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| author | Roger Frank <rfrank@pglaf.org> | 2025-10-15 04:39:58 -0700 |
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On voyait au ciel de gros nuages +déchiquetés, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons +de sorcières dans un sabbat infernal.... + +Fouettée par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait à des hauteurs +monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au +pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix +terrible d'un monstre enchaîné. + +La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient +déserts et mornes, et les abords de la ville présentaient ce tableau de +mélancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempête.... + +Au rez-de-chaussée du phare qui se dresse à l'extrémité de la jetée +Nord, deux hommes étaient assis et prêtaient l'oreille aux bruits du +dehors. + +Le plus âgé de ces deux hommes avait la figure rude et hâlée des gens +habitués à la mer. Une barbe courte, taillée en fer-à -cheval, donnait à +son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, complétée par le +regard vif et perçant de deux yeux à demi cachés sous d'épais sourcils. +Tout le reste de sa physionomie répondait à cette première impression; +mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur +doux et sensible, une âme droite et généreuse. + +Il était vêtu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile +grossière dont les jambes disparaissaient dans d'énormes bottes montant +au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronné complétait cet +accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances. + +Son compagnon était vêtu d'une façon analogue. Mais sous le vaste +chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirât déjà +une certaine énergie. + +Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt. + +Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont +baptisées du nom de «brûle-gueule.» Mais s'il s'acquittait de cette +opération avec une impassabilité que les bruits du dehors ne pouvaient +ébranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps, +quittait son siège pour aller regarder par la petite fenêtre ouverte sur +la mer. + +Pendant une de ces allées et venues, le vieux pivota sur son tabouret +et, interpellant le jeune homme: + +--Eh! bien, Raymond, encore tes idées noires!... On croirait, ma foi, +à ma place, que tu n'as jamais vu de tempête!... Pourtant, cela te +connaît. Je sais, moi, que tu n'as jamais pâli, au large, quand le ciel +et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse à leur façon.... +Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voilà tout changé. Le plus +petit coup de vent te tourne la face en crème.... + +--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme +avec l'accent d'une profonde tristesse. + +Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue +hâlée. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son +compagnon. + +--Le 12 mars!...--gémit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garçon, +je l'avais oublié.... Tu n'as pas oublié, toi.... Ah! c'est une date +terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce +jour-là , ton père et tes deux frères: à moi, elle m'a ravi mes deux +meilleurs amis, Gosselin, ton père, et Darnétal, le père de ma +Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai là , pourtant, comme si +c'était d'hier.... Ils allaient arracher à la mort quelques malheureux +en détresse. La mort s'est vengée d'eux en les prenant, eux aussi!... Je +les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils +me repoussèrent en me disant: «Si nous n'en revenons pas, tu resteras, +toi, pour consoler les petits....» Les petits, c'était toi, Raymond, +c'était elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'à les +exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt +le bateau naufragé, ils nous disaient: «Confiance! nous reviendrons avec +eux!...» Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais: +«Allez vite!...» à ces héros qui volaient à la mort!... C'était leur +devoir, hélas!... Le soir, on retrouva leurs corps à la côte. Darnétal +respirait encore. Quand, après deux jours d'agonie, mon vieux camarade +se sentit partir à son tour: «Talbot, me dit-il, en étreignant +convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu +en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te lègue ma petite +Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse près de toi, comme elle le fut +chez nous ..., sois pour elle un père, d'abord ..., puis, quand elle +sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari.... +Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!...» Je jurai, et il mourut en +mettant ma main dans celle de Jeanne.... + +Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baissés en parlant, +se relevèrent sur Raymond, assis en face de lui. Une pâleur subite avait +envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fièvre agitait tous +ses membres. + +Quand Talbot eut fini de parler, un gémissement sourd souleva sa +poitrine, ses yeux se fermèrent. Il serait tombé si son compagnon ne +s'était précipité pour le soutenir. + +--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le +visage blême du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!... +Raymond, Raymond!... + +Une idée soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il +saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en +dépit des vagues qui venaient se briser à ses pieds et des raffales +qui menaçaient de le renverser à chaque pas, il courut du côté d'une +maisonnette élevée à quelque distance du phare. + +Il frappa rapidement au carreau d'une fenêtre. + +--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il. + +La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle +poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son +fardeau. + +Talbot alla droit à un vaste lit dressé dans un des angles de la pièce. +La jeune fille accourut avec une lumière: + +--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le +vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blessé? + +--Il est évanoui,--répondit Talbot, qui ne remarqua pas l'émotion de la +jeune fille.--J'espère que ce ne sera rien.... J'ai eu la bêtise de lui +rappeler de vieilles histoires qui l'ont ébranlé. Ce pauvre garçon est +si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre! + +Le jeune homme reprit bientôt connaissance. Son regard s'arrêta d'abord +sur Jeanne qui, penchée sur lui, était occupée à lui faire respirer un +chiffon trempé de vinaigre. + +Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement, +pendant que Talbot se penchait à son tour: + +--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il. + +--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme. + +--Eh! bien, mon garçon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une +heure je reviendrai prendre de tes nouvelles. + +--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'écria Raymond. +Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en +gémissant. + +--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que +tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux +tout à l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi, +je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la +voix,--veille bien sur ce garçon, et s'il se trouve encore mal, accours +me chercher, mon enfant. + +Il sortit. Jeanne, obéissante, s'assit auprès du lit, son ouvrage sur +ses genoux. + +Le jeune homme s'était assoupi. Les bruits confus de la tempête +troublèrent seuls le silence de la maisonnette. + + + + +II + + +Elle était vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et bouclés, +qu'elle portait, fidèle à un caprice d'enfant, toujours dénoués et +simplement retenus par derrière à l'aide d'un ruban presque invisible. + +Des yeux azurés, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle +souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps délicatement modelé, +tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient +donné les femmes des pêcheurs d'alentour et les matelots eux-mêmes. + +Plus d'un jeune coeur s'était senti troublé devant tant de charmes. Mais +on savait Jeanne fiancée au pilote Talbot. Ce dernier pouvait être sûr, +grâce au respect dont il était entouré, que pas un des soupirants ne +tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille. + +Il y avait six ans, à l'époque où commence ce récit, que Darnétal était +mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot. + +Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant +une petite femme.... + +Mais aussi, songeant à son serment: + +--Il me semble pourtant que je serai bien usé pour échanger mon rôle de +père contre celui de mari.... Quelle drôle d'idée a eue là mon vieux +camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas. +Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours.... + +Au fond, le brave homme avait besoin de réfléchir profondément pour +chasser le scrupule qui embarrassait sa pensée. + +L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi +privé de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de +dévouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants. + +Jeanne et Raymond vivaient à l'écart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait +jamais consenti à déserter la cabane où s'était écoulée son enfance. +Mais la communauté du malheur avait établi entre eux une prompte et vive +amitié. + +En les regardant l'un près de l'autre, Talbot s'était dit plus d'une +fois:--Quel gentil ménage tout de même cela ferait!... + +L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un +sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se +trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincèrement +épris de Jeanne, Raymond dut se résoudre à limiter ses apparitions chez +le pilote. + +Ce dernier n'y fit guère attention: le métier les réunissait souvent au +dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle +devint triste; ses joues, fraîches et roses, se couvrirent d'une pâleur +inquiétante. + +--La petite est bien sûr malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait +Jeanne qui toujours s'efforçait de dissiper par un sourire l'inquiétude +du vieux matelot. + +Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand +l'accident dont j'ai parlé les réunit de nouveau. + + + + +III + + +Au chevet du lit où le jeune homme s'était assoupi, Jeanne restait +silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille +qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle écoutait +la respiration entrecoupée du matelot; elle n'osait à peine remuer, +comme si le plus léger bruit eût pu troubler le sommeil de Raymond. Mais +son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait à coups précipités +sous son corsage. + +Bientôt le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses +sortirent de ses lèvres. Jeanne, inquiète, se pencha sur lui. Une vive +rougeur couvrit son front et ses joues: c'était son nom, qu'en rêvant, +Raymond redisait avec amour. + +--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser +dans une profonde extase. + +Elle, restait penchée, palpitante, et belle à ravir sous le pourpre de +ses traits. Raymond ouvrit les yeux: + +--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas rêvé!... + +Puis, revenant à la réalité:--Oh! que je souffre!... + +La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de +douleur cachée: + +--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforçant de vaincre +son trouble. + +--Oh! oui, beaucoup, là , au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je +vous aime!... + +La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses +mains. + +--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc +offensée?... + +Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur +éclairer ses larmes. + +--Vous aussi, vous m'aimez!--s'écria-t-il en se levant, et tombant aux +genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc +permis cette fatalité!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon +âme,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis +coupable en vous aimant... Tout à l'heure, j'ai cru que j'allais mourir. +J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon père, +mes frères,... ma mère, si douce et si bonne... et j'ai senti combien +j'étais seul sur cette terre maintenant que tous ces êtres aimés sont +partis, à présent qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant +auprès de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon +coeur,... comme époux!... Tenez, même ce que je vous dis là , Jeanne, est +sacrilège. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur à +la révolte contre l'époux qui vous est destiné ... je suis coupable,... +oh! bien coupable,... de prendre sa place à vos genoux!... + +Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la +porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derrière eux. + +Le pilote était entré sans bruit. Il s'était arrêté court en les voyant, +et il écoutait avec une émotion croissante. + +Raymond continua: + +--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre +coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre +ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnête marin +qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin, +bien loin..., et je tâcherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon +amour.... Aimez l'époux qui vous est destiné, aimez-le comme il en est +digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez! + +Un léger bruit l'interrompit; c'était le pilote qui pleurait. Les deux +jeunes gens levèrent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les +bras: + +--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant +longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilité pour +chasser son émotion: + +--Qui est-ce qui vous défend de vous aimer?... Eh! j'ai juré, j'ai +juré... Mais je me suis toujours dit que Darnétal avait eu une +drôle d'idée. Je suis sûr que, de là -haut, il voudrait pouvoir me +crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne.... +T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine à ma +petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais +son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figuré un +instant que tu étais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien +que je me suis trompé, puisqu'en voilà un autre, plus capable que toi, +mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sûr +qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants? +Moi, qui aurais dû voir plus tôt que vous vous aimiez?... Me +pardonnerez-vous?... + +Pleurant et riant à la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous +leurs baisers: + +--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne +les vilaines paroles que j'ai entendues tout à l'heure.... + +Ce fut le baiser des fiançailles. + +--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant +allègrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!... + + + + +IV + + +Talbot alla reprendre son poste de «guetteur» au bout de la jetée. La +nuit devait être terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882. + +Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote. + +Il y avait là l'élite des lamaneurs havrais: tous appartenaient à +l'équipe des bateaux de sauvetage armés, dès la veille, en prévision +d'un embarquement précipité. + +Cette réunion d'hommes résolus, prêts à se dévouer à la moindre alerte, +offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes, +grandies par le mépris du danger, auraient pu braver la comparaison avec +ces héros de Lacédémone ou de Rome, pour qui la pensée du devoir était +inséparable de l'idée d'honneur et de patrie.... Leur épopée eût été +digne de la lyre des antiques Homérides!... Victimes sublimes du devoir! +dont la noble devise: «Sauver ou Périr», fait soudain battre le coeur: +je vous salue! + +_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon, +Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que +n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands +hommes au fronton des Panthéons! + +Tous étaient là . Pas un ne songea à déserter, fût-ce une seconde, ce +champ d'épouvante.... + +Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus à la tempête. Il ne +songeait plus aux dangers qui pouvaient, à chaque instant, s'offrir en +lutte au courage de ces hommes énergiques. + +Son esprit était resté enfermé dans la chambrette, chaste nid de +sa fiancée, où, sans doute, elle rêvait à lui.... Avec quelle joie +délicieuse ne retournerait-il pas, dès le matin, près d'elle!... quelles +douces phrases s'échangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant, +sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa +bien-aimée et,--qui l'en blâmerait?--appuyer ses lèvres contre les +lèvres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le +jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus sûrement cette mer +sinistre, le jeune matelot aspirait après l'aube pour voler près de +celle à qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier.... + +Pour tous, cette nuit-là fut un siècle. Un large soupir de satisfaction +s'échappa de chaque poitrine quand apparurent les premières lueurs du +matin, retardées par l'état brumeux de l'atmosphère. + +Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en +troupe du sémaphore et se précipitèrent sur la jetée. + +La mer était horrible à voir. Des montagnes d'eau déferlaient à chaque +instant au-dessus de la rotonde, ébranlaient la maçonnerie, et venaient +rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du sémaphore, d'où nos +intrépides sauveteurs sortaient, frémissants d'héroïsme.... Ces vagues +gigantesques auraient terrassé des hommes ordinaires; elles ébranlèrent +à peine ces vaillants, habitués à lever le front devant la tempête. + +Raymond les avait suivis. Cette fièvre héroïque, qu'il partageait +maintenant, arrachait son esprit aux pensées de bonheur qui l'avaient +assailli dans la nuit.--Plus avancé même que les autres, sur cette jetée +où chaque pas augmentait les périls, il regardait au loin et cherchait à +percer l'étendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eût voulu +imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui. + +Tout à coup sa main s'étendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit +de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec +défaillance contre les vagues. Au grand mât, un pavillon s'agitait +convulsivement. + +--Au canot! au canot!--cria aussitôt le patron Le Croisey. Tous se +précipitèrent à l'envi du côté de l'avant-port. + +Raymond courait en avant. Au moment où, emporté par sa course, il +dépassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tête. Debout +sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes. + +Le jeune matelot s'arrêta court. Les autres passèrent sans rien voir. + +Jeanne s'était précipitée vers lui. Il la reçut dans ses bras. + +Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu +meures! + +Le visage du matelot devint livide: + +--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades +s'embarquent.... Ils vont m'oublier!... + +Et, fou d'héroïsme, il voulut s'arracher aux bras noués à son cou. +Il entraînait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces +l'abandonner, bien que la terreur les eût décuplées, quand un hourra +prolongé ébranla l'air. C'était le canot de sauvetage qui déjà passait +entre les estacades, salué par les acclamations de la foule accourue sur +les quais. + +--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!... + +Raymond sentit ses genoux fléchir. Puis d'abondantes larmes jaillirent +de ses yeux pendant qu'il murmurait: + +--Jeanne, Jeanne..., j'ai manqué à mon devoir!... + + + + +V + + +Il faut avoir été témoin de pareils drames pour comprendre l'émotion +qui saisit tous les coeurs quand le canot, mû par vingt bras vigoureux, +franchit l'extrémité des jetées. + +Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui, +haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces +héros du dévouement.... + +Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la +barque et la rejetait dans l'abîme. Mais celle-ci reparaissait bientôt, +fiévreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit +sur le sloop en détresse. + +Ils arrivèrent tout près de ce dernier. Mais l'aborder était difficile, +car, à cet endroit, un banc de rochers montrait sa crête et la mer se +soulevait là en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le +fragile canot. + +On les vit alors, après un léger circuit qui les amena sur l'avant du +sloop, s'arrêter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa +ainsi pour la foule massée sur la jetée. + +Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage. + +Raymond, affaissé sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait. + +Jeanne, assise près de lui, ne trouvant point de mots pour consoler +cette étrange douleur, restait, le regard fixe, toute pâle et +frissonnante. + +Soudain un cri terrible retentit, répété par des centaines de bouches: + +--Perdus!... Ils sont perdus!... + +Raymond se dressa. Son visage, encore baigné de larmes, eut une +expression d'horreur indéfinissable, et son regard alla, d'un trait, à +l'endroit où le canot se montrait encore, mais vide!... + +Au même instant une main étreignit la sienne. + +Jeanne étendait le bras vers la barque: + +--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!... + +Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis, +sans une parole, s'élança du côté où, déjà , les autres matelots +s'étaient précipités. + + + + +VI + + +Quelques instants après, le second canot, enlevé vigoureusement, +franchissait à son tour les jetées. + +Raymond était debout à la barre.... Talbot avait dû lui céder la place. + +L'épouvante qui s'était emparée de la foule arrivait à son paroxysme.... +Qui savait si ces braves pourraient arriver à temps sur le lieu du +sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui, +peut-être, allait les engloutir comme les premiers? + +C'était horrible, et plus d'un détournait la tête pour ne plus voir, +quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs. + +Du côté où le premier canot avait chaviré apparaissait un autre navire, +beaucoup plus vaste que le sloop en détresse. Chacun vit distinctement +une chaloupe s'en détacher et ramer avec énergie vers le canot naufragé. + +Ce nouveau secours fut acclamé par mille hourras et la voix de la foule +étouffa un instant celle de la tempête. + +Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un +secours inespéré avait décuplé les forces des rameurs. + +Les deux barques furent bientôt à proximité l'une de l'autre. En +arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme +pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une à +l'autre. Raymond était toujours debout à la barre. Tout à coup on le vit +chanceler et disparaître. Une vague gigantesque, prenant le canot en +poupe, l'avait emporté. Presque aussitôt, une nouvelle vague éloigna les +deux barques l'une de l'autre et, aux gestes désespérés des sauveteurs, +il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu être sauvé. + +Talbot ni Jeanne n'assistèrent à cette seconde partie du drame. + +Le pilote avait trouvé la jeune fille évanouie à la place où Raymond lui +avait donné le baiser suprême. En hâte, il l'avait transportée chez lui +pour lui prodiguer ses soins. + +Quand le soir vint, sans que son fiancé eût reparu, Jeanne, en proie au +délire, répétait: + +--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonné de mourir!... + + + + +VII + + +Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre était animé par l'arrivée +d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la +France et l'Amérique. + +Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du +navire au quai. Il se dirigea, après une courte hésitation, vers +l'entrée du port. Arrivé sur le Grand-Quai, il pénétra dans une +ruelle obscure et s'arrêta bientôt à la porte d'une maison de modeste +apparence. Il frappa. + +Une femme âgée parut sur le seuil. + +--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur. + +--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la +pièce. + +Le visiteur entra. Il se trouva en présence du maître du logis qui +l'examina curieusement et crut devoir réitérer sa question. + +L'inconnu se découvrit et se plaça sous la lumière: + +--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous? + +L'autre le fixa longuement, puis, tout à coup, recula, comme frappé de +stupeur: + +--Raymond Gosselin!... + +Et il resta quelques instants, bouche béante, en regardant avec +ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant à +rompre le silence: + +--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!... + +--De fait, puisque me voici,--répondit le matelot, en souriant malgré +lui. + +Le capitaine lui saisit les mains. + +--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!... + +Ils s'étreignirent longuement. + +--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu +dois avoir faim.... Holà ! la mère, à souper pour ce garçon!... + +La vieille qui, discrètement, s'était retirée dans la pièce voisine, +rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une +nouvelle surprise, mélangée de frayeur et suivie de près d'une seconde +accolade à laquelle notre ami se prêta de bon coeur. + +Il était assis, quelques instants après, devant un solide repas et se +disposait, tout en mangeant, à faire le récit que réclamait son hôte. + +Soudain il tressaillit; la pâleur couvrit ses traits, pendant que son +regard s'attachait avec insistance à celui du capitaine: + +--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal +assurée. + +--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais échappé à cette +catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades, +en rentrant au port, ont déclaré qu'ils n'avaient pu te sauver.... On +a espéré quelque temps que tu avais été recueilli par les hommes de +la chaloupe, puis cette opinion a été abandonnée, après quelques mois +d'attente.... D'où vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas été +envoyée ici? + +--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi. +Je serai bref.... + +Raymond épongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua +d'une voix sourde: + +--Les matelots de la chaloupe, après m'avoir recueilli sans +connaissance, renoncèrent à poursuivre leur sauvetage. Ils regagnèrent +le navire d'où on leur faisait signe de retourner à la hâte.... Quand +je revins à moi, j'appris que j'étais à bord d'un bateau de Hambourg, +à destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me débarquât en +Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait éviter les côtes, la +tempête avait déjà retardé le navire, et les armateurs pouvaient subir +les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considérable.... Il +fallut me résigner. J'offris même mes services. Mais j'étais incapable +de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloué au +lit, en proie à la fièvre. Pendant quelques jours le mal me balança +entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la +tempête nous assaillit de nouveau. Je fus réveillé, une nuit, par +un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me +dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on +renonce à le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras +robustes. L'émotion était trop forte, je m'évanouis. Quand je revins à +moi, ranimé par les soins de mon sauveur, nous étions trois hommes à +bord d'un léger canot, presque sans vivres, presque sans eau.... +Combien de temps errâmes-nous sur cette mer tourmentée?... Comment le +saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'étonne que +mes compagnons ne me jetèrent pas à la mer, me croyant mort.... Je me +rappelle seulement qu'un vapeur allant à New-York nous recueillit; j'ai +ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla à mes côtés jusqu'au +moment où nous débarquâmes en Amérique. Là , toujours grâce aux soins de +ce brave coeur, on me transporta dans un hôpital.... Après cela, il y a +dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou.... + +--Fou!