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authorRoger Frank <rfrank@pglaf.org>2025-10-15 04:39:58 -0700
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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12451 ***
+
+_A Monsieur_
+
+H. Gourdon de Genouillac
+
+_Hommage respectueux_,
+
+CHARLES DURAND.
+
+
+
+
+_CONTES ET NOUVELLES_
+
+DE PROFUNDIS!
+
+_Episode Maritime_
+
+PAR CAROLUS
+
+
+Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU PÉRIR! fait
+soudain battre le coeur, je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot_.... Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Panthéons!...
+
+
+
+
+
+I
+
+
+Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages
+déchiquetés, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons
+de sorcières dans un sabbat infernal....
+
+Fouettée par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait à des hauteurs
+monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au
+pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix
+terrible d'un monstre enchaîné.
+
+La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient
+déserts et mornes, et les abords de la ville présentaient ce tableau de
+mélancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempête....
+
+Au rez-de-chaussée du phare qui se dresse à l'extrémité de la jetée
+Nord, deux hommes étaient assis et prêtaient l'oreille aux bruits du
+dehors.
+
+Le plus âgé de ces deux hommes avait la figure rude et hâlée des gens
+habitués à la mer. Une barbe courte, taillée en fer-à-cheval, donnait à
+son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, complétée par le
+regard vif et perçant de deux yeux à demi cachés sous d'épais sourcils.
+Tout le reste de sa physionomie répondait à cette première impression;
+mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur
+doux et sensible, une âme droite et généreuse.
+
+Il était vêtu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile
+grossière dont les jambes disparaissaient dans d'énormes bottes montant
+au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronné complétait cet
+accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances.
+
+Son compagnon était vêtu d'une façon analogue. Mais sous le vaste
+chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirât déjà
+une certaine énergie.
+
+Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt.
+
+Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont
+baptisées du nom de «brûle-gueule.» Mais s'il s'acquittait de cette
+opération avec une impassabilité que les bruits du dehors ne pouvaient
+ébranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps,
+quittait son siège pour aller regarder par la petite fenêtre ouverte sur
+la mer.
+
+Pendant une de ces allées et venues, le vieux pivota sur son tabouret
+et, interpellant le jeune homme:
+
+--Eh! bien, Raymond, encore tes idées noires!... On croirait, ma foi,
+à ma place, que tu n'as jamais vu de tempête!... Pourtant, cela te
+connaît. Je sais, moi, que tu n'as jamais pâli, au large, quand le ciel
+et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse à leur façon....
+Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voilà tout changé. Le plus
+petit coup de vent te tourne la face en crème....
+
+--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme
+avec l'accent d'une profonde tristesse.
+
+Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue
+hâlée. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son
+compagnon.
+
+--Le 12 mars!...--gémit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garçon,
+je l'avais oublié.... Tu n'as pas oublié, toi.... Ah! c'est une date
+terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce
+jour-là, ton père et tes deux frères: à moi, elle m'a ravi mes deux
+meilleurs amis, Gosselin, ton père, et Darnétal, le père de ma
+Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai là, pourtant, comme si
+c'était d'hier.... Ils allaient arracher à la mort quelques malheureux
+en détresse. La mort s'est vengée d'eux en les prenant, eux aussi!... Je
+les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils
+me repoussèrent en me disant: «Si nous n'en revenons pas, tu resteras,
+toi, pour consoler les petits....» Les petits, c'était toi, Raymond,
+c'était elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'à les
+exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt
+le bateau naufragé, ils nous disaient: «Confiance! nous reviendrons avec
+eux!...» Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais:
+«Allez vite!...» à ces héros qui volaient à la mort!... C'était leur
+devoir, hélas!... Le soir, on retrouva leurs corps à la côte. Darnétal
+respirait encore. Quand, après deux jours d'agonie, mon vieux camarade
+se sentit partir à son tour: «Talbot, me dit-il, en étreignant
+convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu
+en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te lègue ma petite
+Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse près de toi, comme elle le fut
+chez nous ..., sois pour elle un père, d'abord ..., puis, quand elle
+sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari....
+Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!...» Je jurai, et il mourut en
+mettant ma main dans celle de Jeanne....
+
+Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baissés en parlant,
+se relevèrent sur Raymond, assis en face de lui. Une pâleur subite avait
+envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fièvre agitait tous
+ses membres.
+
+Quand Talbot eut fini de parler, un gémissement sourd souleva sa
+poitrine, ses yeux se fermèrent. Il serait tombé si son compagnon ne
+s'était précipité pour le soutenir.
+
+--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le
+visage blême du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!...
+Raymond, Raymond!...
+
+Une idée soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il
+saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en
+dépit des vagues qui venaient se briser à ses pieds et des raffales
+qui menaçaient de le renverser à chaque pas, il courut du côté d'une
+maisonnette élevée à quelque distance du phare.
+
+Il frappa rapidement au carreau d'une fenêtre.
+
+--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il.
+
+La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle
+poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son
+fardeau.
+
+Talbot alla droit à un vaste lit dressé dans un des angles de la pièce.
+La jeune fille accourut avec une lumière:
+
+--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le
+vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blessé?
+
+--Il est évanoui,--répondit Talbot, qui ne remarqua pas l'émotion de la
+jeune fille.--J'espère que ce ne sera rien.... J'ai eu la bêtise de lui
+rappeler de vieilles histoires qui l'ont ébranlé. Ce pauvre garçon est
+si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre!
+
+Le jeune homme reprit bientôt connaissance. Son regard s'arrêta d'abord
+sur Jeanne qui, penchée sur lui, était occupée à lui faire respirer un
+chiffon trempé de vinaigre.
+
+Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement,
+pendant que Talbot se penchait à son tour:
+
+--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il.
+
+--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme.
+
+--Eh! bien, mon garçon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une
+heure je reviendrai prendre de tes nouvelles.
+
+--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'écria Raymond.
+Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en
+gémissant.
+
+--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que
+tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux
+tout à l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi,
+je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la
+voix,--veille bien sur ce garçon, et s'il se trouve encore mal, accours
+me chercher, mon enfant.
+
+Il sortit. Jeanne, obéissante, s'assit auprès du lit, son ouvrage sur
+ses genoux.
+
+Le jeune homme s'était assoupi. Les bruits confus de la tempête
+troublèrent seuls le silence de la maisonnette.
+
+
+
+
+II
+
+
+Elle était vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et bouclés,
+qu'elle portait, fidèle à un caprice d'enfant, toujours dénoués et
+simplement retenus par derrière à l'aide d'un ruban presque invisible.
+
+Des yeux azurés, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle
+souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps délicatement modelé,
+tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient
+donné les femmes des pêcheurs d'alentour et les matelots eux-mêmes.
+
+Plus d'un jeune coeur s'était senti troublé devant tant de charmes. Mais
+on savait Jeanne fiancée au pilote Talbot. Ce dernier pouvait être sûr,
+grâce au respect dont il était entouré, que pas un des soupirants ne
+tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille.
+
+Il y avait six ans, à l'époque où commence ce récit, que Darnétal était
+mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot.
+
+Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant
+une petite femme....
+
+Mais aussi, songeant à son serment:
+
+--Il me semble pourtant que je serai bien usé pour échanger mon rôle de
+père contre celui de mari.... Quelle drôle d'idée a eue là mon vieux
+camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas.
+Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours....
+
+Au fond, le brave homme avait besoin de réfléchir profondément pour
+chasser le scrupule qui embarrassait sa pensée.
+
+L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi
+privé de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de
+dévouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants.
+
+Jeanne et Raymond vivaient à l'écart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait
+jamais consenti à déserter la cabane où s'était écoulée son enfance.
+Mais la communauté du malheur avait établi entre eux une prompte et vive
+amitié.
+
+En les regardant l'un près de l'autre, Talbot s'était dit plus d'une
+fois:--Quel gentil ménage tout de même cela ferait!...
+
+L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un
+sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se
+trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincèrement
+épris de Jeanne, Raymond dut se résoudre à limiter ses apparitions chez
+le pilote.
+
+Ce dernier n'y fit guère attention: le métier les réunissait souvent au
+dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle
+devint triste; ses joues, fraîches et roses, se couvrirent d'une pâleur
+inquiétante.
+
+--La petite est bien sûr malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait
+Jeanne qui toujours s'efforçait de dissiper par un sourire l'inquiétude
+du vieux matelot.
+
+Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand
+l'accident dont j'ai parlé les réunit de nouveau.
+
+
+
+
+III
+
+
+Au chevet du lit où le jeune homme s'était assoupi, Jeanne restait
+silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille
+qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle écoutait
+la respiration entrecoupée du matelot; elle n'osait à peine remuer,
+comme si le plus léger bruit eût pu troubler le sommeil de Raymond. Mais
+son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait à coups précipités
+sous son corsage.
+
+Bientôt le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses
+sortirent de ses lèvres. Jeanne, inquiète, se pencha sur lui. Une vive
+rougeur couvrit son front et ses joues: c'était son nom, qu'en rêvant,
+Raymond redisait avec amour.
+
+--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser
+dans une profonde extase.
+
+Elle, restait penchée, palpitante, et belle à ravir sous le pourpre de
+ses traits. Raymond ouvrit les yeux:
+
+--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas rêvé!...
+
+Puis, revenant à la réalité:--Oh! que je souffre!...
+
+La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de
+douleur cachée:
+
+--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforçant de vaincre
+son trouble.
+
+--Oh! oui, beaucoup, là, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je
+vous aime!...
+
+La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses
+mains.
+
+--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc
+offensée?...
+
+Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur
+éclairer ses larmes.
+
+--Vous aussi, vous m'aimez!--s'écria-t-il en se levant, et tombant aux
+genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc
+permis cette fatalité!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon
+âme,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis
+coupable en vous aimant... Tout à l'heure, j'ai cru que j'allais mourir.
+J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon père,
+mes frères,... ma mère, si douce et si bonne... et j'ai senti combien
+j'étais seul sur cette terre maintenant que tous ces êtres aimés sont
+partis, à présent qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant
+auprès de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon
+coeur,... comme époux!... Tenez, même ce que je vous dis là, Jeanne, est
+sacrilège. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur à
+la révolte contre l'époux qui vous est destiné ... je suis coupable,...
+oh! bien coupable,... de prendre sa place à vos genoux!...
+
+Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la
+porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derrière eux.
+
+Le pilote était entré sans bruit. Il s'était arrêté court en les voyant,
+et il écoutait avec une émotion croissante.
+
+Raymond continua:
+
+--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre
+coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre
+ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnête marin
+qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin,
+bien loin..., et je tâcherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon
+amour.... Aimez l'époux qui vous est destiné, aimez-le comme il en est
+digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez!
+
+Un léger bruit l'interrompit; c'était le pilote qui pleurait. Les deux
+jeunes gens levèrent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les
+bras:
+
+--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant
+longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilité pour
+chasser son émotion:
+
+--Qui est-ce qui vous défend de vous aimer?... Eh! j'ai juré, j'ai
+juré... Mais je me suis toujours dit que Darnétal avait eu une
+drôle d'idée. Je suis sûr que, de là-haut, il voudrait pouvoir me
+crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne....
