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-The Project Gutenberg eBook of L'amour en Russie, by Claude Anet
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: L'amour en Russie
-
-Author: Claude Anet
-
-Release Date: November 24, 2021 [eBook #66810]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed
- Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was
- produced from images made available by the HathiTrust Digital
- Library.)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'AMOUR EN RUSSIE ***
-
-
-
-
- CLAUDE ANET
-
- L’amour
-
- en Russie
-
-
- QUINZIÈME ÉDITION
-
-
- PARIS
- BERNARD GRASSET, ÉDITEUR
-
- MCMXXIII
-
-
-
-
- L’amour en Russie
-
- OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:
-
-
-VOYAGE IDÉAL EN ITALIE. 1 vol.
-
-PETITE VILLE. 1 vol.
-
-LES BERGERIES. 1 vol.
-
-LA PERSE EN AUTOMOBILE. 1 vol.
-
-NOTES SUR L’AMOUR. 1 vol.
-
-LA RÉVOLUTION RUSSE. (Mars 1917-Juin 1918) 4 vol.
-
-ARIANE, _jeune fille russe_. 1 vol.
-
-Les 144 quatrains authentiques d’Omar Khayyam,
- traduits du persan en collaboration avec
- Mirza Muhamad de Kazvin. 1 vol.
-
-TSAR SALTAN, traduit de Pouchkine, illustré et
- décoré par Nathalie Goutcharova. 1 vol.
-
-QUAND LA TERRE TREMBLA (Bernard Grasset,
- éditeur). 1 vol.
-
-
- EN PRÉPARATION:
-
-NOTES SUR L’AMOUR, avec dessins originaux de Pierre Bonnard, gravés
- sur bois.
-
-
-
-
- CLAUDE ANET
-
-
- L’amour
-
- en Russie
-
- PARIS
- BERNARD GRASSET
- 61, RUE DES SAINTS-PÈRES
-
- 1922
-
-
- IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE DIX EXEMPLAIRES SUR JAPON IMPÉRIAL
- NUMÉROTÉS DE 1 A 10; TRENTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER HOLLANDE V G
- NUMÉROTÉS DE 11 A 40 ET SOIXANTE-DIX EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN
- PUR FIL LAFUMA NUMÉROTÉS DE 41 A 110
-
-
- Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
- pour tous pays.
-
- _Copyright by Claude Anet 1922._
-
-
-
-
- L’amour en Russie
-
-
-Si Stendhal avait connu la Russie, il l’aurait adorée. Il n’y aurait vu
-nulle part la vanité desséchante qu’il abhorrait en occident. Il y
-aurait trouvé quelque chose qui n’est que de ce pays-là--une certaine
-façon directe de regarder et de traiter les choses de l’amour, en dehors
-de toutes conventions mondaines et sociales, une volonté arrêtée de
-décider chaque cas passionnel en soi, sans s’inquiéter des convenances
-et des habitudes, et surtout sans se préoccuper de ce qu’en penseront
-les voisins. Il y a en Russie un mépris complet de l’opinion publique.
-Et encore, en écrivant cela, je reste l’esclave des formes occidentales.
-Pour un Russe qui aime, il n’y a pas d’opinion publique; donc il ne
-peut la mépriser. Tout drame d’amour est un drame à deux ou à trois,
-«entre colonnes». Le chœur antique, qui n’est jamais absent de la scène
-dans nos sociétés européennes (Dame Gossip dans les romans de Meredith),
-ne figure pas dans la tragédie russe.
-
-De là quelque chose de magnifiquement spontané dans la naissance et dans
-le développement des passions. L’amour en occident évoque l’idée d’un
-jardin à la française où les eaux coulent dans des canaux tracés avec
-art, s’étalent dans de beaux bassins sous des ombrages taillés, et
-gardent dans leur cours quelque chose de noble et de retenu. Partout on
-sent l’action du commandement suprême: «Tu n’iras pas plus loin.» Le
-désordre et l’imprévu ne peuvent y trouver leur place. Cette contrainte
-est impossible en Russie. On n’y souffre les liens ni de la loi, ni des
-usages, ni, j’ose le dire, de la raison. De là, pour le Russe,
-l’obligation de créer à chaque jour sa vie, d’agir à tout instant
-suivant la logique de ses sentiments. Il n’est pas comme le juge anglais
-qui ne décide que sur précédents; il n’y a pas d’usage; chaque cas est
-nouveau pour lui; il se sent libre de le traiter suivant ses émotions du
-moment. Il ne songe ni au passé, ni à l’avenir. Une liberté d’action si
-grande, un manque si total de tradition amènent, comme on l’imagine, les
-situations les plus surprenantes, les résultats, à nos yeux, les plus
-imprévus.
-
-Mais ces situations ont pour nous un prix inestimable, car elles sont
-toujours le produit d’un jeu libre des sentiments et des passions et ne
-doivent rien à l’odieux _cant_, au haïssable «qu’en-dira-t-on?» qui
-règne sur le monde européen. La solution russe, quelle qu’elle soit, a
-une valeur parce qu’elle est sortie naturellement d’un pur conflit
-passionnel et qu’elle nous montre ainsi «notre cœur à nu».
-
-Dans un conflit analogue, en France ou en Angleterre, mille éléments
-étrangers interviennent dans le débat. Un mari trompé, s’il y a
-scandale, est obligé de penser au divorce ou à la séparation; l’honneur
-marital ne lui permet pas d’accepter ce que l’on considère, on ne sait
-trop pourquoi, comme un affront.
-
-Si, seul en face de lui-même, il incline à la solution paresseuse, le
-monde est là pour le contraindre à l’action. Famille, voisins, amis,
-relations de cercle ou d’affaires ne lui laissent pas la possibilité de
-vivre à sa guise. Il sent le poids de l’opinion publique, hélas!
-toute-puissante sur un homme sociable et qui ne s’appartient pas.
-
-Cette contrainte est si ancienne dans nos sociétés occidentales qu’elle
-n’a plus besoin de s’exercer extérieurement tant elle a gagné d’empire à
-l’intérieur des âmes. On en arrive à se demander si la plupart de nos
-contemporains sont capables d’un acte spontané, jailli du fond
-d’eux-mêmes, et si, aujourd’hui, en face d’un fait donné, ils ne
-réagissent pas automatiquement, en suivant les ordres secrets imprimés
-en eux par une tradition séculaire de vie menée en société et sous le
-regard des voisins. L’individu échappe à cet esclavage en Russie.
-
-Ce qu’il fait de sa liberté au delà de la Vistule est une autre affaire;
-mais, s’il la sacrifie, ce n’est pas à un faux point d’honneur et à des
-convenances qui n’ont, à ses yeux, rien à voir dans la matière.
-
- * * * * *
-
-Les esprits européens se tromperaient grandement s’ils voulaient
-conclure de cette faiblesse du sentiment social et de cette absence de
-tradition à un manque de culture et de civilisation. C’est une autre
-civilisation, raffinée, profonde, subtile plus que la nôtre, avec des
-complications presque incompréhensibles pour nous, et qui se développe
-sur un rythme et avec des cadences qui nous sont étrangers; c’est un
-bouillonnement de forces désordonnées, presque vierges, incontrôlables;
-ce sont les contrastes que l’on trouve sur la terre russe, glacée
-pendant six mois de l’année, où le printemps donne le vertige, où l’été
-est accablant comme dans l’Asie centrale.
-
- * * * * *
-
-LE DON JUANISME ET LA RUSSIE.--Don Juan est né en Espagne. Mais il est
-de France, d’Angleterre et d’Italie. Je l’ai cherché dans mes voyages
-en Russie. Je ne l’ai trouvé nulle part, ni chez mes contemporains, ni
-dans les récits des femmes, ni dans les légendes, ni parmi les héros des
-romanciers. Il ne figure pas dans l’étonnante collection des types
-russes que Gogol a immortalisés dans les _Ames mortes_; il n’est ni chez
-Dostoievski, ni chez Tolstoï, ni chez Lermontof, pas plus que chez
-Gontcharof, Griboiedof ou Tchekhof. Pouchkine a écrit, à l’imitation de
-Byron, un _Don Juan_ qui n’a pas un trait spécialement russe. Ailleurs,
-son _Eugène Onéguine_ est un assez plat dandy. Don Juan n’est pas de ce
-pays[1]. Lorsque je fis cette découverte, j’eus un frisson de plaisir à
-voir s’ouvrir devant moi une belle piste de pensées qui me ferait
-pénétrer plus avant dans la connaissance de l’âme russe, voire dans
-celle de Don Juan. Pas de Don Juan dans ce pays où les passions de
-l’amour sont si fortes! Et je me suis mis à en chercher les raisons.
-
-[1] Le seul Don Juan russe que j’aie trouvé est le prince Korasof
-dans _le Rouge et le Noir_. Le petit cours de don juanisme qu’il fait
-à Julien Sorel est excellent, mais ce Russe me paraît être devenu,
-à notre contact, tout à fait européen, ce qui n’est, du reste, pas
-impossible. Enfin il est là en qualité de conseiller. Garderait-il dans
-la passion ce beau sang-froid qui étonne Julien.
-
-Un jeune officier qui court les femmes, les filles et les soupers n’est
-pas un Don Juan. Il dépense un surplus de force, sans choix au hasard de
-rencontres où il ne mêle que la partie animale de lui-même.
-
-Don Juan est une volonté qui n’abdique jamais. Il domine, et les
-événements, et les femmes qu’il presse dans ses bras. Quoi qu’il arrive,
-il reste maître de soi.
-
-Le souci de la maîtrise de soi est un sentiment étranger à l’âme russe.
-Elle a, du reste, des détentes si brusques qu’elles défient tout cran
-d’arrêt. Le Russe ne cherche pas à dominer et à être vainqueur dans
-l’éternel duel de l’amour. Aime-t-il? il met son orgueil à se laisser
-tyranniser par sa maîtresse. Il trouve une joie amère à s’abaisser. En
-lui, l’idée de sacrifice est toujours forte. Il croit se grandir ainsi
-aux yeux mêmes de l’être auquel il se donne. (Fatale erreur!) A l’avance
-il est prêt à accepter toutes les humiliations, et la femme ne les lui
-ménage pas. Que nous sommes loin du don juanisme!
-
-Cet abandon de soi-même a de multiples conséquences. J’en indique une de
-caractère physiologique, avec la retenue dans les mots qu’un sujet
-délicat comporte.
-
-L’amour, commerce des âmes, est aussi un rapprochement des corps. Les
-organismes féminins et masculins évoluent dans cette prise de contact
-suivant la cadence d’un rythme différent:--la femme, à l’ordinaire, sur
-un mode ralenti; l’homme dans un _tempo_ plus accéléré. Il est pourtant
-essentiel que ces parties soient concertées. Cela implique une grande
-sûreté de soi chez l’homme qui, tout tendu qu’il est, doit savoir
-patienter, altruiser, amener la femme au point où il en est lui-même et
-ne la prendre enfin qu’à l’instant où elle se donne. Si l’homme, ne
-songeant qu’à soi, se rue sur une femme qui ne l’attend pas, il la
-froisse, il la blesse, et pratique sur elle un viol véritable. La femme,
-exaspérée de n’avoir pas touché le bonheur promis, se venge longuement
-des déconvenues du lit.
-
-Le Russe qui s’abandonne à ses passions avec tant de joie saura-t-il à
-la minute décisive rester maître de lui? Cela est peu probable. Et l’ère
-s’ouvre des durables malentendus.
-
-Les âmes éthérées repousseront avec horreur cette explication
-matérialiste. Aussi je m’empresse de leur en fournir une autre qui les
-satisfera davantage.
-
-Don Juan ne triomphe pas seulement dans la physique de l’amour. Il veut
-aussi régner sur les âmes et n’ignore pas les voies par où on y arrive.
-Est-il une femme si haut placée qu’elle soit, si orgueilleuse qu’on
-l’imagine, qui ne désire ardemment, sans peut-être même se l’avouer,
-rencontrer enfin l’être supérieur auquel elle sera heureuse d’obéir? Le
-tout de l’amour n’est-il pas pour la femme dans un acte de soumission,
-voire d’anéantissements, aux pieds d’un maître et le geste de la
-Madeleine devant le Christ n’est-il pas le geste suprême par lequel la
-femme atteint au bonheur?
-
-Mais notre Russe, bien éloigné de se faire laver les pieds par sa
-maîtresse, n’aspire qu’à se précipiter aux genoux de celle qu’il adore
-et à les inonder de ses larmes.
-
-Et pourtant il est aimé, lui aussi. Mais de quel étrange amour, où
-l’orgueil, la fierté d’âme, le désir du sacrifice, l’amour-propre qui ne
-veut pas reconnaître ses erreurs jouent le rôle principal. La femme
-russe s’attache à des raisons morales; elle exalte en son amant une
-qualité qu’elle croit y apercevoir. Elle pense à un moment où il s’est
-montré supérieur à lui-même. Et la femme russe est si merveilleusement
-douée, un composé si étrange de défauts et de qualités qui se
-contredisent--en vérité, on ne sait comment ils peuvent vivre
-ensemble,--que l’on voit dans ce pays des liaisons cimentées de la façon
-la plus artificielle et pourtant durables. Mais aussi que de ruptures
-brusques, inattendues, inexplicables!
-
- * * * * *
-
-Continuons notre promenade. Dans ce pays où la vanité ne joue presque
-aucun rôle, la femme ne juge pas qu’il lui soit avantageux de paraître
-inaccessible. Elle se rend avec une facilité surprenante et pour des
-raisons si simples, ou si compliquées, qu’il faut renvoyer à un autre
-chapitre (ou volume) d’en rechercher les causes. La lutte qui remplit
-une partie de notre littérature entre le devoir et la passion n’existe
-guère chez les Slaves.
-
-La femme commence là-bas par où elle finit chez nous: elle se donne.
-Nous mettons un point final à l’histoire. Elle ne fait que commencer en
-Russie. La conquête de la femme s’y fait après ce que les romantiques
-appellent la chute et «les dernières faveurs» sont pour elle les
-premières. Alors seulement commence le combat véritable, une lutte plus
-secrète, plus ardue, plus subtile...
-
-Mais notre Don Juan a ajouté un nom à la liste des mille et trois et,
-sans se soucier davantage de ce qu’il regarde comme une place qui a
-capitulé, vole à une autre conquête.
-
-Ainsi ne peut-il goûter en Russie aucune jouissance d’orgueil. Mauvais
-terrain pour Don Juan. Cherchera-t-il son plaisir dans la conquête
-morale d’une femme qu’il a déjà eue dans ses bras? Cela est peu dans le
-caractère de Don Juan, occidental qui pense qu’une femme, après le don
-de son corps, ne peut lui offrir rien de plus précieux.
-
-Un peu plus loin encore... Quelle est la plus haute et la plus
-difficile conquête de Don Juan? Celle d’une femme pieuse. Quel est le
-rival le plus difficile à vaincre? Dieu. Aussi faut-il que la discipline
-religieuse la plus étroite, la plus raisonnable ait formé l’âme de cette
-femme, qu’elle soit menée au jour le jour dans les chemins du devoir,
-qu’elle n’ait pas une vue mystique de la Divinité, car par la porte du
-mysticisme où ne va-t-on pas et dois-je rappeler ici le mot admirable de
-Mᵐᵉ Krudener à son amant au moment qu’il lui faisait sentir l’aigu du
-plaisir de la chair: «Ah! Dieu, je te demande pardon de l’excès de mon
-bonheur!», donnant par ce cri, que peut seule se permettre une mystique,
-un prix presque divin à une joie terrestre? Il faut que cette femme soit
-dirigée par un prêtre plein de sévérité et de raison, qu’elle soit
-attachée à la lettre et à l’esprit de la loi divine. Don Juan, alors,
-comme Jacob, se collette avec Dieu. Il n’est pas de lutte plus
-difficile; il n’est pas de victoire plus glorieuse.
-
-Mais, cette femme, où la trouver en Russie? Où chercher la discipline
-d’esprit, l’amour de la règle, l’éducation rationnelle des âmes? Le
-mysticisme est si profond dans ce peuple qu’il s’y allie au matérialisme
-le plus grossier. S’il s’empare d’une âme religieuse, il y amène
-l’étonnant déchaînement de sensualité qu’on voit dans tant de sectes
-russes. Notre Don Juan, que fera-t-il de ces mystiques par qui la
-chair--dont pourtant elles tirent tant de joies--est considérée comme
-sans valeur!
-
- * * * * *
-
-L’ennui, ce n’est pas assez dire, le désespoir, «l’âme malade» des
-femmes russes est la cause suffisante des succès des hommes à bonne
-fortune dans ce pays. Il faut aller plus loin. Le désir de s’humilier,
-le dégoût de soi-même, d’autant plus grand que l’âme est plus haute,
-l’attirance des bas-fonds, le vertige que l’on a quand on les regarde
-d’une grande élévation, une religion toute pleine de mysticisme et de
-peu de secours dans le train ordinaire de la vie,--voilà les causes
-profondes qui expliquent les catastrophes où sombrent beaucoup de nobles
-vies.
-
- * * * * *
-
-Je l’ai dit: les femmes russes commencent par se donner. Les
-Européennes, qui savent mettre un prix élevé leur conquête, qui se
-défendent avec tant d’art et qui ne se rendent qu’après un long siège,
-disent avec un peu de mépris:--Voilà des femmes faciles et qui ne
-s’estiment pas bien haut.
-
-Mais les Russes répondent:--Pourquoi faire du don de votre corps une
-chose si précieuse? Avec tous vos grands airs, vous êtes au fond des
-matérialistes assez vulgaires. Les efforts par lesquels vous défendez
-votre chair, nous les réservons pour la défense de notre âme. Un homme
-qui possède votre corps est-il donc votre maître? Lui avez-vous tout
-donné en tombant dans ses bras? N’est-il rien que vous mettiez au-dessus
-du commerce de la chair? Est-ce là ce qu’il y a de plus précieux en
-vous? N’avez-vous pas un jardin secret dont vous gardez la clef?
-
- * * * * *
-
-LES FILLES.--Le peuple anonyme des filles remplit les villes petites et
-grandes de la Russie. Il a sa plèbe obscure et affamée--j’ai vu sur les
-quais de Kertch, une «ex-femme», une ivrognesse en haillons se prêter
-aux débardeurs derrière des tas de marchandises pour une pièce de cinq
-kopeks (douze centimes et demi)--et ses étoiles de première grandeur.
-
-Il est difficile de donner ici des caractéristiques qui, à force d’être
-générales, finiraient par n’être plus que des mots vides de sens. Et
-pourtant, devant ce sujet, je sens bien que les filles russes ont
-quelque chose au fond d’elles, oui, même chez les plus basses, qui ne
-permet pas de les assimiler à leurs sœurs françaises, anglaises ou
-allemandes.
-
-Il semble qu’elles ne se livrent pas tout entières, qu’elles s’arrangent
-dans l’excès de leur humilité et de leur abaissement pour garder de quoi
-se racheter à leurs propres yeux.
-
-D’autre part, elles n’ont pas l’amour de leur métier. Elles n’aiment
-pas la besogne bien faite. Elles n’y apportent ni science, ni art, ni
-complaisance, et je suis sûr qu’elles jugeraient très dépravées leurs
-consœurs occidentales et horizontales qui connaissent plus d’un tour.
-«They have’nt good bed room’s manners», me disait un Anglais qui savait
-que ces manières-là on ne les trouve guère qu’en France, pays de grande
-et antique civilisation. Elles sont celles en qui vont les péchés d’un
-peuple, pour employer une expression bien inutilement religieuse de
-Mallarmé, et à cela se borne leur ambition.
-
-Dans la classe plus relevée qui fréquente les music-halls et les
-cabarets, il ne semble pas que la technique se soit développée, mais
-certains traits particuliers apparaissent. Ces filles n’acceptent guère
-de gagner mécaniquement leur vie: il faut les intéresser à ce qu’elles
-font et elles ne tolèreraient pas que l’homme se montrât égoïste. Elles
-ne veulent pas jouer la comédie du plaisir; elles entendent le partager.
-Étranges professionnelles!
-
-Dans cette famille-là, on trouve la variété des soupeuses. Ce sont des
-filles dont le métier est d’être les compagnes des gens qui passent la
-nuit au cabaret. Elles s’assoient à leur table, écoutent les tziganes
-qu’ils ont fait venir dans leur cabinet particulier, mangent pour
-vingt-quatre heures, boivent du champagne, aident les hommes à se griser
-et, au petit jour, s’en vont chez elles à moitié saoules, mais pareilles
-à la grande Isis, dont nul n’a soulevé le voile.
-
-Plus haut, la courtisane rejoint la femme dont, comme on sait, on peut
-tout dire quand elle est russe. Je pense qu’il est plus rare que partout
-ailleurs de voir une courtisane mourir ici dans l’opulence, non pas
-qu’il ne lui soit passé beaucoup d’argent dans les mains, mais par
-incapacité de le retenir. Elle est souvent épousée, sans qu’elle ait le
-moindre souci de finir ses jours dans la respectabilité. Si elle se
-marie, ce n’est certes pas par déférence pour l’opinion, mais parce que
-«cela se trouve ainsi», et à l’ordinaire, parce qu’un de ses amants l’en
-a longuement suppliée. Ah! que la Volga est éloignée de la Seine! Ce
-mariage n’a qu’une brève durée, semblable en cela, du reste, à la
-plupart des mariages russes. Le patient édifice construit pierre à
-pierre par une de nos ingénieuses et économes ouvrières françaises, cet
-édifice qui devient maison bourgeoise ou palais, ne peut être élevé sur
-le friable sol russe.
-
-
-
-
-NADIA
-
-
-Le jeune lieutenant de dragons, Alexandre Naudin, avait suivi pendant un
-an l’excellent cours de russe que professe, à l’École des langues
-orientales vivantes de Paris, M. Paul Boyer. Il savait la grammaire, la
-syntaxe et les lois compliquées de la phonétique russe. Il était capable
-de lire un texte facile mais il parlait avec peine. Il décida de se
-perfectionner dans cette langue ardue, demanda et obtint un congé de
-trois mois pour un voyage d’études au pays des tsars. Il faut avouer
-qu’il était attiré aussi en Russie par les récits des camarades qui l’y
-avaient précédé et en avaient rapporté des souvenirs bien séduisants.
-
-Alexandre Naudin (il était fils d’Édouard Naudin, de la maison Leredu,
-Naudin, Jouaust et Cⁱᵉ, bonneterie en gros, à Troyes, le premier crédit
-de la place), avait des rentes suffisantes pour se permettre de voyager
-agréablement sans être obligé de consulter à chaque fin de journée
-l’état de sa bourse.
-
-Il se rendit directement de Paris à Moscou par Varsovie. Là, il fit la
-connaissance d’un officier, Serge Platonof, avec lequel il passa
-quelques soirées. Ils allèrent dans les lieux de plaisir, entendirent
-des chanteuses françaises et des girls anglaises, applaudirent des
-acrobates japonais et des lutteurs de Carélie. Le commencement de
-juillet était déjà chaud et orageux, comme il arrive à Moscou, et le
-séjour de la ville lui parut sans agrément. Comme il s’en ouvrait à son
-nouvel ami, celui-ci lui dit:
-
---Il faut venir chez nous en hiver. Tous nos amis sont maintenant aux
-eaux du Caucase, en Crimée ou dans leurs biens. C’est là que vous verrez
-la société russe. Puisque vous êtes libre de votre itinéraire, allez
-donc au Caucase. La nature y est riche, avec quelque chose de sauvage
-que vous ne connaissez pas en Europe. Vous y trouverez des femmes
-ravissantes et faciles; cela a son prix quand on voyage. Je vous
-donnerai une lettre pour un de mes amis qui est aide de camp du vice-roi
-à Tiflis. Grâce à lui, je pense que votre séjour sera plein d’agrément.
-
-Deux jours après, Alexandre Naudin montait dans le train de luxe qui
-mène aux eaux du Caucase par Rostof sur le Don; mais il ne s’arrêta ni à
-Piatigorsk, ni à Essentouki. Les stations d’eaux modernes lui
-paraissaient peu dignes d’intérêt. Il voulait voir des sites et des
-cités qui eussent plus de couleur locale et continua sa route jusqu’à
-Vladicaucase, charmante petite ville située au nord des derniers
-contreforts de la chaîne élevée qui sépare le Transcaucase des plaines
-du Caucase septentrional et de la Russie.
-
-Il passa la fin de l’après-midi et la soirée dans le beau jardin de la
-ville sur les bords du Térek dont les flots limoneux arrivent en
-bondissant tout droit des montagnes. La chaleur était grande déjà. Les
-habitués du jardin, dès six heures, venaient chercher la fraîcheur sous
-les ombrages au long des eaux courantes. Les parents s’asseyaient au
-restaurant, jouaient à la préférence ou au vinte. Les jeunes filles,
-gymnasistes et autres déjà sorties des écoles, se promenaient par
-couples dans les allées. Elles portaient toutes des robes de toile
-blanche très fine, et, à cause de la température élevée, elles n’avaient
-sous leur robe exactement qu’une chemise, ce dont, lorsqu’elles
-passaient entre le soleil couchant et un observateur intéressé, il était
-aisé de se convaincre.
-
-Le jeune Alexandre Naudin se crut entré dans le paradis des houris dès
-son arrivée en Orient. Assis sur un banc, il savourait la volupté tiède
-de l’heure, en regardant flâner devant lui ces jeunes filles, riantes ou
-sérieuses, dont plus d’une lui jetait, comme au vol, un coup d’œil vif
-au passage. De beaux yeux noirs qui se ferment à moitié, un éclair
-soudain de dents blanches entre des lèvres qui ne doivent leur rougeur
-qu’au sang frais de l’adolescence, les tissus légers et presque
-transparents qui couvraient ces corps juvéniles, il y avait là de quoi,
-il faut en convenir, faire perdre la raison à un officier de dragons de
-l’armée française. Alexandre Naudin pensait déjà à ne pas quitter
-Vladicaucase et à y achever le temps de son congé. Où trouverait-il un
-plus agréable jardin, des eaux plus fraîches, un décor de montagnes plus
-pittoresque et des femmes plus séduisantes?
-
-Mais il faut avouer qu’au sein même de ces délices le jeune lieutenant
-éprouvait un certain malaise. Ces beautés n’étaient point des femmes,
-mais des jeunes filles. Alexandre Naudin avait reçu une éducation
-excellente, dans sa famille bourgeoise d’abord, ensuite à l’école des
-Postes, et au régiment enfin. Et comme un jeune homme bien élevé, il
-n’avait jamais eu l’impertinence de discuter les idées traditionnelles
-qu’on lui avait inculquées et les règles de conduite qu’il faut suivre.
-Or, il est évident, bien que sous-entendu, qu’un jeune homme, et surtout
-un officier, et singulièrement un officier de cavalerie, le monde lui
-appartient: il peut y faire, comme on dit, les quatre cents coups, à
-condition de ne pas toucher aux jeunes filles. Les jeunes filles, on les
-épouse, mais on ne s’amuse pas avec elles. Ces commandements de la
-morale qui a fait la force de notre pays y sont, grâce à Dieu,
-respectés aujourd’hui, et pour longtemps encore, je l’espère.
-
-Aussi la présence de ces jeunes filles ne laissait-elle pas que
-d’inquiéter notre lieutenant. Alexandre Naudin pensait avec Leibnitz,
-qu’il n’avait jamais lu, que toutes choses sont réglées pour le mieux
-dans le meilleur des mondes, que les jeunes filles sont faites pour être
-épousées, qu’épouses, elles ont des enfants et deviennent du coup
-sacrées, et que pour les plaisirs naturels des hommes, il est une classe
-de femmes, nombreuse, variée, où l’on peut exercer sans scrupule de
-conscience le droit de choix. A trente ans, je le sens bien, Alexandre
-Naudin qui n’est pas un nigaud aura fait quelques pas de plus et compris
-des choses qui lui échappent encore. Mais quoi? il n’a que vingt-quatre
-ans au moment où cette histoire commence et finit.
-
-Il hésitait donc à aborder ces jeunes filles qui lui souriaient pourtant
-avec sympathie. Sous le feu de leurs regards, il brûlait, mais n’osait
-déclarer sa flamme. Vingt fois, il fut sur le point de se décider; vingt
-fois il recula. Cependant il se promenait dans les allées éclairées,
-bombant le torse, tendant le mollet. Pour mettre le comble à son
-malheur, les jeunes filles étaient toujours par groupe de deux, de trois
-ou de quatre. En eût-il trouvé une isolée, peut-être l’aurait-il
-poursuivie. Mais on voit la difficulté qu’il y a à entrer en
-conversation avec plusieurs jeunes filles, riantes et moqueuses, surtout
-lorsqu’on ne parle pas couramment leur langue, malgré les excellentes
-leçons de M. Paul Boyer.
-
-Il passa ainsi une soirée délicieuse et tourmentée, et l’âme pleine de
-regrets, il quitta le jardin de la ville pour une nuit agitée dans un
-médiocre lit d’hôtel.
-
-Le lendemain matin, il prenait place à la première heure dans une des
-nombreuses automobiles assurant le service entre Vladicaucase et Tiflis
-par la fameuse route militaire de Géorgie qui franchit la chaîne du
-Caucase.
-
-La beauté des sites traversés, leur variété, leurs contrastes ramenèrent
-la paix dans l’âme de notre voyageur. Il chemina d’abord dans les gorges
-au fond desquelles coule le Térek mugissant. Il admira, sur un roc élevé
-dominant la rivière, les ruines du château de la reine Tamara d’où l’on
-précipitait au matin dans les eaux écumantes les voyageurs dont cette
-femme altière avait bien voulu faire ses amants d’une nuit.
-
-Après deux heures et demie de montée continue, et après avoir traversé
-la passe fameuse du Dariel, l’automobile arriva à la station de poste du
-Kasbek où un déjeuner était préparé. Alexandre Naudin mangea de grand
-appétit des écrevisses pêchées dans les torrents glacés des montagnes;
-on lui servit du vin capiteux de Kachétie et, en attendant le départ de
-la voiture, il fuma une cigarette en face du pic volcanique du Kazbek
-qui élève à plus de cinq mille mètres ses neiges éternelles et ses rocs
-où fut enchaîné Prométhée. Il se sentait plein d’allégresse et se
-félicitait d’avoir suivi le conseil de son camarade de Moscou qui
-l’avait envoyé au Caucase. Les heures passées au jardin de la ville à
-Vladicaucase paraissaient lui promettre dans un avenir prochain des
-félicités sans pareilles et ce fut de la meilleure humeur du monde qu’il
-poursuivit son voyage en automobile à travers les régions sauvages et
-grandioses de l’Ossétie.
-
-Après une heure et demie encore de montée, ils atteignirent le sommet du
-col, la passe Krestovski, qui est à près de deux mille cinq cents
-mètres, et, avec la longue descente sur Tiflis, ce furent de nouveaux
-enchantements. Comme par miracle, le paysage changea en un clin d’œil.
-Plus de gorges resserrées, mais de vastes étendues. Un large panorama
-s’ouvrait devant les yeux ravis de notre lieutenant. Dans cette marche
-rapide vers le sud et les pays brûlés de soleil, la végétation devenait
-à chaque instant plus riche. Des souffles tièdes et parfumés passaient
-dans l’air et les noms mêmes des villages traversés, Passanaour,
-Ananaour, avaient quelque chose de voluptueux.
-
-Vers les quatre heures, Alexandre Naudin aperçut dans le lointain, tapie
-dans une vallée aux flancs rocheux et dénudés, une grande ville
-au-dessus de laquelle flottait une buée. C’était Tiflis.
-
-Il n’y arriva qu’à six heures. La chaleur était grande encore; il était
-couvert de poussière et meurtri par les cahots de la route. Il
-descendit à l’hôtel de Londres, au bord de la Koura.
-
-Il était dans une telle fièvre à l’idée de jouir rapidement de la vie
-caucasienne qu’il porta, le soir même, la lettre de recommandation qui
-lui avait été remise pour l’officier d’ordonnance du vice-roi et il eut
-presque un accès de désespoir lorsqu’il apprit que cet officier, Ivan
-Iliitch Poutilof, était pour trois jours encore aux eaux de Borjom. Il
-lui semblait qu’il ne rattraperait jamais ces trois jours perdus, car
-notre ami Alexandre Naudin sentait bien que, dans un pays si neuf pour
-lui, il avait besoin d’un guide et que, laissé à lui-même, il ne saurait
-découvrir les charmes secrets de Tiflis.
-
-Force lui fut de prendre patience et il consacra ces trois jours «rayés
-de ma vie», disait-il, à parcourir la ville et à se familiariser avec
-les lieux où il se promettait tant de bonheur. Bien qu’il fût seul et
-qu’il n’eût pas beaucoup de ressources en lui-même, Alexandre Naudin
-prit plus de plaisir qu’il ne l’espérait à visiter Tiflis.
-
-Il parcourut les bazars et la vieille ville où la Koura est serrée entre
-les murs d’antiques maisons; il flâna dans le quartier persan,
-s’aventura jusqu’au pittoresque jardin botanique installé dans les
-ruines de l’ancienne forteresse des chahs Séfévides. Il y but du kéfir,
-boisson qu’il jugea fade. Vers les six heures, il se promenait sur la
-perspective Golovine et goûtait chez le pâtissier français de l’endroit
-où il bavardait un moment. Malheureusement les théâtres étaient fermés
-et les soirées lui parurent longues. Et cela d’autant plus que la
-chaleur dans la journée était excessive, qu’ayant passé la matinée à
-courir la ville, il faisait comme tous les habitants de Tiflis une
-longue sieste après déjeuner, et, ainsi reposé, se trouvait peu
-désireux, le soir, de se coucher de bonne heure.
-
-Mais Tiflis ne possédait pas un jardin comparable à celui de
-Vladicaucase.
-
-Ses trois jours de purgatoire prirent fin et à la date fixée il eut le
-plaisir de rencontrer le capitaine Ivan Iliitch Poutilof. C’était un
-jeune homme d’à peine trente ans, déjà couvert de décorations et auquel
-le plus brillant avenir militaire paraissait assuré. Il témoigna un
-grand plaisir à faire la connaissance de son frère d’armes français. A
-voir la façon dont il le reçut et dont il décida de se consacrer à lui
-pendant son séjour à Tiflis, il semblait que sa vie n’eût jusqu’alors
-pas eu de but et que l’arrivée d’Alexandre Naudin vînt combler un vide
-cruellement ressenti. Il lui demanda aussitôt le nom de son père, et du
-coup, Alexandre Naudin devint Alexandre Edouardovitch.
-
-Dès le premier soir, l’officier russe emmena son camarade dans un des
-cercles d’été sur la rive gauche de la Koura. C’était un jardin où l’on
-soupait en plein air à partir de onze heures. Toute la société de Tiflis
-s’y trouvait rassemblée et, à la voir manger de grand appétit, Alexandre
-Naudin eut la solution d’un petit problème qui s’était posé à lui depuis
-qu’il était arrivé dans la capitale du Caucase: celui de l’heure des
-repas pour les habitants de la ville. Il avait vu du monde à déjeuner
-dans les hôtels ou restaurants où il fréquentait. Mais à quelque heure
-et où qu’il se présentât pour dîner, il se trouvait seul. Quel était ce
-mystère?
-
-Il en demanda l’explication à Ivan Iliitch.
-
-Celui-ci lui répondit:
-
---Mon cher Alexandre Edouardovitch, nous déjeunons, en effet, comme
-vous, entre midi et une heure. Puis vient la sieste, repos sacré pour
-les Russes et les Caucasiens dans notre été torride. Après la sieste,
-vers les cinq ou six heures, nous prenons le thé ou chez un pâtissier
-ou, de préférence, chez nous. Et la vie de société recommence avec le
-souper que vous voyez ici. Comment donc vivre de jour, alors que les
-nuits du Caucase sont incomparables? Hommes, femmes, jeunes filles se
-retrouvent ici le soir et y restent jusqu’à une ou deux heures du matin.
-On se promène, on cause, on écoute la musique, on mange, on boit et,
-enfin, on a les joies du loto auxquelles je vais vous initier.
-
-Alexandre Naudin vit au fond du jardin un grand tableau divisé en cent
-petites cases dans lesquelles s’affichaient, selon l’appel crié à haute
-voix par un croupier, les numéros sortis. L’assemblée suivait le jeu
-avec un intérêt passionné, tout en soupant.
-
-Les deux officiers achetèrent chacun une carte pour le prix d’un rouble
-et se mirent à pointer les numéros appelés. Le hasard voulut que notre
-jeune officier complétât sa carte le premier. Il le dit à son ami qui
-cria d’une voix forte:
-
---_Davolno._ (Satisfait.)
-
-Le jeu aussitôt s’arrêta. Un employé vint prendre la carte gagnante et
-la porta au vérificateur. Il revint un instant après et dit:
-
---Correct.
-
-Ayant ainsi parlé, il aligna sur la table soixante-six roubles. De
-toutes parts les gens se retournèrent pour voir l’heureux gagnant et,
-comme on ne le connaissait pas, on le regarda plus longuement. Le jeune
-Alexandre Naudin jouissait de son succès et se tenait très droit.
-
---Vous avez donc de la chance, mon cher Alexandre Edouardovitch, dit son
-compagnon. Nous allons boire une bouteille de champagne à votre
-victoire.
-
-Il ne voulut jamais que son excellent camarade payât la bouteille et
-Alexandre Naudin se vit obligé d’en commander une seconde.
-
-Cependant des amis de l’officier russe s’étaient rapprochés et
-s’assirent à sa table. Notre compatriote fit ainsi plus de connaissances
-en une heure qu’il n’en aurait fait en un an s’il eût été seul à
-Tiflis. On but à la santé de la France et lorsqu’Alexandre Naudin, vers
-les trois heures du matin, regagna l’hôtel de Londres, il se félicitait
-d’avoir trouvé pour son séjour au Caucase un si parfait compagnon.
-
-Ces fêtes familières se renouvelèrent. Il ne voyait pas Ivan Iliitch de
-jour, mais ils passaient les nuits ensemble et soupaient à deux ou en
-compagnie dans les cercles d’été. Il se lia ainsi avec quelques notables
-de la ville, avec le notaire du vice-roi, avec l’intendant des apanages
-de la couronne. Les épouses de ces personnages connus étaient des dames
-déjà d’un certain âge et leurs agaceries ne touchèrent pas notre
-lieutenant. Il commençait à trouver que ses amis russes menaient une vie
-bien monotone dans laquelle le vin tenait lieu de tous les plaisirs. Un
-soir, il dit à son ami Poutilof:
-
---N’y a-t-il pas dans votre belle ville, mon cher Ivan Iliitch, des
-dames plus jeunes et moins vertueuses que celles que je rencontre ici?
-
-En entendant ces mots, Ivan Iliitch éclata de rire.
-
---Plus jeunes, certes, mais moins vertueuses, je ne saurais vous le
-promettre,--laissant entendre par là, sans doute, que rien ne pouvait
-être plus inattendu que de chercher la vertu chez les femmes de ses
-amis.
-
-Lorsqu’il eut repris son sérieux, il dit à Naudin:
-
---Vous voulez voir nos filles du Caucase, Alexandre Edouardovitch. Vous
-avez raison: elles sont ravissantes, je vous mènerai chez elles. Nous en
-avions du reste fait le projet et avions combiné de vous offrir, en
-qualité d’ami et d’allié, une petite fête dans le goût caucasien. Si
-vous le voulez, ce sera pour après-demain. D’ici là, reposez-vous,
-jeûnez et couchez-vous de bonne heure, car il faudra faire preuve
-d’endurance et nous vous ferons goûter nos meilleurs vins. Notre
-prochain rendez-vous est donc fixé à après-demain, à l’hôtel de Londres,
-à trois heures.
-
---A trois heures? interrogea Alexandre Naudin, étonné.
-
---Ne déjeunez pas, repartit Ivan Iliitch, nous nous mettrons à table
-aussitôt. Et gardez-nous votre soirée.
-
---Y aura-t-il des femmes? demanda Naudin qui suivait son idée.
-
---Tout cela vous sera révélé en son temps, dit Poutilof d’un air
-mystérieux.
