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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 3 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62406] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - - -FRANKENSTEIN, - -OU - -LE PROMÉTHÉE MODERNE. - -DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN, - -AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc. - -Par Mme SHELLY, sa nièce. - -TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S*** - -Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de -l'argile pour me faire homme? T'ai-je -sollicité de m'arracher du néant? - -Milton, _Paradis perdu._ - -TOME TROISIÈME - -PARIS, - -CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE - -PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258 - -1821. - - - - - -TABLE -CHAPITRE XVII -CHAPITRE XVIII -CHAPITRE XIX -CHAPITRE XX -CHAPITRE XXI -CHAPITRE XXII -CHAPITRE XXIII -SUITE, PAR WALTON - - - - -FRANKENSTEIN, - -OU - -LE PROMÉTHÉE MODERNE. - - - - -CHAPITRE XVII - - -Après mon retour à Genève, les jours et les semaines s'écoulèrent -sans que je pusse trouver le courage de recommencer mon ouvrage. Si je -ne remplissais pas ma promesse envers le démon, j'avais tout à -craindre de sa vengeance; cependant je ne pouvais surmonter l'horreur -que m'inspirait l'affreux travail dont j'étais chargé. Je comptais -avoir besoin, pour former une femme, de plusieurs mois d'une étude -profonde et de recherches pénibles. J'avais entendu parler de quelques -découvertes faites par un philosophe anglais, et dont il était -nécessaire que j'eusse connaissance. Quelquefois je pensais à obtenir -le consentement de mon père pour visiter l'Angleterre et m'instruire de -ces nouvelles découvertes; mais je m'effrayais de toute espèce de -retard, et je ne pouvais me résoudre à troubler la tranquillité qui -commençait à rentrer dans mon âme. Ma santé, qui jusqu'alors avait -décliné, était maintenant bien rétablie; et mon courage ne -s'affermissait pas moins, lorsque je n'avais pas l'esprit frappé par le -souvenir de ma malheureuse promesse. Mon père remarqua ce changement -avec plaisir, et chercha le moyen de dissiper ce qui restait de ma -mélancolie, dont les noirs accès revenaient de temps en temps, et -troublaient le bonheur dont j'étais près de jouir. Dans ces moments je -me renfermais dans la solitude la plus profonde. Je passais des -journées entières sur le lac, dans une barque, seul, silencieux, et -indifférent au spectacle des cieux comme au bruit des vagues; mais la -vivacité de l'air, et l'éclat du soleil manquaient rarement de me -rendre quelque tranquillité; et, à mon retour, j'accueillais mes amis -avec un sourire plus agréable et un cœur plus gai. - -Un jour, au retour d'une de ces promenades, mon père m'appela auprès -de lui, et me parla ainsi: - -«Je suis satisfait, mon cher fils, de remarquer que vous avez repris -vos premiers amusements, et que vous semblez revenir à vous-même, -quoique vous soyez toujours malheureux, et que vous évitiez encore -notre société. Pendant quelque temps, je me suis perdu en conjectures -pour en découvrir la cause; mais hier une idée m'a frappé, et, si -elle est fondée, je vous conjure de me l'avouer. La réserve sur ce -point ne serait pas seulement inutile, mais funeste à nous tous». - -Cet exorde me fit trembler avec violence, mais mon père continua: - -«J'avoue mon fils, que j'ai toujours envisagé votre mariage avec votre -cousine comme le nœud de notre bonheur domestique, et la consolation de -mes vieux jours. Vous l'avez été attachés l'un à l'autre depuis -votre première enfance; vous avez étudié ensemble, vous paraissez -même vous convenir entièrement de caractère et de goûts; mais -l'expérience de l'homme est si aveugle, que ce qui me parait le plus -propre à seconder mon projet, peut l'avoir entièrement détruit. -Peut-être la regardez-vous comme votre sœur, sans désirer qu'elle -devienne votre femme. Il est également possible que vous ressentiez de -l'amour pour une autre personne, et qu'en même-temps vous pensiez être -engagé d'honneur à votre cousine, et que ce combat de sentiments soit -la cause de la douleur poignante dont vous êtes affecté». - ---«Mon cher père, rassurez-vous, j'ai pour ma cousine une tendre et -sincère affection. Je n'ai jamais vu de femme qui me parût aussi digne -qu'Élisabeth, d'admiration et de tendresse. L'union dont vous me -parlez, est l'espoir et le but de mon avenir». - ---«Les sentiments que vous venez d'exprimer, mon cher Victor, me -donnent plus de plaisir que je n'en ai éprouvé depuis quelque temps. -Puisqu'il en est ainsi, nous serons certainement heureux, malgré le -chagrin que nous causent les circonstances actuelles. Je veux surtout -dissiper ce chagrin, qui parait s'être si fortement emparé de votre -esprit. Ainsi, dites-moi si vous vous opposez à ce, que la -célébration du mariage ait lieu sur le champ. Nous avons été -malheureux, et depuis les derniers évènements nous sommes privés de -cette paix journalière qui convient à mes années et à mes -infirmités. Vous êtes plus jeune; mais je ne suppose pas qu'étant -maître d'une fortune suffisante, vous trouviez dans un mariage -contracté de bonne heure, un obstacle au projet de vous illustrer, et -de vous rendre utile. Ne supposez donc pas que je veuille vous imposer -le bonheur, ou que je m'afflige sérieusement d'un délai que vous -proposeriez. Interprétez mes paroles avec candeur, et répondez-moi, je -en conjure, avec confiance et sincérité». - -J'écoutais mon père en silence, et je fus quelque temps sans pouvoir -lui répondre. J'agitai rapidement une multitude de pensées dans mon -esprit, et je fis mille efforts pour amener une conclusion. Hélas! la -perspective d'une union prochaine avec ma cousine me remplissait -d'horreur et d'épouvante. J'étais lié par une promesse solennelle, -que je n'avais pas encore tenue; je n'osais pourtant pas la violer, car -si j'avais cette témérité, je verrais fondre sur ma famille et sur -moi-même les innombrables malheurs que nous réservait la vengeance du -Démon. Accablé de ce poids affreux, pourrais-je supporter un jour de -fête? Il fallait que mes engagements envers le monstre fussent remplis, -et qu'il eût quitté ces lieux avec sa compagne, pour qu'il me fût -permis de jouir en paix d'une union dont j'attendais le bonheur. - -Je me souvins aussi de la nécessité, ou de voyager en Angleterre, ou -de nouer une longue correspondance avec les philosophes de ce pays, dont -les connaissances et les découvertes m'étaient d'un usage -indispensable dans ma nouvelle entreprise; car l'ancienne méthode, pour -obtenir l'intelligence désirée, était longue et peu satisfaisante. Je -n'étais pas non plus mécontent d'un changement; j'étais charmé de -pouvoir passer un an ou deux dans un autre pays, et de me distraire par -de nouvelles occupations; absent de ma famille, il pouvait arriver, -pendant ce temps, que je lui fusse rendu paisible et heureux par un -évènement quelconque; ma promesse serait remplie, et le monstre -éloigné; ou bien quelqu'accident aurait mis fin à sa vie, et terminé -pour toujours mon esclavage. - -Telles étaient mes rapides réflexions; elles dictèrent ma réponse à -mon père. J'exprimai le désir de visiter l'Angleterre; mais, cachant -les véritables motifs de cette demande, je mis en avant l'intention de -voyager, et de voir le monde, avant de me fixer pour toujours dans les -murs de ma ville natale. - -Je pressai mon père avec ardeur, et j'en obtins facilement le -consentement; car il n'existait pas sur la terre un père qui fût plus -indulgent et moins despotique. Notre plan fut bientôt arrangé. J'irais -à Strasbourg, où Clerval viendrait me rejoindre. Nous passerions -quelque temps dans les villes de Hollande; nous ferions notre plus long -séjour en Angleterre, et nous reviendrions par la France. Il fut -convenu que ce voyage durerait deux ans. - -Mon père, se plaisait à penser que mon union avec Élisabeth aurait -lieu aussitôt après mon retour à Genève. «Ces deux années, -disait-il, s'écouleront bien vite; mais au bout de ce temps, rien ne -s'opposera à votre bonheur; et, en vérité, je désire vivement voir -arriver le moment où nous serons tous unis, sans qu'aucune espérance -ni crainte viennent troubler notre calme domestique». - ---«Je suis content de votre arrangement, lui répondis-je; à cette -époque, nous serons tous deux plus sages, et j'espère plus heureux que -nous ne le sommes maintenant». Je poussai un soupir; mais mon père, -dont l'âme était pleine de bonté, cessa de rechercher le secret de ma -mélancolie. Il espérait que de nouvelles scènes et le plaisir; de -voyager me rendraient le repos. - -Je fis alors mes préparatifs de départ; mais j'étais poursuivi d'une -idée qui me remplissait de crainte et d'agitation. Je laisserais, -pendant mon absence, mes amis exposés aux attaques d'un ennemi dont je -leur cachais l'existence, et qui s'irriterait sans doute en apprenant -mon départ. Cependant, il avait juré de me suivre partout où j'irais: -ne m'accompagnerait-il pas en Angleterre? Cette pensée était affreuse -en elle-même, et en même temps consolante, puisqu'elle ne me laissait -aucune inquiétude sur le compte de mes amis. J'étais au désespoir en -pensant qu'il pût en être autrement. Mais, pendant tout le temps que -je fus l'esclave de ma créature, je me laissais gouverner par les -impulsions du moment; et, dans la situation où je me trouvais, j'étais -intimement convaincu que le Démon me suivrait, et délivrerait ma -famille du danger de ses machinations. - -Je partis vers la fin du mois d'août, pour passer deux années d'exil. -Élisabeth approuvait les motifs de mon départ, et regrettait seulement -de n'avoir pas la même occasion d'enrichir son expérience et de -cultiver son esprit; mais elle ne put s'empêcher de pleurer en me -disant adieu, et elle me pria de revenir heureux et tranquille. «Nous -dépendons tous de vous, dit-elle; et si vous êtes malheureux, nous le -serons aussi». - -Je me jetai dans la voiture qui devait m'emmener, sans savoir à peine -où j'allais, et sans m'occuper de ce qui se passait autour de moi. Je -me souvins seulement, et ce fut avec une amertume affreuse que j'y -pensai, d'ordonner qu'on emballât mes instruments de chimie pour les -emporter: car j'étais résolu à remplir ma promesse pendant mon -absence, et à revenir libre, s'il était possible. Agité de tristes -pensées, je passai devant un grand nombre de sites beaux et majestueux; -mais, mes yeux étaient fixes et inattentifs. Je ne pensais qu'au terme -de mes voyages, et à l'ouvrage qui allait m'occuper pendant ce temps. - -Après quelques jours d'une complète indolence, j'arrivai à Strasbourg -où j'attendis Clerval pendant deux jours. Il arriva. Hélas! quel -contraste entre nous! Il s'animait à chaque scène nouvelle; il était -content en admirant les beautés du soleil couchant, et plus heureux -encore lorsqu'il le voyait se lever et commencer un nouveau jour. Il me -montrait les variétés du paysage, et les diverses nuances du ciel. -«Voilà ce qui s'appelle vivre, s'écriait-il; maintenant, je jouis de -l'existence! mais toi, mon cher Frankenstein, pourquoi es-tu abattu et -mélancolique»? Il est vrai que j'étais en proie à des pensées si -tristes, que je n'apercevais ni l'étoile du soir, ni le lever du soleil -dont les rayons dorés se réfléchissaient dans le Rhin.