+T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine à ma
+petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais
+son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figuré un
+instant que tu étais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien
+que je me suis trompé, puisqu'en voilà un autre, plus capable que toi,
+mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sûr
+qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants?
+Moi, qui aurais dû voir plus tôt que vous vous aimiez?... Me
+pardonnerez-vous?...
+
+Pleurant et riant à la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous
+leurs baisers:
+
+--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne
+les vilaines paroles que j'ai entendues tout à l'heure....
+
+Ce fut le baiser des fiançailles.
+
+--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant
+allègrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!...
+
+
+
+
+IV
+
+
+Talbot alla reprendre son poste de «guetteur» au bout de la jetée. La
+nuit devait être terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882.
+
+Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote.
+
+Il y avait là l'élite des lamaneurs havrais: tous appartenaient à
+l'équipe des bateaux de sauvetage armés, dès la veille, en prévision
+d'un embarquement précipité.
+
+Cette réunion d'hommes résolus, prêts à se dévouer à la moindre alerte,
+offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes,
+grandies par le mépris du danger, auraient pu braver la comparaison avec
+ces héros de Lacédémone ou de Rome, pour qui la pensée du devoir était
+inséparable de l'idée d'honneur et de patrie.... Leur épopée eût été
+digne de la lyre des antiques Homérides!... Victimes sublimes du devoir!
+dont la noble devise: «Sauver ou Périr», fait soudain battre le coeur:
+je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Panthéons!
+
+Tous étaient là. Pas un ne songea à déserter, fût-ce une seconde, ce
+champ d'épouvante....
+
+Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus à la tempête. Il ne
+songeait plus aux dangers qui pouvaient, à chaque instant, s'offrir en
+lutte au courage de ces hommes énergiques.
+
+Son esprit était resté enfermé dans la chambrette, chaste nid de
+sa fiancée, où, sans doute, elle rêvait à lui.... Avec quelle joie
+délicieuse ne retournerait-il pas, dès le matin, près d'elle!... quelles
+douces phrases s'échangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant,
+sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa
+bien-aimée et,--qui l'en blâmerait?--appuyer ses lèvres contre les
+lèvres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le
+jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus sûrement cette mer
+sinistre, le jeune matelot aspirait après l'aube pour voler près de
+celle à qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier....
+
+Pour tous, cette nuit-là fut un siècle. Un large soupir de satisfaction
+s'échappa de chaque poitrine quand apparurent les premières lueurs du
+matin, retardées par l'état brumeux de l'atmosphère.
+
+Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en
+troupe du sémaphore et se précipitèrent sur la jetée.
+
+La mer était horrible à voir. Des montagnes d'eau déferlaient à chaque
+instant au-dessus de la rotonde, ébranlaient la maçonnerie, et venaient
+rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du sémaphore, d'où nos
+intrépides sauveteurs sortaient, frémissants d'héroïsme.... Ces vagues
+gigantesques auraient terrassé des hommes ordinaires; elles ébranlèrent
+à peine ces vaillants, habitués à lever le front devant la tempête.
+
+Raymond les avait suivis. Cette fièvre héroïque, qu'il partageait
+maintenant, arrachait son esprit aux pensées de bonheur qui l'avaient
+assailli dans la nuit.--Plus avancé même que les autres, sur cette jetée
+où chaque pas augmentait les périls, il regardait au loin et cherchait à
+percer l'étendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eût voulu
+imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui.
+
+Tout à coup sa main s'étendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit
+de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec
+défaillance contre les vagues. Au grand mât, un pavillon s'agitait
+convulsivement.
+
+--Au canot! au canot!--cria aussitôt le patron Le Croisey. Tous se
+précipitèrent à l'envi du côté de l'avant-port.
+
+Raymond courait en avant. Au moment où, emporté par sa course, il
+dépassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tête. Debout
+sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes.
+
+Le jeune matelot s'arrêta court. Les autres passèrent sans rien voir.
+
+Jeanne s'était précipitée vers lui. Il la reçut dans ses bras.
+
+Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu
+meures!
+
+Le visage du matelot devint livide:
+
+--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades
+s'embarquent.... Ils vont m'oublier!...
+
+Et, fou d'héroïsme, il voulut s'arracher aux bras noués à son cou.
+Il entraînait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces
+l'abandonner, bien que la terreur les eût décuplées, quand un hourra
+prolongé ébranla l'air. C'était le canot de sauvetage qui déjà passait
+entre les estacades, salué par les acclamations de la foule accourue sur
+les quais.
+
+--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!...
+
+Raymond sentit ses genoux fléchir. Puis d'abondantes larmes jaillirent
+de ses yeux pendant qu'il murmurait:
+
+--Jeanne, Jeanne..., j'ai manqué à mon devoir!...
+
+
+
+
+V
+
+
+Il faut avoir été témoin de pareils drames pour comprendre l'émotion
+qui saisit tous les coeurs quand le canot, mû par vingt bras vigoureux,
+franchit l'extrémité des jetées.
+
+Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui,
+haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces
+héros du dévouement....
+
+Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la
+barque et la rejetait dans l'abîme. Mais celle-ci reparaissait bientôt,
+fiévreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit
+sur le sloop en détresse.
+
+Ils arrivèrent tout près de ce dernier. Mais l'aborder était difficile,
+car, à cet endroit, un banc de rochers montrait sa crête et la mer se
+soulevait là en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le
+fragile canot.
+
+On les vit alors, après un léger circuit qui les amena sur l'avant du
+sloop, s'arrêter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa
+ainsi pour la foule massée sur la jetée.
+
+Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage.
+
+Raymond, affaissé sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait.
+
+Jeanne, assise près de lui, ne trouvant point de mots pour consoler
+cette étrange douleur, restait, le regard fixe, toute pâle et
+frissonnante.
+
+Soudain un cri terrible retentit, répété par des centaines de bouches:
+
+--Perdus!... Ils sont perdus!...
+
+Raymond se dressa. Son visage, encore baigné de larmes, eut une
+expression d'horreur indéfinissable, et son regard alla, d'un trait, à
+l'endroit où le canot se montrait encore, mais vide!...
+
+Au même instant une main étreignit la sienne.
+
+Jeanne étendait le bras vers la barque:
+
+--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!...
+
+Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis,
+sans une parole, s'élança du côté où, déjà, les autres matelots
+s'étaient précipités.
+
+
+
+
+VI
+
+
+Quelques instants après, le second canot, enlevé vigoureusement,
+franchissait à son tour les jetées.
+
+Raymond était debout à la barre.... Talbot avait dû lui céder la place.
+
+L'épouvante qui s'était emparée de la foule arrivait à son paroxysme....
+Qui savait si ces braves pourraient arriver à temps sur le lieu du
+sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui,
+peut-être, allait les engloutir comme les premiers?
+
+C'était horrible, et plus d'un détournait la tête pour ne plus voir,
+quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs.
+
+Du côté où le premier canot avait chaviré apparaissait un autre navire,
+beaucoup plus vaste que le sloop en détresse. Chacun vit distinctement
+une chaloupe s'en détacher et ramer avec énergie vers le canot naufragé.
+
+Ce nouveau secours fut acclamé par mille hourras et la voix de la foule
+étouffa un instant celle de la tempête.
+
+Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un
+secours inespéré avait décuplé les forces des rameurs.
+
+Les deux barques furent bientôt à proximité l'une de l'autre. En
+arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme
+pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une à
+l'autre. Raymond était toujours debout à la barre. Tout à coup on le vit
+chanceler et disparaître. Une vague gigantesque, prenant le canot en
+poupe, l'avait emporté. Presque aussitôt, une nouvelle vague éloigna les
+deux barques l'une de l'autre et, aux gestes désespérés des sauveteurs,
+il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu être sauvé.
+
+Talbot ni Jeanne n'assistèrent à cette seconde partie du drame.
+
+Le pilote avait trouvé la jeune fille évanouie à la place où Raymond lui
+avait donné le baiser suprême. En hâte, il l'avait transportée chez lui
+pour lui prodiguer ses soins.
+
+Quand le soir vint, sans que son fiancé eût reparu, Jeanne, en proie au
+délire, répétait:
+
+--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonné de mourir!...
+
+
+
+
+VII
+
+
+Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre était animé par l'arrivée
+d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la
+France et l'Amérique.
+
+Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du
+navire au quai. Il se dirigea, après une courte hésitation, vers
+l'entrée du port. Arrivé sur le Grand-Quai, il pénétra dans une
+ruelle obscure et s'arrêta bientôt à la porte d'une maison de modeste
+apparence. Il frappa.
+
+Une femme âgée parut sur le seuil.
+
+--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur.
+
+--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la
+pièce.
+
+Le visiteur entra. Il se trouva en présence du maître du logis qui
+l'examina curieusement et crut devoir réitérer sa question.
+
+L'inconnu se découvrit et se plaça sous la lumière:
+
+--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous?
+
+L'autre le fixa longuement, puis, tout à coup, recula, comme frappé de
+stupeur:
+
+--Raymond Gosselin!...
+
+Et il resta quelques instants, bouche béante, en regardant avec
+ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant à
+rompre le silence:
+
+--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!...
+
+--De fait, puisque me voici,--répondit le matelot, en souriant malgré
+lui.
+
+Le capitaine lui saisit les mains.
+
+--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!...
+
+Ils s'étreignirent longuement.
+
+--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu
+dois avoir faim.... Holà! la mère, à souper pour ce garçon!...
+
+La vieille qui, discrètement, s'était retirée dans la pièce voisine,
+rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une
+nouvelle surprise, mélangée de frayeur et suivie de près d'une seconde
+accolade à laquelle notre ami se prêta de bon coeur.
+
+Il était assis, quelques instants après, devant un solide repas et se
+disposait, tout en mangeant, à faire le récit que réclamait son hôte.
+
+Soudain il tressaillit; la pâleur couvrit ses traits, pendant que son
+regard s'attachait avec insistance à celui du capitaine:
+
+--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal
+assurée.
+
+--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais échappé à cette
+catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades,
+en rentrant au port, ont déclaré qu'ils n'avaient pu te sauver.... On
+a espéré quelque temps que tu avais été recueilli par les hommes de
+la chaloupe, puis cette opinion a été abandonnée, après quelques mois
+d'attente.... D'où vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas été
+envoyée ici?
+
+--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi.
+Je serai bref....
+
+Raymond épongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua
+d'une voix sourde:
+
+--Les matelots de la chaloupe, après m'avoir recueilli sans
+connaissance, renoncèrent à poursuivre leur sauvetage. Ils regagnèrent
+le navire d'où on leur faisait signe de retourner à la hâte.... Quand
+je revins à moi, j'appris que j'étais à bord d'un bateau de Hambourg,
+à destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me débarquât en
+Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait éviter les côtes, la
+tempête avait déjà retardé le navire, et les armateurs pouvaient subir
+les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considérable.... Il
+fallut me résigner. J'offris même mes services. Mais j'étais incapable
+de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloué au
+lit, en proie à la fièvre. Pendant quelques jours le mal me balança
+entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la
+tempête nous assaillit de nouveau. Je fus réveillé, une nuit, par
+un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me
+dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on
+renonce à le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras
+robustes. L'émotion était trop forte, je m'évanouis. Quand je revins à
+moi, ranimé par les soins de mon sauveur, nous étions trois hommes à
+bord d'un léger canot, presque sans vivres, presque sans eau....
