summaryrefslogtreecommitdiff
diff options
context:
space:
mode:
authornfenwick <nfenwick@pglaf.org>2025-01-23 09:12:57 -0800
committernfenwick <nfenwick@pglaf.org>2025-01-23 09:12:57 -0800
commitdce41355e0bb15e1b7ccc88c720c06835808e39c (patch)
treeeca8ea1d3627d7667f209f3a1566ae44295cfea7
parent61e7304f3117193038090221bac2a286d0271798 (diff)
NormalizeHEADmain
-rw-r--r--.gitattributes4
-rw-r--r--LICENSE.txt11
-rw-r--r--README.md2
-rw-r--r--old/64590-0.txt2129
-rw-r--r--old/64590-0.zipbin41894 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h.zipbin2273168 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/64590-h.htm3037
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure01.jpgbin254785 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure02.jpgbin241861 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure03.jpgbin252716 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure04.jpgbin242574 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure05.jpgbin254582 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure06.jpgbin248977 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure07.jpgbin249345 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure08.jpgbin254544 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/64590-h/images/figure09.jpgbin254078 -> 0 bytes
16 files changed, 17 insertions, 5166 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes
new file mode 100644
index 0000000..d7b82bc
--- /dev/null
+++ b/.gitattributes
@@ -0,0 +1,4 @@
+*.txt text eol=lf
+*.htm text eol=lf
+*.html text eol=lf
+*.md text eol=lf
diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt
new file mode 100644
index 0000000..6312041
--- /dev/null
+++ b/LICENSE.txt
@@ -0,0 +1,11 @@
+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
diff --git a/README.md b/README.md
new file mode 100644
index 0000000..545aa26
--- /dev/null
+++ b/README.md
@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #64590 (https://www.gutenberg.org/ebooks/64590)
diff --git a/old/64590-0.txt b/old/64590-0.txt
deleted file mode 100644
index c330523..0000000
--- a/old/64590-0.txt
+++ /dev/null
@@ -1,2129 +0,0 @@
-The Project Gutenberg eBook of Dans l’abîme, by Herbert George Wells
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you
-will have to check the laws of the country where you are located before
-using this eBook.
-
-Title: Dans l’abîme
- Triomphes d’un Taxidermiste; La Pomme; L’homme volant
-
-Author: Herbert George Wells
-
-Editor: Louis Figuier
-
-Translator: Henry Durand Davray
-
-Release Date: February 18, 2021 [eBook #64590]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-Produced by: Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images generously
- made available by Gallica, Bibliothèque nationale de France.)
-
-*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DANS L’ABÎME ***
-
-LA SCIENCE ILLUSTRÉE
-
-
-JOURNAL HEBDOMADAIRE
-
-FONDÉ SOUS LA DIRECTION
-
-DE
-
-LOUIS FIGUIER
-
-06 DÉCEMBRE 1902
-
-
-30 MAI 1903
-
-
-EXPOSITION INTERNATIONALE (1900)
-
-PARIS
-
-
-
-
-DANS L'ABÎME
-
-H.-G. WELLS
-
-TRADUIT DE L'ANGLAIS
-
-PAR
-
-HENRY-D. DAVRAY
-
-
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-DANS L'ABÎME
-LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE
-LA POMME
-L'HOMME VOLANT
-
-
-
-
-DANS L'ABÎME
-
-
-Le lieutenant se tenait debout devant la sphère d'acier et mordillait
-un éclat de bois.
-
---Que pensez-vous de ça, Steevens? demanda-t-il.
-
---C'est une idée comme une autre, dit Steevens, du ton de quelqu'un qui
-veut se faire une opinion sincère.
-
---Je crois que ça s'écrasera à plat, continua le lieutenant.
-
---Il semble avoir calculé son affaire soigneusement, dit Steevens
-encore impartial.
-
---Mais pensez à la pression, insista le lieutenant. À la surface de
-l'eau, elle est de quatorze livres par pouce; trente pieds plus bas,
-elle est double; soixante, triple; quatre-vingt-dix, quadruple; neuf
-cents, quarante fois plus grande; cinq-mille pieds, trois-cents fois...
-c'est-à-dire qu'à un mille de profondeur la pression est de deux cent
-quarante fois quatorze livres; c'est-à-dire... attendez... un
-quintal... une tonne et demie, Steevens, _une tonne et demie_ par pouce
-carré. Et l'Océan a ici cinq milles de profondeur. Il subira une
-pression de sept tonnes et demie...
-
---Un joli sondage! dit Steevens. Mais il est protégé aussi par une
-jolie épaisseur d'acier.
-
-Le lieutenant ne répondit pas et se mit à mâchonner son bout de bois.
-L'objet de leur conversation était une immense boule d'acier, d'un
-diamètre extérieur d'environ neuf pieds, et qui semblait être le
-projectile de quelque titanique pièce d'artillerie; elle était fort
-laborieusement nichée dans un échafaudage monstrueux, élevé dans la
-charpente du vaisseau, et les espars gigantesques qui allaient bientôt
-la faire glisser par-dessus bord donnaient à l'arrière du navire un
-aspect qui avait excité la curiosité de tout honnête marin, depuis le
-_pool_ de Londres jusqu'au tropique du Capricorne. En deux endroits,
-l'un au-dessus de l'autre, l'acier faisait place à une couple de
-fenêtres circulaires, fermées d'une paroi de verre d'une épaisseur
-énorme, et l'une d'elles, enchâssée dans un cadre d'acier d'une
-grande solidité, se trouvait pour l'instant en partie dévissée.
-
-Le matin même, les deux hommes avaient vu, pour la première fois,
-l'intérieur de ce globe. Il était soigneusement matelassé de coussins
-à air, garnis de petits boutons fixés entre les saillies, et qui
-constituaient le simple mécanisme de la chose. Tous les objets
-étaient, de même, soigneusement capitonnés, même l'appareil Myers,
-qui devait absorber l'acide carbonique et remplacer l'oxygène inspiré
-par l'habitant du globe, quand, s'y étant introduit, l'ouverture
-vitrée aurait été vissée.
-
-Tout était si parfaitement capitonné qu'un être humain aurait pu
-supporter, en toute sécurité, d'être lancé avec la sphère par un
-canon. Et il fallait qu'il en fût ainsi, car bientôt un homme allait
-s'insinuer par l'ouverture; il serait enfermé solidement à
-l'intérieur et lancé par-dessus bord pour s'en foncer dans l'Océan
-jusqu'à une profondeur de cinq milles, comme le lieutenant l'avait dit.
-L'imagination de ce dernier était exclusivement occupée de cet objet;
-c'était devenu pour lui une obsession, même aux repas, et Steevens, le
-nouveau venu, était un compagnon inattendu auquel il allait pouvoir à
-son aise causer de sa préoccupation.
-
---J'ai idée, dit le lieutenant, que ces hublots de verre fléchiront
-simplement, crèveront et s'écraseront sous une pression pareille.
-Daubrée a liquéfié des rochers sous des pressions énormes... et,
-remarquez bien ceci...
-
---Si le verre casse, fit Steevens, qu'arrivera-t-il?
-
---L'eau entrera comme un jet de fer. Avez-vous jamais reçu, bien droit,
-un jet à haute pression? Ça frappe comme un boulet. Il serait
-simplement écrasé et aplati. L'eau entrerait dans sa gorge, dans ses
-poumons, pénétrerait dans ses oreilles...
-
---Quelle imagination détaillée! s'écria Steevens, qui se
-représentait vivement les choses.
-
---C'est le simple exposé d'une chose inévitable, dit le lieutenant...
-
---Et le globe?
-
---Il laisserait s'échapper quelques petites bulles et s'installerait
-confortablement, jusqu'au jour du jugement, parmi la vase et le limon du
-fond... avec le pauvre Elstead étalé sur ces coussins aplatis, comme
-du beurre sur du pain.
-
-Il répéta cette image, comme si elle lui eût plu beaucoup:
-
---Comme du beurre sur du pain.
-
---Un coup d'œil au tape-cul, fit une voix.
-
-Et Elstead parut derrière eux, vêtu d'un complet blanc, une cigarette
-aux lèvres et les yeux souriants sous les amples bords de son chapeau.
-
---Qu'est-ce que vous dites, à propos de pain et de beurre, Weybridge?
-Vous grommelez, comme d'habitude sur la paye insuffisante des officiers
-de marine?... Il n'y a plus qu'un jour à attendre avant que je parte
-maintenant. Les élingues vont être prêtes aujourd'hui. Ce beau ciel
-et cette houle tranquille sont juste ce qu'il faut pour lancer
-par-dessus bord une douzaine de tonnes de plomb et de fer, n'est-ce pas?
-
---Vous ne vous apercevrez pas beaucoup de la houle, dit Weybridge.
-
---Non. À soixante ou quatre-vingts pieds de profondeur... et j'y serai
-dans dix à douze secondes... pas une molécule ne bougera, quand le
-vent hurlerait et que l'eau s'élèverait jusqu'aux nuages. Non. Là, au
-fond...
-
-Il s'avança jusqu'au bastingage, et les deux autres le suivirent. Tous
-trois se penchèrent sur leurs coudes et contemplèrent l'eau, d'un vert
-jaunâtre.
-
---... La paix, dit. Elstead, en achevant tout haut sa pensée.
-
---Êtes-vous absolument certain que le mouvement d'horlogerie marchera?
-demanda tout à coup Weybridge.
-
---Il a marché trente-cinq fois, dit Elstead. Il est tenu de marcher.
-
---Mais s'il ne fonctionne pas?
-
---Pourquoi ne fonctionnerait-il pas?
-
---Je ne voudrais pas, pour vingt mille livres, descendre dans cette
-maudite machine, dit Weybridge.
-
---Vous êtes tout à fait encourageant, remarqua Elstead.
-
---Je ne comprends pas encore de quelle façon vous pourrez faire
-fonctionner la chose, dit Steevens.
-
---Eh bien! d'abord, j'entre dans la sphère, et l'on visse l'ouverture,
-commença Elstead. Et quand, trois fois de suite, j'ai allumé et
-éteint la lumière électrique pour montrer que tout va bien, je suis
-lancé par-dessus le bastingage par cette grue, avec tous ces gros
-fonceurs de plomb suspendus au-dessous de moi. Le gros poids de plomb,
-qui est fixé sur le dessus, est muni d'un cylindre sur lequel
-s'enroulent cent toises de solide cordage, et c'est tout ce qui lie les
-fonceurs à la sphère, sauf les élingues qui seront coupées quand la
-sphère tombera. Je me sers de cordes plutôt que de câbles de fer,
-parce que c'est plus facile à couper et plus flottant, conditions
-nécessaires, comme vous allez voir. Vous remarquez que tous ces
-fonceurs de plomb sont percés d'un trou; une tringle de fer y sera
-adaptée, qui dépassera de six pieds sur la face inférieure. Dès que
-cette tringle sera en contact avec le fond, elle frappera sur un levier
-qui déclenchera le mouvement d'horlogerie placé sur le côté du
-cylindre sur lequel les cordes s'enroulent... Vous suivez? On descend
-gentiment dans l'eau tout le système. La sphère flotte... avec l'air
-qu'elle renferme, elle est plus légère que l'eau... mais les poids de
-plomb continuent à s'en foncer, et la corde se déroule jusqu'au bout.
-Quand la corde est entièrement filée, la sphère s'enfonce aussi.
-
---Mais à quoi sert la corde? demanda Steevens. Pourquoi ne pas fixer
-directement les poids à la sphère?
-
---Mais à cause du choc probable au fond. La sphère et ses poids vont
-s'enfoncer rapidement, atteindre peu à peu une vitesse vertigineuse.
-Elle serait mise en pièces en touchant le fond, si ce n'était de cette
-corde. Mais, dès que les poids reposeront sur le fond, la légèreté
-de la sphère entrera en jeu. Elle continuera à s'enfoncer de plus en
-plus lentement, s'arrêtera enfin, puis se mettra à remonter. C'est là
-que le mouvement d'horlogerie intervient. Aussitôt que les fonceurs
-s'aplatiront sur le fond de la mer, la tringle sera heurtée et
-déclenchera le mouvement et la corde s'enroulera de nouveau sur le
-cylindre. Je serai ainsi amené jusqu'au fond. Là, je resterai une
-demi-heure, la lumière électrique allumée, examinant ce que j'aurai
-autour de moi. Puis le mouvement d'horlogerie mettra enjeu un couteau à
-ressort, la corde sera coupée, et je remonterai à la surface, comme
-une bulle dans un siphon. La corde elle-même aidera la flottaison.
-
---Et si, par hasard, vous remontiez sous un navire? demanda Weybridge.
-
---J'arriverais avec une telle vitesse que je passerais simplement au
-travers comme un boulet de canon, dit Elstead. Vous n'avez pas besoin de
-vous tourmenter à ce sujet.
-
---Supposez que quelque actif petit crustacé s'insinue dans votre
-mouvement d'horlogerie...
-
---Ce serait pour moi une espèce d'invitation un peu pressante à rester
-en leur compagnie, dit Elstead en tournant le dos à la mer et
-contemplant la sphère.
-
- *
-
-* *
-
-On avait jeté Elstead par-dessus bord à onze heures. C'était une
-journée calme et brillamment sereine, et l'horizon se perdait dans la
-brume. L'éclat des lampes électriques avait joyeusement, par trois
-fois, apparu dans le petit compartiment supérieur. Alors on l'avait
-descendu lentement jusqu'à la surface de l'eau, et un matelot se tenait
-près des sabords d'arrière prêt à couper le palan qui retenait l'ensemble
-des fonceurs et de la sphère. La sphère, qui sur le pont avait
-paru si énorme, semblait maintenant un inimaginable petit objet sous
-l'arrière du navire.
-
-
-[Figure 01: DANS L'ABÎME.--Ses deux hublots sombres, au dessus
-de la ligne de flottaison, semblaient des yeux ahuris.]
-
-
-Elle se balança un peu, et ses deux hublots sombres au-dessus de la
-ligne de flottaison semblaient des yeux ahuris contemplant l'équipage
-qui se pressait contre le bord. Une voix s'éleva, demandant ce
-qu'Elstead devait penser de ce balancement.
-
---Êtes-vous prêts? fit le commandant.
-
---Oui, capitaine.
-
---Lâchez tout.
-
-Le câble du palan se raidit contre la lame et fut coupé. Un remous
-tourbillonna sur la sphère d'une façon grotesquement impuissante.
-Quelqu'un agita un mouchoir; un autre tenta une acclamation vaine; un
-quartier maître compta lentement... huit, neuf, dix. Il y eut un autre
-remous, puis, avec un bruyant clapotis et un large éclaboussement, la
-sphère reprit son aplomb.
-
-Elle sembla rester stationnaire un instant, puis devenir rapidement plus
-petite; enfin l'eau la recouvrit, et elle resta visible au-dessous de la
-surface, imprécise et agrandie par la réfraction. Avant qu'on ait pu
-compter jusqu'à trois, elle avait disparu. Il y eut, dans les
-profondeurs de l'eau, un tremblement de lumière blanche qui diminua
-jusqu'à n'être plus qu'un point et s'évanouit. Puis, il n'y eut plus
-rien que l'abîme des eaux ténébreuses dans lequel un requin nageait.
-
-Soudain l'hélice du croiseur se mit en mouvement; l'eau bouillonna; le
-requin disparut dans la convulsion des vagues, et un torrent d'écume
-s'étendit sur la cristalline limpidité qui avait englouti Elstead.
-
---Qu'est-ce qu'on fait maintenant? dit un matelot à un autre.
-
---On va s'éloigner d'une couple de milles pour ne pas nous trouver sur
-son chemin quand il remontera, répondit son camarade.
-
-Le navire gagna lentement sa nouvelle position. À bord, tous ceux qui
-n'étaient pas occupés restaient à surveiller l'endroit houleux où la
-sphère s'était enfoncée. Pendant la demi-heure qui suivit, il est
-douteux qu'un seul mot ait été prononcé qui n'eût pas rapport à
-Elstead. Le soleil de décembre était maintenant haut dans le ciel, et
-la chaleur était fort grande.
-
---Je crois qu'il n'aura pas trop chaud là-dessous, dit Weybridge. On
-prétend que, passé une certaine profondeur, l'eau de la mer est
-presque toujours à une température glaciale.
-
---À quel endroit va-t-il ressortir? demanda Steevens.
-
---C'est là-bas, dit le commandant, qui s'enorgueillissait de son
-omniscience. Il indiqua d'un doigt précis le sud-est. Et, ajouta-t-il,
-il ne va pas tarder maintenant. Il y a déjà trente-cinq minutes.
-
---Combien de temps faut-il pour atteindre le fond de l'Océan?
-interrogea Steevens.
-
---Pour une profondeur de cinq milles, en tenant compte, comme nous
-l'avons fait, d'une accélération de deux pieds par seconde, à la fois
-à l'aller et au retour, il lui faut environ trois quarts de minute.
-
---Alors, il est en retard, fit Weybridge.
-
---Mais... presque, dit le commandant. Je suppose qu'il faut quelques
-minutes pour que sa corde s'enroule.
-
---J'avais oublié cela, dit Weybridge, évidemment soulagé.
-
-Alors commença l'attente. Lentement, une minute s'écoula, et aucune
-sphère ne sortit des flots. Une autre minute suivit, et rien ne vint
-rompre la houle huileuse. Les matelots s'expliquaient les uns aux autres
-l'importance de l'enroulement de la corde. Les agrès étaient pleins de
-figures attentives.
-
---Montez, Elstead, montez! cria impatiemment un matelot à la poitrine
-velue, et les autres reprirent et crièrent comme s'ils réclamaient la
-levée du rideau au théâtre.
-
-Le commandant leur lança un regard irrité.
-
---Naturellement, si l'accélération est moindre que deux, dit-il, il
-sera plus longtemps. Nous ne sommes pas absolument certains que ce soit
-là une donnée exacte. Je ne crois pas aveuglément aux calculs.
-
-Steevens donna brièvement son assentiment. Personne sur le gaillard
-d'arrière ne parla pendant une couple de minutes. Alors l'étui de la
-montre de Steevens cliqua.
-
-Lorsque, vingt et une minutes plus tard, le soleil atteignit le zénith,
-ils attendaient encore l'apparition de la sphère, et pas un homme à
-bord n'avait osé murmurer que tout espoir était perdu. Ce fut
-Weybridge qui, le premier, exprima cette certitude.
-
---Je n'ai jamais eu confiance dans ces hublots, dit-il tout à coup à
-Steevens.
-
---Grand Dieu! s'écria Steevens, vous ne croyez pas que...
-
---Ma foi... fit Weybridge, et il laissa le reste à son imagination.
-
---Je n'ai pas grande foi dans les calculs de ce genre, déclara le
-commandant sur un ton de doute, de sorte que je n'ai pas encore perdu
-tout espoir.
-
-À minuit, le croiseur évoluait lentement autour de l'endroit où la
-sphère s'était enfoncée. Le rayon blanc du foyer électrique se
-promenait et s'arrêtait indiscontinûment sur l'étendue des eaux
-phosphorescentes, tandis, que scintillaient de minuscules étoiles.
-
---Si sa fenêtre n'a pas cédé et qu'il ne soit pas écrasé, dit
-Weybridge, sa maudite situation est pire encore, car alors ce serait son
-mouvement d'horlogerie qui n'aurait pas fonctionné, et il serait
-maintenant vivant à cinq milles sous nos pieds, là-dessous, dans le
-froid et les ténèbres, à l'ancre dans sa petite boule d'acier, là
-où jamais un rayon de lumière n'a brillé, ni un être humain vécu
-depuis que les eaux se sont rassemblées. Il est là sans nourriture,
-souffrant de la faim et de la soif, épouvanté et se demandant s'il
-mourra de faim ou d'étouffement. Laquelle de ces deux morts sera-ce?
-L'appareil Myers doit s'épuiser, je suppose. Combien de temps peut-il
-durer?
-
---Tonnerre! s'exclama-t-il, quelles petites choses nous sommes! quels
-audacieux petits diables! Dans l'abîme! Des milles et des milles de
-liquide... rien que de l'eau au-dessous de nous et autour de nous, et ce
-ciel! Des gouffres!
-
-Il leva les bras, et au même moment une petite traînée blanche monta
-sans bruit dans le ciel, ralentit peu à peu sa course, s'arrêta,
-devint un petit point immobile, comme si une nouvelle étoile avait pris
-place dans le ciel. Puis cela se mit à dégringoler et se perdit
-bientôt dans les réflexions des étoiles et dans la pâle et brumeuse
-phosphorescence de la mer.
-
-À cette vue, il resta stupéfait, le bras tendu et la bouche ouverte.
-Puis il ferma sa bouche, l'ouvrit de nouveau, et agita ses bras avec des
-gestes désordonnés. Enfin, il se tourna et cria: «Elstead, ohé!» à
-la première vigie, et courut jusqu'à Lindley, puis au foyer
-électrique.
-
---Je l'ai vu, criait-il, à tribord, là-bas! Ses lampes sont allumées.
-Et il vient juste de sortir. Cherchez de ce côté avec le rayon. Nous
-allons bien le voir flotter quand il réapparaîtra à la surface.
-
-Mais ils ne le trouvèrent pas avant l'aurore. Même alors ils
-manquèrent de le couler bas. La grue fut préparée, et avec une
-chaloupe, on agrafa les chaînes à la sphère. Quand ils l'eurent
-remontée à bord, ils en dévissèrent l'ouverture et explorèrent des
-yeux l'obscurité de l'intérieur, car la chambre du foyer électrique
-était arrangée de façon à illuminer l'eau seulement autour de la
-sphère et était interceptée de la cavité générale.
-
-L'atmosphère intérieure était très surchauffée, et la gutta-percha
-qui garnissait les bords de l'ouverture était molle. Leurs questions
-impatientes restèrent sans réponse et aucun bruit ne leur parvint.
-Elstead était inanimé, replié sur lui-même au fond de sa cabine. Le
-médecin du bord s'y introduisit et le passa à ceux de l'extérieur.
-Pendant un certain temps, ils ne purent se rendre compte si Elstead
-était vivant ou mort. Sa figure, à la lueur jaunâtre des lampes,
-était toute brillante de transpiration. On le descendit dans sa cabine.
-
-Il n'était pas mort, comme ils purent bientôt s'en apercevoir, mais
-dans un état d'affaissement nerveux absolu et, de plus, cruellement
-contusionné. Il lui fallut, pendant plusieurs jours, rester couché et
-parfaitement tranquille. Une semaine se passa avant qu'il pût raconter
-ses expériences.
-
-Dès les premiers mots, il déclara qu'il allait recommencer. La sphère
-avait besoin d'être perfectionnée, dit-il, afin de lui permettre de se
-débarrasser de la corde, s'il le fallait, et c'était tout. Ç'avait
-été la plus merveilleuse aventure.
-
---Vous pensiez, dit-il, que je ne trouverais rien que de la vase. Vous
-vous moquiez de mes explorations, et j'ai découvert un nouveau monde.
-
-Il raconta son histoire par fragments sans suite, et presque toujours en
-commençant par la fin, de sorte qu'il est impossible de la répéter
-dans ses propres termes. Mais ce qui suit en est l'exacte narration.
-
-«Son voyage commença atrocement. Avant que la corde fût entièrement
-filée, la sphère ne cessa de ballotter. Il eut la sensation d'être
-une grenouille enfermée dans un ballon sur lequel on s'acharne à coups
-de pieds. Il ne pouvait voir que la grue et le ciel au-dessus de sa
-tête, avec un coup d'œil occasionnel sur les gens qui garnissaient le
-bastingage, et il était incapable de prévoir de quel côté allait se
-balancer la sphère. Tantôt, il levait le pied pour marcher et il
-était culbuté en tous sens contre les coussins. Toute autre forme eût
-été plus confortable, mais aucune n'aurait pu supporter l'immense
-pression de l'abîme. Soudain le balancement cessa; la sphère se mit en
-équilibre, et, quand il fut relevé, il aperçut tout autour de lui le
-bleu verdâtre des flots avec la lumière du jour atténuée filtrant de
-la surface et une multitude de petites choses flottantes qui passaient
-vertigineusement contre les vitres, montant, lui semble-t-il, vers la
-lumière. Puis, à mesure qu'il regardait, l'obscurité s'accrut
-jusqu'à ce que l'eau fût, au-dessus de sa tête, aussi sombre que le
-ciel de minuit, bien que d'une teinte plus verte, et, au-dessous de lui,
-absolument noire. De temps en temps, de petites choses transparentes
-avec un scintillement lumineux faisaient au long des hublots de
-légères traînées verdâtres.
-
-«Et la sensation de chute! Elle rappelait le départ soudain d'un
-ascenseur, avec cette différence qu'elle durait plus longtemps. Il faut
-réfléchir un instant pour réaliser ce que ce doit être. Ce fut alors
-et seulement qu'Elstead se repentit d'avoir tenté cette aventure. Il
-vit sous un aspect entièrement nouveau les chances qui se dressaient
-contre lui. Il pensa aux énormes poissons à scie qui existent dans les
-profondeurs moyennes, à ces spécimens terribles qu'on trouve parfois
-à demi digérés dans l'estomac des grands cétacés ou flot tant
-morts, décomposés et à demi dévorés.
-
-«Il s'imagina l'un d'entre eux s'attaquant à la sphère et ne voulant
-plus la lâcher. Et le mouvement d'horlogerie, l'avait-il suffisamment
-éprouvé? Mais qu'il voulut maintenant descendre ou remonter, c'était
-absolument la même chose.
-
-
-[Figure 02: DANS L'ABÎME.--Dans le rayon de son foyer électrique
-apparaissaient des poissons.]
-
-
-«Au bout de cinquante secondes, tout, à l'extérieur, fut aussi noir
-que la nuit, sauf ce que le rayon de son foyer électrique éclairait et
-dans quoi apparaissaient de temps à autre des poissons et passaient
-quelques fragments d'objets qui s'enfonçaient. Tout cela disparaissait
-trop vite pour qu'il lui fût possible de distinguer ce que c'était.
-Une fois, il crut voir un requin. À ce moment, la sphère commença à
-s'échauffer par le frottement. Il lui parut que cette donnée n'avait
-pas été suffisamment évaluée. La première chose qu'il put remarquer
-fut qu'il transpirait; puis il perçut sous ses pieds une sorte de
-sifflement qui s'accrut, et il vit une foule de petites bulles, de très
-petites bulles qui montaient en éventail vers la surface. De la vapeur!