--interrompit le capitaine avec stupéfaction. + +--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison +avait subi quand, tout à coup, je m'étais vu arraché à mes rêves de +bonheur; à la pensée que peut-être ceux que j'aimais me croyaient +mort!... Je devins fou.... Quand je revins à la réalité, j'étais au fond +d'un hôpital, à quelques cents lieues de France! J'étais resté là une +année!... + +Ma guérison fut constatée et le consulat français me fournit les moyens +de me rapatrier.... + +Le capitaine était devenu rêveur. Quand Raymond se tut il le regarda +fixement: + +--Que comptes-tu faire à présent?... + +--Vous m'aiderez, capitaine, à préparer ma réapparition. Ne brusquons +rien, surtout. Je resterai chez vous, caché, pendant que vous irez +annoncer doucement à Talbot, puis à Jeanne..., à ma fiancée.... + +--Ta fiancée,...--répéta le capitaine avec un accent étrange.--Ses yeux +évitèrent le regard inquiet du jeune matelot. + +Raymond s'aperçut de cette émotion: + +--Parlez, au nom du Ciel!--s'écria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrivé? + +Le capitaine hésitait à répondre. + +--Oh! pitié, pitié!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses +mains. + +Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'épaule du jeune homme: + +--Sois fort, matelot, Jeanne est mariée. + +--Mariée!... + +Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements +désordonnés de son coeur: + +--Avec qui?... + +--Jeanne est la femme de Talbot. + +Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme: + +--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!... + +Et, comme se parlant à lui-même: + +--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonté d'un mourant fût +respectée.... Mon mariage avec Jeanne eût été un crime ... qu'il n'a pas +permis.... Cette catastrophe, cet éloignement forcé, ma folie..., tout +n'est-il pas là pour le prouver?... + +--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la résolution,--vous êtes +le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre +d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux +êtres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils +me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a +_destinés_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, à moi, est de +rester dans la tombe où leurs pensées m'ont si souvent visité.... +Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour.... + +--Je le jure,--répondit le capitaine, visiblement ému. + +--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils +mariés? + +--Quelques semaines à peine. Jeanne a été longtemps malade. Le choc +qui a ébranlé ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, à deux doigts de +la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-même qui me l'a +raconté,--elle n'a eu qu'une idée fixe. Elle revoyait son père, près +d'expirer, unissant la main de Talbot à la sienne, et quand ce +dernier veillait à son chevet, cherchant tous les moyens de la +distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se +rendait à son désir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et +je veux être votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire. +Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous +marier? Promettez-moi que lorsque je serai guérie nous ferons notre +_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire +cette promesse. Elle guérit et, au bout de sa convalescence, elle exigea +qu'on publiât les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil. + +--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir. + +Les deux hommes restèrent un instant silencieux. Tout à coup Raymond +releva la tête: + +--Il le faut,--s'écria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie.... +Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les +quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner? + +Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent. + + + + +VIII + + +Raymond et son compagnon arrivèrent sans être vus jusqu'à la naissance +de la jetée. La maison de Talbot s'élevait tout près. Une lumière +brillait aux fenêtres. + +Le capitaine arrêta le matelot à quelques pas de la maison et s'avança +seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme, +il le conduisit près de la fenêtre éclairée. + +--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde! + +Raymond se pencha avidement. + +Assise près d'une table, tout près de la fenêtre, Jeanne était là . + +Elle fixait des yeux, sous la lumière vive d'une lampe, un objet caché +dans sa main. Soudain cette main se porta à ses lèvres. Ce mouvement +permit au matelot de voir en pleine lumière l'objet qu'elle tenait et +qu'elle baisait à plusieurs reprises. + +Un cri étouffé lui échappa: + +--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif +s'emparait de tous ses membres. + +La tête lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir, +quand un pas lourd se fit entendre du côté de la jetée. + +--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous +voir. Laisse-moi faire. + +Et, tout en parlant, il força Raymond à se blottir dans un renfoncement +de la muraille. Le jeune homme resta caché pendant que son compagnon +allait au devant de Talbot. + +Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il +le vit s'avancer de son côté. Il reconnut le coup familier frappé au +carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumière s'allongea sur le +pavé du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol à +celle du vieux matelot. + +Raymond crut que son coeur se brisait!... + +L'épreuve n'était pourtant pas finie. + +La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumière de la fenêtre, le jeune +homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de +son côté pour détacher le volet de la fenêtre. + +Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la +prendre dans ses bras comme le jour où elle lui avait dit:--Va et +meurs! + +Il ne le fit pas!... + +Le bruit de la porte qui se refermait le décida seul à sortir de sa +cachette. + +Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant. + +--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulée,--il ne faut pas +rester ici... Reviens chez moi, mon garçon... + +--Non, capitaine,--répondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous +l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon +projet.... Demain, je serai loin du Havre. + +--Où vas-tu? + +--Où Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maître de nos destinées?_ + +Les deux hommes s'embrassèrent. Raymond jeta un dernier regard vers la +maison, maintenant sombre. Un sanglot déchira sa poitrine. + +Puis, pressant une dernière fois la main du capitaine: + +--Adieu!... + +Et il se perdit dans la nuit. + + + + + +End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand] + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 12451 *** diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: De profundis! + Episode Maritime + +Author: Carolus [Charles-Auguste Durand] + +Release Date: May 26, 2004 [EBook #12451] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! *** + + + + +Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file +was produced from images generously made available by the Bibliothèque +nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. + + + + + + + + + + +_A Monsieur_ + +H. Gourdon de Genouillac + +_Hommage respectueux_, + +CHARLES DURAND. + + + + +_CONTES ET NOUVELLES_ + +DE PROFUNDIS! + +_Episode Maritime_ + +PAR CAROLUS + + +Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU PÉRIR! fait +soudain battre le coeur, je vous salue! + +_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon, +Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot_.... Phalange incomparable! Que +n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands +hommes au fronton des Panthéons!... + + + + + +I + + +Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages +déchiquetés, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons +de sorcières dans un sabbat infernal.... + +Fouettée par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait à des hauteurs +monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au +pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix +terrible d'un monstre enchaîné. + +La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient +déserts et mornes, et les abords de la ville présentaient ce tableau de +mélancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempête.... + +Au rez-de-chaussée du phare qui se dresse à l'extrémité de la jetée +Nord, deux hommes étaient assis et prêtaient l'oreille aux bruits du +dehors. + +Le plus âgé de ces deux hommes avait la figure rude et hâlée des gens +habitués à la mer. Une barbe courte, taillée en fer-à-cheval, donnait à +son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, complétée par le +regard vif et perçant de deux yeux à demi cachés sous d'épais sourcils. +Tout le reste de sa physionomie répondait à cette première impression; +mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur +doux et sensible, une âme droite et généreuse. + +Il était vêtu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile +grossière dont les jambes disparaissaient dans d'énormes bottes montant +au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronné complétait cet +accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances. + +Son compagnon était vêtu d'une façon analogue. Mais sous le vaste +chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirât déjà +une certaine énergie. + +Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt. + +Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont +baptisées du nom de «brûle-gueule.» Mais s'il s'acquittait de cette +opération avec une impassabilité que les bruits du dehors ne pouvaient +ébranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps, +quittait son siège pour aller regarder par la petite fenêtre ouverte sur +la mer. + +Pendant une de ces allées et venues, le vieux pivota sur son tabouret +et, interpellant le jeune homme: + +--Eh! bien, Raymond, encore tes idées noires!... On croirait, ma foi, +à ma place, que tu n'as jamais vu de tempête!... Pourtant, cela te +connaît. Je sais, moi, que tu n'as jamais pâli, au large, quand le ciel +et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse à leur façon.... +Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voilà tout changé. Le plus +petit coup de vent te tourne la face en crème.... + +--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme +avec l'accent d'une profonde tristesse. + +Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue +hâlée. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son +compagnon. + +--Le 12 mars!...--gémit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garçon, +je l'avais oublié.... Tu n'as pas oublié, toi.... Ah! c'est une date +terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce +jour-là, ton père et tes deux frères: à moi, elle m'a ravi mes deux +meilleurs amis, Gosselin, ton père, et Darnétal, le père de ma +Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai là, pourtant, comme si +c'était d'hier.... Ils allaient arracher à la mort quelques malheureux +en détresse. La mort s'est vengée d'eux en les prenant, eux aussi!... Je +les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils +me repoussèrent en me disant: «Si nous n'en revenons pas, tu resteras, +toi, pour consoler les petits....» Les petits, c'était toi, Raymond, +c'était elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'à les +exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt +le bateau naufragé, ils nous disaient: «Confiance! nous reviendrons avec +eux!...» Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais: +«Allez vite!...» à ces héros qui volaient à la mort!... C'était leur +devoir, hélas!... Le soir, on retrouva leurs corps à la côte. Darnétal +respirait encore. Quand, après deux jours d'agonie, mon vieux camarade +se sentit partir à son tour: «Talbot, me dit-il, en étreignant +convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu +en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te lègue ma petite +Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse près de toi, comme elle le fut +chez nous ..., sois pour elle un père, d'abord ..., puis, quand elle +sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari.... +Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!...» Je jurai, et il mourut en +mettant ma main dans celle de Jeanne.... + +Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baissés en parlant, +se relevèrent sur Raymond, assis en face de lui. Une pâleur subite avait +envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fièvre agitait tous +ses membres. + +Quand Talbot eut fini de parler, un gémissement sourd souleva sa +poitrine, ses yeux se fermèrent. Il serait tombé si son compagnon ne +s'était précipité pour le soutenir. + +--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le +visage blême du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!... +Raymond, Raymond!... + +Une idée soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il +saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en +dépit des vagues qui venaient se briser à ses pieds et des raffales +qui menaçaient de le renverser à chaque pas, il courut du côté d'une +maisonnette élevée à quelque distance du phare. + +Il frappa rapidement au carreau d'une fenêtre. + +--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il. + +La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle +poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son +fardeau. + +Talbot alla droit à un vaste lit dressé dans un des angles de la pièce. +La jeune fille accourut avec une lumière: + +--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le +vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blessé? + +--Il est évanoui,--répondit Talbot, qui ne remarqua pas l'émotion de la +jeune fille.