--Et vous, mon -ami, vous trouveriez bien plus de plaisir à lire le journal de Clerval, -qui observait-le pays avec l'œil du sentiment et du bonheur, qu'à -écouter, mes réflexions. Moi, malheureux, j'étais poursuivi par une -malédiction qui fermait tout accès à la joie. - -Nous étions convenus de descendre le Rhin dans un bateau depuis -Strasbourg jusqu'à Rotterdam, d'où nous devions nous embarquer pour -Londres. Pendant ce voyage, nous passâmes devant un grand nombre -d'îles couvertes de saules, et nous vîmes plusieurs villes superbes. -Nous nous arrêtâmes un jour à Mannheim, et, cinq jours après notre -départ de Strasbourg, nous arrivâmes à Mayence. Le cours du Rhin -au-dessous de Mayence devient beaucoup plus pittoresque. Le fleuve court -avec rapidité entre des montagnes, qui, sans être élevées, -présentent une pente escarpée, et un aspect agréable. Nous vîmes un -grand nombre de châteaux en ruine, placés sur les bords des -précipices, et entourés de bois sombres, élevés et inaccessibles. -Cette partie du Rhin présente un paysage singulièrement varié. Sur le -même point, on voit des montagnes escarpées, des châteaux en ruines -qui dominent des précipices effrayants, et le Rhin fangeux qui coule au -bas avec rapidité; et au détour d'un promontoire, la scène est -occupée par des vignobles florissants, par de vertes collines par les -sinuosités d'un fleuve, et par des villes populeuses. - -Nous voyagions à l'époque des vendanges, et nous étions accompagnés -par les chants des villageois, pendant que nous descendions le courant. -Malgré mon abattement, malgré l'agitation continuelle et pénible de -mes sentiments, j'éprouvais encore du plaisir. Je m'étendis au fond du -bateau, et les yeux, fixés sur le ciel azuré et sans nuages, je -m'imaginai goûter un repos auquel depuis long-temps j'avais été -étranger. Et si telles étaient mes sensations, qui pourra décrire -celles de Henry? Il était, pour ainsi dire, transporté dans un pays de -fées, et il jouissait d'un bonheur rarement accordé à l'homme. «J'ai -vu, disait-il, les plus beaux sites de mon pays; j'ai visité les lacs -de Lucerne et d'Uri, où les montagnes couvertes de neige descendent -presque perpendiculairement sur l'eau, projetant une ombre sombre, -impénétrable, et qui donnerait une apparence triste et mélancolique, -si des îles voisines et couvertes de verdure n'étaient là pour -réjouir l'œil de leur aspect. J'ai vu ce lac agité par une tempête, -lorsque le vent élevait l'eau en tourbillons, et offrait une image de -la fureur des flots dans le grand Océan; et les vagues se brisant avec -violence contre le pied de la montagne, où le prêtre et sa maîtresse -furent emportés par une avalanche, et où, dit-on, leurs voix sont -encore entendues quand le vent cesse de souffler pendant la nuit. J'ai -vu les montagnes du Valais et le pays de Vaud: mais cette contrée, -Victor, m'enchante plus que toutes ces merveilles. Les montagnes du -Switzerland sont plus majestueuses et plus étranges; mais il y a un -charme incomparable dans les rives de ce fleuve délicieux. Vois ce -château suspendu sur le précipice; cet autre dans l'île, presque -caché parmi le feuillage de ces arbres charmants; vois maintenant ce -groupe de villageois qui reviennent de leurs vignes, et ce village à -moitié caché dans l'enfoncement de la montagne. Oh! certes, l'esprit -qui habite et veille sur ce lieu, a une âme plus en harmonie avec -l'homme, que ceux qui vivent sur le glacier, ou se retirent sur les pics -inaccessibles des montagnes de notre pays». - -Clerval, cher ami! même à présent, je trouve du charme à me rappeler -tes paroles, et à m'arrêter sur l'éloge dont tu es vraiment digne. -C'était un être formé _dans la véritable poésie de la nature_[1]. -Son imagination hardie et enthousiaste était tempérée par la -sensibilité de son cœur. Son âme était remplie d'affections -ardentes, et son amitié était de cette nature dévouée et étonnante, -dont le modèle, aux yeux du monde, n'existe que dans l'imagination; -mais la sympathie même de l'homme ne pouvait satisfaire son esprit -ardent. Il aimait avec ardeur les beautés de la nature, que les autres -ne regardent qu'avec admiration. - - -Il aimait avec passion le bruit de la cataracte; il trouvait un attrait -dans le rocher élevé, dans la montagne, dans le bois épais et -mélancolique, dans ses couleurs et ses formes: ce sentiment, et cet -amour, qui n'avaient pas besoin d'un charme plus éloigné, étaient -entretenus par la pensée: car ce n'était pas à ses yeux qu'il devait, -le plaisir qu'il éprouvait[2]. - - -Et où est-il maintenant? Est-il perdu à jamais cet être doux et -aimable? N'est-il plus cet esprit si fécond; si riche en pensées -hardies et magnifiques, qui formaient un monde dépendant de la vie de -celui qui le créait? N'existe-t-il plus que dans ma mémoire? Non, il -n'en est pas ainsi; ta forme si divinement travaillée, et brillante de -beauté, est déchue; mais ton esprit visite encore et console ton -malheureux ami. - -Pardonnez-moi d'épancher ainsi mon chagrin; ces vaines paroles ne sont -qu'un léger tribut que je paie à la mémoire de l'incomparable Henry, -mais elles adoucissent mon cœur, rempli de la douleur que me cause son -souvenir. Je poursuis. - -Au-dessus de Cologne, nous descendîmes dans les plaines de la Hollande, -et nous résolûmes de faire en poste le reste de notre route; car le -vent était contraire, et le courant du fleuve trop lent. - -Notre voyage perdit ici l'intérêt qui s'attachait à un pays -magnifique; nous fûmes en peu de jours à Rotterdam, d'où nous fîmes -voile pour l'Angleterre. Ce fut le matin d'un jour serein, à la fin de -septembre, que j'aperçus pour la première fois les rochers -blanchâtres de la Grande-Bretagne. Les rives de la Tamise -présentèrent une scène nouvelle; elles sont unies, mais fertiles, et -bordées de villes, dont chacune réveille quelque souvenir. Nous ne -pûmes voir le fort Tilbury sans penser à l'Armada Espagnole; nous -vîmes aussi Gravesend, Woolwich, et Greenwich, lieux dont j'avais -entendu parler, même dans mon pays. - -Enfin nous aperçûmes les nombreux clochers de Londres, celui de -Saint-Paul qui s'élève au-dessus de tous, et la Tour si fameuse dans -l'histoire d'Angleterre. - - -[Note 1: Leigh Hunt's «Rimini».] - -[Note 2: Wordsworth's «Tintern Abbey».] - - - - -CHAPITRE XVIII - - -Londres fut notre point de repos; nous résolûmes de rester, plusieurs -mois dans cette ville étonnante et célèbre. Clerval désirait voir -les hommes les plus remarquables de cette époque par leur talent ou -leur génie; mais je n'y attachais qu'une importance secondaire; -j'étais principalement occupé des moyens de recueillir les -renseignements, dont j'avais besoin pour remplir ma promesse. Je -profitai sur-le-champ des lettres d'introduction que j'avais apportées, -et qui étaient pour les philosophes les plus distingués. - -Si ce voyage avait eu lieu pendant mes jours d'étude et de bonheur, il -m'aurait fait goûter un plaisir inexprimable; mais mon existence était -traînante, et mon unique but, en visitant ces hommes célèbres, était -de tirer parti de leurs connaissances, pour l'objet auquel ma destinée -était liée d'une manière si terrible. La société était fatigante -pour moi; mais seul, j'étais libre de contempler le ciel et la terre; -la voix d'Henry adoucissait mes ennuis, et je pouvais ainsi m'abuser -moi-même dans une paix passagère. Des visages gais et vifs, au -contraire, ne pouvaient m'intéresser, et reportaient le désespoir dans -mon cœur. Je voyais une barrière insurmontable placée entre mes -semblables et moi; elle était scellée du sang de Guillaume et de -Justine; et mon âme, en se retraçant ces évènements, éprouvait de -mortelles angoisses. - -Clerval m'offrait l'image de ce que j'étais autrefois; il était -observateur, et il observait pour son expérience et son instruction. La -différence qu'il remarquait dans les usages, était pour lui une source -inépuisable d'instruction et d'amusement. Il était sans cesse occupé, -et il n'était troublé dans ses plaisirs, que par mon air triste et -abattu. Je tâchais de le lui cacher autant que possible, afin de ne pas -le priver des plaisirs naturels pour celui qui entre dans un nouveau -genre de vie, et qui n'est tourmenté par aucun souci, ni par des -souvenirs amers. Je refusais souvent de l'accompagner, en prétextant un -autre engagement, mais dans le fait pour rester seul. Vers cette -époque, je me mis aussi à réunir les matériaux nécessaires pour ma -nouvelle création: ce fut pour moi le supplice des gouttes d'eau, qui -tombent une à une et continuellement sur la tête. Si ma pensée se -portait sur ce travail, une profonde douleur s'emparait de moi; si une -parole s'y rattachait par quelque allusion, mes lèvres étaient -tremblantes, et mon cœur palpitant. Nous avions déjà passé quelques -mois à Londres, quand nous reçûmes une lettre d'une personne -d'Écosse y qui avait eu l'occasion de nous voir autrefois à Genève. -Il vantait les beautés de son pays natal, et nous demandait si elles -n'auraient pas assez d'attrait, pour nous engager à pousser notre -voyage au nord jusqu'à Perth, où il demeurait. Clerval désirait -vivement accepter cette invitation; et, malgré mon horreur pour la -société, je voulus aussi voir des montagnes, des torrents, et toutes -les merveilles dont la nature se plaît à orner les lieux qu'elle -préfère. - -Nous étions arrivés en Angleterre au commencement d'octobre, et nous -étions alors en février. En conséquence, nous nous déterminâmes à -commencer notre voyage vers le nord un mois plus tard. Dans notre -excursion, nous n'avions pas le projet de suivre la grande route -jusqu'à Édimbourg, mais de visiter Windsor, Oxford, Matlock, et les -lacs de Cumberland; et de terminer ce voyage en juillet. J'emballai mes -instruments de chimie et les matériaux que j'avais réunis, avec -l'intention de finir mes travaux dans