-
-Au jour et à l’heure fixés, Alexandre Naudin attendit ses amis. Le
-couvert avait été dressé dans un cabinet particulier, vaste pièce dont
-les fenêtres, à cause de la chaleur, étaient closes. Les convives furent
-exacts. Il y avait là Poutilof, ordonnateur de la fête, un colonel de
-cavalerie, homme superbe de plus de six pieds de haut qui commandait un
-régiment de la «division sauvage», un jeune lieutenant du même régiment,
-le notaire du vice-roi et un prince qui portait un des grands noms de la
-noblesse géorgienne, dont l’origine, comme on le sait, se perd dans la
-nuit des temps. On débuta par manger debout des zakouskis délicieux, du
-caviar d’Astara, des tranches de jambon cru, des petits pâtés chauds aux
-champignons, d’autres au poisson, d’autres encore aux choux hachés, le
-tout arrosé, ainsi qu’il convient, de plusieurs verres de vodka.
-
-Puis on se mit à table. Le repas fut copieux et magnifique; le
-cuisinier de l’hôtel renommé dans toute la Russie s’était surpassé. Il y
-eut, après le consommé aux betteraves accompagné de petites flûtes au
-fromage, un coulibiak à l’esturgeon de la Caspienne, puis un plat
-d’écrevisses énormes du Térek, puis un coq de bruyère flanqué de
-gelinottes farcies et truffées. Par une coquetterie bien naturelle, les
-vins étaient tous du Caucase, choisis parmi les meilleurs des apanages,
-vins de la Kachétie, colorés et violents, qui montent à la tête.
-
-Les toasts furent innombrables. On but à l’empereur et au président de
-la République, à l’armée russe et à la française, à la cavalerie de l’un
-et de l’autre pays, au régiment d’Alexandre Edouardovitch et à ceux de
-ses hôtes. Chaque fois, comme la politesse l’exige, le verre était empli
-et vidé. Au café seulement, le champagne français fit son apparition.
-
-Notre ami Alexandre Naudin supportait de son mieux ces libations. Du
-reste, dès le milieu du repas, ses hôtes étaient animés d’une telle
-ardeur qu’ils ne faisaient plus une exacte attention à ce que buvait le
-lieutenant français qui s’arrangea pour les tricher le plus possible.
-Il avait, comme beaucoup de nos compatriotes, horreur de se griser. Il
-aimait une pointe de vin, mais il était difficile de lui faire franchir
-la limite qu’il s’était prescrite. Il avait, en outre, pour rester sage,
-de bien fortes raisons. Il savait que la soirée ne s’achèverait pas à
-l’hôtel de Londres et il voulait être en état de goûter les joies qui
-lui étaient promises.
-
-Au crépuscule, on sortit sur une terrasse qui dominait la Koura. Le
-prince géorgien, un jeune homme pâle et silencieux, devenait de plus en
-plus mélancolique. Il s’assit dans un fauteuil un peu à l’écart et,
-s’accompagnant sur une balalaïka, commença à se chanter à lui-même une
-étrange et triste mélodie sur un rythme brisé, avec des modulations qui
-semblaient monotones, mais peu à peu vous prenaient le cœur et
-l’enfermaient dans leur trame compliquée. Le soir tombait; Alexandre
-Naudin jouissait du charme de l’heure; il se laissait aller à rêver, ce
-qui ne lui arrivait pas souvent. Le colonel de cavalerie vidait tous les
-verres de champagne ou de liqueur qu’on lui servait sans paraître en
-être affecté d’aucune manière. Il n’était ni plus gai, ni plus triste,
-ni plus loquace qu’auparavant. Il se tenait droit et, sur sa belle
-figure impassible, on ne lisait, à la lettre, rien. Poutilof discutait
-passionnément avec le notaire du vice-roi, qui était rouge et luisant.
-Ils avaient choisi l’éternel sujet de la mort, sur lequel jamais Russe,
-après un dîner arrosé de bons vins, ne reste court. Quant au grand
-lieutenant, il ne disait mot et se contentait de fumer des cigarettes
-qu’il jetait à peine allumées. A certains accords de la balalaïka, ses
-pieds s’agitaient sur les dalles avec une agilité merveilleuse.
-
-Et cela dura ainsi longtemps, jusqu’à ce que la nuit fût complète et que
-des étoiles étincelantes vinssent broder le velours bleu foncé du ciel.
-Au loin, on entendait des voix et des flûtes; des mélopées orientales
-arrivaient par fragments jusqu’à la terrasse où les convives savouraient
-la douceur enfin venue du soir.
-
-Alexandre Naudin, quel que fût l’agrément de cette soirée, commençait à
-s’impatienter. Il s’était promis de laisser ses amis ordonner la fête à
-leur guise, mais il espérait bien qu’on ne resterait pas indéfiniment
-sur la terrasse de l’hôtel de Londres.
-
-Poutilof, enfin, s’arrêta de converser avec le notaire du vice-roi et
-s’écria:
-
---Je pense qu’il est temps, mes amis, d’aller prendre l’air de la
-campagne.
-
-On accepta, sans discussion. Il était évident que le programme de la
-soirée avait été fixé à l’avance suivant les rites qui président à de
-telles cérémonies.
-
---Nous en avons assez d’être entre hommes, continua Poutilof. Si notre
-hôte n’y met pas d’opposition nous emmènerons quelques jeunes femmes
-souper avec nous. Nous allons passer chez notre vieille amie de la rue
-X... Je lui ai téléphoné que nous viendrions ce soir et je ne doute pas
-qu’elle n’ait convoqué ce qu’elle a de mieux dans ses relations.
-
-A la porte de l’hôtel, trois automobiles attendaient, dont deux
-militaires, conduites chacune par un soldat. Pendant le très court
-trajet, Alexandre Naudin s’informa auprès de son compagnon de l’endroit
-où ils allaient.
-
---Mais, Alexandre Edouardovitch, vous connaissez ces maisons. Elles
-existent à Paris comme en Russie. On y trouve des personnes jeunes et
-aimables que l’on emmène souper.
-
---Des professionnelles? demanda Naudin qui tenait à mettre les points
-sur les i.
-
---Sans doute cher ami, sans doute, bien que certaines d’entre elles se
-fassent passer pour des femmes du monde désireuses de courir, un soir,
-les aventures. Cela n’arrive-t-il pas chez vous aussi?
-
-Alexandre Naudin convint qu’il en était ainsi, parfois, en France.
-
-Les automobiles s’arrêtèrent sur un quai de la rive gauche de la Koura,
-à l’entrée d’une ruelle si étroite qu’elles ne pouvaient s’y engager.
-Poutilof, suivi de ses compagnons, pénétra dans une petite maison dont
-les fenêtres ouvraient sur le fleuve. Une dame d’âge mûr les reçut comme
-de vieux amis et les introduisit dans une salle où, autour d’une table
-ronde, une douzaine de femmes jouaient au loto. Le jeu les passionnait à
-un tel point qu’elles ne levèrent même pas le nez de leurs cartes pour
-voir qui arrivait. Les officiers firent le tour de la table,
-distribuant des poignées de main, des caresses ou des baisers à leurs
-amies.
-
-Alexandre Naudin regardait avec plaisir cette scène. Toutes les femmes
-étaient jeunes et la plupart d’entre elles jolies. Elles étaient vêtues
-comme il est de mode en été à Tiflis, de jupes de toile blanche et de
-chemisettes plus ou moins élégantes, suivant les hasards de la fortune
-changeante. Beaucoup d’entre elles avaient les cheveux coupés court.
-Mais Naudin constata avec surprise qu’elles n’avaient pas les caractères
-extérieurs des professionnelles européennes et qu’à les rencontrer dans
-la rue, il ne les eût pas reconnues pour ce qu’elles étaient.
-
-Il s’attendait à être entouré, flatté, caressé. Il fut bien étonné de
-voir que ces filles charmantes et à peine majeures ne faisaient aucune
-attention à lui, bien qu’elles ne le connussent point.
-
-Cependant, quelques-unes d’entre elles avaient quitté la table de jeu.
-Poutilof prit Naudin sous le bras et le présenta. Des conversations
-s’engagèrent. Alexandre Naudin avait remarqué une jeune femme qui se
-tenait à l’écart et n’avait pas joué au loto. Elle causait peu avec ses
-compagnes. Elle lui plut. Il pensa à en faire son amie d’un soir. Il
-demanda à Poutilof comment elle s’appelait.
-
---Tiens, mais je ne la connais pas, dit celui-ci. C’est une nouvelle
-venue. Elle est agréable, ma foi.
-
-Et, allant à elle, il dit:
-
---Comment vous appelez-vous?
-
---Nadia, fit celle-ci sur un ton tranquille.
-
---Eh bien, Nadia, je vous présente mon ami, Alexandre Edouardovitch.
-Comme vous voyez, c’est un Français, et un excellent garçon. Il parle
-russe lentement, mais presque sans fautes. Vous vous entendrez à
-demi-mot.
-
-Alexandre Naudin s’approcha et serra la main que Nadia lui tendit.
-
---Voulez-vous me faire le plaisir de venir souper avec moi et mes amis
-dans un jardin? dit-il.
-
-Nadia regarda le Français avec une certaine méfiance, hésita un instant,
-puis, haussant légèrement les épaules, répondit:
-
---Pourquoi pas?
-
-Cependant le notaire qui, après la conversation sur la mort, était plein
-d’entrain avait passé le bras autour de la taille d’une gaillarde grasse
-et blonde.
-
-Poutilof, d’un air décidé, dit:
-
---Il nous faut encore deux jeunes beautés.
-
-Et, sans consulter personne, choisit deux femmes assez piquantes. Puis
-on regagna les automobiles sur le quai.
-
-Poutilof, de plus en plus maître des cérémonies, installa Alexandre
-Naudin dans le fond d’une grande limousine découverte entre Nadia et une
-fille nommée Maroussia. Il s’assit lui-même sur le devant à côté du
-soldat et laissa les autres s’arranger à leur gré dans les deux voitures
-restant.
-
-Les autos filèrent à travers la ville et bientôt entrèrent dans la
-campagne. L’air était tiède encore, mais après la chaleur de la journée,
-il paraissait presque frais et Alexandre Naudin craignit que son amie
-Nadia, qui portait une chemisette transparente, prît froid.
-
---Nitchevo, dit-elle simplement.
-
-Il la regardait. Dans la demi-obscurité, il ne voyait que sa tête
-petite, son profil pur et un cou long et mince.
-
-Il se crut autorisé, à cause des cahots de la voiture sur la route
-raboteuse, à passer son bras autour de la taille de Nadia. Elle ne s’y
-refusa pas et il eut le plaisir d’enlacer un corps d’une extrême
-souplesse qui semblait complètement dévêtu. Dans un transport de joie
-bien naturel, il serra sa jeune amie contre lui.
-
-Mais, à sa grande surprise, elle se dégagea de cette étreinte et
-repoussa la main qui devenait trop pressante.
-
-«Il faut croire, pensa-t-il, que les choses ne vont pas si vite en
-Russie que chez nous et que ces filles demandent à être gagnées.» Mais
-il se sentait de force à faire cette conquête peu difficile et différa
-son attaque.
-
-La promenade se poursuivait sous les étoiles silencieuses. Bientôt les
-voitures traversèrent un pont et s’arrêtèrent devant une maison en
-pleine campagne. C’était le restaurant appelé Fantaisie, dont le seul
-nom faisait rêver les jeunes femmes de Tiflis, car on y trouvait, dans
-un grand jardin au bord d’un affluent de la Koura, des pavillons où
-l’on pouvait souper.
-
-Un de ces pavillons avait été retenu par le capitaine Poutilof, et le
-jeune Français admira l’agrément de son installation. Il comprenait deux
-ou trois pièces assez vastes et meublées de divans recouverts de tapis
-caucasiens. Ces pièces donnaient sur une galerie surplombant le jardin
-et la rivière dont l’eau coulait avec un joyeux et incessant murmure
-tout voisin. C’est sur cette galerie que le couvert se trouva mis.
-
-Un petit orchestre, la zourna, en occupait une des extrémités. Il se
-composait de quatre Caucasiens au type persan dont l’un jouait de la
-flûte, l’autre de la clarinette, le troisième de l’accordéon et le
-dernier enfin, accroupi sur ses talons, tapait avec ses doigts sur un
-haut tambour. Ces quatre bougres, qui semblaient n’être les esclaves
-d’aucune mesure, faisaient une musique qui parut incompréhensible à
-notre lieutenant, habitué à nos charmants et simples refrains de
-café-concert. C’étaient des mélopées monotones et sauvages qui
-revenaient incessamment sur elles-mêmes avec quelques variations qui
-étonnaient et dont il ne comprenait pas le sens. Il y avait là des
-rythmes qui lui étaient inconnus, quelque chose de poivré auquel son
-palais n’était pas accoutumé.
-
-Bien que l’on fût sorti de table passé sept heures et qu’il en fût à
-peine dix, il fallut manger encore et Alexandre Naudin admira l’appétit
-de ses amis qui firent honneur au menu. On débuta par de petites truites
-en gelée. Les vins étaient abondants et leur mélange dangereux.
-Alexandre Naudin, qui se sentait sur le point de l’ivresse, se promit de
-se surveiller, de façon à gagner sans perdre la tête la fin de la
-soirée. Il regardait sa voisine Nadia. Elle était toute jeune, et
-fraîche malgré le métier qu’elle pratiquait. Son teint était pâle et
-elle ne le ranimait par aucun fard; elle n’employait pas de rouge pour
-ses lèvres. Tout son artifice se bornait à mettre un peu de poudre de
-riz. Elle n’essayait pas de plaire à Alexandre Edouardovitch, ne lui
-lançait pas d’œillade et restait remarquablement silencieuse. Elle
-paraissait indifférente à l’éclat de la fête, à l’excellence des mets, à
-la chaleur des vins, aux accents heurtés de la musique, à la beauté
-enfin de la nuit qui les entourait. Pourtant elle ne boudait pas; il
-n’y avait en elle pas trace de mauvaise humeur; elle ne protestait
-contre rien. Elle était comme cela! il n’y avait pas à lui en vouloir.
-Alexandre Naudin le comprit.
-
-Il avait tenté une ou deux fois de la prendre par la taille, de
-l’attirer à lui et de la baiser sur le cou, sur ce cou flexible et
-blanc, dont les lignes s’attachaient d’une manière ravissante à une
-gorge dont il apercevait les deux seins jumeaux sous la chemisette
-transparente.
-
-A l’idée qu’il allait être le possesseur de ces trésors, il avait peine
-à garder son sang-froid. Mais Nadia ne se prêtait pas à ces jeux; elle
-repoussait doucement l’intrépide lieutenant, sans mot dire, avec un
-regard qui signifiait: «Cela ne se fait pas chez nous.»
-
-En effet, «cela» ne se faisait pas autour de la table. Seul, le notaire
-du vice-roi avait, à un moment, appliqué deux baisers sonores sur les
-joues de la grosse fille blonde, mais c’étaient des baisers
-quasi-paternels d’où toute sensualité était absente et, cette formalité
-remplie, le digne homme ne s’était plus occupé de sa voisine. Les
-officiers l’imitaient en cela. A peine adressaient-ils, à de rares
-occasions, la parole aux jolies filles qui soupaient avec eux. Leur
-grande affaire était, ce soir-là, le vin, et non les femmes. Et du vin
-ils en consommaient prodigieusement, mêlant le champagne sucré français
-aux crus les plus violents du Caucase. Il semblait que les accents aigus
-de la musique, ces éternelles et enveloppantes variations asiatiques,
-ces lamentations désespérées leur missent la fièvre dans le corps et les
-obligeassent à boire sans fin pour calmer le délire qui s’emparait
-d’eux. Le notaire, parfois, se levait et dirigeait à larges coups de
-bras le petit orchestre; parfois il chantait à pleine voix un air
-populaire caucasien. Le lieutenant russe, entendant la _lesghinskaia_,
-n’y tint plus, quitta la table et, tout titubant qu’il fût, commença à
-danser, une bouteille sur la tête, avec une grâce, une souplesse, une
-sûreté qui stupéfièrent Alexandre Naudin.
-
-Quant au prince géorgien, il s’était retiré dans une pièce voisine avec
-une des filles et, couché sur le divan, il lui récitait d’une voix
-sourde et passionnée des vers amoureux de Lermontof. Seul, Naudin
-faisait à sa manière la cour à Nadia. Mais il était singulièrement gêné
-par sa connaissance imparfaite de la langue russe et ces dialogues menés
-avec peine tournaient vite court. Il arriva à lui dire en s’y reprenant
-à dix fois:
-
---Si l’on proposait à un Russe et à un Français le choix entre une
-soirée avec alcool et sans femmes, ou une soirée avec femmes et sans
-alcool, le Russe prendrait l’alcool sans la femme et le Français la
-femme sans l’alcool.
-
-Il lui fallut plus de cinq minutes pour arriver au bout d’une phrase si
-compliquée et se faire comprendre.
-
-Nadia le regarda avec un certain étonnement et répondit:
-
---Il faut boire.
-
-Et elle lui versa un plein verre de vin rouge de Kachétie. C’était la
-première fois qu’elle s’occupait de lui et qu’elle paraissait prendre de
-l’intérêt à sa personne. Si bizarre que fût sa réponse, Alexandre Naudin
-l’accepta comme une marque d’attention et se crut obligé à vider le
-verre qu’elle avait rempli.
-
-Cependant il regardait à la dérobée sa montre-bracelet. Deux heures du
-matin, déjà! «Voilà tantôt douze heures, pensa-t-il, que nous ne faisons
-que boire et manger. Chaque chose à son temps. Je voudrais finir la nuit
-à notre mode, seul près de cette charmante fille.»
-
-Mais les convives ne donnaient aucun signe de fatigue et, manifestement,
-ne partageaient pas l’envie bien naturelle qui s’était emparée du jeune
-Français. Finalement il en parla à son ami Poutilof qui était de fort
-joyeuse humeur, tandis que l’admirable colonel, plus il buvait, et plus
-il devenait marmoréen et sculptural.
-
---A quoi pensez-vous donc? dit-il. Nous passons la nuit en compagnie. Ce
-soir nous buvons. L’amour est remis à demain, si l’envie nous en prend.
-Du reste, mon cher Alexandre Edouardovitch, aujourd’hui vous êtes notre
-hôte, vous nous appartenez, et la nuit n’est pas finie. Nous irons
-encore jusqu’à Mskhet, dont l’église abrite les tombeaux des rois de
-Géorgie. Nous y dénicherons bien un cabaret ouvert. C’est une promenade
-d’une vingtaine de verstes. La fraîcheur de l’air nous fera du bien.
-
-Alexandre Naudin était dans cet état heureux où l’on ne trouve pas en
-soi de grandes forces pour résister à une invitation aussi cordiale et,
-une demi-heure plus tard, la compagnie quittait Fantaisie. Seul le
-prince géorgien resta sur le divan où il s’était endormi au milieu du
-plus pathétique passage de Lermontof. Le notaire du vice-roi tenait mal
-sur ses jambes. Le colonel et Ivan Iliitch Poutilof le hissèrent dans sa
-voiture. A peine fut-il en plein air, qu’il tomba dans un sommeil
-profond. Tout dormait aussi dans l’antique ville de Mskhet. Les
-officiers, non sans peine, firent lever un cabaretier qui servit du vin.
-Le lieutenant russe réveilla un jeune ours muselé qui était attaché dans
-la cour de l’auberge et se mit à lutter avec lui pour la plus grande
-joie des assistants. Il réussit à le faire rouler par terre, mais la
-lutte avait été chaude et l’uniforme déchiré du lieutenant montrait que
-l’ourson avait su employer ses griffes.
-
-Enfin on donna le signal du retour. Déjà le ciel s’éclaircissait à
-l’orient et Vénus se montrait brillante au-dessus des collines rocheuses
-qui s’élèvent au nord de Tiflis. Alexandre Naudin appuyait la tête sur
-l’épaule de sa voisine et trouvait moyen de lui dire quelques
-galanteries auxquelles elle ne répondait pas. L’air frais qui lui
-fouettait la figure dissipait les légères fumées de l’ivresse qui avait
-commencé à le gagner. Il se sentait plein de force et frémissait de
-plaisir à l’idée de posséder bientôt Nadia.
-
-Mais, arrivé à Tiflis, il vit la sagesse des paroles de Poutilof. Les
-hommes rentrèrent chez eux et les femmes chez elles. Il ne se sentait
-pas disposé à les imiter et demanda à Nadia s’il pouvait l’accompagner
-jusqu’à sa chambre.
-
---Impossible, dit-elle laconiquement.
-
---Mais alors, vous viendrez chez moi, à l’hôtel.
-
---Si vous voulez, répondit-elle avec indifférence. J’ai sommeil.
-
-A l’hôtel de Londres, le portier de nuit ne voulut pas les recevoir.
-Naudin qui commençait à se piquer s’informa d’un endroit où on les
-accueillerait pour la nuit.
-
---Pour la nuit, dit le portier, il vous faudrait vos passeports. Pour
-une heure ou deux, on vous prendra sans doute à l’hôtel Belmont.
-
-Naudin, de plus en plus en colère, donna le nom de l’hôtel au soldat de
-l’automobile, sans même consulter sa compagne.
-
-Quelques minutes plus tard, ils étaient reçus dans un hôtel louche par
-un garçon en chemise qui, leur ayant fait payer quelques roubles
-d’avance, leur ouvrit la porte d’une chambre.
-
-La chaleur y était, derrière les fenêtres fermées, étouffante. Nadia se
-laissa tomber sur le lit.
-
---Je veux dormir, dit-elle, avec la moue d’un enfant fatigué.
-
---Déshabillez-vous, ma petite colombe, fit Alexandre Naudin qui lui-même
-commençait de se dévêtir et de procéder à une toilette sommaire sur un
-lavabo tremblant et exigu.
-
-Cependant, sans bruit, Nadia se déshabillait et lorsqu’Alexandre Naudin
-se retourna il vit qu’elle était étendue nue sur les draps. Elle avait
-les yeux fermés et sa tête, renversée en arrière, s’appuyait sur le bras
-qui la soutenait.
-
-Les lignes souples de son corps, les seins petits et de forme parfaite,
-les hanches à peine développées, le ventre plat sans une ride, les
-jambes fines, la fraîcheur et l’éclat de la chair offraient un
-admirable tableau aux yeux du jeune lieutenant.
-
-Il s’assit sur le lit et prit la main de Nadia qui l’abandonna sans
-résistance. Lorsqu’il la lâcha, cette main tomba mollement sur le lit.
-Il se pencha et posa ses lèvres sur la bouche entr’ouverte de la jeune
-femme. Nadia ne lui rendit pas son baiser, ne parut même pas le sentir.
-Mais sa tête roula et la joue vint s’appuyer sur l’épaule. Elle avait
-toujours les yeux fermés.
-
-«Mais elle dort, se dit Alexandre Naudin. Elle dort comme une marmotte!
-Il faut absolument la réveiller.»
-
---Nadia, dit-il, en la secouant légèrement, Nadia!
-
-Elle ne l’entendait pas. Il insista, parla plus haut. Il essaya de
-l’asseoir sur le lit. Le corps souple n’offrait aucune résistance, lui
-glissait entre les doigts et retournait à la position horizontale.
-
-Un instant, elle entr’ouvrit les yeux, mais son regard était vague.
-
---Je dors, dit-elle doucement.
-
-Elle se tourna sur le côté, mit un bras au-dessus de sa tête pour se
-protéger contre l’éclat de l’électricité et se rendormit aussitôt.
-
-Notre ami Alexandre Naudin était la proie de sentiments contraires. Il
-était dans une juste colère, comme il va de soi. Mais il lui était
-difficile d’en vouloir à Nadia qui, après une nuit de fête, un souper
-abondant, du vin avec un peu d’excès, une longue course en automobile,
-succombait au premier et au plus naturel des besoins qui est le sommeil.
-Elle était si belle couchée ainsi devant lui qu’il se sentait à la fois
-un plus vif désir de la posséder et une indulgence plus grande pour la
-faiblesse qui le privait d’elle. Il se souvint de ce qu’avait dit Ivan
-Iliitch Poutilof. En somme, il demandait à son amie d’un soir des choses
-qui étaient, dans les circonstances où il se trouvait, hors des usages.
-A vivre chez les Caucasiens, il fallait prendre les habitudes du
-Caucase.
-
-Alexandre Naudin se rhabilla donc, un peu mélancolique, tout en ne
-cessant de regarder le beau corps étendu de Nadia sur le lit. Si pénible
-que fût la minute présente, la certitude de retrouver la jeune femme à
-une heure plus propice lui rendait le sacrifice moins douloureux.
-
-Il prit dans son portefeuille une carte de visite et un billet de
-vingt-cinq roubles. Sur la carte, il écrivit avec beaucoup de soin et en
-russe ces mots: «Demain, jeudi, à cinq heures, Hôtel de Londres, numéro
-seize.» Et il ajouta, en manière de plaisanterie, deux mots encore:
-«Dormez bien.»
-
-Il glissa la carte et le billet dans la main fermée de Nadia et sortit.
-Lorsqu’il se coucha, c’était déjà le jour. Il ne fit qu’un somme jusqu’à
-une heure de l’après-midi, déjeuna très tard et s’étendit sur le divan
-dans sa chambre, une cigarette à la bouche. Il attendait Nadia. Mais
-viendrait-elle? Les images voluptueuses qu’il avait eues sous les yeux
-la nuit précédente se levaient devant lui. Il ne pouvait s’empêcher de
-rire en pensant à sa déception. Avoir dans les bras une jeune femme
-ravissante et nue, et n’en rien faire! Comment, sans être ridicule,
-raconter cette histoire à ses camarades en France? Des fragments d’airs
-caucasiens--il était bien étonné de les avoir pu retenir--passaient
-dans sa mémoire. Il y avait quelque chose dans cette fête--était-ce les
-jardins, la musique qui venait du fond de l’Asie, les femmes
-silencieuses, la nuit si chaude et si belle?--qui l’obligeait à y penser
-encore et qui la mettait à part des soirées analogues vécues en
-Occident.
-
-Tout en évoquant ces agréables souvenirs, notre lieutenant s’endormit.
-
-Des petits coups frappés à la porte le réveillèrent.
-
---Qui est là? cria-t-il en sursautant.
-
-Il s’assit sur le divan et se frotta les yeux.
-
-La porte s’ouvrit, Nadia entra.
-
-A voir l’étonnement dans lequel cette apparition plongea Alexandre
-Naudin, on peut conclure qu’il ne croyait pas beaucoup à l’arrivée de
-son amie de la veille. Il s’empressa auprès d’elle et, comme il
-connaissait maintenant les usages russes, il fit apporter le samovar et
-des gâteaux.
-
-Nadia était tranquille, ainsi qu’à son ordinaire. Elle ne cherchait pas
-à plaire au lieutenant. Elle souriait à peine aux folies bilingues qu’il
-lui débitait avec enthousiasme et, lorsqu’il commença de la
-déshabiller, elle resta dans le même état d’indifférence.
-
-Vers neuf heures du soir. Alexandre Naudin qui avait de multiples
-raisons d’être satisfait de lui-même--il sifflotait maintenant _Le père
-la Victoire_--proposa une promenade en voiture avant le souper.
-
-Nadia accepta et voilà nos jeunes gens partis. Ils ne se séparèrent qu’à
-deux heures du matin.
-
-Dès lors, ils se virent chaque jour. Nadia arrivait à peine levée,
-c’est-à-dire sur la fin de l’après-midi, à l’hôtel de Londres et restait
-avec Alexandre Edouardovitch jusque tard dans la nuit, qui à la façon du
-pays se passait dans les jardins autour de la ville. Elle était d’une
-humeur égale, ne s’emportait pas, n’élevait jamais la voix, ne cherchait
-querelle au sujet de rien, était taciturne et restait peu démonstrative.
-Mais notre lieutenant avait un surplus d’exubérance et d’enthousiasme
-qu’il dépensait sans s’inquiéter de sa maîtresse. Elle était jolie,
-jeune, saine et facile à vivre. En outre, elle lui faisait honneur en
-public, car elle avait une tenue irréprochable et sa beauté attirait
-l’attention, ce à quoi Alexandre Naudin, avec une vanité bien
-pardonnable chez un jeune homme était fort sensible. Que demander de
-plus à une maîtresse temporaire?
-
-Notre lieutenant voulait passer une quinzaine à Tiflis, puis voyager
-dans le Caucase. Mais il se prenait à la vie paresseuse, monotone et
-nocturne qu’il menait en compagnie de Nadia et il remettait sans cesse
-son départ.
-
-Il regardait sa compagne comme un petit animal curieux, incompréhensible
-et charmant. A dire vrai, il y avait une chose en elle qui l’étonnait
-fort, et c’était qu’elle ne parût pas goûter dans les bras de son amant
-une joie extraordinaire. En fait, elle semblait--comment y
-croire?--n’être pas amoureuse de lui. Alexandre Naudin était un beau
-garçon et qui avait eu en France des succès notoires dans le monde des
-femmes faciles qu’il avait jusqu’ici, et ainsi qu’il convient à son âge,
-fréquenté. Aussi s’attendait-il à recevoir mille compliments de Nadia et
-les caresses qui sont la menue monnaie par laquelle une femme paie le
-bonheur qu’on lui a donné. Il n’avait ni les unes ni les autres. La
-chose était étrange et ne pouvait s’expliquer que par la frigidité
-évidente de Nadia, de «la jeune Sibérienne» ainsi qu’il la nommait
-depuis qu’il avait appris qu’elle venait d’Omsk.
-
---Il n’y a pas assez de soleil dans ton pays, disait-il. Tu n’es pas
-encore dégelée. (Il faut noter qu’Alexandre Naudin faisait de rapides
-progrès dans la connaissance de la langue russe.)
-
-A quoi Nadia répondait:
-
---Il y a plus de soleil à Omsk qu’à Tiflis, car nous le voyons l’été et
-l’hiver. Le thermomètre peut descendre à trente degrés au-dessous de
-zéro, mais le ciel est pur et le soleil étincelle.
-
-Tout de même, il y avait là quelque chose de bizarre et Alexandre
-Edouardovitch n’en prenait pas facilement son parti. Il aurait voulu
-être le Pygmalion de cette Galatée septentrionale. Mais elle restait
-froide comme les neiges de son pays natal. Sa peau même avait une
-fraîcheur particulière et il lui disait:
-
---Tu es une amie parfaite pour l’été brûlant de Tiflis. Mais comment
-vivre avec toi en hiver?
-
-Nadia avait un demi-sourire et ne répondait pas.
-
-Elle habitait maintenant avec lui à l’hôtel de Londres. Il
-s’émerveillait de la faculté merveilleuse qu’elle avait d’user le temps
-à ne rien faire et à dormir. Ils vivaient, comme tous les habitants de
-Tiflis en été, la nuit, se couchaient vers les trois ou quatre heures du
-matin et il avait toutes les peines du monde, au commencement de
-l’après-midi, à réveiller sa maîtresse. Sitôt après le déjeuner, c’était
-la sieste. Nadia revenait à la vie au moment de prendre le thé. Parfois,
-il la pressait de sortir avec lui quand il faisait encore jour. Le plus
-souvent, elle restait à la maison, fumant des cigarettes et rêvant à on
-ne sait quoi. Il réussit pourtant à l’emmener dans quelques magasins où
-il lui acheta du linge et des vêtements, car elle n’avait guère que ce
-qu’elle portait sur elle. Lorsqu’elle eut choisi des chemises, des bas,
-une jupe, un chapeau et un manteau de voyage, elle se déclara satisfaite
-et ne l’accompagna plus. Elle ne demandait jamais d’argent. Il lui en
-offrit.
-
---Pourquoi faire? dit-elle.
-
-Elle allait quelquefois avec lui aux bains Orbeliani, tout au bout de la
-vieille ville, près de la Koura. Des sources d’eau chaude sulfureuse y
-jaillissent et les masseurs de l’Azerbeïdjan qui y travaillent sont
-réputés dans toute la Russie. Ils prenaient là deux pièces dont l’une
-servait de chambre de repos et l’autre d’étuve. Enveloppée d’un
-peignoir, elle assistait au massage de son amant. Un Persan desséché et
-dont les muscles saillaient comme des paquets de cordes s’emparait de
-lui, le couchait sur une table de marbre, lui pétrissait les membres,
-faisait craquer toutes les jointures et finalement, l’ayant allongé à
-plat ventre, lui tendant les deux bras en arrière, grimpait sur le dos
-de son patient et, les talons réunis sur la colonne vertébrale, se
-laissait glisser des épaules jusqu’aux reins. Le massage terminé, le
-Persan soufflait, comme dans une cornemuse, dans un petit sac de calicot
-enfermant du savon et bientôt Alexandre Naudin disparaissait sous des
-milliers de petites bulles légères. Puis c’était un bain dans une
-piscine à quarante degrés. Une fois le Persan sorti, Nadia se baignait à
-son tour et son amant lui servait de maladroit masseur. Ils goûtaient
-enfin un repos prolongé sur les lits de la pièce voisine, tout en buvant
-des boissons fraîches.
-
-Ils firent quelques excursions dans le Caucase, visitèrent, pour fuir la
-chaleur insupportable de Tiflis, la station thermale de Borjom. Mais les
-punaises innombrables, dont, il faut l’avouer, Nadia s’accommodait, en
-rendirent le séjour insupportable au jeune Français. Ils virent les
-ruines célèbres d’Ani, la ville aux mille églises, s’arrêtèrent à
-Etchmiadzin, au pied de l’Ararat, poussèrent jusqu’à l’orientale Erivan,
-où Nadia parut se plaire.
-
-Alexandre Naudin était enchanté de sa compagne de voyage. Avec elle il
-ne s’ennuyait jamais. Elle continuait, il est vrai, à parler peu, mais
-Naudin pensait sagement qu’il vaut mieux, à tout prendre, une maîtresse
-taciturne que bavarde.
-
-Il la comparait aux femmes françaises de sa classe qu’il avait connues.
-Il était rare que ces dernières ne tombassent pas dans la vulgarité. Or,
-il n’y avait quoi que ce fût de vulgaire en Nadia. Les Françaises
-avaient plus de brillant; elles cherchaient l’effet, le trouvaient
-quelquefois, le manquaient souvent. Nadia n’avait pas l’ombre d’une
-prétention; elle était une personne simple (pour autant que Naudin la
-comprenait) et naturelle, qui n’imagine pas qu’elle pourrait être
-autrement, ni qu’il y aurait un avantage pour elle à paraître différente
-de ce qu’elle est. Les Françaises étaient peut-être plus amusantes, mais
-de l’amusement qu’elles donnaient, on se lassait à la longue, tandis
-qu’il y avait en Nadia un charme secret qu’Alexandre Naudin eût été bien
-en peine d’analyser, mais dont il sentait peu à peu et chaque jour
-l’attirance continue.
-
-Parfois, il se disait qu’il ne connaissait rien de sa maîtresse. Cette
-ignorance avait quelque chose d’agréable sans doute, mais aussi d’un peu
-irritant.
-
-Il constatait avec surprise qu’elle ne manquait pas d’une certaine
-culture. Elle avait fait ses classes dans un gymnase. D’autre part, elle
-était bien élevée. Aux yeux de qui n’aurait rien su d’elle, elle aurait
-pu passer pour une jeune fille du monde.
-
-«Pourquoi, diable, s’est-elle mise dans la galanterie?» se demandait
-Alexandre Naudin qui avait des idées peu compliquées.
-
-C’était un sujet qu’il n’était pas facile d’aborder avec elle. Elle
-trouvait des échappatoires aux questions trop curieuses de son ami et la
-plus facile de toutes, qui était de ne pas répondre. Il sut seulement
-qu’elle avait dix-neuf ans et qu’elle était arrivée d’Omsk à Tiflis la
-veille même du jour où il l’avait rencontrée. Cette nouvelle plut à
-Alexandre Naudin qui avait, au fond, des idées de propriétaire et qui
-n’aimait pas à penser que Nadia avait été dans les bras du notaire du
-vice-roi ou du beau colonel de cavalerie.
-
---A Omsk, dit-il, tu avais un ami comme moi?
-
---Oui, répondit-elle.
-
---Que faisait-il dans la vie?
-
---Il était officier.
-
---Pourquoi l’as-tu quitté?
-
-Un haussement d’épaules fut la seule réponse. Naudin en conclut que
-Nadia n’en savait peut-être rien. Il continua son interrogatoire.
-
---Y a-t-il à Omsk des maisons comme celle du bord de l’eau ici?
-
---Sans doute.
-
---Sont-elles aussi bien installées que celle de Tiflis?
-
---Je ne sais pas.
-
---Tu n’y as jamais été? dit Alexandre Naudin avec un air de doute.
-
-Elle hocha la tête négativement.
-
---Tu étais donc fidèle à ton amant, conclut-il avec une logique
-rigoureuse.
-
-Elle ne répondit pas.
-
-Quelques jours plus tard, Naudin reprit ce thème. Après un grand effort
-de réflexion il avait préparé un piège où faire tomber son amie.
-
---Ah! dit-il, j’ai appris une chose sur ton officier d’Omsk. Il buvait.
-
---Qui te l’a dit? demanda Nadia.
-
---Je le sais, voilà tout, conclut Alexandre Naudin, enchanté du succès
-de sa ruse. Au fond, c’était un ivrogne fieffé.
-
-Nadia le regarda méchamment.
-
---Et pourquoi ne boirait-il pas, si cela lui plaît?
-
-Alexandre Naudin fut désarçonné par cette question. Il entra dans des
-explications peu convaincantes et Nadia resta sur son terrain. Mais
-notre jeune lieutenant acquit ainsi la conviction que Nadia n’avait pu
-supporter la vie avec un homme grossier, qui buvait et sans doute, la
-maltraitait. C’était pour cela qu’elle avait quitté Omsk. Il lui fit,
-une fois, non sans une certaine naïveté, cette démonstration ingénieuse.
-
-Nadia ne discuta pas, mais lorsqu’il eut fini, elle dit sur un ton de
-certitude tranquille:
-
---Les Français ne comprennent rien.
-
-Et cela mit fin au débat. Du reste, la curiosité de Naudin était
-satisfaite et la question résolue.
-
-Un autre jour, ou plutôt une autre nuit, car c’était la nuit qu’ils
-parlaient, il lui demanda:
-
---M’aimes-tu?--Et cela dans un moment où ces mots pouvaient paraître
-vains, tant il était sûr de la réponse que les circonstances mêmes
-imposaient.
-
---Non, dit-elle doucement.
-
-Notre lieutenant n’en crut pas ses oreilles et, voyant là une taquinerie
-de sa maîtresse se mit à rire.
-
-Il était persuadé que Nadia lui était profondément attachée et qu’elle
-souffrirait au jour, hélas! assez prochain, où il serait obligé de la
-quitter; car, en somme, comment une petite fille qui avait choisi ce
-métier peu reluisant et qui n’avait pas su y faire fortune,
-n’aimerait-elle pas un garçon élégant, riche, bien de sa personne,
-jeune, et qui l’avait admise à l’honneur de son intimité? Peut-être ne
-se rendait-elle pas compte de tous les avantages qu’une telle liaison
-lui procurait? En outre, il n’avait jamais habité avec une maîtresse. Il
-s’arrangea pour le lui faire comprendre. Elle accueillit cette nouvelle
-sans émoi.
-
-Cependant septembre était là et le moment de rentrer en France
-approchait.
-
-C’est alors qu’Alexandre Naudin eut, un jour, une idée qu’il communiqua
-aussitôt à son amie. Pourquoi ne pas revenir par Constantinople et
-pourquoi ne l’y accompagnerait-elle pas? Ils prendraient un bateau à
-Batoum, passeraient une huitaine sur les rives du Bosphore et de là
-rentreraient, elle en Russie, lui en France.
-
-Nadia ne fit aucune opposition à ce projet et Alexandre Naudin, qui
-avait pensé produire quelque effet en dévoilant un plan aussi magnifique
-et qui se préparait à jouir de la surprise de sa maîtresse, constata
-qu’elle l’acceptait sans plus d’enthousiasme que s’il lui avait proposé
-une excursion dans la banlieue de Tiflis.