--J'espère que ce ne sera rien.... J'ai eu la bêtise de lui +rappeler de vieilles histoires qui l'ont ébranlé. Ce pauvre garçon est +si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre! + +Le jeune homme reprit bientôt connaissance. Son regard s'arrêta d'abord +sur Jeanne qui, penchée sur lui, était occupée à lui faire respirer un +chiffon trempé de vinaigre. + +Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement, +pendant que Talbot se penchait à son tour: + +--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il. + +--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme. + +--Eh! bien, mon garçon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une +heure je reviendrai prendre de tes nouvelles. + +--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'écria Raymond. +Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en +gémissant. + +--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que +tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux +tout à l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi, +je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la +voix,--veille bien sur ce garçon, et s'il se trouve encore mal, accours +me chercher, mon enfant. + +Il sortit. Jeanne, obéissante, s'assit auprès du lit, son ouvrage sur +ses genoux. + +Le jeune homme s'était assoupi. Les bruits confus de la tempête +troublèrent seuls le silence de la maisonnette. + + + + +II + + +Elle était vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et bouclés, +qu'elle portait, fidèle à un caprice d'enfant, toujours dénoués et +simplement retenus par derrière à l'aide d'un ruban presque invisible. + +Des yeux azurés, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle +souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps délicatement modelé, +tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient +donné les femmes des pêcheurs d'alentour et les matelots eux-mêmes. + +Plus d'un jeune coeur s'était senti troublé devant tant de charmes. Mais +on savait Jeanne fiancée au pilote Talbot. Ce dernier pouvait être sûr, +grâce au respect dont il était entouré, que pas un des soupirants ne +tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille. + +Il y avait six ans, à l'époque où commence ce récit, que Darnétal était +mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot. + +Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant +une petite femme.... + +Mais aussi, songeant à son serment: + +--Il me semble pourtant que je serai bien usé pour échanger mon rôle de +père contre celui de mari.... Quelle drôle d'idée a eue là mon vieux +camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas. +Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours.... + +Au fond, le brave homme avait besoin de réfléchir profondément pour +chasser le scrupule qui embarrassait sa pensée. + +L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi +privé de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de +dévouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants. + +Jeanne et Raymond vivaient à l'écart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait +jamais consenti à déserter la cabane où s'était écoulée son enfance. +Mais la communauté du malheur avait établi entre eux une prompte et vive +amitié. + +En les regardant l'un près de l'autre, Talbot s'était dit plus d'une +fois:--Quel gentil ménage tout de même cela ferait!... + +L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un +sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se +trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincèrement +épris de Jeanne, Raymond dut se résoudre à limiter ses apparitions chez +le pilote. + +Ce dernier n'y fit guère attention: le métier les réunissait souvent au +dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle +devint triste; ses joues, fraîches et roses, se couvrirent d'une pâleur +inquiétante. + +--La petite est bien sûr malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait +Jeanne qui toujours s'efforçait de dissiper par un sourire l'inquiétude +du vieux matelot. + +Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand +l'accident dont j'ai parlé les réunit de nouveau. + + + + +III + + +Au chevet du lit où le jeune homme s'était assoupi, Jeanne restait +silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille +qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle écoutait +la respiration entrecoupée du matelot; elle n'osait à peine remuer, +comme si le plus léger bruit eût pu troubler le sommeil de Raymond. Mais +son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait à coups précipités +sous son corsage. + +Bientôt le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses +sortirent de ses lèvres. Jeanne, inquiète, se pencha sur lui. Une vive +rougeur couvrit son front et ses joues: c'était son nom, qu'en rêvant, +Raymond redisait avec amour. + +--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser +dans une profonde extase. + +Elle, restait penchée, palpitante, et belle à ravir sous le pourpre de +ses traits. Raymond ouvrit les yeux: + +--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas rêvé!... + +Puis, revenant à la réalité:--Oh! que je souffre!... + +La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de +douleur cachée: + +--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforçant de vaincre +son trouble. + +--Oh! oui, beaucoup, là, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je +vous aime!... + +La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses +mains. + +--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc +offensée?... + +Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur +éclairer ses larmes. + +--Vous aussi, vous m'aimez!--s'écria-t-il en se levant, et tombant aux +genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc +permis cette fatalité!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon +âme,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis +coupable en vous aimant... Tout à l'heure, j'ai cru que j'allais mourir. +J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon père, +mes frères,... ma mère, si douce et si bonne... et j'ai senti combien +j'étais seul sur cette terre maintenant que tous ces êtres aimés sont +partis, à présent qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant +auprès de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon +coeur,... comme époux!... Tenez, même ce que je vous dis là, Jeanne, est +sacrilège. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur à +la révolte contre l'époux qui vous est destiné ... je suis coupable,... +oh! bien coupable,... de prendre sa place à vos genoux!... + +Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la +porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derrière eux. + +Le pilote était entré sans bruit. Il s'était arrêté court en les voyant, +et il écoutait avec une émotion croissante. + +Raymond continua: + +--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre +coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre +ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnête marin +qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin, +bien loin..., et je tâcherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon +amour.... Aimez l'époux qui vous est destiné, aimez-le comme il en est +digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez! + +Un léger bruit l'interrompit; c'était le pilote qui pleurait. Les deux +jeunes gens levèrent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les +bras: + +--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant +longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilité pour +chasser son émotion: + +--Qui est-ce qui vous défend de vous aimer?... Eh! j'ai juré, j'ai +juré... Mais je me suis toujours dit que Darnétal avait eu une +drôle d'idée. Je suis sûr que, de là-haut, il voudrait pouvoir me +crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne.... +T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine à ma +petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais +son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figuré un +instant que tu étais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien +que je me suis trompé, puisqu'en voilà un autre, plus capable que toi, +mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sûr +qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants? +Moi, qui aurais dû voir plus tôt que vous vous aimiez?... Me +pardonnerez-vous?... + +Pleurant et riant à la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous +leurs baisers: + +--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne +les vilaines paroles que j'ai entendues tout à l'heure.... + +Ce fut le baiser des fiançailles. + +--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant +allègrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!... + + + + +IV + + +Talbot alla reprendre son poste de «guetteur» au bout de la jetée. La +nuit devait être terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882. + +Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote. + +Il y avait là l'élite des lamaneurs havrais: tous appartenaient à +l'équipe des bateaux de sauvetage armés, dès la veille, en prévision +d'un embarquement précipité. + +Cette réunion d'hommes résolus, prêts à se dévouer à la moindre alerte, +offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes, +grandies par le mépris du danger, auraient pu braver la comparaison avec +ces héros de Lacédémone ou de Rome, pour qui la pensée du devoir était +inséparable de l'idée d'honneur et de patrie.... Leur épopée eût été +digne de la lyre des antiques Homérides!... Victimes sublimes du devoir! +dont la noble devise: «Sauver ou Périr», fait soudain battre le coeur: +je vous salue! + +_Le Croisey, Le Prévost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Ménéléon, +Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que +n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands +hommes au fronton des Panthéons! + +Tous étaient là. Pas un ne songea à déserter, fût-ce une seconde, ce +champ d'épouvante.... + +Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus à la tempête. Il ne +songeait plus aux dangers qui pouvaient, à chaque instant, s'offrir en +lutte au courage de ces hommes énergiques. + +Son esprit était resté enfermé dans la chambrette, chaste nid de +sa fiancée, où, sans doute, elle rêvait à lui.... Avec quelle joie +délicieuse ne retournerait-il pas, dès le matin, près d'elle!... quelles +douces phrases s'échangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant, +sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa +bien-aimée et,--qui l'en blâmerait?--appuyer ses lèvres contre les +lèvres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le +jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus sûrement cette mer +sinistre, le jeune matelot aspirait après l'aube pour voler près de +celle à qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier.... + +Pour tous, cette nuit-là fut un siècle. Un large soupir de satisfaction +s'échappa de chaque poitrine quand apparurent les premières lueurs du +matin, retardées par l'état brumeux de l'atmosphère. + +Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en +troupe du sémaphore et se précipitèrent sur la jetée. + +La mer était horrible à voir. Des montagnes d'eau déferlaient à chaque +instant au-dessus de la rotonde, ébranlaient la maçonnerie, et venaient +rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du sémaphore, d'où nos +intrépides sauveteurs sortaient, frémissants d'héroïsme.... Ces vagues +gigantesques auraient terrassé des hommes ordinaires; elles ébranlèrent +à peine ces vaillants, habitués à lever le front devant la tempête. + +Raymond les avait suivis. Cette fièvre héroïque, qu'il partageait +maintenant, arrachait son esprit aux pensées de bonheur qui l'avaient +assailli dans la nuit.--Plus avancé même que les autres, sur cette jetée +où chaque pas augmentait les périls, il regardait au loin et cherchait à +percer l'étendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eût voulu +imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui. + +Tout à coup sa main s'étendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit +de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec +défaillance contre les vagues. Au grand mât, un pavillon s'agitait +convulsivement. + +--Au canot! au canot!