quelque coin obscur des pays -montagneux de l'Écosse. - -Partis de Londres le 27 mars, nous mîmes quelques jours à parcourir -les belles forêts de Windsor. Des chênes majestueux, une multitude -prodigieuse de gibier, et des troupes de daims superbes présentaient -une scène tout-à-fait nouvelle pour nous, qui habitions les montagnes. - -De là nous allâmes à Oxford. En entrant dans cette ville, les -évènements, dont elle avait été le théâtre plus de cent cinquante -ans auparavant, se retracèrent à notre esprit. C'est là que Charles -Ier avait rassemblé ses forces. Cette ville lui avait gardé -fidélité, même après que la nation entière eut abandonné sa cause, -pour suivre l'étendard du parlement et de la liberté. La mémoire de -ce roi infortuné, les compagnons de son malheur, l'aimable Fakland, -l'orgueilleux Gower, la Reine, et son fils, donnaient un intérêt -particulier à chaque partie de la ville, qu'on supposait leur avoir -servi d'habitation. - -Nous nous plaisions à suivre les traces de l'esprit des anciens temps, -qui semblait y régner encore. Quand bien même ces sentiments -n'auraient pas satisfait notre imagination, la ville était par -elle-même assez belle pour obtenir notre admiration. Les collèges sont -anciens et pittoresques; les rues sont presque magnifiques; et la -bienfaisante Isis, qui la baigne et coule à travers des prés d'une -verdure éclatante, présente une surface douce, qui réfléchit un -assemblage majestueux de tours, de pyramides, et de dômes, relevés en -relief parmi de vieux arbres. J'étais enchanté de cette vue, et, -cependant, je n'éprouvais pas ce plaisir, sans que le souvenir du -passé, et le sentiment de l'avenir n'y joignissent de l'amertume. -J'étais fait pour le bonheur paisible. Dans ma jeunesse, je n'avais -jamais connu le chagrin; et, si je me laissais quelquefois gagner par -l'ennui, la vue des beautés de la nature, ou l'étude de ce qui est -excellent et sublime dans les productions de l'homme intéressait -toujours mon cœur, et avait le pouvoir de m'électriser. Mais je suis -un arbre tombé; le trait a pénétré mon âme; et j'ai senti alors que -je survivrais pour montrer, pendant quelque temps seulement..., le -spectacle déplorable de l'humanité qui succombe, en pitié aux autres, -et en horreur à moi-même. - -Nous passâmes beaucoup de temps à Oxford, pour parcourir les environs, -et chercher à reconnaître chaque lieu qui rappelait l'époque la plus -intéressante de l'histoire Anglaise. Nos petits voyages de découverte -étaient souvent prolongés par les objets qui se présentaient -successivement. Nous visitâmes le tombeau de l'illustre Hampden, et la -plaine où périt ce patriote. Un moment, mon âme oublia son -avilissement et ses craintes misérables, pour se livrer aux idées -sublimes de liberté et de sacrifice de soi-même, dont ces lieux -étaient le monument et le souvenir. Un moment, j'osai briser mes -chaînes, et regarder autour de moi avec orgueil et liberté; mais -j'avais été trop profondément blessé, je ne tardai pas, hélas! à -retomber en moi-même, tremblant et sans espoir. - -Nous quittâmes Oxford avec regret, pour nous diriger vers Matlock, le -lieu le plus rapproché où nous pussions nous arrêter. Le pays qui est -auprès de ce village, a plus de ressemblance avec le Switzerland; mais -tout est dans une petite proportion, et les vertes collines ne sont pas -couronnées dans l'éloignement par la cîme blanche des Alpes, comme -les montagnes de mon pays natal. Nous visitâmes l'étonnante caverne, -et les petits cabinets d'histoire naturelle, où les curiosités sont -disposées de la même manière que dans les collections qui sont à -Servox et à Chamouny. Ce dernier nom prononcé par Henri me fit -trembler; et je me hâtai de quitter Matlock avec lequel ce lieu -terrible était ainsi associé. - -De Derby, en voyageant toujours vers le Nord, nous passâmes dans le -Cumberland et le Westmorland, où notre séjour fut de deux mois. Je pus -alors me croire presqu'au milieu des montagnes de la Suisse. Les petits -monceaux de neige, qui n'étaient pas encore détachés de la partie -nord des montagnes, les lacs, et les sources qui jaillissent au milieu -des rochers, tout ce que je voyais enfin m'était cher et familier. Nous -liâmes, dans ce pays, connaissance avec quelques personnes, qui presque -toutes s'efforcèrent de me rendre au bonheur. Le plaisir de Clerval -était en proportion plus grand que le mien; son esprit s'élevait dans -la société des hommes de mérite; et il trouvait en lui-même plus -d'instruction et de ressources qu'il ne pensait en avoir, lorsqu'il -était avec ses inférieurs. Je pourrais passer ici ma vie, me -disait-il; et parmi ces montagnes, je regretterais à peine le -Switzerland et le Rhin. - -Cependant il disait que, si la vie d'un voyageur est remplie de -plaisirs, elle n'est pas cependant exemple de peine. Il n'a pas de -limites dans ses sentiments; et au moment où il commence à jouir du -repos, il se trouve obligé de quitter le lieu où il s'arrêtait avec -plaisir, pour courir après quelqu'objet nouveau, qui engage encore son -attention, et qu'il abandonne aussi pour d'autres nouveautés. - -Nous avions à peine visité les différents lacs du Cumberland et du -Westmorland, et pris affection pour quelques-uns des habitants, que nous -fûmes à l'époque du rendez-vous fixé par l'Écossais, notre ami. -Nous nous séparâmes de nos hôtes pour continuer notre voyage. Pour -moi je n'en fus pas affligé. J'avais négligé quelque temps ma -promesse, et je redoutais les effets de la colère du démon. Il pouvait -rester dans le Switzerland, et assouvir sa vengeance sur mes parents. -Cette idée me poursuivait, et me tourmentait à chaque moment, où -d'ailleurs j'aurais trouvé le repos et la paix. J'attendais mes lettres -avec l'impatience d'un homme qui a la fièvre. Étaient-elles en retard? -j'étais malheureux, et accablé de mille frayeurs; arrivaient-elles? je -voyais l'écriture d'Élisabeth ou de mon père, j'osais à peine lire -et m'assurer de mon sort. Quelquefois je pensais que le démon me -suivait, et pourrait hâter ma négligence en assassinant mon compagnon -de voyage. Lorsque j'étais poursuivi de ces idées, je ne voulais pas -quitter Henry un moment; je le suivais comme son ombre, pour le -protéger contre la rage de celui qui me semblait devoir être son -meurtrier: j'étais semblable à l'homme qui s'est souillé d'un crime -énorme, et qui est sans cesse dévoré par le remords. J'étais -innocent; mais j'avais attiré sur ma tête une malédiction terrible, -aussi mortelle que celle du crime. - -Je visitai Édimbourg avec indifférence, bien que cette ville soit -digne d'intéresser l'être le plus malheureux. Clerval ne l'aimait pas -autant qu'Oxford, dont l'antiquité lui plaisait infiniment; mais la -beauté et la régularité de la nouvelle ville d'Édimbourg, son -château romantique, et ses environs si délicieux, le palais d'Arthur, -le puits de Saint-Bernard, et les montagnes du Pentland, le consolaient -suffisamment d'avoir changé de place, et le remplissaient de joie et -d'admiration. Pour moi, j'étais impatient d'arriver au terme de mon -voyage. - -Nous partîmes d'Édimbourg au bout d'une semaine, en traversant Coupar, -Saint-André, et en longeant les rives du Tay, jusqu'à Perth où notre -ami nous attendait. Peu disposé à rire et à causer avec des -étrangers, ou à adopter leurs sentiments ou leurs projets avec la -bonne humeur qu'on attend d'un hôte, j'annonçai à Clerval que je -désirais faire seul le tour de l'Écosse. «Amuse-toi, lui dis-je; et -que ce lieu soit notre rendez-vous. Je puis être absent un mois ou -deux; mais, je l'en prie, ne t'inquiète pas de ce que je ferai: -laisse-moi un peu de temps dans le repos et la solitude; et lorsque je -reviendrai, j'espère que mon cœur sera soulagé, et plus d'accord avec -ton caractère». - -Henry voulut me dissuader; mais il s'aperçut que ma détermination -était bien prise; et il cessa de me faire des remontrances, en me -priant de lui écrire souvent. «J'aimerais mieux être avec toi, -disait-il, dans tes courses solitaires, qu'avec ces Écossais que je ne -connais pas: hâte-toi donc, mon cher ami, de revenir, afin que je -puisse encore me croire dans ma patrie; car pendant ton absence, je me -croirai en exil». - -Je me séparai de mon ami, résolu de rechercher quelque lieu écarté -de l'Écosse, et de finir mon travail dans la solitude. Je ne doutais -pas que le monstre ne me suivît, et ne se découvrît à moi, lorsque -j'aurais terminé, pour recevoir sa compagne. - -Dans cette résolution, je traversai les pays montagneux du nord, et je -me fixai dans l'une des moins habitées et des plus arides des îles -Orkneys; ce lieu convenait au travail auquel j'allais me livrer, et -n'était guère qu'un rocher, dont les flancs élevés étaient -continuellement battus par les vagues. Le sol était stérile, et -pouvait à peine produire la pâture de quelques misérables vaches, et -le gruau d'avoine de ses habitants, qui étaient au nombre de cinq, et -dont les membres maigres et décharnés témoignaient assez de leur -misère ou de leur souffrance. Les végétaux, le pain, et même l'eau -fraîche étaient des objets de luxe, dont on ne pouvait jouir qu'en les -faisant venir du continent, qui était à une distance d'environ cinq -milles. - -Dans toute l'île, il n'y avait que trois chétives chaumières: l'une -d'elles était libre à mon arrivée: je la louai. Elle ne contenait que -deux chambres, dont la malpropreté décelait la plus profonde -détresse. Le chaume était enfoncé, les murs sans plâtre, et la porte -hors de ses gonds. J'ordonnai des réparations à ma nouvelle demeure, -j'y mis quelques meubles, et j'en pris possession: ces dispositions -auraient pu, sans doute, surprendre les montagnards; mais le besoin et -la pauvreté engourdissent tellement leurs sens, qu'ils n'y firent -aucune attention. De cette manière, je vécus sans être observé, ni -dérangé, et je fus à peine remercié de leur fournir des vêtements -et des aliments, tant la souffrance émousse les sensations les plus -simples des hommes! - -Dans cette retraite, je consacrais la matinée au travail; mais le soir, -lorsque le temps le permettait, je me promenais sur le bord pierreux de -la mer, prêtant l'oreille au mugissement des vagues qui se brisaient à -mes pieds. C'était une scène à la fois monotone et variée. Je -pensais au Switzerland, si peu semblable à ce cap désolé et -effrayant; à ses montagnes qui sont couvertes de vignes; à ses plaines -qui sont peuplées d'un grand nombre de chaumières; à ses beaux lacs -qui réfléchissent un ciel pur et azuré; et au bruit de leurs vagues -agitées par les vents, égal au plus à celui d'un enfant