-
-Il en ressentit un peu de dépit. Mais il n’était pas dans sa nature de
-se faire de longs soucis et il revint vite à la belle humeur qui lui
-était ordinaire.
-
-Ils commencèrent leurs préparatifs de départ et demandèrent les visas
-nécessaires pour la Turquie. Il ne leur restait qu’une semaine à passer
-à Tiflis.
-
-C’est alors qu’à sa grande surprise Nadia commença à sortir seule. Elle
-ne l’avait, à la lettre, pas quitté d’une heure depuis qu’ils habitaient
-ensemble.
-
-Or, un matin, Naudin faisait quelques courses dans le centre de la
-ville. Il avait peu de temps auparavant laissé sa maîtresse endormie
-dans leur chambre. Quel ne fut pas son étonnement quand il crut la voir
-entrer à la poste centrale devant laquelle il passait? Son premier
-mouvement fut de la suivre, puis il hésita et se décida enfin à la
-rejoindre. C’était bien elle, occupée à écrire un télégramme sur une
-table.
-
-Il s’approcha d’elle; elle termina sans se presser son message et le
-porta au guichet.
-
-Ils sortirent ensemble et Naudin attendait qu’elle lui expliquât quelle
-nouvelle urgente l’avait arrachée de son lit pour la mener si tôt dans
-la journée au télégraphe. Mais Nadia ne paraissait pas comprendre qu’il
-fût nécessaire de satisfaire la curiosité de son amant et elle ne dit
-mot. Ce silence fit impression sur le jeune lieutenant qui en conclut
-qu’il n’y avait évidemment rien à dire sur une chose si simple.
-
-Ce jour-là, Nadia montra un peu de tendresse pour lui. Il n’y était,
-comme on sait, pas accoutumé et il fut charmé de ce changement.
-
-Il s’en attribua le mérite et se félicita de son triomphe. «J’ai tout de
-même fini par la dégeler,» se disait-il.
-
-Mais ce n’était pas une pure satisfaction de vanité que ressentait
-Naudin. Il avait le cœur sensible et il s’aperçut soudain que ce cœur
-s’était, à son insu, mêlé d’une partie où il n’était pas invité. Cette
-constatation fut le point de départ d’une série de réflexions qui le
-menèrent avec une rapidité extrême à un point où il n’aurait jamais
-pensé aborder. Il se demanda pourquoi il se séparerait de Nadia, alors
-que rien n’était plus facile que de l’emmener en France. Bientôt il ne
-vit plus que les beaux côtés de ce projet absurde. Ce serait une
-maîtresse qui lui ferait honneur auprès de ses camarades. Son charme, sa
-jeunesse, ce je ne sais quoi qui n’était qu’à elle ne manqueraient pas
-de séduire ses amis du régiment. Elle ne lui coûterait pas cher; elle
-était la simplicité même. Et puis il avait pris l’habitude de Nadia et
-ne pouvait plus se passer d’elle.
-
-Naudin ne pensait qu’en parlant et il fit ces réflexions à haute voix
-tandis qu’ils déjeunaient. Nadia n’éleva aucune objection. Naudin n’en
-fut pas étonné, car qui aurait été assez fou pour refuser une invitation
-pareille?
-
-Nos amants en étaient là, lorsque, deux jours avant leur départ, Nadia
-lui demanda s’il pourrait lui donner cent cinquante roubles.
-
-Elle lui en aurait demandé cent cinquante mille qu’Alexandre Naudin
-n’aurait pas été plus surpris.
-
---Tu veux de l’argent? dit-il. Mais qu’est-ce qui se passe?
-
-Sur un ton uni, Nadia répondit avec l’art infaillible des femmes à
-changer de terrain et à en choisir un où elles sont sûres de remporter
-la victoire:
-
---Est-ce que cela te gêne? dis-le-moi franchement, je m’arrangerai pour
-en trouver ailleurs.
-
---Mais non, cela ne me gêne en rien, dit avec orgueil Alexandre Naudin,
-qui ne pouvait supporter l’idée qu’elle le crût avare.
-
-C’était, en effet, un sujet assez délicat. Il savait que Nadia avait le
-sentiment, fort répandu en Russie, que les Français sont ménagers de
-leurs écus, tandis que pour les Russes la question d’argent n’existe
-guère. Il va sans dire que Naudin n’avait, sur ce point, rien à se
-reprocher. A peine avait-il lu une désapprobation tacite dans les yeux
-de sa maîtresse lorsqu’une contestation s’était élevée entre lui et un
-cocher sur le prix d’une voiture. Pour Alexandre Naudin comme, grâce à
-Dieu, pour tous nos compatriotes, un franc était un franc. Il dépensait
-ses revenus, mais à bon escient. En somme, sa maîtresse ne lui avait
-coûté jusqu’ici que ses frais de vie et, si elle n’avait pas reçu
-d’argent, c’est qu’elle avait refusé d’en accepter. Aussi comprit-il que
-la première fois qu’elle lui en demandait, il ne pouvait hésiter une
-seconde à lui en donner et, à la manière russe, sans explication. Il
-sortit donc son portefeuille et remit à Nadia un beau billet à l’effigie
-de Catherine la Grande et deux petits billets de vingt-cinq roubles.
-
-Le soir même, ils avaient leur ami, le capitaine Poutilof à un souper
-d’adieu. Ils allèrent dans l’automobile du régiment à Fantaisie où la
-liaison d’Alexandre Naudin et de Nadia avait commencé. Mais Poutilof qui
-avait du tact n’amena pas de femme, car le ménage Naudin par sa longue
-durée avait pris quelque chose de la respectabilité d’une union
-légitime. De même il évita de parler français au lieutenant devant Nadia
-et eut le plaisir de le féliciter des progrès qu’il avait faits dans la
-langue russe.
-
-La soirée était tiède encore. Pourtant un vent plus frais caressait les
-branches des arbres autour du pavillon, le fin croissant de la lune
-brillait au milieu des étoiles étincelantes et les mélopées ardentes de
-la zourna troublaient seules la paix de la nuit. Il y avait dans l’air
-une telle douceur que nos trois convives n’y furent point insensibles et
-qu’Alexandre Naudin se mit à chercher dans sa mémoire des vers capables
-de traduire son émotion. Il finit par retrouver, à sa grande surprise,
-quatre mots latins oubliés depuis le lycée: _Per amica silentia lunæ!_
-
-Un souper excellent et des vins chargés d’alcool eurent bientôt dissipé
-la quasi gêne que la beauté extrême de l’heure avait fait naître. Au
-dessert, le capitaine Poutilof se leva et porta la santé de ses hôtes.
-
---Mon cher Alexandre Edouardovitch, dit-il, je bois comme officier à la
-défaite que l’armée française, représentée par un de ses membres
-éminents, a subie sur le sol russe. Il a suffi pour le vaincre d’une
-femme de mon pays. Nadia, je bois maintenant à votre victoire et à la
-continuation de vos succès. Notre excellent ami vous emmène à France où
-vous montrerez à ses compatriotes ce qu’est une vraie fille de sang
-russe. Hourra!
-
-Sur quoi le capitaine vida son verre d’un trait, puis le brisa, ce qui
-ne l’empêcha pas d’en faire apporter un autre et de continuer ses
-libations.
-
-Alexandre Naudin était au comble de la joie; Nadia, elle-même, qui, à
-l’ordinaire, ne buvait presque pas, avait pris quelques verres de vin.
-Ivan Iliitch Poutilof les embrassa l’un et l’autre avant de remonter en
-automobile pour rentrer à Tiflis.
-
-Cette nuit-là, lorsqu’ils furent seuls à l’hôtel, l’humeur de Nadia
-changea brusquement. Elle devint triste, s’étendit sur le divan et
-enfouit sa tête dans ses mains. D’abord, Alexandre Edouardovitch n’y fit
-aucune attention. Il se déshabillait en sifflant de son mieux, ce qui
-n’est pas beaucoup dire, un air caucasien qui lui plaisait à la folie.
-Lorsqu’il fut couché, il s’aperçut que Nadia n’avait pas bougé. Il
-l’appela. Elle ne répondit pas. Il fut obligé de se lever pour aller la
-chercher. A ce moment-là encore, elle opposa de la résistance.
-
---Je suis lasse, dit-elle, je veux dormir sur le divan.
-
-Elle était agitée, inquiète.
-
---Allons, dit gentiment Naudin, tu dormiras tout aussi bien à côté de
-moi. C’est notre avant-dernière nuit à Tiflis.
-
-Nadia se laissa convaincre et rejoignit son amant dans le lit.
-
-Plus tard, comme, fatigué enfin, il était sur le point de s’endormir, il
-entendit la voix douce de Nadia tout près de son oreille:
-
---Je suis malheureuse, disait-elle.
-
---Dors, répondit Alexandre Naudin, déjà tout ensommeillé et dont rien ne
-pouvait, à ce moment troubler la sérénité.
-
-Elle continua à gémir un peu, puis, de nouveau, lui adressa la parole:
-
---Je t’aime, dit-elle.
-
-Alexandre Naudin entendit les mots qui entrèrent automatiquement dans sa
-mémoire, mais qui, sur le moment, ne lui firent aucune impression, bien
-que ce fût la première fois que Nadia les prononçât. En d’autres
-circonstances, ils l’auraient transporté de joie. Dans l’état où il
-était, il se borna à les enregistrer sans s’en émouvoir.
-
---Dors, petite, dit-il, à demain...
-
-Et il tomba dans un profond sommeil.
-
-Le lendemain, dans l’après-midi, ils préparèrent leurs bagages. Au soir,
-Naudin, qui avait quelques visites à rendre, sortit, promettant à sa
-maîtresse de venir la chercher vers dix heures pour souper.
-
-A l’heure dite, il rentra.
-
-Nadia n’était pas dans la chambre. Il n’y avait là rien d’inquiétant. Il
-s’étendit un instant dans un fauteuil, puis soudain se leva et courut
-chez le portier.
-
---Madame est-elle sortie? demanda-t-il.
-
-Le portier, à mi-voix, répondit:
-
---Madame est sortie, il y a deux heures, avec sa valise. Elle a pris une
-voiture et est partie pour la gare.
-
-Naudin fit un grand effort sur lui-même pour ne montrer aucune émotion
-devant le portier et remonta chez lui.
-
-Alors seulement il eut l’idée de regarder sur la table. Une feuille de
-papier y était étalée bien en évidence avec quelques mots de Nadia:
-
-«Je suis rappelée à Omsk. C’est là que je dois vivre. Pardonne-moi.»
-
---Le diable emporte les filles russes! cria Naudin. Elles sont folles à
-lier!... Un alcoolique! Un homme brutal!... Elle ne mérite pas mieux que
-cela... Heureusement que je ne l’aime pas! ajouta-t-il bravement.
-
-Mais il avait tout de même le cœur gros et un picotement assez curieux
-sous les paupières. Comme il n’y avait personne dans la chambre, il tira
-son mouchoir et s’essuya les yeux.
-
- * * * * *
-
-Six mois plus tard, il disait à un de ses amis de régiment à Vincennes:
-
---Mon cher, les femmes russes, il ne faut pas chercher à les comprendre.
-Tu as une maîtresse: elle t’aime, elle t’est fidèle; elle vit près de
-toi comme ton ombre. Et, crac, voilà qu’elle disparaît sans raison... Il
-semble qu’elle ne peut pas supporter plus qu’une certaine dose de
-bonheur... Oui, j’ai vu cela, là-bas... Ces femmes, tu ne le croirais
-pas, ont, soudain, un besoin maladif d’être malheureuses. Et quand ça
-les prend, il n’y a rien à faire, elles quittent tout... Alors, avec
-nous, ça ne peut pas durer, parce que nous n’aimons pas les
-catastrophes... Seulement, tout de même, mon vieux, les filles russes,
-il n’y a rien de pareil au monde...
-
-Et il se mit à siffler, non sans beaucoup de fausses notes, l’air
-caucasien qu’il aimait tant.
-
-
-
-
-VERA ALEXANDROVNA
-
-
-M. Ture Ekman était le directeur d’un important journal de Stockholm. Au
-cours de la troisième année de la guerre, il éprouva le désir de voir de
-ses yeux comment allaient les choses en Russie et demanda un passeport
-pour ce pays. Comme son journal était, chose rare en Suède, favorable
-aux Alliés, il l’obtint et arriva dans la capitale russe à la fin de
-décembre 1916. Il n’était pas sans y avoir quelques relations dans les
-milieux officiels et dans la société. Mais il ne parlait ni ne
-comprenait le russe et se trouva fort empêché pour faire
-consciencieusement son travail professionnel. Il ne pouvait ni demander
-son chemin dans la rue, ni suivre les débats de la Douma, ni lire les
-nouvelles le matin. Cela surtout le gênait, car il avait l’habitude
-depuis vingt ans de parcourir vite, mais d’un coup d’œil sûr, une
-douzaine de journaux avant de commencer sa journée. Il s’ouvrit de ses
-ennuis à un de ses compatriotes fixé en Russie et lui demanda de lui
-trouver un secrétaire. A ce moment-là, il restait peu de jeunes gens à
-Pétrograd et son ami lui proposa de lui donner comme lectrice une jeune
-fille intelligente et cultivée.
-
---Vous ferez ainsi connaissance, lui dit-il, avec ce qu’il y a de mieux
-en Russie, la jeune fille. Et vous en apprendrez plus en causant avec
-elle qu’en vous faisant lire le _Novoie Vremia_.
-
-Ture Ekman accepta cette proposition. Il avait souvent employé des
-femmes dans son journal et avait été généralement satisfait de leurs
-services. C’était un homme de quarante-cinq ans, de bonne santé, de
-mœurs paisibles, qui se défendait mal contre l’embonpoint. Il était
-marié, père de famille, et, une fois sa besogne terminée, rentrait
-chaque soir chez lui dans la banlieue de Stockholm, mettait ses
-pantoufles, allumait une pipe et, après dîner, tout en buvant un verre
-de punch, lisait à haute voix à sa femme et à sa fille aînée un livre
-d’histoire ou, plus rarement, un roman. Il vivait à son aise, avait son
-automobile et, quand il recevait ses amis, les traitait bien.
-
-Quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées qu’il reçut la visite de
-son compatriote.
-
---J’ai quelqu’un pour vous lui dit ce dernier. C’est la fille d’un haut
-fonctionnaire au ministère de l’Agriculture. Elle a dix-huit ans et sort
-du gymnase. Elle s’est mis dans la tête de travailler, bien qu’elle
-n’ait aucun besoin d’argent. Seulement, elle ne sait pas un mot de
-suédois. Elle parle français et vous aussi, je crois. Vous vous
-entendrez donc sans difficulté. Elle s’appelle Véra Alexandrovna Orlova.
-Est-elle intelligente? je n’en sais rien. Mais elle est ravissante. Une
-vraie beauté, mon cher. Et puis, ces filles russes ne ressemblent pas
-aux nôtres. Elles ont quelque chose qui n’est qu’à elles. N’allez pas en
-tomber amoureux.
-
-En entendant cette phrase, Ture Ekman éclata d’un gros rire. A son âge,
-être amoureux d’une jeune fille lui paraissait la chose la plus comique
-du monde. Il s’occupait de politique et d’affaires; là il était de
-premier ordre. Dans les questions féminines, il s’avouait incompétent.
-Elles ne l’intéressaient du reste pas. Il pensa à son excellente femme,
-presque aussi âgée que lui, à sa fille qui avait deux ans de plus que sa
-lectrice.
-
---Envoyez-moi Véra Alexandrovna, dit-il, j’ai à travailler et, si elle
-est intelligente, nous nous entendrons vite. Sinon, fût-elle Vénus
-elle-même, il faudra m’en trouver une autre.
-
-Le lendemain matin, vers onze heures, le portier de l’hôtel lui
-téléphona qu’une dame le demandait.
-
-N’osant la recevoir dans sa chambre, il descendit au rez-de-chaussée. Il
-se trouva en face d’une personne de taille moyenne, mince, d’apparence
-délicate, enveloppée dans un grand manteau de fourrure. Elle était
-placée à contre-jour et il ne voyait que la forme de sa tête, qui était
-petite, et, dans un visage fin et pâle, deux grands yeux de couleur
-indécise qui le regardaient bien en face. Elle lui tendit la main d’un
-geste plein de naturel, où il n’y avait ni familiarité ni gêne. C’était
-chez M. Ture Ekman qu’on aurait trouvé, à ce moment-là, de la timidité,
-car il ne savait exactement comment traiter cette jeune fille élégante
-qui venait se mettre à son service.
-
-Il s’excusa de ne pouvoir la recevoir chez lui et lui proposa de passer
-dans la salle de lecture. Ils eurent quelque peine à y trouver de la
-place tant elle était pleine et bourdonnante de gens qui entraient,
-sortaient, feuilletaient les journaux ou causaient. Il était impossible
-de travailler dans un tel brouhaha.
-
-Il tourna sa bonne figure d’homme tranquille et bien nourri vers la
-jeune fille et se mit à rire.
-
---Que ferons-nous, Véra Alexandrovna? demanda-t-il.
-
---Ce que vous voudrez, répondit-elle.
-
-Il hésita un instant.
-
---Il faut aller chez moi. Vous n’y voyez pas d’inconvénient?
-
---Et pourquoi donc? dit la jeune fille.
-
---Eh bien, attendez-moi quelques minutes ici. Cherchez pendant ce temps
-les nouvelles les plus intéressantes dans le _Novoié Vrémia_. Je
-reviens à l’instant.
-
-Il monta chez lui pour voir si la chambre avait été faite, sonna le
-garçon, fit apporter un paravent qu’il déploya de façon à cacher le lit.
-Puis il redescendit tout essoufflé par tant d’activité, acheta une
-demi-douzaine de journaux chez le portier et vint chercher la jeune
-fille.
-
-Dans la chambre, elle ôta son chapeau et son manteau. Il constata
-qu’elle était vraiment jolie. Elle avait des cheveux bruns coupés court
-et bouclés, un visage un peu allongé, une peau mate et qui s’éclairait
-d’une façon charmante, de grands yeux gris innocents et rêveurs, et une
-bouche petite qui, quand elle souriait, laissait voir des dents
-éclatantes. Les mains fines étaient soignées. L’excellent Ture Ekman se
-dit: «Voilà une fille de grand prix, mais comment travaillera-t-elle?» A
-l’avance, il sentait en lui des trésors de patience et d’indulgence.
-
-Cependant, il installa Véra Alexandrovna dans un fauteuil, lui donna le
-_Novoié Vrémia_ et s’assit à la table, un crayon à la main et une
-feuille de papier devant lui.
-
---Quelles sont les nouvelles de la guerre? demanda-t-il.
-
-La jeune fille se mit à feuilleter le vaste journal et, non sans peine,
-trouva le bulletin du grand quartier général. Elle commença à le
-traduire; mais il était hérissé de termes techniques devant lesquels
-elle hésitait, cherchant ses mots, faisant de grands efforts pour
-essayer de franchir les tirs de barrage et d’enjamber les tranchées.
-Finalement, elle resta prise dans les fils de fer barbelés. La peine
-qu’elle se donnait pour s’en dégager lui rosissait les joues. Ture Ekman
-vint à son secours, mais ne réussit qu’à s’empêtrer avec elle; au bout
-d’un quart d’heure de travail opiniâtre, ils étaient tous deux fatigués,
-à bout de souffle, et n’avaient pas fait grand chemin.
-
-Véra Alexandrovna soupira:
-
---Je ne pensais pas que ce fût si difficile, dit-elle, j’aurais tant
-voulu vous être utile! Mais je crois que je n’y arriverai jamais.
-
-Sa bonne volonté était si manifeste, et sa confusion, que le cœur du bon
-Suédois s’émut. C’était un métier à apprendre, elle en surmonterait vite
-les difficultés initiales. Il employa tant de persuasion à la rassurer
-qu’elle se risqua dans l’article de politique étrangère. Ici encore, le
-vocabulaire lui manquait pour traduire les ingénieuses considérations du
-savant auteur de l’article. Elle posa le journal:
-
---Nous n’arriverons ainsi à rien de bon, Monsieur Ekman, dit-elle. Que
-faire?
-
-Elle prit sa jolie tête bouclée entre ses deux mains et se mit à
-réfléchir avec un air si concentré, si sérieux que Ture Ekman n’osait
-plus bouger de peur de la distraire.
-
---Je crois que j’ai trouvé, dit-elle enfin. Je lirai les journaux chez
-moi avant de venir; je marquerai les nouvelles les plus intéressantes
-et, s’il y a des mots que je ne comprends pas, le les chercherai dans le
-dictionnaire.
-
---Ou vous les demanderez à votre père, intervint Ture Ekman, car vous
-n’en sortirez pas toute seule.
-
---A mon père, dit la jeune fille avec effroi, vous n’y pensez pas? Que
-dirait-il s’il savait que je travaille pour gagner un peu d’argent?
-C’est un grand secret entre nous, monsieur Ture Ekman; je vous en prie,
-ne me trahissez pas.
-
-Elle était maintenant très agitée. Ture Ekman s’employa de son mieux à
-la rassurer; mais ce que venait de dire Véra Alexandrovna lui permit de
-poser à la jeune fille une question devant laquelle il hésitait depuis
-un moment, à savoir le prix qu’elle voulait pour son travail. Elle
-rougit très fort lorsqu’il le lui demanda.
-
---A la vérité, ce que je fais pour vous ne vaut rien. Je le comprends
-fort bien.
-
-Mais le Suédois, touché, lui expliqua qu’il ne fallait pas se désespérer
-ainsi, qu’elle ferait de rapides progrès. Tout travail méritait salaire.
-En somme, elle lui consacrait sa matinée. S’il la prenait au mois, cela
-vaudrait bien deux cents roubles. Mais il ne savait quelle serait la
-durée de son séjour à Pétrograd, aussi lui donnerait-il, si elle le
-trouvait suffisant, dix roubles par jour.
-
-Véra Alexandrovna en entendant ce prix devint très sérieuse.
-
---J’ai honte, dit-elle, d’accepter tant d’argent; mais la vérité est que
-j’ai, en ce moment, le plus grand besoin d’en gagner, et si vous voulez
-me donner ce que vous dites, je vous promets de faire de mon mieux pour
-vous satisfaire.
-
-Après cette première entrevue, ils se séparèrent, également contents
-l’un de l’autre, après avoir pris rendez-vous pour le matin suivant, à
-dix heures.
-
-Le lendemain, Véra Alexandrovna avait fait quelques progrès. Dans les
-deux heures qu’elle passa à l’hôtel de l’Europe, elle arriva à lire à
-peu près correctement une colonne et demie du _Novoié Vrémia_. Ce fut un
-grand succès auquel s’associa de tout cœur Ture Ekman.
-
-Pourtant il ne fallut pas beaucoup de temps au directeur de journal, qui
-avait l’habitude du travail, pour comprendre que Véra Alexandrovna ne
-lui serait d’aucune utilité au point de vue professionnel. Mais il la
-trouvait charmante et ne voulait pas s’en séparer. Une autre de ses
-relations lui découvrit à point nommé un petit juif très débrouillé, qui
-collaborait aux _Birgevie Viedomosti_. Il l’eut à déjeuner chaque jour
-et, pendant le repas, il apprenait toutes les nouvelles qui lui étaient
-nécessaires.
-
-Véra Alexandrovna continuait à venir le voir le matin. Elle arrivait
-avec un peu de retard, vers dix heures et demie, ayant dans son manchon
-l’unique _Novoié Vrémia_ qu’elle déployait avec gravité devant elle.
-Rien ne divertissait plus Ture Ekman que de la voir parcourir le journal
-avec les grâces et les précautions d’un jeune chat qui traverse un
-terrain rempli de ronces. Par moment, il ne pouvait s’empêcher d’éclater
-d’un rire si franc, si sans arrière-pensée, si communicatif que la jeune
-fille essayait en vain de prendre l’air courroucé.
-
---Vous vous moquez de moi, disait-elle. Ce n’est pas gentil.
-
-Mais elle se mettait à rire aussi.
-
-Un jour pourtant, comme elle était énervée, au lieu de rire avec Ture
-Ekman, elle commença de pleurer. Quand le bon Suédois vit des larmes
-dans les beaux yeux de sa petite amie, son cœur s’émut. Il se précipita
-vers elle.
-
---Ma chère Véra Alexandrovna, dit-il, pardonnez-moi, je suis une brute.
-Mais vous savez bien que pour rien au monde, je ne voudrais vous faire
-de la peine. Remettez-vous, je vous en prie.
-
-Il s’était emparé de la main de sa lectrice et parlait avec une bonté si
-évidente que la jeune fille reprit contenance et qu’il eut le plaisir de
-voir qu’elle lui souriait.
-
-A partir de ce jour-là, leur intimité fut plus grande et ils devinrent
-de très bons amis.
-
-Bientôt la comédie de la lecture cessa et fut remplacée par une
-conversation dans laquelle M. Ture Ekman eut l’occasion d’apprendre
-beaucoup plus de choses sur la vie russe, sur la famille et sur les
-jeunes filles, qu’il n’aurait pu le faire en vingt années d’une lecture
-quotidienne des journaux. Pourtant il remarqua que Véra Alexandrovna, si
-elle parlait à cœur ouvert des siens et de ce qu’elle avait vu autour
-d’elle, était fort sobre de détails pour tout ce qui concernait sa vie
-propre. Il semblait qu’il s’agît pour elle d’un spectacle auquel elle
-n’était pas mêlée. Elle lui apparaissait comme une jeune fille simple et
-pure dans une société compliquée, libre à l’excès et, somme toute,
-dépravée. Mais les grâces de la jeunesse l’avaient préservée. Elle
-savait tout et n’avait goûté à rien. Cette fraîcheur et cette candeur de
-l’âme qu’elle avait conservées plaisaient infiniment à Ture Ekman. Il
-se souvenait des paroles de son ami: «Prenez garde à vous!» Mais quel
-danger pouvait-on courir auprès de cette enfant innocente? Elle ne
-cherchait pas à lui plaire. Elle n’essayait pas de le gagner. Elle ne
-déployait aucune coquetterie.
-
-On aurait bien étonné Ture Ekman si on lui avait dit qu’il était en
-train de devenir amoureux de sa lectrice. Lorsqu’il voyait la jeune
-Russe, il pensait à chaque fois à sa digne épouse et à sa fille, pour se
-féliciter que les siens vécussent dans une atmosphère si différente de
-celle qu’il respirait à Pétrograd. Parfois il s’attendrissait sur le
-sort qui attendait Véra Alexandrovna. Elle devrait se marier, épouser un
-honnête homme. Son père, il est vrai, occupait une haute position, mais,
-à quelques mots échappés à la jeune fille, Ekman avait compris qu’il
-manquait quelque chose à ce foyer. Qui donc pourrait lui assurer
-l’existence heureuse à laquelle elle avait droit? Un jour il en arriva
-même à lui demander pourquoi elle ne viendrait pas avec lui en Suède, où
-elle trouverait, sans doute, un mari digne d’elle.
-
-Véra Alexandrovna, lorsqu’elle entendit cette proposition étrange, le
-regarda étonnée. Elle hocha la tête et répondit avec mélancolie:
-
---Je ne puis vivre qu’ici.
-
-Ture Ekman prit tant de goût aux heures passées en compagnie de cette
-charmante fille qu’il lui proposa de l’accompagner dans les courses
-qu’il avait à faire l’après-midi. Elle lui servirait d’interprète.
-
-Ils sortirent ainsi quelquefois ensemble, allèrent au cinéma, prirent le
-thé à l’hôtel Astoria. Ture Ekman avait pour Véra Alexandrovna mille
-attentions. Il lui achetait des boîtes de chocolat et des bonbons. Il
-était, avec elle, tout à fait paternel. Cela permettait une intimité
-bien plus grande. La jeune fille se prêtait à ce jeu. Du reste, par sa
-tenue même, par toute l’atmosphère qu’elle créait autour d’elle, par son
-air inimitable de «ne me touchez pas», elle donnait à l’excellent
-Suédois l’impression qu’elle était aussi pure et aussi froide que les
-neiges de son septentrional pays.
-
-Il se complaisait dans ces pensées agréables lorsqu’un fait nouveau
-l’obligea soudainement à mettre en doute la valeur des réflexions qu’il
-avait faites au sujet de sa chère lectrice.
-
-Il avait été souper chez des amis à la Perspective de Kameno-Ostrof.
-C’était le quartier où habitait Véra Alexandrovna. Le souper s’était
-prolongé très tard; on avait bu plus que de raison. Vers cinq heures du
-matin, un peu alourdi, Ture Ekman se décida enfin à regagner le lointain
-hôtel de l’Europe. Il prit un traîneau, releva le col de sa fourrure,
-mit les mains dans ses poches et, cahoté au trot lent du cheval sur la
-neige durcie et inégale, éprouva un plaisir assez vif à sentir l’air
-glacé lui piquer les joues et le front. «Je n’ai pas beaucoup d’heures à
-dormir, songeait-il. Véra Alexandrovna viendra comme à l’ordinaire.
-C’est un ange!... Ah! que j’ai sommeil!... Pourvu que je me réveille à
-temps!...»
-
-Cependant il s’intéressait à la vie qui commençait à renaître dans la
-ville endormie. Malgré le froid, malgré la profondeur de la nuit, on
-voyait des femmes glisser le long des maisons, tout emmitouflées dans
-leurs manteaux fourrés, la tête couverte d’un châle. C’était des
-servantes, ou des femmes d’ouvriers, qui allaient se mettre à la porte
-d’une boulangerie pour avoir, après une interminable attente, leur pain
-quotidien. Notre bon Suédois s’attendrit sur les souffrances de ces
-malheureuses, sur leur patience. Il adressa, en lui-même, un blâme
-sévère à l’édilité dont l’incurie obligeait les habitants de la capitale
-à de longues stations dans les rues, par vingt et trente degrés de
-froid. Ces files de femmes, auxquelles se mêlaient quelques hommes et
-même des enfants, se tenaient immobiles sur le trottoir. Ture Ekman en
-vit une de près d’une centaine de personnes puis, un peu plus loin, une
-seconde non moins étendue.
-
-Un grand réverbère électrique jetait une lumière blafarde sur les femmes
-qui étaient là, tassées les unes contre les autres, comme pour se
-réchauffer.
-
-Soudain, il sursauta. Il venait de reconnaître au milieu de la rangée
-près de la chaussée son élégante secrétaire. Elle était enveloppée du
-manteau de fourrures qu’il avait le plaisir de lui enlever chaque matin
-et d’aller poser sur le lit, derrière le paravent. Au lieu de chapeau,
-elle portait, comme ses compagnes de corvée, un châle beige croisé sur
-la tête et qui ne laissait apercevoir que son visage pâle. Elle semblait
-très fatiguée.
-
-Ture Ekman n’en crut pas ses yeux. Pour la regarder encore, il se
-retourna dans le traîneau qui glissait sur la neige gelée. Oui, c’était
-bien elle! il ne put retenir un: «Ah! mon Dieu!» qui retentit dans la
-nuit.
-
-En entendant ces mots prononcés par une voix connue, la jeune fille
-tourna son visage et Ture Ekman comprit qu’elle l’avait vu.
-
-Le désarroi du bon Suédois était si grand, le désordre de ses idées si
-complet, qu’il ne sut prendre un parti à temps. Il hésita quelques
-secondes à donner l’ordre à son cocher d’arrêter. Mais déjà il était
-loin de la file allongée des femmes, il se tut et continua lentement son
-chemin vers l’hôtel de l’Europe. Malgré le froid, il tenait ses yeux
-grands ouverts, comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il était
-préoccupé.
-
-Il dormit peu, d’un sommeil agité. De bonne heure, il se leva en hâte et
-descendit au café de l’hôtel pendant que les domestiques faisaient sa
-chambre.
-
-Un peu avant onze heures, Véra Alexandrovna entra chez lui, le _Novoié
-Vrémia_ sous le bras. Sur son jeune visage, on ne lisait aucune trace
-d’embarras et Ture Ekman qui la regardait avec une extrême curiosité, en
-arrivait à douter de ce qu’il avait vu et à se demander si, sous
-l’influence de l’alcool absorbé, il n’avait pas été victime d’une
-illusion sur la perspective de Kameno-Ostrof. Lorsqu’elle levait les
-yeux sur lui, il détournait vite les siens de peur de paraître
-indiscret. Cependant il mourait d’envie de savoir pourquoi Véra
-Alexandrovna se trouvait de si grand matin dans la rue en compagnie
-d’humbles servantes et de femmes du peuple. Après bien des hésitations,
-il se décida à l’interroger. Mais cet homme d’affaires était avec les
-femmes d’une grande timidité (on s’en est aperçu, de reste) et il ne
-savait comment s’y prendre. Rougissant un peu, il finit par lui dire:
-
---Ne vous ai-je pas déjà vue aujourd’hui, Véra Alexandrovna?
-
-La jeune fille le regarda avec une parfaite tranquillité.
-
---Ah! c’était vous, monsieur Ture Ekman, qui passiez ce matin sur
-Kameno-Ostrof. Je croyais bien avoir reconnu votre voix. Vous vous
-couchez trop tard, vraiment.
-
-Puis elle se remit à chercher des nouvelles dans le journal déplié
-devant elle.
-
-Le flegmatique Suédois était tout à fait déconcerté par les mots et par
-le ton de Véra Alexandrovna. Il n’en savait pas plus qu’avant d’avoir
-parlé. Au contraire, la simplicité avec laquelle elle avait répondu à sa
-question ajoutait au mystère qu’il voulait percer. Il fit quelques pas
-dans la chambre; il toussa une ou deux fois, puis, s’arrêtant devant la
-table, il prit le journal, le plia et, face à la jeune fille, il lui
-dit:
-
---Voulez-vous m’expliquer pourquoi vous stationnez à la porte fermée
-d’une boulangerie à cinq heures du matin en plein hiver de Petrograd?
-N’avez-vous pas de servantes? Votre père sait-il ce que vous faites?
-(Ici Véra Alexandrovna ne put retenir un mouvement d’effroi.) Etes-vous
-dans la gêne?... Dites-le-moi franchement, je vous prie... Vous savez
-que j’ai beaucoup d’affection pour vous, ma chère Véra Alexandrovna
-(Ture Ekman se troublait un peu)... Je pourrai peut-être vous venir en
-aide si vous traversez une crise... Confiez-vous à moi, mon enfant.
-
-Il lui avait pris une main. Il était dans une grande agitation. De son
-côté, Véra Alexandrovna montrait plus d’émotion qu’elle n’en avait
-jamais laissé paraître en présence de Ture Ekman. Pour la première fois,
-il semblait qu’un combat se livrât en elle; son visage s’animait, ses
-seins se soulevaient et s’abaissaient sur un rythme plus rapide.
-
-Ture Ekman, la voyant ainsi, redoubla ses efforts. Il mit tant de
-persuasion dans ses demandes répétées, une chaleur si communicative dans
-son accent, qu’il eut la joie de voir la réserve de Véra Alexandrovna
-fondre peu à peu. Les beaux yeux gris de la jeune fille se voilèrent et
-bientôt s’emplirent de larmes. Le cœur du pauvre Ekman battait à se
-rompre. Il pressentait le plus douloureux des mystères.
-
---Dites-moi votre peine, fit-il avec plus de décision encore, et, s’il
-dépend de moi, je l’allégerai.
-
---Vous êtes bon, murmura-t-elle enfin, en se penchant vers lui. Il y a
-trop longtemps que je suis seule, sans une âme à qui me confier, obligée
-de me cacher de tous. Je n’en puis plus (elle soupira)... Je vous dirai
-tout comme à un être humain.
-
-Elle s’arrêta un instant pour mettre de l’ordre dans ses idées
-tumultueuses; puis, le coude appuyé sur la table et la main soutenant
-son charmant visage, elle commença ainsi, non sans beaucoup de
-mélancolie et peut-être un peu trop de solennité (il est difficile
-d’être simple dans des moments pareils):
-
---J’ai un ami, monsieur Ture Ekman, un ami que j’aime, que j’admire, et
-à qui je me suis donnée.
-
-Lorsqu’il entendit ce début, l’excellent Suédois sentit un trouble
-inconnu l’envahir. Sa poitrine se serra. Il eut chaud, puis froid. La
-netteté de cet aveu ne laissait place, hélas! à aucune ambiguïté. Il ne
-savait comment accueillir le sentiment que cette confession faisait
-naître en lui et n’osait en rechercher la cause. Véra Alexandrovna avait
-un amant! Comment le croire? mais comment en douter? Et puis pourquoi
-était-elle bien avant le jour à la porte d’une boulangerie. Comment ceci
-était-il expliqué par cela? Ture Ekman s’y perdait. Cependant elle
-continuait:
-
---Mon ami est un jeune artiste. Il s’appelle Paul. C’est un peintre du
-plus grand talent et qui sera célèbre. Pour l’instant, il n’a aucunes
-ressources et vit dans la pauvreté. Il a contre lui, naturellement,
-toute une cabale. On essaie de s’en défaire. Pas un journal ne parle de
-lui; pas une exposition n’accepte ses œuvres. Il est seul, mais il
-vaincra.
-
-Véra Alexandrovna s’animait en parlant. Elle était fière de son amant,
-elle s’indignait contre la sottise publique. Ses jolis yeux lançaient
-des éclairs. La colère la rendait éloquente. Jamais Ture Ekman ne
-l’avait vue si belle. Elle parlait, toute à la joie d’avoir quelqu’un à
-qui raconter ses peines; elle disait le début de leur liaison, comment
-elle avait fait la connaissance de Paul, par hasard, aux Iles où il
-peignait en plein air «un paysage ravissant et tout plein de poésie. Il
-semblait que l’on entendît les oiseaux chanter (c’est ainsi qu’elle
-s’exprimait)». Ils s’étaient liés, s’étaient promenés ensemble, puis
-elle avait été le voir dans sa chambre misérable et là, un jour où il
-était malheureux, où il doutait de lui-même, elle s’était donnée à lui
-pour rendre à cet artiste l’orgueil et la force, trop heureuse qu’un si
-grand génie pût goûter quelque joie par la possession d’un corps qui
-n’avait appartenu à personne.
-
---Je lui ai livré ce que j’avais de plus sacré, dit-elle, mais j’ai
-gagné son âme et qu’est-ce que la pauvre offrande que je lui ai faite
-auprès du don magnifique que j’ai reçu de lui?
-
-Ture Ekman perdait pied dans les régions sublimes où la jeune fille
-l’entraînait. Il revint à son idée fixe en lui demandant, à un moment où
-elle s’était arrêtée de parler:
-
---Mais, Véra Alexandrovna, pourquoi étiez-vous à la porte d’une
-boulangerie ce matin avant le lever du jour?
-
-Ramenée à la plate réalité, Véra n’éprouva aucun embarras. Ture Ekman
-avait noté, du reste, qu’elle n’avait pas essayé de se justifier et
-qu’elle s’était bornée à expliquer la situation dans laquelle elle se
-trouvait.
-
---Paul, comme je vous l’ai expliqué, continua-t-elle, n’a aucune
-ressource. Il loge chez des gens assez pauvres qui lui ont loué une
-chambre. Ils n’ont pas de servante. Aussi serait-il obligé d’aller
-chercher son pain lui-même de grand matin. Mais vous comprenez comme moi
-que cela ne serait pas possible. La vie d’un artiste a ses exigences.
-Comment un homme habitué aux pensées les plus élevées pourrait-il
-s’abaisser à des questions de ménage?... Et puis Paul n’est pas fort. Il
-paraît robuste, c’est vrai, mais il a les bronches faibles. Pour un
-rien, il s’enrhumerait. Le voyez-vous par ces nuits terribles de
-Pétrograd rester une heure ou deux exposé au froid?