--cria aussitôt le patron Le Croisey. Tous se +précipitèrent à l'envi du côté de l'avant-port. + +Raymond courait en avant. Au moment où, emporté par sa course, il +dépassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tête. Debout +sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes. + +Le jeune matelot s'arrêta court. Les autres passèrent sans rien voir. + +Jeanne s'était précipitée vers lui. Il la reçut dans ses bras. + +Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu +meures! + +Le visage du matelot devint livide: + +--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades +s'embarquent.... Ils vont m'oublier!... + +Et, fou d'héroïsme, il voulut s'arracher aux bras noués à son cou. +Il entraînait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces +l'abandonner, bien que la terreur les eût décuplées, quand un hourra +prolongé ébranla l'air. C'était le canot de sauvetage qui déjà passait +entre les estacades, salué par les acclamations de la foule accourue sur +les quais. + +--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!... + +Raymond sentit ses genoux fléchir. Puis d'abondantes larmes jaillirent +de ses yeux pendant qu'il murmurait: + +--Jeanne, Jeanne..., j'ai manqué à mon devoir!... + + + + +V + + +Il faut avoir été témoin de pareils drames pour comprendre l'émotion +qui saisit tous les coeurs quand le canot, mû par vingt bras vigoureux, +franchit l'extrémité des jetées. + +Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui, +haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces +héros du dévouement.... + +Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la +barque et la rejetait dans l'abîme. Mais celle-ci reparaissait bientôt, +fiévreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit +sur le sloop en détresse. + +Ils arrivèrent tout près de ce dernier. Mais l'aborder était difficile, +car, à cet endroit, un banc de rochers montrait sa crête et la mer se +soulevait là en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le +fragile canot. + +On les vit alors, après un léger circuit qui les amena sur l'avant du +sloop, s'arrêter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa +ainsi pour la foule massée sur la jetée. + +Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage. + +Raymond, affaissé sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait. + +Jeanne, assise près de lui, ne trouvant point de mots pour consoler +cette étrange douleur, restait, le regard fixe, toute pâle et +frissonnante. + +Soudain un cri terrible retentit, répété par des centaines de bouches: + +--Perdus!... Ils sont perdus!... + +Raymond se dressa. Son visage, encore baigné de larmes, eut une +expression d'horreur indéfinissable, et son regard alla, d'un trait, à +l'endroit où le canot se montrait encore, mais vide!... + +Au même instant une main étreignit la sienne. + +Jeanne étendait le bras vers la barque: + +--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!... + +Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis, +sans une parole, s'élança du côté où, déjà, les autres matelots +s'étaient précipités. + + + + +VI + + +Quelques instants après, le second canot, enlevé vigoureusement, +franchissait à son tour les jetées. + +Raymond était debout à la barre.... Talbot avait dû lui céder la place. + +L'épouvante qui s'était emparée de la foule arrivait à son paroxysme.... +Qui savait si ces braves pourraient arriver à temps sur le lieu du +sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui, +peut-être, allait les engloutir comme les premiers? + +C'était horrible, et plus d'un détournait la tête pour ne plus voir, +quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs. + +Du côté où le premier canot avait chaviré apparaissait un autre navire, +beaucoup plus vaste que le sloop en détresse. Chacun vit distinctement +une chaloupe s'en détacher et ramer avec énergie vers le canot naufragé. + +Ce nouveau secours fut acclamé par mille hourras et la voix de la foule +étouffa un instant celle de la tempête. + +Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un +secours inespéré avait décuplé les forces des rameurs. + +Les deux barques furent bientôt à proximité l'une de l'autre. En +arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme +pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une à +l'autre. Raymond était toujours debout à la barre. Tout à coup on le vit +chanceler et disparaître. Une vague gigantesque, prenant le canot en +poupe, l'avait emporté. Presque aussitôt, une nouvelle vague éloigna les +deux barques l'une de l'autre et, aux gestes désespérés des sauveteurs, +il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu être sauvé. + +Talbot ni Jeanne n'assistèrent à cette seconde partie du drame. + +Le pilote avait trouvé la jeune fille évanouie à la place où Raymond lui +avait donné le baiser suprême. En hâte, il l'avait transportée chez lui +pour lui prodiguer ses soins. + +Quand le soir vint, sans que son fiancé eût reparu, Jeanne, en proie au +délire, répétait: + +--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonné de mourir!... + + + + +VII + + +Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre était animé par l'arrivée +d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la +France et l'Amérique. + +Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du +navire au quai. Il se dirigea, après une courte hésitation, vers +l'entrée du port. Arrivé sur le Grand-Quai, il pénétra dans une +ruelle obscure et s'arrêta bientôt à la porte d'une maison de modeste +apparence. Il frappa. + +Une femme âgée parut sur le seuil. + +--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur. + +--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la +pièce. + +Le visiteur entra. Il se trouva en présence du maître du logis qui +l'examina curieusement et crut devoir réitérer sa question. + +L'inconnu se découvrit et se plaça sous la lumière: + +--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous? + +L'autre le fixa longuement, puis, tout à coup, recula, comme frappé de +stupeur: + +--Raymond Gosselin!... + +Et il resta quelques instants, bouche béante, en regardant avec +ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant à +rompre le silence: + +--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!... + +--De fait, puisque me voici,--répondit le matelot, en souriant malgré +lui. + +Le capitaine lui saisit les mains. + +--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!... + +Ils s'étreignirent longuement. + +--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu +dois avoir faim.... Holà! la mère, à souper pour ce garçon!... + +La vieille qui, discrètement, s'était retirée dans la pièce voisine, +rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une +nouvelle surprise, mélangée de frayeur et suivie de près d'une seconde +accolade à laquelle notre ami se prêta de bon coeur. + +Il était assis, quelques instants après, devant un solide repas et se +disposait, tout en mangeant, à faire le récit que réclamait son hôte. + +Soudain il tressaillit; la pâleur couvrit ses traits, pendant que son +regard s'attachait avec insistance à celui du capitaine: + +--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal +assurée. + +--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais échappé à cette +catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades, +en rentrant au port, ont déclaré qu'ils n'avaient pu te sauver.... On +a espéré quelque temps que tu avais été recueilli par les hommes de +la chaloupe, puis cette opinion a été abandonnée, après quelques mois +d'attente.... D'où vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas été +envoyée ici? + +--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi. +Je serai bref.... + +Raymond épongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua +d'une voix sourde: + +--Les matelots de la chaloupe, après m'avoir recueilli sans +connaissance, renoncèrent à poursuivre leur sauvetage. Ils regagnèrent +le navire d'où on leur faisait signe de retourner à la hâte.... Quand +je revins à moi, j'appris que j'étais à bord d'un bateau de Hambourg, +à destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me débarquât en +Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait éviter les côtes, la +tempête avait déjà retardé le navire, et les armateurs pouvaient subir +les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considérable.... Il +fallut me résigner. J'offris même mes services. Mais j'étais incapable +de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloué au +lit, en proie à la fièvre. Pendant quelques jours le mal me balança +entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la +tempête nous assaillit de nouveau. Je fus réveillé, une nuit, par +un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me +dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on +renonce à le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras +robustes. L'émotion était trop forte, je m'évanouis. Quand je revins à +moi, ranimé par les soins de mon sauveur, nous étions trois hommes à +bord d'un léger canot, presque sans vivres, presque sans eau.... +Combien de temps errâmes-nous sur cette mer tourmentée?... Comment le +saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'étonne que +mes compagnons ne me jetèrent pas à la mer, me croyant mort.... Je me +rappelle seulement qu'un vapeur allant à New-York nous recueillit; j'ai +ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla à mes côtés jusqu'au +moment où nous débarquâmes en Amérique. Là, toujours grâce aux soins de +ce brave coeur, on me transporta dans un hôpital.... Après cela, il y a +dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou.... + +--Fou!--interrompit le capitaine avec stupéfaction. + +--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison +avait subi quand, tout à coup, je m'étais vu arraché à mes rêves de +bonheur; à la pensée que peut-être ceux que j'aimais me croyaient +mort!... Je devins fou.... Quand je revins à la réalité, j'étais au fond +d'un hôpital, à quelques cents lieues de France! J'étais resté là une +année!... + +Ma guérison fut constatée et le consulat français me fournit les moyens +de me rapatrier.... + +Le capitaine était devenu rêveur. Quand Raymond se tut il le regarda +fixement: + +--Que comptes-tu faire à présent?... + +--Vous m'aiderez, capitaine, à préparer ma réapparition. Ne brusquons +rien, surtout. Je resterai chez vous, caché, pendant que vous irez +annoncer doucement à Talbot, puis à Jeanne..., à ma fiancée.... + +--Ta fiancée,...--répéta le capitaine avec un accent étrange.--Ses yeux +évitèrent le regard inquiet du jeune matelot. + +Raymond s'aperçut de cette émotion: + +--Parlez, au nom du Ciel!--s'écria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrivé? + +Le capitaine hésitait à répondre. + +--Oh! pitié, pitié!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses +mains. + +Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'épaule du jeune homme: + +--Sois fort, matelot, Jeanne est mariée. + +--Mariée!... + +Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements +désordonnés de son coeur: + +--Avec qui?... + +--Jeanne est la femme de Talbot. + +Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme: + +--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!... + +Et, comme se parlant à lui-même: + +--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonté d'un mourant fût +respectée.... Mon mariage avec Jeanne eût été un crime ... qu'il n'a pas +permis.... Cette catastrophe, cet éloignement forcé, ma folie..., tout +n'est-il pas là pour le prouver?... + +--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la résolution,--vous êtes +le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre +d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux +êtres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils +me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a +_destinés_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, à moi, est de +rester dans la tombe où leurs pensées m'ont si souvent visité.... +Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour.... + +--Je le jure,--répondit le capitaine, visiblement ému. + +--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils +mariés? + +--Quelques semaines à peine. Jeanne a été longtemps malade. Le choc +qui a ébranlé ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, à deux doigts de +la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-même qui me l'a +raconté,--elle n'a eu qu'une idée fixe. Elle revoyait son père, près +d'expirer, unissant la main de Talbot à la sienne, et quand ce +dernier veillait à son chevet, cherchant tous les moyens de la +distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se +rendait à son désir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et +je veux être votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire. +Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous +marier? Promettez-moi que lorsque je serai guérie nous ferons notre +_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire +cette promesse. Elle guérit et, au bout de sa convalescence, elle exigea +qu'on publiât les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil. + +--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir. + +Les deux hommes restèrent un instant silencieux. Tout à coup Raymond +releva la tête: + +--Il le faut,--s'écria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie.... +Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les +quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner? + +Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent. + + + + +VIII + + +Raymond et son compagnon arrivèrent sans être vus jusqu'à la naissance +de la jetée. La maison de Talbot s'élevait tout près. Une lumière +brillait aux fenêtres. + +Le capitaine arrêta le matelot à quelques pas de la maison et s'avança +seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme, +il le conduisit près de la fenêtre éclairée. + +--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde! + +Raymond se pencha avidement. + +Assise près d'une table, tout près de la fenêtre, Jeanne était là. + +Elle fixait des yeux, sous la lumière vive d'une lampe, un objet caché +dans sa main. Soudain cette main se porta à ses lèvres. Ce mouvement +permit au matelot de voir en pleine lumière l'objet qu'elle tenait et +qu'elle baisait à plusieurs reprises. + +Un cri étouffé lui échappa: + +--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif +s'emparait de tous ses membres. + +La tête lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir, +quand un pas lourd se fit entendre du côté de la jetée. + +--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous +voir. Laisse-moi faire. + +Et, tout en parlant, il força Raymond à se blottir dans un renfoncement +de la muraille. Le jeune homme resta caché pendant que son compagnon +allait au devant de Talbot. + +Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il +le vit s'avancer de son côté. Il reconnut le coup familier frappé au +carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumière s'allongea sur le +pavé du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol à +celle du vieux matelot. + +Raymond crut que son coeur se brisait!... + +L'épreuve n'était pourtant pas finie. + +La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumière de la fenêtre, le jeune +homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de +son côté pour détacher le volet de la fenêtre. + +Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la +prendre dans ses bras comme le jour où elle lui avait dit:--Va et +meurs! + +Il ne le fit pas!... + +Le bruit de la porte qui se refermait le décida seul à sortir de sa +cachette. + +Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant. + +--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulée,--il ne faut pas +rester ici... Reviens chez moi, mon garçon... + +--Non, capitaine,--répondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous +l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon +projet.... Demain, je serai loin du Havre. + +--Où vas-tu? + +--Où Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maître de nos destinées?