. Il
+tenait &agrave; la main ses gants de chevreau noir; et en parlant il
+fourrait
+ses poignets sous les pans de son habit, de l'air d'un homme qui est
+habitu&eacute; &agrave; poser des questions l&eacute;gales.</p>
+<p>&laquo;Bien occup&eacute;, hein? dit le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Pas mal comme &ccedil;a, monsieur, r&eacute;pliqua Sam. Nous ne
+ferons pas
+banqueroute, ni fortune non plus. Nous mangeons not' mouton bouilli
+sans
+c&acirc;pres, et nous nous battons l'&#339;il du raifort, quand nous pouvons
+attraper du b&#339;uf.</p>
+<p>&#8212;Ah! dit le petit homme, vous &ecirc;tes un farceur, n'est-ce pas?...</p>
+<p>&#8212;Mon fr&egrave;re a&icirc;n&eacute; &eacute;tait afflig&eacute; de
+cette maladie-l&agrave;, r&eacute;pondit Sam. Nous
+couchions ensemble, et &ccedil;a s'attrape peut-&ecirc;tre....</p>
+<p>&#8212;Oh! la dr&ocirc;le de vieille maison que voil&agrave;! reprit le
+petit homme en
+regardant autour de lui.</p>
+<p>&#8212;Fallait faire pr&eacute;venir de votre arriv&eacute;e, on lui
+aurait fait des
+r&eacute;parations, r&eacute;torqua le d&eacute;crotteur
+imperturbable.&raquo;</p>
+<p>Son interlocuteur parut un peu d&eacute;concert&eacute; de ces
+rebuffades successives.
+Une courte consultation eut lieu entre lui et les deux gros gentlemen;
+ensuite il prit une prise de tabac dans une &eacute;troite
+tabati&egrave;re d'argent,
+et il paraissait se disposer &agrave; renouveler la conversation, quand
+l'un de
+ses compagnons, qui, outre une contenance bienveillante, &eacute;tait
+porteur
+d'une paire de lunettes et d'une paire de gu&ecirc;tres noires,
+s'avan&ccedil;a et
+dit en montrant l'autre gros gentleman.</p>
+<p>&laquo;Le fait est que mon ami vous donnera une demi-guin&eacute;e,
+si vous voulez
+r&eacute;pondre &agrave; une ou deux....&raquo;</p>
+<p>&#8212;Eh! mon cher monsieur! mon cher monsieur! interrompit le petit
+homme.
+Permettez, je vous prie, mon cher monsieur. Le premier principe
+&agrave;
+observer dans des cas semblables, est celui-ci: Si vous mettez la chose
+entre les mains d'un homme d'affaires, vous ne devez plus vous en
+m&ecirc;ler
+aucunement. Vous devez reposer en lui une enti&egrave;re confiance.
+R&eacute;ellement,
+monsieur...&raquo; Il se tourna vers l'autre gros gentleman en lui
+disant:
+&laquo;J'ai oubli&eacute; le nom de votre ami.</p>
+<p>&#8212;Pickwick, r&eacute;pondit M. Wardle, car c'&eacute;tait ce joyeux
+personnage
+lui-m&ecirc;me.</p>
+<p>&#8212;Ah! Pickwick. R&eacute;ellement, monsieur Pickwick, mon cher
+monsieur,
+excusez-moi: Je serai heureux de recevoir vos avis en particulier,
+comme
+<i>amicus curiae</i>: mais vous devez voir l'inconvenance de votre
+intervention en ce moment, surtout par un argument <i>ad captandum</i>,
+tel
+que l'offre d'une demi-guin&eacute;e. R&eacute;ellement, mon cher
+monsieur,
+r&eacute;ellement... et le petit homme prit un air profond et une prise
+de
+tabac argumentative.</p>
+<p>&#8212;Mon seul d&eacute;sir, monsieur, r&eacute;pondit M. Pickwick,
+&eacute;tait d'amener &agrave; fin,
+aussi vite que possible, cette d&eacute;sagr&eacute;able affaire.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, tr&egrave;s-bien, dit le petit homme.</p>
+<p>&#8212;C'est pourquoi, continua M. Pickwick, j'ai fait usage de l'argument
+que mon exp&eacute;rience des hommes m'a fait reconna&icirc;tre comme
+le meilleur
+dans tous les cas.</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, dit le petit homme: tr&egrave;s-bon! tr&egrave;s-bon!
+c'est vrai. Mais
+vous auriez d&ucirc; me sugg&eacute;rer cela &agrave; moi. Vous savez,
+j'en suis s&ucirc;r, quelle
+confiance sans bornes on doit placer dans son homme d'affaires. S'il
+&eacute;tait besoin d'une autorit&eacute; &agrave; ce sujet,
+permettez-moi, mon cher
+monsieur, de vous r&eacute;f&eacute;rer &agrave; un cas bien connu dans
+Barnwell....</p>
+<p>&#8212;Ne vous alambiquez pas de George Barnevelt, interrompit Sam, qui
+&eacute;tait
+rest&eacute; fort &eacute;tonn&eacute; de ce dialogue. Tout le monde
+conna&icirc;t son histoire,
+et, voyez-vous, j'ai toujours imagin&eacute; que la jeune femme
+m&eacute;ritait
+beaucoup mieux que lui d'&ecirc;tre pendue<a name="FNanchor_13_13"></a><a
+ href="#Footnote_13_13"><sup>13</sup></a>. Mais c'est &eacute;gal;
+&ccedil;a n'a rien &agrave;
+voir ici. Vous voulez que j'accepte une demi-guin&eacute;e.
+Tr&egrave;s-bien, &ccedil;a me
+va; je ne puis pas parler mieux que &ccedil;a. Pas vrai, monsieur? (M.
+Pickwick
+sourit.) Alors il ne s'agit plus que de savoir ce que diable vous me
+voulez, comme dit c't autre quand il vit le revenant.</p>
+<p>&#8212;Nous voulons savoir.... dit M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Eh! mon cher monsieur! mon cher monsieur! interrompit le petit
+homme &agrave;
+l'air affair&eacute;.&raquo;</p>
+<p>M. Wardle leva les &eacute;paules, et se tut.</p>
+<p>&laquo;Nous voulons savoir, reprit solennellement le petit homme, et
+nous vous
+adressons cette question pour ne pas &eacute;veiller d'inutiles
+appr&eacute;hensions
+dans l'auberge; nous voulons savoir ce qui s'y trouve actuellement.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il y a dans la maison? Il y a une paire de bottes
+hongroises, au n&deg; 13, r&eacute;pondit Sam, dans l'esprit duquel les
+logeurs
+&eacute;taient repr&eacute;sent&eacute;s par la partie de leur costume
+qui se trouvait sous
+sa direction imm&eacute;diate. Il y a une jambe de bois au n&deg; 6;
+deux paires de
+demi-bottes dans la salle du commerce. Il y a ces bottes &agrave;
+revers ici,
+au rez-de-chauss&eacute;e, et cinq autres paires dans le caf&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Pas davantage? dit le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Attendez un brin, reprit Sam, en cherchant &agrave; se rappeler;
+oui, il y a
+une paire de bottes &agrave; la Wellington, pas mal us&eacute;es, et
+des souliers de
+dame, au n&deg; 5.</p>
+<p>&#8212;Quelle sorte de souliers? demanda avec empressement M. Wardle, qui,
+ainsi que M. Pickwick, s'&eacute;tait perdu dans ce singulier catalogue
+de
+chalands.</p>
+<p>&#8212;Souliers de province.</p>
+<p>&#8212;Y a-t-il le nom du cordonnier?</p>
+<p>&#8212;Brown.</p>
+<p>&#8212;D'o&ugrave; cela?</p>
+<p>&#8212;Muggleton.</p>
+<p>&#8212;Ce sont eux! s'&eacute;cria Wardle. Par le ciel nous les avons
+trouv&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Chut! dit Sam: Les Wellington sont all&eacute;s aux <i>Doctors'
+Commons</i>.</p>
+<p>&#8212;Bah! fit le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Oui, pour un permis.</p>
+<p>&#8212;Nous arrivons &agrave; temps, s'&eacute;cria Wardle. Montrez-nous
+la chambre; il n'y
+a pas un moment &agrave; perdre.</p>
+<p>&#8212;Je vous en prie, mon cher monsieur, je vous en prie, dit le petit
+homme. De la prudence; de la prudence!&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi, il tira de sa poche une bourse de soie rouge, dont
+il
+aveignit un souverain, en regardant fixement Sam. Celui-ci sourit d'une
+mani&egrave;re expressive.</p>
+<p>&laquo;Montrez-nous la chambre, tout d'un coup, sans nous annoncer,
+dit le
+petit homme; et il est &agrave; vous.&raquo;</p>
+<p>Sam jeta la botte &agrave; revers dans un coin, et conduisit nos
+gens &agrave; travers
+un corridor sombre et un large escalier. Arriv&eacute; dans un second
+corridor,
+il fit halte et tendit la main.</p>
+<p>&laquo;Le voil&agrave;,&raquo; dit tout bas l'avou&eacute; en
+d&eacute;posant le souverain dans la main
+de leur guide.</p>
+<p>Sam fit encore quelques pas, et s'arr&ecirc;ta devant une porte.</p>
+<p>&laquo;C'est ici? demanda le petit homme.&raquo;</p>
+<p>Sam fit signe que oui.</p>
+<p>Le vieux Wardle ouvrit la porte, et tous les trois
+p&eacute;n&eacute;tr&egrave;rent dans la
+chambre, juste au moment o&ugrave; M. Jingle, qui venait de rentrer,
+montrait
+le permis &agrave; la tante demoiselle.</p>
+<p>Rachel jeta un grand cri, et se renversant sur une chaise, se
+couvrit le
+visage avec les mains. M. Jingle chiffonna le permis, et le fourra dans
+sa poche. Les visiteurs intempestifs s'avanc&egrave;rent au milieu de
+la
+chambre.</p>
+<p>&laquo;Vous &ecirc;tes un joli coquin! s'&eacute;cria le vieux
+Wardle, haletant de col&egrave;re.
+Vous &ecirc;tes...</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur! mon cher monsieur! interrompit le petit homme,
+en
+posant son chapeau sur la table. Je vous en prie, faites attention.
+<i>Scandalum magnatum</i>... diffamation... action pour dommages...
+Calmez-vous, mon cher monsieur, je vous en prie.</p>
+<p>&#8212;Comment osez-vous enlever ma s&#339;ur de ma maison? reprit M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Oui, tr&egrave;s-bien, dit le petit gentleman. Vous pouvez lui
+demander cela.
+Comment osez-vous enlever sa s&#339;ur, eh! monsieur?</p>
+<p>&#8212;Qui diable &ecirc;tes-vous! s'&eacute;cria M. Jingle d'un ton si
+violent que le
+petit homme en recula involontairement un pas ou deux.</p>
+<p>&#8212;Qui il est? coquin! C'est mon avou&eacute;, M. Perker. Perker, je
+veux
+poursuivre ce gueux-l&agrave;! je veux le faire empoigner! Je veux...
+Je
+veux... Dieu me damne! je veux le ruiner.&#8212;Et vous, continua M. Wardle
+en se tournant brusquement vers sa s&#339;ur; vous Rachel, &agrave; votre
+&acirc;ge! quand
+vous devriez conna&icirc;tre le monde! A quoi pensez-vous de vous
+enfuir avec
+un vagabond? de d&eacute;shonorer votre famille, de vous rendre
+vous-m&ecirc;me
+mis&eacute;rable! Mettez votre chapeau, et venez avec moi.&#8212;Faites venir
+une
+voiture et apportez la note de cette dame. Entendez-vous? entendez-vous?</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, monsieur, r&eacute;pliqua Sam, en r&eacute;pondant au
+violent coup de
+sonnette de M. Wardle avec une c&eacute;l&eacute;rit&eacute;
+merveilleuse, pour quiconque ne
+savait pas que son &#339;il avait &eacute;t&eacute; appliqu&eacute; au trou
+de la serrure, pendant
+toute l'entrevue.</p>
+<p>&#8212;Mettez votre chapeau! reprit Wardle.</p>
+<p>&#8212;N'en faites rien, s'&eacute;cria Jingle. Quittez cette chambre,
+monsieur! Pas
+d'affaires ici. Dame libre et ma&icirc;tresse de ses actions. Plus de
+vingt et
+un ans.</p>
+<p>&#8212;Plus de vingt et un ans! r&eacute;p&eacute;ta M. Wardle avec
+m&eacute;pris. Plus de
+<i>quarante</i> et un ans!</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas vrai! s'&eacute;cria la tante demoiselle, son
+indignation
+l'emportant sur son d&eacute;sir de se trouver mal.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai, r&eacute;pliqua M. Wardle. Vous avez cinquante ans,
+comme un
+jour!&raquo;</p>
+<p>La tante demoiselle poussa un cri aigre, et perdit connaissance.</p>
+<p>M. Pickwick, avec son am&eacute;nit&eacute; accoutum&eacute;e appela
+l'h&ocirc;tesse, et lui
+demanda un verre d'eau.</p>
+<p>&laquo;Un verre d'eau! repartit le col&eacute;rique vieillard;
+apportez-en un baquet
+et jetez-le sur elle. Cela lui fera du bien, et elle le m&eacute;rite
+richement.</p>
+<p>&#8212;Fi! brute que vous &ecirc;tes!&raquo; s'&eacute;cria la
+compatissante h&ocirc;tesse. Puis, avec
+diverses exclamations de: &laquo;pauvre ch&egrave;re dame! Allons,
+allons, pauvre
+ch&eacute;rie! buvez un peu de &ccedil;a; &ccedil;a vous fera du bien;
+ne vous laissez pas
+abattre comme &ccedil;a; pauvre amour!&raquo; etc., etc.
+L'h&ocirc;tesse, assist&eacute;e par une
+servante commen&ccedil;a &agrave; humecter le front, &agrave; frapper
+dans les mains, &agrave;
+chatouiller le nez, &agrave; d&eacute;lacer le corset de la tante
+demoiselle, et &agrave; lui
+administrer enfin tous les calmants appliqu&eacute;s ordinairement par
+les
+sensibles matrones aux dames qui s'efforcent de se donner des attaques
+de nerfs.</p>
+<p>&laquo;La voiture est pr&ecirc;te, monsieur, dit Sam, en paraissant
+&agrave; la porte.</p>
+<p>&#8212;Allons! venez, reprit M. Wardle. Je vais la porter dans la
+voiture.&raquo;</p>
+<p>A cette proposition les attaques de nerfs recommenc&egrave;rent avec
+une
+nouvelle fureur.</p>
+<p>L'h&ocirc;tesse &eacute;tait sur le point de protester violemment
+contre ce proc&eacute;d&eacute;,
+et avait d&eacute;j&agrave; demand&eacute; avec indignation si M.
+Wardle se croyait seigneur
+de la cr&eacute;ation, lorsque M. Jingle s'interposa.</p>
+<p>&laquo;Gar&ccedil;on, dit-il, amenez-moi un constable.</p>
+<p>&#8212;Attendez! attendez! dit le petit Perker. Consid&eacute;rez,
+monsieur,
+consid&eacute;rez.</p>
+<p>&#8212;Je ne veux rien consid&eacute;rer, r&eacute;pliqua Jingle. Elle est
+sa ma&icirc;tresse.
+Voyons qui osera l'emmener, sans son consentement.</p>
+<p>&#8212;Je ne veux pas &ecirc;tre emmen&eacute;e, murmura la dame
+&eacute;vanouie. Je n'y consens
+pas. (Ici il y eut une rechute effrayante.)</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur, dit le petit avou&eacute;, en prenant &agrave;
+part M. Wardle et
+M. Pickwick; mon cher monsieur, nous sommes dans une situation bien
+embarrassante. C'est un cas d&eacute;solant; je n'en ai jamais connu de
+plus
+d&eacute;solant, mais, r&eacute;ellement, mon cher monsieur, nous
+n'avons aucun
+pouvoir pour contr&ocirc;ler les actions de cette dame. Je vous ai
+pr&eacute;venu
+avant de venir, mon cher monsieur, qu'il n'y avait pas d'autre
+rem&egrave;de
+qu'un accommodement.</p>
+<p>&#8212;Quelle esp&egrave;ce d'accommodement voudriez-vous faire? demanda
+M.
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Voyez-vous, mon cher monsieur, votre ami est dans une position
+tr&egrave;s-d&eacute;plaisante, excessivement d&eacute;plaisante. Il
+faut qu'il consente &agrave;
+subir quelques pertes p&eacute;cuniaires.</p>
+<p>&#8212;Je d&eacute;penserai tout ce qu'il faudra plut&ocirc;t que de
+supporter ce
+d&eacute;shonneur, plut&ocirc;t que de souffrir, toute folle qu'elle
+est, qu'elle se
+rende mis&eacute;rable pour sa vie enti&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Je suppose que cela pourra s'arranger, dit le petit homme
+affair&eacute;. M.
+Jingle, voulez-vous venir avec nous, pour un instant, dans la chambre
+&agrave;
+c&ocirc;t&eacute;?&raquo;</p>
+<p>M. Jingle y consentit et le quatuor passa dans une pi&egrave;ce
+voisine.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur, dit le petit homme en fermant
+soigneusement la
+porte, n'y a-t-il aucun moyen d'accommoder cette affaire? Venez par
+ici,
+monsieur, dans cette embrasure de crois&eacute;e, o&ugrave; nous serons
+en
+t&ecirc;te-&agrave;-t&ecirc;te. L&agrave;, monsieur, l&agrave;!
+Asseyez-vous s'il vous pla&icirc;t, monsieur.
+Maintenant, mon cher monsieur, entre vous et moi, nous savons
+tr&egrave;s-bien,
+mon cher monsieur, que vous avez enlev&eacute; cette dame pour l'amour
+de son
+argent. Ne froncez pas le sourcil, monsieur, c'est inutile: je vous
+dis,
+entre vous et moi, que <i>nous</i> savons cela. Nous sommes tous les
+deux des
+hommes du monde, et <i>nous</i> savons tr&egrave;s-bien que nos amis
+ici n'en sont
+pas. N'est-ce pas, monsieur?&raquo;</p>
+<p>Le visage de M. Jingle s'&eacute;claircit graduellement pendant ce
+discours, et
+quelque chose qui ressemblait &agrave; un clignement d'&#339;il trembla,
+pendant un
+instant, dans sa paupi&egrave;re gauche.</p>
+<p>&laquo;Tr&egrave;s-bien! tr&egrave;s-bien! poursuivit M. Perker,
+observant l'impression
+qu'il avait faite. Maintenant, le fait est que la dame n'a rien, ou peu
+de chose, jusqu'&agrave; la mort de sa m&egrave;re.... Une personne
+bien constitu&eacute;e,
+mon cher monsieur.</p>
+<p>&#8212;Vieille! dit M. Jingle laconiquement, mais avec &eacute;nergie.</p>
+<p>&#8212;Oui, c'est vrai, reprit l'avou&eacute; avec une
+l&eacute;g&egrave;re toux; vous avez
+raison, mon cher monsieur, elle est assez vieille. Mais elle vient
+d'une
+vieille famille, mon cher monsieur; vieille dans toutes les acceptions
+du mot. Le fondateur de cette famille arriva dans le comt&eacute; de
+Kent, lors
+de l'invasion de Jules-C&eacute;sar, et depuis ce temps-l&agrave; il
+n'y a qu'un seul
+de ses membres qui n'ait pas v&eacute;cu jusqu'&agrave;
+quatre-vingt-cinq ans, encore
+a-t-il &eacute;t&eacute; d&eacute;capit&eacute; par ordre d'un des
+Henry. La vieille dame n'a pas
+soixante-treize ans, mon cher monsieur.&raquo;</p>
+<p>Le petit homme s'arr&ecirc;ta et prit une prise de tabac.</p>
+<p>&laquo;Eh bien? fit M. Jingle.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! mon cher monsieur.... Vous ne prenez pas de tabac? Vous
+avez
+raison, c'est une habitude co&ucirc;teuse. Eh bien! mon cher monsieur,
+vous
+&ecirc;tes un joli gar&ccedil;on, un homme du monde, capable de pousser
+votre
+fortune, si vous aviez un capital, hein?</p>
+<p>&#8212;Eh bien! r&eacute;p&eacute;ta M. Jingle.</p>
+<p>&#8212;Vous ne me comprenez pas?</p>
+<p>&#8212;Pas tout &agrave; fait.</p>
+<p>&#8212;Ne pensez-vous pas... Je viens au fait, mon cher monsieur. Ne
+pensez-vous pas que cinquante guin&eacute;es et la libert&eacute;
+seraient plus
+agr&eacute;ables que miss Wardle et des esp&eacute;rances?</p>
+<p>&#8212;Impossible! dit M. Jingle en se levant. Pas assez, de moiti&eacute;!</p>
+<p>&#8212;Non! non! mon cher monsieur, reprit le petit avou&eacute; en
+l'arr&ecirc;tant par
+un bouton. Bonne somme ronde. Un homme comme vous pourrait la tripler
+en
+un rien de temps. On peut faire bien des choses avec cinquante
+gain&eacute;es,
+mon cher monsieur.</p>
+<p>&#8212;Bien plus avec cent cinquante, r&eacute;pliqua Jingle froidement.</p>
+<p>&#8212;Allons, mon cher monsieur, nous ne perdrons pas notre temps
+&agrave; couper
+un cheveu en quatre. Disons... disons quatre-vingts....</p>
+<p>&#8212;Impossible!</p>
+<p>&#8212;Restez, mon cher monsieur. Dites-moi ce que vous voulez.</p>
+<p>&#8212;Affaire co&ucirc;teuse, d&eacute;bours&eacute;s, chevaux de poste,
+neuf guin&eacute;es; licence,
+trois guin&eacute;es, douze guin&eacute;es; compensation, cent
+guin&eacute;es, cent douze.
+Perte d'honneur et perte de la dame....</p>
+<p>&#8212;Allons! mon cher monsieur, allons! interrompit l'homme d'affaires
+d'un
+air malin. Ne parlons pas des deux derniers articles. Cela fait cent
+douze guin&eacute;es. Mettons cent, allons!</p>
+<p>&#8212;Cent vingt<a name="FNanchor_14_14"></a><a href="#Footnote_14_14"><sup>14</sup></a>.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! je vais vous &eacute;crire un mandat, reprit le
+petit homme
+en s'asseyant pr&egrave;s d'une table, et commen&ccedil;ant &agrave;
+&eacute;crire. Je le ferai
+payable pour apr&egrave;s demain et nous pouvons emmener la dame d'ici
+l&agrave;?&raquo;
+ajouta-t-il en interrogeant M. Wardle du regard.</p>
+<p>Celui-ci fit un sombre signe d'assentiment.</p>
+<p>&laquo;Cent, dit le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Et vingt, ajouta Jingle.</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur! reprit l'avou&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Donnez-les lui, interrompit M. Wardle. Et qu'il s'en aille au
+diable
+avec!&raquo;</p>
+<p>Le mandat fut donc &eacute;crit par le petit gentleman, et
+empoch&eacute; par M.
+Jingle.</p>
+<p>&laquo;Maintenant quittez cette maison sur-le-champ! dit M. Wardle,
+en se
+levant.</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur... observa l'homme d'affaires.</p>
+<p>&#8212;Et sachez, continua M. Wardle sans s'occuper de l'interrupteur,
+sachez
+que rien au monde, pas m&ecirc;me l'honneur de ma famille, n'aurait pu
+me
+faire consentir &agrave; cet arrangement, si je n'&eacute;tais pas
+convaincu que vous
+deviendrez la proie du diable d'autant plus vite que vous aurez plus
+d'argent.</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur, repr&eacute;senta de nouveau le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Tenez-vous tranquille, Perker, lui r&eacute;pondit son
+col&egrave;re client. Quittez
+cette chambre, monsieur!</p>
+<p>&#8212;En route sur-le-champ, r&eacute;pliqua l'impassible Jingle. Adieu
+Pickwick.&raquo;</p>
+<p>Si quelque spectateur d&eacute;sint&eacute;ress&eacute; avait pu
+contempler, pendant la fin
+de cette conversation, la contenance de l'homme illustre dont le nom
+d&eacute;core notre titre, il aurait &eacute;t&eacute;
+&eacute;tonn&eacute; que le feu de l'indignation qui
+jaillissait de ses yeux ne fit pas fondre les verres de ses lunettes.
+Ses narines s'enfl&egrave;rent, ses poings se ferm&egrave;rent
+involontairement, quand
+il s'entendit nommer famili&egrave;rement par le mis&eacute;rable. Mais
+il se contint;
+il ne le pulv&eacute;risa point.</p>
+<p>&laquo;Tenez, continua le sc&eacute;l&eacute;rat endurci, en jetant
+la licence aux pieds de
+M. Pickwick. Changez les noms, emmenez la dame,&#8212;fera l'affaire de
+Tuppy.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick &eacute;tait un philosophe. Mais, apr&egrave;s tout, les
+philosophes ne
+sont que des hommes rev&ecirc;tus d'une armure de sagesse. Le trait
+mordant
+p&eacute;n&eacute;tra &agrave; travers le harnais philosophique de
+notre h&eacute;ros et d&eacute;chira
+profond&eacute;ment son c&#339;ur. Dans un acc&egrave;s de rage il
+lan&ccedil;a, au hasard,
+l'encrier qui avait servi &agrave; M. Perker, et se pr&eacute;cipita
+dans la m&ecirc;me
+direction. Mais son adversaire &eacute;tait disparu et il se trouva
+arr&ecirc;t&eacute; dans
+les bras de Sam.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! dit cet excentrique fonctionnaire. Le mobilier
+n'est pas cher dans
+vot' pays, vieux gentleman. Voil&agrave; une encre qui &eacute;crit
+toute seule, hein?
+Elle vient d'&eacute;crire vot' nom sur ce mur. Laissez donc monsieur;
+&agrave; quoi
+bon courir apr&egrave;s un homme qui est, &agrave; pr&eacute;sent,
+&agrave; l'autre bout du
+Borough?&raquo;</p>
+<p>L'esprit de M. Pickwick, comme celui de tous les hommes vraiment
+grands,
+&eacute;tait ouvert &agrave; la persuasion, et comme il raisonnait
+puissamment et
+rapidement, un seul instant de r&eacute;flexion suffit pour le
+convaincre de
+l'inutilit&eacute; de son courroux. Il s'apaisa aussi vite qu'il
+s'&eacute;tait
+enlev&eacute;, respira fortement, et jeta un regard b&eacute;nin sur
+ses amis.</p>
+<p>Rapporterons-nous les lamentations de miss Wardle quand elle apprit
+de
+quelle mani&egrave;re son infid&egrave;le amant l'abandonnait?
+Imprimerons-nous les
+d&eacute;tails de cette sc&egrave;ne d&eacute;chirante, si
+admirablement d&eacute;crite par M.
+Pickwick? Son livre de notes est ouvert devant nous; une
+l&eacute;g&egrave;re
+moisissure indique encore combien de larmes lui arracha
+l'humanit&eacute;
+sympathisante. Un seul mot, et ces notes seront entre les mains de
+l'imprimeur. Mais non! nous r&eacute;sisterons &agrave; cette
+pens&eacute;e! nous ne
+d&eacute;solerons pas le c&#339;ur du publie par la peinture de ces
+affreuses
+souffrances.</p>
+<p>Le lendemain, la lourde voiture de Muggleton ramena, lentement et
+tristement, les deux amis avec la dame d&eacute;laiss&eacute;e. Les
+ombres de la nuit
+&eacute;taient tomb&eacute;es depuis bien longtemps sur toute la
+nature, quand ils
+arriv&egrave;rent &agrave; la porte de Manoir-ferme.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XI"></a>
+<h2>CHAPITRE XI.</h2>
+<h3>Contenant un autre voyage et une d&eacute;couverte
+d'antiquit&eacute;: annon&ccedil;ant la
+r&eacute;solution de M. Pickwick d'assister &agrave; une
+&eacute;lection, et renfermant un
+manuscrit donn&eacute; par le vieil eccl&eacute;siastique.</h3>
+<br/>
+<p>Une nuit de repos et de tranquillit&eacute; dans le profond silence
+de
+Dingley-Dell, et, le lendemain matin, une heure d'immersion dans l'air
+frais et parfum&eacute; de la campagne, effac&egrave;rent
+compl&eacute;tement, chez M.
+Pickwick, les traces de la fatigue que son corps avait support&eacute;e
+et de
+l'anxi&eacute;t&eacute; qui avait agit&eacute; son esprit. Depuis deux
+jours cet homme
+illustre &eacute;tait s&eacute;par&eacute; de ses amis, de ses
+sectateurs, et lorsqu'au
+retour de sa promenade matinale il rencontra M. Winkle et M. Snodgrass,
+ce fut avec un sentiment de d&eacute;lices qui peut &agrave; peine
+&ecirc;tre compris par
+une imagination vulgaire, qu'il s'avan&ccedil;a au-devant d'eux pour
+leur dire
+bonjour. Le plaisir fut mutuel. Qui pourrait, en effet, contempler,
+sans
+en &eacute;prouver, le visage rayonnant de M. Pickwick? Et cependant un
+nuage
+semblait obscurcir le front de ses disciples. Ils avaient un air
+myst&eacute;rieux, aussi alarmant qu'extraordinaire. Le grand homme
+s'en
+aper&ccedil;ut et ne put en deviner la cause.</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir serr&eacute; les mains des deux jeunes gens, et
+prof&eacute;r&eacute; de chaudes
+expressions de bienvenue, M. Pickwick leur dit: &laquo;Comment va
+Tupman?&raquo;</p>
+<p>M. Winkle, &agrave; qui cette question &eacute;tait plus
+particuli&egrave;rement adress&eacute;e, ne
+fit point de r&eacute;ponse. Il d&eacute;tourna la t&ecirc;te et parut
+absorb&eacute; dans de
+m&eacute;lancoliques r&eacute;flexions.</p>
+<p>&laquo;Snodgrass, reprit M. Pickwick avec vivacit&eacute;, comment
+va notre ami?
+Est-il malade?</p>
+<p>&#8212;Non! r&eacute;pliqua M. Snodgrass; et une larme trembla sur sa
+paupi&egrave;re
+sentimentale, comme une goutte de pluie sur le bord d'une
+crois&eacute;e. Non!
+il n'est pas malade!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick contempla tour &agrave; tour chacun de ses amis.</p>
+<p>&laquo;Winkle! Snodgrass! leur dit-il quand il les eut suffisamment
+contempl&eacute;s, que signifie cela? O&ugrave; est notre ami?
+Qu'est-il arriv&eacute;?
+Parlez, je vous en supplie, je vous en conjure! Que dis-je? je vous le
+commande, parlez!&raquo;</p>
+<p>Il y avait dans le maintien et dans l'accent de M. Pickwick une
+dignit&eacute;,
+une solennit&eacute; &agrave; laquelle il &eacute;tait impossible de
+r&eacute;sister. &laquo;Il nous a
+quitt&eacute;s, r&eacute;pondit M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Quitt&eacute;s! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Quitt&eacute;s, r&eacute;p&eacute;ta M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; est-il? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Nous pouvons seulement le soup&ccedil;onner d'apr&egrave;s cet
+&eacute;crit, r&eacute;pliqua M.
+Snodgrass en tirant une lettre de sa poche et la pla&ccedil;ant entre
+les mains
+de son ami. Hier matin, quand nous avons re&ccedil;u une lettre de M.
+Wardle,
+qui nous annon&ccedil;ait pour la nuit le retour de sa s&#339;ur, nous avons
+remarqu&eacute; que la m&eacute;lancolie qui assombrissait l'&acirc;me
+de notre ami,
+semblait s'accro&icirc;tre encore. Peu de temps apr&egrave;s il
+disparut. Nous le
+cherch&acirc;mes vainement durant tout le jour; et, dans la
+soir&eacute;e, cette
+lettre nous fut apport&eacute;e par le palefrenier de la <i>Couronne</i>,
+&agrave;
+Muggleton. Notre ami la lui avait laiss&eacute;e d&egrave;s le matin,
+en lui
+recommandant bien de ne nous la remettre que lorsque les ombres de la
+nuit auraient obscurci la nature.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick ouvrit la lettre. Elle &eacute;tait de l'&eacute;criture
+de M. Tupman, et
+contenait ce qui suit;</p>
+<div class="blkquot">
+<p>&laquo;Mon cher Pickwick, </p>
+</div>
+<p>&laquo;Vous qui &ecirc;tes plac&eacute;s dans une r&eacute;gion
+sup&eacute;rieure aux faiblesses
+humaines, vous ignorez quel coup fatal on re&ccedil;oit lorsqu'on est
+abandonn&eacute;
+par une charmante, par une fascinante cr&eacute;ature; et lorsqu'on
+devient la
+victime d'un monstre qui cachait la ruse et le vice hideux sous le
+masque de l'amiti&eacute;. Ah! puissiez-vous ne l'apprendre jamais!</p>
+<p>&laquo;Les lettres qui me seront adress&eacute;es &agrave; la <i>Bouteille
+de cuir</i>, &agrave;
+Cobham-Kent, me seront transmises, suppos&eacute; que j'existe encore.
+Je
+m'&eacute;loigne d'une partie du monde qui m'est devenue odieuse. Si je
+quitte
+le monde tout entier, plaignez-moi, pardonnez-moi. La vie, mon cher
+ami,
+m'est devenue insupportable! La flamme qui br&ucirc;le au dedans de
+nous est
+comme les crochets d'un porteur, sur lesquels repose l'&eacute;norme
+poids des
+soins et des soucis du monde; quand cette flamme nous manque, le
+fardeau
+devient trop pesant pour que nous puissions le supporter et nous
+tombons
+accabl&eacute;s sur la terre. Vous pouvez dire &agrave; Rachel.... Ah!
+ce nom!... Quel
+souvenir!...</p>
+<div class="blkquot">
+<p>&laquo;TRACY TUPMAN.&raquo; </p>
+</div>
+<p>&laquo;Nous allons partir sur-le-champ, dit M. Pickwick en refermant
+cette
+lettre. Nous n'aurions pu, dans aucune circonstance, rester
+d&eacute;cemment
+ici apr&egrave;s les &eacute;v&eacute;nements qui s'y sont
+pass&eacute;s; mais maintenant, c'est un
+devoir pour nous d'aller &agrave; la recherche de notre ami.&raquo; En
+pronon&ccedil;ant ces
+nobles paroles, M. Pickwick prit le chemin de la maison.</p>
+<p>Ses intentions furent promptement communiqu&eacute;es &agrave; ses
+h&ocirc;tes. Leurs
+pri&egrave;res pour le retenir furent instantes, mais inutiles.
+&laquo;D'importantes
+affaires, leur dit-il, rendent mon d&eacute;part indispensable.&raquo;</p>
+<p>Le vieil eccl&eacute;siastique &eacute;tait pr&eacute;sent.</p>
+<p>&laquo;Vous &ecirc;tes donc d&eacute;cid&eacute; &agrave; nous
+quitter?&raquo; dit-il &agrave; M. Pickwick, en le
+prenant &agrave; part; et sur sa r&eacute;ponse affirmative, il ajouta:
+&laquo;S'il en est
+ainsi, voil&agrave; un petit manuscrit que j'esp&eacute;rais avoir le
+plaisir de vous
+lire moi-m&ecirc;me. Ayant perdu un de mes amis, qui &eacute;tait
+m&eacute;decin de notre
+h&ocirc;pital des fous, j'ai trouv&eacute; ce manuscrit parmi beaucoup
+d'autres
+papiers qu'il m'avait charg&eacute; de br&ucirc;ler ou de conserver,
+&agrave; mon choix. Il
+n'est point de la main de mon ami, et j'ai peine &agrave; croire qu'il
+ne soit
+pas apocryphe: lisez-le, mon cher monsieur, et jugez par
+vous-m&ecirc;me, s'il
+a &eacute;t&eacute; r&eacute;ellement &eacute;crit par un maniaque, ou,
+ce qui me para&icirc;t plus
+probable, si les r&ecirc;veries d'un de ces infortun&eacute;s ont
+&eacute;t&eacute; recueillies par
+une autre personne.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick re&ccedil;ut le manuscrit, et se s&eacute;para du
+bienveillant vieillard
+avec mille expressions d'estime et d'affection.</p>
+<p>C'&eacute;tait une t&acirc;che bien plus difficile de prendre
+cong&eacute; des habitants de
+Manoir-ferme, o&ugrave; nos voyageurs avaient &eacute;t&eacute;
+re&ccedil;us avec tant
+d'hospitalit&eacute;, avec des attentions si d&eacute;licates. M.
+Pickwick embrassa
+les jeunes ladies. Nous allions dire, <i>comme si elles avaient
+&eacute;t&eacute; ses
+propres filles</i>, mais la comparaison pourrait bien n'&ecirc;tre pas
+enti&egrave;rement exacte, car peut-&ecirc;tre y mit-il un peu plus de
+chaleur. Il
+embrassa la vieille lady avec une tendresse filiale, et en glissant
+dans
+la main des servantes quelques preuves substantielles de sa
+bienveillance, il tapota leurs joues ros&eacute;es, d'une
+mani&egrave;re toute
+patriarcale. Ensuite, des protestations bien plus cordiales encore,
+bien
+plus prolong&eacute;es, furent &eacute;chang&eacute;es avec leur
+excellent amphytrion et avec
+M. Trundle. Cependant M. Snodgrass &eacute;tait disparu; et il fallut
+l'appeler
+plusieurs fois avant de le d&eacute;terminer &agrave; sortir de
+certains corridors
+sombres.</p>
+<p>Miss &Eacute;mily rentra bient&ocirc;t apr&egrave;s, et ses yeux,
+ordinairement si
+brillants, paraissaient ternes et battus. Enfin les trois amis
+s'arrach&egrave;rent des bras de leurs aimables h&ocirc;tes, et tout en
+s'&eacute;loignant
+lentement de la ferme, ils jet&egrave;rent en arri&egrave;re bien des
+regards
+attendris. On pr&eacute;tend m&ecirc;me que M. Snodgrass lan&ccedil;a
+d'innombrables baisers
+dans les airs, en reconnaissance de quelque chose de blanch&acirc;tre
+qui
+continua &agrave; s'agiter &agrave; une des crois&eacute;es de la
+maison, jusqu'au moment o&ugrave;
+un d&eacute;tour du chemin leur cacha la vieille demeure: ce quelque
+chose
+ressemblait beaucoup &agrave; un mouchoir de femme.</p>
+<p>A Muggleton nos voyageurs prirent la voiture de Rochester, et
+lorsqu'ils
+arriv&egrave;rent dans ce dernier endroit, leur douleur s'&eacute;tait
+suffisamment
+apais&eacute;e pour leur permettre de faire un excellent d&icirc;ner.
+Quelque temps
+apr&egrave;s, ayant pris les informations n&eacute;cessaires concernant
+le chemin
+qu'ils devaient suivre, ils se dirig&egrave;rent, en se promenant, vers
+Cobham.</p>
+<p>C'&eacute;tait par une charmante soir&eacute;e du mois de juin. La
+route, qui
+serpentait &agrave; l'ombre d'un bois, &eacute;tait
+&eacute;gay&eacute;e par le chant des oiseaux,
+et rafra&icirc;chie par l'haleine du z&eacute;phir; le lierre grimpant
+et les mousses
+pendantes ornaient le tronc des vieux arbres; la terre &eacute;tait
+rev&ecirc;tue
+d'un vert gazon, aussi d&eacute;licat qu'un tapis de soie. En sortant
+du bois,
+nos voyageurs se trouv&egrave;rent dans un parc ouvert, au milieu
+duquel
+s'&eacute;levait un ancien ch&acirc;teau construit dans le style
+pittoresque et
+singulier du temps d'&Eacute;lisabeth. De longs points de vue
+s'&eacute;tendaient de
+tous les c&ocirc;t&eacute;s, au milieu des ch&ecirc;nes et des ormes
+gigantesques; de
+nombreux troupeaux de daims paissaient l'herbe fra&icirc;che, et de
+temps en
+temps une biche effray&eacute;e traversait le chemin,
+l&eacute;g&egrave;re comme l'ombre des
+nuages qui glisse rapidement sur un paysage inond&eacute; par la chaude
+lumi&egrave;re
+du soleil.</p>
+<p>&laquo;Si tous ceux qui sont attaqu&eacute;s de la maladie de notre
+ami se retiraient
+dans cette contr&eacute;e, dit M. Pickwick, en regardant autour de lui,
+je
+m'imagine que leur vieil attachement pour le monde rena&icirc;trait
+bient&ocirc;t.</p>
+<p>&#8212;Je le pense aussi, dit M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Et r&eacute;ellement, ajouta M. Pickwick, lorsqu'une demi-heure de
+marche les
+eut amen&eacute;s dans le village, r&eacute;ellement, quoique choisi
+par un
+misanthrope, cet endroit me semble le plus joli et le plus
+s&eacute;duisant que
+j'aie jamais rencontr&eacute;.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle et M. Snodgrass s'associ&egrave;rent sans restriction
+&agrave; ces louanges.</p>
+<p>Bient&ocirc;t apr&egrave;s, ayant demand&eacute; <i>la Bouteille de
+cuir</i>, nos voyageurs
+furent dirig&eacute;s vers une auberge d'assez bonne apparence, pour
+une
+auberge de village, et s'enquirent s'il s'y trouvait un gentleman
+nomm&eacute;
+Tupman.</p>
+<p>&laquo;Tom, dit l'h&ocirc;tesse, menez ces messieurs, dans la
+salle.&raquo;</p>
+<p>Sous la conduite d'un vigoureux paysan, les trois amis
+entr&egrave;rent dans
+une chambre longue et basse, dont les murailles &eacute;taient
+embellies d'une
+ribambelle de vieux portraits et d'images grossi&egrave;rement
+colori&eacute;es, et
+dont le plancher &eacute;tait sem&eacute; d'une multitude de chaises de
+cuir, d'une
+forme fantastique, au dos gigantesque. A l'extr&eacute;mit&eacute; de
+la salle une
+table se faisait remarquer par la blancheur &eacute;blouissante de sa
+nappe.
+Elle &eacute;tait d&eacute;cor&eacute;e d'une volaille dodue, d'un
+jambon app&eacute;tissant, d'un
+pot d'ale fra&icirc;che, etc. Et c'est &agrave; cette table
+s&eacute;duisante qu'&eacute;tait assis
+M. Tupman, n'ayant en aucune fa&ccedil;on l'air d'un homme qui a pris
+cong&eacute; de
+ce monde.</p>
+<p>A l'arriv&eacute;e de ses amis, il posa son couteau, sa fourchette,
+et s'avan&ccedil;a
+au-devant d'eux d'un air sombre.</p>
+<p>&laquo;Je ne m'attendais pas &agrave; vous voir ici, dit-il en
+saisissant la main de
+M. Pickwick. C'est bien aimable.</p>
+<p>&#8212;Ah! fit M. Pickwick, en s'asseyant et en essuyant sur son front la
+sueur caus&eacute;e par sa promenade. Finissez votre d&icirc;ner et
+venez dehors avec
+moi. Je d&eacute;sire vous parler, &agrave; vous seul.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman fit comme il lui &eacute;tait enjoint, et M. Pickwick
+s'&eacute;tant
+rafra&icirc;chi d'un copieux coup d'ale, attendit le loisir de son ami.
+En
+moins d'une heure le d&icirc;ner fut d&eacute;p&ecirc;ch&eacute;, et
+ils sortirent ensemble.</p>
+<p>Pendant une demi-heure on put les voir passer et repasser dans le
+cimeti&egrave;re, tandis que M. Pickwick combattait la
+r&eacute;solution de M. Tupman.
+Il serait inutile de r&eacute;p&eacute;ter ses arguments, car quel
+langage pourrait
+rendre l'&eacute;nergie que leur communiquait l'action de ce grand
+orateur? Il
+n'est pas davantage n&eacute;cessaire de savoir si M. Tupman
+&eacute;tait d&eacute;j&agrave; fatigu&eacute;
+de la solitude, ou s'il lui fut impossible de r&eacute;sister &agrave;
+l'&eacute;loquent
+appel qui lui fut adress&eacute;. En fait, il n'y r&eacute;sista pas.</p>
+<p>&laquo;Il lui importait peu, dit-il, o&ugrave; il tra&icirc;nerait
+les mis&eacute;rables restes de
+son existence; et puisque ses amis attachaient tant d'importance
+&agrave; son
+humble coop&eacute;ration, il consentait &agrave; partager leurs
+travaux.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick sourit, une poign&eacute;e de main fut
+&eacute;chang&eacute;e, et ils
+retourn&egrave;rent aupr&egrave;s de leurs compagnons.</p>
+<p>C'est en ce moment que M. Pickwick fit l'immortelle
+d&eacute;couverte qui sera
+&agrave; jamais un sujet d'orgueil pour ses amis, un sujet d'envie pour
+tous
+les antiquaires des quatre parties du monde. Ils avaient
+d&eacute;pass&eacute; la
+porte de leur auberge, et ne se rappelant pas o&ugrave; elle
+&eacute;tait situ&eacute;e, ils
+avaient &eacute;t&eacute; un peu plus loin dans le village. Comme ils
+revenaient sur
+leurs pas, les yeux de M. Pickwick tomb&egrave;rent sur une petite
+pierre
+bris&eacute;e et &agrave; moiti&eacute; ensevelie dans la terre, sur le
+devant d'une
+chaumine.</p>
+<p>M. Pickwick s'arr&ecirc;ta.</p>
+<p>&laquo;Ceci est fort &eacute;trange! dit-il.</p>
+<p>&#8212;Qu'y a-t-il d'&eacute;trange? demanda M. Tupman, en regardant avec
+empressement tous les objets qui l'entouraient, except&eacute; celui
+dont il
+&eacute;tait question. Eh! mais de quoi s'agit-il donc?&raquo;</p>
+<p>Cette derni&egrave;re exclamation lui &eacute;tait arrach&eacute;e
+par la vue de M. Pickwick
+qui, dans son enthousiasme pour sa d&eacute;couverte, se jetait
+&agrave; genoux devant
+la petite pierre, et en balayait la poussi&egrave;re avec son mouchoir.</p>
+<p>&laquo;Il y a une inscription ici! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Est-il possible? dit H. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Je puis distinguer, continua M. Pickwick, en frottant de toutes ses
+forces, et en regardant attentivement &agrave; travers ses lunettes, je
+puis
+distinguer, une croix, et un <i>B</i>, et ensuite un <i>T</i>. Ceci
+est
+tr&egrave;s-important! poursuivit M. Pickwick en se relevant. C'est une
+inscription fort ancienne, et qui existait peut-&ecirc;tre longtemps
+avant
+les antiques <i>Alms houses</i><a name="FNanchor_15_15"></a><a
+ href="#Footnote_15_15"><sup>15</sup></a> de cette petite ville. Il ne
+faut pas
+laisser &eacute;chapper cette trouvaille.&raquo;</p>
+<p>Ayant ainsi parl&eacute;, M. Pickwick frappa &agrave; la porte de la
+chaumi&egrave;re. Un
+laboureur l'ouvrit.</p>
+<p>&laquo;Mon ami, lui demanda le philosophe d'un ton bienveillant,
+savez-vous
+comment cette pierre est venue ici?</p>
+<p>&#8212;Nein, m'sieu, j'n'en savons rin, r&eacute;pondit l'homme
+civilement. All'
+&eacute;tait l&agrave; ben du temps avant moi, et avant l'pus ancien du
+village itou.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick regarda son compagnon avec triomphe.</p>
+<p>&laquo;Vous... vous n'y &ecirc;tes pas bien attach&eacute;,
+j'imagine, poursuivit-il, en
+tremblant d'anxi&eacute;t&eacute;. Vous ne seriez pas
+f&acirc;ch&eacute; de la vendre?</p>
+<p>&#8212;Ah! ben oui! qui voudrait l'acheter? r&eacute;pondit l'homme avec
+une
+expression de visage qu'il s'imaginait probablement rendre
+tr&egrave;s-rus&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Je vous en donnerai une demi-guin&eacute;e sur-le-champ, reprit M.
+Pickwick,
+si vous voulez la retirer de terre.&raquo;</p>
+<p>Lorsque la petite pierre eut &eacute;t&eacute;
+d&eacute;racin&eacute;e, moyennant quelques coups de
+b&ecirc;che, M. Pickwick l'enleva de ses propres mains, &agrave;
+grand'peine, et au
+grand &eacute;tonnement de tout le village. Il la porta dans l'auberge,
+et
+apr&egrave;s l'avoir soigneusement lav&eacute;e, il la d&eacute;posa
+sur la table.</p>
+<p>Les transports de joie des pickwickiens ne connurent plus de bornes
+quand ils virent couronner de succ&egrave;s leur patience et leur
+assiduit&eacute;,
+leurs lavages et leurs grattages. La pierre &eacute;tait anguleuse et
+bris&eacute;e,
+les lettres mal align&eacute;es et peu r&eacute;guli&egrave;res, mais
+cependant on pouvait
+d&eacute;chiffrer le fragment suivant d'inscription:</p>
+<div style="text-align: center;"><img
+ alt="Inscription: bil stum ps sama rk" title="Inscription"
+ src="images/img001.jpg" style="width: 281px; height: 323px;"/><br/>
+</div>
+<p>Les prunelles de M. Pickwick &eacute;tincel&egrave;rent de
+d&eacute;lice lorsqu'il s'assit
+aupr&egrave;s de la table, en couvant des yeux le tr&eacute;sor qu'il
+avait d&eacute;terr&eacute;.
+Il avait atteint le plus grand objet de son ambition. Dans un
+comt&eacute;
+connu pour &ecirc;tre couvert par des restes de l'antiquit&eacute;,
+dans un village
+o&ugrave; il existait encore quelques gages des anciens temps, lui, le
+pr&eacute;sident du Pickwick-Club, avait d&eacute;couvert une
+&eacute;trange et curieuse
+inscription, d'une antiquit&eacute; incontestable, et qui avait
+enti&egrave;rement
+&eacute;chapp&eacute; aux observations de tous les savants hommes qui
+l'avaient
+pr&eacute;c&eacute;d&eacute;. Il pouvait &agrave; peine en croire
+l'&eacute;vidence de ses sens.</p>
+<p>&laquo;Ceci, dit-il, ceci me d&eacute;termine. Mous retournerons
+&agrave; la ville d&egrave;s
+demain.</p>
+<p>&#8212;Demain! s'&eacute;cri&egrave;rent ses disciples pleins d'admiration.</p>
+<p>&#8212;Demain, r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick. Ce tr&eacute;sor doit
+&ecirc;tre d&eacute;pos&eacute; sur-le-champ
+dans un endroit o&ugrave; il puisse &ecirc;tre compl&eacute;tement
+&eacute;tudi&eacute; et convenablement
+compris. J'ai une autre raison pour cette d&eacute;marche. Dans
+quelques jours
+une &eacute;lection doit avoir lieu pour le bourg d'Eatanswill. Un
+gentleman
+que j'ai rencontr&eacute; derni&egrave;rement, M. Perker, est l'agent
+d'un des
+candidats. Nous contemplerons, nous &eacute;tudierons minutieusement
+une sc&egrave;ne
+int&eacute;ressante pour quiconque est Anglais.</p>
+<p>&#8212;Nous vous suivrons!&raquo; s'&eacute;cri&egrave;rent en m&ecirc;me
+temps trois voix, qui
+semblaient n'en former qu'une.</p>
+<p>M. Pickwick promena ses regards autour de lui. L'attachement, la
+ferveur
+de ses disciples allum&egrave;rent dans son sein le feu de
+l'enthousiasme. Il
+&eacute;tait leur ma&icirc;tre, et il le sentit.</p>
+<p>&laquo;C&eacute;l&eacute;brons, reprit-il, c&eacute;l&eacute;brons
+cette r&eacute;union fortun&eacute;e par des
+libations amicales.&raquo; Cette nouvelle proposition ayant
+&eacute;t&eacute; &eacute;galement
+accueillie par des applaudissements unanimes, M. Pickwick d&eacute;posa
+l'importante pierre dans une petite bo&icirc;te de sapin, qu'il eut le
+bonheur
+d'obtenir de l'h&ocirc;tesse; puis il se pla&ccedil;a dans un fauteuil
+au haut bout
+de la table, et la soir&eacute;e tout enti&egrave;re fut
+consacr&eacute;e &agrave; la gaiet&eacute; et &agrave; la
+conversation.</p>
+<p>Il &eacute;tait onze heures pass&eacute;es, heure indue pour le
+petit village de
+Cobham, lorsque M. Pickwick se retira dans la chambre &agrave; coucher
+qui lui
+avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute;e. Il leva la jalousie,
+et, posant sa lumi&egrave;re sur la
+table, il se laissa aller &agrave; de profondes m&eacute;ditations sur
+les nombreux
+&eacute;v&eacute;nements des deux journ&eacute;es
+pr&eacute;c&eacute;dentes.</p>
+<p>L'heure et l'endroit &eacute;taient favorables &agrave; la
+contemplation et M.
+Pickwick n'en fut tir&eacute; que par le bruit de l'horloge de
+l'&eacute;glise, qui
+frappait lentement minuit. Le premier coup de la cloche retentit
+&agrave; son
+oreille d'une mani&egrave;re solennelle et lugubre &agrave; la fois;
+mais quand elle
+cessa de tinter, le silence lui parut insupportable. Il lui semblait
+qu'il venait de perdre un compagnon ch&eacute;ri. Son syst&egrave;me
+nerveux &eacute;tait
+excit&eacute; et d&eacute;rang&eacute;; il le sentit et, s'&eacute;tant
+d&eacute;shabill&eacute; rapidement, il
+pla&ccedil;a sa lumi&egrave;re dans la chemin&eacute;e et entra dans
+son lit.</p>
+<p>Tout le monde a &eacute;prouv&eacute; cet &eacute;tat
+d&eacute;sagr&eacute;able dans lequel une sensation
+de lassitude corporelle lutte vainement contre l'insomnie: telle
+&eacute;tait
+la situation de M. Pickwick en ce moment. Il se tourna sur un
+c&ocirc;t&eacute;, puis
+sur l'autre; il tint ses yeux ferm&eacute;s avec
+pers&eacute;v&eacute;rance, comme pour
+s'engager &agrave; dormir: mais ce fut en vain. Soit que cela provint
+de la
+fatigue inaccoutum&eacute;e qu'il avait soufferte, ou de la chaleur, ou
+du
+grog, ou du changement de lit, le sommeil s'enfuyait loin de ses
+paupi&egrave;res. Ses pens&eacute;es se reportaient malgr&eacute; lui
+et avec une obstination
+p&eacute;nible sur les peintures effrayantes qu'il avait vues dans la
+salle
+d'en bas, sur les vieilles l&eacute;gendes qui avaient
+&eacute;t&eacute; racont&eacute;es dans le
+cours de la soir&eacute;e. Apr&egrave;s s'&ecirc;tre vainement
+agit&eacute; pendant une demi-heure,
+il arriva &agrave; la triste conviction qu'il ne pourrait pas parvenir
+&agrave;
+s'endormir. Il se rhabilla donc en partie, regardant comme la pire des
+situations d'&ecirc;tre &eacute;tendu dans son lit &agrave; imaginer
+toutes sortes
+d'horreurs. Une fois habill&eacute;, il mit la t&ecirc;te &agrave; la
+fen&ecirc;tre; le temps
+&eacute;tait affreusement sombre: il se promena dans sa chambre; elle
+&eacute;tait
+d&eacute;plorablement solitaire.</p>
+<p>Il avait fait quelques promenades de la porte &agrave; la
+fen&ecirc;tre et de la
+fen&ecirc;tre &agrave; la porte, lorsque le manuscrit du vieux ministre
+lui revint &agrave;
+la m&eacute;moire. C'&eacute;tait une bonne pens&eacute;e. Si ce
+manuscrit ne l'int&eacute;ressait
+pas, il pourrait toujours l'endormir. Notre philosophe le tira donc de
+la poche de sa redingote, approcha une petite table de son lit, moucha
+la chandelle, mit ses lunettes et s'arrangea pour lire.
+L'&eacute;criture &eacute;tait
+&eacute;trange; le papier froiss&eacute; et tach&eacute;. Le titre du
+manuscrit fit courir un
+frisson dans tous les membres de M. Pickwick, et il ne put
+s'emp&ecirc;cher de
+jeter un regard inquiet autour de sa chambre. Cependant,
+r&eacute;fl&eacute;chissant &agrave;
+l'absurdit&eacute; de c&eacute;der &agrave; de semblables id&eacute;es,
+il moucha de nouveau sa
+chandelle, et lut ce qui suit:<br/>
+<br/>
+</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">MANUSCRIT D'UN FOU.</p>
+<p>&laquo;Oui, d'un fou!&#8212;Comme ces mots m'auraient glac&eacute;
+jusqu'au fond du c&#339;ur,
+il y a quelques ann&eacute;es! Comme ils auraient
+r&eacute;veill&eacute; cet effroi qui
+faisait bourdonner et bouillonner mon sang dans mes veines,
+jusqu'&agrave; ce
+que mon front se couvr&icirc;t de larges gouttes d'une sueur froide,
+jusqu'&agrave;
+ce que mes genoux s'entre-choquassent d'&eacute;pouvante! Et pourtant
+j'aime
+ce nom maintenant, c'est un beau nom! Montrez-moi le monarque dont le
+front courrouc&eacute; ait jamais caus&eacute; autant de peur que le
+regard brillant
+d'un fou; dont la hache et la corde aient fait la besogne aussi
+s&ucirc;rement
+que les serres d'un fou. Oh! oh! c'est une grande chose d'&ecirc;tre
+fou,
+d'&ecirc;tre regard&eacute; comme un lion sauvage &agrave; travers des
+barreaux, de grincer
+des dents et de hurler pendant les longues nuits silencieuses, et de se
+rouler sur la paille, aux sons joyeux d'une lourde cha&icirc;ne. Hourra
+pour
+la maison des fous! C'est un charmant endroit.</p>
+<p>&laquo;Je me rappelle le temps o&ugrave; j'avais peur de devenir
+fou; o&ugrave; je
+m'&eacute;veillais en sursaut, pour tomber sur mes genoux, et demander
+au ciel
+de me d&eacute;livrer du fl&eacute;au de toute ma race; o&ugrave; je
+fuyais la vue de la
+gaiet&eacute; et du bonheur pour me cacher dans un coin solitaire, et
+consumer
+les heures pesantes &agrave; guetter les progr&egrave;s de la
+fi&egrave;vre qui devait
+d&eacute;vorer mon cerveau. Je savais que la folie &eacute;tait
+m&ecirc;l&eacute;e dans mon sang
+m&ecirc;me, et jusque dans la moelle de mes os; qu'une
+g&eacute;n&eacute;ration avait pass&eacute;
+sans qu'elle repar&ucirc;t dans ma famille, et que j'&eacute;tais le
+premier chez qui
+elle devait revivre. Je savais que cela devait &ecirc;tre ainsi, que
+cela
+avait toujours &eacute;t&eacute; et devait toujours &ecirc;tre de
+m&ecirc;me; et quand je
+m'isolais dans l'angle d'un salon plein de monde, quand je voyais les
+invit&eacute;s parler bas et tourner les yeux vers moi, je savais
+qu'ils
+s'entretenaient du fou pr&eacute;destin&eacute;. Je m'enfuyais alors et
+j'allais me
+nourrir de mes tristes pens&eacute;es dans la solitude.</p>
+<p>&laquo;J'ai fait cela pendant des ann&eacute;es, de longues, de
+p&eacute;nibles ann&eacute;es. Les
+nuits sont longues ici quelquefois, tr&egrave;s-longues; mais ce n'est
+rien
+aupr&egrave;s des nuits sans repos, des r&ecirc;ves
+&eacute;pouvantables, qui me
+tourmentaient dans ce temps-l&agrave;. J'ai froid quand j'y pense. De
+grandes
+figures sombres rampaient dans tous les coins de ma chambre; et pendant
+la nuit leurs visages grima&ccedil;ants et moqueurs se penchaient sur
+ma
+couche, pour me faire perdre l'esprit. Ils me disaient, en murmurant
+tout bas, que le plancher de notre vieille maison &eacute;tait
+souill&eacute; du sang
+de mon grand p&egrave;re, vers&eacute; par ses propres mains, dans un
+acc&egrave;s de fureur.
+J'enfon&ccedil;ais mes doigts dans mes oreilles, de peur de les
+entendre, mais
+leurs voix s'&eacute;levaient comme la temp&ecirc;te, et elles me
+criaient que la
+folie avait sommeill&eacute; pendant une g&eacute;n&eacute;ration avant
+mon grand-p&egrave;re, et
+que son grand-p&egrave;re, &agrave; lui, avait v&eacute;cu pendant des
+ann&eacute;es, avec ses mains
+encha&icirc;n&eacute;es &agrave; la terre, pour l'emp&ecirc;cher de se
+d&eacute;chirer lui-m&ecirc;me. Je
+savais que c'&eacute;tait la v&eacute;rit&eacute;; je le savais bien,
+je l'avais d&eacute;couvert
+nombre d'ann&eacute;es auparavant, quoiqu'on s'effor&ccedil;&acirc;t de
+me le cacher. Ah!
+ah! j'&eacute;tais trop malin pour eux, quoiqu'ils me crussent fou.</p>
+<p>&laquo;A la fin la folie vint sur moi, et je m'&eacute;tonnai de
+l'avoir jamais
+redout&eacute;e. Je pouvais aller dans le monde, et rire, et
+plaisanter, avec
+les plus brillants d'entre eux. Je savais que j'&eacute;tais fou, mais
+eux ils
+ne s'en doutaient pas. Comme je jouissais, en moi-m&ecirc;me, du tour
+que je
+leur jouais, apr&egrave;s tous leurs chuchotements et tous leurs airs
+effray&eacute;s,
+lorsque je n'&eacute;tais pas fou, lorsque je craignais seulement de le
+devenir! Comme je riais, quand j'&eacute;tais seul, en pensant que je
+gardais
+si bien mon secret; en pensant &agrave; la terreur de mes bons amis,
+s'ils
+avaient seulement soup&ccedil;onn&eacute; la v&eacute;rit&eacute;!
+Lorsque je d&icirc;nais en t&ecirc;te-&agrave;-t&ecirc;te
+avec quelque beau gar&ccedil;on tapageur, j'aurais pu hurler de
+d&eacute;lice, en
+songeant comme il serait devenu p&acirc;le et comme il se serait enfui,
+s'il
+avait su que ce cher ami, assis pr&egrave;s de lui et qui aiguisait un
+couteau
+effil&eacute;, &eacute;tait un fou, avec la puissance et presque la
+volont&eacute; de lui
+plonger sa lame dans le c&#339;ur. Oh! c'&eacute;tait une joyeuse vie.</p>
+<p>&laquo;D'immenses richesses devinrent mon partage, et je m'enivrai
+de plaisirs
+qui &eacute;taient rehauss&eacute;s mille fois par la conscience du
+secret que je
+gardais si bien. J'h&eacute;ritai d'un ch&acirc;teau; la loi aux yeux
+de lynx, la loi
+elle-m&ecirc;me fut d&eacute;&ccedil;ue; elle remit entre les mains
+d'un fou une fortune
+prodigieuse et contest&eacute;e. O&ugrave; donc &eacute;tait l'esprit
+des hommes sages et
+clairvoyants? O&ugrave; &eacute;tait la dext&eacute;rit&eacute; des
+hommes de loi, si habiles &agrave;
+d&eacute;couvrir le moindre vice de forme? La malice d'un fou les avait
+tous
+abus&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;J'avais de l'argent: comme j'&eacute;tais courtis&eacute;! Je
+le d&eacute;pensais largement:
+comme j'&eacute;tais lou&eacute;! comme ces trois fr&egrave;res
+orgueilleux s'humiliaient
+devant moi! Le vieux p&egrave;re aussi, avec sa t&ecirc;te blanche!
+Tant de
+d&eacute;f&eacute;rence, tant de respect, tant d'amiti&eacute;
+d&eacute;vou&eacute;e! V&eacute;ritablement ils
+m'idol&acirc;traient. Le vieux homme avait une fille; les jeunes gens
+avaient
+une s&#339;ur; et tous les cinq &eacute;taient pauvres, et j'&eacute;tais
+riche, et quand
+j'&eacute;pousai la jeune fille, je vis un sourire de triomphe sur le
+visage de
+ses avides parents. Ils pensaient &agrave; leur plan, si bien conduit,
+&agrave; la
+bonne prise qu'ils avaient faite: c'&eacute;tait &agrave; moi de
+sourire... de
+sourire?... De rire aux &eacute;clats, et de me rouler sur la terre, en
+m'arrachant les cheveux avec des cris de joie! Ils ne se doutaient
+gu&egrave;re
+qu'ils l'avaient mari&eacute;e &agrave; un fou.</p>
+<p>&laquo;Un moment.... S'ils l'avaient su, aurait-elle
+&eacute;t&eacute; sauv&eacute;? La bonheur
+d'une s&#339;ur contre l'or de son mari? Le plus l&eacute;ger duvet qui vole
+dans
+l'air contre la superbe cha&icirc;ne qui orne mon corps!</p>
+<p>&laquo;Sur un point, cependant, je fus tromp&eacute;, malgr&eacute;
+toute ma malice. Si je
+n'avais pas &eacute;t&eacute; fou... car, nous autres fous, quoique
+nous soyons assez
+rus&eacute;s, nous nous embrouillons quelquefois... si je n'avais pas
+&eacute;t&eacute; fou,
+je me serais aper&ccedil;u que la jeune fille aurait mieux aim&eacute;
+&ecirc;tre plac&eacute;e,
+roide et froide, dans un cercueil de plomb, que d'&ecirc;tre
+amen&eacute;e, riche et
+noble mari&eacute;e, dans ma maison fastueuse. J'aurais su que son c&#339;ur
+&eacute;tait
+avec le jeune homme aux yeux noirs, dont je lui ai entendu murmurer le
+nom pendant son sommeil agit&eacute;; j'aurais su qu'elle
+m'&eacute;tait sacrifi&eacute;e
+pour secourir la pauvret&eacute; de son p&egrave;re aux cheveux blancs,
+et de ses
+fr&egrave;res orgueilleux.</p>
+<p>&laquo;Je ne me rappelle plus les visages maintenant, mais je sais
+que la
+jeune fille &eacute;tait belle. Je le sais, car pendant les nuits
+o&ugrave; la lune
+brille, quand je me r&eacute;veille en sursaut et que tout est
+tranquille
+autour de moi, je vois dans un coin de cette cellule une figure maigre
+et blanche, qui se tient immobile et silencieuse. Ses longs cheveux
+noirs, &eacute;pars sur ses &eacute;paules, ne sont jamais
+agit&eacute;s par le vent. Ses
+yeux, qui fixent sur moi leur regard br&ucirc;lant, ne clignent jamais,
+et ne
+se ferment jamais.... Silence! mon sang se g&egrave;le dans mon c&#339;ur,
+en
+&eacute;crivant ceci. Cette figure, c'est elle!... Son visage est
+tr&egrave;s-p&acirc;le et
+ses prunelles sont vitreuses; mais je la connais bien.... Cette figure
+ne bouge jamais, elle ne fronce point ses sourcils, elle ne grince pas
+des dents comme les autres fant&ocirc;mes qui peuplent souvent ma
+cellule; et
+cependant elle est bien plus affreuse pour moi que tous les autres;
+elle
+est plus affreuse que les esprits qui me tentaient jadis; elle sort de
+sa tombe, et la mort est sur son visage.</p>
+<p>&laquo;Pendant pr&egrave;s d'un an je vis les couleurs de ses joues
+se ternir de jour
+en jour; pendant pr&egrave;s d'un an je vis des larmes silencieuses
+couler de
+ses yeux battus. Je n'en savais pas la cause, mais je la
+d&eacute;couvris &agrave; la
+fin. Ils ne purent pas me la cacher plus longtemps. Elle ne m'avait
+jamais aim&eacute;; je n'avais pas pens&eacute; qu'elle m'aim&acirc;t.
+Elle m&eacute;prisait mes
+richesses, et d&eacute;testait la splendeur o&ugrave; elle vivait; je
+ne m'&eacute;tais pas
+attendu &agrave; cela. Elle en aimait un autre; cette id&eacute;e ne
+m'&eacute;tait pas
+entr&eacute;e dans la t&ecirc;te. D'&eacute;tranges sentiments
+s'empar&egrave;rent de moi; des
+pens&eacute;es inspir&eacute;es par quelque pouvoir secret
+boulevers&egrave;rent ma
+cervelle. Je ne la ha&iuml;ssais pas, quoique je ha&iuml;sse le jeune
+homme
+qu'elle pleurait encore. J'avais piti&eacute;... oui, j'avais
+piti&eacute; de la vie
+mis&eacute;rable &agrave; laquelle ses &eacute;go&iuml;stes parents
+l'avaient condamn&eacute;e. Je savais
+qu'elle ne vivrait pas longtemps, mais la pens&eacute;e qu'avant sa
+mort elle
+pouvait donner naissance &agrave; un &ecirc;tre infortun&eacute;
+destin&eacute; &agrave; transmettre la
+folie &agrave; ses enfants.... Cette pens&eacute;e me
+d&eacute;termina.... Je r&eacute;solus de la
+tuer.</p>
+<p>&laquo;Pendant plusieurs semaines je voulus la noyer; puis je
+songeai au
+poison, puis au feu. Quel beau spectacle, de voir la grande maison tout
+en flammes, et la femme du fou r&eacute;duite en cendres! Quelle bonne
+charge
+de promettre, pour la sauver, une grande r&eacute;compense, et ensuite
+de faire
+pendre, comme incendiaire, quelque homme sage et innocent! et tout cela
+par la malice d'un fou. J'y r&ecirc;vais souvent, mais j'y
+renon&ccedil;ai &agrave; la fin.
+Oh! quel plaisir de repasser tous les jours le rasoir, d'essayer comme
+il &eacute;tait bien affil&eacute; et de penser &agrave; l'entaille que
+pourrait faire un
+seul coup de cette lame brillante!</p>
+<p>&laquo;A la fin les esprits qui avaient &eacute;t&eacute; si souvent
+avec moi auparavant,
+chuchot&egrave;rent dans mon oreille que le temps &eacute;tait venu.
+Ils me mirent un
+rasoir tout ouvert dans la main; je le serrai avec force; je me levai
+doucement du lit et me penchai sur ma femme endormie. Son visage
+&eacute;tait
+cach&eacute; dans ses mains; je les &eacute;cartai doucement, et elles
+tomb&egrave;rent
+nonchalamment sur son sein. Elle avait pleur&eacute;, les traces de ses
+larmes
+&eacute;taient encore visibles sur ses joues p&acirc;les; cependant son
+visage &eacute;tait
+calme et heureux, et tandis que je la regardais, un tranquille sourire
+&eacute;clairait ses traits amaigris. Je posai doucement ma main sur
+son
+&eacute;paule; elle tressaillit, mais sans entr'ouvrir ses longues
+paupi&egrave;res.
+Je la touchai de nouveau: elle poussa un cri et s'&eacute;veilla.</p>
+<p>&laquo;Un mouvement de ma main, et elle n'aurait jamais fait
+entendre un autre
+son; mais je fus surpris, et je reculai. Ses yeux &eacute;taient
+fix&eacute;s sur les
+miens. Je ne sais pas comment cela se fit, ils m'intimid&egrave;rent,
+j'&eacute;tais
+dompt&eacute; par ce regard. Elle se leva de son lit, en me regardant
+fixement
+et continuellement. Je tremblai, le rasoir &eacute;tait dans ma main,
+mais je
+ne pouvais faire aucun mouvement. Elle se dirigea vers la porte. Quand
+elle en fut proche elle se d&eacute;tourna, et retira ses yeux de
+dessus moi.
+Le charme &eacute;tait bris&eacute;: je fis un bond et je la saisis par
+le bras; elle
+tomba par terre en poussant des cris d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;Alors j'aurais pu la tuer sans r&eacute;sistance, mais la
+maison &eacute;tait
+alarm&eacute;e, j'entendais des pas sur l'escalier; je remis le rasoir
+&agrave; sa
+place, j'ouvris la porte et j'appelai moi-m&ecirc;me du secours.</p>
+<p>&laquo;On vint, on la releva, on la pla&ccedil;a sur le lit. Elle
+resta sans
+connaissance pendant plusieurs heures, et quand elle recouvra la vie et
+la parole, elle avait perdu l'esprit, elle d&eacute;lirait avec des
+transports
+furieux.</p>
+<p>&laquo;Des m&eacute;decins furent appel&eacute;s, de savants hommes
+qui roulaient jusqu'&agrave; ma
+porte dans d'excellents carrosses, avec des domestiques rev&ecirc;tus
+d'une
+livr&eacute;e brillante. Ils rest&egrave;rent pr&egrave;s de son lit
+pendant des semaines. Il
+y eut une grande consultation, et ils conf&eacute;r&egrave;rent
+ensemble d'une voix
+solennelle. J'&eacute;tais dans la pi&egrave;ce voisine; l'un des plus
+c&eacute;l&egrave;bres, parmi
+eux, vint m'y trouver, me prit &agrave; part, et, me disant de me
+pr&eacute;parer &agrave; la
+plus funeste nouvelle, m'apprit &agrave; moi, le fou! que ma femme
+&eacute;tait folle.
+Le docteur &eacute;tait seul avec moi, tout aupr&egrave;s d'une
+fen&ecirc;tre ouverte, ses
+yeux fix&eacute;s sur mon visage, sa main pos&eacute;e sur mon bras.
+D'un seul effort
+j'aurais pu le pr&eacute;cipiter dans la rue, &ccedil;'aurait
+&eacute;t&eacute; une fameuse farce!
+mais mon secret &eacute;tait en jeu et je le laissai partir. Quelques
+jours
+apr&egrave;s, on me dit que je devrais la faire surveiller, lui choisir
+un
+gardien, <i>moi!</i> Je m'en allai dans la campagne o&ugrave; personne
+ne pouvait
+m'entendre, et je poussai des &eacute;clats de rire, qui retentissaient
+au
+loin.</p>
+<p>&laquo;Elle mourut le lendemain. Le vieillard aux cheveux blancs
+suivit son
+cercueil, et les fr&egrave;res orgueilleux laiss&egrave;rent tomber des
+larmes sur le
+corps insensible de celle dont ils avaient contempl&eacute; la
+souffrance avec
+des muscles d'airain. Tout cela nourrissait ma gaiet&eacute;
+secr&egrave;te et, en
+retournant &agrave; la maison, je riais derri&egrave;re le mouchoir
+blanc que je
+tenais sur mon visage, je riais tant que les larmes m'en venaient aux
+yeux.</p>
+<p>&laquo;Mais quoique j'eusse atteint mon but en la tuant,
+j'&eacute;tais inquiet et
+agit&eacute;; je sentais que mon secret devait m'&eacute;chapper avant
+longtemps. Je
+ne pouvais cacher la joie sauvage qui bouillonnait dans mon sang; et
+qui, lorsque j'&eacute;tais seul &agrave; la maison, me faisait sauter
+et battre des
+mains, et danser, et tourner, et rugir comme un lion. Quand je sortais
+et que je voyais la foule affair&eacute;e se presser dans les rues ou
+au
+th&eacute;&acirc;tre, quand j'entendais les sons de la musique, quand
+je regardais
+les danseurs, je ressentais des transports si joyeux, que
+j'&eacute;tais tent&eacute;
+de me pr&eacute;cipiter au milieu d'eux et d'arracher leurs membres
+pi&egrave;ce &agrave;
+pi&egrave;ce, et de hurler avec les instruments. Mais alors, je
+grin&ccedil;ais des
+dents, je frappais du pied sur le plancher, j'enfon&ccedil;ais mes
+ongles aigus
+dans mes mains, je ma&icirc;trisais la folie et personne ne se doutait
+encore
+que j'&eacute;tais un fou.</p>
+<p>&laquo;Je me rappelle... quoique ce soit une des derni&egrave;res
+choses que je
+puisse me rappeler... car maintenant je m&ecirc;le mes r&ecirc;ves avec
+les faits
+r&eacute;els, et j'ai tant de choses &agrave; faire ici et je sais si
+press&eacute; que je
+n'ai pas le temps de mettre un peu d'ordre dans cette &eacute;trange
+confusion... je me rappelle comment cela &eacute;clata &agrave; la fin.
+Ha! ha! il me
+semble que je vois encore leurs regards effray&eacute;s! Avec quelle
+facilit&eacute;
+je les rejetai loin de moi; comme je meurtrissais leur visage avec mes
+poings ferm&eacute;s, et comme je m'enfuis avec la vitesse du vent, les
+laissant huer et crier bien loin derri&egrave;re moi. La force d'un
+g&eacute;ant
+rena&icirc;t en moi, lorsque j'y pense. L&agrave;! voyez comme cette
+barre de fer
+ploie sous mon &eacute;treinte furieuse! Je pourrais la briser comme un
+roseau;
+mais il y a ici de longues galeries, avec beaucoup de portes, je crois
+que je ne pourrais pas y trouver mon chemin, et m&ecirc;me si je
+pouvais le
+trouver, il y a en bas des grilles de fer qu'ils tiennent soigneusement
+ferm&eacute;es, car ils savent quel fou malin j'ai &eacute;t&eacute;,
+et ils sont fiers de
+m'avoir pour me montrer aux visiteurs.</p>
+<p>&laquo;Voyons... oui c'est cela... j'&eacute;tais all&eacute;
+dehors; la nuit &eacute;tait avanc&eacute;e
+quand je rentrai &agrave; la maison, et je trouvai le plus orgueilleux
+des
+trois orgueilleux fr&egrave;res, qui m'attendait pour me voir. Affaire
+pressante disait-il: je me le rappelle bien. Je ha&iuml;ssais cet homme
+avec
+toute la haine d'un fou; souvent, bien souvent, mes mains avaient
+br&ucirc;l&eacute;
+de le mettre en pi&egrave;ces. On m'apprit qu'il &eacute;tait
+l&agrave;; je montai rapidement
+l'escalier. Il avait un mot &agrave; me dire; je renvoyai les
+domestiques.</p>
+<p>&laquo;Il &eacute;tait tard et nous &eacute;tions seuls ensemble, <i>pour
+la premi&egrave;re fois</i>!</p>
+<p>&laquo;D'abord je d&eacute;tournai soigneusement les yeux de dessus
+lui, car je
+savais, ce qu'il n'imaginait gu&egrave;re, et je me glorifiais de le
+savoir...
+que le feu de la folie brillait dans mes yeux comme une fournaise.&#8212;Nous
+rest&acirc;mes assis en silence pendant quelques minutes. Il parla
+&agrave; la fin.
+Mes dissipations r&eacute;centes et d'&eacute;tranges remarques, faites
+aussit&ocirc;t apr&egrave;s
+la mort de sa s&#339;ur, &eacute;taient une insulte &agrave; sa
+m&eacute;moire. Rassemblant
+beaucoup de circonstances qui avaient d'abord &eacute;chapp&eacute;
+&agrave; ses
+observations, il pensait que je n'avais pas bien trait&eacute; la
+d&eacute;funte, il
+d&eacute;sirait savoir s'il devait en conclura que je voulais jeter
+quelques
+reproches sur elle, et manquer de respect d&ucirc; &agrave; sa famille.
+Il devait &agrave;
+l'uniforme qu'il portait de me demander cette explication.</p>
+<p>&laquo;Cet homme avait une commission dans l'arm&eacute;e; une
+commission achet&eacute;e
+avec mon argent, avec la mis&egrave;re de sa s&#339;ur! C'&eacute;tait lui
+qui avait &eacute;t&eacute; le
+plus acharn&eacute; dans le complot pour m'enlacer et pour s'approprier
+ma
+fortune. C'&eacute;tait pour lui surtout, et par lui, que sa s&#339;ur avait
+&eacute;t&eacute;
+forc&eacute;e de m'&eacute;pouser, quoiqu'il sut bien qu'elle avait
+donn&eacute; son c&#339;ur &agrave;
+ce jeune homme sentimental.&#8212;<i>Il devait &agrave; son uniforme!</i>&#8212;Son
+uniforme!
+La livr&eacute;e de sa d&eacute;gradation! Je tournai mes yeux vers
+lui, je ne pus pas
+m'en emp&ecirc;cher, mais je ne dis pas un mot.</p>
+<p>&laquo;Je vis le changement soudain que mon regard produisit dans sa
+contenance. C'&eacute;tait un homme hardi, et pourtant son visage
+devint
+blafard. Il recula sa chaise, je rapprochai la mienne plus pr&egrave;s
+de lui,
+et comme je me mis &agrave; rire (j'&eacute;tais tr&egrave;s-gai
+alors), je le vis
+tressaillir. Je sentis que la folie s'emparait de moi: lui, il avait
+peur.</p>
+<p>&laquo;Vous aimiez beaucoup votre s&#339;ur quand elle vivait, lui
+dis-je. Vous
+l'aimiez beaucoup?&raquo;</p>
+<p>&laquo;Il regarda avec inqui&eacute;tude autour de lui, et je vis
+que sa main droite
+serrait le dos de sa chaise; cependant il ne r&eacute;pondit rien.</p>
+<p>&laquo;Mis&eacute;rable! m'&eacute;criai-je, je vous ai
+devin&eacute;! J'ai d&eacute;couvert votre complot
+infernal contre moi. Je sais que son c&#339;ur &eacute;tait avec un autre
+lorsque
+vous l'avez forc&eacute;e de m'&eacute;pouser. Je le sais, je le
+sais!&raquo;</p>
+<p>&laquo;Il se leva brusquement, brandit sa chaise devant lui et me
+cria de
+reculer; car je m'&eacute;tais approch&eacute; de lui, tout en parlant.</p>
+<p>&laquo;Je hurlais plut&ocirc;t que je ne parlais, et je sentais
+bouillonner dans mes
+veines le tumulte des passions; j'entendais le vieux chuchotement des
+esprits qui me d&eacute;fiaient d'arracher son c&#339;ur.</p>
+<p>&laquo;Damnation! m'&eacute;criai-je en me pr&eacute;cipitant sur
+lui. J'ai tu&eacute; ta s&#339;ur! Je
+suis fou! Mort! Mort! Du sang, du sang! J'aurai ton sang!&raquo;</p>
+<p>&laquo;Je d&eacute;tournai la chaise, qu'il me lan&ccedil;a dans sa
+terreur; je l'empoignai
+corps &agrave; corps, et nous roul&acirc;mes tous les deux sur le
+plancher.</p>
+<p>&laquo;Ce fut une belle lutte, car il &eacute;tait grand et fort; il
+combattait pour
+sa vie, et moi j'&eacute;tais un fou puissant, alt&eacute;r&eacute; de
+vengeance. Je savais
+qu'aucune force humaine ne pouvait &eacute;galer la mienne, et j'avais
+raison,
+raison, raison! quoique fou! Sa r&eacute;sistance s'affaiblit; je
+m'agenouillai
+sur sa poitrine, je serrai fortement avec mes deux mains son cou
+musculeux; son visage devint violet, les yeux lui sortaient de la
+t&ecirc;te,
+et il tirait la langue comme s'il voulait se moquer. Je serrais
+toujours
+plus fort.</p>
+<p>&laquo;Tout &agrave; coup la porte s'ouvrit avec un grand bruit;
+beaucoup de gens se
+pr&eacute;cipit&egrave;rent dans la chambre en criant:
+&laquo;Arr&ecirc;tez le fou! Mon secret
+&eacute;tait d&eacute;couvert; il fallait lutter maintenant pour la
+libert&eacute;; je fus
+sur mes pieds avant que personne p&ucirc;t me saisir; je
+m'&eacute;lan&ccedil;ai parmi les
+assaillants, et je m'ouvris un passage d'un bras vigoureux. Ils
+tombaient tous devant moi comme si je les avais frapp&eacute;s avec une
+massue.
+Je gagnai la porte, je sautai par-dessus la rampe; en un instant
+j'&eacute;tais
+dans la rue.</p>
+<p>&laquo;Je courus devant moi, droit et roide, et personne n'osait
+m'arr&ecirc;ter.
+J'entendais le bruit des pas derri&egrave;re moi, et je redoublais de
+vitesse.
+Ce bruit devenait de plus en plus faible, &agrave; mesure que je
+m'&eacute;loignais,
+et enfin il s'&eacute;teignit enti&egrave;rement. Moi, je bondissais
+toujours
+par-dessus les ruisseaux et les mares, par-dessus les murs et les
+foss&eacute;s, en poussant des cris sauvages, qui d&eacute;chiraient
+les airs et qui
+&eacute;taient r&eacute;p&eacute;t&eacute;s par les &ecirc;tres
+&eacute;tranges dont j'&eacute;tais entour&eacute;. Les d&eacute;mons
+m'emportaient dans leurs bras, au milieu d'un ouragan qui renversait en
+passant les haies et les arbres; ils m'emportaient en tourbillonnant,
+et
+je ne voyais plus rien autour de moi, tant j'&eacute;tais
+&eacute;tourdi par la fracas
+et la rapidit&eacute; de leur course. A la fin, ils me lanc&egrave;rent
+loin d'eux, et
+je tombai pesamment sur la terre.</p>
+<p>&laquo;Quand je me r&eacute;veillai, je me trouvai ici... ici dans
+cette gaie
+cellule, ou les rayons du soleil viennent rarement, o&ugrave; les
+rayons de la
+lune, quand ils s'y glissent, ne servent qu'&agrave; me faire mieux
+voir les
+ombres mena&ccedil;antes qui m'entourent, et cette figure silencieuse,
+toujours
+debout dans ce coin. Quand je suis &eacute;veill&eacute;, je puis
+entendre quelquefois
+des cris &eacute;tranges, des g&eacute;missements affreux, qui
+retentissent dans ces
+grands b&acirc;timents antiques. Ce que c'est, je l'ignore; mais ils ne
+viennent pas de cette p&acirc;le figure et n'ont aucun rapport avec
+elle, car
+depuis les premi&egrave;res ombres du cr&eacute;puscule jusqu'aux
+lueurs matinales de
+l'aurore, elle reste immobile &agrave; la m&ecirc;me place,
+&eacute;coutant l'harmonie de
+mes cha&icirc;nes de fer, et contemplant mes gambades sur mon lit de
+paille.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p>A la fin du manuscrit la note suivante &eacute;tait &eacute;crite
+d'une autre main.</p>
+<p>&laquo;L'infortun&eacute; dont on vient de lire les r&ecirc;veries
+est un triste exemple du
+r&eacute;sultat que peuvent avoir des passions effr&eacute;n&eacute;es
+et des exc&egrave;s
+prolong&eacute;s, jusqu'&agrave; ce que leurs cons&eacute;quences
+deviennent irr&eacute;parables. La
+dissipation, les d&eacute;bauches r&eacute;p&eacute;t&eacute;es de sa
+jeunesse, amen&egrave;rent la fi&egrave;vre
+et le d&eacute;lire. Le premier effet de celui-ci fut, l'&eacute;trange
+illusion par
+laquelle il se persuada qu'une folie h&eacute;r&eacute;ditaire existait
+dans sa
+famille. Cette id&eacute;e, fond&eacute;e sur une th&eacute;orie
+m&eacute;dicale bien connue, mais
+contest&eacute;e aussi vivement qu'elle est appuy&eacute;e, produisit
+chez lui une
+humeur atrabilaire qui, avec le temps, d&eacute;g&eacute;n&eacute;ra en
+folie, et se termina
+enfin par la fureur. J'ai lieu de croire que les
+&eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s par
+lui sont r&eacute;ellement arriv&eacute;s, quoiqu'ils aient
+&eacute;t&eacute; d&eacute;figur&eacute;s par son
+imagination malade. Ce qui doit &eacute;tonner davantage ceux qui ont
+eu
+connaissance des vices de sa jeunesse, c'est que ses passions,
+lorsqu'elles n'ont plus &eacute;t&eacute; contr&ocirc;l&eacute;es par
+la raison, ne l'aient point
+pouss&eacute; &agrave; commettre des crimes encore plus
+effroyables.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p>La chandelle de M. Pickwick s'enfon&ccedil;ait dans la
+bob&egrave;che, pr&eacute;cis&eacute;ment au
+moment o&ugrave; il achevait de lire le manuscrit du vieil
+eccl&eacute;siastique; et
+comme la lumi&egrave;re s'&eacute;teignit tout d'un coup, sans
+m&ecirc;me avoir vacill&eacute;,
+l'obscurit&eacute; soudaine fit une impression profonde sur ses nerfs
+d&eacute;j&agrave;
+excit&eacute;s. Il tressaillit et ses dents claqu&egrave;rent de
+terreur. Otant donc
+avec vivacit&eacute; les v&ecirc;tements qu'il avait mis pour se
+relever, il jeta
+autour de la chambre un regard craintif et se fourra promptement entre
+ses draps, o&ugrave; il ne tarda pas &agrave; s'endormir.</p>
+<p>Lorsqu'il se r&eacute;veilla, le soleil faisait resplendir tous les
+objets dans
+sa chambre et la matin&eacute;e &eacute;tait d&eacute;j&agrave;
+avanc&eacute;e. La tristesse qui l'avait
+accabl&eacute; le soir pr&eacute;c&eacute;dant s'&eacute;tait
+dissip&eacute;e avec les ombres qui
+obscurcissaient le paysage; toutes ses pens&eacute;es, toutes ses
+sensations
+&eacute;taient aussi gaies et aussi gracieuses que le matin
+lui-m&ecirc;me. Apr&egrave;s un
+solide d&eacute;jeuner, les quatre philosophes, suivis par un homme qui
+portait
+la pierre dans sa bo&icirc;te de sapin, se dirig&egrave;rent &agrave;
+pied vers Gravesend,
+o&ugrave; leur bagage avait &eacute;t&eacute; exp&eacute;di&eacute; de
+Rochester. Ils atteignirent
+Gravesend vers une heure, et ayant &eacute;t&eacute; assez heureux pour
+trouver des
+places sur l'imp&eacute;riale de la voiture de Londres, ils y
+arriv&egrave;rent, sains
+et saufs, dans la soir&eacute;e.</p>
+<p>Trois ou quatre jours subs&eacute;quents furent remplis par les
+pr&eacute;paratifs
+n&eacute;cessaires pour leur voyage au bourg d'Eatanswill; mais comme
+cette
+importante entreprise exige un chapitre s&eacute;par&eacute;, nous
+emploierons le
+petit nombre de lignes qui nous restent &agrave; raconter, avec une
+grande
+bri&egrave;vet&eacute;, l'histoire de l'antiquit&eacute;
+rapport&eacute;e par M. Pickwick.</p>
+<p>Il r&eacute;sulte des m&eacute;moires du club, que M. Pickwick parla
+sur sa
+d&eacute;couverte, dans une r&eacute;union g&eacute;n&eacute;rale qui
+eut lieu le lendemain de son
+arriv&eacute;e, et promena l'esprit charm&eacute; de ses auditeurs sur
+une multitude
+de sp&eacute;culations ing&eacute;nieuses et &eacute;rudites,
+concernant le sens de
+l'inscription. Il para&icirc;t aussi qu'un artiste habile en
+ex&eacute;cuta le
+dessin, qui fut grav&eacute; sur pierre et pr&eacute;sent&eacute;
+&agrave; la Soci&eacute;t&eacute; royale des
+antiquaires de Londres et aux autres soci&eacute;t&eacute;s savantes;
+que des
+jalousies et des rivalit&eacute;s sans nombre naquirent des opinions
+&eacute;mises &agrave;
+ce sujet; que M. Pickwick lui-m&ecirc;me &eacute;crivit un pamphlet de
+quatre-vingt-seize pages, en tr&egrave;s-petits caract&egrave;res,
+o&ugrave; l'on trouvait
+vingt-sept versions diff&eacute;rentes de l'inscription; que trois
+vieux
+gentlemen, dont les fils ain&eacute;s avaient os&eacute; mettre en
+doute son
+antiquit&eacute;, les priv&egrave;rent de leur succession, et qu'un
+individu
+enthousiaste fit ouvrir pr&eacute;matur&eacute;ment la sienne, par
+d&eacute;sespoir de n'en
+avoir pu sonder la profondeur; que M. Pickwick fut &eacute;lu membre de
+dix-sept soci&eacute;t&eacute;s savantes, tant nationales
+qu'&eacute;trang&egrave;res, pour avoir
+fait cette d&eacute;couverte; qu'aucune des dix-sept
+soci&eacute;t&eacute;s savantes ne put
+en tirer la moindre chose, mais que toutes les dix-sept
+s'accord&egrave;rent
+pour reconna&icirc;tre que rien n'&eacute;tait plus curieux.</p>
+<p>Il est vrai que M. Blotton, et son nom sera d&eacute;vou&eacute; au
+m&eacute;pris &eacute;ternel de
+tous ceux qui cultivent le myst&eacute;rieux et le sublime; M. Blotton,
+disons-nous, v&eacute;tilleux et m&eacute;fiant, comme le sont les
+esprits vulgaires,
+se permit de consid&eacute;rer la chose sous un point de vue aussi
+d&eacute;gradant
+que ridicule. M. Blotton, dans le vil dessein de ternir le nom
+&eacute;clatant
+de Pickwick, entreprit en personne le voyage de Cobham. A son retour,
+il
+d&eacute;clara ironiquement au club, qu'il avait vu l'homme dont la
+pierre
+avait &eacute;t&eacute; achet&eacute;e; que cet individu la croyait
+ancienne, mais qu'il
+niait solennellement l'anciennet&eacute; de l'inscription, et assurait
+avoir
+grav&eacute; lui-m&ecirc;me, dans un instant de d&eacute;s&#339;uvrement,
+ces lettres grossi&egrave;res,
+qui signifiaient tout bonnement: <i>Bill Stumps, sa marque</i>. M.
+Blotton
+ajoutait que M. Stumps ayant peu l'habitude de la composition, et se
+laissant guider par le son des mots plut&ocirc;t que par les
+r&egrave;gles s&eacute;v&egrave;res de
+l'orthographe, n'avait mis qu'un <i>l</i> &agrave; la fin de son
+pr&eacute;nom, et avait
+remplac&eacute; par un <i>k</i> les lettres <i>qu</i> et <i>e</i> du
+nom marque.</p>
+<p>Les illustres membres du Pickwick-Club, comme on pouvait l'attendre
+d'une soci&eacute;t&eacute; aussi savante, re&ccedil;urent cette
+histoire avec le m&eacute;pris
+qu'elle m&eacute;ritait, chass&egrave;rent de leur sein l'ignorant et
+pr&eacute;somptueux
+Blotton, et vot&egrave;rent &agrave; M. Pickwick une paire de besicles
+en or, comme un
+gage de leur admiration et de leur confiance. Pour reconna&icirc;tre
+cette
+marque d'approbation, M. Pickwick se fit peindre en pied, et fit
+suspendre son portrait dans la salle de r&eacute;union du club,
+portrait que,
+par parenth&egrave;se, il n'eut aucune envie de voir dispara&icirc;tre
+lorsqu'il fut
+moins jeune qu'on ne l'y repr&eacute;sentait.</p>
+<p>M. Blotton &eacute;tait expuls&eacute;, mais il ne se tenait pas
+pour battu. Il
+adressa aux dix-sept soci&eacute;t&eacute;s savantes un pamphlet dans
+lequel il
+r&eacute;p&eacute;tait l'histoire qu'il avait &eacute;mise, et laissait
+apercevoir assez
+clairement qu'il regardait comme des gobe-mouches les membres des
+dix-sept soci&eacute;t&eacute;s susdites.</p>
+<p>A cette proposition malsonnante, les dix-sept soci&eacute;t&eacute;s
+furent remplies
+d'indignation. Il parut plusieurs pamphlets nouveaux. Les
+soci&eacute;t&eacute;s
+savantes &eacute;trang&egrave;res correspondirent avec les
+soci&eacute;t&eacute;s savantes
+nationales; les soci&eacute;t&eacute;s savantes nationales traduisirent
+en anglais les
+pamphlets des soci&eacute;t&eacute;s savantes &eacute;trang&egrave;res;
+les soci&eacute;t&eacute;s savantes
+&eacute;trang&egrave;res traduisirent dans toutes sortes de langages
+les pamphlets des
+soci&eacute;t&eacute;s savantes nationales, et ainsi, commen&ccedil;a
+cette lutte
+scientifique, si connue de tout l'univers sous le nom de <i>Controverse
+pickwickienne</i>.</p>
+<p>Cependant les efforts calomnieux destin&eacute;s &agrave; perdre M.
+Pickwick
+retomb&egrave;rent sur la t&ecirc;te de leur m&eacute;prisable auteur.
+Les dix-sept soci&eacute;t&eacute;s
+savantes vot&egrave;rent unanimement que le pr&eacute;somptueux Blotton
+n'&eacute;tait qu'un
+tatillon ignorant, et &eacute;crivirent contre lui des opuscules sans
+nombre;
+enfin la pierre elle-m&ecirc;me subsiste encore aujourd'hui, monument
+illisible de la grandeur de M. Pickwick et de la petitesse de ses
+d&eacute;tracteurs.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XII"></a>
+<h2>CHAPITRE XII.</h2>
+<h3>Qui contient une tr&egrave;s-importante d&eacute;termination de M.
+Pickwick, laquelle
+fait &eacute;poque dans sa vie non moins que dans cette
+v&eacute;ridique histoire.</h3>
+<br/>
+<p>Quoique l'appartement de M. Pickwick dans la rue Goswell f&ucirc;t
+d'une
+&eacute;tendue restreinte, il &eacute;tait propre et confortable, et
+surtout en
+parfaite harmonie avec son g&eacute;nie observateur. Son parloir
+&eacute;tait au
+rez-de-chauss&eacute;e sur le devant, sa chambre &agrave; coucher sur
+le devant, au
+premier &eacute;tage; et ainsi, soit qu'il f&ucirc;t assis &agrave; son
+bureau, soit qu'il
+se t&icirc;nt debout devant son miroir &agrave; barbe, il pouvait
+&eacute;galement
+contempler toutes les phases de la nature humaine dans la rue Goswell,
+qui est presque aussi populeuse que populaire. Son h&ocirc;tesse, Mme
+Bardell,
+veuve et seule ex&eacute;cutrice testamentaire d'un douanier,
+&eacute;tait une femme
+grassouillette, aux mani&egrave;res affair&eacute;es, &agrave; la
+physionomie avenante. A ces
+avantages physiques, elle joignait de pr&eacute;cieuses qualit&eacute;s
+morales: par
+une heureuse &eacute;tude, par une longue pratique, elle avait converti
+en un
+talent exquis le don particulier qu'elle avait re&ccedil;u de la nature
+pour
+tout ce qui concernait la cuisine. Il n'y avait dans la maison ni
+bambins, ni volatiles, ni domestiques. Un grand homme et un petit
+gar&ccedil;on
+en compl&eacute;taient le personnel. Le premier &eacute;tait notre
+h&eacute;ros, le second
+une production de Mme Bardell. Le grand homme &eacute;tait
+rentr&eacute; chaque soir
+pr&eacute;cis&eacute;ment &agrave; dix heures, et peu de temps
+apr&egrave;s il se condensait dans un
+petit lit fran&ccedil;ais, plac&eacute; dans un &eacute;troit parloir
+sur le derri&egrave;re. Quant
+au jeune master Bardell, ses yeux enfantins et ses exercices
+gymnastiques &eacute;taient soigneusement restreints aux trottoirs et
+aux
+ruisseaux du voisinage. La propret&eacute;, la tranquillit&eacute;
+r&eacute;gnaient donc dans
+tout l'&eacute;difice, et la volont&eacute; de M. Pickwick y faisait
+loi.</p>
+<p>La veille du d&eacute;part projet&eacute; pour Eatanswill, vers le
+milieu de la
+matin&eacute;e, la conduite de notre philosophe devait para&icirc;tre
+singuli&egrave;rement
+myst&eacute;rieuse et inexplicable, pour quiconque connaissait son
+admirable
+&eacute;galit&eacute; d'esprit et l'&eacute;conomie domestique de son
+&eacute;tablissement. Il se
+promenait dans sa chambre d'un pas pr&eacute;cipit&eacute;. De trois
+minutes en trois
+minutes, il mettait la t&ecirc;te &agrave; la fen&ecirc;tre, il
+regardait constamment &agrave; sa
+montre et laissait &eacute;chapper divers autres sympt&ocirc;mes
+d'impatience, fort
+extraordinaires chez lui. Il &eacute;tait &eacute;vident qu'il y avait
+en l'air
+quelque chose d'une grande importance; mais ce que ce pouvait
+&ecirc;tre, Mme
+Bardell elle-m&ecirc;me n'avait pas &eacute;t&eacute; capable de le
+deviner.</p>
+<p>&laquo;Madame Bardell? dit &agrave; la fin M. Pickwick, lorsque
+cette aimable dame
+fut sur le point de terminer l'&eacute;poussetage, longtemps
+prolong&eacute;, de sa
+chambre.</p>
+<p>&#8212;Monsieur? r&eacute;pondit Mme Bardell.</p>
+<p>&#8212;Votre petit gar&ccedil;on est bien longtemps dehors.</p>
+<p>&#8212;Vraiment, monsieur, c'est qu'il y a une bonne course d'ici au
+Borough.</p>
+<p>&#8212;Ah! cela est juste,&raquo; repartit M. Pickwick, et il retomba dans
+le
+silence.</p>
+<p>Mme Bardell recommen&ccedil;a &agrave; &eacute;pousseter avec le
+m&ecirc;me soin.</p>
+<p>&laquo;Madame Bardell? reprit M. Pickwick au bout de quelques
+minutes.</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Pensez-vous que la d&eacute;pense soit beaucoup plus grande pour
+deux
+personnes que pour une seule?</p>
+<p>&#8212;L&agrave;! monsieur Pickwick! r&eacute;pliqua Mme Bardell en
+rougissant jusqu'&agrave; la
+garniture de son bonnet, car elle croyait avoir aper&ccedil;u dans les
+yeux de
+son locataire un certain clignotement matrimonial. L&agrave;! monsieur
+Pickwick, quelle question!</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien! qu'en pensez-vous?</p>
+<p>&#8212;Cela d&eacute;pend! repartit Mme Bardell en approchant son plumeau
+pr&egrave;s du
+coude de M. Pickwick; cela d&eacute;pend beaucoup de la personne, vous
+savez,
+monsieur Pickwick; et si c'est une personne soigneuse et &eacute;conome.</p>
+<p>&#8212;Cela est tr&egrave;s-vrai; mais la personne que j'ai en vue (ici il
+regarda
+fixement Mme Bardell) poss&egrave;de, je pense, ces qualit&eacute;s.
+Elle a de plus
+une grande connaissance du monde, et beaucoup de finesse, madame
+Bardell. Cela me sera infiniment utile.</p>
+<p>&#8212;L&agrave;! monsieur Pickwick! murmura Mme Bardell, en rougissant de
+nouveau.</p>
+<p>&#8212;J'en suis persuad&eacute;! continua le philosophe avec une
+&eacute;nergie toujours
+croissante, comme c'&eacute;tait son habitude quand il pariait sur un
+sujet
+int&eacute;ressant; j'en suis persuad&eacute;, et pour vous dire la
+v&eacute;rit&eacute;, madame
+Bardell, c'est un parti pris.</p>
+<p>&#8212;Seigneur Dieu! s'&eacute;cria Mme Bardell.</p>
+<p>&#8212;Vous trouverez peut-&ecirc;tre &eacute;trange, poursuivit l'aimable
+M. Pickwick, en
+jetant &agrave; sa compagne un regard de bonne humeur; vous trouverez
+peut-&ecirc;tre
+&eacute;trange que je ne vous aie pas consult&eacute;e &agrave; ce
+sujet, et que je ne vous
+en aie m&ecirc;me jamais parl&eacute;, jusqu'au moment o&ugrave; j'ai
+envoy&eacute; votre petit
+gar&ccedil;on dehors?&raquo;</p>
+<p>Mme Bardell ne put r&eacute;pondre que par un regard. Elle avait
+longtemps
+ador&eacute; M. Pickwick comme une divinit&eacute; dont il ne lui
+&eacute;tait pas permis
+d'approcher, et voil&agrave; que tout d'un coup la divinit&eacute;
+descendait de son
+pi&eacute;destal et la prenait dans ses bras. M. Pickwick lui faisait
+des
+propositions directement, par suite d'un plan
+d&eacute;lib&eacute;r&eacute;, car il avait
+envoy&eacute; son petit gar&ccedil;on au Borough pour rester seul avec
+elle. Quelle
+d&eacute;licatesse! quelle attention!</p>
+<p>&laquo;H&eacute; bien! dit le philosophe, qu'en pensez-vous?</p>
+<p>&#8212;Ah! monsieur Pickwick! r&eacute;pondit Mme Bardell toute tremblante
+d'&eacute;motion, vous &ecirc;tes vraiment bien bon, monsieur!</p>
+<p>&#8212;Cela vous &eacute;pargnera beaucoup de peines, n'est-il pas vrai?</p>
+<p>&#8212;Oh! je n'ai jamais pens&eacute; &agrave; la peine, et naturellement
+j'en prendrai
+plus que jamais pour vous plaire. Mais vous &ecirc;tes si bon, monsieur
+Pickwick, d'avoir song&eacute; &agrave; ma solitude.</p>
+<p>&#8212;Ah! certainement. Je n'avais pas pens&eacute; &agrave; cela....
+Quand je serai en
+ville, vous aurez toujours quelqu'un pour causer avec vous. C'est, ma
+foi, vrai.</p>
+<p>&#8212;Il est s&ucirc;r que je dois me regarder comme une femme bien
+heureuse!</p>
+<p>&#8212;Et votre fils?</p>
+<p>&#8212;Que Dieu b&eacute;nisse le cher petit! interrompit Mme Bardell avec
+des
+transports maternels.</p>
+<p>&#8212;Lui aussi aura un compagnon, poursuivit M. Pickwick en souriant
+gracieusement; un joyeux compagnon qui, j'en suis s&ucirc;r, lui
+enseignera
+plus de tours, en une semaine, qu'il n'en aurait appris tout seul en un
+an.</p>
+<p>&#8212;Oh! cher, excellent homme!&raquo; murmura Mme Bardell.</p>
+<p>M. Pickwick tressaillit.</p>
+<p>&laquo;Oh! cher et tendre ami!&raquo; Et sans plus de
+c&eacute;r&eacute;monies, la dame se leva de
+sa chaise et jeta ses bras au cou de M. Pickwick, avec un d&eacute;luge
+de
+pleurs et une temp&ecirc;te de sanglots.</p>
+<p>&laquo;Le ciel me prot&egrave;ge! s'&eacute;cria M. Pickwick plein
+d'&eacute;tonnement; madame
+Bardell! ma bonne dame! Bont&eacute; divine, quelle situation! Faites
+attention, je vous en prie! Laissez-moi, madame Bardell, si quelqu'un
+venait!</p>
+<p>&#8212;Eh! que m'importe? r&eacute;pondit Mme Bardell avec
+&eacute;garement; je ne vous
+quitterai jamais! Cher homme! excellent c&#339;ur! Et en pronon&ccedil;ant
+ces
+paroles elle s'attachait &agrave; M. Pickwick aussi fortement que la
+vigne &agrave;
+l'ormeau.</p>
+<p>&#8212;Le Seigneur ait piti&eacute; de moi! dit M. Pickwick en se
+d&eacute;battant de
+toutes ses forces; j'entends du monde sur l'escalier. Laissez-moi, ma
+bonne dame; je vous en supplie, laissez-moi!&raquo;</p>
+<p>Mais les pri&egrave;res, les remontrances &eacute;taient
+&eacute;galement inutiles, car la
+dame s'&eacute;tait &eacute;vanouie dans les bras du philosophe, et
+avant qu'il e&ucirc;t eu
+le temps de la d&eacute;poser sur une chaise, master Bardell
+introduisit dans
+la chambre MM. Tupman, Winkle et Snodgrass.</p>
+<p>M. Pickwick demeura p&eacute;trifi&eacute;. Il &eacute;tait debout,
+avec son aimable fardeau
+dans ses bras, et il regardait ses amis d'un air
+h&eacute;b&eacute;t&eacute;, sans leur faire
+un signe d'amiti&eacute;, sans songer &agrave; leur donner une
+explication. Eux, &agrave;
+leur tour, le consid&eacute;raient avec &eacute;tonnement, et master
+Bardell, plein
+d'inqui&eacute;tude, examinait tout le monde, sans savoir ce que cela
+voulait
+dire.</p>
+<p>La surprise des pickwickiens &eacute;tait si &eacute;tourdissante,
+et la perplexit&eacute; de
+M. Pickwick si terrible, qu'ils auraient pu demeurer exactement dans la
+m&ecirc;me situation relative jusqu'&agrave; ce que la dame
+&eacute;vanouie eut repris ses
+sens, si son tendre fils n'avait pr&eacute;cipit&eacute; le
+d&eacute;no&ucirc;ment par une belle et
+touchante &eacute;bullition d'affection filiale. Ce jeune enfant,
+v&ecirc;tu d'un
+costume de velours ray&eacute;, orn&eacute; de gros boutons de cuivre,
+&eacute;tait d'abord
+demeur&eacute;, incertain et confus, sur le pas de la porte; mais, par
+degr&eacute;s,
+l'id&eacute;e que sa m&egrave;re avait souffert quelque dommage
+personnel s'empara de
+son esprit &agrave; demi-d&eacute;velopp&eacute;. Consid&eacute;rant M.
+Pickwick comme l'agresseur,
+il poussa un cri sauvage, et se pr&eacute;cipitant t&ecirc;te
+baiss&eacute;e, il commen&ccedil;a &agrave;
+assaillir cet immortel gentleman aux environs du dos et des jambes, le
+pin&ccedil;ant et le frappant aussi vigoureusement que le lui
+permettaient la
+force de son bras et la violence de son emportement.</p>
+<p>&laquo;Otez-moi ce petit coquin! s'&eacute;cria M. Pickwick dans une
+agonie de
+d&eacute;sespoir; il est enrag&eacute;!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-il donc arriv&eacute;? demand&egrave;rent les trois
+pickwickiens stup&eacute;faits.</p>
+<p>&#8212;Je n'en sais rien, r&eacute;pondit le Mentor avec d&eacute;pit;
+&ocirc;tez-moi cet
+enfant!&raquo;</p>
+<p>M. Winkle porta &agrave; l'autre bout de l'appartement
+l'int&eacute;ressant gar&ccedil;on,
+qui criait et se d&eacute;battait de toutes ses forces.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, poursuivit M. Pickwick, aidez-moi &agrave; faire
+descendre cette
+femme.</p>
+<p>&#8212;Ah! je suis mieux maintenant, soupira faiblement Mme Bardell.</p>
+<p>&#8212;Permettez-moi de vous offrir mon bras, dit M. Tupman, toujours
+galant.</p>
+<p>&#8212;Merci, monsieur, merci!&raquo; s'&eacute;cria la dame d'une voix
+hyst&eacute;rique, et
+elle fut conduite en bas, accompagn&eacute;e de son affectionn&eacute;
+fils.</p>
+<p>&#8212;Je ne puis concevoir, reprit M. Pickwick quand ses amis furent
+revenus, je ne puis concevoir ce qui est arriv&eacute; &agrave; cette
+femme. Je venais
+simplement de lui annoncer que je vais prendre un domestique,
+lorsqu'elle est tomb&eacute;e dans le singulier paroxysme o&ugrave;
+vous l'avez
+trouv&eacute;e. C'est fort extraordinaire!</p>
+<p>&#8212;Il est vrai, dirent ses trois amis.</p>
+<p>&#8212;Elle m'a plac&eacute; dans une situation bien embarrassante,
+continua le
+philosophe.</p>
+<p>&#8212;Il est vrai,&raquo; r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent ses disciples,
+en toussant l&eacute;g&egrave;rement et en
+se regardant l'un l'autre d'un air dubitatif.</p>
+<p>Cette conduite n'&eacute;chappa pas &agrave; M. Pickwick. Il
+remarqua leur
+incr&eacute;dulit&eacute;; son innocence &eacute;tait &eacute;videmment
+soup&ccedil;onn&eacute;e.</p>
+<p>Apr&egrave;s quelques instants de silence, M. Tupman prit la parole
+et dit:</p>
+<p>&laquo;Il y a un homme en bas, dans le vestibule.</p>
+<p>&#8212;C'est celui dont je vous ai parl&eacute;, r&eacute;pliqua M.
+Pickwick; je l'ai
+envoy&eacute; chercher au bourg. Ayez la bont&eacute; de le faire
+monter, Snodgrass.&raquo;</p>
+<p>M. Snodgrass ex&eacute;cuta cette commission, et M. Samuel Weller se
+pr&eacute;senta
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&laquo;Ha! ha! vous me reconnaissez, je suppose? lui dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Un peu! r&eacute;pliqua Sam avec un clin d'&#339;il protecteur.
+Dr&ocirc;le de gaillard,
+celui-l&agrave;! Trop malin pour vous, hein? il vous a
+l&eacute;g&egrave;rement enfonc&eacute;,
+n'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Il ne s'agit point de cela maintenant, reprit vivement le
+philosophe;
+j'ai &agrave; vous parler d'autre chose. Asseyez-vous.</p>
+<p>&#8212;Merci, monsieur, r&eacute;pondit Sam, et il s'assit sans autre
+c&eacute;r&eacute;monie,
+ayant pr&eacute;alablement d&eacute;pos&eacute; son vieux chapeau blanc
+sur le carr&eacute;. &Ccedil;a
+n'est pas fameux, disait-il en parlant de son couvre-chef, et en
+souriant agr&eacute;ablement aux pickwickiens assembl&eacute;s, mais
+c'est &eacute;tonnant &agrave;
+l'user. Quand il avait des bords, c'&eacute;tait un beau bolivar;
+depuis qu'il
+n'en a plus, il est plus l&eacute;ger; c'est quelque chose: et puis
+chaque trou
+laisse entrer de l'air; c'est encore quelque chose. J'appelle &ccedil;a
+un
+feutre ventilateur.</p>
+<p>&#8212;Maintenant, reprit M. Pickwick, il s'agit de l'affaire pour
+laquelle
+je vous ai envoy&eacute; chercher, avec l'assentiment de ces messieurs.</p>
+<p>&#8212;C'est &ccedil;a, monsieur, accouchons, comme dit c't autre &agrave;
+son enfant qui
+avait aval&eacute; un liard.</p>
+<p>&#8212;Nous d&eacute;sirons savoir, en premier lieu, si vous avez quelque
+raison
+d'&ecirc;tre m&eacute;content de votre condition pr&eacute;sente.</p>
+<p>&#8212;Avant de satisfaire cette question ici, je d&eacute;sirerais
+savoir, en
+premier lieu, si vous en avez une meilleure &agrave; me donner.&raquo;</p>
+<p>Un rayon de calme bienveillance illumina les traits de M. Pickwick
+lorsqu'il r&eacute;pondit: &laquo;J'ai quelque envie de vous prendre
+&agrave; mon service.</p>
+<p>&#8212;Vrai?&raquo; demanda Sam.</p>
+<p>M. Pickwick fit un geste affirmatif.</p>
+<p>&#8212;Gages?</p>
+<p>&#8212;Douze guin&eacute;es par an.</p>
+<p>&#8212;Habits?</p>
+<p>&#8212;Deux habillements.</p>
+<p>&#8212;L'ouvrage?</p>
+<p>&#8212;Me servir et voyager avec moi et ces gentlemen.</p>
+<p>&#8212;Otez l'&eacute;criteau! s'&eacute;cria Sam avec emphase. Je suis
+lou&eacute; &agrave; un gentleman
+seul, et le terme est convenu.</p>
+<p>&#8212;Vous acceptez ma proposition?</p>
+<p>&#8212;Certainement. Si les habits me prennent la taille moiti&eacute;
+aussi bien
+que la place, &ccedil;a ira.</p>
+<p>&#8212;Naturellement, vous pouvez fournir de bons certificats?</p>
+<p>&#8212;Demandez &agrave; l'h&ocirc;tesse du <i>Blanc-Cerf</i>, elle vous
+dira &ccedil;a, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Pouvez-vous venir ce soir?</p>
+<p>&#8212;Je vas endosser l'habit &agrave; l'instant m&ecirc;me, s'il est
+ici, s'&eacute;cria Sam
+avec une grande all&eacute;gresse.</p>
+<p>&#8212;Revenez ce soir, &agrave; huit heures, r&eacute;pondit M. Pickwick,
+et si les
+renseignements sont satisfaisants, nous verrons &agrave; vous faire
+habiller.&raquo;</p>
+<p>Sauf une aimable indiscr&eacute;tion, dont s'&eacute;tait en
+m&ecirc;me temps rendue
+coupable une des servantes de l'h&ocirc;tel, la conduite de M. Weller
+avait
+toujours &eacute;t&eacute; tr&egrave;s-m&eacute;ritoire. M. Pickwick
+n'h&eacute;sita donc pas &agrave; le prendre
+&agrave; son service, et avec la promptitude et l'&eacute;nergie qui
+caract&eacute;risaient
+non seulement la conduite publique, mais toutes les actions
+priv&eacute;es de
+cet homme extraordinaire, il conduisit imm&eacute;diatement son nouveau
+serviteur dans un de ces commodes <i>emporiums</i>, o&ugrave; l'on
+peut se procurer
+des habits confectionn&eacute;s ou d'occasion, et o&ugrave; l'on se
+dispense de la
+formalit&eacute; inconnue de prendre mesure. Avant la chute du jour, M.
+Weller
+&eacute;tait rev&ecirc;tu d'un habit gris avec des boutons P.C., d'un
+chapeau noir
+avec une cocarde, d'un gilet ray&eacute;, de culottes et de
+gu&ecirc;tres, et d'une
+quantit&eacute; d'autres objets trop nombreux pour que nous prenions la
+peine
+de les r&eacute;capituler.</p>
+<p>Lorsque, le lendemain matin, cet individu, si soudainement
+transform&eacute;,
+prit sa place &agrave; l'ext&eacute;rieur de la voiture d'Eatanswill:
+&laquo;Ma foi, se
+dit-il, je ne sais point si je vas &ecirc;tre un valet de pied, ou un
+groom,
+ou un garde-chasse; j'ai la philosomie mitoyenne entre tout &ccedil;a;
+mais
+c'est &eacute;gal, &ccedil;a va me changer d'air; y'a du pays &agrave;
+voir, et pas
+grand'chose &agrave; faire, &ccedil;a va fameusement &agrave; ma
+maladie: ainsi donc vive
+Pickwick, que je dis!&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XIII"></a>
+<h2>CHAPITRE XIII.</h2>
+<h3>Notice sur Eatanswill, sur les partis qui le divisent, et sur
+l'&eacute;lection
+d'un membre du parlement par ce bourg ancien, loyal et patriote.</h3>
+<br/>
+<p>Nous confessons franchement que nous n'avions jamais entendu parler
+d'Eatanswill, jusqu'au moment o&ugrave; nous nous sommes plong&eacute;
+dans les
+volumineux papiers du Pickwick-Club. Nous reconnaissons, avec une
+&eacute;gale
+candeur, que nous avons cherch&eacute; en vain des preuves de
+l'existence
+actuelle de cet endroit. Sachant bien quelle profonde confiance on doit
+placer dans toutes les notes de M. Pickwick, et ne nous permettant pas
+d'opposer nos souvenirs aux &eacute;nonciations de ce grand homme, nous
+avons
+consult&eacute;, relativement &agrave; ce sujet, toutes les
+autorit&eacute;s auxquelles il
+nous a &eacute;t&eacute; possible de recourir. Nous avons
+examin&eacute; tous les noms
+contenus dans les tables A et B<a name="FNanchor_16_16"></a><a
+ href="#Footnote_16_16"><sup>16</sup></a>, sans trouver celui
+d'Eatanswill;
+nous avons minutieusement collationn&eacute; toutes les cartes des
+comt&eacute;s,
+publi&eacute;es, dans l'int&eacute;r&ecirc;t de la science, par nos
+plus distingu&eacute;s
+&eacute;diteurs, et le m&ecirc;me r&eacute;sultat a suivi nos
+investigations.</p>
+<p>Nous avons donc &eacute;t&eacute; conduit &agrave; supposer que,
+dans la crainte obligeante
+de blesser quelqu'un, et par un sentiment de d&eacute;licatesse dont M.
+Pickwick &eacute;tait si &eacute;minemment dou&eacute;, il avait, de
+propos d&eacute;lib&eacute;r&eacute;,
+substitu&eacute; un nom fictif au nom r&eacute;el de l'endroit
+o&ugrave; il avait fait ses
+observations. Nous sommes confirm&eacute; dans cette opinion par une
+circonstance qui peut sembler l&eacute;g&egrave;re et frivole en
+elle-m&ecirc;me, mais qui,
+consid&eacute;r&eacute;e sous ce point de vue, n'est point indigne
+d'&ecirc;tre not&eacute;e. Dans
+le m&eacute;morandum de M. Pickwick, nous pouvons encore
+d&eacute;couvrir que sa place
+et celles de ses disciples furent retenues dans la voiture de Norwich;
+mais cette note fut ensuite ray&eacute;e, apparemment pour ne point
+indiquer
+dans quelle direction est situ&eacute; le bourg dont il s'agit. Nous ne
+hasarderons donc point de conjectures &agrave; ce sujet, et nous allons
+poursuivre notre histoire sans autre digression.</p>
+<p>Il para&icirc;t que les habitants d'Eatanswill, comme ceux de
+beaucoup
+d'autres petits endroits, se croyaient d'une grande, d'une immense
+importance dans l'&Eacute;tat; et chaque individu ayant la conscience
+du poids
+attach&eacute; &agrave; son exemple, se faisait une obligation de
+s'unir corps et &acirc;me
+&agrave; l'un des deux grands partis qui divisaient la cit&eacute;, les
+<i>bleus</i> et les
+<i>jaunes</i>. Or, les bleus ne laissaient &eacute;chapper aucune
+occasion de
+contrecarrer les jaunes, et les jaunes ne laissaient &eacute;chapper
+aucune
+occasion de contrecarrer les bleus; de sorte que quand les jaunes et
+les
+bleus se trouvaient face &agrave; face dans quelque r&eacute;union
+publique, &agrave; l'h&ocirc;tel
+de ville, dans une foire, dans un march&eacute;, des gros mots et des
+disputes
+s'&eacute;levaient entre eux. Il est superflu d'ajouter que dans
+Eatanswill
+toutes choses devenaient une question de parti. Si les jaunes
+proposaient de recouvrir la place du march&eacute;, les bleus tenaient
+des
+assembl&eacute;es publiques o&ugrave; ils d&eacute;molissaient cette
+mesure. Si les bleus
+proposaient d'&eacute;riger une nouvelle pompe dans la grande rue, les
+jaunes
+se levaient comme un seul homme et d&eacute;blat&eacute;raient contre
+une aussi inf&acirc;me
+motion. Il y avait des boutiques bleues et des boutiques jaunes, des
+auberges bleues et des auberges jaunes; il y avait une aile bleue et
+une
+aile jaune dans l'&eacute;glise elle-m&ecirc;me.</p>
+<p>Chacun de ces puissants partis devait n&eacute;cessairement avoir un
+organe
+avou&eacute;, et, en effet, il paraissait deux feuilles publiques dans
+la
+ville, la <i>Gazette d'Eatanswill</i> et l'<i>Ind&eacute;pendant
+d'Eatanswill</i>. La
+premi&egrave;re soutenait les principes bleus, le second se posait sur
+un
+terrain d&eacute;cid&eacute;ment jaune. C'&eacute;taient d'admirables
+journaux. Quels beaux
+articles politiques! quelle pol&eacute;mique spirituelle et courageuse.
+&laquo;La
+<i>Gazette</i>, notre ignoble antagoniste....&#8212;L'<i>Ind&eacute;pendant</i>,
+ce m&eacute;prisable
+et d&eacute;go&ucirc;tant journal....&#8212;La <i>Gazette</i>, cette feuille
+menteuse et
+orduri&egrave;re....&#8212;L'<i>Ind&eacute;pendant</i>, ce vil et scandaleux
+calomniateur....&raquo;
+Telles &eacute;taient les r&eacute;criminations int&eacute;ressantes
+qui assaisonnaient les
+colonnes de chaque num&eacute;ro, et qui excitaient dans le sein des
+habitants
+de l'endroit les sentiments les plus chaleureux de plaisir ou
+d'indignation.</p>
+<p>M. Pickwick, avec sa pr&eacute;voyance et sa sagacit&eacute;
+ordinaires, avait choisi,
+pour visiter ce bourg, une &eacute;poque singuli&egrave;rement
+remarquable. Jamais il
+n'y avait eu une telle lutte. L'honorable Samuel Slumkey, de
+Slumkey-Hall<a name="FNanchor_17_17"></a><a href="#Footnote_17_17"><sup>17</sup></a>,
+&eacute;tait le candidat bleu; Horatio Fizkin, esquire, de
+Fizkin-Loge, pr&egrave;s d'Eatanswill, avait c&eacute;d&eacute; aux
+instances de ses amis, et
+s'&eacute;tait laiss&eacute; porter pour soutenir les
+int&eacute;r&ecirc;ts jaunes. La <i>Gazette</i>
+avertit les &eacute;lecteurs d'Eatanswill que les regards,
+non-seulement de
+l'Angleterre, mais du monde civilis&eacute; tout entier, &eacute;taient
+fix&eacute;s sur eux.