+Combien de temps errâmes-nous sur cette mer tourmentée?... Comment le
+saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'étonne que
+mes compagnons ne me jetèrent pas à la mer, me croyant mort.... Je me
+rappelle seulement qu'un vapeur allant à New-York nous recueillit; j'ai
+ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla à mes côtés jusqu'au
+moment où nous débarquâmes en Amérique. Là, toujours grâce aux soins de
+ce brave coeur, on me transporta dans un hôpital.... Après cela, il y a
+dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou....
+
+--Fou!--interrompit le capitaine avec stupéfaction.
+
+--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison
+avait subi quand, tout à coup, je m'étais vu arraché à mes rêves de
+bonheur; à la pensée que peut-être ceux que j'aimais me croyaient
+mort!... Je devins fou.... Quand je revins à la réalité, j'étais au fond
+d'un hôpital, à quelques cents lieues de France! J'étais resté là une
+année!...
+
+Ma guérison fut constatée et le consulat français me fournit les moyens
+de me rapatrier....
+
+Le capitaine était devenu rêveur. Quand Raymond se tut il le regarda
+fixement:
+
+--Que comptes-tu faire à présent?...
+
+--Vous m'aiderez, capitaine, à préparer ma réapparition. Ne brusquons
+rien, surtout. Je resterai chez vous, caché, pendant que vous irez
+annoncer doucement à Talbot, puis à Jeanne..., à ma fiancée....
+
+--Ta fiancée,...--répéta le capitaine avec un accent étrange.--Ses yeux
+évitèrent le regard inquiet du jeune matelot.
+
+Raymond s'aperçut de cette émotion:
+
+--Parlez, au nom du Ciel!--s'écria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrivé?
+
+Le capitaine hésitait à répondre.
+
+--Oh! pitié, pitié!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses
+mains.
+
+Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'épaule du jeune homme:
+
+--Sois fort, matelot, Jeanne est mariée.
+
+--Mariée!...
+
+Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements
+désordonnés de son coeur:
+
+--Avec qui?...
+
+--Jeanne est la femme de Talbot.
+
+Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme:
+
+--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!...
+
+Et, comme se parlant à lui-même:
+
+--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonté d'un mourant fût
+respectée.... Mon mariage avec Jeanne eût été un crime ... qu'il n'a pas
+permis.... Cette catastrophe, cet éloignement forcé, ma folie..., tout
+n'est-il pas là pour le prouver?...
+
+--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la résolution,--vous êtes
+le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre
+d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux
+êtres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils
+me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a
+_destinés_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, à moi, est de
+rester dans la tombe où leurs pensées m'ont si souvent visité....
+Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour....
+
+--Je le jure,--répondit le capitaine, visiblement ému.
+
+--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils
+mariés?
+
+--Quelques semaines à peine. Jeanne a été longtemps malade. Le choc
+qui a ébranlé ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, à deux doigts de
+la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-même qui me l'a
+raconté,--elle n'a eu qu'une idée fixe. Elle revoyait son père, près
+d'expirer, unissant la main de Talbot à la sienne, et quand ce
+dernier veillait à son chevet, cherchant tous les moyens de la
+distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se
+rendait à son désir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et
+je veux être votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire.
+Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous
+marier? Promettez-moi que lorsque je serai guérie nous ferons notre
+_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire
+cette promesse. Elle guérit et, au bout de sa convalescence, elle exigea
+qu'on publiât les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil.
+
+--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir.
+
+Les deux hommes restèrent un instant silencieux. Tout à coup Raymond
+releva la tête:
+
+--Il le faut,--s'écria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie....
+Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les
+quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner?
+
+Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent.
+
+
+
+
+VIII
+
+
+Raymond et son compagnon arrivèrent sans être vus jusqu'à la naissance
+de la jetée. La maison de Talbot s'élevait tout près. Une lumière
+brillait aux fenêtres.
+
+Le capitaine arrêta le matelot à quelques pas de la maison et s'avança
+seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme,
+il le conduisit près de la fenêtre éclairée.
+
+--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde!
+
+Raymond se pencha avidement.
+
+Assise près d'une table, tout près de la fenêtre, Jeanne était là.
+
+Elle fixait des yeux, sous la lumière vive d'une lampe, un objet caché
+dans sa main. Soudain cette main se porta à ses lèvres. Ce mouvement
+permit au matelot de voir en pleine lumière l'objet qu'elle tenait et
+qu'elle baisait à plusieurs reprises.
+
+Un cri étouffé lui échappa:
+
+--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif
+s'emparait de tous ses membres.
+
+La tête lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir,
+quand un pas lourd se fit entendre du côté de la jetée.
+
+--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous
+voir. Laisse-moi faire.
+
+Et, tout en parlant, il força Raymond à se blottir dans un renfoncement
+de la muraille. Le jeune homme resta caché pendant que son compagnon
+allait au devant de Talbot.
+
+Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il
+le vit s'avancer de son côté. Il reconnut le coup familier frappé au
+carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumière s'allongea sur le
+pavé du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol à
+celle du vieux matelot.
+
+Raymond crut que son coeur se brisait!...
+
+L'épreuve n'était pourtant pas finie.
+
+La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumière de la fenêtre, le jeune
+homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de
+son côté pour détacher le volet de la fenêtre.
+
+Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la
+prendre dans ses bras comme le jour où elle lui avait dit:--Va et
+meurs!
+
+Il ne le fit pas!...
+
+Le bruit de la porte qui se refermait le décida seul à sortir de sa
+cachette.
+
+Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant.
+
+--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulée,--il ne faut pas
+rester ici... Reviens chez moi, mon garçon...
+
+--Non, capitaine,--répondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous
+l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon
+projet.... Demain, je serai loin du Havre.
+
+--Où vas-tu?
+
+--Où Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maître de nos destinées?_
+
+Les deux hommes s'embrassèrent. Raymond jeta un dernier regard vers la
+maison, maintenant sombre. Un sanglot déchira sa poitrine.
+
+Puis, pressant une dernière fois la main du capitaine:
+
+--Adieu!...
+
+Et il se perdit dans la nuit.
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12451 ***
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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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+Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: De profundis!
+ Episode Maritime
+
+Author: Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+Release Date: May 26, 2004 [EBook #12451]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! ***
+
+
+
+
+Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file
+was produced from images generously made available by the Bibliothèque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+_A Monsieur_
+
+H. Gourdon de Genouillac
+
+_Hommage respectueux_,
+
+CHARLES DURAND.
+
+
+
+
+_CONTES ET NOUVELLES_
+
+DE PROFUNDIS!
+
+_Episode Maritime_
+
+PAR CAROLUS
+
+
+Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU PÉRIR! fait
+soudain battre le coeur, je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot_.... Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Panthéons!...
+
+
+
+
+
+I
+
+
+Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages
+déchiquetés, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons
+de sorcières dans un sabbat infernal....
+
+Fouettée par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait à des hauteurs
+monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au
+pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix
+terrible d'un monstre enchaîné.
+
+La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient
+déserts et mornes, et les abords de la ville présentaient ce tableau de
+mélancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempête....
+
+Au rez-de-chaussée du phare qui se dresse à l'extrémité de la jetée
+Nord, deux hommes étaient assis et prêtaient l'oreille aux bruits du
+dehors.
+
+Le plus âgé de ces deux hommes avait la figure rude et hâlée des gens
+habitués à la mer. Une barbe courte, taillée en fer-à-cheval, donnait à
+son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, complétée par le
+regard vif et perçant de deux yeux à demi cachés sous d'épais sourcils.
+Tout le reste de sa physionomie répondait à cette première impression;
+mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur
+doux et sensible, une âme droite et généreuse.
+
+Il était vêtu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile
+grossière dont les jambes disparaissaient dans d'énormes bottes montant
+au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronné complétait cet
+accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances.
+
+Son compagnon était vêtu d'une façon analogue. Mais sous le vaste
+chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirât déjà
+une certaine énergie.
+
+Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt.
+
+Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont
+baptisées du nom de «brûle-gueule.» Mais s'il s'acquittait de cette
+opération avec une impassabilité que les bruits du dehors ne pouvaient
+ébranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps,
+quittait son siège pour aller regarder par la petite fenêtre ouverte sur
+la mer.
+
+Pendant une de ces allées et venues, le vieux pivota sur son tabouret
+et, interpellant le jeune homme:
+
+--Eh! bien, Raymond, encore tes idées noires!... On croirait, ma foi,
+à ma place, que tu n'as jamais vu de tempête!... Pourtant, cela te
+connaît. Je sais, moi, que tu n'as jamais pâli, au large, quand le ciel
+et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse à leur façon....
+Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voilà tout changé. Le plus
+petit coup de vent te tourne la face en crème....
+
+--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme
+avec l'accent d'une profonde tristesse.
+
+Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue
+hâlée. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son
+compagnon.
+
+--Le 12 mars!...--gémit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garçon,
+je l'avais oublié.... Tu n'as pas oublié, toi.... Ah! c'est une date
+terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce
+jour-là, ton père et tes deux frères: à moi, elle m'a ravi mes deux
+meilleurs amis, Gosselin, ton père, et Darnétal, le père de ma
+Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai là, pourtant, comme si
+c'était d'hier.... Ils allaient arracher à la mort quelques malheureux
+en détresse. La mort s'est vengée d'eux en les prenant, eux aussi!... Je
+les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils
+me repoussèrent en me disant: «Si nous n'en revenons pas, tu resteras,
+toi, pour consoler les petits....» Les petits, c'était toi, Raymond,
+c'était elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'à les
+exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt
+le bateau naufragé, ils nous disaient: «Confiance! nous reviendrons avec
+eux!...» Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais:
+«Allez vite!...» à ces héros qui volaient à la mort!... C'était leur
+devoir, hélas!... Le soir, on retrouva leurs corps à la côte. Darnétal
+respirait encore. Quand, après deux jours d'agonie, mon vieux camarade
+se sentit partir à son tour: «Talbot, me dit-il, en étreignant
+convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu
+en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te lègue ma petite
+Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse près de toi, comme elle le fut
+chez nous ..., sois pour elle un père, d'abord ..., puis, quand elle
+sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari....
+Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!...» Je jurai, et il mourut en
+mettant ma main dans celle de Jeanne....
+
+Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baissés en parlant,
+se relevèrent sur Raymond, assis en face de lui. Une pâleur subite avait
+envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fièvre agitait tous
+ses membres.
+
+Quand Talbot eut fini de parler, un gémissement sourd souleva sa
+poitrine, ses yeux se fermèrent. Il serait tombé si son compagnon ne
+s'était précipité pour le soutenir.
+
+--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le
+visage blême du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!...
+Raymond, Raymond!...
+
+Une idée soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il
+saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en
+dépit des vagues qui venaient se briser à ses pieds et des raffales
+qui menaçaient de le renverser à chaque pas, il courut du côté d'une
+maisonnette élevée à quelque distance du phare.
+
+Il frappa rapidement au carreau d'une fenêtre.
+
+--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il.
+
+La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle
+poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son
+fardeau.
+
+Talbot alla droit à un vaste lit dressé dans un des angles de la pièce.
+La jeune fille accourut avec une lumière:
+
+--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le
+vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blessé?