_ + +Les deux hommes s'embrassèrent. Raymond jeta un dernier regard vers la +maison, maintenant sombre. Un sanglot déchira sa poitrine. + +Puis, pressant une dernière fois la main du capitaine: + +--Adieu!... + +Et il se perdit dans la nuit. + + + + + +End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand] + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! *** + +***** This file should be named 12451-8.txt or 12451-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/4/5/12451/ + +Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + + +Title: De profundis! + Episode Maritime + +Author: Carolus [Charles-Auguste Durand] + +Release Date: May 26, 2004 [EBook #12451] + +Language: French + +Character set encoding: ASCII + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! *** + + + + +Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. This file +was produced from images generously made available by the Bibliotheque +nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. + + + + + + + + + + +_A Monsieur_ + +H. Gourdon de Genouillac + +_Hommage respectueux_, + +CHARLES DURAND. + + + + +_CONTES ET NOUVELLES_ + +DE PROFUNDIS! + +_Episode Maritime_ + +PAR CAROLUS + + +Victimes sublimes du devoir, dont la noble devise: SAUVER OU PERIR! fait +soudain battre le coeur, je vous salue! + +_Le Croisey, Le Prevost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Meneleon, +Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot_.... Phalange incomparable! Que +n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands +hommes au fronton des Pantheons!... + + + + + +I + + +Le vent soufflait avec rage. On voyait au ciel de gros nuages +dechiquetes, accourant de l'Ouest et se poursuivant comme des haillons +de sorcieres dans un sabbat infernal.... + +Fouettee par l'ouragan, la mer se tordait et bondissait a des hauteurs +monstrueuses, pour se rouler ensuite avec un fracas d'avalanche jusqu'au +pied des falaises.... Le flot, en se retirant, beuglait de la voix +terrible d'un monstre enchaine. + +La nuit tombait. Au loin, le Havre s'allumait; mais les quais restaient +deserts et mornes, et les abords de la ville presentaient ce tableau de +melancolie qui s'encadre toujours dans les convulsions de la tempete.... + +Au rez-de-chaussee du phare qui se dresse a l'extremite de la jetee +Nord, deux hommes etaient assis et pretaient l'oreille aux bruits du +dehors. + +Le plus age de ces deux hommes avait la figure rude et halee des gens +habitues a la mer. Une barbe courte, taillee en fer-a-cheval, donnait a +son visage je ne sais quelle expression de hardiesse, completee par le +regard vif et percant de deux yeux a demi caches sous d'epais sourcils. +Tout le reste de sa physionomie repondait a cette premiere impression; +mais on devinait vite, sous cette enveloppe presque farouche, un coeur +doux et sensible, une ame droite et genereuse. + +Il etait vetu d'une vareuse de forte laine et d'un pantalon de toile +grossiere dont les jambes disparaissaient dans d'enormes bottes montant +au-dessus des genoux. Un chapeau de cuir goudronne completait cet +accoutrement, sinon gracieux, du moins conforme aux circonstances. + +Son compagnon etait vetu d'une facon analogue. Mais sous le vaste +chapeau apparaissait une figure toute jeune, bien qu'elle respirat deja +une certaine energie. + +Le premier pouvait avoir cinquante ans, l'autre n'en avait pas vingt. + +Le vieux fumait dans une de ces courtes pipes que les matelots ont +baptisees du nom de "brule-gueule." Mais s'il s'acquittait de cette +operation avec une impassabilite que les bruits du dehors ne pouvaient +ebranler, son compagnon, lui, semblait inquiet et, de temps en temps, +quittait son siege pour aller regarder par la petite fenetre ouverte sur +la mer. + +Pendant une de ces allees et venues, le vieux pivota sur son tabouret +et, interpellant le jeune homme: + +--Eh! bien, Raymond, encore tes idees noires!... On croirait, ma foi, +a ma place, que tu n'as jamais vu de tempete!... Pourtant, cela te +connait. Je sais, moi, que tu n'as jamais pali, au large, quand le ciel +et l'eau se donnaient le mot pour nous payer une valse a leur facon.... +Oui mais, ici, sur le plancher des vaches, te voila tout change. Le plus +petit coup de vent te tourne la face en creme.... + +--Patron, vous souvenez-vous du 12 mars?... interrompit le jeune homme +avec l'accent d'une profonde tristesse. + +Le front du vieux s'assombrit. Une grosse larme roula sur sa joue +halee. Il se leva brusquement et alla serrer en silence la main de son +compagnon. + +--Le 12 mars!...--gemit-il au bout d'un instant.--Pardonne-moi, garcon, +je l'avais oublie.... Tu n'as pas oublie, toi.... Ah! c'est une date +terrible dans ma vie comme dans la tienne.... La mer t'a pris, ce +jour-la, ton pere et tes deux freres: a moi, elle m'a ravi mes deux +meilleurs amis, Gosselin, ton pere, et Darnetal, le pere de ma +Jeanne.... Ce souvenir, vois-tu, Raymond, je l'ai la, pourtant, comme si +c'etait d'hier.... Ils allaient arracher a la mort quelques malheureux +en detresse. La mort s'est vengee d'eux en les prenant, eux aussi!... Je +les revois sauter dans la barque fatale. Je voulais aller avec eux. Ils +me repousserent en me disant: "Si nous n'en revenons pas, tu resteras, +toi, pour consoler les petits...." Les petits, c'etait toi, Raymond, +c'etait elle, ma Jeanne.... Alors, je ne songeais, moi, qu'a les +exciter. Leur enthousiasme m'aveuglait aussi.... Ils montraient du doigt +le bateau naufrage, ils nous disaient: "Confiance! nous reviendrons avec +eux!..." Nous applaudissions; moi, plus fort que les autres. Je criais: +"Allez vite!..." a ces heros qui volaient a la mort!... C'etait leur +devoir, helas!... Le soir, on retrouva leurs corps a la cote. Darnetal +respirait encore. Quand, apres deux jours d'agonie, mon vieux camarade +se sentit partir a son tour: "Talbot, me dit-il, en etreignant +convulsivement ma main,--tu es mon plus vieil ami ... j'ai toujours eu +en toi la plus grande confiance.... C'est pourquoi je te legue ma petite +Jeanne.... Je veux qu'elle soit heureuse pres de toi, comme elle le fut +chez nous ..., sois pour elle un pere, d'abord ..., puis, quand elle +sera femme ..., dans quatre ou cinq ans, sois pour elle un bon mari.... +Jure-moi, Talbot, qu'elle sera ta femme!..." Je jurai, et il mourut en +mettant ma main dans celle de Jeanne.... + +Le vieux matelot se tut. Ses yeux, qu'il avait tenus baisses en parlant, +se releverent sur Raymond, assis en face de lui. Une paleur subite avait +envahi les traits du jeune homme. Un tremblement de fievre agitait tous +ses membres. + +Quand Talbot eut fini de parler, un gemissement sourd souleva sa +poitrine, ses yeux se fermerent. Il serait tombe si son compagnon ne +s'etait precipite pour le soutenir. + +--Raymond, mon enfant!--cria ce dernier, en regardant avec effroi le +visage bleme du jeune matelot.--Sainte Vierge! il se trouve mal!... +Raymond, Raymond!... + +Une idee soudaine lui traversa l'esprit. Sans se lamenter davantage, il +saisit le jeune homme dans ses bras robustes, ouvrit la porte et, en +depit des vagues qui venaient se briser a ses pieds et des raffales +qui menacaient de le renverser a chaque pas, il courut du cote d'une +maisonnette elevee a quelque distance du phare. + +Il frappa rapidement au carreau d'une fenetre. + +--Jeanne, Jeanne! ouvre vite,--cria-t-il. + +La porte s'ouvrit. Une jeune fille apparut dans l'entrebaillement. Elle +poussa un cri en apercevant le matelot, qui pliait sous le poids de son +fardeau. + +Talbot alla droit a un vaste lit dresse dans un des angles de la piece. +La jeune fille accourut avec une lumiere: + +--Raymond!...--cria-t-elle avec effroi, en reconnaissant celui que le +vieux matelot venait d'allonger sur le lit.--Est-il blesse? + +--Il est evanoui,--repondit Talbot, qui ne remarqua pas l'emotion de la +jeune fille.--J'espere que ce ne sera rien.... J'ai eu la betise de lui +rappeler de vieilles histoires qui l'ont ebranle. Ce pauvre garcon est +si sensible!... Mais, vite, Jeanne, de l'eau, du vinaigre! + +Le jeune homme reprit bientot connaissance. Son regard s'arreta d'abord +sur Jeanne qui, penchee sur lui, etait occupee a lui faire respirer un +chiffon trempe de vinaigre. + +Le visage de la jeune fille s'empourpra. Elle recula brusquement, +pendant que Talbot se penchait a son tour: + +--Comment te trouves-tu, Raymond?--interrogea-t-il. + +--Je suis bien faible, patron,--murmura le jeune homme. + +--Eh! bien, mon garcon, repose-toi. Je retourne aux signaux. Dans une +heure je reviendrai prendre de tes nouvelles. + +--Ne partez pas sans moi, patron, je vais avec vous,--s'ecria Raymond. +Il voulut sauter du lit; mais ses forces le trahirent et il retomba en +gemissant. + +--Sois donc raisonnable. Je reviens dans une heure.... Tu vois bien que +tu as besoin de repos, il faut se faire une raison,... Si tu vas mieux +tout a l'heure, alors, nous retournerons ensemble. Mais, repose-toi, +je le veux ... Jeanne,--continua le vieux matelot en baissant la +voix,--veille bien sur ce garcon, et s'il se trouve encore mal, accours +me chercher, mon enfant. + +Il sortit. Jeanne, obeissante, s'assit aupres du lit, son ouvrage sur +ses genoux. + +Le jeune homme s'etait assoupi. Les bruits confus de la tempete +troublerent seuls le silence de la maisonnette. + + + + +II + + +Elle etait vraiment ravissante avec ses cheveux blonds et boucles, +qu'elle portait, fidele a un caprice d'enfant, toujours denoues et +simplement retenus par derriere a l'aide d'un ruban presque invisible. + +Des yeux azures, une bouche mignonne, laissant entrevoir, quand elle +souriait, des dents du plus bel ivoire, un corps delicatement modele, +tout en elle justifiait le surnom de _petite Madone_ que lui avaient +donne les femmes des pecheurs d'alentour et les matelots eux-memes. + +Plus d'un jeune coeur s'etait senti trouble devant tant de charmes. Mais +on savait Jeanne fiancee au pilote Talbot. Ce dernier pouvait etre sur, +grace au respect dont il etait entoure, que pas un des soupirants ne +tenterait d'avouer ses sentiments aux oreilles de la jeune fille. + +Il y avait six ans, a l'epoque ou commence ce recit, que Darnetal etait +mort, emportant dans la tombe la promesse de Talbot. + +Et chaque jour le pilote pensait:--Il va falloir faire de cette enfant +une petite femme.... + +Mais aussi, songeant a son serment: + +--Il me semble pourtant que je serai bien use pour echanger mon role de +pere contre celui de mari.... Quelle drole d'idee a eue la mon vieux +camarade!... Enfin, Jeanne m'aime. L'enveloppe, ma foi, ne changera pas. +Sous une forme ou sous une autre, la petite m'aimera toujours.... + +Au fond, le brave homme avait besoin de reflechir profondement pour +chasser le scrupule qui embarrassait sa pensee. + +L'horrible catastrophe qui avait fait Jeanne orpheline avait aussi +prive de toute famille Raymond Gosselin. Le vieux pilote, admirable de +devouement, avait pris sous sa tutelle les deux enfants. + +Jeanne et Raymond vivaient a l'ecart l'un de l'autre. Ce dernier n'avait +jamais consenti a deserter la cabane ou s'etait ecoulee son enfance. +Mais la communaute du malheur avait etabli entre eux une prompte et vive +amitie. + +En les regardant l'un pres de l'autre, Talbot s'etait dit plus d'une +fois:--Quel gentil menage tout de meme cela ferait!... + +L'affection mutuelle des deux jeunes gens se transforma vite en un +sentiment plus intime. Telle en fut la force que, pour ne point se +trahir, ni risquer d'affliger son vieil ami qu'il croyait sincerement +epris de Jeanne, Raymond dut se resoudre a limiter ses apparitions chez +le pilote. + +Ce dernier n'y fit guere attention: le metier les reunissait souvent au +dehors. Mais la jeune fille souffrit cruellement de cet abandon. Elle +devint triste; ses joues, fraiches et roses, se couvrirent d'une paleur +inquietante. + +--La petite est bien sur malade,--se disait Talbot. Et il interrogeait +Jeanne qui toujours s'efforcait de dissiper par un sourire l'inquietude +du vieux matelot. + +Il y avait deux longs mois que Raymond n'avait revu Jeanne quand +l'accident dont j'ai parle les reunit de nouveau. + + + + +III + + +Au chevet du lit ou le jeune homme s'etait assoupi, Jeanne restait +silencieuse. Ses mains tremblantes avaient du abandonner l'aiguille +qu'elles dirigeaient maladroitement. Immobile et songeuse, elle ecoutait +la respiration entrecoupee du matelot; elle n'osait a peine remuer, +comme si le plus leger bruit eut pu troubler le sommeil de Raymond. Mais +son coeur battait bien fort et sa gorge se soulevait a coups precipites +sous son corsage. + +Bientot le jeune homme s'agita sur sa couche: quelques paroles confuses +sortirent de ses levres. Jeanne, inquiete, se pencha sur lui. Une vive +rougeur couvrit son front et ses joues: c'etait son nom, qu'en revant, +Raymond redisait avec amour. + +--Jeanne, Jeanne,...