-
-«Il tâta le hublot: la vitre était brûlante. Immédiatement, il
-alluma la lampe électrique qui éclairait sa cabine, regarda la montre
-encastrée dans le capitonnage, et il vit que son voyage durait déjà
-depuis deux minutes. Il lui vint à l'esprit que le hublot pouvait
-craquer dans le conflit des températures, car il savait que les eaux
-dans les grandes profondeurs sont glaciales. Puis, tout à coup, la
-paroi de la sphère sembla presser le dessous de ses pieds; au-dehors la
-course des bulles se ralentit et le sifflement diminua. La sphère se
-balança légèrement. Le hublot n'avait pas craqué, rien n'avait
-cédé, et il savait que, dans tous les cas, le danger de couler bas
-était passé.
-
-«Encore une minute et il reposerait sur le fond de l'abîme. Il songea,
-dit-il, à Steevens, à Weybridge et aux autres qui étaient à cinq
-milles au-dessus de sa tête, plus haut pour lui que ne le furent jamais
-au-dessus de nous les plus élevés des nuages qui flottent dans le
-ciel, à eux tous navigant lentement, cherchant à pénétrer la
-profondeur des eaux et se demandant ce qui pouvait lui être arrivé.
-
-«Il se mit à regarder par le hublot. Il n'y avait plus de bulles
-maintenant, et le sifflement avait cessé. Au dehors, c'étaient de
-profondes ténèbres d'un noir épais comme un velours, sauf là où le
-rayon électrique pénétrait l'eau et en montrait la couleur: un gris
-jaunâtre. Alors, trois choses, comme des formes de feu, nagèrent en se
-suivant. Il ne pouvait distinguer si elles étaient petites ou énormes
-et éloignées.
-
-«Chacune d'elles se dessinait avec des contours bleuâtres, presque
-aussi brillants que les feux d'une barque de pêche, des feux qui
-semblaient répandre beaucoup de fumée, et ils avaient, de chaque
-côté, des taches de cette lumière, comme des sabords de navire. Leur
-phosphorescence sembla s'éteindre quand ils entrèrent dans le
-rayonnement lumineux de sa lampe; et il vit alors que c'étaient de
-petits poissons de quelque étrange espèce, avec des yeux énormes, et
-dont les corps et les queues se terminaient brusquement. Leurs yeux
-étaient tournés vers lui, et il jugea qu'ils suivaient sa descente,
-les supposant attirés par sa clarté.
-
-«D'autres du même genre se joignirent bientôt à eux. À mesure qu'il
-descendait, il remarquait que l'eau prenait une teinte pallide et que de
-petites taches de lumière scintillaient dans son rayonnement comme des
-atomes dans un rai de soleil. Cela était probablement dû aux nuages de
-vase et de boue que la chute de ses fonceurs de plomb avait produits.
-
-«Pendant tout le temps qu'il fut entraîné vers le fond par ses poids
-de plomb, il se trouva dans une sorte de brouillard blanc si dense que
-son projecteur électrique ne réussissait pas entièrement à le percer
-au delà de quelques pieds. Et il se passa quelques minutes avant que
-les couches de sédiment en suspension fussent retombées au fond.
-Alors, à la lueur de ses lampes électriques et à la passagère
-phosphorescence d'un banc éloigné de poissons, il lui fut possible de
-voir, sous l'immense obscurité des eaux supérieures, une surface
-ondulante de vase d'un blanc grisâtre, rompue çà et là par des
-fourrés enchevêtrés de lis de mer agitant leurs tentacules affamés.
-
-«Plus loin se trouvaient les gracieux et transparents contours d'un
-groupe d'épongés gigantesques. Sur ce sol étaient dispersées un
-grand nombre de touffes hérissées et plates d'une riche couleur
-pourpre et noire qu'il décida devoir être quelque espèce d'oursin, et
-de petites choses avec des yeux très larges ou aveugles ayant une
-curieuse ressemblance, les unes avec les cloportes, les autres avec les
-homards, rampaient paresseusement dans la traînée de lumière et
-disparaissaient de nouveau dans l'obscurité en laissant derrière eux
-des sillons dans la vase.
-
-«Soudain la multitude voltigeante de petits poissons vira et s'avança
-vers lui comme une volée d'étourneaux pourrait le faire. Ils
-passèrent au-dessus de lui comme une neige phosphorescente, et alors,
-derrière eux, une créature de dimensions il vit plus grandes qui
-s'avançait vers la sphère.
-
-«D'abord, il ne put la distinguer que vaguement, figure aux mouvements
-indécis et suggérant de loin un homme en marche; puis elle entra dans
-le rayonnement lumineux que projetait la lampe. Au moment où la
-lumière la frappa, elle ferma les yeux, éblouie. Elstead la contempla
-avec stupéfaction.
-
-«C'était un étrange animal vertébré. Sa tête d'un pourpre sombre,
-rappelait vaguement celle d'un caméléon, mais le front était si
-élevé et la boîte crânienne si développée qu'aucun reptile n'en
-possédait encore de semblables. L'équilibre vertical de sa face lui
-donnait la plus extraordinaire ressemblance avec celle d'un être
-humain. Deux yeux larges et saillants se projetaient des orbites à la
-façon d'un caméléon et sous ses petites narines s'ouvrait une large
-bouche reptilienne aux lèvres cornées. À l'endroit des oreilles
-étaient deux énormes ouïes hors desquelles flottaient des filaments
-nombreux d'un rouge de corail, rappelant les ouïes que possèdent les
-très jeunes raies et les requins.
-
-«Mais ce que sa face avait d'humain n'était pas le trait le plus
-extraordinaire qu'offrait cette créature. Elle était bipède; son
-corps, presque sphérique, était en équilibre sur une sorte de
-trépied composé de deux jambes comme celles des grenouilles et d'une
-longue queue épaisse, et ses membres supérieurs, qui caricaturaient
-grotesquement les bras humains, beaucoup à la manière des grenouilles,
-portaient un long dard osseux garni de cuivre. La couleur de cette
-créature était, variée: sa tête, ses mains et ses jambes étaient
-pourpres, mais sa peau, qui pendait flottante autour de son corps comme
-des vêtements le feraient, était d'un gris phosphorescent. Elle
-restait là, aveuglée par la lumière.
-
-
-[Figure 03: DANS L'ABÎME.--Cet habitant inconnu de l'abîme
-cligna des yeux et les écarquilla.]
-
-
-À la fin, cet habitant inconnu de l'abîme cligna des paupières et les
-écarquilla; puis, portant sa main libre au-dessus de ses yeux, il
-ouvrit la bouche et articula à la façon humaine un cri qui pénétra
-même l'enveloppe d'acier et le capitonnage intérieur de la sphère.
-Comment un cri peut être poussé sans poumons, Elstead ne se préoccupa
-pas de l'expliquer. La créature sortit alors du rayonnement, rentra
-dans le mystère ténébreux qui le bordait de chaque côté, et Elstead
-la sentit plutôt qu'il ne la vit venir vers lui. Certain que la
-lumière l'avait attirée, il interrompit le courant. Un moment après,
-des coups sourds résonnèrent contre l'acier, et la sphère se
-balança.
-
-«Alors le cri fut répété. Et il sembla à Elstead qu'un écho
-lointain y répondait. Les coups sourds reprirent et la sphère se
-balança de nouveau et grinça contre le pivot sur lequel la corde
-était enroulée. Il demeura dans les ténèbres, cherchant à
-pénétrer du regard l'éternelle nuit de l'abîme. Et bientôt il vit,
-très faibles et lointaines, d'autres formes phosphorescentes et
-quasi-humaines se hâter vers lui.
-
-Sachant à peine ce qu'il faisait, il tâta contre les parois de sa
-prison instable pour trouver le bouton du projecteur électrique
-extérieur et pressa accidentellement celui de la petite lampe qui
-éclairait sa cabine capitonnée. La sphère roula et il fut renversé.
-Il entendit comme des cris de surprise, et quand il fut relevé, il vit
-deux yeux attentifs qui regardaient par le hublot inférieur et qui en
-réfléchissaient la clarté.
-
-«Au même instant, des mains heurtaient vigoureusement l'enveloppe
-d'acier et il entendit, impression suffisamment horrible dans sa
-position, des heurts réitérés sur l'enveloppe de métal, qui
-protégeait le mouvement d'horlogerie. À ce bruit, vraiment, l'angoisse
-l'étrangla; car, si ces étranges créatures parvenaient à arrêter le
-mouvement, sa délivrance était impossible. À peine avait-il pensé
-cela, qu'il sentit la sphère se balancer et la paroi sembla peser
-lourdement contre ses pieds.
-
-«Il éteignit la petite lampe intérieure et rétablit le courant du
-réflecteur extérieur. Le fond vaseux et les créatures quasi-humaines
-avaient disparu, et une couple de poissons se poursuivant soudain
-passèrent contre le hublot.
-
-«Il pensa aussitôt que ces étranges habitants avaient rompu la corde
-et qu'il avait échappé. Il remontait de plus en plus vite, puis il
-s'arrêta avec une secousse qui l'envoya heurter la paroi capitonnée de
-sa prison. Pendant une demi-minute, peut être, il fut trop étonné
-pour réfléchir.
-
-«Alors il sentit que la sphère tournait lentement sur elle-même avec
-une sorte de balancement, et il lui sembla aussi qu'il avançait
-horizontalement dans l'eau. En se blottissant, tout contre le hublot, il
-parvint à rétablir de son poids et à ramener l'équilibre vers le
-fond cette partie de la sphère; mais il ne put rien voir que le pâle
-rayonnement de son réflecteur frappant inutilement les ténèbres. Il
-lui vint à l'idée qu'il pourrait mieux voir s'il éteignait la lampe.
-
-«En ceci, il fut sage. Au bout de quelques minutes les ténèbres
-veloutées devinrent une sorte d'obscurité translucide, et alors, dans
-le lointain, et aussi imprécises que la lumière zodiacale d'un soir
-d'été, il vit des formes se mouvoir au-dessous de lui. Il jugea que
-ces créatures avaient détaché son câble et le remorquaient au long
-du fond de la mer.
-
-«Alors, par-delà les ondulations de la plaine sous-marine, vague et
-lointaine, il vit un immense horizon d'une luminosité pâle qui
-s'étendait de chaque côté aussi loin que sa petite fenêtre lui
-permettait d'apercevoir. Vers cet horizon, il était remorqué comme un
-ballon qu'on ramènerait de la plaine vers la ville. Il en approchait
-très lentement, et très lentement la vague irradiation se précisait
-en des formes plus définies.
-
-«Il était presque cinq heures lorsqu'il atteignit cette aire
-lumineuse; et, vers ce moment, il put distinguer une sorte d'arrangement
-qui suggérait des rues et des maisons groupées à l'entour d'un vaste
-édifice sans toit, qui rappelait grotesquement une abbaye en ruines.
-Tout cela s'étendait au-dessous de lui comme une carte. Les maisons
-étaient toutes des enclos de murs sans toits, et leur substance
-étant, comme il le vit plus tard, d'os phosphorescents, donnait à cet
-endroit l'apparence d'être bâti avec du clair de lune noyé.
-
-«Parmi les cavités inférieures, des végétations crinoïdes
-étendaient leurs tentacules, et de grandes, sveltes et fragiles
-éponges surgissaient comme des minarets brillants et comme des lis de
-lumière membraneuse hors de la clarté génitale de la cité. Dans les
-espaces ouverts, il pouvait voir une agitation comme de foules de gens,
-mais il se trouvait trop élevé pour distinguer les personnages qui
-composaient ces foules. Alors, lentement, il se sentit tiré vers le
-fond, et, à mesure, les détails des lieux apparurent plus clairement
-à sa vue. Il distingua que les rangées de bâtiments nuageux étaient
-délimitées par des lignes pointillées d'objets ronds, et il
-s'aperçut qu'en plusieurs endroits au-dessous de lui, en de larges
-espaces ouverts, étaient des formes semblables à des carcasses
-pétrifiées de navires.
-
-«Lentement et sûrement il descendait, et les formes au-dessous de lui
-devenaient plus brillantes, plus claires et plus distinctes. On le
-dirigeait vers le large édifice qui occupait le centre de la ville, et
-de temps en temps il pouvait apercevoir la multitude de formes qui
-tiraient sur sa corde. Il fut étonné de voir que le gréement de l'un
-des vaisseaux qui formait un des principaux traits de la place était
-couvert d'une quantité d'êtres gesticulants qui le regardaient, puis
-les murs du grand édifice montèrent silencieusement autour de lui et
-lui cachèrent la vue de la cité.
-
-«Les murs étaient de bois durci par l'eau, de câbles de fer tressés,
-d'espars de cuivre et de fer, d'os et de crânes de naufragés. Les
-crânes couraient au long des murs de l'édifice en zigzags, en spirales
-et en courbes fantastiques. Dans leurs orbites vides, et sur toute la
-surface des murs jouaient et se cachaient une multitude de petits
-poissons argentés. Soudain ses oreilles s'emplirent d'un bourdonnement
-sourd, d'un bruit comme le son violent des cors, auquel succédèrent
-bientôt de fantastiques clameurs. La sphère s'enfonçait toujours,
-passant devant d'immenses fenêtres en pointe, à travers lesquelles il
-apercevait vaguement, le regardant, un grand nombre de ces étrangers et
-fantomatiques créatures. Et il vint enfin se poser, lui sembla-t-il,
-sur une sorte d'autel au centre de la place.
-
-
-[Figure 04: DANS L'ABÎME.--Il s'aperçut qu'ils se prosternaient
-tous devant lui, sauf un.]
-
-
-«Maintenant il se trouvait à un niveau qui lui permettait de voir
-distinctement ces étranges habitants de l'abîme. À son grand
-étonnement, il s'aperçut qu'ils se prosternaient devant lui, tous,
-sauf un, vêtu, semblait-il, d'une robe d'écaillés superposées et
-couronné d'un diadème lumineux, et qui se tenait debout, ouvrant et
-fermant alternativement sa bouche de reptile, comme s'il dirigeait les
-cantiques des adorateurs.
-
-«Une curieuse impulsion fit allumer à Elstead sa lampe intérieure, de
-sorte qu'il devint visible à ces habitants de l'abîme et que cette
-clarté les fit immédiatement disparaître dans l'obscurité. À cette
-soudaine transformation, les cantiques firent place à un tumulte
-d'acclamations exultantes, et Elstead, préférant les observer,
-interrompit le courant et s'évanouit à leurs yeux. Mais, pendant un
-moment, il fut trop aveuglé pour percevoir ce qu'ils faisaient et quand
-enfin il put les distinguer, ils étaient de nouveau agenouillés. Ils
-continuèrent à l'adorer ainsi sans répit ni relâche pendant trois
-heures.
-
-«Elstead fit un récit des plus circonstanciés de cette cité
-surprenante et de ces gens qui n'ont jamais vu ni soleil, ni lune, ni
-étoile, aucune végétation verte, ni aucune créature respirante, qui
-ne savent rien du feu, et ne connaissent d'autre lumière que la clarté
-phosphorescente d'organismes vivants.
-
-«Si saisissante que soit son histoire, il est encore plus saisissant de
-trouver que des hommes de science aussi éminents que Adams et Jenkins
-n'y découvrent rien d'incroyable. Ils m'ont dit qu'ils ne voyaient
-aucune raison pour que des créatures vertébrées, intelligentes et
-respirant l'eau, accoutumées à une température très basse, à une
-pression énorme, et d'une structure si pesante que, vivants ou morts,
-ils ne peuvent flotter, que de tels êtres ne pussent vivre au sein de
-la mer profonde, inconnus de nous, et, comme nous, descendants du grand
-Thériomorphe de l'âge de la Terre Rouge.
-
-«Ils doivent nous connaître cependant comme des créatures étranges
-et météoriques, accoutumées à dégringoler, accidentellement mortes,
-à travers les mystérieuses ténèbres de leur ciel liquide, et non
-seulement nous-mêmes, mais nos vaisseaux, nos métaux, nos appareils
-qui pleuvent incessamment dans leur nuit. Quelquefois, des objets dans
-leur chute doivent les atteindre, les écraser comme par le jugement de
-quelque invisible pouvoir supérieur, et parfois il doit leur en venir
-d'une rareté ou d'une utilité inappréciables, ou de formes
-suggestives et inspiratrices. On peut comprendre, jusqu'à un certain
-point, leur conduite à l'arrivée d'un homme vivant, si l'on pense à
-ce qu'un peuple barbare ferait pense à une créature brillante et
-auréolée qui descendrait soudain dans notre ciel.
-
-«Elstead dut probablement compléter une fois ou l'autre aux officiers
-du _Ptarmigan_ chaque détail de son étrange séjour de douze heures
-dans l'abîme. Il est certain aussi qu'il eut l'intention d'en rédiger
-le récit, mais qu'il ne le fit jamais. Et il nous faut donc
-malheureusement rassembler les fragments disjoints de son histoire
-d'après les souvenirs et les réminiscences du commandant Simmons, de
-Weybridge, de Steevens, de Lindley et des autres. Nous pouvons nous
-représenter vaguement, par images fragmentaires, l'immense et lugubre
-édifice, les gens agenouillés et chantants, avec leur sombre tête de
-caméléon, leur espèce de vêtement faiblement lumineux, et Elstead,
-ayant de nouveau allumé sa lampe intérieure, essayant vainement de
-leur faire comprendre qu'il fallait détacher la corde qui retenait la
-sphère. Une à une, les minutes passaient, et Elstead, regardant sa
-montre, découvrit avec terreur qu'il ne lui restait d'oxygène que pour
-quatre heures encore. Mais les cantiques en son honneur continuaient,
-aussi impitoyables que s'ils avaient été l'hymne funèbre de sa mort
-prochaine.
-
-«Il ne comprit jamais de quelle façon il fut délivré, mais, à en
-juger par l'extrémité de la corde qui restait attachée à la sphère,
-elle avait dû être coupée par le constant frottement contre le rebord
-de l'autel. Tout à coup la sphère roula, et il bondit hors de leur
-monde, comme une créature éthérée, enveloppée de vide, traverserait
-notre atmosphère pour retournera son éther natal. Il dut disparaître
-à leurs yeux comme une bulle d'hydrogène monte dans l'air. Et ce dut
-leur paraître une étrange ascension.
-
-«La sphère montait avec une vélocité plus grande encore que celle de
-la descente, quand elle était alourdie par les fonceurs de plomb. Elle
-devint excessivement chaude. Elle montait, les hublots en l'air, et il
-se rappelle le torrent de bulles qui écumait contre la vitre. À chaque
-instant, il s'attendait à la voir voler en éclats. Tout à coup,
-quelque chose comme une immense roue sembla se mettre à tourbillonner
-dans sa tête, le compartiment capitonné commença à tourner autour de
-lui, et il s'évanouit. Puis ses souvenirs cessent jusqu'au moment où
-il se retrouva dans la cabine et entendit la voix du docteur.»
-
-Telle est la substance de l'extraordinaire histoire qu'Elstead narra par
-fragments aux officiers du _Ptarmigan_. Il promit de la fixer par écrit
-plus tard, mais son esprit était surtout préoccupé par les
-améliorations de son appareil, améliorations qui furent exécutées à
-Rio.
-
-Il nous reste simplement à dire que, le 2 février 1896, il opéra sa
-seconde descente dans l'abîme de l'Océan, avec les perfectionnements
-que sa première expérience lui avait suggérés. On ne saura
-probablement jamais ce qui est arrivé. Il n'est pas revenu. Le
-_Ptarmigan_ louvoya autour du point de sa submersion, le cherchant en
-vain, pendant treize jours. Puis il revint à Rio, et la nouvelle fut
-télégraphiée à ses amis. L'affaire en reste là pour le présent.
-Mais il est peu probable qu'aucune nouvelle tentative soit faite pour
-vérifier cette étrange histoire des cités jusqu'ici insoupçonnées
-de l'abîme des mers.
-
-
-
-
-LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE
-
-
-Voici quelques-uns des secrets de la taxidermie. Ils me furent
-révélés par un taxidermiste, dans un moment d'expansion. Il me les
-conta entre son premier et son quatrième verre de whisky, moment où
-l'homme perd toute circonspection et, cependant, n'est pas encore ivre.
-Nous étions dans son taudis, qui était à la fois sa bibliothèque,
-son salon et sa salle à manger, et séparé, du moins quant à la vue,
-par un rideau de bambous japonais, du fétide réduit dans lequel il
-s'adonnait à ses travaux.
-
-Il était assis sur un fauteuil pliant, et, quand il ne s'en servait pas
-pour cogner dans la cheminée les morceaux de charbon réfractaires, il
-mettait ses pieds, lesquels étaient revêtus, en manière de sandales,
-des saintes reliques d'une paire de pantoufles en tapisserie, loin du
-plancher, sur le manteau de la cheminée, parmi les yeux en verre. Son
-pantalon, entre parenthèses, bien qu'il n'ait rien à faire avec ses
-triomphes, était d'une étoffe écossaise d'un jaune des plus horribles
-et tel qu'on les faisait quand nos pères portaient des favoris et que
-les crinolines se promenaient par les rues. De plus, sa chevelure était
-noire, sa figure rose et son œil fauve ardent; son veston consistait
-surtout en graisse sur une base de velours. Sa pipe avait un fourneau de
-porcelaine représentant les trois Grâces; ses lunettes étaient
-toujours de travers; l'œil gauche, petit et pénétrant, vous regardait
-fixement par-dessus la monture, et l'œil droit s'apercevait vaguement
-de l'autre côté du verre, agrandi et adouci. Il discourait en ces
-termes:
-
-
-[Figure 05: LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE--«Il n'y a jamais eu
-d'homme qui sache empailler comme moi!»]
-
-
-«Il n'y a jamais eu d'homme, mon cher Bellows, qui sache empailler
-comme moi, jamais! J'ai empaillé des éléphants et j'ai empaillé des
-phalènes! Et ils n'en paraissaient que plus vivants et mieux faits.
-J'ai empaillé des êtres humains, surtout pour les ornithologues
-amateurs. Même une fois, j'ai empaillé un nègre...
-
-«Non, il n'y a pas de loi qui le défende; je l'avais fait avec les
-doigts écartés et m'en servais comme de porte-manteau; mais cet
-imbécile de Homersby lui chercha querelle un soir, très tard, et le
-démolit. Cela se passait avant que je ne vous connusse. C'est difficile
-d'avoir des peaux, sans cela j'en aurais fait un autre.
-
-«Désagréable? Ma foi non! Il me semble que la taxidermie pourra plus
-tard être substituée avec avantage aux inhumations et aux crémations.
-Vous pourriez conserver auprès de vous tous ceux qui vous sont chers.
-Un bric-à-brac de ce genre, disposé à travers la maison, vaudrait
-autant que n'importe quelle compagnie et serait moins coûteux. Vous
-pourriez les agencer avec des mouvements d'horlogerie et leur faire
-des choses...
-
-«Évidemment il faudrait les vernir, mais il ne serait pas nécessaire
-de les rendre plus brillants que ne le sont en nature des masses de
-gens. Le crâne chauve du vieux Maningtree... Quoi qu'il en soit, on
-pourrait causer avec eux sans être interrompu... même avec ses
-vieilles tantes. Il y a un grand avenir réservé à la taxidermie,
-croyez-le bien. Il y a les fossiles...»
-
-Il se tut soudain.
-
-«Non, il ne faut pas que je vous le dise...»
-
-Il tira méditativement quelques bouffées de sa pipe.
-
-«Oui, merci... pas trop d'eau... Vous savez, ce que je vais vous dire
-doit rester entre nous. Vous n'ignorez pas que j'ai empaillé quelques
-_dodos_ et un grand pingouin? Comment? Non? Vous n'êtes évidemment
-qu'un amateur en taxidermie. Mon cher monsieur, la moitié des pingouins
-du monde sont à peu près aussi authentiques que le mouchoir de sainte
-Véronique ou la Sainte Tunique de Trêves. Nous les faisons avec des
-plumes de grèbes et autres oiseaux semblables. Et les œufs des grands
-pingouins aussi!... Bon Dieu!... Oui, nous les faisons avec de la
-porcelaine tendre... je vous avoue que cela en vaut la peine... Ils
-atteignent... Ainsi, l'autre jour, il y en a un qui est monté jusqu'à
-7500 francs. Je crois qu'il était réellement authentique, mais... on
-ne peut jamais en être certain. C'est du très bel ouvrage, et puis...
-après... il faut les empoussiérer, car aucun de ceux qui possèdent un
-de ces œufs n'aurait la témérité de le nettoyer. C'est là la
-beauté de l'affaire. Même s'ils avaient des soupçons sur leur œuf,
-ils n'oseraient pas l'examiner de trop près. C'est, en somme, un
-capital si fragile.
-
-«Vous ne saviez pas que la taxidermie pouvait s'élever à des hauteurs
-pareilles... Mon pauvre garçon!... J'ai rivalisé avec la nature
-elle-même! L'un des grands pingouins _authentiques_ (sa voix n'était
-plus qu'un murmure), l'un des grands pingouins _authentiques a été
-fait par moi!_
-
-«Ah! mais non! Vous n'avez qu'à étudier l'ornithologie et trouver
-vous-même lequel c'est. Et, ce qui est mieux, un syndicat de marchands
-m'a proposé de pourvoir de spécimens une des régions inexplorées du
-nord de l'Islande. Je le ferai peut-être un jour. Mais juste en ce
-moment, j'ai une autre petite chose en mains. Avez-vous entendu parler
-du _dinornis_? «C'est l'un de ces grands oiseaux dont l'espèce a
-récemment disparu en Nouvelle-Zélande. On l'appelle communément Feuh,
-sans doute parce qu'il est éteint. Vous comprenez?... Eh bien! on s'est
-procuré de ses os, et on a même trouvé dans les marais des plumes et
-des morceaux de peaux sèches. Et maintenant, je vais fabriquer--ma foi
-ce n'est pas la peine d'en faire mystère--je vais fabriquer un Feuh
-entièrement empaillé. Je connais quelqu'un là-bas qui prétendra
-l'avoir découvert dans une sorte de marécage antiseptique et dira
-qu'il l'a empaillé immédiatement parce qu'il menaçait de se
-corrompre. Les plumes sont quelque chose de particulier, mais j'ai
-trouvé un moyen simplement délicieux de les imiter avec des fragments
-de plumes d'autruche passés à la flamme. Oui, c'est là l'odeur
-nouvelle que vous avez remarquée. On ne pourrait se rendre compte de la
-fraude qu'avec un microscope, et personne ne se soucierait de gâter
-pour cela un beau spécimen.
