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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 04:40:48 -0700
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+<html>
+<head>
+ <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=UTF-8">
+ <title>Cora</title>
+ <meta name="author" content="George Sand">
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div>
+
+<h1>CORA.</h1>
+
+<h4>par</h4>
+
+<h2>George Sand</h2>
+<br><br>
+
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+
+<br><br>
+<h3>I.</h3>
+
+
+<p>A mon retour de l'île Bourbon (je me trouvais dans
+une situation assez précaire), je sollicitai et j'obtins un
+mince emploi dans l'administration des postes. Je fus
+envoyé au fond de la province, dans une petite ville dont
+je tairai le nom pour des motifs que vous concevrez facilement.</p>
+
+<p>L'apparition d'une nouvelle figure est un événement
+dans une petite ville, et, quoique mon emploi fût des
+moins importants, pendant quelques jours je fus, après
+un phoque vivant et deux boas constrictors, qui venaient
+de s'installer sur la place du marché, l'objet le plus excitant
+de la curiosité publique et le sujet le plus exploité
+des conversations particulières.</p>
+
+<p>La niaise oisiveté dont j'étais victime me séquestra
+chez moi pendant toute la première semaine. J'étais fort
+jeune, et la négligence que j'avais jusqu'alors apportée
+par caractère aux importantes considérations de la <i>mise</i>
+et de la <i>tenue</i> commençaient à se révéler à moi sous la
+forme du remords.</p>
+
+<p>Après un séjour de quelques années aux colonies, ma
+toilette se ressentait visiblement de l'état de stagnation
+honteuse où l'avait laissé le progrès du siècle. Mon chapeau
+à la Bolivar, mes favoris à la Bergami et mon manteau
+à la Quiroga étaient en arrière de plusieurs lustres,
+et le reste de mon accoutrement avait une tournure exotique
+dont je commençais à rougir.</p>
+
+<p>Il est vrai que, dans la solitude des champs, ou dans
+l'incognito d'une grande ville, ou dans le tourbillon de la
+vie errante, j'eusse pu exister longtemps encore sans me
+douter du malheur de ma position. Mais une seule promenade
+hasardée sur les remparts de la ville m'éclaira tristement
+à cet égard. Je ne fis point dix pas hors de mon
+domicile sans recevoir de salutaires avertissements sur
+l'inconvenance de mon costume. D'abord une jolie grisette
+me lança un regard ironique, et dit à sa compagne,
+en passant près de moi:&mdash;«<i>Ce monsieur</i> a une cravate
+bien mal pliée.» Puis un ouvrier, que je soupçonnai
+être dans le commerce des feutres, dit d'un ton goguenard,
+en posant ses poings sur ses flancs revêtus d'un
+tablier de cuirnn:&mdash;«Si <i>ce monsieur</i> voulait me prêter
+son chapeau, j'en ferais fabriquer un sur le même modèle,
+afin de me déguiser en <i>roast-beef</i> le jour du carnaval.»
+Puis une <i>dame</i> élégante murmura en se penchant
+sur sa croisée:&mdash;«C'est dommage qu'il ait un gilet si
+fané et la barbe si mal faite.» Enfin, un bel esprit du
+lieu dit en pinçant la lèvre:&mdash;«Apparemment que le
+père de <i>ce monsieur</i> est un homme <i>puissant</i>, on le voit
+à l'ampleur de son habit.» Bref, il me fallut bientôt revenir
+sur mes pas, fort heureux d'échapper aux vexations
+d'une douzaine de polissons en guenilles qui criaient après
+moi du haut de leur tête: A bas <i>l'angliche</i>! à bas le
+milord! à bas l'étranger!</p>
+
+<p>Profondément humilié de ma mésaventure, je résolus
+de m'enfermer chez moi jusqu'à ce que le tailleur du
+chef-lieu m'eût fait parvenir un habit complet dans le
+dernier goût. L'honnête homme ne s'y épargna point, et
+me confectionna des vêtements si exigus et si coquets
+que je pensai mourir de douleur en me voyant réduit à
+ma plus simple expression, et semblable en tous points à
+ces caricatures de <i>fats parisiens</i> et d'<i>incroyables</i> qui
+nous faisaient encore pâmer de rire, l'année précédente,
+à l'île Maurice. Je ne pouvais pas me persuader que je
+ne fusse pas cent fois plus ridicule sous cet habit que sous
+celui que je venais de quitter, et je ne savais plus que
+devenir; car j'avais promis solennellement à mon hôtesse
+(la femme du plus gros notaire de l'arrondissement) de
+la conduire au bal, et de lui faire danser la première et
+probablement l'unique contredanse à laquelle ses charmes
+lui donnaient le droit de prétendre. Incertain, honteux,
+tremblant, je me décidai à descendre et à demander à
+cette estimable femme un avis rigide et sincère sur ma
+situation. Je pris un flambeau et je me hasardai jusqu'à
+la porte de son appartement; mais je m'arrêtai palpitant
+et désespéré, en entendant partir de ce sanctuaire un
+bruit confus de voix fraîches et perçantes, de rires aigus
+et naïfs, qui m'annonçaient la présence de cinq ou six
+demoiselles de la ville. Je faillis retourner sur mes pas;
+car, de m'exposer au jugement d'un si malin aréopage
+dans une parure plus que problématique à mes yeux,
+c'était un héroïsme dont peu de jeunes gens à ma place
+se fussent sentis capables.</p>
+
+<p>Enfin, la force de ma volonté l'emporta; je me demandai
+si j'avais lu pour rien Locke et Condillac, et poussant
+la porte d'une main ferme, j'entrai par l'effet d'une résolution
+désespérée. J'ai vu de près d'affreux événements,
+je puis le dire: j'ai traversé les mers et les orages, j'ai
+échappé aux griffes d'un tigre dans le royaume de Java,
+et aux dents d'un crocodile dans la baie de Tunis; j'ai
+vu en face les gueules béantes des sloops flibustiers; j'ai
+mangé du biscuit de mer qui m'a percé les gencives; j'ai
+embrassé la fille du roi de Timor ... eh bien! je vous jure
+que tout ceci n'était rien au prix de mon entrée dans cet
+appartement, et que dans aucun jour de ma vie je ne
+recueillis un aussi glorieux fruit de l'éducation philosophique.</p>
+
+<p>Les demoiselles étaient assises en cercle, et, en attendant
+que la femme du notaire eût achevé de mêler à ses
+cheveux noirs une légère guirlande de pivoines, ces gentes filles
+de la nature échangeaient entre elles de joyeux
+propos et de naïves chansons. Mon apparition inattendue
+paralysa l'élan de cette gaieté charmante. Le silence étendit
+ses ailes de hibou sur leurs blondes têtes, et tous les
+yeux s'attachèrent sur moi avec l'expression du doute,
+de la méfiance et de la peur.</p>
+
+<p>Puis tout à coup un cri de surprise s'échappa du sein
+de la plus jeune, et mon nom vola de bouche en bouche
+comme la bordée d'une frégate armée en guerre. Mon
+sang se glaça dans mes veines, et je faillis prendre la fuite
+comme un brick qui a cru attaquer un chasse-marée, et
+qui, à la portée de la longue-vue, découvre un beau trois-mâts,
+laissant nonchalamment tomber ses sabords pour
+lui faire accueil.</p>
+
+<p>Mais, à ma grande stupéfaction, la femme de mon hôte,
+laissant la moitié de ses boucles crêpées et menaçantes,
+tandis que l'autre gisait encore sous le papier gris de la
+papillote, accourut vers moi en s'écriant:&mdash;C'est notre
+jeune homme! c'est notre pauvre Georges! Ah! mon
+Dieu! quelle métamorphose! qu'il est bien mis! quelle
+jolie tournure! quelle coupe d'habit élégante et moderne!...
+Ah! Mesdemoiselles, regardez! regardez
+comme M. Georges est changé, comme il a l'air distingué.