qui joue, en -comparaison des mugissements du vaste Océan. - -Au moment de mon arrivée, je partageai ainsi mon temps; mais plus -j'avançais dans mon travail, plus j'éprouvais d'horreur et de -dégoût. Tantôt je ne pouvais prendre sur moi d'entrer dans mon -laboratoire pendant plusieurs jours; tantôt je travaillais nuit et -jour, afin d'achever mon ouvrage. L'opération, à laquelle je me -livrais, n'offrait que des dégoûts. Pendant mon premier essai, une -sorte d'enthousiasme frénétique m'en avait dissimulé l'horreur; mon -esprit n'envisageait que le résultat de mon travail, et mes yeux -n'étaient frappés que des progrès. Maintenant j'étais de sang-froid, -et je succombais souvent devant l'ouvrage de mes mains. - -Dans cette situation, adonné au plus odieux travail, plongé dans une -solitude où rien ne pouvait détourner mon attention de la scène qui -m'occupait, je devins inégal, je perdis tout repos, et j'éprouvai une -irritation de nerfs. À tout moment je craignais de rencontrer mon -persécuteur. Quelquefois je m'asseyais les yeux fixés sur la terre, -pour ne pas voir, en les levant, l'objet dont j'étais si effrayé. Je -prenais soin de ne pas m'écarter de la présence de mes semblables, -dans la crainte qu'il ne vînt seul réclamer sa compagne. - -Cependant je continuais mon travail, et je l'avais même déjà -considérablement avancé. J'envisageais le moment où il serait -terminé, avec un espoir mêlé de trouble et d'ardeur dont je n'osais -me rendre compte, mais auquel venait se joindre d'obscurs pressentiments -de malheurs, assez terribles pour jeter le trouble dans mon cœur. - - - - -CHAPITRE XIX - - -J'étais assis un soir dans mon laboratoire. Le soleil était couché -depuis long-temps, et la lune s'élevait de la mer; il n'y avait plus -assez de jour pour que je pusse continuer mon ouvrage. Je le suspendis, -incertain si je le laisserais pendant la nuit, ou si je me hâterais de -le terminer en m'y livrant sans relâche. En ce moment, une foule de -réflexions se présentèrent à mon esprit, et me conduisirent à -considérer les effets du travail auquel je m'adonnais. Trois années -auparavant, j'avais travaillé au même objet, et j'étais parvenu à -créer un démon, dont la cruauté sans égale avait désolé mon cœur, -et l'avait à jamais rempli des remords les plus cuisants. J'allais -maintenant former une autre créature, dont je ne pouvais prévoir le -caractère; elle pouvait devenir dix mille fois plus perverse que son -compagnon, et se complaire au meurtre et au mal. Celui-ci avait juré de -quitter le voisinage de l'homme, et de se cacher dans des déserts; mais -elle n'avait pris aucun engagement. Destinée, suivant toute apparence, -à devenir un animal pensant et raisonnant, ne pouvait-elle pas refuser -de consentir à un pacte antérieur à sa création? - -L'un et l'autre pourraient même se haïr: la créature, qui avait -déjà reçu la vie, était choquée de sa propre difformité: ne -pourrait-elle pas en concevoir une plus grande horreur, lorsqu'elle -serait offerte à ses yeux sous la forme d'une femme? La nouvelle -créature pourrait aussi se détourner de l'autre avec dégoût, en -voyant la beauté supérieure de l'homme; elle pourrait quitter le -monstre; et lui, seul pour la seconde fois, ne serait-il pas exaspéré -de cet affront nouveau? Supporterait-il d'être abandonné par un être -d'une espèce semblable à la sienne? - -Si même ils quittaient l'Europe pour aller dans les déserts du nouveau -monde, un des résultats inévitables de ces sympathies dont le Démon -avait besoin, serait la naissance de leurs enfants, souche d'une race de -démon qui se propagerait sur la terre, et pourrait rendre l'existence -même de l'espèce humaine précaire et pleine de terreur. Avais-je le -droit, pour mon propre intérêt, d'infliger cette malédiction sur les -générations à venir? J'avais été touché auparavant par les -sophismes de l'être que j'avais créé; j'avais été effrayé de ses -menaces infernales; mais aujourd'hui, pour la première fois, -j'envisageais le danger de ma promesse; je frissonnai en pensant que les -siècles à venir me maudiraient comme leur fléau; moi qui, dans mon -égoïsme, n'avais pas craint d'acheter ma tranquillité personnelle au -prix, peut-être, de l'existence de toute la race humaine. - -Je tremblais, je me sentais défaillir, lorsque, en levant les yeux, -j'aperçus, à la clarté de la lune, le Démon auprès de la fenêtre. -Il sourit en me voyant occupé de la tâche qu'il m'avait imposée: mais -ce sourire était horrible. Ce n'était que trop vrai: il m'avait suivi -dans mes voyages; il avait habité les forêts, il s'était caché dans -les cavernes ou dans les bruyères vastes et désertes; et il venait -maintenant observer mes progrès, et réclamer l'accomplissement de ma -promesse. Au moment où je le regardai, sa figure exprimait le dernier -degré de la perversité et de la perfidie. Je pensai, avec une sorte de -démence, à la promesse que j'avais faite de créer un être semblable -à lui; la fureur s'empara de moi, et je brisai en plusieurs morceaux -l'objet de mon travail. Le malheureux me vit détruire la créature de -l'existence de laquelle dépendait son bonheur, et il s'éloigna en -poussant un cri de désespoir et de vengeance. - -Je quittai le laboratoire; j'en fermai la porte à clef, et je fis, en -moi-même, le vœu solennel de ne reprendre jamais mes travaux; et -alors, à pas tremblants, je me dirigeai vers mon appartement. J'étais -seul; personne n'était auprès de moi pour dissiper mon chagrin, et -calmer les pensées les plus terribles sous lesquelles je succombais. - -Pendant plusieurs heures, assis près de ma fenêtre, je fixai les yeux -sur la mer: elle était presqu'immobile; les vents se taisaient, et -toute la nature reposait à l'éclat paisible de la lune. Quelques -vaisseaux pêcheurs paraissaient seuls; et, de temps en temps, la douce -brise apportait les voix des pêcheurs qui s'appelaient entr'eux. Je -jouissais de ce silence, sans sentir à peine combien il était profond, -quand mon oreille fut tout à coup frappée par un bruit de rames qui -touchaient le bord, et par celui d'une personne qui s'approchait de mon -habitation. - -Quelques minutes après, j'entendis ma porte crier, comme si l'on -cherchait à l'ouvrir doucement. Je tremblais de la tête aux pieds; -agité par le pressentiment de ce qui allait arriver, je voulus appeler -un des paysans qui demeurait dans une chaumière peu éloignée de la -mienne; mais, succombant à un sentiment de faiblesse, du genre de ceux -qu'on éprouve si souvent dans des rêves effrayants, lorsqu'on -s'efforce de fuir un danger dont on est menacé, je restai attaché à -la même place. - -Bientôt j'entendis le bruit des pas le long du passage; la porte -s'ouvrit; et je vis le malheureux qui m'était si redoutable. Il ferma -la porte, s'approcha de moi, et dit d'une voix étouffée: - -«Quelle est votre intention en détruisant l'ouvrage que vous -commenciez? Osez-vous rompre votre promesse? J'ai supporté la fatigue -et la misère: j'ai quitté le Switzerland avec vous; je me suis -traîné le long des bords du Rhin; j'ai erré sur le sommet des -montagnes qui l'avoisinent, et parmi ces îles couvertes de saules; j'ai -habité plusieurs mois dans les bruyères de l'Angleterre, et au milieu -des déserts de l'Écosse. J'ai enduré des fatigues inouïes, le froid, -et la faim; osez-vous détruire mes espérances»? - ---«Éloigne-toi! je romps ma promesse; jamais je ne consentirai à -créer un autre être, qui t'égale en difformité et en méchanceté». - ---«Esclave, j'ai jusqu'à présent raisonné avec toi; mais tu m'as -prouvé que tu étais indigne de ma condescendance. Souviens-toi que -j'ai le pouvoir; tu te crois à plaindre; apprends donc que je puis te -rendre si malheureux, que la lumière du jour te sera odieuse. Tu es mon -Créateur, mais je suis ton maître; obéis»! - ---«L'heure de ma faiblesse est passée, et le terme de ta puissance est -venu: tes menaces ne peuvent me porter à consentir à un acte de -faiblesse; bien loin de là, elles me confirment dans la résolution de -ne pas te créer une compagne, qui ne serait que la complice de tes -crimes. Mettrai-je, de sang-froid, sur la terre un Démon, qui ne trouve -de plaisir que dans la mort et le malheur. Éloigne-toi! Je suis -inébranlable, et ce que tu diras ne sera propre qu'à exciter ma -fureur». - -Le monstre vit ma détermination sur ma figure, et grinça les dents -dans sa rage impuissante. «Eh quoi! s'écria-t-il, l'homme peut presser -une femme contre son sein, l'animal à sa compagne; et moi, je serai seul -dans la nature! J'avais des sentiments d'affections, et ils ont été -payés par la haine et le mépris. Homme, tu peux me haïr; mais -prends-y garde! Ta vie se passera dans la crainte et la douleur; -bientôt ton cœur sera frappé du trait qui doit te priver à jamais du -bonheur. Dois-tu être heureux, tandis que je languis sous le poids de -mon malheur? Tu peux anéantir mes autres passions; mais j'aurai -toujours la vengeance.... la vengeance, désormais plus chère que la -lumière ou la vie! Je puis mourir; mais avant ma mort, toi, mon tyran -et mon bourreau, tu maudiras le soleil qui contemple ta misère». - ---«Prends-y garde; car je suis sans crainte, et par conséquent -puissant. J'épierai avec la ruse du serpent, et je blesserai avec son -venin. Homme, tu te repentiras des maux que tu prépares». - ---«Tais-toi, Démon; et n'empoisonne pas l'air par tes paroles -criminelles. Je t'ai déclaré ma résolution, et je ne suis pas assez -lâche pour céder à les menaces. Laisse-moi; je suis inexorable». - ---«C'est bien. Je pars; mais souviens-toi que je serai avec toi la nuit -de ton mariage». - -Je m'élançai en m'écriant: «Monstre! avant que tu ne signes mon -arrêt de mort, tâche d'être en sûreté toi-même». - -Je voulus le retenir; mais il m'échappa, quitta la maison à la hâte, -et en peu d'instants, il fut dans son bateau. Je le vis fendre les eaux -avec la rapidité de la flèche, et je le perdis bientôt de vue au -milieu des vagues. Un profond silence régnait autour de moi; mais ses -paroles retentissaient à mes oreilles. Dans ma rage, je brûlais de -poursuivre celui qui me privait du repos, et de le précipiter dans -l'Océan. Je parcourus ma chambre en tous sens, à pas précipités et -hors de moi, pendant que mon imagination me présentait mille tableaux -propres à me tourmenter et à me déchirer. Pourquoi ne l'avais-je pas -suivi? Pourquoi n'avais-je pas engagé avec lui un combat mortel? Je -l'avais laissé partir, et il s'était dirigé vers le continent. Je -frissonnai en pensant quelle pourrait être la première victime -sacrifiée à son insatiable vengeance. Et alors je me rappelai ces -paroles: «_Je serai avec toi la nuit de ton mariage_». C'était donc -à cette époque qu'était fixé le terme de ma destinée. Je devais -mourir à cette heure, satisfaire et éteindre à la fois sa -perversité. Je n'en tremblai pas; mais venant à penser à ma chère -Élisabeth, à ses larmes, et au chagrin éternel qu'elle éprouverait, -en voyant son amant si cruellement arraché de ses bras... je sentis -couler des larmes, les premières que j'eusse versées depuis plusieurs -mois; et je résolus de ne pas succomber devant mon ennemi sans une -résistance complète. - -La nuit s'écoula, et le soleil s'éleva de l'Océan: je fus plus calme, -si l'on peut appeler calme celui dont la rage violente se change en un -profond désespoir. Je quittai la maison, théâtre horrible de la -dispute de la veille, et je me promenai sur le bord de la mer, qui me -semblait une barrière insurmontable entre mes semblables et moi. Je -formais le désir de pouvoir passer ma vie sur ce rocher stérile, dans -l'ennui, mais du moins certain de ne pas être frappé de douleur par -quelque catastrophe soudaine. En revenant au milieu des hommes, je -devais m'attendre à être sacrifié, ou à voir ceux que j'aimais le -plus mourir de la main d'un Démon, que j'avais créé moi-même. - -Je me promenais dans l'île comme un spectre inquiet, séparé de tout -ce qu'il aimait, et malheureux de cette séparation. Vers midi, à -l'heure où le soleil est le plus élevé, je m'étendis sur le gazon, -et je m'endormis profondément. Je n'avais pas dormi de toute la nuit -précédente; mes nerfs étaient agités, et mes yeux échauffés par la -veille et la douleur: je fus rafraîchi par ce sommeil. En me -réveillant, je crus appartenir encore à une race d'êtres humains -semblables à moi-même; et je me mis à réfléchir avec plus de calme -à ce qui s'était passé. Cependant, les paroles du Démon -retentissaient toujours à mes oreilles comme la cloche de la mort; -elles paraissaient être l'effet d'un songe, mais d'un songe distinct et -oppressif comme une réalité. - -Le soleil était déjà fort avancé dans sa course; mais je me tenais -encore sur le rivage, et j'étais à manger un gâteau d'avoine pour -apaiser ma faim dévorante, lorsqu'un bateau pêcheur s'arrêta près de -moi, et m'apporta un paquet qui contenait plusieurs lettres de Genève, -et une de Clerval, mon ami, qui m'engageait à le rejoindre, en me -disant qu'il y avait près d'un an que nous étions partis du -Switzerland, et que nous n'avions pas encore visité la France. Il me -priait donc de quitter mon île solitaire, et de venir au bout d'une -semaine le trouver à Perth, où le plan de nos voyages pourrait être -concerté. Je fus rappelé à la vie par cette lettre, et je me -déterminai à quitter mon île deux jours après. - -Cependant, avant de partir, j'avais à faire une chose dont l'idée me -causait un frissonnement. Il fallait emballer mes instruments de chimie; -pour cela, entrer dans la chambre qui avait été le théâtre de mon -odieux travail, et toucher ces ustensiles à la vue desquels je -pâlissais. Le lendemain matin, au point du jour, je rassemblai tout mon -courage, et j'ouvris la porte de mon laboratoire. Les débris de la -créature qui était à moitié terminée, et que j'avais détruite, -étaient, dispersés sur le plancher; en les voyant, j'éprouvai presque -le même sentiment, que si j'avais déchiré en lambeaux la chair -vivante d'un être humain. Je m'arrêtai pour me recueillir, et -j'entrai, après un moment, dans la chambre. J'en enlevai les -instruments d'une main tremblante; mais je réfléchis qu'il ne fallait -pas y laisser les débris de mon ouvrage pour exciter l'horreur et le -soupçon des paysans; et, en conséquence, je les mis dans un panier -avec une grande quantité de pierres, et je les emportai dans le dessein -de les jeter dans la mer, cette nuit même. En même temps je m'assis -sur le rivage, et je me mis à nettoyer et à arranger mes appareils de -chimie. - -Jamais révolution n'avait été plus complète que celle qui avait eu -lieu dans mes sentiments depuis le soir de l'apparition du Démon. -Auparavant, j'avais considéré ma promesse avec un profond désespoir, -mais comme un engagement qui devait être rempli, quels qu'en fussent -les résultats; maintenant il me semblait que le voile qui était sur -mes yeux avait été arraché, et je voyais clairement pour la première -fois. L'idée de recommencer mes travaux ne se présenta pas à mon -esprit un seul instant; la menace que j'avais entendue, pesait sur mes -pensées, sans qu'elle me portât à réfléchir qu'un acte volontaire -de ma part pourrait la détourner. J'avais décidé en moi-même, que la -création d'un être semblable au premier Démon que j'avais formé, -serait un acte du plus vil et du plus atroce égoïsme; et je bannis de -mon esprit toute pensée qui pût mener à une conclusion différente. - -Entre deux et trois heures du matin, la lune se leva. Je mis alors mon -panier dans un petit esquif, et je m'éloignai du rivage à environ -quatre milles. La scène était solitaire: il y avait bien quelques -bateaux qui regagnaient le Continent, mais je m'en tins éloigné. On -aurait dit que j'allais commettre un crime horrible: j'évitais avec une -inquiétude mortelle toute rencontre avec mes semblables. En même -temps, la lune, qui auparavant avait été claire, fut couverte -tout-à-coup d'un nuage épais. Je profitai de ce moment d'obscurité -pour jeter mon panier dans la mer; je prêtai l'oreille au bruit qu'il -faisait en s'enfonçant, et je quittai la place que j'avais choisie pour -cette opération. Le ciel se couvrit; mais l'air, refroidi seulement -par le vent nord-est qui venait de s'élever, ne cessait pas d'être pur. -Je ressentais une fraîcheur qui me parut si agréable, que je résolus -de rester plus longtemps sur l'eau. Je fixai le gouvernail dans une -position directe, et je m'étendis au fond du bateau. La lune était -cachée par les nuages; tout était obscur; je n'entendais que le bruit -de la barque, dont la quille fendait les vagues; bercé par le murmure, -je m'endormis bientôt d'un profond sommeil. - -Je ne sais combien de temps je restai dans cette situation; mais, en -m'éveillant, je m'aperçus que le soleil était déjà à une hauteur -considérable. Le vent était violent, et les vagues menaçaient -continuellement d'engloutir mon petit esquif. Je pensai que le vent -soufflant du nord-est, devait m'avoir entraîné loin de la côte d'où -j'étais parti. Je fis tout ce que je pus pour changer de direction, -mais je ne tardai pas à reconnaître que le moindre effort aurait pour -effet de submerger le bateau. - -Dans cette situation, ma seule ressource était de m'abandonner au vent. -J'avoue que j'éprouvai quelques sentiments de terreur. Je n'avais pas -de boussole avec moi, et je connaissais si peu la géographie de cette -partie du monde, que le soleil m'était peu utile. Je pouvais être -emporté dans le vaste Atlantique, et éprouver toutes les souffrances -de la faim, ou bien être englouti dans les abîmes des flots, qui -battaient ma barque et mugissaient autour de moi. Errant depuis -plusieurs heures, j'étais tourmenté par une soif brûlante, prélude -de mes autres souffrances. Je regardais le ciel couvert de nuages, que -le vent chassait et auxquels d'autres nuages succédaient rapidement: je -regardais la mer, qui allait être mon tombeau. «Démon, m'écriai-je, -te voilà déjà satisfait»! Je pensai à Élisabeth, à mon père, et -à Clerval; et je tombai dans une rêverie si désespérante et si -effrayante, que, même à présent, quand la scène va se fermer devant -moi pour toujours, je tremble de me la rappeler. - -Quelques heures après, le soleil pencha vers l'horizon; le vent se -changea insensiblement en une douce brise, et l'agitation de la mer fit -place à un calme plat. Je m'affaiblissais, et j'étais à peine capable -de tenir le gouvernail, quand tout-à-coup je vis la terre vers le sud. - -Dans un moment où j'étais presque mort de fatigue, et du doute affreux -dans lequel j'étais depuis plusieurs heures, cette certitude soudaine -de la vie pénétra jusqu'à mon cœur comme une source vivifiante de -joie, et me fit verser des larmes. - -Combien nos sentiments sont variables! Combien est étrange cet amour -opiniâtre de la vie, même dans l'excès de la misère! Je fis une -autre voile avec une partie de mon vêtement, et je me dirigeai -promptement vers la terre. Elle paraissait déserte et couverte de -rochers; mais en approchant davantage, je distinguai facilement des -traces de culture. Je vis des vaisseaux près du rivage, et je me -retrouvai tout-à-coup transporté dans le voisinage de l'homme -civilisé. Je suivis avec empressement les détours de la côte, et -j'aperçus enfin un clocher qui s'élevait derrière un petit -promontoire. Dans mon état extrême de faiblesse, je résolus de faire -voile directement vers la ville, comme le lieu où je pourrais le plus -facilement pourvoir à ma nourriture. Par bonheur, j'avais de l'argent -avec moi. En tournant le promontoire, je vis une jolie petite ville et -un bon port, où j'abordai en bondissant de joie de mon salut -inespéré. - -Pendant que j'étais occupé à attacher le bateau et à arranger les -voiles, plusieurs personnes s'attroupèrent autour de moi. Elles -paraissaient très-surprises de me voir paraître; et, au lieu de -m'offrir du secours, elles parlaient ensemble en faisant des gestes, -qui, dans tout autre instant, m'auraient alarmé; mais alors, je -remarquai simplement qu'ils parlaient anglais, et je m'adressai à eux -dans cette langue: «Mes bons amis, leur dis-je, aurez-vous l'obligeance -de me dire le nom de cette ville, et de m'apprendre où je suis»? - ---«Vous le saurez assez tôt, répondit un homme avec une voix aigre. -Peut-être êtes-vous venu dans un lieu qui ne vous plaira pas trop; -mais on ne demandera pas votre goût, je vous promets». - -Je fus excessivement surpris de recevoir une réponse aussi dure d'un -étranger, et je ne fus pas moins déconcerté en voyant les figures -sourcilleuses et irritées de ses compagnons. «Pourquoi me -répondez-vous aussi durement, répliquai-je? Assurément, les Anglais -n'ont pas coutume de recevoir les étrangers d'une façon si peu -hospitalière». - ---«Je ne sais pas, dit l'homme, quelle est la coutume des Anglais; mais -celle des Irlandais est de haïr les scélérats». - -Pendant cet étrange dialogue, je vis la foule se grossir rapidement. -Les figures exprimaient un mélange de curiosité et de colère, qui -m'impatientait, et commençait à m'alarmer. Je demandai le chemin de -l'auberge; personne ne répondit. Je marchai en avant; mais un murmure -s'éleva de la foule, qui me suivit et m'entoura, jusqu'à ce qu'un -homme de mauvaise mine me frappa