+L'<i>Ind&eacute;pendant</i> demanda d'un ton p&eacute;remptoire si les
+&eacute;lecteurs
+d'Eatanswill m&eacute;ritaient encore la renomm&eacute;e qu'ils avaient
+acquise d'&ecirc;tre
+de grands, de g&eacute;n&eacute;reux citoyens, ou s'ils &eacute;taient
+devenus de serviles
+instruments du despotisme, indignes &eacute;galement du nom d'Anglais
+et des
+bienfaits de la libert&eacute;. Jamais une commotion aussi profonde
+n'avait
+encore &eacute;branl&eacute; la ville.</p>
+<p>La soir&eacute;e &eacute;tait avanc&eacute;e quand M. Pickwick et
+ses compagnons, assist&eacute;s
+par Sam Weller, quitt&egrave;rent l'imp&eacute;riale de la voiture
+d'Eatanswill. De
+grands drapeaux bleus flottaient aux fen&ecirc;tres de l'auberge des <i>Armes
+de
+la ville</i>, et des &eacute;criteaux, plac&eacute;s derri&egrave;re
+les vitres, indiquaient en
+caract&egrave;res gigantesques que le comit&eacute; de l'honorable
+Samuel Slumkey, y
+tenait ses s&eacute;ances. Un groupe de fl&acirc;neurs,
+assembl&eacute;s devant la porte de
+l'auberge, regardaient un homme enrou&eacute;, plac&eacute; sur le
+balcon de
+l'auberge, et qui paraissait parler en faveur de M. Samuel Slumkey,
+avec
+tant de chaleur que son visage en devenait tout rouge. Mais la force et
+la beaut&eacute; de ses arguments &eacute;taient
+l&eacute;g&egrave;rement infirm&eacute;es par le
+roulement perp&eacute;tuel de quatre &eacute;normes tambours,
+pos&eacute;s au coin de la rue
+par le comit&eacute; de M. Fizkin. Quoi qu'il en soit, un petit homme
+affair&eacute;,
+qui se tenait aupr&egrave;s de l'orateur, &ocirc;tait de temps en temps
+son chapeau
+et faisait signe &agrave; la foule d'applaudir. La foule applaudissait
+alors
+r&eacute;guli&egrave;rement et avec beaucoup d'enthousiasme; et comme
+l'homme enrou&eacute;
+allait toujours parlant, quoique son visage devint de plus en plus
+rouge, on pouvait croire que son but &eacute;tait atteint, aussi bien
+que si
+l'on avait pu l'entendre.</p>
+<p>Aussit&ocirc;t que les pickwickiens furent descendus de leur
+voiture, ils se
+virent entour&eacute;s par une partie de la populace, qui,
+sur-le-champ, poussa
+trois acclamations assourdissantes. Ces acclamations,
+r&eacute;p&eacute;t&eacute;es par le
+rassemblement principal (car la foule n'a nullement besoin de savoir
+pourquoi elle crie), s'enfl&egrave;rent en un rugissement de triomphe
+si
+effroyable, que l'homme au rouge visage en resta court sur son balcon.</p>
+<p>&laquo;Hourra! hurla le peuple pour terminer.</p>
+<p>&#8212;Encore une acclamation! s'&eacute;cria le petit homme
+affair&eacute; sur le balcon.&raquo;
+Et la multitude de rugir aussit&ocirc;t, comme si elle avait eu un
+larynx de
+fonte et des poumons d'acier tremp&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Vive Slumkey! beugla la multitude.</p>
+<p>&#8212;Vive Slumkey! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick en &ocirc;tant son
+chapeau.</p>
+<p>&#8212;A bas Fizkin! vocif&eacute;ra la foule.</p>
+<p>&#8212;Oui, assur&eacute;ment! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Hourra!&raquo; Et alors un autre rugissement s'&eacute;leva,
+semblable &agrave; celui de
+toute une m&eacute;nagerie quand l'&eacute;l&eacute;phant a
+sonn&eacute; l'heure du repas.</p>
+<p>&laquo;Quel est ce Slumkey? demanda tout bas M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Je n'en sais rien, reprit M. Pickwick sur le m&ecirc;me ton.
+Silence! ne
+faites point de question. Dans ces occasions, il faut faire comme la
+foule.</p>
+<p>&#8212;Mais supposez qu'il y ait deux partis, fit observer M. Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Criez avec les plus forts.&raquo; r&eacute;pliqua M. Pickwick.</p>
+<p>Des volumes n'auraient pu en dire davantage.</p>
+<p>Ils entr&egrave;rent dans la maison, la populace s'ouvrant &agrave;
+droite et &agrave; gauche
+pour les laisser passer et poussant des acclamations bruyantes. Ce
+qu'il
+y avait &agrave; faire, en premier lieu, c'&eacute;tait de s'assurer un
+logement pour
+la nuit.</p>
+<p>&laquo;Pouvons-nous avoir des lits ici? demanda M. Pickwick au
+gar&ccedil;on.</p>
+<p>&#8212;Je n'en sais rien, m'sieu. J'ai peur qu'ils ne soient tous pris,
+m'sieu. Je vais m'informer, m'sieu.&raquo;</p>
+<p>Il s'&eacute;loigna, mais revenant aussit&ocirc;t, demanda si les
+gentlemen &eacute;taient
+<i>bleus</i>.</p>
+<p>Comme M. Pickwick et ses compagnons ne prenaient gu&egrave;re
+d'int&eacute;r&ecirc;t &agrave; la
+cause des candidats, la question &eacute;tait difficile &agrave;
+r&eacute;soudre. Dans ce
+dilemme, M. Pickwick pensa &agrave; son nouvel ami, M. Perker.</p>
+<p>&#8212;Connaissez-vous, dit-il, un gentleman nomm&eacute; Perker?</p>
+<p>&#8212;Certainement, m'sieu; l'agent de l'honorable M. Samuel Slumkey.</p>
+<p>&#8212;Il est bleu, je pense?</p>
+<p>&#8212;Oh! oui, m'sieu.</p>
+<p>&#8212;Alors nous sommes bleus,&raquo; dit M. Pickwick; mais remarquant
+que le
+gar&ccedil;on recevait d'un air dubitatif cette profession de foi
+accommodante,
+il lui donna sa carte en lui disant de la remettre sur-le-champ
+&agrave; M.
+Perker, s'il &eacute;tait dans la maison. Le gar&ccedil;on disparut,
+mais il reparut
+bient&ocirc;t, pria M. Pickwick de le suivre, et le conduisit dans une
+grande
+salle, o&ugrave; M. Perker &eacute;tait assis &agrave; une longue
+table, derri&egrave;re un monceau
+de livres et de papiers.</p>
+<p>&laquo;Ha! ha! mon cher monsieur, dit le petit homme en
+s'avan&ccedil;ant pour
+recevoir M. Pickwick. Tr&egrave;s-heureux de vous voir, mon cher
+monsieur.
+Asseyez-vous, je vous prie. Ainsi vous avez ex&eacute;cut&eacute; votre
+projet? Vous
+&ecirc;tes venu pour assister &agrave; l'&eacute;lection, n'est-ce
+pas?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick r&eacute;pondit affirmativement.</p>
+<p>&laquo;Une &eacute;lection bien disput&eacute;e, mon cher monsieur.</p>
+<p>&#8212;J'en suis charm&eacute;, r&eacute;pondit M. Pickwick en se frottant
+les mains.
+J'aime &agrave; voir cette chaleur patriotique, n'importe pour quel
+parti:
+c'est donc une &eacute;lection disput&eacute;e?</p>
+<p>&#8212;Oh! oui, singuli&egrave;rement. Nous avons retenu toutes les
+auberges de
+l'endroit et n'avons laiss&eacute; &agrave; nos adversaires que les
+boutiques de
+bi&egrave;re. C'est un coup de ma&icirc;tre, mon cher monsieur, qu'en
+dites-vous?&raquo;</p>
+<p>Le petit homme, en parlant ainsi, souriait complaisamment et
+ins&eacute;rait
+dans ses narines une large prise de tabac.</p>
+<p>&laquo;Et quel est le r&eacute;sultat probable de l'&eacute;lection?</p>
+<p>&#8212;Douteux, mon cher monsieur, douteux jusqu'&agrave; pr&eacute;sent.
+Les gens de
+Fizkin ont trente-trois votante dans les remises du <i>Blanc-Cerf</i>.</p>
+<p>&#8212;Dans les remises! s'&eacute;cria M. Pickwick, singuli&egrave;rement
+&eacute;tonn&eacute; par cet
+autre coup de ma&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Ils les y tiennent enferm&eacute;s jusqu'au moment o&ugrave; ils en
+auront besoin,
+afin de nous emp&ecirc;cher, comme vous vous en doutez bien, d'arriver
+jusqu'&agrave;
+eux. Mais quand m&ecirc;me nous pourrions leur parler, cela ne nous
+servirait
+pas &agrave; grand'chose, car ils les maintiennent expr&egrave;s
+constamment gris. Un
+habile homme, l'agent de Fizkin! Un habile homme, en
+v&eacute;rit&eacute;!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick ouvrit de grands yeux, mais il ne dit rien.</p>
+<p>&laquo;Malgr&eacute; cela, poursuivit M. Perker en baissant la voix,
+malgr&eacute; cela,
+nous avons bonne esp&eacute;rance. Nous avons donn&eacute; un
+th&eacute; ici, la nuit
+derni&egrave;re. Quarante-cinq femmes, mon cher monsieur, et
+lorsqu'elles sont
+parties, nous avons offert &agrave; chacune d'elles un parasol vert.</p>
+<p>&#8212;Un parasol! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Oui, mon cher monsieur, oui, quarante-cinq parasols verts, &agrave;
+sept
+shillings et six pence la pi&egrave;ce. Toutes les femmes sont
+coquettes: ces
+parasols ont produit un effet incroyable; assur&eacute; tous les maris
+et la
+moiti&eacute; des fr&egrave;res; enfonc&eacute; les bas, la flanelle et
+toutes ces sortes de
+choses. Id&eacute;e de moi, mon cher monsieur, enti&egrave;rement de
+moi. Gr&ecirc;le,
+pluie, soleil, vous ne pouvez pas faire quinze pas dans la ville, sans
+rencontrer une demi-douzaine de parasols verts.&raquo;</p>
+<p>Ici le petit avou&eacute; se laissa aller &agrave; des convulsions
+de gaiet&eacute; qui ne
+furent interrompues que par l'entr&eacute;e en sc&egrave;ne d'un
+troisi&egrave;me
+interlocuteur.</p>
+<p>C'&eacute;tait un homme long et fluet. Sa t&ecirc;te, d'un roux
+ardent, paraissait
+inclin&eacute;e &agrave; devenir chauve; sur son visage se peignaient
+une importance
+solennelle, une profondeur incommensurable. Il &eacute;tait
+rev&ecirc;tu d'une longue
+redingote brune, d'un gilet et d'un pantalon de drap noir. Un double
+lorgnon se dandinait sur sa poitrine; sur sa t&ecirc;te il portait un
+chapeau
+dont la forme &eacute;tait &eacute;tonnamment basse et les bords
+&eacute;tonnamment larges.
+Ce nouveau venu fut pr&eacute;sent&eacute; &agrave; M. Pickwick comme
+M. Pott, &eacute;diteur de la
+<i>Gazette d'Eatanswill</i>.</p>
+<p>Apr&egrave;s quelques remarques pr&eacute;liminaires, M. Pott se
+tourna vers M.
+Pickwick et lui dit avec solennit&eacute;:</p>
+<p>&laquo;Cette &eacute;lection excite un grand int&eacute;r&ecirc;t
+dans la m&eacute;tropole, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je le pense, r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Auquel je puis me flatter, continua M. Pott en regardant M. Perker
+de
+mani&egrave;re &agrave; faire confirmer ses paroles, auquel je puis me
+flatter
+d'avoir contribu&eacute; en quelque chose par mon article de samedi
+dernier.</p>
+<p>&#8212;Sans aucun doute, assura le petit homme.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, poursuivit M. Pott, la presse est un puissant
+engin.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick donna un assentiment complet &agrave; cette proposition.</p>
+<p>&laquo;Mais je me flatte, monsieur, que je n'ai jamais abus&eacute;
+de l'&eacute;norme
+pouvoir que je poss&egrave;de. Je me flatte, monsieur, que je n'ai
+jamais
+dirig&eacute; le noble instrument plac&eacute; entre mes mains par la
+Providence,
+contre le sanctuaire inviolable de la vie priv&eacute;e, contre la
+r&eacute;putation
+des individus, cette fleur tendre et fragile. Je me flatte, monsieur,
+que j'ai d&eacute;vou&eacute; toute mon &eacute;nergie &agrave;...
+&agrave; des efforts... faibles
+peut-&ecirc;tre, oui, j'en conviens, &agrave; de faibles efforts, pour
+inculquer ces
+principes que... dont... pour lesquels....&raquo;</p>
+<p>L'&eacute;diteur de la <i>Gazette d'Eatanswill</i> paraissant
+s'embrouiller, M.
+Pickwick vint &agrave; son secours en lui disant:</p>
+<p>&laquo;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et permettez-moi de vous demander, monsieur, de vous demander comme
+&agrave;
+un homme impartial ce que le public de Londres pense de ma
+pol&eacute;mique
+avec l'<i>Ind&eacute;pendant</i>?&raquo;</p>
+<p>M. Perker s'interposa et dit avec un sourire malicieux qui
+n'&eacute;tait pas
+tout &agrave; fait accidentel:</p>
+<p>&laquo;Le public de Londres s'y int&eacute;resse beaucoup, sans
+aucun doute.</p>
+<p>&#8212;Cette pol&eacute;mique, poursuivit le journaliste, sera
+continu&eacute;e aussi
+longtemps qu'il me restera un peu de sant&eacute; et de force, un peu
+de ces
+talents que j'ai re&ccedil;us de la nature. A cette pol&eacute;mique,
+monsieur,
+quoiqu'elle puisse d&eacute;ranger l'esprit des hommes,
+exasp&eacute;rer leurs
+opinions et les rendre incapables de s'occuper des devoirs
+prosa&iuml;ques de
+la vie ordinaire; &agrave; cette pol&eacute;mique, monsieur, je
+consacrerai toute mon
+existence, jusqu'&agrave; ce que j'aie broy&eacute; sous mon pied l'<i>Ind&eacute;pendant
+d'Eatanswill</i>. Je d&eacute;sire, monsieur, que le peuple de Londres,
+que le
+peuple de mon pays sache qu'il peut compter sur moi, que je ne
+l'abandonnerai point, que je suis r&eacute;solu, monsieur, &agrave;
+demeurer son
+champion jusqu'&agrave; la fin.</p>
+<p>&#8212;Votre conduite est tr&egrave;s-noble, monsieur, s'&eacute;cria M.
+Pickwick, et il
+secoua chaleureusement la main du magnanime &eacute;diteur.</p>
+<p>&#8212;Je m'aper&ccedil;ois, monsieur, r&eacute;pondit celui-ci, tout
+essouffl&eacute; par la
+v&eacute;h&eacute;mence de sa d&eacute;claration patriotique; je
+m'aper&ccedil;ois que vous &ecirc;tes un
+homme de sens et de talent. Je suis tr&egrave;s-heureux, monsieur, de
+faire la
+connaissance d'un tel homme.</p>
+<p>&#8212;Et moi, monsieur, r&eacute;torqua M, Pickwick, je me sens
+profond&eacute;ment honor&eacute;
+par cette expression de votre opinion. Permettez-moi, monsieur, de vous
+pr&eacute;senter mes compagnons de voyage, les autres membres
+correspondants du
+club que je suis orgueilleux d'avoir fond&eacute;.&raquo;</p>
+<p>M. Pott ayant d&eacute;clar&eacute; qu'il en serait enchant&eacute;,
+M. Pickwick alla
+chercher ses trois amis, et les pr&eacute;senta formellement &agrave;
+l'&eacute;diteur de la
+<i>Gazette d'Eatanswill</i>.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, mon cher Pott, dit le petit M. Perker, la
+question est de
+savoir ce que nous ferons de nos amis ici pr&eacute;sents.</p>
+<p>&#8212;Nous pouvons rester dans cette maison, je suppose? dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Pas un lit de reste, monsieur, pas un seul lit.</p>
+<p>&#8212;Extr&ecirc;mement embarrassant! reprit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Extr&ecirc;mement, r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent ses acolytes.</p>
+<p>&#8212;J'ai &agrave; ce sujet, dit M. Pott, une id&eacute;e qui, je
+l'esp&egrave;re, peut &ecirc;tre
+adopt&eacute;e avec beaucoup de succ&egrave;s. Il y a deux lits au <i>Paon
+d'argent</i>, et
+je puis dire hardiment, au nom de Mme Pott, qu'elle sera
+enchant&eacute;e de
+donner l'hospitalit&eacute; &agrave; M. Pickwick et &agrave; l'un de
+ses compagnons, si les
+deux autres gentlemen et leur domestique consentent &agrave; s'arranger
+de leur
+mieux au <i>Paon d'argent</i>.&raquo;</p>
+<p>Apr&egrave;s des instances r&eacute;p&eacute;t&eacute;es de M. Pott,
+et des protestations nombreuses
+de M. Pickwick, qu'il ne pouvait pas consentir &agrave; d&eacute;ranger
+l'aimable
+&eacute;pouse de l'&eacute;diteur, il fut d&eacute;cid&eacute; que
+c'&eacute;tait l&agrave; le seul arrangement
+ex&eacute;cutable; aussi fut-il ex&eacute;cut&eacute;. Apr&egrave;s
+avoir d&icirc;n&eacute; ensemble aux <i>Armes
+de la ville</i>, et &ecirc;tre convenus de se r&eacute;unir le
+lendemain matin dans le
+m&ecirc;me lieu pour accompagner la procession de l'honorable Samuel
+Slumkey,
+nos amis se s&eacute;par&egrave;rent, M. Tupman et M. Snodgrass se
+retirant au <i>Paon
+d'argent</i>, M. Pickwick et M. Winkle se r&eacute;fugiant sous le toit
+hospitalier de M. Pott.</p>
+<p>Le cercle domestique de M. Pott se composait de lui-m&ecirc;me et de
+sa femme.
+Tous les hommes qu'un puissant g&eacute;nie a &eacute;lev&eacute;s
+&agrave; un poste &eacute;minent dans le
+monde, ont ordinairement quelque petite faiblesse, qui n'en
+para&icirc;t que
+plus remarquable par le contraste qu'elle forme avec leur
+caract&egrave;re
+public. Si M. Pott avait une faiblesse, c'&eacute;tait apparemment
+d'&ecirc;tre un
+peu trop soumis &agrave; la domination l&eacute;g&egrave;rement
+m&eacute;prisante de son &eacute;pouse.
+Cependant noua n'avons pas le droit d'insister sur ce fait, car, dans
+la
+circonstance actuelle, toutes les mani&egrave;res les plus engageantes
+de Mme
+Pott furent employ&eacute;es &agrave; recevoir les deux gentlemen
+amen&eacute;s par son mari.</p>
+<p>&laquo;Ch&egrave;re amie, dit M. Pott, M. Pickwick, M. Pickwick de
+Londres.&raquo;</p>
+<p>Mme Pott re&ccedil;ut avec une douceur enchanteresse le serrement de
+main
+paternel de M. Pickwick, tandis que M. Winkle, qui n'avait pas
+&eacute;t&eacute;
+annonc&eacute; du tout, salua et se glissa dans un coin obscur.</p>
+<p>&laquo;Mon cher, dit la dame.</p>
+<p>&#8212;Ch&egrave;re amie, r&eacute;pondit l'&eacute;diteur.</p>
+<p>&#8212;Pr&eacute;sentez l'autre gentleman.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande un million de pardons, dit M. Pott.
+Permettez-moi....
+Madame Pott, monsieur....</p>
+<p>&#8212;Winkle, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Winkle, r&eacute;p&eacute;ta M. Pott; et la c&eacute;r&eacute;monie
+de l'introduction fut
+compl&egrave;te.</p>
+<p>&#8212;Nous vous devons beaucoup d'excuses, madame, reprit M. Pickwick,
+pour
+avoir ainsi troubl&eacute; vos arrangements domestiques.</p>
+<p>&#8212;Je vous prie de n'en point parler, monsieur, r&eacute;pliqua avec
+vivacit&eacute; la
+moiti&eacute; f&eacute;minine de Pott. C'est, je vous assure, un grand
+plaisir pour
+moi d'apercevoir de nouveaux visages, vivant comme je le fais de jour
+en
+jour, de semaine en semaine, dans ce triste endroit, et sans voir
+personne.</p>
+<p>&#8212;Personne! ma ch&egrave;re? s'&eacute;cria M. Pott, avec finesse.</p>
+<p>&#8212;Personne que vous, r&eacute;torqua son &eacute;pouse avec
+asp&eacute;rit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;En effet, monsieur Pickwick, reprit leur h&ocirc;te pour expliquer
+les
+lamentations de sa femme; en effet, nous sommes priv&eacute;s de
+beaucoup de
+plaisirs que nous devrions partager. Ma position comme &eacute;diteur
+de la
+<i>Gazette d'Eatanswill</i>, le rang que cette feuille occupe dans le
+pays,
+mon immersion constante dans le tourbillon de la politique....&raquo;</p>
+<p>Mme Pott interrompit son &eacute;poux. &laquo;Mon cher, dit-elle.</p>
+<p>&#8212;Ch&egrave;re amie, r&eacute;pondit l'&eacute;diteur.</p>
+<p>&#8212;Je d&eacute;sirerais que vous voulussiez bien trouver un autre
+sujet de
+conversation, afin que ces messieurs puissent y prendre quelque
+int&eacute;r&ecirc;t.</p>
+<p>&#8212;Mais, mon amour, dit M. Pott avec humilit&eacute;, M. Pickwick y
+prend grand
+int&eacute;r&ecirc;t.</p>
+<p>&#8212;C'est fort heureux pour lui! Mais <i>moi</i> je suis lasse,
+&agrave; mourir, de
+votre politique, de vos querelles avec l'<i>Ind&eacute;pendant</i>, et
+de toutes ces
+sottises. Je suis tout &agrave; fait &eacute;tonn&eacute;e, Pott, que
+vous donniez ainsi en
+spectacle vos absurdit&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Mais, ch&egrave;re amie, murmura le malheureux &eacute;poux.</p>
+<p>&#8212;Sottises! ne me parlez pas. Jouez-vous &agrave;
+l'&eacute;cart&eacute;, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Je serai enchant&eacute;, madame, d'apprendre avec vous,
+r&eacute;pondit galamment
+M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, tirez cette table aupr&egrave;s de la
+fen&ecirc;tre, pour que je
+n'entende plus cette &eacute;ternelle politique.</p>
+<p>&#8212;Jane, dit M. Pott &agrave; la servante, qui apportait de la
+lumi&egrave;re,
+descendez dans le bureau, et montez-moi la collection des gazettes pour
+l'ann&eacute;e 1830. Je vais vous lire, continua-t-il en se tournant
+vers M.
+Pickwick, je vais vous lire quelques-uns des articles de fond que j'ai
+&eacute;crits, &agrave; cette &eacute;poque, sur la conspiration des
+jaunes pour faire nommer
+un nouveau p&eacute;ager &agrave; notre Turnpike. Je me flatte qu'ils
+vous amuseront.</p>
+<p>&#8212;Je serai v&eacute;ritablement charm&eacute; de vous
+entendre,&raquo; r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>Son v&#339;u fut bient&ocirc;t exauc&eacute;. La servante revint avec une
+collection de
+gazettes, et l'&eacute;diteur s'&eacute;tant assis aupr&egrave;s de son
+h&ocirc;te, se mit &agrave; lire
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>Nous avons feuillet&eacute; le m&eacute;morandum de M. Pickwick,
+dans l'espoir de
+retrouver au moins un sommaire de ces magnifiques compositions; mais ce
+fut vainement. Nous avons cependant des raisons de croire que la
+vigueur
+et la fra&icirc;cheur du style le ravirent enti&egrave;rement, car M.
+Winkle a not&eacute;
+que ses yeux, comme par un exc&egrave;s de plaisir, rest&egrave;rent
+ferm&eacute;s pendant
+toute la dur&eacute;e de la lecture.</p>
+<p>L'annonce que le souper &eacute;tait servi mit un terme au jeu
+d'&eacute;cart&eacute; et &agrave; la
+r&eacute;capitulation des beaut&eacute;s de la <i>Gazette</i>. M.
+Winkle avait d&eacute;j&agrave; fait
+des progr&egrave;s consid&eacute;rables dans les bonnes gr&acirc;ces de
+Mme Pott. Elle &eacute;tait
+d'une humeur charmante, et n'h&eacute;sita pas &agrave; l'informer
+confidentiellement
+que M. Pickwick &eacute;tait un vieux bonhomme tout &agrave; fait
+aimable. Il y a dans
+ces expressions une familiarit&eacute; que ne se serait permise aucun
+de ceux
+qui connaissaient intimement l'esprit colossal de ce philosophe.
+Cependant nous les avons conserv&eacute;es parce qu'elles prouvent
+d'une
+mani&egrave;re touchante et convaincante la facilit&eacute; avec
+laquelle il gagnait
+tous les c&#339;urs, et le cas immense que faisaient de lui toutes les
+classes de la soci&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>La nuit &eacute;tait avanc&eacute;e, M. Tupman et M. Snodgrass
+dormaient depuis
+longtemps sous l'aile du <i>Paon d'argent</i>, lorsque nos deux amis
+se
+retir&egrave;rent dans leurs chambres. Le sommeil s'empara
+bient&ocirc;t de leurs
+sens, mais, quoiqu'il e&ucirc;t rendu M. Winkle insensible &agrave;
+tous les objets
+terrestres, le visage et la tournure de l'agr&eacute;able Mme Pott se
+pr&eacute;sent&egrave;rent, pendant longtemps encore, &agrave; sa
+fantaisie excit&eacute;e.</p>
+<p>Le mouvement et le bruit de la matin&eacute;e suivante
+&eacute;taient suffisants pour
+chasser de l'imagination la plus romantique toute autre id&eacute;e que
+celle
+de l'&eacute;lection. Le roulement des tambours, le son des cornes et
+des
+trompettes, les cris de la populace, le pi&eacute;tinement des chevaux,
+retentissaient dans les rues depuis le point du jour; et de temps en
+temps une escarmouche entre les enfants perdus des deux partis
+&eacute;gayait
+et diversifiait les pr&eacute;paratifs de la c&eacute;r&eacute;monie.</p>
+<p>Sam parut &agrave; la porte de la chambre &agrave; coucher de M.
+Pickwick, justement
+comme il terminait sa toilette. H&eacute;! bien, Sam, lui dit-il, tout
+le monde
+est en mouvement, aujourd'hui?</p>
+<p>&laquo;Oh! personne ne caponne, monsieur. Nos particuliers sont
+rassembl&eacute;s aux
+<i>Armes de la ville</i>, et ils ont tant cri&eacute;
+d&eacute;j&agrave; qu'ils en sont tout
+enrouill&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Ah! ont-ils l'air d&eacute;vou&eacute; &agrave; leur parti, Sam?</p>
+<p>&#8212;Je n'ai jamais vu de d&eacute;vouement comme &ccedil;a, monsieur.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;nergique, n'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Je crois bien. Je n'ai jamais vu boire ni b&acirc;frer si
+&eacute;nergiquement. Il
+pourrait bien en crever quelques-uns, voil&agrave; tout.</p>
+<p>&#8212;Cela vient de la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; malentendue des
+bourgeois de cette ville.</p>
+<p>&#8212;C'est fort probable, r&eacute;pondit Sam d'un ton bref.</p>
+<p>&#8212;Ha! dit M. Pickwick, en regardant par la fen&ecirc;tre, de beaux
+gaillards,
+bien vigoureux, bien frais.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-frais, pour s&ucirc;r. Les deux gar&ccedil;ons du <i>Paon
+d'argent</i> et moi, nous
+avons pomp&eacute; sur tous les &eacute;lecteurs qui y ont soup&eacute;
+hier.</p>
+<p>&#8212;Pomp&eacute; sur des &eacute;lecteurs ind&eacute;pendants!</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur. Ils ont ronfl&eacute; cette nuit o&ugrave;s qu'ils
+&eacute;taient tomb&eacute;s
+ivres-morts hier soir. Ce matin, nous les avons insinu&eacute;s, l'un
+apr&egrave;s
+l'autre, sous la pompe, et voil&agrave;! Ils sont tous en bon
+&eacute;tat maintenant.
+Le comit&eacute; nous a donn&eacute; un shilling par t&ecirc;te pour ce
+service-l&agrave;!...</p>
+<p>&#8212;Est-il possible qu'on fasse des choses semblables! s'&eacute;cria
+M. Pickwick
+plein d'&eacute;tonnement.</p>
+<p>&#8212;Bah! monsieur, &ccedil;a n'est rien, rien du tout.</p>
+<p>&#8212;Rien?</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, monsieur. La nuit d'avant le dernier jour de la
+derni&egrave;re
+&eacute;lection, ici, l'autre parti a gagn&eacute; la servante des <i>Armes
+de la ville</i>
+pour &eacute;picer le grog de quatorze &eacute;lecteurs qui restaient
+dans la maison,
+et qui n'avaient pas encore vot&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous entendez par <i>&eacute;picer</i> du grog?</p>
+<p>&#8212;Mettre de l'eau d'&acirc;non dedans, monsieur. Que le bon Dieu
+m'emporte si
+&ccedil;a ne les a pas fait roupiller douze heures apr&egrave;s
+l'&eacute;lection. Ils en ont
+port&eacute; un sur un brancard, tout endormi, pour essayer, mais
+bernique! le
+maire n'a pas voulu de son vote; ainsi ils l'ont rapport&eacute; et
+replant&eacute;
+dans son lit.</p>
+<p>&#8212;Quel &eacute;trange exp&eacute;dient! murmura M. Pickwick,
+moiti&eacute; pour lui-m&ecirc;me,
+moiti&eacute; pour son domestique.</p>
+<p>&#8212;Pas si farce qu'une histoire qu'est arriv&eacute;e &agrave; mon
+p&egrave;re, en temps
+d'&eacute;lection, &agrave; ce m&ecirc;me endroit ici, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Contez-moi cela, Sam.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, monsieur. Il conduisait une mail-coach<a
+ name="FNanchor_18_18"></a><a href="#Footnote_18_18"><sup>18</sup></a>
+de Londres ici, dans
+ce temps-l&agrave;. L'&eacute;lection arrive, et il est retenu par un
+parti pour
+charrier des voteurs de Londres. La veille du jour o&ugrave; il allait
+se
+mettre en route, le comit&eacute; de l'autre parti l'envoie chercher
+tout
+tranquillement. Il s'en va avec le commissionnaire, qui le fait entrer
+dans une grande chambre. Tas de gentlemen, montagnes de papiers, plumes
+et le reste. &laquo;Ah! monsieur Weller, dit le pr&eacute;sident,
+charm&eacute; de vous
+voir. Comment &ccedil;a va-t-il? qu'il dit.&#8212;Tr&egrave;s-bien, mossieur,
+merci, dit
+mon p&egrave;re. J'esp&egrave;re que vous ne maigrissez pas, non plus,
+qu'il
+dit.&#8212;Merci, &ccedil;a ne va pas mal, dit le gentleman. Asseyez-vous,
+monsieur,
+je vous en prie.&raquo; Ainsi mon p&egrave;re s'asseoit, et le
+gentleman et lui se
+regardent fisquement leurs deux boules. &laquo;Vous ne me reconnaissez
+pas?
+dit l'autre.&#8212;Peux pas dire que je vous aie jamais vu, r&eacute;pond mon
+p&egrave;re.&#8212;Oh! moi je vous connais, dit l'autre. Je vous ai connu
+tout
+petit, dit-il.&#8212;C'est &eacute;gal, je ne vous remets pas du tout, dit
+mon
+p&egrave;re.&#8212;C'est fort dr&ocirc;le, dit l'autre.&#8212;Joliment, dit mon
+p&egrave;re.&#8212;Faut qu'
+vous ayez une mauvaise m&eacute;moire, monsieur Weller, dit
+l'autre.&#8212;C'est
+vrai qu'a n'est pas fameuse, dit mon p&egrave;re.&#8212;Je m'en avais
+dout&eacute;, dit
+l'autre.&raquo; Comme &ccedil;a, il lui verse un verre de vin, et il le
+chatouille
+sur sa mani&egrave;re de conduire, et il le met dans une bonne humeur
+soign&eacute;e,
+et &agrave; la fin il lui montre une banknote de vingt livres sterling<a
+ name="FNanchor_19_19"></a><a href="#Footnote_19_19"><sup>19</sup></a>.
+&laquo;C'est une mauvaise route d'ici &agrave; Londres? qu'il lui
+dit.&#8212;Par-ci par-l&agrave;
+y a de vilains endroits, dit mon p&egrave;re.&#8212;Et surtout pr&egrave;s du
+canal, je
+crois? dit le gentleman.&#8212;Pour un vilain endroit, c'est un vilain
+endroit, dit mon p&egrave;re.&#8212;H&eacute; bien! monsieur Weller, dit
+l'autre, vous &ecirc;tes
+un excellent cocher, et vous pouvez faire tout ce que vous voulez avec
+vos chevaux, on sait &ccedil;a. Nous avons tous bien de l'amiti&eacute;
+pour vous,
+monsieur Weller. Ainsi, dans le cas qu'il vous arriverait <i>par hasard</i>
+un accident quand vous am&egrave;nerez les &eacute;lecteurs ici, dans
+le cas que vous
+les verseriez dans le canal, sans leur faire aucun mal, ceci est pour
+vous, qu'il dit.&#8212;Mossieur, vous &ecirc;tes extr&ecirc;mement bon, dit
+mon p&egrave;re, et
+je vais boire &agrave; vot' sant&eacute; un autre verre de vin,
+dit-il.&raquo; Alors il
+boit, empoche la monnaie, et il salue son monde. H&eacute; bien!
+monsieur,
+continua Sam en regardant son ma&icirc;tre avec un air d'impudence
+inexprimable, croiriez-vous que, justement le jour o&ugrave; il menait
+ces
+m&ecirc;mes &eacute;lecteurs, sa voiture fut vers&eacute;e
+pr&eacute;cis&eacute;ment dans cet endroit-l&agrave;,
+et tous les voyageurs lanc&eacute;s dans le canal?</p>
+<p>&#8212;Et retir&eacute;s sur-le-champ? demanda vivement M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Pour &ccedil;a, r&eacute;pliqua Sam tr&egrave;s-lentement, on dit
+qu'il y manquait un vieux
+gentleman. Je sais bien qu'on a rep&ecirc;ch&eacute; son chapeau, mais
+je ne suis pas
+bien certain si sa boule &eacute;tait dedans, oui-z-ou non. Mais ce que
+je
+regarde, c'est la hextraordinaire co&iuml;ncidence que la voiture de
+mon p&egrave;re
+s'est vers&eacute;e, juste au m&ecirc;me endroit et le m&ecirc;me jour,
+apr&egrave;s ce que le
+gentleman lui avait dit.</p>
+<p>&#8212;Sans aucun doute, c'est un hasard bien extraordinaire,
+r&eacute;pondit M.
+Pickwick; mais brossez mon chapeau, Sam, car j'entends M. Winkle qui
+m'appelle pour d&eacute;jeuner.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick descendit dans le parloir, o&ugrave; il trouva le
+d&eacute;jeuner servi et
+la famille d&eacute;j&agrave; rassembl&eacute;e. Le repas disparut
+rapidement; les chapeaux
+des gentlemen furent d&eacute;cor&eacute;s d'&eacute;normes cocardes
+bleues, faites par les
+belles mains de Mme Pott elle-m&ecirc;me; et M. Winkle se chargea
+d'accompagner cette dame sur le toit d'une maison voisine des
+<i>hustings</i>, tandis que M. Pickwick se rendrait avec M. Pott aux <i>Armes
+de la ville</i>. Un membre du comit&eacute; de M. Slumkey haranguait,
+d'une des
+fen&ecirc;tres de cet h&ocirc;tel, six petits gar&ccedil;ons et une
+jeune fille, qu'il
+appelait pompeusement &agrave; tout bout de champ: <i>hommes
+d'Eatanswill</i>; sur
+quoi les six petits gar&ccedil;ons susmentionn&eacute;s applaudissaient
+prodigieusement.</p>
+<p>La cour de l'h&ocirc;tel offrait des sympt&ocirc;mes moins
+&eacute;quivoques de la gloire
+et de la puissance des bleus d'Eatanswill. Il y avait une arm&eacute;e
+enti&egrave;re
+de banni&egrave;res et de drapeaux, &eacute;talant des devises
+appropri&eacute;es &agrave; la
+circonstance, en caract&egrave;res d'or, de quatre pieds de haut et
+d'une
+largeur proportionn&eacute;e. Il y avait une bande de trompettes, de
+bassons et
+de tambours, rang&eacute;s sur quatre de front et gagnant leur argent
+en
+conscience, principalement les tambours, qui &eacute;taient fort
+musculeux. Il
+y avait des troupes de constables, avec des b&acirc;tons bleus, vingt
+membres
+du comit&eacute; avec des &eacute;charpes bleues, et tout un monde
+d'&eacute;lecteurs, avec
+des cocardes bleues. Il y avait des &eacute;lecteurs &agrave; cheval et
+des &eacute;lecteurs
+&agrave; pied. Il y avait un carrosse d&eacute;couvert, &agrave; quatre
+chevaux, pour
+l'honorable Samuel Slumkey. Et les drapeaux flottaient, et les
+musiciens
+jouaient, et les constables juraient, et les vingt membres du
+comit&eacute;
+haranguaient, et la foule braillait, et les chevaux piaffaient et
+reculaient, et les postillons suaient; et toutes les choses, tous les
+individus r&eacute;unis en cet endroit, s'y trouvaient pour l'avantage,
+pour
+l'honneur, pour la renomm&eacute;e, pour l'usage sp&eacute;cial de
+l'honorable Samuel
+Slumkey, de Slumkey-Hall, l'un des candidats pour la
+repr&eacute;sentation du
+bourg d'Eatanswill, dans la chambre des communes du parlement du
+Royaume-Uni.</p>
+<p>Longues et bruyantes furent les acclamations, et l'un des drapeaux
+bleus, portant ces mots: LIBERT&Eacute; DE LA PRESSE, s'agita
+convulsivement
+quand la t&ecirc;te rousse de M. Pott fut aper&ccedil;ue par la foule
+&agrave; l'une des
+fen&ecirc;tres. Mais l'enthousiasme fut &eacute;pouvantable quand
+l'honorable Samuel
+Slumkey lui-m&ecirc;me, en bottes &agrave; revers et en cravate bleue,
+s'avan&ccedil;a,
+saisit la main dudit Pott, et t&eacute;moigna &agrave; la multitude par
+des gestes
+m&eacute;lodramatiques, sa reconnaissance ineffa&ccedil;able des
+services que lui
+avait rendus la <i>Gazette d'Eatanswill</i>.</p>
+<p>&laquo;Tom est-il pr&ecirc;t? demanda ensuite l'honorable Samuel
+Slumkey &agrave; M.
+Perker.</p>
+<p>&#8212;Oui, mon cher monsieur, r&eacute;pliqua le petit homme.</p>
+<p>&#8212;On n'a rien oubli&eacute;, j'esp&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, mon cher monsieur; pas la moindre chose. Il y a vingt
+hommes, bien lav&eacute;s, &agrave; qui vous donnerez des
+poign&eacute;es de main, &agrave; la
+porte; et six enfants, dans les bras de leurs m&egrave;res, que vous
+caresserez
+sur la t&ecirc;te et dont vous demanderez l'&acirc;ge. Surtout ne
+n&eacute;gligez pas les
+enfants, mon cher monsieur. Ces sortes de choses produisent toujours un
+bon effet.</p>
+<p>&#8212;J'y penserai, dit l'honorable Samuel Slumkey.</p>
+<p>&#8212;Et, peut-&ecirc;tre, mon cher monsieur, ajouta le pr&eacute;voyant
+petit homme, si
+vous pouviez... je ne dis pas que cela soit indispensable... mais si
+vous pouviez prendre sur vous de baiser un des bambins, cela produirait
+une grande impression sur la foule.</p>
+<p>&#8212;L'effet ne serait-il pas le m&ecirc;me si vous vous chargiez de la
+besogne?
+demanda M. Samuel Slumkey.</p>
+<p>&#8212;J'ai peur que non, mon cher monsieur. Mais si vous le faisiez
+vous-m&ecirc;me, je pense que cela vous rendrait tr&egrave;s-populaire.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, dit l'honorable Samuel Slumkey d'un air
+r&eacute;sign&eacute;, il faut en
+passer par l&agrave;, voil&agrave; tout.</p>
+<p>&#8212;Arrangez la procession!&raquo; cri&egrave;rent les vingt membres du
+comit&eacute;.</p>
+<p>Au milieu des acclamations de la multitude, musiciens, constables,
+membres du comit&eacute;, &eacute;lecteurs, cavaliers, carrosses
+prirent leurs places.
+Chacune des voitures &agrave; deux chevaux contenait autant de
+gentlemen
+empil&eacute;s et debout qu'il avait &eacute;t&eacute; possible d'en
+faire tenir. Celle qui
+&eacute;tait assign&eacute;e &agrave; M. Perker renfermait M. Pickwick,
+M. Tupman, M.
+Snodgrass et une demi-douzaine de membres du comit&eacute;.</p>
+<p>Il y eut un moment de silence solennel, lorsque la procession
+attendit
+que l'honorable Samuel Slumkey mont&acirc;t dans son carrosse.</p>
+<p>Tout d'un coup la foule poussa une acclamation.</p>
+<p>&laquo;Il est sorti!&raquo; s'&eacute;cria le petit Perker, d'autant
+plus &eacute;mu que sa
+position ne lui permettait pas de voir ce qui se passait en avant.</p>
+<p>Une autre acclamation, plus forte:</p>
+<p>&laquo;Il a donn&eacute; des poign&eacute;es de main aux
+hommes!&raquo; dit le petit agent.</p>
+<p>Une autre acclamation, beaucoup plus violente:</p>
+<p>&laquo;Il a caress&eacute; les bambins sur la t&ecirc;te!&raquo;
+continua M. Perker tremblant
+d'anxi&eacute;t&eacute;.</p>
+<p>Un tonnerre d'applaudissements qui d&eacute;chirent les airs:</p>
+<p>&laquo;Il en a bais&eacute; un!&raquo; s'&eacute;cria le petit homme
+enchant&eacute;.</p>
+<p>Un second tonnerre:</p>
+<p>&laquo;Il en a bais&eacute; un autre!&raquo;</p>
+<p>Un troisi&egrave;me tonnerre, assourdissant:</p>
+<p>&laquo;Il les baise tous!&raquo; vocif&eacute;ra l'enthousiaste
+petit gentleman, et au
+m&ecirc;me instant la procession se mit en marche, salu&eacute;e par
+les acclamations
+retentissantes de la multitude.</p>
+<p>Comment et par quelle cause les deux processions se
+heurt&egrave;rent, et
+comment la confusion qui s'ensuivit fut enfin termin&eacute;e, c'est ce
+que
+nous ne pouvons entreprendre de d&eacute;crire: car au commencement de
+la
+bagarre le chapeau de M. Pickwick fut enfonc&eacute; sur ses yeux, sur
+son nez
+et sur sa bouche, par l'application d'un drapeau jaune. D'apr&egrave;s
+ce que
+cet illustre philosophe put conclure du petit nombre de rayons visuels
+qui passaient entre ses joues et son feutre, il se repr&eacute;sente
+comme
+entour&eacute; de tous c&ocirc;t&eacute;s par des physionomies
+irrit&eacute;es et f&eacute;roces, par un
+vaste nuage de poussi&egrave;re et par une foule &eacute;paisse de
+combattants. Il
+raconte qu'il fut arrach&eacute; de sa voiture par un pouvoir
+invisible, et
+qu'il prit part personnellement &agrave; des exercices pugilastiques;
+mais avec
+qui, ou comment, ou pourquoi, c'est ce qu'il lui est absolument
+impossible d'&eacute;tablir. Ensuite il fut pouss&eacute; sur des
+gradins de bois par
+les personnes qui &eacute;taient derri&egrave;re lui, et, en retirant
+son chapeau, il
+se trouva environn&eacute; de ses amis, sur le premier rang du
+c&ocirc;t&eacute; gauche des
+<i>hustings</i>. Le c&ocirc;t&eacute; droit &eacute;tait
+r&eacute;serv&eacute; pour le parti jaune; le centre
+pour le maire et ses assistants. L'un de ceux-ci, le gros crieur
+d'Eatanswill, secouait une &eacute;norme cloche, ing&eacute;nieux moyen
+de faire faire
+silence. Cependant M. Horatio Fizkin et l'honorable Samuel Slumkey,
+leur
+main droite pos&eacute;e sur leur c&#339;ur, s'occupaient &agrave; saluer,
+avec la plus
+grande affabilit&eacute;, la mer orageuse de t&ecirc;tes qui inondait
+la place et de
+laquelle s'&eacute;levait une temp&ecirc;te de g&eacute;missements,
+d'acclamations, de
+sifflements, de hurlements, qui aurait fait honneur &agrave; un
+tremblement de
+terre.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; Winkle, dit M. Tupman &agrave; son illustre ami,
+en le tirant par la
+manche.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave;? demanda M. Pickwick en ajustant sur son nez ses
+lunettes, qu'il
+avait heureusement gard&eacute;es jusque-l&agrave; dans sa poche.</p>
+<p>&#8212;L&agrave;, r&eacute;pondit M. Tupman, sur le toit de cette
+maison.&raquo;</p>
+<p>Et en effet, dans une large goutti&egrave;re de plomb, M. Winkle et
+Mme Pott
+&eacute;taient confortablement assis sur une couple de chaises, agitant
+leurs
+mouchoirs pour se faire mieux reconna&icirc;tre.</p>
+<p>M. Pickwick r&eacute;torqua ce compliment en envoyant un baiser de
+sa main &agrave; la
+dame.</p>
+<p>L'&eacute;lection n'avait pas encore commenc&eacute;, et comme une
+multitude inactive
+est g&eacute;n&eacute;ralement dispos&eacute;e &agrave; &ecirc;tre
+fac&eacute;tieuse, cette innocente action fut
+suffisante pour faire na&icirc;tre mille plaisanteries.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! l&agrave;-haut! vieux renard! C'est-il beau de
+faire des galanteries aux
+filles?</p>
+<p>&#8212;Oh! le v&eacute;n&eacute;rable p&eacute;cheur!</p>
+<p>&#8212;Il met ses besicles pour lorgner les femmes mari&eacute;es.</p>
+<p>&#8212;Le sc&eacute;l&eacute;rat! Il lui fait les yeux doux, &agrave;
+travers ses carreaux.</p>
+<p>&#8212;Surveillez votre femme, Pott!&raquo; Et ces lazzis furent suivis de
+grands
+&eacute;clats de rire.</p>
+<p>Comme ces brocards &eacute;taient accompagn&eacute;s d'odieuses
+comparaisons entre M.
+Pickwick et un vieux bouc, ainsi que d'autres traits d'esprit du
+m&ecirc;me
+genre, et comme elles tendaient, en outre, &agrave; entacher l'honneur
+d'une
+innocente dame, l'indignation de notre h&eacute;ros fut excessive: mais
+le
+silence &eacute;tant proclam&eacute; dans cet instant, il se contenta
+de jeter &agrave; la
+populace un regard de m&eacute;pris et de piti&eacute;, qui la fit rire
+plus
+bruyamment que jamais.</p>
+<p>&laquo;Silence! beugl&egrave;rent les acolytes du maire.</p>
+<p>&#8212;Whiffin, proclamez le silence! dit le maire d'un air pompeux, qui
+convenait &agrave; sa position &eacute;lev&eacute;e. Le crieur, pour
+ob&eacute;ir &agrave; cet ordre,
+ex&eacute;cuta un autre concerto sur sa sonnette, apr&egrave;s quoi un
+gentleman de la
+foule cria, de toutes ses forces, <i>Fifine!</i> ce qui occasiona
+d'autres
+&eacute;clats de rire.</p>
+<p>&#8212;Gentlemen! dit le maire, en donnant toute l'&eacute;tendue possible
+&agrave; sa
+voix. Gentlemen, fr&egrave;res &eacute;lecteurs du bourg d'Eatanswill,
+nous sommes
+assembl&eacute;s aujourd'hui pour &eacute;lire un repr&eacute;sentant
+&agrave; la place de notre
+dernier....&raquo;</p>
+<p>Ici, le maire fut interrompu car une voix qui criait dans la foule:</p>
+<p>&laquo;Bonne chance &agrave; M. le maire! et qu'il reste toujours
+dans les clous et
+les casseroles qu'ils y ont fait sa fortune.&raquo;</p>
+<p>Cette allusion aux entreprises commerciales de l'orateur excita un
+ouragan de gaiet&eacute; qui, avec son accompagnement de sonnette,
+emp&ecirc;cha
+d'entendre un seul mot de la harangue du maire, &agrave; l'exception,
+cependant, de la derni&egrave;re phrase, par laquelle il remerciait ses
+auditeurs de l'attention bienveillante qu'ils lui avaient
+pr&ecirc;t&eacute;e. Cette
+expression de gratitude fut accueillie par une autre explosion de joie,
+qui dura environ un quart d'heure.</p>
+<p>Un grand gentleman efflanqu&eacute;, dont le cou &eacute;tait
+comprim&eacute; par une
+cravate blanche tr&egrave;s-roide, parut alors en sc&egrave;ne, au
+milieu des
+interruptions fr&eacute;quentes de la foule, qui l'engageait &agrave;
+envoyer
+quelqu'un chez lui pour voir s'il n'avait pas oubli&eacute; sa voix
+sous son
+traversin. Il demanda la permission de pr&eacute;senter une personne
+propre et
+convenable, pour repr&eacute;senter au parlement les &eacute;lecteurs
+d'Eatanswill, et
+quand il d&eacute;clara que c'&eacute;tait Horatio Fizkin, Esquire, de
+Fizkin-Loge,
+pr&egrave;s Eatanswill, les fizkiniens applaudirent et les
+slumk&eacute;&iuml;ens
+grogn&egrave;rent, si longtemps et si bruyamment, que le parrain du
+candidat,
+au lieu de parler, aurait pu chanter des chansons bachiques sans que
+personne s'en f&ucirc;t dout&eacute;.</p>
+<p>Les amis d'Horatio Fizkin, Esquire, ayant joui de leur
+primaut&eacute;, un
+petit homme, au visage col&eacute;rique et rouge comme un &#339;illet,
+s'avan&ccedil;a afin
+de nommer une autre personne propre et convenable, pour
+repr&eacute;senter au
+parlement les &eacute;lecteurs d'Eatanswill; mais la nature de cet
+individu
+&eacute;tait trop irritable pour lui permettre de cheminer
+tranquillement parmi
+les forces de la multitude. Apr&egrave;s quelques sentences
+d'&eacute;loquence
+figurative, le gentleman col&eacute;rique se mit &agrave; tonner contre
+les
+interrupteurs; puis il &eacute;changea des provocations avec les
+gentlemen
+plac&eacute;s sur les hustings. Alors il se leva de toutes parts un
+tapage qui
+l'obligea d'exprimer ses sentiments par une pantomime s&eacute;rieuse,
+au bout
+de laquelle il c&eacute;da la place &agrave; l'orateur charg&eacute; de
+seconder sa motion.
+Celui-ci, pendant une bonne demi-heure, psalmodia un discours
+&eacute;crit,
+qu'aucun tumulte ne put lui faire interrompre; car il l'avait
+envoy&eacute;
+d'avance &agrave; la <i>Gazette d'Eatanswill</i>, qui devait
+l'imprimer mot pour
+mot.</p>
+<p>Enfin, Fizkin, Esquire de Fizkin-Loge, pr&egrave;s d'Eatanswill, se
+pr&eacute;senta
+pour parler aux &eacute;lecteurs, mais aussit&ocirc;t les bandes de
+musiciens
+employ&eacute;es par l'honorable Samuel Slumkey, commenc&egrave;rent
+&agrave; ex&eacute;cuter une
+fanfare avec une vigueur toute nouvelle. En &eacute;change de cette
+attention,
+la multitude jaune se mit &agrave; caresser la t&ecirc;te et les
+&eacute;paules de la
+multitude bleue; la multitude bleue voulut se d&eacute;barrasser de
+l'incommode
+voisinage de la multitude jaune, et il s'ensuivit une sc&egrave;ne de
+bousculades, de luttes, de combats, que nous d&eacute;sesp&eacute;rons
+de pouvoir
+repr&eacute;senter. Le maire s'effor&ccedil;a vainement d'y mettre fin;
+vainement il
+ordonna d'un ton imp&eacute;ratif &agrave; douze constables de saisir
+les principaux
+meneurs, qui pouvaient &ecirc;tre au nombre de deux cent cinquante; le
+tumulte
+continua. Durant l'&eacute;meute, Horatio Fizkin, Esquire de
+Fiskin-Loge et ses
+amis devinrent de plus en plus furieux; enfin, Horatio Fiskin demanda,
+d'un ton p&eacute;remptoire, &agrave; son adversaire l'honorable Samuel
+Slumkey, de
+Slumkey-Hall, si ces musiciens jouaient par son ordre. L'honorable
+Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, refusant de r&eacute;pondre &agrave;
+cette question,
+Horatio Fizkin, Esquire, de Fizkin Loge, montra le poing &agrave;
+l'honorable
+Samuel Slumkey-Hall: sur quoi, le sang de l'honorable Samuel Slumkey
+s'&eacute;tant &eacute;chauff&eacute;, il provoqua, en combat mortel,
+Horatio Fizkin,
+Esquire. Quand le maire entendit cette violation de toutes les
+r&egrave;gles
+connues et de tous les pr&eacute;c&eacute;dents, il ordonna une
+nouvelle fantaisie sur
+la sonnette, et d&eacute;clara que son devoir l'obligeait &agrave;
+faire compara&icirc;tre
+devant lui, Horatio Fizkin, Esquire, de Fizkin-Loge, et l'honorable
+Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, pour leur faire pr&ecirc;ter serment
+de ne
+point troubler la paix de Sa Majest&eacute;. A cette menace terrible,
+les amis
+des deux candidats s'interpos&egrave;rent, et lorsque les deux partis
+se furent
+querell&eacute;s, deux &agrave; deux, pendant trois quarts d'heure,
+Horatio Fizkin,
+Esquire, mit la main &agrave; son chapeau, en regardant l'honorable
+Samuel
+Slumkey; l'honorable Samuel Slumkey mit la main &agrave; son chapeau en
+regardant Horatio Fizkin, Esquire, les musiciens furent interrompus; la
+multitude s'apaisa en partie, et Horatio Fizkin, Esquire, put continuer
+sa harangue.</p>
+<p>Les discours des deux candidats, quoique diff&eacute;rents sous tous
+les autres
+rapports, s'accordaient pour offrir un tribut touchant au m&eacute;rite
+et &agrave; la
+noblesse d'&acirc;me des &eacute;lecteurs d'Eatanswill. Chacun exprima
+son intime
+conviction, qu'il n'avait jamais exist&eacute;, sur la terre, une
+r&eacute;union
+d'hommes plus ind&eacute;pendants, plus &eacute;clair&eacute;s, plus
+patriotes, plus
+vertueux, plus d&eacute;sint&eacute;ress&eacute;s que ceux qui avaient
+promis de voter pour
+<i>lui</i>: chacun fit entendre obscur&eacute;ment qu'il
+soup&ccedil;onnait les &eacute;lecteurs
+de l'autre parti d'&ecirc;tre influenc&eacute;s par de honteux motifs,
+d'&ecirc;tre adonn&eacute;s
+&agrave; d'ignobles habitudes d'ivrognerie, qui les rendaient tout
+&agrave; fait
+indignes d'exercer les importantes fonctions confi&eacute;es &agrave;
+leur honneur
+pour le bonheur de la patrie. Fizkin exprima son empressement &agrave;
+faire
+tout ce qui lui serait propos&eacute;<a name="FNanchor_20_20"></a><a
+ href="#Footnote_20_20"><sup>20</sup></a>; Slumkey, sa
+d&eacute;termination de ne
+jamais rien accorder de ce qui lui serait demand&eacute;. L'un et
+l'autre
+mirent en fait, que l'agriculture, les manufactures, le commerce, la
+prosp&eacute;rit&eacute; d'Eatanswill, seraient toujours plus chers
+&agrave; leur c&#339;ur que
+tous les autres objets terrestres. Chacun d'eux, enfin, &eacute;tait
+heureux
+de pouvoir d&eacute;clarer que, gr&acirc;ce &agrave; sa confiance dans
+le discernement des
+&eacute;lecteurs, il &eacute;tait s&ucirc;r que c'&eacute;tait lui qui
+serait nomm&eacute;.</p>
+<p>A la suite de ce discours, on proc&eacute;da par main lev&eacute;e;
+le maire d&eacute;cida en
+faveur de l'honorable Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall; Horatio Fizkin,
+Esquire, de Fizkin-Loge, demanda un scrutin: et en cons&eacute;quence
+un
+scrutin fut d&eacute;cr&eacute;t&eacute;. Ensuite on vota des
+remerciements au maire, pour
+son admirable fa&ccedil;on de pr&eacute;sider, et le maire remercia
+l'assembl&eacute;e, en
+souhaitant de tout son c&#339;ur que <i>le fauteuil de la pr&eacute;sidence</i>
+n'e&ucirc;t pas
+&eacute;t&eacute; un vain mot, car il avait &eacute;t&eacute; debout
+pendant toute la dur&eacute;e de
+l'op&eacute;ration. Les processions se reform&egrave;rent; les voitures
+roul&egrave;rent
+lentement &agrave; travers la foule, et celle-ci applaudit ou siffla,
+suivant
+ce que lui dictaient ses affections ou ses caprices.</p>
+<p>Pendant toute la dur&eacute;e du scrutin, la ville enti&egrave;re
+sembla agit&eacute;e d'une
+fi&egrave;vre d'enthousiasme. Tout se passait de la mani&egrave;re la
+plus lib&eacute;rale et
+la plus d&eacute;licieuse. Les spiritueux &eacute;taient
+remarquablement bon march&eacute;,
+chez tous les d&eacute;bitants. Des brancards parcouraient les rues
+pour la
+commodit&eacute; des &eacute;lecteurs qui se trouvaient
+incommod&eacute;s d'&eacute;tourdissements
+passagers; car, durant toute la lutte &eacute;lectorale, cette
+esp&egrave;ce
+d'indisposition &eacute;pid&eacute;mique s'&eacute;tant
+d&eacute;velopp&eacute;e chez les votants avec une
+rapidit&eacute; singuli&egrave;re et tout &agrave; fait alarmante, on
+les voyait souvent
+&eacute;tendus sur le pav&eacute; des rues, dans un &eacute;tat
+d'insensibilit&eacute; compl&egrave;te. Le
+dernier jour il y avait encore un petit nombre d'&eacute;lecteurs qui
+n'avaient
+point vot&eacute;. C'&eacute;taient des individus
+r&eacute;fl&eacute;chis, calculateurs, qui
+n'&eacute;taient pas suffisamment convaincus par les raisons de l'un ou
+l'autre
+parti, quoiqu'ils eussent eu de nombreuses conf&eacute;rences avec tous
+les
+deux. Une heure avant la fermeture du scrutin, M. Perker sollicita
+l'honneur d'avoir une entrevue priv&eacute;e avec ces nobles, ces
+intelligents
+patriotes. Les arguments qu'il employa furent brefs, mais convaincants.
+Les retardataires all&egrave;rent en troupe au scrutin, et quand ils en
+sortirent, l'honorable Samuel Slumkey, de Slumkey-Hall, &eacute;tait
+sorti d&eacute;j&agrave;
+de l'urne &eacute;lectorale.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XIV"></a>
+<h2>CHAPITRE XIV.</h2>
+<h3>Contenant une courte description de la compagnie assembl&eacute;e
+au <i>Paon
+d'argent</i>, et de plus une histoire racont&eacute;e par un
+commis-voyageur.</h3>
+<br/>
+<p>C'est avec un plaisir toujours nouveau, qu'apr&egrave;s avoir
+contempl&eacute; les
+tourments et les combats de la vie politique, on ram&egrave;ne son
+attention
+sur la tranquillit&eacute; de la vie priv&eacute;e. Quoique en
+r&eacute;alit&eacute;, M. Pickwick ne
+tint pas beaucoup &agrave; l'un ou &agrave; l'autre parti, il avait
+&eacute;t&eacute; assez enflamm&eacute;
+par l'enthousiasme de Pott, pour appliquer ses immenses facult&eacute;s
+intellectuelles aux op&eacute;rations que nous venons de raconter,
+d'apr&egrave;s son
+m&eacute;morandum. Pendant qu'il &eacute;tait ainsi occup&eacute;, M.
+Winkle ne restait pas
+oisif, mais il d&eacute;vouait tout son temps &agrave;
+d'agr&eacute;ables promenades, &agrave; de
+petites excursions romantiques avec Mme Pott; car, lorsque l'occasion
+s'en pr&eacute;sentait, cette aimable dame ne manquait jamais de
+chercher
+quelque soulagement &agrave; l'ennuyeuse monotonie dont elle se
+plaignait avec
+tant d'amertume. M. Pickwick et M. Winkle, &eacute;tant ainsi
+compl&eacute;tement
+acclimat&eacute;s dans la maison de l'&eacute;diteur, M. Tupman et M.
+Snodgrass, se
+trouv&egrave;rent en grande partie r&eacute;duits &agrave; leurs
+propres ressources. Prenant
+peu d'int&eacute;r&ecirc;t aux affaires publiques, ils eurent recours,
+pour charmer
+leurs loisirs, aux amusements que pouvait offrir le <i>Paon d'argent</i>.
+Ces
+amusements se composaient d'un jeu de bagatelle, au premier
+&eacute;tage, et
+d'un solitaire jeu de quilles, dans l'arri&egrave;re-cour. Gr&acirc;ce
+au d&eacute;vouement
+de Sam, nos voyageurs furent graduellement initi&eacute;s dans les
+myst&egrave;res de
+ces passe-temps, beaucoup plus abstraits que ne le supposent les hommes
+ordinaires. C'est ainsi qu'ils parvinrent &agrave; charmer la lenteur
+des
+heures paresseuses, quoiqu'ils fussent en grande partie
+desh&eacute;rit&eacute;s de la
+soci&eacute;t&eacute; de M. Pickwick.</p>
+<p>C'&eacute;tait principalement le soir que le <i>Paon d'argent</i>
+offrait, aux deux
+amis, des attractions qui leur permettaient de r&eacute;sister aux
+invitations
+pressantes de l'&eacute;loquent, quoique verbeux, journaliste.
+C'&eacute;tait le soir
+que le caf&eacute; de l'h&ocirc;tel se remplissait d'un cercle
+d'originaux, dont les
+caract&egrave;res et les mani&egrave;res pr&eacute;sentaient &agrave;
+M. Tupman des observations
+d&eacute;licieuses et dont les discours et les actions &eacute;taient
+habituellement
+not&eacute;s par M. Snodgrass.</p>
+<p>On sait ce que sont ordinairement les caf&eacute;s o&ugrave; se
+rassemblent messieurs
+les commis voyageurs. Celui du <i>Paon d'argent</i> ne sortait point
+de la
+r&egrave;gle commune. C'&eacute;tait une vaste pi&egrave;ce toute nue,
+dont le maigre
+ameublement avait, sans aucun doute, &eacute;t&eacute; meilleur
+lorsqu'il &eacute;tait plus
+neuf. Une curieuse collection de chaises, aux formes grotesques et
+vari&eacute;es, &eacute;tait distribu&eacute;e autour d'une grande
+table plac&eacute;e au centre de
+la salle, et d'une infinit&eacute; de petites tables rondes,
+carr&eacute;es ou
+triangulaires, qui en occupaient tous les coins. Un vieux tapis de
+Turquie faisait, sur le plancher, l'effet d'un petit mouchoir de femme
+sur le plancher d'une gu&eacute;rite. Les murs &eacute;taient garnis de
+deux ou trois
+grandes cartes g&eacute;ographiques, et de plusieurs grosses
+houppelandes, qui
+pendaient &agrave; une rang&eacute;e de champignons. On voyait, sur la
+chemin&eacute;e, un
+livre de poste; une histoire du Comt&eacute;, moins la couverture; les
+restes
+mortels d'une truite, contenus dans un cercueil de verre; un encrier de
+bois, contenant un tron&ccedil;on de plume, avec la moiti&eacute; d'un
+pain &agrave;
+cacheter. Le buffet s'honorait de porter une quantit&eacute; d'objets
+divers,
+parmi lesquels se faisaient remarquer principalement, une burette fort
+nuageuse; deux ou trois fouets; autant de ch&acirc;les de voyage; un
+assortiment de couteaux et de fourchettes, et surtout la moutarde.
+Enfin, l'atmosph&egrave;re, &eacute;paissie par la fum&eacute;e de
+tabac, avait communiqu&eacute;
+une teinte de bistre &agrave; tous les objets, et principalement
+&agrave; des rideaux
+rouges et poussi&eacute;reux, qui pendaient tristement aux
+crois&eacute;es.</p>
+<p>C'est l&agrave; que MM. Tupman et Snodgrass buvaient et fumaient,
+dans la
+soir&eacute;e qui suivit l'&eacute;lection, avec plusieurs autres
+habitants
+temporaires de l'h&ocirc;tel.</p>
+<p>&laquo;Allons! messieurs, dit <i>ex abrupto</i>, un grand et
+vigoureux personnage,
+qui ne poss&eacute;dait qu'un seul &#339;il, mais un petit &#339;il noir
+&eacute;tincelant,
+comme quatre, de malice et de bonne humeur. Allons! messieurs, &agrave;
+nos
+nobles sant&eacute;s! Je propose toujours ce toast-l&agrave; &agrave;
+la compagnie, mais dans
+mon for int&eacute;rieur je bois &agrave; la sant&eacute; de Mary. Pas
+vrai, Mary?...</p>
+<p>&#8212;Laissez-moi, monstre! r&eacute;pondit la servante, qui, toutefois,
+&eacute;tait
+&eacute;videmment flatt&eacute;e du compliment.</p>
+<p>&#8212;Ne vous en allez pas, Mary, reprit l'homme &agrave; l'&#339;il noir.</p>
+<p>&#8212;Laissez-moi tranquille, impertinent!</p>
+<p>&#8212;Ne pleurez pas d'&ecirc;tre oblig&eacute;e de me quitter, Mary,
+poursuivit le
+personnage &agrave; l'&#339;il unique, tandis que la jeune fille quittait la
+chambre; j'irai vous retrouver tout &agrave; l'heure, ne vous chagrinez
+pas, ma
+ch&egrave;re! En disant ces mots il cligna son &#339;il solitaire du
+c&ocirc;t&eacute; de la
+compagnie, &agrave; la grande satisfaction d'un personnage assez
+fig&eacute;, qui
+avait une pipe de terre et un visage &eacute;galement <i>culott&eacute;s</i>.</p>
+<p>&#8212;Les femmes, c'est des dr&ocirc;les de cr&eacute;atures, dit l'homme
+au visage
+culott&eacute;, apr&egrave;s une pause.</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est fameusement vrai!&raquo; s'&eacute;cria, derri&egrave;re
+son cigare, un second
+monsieur au visage couperos&eacute;.</p>
+<p>Apr&egrave;s ce petit bout de philosophie, il y eut une autre pause.</p>
+<p>&laquo;Malgr&eacute; cela, voyez-vous, il y a dans ce monde des
+choses plus dr&ocirc;les
+que les femmes, reprit l'homme &agrave; l'&#339;il noir, en remplissant
+gravement
+une pipe hollandaise d'une &eacute;norme dimension.</p>
+<p>&#8212;&Ecirc;tes-vous mari&eacute;? demanda le visage culott&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Pas que je sache.</p>
+<p>&#8212;Je m'en avais dout&eacute;.&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi, l'homme au visage culott&eacute; tomba dans une
+extase de
+joie, occasionn&eacute;e par sa propre r&eacute;partie; ce en quoi il
+fut imit&eacute; par un
+individu &agrave; la voix douce, au visage pacifique, qui avait pour
+principe
+d'&ecirc;tre toujours d'accord avec tout le monde.</p>
+<p>&laquo;Apr&egrave;s tout, gentlemen, dit l'enthousiaste M.
+Snodgrass, les femmes sont
+le charme et la consolation de notre existence.</p>
+<p>&#8212;Cela est vrai, r&eacute;pliqua le personnage &agrave; l'air
+doucereux.</p>
+<p>&#8212;Quand elles sont de bonne humeur, ajouta le visage culott&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Oh! cela est tr&egrave;s-vrai, dit le gentleman pacifique.</p>
+<p>&#8212;Je repousse cette restriction! reprit M. Snodgrass dont la
+pens&eacute;e
+retournait rapidement vers &Eacute;mily Wardle. Je la repousse avec
+d&eacute;dain.
+Montrez-moi l'homme qui prof&egrave;re quelque chose contre les femmes,
+en tant
+que femmes, et je d&eacute;clare hardiment qu'il n'est pas un homme. En
+pronon&ccedil;ant ces mots, M. Snodgrass &ocirc;ta son cigare de sa
+bouche, et frappa
+violemment sur la table avec son poing ferm&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; un bon argument, dit l'homme pacifique.</p>
+<p>&#8212;Contenant une assertion que je nie, interrompit le visage
+culott&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Et il y a certainement aussi beaucoup de v&eacute;rit&eacute; dans
+ce que vous
+observez, monsieur, r&eacute;pliqua le pacifique.</p>
+<p>&#8212;Votre sant&eacute;, monsieur, reprit le commis voyageur, &agrave;
+l'&#339;il unique, en
+le dirigeant amicalement vers M. Snodgrass.</p>
+<p>Le pickwickien r&eacute;pondit &agrave; cette politesse comme il
+convenait.</p>
+<p>&laquo;J'aime toujours &agrave; entendre un bon argument, continua
+le commis
+voyageur; un argument frappant comme celui-ci. C'est fort instructif.
+Mais cette petite discussion sur les femmes m'a fait souvenir d'une
+histoire que j'ai entendu raconter &agrave; mon oncle. C'est ce qui m'a
+fait
+dire tout &agrave; l'heure qu'il y a des choses plus dr&ocirc;les que
+les femmes.</p>
+<p>&#8212;Je voudrais bien entendre cette histoire-l&agrave;, dit l'homme au
+cigare et
+au visage rouge.</p>
+<p>&#8212;Votre parole d'honneur? r&eacute;pliqua laconiquement le commis
+voyageur; et
+il continua &agrave; fumer avec grande v&eacute;h&eacute;mence.</p>
+<p>&#8212;Et moi aussi, ajouta M. Tupman, qui parlait pour la premi&egrave;re
+fois, et
+qui &eacute;tait toujours d&eacute;sireux d'augmenter son bagage
+d'exp&eacute;rience.</p>
+<p>&#8212;Et vous aussi? Eh bien! je vais vous la raconter. Pourtant ce n'est
+pas trop la peine; je suis s&ucirc;r que vous ne la croirez pas.&raquo;</p>
+<p>Et pendant que le commis voyageur parlait ainsi, son &#339;il solitaire
+clignait d'une fa&ccedil;on singuli&egrave;rement malicieuse.</p>
+<p>&laquo;Si vous m'assurez que l'histoire est vraie, je la croirai
+certainement,
+dit M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Moyennant cette condition, je vais vous la raconter. Avez-vous
+entendu
+parler de la maison Bilson et Slum? Au reste, que vous en ayez entendu
+parler ou non, cela ne fait pas grand'chose, puisqu'ils sont
+retir&eacute;s du
+commerce depuis longtemps. Il y a quatre-vingts ans que l'histoire en
+question arriva &agrave; un commis voyageur de cette maison; il
+&eacute;tait ami
+intime avec mon oncle, et mon oncle m'a racont&eacute; l'histoire
+&agrave; peu pr&egrave;s
+comme vous allez l'entendre. Il l'appelait<br/>
+<br/>
+</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">L'HISTOIRE DE TOM
+SMART, LE COMMIS VOYAGEUR.</p>
+<p>Par une soir&eacute;e d'hiver, au moment o&ugrave;
+l'obscurit&eacute; commen&ccedil;ait &agrave; tomber, on
+aurait pu voir sur la route qui traverse le plateau de Marlborough, une
+carriole, et dans cette carriole un homme qui pressait son cheval
+fatigu&eacute;. Je dis <i>qu'on aurait pu voir</i>, et je n'ai pas le
+moindre doute
+qu'on aurait vu, s'il &eacute;tait pass&eacute; par l&agrave; quelque
+personne qui n'e&ucirc;t pas
+&eacute;t&eacute; aveugle. Mais la saison &eacute;tait si froide et la
+nuit si pluvieuse,
+qu'except&eacute; l'eau qui tombait il n'y avait pas un chat dehors. Si
+un
+commis voyageur de cette &eacute;poque avait rencontr&eacute; ce
+casse-cou de petite
+carriole, avec sa caisse grise, ses roues &eacute;carlates, et sa
+jument baie &agrave;
+l'allure allong&eacute;e, un caract&egrave;re capricieux, qui avait
+l'air de descendre
+d'un cheval de boucher et d'une rosse de la petite poste, il aurait
+conclu du premier coup, que le conducteur de la carriole &eacute;tait
+n&eacute;cessairement Tom Smart, de la grande maison Bilson et Slum, de
+Cateaton-Street, dans la Cit&eacute;; mais comme il ne se trouvait
+l&agrave; aucun
+commis voyageur, personne ne se doutait de l'affaire, et Tom Smart, sa
+carriole grise, ses roues &eacute;carlates et sa jument capricieuse,
+gardaient
+mutuellement leur secret, en cheminant de compagnie.</p>
+<p>M&ecirc;me dans ce triste monde, il y a bien des endroits plus
+agr&eacute;ables que
+la plaine de Marlborough, quand le vent souffle violemment. Si vous y
+joignez une sombre soir&eacute;e d'hiver, une route
+d&eacute;fonc&eacute;e et fangeuse, une
+pluie froide et battante, et que vous en fassiez l'exp&eacute;rience
+sur votre
+propre individu, vous comprendrez toute la force de cette observation.</p>
+<p>Le vent ne soufflait pas en face, ni par derri&egrave;re, quoique ce
+soit assez
+mauvais, mais il venait en travers de la route, poussait la pluie
+obliquement, comme les lignes qu'on tra&ccedil;ait dans nos cahiers
+d'&eacute;criture
+pour nous apprendre &agrave; bien pencher nos lettres: il s'apaisait
+par
+instants, et le voyageur commen&ccedil;ait &agrave; se flatter
+qu'&eacute;puis&eacute; par sa furie,
+il s'&eacute;tait enfin endormi. Mais pfffouh! il recommen&ccedil;ait
+&agrave; hurler et &agrave;
+siffler au loin; il arrivait en roulant par-dessus les collines; il
+balayait la plaine, et s'approchant avec une violence toujours
+croissante, il tourbillonnait autour de l'homme et du cheval; il
+fouettait dans leurs yeux, dans leurs oreilles, des bouff&eacute;es
+d'une pluie
+froide et piquante; il soufflait son haleine humide et glac&eacute;e
+jusque
+dans la moelle de leurs os; puis, quand il les avait
+d&eacute;pass&eacute;s il
+temp&ecirc;tait au loin avec des mugissements &eacute;tourdissants,
+comme s'il avait
+voulu se moquer de leur faiblesse, et se glorifier de sa puissance.</p>
+<p>La jument baie pataugeait dans la boue, les oreilles pendantes, et
+de
+temps en temps secouait la t&ecirc;te, comme pour exprimer le
+d&eacute;go&ucirc;t que lui
+inspirait la conduite inconvenante des &eacute;l&eacute;ments.
+Cependant elle allait
+toujours d'un bon pas, quand tout &agrave; coup, entendant venir un
+tourbillon,
+plus furieux que tous les autres, elle s'arr&ecirc;ta court,
+&eacute;carta ses quatre
+pieds, et les planta solidement sur la terre. Ce fut par une
+gr&acirc;ce
+sp&eacute;ciale de la Providence qu'elle agit ainsi, car la carriole
+&eacute;tait si
+l&eacute;g&egrave;re, Tom-Smart si mince, et la jument capricieuse si
+efflanqu&eacute;e,
+qu'une fois enlev&eacute;e par l'ouragan, tous les trois auraient
+infailliblement roul&eacute;, l'un par-dessus l'autre, jusqu'&agrave;
+ce qu'ils
+eussent atteint les bornes de la terre, o&ugrave; jusqu'&agrave; ce que
+le vent se f&ucirc;t
+apais&eacute;. Or, dans l'une comme dans l'autre hypoth&egrave;se, il
+est probable que
+ni la jument capricieuse, ni Tom Smart, ni la carriole grise aux roues
+&eacute;carlates, n'auraient jamais pu &ecirc;tre remis en &eacute;tat
+de service.</p>
+<p>&laquo;Par mes sous-pieds et mes favoris! s'&eacute;cria Tom Smart
+(Il avait parfois
+la mauvaise habitude de jurer); par mes sous-pieds et mes favoris!
+s'&eacute;cria Tom, voil&agrave; un temps gracieux, que le diable
+m'&eacute;vente!&raquo;</p>
+<p>On me demandera probablement pourquoi Tom Smart exprimait le v&#339;u
+d'&ecirc;tre
+&eacute;vent&eacute; sur nouveaux frais, lorsqu'il &eacute;tait soumis
+&agrave; ce genre de
+traitement depuis si longtemps. Je n'en sais rien: seulement je sais
+que
+Tom Smart parla de la sorte, ou du moins raconta &agrave; mon oncle,
+qu'il
+avait ainsi parl&eacute;; ce qui revient au m&ecirc;me.</p>
+<p>&laquo;Que le diable m'&eacute;vente!&raquo; dit Tom Smart; et la
+jument renifla comme si
+elle avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;cis&eacute;ment du m&ecirc;me
+avis.</p>
+<p>&laquo;Allons! ma vieille fille, reprit Tom, en lui caressant le cou
+avec le
+bout de son fouet; il n'y a pas moyen d'avancer cette nuit. Nous
+resterons &agrave; la premi&egrave;re auberge. Ainsi plus tu iras vite,
+plus vite &ccedil;a
+sera fini. Oh! oh! bellement! bellement!&raquo;</p>
+<p>La jument capricieuse &eacute;tait-elle assez habitu&eacute;e
+&agrave; la voix de son ma&icirc;tre
+pour comprendre sa pens&eacute;e, ou trouvait-elle qu'il faisait plus
+froid &agrave;
+rester en place qu'&agrave; marcher, c'est ce que je ne saurais dire;
+mais ce
+qu'il y a de s&ucirc;r, c'est que Tom avait &agrave; peine cess&eacute;
+de parler, qu'elle
+releva ses oreilles et recommen&ccedil;a &agrave; trotter. Elle allait
+grand train et
+secouait si bien la carriole grise, que Tom s'attendait &agrave; chaque
+instant
+&agrave; voir les rayons rouges de ses roues voler &agrave; droite et
+&agrave; gauche, et
+s'enfoncer dans le sol humide. Tout bon conducteur qu'il &eacute;tait,
+Tom ne
+put ralentir sa course jusqu'au moment o&ugrave; la courageuse
+b&ecirc;te s'arr&ecirc;ta
+d'elle-m&ecirc;me devant une auberge, &agrave; main droite de la route,
+&agrave; environ
+deux milles des collines de Marlborough.</p>
+<p>Le voyageur d&eacute;posa son fouet, et jeta les r&ecirc;nes au
+valet d'&eacute;curie, tout
+en examinant la maison. C'&eacute;tait un dr&ocirc;le de vieux
+b&acirc;timent, construit
+avec une sorte de cailloutage et des poutres entre-crois&eacute;es. Les
+fen&ecirc;tres, surmont&eacute;es d'un petit toit pointu,
+s'avan&ccedil;aient sur la route;
+la porte &eacute;tait basse, et pour entrer dans la maison, il fallait
+descendre deux marches assez raides, sous un porche obscur, au lieu de
+monter au perron ext&eacute;rieur, comme c'est l'usage moderne.
+Cependant
+l'auberge avait l'air confortable; il s'&eacute;chappait de la
+fen&ecirc;tre de la
+salle commune une lumi&egrave;re r&eacute;jouissante, qui rayonnait sur
+la route et
+jusque sur la haie oppos&eacute;e. Une seconde clart&eacute;,
+tant&ocirc;t vacillante et
+faible, tant&ocirc;t vive et ardente, per&ccedil;ait &agrave; travers
+les rideaux ferm&eacute;s
+d'une crois&eacute;e de la m&ecirc;me salle, indice flatteur de
+l'excellent feu qui
+flambait dans l'int&eacute;rieur. Remarquant ces petits sympt&ocirc;mes
+avec l'&#339;il
+d'un voyageur exp&eacute;riment&eacute;, Tom descendit aussi agilement
+que le lui
+permirent ses membres &agrave; moiti&eacute; gel&eacute;s, et
+s'empressa d'entrer dans la
+maison.</p>
+<p>En moins de cinq minutes, il &eacute;tait &eacute;tabli dans la
+salle (c'&eacute;tait bien
+celle qu'il avait r&ecirc;v&eacute;e), en face du comptoir, et non loin
+d'un feu
+substantiel, compos&eacute; d'&agrave; peu pr&egrave;s un boisseau de
+charbon de terre et
+d'assez de broussailles pour former une douzaine de buissons fort
+d&eacute;cents. Ces combustibles &eacute;taient empil&eacute;s
+jusqu'&agrave; la moiti&eacute; de la
+chemin&eacute;e, et ronflaient, en p&eacute;tillant, avec un bruit qui
+aurait suffi
+pour r&eacute;chauffer le c&#339;ur de tout homme raisonnable. Cela
+&eacute;tait
+confortable, mais ce n'&eacute;tait pas tout; car une piquante jeune
+fille, &agrave;
+l'&#339;il brillant, au pied fin, &agrave; la mise coquette, mettait sur la
+table
+une nappe parfaitement blanche. De plus, Tom, ses pieds dans ses
+pantoufles et ses pantoufles sur le garde-feu, le dos tourn&eacute;
+&agrave; la porte
+ouverte, voyait, par r&eacute;flexion dans la glace de la
+chemin&eacute;e, la
+charmante perspective du comptoir, avec ses d&eacute;licieuses
+rang&eacute;es de
+fromages, de jambons bouillis, de b&#339;uf fum&eacute;, de bouteilles
+portant des
+inscriptions d'or, de pots de marinades et de conserves; le tout
+dispos&eacute;
+sur des tablettes d'une mani&egrave;re s&eacute;duisante. Eh bien! cela
+&eacute;tait
+confortable; mais cela n'&eacute;tait pas encore tout, car dans le
+comptoir une
+veuve app&eacute;tissante &eacute;tait assise pour prendre le
+th&eacute;, &agrave; la plus jolie
+petite table possible, pr&egrave;s du plus brillant petit feu
+imaginable, et
+cette veuve, qui avait &agrave; peine quarante-huit ans et dont le
+visage &eacute;tait
+aussi confortable que le comptoir, &eacute;tait &eacute;videmment la
+dame et ma&icirc;tresse
+de l'auberge, l'autocrate supr&ecirc;me de toutes ces agr&eacute;ables
+possessions.
+Malheureusement il y avait une vilaine ombre &agrave; ce charmant
+tableau:
+c'&eacute;tait un grand homme, un homme tr&egrave;s-grand, en habit
+brun &agrave; &eacute;normes
+boutons de m&eacute;tal, avec des moustaches noires et des cheveux
+noirs
+boucl&eacute;s. Il prenait le th&eacute; &agrave; c&ocirc;t&eacute; de
+la veuve, et, comme on pouvait le
+deviner sans grande p&eacute;n&eacute;tration, il &eacute;tait en beau
+chemin de prendre la
+veuve elle-m&ecirc;me, en lui persuadant de confier &agrave; Sa
+Grandeur le
+privil&egrave;ge de s'asseoir dans ce comptoir, &agrave;
+perp&eacute;tuit&eacute;.</p>
+<p>Le caract&egrave;re de Tom Smart n'&eacute;tait nullement irritable
+ni envieux, et
+pourtant, d'une mani&egrave;re ou d'une autre, le grand homme &agrave;
+l'habit brun
+fit fermenter le peu d'humeur qui entrait dans sa composition. Ce qui
+le
+vexait surtout, c'&eacute;tait d'observer de temps en temps dans la
+glace
+certaines petites familiarit&eacute;s innocentes, mais affectueuses,
+qui
+s'&eacute;changeaient entre la veuve et le grand homme, et qui le
+posaient
+&eacute;videmment comme le favori de la dame. Tom aimait le grog
+chaud&#8212;je puis
+m&ecirc;me dire qu'il l'aimait beaucoup;&#8212;aussi, apr&egrave;s
+s'&ecirc;tre assur&eacute; que sa
+jument avait de bonne avoine et de bonne liti&egrave;re, apr&egrave;s
+avoir savour&eacute;,
+sans en laisser une bouch&eacute;e, l'excellent petit d&icirc;ner que
+la veuve avait
+appr&ecirc;t&eacute; pour lui de ses propres mains, Tom demanda un
+verre de grog, par
+mani&egrave;re d'essai. Or, s'il y avait une chose que la veuve sut
+fabriquer
+mieux qu'une autre, parmi toutes les branches de l'art culinaire,
+c'&eacute;tait pr&eacute;cis&eacute;ment cet article-l&agrave;. Le
+premier verre se trouva donc
+adapt&eacute; si heureusement au go&ucirc;t de Tom, qu'il ne tarda pas
+&agrave; en ordonner
+un second. Le punch chaud est une chose fort agr&eacute;able,
+gentlemen, une
+chose fort agr&eacute;able dans toutes les circonstances; mais dans ce
+vieux
+parloir si propre, devant ce feu si p&eacute;tillant, au bruit du vent
+qui
+rugissait en dehors &agrave; faire craquer tous les ais de la vieille
+maison,
+Tom trouva son punch absolument d&eacute;licieux. Il en demanda un
+troisi&egrave;me
+verre, puis un quatri&egrave;me, puis un cinqui&egrave;me; je ne sais
+pas trop s'il
+n'en ordonna pas encore un autre apr&egrave;s celui-l&agrave;. Quoi
+qu'il en soit,
+plus il buvait de punch, plus il s'irritait contre le grand homme.</p>
+<p>&laquo;Le diable confonde son impudence! pensa Tom Smart en
+lui-m&ecirc;me;
+qu'a-t-il &agrave; faire dans ce charmant comptoir, ce vilain museau?
+Si la
+veuve avait un peu de go&ucirc;t, elle pourrait assur&eacute;ment
+ramasser un
+gaillard mieux tourn&eacute; que cela.&raquo; Ici les yeux de Tom
+quitt&egrave;rent la glace
+et tomb&egrave;rent sur son verre de punch. Il le vida, car il devenait
+sentimental, et il en ordonna encore un.</p>
+<p>Tom Smart, gentlemen, avait toujours ressenti le noble d&eacute;sir
+de servir
+le public. Il avait longtemps ambitionn&eacute; d'&ecirc;tre
+&eacute;tabli dans un comptoir
+qui lui appart&icirc;nt, avec une grande redingote verte, en culottes
+de
+velours &agrave; c&ocirc;tes et des bottes &agrave; revers. Il se
+faisait une haute id&eacute;e de
+pr&eacute;sider &agrave; des repas de corps; il s'imaginait qu'il
+parlerait joliment
+dans une salle &agrave; manger qui serait &agrave; lui, et qu'il
+donnerait de fameux
+exemples &agrave; ses pratiques, en buvant avec
+intr&eacute;pidit&eacute;. Toutes ces choses
+pass&egrave;rent rapidement dans l'esprit de Tom, pendant qu'il
+sirotait son
+punch, aupr&egrave;s du feu jovial, et il se sentit justement
+indign&eacute; contre le
+grand homme, qui paraissait sur le point d'acqu&eacute;rir cette
+excellente
+maison, tandis que lui, Tom Smart, en &eacute;tait aussi
+&eacute;loign&eacute; que jamais. En
+cons&eacute;quence, apr&egrave;s s'&ecirc;tre demand&eacute;, pendant
+ses deux derniers verres,
+s'il n'avait pas le droit de chercher querelle au grand homme pour
+s'&ecirc;tre insinu&eacute; dans les bonnes gr&acirc;ces de
+l'app&eacute;tissante veuve, Tom Smart
+arriva finalement &agrave; cette conclusion peu satisfaisante, qu'il
+&eacute;tait un
+pauvre homme fort maltrait&eacute;, fort pers&eacute;cut&eacute;, et
+qu'il ferait mieux de
+s'aller jeter sur son lit.</p>
+<p>La jolie fille pr&eacute;c&eacute;da Tom dans un large et vieil
+escalier: elle
+abritait sa chandelle avec sa main, pour la prot&eacute;ger contre les
+courants
+d'air qui, dans un vieux b&acirc;timent aussi peu r&eacute;gulier que
+celui-l&agrave;,
+auraient certainement pu trouver mille recoins pour prendre leurs
+&eacute;bats,
+sans venir pr&eacute;cis&eacute;ment souffler la lumi&egrave;re. Ils la
+souffl&egrave;rent
+cependant, et donn&egrave;rent ainsi aux ennemis de Tom une occasion
+d'assurer
+que c'&eacute;tait <i>lui</i>, et non pas le vent, qui avait
+&eacute;teint la chandelle, et
+que, tandis qu'il pr&eacute;tendait souffler dessus pour la rallumer,
+il
+embrassait effectivement la servante. Quoi qu'il en soit, la chandelle
+fut rallum&eacute;e, et Tom fut conduit, &agrave; travers un labyrinthe
+de corridors,
+dans l'appartement qui avait &eacute;t&eacute; pr&eacute;par&eacute;
+pour sa r&eacute;ception. La jeune
+fille lui souhaita une bonne nuit, et le laissa seul.</p>
+<p>Il se trouvait dans une grande chambre, accompagn&eacute;e de
+placards &eacute;normes;
+le lit aurait pu servir pour un bataillon tout entier; les deux
+armoires, en ch&ecirc;ne bruni par le temps, auraient contenu le bagage
+d'une
+petite arm&eacute;e: mais ce qui frappa le plus l'attention de Tom, ce
+fut un
+&eacute;trange fauteuil, au dos &eacute;lev&eacute;, &agrave; l'air
+refrogn&eacute;, sculpt&eacute; de la mani&egrave;re
+la plus bizarre, couvert d'un damas &agrave; grands ramages, et dont
+les pieds
+&eacute;taient soigneusement envelopp&eacute;s dans de petits sacs
+rouges, comme s'ils
+avaient eu la goutte dans les talons. De tout autre fauteuil singulier,
+Tom aurait pens&eacute; simplement que c'&eacute;tait un singulier
+fauteuil; mais il y
+avait dans ce fauteuil-l&agrave; quelque chose,&#8212;il lui aurait
+&eacute;t&eacute; impossible
+de dire quoi,&#8212;quelque chose qu'il n'avait jamais remarqu&eacute; dans
+aucune
+autre pi&egrave;ce d'ameublement, quelque chose qui semblait le
+fasciner. Il
+s'assit aupr&egrave;s du feu et il regarda de tous ses yeux le vieux
+fauteuil,
+pendant plus d'une demi-heure. Damnation sur ce fauteuil!
+C'&eacute;tait une
+vieillerie si &eacute;trange, qu'il n'en pouvait pas d&eacute;tacher
+ses regards.</p>
+<p>&laquo;Sur ma foi! dit Tom en se d&eacute;shabillant lentement et en
+consid&eacute;rant
+toujours le vieux fauteuil, qui se tenait d'un air myst&eacute;rieux
+aupr&egrave;s du
+lit, je n'ai jamais vu rien de si dr&ocirc;le de ma vie ni de mes
+jours;
+farcement dr&ocirc;le! dit Tom, qui, gr&acirc;ce au punch, &eacute;tait
+devenu
+singuli&egrave;rement penseur. Farcement dr&ocirc;le!&raquo; Il secoua
+la t&ecirc;te avec un air
+de profonde sagesse et regarda le fauteuil sur nouveaux frais; mais il
+eut beau regarder, il n'y pouvait rien comprendre. Ainsi, il se fourra
+dans son lit, se couvrit chaudement, et s'endormit.</p>
+<p>Au bout d'une demi-heure, Tom s'&eacute;veilla en sursaut au milieu
+d'un r&ecirc;ve
+confus de grands hommes et de verres de punch. Le premier objet qui
+s'offrit &agrave; son imagination engourdie, ce fut l'&eacute;trange
+fauteuil.</p>
+<p>&laquo;Je ne veux plus le regarder,&raquo; se dit Tom &agrave;
+lui-m&ecirc;me, en fermant
+solidement ses paupi&egrave;res; et il t&acirc;cha de se persuader
+qu'il allait se
+rendormir. Impossible! une quantit&eacute; de fauteuils bizarres
+dansaient
+devant ses yeux, battaient des entrechats avec leurs pieds, jouaient
+&agrave;
+saute-mouton et faisaient toutes sortes de bamboches.</p>
+<p>&laquo;Autant voir un fauteuil r&eacute;el que deux ou trois
+douzaines de fauteuils
+imaginaires,&raquo; pensa Tom, en sortant sa t&ecirc;te de dessous la
+couverture.</p>
+<p>L'objet de son &eacute;tonnement &eacute;tait toujours l&agrave;,
+fantastiquement &eacute;clair&eacute; par
+la lumi&egrave;re vacillante du feu.</p>
+<p>Tom le contemplait fixement, lorsque soudain il le vit changer de
+figure. Les sculptures du dossier prirent graduellement les traits et
+l'expression d'une face humaine, vieillotte et rid&eacute;e; le damas
+&agrave; ramages
+devint un antique gilet flamboyant; les pieds s'allong&egrave;rent,
+enfonc&eacute;s
+dans des pantoufles rouges; et le fauteuil, enfin, offrit l'apparence
+d'un tr&egrave;s-vieux et tr&egrave;s-vilain bourgeois du si&egrave;cle
+pr&eacute;c&eacute;dent, qui se
+serait camp&eacute; l&agrave;, les poings sur les hanches. Tom s'assit
+sur son lit et
+se frotta les yeux, pour chasser cette illusion. Mais non! le fauteuil
+&eacute;tait bien r&eacute;ellement un vieux gentleman; et qui plus
+est, il commen&ccedil;a &agrave;
+cligner de l'&#339;il en regardant Tom Smart.</p>
+<p>Tom &eacute;tait naturellement un gaillard audacieux, et par-dessus
+le march&eacute;
+il avait dans l'estomac cinq verres de punch. Quoiqu'il e&ucirc;t
+&eacute;t&eacute; d'abord
+un peu d&eacute;moralis&eacute;, il sentit que sa bile
+s'&eacute;chauffait en voyant
+l'antique gentleman le lorgner ainsi d'un air impudent. A la fin, il
+r&eacute;solut de ne pas le souffrir et comme la vieille face
+continuait &agrave;
+cligner de l'&#339;il aussi vite qu'un &#339;il peut cligner, Tom lui dit d'un
+ton
+courrouc&eacute;:</p>
+<p>&laquo;Pourquoi diantre me faites-vous toutes ces grimaces-l&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Parce que cela me pla&icirc;t, Tom Smart,&raquo; r&eacute;pondit le
+fauteuil, ou le vieux
+gentleman, comme vous voudrez l'appeler. Cependant il cessa de cligner
+de l'&#339;il, mais il se mit &agrave; ricaner en montrant ses dents, comme
+un vieux
+singe d&eacute;cr&eacute;pit.</p>
+<p>&laquo;Comment savez-vous mon nom, vieille face de casse-noisettes?
+demanda
+Tom un peu &eacute;branl&eacute;, quoiqu'il voul&ucirc;t avoir l'air de
+faire bonne
+contenance.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! Tom, ce n'est pas comme cela qu'on doit parler
+&agrave; de
+l'acajou massif. Dieu me damne! on ne traiterait pas ainsi le plus
+mince
+plaqu&eacute;.&raquo; En disant ces mots, le vieux gentleman avait
+l'air si f&eacute;roce,
+que Tom commen&ccedil;a &agrave; s'effrayer.</p>
+<p>&laquo;Je n'avais pas l'intention de vous manquer de respect,
+monsieur,
+r&eacute;pondit-il d'un ton beaucoup plus humble.</p>
+<p>&#8212;Bien! bien! reprit le bonhomme; je le crois, je le crois. Tom?</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Je sais toute votre histoire, Tom; toute votre histoire. Vous
+n'&ecirc;tes
+pas riche, Tom.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai; mais comment savez-vous...?</p>
+<p>&#8212;Cela n'y fait rien. &Eacute;coutez-moi, Tom: Vous aimez trop le
+punch.&raquo;</p>
+<p>Tom &eacute;tait sur le point de protester qu'il n'en avait pas
+t&acirc;t&eacute; une goutte
+depuis le dernier anniversaire de sa f&ecirc;te, lorsque ses yeux
+rencontr&egrave;rent ceux du fauteuil. Il avait l'air si malin, que Tom
+rougit,
+et garda le silence.</p>
+<p>&laquo;Tom! la veuve est une belle femme: une femme bien
+app&eacute;tissante! eh!
+Tom?&raquo; En parlant ainsi, le vieil amateur tourna la prunelle, fit
+claquer
+ses l&egrave;vres, et releva une de ses petites jambes gr&ecirc;les
+d'un air si rou&eacute;,
+que Tom prit en d&eacute;go&ucirc;t la l&eacute;g&egrave;ret&eacute; de
+ses mani&egrave;res, &agrave; son &acirc;ge surtout.</p>
+<p>&laquo;Tom! reprit le vieux gentleman, je suis son tuteur.</p>
+<p>&#8212;Vraiment?</p>
+<p>&#8212;J'ai connu sa m&egrave;re, Tom, et sa grand'm&egrave;re aussi. Elle
+&eacute;tait folle de
+moi. C'est elle qui m'a fait ce gilet-l&agrave;, Tom.</p>
+<p>&#8212;Oui-da!</p>
+<p>&#8212;Et ces pantoufles-l&agrave;, continua le vieux camarade en levant
+un de ses
+&eacute;chalas. Mais n'en parlez pas, Tom; je ne voudrais pas qu'on
+s&ucirc;t
+combien elle m'&eacute;tait attach&eacute;e; cela pourrait occasionner
+quelques
+d&eacute;sagr&eacute;ments dans sa famille.&raquo; En disant ces mots,
+le vieux d&eacute;bauch&eacute;
+avait l'air si impertinent, que Tom a d&eacute;clar&eacute; depuis
+qu'il aurait pu
+s'asseoir dessus sans le moindre remords.</p>
+<p>&laquo;J'&eacute;tais la coqueluche des femmes dans mon temps. J'ai
+tenu bien des
+jolies femmes sur mes genoux pendant des heures enti&egrave;res! Eh!
+Tom, qu'en
+dites-vous?&raquo; Le vieux farceur allait poursuivre et raconter sans
+doute
+quelque exploit de sa jeunesse, lorsqu'il lui prit un si violent
+acc&egrave;s
+de craquements qu'il lui fut impossible de continuer.</p>
+<p>&laquo;C'est bien fait, vieux libertin! pensa Tom. Mais il ne dit
+rien.</p>
+<p>&#8212;Ah! reprit son &eacute;trange interlocuteur, cette maladie
+m'incommode
+beaucoup maintenant. Je deviens vieux, Tom, et j'ai perdu presque tous
+mes b&acirc;tons. On m'a fait derni&egrave;rement une vilaine
+op&eacute;ration: on m'a mis
+dans le dos une petite pi&egrave;ce. C'&eacute;tait une &eacute;preuve
+terrible, Tom.</p>
+<p>&#8212;Je le crois, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Mais il ne s'agit point de cela, Tom; je veux vous marier &agrave;
+la veuve.</p>
+<p>&#8212;Moi! monsieur?</p>
+<p>&#8212;Vous.</p>
+<p>&#8212;Que Dieu b&eacute;nisse vos cheveux blancs! (le fauteuil conservait
+encore
+une partie de ses crins). Elle ne voudrait pas de moi! Et Tom soupira
+involontairement, car il songeait au comptoir.</p>
+<p>&#8212;Allons donc! dit le vieux gentleman avec fermet&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Non, non. Il y a un autre vent qui souffle: un damn&eacute; coquin,
+d'une
+taille superbe, avec des favoris noirs!</p>
+<p>&#8212;Tom! reprit le vieillard solennellement, il ne l'&eacute;pousera
+jamais!</p>
+<p>&#8212;Ah! si vous aviez &eacute;t&eacute; dans le comptoir, vieux
+gentleman, vous
+conteriez un autre conte.</p>
+<p>&#8212;Bah! bah! je sais toute cette histoire-l&agrave;....</p>
+<p>&#8212;Quelle histoire?</p>
+<p>&#8212;Les baisers d&eacute;rob&eacute;s derri&egrave;re la porte, et
+caetera,&raquo; dit le vieillard
+avec un regard impudent qui fit bouillonner le sang de Tom; car, je
+vous
+le demande, messieurs, y a-t-il rien de plus vexant que d'entendre
+parler de la sorte un homme de cet &acirc;ge, qui devrait s'occuper de
+choses
+plus convenables.</p>
+<p>&laquo;Je sais tout cela, Tom; j'en ai vu faire autant &agrave; bien
+d'autres, que
+je ne veux pas nommer; mais, apr&egrave;s tout, il n'en est rien
+r&eacute;sult&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Vous devez avoir vu de dr&ocirc;les de choses dans votre
+temps?&raquo;</p>
+<p>&#8212;Vous pouvez en jurer, Tom, r&eacute;pondit le vieillard avec une
+grimace fort
+compliqu&eacute;e. Puis il ajouta en poussant un profond soupir:
+h&eacute;las! je suis
+le dernier de ma famille.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;tait-elle nombreuse?</p>
+<p>&#8212;Nous &eacute;tions douze gaillards solidement b&acirc;tis, nous
+tenant droits comme
+des i. Quelle diff&eacute;rence avec vos avortons modernes! Et nous
+avions re&ccedil;u
+un si beau poli (quoique je ne dusse peut-&ecirc;tre pas le dire
+moi-m&ecirc;me), un
+si beau poli, qu'il vous aurait r&eacute;joui le c&#339;ur.</p>
+<p>&#8212;Et que sont devenus les autres, monsieur?&raquo;</p>
+<p>Le vieux gentleman appliqua son coude &agrave; son &#339;il, et
+r&eacute;pondit tristement:
+&laquo;D&eacute;funts! Tom, d&eacute;funts! Nous avons fait un rude
+service, et ils
+n'avaient pas tous ma constitution. Ils ont attrap&eacute; des
+rhumatismes dans
+les pieds et dans les bras, si bien qu'on les a rel&eacute;gu&eacute;s
+&agrave; la cuisine et
+dans d'autres h&ocirc;pitaux. L'un d'eux, par suite de longs services
+et de
+mauvais traitements, devint si disloqu&eacute;, si branlant, qu'on prit
+le
+parti de le mettre au feu. Une fin bien rude, Tom!</p>
+<p>&#8212;&Eacute;pouvantable!&raquo;</p>
+<p>Le pauvre vieux bonhomme fit une pause. Il luttait contre la
+violence de
+ses &eacute;motions. Enfin, il continua en ces termes:</p>
+<p>&laquo;Il ne s'agit point de cela, Tom. Ce grand homme est un coquin
+d'aventurier. Aussit&ocirc;t qu'il aurait &eacute;pous&eacute; la
+veuve, il vendrait tout le
+mobilier, et il s'en irait. Qu'arriverait-il ensuite? Elle serait
+abandonn&eacute;e, ruin&eacute;e, et moi je mourrais de froid dans la
+boutique de
+quelque brocanteur.</p>
+<p>&#8212;Oui, mais....</p>
+<p>&#8212;Ne m'interrompez pas, Tom. J'ai de vous une opinion bien
+diff&eacute;rente.
+Je sais que si une fois vous &eacute;tiez &eacute;tabli dans une
+taverne vous ne la
+quitteriez jamais, tant qu'il y resterait quelque chose &agrave; boire.</p>
+<p>&#8212;Je vous suis tr&egrave;s-oblig&eacute; de votre bonne opinion,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;C'est pourquoi, reprit le vieux gentleman d'un ton doctoral, c'est
+pourquoi vous l'&eacute;pouserez et il ne l'&eacute;pousera point.</p>
+<p>&#8212;Et qui l'en emp&ecirc;chera? demanda Tom avec vivacit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Une petite circonstance: il est d&eacute;j&agrave; mari&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Comment pourrai-je le prouver? s'&eacute;cria Tom, en sautant
+&agrave; moiti&eacute; de
+son lit.</p>
+<p>&#8212;Il ne se doute gu&egrave;re qu'il a laiss&eacute; dans le gousset
+droit d'un
+pantalon enferm&eacute; dans cette armoire, une lettre de sa
+malheureuse femme,
+qui le supplie de revenir pour donner du pain &agrave; ses six,...
+remarquez
+bien, Tom, &agrave; ses six enfants, tous en bas &acirc;ge.&raquo;</p>
+<p>Lorsque le vieux gentleman eut prononc&eacute; ces mots avec
+solennit&eacute;, ses
+traits devinrent de moins en moins distincts et sa personne plus
+vaporeuse; un voile semblait s'&eacute;tendre sur les yeux de Tom;
+l'antique
+gilet du vieillard se r&eacute;solut en un coussin de damas; ses
+pantoufles
+rouges devinrent de petites enveloppes: toute sa personne, enfin,
+reprit
+l'apparence d'un vieux fauteuil. Alors la lumi&egrave;re du feu
+s'&eacute;teignit, et
+Tom Smart, retombant sur son oreiller, s'endormit profond&eacute;ment.</p>
+<p>Le matin le tira du sommeil l&eacute;thargique qui s'&eacute;tait
+empar&eacute; de lui, apr&egrave;s
+la disparition du vieil homme. Il s'assit sur son lit, et, pendant
+quelques minutes, il s'effor&ccedil;a vainement de se rappeler les
+&eacute;v&eacute;nements
+de la soir&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente. Tout d'un coup ils lui
+revinrent &agrave; la m&eacute;moire.
+Il regarda le fauteuil; c'&eacute;tait certainement un meuble gothique,
+sombre,
+fantastique, mais il aurait fallu une imagination plus
+ing&eacute;nieuse que
+celle de Tom pour y d&eacute;couvrir quelque ressemblance avec un
+vieillard.</p>
+<p>&laquo;Comment &ccedil;a va-t-il, vieux gar&ccedil;on?&raquo; dit
+Tom, car il se trouvait plus
+brave &agrave; la lumi&egrave;re, comme il arrive &agrave; la plupart
+des hommes.</p>
+<p>Le fauteuil resta immobile et ne r&eacute;pondit pas un seul mot.</p>
+<p>&laquo;Vilaine matin&eacute;e!&raquo; continua Tom.</p>
+<p>Motus. Le fauteuil ne voulait pas se laisser entra&icirc;ner
+&agrave; causer.</p>
+<p>&laquo;Quelle armoire m'avez-vous montr&eacute;e? poursuivit Tom.
+Vous pouvez bien me
+dire cela?&raquo;</p>
+<p>M&ecirc;me rengaine, le fauteuil ne consentait pas &agrave; souffler
+un seul mot.</p>
+<p>&laquo;Quoi qu'il en soit, il n'est pas bien difficile de
+l'ouvrir&raquo;, pensa
+Tom. Il sortit du lit r&eacute;solument et s'approcha d'une des
+armoires. La
+clef &eacute;tait &agrave; la serrure; il la tourna et ouvrit la porte.
+Il y avait
+dans l'armoire un pantalon; Tom fourra sa main dans la poche et en tira
+la lettre m&ecirc;me, dont le vieux gentleman avait parl&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Dr&ocirc;le d'histoire, dit Tom en regardant d'abord le
+fauteuil, ensuite
+l'armoire, puis la lettre, et en revenant enfin au fauteuil.
+Dr&ocirc;le
+d'histoire!&raquo; Mais il avait beau regarder, cela n'en devenait pas
+plus
+clair et il pensa qu'il ferait aussi bien de s'habiller et de terminer
+l'affaire du grand homme, simplement pour ne pas le laisser en suspens.</p>
+<p>En descendant au parloir il examina les localit&eacute;s avec l'&#339;il
+scrutateur
+du ma&icirc;tre, pensant qu'il n'&eacute;tait pas impossible que toutes
+ces chambres,
+avec leur contenu, devinssent avant peu sa propri&eacute;t&eacute;. Le
+grand homme
+&eacute;tait debout dans le s&eacute;duisant comptoir, ses mains
+derri&egrave;re son dos,
+comme chez lui. Il sourit &agrave; Tom, d'un air distrait. Un
+observateur
+superficiel aurait pu supposer qu'il n'agissait ainsi que pour montrer
+ses dents blanches, mais Tom pensa qu'un sentiment de triomphe remuait
+l'endroit o&ugrave; aurait d&ucirc; &ecirc;tre l'esprit du grand homme,
+si toutefois il en
+avait. Tom lui rit au nez et appela l'h&ocirc;tesse.</p>
+<p>&laquo;Bonjour, madame, dit Tom Smart, en fermant la porte du petit
+parloir,
+apr&egrave;s que la veuve fut entr&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Bonjour, monsieur, r&eacute;pondit la veuve, que voulez-vous
+prendre pour
+d&eacute;jeuner, monsieur?&raquo;</p>
+<p>Tom ne r&eacute;pondit point, car il cherchait de quelle
+mani&egrave;re il devait
+entamer l'affaire.</p>
+<p>&laquo;Il y a un excellent jambon, reprit la veuve, et une
+excellente volaille
+froide. Vous les enverrai-je, monsieur?&raquo;</p>
+<p>Ces mots firent cesser les r&eacute;flexions de Tom, et son
+admiration pour la
+veuve s'en augmenta. Soigneuse cr&eacute;ature! pr&eacute;voyante!
+confortable!</p>
+<p>&laquo;Madame, demanda-t-il, qui est ce monsieur dans le comptoir?</p>
+<p>&#8212;Il s'appelle Jinkins, monsieur, r&eacute;pondit la veuve en
+rougissant un
+peu.</p>
+<p>&#8212;C'est un grand homme.</p>
+<p>&#8212;C'est un tr&egrave;s-bel homme, monsieur, et un gentleman fort
+distingu&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Hum! fit le voyageur.</p>
+<p>&#8212;D&eacute;sirez-vous quelque chose, monsieur, reprit la veuve un peu
+embarrass&eacute;e par les mani&egrave;res de son interlocuteur.</p>
+<p>&#8212;Mais oui, vraiment, r&eacute;pliqua-t-il. Ma ch&egrave;re dame
+voulez-vous avoir la
+bont&eacute; de vous asseoir un instant?&raquo;</p>
+<p>La veuve parut fort &eacute;tonn&eacute;e, mais elle s'assit, et Tom
+s'assit aupr&egrave;s
+d'elle. Je ne sais pas comment cela se fit, gentlemen, et mon oncle
+avait coutume de dire que Tom Smart ne savait pas lui-m&ecirc;me
+comment cela
+s'&eacute;tait fait; mais d'une mani&egrave;re ou d'une autre, la paume
+de sa main
+tomba sur le dos de la main de la veuve et y resta tout le temps de la
+conf&eacute;rence.</p>
+<p>&laquo;Ma ch&egrave;re dame, dit Tom, car il savait fort bien se
+rendre aimable; ma
+ch&egrave;re dame, vous m&eacute;ritez un excellent mari, en
+v&eacute;rit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Seigneur! monsieur! s'&eacute;cria la veuve; et elle n'avait pas
+tort: cette
+mani&egrave;re d'entamer la conversation &eacute;tait assez
+inusit&eacute;e, pour ne pas dire
+plus, surtout si l'on consid&egrave;re qu'elle n'avait jamais vu Tom
+avant la
+soir&eacute;e pr&eacute;c&eacute;dente. Seigneur! monsieur!</p>
+<p>&#8212;Je ne suis point un flatteur, ma ch&egrave;re dame. Vous
+m&eacute;ritez un mari
+parfait et ce sera un homme bien heureux.&raquo;</p>
+<p>Tandis que Tom parlait ainsi, ses yeux s'&eacute;garaient
+involontairement du
+visage de la veuve sur les objets confortables qui l'environnaient.</p>
+<p>La veuve eut l'air plus embarrass&eacute; que jamais; elle fit un
+mouvement
+pour se lever; mais Tom pressa doucement sa main comme pour la retenir
+et elle resta sur son si&eacute;ge. Les veuves, messieurs, sont
+rarement
+craintives, comme disait mon oncle.</p>
+<p>&laquo;Vraiment, monsieur, je vous suis bien oblig&eacute;e, de
+votre bonne opinion,
+dit-elle en riant &agrave; moiti&eacute;; et si jamais je me marie....</p>
+<p>&#8212;Si? interrompit Tom en la regardant tr&egrave;s-malignement du coin
+droit de
+son &#339;il gauche.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! <i>quand</i> je me marierai, j'esp&egrave;re que j'aurai
+un aussi bon
+mari que vous le dites.</p>
+<p>&#8212;C'est-&agrave;-dire Jinkins?</p>
+<p>&#8212;Seigneur! monsieur!</p>
+<p>&#8212;Allons! ne m'en parlez point, je le connais....</p>
+<p>&#8212;Je suis s&ucirc;re que ceux qui le connaissent ne connaissent pas
+de mal de
+lui, reprit la dame un peu piqu&eacute;e par l'air myst&eacute;rieux du
+voyageur.</p>
+<p>&#8212;Hum!&raquo; fit Tom.</p>
+<p>La veuve commen&ccedil;a &agrave; croire qu'il &eacute;tait temps de
+pleurer. Elle tira donc
+son mouchoir et elle demanda si Tom voulait l'insulter; s'il croyait
+que
+c'&eacute;tait l'action d'un gentleman de dire du mal d'un autre
+gentleman, en
+arri&egrave;re; pourquoi, s'il avait quelque chose &agrave; dire, il ne
+l'avait pas
+dit &agrave; son homme, comme un homme, au lieu d'effrayer une pauvre
+faible
+femme de cette mani&egrave;re, etc., etc.</p>
+<p>&laquo;Je ne tarderai pas &agrave; lui dire deux mots &agrave;
+lui-m&ecirc;me, r&eacute;pondit Tom.
+Seulement je d&eacute;sire que vous m'entendiez auparavant.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! dites, demanda la veuve en le regardant avec attention.</p>
+<p>&#8212;Je vais vous &eacute;tonner, r&eacute;pliqua-t-il, en mettant la
+main dans sa poche.</p>
+<p>&#8212;Si c'est qu'il n'a pas d'argent, je sais cela d&eacute;j&agrave; et
+ce n'est pas la
+peine de vous d&eacute;ranger.</p>
+<p>&#8212;Pouh! cela n'est rien. <i>Moi non plus</i>, je n'ai point
+d'argent! Ce
+n'est pas &ccedil;a.</p>
+<p>&#8212;Oh! mon Dieu! qu'est-ce que c'est donc? s'&eacute;cria la pauvre
+femme.</p>
+<p>&#8212;Ne vous effrayez pas, reprit Tom en tirant la lettre. Et ne criez
+pas:
+poursuivit-il en d&eacute;pliant lentement le papier.</p>
+<p>&#8212;Non! non! laissez-moi voir.</p>
+<p>&#8212;Vous n'allez pas vous trouver mal ni vous livrer &agrave; d'autres
+d&eacute;monstrations de ce genre?</p>
+<p>&#8212;Non, je vous le promets.</p>
+<p>&#8212;Ni vous pr&eacute;cipiter vers la salle commune pour lui dire son
+affaire?
+ajouta Tom; car, voyez-vous, je ferai tout &ccedil;a pour vous: ce
+n'est donc
+pas la peine de vous agiter.</p>
+<p>&#8212;Allons, allons, fit la veuve, laissez-moi lire.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;,&raquo; r&eacute;pliqua Tom Smart, qui pla&ccedil;a la
+lettre dans les mains de la
+veuve.</p>
+<p>Les lamentations de la pauvre femme, quand elle en eut pris lecture,
+auraient perc&eacute; un c&#339;ur de pierre. Tom avait toujours eu le c&#339;ur
+tr&egrave;s-tendre, aussi fut-il perc&eacute; de part en part. La veuve
+se roulait sur
+sa chaise en se tordant les mains.</p>
+<p>&laquo;Oh! la trahison! oh! la sc&eacute;l&eacute;ratesse des
+hommes! s'&eacute;criait-elle.</p>
+<p>&#8212;Effroyables, ma ch&egrave;re dame; mais calmez-vous.</p>
+<p>&#8212;Non! Je ne veux pas me calmer! sanglotait la veuve. Je ne trouverai
+jamais personne que je puisse aimer comme lui.</p>
+<p>&#8212;Si, si, oh! si, ma ch&egrave;re dame!&raquo; s'&eacute;cria Tom
+Smart en laissant tomber
+une pluie d'&eacute;normes larmes sur les infortunes de la veuve. Il
+avait
+pass&eacute; un bras autour de sa taille, dans l'&eacute;nergie de sa
+compassion; et
+la veuve, dans son transport de chagrin, avait serr&eacute; la main de
+Tom.
+Elle regarda le visage du voyageur et elle sourit &agrave; travers ses
+larmes:
+Tom se pencha vers elle, il contempla ses traits, et il sourit aussi
+&agrave;
+travers ses pleurs.</p>
+<p>Je n'ai jamais pu d&eacute;couvrir si Tom embrassa la veuve dans ce
+moment-l&agrave;.
+Il disait souvent &agrave; mon oncle qu'il n'en avait rien fait, mais
+j'ai des
+doutes l&agrave;-dessus. Entre nous, messieurs, je m'imagine qu'il
+l'embrassa.</p>
+<p>Quoi qu'il en soit, Tom jeta le grand homme &agrave; la porte, et il
+&eacute;pousa la
+veuve dans le mois. On le voyait souvent se promener aux environs avec
+sa jument capricieuse, qui tra&icirc;nait lestement la carriole grise
+aux
+roues &eacute;carlates. Apr&egrave;s beaucoup d'ann&eacute;es il se
+retira des affaires et
+s'en alla en France avec sa femme. L'antique maison fut alors abattue.</p>
+<p>Un vieux gentleman curieux prit la parole apr&egrave;s le commis
+voyageur.</p>
+<p>&laquo;Voulez-vous me permettre, lui dit-il, de vous demander ce que
+devint le
+fauteuil?</p>
+<p>&#8212;On remarqua qu'il craquait beaucoup le jour de la noce, mais Tom
+Smart
+ne pouvait pas dire positivement si c'&eacute;tait de plaisir ou par
+suite de
+souffrances corporelles. Cependant il pensait plut&ocirc;t que
+c'&eacute;tait pour la
+derni&egrave;re cause, car il ne l'entendit plus parler depuis.</p>
+<p>&#8212;Et tout le monde crut cette histoire-l&agrave;, hein? demanda le
+visage
+culott&eacute; en remplissant sa pipe.</p>
+<p>&#8212;Tout le monde, except&eacute; les ennemis de Tom. Ceux-ci disaient
+que
+c'&eacute;tait une <i>blague</i>. D'autres pr&eacute;tendirent qu'il
+&eacute;tait gris, qu'il
+avait r&ecirc;v&eacute; tout cela et qu'il s'&eacute;tait tromp&eacute;
+de culotte. Mais personne
+ne s'arr&ecirc;ta &agrave; ce qu'ils disaient.</p>
+<p>&#8212;Tom Smart soutint que tout &eacute;tait vrai?</p>
+<p>&#8212;Chaque mot.</p>
+<p>&#8212;Et votre oncle?</p>
+<p>&#8212;Chaque lettre.</p>
+<p>&#8212;&Ccedil;a devait faire deux jolis gaillards tous les deux.</p>
+<p>&#8212;Oui, deux fameux gaillards, r&eacute;pondit le commis voyageur.
+Deux fameux
+gaillards, v&eacute;ritablement.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XV"></a>
+<h2>CHAPITRE XV.</h2>
+<h3>Dans lequel se trouva un portrait fid&egrave;le de deux personnes
+distingu&eacute;es,
+et une description exacte d'un grand d&eacute;jeuner qui eut lieu dans
+leur
+maison et domaine. Ledit d&eacute;jeuner am&egrave;ne la rencontre
+d'une vieille
+connaissance, et le commencement d'un autre chapitre.</h3>
+<br/>
+<p>La conscience de M. Pickwick lui reprochait d'avoir un peu
+n&eacute;glig&eacute; ses
+amis du <i>Paon d'argent</i>, et dans la matin&eacute;e du
+troisi&egrave;me jour apr&egrave;s
+l'&eacute;lection, il allait sortir pour les visiter, lorsque son
+fid&egrave;le
+domestique remit entre ses mains une carte de visite, sur laquelle
+&eacute;tait
+grav&eacute;e l'inscription suivante, en lettres gothiques:</p>
+<div style="font-weight: bold;" class="blkquot">
+<p style="text-align: center;">MADAME CHASSE-LION.</p>
+<div style="text-align: center;"> <i>La Caverne. Eatanswill.</i></div>
+</div>
+<p>&#8212;La personne attend, dit Sam.</p>
+<p>&#8212;C'est bien moi qu'elle demande?</p>
+<p>&#8212;C'est vous particuli&egrave;rement et sans remplacement, comme dit
+le
+secr&eacute;taire priv&eacute; du diable quand il vint emporter le
+docteur Faust.
+C'est bien vous qu'il demande.</p>
+<p>&#8212;<i>Il?</i> c'est donc un gentleman?</p>
+<p>&#8212;Si &ccedil;a n'en est pas un, c'en est une imitation soign&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Mais c'est la carte d'une dame.</p>
+<p>&#8212;Je l'ai re&ccedil;ue d'un monsieur, malgr&eacute; &ccedil;a. Il
+attend dans le salon et il
+dit qu'il attendra toute la journ&eacute;e plut&ocirc;t que de ne pas
+vous voir.&raquo;</p>
+<p>Ayant appris cette d&eacute;termination, M. Pickwick descendit au
+parloir. Un
+homme grave y &eacute;tait assis. Il se leva promptement en voyant
+entrer notre
+philosophe, et dit avec un air de profond respect:</p>
+<p>&laquo;Monsieur Pickwick? je pr&eacute;sume.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Permettez-moi, monsieur, d'avoir l'honneur de presser votre main.
+Permettez-moi de la secouer.</p>
+<p>&#8212;Avec plaisir,&raquo; r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>L'&eacute;tranger secoua la main qui lui &eacute;tait offerte, et
+continua ainsi.</p>
+<p>&laquo;Monsieur la renomm&eacute;e nous a parl&eacute; de vous comme
+d'un savant antiquaire.
+Le bruit de vos d&eacute;couvertes a frapp&eacute; l'oreille de Mme
+Chasselion, ma
+femme, monsieur; <i>moi</i>, je suis M. Chasselion.&raquo;</p>
+<p>Ici l'homme grave s'arr&ecirc;ta, comme s'il avait cru que M.
+Pickwick devait
+&ecirc;tre &eacute;tourdi par cette communication; mais voyant que le
+philosophe
+demeurait parfaitement calme, il poursuivit en ces termes:</p>
+<p>&#8212;Ma femme, monsieur, mistress Chasselion, est fi&egrave;re de
+compter parmi
+ses connaissances tous ceux qui se sont illustr&eacute;s par leurs
+ouvrages et
+par leurs talents. Permettez-moi, monsieur, de placer dans cette liste
+le nom de M. Pickwick, et celui de ses confr&egrave;res du club qu'il a
+fond&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Je serai tr&egrave;s-heureux, monsieur, de faire la connaissance
+d'une dame
+aussi distingu&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Vous la ferez, monsieur. Demain matin, nous donnons un grand
+d&eacute;jeuner,
+une f&ecirc;te champ&ecirc;tre, &agrave; un nombre consid&eacute;rable
+de ceux qui se sont rendus
+c&eacute;l&egrave;bres par leurs ouvrages et par leurs talents.
+Accordez &agrave; Mme
+Chasselion la satisfaction de vous voir &agrave; la Caverne.</p>
+<p>&#8212;Avec grand plaisir.</p>
+<p>&#8212;Mme Chasselion donne beaucoup de ces d&eacute;jeuners, monsieur; <i>galas
+de la
+raison, effluves de l'&acirc;me</i><a name="FNanchor_21_21"></a><a
+ href="#Footnote_21_21"><sup>21</sup></a>, comme l'observe avec un
+sentiment plein
+d'originalit&eacute; quelqu'un qui a adress&eacute; un sonnet &agrave;
+Mme Chasselion, sur
+ces d&eacute;jeuners.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;tait-il c&eacute;l&egrave;bre par ses ouvrages et par ses
+talents? demanda M.
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur. Toutes les connaissances de Mme Chasselion
+sont c&eacute;l&egrave;bres: c'est son ambition, monsieur, de n'avoir
+pas d'autres
+connaissances.</p>
+<p>&#8212;C'est une tr&egrave;s-noble ambition.</p>
+<p>&#8212;Quand j'informerai Mme Chasselion que cette remarque est
+tomb&eacute;e de vos
+l&egrave;vres, monsieur, elle en sera fi&egrave;re, en
+v&eacute;rit&eacute;. Vous avez avec vous,
+monsieur, un gentleman qui, je crois, a produit quelques petits
+po&euml;mes
+d'une grande beaut&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Mon ami, M. Snodgrass, a beaucoup de go&ucirc;t pour la
+po&eacute;sie.</p>
+<p>&#8212;C'est comme Mme Chasselion, monsieur. Elle adore la po&eacute;sie,
+monsieur;
+elle en est folle. Je puis dire que toute son &acirc;me et tout son
+esprit
+sont p&eacute;tris de po&eacute;sie. Elle-m&ecirc;me a produit quelques
+pi&egrave;ces d&eacute;licieuses,
+monsieur. Vous pouvez avoir rencontr&eacute; son ode <i>A une
+grenouille
+expirante</i>.</p>
+<p>&#8212;Je ne le crois pas.</p>
+<p>&#8212;Vous m'&eacute;tonnez. Elle a fait une immense sensation. Elle a
+paru
+originairement dans le <i>Magasin des dames</i>, et &eacute;tait
+sign&eacute;e d'un <i>C</i> et
+de neuf &eacute;toiles. Elle commen&ccedil;ait ainsi:</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>Puis-je te voir sanglante et pantelante,<br/>
+</span><span>Sur ton ventre, sans soupirer?<br/>
+</span><span>Puis-je sans pleurs te contempler mourante,<br/>
+</span><span>Sur un rocher,<br/>
+</span><span>Grenouille expirante?<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>&#8212;Charmant! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Beau, dit l'homme grave. Si simple!</p>
+<p>&#8212;Sublime!</p>
+<p>&#8212;La strophe suivante est plus touchante encore. Voulez-vous que je
+la
+r&eacute;p&egrave;te?</p>
+<p>&#8212;S'il vous pla&icirc;t.</p>
+<p>--- La voici, continua l'homme grave, d'un ton encore plus grave.</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>Dis-moi si des d&eacute;mons avec leur voix
+hurlante,<br/>
+</span><span>Sous la figure de gamins,<br/>
+</span><span>Loin des marais t'auraient chass&eacute;e, errante,<br/>
+</span><span>Avec des chiens,<br/>
+</span><span>Grenouille expirante!<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>&#8212;Joliment exprim&eacute;, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;C'est un diamant, monsieur. Mais vous entendrez Mme Chasselion vous
+r&eacute;citer cette ode. <i>Elle</i> seule peut la faire valoir.