+Vous ferez danser ces demoiselles, monsieur Georges,
+après moi, pourtant! Vous m'avez forcée de vous promettre
+la première, vous vous en souvenez?</p>
+
+<p>Les demoiselles gardaient le silence, et je doutais encore
+de mon triomphe. Je rassemblai le reste de mon courage
+pour leur demander timidement leur goût sur cet
+habit, et aussitôt un choeur de louanges pur et mélodieux
+à mes oreilles comme un chant céleste s'éleva autour de
+moi. Jamais on n'avait rien vu de mieux; on ne trouvait
+pas un pli à blâmer; le collet raide et volumineux était
+d'un goût exquis, les basques courtes et cambrées avaient
+une grâce parfaite, le gilet parsemé de gigantesques rosaces
+était d'un éclat sans pareil; la cravate inflexible,
+croisée avec une rigueur systématique, était un chef-d'oeuvre
+d'invention; la manchette et le jabot terrible
+couronnaient l'oeuvre. De mémoire de jeunes filles, aucun
+employé de l'administration des postes n'avait fait un tel
+début dans le monde.</p>
+
+<p>J'avoue que ce n'est pas un des moins brillants souvenirs
+de ma jeunesse que mon entrée triomphante dans
+ce bal, serré dans mon habit neuf, froissé par les baleines
+dorsales de mon gilet, vexé par le rigorisme de mes entournures,
+et, de plus, flanqué à droite de la femme du
+notaire, à gauche de mademoiselle Phédora, sa nièce, la
+plus vieille et la plus laide fille du département. N'importe,
+j'étais fier, j'étais heureux, j'étais bien mis.</p>
+
+<p>La salle était un peu froide, un peu sombre, un peu
+malpropre; les banquettes étaient bien tachées d'huile
+çà et là, les quinquets jouaient bien un peu, sur les têtes
+fleuries et emplumées du bal, le vieux rôle de l'épée de
+Damoclès; le parquet n'était pas fort brillant, les robes
+des femmes n'étaient pas toutes fraîches, pas plus que la
+fraîcheur de certains visages n'était naturelle. Il y avait
+bien des pieds un peu larges dans des souliers de satin
+un peu rustiques, des bras un peu rouges sous des manches
+de dentelle, des cous un peu hâlés sous des colliers
+de perles, et des corsages un peu robustes sous des ceintures
+de moire. Il y avait bien aussi sur l'habit des
+hommes une légère odeur de tabac de la régie, dans l'office
+un parfum de vin chaud un peu brutal, dans l'air un
+nuage de poussière un peu agreste, et pourtant c'était
+une charmante fête, une aimable réunion, sur ma parole!
+La musique n'était pas beaucoup plus mauvaise que celle
+de Port-Louis ou de Saint-Paul. Les modes n'étaient, à
+coup sûr, ni aussi arriérées, ni aussi exagérées que celles
+qu'on prétend suivre à Calcutta; en outre, les femmes
+étaient généralement plus blanches, les hommes moins
+rudes et moins bruyants.</p>
+
+<p>A tout prendre, pour moi qui n'avais point vu les merveilles
+de la civilisation poussées à la dernière limite, pour
+moi qui n'avais vu l'opéra qu'en Amérique et le bal qu'en
+Asie, le bal à peu près public et général de la petite ville
+pouvait bien sembler pompeux et enivrant, si l'on considère
+d'ailleurs la profonde sensation qu'y produisait mon
+habit et le succès incontestable que j'obtins d'emblée à
+la fin de la première contredanse.</p>
+
+<p>Mais ces joies naïves de l'amour-propre firent bientôt
+place à un sentiment plus conforme à ma nature inflammable
+et contemplative. Une femme entra dans le bal et
+j'oubliai toutes les autres; j'oubliai même mon triomphe
+et mon habit neuf. Je n'eus plus de regards et de pensées
+que pour elle.</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-2.png" alt=""></div>
+
+
+<p>Oh! c'est qu'elle était vraiment bien belle, et qu'il
+n'était pas besoin d'avoir vingt-cinq ans et d'arriver de
+l'Inde pour en être frappé. Un peintre célèbre qui passa,
+l'année suivante, dans la ville, arrêta sa chaise de poste
+en l'apercevant à sa fenêtre, fit dételer les chevaux et
+resta huit jours à l'auberge du Lion-d'Argent, cherchant
+par tous les moyens possibles à pénétrer jusqu'à elle
+pour la peindre. Mais jamais il ne put faire comprendre
+à sa famille qu'on pouvait par amour de l'art faire le
+portrait d'une femme sans avoir l'intention de la séduire.
+Il fut éconduit, et la beauté de Cora n'est restée empreinte
+que dans le cerveau peut-être de ce grand artiste,
+et dans le coeur d'un pauvre fonctionnaire destitué de
+l'administration des postes.</p>
+
+<p>Elle était d'une taille moyenne admirablement proportionnée,
+souple comme un oiseau, mais lente et fière
+comme une dame romaine. Elle était extraordinairement
+brune pour le climat tempéré où elle était née; mais sa
+peau était fine et unie comme la cire la mieux moulée.
+Le principal caractère de sa tête régulièrement dessinée,
+c'était quelque chose d'indéfinissable, de surhumain,
+qu'il faut avoir vu pour le comprendre; des lignes
+d'une netteté prestigieuse, de grands yeux d'un vert si
+pâle et si transparent qu'ils semblaient faits pour lire
+dans les mystères du monde intellectuel plus que dans
+les choses de la vie positive; une bouche aux lèvres
+minces, fines et pâles, au sourire imperceptible, aux
+rares paroles; un profil sévère et mélancolique, un regard
+froid, triste et pensif, une expression vague de
+souffrance, d'ennui et de dédain; et puis des mouvements
+doux et réservés, une main effilée et blanche,
+beauté si rare chez les femmes d'une condition médiocre;
+une toilette grave et simple, discernement si étrange chez
+une provinciale; surtout un air de dignité calme et inflexible
+qui aurait été sublime sous la couronne de diamants
+d'une reine espagnole, et qui, chez cette pauvre
+fille, semblait être le sceau du malheur, l'indice d'une
+organisation exceptionnelle.</p>
+
+
+<p>Car c'était la fille... le dirai-je? il le faut bien: Cora
+était la fille d'un épicier.</p>
+
+<p>O sainte poésie, pardonne-moi d'avoir tracé ce mot!
+Mais Cora eût relevé l'enseigne d'un cabaret. Elle se fût
+détachée comme l'ange de Rembrandt au-dessus d'un
+groupe flamand. Elle eût brillé comme une belle fleur
+au milieu des marécages. Du fond de la boutique de son
+père, elle eût attiré sur elle le regard du grand Scott.
+Ce fut sans doute une beauté ignorée comme elle qui
+inspira l'idée charmante de <i>la belle fille de Perth</i>.</p>
+
+<p>Et elle s'appelait Cora; elle avait la voix douce, la démarche
+réservée, l'attitude rêveuse. Elle avait la plus
+belle chevelure brune que j'aie vue de ma vie, et seule,
+entre toutes ses compagnes, elle n'y mêlait jamais aucun
+ornement. Mais il y avait plus d'orgueil dans le luxe de
+ses boucles épaisses que dans l'éclat d'un diadème. Elle
+n'avait pas non plus de collier ni de fleurs sur la poitrine.
+Son dos brun et velouté tranchait fièrement sur la dentelle
+blanche de son corsage. Sa robe bleue la faisait paraître
+encore plus brune de ton et plus sombre d'expression.
+Elle semblait tirer vanité du caractère original de
+sa beauté.</p>
+
+
+
+<p>Elle semblait avoir deviné qu'elle était belle autrement
+que toutes les autres: car je n'ai pas besoin de vous le
+dire, Cora étant d'un type rare et d'un coloris oriental,
+Cora ressemblant à la juive Rebecca, ou à la Juliette de
+Shakespeare, Cora majestueuse, souffrante et un peu farouche,
+Cora qui n'était ni rose, ni replette, ni agaçante,
+ni gentille, n'était ni aperçue ni soupçonnée dans la foule.
+Elle vivait là comme une rose épanouie dans le désert,
+comme une perle échouée sur le sable, et la première
+personne venue, à qui vous eussiez exprimé votre admiration
+à la vue de Cora, vous eût répondu: Oui, elle ne
+serait pas mal si elle était plus blanche et moins maigre.</p>
+
+<div class="droite"><img src="images/ill-3.png" alt=""></div>
+
+<p>J'étais si troublé auprès d'elle, si subitement épris,
+que vraiment j'oubliais toute la confiance qu'eussent dû
+m'inspirer mon habit neuf et mon gilet à rosaces. Il est
+vrai qu'elle y accordait fort peu d'attention, qu'elle écoutait
+d'un air distrait des fadeurs qui me faisaient suer
+sang et eau à débiter, qu'elle laissait, à chaque invitation
+de ma part, tomber de ses lèvres un mot bien faible, et,
+dans ma main tremblante, une main dont je sentais la
+froideur au travers de son gant. Hélas! qu'elle était indifférente
+et hautaine, la fille de l'épicier! Qu'elle était
+singulière et mystérieuse, la brune Cora! Je ne pus jamais
+obtenir d'elle, dans toute la durée de la nuit, qu'une
+demi-douzaine de monosyllabes.</p>
+
+<p>Il m'arriva le lendemain de lire, pour le malheur de
+ma vie, les Contes fantastiques. Pour mon malheur encore,
+aucune créature sous le ciel ne semblait être un
+type plus complet de la beauté fantastique et de la poésie
+allemande que Cora aux yeux verts et au corsage diaphane.</p>
+
+<p>Les adorables poésies d'Hoffman commençaient à circuler
+dans la ville. Les matrones et les pères de famille
+trouvaient le genre détestable et le style de mauvais
+goût. Les notaires et les femmes d'avoués faisaient surtout
+une guerre à mort à l'invraisemblance des caractères
+et au romanesque des incidents. Le juge de paix du
+canton avait l'habitude de se promener autour des tables
+dans le cabinet de lecture, et de dire aux jeunes gens
+égarés par cette poésie étrangère et subversive: <i>Rien
+n'est beau que le vrai</i>, etc. Je me souviens qu'un vaurien
+de lycéen, en vacances, lui dit à cette occasion en
+le regardant fixement:</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, cette grosse verrue que vous avez au
+milieu du nez est sans doute postiche?</p>
+
+<p>Malgré les remontrances paternelles, malgré les anathèmes
+du <i>principal</i> et des professeurs de sixième, le
+mal gagna rapidement, et une grande partie de la jeunesse
+fut infectée du venin mortel. On vit de jeunes débitants
+de tabac se modeler sur le type de Kressler, et
+des surnuméraires à l'enregistrement s'évanouir au son
+lointain d'une cornemuse ou d'une chanson de jeune fille.</p>
+
+<p>Pour moi, je confesse et je déclare ici que je perdis
+complètement la tête. Cora réalisait tous les rêves enivrants
+que le poëte m'inspirait, et je me plaisais à la gratifier
+d'une nature immatérielle et féerique qui réellement
+semblait avoir été imaginée pour elle. J'étais heureux
+ainsi. Je ne lui parlais pas, je n'avais aucun titre pour
+m'approcher d'elle. Je ne recueillais aucun encouragement
+à ma passion; je n'en cherchais même pas. Seulement,
+je quittai la maison du notaire et je louai une
+misérable chambre directement en face de la maison de
+l'épicier. Je garnis ma fenêtre d'un épais rideau, dans
+lequel je pratiquai des fentes habilement ménagées. Je
+passais là en extase toutes les heures que je pouvais dérober
+à mon travail.</p>
+
+<p>La rue était déserte et silencieuse. Cora était assise à
+sa fenêtre au rez-de-chaussée. Elle lisait. Que lisait-elle?