-
-Ture Ekman regarda la jeune fille. Elle était frêle et délicate. Par
-moment, elle toussait. Il se mit à détester Paul. Quel homme était-ce
-pour laisser une fille comme Véra, habituée au luxe, et, moralement, un
-ange, lui rendre de tels services? Et, au même temps que le bon Ture
-éprouvait de la pitié et de l’admiration pour sa chère Véra, il avait
-l’idée assez nette que le talent de Paul, ne valait pas les sacrifices
-que la jeune fille faisait pour lui. Il résolut de voir le peintre et
-ses tableaux. Il voulait juger lui-même l’homme qui avait inspiré un si
-grand amour à sa lectrice. Il dit donc à cette dernière:
-
---Vous savez que j’aime la peinture et que je suis une façon de
-connaisseur. Oui, j’ai chez moi une petite collection de tableaux
-modernes; peut-être pourrai-je y joindre une œuvre de votre ami, si ses
-prétentions ne sont pas trop élevées. Et puis, je serai heureux d’entrer
-en relations avec un artiste aussi distingué.
-
-Le visage de Véra Alexandrovna s’empourpra de joie.
-
---Que vous êtes bon, dit-elle en prenant affectueusement les mains du
-brave Suédois, que vous êtes bon! Mais est-il vrai que vous vous y
-connaissez en peinture? Ce n’est pas pour me faire plaisir que vous
-dites cela? Vous êtes un véritable amateur?
-
-Ture Ekman lui assura qu’il aimait la peinture d’un amour véritable et
-qu’il passait pour s’y entendre.
-
-Véra Alexandrovna, à cette déclaration positive, fut au comble du
-bonheur. On convint que, le jour suivant, après la séance à l’hôtel de
-l’Europe, ils se rendraient tous deux chez Paul.
-
-Le lendemain, donc, les voilà partis en traîneau vers midi. Tout le long
-du chemin, la jeune fille bavarda joyeusement et le thème unique de son
-bavardage était Paul.
-
-Ils arrivèrent enfin à la maison du héros. C’était un grand immeuble, à
-plusieurs corps de bâtiment séparés par de vastes cours. Ils montèrent
-un escalier qui ressemblait à un escalier de service et s’arrêtèrent au
-quatrième étage. Là, ils sonnèrent à une porte étroite et attendirent
-assez longtemps, jusqu’à ce qu’une femme débraillée et de mauvaise
-humeur vînt leur ouvrir et les introduisît dans un vestibule sans
-meubles qu’envahissait une odeur de choux aigres. Ils suivirent un
-couloir encombré de malles et de panières, au bout duquel Véra
-Alexandrovna poussa la porte entre-bâillée d’une chambre. Un jeune
-homme, à leur venue, se leva d’un vieux fauteuil et fit quelques pas
-au-devant des visiteurs. Il était grand, gros; sa figure était blafarde,
-le nez allongé, les yeux étroits et petits. Toute sa contenance était à
-la fois gênée et satisfaite. Il paraissait très jeune. La chambre était
-misérablement meublée, mais, en outre, elle était sale et en désordre,
-des bouts et des cendres de cigarettes traînaient partout; du linge sale
-était entassé dans un coin; des tubes de couleur gisaient, éventrés, sur
-le plancher. Le cœur du bon Ture Ekman se serra à l’idée que sa chère
-lectrice, cet ange, cet être pur et bon, s’était abandonnée dans un
-décor pareil aux caresses d’un tel homme. Mais peut-être sous cette
-enveloppe peu aimable, Paul cachait-il un vrai talent, une originalité
-précieuse, des dons qui rachèteraient son ingrate apparence. Hélas! Ture
-Ekman fut bien vite désabusé. Paul, à la demande de Véra, montrait ses
-dernières œuvres. C’étaient les plus plates inventions, des paysages
-tout pareils dans leur fadeur aux chromo-lithographies qui ornent le
-couvercle des boîtes à bonbons. Ture Ekman, qui avait du goût, vit au
-premier coup d’œil que Paul n’avait aucun don et aucun avenir. Il eut
-peine à réprimer un mouvement de mauvaise humeur. Il ne pouvait plus
-supporter la présence de Paul et se leva un peu brusquement pour prendre
-congé.
-
-A ce moment, il se tourna vers la jeune fille. Le regard qu’elle tenait
-fixé sur lui était chargé d’une anxiété si visible que Ture Ekman en
-frissonna. Oui, il était évident qu’elle attendait son verdict d’une âme
-pleine d’inquiétude et de terreur. La magnifique assurance dont elle
-avait fait preuve en parlant de Paul à l’hôtel de l’Europe avait
-disparu. Il ne restait plus qu’une pauvre petite fille à moitié morte à
-l’idée que l’œuvre de son amant était jugée mauvaise par un homme dont
-elle avait éprouvé la bonté et qui connaissait la peinture. Ture Ekman
-se sentit fort gêné. Il toussa pour reprendre contenance, fit quelques
-pas. Puis, soudainement, il s’empara d’une petite toile et demanda à
-Paul, d’une voix embarrassée, combien il l’estimait.
-
-Paul hésita un instant, puis dit:
-
---Cent roubles.
-
-Sans ajouter un mot, Ture Ekman ouvrit son portefeuille, en tira un
-billet de banque et le remit au jeune homme. Puis, son tableau sous le
-bras, il salua Paul et Véra Alexandrovna. Il osait à peine regarder la
-jeune fille en lui disant au revoir.
-
-Dans le rapide coup d’œil qu’il lui lança, il crut voir qu’elle gardait
-un visage douloureux et fermé. Lui-même se sentait fort mal à son aise.
-Il ne respira librement qu’une fois sur le trottoir et, là, il traduisit
-ses sentiments intimes par un violent juron dans sa langue natale.
-
-Toute la journée, il fut poursuivi par le souvenir de la scène dans
-laquelle il avait joué un rôle. Il s’attendrissait sur le sort infortuné
-de Véra Alexandrovna qui, par une incompréhensible folie, avait sacrifié
-sa vie à celle d’un raté et d’un égoïste qui l’exploitait. Il ne pouvait
-oublier le regard de la jeune fille au moment où il examinait les
-horribles tableaux de Paul. «La pauvre petite, répétait-il, la pauvre
-petite!» et il se savait un gré infini d’avoir su dissimuler son opinion
-véritable.
-
-Mais le lendemain matin, à peine Véra Alexandrovna était-elle entrée
-chez lui qu’il comprit, à la voir pâle et sérieuse, qu’un drame s’était
-passé. La façon même dont elle l’aborda, la tristesse de ses yeux
-montraient à Ture Ekman une Véra qu’il n’avait jusqu’alors pas connue.
-Il n’eut pas longtemps à attendre pour savoir les causes d’un changement
-si complet. Avant même de quitter son manteau, elle vint à lui:
-
---J’ai compris. Monsieur Ture Ekman, je vous remercie, vous êtes un
-homme admirable.
-
-Le pauvre Ekman n’entendait rien à ce que disait Véra. Mais il était
-près d’elle; il sentait que la minute était solennelle et son cœur
-battait plus vite qu’il ne l’aurait voulu.
-
-Véra continua:
-
---Paul n’a pas de talent. Je le sais maintenant. C’est par charité que
-vous lui avez acheté un tableau; vous avez agi dans une situation
-difficile avec une grande délicatesse. Mais je veux vous rendre vos cent
-roubles, monsieur Ekman.
-
-A ce moment, la voix de la jeune fille se troubla un peu. Elle ne disait
-pas, en effet, toute la vérité. Le billet qu’elle lui tendait venait
-d’un bijoutier voisin de l’hôtel de l’Europe, qui le lui avait remis en
-échange d’un petit bijou qu’elle avait vendu.
-
-Comme Ture Ekman protestait, refusait de reprendre son argent, jurait
-que la peinture de Paul était fort intéressante, elle l’interrompit avec
-impatience et dit:
-
---Ne mentez pas, je vous prie. Vous m’avez rendu un grand service. J’ai
-rompu avec Paul, je ne le reverrai de ma vie, je me suis trompée sur
-lui. J’étais très jeune, monsieur Ekman; j’ai cru que c’était un grand
-artiste; j’ai vécu dans le mensonge. Grâce à vous, je vois clair
-aujourd’hui. Mais j’ai appris autre chose encore hier, c’est que vous
-êtes un homme noble, et il n’y a rien de plus grand au monde.
-
-Notre bon Suédois se mit à rougir. Sa surprise était si grande qu’il ne
-savait quelle mine faire. Cette charmante jeune fille était là, presque
-dans ses bras, toute tendue vers lui; il se rendait compte qu’un autre,
-plus audacieux, aurait à cet instant une belle partie à gagner.
-L’émotion de Véra, la sienne propre, cette chambre tiède où ils étaient
-tous deux enfermés... il eut comme un vertige, se dégagea vivement et
-courut à la fenêtre.
-
---Nous allons sortir ensemble, ma chère Véra Alexandrovna, dit-il, j’ai
-une course à faire. Voulez-vous m’accompagner?
-
---Je ferai tout ce que vous voudrez, répondit-elle.
-
-Ils marchèrent dans les rues glacées de Pétrograd. Ture Ekman maintenant
-causait avec animation: il racontait sa vie à la jeune fille qui
-l’écoutait avec un intérêt passionné. Ce jour-là, l’excellent Ture
-Ekman, qui sentait le bras de Véra Alexandrovna s’appuyer sur le sien,
-fit la plus belle promenade de son existence. Il finit par ramener la
-jeune fille chez elle.
-
-En la quittant, il passa à l’agence des wagons-lits, prit une place à
-destination de Stockholm pour le train du lendemain matin, entra chez un
-bijoutier, acheta une jolie barrette avec diamants et perles et, rentré
-à l’hôtel, il écrivit une lettre ainsi conçue:
-
-«Très chère Véra Alexandrovna, je reçois un télégramme qui m’oblige à
-regagner Stockholm sans délai. Je suis bien fâché de ne pouvoir prendre
-congé de vous avant mon départ demain matin. Je garderai un souvenir
-délicieux des jours que j’ai passés près de vous. J’espère que ma
-lectrice, en échange de la peine qu’elle s’est donnée pour moi, voudra
-bien accepter cette petite broche.»
-
-Il n’envoya la lettre et la broche par un commissionnaire que le
-lendemain matin, de bonne heure, au moment où il quittait l’hôtel pour
-gagner la gare de Finlande.
-
-
-
-
-SONIA GRIGORIEVNA
-
-
-Un Français qui habite la Russie me raconte l’histoire suivante qui,
-comme on le verra, trouve sa place dans ces notes sur la femme russe.
-
-J’ai connu, me dit-il, une actrice qui avait quelque renom à
-Saint-Pétersbourg. Lorsque je la rencontrai, elle vivait avec un certain
-Makharof. C’était un homme entre trente et quarante ans, de plus de six
-pieds de haut, taillé en hercule, et doué d’une espèce de beauté sauvage
-qui avait produit une grande impression sur Sonia Grigorievna. (Elle
-s’appelait ainsi.) Ils étaient ensemble depuis plus de deux ans et
-faisaient assez mauvais ménage. Makharof buvait, jouait et se permettait
-mainte passade. Sonia Grigorievna, de son côté, avait la réputation
-d’être légère. Des scènes quotidiennes éclataient entre eux, et l’on
-assurait qu’à l’occasion il ne lui épargnait pas les coups. C’était une
-femme délicate et fine qui gardait dans ses aventures une certaine
-fierté. Ce que je sus d’elle alors, je l’appris par des amis, car
-elle-même ne me parlait jamais de sa vie avec son amant. Elle me
-plaisait; je lui faisais la cour; je l’accompagnais souvent au théâtre
-lorsqu’elle jouait et, parfois, nous soupions ensemble avant que je la
-raccompagnasse chez elle. Finalement, un soir, c’était peu après les
-fêtes de Noël, elle accepta de venir dîner dans mon appartement et,
-après dîner, elle se donna à moi avec une charmante simplicité. Vers
-minuit, elle regarda sa montre et me dit qu’elle voulait rentrer pour
-une heure du matin. Il faisait une nuit très froide. Quitter la tiédeur
-de mon lit pour aller courir les rues par une bise glacée n’avait rien
-de séduisant. Mais je ne pouvais garder Sonia Grigorievna et, après la
-soirée que nous avions passée, je lui devais de la raccompagner.
-
-Nous voici donc en traîneau. Il y avait peu de monde dehors, car la
-température était terrible. Nous arrivâmes transis sur la Fontanka,
-près de Nevski, à cette grande maison que tout le monde connaît, la
-maison Tolstoï qui donne à la fois sur la rue de la Trinité et sur le
-canal de la Fontanka. Elle contient, je crois, près de deux cents
-appartements. Je laissai Sonia Grigorievna dans la seconde cour au pied
-de l’escalier qui conduisait chez elle.
-
-Seul, j’hésitai à regagner mon logis. J’étais gelé: j’avais envie de
-prendre un peu d’alcool pour me réchauffer. Comme je passais dans la
-première cour, j’aperçus de la lumière au troisième étage, aux fenêtres
-d’un appartement qu’habitait un prince géorgien que je connaissais. Je
-montai donc chez lui. Il y avait nombreuse compagnie; on buvait et on
-jouait aux cartes. Je m’assis à une table de bridge et jouai assez
-longtemps avec la malchance qui m’est coutumière.
-
-Vers trois heures, enfin, fatigué, je pris congé.
-
-Il faisait plus froid encore qu’à minuit: le ciel noir était criblé
-d’étoiles; le vent me coupait la figure. L’alcool dans les thermomètres
-devait descendre au-dessous de trente degrés Réaumur. Devant la porte,
-sur la Fontanka, des bûches brûlaient dans un brasero. Un dvornik,
-enfoui sous une épaisse touloupe et qui n’avait plus forme humaine,
-somnolait sur un banc près du feu.
-
-Je fis quelques pas vers la Perspective Nevski pour trouver un
-izvostchik. Je fus bien surpris de voir à quelque distance de moi une
-femme marcher, de tournure élégante. «Qui diable, me dis-je, peut être
-dehors à pied, si tard, par cette nuit glaciale?» Et comme je la
-dépassais, je me retournai pour la dévisager. Le hasard voulut qu’à ce
-moment-là elle se trouvât sous un réverbère. Je reconnus Sonia. Elle me
-vit et sa surprise fut aussi grande que la mienne, mais je devinai
-sur-le-champ que cette rencontre ne lui causait aucun plaisir.
-
---Au nom des dieux, que faites-vous ici? lui dis-je en la prenant par le
-bras.
-
-Elle hésita un instant. Elle se demandait sans doute si elle allait se
-fâcher et m’envoyer promener. Mais elle haussa les épaules et se mit à
-rire.
-
---Et vous? dit-elle. Quel coureur vous êtes! Une femme ne vous suffit
-donc pas pour une nuit?
-
---Je suis entré chez Tamamchef en vous quittant, répondis-je. J’ai joué
-au bridge et j’ai perdu. Cela n’a pas d’intérêt. Mais vous, Sonia
-Grigorievna, expliquez-moi pourquoi je vous retrouve ici. Je vous
-croyais depuis longtemps endormie. Y a-t-il eu un drame chez vous?
-Makharof vous a-t-il chassée?
-
-Et je me demandais avec un peu d’inquiétude si je n’avais pas une part
-de responsabilité dans ces événements surprenants et si ce qui s’était
-passé chez moi n’était pas la cause directe qui avait mis Sonia sur le
-trottoir, à trois heures du matin.
-
-Je sentais sous mon bras trembler le bras de la jeune femme.
-
---Mais vous mourez de froid, dis-je. Rentrons vite à la maison. Je vous
-offre volontiers l’hospitalité.
-
---Non, fit-elle, je n’irai pas chez vous. Je rentrerai dans mon
-appartement tout à l’heure, comme je le voudrai. Il n’y a aucun drame;
-je suis ici de mon propre gré. Si cela ne vous ennuie pas, tenez-moi
-compagnie un instant.
-
---Mais vous êtes folle, chère amie, folle à lier. Ce quai serait notre
-tombeau. Remontez chez vous ou venez chez moi.
-
---Non, non, reprit-elle avec obstination. Je ne puis rentrer encore. Il
-faut attendre un peu.
-
-Il y avait dans sa voix un accent si étrange que je me sentis pris d’une
-grande curiosité. Qu’est-ce qui pouvait retenir cette élégante et
-délicate femme à trois heures du matin sur le quai de la Fontanka, par
-une des nuits les plus froides de l’hiver? Et je voulais savoir tout de
-suite le mot de cette énigme.
-
-A ce moment, un coup de vent nous enveloppa. Nous étions gelés jusqu’à
-la moelle des os.
-
---Sonia Grigorievna, dis-je avec fermeté, je ne vous laisserai pas ici.
-Allons où vous voudrez, mais mettons-nous à l’abri. Y a-t-il encore un
-cabaret ouvert?
-
---Tout est fermé, dit-elle, se rendant enfin. Soit, allons chez vous.
-Mais nous garderons l’izvostchik, car je veux rentrer vers quatre
-heures.
-
-Nous nous dirigeâmes vers Nevski, sans parler. Comme nous arrivions près
-du pont, un traîneau nous croisa. Derrière le cocher, un homme était
-assis, enveloppé d’une fourrure dont le col relevé montait jusqu’aux
-yeux, rejoignant le bonnet enfoncé sur le front et sur les oreilles.
-
-Sonia Grigorievna eut un sursaut. Elle s’arrêta net, se retourna et
-suivit des yeux le traîneau. Il fit halte un peu plus bas devant
-l’immeuble Tolstoï.
-
---Eh bien, dis-je impatienté, marchons.
-
---Non, fit-elle, c’est inutile maintenant.
-
-Et ses yeux restaient fixés sur le traîneau à une centaine de pas de
-nous. L’homme en descendit, remit un billet à l’izvotschik et disparut.
-
---Je n’irai pas chez vous, me dit Sonia. Mais je n’oublierai pas que
-vous avez été très gentil aujourd’hui et j’y reviendrai, si vous voulez
-encore de moi, mon cher.
-
-Elle me sourit, tournant vers moi un fin visage qui était d’une extrême
-pâleur.
-
---Donnez-moi encore une minute, continua-t-elle.
-
-Et, sous un réverbère, elle sortit de son sac à main sa boîte de fard
-et un petit miroir qu’elle me tendit.
-
---Voulez-vous me tenir ce miroir? fit-elle.
-
-Je le pris et elle commença à se mettre un peu de rouge. Puis elle se
-passa une houppette de poudre de riz sur le nez.
-
---Suis-je bien ainsi? demanda-t-elle, lorsqu’elle eut fini.
-
-J’étais exaspéré. Vous me voyez aidant cette folle à faire sa toilette
-entre trois et quatre heures du matin, sur un quai, par un froid
-sibérien. Et puis je ne comprenais rien à la scène qu’elle me jouait.
-
---Je ne vous quitterai pas, fis-je, avant que vous m’expliquiez ce que
-tout cela signifie.
-
---Pas aujourd’hui, dit-elle avec une légère caresse de la main sur ma
-joue. Une autre fois, peut-être. Qui sait?
-
-Déjà elle m’échappait.
-
-Je rentrai chez moi, pestant contre les incompréhensibles caprices des
-femmes russes.
-
-Je n’eus pas longtemps à attendre pour satisfaire ma curiosité. Chose
-bizarre, j’avais pris ce soir-là un goût beaucoup plus vif pour Sonia
-Grigorievna. Je n’aime pas les gens tout simples et en qui l’on voit au
-premier coup d’œil. Ne l’eussé-je pas rencontrée sur la Fontanka, je
-n’aurais peut-être plus pensé à elle. Maintenant, au contraire, je
-voulais connaître son histoire. Je m’attachai à Sonia et, peu de
-semaines après, elle avait quitté l’appartement de Makharof pour habiter
-le mien. Je passe sous silence la vie que nous menâmes à deux pendant
-quelques mois. Elle fut assez curieuse et, bien que déchirée, m’a laissé
-un agréable souvenir. Mais je veux seulement vous raconter puisque les
-femmes russes vous intéressent, pourquoi Sonia Grigorievna se promenait
-sur la Fontanka par cette nuit si froide de janvier.
-
-Elle me le dit elle-même un jour, poussée par l’impérieux désir qu’ont
-les femmes de ce pays de parler de leur passé et d’évoquer, infernales
-nécromanciennes, entre les bras de leur amant, les ombres de ses
-prédécesseurs.
-
---Il y avait longtemps, me dit-elle, que je n’aimais plus Makharof quand
-je t’ai rencontré. Je savais qu’il me trompait; cela m’était
-indifférent. Je ne lui cachais pas que je lui étais infidèle. Il
-affectait de n’y attacher aucune importance; mais j’étais certaine qu’il
-ne croyait pas ce que je lui disais. Il se persuadait que je l’aimais
-toujours et que je mentais pour le simple plaisir de le faire enrager.
-Il ne pouvait imaginer qu’un homme tel que lui ne fût pas adoré. J’avais
-beau lui donner des détails précis, il n’y ajoutait aucune créance. Et
-d’abord cela m’exaspéra. Puis, en pensant sans fin à ce sujet, mes idées
-changèrent, je me dis: «S’il est sûr d’être aimé, c’est peut-être qu’au
-fond il m’aime encore. Sans doute, il a des maîtresses d’occasion, des
-passades, mais c’est à moi qu’il revient toujours; c’est avec moi qu’il
-habite; c’est moi qu’il veut trouver dans l’appartement quand il
-rentre.» Et dès lors, je ne m’intéressai plus qu’à une chose: savoir
-s’il m’aimait ou non. Il y avait un point sur lequel je le voyais très
-sensible: il tenait à ce que je fusse à la maison quand il lui plaisait
-d’y revenir. Note, en passant, que quand nous nous retrouvions, c’était
-le plus souvent pour nous quereller. Naturellement, il avait mille
-raisons ingénieuses pour expliquer pourquoi je devais l’attendre. Il
-fallait que le samovar fût prêt: je devais veiller à ce que les poêles
-chauffassent bien, etc., etc. Moi, qui avais compris tout cela, je
-m’arrangeais le plus souvent possible, et surtout le soir, pour ne pas
-être chez nous à l’heure où Makharof rentrait. Je me représentais
-Makharof me cherchant dans l’appartement, allant de pièce en pièce,
-m’appelant et, finalement, ivre de fureur, cassant quelque meuble.
-
-Les yeux de Sonia brillaient de plaisir au souvenir des tortures qu’elle
-avait fait subir à son amant.
-
---Le jour où j’ai dîné ici, continua-t-elle, Makharof m’avait dit en
-sortant qu’il serait rentré à minuit et qu’il voulait avoir quelque
-chose à manger avant de travailler. Tu te souviens que j’eus grand soin
-de ne retourner chez moi qu’à une heure du matin. Mais tu peux imaginer
-ma colère quand tu sauras que je ne trouvai personne à la maison. Je
-n’hésitai pas un instant, je remis ma fourrure et sortis...
-
---Et tu es restée ainsi deux heures dehors, risquant la mort, pour la
-seule et maigre satisfaction de penser au désappointement de Makharof
-lorsqu’il rentrerait dans un appartement où tu n’étais pas. Mais c’est
-absurde, ma chère Sonia!...
-
-Elle me regarda stupéfaite.
-
---Tu es Français, me dit-elle en haussant les épaules.
-
-Elle n’ajouta rien, comme si ce simple mot suffisait à évoquer l’abîme
-qui nous séparait.
-
-Mais je me piquai:
-
---Je comprends bien plus et bien mieux que tu ne l’imagines, repris-je.
-Je comprends que tu l’aimais encore, bien que tu ne voulusses pas te
-l’avouer. Sans doute, il t’aimait aussi. Et vous jouiez à cache-cache.
-Mais le diable m’emporte si j’ai jamais vu des gens qui missent un tel
-enjeu à la partie. Tu sais que tu risquais ta vie ce soir-là, sur la
-Fontanka.
-
-Elle ne répondit rien. Et il y eut entre nous un long silence. C’est moi
-qui le rompis.
-
---Et quand tu es entrée, dis-je, que s’est-il passé? Tu as eu ta scène
-sans doute, la scène que tu attendais, la scène que tu voulais
-provoquer, qui t’était aussi indispensable pour finir la journée et
-dormir tranquille qu’une dose d’opium à l’opiomane.
-
-Sonia sourit.
-
---Non, fit-elle, il n’y eut aucune scène et la fin de mon histoire est
-bien plus surprenante. Je te la raconterai puisque tu parais prendre
-plaisir à ces folies. Tu te souviens que je suis rentrée peut-être cinq
-minutes après Makharof. Eh bien, je te donne en mille de deviner comment
-je l’ai trouvé... L’appartement était sombre, pas une pièce n’était
-éclairée; Makharof était déjà couché, et il dormait à poings fermés. Il
-dormait!... Tu comprends bien que je n’ai pas été sa dupe. Il feignait
-de dormir. Il voulait ainsi me faire sentir qu’il lui était complètement
-indifférent que je fusse là ou que je n’y fusse pas, que je pouvais
-découcher si bon me semblait, pourvu que son sommeil n’en fût pas
-dérangé... Oui, mais moi je ne pouvais m’empêcher de rire en pensant à
-la hâte fébrile avec laquelle il s’était déshabillé, sans même fumer une
-dernière cigarette, sans même faire sa toilette, de façon à pouvoir
-paraître endormi si, par hasard, j’arrivais sur ses talons. Et je
-réfléchissais à la comédie qu’il me jouait ainsi. Il voulait se donner
-l’air--et à quel prix!--d’être indifférent. Il ne l’était donc pas. Je
-vis clair tout d’un coup. Cette fois-ci je savais la vérité: j’avais la
-preuve qu’il m’aimait encore. Ah! je ne puis te dire combien j’étais
-heureuse. Toutes les souffrances que le froid m’avait fait endurer
-pendant les deux mortelles heures d’attente sur la Fontanka étaient
-payées et largement... Et vois-tu, tout Français que tu es, tu avais
-peut-être raison tout à l’heure. Jusqu’à ce jour-là, tant que je doutais
-de lui, je l’aimais encore, sans doute. Mais, à partir de la minute où
-j’ai été fixée sur ses sentiments, il a perdu tout intérêt pour moi. Il
-est devenu soudain comme s’il n’était pas; je ne pouvais même arriver à
-comprendre comment j’étais restée attachée si longtemps à cet être
-brutal... La suite, tu la connais, et la preuve que je dis vrai, tu l’as
-devant toi, puisque je suis ici maintenant.
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-
-NADIA. 5
-
-VERA ALEXANDROVNA. 89
-
-SONIA GRIGORIEVNA. 125
-
-ACHEVÉ D’IMPRIMER
-LE 16 OCTOBRE 1922
-PAR F. PAILLART, A
-ABBEVILLE (SOMME)
-
-
-
-
-Dernières Publications de la Librairie BERNARD GRASSET
-
-61, rue des Saints-Pères, PARIS
-
-
-CLAUDE ANET:
-
-=Petite Ville= 6 75
-=Quand la terre trembla=, rom. 6 75
-=L’Amour en Russie= 5 »
-
-
-EMILE BAUMANN:
-
-=L’Immolé=, roman (2 vol.) 10 »
-=La Fosse aux Lions=, roman 6 75
-=Le Baptême de Pauline Ardel=, roman 6 75
-=Trois villes saintes= (Ars-en-Dombes,
- Mont-Saint-Michel,
- St-Jacques de Compostelle) 6 75
-
-
-ALPHONSE DE CHATEAUBRIANT:
-
-=Monsieur des Lourdines=, rom. 6 75
-
-
-JACQUES CHENEVIÈRE:
-
-=Jouvence ou la Chimère=, rom. 6 75
-
-
-EMILE CLERMONT:
-
-=Laure=, roman 6 75
-
-
-BENJAMIN CRÉMIEUX:
-
-=Le Premier de la classe=, rom. 6 75
-
-
-JEAN GIRAUDOUX:
-
-=Simon le pathétique=, roman 6 75
-=Provinciales=, nouvelles 6 75
-=L’Ecole des Indifférents= 6 75
-
-
-LOUIS HÉMON:
-
-=Maria Chapdelaine=, roman 6 50
-
-
-PAUL GSELL:
-
-Les matinées de la villa Saïd.
- =Propos d’Anatole France= 6 75
-
-
-GEORGES IMANN:
-
-=Les Nocturnes=, roman 6 75
-
-
-LÉON LAFAGE:
-
-=Les Abeilles mortes=, roman 6 75
-
-
-FRANÇOIS MAURIAC:
-
-=Le baiser au Lépreux= 5 »
-
-
-ANDRÉ MAUROIS:
-
-=Les Silences du Colonel Bramble= 5 75
-=Les Discours du docteur O’Grady= 6 75
-
-
-JEANNE MAXIME-DAVID:
-
-=La Victoire des dieux lares= 6 75
-
-
-PAUL REBOUX et CHARLES MULLER:
-
-=A la Manière de=... Les 3 séries
- en 2 vol., chaque vol. 5 75
-
-
-ANDRÉ SAVIGNON:
-
-=Les Filles de la Pluie= 6 75
-
-
-JACQUES SINDRAL:
-
-=La Ville éphémère=, roman 6 75
-
-
-ANDRÉ THÉRIVE:
-
-=Le Voyage de M. Renan=, rom. 6 75
-
-
-GRAND PRIX BALZAC
-
-JEAN GIRAUDOUX:
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-=SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN=
-
-Prix 6 75
-
-EMILE BAUMANN:
-
-=JOB LE PRÉDESTINÉ=
-
-Prix 7 »
-
-
-LES CAHIERS VERTS
-
-Publiés sous la direction de DANIEL HALÉVY
-
-
-_Cahiers non épuisés_:
-
- _Cinquième cahier._--ÉMILE CLERMONT: =Le Passage de l’Aisne= 5 »
- _Sixième cahier._--LOGAN PEARSALL SMITH: =Trivia= 5 »
- _Septième cahier._--LOUIS BERTRAND: =Flaubert à Paris= 6 »
- _Dixième cahier._--MARIE LENÉRU: =Saint-Just= 5 »
- _Onzième cahier._--PIERRE LASSERRE: =Philosophie du goût musical= 5 »
- _Douzième cahier._--ROBERT BROWNING: =Poèmes=, avec une étude
- sur la pensée et la vie de l’auteur par MARY DUCLAUX 6 »
- _Treizième cahier._--GEORGE MOORE: =Mémoires de ma vie morte= 6 50
-
-
- Typ. Grou-Radenez.--Paris.
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- The Project Gutenberg eBook of L'amour en Russie, par Claude Anet.
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-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of L'amour en Russie, by Claude Anet</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
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-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-
-<p style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Title: L'amour en Russie</p>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Claude Anet</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: November 24, 2021 [eBook #66810]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laurent Vogel, Chuck Greif and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This book was produced from images made available by the HathiTrust Digital Library.)</div>
-
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'AMOUR EN RUSSIE ***</div>
-<hr class="full" />
-
-<div class="figcenter">
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-
-<div class="bbox">
-<p class="c"><a href="#TABLE_DES_MATIERES"><b>TABLE DES MATIÈRES</b></a></p>
-</div>
-
-<p class="cb">CLAUDE ANET</p>
-
-<h1>L’amour<br />
-en Russie</h1>
-
-<p class="c"><small>QUINZIÈME ÉDITION</small><br /><br />
-
-PARIS<br />
-BERNARD GRASSET, ÉDITEUR<br />
-&mdash;&mdash;<br />
-MCMXXIII</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_1" id="page_1">{1}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_2" id="page_2">{2}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<h1>L’amour en Russie</h1>
-
-<table cellpadding="2" summary="deprecated">
-<tr><th colspan="2">OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:</th></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Voyage idéal en Italie.</span></td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Petite Ville.</span></td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Les Bergeries.</span></td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">La Perse en automobile.</span></td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Notes sur l’amour.</span></td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">La révolution russe.</span> (Mars 1917-Juin 1918)</td><td align="left">4 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Ariane</span>, <i>jeune fille russe</i>.</td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd">Les 144 quatrains authentiques d’Omar Khayyam,<br />
- traduits du persan en collaboration avec<br />
- Mirza Muhamad de Kazvin.</td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Tsar Saltan</span>, traduit de Pouchkine, illustré et<br />
- décoré par Nathalie Goutcharova.</td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Quand la Terre trembla</span> (Bernard Grasset, éditeur).</td><td align="left">1 vol.</td></tr>
-</table>
-
-<table cellpadding="2" summary="deprecated">
-<tr><th colspan="2">EN PRÉPARATION:</th></tr>
-<tr><td class="pdd"><span class="smcap">Notes sur l’amour</span>, avec dessins
-originaux de<br />
-Pierre Bonnard, gravés sur bois.</td></tr>
-</table>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_3" id="page_3">{3}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p class="cb">CLAUDE ANET</p>
-
-<h1>L’amour<br />
-en Russie</h1>
-
-<p class="cb"><img src="images/colophon.png"
-width="70"
-alt="" />
-<br />
-<br />
-PARIS<br />
-BERNARD GRASSET<br />
-61, RUE DES SAINTS-PÈRES<br />
-<br />
-1922<br />
-<span class="pagenum"><a name="page_4" id="page_4">{4}</a></span></p>
-
-<div class="blockquot"><p class="nind">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE DIX EXEMPLAIRES SUR JAPON IMPÉRIAL
-NUMÉROTÉS DE 1 A 10; TRENTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER HOLLANDE V G
-NUMÉROTÉS DE 11 A 40 ET SOIXANTE-DIX EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN
-PUR FIL LAFUMA NUMÉROTÉS DE 41 A 110</p></div>
-
-<p class="c">
-Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés<br />
-pour tous pays.<br />
-<br />
-<i>Copyright by Claude Anet 1922.</i><br />
-<span class="pagenum"><a name="page_5" id="page_5">{5}</a></span></p>
-
-<h1>L’amour en Russie</h1>
-
-<hr />
-
-<p>Si Stendhal avait connu la Russie, il l’aurait adorée. Il n’y aurait vu
-nulle part la vanité desséchante qu’il abhorrait en occident. Il y
-aurait trouvé quelque chose qui n’est que de ce pays-là&mdash;une certaine
-façon directe de regarder et de traiter les choses de l’amour, en dehors
-de toutes conventions mondaines et sociales, une volonté arrêtée de
-décider chaque cas passionnel en soi, sans s’inquiéter des convenances
-et des habitudes, et surtout sans se préoccuper de ce qu’en penseront
-les voisins. Il y a en Russie un mépris complet de l’opinion publique.
-Et encore, en écrivant cela, je reste l’esclave des formes occidentales.
-Pour un<span class="pagenum"><a name="page_6" id="page_6">{6}</a></span> Russe qui aime, il n’y a pas d’opinion publique; donc il ne
-peut la mépriser. Tout drame d’amour est un drame à deux ou à trois,
-«entre colonnes». Le chœur antique, qui n’est jamais absent de la scène
-dans nos sociétés européennes (Dame Gossip dans les romans de Meredith),
-ne figure pas dans la tragédie russe.</p>
-
-<p>De là quelque chose de magnifiquement spontané dans la naissance et dans
-le développement des passions. L’amour en occident évoque l’idée d’un
-jardin à la française où les eaux coulent dans des canaux tracés avec
-art, s’étalent dans de beaux bassins sous des ombrages taillés, et
-gardent dans leur cours quelque chose de noble et de retenu. Partout on
-sent l’action du commandement suprême: «Tu n’iras pas plus loin.» Le
-désordre et l’imprévu ne peuvent y trouver leur place. Cette contrainte
-est impossible en Russie. On n’y souffre les liens ni de la loi, ni des
-usages, ni, j’ose le dire, de la raison. De là, pour le Russe,
-l’obligation de créer à chaque jour sa vie, d’agir à tout instant
-suivant la logique de ses sentiments. Il n’est pas comme le juge anglais
-qui ne décide que sur précédents;<span class="pagenum"><a name="page_7" id="page_7">{7}</a></span> il n’y a pas d’usage; chaque cas est
-nouveau pour lui; il se sent libre de le traiter suivant ses émotions du
-moment. Il ne songe ni au passé, ni à l’avenir. Une liberté d’action si
-grande, un manque si total de tradition amènent, comme on l’imagine, les
-situations les plus surprenantes, les résultats, à nos yeux, les plus
-imprévus.</p>
-
-<p>Mais ces situations ont pour nous un prix inestimable, car elles sont
-toujours le produit d’un jeu libre des sentiments et des passions et ne
-doivent rien à l’odieux <i>cant</i>, au haïssable «qu’en-dira-t-on?» qui
-règne sur le monde européen. La solution russe, quelle qu’elle soit, a
-une valeur parce qu’elle est sortie naturellement d’un pur conflit
-passionnel et qu’elle nous montre ainsi «notre cœur à nu».</p>
-
-<p>Dans un conflit analogue, en France ou en Angleterre, mille éléments
-étrangers interviennent dans le débat. Un mari trompé, s’il y a
-scandale, est obligé de penser au divorce ou à la séparation; l’honneur
-marital ne lui permet pas d’accepter ce que l’on considère, on ne sait
-trop pourquoi, comme un affront.</p>
-
-<p>Si, seul en face de lui-même, il incline à la<span class="pagenum"><a name="page_8" id="page_8">{8}</a></span> solution paresseuse, le
-monde est là pour le contraindre à l’action. Famille, voisins, amis,
-relations de cercle ou d’affaires ne lui laissent pas la possibilité de
-vivre à sa guise. Il sent le poids de l’opinion publique, hélas!
-toute-puissante sur un homme sociable et qui ne s’appartient pas.</p>
-
-<p>Cette contrainte est si ancienne dans nos sociétés occidentales qu’elle
-n’a plus besoin de s’exercer extérieurement tant elle a gagné d’empire à
-l’intérieur des âmes. On en arrive à se demander si la plupart de nos
-contemporains sont capables d’un acte spontané, jailli du fond
-d’eux-mêmes, et si, aujourd’hui, en face d’un fait donné, ils ne
-réagissent pas automatiquement, en suivant les ordres secrets imprimés
-en eux par une tradition séculaire de vie menée en société et sous le
-regard des voisins. L’individu échappe à cet esclavage en Russie.</p>
-
-<p>Ce qu’il fait de sa liberté au delà de la Vistule est une autre affaire;
-mais, s’il la sacrifie, ce n’est pas à un faux point d’honneur et à des
-convenances qui n’ont, à ses yeux, rien à voir dans la matière.<span class="pagenum"><a name="page_9" id="page_9">{9}</a></span></p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p>Les esprits européens se tromperaient grandement s’ils voulaient
-conclure de cette faiblesse du sentiment social et de cette absence de
-tradition à un manque de culture et de civilisation. C’est une autre
-civilisation, raffinée, profonde, subtile plus que la nôtre, avec des
-complications presque incompréhensibles pour nous, et qui se développe
-sur un rythme et avec des cadences qui nous sont étrangers; c’est un
-bouillonnement de forces désordonnées, presque vierges, incontrôlables;
-ce sont les contrastes que l’on trouve sur la terre russe, glacée
-pendant six mois de l’année, où le printemps donne le vertige, où l’été
-est accablant comme dans l’Asie centrale.</p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p><span class="smcap">Le don juanisme et la Russie.</span>&mdash;Don Juan est né en Espagne. Mais il est
-de France, d’Angleterre et d’Italie. Je l’ai cherché dans mes<span class="pagenum"><a name="page_10" id="page_10">{10}</a></span> voyages
-en Russie. Je ne l’ai trouvé nulle part, ni chez mes contemporains, ni
-dans les récits des femmes, ni dans les légendes, ni parmi les héros des
-romanciers. Il ne figure pas dans l’étonnante collection des types
-russes que Gogol a immortalisés dans les <i>Ames mortes</i>; il n’est ni chez
-Dostoievski, ni chez Tolstoï, ni chez Lermontof, pas plus que chez
-Gontcharof, Griboiedof ou Tchekhof. Pouchkine a écrit, à l’imitation de
-Byron, un <i>Don Juan</i> qui n’a pas un trait spécialement russe. Ailleurs,
-son <i>Eugène Onéguine</i> est un assez plat dandy. Don Juan n’est pas de ce
-pays<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>. Lorsque je fis cette découverte, j’eus un frisson de plaisir à
-voir s’ouvrir devant moi une belle piste de pensées qui me ferait
-pénétrer plus avant dans la connaissance de l’âme russe, voire dans
-celle de Don Juan. Pas de Don Juan dans ce pays où les passions de
-l’amour sont si fortes! Et je me suis mis à en chercher les raisons.</p>
-
-<div class="footnote"><p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a> Le seul Don Juan russe que j’aie trouvé est le prince
-Korasof dans <i>le Rouge et le Noir</i>. Le petit cours de don juanisme qu’il
-fait à Julien Sorel est excellent, mais ce Russe me paraît être devenu,
-à notre contact, tout à fait européen, ce qui n’est, du reste, pas
-impossible. Enfin il est là en qualité de conseiller. Garderait-il dans
-la passion ce beau sang-froid qui étonne Julien.<span class="pagenum"><a name="page_11" id="page_11">{11}</a></span></p></div>
-
-<p>Un jeune officier qui court les femmes, les filles et les soupers n’est
-pas un Don Juan. Il dépense un surplus de force, sans choix au hasard de
-rencontres où il ne mêle que la partie animale de lui-même.</p>
-
-<p>Don Juan est une volonté qui n’abdique jamais. Il domine, et les
-événements, et les femmes qu’il presse dans ses bras. Quoi qu’il arrive,
-il reste maître de soi.</p>
-
-<p>Le souci de la maîtrise de soi est un sentiment étranger à l’âme russe.