+Demain matin,
+monsieur, elle la r&eacute;citera en costume.</p>
+<p>&#8212;En costume!</p>
+<p>&#8212;Sous la figure de Minerve.... Mais j'oubliais... c'est un
+d&eacute;jeuner
+costum&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Eh! mais, eh mais! s'&eacute;cria M. Pickwick, en jetant un coup
+d'&#339;il sur sa
+personne: Je ne puis vraiment pas me travestir.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi pas, monsieur? pourquoi pas? Salomon Lucas, le juif, dans
+la
+grande rue, a mille habillements de fantaisie. Voyez, monsieur, combien
+de caract&egrave;res convenables vous pouvez choisir: Platon,
+Z&eacute;non, Epicure,
+Pythagore, tous fondateurs de clubs.</p>
+<p>&#8212;Je le sais bien, mais comme je ne puis me comparer &agrave; ces
+grands
+hommes, je ne saurais me permettre de porter leur habit.&raquo;</p>
+<p>L'homme grave m&eacute;dita profond&eacute;ment, pendant quelques
+minutes, et dit
+ensuite.</p>
+<p>&laquo;En y r&eacute;fl&eacute;chissant, monsieur, je ne sais pas si
+Mme Chasselion ne sera
+pas charm&eacute;e de faire voir &agrave; ses h&ocirc;tes une personne
+de votre c&eacute;l&eacute;brit&eacute;,
+dans le costume qui lui est habituel, plut&ocirc;t que sous une
+enveloppe
+&eacute;trang&egrave;re. Je crois pouvoir prendre sur moi de vous
+promettre, au nom de
+mistress Chasselion, qu'elle fera une exception en votre faveur. Oui,
+monsieur, je suis tout &agrave; fait certain que je puis me le
+permettre.</p>
+<p>&#8212;En ce cas, r&eacute;pondit M. Pickwick, j'aurai grand plaisir
+&agrave; me rendre &agrave;
+votre invitation.</p>
+<p>&#8212;Mais je vous fais perdre votre temps, monsieur, dit soudainement
+l'homme grave, d'un ton p&eacute;n&eacute;tr&eacute;. J'en connais la
+valeur, monsieur, et je
+ne veux pas vous retenir plus longtemps. Je dirai donc &agrave; Mme
+Chasselion
+qu'elle peut vous attendre avec confiance, ainsi que vos illustres
+amis.
+Adieu monsieur. Je suis fier d'avoir vu un personnage aussi
+&eacute;minent. Pas
+un pas, monsieur; pas une parole.&raquo; Et sans donner &agrave; M.
+Pickwick le temps
+de lui r&eacute;pondre, M. Chasselion s'&eacute;loigna gravement.</p>
+<p>Le philosophe prit son chapeau et se rendit au <i>Paon d'argent</i>.
+M.
+Winkle y avait d&eacute;j&agrave; parl&eacute; du bal
+d&eacute;guis&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Mme Pott y va, furent les premi&egrave;res paroles dont il
+salua son mentor.</p>
+<p>&#8212;Ah! ah! fit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Sous la figure d'Apollon. Seulement Pott s'oppose &agrave; la
+tunique.</p>
+<p>&#8212;Il a raison! il a parfaitement raison! dit le savant homme avec
+emphase.</p>
+<p>&#8212;Oui; aussi elle portera une robe de satin blanc, avec des
+paillettes
+d'or.</p>
+<p>&#8212;N'aura-t-on pas de la peine &agrave; reconna&icirc;tre son
+personnage? demanda M.
+Snodgrass.</p>
+<p>&#8212;Par exemple! riposta M. Winkle avec indignation. Est-ce qu'on ne
+verra
+pas sa lyre?</p>
+<p>&#8212;C'est vrai: je n'avais pas pens&eacute; &agrave; la lyre.</p>
+<p>&#8212;Et moi, dit alors M. Tupman, j'irai en bandit.</p>
+<p>&#8212;Quoi? s'&eacute;cria M. Pickwick en faisant un soubresaut.</p>
+<p>&#8212;En bandit, r&eacute;p&eacute;ta M. Tupman avec douceur.</p>
+<p>&#8212;Vous ne pr&eacute;tendez pas, r&eacute;pliqua M. Pickwick, en
+examinant son ami avec
+une s&eacute;v&eacute;rit&eacute; solennelle, vous ne pr&eacute;tendez
+pas, monsieur Tupman, que
+c'est votre intention de porter une veste de velours vert avec des pans
+longs de deux doigts?</p>
+<p>&#8212;C'est pourtant mon intention, monsieur, r&eacute;pondit avec
+chaleur M.
+Tupman; et pourquoi pas s'il vous pla&icirc;t?</p>
+<p>&#8212;Parce que, dit M. Pickwick, consid&eacute;rablement excit&eacute;,
+parce que vous
+&ecirc;tes trop vieux, monsieur!</p>
+<p>&#8212;Trop vieux! s'&eacute;cria M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Et s'il est besoin d'une autre raison, parce que vous &ecirc;tes
+trop gras,
+monsieur!...&raquo;</p>
+<p>La figure de M. Tupman devint pourpre.</p>
+<p>&laquo;Monsieur! cria-t-il, ceci est une insulte....</p>
+<p>&#8212;Monsieur! r&eacute;pliqua M. Pickwick, sur le m&ecirc;me ton, si
+vous paraissiez
+devant moi avec une veste de velours vert et des pans longs de deux
+doigts, ce serait pour moi une insulte beaucoup plus grave.</p>
+<p>&#8212;Monsieur! vous &ecirc;tes un impertinent!</p>
+<p>&#8212;Monsieur! vous en &ecirc;tes un autre!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman s'avan&ccedil;a d'un pas ou deux et jeta &agrave; M.
+Pickwick un regard de
+d&eacute;fi. M. Pickwick lui renvoya un regard semblable,
+concentr&eacute; en un foyer
+d&eacute;vorant par le moyen de ses lunettes. M. Snodgrass et M. Winkle
+demeuraient immobiles, p&eacute;trifi&eacute;s de voir une telle
+sc&egrave;ne entre de tels
+hommes.</p>
+<p>Apr&egrave;s une courte pause, M. Tupman reprit sur un ton plus bas,
+mais
+profond&eacute;ment accentu&eacute;: &laquo;Vous m'avez appel&eacute;
+vieux monsieur!</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Et gras.</p>
+<p>&#8212;Je le r&eacute;p&egrave;te.</p>
+<p>&#8212;Et impertinent.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai.&raquo;</p>
+<p>Il y eut un instant de silence &eacute;pouvantable.</p>
+<p>&laquo;Mon attachement &agrave; votre personne, monsieur, repartit
+M. Tupman, en
+parlant d'une voix tremblante d'&eacute;motion, et en relevant en
+m&ecirc;me temps
+ses manchettes; mon attachement &agrave; votre personne est grand,
+tr&egrave;s-grand;
+mais il faut que je prenne sur cette m&ecirc;me personne une vengeance
+sommaire.</p>
+<p>&#8212;Avancez, monsieur,&raquo; r&eacute;pliqua M. Pickwick.</p>
+<p>Stimul&eacute; par la nature excitante de ce dialogue, l'homme
+immortel prit
+imm&eacute;diatement une attitude de paralytique, persuad&eacute; sans
+aucun doute,
+comme le suppos&egrave;rent les deux t&eacute;moins de cette
+sc&egrave;ne, que c'&eacute;tait une
+posture d&eacute;fensive.</p>
+<p>Heureusement que M. Snodgrass se pr&eacute;cipita entre les deux
+combattants,
+au hasard imminent de recevoir sur les tempes un coup de poing de
+chacun
+d'eux.</p>
+<p>&laquo;Quoi! s'&eacute;cria-t-il, recouvrant tout &agrave; coup le
+don de la parole, que
+l'exc&egrave;s de son &eacute;tonnement lui avait ravi jusqu'alors.
+Quoi! monsieur
+Pickwick, vous! sur qui les yeux de l'univers sont attach&eacute;s!
+Monsieur
+Tupman! vous qui &ecirc;tes illumin&eacute;, comme nous tous, par
+l'&eacute;clat divin de
+son nom! Quelle honte, messieurs, quelle honte!&raquo;</p>
+<p>De m&ecirc;me que les traces de la mine de plomb c&egrave;dent
+&agrave; la douce influence
+de la gomme &eacute;lastique, de m&ecirc;me les sillons
+inaccoutum&eacute;s imprim&eacute;s par une
+col&egrave;re passag&egrave;re sur le front lisse et ouvert de M.
+Pickwick,
+s'effac&egrave;rent graduellement pendant le discours de son jeune ami.
+Celui-ci parlait encore, et d&eacute;j&agrave; la physionomie du
+philosophe avait
+repris son expression habituelle de b&eacute;nignit&eacute;.</p>
+<p>&laquo;J'ai &eacute;t&eacute; trop vif, dit M. Pickwick: beaucoup
+trop vif. Tupman, votre
+main.&raquo;</p>
+<p>Un nuage sombre qui couvrait la figure de M. Tupman se dissipa
+&agrave; ces
+mots, et il pressa chaleureusement la main de son ami en
+r&eacute;pondant: J'ai
+&eacute;t&eacute; trop vif aussi.&raquo;</p>
+<p>&#8212;Non, non, reprit pr&eacute;cipitamment M. Pickwick, c'est moi qui
+ai tort:
+vous mettrez la veste de velours vert.</p>
+<p>&#8212;Pas du tout, pas du tout.</p>
+<p>&#8212;Pour m'obliger, vous la mettrez....</p>
+<p>&#8212;Eh! bien, eh! bien, je la mettrai donc.&raquo;</p>
+<p>Il fut en cons&eacute;quence d&eacute;cid&eacute; que M. Tupman, M.
+Winkle et M. Snodgrass
+porteraient des costumes de fantaisie, et c'est ainsi que M. Pickwick
+fut entra&icirc;n&eacute;, par la chaleur de ses sentiments, &agrave;
+approuver une conduite
+dont son excellent jugement l'e&ucirc;t d&eacute;tourn&eacute;. On ne
+pourrait trouver une
+preuve plus frappante de son aimable caract&egrave;re, quand m&ecirc;me
+les
+&eacute;v&eacute;nements racont&eacute;s dans ce volume seraient
+enti&egrave;rement le produit de
+l'imagination.</p>
+<p>M. Chasselion n'avait pas exag&eacute;r&eacute; les ressources de M.
+Salomon Lucas.
+Ses costumes &eacute;taient nombreux, innombrables: non pas strictement
+classiques, peut-&ecirc;tre; pas enti&egrave;rement neufs, et ne
+repr&eacute;sentant
+pr&eacute;cis&eacute;ment les modes d'aucun &acirc;ge ni d'aucun pays;
+mais ils &eacute;taient tous
+plus ou moins paillet&eacute;s; et qu'y a-t-il de plus joli que des
+paillettes?
+On peut objecter qu'elles ne font point d'effet &agrave; la
+clart&eacute; du soleil;
+mais tout le monde sait qu'elles &eacute;tincelleraient s'il y avait
+des
+bougies; or, quand on veut donner des bals d&eacute;guis&eacute;s
+pendant le jour, si
+les costumes ne brillent pas comme ils auraient brill&eacute; &agrave;
+la lumi&egrave;re, la
+faute n'en est nullement au paillettes, elle est enti&egrave;rement aux
+gens
+qui donnent des bals dans la matin&eacute;e. Tels furent les
+raisonnements
+convaincants de M. Salomon Lucas, et sous leur influence, MM. Tupman,
+Winkle et Snodgrass s'engag&egrave;rent &agrave; porter les
+d&eacute;guisements que son go&ucirc;t
+et son exp&eacute;rience lui firent recommander comme admirablement
+appropri&eacute;s
+&agrave; l'occasion.</p>
+<p>Une cal&egrave;che fut lou&eacute;e par les pickwickiens, dans leur
+h&ocirc;tel: un coup&eacute;,
+tir&eacute; du m&ecirc;me endroit, devait transporter M. et Mme Pott
+sur le domaine
+de Mme Chasselion. Comme un remerciement d&eacute;licat de l'invitation
+qu'il
+avait re&ccedil;ue, M. Pott avait d&eacute;j&agrave; pr&eacute;dit avec
+confiance, dans la <i>Gazette
+d'Eatanswill</i>, que la Caverne offrirait une sc&egrave;ne
+d'enchantement aussi
+vari&eacute;e que d&eacute;licieuse, un &eacute;blouissant foyer de
+beaut&eacute;s et de talents, un
+spectacle touchant d'hospitalit&eacute; abondante et prodigue, et
+surtout un
+degr&eacute; de splendeur, adouci par le go&ucirc;t le plus
+d&eacute;licieux; un luxe
+embelli par une parfaite harmonie et par le plus exquis bon ton, et
+aupr&egrave;s duquel les merveilles fabuleuses des <i>Mille et une
+Nuits</i>
+para&icirc;traient rev&ecirc;tues de couleurs aussi lugubres et aussi
+sombres que
+doit l'&ecirc;tre l'esprit de l'&ecirc;tre atrabilaire et grossier qui
+oserait
+souiller du venin de l'envie les pr&eacute;paratifs faits par
+l'illustre et
+vertueuse dame, &agrave; l'autel de laquelle est offert cet humble
+tribut
+d'admiration. Cette derni&egrave;re phrase &eacute;tait un mordant
+sarcasme dirig&eacute;
+contre l'<i>Ind&eacute;pendant</i>, qui n'ayant pas &eacute;t&eacute;
+invit&eacute; &agrave; la f&ecirc;te, avait
+affect&eacute;, dans ses quatre derniers num&eacute;ros, de la tourner
+en ridicule; et
+qui avait imprim&eacute; ses plaisanteries &agrave; ce sujet avec ses
+plus gros
+caract&egrave;res, en &eacute;crivant, qui pis est, tous les adjectifs
+en lettres
+majuscules.</p>
+<p>Le matin arriva. C'&eacute;tait un s&eacute;duisant spectacle de
+voir M. Tupman, en
+costume complet de brigand, avec une veste tellement serr&eacute;e
+qu'elle en
+&eacute;tait pliss&eacute;e sur son dos et sur ses &eacute;paules. La
+portion sup&eacute;rieure de
+ses jambes se trouvait comprim&eacute;e dans une culotte de velours, et
+la
+partie inf&eacute;rieure &eacute;tait enlac&eacute;e dans les bandages
+compliqu&eacute;s, pour
+lesquels tous les brigands ont un attachement si inconcevable.
+C'&eacute;tait
+plaisir de voir ses moustaches retrouss&eacute;es et son col de chemise
+ouvert,
+d'o&ugrave; sortait un visage plus ouvert encore; c'&eacute;tait
+plaisir de contempler
+son chapeau en pain de sucre d&eacute;cor&eacute; de rubans de toutes
+couleurs, et que
+le brigand &eacute;tait oblig&eacute; de porter sur ses genoux, car nul
+mortel ne
+saurait mettre un semblable chapeau sur sa t&ecirc;te, dans une voiture
+ferm&eacute;e. L'apparence de M. Snodgrass &eacute;tait
+&eacute;galement agr&eacute;able et
+r&eacute;jouissante: il avait des chausses de satin bleu, des souliers
+de satin
+et de soie; sa t&ecirc;te &eacute;tait ombrag&eacute;e d'un casque
+grec; et, comme tout le
+monde le sait, comme l'affirmait M. Salomon Lucas, il poss&eacute;dait
+ainsi le
+costume journalier, authentique, des troubadours, depuis les temps les
+plus recul&eacute;s jusqu'&agrave; l'&eacute;poque o&ugrave; ils
+disparurent finalement de la
+surface de la terre.</p>
+<p>La cal&egrave;che qui transportait le brigand et le troubadour
+s'arr&ecirc;ta
+derri&egrave;re le coup&eacute; de M. Pott, lequel coup&eacute;
+lui-m&ecirc;me s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute; &agrave; la
+porte de M. Pott, laquelle porte s'ouvrit, et parmi les cris de la
+populace laissa voir le grand journaliste, accoutr&eacute; comme un
+officier
+de justice russe, et tenant dans sa main un terrible knout, symbole
+&eacute;l&eacute;gant du redoutable pouvoir que poss&eacute;dait la <i>Gazette
+d'Eatanswill</i>,
+et des flagellations effrayantes qu'elle infligeait aux coupables
+politiques.</p>
+<p>&laquo;Bravo! s'&eacute;cri&egrave;rent M. Tupman et M. Snodgrass en
+voyant cette all&eacute;gorie
+marchante.</p>
+<p>&#8212;Bravo! r&eacute;p&eacute;ta la voix de M. Pickwick du fond du
+couloir.</p>
+<p>&#8212;Hou! hou! Pott! oh&eacute;! Pott!&raquo; beugla la populace.</p>
+<p>Pendant ces salutations, l'&eacute;diteur montait dans le
+coup&eacute;, tout en
+souriant avec une sorte de dignit&eacute; gracieuse, qui
+t&eacute;moignait
+suffisamment qu'il sentait son pouvoir et savait comment l'exercer.</p>
+<p>Apr&egrave;s lui on vit sortir de la maison Mme Pott, qui aurait
+parfaitement
+ressembl&eacute; &agrave; Apollon, si elle n'avait pas eu de robe. Elle
+&eacute;tait conduite
+par M. Winkle, et celui-ci, avec son petit habit rouge, se serait fait
+n&eacute;cessairement reconna&icirc;tre pour un chasseur, s'il n'avait
+point
+&eacute;galement ressembl&eacute; &agrave; un facteur de Londres. Enfin
+parut M. Pickwick, et
+il fut applaudi par les gamins, aussi bruyamment que les autres,
+probablement parce que sa culotte et ses gu&ecirc;tres passaient
+&agrave; leurs yeux
+pour quelque reste de l'antiquit&eacute;.</p>
+<p>Les deux voitures se dirig&egrave;rent ensemble vers la demeure de
+Mme
+Chasselion: celle qui contenait M. Pickwick, portait aussi sur le
+si&eacute;ge
+Sam Weller, qui devait aider au service.</p>
+<p>Tous les individus, hommes et femmes, gar&ccedil;ons et filles,
+bambins et
+vieillards, qui &eacute;taient assembl&eacute;s pour voir les visiteurs
+dans leurs
+costumes, se p&acirc;m&egrave;rent de d&eacute;lice quand ils
+aper&ccedil;urent M. Pickwick donnant
+le bras d'un c&ocirc;t&eacute; au brigand, de l'autre au troubadour:
+mais lorsque M.
+Tupman, pour faire son entr&eacute;e dans le bon style,
+s'effor&ccedil;a de fixer sur
+sa t&ecirc;te son chapeau pointu, des cris tumultueux
+s'&eacute;lev&egrave;rent, tels qu'on
+n'en avait jamais entendu auparavant.</p>
+<p>Les immenses et somptueux pr&eacute;paratifs de la f&ecirc;te
+r&eacute;alisaient
+compl&eacute;tement les proph&eacute;tiques louanges de Pott, <i>sur
+les merveilles
+fabuleuses des Mille et une Nuits</i>, et contredisaient, du m&ecirc;me
+coup, les
+insinuations perfides du venimeux <i>Ind&eacute;pendant</i>. Le
+jardin, qui avait
+plus d'une acre d'&eacute;tendue, &eacute;tait rempli de monde. Jamais
+on n'avait vu
+un tel foyer de beaut&eacute;, d'&eacute;l&eacute;gance et de
+litt&eacute;rature. La jeune lady, qui
+<i>faisait</i> la po&eacute;sie dans la <i>Gazette d'Eatanswill</i>,
+s'&eacute;tait rev&ecirc;tue ou
+plut&ocirc;t d&eacute;v&ecirc;tue d'un costume d'odalisque. Elle
+s'appuyait sur le bras du
+jeune gentleman, qui <i>faisait</i> la critique, et qui portait fort
+convenablement un uniforme de feld-mar&eacute;chal, moins les bottes.
+Il y
+avait une arm&eacute;e de g&eacute;nies de la m&ecirc;me force, et
+toute personne
+raisonnable aurait regard&eacute; comme un honneur suffisant de se
+rencontrer
+l&agrave; avec eux; mais il y avait mieux encore, il y avait une
+demi-douzaine
+de <i>lions</i> de Londres,&#8212;des auteurs, des auteurs r&eacute;els, qui
+avaient
+&eacute;crit des livres tout entiers, et qui les avaient fait imprimer.
+On
+pouvait les voir, marchant comme des hommes ordinaires, souriant,
+parlant, oui, et disant m&ecirc;me pas mal de sottises, sans doute dans
+l'intention b&eacute;nigne de se rendre intelligibles aux gens
+vulgaires qui
+les entouraient. Il y avait en outre une bande de musiciens en chapeaux
+de carton dor&eacute;; quatre chanteurs, soi-disant italiens, dans leur
+costume
+national, et une douzaine de domestiques de louage, aussi dans leur
+costume national, costume fort mal propre, par parenth&egrave;se.
+Enfin, et
+par-dessus tout, il y avait Mme Chasselion, en Minerve, recevant la
+compagnie, et laissant d&eacute;border l'orgueil et le plaisir qu'elle
+&eacute;prouvait &agrave; voir rassembl&eacute;s autour d'elle tant
+d'individus distingu&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;M. Pickwick, madame,&raquo; dit un domestique; et cet
+illustre personnage
+s'approcha de la divinit&eacute; pr&eacute;sidente, ayant ses deux bras
+pass&eacute;s dans
+ceux du brigand et du troubadour, et tenant son chapeau &agrave; sa
+main.</p>
+<p>&laquo;Quoi! o&ugrave;? s'&eacute;cria Mme Chasselion, en
+tressaillant avec un ravissement
+immense.</p>
+<p>&#8212;Ici, madame, dit M. Pickwick d'une voix douce.</p>
+<p>&#8212;Est-il possible que j'aie r&eacute;ellement la satisfaction de voir
+M.
+Pickwick lui-m&ecirc;me!!!</p>
+<p>&#8212;En personne, madame, r&eacute;pliqua le philosophe, en saluant
+tr&egrave;s-bas.
+Permettez-moi de pr&eacute;senter mes amis, M. Tupman, M. Winkle, M.
+Snodgrass,
+&agrave; l'auteur de <i>la Grenouille expirante</i>.&raquo;</p>
+<p>Peu de personnes, &agrave; moins de l'avoir essay&eacute; savent
+combien il est
+difficile de saluer avec d'&eacute;troites culottes de velours vert,
+une veste
+serr&eacute;e et un chapeau en pain de sucre; ou bien avec un
+justaucorps de
+satin bleu et des bas de soie, o&ugrave; bien avec des
+jarreti&egrave;res et des
+bottes &agrave; la russe; surtout quand toutes ces choses n'ont point
+&eacute;t&eacute;
+faites pour celui qui les porte, et ont &eacute;t&eacute; fix&eacute;es
+sur lui sans la plus
+l&eacute;g&egrave;re attention aux dimensions respectives de
+l'habillement et de
+l'habill&eacute;. Jamais on ne vit de contorsions semblables &agrave;
+celles que
+faisait M. Tupman pour para&icirc;tre &agrave; son aise et gracieux;
+jamais on ne vit
+de postures aussi ing&eacute;nieuses que celles de ses compagnons de
+d&eacute;guisement.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Pickwick, dit Mme Chasselion, il faut que vous me
+promettiez
+de rester aupr&egrave;s de moi durant toute la journ&eacute;e. Il y a
+ici des
+centaines de personnes que je dois absolument vous pr&eacute;senter.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes bien bonne, madame, r&eacute;pondit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;En premier lieu voici mes fillettes; je les avais presque
+oubli&eacute;es,&raquo;
+dit Minerve, en montrant d'un air n&eacute;gligent deux demoiselles
+parfaitement d&eacute;velopp&eacute;es, qui pouvaient avoir de vingt
+&agrave; vingt-deux ans,
+et qui portaient l'une et l'autre des costumes enfantins.
+&Eacute;tait-ce pour
+les faire para&icirc;tre plus modestes, o&ugrave; pour faire
+para&icirc;tre leur maman plus
+jeune? M. Pickwick ne nous en informe pas clairement.</p>
+<p>&laquo;Elles sont charmantes, dit M. Pickwick, lorsque ces aimables
+enfants se
+retir&egrave;rent, apr&egrave;s lui avoir &eacute;t&eacute;
+pr&eacute;sent&eacute;es.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, r&eacute;pliqua M. Pott avec un air de majest&eacute;,
+c'est qu'elles
+ressemblent comme deux gouttes d'eau &agrave; leur maman.</p>
+<p>&#8212;Taisez-vous, m&eacute;chant homme! s'&eacute;cria gaiement Mme
+Chasselion, en
+frappant de l'&eacute;ventail le bras de l'&eacute;diteur. (Minerve
+avec un &eacute;ventail!)</p>
+<p>&#8212;Certainement, ma ch&egrave;re madame Chasselion, reprit M. Pott,
+qui &eacute;tait le
+trompette attitr&eacute; de la Caverne. Vous savez bien que
+l'ann&eacute;e derni&egrave;re,
+quand votre portrait &eacute;tait &agrave; l'exposition, tout le monde
+demandait si
+c'&eacute;tait le v&ocirc;tre ou celui de votre plus jeune fille; car
+vous vous
+ressembliez tant qu'il n'y avait pas moyen de faire la
+diff&eacute;rence.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! quand cela serait, qu'est-ce que vous avez besoin de le
+r&eacute;p&eacute;ter devant des &eacute;trangers? r&eacute;pliqua
+Minerve en accordant un autre
+coup d'&eacute;ventail au lion endormi de <i>la Gazette d'Eatanswill</i>.</p>
+<p>&#8212;Comte! comte! cria tout &agrave; coup Mme Chasselion &agrave; un
+individu qui
+passait &agrave; port&eacute;e de sa voix, et qui avait un uniforme
+&eacute;tranger, surmont&eacute;
+d'&eacute;normes moustaches.</p>
+<p>&#8212;Ah! fous fouloir te moi, dit le comte en se retournant.</p>
+<p>&#8212;Je veux pr&eacute;senter l'un &agrave; l'autre deux hommes fort
+spirituels. Monsieur
+Pickwick, je suis heureuse de vous pr&eacute;senter le comte
+Smorltork.&raquo; Mme
+Chasselion ajouta &agrave; l'oreille du philosophe: &laquo;Le fameux
+&eacute;tranger qui
+rassemble des mat&eacute;riaux pour son ouvrage sur l'Angleterre, vous
+savez?&#8212;Le comte Smorltork, monsieur Pickwick.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick salua le comte avec toute la r&eacute;v&eacute;rence due
+&agrave; un si grand
+homme, et le comte tira ses tablettes.</p>
+<p>&laquo;Comment fous tire, madame Ch&acirc;sse-long? demanda le comte
+en souriant
+gracieusement &agrave; la dame enchant&eacute;e. Monsieur Pigwig,
+h&eacute;? ou Bigwig...
+un... avocat, n'est-ce pas? Je vois, c'est &ccedil;a, j'inscris
+monsieur
+Bigwig<a name="FNanchor_22_22"></a><a href="#Footnote_22_22"><sup>22</sup></a>.&raquo;</p>
+<p>Le comte allait enregistrer M. Pickwick sur ses tablettes comme un
+gentleman qui se chargeait de faire les affaires des autres, et dont le
+nom &eacute;tait d&eacute;riv&eacute; de sa profession, lorsque Mme
+Chasselion l'arr&ecirc;ta en
+disant:</p>
+<p>&laquo;Non, non! comte. Pick-wick.</p>
+<p>&#8212;Ha! ha! je vois. Pique, nom de bapt&ecirc;me; Figue, nom de
+famille.
+Tr&egrave;s-fort bien, tr&egrave;s-fort bien. Comment portez-fous,
+Figue?</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, je vous remercie, r&eacute;pondit M. Pickwick,
+avec son affabilit&eacute;
+accoutum&eacute;e. Y a-t-il longtemps que vous &ecirc;tes en Angleterre?</p>
+<p>&#8212;Long, tr&egrave;s-fort longtemps. Quinzaine... plus....</p>
+<p>&#8212;Resterez-vous encore longtemps?</p>
+<p>&#8212;Ein semaine.</p>
+<p>&#8212;Vous avez beaucoup &agrave; faire, poursuivit M. Pickwick en
+souriant, pour
+rassembler en aussi peu de temps tous les mat&eacute;riaux dont vous
+avez
+besoin.</p>
+<p>&#8212;Eh! elles sont rassembler, dit le comte.</p>
+<p>&#8212;En v&eacute;rit&eacute;! s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Elles sont l&agrave;, ajouta le comte en se frappant le front d'un
+air
+significatif. Dans mon patrie... fort livre... combl&eacute; de
+notes...
+mousique, science, po&eacute;sie, politique, tout....</p>
+<p>&#8212;Le mot <i>politique</i>, monsieur, comprend en soi-m&ecirc;me une
+&eacute;tude difficile
+et d'une immense &eacute;tendue.</p>
+<p>&#8212;Ah! s'&eacute;cria le comte en tirant ses tablettes;
+tr&egrave;s-fort bon! Beaux
+paroles pour commencer une capitle. Capitle sept et quarante: <i>Le
+mot
+politique surprend</i> en soi-m&ecirc;me....&raquo; Et la remarque de
+M. Pickwick fut
+not&eacute;e dans les tablettes du comte Smorltork, avec les additions
+et
+variantes occasionn&eacute;es par son imagination ardente et sa
+connaissance
+imparfaite de la langue.</p>
+<p>&laquo;Comte! dit Mme Chasselion.</p>
+<p>&#8212;Madame Ch&acirc;sse? r&eacute;pondit le comte.</p>
+<p>&#8212;Voici M. Snodgrass, un ami de M. Pickwick, et un po&euml;te.</p>
+<p>&#8212;Attendez! s'&eacute;cria le comte en tirant ses tablettes sur
+nouveaux
+frais. Lifre, poisie; capitle, amis litt&eacute;raires; nom,
+l'Homme-grasse.
+Tr&egrave;s-fort bien. Pr&eacute;sent&eacute; &agrave; l'Homme-grasse,
+ami de Pique-Figue, par
+madame Ch&acirc;sse, qui d'autres d&eacute;licats poimes a produits.
+Comment
+s'appelle? Grenouille.... Grenouille soupirante. Tr&egrave;s-fort
+bien.&raquo; Et le
+comte referma ses tablettes, fit mille r&eacute;v&eacute;rences, mille
+remerc&icirc;ments,
+et s'&eacute;loigna, persuad&eacute; qu'il venait d'ajouter &agrave;
+ses connaissances sur
+l'Angleterre, les plus importantes et les plus utiles observations.</p>
+<p>&laquo;C'est un homme bien &eacute;tonnant! s'&eacute;cria Minerve.</p>
+<p>&#8212;Un philosophe profond! ajouta Pott.</p>
+<p>&#8212;Un esprit fort et p&eacute;n&eacute;trant!&raquo; continua M.
+Snodgrass.</p>
+<p>Un ch&#339;ur d'invit&eacute;s relev&egrave;rent les louanges du comte
+Smorltork, en
+secouant gravement leur t&ecirc;te et en disant d'une voix unanime:
+&laquo;&Eacute;tonnant!!!&raquo;</p>
+<p>Comme l'enthousiasme en faveur du comte Smorltork s'allumait de plus
+en
+plus, ses louanges auraient pu &ecirc;tre
+c&eacute;l&eacute;br&eacute;es jusqu'&agrave; la fin de la f&ecirc;te,
+si les quatre soi-disant chanteurs italiens, rang&eacute;s autour d'un
+petit
+pommier, pour produire un effet pittoresque, ne s'&eacute;taient pas
+mis &agrave;
+d&eacute;rouler leurs chansons nationales. Il faut avouer qu'elles ne
+paraissaient point d'une ex&eacute;cution bien difficile, et tout le
+secret
+semblait consister &agrave; ce que trois des soi-disant chanteurs
+italiens
+grognaient, tandis que le quatri&egrave;me miaulait. Cet
+int&eacute;ressant morceau
+&eacute;tant termin&eacute;, aux applaudissements de toute la
+compagnie, un jeune
+gar&ccedil;on commen&ccedil;a &agrave; se faufiler entre les
+b&acirc;tons d'une chaise, et &agrave; sauter
+par-dessus, et &agrave; ramper par-dessous, et &agrave; se culbuter
+avec, et &agrave; en
+faire toutes les choses imaginables, except&eacute; de s'asseoir
+dessus.
+Ensuite il se fit une cravate de ses jambes et les attacha autour de
+son
+cou; puis il fit voir avec quelle facilit&eacute; une cr&eacute;ature
+humaine peut
+prendre l'apparence d'un crapaud. Les nombreux spectateurs
+&eacute;taient
+transport&eacute;s de jouissance et d'admiration. Bient&ocirc;t
+apr&egrave;s on entendit
+gazouiller faiblement: c'&eacute;tait la voix de Mme Pott, et ses
+auditeurs
+pleins de courtoisie s'imagin&egrave;rent entendre une chanson
+parfaitement
+classique, une vraie chanson de caract&egrave;re, car Apollon
+&eacute;tait un
+compositeur, et les compositeurs chantent tr&egrave;s-rarement leurs
+propres
+&#339;uvres, et pas davantage celles d'autrui. Enfin Mme Chasselion
+s'avan&ccedil;a
+et r&eacute;cita son ode immortelle &agrave; une Grenouille expirante.
+Des <i>bravo</i>,
+des <i>brava</i>, des <i>bravi</i>, des <i>encore</i> se firent
+entendre; et elle la
+r&eacute;cita une seconde fois. Elle allait la r&eacute;citer une
+troisi&egrave;me, mais la
+majorit&eacute; de ses h&ocirc;tes, pensant qu'il &eacute;tait bien
+temps de manger quelque
+chose, s'&eacute;cri&egrave;rent que c'&eacute;tait une honte d'abuser
+de la complaisance de
+Mme Chasselion. Vainement Mme Chasselion protesta qu'elle &eacute;tait
+tout &agrave;
+fait dispos&eacute;e &agrave; r&eacute;citer son ode sur nouveaux
+frais; ses amis &eacute;taient
+trop polis, trop discrets, trop soigneux de sa sant&eacute;, pour
+consentir &agrave;
+l'entendre encore, sous aucun pr&eacute;texte. La salle des
+rafra&icirc;chissements
+fut donc ouverte, et tous ceux qui &eacute;taient d&eacute;j&agrave;
+venus chez Mme
+Chasselion se pr&eacute;cipit&egrave;rent en tumulte, pour y arriver
+les premiers. Ils
+savaient, en effet, que l'habitude de cette illustre dame &eacute;tait
+de faire
+faire un d&eacute;jeuner pour cinquante et des invitations pour trois
+cents;
+ou, en d'autres termes, de nourrir les <i>lions</i> les plus
+remarquables, et
+de laisser les petits animaux se tirer d'affaire comme ils pouvaient.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; donc est monsieur Pott? demanda Mme Chasselion en
+s'occupant de
+placer les susdits lions autour d'elle.</p>
+<p>&#8212;Me voici! s'&eacute;cria l'&eacute;diteur du bout le plus
+recul&eacute; de la chambre, hors
+de toute esp&eacute;rance de nourriture, &agrave; moins que son
+h&ocirc;tesse ne fit quelque
+chose d'extraordinaire pour lui.</p>
+<p>&#8212;Voulez-vous venir par ici? lui cria-t-elle.</p>
+<p>&#8212;Oh! je vous en prie, ne vous tourmentez pas pour lui, interrompit
+Mme
+Pott de sa voix la plus obligeante. Vous vous donnez beaucoup trop de
+peine, madame Chasselion. Il est tr&egrave;s-bien l&agrave;-bas.
+N'est-ce pas, mon
+cher, que vous &ecirc;tes tr&egrave;s-bien l&agrave;-bas?</p>
+<p>&#8212;Certainement, mon amour,&raquo; r&eacute;pliqua l'infortun&eacute;
+Pott avec un triste
+sourire. H&eacute;las! &agrave; quoi lui servait son knout? Le bras
+nerveux qui le
+faisait tomber sur les hommes publics avec une vigueur gigantesque,
+&eacute;tait paralys&eacute; par un coup d'&#339;il de l'imp&eacute;rieuse
+Mme Pott.</p>
+<p>Mme Chasselion regarda autour d'elle avec triomphe. Le comte
+Smorltork
+&eacute;tait activement occup&eacute; &agrave; prendre note de ce que
+contenaient les plats;
+M. Tupman, avec plus de gr&acirc;ce que n'en avaient jamais
+d&eacute;ploy&eacute; tous les
+brigands de l'Italie, faisait &agrave; diverses lionnes les honneurs
+d'une
+salade de homard; M. Snodgrass, ayant supplant&eacute; le jeune
+gentleman
+charg&eacute; des <i>&eacute;reintements</i> dans la <i>Gazette
+d'Eatanswill</i>, &eacute;tait enfonc&eacute;
+dans une dissertation passionn&eacute;e avec la jeune lady qui <i>faisait</i>
+la
+po&eacute;sie; et M. Pickwick, enfin, se rendait universellement
+agr&eacute;able: rien
+ne semblait manquer &agrave; ce cercle choisi, lorsque M. Chasselion,
+dont le
+d&eacute;partement, dans ces occasions, &eacute;tait de se tenir debout
+pr&egrave;s de la
+porte, et de parler aux gens les moins importants, cria de toutes ses
+forces &agrave; Minerve:</p>
+<p>&laquo;Ma ch&egrave;re, voici M. Charles Fitz-Marshall.</p>
+<p>&#8212;Enfin! s'&eacute;cria Mme Chasselion. Avec quelle
+anxi&eacute;t&eacute; je l'ai attendu!
+Messieurs, je vous prie, laissez passer M. Fitz-Marshall. Mon cher,
+dites &agrave; M. Fitz-Marshall de venir me trouver sur-le-champ, pour
+que je
+le gronde d'&ecirc;tre arriv&eacute; si tard.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, ma ch&egrave;re dame, dit une voix claire. Aussi vite
+que
+possible,&#8212;foule &eacute;tonnante,&#8212;chambre comble,&#8212;fort difficile
+d'approcher, tr&egrave;s-difficile.&raquo;</p>
+<p>Le couteau et la fourchette de M. Pickwick lui tomb&egrave;rent des
+mains. Il
+regarda M. Tupman, qui avait aussi laiss&eacute; tomber sa fourchette
+et son
+couteau, et qui paraissait pr&ecirc;t &agrave; s'ab&icirc;mer sous
+terre.</p>
+<p>&laquo;Ah!&raquo; s'&eacute;cria la voix, tandis que son possesseur
+s'ouvrait un passage &agrave;
+travers une vingtaine de Turcs, d'officiers, de cavaliers et de Charles
+II, qui formaient une derni&egrave;re barricade entre lui et la table.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; mes v&ecirc;tements tout
+cylindr&eacute;s,&#8212;brevet d'invention,&#8212;pas un pli
+dans mon habit,&#8212;joliment press&eacute;!&#8212;Pas besoin de faire repasser
+mon
+linge, ha! ha!&#8212;la bonne id&eacute;e,&#8212;dr&ocirc;le de chose,
+malgr&eacute; &ccedil;a, de faire
+cylindrer son linge sur soi,&#8212;op&eacute;ration fatigante,
+tr&egrave;s-fatigante.&raquo;</p>
+<p>En pronon&ccedil;ant ces phrases bris&eacute;es, un jeune homme,
+v&ecirc;tu en officier de
+marine, parvint &agrave; s'approcher de la table, et pr&eacute;senta
+aux regards
+&eacute;tonn&eacute;s des pickwickiens la tournure et les traits
+identiques de M.
+Alfred Jingle.</p>
+<p>Il avait &agrave; peine eu le temps de prendre la main que lui
+tendait Mme
+Chasselion, lorsque ses yeux rencontr&egrave;rent les orbes
+indign&eacute;s de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&laquo;Tiens! tiens! s'&eacute;cria le coupable; oubli&eacute;,&#8212;pas
+d'ordre aux
+postillons,&#8212;j'y vais moi-m&ecirc;me,&#8212;revenu dans un instant.</p>
+<p>&#8212;Le domestique, ou bien M. Chasselion, donnera vos ordres, monsieur
+Fitz-Marshall, dit la ma&icirc;tresse de la maison.</p>
+<p>&#8212;Non! non!&#8212;moi-m&ecirc;me, ne serai pas long,&#8212;revenu dans un clin
+d'&#339;il,&raquo;
+r&eacute;pliqua Jingle, et il disparut dans la foule.</p>
+<p>M. Pickwick se leva plein d'indignation.</p>
+<p>&laquo;Madame, dit-il, permettez-moi de vous demander qui est ce
+jeune homme,
+et o&ugrave; il r&eacute;side?</p>
+<p>&#8212;C'est un gentleman d'une grande fortune, monsieur Pickwick,
+&agrave; qui je
+meurs d'envie de vous pr&eacute;senter. Le comte aussi sera
+enchant&eacute; de le
+conna&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, comptez l&agrave;-dessus, dit M. Pickwick avec
+vivacit&eacute;. Il
+demeure?</p>
+<p>&#8212;A Bury, h&ocirc;tel de l'Ange.</p>
+<p>&#8212;A Bury?</p>
+<p>&#8212;A Bury Saint-Edmunds, &agrave; quelques milles d'ici.... Mais, mon
+Dieu!
+monsieur Pickwick, vous n'allez pas nous quitter. Vous ne pouvez pas,
+monsieur Pickwick, songer &agrave; vous en aller sit&ocirc;t.&raquo;</p>
+<p>Longtemps avant que Mme Chasselion eut prononc&eacute; ces paroles,
+M. Pickwick
+s'&eacute;tait plong&eacute; dans la foule et avait atteint le jardin.
+Il y fut
+bient&ocirc;t rejoint par M. Tupman, qui l'avait suivi de pr&egrave;s
+et qui lui dit:</p>
+<p>&laquo;Cela est inutile, il est parti.</p>
+<p>&#8212;Je le sais, r&eacute;pondit M. Pickwick, avec chaleur, et je le
+suivrai!</p>
+<p>&#8212;Vous le suivrez! Ou donc?</p>
+<p>&#8212;A Bury, h&ocirc;tel de l'Ange. Comment savons-nous s'il n'abuse
+point
+quelqu'un dans cet endroit? Il a tromp&eacute; une fois un digne homme,
+et nous
+en &eacute;tions la cause innocente: cela n'arrivera plus, si je puis
+l'emp&ecirc;cher! Je veux le d&eacute;masquer.&#8212;Sam! o&ugrave; est mon
+domestique?</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;! ici, monsieur, dit Sam, en sortant d'un endroit
+&eacute;cart&eacute;, o&ugrave; il
+&eacute;tait occup&eacute; &agrave; examiner une bouteille de vin de
+Mad&egrave;re, qu'il avait
+enlev&eacute;e sur la table une heure ou deux auparavant. Voil&agrave;
+vot' serviteur,
+monsieur, et fier du titre encore, comme disait au public l'esquelette
+vivant qu'on faisait voir pour trois pence.</p>
+<p>&#8212;Suivez-moi sur-le-champ! reprit M. Pickwick.&#8212;Tupman, si je reste
+&agrave;
+Bury, vous pourrez m'y rejoindre quand je vous &eacute;crirai.
+Jusque-l&agrave;,
+adieu!&raquo;</p>
+<p>Les remontrances devenaient inutiles: M. Pickwick &eacute;tait
+anim&eacute;, et sa
+r&eacute;solution &eacute;tait prise. M. Tupman retourna vers ses
+compagnons, et, une
+heure apr&egrave;s, il avait noy&eacute; tout souvenir de M. Alfred
+Jingle, ou de M.
+Charles Fitz-Marshall, au moyen d'une bouteille de vin de Champagne et
+d'une contredanse, &eacute;galement p&eacute;tillantes.</p>
+<p>Pendant ce temps, M. Pickwick et Sam Weller, perch&eacute;s &agrave;
+l'ext&eacute;rieur d'une
+voiture publique, voyaient de minute en minute diminuer la distance qui
+les s&eacute;parait de la bonne ville de Bury Saint-Edmunds.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XVI"></a>
+<h2>CHAPITRE XVI.</h2>
+<h3>Trop plein d'aventures pour qu'on puisse les r&eacute;sumer
+bri&egrave;vement.</h3>
+<br/>
+<p>Il n'y a pas, dans toute l'ann&eacute;e, de mois o&ugrave; la nature
+ait un plus joli
+visage que durant le mois d'ao&ucirc;t. Le printemps a bien des
+charmes, et
+mai, certainement, est frais et joli, et son &eacute;clat est
+rehauss&eacute; par le
+contraste des frimas qui viennent de finir. Ao&ucirc;t n'a pas de
+semblables
+avantages: lorsqu'il arrive, nos sens sont accoutum&eacute;s &agrave;
+la puret&eacute; du
+ciel, au verdoiement des prairies, au parfum embaum&eacute; des fleurs;
+le
+brouillard, le givre, la neige et les glaces sont effac&eacute;s de
+notre
+m&eacute;moire, comme de la surface de la terre. Et cependant, quelle
+saison
+charmante! Les champs, les vergers, sont anim&eacute;s par la voix, par
+la
+pr&eacute;sence des travailleurs; les arbres, charg&eacute;s de fruits,
+inclinent
+leurs branches jusqu'&agrave; terre; les bl&eacute;s, r&eacute;unis en
+gerbes gracieuses ou
+se balan&ccedil;ant au souffle du z&eacute;phir comme pour agacer la
+faucille,
+couvrent le paysage d'une teinte dor&eacute;e; une douce langueur
+semble
+r&eacute;pandue sur toute la nature, et l'on dirait m&ecirc;me que la
+molle influence
+de la saison s'&eacute;tend jusque sur les charrettes dont l'&#339;il
+aper&ccedil;oit le
+mouvement uniforme &agrave; travers les champs moissonn&eacute;s, sans
+que l'oreille
+soit d&eacute;chir&eacute;e par aucun bruit inharmonieux.</p>
+<p>Pendant que la voiture publique roule rapidement &agrave; travers
+les champs et
+les vergers qui bordent la route, des groupes de femmes et d'enfants,
+empilant des fruits dans des corbeilles ou recueillant les &eacute;pis
+de bl&eacute;
+dispers&eacute;s, suspendent un instant leur travail, abritent leurs
+visages
+brunis par le soleil avec une main plus brune encore, et suivent les
+voyageurs d'un regard curieux; quelque vigoureux bambin, trop jeune
+pour
+travailler, mais trop turbulent pour &ecirc;tre laiss&eacute; &agrave;
+la maison, se hisse
+sur le bord du grand panier o&ugrave; il a &eacute;t&eacute;
+emprisonn&eacute;, et gigotte et
+braille avec d&eacute;lices; le moissonneur arr&ecirc;te sa faucille,
+se redresse,
+croise les bras et contemple la voiture qui passe aupr&egrave;s de lui
+comme un
+tourbillon; les lourds chevaux de son char rustique suivent l'attelage
+brillant et anim&eacute; d'un regard endormi, qui dit aussi clairement
+que le
+peut dire un regard de cheval: &laquo;Tout cela est fort joli &agrave;
+regarder,
+mais marcher lentement dans une terre pesante vaut encore mieux,
+apr&egrave;s
+tout, que de galoper si chaudement sur une route pleine de
+poussi&egrave;re!&raquo;
+Cependant les voyageurs volent, et, profitant d'un d&eacute;tour,
+jettent un
+dernier coup d'&#339;il derri&egrave;re eux: les femmes et les enfants ont
+repris
+leur travail; le moissonneur s'est courb&eacute; de nouveau sur sa
+faucille;
+les chevaux de labour poursuivent leur marche mesur&eacute;e; et tout
+se
+montre, comme tout &agrave; l'heure, plein de vie et de mouvement.</p>
+<p>Une semblable sc&egrave;ne ne pouvait manquer d'influer sur l'esprit
+d&eacute;licat et
+bien r&eacute;gl&eacute; de M. Pickwick. Pr&eacute;occup&eacute; de la
+r&eacute;solution qu'il avait form&eacute;e
+de d&eacute;masquer le v&eacute;ritable caract&egrave;re de Jingle, en
+quelque lieu qu'il p&ucirc;t
+le d&eacute;couvrir, il &eacute;tait demeur&eacute; d'abord taciturne
+et r&ecirc;veur,
+r&eacute;fl&eacute;chissant aux moyens qu'il devait employer pour
+r&eacute;ussir dans son
+projet; mais peu &agrave; peu son attention fut attir&eacute;e par les
+objets
+environnants, et &agrave; la fin il y prit autant de plaisir que s'il
+avait
+entrepris ce voyage pour la cause la plus agr&eacute;able du monde.</p>
+<p>&laquo;D&eacute;licieux paysage, Sam! dit-il &agrave; son domestique.</p>
+<p>&#8212;Enfonce les toits et les chemin&eacute;es, monsieur,
+r&eacute;pondit celui-ci en
+touchant son chapeau.</p>
+<p>&#8212;En effet, reprit M. Pickwick avec un sourire, je suppose que vous
+n'avez gu&egrave;re vu, toute votre vie, que des toits et des
+chemin&eacute;es, du
+mortier et des briques.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai pas toujours &eacute;t&eacute; valet d'auberge, monsieur,
+r&eacute;pliqua Sam en
+secouant la t&ecirc;te. J'ai &eacute;t&eacute; autrefois gar&ccedil;on
+de roulier.</p>
+<p>&#8212;Quand cela?</p>
+<p>&#8212;Quand j'ai &eacute;t&eacute; jet&eacute; la t&ecirc;te la
+premi&egrave;re dans le monde pour jouer &agrave;
+saute-mouton avec ses soucis. Donc, pour commencer, j'ai
+&eacute;t&eacute; gar&ccedil;on d'un
+charretier, et puis ensuite d'un roulier, et puis ensuite
+commissionnaire, et puis ensuite valet d'auberge. A pr&eacute;sent
+v'l&agrave; que je
+suis domestique d'un gentleman. Je serai peut-&ecirc;tre un gentleman
+moi-m&ecirc;me
+un de ces jours, avec ma pipe dans ma bouche et un berceau dans mon
+jardin. Qui sait? je n'en serais pas surpris, moi.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes un v&eacute;ritable philosophe, Sam.</p>
+<p>&#8212;Je crois que &ccedil;a court dans la famille, monsieur. Mon
+p&egrave;re est dans
+cette profession-l&agrave; maintenant. Quand ma belle-m&egrave;re le
+tarabuste, il se
+met &agrave; siffler; elle s'enl&egrave;ve comme une soupe au lait, et
+elle lui casse
+sa pipe: il s'en va pacifiquement, et il en rapporte une autre; alors
+elle braille tant qu'elle peut, et elle tombe dans des attaques de
+nerfs: il ne bouge pas, il fume confortablement jusqu'&agrave; ce
+qu'elle
+revienne. C'est &ccedil;a de la philosophie, monsieur!...</p>
+<p>&#8212;Ou du moins un tr&egrave;s-bon &eacute;quivalent, r&eacute;pondit
+en riant M. Pickwick.
+Cela doit vous avoir &eacute;t&eacute; fort utile dans votre vie
+errante, Sam.</p>
+<p>&#8212;Utile, monsieur! vous pouvez bien le dire. Apr&egrave;s que je me
+suis sauv&eacute;
+d'avec le charretier et avant que j'aie rentr&eacute; avec le roulier,
+j'ai
+couch&eacute; pendant une quinzaine dans un appartement sans meubles.</p>
+<p>&#8212;Un appartement sans meubles!</p>
+<p>&#8212;Oui, les arches &agrave; sec du pont de Waterloo. Jolie chambre
+&agrave; coucher; &agrave;
+dix minutes du centre des affaires. Seulement s'il y a quelque chose
+&agrave;
+lui reprocher, c'est qu'elle est un peu a&eacute;r&eacute;e. J'ai vu
+l&agrave; des dr&ocirc;les de
+spectacles.</p>
+<p>&#8212;Ha! je le suppose, dit M. Pickwick d'un air plein
+d'int&eacute;r&ecirc;t.</p>
+<p>&#8212;Des spectacles qui perceraient votre tendre c&#339;ur, monsieur, et qui
+ressortiraient de l'autre c&ocirc;t&eacute;. On n'y trouve pas les
+mendiants
+r&eacute;guliers; vous pouvez vous fier &agrave; ceux-l&agrave; pour
+savoir se tirer
+d'affaire. De jeunes mendiants, m&acirc;les et femelles, qui n'ont pas
+encore
+fait leur chemin dans la profession, s'y logent quelquefois; mais c'est
+g&eacute;n&eacute;ralement les pauvres cr&eacute;atures sans asile,
+&eacute;reint&eacute;es, mourant de
+faim, qui se roulent dans les coins sombres de ces tristes places; les
+pauvres cr&eacute;atures qui ne peuvent pas se repasser la corde de
+deux pence.</p>
+<p>&#8212;Dites-moi, Sam, qu'est-ce que c'est que la corde de deux pence?</p>
+<p>&#8212;C'est une auberge, monsieur, o&ugrave; les lits co&ucirc;tent deux
+pence par
+nuit....</p>
+<p>&#8212;Pourquoi donnent-ils aux lits le nom de <i>cordes</i>?</p>
+<p>&#8212;Que vous &ecirc;tes donc jeune, monsieur! Quand les ladies et les
+gentlemen
+qui tiennent ces h&ocirc;tels-l&agrave; ont ouvert leur bazar, ils
+faisaient les lits
+sur le plancher, mais ils ne faisaient pas leurs affaires. Au lieu de
+prendre un somme raisonnable pour deux pence, les logeurs s'y
+vautraient
+la moiti&eacute; de la journ&eacute;e. Aussi, maintenant, ils ont deux
+cordes,
+&eacute;loign&eacute;es d'&agrave; peu pr&egrave;s six pieds, et
+&agrave; trois pieds du plancher, qui vont
+tout du long de la chambre, et les lits sont faits avec des grosses
+toiles tendues en travers.</p>
+<p>&#8212;Eh bien?</p>
+<p>&#8212;Eh bien! l'avantage du plan est visible. Tous les matins, &agrave;
+six
+heures, ils laissent aller une des cordes, et patatra, v'l&agrave; tous
+les
+logeurs par terre. &Ccedil;a les r&eacute;veille fameusement, ils se
+rel&egrave;vent de bonne
+humeur, et ils s'en vont comme des jolis gar&ccedil;ons.... Demande
+pardon,
+monsieur, dit Sam, en interrompant tout &agrave; coup son verbeux
+discours,
+c'est-il Bury Saint-Edmunds qu'est l&agrave;-bas?</p>
+<p>&#8212;Pr&eacute;cis&eacute;ment, r&eacute;pondit M. Pickwick.&raquo;</p>
+<p>Bient&ocirc;t apr&egrave;s la voiture roula dans les rues propres et
+bien pav&eacute;es
+d'une jolie petite ville, et s'arr&ecirc;ta devant une auberge
+situ&eacute;e au
+milieu de la grande route, presque en face de l'antique abbaye.</p>
+<p>&laquo;Voici l'Ange, dit M. Pickwick, en regardant l'enseigne. Nous
+descendons
+ici, Sam. Mais il faut prendre quelques pr&eacute;cautions. Demandez
+une
+chambre particuli&egrave;re et ne mentionnez pas mon nom; vous
+comprenez.</p>
+<p>&#8212;Compris! monsieur,&raquo; r&eacute;pondit Sam, avec un clin d'&#339;il
+intelligent. Il
+tira le portemanteau du coffre de derri&egrave;re, o&ugrave; il avait
+&eacute;t&eacute; jet&eacute; &agrave;
+Eatanswill, et disparut pour faire sa commission. Une chambre
+particuli&egrave;re fut facilement retenue, et M. Pickwick y fut
+introduit sans
+d&eacute;lai.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, Sam, dit M. Pickwick, la premi&egrave;re chose
+&agrave; faire....</p>
+<p>&#8212;C'est de commander le d&icirc;ner, monsieur, sugg&eacute;ra Sam: il
+est fort tard,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est vrai, r&eacute;pliqua le philosophe en regardant sa
+montre. Vous
+avez raison, Sam.</p>
+<p>&#8212;Et si c'&eacute;tait moi, monsieur, je voudrais prendre juste une
+bonne nuit
+de repos avant de demander des renseignements sur ce finaud. Il n'y a
+rien pour rafra&icirc;chir l'esprit comme un bon somme, monsieur, comme
+dit la
+servante avant d'avaler son petit verre de l'eau d'&acirc;non.</p>
+<p>&#8212;Je crois que vous avez raison, Sam; mais je veux d'abord m'assurer
+qu'il est dans cet h&ocirc;tel et qu'il ne m'&eacute;chappera point.</p>
+<p>&#8212;Laissez-moi c'te affaire-l&agrave;, monsieur. Je vas vous ordonner
+un joli
+petit d&icirc;ner et faire une enqu&ecirc;te en bas, pendant qu'on
+l'appr&ecirc;tera. Je
+tirerai tous les secrets du d&eacute;crotteur, en cinq minutes.</p>
+<p>&#8212;A la bonne heure,&raquo; dit M. Pickwick, et Sam se retira.</p>
+<p>Au bout d'une demi-heure M. Pickwick &eacute;tait assis devant un
+d&icirc;ner
+tr&egrave;s-satisfaisant, et un quart d'heure plus tard, Sam lui
+rapportait
+l'assurance que M. Charles Fitz-Marshall avait retenu, jusqu'&agrave;
+nouvel
+ordre, sa chambre particuli&egrave;re; il &eacute;tait all&eacute;
+passer la soir&eacute;e dans une
+maison du voisinage, avait ordonn&eacute; au gar&ccedil;on de
+l'attendre et avait
+emmen&eacute; son domestique avec lui.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur, continua Sam, apr&egrave;s avoir fait
+son rapport, si je
+puis causer un brin avec ce domestique ici, il me contera toutes les
+affaires de son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Comment savez-vous cela? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Que vous &ecirc;tes donc jeune monsieur! Tous les domestiques en
+font
+autant.</p>
+<p>&#8212;Oh! oh! fit le philosophe, j'avais oubli&eacute; cela: c'est bon.</p>
+<p>&#8212;Alors, vous verrez ce qu'il y a de mieux &agrave; faire, monsieur,
+nous
+agirons en cons&eacute;quence.&raquo;</p>
+<p>Comme cet arrangement paraissait le meilleur possible, il fut
+finalement
+adopt&eacute;. Sam se retira, avec la permission de son ma&icirc;tre,
+pour passer la
+soir&eacute;e comme il l'entendrait. Il dirigea ses pas vers la buvette
+de la
+maison, et peu de temps apr&egrave;s, fut &eacute;lev&eacute; au
+fauteuil par la voix unanime
+de l'assembl&eacute;e. Une fois parvenu &agrave; ce poste honorable, il
+fit &eacute;clater
+tant de m&eacute;rite, que les &eacute;clats de rire des gentlemen
+habitu&eacute;s, et les
+marques bruyantes de leur satisfaction, parvinrent jusqu'&agrave; la
+chambre &agrave;
+coucher de M. Pickwick, et raccourcirent, de plus de trois heures, la
+dur&eacute;e naturelle de son sommeil.</p>
+<p>Le lendemain, d&egrave;s le matin, Sam Weller s'occupa de calmer
+l'agitation
+fi&eacute;vreuse qui lui restait de la veille, par l'application d'une
+douche
+d'un penny; c'est-&agrave;-dire que, moyennant cette pi&egrave;ce de
+monnaie, il
+engagea un jeune gentleman du d&eacute;partement de l'&eacute;curie
+&agrave; faire jouer la
+pompe sur sa t&ecirc;te et sur sa face, jusqu'&agrave; l'enti&egrave;re
+restauration de ses
+facult&eacute;s intellectuelles. Tandis qu'il subissait ce traitement
+m&eacute;dical,
+son attention fut attir&eacute;e par un jeune homme, assis sur un banc,
+dans la
+cour. Il &eacute;tait v&ecirc;tu d'une livr&eacute;e violette, et
+lisait dans un livre
+d'hymnes, avec un air d'abstraction profonde, qui ne l'emp&ecirc;chait
+cependant pas de jeter de temps en temps un coup d'&#339;il vers Sam, comme
+s'il avait pris grand int&eacute;r&ecirc;t &agrave; l'op&eacute;ration
+qu'il se faisait faire.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; un dr&ocirc;le de corps, pensa celui-ci, la
+premi&egrave;re fois que ses yeux
+rencontr&egrave;rent ceux de l'&eacute;tranger en livr&eacute;e
+violette. Et, en effet, avec
+son p&acirc;le visage, large et plat, avec ses yeux enfonc&eacute;s et
+sa t&ecirc;te
+&eacute;norme, d'o&ugrave; pendaient plusieurs m&egrave;ches de cheveux
+noirs et lisses,
+l'&eacute;tranger pouvait passer pour un dr&ocirc;le de corps.
+&laquo;Voil&agrave; un dr&ocirc;le de
+corps,&raquo; pensa donc Sam Weller, et apr&egrave;s avoir pens&eacute;
+cela, il continua de
+se laver, et n'y pensa pas davantage.</p>
+<p>Cependant l'homme en livr&eacute;e violette continuait &agrave;
+regarder Sam et son
+livre d'hymnes, son livre d'hymnes et Sam, comme s'il avait eu envie
+d'entamer la conversation. A la fin, pour lui en fournir l'occasion,
+Sam
+lui dit, avec un signe de t&ecirc;te familier: &laquo;Comment &ccedil;a
+va-t-il, mon
+bonhomme?</p>
+<p>&#8212;Je suis heureux de pouvoir dire que je vais assez bien, monsieur,
+r&eacute;pondit l'homme violet d'une voix mesur&eacute;e et en fermant
+son livre avec
+pr&eacute;caution. J'esp&egrave;re que vous allez de m&ecirc;me,
+monsieur?</p>
+<p>&#8212;Eh! eh! je serais plus solide sur mes jambes si je ne me sentais
+pas
+comme une bouteille d'eau-de-vie ambulante; mais vous, mon vieux,
+restez-vous dans cette maison ici?&raquo;</p>
+<p>L'homme violet r&eacute;pondit affirmativement.</p>
+<p>&laquo;Comment se fait-il donc que vous n'&eacute;tiez pas avec nous
+hier soir?
+demanda Sam, en se frottant la face avec un essuie-mains. Vous me
+faites
+l'effet d'un bon vivant, l'air aussi gaillard qu'une truite dans un
+panier plein de chaux, ajouta-t-il d'un ton un peu plus bas.</p>
+<p>&#8212;J'&eacute;tais sorti avec mon ma&icirc;tre, r&eacute;pondit
+l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&#8212;Comment s'appelle-t-il? demanda vivement Sam Weller, dont le visage
+devint tout rouge par l'effet combin&eacute; de la surprise et du
+frottement de
+son essuie-mains.</p>
+<p>&#8212;Fitz-Marshall, r&eacute;pliqua l'homme violet.</p>
+<p>&#8212;Donnez-moi la patte, dit Sam en s'avan&ccedil;ant vers lui. J'ai
+envie de
+vous conna&icirc;tre, votre philosomie me va, mon fiston.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! voil&agrave; qui est tr&egrave;s-extraordinaire,
+r&eacute;torqua l'homme violet,
+avec une grande simplicit&eacute; de mani&egrave;res. La v&ocirc;tre
+m'a plus si fort, que
+j'ai eu envie de vous parler, d&egrave;s le premier moment o&ugrave; je
+vous ai vu
+sous la pompe.</p>
+<p>&#8212;C'est-il vrai.</p>
+<p>&#8212;Sur mon honneur! Cela n'est-il pas curieux, hein?</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-curieux, r&eacute;pondu Sam, en se congratulant
+int&eacute;rieurement sur la
+bonhomie de l'&eacute;tranger. Comment nous appelons-nous, mon
+patriarche?</p>
+<p>&#8212;Job.</p>
+<p>&#8212;Et c'est un fameux nom. Le seul nom, &agrave; ma connaissance, qui
+n'a pas
+re&ccedil;u une abr&eacute;viation. Et l'autre nom?</p>
+<p>&#8212;Trotter, dit l'&eacute;tranger. Et le v&ocirc;tre?&raquo;</p>
+<p>Sam se rappela les ordres de son ma&icirc;tre et r&eacute;pondit:
+&laquo;Mon nom est
+Walker, le nom de mon ma&icirc;tre est Wilkins. Voulez-vous prendre une
+goutte
+de quelque chose ce matin, M. Trotter?&raquo;</p>
+<p>M. Trotter donna son complet assentiment &agrave; cette
+agr&eacute;able proposition,
+et ayant d&eacute;pos&eacute; son livre dans la poche de son habit, il
+accompagna M.
+Walker &agrave; la buvette. L&agrave;, ils s'occup&egrave;rent &agrave;
+discuter le m&eacute;rite d'un
+agr&eacute;able m&eacute;lange, contenu dans un vase d'&eacute;tain et
+compos&eacute; de l'essence
+parfum&eacute;e du clou de girofle et d'une certaine quantit&eacute; de
+geni&egrave;vre de
+Hollande, fabriqu&eacute; en Angleterre.</p>
+<p>&laquo;Et c'est-il une bonne place que vous avez? demanda Sam, en
+remplissant
+pour la seconde fois le verre de son compagnon.</p>
+<p>&#8212;Mauvaise, r&eacute;pondit Job, en se l&eacute;chant les
+l&egrave;vres, tr&egrave;s-mauvaise.</p>
+<p>&#8212;Vrai?</p>
+<p>&#8212;Oui, s&ucirc;r; et pire que cela; mon ma&icirc;tre va se marier.</p>
+<p>&#8212;Pas possible!</p>
+<p>&#8212;Si, et pire que cela. Il va enlever une grosse
+h&eacute;riti&egrave;re dans une
+pension.</p>
+<p>&#8212;Quel dragon! dit Sam, en remplissant encore le verre de son
+camarade.
+C'est quelque pension de cette ville, je suppose?&raquo;</p>
+<p>Cette question fut faite du ton le plus indiff&eacute;rent qu'on
+puisse
+imaginer. Cependant M. Job Trotter montra clairement, par ses
+mani&egrave;res,
+qu'il remarquait avec quelle anxi&eacute;t&eacute; son nouvel ami
+attendait sa
+r&eacute;ponse. Il vida son verre, regarda myst&eacute;rieusement Sam
+Weller, cligna
+l'un apr&egrave;s l'autre chacun de ses petits yeux, et finalement fit
+avec sa
+main le geste de manier une pompe imaginaire, donnant &agrave; entendre
+par l&agrave;
+qu'il consid&eacute;rait son compagnon comme trop d&eacute;sireux de
+pomper ses
+secrets.</p>
+<p>&laquo;Non, non, observa-t-il, en conclusion. Cela ne se dit pas
+&agrave; tout le
+monde. C'est un secret; un grand secret, M. Walker.&raquo;</p>
+<p>En pronon&ccedil;ant ces paroles, l'homme violet retourna son verre
+sens dessus
+dessous, afin de faire remarquer ing&eacute;nieusement &agrave; son
+compagnon qu'il
+n'y restait plus rien pour assouvir sa soif. Sam comprit l'apologue; il
+en appr&eacute;cia la d&eacute;licatesse, et ordonna de remplir, sur
+nouveaux frais,
+le vase d'&eacute;tain. Cet ordre fit briller de plaisir les petits
+yeux de
+l'homme violet.</p>
+<p>&laquo;Ainsi donc, c'est un secret? reprit Sam.</p>
+<p>&#8212;Je l'imagine comme cela, r&eacute;pliqua l'autre en sirotant sa
+liqueur avec
+complaisance.</p>
+<p>&#8212;Je suppose que votre ma&icirc;tre est un richard?&raquo;</p>
+<p>M. Trotter sourit, et, tenant son verre de la main gauche, il donna,
+avec sa main droite, quatre tapes distinctes sur le gousset de sa
+culotte violette, comme pour faire entendre que son ma&icirc;tre aurait
+pu
+agir de m&ecirc;me sans alarmer personne par le bruit de son argent.</p>
+<p>&laquo;Ah! reprit Sam, voil&agrave; l'histoire?&raquo;</p>
+<p>L'homme violet baissa la t&ecirc;te d'une mani&egrave;re
+significative.</p>
+<p>&laquo;Et est-ce que vous n'imaginez pas, mon vieux, que vous seriez
+une
+fameuse canaille si vous laissiez votre ma&icirc;tre empoigner cette
+jeune
+demoiselle?</p>
+<p>&#8212;Je sais cela, r&eacute;pliqua Job Trotter, en soupirant
+profond&eacute;ment et en
+tournant vers son interlocuteur un visage plein de contrition. Je sais
+cela, et c'est ce qui p&egrave;se sur mon esprit; mais qu'est-ce que je
+peux
+faire?</p>
+<p>&#8212;Faire? s'&eacute;cria Sam, chanter &agrave; la ma&icirc;tresse et
+enfoncer votre ma&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Qui est-ce qui me croirait? La jeune lady est regard&eacute;e comme
+un mod&egrave;le
+de prudence et de discr&eacute;tion; elle dirait que non, et mon
+ma&icirc;tre aussi.
+Qui est-ce qui me croirait? Je perdrais ma place et je me verrais
+poursuivi comme diffamateur ou quelque chose comme &ccedil;a.
+Voil&agrave; tout ce que
+j'y gagnerais.</p>
+<p>&#8212;Il y a du vrai, dit Sam en ruminant; il y a du vrai dans ce que
+vous
+dites l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Si je connaissais quelque respectable gentleman qui voul&ucirc;t se
+charger
+de l'affaire, je pourrais esp&eacute;rer d'emp&ecirc;cher
+l'enl&egrave;vement. Mais il y a
+la m&ecirc;me difficult&eacute;, monsieur Walker; juste la m&ecirc;me.
+Je ne connais pas de
+gentleman respectable en ce pays, et si j'en connaissais un, il y a dix
+&agrave; parier contre un qu'il ne croirait pas mon r&eacute;cit.</p>
+<p>&#8212;Venez par ici, cria Sam, en se levant tout d'un coup et en
+saisissant
+son compagnon par le bras. Mon ma&icirc;tre est l'homme qu'il vous
+faut.&raquo;</p>
+<p>Apr&egrave;s une l&eacute;g&egrave;re r&eacute;sistance, Job Trotter
+fut conduit dans l'appartement
+de M. Pickwick, et lui fut pr&eacute;sent&eacute;, avec un court
+sommaire du dialogue
+que nous venons de rapporter.</p>
+<p>&laquo;Je suis bien f&acirc;ch&eacute; de trahir mon ma&icirc;tre,
+monsieur, dit Job Trotter, en
+appliquant &agrave; son &#339;il un mouchoir rouge d'environ trois pouces
+carr&eacute;s.</p>
+<p>&#8212;Ce sentiment vous fait beaucoup d'honneur, r&eacute;pliqua M.
+Pickwick.
+Mais, cependant, c'est votre devoir....</p>
+<p>&#8212;Je sais que c'est mon devoir, monsieur, reprit Job avec une grande
+&eacute;motion. Nous devons tous nous efforcer de remplir nos devoirs,
+monsieur, et je m'efforce humblement de remplir les miens, monsieur.
+Mais c'est une dure &eacute;preuve de trahir un ma&icirc;tre, monsieur,
+dont vous
+portez les habits, dont vous mangez le pain, m&ecirc;me quand c'est un
+coquin,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes un brave gar&ccedil;on, dit M. Pickwick fort
+affect&eacute;, un honn&ecirc;te
+gar&ccedil;on.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! observa Sam, qui avait vu avec beaucoup
+d'impatience
+les larmes de M. Trotter; assez d'arrosage comme &ccedil;a; &ccedil;a
+n'est bon &agrave;
+rien.</p>
+<p>&#8212;Sam, reprit M. Pickwick d'un ton de reproche, je suis
+f&acirc;ch&eacute; de voir
+que vous ayez si peu de respect pour les sentiments de ce jeune homme.</p>
+<p>&#8212;Ses sentiments sont tr&egrave;s-beaux, monsieur, et m&ecirc;mes si
+beaux que c'est
+une piti&eacute; qu'il les perde comme &ccedil;a; et je pense qu'il
+ferait mieux de
+les garder dans son estomac que de les laisser &eacute;vaporiser en eau
+chaude,
+esp&eacute;cialement comme &ccedil;a ne sert &agrave; rien. Des larmes,
+&ccedil;a n'a jamais servi &agrave;
+remonter une horloge ni &agrave; faire marcher une machine. La
+premi&egrave;re fois
+que vous irez dans le monde, fourrez-vous &ccedil;a dans la caboche,
+mon vieux;
+et pour le pr&eacute;sent introduisez ce morceau de guingamp rouge dans
+votre
+poche. Il n'est pas assez beau pour le secouer comme &ccedil;a en
+l'air, comme
+si vous &eacute;tiez un danseur de corde.</p>
+<p>&#8212;Sam a raison, remarqua M. Pickwick, en s'adressant &agrave; Job:
+Sam a
+raison, quoique sa mani&egrave;re de s'exprimer soit un peu commune et
+quelquefois incompr&eacute;hensible.</p>
+<p>&#8212;Il a tout &agrave; fait raison, monsieur, r&eacute;pliqua M.
+Trotter, et je ne
+c&eacute;derai pas davantage &agrave; cette faiblesse.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, reprit notre sage; et maintenant, o&ugrave; est
+cette pension de
+demoiselles?</p>
+<p>&#8212;C'est une vieille maison de briques rouges, tout juste en dehors de
+la
+ville, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et quand ce perfide dessein sera-t-il ex&eacute;cut&eacute;? Quand
+est-ce que
+l'enl&egrave;vement doit avoir lieu?</p>
+<p>&#8212;Cette nuit, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Cette nuit?</p>
+<p>&#8212;Cette nuit m&ecirc;me, monsieur. C'est ce qui me f&acirc;che tant.</p>
+<p>&#8212;Il faut prendre des mesures instantan&eacute;es. Je vais voir
+imm&eacute;diatement
+la dame qui dirige l'&eacute;tablissement.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande pardon, monsieur, mais cela ne servira &agrave;
+rien.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi donc?</p>
+<p>&#8212;Mon ma&icirc;tre, monsieur, est un homme tr&egrave;s-artificieux.</p>
+<p>&#8212;Je le sais bien.</p>
+<p>&#8212;Et il s'est si bien entortill&eacute; autour du c&#339;ur de la vieille
+dame
+qu'elle ne croirait rien &agrave; son pr&eacute;judice, quand vous en
+feriez serment
+sur vos deux genoux. D'ailleurs vous n'avez pas d'autre preuve que la
+parole d'un domestique; mon ma&icirc;tre ne manquera pas de dire qu'il
+m'a
+renvoy&eacute; pour quelque chose, et que je fais cela afin de me
+venger.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que nous pourrions donc faire, alors?</p>
+<p>&#8212;Rien ne pourra convaincre la vieille dame, monsieur, si elle ne le
+prend pas sur le fait de l'enl&egrave;vement.</p>
+<p>&#8212;Ces vieilles mules-l&agrave;, interposa Sam, en guise de
+parenth&egrave;se, ces
+vieilles mules-l&agrave;, s'obstinent &agrave; prendre des vessies pour
+des lanternes.</p>
+<p>&#8212;Mais, fit observer M. Pickwick, j'ai peur qu'il ne soit infiniment
+difficile de le prendre sur le fait.</p>
+<p>&#8212;Je ne sais pas, monsieur, r&eacute;pondit Job apr&egrave;s un
+instant de r&eacute;flexion;
+il me semble que cela pourrait se faire tr&egrave;s-ais&eacute;ment.</p>
+<p>&#8212;Comment cela?</p>
+<p>&#8212;Voyez-vous, mon ma&icirc;tre a gagn&eacute; les deux servantes, et
+elles doivent
+nous introduire dans la cuisine, ce soir, &agrave; dix heures. Quand
+toute la
+maison se sera retir&eacute;e pour dormir, nous sortirons de la
+cuisine, et
+alors la jeune personne descendra de sa chambre; il y aura une chaise
+de
+poste, et en route!</p>
+<p>&#8212;Eh bien? fit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! monsieur; je crois que si vous nous attendiez dans le
+jardin,
+tout seul....</p>
+<p>&#8212;Tout seul! Pourquoi tout seul?</p>
+<p>&#8212;Je pensais que la vieille demoiselle n'aimerait pas qu'une
+d&eacute;couverte
+aussi d&eacute;sagr&eacute;able se f&icirc;t devant beaucoup de monde;
+et puis la jeune
+lady, monsieur, consid&eacute;rez sa confusion!...</p>
+<p>&#8212;Vous avez tout &agrave; fait raison. Cette r&eacute;flexion montre
+une grande
+d&eacute;licatesse de sentiments. Poursuivez; vous avez raison....</p>
+<p>&#8212;Eh bien! monsieur; je pensais donc que si vous attendiez tout seul
+dans le jardin, je pourrais vous introduire dans la maison, &agrave;
+onze
+heures et demie pr&eacute;cises, et qu'alors vous vous trouveriez juste
+&agrave; temps
+pour m'aider &agrave; d&eacute;monter les projets de ce m&eacute;chant
+homme, par qui j'ai eu
+le malheur d'&ecirc;tre s&eacute;duit.&raquo;</p>
+<p>Ici. M. Trotter soupira profond&eacute;ment.</p>
+<p>&laquo;Ne vous tourmentez pas de cela, dit M. Pickwick; s'il avait
+un grain de
+la probit&eacute; qui vous distingue, malgr&eacute; votre humble
+condition, je ne
+d&eacute;sesp&eacute;rerais pas de lui.&raquo;</p>
+<p>Job salua tr&egrave;s-bas, et, en d&eacute;pit des
+pr&eacute;c&eacute;dentes remontrances de Sam,
+ses yeux se remplirent de larmes.</p>
+<p>&laquo;Je n'ai jamais vu un pleurard comme &ccedil;a, dit Sam. Dieu
+me pardonne, s'il
+n'a pas un robinet toujours ouvert dans la t&ecirc;te!</p>
+<p>&#8212;Sam! dit M. Pickwick avec une grande s&eacute;v&eacute;rit&eacute;,
+retenez votre langue.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je n'aime pas ce plan, poursuivit notre philosophe apr&egrave;s une
+profonde
+m&eacute;ditation. Pourquoi ne pas communiquer avec les amis de la
+jeune
+personne?</p>
+<p>&#8212;Parce qu'ils habitent &agrave; cinquante lieues d'ici, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a rien &agrave; r&eacute;pondre &agrave; &ccedil;a, remarqua
+Sam, &agrave; part.</p>
+<p>&#8212;Ensuite, ce jardin, reprit M. Pickwick, comment y entrerai-je?</p>
+<p>&#8212;Le mur est tr&egrave;s-bas, monsieur, et votre domestique vous fera
+la courte
+&eacute;chelle.</p>
+<p>&#8212;Mon domestique me fera la courte &eacute;chelle,
+r&eacute;p&eacute;ta machinalement M.
+Pickwick, et vous ne manquerez pas de m'ouvrir la porte de la maison?...</p>
+<p>&#8212;Vous ne pouvez pas vous tromper, monsieur. Il n'y a qu'une porte
+dans
+le jardin; tapez-y quand vous entendrez sonner l'horloge, et je vous
+ouvrirai sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;Je n'aime pas ce plan, redit M. Pickwick; mais il faut bien
+l'adopter,
+car je n'en vois pas d'autre, et il s'agit du bonheur de cette jeune
+personne, pour toute sa vie. J'y irai, soyez-en s&ucirc;r.&raquo;</p>
+<p>Ainsi, pour la seconde fois, la bont&eacute; naturelle de M.
+Pickwick
+l'entra&icirc;na dans une entreprise, dont son excellent jugement
+l'aurait
+d&eacute;tourn&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Comment s'appelle la maison? demanda-t-il.</p>
+<p>&#8212;Westgate-House, monsieur. Vous tournez un peu &agrave; droite quand
+vous
+arrivez au bout de la ville; la maison est isol&eacute;e, &agrave; une
+petite distance
+de la route, et son nom est sur une plaque de cuivre, sur la porte.</p>
+<p>&#8212;Je le sais r&eacute;pondit M. Pickwick; j'avais remarqu&eacute;
+cette maison la
+premi&egrave;re fois que j'ai visit&eacute; cette ville. Vous pouvez
+compter sur moi.&raquo;</p>
+<p>M. Trotter salua et se d&eacute;tourna pour partir. M. Pickwick lui
+mit une
+gain&eacute;e dans la main.</p>
+<p>&laquo;Vous &ecirc;tes un brave gar&ccedil;on, lui dit-il, et
+j'admire la bont&eacute; de votre
+c&#339;ur. Pas de remerc&icirc;ments. Souvenez-vous: onze heures et demie.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas de danger que je l'oublie, monsieur, r&eacute;pondit
+Job
+Trotter, et il quitta la chambre.</p>
+<p>&#8212;Camarade, lui dit Sam, qui l'avait suivi, ce n'est pas une mauvaise
+chose, cette pleurnicherie. Je voudrais pleurer comme une
+goutti&egrave;re dans
+une averse, &agrave; ce prix-l&agrave;. Comment donc que vous faites?</p>
+<p>&#8212;Cela vient du c&#339;ur, monsieur Walker, r&eacute;pondit Job
+solennellement. Je
+vous souhaite le bonjour.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; un gaillard facile &agrave; &eacute;mouvoir, pensa Sam
+Weller en le voyant
+s'&eacute;loigner. C'est &eacute;gal, nous lui avons tir&eacute; les
+vers du nez, toujours.&raquo;</p>
+<p>Nous ne pouvons pas dire pr&eacute;cis&eacute;ment quelles
+&eacute;taient les pens&eacute;es qui
+occupaient l'esprit de M. Trotter, attendu que nous n'en savons rien du
+tout.</p>
+<p>Cependant le jour s'&eacute;coula, le soir vint, et, un peu avant
+dix heures,
+Sam rapporta &agrave; son ma&icirc;tre que M. Jingle et Job
+&eacute;taient sortis ensemble,
+que leurs bagages &eacute;taient empaquet&eacute;s, et qu'ils avaient
+command&eacute; une
+chaise. Le complot &eacute;tait &eacute;videmment en voie
+d'ex&eacute;cution, comme M.
+Trotter l'avait pr&eacute;dit.</p>
+<p>Dix heures et demie arriv&egrave;rent. C'&eacute;tait l'instant
+o&ugrave; M. Pickwick devait
+partir pour sa d&eacute;licate entreprise. Afin de ne pas &ecirc;tre
+embarrass&eacute; pour
+escalader le mur, il refusa le pardessus que lui offrait Sam, et
+sortit,
+suivi de ce fid&egrave;le serviteur.</p>
+<p>La lune &eacute;tait sur l'horizon, mais cach&eacute;e
+derri&egrave;re des nuages, la nuit
+&eacute;tait belle et s&egrave;che, mais singuli&egrave;rement sombre;
+les sentiers, les
+haies, les champs, les maisons et les arbres &eacute;taient
+envelopp&eacute;s d'une
+ombre &eacute;paisse; l'atmosph&egrave;re &eacute;tait lourde et
+br&ucirc;lante; des &eacute;clairs de
+chaleur illuminaient de temps en temps les nuages, et c'&eacute;tait la
+seule
+chose qui anim&acirc;t un peu la triste obscurit&eacute; dont la terre
+&eacute;tait
+couverte; aucun son ne se faisait entendre, except&eacute; l'aboiement
+&eacute;loign&eacute;
+de quelque chien inquiet.</p>
+<p>Nos aventuriers trouv&egrave;rent la maison, reconnurent
+l'inscription de
+cuivre, firent le tour du mur, et s'arr&ecirc;t&egrave;rent vers le
+fond du jardin.</p>
+<p>&laquo;Sam, dit M. Pickwick, vous retournerez &agrave; l'auberge
+quand vous m'aurez
+aid&eacute; &agrave; monter par-dessus le mur.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et vous m'attendrez.</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Prenez ma jambe, et quand je dirai: <i>haut!</i> &eacute;levez-moi
+doucement.</p>
+<p>&#8212;Me voil&agrave; pr&ecirc;t, monsieur....&raquo;</p>
+<p>Ayant arrang&eacute; ces pr&eacute;liminaires, M. Pickwick empoigna
+le sommet du mur,
+et donna la mot <i>haut!</i> qui fut ob&eacute;i
+tr&egrave;s-litt&eacute;ralement; car, soit que
+son corps particip&acirc;t en quelque degr&eacute; de
+l'&eacute;lasticit&eacute; de son esprit,
+soit que les id&eacute;es de Sam sur une <i>douce
+&eacute;l&eacute;vation</i> ne fussent pas
+exactement les m&ecirc;mes que celles de son ma&icirc;tre, l'effet
+imm&eacute;diat de son
+assistance fut de le jeter par-dessus le mur. Apr&egrave;s avoir
+&eacute;cras&eacute; trois
+framboisiers et un rosier, cet immortel gentleman descendit enfin de
+toute sa longueur sur la terre.</p>
+<p>&laquo;Vous ne vous &ecirc;tes pas bless&eacute;, monsieur? demanda
+Sam, aussit&ocirc;t qu'il fut
+revenu de la surprise que lui avait caus&eacute;e la myst&eacute;rieuse
+disparition du
+philosophe.</p>
+<p>&#8212;Non, certainement, je ne me suis pas bless&eacute;, r&eacute;pondit
+celui-ci, de
+l'autre c&ocirc;t&eacute; du mur. Je croirais plut&ocirc;t que c'est
+vous qui m'avez
+bless&eacute;, Sam.</p>
+<p>&#8212;J'esp&egrave;re que non, monsieur!</p>
+<p>&#8212;Ne vous tourmentez point, reprit notre sage en se relevant; ce
+n'est
+rien... quelques &eacute;gratignures.... Allez vous-en, car nous
+serions
+entendus.</p>
+<p>&#8212;Bonne chance, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Bonsoir.&raquo;</p>
+<p>Sam s'&eacute;loigna donc doucement, laissant M. Pickwick seul dans
+le jardin.</p>
+<p>Des lumi&egrave;res se montraient de temps en temps aux
+diff&eacute;rentes fen&ecirc;tres du
+b&acirc;timent, ou passaient dans les escaliers, comme pour indiquer
+que les
+pensionnaires se retiraient dans leurs chambres. N'ayant nulle envie
+d'approcher de la porte avant l'heure fix&eacute;e, M. Pickwick se
+blottit dans
+un angle du mur pour attendre qu'elle arriv&acirc;t.</p>
+<p>Il &eacute;tait alors dans une position qui aurait abattu l'audace
+de bien des
+h&eacute;ros, et cependant il ne ressentit ni inqui&eacute;tude ni
+d&eacute;couragement: il
+savait que son dessein &eacute;tait honorable, et il se confiait, sans
+nulle
+h&eacute;sitation, aux nobles sentiments de Job Trotter. La situation
+&eacute;tait
+triste certainement, pour ne pas dire accablante; mais un esprit
+contemplatif peut toujours se distraire par la m&eacute;ditation. A
+force de
+m&eacute;diter, M. Pickwick &eacute;tait tomb&eacute; dans une sorte
+d'assoupissement,
+lorsqu'il en fut tir&eacute; par l'horloge de l'&eacute;glise voisine,
+qui sonnaient
+onze heures et demie.</p>
+<p>&laquo;Voici le moment,&raquo; pensa-t-il, en se mettant avec
+pr&eacute;caution sur ses
+pieds. Il examina la maison: les lumi&egrave;res avaient disparu, les
+volets
+&eacute;taient ferm&eacute;s; tout le monde &eacute;tait au lit, sans
+aucun doute. Il
+s'avan&ccedil;a &agrave; pas de loup vers la porte, et frappa
+doucement. Deux ou trois
+minutes s'&eacute;taient pass&eacute;es sans r&eacute;ponse, il frappa
+un autre coup plus
+fort, puis un autre plus fort encore.</p>
+<p>A la fin, un bruit de pas se fit entendre dans l'escalier; la
+lumi&egrave;re
+d'une chandelle brilla &agrave; travers le trou de la serrure; des
+barres, des
+verrous furent tir&eacute;s, et la porte s'ouvrit lentement.</p>
+<p>La porte s'ouvrit lentement, et &agrave; mesure qu'elle s'ouvrait de
+plus en
+plus, M. Pickwick se retirait de plus en plus derri&egrave;re elle. Il
+allongea
+la t&ecirc;te avec pr&eacute;caution pour reconna&icirc;tre la personne
+qui s'avan&ccedil;ait;
+mais quel fut son &eacute;tonnement lorsqu'il aper&ccedil;ut, au lieu
+de Job Trotter,
+une servante inconnue, qui tenait une chandelle dans sa main. M.
+Pickwick retira sa t&ecirc;te avec la vivacit&eacute;
+d&eacute;ploy&eacute;e par Polichinelle, cet
+admirable com&eacute;dien, quand il craint d'&ecirc;tre
+d&eacute;couvert par le commissaire.</p>
+<p>&laquo;Sarah, dit la servante en s'adressant &agrave; quelqu'un dans
+la maison, c'est
+apparemment le chat. Minet! minet! petit! petit! petit!&raquo;</p>
+<p>Aucun animal n'ayant &eacute;t&eacute; attir&eacute; par ces
+incantations, la servante
+referma lentement la porte, et la reverrouilla, laissant M. Pickwick
+aplati contre le mur.</p>
+<p>&laquo;Ceci est fort &eacute;trange, pensa-t-il avec tristesse.
+Elles veillent, &agrave; ce
+que je suppose, plus tard qu'&agrave; l'ordinaire. Il est bien
+malheureux
+qu'elles aient choisi pr&eacute;cis&eacute;ment cette nuit-ci,
+extr&ecirc;mement
+malheureux!&raquo; Tout en faisant ces r&eacute;flexions, M. Pickwick
+se retirait
+avec pr&eacute;caution dans l'angle du mur, o&ugrave; il avait
+&eacute;t&eacute; originairement
+cach&eacute;, r&eacute;solu d'attendre l&agrave; assez longtemps pour
+pouvoir r&eacute;p&eacute;ter, sans
+danger, son signal.</p>
+<p>Il y &eacute;tait &agrave; peine depuis cinq minutes, lorsque la
+lueur &eacute;blouissante
+d'un &eacute;clair fut imm&eacute;diatement suivie d'un violent coup de
+tonnerre, qui
+fit retentir les cieux d'un &eacute;pouvantable roulement puis vint un
+autre
+&eacute;clair plus &eacute;blouissant que le premier; puis un autre
+coup de tonnerre,
+plus &eacute;pouvantable que le pr&eacute;c&eacute;dent; puis enfin
+arriva la pluie, plus
+terrible encore que les uns et les autres.</p>
+<p>M. Pickwick savait parfaitement qu'un arbre est un
+tr&egrave;s-dangereux voisin
+pendant un orage: or, il avait un arbre &agrave; sa droite, un autre
+&agrave; sa
+gauche, un troisi&egrave;me devant lui, un quatri&egrave;me
+derri&egrave;re. S'il restait o&ugrave;
+il &eacute;tait, il risquait d'&ecirc;tre foudroy&eacute;; s'il se
+montrait au milieu du
+jardin, il pouvait &ecirc;tre saisi et livr&eacute; aux constables. Une
+ou deux fois
+il essaya d'escalader le mur; mais, n'ayant alors aucun aide, le seul
+r&eacute;sultat de ses efforts fut de mettre toute sa personne dans un
+&eacute;tat de
+transpiration abondante, et d'op&eacute;rer sur ses genoux et sur les
+os de ses
+jambes une infinit&eacute; d'&eacute;gratignures.</p>
+<p>&laquo;Quelle &eacute;pouvantable situation!&raquo; se dit-il
+&agrave; lui-m&ecirc;me, en s'arr&ecirc;tant
+apr&egrave;s cet exercice pour essuyer son front et pour frotter ses
+genoux. En
+m&ecirc;me temps, il regardait vers la maison, et n'y voyant plus de
+lumi&egrave;re,
+il se flatta que tout le monde serait couch&eacute;; il r&eacute;solut
+donc de r&eacute;p&eacute;ter
+son signal.</p>
+<p>Il marche sur la pointe du pied, dans le sable humide; il frappe
+&agrave; la
+porte; il retient son haleine; il &eacute;coute &agrave; travers le
+trou de la
+serrure. Pas de r&eacute;ponse. C'est singulier. Un autre coup. Il
+&eacute;coute de
+nouveau; un chuchotement se fait entendre dans l'int&eacute;rieur, et
+une voix
+crie ensuite:</p>
+<p>&laquo;Qui va l&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas Job, pensa M. Pickwick en s'aplatissant contre le mur.
+C'est une voix de femme.&raquo;</p>
+<p>A peine &eacute;tait-il arriv&eacute; &agrave; cette conclusion,
+qu'une fen&ecirc;tre du premier
+&eacute;tage s'ouvrit, et trois ou quatre voix de femmes
+r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent la
+question: &laquo;Qui est l&agrave;?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick n'osa pas bouger. Il &eacute;tait clair que toute la
+maison &eacute;tait
+r&eacute;veill&eacute;e. Il r&eacute;solut de rester o&ugrave; il
+&eacute;tait jusqu'&agrave; ce que l'alarme f&ucirc;t
+apais&eacute;e, et ensuite de faire un effort surnaturel, d'escalader
+le mur,
+ou de p&eacute;rir dans cette noble entreprise.</p>
+<p>Comme toutes les r&eacute;solutions de M. Pickwick, celle-ci
+&eacute;tait la meilleure
+qu'il p&ucirc;t prendre dans les circonstances donn&eacute;es; mais
+malheureusement
+elle &eacute;tait fond&eacute;e sur l'hypoth&egrave;se que les
+habitants de la maison
+n'oseraient point rouvrir la porte. Quel fut donc son
+d&eacute;sappointement
+lorsqu'il entendit tirer barres et verrous, et lorsqu'il vit la porte
+s'entre-b&acirc;iller lentement, mais de plus en plus. Il fit retraite,
+pas &agrave;
+pas, jusqu'aupr&egrave;s des gonds; mais ce fut en vain qu'il
+s'effa&ccedil;a contre
+le mur: l'interposition de sa personne emp&ecirc;chait la porte de
+s'ouvrir
+tout &agrave; fait.</p>
+<p>&laquo;Qui est l&agrave;?&raquo; s'&eacute;cria, de l'escalier, un
+ch&#339;ur nombreux de voix de
+soprano. C'&eacute;taient la vieille demoiselle, ma&icirc;tresse de
+l'&eacute;tablissement,
+trois sous-ma&icirc;tresses, cinq domestiques femelles, et trente
+pensionnaires, toutes &agrave; demi-v&ecirc;tues, toutes
+ombrag&eacute;es d'une for&ecirc;t de
+papillotes.</p>
+<p>Comme on s'en doute bien, M. Pickwick ne r&eacute;pondit point <i>qui
+&eacute;tait l&agrave;</i>,
+et alors le refrain du ch&#339;ur fut chang&eacute; en celui-ci: &laquo;Mon
+Dieu! mon
+Dieu! comme j'ai peur!</p>
+<p>&#8212;Cuisini&egrave;re, dit la vieille demoiselle, qui avait pris soin
+de rester
+au haut de l'escalier, la derni&egrave;re du groupe; cuisini&egrave;re,
+pourquoi
+n'avancez-vous pas dans le jardin?</p>
+<p>&#8212;Si vous pla&icirc;t, ma'ame, je n'en avons pas envie.</p>
+<p>&#8212;Mon Dieu! mon Dieu! que cette cuisini&egrave;re est stupide!
+s'&eacute;cri&egrave;rent les
+trente pensionnaires.</p>
+<p>&#8212;Cuisini&egrave;re! reprit la vieille demoiselle avec grande
+dignit&eacute;, ne me
+raisonnez pas, s'il vous pla&icirc;t. Je vous ordonne de regarder dans
+le
+jardin, sur-le-champ.&raquo;</p>
+<p>Ici la cuisini&egrave;re commen&ccedil;a &agrave; pleurer: la
+servante dit que c'&eacute;tait une
+honte de la traiter ainsi, et pour cet acte de r&eacute;bellion elle
+re&ccedil;ut son
+cong&eacute; sur la place.</p>
+<p>&laquo;Cuisini&egrave;re! entendez-vous? cria la vieille demoiselle
+en frappant du
+pied avec col&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Cuisini&egrave;re! entendez-vous votre ma&icirc;tresse?
+cri&egrave;rent les trois
+sous-ma&icirc;tresses.</p>
+<p>&#8212;Cette cuisini&egrave;re est-elle impudente!&raquo; cri&egrave;rent
+les trente
+pensionnaires.</p>
+<p>L'infortun&eacute;e cuisini&egrave;re, ainsi pouss&eacute;e en
+avant, fit un pas ou deux en
+ayant soin de tenir sa chandelle de mani&egrave;re qu'il lui f&ucirc;t
+impossible de
+rien apercevoir. Elle d&eacute;clara donc qu'elle ne voyait rien dans
+le
+jardin, et que ce devait &ecirc;tre le vent.</p>
+<p>La porte allait se refermer, en cons&eacute;quence, lorsqu'une
+pensionnaire
+curieuse s'&eacute;tant hasard&eacute;e &agrave; regarder entre les
+gonds, jeta un cri
+effroyable qui fit rentrer en un clin d'&#339;il la cuisini&egrave;re, la
+servante
+et les plus aventureuses.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qui est donc arriv&eacute; &agrave; miss Smithers?
+demanda la vieille
+demoiselle, tandis que ladite miss Smithers tombait dans une attaque de
+nerfs de la puissance de quatre jeunes ladies.</p>
+<p>&#8212;Mon Dieu! mon Dieu! ch&egrave;re miss Smithers! dirent les
+vingt-neuf autres
+pensionnaires.</p>
+<p>&#8212;Oh! l'homme! l'homme derri&egrave;re la porte!&raquo; cria miss
+Smithers d'une
+voix entrecoup&eacute;e.</p>
+<p>Aussit&ocirc;t que la vieille demoiselle eut entendu ces mots
+effrayants, elle
+battit en retraite jusque dans sa chambre &agrave; coucher, ferma la
+porta &agrave;
+double tour, et se trouva mal tout &agrave; son aise. Cependant les
+pensionnaires, les sous-ma&icirc;tresses, les servantes se
+pr&eacute;cipitaient sur
+l'escalier, les unes par-dessus les autres; et jamais on n'avait vu
+tant
+de bousculades, tant d'&eacute;vanouissements, tant de cris. Au milieu
+du
+tumulte, M. Pickwick sortit de sa cachette et se pr&eacute;senta devant
+ces
+colombes effarouch&eacute;es.</p>
+<p>&laquo;Ladies! ch&egrave;res ladies! leur dit-il.</p>
+<p>&#8212;Oh! Il nous appelle <i>ch&egrave;res</i>, cria la plus laide et la
+plus vieille
+des sous-ma&icirc;tresses. Dieux! le mis&eacute;rable!</p>
+<p>&#8212;Ladies! vocif&eacute;ra M. Pickwick, devenu
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute; par le danger de sa
+situation. &Eacute;coutez-moi! je ne suis point un voleur! Tout ce que
+je veux,
+c'est la ma&icirc;tresse de la maison!</p>
+<p>&#8212;Oh! quel monstre f&eacute;roce! s'&eacute;cria une autre
+sous-ma&icirc;tresse. Il en veut
+&agrave; miss Tomkins!&raquo;</p>
+<p>Ici les g&eacute;missements devinrent universels.</p>
+<p>&#8212;Sonnez la cloche d'alarme! dirent une douzaine de voix.</p>
+<p>&#8212;Non! non! cria M. Pickwick, regardez-moi! ai-je l'air d'un voleur?
+Mes
+ch&egrave;res dames, vous pouvez m'attacher, m'enfermer, pieds et
+poings li&eacute;s,
+dans un cabinet, si cela vous fait plaisir. Seulement &eacute;coutez ce
+que
+j'ai &agrave; dire! seulement &eacute;coutez-moi!</p>
+<p>&#8212;Comment &ecirc;tes-vous entr&eacute; dans notre jardin? balbutia la
+servante.</p>
+<p>&#8212;Appelez la ma&icirc;tresse de la maison, et je lui dirai tout,
+tout!
+continua M. Pickwick de toutes les forces de ses poumons. Appelez-la
+donc; seulement soyez calmes, et appelez-la: vous entendrez tout!&raquo;</p>
+<p>&Eacute;tait-ce gr&acirc;ce &agrave; la figure de M. Pickwick, ou
+&agrave; son &eacute;loquence, ou &agrave; la
+tentation irr&eacute;sistible pour des esprits f&eacute;minins
+d'entendre quelque
+chose de myst&eacute;rieux? nous l'ignorons; mais les femelles les plus
+raisonnables de l'&eacute;tablissement, au nombre d'environ quatre ou
+cinq,
+parvinrent enfin &agrave; recouvrer une tranquillit&eacute;
+comparative. Elles
+propos&egrave;rent &agrave; M. Pickwick de se soumettre
+imm&eacute;diatement &agrave; une contrainte
+personnelle, afin de prouver sa sinc&eacute;rit&eacute;: il y
+consentit, et, pour
+obtenir de conf&eacute;rer avec miss Tomkins, il entra
+spontan&eacute;ment dans le
+cabinet o&ugrave; les externes pendaient leurs bonnets et leurs sacs
+durant
+les classes. Lorsqu'il y fut soigneusement renferm&eacute;, les brebis
+effray&eacute;es commenc&egrave;rent peu &agrave; peu &agrave;
+reprendre courage. Miss Tomkins fut
+tir&eacute;e de son &eacute;vanouissement et de sa chambre; ses
+acolytes l'apport&egrave;rent
+au rez-de-chauss&eacute;e, et la conf&eacute;rence commen&ccedil;a.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! l'homme, dit miss Tomkins d'une voix faible, que
+faisiez-vous
+dans mon jardin?</p>
+<p>&#8212;Je venais pour vous avertir qu'une de vos jeunes demoiselles doit
+s'&eacute;chapper cette nuit, r&eacute;pondit M. Pickwick de
+l'int&eacute;rieur du cabinet.</p>
+<p>&#8212;S'&eacute;chapper! s'&eacute;cri&egrave;rent miss Tomkins, les
+trois sous-ma&icirc;tresses et les
+trente pensionnaires. Et avec qui?</p>
+<p>&#8212;Avec votre ami, M. Charles Fitz-Marshall.</p>
+<p>&#8212;<i>Mon</i> ami! je ne connais personne de ce nom.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! M. Jingle alors.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai jamais entendu ce nom de ma vie.</p>
+<p>&#8212;Alors j'ai &eacute;t&eacute; tromp&eacute;! abus&eacute;! dit M.
+Pickwick; j'ai &eacute;t&eacute; la victime
+d'un complot, d'un l&acirc;che et vil complot! Envoyez &agrave;
+l'h&ocirc;tel de l'Ange, ma
+ch&egrave;re madame, si vous ne me croyez pas. Je vous en supplie,
+madame,
+envoyez &agrave; l'h&ocirc;tel de l'Ange, et faites demander le
+domestique de M.
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Il para&icirc;t que c'est un homme respectable, puisqu'il garde un
+domestique! dit miss Tomkins &agrave; la ma&icirc;tresse
+d'&eacute;criture et de calcul.</p>
+<p>&#8212;J'imagine plut&ocirc;t, r&eacute;pondit celle-ci, que c'est son
+domestique qui le
+garde. Je pense qu'il est fou, miss Tomkins, et que l'autre est son
+gardien.</p>
+<p>&#8212;Je crois que vous avez raison, miss Gwynn, r&eacute;pondit la
+vieille
+demoiselle. Il faut que deux des servantes aillent &agrave;
+l'h&ocirc;tel de l'Ange,
+et que les autres restent ici pour nous prot&eacute;ger.&raquo;</p>
+<p>Deux des servantes furent en cons&eacute;quence
+d&eacute;p&ecirc;ch&eacute;es &agrave; l'h&ocirc;tel de l'Ange,
+en qu&ecirc;te de M. Samuel Weller, tandis que les trois autres
+rest&egrave;rent pour
+prot&eacute;ger miss Tomkins, les trois sous-ma&icirc;tresses et les
+trente
+pensionnaires. M. Pickwick s'assit par terre, dans le cabinet, et
+attendit le retour des deux messagers avec toute la philosophie, tout
+le
+courage qu'il put appeler &agrave; son aide.</p>
+<p>Une heure et demie s'&eacute;coul&egrave;rent dans cette
+p&eacute;nible situation, et lorsque
+les deux servantes revinrent enfin, M. Pickwick reconnut, outre la voix
+de Samuel Weller, deux autres voix dont l'accent paraissait familier
+&agrave;
+son oreille, mais dont il n'aurait pas pu deviner les
+propri&eacute;taires,
+quand il se serait agi de sa vie.</p>
+<p>Une courte conf&eacute;rence s'ensuivit; la porte fut ouverte; M.
+Pickwick
+sortit du cabinet et se trouva en pr&eacute;sence de toute la pension,
+de Sam
+Weller, du vieux M. Wardle et de son futur gendre.</p>
+<p>&laquo;Mon cher ami! dit M. Pickwick en se pr&eacute;cipitant vers
+M. Wardle et en
+saisissant ses mains; mon cher ami! au nom du ciel! expliquez &agrave;
+ces
+dames la malheureuse, l'horrible situation dans laquelle je me trouve
+plac&eacute;. Vous devez l'avoir apprise de mon domestique. Dites-leur
+&agrave; tout
+hasard, mon cher camarade, que je ne suis ni un brigand, ni un fou.</p>
+<p>&#8212;Je l'ai dit, mon cher ami, je l'ai dit, r&eacute;pliqua M. Wardle
+en secouant
+la main droite du philosophe, tandis que M. Trundle secouait sa main
+gauche.</p>
+<p>&#8212;Et ceux qui disent, ou bien qui ont dit qu'il l'&eacute;tait,
+s'&eacute;cria Sam en
+s'avan&ccedil;ant au milieu de la soci&eacute;t&eacute;, ils disent
+quelque chose qui n'est
+pas vrai, mais au contraire qu'est tout &agrave; fait l'opposite. Et
+s'il y a
+ici des hommes, n'importe combien, qui disent &ccedil;a, je leur y
+donnerai une
+preuve convaincante du contraire, dans cette m&ecirc;me chambre ici, si
+ces
+tr&egrave;s-respectables ladies veulent avoir la bont&eacute; de se
+retirer et de
+faire monter leurs hommes, un &agrave; un.&raquo; Ayant exprim&eacute;
+ce d&eacute;fi chevaleresque
+avec une grande volubilit&eacute;, Sam Weller frappa
+&eacute;nergiquement la paume de
+sa main avec son poing ferm&eacute;, et regarda miss Tomkins d'un air
+gracieux
+et en clignant de l'&#339;il. Mais la galanterie de Sam ne produisit aucun
+effet sur cette vertueuse personne, qui avait entendu avec une horreur
+indicible la supposition, implicitement exprim&eacute;e, qu'il pouvait
+se
+trouver <i>des hommes</i> dans l'enceinte d'une pension de demoiselles.</p>
+<p>L'apologie de M. Pickwick fut bient&ocirc;t termin&eacute;e, mais on
+ne put tirer de
+lui aucune parole, ni pendant son retour &agrave; l'h&ocirc;tel, ni
+lorsqu'il fut
+assis, avec ses amis, entre un bon feu et le souper dont il avait tant
+besoin. Il semblait &eacute;tourdi, stup&eacute;fi&eacute;. Une fois,
+une fois seulement, il
+se tourna vers M. Wardle et lui demanda:</p>
+<p>&laquo;Comment &ecirc;tes-vous venu ici?</p>
+<p>&#8212;J'avais arrang&eacute;, pour le premier du mois, une partie de
+chasse avec
+Trundle. Nous sommes arriv&eacute;s cette nuit, et avons
+&eacute;t&eacute; fort &eacute;tonn&eacute;s
+d'apprendre que vous &eacute;tiez dans ce pays. Mais je suis
+charm&eacute; de vous y
+voir, continua l'enjou&eacute; vieillard en frappant M. Pickwick sur le
+dos; je
+suis charm&eacute; de vous y voir; nous aurons une partie de chasse au
+premier
+jour, et nous donnerons &agrave; Winkle une autre chance. N'est-ce pas,
+vieux
+camarade?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick ne r&eacute;pondit point. Il ne demanda pas m&ecirc;me
+des nouvelles de
+ses amis de Dingley-Dell; et peu apr&egrave;s il se retira pour la
+nuit, apr&egrave;s
+avoir ordonn&eacute; &agrave; Sam de venir prendre sa chandelle
+lorsqu'il sonnerait.</p>
+<p>Au bout d'un certain temps, la sonnette retentit, et Sam Weller se
+pr&eacute;senta devant son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&laquo;Sam! dit M. Pickwick en &eacute;cartant un peu ses draps,
+pour le regarder.</p>
+<p>&#8212;Monsieur?&raquo; r&eacute;pondit Sam.</p>
+<p>M. Pickwick fit une pause, et Sam moucha la chandelle.</p>
+<p>&laquo;Sam! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick avec un effort
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Monsieur? r&eacute;pondit Sam de nouveau.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; est ce Trotter?</p>
+<p>&#8212;Job, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Parti, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Avec son ma&icirc;tre, je suppose.</p>
+<p>&#8212;Son ma&icirc;tre ou son ami, ou son je ne sais quoi. Ils sont
+fil&eacute;s
+ensemble. &Ccedil;a fait un joli couple, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Jingle aura soup&ccedil;onn&eacute; mon projet, et vous aura
+d&eacute;tach&eacute; ce fripon-l&agrave;,
+avec son histoire, reprit M. Pickwick, que ces paroles semblaient
+&eacute;touffer.</p>
+<p>&#8212;Juste la chose, monsieur.</p>
+<p>&#8212;N&eacute;cessairement c'&eacute;tait une invention.</p>
+<p>&#8212;D'un bout &agrave; l'autre, monsieur. On nous a mis dedans. C'est
+adroit,
+tout de m&ecirc;me!</p>
+<p>&#8212;Je ne pense pas qu'ils nous &eacute;chappent aussi ais&eacute;ment
+la premi&egrave;re fois,
+Sam?</p>
+<p>&#8212;Je ne le pense pas, monsieur.</p>
+<p>&#8212;En quelque lieu, en quelque endroit que je rencontre ce Jingle,
+s'&eacute;cria M. Pickwick en se levant sur son lit et en
+d&eacute;chargeant sur son
+oreiller un coup terrible, je ne me contenterai point de le
+d&eacute;masquer,
+comme il le m&eacute;rite si richement, mais je lui infligerai un
+ch&acirc;timent
+personnel. Oui, je le ferai, ou mon nom n'est pas Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Et quand j'attraperai une patte de ce pleurnichard-l&agrave;, avec
+sa
+tignasse noire, si je ne lui tire pas de l'eau r&eacute;elle de ses
+quinquets,
+mon nom n'est pas Weller!&#8212;Bonne nuit, monsieur.&raquo;<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XVII"></a>
+<h2>CHAPITRE XVII.</h2>
+<h3>Montrant qu'une attaque de rhumatisme peut quelquefois servir de
+stimulant &agrave; un g&eacute;nie inventif.</h3>
+<br/>
+<p>Quoique la constitution de M. Pickwick f&ucirc;t capable de soutenir
+une somme
+tr&egrave;s-consid&eacute;rable de travaux et de fatigues, elle
+n'&eacute;tait cependant
+point &agrave; l'&eacute;preuve d'une combinaison de semblables
+assauts. Il est aussi
+dangereux que peu ordinaire d'&ecirc;tre lav&eacute; &agrave; l'air de
+la nuit, et d'&ecirc;tre
+s&eacute;ch&eacute; ensuite dans un cabinet ferm&eacute;: M. Pickwick
+apprit cet aphorisme &agrave;
+ses d&eacute;pens, et fut confin&eacute; dans son lit par une attaque
+de rhumatisme.</p>
+<p>Mais si les forces corporelles de ce grand homme &eacute;taient
+an&eacute;anties, il
+n'en conservait pas moins toute la vigueur, toute
+l'&eacute;lasticit&eacute; de son
+esprit, toutes les gr&acirc;ces de sa bonne humeur. La vexation
+m&ecirc;me, caus&eacute;e
+par sa derni&egrave;re aventure, s'&eacute;tait enti&egrave;rement
+&eacute;vanouie, et il se
+joignait sans col&egrave;re et sans embarras au rire joyeux de M.
+Wardle,
+chaque fois qu'on faisait une allusion &agrave; ce sujet. Pendant deux
+jours
+notre philosophe fut retenu dans son lit et re&ccedil;ut de son
+domestique les
+soins les plus empress&eacute;s. Le premier jour, Sam s'effor&ccedil;a
+de l'amuser en
+lui racontant une foule d'anecdotes; le second jour, M. Pickwick
+demanda
+son &eacute;critoire et fut profond&eacute;ment occup&eacute;
+jusqu'&agrave; la nuit. Le troisi&egrave;me
+jour, se trouvant assez bien pour rester assis dans sa chambre, il
+d&eacute;p&ecirc;cha son valet &agrave; M. Wardle et &agrave; M.
+Trundle, pour les engager &agrave; venir
+le soir prendre un verre de vin chez lui. L'invitation fut avidement
+accept&eacute;e, et lorsque la soci&eacute;t&eacute; se trouva
+r&eacute;unie, en cons&eacute;quence, autour
+d'une table charg&eacute;e de verres, M. Pickwick, avec une modeste
+rougeur,
+produisit la petite nouvelle suivante, comme ayant &eacute;t&eacute; <i>&eacute;dit&eacute;e</i>
+par
+lui-m&ecirc;me, durant sa r&eacute;cente indisposition, d'apr&egrave;s
+le r&eacute;cit non
+sophistiqu&eacute; de Sam Weller.<br/>
+<br/>
+</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">LE CLERC DE PAROISSE,</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;"><i>Histoire d'un
+v&eacute;ritable amour.</i></p>
+<p>Il y avait une fois, dans une toute petite ville de province,
+&agrave; une
+distance consid&eacute;rable de Londres, un petit homme nomm&eacute;
+Nathaniel
+Pipkin. Il &eacute;tait clerc de la paroisse, et habitait une petite
+maison,
+dans la petite Grande-Rue, &agrave; dix minutes de chemin de la petite
+&eacute;glise.
+Tous les jours, depuis neuf heures jusqu'&agrave; quatre, on le
+trouvait en
+train d'enseigner &agrave; des petits enfants une petite dose
+d'instruction.
+Nathaniel Pipkin &eacute;tait un &ecirc;tre doux, bienveillant,
+inoffensif, avec un
+nez retrouss&eacute;, des jambes tant soit peu cagneuses, des yeux un
+peu
+louches et une allure boiteuse. Il partageait son temps entre
+l'&eacute;glise
+et son &eacute;cole, et il croyait fermement qu'il n'y avait pas dans
+le monde
+un homme aussi savant que le cur&eacute;, un appartement aussi imposant
+que la
+sacristie, une institution aussi bien tenue que la sienne. Une fois, et
+une fois seulement dans sa vie, Nathaniel Pipkin avait vu un
+&eacute;v&ecirc;que, un
+&eacute;v&ecirc;que v&eacute;ritable, avec ses bras dans des manches de
+linon et sa t&ecirc;te
+dans une perruque. Il l'avait vu marcher, il l'avait entendu parler,
+lors de la confirmation; et dans cette majestueuse
+c&eacute;r&eacute;monie, quand
+l'&eacute;v&ecirc;que avait pos&eacute; les mains sur la t&ecirc;te de
+Nathaniel Pipkin, celui-ci
+avait &eacute;t&eacute; tellement saisi d'une crainte respectueuse,
+qu'il avait
+enti&egrave;rement perdu connaissance et avait &eacute;t&eacute;
+emport&eacute;, hors de l'&eacute;glise,
+dans les bras du bedeau.</p>
+<p>C'&eacute;tait l&agrave; une &egrave;re importante, un
+&eacute;v&eacute;nement terrible dans la vie de
+notre h&eacute;ros, et c'&eacute;tait le seul qui e&ucirc;t jamais
+troubl&eacute; le cours r&eacute;gulier
+de sa paisible existence, lorsqu'une apr&egrave;s-midi, comme il
+&eacute;tait occup&eacute; &agrave;
+poser sur une ardoise un effroyable probl&egrave;me d'addition
+compos&eacute;e qu'il
+voulait faire r&eacute;soudre par un coupable gamin, il s'avisa de
+lever les
+yeux, dans un acc&egrave;s d'abstraction mentale, et aper&ccedil;ut
+&agrave; une fen&ecirc;tre, de
+l'autre c&ocirc;t&eacute; de la rue, le visage riant de Maria Lobbs.
+Maria Lobbs
+&eacute;tait la fille unique du vieux Lobbs, le grand sellier de la
+Grande-Rue.
+Bien des fois d&eacute;j&agrave;, soit &agrave; l'&eacute;glise, soit
+ailleurs, les yeux de M.
+Pipkin s'&eacute;taient arr&ecirc;t&eacute;s sur la jolie figure de
+Maria Lobbs; mais les
+noires prunelles de Maria Lobbs n'avaient jamais &eacute;t&eacute; si
+brillantes, les
+joues de Maria Lobbs n'avaient jamais &eacute;t&eacute; si fleuries que
+dans cette
+occasion particuli&egrave;re. Il &eacute;tait donc naturel que le
+ma&icirc;tre d'&eacute;cole n'e&ucirc;t
+pas la force de d&eacute;tacher ses regards du visage de miss Lobbs; il
+&eacute;tait
+naturel que miss Lobbs, en s'apercevant qu'elle &eacute;tait
+contempl&eacute;e par un
+jeune homme, retir&acirc;t sa t&ecirc;te, ferm&acirc;t la
+crois&eacute;e et abaiss&acirc;t le store; il
+&eacute;tait naturel enfin que Nathaniel Pipkin, imm&eacute;diatement
+apr&egrave;s cela,
+tomb&acirc;t sur le coupable moutard et le giffl&acirc;t de tout son
+c&#339;ur. Tout cela
+&eacute;tait parfaitement naturel et n'avait absolument rien
+d'&eacute;tonnant.</p>
+<p>Mais ce qu'il y a d'&eacute;tonnant, c'est qu'un homme d'un
+caract&egrave;re timide
+et discret, comme Nathaniel Pipkin, un homme dont le revenu
+&eacute;tait si
+imperceptible, ait os&eacute; aspirer, depuis ce jour, &agrave; la main
+et au c&#339;ur de
+la fille unique de l'orgueilleux Lobbs, du grand sellier qui aurait pu
+acheter tout le village d'un trait de plume, sans se g&ecirc;ner en
+aucune
+fa&ccedil;on; du vieux Lobbs, qui &eacute;tait connu pour avoir des
+tr&eacute;sors d&eacute;pos&eacute;s &agrave;
+la banque de la province et qui, suivant la voix publique, avait en
+outre des monceaux d'argent dans un petit coffre-fort de fer,
+plac&eacute; sur
+le manteau de la chemin&eacute;e, dans l'arri&egrave;re-parloir; de
+Lobbs, qui, au vu
+et au su de tout le village, garnissait sa table, les jours de
+f&ecirc;te,
+avec une th&eacute;i&egrave;re, un pot &agrave; cr&egrave;me et un
+sucrier de v&eacute;ritable argent,
+lesquels, comme il avait coutume de s'en vanter dans l'orgueil de son
+c&#339;ur, devaient un jour devenir la propri&eacute;t&eacute; de l'homme
+assez heureux
+pour plaire &agrave; sa fille. Je le r&eacute;p&egrave;te, on ne
+saurait suffisamment
+s'&eacute;tonner, s'&eacute;merveiller, que Nathaniel Pipkin
+jet&acirc;t ses regards dans
+cette direction; mais l'amour est aveugle et Nathaniel &eacute;tait
+louche: ces
+deux circonstances r&eacute;unies l'emp&ecirc;ch&egrave;rent
+apparemment de voir les choses
+sous leur v&eacute;ritable point de vue.</p>
+<p>Or, si le vieux Lobbs avait pu soup&ccedil;onner, le moins du monde,
+l'&eacute;tat des
+affections de Nathaniel Pipkin, il aurait fait raser l'&eacute;cole
+jusque dans
+ses fondements, ou il aurait extermin&eacute; le ma&icirc;tre de la
+surface de la
+terre, ou il aurait commis quelque autre atrocit&eacute; encore plus
+hyperbolique; car c'&eacute;tait un terrible vieillard que ce Lobbs,
+quand son
+orgueil &eacute;tait bless&eacute;, quand sa col&egrave;re &eacute;tait
+excit&eacute;e; il jurait
+alors!!!&#8212;Quelquefois, quand il maudissait la paresse de son apprenti
+aux jambes gr&ecirc;les, on entendait rouler jusque dans la rue un
+tonnerre
+retentissant de jurons, qui faisaient trembler d'horreur Nathaniel
+Pipkin dans ses souliers, tandis que les cheveux de ses disciples
+&eacute;pouvant&eacute;s se dressaient sur leur t&ecirc;te.</p>
+<p>Cependant, chaque soir&eacute;e, quand les devoirs &eacute;taient
+termin&eacute;s, quand les
+&eacute;l&egrave;ves &eacute;taient partis, Nathaniel Pipkin s'asseyait
+aupr&egrave;s de sa fen&ecirc;tre,
+et faisant semblant de lire, il lan&ccedil;ait de c&ocirc;t&eacute; des
+regards qui
+cherchaient &agrave; rencontrer les yeux brillants de Maria Lobbs. O
+bonheur!
+quelques jours &agrave; peine s'&eacute;taient &eacute;coul&eacute;s,
+lorsque ces yeux brillants
+apparurent &agrave; une fen&ecirc;tre du deuxi&egrave;me &eacute;tage,
+occup&eacute;s aussi, en apparence,
+&agrave; lire attentivement. Quelle d&eacute;licieuse p&acirc;ture pour
+le c&#339;ur de Nathaniel
+Pipkin! Quel plaisir de rester l&agrave;, ensemble, pendant des heures,
+et de
+consid&eacute;rer ce joli visage tandis que ces yeux charmants
+&eacute;taient
+baiss&eacute;s. Mais lorsque Maria Lobbs commen&ccedil;a &agrave; lever
+les yeux de son
+livre, et &agrave; darder leurs rayons dans la direction de Nathaniel
+Pipkin,
+ses transports et son admiration ne connurent plus de bornes. A la fin,
+un beau jour, sachant que le vieux Lobbs &eacute;tait dehors, le
+ma&icirc;tre d'&eacute;cole
+eut la t&eacute;m&eacute;rit&eacute; d'envoyer un baiser &agrave; Maria
+Lobbs, et Maria Lobbs, au
+lieu de fermer la fen&ecirc;tre et de baisser le rideau, sourit et lui
+renvoya
+son baiser. Sur cela, et quoiqu'il en p&ucirc;t arriver, Nathaniel
+Pipkin prit
+la r&eacute;solution de d&eacute;velopper &agrave; Maria Lobbs, sans
+plus de d&eacute;lai, l'&eacute;tat de
+ses sentiments.</p>
+<p>Un plus joli pied, un c&#339;ur plus gai, un visage plus riant, une
+taille
+plus gracieuse, ne pass&egrave;rent jamais sur la terre aussi
+l&eacute;g&egrave;rement que le
+pied mignon, que le c&#339;ur d'or, que le visage heureux, que la taille
+s&eacute;duisante de Maria Lobbs, la fille du vieux sellier. Il y avait
+dans
+ses yeux brillants une &eacute;tincelle de friponnerie qui aurait
+enflamm&eacute; un
+c&#339;ur bien moins susceptible que celui du ma&icirc;tre d'&eacute;cole.
+Il y avait tant
+de gaiet&eacute; dans le son contagieux de ses &eacute;clats de rire,
+que le plus
+farouche misanthrope n'aurait pu s'emp&ecirc;cher de sourire en les
+entendant.
+Le vieux Lobbs lui-m&ecirc;me, au plus haut degr&eacute; de sa
+f&eacute;rocit&eacute;, ne savait
+pas r&eacute;sister aux c&acirc;lineries de sa jolie fille. Lorsqu'elle
+se mettait
+apr&egrave;s lui (ce qui pour dire la v&eacute;rit&eacute; arrivait
+assez souvent), et
+lorsqu'elle &eacute;tait second&eacute;e par sa cousine Kate, petite
+personne &agrave; l'air
+aga&ccedil;ant, effront&eacute;, sc&eacute;l&eacute;rat, le pauvre
+bonhomme &eacute;tait incapable
+d'articuler un refus, m&ecirc;me si elles lui avaient demand&eacute;
+une partie des
+tr&eacute;sors inou&iuml;s entass&eacute;s dans son coffre-fort.</p>
+<p>Par une belle soir&eacute;e d'&eacute;t&eacute;, le c&#339;ur de
+Nathaniel Pipkin battit
+violemment dans sa poitrine d'homme, lorsqu'il vit ce couple
+s&eacute;duisant
+arriver dans le champ m&ecirc;me o&ugrave; tant de fois il
+s'&eacute;tait promen&eacute;, &agrave; la
+brune, en ruminant sur les beaut&eacute;s de Maria Lobbs. Il avait
+souvent
+pens&eacute;, alors, &agrave; l'air d&eacute;gag&eacute; avec lequel il
+s'approcherait d'elle pour
+lui peindre sa passion, s'il pouvait seulement la rencontrer. Mais
+maintenant qu'elle se pr&eacute;sentait inopin&eacute;ment devant lui,
+il sentait que
+tout son sang refluait vers son visage, au d&eacute;triment manifeste
+de ses
+jambes, qui, priv&eacute;es de leur portion habituelle de ce fluide,
+tremblaient et s'entre-choquaient violemment. Quand les deux jeunes
+filles s'arr&ecirc;taient pour cueillir une fleur dans la haie, ou pour
+&eacute;couter un oiseau, le ma&icirc;tre d'&eacute;cole
+s'arr&ecirc;tait aussi, en prenant un air
+profond&eacute;ment r&ecirc;veur; et il n'en avait pas l'air seulement,
+car il
+songeait avec &eacute;garement &agrave; ce qu'il allait devenir, quand
+les cousines
+reviendraient sur leurs pas, et le rencontreraient face &agrave; face,
+comme
+cela devait in&eacute;vitablement arriver au bout d'un certain temps.