sur l'épaule, et me dit: «Venez, -Monsieur, il faut me suivre chez M. Kirwin, pour dire qui vous êtes». - ---«Qui est-ce que M. Kirwin? Pourquoi dois-je donner des renseignements -sur mon compte? Ne suis-je pas dans un pays libre»? - ---«Oui, Monsieur, assez libre pour les honnêtes gens. M. Kirwin est un -magistrat auquel vous allez donner des renseignements sur la mort d'un -_Gentleman_, qui, la nuit dernière, a été trouvé assassiné». - -Je tressaillis à cette réponse; mais je me remis bientôt. J'étais -innocent: il serait facile de le prouver. Je suivis donc mon conducteur -en silence, et je fus conduis dans une des meilleures maisons de la -ville. J'étais prêt à tomber de fatigue et de faim; mais, étant -entouré de la foule, je pensai qu'il était convenable de rassembler -toute ma force, afin qu'on n'attribua pas la faiblesse de mon corps à -la crainte, ou aux remords du crime. Je m'attendais peu alors au malheur -qui allait dans quelques moments peser sur moi, et étouffer dans -l'horreur et le désespoir toute crainte d'ignominie ou de mort. - -Je m'arrête ici, car j'ai besoin de tout mon courage pour me rappeler -les évènements effrayants que je vais raconter avec exactitude. - - - - -CHAPITRE XX - - -Je fus bientôt amené devant un magistrat; son visage exprimait la -bonté; ses manières le calme et la douceur. Il me regarda, cependant, -avec quelque sévérité; il se tourna ensuite vers mes conducteurs, et -demanda quelles étaient les personnes qui paraissaient comme témoins -dans cette affaire. - -Une demi-douzaine d'hommes, environ, s'avancèrent; et l'un d'eux, -choisi par le magistrat, déposa que, la nuit précédente, étant allé -à la pèche avec son fils et son beau-frère, Daniel Nugent, il fut -surpris, vers dix heures, par un grand vent du nord qui s'éleva, et les -força de gagner le rivage. La nuit étant très-sombre, parce que la -lune n'était pas encore levée, ils n'abordèrent pas dans le port, -mais, selon leur habitude, dans une baie à environ deux milles -au-dessous. Il marchait le premier, portant une partie des filets, et -suivi, à quelque distance, de ses compagnons. En s'avançant le long du -rivage, il heurta de son pied contre un obstacle, et mesura la terre. -Ses compagnons vinrent à son secours; et, à la lueur de leur lanterne, -ils virent qu'il était tombé sur le corps d'un homme qui paraissait -mort. Ils supposèrent d'abord que c'était le cadavre de quelque -personne qui avait été noyée, et jetée par les vagues sur le rivage; -mais, en l'examinant, ils reconnurent que les habits n'étaient pas -mouillés, et même que le corps n'était pas encore froid. Ils le -portèrent dans la chaumière d'une vieille femme, voisine du lieu où -ils se trouvaient, et ils essayèrent inutilement de le rendre à la -vie. Le mort paraissait être un beau jeune homme d'environ vingt-cinq -ans. Selon toute apparence, il avait été étranglé; car son corps ne -présentait d'autre signe de violence, que des marques noires de doigts -sur le cou. - -La première partie de cette déposition ne m'intéressa nullement; -mais, lorsqu'il parla de la marque noire des doigts, je me souvins du -meurtre de mon frère, et j'éprouvai une agitation extrême; mes -membres tremblèrent, un nuage obscurcit mes yeux, et je fus obligé de -m'appuyer sur une chaise pour me soutenir. Le magistrat m'observait d'un -œil scrutateur, et tira de suite un augure défavorable de mon -maintien. - -Le fils confirma la déposition de son père; mais Daniel Nugent, -appelé à son tour, affirma positivement qu'un moment avant la chute de -son compagnon, il avait vu un bateau, monté par un seul homme, à peu -de distance du rivage; et, autant qu'il pouvait en juger à la lueur de -quelques étoiles, c'était le même bateau dans lequel je venais de -débarquer. - -Une femme déposa qu'elle demeurait près du rivage, et qu'elle se -tenait à la porte de sa chaumière, attendant le retour des pêcheurs, -à peu près une heure avant d'apprendre la découverte du corps, -lorsqu'elle vit un bateau, conduit par un seul homme, s'éloigner de -cette partie du rivage, où le cadavre fut ensuite trouvé. - -Une autre femme confirma le récit des pêcheurs qui avaient porté le -corps dans sa maison: il n'était pas encore froid. Ils le mirent dans -un lit, et le frottèrent; mais, pendant que Daniel alla jusqu'à la -ville chercher un médecin, le corps devint sans chaleur et sans vie. - -Plusieurs autres hommes furent interrogés sur mon débarquement; et ils -convinrent qu'avec le grand vent du nord qui s'était élevé pendant la -nuit, il était très probable que j'avais été ballotté pendant -plusieurs heures, et obligé de retourner à peu près au même lieu -d'où j'étais parti. Ils firent, en outre, observer que je devais avoir -apporté le corps d'un autre endroit; et il était vraisemblable, -puisque je paraissais ne pas connaître la côte, que j'aurais -débarqué dans le port sans savoir quelle était la distance de la -ville de ***, au lieu où j'avais laissé le cadavre. - -M. Kirwin, après avoir entendu cette déposition, voulut que je fusse -conduit dans la chambre, où le corps avait été placé jusqu'à ce -qu'il fût enterré. Il le désirait dans l'intention d'observer l'effet -que sa vue produirait sur moi; et il n'avait probablement eu ce désir, -qu'en remarquant l'extrême agitation que j'avais laissé paraître, -lorsqu'on avait décrit le genre du meurtre. Je fus donc conduit à -l'auberge par le magistrat et plusieurs autres officiers. Je ne pus -m'empêcher d'être frappé des coïncidences étranges, qui avaient eu -lieu pendant cette nuit remplie d'événements; mais, certain d'avoir -causé avec plusieurs personnes dans l'île que j'avais habitée, à peu -près au moment où l'on avait trouvé le corps, je fus parfaitement -tranquille sur les conséquences de l'affaire. - -J'entrai dans la chambre où le cadavre reposait, et je lui fus -confronté. Comment décrire ce que j'éprouvai à cet aspect? Je me -sens encore saisi d'horreur, et je ne puis penser à ce moment terrible -sans trembler, et sans tomber dans un désespoir qui me rappelle -faiblement l'angoisse dont je fus saisi en le reconnaissant. Le -jugement, la présence du magistrat et des témoins sortirent comme un -songe de ma mémoire, lorsque je vis Henri Clerval, dont le corps était -inanimé et étendu devant moi. Je respirais à peine, je me jetai sur -le cadavre en m'écriant: «Mon cher Henri, mes funestes machinations -t'ont-elles aussi privé de la vie? J'ai déjà immolé deux victimes; -d'autres attendent leur destinée: mais toi, Clerval, mon ami, mon -bienfaiteur....». - -Les forces humaines ne peuvent supporter long-temps les souffrances -cruelles auxquelles je fus en proie. On m'emporta de la chambre dans de -fortes convulsions. - -Une fièvre succéda à cet état terrible. Je fus deux mois au bord du -tombeau: mon délire, comme on me l'apprit ensuite, était effrayant; je -m'appelais le meurtrier de Guillaume, de Justine et de Clerval. Tantôt -je priais ceux qui me gardaient de m'aider à détruire le démon, qui -était la cause de mon supplice; tantôt je sentais les doigts du -monstre qui saisissaient déjà mon cou, et je poussais des cris de -douleur et d'effroi. Heureusement je n'étais compris que de M. Kirwin, -qui seul entendait la langue de mon pays, dans laquelle je m'exprimais; -mais mes gestes et mes cris affreux suffisaient pour effrayer les autres -témoins. - -Pourquoi n'ai-je pas succombé? Plus malheureux que n'a jamais été -aucun homme, pourquoi n'ai-je pas été enseveli dans l'oubli et le -repos? La mort enlève une foule de jeunes enfants, unique espoir de -leurs tendres parents. Des épouses nouvelles, de jeunes amants, ont -été un jour brillants de la santé et de l'espérance, et le -lendemain, renfermés dans la tombe où ils sont devenus la pâture des -vers! De quelle matière étais-je formé pour résister ainsi à tant -de chocs, qui, semblables à l'action de la roue, renouvelaient -continuellement mon supplice? - -Hélas! j'étais condamné à vivre, et, deux mois après, je me -trouvai, comme si je m'éveillais d'un songe, dans une prison, étendu -sur un grabat, entouré de geôliers, de guichetiers, de verrous, et du -triste appareil d'un donjon. Ce fut un matin, je me souviens, que je -m'éveillai ainsi dans mon bon sens. J'avais oublié les détails de ce -qui était arrivé, et je n'avais d'autre impression que celle d'un -grand malheur qui aurait tout d'un coup pesé sur moi; mais en regardant -autour de moi, en apercevant les fenêtres grillées, et la malpropreté -de la chambre dans laquelle j'étais, je me rappelai toutes les -circonstances qui avaient précédé ma captivité, et je poussai un -soupir douloureux. - -Ce bruit réveilla une vieille femme qui dormait dans une chaise à -côté de moi. Cette vieille, qui était louée pour me servir de garde, -et qui était femme de l'un des guichetiers, portait sur sa figure -l'expression de toutes les mauvaises qualités, qui caractérisent -souvent cette classe. Ses traits étaient grossiers et durs, comme ceux -des personnes habituées à voir le malheur avec indifférence. Son ton -décelait toute son insensibilité. Elle s'adressa à moi en Anglais, et -je fus frappé du son de sa voix que j'avais entendue pendant mes -souffrances. - -«Êtes-vous mieux maintenant, monsieur, dit-elle? Je répondis dans la -même langue, et d'une voix faible: je crois qu'oui; mais, s'il est vrai -que je ne rêve pas, je suis fâché de vivre encore pour sentir le -malheur de mon horrible situation». - ---«Quant à cela, répliqua la vieille femme, si vous voulez parler du -Gentleman que vous avez assassiné, je crois qu'il vaudrait mieux pour -vous être mort, car je pense que cela ira mal: vous ne pouvez pas -manquer d'être pendu aux prochaines assises. Cependant, ce n'est pas -là mon affaire; je suis envoyé pour vous soigner, et vous rendre à la -santé; je fais mon devoir en bonne conscience, et tout le monde ferait -bien d'agir de même». - -Je me détournai avec dégoût d'une femme, qui pouvait tenir un langage -aussi inhumain à une personne qui venait d'être arrachée à la mort. -Je me sentais encore languissant et incapable de réfléchir à tout ce -qui s'était passé. Ma vie entière me paraissait un songe; je doutais -quelquefois de la vérité, car elle ne se présentait jamais à mon -esprit avec sa force réelle. - -Les idées, qui passaient dans mon esprit, devinrent enfin plus -distinctes. Je retombai dans mes accès de fièvre; je fus entouré -comme d'un nuage; et je n'avais aucun ami dont la douce voix me -consolât, aucun bras sur lequel je pusse me soutenir. Le médecin vint, -et ordonna des remèdes que la vieille femme prépara; mais l'un -témoignait une profonde