-
-«De cette façon, vous voyez, je donne un petit coup d'épaule au
-progrès de la science. Mais tout ceci n'est qu'une simple imitation de
-la nature. De mon jeune temps, j'ai fait mieux que cela. Je l'ai... je
-l'ai battue....».
-
-Il ramena ses pieds à terre et se percha confidentiellement vers moi.
-
-«J'ai _créé_ des oiseaux, dit-il à voix basse, de _nouveaux_
-oiseaux, des oiseaux comme on n'en avait encore jamais vu.»
-
-Il replaça ses pieds sur le manteau de la cheminée pendant un silence
-impressionnant.
-
-«Enrichir l'univers... plutôt! quelques-uns des oiseaux que j'ai
-fabriqués étaient des espèces nouvelles de colibris et de fort jolies
-petites choses, mais quelques-uns étaient simplement fantaisistes. Le
-plus drôle de ceux-là fut, je crois: l'Anomatoptéryx-Jejuna...
-Jejunus-Jejuna-Jejunum--vide--ainsi appelé parce qu'il n'y avait
-réellement rien dedans. Un oiseau absolument vide, à part la bourre.
-C'est le vieux Jawers qui le possède maintenant et je suppose qu'il en
-est presque aussi fier que moi. C'est un chef d'œuvre, Bellows! Il a
-toute la niaise gaucherie du pélican, tout le solennel manque de
-dignité du perroquet, la dégaine maigre et dégingandée du flamant,
-avec tout l'extravagant conflit chromatique du canard mandarin. Un
-oiseau pareil! Je l'ai fabriqué avec des fragments de squelettes
-provenant d'une cigogne et d'un toucan, et un lot de plumes acheté
-d'occasion. Ce genre de taxidermie, Bellows, est pour le véritable
-artiste une joie sans mélange.
-
-«Comment j'en vins à le faire? C'est assez simple, comme toutes les
-grandes inventions. L'un de ces jeunes génies qui rédige pour les
-journaux des notes scientifiques, mit la main sur une brochure allemande
-concernant les oiseaux de la Nouvelle-Zélande et la traduisit au moyen
-d'un dictionnaire et de ses facultés naturelles; il s'embrouilla,
-grâce à ces dernières, dans l'aptéryx vivant et l'anomatoptéryx
-disparu, parla d'un oiseau haut de cinq pieds, vivant dans les jungles
-de la Zélande septentrionale, dont les spécimens rares et timides
-étaient difficiles à obtenir et ainsi de suite... Savary, qui, même
-pour un collectionneur, est un homme miraculeusement ignorant, lut ces
-paragraphes et jura qu'il aurait la chose à tout prix. Il tourmenta de
-ses questions tous les marchands. Cela montre ce qu'un homme peut faire
-avec de la persistance... avec de la volonté... Voilà un
-collectionneur d'oiseaux jurant qu'il aurait un spécimen d'un oiseau
-qui n'existe pas, qui n'avait jamais existé et qui, à la honte même
-de sa dégaine profane, ne pourrait probablement pas exister maintenant
-si on lui donnait la vie, et il l'obtint!
-
-«Encore un peu de whisky, Bellows?--fit le taxidermiste s'éveillant
-d'une passagère contemplation des mystères de la volonté et de
-l'esprit collectionneur, et, rasséréné, il continua à me conter
-comment il avait façonné une sirène des plus séduisantes et comment
-un prédicateur errant, qu'elle empêchait d'avoir un auditoire, la
-détruisit sous prétexte d'idolâtrie. Mais comme la conversation des
-personnages qui prirent part à cette transaction: créateur, acheteur
-et destructeur, était uniformément impropre à la publication, ce
-joyeux incident ne sera pas rédigé.
-
-Les lecteurs peu familiers avec les obscures méthodes des
-collectionneurs seront peut-être enclins à douter du récit de mon
-taxidermiste; mais pour ce qui concerne les œufs du grand pingouin et
-les faux oiseaux empaillés, ses dires ont été confirmés par de
-distingués ornithologistes; et les notes concernant l'oiseau de la
-Nouvelle-Zélande ont paru de fait dans un journal du matin, d'une
-réputation au-dessus de tout soupçon, car le taxidermiste en conserve
-un exemplaire qu'il m'a montré.
-
-
-
-
-LA POMME
-
-
---Il faut que je me débarrasse!--fit l'homme assis dans le coin du
-compartiment, rompant brusquement le silence.
-
-M. Hinchcliff leva la tête, n'ayant qu'imparfaitement compris. Il
-avait été jusqu'ici perdu dans la contemplation de sa cape
-d'étudiant liée par un cordon aux poignées de sa valise, signe
-extérieur et visible de sa position pédagogique récemment obtenue; il
-était resté plongé dans le ravissement que lui causait cette cape et
-les agréables perspectives qu'elle découvrait. Car M. Hinchcliff
-venait de lui s'inscrire à l'Université de Londres et allait
-rejoindre une place de sous-maître à l'école préparatoire
-d'Holmwood--situation fort enviable. Il regarda avec étonnement son
-compagnon de voyage à l'autre bout du compartiment.
-
---Pourquoi ne pas la donner?--disait ce personnage.--La donner!...
-pourquoi pas?
-
-C'était un homme de haute taille au teint mat et hâlé. Il avait les
-bras nerveusement croisés sur la poitrine et il avait posé les pieds
-sur la banquette qui lui faisait face. Il se mit à tirer sa moustache
-noire et très longue, les yeux fixés sur le bout de ses bottines.
-
---Pourquoi pas?--dit-il encore.
-
-M. Hinchcliff toussa.
-
-L'étranger leva les yeux--c'étaient des yeux gris foncé, très
-perçants--et, pendant une minute, peut être, il fixa M. Hinchcliff
-d'un air morne. Puis son visage sembla prendre une expression
-d'intérêt.
-
---Oui,--fit-il lentement,--pourquoi pas? Et en finir.
-
---Je ne vous saisis, pas très bien, dit M. Hinchcliff en toussant une
-seconde fois.
-
---Vous ne me suivez pas très bien,--répliqua mécaniquement
-l'étranger tandis que ses yeux bizarres erraient de M. Hinchcliff à
-la valise d'où pendait avec ostentation la cape et revenaient à la
-figure duveteuse de M. Hinchcliff.
-
---Vos paroles sont si décousues, vous comprenez...--s'excusa M.
-Hinchcliff.
-
---Pourquoi pas!--dit l'étranger suivant sa pensée--Vous êtes
-étudiant?--fit-il en s'adressant à M. Hinchcliff.
-
---Je suis étudiant par correspondance à l'Université de
-Londres.--dit M. Hinchcliff avec un orgueil non déguisé et portant
-d'un geste nerveux sa main à sa cravate.
-
---À la poursuite de la science,--dit l'étranger. Et il retira
-soudain ses pieds de dessus la banquette, posa son poing sur son genou,
-et contempla, M. Hinchcliff comme s'il n'avait jamais vu
-d'étudiant de sa vie.
-
---Oui!--et il fit un geste avec l'index tendu.
-
-Puis il se leva, prit dans le filet un sac de cuir qu'il ouvrit. Sans
-le moindre mot il en tira un objet de forme ronde enveloppé d'une
-quantité de papier d'argent qu'il déplia soigneusement. Il tendit
-la chose à M. Hinchcliff: c'était un petit fruit d'un jaune doré
-et très doux au toucher.
-
-M. Hinchcliff demeura un instant la bouche et les yeux grands ouverts.
-Il n'essaya pas de prendre cet objet, même si on le lui offrait pour
-qu'il le prît.
-
---Ceci,--dit le fantastique étranger en articulant très
-lentement,--est la Pomme de l'Arbre de la Connaissance. Regardez-la:
-petite, brillante, merveilleuse... la Connaissance!... et je vais vous
-la donner.
-
-L'esprit de M. Hinchcliff eut une minute de pénible effort, puis
-l'explication évidente: fou, traversa son cerveau et éclaira toute
-la situation; un fou d'humeur joyeuse. Il pencha un peu la tête.
-
---La Pomme de l'Arbre de la Connaissance, hein?...--dit M. Hinchcliff
-regardant le fruit, feignant un air d'extrême intérêt et reportant
-ensuite ses regards sur son interlocuteur.--Mais pourquoi ne le
-mangez-vous pas vous-même?...... Et d'ailleurs comment est-il venu en
-votre possession?
-
---Elle ne se flétrit jamais! Il y a trois mois que je la possède, et
-elle est toujours brillante, et lisse, et mûre, et désirable comme
-vous la voyez.
-
-Il posa sa main sur son genou et considéra la pomme d'un air rêveur,
-puis il se mit à l'envelopper de nouveau dans ses papiers comme
-s'il avait modifié son intention de la donner.
-
---Mais comment l'avez-vous obtenue?--demanda M. Hinchcliff qui avait
-l'esprit argumentatif--et comment savez-vous que c'est le fruit de
-l'Arbre?
-
-
-[Figure 6: LA POMME--Il vit, derrière lui, les herbes en feu.]
-
-
---J'ai acheté ce fruit,--dit l'étranger,--il y a trois mois, pour
-une gorgée d'eau et une croûte de pain. L'homme qui me la céda,
-parce que mes soins lui avaient conservé la vie, était Arménien.
-L'Arménie! cette contrée merveilleuse! la première de toutes les
-contrées! où l'Arche de Noé est restée, jusqu'à ce jour,
-ensevelie dans les glaciers du mont Ararat. Cet homme, dis-je, fuyant
-avec d'autres devant les Kurdes qui les avaient surpris, parvint en
-des endroits déserts dans des montagnes... en des endroits que nul au
-monde ne connaît. Fuyant devant ceux qui les poursuivaient, ils
-arrivèrent sur un haut plateau entre les pics des montagnes. Il y
-croissait une herbe verte dont les brins étaient comme des lames, qui
-coupaient et déchiraient impitoyablement tous ceux qui s'aventuraient
-à les traverser. Les Kurdes étaient à leurs trousses et il ne leur
-restait d'autre chance de salut que de s'enfoncer dans ces herbes et le
-pire fut que les sentiers qu'ils tracèrent au prix de leur sang
-servirent aux Kurdes pour les suivre. Tous les fugitifs furent tués,
-sauf cet Arménien et un autre. Il entendit les cris et les
-gémissements de ses compagnons et le bruissement des herbes autour de
-ceux qui les poursuivaient, car ces herbes s'élevaient presque à
-hauteur d'homme. Il entendit des appels et des imprécations, et quand,
-enfin, il s'arrêta, tout était silencieux. Il poussa de l'avant
-quand même sans comprendre, déchiré et sanglant, jusqu'à ce
-qu'il arrivât à une muraille de rocher au-dessous d'un précipice
-d'où il vit, derrière lui, les herbes en feu et les fumées
-s'élever comme un voile entre lui et ses ennemis.
-
-L'étranger s'arrêta.
-
---Oui?--dit M. Hinchcliff,--et puis?...
-
---Il se trouvait donc là, tout blessé et déchiré par les herbes
-tranchantes, les rochers brûlants sous les rayons du soleil et la
-fumée de l'incendie s'avançant vers lui. Il n'osa pas y rester.
-Peu lui importait la mort, mais la torture!... Au loin, par delà la
-fumée, il entendit des clameurs et des plaintes. Des femmes criaient.
-Il se mit à escalader une gorge dans les rochers entre lesquels
-poussaient des buissons aux branches sèches, qui sortaient comme des
-épines entre les feuilles, et il se cacha dans une sorte
-d'excavation. Il rencontra là son compagnon, un berger qui avait
-aussi échappé au massacre. Estimant peu de chose le froid, la faim et
-la soif à côté de la cruauté des Kurdes, ils continuèrent à
-escalader les hauteurs parmi les neiges et les glaces. Ils errèrent
-ainsi pendant trois longs jours. Le troisième jour, ils eurent une
-vision. Je crois que les gens affamés ont souvent des visions, mais
-dans le cas présent nous avons ce fruit.
-
-Il leva dans sa main le fruit enveloppé d'argent.
-
---J'ai entendu ce récit de la bouche d'autres montagnards qui
-savaient la légende. C'était le soir, à l'heure où le nombre des
-étoiles augmente; ils descendaient, une pente de rocs lisses qui menait
-vers une immense vallée sombre dans laquelle croissaient des arbres
-bizarrement tordus, et de ces arbres pendaient de petits globes
-phosphores cents comme des vers luisants, étranges lumières rondes et
-jaunes. Soudain la vallée s'éclaira au loin, tout au loin d'une
-flamme dorée qui s'avançait lentement, faisant paraître les arbres
-rabougris aussi noirs que la nuit et jetant sur les pentes et les
-contours des choses des reflets d'or. À cette vision, les deux
-hommes, instruits des légendes des montagnes, surent qu'ils voyaient
-l'Éden ou la sentinelle de l'Éden, prosternèrent leur visage contre
-terre comme des hommes frappés de mort... Quand ils osèrent lever les
-yeux, la vallée était de nouveau dans l'obscurité, puis la clarté
-reparût venant vers eux, transparente comme l'ambre... Le berger, à
-cette vue, bondit sur ses pieds et avec un grand cri se mit à courir à
-toutes jambes vers la lumière, mais l'autre était trop effrayé pour
-le suivre. Il demeurait étourdi, frappé de stupeur, terrifié,
-regardant son compagnon s'éloigner vers la lueur mouvante. À peine
-le berger avait-il pris sa course qu'il y eut un bruit comme un coup
-de tonnerre, le battement d'ailes invisibles au-dessus de la vallée
-et une épouvante indicible; en me contant la chose l'homme qui me
-donna le fruit regardait anxieusement comme s'il cherchait encore
-autour de lui à se sauver. Remontant la pente aussi vite qu'il le
-pouvait, avec ce tumulte courant derrière lui, il se heurta contre un
-de ces arbres rabougris et un fruit mûr tomba dans sa main: celui-ci.
-Immédiatement il fut entouré d'un bruit d'ailes et de tonnerre. Il
-tomba et s'évanouit, et, quand il reprit ses sens, il se retrouva au
-milieu des ruines noircies et fumantes de son village où, avec
-d'autres personnes, je donnais mes soins aux blessés. Une vision?
-Mais il tenait encore serré dans sa main le fruit doré de l'arbre.
-Il y avait là d'autres gens qui connaissaient la légende, qui
-savaient ce qu'était cet étrange fruit.
-
-Il se tut.
-
---Et le voici,--fit-il après un silence.
-
-C'était une histoire très extraordinaire pour être racontée dans
-un compartiment de troisième classe sur une petite ligne de chemin de
-fer du Surrey. On eût pu croire que le réel n'était qu'un voile
-pour le fantastique et ici le fantastique était assez évident.
-
---Vraiment!--fut tout ce que put répondre M. Hinchcliff.
-
---La légende,--reprit l'étranger,--conte que ces fourrés d'arbres
-nains croissant autour du jardin viennent de la pomme qu'Adam tenait
-à la main quand Ève et lui furent chassés du paradis. Il sentit
-quelque chose dans sa main, aperçut la pomme à demi mangée et la jeta
-au loin avec colère. Là, depuis, croissent ces arbres, dans ce vallon
-désolé, entouré de neiges éternelles, à l'entrée duquel les
-épées de flammes montent la garde jusqu'au jour du jugement.
-
---Je pensais,--dit M. Hinchcliff--que tous ces racontars étaient... des
-fables... des paraboles... plutôt. Voulez-vous dire que là-bas en
-Arménie...
-
-L'étranger répondit à la question inachevée en tendant le fruit
-dans sa main ouverte.
-
---Mais vous n'avez aucune certitude,--dit M. Hinchcliff,--que c'est
-là le Fruit de l'Arbre de la Connaissance. L'homme peut avoir eu...
-une sorte de mirage pourrait-on dire, supposons...
-
---Regardez-le,--fit l'étranger.
-
-C'était, à coup sûr, un globe d'aspect étrange, non pas
-exactement une pomme, comme M. Hinchcliff put s'en rendre compte, mais
-un fruit d'une couleur dorée, brillant curieusement, comme si la
-lumière elle-même faisait partie de sa substance. Tout en la
-considérant, il se représentait plus vivement le vallon désolé au
-milieu des montagnes, les épées de flammes qui le gardaient et tous
-les étranges détails de l'histoire qu'il venait d'entendre. Il
-se frotta les vigoureusement yeux.
-
---Mais...--commença-t-il.
-
---Il est resté tel que cela, lisse et frais pendant trois mois, un peu
-plus longtemps que cela même, sans se dessécher, sans se flétrir,
-sans se corrompre.
-
---Mais... vous... vous-même... croyez vous réellement que...!
-
---C'est le Fruit Défendu.
-
-Il n'y avait pas moyen de se méprendre sur la sincérité de ton et
-sur la parfaite lucidité d'esprit de l'homme.
-
---Le Fruit de la Connaissance,--dit-il.
-
---Bien, admettons-le,--dit M. Hinchcliff après une pause et les yeux
-toujours fixés sur le fruit,--mais après tout,--continua-t-il, ce
-n'est pas mon genre de connaissances, le genre de science qu'il me
-faut acquérir; d'ailleurs Adam et Ève l'ont déjà mangée.
-
---Nous avons hérité de leur péché et non de leur
-connaissance,--répliqua l'étranger.--Si nous y goûtions maintenant
-tout serait de nouveau clair et pur. Nous verrions au fond de toutes
-choses, nous comprendrions les plus secrètes significations...
-
---Pourquoi ne le mangez-vous pas, alors?--questionna M. Hinchcliff,
-soudainement inspiré.
-
---C'est dans cette intention que je l'avais pris,--dit
-l'étranger.--L'homme est déchu. Seulement manger à nouveau le
-fruit pourrait difficilement...
-
---Savoir, c'est pouvoir!--dit M. Hinchcliff.
-
---Mais est-ce le bonheur? Je suis plus vieux que vous, j'ai plus que
-deux fois votre âge. Maintes et maintes fois j'ai tenu ceci dans ma
-main et chaque fois le cœur m'a manqué à la pensée de tout ce
-qu'on pourrait savoir... à pourrait savoir... à cette redoutable
-lucidité... Supposez que tout à coup le monde entier vous devienne
-impitoyablement clair?
-
---Cela, je pense, serait en somme un grand avantage,--assura M.
-Hinchcliff.
-
---Supposez que vous puissiez voir dans les cœurs et les esprits de ceux
-qui vous entourent, dans les recoins les plus secrets... des gens que
-vous aimez, à l'amour de qui vous tenez?
-
---On trouverait bien vite la comédie,--dit M. Hinchcliff, grandement
-frappé par cette idée.
-
---Et chose pire... se connaître soi-même... dépouillé de ses plus
-intimes illusions... se voir soi même à sa place... voilà tout ce que
-les désirs et les faiblesses nous ont empêché de faire... sans la
-moindre indulgente atténuation...
-
---Mais cela serait une chose excellente... Connais-toi toi-même!...
-Vous souvenez-vous?
-
---Vous êtes jeune!--dit l'étranger.
-
---Si vous ne vous souciez pas de le manger et qu'il vous soit à
-charge, pourquoi ne le jetez-vous pas, tout simplement?
-
---Ici encore, sans doute, vous ne me comprendrez pas. Pour moi, je me
-demande comment on pourrait jeter une chose comme celle-là, brillante,
-merveilleuse? Une fois qu'on l'a, on est lié. Mais d'un autre
-côté: la donner à quelqu'un qui ait soif de connaissances, qui
-n'éprouverait aucune terreur à la pensée de cette claire
-perception...
-
---D'ailleurs,--risqua pensivement M. Hinchcliff,--ce peut être
-quelque fruit vénéneux. À ce moment son œil aperçut par la fenêtre
-du compartiment quelque chose d'immobile, l'extrémité d'un grand
-écriteau blanc avec des lettres noires:... MWOOD. À cette vue, il
-tressaillit:
-
---Bon sang!--s'exclama-t-il,--Holmwood!...
-
-La réalité présente chassa soudain les imaginations mystiques
-auxquelles il s'était abandonné. Il ouvrit la portière, sa valise
-à la main. Déjà le chef de train donnait le signal du départ. M.
-Hinchcliff sauta sur le quai.
-
---Tenez!--fit une voix derrière lui.
-
-Il vit les yeux brillants et sombres de l'étranger et le fruit doré,
-velouté et tentant sur la main ouverte de l'homme. Il le prit
-instinctivement et le train s'ébranla.
-
---Non!--cria l'étranger en faisant un geste comme pour le reprendre.
-
---Attention!--cria un employé se précipitant pour fermer la portière.
-
-L'étranger, la tête et le bras passés à travers le carreau, cria
-quelque chose que Hinchcliff ne comprit pas. Puis, l'ombre du pont le
-cacha et en un clin d'œil il eut disparu. M. Hinchcliff, abasourdi et
-le fruit merveilleux dans la main, regardait le dernier wagon du train
-disparaître au tournant de la voie. L'espace d'une minute, son
-esprit demeura confus; puis il se rendit compte que deux ou trois
-personnes sur le quai l'examinaient avec intérêt. N'était-il pas
-le nouveau maître de l'École Préparatoire, débutant dans ses
-fonctions? Il lui vint à l'idée que le fruit pouvait très bien leur
-paraître la naïve emplette d'une orange rafraîchissante. Cette
-pensée le fit rougir et il enfonça le fruit dans la poche de son
-veston où il fit une bosse ridicule. Mais il n'y avait pas moyen de
-faire autrement et il se dirigea vers les gens qui l'observaient,
-essayant maladroitement de dissimuler son embarras. Il s'enquit du
-chemin qui devait le mener à l'École Préparatoire et des moyens de
-faire porter sa valise, et les deux petites malles de fer qui étaient
-là-bas au bout du quai. Oh! l'ennui de s'occuper de ces détails
-vulgaires.
-
-On lui transporterait ses bagages sur une brouette pour dix sous et il
-pouvait les précéder à pied. Il se figura surprendre une certaine
-ironie dans les voix de ses interlocuteurs. Il éprouvait un sentiment
-de gêne à la pensée de son aspect.
-
-Le ton de sincérité de son compagnon de voyage et le magique attrait
-de son récit avaient, pendant un instant, détourné le cours des
-pensées de M. Hinchcliff. Tout cela s'était interposé comme un
-nuage lui dissimulant ses intérêts immédiats. Des flammes qui
-erraient çà et là! La préoccupation de sa position nouvelle et de
-l'impression qu'il lui fallait produire sur Holmwooden, en
-général, et l'École en particulier, reprit totalement possession et
-rasséréna son atmosphère mentale avant qu'il eût quitté la gare.
-Mais il est extraordinaire, combien, pour un jeune homme sensé et
-endimanché, peut être gênant d'avoir, en sus, un fruit doux au
-toucher et délicatement doré, avec à peine trois pouces de diamètre.
-Dans la poche de son veston noir, il faisait une bosse terrible gâtant
-complètement la ligne. Il rencontra une vieille petite dame en noir
-dont le regard fut attiré immédiatement par l'excroissance de sa
-poche. Dans sa main gauche gantée, il tenait son autre gant et dans la
-droite sa canne, de sorte que porter ostensiblement le fruit lui était
-impossible. En un endroit où le chemin paraissait convenablement
-désert il retira de sa poche l'encombrant objet et essaya de le
-mettre sous son chapeau. La pomme était juste un peu trop grosse; le
-chapeau dansait d'une façon grotesque et, au moment où il la
-retirait, un garçon boucher tourna le coin de la route avec sa voiture.
-
---Sacrebleu!--exclama M. Hinchcliff.
-
-Il l'aurait mangée incontinent, acquérant l'omniscience, mais il
-eût été si stupide d'entrer en ville en suçant un fruit juteux car
-évidemment il devait l'être. Si l'un des élèves venait à
-passer, cela pourrait porter un sérieux dommage à son autorité
-d'être vu dans cette posture. Ou bien le jus pourrait lui poisser la
-figure et tacher ses manchettes. Ou bien encore ce pouvait être un jus
-acide aussi fort que celui du citron et qui décolorerait ses
-vêtements...
-
-Puis, au détour du chemin ensoleillé, il aperçut deux jolies filles.
-Elles marchaient à petits pas vers la ville, bavardant, et à tout
-moment elles pouvaient se retourner et dévisager derrière elles un
-jeune homme à la figure rouge et portant à la main une tomate jaune
-phosphorescente! Sûrement elles éclateraient de rire.
-
-
-[Figure 7: LA POMME--D'un geste rapide, il envoya le fruit encombrant
-par dessus le mur d'un verger.]
-
-
---Flûte!--dit M. Hinchcliff et d'un geste rapide, il envoya le fruit
-encombrant par-dessus le mur de pierre d'un verger qui bordait la route.
-
-Au moment où la pomme disparut, il éprouva de cette perte un vague
-regret qui dura quelques secondes. Il reprit avec aisance sa canne et
-son gant et se mit à marcher droit et satisfait pour dépasser les
-jeunes filles.
-
-Mais dans les ténèbres de la nuit, M. Hinchcliff eut un rêve. Il vit
-la vallée, les épées de flammes, les arbres rabougris et il sut que
-c'était réellement le fruit de la Connaissance qu'il avait si
-inconsidérément jeté, et il s'éveilla fort malheureux.
-
-Dans la matinée, son regret disparut, mais plus tard. Il revint le
-tourmenter, jamais néanmoins lorsqu'il était heureux ou très
-occupé.
-
-Enfin par une nuit de lune, vers onze heures, quand tout Holmwood fut
-endormi, ses regrets reparurent avec une force redoublée et avec eux la
-tentation de courir les aventures. Il se glissa hors de la maison,
-escalada le mur, gagna à travers la ville silencieuse le chemin de la
-gare et pénétra dans le verger où il avait jeté le fruit, mais il ne
-put rien trouver parmi l'herbe humide et les fragiles globes de
-pissenlits.
-
-
-
-
-L'HOMME VOLANT
-
-
-L'ethnologue considéra pensivement la plume de Bhimraj.
-
---Il semblait ne guère tenir à s'en séparer, dit—il.
-
---Elle est sacrée pour les chefs, répondit le lieutenant, comme la
-soie jaune est sacrée pour l'empereur de Chine.
-
-L'ethnologue ne répondit pas. Il hésitait; puis entrant brusquement
-en matière, il demanda:
-
---Quel est ce conte à dormir debout, qu'ils racontent à propos
-d'un homme volant?
-
-Le lieutenant eut un faible sourire.
-
---Que vous ont-ils dit?