+Il est certain qu'elle lisait du matin au soir. Et puis elle
+posait son livre sur un vase de giroflée jaune qui brillait
+à la fenêtre. Et la tête penché sur sa main, les boucles de
+ses beaux cheveux nonchalamment mêlées aux fleurs d'or
+et de pourpre, l'oeil fixe et brillant, elle semblait percer le
+pavé et contempler, à travers la croûte épaisse de ce sol
+grossier, les mystères de la tombe et de la reproduction
+des essences fécondantes, assister à la naissance de la
+fée aux Roses, et encourager le germe d'un beau génie
+aux ailes d'or dans le pistil d'une tulipe.</p>
+
+<p>Et moi je la regardais, j'étais heureux. Je me gardais
+bien de me montrer, car, au moindre mouvement du rideau,
+au moindre bruit de ma fenêtre, elle disparaissait
+comme un songe. Elle s'évanouissait comme une vapeur
+argentée dans le clair-obscur de l'arrière-boutique; je me
+tenais donc là, immobile, retenant mon souffle, imposant
+silence aux battements de mon coeur, quelquefois à genoux
+implorant ma fée dans le silence, envoyant vers elle
+les brûlantes aspirations d'une âme que son essence magique
+devait pénétrer et entendre. Parfois je m'imaginais
+voir mon esprit et le sien voltiger enlacés dans un de ces
+rayons de poussière d'or que le soleil de midi infiltrait
+dans la profondeur étroite et anguleuse delà rue. Je m'imaginais
+voir partir de son oeil limpide comme l'eau qui court
+sur la mousse, un trait brûlant qui m'appelait tout entier
+dans son coeur.</p>
+
+<p>Je restai là tout le jour, égaré, absurde, ridicule; mais
+exalté, mais amoureux, mais jeune! mais inondé de poésie
+et n'associant personne aux mystères de ma pensée
+et ne sentant jamais mes élans entravés par la crainte de
+tomber dans le mauvais goût, n'ayant que Dieu pour juge
+et pour confident de mes rêves et de mes extases.</p>
+
+<p>Puis, quand le jour finissait, quand la pâle Cora fermait
+sa fenêtre et tirait son rideau, j'ouvrais mes livres favoris
+et je la retrouvais sur les Alpes avec Manfred, chez le
+professeur Spallanzani avec Nathanaël, dans les cieux
+avec Oberon.</p>
+
+<p>Mais, hélas! ce bonheur ne fut pas de bien longue
+durée. Jusque-là personne n'avait découvert la beauté de
+Cora; j'en jouissais tout seul. Elle n'était comprise et
+adorée que par moi. La contagion fantastique, en se répandant
+parmi les jeunes gens de la ville, jeta un trait
+de lumière sur la romantique bourgeoise.</p>
+
+<p>Un impertinent bachelier s'avisa un matin, en passant
+devant ses fenêtres, de la comparer à Anne de Gierstern, la
+fille du brouillard. Ce mot fit fortune: on le répéta au bal.
+Les <i>inspirés</i> de l'endroit remarquèrent la danse molle et
+aérienne de Cora. Un autre génie de la société la compara
+à la reine Mab. Alors, chacun voulant faire montre de
+son érudition, apporta son épithète et sa métaphore, et la
+pauvre fille en fut écrasée à son insu. Quand ils eurent
+assez profané mon idole avec leurs comparaisons, ils l'entourèrent,
+ils l'accablèrent de soins et de madrigaux, ils
+la firent danser jusqu'à l'extinction des quinquets, ils me
+la rendirent le lendemain fatiguée de leur esprit, ennuyée
+de leur babil, flétrie de leur admiration; et ce qui acheva
+de me briser le coeur, ce fut de voir apparaître à la fenêtre
+le profil arrondi et jovial d'un gros étudiant en pharmacie
+à côté du profil grec et délié de ma sylphide.</p>
+
+<p>Pendant bien des matins et bien des soirs, je vins
+derrière le rideau mystérieux essayer de combattre le
+charme que mon odieux rival avait jeté sur la famille de
+l'épicier. Mais en vain j'invoquai l'amour, le diable et tous
+les saints, je ne pus écarter sa maligne influence. Il revint,
+sans se lasser, tous les jours s'asseoir à côté de
+Cora, dans l'embrasure de la fenêtre, et il lui parlait.
+De quoi osait-il lui parler, le malheureux! La figure impénétrable
+de Cora n'en trahissait rien. Elle semblait
+écouter ses discours sans les entendre, et à l'imperceptible
+mouvement de ses lèvres, je devinais quelquefois
+qu'elle lui répondait froidement et brièvement comme
+elle avait l'habitude de le faire, et puis la conversation
+semblait languir.</p>
+
+<p>Le couple contraint et ennuyé étouffait de part et
+d'autre des bâillements silencieux. Cora regardait tristement
+son livre fermé sur la fenêtre et que la présence
+de son adorateur l'empêchait de continuer. Puis elle appuyait
+son coude sur le pot de giroflées et le menton sur
+la paume de sa main, et le regardant d'un regard fixe et
+glacial, elle semblait étudier les fibres grossières de son
+organisation morale au travers de la loupe de maître
+Floh.</p>
+
+<p>Après tout, elle supportait ses assiduités comme un
+mal nécessaire; car, au bout de six semaines, l'apprenti
+pharmacien conduisit la belle Cora au pied des autels,
+où ils reçurent la bénédiction nuptiale. Cora était admirablement
+chaste et sévère sous son costume de mariée.
+Elle avait l'air calme, indifférent, ennuyé comme toujours.
+Elle traversa la foule avide d'un pas aussi mesuré
+qu'à l'ordinaire, et promena sur les curieux ébahis son
+oeil sec et scrutateur. Quand il rencontra ma figure morne
+et flétrie, il s'y arrêta un instant et sembla dire: Voici
+un homme qui est incommodé d'un catarrhe ou d'un mal
+de dents.</p>
+
+<p>Pour moi, j'étais si désespéré, que je sollicitai mon
+changement ...</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>II.</h3>
+
+
+<p>Mais je ne l'obtins pas, et je restai témoin du bonheur
+d'un autre. Alors je pris le parti de tomber malade, ce
+qui me sauva du désespoir, ainsi qu'il arrive toujours en
+pareil cas.</p>
+
+<p>Si dégoûté qu'on soit de la vie, il est certain que, lorsque
+la fatalité nous y retient malgré nous, la faiblesse
+humaine ne peut s'empêcher de remercier secrètement
+la fatalité. La mort est si laide qu'aucun de nous ne la
+voit de près sans effroi. Bien magnanimes sont ceux qui
+enfoncent le rasoir jusqu'à l'artère carotide, ou qui avalent
+le poison jusqu'au fond de la coupe. (Je dis la <i>coupe</i>,
+parce qu'il n'est pas séant et presque impossible de s'empoisonner
+dans un vase qui porte un autre nom quelconque.)</p>
+
+<p>Oui, le proverbe d'Ésope est la sagesse des nations.