+
+--Il est évanoui,--répondit Talbot, qui ne remarqua pas l'émotion de la
+jeune fille.--J'espère que ce ne sera rien.... J'ai eu la bêtise de lui
+rappeler de vieilles histoires qui l'ont ébranlé. Ce pauvre garçon est
+si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre!
+
+Le jeune homme reprit bientôt connaissance. Son regard s'arrêta d'abord
+sur Jeanne qui, penchée sur lui, était occupée à lui faire respirer un
+chiffon trempé de vinaigre.
+
+Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement,
+pendant que Talbot se penchait à son tour:
+
+--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il.
+
+--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme.
+
+--Eh! bien, mon garçon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une
+heure je reviendrai prendre de tes nouvelles.
+
+--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'écria Raymond.
+Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en
+gémissant.
+
+--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que
+tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux
+tout à l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi,
+je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la
+voix,--veille bien sur ce garçon, et s'il se trouve encore mal, accours
+me chercher, mon enfant.
+
+Il sortit. Jeanne, obéissante, s'assit auprès du lit, son ouvrage sur
+ses genoux.
+
+Le jeune homme s'était assoupi. Les bruits confus de la tempête
+troublèrent seuls le silence de la maisonnette.
+
+
+
+
+II
+
+
+Elle était vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et bouclés,
+qu'elle portait, fidèle à un caprice d'enfant, toujours dénoués et
+simplement retenus par derrière à l'aide d'un ruban presque invisible.
+
+Des yeux azurés, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle
+souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps délicatement modelé,
+tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient
+donné les femmes des pêcheurs d'alentour et les matelots eux-mêmes.
+
+Plus d'un jeune coeur s'était senti troublé devant tant de charmes. Mais
+on savait Jeanne fiancée au pilote Talbot. Ce dernier pouvait être sûr,
+grâce au respect dont il était entouré, que pas un des soupirants ne
+tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille.
+
+Il y avait six ans, à l'époque où commence ce récit, que Darnétal était
+mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot.
+
+Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant
+une petite femme....
+
+Mais aussi, songeant à son serment:
+
+--Il me semble pourtant que je serai bien usé pour échanger mon rôle de
+père contre celui de mari.... Quelle drôle d'idée a eue là mon vieux
+camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas.
+Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours....
+
+Au fond, le brave homme avait besoin de réfléchir profondément pour
+chasser le scrupule qui embarrassait sa pensée.
+
+L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi
+privé de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de
+dévouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants.
+
+Jeanne et Raymond vivaient à l'écart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait
+jamais consenti à déserter la cabane où s'était écoulée son enfance.
+Mais la communauté du malheur avait établi entre eux une prompte et vive
+amitié.
+
+En les regardant l'un près de l'autre, Talbot s'était dit plus d'une
+fois:--Quel gentil ménage tout de même cela ferait!...
+
+L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un
+sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se
+trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincèrement
+épris de Jeanne, Raymond dut se résoudre à limiter ses apparitions chez
+le pilote.
+
+Ce dernier n'y fit guère attention: le métier les réunissait souvent au
+dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle
+devint triste; ses joues, fraîches et roses, se couvrirent d'une pâleur
+inquiétante.
+
+--La petite est bien sûr malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait
+Jeanne qui toujours s'efforçait de dissiper par un sourire l'inquiétude
+du vieux matelot.
+
+Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand
+l'accident dont j'ai parlé les réunit de nouveau.
+
+
+
+
+III
+
+
+Au chevet du lit où le jeune homme s'était assoupi, Jeanne restait
+silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille
+qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle écoutait
+la respiration entrecoupée du matelot; elle n'osait à peine remuer,
+comme si le plus léger bruit eût pu troubler le sommeil de Raymond. Mais
+son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait à coups précipités
+sous son corsage.
+
+Bientôt le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses
+sortirent de ses lèvres. Jeanne, inquiète, se pencha sur lui. Une vive
+rougeur couvrit son front et ses joues: c'était son nom, qu'en rêvant,
+Raymond redisait avec amour.
+
+--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser
+dans une profonde extase.
+
+Elle, restait penchée, palpitante, et belle à ravir sous le pourpre de
+ses traits. Raymond ouvrit les yeux:
+
+--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas rêvé!...
+
+Puis, revenant à la réalité:--Oh! que je souffre!...
+
+La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de
+douleur cachée:
+
+--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforçant de vaincre
+son trouble.
+
+--Oh! oui, beaucoup, là, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je
+vous aime!...
+
+La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses
+mains.
+
+--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc
+offensée?...
+
+Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur
+éclairer ses larmes.
+
+--Vous aussi, vous m'aimez!--s'écria-t-il en se levant, et tombant aux
+genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc
+permis cette fatalité!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon
+âme,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis
+coupable en vous aimant... Tout à l'heure, j'ai cru que j'allais mourir.
+J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon père,
+mes frères,... ma mère, si douce et si bonne... et j'ai senti combien
+j'étais seul sur cette terre maintenant que tous ces êtres aimés sont
+partis, à présent qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant
+auprès de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon
+coeur,... comme époux!... Tenez, même ce que je vous dis là, Jeanne, est
+sacrilège. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur à
+la révolte contre l'époux qui vous est destiné ... je suis coupable,...
+oh! bien coupable,... de prendre sa place à vos genoux!...
+
+Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la
+porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derrière eux.
+
+Le pilote était entré sans bruit. Il s'était arrêté court en les voyant,
+et il écoutait avec une émotion croissante.
+
+Raymond continua:
+
+--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre
+coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre
+ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnête marin
+qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin,
+bien loin..., et je tâcherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon
+amour.... Aimez l'époux qui vous est destiné, aimez-le comme il en est
+digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez!
+
+Un léger bruit l'interrompit; c'était le pilote qui pleurait. Les deux
+jeunes gens levèrent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les
+bras:
+
+--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant
+longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilité pour
+chasser son émotion:
+
+--Qui est-ce qui vous défend de vous aimer?... Eh! j'ai juré, j'ai
+juré... Mais je me suis toujours dit que Darnétal avait eu une
+drôle d'idée. Je suis sûr que, de là-haut, il voudrait pouvoir me
+crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne....
+T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine à ma
+petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais
+son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figuré un
+instant que tu étais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien
+que je me suis trompé, puisqu'en voilà un autre, plus capable que toi,
+mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sûr
+qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants?
+Moi, qui aurais dû voir plus tôt que vous vous aimiez?... Me
+pardonnerez-vous?...
+
+Pleurant et riant à la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous
+leurs baisers:
+
+--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne
+les vilaines paroles que j'ai entendues tout à l'heure....
+
+Ce fut le baiser des fiançailles.
+
+--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant
+allègrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!...
+
+
+
+
+IV
+
+
+Talbot alla reprendre son poste de «guetteur» au bout de la jetée. La
+nuit devait être terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882.
+
+Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote.
+
+Il y avait là l'élite des lamaneurs havrais: tous appartenaient à
+l'équipe des bateaux de sauvetage armés, dès la veille, en prévision
+d'un embarquement précipité.
+
+Cette réunion d'hommes résolus, prêts à se dévouer à la moindre alerte,
+offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes,
+grandies par le mépris du danger, auraient pu braver la comparaison avec
+ces héros de Lacédémone ou de Rome, pour qui la pensée du devoir était
+inséparable de l'idée d'honneur et de patrie.... Leur épopée eût été
+digne de la lyre des antiques Homérides!... Victimes sublimes du devoir!
+dont la noble devise: «Sauver ou Périr», fait soudain battre le coeur:
+je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Panthéons!
+
+Tous étaient là. Pas un ne songea à déserter, fût-ce une seconde, ce
+champ d'épouvante....
+
+Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus à la tempête. Il ne
+songeait plus aux dangers qui pouvaient, à chaque instant, s'offrir en
+lutte au courage de ces hommes énergiques.
+
+Son esprit était resté enfermé dans la chambrette, chaste nid de
+sa fiancée, où, sans doute, elle rêvait à lui.... Avec quelle joie
+délicieuse ne retournerait-il pas, dès le matin, près d'elle!... quelles
+douces phrases s'échangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant,
+sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa
+bien-aimée et,--qui l'en blâmerait?--appuyer ses lèvres contre les
+lèvres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le
+jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus sûrement cette mer
+sinistre, le jeune matelot aspirait après l'aube pour voler près de
+celle à qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier....
+
+Pour tous, cette nuit-là fut un siècle. Un large soupir de satisfaction
+s'échappa de chaque poitrine quand apparurent les premières lueurs du
+matin, retardées par l'état brumeux de l'atmosphère.
+
+Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en
+troupe du sémaphore et se précipitèrent sur la jetée.
+
+La mer était horrible à voir. Des montagnes d'eau déferlaient à chaque
+instant au-dessus de la rotonde, ébranlaient la maçonnerie, et venaient
+rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du sémaphore, d'où nos
+intrépides sauveteurs sortaient, frémissants d'héroïsme.... Ces vagues
+gigantesques auraient terrassé des hommes ordinaires; elles ébranlèrent
+à peine ces vaillants, habitués à lever le front devant la tempête.
+
+Raymond les avait suivis. Cette fièvre héroïque, qu'il partageait
+maintenant, arrachait son esprit aux pensées de bonheur qui l'avaient
+assailli dans la nuit.--Plus avancé même que les autres, sur cette jetée
+où chaque pas augmentait les périls, il regardait au loin et cherchait à
+percer l'étendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eût voulu
+imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui.
+
+Tout à coup sa main s'étendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit
+de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec
+défaillance contre les vagues. Au grand mât, un pavillon s'agitait
+convulsivement.
+
+--Au canot! au canot!--cria aussitôt le patron Le Croisey. Tous se
+précipitèrent à l'envi du côté de l'avant-port.
+
+Raymond courait en avant. Au moment où, emporté par sa course, il
+dépassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tête. Debout
+sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes.
+
+Le jeune matelot s'arrêta court. Les autres passèrent sans rien voir.
+
+Jeanne s'était précipitée vers lui. Il la reçut dans ses bras.
+
+Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu
+meures!
+
+Le visage du matelot devint livide:
+
+--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades
+s'embarquent.... Ils vont m'oublier!...
+
+Et, fou d'héroïsme, il voulut s'arracher aux bras noués à son cou.
+Il entraînait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces
+l'abandonner, bien que la terreur les eût décuplées, quand un hourra
+prolongé ébranla l'air. C'était le canot de sauvetage qui déjà passait
+entre les estacades, salué par les acclamations de la foule accourue sur
+les quais.
+
+--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!...
+
+Raymond sentit ses genoux fléchir. Puis d'abondantes larmes jaillirent
+de ses yeux pendant qu'il murmurait:
+
+--Jeanne, Jeanne..., j'ai manqué à mon devoir!...
+
+
+
+
+V
+
+
+Il faut avoir été témoin de pareils drames pour comprendre l'émotion
+qui saisit tous les coeurs quand le canot, mû par vingt bras vigoureux,
+franchit l'extrémité des jetées.
+
+Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui,
+haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces
+héros du dévouement....
+
+Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la
+barque et la rejetait dans l'abîme. Mais celle-ci reparaissait bientôt,
+fiévreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit
+sur le sloop en détresse.