+Toutefois, quoiqu'il n'os&acirc;t pas les rejoindre, il e&ucirc;t
+&eacute;t&eacute; d&eacute;sol&eacute; de les
+perdre de vue. Aussi, quand elles couraient, il courait; quand elles
+marchaient, il marchait; quand elles s'arr&ecirc;taient, il
+s'arr&ecirc;tait; et il
+aurait pu continuer ce man&egrave;ge jusqu'&agrave; ce que la nuit les
+e&ucirc;t surpris, si
+la maligne Kate n'avait regard&eacute; derri&egrave;re elle, et n'avait
+fait &agrave;
+Nathaniel un signe encourageant, pour le d&eacute;terminer &agrave;
+s'approcher. Il y
+avait quelque chose d'irr&eacute;sistible dans les mani&egrave;res de
+Kate, aussi
+Nathaniel ob&eacute;it-il &agrave; son invitation. Puis, avec beaucoup
+de confusion de
+sa part, et tandis que la m&eacute;chante petite cousine riait de tout
+son
+c&#339;ur, Nathaniel Pipkin se mit &agrave; genoux sur l'herbe humide, et
+d&eacute;clara sa
+ferme r&eacute;solution de rester l&agrave; pour toujours, &agrave;
+moins qu'il ne lui f&ucirc;t
+permis de se relever comme l'amoureux accept&eacute; de Maria Lobbs. A
+cette
+d&eacute;claration, le rire joyeux de Maria Lobbs retentit &agrave;
+travers la calme
+atmosph&egrave;re du soir, sans la troubler n&eacute;anmoins, tant
+c'&eacute;tait un son
+harmonieux. La maligne petite cousine &eacute;clata de rire encore plus
+immod&eacute;r&eacute;ment, et Nathaniel Pipkin rougit plus que jamais.
+A la fin,
+Maria Lobbs, violemment press&eacute;e par le petit homme rong&eacute;
+d'amour,
+d&eacute;tourna la t&ecirc;te, et murmura &agrave; sa cousine de dire,
+ou du moins sa
+cousine dit pour elle: qu'elle se sentait tr&egrave;s-honor&eacute;e de
+la demande de
+M. Pipkin; que sa main et son c&#339;ur &eacute;taient &agrave; la
+disposition de son p&egrave;re;
+mais que personne ne pouvait &ecirc;tre insensible au m&eacute;rite de
+monsieur
+Pipkin. Comme tout cela fut fait avec beaucoup de gravit&eacute;, et
+comme
+Nathaniel Pipkin reconduisit Maria Lobbs et s'effor&ccedil;a de lui
+d&eacute;rober un
+baiser, en partant, il se mit au lit le plus heureux des petits hommes,
+et r&ecirc;va toute la nuit qu'il amollissait le vieux Lobbs, recevait
+la clef
+du coffre-fort, et &eacute;pousait Maria.</p>
+<p>Le lendemain, Nathaniel vit le sellier partir sur son vieux bidet
+gris;
+il vit, &agrave; la crois&eacute;e, la maligne petite cousine qui lui
+faisait un grand
+nombre de signes, auxquels il ne pouvait rien comprendre; et enfin il
+vit venir vers lui l'apprenti aux jambes gr&ecirc;les. Celui-ci dit
+&agrave;
+Nathaniel que son ma&icirc;tre ne reviendrait pas avant le lendemain,
+et que
+ces dames attendaient M. Pipkin, pour prendre le th&eacute;, &agrave;
+six heures
+pr&eacute;cises. Comment les le&ccedil;ons furent
+r&eacute;cit&eacute;es ce jour-l&agrave;, ni Nathaniel
+Pipkin, ni ses &eacute;l&egrave;ves ne le savent mieux que vous: mais
+elles furent
+r&eacute;cit&eacute;es bien ou mal, et lorsque les enfants furent
+partis, Nathaniel
+Pipkin s'occupa, jusqu'&agrave; six heures sonn&eacute;es, de sa
+toilette, avant
+d'&ecirc;tre habill&eacute; &agrave; son go&ucirc;t. Ce n'est pas qu'il
+lui fallut beaucoup de
+temps pour choisir les v&ecirc;tements qu'il devait porter, attendu
+qu'il n'y
+avait aucun choix &agrave; faire dans sa garde-robe, mais
+c'&eacute;tait une t&acirc;che
+pleine de difficult&eacute;s et d'importance que de les nettoyer et de
+les
+mettre de la mani&egrave;re la plus avantageuse.</p>
+<p>Nathaniel trouva chez le sellier une petite soci&eacute;t&eacute;
+choisie, compos&eacute;e de
+Maria Lobbs, de sa cousine Kate et de trois ou quatre jeunes filles
+fol&acirc;tres, r&eacute;jouies, ros&eacute;es. Il eut alors une preuve
+positive que les
+rumeurs relatives aux tr&eacute;sors du vieux Lobbs n'&eacute;taient
+pas exag&eacute;r&eacute;es; il
+vit, de ses yeux, la th&eacute;i&egrave;re en v&eacute;ritable argent
+massif, et les petites
+cuillers en argent pour remuer le th&eacute;, et les tasses en
+v&eacute;ritable
+porcelaine, pour le boire, et les plats de m&ecirc;me mati&egrave;re,
+qui contenaient
+les g&acirc;teaux et les r&ocirc;ties. Le seul revers de la
+m&eacute;daille, c'&eacute;tait un
+fr&egrave;re de Kate, un cousin de Maria Lobbs, qu'elle appelait Henry,
+et qui
+semblait garder sa cousine pour lui tout seul, &agrave; un bout de la
+table. Il
+est d&eacute;licieux de voir les membres d'une m&ecirc;me famille avoir
+de
+l'affection l'un pour l'autre, mais cette affection peut &ecirc;tre
+pouss&eacute;e
+trop loin, et Nathaniel Pipkin ne put s'emp&ecirc;cher de penser que
+Maria
+Lobbs devait aimer bien particuli&egrave;rement tous ses parents, si
+elle avait
+pour chacun d'eux autant d'attentions que pour le cousin dont il
+s'agit.
+Ce n'est pas tout: apr&egrave;s le th&eacute;, lorsque la maligne
+petite cousine eut
+propos&eacute; de jouer au colin-maillard, il arriva, d'une
+mani&egrave;re ou d'une
+autre, que Nathaniel Pipkin avait presque toujours les yeux
+band&eacute;s; et
+chaque fois qu'il mettait la main sur le cousin, il ne manquait pas de
+trouver Maria Lobbs aupr&egrave;s de lui. La petite cousine et les
+autres
+jeunes filles &eacute;taient sans cesse occup&eacute;es &agrave; le
+pousser, &agrave; lui tirer les
+cheveux, &agrave; lui jeter des chaises dans les jambes, &agrave; lui
+faire toutes les
+mis&egrave;res imaginables; mais Maria Lobbs ne semblait jamais
+l'approcher, et
+une fois Nathaniel Pipkin aurait pu jurer qu'il avait entendu le bruit
+d'un baiser suivi d'une faible remontrance de Maria Lobbs, et des rires
+&agrave; demi &eacute;touff&eacute;s de ses bonnes amies. Tout cela
+&eacute;tait singulier, et on ne
+saurait dire ce que le petit homme aurait pu faire ou ne pas faire, en
+cons&eacute;quence, si ses pens&eacute;es n'avaient pas
+&eacute;t&eacute; forc&eacute;es soudainement de
+prendre un autre cours.</p>
+<p>La circonstance qui for&ccedil;a ses pens&eacute;es &agrave; prendre
+un autre cours, c'est
+qu'il entendit frapper violemment &agrave; la porte de la rue, et la
+personne
+qui frappait &agrave; la porte de la rue n'&eacute;tait autre que le
+vieux Lobbs
+lui-m&ecirc;me. Il &eacute;tait revenu inopin&eacute;ment, et il
+tapait, il tapait, comme un
+fabricant de cercueils, car il n'avait pas encore soup&eacute;.
+Aussit&ocirc;t que
+cette nouvelle alarmante eut &eacute;t&eacute; communiqu&eacute;e par
+l'apprenti, les jeunes
+filles grimp&egrave;rent les escaliers, quatre &agrave; quatre pour se
+r&eacute;fugier dans
+la chambre &agrave; coucher de Maria Lobbs, et, faute d'une meilleure
+cachette,
+le cousin et Nathaniel furent fourr&eacute;s dans deux cabinets du
+parloir.
+Enfin quand la maligne petite cousine et Maria Lobbs les eurent
+enferm&eacute;s
+et eurent remis la chambre en ordre, elles ouvrirent la porte de la rue
+au vieux Lobbs, qui n'avait pas cess&eacute; de frapper un seul instant.</p>
+<p>Il arriva malheureusement que le vieux Lobbs avait faim, et qu'il
+&eacute;tait
+d'une monstrueuse mauvaise humeur. Nathaniel Pipkin l'entendait
+grommeler comme un vieux dogue enrou&eacute;, et chaque fois que le
+malheureux
+apprenti aux jambes gr&ecirc;les entrait dans la chambre, le vieux
+Lobbs se
+mettait &agrave; jurer apr&egrave;s lui comme un atroce pa&iuml;en,
+sans autre but apparent
+que de soulager sa poitrine par la d&eacute;charge de quelques jurons
+surabondants. A la fin, le souper qu'on avait fait chauffer fut
+plac&eacute;
+sur la table; le vieux Lobbs tomba dessus comme la mis&egrave;re sur le
+pauvre
+monde, et ayant fait les plats nets en un rien de temps, il baisa sa
+fille et demanda sa pipe.</p>
+<p>La nature avait plac&eacute; les genoux de Nathaniel Pipkin fort
+pr&egrave;s l'un de
+l'autre, mais ils s'entre-choqu&egrave;rent &agrave; se briser
+lorsqu'il entendit le
+vieux Lobbs demander sa pipe. En effet, depuis cinq ans au moins,
+Nathaniel avait vu le vieux sellier fumer r&eacute;guli&egrave;rement,
+tous les soirs,
+dans la m&ecirc;me pipe &agrave; fourneau d'argent, et cette pipe
+&eacute;tait suspendue
+pr&eacute;cis&eacute;ment dans le cabinet o&ugrave; l'infortun&eacute;
+ma&icirc;tre d'&eacute;cole &eacute;tait
+renferm&eacute;. Les deux jeunes filles descendirent pour chercher la
+pipe,
+mont&egrave;rent pour chercher la pipe, et en un mot cherch&egrave;rent
+la pipe
+partout, except&eacute; o&ugrave; elles savaient fort bien qu'elle se
+trouvait.
+Pendant ce temps, le vieux Lobbs temp&ecirc;tait de la mani&egrave;re
+la plus
+&eacute;pouvantable. Tout d'un coup il pensa au cabinet et se leva pour
+y
+regarder. Il &eacute;tait compl&eacute;tement inutile qu'un petit
+homme, comme
+Nathaniel Pipkin, cherch&acirc;t &agrave; retenir la porte en dedans,
+quand un grand
+et vigoureux gaillard, comme le sellier, la tirait en dehors. Elle
+s'ouvrit donc et d&eacute;couvrit Nathaniel Pipkin debout dans le
+cabinet et
+tremblant comme un voleur. Dieu nous b&eacute;nisse! quel effroyable
+regard le
+vieux Lobbs lui jeta, en le saisissant par le collet, et en le tenant,
+pour le consid&eacute;rer, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de son
+bras.</p>
+<p>&laquo;De par tous les diables! que faites-vous l&agrave;?&raquo;
+s'&eacute;cria le sellier d'une
+voix terrible.</p>
+<p>Nathaniel Pipkin ne put faire de r&eacute;ponse, et le vieux Lobbs
+le secoua de
+toutes ses forces, pendant deux ou trois minutes, pour l'aider &agrave;
+mettre
+de l'ordre dans ses id&eacute;es.</p>
+<p>&laquo;Que faites-vous ici? Vous &ecirc;tes venu pour ma fille,
+apparemment?&raquo;</p>
+<p>Le vieux Lobbs ne disait cela qu'en mani&egrave;re de sarcasme, car
+il ne
+croyait pas que la pr&eacute;somption d'un mortel p&ucirc;t conduire
+Nathaniel Pipkin
+aussi loin. Quelle fut donc son indignation, lorsque le pauvre
+ma&icirc;tre
+d'&eacute;cole r&eacute;pondit:</p>
+<p>&laquo;C'est vrai, monsieur Lobbs, je suis venu pour votre fille,
+j'aime votre
+fille, monsieur Lobbs.</p>
+<p>&#8212;Comment, mis&eacute;rable petit singe! balbutia le vieux Lobbs,
+paralys&eacute; par
+cette &eacute;trange confession; qu'est-ce que cela signifie? Me dire
+cela &agrave; ma
+barbe! Dieu me damne! je vais vous &eacute;trangler.&raquo;</p>
+<p>Il n'est nullement improbable que le vieux Lobbs, dans
+l'exc&egrave;s de sa
+rage, e&ucirc;t ex&eacute;cut&eacute; cette menace, s'il n'en avait pas
+&eacute;t&eacute; emp&ecirc;ch&eacute; par une
+apparition compl&eacute;tement inattendue: &agrave; savoir le cousin,
+qui, sortant de
+son cabinet, lui dit en s'approchant:</p>
+<p>&laquo;Je ne puis laisser cette innocente personne qui a
+&eacute;t&eacute; invit&eacute;e ici par
+une plaisanterie de jeune fille, prendre sur elle, d'une mani&egrave;re
+tr&egrave;s-noble, la faute (si faute il y a) dont je suis seul
+coupable, et
+que je suis pr&ecirc;t &agrave; avouer. J'aime votre fille, monsieur,
+et je suis venu
+pour la voir.&raquo;</p>
+<p>Pendant cette d&eacute;claration impr&eacute;vue, le vieux Lobbs
+ouvrait de grands
+yeux, mais pas plus grands que Nathaniel. A la fin, lorsqu'il retrouva
+assez de souffle pour parler:</p>
+<p>&laquo;Ah! vous &ecirc;tes venu pour voir ma fille!</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et ne vous avais-je pas d&eacute;fendu d'entrer ici?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, et sans cela je ne serais pas venu en
+cachette.&raquo;</p>
+<p>Je suis f&acirc;ch&eacute; de rapporter cela du vieux Lobbs, mais je
+crois qu'il
+aurait assomm&eacute; le cousin, si sa jolie fille, dont les yeux
+brillants
+&eacute;taient noy&eacute;s de larmes, ne s'&eacute;tait point
+suspendue &agrave; son bras.</p>
+<p>&laquo;Ne le retenez pas, Maria, dit le jeune homme. S'il a envie de
+frapper
+le fils de sa s&#339;ur, laissez-le faire. Pour toutes les richesses du
+monde, je ne toucherais pas un de ses cheveux blancs.&raquo;</p>
+<p>Les yeux du vieillard s'abaiss&egrave;rent sous ce reproche, et
+rencontr&egrave;rent
+ceux de Maria. J'ai d&eacute;j&agrave; dit plusieurs fois que
+c'&eacute;taient des yeux
+tr&egrave;s-brillants, et quoique alors ils fussent pleins de larmes,
+leur
+influence n'en &eacute;tait aucunement diminu&eacute;e. Le vieux Lobbs
+d&eacute;tourna la
+t&ecirc;te pour &eacute;viter d'&ecirc;tre persuad&eacute; par les
+regards de sa fille, mais la
+fortune voulut qu'il rencontra ceux de la maligne petite cousine, qui,
+&agrave;
+moiti&eacute; effray&eacute;e pour son fr&egrave;re, &agrave;
+moiti&eacute; riante et moqueuse en pensant &agrave;
+Nathaniel Pipkin, avait une physionomie si touchante et si comique
+&agrave; la
+fois, qu'elle devait n&eacute;cessairement s&eacute;duire l'homme qui
+la regardait,
+jeune ou vieux. Elle passa son bras d'un air c&acirc;lin dans le bras
+du
+sellier, et elle lui chuchota quelque chose &agrave; l'oreille; et il
+eut beau
+faire, le vieux Lobbs, il ne put s'emp&ecirc;cher de sourire, tandis
+qu'une
+larme coulait en m&ecirc;me temps sur sa joue.</p>
+<p>Cinq minutes apr&egrave;s, les jeunes filles furent tir&eacute;es de
+la chambre &agrave;
+coucher de Maria, avec beaucoup de ricanements et de rougeur; puis,
+tandis que les jeunes gens s'arrangeaient pour &ecirc;tre parfaitement
+heureux, le vieux Lobbs aveignit sa pipe et la fuma: c'est une
+circonstance remarquable, que cette pipe de tabac fut
+pr&eacute;cis&eacute;ment la
+plus douce et la plus consolante qu'il e&ucirc;t jamais fum&eacute;e de
+sa vie.</p>
+<p>Nathaniel Pipkin jugea convenable de garder son secret. Par ce moyen
+il
+se trouva graduellement en grande faveur aupr&egrave;s du riche
+sellier, qui
+lui apprit &agrave; fumer en mesure. Pendant un grand nombre
+d'ann&eacute;es, on put
+les voir tous les deux, assis le soir dans le jardin du vieux Lobbs,
+fumant et buvant en grande pompe. Nathaniel se r&eacute;tablit
+apparemment
+bient&ocirc;t de sa passion, car, dans le registre de la paroisse, nous
+trouvons son nom parmi ceux des t&eacute;moins du mariage de Maria
+Lobbs avec
+son cousin. Il para&icirc;t en outre, d'apr&egrave;s un autre document,
+que dans la
+nuit des noces, il fut conduit au violon du village pour avoir, dans un
+&eacute;tat complet d'ivresse, commis dans les rues diff&eacute;rents
+exc&egrave;s, dont
+l'apprenti aux jambes gr&ecirc;les s'&eacute;tait rendu fauteur et
+complice.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XVIII"></a>
+<h2>CHAPITRE XVIII.</h2>
+<h3>Qui prouve bri&egrave;vement deux points: savoir, le pouvoir des
+attaques de
+nerfs et la force des circonstances.</h3>
+<br/>
+<p>Pendant deux jours, apr&egrave;s le d&eacute;jeuner de mistress
+Chasselion et le
+d&eacute;part pr&eacute;cipit&eacute; de M. Pickwick, les trois
+disciples de ce savant homme
+rest&egrave;rent &agrave; Eatanswill, attendant avec
+anxi&eacute;t&eacute; quelque nouvelle de leur
+respectable ami. M. Tupman et M. Snodgrass &eacute;taient de nouveau
+abandonn&eacute;s
+&agrave; leurs propres ressources, car M. Winkle, c&eacute;dant aux
+invitations les
+plus pressantes, continuait de r&eacute;sider chez M. Pott, et de
+d&eacute;vouer tout
+son temps &agrave; la soci&eacute;t&eacute; de son aimable
+&eacute;pouse. M. Pott lui-m&ecirc;me, pour
+compl&eacute;ter leur f&eacute;licit&eacute;, se joignait de temps en
+temps &agrave; la
+conversation. Habituellement absorb&eacute; par la profondeur de ses
+sp&eacute;culations pour le bien public et pour la destruction de
+l'<i>Ind&eacute;pendant</i>, ce grand homme n'&eacute;tait pas
+accoutum&eacute; &agrave; s'abaisser des
+hauteurs de l'intelligence dans les humbles vall&eacute;es qu'habitent
+les
+esprits ordinaires. Toutefois, dans cette occasion et comme pour
+honorer
+un disciple de M. Pickwick, il se d&eacute;rida, il se courba, il
+descendit de
+son pi&eacute;destal, il consentit &agrave; marcher sur la terre,
+adaptant avec
+b&eacute;nignit&eacute; ses remarques &agrave; la compr&eacute;hension
+du vulgaire et se confondant,
+du moins quant aux formes ext&eacute;rieures, avec le troupeau des
+humains.</p>
+<p>Telle ayant &eacute;t&eacute; la conduite de cet illustre publiciste
+vis-&agrave;-vis de M.
+Winkle, on comprendra facilement la surprise de celui-ci, lorsqu'un
+matin o&ugrave; il se trouvait seul, assis dans la salle &agrave;
+manger, il entendit
+la porte s'ouvrir avec violence et se refermer de m&ecirc;me, et vit M.
+Pott
+s'avancer majestueusement, repousser la main qu'il lui tendait avec
+amiti&eacute;, grincer des dents comme pour rendre ses paroles plus
+incisives,
+et dire avec une voix semblable au cri aigu d'une scie:</p>
+<p>&laquo;Serpent!</p>
+<p>&#8212;Monsieur! s'&eacute;cria M. Winkle en tressaillant et en se levant
+de sa
+chaise.</p>
+<p>&#8212;Serpent, monsieur!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta Pott en
+&eacute;levant la voix. Puis, en
+l'abaissant tout &agrave; coup, il ajouta: &laquo;J'ai dit serpent,
+monsieur. Vous me
+comprenez, j'esp&egrave;re?&raquo;</p>
+<p>Or, quand on a quitt&eacute; un homme &agrave; deux heures du matin,
+avec des
+expressions d'int&eacute;r&ecirc;t, de bienveillance et d'amiti&eacute;
+r&eacute;ciproques, et
+quand on le revoit &agrave; neuf heures et demie et qu'il vous traite
+de
+<i>serpent</i>, il n'est point d&eacute;raisonnable de conclure qu'il
+doit &ecirc;tre
+arriv&eacute; dans l'intervalle quelque chose d'une nature
+d&eacute;plaisante. C'est
+aussi ce que pensa M. Winkle. Il renvoya &agrave; M. Pott son regard
+glacial,
+et, conform&eacute;ment &agrave; l'espoir exprim&eacute; par ce
+gentleman, il fit tous ses
+efforts pour comprendre le <i>serpent</i>, mais il n'en put venir
+&agrave; bout, et
+apr&egrave;s un profond silence, qui dura plusieurs minutes, il dit:</p>
+<p>&laquo;Serpent, monsieur? Serpent, M. Pott? Qu'est-ce que vous
+entendez par
+l&agrave;, monsieur? c'est une plaisanterie apparemment?</p>
+<p>&#8212;Une plaisanterie, monsieur! s'&eacute;cria l'&eacute;diteur avec un
+mouvement de la
+main qui indiquait un violent d&eacute;sir de jeter &agrave; la
+t&ecirc;te de son h&ocirc;te la
+th&eacute;i&egrave;re de m&eacute;tal anglais; une plaisanterie,
+monsieur!... Mais, non; je
+serai calme; je veux &ecirc;tre calme, monsieur!... Et pour prouver
+qu'il
+&eacute;tait calme, M. Pott se jeta dans un fauteuil en &eacute;cumant
+de la bouche.</p>
+<p>&#8212;Mon cher monsieur... lui repr&eacute;senta M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Cher monsieur! Comment osez-vous m'appeler <i>cher monsieur</i>,
+monsieur?
+Comment osez-vous me regarder en face, en m'appelant ainsi?</p>
+<p>&#8212;Ma foi, monsieur, si nous en venons-l&agrave;, comment osez-vous me
+regarder
+en face, en m'appelant <i>serpent</i>?</p>
+<p>&#8212;Parce que vous en &ecirc;tes un.</p>
+<p>&#8212;Prouvez-le, s'&eacute;cria M. Winkle avec chaleur.
+Prouvez-le!&raquo;</p>
+<p>Un nuage sombre et mena&ccedil;ant passa sur le visage profond de
+l'&eacute;diteur. Il
+tira de sa poche <i>l'Ind&eacute;pendant</i>, qu'on venait de lui
+apporter, et le
+passa par-dessus la table &agrave; M. Winkle, en lui montrant du doigt
+un
+paragraphe.</p>
+<p>Le Pickwickien &eacute;tonn&eacute; prit le journal et lut tout haut
+ce qui suit:</p>
+<p>&laquo;Notre obscur et ignoble contemporain, dans ses observations
+d&eacute;go&ucirc;tantes
+sur les derni&egrave;res &eacute;lections de cette cit&eacute;, a eu
+l'infamie de violer le
+sanctuaire sacr&eacute; de la vie priv&eacute;e et de faire des
+allusions fort claires
+aux affaires personnelles de notre dernier candidat; oui, et nous
+dirons
+m&ecirc;me, malgr&eacute; le honteux r&eacute;sultat de l'intrigue, aux
+affaires
+personnelles de notre futur repr&eacute;sentant, M. Fizkin, qui,
+malgr&eacute; un
+&eacute;chec d&ucirc; &agrave; d'ignobles men&eacute;es, n'en sera pas
+moins notre repr&eacute;sentant un
+jour ou l'autre. A quoi pense donc notre l&acirc;che contemporain? Que
+dirait-il, ce malheureux, si, m&eacute;prisant comme lui les
+convenances de la
+soci&eacute;t&eacute;, nous levions le rideau qui, heureusement pour
+lui, d&eacute;robe les
+turpitudes de sa vie priv&eacute;e au ridicule public, pour ne pas dire
+&agrave;
+l'ex&eacute;cration publique? Que dirait-il si nous indiquions, si nous
+commentions des circonstances notoires et aper&ccedil;ues par tout le
+monde,
+except&eacute; par notre aveugle contemporain? Que dirait-il, si nous
+imprimions l'effusion suivante, que nous avons re&ccedil;ue au moment
+de mettre
+sous presse et qui nous est adress&eacute;e par un de nos concitoyens
+de cette
+ville, l'un de nos plus spirituels correspondants?...</p>
+<p style="text-align: center; font-weight: bold;">VERS ADRESS&Eacute;S
+A UN POT DE CUIVRE.</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span class="i8">O pot, si vous aviez pr&eacute;vu,<br/>
+</span><span>Ce qui de tout le monde est maintenant connu,<br/>
+</span><span>Quand les cloches pour vous dans l'&eacute;glise ont fait <i>tinkle</i>;<br/>
+</span><span>Vous auriez fait alors ce qui ne se peut plus,<br/>
+</span><span>Et, donnant &agrave; madame un bel et bon refus,<br/>
+</span><span class="i8">Vous l'auriez envoy&eacute;e &agrave; W....<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>&#8212;Eh bien! dit M. Pott avec solennit&eacute;; eh bien!
+sc&eacute;l&eacute;rat! qu'est-ce qui
+rime avec <i>tinkle</i>?</p>
+<p>&#8212;Ce qui rime avec <i>tinkle</i>? interrompit mistress Pott, qui
+entrait dans
+la chambre en ce moment et qui n'avait entendu que les derniers mots,
+ce
+qui rime avec <i>tinkle</i>? c'est <i>Winkle</i>, j'imagine.&raquo;</p>
+<p>En pronon&ccedil;ant ces paroles, mistress Pott sourit gracieusement
+au
+Pickwickien agit&eacute;, en lui tendant la main. Dans sa confusion
+l'honn&ecirc;te
+jeune homme allait serrer cette main, lorsque M. Pott indign&eacute; se
+jeta
+entre eux deux.</p>
+<p>&laquo;Arri&egrave;re, madame! arri&egrave;re! s'&eacute;cria-t-il.
+Prendre sa main &agrave; mon nez, &agrave; ma
+barbe!</p>
+<p>&#8212;Monsieur Pott! fit son &eacute;pouse &eacute;tonn&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Mis&eacute;rable femme! regardez ici! regardez ici, madame! <i>Vers
+adress&eacute;s &agrave;
+un Pot</i>... C'est moi, madame! <i>Vous l'auriez renvoy&eacute;e
+&agrave; Winkle</i>....
+C'est vous, madame, vous!&raquo; Avec cette &eacute;bullition de rage,
+accompagn&eacute;e
+cependant d'une sorte de tremblement, occasionn&eacute; par
+l'expression du
+visage de sa femme, M. Pott lan&ccedil;a &agrave; ses pieds le
+num&eacute;ro de
+<i>l'Ind&eacute;pendant</i>.</p>
+<p>&laquo;Eh bien, monsieur? dit mistress Pott en se baissant, tout
+&eacute;tonn&eacute;e, pour
+ramasser le journal; eh bien, monsieur?&raquo;</p>
+<p>M. Pott fl&eacute;chit sous le regard m&eacute;prisant de sa femme.
+Il fit un effort
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute; pour rassembler tout son courage, mais
+ce fut en vain.</p>
+<p>Lorsqu'on lit cette courte phrase: &laquo;Eh bien, monsieur?&raquo;
+il ne semble pas
+qu'elle contienne rien de bien effrayant. Mais le ton de voix dont elle
+fut prononc&eacute;e, le regard qui l'accompagna, paraissaient annoncer
+quelque
+future vengeance, suspendue par un cheveu sur la t&ecirc;te de
+l'&eacute;diteur, et
+qui produisit sur lui un effet magique. L'observateur le plus inhabile
+aurait d&eacute;couvert, dans son maintien troubl&eacute;, un singulier
+empressement &agrave;
+c&eacute;der sa culotte &agrave; quiconque aurait consenti &agrave; s'y
+tenir dans ce moment.</p>
+<p>Mme Pott lut le paragraphe, poussa un cri d&eacute;chirant, et se
+jeta tout de
+son long sur le tapis du foyer; l&agrave;, &eacute;tendue sur le dos,
+elle frappa le
+plancher de ses talons avec une assiduit&eacute; et une violence qui ne
+laissaient aucun doute sur la d&eacute;licatesse de ses sentiments,
+dans cette
+occasion.</p>
+<p>&laquo;Ma ch&egrave;re, balbutia M. Pott, dans sa terreur, ma
+ch&egrave;re, je n'ai pas dit
+que je croyais cela. Je... je n'ai pas....&raquo; Mais la voix du
+malheureux
+mari &eacute;tait couverte par les hurlements de sa gracieuse
+moiti&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Madame Pott, reprit M. Winkle, ma ch&egrave;re dame,
+permettez-moi de vous
+supplier de vous tranquilliser un peu.&raquo; Inutile! les cris et les
+coups
+de talons &eacute;taient plus violents et plus fr&eacute;quents que
+jamais.</p>
+<p>&laquo;Ma ch&egrave;re, recommen&ccedil;a l'&eacute;diteur, je suis
+bien f&acirc;ch&eacute;.... Si ce n'est pas
+pour votre sant&eacute;, que ce soit pour moi.... Vous allez attirer
+toute la
+populace autour de notre maison....&raquo; Mais plus M. Pott mettait de
+chaleur dans ses supplications, plus son &eacute;pouse mettait de
+vigueur dans
+ses cris.</p>
+<p>Tr&egrave;s-heureusement cependant, Mme Pott avait attach&eacute;
+&agrave; sa personne une
+sorte de garde du corps, dans la personne d'une jeune <i>lady</i> dont
+l'emploi ostensible &eacute;tait de pr&eacute;sider &agrave; la
+toilette de sa ma&icirc;tresse,
+mais qui se rendait utile d'une infinit&eacute; d'autres
+mani&egrave;res, et
+principalement en aidant cette aimable femme &agrave; contrecarrer
+chaque
+d&eacute;sir, chaque inclination du malheureux journaliste. Les
+hurlements
+hyst&eacute;riques de Mme Pott atteignirent bient&ocirc;t les oreilles
+de ladite
+garde du corps, et l'amen&egrave;rent dans le parloir, avec une
+rapidit&eacute; qui
+mena&ccedil;ait de d&eacute;ranger mat&eacute;riellement l'harmonie
+exquise de son bonnet et
+de sa chevelure.</p>
+<p>&laquo;O ma ch&egrave;re ma&icirc;tresse! ma ch&egrave;re
+ma&icirc;tresse! s'&eacute;cria la jeune personne, en
+s'agenouillant d'un air &eacute;gar&eacute; &agrave; c&ocirc;t&eacute;
+de la gisante Mme Pott; &ocirc; ma ch&egrave;re
+ma&icirc;tresse! qu'est-ce que vous avez?</p>
+<p>&#8212;Votre ma&icirc;tre!... votre brutal de ma&icirc;tre....&raquo;
+balbutia la malade.</p>
+<p>Pott faiblissait &eacute;videmment.</p>
+<p>&laquo;C'est une honte! dit la jeune fille d'un ton de reproche. Je
+suis s&ucirc;re
+qu'il vous fera mourir, madame. Pauvre cher ange!&raquo;</p>
+<p>Pott faiblit encore plus: l'autre parti continua ses attaques.</p>
+<p>&laquo;Oh! ne m'abandonnez pas! Ne m'abandonnez pas, Goodwin!
+murmura Mme
+Pott, en s'attachant avec une force convulsive au poignet de la jeune
+demoiselle. Vous &ecirc;tes la seule personne qui m'aimiez,
+Goodwin!&raquo;</p>
+<p>A cette apostrophe touchante, miss Goodwin monta, de son
+c&ocirc;t&eacute;, une
+petite trag&eacute;die, et versa des larmes en abondance.</p>
+<p>&laquo;Jamais! madame, soupira-t-elle. Ah! monsieur, vous devriez
+prendre
+garde.... Vous devriez &ecirc;tre prudent! vous ne savez pas quel mal
+vous
+pouvez faire &agrave; ma ma&icirc;tresse. Vous en seriez
+f&acirc;ch&eacute; un jour.... Je le sais
+bien... je l'ai toujours dit!&raquo;</p>
+<p>Le malheureux Pott regarda sa moiti&eacute; d'un air timide, mais il
+ne dit
+rien.</p>
+<p>&laquo;Goodwin.... dit Mme Pott, d'une voix douce.</p>
+<p>&#8212;Madame?</p>
+<p>&#8212;Si vous saviez combien j'ai aim&eacute; cet homme-l&agrave;!</p>
+<p>&#8212;Ne vous tourmentez pas en vous rappelant &ccedil;a, madame.&raquo;</p>
+<p>Pott laissa voir qu'il &eacute;tait effray&eacute;; c'&eacute;tait
+le moment de frapper un
+coup d&eacute;cisif.</p>
+<p>&laquo;Et maintenant! sanglota Mme Pott, maintenant! Apr&egrave;s
+tant d'amour, &ecirc;tre
+trait&eacute;e comme cela! &Ecirc;tre m&eacute;connue! &ecirc;tre
+insult&eacute;e! en pr&eacute;sence d'un
+tiers, d'un <i>&eacute;tranger</i>! Mais je ne me soumettrai pas
+&agrave; cela, Goodwin,
+continua Mme Pott en se soulevant, dans les bras de sa suivante. Mon
+fr&egrave;re le lieutenant me prot&eacute;gera.... Je veux une
+s&eacute;paration, Goodwin.</p>
+<p>&#8212;Certainement, madame. Il le m&eacute;riterait bien.&raquo;</p>
+<p>Quelles que fussent les pens&eacute;es qu'une menace de
+s&eacute;paration p&ucirc;t exciter
+dans l'esprit de l'&eacute;diteur, il ne les exprima pas; mais il se
+contenta
+de dire avec grande humilit&eacute;: &laquo;Ma ch&egrave;re &acirc;me,
+voulez-vous m'entendre?&raquo;</p>
+<p>Une nouvelle d&eacute;charge de sanglots fut la seule
+r&eacute;ponse, et Mme Pott,
+devenue encore plus nerveuse, demanda, d'une voix entrecoup&eacute;e,
+pourquoi
+elle avait &eacute;t&eacute; mise au monde, pourquoi elle
+s'&eacute;tait mari&eacute;e, et voulut
+&ecirc;tre inform&eacute;e d'une foule d'autres secrets de ce genre.</p>
+<p>&laquo;Ma ch&egrave;re, lui remontra M. Pott, ne vous abandonnez pas
+&agrave; ces
+sentiments exalt&eacute;s. Je n'ai jamais cru que ce paragraphe
+e&ucirc;t aucun
+fondement; aucun, ma ch&egrave;re! Impossible! J'&eacute;tais seulement
+irrit&eacute;, je
+puis dire furieux, ma ch&egrave;re, contre les &eacute;diteurs de l'<i>Ind&eacute;pendant</i>
+qui
+ont eu l'insolence de l'ins&eacute;rer. Voil&agrave; tout.&raquo; En
+parlant ainsi, M. Pott
+jeta un regard suppliant &agrave; le cause innocente du grabuge, pour
+l'engager
+&agrave; ne point parler du <i>serpent</i>.</p>
+<p>&laquo;Et quelles d&eacute;marches ferez-vous, monsieur, pour
+obtenir satisfaction?
+demanda M. Winkle, qui reprenait du courage, en voyant que M. Pott
+perdait le sien.</p>
+<p>&#8212;O Goodwin, murmura Mme Pott; va-t-il cravacher l'&eacute;diteur de
+l'<i>Ind&eacute;pendant</i>? le fera-t-il, Goodwin?</p>
+<p>&#8212;Chut! chut! madame. Calmez-vous, je vous en prie! Certainement, il
+le
+cravachera si vous le d&eacute;sirez, madame.</p>
+<p>&#8212;Assur&eacute;ment, reprit Pott, en voyant que sa moiti&eacute;
+&eacute;tait sur le point de
+retomber en faiblesse. N&eacute;cessairement, je le cravacherai....</p>
+<p>&#8212;Quand? Goodwin, quand? poursuivit Mme Pott, ne sachant pas encore
+si
+elle devait retomber.</p>
+<p>&#8212;Sans d&eacute;lai, naturellement, r&eacute;pondit l'&eacute;diteur:
+avant que le jour soit
+termin&eacute;.</p>
+<p>&#8212;O Goodwin! reprit la dame, c'est le seul moyen d'apaiser le
+scandale,
+et de me remettre sur un bon pied dans le monde.</p>
+<p>&#8212;Certainement, madame; aucun homme, s'il est un homme, ne peut se
+refuser &agrave; faire cela.&raquo;</p>
+<p>Cependant les attaques de nerfs planaient toujours sur l'horizon. M.
+Pott r&eacute;p&eacute;ta de nouveau qu'il cravacherait, mais Mme Pott
+&eacute;tait si
+accabl&eacute;e par la seule id&eacute;e d'avoir &eacute;t&eacute;
+soup&ccedil;onn&eacute;e, qu'elle fut une
+douzaine de fois sur le point de retomber; et probablement une rechute
+serait arriv&eacute;e, sans les efforts infatigables de l'attentive
+Goodwin, et
+sans les supplications repentantes du parti vaincu. A la fin, quand le
+malheureux Pott fut convenablement mat&eacute; et compl&eacute;tement
+remis &agrave; sa
+place, Mme Pott se trouva mieux, et nos trois personnages
+commenc&egrave;rent &agrave;
+d&eacute;jeuner.</p>
+<p>&laquo;J'esp&egrave;re, dit Mme Pott avec un sourire qui brillait
+&agrave; travers les
+traces de ses larmes, j'esp&egrave;re, monsieur Winkle, que les basses
+calomnies de ce journal n'accourciront pas votre s&eacute;jour avec
+nous.</p>
+<p>&#8212;J'esp&egrave;re que non, ajouta M. Pott, qui dans son c&#339;ur
+souhaitait
+ardemment que son h&ocirc;te s'&eacute;touff&acirc;t avec le morceau de
+r&ocirc;tie qu'il portait
+dans ce moment &agrave; sa bouche, et termin&acirc;t ainsi ses visites.
+J'esp&egrave;re que
+non.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes bien bon, r&eacute;pondit M. Winkle; mais, ce
+matin, j'ai trouv&eacute; &agrave;
+la porte de ma chambre &agrave; coucher une note de M. Tupman, pour
+m'annoncer
+que M. Pickwick nous &eacute;crit de le rejoindre aujourd'hui &agrave;
+Bury. Nous
+devons partir par la voiture de midi....</p>
+<p>&#8212;Mais vous reviendrez? dit mistress Pott.</p>
+<p>&#8212;Oh! certainement.</p>
+<p>&#8212;En &ecirc;tes-vous bien s&ucirc;r? continua la dame en jetant
+&agrave; la d&eacute;rob&eacute;e un
+tendre regard &agrave; son h&ocirc;te.</p>
+<p>&#8212;Certainement, r&eacute;pondit M. Winkle.&raquo;</p>
+<p>Le d&eacute;jeuner se termina en silence, car chacun des assistants
+ruminait
+sur ses chagrins: mistress Pott regrettait la perte de son cavalier; M.
+Pott, son imprudente promesse de cravacher l'Ind&eacute;pendant; M.
+Winkle, les
+galanteries qui l'avaient plac&eacute; dans une si embarrassante
+situation.
+L'heure de midi approchait, et apr&egrave;s beaucoup d'adieux et de
+promesses
+de retour, M. Winkle s'arracha de cette famille, o&ugrave; il avait
+&eacute;t&eacute; si bien
+re&ccedil;u.</p>
+<p>&laquo;S'il revient jamais, je l'empoisonne! pensa M. Pott en se
+retirant dans
+le petit bureau o&ugrave; il pr&eacute;parait les foudres de son
+&eacute;loquence.</p>
+<p>&#8212;Si jamais je reviens m'emp&ecirc;trer parmi ces gens-l&agrave;,
+pensa M. Winkle en
+se rendant au Paon d'argent, je m&eacute;rite d'&ecirc;tre
+cravach&eacute; moi-m&ecirc;me; voil&agrave;
+tout.&raquo;</p>
+<p>Ses amis &eacute;taient pr&ecirc;ts, la voiture arriva
+bient&ocirc;t, et au bout d'une
+demi-heure les trois pickwickiens accomplissaient leur voyage, par la
+m&ecirc;me route que M. Pickwick avait si heureusement parcourue avec
+Sam.
+Comme nous en avons d&eacute;j&agrave; parl&eacute;, nous ne croyons
+pas devoir extraire la
+belle et po&eacute;tique description qu'en donne M. Snodgrass.</p>
+<p>Sam Weller les attendait &agrave; la porte de l'Ange et les
+introduisit dans
+l'appartement de M. Pickwick. L&agrave;, &agrave; la grande surprise de
+M. Winkle et
+de M. Snodgrass, et &agrave; l'immense confusion de M. Tupman, ils
+trouv&egrave;rent
+le vieux Wardle avec M. Trundle.</p>
+<p>&laquo;Comment &ccedil;a va-t-il? dit le vieillard en serrant la
+main de M. Tupman.
+Allons! allons! ne prenez pas un air sentimental. Il n'y a pas de
+rem&egrave;de
+&agrave; cela, vieux camarade. Pour l'amour d'elle je voudrais qu'elle
+vous e&ucirc;t
+&eacute;pous&eacute;, mais dans votre int&eacute;r&ecirc;t je suis bien
+aise qu'elle ne l'ait pas
+fait. Un jeune gaillard comme vous r&eacute;ussira mieux un de ces
+jours, eh!&raquo;
+Tout en prof&eacute;rant ces consolations, le vieux Wardle tapait sur
+le dos de
+M. Tupman, et riait de tout son c&#339;ur.</p>
+<p>&laquo;Et vous, mes joyeux compagnons, comment &ccedil;a va-t-il?
+poursuivit le vieux
+gentleman, en secouant &agrave; la fois la main de M. Winkle, et celle
+de M.
+Snodgrass. Je viens de dire &agrave; Pickwick que je voulais vous avoir
+tous &agrave;
+No&euml;l. Nous aurons une noce; une noce r&eacute;elle, cette fois-ci.</p>
+<p>&#8212;Une noce! s'&eacute;cria M. Snodgrass en p&acirc;lissant.</p>
+<p>&#8212;Oui, une noce. Mais ne vous effrayez pas, r&eacute;pliqua le
+bienveillant
+vieillard; c'est seulement Trundle que voici, et Bella.</p>
+<p>&#8212;Oh! est-ce l&agrave; tout? reprit M. Snodgrass, soulag&eacute; d'un
+doute p&eacute;nible
+qui avait &eacute;treint son c&#339;ur comme une main de fer. Je vous fais
+mon
+compliment, monsieur. Comment va Joe?</p>
+<p>&#8212;Lui? tr&egrave;s-bien. Toujours endormi.</p>
+<p>&#8212;Et madame votre m&egrave;re? et le vicaire? et tout le monde?</p>
+<p>&#8212;Parfaitement bien.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, dit M. Tupman avec effort; o&ugrave; est... o&ugrave; est-<i>elle</i>?&raquo;
+En
+parlant ainsi il d&eacute;tourna la t&ecirc;te et couvrit ses yeux de
+ses mains.</p>
+<p>&laquo;<i>Elle?</i> r&eacute;pliqua le vieux gentleman, en secouant
+la t&ecirc;te d'un air
+malin. Voulez-vous dire ma s&#339;ur, eh?&raquo;</p>
+<p>M. Tupman indiqua par un signe que sa question se rapportait
+&agrave; la
+demoiselle abandonn&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Oh! elle est partie; elle demeure chez une parente, assez
+loin. Elle ne
+pouvait plus soutenir la vue de mes filles, si bien que je l'ai
+laiss&eacute;e
+aller. Mais voici le d&icirc;ner; vous devez &ecirc;tre affam&eacute;
+apr&egrave;s votre voyage,
+et moi je le suis sans cela. Ainsi donc, &agrave; l'&#339;uvre!&raquo;</p>
+<p>Ample justice fut faite au repas, et lorsque les restes en eurent
+&eacute;t&eacute;
+enlev&eacute;s, lorsque nos amis furent &eacute;tablis
+commod&eacute;ment autour de la table,
+M. Pickwick raconta les m&eacute;saventures qu'il avait subies, et le
+succ&egrave;s
+qui avait couronn&eacute; la ruse inf&acirc;me du diabolique Jingle.
+Ses disciples
+&eacute;taient p&eacute;trifi&eacute;s d'indignation et d'horreur.</p>
+<p>&laquo;Enfin, dit en concluant M. Pickwick, le rhumatisme que j'ai
+attrap&eacute;
+dans ce jardin me rend encore boiteux.</p>
+<p>&#8212;Moi aussi, j'ai eu une esp&egrave;ce d'aventure, dit M. Winkle,
+avec un
+sourire; et &agrave; la requ&ecirc;te de M. Pickwick il rapporta le
+malicieux
+libelle de l'Ind&eacute;pendant d'Eatanswill, et l'irritation
+subs&eacute;quente de
+leur ami, l'&eacute;diteur de la Gazette.</p>
+<p>Le front de M. Pickwick s'obscurcit pendant ce r&eacute;cit; ses
+amis s'en
+aper&ccedil;urent et, lorsque M. Winkle se tut, gard&egrave;rent un
+profond silence.
+M. Pickwick frappa emphatiquement la table avec son poing ferm&eacute;,
+et
+parla ainsi qu'il suit:</p>
+<p>&laquo;N'est-ce pas une circonstance &eacute;tonnante, que nous
+semblions destin&eacute;s &agrave;
+ne pouvoir entrer sous le toit d'un homme que pour y porter le trouble
+avec nous. Je vous le demande, ne dois-je pas croire &agrave;
+l'indiscr&eacute;tion,
+ou, bien pis encore, &agrave; l'immoralit&eacute; de mes disciples,
+lorsque je les
+vois, dans chaque maison o&ugrave; ils p&eacute;n&egrave;trent,
+d&eacute;truire la paix du c&#339;ur, le
+bonheur domestique de quelque femme confiante. N'est-ce pas, je le
+dis....&raquo;</p>
+<p>Suivant toutes les probabilit&eacute;s, M. Pickwick aurait
+continu&eacute; sur ce ton
+pendant un certain temps, si l'entr&eacute;e de Sam avec une lettre
+n'avait pas
+interrompu son &eacute;loquent discours. Il passa son mouchoir sur son
+front,
+&ocirc;ta ses lunettes, les essuya et les remit sur son nez:
+c'&eacute;tait assez; sa
+voix avait recouvr&eacute; sa douceur habituelle lorsqu'il demanda:
+&laquo;Qu'est-ce
+que vous m'apportez l&agrave;, Sam?</p>
+<p>&#8212;Je viens de la poste, monsieur, et j'y ai trouv&eacute; cette
+lettre ici:
+elle y a attendu deux jours; elle est cachet&eacute;e avec un pain
+enchant&eacute; et
+l'adresse est figur&eacute;e en ronde.</p>
+<p>&#8212;Je ne connais pas cette &eacute;criture-l&agrave;, dit M. Pickwick
+en ouvrant la
+lettre. Le ciel aie piti&eacute; de nous! qu'est-ce que ceci? Il faut
+que ce
+soit un songe! Cela... cela ne peut pas &ecirc;tre vrai!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que c'est donc? demand&egrave;rent tous les convives.</p>
+<p>&#8212;Personne de mort! j'esp&egrave;re?&raquo; dit M. Wardle,
+alarm&eacute; par l'expression
+d'horreur qui contractait le visage de M. Pickwick.</p>
+<p>Le philosophe ne fit pas de r&eacute;ponse, mais passant la lettre
+par-dessus
+la table, il pria M. Tupman de la lire tout haut, et se laissa retomber
+sur sa chaise avec un air d'&eacute;tonnement et d'&eacute;garement,
+qui faisait peine
+&agrave; voir.</p>
+<p>M. Tupman, d'une voix tremblante, lut la lettre ci-dessous
+rapport&eacute;e.</p>
+<div class="blkquot">
+<p>&laquo;Freeman's-Court, Cornhill, August, 28e, 1831.</p>
+<p> &laquo;BARDELL CONTRE PICKWICK.</p>
+<p> &laquo;Monsieur,</p>
+<p> &laquo;Ayant &eacute;t&eacute; charg&eacute;s par Mme Martha
+Bardell de commencer une action contre vous pour violation d'une
+promesse de mariage, pour laquelle la plaignante fixe ses dommages
+&agrave; quinze cents guin&eacute;es, nous prenons la libert&eacute; de
+vous informer qu'une citation a &eacute;t&eacute; lanc&eacute;e contre
+vous devant la cour de <i>Common pleas</i>; et d&eacute;sirons savoir,
+courrier pour courrier, le nom de votre avou&eacute; &agrave; Londres,
+qui sera charg&eacute; de suivre cette affaire.</p>
+<p> &laquo;Nous sommes, monsieur, vos ob&eacute;issants serviteurs.</p>
+<p> &laquo;DODSON et FOGG.</p>
+<p> &laquo;<i>M. Samuel Pickwick,</i>&raquo; </p>
+</div>
+<p>Le muet &eacute;tonnement avec lequel cette lecture fut accueillie
+avait
+quelque chose de tellement solennel, que chacun des assistants
+paraissait craindre de rompre le silence, et regardait tour &agrave;
+tour ses
+voisins et M. Pickwick. A la fin M. Tupman r&eacute;p&eacute;ta
+machinalement: &laquo;Dodson
+et Fogg!</p>
+<p>&#8212;Bardell contre Pickwick, chuchota M. Snodgrass d'un air distrait.</p>
+<p>&#8212;La paix du c&#339;ur, le bonheur domestique de quelque femme confiante!
+murmura M. Winkle avec abstraction.</p>
+<p>&#8212;C'est un complot! s'&eacute;cria M. Pickwick, recouvrant enfin le
+pouvoir de
+parler. C'est un inf&acirc;me complot de ces deux avou&eacute;s
+rapaces. Mme Bardell
+n'aurait jamais fait cela. Elle n'aurait pas le c&#339;ur de le faire; elle
+n'en aurait pas le droit. Ridicule! ridicule!</p>
+<p>&#8212;Quant &agrave; son c&#339;ur, reprit M. Wardle avec un sourire, vous en
+&ecirc;tes
+certainement le meilleur juge; mais pour son droit je vous dirai, sans
+vouloir vous d&eacute;courager, que Dodson et Fogg en sont meilleurs
+juges
+qu'aucun de nous ne peut l'&ecirc;tre.</p>
+<p>&#8212;C'est une basse tentative pour m'escroquer de l'argent.</p>
+<p>&#8212;Je l'esp&egrave;re, r&eacute;pliqua M. Wardle avec une toux
+s&egrave;che et courte.</p>
+<p>&#8212;Qui m'a jamais entendu lui parler autrement qu'un locataire doit
+parler &agrave; sa propri&eacute;taire? continua M. Pickwick avec
+grande v&eacute;h&eacute;mence.
+Qui m'a jamais vu avec elle? Non! pas m&ecirc;me mes amis ici
+pr&eacute;sents.</p>
+<p>&#8212;Except&eacute; une seule fois, interrompit M. Tupman.</p>
+<p>M. Pickwick changea de couleur.</p>
+<p>&laquo;Ah! reprit M. Wardle, ceci est important. Il n'y avait rien
+de suspect
+cette fois-l&agrave;, je suppose?&raquo;</p>
+<p>M. Tupman lan&ccedil;a un coup d'&#339;il timide &agrave; son mentor.
+&laquo;Vraiment, dit-il, il
+n'y avait rien de suspect, mais... je ne sais comment cela &eacute;tait
+arriv&eacute;.... Il la tenait certainement dans ses bras.</p>
+<p>&#8212;Juste ciel! s'&eacute;cria M. Pickwick, le souvenir de la
+sc&egrave;ne en question
+se retra&ccedil;ant avec vivacit&eacute; &agrave; son esprit. Cela est
+vrai! cela est vrai!
+Quelle affreuse preuve du pouvoir des circonstances!</p>
+<p>&#8212;Et notre ami t&acirc;chait de la consoler, ajouta M. Winkle avec un
+grain de
+malice.</p>
+<p>&#8212;Cela est vrai, dit M. Pickwick. Je ne le nierai point, cela est
+vrai!</p>
+<p>&#8212;Ho! ho! cria M. Wardle, pour une affaire dans laquelle il n'y a
+rien
+de suspect, cela a l'air assez dr&ocirc;le. Eh! Pickwick, ah! ah!
+rus&eacute;
+garnement! rus&eacute; garnement!&raquo; Et il &eacute;clata de rire
+avec tant de force que
+les verres en retentirent sur le buffet.</p>
+<p>&laquo;Quelle &eacute;pouvantable r&eacute;union d'apparences!
+s'&eacute;cria M. Pickwick en
+appuyant son menton sur ses deux mains. Winkle! Tupman! je vous prie de
+me pardonner les observations que je viens de faire &agrave; l'instant.
+Nous
+sommes tous les victimes des circonstances, et moi la plus grande des
+trois!&raquo;</p>
+<p>Ayant fait cette apologie, M. Pickwick ensevelit sa t&ecirc;te dans
+ses mains
+et se mit &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir, tandis que M. Wardle
+adressait aux autres membres
+de la compagnie une collection de clignements d'&#339;il et de signes de
+t&ecirc;te.</p>
+<p>&laquo;Quoi qu'il en soit, dit M. Pickwick en relevant son front
+indign&eacute;, et
+en frappant sur la table, je veux que tout cela s'explique. Je verrai
+ce
+Dodson et ce Fogg. J'irai &agrave; Londres, demain.</p>
+<p>&#8212;Non, pas demain, reprit M. Wardle, vous &ecirc;tes trop boiteux.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, apr&egrave;s-demain.</p>
+<p>&#8212;Apr&egrave;s-demain est le premier septembre, et vous avez promis
+de venir
+avec nous jusqu'au manoir de sir Geoffrey Manning, pour nous tenir
+t&ecirc;te
+au d&eacute;jeuner, si vous ne nous accompagnez pas &agrave; la chasse.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, le jour suivant, jeudi. Sam!</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Retenez deux places d'imp&eacute;riale pour Londres, pour jeudi
+matin.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur.&raquo;</p>
+<p>Sam Weller partit donc pour ex&eacute;cuter sa commission. Il avait
+ses mains
+dans ses poches, ses yeux fix&eacute;s sur la terre et il marchait
+lentement,
+en se parlant &agrave; lui-m&ecirc;me.</p>
+<p>&laquo;Dr&ocirc;le de corps que mon empereur! Faire la cour &agrave;
+cette Mme Bardell,
+une femme qui a un petit moutard! Toujours comme &ccedil;a qu'ils sont
+ces
+vieux gar&ccedil;ons qui ont l'air si sage. Quoique &ccedil;a, je
+n'aurais pas cru &ccedil;a
+de lui, je n'aurais pas cru &ccedil;a de lui!&raquo; Tout en moralisant
+de la sorte,
+M. Weller &eacute;tait arriv&eacute; au bureau des voitures.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XIX"></a>
+<h2>CHAPITRE XIX.</h2>
+<h3>Un jour heureux, termin&eacute; malheureusement.</h3>
+<br/>
+<p>Les oiseaux salu&egrave;rent la matin&eacute;e du 1er septembre 1831
+comme l'une des
+plus agr&eacute;ables de la saison, car ils ignoraient, heureusement
+pour la
+paix de leur c&#339;ur, les immenses pr&eacute;paratifs qu'on faisait pour
+les
+exterminer. Plus d'une jeune perdrix, qui trottait complaisamment dans
+les pr&eacute;s, avec toute la gracieuse coquetterie de la jeunesse; et
+plus
+d'une m&egrave;re perdrix, qui, de son petit &#339;il rond,
+consid&eacute;rait cette
+l&eacute;g&egrave;ret&eacute; avec l'air d&eacute;daigneux d'un oiseau
+plein d'exp&eacute;rience et de
+sagesse, ignorant &eacute;galement le destin qui les attendait, se
+baignaient
+dans l'air frais du matin, avec un sentiment de bonheur et de
+gaiet&eacute;.
+Quelques heures plus tard, leurs cadavres devaient &ecirc;tre
+&eacute;tendus sur la
+terre! Mais silence! il est temps de terminer cette tirade, car nous
+devenons trop sentimental.</p>
+<p>Donc, pour parler d'une mani&egrave;re simple et pratique,
+c'&eacute;tait une belle
+matin&eacute;e, si belle qu'on aurait eu peine &agrave; croire que les
+mois rapides
+d'un &eacute;t&eacute; anglais &eacute;taient d&eacute;j&agrave;
+presque &eacute;coul&eacute;s. Les haies, les champs,
+les arbres, les coteaux, les marais, se paraient de mille teintes
+vari&eacute;es. A peine une feuille tomb&eacute;e, &agrave; peine une
+nuance de jaune m&ecirc;l&eacute;e
+aux couleurs du printemps, vous avertissaient que l'automne allait
+commencer. Le ciel &eacute;tait sans nuage; le soleil s'&eacute;tait
+lev&eacute;, chaud et
+brillant; l'air retentissait du chant des oiseaux et du bourdonnement
+des insectes; les jardins &eacute;taient remplis de fleurs odorantes,
+qui
+&eacute;tincelaient sous la ros&eacute;e comme des lits de joyaux
+&eacute;blouissants; toutes
+choses enfin portaient la marque de l'&eacute;t&eacute;, et pas une de
+ses beaut&eacute;s ne
+s'&eacute;tait encore effac&eacute;e.</p>
+<p>Malgr&eacute; le charme de la saison, M. Snodgrass ayant
+pr&eacute;f&eacute;r&eacute; demeurer au
+logis, les trois autres pickwickiens mont&egrave;rent dans une voiture
+d&eacute;couverte avec M. Wardle et M. Trundle, tandis que Sam Weller
+se
+pla&ccedil;ait sur le si&eacute;ge &agrave; c&ocirc;t&eacute; du cocher.</p>
+<p>Au bout d'une couple d'heures leur carrosse s'arr&ecirc;ta devant
+une vieille
+maison, sur le bord de la route. Ils &eacute;taient attendus, et
+trouv&egrave;rent &agrave;
+la porte, outre deux chiens d'arr&ecirc;t, un garde-chasse, grand et
+sec, avec
+un enfant, dont les jambes &eacute;taient couvertes de gu&ecirc;tres de
+cuir. L'un et
+l'autre portaient une carnassi&egrave;re d'une vaste dimension.</p>
+<p>&laquo;Dites-moi donc, murmura M. Winkle &agrave; M. Wardle, pendant
+qu'on abaissait
+le marchepied. Est-ce qu'ils supposent que nous allons tuer du gibier
+plein ces deux sacs-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Plein ces deux sacs! s'&eacute;cria le vieux Wardle. Que Dieu vous
+b&eacute;nisse!
+vous en remplirez un et moi l'autre, et quand ils seront pleins, les
+poches de nos vestes en tiendront encore autant.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle descendit sans rien r&eacute;pondre; mais il ne put
+s'emp&ecirc;cher de
+penser que s'ils devaient tous rester en plein air jusqu'&agrave; ce
+qu'il e&ucirc;t
+rempli un de ces sacs, ses amis et lui couraient un danger assez
+consid&eacute;rable d'attraper des fra&icirc;cheurs et des rhumatismes.</p>
+<p>&laquo;Hi! Junon, hi! vieille fille! A bas, Deph! &agrave; bas! dit
+M. Wardle en
+caressant les chiens. Sir Geoffrey est encore en &Eacute;cosse,
+Martin?&raquo;</p>
+<p>Le grand garde-chasse r&eacute;pondit affirmativement, en promenant
+des regards
+surpris de M. Winkle, qui tenait son fusil comme s'il avait voulu que
+sa
+veste lui &eacute;pargn&acirc;t la peine de tirer la g&acirc;chette,
+&agrave; M. Tupman, qui
+portait le sien comme s'il en avait &eacute;t&eacute; effray&eacute;;
+et il y a tout lieu de
+croire qu'il l'&eacute;tait effectivement.</p>
+<p>M. Wardle remarqua l'air inquiet du grand garde-chasse, &laquo;Mes
+amis, lui
+dit-il, n'ont pas beaucoup l'habitude de ces sortes de choses. Vous
+savez... ce n'est qu'en forgeant qu'on devient forgeron.... Ils seront
+bons tireurs un de ces jours.... Je demande pardon &agrave; mon ami
+Winkle, il
+a d&eacute;j&agrave; quelque habitude, cependant.&raquo;</p>
+<p>Pour reconna&icirc;tre ce compliment, M. Winkle sourit faiblement
+par-dessus
+sa cravate bleue, et dans sa modeste confusion il se trouva si
+myst&eacute;rieusement emm&ecirc;l&eacute; avec son fusil, que si
+celui-ci avait &eacute;t&eacute; charg&eacute;,
+il se serait infailliblement tu&eacute; sur la place.</p>
+<p>&laquo;Il ne faut pas manier votre fusil dans cette imagination ici
+monsieur,
+quand vous aurez de la charge dedans, dit le grand garde-chasse d'un
+air
+rechign&eacute;; ou je veux &ecirc;tre damn&eacute; si vous ne faites
+pas de la viande
+froide avec quelqu'un de nous.&raquo;</p>
+<p>Ainsi admonest&eacute;, M. Winkle changea brusquement de position,
+et dans son
+empressement il amena le canon de son fusil en contact assez intime
+avec
+la t&ecirc;te de Sam.</p>
+<p>&laquo;Hol&agrave;! cria Sam en ramassant son chapeau et en frottant
+les tempes.
+Hol&agrave;! monsieur, si vous y allez comme &ccedil;a, vous remplirez
+grandement un
+de ces sacs ici, et du premier coup, encore.&raquo;</p>
+<p>A ces mots le petit gar&ccedil;on aux gu&ecirc;tres de cuir laissa
+&eacute;chapper un &eacute;clat
+de rire, et s'effor&ccedil;a au m&ecirc;me instant de reprendre un air
+grave, comme
+si ce n'avait pas &eacute;t&eacute; lui. M. Winkle fron&ccedil;a le
+sourcil majestueusement.</p>
+<p>&laquo;Martin, demanda M. Wardle, o&ugrave; avez-vous dit au
+gar&ccedil;on de nous retrouver
+avec le go&ucirc;ter?</p>
+<p>&#8212;Sur le coteau du ch&ecirc;ne, monsieur, &agrave; midi.</p>
+<p>&#8212;Est-ce que c'est sur la terre de sir Geoffrey?</p>
+<p>&#8212;Non, monsieur, c'est tout &agrave; c&ocirc;t&eacute;. C'est sur la
+terre du capitaine
+Boldwig, mais il ne s'y trouvera personne pour nous d&eacute;ranger, et
+il y a
+l&agrave; un joli brin de gazon.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, dit le vieux Wardle. Maintenant, plus t&ocirc;t
+nous partirons,
+mieux cela vaudra. Vous nous rejoindrez &agrave; midi, Pickwick.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick d&eacute;sirait voir la chasse, principalement parce
+qu'il avait
+quelques inqui&eacute;tudes pour la vie et l'int&eacute;grit&eacute;
+des membres de M.
+Winkle. D'ailleurs, par une si belle matin&eacute;e, il &eacute;tait
+cruel de voir
+partir ses amis et de rester en arri&egrave;re. C'est donc avec un air
+fort
+piteux qu'il r&eacute;pondit: &laquo;Il le faut bien, je suppose....</p>
+<p>&#8212;Est-ce que le gentleman ne tire point? demanda le long garde-chasse.</p>
+<p>&#8212;Non, r&eacute;pondit M. Wardle, et de plus il est boiteux.</p>
+<p>&#8212;J'aimerais beaucoup &agrave; aller avec vous, dit M. Pickwick,
+beaucoup.&raquo;</p>
+<p>Il y eut un court silence de commis&eacute;ration. Le petit
+gar&ccedil;on le rompit en
+disant: &laquo;Il y a l&agrave;, de l'aut' c&ocirc;t&eacute; de la
+haie, une brouette. Si le
+domestique du gentleman voulait le brouetter dans le sentier, il
+pourrait venir avec nous, et nous le ferions passer par-dessus les
+barri&egrave;res, et tout &ccedil;a.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; la chose, s'empressa de dire Sam Weller, qui
+&eacute;tait partie
+int&eacute;ress&eacute;e, car il d&eacute;sirait ardemment voir la
+chasse. Voil&agrave; la chose.
+Bien dit, p'tit m&ocirc;me. Je vas l'avoir dans un instant.&raquo;</p>
+<p>Mais ici une autre difficult&eacute; s'&eacute;leva. Le grand
+garde-chasse protesta
+r&eacute;solument contre l'introduction d'un gentleman brouett&eacute;
+dans une partie
+de chasse, soutenant que c'&eacute;tait une violation flagrante de
+toutes les
+r&egrave;gles &eacute;tablies et de tous les pr&eacute;c&eacute;dents.</p>
+<p>L'objection &eacute;tait forte, mais elle n'&eacute;tait pas
+insurmontable. On cajola
+le garde-chasse, on lui graissa la patte; lui-m&ecirc;me se soulagea le
+c&#339;ur
+en ramollissant la t&ecirc;te inventive du jeune gar&ccedil;on qui
+avait sugg&eacute;r&eacute;
+l'usage de la machine, et enfin la caravane se mit en route. M. Wardle
+et le garde-chasse ouvraient la marche; M. Pickwick, dans sa brouette
+pouss&eacute;e par Sam, formait l'arri&egrave;re-garde.</p>
+<p>&laquo;Arr&ecirc;tez, Sam! cria M. Pickwick lorsqu'ils eurent
+travers&eacute; le premier
+champ.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il y a maintenant? demanda M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Je ne souffrirai pas que cette brouette avance un pas de plus,
+d&eacute;clara
+M. Pickwick d'un air r&eacute;solu, &agrave; moins que Winkle ne porte
+son fusil d'une
+autre mani&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Et comment dois-je le porter? dit le mis&eacute;rable Winkle.</p>
+<p>&#8212;Portez-le avec le canon en bas.</p>
+<p>&#8212;Cela a l'air si peu chasseur, repr&eacute;senta M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Je ne me soucie pas si cela a l'air chasseur ou non; mais je n'ai
+pas
+envie d'&ecirc;tre fusill&eacute; dans une brouette pour l'amour des
+apparences.</p>
+<p>&#8212;S&ucirc;r que le gentleman mettra cette charge ici dans le corps de
+quelqu'un, grommela le grand homme.</p>
+<p>&#8212;Bien! bien! reprit le malheureux Winkle en renversant son fusil;
+cela
+m'est &eacute;gal; voil&agrave;....</p>
+<p>&#8212;C'est les concessions mutuelles qui fait le charme de la
+vie,&raquo; fit
+observer Sam, et la caravane se remit en marche.</p>
+<p>Elle n'avait point fait cent pas lorsque M. Pickwick cria de
+nouveau:
+&laquo;Arr&ecirc;tez!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il y a encore? demanda M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Le fusil de Tupman est aussi dangereux que l'autre; j'en suis
+s&ucirc;r.</p>
+<p>&#8212;Eh quoi? dangereux! s'&eacute;cria M. Tupman, fort alarm&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Dangereux si vous le portez comme cela. Je suis
+tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute; de faire de
+nouvelles objections, mais je ne puis consentir &agrave; continuer si
+vous ne
+l'abaissez point comme Winkle.</p>
+<p>&#8212;J'imagine que vous feriez mieux, monsieur, ajouta le grand
+garde-chasse, autrement vous pourriez mettre votre bourre dans votre
+gilet aussi bien que dans celui des autres.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman, avec l'empressement le plus obligeant, pla&ccedil;a son
+fusil dans
+la position requise, et le convoi repartit encore, les deux amateurs
+marchant avec leur fusil renvers&eacute; comme une couple de soldats
+&agrave; des
+fun&eacute;railles.</p>
+<p>Tout d'un coup les chiens s'arr&ecirc;t&egrave;rent, et leurs
+ma&icirc;tres en firent
+autant.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'ils ont donc dans les jambes? demanda M. Winkle.
+Comme ils
+ont l'air dr&ocirc;le.</p>
+<p>&#8212;Chut! r&eacute;pliqua M. Wardle doucement. Ne voyez-vous pas qu'ils
+arr&ecirc;tent!</p>
+<p>&#8212;Ils s'arr&ecirc;tent! r&eacute;p&eacute;ta M. Winkle en regardant
+tout autour de lui,
+comme pour chercher la cause qui avait interrompu leur progr&egrave;s.
+Pourquoi
+s'arr&ecirc;tent-ils?</p>
+<p>&#8212;Attention! murmura M. Wardle, qui, dans l'int&eacute;r&ecirc;t du
+moment, n'avait
+pas entendu cette question. Allons maintenant.&raquo;</p>
+<p>Un violent battement d'ailes se fit entendre si soudainement que M.
+Winkle en recula comme si lui-m&ecirc;me avait &eacute;t&eacute;
+tir&eacute;. Pan! pan! deux coups
+de fusil retentirent, et la fum&eacute;e s'&eacute;leva tranquillement
+dans l'air en
+d&eacute;crivant des courbes gracieuses.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; sont-elles? s'&eacute;cria M. Winkle dans le plus
+grand enthousiasme et se
+retournant dans toutes les directions. O&ugrave; sont elles? Dites-moi
+quand il
+faudra faire feu! O&ugrave; sont-elles? o&ugrave; sont-elles?</p>
+<p>&#8212;Ma foi! les voil&agrave;, dit M. Wardle en ramassant deux perdrix
+que les
+chiens avaient d&eacute;pos&eacute;es &agrave; ses pieds.</p>
+<p>&#8212;Non! non! je veux dire les autres! reprit M. Winkle encore tout
+effar&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Assez loin, &agrave; pr&eacute;sent, si elles courent toujours,
+r&eacute;pliqua froidement
+M. Wardle en rechargeant son fusil.</p>
+<p>&#8212;J'imagine que nous en trouverons une autre compagnie dans cinq
+minutes, observa le grand garde-chasse. Si le gentleman commence
+&agrave; tirer
+maintenant, son plomb sortira peut-&ecirc;tre du canon quand nous les
+ferons
+lever.</p>
+<p>&#8212;Ah! ah! ah! fit M. Weller.</p>
+<p>&#8212;Sam! dit M. Pickwick, touch&eacute; de la confusion de son disciple.</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Ne riez pas.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur,&raquo; r&eacute;pondit Sam. Mais en
+guise d'indemnit&eacute; il se
+mit &agrave; contourner ses traits, derri&egrave;re la brouette, pour
+l'amusement
+exclusif du jeune Bas de cuir. L'innocent jeune homme laissa
+&eacute;clater un
+bruyant ricanement, et fut sommairement calott&eacute; par le grand
+garde-chasse, qui avait besoin d'un pr&eacute;texte pour se
+d&eacute;tourner et cacher
+sa propre envie de rire.</p>
+<p>Peu de temps apr&egrave;s M. Wardle dit &agrave; M. Tupman:
+&laquo;Bravo! camarade. Vous
+avez au moins tir&eacute; &agrave; temps cette fois-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pliqua M. Tupman avec un sentiment d'orgueil, j'ai
+l&acirc;ch&eacute; mon
+coup.</p>
+<p>&#8212;A merveille! vous abattrez quelque chose la premi&egrave;re fois,
+si vous
+regardez bien. C'est tr&egrave;s-ais&eacute;, n'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Oui, c'est tr&egrave;s-ais&eacute;. Mais malgr&eacute; cela, comme
+&ccedil;a vous ab&icirc;me l'&eacute;paule!
+J'ai presque cru que j'en tomberais &agrave; la renverse. Je
+n'imaginais pas
+que des petites armes &agrave; feu comme cela repoussaient tant.</p>
+<p>&#8212;Oh! dit le vieux gentleman en souriant, vous vous y habituerez avec
+le
+temps. Maintenant, sommes-nous pr&ecirc;ts? Tout va-t-il bien
+l&agrave;-bas, dans la
+brouette?</p>
+<p>&#8212;Tout va bien, monsieur, r&eacute;pliqua Sam.</p>
+<p>&#8212;En route donc.</p>
+<p>&#8212;Tenez ferme, monsieur, dit Sam en levant la brouette.</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, repartit M. Pickwick;&raquo; et ils chemin&egrave;rent
+aussi vite que
+besoin &eacute;tait.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, dit M. Wardle, apr&egrave;s que la brouette
+e&ucirc;t &eacute;t&eacute; pass&eacute;e
+par-dessus une barri&egrave;re, et lorsque M. Pickwick y fut
+d&eacute;pos&eacute; de nouveau.
+Maintenant, tenez cette brouette en arri&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Bien, monsieur, r&eacute;pondit Sam en s'arr&ecirc;tant.</p>
+<p>&#8212;A pr&eacute;sent, Winkle, continua le vieux gentleman, suivez-moi
+doucement
+et ne soyez pas en retard, cette fois-ci.</p>
+<p>&#8212;N'ayez pas peur, dit M. Winkle. Arr&ecirc;tent-ils?</p>
+<p>&#8212;Non! non! pas encore. Du silence, maintenant, du silence!&raquo;</p>
+<p>Et en effet ils s'avan&ccedil;aient silencieusement, lorsque M.
+Winkle, voulant
+ex&eacute;cuter une &eacute;volution fort d&eacute;licate avec son
+fusil, le fit partir par
+accident, au moment critique, et envoya sa charge juste au-dessus de la
+t&ecirc;te du petit gar&ccedil;on, et &agrave; l'endroit pr&eacute;cis
+o&ugrave; aurait &eacute;t&eacute; la cervelle du
+grand homme s'il s'&eacute;tait trouv&eacute; l&agrave; au lieu de son
+jeune substitut.</p>
+<p>&laquo;Au nom du ciel, pourquoi avez-vous fait feu? demanda M.
+Wardle,
+pendant que les oiseaux s'envolaient en toute s&ucirc;ret&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai jamais vu un fusil comme cela dans toute ma vie,
+r&eacute;pondit le
+pauvre Winkle en regardant la batterie, comme si cela avait pu
+rem&eacute;dier
+&agrave; quelque chose. Il part de lui-m&ecirc;me, il veut partir bon
+gr&eacute; mal gr&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Ah! il veut partir! r&eacute;p&eacute;ta M. Wardle avec un peu
+d'irritation. Pl&ucirc;t au
+ciel qu'il voul&ucirc;t aussi tuer quelque chose!</p>
+<p>&#8212;Il le fera avant peu, monsieur, dit le grand garde-chasse.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous entendez par cette observation, monsieur?
+demanda
+aigrement M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Rien du tout, monsieur, rien du tout. Moi, je n'ai pas de famille,
+et
+la m&egrave;re de ce gar&ccedil;on ici aura quelque chose de sir
+Geoffrey, si le
+moutard est tu&eacute; sur ses terres. Rechargez, monsieur, rechargez
+votre
+arme.</p>
+<p>&#8212;Otez-lui son fusil! s'&eacute;cria de sa brouette M. Pickwick,
+frapp&eacute;
+d'horreur par les sombres insinuations du grand homme. Otez-lui son
+fusil! M'entendez-vous, quelqu'un!&raquo;</p>
+<p>Personne cependant ne s'offrit pour ex&eacute;cuter ce commandement,
+et M.
+Winkle, apr&egrave;s avoir lanc&eacute; un regard de r&eacute;bellion
+au philosophe,
+rechargea son fusil et marcha en avant avec les autres chasseurs.</p>
+<p>Nous sommes oblig&eacute; de dire, d'apr&egrave;s l'autorit&eacute;
+de M. Pickwick, que la
+mani&egrave;re de proc&eacute;der de M. Tupman paraissait beaucoup plus
+prudente et
+plus rationnelle que celle adopt&eacute;e par M. Winkle. Cependant ceci
+ne doit
+en aucune mani&egrave;re diminuer la grande autorit&eacute; de ce
+dernier dans tous
+les exercices corporels; car, depuis un temps imm&eacute;morial, comme
+l'observe admirablement M. Pickwick, beaucoup de philosophes, et des
+meilleurs, qui ont &eacute;t&eacute; de parfaites lumi&egrave;res pour
+les sciences, en
+mati&egrave;re de th&eacute;orie, n'ont jamais pu parvenir &agrave;
+faire quelque chose dans
+la pratique.</p>
+<p>Comme la plupart des plus sublimes d&eacute;couvertes, la
+mani&egrave;re d'agir de M.
+Tupman paraissait extr&ecirc;mement simple. Avec la
+p&eacute;n&eacute;tration intuitive d'un
+homme de g&eacute;nie, il avait remarqu&eacute;, du premier coup, que
+les deux grands
+points &agrave; obtenir &eacute;taient: 1&deg; de d&eacute;charger son
+fusil sans se nuire; 2&deg; de
+le d&eacute;charger sans endommager les assistants. Donc et
+&eacute;videmment,
+lorsqu'on &eacute;tait parvenu &agrave; surmonter la difficult&eacute;
+de faire feu, la
+meilleure chose &eacute;tait de fermer les yeux solidement et de tirer
+en
+l'air. Q.E.D.</p>
+<p>Une fois, apr&egrave;s avoir ex&eacute;cut&eacute; ce tour de force,
+M. Tupman, en rouvrant
+les yeux, vit une grosse perdrix qui tombait bless&eacute;e sur la
+terre. Il
+allait congratuler M. Wardle sur ses invariables succ&egrave;s, quand
+celui-ci
+s'avan&ccedil;a vers lui et lui serrant chaudement la main:</p>
+<p>&laquo;Tupman, vous avez choisi cette perdrix-l&agrave; parmi les
+autres?</p>
+<p>&#8212;Non! non!</p>
+<p>&#8212;Si, je l'ai remarqu&eacute;. Je vous ai vu la choisir. J'ai
+observ&eacute; comment
+vous leviez votre fusil pour l'ajuster; et je dirai ceci: que le
+meilleur tireur du monde n'aurait pas pu l'abattre plus admirablement.
+Vous &ecirc;tes moins novice que je ne le croyais, Tupman: vous avez
+d&eacute;j&agrave;
+chass&eacute;?&raquo;</p>
+<p>Vainement M. Tupman protesta, avec un sourire de modestie, que cela
+ne
+lui &eacute;tait jamais arriv&eacute;. Son sourire m&ecirc;me fut
+regard&eacute; comme une preuve
+du contraire, et depuis cette &eacute;poque sa r&eacute;putation fut
+&eacute;tablie. Ce n'est
+pas la seule r&eacute;putation qui ait &eacute;t&eacute; acquise aussi
+ais&eacute;ment, et l'on peut
+admirer les effets heureux du hasard ailleurs que dans la chasse aux
+perdrix.</p>
+<p>Pendant ce temps, M. Winkle s'environnait de feu, de bruit et de
+fum&eacute;e,
+sans produire aucun r&eacute;sultat positif digne d'&ecirc;tre
+not&eacute;. Quelquefois il
+envoyait sa charge au milieu des airs; quelquefois il lui faisait raser
+la surface du globe, de mani&egrave;re &agrave; rendre excessivement
+pr&eacute;caire
+l'existence des deux chiens. Sa mani&egrave;re de tirer,
+consid&eacute;r&eacute;e comme une
+&#339;uvre d'imagination et de fantaisie, &eacute;tait extr&ecirc;mement
+curieuse et
+vari&eacute;e; mais mat&eacute;riellement et quant au produit
+r&eacute;el, c'&eacute;tait peut-&ecirc;tre,
+au total, un non-succ&egrave;s. C'est un axiome &eacute;tabli que <i>chaque
+boulet a son
+adresse</i>; si on peut l'appliquer &eacute;galement &agrave; des
+grains de petit plomb,
+ceux de M. Winkle &eacute;taient de malheureux b&acirc;tards,
+priv&eacute;s de leurs droits
+naturels, jet&eacute;s au hasard dans le monde, et qui n'&eacute;taient
+adress&eacute;s nulle
+part.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! dit M. Wardle en s'approchant de la brouette et en
+essuyant la
+sueur de son visage joyeux et rougeaud; une journ&eacute;e un peu
+chaude, hein?</p>
+<p>&#8212;C'est vrai, r&eacute;pondit M. Pickwick. Le soleil est
+effroyablement
+br&ucirc;lant, m&ecirc;me pour moi. Je ne sais pas comment vous devez
+le trouver.</p>
+<p>&#8212;Ma foi! pas mal chaud, mais c'est &eacute;gal. Il est midi
+pass&eacute;; voyez-vous
+ce coteau vert, l&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Certainement.</p>
+<p>&#8212;C'est l'endroit o&ugrave; nous devons d&eacute;jeuner. De par
+Jupiter! le gamin y
+est d&eacute;j&agrave; avec son panier. Exact comme une horloge!</p>
+<p>&#8212;Je le vois, dit M. Pickwick, dont le visage devint rayonnant. Un
+bon
+gar&ccedil;on! je lui donnerai un shilling pour sa peine. Allons! Sam,
+roulez-moi.</p>
+<p>&#8212;Tenez-vous ferme, monsieur, r&eacute;pliqua Sam, ravigot&eacute;
+par l'apparition du
+d&eacute;jeuner. Gare de l&agrave;, jeune cuirassier! Si vous
+appr&eacute;ciez ma pr&eacute;cieuse
+vie, ne me versez pas, comme dit le gentleman au charretier qui le
+conduisait &agrave; la potence.&raquo; Avec cette heureuse citation,
+Sam partit au
+pas de charge, brouetta habilement son ma&icirc;tre jusqu'au sommet du
+coteau
+vert, et le d&eacute;chargea, avec adresse, &agrave; c&ocirc;t&eacute;
+du panier de provision,
+qu'il se mit &agrave; d&eacute;paqueter sans perdre une minute.</p>
+<p>&#8212;P&acirc;t&eacute; de veau, disait Sam, tout en arrangeant les
+comestibles sur le
+gazon. Tr&egrave;s-bonne chose, le p&acirc;t&eacute; de veau, quand
+vous connaissez la lady
+qui l'a fait et que vous &ecirc;tes s&ucirc;r que ce n'est pas du
+minet. Et apr&egrave;s
+tout, qu'est-ce que &ccedil;a fait encore, puisqu'il ressemble si bien
+au veau
+que les p&acirc;tissiers eux-m&ecirc;mes n'en font pas la
+diff&eacute;rence?</p>
+<p>&#8212;Ils n'en font pas la diff&eacute;rence, Sam?</p>
+<p>&#8212;Non, monsieur, repartit Sam en touchant son chapeau. J'ai
+log&eacute; dans la
+m&ecirc;me maison avec un vendeur de p&acirc;t&eacute;s, une fois, et
+un homme bien
+agr&eacute;able, monsieur, et pas b&ecirc;te du tout. Il savait faire
+des p&acirc;t&eacute;s,
+n'importe avec quoi. Voil&agrave; que je lui dis, quand j'ai
+&eacute;t&eacute; amical avec
+lui: Quel troupeau de chats que vous avez-l&agrave;! monsieur
+Brook.&#8212;Ah!
+dit-il, c'est vrai, j'en ai beaucoup, qu'il dit.&#8212;Faut que vous aimiez
+bien les chats, que je dis.&#8212;Oui, dit-il, en clignant de l'&#339;il, y a des
+gens qui les aiment. Malgr&eacute; &ccedil;a, qu'il me dit, c'est pas
+encore leur
+saison, faut attendre l'hiver.&#8212;C'est pas leur saison?&#8212;Non, dit-il.
+Quand le fruit m&ucirc;rit, le chat maigrit.&#8212;Qu'est-ce que vous me
+chantez-l&agrave;? J'y entends rien, que je dis.&#8212;Voyez-vous, dit-il, je
+ne
+veux pas entrer dans la coalition des bouchers pour augmenter la viande
+au pauvre monde. Mossieu Weller, qu'il me dit, en me serrant la main
+gentiment et en me soufflant dans l'oreille; mossieu Weller, qu'il me
+dit, ne r&eacute;p&eacute;tez pas &ccedil;a; mais c'est
+l'assaisonnement qui fait tout: ils
+sont tous faits avec ces nobles animaux ici, dit-il, en m'indiquant un
+joli petit minet. Et je les assaisonne en beefteak, en veau, en rognon,
+au go&ucirc;t de la pratique. Et mieux que &ccedil;a, qu'il dit, je
+peux faire du
+beefteak avec du veau ou du rognon avec du beefteak, ou du mouton avec
+les deux, en pr&eacute;venant trois minutes d'avance, selon les besoins
+du
+march&eacute; ou l'app&eacute;tit public, qu'il me dit.</p>
+<p>&#8212;Ce devait &ecirc;tre un jeune homme fort ing&eacute;nieux, dit M.
+Pickwick avec un
+l&eacute;ger frisson.</p>
+<p>&#8212;Je crois bien, monsieur, et ses p&acirc;t&eacute;s &eacute;taient
+superbes, r&eacute;pliqua Sam
+en continuant de vider le panier. Langue; bien &ccedil;a. C'est une
+tr&egrave;s-bonne
+chose, quand c'est pas une langue de femme. Pain, jambon, frais comme
+une peinture. B&#339;uf froid en tranches. Tr&egrave;s-bon. Qu'est-ce qu'il
+y a dans
+ces cruches-l&agrave;, jeune &eacute;vapor&eacute;?</p>
+<p>&#8212;De la bi&egrave;re dans stelle-ci et du punch froid dans
+stelle-l&agrave;, r&eacute;pondit
+le jeune paysan en &ocirc;tant de dessus ses &eacute;paules deux vastes
+bouteilles de
+gr&egrave;s, attach&eacute;es ensemble par une courroie.</p>
+<p>&#8212;Et v'l&agrave; un petit go&ucirc;ter bien organis&eacute;, reprit
+Sam en examinant avec
+grande satisfaction les pr&eacute;paratifs. Et maintenant, gentlemen,
+commencez, comme les Anglais dirent aux Fran&ccedil;ais, en mettant
+leurs
+ba&iuml;onnettes.&raquo;</p>
+<p>Il ne fallut pas une seconde invitation pour engager la
+soci&eacute;t&eacute; &agrave; rendre
+pleine justice au repas, et il ne fallut pas plus d'instances pour
+d&eacute;cider Sam, le grand garde-chasse et les deux gamins &agrave;
+s'asseoir sur
+l'herbe, &agrave; une petite distance, et &agrave; battre en
+br&egrave;che une proportion
+d&eacute;cente de la victuaille. Un vieux ch&ecirc;ne accordait son
+agr&eacute;able ombrage
+aux deux groupes de convives, tandis que devant eux se d&eacute;roulait
+un
+superbe paysage, entrecoup&eacute; de haies verdoyantes et richement
+orn&eacute; de
+bois.</p>
+<p>&laquo;Ceci est d&eacute;licieux! tout &agrave; fait
+d&eacute;licieux! s'&eacute;cria M. Pickwick, avec un
+visage rayonnant, dont la peau pelait rapidement sous l'influence
+br&ucirc;lante du soleil.</p>
+<p>&#8212;Oui vraiment, vieux camarade, r&eacute;pliqua M. Wardle, allons, un
+verre de
+punch?</p>
+<p>&#8212;Avec grand plaisir, r&eacute;pondit M. Pickwick; et l'expression
+radieuse de
+sa physionomie, apr&egrave;s qu'il e&ucirc;t bu, t&eacute;moigna de la
+sinc&eacute;rit&eacute; de ses
+paroles.</p>
+<p>&#8212;Bon! dit le philosophe en faisant claquer ses l&egrave;vres;
+tr&egrave;s-bon! J'en
+vais prendre un autre verre. Frais! tr&egrave;s-frais!... Allons!
+messieurs,
+poursuivit-il sans l&acirc;cher la bouteille, un toast! Nos amis de
+Dingley-Dell!&raquo;</p>
+<p>Le toast fut bu avec de bruyantes acclamations.</p>
+<p>&laquo;Je vais vous apprendre comment je m'y prendrai pour retrouver
+mon
+adresse &agrave; la chasse, dit alors M. Winkle, qui mangeait du pain
+et du
+jambon avec un couteau de poche. Je mettrai une perdrix
+empaill&eacute;e sur
+un poteau, et je m'exercerai &agrave; tirer dessus, en
+commen&ccedil;ant &agrave; une petite
+distance, et en reculant par degr&eacute;s. C'est un excellent moyen.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, dit Sam, je connais un gentleman qui a fait &ccedil;a et
+qui a
+commenc&eacute; &agrave; quatre pieds; mais il n'a jamais
+continu&eacute;, car du premier
+coup il avait si bien ajust&eacute; son oiseau que le diable m'emporte
+si on en
+a jamais revu une plume depuis.</p>
+<p>&#8212;Sam! dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Ayez la bont&eacute; de garder vos anecdotes jusqu'&agrave; ce
+qu'on vous les
+demande.</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.&raquo;</p>
+<p>Sam se tut, mais il cligna si fac&eacute;tieusement l'&#339;il qui
+n'&eacute;tait point
+cach&eacute; par le pot de bi&egrave;re dont il humectait ses
+l&egrave;vres, que les deux
+petits paysans tomb&egrave;rent dans des convulsions spontan&eacute;es,
+et que le
+grand garde-chasse, lui-m&ecirc;me, condescendit &agrave; sourire.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave;, ma foi, d'excellent punch froid, dit M.
+Pickwick en regardant
+avec tendresse la bouteille de gr&egrave;s; et le jour est
+extr&ecirc;mement chaud,
+et... Tupman, mon cher ami, un verre de punch?</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-volontiers,&raquo; r&eacute;pliqua M. Tupman.</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir bu ce verre, M. Pickwick en prit un autre,
+seulement pour
+voir s'il n'y avait pas de pelure d'orange dans le punch, parce que la
+pelure d'orange lui faisait toujours mal. S'&eacute;tant convaincu
+qu'il n'y en
+avait point, M. Pickwick but un autre verre &agrave; la sant&eacute; de
+M. Snodgrass;
+puis il se crut oblig&eacute;, en conscience, de proposer un toast en
+l'honneur
+du fabricant de punch anonyme.</p>
+<p>Cette constante succession de verres de punch produisit un effet
+remarquable sur notre sage. Sa physionomie resplendissait de la plus
+douce gaiet&eacute;; le sourire se jouait sur ses l&egrave;vres; la
+bonne humeur la
+plus franche &eacute;tincelait dans ses yeux. C&eacute;dant, par
+degr&eacute;s, &agrave; l'influence
+combin&eacute;e de ce liquide excitant et de la chaleur, il exprima un
+violent
+d&eacute;sir de se rappeler une chanson qu'il avait entendue dans son
+enfance;
+mais ses efforts furent inutiles. Il voulut stimuler sa m&eacute;moire
+par un
+autre verre de punch, qui malheureusement parut produire sur lui un
+effet enti&egrave;rement oppos&eacute;; car, non content d'avoir
+oubli&eacute; la chanson, il
+finit par ne plus pouvoir articuler une seule parole. Ce fut donc en
+vain qu'il se leva sur ses jambes pour adresser &agrave; la compagnie
+un
+&eacute;loquent discours, il retomba dans la brouette et s'endormit
+presque au
+m&ecirc;me instant.</p>
+<p>Le panier fut rempaquet&eacute;, mais on trouva qu'il &eacute;tait
+tout &agrave; fait
+impossible de r&eacute;veiller M. Pickwick de sa torpeur. On discuta
+s'il
+fallait que Sam recommen&ccedil;&acirc;t &agrave; le brouetter ou s'il
+valait mieux le
+laisser o&ugrave; il &eacute;tait, jusqu'au retour de ses amis. Ce
+dernier parti fut
+adopt&eacute; &agrave; la fin, et comme leur exp&eacute;dition ne
+devait pas durer plus d'une
+heure, comme Sam demandait avec instance &agrave; les accompagner, ils
+se
+d&eacute;cid&egrave;rent &agrave; abandonner M. Pickwick endormi dans
+sa brouette et &agrave; le
+prendre au retour. La compagnie s'&eacute;loigna donc, laissant notre
+philosophe ronfler harmonieusement et paisiblement, &agrave; l'ombre
+antique du
+vieux ch&ecirc;ne.</p>
+<p>On peut affirmer avec certitude que M. Pickwick e&ucirc;t
+continu&eacute; de ronfler
+&agrave; l'ombre du vieux ch&ecirc;ne jusqu'au retour de ses amis, ou,
+&agrave; leur d&eacute;faut,
+jusqu'au subs&eacute;quent lever de soleil, s'il lui avait
+&eacute;t&eacute; permis de rester
+en paix dans sa brouette; mais cela ne lui fut pas permis, et voici
+pourquoi.</p>
+<p>Le capitaine Boldwig &eacute;tait un petit homme violent, v&ecirc;tu
+d'une redingote
+bleue soigneusement boutonn&eacute;e jusqu'au menton et
+surmont&eacute;e d'un col noir
+bien roide. Lorsqu'il daignait se promener sur sa
+propri&eacute;t&eacute;, il le
+faisait en compagnie d'un gros rotin plomb&eacute;, d'un jardinier et
+d'un
+aide-jardinier, qui luttaient d'humilit&eacute; en recevant les ordres
+qu'il
+leur donnait avec toute la grandeur et toute la
+s&eacute;v&eacute;rit&eacute; convenables:
+car la s&#339;ur de la femme du capitaine avait &eacute;pous&eacute; un
+marquis; et la
+maison du capitaine &eacute;tait une <i>villa</i>, et sa
+propri&eacute;t&eacute; une <i>terre</i>; et
+tout &eacute;tait chez lui tr&egrave;s-haut, tr&egrave;s-puissant et
+tr&egrave;s-noble.</p>
+<p>M. Pickwick avait &agrave; peine dormi une demi-heure lorsque le
+petit
+capitaine, suivi de son escorte, arriva en faisant des enjamb&eacute;es
+aussi
+grandes que le lui permettaient sa taille et son importance. Quand il
+fut aupr&egrave;s du vieux ch&ecirc;ne, il s'arr&ecirc;ta, il enfla ses
+joues et en chassa
+l'air avec noblesse; il regarda le paysage comme s'il e&ucirc;t
+pens&eacute; que le
+paysage devait &ecirc;tre singuli&egrave;rement flatt&eacute;
+d'&ecirc;tre regard&eacute; par lui; et
+enfin, ayant emphatiquement frapp&eacute; la terre de son rotin, il
+convoqua le
+chef jardinier.</p>
+<p>&#8212;Hunt! dit le capitaine Boldwig.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pondit le jardinier.</p>
+<p>&#8212;Cylindrez le gazon de cet endroit demain matin. Entendez-vous, Hunt?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et prenez soin de me tenir cet endroit proprement. Entendez-vous,
+Hunt?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et faites-moi penser &agrave; faire mettre un &eacute;criteau
+mena&ccedil;ant de pi&egrave;ges &agrave;
+loup, de chausse-trapes et tout cela, pour les petites gens qui se
+permettront de se promener sur mes terres. Entendez-vous, Hunt?
+entendez-vous?</p>
+<p>&#8212;Je ne l'oublierai pas, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Pardon, excuse, monsieur, dit l'autre jardinier en
+s'avan&ccedil;ant avec son
+chapeau &agrave; la main.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! Wilkins, qu'est-ce qui vous prend?</p>
+<p>&#8212;Pardon, excuse, monsieur, mais je pense qu'il y a des gens qui sont
+entr&eacute;s ici aujourd'hui.</p>
+<p>&#8212;Ha! fit le capitaine en jetant autour de lui un regard farouche.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, ils ont d&icirc;n&eacute; ici, comme je pense.</p>
+<p>&#8212;Damnation! c'est vrai, dit le capitaine en voyant les cro&ucirc;tes
+de pain
+&eacute;tendues sur le gazon; ils ont v&eacute;ritablement
+d&eacute;vor&eacute; leur nourriture sur
+ma terre. Ha! les vagabonds! si je les tenais ici!... dit le capitaine
+en serrant son gros rotin.</p>
+<p>&#8212;Pardon, excuse, monsieur, mais....</p>
+<p>&#8212;Mais quoi, eh? vocif&eacute;ra le capitaine; et suivant le timide
+regard de
+Wilkins, ses yeux rencontr&egrave;rent la brouette et M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Qui es-tu, coquin? cria le capitaine en donnant plusieurs coups de
+son
+rotin dans les c&ocirc;tes de M. Pickwick. Comment t'appelles-tu?</p>
+<p>&#8212;Punch! murmura l'homme immortel, et il se rendormit
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&#8212;Quoi?&raquo; demanda le capitaine Boldwig.</p>
+<p>Pas de r&eacute;ponse.</p>
+<p>&laquo;Comment a-t-il dit qu'il s'appelait?</p>
+<p>&#8212;Punch<a name="FNanchor_23_23"></a><a href="#Footnote_23_23"><sup>23</sup></a>,
+monsieur, comme je pense.</p>
+<p>&#8212;C'est un impudent, un mis&eacute;rable impudent. Il fait semblant
+de dormir &agrave;
+pr&eacute;sent, dit le capitaine plein de fureur. Il est so&ucirc;l,
+c'est un ivrogne
+pl&eacute;b&eacute;ien. Emmenez-le, Wilkins, emmenez-le sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; faut-il que je le roule, monsieur, demanda Wilkins avec
+grande
+timidit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Roulez-le &agrave; tous les diables.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Arr&ecirc;tez, dit le capitaine.&raquo;</p>
+<p>Wilkins s'arr&ecirc;ta brusquement.</p>
+<p>&laquo;Roulez-le dans la fourri&egrave;re<a name="FNanchor_24_24"></a><a
+ href="#Footnote_24_24"><sup>24</sup></a>, et voyons s'il s'appellera
+encore
+Punch, quand il se r&eacute;veillera.... Il ne se <i>rira</i> pas de
+moi! Il ne se
+<i>rira</i> pas de moi, emmenez-le!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick fut emmen&eacute; en cons&eacute;quence de cet
+imp&eacute;rieux mandat, et le
+grand capitaine Boldwig, enfl&eacute; d'indignation, continua sa
+promenade.</p>
+<p>L'&eacute;tonnement de nos chasseurs fut inexprimable quand ils
+s'aper&ccedil;urent, &agrave;
+leur retour, que M. Pickwick &eacute;tait disparu et qu'il avait
+emmen&eacute; la
+brouette avec lui. C'&eacute;tait la chose la plus myst&eacute;rieuse
+et la plus
+inexplicable. Qu'un boiteux se f&ucirc;t tout d'un coup remis sur ses
+jambes
+et s'en f&ucirc;t all&eacute;, c'&eacute;tait d&eacute;j&agrave;
+passablement extraordinaire: mais qu'en
+mani&egrave;re d'amusement il e&ucirc;t roul&eacute; devant lui une
+pesante brouette, cela
+devenait tout &agrave; fait miraculeux. Ses amis cherch&egrave;rent aux
+environs, dans
+tous les coins, sous tous les buissons, en compagnie et
+s&eacute;par&eacute;ment; ils
+cri&egrave;rent, ils siffl&egrave;rent, ils rirent, ils
+appel&egrave;rent, et tout cela sans
+aucun r&eacute;sultat: impossible de trouver M. Pickwick. Enfin,
+apr&egrave;s
+plusieurs heures de recherches inutiles, ils arriv&egrave;rent &agrave;
+la p&eacute;nible
+conclusion qu'il fallait s'en retourner sans lui.</p>
+<p>Cependant notre philosophe, profond&eacute;ment endormi dans sa
+brouette, avait
+&eacute;t&eacute; roul&eacute; et soigneusement d&eacute;pos&eacute;
+dans la fourri&egrave;re du village, en
+compagnie de divers animaux immondes. Tous les gamins et les trois
+quarts des autres habitants s'&eacute;taient rassembl&eacute;s autour
+de lui, pour
+attendre qu'il s'&eacute;veill&acirc;t. Si leur satisfaction avait
+&eacute;t&eacute; immense en le
+voyant rouler, elle fut infinie quand, apr&egrave;s avoir pouss&eacute;
+quelques cris
+indistincts pour appeler Sam, il s'assit dans sa brouette et contempla,
+avec un inexprimable &eacute;tonnement, les visages joyeux qui
+l'entouraient.</p>
+<p>Des hu&eacute;es g&eacute;n&eacute;rales furent, comme on l'imagine,
+le signal de son r&eacute;veil;
+et lorsqu'il demanda machinalement: &laquo;Qu'est-ce qu'il y a?&raquo;
+elles
+recommenc&egrave;rent avec plus de violence, s'il est possible.</p>
+<p>&laquo;En voil&agrave;, une bonne histoire! hurlait la populace.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; suis-je? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Dans la fourri&egrave;re! beugla la canaille.</p>
+<p>&#8212;Comment sais-je venu ici? O&ugrave; &eacute;tais-je? Qu'est-ce que
+je faisais?</p>
+<p>&#8212;Boldwig! capitaine Boldwig! vocif&eacute;ra-t-on de toutes parts;
+et ce fut
+la seule explication.</p>
+<p>&#8212;Tirez-moi d'ici! cria M, Pickwick. O&ugrave; est mon domestique?
+O&ugrave; sont mes
+amis?</p>
+<p>&#8212;Vous n'en avez pas des amis! hurrah!&raquo; et comme corroboration
+de ce
+fait, M. Pickwick re&ccedil;ut dans sa brouette un navet, puis une
+pomme de
+terre, puis un &#339;uf et quelques autres l&eacute;gers gages de la
+disposition
+enjou&eacute;e de la multitude.</p>
+<p>Personne ne saurait dire combien cette sc&egrave;ne aurait
+dur&eacute;, ni combien M.
+Pickwick aurait pu souffrir, si tout &agrave; coup un carrosse, qui
+roulait
+rapidement sur la route, ne s'&eacute;tait pas arr&ecirc;t&eacute; en
+face du parc. Le vieux
+Wardle et Sam Weller en sortirent. En moins de temps qu'il n'en faut
+pour &eacute;crire ces mots et peut-&ecirc;tre m&ecirc;me pour les
+lire, le premier avait
+d&eacute;gag&eacute; M. Pickwick et l'avait plac&eacute; dans sa
+voiture, tandis que le
+second terminait la troisi&egrave;me reprise d'un combat singulier avec
+le
+bedeau de l'endroit.</p>
+<p>&laquo;Courez chez le magistrat, cri&egrave;rent une douzaine de
+voix.</p>
+<p>&#8212;Ah! oui, courez-y, dit Sam en sautant sur le si&eacute;ge de la
+voiture,
+faites-lui mes compliments, les compliments de M. Weller. Dites-lui que
+j'ai g&acirc;t&eacute; son bedeau et que s'il veut en faire un nouveau
+je reviendrai
+demain matin pour le lui g&acirc;ter encore. En route, mon vieux!&raquo;</p>
+<p>Lorsque la voiture fut sortie du village, M. Pickwick respira
+fortement
+et dit: &laquo;Aussit&ocirc;t que je serai arriv&eacute; &agrave;
+Londres j'actionnerai le
+capitaine Boldwig pour d&eacute;tention ill&eacute;gale.</p>
+<p>&#8212;Il para&icirc;t que nous &eacute;tions en contravention, fit
+observer M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Cela m'est &eacute;gal, je l'attaquerai.</p>
+<p>&#8212;Non, vous ne l'attaquerez pas.</p>
+<p>&#8212;Si, je l'attaquerai, sur mon....&raquo; M. Pickwick s'interrompit
+en
+remarquant l'expression goguenarde de la physionomie du vieux Wardle.
+&laquo;Et pourquoi ne le ferais-je pas? reprit-il.</p>
+<p>&#8212;Parce que, dit le vieux Wardle, en &eacute;clatant de rire, parce
+qu'il
+pourrait se retourner sur quelqu'un de nous et dire que nous avions
+pris
+trop de punch froid.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick eut beau faire, il ne put s'emp&ecirc;cher de sourire;
+par degr&eacute;s,
+son sourire s'agrandit et devint un &eacute;clat de rire; enfin cet
+&eacute;clat de
+rire contagieux fut r&eacute;p&eacute;t&eacute; par toute la compagnie.
+Afin de fomenter
+cette bonne humeur, nos amis s'arr&ecirc;t&egrave;rent &agrave; la
+premi&egrave;re taverne qu'ils
+rencontr&egrave;rent sur la route; chacun d'eux se fit servir un verre
+d'eau et
+d'eau de vie, mais ils eurent soin de faire administrer &agrave; M.
+Samuel
+Weller une dose d'une force <i>extra</i>.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XX"></a>
+<h2>CHAPITRE XX.</h2>
+<h3>O&ugrave; l'on voit que Dodson et Fogg &eacute;taient des hommes
+d'affaires, et leurs
+clercs des hommes de plaisir; qu'une entrevue touchante eut lieu entre
+M. Samuel Weller et le p&egrave;re qu'il avait perdu depuis longtemps;
+o&ugrave; l'on
+voit, enfin, quels esprits sup&eacute;rieurs s'assemblaient &agrave; la
+<i>Souche et la
+Pie</i>, et quel excellent chapitre sera le suivant.</h3>
+<br/>
+<p>Dans une pi&egrave;ce situ&eacute;e au rez-de-chauss&eacute;e d'une
+sombre maison, tout au
+fond de Freeman's-Court, quartier de Cornhill, &eacute;taient assis les
+quatre
+clercs de MM. Dodson et Fogg, solliciteurs pr&egrave;s la haute cour de
+chancellerie et procureurs de Sa Majest&eacute; pr&egrave;s la cour du
+banc du roi et
+la cour des communs-plaids, &agrave; Westminster; les susdits clercs,
+dans le
+cours de leurs travaux journaliers, ayant &agrave; peu pr&egrave;s
+autant de chances
+d'apercevoir les rayons du soleil que pourrait en avoir un homme
+plac&eacute;
+au fond d'un puits, mais sans jouir des avantages de cette situation
+retir&eacute;e, o&ugrave; l'on peut, du moins, d&eacute;couvrir des
+&eacute;toiles en plein jour.</p>
+<p>La chambre o&ugrave; ils se trouvaient renferm&eacute;s,
+&eacute;tait obscure, humide, et
+sentait la moisissure; une s&eacute;paration de bois les abritait des
+regards
+du vulgaire, et les clients qui attendaient le loisir de MM. Dodson et
+Fogg n'apercevaient ainsi, pour toute distraction, qu'une couple de
+vieilles chaises, une horloge au bruyant tic-tac, un almanach, un
+porte-parapluie, une rang&eacute;e de pupitres, et plusieurs tablettes
+charg&eacute;es
+de liasses de papiers &eacute;tiquet&eacute;s et malpropres, de
+vieilles bo&icirc;tes de
+sapin et de grosses bouteilles d'encre. Une porte vitr&eacute;e ouvrait
+sur le
+passage qui donnait dans la cour, et c'est en dehors de cette porte
+vitr&eacute;e que se pr&eacute;senta M. Pickwick, deux jours
+apr&egrave;s les &eacute;v&eacute;nements
+rapport&eacute;s dans le pr&eacute;c&eacute;dent chapitre.</p>
+<p>&laquo;Est-ce que vous ne pouvez pas entrer? dit une voix criarde en
+r&eacute;ponse
+au coup modeste frapp&eacute; par M. Pickwick &agrave; la susdite porte.</p>
+<p>Le philosophe entra, suivi de Sam.</p>
+<p>&laquo;M. Dodson ou M. Fogg sont-ils chez eux, monsieur? demanda
+gracieusement
+M. Pickwick, en s'approchant de la cloison, avec son chapeau &agrave;
+la main.</p>
+<p>&#8212;M. Dodson n'est pas chez lui, et M. Fogg est en affaire,&raquo;
+r&eacute;pliqua la
+voix; et en m&ecirc;me temps la t&ecirc;te &agrave; qui la voix
+appartenait, se montra
+par-dessus la cloison, avec une plume derri&egrave;re l'oreille, et
+examina M.
+Pickwick.</p>
+<p>C'&eacute;tait une t&ecirc;te malpropre; ses cheveux roux,
+scrupuleusement s&eacute;par&eacute;s
+sur le c&ocirc;t&eacute; et aplatis avec du cosm&eacute;tique,
+&eacute;taient tortill&eacute;s en
+accroche-c&#339;urs et garnissaient une face plate orn&eacute;e en outre
+d'une paire
+de petits yeux, d'un col de chemise fort crasseux et d'une vieille
+cravate noire us&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;M. Dodson n'est pas chez lui, et M. Fogg est en affaire, dit
+l'homme &agrave;
+qui appartenait cette t&ecirc;te.</p>
+<p>&#8212;Quand M. Dodson reviendra-t-il, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Sais pas.</p>
+<p>&#8212;M. Fogg sera-t-il longtemps occup&eacute;, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Sais pas.&raquo;</p>
+<p>Ayant ainsi parl&eacute;, le jeune homme se mit fort tranquillement
+&agrave; tailler
+sa plume, tandis qu'un autre clerc riait d'une mani&egrave;re
+approbative, tout
+en m&ecirc;lant de la poudre de Sedlitz dans un verre d'eau.</p>
+<p>&laquo;Puisqu'il en est ainsi, je vais attendre, dit M. Pickwick, et
+il
+s'assit, sans y avoir &eacute;t&eacute; invit&eacute;, &eacute;coutant
+le tic-tac bruyant de
+l'horloge et le chuchotement des clercs.</p>
+<p>&#8212;C'&eacute;tait l&agrave; une bonne farce, hein? dit l'un de
+ceux-ci, pour conclure
+la relation d'une aventure nocturne qu'il avait racont&eacute;e
+&agrave; voix basse.</p>
+<p>&#8212;Diablement bonne, diablement bonne, r&eacute;pondit l'homme
+&agrave; la poudre de
+Sedlitz.</p>
+<p>&#8212;Tom Cummins &eacute;tait au fauteuil, reprit le premier clerc, qui
+avait un
+habit brun, avec des boutons de cuivre. Il &eacute;tait quatre heures
+et demie
+quand je suis arriv&eacute; &agrave; Somers-Town, et j'&eacute;tais si
+joliment dedans que je
+n'ai pas pu trouver le trou de la serrure et que j'ai &eacute;t&eacute;
+oblig&eacute; de
+r&eacute;veiller la vieille femme. Je voudrais bien savoir ce que le
+vieux Fogg
+dirait s'il savait cela. J'aurais mon paquet, je suppose, eh?&raquo;</p>
+<p>A cette id&eacute;e plaisante, tous les clercs
+&eacute;clat&egrave;rent de rire; l'homme &agrave;
+l'habit brun poursuivit:</p>
+<p>&laquo;Il y a eu une fameuse farce avec Fogg ici ce matin, pendant
+que Jack
+&eacute;tait en haut &agrave; arranger les papiers et que vous deux
+vous &eacute;tiez all&eacute;s
+au timbre. Fogg &eacute;tait en bas &agrave; ouvrir ses lettres quand
+voil&agrave; venir le
+gaillard de Comberwell contre lequel nous avons un mandat. Vous savez
+bien.... comment s'appelle-t-il d&eacute;j&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Ramsey, dit le clerc qui avait parl&eacute; &agrave; M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Ah! Ramsey.... en voil&agrave; une pratique qui a l'air
+r&acirc;p&eacute;!.</p>
+<p>&#8212;Eh bien, monsieur, dit le vieux Fogg, en le regardant d'un air
+sauvage. Vous savez, sa mani&egrave;re....&#8212;Eh bien, monsieur,
+&ecirc;tes-vous venu
+pour terminer?&#8212;Oui, monsieur, dit Ramsey, en mettant sa main dans sa
+poche, et en tirant son argent. La dette est de deux livres sterling et
+dix shillings, et les frais de trois livres sterling et cinq shillings;
+les voici ici, monsieur, et il soupira comme un soufflet de forge, en
+tendant sa monnaie dans un petit morceau de papier brouillard. Le vieux
+Fogg regarda d'abord l'argent et ensuite l'homme, et ensuite il toussa
+de sa dr&ocirc;le de toux, si bien que je me doutais qu'il allait
+arriver
+quelque chose.&#8212;Vous ne savez pas, dit-il, qu'il y a une
+d&eacute;claration
+enregistr&eacute;e qui augmente notablement les frais.&#8212;Qu'est-ce que
+vous
+dites l&agrave;, monsieur, cria Ramsey, en tressaillant; le
+d&eacute;lai n'est expir&eacute;
+qu'hier au soir, monsieur. Cela n'emp&ecirc;che pas, reprit Fogg. Mon
+clerc
+est justement parti pour la faire enregistrer. M. Jackson n'est-il pas
+all&eacute; pour faire enregistrer cette d&eacute;claration dans
+Bullman et Ramsey,
+monsieur Wicks?&#8212;Naturellement je r&eacute;ponds que <i>oui</i>, et
+alors Fogg
+tousse encore et regarde Ramsey.&#8212;Mon Dieu! disait Ramsey, je me suis
+rendu presque fou pour ramasser cet argent, et tout cela pour
+rien!&#8212;Pour rien du tout, reprit Fogg, froidement; ainsi vous ferez bien
+mieux de vous en retourner, d'en ramasser un peu plus et de l'apporter
+ici &agrave; temps.&#8212;Je n'en pourrai pas trouver, sur mon &acirc;me!
+s'&eacute;cria Ramsey
+en frappant le bureau avec son poing.&#8212;Ne me menacez pas, monsieur, dit
+Fogg, en se mettant en col&egrave;re &agrave; froid.&#8212;Je n'ai pas eu
+l'intention de
+vous menacer, monsieur, r&eacute;pondit Ramsey.&#8212;Si, monsieur, repartit
+Fogg;
+sortez d'ici, monsieur! sortez de ce bureau, monsieur, et ne revenez
+que
+quand vous aurez appris &agrave; vous conduire, monsieur!&#8212;Alors Ramsey
+a fait
+tout ce qu'il a pu pour se d&eacute;fendre, mais comme Fogg lui coupait
+la
+parole, il a &eacute;t&eacute; oblig&eacute; de remettre son argent
+dans sa poche et de
+filer. A peine la porte &eacute;tait-elle ferm&eacute;e, que
+voil&agrave; le vieux Fogg qui
+se retourne vers moi, avec on sourire agr&eacute;able, et qui tire la
+d&eacute;claration de sa poche.&#8212;Monsieur Wicks, dit-il, prenez un
+cabriolet et
+allez au Temple, aussi vite que vous le pourrez, pour faire enregistrer
+cela. Les frais sont s&ucirc;rs, car c'est un homme laborieux, avec une
+famille nombreuse, et qui gagne vingt-cinq shillings par semaine. S'il
+nous signe une procuration (et il faudra bien qu'il en vienne
+l&agrave;), je
+suis s&ucirc;r que ses ma&icirc;tres payeront. Ainsi, monsieur Wicks,
+il faut tirer
+de lui tout ce que nous pourrons. C'est un acte de bon chr&eacute;tien,
+monsieur Wicks, car avec une grande famille et un petit revenu, il sera
+heureux de recevoir une bonne le&ccedil;on, qui lui apprenne &agrave;
+ne plus faire de
+dettes. N'est-il pas vrai? n'est-il pas vrai?&#8212;Et en s'en allant son
+sourire &eacute;tait si bienveillant que cela vous r&eacute;jouissait
+le c&#339;ur.&#8212;C'est
+un fier homme pour les affaires, ajouta Wicks du ton de l'admiration la
+plus profonde, un fier homme, hein?&raquo;</p>
+<p>Les trois autres clercs s'unirent cordialement &agrave; cette
+admiration et
+parurent charm&eacute;s de l'anecdote.</p>
+<p>&laquo;Jolis gars, ici, monsieur, murmura Sam &agrave; son
+ma&icirc;tre. Bonne id&eacute;e qu'ils
+ont sur les farces, monsieur.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick fit un signe d'assentiment et toussa, pour attirer
+l'attention des jeunes gentlemen qui &eacute;taient derri&egrave;re la
+cloison. Ayant
+raffra&icirc;chi leurs esprits par cette petite conversation entre eux,
+ils
+eurent la condescendance de s'occuper de l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&laquo;M. Fogg est peut-&ecirc;tre libre maintenant, dit Jackson.</p>
+<p>&#8212;Je vais voir, reprit Wicks en se levant avec nonchalance. Quel nom
+dirai-je &agrave; M. Fogg?</p>
+<p>&#8212;Pickwick,&raquo; r&eacute;pliqua l'illustre sujet de ces
+m&eacute;moires.</p>
+<p>M. Jackson disparut par l'escalier et revint bient&ocirc;t annoncer
+que ma&icirc;tre
+Fogg recevrait M. Pickwick dans cinq minutes. Ayant fait ce message, il
+retourna derri&egrave;re son bureau.</p>
+<p>&laquo;Quel nom a-t-il dit? demanda tout bas M. Wicks.</p>
+<p>&#8212;Pickwick, r&eacute;pliqua Jackson. C'est le d&eacute;fendeur dans
+Bardell et
+Pickwick.&raquo;</p>
+<p>Un soudain frottement de pieds, m&ecirc;l&eacute; d'&eacute;clats de
+rires &eacute;touff&eacute;s, se fit
+entendre derri&egrave;re la cloison.</p>
+<p>&laquo;Monsieur, murmura Sam &agrave; son ma&icirc;tre, voil&agrave;
+qu'ils vous m&eacute;canisent.</p>
+<p>&#8212;Ils me m&eacute;canisent, Sam! Qu'est-ce que vous entendez par me
+<i>m&eacute;caniser</i>?&raquo;</p>
+<p>Pour toute r&eacute;plique, Sam passa son pouce par-dessus son
+&eacute;paule, et M.
+Pickwick, levant la t&ecirc;te, reconnut la v&eacute;rit&eacute; de ce
+fait, &agrave; savoir: que
+les quatre clercs avaient allong&eacute; par-dessus la cloison des
+figures
+pleines d'hilarit&eacute;, et examinaient minutieusement la tournure et
+la
+physionomie de ce Lovelace pr&eacute;sum&eacute;, de ce grand
+destructeur du repos des
+c&#339;urs f&eacute;minins. Au mouvement qu'il fit, la rang&eacute;e de
+t&ecirc;tes disparut
+comme par enchantement, et l'on entendit &agrave; l'instant m&ecirc;me
+le bruit de
+quatre plumes voyageant sur le papier avec une furieuse vitesse.</p>
+<p>Le tintement d'une sonnette suspendue dans le bureau appela M.
+Jackson
+dans l'appartement de Me Fogg. Il en revint bient&ocirc;t, et
+annon&ccedil;a &agrave; M.
+Pickwick que son patron &eacute;tait pr&ecirc;t &agrave; le recevoir.</p>
+<p>En cons&eacute;quence, M. Pickwick monta l'escalier. Au premier
+&eacute;tage, l'une
+des portes &eacute;talait, en caract&egrave;res lisibles, ces mots
+imposants: M. FOGG.
+Ayant frapp&eacute; &agrave; cette porte et ayant &eacute;t&eacute;
+invit&eacute; &agrave; entrer, M. Jackson
+introduisit M. Pickwick en pr&eacute;sence de l'avou&eacute;.</p>
+<p>&laquo;M. Dodson est-il revenu? demanda Me Fogg.</p>
+<p>&#8212;A l'instant, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Priez-le de passer ici.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur. (Jackson sort.)</p>
+<p>&#8212;Prenez un si&eacute;ge, monsieur, dit Me Fogg. Voici le journal,
+monsieur.
+Mon partner va &ecirc;tre ici dans un moment, et nous pourrons causer
+sur
+cette affaire, monsieur.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick prit un si&eacute;ge et un journal; mais au lieu de lire
+ce
+dernier, il dirigea son rayon visuel par-dessus, afin d'examiner
+l'homme
+d'affaires. C'&eacute;tait un personnage d'un certain &acirc;ge, dont
+le corps long
+et fluet &eacute;tait enga&icirc;n&eacute; dans un &eacute;troit habit
+noir, dans une culotte
+sombre, dans de petites gu&ecirc;tres noires. Il semblait &ecirc;tre
+partie
+essentielle de son bureau et paraissait avoir &agrave; peu pr&egrave;s
+autant d'esprit
+et de sensibilit&eacute; que lui.</p>
+<p>Au bout de quelques minutes arriva Me Dodson, homme gros et gras,
+&agrave;
+l'air s&eacute;v&egrave;re, &agrave; la voix bruyante. La conversation
+commen&ccedil;a
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&laquo;Monsieur est M. Pickwick, dit Me Fogg.</p>
+<p>&#8212;Ha! ha! monsieur, vous &ecirc;tes le d&eacute;fendeur dans Bardell
+et Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pondit le philosophe.</p>
+<p>&#8212;Eh bien, monsieur, reprit Me Dodson, que nous proposez-vous?</p>
+<p>&#8212;Ah! dit Me Fogg en fourrant ses mains dans les poches de sa culotte
+et s'appuyant sur le dos de sa chaise; qu'est-ce que vous nous
+proposez,
+monsieur Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Silence, Fogg! reprit Dodson. Laissez-moi entendre ce que M.
+Pickwick
+veut dire.</p>
+<p>&#8212;Je sais venu, messieurs, r&eacute;pliqua notre sage, en regardant
+avec
+douceur les deux partners, je suis venu ici, messieurs, pour vous
+exprimer la surprise avec laquelle j'ai re&ccedil;u votre lettre de
+l'autre
+jour et pour vous demander quels sujets d'action vous pouvez avoir
+contre moi?</p>
+<p>&#8212;Quels sujets!... s'&eacute;criait Me Fogg, lorsqu'il fut
+arr&ecirc;t&eacute; par Me
+Dodson.</p>
+<p>&#8212;Monsieur Fogg, dit celui-ci, je vais parler.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande pardon, monsieur Dodson, r&eacute;pondit Fogg.</p>
+<p>&#8212;Quant aux sujets d'action, monsieur, reprit Me Dodson, avec un air
+plein d'&eacute;l&eacute;vation morale; quant aux sujets d'action, vous
+consulterez
+votre propre conscience et vos propres sentiments. Nous, monsieur, nous
+sommes enti&egrave;rement guid&eacute;s par les assertions de notre
+client. Ces
+assertions, monsieur, peuvent &ecirc;tre vraies ou peuvent &ecirc;tre
+fausses; elles
+peuvent &ecirc;tre croyables ou incroyables; mais si elles sont
+croyables, je
+n'h&eacute;site pas &agrave; dire, monsieur, que nos sujets d'action
+sont forts et
+invincibles. Vous pouvez &ecirc;tre un homme infortun&eacute;,
+monsieur, ou vous
+pouvez &ecirc;tre un homme rus&eacute;; mais si j'&eacute;tais
+appel&eacute; comme jur&eacute;, monsieur,
+et sur mon serment, &agrave; exprimer mon opinion sur votre conduite,
+je vous
+affirme, monsieur, que je n'h&eacute;siterais pas un seul
+instant.&raquo; Ici Me
+Dodson se redressa avec l'air d'une vertu offens&eacute;e et regarda Me
+Fogg,
+qui enfon&ccedil;a ses mains plus profond&eacute;ment dans ses poches,
+et, secouant
+sagement sa t&ecirc;te ajouta d'un ton convaincu:
+&laquo;Tr&egrave;s-certainement!</p>
+<p>&#8212;Eh bien, monsieur, repartit M. Pickwick d'un air pein&eacute;, je
+vous assure
+que je suis un homme tr&egrave;s-malheureux, au moins dans cette
+affaire.</p>
+<p>&#8212;Je d&eacute;sire qu'il en soit ainsi, monsieur, r&eacute;pliqua Me
+Dodson. J'aime &agrave;
+croire que cela peut &ecirc;tre, monsieur. Mais si vous &ecirc;tes
+r&eacute;ellement
+innocent de ce dont vous &ecirc;tes accus&eacute;, vous &ecirc;tes plus
+infortun&eacute; que je ne
+croyais possible de l'&ecirc;tre. Qu'en dites-vous monsieur Fogg?</p>
+<p>&#8212;Je dis absolument comme vous, r&eacute;pondit Me Fogg avec un
+sourire
+d'incr&eacute;dulit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;L'assignation qui commence l'action, monsieur, continua Me Dodson,
+a
+&eacute;t&eacute; d&eacute;livr&eacute;e r&eacute;guli&egrave;rement.
+Monsieur Fogg, o&ugrave; est notre registre?</p>
+<p>&#8212;Le voici, dit Me Fogg en lui passant un volume carr&eacute;
+recouvert en
+parchemin.</p>
+<p>&#8212;Voici l'enregistrement, continua Dodson. <i>Middlesex, mandat:
+Veuve
+Martha Bardell versus Samuel Pickwick. Dommages-int&eacute;r&ecirc;ts,
+1500 guin&eacute;es.
+Dodson et Fogg pour le demandeur, aug. 28, 1831.</i> Tout est
+r&eacute;gulier,
+monsieur, parfaitement r&eacute;gulier.&raquo;</p>
+<p>Ayant articul&eacute; ces mots, Me Dodson toussa et regarda Me Fogg.