--murmurait-il, et son visage semblait s'immobiliser +dans une profonde extase. + +Elle, restait penchee, palpitante, et belle a ravir sous le pourpre de +ses traits. Raymond ouvrit les yeux: + +--Jeanne, c'est vous, je n'ai donc pas reve!... + +Puis, revenant a la realite:--Oh! que je souffre!... + +La jeune fille sentit son coeur se serrer tant ces mots contenaient de +douleur cachee: + +--Vous souffrez, Raymond?--interrogea-t-elle en s'efforcant de vaincre +son trouble. + +--Oh! oui, beaucoup, la, au coeur!...--Je souffre, Jeanne, parce que je +vous aime!... + +La jeune fille ne put retenir un sanglot; elle cacha son visage dans ses +mains. + +--Jeanne, vous pleurez!...--balbutia le matelot,--vous ai-je donc +offensee?... + +Elle laissa retomber ses deux mains: Raymond vit un sourire de bonheur +eclairer ses larmes. + +--Vous aussi, vous m'aimez!--s'ecria-t-il en se levant, et tombant aux +genoux de Jeanne.--Vous m'aimez et je vous aime!... Le ciel a donc +permis cette fatalite!... Je vous aime, Jeanne,... oh! de toute mon +ame,... et c'est pourquoi je souffre, parce que je sais que je suis +coupable en vous aimant... Tout a l'heure, j'ai cru que j'allais mourir. +J'ai vu repasser devant mes yeux tout mon bonheur d'autrefois, mon pere, +mes freres,... ma mere, si douce et si bonne... et j'ai senti combien +j'etais seul sur cette terre maintenant que tous ces etres aimes sont +partis, a present qu'il ne m'est plus permis de me consoler en vivant +aupres de vous, non pas comme un camarade, mais, comme le voudrait mon +coeur,... comme epoux!... Tenez, meme ce que je vous dis la, Jeanne, est +sacrilege. Si vous m'aimez, je ne dois pas, moi, exciter votre coeur a +la revolte contre l'epoux qui vous est destine ... je suis coupable,... +oh! bien coupable,... de prendre sa place a vos genoux!... + +Il se releva brusquement. Ni lui, ni la jeune fille n'avaient entendu la +porte s'ouvrir ni un pas s'annoncer derriere eux. + +Le pilote etait entre sans bruit. Il s'etait arrete court en les voyant, +et il ecoutait avec une emotion croissante. + +Raymond continua: + +--Jurez-moi, Jeanne, que cet amour restera enseveli au fond de votre +coeur, qu'il n'en sortira jamais pour troubler le bonheur de notre +ami.... Talbot vous rendra heureuse. C'est un brave, un honnete marin +qui vous aime et que vous devez aimer.... Moi, je partirai, j'irai loin, +bien loin..., et je tacherai d'oublier.... Jamais Talbot ne saura mon +amour.... Aimez l'epoux qui vous est destine, aimez-le comme il en est +digne ... comme le ciel veut que vous l'aimiez! + +Un leger bruit l'interrompit; c'etait le pilote qui pleurait. Les deux +jeunes gens leverent les yeux et virent Talbot qui leur tendait les +bras: + +--Jeanne!... Raymond!... mes enfants!...--sanglota-t-il en les pressant +longuement contre sa poitrine. Puis, parlant avec volubilite pour +chasser son emotion: + +--Qui est-ce qui vous defend de vous aimer?... Eh! j'ai jure, j'ai +jure... Mais je me suis toujours dit que Darnetal avait eu une +drole d'idee. Je suis sur que, de la-haut, il voudrait pouvoir me +crier:--Talbot, mon vieux, il n'y a plus de serment qui tienne.... +T'imagines-tu, par exemple, que je voudrais faire de la peine a ma +petite Jeanne?... Non, non; bien au contraire, puisque je te demandais +son bonheur. Je t'ai dit de la rendre heureuse..., je me suis figure un +instant que tu etais le seul homme capable de le faire.... Tu vois bien +que je me suis trompe, puisqu'en voila un autre, plus capable que toi, +mon brave.... Marie-les donc, Talbot, j'efface ta promesse.--Pour sur +qu'il dirait cela. Et n'est-ce pas moi le seul coupable, mes enfants? +Moi, qui aurais du voir plus tot que vous vous aimiez?... Me +pardonnerez-vous?... + +Pleurant et riant a la fois, Raymond et Jeanne l'interrompirent sous +leurs baisers: + +--Allons, mes enfants, qu'on s'embrasse devant moi, et qu'on se pardonne +les vilaines paroles que j'ai entendues tout a l'heure.... + +Ce fut le baiser des fiancailles. + +--Dans quinze jours la noce,--conclut le pilote en se frottant +allegrement les mains,--tout juste le temps de publier les bans!... + + + + +IV + + +Talbot alla reprendre son poste de "guetteur" au bout de la jetee. La +nuit devait etre terrible.... Ce fut celle du 26 Mars 1882. + +Raymond et quelques matelots se joignirent au pilote. + +Il y avait la l'elite des lamaneurs havrais: tous appartenaient a +l'equipe des bateaux de sauvetage armes, des la veille, en prevision +d'un embarquement precipite. + +Cette reunion d'hommes resolus, prets a se devouer a la moindre alerte, +offrait un spectacle des plus majestueux. Toutes ces figures rudes, +grandies par le mepris du danger, auraient pu braver la comparaison avec +ces heros de Lacedemone ou de Rome, pour qui la pensee du devoir etait +inseparable de l'idee d'honneur et de patrie.... Leur epopee eut ete +digne de la lyre des antiques Homerides!... Victimes sublimes du devoir! +dont la noble devise: "Sauver ou Perir", fait soudain battre le coeur: +je vous salue! + +_Le Croisey, Le Prevost, Dessoyers, Le Blanc, Cardine, Moncus, Meneleon, +Fossey, Varescot, Ollivier, Jacquot...._ Phalange incomparable! Que +n'ai-je, au lieu d'une plume, le ciseau qui grave le souvenir des grands +hommes au fronton des Pantheons! + +Tous etaient la. Pas un ne songea a deserter, fut-ce une seconde, ce +champ d'epouvante.... + +Assis au milieu d'eux, Raymond ne pensait plus a la tempete. Il ne +songeait plus aux dangers qui pouvaient, a chaque instant, s'offrir en +lutte au courage de ces hommes energiques. + +Son esprit etait reste enferme dans la chambrette, chaste nid de +sa fiancee, ou, sans doute, elle revait a lui.... Avec quelle joie +delicieuse ne retournerait-il pas, des le matin, pres d'elle!... quelles +douces phrases s'echangeraient entre eux!... Il pourrait maintenant, +sans scrupule, garder dans les siennes les petites mains de sa +bien-aimee et,--qui l'en blamerait?--appuyer ses levres contre les +levres roses de sa Jeanne! Et pendant que ses compagnons attendaient le +jour pour mieux interroger l'horizon et braver plus surement cette mer +sinistre, le jeune matelot aspirait apres l'aube pour voler pres de +celle a qui son coeur pourrait enfin s'ouvrir tout entier.... + +Pour tous, cette nuit-la fut un siecle. Un large soupir de satisfaction +s'echappa de chaque poitrine quand apparurent les premieres lueurs du +matin, retardees par l'etat brumeux de l'atmosphere. + +Ces braves, qu'une nuit sans sommeil n'avait pu vaincre, sortirent en +troupe du semaphore et se precipiterent sur la jetee. + +La mer etait horrible a voir. Des montagnes d'eau deferlaient a chaque +instant au-dessus de la rotonde, ebranlaient la maconnerie, et venaient +rouler avec un fracas assourdissant jusqu'au pied du semaphore, d'ou nos +intrepides sauveteurs sortaient, fremissants d'heroisme.... Ces vagues +gigantesques auraient terrasse des hommes ordinaires; elles ebranlerent +a peine ces vaillants, habitues a lever le front devant la tempete. + +Raymond les avait suivis. Cette fievre heroique, qu'il partageait +maintenant, arrachait son esprit aux pensees de bonheur qui l'avaient +assailli dans la nuit.--Plus avance meme que les autres, sur cette jetee +ou chaque pas augmentait les perils, il regardait au loin et cherchait a +percer l'etendue encore sombre, serrant les poings comme s'il eut voulu +imposer le silence au monstre qui se tordait devant lui. + +Tout a coup sa main s'etendit vers l'horizon. Le jour plus grand permit +de voir, dans la direction qu'il indiquait, un navire qui luttait avec +defaillance contre les vagues. Au grand mat, un pavillon s'agitait +convulsivement. + +--Au canot! au canot!--cria aussitot le patron Le Croisey. Tous se +precipiterent a l'envi du cote de l'avant-port. + +Raymond courait en avant. Au moment ou, emporte par sa course, il +depassait la maison de Talbot, un cri lui fit tourner la tete. Debout +sur le seuil, Jeanne lui tendait des mains suppliantes. + +Le jeune matelot s'arreta court. Les autres passerent sans rien voir. + +Jeanne s'etait precipitee vers lui. Il la recut dans ses bras. + +Raymond, tu n'iras pas.... C'est la mort, et je ne veux pas, moi, que tu +meures! + +Le visage du matelot devint livide: + +--Oh! Jeanne, laisse-moi,--supplia-t-il;--les camarades +s'embarquent.... Ils vont m'oublier!... + +Et, fou d'heroisme, il voulut s'arracher aux bras noues a son cou. +Il entrainait la jeune fille avec lui, et Jeanne sentait ses forces +l'abandonner, bien que la terreur les eut decuplees, quand un hourra +prolonge ebranla l'air. C'etait le canot de sauvetage qui deja passait +entre les estacades, salue par les acclamations de la foule accourue sur +les quais. + +--Vois,--dit Jeanne avec ivresse,--ils partent sans toi!... + +Raymond sentit ses genoux flechir. Puis d'abondantes larmes jaillirent +de ses yeux pendant qu'il murmurait: + +--Jeanne, Jeanne..., j'ai manque a mon devoir!... + + + + +V + + +Il faut avoir ete temoin de pareils drames pour comprendre l'emotion +qui saisit tous les coeurs quand le canot, mu par vingt bras vigoureux, +franchit l'extremite des jetees. + +Alors, pas un cri, pas un geste, parmi ce millier de spectateurs qui, +haletants, suivaient du regard et accompagnaient de leurs voeux ces +heros du devouement.... + +Vingt fois on les crut perdus, quand une lame monstrueuse soulevait la +barque et la rejetait dans l'abime. Mais celle-ci reparaissait bientot, +fievreuse sous l'impulsion des rameurs: et on la voyait se diriger droit +sur le sloop en detresse. + +Ils arriverent tout pres de ce dernier. Mais l'aborder etait difficile, +car, a cet endroit, un banc de rochers montrait sa crete et la mer se +soulevait la en d'immenses rouleaux qui eussent vite fait chavirer le +fragile canot. + +On les vit alors, apres un leger circuit qui les amena sur l'avant du +sloop, s'arreter comme pour l'observer.... Une heure d'angoisse se passa +ainsi pour la foule massee sur la jetee. + +Talbot et quelques matelots observaient la marche du sauvetage. + +Raymond, affaisse sur un banc, ne voulait rien voir.... Il pleurait. + +Jeanne, assise pres de lui, ne trouvant point de mots pour consoler +cette etrange douleur, restait, le regard fixe, toute pale et +frissonnante. + +Soudain un cri terrible retentit, repete par des centaines de bouches: + +--Perdus!... Ils sont perdus!... + +Raymond se dressa. Son visage, encore baigne de larmes, eut une +expression d'horreur indefinissable, et son regard alla, d'un trait, a +l'endroit ou le canot se montrait encore, mais vide!... + +Au meme instant une main etreignit la sienne. + +Jeanne etendait le bras vers la barque: + +--Va,--lui dit-elle--meurs ou sauve-les!... + +Il la saisit avec folie dans ses bras, la pressa sur son coeur, puis, +sans une parole, s'elanca du cote ou, deja, les autres matelots +s'etaient precipites. + + + + +VI + + +Quelques instants apres, le second canot, enleve vigoureusement, +franchissait a son tour les jetees. + +Raymond etait debout a la barre.... Talbot avait du lui ceder la place. + +L'epouvante qui s'etait emparee de la foule arrivait a son paroxysme.... +Qui savait si ces braves pourraient arriver a temps sur le lieu du +sinistre? N'avaient-ils pas contre eux cette mer inassouvie qui, +peut-etre, allait les engloutir comme les premiers? + +C'etait horrible, et plus d'un detournait la tete pour ne plus voir, +quand un incident nouveau vint ranimer tous les coeurs. + +Du cote ou le premier canot avait chavire apparaissait un autre navire, +beaucoup plus vaste que le sloop en detresse. Chacun vit distinctement +une chaloupe s'en detacher et ramer avec energie vers le canot naufrage. + +Ce nouveau secours fut acclame par mille hourras et la voix de la foule +etouffa un instant celle de la tempete. + +Le canot que dirigeait Raymond volait sur les vagues. La conscience d'un +secours inespere avait decuple les forces des rameurs. + +Les deux barques furent bientot a proximite l'une de l'autre. En +arrivant sur le lieu du sinistre, elles ralentirent leur marche, comme +pour s'orienter. On vit les matelots se faire des signes de l'une a +l'autre. Raymond etait toujours debout a la barre. Tout a coup on le vit +chanceler et disparaitre. Une vague gigantesque, prenant le canot en +poupe, l'avait emporte. Presque aussitot, une nouvelle vague eloigna les +deux barques l'une de l'autre et, aux gestes desesperes des sauveteurs, +il devint certain que leur malheureux compagnon n'avait pu etre sauve. + +Talbot ni Jeanne n'assisterent a cette seconde partie du drame. + +Le pilote avait trouve la jeune fille evanouie a la place ou Raymond lui +avait donne le baiser supreme. En hate, il l'avait transportee chez lui +pour lui prodiguer ses soins. + +Quand le soir vint, sans que son fiance eut reparu, Jeanne, en proie au +delire, repetait: + +--Il est mort!... il est mort!... je lui ai ordonne de mourir!... + + + + +VII + + +Un soir du mois de juin 1883, le port du Havre etait anime par l'arrivee +d'un des grands transatlantiques qui font le service direct entre la +France et l'Amerique. + +Un homme franchit rapidement la passerelle qui unissait le pont du +navire au quai. Il se dirigea, apres une courte hesitation, vers +l'entree du port. Arrive sur le Grand-Quai, il penetra dans une +ruelle obscure et s'arreta bientot a la porte d'une maison de modeste +apparence. Il frappa. + +Une femme agee parut sur le seuil. + +--Le capitaine est-il chez lui?