+
+Ils arrivèrent tout près de ce dernier. Mais l'aborder était difficile,
+car, à cet endroit, un banc de rochers montrait sa crête et la mer se
+soulevait là en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le
+fragile canot.
+
+On les vit alors, après un léger circuit qui les amena sur l'avant du
+sloop, s'arrêter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa
+ainsi pour la foule massée sur la jetée.
+
+Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage.
+
+Raymond, affaissé sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait.
+
+Jeanne, assise près de lui, ne trouvant point de mots pour consoler
+cette étrange douleur, restait, le regard fixe, toute pâle et
+frissonnante.
+
+Soudain un cri terrible retentit, répété par des centaines de bouches:
+
+--Perdus!... Ils sont perdus!...
+
+Raymond se dressa. Son visage, encore baigné de larmes, eut une
+expression d'horreur indéfinissable, et son regard alla, d'un trait, à
+l'endroit où le canot se montrait encore, mais vide!...
+
+Au même instant une main étreignit la sienne.
+
+Jeanne étendait le bras vers la barque:
+
+--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!...
+
+Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis,
+sans une parole, s'élança du côté où, déjà, les autres matelots
+s'étaient précipités.
+
+
+
+
+VI
+
+
+Quelques instants après, le second canot, enlevé vigoureusement,
+franchissait à son tour les jetées.
+
+Raymond était debout à la barre.... Talbot avait dû lui céder la place.
+
+L'épouvante qui s'était emparée de la foule arrivait à son paroxysme....
+Qui savait si ces braves pourraient arriver à temps sur le lieu du
+sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui,
+peut-être, allait les engloutir comme les premiers?
+
+C'était horrible, et plus d'un détournait la tête pour ne plus voir,
+quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs.
+
+Du côté où le premier canot avait chaviré apparaissait un autre navire,
+beaucoup plus vaste que le sloop en détresse. Chacun vit distinctement
+une chaloupe s'en détacher et ramer avec énergie vers le canot naufragé.
+
+Ce nouveau secours fut acclamé par mille hourras et la voix de la foule
+étouffa un instant celle de la tempête.
+
+Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un
+secours inespéré avait décuplé les forces des rameurs.
+
+Les deux barques furent bientôt à proximité l'une de l'autre. En
+arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme
+pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une à
+l'autre. Raymond était toujours debout à la barre. Tout à coup on le vit
+chanceler et disparaître. Une vague gigantesque, prenant le canot en
+poupe, l'avait emporté. Presque aussitôt, une nouvelle vague éloigna les
+deux barques l'une de l'autre et, aux gestes désespérés des sauveteurs,
+il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu être sauvé.
+
+Talbot ni Jeanne n'assistèrent à cette seconde partie du drame.
+
+Le pilote avait trouvé la jeune fille évanouie à la place où Raymond lui
+avait donné le baiser suprême. En hâte, il l'avait transportée chez lui
+pour lui prodiguer ses soins.
+
+Quand le soir vint, sans que son fiancé eût reparu, Jeanne, en proie au
+délire, répétait:
+
+--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonné de mourir!...
+
+
+
+
+VII
+
+
+Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre était animé par l'arrivée
+d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la
+France et l'Amérique.
+
+Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du
+navire au quai. Il se dirigea, après une courte hésitation, vers
+l'entrée du port. Arrivé sur le Grand-Quai, il pénétra dans une
+ruelle obscure et s'arrêta bientôt à la porte d'une maison de modeste
+apparence. Il frappa.
+
+Une femme âgée parut sur le seuil.
+
+--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur.
+
+--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la
+pièce.
+
+Le visiteur entra. Il se trouva en présence du maître du logis qui
+l'examina curieusement et crut devoir réitérer sa question.
+
+L'inconnu se découvrit et se plaça sous la lumière:
+
+--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous?
+
+L'autre le fixa longuement, puis, tout à coup, recula, comme frappé de
+stupeur:
+
+--Raymond Gosselin!...
+
+Et il resta quelques instants, bouche béante, en regardant avec
+ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant à
+rompre le silence:
+
+--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!...
+
+--De fait, puisque me voici,--répondit le matelot, en souriant malgré
+lui.
+
+Le capitaine lui saisit les mains.
+
+--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!...
+
+Ils s'étreignirent longuement.
+
+--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu
+dois avoir faim.... Holà! la mère, à souper pour ce garçon!...
+
+La vieille qui, discrètement, s'était retirée dans la pièce voisine,
+rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une
+nouvelle surprise, mélangée de frayeur et suivie de près d'une seconde
+accolade à laquelle notre ami se prêta de bon coeur.
+
+Il était assis, quelques instants après, devant un solide repas et se
+disposait, tout en mangeant, à faire le récit que réclamait son hôte.
+
+Soudain il tressaillit; la pâleur couvrit ses traits, pendant que son
+regard s'attachait avec insistance à celui du capitaine:
+
+--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal
+assurée.
+
+--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais échappé à cette
+catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades,
+en rentrant au port, ont déclaré qu'ils n'avaient pu te sauver.... On
+a espéré quelque temps que tu avais été recueilli par les hommes de
+la chaloupe, puis cette opinion a été abandonnée, après quelques mois
+d'attente.... D'où vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas été
+envoyée ici?
+
+--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi.
+Je serai bref....
+
+Raymond épongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua
+d'une voix sourde:
+
+--Les matelots de la chaloupe, après m'avoir recueilli sans
+connaissance, renoncèrent à poursuivre leur sauvetage. Ils regagnèrent
+le navire d'où on leur faisait signe de retourner à la hâte.... Quand
+je revins à moi, j'appris que j'étais à bord d'un bateau de Hambourg,
+à destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me débarquât en
+Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait éviter les côtes, la
+tempête avait déjà retardé le navire, et les armateurs pouvaient subir
+les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considérable.... Il
+fallut me résigner. J'offris même mes services. Mais j'étais incapable
+de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloué au
+lit, en proie à la fièvre. Pendant quelques jours le mal me balança
+entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la
+tempête nous assaillit de nouveau. Je fus réveillé, une nuit, par
+un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me
+dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on
+renonce à le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras
+robustes. L'émotion était trop forte, je m'évanouis. Quand je revins à
+moi, ranimé par les soins de mon sauveur, nous étions trois hommes à
+bord d'un léger canot, presque sans vivres, presque sans eau....
+Combien de temps errâmes-nous sur cette mer tourmentée?... Comment le
+saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'étonne que
+mes compagnons ne me jetèrent pas à la mer, me croyant mort.... Je me
+rappelle seulement qu'un vapeur allant à New-York nous recueillit; j'ai
+ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla à mes côtés jusqu'au
+moment où nous débarquâmes en Amérique. Là, toujours grâce aux soins de
+ce brave coeur, on me transporta dans un hôpital.... Après cela, il y a
+dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou....
+
+--Fou!--interrompit le capitaine avec stupéfaction.
+
+--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison
+avait subi quand, tout à coup, je m'étais vu arraché à mes rêves de
+bonheur; à la pensée que peut-être ceux que j'aimais me croyaient
+mort!... Je devins fou.... Quand je revins à la réalité, j'étais au fond
+d'un hôpital, à quelques cents lieues de France! J'étais resté là une
+année!...
+
+Ma guérison fut constatée et le consulat français me fournit les moyens
+de me rapatrier....
+
+Le capitaine était devenu rêveur. Quand Raymond se tut il le regarda
+fixement:
+
+--Que comptes-tu faire à présent?...
+
+--Vous m'aiderez, capitaine, à préparer ma réapparition. Ne brusquons
+rien, surtout. Je resterai chez vous, caché, pendant que vous irez
+annoncer doucement à Talbot, puis à Jeanne..., à ma fiancée....
+
+--Ta fiancée,...--répéta le capitaine avec un accent étrange.--Ses yeux
+évitèrent le regard inquiet du jeune matelot.
+
+Raymond s'aperçut de cette émotion:
+
+--Parlez, au nom du Ciel!--s'écria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrivé?
+
+Le capitaine hésitait à répondre.
+
+--Oh! pitié, pitié!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses
+mains.
+
+Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'épaule du jeune homme:
+
+--Sois fort, matelot, Jeanne est mariée.
+
+--Mariée!...
+
+Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements
+désordonnés de son coeur:
+
+--Avec qui?...
+
+--Jeanne est la femme de Talbot.
+
+Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme:
+
+--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!...
+
+Et, comme se parlant à lui-même:
+
+--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonté d'un mourant fût
+respectée.... Mon mariage avec Jeanne eût été un crime ... qu'il n'a pas
+permis.... Cette catastrophe, cet éloignement forcé, ma folie..., tout
+n'est-il pas là pour le prouver?...
+
+--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la résolution,--vous êtes
+le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre
+d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux
+êtres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils
+me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a
+_destinés_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, à moi, est de
+rester dans la tombe où leurs pensées m'ont si souvent visité....
+Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour....
+
+--Je le jure,--répondit le capitaine, visiblement ému.
+
+--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils
+mariés?
+
+--Quelques semaines à peine. Jeanne a été longtemps malade. Le choc
+qui a ébranlé ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, à deux doigts de
+la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-même qui me l'a
+raconté,--elle n'a eu qu'une idée fixe. Elle revoyait son père, près
+d'expirer, unissant la main de Talbot à la sienne, et quand ce
+dernier veillait à son chevet, cherchant tous les moyens de la
+distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se
+rendait à son désir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et
+je veux être votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire.
+Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous
+marier? Promettez-moi que lorsque je serai guérie nous ferons notre
+_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire
+cette promesse. Elle guérit et, au bout de sa convalescence, elle exigea
+qu'on publiât les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil.
+
+--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir.
+
+Les deux hommes restèrent un instant silencieux. Tout à coup Raymond
+releva la tête:
+
+--Il le faut,--s'écria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie....
+Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les
+quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner?
+
+Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent.
+
+
+
+
+VIII
+
+
+Raymond et son compagnon arrivèrent sans être vus jusqu'à la naissance
+de la jetée. La maison de Talbot s'élevait tout près. Une lumière
+brillait aux fenêtres.
+
+Le capitaine arrêta le matelot à quelques pas de la maison et s'avança
+seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme,
+il le conduisit près de la fenêtre éclairée.
+
+--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde!
+
+Raymond se pencha avidement.
+
+Assise près d'une table, tout près de la fenêtre, Jeanne était là.
+
+Elle fixait des yeux, sous la lumière vive d'une lampe, un objet caché
+dans sa main. Soudain cette main se porta à ses lèvres. Ce mouvement
+permit au matelot de voir en pleine lumière l'objet qu'elle tenait et
+qu'elle baisait à plusieurs reprises.
+
+Un cri étouffé lui échappa:
+
+--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif
+s'emparait de tous ses membres.
+
+La tête lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir,
+quand un pas lourd se fit entendre du côté de la jetée.
+
+--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous
+voir. Laisse-moi faire.
+
+Et, tout en parlant, il força Raymond à se blottir dans un renfoncement
+de la muraille. Le jeune homme resta caché pendant que son compagnon
+allait au devant de Talbot.
+
+Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il
+le vit s'avancer de son côté. Il reconnut le coup familier frappé au
+carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumière s'allongea sur le
+pavé du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol à
+celle du vieux matelot.