+Me Fogg
+r&eacute;p&eacute;ta: &laquo;Parfaitement,&raquo; et tous les deux
+regard&egrave;rent M. Pickwick.</p>
+<p>Celui-ci dit alors: &laquo;Vous voulez donc me faire entendre que
+c'est
+r&eacute;ellement votre intention de poursuivre ce proc&egrave;s?</p>
+<p>&#8212;Vous faire entendre! monsieur. Oui, apparemment, r&eacute;pondit Me
+Dodson,
+avec quelque chose qui ressemblait &agrave; un sourire autant que le
+lui
+permettait sa dignit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Et que les dommages-int&eacute;r&ecirc;ts demand&eacute;s sont
+r&eacute;ellement de quinze cents
+guin&eacute;es?</p>
+<p>&#8212;Vous pouvez ajouter que si notre cliente avait suivi nos conseils,
+elle aurait r&eacute;clam&eacute; le triple de cette somme.</p>
+<p>&#8212;Je crois cependant, fit observer Me Fogg, en jetant un coup d'&#339;il
+&agrave; Me
+Dodson, je crois que Mme Bardell a d&eacute;clar&eacute; positivement
+qu'elle
+n'accepterait pas un liard de moins.</p>
+<p>&#8212;Sans aucun doute, r&eacute;pliqua Me Dodson d'un ton sec;&raquo;
+car le proc&egrave;s ne
+faisait que de commencer, et il ne convenait pas aux avou&eacute;s de
+le
+terminer par un compromis, quand m&ecirc;me M. Pickwick y aurait
+&eacute;t&eacute; dispos&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Comme vous ne nous faites point de propositions, monsieur,
+continua Me
+Dodson, en d&eacute;ployant de sa main droite un morceau de parchemin,
+et
+tendant gracieusement, de sa gauche, un papier &agrave; M. Pickwick;
+comme vous
+ne nous faites pas de propositions, monsieur, je vais vous offrir une
+copie de cet acte, dont voici l'original.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien! monsieur; tr&egrave;s-bien! dit en se levant
+notre philosophe,
+dont la bile commen&ccedil;ait &agrave; s'&eacute;chauffer. Vous aurez
+de mes nouvelles par
+mon homme d'affaires.</p>
+<p>&#8212;Nous en serons charm&eacute;s, r&eacute;pondit Me Fogg en se
+frottant les mains.</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait, ajouta Dodson, en ouvrant la porte.</p>
+<p>&#8212;Et avant de vous quitter, messieurs, reprit M. Pickwick en se
+retournant sur le palier, permettez-moi de vous dire que de toutes les
+man&#339;uvres honteuses et d&eacute;go&ucirc;tantes....</p>
+<p>&#8212;Attendez, monsieur, attendez, interrompit Me Dodson avec grande
+politesse. Monsieur Jackson! monsieur Wicks!</p>
+<p>&#8212;Monsieur? r&eacute;pondirent les deux clercs, apparaissant au bas
+de
+l'escalier.</p>
+<p>&#8212;Faites-moi le plaisir d'&eacute;couter ce que ce gentleman va dire.
+Allons!
+monsieur, je vous en prie. Vous parliez, je crois, de man&#339;uvres
+honteuses et d&eacute;go&ucirc;tantes?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, s'&eacute;cria M. Pickwick enti&egrave;rement
+excit&eacute;, je disais que
+de toutes les man&#339;uvres honteuses et d&eacute;go&ucirc;tantes
+auxquelles se livrent
+les fripons, celle-ci est la plus d&eacute;go&ucirc;tante et la plus
+honteuse. Je le
+r&eacute;p&egrave;te, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Vous entendez cela, monsieur Wicks? cria Me Dodson.</p>
+<p>&#8212;Vous n'oublierez pas ces expressions, monsieur Jackson? ajouta Me
+Fogg.</p>
+<p>&#8212;Peut-&ecirc;tre, monsieur, reprit Dodson, peut-&ecirc;tre que vous
+aimeriez &agrave; nous
+appeler escrocs? Allons, monsieur, si cela vous fait plaisir, dites-le.</p>
+<p>&#8212;Oui, s'&eacute;cria M. Pickwick. Oui, vous &ecirc;tes des escrocs!</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, observa Dodson. J'esp&egrave;re que vous pouvez
+entendre de
+l&agrave;-bas, monsieur Wicks?</p>
+<p>&#8212;Oh oui! monsieur.</p>
+<p>&#8212;Vous devriez monter quelques marches, ajouta Fogg.</p>
+<p>&#8212;Poursuivez, monsieur, poursuivez. Vous feriez bien de nous appeler
+voleurs, monsieur. Ou peut-&ecirc;tre que vous auriez du plaisir
+&agrave; nous
+maltraiter? Vous le pouvez, monsieur, si cela vous fait plaisir. Nous
+ne
+vous opposerons pas la plus petite r&eacute;sistance. Allons,
+monsieur!&raquo;</p>
+<p>Comme M. Fogg se pla&ccedil;ait d'une mani&egrave;re fort tentante
+&agrave; proximit&eacute; du
+poing ferm&eacute; de M. Pickwick, il est fort probable que notre sage
+aurait
+c&eacute;d&eacute; &agrave; ses sollicitations pressantes, s'il n'en
+avait pas &eacute;t&eacute; emp&ecirc;ch&eacute;.
+Mais Sam, en entendant la dispute, &eacute;tait sorti du bureau, avait
+escalad&eacute;
+l'escalier et saisi son ma&icirc;tre par le bras.</p>
+<p>&laquo;Allons, monsieur! lui dit-il, donnez-vous la peine de venir
+par ici.
+C'est tr&egrave;s-amusant de jouer au volant, mais pas quand les deux
+raquettes
+sont des hommes de loi et qu'ils jouent avec vous. C'est trop excitant
+pour &ecirc;tre agr&eacute;able. Si vous voulez vous soulager le c&#339;ur
+en bousculant
+quelqu'un, venez dans la cour et bousculez-moi. Avec ceux-l&agrave;
+c'est une
+besogne un petit peu trop d&eacute;pensi&egrave;re.&raquo;</p>
+<p>Disant ces mots et sans plus de c&eacute;r&eacute;monie, Sam emporta
+son ma&icirc;tre &agrave;
+travers l'escalier, &agrave; travers la cour, et l'ayant
+d&eacute;pos&eacute; en s&ucirc;ret&eacute; dans
+Cornhill, se retira modestement derri&egrave;re lui, pr&ecirc;t
+&agrave; le suivre en
+quelque lieu qu'il lui pl&ucirc;t d'aller.</p>
+<p>M. Pickwick marcha tout droit devant lui d'un air d'abstraction,
+traversa en face de Mansion-house et dirigea ses pas vers Cheapside.
+Sam
+commen&ccedil;ait &agrave; s'&eacute;merveiller du chemin que prenait
+son ma&icirc;tre, quand
+celui-ci se retourna et lui dit:</p>
+<p>&laquo;Sam, je vais aller imm&eacute;diatement chez M. Perker.</p>
+<p>&#8212;C'est juste l'endroit o&ugrave; vous auriez d&ucirc; aller d'abord,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je le crois, Sam.</p>
+<p>&#8212;Et moi j'en suis s&ucirc;r et certain, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Bien! bien! Sam, j'irai tout &agrave; l'heure. Mais d'abord, comme
+j'ai &eacute;t&eacute;
+mis un peu hors de moi-m&ecirc;me, j'aimerais &agrave; prendre un verre
+d'eau-de-vie
+et d'eau chaude. O&ugrave; pourrai-je en avoir, Sam?&raquo;</p>
+<p>Sam connaissait parfaitement Londres, aussi r&eacute;pondit-il sans
+r&eacute;fl&eacute;chir
+un instant:</p>
+<p>&laquo;La seconde cour &agrave; main droite, monsieur;
+l'avant-derni&egrave;re maison du
+m&ecirc;me c&ocirc;t&eacute;. Prenez la stalle qui est &agrave;
+c&ocirc;t&eacute; du po&ecirc;le, parce qu'il n'y a
+pas de pied au milieu de la table, comme il y en a &agrave; toutes les
+autres,
+ce qui est tr&egrave;s-inconv&eacute;nient.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick observa scrupuleusement les indications de son
+domestique et
+entra bient&ocirc;t dans la taverne qu'il lui avait indiqu&eacute;e. De
+l'eau-de-vie
+et de l'eau chaude furent promptement plac&eacute;es devant lui, et
+Sam,
+s'asseyant &agrave; une distance respectueuse de son ma&icirc;tre,
+quoique &agrave; la m&ecirc;me
+table, fut accommod&eacute; d'une pinte de porter.</p>
+<p>La pi&egrave;ce o&ugrave; ils se trouvaient &eacute;tait fort simple
+et semblait sous le
+patronage sp&eacute;cial des cochers de diligence, car plusieurs
+gentlemen qui
+paraissaient appartenir &agrave; cette savante profession, fumaient et
+buvaient
+dans leurs stalles respectives. Parmi eux se trouvait un gros homme
+rougeaud, d'un certain &acirc;ge, assis en face de M. Pickwick, et qui
+attira
+son attention. Le gros homme fumait avec grande
+v&eacute;h&eacute;mence, mais, &agrave;
+chaque demi-douzaine de bouff&eacute;es, il &ocirc;tait sa pipe de sa
+bouche et
+examinait d'abord Sam, puis M. Pickwick. Ensuite il ex&eacute;cutait
+encore une
+demi-douzaine de bouff&eacute;es, d'un air de m&eacute;ditation
+profonde, et
+recommen&ccedil;ait &agrave; consid&eacute;rer notre philosophe et son
+acolyte. Enfin le gros
+homme, mettant ses jambes sur une chaise et appuyant son dos contre le
+mur, s'occupa d'achever sa pipe sans interruption, et tout en
+contemplant, au travers de sa fum&eacute;e, les deux nouveaux venus,
+comme
+s'il avait &eacute;t&eacute; d&eacute;cid&eacute; &agrave; les
+&eacute;tudier le plus possible.</p>
+<p>Les &eacute;volutions du gros homme avaient d'abord
+&eacute;chapp&eacute; &agrave; Sam, mais voyant
+les yeux de M. Pickwick se diriger de temps en temps vers lui, il
+commen&ccedil;a &agrave; regarder dans la m&ecirc;me direction, puis il
+abrita ses yeux avec
+sa main comme si, ayant partiellement reconnu l'objet plac&eacute;
+devant lui,
+il d&eacute;sirait s'assurer de son identit&eacute;. Mais ses doutes
+furent
+promptement r&eacute;solus, car le gros homme, ayant chass&eacute; un
+nuage &eacute;pais de
+sa pipe, fit sortir de dessous le ch&acirc;le volumineux qui
+enveloppait sa
+gorge et sa poitrine une voix enrou&eacute;e, semblable &agrave;
+quelque &eacute;trange essai
+de ventriloquisme, et pronon&ccedil;a lentement ces mots:</p>
+<p>&laquo;Eh bien! Sammy?</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que c'est que cela, Sam? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien! je ne l'aurais pas cru, monsieur, r&eacute;pondit
+Sam en ouvrant des
+yeux &eacute;tonn&eacute;s. C'est le vieux.</p>
+<p>&#8212;Le vieux! reprit M. Pickwick, quel vieux?</p>
+<p>&#8212;Mon p&egrave;re, monsieur. Comment &ccedil;a va-t-il, mon
+ancien?&raquo;</p>
+<p>Et avec cette touchante &eacute;bullition d'affection filiale, Sam
+fit une
+place sur le si&eacute;ge &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui pour le
+gros homme, qui venait le
+congratuler, pipe en bouche et pot en main.</p>
+<p>&laquo;H&eacute; ben! Sammy? dit le p&egrave;re, je ne t'ai pas vu
+depuis deux ans et mieux.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai &ccedil;a, vieux farceur. Comment va la
+belle-m&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;H&eacute; ben! je vas te dire quoi, Sammy, reprit M. Weller <i>senior</i>
+d'une
+voix tr&egrave;s-solennelle. I' n'y a jamais &eacute;vu une pus belle
+veuve que ma
+seconde. Une douce criature que c'&eacute;tait, Sammy, et tout ce que
+je peux
+dire &agrave; pr&eacute;sent, c'est &ccedil;a: pisqu'elle faisait une
+si extra-superfine
+veuve, c'est ben dommage qu'elle ait chang&eacute; de condition. Elle
+ne
+r&eacute;ussit pas pour une femme, Sammy.</p>
+<p>&#8212;Bah! vraiment?&raquo; demanda M. Weller <i>junior</i>.</p>
+<p>M. Weller <i>senior</i> secoua la t&ecirc;te en r&eacute;pondant
+avec un soupir:</p>
+<p>&laquo;J'ai fait la chose une fois de trop, Sammy, j'ai fait la
+chose une fois
+de trop. Prenez exemple sur vot' p&egrave;re, mon gar&ccedil;on, et
+prenez ben garde
+aux veuves toute vot' vie, esp&eacute;cialement si elles tiennent une
+auberge,
+Sammy.&raquo;</p>
+<p>Ayant expector&eacute; cet avis paternel, avec grand pathos, M.
+Weller
+<i>senior</i> tira de sa poche une bo&icirc;te d'&eacute;tain, remplit
+sa pipe, l'alluma
+avec les cendres de la pr&eacute;c&eacute;dente et recommen&ccedil;a
+&agrave; fumer d'un grand
+train.</p>
+<p>Apr&egrave;s une pause consid&eacute;rable il s'adressa &agrave; M.
+Pickwick, en continuant
+le m&ecirc;me sujet:</p>
+<p>&laquo;Demande vot' excuse, mossieu; rien de personnel,
+j'esp&egrave;re, mossieu?
+Vous n'avez pas empaum&eacute; une veuve?</p>
+<p>&#8212;Non, pas encore, r&eacute;pondit M. Pickwick en riant;&raquo; et
+tandis que M.
+Pickwick riait, Sam informa son p&egrave;re &agrave; l'oreille des
+rapports qui
+existaient entre lui et ce gentleman.</p>
+<p>&laquo;Demande vot' excuse, mossieu, dit M. Weller en &ocirc;tant
+son chapeau;
+j'esp&egrave;re que vous n'avez pas de reproches &agrave; faire
+&agrave; Sammy, mossieu?</p>
+<p>&#8212;Pas le moindre, r&eacute;pliqua M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Fort heureux d'apprendre &ccedil;a, mossieu. J'ai pris beaucoup de
+peine pour
+son &eacute;ducation, mossieu. J'y ai laiss&eacute; rouler les rues
+tout petiot pour
+qu'il sache se tirer d'affaire tout seul, mossieu: la v&eacute;ritable
+m&eacute;thode
+pour rendre un jeune homme malin.</p>
+<p>&#8212;J'imaginerais que c'est une m&eacute;thode un peu dangereuse,
+observa M.
+Pickwick avec un sourire.</p>
+<p>&#8212;Et qui n'est pas pleine de certitude non plus, objecta Sam; j'ai
+&eacute;t&eacute;
+r&eacute;guli&egrave;rement enfonc&eacute; l'autre jour.</p>
+<p>&#8212;Non? dit le p&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Si,&raquo; reprit le fils; et il raconta aussi bri&egrave;vement
+que possible
+comment il avait &eacute;t&eacute; dupe des stratag&egrave;mes de Job
+Trotter.</p>
+<p>M. Weller &eacute;couta ce r&eacute;cit avec l'attention la plus
+profonde, et
+lorsqu'il fut termin&eacute;:</p>
+<p>&laquo;L'un de ces bijoux, dit-il, n'&eacute;tait-ce pas un grand
+efflanqu&eacute; avec des
+cheveux noirs comme des chandelles et le don de l'oratoire
+tr&egrave;s-galopant?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick n'entendait pas parfaitement le dernier item de cette
+description, mais comprenant le premier, il r&eacute;pondit:
+&laquo;Oui,&raquo; &agrave; tous
+hasards.</p>
+<p>&laquo;Et l'aut' gaillard, un toupet noir, en livr&eacute;e
+violette, avec une
+tr&egrave;s-grosse boule?</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, c'est lui! s'&eacute;cri&egrave;rent vivement le
+ma&icirc;tre et le valet.</p>
+<p>&#8212;Alors je sais o&ugrave; qu'i' sont remis&eacute;s; i' sont &agrave;
+Ipswich, en bon &eacute;tat
+tous les deux.</p>
+<p>&#8212;Impossible! dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;C'est un fait, r&eacute;pliqua M. Weller, et je vas vous dire
+comment je
+sais &ccedil;a. Je travaille une voiture d'Ipswich de temps en temps,
+pour un
+camarade. Je l'ai men&eacute;e juste le jour d'apr&egrave;s la nuit
+o&ugrave;s que vous avez
+attrap&eacute; le rhumatique, et je les ai ramen&eacute;s juste au <i>n&eacute;grillon</i>,
+&agrave;
+Chelmsford, et je les ai dispos&eacute;s droit &agrave; Ipswich
+o&ugrave;s que le domestique,
+celui qu'est en violet, m'a dit qu'ils allaient rester pour longtemps.</p>
+<p>&#8212;Je le suivrai, dit M. Pickwick. Nous pouvons visiter Ipswich aussi
+bien qu'un autre endroit. Je le suivrai.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes s&ucirc;r et certain que c'&eacute;tait eux,
+gouverneur? demanda Sam.</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait, Sammy, tout &agrave; fait, car leur apparition
+est fort
+singuli&egrave;re. Outre &ccedil;a, je me confondais de voir un
+gen'l'm'n si familier
+avec son valet. Pus qu' &ccedil;a; comme i's &eacute;taient assis
+derri&egrave;re mon si&eacute;ge,
+je leu's y ai entendu dire qu'ils avaient enfonc&eacute; le vieux
+Bouffe-la-balle.</p>
+<p>&#8212;Le vieux quoi? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Le vieux Bouffe-la-balle, mossieu, par quoi, ma coloquinte &agrave;
+couper,
+qu'ils parlaient de vous, mossieu.&raquo;</p>
+<p>Il n'y a rien de positivement vil ni atroce dans l'appellation de <i>vieux
+Bouffe-la-balle</i>, mais cependant c'est une d&eacute;signation qui
+n'est
+nullement respectueuse ni agr&eacute;able. Le souvenir de tous les
+torts qu'il
+avait soufferts de Jingle s'&eacute;tait amass&eacute; dans l'esprit de
+M. Pickwick,
+du moment o&ugrave; M. Weller avait commenc&eacute; &agrave; parler. Il
+ne fallait qu'une
+plume pour faire pencher la balance, et <i>Bouffe-la-balle</i> le fit.</p>
+<p>&laquo;Je le suivrai, s'&eacute;cria le philosophe en donnant sur la
+table un coup de
+poing emphatique.</p>
+<p>&#8212;Je conduirai apr&egrave;s-demain &agrave; Ipswich, mossieu: la
+voiture part du
+<i>Taureau</i>, dans White-Chapel; si vous avez r&eacute;ellement envie
+d'y
+descendre, vous feriez mieux d'y descendre avec moi.</p>
+<p>&#8212;C'est vrai, dit M. Pickwick. Tr&egrave;s-bien. Je puis
+&eacute;crire &agrave; Bury et dire
+&agrave; ces messieurs de venir me retrouver &agrave; Ipswich. Nous
+irons avec vous.
+Mais ne vous en allez pas si vite, M. Weller, voulez-vous prendre
+quelque chose?</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes bien bon, mossieu, r&eacute;pondit M. Weller en
+s'arr&ecirc;tant court.
+Peut-&ecirc;tre qu'un petit verre d'eau-de-vie pour boire &agrave; vot'
+sant&eacute; et &agrave; la
+bonne chance de Sammy, &ccedil;a ne ferait pas de mal.&raquo;</p>
+<p>L'eau-de-vie fut apport&eacute;e, et M. Weller, apr&egrave;s avoir
+tir&eacute; son poil &agrave; M.
+Pickwick et adress&eacute; un signe gracieux &agrave; Sam, la fit
+descendre dans son
+large gosier comme s'il y en avait eu plein un d&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Bien ex&eacute;cut&eacute;, papa. Mais il faut prendre garde,
+vieux gaillard, ou bien
+vous vous ferez pincer par la goutte.</p>
+<p>&#8212;J'ai trouv&eacute; pour &ccedil;a un rem&egrave;de souverain,
+r&eacute;pliqua M. Weller en
+reposant son verre.</p>
+<p>&#8212;Un rem&egrave;de souverain pour la goutte, s'&eacute;cria M.
+Pickwick en tirant
+promptement son m&eacute;morandum, qu'est-ce que c'est?</p>
+<p>&#8212;La goutte, mossieu, la goutte est une maladie qu'elle est naquise
+de
+trop d'aises et de conforts. Si vous &ecirc;tes jamais attaqu&eacute;
+par la goutte,
+mossieu, vite &eacute;pousez une veuve qu'a une bonne voix forte avec
+une id&eacute;e
+d&eacute;cente de s'en faire usage, vous n'aurez pus jamais la goutte.
+C'est
+une proscription capitale, mossieu. Je la consomme
+r&eacute;guli&egrave;rement et je
+vous r&eacute;ponds qu'elle chasse toutes les maladies qu'est
+caus&eacute;e par trop
+de joyeuset&eacute;.&raquo;</p>
+<p>Ayant communiqu&eacute; ce secret inestimable, M. Weller vida son
+verre de
+nouveau, cligna de l'&#339;il d'une mani&egrave;re pr&eacute;tentieuse,
+soupira
+profond&eacute;ment, et se retira avec lenteur.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! Sam, que pensez-vous de ce qu'a dit votre
+p&egrave;re? demanda M.
+Pickwick en souriant.</p>
+<p>&#8212;Ce que j'en pense? monsieur; je pense qu'il est victime du
+matrimonial, comme disait le chapelain de la Barbe-Bleue, en
+l'enterrant
+avec une larme de piti&eacute;.&raquo;</p>
+<p>Il n'y avait pas de r&eacute;plique possible &agrave;
+l'&agrave;-propos de cette conclusion;
+c'est pourquoi M. Pickwick, apr&egrave;s avoir pay&eacute; leur
+&eacute;cot, reprit son
+chemin vers Grey's Inn. Lorsqu'il atteignit ses grottes
+retir&eacute;es, huit
+heures avaient sonn&eacute;, et le flot incessant de gentlemen en
+pantalons
+crott&eacute;s, en chapeaux gris d&eacute;form&eacute;s, en habits
+r&acirc;p&eacute;s, qui se pr&eacute;cipitait
+par toutes les issues, l'avertit que la majorit&eacute; des
+&eacute;tudes &eacute;tait ferm&eacute;e
+pour ce jour-l&agrave;.</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir grimp&eacute; deux &eacute;tages rapides et
+malpropres, M. Pickwick vit
+r&eacute;aliser ses pr&eacute;visions: la porte de M. Perker
+&eacute;tait close, et le morne
+silence qui suivit les coups r&eacute;p&eacute;t&eacute;s
+frapp&eacute;s par Sam, leur annon&ccedil;a
+suffisamment que les gens d'affaires s'&eacute;taient retir&eacute;s
+pour la nuit.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; qui est bien contrariant, Sam. Je ne voudrais
+pourtant pas perdre
+un moment pour le voir. Je suis s&ucirc;r que je ne pourrai pas fermer
+l'&#339;il
+avant d'avoir confi&eacute; cette affaire &agrave; un homme du
+m&eacute;tier.</p>
+<p>&#8212;Voici une vieille qui monte les escaliers, monsieur,
+r&eacute;pliqua Sam.
+Peut-&ecirc;tre qu'elle sait o&ugrave; nous pourrons trouver quelqu'un.
+Oh&eacute;! vieille
+lady, o&ugrave; est les gens de M. Perker?</p>
+<p>&#8212;Les gens de M. Perker, dit une vieille femme maigre et
+mis&eacute;rable, en
+s'arr&ecirc;tant pour respirer apr&egrave;s avoir mont&eacute;
+l'escalier; les gens de M.
+Perker est parti et moi je vas pour faire le bureau.</p>
+<p>&#8212;&Ecirc;tes-vous servante de M. Perker? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Je suis sa blanchisseuse.</p>
+<p>&#8212;Ah! dit M. Pickwick, pour l'&eacute;dification exclusive de son
+domestique,
+c'est une curieuse circonstance, Sam, que, dans ces <i>inns<a
+ name="FNanchor_25_25"></a></i><a href="#Footnote_25_25"><sup>25</sup></a>,
+ils
+appellent les femmes de m&eacute;nage des blanchisseuses. Je ne
+comprends pas
+pourquoi.</p>
+<p>&#8212;Je me figure, monsieur, que c'est parce qu'elles ont une aversion
+mortelle &agrave; laver quelque chose.</p>
+<p>&#8212;Cela ne m'&eacute;tonnerait pas,&raquo; r&eacute;pondit M. Pickwick
+en regardant la
+vieille femme. En effet, son apparence, comme la tenue du bureau,
+qu'elle venait d'ouvrir, indiquait une antipathie enracin&eacute;e
+contre
+l'emploi du savon et de l'eau.</p>
+<p>&laquo;Ma bonne femme, reprit M. Pickwick, savez-vous o&ugrave; je
+puis trouver M.
+Perker?</p>
+<p>&#8212;Non, je n'en sais rien, r&eacute;pliqua-t-elle d'une voix aigre; il
+est hors
+de la ville, maintenant.</p>
+<p>&#8212;Cela est bien malheureux! Et o&ugrave; est son clerc, savez-vous?</p>
+<p>&#8212;Oui, je le sais, mais i' me remercierait dr&ocirc;lement de vous le
+dire.</p>
+<p>&#8212;J'ai des affaires tr&egrave;s-particuli&egrave;res avec lui.</p>
+<p>&#8212;&Ccedil;a ne peut pas se faire demain matin?</p>
+<p>&#8212;Pas aussi bien.</p>
+<p>&#8212;Eh bien, si c'est quelque chose de tr&egrave;s-particulier, je puis
+dire o&ugrave;
+il est. Ainsi je suppose qu'il n'y a pas de mal &agrave; le dire. Si
+vous allez
+&agrave; <i>la Souche et la Pie</i> et que vous demandiez au comptoir
+M. Lowten. Ils
+vous introduiront, et c'est le clerc de M. Perker.&raquo;</p>
+<p>Avec ces instructions, et ayant appris de plus que
+l'h&ocirc;tellerie en
+question &eacute;tait au fond d'une cour, heureusement situ&eacute;e
+entre
+Clare-Market et New Inn, M. Pickwick et Sam descendirent en
+s&ucirc;ret&eacute;
+l'escalier raboteux et se mirent en qu&ecirc;te de <i>la Souche et la
+pie</i>.</p>
+<p>Cette taverne favorite, consacr&eacute;e aux orgies nocturnes de M.
+Lowten et
+de ses compagnons, &eacute;tait ce que des gens ordinaires appellent un
+<i>bouchon</i>. Une petite &eacute;choppe adoss&eacute;e &agrave; la
+muraille et sous-lou&eacute;e &agrave; un
+cordonnier en vieux, marquait suffisamment que le propri&eacute;taire
+de <i>la
+Pie</i> &eacute;tait un homme dispos&eacute; &agrave; gagner de
+l'argent; en m&ecirc;me temps que la
+protection par lui accord&eacute;e a un vendeur de petits
+p&acirc;t&eacute;s, qui d&eacute;bitait
+ses chatteries sans crainte d'interruption sur le pas m&ecirc;me de la
+porte,
+d&eacute;montrait &eacute;videmment que ledit propri&eacute;taire
+poss&eacute;dait un esprit
+philanthropique. Deux ou trois pancartes imprim&eacute;es, faisant
+allusion &agrave;
+du cidre de Devonshire et &agrave; de l'eau-de-vie de Dantzig,
+pendaient aux
+carreaux inf&eacute;rieurs des fen&ecirc;tres, d&eacute;cor&eacute;es
+de rideaux safran, tandis
+qu'un large &eacute;criteau noir annon&ccedil;ait, en lettres blanches,
+au public
+savant, qu'il y avait cinq cent mille barils de double bi&egrave;re
+dans les
+celliers de la maison, laissant l'esprit dans un &eacute;tat de doute
+fort
+agr&eacute;able quant &agrave; la direction pr&eacute;cise dans
+laquelle on pouvait supposer
+que cette immense caverne s'&eacute;tendait dans les entrailles de la
+terre.
+Nous aurons d&eacute;crit autant qu'il est n&eacute;cessaire
+l'ext&eacute;rieur de l'&eacute;difice,
+lorsque nous aurons ajout&eacute; que l'enseigne antique &eacute;talait
+la figure &agrave;
+moiti&eacute; effac&eacute;e d'une <i>pie</i> contemplant
+attentivement une ligne tortueuse
+de couleur brune, que les voisins avaient &eacute;t&eacute;
+habitu&eacute;s d&egrave;s l'enfance &agrave;
+reconna&icirc;tre pour la <i>souche</i>.</p>
+<p>Lorsque M. Pickwick se pr&eacute;senta au comptoir, il fut
+re&ccedil;u par une femme
+d'un certain &acirc;ge qui sortit de derri&egrave;re un paravent.</p>
+<p>&laquo;M. Lowten est-il ici, madame?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, il y est. Charley, introduisez le gentleman
+aupr&egrave;s de
+M. Lowten.</p>
+<p>&#8212;Le gen'l'm'n peut pas entrer &agrave; c't' heure, r&eacute;pondit
+un jeune Ganym&egrave;de
+&agrave; la t&ecirc;te rousse. M'sieu Lowten i' chante une chanson
+farce, et &ccedil;a
+l'interloquerait. &Ccedil;a ne sera pas bien long, m'sieu.&raquo;</p>
+<p>Le Ganym&egrave;de roux avait &agrave; peine cess&eacute; de parler,
+lorsque le cliquetis des
+verres et le tonnerre des coups frapp&eacute;s sur la table
+annonc&egrave;rent que la
+chanson &eacute;tait termin&eacute;e. M. Pickwick engagea Sam &agrave;
+se d&eacute;lasser dans la
+buvette, et suivit son introducteur.</p>
+<p>Sur cette annonce: &laquo;Un gen'l'm'n pour vous parler,
+m'sieu.&raquo;</p>
+<p>Un jeune homme bouffi, qui remplissait le fauteuil au sommet de la
+table, leva la t&ecirc;te, regarda avec quelque surprise dans la
+direction
+d'o&ugrave; portait la voix, et sa surprise ne fut aucunement
+diminu&eacute;e
+lorsqu'il reconnut qu'il ne connaissait nullement l'individu sur lequel
+se reposaient ses yeux.</p>
+<p>&laquo;Je vous demande pardon, monsieur, dit M. Pickwick, et je suis
+aussi
+tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute; de d&eacute;ranger ces messieurs, mais
+je viens pour une affaire
+pressante. Si vous voulez me permettre de vous entretenir au bout de
+cette chambre pendant cinq minutes, je vous serai fort
+oblig&eacute;.&raquo;</p>
+<p>Le jeune homme bouffi se leva, et, tirant une chaise dans un coin
+obscur
+de la salle, &eacute;couta attentivement le r&eacute;cit des infortunes
+de M.
+Pickwick. Lorsqu'il fut termin&eacute;: &laquo;Ah! dit-il, Dodson et
+Fogg! habiles
+dans la pratique! hommes d'affaires, bien malins, monsieur!&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick admit la malice de Dodson et Fogg, et M. Lowten
+poursuivit:</p>
+<p>&laquo;Perker n'est pas dans la ville et n'y reviendra pas avant la
+fin de la
+semaine prochaine; mais si vous voulez faire d&eacute;fendre &agrave;
+l'action, vous
+n'avez qu'&agrave; me laisser cette copie, je pourrai faire tout ce qui
+est
+n&eacute;cessaire jusqu'&agrave; son retour.</p>
+<p>&#8212;C'est pr&eacute;cis&eacute;ment pour cela que je suis venu ici,
+r&eacute;pliqua M. Pickwick
+en tendant le document. S'il arrive quelque chose de nouveau vous
+pouvez
+m'&eacute;crire, poste restante, &agrave; Ipswich.</p>
+<p>&#8212;C'est fort bien,&raquo; r&eacute;pondit le clerc de Me Perker; et,
+voyant les
+regards de M. Pickwick se diriger curieusement vers la table, il
+ajouta:
+&laquo;Voulez-vous rester avec nous pour une demi-heure? Nous avons
+fameuse
+compagnie ce soir. Il y a Samkin, et le premier clerc de <i>Green</i>,
+et
+Smithers, et la chancellerie de Price, et Pimkins, et Thomas... il
+chante &agrave; ravir; et Jack Bamber, et beaucoup d'autres. Vous
+arrivez de la
+campagne, je suppose: voulez-vous vous joindre &agrave; nous?&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick ne pouvait laisser &eacute;chapper une occasion si
+s&eacute;duisante
+d'&eacute;tudier la nature humaine: il se laissa mener vers la table,
+fut
+pr&eacute;sent&eacute; formellement &agrave; la compagnie, prit un
+si&eacute;ge aupr&egrave;s du pr&eacute;sident
+et fit venir un verre de son breuvage favori.</p>
+<p>Un profond silence s'ensuivit, contrairement &agrave; l'attente de
+M. Pickwick.
+Enfin son voisin de droite, gentleman qui &eacute;talait des boutons de
+mosa&iuml;que sur une chemise ray&eacute;e, lui dit en &ocirc;tant avec
+deux doigts son
+cigare de sa bouche:</p>
+<p>&laquo;J'esp&egrave;re que cela ne vous incommode pas, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Pas le moins du monde, r&eacute;pliqua M. Pickwick. J'en aime
+beaucoup
+l'odeur, quoique je ne fume pas moi-m&ecirc;me.</p>
+<p>&#8212;Je serais bien f&acirc;ch&eacute; d'en dire autant, observa un
+autre gentleman du
+c&ocirc;t&eacute; oppos&eacute; de la table. Ma pipe, c'est pour moi la
+table et le
+logement.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick examina celui qui parlait ainsi et ne put
+s'emp&ecirc;cher de
+penser que tout aurait &eacute;t&eacute; pour le mieux, si sa pipe
+avait aussi &eacute;t&eacute;
+pour lui la blanchissage.</p>
+<p>Il y eut une autre pause. M. Pickwick &eacute;tait un
+&eacute;tranger, et son arriv&eacute;e
+avait &eacute;videmment refroidi les assistants.</p>
+<p>&laquo;M. Grundy va r&eacute;galer la compagnie d'une chanson, dit
+le pr&eacute;sident.</p>
+<p>&#8212;Non, il ne la r&eacute;galera pas, r&eacute;pliqua M. Grundy.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi? demanda le pr&eacute;sident.</p>
+<p>&#8212;Parce que je ne peux pas.</p>
+<p>&#8212;Vous feriez mieux de dire que vous ne voulez pas.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, parce que je ne veux pas.&raquo;</p>
+<p>Un autre silence fut occasionn&eacute; par ce refus positif de
+r&eacute;galer la
+compagnie.</p>
+<p>&laquo;Personne ne nous mettra-t-il en train? dit le
+pr&eacute;sident d'un ton
+dubitatif.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi ne nous mettez-vous pas en train vous-m&ecirc;me, monsieur
+le
+pr&eacute;sident,&raquo; fit observer du bout de la table un jeune
+gentleman avec des
+moustaches, un &#339;il louche et un col de chemise rabattu.</p>
+<p>&laquo;&Eacute;coutez! &eacute;coutez!&raquo; cria le fumeur aux
+joyaux de clinquant.</p>
+<p>Le pr&eacute;sident r&eacute;pliqua: &laquo;Parce que je viens de
+chanter la seule chanson
+que je sache, et que celui qui chante deux fois la m&ecirc;me chanson
+dans une
+soir&eacute;e est &agrave; l'amende d'une tourn&eacute;e.&raquo;</p>
+<p>C'&eacute;tait une raison sans r&eacute;plique, aussi fut-elle
+suivie d'un nouveau
+silence.</p>
+<p>M. Pickwick, d&eacute;sirant susciter un sujet qui p&ucirc;t
+&ecirc;tre discut&eacute; par tout le
+monde, &eacute;leva la voix et parla en ces termes:</p>
+<p>&laquo;J'ai &eacute;t&eacute; ce soir, gentlemen, dans un endroit
+que vous tous connaissez
+parfaitement sans aucun doute, mais o&ugrave; je n'avais pas mis le
+pied depuis
+bien des ann&eacute;es et que je connais fort peu. Je veux parler de <i>Gray's
+Inn</i>. Ces vieux h&ocirc;tels sont de curieux recoins, dans une
+grande ville
+comme Londres.</p>
+<p>&#8212;Par Jupiter, murmura le pr&eacute;sident &agrave; M. Pickwick, vous
+&ecirc;tes tomb&eacute; sur
+un sujet qui fera causer l'un de nous, du moins. Vous allez tirer de sa
+coquille le vieux Jack Bamber. On ne l'a jamais entendu parler sur
+autre
+chose que sur les <i>inns</i>&raquo;. Il y a v&eacute;cu si longtemps
+tout seul qu'il en
+est devenu &agrave; moiti&eacute; fou.&raquo;</p>
+<p>L'individu dont parlait M. Lowten &eacute;tait un vieux petit homme,
+aux
+&eacute;paules &eacute;lev&eacute;es, qui avait l'habitude de se
+pencher en avant quand il
+&eacute;tait silencieux, et qui, pour cette raison, n'avait pas
+&eacute;t&eacute; remarqu&eacute; de
+M. Pickwick. Mais lorsque le vieux homme leva sa face jaune et
+d&eacute;charn&eacute;e, et fixa sur lui ses yeux gris pleins de
+finesse et de
+p&eacute;n&eacute;tration, notre illustre observateur s'&eacute;tonna
+que des traits aussi
+singuliers eussent pu &eacute;chapper un seul instant &agrave; son
+attention. Un
+sourire chagrin contractait perp&eacute;tuellement la figure du
+vieillard; il
+appuyait son menton sur une grande main maigre, dont les ongles
+&eacute;taient
+d'une longueur extraordinaire; son regard p&eacute;n&eacute;trant et
+fixe luisait sous
+d'&eacute;pais sourcils grisonnants; enfin il y avait dans toute
+l'expression
+de sa physionomie quelque chose d'&eacute;trange, de sauvage, de
+rus&eacute;, qui
+rendaient son aspect tout &agrave; fait repoussant.</p>
+<p>Telle &eacute;tait la figure qui se redressa tout &agrave; coup et
+d'o&ugrave; jaillit un
+torrent de paroles br&ucirc;lantes. Cependant comme ce chapitre est
+d&eacute;j&agrave; bien
+long, et comme le vieux homme est un personnage notable, il sera plus
+respectueux pour lui et plus commode pour nous, de le laisser parler
+dans un nouveau chapitre.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXI"></a>
+<h2>CHAPITRE XXI.</h2>
+<h3>Dans lequel le vieux homme se lance sur son th&egrave;me favori, et
+raconte
+l'histoire d'un dr&ocirc;le de client.</h3>
+<br/>
+<p>&laquo;Ha! ha! dit le vieux homme dont nous avons donn&eacute; une
+courte description
+dans le pr&eacute;c&eacute;dent chapitre, ha! ha! qui parle des <i>Inns</i>?</p>
+<p>&#8212;C'est moi, monsieur, r&eacute;pondit M. Pickwick. Je remarquais que
+ce sont
+de vieux endroits bien singuliers.</p>
+<p>&#8212;<i>Vous</i>! repartit le vieux homme d'un ton m&eacute;prisant. Que
+pouvez-vous
+savoir du temps o&ugrave; les jeunes gens s'enfermaient dans ces
+chambras
+solitaires, et lisaient, et lisaient, heure apr&egrave;s heure, nuit
+apr&egrave;s
+nuit, jusqu'&agrave; ce que leur raison f&ucirc;t alt&eacute;r&eacute;e
+par leurs &eacute;tudes nocturnes,
+jusqu'&agrave; ce que les forces de leur esprit fussent
+&eacute;puis&eacute;es, jusqu'&agrave; ce
+que la lumi&egrave;re du matin ne leur apport&acirc;t plus ni
+fra&icirc;cheur ni sant&eacute;; si
+bien qu'ils finissaient par p&eacute;rir apr&egrave;s avoir
+d&eacute;vou&eacute; inutilement leurs
+jeunes &eacute;nergies &agrave; de vieux bouquins
+dess&eacute;ch&eacute;s. Vous, qui &ecirc;tes venu plus
+tard, &agrave; une &eacute;poque toute diff&eacute;rente, que
+savez-vous de cet affaissement
+graduel par une lente consomption, ou de ces ravages rapides de la
+fi&egrave;vre, r&eacute;sultat de la d&eacute;bauche et de la
+dissipation, pour les habitants
+de ces chambres sombres? Savez-vous combien de plaideurs, apr&egrave;s
+avoir
+vainement implor&eacute; la merci des hommes de loi, s'en sont
+all&eacute;s, le c&#339;ur
+bris&eacute;, chercher du repos dans la Tamise ou un refuge dans la
+prison? Il
+n'y a pas un panneau, dans les vieilles boiseries, qui ne p&ucirc;t
+faire un
+r&eacute;cit plein d'horreur sur le roman de la vie, de la vie
+r&eacute;elle,
+monsieur! Tout prosa&iuml;ques que ces h&ocirc;tels puissent vous
+sembler
+maintenant, je vous dis qu'ils sont remplis d'affreux myst&egrave;res;
+et
+j'aimerais mieux entendre, &agrave; minuit, bien des l&eacute;gendes
+orn&eacute;es d'un titre
+terrible, que la v&eacute;ritable histoire d'une de ces chambres
+antiques.&raquo;</p>
+<p>Il y avait quelque chose de si singulier dans l'&eacute;nergie
+soudaine du
+vieillard et dans le sujet qui l'avait r&eacute;veill&eacute;, que M.
+Pickwick ne
+trouva point de paroles pr&ecirc;tes pour lui r&eacute;pondre.
+Cependant le
+vieillard, r&eacute;primant son imp&eacute;tuosit&eacute; et reprenant
+l'air goguenard que
+l'excitation du moment lui avait fait perdre, poursuivit en ces termes:</p>
+<p>&laquo;Regardez-les sous un autre aspect moins romantique. Quels
+admirables
+instruments de lente torture! Pensez au pauvre homme qui a
+d&eacute;pens&eacute; tout
+ce qu'il poss&eacute;dait, qui s'est r&eacute;duit &agrave; la
+mendicit&eacute;, qui a ran&ccedil;onn&eacute; ses
+amis pour entrer dans une profession o&ugrave; il ne gagnera jamais un
+morceau
+de pain. L'attente, l'espoir, le d&eacute;sappointement, la crainte, le
+malheur, la pauvret&eacute;, les esp&eacute;rances an&eacute;anties, la
+carri&egrave;re perdue, le
+suicide, peut-&ecirc;tre, ou mieux encore, l'ivrognerie en guenilles,
+en
+savates! voil&agrave; ce que l'on trouve dans ces sombres demeures. Ne
+sont-ce
+pas l&agrave; de dr&ocirc;les d'h&ocirc;tels, hein?&raquo;</p>
+<p>Le vieillard se frottait les mains en ricanant, enchant&eacute;
+d'avoir plac&eacute;
+son sujet favori sous un nouveau point de vue; M. Pickwick le
+consid&eacute;rait avec curiosit&eacute;, et le reste de la compagnie
+souriait et
+regardait en silence.</p>
+<p>&laquo;Vous parlez de vos universit&eacute;s allemandes, poursuivit
+le petit
+vieillard, pouh! pouh! Il y a assez de po&eacute;sie ici, &agrave;
+c&ocirc;t&eacute; de nous, sous
+nos yeux; seulement personne n'y pense.</p>
+<p>&#8212;Certainement, dit en riant M. Pickwick, je n'ai jamais pens&eacute;
+&agrave; la
+po&eacute;sie de ces endroits-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Sans doute, vous n'y avez pas pens&eacute;: naturellement. C'est
+comme un de
+mes amis qui me disait souvent: &laquo;Qu'est-ce qu'il y a de
+particulier dans
+ces vieilles maisons?&#8212;Dr&ocirc;les de vieux endroits,
+r&eacute;pondais-je.&#8212;Pas du
+tout, disait-il.&#8212;Solitaires, reprenais-je.&#8212;Pas le moins du
+monde,&raquo;
+disait-il. Un matin, comme il allait ouvrir sa porte pour sortir, il
+tomba frapp&eacute; d'apoplexie foudroyante. Il est tomb&eacute; la
+t&ecirc;te dans sa
+propre bo&icirc;te &agrave; lettres. Il resta l&agrave; pendant
+dix-huit mois. Tout le monde
+le crut parti de la ville.</p>
+<p>&#8212;Et comment fut-il trouv&eacute;, &agrave; la fin? demanda M.
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Comme il n'avait pas pay&eacute; son loyer depuis deux ans, on se
+d&eacute;termina &agrave;
+entrer d'autorit&eacute;. En effet, la serrure fut forc&eacute;e, et un
+cadavre
+dess&eacute;ch&eacute;, en habit bleu, en culotte noire, en bas de
+soie, tomba dans
+les bras du portier qui ouvrait la porte. C'est dr&ocirc;le, &ccedil;a?
+assez dr&ocirc;le
+peut-&ecirc;tre? assez dr&ocirc;le, eh?&raquo; Et le petit vieillard
+pencha sa t&ecirc;te encore
+plus sur son &eacute;paule, en frottant ses mains avec un indicible
+plaisir.</p>
+<p>&laquo;Je sais une autre aventure du m&ecirc;me genre, reprit-il,
+quand sa joie fut
+un peu calm&eacute;e. Elle arriva dans Clifford's Inn. Un locataire,
+sous les
+toits, mauvaise r&eacute;putation, s'enferme dans le cabinet de sa
+chambre &agrave;
+coucher et prend une dose d'arsenic. L'intendant croit qu'il est
+d&eacute;camp&eacute;, ouvre sa porte et met &eacute;criteau. Un autre
+homme arrive, loue la
+chambre, la meuble et vient l'habiter. Mais, d'une mani&egrave;re ou
+d'une
+autre, il ne peut pas dormir. Toujours agit&eacute;, inconfortable:
+C'est bien
+dr&ocirc;le! se dit-il. Je ferai ma chambre &agrave; coucher dans
+l'autre pi&egrave;ce, et
+celle-ci sera mon cabinet. Il fait l'&eacute;change et dort
+tr&egrave;s-bien la nuit,
+mais soudainement il devient incapable de lire le soir; il se trouve
+nerveux, inquiet, et ne peut rien faire que de moucher sa chandelle ou
+de regarder autour de soi. &laquo;Je n'y comprends rien,&raquo; se
+dit-il un soir
+qu'il revenait de la com&eacute;die et buvait un verre de grog froid,
+le dos
+appuy&eacute; sur le mur, pour ne pas pouvoir s'imaginer qu'il y
+e&ucirc;t quelqu'un
+derri&egrave;re lui. &laquo;Je n'y comprends rien,&raquo; se dit-il, et
+justement ses yeux
+s'arr&ecirc;tent sur le petit cabinet qui &eacute;tait toujours
+rest&eacute; ferm&eacute; en
+dedans. Un frisson le saisit des pieds &agrave; la t&ecirc;te.
+&laquo;J'ai d&eacute;j&agrave; &eacute;prouv&eacute;
+cette &eacute;trange sensation, pense-t-il. Je ne puis pas
+m'emp&ecirc;cher
+d'imaginer qu'il y a quelque myst&egrave;re dans ce cabinet....&raquo;
+En m&ecirc;me temps,
+il fait un effort, rassemble tout son courage, brise la serrure avec le
+fourgon, ouvre la porte, et l&agrave;, ma foi! il d&eacute;couvre,
+debout dans un
+coin, le dernier locataire, tenant une petite bouteille dans sa main
+crisp&eacute;e, et dont le visage portait les traces affreuses d'une
+mort
+violente.&raquo;</p>
+<p>Ayant ainsi parl&eacute;, le vieux homme recommen&ccedil;a &agrave;
+ricaner, en promenant ses
+regards refrogn&eacute;s sur les visages &eacute;tonn&eacute;s et
+attentifs de ses auditeurs.</p>
+<p>&laquo;Quelles choses &eacute;tranges vous nous dites l&agrave;,
+monsieur! s'&eacute;cria M.
+Pickwick en observant minutieusement les traits du vieillard, au moyen
+de ses lunettes.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;tranges? reprit celui-ci, nullement. Vous les trouvez
+&eacute;tranges parce
+qu'elles sont nouvelles pour vous. Elles sont farces, mais ordinaires.</p>
+<p>&#8212;Farces! s'&eacute;cria M. Pickwick involontairement.</p>
+<p>&#8212;Oui, farces! n'est-il pas vrai?&raquo; r&eacute;pliqua le petit
+vieillard avec un
+ricanement diabolique; et alors sans attendre une r&eacute;ponse, il
+continua:</p>
+<p>&laquo;Il y a une quarantaine d'ann&eacute;es, je connaissais un
+autre individu qui
+loua, dans un des plus anciens Inns, un appartement vieux, humide,
+moisi, demeur&eacute; vacant et ferm&eacute; depuis des ann&eacute;es,
+des si&egrave;cles. Il
+courait une quantit&eacute; d'histoires de vieilles femmes sur ce
+logement-l&agrave;,
+et certainement il &eacute;tait loin d'&ecirc;tre gai; mais la
+pauvret&eacute; rongeait
+notre homme, et quand ces chambres auraient &eacute;t&eacute; dix fois
+pires, leur bon
+march&eacute; l'aurait d&eacute;cid&eacute;. Il fut oblig&eacute; de
+racheter quelques vieux meubles
+qui &eacute;taient scell&eacute;s &agrave; la muraille, et entre autres
+une grande armoire &agrave;
+papiers, avec de grandes portes vitr&eacute;es, garnies en dedans de
+rideaux
+verts. C'&eacute;tait un meuble fort inutile pour lui, car il n'avait
+pas de
+papiers &agrave; y mettre, et quant &agrave; ses v&ecirc;tements il les
+portait toujours sur
+son dos, sans se fatiguer, encore. C'est bien. Il fait donc porter tous
+ses meubles, et il n'en avait pas la charge d'un brancard; il
+&eacute;parpille
+ses quatre chaises dans la chambre pour leur faire faire, autant que
+possible, la figure d'une douzaine, et, le soir venu, il se met
+&agrave; boire
+aupr&egrave;s du feu le premier verre d'un gallon d'eau-de-vie qu'il
+avait
+achet&eacute; &agrave; cr&eacute;dit. Tout en buvant, il se demandait
+&agrave; lui-m&ecirc;me si
+l'eau-de-vie serait jamais pay&eacute;e, et dans ce cas, au bout de
+combien
+d'ann&eacute;es, lorsque ses yeux vinrent &agrave; tomber sur les
+portes vitr&eacute;es de
+l'armoire de ch&ecirc;ne. &laquo;Ah! se dit-il, si je n'avais pas
+&eacute;t&eacute; oblig&eacute; de
+prendre ce vilain bahut &agrave; l'estimation du vieux brocanteur,
+j'aurais pu
+avoir pour mon argent quelque chose de plus confortable. Je vous dirai
+ce qui en est, vieille ganache, ajouta-t-il en parlant tout haut
+&agrave;
+l'armoire, seulement parce qu'il n'avait personne autre &agrave; qui
+parler;
+s'il ne fallait pas plus de peine pour briser votre vilaine carcasse
+qu'elle ne me ferait de profit, vous allumeriez mon feu en moins de
+rien.&raquo; Il avait &agrave; peine prononc&eacute; ces paroles qu'un
+son, ressemblant &agrave; un
+faible g&eacute;missement, parut sortir de l'armoire. Notre homme en
+fut
+effray&eacute; d'abord, mais r&eacute;fl&eacute;chissant ensuite que ce
+bruit devait &ecirc;tre
+produit par quelque voisin qui rentrait chez lui de bonne humeur, il
+mit
+ses pieds sur le garde-feu et leva le poker pour remuer le charbon de
+terre. En ce moment le m&ecirc;me son fut r&eacute;p&eacute;t&eacute;,
+l'une des portes vitr&eacute;es
+s'ouvrit lentement et laissa voir, debout dans l'armoire, la figure
+d'un
+grand homme, couvert de v&ecirc;tements sales et
+d&eacute;chir&eacute;s. Son visage p&acirc;le et
+maigre semblait rong&eacute; de chagrin, et il y avait dans la couleur
+de sa
+peau, dans ses formes de squelette, dans toute sa contenance, enfin,
+quelque chose qui n'appartenait pas &agrave; un habitant de ce monde.
+&laquo;Qui
+&ecirc;tes-vous? balbutia le nouveau locataire devenu plus blanc que sa
+chemise, et balan&ccedil;ant toutefois dans sa main le poker, de
+mani&egrave;re &agrave;
+ajuster assez d&eacute;cemment la figure surnaturelle. Qui
+&ecirc;tes-vous?&#8212;Ne me
+jetez pas ce poker, r&eacute;pliqua le revenant. Vous auriez beau me
+viser en
+plein, il passerait au travers de moi sans r&eacute;sistance et ne
+frapperait
+que le fond de l'armoire. Je suis un esprit.&#8212;Et que me voulez-vous,
+s'il vous pla&icirc;t? repartit le locataire d'une voix
+tremblante.&#8212;Dans
+cette chambre, r&eacute;pliqua l'apparition, s'est consomm&eacute;e ma
+ruine
+terrestre. Dans cette chambre, j'ai &eacute;t&eacute; r&eacute;duit
+&agrave; la mendicit&eacute;, ainsi que
+mes enfants. Dans cette armoire s'accumul&egrave;rent chaque
+ann&eacute;e les papiers
+d'un long, d'un &eacute;ternel proc&egrave;s. Dans cette chambre,
+lorsque je mourus de
+chagrin, de d&eacute;sespoir, deux rus&eacute;s vampires se
+partag&egrave;rent les richesses
+pour lesquelles j'avais empoisonn&eacute; mon existence, et dont ils ne
+laiss&egrave;rent pas un liard &agrave; mes pauvres enfants. Je les ai
+si bien
+&eacute;pouvant&eacute;s que je les ai fait d&eacute;guerpir de ces
+lieux; et depuis, afin de
+revoir le th&eacute;&acirc;tre de mes longues mis&egrave;res, j'y
+reviens toutes les nuits,
+seule &eacute;poque o&ugrave; je puisse encore visiter votre
+plan&egrave;te. Cet appartement
+est &agrave; moi. Laissez-le-moi.&#8212;Si vous insistez pour revenir dans
+cette
+chambre, r&eacute;pondit le locataire, qui avait eu le temps de se
+recueillir
+pendant le prolixe r&eacute;cit du revenant, je vous en quitterai la
+possession
+avec le plus grand plaisir; mais, si vous me le permettez, je
+d&eacute;sirerais
+vous adresser une question.&#8212;Parlez, dit l'esprit d'une voix
+s&eacute;v&egrave;re.&#8212;Eh
+bien! reprit notre homme, je ne veux pas vous appliquer personnellement
+mon observation, puisqu'elle est commune &agrave; tous les esprits dont
+j'ai
+entendu parler, mais il me semble un peu... incons&eacute;quent, que
+vous
+reveniez toujours exactement aux lieux o&ugrave; vous avez
+&eacute;t&eacute; le plus
+malheureux, lorsque vous avez la facilit&eacute; de visiter les plus
+beaux pays
+de la terre, puisque l'espace ne doit rien &ecirc;tre pour vous.&#8212;Ma
+foi! cela
+est vrai! je n'y avais jamais pens&eacute;, r&eacute;pliqua le
+revenant.&#8212;Vous voyez,
+monsieur, poursuivit le locataire, que cette chambre est bien
+mis&eacute;rable.
+D'apr&egrave;s l'apparence de cette armoire, j'oserais dire qu'il n'y
+manque
+point de punaises; et r&eacute;ellement j'imagine que vous pourriez
+trouver un
+domicile beaucoup plus confortable, sans parler du climat de Londres,
+qui est extr&ecirc;mement peu flatteur.&#8212;Vous avez tout &agrave; fait
+raison,
+monsieur, r&eacute;pondit l'esprit avec politesse. Je n'avais jamais
+pens&eacute; &agrave;
+cela. Je vais essayer imm&eacute;diatement du changement d'air.&raquo;
+En effet, tout
+en parlant, il commen&ccedil;a &agrave; s'&eacute;vanouir; ses jambes
+&eacute;taient d&eacute;j&agrave;
+enti&egrave;rement disparues, lorsque le locataire le rappela.
+&laquo;Monsieur, lui
+cria-t-il, vous rendriez un bien grand service &agrave; la
+soci&eacute;t&eacute; si vous
+vouliez avoir la bont&eacute; de sugg&eacute;rer aux autres ladies et
+gentlemen qui
+s'occupent &agrave; hanter les vieilles maisons, qu'ils pourraient
+&ecirc;tre
+beaucoup plus confortablement ailleurs.&#8212;Je n'y manquerai pas,
+r&eacute;pondit
+le revenant. Il faut en v&eacute;rit&eacute; que nous soyons bien
+b&ecirc;tes, nous autres
+esprits, pour n'avoir point trouv&eacute; cela. Je ne me pardonne point
+d'avoir
+&eacute;t&eacute; si stupide!&raquo; En disant ces mots, le revenant
+disparut, et ce qui est
+remarquable, ajouta le vieux homme en jetant un regard malin autour de
+la table, il ne revint jamais.</p>
+<p>&laquo;Ce n'est pas mauvais, si c'est vrai, dit l'homme aux boutons
+de
+mosa&iuml;que en allumant un nouveau cigare.</p>
+<p>&#8212;Si! s'&eacute;cria le vieillard d'un air excessivement
+m&eacute;prisant. Voyez-vous,
+continua-t-il en se tournant vers Lowten, je ne serais pas bien
+&eacute;tonn&eacute;
+qu'il finit par dire que l'histoire du singulier client que nous
+avions,
+quand j'&eacute;tais chez l'avou&eacute;, n'est pas vraie non plus.</p>
+<p>&#8212;Oh! cette histoire-l&agrave;, je n'en dirai rien du tout, car je ne
+l'ai
+jamais entendue, r&eacute;pondit l'homme aux bijoux de clinquant.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, dit M. Pickwick, je souhaiterais fort que vous voulussiez
+bien nous la raconter.</p>
+<p>&#8212;Oh! oui, ajouta Lowten, racontez-la. Personne ici ne l'a entendue,
+except&eacute; moi, et je l'ai presque oubli&eacute;e.&raquo;</p>
+<p>Le vieux homme regarda autour de la table et ricana plus
+horriblement
+que jamais, en remarquant l'attention peinte sur tous les visages.
+Ensuite, frottant son menton avec sa main et contemplant le plafond,
+comme pour rafra&icirc;chir sa m&eacute;moire, il commen&ccedil;a ainsi
+qu'il suit:</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">HISTOIRE D'UN
+SINGULIER CLIENT.</p>
+<p>Il n'importe gu&egrave;re o&ugrave; ni comment j'ai appris cette
+courte histoire; si
+je vous la racontais dans l'ordre o&ugrave; je l'ai sue, je
+commencerais par le
+milieu, et quand je serais arriv&eacute; &agrave; la conclusion, je
+retournerais en
+arri&egrave;re chercher un commencement. Il suffira de vous dire que
+quelques-uns des &eacute;v&eacute;nements se sont pass&eacute;s devant
+mes yeux. Quant aux
+autres, <i>je sais</i> qu'ils sont arriv&eacute;s, et plusieurs
+personnes encore
+vivantes ne se les rappellent que trop bien.</p>
+<p>Dans la grande rue du faubourg de Londres, pr&egrave;s de
+l'&eacute;glise
+Saint-George, et du m&ecirc;me c&ocirc;t&eacute; de la rue, se trouve,
+comme presque tout
+le monde le sait, une petite prison pour dettes, nomm&eacute;e
+Marshalsea.
+Quoiqu'elle ne ressemble plus gu&egrave;re &agrave; l'inf&acirc;me
+cloaque d'autrefois,
+cependant, dans son &eacute;tat am&eacute;lior&eacute;, elle offre
+encore peu de tentation
+pour les extravagants, peu de consolation pour les impr&eacute;voyants.
+L'assassin condamn&eacute; jouit, dans Newgate, d'une cour plus vaste
+et plus
+a&eacute;r&eacute;e qu'il n'y en a dans la prison de Marshalsea, pour
+le d&eacute;biteur
+insolvable.</p>
+<p>Que ce soit une id&eacute;e, que ce soit &agrave; cause des vieux
+souvenirs que me
+rappelle cette partie de Londres, je ne puis la supporter. La rue est
+large; les boutiques sont spacieuses; le bruit des voitures, des
+passants, des industries actives, y r&eacute;sonne depuis le matin
+jusqu'&agrave;
+minuit; mais les rues d'alentour sont &eacute;troites et sales; la
+pauvret&eacute;, la
+d&eacute;bauche suppurent de toutes les all&eacute;es; l'infortune et
+le besoin sont
+renferm&eacute;s dans la sombre prison; un air de tristesse, de
+d&eacute;solation,
+semble, &agrave; mes yeux du moins, &ecirc;tre r&eacute;pandu sur les
+alentours et leur
+communiquer une teinte maladive et d&eacute;go&ucirc;tante.</p>
+<p>Bien des gens dont les yeux se sont depuis ferm&eacute;s dans la
+tombe, ont
+commenc&eacute; par contempler assez l&eacute;g&egrave;rement cette
+sc&egrave;ne, en entrant pour
+la premi&egrave;re fois dans la vieille prison de la Marshalsea; car le
+d&eacute;sespoir vient rarement avec les premi&egrave;res atteintes de
+l'infortune. Le
+nouveau prisonnier se confie aux amis qu'il n'a pas
+&eacute;prouv&eacute;s encore; il
+se rappelle les nombreuses offres de services qui lui ont
+&eacute;t&eacute; faites,
+lorsqu'il n'en avait pas besoin; dans son inexp&eacute;rience heureuse,
+il
+conserve l'esp&eacute;rance, fleur salutaire, que le premier vent de
+l'adversit&eacute; fait courber &agrave; peine, qui se redresse et
+fleurit de nouveau
+pendant quelque temps, et qui peu &agrave; peu se fane et se
+dess&egrave;che sous
+l'influence des d&eacute;sappointements et de l'oubli. Alors les yeux
+se
+creusent et deviennent hagards; les joues p&acirc;les et maigres se
+collent
+sur les os; le manque d'air et d'exercice, la faim plus terrible
+encore,
+d&eacute;truisent le prisonnier. A l'&eacute;poque dont nous parlons,
+on pouvait dire,
+sans aucune m&eacute;taphore, que les pauvres d&eacute;biteurs
+pourrissaient dans la
+prison, sans aucun espoir d'en sortir vivants. De semblables
+atrocit&eacute;s
+n'existent plus au m&ecirc;me degr&eacute;, mais il en reste encore
+suffisamment pour
+enfanter des mis&egrave;res qui font saigner le c&#339;ur.</p>
+<p>Il y a trente ans environ, une jeune femme, avec son enfant, se
+pr&eacute;sentait de jour en jour &agrave; la porte de la prison,
+d&egrave;s que le soleil
+paraissait et avec autant de r&eacute;gularit&eacute; que lui. Elle
+venait pour voir
+son mari, emprisonn&eacute; pour dettes; souvent, apr&egrave;s une nuit
+inqui&egrave;te et
+sans sommeil, elle arrivait &agrave; cette porte une heure trop
+t&ocirc;t, et alors,
+s'en retournant d'un air doux et r&eacute;sign&eacute;, elle menait son
+enfant sur le
+vieux pont, l'&eacute;levait dans ses bras sur le parapet, et lui
+montrait,
+pour le distraire, la Tamise &eacute;tincelante sous les rayons du
+soleil
+levant, et d&eacute;j&agrave; anim&eacute;e par mille
+pr&eacute;paratifs de travail et de plaisir.
+Mais bient&ocirc;t elle remettait l'enfant par terre et se prenait
+&agrave; pleurer
+am&egrave;rement, car nulle expression d'amusement ou
+d'int&eacute;r&ecirc;t n'&eacute;tait venu
+&eacute;clairer le visage p&acirc;le et amaigri qu'elle aimait tant
+&agrave; contempler.
+H&eacute;las! ce pauvre enfant ne comptait que des souvenirs d'une
+seule
+esp&egrave;ce, souvenirs qui se rattachaient &agrave; la
+pauvret&eacute;, aux malheurs de ses
+parents. Durant de longues heures, il restait assis sur les genoux de
+sa
+m&egrave;re, et consid&eacute;rait avec une sympathie enfantine les
+larmes qui
+coulaient le long de ses joues; puis il se tra&icirc;nait
+silencieusement dans
+un coin sombre, o&ugrave; il s'endormait en pleurant. Les
+p&eacute;nibles r&eacute;alit&eacute;s du
+monde, avec ses plus dures privations, la faim, la soif, le froid, tous
+les besoins, &eacute;taient &agrave; demeure dans sa maison, depuis les
+premi&egrave;res
+lueurs de son intelligence; et quoiqu'il e&ucirc;t encore les formes de
+l'enfance, il n'en avait plus ni le c&#339;ur l&eacute;ger, ni le rire
+joyeux, ni
+les yeux brillants.</p>
+<p>Son p&egrave;re et sa m&egrave;re &eacute;tudiaient la p&acirc;leur
+de son visage, et leurs regards
+se rencontraient ensuite avec des pens&eacute;es de d&eacute;sespoir,
+qu'ils n'osaient
+exprimer par des paroles. L'homme vigoureux, bien portant, qui aurait
+pu
+supporter toutes les fatigues d'une vie active, se consumait dans la
+longue inaction, dans l'atmosph&egrave;re malsaine d'une prison
+populeuse. La
+femme d&eacute;licate et fragile s'affaissait sous les maux
+combin&eacute;s de
+l'esprit et du corps. Quant au jeune enfant, son c&#339;ur &eacute;tait
+d&eacute;j&agrave; bris&eacute;.</p>
+<p>L'hiver arriva, et avec l'hiver des semaines enti&egrave;res de
+pluies froides
+et tristes. La pauvre femme &eacute;tait venue demeurer dans une
+mis&eacute;rable
+chambre, pr&egrave;s de la prison de son mari, et quoique leur
+pauvret&eacute;
+croissante f&ucirc;t la cause de ce changement, elle se trouvait plus
+heureuse
+alors, car elle &eacute;tait plus pr&egrave;s de lui. Pendant deux mois
+elle vint
+comme &agrave; l'ordinaire attendre, avec son enfant, l'ouverture de la
+porte.
+Un matin, elle ne vint pas: c'&eacute;tait la premi&egrave;re fois. Un
+autre matin,
+elle vint seule: l'enfant &eacute;tait mort.</p>
+<p>Ils savent peu, ceux qui parlent l&eacute;g&egrave;rement des pertes
+du pauvre comme
+d'une heureuse cessation de douleurs pour celui qui n'est plus, comme
+d'une &eacute;conomie providentielle pour le survivant; ils savent peu
+quelle
+agonie causent ces pertes. Un regard silencieux d'affection, quand tous
+les autres regards se d&eacute;tournent froidement; la conscience que
+nous
+poss&eacute;dons la sympathie d'un &ecirc;tre humain, lorsque tous les
+autres nous
+ont abandonn&eacute;s: c'est l&agrave; une consolation, un soutien, un
+appui, que
+nulle richesse ne peut payer, que ne peut donner nul pouvoir. L'enfant
+&eacute;tait rest&eacute;, pendant des heures enti&egrave;res, assis
+aux pieds de ses
+parents, avec ses petites mains press&eacute;es dans les leurs; avec
+son visage
+maigre et p&acirc;le lev&eacute; vers leur visage. Ils l'avaient vu
+s'&eacute;tioler de jour
+en jour; mais quoique sa courte existence e&ucirc;t &eacute;t&eacute;
+priv&eacute;e de toute joie,
+quoiqu'il repos&acirc;t maintenant dans cette paix qu'il n'avait jamais
+connue
+sur la terre, cependant ils &eacute;taient ses parents, et sa perte
+p&eacute;n&eacute;tra
+profond&eacute;ment dans leur c&#339;ur.</p>
+<p>Il &eacute;tait clair pour ceux qui regardaient la figure
+&eacute;puis&eacute;e de la jeune
+m&egrave;re, qu'elle n'avait plus de longues &eacute;preuves &agrave;
+subir. Les camarades de
+prison de son mari craignaient de troubler tant de douleurs et de
+mis&egrave;res, et lui laissaient &agrave; lui seul la petite chambre
+qu'il avait
+d'abord partag&eacute;e avec deux compagnons. La jeune femme l'occupait
+avec
+lui; elle languissait sans souffrances, mais sans espoir, et sa vie
+s'&eacute;teignait doucement.</p>
+<p>Un soir elle s'&eacute;tait &eacute;vanouie dans les bras de son
+mari, et il l'avait
+port&eacute;e &agrave; la fen&ecirc;tre ouverte, pour la ranimer par la
+sensation de l'air.
+La lumi&egrave;re de la lune, en tombant sur son p&acirc;le visage, lui
+montra tant
+d'alt&eacute;ration dans ses traits qu'il chancela, comme un faible
+enfant,
+sous le fardeau qui lui &eacute;tait si cher.</p>
+<p>&laquo;Asseyez-moi, George,&raquo; dit-elle d'une voix faible. Il
+ob&eacute;it, et
+s'asseyant aupr&egrave;s d'elle, il couvrit son front de ses mains et
+fondit en
+larmes.</p>
+<p>&laquo;Il est bien dur de vous quitter, George; mais c'est la
+volont&eacute; de Dieu,
+et vous devez supporter cela pour l'amour de moi. Oh! combien je le
+remercie de nous avoir pris d'abord notre enfant! Il est heureux; il
+est
+dans le ciel maintenant. Que serait-il devenu ici, sans sa m&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Vous ne mourrez pas, Mary! non, vous ne mourrez pas!&raquo;
+s'&eacute;cria le mari
+en se levant. Il fit le tour de la chambre, avec violence, en se
+frappant le front de ses poings ferm&eacute;s; puis, se rasseyant
+aupr&egrave;s de sa
+femme et la supportant dans ses bras, il ajouta avec plus de calme:
+&laquo;Remettez-vous, je vous en prie, ma ch&egrave;re enfant. Reprenez
+courage; vous
+vivrez encore.</p>
+<p>&#8212;Non, George, non, je le sens bien. Faites-moi mettre pr&egrave;s de
+mon
+pauvre enfant, maintenant; mais promettez-moi que si jamais vous
+quittez
+cette affreuse demeure, si vous devenez riche, vous nous ferez
+transporter dans quelque paisible cimeti&egrave;re de village, loin,
+bien loin
+d'ici, pour que nous puissions nous y reposer en paix. Cher George, me
+le promettez-vous?</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, dit le pauvre homme en se jetant &agrave; genoux devant
+elle.
+R&eacute;pondez-moi, Mary! encore un mot! un regard! un seul!&raquo;</p>
+<p>Il cessa de parler, car le bras qui serrait son cou &eacute;tait
+roide et
+pesant. Un profond soupir s'&eacute;chappa de la poitrine
+dess&eacute;ch&eacute;e de la jeune
+femme, ses l&egrave;vres remu&egrave;rent, un sourire se joua sur son
+visage, mais les
+l&egrave;vres &eacute;taient blanches, le sourire devint fixe et
+glac&eacute;: George Heyling
+&eacute;tait seul dans le monde!</p>
+<p>Cette nuit, dans le silence et la d&eacute;solation de sa chambre
+lugubre le
+mis&eacute;rable &eacute;poux s'agenouilla aupr&egrave;s de ce qui
+n'&eacute;tait plus qu'un
+cadavre, et appela Dieu &agrave; t&eacute;moin du serment effroyable
+qu'il faisait de
+venger la mort de sa femme et de son enfant; de d&eacute;vouer le reste
+de son
+existence &agrave; ce seul but; d'obtenir une vengeance
+prolong&eacute;e et terrible;
+de nourrir une haine &eacute;ternelle, inextinguible, et d'en
+poursuivre
+l'objet &agrave; travers le monde entier.</p>
+<p>Un d&eacute;sespoir surnaturel, une rage d&eacute;moniaque avaient
+fait de si affreux
+ravages sur sa figure, dans cette seule nuit, que le lendemain matin
+ses
+compagnons se reculaient avec effroi lorsqu'il passait aupr&egrave;s
+d'eux. Ses
+yeux &eacute;taient lourds et sanglants, son visage cadav&eacute;reux,
+son corps vo&ucirc;t&eacute;
+comme par l'&acirc;ge. Dans la violence de ses angoisses mentales, il
+avait
+mordu sa l&egrave;vre inf&eacute;rieure, et le sang, coulant de la
+blessure, avait
+souill&eacute; son menton, sa cravate, sa chemise. Pas une larme, pas
+un
+soupir, pas une plainte ne lui &eacute;chappait; mais
+l'&eacute;garement de ses
+regards, l'irr&eacute;gularit&eacute; de ses pas, tandis qu'il
+arpentait la cour,
+toute sa contenance, enfin, r&eacute;v&eacute;lait la fi&egrave;vre qui
+le d&eacute;vorait
+int&eacute;rieurement.</p>
+<p>Il &eacute;tait n&eacute;cessaire que le corps de sa femme f&ucirc;t
+enlev&eacute; sans d&eacute;lai de la
+prison. Il en re&ccedil;ut l'avis avec calme et en reconnut la
+convenance.
+Presque tous les prisonniers s'&eacute;taient assembl&eacute;s pour
+voir cet
+enl&egrave;vement. Ils se rang&egrave;rent des deux c&ocirc;t&eacute;s
+lorsque George Heyling
+parut. Il s'avan&ccedil;a d'un pas pr&eacute;cipit&eacute;; il se
+pla&ccedil;a dans un petit espace
+grill&eacute;, aupr&egrave;s de la porte d'entr&eacute;e: la foule s'en
+retira par un
+sentiment instinctif de d&eacute;licatesse. Bient&ocirc;t le cercueil
+grossier
+descendit, port&eacute; lentement sur les &eacute;paules de quatre
+hommes. Un silence
+de mort l'accueillit, rompu seulement par les lamentations des femmes
+et
+par le bruit des pieds des porteurs sur le pav&eacute;. Quand ils
+atteignirent
+le lieu o&ugrave; se tenait l'&eacute;poux d&eacute;laiss&eacute;, ils
+s'arr&ecirc;t&egrave;rent. Il &eacute;tendit sa
+main sur la bi&egrave;re, et arrangeant machinalement le drap qui la
+couvrait,
+il leur fit signe de continuer. Les guichetiers, sous le portique,
+&ocirc;t&egrave;rent leurs chapeaux; le cercueil passa; la porte
+pesante se referma
+par derri&egrave;re. Heyling regarda d'un air distrait la foule dont il
+&eacute;tait
+entour&eacute;, et se laissa tomber lourdement sur la terre.</p>
+<p>Pendant plusieurs semaines, on fut oblig&eacute; de le veiller nuit
+et jour;
+mais dans les plus violentes r&ecirc;veries de la fi&egrave;vre, il ne
+perdit pas la
+conscience de ses malheurs, ni le souvenir du v&#339;u qu'il avait fait. Des
+lieux, des sc&egrave;nes, des &eacute;v&eacute;nements divers, se
+succ&eacute;daient devant ses yeux
+avec la rapidit&eacute; confuse du d&eacute;lire; et pourtant tous ses
+r&ecirc;ves &eacute;taient
+li&eacute;s, en quelque mani&egrave;re, au sujet terrible qui
+remplissait son esprit.
+Il naviguait sur une mer sans bornes. Le ciel br&ucirc;lant paraissait
+ensanglant&eacute;; les vagues furieuses bondissaient, tourbillonnaient
+de
+toutes parts. Un autre vaisseau labourait p&eacute;niblement les flots
+agit&eacute;s:
+ses voiles d&eacute;chir&eacute;es flottaient comme des rubans sur ses
+m&acirc;ts; son pont
+&eacute;tait encombr&eacute; de cr&eacute;atures humaines, sur
+lesquelles, &agrave; chaque instant,
+crevaient des vagues monstrueuses qui les balayaient dans la mer
+&eacute;cumante. Cependant le vaisseau que montait Heyling
+s'avan&ccedil;ait au milieu
+de la masse mugissante des eaux, avec une force et une vitesse
+irr&eacute;sistibles. Frappant l'autre navire sur le flanc, il
+l'&eacute;crasa sous sa
+quille. Un cri terrible, le cri de mort de cent mis&eacute;rables,
+s'&eacute;leva; si
+affreux qu'il retentit par-dessus les clameurs des
+&eacute;l&eacute;ments; si aigu
+qu'il semblait percer l'air et l'Oc&eacute;an et les cieux.&#8212;Mais
+qu'est-ce que
+cela? Quelle est cette vieille t&ecirc;te grise, qui
+s'&eacute;l&egrave;ve au-dessus des
+vagues, qui lutte contre la mort, et dont les cris, le regard plein
+d'agonie, appellent du secours? Un seul coup d'&#339;il, et George Heyling
+s'est &eacute;lanc&eacute; dans la mer; il nage vigoureusement vers le
+vieillard; il
+s'en approche: oui! ce sont bien ses traits! Le vieillard le voit venir
+et s'efforce vainement de lui &eacute;chapper. Heyling le saisit,
+l'&eacute;treint,
+l'entra&icirc;ne avec lui sous les flots, au fond! au fond! sous des
+masses
+d'eau t&eacute;n&eacute;breuses. Les efforts du vieillard deviennent de
+plus en plus
+faibles et bient&ocirc;t cessent enti&egrave;rement: il est mort;
+Heyling l'a tu&eacute;; il
+a tenu son serment!</p>
+<p>Seul et les pieds nus, il traversait les plaines br&ucirc;lantes
+d'un immense
+d&eacute;sert. Le sable soulev&eacute; par le simoun
+l'&eacute;touffait, l'aveuglait. Ses
+grains imperceptibles p&eacute;n&eacute;traient dans chaque pore de sa
+peau, et lui
+causaient une irritation qui allait jusqu'&agrave; la fureur. Des
+masses
+gigantesques de la m&ecirc;me poussi&egrave;re, emport&eacute;es par
+les vents et rougies
+par le soleil, marchaient autour de lui comme des piliers de feu
+vivant.
+Les ossements des voyageurs qui avaient p&eacute;ri, dans ces affreux
+d&eacute;serts,
+blanchissaient &agrave; ses pieds; une lumi&egrave;re sanglante tombait
+sur tous les
+objets environnants; et aussi loin que ses regards pouvaient
+s'&eacute;tendre,
+il n'apercevait que de nouveaux sujets de crainte et d'horreur. C'est
+en
+vain qu'il s'efforce de pousser un cri de d&eacute;tresse; sa langue
+br&ucirc;lante
+est coll&eacute;e &agrave; son palais. Il se pr&eacute;cipite en avant
+comme un d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;.
+Dou&eacute; d'une force surnaturelle, il fend les sables mouvants: mais
+&agrave; la
+fin, &eacute;puis&eacute; de soif et de fatigue, il tombe sans
+connaissance sur la
+terre. Quelle fra&icirc;cheur enivrante le ravive? D'o&ugrave; vient
+cet agr&eacute;able
+murmure? De l'eau, c'est une source; le clair ruisseau coule &agrave;
+ses
+pieds. Il en boit avec ardeur, et reposant sur la rive ses membres
+endoloris, il tombe dans un assoupissement d&eacute;licieux. Un bruit
+de pas le
+r&eacute;veille. Un vieux homme &agrave; la t&ecirc;te grise s'avance
+en chancelant pour
+apaiser sa soif d&eacute;vorante. C'est encore <i>lui</i>! Heyling
+saisit le
+vieillard d'un bras et l'&eacute;loigne de l'onde bienfaisante.
+Vainement
+celui-ci se d&eacute;bat avec d'affreuses convulsions; vainement il
+demande
+avec des cris d&eacute;chirants de l'eau, une seule goutte d'eau pour
+sauver sa
+vie! Heyling le repousse d'un bras impitoyable; il contemple d'un &#339;il
+avide sa longue agonie, et quand sa t&ecirc;te grise tombe sans vie sur
+son
+sein, il laisse aller son cadavre et le repousse du pied.</p>
+<p>Lorsque la fi&egrave;vre le quitta, lorsque la connaissance lui
+revint, il
+s'&eacute;veilla pour se trouver libre et riche; pour apprendre que son
+p&egrave;re,
+qui l'aurait laiss&eacute; mourir dans une prison, qui avait
+laiss&eacute; ceux qui
+devaient lui &ecirc;tre plus chers que sa propre existence,
+p&eacute;rir de besoin et
+de cette tristesse du c&#339;ur qu'aucun m&eacute;decin ne peut
+gu&eacute;rir; que son p&egrave;re
+d&eacute;natur&eacute; avait &eacute;t&eacute; trouv&eacute; mort dans
+son lit. Il aurait bien eu le
+courage de faire de son fils un mendiant; mais orgueilleux jusqu'au
+bout
+de sa sant&eacute; et de sa force, il avait ajourn&eacute; les mesures
+&agrave; prendre pour
+cela, jusqu'au moment o&ugrave; il &eacute;tait trop tard pour le
+faire: et maintenant
+il pouvait grincer des dents, dans l'autre monde, &agrave; la
+pens&eacute;e de toutes
+les richesses que cette n&eacute;gligence avait fait passer sur la
+t&ecirc;te de son
+fils!</p>
+<p>George Heyling revint &agrave; lui pour apprendre sa fortune
+nouvelle, pour se
+souvenir du serment terrible qu'il avait fait, pour se rappeler que son
+ennemi &eacute;tait le p&egrave;re de sa propre femme, l'homme qui
+l'avait plong&eacute; dans
+une prison, et qui, quand sa fille et son petit enfant s'&eacute;taient
+jet&eacute;s &agrave;
+ses pieds, pour lui demander gr&acirc;ce, les avait chass&eacute;s avec
+m&eacute;pris. Oh!
+combien le malheureux Heyling d&eacute;plorait la faiblesse qui
+l'emp&ecirc;chait de
+se lever et de poursuivre activement sa vengeance!</p>
+<p>Il se fit transporter loin des lieux qui avaient &eacute;t&eacute;
+t&eacute;moins de sa
+mis&egrave;re et de la double perte qu'il avait faite; il se retira sur
+le bord
+de la mer, dans une r&eacute;sidence paisible, non avec l'espoir de
+recouvrer
+le bonheur ou m&ecirc;me la tranquillit&eacute;, car l'un et l'autre
+s'&eacute;taient enfuis
+pour toujours, mais afin de retrouver son &eacute;nergie abattue et de
+m&eacute;diter
+sur le projet qu'il nourrissait avec une persistance implacable. Dans
+cet endroit m&ecirc;me, quelque mauvais esprit, sans doute, lui fournit
+l'occasion de sa premi&egrave;re et de sa plus horrible vengeance.</p>
+<p>C'&eacute;tait l'&eacute;t&eacute;: plong&eacute; dans ses sombres
+pens&eacute;es, Heyling sortait vers le
+soir de son logis solitaire, suivait un &eacute;troit sentier, au pied
+des
+falaises, jusqu'&agrave; un site d&eacute;sert et sauvage qu'il avait
+rencontr&eacute; dans
+ses courses vagabondes et qui avait plu &agrave; son imagination
+exalt&eacute;e. L&agrave;,
+il s'asseyait sur des d&eacute;bris de rochers, et, ensevelissant son
+visage
+dans ses deux mains, il y restait pendant des heures enti&egrave;res,
+jusqu'&agrave;
+ce que les hautes ombres des rocs effroyables qui mena&ccedil;aient sa
+t&ecirc;te
+eussent jet&eacute; une &eacute;paisse nuit sur tous les objets
+environnants.</p>
+<p>Par une calme soir&eacute;e, il &eacute;tait assis l&agrave;, dans
+sa posture habituelle,
+levant de temps en temps les yeux pour suivre le vol d'une mouette, ou
+pour contempler la glorieux sillon de lumi&egrave;re qui,
+commen&ccedil;ant au bord de
+l'Oc&eacute;an, semblait conduire jusqu'au point extr&ecirc;me de
+l'horizon o&ugrave; le
+soleil commen&ccedil;ait &agrave; se plonger, lorsque la profonde
+tranquillit&eacute; du
+paysage fut troubl&eacute;e par un long cri de d&eacute;tresse. Heyling
+pr&ecirc;ta
+l'oreille, ne sachant pas d'abord s'il avait bien entendu; puis le cri
+&eacute;tant r&eacute;p&eacute;t&eacute; d'une mani&egrave;re plus
+d&eacute;chirante, il se dressa et se h&acirc;ta de
+courir dans la direction d'o&ugrave; venait le bruit.</p>
+<p>La sc&egrave;ne qui s'offrit &agrave; ses yeux parlait
+d'elle-m&ecirc;me. Des v&ecirc;tements
+&eacute;taient d&eacute;pos&eacute;s sur la plage; une t&ecirc;te
+d'homme s'&eacute;levait &agrave; peine
+au-dessus des flots, &agrave; quelque distance du bord, tandis que, sur
+le
+rivage, un vieillard, tordant ses mains avec d&eacute;sespoir, courait
+&ccedil;&agrave; et
+l&agrave;, en appelant au secours. Heyling, dont les forces
+&eacute;taient alors
+suffisamment r&eacute;tablies, arracha son habit et
+s'&eacute;lan&ccedil;a vers les flots,
+avec l'intention de s'y pr&eacute;cipiter et de ramener l'homme qui se
+noyait.</p>
+<p>&laquo;H&acirc;tez-vous, monsieur, au nom de Dieu! sauvez-le,
+sauvez-le, pour
+l'amour du ciel! C'est mon fils, monsieur, mon seul fils! dit le
+vieillard en s'approchant tout tremblant d'&eacute;motion. Mon seul
+fils,
+monsieur, et qui meurt l&agrave;, sous les yeux de son
+p&egrave;re!&raquo;</p>
+<p>Aux premiers mots que le vieillard avait prononc&eacute;s, celui
+qu'il
+regardait comme un sauveur s'&eacute;tait arr&ecirc;t&eacute; court,
+et, croisant ses bras
+sur sa poitrine, &eacute;tait demeur&eacute; compl&eacute;tement
+immobile.</p>
+<p>&laquo;Grand Dieu! s'&eacute;cria le vieillard en reculant;
+Heyling!&raquo;</p>
+<p>Heyling sourit et garda le silence.</p>
+<p>&laquo;Heyling, reprit le vieillard avec &eacute;garement; mon fils,
+Heyling! mon
+enfant ch&eacute;ri! Voyez... voyez....&raquo; Et pantelant d'angoisse,
+le mis&eacute;rable
+p&egrave;re montrait l'endroit o&ugrave; le jeune homme se
+d&eacute;battait contre la mort.</p>
+<p>&laquo;&Eacute;coutez! poursuivit le vieillard, il vient encore de
+crier! Il est
+encore vivant! Heyling! sauvez-le! sauvez-le!&raquo;</p>
+<p>Heyling sourit de nouveau et ne fit aucun mouvement.</p>
+<p>&laquo;Je vous ai maltrait&eacute;, cria le vieillard en tombant
+&agrave; genoux et le
+suppliant &agrave; mains jointes. Vengez-vous! prenez tout mon bien!
+prenez ma
+vie! Jetez-moi dans l'eau &agrave; vos pieds, et si la nature peut se
+contenir,
+je mourrai sans me d&eacute;battre! Par piti&eacute;, tuez-moi,
+Heyling, main sauvez
+mon fils! Il est si jeune! si jeune pour mourir!</p>
+<p>&#8212;&Eacute;coutez, dit Heyling en saisissant fortement le poignet du
+vieillard,
+je veux avoir vie pour vie, en voici une! Mon enfant, &agrave; moi, est
+mort
+sous les yeux de son p&egrave;re! il est mort dans une agonie bien plus
+affreuse que celle de ce jeune calomniateur de sa s&#339;ur. Vous avez ri
+alors; vous avez ferm&eacute; votre porte au visage de votre fille,
+o&ugrave; la mort
+avait d&eacute;j&agrave; mis son empreinte! Vous avez ri de nos
+souffrances.... qu'en
+pensez-vous maintenant? Regardez l&agrave;! regardez l&agrave;!&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi, Heyling montrait l'Oc&eacute;an. Un faible cri s'y
+fit
+entendre; les derni&egrave;res, les terribles convulsions d'un
+noy&eacute; agit&egrave;rent
+les flots clapotants; et l'instant d'apr&egrave;s leur surface
+&eacute;tait unie;
+l'&#339;il ne pouvait plus distinguer l'endroit o&ugrave; le jeune homme
+avait
+disparu dans une tombe pr&eacute;matur&eacute;e.</p>
+<p>Trois ans s'&eacute;taient &eacute;coul&eacute;s, lorsqu'un
+gentleman descendit de sa voiture
+&agrave; la porte d'un avou&eacute; de Londres, bien connu pour ne pas
+exag&eacute;rer la
+d&eacute;licatesse. Il demanda une entrevue pour une affaire
+d'importance. Le
+visage de l'&eacute;tranger &eacute;tait p&acirc;le, battu, hagard, et
+il ne fallait pas
+toute la finesse de l'homme d'affaires pour reconna&icirc;tre que les
+maladies
+ou le malheur avaient fait plus de ravages sur sa personne que la main
+du temps n'aurait pu en accomplir pendant le double de la dur&eacute;e
+de sa
+vie.</p>
+<p>&laquo;Je d&eacute;sire, dit l'&eacute;tranger, que vous veuillez
+bien vous charger d'une
+affaire qui m'int&eacute;resse beaucoup....&raquo;</p>
+<p>L'avou&eacute; salua obs&eacute;quieusement et jeta un coup d'&#339;il au
+paquet que le
+gentleman tenait dans sa main. Celui-ci le remarqua et poursuivit:</p>
+<p>&laquo;Ce n'est pas une affaire ordinaire, et ces papiers ne sont
+pas venus
+entre mes mains sans de longues peines et de grandes
+d&eacute;penses.&raquo;</p>
+<p>L'avou&eacute; examina le paquet avec plus de curiosit&eacute;
+encore, et son nouveau
+client d&eacute;nouant la corde qui l'attachait, lui fit voir une
+quantit&eacute; de
+billets avec quelque copies d'actes et d'autres documents.</p>
+<p>&laquo;Comme vous le verrez, dit le client, l'homme dont voici la
+nom a
+emprunt&eacute;, depuis quelques ann&eacute;es, de vastes sommes sur
+ces papiers. Il
+&eacute;tait convenu tacitement avec ses premiers pr&ecirc;teurs, dont
+j'ai par
+degr&eacute;s achet&eacute; le tout, pour le triple ou le quadruple de
+sa valeur; il
+&eacute;tait convenu, dis-je, que ces billets seraient
+renouvel&eacute;s de temps en
+temps, jusqu'&agrave; une certaine &eacute;poque; mais cette convention
+n'est exprim&eacute;e
+nulle part. L'emprunteur a derni&egrave;rement subi de grandes pertes,
+et ces
+obligations, en venant sur lui tout d'un coup, le mettraient sur la
+paille.</p>
+<p>&#8212;Le montant total est de quelque mille livres sterling, dit
+l'avou&eacute; en
+regardant les papiers.</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pondit le client.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! que ferons-nous?</p>
+<p>&#8212;Ce que vous ferez? s'&eacute;cria le client avec une
+v&eacute;h&eacute;mence soudaine.
+Employez, pour sa perte, toutes les ressources de la loi, toutes les
+subtilit&eacute;s de la chicane, tous les moyens, honn&ecirc;tes ou
+non, que peuvent
+inventer les plus rus&eacute;s praticiens. Je veux qu'il meure d'une
+mort
+prolong&eacute;e, harassante! Ruinez-le! saisissez, vendez ses biens,
+ses
+terres! chassez-le de son domicile! Qu'il mendie dans sa vieillesse et
+qu'il expire en prison!</p>
+<p>&#8212;Mais les frais, monsieur, les frais de tout ceci, fit observer
+l'avou&eacute;
+lorsqu'il fut revenu de sa premi&egrave;re surprise. Si le
+d&eacute;fendant est ruin&eacute;,
+qui payera les frais?...</p>
+<p>&#8212;Nommez une somme, s'&eacute;cria l'&eacute;tranger, dont les mains
+tremblaient si
+violemment qu'il pouvait &agrave; peine tenir la plume qu'il avait
+saisie;
+nommez une somme quelconque et elle vous sera remise. N'ayez pas peur
+de
+demander! rien ne me semblera trop cher pourvu que j'atteigne mon
+but.&raquo;</p>
+<p>L'avou&eacute; nomma &agrave; tous hasards une grosse somme,
+plut&ocirc;t pour savoir
+jusqu'o&ugrave; son client avait r&eacute;ellement l'intention d'aller,
+que dans la
+pens&eacute;e qu'il la lui accorderait. L'&eacute;tranger, sans
+h&eacute;siter, &eacute;crivit une
+traite sur son banquier, la lui remit, et s'&eacute;loigna.</p>
+<p>La traite fut convenablement honor&eacute;e, et l'avou&eacute;,
+voyant qu'il pouvait
+compter sur son &eacute;trange client, se mit s&eacute;rieusement
+&agrave; la besogne.
+Pendant plus de deux ann&eacute;es, ensuite, M. Heyling vint passer des
+jours
+entiers dans l'&eacute;tude, courb&eacute; sur les papiers qui
+s'accumulaient, &agrave;
+mesure qu'on commen&ccedil;ait poursuite apr&egrave;s poursuite,
+proc&egrave;s apr&egrave;s proc&egrave;s.
+Il relisait, avec des yeux &eacute;tincelants de joie, les demandes de
+d&eacute;lai,
+les lettres de supplication, les repr&eacute;sentations de la ruine
+certaine
+que l'autre partie devait subir. A toutes ces pri&egrave;res pour un
+peu
+d'indulgence, il n'y avait qu'une seule r&eacute;ponse: <i>Il faut
+payer</i>. Les
+terres, les maisons, les meubles furent vendus tour &agrave; tour, et
+le
+vieillard lui-m&ecirc;me aurait &eacute;t&eacute; claquemur&eacute;
+dans une prison, s'il n'&eacute;tait
+parvenu &agrave; s'enfuir, en trompant la vigilance du garde
+charg&eacute; de sa
+capture.</p>
+<p>Bien loin d'&ecirc;tre rassasi&eacute;e par le succ&egrave;s,
+l'implacable animosit&eacute; de
+Heyling semblait s'accro&icirc;tre avec la ruine qu'il infligeait. Sa
+furie
+fut sans bornes lorsqu'il apprit la fuite du vieillard. Dans sa rage il
+grin&ccedil;ait des dents, il arrachait ses cheveux, et il chargeait
+d'impr&eacute;cations horribles les hommes &agrave; qui on avait
+confi&eacute; l'ex&eacute;cution de
+la prise de corps. Enfin on ne put lui rendre une esp&egrave;ce de
+calme que
+par des assurances r&eacute;p&eacute;t&eacute;es que le fugitif serait
+certainement
+d&eacute;couvert. On envoya des gens dans toutes les directions, on eut
+recours
+&agrave; tous les stratag&egrave;mes imaginables, pour apprendre le
+lieu de sa
+retraite; mais ce fut en vain, et six mois se pass&egrave;rent sans
+qu'il f&ucirc;t
+possible de le retrouver.</p>
+<p>Un soir, &agrave; une heure avanc&eacute;e, Heyling, dont on n'avait
+pas entendu
+parler depuis plusieurs semaines, se rendit &agrave; la
+r&eacute;sidence priv&eacute;e de son
+avou&eacute; et lui fit dire que quelqu'un demandait &agrave; lui
+parler sur-le-champ.
+L'avou&eacute; avait reconnu la voix du haut de l'escalier; mais avant
+qu'il
+e&ucirc;t pu donner l'ordre de l'introduire, Heyling avait franchi les
+degr&eacute;s
+et &eacute;tait entr&eacute;, p&acirc;le, palpitant, dans le salon.
+Apr&egrave;s avoir ferm&eacute; la
+porte, de peur d'&ecirc;tre entendu, il se laissa tomber sur un
+si&eacute;ge, et dit
+d'une voix basse:</p>
+<p>&laquo;Je l'ai trouv&eacute;, &agrave; la fin!</p>
+<p>&#8212;Bah! fit l'avou&eacute;. Tr&egrave;s-bien, monsieur,
+tr&egrave;s-bien.</p>
+<p>&#8212;Il est cach&eacute; dans un mis&eacute;rable logement &agrave;
+Camden. Peut-&ecirc;tre est-ce
+aussi bien que nous l'ayons perdu de vue, car il a v&eacute;cu
+l&agrave; tout seul et
+dans la plus abjecte mis&egrave;re. Il est pauvre, tr&egrave;s-pauvre.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, dit l'avou&eacute;. Vous ferez faire sa capture
+demain,
+naturellement.</p>
+<p>&#8212;Oui... attendez... non, le jour d'apr&egrave;s. Vous &ecirc;tes
+surpris que je
+d&eacute;sire reculer, ajouta le client avec un affreux sourire; mais
+j'avais
+oubli&eacute;.... Apr&egrave;s-demain est un anniversaire dans sa vie.
+Que ce soit
+apr&egrave;s-demain.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien. Voulez-vous &eacute;crire des instructions pour
+le garde?</p>
+<p>&#8212;Non; qu'il me prenne ici &agrave; huit heures du soir, et je
+l'accompagnerai
+moi-m&ecirc;me.&raquo;</p>
+<p>Effectivement ils se r&eacute;unirent &agrave; l'heure convenue, et
+prenant une
+voiture de louage, ils dirent au cocher d'arr&ecirc;ter &agrave; un
+coin de la
+vieille route, pr&egrave;s du <i>Work-house</i> de Camden. Lorsqu'ils
+y arriv&egrave;rent
+il faisait nuit. Ils suivirent le mur de l'h&ocirc;pital
+v&eacute;t&eacute;rinaire, et
+entr&egrave;rent dans une petite rue d&eacute;sol&eacute;e,
+entour&eacute;e de foss&eacute;s et de champs.</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir enfonc&eacute; son chapeau sur ses yeux et
+s'&ecirc;tre envelopp&eacute; de son
+manteau, Heyling s'arr&ecirc;ta devant la maison la plus
+mis&eacute;rable de la rue
+et frappa doucement &agrave; la porte. Elle fut imm&eacute;diatement
+ouverte par une
+vieille femme qui fit un salut d'intelligence. Heyling dit tout bas au
+garde de l'attendre, monta l'escalier, ouvrit la porte d'une chambre et
+y entra tout &agrave; coup.</p>
+<p>L'objet de ses recherches implacables, vieillard
+d&eacute;cr&eacute;pit maintenant,
+&eacute;tait assis pr&egrave;s d'une vieille table de sapin, sur
+laquelle il n'y avait
+rien qu'une mis&eacute;rable chandelle. A l'entr&eacute;e d'un
+&eacute;tranger, il
+tressaillit et se leva avec peine.</p>
+<p>&laquo;Qu'y a-t-il encore? qu'y a-t-il encore? demanda-t-il d'une
+voix cass&eacute;e.
+Quelle nouvelle mis&egrave;re est ceci? Qu'est-ce que vous
+d&eacute;sirez?</p>
+<p>&#8212;Un mot avec vous,&raquo; r&eacute;pondit Heyling. En m&ecirc;me
+temps il s'assit &agrave;
+l'autre bout de la table, et, rejetant son manteau et son chapeau, il
+d&eacute;couvrit ses traits.</p>
+<p>Le vieillard, frapp&eacute; de surprise, retomba sur sa chaise, et,
+serrant ses
+deux mains ensemble, contempla cette apparition avec un regard
+m&ecirc;l&eacute;
+d'horreur et de crainte.</p>
+<p>&#8212;Il y a aujourd'hui six ans, dit Heyling, que j'ai
+r&eacute;clam&eacute; de vous la
+vie que vous me deviez pour mon enfant. Vieillard, aupr&egrave;s du
+cadavre de
+votre fille, j'ai jur&eacute; de vivre une vie de vengeance. Depuis ce
+temps,
+je n'ai pas regrett&eacute; mon serment une seconde; mais si j'en avais
+&eacute;t&eacute;
+capable, le souvenir d'un seul regard de l'innocente cr&eacute;ature,
+lorsqu'elle se mourait sans plainte sous mes yeux; le souvenir du
+visage
+affam&eacute; de notre malheureux enfant, m'aurait fortifi&eacute; pour
+l'accomplissement de ma t&acirc;che. Vous vous rappelez ma
+premi&egrave;re revanche:
+celle-ci est la derni&egrave;re.&raquo;</p>
+<p>Le vieillard frissonna; ses mains tomb&egrave;rent sans force
+&agrave; ses c&ocirc;t&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;Demain, je quitte l'Angleterre, poursuivit Heyling
+apr&egrave;s une pause d'un
+instant. Cette nuit je vous d&eacute;voue &agrave; la mort vivante
+&agrave; laquelle vous
+m'aviez condamn&eacute;, une prison sans esp&eacute;rance!...&raquo;</p>
+<p>En cet endroit, jetant les yeux sur le vieillard, il cessa de
+parler; il
+approcha la lumi&egrave;re de son visage d&eacute;charn&eacute;, la
+remit doucement sur la
+table, et quitta la chambre.</p>
+<p>&laquo;Vous feriez bien de monter vers le vieux bonhomme, je crois
+qu'il se
+trouve mal, a dit-il &agrave; la femme en ouvrant la porte de la rue et
+faisant
+signe au garde de le suivre. La femme referma la porte, monta le plus
+vite qu'elle put l'escalier, et trouva le vieillard... mort!</p>
+<p>Dans l'une des vall&eacute;es les plus gracieuses du jardin
+britannique, dans
+un des cimeti&egrave;res les plus tranquilles du comt&eacute; de Kent,
+o&ugrave; les fleurs
+sauvages se marient au gazon, o&ugrave; les oiseaux chantent sans
+cesse, sous
+une pierre simple et polie, reposent en paix la m&egrave;re et
+l'enfant. Mais
+les cendres du p&egrave;re ne sont pas m&ecirc;l&eacute;es avec les
+leurs, et depuis sa
+derni&egrave;re exp&eacute;dition l'avou&eacute; n'eut plus aucune
+nouvelle de son singulier
+client.</p>
+<hr style="width: 45%;"/>
+<p>Lorsque le vieux clerc eut termin&eacute; son r&eacute;cit, il se
+leva, s'approcha
+d'une des pat&egrave;res, et d&eacute;crochant son chapeau et sa
+redingote, il les mit
+avec beaucoup de tranquillit&eacute;; ensuite, sans ajouter un seul
+mot, il
+s'&eacute;loigna lentement. Le gentleman aux boutons de mosa&iuml;que
+s'&eacute;tait
+profond&eacute;ment endormi; et tandis que la majeure partie des
+assistants
+&eacute;taient gravement occup&eacute;s &agrave; faire tomber des
+gouttes de suif dans leur
+grog, M. Pickwick se retira sans &ecirc;tre remarqu&eacute;. Il paya
+son &eacute;cot, aussi
+bien que celui de Sam, et tous deux quitt&egrave;rent les domaines de <i>la
+Souche et la Pie</i>.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXII"></a>
+<h2>CHAPITRE XXII.</h2>
+<h3>M. Pickwick se rend &agrave; Ipswich, et rencontre une aventure
+romantique,
+sous la figure d'une dame d'un certain &acirc;ge, en papillotes de
+papier
+brouillard.</h3>
+<br/>
+<p>&laquo;C'est &ccedil;a le mat&eacute;riel de ton gouverneur, Sammy?
+demanda M. Weller
+<i>senior</i> &agrave; son affectionn&eacute; fils, comme celui-ci
+entrait, avec un sac de
+voyage et un petit portemanteau, dans la cour de l'h&ocirc;tel du <i>Taureau</i>,
+&agrave;
+Whitechapel.</p>
+<p>&#8212;Vous avez mis votre nez rouge dessus, vieux, r&eacute;pliqua Sam,
+en
+s'asseyant sur son fardeau, qu'il avait d&eacute;pos&eacute; &agrave;
+terre. Le gouverneur va
+arriver <i>recta</i>.</p>
+<p>&#8212;Il est cabriolant, je suppose.</p>
+<p>&#8212;Oui; il s'administre deux milles de danger pour huit pence. Comment
+va
+la belle-m&egrave;re, ce matin?</p>
+<p>&#8212;Dr&ocirc;lement, Sammy, dr&ocirc;lement, r&eacute;pliqua M. Weller
+avec une gravit&eacute;
+imposante. Elle s'est enfonc&eacute;e dans les m&eacute;thodistes
+derni&egrave;rement et elle
+est diablement pieuse, c'est s&ucirc;r. C'est une trop bonne
+cr&eacute;ature pour
+moi, Sammy. Je sens que je ne la m&eacute;rite pas.</p>
+<p>&#8212;H&eacute;! dit Sam, c'est bien de l'abn&eacute;gation de votre part.</p>
+<p>&#8212;Juste! repartit le p&egrave;re avec un soupir. Elle s'est
+embourb&eacute;e dans une
+nouvelle invention pour la renaissance morale des gens. La <i>vie
+nouvelle</i>, qu'ils appellent &ccedil;a, j'crois. J'aimerais ben
+&agrave; voir marcher
+c'te invention-l&agrave;, Sammy. J'aimerais ben &agrave; voir ta
+belle-m&egrave;re rena&icirc;tre.
+Comme je la mettrais vite en nourrice!&#8212;Sais-tu ce qu'elles ont fait
+l'autre jour, poursuivit M. Weller apr&egrave;s une pause, durant
+laquelle il
+avait frapp&eacute; une demi-douzaine de fois le c&ocirc;t&eacute; de
+son nez avec son
+index, d'une mani&egrave;re tr&egrave;s-significative.</p>
+<p>&#8212;Sais pas. Qu'est-ce que c'est?</p>
+<p>&#8212;Elles ont arrang&eacute; une grande boisson de th&eacute; pour un
+gaillard qu'elles
+appellent leur berger. J'm'&eacute;tais arr&ecirc;t&eacute; devant
+l'auberge &agrave; regarder not'
+enseigne, vl&agrave; qu' j'aper&ccedil;ois &agrave; la crois&eacute;e
+un p'tit &eacute;criteau. <i>Billets,
+deux shillings. Les demandes doivent &ecirc;tre faites au
+comit&eacute;. Secr&eacute;taire,
+madame Weller.</i> J'entre &agrave; la maison. Le comit&eacute;
+si&eacute;geait dans
+l'arri&egrave;re-parloir. Quatorze femmes! Je voudrais que tu les
+eusses
+entendues, Sammy! Elles passaient des r&eacute;solutions, elles
+votaient des
+contributions; toutes sortes de farces. Bien. V'l&agrave; ta
+belle-m&egrave;re qui m'
+travaille pour que j'y aille, et pis que j' croyais que j'verrais
+quelle
+chose de dr&ocirc;le si j'y allais. Je souscris mon nom pour un billet.
+Le
+vendredi soir, &agrave; six heures, je m'habille tr&egrave;s-galamment,
+j' m'emballe
+avec la vieille femme, et nous arrivons &agrave; un premier
+&eacute;tage o&ugrave;s qu'il y
+avait des tasses &agrave; th&eacute; et le reste pour une trentaine,
+avec une
+pacotille de femmes qui commencent &agrave; chuchoter respectivement en
+me
+regardant, et comme si elles n'avaient jamais vu auparavant un
+gentleman
+de cinquante-huit ans, un peu puissant. Comme &ccedil;a v'l&agrave; qu'
+j'entends un
+grand remue-m&eacute;nage sur l'escalier, et vl'&agrave; un grand
+maigre, avec un nez
+rouge et une cravate blanche, qui caracole dans la chambre et qui
+chante: &laquo;V'l&agrave; l' berger qui vient visiter son
+fid&egrave;le troupeau!&raquo; et v'l&agrave;
+un gros gras qui vient, avec une grande face blanche, tout en souriant
+autour de lui, comme un s&eacute;ducteur. Polisson de s&eacute;ducteur,
+Sammy!&#8212;&laquo;Le
+baiser de paix,&raquo; dit le berger, et alors i' baise les femmes
+&agrave; la ronde,
+et quand il a fini v'l&agrave; le nez rouge qui recommence; et alors
+j'&eacute;tais
+juste &agrave; ruminer si je ne ferais pas bien de commencer aussi,
+esp&eacute;cialement comme il y avait une petite lady ben gentille
+&agrave; cot&eacute; de
+moi, quand v'l&agrave; le th&eacute; qu'arriv&eacute; avec ta
+belle-m&egrave;re qu'avait rest&eacute; en
+bas &agrave; faire bouillir la marmite. Pendant que le th&eacute;
+trempait, quelle
+fameuse hymne qu'ils ont braill&eacute;e! quelles <i>gr&acirc;ces</i>!
+et comme i'
+mangeaient! comme i' buvaient. Je voudrais que tu eusses vu l' berger
+travailler dans le jambon et les tartines, Sammy; j'n'ai jamais vu un
+m&ocirc;me com' &ccedil;a pour manger et pour boire, jamais! Le nez
+rouge n'&eacute;tait pas
+non plus l'individu qu' vous aimeriez &agrave; nourrir &agrave; tant
+par an, mais i'
+n'&eacute;tait rien aupr&egrave;s du berger. Bien. Apr&egrave;s que le
+th&eacute; est enfonc&eacute; i'
+cornent une autre hymne, et puis le berger commence &agrave;
+pr&ecirc;cher; et
+fameusement bien encore, qu'i pr&ecirc;chait, consid&eacute;rant les
+tartines qui
+devaient y &ecirc;tre lourdes sur l'estomac. Tout d'un coup i'
+s'arr&ecirc;te court
+et v'l&agrave; qu'i' braille: &laquo;O&ugrave;s qu'est le
+p&eacute;cheur? o&ugrave;s qu'est le mis&eacute;rable
+p&eacute;cheur!&raquo; Sur quoi v'l&agrave; toutes les femmes qui me
+regardent et qui
+commencent &agrave; exprimer des g&eacute;missements, comme si elles
+avaient &eacute;t&eacute; pour
+mourir l&agrave;. Je pensais que c'&eacute;tait peut-&ecirc;tre un peu
+singulier, mais
+malgr&eacute; &ccedil;a je ne disais rien. Tout d'un coup v'l&agrave;
+qu'i' s'arr&ecirc;te court
+encore, et qu'i' me regarde fisquement, et qu'i dit: &laquo;O&ugrave;s
+qu'est le
+p&eacute;cheur? o&ugrave; qu'est le mis&eacute;rable
+p&eacute;cheur?&raquo; Et v'l&agrave; toutes les femmes qui
+g&eacute;missent dix fois pus fort qu'auparavant. Moi j'deviens un peu
+sauvage,
+l&agrave;-dessus; ainsi j'fais un pas ou deux en avant et j'lui dis:
+&laquo;Mon ami,
+que j'dis, n'est-il &agrave; moi que vous avez appliqu&eacute; c'te
+observation-l&agrave;?&raquo;
+Au lieu de me demander excuse, comme on doit faire entre gen'l'm'n,
+v'l&agrave;
+qu'i' devient pus outrageux que jamais. I' m'appelle un vase, Sammy, un
+vase de perdition, et toutes sortes de quolibets, si bien que mon sang
+me bouillait, et je lui donne deux ou trois giffles pour lui, et deux
+ou
+trois autres pour repasser au nez rouge, et puis j' m'en vas. J'aurais
+voulu que tu eusses entendu les femelles crier, Sammy, quand elles ont
+ramass&eacute; le berger de dessous la table....&#8212;Oh&eacute;!
+v'l&agrave; l'gouverneur,
+grandeur naturelle....&raquo;</p>
+<p>En effet, M. Pickwick descendait de cabriolet et entrait dans la
+cour,
+pendant que M. Weller pronon&ccedil;ait ces mots.</p>
+<p>&laquo;Une belle matin&eacute;e, mossieu, dit-il au philosophe.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-belle, en v&eacute;rit&eacute;, r&eacute;pondit
+celui-ci.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-belle, en v&eacute;rit&eacute;, r&eacute;p&eacute;ta un
+homme orn&eacute; de cheveux roux, d'un nez
+inquisitif, de lunettes bleues, et qui avait d&eacute;barqu&eacute;
+d'un autre
+cabriolet en m&ecirc;me temps que M. Pickwick.</p>
+<p>&laquo;Vous allez &agrave; Ipswich, monsieur? demanda-t-il &agrave;
+notre h&eacute;ros.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Co&iuml;ncidence extraordinaire! j'y vais aussi.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick le salua.</p>
+<p>&laquo;Vous voyagez en dehors? demanda encore l'homme aux cheveux
+rouges.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick salua de nouveau.</p>
+<p>&laquo;Dieu de Dieu! comme c'est remarquable! Je vais en dehors
+aussi. Nous
+allons positivement voyager ensemble!&raquo; En pronon&ccedil;ant ces
+mots, d'un air
+myst&eacute;rieux et important, l'homme aux cheveux rouges se prit
+&agrave; sourire,
+avec la m&ecirc;me complaisance que s'il avait fait l'une des
+d&eacute;couvertes les
+plus &eacute;tranges qui aient jamais r&eacute;compens&eacute; la
+sagacit&eacute; humaine.</p>
+<p>&laquo;Monsieur, lui dit M. Pickwick, je suis heureux d'avoir votre
+compagnie.</p>
+<p>&#8212;Ah! reprit le nouveau venu, qui avait un nez effil&eacute; et
+l'habitude de
+secouer la t&ecirc;te, comme un oiseau, &agrave; chaque parole; ah!
+c'est une bonne
+chose pour tous les deux, n'est-ce pas? La compagnie, voyez-vous, la
+compagnie est... est une chose fort diff&eacute;rente de la solitude,
+n'est-ce
+pas?</p>
+<p>&#8212;C'est &ccedil;a une v&eacute;rit&eacute; qu'on ne peut pas nier,
+dit Sam en se m&ecirc;lant &agrave; la
+conversation avec un sourire affable. C'est ce que j'appelle une
+proposition naturellement &eacute;vidente; comme le marchand de mou de
+veau le
+disait &agrave; la cuisini&egrave;re, quand elle lui soutenait qu'il
+n'&eacute;tait pas un
+gentleman.</p>
+<p>&#8212;Ah! fit l'homme aux cheveux rouges, en regardant Sam du haut en
+bas;
+un de vos amis, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Pas exactement, monsieur, repartit M. Pickwick &agrave; voix basse.
+Le fait
+est que c'est mon domestique; mais je lui permets beaucoup de
+libert&eacute;s,
+car, entre nous, je me flatte que c'est un original, et j'en suis assez
+orgueilleux.</p>
+<p>&#8212;Ha! reprit l'homme aux cheveux roux, cela, c'est une affaire de
+go&ucirc;t.
+Moi, je n'aime rien de ce qui est original. &Ccedil;a ne me convient
+pas: je
+n'en vois pas la n&eacute;cessit&eacute;. Quel est votre nom, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Voici ma carte, monsieur, r&eacute;pondit M. Pickwick, fort
+amus&eacute; par la
+brusquerie de la question et par les singuli&egrave;res mani&egrave;res
+de l'&eacute;tranger.</p>
+<p>&#8212;Ha! dit l'homme aux cheveux rouges en pla&ccedil;ant la carte dans
+son
+portefeuille, Pickwick? Tr&egrave;s-bien. J'aime &agrave; savoir le nom
+des gens, cela
+est fort utile. Voici ma carte: Magnus, comme vous voyez, monsieur.
+Magnus est mon nom. C'est un assez beau nom, je pense, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Un tr&egrave;s-beau nom, en v&eacute;rit&eacute;, r&eacute;pliqua
+M. Pickwick sans pouvoir
+r&eacute;primer un sourire.</p>
+<p>&#8212;Oui, je le crois. Il y a un beau nom aussi devant, comme vous
+verrez.... Permettez, monsieur.... En tenant la carte un peu
+inclin&eacute;e,
+comme ceci, le nom devient visible; voil&agrave;: Peter Magnus. Cela
+sonne
+bien, je pense, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien.</p>
+<p>&#8212;Curieuse circonstance sur ces initiales, monsieur, comme vous
+voyez.
+P.M., <i>post meridiem</i>. Dans les petits billets avec mes intimes,
+je
+signe quelquefois <i>Apr&egrave;s-midi</i>. Cela amuse beaucoup mes
+amis, monsieur
+Pickwick.</p>
+<p>&#8212;En effet, je m'imagine que cela doit leur procurer la plus vive
+satisfaction, r&eacute;pliqua M. Pickwick, qui enviait en
+lui-m&ecirc;me la facilit&eacute;
+avec laquelle s'amusaient les amis de M. Magnus.&raquo;</p>
+<p>Un valet d'&eacute;curie vint interrompre leur conversation.
+&laquo;Gentlemen, leur
+dit-il, la voiture est pr&ecirc;te, s'il vous pla&icirc;t.</p>
+<p>&#8212;Tout mon bagage est-il dedans? demanda M. Magnus.</p>
+<p>&#8212;Tout est bien, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Le sac rouge est-il dedans?</p>
+<p>&#8212;Tout est bien, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et le sac ray&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Dans le coffre de devant, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et le paquet de papier gris?</p>
+<p>&#8212;Sous le si&eacute;ge, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Et le carton &agrave; chapeau de cuir?</p>
+<p>&#8212;Tout est dedans, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Maintenant, voulez-vous monter? demanda M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Excusez-moi, r&eacute;pondit M. Magnus en restant immobile sur la
+roue.
+Excusez, M. Pickwick. Je ne puis pas consentir &agrave; monter dans cet
+&eacute;tat
+d'incertitude. D'apr&egrave;s les mani&egrave;res de cet homme, je suis
+convaincu que
+le carton &agrave; chapeau n'est pas dans la voiture.&raquo;</p>
+<p>Les solennelles protestations du valet d'&eacute;curie n'ayant pu
+tranquilliser
+M. Magnus, il fallut, pour le satisfaire, tirer des plus profondes
+cavit&eacute;s du coffre le carton &agrave; chapeau de cuir; mais
+lorsque M. Magnus
+eut &eacute;t&eacute; rassur&eacute; sur son feutre, il ressentit
+d'infaillibles
+pressentiments, d'abord que le sac rouge &eacute;tait
+&eacute;gar&eacute;, ensuite que le sac
+ray&eacute; avait &eacute;t&eacute; vol&eacute;, puis que le paquet de
+papier gris s'&eacute;tait d&eacute;nou&eacute;. A
+la fin, apr&egrave;s avoir re&ccedil;u des d&eacute;monstrations
+oculaires du peu de
+fondement de chacun de ses soup&ccedil;ons, il consentit &agrave;
+monter sur
+l'imp&eacute;riale de la voiture, d&eacute;clarant que son esprit
+&eacute;tait soulag&eacute; de
+toute inqui&eacute;tude, et qu'il se trouvait maintenant confortable et
+heureux.</p>
+<p>&laquo;Vous avez vos nerfs susceptibles, mossieu? dit M. Weller, en
+regardant
+l'&eacute;tranger de travers, tout en montant sur son si&eacute;ge.</p>
+<p>&#8212;Oui, je suis assez susceptible pour toutes ces petites choses; mais
+me
+voil&agrave; rassur&eacute;, maintenant, tout &agrave; fait
+rassur&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Eh ben! c'est une b&eacute;n&eacute;diction, cela.&#8212;Sammy, aide ton
+ma&icirc;tre &agrave; monter.
+L'autre jambe, mossieu. C'est cela. Donnez-moi votre main, mossieu.
+Allons, haut! Vous &eacute;tiez pus l&eacute;ger quand vous
+&eacute;tiez en nourrice,
+mossieu.</p>
+<p>&#8212;C'est assez probable, monsieur Weller, r&eacute;pondit M. Pickwick
+avec bonne
+humeur, quoique tout essouffl&eacute;.&raquo;</p>
+<p>Lorsqu'il eut pris place aupr&egrave;s du corpulent cocher, celui-ci
+poursuivit:</p>
+<p>&laquo;Grimpe ici, Sammy.&#8212;Maintenant, Villam, faites-les sortir.
+Prenez garde
+&agrave; l'arcade, gent'l'm'n. Gare les t&ecirc;tes! comme disait le
+marchand de
+p&acirc;t&eacute;s en jouant &agrave; pile ou face.</p>
+<p>&#8212;C'est ben comme &ccedil;a, Villam; laissez-les aller.&raquo;</p>
+<p>William l&acirc;cha la t&ecirc;te des chevaux, et en route!
+Voil&agrave; la voiture lanc&eacute;e
+&agrave; travers Whitechapel, &agrave; la grande admiration de toute la
+populace de ce
+quartier, qui n'est pas d&eacute;sert.</p>
+<p>&laquo;Un voisinage pas trop beau, dit Sam, avec le mouvement de
+chapeau qui
+pr&eacute;c&eacute;dait toujours son entr&eacute;e en conversation avec
+son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Cela est vrai, Sam, r&eacute;pliqua M. Pickwick en examinant les
+rues
+malpropres et encombr&eacute;es que traversait la voiture.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, poursuivit Sam, n'est-ce pas une chose bien extra que la
+pauvret&eacute; et les hu&icirc;tres marchent toujours ensemble?</p>
+<p>&#8212;Je ne vous comprends pas, Sam.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; ce que je veux dire, monsieur: c'est que plus un
+endroit est
+mis&eacute;rable, plus on y mange des hu&icirc;tres. Regardez ici,
+monsieur, il y a
+des coquilles d'hu&icirc;tres &agrave; presque toutes les portes. Dieu
+me pardonne si
+je ne crois pas que les gens tr&egrave;s-pauvres sortent de leur
+appartement
+pour manger des hu&icirc;tres, par pur d&eacute;sespoir.</p>
+<p>&#8212;C'est s&ucirc;r &ccedil;a, observa M. Weller, et c'est juste tout
+d'm&ecirc;me pour le
+saumon sal&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; deux faits tr&egrave;s-remarquables qui ne m'avaient
+jamais frapp&eacute;, dit
+alors M. Pickwick; je les noterai certainement &agrave; la
+premi&egrave;re place o&ugrave;
+nous arr&ecirc;terons.&raquo;</p>
+<p>Tout en causant ainsi, ils avaient atteint la barri&egrave;re de
+p&eacute;age de
+Mile-End. Un profond silence r&eacute;gnait sur l'imp&eacute;riale;
+mais deux ou trois
+milles plus loin, M. Weller, se tournant tout &agrave; coup vers M.
+Pickwick,
+lui dit:</p>
+<p>&laquo;Dr&ocirc;le de vie, mossieu, que celle de ces gens-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Quelles gens? s'&eacute;cria le philosophe.</p>
+<p>&#8212;Un gardien de pike!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous entendez par un gardien de piques? demanda M.
+Peter
+Magnus.</p>
+<p>&#8212;L'ancien veut dire un gardien de <i>turnpike</i>, gentlemen, fit
+observer
+Sam en mani&egrave;re d'explication.</p>
+<p>&#8212;Oh! dit M. Pickwick, je comprends. Oui, une vie
+tr&egrave;s-curieuse,
+tr&egrave;s-peu confortable....</p>
+<p>&#8212;C'est tous des hommes qu'a eu des d&eacute;sagr&eacute;ments dans
+la vie, poursuivit
+M. Weller.</p>
+<p>&#8212;Ah! ah! fit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Oui. En cons&eacute;quence d'quoi, i'se retirent du monde et i'
+s'enferment
+dans des pikes, partie pour &ecirc;tre solitude, partie pour se
+revancher du
+genre humain en faisant payer les droits.</p>
+<p>&#8212;Vraiment! dit M. Pickwick, je ne savais pas cela non plus.</p>
+<p>&#8212;C'est un fait, mossieu. Si i's &eacute;taient des gen'l'men, vous
+les
+appelleriez misencroupes; mais ces gens-l&agrave;, &ccedil;a se nomme
+simplement des
+gabeloux.&raquo;</p>
+<p>C'est par de semblables discours, r&eacute;unissant &agrave; la fois
+l'agr&eacute;able et
+l'utile, que M. Weller charmait les ennuis du voyage. Les sujets de
+conversation ne manquaient point; et lorsque, par hasard, la
+loquacit&eacute;
+de l'honorable cocher semblait diminuer un instant, M. Peter Magnus
+remplissait abondamment l'intervalle par des enqu&ecirc;tes sur
+l'histoire
+personnelle de ses compagnons de voyage, et par l'anxi&eacute;t&eacute;
+qu'il
+exprimait hautement, &agrave; chaque relai, concernant la
+s&ucirc;ret&eacute; et le
+bien-&ecirc;tre des deux sacs, du carton &agrave; chapeau de cuir et du
+paquet de
+papier gris.</p>
+<p>A gauche, dans la grande rue d'Ipswich, &agrave; peu de distance
+apr&egrave;s l'h&ocirc;tel
+de ville, se trouve l'auberge au loin connue sous le nom du <i>Grand
+Cheval blanc</i>. Au-dessus de la principale porte, on remarque une
+&eacute;norme
+statue de pierre, repr&eacute;sentant un animal bondissant, avec une
+queue et
+une crini&egrave;re ondoyantes, et qui ressemble &agrave; peu
+pr&egrave;s &agrave; un cheval de
+brasseur qui aurait perdu l'esprit. L'auberge du <i>Grand Cheval blanc</i>
+est fameuse dans le voisinage, au m&ecirc;me titre qu'un b&#339;uf gras,
+qu'un
+verrat monstrueux, qu'un navet enregistr&eacute; dans la feuille de
+l'endroit,
+c'est &agrave; savoir pour sa taille gigantesque. Jamais, sous aucun
+toit, on
+ne vit de tels labyrinthes de couloirs sans tapis, un tel amas de
+chambres humides et mal &eacute;clair&eacute;es, enfin un aussi grand
+nombre de
+petites tani&egrave;res pour manger ou pour dormir.</p>
+<p>C'est &agrave; la porte de cette hydropique taverne que la voiture
+de Londres
+s'arr&ecirc;te &agrave; la m&ecirc;me heure tous les soirs, et c'est de
+ladite voiture de
+Londres que descendirent M. Pickwick, Sam Weller et M. Peter Magnus,
+dans la soir&eacute;e &agrave; laquelle se rapporte ce chapitre de
+notre histoire.</p>
+<p>&laquo;Restez-vous ici, monsieur?&raquo; demanda M. Peter Magnus
+lorsque le sac
+ray&eacute;, le sac rouge, le carton &agrave; chapeau de cuir et le
+paquet de papier
+gris, eurent &eacute;t&eacute; d&eacute;pos&eacute;s l'un apr&egrave;s
+l'autre dans le passage.</p>
+<p>&laquo;Oui, monsieur, r&eacute;pliqua H. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Dieu de Dieu! s'&eacute;cria M. Magnus, je n'ai jamais rien vu
+d'aussi
+remarquable que cette co&iuml;ncidence. Eh bien! moi aussi, je reste
+ici!