+Nous aimons la vie comme une maîtresse que nous convoitons
+encore avec les sens, après même que toute estime
+et toute affection pour elle sont éteintes en nous. Le
+soir où je vis un prêtre et un médecin convenablement
+graves à mon chevet, je n'eus pas la force de m'enquérir
+vis-à-vis de moi-même de ce que j'en ressentais de joie
+ou de peine. Mais quand, un matin, je m'éveillai faible
+et languissant, et que je vis la garde-malade endormie
+profondément sur sa chaise, le soleil brillant sur les toits
+et les fioles pharmaceutiques vides sur le guéridon, quand
+je me hasardai à remuer et que je sentis ma tête sans
+douleur, mes membres légers, et mon corps débile dégagé
+de tous les liens de fer de la souffrance, je ressentis un
+insurmontable sentiment de bien-être et de reconnaissance
+envers le ciel.</p>
+
+<p>Et puis je me rappelai Cora et son mariage, et j'eus
+honte de la joie que je venais d'éprouver; car, après les
+ferventes prières que j'avais adressées à Dieu et au médecin
+pour être délivré de la vie, c'était une inconséquence
+sans pareille que d'en accepter le retour sans
+colère et sans amertume. Je me mis donc à répandre des
+larmes. La jeunesse est si riche en émotions de tout genre,
+qu'il lui est possible de se torturer elle-même en dépit de
+la force de l'espoir, de la poésie, de tous les bienfaits
+dont l'a douée la Providence. Je lui reprochai, moi, d'avoir
+été plus sage que moi, et de n avoir pas permis
+qu'un amour bizarre et presque imaginaire me conduisît
+au tombeau. Puis je me résignai et j'acceptai la volonté
+de Dieu, qui rivait ma chaîne et me condamnait à jouir
+encore de la vue du ciel, de la beauté de la nature et de
+l'affection de mes proches.</p>
+
+<p>Quand je fus assez fort pour me lever, je m'approchai
+de la fenêtre avec un inexprimable serrement de coeur.
+Cora était là; elle lisait. Elle était toujours belle, toujours
+pâle, toujours seule. J'eus un sentiment de joie. Elle
+m'était donc rendue, ma fée aux yeux verts; ma belle
+rêveuse solitaire! Je pourrais la contempler encore et
+nourrir en secret cette passion extatique que le regard
+d'un rival m'avait forcé de refouler si longtemps! Tout
+à coup elle releva sa tête brune, et ses yeux, errant au
+hasard sur la muraille, aperçurent ma face pâle qui se
+penchait vers elle. Je tressaillis, je crus qu'elle allait fuir
+comme à l'ordinaire. Mais, ô transport! elle ne s'enfuit
+point. Au contraire, elle m'adressa un salut plein de politesse
+et de douceur, puis elle reporta son attention sur
+son livre, et resta sous mes yeux absolument indifférente
+à l'assiduité de mes regards; mais du moins elle
+resta.</p>
+
+<p>Un homme plus expérimenté que moi eût préféré l'ancienne
+sauvagerie de Cora à l'insouciance avec laquelle
+désormais elle bravait le face-à-face. Mais pouvais-je résister
+au charme qu'elle venait de jeter sur moi avec son
+salut bienveillant et gracieux? Je m'imaginai tout ce qu'il
+peut entrer de chaste intérêt et de bienveillance réservée
+dans un modeste salut de femme. C'était la première
+marque de connaissance que me donnait Cora. Mais avec
+quelle ingénieuse délicatesse elle choisissait l'instant de
+me la donner! Combien il entrait de compassion généreuse
+dans ce faible témoignage d'un intérêt timide et
+discret! Elle n'osait point me demander si j'étais mieux.
+D'ailleurs elle le voyait, et son salut valait tout un long
+discours de félicitations.</p>
+
+<p>Je passai toute la nuit à commenter ce charmant salut,
+et le lendemain, à l'heure où Cora reparut, je me hasardai
+à risquer le premier témoignage de notre intelligence
+naissante. Oui, j'eus l'audace de la saluer profondément;
+mais je fus si bouleversé de ce que j'osais faire, que je
+n'eus point le courage de fixer mes yeux sur elle. Je les
+tins baissés avec crainte et respect, ce qui fit que je ne
+pus point savoir si elle me rendait mon salut, ni de quel
+air elle me le rendait.</p>
+
+<p>Troublé, palpitant, plein d'espoir et de terreur, je restais
+le front caché dans mes mains, n'osant plus montrer
+mon visage, lorsqu'une voix s'éleva dans le silence de la
+rue, et, montant vers moi, m'adressa ces douces paroles:</p>
+
+<p>&mdash;Il parait, Monsieur, que votre santé est meilleure?</p>
+
+<p>Je tressaillis, je retirai ma tête de mes mains; je regardai
+Cora, je ne pouvais en croire mes oreilles, d'autant
+plus que la voix était un peu rude, un peu mâle, et
+que je m'étais toujours imaginé la voix de Cora plus douce
+que celle de la brise d'avril caressant les fleurs naissantes.
+Mais comme je la contemplais d'un air éperdu,
+elle réitéra sa question dans des termes dont la douceur
+me fit oublier l'accent un peu indigène et le timbre un
+peu vigoureux de sa voix.</p>
+
+<p>&mdash;Je vois avec plaisir, dit-elle, que monsieur Georges
+se porte mieux.</p>
+
+<p>Je voulus faire une réponse qui exprimât l'enthousiasme
+de ma reconnaissance; mais cela me fut impossible:
+je pâlis, je rougis, je balbutiai quelques paroles
+inintelligibles; je faillis m'évanouir.</p>
+
+<p>A ce moment, l'épicier, le père de ma Cora, approchant
+son profil osseux de la fenêtre, lui dit d'un ton rauque,
+mais pourtant bienveillant:</p>
+
+<p>&mdash;A qui parles-tu donc, mignonne?</p>
+
+<p>&mdash;A notre voisin, M. Georges, qui est enfin convalescent
+et que je vois à sa fenêtre.</p>
+
+<p>&mdash;Ah! j'en suis charmé, dit l'épicier, et, soulevant
+son bonnet de loutre: Comment va la santé, mon cher
+voisin?</p>
+
+<p>Je remerciai avec plus d'assurance le père de ma bien-aimée.
+J'étais le plus heureux des mortels; j'obtenais
+enfin un peu d'intérêt de cette famille naguère si farouche
+et si méfiante envers moi. Mais hélas! pensais-je presque
+aussitôt, que me sert à présent d'être plaint et consolé?
+Cora n'est-elle pas pour jamais unie à un autre?</p>
+
+<p>L'épicier, appuyant ses deux coudes sur sa fenêtre,
+entama alors avec moi une conversation affectueuse et
+bienveillante sur la beauté de la journée, sur le plaisir de
+revenir à la vie par un si bon soleil, sur l'excellence des
+gilets de flanelle en temps de convalescence, et les bienfaisants
+effets de l'eau miellée et du sirop de gomme sur
+les poitrines fatiguées et les estomacs débilités.</p>
+
+<p>Jaloux de soutenir et de prolonger un entretien si précieux,
+je lui répondis par des compliments flatteurs sur
+la beauté des giroflées qui fleurissaient à sa fenêtre, sur
+la grâce mignonne et coquette de son chat qui dormait
+au soleil devant la porte, et sur la bonne exposition de
+sa boutique qui recevait en plein les rayons du soleil de
+midi.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, répondit l'épicier, au commencement du
+printemps les rayons du soleil ne sont point à dédaigner;
+plus tard ils deviennent un peu trop bons....</p>
+
+<p>A cet entretien cordial et ingénu, Cora mêlait de temps
+en temps des réflexions courtes et simples, mais pleines
+de bon sens et de justesse; j'en conclus qu'elle avait un
+jugement droit et un esprit positif.</p>
+
+<p>Puis, comme j'insistais sur l'avantage d'avoir la façade
+de son logis exposée au midi, Cora, inspirée par le ciel
+et par la beauté de son âme, dit à son père:</p>
+
+<p>&mdash;Au fait, la chambre de M. Georges exposée au nord
+doit encore être assez fraîche dans ce temps-ci. Peut-être,
+si vous lui proposiez de venir s'asseoir une heure
+ou deux chez nous, serait-il bien aise de voir le soleil en
+face?</p>
+
+<p>Puis elle se pencha vers son oreille, et lui dit tout bas
+quelques mots qui semblèrent frapper vivement l'épicier.</p>
+
+<p>&mdash;C'est bien, ma fille, s'écria-t-il d'un ton jovial
+Vous plairait-il, monsieur Georges, d'accepter une chaise
+à côté de ma Cora?</p>
+
+<p>&mdash;O mon Dieu! pensai-je, si c'est un rêve, faites que
+je ne m'éveille point.</p>
+
+<p>Une minute après, le généreux épicier était dans ma
+chambre et m'offrait son bras pour descendre. J'étais
+ému jusqu'aux larmes et je lui pressai les mains avec
+une effusion qui le surprit, tant son action lui paraissait
+naturelle.</p>
+
+<p>Au seuil de ma maison, je trouvai Cora qui venait pour
+aider son père à me soutenir en traversant la rue. Jusque-là
+je me sentais la force d'aller vers elle; mais dès
+qu'elle toucha mon bras, dès que sa main longue et
+blanche effleura mon coude, je me sentis défaillir, et je
+perdis le sentiment de mon bonheur pour l'avoir senti
+trop vivement.</p>
+
+<p>Je revins à moi sur un grand fauteuil de cuir à clous
+dorés, qui, depuis cinquante ans, servait de trône au patriarcal
+épicier. Sa digne compagne me frottait les tempes
+avec du vulnéraire, et Cora, la belle Cora, tenait sous
+mes narines son mouchoir imbibé d'alcool. Je faillis m'évanouir
+de nouveau; je voulus remercier, mais je
+n'avais pas d'expressions pour peindre ma gratitude;
+pourtant, dans un moment où l'épicier, me voyant mieux,
+se retirait, et ou sa femme passait dans l'arrière-boutique
+pour me chercher un verre d'eau de réglisse, je dis
+à Cora en levant sur elle mon oeil languissant:</p>
+
+<p>&mdash;Ah! Madame, pourquoi ne m'avoir pas laissé mourir?