-
---Je vois, fit l'ethnologue, que vous êtes au courant de votre
-renommée.
-
-Le lieutenant se mit à rouler une cigarette.
-
---J'aimerais bien entendre une fois de plus cette histoire, fit-il, pour
-voir où elle en est maintenant.
-
---Elle est si stupidement enfantine! reprit l'ethnologue quelque peu
-irrité. Comment leur avez-vous joué ce tour-là.
-
-Le lieutenant garda le silence et, toujours souriant, se renversa dans
-son fauteuil.
-
---Voici donc que j'ai fait un détour de cinq cents kilomètres pour
-recueillir le folklore que ces gens ont pu conserver, avant qu'ils ne
-soient complètement démoralisés par les missionnaires et les
-militaires, et je ne trouve qu'un tas de légendes impossibles au sujet
-d'un diable de lieutenant d'infanterie à tête rousse. Comment il
-est invulnérable, comment il peut sauter par-dessus les éléphants,
-comment il peut voler! Et bien d'autres sottises! Un respectable
-vieillard m'a décrit vos ailes disant qu'elles étaient d'un
-plumage noir, mais pas tout à fait aussi long qu'une mule. Il
-prétend qu'il vous a vu souvent au clair de lune voltiger au-dessus des
-collines vers le pays de Shendon. Que le diable vous emporte!...
-
-Le lieutenant éclata de rire gaiement.
-
---Continuez, dit-il, continuez...
-
-L'ethnologue continua jusqu'à ce qu'il en eût assez.
-
---En faire accroire pareillement à ces enfants des montagnes encore
-ingénus! Comment avez-vous pu faire cela?
-
---J'en suis très fâché, dit le lieutenant, mais vraiment j'y fus
-bien obligé. Je puis vous affirmer que la chose s'imposait et je
-n'avais pas alors, la moindre idée de la façon dont l'imagination
-de ces gens la prendrait.
-
-«Pas la moindre curiosité non plus. Je puis seulement invoquer que ce
-fut une indiscrétion et nullement la malice qui m'a fait remplacer le
-folklore par une nouvelle légende. Mais comme vous semblez chagriné,
-je vais essayer de vous expliquer l'affaire.
-
-«C'était à l'époque de l'avant-dernière expédition contre
-les Lou-Chaï, et Walters croyait que ces gens que vous venez de visiter
-étaient animés pour nous d'intentions amicales; aussi, avec une
-allègre confiance dans mes capacités à me tirer d'affaire, il
-m'envoya là-haut, dans la gorge, à vingt kilomètres d'ici, avec
-trois soldats européens, une douzaine de cipayes, deux mules et sa
-bénédiction, pour me rendre compte des sentiments populaires du
-village que vous avez visité. Une troupe forte de dix hommes sans
-compter les mules, vingt kilomètres à faire et en temps
-d'hostilité! Vous avez vu la route?
-
---La route! fit l'ethnologue.
-
---Elle est meilleure maintenant qu'elle ne l'était autrefois. Il
-nous fallut suivre le lit de la rivière pendant quinze cents mètres à
-l'endroit où la vallée se rétrécit. Il y avait un courant rapide
-qui écumait autour de nos genoux et roulait sur des pierres aussi
-glissantes que de la glace. C'est là que je laissai tomber ma
-carabine. Plus tard, les sapeurs firent sauter le rocher à la dynamite
-pour faire la voie plus commode que vous connaissez. Dans ce temps-là,
-on suivait par le bas, au long des hauts rochers à pic et il fallait
-sans cesse contourner la rivière, sans compter qu'on devait la
-traverser une douzaine de fois sur une longueur de trois kilomètres.
-
-«Nous arrivâmes en vue de la place le lendemain matin de bonne heure.
-Vous savez où elle se trouve! Sur un contrefort à mi-chemin entre les
-hauteurs, et comme nous commencions à apprécier la trompeuse
-tranquillité du village ensoleillé, nous nous arrêtâmes pour tenir
-conseil.
-
-«Alors en guise de bienvenue, ils nous envoyèrent un morceau d'idole
-de cuivre: le bloc descendit la pente droite, passa à un pouce de mon
-épaule et tamponna la mule qui portait les provisions et les
-ustensiles.
-
-«Jamais, ni avant cela, ni depuis, je n'entendis de pareil vacarme.
-À ce moment nous aperçûmes un certain nombre de gentlemen portant des
-fusils à pierre, revêtus d'espèces de torchons à carreaux de
-couleurs, et faisant un détour au long d'un sentier entre le village
-et les hauteurs, vers l'est.
-
---«Volte-face! commandai-je, et espacez-vous.
-
-«Avec cet encouragement, mon expédition de dix hommes fit demi-tour et
-se mit à redescendre la vallée d'un trot leste. Nous ne nous
-attardâmes pas à sauver la moindre chose de la charge de notre
-mort,--mais, par un sentiment d'amitié, nous emmenâmes avec nous la
-seconde mule, qui portait ma tente et diverses hardes.
-
-«Ainsi se termina la bataille--sans gloire! Jetant un coup d'œil en
-arrière, je vis la vallée toute parsemée de vainqueurs qui poussaient
-des cris et nous tiraient dessus. Mais personne ne fut atteint. Ces gens
-ne sont guère à craindre avec leurs fusils; ils ne savent toucher
-qu'un but fixe. Il leur faut se mettre en joue et viser pendant des
-heures, et quand ils tirent en courant, c'est simplement pour faire du
-tapage. Hooker, l'un de mes soldats blancs, se croyait bon tireur, et
-il s'arrêta une demi-minute pour risquer la chance d'en abattre un,
-mais il nous rattrapa bredouille.
-
-«Je ne suis pas un Xénophon pour débiter une longue histoire sur mon
-armée en retraite. Pendant les deux ou trois kilomètres qui suivirent,
-il nous fallut par deux fois arrêter l'ennemi qui nous pressait un
-peu trop, et échanger quelques coups de feu. Mais l'affaire fût, en
-somme, assez monotone--on s'essoufflait seulement--jusqu'à ce que
-nous fussions parvenus à l'endroit où les hauteurs descendent vers
-la rivière et resserrent la vallée en un simple défilé. Là, fort
-heureusement, j'aperçus une demi-douzaine de têtes noires qui
-venaient nous prendre en écharpe du haut des rochers, sur la gauche--à
-l'est, en réalité.
-
-«À cette vue, je commandai halte.
-
-«--Attention maintenant. Qu'allons-nous faire? dis-je à Hooker et
-aux autres, en indiquant les têtes noires.
-
-«--Je veux bien être nègre, si nous ne sommes pas chipés, dit l'un
-des hommes.
-
-«--Nous le serons, répondit un autre. Tu connais les façons de ces
-bougres, hein, Georges?
-
-«--Ils vont nous tirer au gîte à cinquante mètres, déclara Hooker,
-à l'endroit où la rivière s'étrangle. Autant se suicider que de
-continuer à descendre.
-
-«Je regardai la hauteur à notre droite. Elle tombait presque à pic au
-bas de la vallée, mais elle paraissait pouvoir être escaladée et tous
-les ennemis que nous avions vus jusqu'ici étaient de l'autre côté
-de l'eau.
-
-«--C'est cela, ou s'arrêter! fit l'un des cipayes.
-
-
-[Figure 8: L'HOMME VOLANT--Je retournai vers l'homme qu'une balle
-avait atteint à la jambe, et je le pris dans mes bras.]
-
-
-«Nous nous mîmes à grimper obliquement la colline. Il y avait une
-sorte de vague sentier qui montait en biais et nous le suivîmes.
-Bientôt, quelques ennemis parurent en vue vers le haut de la vallée,
-et j'entendis quelques coups de feu. J'aperçus alors un des cipayes
-qui s'était assis à trente mètres plus bas. Il s'était arrêté,
-sans un mot, pour ne pas donner d'inquiétude apparemment. De nouveau,
-je commandai halte. Je dis à Hooker d'essayer d'abattre quelques
-ennemis et je retournai vers l'homme qu'une balle avait atteint à
-la jambe. Je le pris dans mes bras et le portai jusqu'à la mule sur
-laquelle je l'installai,--la pauvre bête était déjà suffisamment
-chargée avec la tente et les autres fourbis que nous n'avions pas le
-temps de détacher. Quand j'eus rejoint le reste de la troupe, Hooker
-avait sa carabine vide à la main et indiquait, en riant, vers le haut
-de la vallée, une tache noire immobile. Tous les autres ennemis
-s'étaient dissimulés derrière des roches ou avaient fui au delà de
-la courbe.
-
-«--À cinq cents mètres, fit Hooker; et je parie que je l'ai touché
-en pleine tête.
-
-«Je l'engageai à recommencer un aussi beau coup, et nous nous
-remîmes en route.
-
-«La pente maintenant devenait plus abrupte, et le sentier moins marqué
-à mesure que nous montions. Bientôt, au-dessus et au-dessous de nous,
-ce furent plus que des falaises.
-
-«C'est le plus beau chemin que j'aie vu dans ce pays de Lou-Chaï,
-dis-je pour encourager les hommes, mais, en moi-même, je redoutais ce
-qui allait arriver.
-
-«Au bout de quelques minutes, le chemin tournait court autour de la
-falaise. Puis c'était tout: le sentier se terminait là.
-
-«En se rendant compte de la position, l'un des hommes se mit à jurer
-et à maudire le piège dans lequel nous avions donné. Nous nous
-trouvions sur une sorte de plate-forme qui devait être, au plus, large
-de dix mètres. Les rochers s'élevaient en surplombant au-dessus de
-nous de sorte qu'on ne pouvait nous fusiller d'en haut, et devant
-nous s'ouvrait un précipice de deux ou trois cents pieds de
-profondeur. En nous couchant contre le sol, nous étions invisibles pour
-ceux qui auraient été de l'autre côté du ravin.
-
-«La seule approche que nous pussions craindre était au long du
-passage, et un homme bien embusqué à l'entrée valait une armée.
-Nous étions dans une forteresse naturelle, avec un seul désavantage:
-nos uniques provisions contre la faim et la soif était une mule
-vivante. Cependant, nous étions éloignés de douze ou quinze
-kilomètres du gros de l'expédition, mais sans doute, quand ils nous
-verraient absents un jour ou deux, ils enverraient à notre recherche si
-nous ne rentrions pas. Au bout d'un jour ou deux...»
-
-Le lieutenant se tut soudain.
-
-«--Avez-vous jamais eu soif, Graham?
-
-«--Jamais de cette façon-là, répondit l'ethnologue.
-
-«--Hum! nous avons eu soif pendant toute cette journée, pendant la
-nuit suivante et tout le lendemain avec seulement quelques gouttes de
-rosée obtenues en tordant divers linges et la tente. Au-dessous de
-nous, la rivière coulait avec des glouglous contre un rocher qui se
-dressait au milieu du courant. Jamais je n'ai vu une pareille absence
-d'incidents et une pareille intensité de sensation. Le soleil
-obéissait sans doute encore à l'ordre de Josué, car il ne bougeait
-guère; il flamboyait comme une fournaise ardente. Vers le soir du
-premier jour, l'un des deux soldats blancs marmotta quelque chose que
-personne ne comprit, et il s'en alla en suivant le chemin par où nous
-étions venus. Nous entendîmes des coups de feu, et quand Hooker alla
-voir à l'entrée du passage, l'homme avait disparu. Le lendemain
-matin le cipaye blessé eut le délire et il sauta, ou il tomba, dans le
-ravin; alors nous abattîmes la mule et elle aussi dégringola, dans ses
-dernières secousses, au bas du précipice, et nous restâmes huit.
-
-«Nous apercevions, tout au fond du gouffre, le corps du cipaye, dont la
-tête plongeait dans l'eau. Il était à plat ventre, et autant
-qu'on pouvait s'en rendre compte il paraissait fort peu meurtri.
-Malgré tout le désir de l'ennemi d'avoir cette tête. Il
-n'osèrent pas s'approcher avant la nuit.
-
-«D'abord, nous parlâmes des chances qu'il y avait que le gros de
-la troupe ait entendu notre fusillade, et nous tâchions de supputer à
-quel moment ils remarqueraient notre retard, et mille autres choses.
-Mais nous nous desséchions réellement à mesure que les heures
-passaient. Les cipayes jouèrent entre eux avec des cailloux, puis
-racontèrent des histoires. La nuit fut assez froide. Le second jour
-personne ne parla. Nos lèvres étaient noires et nos gosiers en feu: et
-nous restions étendus sous la roche, nous regardant les uns les autres.
-L'un des réguliers se mit à tracer sur le rocher avec un morceau de
-tuyau de pipe des blasphèmes et des invectives comme une sorte de
-testament et je dus le faire cesser. Tandis que je regardais, au fond de
-la vallée, la rivière couler et bouillonner, J'étais presque tenté
-de suivre le cipaye. Cela semblait attirant et désirable de
-dégringoler le long de la pente, avec au bas quelque chose à
-boire--ou, du moins, plus de soif du tout. Cependant, je me souvins à
-temps que je commandais le détachement et que mon devoir était de
-donner le bon exemple, et cela m'empêcha de commettre une sottise.
-
-«C'est en pensant à cela qu'une idée me vint. Je me levai et
-examinai la tente et, ses cordes, et je m'étonnai de n'y avoir pas
-pensé plus haut. Puis, j'allai jusqu'au bord de la falaise mesurer
-de l'œil la distance. Cette fois la hauteur me sembla plus grande et
-la pose du cipaye quelque peu plus pénible. Mais il n'y avait que ce
-moyen ou rien... et, pour vous le dire sans plus de détour, je
-descendis en parachute.
-
-«Je pris un grand cercle de toile de la tente, environ trois fois grand
-comme ce tapis de table. Je fis un trou dans le milieu, je liai huit
-cordes autour qui se réunissaient au centre pour former un parachute.
-Les autres me regardaient, croyant sans doute à quelque nouveau genre
-de délire. Alors j'expliquai mon plan aux deux réguliers, et,
-aussitôt que le rapide crépuscule fut devenu nuit pleine, je risquai
-l'expérience. Les deux hommes tinrent l'instrument élevé et je
-pris mon élan de toute la longueur de la plate-forme. Mon parachute
-s'emplit d'air comme une voile, mais je dois avouer qu'arrivé au
-bord j'eus la venette et je m'arrêtai court.
-
-«Mais j'eus aussitôt honte de moi-même; je retournai à
-l'extrémité de la plate-forme et me lançai de nouveau. Cette fois,
-je sautai--avec une sorte de sanglot, je me le rappelle--je sautai en
-plein dans le vide, avec la grande voile, blanche qui se gonflait
-au-dessus de moi.
-
-
-[Figure 9: L'HOMME VOLANT--«À cette vue, j'aurais bien voulu
-pouvoir remonter.»]
-
-
-«Mes pensées durent se précipiter avec une vitesse effrayante. Il
-sembla s'écouler un long moment avant que je pusse être sûr que mon
-instrument resterait droit. D'abord il se balança de côté et
-d'autre. Puis, je remarquai la muraille de rocs qui semblait monter
-devant mes yeux, pendant que je me figurais rester immobile. Je regardai
-au-dessous de moi, et je vis les eaux sombres de la rivière et le
-cadavre du cipaye qui venaient, à ma rencontre. Mais dans
-l'indistincte clarté, je discernai aussi trois ennemis, ahuris de me
-voir arriver, et le cipaye décapité. À cette vue j'aurais bien
-voulu pouvoir remonter.
-
-Au même instant, ma botte entrait dans la bouche d'un des ennemis, et
-lui et moi ne formions plus qu'un seul tas avec la toile qui
-s'abattait sur nous en se dégonflant. Sans doute, j'avais dû faire
-jaillir la cervelle de l'homme sous mon pied. Je n'attendais rien
-d'autre que d'être à mon tour massacré, mais les pauvres païens,
-qui n'avaient jamais entendu parler de Baldwin, prirent immédiatement
-la fuite.
-
-«Je me dépêtrai de la toile et du cadavre et jetai un regard autour
-de moi. À environ dix pas se trouvait la tête du cipaye, les yeux
-fixes, au clair de lune. Puis, j'aperçus l'eau et je courus boire.
-Il n'y avait d'autre bruit au monde que celui de la retraite
-précipitée des ennemis, un faible cri qui me parvint d'en haut et le
-murmure du courant. Dès que j'eus bu tout mon soûl, je descendis au
-long de la rivière.
-
-«Telle est l'explication de l'histoire de l'homme volant. Pendant
-les douze kilomètres que je fis pour rejoindre l'expédition, je ne
-rencontrai âme qui vive. J'arrivai au camp de Walters vers dix heures
-et le stupide imbécile qui était de faction eut le toupet de me tirer
-dessus lorsque je surgis au trot hors des ténèbres. Aussitôt que je
-fus parvenu à faire entrer mon récit dans le crâne épais de Walters,
-cinquante hommes se mirent en route pour aller débarrasser la vallée
-des ennemis et ramener nos hommes. Mais j'avais eu pour ma part
-suffisamment soif pour ne pas aller la provoquer de nouveau en les
-accompagnant.
-
-«Vous avez entendu quelle sorte de légende ils ont fabriquée avec
-cela. Des ailes grandes comme une mule, hein? et des plumes noires? Le
-bon lieutenant transformé en oiseau. Bon! bon!»
-
-Un instant le lieutenant resta plongé dans quelque joyeuse méditation,
-puis il ajouta:
-
---Vous ne le croiriez pas, mais quand ils arrivèrent à la plate-forme,
-deux cipayes avalent sauté en bas.
-
---Le reste allait bien? demanda l'ethnologue.
-
---Le reste allait bien, à part la soif. Et à ce souvenir le lieutenant
-se versa un nouveau verre de whisky et de soda.
-
-
-*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DANS L’ABÎME ***
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions will
-be renamed.
-
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the
-United States without permission and without paying copyright
-royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
-of this license, apply to copying and distributing Project
-Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm
-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for an eBook, except by following
-the terms of the trademark license, including paying royalties for use
-of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
-copies of this eBook, complying with the trademark license is very
-easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
-of derivative works, reports, performances and research. Project
-Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may
-do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
-by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
-license, especially commercial redistribution.
-
-START: FULL LICENSE
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full
-Project Gutenberg-tm License available with this file or online at
-www.gutenberg.org/license.
-
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project
-Gutenberg-tm electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or
-destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your
-possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
-Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound
-by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the
-person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph
-1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
-agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
-electronic works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the
-Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
-claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
-displaying or creating derivative works based on the work as long as
-all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
-that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
-free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm
-works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
-Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily
-comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
-same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when
-you share it without charge with others.
-
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
-in a constant state of change. If you are outside the United States,
-check the laws of your country in addition to the terms of this
-agreement before downloading, copying, displaying, performing,
-distributing or creating derivative works based on this work or any
-other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no
-representations concerning the copyright status of any work in any
-country other than the United States.
-
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
-immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear
-prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work
-on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the
-phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed,
-performed, viewed, copied or distributed:
-
- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
- most other parts of the world at no cost and with almost no
- restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
- under the terms of the Project Gutenberg License included with this
- eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the
- United States, you will have to check the laws of the country where
- you are located before using this eBook.
-
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is
-derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
-copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
-the United States without paying any fees or charges. If you are
-redistributing or providing access to a work with the phrase "Project
-Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply
-either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
-obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm
-trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
-will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works
-posted with the permission of the copyright holder found at the
-beginning of this work.
-
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
-
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
-
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
-other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg-tm website
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain
-Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the
-full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1.
-
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works
-provided that:
-
-* You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
-* You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
-
-* You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
-
-* You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
-the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set
-forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation's website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without
-widespread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This website includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
diff --git a/old/64590-0.zip b/old/64590-0.zip
deleted file mode 100644
index 299a26e..0000000
--- a/old/64590-0.zip
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h.zip b/old/64590-h.zip
deleted file mode 100644
index c8bdd97..0000000
--- a/old/64590-h.zip
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/64590-h.htm b/old/64590-h/64590-h.htm
deleted file mode 100644
index 6e10e5e..0000000
--- a/old/64590-h/64590-h.htm
+++ /dev/null
@@ -1,3037 +0,0 @@
-<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN"
- "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd">
-<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="fr" lang="fr">
- <head>
- <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=utf-8" />
- <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" />
- <title>
- The Project Gutenberg eBook of Dans l'abîme, by H. G. Wells.
- </title>
- <style type="text/css">
-
-body {
- margin-left: 10%;
- margin-right: 10%;
-}
-
- h1,h2,h3,h4,h5,h6 {
- text-align: center; /* all headings centered */
- clear: both;
-}
-
-p {
- margin-top: .51em;
- text-align: justify;
- margin-bottom: .49em;
-}
-
-.p2 {margin-top: 2em;}
-.p4 {margin-top: 4em;}
-.p6 {margin-top: 6em;}
-
-hr {
- width: 33%;
- margin-top: 2em;
- margin-bottom: 2em;
- margin-left: auto;
- margin-right: auto;
- clear: both;
-}
-
-hr.tb {width: 45%;}
-hr.chap {width: 65%}
-hr.full {width: 95%;}
-
-hr.r5 {width: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;}
-hr.r65 {width: 65%; margin-top: 3em; margin-bottom: 3em;}
-
-ul.index { list-style-type: none; }
-li.ifrst { margin-top: 1em; }
-li.indx { margin-top: .5em; }
-li.isub1 {text-indent: 1em;}
-li.isub2 {text-indent: 2em;}
-li.isub3 {text-indent: 3em;}
-
-table {
- margin-left: auto;
- margin-right: auto;
-}
-
- .tdl {text-align: left;}
- .tdr {text-align: right;}
- .tdc {text-align: center;}
- table.poem { margin-left: 3em;}
-td.original { font-style: italic; text-align: left }
-td.translated { text-align: left }
-
-.pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */
- /* visibility: hidden; */
- position: absolute;
- left: 92%;
- font-size: smaller;
- text-align: right;
-} /* page numbers */
-
-.linenum {
- position: absolute;
- top: auto;
- right: 10%;
-} /* poetry number */
-
-.blockquot {
- margin-left: 5%;
- margin-right: 10%;
-}
-
-.blockquot-half {
- padding-top: 2em;
- padding-bottom: 2em;
- margin-left: 50%;
-}
-
-.sidenote {
- width: 10%;
- padding-bottom: .5em;
- padding-top: .5em;
- padding-left: .5em;
- padding-right: .5em;
- margin-left: .5em;
- float: left;
- clear: left;
- margin-top: .5em;
- font-size: smaller;
- color: black;
- background: #eeeeee;
- border: dashed 1px;
-}
-
-.bb {border-bottom: solid 2px;}
-
-.bl {border-left: solid 2px;}
-
-.bt {border-top: solid 2px;}
-
-.br {border-right: solid 2px;}
-
-.bbox {border: solid 2px;}
-
-.center {text-align: center;}
-
-.right {text-align: right;}
-
-.smcap {font-variant: small-caps;}
-
-.u {text-decoration: underline;}
-
-.gesperrt
-{
- letter-spacing: 0.2em;
- margin-right: -0.2em;
-}
-
-em.gesperrt
-{
- font-style: normal;
-}
-
-.caption {font-weight: normal;
- font-size: 90%;
- text-align: right;
- padding-bottom: 1em;}
-
-/* Images */
-.figcenter {
- margin: auto;
- text-align: center;
-}
-
-.figleft {
- float: left;
- clear: left;
- margin-left: 0;
- margin-bottom: 1em;
- margin-top: 1em;
- margin-right: 1em;
- padding: 0;
- text-align: center;
-}
-
-.figright {
- float: right;
- clear: right;
- margin-left: 1em;
- margin-bottom:
- 1em;
- margin-top: 1em;
- margin-right: 0;
- padding: 0;
- text-align: center;
-}
-
-/* Notes */
-.footnotes {margin-top:2em; border: dashed 1px;}
-
-.footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;}
-
-.footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;}
-
-.fnanchor {
- vertical-align: super;
- font-size: .8em;
- text-decoration:
- none;
-}
-
-.actor {font-size: 0.8em;
- text-align: center;}
-
-/* Poetry */
-.poem {
- margin-left:10%;
- margin-right:10%;
- text-align: left;
-}
-
-.poem br {display: none;}
-
-.poem .stanza {margin: 1em 0em 1em 0em;}
-
-
-/* Transcriber's notes */
-.transnote {background-color: #E6E6FA;
- color: black;
- font-size:smaller;
- padding:0.5em;
- margin-bottom:5em;
- margin-top:2em;
- font-family:sans-serif, serif; }
-
- </style>
- </head>
-<body>
-
-<div style='text-align:center; font-size:1.2em; font-weight:bold'>The Project Gutenberg eBook of Dans l’abîme, by Herbert George Wells</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
-most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
-of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
-at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
-are not located in the United States, you will have to check the laws of the
-country where you are located before using this eBook.
-</div>
-
-<table style='min-width:0; padding:0; margin-left:0; border-collapse:collapse'>
- <tr><td>Title:</td><td>Dans l’abîme</td></tr>
- <tr><td></td><td>Triomphes d’un Taxidermiste; La Pomme; L’homme volant</td></tr>
-</table>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Author: Herbert George Wells</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Editor: Louis Figuier</div>
-
-<div style='display:block; margin-top:1em; margin-bottom:1em; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Translator: Henry Durand Davray</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Release Date: February 18, 2021 [eBook #64590]</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Language: French</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>Character set encoding: UTF-8</div>
-
-<div style='display:block; margin-left:2em; text-indent:-2em'>Produced by: Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale de France.)</div>
-
-<div style='margin-top:2em; margin-bottom:4em'>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DANS L’ABÎME ***</div>
-
-
-<h2>LA SCIENCE ILLUSTRÉE</h2>
-
-
-<h4>JOURNAL HEBDOMADAIRE</h4>
-
-<h4>FONDÉ SOUS LA DIRECTION</h4>
-
-<h4>DE</h4>
-
-<h3>LOUIS FIGUIER</h3>
-
-<h4>06 DÉCEMBRE 1902</h4>
-
-<h4>À</h4>
-
-<h4>30 MAI 1903</h4>
-
-
-<h5>EXPOSITION INTERNATIONALE (1900)</h5>
-
-<h5>PARIS</h5>
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h2>DANS L'ABÎME</h2>
-
-<h3>H.-G. WELLS</h3>
-
-<h4>TRADUIT DE L'ANGLAIS</h4>
-
-<h5>PAR</h5>
-
-<h3>HENRY-D. DAVRAY</h3>
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4>TABLE DES MATIÈRES</h4>
-<p><a href="#DANS_LABIME">DANS L'ABÎME</a><br />
-<a href="#LES_TRIOMPHES_DUN_TAXIDERMISTE">LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE</a><br />
-<a href="#LA_POMME">LA POMME</a><br />
-<a href="#LHOMME_VOLANT">L'HOMME VOLANT</a></p>
-
-
-<hr class="r5" />
-
-<h4><a id="DANS_LABIME">DANS L'ABÎME</a></h4>
-
-<p>
-Le lieutenant se tenait debout devant la sphère d'acier et mordillait
-un éclat de bois.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Que pensez-vous de ça, Steevens? demanda-t-il.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;C'est une idée comme une autre, dit Steevens, du ton de quelqu'un
-qui veut se faire une opinion sincère.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je crois que ça s'écrasera à plat, continua le lieutenant.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il semble avoir calculé son affaire soigneusement, dit Steevens
-encore impartial.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais pensez à la pression, insista le lieutenant. À la surface de
-l'eau, elle est de quatorze livres par pouce; trente pieds plus bas,
-elle est double; soixante, triple; quatre-vingt-dix, quadruple; neuf
-cents, quarante fois plus grande; cinq-mille pieds, trois-cents fois...