+J'esp&egrave;re que nous d&icirc;nerons ensemble?</p>
+<p>&#8212;Avec plaisir, r&eacute;pondit le philosophe. Cependant il serait
+possible
+que je trouvasse ici quelques amis. Gar&ccedil;on, y a-t-il dans
+l'h&ocirc;tel un
+gentleman nomm&eacute; Tupman?&raquo;</p>
+<p>Un homme corpulent, qui avait sous son bras une serviette
+&acirc;g&eacute;e d'une
+quinzaine de jours, et sur ses jambes des bas contemporains de la
+serviette, daigna cesser de regarder dans la rue lorsqu'il entendit
+cette question de M. Pickwick; et, apr&egrave;s avoir soigneusement
+examin&eacute;
+l'apparence du savant homme, depuis son chapeau jusqu'&agrave; ses
+gu&ecirc;tres, lui
+r&eacute;pondit avec emphase: &laquo;Non!</p>
+<p>&#8212;Ni un gentleman nomm&eacute; Snodgrass? poursuivit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Non.</p>
+<p>&#8212;Ni un gentleman nomm&eacute; Winkle?</p>
+<p>&#8212;Non.</p>
+<p>&#8212;Mes amis ne sont pas arriv&eacute;s aujourd'hui, et par
+cons&eacute;quent, monsieur,
+nous d&icirc;nerons seuls. Gar&ccedil;on! conduisez-nous dans une salle
+&agrave; manger
+particuli&egrave;re.&raquo;</p>
+<p>En vertu de cette requ&ecirc;te, l'homme corpulent voulut bien
+ordonner au
+commissionnaire d'apporter les bagages des gentlemen; puis il leur fit
+traverser un passage long et sombre, et les introduisit dans une grande
+chambre, &agrave; peine meubl&eacute;e, o&ugrave; fumait, sur une
+grille malpropre, un petit
+feu de charbon de terre qui s'effor&ccedil;ait en vain de
+para&icirc;tre joyeux, et
+qui noircissait mis&eacute;rablement sous l'influence attristante du
+local. Au
+bout d'une heure, un plat de poisson et des c&ocirc;telettes furent
+servis aux
+voyageurs, et enfin, lorsque ce d&icirc;ner eut &eacute;t&eacute;
+remport&eacute;, M. Pickwick et
+M. Peter Magnus, tirant leurs chaises plus pr&egrave;s du feu,
+demand&egrave;rent une
+bouteille de vin de Porto, le plus mauvais possible, au prix le plus
+&eacute;lev&eacute; possible, pour le b&eacute;n&eacute;fice de la
+maison, et burent, pour le leur,
+de l'eau-de-vie et de l'eau chaude.</p>
+<p>M. Peter Magnus &eacute;tait naturellement d'une disposition
+tr&egrave;s-communicative, et le grog op&eacute;ra d'une mani&egrave;re
+surprenante pour
+faire &eacute;couler les secrets les plus cach&eacute;s de son c&#339;ur.
+Apr&egrave;s avoir donn&eacute;
+de nombreux renseignements sur lui-m&ecirc;me, sur sa famille, sur ses
+alliances, sur ses amis, sur ses plaisanteries, sur ses affaires et sur
+ses fr&egrave;res (la plupart des bavards ont beaucoup de choses
+&agrave; dire sur
+leurs fr&egrave;res), M. Peter Magnus contempla M. Pickwick pendant
+plusieurs
+minutes, &agrave; travers ses lunettes bleues, et dit ensuite avec un
+air de
+modestie:</p>
+<p>&#8212;Et maintenant, monsieur Pickwick, que pensez-vous que je sois venu
+faire ici?</p>
+<p>&#8212;Sur ma parole, r&eacute;pondit la philosophe, il m'est tout
+&agrave; fait impossible
+de le deviner. Pour affaire, peut-&ecirc;tre?</p>
+<p>&#8212;Vous avez moiti&eacute; raison, moiti&eacute; tort en m&ecirc;me
+temps. Essayez encore,
+monsieur Pickwick.</p>
+<p>&#8212;R&eacute;ellement j'implore votre merci, et vous me l'apprendrez ou
+non, &agrave;
+votre choix; car je ne pourrai jamais deviner, quand j'essayerais toute
+la nuit.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, hi! hi! hi! reprit M. Peter Magnus avec un
+ricanement
+timide: que penseriez-vous, monsieur Pickwick, si je vous disais que je
+suis venu ici pour faire une d&eacute;claration et une demande de
+mariage? Eh!
+monsieur? hi! hi! hi!</p>
+<p>&#8212;Je penserais qu'il est fort probable que vous r&eacute;ussirez,
+r&eacute;pondit
+notre aimable ami avec un de ses sourires les plus radieux.</p>
+<p>&#8212;Ah! monsieur Pickwick, le pensez-vous vraiment? Le pensez-vous?</p>
+<p>&#8212;Certainement.</p>
+<p>&#8212;Non! vous plaisantez; j'en suis s&ucirc;r.</p>
+<p>&#8212;Je ne plaisante pas, en v&eacute;rit&eacute;!</p>
+<p>&#8212;Eh bien! alors, pour vous dire un petit secret, je le pense aussi,
+moi. Je vous dirai m&ecirc;me, monsieur Pickwick, quoique je sois
+jaloux comme
+un tigre, de mon naturel, je vous dirai que la dame est dans cette
+maison-ci. En pronon&ccedil;ant ces derni&egrave;res paroles, M. Magnus
+&ocirc;ta ses
+lunettes bleues pour cligner de l'&#339;il, et les remit ensuite d'un air
+d&eacute;cid&eacute;.</p>
+<p>&#8212;C'est donc pour cela, demanda M. Pickwick avec malice, c'est donc
+pour
+cela que vous sortiez de la chambre &agrave; chaque instant, avant le
+d&icirc;ner.</p>
+<p>&#8212;Chut! vous avez raison; c'&eacute;tait pour cela. Cependant je
+n'&eacute;tais pas
+assez fou pour l'aller voir.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi donc?</p>
+<p>&#8212;Cela ne vaudrait rien, voyez-vous, juste apr&egrave;s un voyage. Il
+vaut
+mieux attendre jusqu'&agrave; demain matin; j'aurai bien plus de
+chances alors.
+Monsieur Pickwick, il y a dans ce sac un habit, et dans cette botte un
+chapeau, qui sont inestimables pour moi, d'apr&egrave;s l'effet que
+j'en
+attends.</p>
+<p>&#8212;En v&eacute;rit&eacute;!</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur. Vous devez avoir observ&eacute; mon
+anxi&eacute;t&eacute; &agrave; leur sujet
+aujourd'hui. Je ne crois pas, monsieur Pickwick, qu'on puisse avoir,
+pour de l'argent, un autre habit et un autre chapeau comme
+ceux-l&agrave;.&raquo;</p>
+<p>Notre philosophe f&eacute;licita, sur son bonheur, le possesseur du
+v&ecirc;tement
+irr&eacute;sistible, et M. Peter Magnus demeura pendant quelque temps
+absorb&eacute;
+dans la contemplation intellectuelle de ses tr&eacute;sors.</p>
+<p>&laquo;C'est une belle cr&eacute;ature! s'&eacute;cria-t-il enfin.</p>
+<p>&#8212;Vraiment?</p>
+<p>&#8212;Charmante! charmante! Elle habite &agrave; dix-huit milles d'ici,
+monsieur
+Pickwick. J'ai appris qu'elle serait ici ce soir et toute la
+matin&eacute;e de
+demain, et je suis accouru pour saisir l'occasion. Je pense qu'une
+auberge doit &ecirc;tre un endroit tr&egrave;s favorable pour faire des
+propositions
+&agrave; une femme seule; car, lorsqu'elle voyage, elle doit sentir sa
+solitude
+bien plus que dans sa maison. Qu'en pensez-vous, monsieur Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Cela me para&icirc;t en effet fort probable.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande pardon, monsieur Pickwick; mais je suis
+naturellement
+assez curieux. Pour quelle cause &ecirc;tes-vous ici?&raquo;</p>
+<p>Le rouge monta au visage de M. Pickwick au souvenir du sujet de son
+voyage. &laquo;Le motif qui m'am&egrave;ne, r&eacute;pondit-il, n'est
+nullement agr&eacute;able. Je
+viens ici, monsieur, pour d&eacute;voiler la perfidie et la
+fausset&eacute; d'une
+personne dans l'honneur de laquelle j'avais mis une enti&egrave;re
+confiance.</p>
+<p>&#8212;Dieu de Dieu! cela est bien d&eacute;sagr&eacute;able! C'est une
+dame, je pr&eacute;sume?
+Eh! eh! fripon de M. Pickwick! petit fripon! Bien, bien, monsieur
+Pickwick!... Monsieur, je ne voudrais pas blesser votre
+d&eacute;licatesse pour
+le monde entier. P&eacute;nible sujet, monsieur,
+tr&egrave;s-p&eacute;nible. Que je ne vous
+g&ecirc;ne pas, monsieur Pickwick, si vous voulez donner cours &agrave;
+votre
+chagrin. Je sais ce que c'est que d'&ecirc;tre trahi, monsieur; j'ai
+endur&eacute;
+cette sorte de chose trois ou quatre fois.</p>
+<p>&#8212;Je vous suis fort oblig&eacute; pour votre sympathie sur ce que
+vous supposez
+&ecirc;tre mon cas m&eacute;lancolique, repartit M. Pickwick en montant
+sa montre et
+en la posant sur la table, mais....</p>
+<p>&#8212;Non! non! interrompit M. Peter Magnus; pas un mot de plus. C'est un
+sujet p&eacute;nible; je le vois; je le vois. Quelle heure est-il,
+monsieur
+Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Minuit pass&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Dieu de Dieu! il est bien temps de s'aller coucher! quelle sottise
+de
+rester debout si tard! Je serai p&acirc;le demain matin, monsieur
+Pickwick.&raquo;</p>
+<p>Contrist&eacute; par l'id&eacute;e d'une telle calamit&eacute;, M.
+Peter Magnus tira la
+sonnette. Une servante apparut, et le sac ray&eacute;, le sac rouge, le
+carton
+&agrave; chapeau en cuir, et le paquet de papier gris ayant
+&eacute;t&eacute; transport&eacute;s
+dans sa chambre &agrave; coucher, il se retira, avec un chandelier
+verniss&eacute;,
+dans une des ailes de la maison, tandis que M. Pickwick, avec un autre
+chandelier verniss&eacute;, &eacute;tait conduit dans une autre aile,
+&agrave; travers une
+multitude de passages tortueux.</p>
+<p>&laquo;Voici votre chambre, monsieur, dit la servante.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien,&raquo; r&eacute;pondit M. Pickwick en regardant
+autour de lui. C'&eacute;tait
+une assez grande pi&egrave;ce &agrave; deux lits, dans laquelle il y
+avait du feu, et
+qui paraissait plus confortable, au total, que M. Pickwick
+n'&eacute;tait
+dispos&eacute; &agrave; l'esp&eacute;rer d'apr&egrave;s sa courte
+exp&eacute;rience de l'am&eacute;nagement du
+Grandi Cheval blanc.</p>
+<p>&laquo;Il va sans dire que personne ne dort dans l'autre lit? fit-il
+observer.</p>
+<p>&#8212;Oh! non, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien. Dites &agrave; mon domestique que je n'ai plus
+besoin de lui ce
+soir, et qu'il m'apporte de l'eau chaude demain &agrave; huit heures et
+demie.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.&raquo; Et la servante se retira apr&egrave;s avoir
+souhait&eacute; une
+bonne nuit &agrave; notre philosophe.</p>
+<p>M. Pickwick, demeur&eacute; seul, s'assit dans un fauteuil
+aupr&egrave;s du feu, et se
+laissa aller &agrave; une longue suite de m&eacute;ditations. D'abord
+il songea &agrave; ses
+amis, et se demanda quand ils viendraient le rejoindre. Ensuite son
+esprit retourna vers mistress Martha Bardell, et de cette dame, par une
+transition naturelle, il se reporta au bureau malpropre de Dodson et
+Fogg. De l&agrave;, il s'enfuit, par une tangente, au centre m&ecirc;me
+de l'histoire
+du singulier client; puis il revint dans l'auberge du Grand Cheval
+blanc, &agrave; Ipswich, avec assez peu de lucidit&eacute; pour
+convaincre M. Pickwick
+que le sommeil s'emparait rapidement de lui. Il se secoua donc, et
+commen&ccedil;ait &agrave; se d&eacute;shabiller lorsqu'il se rappela
+qu'il avait laiss&eacute; sa
+montre sur la table, dans la salle d'en bas.</p>
+<p>Or cette montre &eacute;tait un des biens meubles favoris de M.
+Pickwick, ayant
+&eacute;t&eacute; transport&eacute;e de tous c&ocirc;t&eacute;s,
+&agrave; l'ombre de son gilet, pendant un nombre
+d'ann&eacute;es plus consid&eacute;rable qu'il ne nous para&icirc;t
+n&eacute;cessaire de le
+d&eacute;clarer actuellement au lecteur. On n'aurait pu faire
+p&eacute;n&eacute;trer dans le
+cerveau du philosophe la possibilit&eacute; de s'endormir sans entendre
+le
+tic-tac r&eacute;gulier de cette montre sous son traversin, ou dans le
+porte-montre accroch&eacute; au chevet de son lit. En
+cons&eacute;quence, comme il
+&eacute;tait tard et qu'il ne voulait pas faire retentir sa sonnette,
+&agrave; cette
+heure de la nuit, il remit son habit qu'il avait d&eacute;j&agrave;
+&ocirc;t&eacute;, et prenant le
+chandelier verniss&eacute;, il descendit tranquillement les escaliers.</p>
+<p>Mais plus M. Pickwick descendait les escaliers, plus il semblait
+qu'il
+lui rest&acirc;t d'escaliers &agrave; descendre; et plusieurs fois
+apr&egrave;s &ecirc;tre parvenu
+dans un &eacute;troit passage et s'&ecirc;tre f&eacute;licit&eacute;
+d'&ecirc;tre enfin arriv&eacute; au
+rez-de-chauss&eacute;e, M. Pickwick vit un autre escalier
+appara&icirc;tre devant ses
+yeux &eacute;tonn&eacute;s. Au bout d'un certain temps, cependant, il
+atteignit une
+salle dall&eacute;e qu'il se rappela avoir vue en entrant dans la
+maison. Avec
+un nouveau courage il explora passage apr&egrave;s passage; il
+entr'ouvrit
+chambre apr&egrave;s chambre, et &agrave; la fin, quand il allait
+abandonner ses
+recherches de pur d&eacute;sespoir, il se trouva dans la salle
+m&ecirc;me o&ugrave; il avait
+pass&eacute; la soir&eacute;e, et il aper&ccedil;ut sur la table sa
+propri&eacute;t&eacute; manquante.</p>
+<p>M. Pickwick saisit la montre d'un air triomphant, et s'occupa
+ensuite de
+retourner sur ses traces, pour regagner sa chambre &agrave; coucher;
+mais si le
+trajet pour descendre avait &eacute;t&eacute; environn&eacute; de
+difficult&eacute;s et
+d'incertitudes, le voyage pour remonter &eacute;tait infiniment plus
+embarrassant. Dans toutes les directions possibles s'embranchaient des
+rang&eacute;es de portes, garnies de bottes et de souliers. Une
+douzaine de
+fois, M. Pickwick avait tourn&eacute; doucement la clef d'une chambre
+&agrave;
+coucher, dont la porte ressemblait &agrave; la sienne, lorsqu'un cri
+bourru de
+l'int&eacute;rieur: &laquo;Qui diable est cela?&raquo; ou,
+&laquo;Qu'est-ce que vous venez faire
+ici?&raquo; l'obligeait &agrave; se retirer sur la pointe du pied, avec
+une c&eacute;l&eacute;rit&eacute;
+parfaitement merveilleuse. Il se trouvait de nouveau r&eacute;duit au
+d&eacute;sespoir, lorsqu'une porte entr'ouverte attira son attention.
+Il
+allongea la t&ecirc;te et regarda dans la chambre. Bonne chance
+&agrave; la fin! Les
+deux lits &eacute;taient l&agrave;, dans la situation qu'il se
+rappelait parfaitement,
+et le feu br&ucirc;lait encore. Cependant sa chandelle, qui
+n'&eacute;tait pas des
+plus longues lorsqu'il l'avait re&ccedil;ue, avait coul&eacute; dans
+les courants
+d'air qu'il venait de traverser, et s'ab&icirc;ma dans le chandelier,
+au
+moment o&ugrave; il fermait la porte derri&egrave;re lui. &laquo;C'est
+&eacute;gal, pensa M.
+Pickwick, je puis me d&eacute;shabiller tout aussi bien &agrave; la
+lumi&egrave;re du feu.&raquo;</p>
+<p>Les deux lits &eacute;taient plac&eacute;s &agrave; droite et
+&agrave; gauche de la porte. Entre
+chacun d'eux et la muraille il se trouvait une petite ruelle,
+termin&eacute;e
+par une chaise de canne, et justement assez large pour permettre de
+monter au lit ou d'en descendre du c&ocirc;t&eacute; de la muraille, si
+on le
+jugeait convenable. Apr&egrave;s avoir exactement ferm&eacute; les
+rideaux du lit du
+cot&eacute; de la chambre, M. Pickwick s'assit dans la ruelle, sur la
+chaise de
+canne, et se d&eacute;barrassa tranquillement de ses souliers et de ses
+gu&ecirc;tres. Ensuite il &ocirc;ta et plia son habit, son gilet, sa
+cravate, et
+tirant lentement son bonnet de nuit de sa poche, il l'attacha
+solidement
+sur sa t&ecirc;te, en nouant sous son menton des cordons qui
+&eacute;taient toujours
+fix&eacute;s &agrave; cette portion de son ajustement. Pendant cette
+op&eacute;ration
+l'absurdit&eacute; de son r&eacute;cent embarras vint frapper plus
+fortement ses
+facult&eacute;s risibles, et, se renversant sur sa chaise de canne, il
+se mit &agrave;
+rire en lui-m&ecirc;me, de si bon c&#339;ur, que &ccedil;'aurait
+&eacute;t&eacute; un v&eacute;ritable d&eacute;lice,
+pour tout esprit bien constitu&eacute;, de contempler le sourire qui
+&eacute;panouissait son aimable physionomie, sous son bonnet de coton
+orn&eacute;
+d'une vaste m&egrave;che.</p>
+<p>&laquo;C'est la plus dr&ocirc;le de chose, se dit M. Pickwick
+&agrave; lui-m&ecirc;me en riant si
+d&eacute;mesur&eacute;ment qu'il en fit presque craquer les cordons de
+son bonnet;
+c'est la plus dr&ocirc;le de chose dont j'aie jamais entendu parler,
+que de me
+voir ainsi perdu dans cette auberge, et errant dans tous ses escaliers.
+Dr&ocirc;le! dr&ocirc;le! tr&egrave;s-dr&ocirc;le!&raquo; M. Pickwick,
+souriant de nouveau, d'un
+sourire plus prononc&eacute; qu'auparavant, allait continuer &agrave;
+se d&eacute;shabiller,
+lorsqu'il fut arr&ecirc;t&eacute;, tout &agrave; coup, par
+l'entr&eacute;e inattendue d'une
+personne qui tenait une chandelle, et qui, apr&egrave;s avoir
+ferm&eacute; la porte,
+s'avan&ccedil;a jusqu'aupr&egrave;s de la toilette et y posa sa
+lumi&egrave;re.</p>
+<p>Le sourire qui se jouait sur les traits de M. Pickwick fut
+instantan&eacute;ment absorb&eacute; par l'expression de la surprise et
+de la stupeur
+la plus compl&egrave;te. La personne, quelle qu'elle f&ucirc;t,
+&eacute;tait arriv&eacute;e si
+soudainement et avec si peu de bruit, que M. Pickwick n'avait pas eu le
+temps de crier ni de s'opposer &agrave; son entr&eacute;e. Qui
+pouvait-ce &ecirc;tre? un
+voleur? quelque individu mal intentionn&eacute;, qui peut-&ecirc;tre
+l'avait vu
+monter les escaliers, tenant &agrave; la main une belle montre. En tout
+cas que
+devait-il faire?</p>
+<p>Le seul moyen pour M. Pickwick d'observer son myst&eacute;rieux
+visiteur, sans
+danger d'&ecirc;tre vu lui-m&ecirc;me, &eacute;tait de grimper sur le
+lit pour lorgner dans
+la chambre, et d'entr'ouvrir les rideaux. Il eut donc recours &agrave;
+cette
+man&#339;uvre, et les tenant d'une main soigneusement ferm&eacute;s de
+mani&egrave;re &agrave; ne
+laisser passer que sa t&ecirc;te et son bonnet de coton, il mit sur son
+nez
+ses lunettes, rassembla tout son courage, et regarda.</p>
+<p>Mais il s'&eacute;vanouit presque d'horreur et de confusion
+lorsqu'il vit,
+debout devant la glace, une dame d'un certain &acirc;ge, orn&eacute;e
+de papillotes
+de papier brouillard, et activement occup&eacute;e &agrave; brosser ce
+que les dames
+appellent <i>leur queue</i>. De quelque mani&egrave;re qu'elle
+f&ucirc;t venue dans la
+chambre, il &eacute;tait &eacute;vident, &agrave; son air tranquille et
+d&eacute;gag&eacute;, qu'elle
+comptait y passer la nuit tout enti&egrave;re. Elle avait
+apport&eacute; avec elle une
+chandelle de jonc garnie de son &eacute;cran, et avec une louable
+pr&eacute;caution
+contre les dangers du feu, elle l'avait plac&eacute;e dans une cuvette
+pleine
+d'eau, sur le plancher, o&ugrave; cette chandelle brillait comme un
+phare
+gigantesque dans une mer singuli&egrave;rement petite.</p>
+<p>&laquo;Dieu me prot&egrave;ge! pensa M. Pickwick. Quelle chose
+&eacute;pouvantable!</p>
+<p>&#8212;Hem! fit la dame; et aussit&ocirc;t la t&ecirc;te du philosophe
+rentra derri&egrave;re
+les rideaux, avec une rapidit&eacute; digne d'une marionnette.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai jamais ou&iuml; parler d'une aventure aussi terrible, se
+dit le
+pauvre M. Pickwick, dont le bonnet &eacute;tait tremp&eacute; d'une
+sueur froide.
+Jamais! Cela est effroyable!&raquo;</p>
+<p>Cependant, ne pouvant r&eacute;sister au d&eacute;sir de voir ce qui
+se passait, il
+fit de nouveau sortir sa t&ecirc;te entre les rideaux.</p>
+<p>La situation s'empirait. La dame d'un certain &acirc;ge ayant fini
+d'arranger
+ses cheveux, les avait soigneusement envelopp&eacute;s dans un bonnet
+de nuit
+de mousseline orn&eacute; d'une petite garniture pliss&eacute;e, et
+contemplait le feu
+d'un air m&eacute;lancolique et r&ecirc;veur.</p>
+<p>&laquo;Cette affaire devient alarmante, raisonna M. Pickwick en
+lui-m&ecirc;me. Je
+ne puis pas laisser aller les choses de cette mani&egrave;re. Il est
+clair pour
+moi, d'apr&egrave;s la tranquillit&eacute; de cette dame, que je serai
+entr&eacute; dans une
+chambre qui n'est pas la mienne. Si je parle, elle alarmera la maison;
+mais si je reste ici, les cons&eacute;quences en seront plus
+effrayantes
+encore.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick, il est inutile de le dire, &eacute;tait un des mortels
+les plus
+modestes et les plus d&eacute;licats qui aient jamais exist&eacute;. La
+seule id&eacute;e de
+se pr&eacute;senter devant une dame en bonnet de nuit, le remplissait
+de
+confusion. Mais il avait fait un n&#339;ud &agrave; ses maudits cordons, et
+malgr&eacute;
+tous ses efforts il ne pouvait parvenir &agrave; les d&eacute;faire. Il
+devenait
+indispensable de briser la glace, et il n'y avait pour cela qu'un seul
+moyen. Il se retira derri&egrave;re les rideaux, et toussa tout haut:
+&laquo;Hom!
+hom!&raquo;</p>
+<p>A ce bruit inattendu la dame tressaillit &eacute;videmment, car elle
+renversa
+l'&eacute;cran de sa chandelle. Mais bient&ocirc;t elle se persuada
+qu'elle s'&eacute;tait
+alarm&eacute;e sans raison, et lorsque M. Pickwick, croyant qu'elle
+&eacute;tait pour
+le moins &eacute;vanouie de terreur, s'aventura &agrave; regarder
+&agrave; travers les
+rideaux, elle s'&eacute;tait remise &agrave; contempler le feu avec le
+m&ecirc;me air
+m&eacute;lancolique et r&ecirc;veur.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; une femme bien extraordinaire, pensa M. Pickwick
+en rentrant la
+t&ecirc;te. Hom! hom!&raquo;</p>
+<p>Cette fois ces deux syllabes &eacute;taient prononc&eacute;es trop
+distinctement pour
+qu'il f&ucirc;t encore possible de les prendre pour une imagination.</p>
+<p>&laquo;Mon Dieu! mon Dieu! s'&eacute;cria la dame; qu'est-ce que
+cela?</p>
+<p>&#8212;C'est... c'est seulement un gentleman, madame, dit M. Pickwick
+derri&egrave;re le rideau.</p>
+<p>&#8212;Un gentleman! r&eacute;p&eacute;ta la dame avec terreur.</p>
+<p>&#8212;C'en est fait! pensa M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Un homme dans ma chambre! s'&eacute;cria la dame, et elle se
+pr&eacute;cipita vers
+la porte. M. Pickwick entendit le fr&ocirc;lement de sa robe. Un
+instant de
+plus et toute la maison allait &ecirc;tre alarm&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Madame, dit-il en montrant sa t&ecirc;te, dans l'exc&egrave;s de
+son d&eacute;sespoir;
+madame....&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick, en mettant sa t&ecirc;te hors des rideaux, n'avait
+certainement
+point de but bien d&eacute;termin&eacute;. Cependant cela produisit
+instantan&eacute;ment un
+bon effet. La dame, comme nous avons dit, &eacute;tait
+d&eacute;j&agrave; pr&egrave;s de la porte.
+Il fallait l'ouvrir pour arriver &agrave; l'escalier, et elle l'aurait
+fait
+sans aucun doute en un instant, si l'apparition soudaine du bonnet de
+nuit philosophique ne l'avait pas fait reculer jusqu'au fond de la
+chambre. Elle y resta immobile, consid&eacute;rant d'un air
+effar&eacute; M. Pickwick,
+qui &agrave; son tour la contemplait avec &eacute;garement.</p>
+<p>&laquo;Mis&eacute;rable! dit la dame, couvrant ses yeux de ses
+mains; que faites-vous
+ici?</p>
+<p>&#8212;Rien, madame... rien du tout, madame... r&eacute;pondit M. Pickwick
+avec feu.</p>
+<p>&#8212;Rien! r&eacute;p&eacute;ta la dame en levant les yeux.</p>
+<p>&#8212;Rien, madame, sur mon honneur, reprit M. Pickwick en secouant sa
+t&ecirc;te
+d'une mani&egrave;re si &eacute;nergique que la m&egrave;che de son
+bonnet s'agitait
+convulsivement. Madame, je me sens accabl&eacute; de confusion en
+m'adressant &agrave;
+une lady avec mon bonnet de nuit sur ma t&ecirc;te (ici la dame arracha
+brusquement le sien); mais je ne puis l'&ocirc;ter, madame. (En disant
+ces
+mots, M. Pickwick donna &agrave; son bonnet une secousse prodigieuse
+pour
+preuve de son all&eacute;gation.) Maintenant, madame, il est
+&eacute;vident pour moi
+que je me suis tromp&eacute; de chambre &agrave; coucher, en prenant
+celle-ci pour la
+mienne. Je n'y &eacute;tais pas depuis cinq minutes lorsque vous
+&ecirc;tes entr&eacute;e
+tout d'un coup.</p>
+<p>&#8212;Si cette histoire improbable est r&eacute;ellement vraie, monsieur,
+r&eacute;pliqua
+la dame en sanglotant violemment, vous quitterez cette chambre
+sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;Oui, madame, avec le plus grand plaisir.</p>
+<p>&#8212;Sur-le-champ! monsieur.</p>
+<p>&#8212;Certainement, madame, certainement. Je... je suis
+tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute;, madame,
+poursuivit M. Pickwick en faisant son apparition au pied du lit;
+tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute; d'avoir &eacute;t&eacute; la cause
+innocente de cette alarme et de cette
+&eacute;motion; profond&eacute;ment afflig&eacute;, madame....&raquo;</p>
+<p>La dame montra la porte. Dans ce moment critique, dans cette
+situation
+si embarrassante, une des excellentes qualit&eacute;s de M. Pickwick se
+d&eacute;ploya
+encore admirablement. Quoiqu'il e&ucirc;t plac&eacute; &agrave; la
+h&acirc;te son chapeau sur son
+bonnet de coton, &agrave; la mani&egrave;re des patrouilles
+bourgeoises, quoiqu'il
+port&acirc;t ses souliers et ses gu&ecirc;tres dans ses mains, et son
+habit et son
+gilet sur son bras, rien ne put diminuer sa politesse naturelle.</p>
+<p>&laquo;Je suis excessivement f&acirc;ch&eacute;, madame, dit-il en
+saluant tr&egrave;s-bas.</p>
+<p>&#8212;Si vous l'&ecirc;tes, monsieur, vous quitterez cette chambre
+sur-le-champ.</p>
+<p>&#8212;Imm&eacute;diatement, madame. A l'instant m&ecirc;me, madame, dit
+M. Pickwick en
+ouvrant la porte et en laissant tomber ses souliers avec grand fracas.
+Je me flatte, madame, reprit-il en ramassant ses chaussures et en se
+retournant pour saluer encore, je me flatte que mon caract&egrave;re
+sans tache
+et le respect plein de d&eacute;votion que je professe pour votre sexe
+plaideront en ma faveur dans cette circonstance.&raquo; Mais avant
+qu'il e&ucirc;t
+pu conclure cette sentence, la dame l'avait pouss&eacute; dans le
+passage, et
+avait ferm&eacute; et verrouill&eacute; la porte derri&egrave;re lui.</p>
+<p>Quelque satisfaction que notre philosophe d&ucirc;t ressentir
+d'avoir termin&eacute;
+aussi ais&eacute;ment cette &eacute;pouvantable aventure, sa situation
+pr&eacute;sente
+n'&eacute;tait nullement agr&eacute;able. Il &eacute;tait seul,
+&agrave; moiti&eacute; habill&eacute;, dans un
+passage ouvert, dans une maison inconnue, au milieu de la nuit. Il
+n'&eacute;tait pas supposable qu'il put retrouver, dans une parfaite
+obscurit&eacute;,
+la chambre qu'il n'avait pu d&eacute;couvrir lorsqu'il &eacute;tait
+arm&eacute; d'une
+lumi&egrave;re, et s'il faisait le plus petit bruit, dans ses inutiles
+recherches, il courait la chance de recevoir un coup de pistolet et
+peut-&ecirc;tre d'&ecirc;tre tu&eacute; par quelque voyageur
+r&eacute;veill&eacute; en sursaut. Il
+n'avait donc pas d'autre ressource que de rester o&ugrave; il
+&eacute;tait, jusqu'&agrave;
+la pointe du jour. Ainsi, apr&egrave;s avoir fait encore quelques pas
+dans le
+corridor, en tr&eacute;buchant, &agrave; sa grande alarme, sur
+plusieurs paires de
+bottes, il s'accroupit dans un angle du mur, pour attendre le matin
+aussi philosophiquement qu'il le pourrait.</p>
+<p>Cependant il n'&eacute;tait point destin&eacute; &agrave; subir
+cette nouvelle &eacute;preuve de
+patience, car il n'y avait pas longtemps qu'il &eacute;tait
+retir&eacute; dans son
+coin, lorsqu'&agrave; son horreur inexprimable un homme, portant une
+lumi&egrave;re,
+apparut au bout du corridor. Mais cette horreur fut soudainement
+convertie en transports de joie lorsqu'il reconnut son fid&egrave;le
+serviteur.
+C'&eacute;tait en effet M. Samuel Weller qui regagnait son domicile,
+apr&egrave;s &ecirc;tre
+rest&eacute; jusqu'alors en grande conversation avec le gar&ccedil;on
+qui attendait la
+diligence.</p>
+<p>&laquo;Sam! dit M. Pickwick, en paraissant tout &agrave; coup devant
+lui; o&ugrave; est ma
+chambre &agrave; coucher?&raquo;</p>
+<p>Sam consid&eacute;ra son ma&icirc;tre avec la surprise la plus
+expressive, et
+celui-ci avait d&eacute;j&agrave; r&eacute;p&eacute;t&eacute; trois
+fois la m&ecirc;me question, lorsque son
+domestique tourna sur son talon et le conduisit &agrave; la chambre si
+longtemps cherch&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Sam, dit M. Pickwick en se mettant dans son lit; j'ai fait
+cette nuit
+un des quiproquos les plus extraordinaires qu'il soit possible de faire.</p>
+<p>&#8212;&Ccedil;a ne m'&eacute;tonne pas, monsieur, r&eacute;pliqua
+s&egrave;chement le valet.</p>
+<p>&#8212;Mais je suis bien d&eacute;termin&eacute;, Sam, quand je devrais
+rester six mois
+dans cette maison, &agrave; ne plus jamais me risquer tout seul hors de
+ma
+chambre.</p>
+<p>&#8212;C'est la r&eacute;solution la plus prudente que vous pourriez
+prendre,
+monsieur. Vous avez besoin de quelqu'un pour vous surveiller quand
+votre
+raison s'en va en visite.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous entendez par l&agrave;? Sam, demanda M.
+Pickwick, qui, se
+levant sur son s&eacute;ant, &eacute;tendit la main comme s'il allait
+faire un
+discours; mais tout &agrave; coup il parut se raviser, se recoucha et
+dit &agrave; son
+domestique: Bonsoir.</p>
+<p>&#8212;Bonsoir, monsieur,&raquo; r&eacute;pliqua Sam, et il sortit de la
+chambre. Arriv&eacute;
+dans le corridor, il s'arr&ecirc;ta, secoua la t&ecirc;te, fit quelques
+pas,
+s'arr&ecirc;ta encore, moucha sa chandelle, secoua la t&ecirc;te de
+nouveau, et
+finalement se dirigea lentement vers sa chambre, enseveli, en
+apparence,
+dans les plus profondes m&eacute;ditations.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXIII"></a>
+<h2>CHAPITRE XXIII.</h2>
+<h3>Dans lequel Samuel Weller s'occupe &eacute;nergiquement de prendre
+la revanche
+de M. Trotter.</h3>
+<br/>
+<p>A une heure un peu plus avanc&eacute;e de cette m&ecirc;me
+matin&eacute;e dont le
+commencement avait &eacute;t&eacute; signal&eacute; par l'aventure de
+M. Pickwick avec la
+dame aux papillotes jaunes, dans la petite chambre situ&eacute;e
+aupr&egrave;s des
+&eacute;curies, M. Weller a&icirc;n&eacute; faisait les
+pr&eacute;paratifs de son retour &agrave; Londres.
+Il &eacute;tait parfaitement pos&eacute; pour se faire peindre, et,
+profitant de
+l'occasion, nous allons esquisser son portrait.</p>
+<p>Son profil avait pu pr&eacute;senter dans sa jeunesse des lignes
+hardies et
+fortement accentu&eacute;es, mais gr&acirc;ce &agrave; la bonne
+ch&egrave;re, gr&acirc;ce &agrave; un caract&egrave;re
+qui se pliait aux circonstances avec une extr&ecirc;me facilit&eacute;,
+les courbes
+charnues de ses joues s'&eacute;taient &eacute;tendues bien
+au-del&agrave; des limites qui
+leur avaient &eacute;t&eacute; originairement assign&eacute;es par la
+nature; si bien qu'&agrave;
+moins de le regarder en face, il &eacute;tait difficile de distinguer
+dans son
+visage autre chose que le bout d'un nez rubicond. La m&ecirc;me cause
+avait
+fait acqu&eacute;rir &agrave; son menton la forme grave et imposante
+que l'on d&eacute;crit
+commun&eacute;ment, en faisant pr&eacute;c&eacute;der de
+l'&eacute;pith&egrave;te <i>double</i> le nom de ce
+trait expressif de la physionomie humaine. Enfin, son teint
+pr&eacute;sentait
+cette combinaison de couleurs qui ne se rencontrent gu&egrave;re que
+chez les
+gentlemen de sa profession, ou sur un filet de b&#339;uf mal r&ocirc;ti.
+Autour de
+son cou il portait un ch&acirc;le de voyage &eacute;carlate, qui
+s'adaptait si
+parfaitement &agrave; son menton qu'il &eacute;tait difficile de
+distinguer les plis
+de l'un d'avec les plis de l'autre; par-dessus ce ch&acirc;le il mit un
+long
+gilet d'une grosse &eacute;toffe rouge &agrave; larges raies roses, et
+par-dessus ce
+gilet un immense habit vert, orn&eacute; de gros boutons de cuivre; et
+parmi
+ces boutons ceux qui garnissaient la taille &eacute;taient si
+&eacute;loign&eacute;s l'un de
+l'autre, que nul mortel ne les avait jamais vus tous les deux &agrave;
+la fois.
+Les cheveux de M. Weller &eacute;taient courts, lisses, noirs, et
+s'apercevaient &agrave; peine sous les bords gigantesques d'un chapeau
+brun &agrave;
+forme basse. Ses jambes &eacute;taient encaiss&eacute;es dans une
+culotte de velours
+&agrave; c&ocirc;tes et dans des bottes &agrave; revers; enfin, une
+grande cha&icirc;ne de cuivre,
+termin&eacute;e par une clef et un cachet du m&ecirc;me m&eacute;tal,
+se dandinait
+gracieusement &agrave; sa vaste ceinture.</p>
+<p>Nous avons dit que M. Weller faisait les pr&eacute;paratifs de son
+retour &agrave;
+Londres. Pour &ecirc;tre plus explicite, il s'occupait de la question
+des
+vivres. Sur la table, devant lui, se trouvait un pot d'ale, un plat de
+b&#339;uf froid et un pain d'une dimension fort respectable, &agrave; chacun
+desquels il distribuait tour &agrave; tour ses faveurs, avec la plus
+rigide
+impartialit&eacute;. Il venait de couper une bonne tranche de pain
+lorsqu'un
+bruit de pas dans la chambre lui fit lever les yeux. L'espoir de sa
+vieillesse &eacute;tait devant lui.</p>
+<p>&laquo;'Jour! Sammy,&raquo; dit le p&egrave;re.</p>
+<p>Le fils s'approcha du pot d'ale et prit, en guise de r&eacute;ponse,
+une longue
+gorg&eacute;e de liquide.</p>
+<p>&laquo;Tu aspires les liquides avec facilit&eacute;, Sammy, dit M.
+Weller en
+regardant l'int&eacute;rieur du pot, lorsque son premier-n&eacute;
+l'eut repos&eacute;, &agrave;
+moiti&eacute; vide, sur la table; tu aurais fait une fameuse sangsure
+si tu
+&eacute;tais n&eacute; dans cette profession-l&agrave;, Sammy.</p>
+<p>&#8212;Oui, je me figure que ce talent-l&agrave; m'aurait permis de vivre
+&agrave; mon
+aise, r&eacute;pliqua Sam en s'attaquant au b&#339;uf froid avec une vigueur
+consid&eacute;rable.</p>
+<p>&#8212;Je suis tr&egrave;s-vex&eacute;, Sammy, reprit M. Weller en
+d&eacute;crivant de petits
+cercles avec le pot pour secouer son ale avant de la boire, je suis
+tr&egrave;s-vex&eacute;, Sammy, de voir que tu t'es laiss&eacute;
+enfoncer par cet homme
+violet. J'avais toujours pens&eacute;, jusqu'&agrave; l'autre jour, que
+les mots de
+<i>Weller</i> et <i>enfonc&eacute;</i> ne viendraient jamais en
+contract, Sammy....
+Jamais.</p>
+<p>&#8212;Except&eacute;, sans doute, le cas o&ugrave; il serait question
+d'une veuve, reprit
+Sam.</p>
+<p>&#8212;Les veuves, Sammy, r&eacute;pliqua M. Weller en changeant un peu de
+couleur,
+les veuves sont des exceptions &agrave; toutes les r&egrave;gles. J'ai
+entendu dire
+combien une veuve vaut de femmes ordinaires, pour vous mettre dedans.
+Je
+crois que c'est 25, Sammy; mais &ccedil;a pourrait bien &ecirc;tre
+davantage.</p>
+<p>&#8212;Eh mais, c'est d&eacute;j&agrave; assez gentil.</p>
+<p>&#8212;D'ailleurs, poursuivit M. Weller, sans faire attention &agrave;
+l'interruption, c'est ben diff&eacute;rent. Tu sais ce que disait
+l'avocat de
+ce gen'lm'n qui battait sa femme &agrave; coups de pincettes quand il
+&eacute;tait en
+ribotte. &laquo;Apr&egrave;s tout, m'sieu le pr&eacute;sident, qu'i'
+dit, &laquo;c'n est qu'une
+aimable faiblesse.&raquo; J'en dis autant par rapport aux veuves,
+Sammy; et
+tu en diras autant quand tu auras mon &acirc;ge.</p>
+<p>&#8212;Je sais bien, confessa Sam, je sais bien que j'aurais d&ucirc; en
+savoir
+plus long.</p>
+<p>&#8212;En savoir plus long! r&eacute;p&eacute;ta M. Weller, en frappant la
+table avec son
+poing; en savoir plus long! Mais je connais un jeune moutard, qui n'a
+pas eu le quart de ton inducation, qui n'a pas seulement
+fr&eacute;quent&eacute; les
+march&eacute;s pendant... non pas six mois, et qui aurait rougi de se
+laisser
+enfoncer comme &ccedil;a, rougi jusqu'au blanc des yeux, Sammy!&raquo;
+L'angoisse que
+r&eacute;veilla cette am&egrave;re r&eacute;flexion obligea M. Weller
+&agrave; tirer la sonnette et
+&agrave; demander une nouvelle pinte d'ale.</p>
+<p>&laquo;Allons! &agrave; quoi bon parler de &ccedil;a maintenant, fit
+observer Sam. Ce qui
+est fait est fait, il n'y a plus de rem&egrave;de, et cette
+pens&eacute;e doit nous
+consoler, comme disent les Turcs, quand ils ont coup&eacute; la
+t&ecirc;te d'un
+individu par erreur. Mais chacun son tour, gouverneur, et si je
+rattrape
+ce Trotter, il aura affaire &agrave; moi.</p>
+<p>&#8212;Je l'esp&egrave;re, Sammy, je l'esp&egrave;re, r&eacute;pondit
+gravement M. Weller. A ta
+sant&eacute;, Sammy, et puisses-tu effacer bient&ocirc;t la tache dont
+tu as souli&eacute;
+notre nom de famille.&raquo; En l'honneur de ce toast, le corpulent
+cocher
+absorba, d'un seul trait, les deux tiers au moins de la pinte
+nouvellement arriv&eacute;e: puis il tendit le reste &agrave; son fils,
+qui en disposa
+instantan&eacute;ment.</p>
+<p>&laquo;Et maintenant, Sammy, reprit M. Weller en consultant
+l'&eacute;norme montre
+d'argent que soutenait sa cha&icirc;ne de cuivre; maintenant il est
+temps que
+j'aille au bureau pour prendre ma feuille de route et pour faire
+charger
+la voiture; car les voitures, Sammy, c'est comme les canons, i' faut
+les
+charger avec beaucoup de soin avant qu'i' partent.&raquo;</p>
+<p>Sam Weller accueillit avec un sourire filial ce bon mot paternel et
+professionnel. Son respectable p&egrave;re continua d'un ton grave et
+&eacute;mu: &laquo;Je
+vas te quitter, Sammy, mon gar&ccedil;on, et on ne sait pas quand
+est-ce que
+nous nous reverrons. Ta belle-m&egrave;re peut avoir fait mon affaire,
+il peut
+arriver un tas d'accidents avant que tu re&ccedil;oives de nouvelles
+nouvelles
+du c&eacute;l&egrave;bre monsieur Weller de la <i>Belle Sauvage</i>.
+L'honneur de la
+famille est dans tes mains, Samivel, et j'esp&egrave;re que tu feras
+ton
+devoir. Quant au reste, je sais que je peux me fier &agrave; toi comme
+&agrave;
+moi-m&ecirc;me. Aussi je n'ai qu'un petit conseil &agrave; te donner.
+Si tu d&eacute;passes
+la cinquantaine et que l'id&eacute;e te vienne d'&eacute;pouser
+quelqu'un, n'importe
+qui, vite enferme-toi dans ta chambre, si tu en as une, et
+empoisonne-toi sur-le-champ. C'est commun de se pendre; ainsi pas de
+ces b&ecirc;tises-l&agrave;. Empoisonne-toi, Sammy, mon gar&ccedil;on,
+empoisonne-toi et
+plus tard tu seras bien aise de m'avoir &eacute;cout&eacute;.&raquo;</p>
+<p>M. Weller gardait fixement son fils en pronon&ccedil;ant ces
+touchantes
+paroles. Lorsqu'il eut termin&eacute; il tourna lentement sur le talon
+et
+disparut.</p>
+<p>Les derniers conseils de son p&egrave;re ayant &eacute;veill&eacute;
+dans l'esprit de M.
+Samuel Weller mille id&eacute;es contemplatives et lugubres, il sortit
+de
+l'auberge du <i>Cheval blanc</i> d&egrave;s que le vieil
+autom&eacute;don l'eut quitt&eacute;, et
+dirigea ses pas vers l'&eacute;glise de Saint-Cl&eacute;ment, essayant
+de dissiper sa
+m&eacute;lancolie en se promenant dans les antiques d&eacute;pendances
+de cet &eacute;difice.
+Il y avait d&eacute;j&agrave; quelque temps qu'il fl&acirc;nait dans
+les environs, quand il
+se trouva dans un endroit solitaire, une esp&egrave;ce de cour, d'un
+aspect
+v&eacute;n&eacute;rable, et qui n'avait pas d'autre issue que le
+passage par lequel il
+&eacute;tait entr&eacute;. Il allait donc retourner sur ses pas,
+lorsqu'il fut
+p&eacute;trifi&eacute; sur place par une apparition que nous allons
+d&eacute;crire
+ci-dessous.</p>
+<p>M. Samuel Weller, &eacute;tait occup&eacute; &agrave; contempler les
+vieilles maisons de
+brique rouge, et malgr&eacute; son abstraction profonde, lan&ccedil;ait
+de temps en
+temps une &#339;illade assassine aux fra&icirc;ches servantes qui ouvraient
+une
+fen&ecirc;tre ou levaient une jalousie, lorsque la porte verte d'un
+jardin, au
+fond de la cour, s'ouvrit tout &agrave; coup. Un homme en sortit, qui
+referma
+soigneusement, apr&egrave;s lui, ladite porte et s'avan&ccedil;a d'un
+pas rapide vers
+l'endroit o&ugrave; se trouvait Sam.</p>
+<p>Or, si l'on prend ce fait isol&eacute;ment, et sans s'occuper des
+circonstances
+concomitantes, il n'a rien de fort extraordinaire, car, dans beaucoup
+de
+parties du monde, un homme peut sortir d'un jardin et fermer
+derri&egrave;re
+lui une porte verte, il peut m&ecirc;me s'&eacute;loigner d'un pas
+rapide, sans
+attirer pour cela l'attention publique. Il est donc clair qu'il devait
+y
+avoir, pour &eacute;veiller l'int&eacute;r&ecirc;t de Sam, quelque
+chose de particulier dans
+le costume de l'homme, ou dans l'homme lui-m&ecirc;me, ou dans l'un et
+dans
+l'autre. C'est ce que le lecteur pourra facilement conclure, lorsque
+nous lui aurons d&eacute;crit avec pr&eacute;cision la conduite de
+l'individu dont il
+s'agit.</p>
+<p>Il avait donc ferm&eacute; derri&egrave;re lui la porte verte, il
+s'avan&ccedil;ait dans la
+cour d'un pas rapide, comme nous l'avons d&eacute;j&agrave; dit deux
+fois; mais il
+n'eut pas plus t&ocirc;t aper&ccedil;u M. Weller qu'il h&eacute;sita,
+s'arr&ecirc;ta et parut ne
+pas trop savoir quel parti prendre. Cependant, comme la porte verte
+&eacute;tait ferm&eacute;e derri&egrave;re lui, et comme il n'y avait
+pas d'autre issue que
+celle qui &eacute;tait devant lui, il ne fut pas longtemps &agrave;
+remarquer que,
+pour sortir de l&agrave;, il fallait n&eacute;cessairement passer
+devant M. Samuel
+Weller. Il reprit donc son pas d&eacute;lib&eacute;r&eacute; et
+s'avan&ccedil;a en regardant droit
+devant lui. Ce qu'il y avait de plus extraordinaire dans cet homme,
+c'est la fa&ccedil;on hideuse dont il contournait ses traits, faisant
+les
+grimaces les plus &eacute;tonnantes et les plus effroyables qu'on ait
+jamais
+vues. Jamais l'&#339;uvre de la nature n'avait &eacute;t&eacute;
+d&eacute;guis&eacute;e plus artistement
+que ne le fut en un instant le visage en question.</p>
+<p>&laquo;Parole d'honneur, se dit Sam &agrave; lui-m&ecirc;me, en
+voyant approcher le quidam,
+voil&agrave; qui est dr&ocirc;le! j'aurais jur&eacute; que
+c'&eacute;tait lui!&raquo;</p>
+<p>L'homme avan&ccedil;ait toujours, et &agrave; mesure qu'il
+s'approchait, sa figure
+devenait de plus en plus boulevers&eacute;e.</p>
+<p>&laquo;Je pourrais pr&ecirc;ter serment, quant &agrave; ces cheveux
+noirs et &agrave; cet habit
+violet; mais c'est bien s&ucirc;r la premi&egrave;re fois que je vois
+cette
+boule-l&agrave;.&raquo;</p>
+<p>Pendant ce soliloque, la physionomie de l'&eacute;tranger avait pris
+un aspect
+surnaturel et parfaitement hideux. Cependant il fut oblig&eacute; de
+passer
+tr&egrave;s-pr&egrave;s de Sam, et un regard scrutateur de celui-ci lui
+permit de
+d&eacute;couvrir, sous ce masque de contorsions effrayantes, quelque
+chose qui
+ressemblait trop aux petits yeux de M. Job Trotter pour qu'il f&ucirc;t
+possible de s'y tromper.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! monsieur!&raquo; cria Sam d'une voix
+irrit&eacute;e.</p>
+<p>L'&eacute;tranger s'arr&ecirc;ta.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta Sam d'une voix encore
+plus f&eacute;roce.</p>
+<p>L'homme &agrave; l'horrible visage regarda avec la plus grande
+surprise au fond
+de la cour, &agrave; l'entr&eacute;e de la cour, aux fen&ecirc;tres de
+chaque maison,
+partout enfin, except&eacute; du c&ocirc;t&eacute; de Sam Weller; puis
+il fit un autre pas
+en avant, mais il fut arr&ecirc;t&eacute; par un nouveau hurlement de
+Sam:</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! monsieur!&raquo;</p>
+<p>Il n'y avait plus moyen de pr&eacute;tendre m&eacute;conna&icirc;tre
+d'o&ugrave; venait la voix, et
+l'&eacute;tranger, n'ayant pas d'autre ressource, regarda Sam en face.</p>
+<p>&laquo;&Ccedil;a ne prend pas, Job Trotter, dit celui-ci. Allons!
+allons! pas de
+b&ecirc;tises. Vous n'&ecirc;tes pas assez beau naturellement pour vous
+permettre de
+vous g&acirc;ter comme &ccedil;a la physionomie. Remettez-moi vos
+petits yeux &agrave; leur
+place, ou bien je les enfoncerai dans votre t&ecirc;te.
+M'entendez-vous!&raquo;</p>
+<p>Comme M. Weller paraissait dispos&eacute; &agrave; agir suivant la
+lettre et l'esprit
+de ce discours, M. Trotter permit peu &agrave; peu &agrave; son visage
+de reprendre
+son expression habituelle, et tout &agrave; coup, tressaillant de joie,
+il
+s'&eacute;cria:</p>
+<p>&laquo;Que vois-je? monsieur Walker!</p>
+<p>&#8212;Ha! reprit Sam, vous &ecirc;tes bien content de me rencontrer,
+n'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Content! s'&eacute;cria Job Trotter enchant&eacute;! Oh! monsieur
+Walker, si vous
+saviez combien j'ai d&eacute;sir&eacute; cette rencontre! Mais c'en est
+trop pour ma
+sensibilit&eacute;, monsieur Walker; je ne puis pas contenir ma joie;
+en v&eacute;rit&eacute;
+je ne le puis pas!&raquo;</p>
+<p>En sanglotant ces paroles, M. Trotter r&eacute;pandit un
+v&eacute;ritable d&eacute;luge de
+pleurs, et, jetant ses bras autour de ceux de Sam, il l'embrassa
+&eacute;troitement, avec un transport d'affection.</p>
+<p>&laquo;A bas les pattes! lui cria Sam, grandement indign&eacute; de
+cette conduite,
+et s'effor&ccedil;ant inutilement de se soustraire aux embrassements de
+son
+enthousiaste connaissance. A bas les pattes! vous dis-je. Pourquoi me
+pleurez-vous comme &ccedil;a sur le dos, pompe &agrave; incendie?</p>
+<p>&#8212;Parce que je suis si content de vous voir, r&eacute;pliqua Job
+Trotter, en
+rel&acirc;chant Sam, &agrave; mesure que les sympt&ocirc;mes de son
+courroux diminuaient.
+Ah! monsieur Walker, c'en est trop!</p>
+<p>&#8212;Trop? Je le crois bien! Voyons, qu'avez-vous &agrave; me dire,
+eh?&raquo;</p>
+<p>M. Trotter ne fit pas de r&eacute;plique, car le petit mouchoir
+rouge &eacute;tait en
+pleine activit&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Qu'avez-vous &agrave; me dire avant que je vous casse la
+t&ecirc;te? r&eacute;p&eacute;ta Sam
+d'une mani&egrave;re mena&ccedil;ante.</p>
+<p>&#8212;Hein? fit M. Trotter d'un ton de vertueuse surprise.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous avez &agrave; me dire?</p>
+<p>&#8212;Mais, monsieur Walker!...</p>
+<p>&#8212;Ne m'appelez pas Walker; je me nomme Weller, vous le savez bien.
+Qu'est-ce que vous avez &agrave; me dire?</p>
+<p>&#8212;Dieu vous b&eacute;nisse, monsieur Walker,... je veux dire
+Weller.... Bien
+des choses, si vous voulez venir quelque part o&ugrave; nous puissions
+parler &agrave;
+notre aise. Si vous saviez comme je vous ai cherch&eacute;, monsieur
+Weller!</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-soigneusement je suppose, reprit Sam, s&egrave;chement.</p>
+<p>&#8212;Oh! oui, monsieur, en v&eacute;rit&eacute;! affirma M. Trotter sans
+qu'on vit remuer
+un muscle de sa physionomie. Donnez-moi une poign&eacute;e de main, M.
+Weller.&raquo;</p>
+<p>Sam consid&eacute;ra pendant quelques secondes son compagnon, et
+ensuite,
+comme pouss&eacute; par un soudain mouvement, il lui tendit la main.</p>
+<p>&laquo;Comment va votre bon cher ma&icirc;tre, demanda Job &agrave;
+Sam, tout en cheminant
+avec lui. Oh! c'est un digne gentleman, monsieur Weller.
+J'esp&egrave;re qu'il
+n'a pas attrap&eacute; de fra&icirc;cheurs dans cette
+&eacute;pouvantable nuit.&raquo;</p>
+<p>Une expression momentan&eacute;e de malice &eacute;tincela dans
+l'&#339;il de Job, pendant
+qu'il pronon&ccedil;ait ces paroles. Sam s'en aper&ccedil;ut, et
+ressentit dans son
+poing ferm&eacute; une violente d&eacute;mangeaison, mais il se contint
+et r&eacute;pondit
+simplement que son ma&icirc;tre se portait tr&egrave;s-bien.</p>
+<p>&laquo;Oh! que j'en suis content. Est-il ici?</p>
+<p>&#8212;Et le v&ocirc;tre y est-il?</p>
+<p>&#8212;H&eacute;las! oui, il est ici. Et ce qui me peine &agrave; dire,
+monsieur Weller,
+c'est qu'il s'y conduit plus mal que jamais.</p>
+<p>&#8212;Ah! ah!</p>
+<p>&#8212;Oh! &ccedil;a fait fr&eacute;mir! c'est terrible!</p>
+<p>&#8212;Dans une pension de demoiselles?</p>
+<p>&#8212;Non! non! pas dans une pension, r&eacute;pliqua Job avec le
+m&ecirc;me regard
+malicieux que Sam avait d&eacute;j&agrave; remarqu&eacute;, pas dans
+une pension.</p>
+<p>&#8212;Dans la maison avec une porte verte? demanda Sam en regardant
+attentivement son compagnon.</p>
+<p>&#8212;Non! non! oh! non pas l&agrave;! r&eacute;pondit Job avec une
+vivacit&eacute; qui ne lui
+&eacute;tait pas habituelle. Pas l&agrave;!</p>
+<p>&#8212;Que faisiez-vous l&agrave; vous-m&ecirc;me? reprit Sam avec un
+regard per&ccedil;ant. Vous
+y &ecirc;tes entr&eacute; par accident, peut-&ecirc;tre?</p>
+<p>&#8212;Voyez-vous, monsieur Weller, je ne regarde pas &agrave; vous dire
+mes petits
+secrets, parce que, comme vous savez, nous avons eu tant de go&ucirc;t
+l'un
+pour l'autre la premi&egrave;re fois que nous nous sommes
+rencontr&eacute;s. Vous vous
+rappelez la charmante matin&eacute;e que nous avons pass&eacute;e
+ensemble.</p>
+<p>&#8212;Eh! oui, r&eacute;pliqua Sam, je m'en souviens. Eh bien!</p>
+<p>&#8212;Eh bien! poursuivit Job avec grande pr&eacute;cision et du ton peu
+&eacute;lev&eacute; d'un
+homme qui communique un secret important. Dans cette maison &agrave; la
+porte
+verte, monsieur Weller, il y a beaucoup de domestiques.</p>
+<p>&#8212;Je m'en doute bien, interrompit Sam.</p>
+<p>&#8212;Oui, et il y a une cuisini&egrave;re qui a &eacute;pargn&eacute;
+quelque chose, monsieur
+Weller, et qui d&eacute;sire ouvrir une petite boutique
+d'&eacute;picerie, voyez-vous.</p>
+<p>&#8212;Oui d&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur Weller, h&eacute; bien! monsieur, je l'ai
+rencontr&eacute;e &agrave; une
+petite chapelle o&ugrave; je vais. Une bien jolie petite chapelle de
+cette
+ville, monsieur Weller, o&ugrave; on chante ce recueil d'hymnes que je
+porte
+habituellement sur moi et que vous avez peut-&ecirc;tre vu entre mes
+mains, et
+j'ai fait connaissance avec elle, monsieur Weller; et puis il s'est
+&eacute;tabli une petite intimit&eacute;, et je puis me hasarder
+&agrave; dire que je compte
+devenir l'&eacute;picier.</p>
+<p>&#8212;Ah! et vous ferez un tr&egrave;s-aimable &eacute;picier,
+r&eacute;pliqua Sam en examinant
+de c&ocirc;t&eacute; M. Trotter avec un profond d&eacute;go&ucirc;t.</p>
+<p>&#8212;Le grand avantage de ceci, monsieur Weller, continua Job, dont les
+yeux se remplissaient de larmes; le grand avantage de ceci c'est que je
+pourrai quitter le service d&eacute;shonorant de ce m&eacute;chant
+homme, et me
+d&eacute;vouer tout entier &agrave; une vie meilleure et plus
+vertueuse. Une vie plus
+conforme &agrave; la mani&egrave;re dont j'ai &eacute;t&eacute;
+&eacute;lev&eacute;, monsieur Weller.</p>
+<p>&#8212;Vous devez avoir &eacute;t&eacute; joliment &eacute;duqu&eacute;,
+hein?</p>
+<p>&#8212;Oh! avec un soin! avec un soin incroyable, monsieur Weller! et en
+se
+rappelant la puret&eacute; de son enfance, M. Trotter tira de nouveau
+le
+mouchoir rose et pleura copieusement.</p>
+<p>&#8212;Qu'on devait &ecirc;tre heureux d'aller &agrave; l'&eacute;cole
+avec un enfant aussi pieux
+que vous!</p>
+<p>&#8212;Je crois bien, monsieur, r&eacute;pliqua Job en poussant un profond
+soupir.
+J'&eacute;tais l'idole de l'&eacute;cole.</p>
+<p>&#8212;Ah! &ccedil;a ne m'&eacute;tonne pas. Quelle consolation vous
+deviez &ecirc;tre pour votre
+b&eacute;nite m&egrave;re!&raquo;</p>
+<p>En entendant ces mots Job ins&eacute;ra un bout du mouchoir rose
+dans le coin
+de chacun de ses yeux, et recommen&ccedil;a &agrave; fondre en larmes.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'il a maintenant, s'&eacute;cria Sam, rempli
+d'indignation. La
+pompe &agrave; feu n'est rien aupr&egrave;s de lui. Qu'est-ce qui vous
+fait fondre en
+eau maintenant? La conscience de votre coquinerie, pas vrai?</p>
+<p>&#8212;Je ne puis pas mod&eacute;rer ma sensibilit&eacute;, monsieur
+Weller reprit Job
+apr&egrave;s une courte pause. Quand je songe que mon ma&icirc;tre a
+soup&ccedil;onn&eacute; la
+conversation que j'avais eue avec le v&ocirc;tre, et qu'il m'a
+emmen&eacute; en
+chaise de poste, apr&egrave;s avoir engag&eacute; la jeune lady
+&agrave; dire qu'elle ne le
+connaissait pas et apr&egrave;s avoir gagn&eacute; la ma&icirc;tresse
+de pension! Ah!
+monsieur Weller, cela me fait frissonner!</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est comme &ccedil;a que la chose s'est pass&eacute;e, hein?</p>
+<p>&#8212;Sans doute, r&eacute;pliqua Job.&raquo;</p>
+<p>Tout en parlant ainsi les deux amis &eacute;taient arriv&eacute;s
+pr&egrave;s de l'h&ocirc;tel.
+Sam dit alors &agrave; son compagnon: &laquo;Si &ccedil;a ne vous
+d&eacute;rangeait pas trop, Job,
+je voudrais bien vous voir au <i>Grand Cheval blanc</i>, ce soir, vers
+les
+huit heures.</p>
+<p>&#8212;Je n'y manquerai pas.</p>
+<p>&#8212;Et vous ferez bien, reprit Sam avec un regard expressif. Autrement
+je
+pourrais aller demander de vos nouvelles de l'autre c&ocirc;t&eacute;
+de la porte
+verte; et alors &ccedil;a pourrait vous nuire, vous voyez.</p>
+<p>&#8212;Je viendrai, sans faute, r&eacute;p&eacute;ta Job, et il
+s'&eacute;loigna apr&egrave;s avoir donn&eacute;
+&agrave; Sam une chaleureuse poign&eacute;e de main.</p>
+<p>&#8212;Prends garde, Job Trotter, prends garde &agrave; toi, dit Sam en le
+regardant
+partir; car je pourrais bien t'enfoncer, cette fois.&raquo; Ayant
+termin&eacute; ce
+monologue et suivi Job des yeux jusqu'au d&eacute;tour de la rue, Sam
+rentra et
+monta &agrave; la chambre de son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&laquo;Tout est en train, monsieur, lui dit-il.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qui est en train, Sam?...</p>
+<p>&#8212;Je les ai trouv&eacute;s, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Trouv&eacute; qui?</p>
+<p>&#8212;Votre bonne pratique, et le pleurnichard aux cheveux noirs.</p>
+<p>&#8212;Impossible! s'&eacute;cria M. Pickwick avec la plus grande
+&eacute;nergie. O&ugrave;
+sont-ils, Sam! o&ugrave; sont-ils?</p>
+<p>&#8212;Chut! chut!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta le fid&egrave;le valet, et
+tout en aidant son ma&icirc;tre &agrave;
+s'habiller, il lui d&eacute;tailla le plan de campagne qu'il avait
+dress&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Mais quand cela se fera-t-il, Sam?</p>
+<p>&#8212;Au bon moment, monsieur, au bon moment.&raquo;</p>
+<p>Le lecteur apprendra dans le subs&eacute;quent chapitre, si cela fut
+fait au
+bon moment.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXIV"></a>
+<h2>CHAPITRE XXIV.</h2>
+<h3>Dans lequel M. Peter Magnus devient jaloux, et la dame d'un certain
+&acirc;ge,
+craintive; ce qui jette les pickwickiens dans les griffes de la justice.</h3>
+<br/>
+<p>Quand M. Pickwick descendit dans la chambre o&ugrave; il avait
+pass&eacute; la soir&eacute;e
+pr&eacute;c&eacute;dente avec M. Peter Magnus, il le trouva en train de
+se promener
+dans un &eacute;tat nerveux d'agitation et d'attente, et remarqua que
+ce
+gentleman avait dispos&eacute;, au plus grand avantage possible de sa
+personne,
+la majeure partie du contenu des deux sacs, du carton &agrave; chapeau,
+et du
+paquet papier gris.</p>
+<p>&laquo;Bonjour, monsieur, dit M. Magnus. Comment trouvez-vous ceci,
+monsieur?</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait meurtrier, r&eacute;pondit M. Pickwick en
+examinant avec un
+sourire de bonne humeur le costume du pr&eacute;tendant.</p>
+<p>&#8212;Oui, je pense que cela fera l'affaire, monsieur Pickwick; monsieur,
+j'ai envoy&eacute; ma carte.</p>
+<p>&#8212;Vraiment!</p>
+<p>&#8212;Oui, et le gar&ccedil;on est venu me dire qu'elle me recevrait
+&agrave; onze heures.
+A onze heures, monsieur, et il ne s'en faut plus que d'un quart d'heure
+maintenant.&raquo;</p>
+<p>Ah! c'est bient&ocirc;t!</p>
+<p>&laquo;Oui, c'est bient&ocirc;t! Trop t&ocirc;t, peut-&ecirc;tre,
+pour que ce soit agr&eacute;able. Eh!
+monsieur Pickwick, monsieur.</p>
+<p>&#8212;La confiance en soi-m&ecirc;me est une grande chose dans ces cas
+l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;Je le crois, monsieur. J'ai beaucoup de confiance en
+moi-m&ecirc;me.
+R&eacute;ellement, monsieur Pickwick, je ne vois pas pourquoi un homme
+sentirait la moindre crainte dans une circonstance semblable. Quoi de
+plus simple en somme, monsieur? il n'y a rien l&agrave; de
+d&eacute;shonorant. C'est
+une affaire de convenances mutuelles, rien de plus. Mari d'un
+c&ocirc;t&eacute;,
+femme de l'autre. C'est l&agrave; mon opinion de la mati&egrave;re,
+monsieur Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Et c'est une opinion tr&egrave;s-philosophique. Mais le
+d&eacute;jeuner nous attend,
+monsieur Magnus, allons.&raquo;</p>
+<p>Ils s'assirent pour d&eacute;jeuner; cependant malgr&eacute; les
+vanteries de M.
+Magnus, il &eacute;tait &eacute;vident qu'il se trouvait sous
+l'influence d'une grande
+agitation, dont les principaux sympt&ocirc;mes &eacute;taient des
+essais lugubres de
+plaisanterie, la perte de l'app&eacute;tit, une propension &agrave;
+renverser les
+tasses et la th&eacute;i&egrave;re, et une inclination
+irr&eacute;sistible &agrave; regarder la
+pendule, toutes les deux secondes.</p>
+<p>&laquo;Hi! hi! hi! balbutia-t-il en affectant de la gaiet&eacute;,
+mais en tremblant
+d'agitation; il ne s'en faut plus que de deux minutes, monsieur
+Pickwick. Suis-je p&acirc;le, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Pas trop.&raquo;</p>
+<p>Il y eut un court silence.</p>
+<p>&laquo;Je vous demande pardon, monsieur Pickwick. Avez-vous jamais
+fait cette
+sorte de chose, dans votre temps?</p>
+<p>&#8212;Vous voulez dire une demande en mariage?</p>
+<p>&#8212;Oui.</p>
+<p>&#8212;Jamais! r&eacute;pliqua M. Pickwick avec grande &eacute;nergie,
+jamais!</p>
+<p>&#8212;Alors vous n'avez pas d'id&eacute;es sur la meilleure
+mani&egrave;re d'entrer en
+mati&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Eh! je puis avoir quelques id&eacute;es &agrave; ce sujet; mais
+comme je ne les ai
+jamais soumises &agrave; la pierre de touche de l'exp&eacute;rience, je
+serais f&acirc;ch&eacute;
+si vous vous en serviez pour r&eacute;gler votre conduite.</p>
+<p>M. Magnus jeta un autre coup d'&#339;il &agrave; la pendule: l'aiguille
+marquait
+cinq minutes apr&egrave;s onze heures. Il se retourna vers M. Pickwick
+en lui
+disant: &laquo;Malgr&eacute; cela, monsieur, je vous serai bien
+oblig&eacute; de me donner
+un avis.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! monsieur, r&eacute;pondit le savant homme avec la
+solennit&eacute; profonde
+qui rendait ses remarques si impressives quand il jugeait qu'elles en
+valaient la peine; je commencerais, monsieur, par payer un tribut
+&agrave; la
+beaut&eacute; et aux excellentes qualit&eacute;s de la dame. De
+l&agrave;, monsieur, je
+passerais &agrave; ma propre indignit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, s'&eacute;cria M. Magnus.</p>
+<p>&#8212;Indignit&eacute;, par rapport &agrave; <i>elle</i> seule,
+monsieur. Faites bien attention
+&agrave; cela; car pour montrer que je ne serais pas <i>absolument</i>
+indigne, je
+ferais une courte revue de ma vie pass&eacute;e et de ma condition
+pr&eacute;sente:
+j'&eacute;tablirais, par analogie, que je serais un objet
+tr&egrave;s-d&eacute;sirable pour
+toute autre personne. Ensuite je m'&eacute;tendrais sur la chaleur de
+mon
+amour, et sur la profondeur de mon d&eacute;vouement. Peut-&ecirc;tre
+pourrais-je,
+alors, essayer de m'emparer de sa main.</p>
+<p>&#8212;Oui, je vois. Cela serait un grand point.</p>
+<p>&#8212;Ensuite, continua M. Pickwick, en s'&eacute;chauffant &agrave;
+mesure que son sujet
+se pr&eacute;sentait devant lui sous des couleurs plus brillantes;
+ensuite j'en
+viendrais &agrave; cette simple question: Voulez-vous de moi? Je crois
+pouvoir
+supposer raisonnablement que la dame d&eacute;tournerait la
+t&ecirc;te....</p>
+<p>&#8212;Pensez-vous qu'on puisse prendre cela pour accord&eacute;?
+interrompit M.
+Magnus. Parce que, voyez-vous, si elle ne d&eacute;tournait pas la
+t&ecirc;te au
+moment pr&eacute;cis, cela serait embarrassant.</p>
+<p>&#8212;Je crois qu'elle la d&eacute;tournerait &agrave; ce
+moment-l&agrave;, monsieur; et
+l&agrave;-dessus je saisirais sa main, et je pense, <i>je pense</i>,
+monsieur
+Magnus, qu'apr&egrave;s avoir fait cela, supposant qu'elle n'e&ucirc;t
+point prof&eacute;r&eacute;
+de refus, je retirerais doucement le mouchoir qu'elle aurait
+port&eacute; &agrave; ses
+yeux, si ma faible connaissance de la nature humaine ne me trompe
+point,
+et je d&eacute;roberais un baiser respectueux: oui, je pense que je le
+d&eacute;roberais; et je suis convaincu que dans cet instant
+m&ecirc;me, si la dame
+devait m'accepter, elle murmurerait &agrave; mon oreille un pudique
+consentement.&raquo;</p>
+<p>M. Magnus se leva de sa chaise, regarda pendant quelque temps M.
+Pickwick en silence et avec un regard intelligent, puis il lui secoua
+chaleureusement la main et s'&eacute;lan&ccedil;a, en
+d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;, hors de la porte.
+L'aiguille de la pendule marquait onze heures dix minutes.</p>
+<p>M. Pickwick fit quelques tours dans la chambre, et l'aiguille
+suivant
+son exemple, &eacute;tait arriv&eacute;e &agrave; la figure qui indique
+la demi-heure,
+lorsque la porte s'ouvrit soudainement. M. Pickwick se retourna pour
+f&eacute;liciter M. Magnus, mais &agrave; sa place il aper&ccedil;ut la
+joyeuse physionomie
+de M. Tupman, la figure guerri&egrave;re de M. Winkle, et les traits
+intellectuels de M. Snodgrass.</p>
+<p>Pendant que M. Pickwick les complimentait, M. Peter Magnus se
+pr&eacute;cipita
+dans l'appartement.</p>
+<p>&laquo;Mes bons amis, dit le philosophe, voici le gentleman dont je
+vous
+parlais, M. Magnus.</p>
+<p>&#8212;Votre serviteur, messieurs, dit M. Magnus qui &eacute;tait
+&eacute;videmment dans un
+&eacute;tat d'exaltation. Monsieur Pickwick, permettez-moi de vous
+parler un
+moment, monsieur.&raquo;</p>
+<p>En pronon&ccedil;ant ces mots M. Magnus insinua son index dans une
+des
+boutonni&egrave;res de M. Pickwick, et l'attirant dans l'ouverture
+d'une
+fen&ecirc;tre: &laquo;F&eacute;licitez-moi, monsieur Pickwick; j'ai
+suivi votre avis &agrave; la
+lettre.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;tait-il bon?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, il ne pouvait pas &ecirc;tre meilleur. Elle est
+&agrave; moi,
+monsieur Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Je vous en f&eacute;licite de tout mon c&#339;ur, r&eacute;pondit le
+philosophe, en
+secouant cordialement la main de sa nouvelle connaissance.</p>
+<p>&#8212;Il faut que vous la voyiez, monsieur. Par ici, s'il vous
+pla&icirc;t.
+Excusez-nous pour un instant, messieurs.&raquo; En parlant ainsi
+l'amant
+triomphant entra&icirc;na rapidement M. Pickwick hors de la chambre,
+s'arr&ecirc;ta
+&agrave; la porte voisine dans le corridor, et y tapa doucement.</p>
+<p>&laquo;Entrez,&raquo; dit une voix de femme.</p>
+<p>Ils entr&egrave;rent.</p>
+<p>&laquo;Miss Witherfield<a name="FNanchor_26_26"></a><a
+ href="#Footnote_26_26"><sup>26</sup></a>, dit M. Magnus, permettez-moi
+de vous pr&eacute;senter un
+de mes meilleurs amis, M. Pickwick.&#8212;Monsieur Pickwick, permettez-moi de
+vous pr&eacute;senter &agrave; miss Witherfield.&raquo;</p>
+<p>La dame &eacute;tait &agrave; l'autre bout de la chambre. M.
+Pickwick la salua, et en
+m&ecirc;me temps, tirant adroitement ses lunettes de sa poche, il les
+ajusta
+sur son nez; mais &agrave; peine les y avait-il pos&eacute;es qu'il
+poussa une
+exclamation de surprise, et recula plusieurs pas. La dame, de son
+c&ocirc;t&eacute;,
+jetait un cri involontaire, cachait son visage dans ses mains, et se
+laissait tomber sur sa chaise; tandis que M. Peter Magnus, qui semblait
+p&eacute;trifi&eacute; sur la place, les contemplait tour &agrave; tour
+avec une physionomie
+d&eacute;figur&eacute;e par un exc&egrave;s d'&eacute;tonnement et
+d'horreur.</p>
+<p>Un semblable coup de th&eacute;&acirc;tre para&icirc;t inexplicable;
+mais le fait est que
+M. Pickwick, aussit&ocirc;t qu'il avait mis ses lunettes, avait reconnu
+tout &agrave;
+coup, dans la future Mme Magnus, la dame chez laquelle il
+s'&eacute;tait si
+odieusement introduit la nuit pr&eacute;c&eacute;dente; et qu'&agrave;
+peine lesdites
+lunettes avaient-elles crois&eacute; le nez de M. Pickwick, lorsque la
+dame
+s'aper&ccedil;ut de l'identit&eacute; de sa physionomie avec celle
+qu'elle avait vue,
+environn&eacute;e de toutes les horreurs d'un bonnet de coton. En
+cons&eacute;quence
+la dame cria et le philosophe tressaillit.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Pickwick, que signifie cela, monsieur? Dites-moi ce
+que
+signifie cela, monsieur? s'&eacute;cria M. Magnus d'un ton de voix
+&eacute;lev&eacute; et
+mena&ccedil;ant.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, je refuse de r&eacute;pondre &agrave; cette question,
+r&eacute;pliqua M.
+Pickwick, un peu &eacute;chauff&eacute; par la mani&egrave;re soudaine
+dont M. Magnus l'avait
+interrog&eacute;, au mode imp&eacute;ratif.</p>
+<p>&#8212;Vous le refusez, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur. Je ne consentirai pas, sans la permission de cette
+dame, &agrave; dire quelque chose qui puisse la compromettre, ou
+r&eacute;veiller dans
+son sein de d&eacute;sagr&eacute;ables souvenirs.</p>
+<p>&#8212;Miss Witherfield, reprit M. Magnus, connaissez-vous monsieur?</p>
+<p>&#8212;Si je le connais? r&eacute;pondit en h&eacute;sitant la dame d'un
+certain &acirc;ge.</p>
+<p>&#8212;Oui, si vous le connaissez! Je demande si vous le connaissez?
+r&eacute;p&eacute;ta
+M. Magnus avec f&eacute;rocit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Je l'ai d&eacute;j&agrave; vu, balbutia la dame.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave;? demanda M. Magnus, o&ugrave;, madame?</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, dit la dame en se levant et d&eacute;tournant la
+t&ecirc;te; voil&agrave; ce que je
+ne r&eacute;v&eacute;lerais pas pour un empire....</p>
+<p>&#8212;Je vous comprends, madame, interrompit M. Pickwick, et je respecte
+votre d&eacute;licatesse. Cela ne sera jamais divulgu&eacute; par moi.
+Vous pouvez y
+compter.</p>
+<p>&#8212;Sur ma parole, madame! reprit M. Magnus, avec un amer ricanement,
+sur
+ma parole, madame! vu la situation o&ugrave; je suis plac&eacute;
+vis-&agrave;-vis de vous,
+vous vous conduisez, vis-&agrave;-vis de moi, avec assez de sang-froid,
+assez
+de sang-froid, madame!</p>
+<p>&#8212;Cruel monsieur Magnus!&raquo; balbutia la dame d'un certain
+&acirc;ge, et elle se
+pr&icirc;t &agrave; pleurer abondamment.</p>
+<p>M. Pickwick s'interposa. &laquo;Adressez-moi vos observations,
+monsieur. S'il
+y a quelqu'un de bl&acirc;mable ici, c'est moi seul.</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est vous seul qui &ecirc;tes bl&acirc;mable, monsieur! Je
+vois, je vois.
+Oui, je comprends, monsieur. Vous vous repentez de votre
+d&eacute;termination,
+maintenant.</p>
+<p>&#8212;Ma d&eacute;termination! r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Votre d&eacute;termination, monsieur. Oh! ne me regardez pas comme
+cela,
+monsieur. Je me rappelle vos paroles d'hier au soir. Vous &ecirc;tes
+venu ici
+pour d&eacute;masquer la fausset&eacute; et la trahison d'une personne,
+dans la bonne
+foi de laquelle vous aviez plac&eacute; une enti&egrave;re confiance.
+Eh! monsieur?&raquo;
+Ici M. Peter Magnus se laissa aller &agrave; un ricanement
+prolong&eacute;; puis &ocirc;tant
+ses lunettes bleues, qu'il jugea probablement superflues dans un
+acc&egrave;s
+de jalousie, il se mit &agrave; rouler ses petits yeux d'une
+mani&egrave;re
+effrayante.</p>
+<p>&laquo;Eh? dit-il, sur nouveaux frais en r&eacute;p&eacute;tant son
+ricanement, avec un
+effet redoubl&eacute;. Mais vous m'en r&eacute;pondrez, monsieur!</p>
+<p>&#8212;De quoi r&eacute;pondrai-je? demanda M, Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Ne vous inqui&eacute;tez pas, monsieur! vocif&eacute;ra M. Magnus
+en arpentant la
+chambre; ne vous inqui&eacute;tez pas!&raquo;</p>
+<p>Il faut que ces quatre mots aient une signification fort
+&eacute;tendue, car
+nous ne nous rappelons pas d'avoir jamais observ&eacute; une querelle
+dans la
+rue, au spectacle, dans un bal public, ou ailleurs, dans laquelle cette
+phrase ne servit pas de r&eacute;ponse principale &agrave; toutes les
+questions
+belliqueuses. &laquo;Croyez-vous &ecirc;tre un gentleman, monsieur? Ne
+vous
+inqui&eacute;tez pas, monsieur!&#8212;Est-ce que j'ai dit quelque chose
+&agrave; la jeune
+femme, monsieur? Ne vous inqui&eacute;tez pas, monsieur!&#8212;Avez-vous
+envie de
+vous faire casser les reins, monsieur? Ne vous inqui&eacute;tez pas,
+monsieur!&raquo;
+En m&ecirc;me temps il faut observer qu'il semble y avoir une
+provocation
+cach&eacute;e dans cet universel <i>ne vous inqui&eacute;tez pas</i>;
+car il &eacute;veille dans
+le sein des individus auxquels il s'adresse plus de courroux qu'une
+grave injure.</p>
+<p>Nous ne pr&eacute;tendons pas cependant que l'application de cette
+expression &agrave;
+M. Pickwick remplit son &acirc;me de l'indignation qu'elle aurait
+infailliblement excit&eacute;e dans un esprit vulgaire. Nous racontons
+simplement le fait. En entendant ces mots, M. Pickwick ouvrit la porte
+de la chambre, et cria brusquement.</p>
+<p>&laquo;Tupman, venez ici!&raquo;</p>
+<p>M. Tupman arriva imm&eacute;diatement avec un air de
+consid&eacute;rable surprise.</p>
+<p>&laquo;Tupman, dit M. Pickwick, un secret de quelque
+d&eacute;licatesse et qui
+concerne cette dame est la cause d'un diff&eacute;rend qui vient de
+s'&eacute;lever
+entre ce gentleman et moi-m&ecirc;me. Mais je l'assure, devant vous,
+que ce
+secret n'a aucune relation avec lui-m&ecirc;me, ni aucun rapport avec
+ses
+affaires. Apr&egrave;s cela je n'ai pas besoin de vous faire remarquer
+que s'il
+continuait &agrave; en douter, il douterait en m&ecirc;me temps de ma
+v&eacute;racit&eacute;, ce
+que je consid&eacute;rerais comme une insulte personnelle.&raquo;</p>
+<p>A ces mots, le philosophe lan&ccedil;a &agrave; M.P. Magnus un
+regard qui renfermait
+toute une encyclop&eacute;die de menaces.</p>
+<p>La figure honorable et assur&eacute;e de M. Pickwick, jointe
+&agrave; la force, &agrave;
+l'&eacute;nergie du langage qui le distinguaient si &eacute;minemment,
+auraient port&eacute;
+la conviction dans tout esprit raisonnable; mais malheureusement, dans
+l'instant en question, l'esprit de M. Peter Magnus n'&eacute;tait
+nullement
+dans un &eacute;tat raisonnable. Au lieu donc de recevoir, d'une
+mani&egrave;re
+convenable l'explication du philosophe, il proc&eacute;da
+imm&eacute;diatement &agrave; se
+monter sur un diapason d&eacute;vorant de col&egrave;re et de menaces,
+parlant avec
+rage de ce qui &eacute;tait d&ucirc; &agrave; sa d&eacute;licatesse,
+&agrave; sa sensibilit&eacute;, et donnant
+de la force &agrave; ses d&eacute;clamations en marchant furieusement
+&agrave; travers la
+chambre, et en arrachant ses cheveux; amusement qu'il interrompait
+quelquefois pour agiter son poing sous le nez philanthropique de M.
+Pickwick.</p>
+<p>Cependant, fort de sa rectitude et de son innocence,
+contrari&eacute; d'avoir
+malheureusement embarrass&eacute; la dame d'un certain &acirc;ge, dans
+une affaire
+aussi d&eacute;sagr&eacute;able, M. Pickwick, &agrave; son tour,
+&eacute;tait dans une disposition
+moins paisible qu'&agrave; son ordinaire. En cons&eacute;quence, on
+parla plus
+vivement; on se servit de plus gros mots, et &agrave; la fin, M. Magnus
+dit &agrave;
+M. Pickwick qu'il aurait bient&ocirc;t de ses nouvelles. M. Pickwick,
+avec une
+politesse digne de louange, lui r&eacute;pondit que le plus t&ocirc;t
+serait le
+mieux. A ces mots la dame d'un certain &acirc;ge se pr&eacute;cipita en
+pleurant hors
+de la chambre, et M. Tupman entra&icirc;na son savant ami, abandonnant
+le
+pr&eacute;tendu d&eacute;sappoint&eacute; &agrave; ses sombres
+m&eacute;ditations.</p>
+<p>Si la dame d'un certain &acirc;ge avait v&eacute;cu dans la
+soci&eacute;t&eacute;, ou si elle avait
+tant soit peu connu les coutumes et les mani&egrave;res de ceux qui
+font les
+lois et &eacute;tablissent les modes, elle aurait su que cette
+esp&egrave;ce de
+f&eacute;rocit&eacute; est la chose du monde la plus innocente. Mais
+elle avait
+principalement habit&eacute; la province, n'avait jamais lu les
+d&eacute;bats
+parlementaires, et &eacute;tait peu vers&eacute;e, par
+cons&eacute;quent, dans le code
+d'honneur raffin&eacute; des nations civilis&eacute;es. Aussit&ocirc;t
+donc qu'elle eut
+gagn&eacute; sa chambre &agrave; coucher et soigneusement
+verrouill&eacute; sa porte, elle
+commen&ccedil;a &agrave; m&eacute;diter sur les sc&egrave;nes dont elle
+venait d'&ecirc;tre t&eacute;moin. Des
+id&eacute;es de massacre et de carnage se pr&eacute;sent&egrave;rent
+&agrave; son imagination, et,
+dans cette fantasmagorie, le tableau le moins sanglant
+repr&eacute;sentait M.
+Peter Magnus, enrichi d'une livre de plomb dans le c&ocirc;t&eacute;
+gauche, et
+rapport&eacute; &agrave; l'h&ocirc;tel sur un brancard. Plus la dame
+d'un certain &acirc;ge
+m&eacute;ditait, plus elle &eacute;tait &eacute;pouvant&eacute;e, et
+&agrave; la fin elle se d&eacute;termina &agrave;
+aller trouver le principal magistrat de la ville, et &agrave; le
+requ&eacute;rir de
+faire empoigner sans d&eacute;lai M. Pickwick et M. Tupman.</p>
+<p>La dame d'un certain &acirc;ge fut pouss&eacute;e &agrave; prendre
+ce parti par un grand
+nombre de consid&eacute;rations; mais la principale &eacute;tait la
+preuve
+incontestable qu'elle donnerait ainsi &agrave; M. Peter Magnus du
+d&eacute;vouement
+qu'elle lui avait vou&eacute;, de l'anxi&eacute;t&eacute; qu'elle
+ressentait pour le salut
+de sa personne. Elle connaissait trop bien la jalousie de son
+temp&eacute;rament, pour s'aventurer &agrave; faire la plus
+l&eacute;g&egrave;re allusion &agrave; la cause
+r&eacute;elle de son agitation, en voyant M. Pickwick, et elle se fiait
+&agrave; son
+influence et &agrave; ses moyens de persuasion, pour apaiser le petit
+homme,
+pourvu que l'objet de ses soup&ccedil;ons f&ucirc;t
+&eacute;loign&eacute;, et qu'il ne s'&eacute;lev&acirc;t
+plus de nouvelles occasions de querelles. La t&ecirc;te remplie de ces
+r&eacute;flexions, elle ajusta son chapeau et son ch&acirc;le, et se
+rendit en droite
+ligne au domicile du maire.</p>
+<p>Or, George Nupkins, esquire, maire de la ville d'Ipswich,
+&eacute;tait un grand
+personnage; si grand qu'un bon marcheur pourrait &agrave; peine en
+rencontrer
+un semblable entre le lever et le coucher du soleil, m&ecirc;me le 21
+juin,
+jour qui lui offrirait naturellement le plus de chances pour cette
+recherche, puisque, suivant tous les almanachs, c'est le plus long jour
+de l'ann&eacute;e. Dans la matin&eacute;e en question, M. Nupkins se
+trouvait dans un
+&eacute;tat d'irritation extr&ecirc;me, car il y avait eu une
+r&eacute;bellion dans la
+ville. Tous les externes de la plus grande &eacute;cole avaient
+conspir&eacute; pour
+briser les carreaux d'une marchande de pommes qui leur
+d&eacute;plaisait; ils
+avaient hu&eacute; le bedeau; ils avaient jet&eacute; des pierres
+&agrave; la police charg&eacute;e
+de comprimer l'&eacute;meute, et repr&eacute;sent&eacute;e par un
+bonhomme en bottes &agrave;
+revers, qui remplissait ses fonctions depuis au moins un quart de
+si&egrave;cle. M. Nupkins &eacute;tait donc assis dans sa
+berg&egrave;re, fron&ccedil;ant
+majestueusement ses sourcils et bouillant de rage, lorsqu'une dame fut
+annonc&eacute;e pour une affaire pressante, importante,
+particuli&egrave;re. M.
+Nupkins, prenant un air calme et terrible, donna ordre d'introduire la
+dame, et cet ordre, comme tous ceux des magistrats, des empereurs et
+des
+autres puissances de la terre, ayant &eacute;t&eacute;
+imm&eacute;diatement ex&eacute;cut&eacute;, miss
+Witherfield, dont l'agitation &eacute;tait visible et
+int&eacute;ressante, se pr&eacute;senta
+devant le grand homme.</p>
+<p>&laquo;Muzzle! dit le magistrat.&raquo;</p>
+<p>Muzzle &eacute;tait un domestique rabougri, dont le coffre
+&eacute;tait long, les
+jambes courtes.</p>
+<p>&laquo;Muzzle!</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre Honneur.</p>
+<p>&#8212;Donnez un fauteuil, et quittez la chambre.</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration.</p>
+<p>&#8212;Maintenant, madame, voulez-vous exposer votre affaire.</p>
+<p>&#8212;Elle est d'une nature tr&egrave;s-p&eacute;nible, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je ne dis pas le contraire, madame. Calmez-vous madame, (Ici M.
+Nupkins prit un air de douceur.) Et dites-moi quelle affaire
+l&eacute;gale
+vous am&egrave;ne devant moi, madame. (Ici le magistrat reprit le
+dessus et M.
+Nupkins se donna un air s&eacute;v&egrave;re et grandiose.)</p>
+<p>&#8212;Il est fort affligeant pour moi, monsieur, de vous faire cette
+d&eacute;nonciation. Mais je crains bien qu'il n'y ait un duel ici.</p>
+<p>&#8212;Ici, madame?&#8212;O&ugrave; madame?</p>
+<p>&#8212;Dans Ipswich.</p>
+<p>&#8212;Dans Ipswich! madame. Un duel dans Ipswich! s'&eacute;cria le
+magistrat
+parfaitement stup&eacute;fait &agrave; cette seule id&eacute;e.
+Impossible, madame! Rien de
+la sorte ne peut arriver dans cette ville; j'en suis persuad&eacute;.
+Dieu du
+ciel! madame, connaissez-vous l'activit&eacute; de notre magistrature
+locale?
+N'avez-vous pas entendu dire, madame, que le quatre mai pass&eacute;,
+suivi
+seulement par soixante constables sp&eacute;ciaux, je me
+pr&eacute;cipitai entre deux
+boxeurs, et qu'au risque d'&ecirc;tre sacrifi&eacute; aux passions
+furieuses d'une
+multitude irrit&eacute;e, j'emp&ecirc;chai une rencontre pugilastique
+entre le
+champion de Middlesex et celui de Suffolk. Un duel dans Ipswich,
+madame!
+Je ne le pense pas. Non, je ne pense pas qu'il puisse y avoir deux
+mortels assez audacieux pour projeter un tel attentat dans cette ville.</p>
+<p>&#8212;Ce que j'ai l'honneur de vous dire n'est malheureusement que trop
+exact, reprit la dame d'un certain &acirc;ge. J'&eacute;tais
+pr&eacute;sente &agrave; la querelle.</p>
+<p>&#8212;C'est la chose la plus extraordinaire! s'&eacute;cria le magistrat
+&eacute;tonn&eacute;.
+Muzzle!</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration.</p>
+<p>&#8212;Envoyez-moi M. Jinks, sur-le-champ, &agrave; l'instant m&ecirc;me.</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration.&raquo;</p>
+<p>Muzzle se retira, et bient&ocirc;t on vit entrer dans la chambre un
+clerc
+d'&acirc;ge raisonnable, mal v&ecirc;tu, et &eacute;videmment mal
+nourri, comme
+l'annon&ccedil;aient son visage p&acirc;le et son nez aigu.</p>
+<p>&#8212;Monsieur Jinks, dit le magistrat, monsieur Jinks.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, r&eacute;pliqua Jinks.</p>
+<p>&#8212;Cette dame est venue ici pour nous informer d'un duel qui doit
+avoir
+lieu dans cette ville.&raquo;</p>
+<p>M. Jinks, ne sachant pas exactement que dire, sourit d'un sourire
+d'inf&eacute;rieur.</p>
+<p>&laquo;De quoi riez-vous, monsieur Jinks?&raquo; demanda le
+magistrat.</p>
+<p>M. Jinks prit &agrave; l'instant un air s&eacute;rieux.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Jinks, poursuivit le magistrat, vous &ecirc;tes un
+sot, monsieur.
+(M. Jinks regarda humblement le grand homme, et mordit le haut de sa
+plume.) Vous pouvez voir quelque chose de tr&egrave;s-comique dans
+cette
+information, monsieur; mais je vous dirai, monsieur Jinks, que vous
+avez
+tr&egrave;s-peu de raisons de rire.&raquo;</p>
+<p>Le clerc &agrave; l'air affam&eacute; soupira, comme un homme
+convaincu qu'il avait en
+effet fort peu de motifs d'&ecirc;tre gai. Puis, ayant re&ccedil;u
+l'ordre de noter
+la d&eacute;position de la dame, il se glissa jusqu'&agrave; son
+si&eacute;ge, et se mit &agrave;
+&eacute;crire.</p>
+<p>&laquo;Ce Pickwick est le principal, &agrave; ce que j'entends, dit
+le magistrat,
+lorsque la d&eacute;claration fut termin&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pondit la dame d'un certain &acirc;ge.</p>
+<p>&#8212;Et l'autre perturbateur? Quel est son nom, monsieur Jinks?</p>
+<p>&#8212;Tupman, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Tupman est le t&eacute;moin, madame?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.</p>
+<p>&#8212;L'autre combattant a quitt&eacute; la ville, dites-vous, madame?</p>
+<p>&#8212;Oui, r&eacute;pondit miss Witherfield avec une petite toux.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien. Ce sont deux coupe-jarrets de Londres, qui sont
+venus ici
+pour d&eacute;truire la population de Sa Majest&eacute;, pensant que le
+bras de la loi
+est faible et paralys&eacute; &agrave; cette distance de la capitale.
+Mais nous en
+ferons un exemple. Exp&eacute;diez le mandat d'amener, monsieur Jinks.
+Muzzle!...</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration.</p>
+<p>&#8212;Grummer est-il en bas?</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration.</p>
+<p>&#8212;Envoyez-le ici.&raquo;</p>
+<p>L'obs&eacute;quieux Muzzle se retira et revint presque
+imm&eacute;diatement avec le
+repr&eacute;sentant de l'autorit&eacute;, constable depuis son enfance,
+et qui &eacute;tait
+principalement remarquable par son nez vineux, sa voix enrou&eacute;e,
+son
+habit couleur de tabac, ses bottes &agrave; revers et son regard errant.</p>
+<p>&laquo;Grummer! dit le magistrat.</p>
+<p>&#8212;Votre Vin-&agrave;-ration.</p>
+<p>&#8212;La ville est-elle tranquille maintenant?</p>
+<p>&#8212;Pas mal, Votre Vin-&agrave;-ration; la populace s'est
+apais&eacute;e par cons&eacute;quent
+que les gar&ccedil;ons s'en est all&eacute; jouer &agrave; la crosse.</p>
+<p>&#8212;Grummer, reprit le magistrat d'un air d&eacute;termin&eacute;; dans
+un temps comme
+celui-ci, il n'y a que des mesures vigoureuses qui puissent
+r&eacute;ussir. Si
+l'on m&eacute;prise l'autorit&eacute; des officiers du roi, il faut
+faire lire le
+<i>riot-act</i><a name="FNanchor_27_27"></a><a href="#Footnote_27_27"><sup>27</sup></a>.
+Si le pouvoir civil ne peut pas prot&eacute;ger les fen&ecirc;tres,
+il faut que le militaire prot&egrave;ge le pouvoir civil et les
+fen&ecirc;tres aussi.
+Je pense que c'est une maxime de la constitution, monsieur Jinks?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, dit le magistrat en signant le mandat d'amener.
+Grummer,
+vous ferez compara&icirc;tre ces personnes devant nous cette
+apr&egrave;s-midi; vous
+les trouverez au <i>Grand Cheval blanc</i>. Vous vous rappelez
+l'affaire des
+champions de Middlesex et de Suffolk, Grummer?&raquo;</p>
+<p>M. Grummer exprima par une secousse de sa t&ecirc;te qu'il ne
+l'oublierait
+jamais; ce qui, en effet, n'&eacute;tait gu&egrave;re probable, aussi
+longtemps
+surtout que cette affaire continuerait &agrave; lui &ecirc;tre
+cit&eacute;e tous les jours.</p>
+<p>&laquo;Ceci, poursuivit le magistrat, est peut-&ecirc;tre encore
+plus
+inconstitutionnel. C'est une plus grande violation de la paix; c'est
+une
+plus grave atteinte aux pr&eacute;rogatives de Sa Majest&eacute;. Je
+pense que le duel
+est un des privil&egrave;ges les plus incontestables de Sa
+Majest&eacute;, monsieur
+Jinks.</p>
+<p>&#8212;Express&eacute;ment stipul&eacute; dans la <i>magna Charta</i>,
+monsieur.</p>
+<p>&#8212;Un des plus beaux joyaux de la couronne, arrach&eacute; &agrave; Sa
+Majest&eacute; par
+l'union politique des barons..., n'est-ce pas, monsieur Jinks?</p>
+<p>&#8212;Justement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, continua le magistrat en se redressant avec
+orgueil. Cette
+pr&eacute;rogative royale ne sera pas viol&eacute;e dans cette portion
+des domaines de
+Sa Majest&eacute;. Grummer, procurez-vous du secours, et
+ex&eacute;cutez ce mandat
+avec le moins de d&eacute;lai possible. Muzzle.</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration....</p>
+<p>&#8212;Reconduisez cette dame.&raquo;</p>
+<p>Miss Witherfield se retira, profond&eacute;ment impressionn&eacute;e
+par la science et
+par la dignit&eacute; du magistrat. M. Nupkins se retira pour
+d&eacute;jeuner. M.
+Jinks se retira en lui-m&ecirc;me, car c'&eacute;tait le seul endroit
+o&ugrave; il p&ucirc;t se
+retirer; si l'on excepte le lit-sofa du petit parloir, qui &eacute;tait
+occup&eacute;
+pendant le jour par la famille de son h&ocirc;tesse. Enfin M. Grummer
+se
+retira pour laver, par la mani&egrave;re dont il ex&eacute;cuterait sa
+pr&eacute;sente
+commission, l'insulte qui &eacute;tait tomb&eacute;e dans la
+matin&eacute;e sur lui-m&ecirc;me et
+sur l'autre repr&eacute;sentant de Sa Majest&eacute;, le bedeau.</p>
+<p>Tandis que l'on faisait des pr&eacute;paratifs si formidables pour
+conserver
+la paix du roi, M. Pickwick et ses amis, tout &agrave; fait ignorants
+des
+prodigieux &eacute;v&eacute;nements qui se machinaient, &eacute;taient
+tranquillement assis
+autour d'un excellent d&icirc;ner. La bonne humeur la plus expansive
+r&eacute;gnait
+dans leur petite r&eacute;union. M. Pickwick &eacute;tait
+pr&eacute;cis&eacute;ment en train de
+raconter, au grand amusement de ses sectateurs, et principalement de M.
+Tupman, ses aventures de la nuit pr&eacute;c&eacute;dente, lorsque la
+porte s'ouvrit,
+et laissa voir une physionomie assez r&eacute;barbative qui s'allongea
+dans la
+chambre. Les yeux de la physionomie r&eacute;barbative se
+fix&egrave;rent
+attentivement sur M. Pickwick pendant quelques secondes, et ils furent
+apparemment satisfaits de leur investigation, car le corps auquel
+appartenait la physionomie r&eacute;barbative s'introduisit lentement
+dans
+l'appartement, sous la forme d'un individu en bottes &agrave; revers.
+Enfin,
+pour ne pas tenir plus longtemps le lecteur en suspens, ces yeux
+&eacute;taient
+les yeux errants de M. Grummer, et ce corps &eacute;tait le corps du
+susdit
+gentleman.</p>
+<p>M. Grummer proc&eacute;da d'une mani&egrave;re l&eacute;gale, mais
+particuli&egrave;re. Son premier
+acte fut de verrouiller la porte &agrave; l'int&eacute;rieur; le
+second, de polir
+tr&egrave;s-soigneusement sa t&ecirc;te et son visage avec un mouchoir
+de coton; le
+troisi&egrave;me, de placer son mouchoir de coton dans son chapeau, et
+son
+chapeau sur la chaise la plus proche; et le quatri&egrave;me enfin, de
+tirer de
+sa poche un gros b&acirc;ton court, surmont&eacute; d'une couronne de
+cuivre, avec
+laquelle il fit signe &agrave; M. Pickwick aussi gravement que la
+statue du
+commandeur.</p>
+<p>M. Snodgrass fut le premier &agrave; rompre le silence
+d'&eacute;tonnement qui r&eacute;gnait
+dans la chambre. Durant quelques minutes, il regarda fixement M.
+Grummer
+et dit ensuite avec force: &laquo;Ceci est une chambre
+particuli&egrave;re, monsieur!
+une chambre particuli&egrave;re!&raquo;</p>
+<p>M. Grummer secoua la t&ecirc;te et r&eacute;pondit: &laquo;Il n'y a
+point de chambres
+particuli&egrave;res pour Sa Majest&eacute;, quand une fois la porte de
+la rue est
+pass&eacute;e; v'l&agrave; la loi. Y en a qui disent que la maison d'un
+Anglais, c'est
+sa forteresse; eh bien! ceux-l&agrave; disent une b&ecirc;tise.&raquo;</p>
+<p>Les pickwickiens &eacute;chang&egrave;rent entre eux des coups d'&#339;il
+&eacute;tonn&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;Lequel c'est-il qu'est M. Tupman?&raquo; demanda M. Grummer.
+Il avait reconnu
+M. Pickwick du premier coup par une perception intuitive.</p>
+<p>&#8212;Mon nom est Tupman, dit ce gentleman.</p>
+<p>&#8212;Mon nom est la loi, reprit M. Grummer.</p>
+<p>&#8212;Quoi? demanda M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;La loi, r&eacute;pliqua M. Grummer. La loi, le pouvoir incivil et
+&eacute;s&eacute;cutif,
+c'est mon titre, et v'l&agrave; mon autorit&eacute;. &laquo;Tupman (nom
+de bapt&ecirc;me en
+blanc); Pickwick (idem): contre la paix de notre seigneur le roi, vu
+les
+estatuts et ordonnances....&raquo; C'est en r&egrave;gle, vous voyez!
+je vous
+empoigne les susdits Pickwick et Tupman.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que signifie cette insolence? s'&eacute;cria M. Tupman en
+se
+levant. Quittez cette chambre! sortez sur-le-champ!</p>
+<p>&#8212;Oh&eacute;! cria M. Grummer en se retirant rapidement vers la porte
+et en
+l'entre-b&acirc;illant, Dubbley!</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;! dit une voix grave dans le corridor.</p>
+<p>Au m&ecirc;me instant, un homme qui avait pr&egrave;s de six pieds
+de haut et une
+grosseur proportionn&eacute;e se fourra dans la porte entr'ouverte,
+avec des
+efforts qui rendirent tout rouge son visage malpropre, et entra dans
+l'appartement.</p>
+<p>&laquo;Dubbley, dit M. Grummer, les autres constables sp&eacute;cial
+est-il dehors?&raquo;</p>
+<p>En homme laconique, M. Dubbley ne r&eacute;pondit que par un signe
+affirmatif.</p>
+<p>&laquo;Faites entrer la division qu'est sous vos ordres,
+Dubbley.&raquo;</p>
+<p>M. Dubbley ob&eacute;it, et une demi-douzaine d'hommes, porteurs de
+gros b&acirc;tons
+courts, avec une couronne de cuivre, se pr&eacute;cipit&egrave;rent
+dans la chambre.
+M. Grummer empocha son b&acirc;ton, et regarda M. Dubbley; M. Dubbley
+empocha
+son b&acirc;ton, et regarda la division; la division empocha ses
+b&acirc;tons, et
+regarda MM. Tupman et Pickwick.</p>
+<p>Le philosophe et ses partisans se lev&egrave;rent comme un seul
+homme.</p>
+<p>&laquo;Que signifie cette violation atroce de mon domicile,
+s'&eacute;cria M.
+Pickwick?</p>
+<p>&#8212;Qui oserait m'arr&ecirc;ter? demanda M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Que venez-vous faire ici, coquins? murmura M. Snodgrass.&raquo;</p>
+<p>M. Winkle ne dit rien, mais il fixa ses yeux sur Grummer avec un
+regard
+qui lui aurait perc&eacute; la cervelle et serait ressorti de l'autre
+c&ocirc;t&eacute;, si
+le constable n'avait pas eu la t&ecirc;te plus dure que du fer; mais,
+&agrave; cause
+de cette circonstance, le regard de M. Winkle n'eut sur lui aucun effet
+visible quelconque.</p>
+<p>Quand les ex&eacute;cutifs s'aper&ccedil;urent que M. Pickwick et
+ses amis &eacute;taient
+dispos&eacute;s &agrave; r&eacute;sister &agrave; l'autorit&eacute; de
+la loi, ils relev&egrave;rent les manches
+de leurs habits d'une mani&egrave;re tr&egrave;s-significative, comme
+si c'&eacute;tait une
+chose toute simple, un acte purement professionnel, de jeter les
+d&eacute;linquants par terre, pour les ramasser ensuite et les
+emporter. Cette
+d&eacute;monstration ne fut pas perdue pour M. Pickwick. Il
+conf&eacute;ra &agrave; part
+pendant quelques instants avec M. Tupman, et d&eacute;clara ensuite
+qu'il &eacute;tait
+pr&ecirc;t &agrave; se rendre &agrave; la r&eacute;sidence du maire,
+ajoutant seulement qu'il
+prenait &agrave; t&eacute;moin tous les citoyens pr&eacute;sents de
+cette monstrueuse
+atteinte aux privil&egrave;ges d'un anglais, et de son engagement
+solennel de
+s'en faire rendre raison aussit&ocirc;t qu'il serait en libert&eacute;.
+A cette
+d&eacute;claration, tous les <i>citoyens</i> pr&eacute;sents
+&eacute;clat&egrave;rent de rire, except&eacute;
+cependant M. Grummer, qui paraissait consid&eacute;rer comme une
+esp&egrave;ce de
+blasph&egrave;me intol&eacute;rable la moindre r&eacute;flexion sur le
+droit divin des
+magistrats.</p>
+<p>Mais lorsque M. Pickwick eut d&eacute;clar&eacute; qu'il
+&eacute;tait pr&ecirc;t &agrave; ob&eacute;ir aux lois
+de son pays, et justement lorsque les gar&ccedil;ons, les palefreniers,
+les
+servantes et les postillons, que sa r&eacute;sistance avait
+flatt&eacute;s d'un
+charmant spectacle, commen&ccedil;aient &agrave; se retirer avec
+d&eacute;sappointement, une
+autre difficult&eacute; s'&eacute;leva qui mena&ccedil;a le <i>Grand
+Cheval blanc</i> d'une
+confusion nouvelle. Malgr&eacute; ses sentiments de
+v&eacute;n&eacute;ration pour les
+autorit&eacute;s constitu&eacute;es, M. Pickwick refusa
+r&eacute;solument de para&icirc;tre dans la
+rue, entour&eacute;, comme un malfaiteur, par les officiers de la
+justice. Dans
+l'&eacute;tat incertain de l'opinion publique (car c'&eacute;tait
+presque f&ecirc;te, et les
+&eacute;coliers n'&eacute;taient pas encore rentr&eacute;s chez eux),
+M. Grummer refusa tout
+aussi r&eacute;solument de marcher avec sa suite d'un c&ocirc;t&eacute;
+de la rue, et
+d'accepter la parole de M. Pickwick qu'il suivrait l'autre
+c&ocirc;t&eacute; pour se
+rendre directement chez le magistrat. Enfin, M. Pickwick et M. Tupman
+se
+refus&egrave;rent vigoureusement &agrave; faire la d&eacute;pense d'une
+chaise de poste, ce
+qui &eacute;tait le seul moyen de transport respectable qu'on p&ucirc;t
+se procurer.
+La dispute dura longtemps et sur une clef tr&egrave;s-haute. Enfin, M.
+Pickwick, continuant de refuser de se rendre &agrave; pied chez le
+magistrat,
+les ex&eacute;cutifs &eacute;taient sur le point de recourir &agrave;
+l'exp&eacute;dient bien simple
+de l'y porter, lorsque quelqu'un se rappela qu'il y avait dans la cour
+une vieille chaise &agrave; porteurs, construite originairement pour un
+gros
+rentier goutteux, et qui par cons&eacute;quent devait contenir les deux
+coupables aussi commod&eacute;ment, pour le moins, qu'un cabriolet
+moderne. La
+chaise fut donc lou&eacute;e et apport&eacute;e dans la salle d'en bas;
+M. Pickwick
+et M. Tupman s'insinu&egrave;rent dans l'int&eacute;rieur, et
+baiss&egrave;rent les stores;
+une couple de porteurs fut facilement trouv&eacute;e; enfin, la
+procession se
+mit en marche dans le plus grand ordre. Les constables sp&eacute;ciaux
+entouraient le char; M. Grummer et M. Dubbley s'avan&ccedil;aient
+triomphalement en t&ecirc;te; M. Snodgrass et M. Winkle marchaient bras
+dessus, bras dessous, par derri&egrave;re, et les malpeign&eacute;s
+d'Ipswich
+formaient l'arri&egrave;re-garde.</p>
+<p>Les boutiquiers de la ville, quoiqu'ils n'eussent qu'une id&eacute;e
+fort
+indistincte de la nature de l'offense, ne pouvaient s'emp&ecirc;cher
+d'&ecirc;tre
+tout &agrave; fait &eacute;difi&eacute;s et r&eacute;jouis par ce
+spectacle. Ils reconnaissaient le
+bras infatigable de la loi, qui &eacute;tait descendu, avec la force de
+vingt
+presses hydrauliques, sur deux coupables de la m&eacute;tropole
+elle-m&ecirc;me.
+Cette puissante machine, mise en mouvement par leur propre magistrat,
+et
+dirig&eacute;e par leurs propres officiers, avait comprim&eacute; les
+deux malfaiteurs
+dans l'&eacute;troite enceinte d'une chaise &agrave; porteurs.
+Nombreuses furent les
+expressions d'admiration qui salu&egrave;rent M. Grummer pendant qu'il
+conduisait le cort&egrave;ge, son b&acirc;ton de commandement &agrave;
+la main; bruyantes et
+prolong&eacute;es &eacute;taient les acclamations des
+malpeign&eacute;s; et parmi ces
+t&eacute;moignages unanimes de l'approbation publique, la procession
+s'avan&ccedil;ait
+lentement et majestueusement.</p>
+<p>Sam Weller, v&ecirc;tu de sa jaquette du matin et avec ses manches
+de calicot
+noir, s'en revenait d'assez mauvaise humeur, car il avait inutilement
+examin&eacute; la myst&eacute;rieuse maison &agrave; la porte verte,
+lorsqu'il aper&ccedil;ut, en
+levant les yeux, un flot de populaire qui s'avan&ccedil;ait autour d'un
+objet
+ressemblant fort &agrave; une chaise &agrave; porteur. Charm&eacute; de
+trouver une
+distraction &agrave; son d&eacute;sappointement, il se rangea pour
+laisser passer les
+malpeign&eacute;s, et voyant qu'ils applaudissaient en chemin, &agrave;
+leur grande
+satisfaction apparente, il commen&ccedil;a imm&eacute;diatement (par
+pur d&eacute;s&#339;uvrement)
+&agrave; applaudir aussi de toutes ses forces et de tous ses poumons.</p>
+<p>M. Grummer passa, et M. Dubbley passa, et la chaise &agrave;
+porteurs passa, et
+les gardes du corps sp&eacute;ciaux pass&egrave;rent, et Sam
+r&eacute;pondait toujours aux
+acclamations enthousiastes de la populace, en agitant son chapeau
+au-dessus de sa t&ecirc;te, comme s'il e&ucirc;t &eacute;t&eacute;
+entra&icirc;n&eacute; par la joie la plus
+vive, quoique, bien entendu, il n'e&ucirc;t pas la plus
+l&eacute;g&egrave;re id&eacute;e de ce
+qu'il applaudissait. Tout &agrave; coup il resta immobile, en voyant
+inopin&eacute;ment appara&icirc;tre MM. Winkle et Snodgrass.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'est arriv&eacute;, gentlemen? demanda Sam.
+Qu'est-ce qu'ils ont
+pinc&eacute; dans cette gu&eacute;rite en deuil?&raquo;</p>
+<p>Les deux amis r&eacute;pondirent ensemble: mais leurs paroles
+&eacute;taient domin&eacute;es
+par le tumulte.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce qu'est dedans?&raquo; cria Sam de nouveau.</p>
+<p>Une seconde r&eacute;plique lui fut donn&eacute;e en commun, et
+quoiqu'il n'en p&ucirc;t
+distinguer les paroles, il vit par le mouvement des deux paires de
+l&egrave;vres qu'elles avaient prononc&eacute; le mot magique: <i>Pickwick</i>.</p>
+<p>C'en est assez; en une minute l'h&eacute;ro&iuml;que valet s'ouvre
+un chemin &agrave;
+travers la foule, arr&ecirc;te les porteurs, et vient affronter le
+majestueux
+Grummer.</p>
+<p>&laquo;Oh&eacute;! vieux gentleman, lui dit-il; qu'est-ce que vous
+avez coffr&eacute; dans
+cette bo&icirc;te ici?</p>
+<p>&#8212;Gare de del&agrave;! s'&eacute;cria avec emphase M. Grummer, dont
+l'importance,
+comme celle de beaucoup d'autres grands hommes, &eacute;tait
+singuli&egrave;rement
+enfl&eacute;e par le vent de la popularit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Faites-y prendre un billet de parterre, cria M. Dubbley.</p>
+<p>&#8212;Je vous suis fort oblig&eacute; pour votre politesse, vieux
+gentleman, reprit
+Sam; et je suis encore plus oblig&eacute; &agrave; l'autre gentleman
+qui a l'air
+&eacute;chapp&eacute; d'une caravane de g&eacute;ants, pour son
+agr&eacute;able avis; mais
+j'aimerais mieux que vous r&eacute;pondissiez &agrave; ma question, si
+&ccedil;a vous est
+&eacute;gal.&#8212;Comment vous portez-vous, monsieur?&raquo; Cette
+derni&egrave;re phrase &eacute;tait
+adress&eacute;e, d'un air protecteur, &agrave; M. Pickwick, dont les
+lunettes &eacute;taient
+perceptibles entre les stores et le ch&acirc;ssis inf&eacute;rieur de
+la porti&egrave;re de
+la chaise.</p>
+<p>M. Grummer, que l'indignation avait rendu muet, agita devant les
+yeux de
+Sam son gros b&acirc;ton, orn&eacute; d'une couronne de cuivre.</p>
+<p>&laquo;Ah! dit celui-ci, c'est fort gentil; sp&eacute;cialement la
+couronne, qui est
+herm&eacute;tiquement pareille &agrave; la v&eacute;ritable.</p>
+<p>&#8212;Gare de del&agrave;!&raquo; vocif&eacute;ra de nouveau le
+fonctionnaire offens&eacute;; et comme
+pour donner plus de force &agrave; cet ordre, il saisit Sam d'une main,
+tandis
+que de l'autre il introduisait dans sa cravate le m&eacute;tallique
+embl&egrave;me de
+la royaut&eacute;. Notre h&eacute;ros r&eacute;pondit &agrave; ce
+compliment en jetant par terre son
+auteur, apr&egrave;s avoir charitablement renvers&eacute; le premier
+porteur, pour lui
+servir de tapis.</p>
+<p>M. Winkle fut-il alors saisi d'une attaque temporaire de cette
+esp&egrave;ce
+d'insanit&eacute; produite par le sentiment d'une injure, ou fut-il mis
+en
+train par le spectacle de la valeur de Sam? C'est ce qui est incertain.
+Mais il est certain qu'&agrave; peine avait-il vu tomber Grummer, qu'il
+fit une
+terrible invasion sur un petit gamin qui se trouvait pr&egrave;s de
+lui.
+&Eacute;chauff&eacute; par cet exemple, M. Snodgrass, dans un esprit
+v&eacute;ritablement
+chr&eacute;tien, et afin de ne prendre personne en tra&icirc;tre,
+annon&ccedil;a hautement
+qu'il allait commencer; aussi fut-il entour&eacute; et empoign&eacute;
+pendant qu'il
+&ocirc;tait son habit avec le plus grand soin. Au reste, pour lui
+rendre
+justice, ainsi qu'&agrave; M. Winkle, nous devons d&eacute;clarer
+qu'ils ne firent pas
+la plus l&eacute;g&egrave;re tentative pour se d&eacute;fendre, ni pour
+d&eacute;livrer Sam; car
+celui-ci, apr&egrave;s la plus vigoureuse r&eacute;sistance, avait
+enfin &eacute;t&eacute; accabl&eacute;
+par le nombre et &eacute;tait demeur&eacute; prisonnier. La procession
+se reforma
+donc, les porteurs firent leur office, et la marche recommen&ccedil;a.</p>
+<p>Pendant toute la dur&eacute;e de ces op&eacute;rations,
+l'indignation de M. Pickwick
+n'avait pas connu de bornes. Il distinguait confus&eacute;ment que Sam
+renversait les constables et distribuait des horions autour de lui;
+mais
+c'&eacute;tait tout ce qu'il pouvait voir, car la porti&egrave;re de la
+chaise
+refusait de s'ouvrir, et les stores ne voulaient pas se relever. A la
+fin, avec l'assistance de son compagnon de captivit&eacute;, M.
+Pickwick
+parvint &agrave; soulever l'imp&eacute;riale, monta sur la banquette,
+se haussa le
+plus qu'il put en appuyant ses deux mains sur les &eacute;paules de M.
+Tupman,
+et commen&ccedil;a &agrave; haranguer la multitude. Il la prit &agrave;
+t&eacute;moin que son
+domestique avait &eacute;t&eacute; assailli le premier. Il
+s'&eacute;tendit &eacute;loquemment sur
+la brutalit&eacute; inexcusable avec laquelle lui-m&ecirc;me avait
+&eacute;t&eacute; trait&eacute;, et ce
+fut de cette mani&egrave;re que la caravane atteignit la maison du
+magistrat;
+les porteurs trottant, les prisonniers suivant, M. Pickwick haranguant,
+et la populace vocif&eacute;rant.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXV"></a>
+<h2>CHAPITRE XXV.</h2>
+<h3>Montrant combien M. Nupkins &eacute;tait majestueux et impartial,
+et comment
+Sam Weller prit sa revanche de M. Job Trotter; avec d'autres
+&eacute;v&eacute;nements
+qu'on trouvera &agrave; leur place.</h3>
+<br/>
+<p>M. Snodgrass et M. Winkle &eacute;coutaient avec un sombre respect
+le torrent
+d'&eacute;loquence qui d&eacute;coulait des l&egrave;vres de leur
+mentor, et que ne pouvaient
+arr&ecirc;ter ni le mouvement rapide de la chaise &agrave; porteurs, ni
+les
+supplications instantes de M. Tupman pour abaisser le couvercle de la
+voiture. Mais l'indignation de Sam, tandis qu'on l'emportait, avait un
+caract&egrave;re plus bruyant. Il faisait de nombreuses allusions
+&agrave; la tournure
+de M. Grummer et de ses compagnons, et il exhalait son
+m&eacute;contentement
+par de courageux d&eacute;fis qu'il lan&ccedil;ait indistinctement
+&agrave; six des plus
+valeureux spectateurs. Cependant sa col&egrave;re fit promptement place
+&agrave; la
+curiosit&eacute;, lorsque la procession entra pr&eacute;cis&eacute;ment
+dans la cour o&ugrave; il
+avait rencontr&eacute; le fuyard Job Trotter; et la curiosit&eacute;
+fut remplac&eacute;e par
+le sentiment du plus joyeux &eacute;tonnement, lorsque l'important M.
+Grummer
+s'avan&ccedil;a, d'un pas noble, justement vers la porte verte
+d'o&ugrave; Job Trotter
+&eacute;tait sorti. Au bruit de la sonnette, qu'il fit retentir
+fortement,
+accourut une jeune servante tr&egrave;s-jolie et tr&egrave;s-pimpante
+qui, apr&egrave;s avoir
+lev&eacute; ses mains vers le ciel, &agrave; l'apparence rebelle des
+prisonniers et au
+langage passionn&eacute; de M. Pickwick, appela M. Muzzle. M. Muzzle
+ouvrit &agrave;
+moiti&eacute; la porte coch&egrave;re pour admettre la chaise &agrave;
+porteurs, les captifs
+et les sp&eacute;ciaux; puis la referma violemment au nez de la
+populace.
+Justement indign&eacute;e d'une telle exclusion et vivement
+d&eacute;sireuse de voir
+ce qui arriverait ensuite, la dite populace soulagea son ennui en
+frappant &agrave; la porte et en tirant la sonnette pendant une heure
+ou deux,
+amusement auquel prirent part, tour &agrave; tour, tous les mal
+peign&eacute;s,
+except&eacute; trois ou quatre qui eurent le bonheur de
+d&eacute;couvrir dans la porte
+un vasistas grill&eacute;, &agrave; travers lequel on n'apercevait
+rien. Ceux-ci
+rest&egrave;rent pendus &agrave; cette ouverture, avec la
+pers&eacute;v&eacute;rance infatigable qui
+fait que certaines gens s'aplatissent le nez contre les carreaux d'un
+apothicaire, quand un homme saoul, renvers&eacute; par un dog-cart,
+subit une
+op&eacute;ration chirurgicale dans l'arri&egrave;re-parloir.</p>
+<p>La chaise &agrave; porteurs s'arr&ecirc;ta devant un escalier de
+pierre conduisant &agrave;
+la porte de la maison, et gard&eacute;, de chaque c&ocirc;t&eacute;,
+par un alo&egrave;s am&eacute;ricain,
+debout dans une caisse verte. D&eacute;pos&eacute;s l&agrave;, M.
+Pickwick et ses amis furent
+ensuite amen&eacute;s dans la grande salle, et, ayant &eacute;t&eacute;
+annonc&eacute;s par Muzzle,
+furent admis en la pr&eacute;sence du vigilant M. Nupkins.</p>
+<p>La sc&egrave;ne &eacute;tait pleine de grandeur et bien
+calcul&eacute;e pour frapper de
+terreur le c&#339;ur des coupables, et pour leur inculquer une haute
+id&eacute;e de
+la s&eacute;v&egrave;re majest&eacute; des lois. Devant un
+&eacute;norme cartonnier, dans un &eacute;norme
+fauteuil, derri&egrave;re une &eacute;norme table, et appuy&eacute; sur
+un &eacute;norme volume,
+&eacute;tait assis M. Nupkins, qui paraissait encore plus &eacute;norme
+que tous ces
+objets r&eacute;unis. La table &eacute;tait orn&eacute;e de piles de
+papiers, de l'autre c&ocirc;t&eacute;
+desquels apparaissaient la t&ecirc;te et les &eacute;paules de M.
+Jinks, activement
+occup&eacute; &agrave; avoir l'air aussi occup&eacute; que possible. La
+caravane &eacute;tant
+entr&eacute;e, Muzzle ferma soigneusement la porte et se pla&ccedil;a
+derri&egrave;re le
+fauteuil de son ma&icirc;tre, pour attendre ses ordres, tandis que M.