-Elle a, du reste, des détentes si brusques qu’elles défient tout cran
-d’arrêt. Le Russe ne cherche pas à dominer et à être vainqueur dans
-l’éternel duel de l’amour. Aime-t-il? il met son orgueil à se laisser
-tyranniser par sa maîtresse. Il trouve une joie amère à s’abaisser. En
-lui, l’idée de sacrifice est toujours forte. Il croit se grandir ainsi
-aux yeux mêmes de l’être auquel il se donne. (Fatale erreur!) A l’avance
-il est prêt à accepter toutes les humiliations, et la femme ne les lui
-ménage pas. Que nous sommes loin du don juanisme!</p>
-
-<p>Cet abandon de soi-même a de multiples conséquences. J’en indique une de
-caractère<span class="pagenum"><a name="page_12" id="page_12">{12}</a></span> physiologique, avec la retenue dans les mots qu’un sujet
-délicat comporte.</p>
-
-<p>L’amour, commerce des âmes, est aussi un rapprochement des corps. Les
-organismes féminins et masculins évoluent dans cette prise de contact
-suivant la cadence d’un rythme différent:&mdash;la femme, à l’ordinaire, sur
-un mode ralenti; l’homme dans un <i>tempo</i> plus accéléré. Il est pourtant
-essentiel que ces parties soient concertées. Cela implique une grande
-sûreté de soi chez l’homme qui, tout tendu qu’il est, doit savoir
-patienter, altruiser, amener la femme au point où il en est lui-même et
-ne la prendre enfin qu’à l’instant où elle se donne. Si l’homme, ne
-songeant qu’à soi, se rue sur une femme qui ne l’attend pas, il la
-froisse, il la blesse, et pratique sur elle un viol véritable. La femme,
-exaspérée de n’avoir pas touché le bonheur promis, se venge longuement
-des déconvenues du lit.</p>
-
-<p>Le Russe qui s’abandonne à ses passions avec tant de joie saura-t-il à
-la minute décisive rester maître de lui? Cela est peu probable. Et l’ère
-s’ouvre des durables malentendus.</p>
-
-<p>Les âmes éthérées repousseront avec horreur<span class="pagenum"><a name="page_13" id="page_13">{13}</a></span> cette explication
-matérialiste. Aussi je m’empresse de leur en fournir une autre qui les
-satisfera davantage.</p>
-
-<p>Don Juan ne triomphe pas seulement dans la physique de l’amour. Il veut
-aussi régner sur les âmes et n’ignore pas les voies par où on y arrive.
-Est-il une femme si haut placée qu’elle soit, si orgueilleuse qu’on
-l’imagine, qui ne désire ardemment, sans peut-être même se l’avouer,
-rencontrer enfin l’être supérieur auquel elle sera heureuse d’obéir? Le
-tout de l’amour n’est-il pas pour la femme dans un acte de soumission,
-voire d’anéantissements, aux pieds d’un maître et le geste de la
-Madeleine devant le Christ n’est-il pas le geste suprême par lequel la
-femme atteint au bonheur?</p>
-
-<p>Mais notre Russe, bien éloigné de se faire laver les pieds par sa
-maîtresse, n’aspire qu’à se précipiter aux genoux de celle qu’il adore
-et à les inonder de ses larmes.</p>
-
-<p>Et pourtant il est aimé, lui aussi. Mais de quel étrange amour, où
-l’orgueil, la fierté d’âme, le désir du sacrifice, l’amour-propre qui ne
-veut<span class="pagenum"><a name="page_14" id="page_14">{14}</a></span> pas reconnaître ses erreurs jouent le rôle principal. La femme
-russe s’attache à des raisons morales; elle exalte en son amant une
-qualité qu’elle croit y apercevoir. Elle pense à un moment où il s’est
-montré supérieur à lui-même. Et la femme russe est si merveilleusement
-douée, un composé si étrange de défauts et de qualités qui se
-contredisent&mdash;en vérité, on ne sait comment ils peuvent vivre
-ensemble,&mdash;que l’on voit dans ce pays des liaisons cimentées de la façon
-la plus artificielle et pourtant durables. Mais aussi que de ruptures
-brusques, inattendues, inexplicables!</p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p>Continuons notre promenade. Dans ce pays où la vanité ne joue presque
-aucun rôle, la femme ne juge pas qu’il lui soit avantageux de paraître
-inaccessible. Elle se rend avec une facilité surprenante et pour des
-raisons si simples, ou si compliquées, qu’il faut renvoyer à un autre
-chapitre (ou volume) d’en rechercher les causes. La lutte qui remplit
-une partie de notre litté<span class="pagenum"><a name="page_15" id="page_15">{15}</a></span>rature entre le devoir et la passion n’existe
-guère chez les Slaves.</p>
-
-<p>La femme commence là-bas par où elle finit chez nous: elle se donne.
-Nous mettons un point final à l’histoire. Elle ne fait que commencer en
-Russie. La conquête de la femme s’y fait après ce que les romantiques
-appellent la chute et «les dernières faveurs» sont pour elle les
-premières. Alors seulement commence le combat véritable, une lutte plus
-secrète, plus ardue, plus subtile...</p>
-
-<p>Mais notre Don Juan a ajouté un nom à la liste des mille et trois et,
-sans se soucier davantage de ce qu’il regarde comme une place qui a
-capitulé, vole à une autre conquête.</p>
-
-<p>Ainsi ne peut-il goûter en Russie aucune jouissance d’orgueil. Mauvais
-terrain pour Don Juan. Cherchera-t-il son plaisir dans la conquête
-morale d’une femme qu’il a déjà eue dans ses bras? Cela est peu dans le
-caractère de Don Juan, occidental qui pense qu’une femme, après le don
-de son corps, ne peut lui offrir rien de plus précieux.</p>
-
-<p>Un peu plus loin encore... Quelle est la plus<span class="pagenum"><a name="page_16" id="page_16">{16}</a></span> haute et la plus
-difficile conquête de Don Juan? Celle d’une femme pieuse. Quel est le
-rival le plus difficile à vaincre? Dieu. Aussi faut-il que la discipline
-religieuse la plus étroite, la plus raisonnable ait formé l’âme de cette
-femme, qu’elle soit menée au jour le jour dans les chemins du devoir,
-qu’elle n’ait pas une vue mystique de la Divinité, car par la porte du
-mysticisme où ne va-t-on pas et dois-je rappeler ici le mot admirable de
-Mᵐᵉ Krudener à son amant au moment qu’il lui faisait sentir l’aigu du
-plaisir de la chair: «Ah! Dieu, je te demande pardon de l’excès de mon
-bonheur!», donnant par ce cri, que peut seule se permettre une mystique,
-un prix presque divin à une joie terrestre? Il faut que cette femme soit
-dirigée par un prêtre plein de sévérité et de raison, qu’elle soit
-attachée à la lettre et à l’esprit de la loi divine. Don Juan, alors,
-comme Jacob, se collette avec Dieu. Il n’est pas de lutte plus
-difficile; il n’est pas de victoire plus glorieuse.</p>
-
-<p>Mais, cette femme, où la trouver en Russie? Où chercher la discipline
-d’esprit, l’amour de la règle, l’éducation rationnelle des âmes? Le<span class="pagenum"><a name="page_17" id="page_17">{17}</a></span>
-mysticisme est si profond dans ce peuple qu’il s’y allie au matérialisme
-le plus grossier. S’il s’empare d’une âme religieuse, il y amène
-l’étonnant déchaînement de sensualité qu’on voit dans tant de sectes
-russes. Notre Don Juan, que fera-t-il de ces mystiques par qui la
-chair&mdash;dont pourtant elles tirent tant de joies&mdash;est considérée comme
-sans valeur!</p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p>L’ennui, ce n’est pas assez dire, le désespoir, «l’âme malade» des
-femmes russes est la cause suffisante des succès des hommes à bonne
-fortune dans ce pays. Il faut aller plus loin. Le désir de s’humilier,
-le dégoût de soi-même, d’autant plus grand que l’âme est plus haute,
-l’attirance des bas-fonds, le vertige que l’on a quand on les regarde
-d’une grande élévation, une religion toute pleine de mysticisme et de
-peu de secours dans le train ordinaire de la vie,&mdash;voilà les causes
-profondes qui expliquent les catastrophes où sombrent beaucoup de nobles
-vies.<span class="pagenum"><a name="page_18" id="page_18">{18}</a></span></p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p>Je l’ai dit: les femmes russes commencent par se donner. Les
-Européennes, qui savent mettre un prix élevé leur conquête, qui se
-défendent avec tant d’art et qui ne se rendent qu’après un long siège,
-disent avec un peu de mépris:&mdash;Voilà des femmes faciles et qui ne
-s’estiment pas bien haut.</p>
-
-<p>Mais les Russes répondent:&mdash;Pourquoi faire du don de votre corps une
-chose si précieuse? Avec tous vos grands airs, vous êtes au fond des
-matérialistes assez vulgaires. Les efforts par lesquels vous défendez
-votre chair, nous les réservons pour la défense de notre âme. Un homme
-qui possède votre corps est-il donc votre maître? Lui avez-vous tout
-donné en tombant dans ses bras? N’est-il rien que vous mettiez au-dessus
-du commerce de la chair? Est-ce là ce qu’il y a de plus précieux en
-vous? N’avez-vous pas un jardin secret dont vous gardez la clef?<span class="pagenum"><a name="page_19" id="page_19">{19}</a></span></p>
-
-<p class="casst">*<br />* *</p>
-
-<p><span class="smcap">Les Filles.</span>&mdash;Le peuple anonyme des filles remplit les villes petites et
-grandes de la Russie. Il a sa plèbe obscure et affamée&mdash;j’ai vu sur les
-quais de Kertch, une «ex-femme», une ivrognesse en haillons se prêter
-aux débardeurs derrière des tas de marchandises pour une pièce de cinq
-kopeks (douze centimes et demi)&mdash;et ses étoiles de première grandeur.</p>
-
-<p>Il est difficile de donner ici des caractéristiques qui, à force d’être
-générales, finiraient par n’être plus que des mots vides de sens. Et
-pourtant, devant ce sujet, je sens bien que les filles russes ont
-quelque chose au fond d’elles, oui, même chez les plus basses, qui ne
-permet pas de les assimiler à leurs sœurs françaises, anglaises ou
-allemandes.</p>
-
-<p>Il semble qu’elles ne se livrent pas tout entières, qu’elles s’arrangent
-dans l’excès de leur humilité et de leur abaissement pour garder de quoi
-se racheter à leurs propres yeux.</p>
-
-<p>D’autre part, elles n’ont pas l’amour de leur<span class="pagenum"><a name="page_20" id="page_20">{20}</a></span> métier. Elles n’aiment
-pas la besogne bien faite. Elles n’y apportent ni science, ni art, ni
-complaisance, et je suis sûr qu’elles jugeraient très dépravées leurs
-consœurs occidentales et horizontales qui connaissent plus d’un tour.
-«They have’nt good bed room’s manners», me disait un Anglais qui savait
-que ces manières-là on ne les trouve guère qu’en France, pays de grande
-et antique civilisation. Elles sont celles en qui vont les péchés d’un
-peuple, pour employer une expression bien inutilement religieuse de
-Mallarmé, et à cela se borne leur ambition.</p>
-
-<p>Dans la classe plus relevée qui fréquente les music-halls et les
-cabarets, il ne semble pas que la technique se soit développée, mais
-certains traits particuliers apparaissent. Ces filles n’acceptent guère
-de gagner mécaniquement leur vie: il faut les intéresser à ce qu’elles
-font et elles ne tolèreraient pas que l’homme se montrât égoïste. Elles
-ne veulent pas jouer la comédie du plaisir; elles entendent le partager.
-Étranges professionnelles!</p>
-
-<p>Dans cette famille-là, on trouve la variété des soupeuses. Ce sont des
-filles dont le<span class="pagenum"><a name="page_21" id="page_21">{21}</a></span> métier est d’être les compagnes des gens qui passent la
-nuit au cabaret. Elles s’assoient à leur table, écoutent les tziganes
-qu’ils ont fait venir dans leur cabinet particulier, mangent pour
-vingt-quatre heures, boivent du champagne, aident les hommes à se griser
-et, au petit jour, s’en vont chez elles à moitié saoules, mais pareilles
-à la grande Isis, dont nul n’a soulevé le voile.</p>
-
-<p>Plus haut, la courtisane rejoint la femme dont, comme on sait, on peut
-tout dire quand elle est russe. Je pense qu’il est plus rare que partout
-ailleurs de voir une courtisane mourir ici dans l’opulence, non pas
-qu’il ne lui soit passé beaucoup d’argent dans les mains, mais par
-incapacité de le retenir. Elle est souvent épousée, sans qu’elle ait le
-moindre souci de finir ses jours dans la respectabilité. Si elle se
-marie, ce n’est certes pas par déférence pour l’opinion, mais parce que
-«cela se trouve ainsi», et à l’ordinaire, parce qu’un de ses amants l’en
-a longuement suppliée. Ah! que la Volga est éloignée de la Seine! Ce
-mariage n’a qu’une brève durée, semblable en cela, du reste, à la
-plupart des<span class="pagenum"><a name="page_22" id="page_22">{22}</a></span> mariages russes. Le patient édifice construit pierre à
-pierre par une de nos ingénieuses et économes ouvrières françaises, cet
-édifice qui devient maison bourgeoise ou palais, ne peut être élevé sur
-le friable sol russe.<span class="pagenum"><a name="page_23" id="page_23">{23}</a></span></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_24" id="page_24">{24}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_25" id="page_25">{25}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<h2><a name="NADIA" id="NADIA"></a>NADIA</h2>
-
-<p>Le jeune lieutenant de dragons, Alexandre Naudin, avait suivi pendant un
-an l’excellent cours de russe que professe, à l’École des langues
-orientales vivantes de Paris, M. Paul Boyer. Il savait la grammaire, la
-syntaxe et les lois compliquées de la phonétique russe. Il était capable
-de lire un texte facile mais il parlait avec peine. Il décida de se
-perfectionner dans cette langue ardue, demanda et obtint un congé de
-trois mois pour un voyage d’études au pays des tsars. Il faut avouer
-qu’il était attiré aussi en Russie par les récits des camarades qui l’y
-avaient précédé et en avaient rapporté des souvenirs bien séduisants.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin (il était fils d’Édouard Naudin, de la maison Leredu,
-Naudin, Jouaust<span class="pagenum"><a name="page_26" id="page_26">{26}</a></span> et Cⁱᵉ, bonneterie en gros, à Troyes, le premier crédit
-de la place), avait des rentes suffisantes pour se permettre de voyager
-agréablement sans être obligé de consulter à chaque fin de journée
-l’état de sa bourse.</p>
-
-<p>Il se rendit directement de Paris à Moscou par Varsovie. Là, il fit la
-connaissance d’un officier, Serge Platonof, avec lequel il passa
-quelques soirées. Ils allèrent dans les lieux de plaisir, entendirent
-des chanteuses françaises et des girls anglaises, applaudirent des
-acrobates japonais et des lutteurs de Carélie. Le commencement de
-juillet était déjà chaud et orageux, comme il arrive à Moscou, et le
-séjour de la ville lui parut sans agrément. Comme il s’en ouvrait à son
-nouvel ami, celui-ci lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;Il faut venir chez nous en hiver. Tous nos amis sont maintenant aux
-eaux du Caucase, en Crimée ou dans leurs biens. C’est là que vous verrez
-la société russe. Puisque vous êtes libre de votre itinéraire, allez
-donc au Caucase. La nature y est riche, avec quelque chose de sauvage
-que vous ne connaissez pas en Europe. Vous y trouverez des femmes
-ravissantes et<span class="pagenum"><a name="page_27" id="page_27">{27}</a></span> faciles; cela a son prix quand on voyage. Je vous
-donnerai une lettre pour un de mes amis qui est aide de camp du vice-roi
-à Tiflis. Grâce à lui, je pense que votre séjour sera plein d’agrément.</p>
-
-<p>Deux jours après, Alexandre Naudin montait dans le train de luxe qui
-mène aux eaux du Caucase par Rostof sur le Don; mais il ne s’arrêta ni à
-Piatigorsk, ni à Essentouki. Les stations d’eaux modernes lui
-paraissaient peu dignes d’intérêt. Il voulait voir des sites et des
-cités qui eussent plus de couleur locale et continua sa route jusqu’à
-Vladicaucase, charmante petite ville située au nord des derniers
-contreforts de la chaîne élevée qui sépare le Transcaucase des plaines
-du Caucase septentrional et de la Russie.</p>
-
-<p>Il passa la fin de l’après-midi et la soirée dans le beau jardin de la
-ville sur les bords du Térek dont les flots limoneux arrivent en
-bondissant tout droit des montagnes. La chaleur était grande déjà. Les
-habitués du jardin, dès six heures, venaient chercher la fraîcheur sous
-les ombrages au long des eaux courantes. Les<span class="pagenum"><a name="page_28" id="page_28">{28}</a></span> parents s’asseyaient au
-restaurant, jouaient à la préférence ou au vinte. Les jeunes filles,
-gymnasistes et autres déjà sorties des écoles, se promenaient par
-couples dans les allées. Elles portaient toutes des robes de toile
-blanche très fine, et, à cause de la température élevée, elles n’avaient
-sous leur robe exactement qu’une chemise, ce dont, lorsqu’elles
-passaient entre le soleil couchant et un observateur intéressé, il était
-aisé de se convaincre.</p>
-
-<p>Le jeune Alexandre Naudin se crut entré dans le paradis des houris dès
-son arrivée en Orient. Assis sur un banc, il savourait la volupté tiède
-de l’heure, en regardant flâner devant lui ces jeunes filles, riantes ou
-sérieuses, dont plus d’une lui jetait, comme au vol, un coup d’œil vif
-au passage. De beaux yeux noirs qui se ferment à moitié, un éclair
-soudain de dents blanches entre des lèvres qui ne doivent leur rougeur
-qu’au sang frais de l’adolescence, les tissus légers et presque
-transparents qui couvraient ces corps juvéniles, il y avait là de quoi,
-il faut en convenir, faire perdre la raison à un officier de dragons de
-l’armée française. Alexan<span class="pagenum"><a name="page_29" id="page_29">{29}</a></span>dre Naudin pensait déjà à ne pas quitter
-Vladicaucase et à y achever le temps de son congé. Où trouverait-il un
-plus agréable jardin, des eaux plus fraîches, un décor de montagnes plus
-pittoresque et des femmes plus séduisantes?</p>
-
-<p>Mais il faut avouer qu’au sein même de ces délices le jeune lieutenant
-éprouvait un certain malaise. Ces beautés n’étaient point des femmes,
-mais des jeunes filles. Alexandre Naudin avait reçu une éducation
-excellente, dans sa famille bourgeoise d’abord, ensuite à l’école des
-Postes, et au régiment enfin. Et comme un jeune homme bien élevé, il
-n’avait jamais eu l’impertinence de discuter les idées traditionnelles
-qu’on lui avait inculquées et les règles de conduite qu’il faut suivre.
-Or, il est évident, bien que sous-entendu, qu’un jeune homme, et surtout
-un officier, et singulièrement un officier de cavalerie, le monde lui
-appartient: il peut y faire, comme on dit, les quatre cents coups, à
-condition de ne pas toucher aux jeunes filles. Les jeunes filles, on les
-épouse, mais on ne s’amuse pas avec elles. Ces commandements de la
-morale qui a fait la force de notre pays y sont, grâce à Dieu,
-res<span class="pagenum"><a name="page_30" id="page_30">{30}</a></span>pectés aujourd’hui, et pour longtemps encore, je l’espère.</p>
-
-<p>Aussi la présence de ces jeunes filles ne laissait-elle pas que
-d’inquiéter notre lieutenant. Alexandre Naudin pensait avec Leibnitz,
-qu’il n’avait jamais lu, que toutes choses sont réglées pour le mieux
-dans le meilleur des mondes, que les jeunes filles sont faites pour être
-épousées, qu’épouses, elles ont des enfants et deviennent du coup
-sacrées, et que pour les plaisirs naturels des hommes, il est une classe
-de femmes, nombreuse, variée, où l’on peut exercer sans scrupule de
-conscience le droit de choix. A trente ans, je le sens bien, Alexandre
-Naudin qui n’est pas un nigaud aura fait quelques pas de plus et compris
-des choses qui lui échappent encore. Mais quoi? il n’a que vingt-quatre
-ans au moment où cette histoire commence et finit.</p>
-
-<p>Il hésitait donc à aborder ces jeunes filles qui lui souriaient pourtant
-avec sympathie. Sous le feu de leurs regards, il brûlait, mais n’osait
-déclarer sa flamme. Vingt fois, il fut sur le point de se décider; vingt
-fois il recula. Cependant il<span class="pagenum"><a name="page_31" id="page_31">{31}</a></span> se promenait dans les allées éclairées,
-bombant le torse, tendant le mollet. Pour mettre le comble à son
-malheur, les jeunes filles étaient toujours par groupe de deux, de trois
-ou de quatre. En eût-il trouvé une isolée, peut-être l’aurait-il
-poursuivie. Mais on voit la difficulté qu’il y a à entrer en
-conversation avec plusieurs jeunes filles, riantes et moqueuses, surtout
-lorsqu’on ne parle pas couramment leur langue, malgré les excellentes
-leçons de M. Paul Boyer.</p>
-
-<p>Il passa ainsi une soirée délicieuse et tourmentée, et l’âme pleine de
-regrets, il quitta le jardin de la ville pour une nuit agitée dans un
-médiocre lit d’hôtel.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, il prenait place à la première heure dans une des
-nombreuses automobiles assurant le service entre Vladicaucase et Tiflis
-par la fameuse route militaire de Géorgie qui franchit la chaîne du
-Caucase.</p>
-
-<p>La beauté des sites traversés, leur variété, leurs contrastes ramenèrent
-la paix dans l’âme de notre voyageur. Il chemina d’abord dans les gorges
-au fond desquelles coule le Térek mugissant. Il admira, sur un roc élevé
-dominant<span class="pagenum"><a name="page_32" id="page_32">{32}</a></span> la rivière, les ruines du château de la reine Tamara d’où l’on
-précipitait au matin dans les eaux écumantes les voyageurs dont cette
-femme altière avait bien voulu faire ses amants d’une nuit.</p>
-
-<p>Après deux heures et demie de montée continue, et après avoir traversé
-la passe fameuse du Dariel, l’automobile arriva à la station de poste du
-Kasbek où un déjeuner était préparé. Alexandre Naudin mangea de grand
-appétit des écrevisses pêchées dans les torrents glacés des montagnes;
-on lui servit du vin capiteux de Kachétie et, en attendant le départ de
-la voiture, il fuma une cigarette en face du pic volcanique du Kazbek
-qui élève à plus de cinq mille mètres ses neiges éternelles et ses rocs
-où fut enchaîné Prométhée. Il se sentait plein d’allégresse et se
-félicitait d’avoir suivi le conseil de son camarade de Moscou qui
-l’avait envoyé au Caucase. Les heures passées au jardin de la ville à
-Vladicaucase paraissaient lui promettre dans un avenir prochain des
-félicités sans pareilles et ce fut de la meilleure humeur du monde qu’il
-poursuivit son voyage en automobile à travers les<span class="pagenum"><a name="page_33" id="page_33">{33}</a></span> régions sauvages et
-grandioses de l’Ossétie.</p>
-
-<p>Après une heure et demie encore de montée, ils atteignirent le sommet du
-col, la passe Krestovski, qui est à près de deux mille cinq cents
-mètres, et, avec la longue descente sur Tiflis, ce furent de nouveaux
-enchantements. Comme par miracle, le paysage changea en un clin d’œil.
-Plus de gorges resserrées, mais de vastes étendues. Un large panorama
-s’ouvrait devant les yeux ravis de notre lieutenant. Dans cette marche
-rapide vers le sud et les pays brûlés de soleil, la végétation devenait
-à chaque instant plus riche. Des souffles tièdes et parfumés passaient
-dans l’air et les noms mêmes des villages traversés, Passanaour,
-Ananaour, avaient quelque chose de voluptueux.</p>
-
-<p>Vers les quatre heures, Alexandre Naudin aperçut dans le lointain, tapie
-dans une vallée aux flancs rocheux et dénudés, une grande ville
-au-dessus de laquelle flottait une buée. C’était Tiflis.</p>
-
-<p>Il n’y arriva qu’à six heures. La chaleur était grande encore; il était
-couvert de poussière et meurtri par les cahots de la route. Il
-descendit<span class="pagenum"><a name="page_34" id="page_34">{34}</a></span> à l’hôtel de Londres, au bord de la Koura.</p>
-
-<p>Il était dans une telle fièvre à l’idée de jouir rapidement de la vie
-caucasienne qu’il porta, le soir même, la lettre de recommandation qui
-lui avait été remise pour l’officier d’ordonnance du vice-roi et il eut
-presque un accès de désespoir lorsqu’il apprit que cet officier, Ivan
-Iliitch Poutilof, était pour trois jours encore aux eaux de Borjom. Il
-lui semblait qu’il ne rattraperait jamais ces trois jours perdus, car
-notre ami Alexandre Naudin sentait bien que, dans un pays si neuf pour
-lui, il avait besoin d’un guide et que, laissé à lui-même, il ne saurait
-découvrir les charmes secrets de Tiflis.</p>
-
-<p>Force lui fut de prendre patience et il consacra ces trois jours «rayés
-de ma vie», disait-il, à parcourir la ville et à se familiariser avec
-les lieux où il se promettait tant de bonheur. Bien qu’il fût seul et
-qu’il n’eût pas beaucoup de ressources en lui-même, Alexandre Naudin
-prit plus de plaisir qu’il ne l’espérait à visiter Tiflis.</p>
-
-<p>Il parcourut les bazars et la vieille ville où la Koura est serrée entre
-les murs d’antiques mai<span class="pagenum"><a name="page_35" id="page_35">{35}</a></span>sons; il flâna dans le quartier persan,
-s’aventura jusqu’au pittoresque jardin botanique installé dans les
-ruines de l’ancienne forteresse des chahs Séfévides. Il y but du kéfir,
-boisson qu’il jugea fade. Vers les six heures, il se promenait sur la
-perspective Golovine et goûtait chez le pâtissier français de l’endroit
-où il bavardait un moment. Malheureusement les théâtres étaient fermés
-et les soirées lui parurent longues. Et cela d’autant plus que la
-chaleur dans la journée était excessive, qu’ayant passé la matinée à
-courir la ville, il faisait comme tous les habitants de Tiflis une
-longue sieste après déjeuner, et, ainsi reposé, se trouvait peu
-désireux, le soir, de se coucher de bonne heure.</p>
-
-<p>Mais Tiflis ne possédait pas un jardin comparable à celui de
-Vladicaucase.</p>
-
-<p>Ses trois jours de purgatoire prirent fin et à la date fixée il eut le
-plaisir de rencontrer le capitaine Ivan Iliitch Poutilof. C’était un
-jeune homme d’à peine trente ans, déjà couvert de décorations et auquel
-le plus brillant avenir militaire paraissait assuré. Il témoigna un
-grand plaisir à faire la connaissance de son frère<span class="pagenum"><a name="page_36" id="page_36">{36}</a></span> d’armes français. A
-voir la façon dont il le reçut et dont il décida de se consacrer à lui
-pendant son séjour à Tiflis, il semblait que sa vie n’eût jusqu’alors
-pas eu de but et que l’arrivée d’Alexandre Naudin vînt combler un vide
-cruellement ressenti. Il lui demanda aussitôt le nom de son père, et du
-coup, Alexandre Naudin devint Alexandre Edouardovitch.</p>
-
-<p>Dès le premier soir, l’officier russe emmena son camarade dans un des
-cercles d’été sur la rive gauche de la Koura. C’était un jardin où l’on
-soupait en plein air à partir de onze heures. Toute la société de Tiflis
-s’y trouvait rassemblée et, à la voir manger de grand appétit, Alexandre
-Naudin eut la solution d’un petit problème qui s’était posé à lui depuis
-qu’il était arrivé dans la capitale du Caucase: celui de l’heure des
-repas pour les habitants de la ville. Il avait vu du monde à déjeuner
-dans les hôtels ou restaurants où il fréquentait. Mais à quelque heure
-et où qu’il se présentât pour dîner, il se trouvait seul. Quel était ce
-mystère?</p>
-
-<p>Il en demanda l’explication à Ivan Iliitch.</p>
-
-<p>Celui-ci lui répondit:<span class="pagenum"><a name="page_37" id="page_37">{37}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mon cher Alexandre Edouardovitch, nous déjeunons, en effet, comme
-vous, entre midi et une heure. Puis vient la sieste, repos sacré pour
-les Russes et les Caucasiens dans notre été torride. Après la sieste,
-vers les cinq ou six heures, nous prenons le thé ou chez un pâtissier
-ou, de préférence, chez nous. Et la vie de société recommence avec le
-souper que vous voyez ici. Comment donc vivre de jour, alors que les
-nuits du Caucase sont incomparables? Hommes, femmes, jeunes filles se
-retrouvent ici le soir et y restent jusqu’à une ou deux heures du matin.
-On se promène, on cause, on écoute la musique, on mange, on boit et,
-enfin, on a les joies du loto auxquelles je vais vous initier.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin vit au fond du jardin un grand tableau divisé en cent
-petites cases dans lesquelles s’affichaient, selon l’appel crié à haute
-voix par un croupier, les numéros sortis. L’assemblée suivait le jeu
-avec un intérêt passionné, tout en soupant.</p>
-
-<p>Les deux officiers achetèrent chacun une carte pour le prix d’un rouble
-et se mirent à pointer<span class="pagenum"><a name="page_38" id="page_38">{38}</a></span> les numéros appelés. Le hasard voulut que notre
-jeune officier complétât sa carte le premier. Il le dit à son ami qui
-cria d’une voix forte:</p>
-
-<p>&mdash;<i>Davolno.</i> (Satisfait.)</p>
-
-<p>Le jeu aussitôt s’arrêta. Un employé vint prendre la carte gagnante et
-la porta au vérificateur. Il revint un instant après et dit:</p>
-
-<p>&mdash;Correct.</p>
-
-<p>Ayant ainsi parlé, il aligna sur la table soixante-six roubles. De
-toutes parts les gens se retournèrent pour voir l’heureux gagnant et,
-comme on ne le connaissait pas, on le regarda plus longuement. Le jeune
-Alexandre Naudin jouissait de son succès et se tenait très droit.</p>
-
-<p>&mdash;Vous avez donc de la chance, mon cher Alexandre Edouardovitch, dit son
-compagnon. Nous allons boire une bouteille de champagne à votre
-victoire.</p>
-
-<p>Il ne voulut jamais que son excellent camarade payât la bouteille et
-Alexandre Naudin se vit obligé d’en commander une seconde.</p>
-
-<p>Cependant des amis de l’officier russe s’étaient rapprochés et
-s’assirent à sa table. Notre compatriote fit ainsi plus de connaissances
-en une<span class="pagenum"><a name="page_39" id="page_39">{39}</a></span> heure qu’il n’en aurait fait en un an s’il eût été seul à
-Tiflis. On but à la santé de la France et lorsqu’Alexandre Naudin, vers
-les trois heures du matin, regagna l’hôtel de Londres, il se félicitait
-d’avoir trouvé pour son séjour au Caucase un si parfait compagnon.</p>
-
-<p>Ces fêtes familières se renouvelèrent. Il ne voyait pas Ivan Iliitch de
-jour, mais ils passaient les nuits ensemble et soupaient à deux ou en
-compagnie dans les cercles d’été. Il se lia ainsi avec quelques notables
-de la ville, avec le notaire du vice-roi, avec l’intendant des apanages
-de la couronne. Les épouses de ces personnages connus étaient des dames
-déjà d’un certain âge et leurs agaceries ne touchèrent pas notre
-lieutenant. Il commençait à trouver que ses amis russes menaient une vie
-bien monotone dans laquelle le vin tenait lieu de tous les plaisirs. Un
-soir, il dit à son ami Poutilof:</p>
-
-<p>&mdash;N’y a-t-il pas dans votre belle ville, mon cher Ivan Iliitch, des
-dames plus jeunes et moins vertueuses que celles que je rencontre ici?</p>
-
-<p>En entendant ces mots, Ivan Iliitch éclata de rire.<span class="pagenum"><a name="page_40" id="page_40">{40}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Plus jeunes, certes, mais moins vertueuses, je ne saurais vous le
-promettre,&mdash;laissant entendre par là, sans doute, que rien ne pouvait
-être plus inattendu que de chercher la vertu chez les femmes de ses
-amis.</p>
-
-<p>Lorsqu’il eut repris son sérieux, il dit à Naudin:</p>
-
-<p>&mdash;Vous voulez voir nos filles du Caucase, Alexandre Edouardovitch. Vous
-avez raison: elles sont ravissantes, je vous mènerai chez elles. Nous en
-avions du reste fait le projet et avions combiné de vous offrir, en
-qualité d’ami et d’allié, une petite fête dans le goût caucasien. Si
-vous le voulez, ce sera pour après-demain. D’ici là, reposez-vous,
-jeûnez et couchez-vous de bonne heure, car il faudra faire preuve
-d’endurance et nous vous ferons goûter nos meilleurs vins. Notre
-prochain rendez-vous est donc fixé à après-demain, à l’hôtel de Londres,
-à trois heures.</p>
-
-<p>&mdash;A trois heures? interrogea Alexandre Naudin, étonné.</p>
-
-<p>&mdash;Ne déjeunez pas, repartit Ivan Iliitch, nous nous mettrons à table
-aussitôt. Et gardez-nous votre soirée.<span class="pagenum"><a name="page_41" id="page_41">{41}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Y aura-t-il des femmes? demanda Naudin qui suivait son idée.</p>
-
-<p>&mdash;Tout cela vous sera révélé en son temps, dit Poutilof d’un air
-mystérieux.</p>
-
-<p>Au jour et à l’heure fixés, Alexandre Naudin attendit ses amis. Le
-couvert avait été dressé dans un cabinet particulier, vaste pièce dont
-les fenêtres, à cause de la chaleur, étaient closes. Les convives furent
-exacts. Il y avait là Poutilof, ordonnateur de la fête, un colonel de
-cavalerie, homme superbe de plus de six pieds de haut qui commandait un
-régiment de la «division sauvage», un jeune lieutenant du même régiment,
-le notaire du vice-roi et un prince qui portait un des grands noms de la
-noblesse géorgienne, dont l’origine, comme on le sait, se perd dans la
-nuit des temps. On débuta par manger debout des zakouskis délicieux, du
-caviar d’Astara, des tranches de jambon cru, des petits pâtés chauds aux
-champignons, d’autres au poisson, d’autres encore aux choux hachés, le
-tout arrosé, ainsi qu’il convient, de plusieurs verres de vodka.</p>
-
-<p>Puis on se mit à table. Le repas fut copieux<span class="pagenum"><a name="page_42" id="page_42">{42}</a></span> et magnifique; le
-cuisinier de l’hôtel renommé dans toute la Russie s’était surpassé. Il y
-eut, après le consommé aux betteraves accompagné de petites flûtes au
-fromage, un coulibiak à l’esturgeon de la Caspienne, puis un plat
-d’écrevisses énormes du Térek, puis un coq de bruyère flanqué de
-gelinottes farcies et truffées. Par une coquetterie bien naturelle, les
-vins étaient tous du Caucase, choisis parmi les meilleurs des apanages,
-vins de la Kachétie, colorés et violents, qui montent à la tête.</p>
-
-<p>Les toasts furent innombrables. On but à l’empereur et au président de
-la République, à l’armée russe et à la française, à la cavalerie de l’un
-et de l’autre pays, au régiment d’Alexandre Edouardovitch et à ceux de
-ses hôtes. Chaque fois, comme la politesse l’exige, le verre était empli
-et vidé. Au café seulement, le champagne français fit son apparition.</p>
-
-<p>Notre ami Alexandre Naudin supportait de son mieux ces libations. Du
-reste, dès le milieu du repas, ses hôtes étaient animés d’une telle
-ardeur qu’ils ne faisaient plus une exacte attention à ce que buvait le
-lieutenant français qui<span class="pagenum"><a name="page_43" id="page_43">{43}</a></span> s’arrangea pour les tricher le plus possible.
-Il avait, comme beaucoup de nos compatriotes, horreur de se griser. Il
-aimait une pointe de vin, mais il était difficile de lui faire franchir
-la limite qu’il s’était prescrite. Il avait, en outre, pour rester sage,
-de bien fortes raisons. Il savait que la soirée ne s’achèverait pas à
-l’hôtel de Londres et il voulait être en état de goûter les joies qui
-lui étaient promises.</p>
-
-<p>Au crépuscule, on sortit sur une terrasse qui dominait la Koura. Le
-prince géorgien, un jeune homme pâle et silencieux, devenait de plus en
-plus mélancolique. Il s’assit dans un fauteuil un peu à l’écart et,
-s’accompagnant sur une balalaïka, commença à se chanter à lui-même une
-étrange et triste mélodie sur un rythme brisé, avec des modulations qui
-semblaient monotones, mais peu à peu vous prenaient le cœur et
-l’enfermaient dans leur trame compliquée. Le soir tombait; Alexandre
-Naudin jouissait du charme de l’heure; il se laissait aller à rêver, ce
-qui ne lui arrivait pas souvent. Le colonel de cavalerie vidait tous les
-verres de champagne ou de liqueur qu’on lui servait sans paraître en<span class="pagenum"><a name="page_44" id="page_44">{44}</a></span>
-être affecté d’aucune manière. Il n’était ni plus gai, ni plus triste,
-ni plus loquace qu’auparavant. Il se tenait droit et, sur sa belle
-figure impassible, on ne lisait, à la lettre, rien. Poutilof discutait
-passionnément avec le notaire du vice-roi, qui était rouge et luisant.
-Ils avaient choisi l’éternel sujet de la mort, sur lequel jamais Russe,
-après un dîner arrosé de bons vins, ne reste court. Quant au grand
-lieutenant, il ne disait mot et se contentait de fumer des cigarettes
-qu’il jetait à peine allumées. A certains accords de la balalaïka, ses
-pieds s’agitaient sur les dalles avec une agilité merveilleuse.</p>
-
-<p>Et cela dura ainsi longtemps, jusqu’à ce que la nuit fût complète et que
-des étoiles étincelantes vinssent broder le velours bleu foncé du ciel.