insouciance, et l'autre n'avait sur le visage -que l'expression de la brutalité. Quel autre que le bourreau, jaloux de -gagner son droit, pouvait s'intéresser au sort d'un assassin? - -Telles étaient mes réflexions; mais j'appris bientôt que M. Kirwin -m'avait témoigné beaucoup de bonté. Il avait donné ordre de me -placer dans la meilleure chambre de la prison (car c'était la -meilleure, toute mauvaise qu'elle fût); et c'était lui qui m'avait -donné un médecin et une garde. À la vérité, il venait rarement me -voir; car, malgré son vif désir de soulager les souffrances de toute -créature humaine, il ne voulait pas être présent au désespoir et au -délire affreux d'un assassin. Il venait seulement pour examiner si je -n'étais pas négligé; mais ses visites étaient courtes et rares. - -Cependant je me rétablissais insensiblement: un jour j'étais assis -dans un fauteuil, les yeux à moitié ouverts, et les joues livides -comme la mort; abattu par le chagrin et le malheur, je me répétais -qu'il vaudrait mieux mourir que rester misérablement renfermé dans un -monde rempli de méchanceté. Je me demandais aussi si je ne me -déclarerais pas coupable, pour subir la peine de la loi, moins innocent -que la pauvre Justine ne l'avait été. Telles étaient mes pensées, -lorsque je vis la porte de ma chambre s'ouvrir, et M. Kirwin entra. Son -visage exprimait l'intérêt et la compassion; il approcha une chaise de -la mienne, et me dit en français: - -«Je crains que cette chambre ne vous paraisse pas agréable; puis-je -faire quelque chose de mieux pour vous»? - ---«Je vous remercie; tout ce que vous voulez dire n'est rien pour moi: -il n'est rien sur la terre qui puisse me consoler». - ---«Je sais que l'intérêt d'un étranger ne peut être que d'une -faible consolation pour une personne accablée comme vous, par un -malheur si grand; mais vous quitterez bientôt, j'espère, ce triste -séjour; car je ne doute pas que l'évidence ne vous disculpe facilement -du crime qui vous est imputé». - ---«C'est ce qui m'intéresse le moins: par une suite d'évènements -étranges, je suis devenu le plus malheureux des mortels. Persécuté et -souffrant comme je suis, et comme je l'ai été, la mort peut-elle me -paraître un mal»? - ---«Certes, rien n'est plus propre à plonger dans le malheur et le -désespoir que les circonstances étranges dont vous venez d'être -victime. Jeté par un hasard extraordinaire sur ce rivage renommé pour -son hospitalité, vous avez été sur-le-champ arrêté et accusé d'un -meurtre. Le premier objet qui se soit présenté à vos yeux, c'est le -corps de votre ami, si singulièrement assassiné, et placé par quelque -Démon sous vos pas». - -Pendant que M. Kirwin parlait ainsi, malgré l'agitation que -j'éprouvais en me retraçant mes souffrances, je ne pus m'empêcher -d'être fort surpris de ce qu'il paraissait savoir sur mon compte. Je -pense que je laissai voir mon étonnement sur ma figure; car M. Kirwin -se hâta de dire: - -«Ce ne fut qu'un ou deux jours après que vous fûtes tombé malade, -que je pensai à fouiller vos habits, pour chercher un moyen d'envoyer -à vos parents la nouvelle de votre malheur et de votre maladie. Je -trouvai plusieurs lettres, et, entr'autres, une que je reconnus dès le -commencement pour être de votre père. J'écrivis aussitôt à Genève: -près de deux mois ce sont écoulés depuis le départ de ma lettre... -mais vous êtes malade; vous tremblez même dans ce moment; vous ne -pouvez supporter aucune espèce d'agitation». - ---«Cette attente est mille fois plus cruelle que les évènements les -plus horribles: dites-moi quel meurtre a été commis, et sur la mort de -qui je dois gémir». - ---«Votre famille se porte très-bien, dit M. Kirwin avec douceur; et -quelqu'un, un ami, est venu pour vous voir». - -Je fus amené sur-le-champ, par je ne sais quelle chaîne d'idées, à -penser que l'assassin était venu pour insulter à mon malheur, me -railler sur la mort de Clerval, et m'engager de nouveau à consentir à -ses désirs infernaux. Je mis les mains devant mes yeux en m'écriant, -avec désespoir: «Ah! repoussez-le! je ne puis le voir; pour l'amour de -Dieu, ne le laissez pas entrer». - -M. Kirwin, dont le visage était troublé, fixa les yeux sur moi: il ne -put s'empêcher de regarder mon exclamation comme une présomption de -mon crime, et me dit d'un ton sévère: - ---«J'aurais pensé, jeune homme, que la présence de votre père eût -été un bonheur pour vous, au lieu de vous inspirer une répugnance -aussi violente». - ---«Mon père! m'écriai-je; et, dans chaque trait, chaque muscle, -l'expression du plaisir succéda à celle du désespoir. Mon père -est-il réellement venu? Que vous êtes bon! Ah! que vous êtes bon! -Mais où est-il? pourquoi ne se hâte-t-il pas de venir»? - -Mon changement d'expression surprit et satisfit le magistrat. Peut-être -pensa-t-il que ma première exclamation était un retour momentané de -délire. Il reprit aussitôt son air de bonté, se leva, et sortit avec -ma garde. Mon père entra un instant après. - -Rien, dans ce moment, ne pouvait me faire plus de plaisir que l'arrivée -de mon père. Je lui tendis la main, en m'écriant: - -«Vous vivez donc?--et Élisabeth?--et Ernest»? - -Mon père me calma, en m'assurant qu'ils étaient en bonne santé, et -s'efforça, en s'arrêtant sur ces sujets si intéressants pour mon -cœur, de relever mon courage; mais il sentit bientôt qu'une prison ne -pouvait être le séjour de la gaîté. «Quel est ce lieu que vous -habitez, mon fils», dit-il en regardant avec douleur les fenêtres -grillées, et la chambre dont l'aspect était misérable? «Vous avez -voyagé pour chercher le bonheur, mais il semble que la fatalité vous -poursuive. Et le pauvre Clerval»?... - -En entendant prononcer le nom de mon malheureux ami qui avait été -assassiné, je ressentis, une agitation trop grande pour que je pusse la -supporter dans l'état de faiblesse où j'étais. Je versai des pleurs. - -«Hélas! oui, mon père, répondis-je; la destinée la plus horrible -est suspendue sur ma tête, et me condamne à vivre pour la remplir, -puisque je ne suis pas mort sur le corps inanimé de Henry». - -On ne nous permit pas de nous entretenir long-temps ensemble; car -l'état précaire de ma santé rendait nécessaires les précautions qui -pouvaient affermir ma tranquillité. M. Kirwin entra, et insista pour -qu'on n'épuisât pas ma force par un trop grand effort. Mais l'arrivée -de mon père était pour moi comme celle de mon bon ange; et ma santé -se rétablit insensiblement. - -Délivré peu à peu de la maladie, j'étais absorbé par une -mélancolie sombre et noire que rien ne pouvait dissiper. L'affreuse -image de Clerval assassiné était toujours devant mes yeux; plus d'une -fois l'agitation, dans laquelle ces réflexions me jetaient, fit -craindre à mes amis une rechute dangereuse. Hélas! pourquoi ont-ils -sauvé une vie si misérable et si détestée? sans doute pour que -j'accomplisse ma destinée, dont la fin approche à présent. Bientôt, -ah! bientôt, la mort étouffera ces gémissements, et me délivrera du -poids affreux de mes souffrances qui m'entraîne dans la tombe; je -subirai la sentence de la justice, et je jouirai en même temps du -repos. Je ne pensais pas alors que la mort fut prochaine, mais j'en -conservais toujours le désir, et je restais souvent assis plusieurs -heures immobile et silencieux, faisant le vœu qu'un fort tremblement de -terre m'ensevelît sous ses ruines avec mon destructeur. - -L'époque des assises approchait. J'étais déjà en prison depuis trois -mois; et, quoique je fusse encore faible, et continuellement exposé à -une rechute, je fus obligé de faire près de cent milles pour aller à -la ville du comté où la cour se tenait. M. Kirwin voulut bien ne -négliger aucuns soins pour recueillir des témoins et préparer ma -défense. L'affaire n'étant pas portée devant la cour qui décide de -la vie et de la mort, on m'épargna la honte de paraître en public -comme un criminel. Le grand jury rejeta le bill, aussitôt qu'il eut la -preuve que j'étais dans les îles Orkneys à l'heure où l'on trouva le -corps de mon ami; quinze jours après mon arrivée, je sortis de prison. - -Mon père fut ravi que je n'eusse plus à porter la honte d'une charge -criminelle, que je fusse libre de respirer encore un air pur, et de -retourner dans mon pays natal. Je ne partageais pas ces sentiments; car -les murs d'un donjon ou d'un palais m'étaient également odieux. La -coupe de la vie était empoisonnée pour toujours; le soleil brillait, -il est vrai, pour moi comme pour celui dont le cœur est heureux et -content, mais je ne voyais autour de moi qu'une obscurité épaisse et -effrayante; obscurité qu'aucune lumière ne pouvait percer; si ce n'est -celle de deux yeux qui brillaient sur moi. Tantôt c'étaient les yeux -expressifs de Henry, dans lesquels se peignaient la langueur de la mort; -dont les noires prunelles étaient presqu'entièrement recouvertes par -les paupières et de longs cils noirs; tantôt c'étaient les yeux -humides et ternes du monstre, tels que je les vis pour la première fois -dans ma chambre à Ingolstadt. - -Mon père tâcha d'éveiller en moi les sentiments d'affection; il me -parla de Genève que je verrais bientôt,--d'Élisabeth et d'Ernest; -mais ces discours n'avaient d'autre effet que de m'arracher de profonds -soupirs. Quelquefois, il est vrai, j'avais le désir du bonheur; je -pensais, avec un plaisir mélancolique, à ma chère cousine; ou bien -dévoré par la maladie du pays, j'étais impatient de voir encore une -fois le lac azuré et le Rhône rapide, qui m'avaient été si chers -dans les premiers jours de mon enfance: mais en général j'éprouvais -une apathie, telle que la prison me paraissait un séjour aussi -agréable que le lieu le plus délicieux de la nature; et encore ces -accès n'étaient quelquefois interrompus, que par des redoublements -d'angoisse et de désespoir. Dans ces moments, j'aurais voulu mettre fin -à une existence qui m'était à charge; et il fallait un soin et une -vigilance continuels, pour m'empêcher de me porter à quelqu'acte -affreux de violence. - -Je me souviens qu'en quittant la prison, j'entendis un homme dire: «Il -peut être innocent du meurtre, mais il a certainement une mauvaise -conscience». Ces paroles me frappèrent. Une mauvaise conscience! Oui, -sans doute, elle l'était: Guillaume, Justine et Clerval devaient la -mort à mes machinations infernales: «Et quelle mort, m'écriai-je, -mettra fin à ces horreurs? Ah! mon père, ne restez pas dans ce -malheureux pays; traînez-moi dans un lieu où, je puisse oublier, moi, -mon existence, et le monde entier». - -Mon père accéda facilement à ce désir; et, après avoir pris congé -de M. Kirwin, nous partîmes