+
+Raymond crut que son coeur se brisait!...
+
+L'épreuve n'était pourtant pas finie.
+
+La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumière de la fenêtre, le jeune
+homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de
+son côté pour détacher le volet de la fenêtre.
+
+Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la
+prendre dans ses bras comme le jour où elle lui avait dit:--Va et
+meurs!
+
+Il ne le fit pas!...
+
+Le bruit de la porte qui se refermait le décida seul à sortir de sa
+cachette.
+
+Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant.
+
+--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulée,--il ne faut pas
+rester ici... Reviens chez moi, mon garçon...
+
+--Non, capitaine,--répondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous
+l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon
+projet.... Demain, je serai loin du Havre.
+
+--Où vas-tu?
+
+--Où Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maître de nos destinées?_
+
+Les deux hommes s'embrassèrent. Raymond jeta un dernier regard vers la
+maison, maintenant sombre. Un sanglot déchira sa poitrine.
+
+Puis, pressant une dernière fois la main du capitaine:
+
+--Adieu!...
+
+Et il se perdit dans la nuit.
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! ***
+
+***** This file should be named 12451-8.txt or 12451-8.zip *****
+This and all associated files of various formats will be found in:
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+Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file
+was produced from images generously made available by the Bibliothèque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
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+
+Updated editions will replace the previous one--the old editions
+will be renamed.
+
+Creating the works from public domain print editions means that no
+one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
+copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
+protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
+Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
+charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
+do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
+rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
+such as creation of derivative works, reports, performances and
+research. They may be modified and printed and given away--you may do
+practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
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+*** START: FULL LICENSE ***
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+THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
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+distribution of electronic works, by using or distributing this work
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+Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
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+used on or associated in any way with an electronic work by people who
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+things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
+even without complying with the full terms of this agreement. See
+paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
+Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
+and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
+works. See paragraph 1.E below.
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+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at https://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit https://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
+eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
+compressed (zipped), HTML and others.
+
+Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
+the old filename and etext number. The replaced older file is renamed.
+VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
+new filenames and etext numbers.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ https://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
+
+EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
+are filed in directories based on their release date. If you want to
+download any of these eBooks directly, rather than using the regular
+search system you may utilize the following addresses and just
+download by the etext year.
+
+ https://www.gutenberg.org/etext06
+
+ (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
+ 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)
+
+EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
+filed in a different way. The year of a release date is no longer part
+of the directory path. The path is based on the etext number (which is
+identical to the filename). The path to the file is made up of single
+digits corresponding to all but the last digit in the filename. For
+example an eBook of filename 10234 would be found at:
+
+ https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234
+
+or filename 24689 would be found at:
+ https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689
+
+An alternative method of locating eBooks:
+ https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL
+
+
diff --git a/old/12451-8.zip b/old/12451-8.zip
new file mode 100644
index 0000000..dea88ac
--- /dev/null
+++ b/old/12451-8.zip
Binary files differ
diff --git a/old/12451.txt b/old/12451.txt
new file mode 100644
index 0000000..c6a5fff
--- /dev/null
+++ b/old/12451.txt
@@ -0,0 +1,1307 @@
+Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
+re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
+with this eBook or online at www.gutenberg.org
+
+
+Title: De profundis!
+ Episode Maritime
+
+Author: Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+Release Date: May 26, 2004 [EBook #12451]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ASCII
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! ***
+
+
+
+
+Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file
+was produced from images generously made available by the Bibliotheque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+_A Monsieur_
+
+H. Gourdon de Genouillac
+
+_Hommage respectueux_,
+
+CHARLES DURAND.
+
+
+
+
+_CONTES ET NOUVELLES_
+
+DE PROFUNDIS!
+
+_Episode Maritime_
+
+PAR CAROLUS
+
+
+Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU PERIR! fait
+soudain battre le coeur, je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prevost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Meneleon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot_.... Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Pantheons!...
+
+
+
+
+
+I
+
+
+Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages
+dechiquetes, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons
+de sorcieres dans un sabbat infernal....
+
+Fouettee par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait a des hauteurs
+monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au
+pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix
+terrible d'un monstre enchaine.
+
+La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient
+deserts et mornes, et les abords de la ville presentaient ce tableau de
+melancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempete....
+
+Au rez-de-chaussee du phare qui se dresse a l'extremite de la jetee
+Nord, deux hommes etaient assis et pretaient l'oreille aux bruits du
+dehors.
+
+Le plus age de ces deux hommes avait la figure rude et halee des gens
+habitues a la mer. Une barbe courte, taillee en fer-a-cheval, donnait a
+son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, completee par le
+regard vif et percant de deux yeux a demi caches sous d'epais sourcils.
+Tout le reste de sa physionomie repondait a cette premiere impression;
+mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur
+doux et sensible, une ame droite et genereuse.
+
+Il etait vetu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile
+grossiere dont les jambes disparaissaient dans d'enormes bottes montant
+au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronne completait cet
+accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances.
+
+Son compagnon etait vetu d'une facon analogue. Mais sous le vaste
+chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirat deja
+une certaine energie.
+
+Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt.
+
+Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont
+baptisees du nom de "brule-gueule." Mais s'il s'acquittait de cette
+operation avec une impassabilite que les bruits du dehors ne pouvaient
+ebranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps,
+quittait son siege pour aller regarder par la petite fenetre ouverte sur
+la mer.
+
+Pendant une de ces allees et venues, le vieux pivota sur son tabouret
+et, interpellant le jeune homme:
+
+--Eh! bien, Raymond, encore tes idees noires!... On croirait, ma foi,
+a ma place, que tu n'as jamais vu de tempete!... Pourtant, cela te
+connait. Je sais, moi, que tu n'as jamais pali, au large, quand le ciel
+et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse a leur facon....
+Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voila tout change. Le plus
+petit coup de vent te tourne la face en creme....
+
+--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme
+avec l'accent d'une profonde tristesse.
+
+Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue
+halee. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son
+compagnon.
+
+--Le 12 mars!...--gemit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garcon,
+je l'avais oublie.... Tu n'as pas oublie, toi.... Ah! c'est une date
+terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce
+jour-la, ton pere et tes deux freres: a moi, elle m'a ravi mes deux
+meilleurs amis, Gosselin, ton pere, et Darnetal, le pere de ma
+Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai la, pourtant, comme si
+c'etait d'hier.... Ils allaient arracher a la mort quelques malheureux
+en detresse. La mort s'est vengee d'eux en les prenant, eux aussi!... Je
+les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils
+me repousserent en me disant: "Si nous n'en revenons pas, tu resteras,
+toi, pour consoler les petits...." Les petits, c'etait toi, Raymond,
+c'etait elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'a les
+exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt
+le bateau naufrage, ils nous disaient: "Confiance! nous reviendrons avec
+eux!..." Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais:
+"Allez vite!..." a ces heros qui volaient a la mort!... C'etait leur
+devoir, helas!... Le soir, on retrouva leurs corps a la cote. Darnetal
+respirait encore. Quand, apres deux jours d'agonie, mon vieux camarade
+se sentit partir a son tour: "Talbot, me dit-il, en etreignant
+convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu
+en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te legue ma petite
+Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse pres de toi, comme elle le fut
+chez nous ..., sois pour elle un pere, d'abord ..., puis, quand elle
+sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari....
+Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!..." Je jurai, et il mourut en
+mettant ma main dans celle de Jeanne....
+
+Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baisses en parlant,
+se releverent sur Raymond, assis en face de lui. Une paleur subite avait
+envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fievre agitait tous
+ses membres.
+
+Quand Talbot eut fini de parler, un gemissement sourd souleva sa
+poitrine, ses yeux se fermerent. Il serait tombe si son compagnon ne
+s'etait precipite pour le soutenir.
+
+--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le
+visage bleme du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!...
+Raymond, Raymond!...
+
+Une idee soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il
+saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en
+depit des vagues qui venaient se briser a ses pieds et des raffales
+qui menacaient de le renverser a chaque pas, il courut du cote d'une
+maisonnette elevee a quelque distance du phare.
+
+Il frappa rapidement au carreau d'une fenetre.
+
+--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il.
+
+La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle
+poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son
+fardeau.
+
+Talbot alla droit a un vaste lit dresse dans un des angles de la piece.
+La jeune fille accourut avec une lumiere:
+
+--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le
+vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blesse?
+
+--Il est evanoui,--repondit Talbot, qui ne remarqua pas l'emotion de la
+jeune fille.--J'espere que ce ne sera rien.... J'ai eu la betise de lui
+rappeler de vieilles histoires qui l'ont ebranle. Ce pauvre garcon est
+si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre!
+
+Le jeune homme reprit bientot connaissance. Son regard s'arreta d'abord
+sur Jeanne qui, penchee sur lui, etait occupee a lui faire respirer un
+chiffon trempe de vinaigre.
+
+Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement,
+pendant que Talbot se penchait a son tour:
+
+--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il.
+
+--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme.
+
+--Eh! bien, mon garcon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une
+heure je reviendrai prendre de tes nouvelles.
+
+--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'ecria Raymond.
+Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en
+gemissant.
+
+--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que
+tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux
+tout a l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi,
+je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la
+voix,--veille bien sur ce garcon, et s'il se trouve encore mal, accours
+me chercher, mon enfant.
+
+Il sortit. Jeanne, obeissante, s'assit aupres du lit, son ouvrage sur
+ses genoux.
+
+Le jeune homme s'etait assoupi. Les bruits confus de la tempete
+troublerent seuls le silence de la maisonnette.
+
+
+
+
+II
+
+
+Elle etait vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et boucles,
+qu'elle portait, fidele a un caprice d'enfant, toujours denoues et
+simplement retenus par derriere a l'aide d'un ruban presque invisible.
+
+Des yeux azures, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle
+souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps delicatement modele,
+tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient
+donne les femmes des pecheurs d'alentour et les matelots eux-memes.
+
+Plus d'un jeune coeur s'etait senti trouble devant tant de charmes. Mais
+on savait Jeanne fiancee au pilote Talbot. Ce dernier pouvait etre sur,
+grace au respect dont il etait entoure, que pas un des soupirants ne
+tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille.
+
+Il y avait six ans, a l'epoque ou commence ce recit, que Darnetal etait
+mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot.
+
+Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant
+une petite femme....
+
+Mais aussi, songeant a son serment:
+
+--Il me semble pourtant que je serai bien use pour echanger mon role de
+pere contre celui de mari.... Quelle drole d'idee a eue la mon vieux
+camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas.
+Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours....
+
+Au fond, le brave homme avait besoin de reflechir profondement pour
+chasser le scrupule qui embarrassait sa pensee.
+
+L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi
+prive de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de
+devouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants.
+
+Jeanne et Raymond vivaient a l'ecart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait
+jamais consenti a deserter la cabane ou s'etait ecoulee son enfance.
+Mais la communaute du malheur avait etabli entre eux une prompte et vive
+amitie.
+
+En les regardant l'un pres de l'autre, Talbot s'etait dit plus d'une
+fois:--Quel gentil menage tout de meme cela ferait!...
+
+L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un
+sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se
+trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincerement
+epris de Jeanne, Raymond dut se resoudre a limiter ses apparitions chez
+le pilote.