+Nupkins,
+se penchant en arri&egrave;re avec une solennit&eacute; importante,
+scrutait la figure
+de ses h&ocirc;tes forc&eacute;s.</p>
+<p>M. Pickwick, interpr&egrave;te ordinaire de ses amis, se tenait
+debout, son
+chapeau &agrave; la main, et saluait avec la plus respectueuse
+politesse. &laquo;Quel
+est cet individu? dit M. Nupkins, en le montrant du doigt &agrave;
+l'homme d'un
+&acirc;ge m&ucirc;r.</p>
+<p>&#8212;Cti-ci, c'est Pickwick, Votre Vin-&agrave;-ration, r&eacute;pondit
+Grummer.</p>
+<p>&#8212;Allons, allons, en voil&agrave; assez, vieux gobe-mouche,
+interrompit Sam, en
+s'ouvrant, avec les coudes, un passage jusqu'au premier rang. Je vous
+demande pardon, monsieur, mais cet officier-ci, avec ses bottes
+&agrave; revers
+nankin, il ne gagnera jamais sa vie nulle part comme ma&icirc;tre des
+c&eacute;r&eacute;monies. Voil&agrave; ici, continua Sam, en mettant de
+c&ocirc;t&eacute; M. Grummer et en
+s'adressant au magistrat avec une agr&eacute;able familiarit&eacute;,
+voil&agrave; ici Samuel
+Pickwick, esquire; voil&agrave; ici M. Tupman; voil&agrave; ici M.
+Snodgrass; et plus
+loin, &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui, de l'autre c&ocirc;t&eacute;,
+M. Winkle, tous des gentlemen bien
+gentils, monsieur, et dont vous auriez du plaisir &agrave; faire la
+connaissance. Aussi, plus t&ocirc;t vous aurez coffr&eacute; tous ces
+bedeaux-l&agrave;,
+pour un mois ou deux, au <i>Tread-mill</i><a name="FNanchor_28_28"></a><a
+ href="#Footnote_28_28"><sup>28</sup></a>, et plus t&ocirc;t nous
+serons bons
+amis. Les affaires d'abord, tes plaisirs apr&egrave;s, comme dit le roi
+Richard quand il poignarda l'autre dans la tour, avant
+d'&eacute;touffer les
+moutards.&raquo;</p>
+<p>Apr&egrave;s avoir d&eacute;bit&eacute; cette adresse, Sam s'occupa
+&agrave; polir son chapeau avec
+son coude droit, et fit d'un air b&eacute;nin un signe de t&ecirc;te
+&agrave; M. Jinks, qui
+l'avait entendu d'un bout &agrave; l'autre avec une indicible terreur.</p>
+<p>&laquo;Quel est cet homme, Grummer? balbutia le magistrat.</p>
+<p>&#8212;Un malfaiteur tr&egrave;s-dangereux, Votre Vin-&agrave;-ration. Il
+a voulu d&eacute;livrer
+les prisonniers et il a attaqu&eacute; les agents de l'autorit&eacute;.
+Com'&ccedil;a nous
+l'avons empoign&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Vous avez bien fait, Grummer. C'est &eacute;videmment un bandit
+audacieux.</p>
+<p>&#8212;C'est mon domestique, monsieur, dit M. Peckwick, avec un peu
+d'irritation.</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est votre domestique?&#8212;Conspiration pour arr&ecirc;ter le
+cours de la
+justice et pour assassiner ses officiers. Domestique de Pickwick.
+&Eacute;crivez cela, monsieur Jinks.&raquo;</p>
+<p>M. Jinks &eacute;crivit.</p>
+<p>&laquo;Comment vous appelez-vous, dr&ocirc;le? poursuivit le
+magistrat.</p>
+<p>&#8212;Weller, r&eacute;pondit Sam.</p>
+<p>&#8212;Un excellent nom pour le calendrier de Newgate,&raquo; observa M.
+Nupkins.</p>
+<p>C'&eacute;tait une plaisanterie; aussi Grummer, Dubbley, tous les
+sp&eacute;ciaux, et
+Muzzle &eacute;clat&egrave;rent-ils de rire, avec des convulsions qui
+dur&egrave;rent pendant
+cinq minutes.</p>
+<p>&laquo;&Eacute;crivez son nom, monsieur Jinks, reprit le magistrat</p>
+<p>&#8212;Mettez deux <i>l</i>, vieux pigeon, dit Sam.&raquo;</p>
+<p>Ici, un malheureux sp&eacute;cial se mit &agrave; rire encore et le
+magistrat le
+mena&ccedil;a de le faire empoigner sur-le-champ. Il est dangereux,
+quelquefois, de rire mal &agrave; propos.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; vivez-vous? demanda le magistrat.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; je me trouve, r&eacute;pondit Sam.</p>
+<p>&#8212;Notez cela, monsieur Jinks! cria le magistrat, dont la
+col&egrave;re
+s'augmentait rapidement.</p>
+<p>&#8212;Et n'oubliez pas de souligner, poursuivit Sam.</p>
+<p>&#8212;C'est un vagabond, monsieur Jinks! c'est un vagabond d'apr&egrave;s
+son
+propre aveu. N'est-ce pas vrai, monsieur Jinks, que c'est un vagabond?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien! s'&eacute;cria M. Nupkins en frappant la table de
+son poing;
+&eacute;crivez sur-le-champ son mandat de d&eacute;p&ocirc;t. Il faut
+lui apprendra &agrave; vivre!</p>
+<p>&#8212;Bien oblig&eacute;, mon magistrat, r&eacute;pliqua Sam. Mais vous
+devriez bien aller
+&agrave; c'te &eacute;cole-l&agrave; pendant quelques mois.&raquo;</p>
+<p>A cette saillie un autre sp&eacute;cial &eacute;clata de rire, et
+ensuite prit un air
+de gravit&eacute; tellement surnaturelle que M. Nupkins le
+d&eacute;couvrit
+imm&eacute;diatement.</p>
+<p>&laquo;Grummer! s'&eacute;cria-t-il en rougissant de courroux,
+comment osez-vous
+choisir pour constable sp&eacute;cial un &ecirc;tre aussi nul et aussi
+inconvenant
+que cet homme! R&eacute;pondez, monsieur!</p>
+<p>&#8212;J'en suis bien inflig&eacute;, Votre Vin-&agrave;-ration, balbutia
+Grummer.</p>
+<p>&#8212;Bien afflig&eacute;! r&eacute;p&eacute;ta le magistrat furieux.
+Vous avez raison de l'&ecirc;tre!
+je vous apprendrai &agrave; n&eacute;gliger ainsi votre devoir, M.
+Grummer! je ferai
+un exemple sur vous. Otez le b&acirc;ton de ce dr&ocirc;le. Il est
+ivre. Vous &ecirc;tes
+ivre, dr&ocirc;le!</p>
+<p>&#8212;Non Fotre F&eacute;n&eacute;ration, r&eacute;pondit l'homme; je ne
+suis pas ifre.</p>
+<p>&#8212;Vous &ecirc;tes ivre! r&eacute;pliqua le magistrat. Comment
+osez-vous dire que nous
+n'&ecirc;tes pas ivre, monsieur, quand je vous dis que vous &ecirc;tes
+ivre. Est-ce
+qu'il ne sent pas l'eau-de-vie, Grummer?</p>
+<p>&#8212;Horriblement, Votre Vin-&agrave;-ration, r&eacute;pondit M.
+Grummer, dont les nerfs
+olfactifs &eacute;prouvaient effectivement une vague impression de rhum.</p>
+<p>&#8212;J'en &eacute;tais s&ucirc;r, reprit M. Nupkins. Quand il est
+entr&eacute; dans la chambre,
+j'ai vu &agrave; son &#339;il enflamm&eacute; qu'il &eacute;tait ivre.
+Avez-vous remarqu&eacute; son &#339;il
+enflamm&eacute;, M. Jinks?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Che n'ai pas touch&eacute; une koutte d'eau-te-fie t'aujourd'hui,
+d&eacute;clara
+l'homme, qui &eacute;tait peut-&ecirc;tre le plus sobre de toute la
+bande.</p>
+<p>&#8212;Monsieur Jinks, poursuivit le magistrat, je l'enverrai en prison
+pour
+avoir insult&eacute; la cour. &Eacute;crivez son mandat de
+d&eacute;p&ocirc;t, M. Jinks.&raquo;</p>
+<p>Cependant M. Jinks, qui &eacute;tait le conseiller de M. Nupkins, et
+qui avait
+eu une &eacute;ducation l&eacute;gale, car il avait pass&eacute; trois
+ann&eacute;es dans l'&eacute;tude
+d'un procureur de province; M. Jinks, disons-nous, fit observer tout
+bas
+au magistrat que cela ne pourrait pas aller ainsi. Le magistrat
+improvisa donc un discours, dans lequel il d&eacute;clara que par
+consid&eacute;ration
+pour la famille du sp&eacute;cial il se contentait de le
+r&eacute;primander et de le
+casser. En cons&eacute;quence, le malheureux coupable fut violemment
+injuri&eacute;
+pendant un quart d'heure, puis renvoy&eacute; &agrave; ses affaires; et
+Grummer,
+Dubbley, Muzzle et tous les autres sp&eacute;ciaux murmur&egrave;rent,
+pendant un
+autre quart d'heure, leur admiration de la conduite magnanime du
+magistrat.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur Jinks, reprit celui-ci, faites
+pr&ecirc;ter serment &agrave;
+Grummer.&raquo;</p>
+<p>Grummer pr&ecirc;ta serment imm&eacute;diatement, mais comme il
+s'&eacute;garait dans sa
+d&eacute;position, et comme le d&icirc;ner de M. Nupkins &eacute;tait
+pr&ecirc;t, le magistrat,
+pour couper court, se mit &agrave; faire des questions &agrave; M.
+Grummer, et M.
+Grummer lui r&eacute;pondait affirmativement autant qu'il le pouvait,
+si bien
+que l'instruction marcha tr&egrave;s-rapidement et
+tr&egrave;s-confortablement. Sam
+Weller fut convaincu de voies de fait, M. Winkle de menaces, M.
+Snodgrass de r&eacute;sistance; et quand tout ceci fut fait &agrave; la
+satisfaction
+du magistrat, le magistrat et M. Jinks se consult&egrave;rent &agrave;
+voix basse.</p>
+<p>La consultation ayant dur&eacute; environ dix minutes, M. Jinks se
+retira &agrave; son
+bout de la table, et le magistrat, apr&egrave;s une toux
+pr&eacute;paratoire, se
+redressa dans son fauteuil et allait prononcer un discours lorsque M.
+Pickwick prit la parole.</p>
+<p>&laquo;Monsieur, dit-il, je vous demande pardon de vous interrompre;
+mais
+avant que vous exprimiez l'opinion que vous pouvez avoir form&eacute;e,
+et
+avant que vous agissiez en cons&eacute;quence, je dois r&eacute;clamer
+mon droit
+d'&ecirc;tre entendu, pour ce qui me regarde personnellement, du moins.</p>
+<p>&#8212;Taisez-vous, monsieur? s'&eacute;cria le magistrat d'un ton
+p&eacute;remptoire.</p>
+<p>&#8212;Il faut bien que je me soumette &agrave; votre autorit&eacute;,
+monsieur, r&eacute;pondit
+M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Taisez-vous, monsieur! reprit le magistrat, ou je vous ferai
+emmener
+par un de mes officiers.</p>
+<p>&#8212;Vous pouvez ordonner &agrave; vos officiers de faire tout ce qu'il
+vous
+plaira, monsieur; et d'apr&egrave;s ce que j'ai vu de leur
+subordination je
+n'ai pas le plus petit doute qu'ils n'ex&eacute;cutent tout ce qu'il
+vous
+plaira de leur ordonner; mais je prendrai la libert&eacute; de
+r&eacute;clamer le
+droit que j'ai d'&ecirc;tre entendu, et je le r&eacute;clamerai
+jusqu'&agrave; ce qu'on
+m'&eacute;loigne d'ici par la violence.</p>
+<p>&#8212;Pickwick et les principes! s'&eacute;cria Sam d'une voix sonore.</p>
+<p>&#8212;Sam, tenez-vous tranquille, lui dit son ma&icirc;tre.</p>
+<p>&#8212;Muet comme un tambour trou&eacute;,&raquo; r&eacute;pliqua le
+personnage.</p>
+<p>M. Nupkins, frapp&eacute; d'&eacute;tonnement par une
+t&eacute;m&eacute;rit&eacute; si extraordinaire!
+lan&ccedil;a &agrave; M. Pickwick un regard courrouc&eacute;, et allait
+apparemment lui
+r&eacute;pondre tr&egrave;s-s&eacute;v&egrave;rement, lorsque M. Jinks
+le tira par la manche et lui
+chuchota quelque chose &agrave; l'oreille. Le magistrat fit une
+r&eacute;ponse a demi
+haut; puis le chuchotement fut renouvel&eacute;. Il &eacute;tait
+&eacute;vident que M. Jinks
+lui adressait des remontrances.</p>
+<p>A la fin, le magistrat, avalant de fort mauvaise gr&acirc;ce le
+d&eacute;pit qu'il
+&eacute;prouvait d'en entendre plus long, se retourna vers M. Pickwick
+et lui
+dit brusquement: &laquo;Qu'est-ce que vous avez &agrave; dire?</p>
+<p>&#8212;D'abord, r&eacute;pondit le philosophe, en lan&ccedil;ant &agrave;
+travers ses lunettes un
+regard qui intimida M. Nupkins sur son si&eacute;ge; d'abord je
+d&eacute;sire
+conna&icirc;tre pourquoi mon ami et moi nous avons &eacute;t&eacute;
+amen&eacute;s ici?</p>
+<p>&#8212;Suis-je tenu de le lui dire? chuchota le magistrat &agrave; M.
+Jinks.</p>
+<p>&#8212;Je pense que oui, monsieur, chuchota M. Jinks au magistrat.</p>
+<p>&#8212;On a d&eacute;pos&eacute; devant moi, sous la foi du serment, qu'il
+y avait lieu de
+craindre que vous ne voulussiez vous battre en duel; et que cet autre
+homme, Tupman, devait &ecirc;tre votre fauteur et votre complice dans
+le dit
+duel; c'est pourquoi... eh! monsieur Jinks?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;C'est pourquoi, je vous condamne tous les deux &agrave;... Je pense
+que voil&agrave;
+l'affaire, monsieur Jinks.</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je vous condamne &agrave;... &agrave;... &agrave; quoi, monsieur
+Jinks? demanda le
+magistrat avec d&eacute;pit.</p>
+<p>&#8212;A fournir caution, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Oui. C'est pourquoi je vous condamne tous les deux, comme j'allais
+dire lorsque j'ai &eacute;t&eacute; interrompu par mon clerc, &agrave;
+fournir caution.</p>
+<p>&#8212;Bonne caution, chuchota L. Jinks.</p>
+<p>&#8212;J'exigerai deux bonnes cautions, reprit le magistrat.</p>
+<p>&#8212;Bourgeois de la ville, chuchota M. Jinks.</p>
+<p>&#8212;Qui doivent &ecirc;tre des bourgeois de la ville, poursuivit le
+magistrat.</p>
+<p>&#8212;Cinquante guin&eacute;es chacune et des propri&eacute;taires, comme
+il va sans dire.</p>
+<p>&#8212;J'exigerai deux cautions de cinquante guin&eacute;es chacune,
+continua le
+magistrat &agrave; voit haute et avec grande dignit&eacute;; et je
+n'accepterai que
+des propri&eacute;taires, comme il va sans dire.</p>
+<p>&#8212;Mais, monsieur, fit observer M. Pickwick, qui, ainsi que M. Tupman,
+&eacute;tait rempli d'&eacute;tonnement et d'indignation, mais
+monsieur, nous sommes
+parfaitement &eacute;trangers &agrave; la ville et j'y connais autant
+de propri&eacute;taires
+que j'ai envie d'y avoir un duel.</p>
+<p>&#8212;Oui, oui, on conna&icirc;t &ccedil;a, dit le magistrat. N'est-ce
+pas, monsieur
+Jinks?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Avez-vous quelque chose a ajouter?&raquo; reprit le magistrat.</p>
+<p>M. Pickwick avait bien des choses &agrave; ajouter, et il les aurait
+ajout&eacute;es
+sans aucun doute, avec aussi peu de profit pour lui-m&ecirc;me que de
+satisfaction pour le magistrat, s'il n'avait pas &eacute;t&eacute;
+engag&eacute; alors avec
+Sam, dans une conversation tellement int&eacute;ressante qu'il
+n'entendit point
+la question qui lui &eacute;tait adress&eacute;e. M. Nupkins
+n'&eacute;tait point homme &agrave;
+demander deux fois une chose de cette nature. Il toussa donc de
+nouveau,
+d'une mani&egrave;re pr&eacute;paratoire, et pronon&ccedil;a sa
+d&eacute;cision au milieu du silence
+admirateur et respectueux des constables.</p>
+<p>Il condamnait Weller &agrave; deux guin&eacute;es d'amende pour les
+premi&egrave;res voies de
+fait, et &agrave; trois guin&eacute;es pour les secondes; il condamnait
+Winkle &agrave; deux
+guin&eacute;es; Snodgrass &agrave; une guin&eacute;e; et les
+requ&eacute;rait, en outre, de jurer
+qu'ils ne commettraient de violences sur aucun sujet de Sa
+Majest&eacute;, et
+notamment sur ses hommes liges, Daniel et Grummer: il avait
+d&eacute;j&agrave; requis
+Pickwick et Tupman de fournir des cautions.</p>
+<p>Aussit&ocirc;t que le magistrat eut cess&eacute; de parler, M.
+Pickwick, dont la
+physionomie &eacute;tait de nouveau anim&eacute;e par un sourire de
+bonne humeur, fit
+un pas en avant, et dit:</p>
+<p>&laquo;Je prie le magistrat de vouloir bien m'accorder quelques
+minutes de
+conversation en particulier. Il s'agit d'une affaire qui est d'une
+grave
+importance pour lui-m&ecirc;me.</p>
+<p>&#8212;Quoi!&raquo; s'&eacute;cria M. Nupkins.</p>
+<p>M. Pickwick r&eacute;p&eacute;ta sa requ&ecirc;te.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave; une demande bien extraordinaire! dit le
+magistrat. Une
+conversation en particulier!</p>
+<p>&#8212;Une conversation en particulier, r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick
+avec fermet&eacute;.
+Seulement, comme c'est par mon domestique que j'ai appris une partie de
+ce que j'ai &agrave; vous communiquer, je d&eacute;sirerais qu'il
+f&ucirc;t pr&eacute;sent.&raquo;</p>
+<p>Le magistrat regarda M. Jinks. M. Jinks regarda le magistrat, et les
+officiers se regard&egrave;rent l'un l'autre avec &eacute;tonnement.
+Tout &agrave; coup M.
+Nupkins devint p&acirc;le. Peut-&ecirc;tre ce Weller, dans un moment de
+remords,
+avait-il confess&eacute; quelque complot form&eacute; pour assassiner
+le magistrat.
+C'&eacute;tait une horrible pens&eacute;e! En effet, M. Nupkins
+&eacute;tait un homme
+politique; et il devint encore plus p&acirc;le en songeant &agrave;
+Jules C&eacute;sar et &agrave;
+M. Perceval.</p>
+<p>Il regarda de nouveau M. Pickwick et fit un signe &agrave; M. Jinks.</p>
+<p>&laquo;Que pensez-vous de cette demande, monsieur Jinks,&raquo;
+murmura-t-il &agrave; son
+oreille.</p>
+<p>M. Jinks, qui ne savait pas exactement qu'en penser, et qui avait
+peur
+d'offenser son patron, sourit faiblement, d'une mani&egrave;re
+douteuse; puis,
+serrant les coins de sa bouche, secoua lentement sa t&ecirc;te.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Jinks, dit le magistrat gravement, vous &ecirc;tes
+un &acirc;ne,
+monsieur.&raquo;</p>
+<p>En entendant cette petite expression famili&egrave;re, M. Jinks
+sourit encore,
+peut-&ecirc;tre plus faiblement que la premi&egrave;re fois, et se
+retira par degr&eacute;s
+dans son coin.</p>
+<p>Pendant quelques secondes M. Nupkins d&eacute;battit la question en
+lui-m&ecirc;me.
+Ensuite, se levant d'un air r&eacute;solu, il invita M. Pickwick et Sam
+&agrave; le
+suivre, et les conduisit dans une petite chambre qui s'ouvrait sur la
+salle de justice. L&agrave;, il leur fit signe d'aller jusqu'au fond,
+et
+lui-m&ecirc;me resta &agrave; l'entr&eacute;e, tenant sa main sur la
+porte &agrave; demi ferm&eacute;e,
+afin de pouvoir facilement battre en retraite s'il d&eacute;couvrait
+chez ses
+justiciables la plus l&eacute;g&egrave;re manifestation d'intentions
+hostiles. Enfin
+il d&eacute;clara qu'il &eacute;tait pr&ecirc;t &agrave; entendre leurs
+communications, quelles
+qu'elles pussent &ecirc;tre.</p>
+<p>&laquo;Monsieur, dit M. Pickwick, j'arriverai au fait tout d'un
+coup, car il
+s'agit d'une chose qui affecte notablement votre personne et votre
+honneur. J'ai tout lieu de croire, monsieur, que vous recevez dans
+votre
+maison un vil imposteur.</p>
+<p>&#8212;Deux! interrompit Sam; le valet en livr&eacute;e violette enfonce
+tout le
+monde, en fait de larmes et de la sc&eacute;l&eacute;ratesse!</p>
+<p>&#8212;Sam, dit M. Pickwick, je vous prie de vous mod&eacute;rer, afin que
+je puisse
+me rendre intelligible &agrave; ce gentleman.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute;, monsieur, r&eacute;pliqua Sam; mais
+quand je pensa &agrave; ce Job ici.
+Je ne peux pas m'emp&ecirc;cher d'ouvrir un peu la soupape de
+s&ucirc;ret&eacute;,
+autrement j'&eacute;claterais.</p>
+<p>&#8212;En un mot, monsieur, reprit M. Pickwick, mon domestique a-t-il
+raison
+de supposer qu'un certain capitaine Fitz-Marshall est dans l'habitude
+de
+vous faire des visites. Je vous demande cela, ajouta M. Pickwick en
+voyant que M. Nupkins &eacute;tait sur le point de l'interrompre avec
+indignation; je vous demande cela parce que je sais que cet individu
+est
+un....</p>
+<p>&#8212;Chut! chut! dit M, Nupkins en fermant la porte. Vous savez qu'il
+est
+quoi, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Un vagabond sans principes, un mis&eacute;rable aventurier, qui vit
+aux
+d&eacute;pens de la soci&eacute;t&eacute;; qui prend les gens faciles
+&agrave; tromper pour ses
+dupes, monsieur; pour ses absurdes, ses malheureuses, ses ridicules
+dupes, monsieur, s'&eacute;cria M. Pickwick surexcit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Dieu nous assiste! dit M. Nupkins en rougissant jusqu'aux oreilles,
+et
+en changeant sur-le-champ toutes ses mani&egrave;res. Dieu nous
+assiste,
+monsieur....</p>
+<p>&#8212;Pickwick, souffla Sam.</p>
+<p>&#8212;Pickwick, r&eacute;p&eacute;ta le magistrat. Dieu nous assiste,
+monsieur Pickwick.
+Asseyez-vous, je vous en prie. Que me dites-vous l&agrave;! Le
+capitaine
+Fitz-Marshall!</p>
+<p>&#8212;Ne l'appelez pas capitaine, interrompit Sam; ni Fitz-Marshall non
+plus. Il n'est ni l'un ni l'autre. C'est un cabotin qui s'appelle
+Jingle; et si jamais il y a eu un loup en habit violet, c'est ce Job
+Trotter ici.</p>
+<p>&#8212;Cela est tr&egrave;s-vrai, monsieur, dit M. Pickwick en
+r&eacute;ponse au regard
+d'&eacute;tonnement du magistrat; et ma seule affaire dans cette ville,
+&eacute;tait
+de d&eacute;masquer l'individu dont nous parlons.&raquo;</p>
+<p>Alors M. Pickwick r&eacute;pandit dans l'oreille
+&eacute;pouvant&eacute;e du magistrat, un
+r&eacute;cit abr&eacute;g&eacute; de toutes les atrocit&eacute;s de M.
+Jingle. Il rapporta comment
+leur connaissance s'&eacute;tait faite; comment Jingle s'&eacute;tait
+&eacute;chapp&eacute; avec
+miss Wardle; comment il avait joyeusement renonc&eacute; &agrave; cette
+demoiselle
+pour une somme d'argent; comment il avait attir&eacute; M. Pickwick,
+&agrave; minuit,
+dans une pension de jeunes demoiselles; et comment lui, M. Pickwick,
+regardait comme un devoir de d&eacute;voiler sa pr&eacute;sente
+usurpation de nom et
+de qualit&eacute;.</p>
+<p>A mesure que cette narration s'avan&ccedil;ait, tout le sang qui
+circulait
+habituellement dans le corps de M. Nupkins, se rassemblait dans les
+veines de son visage et jusqu'aux extr&eacute;mit&eacute;s de ses
+oreilles. Il avait
+ramass&eacute; le capitaine &agrave; une course de chevaux du
+voisinage, et l'avait
+pr&eacute;sent&eacute; &agrave; mistress Nupkins et &agrave; miss
+Nupkins. Celles-ci, charm&eacute;es par
+la longue liste des connaissances aristocratiques du capitaine
+Fitz-Marshall, par ses lointains voyages, par sa tournure fashionable,
+avaient exhib&eacute; le capitaine Fitz-Marshall, cit&eacute; le
+capitaine
+Fitz-Marshall, jet&eacute; le capitaine Fitz-Marshall au nez de toutes
+leurs
+connaissances; tellement que leurs amis de c&#339;ur, madame Porkenham, et
+les misses Porkenham, et M. Sidney Porkenham &eacute;taient pr&egrave;s
+d'en crever de
+jalousie et de d&eacute;sespoir; et maintenant, apr&egrave;s tout cela,
+il se trouvait
+que c'&eacute;tait un pauvre aventurier, un acteur ambulant, et sinon
+un
+escroc, du moins quelque chose qui y ressemblait tellement qu'il
+&eacute;tait
+bien difficile d'en faire la diff&eacute;rence! Juste ciel! que
+diraient les
+Porkenham! quel serait le triomphe de M. Sidney Porkenham quand il
+conna&icirc;trait le rival &agrave; qui ses galanteries avaient
+&eacute;t&eacute; sacrifi&eacute;es!
+Comment M. Nupkins oserait-il soutenir les regards du vieux Porkenham
+aux prochaines assises? Et si l'histoire se r&eacute;pandait, quel
+texte pour
+l'opposition magistrale!</p>
+<p>Il y eut un long silence.</p>
+<p>&laquo;Mais apr&egrave;s tout, s'&eacute;cria M. Nupkins, en
+redevenant radieux pour un
+instant; apr&egrave;s tout, ceci n'est qu'une simple all&eacute;gation.
+Le capitaine
+Fitz-Marshall a des mani&egrave;res fort engageantes, et j'ose dire
+qu'il s'est
+fait plus d'un ennemi. Quelles preuves avez-vous de la
+v&eacute;rit&eacute; de cette
+accusation?</p>
+<p>&#8212;Confrontez-moi avec lui, voil&agrave; tout ce que je vous demande,
+tout ce
+que j'exige. Confrontez-le avec moi et avec mes amis. Aurez-vous besoin
+d'autres preuves?</p>
+<p>&#8212;Vraiment, cela serait tr&egrave;s-facile, car il vient ici ce soir,
+et alors
+il n'y aurait pas besoin de rendre l'affaire publique, dans
+l'int&eacute;r&ecirc;t...
+dans l'int&eacute;r&ecirc;t du jeune homme seulement; vous voyez...
+cependant, je...
+je voudrais d'abord consulter Mme Nupkins, sur la convenance de cette
+d&eacute;marche. Mais &agrave; tous &eacute;v&eacute;nements, monsieur
+Pickwick, il faut exp&eacute;dier
+cette affaire l&eacute;gale avant de nous occuper d'autre chose.
+Revenez, je
+vous prie, dans la salle.</p>
+<p>Lorsqu'on y fut r&eacute;install&eacute;: &laquo;Grummer! dit le
+magistrat, d'une voix
+majestueuse:</p>
+<p>&#8212;Votre Vin-&agrave;-ration, r&eacute;pondit Grummer avec le sourire
+d'un favori.</p>
+<p>&#8212;Allons, allons, monsieur, reprit le magistrat
+s&eacute;v&egrave;rement; pas de
+l&eacute;g&egrave;ret&eacute; ici: c'est fort inconvenant, et je vous
+assure que vous avez
+peu de raison de sourire. Le r&eacute;cit que vous m'avez fait tout
+&agrave; l'heure
+&eacute;tait-il exactement vrai? Faites attention &agrave; vos
+r&eacute;ponses, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Votre Vin-&agrave;-ration balbutia Grummer, je....</p>
+<p>&#8212;Ah! vous vous troublez, monsieur! Monsieur Jinks, remarquez-vous
+qu'il
+se trouble?</p>
+<p>&#8212;Certainement, monsieur.</p>
+<p>&#8212;H&eacute; bien! voyons, r&eacute;p&eacute;tez votre
+d&eacute;position, Grummer; et je vous avertis
+encore de prendre garde &agrave; vous. Monsieur Jinks, &eacute;crivez
+sa d&eacute;position.&raquo;</p>
+<p>L'infortun&eacute; Grummer commen&ccedil;a donc &agrave; redire sa
+plainte. Mais gr&acirc;ce &agrave; ce
+que M. Jinks recueillait ses paroles, tandis que le magistrat les
+relevait, gr&acirc;ce aussi &agrave; sa diffusion naturelle et &agrave;
+sa confusion
+pr&eacute;sente, en moins de trois minutes il parvint &agrave;
+s'embarrasser dans un
+tel g&acirc;chis de contradictions, que M. Nupkins d&eacute;clara
+positivement qu'il
+ne le croyait pas. Les amendes furent donc annul&eacute;es; M. Jinks
+trouva en
+moins de rien une couple de cautions, et toutes ces op&eacute;rations
+solennelles ayant &eacute;t&eacute; termin&eacute;es d'une
+mani&egrave;re satisfaisante, M. Grummer
+fut ignominieusement renvoy&eacute;: exemple terrible de
+l'instabilit&eacute; des
+grandeurs humaines, et du peu de confiance qu'on doit avoir dans la
+faveur des grands.</p>
+<p>Mme Nupkins &eacute;tait une femme d&eacute;daigneuse et
+s&eacute;v&egrave;re, en turban de gaze
+bleue et en perruque brune. Miss Nupkins poss&eacute;dait toute la
+hauteur de
+sa m&egrave;re, moins le turban, et toute sa mauvaise humeur, moins la
+perruque. Or, chaque fois que l'exercice de ces deux aimables
+qualit&eacute;s
+embarrassait la m&egrave;re et la fille dans quelque dilemme
+d&eacute;sagr&eacute;able, ce
+qui arrivait assez fr&eacute;quemment, elles se r&eacute;unissaient
+pour jeter tout le
+bl&acirc;me sur les &eacute;paules de M. Nupkins. Ainsi, lorsque
+celui-ci alla
+trouver son &eacute;pouse, et lui communiqua les d&eacute;tails qui lui
+avaient &eacute;t&eacute;
+donn&eacute;s par M. Pickwick, madame Nupkins se rappela tout &agrave;
+coup qu'elle
+avait toujours soup&ccedil;onn&eacute; quelque chose de la sorte;
+qu'elle avait
+toujours dit que cela devait arriver; qu'on n'avait jamais voulu
+&eacute;couter
+ses avis; que r&eacute;ellement elle ne savait pas pour qui M. Nupkins
+la
+prenait, etc., etc.</p>
+<p>&laquo;Est-il possible, s'&eacute;cria miss Nupkins en fabriquant,
+dans le coin de
+chaque &#339;il, une larme d'une tr&egrave;s-maigre dimension, est-il
+possible que
+j'aie &eacute;t&eacute; ainsi tourn&eacute;e en ridicule!</p>
+<p>&#8212;Ah! ma ch&egrave;re, dit Mme Nupkins, vous pouvez en remercier
+votre papa.
+Combien je l'ai suppli&eacute; de s'informer de la famille du
+capitaine!
+combien je l'ai press&eacute; de prendre un parti d&eacute;cisif. Je
+suis s&ucirc;re que
+personne ne voudrait le croire &agrave; pr&eacute;sent.</p>
+<p>&#8212;Mais ma ch&egrave;re,... fit observer M. Nupkins.</p>
+<p>&#8212;Ne me parlez pas, &ecirc;tre insupportable!</p>
+<p>&#8212;Mon amour, vous aimiez tant le capitaine Fitz-Marshall; vous
+l'invitiez constamment ici, et vous ne perdiez aucune occasion de
+l'introduire chez nos amis.</p>
+<p>&#8212;Ne le disais-je pas, Henriette! s'&eacute;cria Mme Nupkins en
+s'adressant &agrave;
+sa fille avec l'air d'une femme injuri&eacute;e; ne vous le disais-je
+pas, que
+votre papa se retournerait et mettrait tout cela sur mon dos. Ne le
+disais-je pas!...&raquo; Ici Mme Nupkins fondit en larmes.</p>
+<p>&laquo;Oh! pa! fit miss Nupkins, d'un ton de reproche;&raquo; et
+elle se mit
+&eacute;galement &agrave; pleurer.</p>
+<p>&laquo;N'est-ce pas trop fort, sanglotait Mme Nupkins, n'est-ce pas
+trop fort
+de me reprocher que je suis la cause de tout ceci, quand c'est
+lui-m&ecirc;me
+qui a attir&eacute; ce ridicule sur notre famille!</p>
+<p>&#8212;Comment pourrons-nous jamais nous remontrer dans la
+soci&eacute;t&eacute;? murmura
+miss Nupkins.</p>
+<p>&#8212;Comment pourrons-nous envisager les Porkenham?</p>
+<p>&#8212;Ou les Grigg?...</p>
+<p>&#8212;Ou les Slummintowkens? Mais qu'est-ce que cela fait &agrave; votre
+papa?
+qu'est-ce que cela lui fait, &agrave; lui!&raquo; A cette terrible
+r&eacute;flexion,
+l'angoisse mentale de Mme Nupkins ne connut plus de bornes, et miss
+Nupkins poussa des soupirs d&eacute;chirants.</p>
+<p>Les pleurs de Mme Nupkins continu&egrave;rent &agrave; jaillir avec
+grande vitesse,
+jusqu'au moment o&ugrave; elle eut d&eacute;cid&eacute; dans son esprit
+que la meilleure
+chose &agrave; faire, &eacute;tait d'engager M. Pickwick et ses amis
+&agrave; rester chez
+elle jusqu'&agrave; l'arriv&eacute;e du capitaine. Si l'imposture de
+celui-ci &eacute;tait
+alors av&eacute;r&eacute;e, on l'exclurait de la maison sans divulguer
+la v&eacute;ritable
+cause de ce renvoi; et l'on dirait aux Porkenham, pour expliquer sa
+disparition, que le capitaine, gr&acirc;ce &agrave; l'influence de sa
+famille, &eacute;tait
+nomm&eacute; gouverneur g&eacute;n&eacute;ral de Sierra-Leone, ou de
+Sangur-Point, ou de
+quelque autre de ces pays salubres, dont les Europ&eacute;ens sont
+ordinairement si enchant&eacute;s qu'ils n'en reviennent presque jamais.</p>
+<p>Quand Mme Nupkins eut s&eacute;ch&eacute; ses larmes, miss Nupkins
+s&eacute;cha aussi les
+siennes, et M. Nupkins s'estima fort heureux de terminer l'affaire
+comme
+le lui proposait son aimable moiti&eacute;. En cons&eacute;quence, M.
+Pickwick et ses
+amis, ayant lav&eacute; toutes les traces de leur <i>rencontre</i>,
+furent pr&eacute;sent&eacute;s
+aux dames, et peu de temps apr&egrave;s au d&icirc;ner. Quant &agrave;
+Sam Weller, le
+magistrat, avec sa sagacit&eacute; particuli&egrave;re, reconnut en un
+clin d'&#339;il que
+c'&eacute;tait le meilleur gar&ccedil;on du monde, et le consigna aux
+soins
+hospitaliers de M. Muzzle, avec l'ordre sp&eacute;cial de l'emmener en
+bas, et
+d'avoir le plus grand soin de lui.</p>
+<p>&#8212;Comment vous portez-vous, monsieur? dit Muzzle &agrave; Sam Weller,
+en le
+conduisant &agrave; la cuisine.</p>
+<p>&#8212;H&eacute;! h&eacute;! il n'y a pas grand changement depuis que je
+vous ai vu si bien
+redress&eacute; derri&egrave;re la chaise de votre gouverneur, dans la
+salle.</p>
+<p>&#8212;Je vous demande excuse de ne pas avoir fait attention &agrave; vous
+pour
+lors. Vous voyez que mon patron ne nous avait pas
+pr&eacute;sent&eacute;s, pour lors.
+Dame! il vous aime bien, monsieur Weller!</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est un bien gentil gar&ccedil;on.</p>
+<p>&#8212;N'est-ce pas?</p>
+<p>&#8212;Si jovial!</p>
+<p>&#8212;Et un fameux homme pour parler! Comme ses id&eacute;es sont
+coulantes, hein?</p>
+<p>&#8212;&Eacute;tonnant! elles d&eacute;bondent si vite qu'elles se cognent
+la t&ecirc;te l'une
+sur l'autre que c'en est &eacute;tourdissant, et qu'on ne sait pas
+seulement de
+quoi il s'agit.</p>
+<p>&#8212;C'est le grand m&eacute;rite de son style d'&eacute;loquence....
+Prenez garde au
+dernier pas, monsieur Weller. Voudriez-vous vous laver les mains avant
+de rejoindre les ladies? Voil&agrave; une fontaine, et il y a un
+essuie-mains
+blanc accroch&eacute; derri&egrave;re la porte.</p>
+<p>&#8212;Je ne serai pas f&acirc;ch&eacute; de me rincer un brin,
+r&eacute;pliqua Sam, en
+appliquant force savon noir sur le torchon. Combien y a-t-il de dames?</p>
+<p>&#8212;Seulement deux dans notre cuisine. Cuisini&egrave;re et bonne. Nous
+avons un
+gar&ccedil;on pour faire les ouvrages sales et une fille de plus; mais
+&ccedil;a d&icirc;ne
+dans la buanderie.</p>
+<p>&#8212;Ah! &ccedil;a d&icirc;ne dans la buanderie!</p>
+<p>&#8212;Oui, nous en avons essay&eacute; &agrave; notre table quand c'est
+arriv&eacute;; mais nous
+n'avons pas pu y tenir; les mani&egrave;res de la fille sont
+horriblement
+vulgaires, et le gar&ccedil;on fait tant de bruit en m&acirc;chant, que
+nous avons
+trouv&eacute; impossible de rester &agrave; table avec lui.</p>
+<p>&#8212;Oh! quel jeune popotame!</p>
+<p>&#8212;C'est d&eacute;go&ucirc;tant! voil&agrave; ce qu'il y a de pire
+dans le service de
+province, monsieur Weller; les jeunes gens sont si tellement mal
+&eacute;lev&eacute;s.... Par ici, monsieur, s'il vous
+pla&icirc;t.&raquo; Tout en parlant ainsi et
+en pr&eacute;c&eacute;dant Sam avec la plus exquise politesse, Muzzle
+le conduisit
+dans la cuisine.</p>
+<p>&laquo;Mary, dit-il &agrave; la jolie servante, c'est M. Weller, un
+gentleman que
+notre ma&icirc;tre a envoy&eacute; en bas pour &ecirc;tre fait aussi
+confortable que
+possible.</p>
+<p>&#8212;Et votre ma&icirc;tre s'y conna&icirc;t. Il m'a envoy&eacute; au
+bon endroit pour &ccedil;a,
+ajouta Sam en jetant un regard d'admiration &agrave; la jolie bonne; si
+j'&eacute;tais
+le ma&icirc;tre de cette maison ici, je serais toujours o&ugrave; Mary
+serait.</p>
+<p>&#8212;Oh! monsieur Weller! fit Mary en rougissant.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! et moi, donc! s'&eacute;cria la cuisini&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Ah! cuisini&egrave;re, je vous avais oubli&eacute;e, dit M. Muzzle.
+Monsieur Weller,
+permettez-moi de vous pr&eacute;senter.</p>
+<p>&#8212;Comment vous portez-vous, madame? demanda Sam &agrave; la
+cuisini&egrave;re.
+Tr&egrave;s-enchant&eacute; de vous voir, et j'esp&egrave;re que notre
+connaissance durera
+longtemps, comme dit le gentleman &agrave; la banknote de cinq
+guin&eacute;es.&raquo;</p>
+<p>Apr&egrave;s les c&eacute;r&eacute;monies de l&agrave;
+pr&eacute;sentation, la cuisini&egrave;re et Mary se
+retir&egrave;rent dans leur cuisine pour chuchoter pendant dix minutes,
+et
+lorsqu'elles furent revenues toutes minaudantes et rougissantes, on
+s'assit pour d&icirc;ner.</p>
+<p>Les mani&egrave;res ais&eacute;es de Sam et ses talents de
+conversation eurent une
+influence si irr&eacute;sistible sur ses nouveaux amis, qu'&agrave; la
+moiti&eacute; du d&icirc;ner
+il &eacute;tait d&eacute;j&agrave; avec eux sur un pied
+d'intimit&eacute; compl&egrave;te, et les avait mis
+en pleine possession des perfidies de Job Trotter.</p>
+<p>&laquo;Je n'ai jamais pu supporter cet homme-l&agrave;, dit Mary.</p>
+<p>&#8212;Et vous ne le deviez pas non plus, ma ch&egrave;re, r&eacute;pliqua
+Sam.</p>
+<p>&#8212;Pourquoi cela?</p>
+<p>&#8212;Parce que la laideur et l'hypocrisie ne va jamais d'accord avec
+l'&eacute;l&eacute;gance et la vertu. C'est-il pas vrai, monsieur
+Muzzle?</p>
+<p>&#8212;Certainement.&raquo;</p>
+<p>A ces mots Mary se prit &agrave; rire et assura que c'&eacute;tait
+&agrave; cause de la
+cuisini&egrave;re, et la cuisini&egrave;re, assurant que non, se prit
+&agrave; rire aussi.</p>
+<p>&laquo;Tiens, je n'ai pas de verre, dit Mary.</p>
+<p>&#8212;Buvez avec moi, ma ch&egrave;re, reprit Sam, mettez vos
+l&egrave;vres sur ce verre
+ici, et alors je pourrai vous embrasser par procuration.</p>
+<p>&#8212;Fi donc! monsieur Weller!</p>
+<p>&#8212;Pourquoi fi, ma ch&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Pour parler comme &ccedil;a.</p>
+<p>&#8212;Bah! il n'y a pas de mal. C'est dans la nature. Pas vrai,
+cuisini&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Taisez-vous, impertinent,&raquo; r&eacute;pliqua celle-ci avec un
+visage de
+jubilation. Et l&agrave;-dessus la cuisini&egrave;re et Mary se prirent
+&agrave; rire encore,
+jusqu'&agrave; ce que le rire et la bi&egrave;re et la viande
+combin&eacute;s eussent mis la
+charmante bonne en danger d'&eacute;touffer. Elle ne tut tir&eacute;e
+de cette crise
+alarmante qu'au moyen de fortes tapes sur le dos et de plusieurs autres
+petites attentions, d&eacute;licatement administr&eacute;es par le
+galant Sam.</p>
+<p>Au milieu de ces joyeuset&eacute;s, on entendit sonner violemment,
+et le jeune
+gentleman qui prenait ses repas dans la buanderie, alla
+imm&eacute;diatement
+ouvrir la porte du jardin. Sam &eacute;tait dans le feu de ses
+galanteries
+aupr&egrave;s de la jolie bonne; M. Muzzle s'occupait de faire les
+honneurs de
+la table, et la cuisini&egrave;re ayant cess&eacute; de rire un instant
+portait &agrave; sa
+bouche un &eacute;norme morceau, lorsque la porte de la cuisine
+s'ouvrit pour
+laisser entrer M. Job Trotter.</p>
+<p>Nous avons dit pour laisser <i>entrer</i> M. Job Trotter, mais
+cette
+expression n'a pas l'exactitude scrupuleuse dont nous nous piquons. La
+porte s'ouvrit et M. Job Trotter parut. Il serait entr&eacute;, et
+m&ecirc;me il
+&eacute;tait en train d'entrer, lorsqu'il aper&ccedil;ut Sam. Reculant
+involontairement un pas ou deux, il resta muet et immobile &agrave;
+contempler
+avec &eacute;tonnement et terreur la sc&egrave;ne qui s'offrait
+&agrave; ses yeux.</p>
+<p>&laquo;Le voici! s'&eacute;cria Sam, en se levant plein de joie. Eh
+bien! je parlais
+de vous dans ce moment ici, comment &ccedil;a va-t-il? pourquoi donc
+&ecirc;tes-vous
+si rare? Entrez.&raquo; En disant ces mots, il mit la main sur le
+collet
+violet de Job, le tira sans r&eacute;sistance dans la cuisine, ferma la
+porte
+et en passa la clef &agrave; M. Muzzle, qui l'enfon&ccedil;a froidement
+dans une poche
+de c&ocirc;t&eacute;, et boutonna son habit par-dessus.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! en voil&agrave; une farce! s'&eacute;cria Sam. Mon
+ma&icirc;tre qui a le plaisir
+de rencontrer votre ma&icirc;tre l&agrave; haut, et moi qui a le
+plaisir de vous
+rencontrer ici en bas. Comment &ccedil;a vous va-t-il? Et notre petit
+commerce
+d'&eacute;piceries, &ccedil;a marche-t-il bien? V&eacute;ritablement,
+je suis charm&eacute; de vous
+voir. Comme vous avez l'air content! C'est charmant. N'est-il pas vrai,
+M. Muzzle?</p>
+<p>&#8212;Certainement.</p>
+<p>&#8212;Il est si jovial!</p>
+<p>&#8212;De si bonne humeur!</p>
+<p>&#8212;Et si content de nous voir! C'est &ccedil;a qui fait le plaisir
+d'une
+r&eacute;union. Asseyez-vous, asseyez-vous.&raquo;</p>
+<p>Job se laissa asseoir sur une chaise, au coin du feu, et dirigea ses
+petits yeux d'abord sur Sam, pois sur Muzzle; mais il ne dit rien.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! maintenant, reprit Sam, faites-moi l'amiti&eacute;
+de me dire devant
+ces dames ici, si vous croyez &ecirc;tre le gentleman le plus gentil et
+le
+mieux &eacute;duqu&eacute; qui a jamais employ&eacute; un mouchoir
+rouge et les hymnes n&deg; 4.</p>
+<p>&#8212;Et qui a jamais &eacute;t&eacute; pour &ecirc;tre mari&eacute;
+&agrave; une cuisini&egrave;re, le mauvais
+gueux! s'&eacute;cria la cuisini&egrave;re avec une sainte indignation.</p>
+<p>&#8212;Et pour mener une vie plus vertueuse et pour s'&eacute;tablir dans
+l'&eacute;picerie, ajouta la bonne.</p>
+<p>&#8212;Jeune homme? vocif&eacute;ra Muzzle, enrag&eacute; par ces deux
+derni&egrave;res allusions;
+&eacute;coutez-moi-z-un peu maintenant. Cette lady ici (montrant la
+cuisini&egrave;re)
+est ma bonne amie. Et quand vous avez le toupet de parler de tenir une
+boutique d'&eacute;piceries avec elle, vous me blessez, monsieur, dans
+l'endroit le plus sensible o&ugrave; un homme p&ucirc;t en blesser un
+autre. Me
+comprenez-vous, monsieur?&raquo;</p>
+<p>Ici Muzzle, qui, comme son ma&icirc;tre, avait une grande
+id&eacute;e de son
+&eacute;loquence, s'arr&ecirc;ta pour attendre une r&eacute;ponse, mais
+Job ne paraissant
+pas dispos&eacute; &agrave; parler, Muzzle poursuivit avec
+solennit&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Il est tr&egrave;s-probable, monsieur, qu'on n'aura pas
+besoin de vous l&agrave;-haut
+d'ici &agrave; quelque temps, parce que mon ma&icirc;tre est en train
+de faire
+l'affaire de votre ma&icirc;tre, monsieur: ainsi, vous aurez le temps
+de me
+parler un petit peu en particulier, monsieur. Me comprenez-vous,
+monsieur?&raquo;</p>
+<p>M. Muzzle se tut encore, attendant toujours une r&eacute;ponse, et
+M. Trotter
+le d&eacute;sappointa de nouveau.</p>
+<p>&laquo;Eh bien, pour lors, reprit-il, je suis
+tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute; d'&ecirc;tre oblig&eacute; de
+m'expliquer devant ces dames, mais la n&eacute;cessit&eacute; du cas
+sera mon excuse.
+L'arri&egrave;re-cuisine est vide, monsieur, si vous voulez y passer,
+monsieur,
+M. Weller sera t&eacute;moin, et nous aurons une satisfaction mutuelle
+jusqu'&agrave;
+ce que la sonnette sonne. Suivez-moi, monsieur.&raquo;</p>
+<p>En disant ces mots le vaillant domestique fit un pas ou deux vers la
+porte, tout en &ocirc;tant son habit afin de ne point perdre de temps.</p>
+<p>Mais aussit&ocirc;t que la cuisini&egrave;re entendit les
+derni&egrave;res paroles de ce
+d&eacute;fi mortel, aussit&ocirc;t qu'elle vit M. Muzzle se
+pr&eacute;parer pour le combat
+singulier, elle poussa un cri d&eacute;chirant, et se pr&eacute;cipita
+sur M. Trotter,
+qui se leva vainement, &agrave; l'instant m&ecirc;me; elle souffleta,
+elle &eacute;gratigna
+son large visage, et entortillant ses mains dans les cheveux plats du
+nouveau Job, elle en arracha de quoi faire cinq ou six douzaines de
+bagues. Ayant accompli cet exploit avec l'ardeur que lui inspirait son
+amour d&eacute;vou&eacute; pour M. Muzzle, elle chancela et tomba
+&eacute;vanouie sous la
+table, car c'&eacute;tait une dame dou&eacute;e de sentiments fort
+d&eacute;licats et fort
+excitables.</p>
+<p>En ce moment la sonnette retentit.</p>
+<p>&laquo;C'est pour vous, Job Trotter,&raquo; dit Sam, et avant que
+celui-ci p&ucirc;t
+r&eacute;sister ou faire des remontrances, avant m&ecirc;me qu'il
+e&ucirc;t &eacute;tanch&eacute; le sang
+qui coulait de ses blessures, Sam le prit par un bras, Muzzle par
+l'autre, et le premier le tirant, le second le poussant, ils lui firent
+monter les escaliers et l'introduisirent dans le parloir.</p>
+<p>La sc&egrave;ne qui s'y passait &eacute;tait remplie
+d'int&eacute;r&ecirc;t. Alfred Jingle,
+esquire, autrement le capitaine Fitz-Marshall, &eacute;tait debout
+pr&egrave;s de la
+porte, son chapeau &agrave; la main, avec un sourire sur son visage, et
+une
+physionomie qui n'&eacute;tait nullement &eacute;mue par sa
+d&eacute;sagr&eacute;able situation. En
+face de lui se trouvait M. Pickwick, qui, &eacute;videmment, lui avait
+inculqu&eacute;
+quelque le&ccedil;on d'une haute morale, car sa main gauche
+&eacute;tait cach&eacute;e sous
+les pans de son habit, et sa main droite, &eacute;tendue en l'air,
+comme
+c'&eacute;tait son habitude quand il pronon&ccedil;ait un discours
+destin&eacute; &agrave; faire
+impression. Un peu en arri&egrave;re on voyait M. Tupman, bouillant
+d'indignation, mais soigneusement retenu par ses deux jeunes amis.
+Enfin, &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la chambre se tenaient M.
+Nupkins, Mme Nupkins
+et miss Nupkins, tous avec un air hautain et sombre, plein de menaces
+et
+de vexations.</p>
+<p>Au moment o&ugrave; Job fut amen&eacute;, M. Nupkins
+d&eacute;clamait avec une dignit&eacute;
+magistrale:</p>
+<p>&laquo;Qui m'emp&ecirc;che, disait-il, de faire d&eacute;tenir ces
+individus comme des
+fripons et des imposteurs? Pourquoi c&eacute;der &agrave; une folle
+compassion? Qui
+m'en emp&ecirc;che?</p>
+<p>&#8212;L'orgueil, vieux camarade, l'orgueil, r&eacute;pliqua Jingle d'un
+air calme.
+Mauvais effet&#8212;attrap&eacute; un capitaine! Ha! ha!&#8212;l'excellente
+charge!&#8212;bon
+parti pour notre fille.&#8212;A trompeur trompeur et demi!&#8212;Rendre cela
+public?&#8212;Pas pour un empire;&#8212;on en dirait trop, beaucoup trop.</p>
+<p>Mis&eacute;rable! s'&eacute;cria Mme Nupkins, nous m&eacute;prisons
+vos basses insinuations.</p>
+<p>&#8212;Je l'ai toujours d&eacute;test&eacute;, ajouta Henriette.</p>
+<p>&#8212;Oh! n&eacute;cessairement.&#8212;Grand jeune homme,&#8212;vieux
+adorateur.&#8212;Sidney
+Porkenham,&#8212;riche, joli gar&ccedil;on.&#8212;Pas si riche que le capitaine,
+malgr&eacute;
+&ccedil;a..., eh! son cong&eacute;.&#8212;On fait tout au monde pour le
+capitaine,&#8212;le
+capitaine n'a pas son pareil.&#8212;Toutes les demoiselles folles de lui, eh!
+Job, eh?&raquo;</p>
+<p>Ici M. Jingle se mit &agrave; rire de tout son c&#339;ur, et Job,
+frottant ses mains
+avec d&eacute;lices, laissa &eacute;chapper le premier son qu'il se
+f&ucirc;t encore permis,
+depuis qu'il &eacute;tait entr&eacute; dans la maison; c'&eacute;tait
+un ricanement sans
+bruit, retenu, qui semblait indiquer qu'il en jouissait trop pour en
+laisser &eacute;vaporer aucune partie en vaines d&eacute;monstrations.</p>
+<p>&laquo;M. Nupkins, dit l'a&icirc;n&eacute;e des deux dames,
+voil&agrave; une conversation que les
+domestiques n'ont pas besoin d'entendre. Faites &eacute;loigner ces
+deux
+mis&eacute;rables.</p>
+<p>&#8212;Certainement, ma ch&egrave;re.&#8212;Muzzle.</p>
+<p>&#8212;Votre V&eacute;n&eacute;ration...</p>
+<p>&#8212;Ouvrez la porte.</p>
+<p>&#8212;Oui, Votre V&eacute;n&eacute;ration...</p>
+<p>&#8212;Quittez cette maison, mis&eacute;rables! s'&eacute;cria M. Nupkins
+d'une mani&egrave;re
+emphatique.&raquo;</p>
+<p>Jingle sourit et se dirigea vers la porte.</p>
+<p>&laquo;Arr&ecirc;tez,&raquo; dit M. Pickwick.</p>
+<p>Jingle s'arr&ecirc;ta.</p>
+<p>&laquo;J'aurais pu, poursuivit M. Pickwick, j'aurais pu me venger
+davantage du
+traitement que vous m'avez fait &eacute;prouver, de concert avec votre
+ami
+l'hypocrite... (Ici Job salua avec la plus grande politesse, en posant
+la main sur son c&#339;ur.) Je dis, continua M. Pickwick, en
+s'&eacute;chauffant
+graduellement, je dis que j'aurais pu me venger davantage; mais je me
+contente de vous d&eacute;masquer, car c'est un devoir envers mes
+semblables.
+Je me flatte, monsieur, que vous n'oublierez pas cette
+mod&eacute;ration. (En
+cet endroit Job Trotter, avec une fac&eacute;tieuse gravit&eacute;,
+appliqua sa main &agrave;
+son oreille comme pour ne pas perdre une syllabe de ce que disait M.
+Pickwick.) Je n'ai plus qu'une chose &agrave; ajouter, continua le
+philosophe,
+tout &agrave; fait irrit&eacute;: c'est que je vous regarde comme un
+fripon... et
+un... un coquin... le plus mauvais coquin que j'aie jamais
+rencontr&eacute;...
+except&eacute; ce pieux vagabond en livr&eacute;e violette!</p>
+<p>&#8212;Ha! ha! ha! ricana Jingle. Bon gar&ccedil;on,&#8212;Pickwick; bon
+c&#339;ur!&#8212;vieux
+gaillard solide!&#8212;mais il ne faut pas &ecirc;tre si
+col&egrave;re,&#8212;mauvaise
+chose.&#8212;Adieu, adieu; vous reverrai quelque jour.&#8212;Ne vous chagrinez
+pas.&#8212;Job, trotte!&raquo;</p>
+<p>En pronon&ccedil;ant ces mots, M. Jingle enfon&ccedil;a son chapeau
+&agrave; sa mode et
+s'&eacute;loigna d'un pas mesur&eacute;. Job s'arr&ecirc;ta, regarda
+autour de lui, sourit,
+puis, adressant &agrave; M. Pickwick un salut s&eacute;rieusement
+moqueur, et &agrave; Sam un
+coup d'&#339;il dont l'audacieuse malice surpasse toute description, il
+suivit les pas de son estimable ma&icirc;tre.</p>
+<p>&laquo;Sam, dit M. Pickwick, en voyant que son domestique prenait le
+m&ecirc;me
+chemin.</p>
+<p>&#8212;Monsieur.</p>
+<p>&#8212;Restez ici.&raquo;</p>
+<p>Sam parut incertain.</p>
+<p>&laquo;Restez ici, r&eacute;p&eacute;ta M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Est-ce que je ne pourrais pas rabattre un peu ce Job Trotter dans
+le
+jardin?</p>
+<p>&#8212;Non certainement.</p>
+<p>&#8212;Est-ce que je ne peux pas le reconduire &agrave; coups de pied,
+monsieur?</p>
+<p>&#8212;Non, sous aucun pr&eacute;texte.&raquo;</p>
+<p>Pendant un moment, pour la premi&egrave;re fois depuis son
+engagement, Sam eut
+l'air m&eacute;content et malheureux. Mais sa contenance
+s'&eacute;claircit
+imm&eacute;diatement, car le rus&eacute; Muzzle, qui s'&eacute;tait
+cach&eacute; derri&egrave;re la porte,
+en sortit vivement &agrave; l'instant pr&eacute;cis, et parvint fort
+habilement &agrave;
+faire rouler Jingle et son acolyte le long des escaliers, et jusque
+dans
+les alo&egrave;s am&eacute;ricains, qui les attendaient en bas.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, monsieur, dit M. Pickwick &agrave; M. Nupkins,
+maintenant,
+monsieur, ayant accompli notre dessein, mes amis et moi, nous allons
+vous faire nos adieux, et tout en vous remerciant pour
+l'hospitalit&eacute; que
+nous avons re&ccedil;ue, permettez-moi de vous assurer, en leur nom
+comme au
+mien, que nous ne l'aurions pas accept&eacute;e, et que nous n'aurions
+pas
+consenti &agrave; sortir ainsi de la situation o&ugrave; nous nous
+trouvions, si nous
+n'y avions pas &eacute;t&eacute; incit&eacute;s par un vif sentiment de
+devoir. Nous
+retournons &agrave; Londres demain matin: votre secret est en
+s&ucirc;ret&eacute; avec
+nous.&raquo;</p>
+<p>Ayant ainsi protest&eacute; contre ce qui s'&eacute;tait
+pass&eacute; dans la matin&eacute;e, M.
+Pickwick fit un profond salut aux dames, et malgr&eacute; les
+sollicitations de
+la famille, quitta la chambre avec ses amis.</p>
+<p>&laquo;Prenez votre chapeau, Sam, dit-il &agrave; son domestique.</p>
+<p>&#8212;Il est en bas, monsieur,&raquo; r&eacute;pliqua Sam, et il courut
+le qu&eacute;rir dans la
+cuisine.</p>
+<p>Le chapeau &eacute;tant &eacute;gar&eacute;, Sam fut oblig&eacute;
+de le chercher et Mary, qui se
+trouvait l&agrave; toute seule, l'&eacute;claira. Apr&egrave;s avoir
+regard&eacute; de tous les
+c&ocirc;t&eacute;s, la jolie bonne, dans son anxi&eacute;t&eacute; pour
+trouver le chapeau perdu,
+se mit sur ses genoux et retourna tous les objets entass&eacute;s dans
+un petit
+coin derri&egrave;re la porte. C'&eacute;tait un petit coin fort
+incommode. On ne
+pouvait y arriver sans commencer par fermer la porte.</p>
+<p>&laquo;Le voil&agrave;, dit enfin la jolie bonne, n'est-ce pas cela?</p>
+<p>&#8212;Voyons,&raquo; fit Sam.</p>
+<p>Mary avait pos&eacute; la chandelle sur le plancher, et, comme elle
+&eacute;clairait
+fort peu, Sam fut oblig&eacute; de se mettre aussi &agrave; genoux pour
+voir si
+c'&eacute;tait r&eacute;ellement son chapeau. Le recoin &eacute;tait
+remarquablement petit,
+et ainsi, sans qu'il y e&ucirc;t de la faute de personne,
+except&eacute; de
+l'architecte qui avait b&acirc;ti la maison Sam et la jolie bonne se
+trouvaient n&eacute;cessairement fort pr&egrave;s l'un de l'autre.</p>
+<p>&laquo;C'est bien lui, dit Sam, adieu.</p>
+<p>&#8212;Adieu, r&eacute;pondit la jolie bonne.</p>
+<p>&#8212;Adieu, r&eacute;p&eacute;ta Sam, et en disant cela il laissa tomber
+le chapeau qu'il
+avait eu tant de peine &agrave; trouver.</p>
+<p>&#8212;Comme vous &ecirc;tes maladroit! dit Mary. Vous le perdrez encore
+si vous
+n'y prenez pas garde.&raquo; Et pour qu'il ne se perdit plus, elle le
+lui mit
+sur la t&ecirc;te.</p>
+<p>Le visage de la jolie bonne paraissait plus joli encore,
+&eacute;tant ainsi
+lev&eacute; vers Sam: or, soit &agrave; cause de cela, soit par une
+simple cons&eacute;quence
+de leur juxtaposition, il arriva que Sam l'embrassa.</p>
+<p>&laquo;J'esp&egrave;re que vous ne l'avez pas fait expr&egrave;s!
+s'&eacute;cria-t-elle en
+rougissant.</p>
+<p>&#8212;Non, ma ch&egrave;re, mais je vais la faire expr&egrave;s &agrave;
+pr&eacute;sent;&raquo; et il
+l'embrassa une seconde fois.</p>
+<p>&laquo;Sam! cria M. Pickwick par-dessus la rampe.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave;, monsieur, r&eacute;pondit Sam, en montant les marches
+quatre &agrave; quatre.</p>
+<p>&#8212;Vous avez &eacute;t&eacute; bien longtemps.</p>
+<p>&#8212;Il y avait quelque chose derri&egrave;re la porte, qui nous a
+emp&ecirc;ch&eacute;s de
+l'ouvrir pendant tout se temps-l&agrave;, monsieur.&raquo;</p>
+<p>Tel fut le premier chapitre des amours de Sam.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXVI"></a>
+<h2>CHAPITRE XXVI.</h2>
+<h3>Contenant un r&eacute;cit abr&eacute;g&eacute; des progr&egrave;s
+de l'action <i>Bardell contre
+Pickwick</i>.</h3>
+<br/>
+<p>Ayant accompli le principal objet de son voyage en d&eacute;masquant
+l'infamie
+de Jingle, M. Pickwick r&eacute;solut de retourner imm&eacute;diatement
+&agrave; Londres,
+afin de savoir quelles mesures Dodson et Fogg avaient prises contre
+lui.
+Ex&eacute;cutant cette r&eacute;solution avec toute l'&eacute;nergie de
+son caract&egrave;re, il
+monta &agrave; l'ext&eacute;rieur de la premi&egrave;re voiture qui
+quitta Ipswich, le
+lendemain du jour o&ugrave; se pass&egrave;rent les m&eacute;morables
+&eacute;v&eacute;nements que nous
+venons de rapporter, et arriva dans la m&eacute;tropole le m&ecirc;me
+soir, en
+parfaite sant&eacute;, accompagn&eacute; de ses trois disciples et de
+Sam.</p>
+<p>L&agrave;, nos amis se s&eacute;par&egrave;rent pour quelque temps.
+MM. Tupman, Winkle et
+Snodgrass se rendirent &agrave; leurs domiciles, afin de faire les
+pr&eacute;paratifs
+n&eacute;cessaires pour leur voyage prochain &agrave; Dingley-Dell: M.
+Pickwick et Sam
+s'&eacute;tablirent dans un h&ocirc;tel fort bon quoique fort antique,
+le <i>George et
+Vautour</i>, George Yard, Lombard-street.</p>
+<p>M. Pickwick avait d&icirc;n&eacute; et fini sa seconde pinte
+d'excellent porto; il
+avait enfonc&eacute; son mouchoir de soie sur sa t&ecirc;te, et
+pos&eacute; ses pieds sur le
+garde-feu; enfin il s'&eacute;tait renvers&eacute; dans sa
+berg&egrave;re, lorsque l'entr&eacute;e
+de Sam avec son sac de nuit le tira de sa tranquille m&eacute;ditation.</p>
+<p>&laquo;Sam, dit-il.</p>
+<p>&#8212;Monsieur?</p>
+<p>&#8212;Je pensais justement que j'ai laiss&eacute; beaucoup de choses chez
+mistress
+Bardell, rue Goswell, et qu'il faudra que je les fasse prendre avant de
+repartir.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Je pourrais les envoyer pour le moment chez M. Tupman. Mais avant
+de
+les faire enlever, il faudrait les mettre en ordre. Je
+d&eacute;sirerais que
+vous allassiez jusqu'&agrave; la rue Goswell et que vous arrangeassiez
+tout
+cela, Sam.</p>
+<p>&#8212;Tout de suite, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Tout de suite. Et... attendez, Sam, ajouta M. Pickwick en tirant sa
+bourse. Il faut payer le loyer. Le terme n'est d&ucirc; qu'&agrave;
+No&euml;l, mais vous
+le payerez pour que tout soit fini. Je puis donner cong&eacute; en
+pr&eacute;venant un
+mois d'avance. Voici le cong&eacute;. Donnez-le &agrave; Mme Bardell.
+Elle mettra
+&eacute;criteau quand elle voudra.</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, monsieur. Rien de plus?</p>
+<p>&#8212;Rien de plus, Sam.&raquo;</p>
+<p>Sam se dirigea &agrave; petits pas vers l'escalier, comme s'il
+e&ucirc;t attendu
+encore quelque chose. Il ouvrit lentement la porte, et &eacute;tant
+sorti
+lentement, l'avait doucement referm&eacute;e, &agrave; deux pouces
+pr&egrave;s, lorsque M.
+Pickwick cria:</p>
+<p>&laquo;Sam!</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, r&eacute;pondit Sam, en revenant vivement et fermant
+la porte
+apr&egrave;s soi.</p>
+<p>&#8212;Je ne m'oppose pas &agrave; ce que vous t&acirc;chiez de savoir
+comment Mme Bardell
+semble personnellement dispos&eacute;e envers moi, et s'il est
+r&eacute;ellement
+probable que ce proc&egrave;s inf&acirc;me et sans base soit
+pouss&eacute; &agrave; toute
+extr&eacute;mit&eacute;. Je dis que je ne m'oppose pas &agrave; ce que
+vous essayiez de
+d&eacute;couvrir cela, si vous le d&eacute;sirez, Sam.&raquo;</p>
+<p>Sam fit un l&eacute;ger signe d'intelligence et quitta la chambre.
+M. Pickwick
+enfon&ccedil;a de nouveau le mouchoir de soie sur sa t&ecirc;te et
+s'arrangea pour
+faire un somme.</p>
+<p>Il &eacute;tait pr&egrave;s de neuf heures lorsque Sam atteignit la
+rue Goswell. Une
+paire de chandelles br&ucirc;laient dans le parloir, et l'ombre d'une
+couple
+de chapeaux se distinguait sur la jalousie. Mistress Bardell avait du
+monde.</p>
+<p>Sam frappa &agrave; la porte. Apr&egrave;s un assez long intervalle,
+pendant lequel
+mistress Bardell t&acirc;chait de persuader une chandelle
+r&eacute;fractaire de se
+laisser allumer, de petites bottes se firent entendre sur le tapis et
+master Bardell se pr&eacute;senta.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! jeune homme, dit Sam, comment va c'te m&egrave;re?</p>
+<p>&#8212;Elle ne va pas mal, ni moi non plus.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! j'en suis charm&eacute;. Dites-lui que j'ai &agrave; lui
+parler, mon jeune
+ph&eacute;nom&egrave;ne.&raquo;</p>
+<p>Master Bardell, ainsi conjur&eacute;, posa la chandelle
+r&eacute;fractaire sur la
+premi&egrave;re marche de l'escalier, et disparut, avec son message,
+derri&egrave;re
+la porte du parloir.</p>
+<p>Les deux chapeaux dessin&eacute;s sur les carreaux &eacute;taient
+ceux des deux amies
+les plus intimes de mistress Bardell. Elles venaient d'arriver pour
+prendre une paisible tasse de th&eacute; et un petit souper chaud de
+pommes de
+terre et de fromage r&ocirc;ti; et tandis que le fromage bruissait et
+friait
+devant le feu, tandis que les pommes de terre cuisaient
+d&eacute;licieusement
+dans un po&ecirc;lon, mistress Bardell et ses deux amies se
+r&eacute;galaient d'une
+petite conversation critique concernant toutes leurs connaissances
+r&eacute;ciproques. Master Bardell interrompit cette
+int&eacute;ressante revue en
+rapportant le message qui lui avait &eacute;t&eacute; confi&eacute; par
+Sam.</p>
+<p>&laquo;Le domestique de M. Pickwick! s'&eacute;cria mistress Bardell
+en p&acirc;lissant.</p>
+<p>&#8212;Bont&eacute; divine! fit mistress Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! r&eacute;ellement je n'aurais pas cru &ccedil;a, si je n'y
+avais pas
+t'&eacute;t&eacute;,&raquo; d&eacute;clara mistress Sanders.</p>
+<p>Mistress Cluppins &eacute;tait une petite femme vive et
+affair&eacute;e; mistress
+Sanders une personne grosse, grasse et pesante. Toutes les deux
+formaient la compagnie.</p>
+<p>Mistress Bardell trouva convenable d'&ecirc;tre agit&eacute;e, et
+comme aucune des
+trois amies ne savait s'il &eacute;tait bon d'avoir des communications
+avec le
+domestique de M. Pickwick, autrement que par la minist&egrave;re de
+Dodson et
+Fogg, elles se trouvaient prises au d&eacute;pourvu. Dans cet
+&eacute;tat
+d'ind&eacute;cision, la premi&egrave;re chose &agrave; faire
+&eacute;tait &eacute;videmment de taper le
+petit gar&ccedil;on pour avoir trouv&eacute; M. Weller &agrave; la
+porte. La tendre m&egrave;re n'y
+manqua pas, et il se mit &agrave; crier fort m&eacute;lodieusement.</p>
+<p>&laquo;Ne m'&eacute;tourdissez pas les oreilles, m&eacute;chante
+cr&eacute;ature! lui dit mistress
+Bardell.</p>
+<p>&#8212;Ne tourmentez pas votre pauvre ch&egrave;re m&egrave;re! cria
+mistress Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Elle en a assez des tourments, ajouta mistress Sanders avec une
+r&eacute;signation sympathisante.</p>
+<p>&#8212;Ah! oui, l'est-elle malheureuse! pauvre agneau!&raquo; reprit
+mistress
+Cluppins.</p>
+<p>Pendant ces r&eacute;flexions morales, master Bardell hurlait de
+plus en plus
+fort.</p>
+<p>&laquo;Qu'allons-nous faire maintenant? demanda mistress Bardell
+&agrave; mistress
+Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Je pense que vous devriez le voir, devant un t&eacute;moin,
+s'entend.</p>
+<p>&#8212;Deux t&eacute;moins, serait plus l&eacute;gal, fit observer
+mistress Sanders, qui,
+ainsi que son amie, crevait de curiosit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Peut-&ecirc;tre qu'il vaudrait mieux le faire venir ici,&raquo;
+reprit mistress
+Bardell.</p>
+<p>Mistress Cluppins adopta avidement cette id&eacute;e. &laquo;Bien
+s&ucirc;r!
+s'&eacute;cria-t-elle. Entrez, jeune homme, et fermez d'abord la porte,
+s'il
+vous pla&icirc;t.&raquo;</p>
+<p>Sam saisit l'occasion aux cheveux, et se pr&eacute;sentant dans le
+parloir,
+exposa, ainsi qu'il suit, sa commission &agrave; mistress Bardell:</p>
+<p>&laquo;Tr&egrave;s-f&acirc;ch&eacute; de vous d&eacute;ranger,
+madame, comme disait le chauffeur &agrave; la
+vieille dame en la mettant sur le gril; mais comme je viens justement
+d'arriver avec mon gouverneur et que nous nous en allons incessamment,
+il n'y a pas moyen d'emp&ecirc;cher &ccedil;a, comme vous voyez.</p>
+<p>&#8212;Effectivement le jeune homme ne peut pas emp&ecirc;cher les fautes
+de son
+ma&icirc;tre, fit observer mistress Cluppins, sur laquelle l'apparence
+et la
+conversation de Sam avaient fait beaucoup d'impression.</p>
+<p>&#8212;Non certainement, r&eacute;pondit mistress Sanders, en jetant un
+regard
+attendri sur le petit po&ecirc;lon, et en calculant mentalement la
+distribution probable des pommes de terre, au cas o&ugrave; Sam serait
+invit&eacute; &agrave;
+souper.</p>
+<p>&#8212;Ainsi donc, poursuivit l'ambassadeur, sans remarquer
+l'interruption,
+voil&agrave; pourquoi je suis venu ici: primo, d'abord, pour vous
+donner cong&eacute;:
+le voil&agrave; ici; secondo, pour payer le loyer: le voil&agrave; ici;
+troiso, pour
+dire que vous mettiez toutes nos histoires en ordre, pour donner
+&agrave; la
+personne que nous enverrons pour les prendre; quatro, que vous pouvez
+mettre l'&eacute;criteau aussit&ocirc;t que vous voudrez. Et
+voil&agrave; tout.</p>
+<p>&#8212;Malgr&eacute; ce qui est arriv&eacute;, soupira mistress Bardell,
+je dirai toujours
+et j'ai toujours dit que, sous tous les rapports, except&eacute; un, M.
+Pickwick s'est toujours conduit comme un gentleman parfait; son argent
+&eacute;tait toujours aussi solide que la banque, toujours.&raquo;</p>
+<p>En disant ceci, mistress Bardell appliqua son mouchoir &agrave; ses
+yeux... et
+sortit de la chambre pour faire la quittance.</p>
+<p>Sam savait bien qu'il n'avait qu'&agrave; rester tranquille et que
+les deux
+invit&eacute;es ne manqueraient point de parler; aussi se contenta-t-il
+de
+regarder alternativement le po&ecirc;lon, le fromage, le mur et le
+plancher,
+en gardant le plus profond silence.</p>
+<p>&laquo;Pauvre ch&egrave;re femme! s'&eacute;cria mistress Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Pauvre criature!&raquo; r&eacute;torqua mistress Sanders.</p>
+<p>Sam ne dit rien; il vit qu'elles arrivaient au sujet.</p>
+<p>&laquo;Riellement je ne puis pas me contenir, dit mistress Cluppins,
+quand je
+pense &agrave; une trahison comme &ccedil;a. Je ne veux rien dire pour
+vous vexer,
+jeune homme, mais votre ma&icirc;tre est une vieille brute, et je
+d&eacute;sire que
+je l'eusse ici pour lui dire &agrave; lui-m&ecirc;me.</p>
+<p>&#8212;Je d&eacute;sire que vous l'eussiez, r&eacute;pondit Sam.</p>
+<p>&#8212;C'est terrible de voir comme elle d&eacute;p&eacute;rit et qu'elle
+ne prend plaisir
+&agrave; rien, except&eacute; quand ses amies viennent, par pure
+charit&eacute;, pour causer
+avec elle et la rendre confortable, reprit mistress Cluppins en jetant
+un coup d'&#339;il au po&ecirc;lon et au fromage. C'est choquant.</p>
+<p>&#8212;Barbaresque! ajouta mistress Sanders.</p>
+<p>&#8212;Et votre ma&icirc;tre, qu'est un homme d'argent, qui ne
+s'apercevrait tant
+seulement pas de la d&eacute;pense d'une femme. Il n'a pas l'ombre
+d'une
+excuse. Pourquoi ne l'&eacute;pouse-t-il pas?</p>
+<p>&#8212;Ah! dit Sam. Bien s&ucirc;r, voil&agrave; la question.</p>
+<p>&#8212;Certainement, qu'elle lui demanderait la question, si elle avait
+autant de courage que moi, poursuivit mistress Cluppins avec grande
+volubilit&eacute;. Quoi qu'il en soit, il y a une loi pour nous autres
+femmes,
+malgr&eacute; que les hommes voudraient nous rendre comme des esclaves.
+Et
+votre ma&icirc;tre saura &ccedil;a &agrave; ses d&eacute;pens, jeune
+homme, avant qu'il soit plus
+vieux de six mois.&raquo;</p>
+<p>A cette consolante r&eacute;flexion, mistress Cluppins se redressa,
+et sourit &agrave;
+mistress Sanders, qui lui renvoya son sourire.</p>
+<p>&laquo;L'affaire marche toujours,&raquo; pensa Sam, tandis que
+mistress Bardell
+rentrait avec le re&ccedil;u.</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; le re&ccedil;u, monsieur Weller, dit l'aimable veuve,
+et voil&agrave; votre
+reste. J'esp&egrave;re que vous prendrez quelque chose pour vous tenir
+l'estomac chaud, quand &ccedil;a ne serait qu'&agrave; cause de la
+vieille
+connaissance....&raquo;</p>
+<p>Sam vit l'avantage qu'il pouvait gagner, et accepta sur-le-champ.
+Aussit&ocirc;t mistress Bardell tira d'une petite armoire une bouteille
+avec
+un verre; et sa profonde affliction la pr&eacute;occupait tellement
+qu'apr&egrave;s
+avoir rempli le verre de Sam, elle aveignit encore trois autres verres
+et les remplit &eacute;galement.</p>
+<p>&laquo;Ah &ccedil;a! mistress Bardell, s'&eacute;cria mistress
+Cluppins, voyez ce que vous
+avez fait!</p>
+<p>&#8212;Eh bien! en voil&agrave; une bonne! &eacute;jacula mistress Sanders.</p>
+<p>&#8212;Ah! ma pauvre t&ecirc;te?&raquo; fit mistress Bardell, avec un
+faible sourire.</p>
+<p>Sam, comme on s'en doute bien, comprit tout cela. Aussi
+s'empressa-t-il
+de dire qu'il ne buvait jamais, avant souper, &agrave; moins qu'une
+dame ne b&ucirc;t
+avec lui. Il s'ensuivit beaucoup d'&eacute;clats de rire, et enfin
+mistress
+Sanders s'engagea &agrave; le satisfaire et but une petite goutte.
+Alors Sam
+d&eacute;clara qu'il fallait faire la ronde, et toutes ces dames burent
+une
+petite goutte. Ensuite la vive mistress Cluppins proposa pour toast:
+<i>Bonne chance &agrave; Bardell contre Pickwick</i>; et les dames
+vid&egrave;rent leurs
+verres en honneur de ce v&#339;u: apr&egrave;s quoi elles devinrent
+tr&egrave;s-parlantes.</p>
+<p>&laquo;Je suppose, dit mistress Bardell, je suppose que vous avez
+appris ce
+qui se passe, monsieur Weller?</p>
+<p>&#8212;Un petit brin, r&eacute;pondit Sam.</p>
+<p>&#8212;C'est une terrible chose, monsieur Weller, que d'&ecirc;tre
+tra&icirc;n&eacute;e comme
+cela devant le public; mais je vois maintenant que c'est la seule
+ressource qui me reste, et mon avou&eacute;, M. Dodson et Fogg, me dit
+que nous
+devons r&eacute;ussir, avec les t&eacute;moins que nous appellerons. Si
+je ne
+r&eacute;ussissais pas, je ne sais pas ce que je ferais!&raquo;</p>
+<p>La seule id&eacute;e de voir mistress Bardell perdre son
+proc&egrave;s affecta si
+profond&eacute;ment mistress Sanders qu'elle fut oblig&eacute;e de
+remplir et de vider
+son verre imm&eacute;diatement, sentant, comme elle le dit ensuite, que
+si elle
+n'avait pas eu la pr&eacute;sence d'esprit d'agir ainsi, elle se serait
+infailliblement trouv&eacute;e mal.</p>
+<p>&laquo;Quand pensez-vous que &ccedil;a viendra? demanda Sam.</p>
+<p>&#8212;Au mois de f&eacute;vrier ou de mai, r&eacute;pliqua mistress
+Bardell.</p>
+<p>&#8212;Quelle quantit&eacute; de t&eacute;moins il y aura! dit mistress
+Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Ah! oui! fit mistress Sanders.</p>
+<p>&#8212;Et si la plaignante ne gagne pas, MM. Dodson et Fogg seront-ils
+furieux, eux qui font tout cela par sp&eacute;culation, &agrave; leurs
+risques!
+continua mistress Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Ah! oui.</p>
+<p>&#8212;Mais la plaignante doit gagner, ajouta mistress Cluppins.</p>
+<p>&#8212;Je l'esp&egrave;re, dit mistress Bardell.</p>
+<p>&#8212;Il n'y a pas le moindre doute, r&eacute;pliqua mistress Sanders.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! dit Sam en se levant et en posant son verre sur la table,
+tout ce que je peux dire c'est que je vous le souhaite.</p>
+<p>&#8212;Merci, monsieur Weller! s'&eacute;cria mistress Bardell avec
+ferveur.</p>
+<p>&#8212;Et tant qu'&agrave; ce Dodson et Fogg, qui fait ces sortes de
+choses par
+sp&eacute;culation, poursuivit Sam, et tant qu'aux bons et
+g&eacute;n&eacute;reux individus
+de la m&ecirc;me profession qui mettent les gens par les oreilles
+gratis, pour
+rien, et qui occupent leurs clercs &agrave; trouver des petites
+disputes chez
+leurs voisins et connaissances pour les accorder avec des
+proc&egrave;s, tout
+ce que je peux dire d'eux, c'est que je leur souhaite la
+r&eacute;compense que
+je leur donnerais.</p>
+<p>&#8212;Ah! s'&eacute;cria mistress Bardell, attendrie, je leur souhaite la
+r&eacute;compense que tous les c&#339;urs g&eacute;n&eacute;reux et
+compatissants seraient
+dispos&eacute;s &agrave; leur accorder.</p>
+<p>&#8212;Amen! r&eacute;pondit Sam. Et ils gagneraient joliment de quoi
+mener joyeuse
+vie et s'engraisser, s'ils avaient ce que je leur souhaite!&#8212;Je vous
+offre le bonsoir, mesdames.&raquo;</p>
+<p>Au grand soulagement de mistress Sanders, leur h&ocirc;tesse permit
+&agrave; Sam de
+partir, sans faire aucune allusion aux pommes de terre ni au fromage
+r&ocirc;ti, et peu apr&egrave;s, avec l'assistance juv&eacute;nile
+qu'on pouvait attendre de
+master Bardell, les trois dames rendirent la plus ample justice
+&agrave; ces
+mets d&eacute;licieux, qui s'&eacute;vanouirent compl&eacute;tement
+sous leurs courageux
+efforts.</p>
+<p>Sam, arriv&eacute; &agrave; l'auberge le <i>George et Vautour</i>,
+rapporta fid&egrave;lement &agrave;
+son ma&icirc;tre les indices qu'il avait recueillis des man&#339;uvres de
+Dodson et
+Fogg; et son r&eacute;cit fut compl&eacute;tement confirm&eacute; le
+lendemain par M. Perker,
+avec qui notre philosophe eut une entrevue. Il fut donc oblig&eacute;
+de se
+pr&eacute;parer pour sa visite de No&euml;l &agrave; Dingley-Dell, avec
+l'agr&eacute;able
+perspective d'&ecirc;tre actionn&eacute; publiquement, deux ou trois
+mois plus tard,
+par la cour des <i>Common Pleas</i>, pour violation d'une promesse de
+mariage; la plaignante ayant tout l'avantage inh&eacute;rent &agrave;
+ce genre
+d'action, et r&eacute;sultant de l'excessive habilet&eacute; de Dodson
+et Fogg.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXVII"></a>
+<h2>CHAPITRE XXVII.</h2>
+<h3>Samuel Weller fait un p&egrave;lerinage &agrave; Dorking, et voit
+sa belle-m&egrave;re.</h3>
+<br/>
+<p>Comme il restait un intervalle de deux jours avant l'&eacute;poque
+fix&eacute;e pour
+le d&eacute;part des Pickwickiens pour Dingley-Dell, Sam, apr&egrave;s
+avoir d&icirc;n&eacute; de
+bonne heure, s'assit dans l'arri&egrave;re-salle de l'auberge le <i>George
+et
+Vautour</i>, pour r&eacute;fl&eacute;chir au meilleur emploi possible
+de cet espace de
+temps. Il faisait un temps superbe, et Samuel n'avait pas rumin&eacute;
+pendant
+dix minutes, lorsqu'il sentit tout &agrave; coup na&icirc;tre en lui un
+sentiment
+filial et affectueux. Le besoin d'aller voir son p&egrave;re et de
+rendre ses
+devoirs &agrave; sa belle-m&egrave;re se pr&eacute;senta alors si
+fortement &agrave; son esprit,
+qu'il fut frapp&eacute; d'&eacute;tonnement de n'avoir pas song&eacute;
+plus t&ocirc;t &agrave; cette
+obligation morale. Impatient de r&eacute;parer ses torts pass&eacute;s,
+dans le plus
+bref d&eacute;lai possible, il gravit les marches de l'escalier, se
+pr&eacute;senta
+directement devant M. Pickwick, et lui demanda un cong&eacute; afin
+d'ex&eacute;cuter
+ce louable dessein.</p>
+<p>&laquo;Certainement, Sam, certainement,&raquo; r&eacute;pondit le
+philosophe, dont les yeux
+se remplirent de larmes de joie &agrave; cette manifestation des bons
+sentiments de son domestique.</p>
+<p>Sam fit une inclination de t&ecirc;te reconnaissante.</p>
+<p>&laquo;Je suis charm&eacute; de voir que vous comprenez si bien vos
+devoirs de fils.</p>
+<p>&#8212;Je les ai toujours compris, monsieur.</p>
+<p>&#8212;C'est une r&eacute;flexion fort consolante, dit M. Pickwick d'un
+air
+approbateur.</p>
+<p>&#8212;Tout &agrave; fait, monsieur. Quand je voulais quelque chose de mon
+p&egrave;re, je
+le lui demandais d'une mani&egrave;re tr&egrave;s-respectueuse et
+obligeante; s'il ne
+me le donnait pas, je le prenais, dans la crainte d'&ecirc;tre enduit
+&agrave; mal
+faire, si je n'avais pas ce que je voulais. Je lui ai
+&eacute;vit&eacute; comme &ccedil;a une
+foule d'embarras, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Ce n'est pas pr&eacute;cis&eacute;ment ce que j'entendais, Sam, dit
+M. Pickwick en
+secouant la t&ecirc;te avec un l&eacute;ger sourire.</p>
+<p>&#8212;J'ai agi dans un bon sentiment, monsieur, avec les meilleures
+intentions du monde, comme disait le gentleman qui avait plant&eacute;
+l&agrave; sa
+femme, parce qu'elle &eacute;tait malheureuse avec lui....</p>
+<p>&#8212;Vous pouvez aller, Sam.</p>
+<p>&#8212;Merci, monsieur.&raquo; Et ayant fait son plus beau salut et
+rev&ecirc;tu ses plus
+beaux habits, Sam se percha sur l'imp&eacute;riale de l'Hirondelle et
+se rendit
+&agrave; Dorking.</p>
+<p><i>Le marquis de Granby</i>, du temps de Mme Weller, pouvait servir
+de mod&egrave;le
+aux meilleures auberges; assez grande pour qu'on y e&ucirc;t ses
+coud&eacute;es
+franches, assez petite et assez commode pour qu'on s'y cr&ucirc;t chez
+soi. Du
+c&ocirc;t&eacute; oppos&eacute; de la route, un poteau
+&eacute;lev&eacute; supportait une vaste enseigne,
+o&ugrave; l'on voyait repr&eacute;sent&eacute;es la t&ecirc;te et les
+&eacute;paules d'un gentleman dou&eacute;
+d'un teint apoplectique. Son habit rouge avait des revers bleus, et
+quelques taches de cette derni&egrave;re couleur &eacute;taient
+plac&eacute;es au-dessus de
+son tricorne pour figurer le ciel. Plus haut encore, il y avait une
+paire de drapeaux, et au-dessous du dernier bouton de l'habit rouge du
+gentleman, une couple de canons. Le tout offrait incontestablement un
+portrait frappant du marquis de Granby, de glorieuse m&eacute;moire.
+Les
+fen&ecirc;tres du comptoir laissaient voir une collection de
+g&eacute;raniums et une
+rang&eacute;e bien &eacute;pousset&eacute;e de bouteilles de liqueur.
+Les volets verts
+&eacute;talaient en lettres d'or force pan&eacute;gyriques des bons
+lits et des bons
+vins de la maison; enfin le groupe choisi de paysans et de valets qui
+fl&acirc;naient autour des &eacute;curies, autour des auges, disait
+beaucoup en
+faveur de la bonne qualit&eacute; de la bi&egrave;re et de l'eau-devie
+qui se
+vendaient &agrave; l'int&eacute;rieur. En descendant de voiture, Sam
+s'arr&ecirc;ta pour
+noter, avec l'&#339;il d'un voyageur exp&eacute;riment&eacute;, toutes ces
+petites
+indications d'un commerce prosp&egrave;re, et, quand il entra, il
+&eacute;tait
+grandement satisfait du r&eacute;sultat de ses observations.</p>
+<p>&laquo;Eh bien? dit une voix aigrelette lorsque la t&ecirc;te de Sam
+se montra &agrave; la
+porte du comptoir. Qu'est-ce que vous voulez, jeune homme?&raquo;</p>
+<p>Sam regarda dans la direction de la voix. Elle provenait d'une dame
+d'une encolure assez puissante, confortablement assise aupr&egrave;s de
+la
+chemin&eacute;e, et qui s'occupait &agrave; souffler le feu, afin de
+faire chauffer
+l'eau pour le th&eacute;. La dame n'&eacute;tait pas seule, car de
+l'autre c&ocirc;t&eacute; de la
+chemin&eacute;e, tout droit dans un antique fauteuil, &eacute;tait
+assis un homme dont
+le dos &eacute;tait presque aussi long et presque aussi roide que celui
+du
+fauteuil lui-m&ecirc;me.</p>
+<p>Cet individu, qui attira sur-le-champ l'attention sp&eacute;ciale de
+Sam,
+paraissait long et fluet. Son visage &eacute;tait couperos&eacute;, son
+nez rouge; ses
+yeux m&eacute;chants et bien &eacute;veill&eacute;s tenaient beaucoup
+de ceux d'un serpent &agrave;
+sonnettes. Il portait un habit noir r&acirc;p&eacute;, un pantalon
+tr&egrave;s-court et des
+bas de coton noir qui, comme le reste de son costume, avaient une
+teinte
+rouill&eacute;e. Son air &eacute;tait empes&eacute;, mais sa cravate
+blanche ne l'&eacute;tait pas,
+et pendait toute chiffonn&eacute;e et d'une mani&egrave;re fort peu
+pittoresque sur
+son gilet boutonn&eacute; jusqu'au menton. Sur une chaise, &agrave;
+c&ocirc;t&eacute; de lui,
+&eacute;taient plac&eacute;s une paire de gants de castor, vieux et
+us&eacute;s; un chapeau &agrave;
+larges lords; un parapluie fort pass&eacute;, qui laissait voir une
+quantit&eacute; de
+baleines, comme pour contre-balancer l'absence d'une poign&eacute;e:
+enfin,
+tous ces objets &eacute;taient arrang&eacute;s avec un soin et une
+sym&eacute;trie qui
+semblaient indiquer que l'homme au nez rouge, quel qu'il f&ucirc;t,
+n'avait
+pas l'intention de s'en aller de sit&ocirc;t.</p>
+<p>Pour lui rendre justice, il faut convenir que s'il avait eu cette
+intention, il e&ucirc;t fait preuve de bien peu d'intelligence; car,
+&agrave; en
+juger par les apparences, il aurait fallu qu'il poss&eacute;d&acirc;t
+un cercle de
+connaissances bien d&eacute;sirable, pour pouvoir raisonnablement
+esp&eacute;rer
+s'installer ailleurs plus confortablement. Le feu flambait joyeusement
+sous l'influence du soufflet, et la bouilloire chantait gaiement sous
+l'influence de l'un et de l'autre; sur la table &eacute;tait
+dispos&eacute; tout
+l'appareil du th&eacute;: un plat de r&ocirc;ties beurr&eacute;es
+chauffait doucement devant
+le foyer, et l'homme au nez rouge, arm&eacute; d'une longue fourchette,
+s'occupait activement &agrave; transformer de larges tranches de pain
+en cet
+agr&eacute;able comestible. Aupr&egrave;s de lui &eacute;tait un verre
+d'eau et de rhum
+br&ucirc;lant, dans lequel nageait une tranche de limon; et chaque fois
+qu'il
+se baissait pour amener les tartines de pain aupr&egrave;s de son &#339;il,
+afin de
+juger comment elles r&ocirc;tissaient, il sirotait une goutte ou deux
+de grog,
+et souriait en regardant la dame &agrave; la puissante encolure, qui
+soufflait
+le feu.</p>
+<p>La contemplation de cette sc&egrave;ne confortable avait tellement
+absorb&eacute; les
+facult&eacute;s pensantes de Sam, qu'il laissa passer sans y faire
+attention
+les premi&egrave;res interrogations de l'h&ocirc;tesse, qui fut
+oblig&eacute;e de les
+r&eacute;p&eacute;ter trois fois, sur un ton de plus en plus aigre,
+avant qu'il
+s'aper&ccedil;&ucirc;t de l'inconvenance de sa conduite.</p>
+<p>&laquo;Le gouverneur y est-il? demanda-t-il enfin.</p>
+<p>&#8212;Non, il n'y est pas, r&eacute;pondit Mme Weller, car la dame
+n'&eacute;tait autre
+que la ci-devant veuve et la seule et unique ex&eacute;cutrice
+testamentaire de
+feu M. Clarke. Non, il n'y est pas, et qui plus est je ne l'attends pas.</p>
+<p>&#8212;Je suppose qu'il conduit aujourd'hui? reprit Sam.</p>
+<p>&#8212;Peut-&ecirc;tre que oui, peut-&ecirc;tre que non, r&eacute;pliqua
+Mme Weller en beurrant
+la tartine que l'homme au nez rouge venait de faire r&ocirc;tir. Je
+n'en sais
+rien, et de plus je ne m'en soucie gu&egrave;re.&#8212;Dites un <i>Benedicite</i>,
+monsieur Stiggins.&raquo;</p>
+<p>L'homme au nez rouge fit ce qui lui &eacute;tait demand&eacute;, et
+attaqua aussit&ocirc;t
+une r&ocirc;tie avec une voracit&eacute; sauvage.</p>
+<p>Son apparence, d&egrave;s le premier coup d'&#339;il, avait induit Sam
+&agrave; suspecter
+qu'il voyait en lui le substitut du berger dont lui avait parl&eacute;
+son
+estimable p&egrave;re. Aussit&ocirc;t qu'il le vit manger, tous ses
+doutes &agrave; ce sujet
+s'&eacute;vanouirent, et il reconnut en m&ecirc;me temps que s'il avait
+envie de
+s'installer provisoirement dans la maison, il fallait qu'il se
+m&icirc;t sans
+d&eacute;lai sur un bon pied. Commen&ccedil;ant donc ses
+op&eacute;rations, il passa son bras
+par-dessus la demi-porte du comptoir, l'ouvrit, entra d'un pas
+d&eacute;lib&eacute;r&eacute;,
+et dit tranquillement:</p>
+<p>&laquo;Ma belle-m&egrave;re, comment vous va?</p>
+<p>&#8212;Eh bien! je crois que c'est un Weller! s'&eacute;cria la grosse
+dame en
+regardant Sam d'un air fort peu satisfait.</p>
+<p>&#8212;Un peu, que c'en est un! r&eacute;torqua l'imperturbable Sam, et
+j'esp&egrave;re que
+ce r&eacute;v&eacute;rend gentleman m'excusera si je dis que je
+voudrais bien &ecirc;tre le
+Weller qui vous poss&egrave;de, belle-m&egrave;re.&raquo;</p>
+<p>C'&eacute;tait l&agrave; un compliment &agrave; deux tranchants. Il
+insinuait que Mme Weller
+&eacute;tait une femme fort agr&eacute;able, et en m&ecirc;me temps que
+M. Stiggins avait
+une apparence eccl&eacute;siastique. Effectivement, il produisit
+sur-le-champ
+un effet visible, et Sam poursuivit son avantage en embrassant sa
+belle-m&egrave;re.</p>
+<p>&laquo;Voulez-vous bien finir! s'&eacute;cria Mme Weller en le
+repoussant.</p>
+<p>&#8212;Fi! jeune homme, fi! dit le gentleman au nez rouge.</p>
+<p>&#8212;Sans offense, monsieur, sans offense, r&eacute;pliqua Sam. Mais
+malgr&eacute; &ccedil;a
+vous avez raison. Ces sortes de choses-l&agrave; sont d&eacute;fendues
+quand la
+belle-m&egrave;re est jeune et jolie, n'est-ce pas, monsieur?</p>
+<p>&#8212;Tout &ccedil;a n'est que vanit&eacute;, observa M. Stiggins.</p>
+<p>&#8212;Oh! c'est bien vrai,&raquo; dit mistress Weller en rajustant son
+bonnet.</p>
+<p>Sam pensa la m&ecirc;me chose, mais il retint sa langue.</p>
+<p>Le substitut du berger ne paraissait nullement satisfait de
+l'arriv&eacute;e de
+Sam, et quand la premi&egrave;re effervescence des compliments fut
+pass&eacute;e, Mme
+Weller elle-m&ecirc;me prit un air qui semblait dire qu'elle se serait
+tr&egrave;s-volontiers pass&eacute;e de sa visite. Quoi qu'il en soit,
+Sam &eacute;tait l&agrave;,
+et comme on ne pouvait d&eacute;cemment le mettre dehors, on l'invita
+&agrave;
+s'asseoir et &agrave; prendre le th&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Comment va le p&egrave;re?&raquo; demanda-t-il au bout de
+quelques instants.</p>
+<p>A cette question, Mme Weller leva les mains et tourna les yeux vers
+le
+plafond, comme si c'&eacute;tait un sujet trop p&eacute;nible pour
+qu'on os&acirc;t en
+parler.</p>
+<p>M. Stiggins fit entendre un g&eacute;missement.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il a donc, ce monsieur? demanda Sam.</p>
+<p>&#8212;Il est choqu&eacute; de la mani&egrave;re dont votre p&egrave;re se
+conduit.</p>
+<p>&#8212;Comment! C'est &agrave; ce point l&agrave;?</p>
+<p>&#8212;Et avec trop de raison,&raquo; r&eacute;pondit Mme Weller gravement.</p>
+<p>M. Stiggins prit une nouvelle r&ocirc;tie et soupira bruyamment.</p>
+<p>&laquo;C'est un terrible r&eacute;prouv&eacute;, poursuivit Mme
+Weller.</p>
+<p>&#8212;Un vase de perdition!&raquo; s'&eacute;cria M. Stiggins, et il fit
+dans sa r&ocirc;tie un
+large segment de cercle et poussa un g&eacute;missement sourd.</p>
+<p>Sam se sentit violemment enclin &agrave; donner au
+r&eacute;v&eacute;rend personnage une
+vol&eacute;e qui permit &agrave; ce saint homme de g&eacute;mir avec
+plus de raison, mais il
+r&eacute;prima ce d&eacute;sir et demanda simplement:</p>
+<p>&laquo;Le vieux fait donc des siennes, hein?</p>
+<p>&#8212;H&eacute;las! oui, r&eacute;pliqua Mme Weller. Il a un c&#339;ur de
+rocher. Tous les
+soirs, cet excellent homme... ne froncez pas le sourcil, monsieur
+Stiggins, je soutiens que <i>vous &ecirc;tes</i> un excellent
+homme.... Tous les
+soirs, cet excellent homme passe ici des heures enti&egrave;res, et
+cela ne
+produit point le moindre effet sur votre r&eacute;prouv&eacute; de
+p&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! voil&agrave; qui est dr&ocirc;le! r&eacute;torqua Sam.
+&Ccedil;a en produirait un
+prodigieux sur moi, si j'&eacute;tais &agrave; sa place. Je vous en
+r&eacute;ponds!</p>
+<p>&#8212;Mon jeune ami, dit solennellement M. Stiggins, le fait est qu'il a
+un
+esprit endurci. Oh! mon jeune ami, quel autre aurait pu r&eacute;sister
+aux
+exhortations de seize de nos plus aimables s&#339;urs, et refuser de
+souscrire &agrave; notre humble soci&eacute;t&eacute; pour procurer aux
+enfants n&egrave;gres, dans
+les Indes occidentales, des gilets de flanelle et des mouchoirs de
+poche
+moraux.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que c'est qu'un mouchoir moral? demanda Sam. Je n'ai
+jamais
+vu ce meuble-l&agrave;.</p>
+<p>&#8212;C'est un mouchoir qui combine l'amusement et l'instruction, mon
+jeune
+ami; o&ugrave; l'on voit des histoires choisies, illustr&eacute;es de
+gravures sur
+bois.</p>
+<p>&#8212;Bon, je sais; j'ai vu &ccedil;a aux &eacute;talages des merciers,
+avec des pi&egrave;ces de
+vers et tout le reste, n'est-ce pas?&raquo;</p>
+<p>M. Stiggins fit un signe affirmatif et commen&ccedil;a une
+troisi&egrave;me r&ocirc;tie.</p>
+<p>&laquo;Et il n'a pas voulu se laisser persuader par les dames?</p>
+<p>&#8212;Il s'est assis, r&eacute;pondit Mme Weller, il a allum&eacute; sa
+pipe, et il a dit
+que les enfants n&egrave;gres &eacute;taient.... Qu'est-ce qu'il a dit
+que les enfants
+n&egrave;gres &eacute;taient, monsieur Stiggins?</p>
+<p>&#8212;Une blague, soupira le r&eacute;v&eacute;rend, profond&eacute;ment
+affect&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Il a dit que les enfants n&egrave;gres &eacute;taient une
+blague!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta tristement
+Mme Weller; apr&egrave;s quoi, la dame et le r&eacute;v&eacute;rend
+recommenc&egrave;rent &agrave; g&eacute;mir
+sur l'atroce conduite de M. Weller.</p>
+<p>Beaucoup d'autres iniquit&eacute;s de la m&ecirc;me nature auraient
+pu &ecirc;tre
+racont&eacute;es, mais toutes les r&ocirc;ties &eacute;tant
+mang&eacute;es, le th&eacute; &eacute;tant devenu
+tr&egrave;s-faible, et Sam ne montrant aucune inclination &agrave;
+partir, M. Stiggins
+se rappela soudainement qu'il avait un rendez-vous tr&egrave;s-pressant
+avec le
+berger, et se retira en cons&eacute;quence.</p>
+<p>Le plateau &eacute;tait &agrave; peine enlev&eacute;, le foyer
+&agrave; peine balay&eacute;, lorsque la
+voiture de Londres d&eacute;posa M. Weller &agrave; la porte. Peu
+apr&egrave;s ses jambes le
+d&eacute;pos&egrave;rent dans le comptoir, et ses yeux lui
+r&eacute;v&eacute;l&egrave;rent la pr&eacute;sence de
+son fils.</p>
+<p>&laquo;Ha! ha! Sammy! s'&eacute;cria le p&egrave;re.</p>
+<p>&#8212;Ho! ho! vieux farceur!&raquo; cria le fils; et ils se
+donn&egrave;rent une poign&eacute;e
+de main vigoureuse.</p>
+<p>&laquo;Charm&eacute; de te voir, Sammy, dit l'a&icirc;n&eacute; des
+Weller. Comment diantre as-tu
+pu venir &agrave; bout de ta belle-m&egrave;re? &Ccedil;a me passe. Tu
+devrais me passer ta
+recette. Je ne te dis que &ccedil;a!</p>
+<p>&#8212;Chut! fit Sam. Elle est dans la maison, mon vieux gaillard.</p>
+<p>&#8212;Elle n'est pas &agrave; port&eacute;e d'oreille. Elle reste
+toujours en bas, &agrave;
+tracasser le monde pendant une heure ou deux apr&egrave;s le
+th&eacute;. Ainsi donc,
+nous pouvons nous humecter l'int&eacute;rieur, Sammy.&raquo;</p>
+<p>En parlant ainsi, M. Weller m&ecirc;la deux verres de grog et
+aveignit une
+couple de pipes. Le p&egrave;re et le fils s'assirent en face l'un de
+l'autre,
+Sam d'un c&ocirc;t&eacute; du feu, dans le fauteuil au dos
+&eacute;lev&eacute;, M. Weller de
+l'autre c&ocirc;t&eacute;, dans une berg&egrave;re, et ils
+commenc&egrave;rent &agrave; go&ucirc;ter le double
+plaisir de leur pipe et de leur r&eacute;union inattendue, avec toute
+la
+gravit&eacute; convenable.</p>
+<p>&laquo;Venu quelqu'un, Sammy?&raquo; demanda laconiquement M.
+Weller, apr&egrave;s un long
+silence.</p>
+<p>Sam fit un signe exprimant l'affirmation.</p>
+<p>&laquo;Un gaillard au nez rouge?&raquo;</p>
+<p>Sam r&eacute;p&eacute;ta le m&ecirc;me signe.</p>
+<p>&laquo;Un bien aimable homme que ce gaillard-l&agrave;! Sammy, fit
+observer M. Weller
+en fumant avec pr&eacute;cipitation.</p>
+<p>&#8212;Il en a tout l'air.</p>
+<p>&#8212;Et joliment fort sur le calcul!</p>
+<p>&#8212;Vraiment!</p>
+<p>&#8212;Le lundi, il emprunte dix-huit pence; le mardi, il demande un
+shilling
+pour compl&eacute;ter la demi-couronne; le vendredi, il remprunte une
+autre
+demi-couronne pour faire un compte rond de cinq shillings, et il va
+comme &ccedil;a, en doublant, jusqu'&agrave; ce qu'il arrive, en un
+rien de temps, &agrave;
+empocher une banknote de cinq livres. &Ccedil;a ressemble &agrave; ce
+calcul du livre
+d'arusm&eacute;tique o&ugrave; l'on arrive &agrave; des sommes folles
+en doublant les clous
+d'un fer &agrave; cheval.&raquo;</p>
+<p>Sam indiqua par un geste qu'il se rappelait le probl&egrave;me
+auquel son p&egrave;re
+faisait allusion.</p>
+<p>&laquo;Comme &ccedil;a, vous n'avez pas voulu souscrire pour les
+gilets de flanelle,
+demanda Sam apr&egrave;s avoir lanc&eacute; de nouveau quelques
+bouff&eacute;es de tabac
+silencieuses.</p>
+<p>&#8212;Non certainement. A quoi des gilets de flanelle peuvent-ils servir
+&agrave;
+ces n&eacute;grillons? Mais vois-tu, Sammy, ajouta M. Weller en
+baissant la
+voix et en se penchant vers son compagnon, je souscrirais bien
+volontiers une jolie somme s'il s'agissait d'offrir des camisoles de
+force &agrave; certains particuliers que nous connaissons.&raquo;</p>
+<p>Ayant exprim&eacute; cette opinion, M. Weller reprit lentement sa
+position
+premi&egrave;re, et cligna de l'&#339;il d'un air tr&egrave;s-sagace.</p>
+<p>&laquo;C'est une dr&ocirc;le d'id&eacute;e, tout de m&ecirc;me, de
+vouloir envoyer des mouchoirs
+&agrave; des gens qui ne connaissent pas la mani&egrave;re de s'en
+servir, fit
+remarquer Sam.</p>
+<p>&#8212;I' sont toujours &agrave; faire quelque b&ecirc;tise de ce genre,
+Sammy. L'autre
+dimanche, je fl&acirc;nais sur la route, qu'est-ce que
+j'aper&ccedil;ois debout &agrave; la
+porte d'une chapelle? Ta belle-m&egrave;re avec un plat de fa&iuml;ence
+bleue &agrave; la
+main, o&ugrave;s que les patards tombaient comme la gr&ecirc;le.... Tu
+n'aurais
+jamais cru qu'un plat mortel aurait pu y tenir. Et pour quoi penses-tu
+que c'&eacute;tait, Sammy?</p>
+<p>&#8212;Pour donner un autre th&eacute;, peut-&ecirc;tre!</p>
+<p>&#8212;Tu n'y es pas, c'&eacute;tait pour la rente d'eau du berger</p>
+<p>&#8212;La rente d'eau du berger!</p>
+<p>&#8212;Ni plus ni moins. I' y avait trois trimestres que le berger n'avait
+pas pay&eacute; un liard, pas un liard. Au fait il n'a gu&egrave;re
+besoin d'eau, i'
+ne boit que tr&egrave;s-peu de c'te liqueur-l&agrave;, tr&egrave;s-peu,
+Sammy.... pas si
+chose! Comme &ccedil;a, la rente n'&eacute;tait pas pay&eacute;e et le
+receveur avait arr&ecirc;t&eacute;
+son filet. V'l&agrave; donc le berger qui s'en va &agrave; la chapelle.
+Il dit qu'il
+est un saint martyris&eacute;, qu'il d&eacute;sire que le
+tourne-robinet qu'a coup&eacute;
+son filet obtienne son pardon du ciel, mais qu'il a bien peur qu'on ne
+lui ait d&eacute;j&agrave; retenu dans l'autre monde une place
+o&ugrave; il ne sera pas &agrave; son
+aise. L&agrave;-dessus les femelles font un meeting, chantent des
+hymnes,
+nomment ta belle-m&egrave;re pr&eacute;sidente, votent une qu&ecirc;te
+pour le dimanche
+suivant, et repassent tout le quibus au berger. Et si il n'a pas eu de
+quoi payer sa rente d'eau, sa vie durant, dit M. Weller en terminant,
+je
+ne suis qu'un Hollandais et tu en es un autre, voil&agrave; tout.&raquo;</p>
+<p>M. Weller fuma en silence pendant quelques minutes, puis il ajouta:</p>
+<p>&laquo;Le pire de ces bergers, mon gar&ccedil;on, c'est qu'i'
+tournent la t&ecirc;te &agrave;
+toutes les jeunes filles. Dieu b&eacute;nisse leurs petits c&#339;urs! elles
+s'imaginent que c'est tout miel, et elles n'en savent pas plus long.
+Elles donnent toutes dans la charge, Sammy, elles y donnent toutes.</p>
+<p>&#8212;&Ccedil;a me fait cet effet-l&agrave;, dit Sam.</p>
+<p>&#8212;Ni pus ni moins, poursuivit M. Weller en secouant gravement la
+t&ecirc;te;
+et ce qui m'agace le plus, Samivel, c'est de leur voir perdre leur
+temps
+et leur belle jeunesse &agrave; faire des habits pour des gens
+cuivr&eacute;s qui n'en
+ont pas besoin, sans jamais s'occuper des chr&eacute;tiens qui ont des
+couleurs
+naturelles et qui savent mettre un pantalon. Si j'&eacute;tais le
+ma&icirc;tre,
+Sammy, j'att&egrave;lerais quelques-uns de ces faignants de bergers
+&agrave; une
+brouette bien charg&eacute;e et je la leur ferais monter et descendre,
+pendant
+vingt-quatre heures de suite, le long d'une planche de dix-huit pouces
+de large. &Ccedil;a leur &ocirc;terait un peu de leur b&ecirc;tise, ou
+rien n'y r&eacute;ussira.&raquo;</p>
+<p>M. Weller, ayant d&eacute;bit&eacute; cette aimable recette, avec
+beaucoup d'emphase
+et une multitude de gestes et de contorsions, vida son verre d'un seul
+trait, et fit tomber les cendres de sa pipe avec une dignit&eacute;
+naturelle.</p>
+<p>Il n'avait pas encore termin&eacute; cette derni&egrave;re
+op&eacute;ration, lorsqu'une voix
+aigre se fit entendre dans le passage.</p>
+<p>&laquo;Voici ta ch&egrave;re belle-m&egrave;re, Sammy,&raquo; dit-il
+&agrave; son fils, et au m&ecirc;me
+instant Mme Weller entra, d'un pas affair&eacute;, dans la chambre.</p>
+<p>&laquo;Oh! vous voil&agrave; donc revenu! s'&eacute;cria-t-elle.</p>
+<p>&#8212;Oui, ma ch&egrave;re, r&eacute;pliqua M. Weller en bourrant de
+nouveau sa pipe.</p>
+<p>&#8212;M. Stiggins est-il de retour? demanda mistress Weller.</p>
+<p>&#8212;Non, ma ch&egrave;re, r&eacute;pondit M. Weller en allumant
+ing&eacute;nieusement sa pipe
+au moyen d'un charbon embras&eacute; qu'il prit avec les pincettes; et
+qui
+plus est, ma ch&egrave;re, je t&acirc;cherais de ne pas mourir de
+chagrin s'il ne
+remettait plus les pieds ici.</p>
+<p>&#8212;Ouh! le r&eacute;prouv&eacute;! s'&eacute;crie Mme Weller.</p>
+<p>&#8212;Merci, mon amour, dit son &eacute;poux.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! p&egrave;re, observa Sam; pas de ces petites
+tendresses
+devant des &eacute;trangers. Voil&agrave; le r&eacute;v&eacute;rend
+gentleman qui revient.&raquo;</p>
+<p>A cette annonce, Mme Weller essuya pr&eacute;cipitamment les larmes
+qu'elle
+s'&eacute;tait efforc&eacute;e de verser, et M. Weller tira, d'un air
+chagrin, son
+fauteuil dans le coin de la chemin&eacute;e.</p>
+<p>M. Stiggins ne se fit pas beaucoup prier pour prendre un autre verre
+de
+grog; puis il en accepta un second, puis un troisi&egrave;me, puis il
+consentit
+&agrave; accepter sa part d'un l&eacute;ger souper, afin de recommencer
+sur nouveaux
+frais. Il &eacute;tait assis du m&ecirc;me c&ocirc;t&eacute; que M.
+Weller a&icirc;n&eacute;; et lorsque
+celui-ci supposait que sa femme ne pouvait pas le voir, il indiquait
+&agrave;
+son fils les &eacute;motions intimes dont son &acirc;me &eacute;tait
+agit&eacute;e, en secouant son
+poing sur la t&ecirc;te du berger. Cette plaisanterie procurait
+&agrave; son
+respectueux enfant une satisfaction d'autant plus pure, que M. Stiggins
+continuait &agrave; siroter paisiblement son rhum, dans une heureuse
+ignorance
+de cette pantomime anim&eacute;e.</p>
+<p>La conversation fut soutenue, en grande partie, par Mme Weller et le
+r&eacute;v&eacute;rend M. Stiggins, et les principaux sujets qu'on
+entama furent les
+vertus du berger, les m&eacute;rites de son troupeau, et les crimes
+affreux,
+les d&eacute;testables p&eacute;ch&eacute;s de tout le reste du monde.
+Seulement, M. Weller
+interrompait parfois ces dissertations par des remarques et des
+allusions indirectes &agrave; un certain vieux farceur
+g&eacute;n&eacute;ralement d&eacute;sign&eacute;
+sous le nom de <i>Walker</i><a name="FNanchor_29_29"></a><a
+ href="#Footnote_29_29"><sup>29</sup></a>, et se permit
+&ccedil;&agrave; et l&agrave; divers commentaires
+non moins ironiques et voil&eacute;s.</p>
+<p>Enfin, M. Stiggins, qui, &agrave; en juger par divers
+sympt&ocirc;mes indubitables,
+avait emmagasin&eacute; autant de grog qu'il en pouvait ingurgiter sans
+trop
+s'incommoder, prit son chapeau et son cong&eacute;,
+imm&eacute;diatement apr&egrave;s, Sam
+fut conduit par son p&egrave;re dans une chambre &agrave; coucher. Le
+respectable
+gentleman, en lui donnant une chaleureuse poign&eacute;e de main,
+paraissait se
+disposer &agrave; lui adresser quelques observations; mais il entendit
+monter
+Mme Weller, et changeant aussit&ocirc;t d'intention, il lui dit
+brusquement
+bonsoir.</p>
+<p>Le lendemain, Sam se leva de bonne heure. Ayant
+d&eacute;jeun&eacute; &agrave; la h&acirc;te, il
+s'appr&ecirc;ta &agrave; retourner &agrave; Londres, et il sortait de
+la maison, lorsque son
+p&egrave;re se pr&eacute;senta devant lui.</p>
+<p>&#8212;Tu pars, Sam?</p>
+<p>&#8212;Tout de g&ocirc;.</p>
+<p>&#8212;Je voudrais bien te voir museler ce Stiggins, et l'emmener avec toi.</p>
+<p>&#8212;Vraiment? r&eacute;pondit Sam d'un ton de reproche; je rougis de
+vous avoir
+pour auteur, vieux capon. Pourquoi lui laissez-vous montrer son nez
+cramoisi chez le <i>Marquis de Granby</i>?&raquo;</p>
+<p>M. Weller attacha sur son fils un regard s&eacute;rieux, et
+r&eacute;pondit:</p>
+<p>&laquo;Parce que je suis un homme mari&eacute;, Sammy, parce que je
+suis un homme
+mari&eacute;. Quand tu seras mari&eacute;, Sammy, tu comprendras bien
+des choses que
+tu ne comprends pas maintenant. Mais &ccedil;a vaut-il la peine de
+passer tant
+de vilains quarts d'heure pour apprendre si peu de chose, comme disait
+cet &eacute;colier quand il a-t-&eacute;t&eacute; arriv&eacute;
+&agrave; savoir son alphabet, voil&agrave; la
+question? C'est une affaire de go&ucirc;t. Mais, pour ma part, je suis
+tr&egrave;s-dispos&eacute; &agrave; r&eacute;pondre: Non!</p>
+<p>&#8212;Dans tous les cas, dit Sam, adieu.</p>
+<p>&#8212;Bonjour, Sammy, bonjour.</p>
+<p>&#8212;Je n'ai plus qu'un mot &agrave; vous dire, reprit Sam en
+s'arr&ecirc;tant court: Si
+j'&eacute;tais le propri&eacute;taire du <i>Marquis de Granby</i>, et
+si cet animal de
+Stiggins venait faire des roties dans mon comptoir, je le....</p>
+<p>&#8212;Que ferais-tu? interrompit M. Weller avec grande
+anxi&eacute;t&eacute;, que
+ferais-tu?</p>
+<p>&#8212;J'empoisonnerais son grog.</p>
+<p>&#8212;Bah! s'&eacute;cria Weller en donnant &agrave; son fils une
+poign&eacute;e de main
+reconnaissante, tu ferais cela r&eacute;ellement, Sammy? tu ferais cela?</p>
+<p>&#8212;Parole! Je ne voudrais pas me montrer trop cruel envers lui tout
+d'abord. Je commencerais par le plonger dans la fontaine, et je
+remettrais le couvercle pour l'emp&ecirc;cher de s'enrhumer; mais si je
+voyais
+qu'il n'y avait pas moyen d'en venir &agrave; bout par la douceur,
+j'emploierais une autre m&eacute;thode de persuasion.&raquo;</p>
+<p>M. Weller a&icirc;n&eacute; lan&ccedil;a &agrave; son fils un regard
+d'admiration inexprimable, et,
+lui ayant de nouveau serr&eacute; la main, s'&eacute;loigna lentement
+en roulant dans
+son esprit les r&eacute;flexions nombreuses auxquelles cet avis avait
+donn&eacute;
+lieu.</p>
+<p>Sam le suivit des yeux jusqu'au d&eacute;tour de la route et
+s'achemina ensuite
+vers Londres. Il m&eacute;dita d'abord sur les cons&eacute;quences
+probables de son
+conseil, et sur la vraisemblance ou l'invraisemblance qu'il y avait de
+voir adopter cet avis par son p&egrave;re; mais bient&ocirc;t il
+&eacute;carta toute
+inqui&eacute;tude de son esprit par cette r&eacute;flexion consolante,
+qu'il en
+saurait le r&eacute;sultat avec le temps. C'est un avantage que le
+lecteur
+aura, aussi bien que lui.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXVIII"></a>
+<h2>CHAPITRE XXVIII.</h2>
+<h3>Un joyeux chapitre des f&ecirc;tes de No&euml;l, contenant le
+r&eacute;cit d'une noce et
+de quelques autres passe-temps qui sont, dans leur genre, d'aussi
+bonnes
+coutumes que le mariage, mais qu'on ne maintient pas aussi
+religieusement, dans ce si&egrave;cle
+d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;.</h3>
+<br/>
+<p>Aussi diligents que des abeilles, et presque aussi l&eacute;gers que
+des
+papillons, les quatre Pickwickiens se rassembl&egrave;rent, au matin du
+22
+d&eacute;cembre de l'an de gr&acirc;ce 1831. No&euml;l s'approchait
+rapidement, dans toute
+sa joyeuse et cordiale hospitalit&eacute;. La vieille ann&eacute;e se
+pr&eacute;parait, comme
+un gymnosophiste indien, &agrave; r&eacute;unir ses amis autour de soi,
+et &agrave; mourir
+doucement et tranquillement au milieu des festins et des bombances.
+C'&eacute;tait une &eacute;poque de jubilation, et parmi les nombreux
+mortels que
+r&eacute;jouissait la m&ecirc;me cause, nos quatre h&eacute;ros
+&eacute;taient remarquablement
+enjou&eacute;s et heureux.</p>
+<p>Car ils sont nombreux les mortels &agrave; qui No&euml;l apporte un
+court intervalle
+de gaiet&eacute; et de bonheur! Combien de familles dispers&eacute;es
+au loin par les
+soins, par les luttes incessantes de la vie, se r&eacute;unissent alors
+dans
+cet heureux &eacute;tat de familiarit&eacute; et de bonne
+volont&eacute; mutuelle, qui est la
+source de tant de pures d&eacute;lices; douce et paisible communion
+d'esprit
+qui semble si incompatible avec les soucis de l'existence, si au dessus
+des plaisirs de ce monde, que les nations les plus civilis&eacute;es,
+comme les
+peuplades les plus sauvages, en font &eacute;galement une des
+premi&egrave;res
+jouissances r&eacute;serv&eacute;es aux &eacute;lus, dans le
+s&eacute;jour du bonheur &eacute;ternel.
+Combien de vieilles sympathies, combien de souvenirs assoupis se
+r&eacute;veillent au temps de No&euml;l!</p>
+<p>Nous &eacute;crivons ces lignes &agrave; bien des lieues de
+l'heureux endroit o&ugrave;,
+pendant de longues ann&eacute;es, nous avons rencontr&eacute;, la
+veille de No&euml;l, un
+cercle amical et joyeux. La plupart des c&#339;urs qui palpitaient alors
+avec
+ivresse, ont cess&eacute; de battre; les mains que nous aimions
+&agrave; serrer, sont
+devenues froides; les visages gracieux qui nous charmaient, sont
+d&eacute;charn&eacute;s; les regards que nous cherchions, ont perdu
+leur &eacute;clat; et
+cependant la vieille maison, la grande salle, les plaisanteries, les
+rires, les voix joyeuses et les visages souriants, les circonstances
+les
+plus frivoles de ces heureuses r&eacute;unions, se pressent en foule
+dans notre
+esprit, &agrave; chaque retour de cette f&ecirc;te. Il semble que nous
+n'ayons cess&eacute;
+de nous voir que d'hier. Heureux, heureux le jour de No&euml;l, qui
+redonne
+au vieillard les illusions de sa jeunesse, et qui transporte le marin,
+le voyageur, &eacute;loign&eacute; de plusieurs milliers de lieues,
+parmi les joies
+tranquilles de la maison paternelle.</p>
+<p>Nous nous sommes laiss&eacute; entra&icirc;ner par les bonnes
+qualit&eacute;s de No&euml;l, qui,
+pour le dire en passant, est tout &agrave; fait un gentilhomme
+campagnard de la
+vieille &eacute;cole, et nous faisons attendre, au froid, M. Pickwick
+et ses
+amis. Ils viennent d'arriver &agrave; la voiture de Muggleton,
+soigneusement
+envelopp&eacute;s de ch&acirc;les et de grandes redingotes. Les
+portemanteaux, les
+sacs de nuit sont plac&eacute;s, et Sam s'efforce avec le garde<a
+ name="FNanchor_30_30"></a><a href="#Footnote_30_30"><sup>30</sup></a>
+d'insinuer
+dans le coffre de devant une &eacute;norme morue, soigneusement
+empaquet&eacute;e dans
+un long panier brun garni de paille, et qui doit reposer sur une
+demi-douzaine de barils d'hu&icirc;tres, appartenant, comme elle,
+&agrave; M.