+j'étais si heureux tout à l'heure!</p>
+
+<p>Elle me regarda d'un air étonné et me dit d'un ton
+affectueux:&mdash;Remettez-vous, Monsieur, vous avez de la
+fièvre, je le vois bien.</p>
+
+<p>Quand je fus tout à fait remis de mon trouble, l'épicière
+retourna à la boutique, et je restai seul avec Cora.</p>
+
+<p>Comme le coeur me battit alors! Mais elle était calme,
+et sa sérénité m'imposait tant de respect que je pris sur
+moi de paraître calme aussi.</p>
+
+<p>Cependant ce tête-à-tête devint pour moi d'un cruel
+embarras. Cora n'aimait point à parler. Elle répondait
+brièvement à toutes les choses que je tirais de mon cerveau
+avec d'incroyables efforts, et, quoi que je fisse, jamais
+ses réponses n'étaient de nature à nouer l'entretien;
+sur quelque matière que ce fût, elle était de mon
+avis. Je ne pouvais pas m'en plaindre, car je lui disais de
+ces choses sensées qu'il n'est pas possible de combattre à
+moins d'être fou. Par exemple, je lui demandai si elle aimait
+la lecture.&mdash;Beaucoup, me répondit-elle.&mdash;C'est
+qu'en effet, repris-je, c'est une si douce occupation!&mdash;En
+effet, reprit-elle, c'est une très-douce occupation.&mdash;Pourvu,
+ajoutai-je, que le livre qu'on lit soit beau et intéressant.&mdash;Oh!
+certainement, ajouta-t-elle.&mdash;Car, poursuivis-je,
+il en est de bien insipides.&mdash;Mais aussi, poursuivit-elle,
+il en est de bien jolis.&mdash;Cet entretien eut pu
+nous mener loin si je me fusse senti la hardiesse de l'interroger
+sur le genre de ses lectures. Mais je craignis que
+cela ne fût indiscret, et je me bornai à jeter un regard
+furtif sur le livre entr'ouvert au pied de la giroflée. C'était
+un roman d'Auguste Lafontaine. J'eus la sottise d'en être
+affecté d'abord. Et puis, en y réfléchissant, je trouvai dans
+le choix de cette lecture une raison d'admirer la simplicité
+et la richesse d'un coeur qui pouvait puiser là des émotions
+attachantes. Je parcourus de l'oeil une pile de volumes
+délabrés qui gisaient sur un rayon près de moi. Je ne
+nommerai point les auteurs chéris de ma Cora; les lecteurs
+blasés en riraient, et moi, dans ma vaine enflure
+de poëte, je faillis en être froissé.... Mais je revins bientôt
+à la raison en comparant les ressources d'un esprit si
+neuf et d'une âme si virginale à la vieillesse prématurée
+de nos imaginations épuisées. Il y avait dans la vie intellectuelle
+des trésors auxquels Cora n'avait pas encore
+touché, et l'homme qui serait assez heureux pour les lui
+révéler verrait s'épanouir sous son souffle la plus belle
+oeuvre de la création, le coeur d'une femme ingénue!...</p>
+
+<p>Je rentrai chez moi enthousiasmé de Cora, dont l'ignorance
+était si candide et si belle. J'attendis l'heure d'y
+retourner le jour suivant, sans pourtant espérer cette
+nouvelle faveur. Elle reparut avec sa mère, qui m'invita
+à descendre. Quand je fus installé dans le grand fauteuil,
+je vis une sorte d'agitation inquiète dans la famille. Puis
+l'épicier s'assit vis-a-vis de moi avec un air hypocritement
+naïf. J'étais agité moi-même, je craignais et je désirais
+l'explication de cette contenance.</p>
+
+<p>&mdash;Puisque vous vous trouvez bien ici, monsieur
+Georges, dit-il enfin en posant ses deux mains sur ses rotules
+replètes, j'espère que vous y viendrez sans façon
+vous reposer tant que vous ne serez pas assez fort pour
+aller vous distraire ailleurs.</p>
+
+<p>&mdash;Généreux homme! m'écriai-je.</p>
+
+<p>&mdash;Non, dit-il en souriant, cela ne vaut point un remerciement:
+entre voisins on se doit assistance, et, Dieu
+merci! nous n'avons jamais refusé la nôtre aux honnêtes
+gens: car je présume que vous êtes un brave jeune
+homme, monsieur Georges, vous en avez parfaitement
+l'air, et je me sens de la confiance en vous.</p>
+
+<p>&mdash;J'en suis honoré, répondis-je avec embarras.</p>
+
+<p>&mdash;Ainsi, Monsieur, poursuivit le digne homme avec
+gaieté, en se levant, restez avec notre Cora tant que
+vous voudrez. C'est une fille d'esprit, voyez-vous! une
+personne qui a vécu dans les livres, et dont la mère n'a
+jamais voulu contrarier le goût. Aussi, elle en sait plus
+que nous à présent, et vous trouverez de l'agrément dans
+sa société, j'en réponds.</p>
+
+<p>&mdash;Il y a bien longtemps, répondis-je en rougissant et
+en jetant sur Cora un regard timide, que je me serais estimé
+heureux de cette faveur.... Elle est venue bien tard,
+hélas! au gré de mon impatience....</p>
+
+<p>&mdash;Ah! dame, dit l'épicier en ricanant, c'est qu'il y a
+deux mois, voyez-vous, la chose n'était pas possible.
+Cora n'était pas mariée, et...à moins de se présenter ici
+avec l'intention de l'épouser, avec de bonnes et franches
+propositions de mariage, aucun garçon n'obtenait de sa
+mère l'entrée de cette chambre. Vous savez, Monsieur,
+comme il faut veiller sur une jeune fille pour empêcher
+les mauvaises langues de lui faire tort; à présent que
+voici l'enfant établie, comme nous sommes sûrs de sa moralité,
+nous la laissons tout à fait libre, et puis...d'ailleurs
+(ici l'épicier baissa la voix), pâle et faible comme
+vous voilà, personne ne pensera que vous songiez à supplanter
+un mari jeune et bien portant.... L'épicier termina
+sa phrase par un gros rire. Je devins pâle comme la
+mort, et je n'osai pas lever les yeux sur Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Tenez, tenez, ne vous fâchez pas d'une plaisanterie,
+mon cher voisin, reprit-il: vous ne serez pas toujours
+convalescent, et bientôt peut-être les pères et les
+maris vous surveilleront de plus près.... En attendant,
+restez ici; Cora vous tiendra compagnie, et d'ailleurs je
+crois qu'elle a quelque chose à vous dire.</p>
+
+<p>&mdash;A moi? m'écriai-je en regardant Cora.</p>
+
+<p>&mdash;Oui, oui, reprit le père, c'est une petite affaire délicate...voyez-vous,
+et qu'une jeune femme entendra
+mieux qu'un vieux bonhomme. Allons, au revoir, monsieur
+Georges.</p>
+
+<p>Il sortit. Je restai encore une fois seul avec Cora, et
+cette fois elle avait une <i>affaire délicate</i> à traiter avec
+moi: elle allait me confier un secret peut-être, une peine
+de son coeur, un malheur de sa destinée: ah! sans doute, il
+y avait un grand et profond mystère dans la vie de cette
+fille si mélancolique et si belle! son existence ne pouvait
+pas être arrangée comme celle des autres. Le ciel ne lui
+avait pas départi une si miraculeuse beauté sans la lui
+faire expier par des trésors de douleur. Enfin, me disais-je,
+elle va les épancher dans mon sein, et je pourrai peut-être
+en prendre une partie pour la soulager!</p>
+
+<p>Elle resta un peu confuse devant moi. Puis elle fouilla
+dans la poche de son tablier de taffetas noir et en tira un
+papier plié.</p>
+
+<p>&mdash;En vérité, Monsieur, dit-elle, c'est bien peu de
+chose: je ne sais pourquoi mon père me charge de vous
+le dire; il devrait savoir qu'un homme d'esprit comme
+vous ne s'offense pas d'une demande toute naturelle....