-c'est-à-dire qu'à un mille de profondeur la pression est de deux cent
-quarante fois quatorze livres; c'est-à-dire... attendez... un
-quintal... une tonne et demie, Steevens, <i>une tonne et demie</i> par
-pouce carré. Et l'Océan a ici cinq milles de profondeur. Il subira une
-pression de sept tonnes et demie...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Un joli sondage! dit Steevens. Mais il est protégé aussi par une
-jolie épaisseur d'acier.
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant ne répondit pas et se mit à mâchonner son bout de bois.
-L'objet de leur conversation était une immense boule d'acier, d'un
-diamètre extérieur d'environ neuf pieds, et qui semblait être le
-projectile de quelque titanique pièce d'artillerie; elle était fort
-laborieusement nichée dans un échafaudage monstrueux, élevé dans la
-charpente du vaisseau, et les espars gigantesques qui allaient bientôt
-la faire glisser par-dessus bord donnaient à l'arrière du navire un
-aspect qui avait excité la curiosité de tout honnête marin, depuis le
-<i>pool</i> de Londres jusqu'au tropique du Capricorne. En deux endroits,
-l'un au-dessus de l'autre, l'acier faisait place à une couple de
-fenêtres circulaires, fermées d'une paroi de verre d'une épaisseur
-énorme, et l'une d'elles, enchâssée dans un cadre d'acier d'une
-grande solidité, se trouvait pour l'instant en partie dévissée.
-</p>
-
-<p>
-Le matin même, les deux hommes avaient vu, pour la première fois,
-l'intérieur de ce globe. Il était soigneusement matelassé de coussins
-à air, garnis de petits boutons fixés entre les saillies, et qui
-constituaient le simple mécanisme de la chose. Tous les objets
-étaient, de même, soigneusement capitonnés, même l'appareil Myers,
-qui devait absorber l'acide carbonique et remplacer l'oxygène inspiré
-par l'habitant du globe, quand, s'y étant introduit, l'ouverture
-vitrée aurait été vissée.
-</p>
-
-<p>
-Tout était si parfaitement capitonné qu'un être humain aurait pu
-supporter, en toute sécurité, d'être lancé avec la sphère par un
-canon. Et il fallait qu'il en fût ainsi, car bientôt un homme allait
-s'insinuer par l'ouverture; il serait enfermé solidement à
-l'intérieur et lancé par-dessus bord pour s'en foncer dans l'Océan
-jusqu'à une profondeur de cinq milles, comme le lieutenant l'avait dit.
-L'imagination de ce dernier était exclusivement occupée de cet objet;
-c'était devenu pour lui une obsession, même aux repas, et Steevens, le
-nouveau venu, était un compagnon inattendu auquel il allait pouvoir à
-son aise causer de sa préoccupation.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'ai idée, dit le lieutenant, que ces hublots de verre fléchiront
-simplement, crèveront et s'écraseront sous une pression pareille.
-Daubrée a liquéfié des rochers sous des pressions énormes... et,
-remarquez bien ceci...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Si le verre casse, fit Steevens, qu'arrivera-t-il?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;L'eau entrera comme un jet de fer. Avez-vous jamais reçu, bien
-droit, un jet à haute pression? Ça frappe comme un boulet. Il serait
-simplement écrasé et aplati. L'eau entrerait dans sa gorge, dans ses
-poumons, pénétrerait dans ses oreilles...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Quelle imagination détaillée! s'écria Steevens, qui se
-représentait vivement les choses.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;C'est le simple exposé d'une chose inévitable, dit le lieutenant...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Et le globe?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il laisserait s'échapper quelques petites bulles et s'installerait
-confortablement, jusqu'au jour du jugement, parmi la vase et le limon du
-fond... avec le pauvre Elstead étalé sur ces coussins aplatis, comme
-du beurre sur du pain.
-</p>
-
-<p>
-Il répéta cette image, comme si elle lui eût plu beaucoup:
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Comme du beurre sur du pain.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Un coup d'œil au tape-cul, fit une voix.
-</p>
-
-<p>
-Et Elstead parut derrière eux, vêtu d'un complet blanc, une cigarette
-aux lèvres et les yeux souriants sous les amples bords de son chapeau.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Qu'est-ce que vous dites, à propos de pain et de beurre, Weybridge?
-Vous grommelez, comme d'habitude sur la paye insuffisante des officiers
-de marine?... Il n'y a plus qu'un jour à attendre avant que je parte
-maintenant. Les élingues vont être prêtes aujourd'hui. Ce beau ciel
-et cette houle tranquille sont juste ce qu'il faut pour lancer
-par-dessus bord une douzaine de tonnes de plomb et de fer, n'est-ce pas?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous ne vous apercevrez pas beaucoup de la houle, dit Weybridge.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Non. À soixante ou quatre-vingts pieds de profondeur... et j'y serai
-dans dix à douze secondes... pas une molécule ne bougera, quand le
-vent hurlerait et que l'eau s'élèverait jusqu'aux nuages. Non. Là, au
-fond...
-</p>
-
-<p>
-Il s'avança jusqu'au bastingage, et les deux autres le suivirent. Tous
-trois se penchèrent sur leurs coudes et contemplèrent l'eau, d'un vert
-jaunâtre.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;... La paix, dit. Elstead, en achevant tout haut sa pensée.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Êtes-vous absolument certain que le mouvement d'horlogerie marchera?
-demanda tout à coup Weybridge.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il a marché trente-cinq fois, dit Elstead. Il est tenu de marcher.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais s'il ne fonctionne pas?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pourquoi ne fonctionnerait-il pas?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je ne voudrais pas, pour vingt mille livres, descendre dans cette
-maudite machine, dit Weybridge.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous êtes tout à fait encourageant, remarqua Elstead.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je ne comprends pas encore de quelle façon vous pourrez faire
-fonctionner la chose, dit Steevens.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Eh bien! d'abord, j'entre dans la sphère, et l'on visse l'ouverture,
-commença Elstead. Et quand, trois fois de suite, j'ai allumé et
-éteint la lumière électrique pour montrer que tout va bien, je suis
-lancé par-dessus le bastingage par cette grue, avec tous ces gros
-fonceurs de plomb suspendus au-dessous de moi. Le gros poids de plomb,
-qui est fixé sur le dessus, est muni d'un cylindre sur lequel
-s'enroulent cent toises de solide cordage, et c'est tout ce qui lie les
-fonceurs à la sphère, sauf les élingues qui seront coupées quand la
-sphère tombera. Je me sers de cordes plutôt que de câbles de fer,
-parce que c'est plus facile à couper et plus flottant, conditions
-nécessaires, comme vous allez voir. Vous remarquez que tous ces
-fonceurs de plomb sont percés d'un trou; une tringle de fer y sera
-adaptée, qui dépassera de six pieds sur la face inférieure. Dès que
-cette tringle sera en contact avec le fond, elle frappera sur un levier
-qui déclenchera le mouvement d'horlogerie placé sur le côté du
-cylindre sur lequel les cordes s'enroulent... Vous suivez? On descend
-gentiment dans l'eau tout le système. La sphère flotte... avec l'air
-qu'elle renferme, elle est plus légère que l'eau... mais les poids de
-plomb continuent à s'en foncer, et la corde se déroule jusqu'au bout.
-Quand la corde est entièrement filée, la sphère s'enfonce aussi.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais à quoi sert la corde? demanda Steevens. Pourquoi ne pas fixer
-directement les poids à la sphère?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais à cause du choc probable au fond. La sphère et ses poids vont
-s'enfoncer rapidement, atteindre peu à peu une vitesse vertigineuse.
-Elle serait mise en pièces en touchant le fond, si ce n'était de cette
-corde. Mais, dès que les poids reposeront sur le fond, la légèreté
-de la sphère entrera en jeu. Elle continuera à s'enfoncer de plus en
-plus lentement, s'arrêtera enfin, puis se mettra à remonter. C'est là
-que le mouvement d'horlogerie intervient. Aussitôt que les fonceurs
-s'aplatiront sur le fond de la mer, la tringle sera heurtée et
-déclenchera le mouvement et la corde s'enroulera de nouveau sur le
-cylindre. Je serai ainsi amené jusqu'au fond. Là, je resterai une
-demi-heure, la lumière électrique allumée, examinant ce que j'aurai
-autour de moi. Puis le mouvement d'horlogerie mettra enjeu un couteau à
-ressort, la corde sera coupée, et je remonterai à la surface, comme
-une bulle dans un siphon. La corde elle-même aidera la flottaison.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Et si, par hasard, vous remontiez sous un navire? demanda Weybridge.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'arriverais avec une telle vitesse que je passerais simplement au
-travers comme un boulet de canon, dit Elstead. Vous n'avez pas besoin de
-vous tourmenter à ce sujet.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Supposez que quelque actif petit crustacé s'insinue dans votre
-mouvement d'horlogerie...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Ce serait pour moi une espèce d'invitation un peu pressante à rester
-en leur compagnie, dit Elstead en tournant le dos à la mer et
-contemplant la sphère.
-</p>
-
-<p class="center">&nbsp;*<br />
-*&nbsp;&nbsp;*</p>
-
-<p>
-On avait jeté Elstead par-dessus bord à onze heures. C'était une
-journée calme et brillamment sereine, et l'horizon se perdait dans la
-brume. L'éclat des lampes électriques avait joyeusement, par trois
-fois, apparu dans le petit compartiment supérieur. Alors on l'avait
-descendu lentement jusqu'à la surface de l'eau, et un matelot se tenait
-près des sabords d'arrière prêt à couper le palan qui retenait l'ensemble
-des fonceurs et de la sphère. La sphère, qui sur le pont avait
-paru si énorme, semblait maintenant un inimaginable petit objet sous
-l'arrière du navire.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure01.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">DANS L'ABÎME.&mdash;Ses deux hublots sombres, au dessus
-de la ligne de flottaison, semblaient des yeux ahuris.</p>
-</div></div>
-
-
-<p>
-Elle se balança un peu, et ses deux hublots sombres au-dessus de la
-ligne de flottaison semblaient des yeux ahuris contemplant l'équipage
-qui se pressait contre le bord. Une voix s'éleva, demandant ce
-qu'Elstead devait penser de ce balancement.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Êtes-vous prêts? fit le commandant.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Oui, capitaine.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Lâchez tout.
-</p>
-
-<p>
-Le câble du palan se raidit contre la lame et fut coupé. Un remous
-tourbillonna sur la sphère d'une façon grotesquement impuissante.
-Quelqu'un agita un mouchoir; un autre tenta une acclamation vaine; un
-quartier maître compta lentement... huit, neuf, dix. Il y eut un autre
-remous, puis, avec un bruyant clapotis et un large éclaboussement, la
-sphère reprit son aplomb.
-</p>
-
-<p>
-Elle sembla rester stationnaire un instant, puis devenir rapidement plus
-petite; enfin l'eau la recouvrit, et elle resta visible au-dessous de la
-surface, imprécise et agrandie par la réfraction. Avant qu'on ait pu
-compter jusqu'à trois, elle avait disparu. Il y eut, dans les
-profondeurs de l'eau, un tremblement de lumière blanche qui diminua
-jusqu'à n'être plus qu'un point et s'évanouit. Puis, il n'y eut plus
-rien que l'abîme des eaux ténébreuses dans lequel un requin nageait.
-</p>
-
-<p>
-Soudain l'hélice du croiseur se mit en mouvement; l'eau bouillonna; le
-requin disparut dans la convulsion des vagues, et un torrent d'écume
-s'étendit sur la cristalline limpidité qui avait englouti Elstead.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Qu'est-ce qu'on fait maintenant? dit un matelot à un autre.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;On va s'éloigner d'une couple de milles pour ne pas nous trouver sur
-son chemin quand il remontera, répondit son camarade.
-</p>
-
-<p>
-Le navire gagna lentement sa nouvelle position. À bord, tous ceux qui
-n'étaient pas occupés restaient à surveiller l'endroit houleux où la
-sphère s'était enfoncée. Pendant la demi-heure qui suivit, il est
-douteux qu'un seul mot ait été prononcé qui n'eût pas rapport à
-Elstead. Le soleil de décembre était maintenant haut dans le ciel, et
-la chaleur était fort grande.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je crois qu'il n'aura pas trop chaud là-dessous, dit Weybridge. On
-prétend que, passé une certaine profondeur, l'eau de la mer est
-presque toujours à une température glaciale.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;À quel endroit va-t-il ressortir? demanda Steevens.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;C'est là-bas, dit le commandant, qui s'enorgueillissait de son
-omniscience. Il indiqua d'un doigt précis le sud-est. Et, ajouta-t-il,
-il ne va pas tarder maintenant. Il y a déjà trente-cinq minutes.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Combien de temps faut-il pour atteindre le fond de l'Océan?
-interrogea Steevens.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pour une profondeur de cinq milles, en tenant compte, comme nous
-l'avons fait, d'une accélération de deux pieds par seconde, à la fois
-à l'aller et au retour, il lui faut environ trois quarts de minute.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Alors, il est en retard, fit Weybridge.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais... presque, dit le commandant. Je suppose qu'il faut quelques
-minutes pour que sa corde s'enroule.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'avais oublié cela, dit Weybridge, évidemment soulagé.
-</p>
-
-<p>
-Alors commença l'attente. Lentement, une minute s'écoula, et aucune
-sphère ne sortit des flots. Une autre minute suivit, et rien ne vint
-rompre la houle huileuse. Les matelots s'expliquaient les uns aux autres
-l'importance de l'enroulement de la corde. Les agrès étaient pleins de
-figures attentives.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Montez, Elstead, montez! cria impatiemment un matelot à la poitrine
-velue, et les autres reprirent et crièrent comme s'ils réclamaient la
-levée du rideau au théâtre.
-</p>
-
-<p>
-Le commandant leur lança un regard irrité.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Naturellement, si l'accélération est moindre que deux, dit-il, il
-sera plus longtemps. Nous ne sommes pas absolument certains que ce soit
-là une donnée exacte. Je ne crois pas aveuglément aux calculs.
-</p>
-
-<p>
-Steevens donna brièvement son assentiment. Personne sur le gaillard
-d'arrière ne parla pendant une couple de minutes. Alors l'étui de la
-montre de Steevens cliqua.
-</p>
-
-<p>
-Lorsque, vingt et une minutes plus tard, le soleil atteignit le zénith,
-ils attendaient encore l'apparition de la sphère, et pas un homme à
-bord n'avait osé murmurer que tout espoir était perdu. Ce fut
-Weybridge qui, le premier, exprima cette certitude.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je n'ai jamais eu confiance dans ces hublots, dit-il tout à coup à
-Steevens.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Grand Dieu! s'écria Steevens, vous ne croyez pas que...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Ma foi... fit Weybridge, et il laissa le reste à son imagination.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je n'ai pas grande foi dans les calculs de ce genre, déclara le
-commandant sur un ton de doute, de sorte que je n'ai pas encore perdu
-tout espoir.
-</p>
-
-<p>
-À minuit, le croiseur évoluait lentement autour de l'endroit où la
-sphère s'était enfoncée. Le rayon blanc du foyer électrique se
-promenait et s'arrêtait indiscontinûment sur l'étendue des eaux
-phosphorescentes, tandis, que scintillaient de minuscules étoiles.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Si sa fenêtre n'a pas cédé et qu'il ne soit pas écrasé, dit
-Weybridge, sa maudite situation est pire encore, car alors ce serait son
-mouvement d'horlogerie qui n'aurait pas fonctionné, et il serait
-maintenant vivant à cinq milles sous nos pieds, là-dessous, dans le
-froid et les ténèbres, à l'ancre dans sa petite boule d'acier, là
-où jamais un rayon de lumière n'a brillé, ni un être humain vécu
-depuis que les eaux se sont rassemblées. Il est là sans nourriture,
-souffrant de la faim et de la soif, épouvanté et se demandant s'il
-mourra de faim ou d'étouffement. Laquelle de ces deux morts sera-ce?
-L'appareil Myers doit s'épuiser, je suppose. Combien de temps peut-il
-durer?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Tonnerre! s'exclama-t-il, quelles petites choses nous sommes! quels
-audacieux petits diables! Dans l'abîme! Des milles et des milles de
-liquide... rien que de l'eau au-dessous de nous et autour de nous, et ce
-ciel! Des gouffres!
-</p>
-
-<p>
-Il leva les bras, et au même moment une petite traînée blanche monta
-sans bruit dans le ciel, ralentit peu à peu sa course, s'arrêta,
-devint un petit point immobile, comme si une nouvelle étoile avait pris
-place dans le ciel. Puis cela se mit à dégringoler et se perdit
-bientôt dans les réflexions des étoiles et dans la pâle et brumeuse
-phosphorescence de la mer.
-</p>
-
-<p>
-À cette vue, il resta stupéfait, le bras tendu et la bouche ouverte.
-Puis il ferma sa bouche, l'ouvrit de nouveau, et agita ses bras avec des
-gestes désordonnés. Enfin, il se tourna et cria: «Elstead, ohé!» à
-la première vigie, et courut jusqu'à Lindley, puis au foyer
-électrique.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je l'ai vu, criait-il, à tribord, là-bas! Ses lampes sont allumées.
-Et il vient juste de sortir. Cherchez de ce côté avec le rayon. Nous
-allons bien le voir flotter quand il réapparaîtra à la surface.
-</p>
-
-<p>
-Mais ils ne le trouvèrent pas avant l'aurore. Même alors ils
-manquèrent de le couler bas. La grue fut préparée, et avec une
-chaloupe, on agrafa les chaînes à la sphère. Quand ils l'eurent
-remontée à bord, ils en dévissèrent l'ouverture et explorèrent des
-yeux l'obscurité de l'intérieur, car la chambre du foyer électrique
-était arrangée de façon à illuminer l'eau seulement autour de la
-sphère et était interceptée de la cavité générale.
-</p>
-
-<p>
-L'atmosphère intérieure était très surchauffée, et la gutta-percha
-qui garnissait les bords de l'ouverture était molle. Leurs questions
-impatientes restèrent sans réponse et aucun bruit ne leur parvint.
-Elstead était inanimé, replié sur lui-même au fond de sa cabine. Le
-médecin du bord s'y introduisit et le passa à ceux de l'extérieur.
-Pendant un certain temps, ils ne purent se rendre compte si Elstead
-était vivant ou mort. Sa figure, à la lueur jaunâtre des lampes,
-était toute brillante de transpiration. On le descendit dans sa cabine.
-</p>
-
-<p>
-Il n'était pas mort, comme ils purent bientôt s'en apercevoir, mais
-dans un état d'affaissement nerveux absolu et, de plus, cruellement
-contusionné. Il lui fallut, pendant plusieurs jours, rester couché et
-parfaitement tranquille. Une semaine se passa avant qu'il pût raconter
-ses expériences.
-</p>
-
-<p>
-Dès les premiers mots, il déclara qu'il allait recommencer. La sphère
-avait besoin d'être perfectionnée, dit-il, afin de lui permettre de se
-débarrasser de la corde, s'il le fallait, et c'était tout. Ç'avait
-été la plus merveilleuse aventure.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous pensiez, dit-il, que je ne trouverais rien que de la vase. Vous
-vous moquiez de mes explorations, et j'ai découvert un nouveau monde.
-</p>
-
-<p>
-Il raconta son histoire par fragments sans suite, et presque toujours en
-commençant par la fin, de sorte qu'il est impossible de la répéter
-dans ses propres termes. Mais ce qui suit en est l'exacte narration.
-</p>
-
-<p>
-«Son voyage commença atrocement. Avant que la corde fût entièrement
-filée, la sphère ne cessa de ballotter. Il eut la sensation d'être
-une grenouille enfermée dans un ballon sur lequel on s'acharne à coups
-de pieds. Il ne pouvait voir que la grue et le ciel au-dessus de sa
-tête, avec un coup d'œil occasionnel sur les gens qui garnissaient le
-bastingage, et il était incapable de prévoir de quel côté allait se
-balancer la sphère. Tantôt, il levait le pied pour marcher et il
-était culbuté en tous sens contre les coussins. Toute autre forme eût
-été plus confortable, mais aucune n'aurait pu supporter l'immense
-pression de l'abîme. Soudain le balancement cessa; la sphère se mit en
-équilibre, et, quand il fut relevé, il aperçut tout autour de lui le
-bleu verdâtre des flots avec la lumière du jour atténuée filtrant de
-la surface et une multitude de petites choses flottantes qui passaient
-vertigineusement contre les vitres, montant, lui semble-t-il, vers la
-lumière. Puis, à mesure qu'il regardait, l'obscurité s'accrut
-jusqu'à ce que l'eau fût, au-dessus de sa tête, aussi sombre que le
-ciel de minuit, bien que d'une teinte plus verte, et, au-dessous de lui,
-absolument noire. De temps en temps, de petites choses transparentes
-avec un scintillement lumineux faisaient au long des hublots de
-légères traînées verdâtres.
-</p>
-
-<p>
-«Et la sensation de chute! Elle rappelait le départ soudain d'un
-ascenseur, avec cette différence qu'elle durait plus longtemps. Il faut
-réfléchir un instant pour réaliser ce que ce doit être. Ce fut alors
-et seulement qu'Elstead se repentit d'avoir tenté cette aventure. Il
-vit sous un aspect entièrement nouveau les chances qui se dressaient
-contre lui. Il pensa aux énormes poissons à scie qui existent dans les
-profondeurs moyennes, à ces spécimens terribles qu'on trouve parfois
-à demi digérés dans l'estomac des grands cétacés ou flot tant
-morts, décomposés et à demi dévorés.
-</p>
-
-<p>
-«Il s'imagina l'un d'entre eux s'attaquant à la sphère et ne voulant
-plus la lâcher. Et le mouvement d'horlogerie, l'avait-il suffisamment
-éprouvé? Mais qu'il voulut maintenant descendre ou remonter, c'était
-absolument la même chose.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure02.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">DANS L'ABÎME.&mdash;Dans le rayon de son foyer électrique
-apparaissaient des poissons.</p>
-</div></div>
-
-
-<p>
-«Au bout de cinquante secondes, tout, à l'extérieur, fut aussi noir
-que la nuit, sauf ce que le rayon de son foyer électrique éclairait et
-dans quoi apparaissaient de temps à autre des poissons et passaient
-quelques fragments d'objets qui s'enfonçaient. Tout cela disparaissait
-trop vite pour qu'il lui fût possible de distinguer ce que c'était.
-Une fois, il crut voir un requin. À ce moment, la sphère commença à
-s'échauffer par le frottement. Il lui parut que cette donnée n'avait
-pas été suffisamment évaluée. La première chose qu'il put remarquer
-fut qu'il transpirait; puis il perçut sous ses pieds une sorte de
-sifflement qui s'accrut, et il vit une foule de petites bulles, de très
-petites bulles qui montaient en éventail vers la surface. De la vapeur!
-</p>
-
-<p>
-«Il tâta le hublot: la vitre était brûlante. Immédiatement, il
-alluma la lampe électrique qui éclairait sa cabine, regarda la montre
-encastrée dans le capitonnage, et il vit que son voyage durait déjà
-depuis deux minutes. Il lui vint à l'esprit que le hublot pouvait
-craquer dans le conflit des températures, car il savait que les eaux
-dans les grandes profondeurs sont glaciales. Puis, tout à coup, la
-paroi de la sphère sembla presser le dessous de ses pieds; au-dehors la
-course des bulles se ralentit et le sifflement diminua. La sphère se
-balança légèrement. Le hublot n'avait pas craqué, rien n'avait
-cédé, et il savait que, dans tous les cas, le danger de couler bas
-était passé.
-</p>
-
-<p>
-«Encore une minute et il reposerait sur le fond de l'abîme. Il songea,
-dit-il, à Steevens, à Weybridge et aux autres qui étaient à cinq
-milles au-dessus de sa tête, plus haut pour lui que ne le furent jamais
-au-dessus de nous les plus élevés des nuages qui flottent dans le
-ciel, à eux tous navigant lentement, cherchant à pénétrer la
-profondeur des eaux et se demandant ce qui pouvait lui être arrivé.
-</p>
-
-<p>
-«Il se mit à regarder par le hublot. Il n'y avait plus de bulles
-maintenant, et le sifflement avait cessé. Au dehors, c'étaient de
-profondes ténèbres d'un noir épais comme un velours, sauf là où le
-rayon électrique pénétrait l'eau et en montrait la couleur: un gris
-jaunâtre. Alors, trois choses, comme des formes de feu, nagèrent en se
-suivant. Il ne pouvait distinguer si elles étaient petites ou énormes
-et éloignées.
-</p>
-
-<p>
-«Chacune d'elles se dessinait avec des contours bleuâtres, presque
-aussi brillants que les feux d'une barque de pêche, des feux qui
-semblaient répandre beaucoup de fumée, et ils avaient, de chaque
-côté, des taches de cette lumière, comme des sabords de navire. Leur
-phosphorescence sembla s'éteindre quand ils entrèrent dans le
-rayonnement lumineux de sa lampe; et il vit alors que c'étaient de
-petits poissons de quelque étrange espèce, avec des yeux énormes, et
-dont les corps et les queues se terminaient brusquement. Leurs yeux
-étaient tournés vers lui, et il jugea qu'ils suivaient sa descente,
-les supposant attirés par sa clarté.