+Pickwick. La physionomie de celui-ci exprime le plus vif
+int&eacute;r&ecirc;t, tandis
+que Sam et le garde font tout ce qu'ils peuvent pour fourrer la morue
+dans le r&eacute;ceptacle, quoiqu'elle soit deux ou trois fois trop
+grande pour
+y entrer. D'abord ils veulent la mettre la t&ecirc;te la
+premi&egrave;re, ensuite la
+queue la premi&egrave;re, puis le fond du panier en haut, puis
+l'ouverture en
+haut, puis sur le c&ocirc;t&eacute;, puis diagonalement. Mais
+l'implacable morue
+r&eacute;siste opini&acirc;trement &agrave; tous ces artifices. Enfin,
+cependant, le garde,
+frappant par hasard sur le milieu du panier, le poisson dispara&icirc;t
+soudainement, et cette condescendance inattendue, faisant perdre
+l'&eacute;quilibre au garde lui-m&ecirc;me, sa t&ecirc;te et ses
+&eacute;paules s'enfoncent en
+m&ecirc;me temps dans le coffre, &agrave; la satisfaction inexprimable
+de tous les
+porteurs et assistants. M. Pickwick sourit avec bonne humeur, tire un
+shilling de son gilet, et lorsque le garde sort de sa bo&icirc;te, le
+prie de
+boire &agrave; sa sant&eacute; un verre d'eau-de-vie et d'eau chaude.
+Sur cela, le
+garde sourit aussi, et MM. Snodgrass, Winkle et Tupman sourient tous de
+compagnie. Le garde et Sam Weller disparaissent pendant cinq minutes,
+probablement pour avaler le grog, car ils sentent l'eau-de-vie en
+revenant. Le cocher monte sur son si&eacute;ge, Sam saute
+derri&egrave;re, les
+Pickwickiens tirent leurs redingotes sur leurs jambes et leurs
+ch&acirc;les
+sur leur nez, les valets d'&eacute;curie &ocirc;tent les couvertures
+des chevaux, le
+cocher crie: &laquo;En route!&raquo; et les voil&agrave; partis.</p>
+<p>Ils ont circul&eacute; &agrave; travers les rues, ils ont
+&eacute;t&eacute; cahot&eacute;s sur le pav&eacute;, et,
+&agrave; la fin, ils atteignent la campagne. Les roues glissent sur le
+terrain
+dur et gel&eacute;. Au claquement aigu du fouet, les chevaux partent au
+petit
+galop et entra&icirc;nent &agrave; leurs talons voiture, voyageurs,
+morue, barils
+d'hu&icirc;tres, et le reste, comme si ce n'&eacute;tait qu'une plume
+l&eacute;g&egrave;re. Ils ont
+descendu une pente douce et se trouvent sur une chauss&eacute;e
+horizontale, de
+deux milles de long, aussi s&egrave;che, aussi compacte qu'un bloc de
+granit.
+Un autre claquement de fouet, et ils s'&eacute;lancent au grand galop,
+secouant
+leur t&ecirc;te et leur harnais, sous l'influence excitante de leur
+mouvement
+rapide. Cependant le cocher, tenant le fouet et les guides d'une main,
+&ocirc;te son chapeau avec l'autre, le pose sur ses genoux, tire son
+mouchoir
+et essuie son front; partie parce qu'il a l'habitude d'agir ainsi, et
+partie pour montrer aux voyageurs comme il est &agrave; son aise, et
+combien
+c'est une chose facile de conduire quatre chevaux, quand on a autant de
+pratique que lui. Ayant fait cela fort tranquillement (car autrement
+l'effet en serait notablement diminu&eacute;), il replace son mouchoir,
+remet
+son chapeau, ajuste ses gants, &eacute;quarrit ses coudes, fait claquer
+son
+fouet de nouveau, et au galop! plus gaiement que jamais!</p>
+<p>Quelques maisons, &eacute;parpill&eacute;es des deux cot&eacute;s de
+la route, annoncent
+l'entr&eacute;e d'un village. Le cornet du garde fait vibrer dans l'air
+pur et
+frais des notes anim&eacute;es, qui r&eacute;veillent le vieux
+gentleman de
+l'int&eacute;rieur. Il abaisse la glace &agrave; moiti&eacute;, regarde
+un instant au dehors,
+et relevant soigneusement la glace, informe l'autre habitant de
+l'int&eacute;rieur que l'on va relayer dans quelques minutes.
+D'apr&egrave;s cet avis,
+celui-ci se secoue, et se d&eacute;termine &agrave; remettre son
+premier somme
+jusqu'&agrave; ce qu'on soit reparti. Le cornet r&eacute;sonne encore
+vigoureusement,
+et, &agrave; ce bruit, les femmes et les enfants du village viennent
+regarder &agrave;
+la porte de leur chaumi&egrave;re, et suivent des yeux la voiture
+jusqu'&agrave; ce
+qu'elle tourne le coin, puis ils rentrent s'&eacute;tendre autour d'un
+feu
+brillant et y jettent un autre morceau de bois <i>pour quand le
+p&egrave;re
+reviendra</i>. Cependant le p&egrave;re lui-m&ecirc;me, &agrave; un
+mille de l&agrave;, vient
+d'&eacute;changer un signe de t&ecirc;te amical avec le cocher, et
+s'est retourn&eacute;
+pour examiner longuement la voiture qui s'enfuit loin de lui.</p>
+<p>Et maintenant, pendant que les roues retentissent dans les rues mal
+pav&eacute;es d'une ville provinciale, le cornet joue un air guilleret.
+Le
+cocher, d&eacute;faisant la boucle qui r&eacute;unit ses guides,
+s'appr&ecirc;te &agrave; les jeter
+au moment m&ecirc;me o&ugrave; il arr&ecirc;tera. M. Pickwick sort du
+collet de sa
+redingote, et regarde autour de lui avec grande curiosit&eacute;; le
+cocher,
+qui s'en aper&ccedil;oit, l'instruit du nom de la ville, et lui dit que
+c'&eacute;tait
+hier jour de march&eacute;; double information que M. Pickwick
+s'empresse de
+faire passer &agrave; ses compagnons de voyage, et qui les
+d&eacute;cide &agrave; sortir
+aussi de leurs collets et &agrave; regarder autour d'eux. M. Winkle,
+qui est
+assis &agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la banquette, avec une
+jambe dandinante en l'air,
+est presque pr&eacute;cipit&eacute; dans la rue lorsque la voiture
+tourne brusquement
+pour entrer dans la place du march&eacute;; et M. Snodgrass, qui se
+trouve
+assis aupr&egrave;s de lui, n'est point encore remis de son effroi,
+lorsqu'elle
+arr&ecirc;te dans la cour de l'auberge, o&ugrave; les chevaux frais,
+avec leurs
+couvertures, piaffent d&eacute;j&agrave;. Le cocher jette les guides et
+descend de son
+si&eacute;ge; les voyageurs ext&eacute;rieurs descendent aussi,
+except&eacute; ceux qui n'ont
+pas grande confiance dans leur habilet&eacute; pour remonter.
+Ceux-l&agrave; restent
+o&ugrave; ils sont, frappent leurs pieds contre la voiture pour se les
+r&eacute;chauffer, et regardent avec un &#339;il d'envie le feu qui brille
+dans la
+salle, et le buis, orn&eacute; de baies rouges, qui pare les
+fen&ecirc;tres de
+l'auberge.</p>
+<p>Cependant le garde a d&eacute;pos&eacute;, &agrave; la boutique du
+gr&egrave;netier, le paquet de
+papier gris qu'il a tir&eacute; de la petite besace pendue sur son
+&eacute;paule, &agrave; un
+baudrier de cuir. Il a soigneusement examin&eacute; les nouveaux
+chevaux; il a
+jet&eacute; sur le pav&eacute; la selle apport&eacute;e de Londres, sur
+l'imp&eacute;riale; il a
+assist&eacute; &agrave; la conf&eacute;rence tenue par le cocher et par
+le valet d'&eacute;curie sur
+la jument grise, qui s'est bless&eacute;e &agrave; la jambe de devant
+mardi pass&eacute;; il
+est remont&eacute; derri&egrave;re la voiture avec Sam; le cocher est
+juch&eacute; sur son
+si&eacute;ge; le vieux gentleman du dedans, qui avait tenu la glace
+baiss&eacute;e de
+deux doigts, durant tout ce temps, l'a relev&eacute;e, et les
+couvertures des
+chevaux sont &ocirc;t&eacute;es, et tout est pr&ecirc;t pour partir,
+except&eacute; <i>les deux gros
+gentlemen</i>, dont le cocher s'enquiert avec grande impatience; puis
+le
+cocher, et le garde, et Sam, et M. Winkle, et M. Snodgrass, et tous les
+palefreniers, et tous les fl&acirc;neurs, qui sont plus nombreux que
+tous les
+autres ensemble, se mettent &agrave; brailler &agrave; tue-t&ecirc;te
+apr&egrave;s les voyageurs
+manquants. Une r&eacute;ponse lointaine s'entend au fond de la cour; M.
+Pickwick et M. Tupman la traversent en courant, tout hors d'haleine,
+car
+ils ont bu chacun un verre d'ale, et les doigts de M. Pickwick sont si
+froids, qu'il a &eacute;t&eacute; cinq grandes minutes avant de pouvoir
+tirer six
+pence pour payer. Le cocher vocif&egrave;re d'un air m&eacute;content:
+&laquo;Allons,
+gentlemen, allons!&raquo; Le garde r&eacute;p&egrave;te le m&ecirc;me
+cri; le vieux gentleman de
+l'int&eacute;rieur trouve fort extraordinaire qu'on veuille descendre,
+quand on
+sait qu'on n'en a pas le temps; M. Pickwick s'efforce de grimper d'un
+c&ocirc;t&eacute;, M. Tupman de l'autre; M. Winkle crie. <i>&Ccedil;a
+y est</i>, et les voil&agrave;
+repartis! Les ch&acirc;les sont remis, les collets d'habits sont
+rajust&eacute;s, le
+pav&eacute; cesse, les maisons disparaissent, et nos voyageurs
+s'&eacute;lancent de
+nouveau sur la grande route, et l'air clair et piquant baigne leur
+visage et les r&eacute;jouit jusqu'au fond du c&#339;ur.</p>
+<p>C'est ainsi que le <i>T&eacute;l&eacute;graphe</i> de Muggleton
+transportait M. Pickwick et
+ses amis sur le chemin de Dingley-Dell. A trois heures de
+l'apr&egrave;s-midi,
+ils d&eacute;barquaient tous, sains et saufs, sur les marches du <i>Lion
+bleu</i>,
+ayant pris sur la route assez d'ale et d'eau-de-vie pour d&eacute;fier
+la
+gel&eacute;e, qui couvrait, de ses belles dentelles blanches, les
+arbres et les
+haies.</p>
+<p>M. Pickwick &eacute;tait s&eacute;rieusement occup&eacute; &agrave;
+surveiller l'exhumation de la
+morue, lorsqu'il se sentit tirer doucement par le pan de son habit. Il
+se retourna et reconnut le page favori de M. Wardle, mieux connu des
+lecteurs de cette v&eacute;ridique histoire sous le nom du gros joufflu.</p>
+<p>&laquo;Ha! ha! fit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Ha! ha! fit le gros joufflu en regardant amoureusement la morue et
+les
+barils d'hu&icirc;tres. Il &eacute;tait plus gros que jamais.</p>
+<p>&#8212;Eh bien! mon jeune ami, dit M. Pickwick, vous m'avez l'air assez
+rougeaud.</p>
+<p>&#8212;J'ai dormi devant le feu de la buvette, r&eacute;pondit le gros
+joufflu,
+qu'une heure de somme avait mont&eacute; au ton d'une brique.
+Ma&icirc;tre m'a envoy&eacute;
+avec la charrette pour porter votre bagage &agrave; la maison. Il
+aurait envoy&eacute;
+quelques chevaux de selle; mais, comme il fait froid, il a pens&eacute;
+que
+vous aimeriez mieux marcher.</p>
+<p>&#8212;Oui! oui! nous aimons mieux marcher, r&eacute;pliqua
+pr&eacute;cipitamment M.
+Pickwick, car il se rappelait la cavalcade qu'il avait
+d&eacute;j&agrave; faite sur la
+m&ecirc;me route. Sam!</p>
+<p>&#8212;Monsieur!</p>
+<p>&#8212;Aidez le domestique de M. Wardle &agrave; mettre les paquets dans
+la
+charrette, et montez-y avec lui; nous allons aller en avant.&raquo;</p>
+<p>Ayant donn&eacute; ces instructions et termin&eacute; son compte
+avec le cocher, M.
+Pickwick, suivi de ses amis, prit le sentier de traverse et
+s'&eacute;loigna
+d'un pas gaillard.</p>
+<p>Sam, qui se trouvait pour la premi&egrave;re fois confront&eacute;
+avec le gros
+joufflu, l'examinait curieusement, mais sans rien dire: quand il l'eut
+bien consid&eacute;r&eacute;, il commen&ccedil;a &agrave; arranger
+rapidement tous les paquets dans
+la charrette, tandis que Joe le regardait d'un air tranquille, et
+paraissait trouver un immense plaisir &agrave; voir avec quelle
+activit&eacute; Sam
+faisait cette op&eacute;ration.</p>
+<p>&laquo;Voil&agrave;, dit Sam, en jetant le dernier sac dans la
+charrette: ils y sont
+tous.</p>
+<p>&#8212;Oui, observa Joe d'un ton satisfait: ils y sont tous....</p>
+<p>&#8212;Savez-vous, mon petit, que vous auriez bien pu obtenir le prix au
+grand concours.</p>
+<p>&#8212;Bien oblig&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Est-ce que vous avez quelque chose dessus votre c&#339;ur qui vous
+affecte?</p>
+<p>&#8212;Non, je ne crois pas.</p>
+<p>&#8212;J'aurais pourtant imagin&eacute;, en vous regardant, que vous aviez
+une
+passion malheureuse.&raquo;</p>
+<p>Joe secoua la t&ecirc;te d'une mani&egrave;re n&eacute;gative.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! poursuivit Sam; tant mieux! Buvez-vous?</p>
+<p>&#8212;J'aime mieux manger.</p>
+<p>&#8212;Ah! j'aurais imagin&eacute; &ccedil;a. Mais je veux dire,
+voulez-vous prendre une
+goutte de quelque chose qui vous r&eacute;chaufferait votre petit
+estomac? Du
+reste vous &ecirc;tes gentiment rembourr&eacute; et vous ne devez pas
+avoir froid
+souvent.</p>
+<p>&#8212;Quelquefois, et j'aime bien &agrave; boire la goutte, quand c'est
+du bon.</p>
+<p>&#8212;Ah! c'est-il vrai? H&eacute; bien, venez par ici alors.&raquo;</p>
+<p>Nos nouveaux amis furent bient&ocirc;t transport&eacute;s &agrave;
+la buvette du <i>Lion
+bleu</i>, et le gros joufflu avala un verre d'eau-de-vie sans
+sourciller,
+exploit qui l'avan&ccedil;a consid&eacute;rablement dans la bonne
+opinion de Sam.
+Lorsque celui-ci eut op&eacute;r&eacute; pour son propre compte, ils
+mont&egrave;rent dans la
+charrette.</p>
+<p>&laquo;Savez-vous conduire? demanda le page de M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;Un peu, mon neveu!</p>
+<p>&#8212;Voil&agrave; alors, dit le gros joufflu en mettant les guides dans
+la main de
+Sam et en lui montrant une ruelle. Il n'y a qu'&agrave; aller tout
+droit, et
+vous ne pouvez pas vous tromper.&raquo;</p>
+<p>Ayant prononc&eacute; ces mots, il se coucha affectueusement
+&agrave; c&ocirc;t&eacute; de la
+morue, et pla&ccedil;ant un baril d'hu&icirc;tres sous sa t&ecirc;te,
+en guise de
+traversin: il s'endormit instantan&eacute;ment.</p>
+<p>&laquo;Eh bien! par exemple, fit Sam: pour un jeune homme sans
+g&ecirc;ne, voil&agrave; un
+jeune homme sans g&ecirc;ne! Allons, r&eacute;veillez-vous, jeune
+hydropique.&raquo;</p>
+<p>Mais comme le jeune <i>hydropique</i> ne montrait aucun
+sympt&ocirc;me d'animation,
+Sam s'assit sur le devant du char, et faisant partir le vieux cheval
+par
+une secousse des guides, le conduisit d'un trot soutenu vers
+Manoir-ferme.</p>
+<p>Cependant M. Pickwick et ses amis, ayant r&eacute;tabli par la
+marche une
+active circulation dans leur syst&egrave;me veineux et art&eacute;riel,
+poursuivaient
+gaiement leur chemin. La terre &eacute;tait durcie, le gazon blanchi
+par la
+gel&eacute;e; l'air froid et sec &eacute;tait fortifiant, et l'approche
+rapide du
+cr&eacute;puscule gris&acirc;tre (couleur d'ardoise serait une
+expression plus
+convenable dans un temps de gel&eacute;e), rendait plus
+s&eacute;duisante pour nos
+voyageurs l'agr&eacute;able perspective des conforts qui les
+attendaient chez
+leur h&ocirc;te. C'&eacute;tait pr&eacute;cis&eacute;ment
+l'esp&egrave;ce d'apr&egrave;s-midi, qui, dans un champ
+solitaire, pourrait induire un couple de barbons &agrave; &ocirc;ter
+leurs habits et
+&agrave; jouer &agrave; saute-mouton, par pure
+l&eacute;g&egrave;ret&eacute; d'esprit. Aussi sommes-nous
+fermement persuad&eacute;s que si dans cet instant M. Tupman
+s'&eacute;tait courb&eacute;, en
+appuyant les mains sur ses genoux, M. Pickwick aurait profit&eacute;,
+avec la
+plus grande avidit&eacute;, de cette invitation indirecte.</p>
+<p>Quoi qu'il en soit, M. Tupman ne s'&eacute;tant pas pos&eacute; de
+cette mani&egrave;re, nos
+amis continu&egrave;rent &agrave; marcher, en conversant joyeusement.
+Comme ils
+entraient dans une ruelle qu'ils devaient traverser, un bruit confus de
+voix vint frapper leurs oreilles, et avant d'avoir eu le temps de
+former
+une conjecture sur les personnes &agrave; qui ces voix appartenaient,
+ils se
+trouv&egrave;rent au milieu d'une soci&eacute;t&eacute; nombreuse qui
+attendait leur arriv&eacute;e.</p>
+<p>C'&eacute;tait le vieux Wardle, qui poussait de bruyants hourras, et
+qui, s'il
+est possible, avait l'air encore plus jovial que de coutume;
+c'&eacute;tait
+Bella et son fid&egrave;le Trundle; c'&eacute;tait &Eacute;mily enfin,
+et huit ou dix autres
+jeunes demoiselles, qui &eacute;taient venues pour assister aux
+op&eacute;rations
+matrimoniales du lendemain, et qui se trouvaient toutes dans cette
+disposition de gaiet&eacute; et d'importance ordinaire aux jeunes
+ladies dans
+ces int&eacute;ressantes occasions. Les champs et les ruelles
+retentissaient au
+loin des &eacute;clats de rire de cette bande joyeuse.</p>
+<p>Les c&eacute;r&eacute;monies des pr&eacute;sentations furent
+bient&ocirc;t termin&eacute;es, ou plut&ocirc;t les
+pr&eacute;sentations furent bient&ocirc;t parfaites, sans aucune
+c&eacute;r&eacute;monie. Au bout
+de deux minutes, M. Pickwick, aussi &agrave; son aise, aussi peu
+contraint que
+s'il avait connu toute sa vie ces jeunes demoiselles, plaisantait avec
+celles qui ne voulaient pas passer par-dessus les barri&egrave;res
+quand il
+regardait, ou qui ayant de jolis pieds et des chevilles sans reproche,
+avaient soin de rester debout sur la balustrade pendant cinq ou six
+minutes, en d&eacute;clarant qu'elles avaient trop peur pour oser faire
+aucun
+mouvement. Il est digne de remarque que M. Snodgrass offrit &agrave;
+&Eacute;mily
+Wardle beaucoup plus d'assistance que les terreurs de la
+barri&egrave;re ne
+semblaient l'exiger, quoiqu'elle e&ucirc;t bien trois pieds de haut et
+qu'il
+fall&ucirc;t y monter sur une couple de pierres, servant de marches.
+Enfin
+l'on observa qu'une jeune demoiselle, qui avait des yeux noirs et de
+tr&egrave;s-jolis petits brodequins garnis de fourrures, poussa de
+grands cris
+lorsque M. Winkle lui offrit la main pour l'aider &agrave; descendre.</p>
+<p>Quand les difficult&eacute;s des barri&egrave;res furent
+surmont&eacute;es, quand on se
+retrouva sur un terrain plat, M. Wardle apprit &agrave; M. Pickwick
+qu'on
+venait d'examiner, en corps, l'ameublement de la maison o&ugrave; le
+jeune
+couple devait habiter apr&egrave;s les f&ecirc;tes de No&euml;l. A
+cette communication,
+Bella et Trundle devinrent tous les deux aussi rouges que le gros
+joufflu apr&egrave;s son somme au coin du feu. Cependant la jeune lady
+aux yeux
+noirs et aux brodequins garnis de fourrure murmura quelque chose dans
+l'oreille d'&Eacute;mily, en regardant malicieusement M. Snodgrass.
+&Eacute;mily lui
+r&eacute;pondit: Vous &ecirc;tes folle; mais elle rougit beaucoup
+malgr&eacute; cela: et M.
+Snodgrass, qui &eacute;tait aussi modeste que le sont ordinairement
+tous les
+grands g&eacute;nies, sentit le rouge lui monter jusqu'au sommet de la
+t&ecirc;te, et
+souhaita d&eacute;votement, dans le fond de son c&#339;ur, que la jeune lady
+susdite, ses yeux noirs, sa malice et ses brodequins garnis de
+fourrure,
+fussent tous confortablement d&eacute;pos&eacute;s &agrave; l'autre
+bout de l'Angleterre.</p>
+<p>Si les Pickwickiens avaient &eacute;t&eacute; re&ccedil;us d'une
+mani&egrave;re amicale hors de la
+maison, imaginez quelles furent la chaleur et la cordialit&eacute; de
+leur
+r&eacute;ception quand on arriva &agrave; la ferme. Les domestiques
+eux-m&ecirc;mes
+grima&ccedil;aient de plaisir en voyant M. Pickwick; et la femme de
+chambre,
+Emma, lan&ccedil;a &agrave; M. Tupman un regard de reconnaissance,
+moiti&eacute; modeste,
+moiti&eacute; impudent, et si joli qu'il aurait suffi pour
+d&eacute;cider la statue de
+Bonaparte, situ&eacute;e dans le vestibule, &agrave; ouvrir ses bras et
+&agrave; la presser
+sur son sein.</p>
+<p>La vieille lady &eacute;tait assise dans le parloir, avec sa
+majest&eacute;
+accoutum&eacute;e. Mais elle &eacute;tait d'assez mauvaise humeur, et
+par cons&eacute;quent
+tr&egrave;s-compl&eacute;tement sourde. Elle ne sortait jamais, et
+comme beaucoup
+d'autres vieilles dames de la m&ecirc;me &eacute;toffe, lorsque
+d'autres faisaient ce
+qu'elle ne pouvait pas faire elle-m&ecirc;me, elle croyait que
+c'&eacute;tait un
+crime de haute trahison domestique. Aussi se tenait-elle toute droite
+dans son grand fauteuil, et avait-elle l'air aussi s&eacute;v&egrave;re
+qu'elle le
+pouvait. Mais apr&egrave;s tout, que Dieu la b&eacute;nisse!
+c'&eacute;tait encore un air
+b&eacute;n&eacute;vole.</p>
+<p>&laquo;Maman, dit M. Wardle, voil&agrave; M. Pickwick. Vous vous en
+souvenez.</p>
+<p>&#8212;C'est bien! c'est bien! r&eacute;pliqua-t-elle avec dignit&eacute;:
+Ne tourmentez
+pas M. Pickwick pour une vieille cr&eacute;ature comme moi. Personne ne
+se
+soucie plus de moi, maintenant, et c'est fort naturel. En
+pronon&ccedil;ant ces
+mots elle secouait sa t&ecirc;te, et d&eacute;tirait d'une main
+tremblante les plis
+de sa robe de soie.</p>
+<p>&#8212;Allons! allons! madame, dit M. Pickwick; ne repoussez pas comme
+cela
+un vieil ami. Je suis venu expr&egrave;s pour avoir une longue
+conversation
+avec vous, et pour faire un autre rob. Et puis nous montrerons &agrave;
+ces
+enfants &agrave; danser un menuet avant qu'ils soient plus vieux de
+quarante-huit heures.&raquo;</p>
+<p>La vieille dame s'adoucissait rapidement, mais elle n'aimait pas
+avoir
+l'air de c&eacute;der tout &agrave; coup, aussi se contenta-t-elle de
+dire: &laquo;Ah! je ne
+peux pas l'entendre.</p>
+<p>&#8212;Allons! maman, quel enfantillage! reprit M. Wardle: ne soyez donc
+pas
+de mauvaise humeur; pensez &agrave; Bella, pauvre fille; il faut que
+vous
+l'encouragiez.&raquo;</p>
+<p>La bonne vieille dame entendit ceci, car ses l&egrave;vres
+trembl&egrave;rent pendant
+que son fils parlait. Mais l'&acirc;ge a ses petites infirmit&eacute;s
+mentales, et
+elle n'&eacute;tait point encore tout &agrave; fait apais&eacute;e.
+Elle recommen&ccedil;a donc &agrave;
+d&eacute;tirer sa robe, et se tournant vers M. Pickwick, &laquo;Ah!
+monsieur
+Pickwick, lui dit-elle, les jeunes gens &eacute;taient bien
+diff&eacute;rents dans mon
+temps.</p>
+<p>&#8212;Sans aucun doute, madame, et c'est pour cela que j'aime tant ceux
+qui
+ont quelques traces de l'ancienne roche.&raquo; En disant ces mots
+notre
+excellent ami attira doucement Isabelle, et d&eacute;posant un baiser
+sur son
+front, la fit asseoir sur le petit tabouret aux pieds de sa
+grand'm&egrave;re.
+Alors, soit que l'expression de ce jeune visage, lev&eacute; vers la
+vieille
+dame, lui rappel&acirc;t des souvenirs d'autrefois, soit qu'elle
+f&ucirc;t touch&eacute;e
+par la bienveillante bonhomie de M. Pickwick, quelle qu'en f&ucirc;t la
+cause
+enfin, elle s'amollit compl&eacute;tement; elle jeta ses bras au cou de
+Bella,
+et toute cette petite mauvaise humeur s'&eacute;vapora en larmes
+silencieuses.</p>
+<p>Ce fut une heureuse soir&eacute;e. Le whist o&ugrave; M. Pickwick et
+la vieille lady
+jouaient ensemble, &eacute;tait grave et solennel, mais la joie de la
+table
+ronde &eacute;tait bruyante et tumultueuse. Longtemps apr&egrave;s que
+les dames se
+furent retir&eacute;es, le vin chaud bien assaisonn&eacute;
+d'eau-de-vie et d'&eacute;pices,
+circula &agrave; la ronde et recircula fr&eacute;quemment. Le sommeil
+qu'il produisit
+fut profond, et les r&ecirc;ves qu'il amena furent agr&eacute;ables.
+C'est un fait
+remarquable que ceux de M. Snodgrass se rapportaient constamment
+&agrave; &Eacute;mily
+Wardle, et que la principale figure des visions de M. Winkle
+&eacute;tait une
+jeune demoiselle, avec des yeux noirs, un sourire malin, et des
+brodequins remarquablement petits.</p>
+<p>M. Pickwick fut r&eacute;veill&eacute; de bonne heure, le lendemain,
+par un murmure de
+voix, par un bruit confus de pas, qui auraient suffi pour tirer le gros
+joufflu lui-m&ecirc;me de son pesant sommeil. Il se leva sur son
+s&eacute;ant et
+&eacute;couta. Les domestiques et les h&ocirc;tes f&eacute;minins
+couraient constamment de
+tous c&ocirc;t&eacute;s, et il y avait tant et de si instantes demandes
+d'eau chaude,
+tant de supplications r&eacute;p&eacute;t&eacute;es pour des aiguilles
+et du fil, tant de:
+&laquo;Oh! venez m'agrafer ma robe, vous serez bien gentille!&raquo;
+que M.
+Pickwick, dans son innocence, commen&ccedil;a &agrave; s'imaginer qu'il
+&eacute;tait arriv&eacute;
+quelque chose d'&eacute;pouvantable. Cependant ses id&eacute;es
+s'&eacute;claircissant de
+plus en plus, il se rappela que c'&eacute;tait le jour des noces.
+L'occasion
+&eacute;tant importante, il s'habilla avec un soin particulier, et
+descendit
+dans la chambre o&ugrave; l'on devait d&eacute;jeuner.</p>
+<p>Toutes les servantes de la maison, v&ecirc;tues d'un uniforme de
+mousseline,
+couraient &ccedil;&agrave; et l&agrave; dans un &eacute;tat d'agitation
+et d'inqui&eacute;tude impossible &agrave;
+d&eacute;crire. La vieille lady &eacute;tait par&eacute;e d'une robe de
+brocart, qui depuis
+vingt ann&eacute;es n'avait pas vu la lumi&egrave;re, except&eacute;
+lorsque quelque rayon
+vagabond s'&eacute;tait gliss&eacute; &agrave; travers les fentes de la
+bo&icirc;te o&ugrave; elle &eacute;tait
+enferm&eacute;e. M. Trundle resplendissait de satisfaction, mais on
+voyait
+pourtant que ses nerfs n'&eacute;taient pas bien solides. Quant au
+cordial
+amphitryon, il &eacute;chouait compl&eacute;tement dans ses efforts
+pour para&icirc;tre
+tranquille et gai. Except&eacute; deux ou trois favorites,
+demeur&eacute;es en haut,
+et honor&eacute;es d'une vue particuli&egrave;re de la mari&eacute;e et
+des demoiselles
+d'honneur, toutes les jeunes personnes &eacute;taient en larmes et en
+robe de
+mousseline. Les pickwickiens avaient &eacute;galement rev&ecirc;tu des
+costumes
+appropri&eacute;s &agrave; la circonstance. Enfin l'on entendait sur le
+gazon, devant
+la grande porte, de terribles hurlements, pouss&eacute;s par tous les
+hommes,
+jeunes gars et gamins, d&eacute;pendant de la ferme, et portant chacun
+une
+cocarde blanche &agrave; leur boutonni&egrave;re. C'&eacute;tait Sam
+qui dirigeait leurs
+cris, du pr&eacute;cepte et de l'exemple; car il &eacute;tait
+d&eacute;j&agrave; parvenu &agrave; se rendre
+fort populaire, et se trouvait l&agrave; aussi &agrave; son aise que
+s'il avait &eacute;t&eacute;
+con&ccedil;u et enfant&eacute; sur les terres de M. Wardle.</p>
+<p>Un mariage est un sujet privil&eacute;gi&eacute; de plaisanteries;
+et cependant apr&egrave;s
+tout, il n'y a pas grande plaisanterie dans l'affaire. Nous parlons
+simplement de la c&eacute;r&eacute;monie, et demandons qu'il soit bien
+entendu que
+nous ne nous permettons aucun sarcasme cach&eacute; contre la vie
+maritale. Aux
+plaisirs, aux esp&eacute;rances qu'apporte le mariage, est
+m&ecirc;l&eacute; le regret
+d'abandonner sa maison, sa famille, de laisser derri&egrave;re soi les
+tendres
+amis de la portion la plus heureuse de la vie, pour en affronter les
+soucis avec une personne qu'on n'a pas encore &eacute;prouv&eacute;e et
+qu'on conna&icirc;t
+peu. Mais en voil&agrave; assez sur ce sujet: nous ne voulons pas
+attrister
+notre chapitre par la description de ces sentiments naturels, et nous
+regretterions encore bien plus de les tourner en ridicule.</p>
+<p>Nous dirons donc bri&egrave;vement que le mariage fut
+c&eacute;l&eacute;br&eacute; par le vieil
+eccl&eacute;siastique, dans l'&eacute;glise paroissiale de
+Dingley-Dell; et que le nom
+de M. Pickwick est inscrit sur le registre, conserv&eacute;
+jusqu'&agrave; ce jour
+dans la sacristie; que la jeune demoiselle aux yeux noirs ne signa pas
+son nom d'une main ferme, coulante et d&eacute;gag&eacute;e; que la
+signature d'&Eacute;mily
+et celle de l'autre demoiselle d'honneur sont presque illisibles; que
+d'ailleurs tout se passa tr&egrave;s-bien et d'une mani&egrave;re fort
+agr&eacute;able; que
+les jeunes demoiselles trouv&egrave;rent, g&eacute;n&eacute;ralement,
+que la c&eacute;r&eacute;monie &eacute;tait
+bien moins terrible qu'elles ne se l'&eacute;taient imagin&eacute;; et
+que si la
+propri&eacute;taire des yeux noirs et du sourire malicieux jugea
+convenable
+d'informer M. Winkle, qu'assur&eacute;ment elle ne pourrait jamais se
+soumettre
+&agrave; une chose aussi odieuse, nous avons, d'autre part, les
+meilleures
+raisons pour supposer qu'elle se trompait. A tout cela nous pouvons
+ajouter que M. Pickwick fut le premier qui embrassa la mari&eacute;e,
+et qu'en
+m&ecirc;me temps il lui jeta autour du cou une riche cha&icirc;ne d'or,
+avec une
+montre du m&ecirc;me m&eacute;tal, qui n'avaient &eacute;t&eacute; vues
+auparavant par les yeux
+d'aucun mortel, except&eacute; ceux du joaillier. Enfin les cloches de
+la
+vieille &eacute;glise sonn&egrave;rent aussi gaiement qu'elles le
+purent, et tout le
+monde s'en retourna d&eacute;jeuner.</p>
+<p>&laquo;O&ugrave; les petits p&acirc;t&eacute;s de No&euml;l se
+placent-ils, jeune mangeur d'opium?
+demanda Sam au gros joufflu, en aidant cet int&eacute;ressant
+fonctionnaire &agrave;
+mettre sur la table les articles de consommation qui n'avaient point
+&eacute;t&eacute;
+arrang&eacute;s le soir pr&eacute;c&eacute;dent.</p>
+<p>Joe indiqua la destination des p&acirc;t&eacute;s.</p>
+<p>&laquo;Tr&egrave;s-bien! dit Sam: Mettez un rameau de No&euml;l
+dedans. L'autre plat &agrave;
+l'opposite. Maintenant nous avons l'air compact et confortable, comme
+observait le papa en coupant la t&ecirc;te de son moutard pour
+l'emp&ecirc;cher de
+loucher.&raquo;</p>
+<p>En faisant cette citation savante, Sam recula d'un pas ou deux pour
+examiner les pr&eacute;paratifs du festin. Il &eacute;tait encore
+plong&eacute; dans cette
+d&eacute;licieuse contemplation, lorsque la soci&eacute;t&eacute;
+arriva et se mit &agrave; table.</p>
+<p>&laquo;Wardle, dit M. Pickwick, presque aussit&ocirc;t qu'on
+f&ucirc;t assis; un verre de
+vin en honneur de cette heureuse circonstance.</p>
+<p>&#8212;J'en serai charm&eacute;, mon vieux camarade, r&eacute;pliqua M.
+Wardle. Joe....
+damn&eacute; gar&ccedil;on! il est all&eacute; dormir.</p>
+<p>&#8212;Non, monsieur, je ne dors pas, r&eacute;pondit le gros joufflu en
+sortant
+d'un coin de la chambre, o&ugrave;, comme l'immortel Jack Horner,
+patron des
+gros gar&ccedil;ons, il s'occupait &agrave; d&eacute;vorer un
+p&acirc;t&eacute; de No&euml;l, sans toutefois
+s'acquitter de cette besogne avec le sang-froid qui
+caract&eacute;risait les
+op&eacute;rations gastronomiques de l'illustre h&eacute;ros de la
+ballade enfantine.</p>
+<p>&#8212;Remplissez le verre de M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur.&raquo;</p>
+<p>Le gros joufflu emplit le verre de M. Pickwick et se retira ensuite
+derri&egrave;re la chaise de son ma&icirc;tre, d'o&ugrave; il observa
+avec une esp&egrave;ce de
+joie sombre et inqui&egrave;te, le jeu des fourchettes et des couteaux,
+et le
+trajet des morceaux choisis depuis les plats jusqu'aux assiettes, et
+des
+assiettes jusqu'aux bouches des convives.</p>
+<p>&laquo;Que Dieu vous b&eacute;nisse, mon vieil ami, dit M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Je vous en dis autant, mon gar&ccedil;on, r&eacute;pliqua Wardle,
+et ils se firent
+raison du fond du c&#339;ur.</p>
+<p>&#8212;Mme Wardle, reprit M. Pickwick, nous autres vieilles gens nous
+devons
+boire un verre de vin ensemble en honneur de cet heureux
+&eacute;v&eacute;nement.&raquo;</p>
+<p>La vieille lady &eacute;tait en ce moment dans une posture pleine de
+grandeur,
+car elle &eacute;tait assise au haut bout de la table, dans sa robe de
+brocart,
+ayant la nouvelle mari&eacute;e d'un cot&eacute; et M. Pickwick de
+l'autre, pour
+d&eacute;couper. M. Pickwick n'avait pas parl&eacute; tr&egrave;s-haut,
+mais elle l'entendit
+du premier coup, et but un verre de vin tout entier &agrave; sa longue
+vie et &agrave;
+son bonheur. Ensuite la bonne vieille cr&eacute;ature se lan&ccedil;a
+dans un r&eacute;cit
+circonstanci&eacute; de son propre mariage, accompagn&eacute; d'une
+dissertation sur
+la mode des talons hauts, et de quelques particularit&eacute;s
+concernant la
+vie et les aventures de la charmante lady Tollimglower,
+d&eacute;c&eacute;d&eacute;e. A
+chaque pose de son r&eacute;cit, la vieille dame riait de tout son
+c&#339;ur, et les
+jeunes ladies en faisaient autant; puis elles se demandaient entre
+elles
+de quoi leur grand'maman pouvait parler si longtemps. Or, quand les
+jeunes ladies riaient, la vieille dame &eacute;clatait dix fois plus
+fort, et
+d&eacute;clarait que son histoire avait toujours &eacute;t&eacute;
+regard&eacute;e comme excellente;
+ce qui faisait rire de nouveau tout le monde, et inspirait &agrave; la
+vieille
+dame la meilleure humeur possible.</p>
+<p>Cependant le fameux <i>plum-cake</i>, le g&acirc;teau de noce, fut
+d&eacute;coup&eacute; et
+circula autour de la table. Les jeunes demoiselles en gard&egrave;rent
+des
+morceaux, pour mettre sous leur traversin et r&ecirc;ver de leur futur
+&eacute;poux,
+ce qui occasionna une grande quantit&eacute; de rougeurs et
+d'&eacute;clats de rire.</p>
+<p>&laquo;Monsieur Miller, un verre de vin, dit M. Pickwick &agrave; sa
+vieille
+connaissance, le gentleman dont la t&ecirc;te ressemblait &agrave; une
+pomme de
+reinette.</p>
+<p>&#8212;Avec grande satisfaction, monsieur, r&eacute;pondit celui-ci d'un
+air
+solennel.</p>
+<p>&#8212;Vous me permettrez d'en &ecirc;tre, dit le vieil
+eccl&eacute;siastique b&eacute;n&eacute;vole.</p>
+<p>&#8212;Et &agrave; moi aussi, ajouta sa femme.</p>
+<p>&#8212;Et &agrave; moi aussi, et &agrave; moi aussi,&raquo;
+r&eacute;p&eacute;t&egrave;rent du bas de la table une
+couple de parents pauvres, qui avaient bu et mang&eacute; de tout leur
+c&#339;ur, et
+qui s'empressaient de rire &agrave; tout ce qui se disait.</p>
+<p>M. Pickwick, dont les yeux rayonnaient de bienveillance et de
+plaisir,
+exprima son intime satisfaction &agrave; chaque addition nouvelle.
+Ensuite, se
+levant tout d'un coup:</p>
+<p>&laquo;Ladies et gentlemen, dit-il.</p>
+<p>&#8212;&Eacute;coutez! &eacute;coutez! &eacute;coutez! &eacute;coutez!
+&eacute;coutez! &eacute;coutez! cria Sam,
+emport&eacute; par l'exaltation du moment.</p>
+<p>&#8212;Faites entrer tous les domestiques, dit le vieux Wardle en
+s'interposant pour pr&eacute;venir la rebuffade publique que Sam aurait
+infailliblement re&ccedil;ue de son ma&icirc;tre; et donnez-leur
+&agrave; chacun un verre de
+vin pour boire le toast; maintenant, Pickwick....&raquo;</p>
+<p>Parmi le silence de la compagnie, le chuchotement des domestiques
+femelles, et l'embarras craintif des m&acirc;les, M. Pickwick
+poursuivit:</p>
+<p>&laquo;Ladies et gentlemen... non... je ne dirai pas ladies et
+gentlemen, je
+vous appellerai mes amis, mes chers amis, si les dames veulent
+m'accorder une si grande libert&eacute;....&raquo; Ici M. Pickwick fut
+interrompu par
+les applaudissements fr&eacute;n&eacute;tiques des dames,
+r&eacute;p&eacute;t&eacute;s par les gentlemen,
+et durant lesquels la propri&eacute;taire des yeux noirs fut entendue
+d&eacute;clarer
+distinctement qu'elle embrasserait volontiers ce cher M. Pickwick; M.
+Winkle demanda galamment si cela ne pourrait pas se faire par
+procuration; mais la jeune lady aux yeux noirs lui r&eacute;pliqua;
+&laquo;par
+exemple!&raquo; en accompagnant cette r&eacute;ponse d'une &#339;illade qui
+disait
+clairement: essayez!</p>
+<p>&laquo;Mes chers amis, reprit M. Pickwick, je vais proposer la
+sant&eacute; du mari&eacute;
+et de la mari&eacute;e, que Dieu les b&eacute;nisse! (Larmes et
+applaudissements.) Mon
+jeune ami Trundle est, comme je crois, un excellent et brave jeune
+homme; et je sais que sa femme est une tr&egrave;s-aimable et
+tr&egrave;s-charmante
+fille, bien capable de transf&eacute;rer dans une autre sph&egrave;re
+le bonheur
+qu'elle a r&eacute;pandu autour d'elle pendant vingt ann&eacute;es dans
+la maison
+paternelle&raquo; (Ici le gros joufflu laissa &eacute;clater des
+pleurnicheries
+stentoriennes, et Sam, le saisissant par le collet, l'entra&icirc;na
+hors de
+la chambre.) &laquo;Je voudrais, poursuivit M. Pickwick, je voudrais
+&ecirc;tre
+assez jeune pour devenir le mari de sa s&#339;ur. (Applaudissements.) Mais
+cela n'&eacute;tant pas, je suis heureux de me trouver assez vieux pour
+&ecirc;tre
+son p&egrave;re, afin de ne pas &ecirc;tre soup&ccedil;onn&eacute;
+d'avoir quelques projets cach&eacute;s
+si je dis que je les admire, que je les estime et que je les aime
+toutes
+les deux. (Applaudissements et sanglots.) Le p&egrave;re de la
+mari&eacute;e, notre
+bon ami ici pr&eacute;sent, est un noble caract&egrave;re, et je suis
+orgueilleux de
+le conna&icirc;tre. (Grand tapage.) C'est un homme excellent,
+ind&eacute;pendant,
+affectueux, hospitalier, lib&eacute;ral. (Cris enthousiastes des
+pauvres
+parents &agrave; chacun de ces adjectifs, et sp&eacute;cialement aux
+deux derniers.)
+Puisse sa fille jouir de tout le bonheur que lui-m&ecirc;me peut lui
+souhaiter, puisse-t-il trouver dans la contemplation de ce bonheur
+toute
+la satisfaction de c&#339;ur et d'esprit qu'il m&eacute;rite si bien. Tels
+sont,
+j'en suis bien s&ucirc;r, les voeux de chacun de nous. Buvons donc
+&agrave; leur
+sant&eacute;, en leur souhaitant une longue vie et toutes sortes de
+prosp&eacute;rit&eacute;s.&raquo;</p>
+<p>M. Pickwick cessa de parler au milieu d'une temp&ecirc;te
+d'applaudissements.
+Les poumons des auxiliaires, sous le commandement de Sam, se faisaient
+surtout distinguer par leur active et solide coop&eacute;ration.
+Ensuite M.
+Wardle proposa la sant&eacute; de M. Pickwick, et M. Pickwick celle de
+la
+vieille lady. M. Snodgrass proposa M. Wardle, et M. Wardle proposa M.
+Snodgrass. Un des pauvres parents proposa M. Tupman, l'autre pauvre
+parent proposa M. Winkle, et tout fut bonheur et festoiement, jusqu'au
+moment o&ugrave; la disparition myst&eacute;rieuse des deux pauvres
+parents sous la
+table, avertit la compagnie qu'il &eacute;tait temps de se
+s&eacute;parer.</p>
+<p>Sur la recommandation de M. Wardle, la partie masculine de la
+soci&eacute;t&eacute;
+entreprit une promenade de quatre ou cinq lieues, pour se
+d&eacute;barrasser
+des fum&eacute;es du vin et du d&eacute;jeuner. Les pauvres parents
+seulement
+demeur&egrave;rent au lit, toute la journ&eacute;e, pour t&acirc;cher
+d'obtenir le m&ecirc;me
+r&eacute;sultat; mais n'ayant pu y parvenir ils furent oblig&eacute;s
+d'en rester l&agrave;.
+Cependant Sam entretenait les domestiques dans un &eacute;tat
+d'hilarit&eacute;
+perp&eacute;tuelle, et le gros joufflu charmait ses loisirs en mangeant
+et en
+dormant tour &agrave; tour.</p>
+<p>Aux larmes pr&egrave;s, le d&icirc;ner fut aussi affectueux que le
+d&eacute;jeuner, et tout
+aussi bruyant; ensuite vint le dessert et de nouveaux toasts, puis le
+th&eacute; et le caf&eacute;, puis enfin le bal.</p>
+<p>Au bout d'une longue salle, garnie de sombres lambris,
+&eacute;taient assis,
+sous un berceau de houx et d'arbres verts, les deux meilleurs violons
+et
+l'unique harpe de Muggleton. Dans toutes esp&egrave;ces de recoins, et
+sur
+toutes sortes de supports, luisaient de vieux chandeliers d'argent
+massif. Le tapis &eacute;tait &ocirc;t&eacute;, les bougies brillaient
+gaiement, le feu
+p&eacute;tillait dans l'&eacute;norme chemin&eacute;e, sur le
+chambranle de laquelle aurait
+pu rouler facilement un cabriolet de nos temps
+d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;s. Des voix
+enjou&eacute;es, des &eacute;clats de rires joyeux retentissaient dans
+toute la salle:
+enfin c'&eacute;tait justement l'endroit o&ugrave; les anciens <i>yeomen</i>
+anglais,
+devenus lutins apr&egrave;s leur mort, auraient aim&eacute; &agrave;
+donner une f&ecirc;te.</p>
+<p>Si quelque chose pouvait ajouter &agrave; l'int&eacute;r&ecirc;t de
+cette agr&eacute;able
+c&eacute;r&eacute;monie, c'&eacute;tait le fait remarquable que M.
+Pickwick apparut sans ses
+gu&ecirc;tres, pour la premi&egrave;re fois de sa vie, s'il faut en
+croire ses plus
+anciens amis.</p>
+<p>&laquo;Vous vous proposez de danser? lui demanda M. Wardle.</p>
+<p>&#8212;N&eacute;cessairement; ne voyez-vous pas que je suis habill&eacute;
+pour cela,
+r&eacute;pondit-il, en faisant remarquer avec complaisance ses bas de
+soie
+chin&eacute;s et ses fins escarpins.</p>
+<p>&#8212;Vous, en bas de soie! s'&eacute;cria gaiement M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Et pourquoi pas, monsieur, pourquoi pas? r&eacute;torqua M.
+Pickwick avec
+chaleur, en se retournant vers son ami.</p>
+<p>&#8212;Oh! effectivement, r&eacute;pondit M. Tupman. Il n'y a aucune
+raison pour que
+vous n'en portiez pas.</p>
+<p>&#8212;Je le suppose, monsieur, je le suppose, dit M. Pickwick d'un ton
+p&eacute;remptoire.&raquo;</p>
+<p>M. Tupman avait voulu rire, mais il s'aper&ccedil;ut que
+c'&eacute;tait un sujet
+s&eacute;rieux. Il prit donc un air grave et d&eacute;clara que les bas
+&eacute;taient d'un
+joli dessin.</p>
+<p>&#8212;Je l'esp&egrave;re, reprit le philosophe en regardant fixement son
+interlocuteur. Je me flatte, monsieur, que vous ne voyez rien
+d'extraordinaire dans ces bas, en tant que bas.</p>
+<p>&#8212;Non certainement. Oh! non certainement! se h&acirc;ta de
+r&eacute;pondre M. Tupman.
+Il s'&eacute;loigna, et la contenance de M. Pickwick reprit
+l'expression
+b&eacute;n&eacute;vole qui lui &eacute;tait habituelle.</p>
+<p>&#8212;Nous sommes tous pr&ecirc;ts, dit M. Pickwick, qui s'&eacute;tait
+plac&eacute; avec la
+vieille lady &agrave; la t&ecirc;te de la danse, et qui avait
+d&eacute;j&agrave; fait trois faux
+d&eacute;parts, dans son excessive impatience de commencer.</p>
+<p>&#8212;Allons, s'&eacute;cria Wardle, maintenant!&raquo;</p>
+<p>Soudain sonn&egrave;rent les deux violons et la harpe, et vite
+partit M.
+Pickwick, les bras entrelac&eacute;s avec sa danseuse; mais il fut
+interrompu
+par un battement de mains g&eacute;n&eacute;ral et par des cris de
+&laquo;Arr&ecirc;tez! arr&ecirc;tez!</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il y a? demanda le philosophe qui n'avait pu
+&ecirc;tre ramen&eacute;
+&agrave; sa place, que lorsque les deux violons et la harpe eurent fait
+silence, et qui n'aurait &eacute;t&eacute; retenu par aucun autre
+pouvoir sur la
+terre, quand m&ecirc;me la maison aurait &eacute;t&eacute; en feu.</p>
+<p>&#8212;O&ugrave; est Arabella Allen? cri&egrave;rent une douzaine de voix.</p>
+<p>&#8212;Et Winkle? ajouta M. Tupman.</p>
+<p>&#8212;Nous voici, s'&eacute;cria M. Winkle, en sortant, avec son aimable
+compagne,
+d'une embrasure de fen&ecirc;tre. Pendant qu'il disait ces mots, il
+aurait &eacute;t&eacute;
+difficile de d&eacute;cider lequel des deux &eacute;tait le plus rouge,
+lui ou la
+jeune lady aux yeux noirs.</p>
+<p>&#8212;C'est bien extraordinaire, Winkle, que vous ne puissiez pas prendre
+votre place! s'&eacute;cria M. Pickwick avec d&eacute;pit.</p>
+<p>&#8212;Pas du tout, r&eacute;pondit M. Winkle.</p>
+<p>&#8212;Oh! vous avez raison, reprit M. Pickwick, en reposant ses yeux sur
+Arabella, avec un sourire fort expressif. Vous avez raison; cela n'est
+pas extraordinaire, apr&egrave;s tout.&raquo;</p>
+<p>Quoi qu'il en soit, on n'eut pas le temps de penser davantage
+&agrave; cette
+petite aventure, car les violons et la harpe commenc&egrave;rent pour
+tout de
+bon. M. Pickwick s'&eacute;lan&ccedil;a aussit&ocirc;t: Les mains
+crois&eacute;es, promenade
+jusqu'&agrave; l'extr&eacute;mit&eacute; de la chambre, et au retour,
+jusqu'au milieu de la
+chemin&eacute;e; pouss&eacute;e, de tous les c&ocirc;t&eacute;s, de
+bruyants frappements de pieds
+sur le plancher. Au tour de l'autre couple. En route sur nouveaux
+frais.
+Toute la figure se r&eacute;p&egrave;te, les frappements de pieds
+recommencent pour
+marquer la mesure. Un autre couple, et un autre, et un autre encore!
+Jamais on ne vit une danse aussi anim&eacute;e; et enfin, lorsque la
+vieille
+lady &eacute;puis&eacute;e eut &eacute;t&eacute; remplac&eacute;e par
+la femme du b&eacute;n&eacute;vole eccl&eacute;siastique,
+lorsque quatorze couples eurent fait la figure, lorsque M. Pickwick et
+sa nouvelle partner se trouv&egrave;rent &agrave; la queue des
+danseurs, on vit cet
+illustre savant, quoiqu'il n'e&ucirc;t aucun motif quelconque de faire
+tant
+d'efforts, continuer de danser perp&eacute;tuellement &agrave; sa
+place, en souriant
+tout le temps &agrave; sa compagne, avec une douceur ang&eacute;lique
+et qui d&eacute;fie
+toute description.</p>
+<p>Longtemps avant que M. Pickwick f&ucirc;t fatigu&eacute; de danser,
+les nouveaux
+mari&eacute;s s'&eacute;taient &eacute;clips&eacute;s de la
+sc&egrave;ne. Il y eut cependant, au
+rez-de-chauss&eacute;e, un glorieux souper, et &agrave; la suite une
+longue s&eacute;ance
+autour de la table. Aussi M. Pickwick s'&eacute;veilla-t-il assez tard
+le
+lendemain. Il lui sembla alors se rappeler, d'une mani&egrave;re
+confuse, qu'il
+avait invit&eacute; particuli&egrave;rement et confidentiellement
+environ
+quarante-cinq personnes &agrave; d&icirc;ner chez lui, au George et
+Vautour, la
+premi&egrave;re fois qu'elles viendraient &agrave; Londres; ce qui,
+comme lui-m&ecirc;me le
+pensa avec raison, indiquait d'une mani&egrave;re &agrave; peu
+pr&egrave;s certaine, qu'il ne
+s'&eacute;tait pas content&eacute; de danser la nuit
+pr&eacute;c&eacute;dente.</p>
+<p>Cependant la journ&eacute;e s'&eacute;coula joyeusement, et lorsque
+le soir fut venu,
+&laquo;Eh! bien, ma ch&egrave;re, demanda Sam &agrave; Emma, votre
+famille a donc des
+histoires dans la cuisine, &agrave; cette heure?</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur Weller, r&eacute;pondit Emma. C'est toujours comme
+cela la
+veille de No&euml;l: notre ma&icirc;tre ne n&eacute;gligerait pas les
+vieilles coutumes
+pour un empire.</p>
+<p>&#8212;Votre ma&icirc;tre a une id&eacute;e fort judicieuse, ma
+ch&egrave;re. Je n'ai jamais vu
+un homme aussi judicieux, un si v&eacute;ritable gentleman.</p>
+<p>&#8212;C'est bien vrai, dit le gros joufflu en se m&ecirc;lant &agrave; la
+conversation.
+N'engraisse-t-il pas de beaux cochons?&raquo;</p>
+<p>Tandis que l'&eacute;pais jouvenceau parlait ainsi, une
+&eacute;tincelle
+semi-cannibale brillait dans ses yeux, au souvenir des pieds
+r&ocirc;tis.</p>
+<p>&laquo;Oh! vous voil&agrave; r&eacute;veill&eacute; &agrave; la
+fin,&raquo; lui dit Sam.</p>
+<p>Le gros joufflu fit un signe affirmatif.</p>
+<p>&laquo;Eh! bien, je vais vous dire, jeune boa constructeur, reprit
+Sam, d'un
+son de voix imposant: si vous ne dormez pas un petit peu moins, et si
+vous ne faites pas un petit peu plus d'exercice, quand vous arriverez
+&agrave;
+&ecirc;tre un homme vous vous exposerez au m&ecirc;me genre
+d'inconv&eacute;nient personnel
+qui fut inflig&eacute; sur le vieux gentleman qui portait une queue de
+rat.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce donc qui lui est arriv&eacute;? demanda Joe d'une voix
+mal assur&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;C'est ce que je vas vous dire. Il &eacute;tait du plus large patron
+qui a
+jamais &eacute;t&eacute; invent&eacute;; un v&eacute;ritable homme
+gras, qui n'avait pas entrevu ses
+propres chaussures depuis quarante et cinq ans.</p>
+<p>&#8212;Bont&eacute; divine! s'&eacute;crie Emma.</p>
+<p>&#8212;Non, ma ch&egrave;re, pas une fois; et si vous aviez mis devant lui
+un mod&egrave;le
+de ses propres jambes sur la table o&ugrave; il d&icirc;nait, il ne les
+aurait pas
+reconnues. Il allait toujours &agrave; son bureau avec une
+tr&egrave;s-belle cha&icirc;ne
+d'or qui pendait, en dandinant, environ un pied et demi, et une montre
+d'or dans son gousset qui valait bien... j'ai peur de dire trop... mais
+autant qu'une montre peut valoir; une grosse montre ronde, aussi
+cons&eacute;quente dans son esp&egrave;ce comme il &eacute;tait pour un
+homme. &laquo;Vous feriez
+mieux de ne pas porter cette montre ici, disaient les amis du
+gentleman,
+vous en serez vol&eacute;.&#8212;Bah! qu'il dit.&#8212;Oui, disent-ils, vous le
+serez.&#8212;Bien, dit-il; j'aimerais &agrave; voir le voleur qui pourrait
+tirer
+cette montre ici, car je veux que Dieu me b&eacute;nisse si je peux
+jamais la
+tirer moi-m&ecirc;me, qu'il dit; elle est si serr&eacute;e dans mon
+gousset que quand
+je veux savoir quelle heure-s-qu'il est, je suis oblig&eacute; de
+regarder dans
+la boutique du boulanger, qu'il dit.&#8212;Pour lors, en disant &ccedil;a il
+riait
+de si bon c&#339;ur qu'on avait peur de le voir &eacute;clater. Il sort avec
+sa t&ecirc;te
+poudr&eacute;e et sa queue de rat, vl&agrave; qu'il roule sa bosse dans
+le Strand avec
+sa cha&icirc;ne dandinant plus que jamais, et la grosse montre qui
+crevait
+presque son pantalon. Il n'y avait pas un filou dans tout Londres qui
+n'e&ucirc;t pas tir&eacute; &agrave; cette cha&icirc;ne; mais la
+cha&icirc;ne ne voulait jamais se
+casser et la montre ne voulait pas sortir. Ainsi ils se fatiguaient
+bien
+vite de tra&icirc;ner un gros homme comme &ccedil;a sur le pav&eacute;,
+et l'autre s'en
+retournait chez lui, et il riait tant que sa queue de rat se
+tr&eacute;moussait
+comme le pendule d'un vieux coucou. A la fin, un jour, il roulait
+tranquillement; vl&agrave; qu'il voit un filou qu'il connaissait de
+vue, bras
+dessus, bras dessous avec un petit moutard qui avait une
+tr&egrave;s-grosse
+t&ecirc;te.&#8212;En voil&agrave; une farce, que le vieux gentleman se dit en
+lui-m&ecirc;me:
+ils vont s'essayer encore un coup, mais &ccedil;a ne prendra pas. Ainsi
+il
+commence &agrave; ricaner bien joyeusement, quand tout d'un coup le
+petit
+gar&ccedil;on quitte le bras du filou et se jette la t&ecirc;te la
+premi&egrave;re droit
+dans l'estomac du vieux gentleman, si fort qu'il le fait doubler en
+deux
+par la douleur. Il se met &agrave; crier oh l&agrave;! l&agrave;! mais
+le filou lui dit tout
+bas &agrave; l'oreille: Le tour est fait, monsieur, et quand il se
+redresse la
+montre et la cha&icirc;ne avaient fichu le camp, et ce qu'il y a de
+plus pire,
+la digestion du vieux gentleman a toujours &eacute;t&eacute;
+embrouill&eacute;e apr&egrave;s &ccedil;a,
+pour tout le reste de sa vie naturelle.&#8212;Ainsi faites attention &agrave;
+vous,
+mon jeune gaillard, et prenez garde que vous ne deveniez pas trop
+gras.&raquo;</p>
+<p>Lorsque Sam eut conclu ce r&eacute;cit moral, dont le gros joufflu
+parut fort
+affect&eacute;, nos trois personnages se rendirent dans la cuisine.</p>
+<p>C'&eacute;tait une vaste pi&egrave;ce o&ugrave; se trouvait
+rassembl&eacute;e toute la famille,
+suivant la coutume annuellement observ&eacute;e, depuis un temps
+imm&eacute;morial,
+par les anc&ecirc;tres de M. Wardle. Il venait de suspendre de ses
+propres
+mains, au milieu du plafond, une &eacute;norme branche de gui<a
+ name="FNanchor_31_31"></a><a href="#Footnote_31_31"><sup>31</sup></a>,
+qui donna
+instantan&eacute;ment naissance &agrave; une sc&egrave;ne
+d&eacute;licieuse de luttes et de
+confusion. Au milieu du d&eacute;sordre, M. Pickwick, avec une
+galanterie qui
+aurait fait honneur &agrave; un descendant de lady Tollimglower
+elle-m&ecirc;me, prit
+la vieille lady par la main, la conduisit sous l'arbuste mystique, et
+l'embrassa avec courtoisie et d&eacute;corum. La vieille dame se soumit
+&agrave; cet
+acte de politesse avec la dignit&eacute; qui convenait &agrave; une
+solennit&eacute; si
+importante et si s&eacute;rieuse; mais les jeunes ladies,
+n'&eacute;tant point aussi
+profond&eacute;ment imbues d'une superstitieuse
+v&eacute;n&eacute;ration pour cette coutume,
+ou s'imaginant que la saveur d'un baiser est singuli&egrave;rement
+relev&eacute;e
+quand on a un peu de peine &agrave; l'obtenir, criaient, se
+d&eacute;battaient,
+couraient dans tous les coins, faisaient des menaces et des
+remontrances, faisaient tout, enfin, except&eacute; de quitter la
+chambre, et
+luttaient ainsi jusqu'au moment o&ugrave; les gentlemen les moins
+aventureux
+paraissaient sur le point de renoncer &agrave; leur entreprise. Tout
+d'un coup,
+alors, elles s'apercevaient qu'il &eacute;tait inutile de
+r&eacute;sister plus
+longtemps, et se soumettaient de bonne gr&acirc;ce &agrave; &ecirc;tre
+embrass&eacute;es. M.
+Winkle embrassa la jeune demoiselle aux yeux noirs; M. Snodgrass
+embrassa &Eacute;mily; les pauvres parents embrassaient tout le monde,
+sans en
+excepter les jeunes ladies les plus laides, qui, dans leur excessive
+confusion se pr&eacute;cipitaient justement sous le gui, sans le
+savoir. Quant
+&agrave; Sam, ne croyant point &agrave; la n&eacute;cessit&eacute;
+d'&ecirc;tre sous l'arbuste sacr&eacute;, il
+embrassait Emma et les autres servantes quand il pouvait les attraper.
+Cependant M. Wardle se tenait debout pr&eacute;s de la chemin&eacute;e,
+le dos au feu,
+consid&eacute;rant cette sc&egrave;ne avec la plus grande satisfaction,
+tandis que le
+gros joufflu profitait de l'occasion pour d&eacute;vorer sommairement
+un
+admirable petit p&acirc;t&eacute; de No&euml;l, qui avait
+&eacute;t&eacute; soigneusement mis de c&ocirc;t&eacute;
+par quelque autre personne.</p>
+<p>Enfin les cris s'&eacute;taient apais&eacute;s, les visages
+&eacute;taient couverts de
+rougeur, les cheveux pendaient d&eacute;fris&eacute;s, et M. Pickwick,
+apr&egrave;s avoir
+embrass&eacute; la vieille dame, comme nous l'avons dit plus haut,
+&eacute;tait rest&eacute;
+debout sous le gui, regardant avec une physionomie riante ce qui se
+passait autour de lui. Tout d'un coup, la jeune demoiselle aux yeux
+noirs, apr&egrave;s quelques chuchotements avec les autres jeunes
+personnes,
+s'&eacute;lan&ccedil;a vers M. Pickwick, lui jeta ses bras autour du
+cou, et le baisa
+tendrement sur la joue gauche. Aussit&ocirc;t toute la troupe des
+jeunes
+ladies entoura le savant philanthrope, et avant qu'il e&ucirc;t eu le
+temps de
+se reconna&icirc;tre et de savoir de quoi il s'agissait, il fut
+bais&eacute; par
+chacune d'elles.</p>
+<p>C'&eacute;tait un gracieux spectacle de voir M. Pickwick au centre
+de ce
+groupe, tant&ocirc;t tir&eacute; d'un c&ocirc;t&eacute;, tant&ocirc;t
+de l'autre; bais&eacute;, d'abord sur le
+menton, puis sur le nez, puis sur ses lunettes, et d'entendre les
+&eacute;clats
+de rire qui retentissaient de toutes parts. Mais bient&ocirc;t
+apr&egrave;s ce fut un
+spectacle plus charmant encore, de voir M. Pickwick, les yeux couverts
+d'un mouchoir de soie, se pr&eacute;cipiter sur les murailles,
+s'embarraser
+dans les coins, et accomplir, enfin, avec d&eacute;lices, tous les
+myst&egrave;res de
+colin-maillard, jusqu'au moment o&ugrave; il attrapa l'un des pauvres
+parents.
+A son tour, alors, il s'occupa d'&eacute;viter le colin-maillard, et il
+s'en
+acquitta avec une agilit&eacute; et une prestesse qui
+arrach&egrave;rent des
+applaudissements aux assistants. Les pauvres parents attrapaient
+pr&eacute;cis&eacute;ment les gens &agrave; qui ils supposaient que
+cela serait agr&eacute;able, et
+se laissaient prendre, par hasard, lorsque quelqu'un trimait trop
+longtemps.</p>
+<p>Quand tout le monde fut fatigu&eacute; de colin-maillard on alluma
+un grand
+<i>snap-dragon</i><a name="FNanchor_32_32"></a><a href="#Footnote_32_32"><sup>32</sup></a>,
+et lorsqu'on se fut suffisamment br&ucirc;l&eacute; les doigts, on
+s'assit aupr&egrave;s d'un &eacute;norme feu de troncs
+enflamm&eacute;s, et autour d'un
+souper substantiel.</p>
+<p>&laquo;Ceci, dit M. Pickwick, en regardant autour de lui, ceci, en
+v&eacute;rit&eacute;, est
+du confort.</p>
+<p>&#8212;C'est notre coutume invariable, r&eacute;pondit M. Wardle. Tout le
+monde,
+domestiques et travailleurs, s'assoit &agrave; notre table la veille de
+No&euml;l,
+comme vous le voyez. Nous restons ici &agrave; conter de vieilles
+histoires
+jusqu'&agrave; ce que minuit sonne et nous annonce l'arriv&eacute;e de
+la
+f&ecirc;te.&#8212;Trundle, mon gar&ccedil;on, attisez le feu.&raquo;</p>
+<p>Des myriades d'&eacute;tincelles brillantes
+p&eacute;till&egrave;rent dans les airs, lorsque
+les troncs d'arbre furent remu&eacute;s, et la flamme rouge qui s'en
+&eacute;leva
+r&eacute;pandit une chaude lumi&egrave;re, qui p&eacute;n&eacute;tra
+dans les coins les plus
+&eacute;loign&eacute;s de la chambre, et illumina tous les visages.</p>
+<p>&#8212;Allons, dit Wardle, une chanson; une chanson de No&euml;l. Je vous
+en
+chanterai une, &agrave; d&eacute;faut de meilleure.</p>
+<p>&#8212;Bravo, s'&eacute;cria M. Pickwick.</p>
+<p>&#8212;Remplissez les verres, reprit Wardle, il se passera bien deux
+heures
+avant que vous voyiez le fond de ce bol. Remplissez &agrave; la ronde;
+et
+maintenant, la chanson.&raquo;</p>
+<p>A ces mots le joyeux vieillard entonna, sans plus de
+c&eacute;r&eacute;monie, d'une
+voix forte et franche, la chanson que voici:</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">NO&Euml;L.</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>J'aime peu le printemps; sur son aile
+inconstante.<br/>
+</span><span>Il apporte, il est vrai, les boutons et les fleurs,<br/>
+</span><span>Mais ce qu'&eacute;panouit son haleine enivrante,<br/>
+</span><span>Il le br&ucirc;le aussit&ocirc;t par ses folles rigueurs.<br/>
+</span><span>Sylphe capricieux, ignorant ce qu'il aime,<br/>
+</span><span>Il change, en un moment, d'aspect et de vouloir,<br/>
+</span><span>Il vous sourit, vous berce, et puis &agrave; l'instant
+m&ecirc;me,<br/>
+</span><span>Il brise, dans sa fleur, votre naissant espoir.<br/>
+</span></div>
+<div class="stanza"><span>J'aime peu de l'&eacute;t&eacute; le soleil
+magnifique.<br/>
+</span><span>Quand il darde sur nous ses rayons &eacute;nervants,<br/>
+</span><span>Il enfante souvent la fi&egrave;vre
+fr&eacute;n&eacute;tique,<br/>
+</span><span>La rage, et de l'amour les douloureux tourments.<br/>
+</span><span>Je pourrais pr&eacute;f&eacute;rer le nuit calme et
+glac&eacute;e,<br/>
+</span><span>Qui suit, modestement, un beau jour de moisson;<br/>
+</span><span>Mais la feuille qui tombe attriste ma pens&eacute;e,<br/>
+</span><span>Et l'automne n'est point encore ma saison.<br/>
+</span></div>
+<div class="stanza"><span>Je pr&eacute;f&egrave;re No&euml;l, le
+gentleman antique,<br/>
+</span><span>Qui ram&egrave;ne l'hiver et les festins joyeux;<br/>
+</span><span>Vidons en son honneur, dans la salle gothique,<br/>
+</span><span>D'innombrables flacons de nos vins les plus vieux!<br/>
+</span><span>No&euml;l est le gardien des vertus domestiques,<br/>
+</span><span>Le plus doux souvenir de nos vieilles maisons.<br/>
+</span><span>Pousses donc avec moi trois hourras sympathiques,<br/>
+</span><span>Pour saluer le Roi de toutes les saisons!<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>Cette chanson fut accueillie par un tonnerre d'applaudissements. Un
+auditoire compos&eacute; d'amis et de serviteurs est toujours si
+b&eacute;n&eacute;vole! Les
+parents pauvres, surtout, tombaient dans de v&eacute;ritables extases
+de
+ravissement.</p>
+<p>Le feu fut garni de nouveaux troncs, et le bol accomplit une ronde
+nouvelle.</p>
+<p>&laquo;Comme il neige, dit un des hommes &agrave; voix basse.</p>
+<p>&#8212;Comment! il neige? r&eacute;p&eacute;ta Wardle.</p>
+<p>&#8212;Oui, monsieur, la nuit est noire et froide. Le vent vient de se
+lever,
+et il fouette la neige en tourbillons dans la plaine.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce qu'il dit donc? demanda la vieille lady; est-ce qu'il est
+arriv&eacute; quelque chose?</p>
+<p>&#8212;Non, non, maman. Il dit qu'il neige et que le vent souffle fort; et
+il
+a raison, car on entend un fameux tapage dans la chemin&eacute;e.</p>
+<p>&#8212;Ha! reprit la vieille dame, il faisait un vent comme cela, et il
+tombait aussi de la neige, il y a bien des ann&eacute;es.... Attendez,
+que je
+me rappelle.... juste cinq ans avant la mort de votre pauvre
+p&egrave;re.
+C'&eacute;tait la veille de No&euml;l aussi, et je me souviens qu'il
+nous raconta
+l'histoire du vieux Gabriel Grub, qui a &eacute;t&eacute; enlev&eacute;
+par les goblins<a name="FNanchor_33_33"></a><a href="#Footnote_33_33"><sup>33</sup></a>.</p>
+<p>&#8212;L'histoire de qui? demanda M. Pickwick avec curiosit&eacute;.</p>
+<p>&#8212;Oh! rien, r&eacute;pliqua M. Wardle. L'histoire d'un vieux
+sacristain, que
+les bonnes gens d'ici supposent avoir &eacute;t&eacute; emport&eacute;
+par les goblins.</p>
+<p>&#8212;Supposent! s'&eacute;cria la vieille lady. Y a-t-il quelqu'un
+d'assez
+t&eacute;m&eacute;raire pour en douter? Supposent! N'avez-vous pas
+toujours entendu
+dire, depuis votre enfance, qu'il a &eacute;t&eacute; emport&eacute;
+par les goblins, et ne
+savez-vous pas que c'est la v&eacute;rit&eacute;?</p>
+<p>&#8212;Tr&egrave;s-bien, maman, r&eacute;pliqua M. Wardle, en riant, il
+fut emport&eacute; si vous
+voulez.&#8212;Il fut emport&eacute; par les goblins, Pickwick, et
+voil&agrave; toute
+l'histoire.</p>
+<p>&#8212;Non pas, non pas, je vous assure, reprit M. Pickwick. Ce n'est pas
+toute l'histoire, car il faut que j'apprenne comment il fut
+enlev&eacute;, et
+pourquoi, et les tenants et les aboutissants.&raquo;</p>
+<p>M. Wardle sourit, en voyant toutes les t&ecirc;tes se pencher pour
+l'&eacute;couter.
+Ayant donc rempli son verre d'une main lib&eacute;rale, il porta une
+sant&eacute; &agrave; M.
+Pickwick, par un geste familier, et commen&ccedil;a ainsi qu'il suit....</p>
+<p>Mais que Dieu b&eacute;nisse notre cerveau d'&eacute;diteur. A quel
+long chapitre nous
+sommes-nous laiss&eacute; entra&icirc;ner! Nous le d&eacute;clarons
+solennellement, nous
+avions compl&eacute;tement oubli&eacute; toutes ces petites entraves
+qu'on appelle
+<i>chapitres</i>. C'est &eacute;gal: nous allons donner le champ libre
+aux revenants
+en leur ouvrant un nouveau chapitre. Point de passe-droits &agrave;
+leur
+pr&eacute;judice, s'il vous pla&icirc;t, messieurs et mesdames.<br/>
+</p>
+<hr style="width: 35%; height: 2px;"/>
+<p><br/>
+</p>
+<a name="CHAPITRE_XXIX"></a>
+<h2>CHAPITRE XXIX.</h2>
+<h3>Histoire du sacristain emport&eacute; par les goblins.</h3>
+<br/>
+<p>Dans une vieille ville abbatiale de ce comt&eacute;, vivait, il y a
+bien
+longtemps; si longtemps, que l'histoire doit &ecirc;tre vraie, puisque
+tous
+nos p&egrave;res, grand-p&egrave;res et
+arri&egrave;re-grand-p&egrave;res l'ont crue pieusement,
+vivait, dis-je, un certain Gabriel Grub, qui remplissait les fonctions
+de sacristain et de fossoyeur. Parce qu'un homme est sacristain et
+constamment entour&eacute; d'embl&egrave;mes de mort, il ne s'ensuit
+pas du tout qu'il
+doive &ecirc;tre morose et m&eacute;lancolique. Les entrepreneurs des
+pompes fun&egrave;bres
+sont les gens les plus gais du monde, et j'avais autrefois l'honneur
+d'&ecirc;tre intime avec un <i>muet</i><a name="FNanchor_34_34"></a><a
+ href="#Footnote_34_34"><sup>34</sup></a>, lequel, hors de ses
+fonctions et dans
+la vie priv&eacute;e, &eacute;tait le plus comique, le plus jovial
+petit gaillard qui
+ait jamais braill&eacute; une chanson bachique, sans le moindre hoquet
+de
+m&eacute;moire, ou aval&eacute; un rude verre de grog, sans
+s'arr&ecirc;ter pour reprendre
+haleine. Toutefois il n'en &eacute;tait pas ainsi de Gabriel Grub.
+C'&eacute;tait une
+esp&egrave;ce de vieux hibou, grognon, rechign&eacute;, hargneux; ne se
+plaisant avec
+personne, si ce n'est avec une grosse bouteille d'osier, aussi vieille
+que lui, qu'il portait fid&egrave;lement enfonc&eacute;e dans une large
+poche. Lorsque
+par hasard les yeux caverneux du sacristain apercevaient une
+physionomie
+heureuse, son regard se chargeait &agrave; l'instant m&ecirc;me d'une
+expression de
+haine si malfaisante, qu'on ne pouvait le rencontrer sans en &ecirc;tre
+tout
+boulevers&eacute;.</p>
+<p>Une certaine veille de No&euml;l, un peu avant le cr&eacute;puscule,
+Gabriel mit sa
+b&ecirc;che sur son &eacute;paule, alluma sa lanterne, et se dirigea
+vers le
+cimeti&egrave;re; il avait une fosse &agrave; finir pour le lendemain
+matin, et, se
+sentant mal dispos&eacute;, il esp&eacute;rait se ragaillardir un peu
+en y
+travaillant. Pendant qu'il cheminait dans la rue &eacute;troite, il
+voyait
+briller, &agrave; travers la plupart des fen&ecirc;tres, la
+lumi&egrave;re joyeuse d'un feu
+p&eacute;tillant; il entendait les &eacute;clats de rire et les cris
+plaisants de ceux
+qui &eacute;taient r&eacute;unis autour du foyer; il remarquait les
+pr&eacute;paratifs de
+bonne ch&egrave;re qui se faisaient pour le lendemain; enfin il sentait
+les
+succulentes odeurs qui s'exhalaient des cuisines en nuages savoureux.
+Tout cela &eacute;tait du fiel et de l'absinthe sur le c&#339;ur de Gabriel
+Grub; et
+lorsque des troupes d'enfants, s'&eacute;lan&ccedil;ant hors des
+maisons, bondissaient
+&agrave; travers les rues pour rejoindre d'autres petits coquins, aux
+t&ecirc;tes
+boucl&eacute;es, qui chantaient en riant les plaisirs de la veille de
+No&euml;l,
+Gabriel serrait convulsivement le manche de sa b&ecirc;che, et ricanait
+sardoniquement, en pensant aux rougeoles, aux coqueluches, aux
+fi&egrave;vres
+scarlatines, au croup, et encore &agrave; beaucoup d'autres sources de
+consolation.</p>
+<p>Dans cette heureuse disposition d'esprit, Gabriel poursuivait son
+chemin, r&eacute;pondant par un grognement bref et triste au salut
+cordial des
+voisins qu'il rencontrait, jusqu'&agrave; ce qu'enfin il tourna dans la
+sombre
+ruelle qui menait au cimeti&egrave;re. Or, il avait attendu avec
+impatience
+l'instant d'y arriver, parce que c'&eacute;tait un endroit selon son
+c&#339;ur,
+toujours lugubre et fun&egrave;bre, et dans lequel les gens de la ville
+n'aimaient pas &agrave; s'aventurer si ce n'est en plein jour, quand le
+soleil
+brillait. Gabriel ne fut donc pas l&eacute;g&egrave;rement
+indign&eacute; d'entendre une voix
+d'enfant, qui r&eacute;p&eacute;tait un joyeux No&euml;l, dans cette
+esp&egrave;ce de sanctuaire,
+appel&eacute; la ruelle aux bi&egrave;res, depuis le temps de la
+gothique abbaye et
+des moines tonsur&eacute;s. Comme le sacristain continuait de marcher,
+et que
+la voix s'approchait de plus en plus, il reconnut qu'elle provenait
+d'un
+petit gar&ccedil;on, qui se h&acirc;tait de rejoindre les enfants de la
+grande rue,
+et qui, partie pour se donner du courage, partie pour se mettre en
+train, chantait &agrave; gorge d&eacute;ploy&eacute;e une vieille
+chanson. Gabriel attendit
+que le bambin f&ucirc;t pr&egrave;s de lui, et le poussant dans un
+coin, il lui
+administra cinq ou six tapes avec sa lanterne, seulement pour lui
+apprendre &agrave; moduler en mesure. L'enfant s'enfuit avec ses mains
+sur sa
+t&ecirc;te, chantant sur un ton fort diff&eacute;rent, et Gabriel Grub,
+en ricanant
+de tout son c&#339;ur, entra dans le cimeti&egrave;re, dont il ferma la
+porte
+derri&egrave;re lui.</p>
+<p>Il &ocirc;ta son habit, posa par terre sa lanterne, descendit dans
+la fosse
+commenc&eacute;e, et travailla vigoureusement pendant une heure
+environ. Mais
+la terre &eacute;tait durcie par la gel&eacute;e, et il n'&eacute;tait
+pas facile de la
+couper, ni de la jeter dehors. D'ailleurs, quoiqu'il y e&ucirc;t de la
+lune,
+c'&eacute;tait une lune fort jeune, et elle n'&eacute;clairait pas la
+fosse, qui se
+trouvait &agrave; l'ombre de l'abbaye. Dans tout autre temps, ces
+inconv&eacute;nients
+auraient rendu Gabriel tr&egrave;s-chagrin et
+tr&egrave;s-mis&eacute;rable, mais il &eacute;tait si
+satisfait d'avoir interrompu la s&eacute;r&eacute;nade du petit
+gar&ccedil;on, qu'il ne
+s'inqui&eacute;ta pas beaucoup du peu de progr&egrave;s qu'il faisait.
+Lorsqu'il eut
+fini son travail, il examina la fosse avec une sombre satisfaction, et
+en ramassant ses outils, il grommelait entre ses dents:</p>
+<div class="poem">
+<div class="stanza"><span>C'est un logement fort honn&ecirc;te<br/>
+</span><span>Pour un modeste tr&eacute;pass&eacute;;<br/>
+</span><span>Quelques pieds de terrain glac&eacute;,<br/>
+</span><span>Avec une pierre &agrave; la t&ecirc;te;<br/>
+</span><span>Pour couverture un beau gazon,<br/>
+</span><span>Pour matelas la terre humide:<br/>
+</span><span>Quand on est l&agrave; tout de son long,<br/>
+</span><span>On n'y sent jamais aucun vide;<br/>
+</span><span>On est toujours bien entour&eacute;,<br/>
+</span><span>Des milliers de vers vous font f&ecirc;te....<br/>
+</span><span>C'est un logement fort honn&ecirc;te<br/>
+</span><span>Surtout dans un terrain sacr&eacute;.<br/>
+</span></div>
+</div>
+<p>Gabriel riait tout seul en s'asseyant sur une tombe plate, qui
+&eacute;tait son
+lieu de repos favori. Il tira sa bouteille d'eau-de-vie en grommelant:
+&laquo;Une fosse &agrave; No&euml;l! En voil&agrave; une f&ecirc;te!
+ho! ho! ho!</p>
+<p>&#8212;Ho! ho! ho!&raquo; r&eacute;p&eacute;ta une voix derri&egrave;re
+lui.</p>
+<p>Gabriel laissa retomber le bras qui portait la bouteille &agrave;
+ses l&egrave;vres,
+et regarda alentour avec inqui&eacute;tude; mais le silence et le calme
+de la
+tombe r&eacute;gnaient dans tout le cimeti&egrave;re. Aux p&acirc;les
+rayons de la lune, la
+gel&eacute;e blanche argentait les pierres tumulaires et brillait, en
+rang&eacute;es
+de perles, sur les arceaux sculpt&eacute;s de la vieille &eacute;glise;
+la neige, dure
+et craquante, formait sur les monticules press&eacute;s une couverture
+si
+blanche et si unie, qu'on aurait pu croire que les cadavres
+&eacute;taient l&agrave;,
+envelopp&eacute;s seulement dans leur blanc linceul; nul souffle de
+vent ne
+troublait le repos de cette sc&egrave;ne solennelle; le son m&ecirc;me
+paraissait
+gel&eacute;, tant les objets environnants &eacute;taient froids et
+tranquilles.</p>
+<p>&laquo;C'&eacute;tait l'&eacute;cho,&raquo; dit Gabriel en portant
+de nouveau la bouteille &agrave; ses
+l&egrave;vres.</p>
+<p>Une voix creuse articula pr&egrave;s de lui: &laquo;Ce
+n'&eacute;tait pas l'&eacute;cho.&raquo;</p>
+<p>Gabriel tressaillit et se leva; mais l'&eacute;tonnement et la
+terreur
+l'encha&icirc;n&egrave;rent &agrave; sa place, son sang se figea dans
+ses veines, car, tout
+aupr&egrave;s de lui, se trouvait un &ecirc;tre d'une apparence
+&eacute;trange,
+surnaturelle, et qui venait &eacute;videmment d'un autre monde. Il
+&eacute;tait assis
+sur une haute pierre lev&eacute;e, et avait crois&eacute; ses longues
+jambes gr&ecirc;les
+d'une mani&egrave;re fantasque, impossible; ses bras nus faisaient
+anse, et ses
+mains reposaient sur ses genoux. Ses souliers &agrave; la poulaine se
+recourbaient en longues pointes; un justaucorps taillad&eacute;
+&eacute;tranglait son
+petit corps rond; &agrave; son dos pendait un court manteau, dont le
+collet,
+curieusement d&eacute;coup&eacute; en &eacute;troites lani&egrave;res,
+lui servait de fraise ou, si
+l'on veut, de cravate; sur sa t&ecirc;te, il portait un chapeau pointu,
+&agrave;
+grands bords, garni d'une seule plume, et ce chapeau &eacute;tait si
+bien
+couvert de gel&eacute;e blanche, l'&ecirc;tre fantastique &eacute;tait
+si confortablement
+assis sur cette tombe, qu'il avait l'air d'y &ecirc;tre install&eacute;
+depuis deux
+cents ans, pour le moins. Il se tenait parfaitement immobile; mais il
+tirait la langue d'un demi-pied pour se moquer de Gabriel, et il
+ricanait d'un ricanement que des goblins<a name="FNanchor_35_35"></a><a
+ href="#Footnote_35_35"><sup>35</sup></a> seuls peuvent ex&eacute;cuter.</p>
+<p>&laquo;Ce n'&eacute;tait pas l'&eacute;cho,&raquo; dit le lutin.</p>
+<p>Gabriel &eacute;tait paralys&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce que vous faites ici, la veille de No&euml;l?
+demanda le goblin
+s&eacute;v&egrave;rement.</p>
+<p>&#8212;Monsieur, balbutia Gabriel, je suis venu ici pour creuser une fosse.</p>
+<p>&#8212;Qui donc se prom&egrave;ne parmi des tombes dans une nuit comme
+celle-ci?
+s'&eacute;cria le goblin d'un ton s&eacute;pulcral.</p>
+<p>&#8212;Gabriel Grub! Gabriel Grub!&raquo; r&eacute;pondirent en ch&#339;ur des
+voix aigu&euml;s et
+sauvages qui semblaient remplir le cimeti&egrave;re. Gabriel regarda
+avec
+terreur autour de lui, mais il ne vit rien.</p>
+<p>&#8212;Qu'est-ce que vous avez dans cette bouteille? demanda le goblin.</p>
+<p>&#8212;Du geni&egrave;vre, monsieur, r&eacute;pliqua le sacristain en
+tremblant plus fort
+que jamais, car il l'avait achet&eacute; des contrebandiers, et il
+pensait que
+le personnage qui l'interrogeait &eacute;tait peut-&ecirc;tre dans la
+douane des
+goblins.</p>
+<p>&#8212;Qui donc boit tout seul du geni&egrave;vre au milieu d'un
+cimeti&egrave;re et dans
+une nuit comme celle-ci? reprit le lutin solennellement.</p>
+<p>&#8212;Gabriel Grub! Gabriel Grub!&raquo; cri&egrave;rent de nouveau les
+voix sauvages.</p>
+<p>Le goblin ricana malicieusement en lorgnant le sacristain
+&eacute;pouvant&eacute;;
+puis, enflant sa voix comme un ouragan, il s'&eacute;cria: &laquo;Qui
+devient ainsi
+notre proie l&eacute;gitime?&raquo;</p>
+<p>Le ch&#339;ur invisible r&eacute;pondit encore &agrave; cette demande, et
+le sacristain
+crut entendre une multitude d'enfants de ch&#339;ur m&ecirc;ler leurs chants
+aux
+accords majestueux des orgues de la vieille abbaye. C'&eacute;tait une
+musique
+surnaturelle qui semblait port&eacute;e par un doux z&eacute;phyr, et
+qui passait et
+mourait avec lui; mais le refrain de cet air myst&eacute;rieux
+&eacute;tait toujours
+le m&ecirc;me, et r&eacute;p&eacute;tait encore: &laquo;Gabriel Grub!
+Gabriel Grub!&raquo;</p>
+<p>Le goblin fendit sa bouche jusqu'&agrave; ses oreilles en disant:
+&laquo;Que
+pensez-vous de ceci, Gabriel?&raquo;</p>
+<p>Gabriel ne r&eacute;pondit que par un soupir.</p>
+<p>&laquo;Que pensez-vous de ceci, Gabriel?&raquo; r&eacute;p&eacute;ta
+le goblin en dressant
+n&eacute;gligemment ses pieds en l'air, de chaque c&ocirc;t&eacute; de
+la tombe, et en
+examinant la pointe relev&eacute;e de sa chaussure avec autant de
+complaisance
+que si &ccedil;'avait &eacute;t&eacute; la paire de bottes la plus
+fashionable de
+Bond-Street.</p>
+<p>&laquo;C'est.... c'est.... tr&egrave;s-curieux, monsieur,
+r&eacute;pondit le sacristain, &agrave;
+moiti&eacute; mort de peur. Tr&egrave;s-curieux et tr&egrave;s-joli...;
+mais je pense qu'il
+faut que j'aille finir mon ouvrage, s'il vous pla&icirc;t.</p>
+<p>&#8212;Quel ouvrage? demanda le goblin.</p>
+<p>&#8212;Ma fosse, monsieur, la fosse que j'ai commenc&eacute;e, balbutia le
+sacristain.</p>
+<p>&#8212;Ah! votre fosse, ah! Qui donc s'amuse &agrave; creuser des fosses
+dans un
+temps o&ugrave; tous les autres hommes ne songent qu'&agrave; se
+r&eacute;jouir?&raquo;</p>
+<p>Les voix myst&eacute;rieuses r&eacute;pliqu&egrave;rent encore:
+&laquo;Gabriel Grub! Gabriel Grub!</p>
+<p>&#8212;J'ai peur que mes amis ne puissent pas se s&eacute;parer de vous,
+Gabriel,
+dit le goblin en fourrant dans sa joue sa langue &eacute;norme! J'ai
+peur que
+mes amis ne puissent pas se s&eacute;parer de vous, Gabriel!</p>
+<p>&#8212;Sous votre bon plaisir, monsieur, r&eacute;pliqua le sacristain
+terrifi&eacute;, je
+ne le pense pas, monsieur; ils ne me connaissent pas, monsieur. Je ne
+crois pas que ces illustres gentlemen m'aient jamais vu, monsieur.</p>
+<p>&#8212;Oh! que si, reprit le goblin, nous le connaissons tous l'homme au
+visage sombre, au regard sinistre, qui traversait la rue ce soir en
+jetant <i>un mauvais &#339;il</i> aux enfants et en serrant plus fort sa
+b&ecirc;che de
+fossoyeur. Nous connaissons l'homme plein d'envie et de malice, qui a
+cass&eacute; la t&ecirc;te d'un bambin parce qu'il &eacute;tait
+heureux, et que cet homme ne
+pouvait pas l'&ecirc;tre. Nous le connaissons! nous le
+connaissons!&raquo;</p>
+<p>Ici le lutin fit retentir les &eacute;chos d'un ricanement aigu;
+puis, jetant
+ses jambes en l'air, il se planta au bord de la pierre tumulaire,
+debout
+sur sa t&ecirc;te, ou plut&ocirc;t sur la pointe de son chapeau;
+ensuite, faisant la
+culbute avec une incroyable agilit&eacute;, il se retrouva juste aux
+pieds du
+sacristain, dans l'attitude favorite des tailleurs et des odalisques.</p>
+<p>&laquo;Je crains.... je crains d'&ecirc;tre oblig&eacute; de vous
+quitter, monsieur,
+murmura le sacristain en faisant un effort pour se mouvoir.</p>
+<p>&#8212;Nous quitter! s'&eacute;cria le goblin, Gabriel Grub, nous quitter!
+oh! oh!
+oh!&raquo;</p>
+<p>Tandis que le goblin riait, le sacristain vit une lumi&egrave;re
+brillante
+illuminer les fen&ecirc;tres de la vieille &eacute;glise. Au bout d'un
+moment, cette
+lumi&egrave;re s'&eacute;teignit; les orgues modul&egrave;rent un air
+guilleret, et des
+vol&eacute;es de lutins, en tout semblables au premier, s'abattirent
+dans le
+cimeti&egrave;re et commenc&egrave;rent &agrave; jouer &agrave;
+saute-mouton sur les pierres des
+tombeaux, les franchissant l'une apr&egrave;s l'autre, avec une
+dext&eacute;rit&eacute;
+merveilleuse, et sans s'arr&ecirc;ter un seul instant pour prendre
+haleine.
+Mais le premier goblin &eacute;tait le sauteur le plus &eacute;tonnant
+de tous, et pas
+un des nouveaux venus ne pouvait en approcher. Malgr&eacute; son
+extr&ecirc;me
+frayeur, le sacristain ne pouvait s'emp&ecirc;cher de remarquer que les
+autres
+goblins se contentaient de sauter par-dessus les pierres ordinaires,
+mais que le premier faisait passer entre ses jambes, grilles,
+cypr&egrave;s et
+caveaux de famille, avec autant d'aisance que s'il avait eu affaire
+&agrave; de
+simples bornes.</p>
+<p>A la fin l'int&eacute;r&ecirc;t du jeu devint intense. L'orgue
+jouait de plus en plus
+vite; les goblins sautaient de plus en plus fort, se tordant, se
+roulant, faisant mille culbutes, en bondissant comme des ballons,
+par-dessus les tombeaux. Les jambes de Gabriel se d&eacute;robaient
+sous lui,
+la t&ecirc;te lui tournait rien que de voir le tourbillon de lutins qui
+passaient devant ses yeux; lorsque tout &agrave; coup le roi des
+goblins, se
+pr&eacute;cipitant sur le pauvre homme, le saisit par le collet et
+s'enfon&ccedil;a
+avec lui dans les entrailles de la terre.</p>
+<p>Quand Gabriel put respirer, apr&egrave;s une descente rapide, il se
+trouva dans
+une vaste caverne, entour&eacute; de toutes parts d'une multitude de
+goblins
+horribles et grima&ccedil;ants. Dans le milieu de la pi&egrave;ce, sur
+un tr&ocirc;ne &eacute;lev&eacute;,
+&eacute;tait fantastiquement assis son ami du cimeti&egrave;re, et
+Gabriel Grub
+lui-m&ecirc;me &eacute;tait plac&eacute; aupr&egrave;s de lui, mais
+incapable de faire aucun
+mouvement.</p>
+<p>&laquo;Il fait froid, cette nuit, dit le roi des lutins. Donnez-nous
+quelque
+chose de chaud.&raquo;</p>
+<p>Une demi-douzaine d'officieux goblins, ayant un perp&eacute;tuel
+sourire sur
+les l&egrave;vres, et que Gabriel reconnut &agrave; cela pour des
+courtisans,
+disparurent d'un air empress&eacute; et revinrent un instant
+apr&egrave;s, avec un
+verre de feu liquide, qu'ils pr&eacute;sent&egrave;rent au roi.</p>
+<p>&laquo;Ah! dit le goblin dont les joues et la gorge &eacute;taient
+devenues tout &agrave;
+fait transparentes, pendant le passage de la flamme, cela
+r&eacute;chauffe un
+peu. Apportez-en un verre &agrave; M. Grub.&raquo;</p>
+<p>L'infortun&eacute; sacristain protesta vainement qu'il ne prenait
+jamais rien
+de chaud pendant la nuit; l'un des courtisans le tint par le nez et le
+menton, pendant qu'un autre versait dans son gosier l'ardent liquide,
+et
+toute l'assembl&eacute;e se mit &agrave; rire avec des hurlements,
+tandis qu'il
+suffoquait et qu'il essuyait, avec son mouchoir, le ruisseau de larmes
+occasionn&eacute; par cette boisson br&ucirc;lante.</p>
+<p>&laquo;Maintenant, dit le roi fantasque, en fourrant plaisamment la
+pointe de
+son chapeau dans l'&#339;il du sacristain, de mani&egrave;re &agrave; lui
+causer une
+nouvelle souffrance; maintenant montrez &agrave; l'homme atrabilaire et
+misanthrope, quelques peintures de notre mus&eacute;e.&raquo;</p>
+<p>Lorsque le goblin eut prononc&eacute; ces paroles, un nuage
+&eacute;pais qui
+obscurcissait l'un des coins de la caverne, se dissipa graduellement,
+et
+laissa apercevoir, apparemment &agrave; une grande distance, une
+chambre petite
+et mal meubl&eacute;e, o&ugrave; r&eacute;gnait cependant un ordre et
+une propret&eacute; charmante.
+Aupr&egrave;s d'un bon feu se pr&eacute;lassait un fauteuil vide,
+tandis que sur la
+table &eacute;tait arrang&eacute; un repas frugal. Une jeune
+m&egrave;re, entour&eacute;e d'enfants
+allait de temps en temps &agrave; la fen&ecirc;tre et en soulevait le
+rideau pour
+d&eacute;couvrir un peu plus t&ocirc;t celui qu'elle attendait. Un coup
+frapp&eacute; &agrave; la
+porte se fit entendre; la m&egrave;re alla ouvrir et les enfants pleins
+de joie
+battirent des mains lorsque le p&egrave;re entra. Il &eacute;tait
+mouill&eacute; et fatigu&eacute;.
+Il secoua la neige de ses v&ecirc;tements, et les enfants
+s'empress&egrave;rent de
+l'entourer pour emporter, l'un son chapeau, l'autre son manteau,
+l'autre
+son b&acirc;ton, l'autre ses gants. Ensuite le p&egrave;re s'assit,
+pour prendre son
+repas, aupr&egrave;s du feu; les enfants grimp&egrave;rent sur ses
+genoux, la m&egrave;re se
+pla&ccedil;a &agrave; c&ocirc;t&eacute; de lui: la paix et le bonheur
+brillaient sur leur visage.</p>
+<p>Mais un changement se fit dans le tableau, d'une mani&egrave;re
+presque
+imperceptible. La sc&egrave;ne repr&eacute;senta une petite chambre
+&agrave; coucher, o&ugrave; le
+plus jeune et le plus joli des enfants gisait sur son lit de mort. Les
+roses de ses joues &eacute;taient fl&eacute;tries, la lumi&egrave;re de
+ses yeux &eacute;tait
+&eacute;teinte, et tandis que le sacristain lui-m&ecirc;me le
+consid&eacute;rait avec un
+int&eacute;r&ecirc;t qu'il n'avait jamais ressenti auparavant, le
+pauvre enfant
+rendit le dernier soupir. Ses jeunes fr&egrave;res et ses s&#339;urs se
+press&egrave;rent
+autour de son berceau, et saisirent sa main; mais elle &eacute;tait
+froide et
+roidie. Ils recul&egrave;rent et regard&egrave;rent, avec une terreur
+religieuse, son
+visage enfantin; car, quoique l'expression en f&ucirc;t calme et
+tranquille,
+quoique le bel enfant par&ucirc;t dormir en paix, ils voyaient bien que
+la
+mort &eacute;tait l&agrave;, et ils savaient que maintenant leur petit
+fr&egrave;re &eacute;tait un
+ange dans les cieux, d'o&ugrave; il les contemplait et les
+b&eacute;nissait.</p>
+<p>Un l&eacute;ger nuage passa de nouveau sur la peinture et le sujet
+en fut
+chang&eacute;. Le p&egrave;re et la m&egrave;re &eacute;taient devenus
+vieux et infirmes, et le
+nombre de ceux qui les entouraient avait diminu&eacute; de plus de
+moiti&eacute;.
+Cependant la paix et le contentement r&eacute;gnaient encore sur tous
+les
+visages. La famille &eacute;tait r&eacute;unie autour du feu et les
+parents
+racontaient, les enfants &eacute;coutaient avec d&eacute;lices des
+histoires des
+anciens temps et des jours &eacute;coul&eacute;s. Doucement et
+tranquillement le vieux
+p&egrave;re descendit dans la tombe, et bient&ocirc;t apr&egrave;s,
+celle qui avait partag&eacute;
+tous ses soins et toutes ses peines, le suivit dans le s&eacute;jour de
+l'&eacute;ternel repos. Les enfants qui leur survivaient
+s'agenouill&egrave;rent en
+pleurant sur le gazon du cimeti&egrave;re; puis ils se
+relev&egrave;rent et
+s'&eacute;loign&egrave;rent lentement, tristement, mais sans cris
+amers, sans
+lamentations d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;es, car ils &eacute;taient
+s&ucirc;rs de les revoir bient&ocirc;t
+dans le royaume c&eacute;leste. Ils se m&ecirc;l&egrave;rent donc de
+nouveau aux sc&egrave;nes
+actives du monde, et la tranquillit&eacute;, le contentement revinrent
+habiter
+avec eux.</p>
+<p>Le nuage descendit alors sur le tableau et le d&eacute;roba aux yeux
+du
+sacristain.</p>
+<p>&laquo;Qu'est-ce que vous pensez de cela?&raquo; demanda le goblin
+&agrave; Gabriel en
+tournant vers lui sa large face.</p>
+<p>Gabriel balbutia que c'&eacute;tait un spectacle fort amusant, mais
+il
+paraissait honteux et mal &agrave; l'aise, car le lutin fixait sur lui
+des yeux
+farouches.</p>
+<p>&laquo;Mis&eacute;rable &eacute;go&iuml;ste! s'&eacute;cria celui-ci
+d'un ton plein de m&eacute;pris. Mis&eacute;rable
+&eacute;go&iuml;ste!&raquo; Il paraissait dispos&eacute; &agrave;
+ajouter quelque chose, mais
+l'indignation l'emp&ecirc;chait de prononcer. Il leva une de ses jambes
+flexibles, et l'agitant au-dessus de sa t&ecirc;te afin de mieux
+ajuster, il
+la d&eacute;chargea solidement sur le dos de Gabriel. Aussit&ocirc;t
+tous les goblins
+qui faisaient leur cour, suivirent l'exemple du ma&icirc;tre; car c'est
+l'usage invariable des courtisans, m&ecirc;me sur la terre, de
+flageller ceux
+que le pouvoir flagelle, et de cajoler ceux qu'il cajole.</p>
+<p>&laquo;Montrez-lui encore quelque chose,&raquo; dit ensuite le roi
+des lutins.</p>
+<p>A ces mots le nuage se dissipa, comme la premi&egrave;re fois, et
+laissa
+apercevoir un riche et beau paysage, semblable &agrave; celui que l'on
+d&eacute;couvre
+encore aujourd'hui, &agrave; un quart de lieue de la vieille abbaye. Le
+soleil
+resplendissait dans le bleu firmament, l'eau &eacute;tincelait sous ses
+rayons,
+et gr&acirc;ce &agrave; son influence bienfaisante, les arbres
+paraissaient plus
+verts et les fleurs plus jolies. L'onde ruisselait avec son
+agr&eacute;able
+murmure; un vent ti&egrave;de agitait les feuilles; les oiseaux
+chantaient dans
+les buissons et l'alouette charmait les airs de ses hymnes matinales;
+car c'&eacute;tait le matin, le matin &eacute;tincelant et
+embaum&eacute; d'un beau jour
+d'&eacute;t&eacute;; et les feuilles les plus menues, les plus petits
+brins l'herbe
+paraissaient remplis de vie; la fourmi diligente accomplissait son
+travail journalier; le papillon voltigeait sur les fleurs et se
+baignait
+dans les chauds rayons du soleil; des myriades d'insectes
+&eacute;tendaient
+leurs ailes transparentes et jouissaient de leur courte mais heureuse
+existence: l'homme enfin se montrait, son esprit s'exaltait en voyant
+la
+grandeur de la cr&eacute;ation, et tout dans la nature &eacute;tait
+harmonie et
+splendeur.</p>
+<p>Cependant Gabriel Grub ne paraissait point touch&eacute;.</p>
+<p>&laquo;Mis&eacute;rable &eacute;go&iuml;ste!&raquo;
+r&eacute;p&eacute;ta le roi des goblins d'un ton plus m&eacute;prisant
+encore, et derechef il agita sa jambe au-dessus de sa t&ecirc;te, et la
+fit
+descendre vivement sur les &eacute;paules du sacristain. Les gens de sa
+suite
+ne manqu&egrave;rent pas d'en faire autant.</p>
+<p>Bien des fois le nuage s'obscurcit et se dissipa, et de nombreux
+tableaux donn&egrave;rent &agrave; Gabriel des le&ccedil;ons, qu'il
+consid&eacute;rait avec un
+int&eacute;r&ecirc;t de plus en plus vif, quoique ses &eacute;paules
+devinssent br&ucirc;lantes,
+par l'application r&eacute;p&eacute;t&eacute;e des pieds des lutins. Il
+vit que les hommes
+qui travaillent p&eacute;niblement et qui gagnent, &agrave; la sueur de
+leur front une
+modique subsistance, sont cependant gais et heureux. Il apprit que,
+m&ecirc;me
+pour les plus ignorants, le doux aspect de la nature est une source
+toujours nouvelle de d&eacute;lices et de tranquillit&eacute;. Il vit
+des femmes,
+nourries d&eacute;licatement et tendrement &eacute;lev&eacute;es,
+supporter joyeusement des
+privations, surmonter des souffrances qui auraient &eacute;cras&eacute;
+des cr&eacute;atures
+d'une &eacute;toffe plus grossi&egrave;re; et cela parce qu'elles
+portaient dans leur
+sein une source in&eacute;puisable d'affection et de d&eacute;vouement.
+Par-dessus
+tout, il vit que les hommes qui s'affligent du bonheur des autres, sont
+semblables aux plus mauvaises herbes dont la surface de la terre est
+infect&eacute;e. Enfin balan&ccedil;ant ensemble le bien et le mal
+qu'il observait, il
+arriva &agrave; cette conclusion que le monde, apr&egrave;s tout, est
+une esp&egrave;ce de
+monde assez honn&ecirc;te et assez respectable.</p>
+<p>Aussit&ocirc;t qu'il en fut venu l&agrave;, le nuage qui avait
+voil&eacute; le dernier
+tableau sembla s'abaisser sur ses sens et l'inviter au repos. L'un
+apr&egrave;s
+l'autre les goblins s'effac&egrave;rent, et lorsque le dernier eut
+disparu,
+Gabriel Grub s'endormit profond&eacute;ment.</p>
+<p>La jour &eacute;tait avanc&eacute;, quand le sacristain
+s'&eacute;veilla. Il se trouva &eacute;tendu
+tout de son long dans le cimeti&egrave;re, sur la tombe plate qu'il
+affectionnait. Sa bouteille d'osier, enti&egrave;rement vide, gisait
+&agrave; ses
+c&ocirc;t&eacute;s, et son habit, sa b&ecirc;che, sa lanterne, tout
+blanchis par la gel&eacute;e
+de la nuit, &eacute;taient &eacute;parpill&eacute;s autour de lui sur
+la terre. La pierre sur
+laquelle il avait d'abord vu le goblin, se dressait l&agrave; tout
+pr&egrave;s de la
+fosse &agrave; laquelle il avait travaill&eacute; le soir
+pr&eacute;c&eacute;dent. Cependant,
+Gabriel commen&ccedil;ait &agrave; douter de la r&eacute;alit&eacute;
+de ses aventures, mais les
+douleurs aigu&euml;s qu'il ressentit dans ses &eacute;paules, lorsqu'il
+essaya de se
+lever, l'assur&egrave;rent que les coups de pieds qu'il avait
+re&ccedil;us n'&eacute;taient
+pas imaginaires. Il fut &eacute;branl&eacute; de nouveau en ne voyant
+pas de traces de
+pas sur la neige o&ugrave; les lutins avaient jou&eacute; &agrave;
+saute-mouton avec les
+tombes; mais bient&ocirc;t apr&egrave;s il s'expliqua cette
+circonstance en se
+rappelant que des esprits ne peuvent laisser derri&egrave;re eux aucune
+impression visible.</p>
+<p>Quoi qu'il en soit, Gabriel se mit sur ses jambes aussi bien que le
+lui
+permettait la roideur de son &eacute;pine dorsale; puis ayant
+secou&eacute; la gel&eacute;e
+blanche de dessus son habit, il l'endossa, et se dirigea vers la ville.</p>
+<p>Mais son esprit &eacute;tait enti&egrave;rement chang&eacute;, et il
+ne pouvait supporter la
+pens&eacute;e de retourner dans un endroit o&ugrave; son repentir
+serait mis en doute,
+sinon ridiculis&eacute;. Il h&eacute;sita pendant quelques instants,
+puis il se
+dirigea vers la campagne pour aller gagner son pain dans un nouveau
+pays, quel qu'il f&ucirc;t.</p>
+<p>On trouva ce jour-l&agrave; dans le cimeti&egrave;re, sa lanterne,
+sa b&ecirc;che et sa
+bouteille d'osier. On fit d'abord beaucoup de suppositions sur sa
+destin&eacute;e, mais on d&eacute;cida promptement qu'il avait
+&eacute;t&eacute; enlev&eacute; par les
+goblins. Il se trouva m&ecirc;me des t&eacute;moins
+tr&egrave;s-v&eacute;ridiques, qui d&eacute;clar&egrave;rent
+l'avoir vu distinctement emport&eacute; &agrave; travers les airs, sur
+le dos d'un
+cheval brun, lequel cheval &eacute;tait borgne, avait la queue d'un
+ours, et le
+train de derri&egrave;re d'un lion. Au bout de quelque temps, cela fut
+cru
+d&eacute;votement, et le nouveau sacristain avait coutume de montrer
+aux
+curieux, pour une bagatelle, un morceau assez consid&eacute;rable du
+coq de
+cuivre du clocher, d&eacute;tach&eacute; par un coup de pied du cheval
+pendant sa
+course a&eacute;rienne, et ramass&eacute; par ledit sacristain, dans le
+cimeti&egrave;re, un
+an ou deux apr&egrave;s l'&eacute;v&eacute;nement.</p>
+<p>Malheureusement, la v&eacute;racit&eacute; de ce r&eacute;cit fut
+l&eacute;g&egrave;rement infirm&eacute;e par la
+r&eacute;apparition inattendue de Gabriel Grub lui-m&ecirc;me, qui
+revint au bout
+d'une dizaine d'ann&eacute;es, vieillard pauvre et infirme, mais
+content. Il
+raconta ses aventures au pasteur et au maire, de sorte qu'apr&egrave;s
+un
+certain temps, elles pass&egrave;rent dans le domaine de l'histoire,
+o&ugrave; elles
+sont rest&eacute;es jusqu'&agrave; ce jour. Seulement ceux qui avaient
+cru &agrave; la br&egrave;che
+du coq de cuivre, s'apercevant qu'ils avaient &eacute;t&eacute;
+attrap&eacute;s une fois, ne
+voulurent plus rien croire du tout. Ils prirent donc un air aussi malin
+qu'ils purent, lev&egrave;rent les &eacute;paules, touch&egrave;rent
+leur front, et
+murmur&egrave;rent quelque chose sur ce que Gabriel Grub avait bu toute
+son
+eau-de-vie, et s'&eacute;tait endormi sur la tombe plate. Quant
+&agrave; ses
+observations dans la caverne des goblins, c'&eacute;tait tout
+simplement qu'il
+avait vu le monde et &eacute;tait devenu plus sage. N&eacute;anmoins
+cette opinion ne
+fut jamais populaire, et s'&eacute;teignit graduellement. Quelle que
+soit la
+version v&eacute;ritable, comme Gabriel Grub fut affect&eacute; de
+rhumatismes jusqu'&agrave;
+la fin de ses jours, son histoire a tout au moins une moralit&eacute;:
+c'est
+qu'un homme atrabilaire, qui boit tout seul la veille de No&euml;l,
+peut &ecirc;tre
+bien s&ucirc;r de ne pas s'en trouver mieux, quand m&ecirc;me son
+eau-de-vie serait
+aussi bien rectifi&eacute;e que celle du roi des goblins.</p>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">FIN DU PREMIER VOLUME.</p>
+<hr style="width: 65%;"/>
+<br/>
+<h2>TABLE DES MATI&Egrave;RES.</h2>
+<p style="font-weight: bold; text-align: center;">CONTENUES DANS LE
+PREMIER VOLUME.</p>
+<br/>
+<p><a href="#CHAPITRE_PREMIER">I.</a> Les pickwickiens.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_II">II.</a> Le premier jour de voyage et la
+premi&egrave;re soir&eacute;e d'aventures, avec
+leurs cons&eacute;quences.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_III">III.</a> Une nouvelle connaissance. Histoire
+d'un clown. Une interruption
+d&eacute;sagr&eacute;able et une rencontre f&acirc;cheuse.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_IV">IV.</a> La petite guerre. De nouveaux amis.
+Une invitation pour la campagne.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_V">V.</a> Faisant voir entre autres choses
+comment M. Pickwick entreprit de
+conduire une voiture, et M. Winkle de monter un cheval; et comment l'un
+et l'autre en vinrent &agrave; bout.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_VI">VI.</a> Une soir&eacute;e du bon vieux temps.
+Histoire racont&eacute;e par un
+eccl&eacute;siastique.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_VII">VII.</a> Comment M. Winkle, au lieu de tirer
+le pigeon et de tuer la
+corneille, tira la corneille et blessa le pigeon. Comment le club de la
+Crosse de Dingley-Dell lutta contre celui de Muggleton, et comment
+Muggleton d&icirc;na aux d&eacute;pens de Dingley-Dell. Avec diverses
+autres mati&egrave;res
+&eacute;galement instructives et int&eacute;ressantes.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_VIII">VIII.</a> Faisant voir clairement que la
+route du v&eacute;ritable amour n'est pas
+aussi unie qu'un chemin de fer.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_IX">IX.</a> La d&eacute;couverte et la poursuite.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_X">X.</a> Destin&eacute; &agrave; dissiper tous
+les doutes qui pourraient exister sur le
+d&eacute;sint&eacute;ressement de M. Jingle.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XI">XI.</a> Contenant un autre voyage et une
+d&eacute;couverte d'antiquit&eacute;: annon&ccedil;ant
+la r&eacute;solution de M. Pickwick d'assister &agrave; une
+&eacute;lection, et renfermant un
+manuscrit donn&eacute; par le vieil eccl&eacute;siastique.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XII">XII.</a> Qui contient une
+tr&egrave;s-importante d&eacute;termination de M. Pickwick,
+laquelle fait &eacute;poque dans sa vie non moins que dans cette
+v&eacute;ridique
+histoire.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XIII">XIII.</a> Notice sur Eatanswill, sur les
+parties qui le divisent, et sur
+l'&eacute;lection d'un membre du parlement par le bourg ancien, loyal
+et
+patriote.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XIV">XIV.</a> Contenant une courte description de
+la compagnie assembl&eacute;e au <i>Paon
+d'argent</i>, et de plus une histoire racont&eacute;e par un
+commis-voyageur.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XV">XV.</a> Dans lequel se trouve un portrait
+fid&egrave;le de deux personnes
+distingu&eacute;es, et une description exacte d'un grand
+d&eacute;jeuner qui eut lieu
+dans leur maison et domaine. Ledit d&eacute;jeuner am&egrave;ne la
+rencontre d'une
+vieille connaissance, et le commencement d'un autre chapitre.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XVI">XVI.</a> Trop plein d'aventures pour qu'on
+puisse les r&eacute;sumer bri&egrave;vement.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XVII">XVII.</a> Montrant qu'une attaque de
+rhumatisme peut quelquefois servir de
+stimulant &agrave; un g&eacute;nie inventif.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XVIII">XVIII.</a> Qui prouve bri&egrave;vement
+deux points, savoir: le pouvoir des
+attaques de nerfs et la force des circonstances.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XIX">XIX.</a> Un jour heureux termin&eacute;
+malheureusement.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XX">XX.</a> O&ugrave; l'on voit que Dodson et
+Fogg &eacute;taient des hommes d'affaires, et
+leurs clercs des hommes de plaisir; qu'une entrevue touchante eut lieu
+entre M. Samuel Weller et le p&egrave;re qu'il avait perdu depuis
+longtemps; o&ugrave;
+l'on voit, enfin, quels esprits sup&eacute;rieurs s'assemblaient
+&agrave; <i>la Souche
+et la Pie</i>, et quel excellent chapitre sera le suivant.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXI">XXI.</a> Dans lequel le vieux homme se lance
+sur son th&egrave;me favori, et
+raconte l'histoire d'un dr&ocirc;le de client.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXII">XXII.</a> M. Pickwick se rend &agrave;
+Ipswich, et rencontre une aventure
+romantique, sous la figure d'une dame d'un certain &acirc;ge, en
+papillote de
+papier brouillard.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXIII">XXIII.</a> Dans lequel Samuel Weller
+s'occupe &eacute;nergiquement de prendre la
+revanche de M. Trotter.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXIV">XXIV.</a> Dans lequel M. Peter Magnus
+devient jaloux, et la dame d'un
+certain &acirc;ge, craintive; ce qui jette les pickwickiens dans les
+griffes
+de la justice.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXV">XXV.</a> Montrant combien M. Nupkins
+&eacute;tait majestueux et impartial, et
+comment Sam Weller prit sa revanche de M. Joe Trotter, avec d'autres
+&eacute;v&eacute;nement&raquo; qu'on trouvera &agrave; leur place.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXVI">XXVI.</a> Contenant un r&eacute;cit
+abr&eacute;g&eacute; des progr&egrave;s de l'action <i>Bardell contre
+Pickwick</i>.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXVII">XXVII.</a> Samuel Weller fait un
+p&egrave;lerinage &agrave; Dorking, et voit sa
+belle-m&egrave;re.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXVIII">XXVIII.</a> Un joyeux chapitre des
+f&ecirc;tes de No&euml;l, contenant le r&eacute;cit d'une
+noce et de quelques autres passe-temps qui sont, dans leur genre,
+d'aussi bonnes coutumes que le mariage, mais qu'on ne maintient pas
+aussi religieusement, dans ce si&egrave;cle
+d&eacute;g&eacute;n&eacute;r&eacute;.</p>
+<p><a href="#CHAPITRE_XXIX">XXIX.</a> Histoire du sacristain,
+emport&eacute; par les goblins.</p>
+<p style="text-align: center; font-weight: bold;">FIN DE LA TABLE DES
+MATI&Egrave;RES.</p>
+<hr style="width: 65%;" />
+<br/>
+<h2>NOTES:</h2>
+<a name="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1">1</a>
+<div class="note">
+<p> &Eacute;cuyer, vice-pr&eacute;sident perp&eacute;tuel, membre du
+Pickwick-Club.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_2_2"></a><a href="#FNanchor_2_2">2</a>
+<div class="note">
+<p> &Eacute;cuyer, pr&eacute;sident perp&eacute;tuel, membre du
+Pickwick-Club.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_3_3"></a><a href="#FNanchor_3_3">3</a>
+<div class="note">
+<p> Villages aux environs de Londres.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_4_4"></a><a href="#FNanchor_4_4">4</a>
+<div class="note">
+<p> Hampstead, village tout pr&egrave;s de Londres.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_5_5"></a><a href="#FNanchor_5_5">5</a>
+<div class="note">
+<p> C'est par ce cri que les membres du parlement invitent le
+pr&eacute;sident &agrave; r&eacute;tablir l'ordre.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_6_6"></a><a href="#FNanchor_6_6">6</a>
+<div class="note">
+<p> Charles Ier, d&eacute;capit&eacute; sur un &eacute;chafaud,
+dress&eacute; contre une
+des fen&ecirc;tres du palais et par o&ugrave; il sortit.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_7_7"></a><a href="#FNanchor_7_7">7</a>
+<div class="note">
+<p> Exemple remarquable de la force proph&eacute;tique de
+l'imagination de M. Jingle quand on pense que ce dialogue a lieu en
+1827
+et que la r&eacute;volution est de 1830.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note de l'auteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_8_8"></a><a href="#FNanchor_8_8">8</a>
+<div class="note">
+<p> Allusion au proverbe: <i>Il ne mettra pas le feu &agrave; la
+Tamise</i>, qui &eacute;quivaut au fran&ccedil;ais: <i>Il n'a pas
+invent&eacute; la poudre</i>.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_9_9"></a><a href="#FNanchor_9_9">9</a>
+<div class="note">
+<p> Colonie p&eacute;nitentiaire.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_10_10"></a><a href="#FNanchor_10_10">10</a>
+<div class="note">
+<p> Refrain d'une chanson bachique.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_11_11"></a><a href="#FNanchor_11_11">11</a>
+<div class="note">
+<p> En Angleterre l'entretien des routes se fait au moyen d'un
+p&eacute;age, qui est per&ccedil;u de distance en distance.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_12_12"></a><a href="#FNanchor_12_12">12</a>
+<div class="note">
+<p> Faubourg de Londres, situ&eacute; au midi de la Tamise.<br/>
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du
+traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_13_13"></a><a href="#FNanchor_13_13">13</a>
+<div class="note">
+<p> Allusion &agrave; une cause c&eacute;l&egrave;bre.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_14_14"></a><a href="#FNanchor_14_14">14</a>
+<div class="note">
+<p> 3000 francs.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_15_15"></a><a href="#FNanchor_15_15">15</a>
+<div class="note">
+<p> Petites maisons o&ugrave; les vieillards pauvres sont log&eacute;s
+gratuitement.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_16_16"></a><a href="#FNanchor_16_16">16</a>
+<div class="note">
+<p> C'est-&agrave;-dire dans la loi sur les &eacute;lections.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur</i>.)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_17_17"></a><a href="#FNanchor_17_17">17</a>
+<div class="note">
+<p> <i>Hall, ch&acirc;teau.</i></p>
+</div>
+<a name="Footnote_18_18"></a><a href="#FNanchor_18_18">18</a>
+<div class="note">
+<p> Sorte de diligence.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_19_19"></a><a href="#FNanchor_19_19">19</a>
+<div class="note">
+<p> 500 francs.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_20_20"></a><a href="#FNanchor_20_20">20</a>
+<div class="note">
+<p> Le minist&egrave;re &eacute;tait apparemment lib&eacute;ral.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_21_21"></a><a href="#FNanchor_21_21">21</a>
+<div class="note">
+<p> <i>Feast of reason, flow of soul</i> est une citation de je ne
+sais quel po&euml;te, devenue proverbiale pour se moquer des
+r&eacute;unions o&ugrave; il
+n'y a rien &agrave; boire ni &agrave; manger.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_22_22"></a><a href="#FNanchor_22_22">22</a>
+<div class="note">
+<p> <i>Big-wig</i>, grosse perruque, sobriquet par lequel on
+d&eacute;signe les avocats.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_23_23"></a><a href="#FNanchor_23_23">23</a>
+<div class="note">
+<p> Le polichinelle anglais s'appelle <i>Punch</i>.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_24_24"></a><a href="#FNanchor_24_24">24</a>
+<div class="note">
+<p> Esp&egrave;ce de parc commun, o&ugrave; l'on met les animaux
+errants, en
+<i>fourri&egrave;re</i>.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_25_25"></a><a href="#FNanchor_25_25">25</a>
+<div class="note">
+<p> C'est le nom des maisons garnies, habit&eacute;es ordinairement
+par les hommes de loi ou les &eacute;tudiants.<br/>
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_26_26"></a><a href="#FNanchor_26_26">26</a>
+<div class="note">
+<p> En fran&ccedil;ais: De champ sec.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_27_27"></a><a href="#FNanchor_27_27">27</a>
+<div class="note">
+<p> Sommation pour inviter la foule &agrave; se disperser.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_28_28"></a><a href="#FNanchor_28_28">28</a>
+<div class="note">
+<p> Moulin que les condamn&eacute;s font mouvoir en marchant sur un
+cylindre.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_29_29"></a><a href="#FNanchor_29_29">29</a>
+<div class="note">
+<p> M. Walker est un personnage myst&eacute;rieux qui jouit en
+Angleterre d'une grande r&eacute;putation de hableur. Son nom,
+employ&eacute; comme
+interjection &laquo;Walker&raquo; est devenu un terme de m&eacute;pris
+et d'incr&eacute;dulit&eacute;.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur.</i>)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_30_30"></a><a href="#FNanchor_30_30">30</a>
+<div class="note">
+<p> Le conducteur. Cette appellation est un reste du temps o&ugrave;
+les routes &eacute;taient si peu s&ucirc;res que chaque voiture
+&eacute;tait accompagn&eacute;e
+d'un v&eacute;ritable garde.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur</i>.)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_31_31"></a><a href="#FNanchor_31_31">31</a>
+<div class="note">
+<p> Aux f&ecirc;tes de No&euml;l, on a coutume de suspendre une branche
+de houx dans la salle de r&eacute;union, et quiconque peut
+entra&icirc;ner une dame
+sous la branche a le droit de l'embrasser.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_32_32"></a><a href="#FNanchor_32_32">32</a>
+<div class="note">
+<p> Un <i>snap-dragon</i> est un plat de noisettes, de raisins,
+etc., plong&eacute;s dans une l&eacute;g&egrave;re quantit&eacute;
+d'eau-de-vie allum&eacute;e, dont il
+s'agit de les retirer sans se br&ucirc;ler.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_33_33"></a><a href="#FNanchor_33_33">33</a>
+<div class="note">
+<p> Esp&egrave;ce de lutins.</p>
+</div>
+<a name="Footnote_34_34"></a><a href="#FNanchor_34_34">34</a>
+<div class="note">
+<p> <i>Designator</i>, l'homme qui dirige les assistants dans les
+c&eacute;r&eacute;monies fun&egrave;bres.
+</p>
+<p style="text-align: right;">(<i>Note du traducteur</i>.)</p>
+</div>
+<a name="Footnote_35_35"></a><a href="#FNanchor_35_35">35</a>
+<div class="note">
+<p> Esp&egrave;ce de lutin anglais.</p>
+</div>
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 13771 ***</div>
+</body>
+</html>
+
diff --git a/13771-h/images/img001.jpg b/13771-h/images/img001.jpg
new file mode 100644
index 0000000..9e56470
--- /dev/null
+++ b/13771-h/images/img001.jpg
Binary files differ