--interrogea le visiteur. + +--Me voici!... Que me voulez-vous?--cria une voix rude du fond de la +piece. + +Le visiteur entra. Il se trouva en presence du maitre du logis qui +l'examina curieusement et crut devoir reiterer sa question. + +L'inconnu se decouvrit et se placa sous la lumiere: + +--Capitaine Robert, me reconnaissez-vous? + +L'autre le fixa longuement, puis, tout a coup, recula, comme frappe de +stupeur: + +--Raymond Gosselin!... + +Et il resta quelques instants, bouche beante, en regardant avec +ahurissement le jeune homme immobile devant lui. Enfin, se hasardant a +rompre le silence: + +--Toi..., c'est bien toi!... Tu n'es donc pas mort!... + +--De fait, puisque me voici,--repondit le matelot, en souriant malgre +lui. + +Le capitaine lui saisit les mains. + +--Mon pauvre Raymond!... Que je suis content!... Embrasse-moi donc!... + +Ils s'etreignirent longuement. + +--Tu vas tout me raconter,--continua le capitaine.--Mais tu arrives, tu +dois avoir faim.... Hola! la mere, a souper pour ce garcon!... + +La vieille qui, discretement, s'etait retiree dans la piece voisine, +rentra alors. Ce fut de sa part, en reconnaissant le jeune homme, une +nouvelle surprise, melangee de frayeur et suivie de pres d'une seconde +accolade a laquelle notre ami se preta de bon coeur. + +Il etait assis, quelques instants apres, devant un solide repas et se +disposait, tout en mangeant, a faire le recit que reclamait son hote. + +Soudain il tressaillit; la paleur couvrit ses traits, pendant que son +regard s'attachait avec insistance a celui du capitaine: + +--Tout le monde me croit donc mort?--interrogea-t-il d'une voix mal +assuree. + +--Tout le monde. Qui pouvait supposer que tu avais echappe a cette +catastrophe sans nom?... On t'a vu tomber de la barque. Les camarades, +en rentrant au port, ont declare qu'ils n'avaient pu te sauver.... On +a espere quelque temps que tu avais ete recueilli par les hommes de +la chaloupe, puis cette opinion a ete abandonnee, apres quelques mois +d'attente.... D'ou vient que la nouvelle de ton sauvetage n'a pas ete +envoyee ici? + +--C'est mon histoire qu'il faut vous raconter, capitaine. Ecoutez-moi. +Je serai bref.... + +Raymond epongea la sueur froide qui perlait sur son front et continua +d'une voix sourde: + +--Les matelots de la chaloupe, apres m'avoir recueilli sans +connaissance, renoncerent a poursuivre leur sauvetage. Ils regagnerent +le navire d'ou on leur faisait signe de retourner a la hate.... Quand +je revins a moi, j'appris que j'etais a bord d'un bateau de Hambourg, +a destination de New-York.... Je suppliai pour qu'on me debarquat en +Angleterre. Le capitaine s'y refusa. Il fallait eviter les cotes, la +tempete avait deja retarde le navire, et les armateurs pouvaient subir +les plus grandes pertes des suites d'un retard plus considerable.... Il +fallut me resigner. J'offris meme mes services. Mais j'etais incapable +de supporter la plus petite fatigue.... Un matin, je restai cloue au +lit, en proie a la fievre. Pendant quelques jours le mal me balanca +entre la vie et la mort.... Nous approchions de New-York, quand la +tempete nous assaillit de nouveau. Je fus reveille, une nuit, par +un matelot alsacien qui m'avait pris en affection:--Camarade,--me +dit-il,--il faut vous lever, tout de suite. Le navire fait eau, on +renonce a le sauver.... Laissez-moi faire.--Il m'enleva dans ses bras +robustes. L'emotion etait trop forte, je m'evanouis. Quand je revins a +moi, ranime par les soins de mon sauveur, nous etions trois hommes a +bord d'un leger canot, presque sans vivres, presque sans eau.... +Combien de temps errames-nous sur cette mer tourmentee?... Comment le +saurais-je?... Je n'avais plus conscience de la vie et je m'etonne que +mes compagnons ne me jeterent pas a la mer, me croyant mort.... Je me +rappelle seulement qu'un vapeur allant a New-York nous recueillit; j'ai +ce vague souvenir que Fritz, mon sauveur, veilla a mes cotes jusqu'au +moment ou nous debarquames en Amerique. La, toujours grace aux soins de +ce brave coeur, on me transporta dans un hopital.... Apres cela, il y a +dans ma vie une lacune, capitaine.... Je devins fou.... + +--Fou!--interrompit le capitaine avec stupefaction. + +--Oui, fou.... Oh! vous devez comprendre le choc que ma pauvre raison +avait subi quand, tout a coup, je m'etais vu arrache a mes reves de +bonheur; a la pensee que peut-etre ceux que j'aimais me croyaient +mort!... Je devins fou.... Quand je revins a la realite, j'etais au fond +d'un hopital, a quelques cents lieues de France! J'etais reste la une +annee!... + +Ma guerison fut constatee et le consulat francais me fournit les moyens +de me rapatrier.... + +Le capitaine etait devenu reveur. Quand Raymond se tut il le regarda +fixement: + +--Que comptes-tu faire a present?... + +--Vous m'aiderez, capitaine, a preparer ma reapparition. Ne brusquons +rien, surtout. Je resterai chez vous, cache, pendant que vous irez +annoncer doucement a Talbot, puis a Jeanne..., a ma fiancee.... + +--Ta fiancee,...--repeta le capitaine avec un accent etrange.--Ses yeux +eviterent le regard inquiet du jeune matelot. + +Raymond s'apercut de cette emotion: + +--Parlez, au nom du Ciel!--s'ecria-t-il,--Jeanne?... Qu'est-il arrive? + +Le capitaine hesitait a repondre. + +--Oh! pitie, pitie!--sanglota le matelot en cachant son visage dans ses +mains. + +Le capitaine se leva, et posant sa main sur l'epaule du jeune homme: + +--Sois fort, matelot, Jeanne est mariee. + +--Mariee!... + +Raymond se redressa brusquement. Il comprima un instant les battements +desordonnes de son coeur: + +--Avec qui?... + +--Jeanne est la femme de Talbot. + +Un soupir gonfla la poitrine du jeune homme: + +--Dieu l'a voulu,--murmura-t-il,--et Dieu est juste!... + +Et, comme se parlant a lui-meme: + +--Oui, Dieu est juste! Il a voulu que la volonte d'un mourant fut +respectee.... Mon mariage avec Jeanne eut ete un crime ... qu'il n'a pas +permis.... Cette catastrophe, cet eloignement force, ma folie..., tout +n'est-il pas la pour le prouver?... + +--Capitaine,--continua-t-il avec l'accent de la resolution,--vous etes +le seul dans le pays qui me sachiez vivant.... Voulez-vous me promettre +d'en garder le secret?... Vous allez me comprendre.... Il y a ici deux +etres qui portent mon deuil. C'est Talbot ... c'est Jeanne.... Ils +me pleurent, mais ils sont heureux d'un bonheur auquel le Ciel les a +_destines_. Ce bonheur fera leur vie.... Mon devoir, a moi, est de +rester dans la tombe ou leurs pensees m'ont si souvent visite.... +Promettez-moi que jamais ils ne sauront mon retour.... + +--Je le jure,--repondit le capitaine, visiblement emu. + +--Merci. Mais dites-moi.... Depuis quand Talbot et Jeanne sont-ils +maries? + +--Quelques semaines a peine. Jeanne a ete longtemps malade. Le choc +qui a ebranle ta raison, dis-tu, l'a mise, elle, a deux doigts de +la mort.... Pendant sa maladie,--c'est Talbot lui-meme qui me l'a +raconte,--elle n'a eu qu'une idee fixe. Elle revoyait son pere, pres +d'expirer, unissant la main de Talbot a la sienne, et quand ce +dernier veillait a son chevet, cherchant tous les moyens de la +distraire:--Donnez-moi votre main,--lui disait-elle souvent. Il se +rendait a son desir et elle murmurait en souriant:--Je suis heureuse et +je veux etre votre femme.--Le vieux Talbot pleurait sans rien dire. +Mais, un jour, elle lui dit:-N'est-ce pas, ami, que nous _devons_ nous +marier? Promettez-moi que lorsque je serai guerie nous ferons notre +_devoir_, promettez-moi que je serai votre femme....--Il dut lui faire +cette promesse. Elle guerit et, au bout de sa convalescence, elle exigea +qu'on publiat les bans.... Mais elle voulut garder ses habits de deuil. + +--Des habits de veuve!--murmura Raymond.--Jeanne a fait son devoir. + +Les deux hommes resterent un instant silencieux. Tout a coup Raymond +releva la tete: + +--Il le faut,--s'ecria-t-il.--Capitaine, il faut que je les revoie.... +Oh! rassurez-vous, ils ne me verront pas, eux.... La nuit tombe et les +quais sont obscurs.... Voulez-vous m'accompagner? + +Le capitaine Robert fit un signe d'assentiment et ils sortirent. + + + + +VIII + + +Raymond et son compagnon arriverent sans etre vus jusqu'a la naissance +de la jetee. La maison de Talbot s'elevait tout pres. Une lumiere +brillait aux fenetres. + +Le capitaine arreta le matelot a quelques pas de la maison et s'avanca +seul. Il revint au bout d'un instant et, prenant le bras du jeune homme, +il le conduisit pres de la fenetre eclairee. + +--Regarde,--lui dit-il,--mais prends garde! + +Raymond se pencha avidement. + +Assise pres d'une table, tout pres de la fenetre, Jeanne etait la. + +Elle fixait des yeux, sous la lumiere vive d'une lampe, un objet cache +dans sa main. Soudain cette main se porta a ses levres. Ce mouvement +permit au matelot de voir en pleine lumiere l'objet qu'elle tenait et +qu'elle baisait a plusieurs reprises. + +Un cri etouffe lui echappa: + +--Mon portrait!...--murmura-t-il, pendant qu'un tremblement convulsif +s'emparait de tous ses membres. + +La tete lui tourna. Il allait crier, frapper au carreau, se trahir, +quand un pas lourd se fit entendre du cote de la jetee. + +--Prends garde!--dit encore le capitaine.--C'est Talbot. Il a pu nous +voir. Laisse-moi faire. + +Et, tout en parlant, il forca Raymond a se blottir dans un renfoncement +de la muraille. Le jeune homme resta cache pendant que son compagnon +allait au devant de Talbot. + +Il entendit la voix du pilote jeter un salut amical au capitaine. Il +le vit s'avancer de son cote. Il reconnut le coup familier frappe au +carreau.... La porte s'ouvrit. Un rayon de lumiere s'allongea sur le +pave du quai, et l'ombre de Jeanne se maria un instant sur le sol a +celle du vieux matelot. + +Raymond crut que son coeur se brisait!... + +L'epreuve n'etait pourtant pas finie. + +La porte s'ouvrit encore, et, dans la lumiere de la fenetre, le jeune +homme vit Jeanne s'avancer.... La main de la jeune femme se tendit de +son cote pour detacher le volet de la fenetre. + +Il aurait pu saisir cette main, crier:--Jeanne!... c'est moi!...--la +prendre dans ses bras comme le jour ou elle lui avait dit:--Va et +meurs! + +Il ne le fit pas!... + +Le bruit de la porte qui se refermait le decida seul a sortir de sa +cachette. + +Il chancelait. Le capitaine, qui arrivait, dut le soutenir un instant. + +--Raymond,--dit-il avec une compassion mal dissimulee,--il ne faut pas +rester ici... Reviens chez moi, mon garcon... + +--Non, capitaine,--repondit le jeune matelot avec plus de calme.--Vous +l'avez dit: il ne faut pas rester ici.... La nuit favorisera mon +projet.... Demain, je serai loin du Havre. + +--Ou vas-tu? + +--Ou Dieu me conduira.... _N'est-il pas le maitre de nos destinees?_ + +Les deux hommes s'embrasserent. Raymond jeta un dernier regard vers la +maison, maintenant sombre. Un sanglot dechira sa poitrine. + +Puis, pressant une derniere fois la main du capitaine: + +--Adieu!... + +Et il se perdit dans la nuit. + + + + + +End of Project Gutenberg's De profundis!, by Carolus [Charles-Auguste Durand] + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DE PROFUNDIS! *** + +***** This file should be named 12451.txt or 12451.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + https://www.gutenberg.org/1/2/4/5/12451/ + +Produced by Tonya Allen and PG Distributed Proofreaders. 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The Foundation makes no representations concerning +the copyright status of any work in any country outside the United +States. + +1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: + +1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate +access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently +whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the +phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project +Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, +copied or distributed: + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org + +1.E.2. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, is critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at https://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. Compliance requirements are not uniform and it takes a +considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up +with these requirements. We do not solicit donations in locations +where we have not received written confirmation of compliance. To +SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any +particular state visit https://pglaf.org + +While we cannot and do not solicit contributions from states where we +have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition +against accepting unsolicited donations from donors in such states who +approach us with offers to donate. + +International donations are gratefully accepted, but we cannot make +any statements concerning tax treatment of donations received from +outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. + +Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation +methods and addresses. Donations are accepted in a number of other +ways including including checks, online payments and credit card +donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + +Each eBook is in a subdirectory of the same number as the eBook's +eBook number, often in several formats including plain vanilla ASCII, +compressed (zipped), HTML and others. + +Corrected EDITIONS of our eBooks replace the old file and take over +the old filename and etext number. 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For +example an eBook of filename 10234 would be found at: + + https://www.gutenberg.org/1/0/2/3/10234 + +or filename 24689 would be found at: + https://www.gutenberg.org/2/4/6/8/24689 + +An alternative method of locating eBooks: + https://www.gutenberg.org/GUTINDEX.ALL + + diff --git a/old/12451.zip b/old/12451.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..84eea38 --- /dev/null +++ b/old/12451.zip |