-</p>
-
-<p>
-«D'autres du même genre se joignirent bientôt à eux. À mesure qu'il
-descendait, il remarquait que l'eau prenait une teinte pallide et que de
-petites taches de lumière scintillaient dans son rayonnement comme des
-atomes dans un rai de soleil. Cela était probablement dû aux nuages de
-vase et de boue que la chute de ses fonceurs de plomb avait produits.
-</p>
-
-<p>
-«Pendant tout le temps qu'il fut entraîné vers le fond par ses poids
-de plomb, il se trouva dans une sorte de brouillard blanc si dense que
-son projecteur électrique ne réussissait pas entièrement à le percer
-au delà de quelques pieds. Et il se passa quelques minutes avant que
-les couches de sédiment en suspension fussent retombées au fond.
-Alors, à la lueur de ses lampes électriques et à la passagère
-phosphorescence d'un banc éloigné de poissons, il lui fut possible de
-voir, sous l'immense obscurité des eaux supérieures, une surface
-ondulante de vase d'un blanc grisâtre, rompue çà et là par des
-fourrés enchevêtrés de lis de mer agitant leurs tentacules affamés.
-</p>
-
-<p>
-«Plus loin se trouvaient les gracieux et transparents contours d'un
-groupe d'épongés gigantesques. Sur ce sol étaient dispersées un
-grand nombre de touffes hérissées et plates d'une riche couleur
-pourpre et noire qu'il décida devoir être quelque espèce d'oursin, et
-de petites choses avec des yeux très larges ou aveugles ayant une
-curieuse ressemblance, les unes avec les cloportes, les autres avec les
-homards, rampaient paresseusement dans la traînée de lumière et
-disparaissaient de nouveau dans l'obscurité en laissant derrière eux
-des sillons dans la vase.
-</p>
-
-<p>
-«Soudain la multitude voltigeante de petits poissons vira et s'avança
-vers lui comme une volée d'étourneaux pourrait le faire. Ils
-passèrent au-dessus de lui comme une neige phosphorescente, et alors,
-derrière eux, une créature de dimensions il vit plus grandes qui
-s'avançait vers la sphère.
-</p>
-
-<p>
-«D'abord, il ne put la distinguer que vaguement, figure aux mouvements
-indécis et suggérant de loin un homme en marche; puis elle entra dans
-le rayonnement lumineux que projetait la lampe. Au moment où la
-lumière la frappa, elle ferma les yeux, éblouie. Elstead la contempla
-avec stupéfaction.
-</p>
-
-<p>
-«C'était un étrange animal vertébré. Sa tête d'un pourpre sombre,
-rappelait vaguement celle d'un caméléon, mais le front était si
-élevé et la boîte crânienne si développée qu'aucun reptile n'en
-possédait encore de semblables. L'équilibre vertical de sa face lui
-donnait la plus extraordinaire ressemblance avec celle d'un être
-humain. Deux yeux larges et saillants se projetaient des orbites à la
-façon d'un caméléon et sous ses petites narines s'ouvrait une large
-bouche reptilienne aux lèvres cornées. À l'endroit des oreilles
-étaient deux énormes ouïes hors desquelles flottaient des filaments
-nombreux d'un rouge de corail, rappelant les ouïes que possèdent les
-très jeunes raies et les requins.
-</p>
-
-<p>
-«Mais ce que sa face avait d'humain n'était pas le trait le plus
-extraordinaire qu'offrait cette créature. Elle était bipède; son
-corps, presque sphérique, était en équilibre sur une sorte de
-trépied composé de deux jambes comme celles des grenouilles et d'une
-longue queue épaisse, et ses membres supérieurs, qui caricaturaient
-grotesquement les bras humains, beaucoup à la manière des grenouilles,
-portaient un long dard osseux garni de cuivre. La couleur de cette
-créature était, variée: sa tête, ses mains et ses jambes étaient
-pourpres, mais sa peau, qui pendait flottante autour de son corps comme
-des vêtements le feraient, était d'un gris phosphorescent. Elle
-restait là, aveuglée par la lumière.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure03.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">DANS L'ABÎME.&mdash;Cet habitant inconnu de l'abîme
-cligna des yeux et les écarquilla.</p>
-</div></div>
-
-<p>
-À la fin, cet habitant inconnu de l'abîme cligna des paupières et les
-écarquilla; puis, portant sa main libre au-dessus de ses yeux, il
-ouvrit la bouche et articula à la façon humaine un cri qui pénétra
-même l'enveloppe d'acier et le capitonnage intérieur de la sphère.
-Comment un cri peut être poussé sans poumons, Elstead ne se préoccupa
-pas de l'expliquer. La créature sortit alors du rayonnement, rentra
-dans le mystère ténébreux qui le bordait de chaque côté, et Elstead
-la sentit plutôt qu'il ne la vit venir vers lui. Certain que la
-lumière l'avait attirée, il interrompit le courant. Un moment après,
-des coups sourds résonnèrent contre l'acier, et la sphère se
-balança.
-</p>
-
-<p>
-«Alors le cri fut répété. Et il sembla à Elstead qu'un écho
-lointain y répondait. Les coups sourds reprirent et la sphère se
-balança de nouveau et grinça contre le pivot sur lequel la corde
-était enroulée. Il demeura dans les ténèbres, cherchant à
-pénétrer du regard l'éternelle nuit de l'abîme. Et bientôt il vit,
-très faibles et lointaines, d'autres formes phosphorescentes et
-quasi-humaines se hâter vers lui.
-</p>
-
-<p>
-Sachant à peine ce qu'il faisait, il tâta contre les parois de sa
-prison instable pour trouver le bouton du projecteur électrique
-extérieur et pressa accidentellement celui de la petite lampe qui
-éclairait sa cabine capitonnée. La sphère roula et il fut renversé.
-Il entendit comme des cris de surprise, et quand il fut relevé, il vit
-deux yeux attentifs qui regardaient par le hublot inférieur et qui en
-réfléchissaient la clarté.
-</p>
-
-<p>
-«Au même instant, des mains heurtaient vigoureusement l'enveloppe
-d'acier et il entendit, impression suffisamment horrible dans sa
-position, des heurts réitérés sur l'enveloppe de métal, qui
-protégeait le mouvement d'horlogerie. À ce bruit, vraiment, l'angoisse
-l'étrangla; car, si ces étranges créatures parvenaient à arrêter le
-mouvement, sa délivrance était impossible. À peine avait-il pensé
-cela, qu'il sentit la sphère se balancer et la paroi sembla peser
-lourdement contre ses pieds.
-</p>
-
-<p>
-«Il éteignit la petite lampe intérieure et rétablit le courant du
-réflecteur extérieur. Le fond vaseux et les créatures quasi-humaines
-avaient disparu, et une couple de poissons se poursuivant soudain
-passèrent contre le hublot.
-</p>
-
-<p>
-«Il pensa aussitôt que ces étranges habitants avaient rompu la corde
-et qu'il avait échappé. Il remontait de plus en plus vite, puis il
-s'arrêta avec une secousse qui l'envoya heurter la paroi capitonnée de
-sa prison. Pendant une demi-minute, peut être, il fut trop étonné
-pour réfléchir.
-</p>
-
-<p>
-«Alors il sentit que la sphère tournait lentement sur elle-même avec
-une sorte de balancement, et il lui sembla aussi qu'il avançait
-horizontalement dans l'eau. En se blottissant, tout contre le hublot, il
-parvint à rétablir de son poids et à ramener l'équilibre vers le
-fond cette partie de la sphère; mais il ne put rien voir que le pâle
-rayonnement de son réflecteur frappant inutilement les ténèbres. Il
-lui vint à l'idée qu'il pourrait mieux voir s'il éteignait la lampe.
-</p>
-
-<p>
-«En ceci, il fut sage. Au bout de quelques minutes les ténèbres
-veloutées devinrent une sorte d'obscurité translucide, et alors, dans
-le lointain, et aussi imprécises que la lumière zodiacale d'un soir
-d'été, il vit des formes se mouvoir au-dessous de lui. Il jugea que
-ces créatures avaient détaché son câble et le remorquaient au long
-du fond de la mer.
-</p>
-
-<p>
-«Alors, par-delà les ondulations de la plaine sous-marine, vague et
-lointaine, il vit un immense horizon d'une luminosité pâle qui
-s'étendait de chaque côté aussi loin que sa petite fenêtre lui
-permettait d'apercevoir. Vers cet horizon, il était remorqué comme un
-ballon qu'on ramènerait de la plaine vers la ville. Il en approchait
-très lentement, et très lentement la vague irradiation se précisait
-en des formes plus définies.
-</p>
-
-<p>
-«Il était presque cinq heures lorsqu'il atteignit cette aire
-lumineuse; et, vers ce moment, il put distinguer une sorte d'arrangement
-qui suggérait des rues et des maisons groupées à l'entour d'un vaste
-édifice sans toit, qui rappelait grotesquement une abbaye en ruines.
-Tout cela s'étendait au-dessous de lui comme une carte. Les maisons
-étaient toutes des enclos de murs sans toits, et leur substance
-étant, comme il le vit plus tard, d'os phosphorescents, donnait à cet
-endroit l'apparence d'être bâti avec du clair de lune noyé.
-</p>
-
-<p>
-«Parmi les cavités inférieures, des végétations crinoïdes
-étendaient leurs tentacules, et de grandes, sveltes et fragiles
-éponges surgissaient comme des minarets brillants et comme des lis de
-lumière membraneuse hors de la clarté génitale de la cité. Dans les
-espaces ouverts, il pouvait voir une agitation comme de foules de gens,
-mais il se trouvait trop élevé pour distinguer les personnages qui
-composaient ces foules. Alors, lentement, il se sentit tiré vers le
-fond, et, à mesure, les détails des lieux apparurent plus clairement
-à sa vue. Il distingua que les rangées de bâtiments nuageux étaient
-délimitées par des lignes pointillées d'objets ronds, et il
-s'aperçut qu'en plusieurs endroits au-dessous de lui, en de larges
-espaces ouverts, étaient des formes semblables à des carcasses
-pétrifiées de navires.
-</p>
-
-<p>
-«Lentement et sûrement il descendait, et les formes au-dessous de lui
-devenaient plus brillantes, plus claires et plus distinctes. On le
-dirigeait vers le large édifice qui occupait le centre de la ville, et
-de temps en temps il pouvait apercevoir la multitude de formes qui
-tiraient sur sa corde. Il fut étonné de voir que le gréement de l'un
-des vaisseaux qui formait un des principaux traits de la place était
-couvert d'une quantité d'êtres gesticulants qui le regardaient, puis
-les murs du grand édifice montèrent silencieusement autour de lui et
-lui cachèrent la vue de la cité.
-</p>
-
-<p>
-«Les murs étaient de bois durci par l'eau, de câbles de fer tressés,
-d'espars de cuivre et de fer, d'os et de crânes de naufragés. Les
-crânes couraient au long des murs de l'édifice en zigzags, en spirales
-et en courbes fantastiques. Dans leurs orbites vides, et sur toute la
-surface des murs jouaient et se cachaient une multitude de petits
-poissons argentés. Soudain ses oreilles s'emplirent d'un bourdonnement
-sourd, d'un bruit comme le son violent des cors, auquel succédèrent
-bientôt de fantastiques clameurs. La sphère s'enfonçait toujours,
-passant devant d'immenses fenêtres en pointe, à travers lesquelles il
-apercevait vaguement, le regardant, un grand nombre de ces étrangers et
-fantomatiques créatures. Et il vint enfin se poser, lui sembla-t-il,
-sur une sorte d'autel au centre de la place.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure04.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">DANS L'ABÎME.&mdash;Il s'aperçut qu'ils se prosternaient
-tous devant lui, sauf un.</p>
-</div></div>
-
-<p>
-«Maintenant il se trouvait à un niveau qui lui permettait de voir
-distinctement ces étranges habitants de l'abîme. À son grand
-étonnement, il s'aperçut qu'ils se prosternaient devant lui, tous,
-sauf un, vêtu, semblait-il, d'une robe d'écaillés superposées et
-couronné d'un diadème lumineux, et qui se tenait debout, ouvrant et
-fermant alternativement sa bouche de reptile, comme s'il dirigeait les
-cantiques des adorateurs.
-</p>
-
-<p>
-«Une curieuse impulsion fit allumer à Elstead sa lampe intérieure, de
-sorte qu'il devint visible à ces habitants de l'abîme et que cette
-clarté les fit immédiatement disparaître dans l'obscurité. À cette
-soudaine transformation, les cantiques firent place à un tumulte
-d'acclamations exultantes, et Elstead, préférant les observer,
-interrompit le courant et s'évanouit à leurs yeux. Mais, pendant un
-moment, il fut trop aveuglé pour percevoir ce qu'ils faisaient et quand
-enfin il put les distinguer, ils étaient de nouveau agenouillés. Ils
-continuèrent à l'adorer ainsi sans répit ni relâche pendant trois
-heures.
-</p>
-
-<p>
-«Elstead fit un récit des plus circonstanciés de cette cité
-surprenante et de ces gens qui n'ont jamais vu ni soleil, ni lune, ni
-étoile, aucune végétation verte, ni aucune créature respirante, qui
-ne savent rien du feu, et ne connaissent d'autre lumière que la clarté
-phosphorescente d'organismes vivants.
-</p>
-
-<p>
-«Si saisissante que soit son histoire, il est encore plus saisissant de
-trouver que des hommes de science aussi éminents que Adams et Jenkins
-n'y découvrent rien d'incroyable. Ils m'ont dit qu'ils ne voyaient
-aucune raison pour que des créatures vertébrées, intelligentes et
-respirant l'eau, accoutumées à une température très basse, à une
-pression énorme, et d'une structure si pesante que, vivants ou morts,
-ils ne peuvent flotter, que de tels êtres ne pussent vivre au sein de
-la mer profonde, inconnus de nous, et, comme nous, descendants du grand
-Thériomorphe de l'âge de la Terre Rouge.
-</p>
-
-<p>
-«Ils doivent nous connaître cependant comme des créatures étranges
-et météoriques, accoutumées à dégringoler, accidentellement mortes,
-à travers les mystérieuses ténèbres de leur ciel liquide, et non
-seulement nous-mêmes, mais nos vaisseaux, nos métaux, nos appareils
-qui pleuvent incessamment dans leur nuit. Quelquefois, des objets dans
-leur chute doivent les atteindre, les écraser comme par le jugement de
-quelque invisible pouvoir supérieur, et parfois il doit leur en venir
-d'une rareté ou d'une utilité inappréciables, ou de formes
-suggestives et inspiratrices. On peut comprendre, jusqu'à un certain
-point, leur conduite à l'arrivée d'un homme vivant, si l'on pense à
-ce qu'un peuple barbare ferait pense à une créature brillante et
-auréolée qui descendrait soudain dans notre ciel.
-</p>
-
-<p>
-«Elstead dut probablement compléter une fois ou l'autre aux officiers
-du <i>Ptarmigan</i> chaque détail de son étrange séjour de douze heures
-dans l'abîme. Il est certain aussi qu'il eut l'intention d'en rédiger
-le récit, mais qu'il ne le fit jamais. Et il nous faut donc
-malheureusement rassembler les fragments disjoints de son histoire
-d'après les souvenirs et les réminiscences du commandant Simmons, de
-Weybridge, de Steevens, de Lindley et des autres. Nous pouvons nous
-représenter vaguement, par images fragmentaires, l'immense et lugubre
-édifice, les gens agenouillés et chantants, avec leur sombre tête de
-caméléon, leur espèce de vêtement faiblement lumineux, et Elstead,
-ayant de nouveau allumé sa lampe intérieure, essayant vainement de
-leur faire comprendre qu'il fallait détacher la corde qui retenait la
-sphère. Une à une, les minutes passaient, et Elstead, regardant sa
-montre, découvrit avec terreur qu'il ne lui restait d'oxygène que pour
-quatre heures encore. Mais les cantiques en son honneur continuaient,
-aussi impitoyables que s'ils avaient été l'hymne funèbre de sa mort
-prochaine.
-</p>
-
-<p>
-«Il ne comprit jamais de quelle façon il fut délivré, mais, à en
-juger par l'extrémité de la corde qui restait attachée à la sphère,
-elle avait dû être coupée par le constant frottement contre le rebord
-de l'autel. Tout à coup la sphère roula, et il bondit hors de leur
-monde, comme une créature éthérée, enveloppée de vide, traverserait
-notre atmosphère pour retournera son éther natal. Il dut disparaître
-à leurs yeux comme une bulle d'hydrogène monte dans l'air. Et ce dut
-leur paraître une étrange ascension.
-</p>
-
-<p>
-«La sphère montait avec une vélocité plus grande encore que celle de
-la descente, quand elle était alourdie par les fonceurs de plomb. Elle
-devint excessivement chaude. Elle montait, les hublots en l'air, et il
-se rappelle le torrent de bulles qui écumait contre la vitre. À chaque
-instant, il s'attendait à la voir voler en éclats. Tout à coup,
-quelque chose comme une immense roue sembla se mettre à tourbillonner
-dans sa tête, le compartiment capitonné commença à tourner autour de
-lui, et il s'évanouit. Puis ses souvenirs cessent jusqu'au moment où
-il se retrouva dans la cabine et entendit la voix du docteur.»
-</p>
-
-<p>
-Telle est la substance de l'extraordinaire histoire qu'Elstead narra par
-fragments aux officiers du <i>Ptarmigan</i>. Il promit de la fixer par
-écrit plus tard, mais son esprit était surtout préoccupé par les
-améliorations de son appareil, améliorations qui furent exécutées à
-Rio.
-</p>
-
-<p>
-Il nous reste simplement à dire que, le 2 février 1896, il opéra sa
-seconde descente dans l'abîme de l'Océan, avec les perfectionnements
-que sa première expérience lui avait suggérés. On ne saura
-probablement jamais ce qui est arrivé. Il n'est pas revenu. Le
-<i>Ptarmigan</i> louvoya autour du point de sa submersion, le cherchant en
-vain, pendant treize jours. Puis il revint à Rio, et la nouvelle fut
-télégraphiée à ses amis. L'affaire en reste là pour le présent.
-Mais il est peu probable qu'aucune nouvelle tentative soit faite pour
-vérifier cette étrange histoire des cités jusqu'ici insoupçonnées
-de l'abîme des mers.
-</p>
-
-<p><br /><br /><br /></p>
-
-<h4><a id="LES_TRIOMPHES_DUN_TAXIDERMISTE">LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE</a></h4>
-
-<p>
-Voici quelques-uns des secrets de la taxidermie. Ils me furent
-révélés par un taxidermiste, dans un moment d'expansion. Il me les
-conta entre son premier et son quatrième verre de whisky, moment où
-l'homme perd toute circonspection et, cependant, n'est pas encore ivre.
-Nous étions dans son taudis, qui était à la fois sa bibliothèque,
-son salon et sa salle à manger, et séparé, du moins quant à la vue,
-par un rideau de bambous japonais, du fétide réduit dans lequel il
-s'adonnait à ses travaux.
-</p>
-
-<p>
-Il était assis sur un fauteuil pliant, et, quand il ne s'en servait pas
-pour cogner dans la cheminée les morceaux de charbon réfractaires, il
-mettait ses pieds, lesquels étaient revêtus, en manière de sandales,
-des saintes reliques d'une paire de pantoufles en tapisserie, loin du
-plancher, sur le manteau de la cheminée, parmi les yeux en verre. Son
-pantalon, entre parenthèses, bien qu'il n'ait rien à faire avec ses
-triomphes, était d'une étoffe écossaise d'un jaune des plus horribles
-et tel qu'on les faisait quand nos pères portaient des favoris et que
-les crinolines se promenaient par les rues. De plus, sa chevelure était
-noire, sa figure rose et son œil fauve ardent; son veston consistait
-surtout en graisse sur une base de velours. Sa pipe avait un fourneau de
-porcelaine représentant les trois Grâces; ses lunettes étaient
-toujours de travers; l'œil gauche, petit et pénétrant, vous regardait
-fixement par-dessus la monture, et l'œil droit s'apercevait vaguement
-de l'autre côté du verre, agrandi et adouci. Il discourait en ces
-termes:
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure05.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">LES TRIOMPHES D'UN TAXIDERMISTE.&mdash;«Il n'y a jamais
-eu d'homme qui sache empailler comme moi!»</p>
-</div></div>
-
-<p>
-«Il n'y a jamais eu d'homme, mon cher Bellows, qui sache empailler
-comme moi, jamais! J'ai empaillé des éléphants et j'ai empaillé des
-phalènes! Et ils n'en paraissaient que plus vivants et mieux faits.
-J'ai empaillé des êtres humains, surtout pour les ornithologues
-amateurs. Même une fois, j'ai empaillé un nègre...
-</p>
-
-<p>
-«Non, il n'y a pas de loi qui le défende; je l'avais fait avec les
-doigts écartés et m'en servais comme de porte-manteau; mais cet
-imbécile de Homersby lui chercha querelle un soir, très tard, et le
-démolit. Cela se passait avant que je ne vous connusse. C'est difficile
-d'avoir des peaux, sans cela j'en aurais fait un autre.
-</p>
-
-<p>
-«Désagréable? Ma foi non! Il me semble que la taxidermie pourra plus
-tard être substituée avec avantage aux inhumations et aux crémations.
-Vous pourriez conserver auprès de vous tous ceux qui vous sont chers.
-Un bric-à-brac de ce genre, disposé à travers la maison, vaudrait
-autant que n'importe quelle compagnie et serait moins coûteux. Vous
-pourriez les agencer avec des mouvements d'horlogerie et leur faire
-des choses...
-</p>
-
-<p>
-«Évidemment il faudrait les vernir, mais il ne serait pas nécessaire
-de les rendre plus brillants que ne le sont en nature des masses de
-gens. Le crâne chauve du vieux Maningtree... Quoi qu'il en soit, on
-pourrait causer avec eux sans être interrompu... même avec ses
-vieilles tantes. Il y a un grand avenir réservé à la taxidermie,
-croyez-le bien. Il y a les fossiles...»
-</p>
-
-<p>
-Il se tut soudain.
-</p>
-
-<p>
-«Non, il ne faut pas que je vous le dise...»
-</p>
-
-<p>
-Il tira méditativement quelques bouffées de sa pipe.
-</p>
-
-<p>
-«Oui, merci... pas trop d'eau... Vous savez, ce que je vais vous dire
-doit rester entre nous. Vous n'ignorez pas que j'ai empaillé quelques
-<i>dodos</i> et un grand pingouin? Comment? Non? Vous n'êtes évidemment
-qu'un amateur en taxidermie. Mon cher monsieur, la moitié des pingouins
-du monde sont à peu près aussi authentiques que le mouchoir de sainte
-Véronique ou la Sainte Tunique de Trêves. Nous les faisons avec des
-plumes de grèbes et autres oiseaux semblables. Et les œufs des grands
-pingouins aussi!... Bon Dieu!... Oui, nous les faisons avec de la
-porcelaine tendre... je vous avoue que cela en vaut la peine... Ils
-atteignent... Ainsi, l'autre jour, il y en a un qui est monté jusqu'à
-7500 francs. Je crois qu'il était réellement authentique, mais... on
-ne peut jamais en être certain. C'est du très bel ouvrage, et puis...
-après... il faut les empoussiérer, car aucun de ceux qui possèdent un
-de ces œufs n'aurait la témérité de le nettoyer. C'est là la
-beauté de l'affaire. Même s'ils avaient des soupçons sur leur œuf,
-ils n'oseraient pas l'examiner de trop près. C'est, en somme, un
-capital si fragile.
-</p>
-
-<p>
-«Vous ne saviez pas que la taxidermie pouvait s'élever à des hauteurs
-pareilles... Mon pauvre garçon!... J'ai rivalisé avec la nature
-elle-même! L'un des grands pingouins <i>authentiques</i> (sa voix n'était
-plus qu'un murmure), l'un des grands pingouins <i>authentiques a été
-fait par moi!</i>
-</p>
-
-<p>
-«Ah! mais non! Vous n'avez qu'à étudier l'ornithologie et trouver
-vous-même lequel c'est. Et, ce qui est mieux, un syndicat de marchands
-m'a proposé de pourvoir de spécimens une des régions inexplorées du
-nord de l'Islande. Je le ferai peut-être un jour. Mais juste en ce
-moment, j'ai une autre petite chose en mains. Avez-vous entendu parler
-du <i>dinornis</i>? «C'est l'un de ces grands oiseaux dont l'espèce a
-récemment disparu en Nouvelle-Zélande. On l'appelle communément Feuh,
-sans doute parce qu'il est éteint. Vous comprenez?... Eh bien! on s'est
-procuré de ses os, et on a même trouvé dans les marais des plumes et
-des morceaux de peaux sèches. Et maintenant, je vais fabriquer&mdash;ma foi
-ce n'est pas la peine d'en faire mystère&mdash;je vais fabriquer un Feuh
-entièrement empaillé. Je connais quelqu'un là-bas qui prétendra
-l'avoir découvert dans une sorte de marécage antiseptique et dira
-qu'il l'a empaillé immédiatement parce qu'il menaçait de se
-corrompre. Les plumes sont quelque chose de particulier, mais j'ai
-trouvé un moyen simplement délicieux de les imiter avec des fragments
-de plumes d'autruche passés à la flamme. Oui, c'est là l'odeur
-nouvelle que vous avez remarquée. On ne pourrait se rendre compte de la
-fraude qu'avec un microscope, et personne ne se soucierait de gâter
-pour cela un beau spécimen.
-</p>
-
-<p>
-«De cette façon, vous voyez, je donne un petit coup d'épaule au
-progrès de la science. Mais tout ceci n'est qu'une simple imitation de
-la nature. De mon jeune temps, j'ai fait mieux que cela. Je l'ai... je
-l'ai battue....».
-</p>
-
-<p>
-Il ramena ses pieds à terre et se percha confidentiellement vers moi.
-</p>
-
-<p>
-«J'ai <i>créé</i> des oiseaux, dit-il à voix basse, de <i>nouveaux</i>
-oiseaux, des oiseaux comme on n'en avait encore jamais vu.»
-</p>
-
-<p>
-Il replaça ses pieds sur le manteau de la cheminée pendant un silence
-impressionnant.
-</p>
-
-<p>
-«Enrichir l'univers... plutôt! quelques-uns des oiseaux que j'ai
-fabriqués étaient des espèces nouvelles de colibris et de fort jolies
-petites choses, mais quelques-uns étaient simplement fantaisistes. Le
-plus drôle de ceux-là fut, je crois: l'Anomatoptéryx-Jejuna...