-Au loin, on entendait des voix et des flûtes; des mélopées orientales
-arrivaient par fragments jusqu’à la terrasse où les convives savouraient
-la douceur enfin venue du soir.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin, quel que fût l’agrément de cette soirée, commençait à
-s’impatienter. Il s’était promis de laisser ses amis ordonner la fête à
-leur guise, mais il espérait bien qu’on ne<span class="pagenum"><a name="page_45" id="page_45">{45}</a></span> resterait pas indéfiniment
-sur la terrasse de l’hôtel de Londres.</p>
-
-<p>Poutilof, enfin, s’arrêta de converser avec le notaire du vice-roi et
-s’écria:</p>
-
-<p>&mdash;Je pense qu’il est temps, mes amis, d’aller prendre l’air de la
-campagne.</p>
-
-<p>On accepta, sans discussion. Il était évident que le programme de la
-soirée avait été fixé à l’avance suivant les rites qui président à de
-telles cérémonies.</p>
-
-<p>&mdash;Nous en avons assez d’être entre hommes, continua Poutilof. Si notre
-hôte n’y met pas d’opposition nous emmènerons quelques jeunes femmes
-souper avec nous. Nous allons passer chez notre vieille amie de la rue
-X... Je lui ai téléphoné que nous viendrions ce soir et je ne doute pas
-qu’elle n’ait convoqué ce qu’elle a de mieux dans ses relations.</p>
-
-<p>A la porte de l’hôtel, trois automobiles attendaient, dont deux
-militaires, conduites chacune par un soldat. Pendant le très court
-trajet, Alexandre Naudin s’informa auprès de son compagnon de l’endroit
-où ils allaient.</p>
-
-<p>&mdash;Mais, Alexandre Edouardovitch, vous con<span class="pagenum"><a name="page_46" id="page_46">{46}</a></span>naissez ces maisons. Elles
-existent à Paris comme en Russie. On y trouve des personnes jeunes et
-aimables que l’on emmène souper.</p>
-
-<p>&mdash;Des professionnelles? demanda Naudin qui tenait à mettre les points
-sur les i.</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute cher ami, sans doute, bien que certaines d’entre elles se
-fassent passer pour des femmes du monde désireuses de courir, un soir,
-les aventures. Cela n’arrive-t-il pas chez vous aussi?</p>
-
-<p>Alexandre Naudin convint qu’il en était ainsi, parfois, en France.</p>
-
-<p>Les automobiles s’arrêtèrent sur un quai de la rive gauche de la Koura,
-à l’entrée d’une ruelle si étroite qu’elles ne pouvaient s’y engager.
-Poutilof, suivi de ses compagnons, pénétra dans une petite maison dont
-les fenêtres ouvraient sur le fleuve. Une dame d’âge mûr les reçut comme
-de vieux amis et les introduisit dans une salle où, autour d’une table
-ronde, une douzaine de femmes jouaient au loto. Le jeu les passionnait à
-un tel point qu’elles ne levèrent même pas le nez de leurs cartes pour
-voir qui arrivait. Les officiers firent le tour de la<span class="pagenum"><a name="page_47" id="page_47">{47}</a></span> table,
-distribuant des poignées de main, des caresses ou des baisers à leurs
-amies.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin regardait avec plaisir cette scène. Toutes les femmes
-étaient jeunes et la plupart d’entre elles jolies. Elles étaient vêtues
-comme il est de mode en été à Tiflis, de jupes de toile blanche et de
-chemisettes plus ou moins élégantes, suivant les hasards de la fortune
-changeante. Beaucoup d’entre elles avaient les cheveux coupés court.
-Mais Naudin constata avec surprise qu’elles n’avaient pas les caractères
-extérieurs des professionnelles européennes et qu’à les rencontrer dans
-la rue, il ne les eût pas reconnues pour ce qu’elles étaient.</p>
-
-<p>Il s’attendait à être entouré, flatté, caressé. Il fut bien étonné de
-voir que ces filles charmantes et à peine majeures ne faisaient aucune
-attention à lui, bien qu’elles ne le connussent point.</p>
-
-<p>Cependant, quelques-unes d’entre elles avaient quitté la table de jeu.
-Poutilof prit Naudin sous le bras et le présenta. Des conversations
-s’engagèrent. Alexandre Naudin avait remarqué une jeune femme qui se
-tenait à<span class="pagenum"><a name="page_48" id="page_48">{48}</a></span> l’écart et n’avait pas joué au loto. Elle causait peu avec ses
-compagnes. Elle lui plut. Il pensa à en faire son amie d’un soir. Il
-demanda à Poutilof comment elle s’appelait.</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, mais je ne la connais pas, dit celui-ci. C’est une nouvelle
-venue. Elle est agréable, ma foi.</p>
-
-<p>Et, allant à elle, il dit:</p>
-
-<p>&mdash;Comment vous appelez-vous?</p>
-
-<p>&mdash;Nadia, fit celle-ci sur un ton tranquille.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, Nadia, je vous présente mon ami, Alexandre Edouardovitch.
-Comme vous voyez, c’est un Français, et un excellent garçon. Il parle
-russe lentement, mais presque sans fautes. Vous vous entendrez à
-demi-mot.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin s’approcha et serra la main que Nadia lui tendit.</p>
-
-<p>&mdash;Voulez-vous me faire le plaisir de venir souper avec moi et mes amis
-dans un jardin? dit-il.</p>
-
-<p>Nadia regarda le Français avec une certaine méfiance, hésita un instant,
-puis, haussant légèrement les épaules, répondit:</p>
-
-<p>&mdash;Pourquoi pas?<span class="pagenum"><a name="page_49" id="page_49">{49}</a></span></p>
-
-<p>Cependant le notaire qui, après la conversation sur la mort, était plein
-d’entrain avait passé le bras autour de la taille d’une gaillarde grasse
-et blonde.</p>
-
-<p>Poutilof, d’un air décidé, dit:</p>
-
-<p>&mdash;Il nous faut encore deux jeunes beautés.</p>
-
-<p>Et, sans consulter personne, choisit deux femmes assez piquantes. Puis
-on regagna les automobiles sur le quai.</p>
-
-<p>Poutilof, de plus en plus maître des cérémonies, installa Alexandre
-Naudin dans le fond d’une grande limousine découverte entre Nadia et une
-fille nommée Maroussia. Il s’assit lui-même sur le devant à côté du
-soldat et laissa les autres s’arranger à leur gré dans les deux voitures
-restant.</p>
-
-<p>Les autos filèrent à travers la ville et bientôt entrèrent dans la
-campagne. L’air était tiède encore, mais après la chaleur de la journée,
-il paraissait presque frais et Alexandre Naudin craignit que son amie
-Nadia, qui portait une chemisette transparente, prît froid.</p>
-
-<p>&mdash;Nitchevo, dit-elle simplement.</p>
-
-<p>Il la regardait. Dans la demi-obscurité, il ne<span class="pagenum"><a name="page_50" id="page_50">{50}</a></span> voyait que sa tête
-petite, son profil pur et un cou long et mince.</p>
-
-<p>Il se crut autorisé, à cause des cahots de la voiture sur la route
-raboteuse, à passer son bras autour de la taille de Nadia. Elle ne s’y
-refusa pas et il eut le plaisir d’enlacer un corps d’une extrême
-souplesse qui semblait complètement dévêtu. Dans un transport de joie
-bien naturel, il serra sa jeune amie contre lui.</p>
-
-<p>Mais, à sa grande surprise, elle se dégagea de cette étreinte et
-repoussa la main qui devenait trop pressante.</p>
-
-<p>«Il faut croire, pensa-t-il, que les choses ne vont pas si vite en
-Russie que chez nous et que ces filles demandent à être gagnées.» Mais
-il se sentait de force à faire cette conquête peu difficile et différa
-son attaque.</p>
-
-<p>La promenade se poursuivait sous les étoiles silencieuses. Bientôt les
-voitures traversèrent un pont et s’arrêtèrent devant une maison en
-pleine campagne. C’était le restaurant appelé Fantaisie, dont le seul
-nom faisait rêver les jeunes femmes de Tiflis, car on y trouvait, dans
-un grand jardin au bord d’un affluent de la<span class="pagenum"><a name="page_51" id="page_51">{51}</a></span> Koura, des pavillons où
-l’on pouvait souper.</p>
-
-<p>Un de ces pavillons avait été retenu par le capitaine Poutilof, et le
-jeune Français admira l’agrément de son installation. Il comprenait deux
-ou trois pièces assez vastes et meublées de divans recouverts de tapis
-caucasiens. Ces pièces donnaient sur une galerie surplombant le jardin
-et la rivière dont l’eau coulait avec un joyeux et incessant murmure
-tout voisin. C’est sur cette galerie que le couvert se trouva mis.</p>
-
-<p>Un petit orchestre, la zourna, en occupait une des extrémités. Il se
-composait de quatre Caucasiens au type persan dont l’un jouait de la
-flûte, l’autre de la clarinette, le troisième de l’accordéon et le
-dernier enfin, accroupi sur ses talons, tapait avec ses doigts sur un
-haut tambour. Ces quatre bougres, qui semblaient n’être les esclaves
-d’aucune mesure, faisaient une musique qui parut incompréhensible à
-notre lieutenant, habitué à nos charmants et simples refrains de
-café-concert. C’étaient des mélopées monotones et sauvages qui
-revenaient incessamment sur elles-mêmes avec quelques variations qui
-étonnaient et dont il ne<span class="pagenum"><a name="page_52" id="page_52">{52}</a></span> comprenait pas le sens. Il y avait là des
-rythmes qui lui étaient inconnus, quelque chose de poivré auquel son
-palais n’était pas accoutumé.</p>
-
-<p>Bien que l’on fût sorti de table passé sept heures et qu’il en fût à
-peine dix, il fallut manger encore et Alexandre Naudin admira l’appétit
-de ses amis qui firent honneur au menu. On débuta par de petites truites
-en gelée. Les vins étaient abondants et leur mélange dangereux.
-Alexandre Naudin, qui se sentait sur le point de l’ivresse, se promit de
-se surveiller, de façon à gagner sans perdre la tête la fin de la
-soirée. Il regardait sa voisine Nadia. Elle était toute jeune, et
-fraîche malgré le métier qu’elle pratiquait. Son teint était pâle et
-elle ne le ranimait par aucun fard; elle n’employait pas de rouge pour
-ses lèvres. Tout son artifice se bornait à mettre un peu de poudre de
-riz. Elle n’essayait pas de plaire à Alexandre Edouardovitch, ne lui
-lançait pas d’œillade et restait remarquablement silencieuse. Elle
-paraissait indifférente à l’éclat de la fête, à l’excellence des mets, à
-la chaleur des vins, aux accents heurtés de la musique, à la beauté
-enfin de la nuit qui les entourait. Pour<span class="pagenum"><a name="page_53" id="page_53">{53}</a></span>tant elle ne boudait pas; il
-n’y avait en elle pas trace de mauvaise humeur; elle ne protestait
-contre rien. Elle était comme cela! il n’y avait pas à lui en vouloir.
-Alexandre Naudin le comprit.</p>
-
-<p>Il avait tenté une ou deux fois de la prendre par la taille, de
-l’attirer à lui et de la baiser sur le cou, sur ce cou flexible et
-blanc, dont les lignes s’attachaient d’une manière ravissante à une
-gorge dont il apercevait les deux seins jumeaux sous la chemisette
-transparente.</p>
-
-<p>A l’idée qu’il allait être le possesseur de ces trésors, il avait peine
-à garder son sang-froid. Mais Nadia ne se prêtait pas à ces jeux; elle
-repoussait doucement l’intrépide lieutenant, sans mot dire, avec un
-regard qui signifiait: «Cela ne se fait pas chez nous.»</p>
-
-<p>En effet, «cela» ne se faisait pas autour de la table. Seul, le notaire
-du vice-roi avait, à un moment, appliqué deux baisers sonores sur les
-joues de la grosse fille blonde, mais c’étaient des baisers
-quasi-paternels d’où toute sensualité était absente et, cette formalité
-remplie, le digne homme ne s’était plus occupé de sa voisine.<span class="pagenum"><a name="page_54" id="page_54">{54}</a></span> Les
-officiers l’imitaient en cela. A peine adressaient-ils, à de rares
-occasions, la parole aux jolies filles qui soupaient avec eux. Leur
-grande affaire était, ce soir-là, le vin, et non les femmes. Et du vin
-ils en consommaient prodigieusement, mêlant le champagne sucré français
-aux crus les plus violents du Caucase. Il semblait que les accents aigus
-de la musique, ces éternelles et enveloppantes variations asiatiques,
-ces lamentations désespérées leur missent la fièvre dans le corps et les
-obligeassent à boire sans fin pour calmer le délire qui s’emparait
-d’eux. Le notaire, parfois, se levait et dirigeait à larges coups de
-bras le petit orchestre; parfois il chantait à pleine voix un air
-populaire caucasien. Le lieutenant russe, entendant la <i>lesghinskaia</i>,
-n’y tint plus, quitta la table et, tout titubant qu’il fût, commença à
-danser, une bouteille sur la tête, avec une grâce, une souplesse, une
-sûreté qui stupéfièrent Alexandre Naudin.</p>
-
-<p>Quant au prince géorgien, il s’était retiré dans une pièce voisine avec
-une des filles et, couché sur le divan, il lui récitait d’une voix
-sourde et passionnée des vers amoureux de Lermontof.<span class="pagenum"><a name="page_55" id="page_55">{55}</a></span> Seul, Naudin
-faisait à sa manière la cour à Nadia. Mais il était singulièrement gêné
-par sa connaissance imparfaite de la langue russe et ces dialogues menés
-avec peine tournaient vite court. Il arriva à lui dire en s’y reprenant
-à dix fois:</p>
-
-<p>&mdash;Si l’on proposait à un Russe et à un Français le choix entre une
-soirée avec alcool et sans femmes, ou une soirée avec femmes et sans
-alcool, le Russe prendrait l’alcool sans la femme et le Français la
-femme sans l’alcool.</p>
-
-<p>Il lui fallut plus de cinq minutes pour arriver au bout d’une phrase si
-compliquée et se faire comprendre.</p>
-
-<p>Nadia le regarda avec un certain étonnement et répondit:</p>
-
-<p>&mdash;Il faut boire.</p>
-
-<p>Et elle lui versa un plein verre de vin rouge de Kachétie. C’était la
-première fois qu’elle s’occupait de lui et qu’elle paraissait prendre de
-l’intérêt à sa personne. Si bizarre que fût sa réponse, Alexandre Naudin
-l’accepta comme une marque d’attention et se crut obligé à vider le
-verre qu’elle avait rempli.<span class="pagenum"><a name="page_56" id="page_56">{56}</a></span></p>
-
-<p>Cependant il regardait à la dérobée sa montre-bracelet. Deux heures du
-matin, déjà! «Voilà tantôt douze heures, pensa-t-il, que nous ne faisons
-que boire et manger. Chaque chose à son temps. Je voudrais finir la nuit
-à notre mode, seul près de cette charmante fille.»</p>
-
-<p>Mais les convives ne donnaient aucun signe de fatigue et, manifestement,
-ne partageaient pas l’envie bien naturelle qui s’était emparée du jeune
-Français. Finalement il en parla à son ami Poutilof qui était de fort
-joyeuse humeur, tandis que l’admirable colonel, plus il buvait, et plus
-il devenait marmoréen et sculptural.</p>
-
-<p>&mdash;A quoi pensez-vous donc? dit-il. Nous passons la nuit en compagnie. Ce
-soir nous buvons. L’amour est remis à demain, si l’envie nous en prend.
-Du reste, mon cher Alexandre Edouardovitch, aujourd’hui vous êtes notre
-hôte, vous nous appartenez, et la nuit n’est pas finie. Nous irons
-encore jusqu’à Mskhet, dont l’église abrite les tombeaux des rois de
-Géorgie. Nous y dénicherons bien un cabaret ouvert. C’est une promenade
-d’une vingtaine de verstes. La fraîcheur de l’air nous fera du bien.<span class="pagenum"><a name="page_57" id="page_57">{57}</a></span></p>
-
-<p>Alexandre Naudin était dans cet état heureux où l’on ne trouve pas en
-soi de grandes forces pour résister à une invitation aussi cordiale et,
-une demi-heure plus tard, la compagnie quittait Fantaisie. Seul le
-prince géorgien resta sur le divan où il s’était endormi au milieu du
-plus pathétique passage de Lermontof. Le notaire du vice-roi tenait mal
-sur ses jambes. Le colonel et Ivan Iliitch Poutilof le hissèrent dans sa
-voiture. A peine fut-il en plein air, qu’il tomba dans un sommeil
-profond. Tout dormait aussi dans l’antique ville de Mskhet. Les
-officiers, non sans peine, firent lever un cabaretier qui servit du vin.
-Le lieutenant russe réveilla un jeune ours muselé qui était attaché dans
-la cour de l’auberge et se mit à lutter avec lui pour la plus grande
-joie des assistants. Il réussit à le faire rouler par terre, mais la
-lutte avait été chaude et l’uniforme déchiré du lieutenant montrait que
-l’ourson avait su employer ses griffes.</p>
-
-<p>Enfin on donna le signal du retour. Déjà le ciel s’éclaircissait à
-l’orient et Vénus se montrait brillante au-dessus des collines rocheuses
-qui s’élèvent au nord de Tiflis. Alexandre Naudin<span class="pagenum"><a name="page_58" id="page_58">{58}</a></span> appuyait la tête sur
-l’épaule de sa voisine et trouvait moyen de lui dire quelques
-galanteries auxquelles elle ne répondait pas. L’air frais qui lui
-fouettait la figure dissipait les légères fumées de l’ivresse qui avait
-commencé à le gagner. Il se sentait plein de force et frémissait de
-plaisir à l’idée de posséder bientôt Nadia.</p>
-
-<p>Mais, arrivé à Tiflis, il vit la sagesse des paroles de Poutilof. Les
-hommes rentrèrent chez eux et les femmes chez elles. Il ne se sentait
-pas disposé à les imiter et demanda à Nadia s’il pouvait l’accompagner
-jusqu’à sa chambre.</p>
-
-<p>&mdash;Impossible, dit-elle laconiquement.</p>
-
-<p>&mdash;Mais alors, vous viendrez chez moi, à l’hôtel.</p>
-
-<p>&mdash;Si vous voulez, répondit-elle avec indifférence. J’ai sommeil.</p>
-
-<p>A l’hôtel de Londres, le portier de nuit ne voulut pas les recevoir.
-Naudin qui commençait à se piquer s’informa d’un endroit où on les
-accueillerait pour la nuit.</p>
-
-<p>&mdash;Pour la nuit, dit le portier, il vous faudrait vos passeports. Pour
-une heure ou deux, on vous prendra sans doute à l’hôtel Belmont.<span class="pagenum"><a name="page_59" id="page_59">{59}</a></span></p>
-
-<p>Naudin, de plus en plus en colère, donna le nom de l’hôtel au soldat de
-l’automobile, sans même consulter sa compagne.</p>
-
-<p>Quelques minutes plus tard, ils étaient reçus dans un hôtel louche par
-un garçon en chemise qui, leur ayant fait payer quelques roubles
-d’avance, leur ouvrit la porte d’une chambre.</p>
-
-<p>La chaleur y était, derrière les fenêtres fermées, étouffante. Nadia se
-laissa tomber sur le lit.</p>
-
-<p>&mdash;Je veux dormir, dit-elle, avec la moue d’un enfant fatigué.</p>
-
-<p>&mdash;Déshabillez-vous, ma petite colombe, fit Alexandre Naudin qui lui-même
-commençait de se dévêtir et de procéder à une toilette sommaire sur un
-lavabo tremblant et exigu.</p>
-
-<p>Cependant, sans bruit, Nadia se déshabillait et lorsqu’Alexandre Naudin
-se retourna il vit qu’elle était étendue nue sur les draps. Elle avait
-les yeux fermés et sa tête, renversée en arrière, s’appuyait sur le bras
-qui la soutenait.</p>
-
-<p>Les lignes souples de son corps, les seins petits et de forme parfaite,
-les hanches à peine développées, le ventre plat sans une ride, les
-jambes<span class="pagenum"><a name="page_60" id="page_60">{60}</a></span> fines, la fraîcheur et l’éclat de la chair offraient un
-admirable tableau aux yeux du jeune lieutenant.</p>
-
-<p>Il s’assit sur le lit et prit la main de Nadia qui l’abandonna sans
-résistance. Lorsqu’il la lâcha, cette main tomba mollement sur le lit.
-Il se pencha et posa ses lèvres sur la bouche entr’ouverte de la jeune
-femme. Nadia ne lui rendit pas son baiser, ne parut même pas le sentir.
-Mais sa tête roula et la joue vint s’appuyer sur l’épaule. Elle avait
-toujours les yeux fermés.</p>
-
-<p>«Mais elle dort, se dit Alexandre Naudin. Elle dort comme une marmotte!
-Il faut absolument la réveiller.»</p>
-
-<p>&mdash;Nadia, dit-il, en la secouant légèrement, Nadia!</p>
-
-<p>Elle ne l’entendait pas. Il insista, parla plus haut. Il essaya de
-l’asseoir sur le lit. Le corps souple n’offrait aucune résistance, lui
-glissait entre les doigts et retournait à la position horizontale.</p>
-
-<p>Un instant, elle entr’ouvrit les yeux, mais son regard était vague.</p>
-
-<p>&mdash;Je dors, dit-elle doucement.<span class="pagenum"><a name="page_61" id="page_61">{61}</a></span></p>
-
-<p>Elle se tourna sur le côté, mit un bras au-dessus de sa tête pour se
-protéger contre l’éclat de l’électricité et se rendormit aussitôt.</p>
-
-<p>Notre ami Alexandre Naudin était la proie de sentiments contraires. Il
-était dans une juste colère, comme il va de soi. Mais il lui était
-difficile d’en vouloir à Nadia qui, après une nuit de fête, un souper
-abondant, du vin avec un peu d’excès, une longue course en automobile,
-succombait au premier et au plus naturel des besoins qui est le sommeil.
-Elle était si belle couchée ainsi devant lui qu’il se sentait à la fois
-un plus vif désir de la posséder et une indulgence plus grande pour la
-faiblesse qui le privait d’elle. Il se souvint de ce qu’avait dit Ivan
-Iliitch Poutilof. En somme, il demandait à son amie d’un soir des choses
-qui étaient, dans les circonstances où il se trouvait, hors des usages.
-A vivre chez les Caucasiens, il fallait prendre les habitudes du
-Caucase.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin se rhabilla donc, un peu mélancolique, tout en ne
-cessant de regarder le beau corps étendu de Nadia sur le lit. Si pénible
-que fût la minute présente, la certitude<span class="pagenum"><a name="page_62" id="page_62">{62}</a></span> de retrouver la jeune femme à
-une heure plus propice lui rendait le sacrifice moins douloureux.</p>
-
-<p>Il prit dans son portefeuille une carte de visite et un billet de
-vingt-cinq roubles. Sur la carte, il écrivit avec beaucoup de soin et en
-russe ces mots: «Demain, jeudi, à cinq heures, Hôtel de Londres, numéro
-seize.» Et il ajouta, en manière de plaisanterie, deux mots encore:
-«Dormez bien.»</p>
-
-<p>Il glissa la carte et le billet dans la main fermée de Nadia et sortit.
-Lorsqu’il se coucha, c’était déjà le jour. Il ne fit qu’un somme jusqu’à
-une heure de l’après-midi, déjeuna très tard et s’étendit sur le divan
-dans sa chambre, une cigarette à la bouche. Il attendait Nadia. Mais
-viendrait-elle? Les images voluptueuses qu’il avait eues sous les yeux
-la nuit précédente se levaient devant lui. Il ne pouvait s’empêcher de
-rire en pensant à sa déception. Avoir dans les bras une jeune femme
-ravissante et nue, et n’en rien faire! Comment, sans être ridicule,
-raconter cette histoire à ses camarades en France? Des fragments d’airs
-caucasiens<span class="pagenum"><a name="page_63" id="page_63">{63}</a></span>&mdash;il était bien étonné de les avoir pu retenir&mdash;passaient
-dans sa mémoire. Il y avait quelque chose dans cette fête&mdash;était-ce les
-jardins, la musique qui venait du fond de l’Asie, les femmes
-silencieuses, la nuit si chaude et si belle?&mdash;qui l’obligeait à y penser
-encore et qui la mettait à part des soirées analogues vécues en
-Occident.</p>
-
-<p>Tout en évoquant ces agréables souvenirs, notre lieutenant s’endormit.</p>
-
-<p>Des petits coups frappés à la porte le réveillèrent.</p>
-
-<p>&mdash;Qui est là? cria-t-il en sursautant.</p>
-
-<p>Il s’assit sur le divan et se frotta les yeux.</p>
-
-<p>La porte s’ouvrit, Nadia entra.</p>
-
-<p>A voir l’étonnement dans lequel cette apparition plongea Alexandre
-Naudin, on peut conclure qu’il ne croyait pas beaucoup à l’arrivée de
-son amie de la veille. Il s’empressa auprès d’elle et, comme il
-connaissait maintenant les usages russes, il fit apporter le samovar et
-des gâteaux.</p>
-
-<p>Nadia était tranquille, ainsi qu’à son ordinaire. Elle ne cherchait pas
-à plaire au lieutenant. Elle souriait à peine aux folies bilingues qu’il
-lui<span class="pagenum"><a name="page_64" id="page_64">{64}</a></span> débitait avec enthousiasme et, lorsqu’il commença de la
-déshabiller, elle resta dans le même état d’indifférence.</p>
-
-<p>Vers neuf heures du soir. Alexandre Naudin qui avait de multiples
-raisons d’être satisfait de lui-même&mdash;il sifflotait maintenant <i>Le père
-la Victoire</i>&mdash;proposa une promenade en voiture avant le souper.</p>
-
-<p>Nadia accepta et voilà nos jeunes gens partis. Ils ne se séparèrent qu’à
-deux heures du matin.</p>
-
-<p>Dès lors, ils se virent chaque jour. Nadia arrivait à peine levée,
-c’est-à-dire sur la fin de l’après-midi, à l’hôtel de Londres et restait
-avec Alexandre Edouardovitch jusque tard dans la nuit, qui à la façon du
-pays se passait dans les jardins autour de la ville. Elle était d’une
-humeur égale, ne s’emportait pas, n’élevait jamais la voix, ne cherchait
-querelle au sujet de rien, était taciturne et restait peu démonstrative.
-Mais notre lieutenant avait un surplus d’exubérance et d’enthousiasme
-qu’il dépensait sans s’inquiéter de sa maîtresse. Elle était jolie,
-jeune, saine et facile à vivre. En outre, elle lui faisait honneur en
-public, car elle avait une tenue<span class="pagenum"><a name="page_65" id="page_65">{65}</a></span> irréprochable et sa beauté attirait
-l’attention, ce à quoi Alexandre Naudin, avec une vanité bien
-pardonnable chez un jeune homme était fort sensible. Que demander de
-plus à une maîtresse temporaire?</p>
-
-<p>Notre lieutenant voulait passer une quinzaine à Tiflis, puis voyager
-dans le Caucase. Mais il se prenait à la vie paresseuse, monotone et
-nocturne qu’il menait en compagnie de Nadia et il remettait sans cesse
-son départ.</p>
-
-<p>Il regardait sa compagne comme un petit animal curieux, incompréhensible
-et charmant. A dire vrai, il y avait une chose en elle qui l’étonnait
-fort, et c’était qu’elle ne parût pas goûter dans les bras de son amant
-une joie extraordinaire. En fait, elle semblait&mdash;comment y
-croire?&mdash;n’être pas amoureuse de lui. Alexandre Naudin était un beau
-garçon et qui avait eu en France des succès notoires dans le monde des
-femmes faciles qu’il avait jusqu’ici, et ainsi qu’il convient à son âge,
-fréquenté. Aussi s’attendait-il à recevoir mille compliments de Nadia et
-les caresses qui sont la menue monnaie par laquelle une femme paie le
-bon<span class="pagenum"><a name="page_66" id="page_66">{66}</a></span>heur qu’on lui a donné. Il n’avait ni les unes ni les autres. La
-chose était étrange et ne pouvait s’expliquer que par la frigidité
-évidente de Nadia, de «la jeune Sibérienne» ainsi qu’il la nommait
-depuis qu’il avait appris qu’elle venait d’Omsk.</p>
-
-<p>&mdash;Il n’y a pas assez de soleil dans ton pays, disait-il. Tu n’es pas
-encore dégelée. (Il faut noter qu’Alexandre Naudin faisait de rapides
-progrès dans la connaissance de la langue russe.)</p>
-
-<p>A quoi Nadia répondait:</p>
-
-<p>&mdash;Il y a plus de soleil à Omsk qu’à Tiflis, car nous le voyons l’été et
-l’hiver. Le thermomètre peut descendre à trente degrés au-dessous de
-zéro, mais le ciel est pur et le soleil étincelle.</p>
-
-<p>Tout de même, il y avait là quelque chose de bizarre et Alexandre
-Edouardovitch n’en prenait pas facilement son parti. Il aurait voulu
-être le Pygmalion de cette Galatée septentrionale. Mais elle restait
-froide comme les neiges de son pays natal. Sa peau même avait une
-fraîcheur particulière et il lui disait:</p>
-
-<p>&mdash;Tu es une amie parfaite pour l’été brûlant de Tiflis. Mais comment
-vivre avec toi en hiver?<span class="pagenum"><a name="page_67" id="page_67">{67}</a></span></p>
-
-<p>Nadia avait un demi-sourire et ne répondait pas.</p>
-
-<p>Elle habitait maintenant avec lui à l’hôtel de Londres. Il
-s’émerveillait de la faculté merveilleuse qu’elle avait d’user le temps
-à ne rien faire et à dormir. Ils vivaient, comme tous les habitants de
-Tiflis en été, la nuit, se couchaient vers les trois ou quatre heures du
-matin et il avait toutes les peines du monde, au commencement de
-l’après-midi, à réveiller sa maîtresse. Sitôt après le déjeuner, c’était
-la sieste. Nadia revenait à la vie au moment de prendre le thé. Parfois,
-il la pressait de sortir avec lui quand il faisait encore jour. Le plus
-souvent, elle restait à la maison, fumant des cigarettes et rêvant à on
-ne sait quoi. Il réussit pourtant à l’emmener dans quelques magasins où
-il lui acheta du linge et des vêtements, car elle n’avait guère que ce
-qu’elle portait sur elle. Lorsqu’elle eut choisi des chemises, des bas,
-une jupe, un chapeau et un manteau de voyage, elle se déclara satisfaite
-et ne l’accompagna plus. Elle ne demandait jamais d’argent. Il lui en
-offrit.</p>
-
-<p>&mdash;Pourquoi faire? dit-elle.<span class="pagenum"><a name="page_68" id="page_68">{68}</a></span></p>
-
-<p>Elle allait quelquefois avec lui aux bains Orbeliani, tout au bout de la
-vieille ville, près de la Koura. Des sources d’eau chaude sulfureuse y
-jaillissent et les masseurs de l’Azerbeïdjan qui y travaillent sont
-réputés dans toute la Russie. Ils prenaient là deux pièces dont l’une
-servait de chambre de repos et l’autre d’étuve. Enveloppée d’un
-peignoir, elle assistait au massage de son amant. Un Persan desséché et
-dont les muscles saillaient comme des paquets de cordes s’emparait de
-lui, le couchait sur une table de marbre, lui pétrissait les membres,
-faisait craquer toutes les jointures et finalement, l’ayant allongé à
-plat ventre, lui tendant les deux bras en arrière, grimpait sur le dos
-de son patient et, les talons réunis sur la colonne vertébrale, se
-laissait glisser des épaules jusqu’aux reins. Le massage terminé, le
-Persan soufflait, comme dans une cornemuse, dans un petit sac de calicot
-enfermant du savon et bientôt Alexandre Naudin disparaissait sous des
-milliers de petites bulles légères. Puis c’était un bain dans une
-piscine à quarante degrés. Une fois le Persan sorti, Nadia se baignait à
-son tour et son amant lui servait de maladroit mas<span class="pagenum"><a name="page_69" id="page_69">{69}</a></span>seur. Ils goûtaient
-enfin un repos prolongé sur les lits de la pièce voisine, tout en buvant
-des boissons fraîches.</p>
-
-<p>Ils firent quelques excursions dans le Caucase, visitèrent, pour fuir la
-chaleur insupportable de Tiflis, la station thermale de Borjom. Mais les
-punaises innombrables, dont, il faut l’avouer, Nadia s’accommodait, en
-rendirent le séjour insupportable au jeune Français. Ils virent les
-ruines célèbres d’Ani, la ville aux mille églises, s’arrêtèrent à
-Etchmiadzin, au pied de l’Ararat, poussèrent jusqu’à l’orientale Erivan,
-où Nadia parut se plaire.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin était enchanté de sa compagne de voyage. Avec elle il
-ne s’ennuyait jamais. Elle continuait, il est vrai, à parler peu, mais
-Naudin pensait sagement qu’il vaut mieux, à tout prendre, une maîtresse
-taciturne que bavarde.</p>
-
-<p>Il la comparait aux femmes françaises de sa classe qu’il avait connues.