+Sans tout ce qu'il vient de dire, je ne serais pas embarrassée,
+mais....</p>
+
+<p>&mdash;Achevez, au nom du ciel, m'écriai-je avec ferveur;
+ô Cora! si vous connaissiez mon coeur, vous n'hésiteriez
+pas un instant à m'ouvrir le vôtre.</p>
+
+<p>&mdash;Eh bien, Monsieur, dit Cora émue, voici ce dont il
+s'agit. Elle déplia le papier et me le présenta. J'y jetai les
+yeux, mais ma vue était troublée, ma main tremblante,
+il me fallut prendre haleine un instant avant de comprendre.
+Enfin je lus: «Doit M. Georges à M***, épicier
+droguiste, pour objets de consommation fournis durant sa
+maladie....</p>
+
+<div class="poem"> <div class="stanza">
+<p>12 l. cassonade pour sirops et tisanes, ci.</p>
+<p>Savon fourni à sa garde-malade, ci-contre.</p>
+<p>Chandelle. . . . . . . . . . . . . . . . .</p>
+<p>Centaurée fébrifuge, etc., etc. . . . . . .</p>
+<p class="i10"> &mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;&mdash;</p>
+<p class="i10"> Total. . . . . . 30 fr. 50 c.</p>
+ </div><div class="stanza">
+<p class="i10"> Pour acquit, CORA **&mdash;»</p>
+ </div> </div>
+
+<p>Je la regardai d'un air égaré.&mdash;Véritablement, Monsieur,
+me dit-elle, vous trouvez peut-être cette demande
+indiscrète, et vous n'êtes pas encore assez bien portant
+pour qu'il soit agréable d'être importuné d'affaires. Mais
+nous sommes fort gênés, le commerce va si mal, le loyer
+de notre boutique est fort cher...et Cora parla longtemps
+encore. Je ne l'entendis point. Je balbutiai quelques mots
+et je courus, aussi vite que mes forces me le permirent,
+chercher la somme que je devais à l'épicier. Puis je rentrai
+chez moi atterré, et je me mis au lit avec un mouvement
+de fièvre.</p>
+
+<p>Mais le lendemain je revins à moi avec des idées plus
+raisonnables. Je me demandai pourquoi ce mépris idiot et
+superbe pour les détails de la vie bourgeoise? pourquoi
+l'impertinente susceptibilité des âmes poétiques qui
+croient se souiller au contact des nécessités prosaïques?
+pourquoi enfin cette haine absurde contre le positif de
+la vie?</p>
+
+<div class="dropcap"><img src="images/ill-4.png" alt=""></div>
+
+<p>Ingrat! pensai-je, tu te révoltes parce qu'un mémoire
+de savon et de chandelle a été rédigé et présenté par
+Cora, tandis que tu devrais baiser la belle main qui t'a
+fourni ces secours à ton insu durant ta maladie. Que serais-tu
+devenu, misérable rêveur, si un homme confiant
+et probe n'eût consenti à répandre sur toi les bienfaits de
+son industrie, sans autre gage de remboursement que ta
+mince garde-robe et ton misérable grabat? Et si tu étais
+mort sans pouvoir lire son mémoire et l'acquitter, où
+sont les héritiers qui auraient trouvé dans ta succession
+30 fr. 50 c. à lui remettre?</p>
+
+<p>Et puis je songeai que ces breuvages bienfaisants qui
+m'avaient sauvé de la souffrance et de la mort, c'était
+Cora qui les avait préparés. Qui sait, pensai-je, si elle n'a
+point composé un charme ou murmuré une prière qui
+leur ait donné la vertu de me guérir? N'y a-t-elle pas
+aussi mêlé une larme compatissante le jour où je touchai
+aux portes du tombeau? Larme divine! topique céleste!...</p>
+
+<p>J'en étais là quand l'épicier frappa à ma porte:&mdash;
+Tenez, monsieur Georges, me dit-il, ma femme et moi
+nous craignons de vous avoir fâché. Cora nous a dit que
+vous aviez eu l'air surpris et que vous aviez acquitté le
+mémoire sans dire un mot. Je ne voudrais pas que vous
+nous crussiez capables de méfiance envers vous. Nous
+sommes gênés, il est vrai. Notre commerce ne va pas
+très-bien; mais si vous aviez besoin d'argent, nous trouverions
+encore moyen de vous rendre le vôtre et même
+de vous en prêter un peu.</p>
+
+<p>Je me jetai dans ses bras avec effusion.&mdash;Digne vieillard,
+m'écriai-je, tout ce que je possède est à vous!...
+Comptez sur moi à la vie et à la mort. Je parlai longtemps
+avec l'exaltation de la fièvre. Il me regardait avec son
+gros oeil gris, rond comme celui d'un chat. Quand j'eus
+fini:&mdash;A la bonne heure, dit-il du ton d'un homme qui
+prend son parti sur l'impossibilité de deviner une énigme.
+Je vous prie de venir nous voir de temps en temps et de
+ne pas nous retirer votre pratique.</p>
+
+
+<br><br>
+
+<h3>III.</h3>
+
+
+<p>Je m'étonnais de ne plus voir le mari de Cora à la boutique
+ni auprès de sa femme. Je hasardai une craintive
+question. Elle me répondit que Gibonneau achevait son
+année de service en second sous les auspices du premier
+pharmacien de la ville. Il ne rentrait que le soir et sortait
+dès le matin. Ainsi le rustre pouvait ainsi voir s'écouler
+ses jours loin de la plus belle créature qui fût sous
+le ciel. Il possédait la plus riche perle du monde, et il se
+résignait tranquillement à la quitter pendant toute une
+moitié de sa vie, pour aller préparer des liniments et formuler
+des pilules!</p>
+
+<p>Mais aussi comme je remerciai le ciel qui l'avait condamné
+à cette vulgaire existence et qui semblait lui dénier
+une faveur dont il n'était pas digne, celle de voir sa
+douce compagne à la clarté du soleil! Il ne lui était permis
+de retourner vers elle qu'à l'heure où les chauve-souris
+et les hiboux prennent leur sombre volée et rasent
+d'une aile velue et silencieuse les flots transparents de la
+brume. Il venait dans l'ombre ainsi qu'un voleur de nuit,
+ainsi qu'un gnome malfaisant qui chevauche, le vent du
+soir et le météore trompeur des marécages. Il venait,
+ombre morne et lugubre, encore revêtu de son tablier,
+ainsi que d'un linceul, exhalant cette odeur d'aromate
+que l'on brûle autour des catafalques. Je le voyais quelquefois
+errer dans les ténèbres et glisser comme un
+spectre le long des murailles livides. Plusieurs fois je le
+rencontrai sur le seuil et je faillis l'écraser dans le ruisseau
+comme un ver de terre; mais je l'épargnai, car véritablement
+il avait l'encolure d'un buffle, et j'étais tout
+effilé et tout transparent des suites de la fièvre.</p>
+
+<p>Cora, veuve chaque jour, depuis l'aube jusqu'au crépuscule
+du soir, restait confiante près de moi. Je passais
+presque toutes mes journées assis sur le vieux fauteuil de
+la famille, ou, lorsque le soleil d'avril était décidément
+chaud, je m'asseyais sur le banc de pierre qui s'adossait
+à la fenêtre de Cora. Là, séparé d'elle seulement par les
+rameaux d'or de la giroflée, je respirais son haleine parmi
+les fleurs, je saisissais son long regard transparent et
+calme comme le flot sans rides qui dort sur les rives de
+la Grèce. Nous gardions tous deux le silence, mais mon
+coeur volait vers elle et convoitait le sien avec une force
+attractive dont il devait lui être impossible de ne pas
+sentir la puissance. Je m'endormis dans ce doux rêve.