-Jejunus-Jejuna-Jejunum&mdash;vide&mdash;ainsi appelé parce qu'il n'y avait
-réellement rien dedans. Un oiseau absolument vide, à part la bourre.
-C'est le vieux Jawers qui le possède maintenant et je suppose qu'il en
-est presque aussi fier que moi. C'est un chef d'œuvre, Bellows! Il a
-toute la niaise gaucherie du pélican, tout le solennel manque de
-dignité du perroquet, la dégaine maigre et dégingandée du flamant,
-avec tout l'extravagant conflit chromatique du canard mandarin. Un
-oiseau pareil! Je l'ai fabriqué avec des fragments de squelettes
-provenant d'une cigogne et d'un toucan, et un lot de plumes acheté
-d'occasion. Ce genre de taxidermie, Bellows, est pour le véritable
-artiste une joie sans mélange.
-</p>
-
-<p>
-«Comment j'en vins à le faire? C'est assez simple, comme toutes les
-grandes inventions. L'un de ces jeunes génies qui rédige pour les
-journaux des notes scientifiques, mit la main sur une brochure allemande
-concernant les oiseaux de la Nouvelle-Zélande et la traduisit au moyen
-d'un dictionnaire et de ses facultés naturelles; il s'embrouilla,
-grâce à ces dernières, dans l'aptéryx vivant et l'anomatoptéryx
-disparu, parla d'un oiseau haut de cinq pieds, vivant dans les jungles
-de la Zélande septentrionale, dont les spécimens rares et timides
-étaient difficiles à obtenir et ainsi de suite... Savary, qui, même
-pour un collectionneur, est un homme miraculeusement ignorant, lut ces
-paragraphes et jura qu'il aurait la chose à tout prix. Il tourmenta de
-ses questions tous les marchands. Cela montre ce qu'un homme peut faire
-avec de la persistance... avec de la volonté... Voilà un
-collectionneur d'oiseaux jurant qu'il aurait un spécimen d'un oiseau
-qui n'existe pas, qui n'avait jamais existé et qui, à la honte même
-de sa dégaine profane, ne pourrait probablement pas exister maintenant
-si on lui donnait la vie, et il l'obtint!
-</p>
-
-<p>
-«Encore un peu de whisky, Bellows?&mdash;fit le taxidermiste s'éveillant
-d'une passagère contemplation des mystères de la volonté et de
-l'esprit collectionneur, et, rasséréné, il continua à me conter
-comment il avait façonné une sirène des plus séduisantes et comment
-un prédicateur errant, qu'elle empêchait d'avoir un auditoire, la
-détruisit sous prétexte d'idolâtrie. Mais comme la conversation des
-personnages qui prirent part à cette transaction: créateur, acheteur
-et destructeur, était uniformément impropre à la publication, ce
-joyeux incident ne sera pas rédigé.
-</p>
-
-<p>
-Les lecteurs peu familiers avec les obscures méthodes des
-collectionneurs seront peut-être enclins à douter du récit de mon
-taxidermiste; mais pour ce qui concerne les œufs du grand pingouin et
-les faux oiseaux empaillés, ses dires ont été confirmés par de
-distingués ornithologistes; et les notes concernant l'oiseau de la
-Nouvelle-Zélande ont paru de fait dans un journal du matin, d'une
-réputation au-dessus de tout soupçon, car le taxidermiste en conserve
-un exemplaire qu'il m'a montré.
-</p>
-
-<p><br /><br /><br /></p>
-
-<h4><a id="LA_POMME">LA POMME</a></h4>
-
-<p>
-&mdash;Il faut que je me débarrasse!&mdash;fit l'homme assis dans le coin
-du compartiment, rompant brusquement le silence.
-</p>
-
-<p>
-M. Hinchcliff leva la tête, n'ayant qu'imparfaitement compris. Il
-avait été jusqu'ici perdu dans la contemplation de sa cape
-d'étudiant liée par un cordon aux poignées de sa valise, signe
-extérieur et visible de sa position pédagogique récemment obtenue; il
-était resté plongé dans le ravissement que lui causait cette cape et
-les agréables perspectives qu'elle découvrait. Car M. Hinchcliff
-venait de lui s'inscrire à l'Université de Londres et allait
-rejoindre une place de sous-maître à l'école préparatoire
-d'Holmwood&mdash;situation fort enviable. Il regarda avec étonnement son
-compagnon de voyage à l'autre bout du compartiment.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pourquoi ne pas la donner?&mdash;disait ce personnage.&mdash;La
-donner!... pourquoi pas?
-</p>
-
-<p>
-C'était un homme de haute taille au teint mat et hâlé. Il avait les
-bras nerveusement croisés sur la poitrine et il avait posé les pieds
-sur la banquette qui lui faisait face. Il se mit à tirer sa moustache
-noire et très longue, les yeux fixés sur le bout de ses bottines.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pourquoi pas?&mdash;dit-il encore.
-</p>
-
-<p>
-M. Hinchcliff toussa.
-</p>
-
-<p>
-L'étranger leva les yeux&mdash;c'étaient des yeux gris foncé, très
-perçants&mdash;et, pendant une minute, peut être, il fixa M. Hinchcliff
-d'un air morne. Puis son visage sembla prendre une expression
-d'intérêt.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Oui,&mdash;fit-il lentement,&mdash;pourquoi pas? Et en finir.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je ne vous saisis, pas très bien, dit M. Hinchcliff en toussant une
-seconde fois.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous ne me suivez pas très bien,&mdash;répliqua mécaniquement
-l'étranger tandis que ses yeux bizarres erraient de M. Hinchcliff à
-la valise d'où pendait avec ostentation la cape et revenaient à la
-figure duveteuse de M. Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vos paroles sont si décousues, vous comprenez...&mdash;s'excusa M.
-Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pourquoi pas!&mdash;dit l'étranger suivant sa pensée&mdash;Vous êtes
-étudiant?&mdash;fit-il en s'adressant à M. Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je suis étudiant par correspondance à l'Université de
-Londres.&mdash;dit M. Hinchcliff avec un orgueil non déguisé et portant
-d'un geste nerveux sa main à sa cravate.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;À la poursuite de la science,&mdash;dit l'étranger. Et il retira
-soudain ses pieds de dessus la banquette, posa son poing sur son genou,
-et contempla, M. Hinchcliff comme s'il n'avait jamais vu
-d'étudiant de sa vie.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Oui!&mdash;et il fit un geste avec l'index tendu.
-</p>
-
-<p>
-Puis il se leva, prit dans le filet un sac de cuir qu'il ouvrit. Sans
-le moindre mot il en tira un objet de forme ronde enveloppé d'une
-quantité de papier d'argent qu'il déplia soigneusement. Il tendit
-la chose à M. Hinchcliff: c'était un petit fruit d'un jaune doré
-et très doux au toucher.
-</p>
-
-<p>
-M. Hinchcliff demeura un instant la bouche et les yeux grands ouverts.
-Il n'essaya pas de prendre cet objet, même si on le lui offrait pour
-qu'il le prît.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Ceci,&mdash;dit le fantastique étranger en articulant très
-lentement,&mdash;est la Pomme de l'Arbre de la Connaissance. Regardez-la:
-petite, brillante, merveilleuse... la Connaissance!... et je vais vous
-la donner.
-</p>
-
-<p>
-L'esprit de M. Hinchcliff eut une minute de pénible effort, puis
-l'explication évidente: fou, traversa son cerveau et éclaira toute
-la situation; un fou d'humeur joyeuse. Il pencha un peu la tête.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;La Pomme de l'Arbre de la Connaissance, hein?...&mdash;dit M.
-Hinchcliff regardant le fruit, feignant un air d'extrême intérêt et
-reportant ensuite ses regards sur son interlocuteur.&mdash;Mais pourquoi ne
-le mangez-vous pas vous-même?...... Et d'ailleurs comment est-il venu en
-votre possession?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Elle ne se flétrit jamais! Il y a trois mois que je la possède, et
-elle est toujours brillante, et lisse, et mûre, et désirable comme
-vous la voyez.
-</p>
-
-<p>
-Il posa sa main sur son genou et considéra la pomme d'un air rêveur,
-puis il se mit à l'envelopper de nouveau dans ses papiers comme
-s'il avait modifié son intention de la donner.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais comment l'avez-vous obtenue?&mdash;demanda M. Hinchcliff qui
-avait l'esprit argumentatif&mdash;et comment savez-vous que c'est le fruit
-de l'Arbre?
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure06.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">LA POMME.&mdash;Il vit, derrière lui, les herbes
-en feu.</p>
-</div></div>
-
-<p>
-&mdash;J'ai acheté ce fruit,&mdash;dit l'étranger,&mdash;il y a trois mois,
-pour une gorgée d'eau et une croûte de pain. L'homme qui me la céda,
-parce que mes soins lui avaient conservé la vie, était Arménien.
-L'Arménie! cette contrée merveilleuse! la première de toutes les
-contrées! où l'Arche de Noé est restée, jusqu'à ce jour,
-ensevelie dans les glaciers du mont Ararat. Cet homme, dis-je, fuyant
-avec d'autres devant les Kurdes qui les avaient surpris, parvint en
-des endroits déserts dans des montagnes... en des endroits que nul au
-monde ne connaît. Fuyant devant ceux qui les poursuivaient, ils
-arrivèrent sur un haut plateau entre les pics des montagnes. Il y
-croissait une herbe verte dont les brins étaient comme des lames, qui
-coupaient et déchiraient impitoyablement tous ceux qui s'aventuraient
-à les traverser. Les Kurdes étaient à leurs trousses et il ne leur
-restait d'autre chance de salut que de s'enfoncer dans ces herbes et le
-pire fut que les sentiers qu'ils tracèrent au prix de leur sang
-servirent aux Kurdes pour les suivre. Tous les fugitifs furent tués,
-sauf cet Arménien et un autre. Il entendit les cris et les
-gémissements de ses compagnons et le bruissement des herbes autour de
-ceux qui les poursuivaient, car ces herbes s'élevaient presque à
-hauteur d'homme. Il entendit des appels et des imprécations, et quand,
-enfin, il s'arrêta, tout était silencieux. Il poussa de l'avant
-quand même sans comprendre, déchiré et sanglant, jusqu'à ce
-qu'il arrivât à une muraille de rocher au-dessous d'un précipice
-d'où il vit, derrière lui, les herbes en feu et les fumées
-s'élever comme un voile entre lui et ses ennemis.
-</p>
-
-<p>
-L'étranger s'arrêta.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Oui?&mdash;dit M. Hinchcliff,&mdash;et puis?...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il se trouvait donc là, tout blessé et déchiré par les herbes
-tranchantes, les rochers brûlants sous les rayons du soleil et la
-fumée de l'incendie s'avançant vers lui. Il n'osa pas y rester.
-Peu lui importait la mort, mais la torture!... Au loin, par delà la
-fumée, il entendit des clameurs et des plaintes. Des femmes criaient.
-Il se mit à escalader une gorge dans les rochers entre lesquels
-poussaient des buissons aux branches sèches, qui sortaient comme des
-épines entre les feuilles, et il se cacha dans une sorte
-d'excavation. Il rencontra là son compagnon, un berger qui avait
-aussi échappé au massacre. Estimant peu de chose le froid, la faim et
-la soif à côté de la cruauté des Kurdes, ils continuèrent à
-escalader les hauteurs parmi les neiges et les glaces. Ils errèrent
-ainsi pendant trois longs jours. Le troisième jour, ils eurent une
-vision. Je crois que les gens affamés ont souvent des visions, mais
-dans le cas présent nous avons ce fruit.
-</p>
-
-<p>
-Il leva dans sa main le fruit enveloppé d'argent.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'ai entendu ce récit de la bouche d'autres montagnards qui
-savaient la légende. C'était le soir, à l'heure où le nombre des
-étoiles augmente; ils descendaient, une pente de rocs lisses qui menait
-vers une immense vallée sombre dans laquelle croissaient des arbres
-bizarrement tordus, et de ces arbres pendaient de petits globes
-phosphores cents comme des vers luisants, étranges lumières rondes et
-jaunes. Soudain la vallée s'éclaira au loin, tout au loin d'une
-flamme dorée qui s'avançait lentement, faisant paraître les arbres
-rabougris aussi noirs que la nuit et jetant sur les pentes et les
-contours des choses des reflets d'or. À cette vision, les deux
-hommes, instruits des légendes des montagnes, surent qu'ils voyaient
-l'Éden ou la sentinelle de l'Éden, prosternèrent leur visage contre
-terre comme des hommes frappés de mort... Quand ils osèrent lever les
-yeux, la vallée était de nouveau dans l'obscurité, puis la clarté
-reparût venant vers eux, transparente comme l'ambre... Le berger, à
-cette vue, bondit sur ses pieds et avec un grand cri se mit à courir à
-toutes jambes vers la lumière, mais l'autre était trop effrayé pour
-le suivre. Il demeurait étourdi, frappé de stupeur, terrifié,
-regardant son compagnon s'éloigner vers la lueur mouvante. À peine
-le berger avait-il pris sa course qu'il y eut un bruit comme un coup
-de tonnerre, le battement d'ailes invisibles au-dessus de la vallée
-et une épouvante indicible; en me contant la chose l'homme qui me
-donna le fruit regardait anxieusement comme s'il cherchait encore
-autour de lui à se sauver. Remontant la pente aussi vite qu'il le
-pouvait, avec ce tumulte courant derrière lui, il se heurta contre un
-de ces arbres rabougris et un fruit mûr tomba dans sa main: celui-ci.
-Immédiatement il fut entouré d'un bruit d'ailes et de tonnerre. Il
-tomba et s'évanouit, et, quand il reprit ses sens, il se retrouva au
-milieu des ruines noircies et fumantes de son village où, avec
-d'autres personnes, je donnais mes soins aux blessés. Une vision?
-Mais il tenait encore serré dans sa main le fruit doré de l'arbre.
-Il y avait là d'autres gens qui connaissaient la légende, qui
-savaient ce qu'était cet étrange fruit.
-</p>
-
-<p>
-Il se tut.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Et le voici,&mdash;fit-il après un silence.
-</p>
-
-<p>
-C'était une histoire très extraordinaire pour être racontée dans
-un compartiment de troisième classe sur une petite ligne de chemin de
-fer du Surrey. On eût pu croire que le réel n'était qu'un voile
-pour le fantastique et ici le fantastique était assez évident.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vraiment!&mdash;fut tout ce que put répondre M. Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;La légende,&mdash;reprit l'étranger,&mdash;conte que ces fourrés
-d'arbres nains croissant autour du jardin viennent de la pomme qu'Adam
-tenait à la main quand Ève et lui furent chassés du paradis. Il sentit
-quelque chose dans sa main, aperçut la pomme à demi mangée et la jeta
-au loin avec colère. Là, depuis, croissent ces arbres, dans ce vallon
-désolé, entouré de neiges éternelles, à l'entrée duquel les
-épées de flammes montent la garde jusqu'au jour du jugement.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je pensais,&mdash;dit M. Hinchcliff&mdash;que tous ces racontars
-étaient... des fables... des paraboles... plutôt. Voulez-vous dire que
-là-bas en Arménie...
-</p>
-
-<p>
-L'étranger répondit à la question inachevée en tendant le fruit
-dans sa main ouverte.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais vous n'avez aucune certitude,&mdash;dit M.
-Hinchcliff,&mdash;que c'est là le Fruit de l'Arbre de la Connaissance.
-L'homme peut avoir eu... une sorte de mirage pourrait-on dire, supposons...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Regardez-le,&mdash;fit l'étranger.
-</p>
-
-<p>
-C'était, à coup sûr, un globe d'aspect étrange, non pas
-exactement une pomme, comme M. Hinchcliff put s'en rendre compte, mais
-un fruit d'une couleur dorée, brillant curieusement, comme si la
-lumière elle-même faisait partie de sa substance. Tout en la
-considérant, il se représentait plus vivement le vallon désolé au
-milieu des montagnes, les épées de flammes qui le gardaient et tous
-les étranges détails de l'histoire qu'il venait d'entendre. Il
-se frotta les vigoureusement yeux.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais...&mdash;commença-t-il.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il est resté tel que cela, lisse et frais pendant trois mois, un peu
-plus longtemps que cela même, sans se dessécher, sans se flétrir,
-sans se corrompre.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais... vous... vous-même... croyez vous réellement que...!
-</p>
-
-<p>
-&mdash;C'est le Fruit Défendu.
-</p>
-
-<p>
-Il n'y avait pas moyen de se méprendre sur la sincérité de ton et
-sur la parfaite lucidité d'esprit de l'homme.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Le Fruit de la Connaissance,&mdash;dit-il.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Bien, admettons-le,&mdash;dit M. Hinchcliff après une pause
-et les yeux toujours fixés sur le fruit,&mdash;mais après
-tout,&mdash;continua-t-il, ce n'est pas mon genre de connaissances, le
-genre de science qu'il me faut acquérir; d'ailleurs Adam et Ève l'ont déjà
-mangée.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Nous avons hérité de leur péché et non de leur
-connaissance,&mdash;répliqua l'étranger.&mdash;Si nous y goûtions
-maintenant tout serait de nouveau clair et pur. Nous verrions au fond de
-toutes choses, nous comprendrions les plus secrètes significations...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Pourquoi ne le mangez-vous pas, alors?&mdash;questionna M.
-Hinchcliff, soudainement inspiré.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;C'est dans cette intention que je l'avais pris,&mdash;dit
-l'étranger.&mdash;L'homme est déchu. Seulement manger à nouveau le
-fruit pourrait difficilement...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Savoir, c'est pouvoir!&mdash;dit M. Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais est-ce le bonheur? Je suis plus vieux que vous, j'ai plus que
-deux fois votre âge. Maintes et maintes fois j'ai tenu ceci dans ma
-main et chaque fois le cœur m'a manqué à la pensée de tout ce
-qu'on pourrait savoir... à pourrait savoir... à cette redoutable
-lucidité... Supposez que tout à coup le monde entier vous devienne
-impitoyablement clair?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Cela, je pense, serait en somme un grand avantage,&mdash;assura M.
-Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Supposez que vous puissiez voir dans les cœurs et les esprits de
-ceux qui vous entourent, dans les recoins les plus secrets... des gens que
-vous aimez, à l'amour de qui vous tenez?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;On trouverait bien vite la comédie,&mdash;dit M. Hinchcliff,
-grandement frappé par cette idée.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Et chose pire... se connaître soi-même... dépouillé de ses plus
-intimes illusions... se voir soi même à sa place... voilà tout ce que
-les désirs et les faiblesses nous ont empêché de faire... sans la
-moindre indulgente atténuation...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Mais cela serait une chose excellente... Connais-toi toi-même!...
-Vous souvenez-vous?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous êtes jeune!&mdash;dit l'étranger.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Si vous ne vous souciez pas de le manger et qu'il vous soit à
-charge, pourquoi ne le jetez-vous pas, tout simplement?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Ici encore, sans doute, vous ne me comprendrez pas. Pour moi, je me
-demande comment on pourrait jeter une chose comme celle-là, brillante,
-merveilleuse? Une fois qu'on l'a, on est lié. Mais d'un autre
-côté: la donner à quelqu'un qui ait soif de connaissances, qui
-n'éprouverait aucune terreur à la pensée de cette claire
-perception...
-</p>
-
-<p>
-&mdash;D'ailleurs,&mdash;risqua pensivement M. Hinchcliff,&mdash;ce peut
-être quelque fruit vénéneux. À ce moment son œil aperçut par la fenêtre
-du compartiment quelque chose d'immobile, l'extrémité d'un grand
-écriteau blanc avec des lettres noires:... MWOOD. À cette vue, il
-tressaillit:
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Bon sang!&mdash;s'exclama-t-il,&mdash;Holmwood!...
-</p>
-
-<p>
-La réalité présente chassa soudain les imaginations mystiques
-auxquelles il s'était abandonné. Il ouvrit la portière, sa valise
-à la main. Déjà le chef de train donnait le signal du départ. M.
-Hinchcliff sauta sur le quai.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Tenez!&mdash;fit une voix derrière lui.
-</p>
-
-<p>
-Il vit les yeux brillants et sombres de l'étranger et le fruit doré,
-velouté et tentant sur la main ouverte de l'homme. Il le prit
-instinctivement et le train s'ébranla.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Non!&mdash;cria l'étranger en faisant un geste comme pour le
-reprendre.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Attention!&mdash;cria un employé se précipitant pour fermer la
-portière.
-</p>
-
-<p>
-L'étranger, la tête et le bras passés à travers le carreau, cria
-quelque chose que Hinchcliff ne comprit pas. Puis, l'ombre du pont le
-cacha et en un clin d'œil il eut disparu. M. Hinchcliff, abasourdi et
-le fruit merveilleux dans la main, regardait le dernier wagon du train
-disparaître au tournant de la voie. L'espace d'une minute, son
-esprit demeura confus; puis il se rendit compte que deux ou trois
-personnes sur le quai l'examinaient avec intérêt. N'était-il pas
-le nouveau maître de l'École Préparatoire, débutant dans ses
-fonctions? Il lui vint à l'idée que le fruit pouvait très bien leur
-paraître la naïve emplette d'une orange rafraîchissante. Cette
-pensée le fit rougir et il enfonça le fruit dans la poche de son
-veston où il fit une bosse ridicule. Mais il n'y avait pas moyen de
-faire autrement et il se dirigea vers les gens qui l'observaient,
-essayant maladroitement de dissimuler son embarras. Il s'enquit du
-chemin qui devait le mener à l'École Préparatoire et des moyens de
-faire porter sa valise, et les deux petites malles de fer qui étaient
-là-bas au bout du quai. Oh! l'ennui de s'occuper de ces détails
-vulgaires.
-</p>
-
-<p>
-On lui transporterait ses bagages sur une brouette pour dix sous et il
-pouvait les précéder à pied. Il se figura surprendre une certaine
-ironie dans les voix de ses interlocuteurs. Il éprouvait un sentiment
-de gêne à la pensée de son aspect.
-</p>
-
-<p>
-Le ton de sincérité de son compagnon de voyage et le magique attrait
-de son récit avaient, pendant un instant, détourné le cours des
-pensées de M. Hinchcliff. Tout cela s'était interposé comme un
-nuage lui dissimulant ses intérêts immédiats. Des flammes qui
-erraient çà et là! La préoccupation de sa position nouvelle et de
-l'impression qu'il lui fallait produire sur Holmwooden, en
-général, et l'École en particulier, reprit totalement possession et
-rasséréna son atmosphère mentale avant qu'il eût quitté la gare.
-Mais il est extraordinaire, combien, pour un jeune homme sensé et
-endimanché, peut être gênant d'avoir, en sus, un fruit doux au
-toucher et délicatement doré, avec à peine trois pouces de diamètre.
-Dans la poche de son veston noir, il faisait une bosse terrible gâtant
-complètement la ligne. Il rencontra une vieille petite dame en noir
-dont le regard fut attiré immédiatement par l'excroissance de sa
-poche. Dans sa main gauche gantée, il tenait son autre gant et dans la
-droite sa canne, de sorte que porter ostensiblement le fruit lui était
-impossible. En un endroit où le chemin paraissait convenablement
-désert il retira de sa poche l'encombrant objet et essaya de le
-mettre sous son chapeau. La pomme était juste un peu trop grosse; le
-chapeau dansait d'une façon grotesque et, au moment où il la
-retirait, un garçon boucher tourna le coin de la route avec sa voiture.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Sacrebleu!&mdash;exclama M. Hinchcliff.
-</p>
-
-<p>
-Il l'aurait mangée incontinent, acquérant l'omniscience, mais il
-eût été si stupide d'entrer en ville en suçant un fruit juteux car
-évidemment il devait l'être. Si l'un des élèves venait à
-passer, cela pourrait porter un sérieux dommage à son autorité
-d'être vu dans cette posture. Ou bien le jus pourrait lui poisser la
-figure et tacher ses manchettes. Ou bien encore ce pouvait être un jus
-acide aussi fort que celui du citron et qui décolorerait ses
-vêtements...
-</p>
-
-<p>
-Puis, au détour du chemin ensoleillé, il aperçut deux jolies filles.
-Elles marchaient à petits pas vers la ville, bavardant, et à tout
-moment elles pouvaient se retourner et dévisager derrière elles un
-jeune homme à la figure rouge et portant à la main une tomate jaune
-phosphorescente! Sûrement elles éclateraient de rire.
-</p>
-
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure07.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">LA POMME.&mdash;D'un geste rapide, il envoya le fruit
-encombrant par dessus le mur d'un verger.</p>
-</div></div>
-
-<p>
-&mdash;Flûte!&mdash;dit M. Hinchcliff et d'un geste rapide, il envoya le
-fruit encombrant par-dessus le mur de pierre d'un verger qui bordait la
-route.
-</p>
-
-<p>
-Au moment où la pomme disparut, il éprouva de cette perte un vague
-regret qui dura quelques secondes. Il reprit avec aisance sa canne et
-son gant et se mit à marcher droit et satisfait pour dépasser les
-jeunes filles.
-</p>
-
-<p>
-Mais dans les ténèbres de la nuit, M. Hinchcliff eut un rêve. Il vit
-la vallée, les épées de flammes, les arbres rabougris et il sut que
-c'était réellement le fruit de la Connaissance qu'il avait si
-inconsidérément jeté, et il s'éveilla fort malheureux.
-</p>
-
-<p>
-Dans la matinée, son regret disparut, mais plus tard. Il revint le
-tourmenter, jamais néanmoins lorsqu'il était heureux ou très
-occupé.
-</p>
-
-<p>
-Enfin par une nuit de lune, vers onze heures, quand tout Holmwood fut
-endormi, ses regrets reparurent avec une force redoublée et avec eux la
-tentation de courir les aventures. Il se glissa hors de la maison,
-escalada le mur, gagna à travers la ville silencieuse le chemin de la
-gare et pénétra dans le verger où il avait jeté le fruit, mais il ne
-put rien trouver parmi l'herbe humide et les fragiles globes de
-pissenlits.
-</p>
-
-<p><br /><br /><br /></p>
-
-<h4><a id="LHOMME_VOLANT">L'HOMME VOLANT</a></h4>
-
-<p>
-L'ethnologue considéra pensivement la plume de Bhimraj.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Il semblait ne guère tenir à s'en séparer, dit—il.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Elle est sacrée pour les chefs, répondit le lieutenant, comme la
-soie jaune est sacrée pour l'empereur de Chine.