-Il était rare que ces dernières ne tombassent pas dans la vulgarité. Or,
-il n’y avait quoi que ce fût de vulgaire en Nadia. Les Françaises
-avaient plus de brillant;<span class="pagenum"><a name="page_70" id="page_70">{70}</a></span> elles cherchaient l’effet, le trouvaient
-quelquefois, le manquaient souvent. Nadia n’avait pas l’ombre d’une
-prétention; elle était une personne simple (pour autant que Naudin la
-comprenait) et naturelle, qui n’imagine pas qu’elle pourrait être
-autrement, ni qu’il y aurait un avantage pour elle à paraître différente
-de ce qu’elle est. Les Françaises étaient peut-être plus amusantes, mais
-de l’amusement qu’elles donnaient, on se lassait à la longue, tandis
-qu’il y avait en Nadia un charme secret qu’Alexandre Naudin eût été bien
-en peine d’analyser, mais dont il sentait peu à peu et chaque jour
-l’attirance continue.</p>
-
-<p>Parfois, il se disait qu’il ne connaissait rien de sa maîtresse. Cette
-ignorance avait quelque chose d’agréable sans doute, mais aussi d’un peu
-irritant.</p>
-
-<p>Il constatait avec surprise qu’elle ne manquait pas d’une certaine
-culture. Elle avait fait ses classes dans un gymnase. D’autre part, elle
-était bien élevée. Aux yeux de qui n’aurait rien su d’elle, elle aurait
-pu passer pour une jeune fille du monde.<span class="pagenum"><a name="page_71" id="page_71">{71}</a></span></p>
-
-<p>«Pourquoi, diable, s’est-elle mise dans la galanterie?» se demandait
-Alexandre Naudin qui avait des idées peu compliquées.</p>
-
-<p>C’était un sujet qu’il n’était pas facile d’aborder avec elle. Elle
-trouvait des échappatoires aux questions trop curieuses de son ami et la
-plus facile de toutes, qui était de ne pas répondre. Il sut seulement
-qu’elle avait dix-neuf ans et qu’elle était arrivée d’Omsk à Tiflis la
-veille même du jour où il l’avait rencontrée. Cette nouvelle plut à
-Alexandre Naudin qui avait, au fond, des idées de propriétaire et qui
-n’aimait pas à penser que Nadia avait été dans les bras du notaire du
-vice-roi ou du beau colonel de cavalerie.</p>
-
-<p>&mdash;A Omsk, dit-il, tu avais un ami comme moi?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, répondit-elle.</p>
-
-<p>&mdash;Que faisait-il dans la vie?</p>
-
-<p>&mdash;Il était officier.</p>
-
-<p>&mdash;Pourquoi l’as-tu quitté?</p>
-
-<p>Un haussement d’épaules fut la seule réponse. Naudin en conclut que
-Nadia n’en savait peut-être rien. Il continua son interrogatoire.<span class="pagenum"><a name="page_72" id="page_72">{72}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Y a-t-il à Omsk des maisons comme celle du bord de l’eau ici?</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute.</p>
-
-<p>&mdash;Sont-elles aussi bien installées que celle de Tiflis?</p>
-
-<p>&mdash;Je ne sais pas.</p>
-
-<p>&mdash;Tu n’y as jamais été? dit Alexandre Naudin avec un air de doute.</p>
-
-<p>Elle hocha la tête négativement.</p>
-
-<p>&mdash;Tu étais donc fidèle à ton amant, conclut-il avec une logique
-rigoureuse.</p>
-
-<p>Elle ne répondit pas.</p>
-
-<p>Quelques jours plus tard, Naudin reprit ce thème. Après un grand effort
-de réflexion il avait préparé un piège où faire tomber son amie.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! dit-il, j’ai appris une chose sur ton officier d’Omsk. Il buvait.</p>
-
-<p>&mdash;Qui te l’a dit? demanda Nadia.</p>
-
-<p>&mdash;Je le sais, voilà tout, conclut Alexandre Naudin, enchanté du succès
-de sa ruse. Au fond, c’était un ivrogne fieffé.</p>
-
-<p>Nadia le regarda méchamment.</p>
-
-<p>&mdash;Et pourquoi ne boirait-il pas, si cela lui plaît?<span class="pagenum"><a name="page_73" id="page_73">{73}</a></span></p>
-
-<p>Alexandre Naudin fut désarçonné par cette question. Il entra dans des
-explications peu convaincantes et Nadia resta sur son terrain. Mais
-notre jeune lieutenant acquit ainsi la conviction que Nadia n’avait pu
-supporter la vie avec un homme grossier, qui buvait et sans doute, la
-maltraitait. C’était pour cela qu’elle avait quitté Omsk. Il lui fit,
-une fois, non sans une certaine naïveté, cette démonstration ingénieuse.</p>
-
-<p>Nadia ne discuta pas, mais lorsqu’il eut fini, elle dit sur un ton de
-certitude tranquille:</p>
-
-<p>&mdash;Les Français ne comprennent rien.</p>
-
-<p>Et cela mit fin au débat. Du reste, la curiosité de Naudin était
-satisfaite et la question résolue.</p>
-
-<p>Un autre jour, ou plutôt une autre nuit, car c’était la nuit qu’ils
-parlaient, il lui demanda:</p>
-
-<p>&mdash;M’aimes-tu?&mdash;Et cela dans un moment où ces mots pouvaient paraître
-vains, tant il était sûr de la réponse que les circonstances mêmes
-imposaient.</p>
-
-<p>&mdash;Non, dit-elle doucement.</p>
-
-<p>Notre lieutenant n’en crut pas ses oreilles et, voyant là une taquinerie
-de sa maîtresse se mit à rire.<span class="pagenum"><a name="page_74" id="page_74">{74}</a></span></p>
-
-<p>Il était persuadé que Nadia lui était profondément attachée et qu’elle
-souffrirait au jour, hélas! assez prochain, où il serait obligé de la
-quitter; car, en somme, comment une petite fille qui avait choisi ce
-métier peu reluisant et qui n’avait pas su y faire fortune,
-n’aimerait-elle pas un garçon élégant, riche, bien de sa personne,
-jeune, et qui l’avait admise à l’honneur de son intimité? Peut-être ne
-se rendait-elle pas compte de tous les avantages qu’une telle liaison
-lui procurait? En outre, il n’avait jamais habité avec une maîtresse. Il
-s’arrangea pour le lui faire comprendre. Elle accueillit cette nouvelle
-sans émoi.</p>
-
-<p>Cependant septembre était là et le moment de rentrer en France
-approchait.</p>
-
-<p>C’est alors qu’Alexandre Naudin eut, un jour, une idée qu’il communiqua
-aussitôt à son amie. Pourquoi ne pas revenir par Constantinople et
-pourquoi ne l’y accompagnerait-elle pas? Ils prendraient un bateau à
-Batoum, passeraient une huitaine sur les rives du Bosphore et de là
-rentreraient, elle en Russie, lui en France.<span class="pagenum"><a name="page_75" id="page_75">{75}</a></span></p>
-
-<p>Nadia ne fit aucune opposition à ce projet et Alexandre Naudin, qui
-avait pensé produire quelque effet en dévoilant un plan aussi magnifique
-et qui se préparait à jouir de la surprise de sa maîtresse, constata
-qu’elle l’acceptait sans plus d’enthousiasme que s’il lui avait proposé
-une excursion dans la banlieue de Tiflis.</p>
-
-<p>Il en ressentit un peu de dépit. Mais il n’était pas dans sa nature de
-se faire de longs soucis et il revint vite à la belle humeur qui lui
-était ordinaire.</p>
-
-<p>Ils commencèrent leurs préparatifs de départ et demandèrent les visas
-nécessaires pour la Turquie. Il ne leur restait qu’une semaine à passer
-à Tiflis.</p>
-
-<p>C’est alors qu’à sa grande surprise Nadia commença à sortir seule. Elle
-ne l’avait, à la lettre, pas quitté d’une heure depuis qu’ils habitaient
-ensemble.</p>
-
-<p>Or, un matin, Naudin faisait quelques courses dans le centre de la
-ville. Il avait peu de temps auparavant laissé sa maîtresse endormie
-dans leur chambre. Quel ne fut pas son étonnement quand il crut la voir
-entrer à la poste centrale<span class="pagenum"><a name="page_76" id="page_76">{76}</a></span> devant laquelle il passait? Son premier
-mouvement fut de la suivre, puis il hésita et se décida enfin à la
-rejoindre. C’était bien elle, occupée à écrire un télégramme sur une
-table.</p>
-
-<p>Il s’approcha d’elle; elle termina sans se presser son message et le
-porta au guichet.</p>
-
-<p>Ils sortirent ensemble et Naudin attendait qu’elle lui expliquât quelle
-nouvelle urgente l’avait arrachée de son lit pour la mener si tôt dans
-la journée au télégraphe. Mais Nadia ne paraissait pas comprendre qu’il
-fût nécessaire de satisfaire la curiosité de son amant et elle ne dit
-mot. Ce silence fit impression sur le jeune lieutenant qui en conclut
-qu’il n’y avait évidemment rien à dire sur une chose si simple.</p>
-
-<p>Ce jour-là, Nadia montra un peu de tendresse pour lui. Il n’y était,
-comme on sait, pas accoutumé et il fut charmé de ce changement.</p>
-
-<p>Il s’en attribua le mérite et se félicita de son triomphe. «J’ai tout de
-même fini par la dégeler,» se disait-il.</p>
-
-<p>Mais ce n’était pas une pure satisfaction de vanité que ressentait
-Naudin. Il avait le cœur sensible et il s’aperçut soudain que ce cœur<span class="pagenum"><a name="page_77" id="page_77">{77}</a></span>
-s’était, à son insu, mêlé d’une partie où il n’était pas invité. Cette
-constatation fut le point de départ d’une série de réflexions qui le
-menèrent avec une rapidité extrême à un point où il n’aurait jamais
-pensé aborder. Il se demanda pourquoi il se séparerait de Nadia, alors
-que rien n’était plus facile que de l’emmener en France. Bientôt il ne
-vit plus que les beaux côtés de ce projet absurde. Ce serait une
-maîtresse qui lui ferait honneur auprès de ses camarades. Son charme, sa
-jeunesse, ce je ne sais quoi qui n’était qu’à elle ne manqueraient pas
-de séduire ses amis du régiment. Elle ne lui coûterait pas cher; elle
-était la simplicité même. Et puis il avait pris l’habitude de Nadia et
-ne pouvait plus se passer d’elle.</p>
-
-<p>Naudin ne pensait qu’en parlant et il fit ces réflexions à haute voix
-tandis qu’ils déjeunaient. Nadia n’éleva aucune objection. Naudin n’en
-fut pas étonné, car qui aurait été assez fou pour refuser une invitation
-pareille?</p>
-
-<p>Nos amants en étaient là, lorsque, deux jours avant leur départ, Nadia
-lui demanda s’il pourrait lui donner cent cinquante roubles.<span class="pagenum"><a name="page_78" id="page_78">{78}</a></span></p>
-
-<p>Elle lui en aurait demandé cent cinquante mille qu’Alexandre Naudin
-n’aurait pas été plus surpris.</p>
-
-<p>&mdash;Tu veux de l’argent? dit-il. Mais qu’est-ce qui se passe?</p>
-
-<p>Sur un ton uni, Nadia répondit avec l’art infaillible des femmes à
-changer de terrain et à en choisir un où elles sont sûres de remporter
-la victoire:</p>
-
-<p>&mdash;Est-ce que cela te gêne? dis-le-moi franchement, je m’arrangerai pour
-en trouver ailleurs.</p>
-
-<p>&mdash;Mais non, cela ne me gêne en rien, dit avec orgueil Alexandre Naudin,
-qui ne pouvait supporter l’idée qu’elle le crût avare.</p>
-
-<p>C’était, en effet, un sujet assez délicat. Il savait que Nadia avait le
-sentiment, fort répandu en Russie, que les Français sont ménagers de
-leurs écus, tandis que pour les Russes la question d’argent n’existe
-guère. Il va sans dire que Naudin n’avait, sur ce point, rien à se
-reprocher. A peine avait-il lu une désapprobation tacite dans les yeux
-de sa maîtresse lorsqu’une contestation s’était élevée entre lui et un
-cocher<span class="pagenum"><a name="page_79" id="page_79">{79}</a></span> sur le prix d’une voiture. Pour Alexandre Naudin comme, grâce à
-Dieu, pour tous nos compatriotes, un franc était un franc. Il dépensait
-ses revenus, mais à bon escient. En somme, sa maîtresse ne lui avait
-coûté jusqu’ici que ses frais de vie et, si elle n’avait pas reçu
-d’argent, c’est qu’elle avait refusé d’en accepter. Aussi comprit-il que
-la première fois qu’elle lui en demandait, il ne pouvait hésiter une
-seconde à lui en donner et, à la manière russe, sans explication. Il
-sortit donc son portefeuille et remit à Nadia un beau billet à l’effigie
-de Catherine la Grande et deux petits billets de vingt-cinq roubles.</p>
-
-<p>Le soir même, ils avaient leur ami, le capitaine Poutilof à un souper
-d’adieu. Ils allèrent dans l’automobile du régiment à Fantaisie où la
-liaison d’Alexandre Naudin et de Nadia avait commencé. Mais Poutilof qui
-avait du tact n’amena pas de femme, car le ménage Naudin par sa longue
-durée avait pris quelque chose de la respectabilité d’une union
-légitime. De même il évita de parler français au lieutenant devant Nadia
-et eut le plaisir de le félici<span class="pagenum"><a name="page_80" id="page_80">{80}</a></span>ter des progrès qu’il avait faits dans la
-langue russe.</p>
-
-<p>La soirée était tiède encore. Pourtant un vent plus frais caressait les
-branches des arbres autour du pavillon, le fin croissant de la lune
-brillait au milieu des étoiles étincelantes et les mélopées ardentes de
-la zourna troublaient seules la paix de la nuit. Il y avait dans l’air
-une telle douceur que nos trois convives n’y furent point insensibles et
-qu’Alexandre Naudin se mit à chercher dans sa mémoire des vers capables
-de traduire son émotion. Il finit par retrouver, à sa grande surprise,
-quatre mots latins oubliés depuis le lycée: <i>Per amica silentia lunæ!</i></p>
-
-<p>Un souper excellent et des vins chargés d’alcool eurent bientôt dissipé
-la quasi gêne que la beauté extrême de l’heure avait fait naître. Au
-dessert, le capitaine Poutilof se leva et porta la santé de ses hôtes.</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher Alexandre Edouardovitch, dit-il, je bois comme officier à la
-défaite que l’armée française, représentée par un de ses membres
-éminents, a subie sur le sol russe. Il a suffi pour le vaincre d’une
-femme de mon pays. Nadia, je<span class="pagenum"><a name="page_81" id="page_81">{81}</a></span> bois maintenant à votre victoire et à la
-continuation de vos succès. Notre excellent ami vous emmène à France où
-vous montrerez à ses compatriotes ce qu’est une vraie fille de sang
-russe. Hourra!</p>
-
-<p>Sur quoi le capitaine vida son verre d’un trait, puis le brisa, ce qui
-ne l’empêcha pas d’en faire apporter un autre et de continuer ses
-libations.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin était au comble de la joie; Nadia, elle-même, qui, à
-l’ordinaire, ne buvait presque pas, avait pris quelques verres de vin.
-Ivan Iliitch Poutilof les embrassa l’un et l’autre avant de remonter en
-automobile pour rentrer à Tiflis.</p>
-
-<p>Cette nuit-là, lorsqu’ils furent seuls à l’hôtel, l’humeur de Nadia
-changea brusquement. Elle devint triste, s’étendit sur le divan et
-enfouit sa tête dans ses mains. D’abord, Alexandre Edouardovitch n’y fit
-aucune attention. Il se déshabillait en sifflant de son mieux, ce qui
-n’est pas beaucoup dire, un air caucasien qui lui plaisait à la folie.
-Lorsqu’il fut couché, il s’aperçut que Nadia n’avait pas bougé. Il
-l’appela. Elle ne répondit pas. Il fut obligé de se lever pour aller<span class="pagenum"><a name="page_82" id="page_82">{82}</a></span> la
-chercher. A ce moment-là encore, elle opposa de la résistance.</p>
-
-<p>&mdash;Je suis lasse, dit-elle, je veux dormir sur le divan.</p>
-
-<p>Elle était agitée, inquiète.</p>
-
-<p>&mdash;Allons, dit gentiment Naudin, tu dormiras tout aussi bien à côté de
-moi. C’est notre avant-dernière nuit à Tiflis.</p>
-
-<p>Nadia se laissa convaincre et rejoignit son amant dans le lit.</p>
-
-<p>Plus tard, comme, fatigué enfin, il était sur le point de s’endormir, il
-entendit la voix douce de Nadia tout près de son oreille:</p>
-
-<p>&mdash;Je suis malheureuse, disait-elle.</p>
-
-<p>&mdash;Dors, répondit Alexandre Naudin, déjà tout ensommeillé et dont rien ne
-pouvait, à ce moment troubler la sérénité.</p>
-
-<p>Elle continua à gémir un peu, puis, de nouveau, lui adressa la parole:</p>
-
-<p>&mdash;Je t’aime, dit-elle.</p>
-
-<p>Alexandre Naudin entendit les mots qui entrèrent automatiquement dans sa
-mémoire, mais qui, sur le moment, ne lui firent aucune impression, bien
-que ce fût la première fois que<span class="pagenum"><a name="page_83" id="page_83">{83}</a></span> Nadia les prononçât. En d’autres
-circonstances, ils l’auraient transporté de joie. Dans l’état où il
-était, il se borna à les enregistrer sans s’en émouvoir.</p>
-
-<p>&mdash;Dors, petite, dit-il, à demain...</p>
-
-<p>Et il tomba dans un profond sommeil.</p>
-
-<p>Le lendemain, dans l’après-midi, ils préparèrent leurs bagages. Au soir,
-Naudin, qui avait quelques visites à rendre, sortit, promettant à sa
-maîtresse de venir la chercher vers dix heures pour souper.</p>
-
-<p>A l’heure dite, il rentra.</p>
-
-<p>Nadia n’était pas dans la chambre. Il n’y avait là rien d’inquiétant. Il
-s’étendit un instant dans un fauteuil, puis soudain se leva et courut
-chez le portier.</p>
-
-<p>&mdash;Madame est-elle sortie? demanda-t-il.</p>
-
-<p>Le portier, à mi-voix, répondit:</p>
-
-<p>&mdash;Madame est sortie, il y a deux heures, avec sa valise. Elle a pris une
-voiture et est partie pour la gare.</p>
-
-<p>Naudin fit un grand effort sur lui-même pour ne montrer aucune émotion
-devant le portier et remonta chez lui.<span class="pagenum"><a name="page_84" id="page_84">{84}</a></span></p>
-
-<p>Alors seulement il eut l’idée de regarder sur la table. Une feuille de
-papier y était étalée bien en évidence avec quelques mots de Nadia:</p>
-
-<p>«Je suis rappelée à Omsk. C’est là que je dois vivre. Pardonne-moi.»</p>
-
-<p>&mdash;Le diable emporte les filles russes! cria Naudin. Elles sont folles à
-lier!... Un alcoolique! Un homme brutal!... Elle ne mérite pas mieux que
-cela... Heureusement que je ne l’aime pas! ajouta-t-il bravement.</p>
-
-<p>Mais il avait tout de même le cœur gros et un picotement assez curieux
-sous les paupières. Comme il n’y avait personne dans la chambre, il tira
-son mouchoir et s’essuya les yeux.</p>
-
-<p class="casst">&nbsp; </p>
-
-<p>Six mois plus tard, il disait à un de ses amis de régiment à Vincennes:</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher, les femmes russes, il ne faut pas chercher à les comprendre.
-Tu as une maîtresse: elle t’aime, elle t’est fidèle; elle vit près de
-toi comme ton ombre. Et, crac, voilà qu’elle disparaît sans raison... Il
-semble qu’elle ne peut pas supporter plus qu’une certaine dose de<span class="pagenum"><a name="page_85" id="page_85">{85}</a></span>
-bonheur... Oui, j’ai vu cela, là-bas... Ces femmes, tu ne le croirais
-pas, ont, soudain, un besoin maladif d’être malheureuses. Et quand ça
-les prend, il n’y a rien à faire, elles quittent tout... Alors, avec
-nous, ça ne peut pas durer, parce que nous n’aimons pas les
-catastrophes... Seulement, tout de même, mon vieux, les filles russes,
-il n’y a rien de pareil au monde...</p>
-
-<p>Et il se mit à siffler, non sans beaucoup de fausses notes, l’air
-caucasien qu’il aimait tant.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_86" id="page_86">{86}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_87" id="page_87">{87}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_88" id="page_88">{88}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_89" id="page_89">{89}</a></span>&nbsp; </p>
-<h2><a name="VERA_ALEXANDROVNA" id="VERA_ALEXANDROVNA"></a>VERA ALEXANDROVNA</h2>
-
-<p>M. Ture Ekman était le directeur d’un important journal de Stockholm. Au
-cours de la troisième année de la guerre, il éprouva le désir de voir de
-ses yeux comment allaient les choses en Russie et demanda un passeport
-pour ce pays. Comme son journal était, chose rare en Suède, favorable
-aux Alliés, il l’obtint et arriva dans la capitale russe à la fin de
-décembre 1916. Il n’était pas sans y avoir quelques relations dans les
-milieux officiels et dans la société. Mais il ne parlait ni ne
-comprenait le russe et se trouva fort empêché pour faire
-consciencieusement son travail professionnel. Il ne pouvait ni demander
-son chemin dans la rue, ni suivre les débats de la Douma, ni lire les
-nouvelles le matin. Cela surtout le gênait, car il avait l’habi<span class="pagenum"><a name="page_90" id="page_90">{90}</a></span>tude
-depuis vingt ans de parcourir vite, mais d’un coup d’œil sûr, une
-douzaine de journaux avant de commencer sa journée. Il s’ouvrit de ses
-ennuis à un de ses compatriotes fixé en Russie et lui demanda de lui
-trouver un secrétaire. A ce moment-là, il restait peu de jeunes gens à
-Pétrograd et son ami lui proposa de lui donner comme lectrice une jeune
-fille intelligente et cultivée.</p>
-
-<p>&mdash;Vous ferez ainsi connaissance, lui dit-il, avec ce qu’il y a de mieux
-en Russie, la jeune fille. Et vous en apprendrez plus en causant avec
-elle qu’en vous faisant lire le <i>Novoie Vremia</i>.</p>
-
-<p>Ture Ekman accepta cette proposition. Il avait souvent employé des
-femmes dans son journal et avait été généralement satisfait de leurs
-services. C’était un homme de quarante-cinq ans, de bonne santé, de
-mœurs paisibles, qui se défendait mal contre l’embonpoint. Il était
-marié, père de famille, et, une fois sa besogne terminée, rentrait
-chaque soir chez lui dans la banlieue de Stockholm, mettait ses
-pantoufles, allumait une pipe et, après dîner, tout<span class="pagenum"><a name="page_91" id="page_91">{91}</a></span> en buvant un verre
-de punch, lisait à haute voix à sa femme et à sa fille aînée un livre
-d’histoire ou, plus rarement, un roman. Il vivait à son aise, avait son
-automobile et, quand il recevait ses amis, les traitait bien.</p>
-
-<p>Quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées qu’il reçut la visite de
-son compatriote.</p>
-
-<p>&mdash;J’ai quelqu’un pour vous lui dit ce dernier. C’est la fille d’un haut
-fonctionnaire au ministère de l’Agriculture. Elle a dix-huit ans et sort
-du gymnase. Elle s’est mis dans la tête de travailler, bien qu’elle
-n’ait aucun besoin d’argent. Seulement, elle ne sait pas un mot de
-suédois. Elle parle français et vous aussi, je crois. Vous vous
-entendrez donc sans difficulté. Elle s’appelle Véra Alexandrovna Orlova.
-Est-elle intelligente? je n’en sais rien. Mais elle est ravissante. Une
-vraie beauté, mon cher. Et puis, ces filles russes ne ressemblent pas
-aux nôtres. Elles ont quelque chose qui n’est qu’à elles. N’allez pas en
-tomber amoureux.</p>
-
-<p>En entendant cette phrase, Ture Ekman éclata d’un gros rire. A son âge,
-être amoureux d’une jeune fille lui paraissait la chose la plus<span class="pagenum"><a name="page_92" id="page_92">{92}</a></span> comique
-du monde. Il s’occupait de politique et d’affaires; là il était de
-premier ordre. Dans les questions féminines, il s’avouait incompétent.
-Elles ne l’intéressaient du reste pas. Il pensa à son excellente femme,
-presque aussi âgée que lui, à sa fille qui avait deux ans de plus que sa
-lectrice.</p>
-
-<p>&mdash;Envoyez-moi Véra Alexandrovna, dit-il, j’ai à travailler et, si elle
-est intelligente, nous nous entendrons vite. Sinon, fût-elle Vénus
-elle-même, il faudra m’en trouver une autre.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, vers onze heures, le portier de l’hôtel lui
-téléphona qu’une dame le demandait.</p>
-
-<p>N’osant la recevoir dans sa chambre, il descendit au rez-de-chaussée. Il
-se trouva en face d’une personne de taille moyenne, mince, d’apparence
-délicate, enveloppée dans un grand manteau de fourrure. Elle était
-placée à contre-jour et il ne voyait que la forme de sa tête, qui était
-petite, et, dans un visage fin et pâle, deux grands yeux de couleur
-indécise qui le regardaient bien en face. Elle lui tendit la main d’un
-geste plein de naturel, où il n’y avait ni familia<span class="pagenum"><a name="page_93" id="page_93">{93}</a></span>rité ni gêne. C’était
-chez M. Ture Ekman qu’on aurait trouvé, à ce moment-là, de la timidité,
-car il ne savait exactement comment traiter cette jeune fille élégante
-qui venait se mettre à son service.</p>
-
-<p>Il s’excusa de ne pouvoir la recevoir chez lui et lui proposa de passer
-dans la salle de lecture. Ils eurent quelque peine à y trouver de la
-place tant elle était pleine et bourdonnante de gens qui entraient,
-sortaient, feuilletaient les journaux ou causaient. Il était impossible
-de travailler dans un tel brouhaha.</p>
-
-<p>Il tourna sa bonne figure d’homme tranquille et bien nourri vers la
-jeune fille et se mit à rire.</p>
-
-<p>&mdash;Que ferons-nous, Véra Alexandrovna? demanda-t-il.</p>
-
-<p>&mdash;Ce que vous voudrez, répondit-elle.</p>
-
-<p>Il hésita un instant.</p>
-
-<p>&mdash;Il faut aller chez moi. Vous n’y voyez pas d’inconvénient?</p>
-
-<p>&mdash;Et pourquoi donc? dit la jeune fille.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, attendez-moi quelques minutes ici. Cherchez pendant ce temps
-les nouvelles<span class="pagenum"><a name="page_94" id="page_94">{94}</a></span> les plus intéressantes dans le <i>Novoié Vrémia</i>. Je
-reviens à l’instant.</p>
-
-<p>Il monta chez lui pour voir si la chambre avait été faite, sonna le
-garçon, fit apporter un paravent qu’il déploya de façon à cacher le lit.
-Puis il redescendit tout essoufflé par tant d’activité, acheta une
-demi-douzaine de journaux chez le portier et vint chercher la jeune
-fille.</p>
-
-<p>Dans la chambre, elle ôta son chapeau et son manteau. Il constata
-qu’elle était vraiment jolie. Elle avait des cheveux bruns coupés court
-et bouclés, un visage un peu allongé, une peau mate et qui s’éclairait
-d’une façon charmante, de grands yeux gris innocents et rêveurs, et une
-bouche petite qui, quand elle souriait, laissait voir des dents
-éclatantes. Les mains fines étaient soignées. L’excellent Ture Ekman se
-dit: «Voilà une fille de grand prix, mais comment travaillera-t-elle?» A
-l’avance, il sentait en lui des trésors de patience et d’indulgence.</p>
-
-<p>Cependant, il installa Véra Alexandrovna dans un fauteuil, lui donna le
-<i>Novoié Vrémia</i> et s’assit à la table, un crayon à la main et une
-feuille de papier devant lui.<span class="pagenum"><a name="page_95" id="page_95">{95}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Quelles sont les nouvelles de la guerre? demanda-t-il.</p>
-
-<p>La jeune fille se mit à feuilleter le vaste journal et, non sans peine,
-trouva le bulletin du grand quartier général. Elle commença à le
-traduire; mais il était hérissé de termes techniques devant lesquels
-elle hésitait, cherchant ses mots, faisant de grands efforts pour
-essayer de franchir les tirs de barrage et d’enjamber les tranchées.
-Finalement, elle resta prise dans les fils de fer barbelés. La peine
-qu’elle se donnait pour s’en dégager lui rosissait les joues. Ture Ekman
-vint à son secours, mais ne réussit qu’à s’empêtrer avec elle; au bout
-d’un quart d’heure de travail opiniâtre, ils étaient tous deux fatigués,
-à bout de souffle, et n’avaient pas fait grand chemin.</p>
-
-<p>Véra Alexandrovna soupira:</p>
-
-<p>&mdash;Je ne pensais pas que ce fût si difficile, dit-elle, j’aurais tant
-voulu vous être utile! Mais je crois que je n’y arriverai jamais.</p>
-
-<p>Sa bonne volonté était si manifeste, et sa confusion, que le cœur du bon
-Suédois s’émut. C’était un métier à apprendre, elle en surmonterait vite
-les difficultés initiales. Il employa<span class="pagenum"><a name="page_96" id="page_96">{96}</a></span> tant de persuasion à la rassurer
-qu’elle se risqua dans l’article de politique étrangère. Ici encore, le
-vocabulaire lui manquait pour traduire les ingénieuses considérations du
-savant auteur de l’article. Elle posa le journal:</p>
-
-<p>&mdash;Nous n’arriverons ainsi à rien de bon, Monsieur Ekman, dit-elle. Que
-faire?</p>
-
-<p>Elle prit sa jolie tête bouclée entre ses deux mains et se mit à
-réfléchir avec un air si concentré, si sérieux que Ture Ekman n’osait
-plus bouger de peur de la distraire.</p>
-
-<p>&mdash;Je crois que j’ai trouvé, dit-elle enfin. Je lirai les journaux chez
-moi avant de venir; je marquerai les nouvelles les plus intéressantes
-et, s’il y a des mots que je ne comprends pas, le les chercherai dans le
-dictionnaire.</p>
-
-<p>&mdash;Ou vous les demanderez à votre père, intervint Ture Ekman, car vous
-n’en sortirez pas toute seule.</p>
-
-<p>&mdash;A mon père, dit la jeune fille avec effroi, vous n’y pensez pas? Que
-dirait-il s’il savait que je travaille pour gagner un peu d’argent?
-C’est un grand secret entre nous, monsieur Ture Ekman; je vous en prie,
-ne me trahissez pas.<span class="pagenum"><a name="page_97" id="page_97">{97}</a></span></p>
-
-<p>Elle était maintenant très agitée. Ture Ekman s’employa de son mieux à
-la rassurer; mais ce que venait de dire Véra Alexandrovna lui permit de
-poser à la jeune fille une question devant laquelle il hésitait depuis
-un moment, à savoir le prix qu’elle voulait pour son travail. Elle
-rougit très fort lorsqu’il le lui demanda.</p>
-
-<p>&mdash;A la vérité, ce que je fais pour vous ne vaut rien. Je le comprends
-fort bien.</p>
-
-<p>Mais le Suédois, touché, lui expliqua qu’il ne fallait pas se désespérer
-ainsi, qu’elle ferait de rapides progrès. Tout travail méritait salaire.
-En somme, elle lui consacrait sa matinée. S’il la prenait au mois, cela
-vaudrait bien deux cents roubles. Mais il ne savait quelle serait la
-durée de son séjour à Pétrograd, aussi lui donnerait-il, si elle le
-trouvait suffisant, dix roubles par jour.</p>
-
-<p>Véra Alexandrovna en entendant ce prix devint très sérieuse.</p>
-
-<p>&mdash;J’ai honte, dit-elle, d’accepter tant d’argent; mais la vérité est que
-j’ai, en ce moment, le plus grand besoin d’en gagner, et si vous voulez
-me donner ce que vous dites, je vous<span class="pagenum"><a name="page_98" id="page_98">{98}</a></span> promets de faire de mon mieux pour
-vous satisfaire.</p>
-
-<p>Après cette première entrevue, ils se séparèrent, également contents
-l’un de l’autre, après avoir pris rendez-vous pour le matin suivant, à
-dix heures.</p>
-
-<p>Le lendemain, Véra Alexandrovna avait fait quelques progrès. Dans les
-deux heures qu’elle passa à l’hôtel de l’Europe, elle arriva à lire à
-peu près correctement une colonne et demie du <i>Novoié Vrémia</i>. Ce fut un
-grand succès auquel s’associa de tout cœur Ture Ekman.</p>
-
-<p>Pourtant il ne fallut pas beaucoup de temps au directeur de journal, qui
-avait l’habitude du travail, pour comprendre que Véra Alexandrovna ne
-lui serait d’aucune utilité au point de vue professionnel. Mais il la
-trouvait charmante et ne voulait pas s’en séparer. Une autre de ses
-relations lui découvrit à point nommé un petit juif très débrouillé, qui
-collaborait aux <i>Birgevie Viedomosti</i>. Il l’eut à déjeuner chaque jour
-et, pendant le repas, il apprenait toutes les nouvelles qui lui étaient
-nécessaires.</p>
-
-<p>Véra Alexandrovna continuait à venir le voir<span class="pagenum"><a name="page_99" id="page_99">{99}</a></span> le matin. Elle arrivait
-avec un peu de retard, vers dix heures et demie, ayant dans son manchon
-l’unique <i>Novoié Vrémia</i> qu’elle déployait avec gravité devant elle.
-Rien ne divertissait plus Ture Ekman que de la voir parcourir le journal
-avec les grâces et les précautions d’un jeune chat qui traverse un
-terrain rempli de ronces. Par moment, il ne pouvait s’empêcher d’éclater
-d’un rire si franc, si sans arrière-pensée, si communicatif que la jeune
-fille essayait en vain de prendre l’air courroucé.</p>
-
-<p>&mdash;Vous vous moquez de moi, disait-elle. Ce n’est pas gentil.</p>
-
-<p>Mais elle se mettait à rire aussi.</p>
-
-<p>Un jour pourtant, comme elle était énervée, au lieu de rire avec Ture
-Ekman, elle commença de pleurer. Quand le bon Suédois vit des larmes
-dans les beaux yeux de sa petite amie, son cœur s’émut. Il se précipita
-vers elle.</p>
-
-<p>&mdash;Ma chère Véra Alexandrovna, dit-il, pardonnez-moi, je suis une brute.
-Mais vous savez bien que pour rien au monde, je ne voudrais vous faire
-de la peine. Remettez-vous, je vous en prie.<span class="pagenum"><a name="page_100" id="page_100">{100}</a></span></p>
-
-<p>Il s’était emparé de la main de sa lectrice et parlait avec une bonté si
-évidente que la jeune fille reprit contenance et qu’il eut le plaisir de
-voir qu’elle lui souriait.</p>
-
-<p>A partir de ce jour-là, leur intimité fut plus grande et ils devinrent
-de très bons amis.</p>
-
-<p>Bientôt la comédie de la lecture cessa et fut remplacée par une
-conversation dans laquelle M. Ture Ekman eut l’occasion d’apprendre
-beaucoup plus de choses sur la vie russe, sur la famille et sur les
-jeunes filles, qu’il n’aurait pu le faire en vingt années d’une lecture
-quotidienne des journaux. Pourtant il remarqua que Véra Alexandrovna, si
-elle parlait à cœur ouvert des siens et de ce qu’elle avait vu autour
-d’elle, était fort sobre de détails pour tout ce qui concernait sa vie
-propre. Il semblait qu’il s’agît pour elle d’un spectacle auquel elle
-n’était pas mêlée. Elle lui apparaissait comme une jeune fille simple et
-pure dans une société compliquée, libre à l’excès et, somme toute,
-dépravée. Mais les grâces de la jeunesse l’avaient préservée. Elle
-savait tout et n’avait goûté à rien. Cette fraîcheur et cette candeur de
-l’âme qu’elle avait con<span class="pagenum"><a name="page_101" id="page_101">{101}</a></span>servées plaisaient infiniment à Ture Ekman. Il
-se souvenait des paroles de son ami: «Prenez garde à vous!» Mais quel
-danger pouvait-on courir auprès de cette enfant innocente? Elle ne
-cherchait pas à lui plaire. Elle n’essayait pas de le gagner. Elle ne
-déployait aucune coquetterie.</p>
-
-<p>On aurait bien étonné Ture Ekman si on lui avait dit qu’il était en
-train de devenir amoureux de sa lectrice. Lorsqu’il voyait la jeune
-Russe, il pensait à chaque fois à sa digne épouse et à sa fille, pour se
-féliciter que les siens vécussent dans une atmosphère si différente de
-celle qu’il respirait à Pétrograd. Parfois il s’attendrissait sur le
-sort qui attendait Véra Alexandrovna. Elle devrait se marier, épouser un
-honnête homme. Son père, il est vrai, occupait une haute position, mais,
-à quelques mots échappés à la jeune fille, Ekman avait compris qu’il
-manquait quelque chose à ce foyer. Qui donc pourrait lui assurer
-l’existence heureuse à laquelle elle avait droit? Un jour il en arriva
-même à lui demander pourquoi elle ne viendrait pas avec lui en Suède, où
-elle trouverait, sans doute, un mari digne d’elle.<span class="pagenum"><a name="page_102" id="page_102">{102}</a></span></p>
-
-<p>Véra Alexandrovna, lorsqu’elle entendit cette proposition étrange, le
-regarda étonnée. Elle hocha la tête et répondit avec mélancolie:</p>
-
-<p>&mdash;Je ne puis vivre qu’ici.</p>
-
-<p>Ture Ekman prit tant de goût aux heures passées en compagnie de cette
-charmante fille qu’il lui proposa de l’accompagner dans les courses
-qu’il avait à faire l’après-midi. Elle lui servirait d’interprète.</p>
-
-<p>Ils sortirent ainsi quelquefois ensemble, allèrent au cinéma, prirent le
-thé à l’hôtel Astoria. Ture Ekman avait pour Véra Alexandrovna mille
-attentions. Il lui achetait des boîtes de chocolat et des bonbons. Il
-était, avec elle, tout à fait paternel. Cela permettait une intimité
-bien plus grande. La jeune fille se prêtait à ce jeu. Du reste, par sa
-tenue même, par toute l’atmosphère qu’elle créait autour d’elle, par son
-air inimitable de «ne me touchez pas», elle donnait à l’excellent
-Suédois l’impression qu’elle était aussi pure et aussi froide que les
-neiges de son septentrional pays.</p>
-
-<p>Il se complaisait dans ces pensées agréables lorsqu’un fait nouveau
-l’obligea soudainement<span class="pagenum"><a name="page_103" id="page_103">{103}</a></span> à mettre en doute la valeur des réflexions qu’il
-avait faites au sujet de sa chère lectrice.</p>
-
-<p>Il avait été souper chez des amis à la Perspective de Kameno-Ostrof.
-C’était le quartier où habitait Véra Alexandrovna. Le souper s’était
-prolongé très tard; on avait bu plus que de raison. Vers cinq heures du
-matin, un peu alourdi, Ture Ekman se décida enfin à regagner le lointain
-hôtel de l’Europe. Il prit un traîneau, releva le col de sa fourrure,
-mit les mains dans ses poches et, cahoté au trot lent du cheval sur la
-neige durcie et inégale, éprouva un plaisir assez vif à sentir l’air
-glacé lui piquer les joues et le front. «Je n’ai pas beaucoup d’heures à
-dormir, songeait-il. Véra Alexandrovna viendra comme à l’ordinaire.
-C’est un ange!... Ah! que j’ai sommeil!... Pourvu que je me réveille à
-temps!...»</p>
-
-<p>Cependant il s’intéressait à la vie qui commençait à renaître dans la
-ville endormie. Malgré le froid, malgré la profondeur de la nuit, on
-voyait des femmes glisser le long des maisons, tout emmitouflées dans
-leurs manteaux fourrés, la tête couverte d’un châle. C’était des<span class="pagenum"><a name="page_104" id="page_104">{104}</a></span>
-servantes, ou des femmes d’ouvriers, qui allaient se mettre à la porte
-d’une boulangerie pour avoir, après une interminable attente, leur pain
-quotidien. Notre bon Suédois s’attendrit sur les souffrances de ces
-malheureuses, sur leur patience. Il adressa, en lui-même, un blâme
-sévère à l’édilité dont l’incurie obligeait les habitants de la capitale
-à de longues stations dans les rues, par vingt et trente degrés de
-froid. Ces files de femmes, auxquelles se mêlaient quelques hommes et
-même des enfants, se tenaient immobiles sur le trottoir. Ture Ekman en
-vit une de près d’une centaine de personnes puis, un peu plus loin, une
-seconde non moins étendue.</p>
-
-<p>Un grand réverbère électrique jetait une lumière blafarde sur les femmes
-qui étaient là, tassées les unes contre les autres, comme pour se
-réchauffer.</p>
-
-<p>Soudain, il sursauta. Il venait de reconnaître au milieu de la rangée
-près de la chaussée son élégante secrétaire. Elle était enveloppée du
-manteau de fourrures qu’il avait le plaisir de lui enlever chaque matin
-et d’aller poser sur le lit, derrière le paravent. Au lieu de chapeau,
-elle por<span class="pagenum"><a name="page_105" id="page_105">{105}</a></span>tait, comme ses compagnes de corvée, un châle beige croisé sur
-la tête et qui ne laissait apercevoir que son visage pâle. Elle semblait
-très fatiguée.</p>
-
-<p>Ture Ekman n’en crut pas ses yeux. Pour la regarder encore, il se
-retourna dans le traîneau qui glissait sur la neige gelée. Oui, c’était
-bien elle! il ne put retenir un: «Ah! mon Dieu!» qui retentit dans la
-nuit.</p>
-
-<p>En entendant ces mots prononcés par une voix connue, la jeune fille
-tourna son visage et Ture Ekman comprit qu’elle l’avait vu.</p>
-
-<p>Le désarroi du bon Suédois était si grand, le désordre de ses idées si
-complet, qu’il ne sut prendre un parti à temps. Il hésita quelques
-secondes à donner l’ordre à son cocher d’arrêter. Mais déjà il était
-loin de la file allongée des femmes, il se tut et continua lentement son
-chemin vers l’hôtel de l’Europe. Malgré le froid, il tenait ses yeux
-grands ouverts, comme il avait l’habitude de le faire lorsqu’il était
-préoccupé.</p>
-
-<p>Il dormit peu, d’un sommeil agité. De bonne heure, il se leva en hâte et
-descendit au café de<span class="pagenum"><a name="page_106" id="page_106">{106}</a></span> l’hôtel pendant que les domestiques faisaient sa
-chambre.</p>
-
-<p>Un peu avant onze heures, Véra Alexandrovna entra chez lui, le <i>Novoié
-Vrémia</i> sous le bras. Sur son jeune visage, on ne lisait aucune trace
-d’embarras et Ture Ekman qui la regardait avec une extrême curiosité, en
-arrivait à douter de ce qu’il avait vu et à se demander si, sous
-l’influence de l’alcool absorbé, il n’avait pas été victime d’une
-illusion sur la perspective de Kameno-Ostrof. Lorsqu’elle levait les
-yeux sur lui, il détournait vite les siens de peur de paraître
-indiscret. Cependant il mourait d’envie de savoir pourquoi Véra
-Alexandrovna se trouvait de si grand matin dans la rue en compagnie
-d’humbles servantes et de femmes du peuple. Après bien des hésitations,
-il se décida à l’interroger. Mais cet homme d’affaires était avec les
-femmes d’une grande timidité (on s’en est aperçu, de reste) et il ne
-savait comment s’y prendre. Rougissant un peu, il finit par lui dire:</p>
-
-<p>&mdash;Ne vous ai-je pas déjà vue aujourd’hui, Véra Alexandrovna?<span class="pagenum"><a name="page_107" id="page_107">{107}</a></span></p>
-
-<p>La jeune fille le regarda avec une parfaite tranquillité.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! c’était vous, monsieur Ture Ekman, qui passiez ce matin sur
-Kameno-Ostrof. Je croyais bien avoir reconnu votre voix. Vous vous
-couchez trop tard, vraiment.</p>
-
-<p>Puis elle se remit à chercher des nouvelles dans le journal déplié
-devant elle.</p>
-
-<p>Le flegmatique Suédois était tout à fait déconcerté par les mots et par
-le ton de Véra Alexandrovna. Il n’en savait pas plus qu’avant d’avoir
-parlé. Au contraire, la simplicité avec laquelle elle avait répondu à sa
-question ajoutait au mystère qu’il voulait percer. Il fit quelques pas
-dans la chambre; il toussa une ou deux fois, puis, s’arrêtant devant la
-table, il prit le journal, le plia et, face à la jeune fille, il lui
-dit:</p>
-
-<p>&mdash;Voulez-vous m’expliquer pourquoi vous stationnez à la porte fermée
-d’une boulangerie à cinq heures du matin en plein hiver de Petrograd?
-N’avez-vous pas de servantes? Votre père sait-il ce que vous faites?