+
+Ce dernier n'y fit guere attention: le metier les reunissait souvent au
+dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle
+devint triste; ses joues, fraiches et roses, se couvrirent d'une paleur
+inquietante.
+
+--La petite est bien sur malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait
+Jeanne qui toujours s'efforcait de dissiper par un sourire l'inquietude
+du vieux matelot.
+
+Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand
+l'accident dont j'ai parle les reunit de nouveau.
+
+
+
+
+III
+
+
+Au chevet du lit ou le jeune homme s'etait assoupi, Jeanne restait
+silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille
+qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle ecoutait
+la respiration entrecoupee du matelot; elle n'osait a peine remuer,
+comme si le plus leger bruit eut pu troubler le sommeil de Raymond. Mais
+son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait a coups precipites
+sous son corsage.
+
+Bientot le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses
+sortirent de ses levres. Jeanne, inquiete, se pencha sur lui. Une vive
+rougeur couvrit son front et ses joues: c'etait son nom, qu'en revant,
+Raymond redisait avec amour.
+
+--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser
+dans une profonde extase.
+
+Elle, restait penchee, palpitante, et belle a ravir sous le pourpre de
+ses traits. Raymond ouvrit les yeux:
+
+--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas reve!...
+
+Puis, revenant a la realite:--Oh! que je souffre!...
+
+La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de
+douleur cachee:
+
+--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforcant de vaincre
+son trouble.
+
+--Oh! oui, beaucoup, la, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je
+vous aime!...
+
+La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses
+mains.
+
+--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc
+offensee?...
+
+Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur
+eclairer ses larmes.
+
+--Vous aussi, vous m'aimez!--s'ecria-t-il en se levant, et tombant aux
+genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc
+permis cette fatalite!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon
+ame,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis
+coupable en vous aimant... Tout a l'heure, j'ai cru que j'allais mourir.
+J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon pere,
+mes freres,... ma mere, si douce et si bonne... et j'ai senti combien
+j'etais seul sur cette terre maintenant que tous ces etres aimes sont
+partis, a present qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant
+aupres de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon
+coeur,... comme epoux!... Tenez, meme ce que je vous dis la, Jeanne, est
+sacrilege. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur a
+la revolte contre l'epoux qui vous est destine ... je suis coupable,...
+oh! bien coupable,... de prendre sa place a vos genoux!...
+
+Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la
+porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derriere eux.
+
+Le pilote etait entre sans bruit. Il s'etait arrete court en les voyant,
+et il ecoutait avec une emotion croissante.
+
+Raymond continua:
+
+--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre
+coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre
+ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnete marin
+qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin,
+bien loin..., et je tacherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon
+amour.... Aimez l'epoux qui vous est destine, aimez-le comme il en est
+digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez!
+
+Un leger bruit l'interrompit; c'etait le pilote qui pleurait. Les deux
+jeunes gens leverent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les
+bras:
+
+--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant
+longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilite pour
+chasser son emotion:
+
+--Qui est-ce qui vous defend de vous aimer?... Eh! j'ai jure, j'ai
+jure... Mais je me suis toujours dit que Darnetal avait eu une
+drole d'idee. Je suis sur que, de la-haut, il voudrait pouvoir me
+crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne....
+T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine a ma
+petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais
+son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figure un
+instant que tu etais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien
+que je me suis trompe, puisqu'en voila un autre, plus capable que toi,
+mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sur
+qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants?
+Moi, qui aurais du voir plus tot que vous vous aimiez?... Me
+pardonnerez-vous?...
+
+Pleurant et riant a la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous
+leurs baisers:
+
+--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne
+les vilaines paroles que j'ai entendues tout a l'heure....
+
+Ce fut le baiser des fiancailles.
+
+--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant
+allegrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!...
+
+
+
+
+IV
+
+
+Talbot alla reprendre son poste de "guetteur" au bout de la jetee. La
+nuit devait etre terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882.
+
+Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote.
+
+Il y avait la l'elite des lamaneurs havrais: tous appartenaient a
+l'equipe des bateaux de sauvetage armes, des la veille, en prevision
+d'un embarquement precipite.
+
+Cette reunion d'hommes resolus, prets a se devouer a la moindre alerte,
+offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes,
+grandies par le mepris du danger, auraient pu braver la comparaison avec
+ces heros de Lacedemone ou de Rome, pour qui la pensee du devoir etait
+inseparable de l'idee d'honneur et de patrie.... Leur epopee eut ete
+digne de la lyre des antiques Homerides!... Victimes sublimes du devoir!
+dont la noble devise: "Sauver ou Perir", fait soudain battre le coeur:
+je vous salue!
+
+_Le Croisey, Le Prevost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Meneleon,
+Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que
+n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands
+hommes au fronton des Pantheons!
+
+Tous etaient la. Pas un ne songea a deserter, fut-ce une seconde, ce
+champ d'epouvante....
+
+Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus a la tempete. Il ne
+songeait plus aux dangers qui pouvaient, a chaque instant, s'offrir en
+lutte au courage de ces hommes energiques.
+
+Son esprit etait reste enferme dans la chambrette, chaste nid de
+sa fiancee, ou, sans doute, elle revait a lui.... Avec quelle joie
+delicieuse ne retournerait-il pas, des le matin, pres d'elle!... quelles
+douces phrases s'echangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant,
+sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa
+bien-aimee et,--qui l'en blamerait?--appuyer ses levres contre les
+levres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le
+jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus surement cette mer
+sinistre, le jeune matelot aspirait apres l'aube pour voler pres de
+celle a qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier....
+
+Pour tous, cette nuit-la fut un siecle. Un large soupir de satisfaction
+s'echappa de chaque poitrine quand apparurent les premieres lueurs du
+matin, retardees par l'etat brumeux de l'atmosphere.
+
+Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en
+troupe du semaphore et se precipiterent sur la jetee.
+
+La mer etait horrible a voir. Des montagnes d'eau deferlaient a chaque
+instant au-dessus de la rotonde, ebranlaient la maconnerie, et venaient
+rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du semaphore, d'ou nos
+intrepides sauveteurs sortaient, fremissants d'heroisme.... Ces vagues
+gigantesques auraient terrasse des hommes ordinaires; elles ebranlerent
+a peine ces vaillants, habitues a lever le front devant la tempete.
+
+Raymond les avait suivis. Cette fievre heroique, qu'il partageait
+maintenant, arrachait son esprit aux pensees de bonheur qui l'avaient
+assailli dans la nuit.--Plus avance meme que les autres, sur cette jetee
+ou chaque pas augmentait les perils, il regardait au loin et cherchait a
+percer l'etendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eut voulu
+imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui.
+
+Tout a coup sa main s'etendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit
+de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec
+defaillance contre les vagues. Au grand mat, un pavillon s'agitait
+convulsivement.
+
+--Au canot! au canot!--cria aussitot le patron Le Croisey. Tous se
+precipiterent a l'envi du cote de l'avant-port.
+
+Raymond courait en avant. Au moment ou, emporte par sa course, il
+depassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tete. Debout
+sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes.
+
+Le jeune matelot s'arreta court. Les autres passerent sans rien voir.
+
+Jeanne s'etait precipitee vers lui. Il la recut dans ses bras.
+
+Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu
+meures!
+
+Le visage du matelot devint livide:
+
+--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades
+s'embarquent.... Ils vont m'oublier!...
+
+Et, fou d'heroisme, il voulut s'arracher aux bras noues a son cou.
+Il entrainait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces
+l'abandonner, bien que la terreur les eut decuplees, quand un hourra
+prolonge ebranla l'air. C'etait le canot de sauvetage qui deja passait
+entre les estacades, salue par les acclamations de la foule accourue sur
+les quais.
+
+--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!...
+
+Raymond sentit ses genoux flechir. Puis d'abondantes larmes jaillirent
+de ses yeux pendant qu'il murmurait:
+
+--Jeanne, Jeanne..., j'ai manque a mon devoir!...
+
+
+
+
+V
+
+
+Il faut avoir ete temoin de pareils drames pour comprendre l'emotion
+qui saisit tous les coeurs quand le canot, mu par vingt bras vigoureux,
+franchit l'extremite des jetees.
+
+Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui,
+haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces
+heros du devouement....
+
+Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la
+barque et la rejetait dans l'abime. Mais celle-ci reparaissait bientot,
+fievreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit
+sur le sloop en detresse.
+
+Ils arriverent tout pres de ce dernier. Mais l'aborder etait difficile,
+car, a cet endroit, un banc de rochers montrait sa crete et la mer se
+soulevait la en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le
+fragile canot.
+
+On les vit alors, apres un leger circuit qui les amena sur l'avant du
+sloop, s'arreter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa
+ainsi pour la foule massee sur la jetee.
+
+Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage.
+
+Raymond, affaisse sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait.
+
+Jeanne, assise pres de lui, ne trouvant point de mots pour consoler
+cette etrange douleur, restait, le regard fixe, toute pale et
+frissonnante.
+
+Soudain un cri terrible retentit, repete par des centaines de bouches:
+
+--Perdus!... Ils sont perdus!...
+
+Raymond se dressa. Son visage, encore baigne de larmes, eut une
+expression d'horreur indefinissable, et son regard alla, d'un trait, a
+l'endroit ou le canot se montrait encore, mais vide!...
+
+Au meme instant une main etreignit la sienne.
+
+Jeanne etendait le bras vers la barque:
+
+--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!...
+
+Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis,
+sans une parole, s'elanca du cote ou, deja, les autres matelots
+s'etaient precipites.
+
+
+
+
+VI
+
+
+Quelques instants apres, le second canot, enleve vigoureusement,
+franchissait a son tour les jetees.
+
+Raymond etait debout a la barre.... Talbot avait du lui ceder la place.
+
+L'epouvante qui s'etait emparee de la foule arrivait a son paroxysme....
+Qui savait si ces braves pourraient arriver a temps sur le lieu du
+sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui,
+peut-etre, allait les engloutir comme les premiers?
+
+C'etait horrible, et plus d'un detournait la tete pour ne plus voir,
+quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs.
+
+Du cote ou le premier canot avait chavire apparaissait un autre navire,
+beaucoup plus vaste que le sloop en detresse. Chacun vit distinctement
+une chaloupe s'en detacher et ramer avec energie vers le canot naufrage.
+
+Ce nouveau secours fut acclame par mille hourras et la voix de la foule
+etouffa un instant celle de la tempete.
+
+Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un
+secours inespere avait decuple les forces des rameurs.
+
+Les deux barques furent bientot a proximite l'une de l'autre. En
+arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme
+pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une a
+l'autre. Raymond etait toujours debout a la barre. Tout a coup on le vit
+chanceler et disparaitre. Une vague gigantesque, prenant le canot en
+poupe, l'avait emporte. Presque aussitot, une nouvelle vague eloigna les
+deux barques l'une de l'autre et, aux gestes desesperes des sauveteurs,
+il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu etre sauve.
+
+Talbot ni Jeanne n'assisterent a cette seconde partie du drame.
+
+Le pilote avait trouve la jeune fille evanouie a la place ou Raymond lui
+avait donne le baiser supreme. En hate, il l'avait transportee chez lui
+pour lui prodiguer ses soins.
+
+Quand le soir vint, sans que son fiance eut reparu, Jeanne, en proie au
+delire, repetait:
+
+--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonne de mourir!...