-</p>
-
-<p>
-L'ethnologue ne répondit pas. Il hésitait; puis entrant brusquement
-en matière, il demanda:
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Quel est ce conte à dormir debout, qu'ils racontent à propos
-d'un homme volant?
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant eut un faible sourire.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Que vous ont-ils dit?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Je vois, fit l'ethnologue, que vous êtes au courant de votre
-renommée.
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant se mit à rouler une cigarette.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'aimerais bien entendre une fois de plus cette histoire, fit-il,
-pour voir où elle en est maintenant.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Elle est si stupidement enfantine! reprit l'ethnologue quelque peu
-irrité. Comment leur avez-vous joué ce tour-là.
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant garda le silence et, toujours souriant, se renversa dans
-son fauteuil.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Voici donc que j'ai fait un détour de cinq cents kilomètres pour
-recueillir le folklore que ces gens ont pu conserver, avant qu'ils ne
-soient complètement démoralisés par les missionnaires et les
-militaires, et je ne trouve qu'un tas de légendes impossibles au sujet
-d'un diable de lieutenant d'infanterie à tête rousse. Comment il
-est invulnérable, comment il peut sauter par-dessus les éléphants,
-comment il peut voler! Et bien d'autres sottises! Un respectable
-vieillard m'a décrit vos ailes disant qu'elles étaient d'un
-plumage noir, mais pas tout à fait aussi long qu'une mule. Il
-prétend qu'il vous a vu souvent au clair de lune voltiger au-dessus des
-collines vers le pays de Shendon. Que le diable vous emporte!...
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant éclata de rire gaiement.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Continuez, dit-il, continuez...
-</p>
-
-<p>
-L'ethnologue continua jusqu'à ce qu'il en eût assez.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;En faire accroire pareillement à ces enfants des montagnes encore
-ingénus! Comment avez-vous pu faire cela?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;J'en suis très fâché, dit le lieutenant, mais vraiment j'y fus
-bien obligé. Je puis vous affirmer que la chose s'imposait et je
-n'avais pas alors, la moindre idée de la façon dont l'imagination
-de ces gens la prendrait.
-</p>
-
-<p>
-«Pas la moindre curiosité non plus. Je puis seulement invoquer que ce
-fut une indiscrétion et nullement la malice qui m'a fait remplacer le
-folklore par une nouvelle légende. Mais comme vous semblez chagriné,
-je vais essayer de vous expliquer l'affaire.
-</p>
-
-<p>
-«C'était à l'époque de l'avant-dernière expédition contre
-les Lou-Chaï, et Walters croyait que ces gens que vous venez de visiter
-étaient animés pour nous d'intentions amicales; aussi, avec une
-allègre confiance dans mes capacités à me tirer d'affaire, il
-m'envoya là-haut, dans la gorge, à vingt kilomètres d'ici, avec
-trois soldats européens, une douzaine de cipayes, deux mules et sa
-bénédiction, pour me rendre compte des sentiments populaires du
-village que vous avez visité. Une troupe forte de dix hommes sans
-compter les mules, vingt kilomètres à faire et en temps
-d'hostilité! Vous avez vu la route?
-</p>
-
-<p>
-&mdash;La route! fit l'ethnologue.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Elle est meilleure maintenant qu'elle ne l'était autrefois. Il
-nous fallut suivre le lit de la rivière pendant quinze cents mètres à
-l'endroit où la vallée se rétrécit. Il y avait un courant rapide
-qui écumait autour de nos genoux et roulait sur des pierres aussi
-glissantes que de la glace. C'est là que je laissai tomber ma
-carabine. Plus tard, les sapeurs firent sauter le rocher à la dynamite
-pour faire la voie plus commode que vous connaissez. Dans ce temps-là,
-on suivait par le bas, au long des hauts rochers à pic et il fallait
-sans cesse contourner la rivière, sans compter qu'on devait la
-traverser une douzaine de fois sur une longueur de trois kilomètres.
-</p>
-
-<p>
-«Nous arrivâmes en vue de la place le lendemain matin de bonne heure.
-Vous savez où elle se trouve! Sur un contrefort à mi-chemin entre les
-hauteurs, et comme nous commencions à apprécier la trompeuse
-tranquillité du village ensoleillé, nous nous arrêtâmes pour tenir
-conseil.
-</p>
-
-<p>
-«Alors en guise de bienvenue, ils nous envoyèrent un morceau d'idole
-de cuivre: le bloc descendit la pente droite, passa à un pouce de mon
-épaule et tamponna la mule qui portait les provisions et les
-ustensiles.
-</p>
-
-<p>
-«Jamais, ni avant cela, ni depuis, je n'entendis de pareil vacarme.
-À ce moment nous aperçûmes un certain nombre de gentlemen portant des
-fusils à pierre, revêtus d'espèces de torchons à carreaux de
-couleurs, et faisant un détour au long d'un sentier entre le village
-et les hauteurs, vers l'est.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;«Volte-face! commandai-je, et espacez-vous.
-</p>
-
-<p>
-«Avec cet encouragement, mon expédition de dix hommes fit demi-tour et
-se mit à redescendre la vallée d'un trot leste. Nous ne nous
-attardâmes pas à sauver la moindre chose de la charge de notre
-mort,&mdash;mais, par un sentiment d'amitié, nous emmenâmes avec nous la
-seconde mule, qui portait ma tente et diverses hardes.
-</p>
-
-<p>
-«Ainsi se termina la bataille&mdash;sans gloire! Jetant un coup d'œil en
-arrière, je vis la vallée toute parsemée de vainqueurs qui poussaient
-des cris et nous tiraient dessus. Mais personne ne fut atteint. Ces gens
-ne sont guère à craindre avec leurs fusils; ils ne savent toucher
-qu'un but fixe. Il leur faut se mettre en joue et viser pendant des
-heures, et quand ils tirent en courant, c'est simplement pour faire du
-tapage. Hooker, l'un de mes soldats blancs, se croyait bon tireur, et
-il s'arrêta une demi-minute pour risquer la chance d'en abattre un,
-mais il nous rattrapa bredouille.
-</p>
-
-<p>
-«Je ne suis pas un Xénophon pour débiter une longue histoire sur mon
-armée en retraite. Pendant les deux ou trois kilomètres qui suivirent,
-il nous fallut par deux fois arrêter l'ennemi qui nous pressait un
-peu trop, et échanger quelques coups de feu. Mais l'affaire fût, en
-somme, assez monotone&mdash;on s'essoufflait seulement&mdash;jusqu'à ce que
-nous fussions parvenus à l'endroit où les hauteurs descendent vers
-la rivière et resserrent la vallée en un simple défilé. Là, fort
-heureusement, j'aperçus une demi-douzaine de têtes noires qui
-venaient nous prendre en écharpe du haut des rochers, sur la gauche&mdash;à
-l'est, en réalité.
-</p>
-
-<p>
-«À cette vue, je commandai halte.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Attention maintenant. Qu'allons-nous faire? dis-je à Hooker et
-aux autres, en indiquant les têtes noires.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Je veux bien être nègre, si nous ne sommes pas chipés, dit l'un
-des hommes.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Nous le serons, répondit un autre. Tu connais les façons de ces
-bougres, hein, Georges?
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Ils vont nous tirer au gîte à cinquante mètres, déclara Hooker,
-à l'endroit où la rivière s'étrangle. Autant se suicider que de
-continuer à descendre.
-</p>
-
-<p>
-«Je regardai la hauteur à notre droite. Elle tombait presque à pic au
-bas de la vallée, mais elle paraissait pouvoir être escaladée et tous
-les ennemis que nous avions vus jusqu'ici étaient de l'autre côté
-de l'eau.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;C'est cela, ou s'arrêter! fit l'un des cipayes.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure08.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">L'HOMME VOLANT.&mdash;Je retournai vers l'homme qu'une
-balle avait atteint à la jambe, et je le pris dans mes bras.</p>
-</div></div>
-
-<p>
-«Nous nous mîmes à grimper obliquement la colline. Il y avait une
-sorte de vague sentier qui montait en biais et nous le suivîmes.
-Bientôt, quelques ennemis parurent en vue vers le haut de la vallée,
-et j'entendis quelques coups de feu. J'aperçus alors un des cipayes
-qui s'était assis à trente mètres plus bas. Il s'était arrêté,
-sans un mot, pour ne pas donner d'inquiétude apparemment. De nouveau,
-je commandai halte. Je dis à Hooker d'essayer d'abattre quelques
-ennemis et je retournai vers l'homme qu'une balle avait atteint à
-la jambe. Je le pris dans mes bras et le portai jusqu'à la mule sur
-laquelle je l'installai,&mdash;la pauvre bête était déjà suffisamment
-chargée avec la tente et les autres fourbis que nous n'avions pas le
-temps de détacher. Quand j'eus rejoint le reste de la troupe, Hooker
-avait sa carabine vide à la main et indiquait, en riant, vers le haut
-de la vallée, une tache noire immobile. Tous les autres ennemis
-s'étaient dissimulés derrière des roches ou avaient fui au delà de
-la courbe.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;À cinq cents mètres, fit Hooker; et je parie que je l'ai touché
-en pleine tête.
-</p>
-
-<p>
-«Je l'engageai à recommencer un aussi beau coup, et nous nous
-remîmes en route.
-</p>
-
-<p>
-«La pente maintenant devenait plus abrupte, et le sentier moins marqué
-à mesure que nous montions. Bientôt, au-dessus et au-dessous de nous,
-ce furent plus que des falaises.
-</p>
-
-<p>
-«C'est le plus beau chemin que j'aie vu dans ce pays de Lou-Chaï,
-dis-je pour encourager les hommes, mais, en moi-même, je redoutais ce
-qui allait arriver.
-</p>
-
-<p>
-«Au bout de quelques minutes, le chemin tournait court autour de la
-falaise. Puis c'était tout: le sentier se terminait là.
-</p>
-
-<p>
-«En se rendant compte de la position, l'un des hommes se mit à jurer
-et à maudire le piège dans lequel nous avions donné. Nous nous
-trouvions sur une sorte de plate-forme qui devait être, au plus, large
-de dix mètres. Les rochers s'élevaient en surplombant au-dessus de
-nous de sorte qu'on ne pouvait nous fusiller d'en haut, et devant
-nous s'ouvrait un précipice de deux ou trois cents pieds de
-profondeur. En nous couchant contre le sol, nous étions invisibles pour
-ceux qui auraient été de l'autre côté du ravin.
-</p>
-
-<p>
-«La seule approche que nous pussions craindre était au long du
-passage, et un homme bien embusqué à l'entrée valait une armée.
-Nous étions dans une forteresse naturelle, avec un seul désavantage:
-nos uniques provisions contre la faim et la soif était une mule
-vivante. Cependant, nous étions éloignés de douze ou quinze
-kilomètres du gros de l'expédition, mais sans doute, quand ils nous
-verraient absents un jour ou deux, ils enverraient à notre recherche si
-nous ne rentrions pas. Au bout d'un jour ou deux...»
-</p>
-
-<p>
-Le lieutenant se tut soudain.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Avez-vous jamais eu soif, Graham?
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Jamais de cette façon-là, répondit l'ethnologue.
-</p>
-
-<p>
-«&mdash;Hum! nous avons eu soif pendant toute cette journée, pendant la
-nuit suivante et tout le lendemain avec seulement quelques gouttes de
-rosée obtenues en tordant divers linges et la tente. Au-dessous de
-nous, la rivière coulait avec des glouglous contre un rocher qui se
-dressait au milieu du courant. Jamais je n'ai vu une pareille absence
-d'incidents et une pareille intensité de sensation. Le soleil
-obéissait sans doute encore à l'ordre de Josué, car il ne bougeait
-guère; il flamboyait comme une fournaise ardente. Vers le soir du
-premier jour, l'un des deux soldats blancs marmotta quelque chose que
-personne ne comprit, et il s'en alla en suivant le chemin par où nous
-étions venus. Nous entendîmes des coups de feu, et quand Hooker alla
-voir à l'entrée du passage, l'homme avait disparu. Le lendemain
-matin le cipaye blessé eut le délire et il sauta, ou il tomba, dans le
-ravin; alors nous abattîmes la mule et elle aussi dégringola, dans ses
-dernières secousses, au bas du précipice, et nous restâmes huit.
-</p>
-
-<p>
-«Nous apercevions, tout au fond du gouffre, le corps du cipaye, dont la
-tête plongeait dans l'eau. Il était à plat ventre, et autant
-qu'on pouvait s'en rendre compte il paraissait fort peu meurtri.
-Malgré tout le désir de l'ennemi d'avoir cette tête. Il
-n'osèrent pas s'approcher avant la nuit.
-</p>
-
-<p>
-«D'abord, nous parlâmes des chances qu'il y avait que le gros de
-la troupe ait entendu notre fusillade, et nous tâchions de supputer à
-quel moment ils remarqueraient notre retard, et mille autres choses.
-Mais nous nous desséchions réellement à mesure que les heures
-passaient. Les cipayes jouèrent entre eux avec des cailloux, puis
-racontèrent des histoires. La nuit fut assez froide. Le second jour
-personne ne parla. Nos lèvres étaient noires et nos gosiers en feu: et
-nous restions étendus sous la roche, nous regardant les uns les autres.
-L'un des réguliers se mit à tracer sur le rocher avec un morceau de
-tuyau de pipe des blasphèmes et des invectives comme une sorte de
-testament et je dus le faire cesser. Tandis que je regardais, au fond de
-la vallée, la rivière couler et bouillonner, J'étais presque tenté
-de suivre le cipaye. Cela semblait attirant et désirable de
-dégringoler le long de la pente, avec au bas quelque chose à
-boire&mdash;ou, du moins, plus de soif du tout. Cependant, je me souvins à
-temps que je commandais le détachement et que mon devoir était de
-donner le bon exemple, et cela m'empêcha de commettre une sottise.
-</p>
-
-<p>
-«C'est en pensant à cela qu'une idée me vint. Je me levai et
-examinai la tente et, ses cordes, et je m'étonnai de n'y avoir pas
-pensé plus haut. Puis, j'allai jusqu'au bord de la falaise mesurer
-de l'œil la distance. Cette fois la hauteur me sembla plus grande et
-la pose du cipaye quelque peu plus pénible. Mais il n'y avait que ce
-moyen ou rien... et, pour vous le dire sans plus de détour, je
-descendis en parachute.
-</p>
-
-<p>
-«Je pris un grand cercle de toile de la tente, environ trois fois grand
-comme ce tapis de table. Je fis un trou dans le milieu, je liai huit
-cordes autour qui se réunissaient au centre pour former un parachute.
-Les autres me regardaient, croyant sans doute à quelque nouveau genre
-de délire. Alors j'expliquai mon plan aux deux réguliers, et,
-aussitôt que le rapide crépuscule fut devenu nuit pleine, je risquai
-l'expérience. Les deux hommes tinrent l'instrument élevé et je
-pris mon élan de toute la longueur de la plate-forme. Mon parachute
-s'emplit d'air comme une voile, mais je dois avouer qu'arrivé au
-bord j'eus la venette et je m'arrêtai court.
-</p>
-
-<p>
-«Mais j'eus aussitôt honte de moi-même; je retournai à
-l'extrémité de la plate-forme et me lançai de nouveau. Cette fois,
-je sautai&mdash;avec une sorte de sanglot, je me le rappelle&mdash;je
-sautai en plein dans le vide, avec la grande voile, blanche qui se gonflait
-au-dessus de moi.
-</p>
-
-<p><br /></p>
-
-<div class="figcenter" style="width: 300px;">
-<img src="images/figure09.jpg" width="300" height="400" alt="" />
-<div class="caption">
-<p class="center">L'HOMME VOLANT.&mdash;«À cette vue, j'aurais bien voulu
-pouvoir remonter.»</p>
-</div></div>
-
-<p>
-«Mes pensées durent se précipiter avec une vitesse effrayante. Il
-sembla s'écouler un long moment avant que je pusse être sûr que mon
-instrument resterait droit. D'abord il se balança de côté et
-d'autre. Puis, je remarquai la muraille de rocs qui semblait monter
-devant mes yeux, pendant que je me figurais rester immobile. Je regardai
-au-dessous de moi, et je vis les eaux sombres de la rivière et le
-cadavre du cipaye qui venaient, à ma rencontre. Mais dans
-l'indistincte clarté, je discernai aussi trois ennemis, ahuris de me
-voir arriver, et le cipaye décapité. À cette vue j'aurais bien
-voulu pouvoir remonter.
-</p>
-
-<p>
-Au même instant, ma botte entrait dans la bouche d'un des ennemis, et
-lui et moi ne formions plus qu'un seul tas avec la toile qui
-s'abattait sur nous en se dégonflant. Sans doute, j'avais dû faire
-jaillir la cervelle de l'homme sous mon pied. Je n'attendais rien
-d'autre que d'être à mon tour massacré, mais les pauvres païens,
-qui n'avaient jamais entendu parler de Baldwin, prirent immédiatement
-la fuite.
-</p>
-
-<p>
-«Je me dépêtrai de la toile et du cadavre et jetai un regard autour
-de moi. À environ dix pas se trouvait la tête du cipaye, les yeux
-fixes, au clair de lune. Puis, j'aperçus l'eau et je courus boire.
-Il n'y avait d'autre bruit au monde que celui de la retraite
-précipitée des ennemis, un faible cri qui me parvint d'en haut et le
-murmure du courant. Dès que j'eus bu tout mon soûl, je descendis au
-long de la rivière.
-</p>
-
-<p>
-«Telle est l'explication de l'histoire de l'homme volant. Pendant
-les douze kilomètres que je fis pour rejoindre l'expédition, je ne
-rencontrai âme qui vive. J'arrivai au camp de Walters vers dix heures
-et le stupide imbécile qui était de faction eut le toupet de me tirer
-dessus lorsque je surgis au trot hors des ténèbres. Aussitôt que je
-fus parvenu à faire entrer mon récit dans le crâne épais de Walters,
-cinquante hommes se mirent en route pour aller débarrasser la vallée
-des ennemis et ramener nos hommes. Mais j'avais eu pour ma part
-suffisamment soif pour ne pas aller la provoquer de nouveau en les
-accompagnant.
-</p>
-
-<p>
-«Vous avez entendu quelle sorte de légende ils ont fabriquée avec
-cela. Des ailes grandes comme une mule, hein? et des plumes noires? Le
-bon lieutenant transformé en oiseau. Bon! bon!»
-</p>
-
-<p>
-Un instant le lieutenant resta plongé dans quelque joyeuse méditation,
-puis il ajouta:
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Vous ne le croiriez pas, mais quand ils arrivèrent à la plate-forme,
-deux cipayes avalent sauté en bas.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Le reste allait bien? demanda l'ethnologue.
-</p>
-
-<p>
-&mdash;Le reste allait bien, à part la soif. Et à ce souvenir le lieutenant
-se versa un nouveau verre de whisky et de soda.
-</p>
-
-<p><br /><br /><br /></p>
-
-<div style='display:block; margin-top:4em'>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DANS L’ABÎME ***</div>
-<div style='text-align:left'>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Updated editions will replace the previous one&#8212;the old editions will
-be renamed.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
-States without permission and without paying copyright
-royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part
-of this license, apply to copying and distributing Project
-Gutenberg&#8482; electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG&#8482;
-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for an eBook, except by following
-the terms of the trademark license, including paying royalties for use
-of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for
-copies of this eBook, complying with the trademark license is very
-easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation
-of derivative works, reports, performances and research. Project
-Gutenberg eBooks may be modified and printed and given away--you may
-do practically ANYTHING in the United States with eBooks not protected
-by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the trademark
-license, especially commercial redistribution.
-</div>
-
-<div style='margin:0.83em 0; font-size:1.1em; text-align:center'>START: FULL LICENSE<br />
-<span style='font-size:smaller'>THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE<br />
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK</span>
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-To protect the Project Gutenberg&#8482; mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase &#8220;Project
-Gutenberg&#8221;), you agree to comply with all the terms of the Full
-Project Gutenberg&#8482; License available with this file or online at
-www.gutenberg.org/license.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg&#8482;
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or
-destroy all copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in your
-possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a
-Project Gutenberg&#8482; electronic work and you do not agree to be bound
-by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person
-or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.B. &#8220;Project Gutenberg&#8221; is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg&#8482; electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg&#8482; electronic works if you follow the terms of this
-agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg&#8482;
-electronic works. See paragraph 1.E below.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation (&#8220;the
-Foundation&#8221; or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg&#8482; electronic works. Nearly all the individual
-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
-claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
-displaying or creating derivative works based on the work as long as
-all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope
-that you will support the Project Gutenberg&#8482; mission of promoting
-free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg&#8482;
-works in compliance with the terms of this agreement for keeping the
-Project Gutenberg&#8482; name associated with the work. You can easily
-comply with the terms of this agreement by keeping this work in the
-same format with its attached full Project Gutenberg&#8482; License when
-you share it without charge with others.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
-in a constant state of change. If you are outside the United States,
-check the laws of your country in addition to the terms of this
-agreement before downloading, copying, displaying, performing,
-distributing or creating derivative works based on this work or any
-other Project Gutenberg&#8482; work. The Foundation makes no
-representations concerning the copyright status of any work in any
-country other than the United States.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other
-immediate access to, the full Project Gutenberg&#8482; License must appear
-prominently whenever any copy of a Project Gutenberg&#8482; work (any work
-on which the phrase &#8220;Project Gutenberg&#8221; appears, or with which the
-phrase &#8220;Project Gutenberg&#8221; is associated) is accessed, displayed,
-performed, viewed, copied or distributed:
-</div>
-
-<blockquote>
- <div style='display:block; margin:1em 0'>
- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
- other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
- whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms
- of the Project Gutenberg License included with this eBook or online
- at <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>. If you
- are not located in the United States, you will have to check the laws
- of the country where you are located before using this eBook.
- </div>
-</blockquote>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg&#8482; electronic work is
-derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
-copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
-the United States without paying any fees or charges. If you are
-redistributing or providing access to a work with the phrase &#8220;Project
-Gutenberg&#8221; associated with or appearing on the work, you must comply
-either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or
-obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg&#8482;
-trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg&#8482; electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any
-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
-will be linked to the Project Gutenberg&#8482; License for all works
-posted with the permission of the copyright holder found at the
-beginning of this work.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg&#8482;
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg&#8482;.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg&#8482; License.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg&#8482; work in a format
-other than &#8220;Plain Vanilla ASCII&#8221; or other format used in the official
-version posted on the official Project Gutenberg&#8482; website
-(www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense
-to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means
-of obtaining a copy upon request, of the work in its original &#8220;Plain
-Vanilla ASCII&#8221; or other form. Any alternate format must include the
-full Project Gutenberg&#8482; License as specified in paragraph 1.E.1.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg&#8482; works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg&#8482; electronic works
-provided that:
-</div>
-
-<div style='margin-left:0.7em;'>
- <div style='text-indent:-0.7em'>
- &bull; You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg&#8482; works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg&#8482; trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, &#8220;Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation.&#8221;
- </div>
-
- <div style='text-indent:-0.7em'>
- &bull; You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg&#8482;
- License. You must require such a user to return or destroy all
- copies of the works possessed in a physical medium and discontinue
- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg&#8482;
- works.
- </div>
-
- <div style='text-indent:-0.7em'>
- &bull; You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of
- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
- receipt of the work.
- </div>
-
- <div style='text-indent:-0.7em'>
- &bull; You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg&#8482; works.
- </div>
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg&#8482; electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the manager of
-the Project Gutenberg&#8482; trademark. Contact the Foundation as set
-forth in Section 3 below.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg&#8482; collection. Despite these efforts, Project Gutenberg&#8482;
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
-contain &#8220;Defects,&#8221; such as, but not limited to, incomplete, inaccurate
-or corrupt data, transcription errors, a copyright or other
-intellectual property infringement, a defective or damaged disk or
-other medium, a computer virus, or computer codes that damage or
-cannot be read by your equipment.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the &#8220;Right
-of Replacement or Refund&#8221; described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg&#8482; trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg&#8482; electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
-lieu of a refund. If you received the work electronically, the person
-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you &#8216;AS-IS&#8217;, WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg&#8482; electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg&#8482;
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg&#8482; work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg&#8482; work, and (c) any
-Defect you cause.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg&#8482;
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg&#8482;&#8217;s
-goals and ensuring that the Project Gutenberg&#8482; collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg&#8482; and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org.
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation&#8217;s EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state&#8217;s laws.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation&#8217;s business office is located at 809 North 1500 West,
-Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up
-to date contact information can be found at the Foundation&#8217;s website
-and official page at www.gutenberg.org/contact
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; depends upon and cannot survive without widespread
-public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine-readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state
-visit <a href="https://www.gutenberg.org/donate/">www.gutenberg.org/donate</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Please check the Project Gutenberg web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-</div>
-
-<div style='display:block; font-size:1.1em; margin:1em 0; font-weight:bold'>
-Section 5. General Information About Project Gutenberg&#8482; electronic works
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg&#8482; concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg&#8482; eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Project Gutenberg&#8482; eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-Most people start at our website which has the main PG search
-facility: <a href="https://www.gutenberg.org">www.gutenberg.org</a>.
-</div>
-
-<div style='display:block; margin:1em 0'>
-This website includes information about Project Gutenberg&#8482;,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-</div>
-
-</div>
-
-</body>
-</html>
diff --git a/old/64590-h/images/figure01.jpg b/old/64590-h/images/figure01.jpg
deleted file mode 100644
index 2354429..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure01.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure02.jpg b/old/64590-h/images/figure02.jpg
deleted file mode 100644
index 9982b1f..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure02.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure03.jpg b/old/64590-h/images/figure03.jpg
deleted file mode 100644
index cfddb6c..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure03.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure04.jpg b/old/64590-h/images/figure04.jpg
deleted file mode 100644
index 5c6f8eb..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure04.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure05.jpg b/old/64590-h/images/figure05.jpg
deleted file mode 100644
index 70251b9..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure05.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure06.jpg b/old/64590-h/images/figure06.jpg
deleted file mode 100644
index 4aa2b7e..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure06.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure07.jpg b/old/64590-h/images/figure07.jpg
deleted file mode 100644
index 4490a9d..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure07.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure08.jpg b/old/64590-h/images/figure08.jpg
deleted file mode 100644
index c0fc1dc..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure08.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/64590-h/images/figure09.jpg b/old/64590-h/images/figure09.jpg
deleted file mode 100644
index e44f936..0000000
--- a/old/64590-h/images/figure09.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