+Pourquoi Cora ne m'aurait-elle pas aimé? Peut-être fallait-il
+dire: comment ne m'eût-elle pas aimé? Je l'aimais
+si éperdument, moi! toutes mes facultés intellectuelles
+se concentraient pour produire une force de désir et d'attente
+qui planait impérieusement sur Cora. Son âme, faite
+du plus beau rayon de la Divinité, pouvait-elle rester
+inerte sous le vol magnétique de cette pensée de feu? Je
+ne voulus point le croire, et je sentis mon coeur si pur,
+mes désirs si chastes, que je ne craignis bientôt plus d'offenser
+Cora en les lui révélant. Alors je lui parlai cette
+langue des cieux qu'il n'est donné qu'aux âmes poétiques
+d'entendre. Je lui exprimai les tortures ineffables et les
+divines souffrances de mon amour. Je lui racontai mes
+rêves, mes illusions, les milliers de poèmes et de vers
+alexandrins que j'avais faits pour elle. J'eus le bonheur
+de la voir, attentive et subjuguée, quitter son livre et se
+pencher vers moi d'un air pénétré pour m'entendre, car
+mes paroles avaient un sens nouveau pour elle, et je faisais
+entrer dans son esprit un ordre de pensées sublimes
+qu'il n'avait encore jamais osé aborder.</p>
+
+<p>&mdash;O ma Cora, lui disais-je, que pourrais-tu craindre
+d'une flamme aussi pure? L'éclair qui s'allume aux cieux
+n'est pas d'une nature plus subtile que le feu dont je me
+consume avec délice. Pourquoi ta sauvage pudeur, pourquoi
+ta superbe fierté de femme s'alarmeraient-elles d'un
+amour aussi intellectuel que le nôtre? Qu'un mari, qu'un
+maître, possède le trésor de la beauté matérielle qu'il a
+plu aux anges de te départir! pour moi, je ne chercherai
+jamais à lui ravir ce que Dieu, les hommes et ta parole,
+ô Cora! lui ont assuré comme son bien; le mien sera,
+si tu m'exauces, moins saisissable, moins enivrant, mais
+plus glorieux et plus noble. C'est la partie éthérée de ton
+âme que je veux, c'est ton aspiration brûlante vers le
+ciel que je veux étreindre et saisir, afin d'être ton ciel et
+ton âme, comme tu es mon Dieu et ma vie.»</p>
+
+<p>Ces choses semblaient obscures à Cora, son âme était
+si candide et si enfantine! Elle me regardait d'un oeil absorbé
+dans la stupeur, et pour lui faire mieux comprendre
+les divins mystères de l'amour platonique, je prenais mon
+crayon et je traçais des vers sur la muraille aux marges
+de sa fenêtre; puis je lui racontais les brillantes poésies
+de la nature invisible, les amours des anges et des fées,
+les souffrances et les soupirs des sylphes emprisonnés
+dans le calice des fleurs, puis les fougueuses passions des
+roses pour les brises, et réciproquement; puis les choeurs
+aériens qu'on entend le soir dans la nue, la danse sympathique
+des étoiles, les rondes du sabbat, les malices
+des farfadets et les découvertes ardues de l'alchimie.</p>
+
+<p>Notre bonheur semblait ne pouvoir être troublé par
+aucun événement extérieur. En prenant la poésie corps
+à corps, j'avais su si bien m'isoler, dans mon monde intellectuel,
+de toutes les entraves et de tous les écueils de
+la vie réelle, que je semblais n'avoir rien à craindre de
+l'intervention de ces volontés grossières et inintelligentes
+qui végétaient à l'entour de nous. Mes sentiments étaient
+d'une nature si élevée que je ne pouvais inspirer de rivalité
+d'aucun genre à l'homme vulgaire qui se disait le
+maître et l'époux de Cora.</p>
+
+<p>Pendant longtemps, en effet, il sembla comprendre le
+respect qu'il devait à une liaison protégée par le ciel.
+Mais au bout de six semaines, je vis un changement
+étrange s'opérer dans les manières de cette famille à mon
+égard. Le père me regardait d'un air ironique et méfiant
+chaque fois qu'il entrait dans la chambre où nous étions.
+La mère affectait d'y rester tout le temps qu'elle pouvait
+dérober aux affaires de sa boutique. Gibonneau, lorsque
+par hasard je venais à le rencontrer, me lançait de sinistres
+et foudroyantes oeillades; Cora elle-même devenait
+plus réservée, descendait plus tard au rez-de-chaussée,
+remontait plus tôt dans sa chambre, et quelquefois même
+passait des jours entiers sans paraître. Je m'en effrayai,
+et j'essayai de m'en plaindre. J'essayai de lui faire comprendre,
+avec l'éloquence que donne la passion, l'injustice
+et la barbarie de sa conduite. Elle m'écouta d'un air
+contraint, presque craintif, et je la vis regarder vers la
+porte d'un air d'inquiétude.</p>
+
+<p>&mdash;O Cora! m'écriai-je avec enthousiasme, serais-tu
+menacée de quelque danger? parle, parle! où sont tes
+ennemis, nomme-moi les infâmes qui font peser sur toi,
+frêle et céleste créature, les chaînes d'airain d'un joug
+détesté. Dis-moi quel est le démon qui comprime l'élan
+de ton coeur et refoule au fond de ton sein des épanchements
+naïfs, comme des remords amers? Va, je saurai
+bien les conjurer, je sais plus d'un charme pour enchaîner
+les démons de l'envie et de la vengeance, plus d'une
+parole magique pour appeler les anges sur nos têtes: les
+anges protecteurs qui sont tes frères, et qui sont moins
+purs, moins beaux que toi...</p>
+
+<p>J'élevai la voix en parlant, et je m'approchai de Cora
+pour saisir sa main qu'elle me retirait toujours. Alors je
+me levai, le front inondé de la sueur de l'enthousiasme,
+les cheveux en désordre, l'oeil inspiré...</p>
+
+<p>Cora poussa un grand cri, et son père, accourant
+comme si le feu eût pris à la maison, s'élança dans la
+chambre. Comme il s'avançait vers moi d'un air menaçant,
+Cora le saisit par le bras et lui dit avec douceur:&mdash;Laissez-le,
+mon père, il est dans un de ses accès, ne
+le contrariez point, cela va se passer.</p>
+
+<p>Je cherchai vainement le sens de ces paroles. Elle sortit,
+et l'épicier s'adressant à moi:&mdash;Allons, monsieur
+Georges, revenez à vous, personne ici ne songe à vous
+contrarier; mais en vérité vous n'êtes pas raisonnable...
+Allons, allons... rentrez chez vous et calmez-vous.</p>
+
+<p>Étourdi de ce discours plein de bonté, je cédai avec la
+douceur d'un enfant, et l'épicier me reconduisit chez
+moi. Une heure après, je vis entrer le procureur du roi
+et le médecin de la ville. Comme je les connaissais l'un
+et l'autre assez particulièrement, je ne m'étonnai pas de
+leur visite, mais je commençai à m'offenser de l'affectation
+avec laquelle le médecin s'empara de mon pouls,
+examinant avec soin l'expression de mon regard et la
+dilatation de ma pupille; puis il se mit à compter les battements
+de mes artères aux tempes et au cou, et à interroger
+la chaleur extérieure de mon cerveau avec le
+creux de sa main.</p>
+
+<p>&mdash;Qu'est-ce que tout cela signifie, Monsieur? lui dis-je;
+je ne vous ai point appelé pour une consultation. Je
+me sens assez bien pour me passer désormais de soins,
+et je ne suis point disposé à en recevoir malgré moi.</p>
+
+<p>Mais, au lieu de me répondre, il s'approcha du magistrat,
+et ils se retirèrent dans l'embrasure de la fenêtre
+pour parler bas. Ils semblaient se consulter sur mon
+compte, car, à chaque instant ils se retournaient pour me
+regarder d'un air attentif et méfiant; enfin ils s'approchèrent
+de moi, et le procureur du roi m'adressa plusieurs
+questions étranges, d'abord de quelle couleur je
+voyais son gilet, puis si je savais bien son nom, puis encore
+si je pouvais dire quel était mon âge, mon pays et
+ma profession.</p>
+
+<p>Je répondais à ces étranges interrogatoires avec stupeur,
+lorsque le médecin me demanda à son tour si je ne
+voyais point d'autre personne dans l'appartement que le
+procureur du roi, lui et moi; puis si je pensais qu'il fît
+jour ou nuit, et enfin si je pouvais certifier que j'eusse
+cinq doigts à chaque main.</p>
+
+<p>Outré de l'impertinence de ces questions, je résolus la
+dernière en lui appliquant un vigoureux soufflet. J'eus
+tort, sans doute, surtout en la présence d'un magistrat
+tout prêt à instruire contre le délit. Mais le sang me montait
+à la tête, et il ne m'était pas plus longtemps possible
+de me laisser traiter comme un idiot ou comme un fou
+sans en avoir le motif.</p>
+
+<p>Grand fut l'esclandre. Le magistrat voulut prendre
+fait et cause pour son compère; je le saisis à la gorge et
+je l'eusse étranglé, si l'épicier, son gendre et une demi-douzaine
+de voisins ne fussent venus à son secours. Alors
+on s'empara de moi, on me lia les pieds et les mains
+comme à un furieux, on m'entoura la bouche de serviettes
+et l'on me conduisit à l'hospice de ville, où je fus
+enfermé dans la chambre destinée aux sujets frappés d'aliénation
+mentale.</p>
+
+<p>La chambre, je dois le dire, était confortable, et j'y fus
+traité avec beaucoup de douceur, d'autant plus que je ne
+donnais aucun signe de folie. L'erreur du médecin et du
+magistrat fut bientôt constatée. Mais il me fut difficile de
+recouvrer ma liberté, car le dernier, prévoyant qu'il serait
+forcé de me demander une réparation de l'injure que
+je lui avais faite, s'obstina à me faire passer pour aliéné,
+afin de pouvoir se donner les apparences du sang-froid et
+de la générosité à mon égard.</p>
+
+<p>Je sortis enfin; mais le procureur du roi me fit mander
+immédiatement dans son cabinet et m'adressa cette mercuriale:</p>
+
+<p>&mdash;Jeune homme, me dit-il avec ce ton capable et paternel
+que tout magistrat imberbe se croit le droit de prendre
+quand il a endossé la ratine judiciaire, vous avez, sinon
+de grandes erreurs, du moins de graves inconséquences
+à réparer. Étranger, vous avez été accueilli dans cette
+ville avec toutes les marques de la bienveillance et toute
+l'aménité de moeurs qui distingue ses habitants. Malade,
+vous avez été soigné par vos voisins, avec zèle et dévouement.