-(Ici Véra Alexandrovna ne put retenir un mouvement<span class="pagenum"><a name="page_108" id="page_108">{108}</a></span> d’effroi.) Etes-vous
-dans la gêne?... Dites-le-moi franchement, je vous prie... Vous savez
-que j’ai beaucoup d’affection pour vous, ma chère Véra Alexandrovna
-(Ture Ekman se troublait un peu)... Je pourrai peut-être vous venir en
-aide si vous traversez une crise... Confiez-vous à moi, mon enfant.</p>
-
-<p>Il lui avait pris une main. Il était dans une grande agitation. De son
-côté, Véra Alexandrovna montrait plus d’émotion qu’elle n’en avait
-jamais laissé paraître en présence de Ture Ekman. Pour la première fois,
-il semblait qu’un combat se livrât en elle; son visage s’animait, ses
-seins se soulevaient et s’abaissaient sur un rythme plus rapide.</p>
-
-<p>Ture Ekman, la voyant ainsi, redoubla ses efforts. Il mit tant de
-persuasion dans ses demandes répétées, une chaleur si communicative dans
-son accent, qu’il eut la joie de voir la réserve de Véra Alexandrovna
-fondre peu à peu. Les beaux yeux gris de la jeune fille se voilèrent et
-bientôt s’emplirent de larmes. Le cœur du pauvre Ekman battait à se
-rompre. Il pressentait le plus douloureux des mystères.<span class="pagenum"><a name="page_109" id="page_109">{109}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Dites-moi votre peine, fit-il avec plus de décision encore, et, s’il
-dépend de moi, je l’allégerai.</p>
-
-<p>&mdash;Vous êtes bon, murmura-t-elle enfin, en se penchant vers lui. Il y a
-trop longtemps que je suis seule, sans une âme à qui me confier, obligée
-de me cacher de tous. Je n’en puis plus (elle soupira)... Je vous dirai
-tout comme à un être humain.</p>
-
-<p>Elle s’arrêta un instant pour mettre de l’ordre dans ses idées
-tumultueuses; puis, le coude appuyé sur la table et la main soutenant
-son charmant visage, elle commença ainsi, non sans beaucoup de
-mélancolie et peut-être un peu trop de solennité (il est difficile
-d’être simple dans des moments pareils):</p>
-
-<p>&mdash;J’ai un ami, monsieur Ture Ekman, un ami que j’aime, que j’admire, et
-à qui je me suis donnée.</p>
-
-<p>Lorsqu’il entendit ce début, l’excellent Suédois sentit un trouble
-inconnu l’envahir. Sa poitrine se serra. Il eut chaud, puis froid. La
-netteté de cet aveu ne laissait place, hélas! à aucune ambiguïté. Il ne
-savait comment ac<span class="pagenum"><a name="page_110" id="page_110">{110}</a></span>cueillir le sentiment que cette confession faisait
-naître en lui et n’osait en rechercher la cause. Véra Alexandrovna avait
-un amant! Comment le croire? mais comment en douter? Et puis pourquoi
-était-elle bien avant le jour à la porte d’une boulangerie. Comment ceci
-était-il expliqué par cela? Ture Ekman s’y perdait. Cependant elle
-continuait:</p>
-
-<p>&mdash;Mon ami est un jeune artiste. Il s’appelle Paul. C’est un peintre du
-plus grand talent et qui sera célèbre. Pour l’instant, il n’a aucunes
-ressources et vit dans la pauvreté. Il a contre lui, naturellement,
-toute une cabale. On essaie de s’en défaire. Pas un journal ne parle de
-lui; pas une exposition n’accepte ses œuvres. Il est seul, mais il
-vaincra.</p>
-
-<p>Véra Alexandrovna s’animait en parlant. Elle était fière de son amant,
-elle s’indignait contre la sottise publique. Ses jolis yeux lançaient
-des éclairs. La colère la rendait éloquente. Jamais Ture Ekman ne
-l’avait vue si belle. Elle parlait, toute à la joie d’avoir quelqu’un à
-qui raconter ses peines; elle disait le début de leur liaison, comment
-elle avait fait la connaissance de Paul,<span class="pagenum"><a name="page_111" id="page_111">{111}</a></span> par hasard, aux Iles où il
-peignait en plein air «un paysage ravissant et tout plein de poésie. Il
-semblait que l’on entendît les oiseaux chanter (c’est ainsi qu’elle
-s’exprimait)». Ils s’étaient liés, s’étaient promenés ensemble, puis
-elle avait été le voir dans sa chambre misérable et là, un jour où il
-était malheureux, où il doutait de lui-même, elle s’était donnée à lui
-pour rendre à cet artiste l’orgueil et la force, trop heureuse qu’un si
-grand génie pût goûter quelque joie par la possession d’un corps qui
-n’avait appartenu à personne.</p>
-
-<p>&mdash;Je lui ai livré ce que j’avais de plus sacré, dit-elle, mais j’ai
-gagné son âme et qu’est-ce que la pauvre offrande que je lui ai faite
-auprès du don magnifique que j’ai reçu de lui?</p>
-
-<p>Ture Ekman perdait pied dans les régions sublimes où la jeune fille
-l’entraînait. Il revint à son idée fixe en lui demandant, à un moment où
-elle s’était arrêtée de parler:</p>
-
-<p>&mdash;Mais, Véra Alexandrovna, pourquoi étiez-vous à la porte d’une
-boulangerie ce matin avant le lever du jour?</p>
-
-<p>Ramenée à la plate réalité, Véra n’éprouva<span class="pagenum"><a name="page_112" id="page_112">{112}</a></span> aucun embarras. Ture Ekman
-avait noté, du reste, qu’elle n’avait pas essayé de se justifier et
-qu’elle s’était bornée à expliquer la situation dans laquelle elle se
-trouvait.</p>
-
-<p>&mdash;Paul, comme je vous l’ai expliqué, continua-t-elle, n’a aucune
-ressource. Il loge chez des gens assez pauvres qui lui ont loué une
-chambre. Ils n’ont pas de servante. Aussi serait-il obligé d’aller
-chercher son pain lui-même de grand matin. Mais vous comprenez comme moi
-que cela ne serait pas possible. La vie d’un artiste a ses exigences.
-Comment un homme habitué aux pensées les plus élevées pourrait-il
-s’abaisser à des questions de ménage?... Et puis Paul n’est pas fort. Il
-paraît robuste, c’est vrai, mais il a les bronches faibles. Pour un
-rien, il s’enrhumerait. Le voyez-vous par ces nuits terribles de
-Pétrograd rester une heure ou deux exposé au froid?</p>
-
-<p>Ture Ekman regarda la jeune fille. Elle était frêle et délicate. Par
-moment, elle toussait. Il se mit à détester Paul. Quel homme était-ce
-pour laisser une fille comme Véra, habituée au luxe, et, moralement, un
-ange, lui rendre de tels ser<span class="pagenum"><a name="page_113" id="page_113">{113}</a></span>vices? Et, au même temps que le bon Ture
-éprouvait de la pitié et de l’admiration pour sa chère Véra, il avait
-l’idée assez nette que le talent de Paul, ne valait pas les sacrifices
-que la jeune fille faisait pour lui. Il résolut de voir le peintre et
-ses tableaux. Il voulait juger lui-même l’homme qui avait inspiré un si
-grand amour à sa lectrice. Il dit donc à cette dernière:</p>
-
-<p>&mdash;Vous savez que j’aime la peinture et que je suis une façon de
-connaisseur. Oui, j’ai chez moi une petite collection de tableaux
-modernes; peut-être pourrai-je y joindre une œuvre de votre ami, si ses
-prétentions ne sont pas trop élevées. Et puis, je serai heureux d’entrer
-en relations avec un artiste aussi distingué.</p>
-
-<p>Le visage de Véra Alexandrovna s’empourpra de joie.</p>
-
-<p>&mdash;Que vous êtes bon, dit-elle en prenant affectueusement les mains du
-brave Suédois, que vous êtes bon! Mais est-il vrai que vous vous y
-connaissez en peinture? Ce n’est pas pour me faire plaisir que vous
-dites cela? Vous êtes un véritable amateur?</p>
-
-<p>Ture Ekman lui assura qu’il aimait la pein<span class="pagenum"><a name="page_114" id="page_114">{114}</a></span>ture d’un amour véritable et
-qu’il passait pour s’y entendre.</p>
-
-<p>Véra Alexandrovna, à cette déclaration positive, fut au comble du
-bonheur. On convint que, le jour suivant, après la séance à l’hôtel de
-l’Europe, ils se rendraient tous deux chez Paul.</p>
-
-<p>Le lendemain, donc, les voilà partis en traîneau vers midi. Tout le long
-du chemin, la jeune fille bavarda joyeusement et le thème unique de son
-bavardage était Paul.</p>
-
-<p>Ils arrivèrent enfin à la maison du héros. C’était un grand immeuble, à
-plusieurs corps de bâtiment séparés par de vastes cours. Ils montèrent
-un escalier qui ressemblait à un escalier de service et s’arrêtèrent au
-quatrième étage. Là, ils sonnèrent à une porte étroite et attendirent
-assez longtemps, jusqu’à ce qu’une femme débraillée et de mauvaise
-humeur vînt leur ouvrir et les introduisît dans un vestibule sans
-meubles qu’envahissait une odeur de choux aigres. Ils suivirent un
-couloir encombré de malles et de panières, au bout duquel Véra
-Alexandrovna poussa la porte entre-bâillée d’une chambre. Un jeune
-homme, à leur venue, se leva<span class="pagenum"><a name="page_115" id="page_115">{115}</a></span> d’un vieux fauteuil et fit quelques pas
-au-devant des visiteurs. Il était grand, gros; sa figure était blafarde,
-le nez allongé, les yeux étroits et petits. Toute sa contenance était à
-la fois gênée et satisfaite. Il paraissait très jeune. La chambre était
-misérablement meublée, mais, en outre, elle était sale et en désordre,
-des bouts et des cendres de cigarettes traînaient partout; du linge sale
-était entassé dans un coin; des tubes de couleur gisaient, éventrés, sur
-le plancher. Le cœur du bon Ture Ekman se serra à l’idée que sa chère
-lectrice, cet ange, cet être pur et bon, s’était abandonnée dans un
-décor pareil aux caresses d’un tel homme. Mais peut-être sous cette
-enveloppe peu aimable, Paul cachait-il un vrai talent, une originalité
-précieuse, des dons qui rachèteraient son ingrate apparence. Hélas! Ture
-Ekman fut bien vite désabusé. Paul, à la demande de Véra, montrait ses
-dernières œuvres. C’étaient les plus plates inventions, des paysages
-tout pareils dans leur fadeur aux chromo-lithographies qui ornent le
-couvercle des boîtes à bonbons. Ture Ekman, qui avait du goût, vit au
-premier coup d’œil que<span class="pagenum"><a name="page_116" id="page_116">{116}</a></span> Paul n’avait aucun don et aucun avenir. Il eut
-peine à réprimer un mouvement de mauvaise humeur. Il ne pouvait plus
-supporter la présence de Paul et se leva un peu brusquement pour prendre
-congé.</p>
-
-<p>A ce moment, il se tourna vers la jeune fille. Le regard qu’elle tenait
-fixé sur lui était chargé d’une anxiété si visible que Ture Ekman en
-frissonna. Oui, il était évident qu’elle attendait son verdict d’une âme
-pleine d’inquiétude et de terreur. La magnifique assurance dont elle
-avait fait preuve en parlant de Paul à l’hôtel de l’Europe avait
-disparu. Il ne restait plus qu’une pauvre petite fille à moitié morte à
-l’idée que l’œuvre de son amant était jugée mauvaise par un homme dont
-elle avait éprouvé la bonté et qui connaissait la peinture. Ture Ekman
-se sentit fort gêné. Il toussa pour reprendre contenance, fit quelques
-pas. Puis, soudainement, il s’empara d’une petite toile et demanda à
-Paul, d’une voix embarrassée, combien il l’estimait.</p>
-
-<p>Paul hésita un instant, puis dit:</p>
-
-<p>&mdash;Cent roubles.</p>
-
-<p>Sans ajouter un mot, Ture Ekman ouvrit son<span class="pagenum"><a name="page_117" id="page_117">{117}</a></span> portefeuille, en tira un
-billet de banque et le remit au jeune homme. Puis, son tableau sous le
-bras, il salua Paul et Véra Alexandrovna. Il osait à peine regarder la
-jeune fille en lui disant au revoir.</p>
-
-<p>Dans le rapide coup d’œil qu’il lui lança, il crut voir qu’elle gardait
-un visage douloureux et fermé. Lui-même se sentait fort mal à son aise.
-Il ne respira librement qu’une fois sur le trottoir et, là, il traduisit
-ses sentiments intimes par un violent juron dans sa langue natale.</p>
-
-<p>Toute la journée, il fut poursuivi par le souvenir de la scène dans
-laquelle il avait joué un rôle. Il s’attendrissait sur le sort infortuné
-de Véra Alexandrovna qui, par une incompréhensible folie, avait sacrifié
-sa vie à celle d’un raté et d’un égoïste qui l’exploitait. Il ne pouvait
-oublier le regard de la jeune fille au moment où il examinait les
-horribles tableaux de Paul. «La pauvre petite, répétait-il, la pauvre
-petite!» et il se savait un gré infini d’avoir su dissimuler son opinion
-véritable.</p>
-
-<p>Mais le lendemain matin, à peine Véra Alexandrovna était-elle entrée
-chez lui qu’il com<span class="pagenum"><a name="page_118" id="page_118">{118}</a></span>prit, à la voir pâle et sérieuse, qu’un drame s’était
-passé. La façon même dont elle l’aborda, la tristesse de ses yeux
-montraient à Ture Ekman une Véra qu’il n’avait jusqu’alors pas connue.
-Il n’eut pas longtemps à attendre pour savoir les causes d’un changement
-si complet. Avant même de quitter son manteau, elle vint à lui:</p>
-
-<p>&mdash;J’ai compris. Monsieur Ture Ekman, je vous remercie, vous êtes un
-homme admirable.</p>
-
-<p>Le pauvre Ekman n’entendait rien à ce que disait Véra. Mais il était
-près d’elle; il sentait que la minute était solennelle et son cœur
-battait plus vite qu’il ne l’aurait voulu.</p>
-
-<p>Véra continua:</p>
-
-<p>&mdash;Paul n’a pas de talent. Je le sais maintenant. C’est par charité que
-vous lui avez acheté un tableau; vous avez agi dans une situation
-difficile avec une grande délicatesse. Mais je veux vous rendre vos cent
-roubles, monsieur Ekman.</p>
-
-<p>A ce moment, la voix de la jeune fille se troubla un peu. Elle ne disait
-pas, en effet, toute la vérité. Le billet qu’elle lui tendait venait
-d’un<span class="pagenum"><a name="page_119" id="page_119">{119}</a></span> bijoutier voisin de l’hôtel de l’Europe, qui le lui avait remis en
-échange d’un petit bijou qu’elle avait vendu.</p>
-
-<p>Comme Ture Ekman protestait, refusait de reprendre son argent, jurait
-que la peinture de Paul était fort intéressante, elle l’interrompit avec
-impatience et dit:</p>
-
-<p>&mdash;Ne mentez pas, je vous prie. Vous m’avez rendu un grand service. J’ai
-rompu avec Paul, je ne le reverrai de ma vie, je me suis trompée sur
-lui. J’étais très jeune, monsieur Ekman; j’ai cru que c’était un grand
-artiste; j’ai vécu dans le mensonge. Grâce à vous, je vois clair
-aujourd’hui. Mais j’ai appris autre chose encore hier, c’est que vous
-êtes un homme noble, et il n’y a rien de plus grand au monde.</p>
-
-<p>Notre bon Suédois se mit à rougir. Sa surprise était si grande qu’il ne
-savait quelle mine faire. Cette charmante jeune fille était là, presque
-dans ses bras, toute tendue vers lui; il se rendait compte qu’un autre,
-plus audacieux, aurait à cet instant une belle partie à gagner.
-L’émotion de Véra, la sienne propre, cette chambre tiède où ils étaient
-tous deux enfermés... il eut comme<span class="pagenum"><a name="page_120" id="page_120">{120}</a></span> un vertige, se dégagea vivement et
-courut à la fenêtre.</p>
-
-<p>&mdash;Nous allons sortir ensemble, ma chère Véra Alexandrovna, dit-il, j’ai
-une course à faire. Voulez-vous m’accompagner?</p>
-
-<p>&mdash;Je ferai tout ce que vous voudrez, répondit-elle.</p>
-
-<p>Ils marchèrent dans les rues glacées de Pétrograd. Ture Ekman maintenant
-causait avec animation: il racontait sa vie à la jeune fille qui
-l’écoutait avec un intérêt passionné. Ce jour-là, l’excellent Ture
-Ekman, qui sentait le bras de Véra Alexandrovna s’appuyer sur le sien,
-fit la plus belle promenade de son existence. Il finit par ramener la
-jeune fille chez elle.</p>
-
-<p>En la quittant, il passa à l’agence des wagons-lits, prit une place à
-destination de Stockholm pour le train du lendemain matin, entra chez un
-bijoutier, acheta une jolie barrette avec diamants et perles et, rentré
-à l’hôtel, il écrivit une lettre ainsi conçue:</p>
-
-<p>«Très chère Véra Alexandrovna, je reçois un télégramme qui m’oblige à
-regagner Stockholm sans délai. Je suis bien fâché de ne pouvoir<span class="pagenum"><a name="page_121" id="page_121">{121}</a></span> prendre
-congé de vous avant mon départ demain matin. Je garderai un souvenir
-délicieux des jours que j’ai passés près de vous. J’espère que ma
-lectrice, en échange de la peine qu’elle s’est donnée pour moi, voudra
-bien accepter cette petite broche.»</p>
-
-<p>Il n’envoya la lettre et la broche par un commissionnaire que le
-lendemain matin, de bonne heure, au moment où il quittait l’hôtel pour
-gagner la gare de Finlande.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_122" id="page_122">{122}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_123" id="page_123">{123}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_124" id="page_124">{124}</a></span>&nbsp; </p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="page_125" id="page_125">{125}</a></span>&nbsp; </p>
-<h2><a name="SONIA_GRIGORIEVNA" id="SONIA_GRIGORIEVNA"></a>SONIA GRIGORIEVNA</h2>
-
-<p>Un Français qui habite la Russie me raconte l’histoire suivante qui,
-comme on le verra, trouve sa place dans ces notes sur la femme russe.</p>
-
-<p>J’ai connu, me dit-il, une actrice qui avait quelque renom à
-Saint-Pétersbourg. Lorsque je la rencontrai, elle vivait avec un certain
-Makharof. C’était un homme entre trente et quarante ans, de plus de six
-pieds de haut, taillé en hercule, et doué d’une espèce de beauté sauvage
-qui avait produit une grande impression sur Sonia Grigorievna. (Elle
-s’appelait ainsi.) Ils étaient ensemble depuis plus de deux ans et
-faisaient assez mauvais ménage. Makharof buvait, jouait et se permettait
-mainte passade. Sonia Grigorievna, de son côté, avait la réputation
-d’être légère. Des scènes quotidiennes éclataient entre<span class="pagenum"><a name="page_126" id="page_126">{126}</a></span> eux, et l’on
-assurait qu’à l’occasion il ne lui épargnait pas les coups. C’était une
-femme délicate et fine qui gardait dans ses aventures une certaine
-fierté. Ce que je sus d’elle alors, je l’appris par des amis, car
-elle-même ne me parlait jamais de sa vie avec son amant. Elle me
-plaisait; je lui faisais la cour; je l’accompagnais souvent au théâtre
-lorsqu’elle jouait et, parfois, nous soupions ensemble avant que je la
-raccompagnasse chez elle. Finalement, un soir, c’était peu après les
-fêtes de Noël, elle accepta de venir dîner dans mon appartement et,
-après dîner, elle se donna à moi avec une charmante simplicité. Vers
-minuit, elle regarda sa montre et me dit qu’elle voulait rentrer pour
-une heure du matin. Il faisait une nuit très froide. Quitter la tiédeur
-de mon lit pour aller courir les rues par une bise glacée n’avait rien
-de séduisant. Mais je ne pouvais garder Sonia Grigorievna et, après la
-soirée que nous avions passée, je lui devais de la raccompagner.</p>
-
-<p>Nous voici donc en traîneau. Il y avait peu de monde dehors, car la
-température était terrible. Nous arrivâmes transis sur la Fontanka,
-près<span class="pagenum"><a name="page_127" id="page_127">{127}</a></span> de Nevski, à cette grande maison que tout le monde connaît, la
-maison Tolstoï qui donne à la fois sur la rue de la Trinité et sur le
-canal de la Fontanka. Elle contient, je crois, près de deux cents
-appartements. Je laissai Sonia Grigorievna dans la seconde cour au pied
-de l’escalier qui conduisait chez elle.</p>
-
-<p>Seul, j’hésitai à regagner mon logis. J’étais gelé: j’avais envie de
-prendre un peu d’alcool pour me réchauffer. Comme je passais dans la
-première cour, j’aperçus de la lumière au troisième étage, aux fenêtres
-d’un appartement qu’habitait un prince géorgien que je connaissais. Je
-montai donc chez lui. Il y avait nombreuse compagnie; on buvait et on
-jouait aux cartes. Je m’assis à une table de bridge et jouai assez
-longtemps avec la malchance qui m’est coutumière.</p>
-
-<p>Vers trois heures, enfin, fatigué, je pris congé.</p>
-
-<p>Il faisait plus froid encore qu’à minuit: le ciel noir était criblé
-d’étoiles; le vent me coupait la figure. L’alcool dans les thermomètres
-devait descendre au-dessous de trente degrés Réaumur. Devant la porte,
-sur la Fontanka, des bûches<span class="pagenum"><a name="page_128" id="page_128">{128}</a></span> brûlaient dans un brasero. Un dvornik,
-enfoui sous une épaisse touloupe et qui n’avait plus forme humaine,
-somnolait sur un banc près du feu.</p>
-
-<p>Je fis quelques pas vers la Perspective Nevski pour trouver un
-izvostchik. Je fus bien surpris de voir à quelque distance de moi une
-femme marcher, de tournure élégante. «Qui diable, me dis-je, peut être
-dehors à pied, si tard, par cette nuit glaciale?» Et comme je la
-dépassais, je me retournai pour la dévisager. Le hasard voulut qu’à ce
-moment-là elle se trouvât sous un réverbère. Je reconnus Sonia. Elle me
-vit et sa surprise fut aussi grande que la mienne, mais je devinai
-sur-le-champ que cette rencontre ne lui causait aucun plaisir.</p>
-
-<p>&mdash;Au nom des dieux, que faites-vous ici? lui dis-je en la prenant par le
-bras.</p>
-
-<p>Elle hésita un instant. Elle se demandait sans doute si elle allait se
-fâcher et m’envoyer promener. Mais elle haussa les épaules et se mit à
-rire.</p>
-
-<p>&mdash;Et vous? dit-elle. Quel coureur vous êtes! Une femme ne vous suffit
-donc pas pour une nuit?<span class="pagenum"><a name="page_129" id="page_129">{129}</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Je suis entré chez Tamamchef en vous quittant, répondis-je. J’ai joué
-au bridge et j’ai perdu. Cela n’a pas d’intérêt. Mais vous, Sonia
-Grigorievna, expliquez-moi pourquoi je vous retrouve ici. Je vous
-croyais depuis longtemps endormie. Y a-t-il eu un drame chez vous?
-Makharof vous a-t-il chassée?</p>
-
-<p>Et je me demandais avec un peu d’inquiétude si je n’avais pas une part
-de responsabilité dans ces événements surprenants et si ce qui s’était
-passé chez moi n’était pas la cause directe qui avait mis Sonia sur le
-trottoir, à trois heures du matin.</p>
-
-<p>Je sentais sous mon bras trembler le bras de la jeune femme.</p>
-
-<p>&mdash;Mais vous mourez de froid, dis-je. Rentrons vite à la maison. Je vous
-offre volontiers l’hospitalité.</p>
-
-<p>&mdash;Non, fit-elle, je n’irai pas chez vous. Je rentrerai dans mon
-appartement tout à l’heure, comme je le voudrai. Il n’y a aucun drame;
-je suis ici de mon propre gré. Si cela ne vous ennuie pas, tenez-moi
-compagnie un instant.</p>
-
-<p>&mdash;Mais vous êtes folle, chère amie, folle à lier.<span class="pagenum"><a name="page_130" id="page_130">{130}</a></span> Ce quai serait notre
-tombeau. Remontez chez vous ou venez chez moi.</p>
-
-<p>&mdash;Non, non, reprit-elle avec obstination. Je ne puis rentrer encore. Il
-faut attendre un peu.</p>
-
-<p>Il y avait dans sa voix un accent si étrange que je me sentis pris d’une
-grande curiosité. Qu’est-ce qui pouvait retenir cette élégante et
-délicate femme à trois heures du matin sur le quai de la Fontanka, par
-une des nuits les plus froides de l’hiver? Et je voulais savoir tout de
-suite le mot de cette énigme.</p>
-
-<p>A ce moment, un coup de vent nous enveloppa. Nous étions gelés jusqu’à
-la moelle des os.</p>
-
-<p>&mdash;Sonia Grigorievna, dis-je avec fermeté, je ne vous laisserai pas ici.
-Allons où vous voudrez, mais mettons-nous à l’abri. Y a-t-il encore un
-cabaret ouvert?</p>
-
-<p>&mdash;Tout est fermé, dit-elle, se rendant enfin. Soit, allons chez vous.
-Mais nous garderons l’izvostchik, car je veux rentrer vers quatre
-heures.</p>
-
-<p>Nous nous dirigeâmes vers Nevski, sans parler. Comme nous arrivions près
-du pont,<span class="pagenum"><a name="page_131" id="page_131">{131}</a></span> un traîneau nous croisa. Derrière le cocher, un homme était
-assis, enveloppé d’une fourrure dont le col relevé montait jusqu’aux
-yeux, rejoignant le bonnet enfoncé sur le front et sur les oreilles.</p>
-
-<p>Sonia Grigorievna eut un sursaut. Elle s’arrêta net, se retourna et
-suivit des yeux le traîneau. Il fit halte un peu plus bas devant
-l’immeuble Tolstoï.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, dis-je impatienté, marchons.</p>
-
-<p>&mdash;Non, fit-elle, c’est inutile maintenant.</p>
-
-<p>Et ses yeux restaient fixés sur le traîneau à une centaine de pas de
-nous. L’homme en descendit, remit un billet à l’izvotschik et disparut.</p>
-
-<p>&mdash;Je n’irai pas chez vous, me dit Sonia. Mais je n’oublierai pas que
-vous avez été très gentil aujourd’hui et j’y reviendrai, si vous voulez
-encore de moi, mon cher.</p>
-
-<p>Elle me sourit, tournant vers moi un fin visage qui était d’une extrême
-pâleur.</p>
-
-<p>&mdash;Donnez-moi encore une minute, continua-t-elle.</p>
-
-<p>Et, sous un réverbère, elle sortit de son sac à<span class="pagenum"><a name="page_132" id="page_132">{132}</a></span> main sa boîte de fard
-et un petit miroir qu’elle me tendit.</p>
-
-<p>&mdash;Voulez-vous me tenir ce miroir? fit-elle.</p>
-
-<p>Je le pris et elle commença à se mettre un peu de rouge. Puis elle se
-passa une houppette de poudre de riz sur le nez.</p>
-
-<p>&mdash;Suis-je bien ainsi? demanda-t-elle, lorsqu’elle eut fini.</p>
-
-<p>J’étais exaspéré. Vous me voyez aidant cette folle à faire sa toilette
-entre trois et quatre heures du matin, sur un quai, par un froid
-sibérien. Et puis je ne comprenais rien à la scène qu’elle me jouait.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne vous quitterai pas, fis-je, avant que vous m’expliquiez ce que
-tout cela signifie.</p>
-
-<p>&mdash;Pas aujourd’hui, dit-elle avec une légère caresse de la main sur ma
-joue. Une autre fois, peut-être. Qui sait?</p>
-
-<p>Déjà elle m’échappait.</p>
-
-<p>Je rentrai chez moi, pestant contre les incompréhensibles caprices des
-femmes russes.</p>
-
-<p>Je n’eus pas longtemps à attendre pour satisfaire ma curiosité. Chose
-bizarre, j’avais pris ce soir-là un goût beaucoup plus vif pour Sonia<span class="pagenum"><a name="page_133" id="page_133">{133}</a></span>
-Grigorievna. Je n’aime pas les gens tout simples et en qui l’on voit au
-premier coup d’œil. Ne l’eussé-je pas rencontrée sur la Fontanka, je
-n’aurais peut-être plus pensé à elle. Maintenant, au contraire, je
-voulais connaître son histoire. Je m’attachai à Sonia et, peu de
-semaines après, elle avait quitté l’appartement de Makharof pour habiter
-le mien. Je passe sous silence la vie que nous menâmes à deux pendant
-quelques mois. Elle fut assez curieuse et, bien que déchirée, m’a laissé
-un agréable souvenir. Mais je veux seulement vous raconter puisque les
-femmes russes vous intéressent, pourquoi Sonia Grigorievna se promenait
-sur la Fontanka par cette nuit si froide de janvier.</p>
-
-<p>Elle me le dit elle-même un jour, poussée par l’impérieux désir qu’ont
-les femmes de ce pays de parler de leur passé et d’évoquer, infernales
-nécromanciennes, entre les bras de leur amant, les ombres de ses
-prédécesseurs.</p>
-
-<p>&mdash;Il y avait longtemps, me dit-elle, que je n’aimais plus Makharof quand
-je t’ai rencontré. Je savais qu’il me trompait; cela m’était
-indifférent. Je ne lui cachais pas que je lui étais infidèle.<span class="pagenum"><a name="page_134" id="page_134">{134}</a></span> Il
-affectait de n’y attacher aucune importance; mais j’étais certaine qu’il
-ne croyait pas ce que je lui disais. Il se persuadait que je l’aimais
-toujours et que je mentais pour le simple plaisir de le faire enrager.
-Il ne pouvait imaginer qu’un homme tel que lui ne fût pas adoré. J’avais
-beau lui donner des détails précis, il n’y ajoutait aucune créance. Et
-d’abord cela m’exaspéra. Puis, en pensant sans fin à ce sujet, mes idées
-changèrent, je me dis: «S’il est sûr d’être aimé, c’est peut-être qu’au
-fond il m’aime encore. Sans doute, il a des maîtresses d’occasion, des
-passades, mais c’est à moi qu’il revient toujours; c’est avec moi qu’il
-habite; c’est moi qu’il veut trouver dans l’appartement quand il
-rentre.» Et dès lors, je ne m’intéressai plus qu’à une chose: savoir
-s’il m’aimait ou non. Il y avait un point sur lequel je le voyais très
-sensible: il tenait à ce que je fusse à la maison quand il lui plaisait
-d’y revenir. Note, en passant, que quand nous nous retrouvions, c’était
-le plus souvent pour nous quereller. Naturellement, il avait mille
-raisons ingénieuses pour expliquer pourquoi je devais l’attendre. Il
-fallait que le samovar fût<span class="pagenum"><a name="page_135" id="page_135">{135}</a></span> prêt: je devais veiller à ce que les poêles
-chauffassent bien, etc., etc. Moi, qui avais compris tout cela, je
-m’arrangeais le plus souvent possible, et surtout le soir, pour ne pas
-être chez nous à l’heure où Makharof rentrait. Je me représentais
-Makharof me cherchant dans l’appartement, allant de pièce en pièce,
-m’appelant et, finalement, ivre de fureur, cassant quelque meuble.</p>
-
-<p>Les yeux de Sonia brillaient de plaisir au souvenir des tortures qu’elle
-avait fait subir à son amant.</p>
-
-<p>&mdash;Le jour où j’ai dîné ici, continua-t-elle, Makharof m’avait dit en
-sortant qu’il serait rentré à minuit et qu’il voulait avoir quelque
-chose à manger avant de travailler. Tu te souviens que j’eus grand soin
-de ne retourner chez moi qu’à une heure du matin. Mais tu peux imaginer
-ma colère quand tu sauras que je ne trouvai personne à la maison. Je
-n’hésitai pas un instant, je remis ma fourrure et sortis...</p>
-
-<p>&mdash;Et tu es restée ainsi deux heures dehors, risquant la mort, pour la
-seule et maigre satisfaction de penser au désappointement de Makharof
-lorsqu’il rentrerait dans un appartement où<span class="pagenum"><a name="page_136" id="page_136">{136}</a></span> tu n’étais pas. Mais c’est
-absurde, ma chère Sonia!...</p>
-
-<p>Elle me regarda stupéfaite.</p>
-
-<p>&mdash;Tu es Français, me dit-elle en haussant les épaules.</p>
-
-<p>Elle n’ajouta rien, comme si ce simple mot suffisait à évoquer l’abîme
-qui nous séparait.</p>
-
-<p>Mais je me piquai:</p>
-
-<p>&mdash;Je comprends bien plus et bien mieux que tu ne l’imagines, repris-je.
-Je comprends que tu l’aimais encore, bien que tu ne voulusses pas te
-l’avouer. Sans doute, il t’aimait aussi. Et vous jouiez à cache-cache.
-Mais le diable m’emporte si j’ai jamais vu des gens qui missent un tel
-enjeu à la partie. Tu sais que tu risquais ta vie ce soir-là, sur la
-Fontanka.</p>
-
-<p>Elle ne répondit rien. Et il y eut entre nous un long silence. C’est moi
-qui le rompis.</p>
-
-<p>&mdash;Et quand tu es entrée, dis-je, que s’est-il passé? Tu as eu ta scène
-sans doute, la scène que tu attendais, la scène que tu voulais
-provoquer, qui t’était aussi indispensable pour finir la journée et
-dormir tranquille qu’une dose d’opium à l’opiomane.<span class="pagenum"><a name="page_137" id="page_137">{137}</a></span></p>
-
-<p>Sonia sourit.</p>
-
-<p>&mdash;Non, fit-elle, il n’y eut aucune scène et la fin de mon histoire est
-bien plus surprenante. Je te la raconterai puisque tu parais prendre
-plaisir à ces folies. Tu te souviens que je suis rentrée peut-être cinq
-minutes après Makharof. Eh bien, je te donne en mille de deviner comment
-je l’ai trouvé... L’appartement était sombre, pas une pièce n’était
-éclairée; Makharof était déjà couché, et il dormait à poings fermés. Il
-dormait!... Tu comprends bien que je n’ai pas été sa dupe. Il feignait
-de dormir. Il voulait ainsi me faire sentir qu’il lui était complètement
-indifférent que je fusse là ou que je n’y fusse pas, que je pouvais
-découcher si bon me semblait, pourvu que son sommeil n’en fût pas
-dérangé... Oui, mais moi je ne pouvais m’empêcher de rire en pensant à
-la hâte fébrile avec laquelle il s’était déshabillé, sans même fumer une
-dernière cigarette, sans même faire sa toilette, de façon à pouvoir
-paraître endormi si, par hasard, j’arrivais sur ses talons. Et je
-réfléchissais à la comédie qu’il me jouait ainsi. Il voulait se donner
-l’air&mdash;et à quel prix!&mdash;d’être indifférent. Il ne<span class="pagenum"><a name="page_138" id="page_138">{138}</a></span> l’était donc pas. Je
-vis clair tout d’un coup. Cette fois-ci je savais la vérité: j’avais la
-preuve qu’il m’aimait encore. Ah! je ne puis te dire combien j’étais
-heureuse. Toutes les souffrances que le froid m’avait fait endurer
-pendant les deux mortelles heures d’attente sur la Fontanka étaient
-payées et largement... Et vois-tu, tout Français que tu es, tu avais
-peut-être raison tout à l’heure. Jusqu’à ce jour-là, tant que je doutais
-de lui, je l’aimais encore, sans doute. Mais, à partir de la minute où
-j’ai été fixée sur ses sentiments, il a perdu tout intérêt pour moi. Il
-est devenu soudain comme s’il n’était pas; je ne pouvais même arriver à
-comprendre comment j’étais restée attachée si longtemps à cet être
-brutal... La suite, tu la connais, et la preuve que je dis vrai, tu l’as
-devant toi, puisque je suis ici maintenant.</p>
-
-<table cellpadding="3" summary="deprecated">
-<tr><th><a name="TABLE_DES_MATIERES" id="TABLE_DES_MATIERES"></a>
-TABLE DES MATIÈRES</th></tr>
-<tr><td align="left"><span class="smcap"><a href="#NADIA">Nadia</a>.</span></td>
-<td class="rt"><a href="#page_5">5</a></td></tr>
-<tr><td align="left"><span class="smcap"><a href="#VERA_ALEXANDROVNA">Vera Alexandrovna</a>.</span></td>
-<td class="rt"><a href="#page_89">89</a></td></tr>
-<tr><td align="left"><span class="smcap"><a href="#SONIA_GRIGORIEVNA">Sonia Grigorievna</a>.</span></td>
-<td class="rt"><a href="#page_125">125</a></td></tr>
-</table>
-
-<table cellpadding="0" cellspacing="0" summary="deprecated">
-<tr><td align="left">ACHEVÉ D’IMPRIMER</td></tr>
-<tr><td align="left">LE 16 OCTOBRE 1922</td></tr>
-<tr><td align="left">PAR F. PAILLART, A</td></tr>
-<tr><td align="left">ABBEVILLE (SOMME)</td></tr>
-</table>
-
-<p class="c">Dernières Publications de la Librairie BERNARD GRASSET<br />
-61, rue des Saints-Pères, PARIS</p>
-
-<hr />
-
-<table cellpadding="2" summary="deprecated"
-style="margin:.25em auto;max-width:45%;">
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Claude Anet:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Petite Ville</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Quand la terre trembla</b>, rom.</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>L’Amour en Russie</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Emile Baumann:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>L’Immolé</b>, roman (2 vol.)</td><td align="left">10&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>La Fosse aux Lions</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Le Baptême de Pauline Ardel</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Trois villes saintes</b> (Ars-en-Dombes, Mont-Saint-Michel, St-Jacques de Compostelle)</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Alphonse de Chateaubriant:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Monsieur des Lourdines</b>, rom.</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Jacques Chenevière:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Jouvence ou la Chimère</b>, rom.</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Emile Clermont:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Laure</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Benjamin Crémieux:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Le Premier de la classe</b>, rom.</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Jean Giraudoux:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Simon le pathétique</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Provinciales</b>, nouvelles</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>L’Ecole des Indifférents</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Louis Hémon:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Maria Chapdelaine</b>, roman</td><td align="left">6 50</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Paul Gsell:</td></tr>
-<tr><td class="pdd">Les matinées de la villa Saïd. <b>Propos d’Anatole France</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Georges Imann:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Les Nocturnes</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Léon Lafage:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Les Abeilles mortes</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">François Mauriac:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Le baiser au Lépreux</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">André Maurois:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Les Silences du Colonel Bramble</b></td><td align="left">5&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Les Discours du docteur O’Grady</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Jeanne Maxime-David:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>La Victoire des dieux lares</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Paul Reboux et Charles Muller:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>A la Manière de</b>... Les 3 séries en 2 vol., chaque vol.</td><td align="left">5&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">André Savignon:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Les Filles de la Pluie</b></td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">Jacques Sindral:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>La Ville éphémère</b>, roman</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr><td class="csmcap" colspan="2">André Thérive:</td></tr>
-<tr><td class="pdd"><b>Le Voyage de M. Renan</b>, rom.</td><td align="left">6&nbsp;75</td></tr>
-</table>
-
-<div class="bboxx">
-<table cellpadding="0" summary="deprecated">
-<tr class="c"><th colspan="2">GRAND PRIX BALZAC<br />&mdash;&mdash;&mdash;</th></tr>
-<tr class="c"><td colspan="2"><span class="smcap">Jean Giraudoux</span>:</td></tr>
-<tr class="c"><td colspan="2"><b>SIEGFRIED ET LE LIMOUSIN</b></td></tr>
-<tr><td>Prix</td><td class="rt">6&nbsp;75</td></tr>
-<tr class="c"><td colspan="2"><span class="smcap">Emile Baumann</span>:</td></tr>
-<tr class="c"><td colspan="2"><b>JOB LE PRÉDESTINÉ</b></td></tr>
-<tr><td>Prix</td><td class="rt">7&nbsp;»</td></tr>
-</table>
-
-</div>
-
-<p class="cb">LES CAHIERS VERTS</p>
-
-<p class="c">Publiés sous la direction de <span class="smcap">Daniel Halévy</span><br />
-&mdash;&mdash;&mdash;
-</p>
-
-<p class="c"><i>Cahiers non épuisés</i>:</p>
-
-<table cellpadding="0" cellspacing="0" summary="deprecated">
-<tr><td align="left"><i>Cinquième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Émile Clermont</span>: <b>Le Passage de l’Aisne</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Sixième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Logan Pearsall Smith</span>: <b>Trivia</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Septième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Louis Bertrand</span>: <b>Flaubert à Paris</b></td><td align="left">6&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Dixième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Marie Lenéru</span>: <b>Saint-Just</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Onzième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Pierre Lasserre</span>: <b>Philosophie du goût musical</b></td><td align="left">5&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Douzième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">Robert Browning</span>: <b>Poèmes</b>, avec une étude</td></tr>
-<tr><td align="left"><span style="margin-left: 1em;">
-sur la pensée et la vie de l’auteur par
-<span class="smcap">Mary Duclaux</span></span>
-</td><td class="rt">6&nbsp;»</td></tr>
-<tr><td align="left"><i>Treizième cahier.</i>&mdash;<span class="smcap">George Moore</span>: <b>Mémoires de ma vie morte</b></td><td align="left">6 50</td></tr>
-</table>
-
-<hr />
-
-<p class="fint">Typ. Grou-Radenez.&mdash;Paris.</p>
-
-<hr class="full" />
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'AMOUR EN RUSSIE ***</div>
-<div style='text-align:left'>
-
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-</div>
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- </div>
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- </div>
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- </div>
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- </div>
-</div>
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-</div>
-
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-1.F.
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
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-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
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-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
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-
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-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
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-</div>
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