+
+
+
+
+VII
+
+
+Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre etait anime par l'arrivee
+d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la
+France et l'Amerique.
+
+Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du
+navire au quai. Il se dirigea, apres une courte hesitation, vers
+l'entree du port. Arrive sur le Grand-Quai, il penetra dans une
+ruelle obscure et s'arreta bientot a la porte d'une maison de modeste
+apparence. Il frappa.
+
+Une femme agee parut sur le seuil.
+
+--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur.
+
+--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la
+piece.
+
+Le visiteur entra. Il se trouva en presence du maitre du logis qui
+l'examina curieusement et crut devoir reiterer sa question.
+
+L'inconnu se decouvrit et se placa sous la lumiere:
+
+--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous?
+
+L'autre le fixa longuement, puis, tout a coup, recula, comme frappe de
+stupeur:
+
+--Raymond Gosselin!...
+
+Et il resta quelques instants, bouche beante, en regardant avec
+ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant a
+rompre le silence:
+
+--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!...
+
+--De fait, puisque me voici,--repondit le matelot, en souriant malgre
+lui.
+
+Le capitaine lui saisit les mains.
+
+--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!...
+
+Ils s'etreignirent longuement.
+
+--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu
+dois avoir faim.... Hola! la mere, a souper pour ce garcon!...
+
+La vieille qui, discretement, s'etait retiree dans la piece voisine,
+rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une
+nouvelle surprise, melangee de frayeur et suivie de pres d'une seconde
+accolade a laquelle notre ami se preta de bon coeur.
+
+Il etait assis, quelques instants apres, devant un solide repas et se
+disposait, tout en mangeant, a faire le recit que reclamait son hote.
+
+Soudain il tressaillit; la paleur couvrit ses traits, pendant que son
+regard s'attachait avec insistance a celui du capitaine:
+
+--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal
+assuree.
+
+--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais echappe a cette
+catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades,
+en rentrant au port, ont declare qu'ils n'avaient pu te sauver.... On
+a espere quelque temps que tu avais ete recueilli par les hommes de
+la chaloupe, puis cette opinion a ete abandonnee, apres quelques mois
+d'attente.... D'ou vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas ete
+envoyee ici?
+
+--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi.
+Je serai bref....
+
+Raymond epongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua
+d'une voix sourde:
+
+--Les matelots de la chaloupe, apres m'avoir recueilli sans
+connaissance, renoncerent a poursuivre leur sauvetage. Ils regagnerent
+le navire d'ou on leur faisait signe de retourner a la hate.... Quand
+je revins a moi, j'appris que j'etais a bord d'un bateau de Hambourg,
+a destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me debarquat en
+Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait eviter les cotes, la
+tempete avait deja retarde le navire, et les armateurs pouvaient subir
+les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considerable.... Il
+fallut me resigner. J'offris meme mes services. Mais j'etais incapable
+de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloue au
+lit, en proie a la fievre. Pendant quelques jours le mal me balanca
+entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la
+tempete nous assaillit de nouveau. Je fus reveille, une nuit, par
+un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me
+dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on
+renonce a le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras
+robustes. L'emotion etait trop forte, je m'evanouis. Quand je revins a
+moi, ranime par les soins de mon sauveur, nous etions trois hommes a
+bord d'un leger canot, presque sans vivres, presque sans eau....
+Combien de temps errames-nous sur cette mer tourmentee?... Comment le
+saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'etonne que
+mes compagnons ne me jeterent pas a la mer, me croyant mort.... Je me
+rappelle seulement qu'un vapeur allant a New-York nous recueillit; j'ai
+ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla a mes cotes jusqu'au
+moment ou nous debarquames en Amerique. La, toujours grace aux soins de
+ce brave coeur, on me transporta dans un hopital.... Apres cela, il y a
+dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou....
+
+--Fou!--interrompit le capitaine avec stupefaction.
+
+--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison
+avait subi quand, tout a coup, je m'etais vu arrache a mes reves de
+bonheur; a la pensee que peut-etre ceux que j'aimais me croyaient
+mort!... Je devins fou.... Quand je revins a la realite, j'etais au fond
+d'un hopital, a quelques cents lieues de France! J'etais reste la une
+annee!...
+
+Ma guerison fut constatee et le consulat francais me fournit les moyens
+de me rapatrier....
+
+Le capitaine etait devenu reveur. Quand Raymond se tut il le regarda
+fixement:
+
+--Que comptes-tu faire a present?...
+
+--Vous m'aiderez, capitaine, a preparer ma reapparition. Ne brusquons
+rien, surtout. Je resterai chez vous, cache, pendant que vous irez
+annoncer doucement a Talbot, puis a Jeanne..., a ma fiancee....
+
+--Ta fiancee,...--repeta le capitaine avec un accent etrange.--Ses yeux
+eviterent le regard inquiet du jeune matelot.
+
+Raymond s'apercut de cette emotion:
+
+--Parlez, au nom du Ciel!--s'ecria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrive?
+
+Le capitaine hesitait a repondre.
+
+--Oh! pitie, pitie!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses
+mains.
+
+Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'epaule du jeune homme:
+
+--Sois fort, matelot, Jeanne est mariee.
+
+--Mariee!...
+
+Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements
+desordonnes de son coeur:
+
+--Avec qui?...
+
+--Jeanne est la femme de Talbot.
+
+Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme:
+
+--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!...
+
+Et, comme se parlant a lui-meme:
+
+--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonte d'un mourant fut
+respectee.... Mon mariage avec Jeanne eut ete un crime ... qu'il n'a pas
+permis.... Cette catastrophe, cet eloignement force, ma folie..., tout
+n'est-il pas la pour le prouver?...
+
+--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la resolution,--vous etes
+le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre
+d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux
+etres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils
+me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a
+_destines_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, a moi, est de
+rester dans la tombe ou leurs pensees m'ont si souvent visite....
+Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour....
+
+--Je le jure,--repondit le capitaine, visiblement emu.
+
+--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils
+maries?
+
+--Quelques semaines a peine. Jeanne a ete longtemps malade. Le choc
+qui a ebranle ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, a deux doigts de
+la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-meme qui me l'a
+raconte,--elle n'a eu qu'une idee fixe. Elle revoyait son pere, pres
+d'expirer, unissant la main de Talbot a la sienne, et quand ce
+dernier veillait a son chevet, cherchant tous les moyens de la
+distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se
+rendait a son desir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et
+je veux etre votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire.
+Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous
+marier? Promettez-moi que lorsque je serai guerie nous ferons notre
+_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire
+cette promesse. Elle guerit et, au bout de sa convalescence, elle exigea
+qu'on publiat les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil.
+
+--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir.
+
+Les deux hommes resterent un instant silencieux. Tout a coup Raymond
+releva la tete:
+
+--Il le faut,--s'ecria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie....
+Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les
+quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner?
+
+Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent.
+
+
+
+
+VIII
+
+
+Raymond et son compagnon arriverent sans etre vus jusqu'a la naissance
+de la jetee. La maison de Talbot s'elevait tout pres. Une lumiere
+brillait aux fenetres.
+
+Le capitaine arreta le matelot a quelques pas de la maison et s'avanca
+seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme,
+il le conduisit pres de la fenetre eclairee.
+
+--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde!
+
+Raymond se pencha avidement.
+
+Assise pres d'une table, tout pres de la fenetre, Jeanne etait la.
+
+Elle fixait des yeux, sous la lumiere vive d'une lampe, un objet cache
+dans sa main. Soudain cette main se porta a ses levres. Ce mouvement
+permit au matelot de voir en pleine lumiere l'objet qu'elle tenait et
+qu'elle baisait a plusieurs reprises.
+
+Un cri etouffe lui echappa:
+
+--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif
+s'emparait de tous ses membres.
+
+La tete lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir,
+quand un pas lourd se fit entendre du cote de la jetee.
+
+--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous
+voir. Laisse-moi faire.
+
+Et, tout en parlant, il forca Raymond a se blottir dans un renfoncement
+de la muraille. Le jeune homme resta cache pendant que son compagnon
+allait au devant de Talbot.
+
+Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il
+le vit s'avancer de son cote. Il reconnut le coup familier frappe au
+carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumiere s'allongea sur le
+pave du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol a
+celle du vieux matelot.
+
+Raymond crut que son coeur se brisait!...
+
+L'epreuve n'etait pourtant pas finie.
+
+La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumiere de la fenetre, le jeune
+homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de
+son cote pour detacher le volet de la fenetre.
+
+Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la
+prendre dans ses bras comme le jour ou elle lui avait dit:--Va et
+meurs!
+
+Il ne le fit pas!...
+
+Le bruit de la porte qui se refermait le decida seul a sortir de sa
+cachette.
+
+Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant.
+
+--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulee,--il ne faut pas
+rester ici... Reviens chez moi, mon garcon...
+
+--Non, capitaine,--repondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous
+l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon
+projet.... Demain, je serai loin du Havre.
+
+--Ou vas-tu?
+
+--Ou Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maitre de nos destinees?_
+
+Les deux hommes s'embrasserent. Raymond jeta un dernier regard vers la
+maison, maintenant sombre. Un sanglot dechira sa poitrine.
+
+Puis, pressant une derniere fois la main du capitaine:
+
+--Adieu!...
+
+Et il se perdit dans la nuit.
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand]
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! ***
+
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+Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file
+was produced from images generously made available by the Bibliotheque
+nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr.
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+(and you!) can copy and distribute it in the United States without
+permission and without paying copyright royalties. Special rules,
+set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
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+such as creation of derivative works, reports, performances and
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+subject to the trademark license, especially commercial
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+works. See paragraph 1.E below.
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+or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
+Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
+collection are in the public domain in the United States. If an
+individual work is in the public domain in the United States and you are
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+ money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
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+ distribution of Project Gutenberg-tm works.
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+electronic work or group of works on different terms than are set
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+1.F.
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+collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
+works, and the medium on which they may be stored, may contain
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+corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
+property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
+
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+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at https://www.pglaf.org.
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+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
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+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
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+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
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+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
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+Literary Archive Foundation
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+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
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+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
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+particular state visit https://pglaf.org
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+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
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+any statements concerning tax treatment of donations received from
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+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including including checks, online payments and credit card
+donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate
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+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's
+eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII,
+compressed (zipped), HTML and others.
+
+Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over
+the old filename and etext number. The replaced older file is renamed.
+VERSIONS based on separate sources are treated as new eBooks receiving
+new filenames and etext numbers.
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
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+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+EBooks posted prior to November 2003, with eBook numbers BELOW #10000,
+are filed in directories based on their release date. If you want to
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+ (Or /etext 05, 04, 03, 02, 01, 00, 99,
+ 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90)
+
+EBooks posted since November 2003, with etext numbers OVER #10000, are
+filed in a different way. The year of a release date is no longer part
+of the directory path. The path is based on the etext number (which is
+identical to the filename). The path to the file is made up of single
+digits corresponding to all but the last digit in the filename. For
+example an eBook of filename 10234 would be found at:
+
+ https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234
+
+or filename 24689 would be found at:
+ https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689
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+An alternative method of locating eBooks:
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+
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new file mode 100644
index 0000000..84eea38
--- /dev/null
+++ b/old/12451.zip
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