+Tous ces témoignages de confiance et d'intérêt
+eussent dû graver profondément en vous le sentiment des
+convenances et celui de la gratitude...</p>
+
+<p>&mdash;Mille noms d'un sabord! Monsieur, m'écriai-je dans
+mon style de marin, qui, dans la colère, reprenait malgré
+moi le dessus, où voulez-vous en venir, et qu'ai-je fait
+pour mériter la prison et votre harangue?...</p>
+
+<p>&mdash;Monsieur, dit-il en fronçant le sourcil, voici ce que
+vous avez fait: vous avez accepté l'hospitalité que chaque
+jour un honnête citoyen, un estimable épicier, vous
+offrait au sein de sa famille, et vous l'avez acceptée avec
+des intentions qu'il ne m'appartient pas de qualifier, et
+dont votre conscience seule peut être juge. Moi je pense
+que votre intention a été de séduire la fille de l'épicier et
+de l'éblouir par des discours incohérents qui portaient
+tous les caractères de l'exaltation; ou de vous faire un
+jeu de sa simplicité, en la mystifiant par d'énigmatiques
+railleries.</p>
+
+<p>&mdash;Juste ciel! qui a dit cela? m'écriai-je avec angoisse.</p>
+
+<p>&mdash;Madame Cora Gibonneau elle-même. D'abord elle a
+considéré vos étranges discours comme des traits d'originalité
+naturelle. Peu à peu elle s'en est effrayée comme
+d'actes de démence. Longtemps elle a hésité à en prévenir
+ses parents, car dans le coeur de ces respectables
+bourgeois, la bonté et la compassion sont des vertus
+héréditaires. Mais enfin, mariée depuis peu à un digne
+homme qu'elle adore et pour qui, vous le savez sans
+doute depuis longtemps, elle nourrissait en secret avant
+son hyménée une passion qui avait profondément altéré
+sa santé et l'eût conduite au tombeau si ses parents
+l'eussent contrariée plus longtemps; enfin, dis-je, mariée
+à l'estimable pharmacien Gibonneau, affaiblie par
+les commencements d'une grossesse assez pénible, et
+craignant avec raison les conséquences de la frayeur dans
+la position où elle se trouve, madame Cora s'est décidée
+à instruire ses parents de l'égarement de votre cerveau
+et des preuves journalières que vous lui en donniez depuis
+quelque temps. Ces honnêtes gens ont hésité à le
+croire et vous ont surveillé avec une extrême réserve de
+délicatesse. Enfin, vous voyant un jour dans un état
+d'exaltation et de délire qui épouvantait sérieusement
+leur fille, ils ont pris le parti d'implorer la protection des
+lois et la sauvegarde de la magistrature... Et l'appui des
+lois ne leur a pas manqué, et la magistrature s'est levée
+pour les rassurer, car la magistrature sait que son plus
+beau privilège est de...</p>
+
+<p>&mdash;Assez, assez, pour Dieu! Monsieur, m'écriai-je, je
+pourrais vous dire par coeur le reste de votre phrase, tant
+je l'ai entendu déclamer de fois à tout propos...</p>
+
+<p>&mdash;Non, jeune homme, s'écria le magistrat à son tour
+en élevant la voix, vous n'échapperez point à la sollicitude
+d'une magistrature qui doit ses conseils et sa surveillance
+à la jeunesse, à une magistrature qui veut le
+bonheur et le repos des citoyens. Profitez du reproche
+que vous avez encouru. Voyez vos torts, ils sont graves!
+vous avez porté le trouble et la crainte dans la famille de
+l'épicier; vous avez méconnu la sainte hospitalité qui
+vous y était offerte, en essayant de railler ou de séduire
+l'épouse irréprochable d'un pharmacien éclairé... Oui,
+vous avez tenté l'un ou l'autre, Monsieur, car je ne sais
+point le sens que la loi peut adjuger aux étranges fragments
+de versification dont vous avez endommagé les
+murs de cette maison hospitalière, et qui m'ont été montrés
+par la fille de l'épicier comme une preuve irrécusable
+de votre démence... Enfin, Monsieur, non content
+d'affliger de braves gens et d'inquiéter le voisinage, vous
+avez résisté à l'autorité représentée par moi, vous avez
+pris au collet et frappé le médecin distingué qui vous
+donnait des soins, vous avez fait une scène de violence
+qui a troublé le repos de toute une population paisible,
+et qui a pensé devenir funeste à madame Gibonneau par
+la frayeur qu'elle lui a causée.</p>
+
+<p>&mdash;Cora est malade! m'écriai-je. Grand Dieu!... Et je
+voulais courir, échapper à l'éloquence tribunitienne de
+mon bourreau. Il me retint.</p>
+
+<p>&mdash;Vous ne me quitterez pas, jeune homme, me dit-il,
+sans avoir écouté la voix de la raison, sans m'avoir
+donné votre parole d'honneur de suspendre vos visites,
+chez madame Gibonneau, et de quitter même le logement
+que vous occupez vis-a-vis la maison de l'épicière.</p>
+
+<p>&mdash;-Eh! Monsieur, m'écriai-je, je jure que je vais dire
+adieu et demander pardon à ces honnêtes gens, savoir des
+nouvelles de madame Cora, et qu'une heure après j'aurai
+quitté cette ville fatale.</p>
+
+<p>Je m'armai de courage et de sang-froid pour rentrer
+chez l'épicier. Comme j'avais passé pour fou dans toute
+la ville, ma sortie de prison fit une profonde sensation;
+l'épicier parut inquiet et soucieux, sa femme se cacha
+presque derrière lui, Cora devint pâle de terreur, et
+M. Gibonneau, sans rien dire, me fit une mine de mauvais
+garçon. Je leur parlai avec calme, les priai d'excuser
+le scandale que je leur avais causé, et de croire à mon
+éternelle reconnaissance pour les soins et l'affection que
+j'avais trouvés chez eux.</p>
+
+<p>&mdash;Pour vous, Madame, dis-je d'une voix émue à Cora,
+pardonnez surtout aux extravagances dont je vous ai
+rendue témoin; si je croyais que vous m'eussiez soupçonné
+un seul instant de manquer au respect que je vous
+dois, j'en mourrais de douleur. J'espère que vous oublierez
+l'absurdité de ma conduite pour ne vous souvenir
+tous que des humbles excuses et des affectueux remerciements
+que je vous adresse en vous quittant pour
+jamais.</p>
+
+<p>A ce mot je vis toutes les figures s'éclaircir, à l'exception
+de celle de Cora, qui, je dois le dire, n'exprima
+qu'une douce compassion. Je voulus essayer de lui demander
+l'état de sa santé, dont j'avais causé l'altération
+par mes folies. Mais en songeant à la cause première de
+son état maladif, à l'amour qu'elle avait depuis si longtemps
+pour son mari et à l'heureux gage de cet amour
+qu'elle portait dans son sein, ma langue s'embarrassa et
+mes pleurs coulèrent malgré moi. Alors la famille m'entoura,
+pleurant aussi et m'accablant de marques de regret
+et d'attachement; Cora me tendit même sa belle
+main, que je n'avais jamais eu le bonheur de toucher, et
+que je n'osai pas seulement porter à mes lèvres. Enfin je
+m'éloignai comblé de bénédictions pour mon séjour parmi
+eux et particulièrement pour mon départ; car, au milieu
+de toutes les choses amicales qui me furent dites, il n'y
+eut pas une voix, pas un mot pour m'engager à rester.</p>
+
+<p>Accablé de douleur, brisé jusqu'à l'âme, je sentais mes
+genoux fléchir sous moi en quittant cette maison où j'avais
+fait des rêves si doux et nourri des illusions si brillantes.
+Je m'appuyai contre le seuil tapissé de vigne, et
+je jetai un dernier regard de tendresse et d'adieu sur la
+belle giroflée de la fenêtre.</p>
+
+<p>Alors j'entendis une voix qui partait de l'intérieur et
+qui prononçait mon nom. C'était la voix de Cora; j'écoutai:&mdash;Pauvre
+jeune homme! disait-elle d'un ton pénétré,
+il est donc enfin parti!</p>
+
+<p>&mdash;Je n'en suis pas fâché, répondit l'épicier, quoique
+après tout ce soit un brave garçon et qu'il paie bien ses
+mémoires.</p>
+
+<p>J'ai traversé cette ville l'année dernière pour aller en
+Limousin. J'ai aperçu Cora à sa fenêtre; il y avait trois
+beaux enfants autour d'elle, et un superbe pot de giroflée
+rouge. Cora avait le nez allongé, les lèvres amincies,
+les yeux un peu rouges, les joues creuses et quelques
+dents de moins.</p>
+<br>
+<p>GEORGE SAND.</p>
+<br>
+FIN DE CORA.
+
+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12837 ***</div>
+</body>
+</html>
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