pour Dublin. Je me sentis comme soulagé -d'un poids affreux, lorsque le paquebot s'éloigna de l'Irlande avec un -bon vent, et que j'eus quitté pour toujours le pays qui avait été -pour moi le théâtre de tant de douleurs. - -Il était minuit. Mon père dormait dans la cabine, et moi j'étais sur -le tillac à contempler les étoiles et à écouter le bruit des vagues. -Je perçais des yeux l'obscurité qui cachait l'Irlande à ma vue, et je -sentais mon pouls battre avec la violence de la fièvre, en pensant que -je verrais bientôt Genève. Le passé me paraissait comme un songe -effrayant, et pourtant le vaisseau qui me portait, le vent qui -m'éloignait du rivage détesté de l'Irlande, et la mer qui -m'entourait, ne m'apprenaient que trop que je n'étais pas trompé par -une vision, et que Clerval, mon ami et mon cher compagnon, avait été -ma victime et celle du monstre que j'avais créé. Je repassai dans ma -mémoire tous les événements de ma vie, mon bonheur paisible pendant -que j'étais à Genève au sein de ma famille, la mort de ma mère, et -mon départ pour Ingolstadt. Je me souvins en tremblant de -l'enthousiasme insensé qui m'avait excité à créer mon hideux ennemi, -et je me rappelai la nuit dans laquelle il reçut la vie. Je ne pus -suivre le fil de mes pensées; je fus accablé de mille sentiments -divers, et je finis par pleurer avec amertume. - -Depuis que j'étais rétabli de la fièvre, j'avais coutume de prendre -chaque soir un peu de _laudanum_; car ce n'était qu'au moyen de cette -potion, que je pouvais goûter le repos nécessaire à la conservation -de la vie. Accablé par le souvenir de tous mes malheurs, je pris une -double dose, et bientôt je m'endormis profondément: mais le sommeil me -fit oublier ma misère; mes rêves me présentèrent une foule d'objets -dont je fus effrayé. Vers le matin, je fus attaqué d'une sorte de -cauchemar; je croyais être saisi par le démon qui me pressait le cou, -sans que je pusse m'en délivrer; des gémissements et des cris -retentissaient à mes oreilles. Mon père, qui veillait sur moi, vit mon -agitation, me réveilla, et me montra le port de Holyhead, dans lequel -nous entrions. - - - - -CHAPITRE XXI - - -Nous avions résolu de ne pas aller à Londres, mais de traverser le -pays jusqu'à Portsmouth; et là, de nous embarquer pour le Havre. Le -motif principal qui me déterminait à préférer ce plan, c'est que je -craignais de revoir ces lieux, où j'avais joui de quelques moments de -tranquillité avec mon cher Clerval. J'étais surtout saisi d'horreur, -en pensant que je pourrais rencontrer ces personnes que nous avions -coutume de visiter ensemble, et qui me questionneraient sur un -évènement, dont le souvenir même renouvelait l'angoisse dont je fus -déchiré, en voyant son corps inanimé dans l'auberge de ***. - -Quant à mon père, il bornait ses désirs et ses efforts à me voir -revenir à la santé et au calme. Sa tendresse et ses attentions -étaient infatigables; tout son espoir même était de chasser de mon -cœur le chagrin et la mélancolie, qui s'en étaient entièrement -emparés. Quelquefois il attribuait ma douleur à la honte d'être -obligé de répondre à une accusation d'assassinat, et il tâchait de -me prouver la sottise de l'orgueil. - -«Hélas! mon père, disais-je, que vous me connaissez peu! Les hommes, -leurs sentiments, et leurs passions seraient réellement dégradées, si -un misérable tel que moi se livrait à l'orgueil. Justine, la -malheureuse. Justine, était aussi innocente que moi-même, et elle a -été flétrie de la même accusation; elle en a été victime, et j'en -suis la cause.... je l'ai assassinée Guillaume, Justine, Henri.... ils -sont tous morts de ma main»! - -Pendant mon emprisonnement, mon père avait souvent entendu de -semblables discours sortir de ma bouche; lorsque je m'accusais ainsi, il -semblait quelquefois désirer une explication, et, au moment de la -demander, il s'arrêtait en paraissant considérer mes paroles comme -l'effet du délire. Il croyait que, pendant ma maladie, quelqu'idée -semblable s'était présentée à mon imagination, et que j'en avais -conservé le souvenir dans ma convalescence. J'évitais toute -explication, et je gardais un silence continuel sur le malheureux que -j'avais créé. J'avais un pressentiment qu'on me croirait en démence, -et cette crainte enchaînait toujours ma langue, lorsque j'aurais donné -le monde entier pour avoir un confident du fatal secret. - -À cette occasion, mon père me dit avec l'expression du plus grand -étonnement: «Que voulez-vous dire, Victor? Êtes-vous fou? Mon cher -fils, je vous supplie de ne jamais renouveler une pareille accusation». - ---«Je ne suis pas fou, m'écriai-je avec énergie; le soleil et les -cieux, qui ont vu mes opérations, attesteront la vérité de ce que je -dis. Je suis l'assassin de ces victimes innocentes; elles doivent la -mort à mes machinations. Mille fois j'aurais versé mon propre sang, -goutte à goutte, pour sauver leur vie; mais je ne pouvais, mon père, -en vérité, je ne pouvais sacrifier toute l'espèce humaine». - -La conclusion de ce discours eut pour effet de convaincre mon père -qu'il y avait du dérangement dans mes idées; il changea sur le champ -le sujet de notre conversation, et il s'efforça de détourner le cours -de mes pensées. Il désirait, autant que possible, effacer le souvenir -des évènements qui avaient eu lieu en Irlande; jamais il ne leur -faisait allusion; jamais il ne me laissait parler de mes malheurs. - -Avec le temps je devins plus calme. La douleur avait pris racine dans -mon cœur, mais je ne parlais plus de mes crimes avec autant -d'incohérence; les remords me suffisaient. À force de peine et -d'efforts, j'étouffai dans mon sein le malheur, dont j'entendais la -voix impérieuse, et que je désirais moi-même déclarer au monde -entier; et mon humeur fut plus calme et plus composée, qu'elle ne -l'avait jamais été depuis mon voyage à la mer de glace. - -Nous arrivâmes au Havre le 8 mai, et nous partîmes sur le champ pour -Paris, où mon père fut retenu pendant plusieurs semaines par quelques -affaires. Je reçus, dans cette ville, la lettre suivante d'Élisabeth: - - -À VICTOR FRANKENSTEIN. - -«Mon très-cher ami, - - -»J'ai eu le plus grand plaisir en recevant une lettre de mon oncle -datée de Paris; vous n'êtes plus à une distance effrayante, et je -puis espérer vous voir dans moins de quinze jours. Mon pauvre cousin, -combien vous avez souffert! Je m'attends à vous trouver l'air encore -plus triste que quand vous avez quitté Genève. Cet hiver a été bien -pénible: j'étais tourmentée par une incertitude affreuse; cependant -je me flatte que votre physionomie aura plus de calme, et que votre -cœur ne manquera ni de consolation, ni de tranquillité. - -»Mais je crains que les mêmes sentiments, qui vous rendaient si -malheureux, il y a un an, ne soient encore dans votre cœur; je crains -même que le temps n'y ait ajouté. Je n'ai pas voulu vous affliger à -cette époque, où tant de malheurs pesaient sur vous; mais une -conversation, que j'ai eue avec mon oncle au moment de son départ, me -force à désirer une explication avant de nous revoir. - -»Une explication! Direz-vous peut-être; quelle est l'explication dont -Élisabeth peut avoir besoin? Si vous le dites réellement, vous avez -répondu à mes questions, et je n'ai plus qu'à signer votre -affectionnée cousine; mais vous êtes loin de moi, et il est possible -que cette explication soit à la fois pour vous un sujet de crainte et -de désir. Dans cette dernière supposition, je n'ose plus tarder à -écrire ce que, pendant votre absence, j'ai souvent voulu vous exprimer, -sans avoir jamais eu le courage de commencer. - -»Vous savez bien, Victor, que notre union a toujours été le projet -favori de vos parents depuis notre enfance. On nous l'a dit dans notre -jeunesse, et on nous a appris à compter sur cette union comme sur un -évènement infaillible. Pendant notre enfance, nous étions bons -camarades de jeu, et je crois, amis chers et précieux l'un à l'autre, -à mesure que nous avancions en âge. Mais, comme un frère et une sœur -éprouvent souvent l'un pour l'autre une vive affection, sans désirer -une union plus intime, ne serait-il pas possible que le même sentiment -existât entre nous? Dites-moi, mon cher Victor; répondez-moi avec -franchise, je vous en conjure, au nom de notre bonheur mutuel; n'en -aimez-vous pas une autre? - -»Vous avez voyagé; vous avez passé plusieurs années de votre vie à -Ingolstadt; et je vous l'avoue, mon ami, lorsque je vous vis, l'automne -dernier, si malheureux, et fuyant dans la solitude toute société, je -n'ai pu m'empêcher de penser que vous redoutiez notre union, et que -vous vous regardiez comme engagé d'honneur à répondre aux désirs de -vos parents, quoiqu'ils s'opposent eux-mêmes à vos inclinations. Ce -serait mal raisonner. Je vous avoue, mon cousin, que je vous aime, et -que dans mes rêves d'avenir, vous avez toujours occupé une bien grande -place. Mais je veux votre bonheur autant que le mien, et je dois -déclarer que notre mariage me rendrait éternellement malheureuse, s'il -n'était pas le résultat d'un choix libre de votre part. À présent -même, je pleure en pensant que, accablé comme vous l'êtes par les -plus cruelles infortunes, vous pouvez sacrifier, à ce qu'on appelle -_honneur_, tout espoir de cet amour et de ce bonheur, qui seuls -pourraient vous rendre à vous-même. Moi, qui ai pour vous une -véritable affection, une affection qui repose sur tant d'intérêt, -j'augmenterais vos malheurs en m'opposant à vos désirs! Ah! Victor, -soyez assuré que votre cousine et compagne a pour vous un amour trop -sincère, pour que cette idée ne la rende pas malheureuse. Soyez -heureux, mon ami; et, si vous exaucez cette prière, soyez persuadé que -rien sur la terre ne pourra interrompre ma tranquillité. - -»Que cette lettre ne vous afflige pas; n'y répondez ni demain, ni -après demain, ni même avant votre arrivée, si elle vous cause de la -peine. Mon oncle m'enverra des nouvelles de votre santé; et, lorsque -nous nous reverrons, si j'aperçois seulement sur vos lèvres un sourire -qui ait pour motif cette lettre, ou tout autre objet qui me touche, je -n'aurai pas besoin d'autre bonheur». - -» ÉLIZABETH LAVENZA». - -Genève, 18 mai 17-- - - -Cette lettre rappela ce que j'avais oublié depuis quelque temps, la -menace du Démon: «_Je serai avec toi la nuit de ton mariage_»! Telle -était ma sentence. Dans cette nuit le Démon emploierait tous les -moyens pour me détruire, et me priver de cette lueur de bonheur qui -promettait de me consoler en partie de mes souffrances. Dans cette nuit, -il avait résolu de consommer ses crimes par ma mort. Eh bien! tant -mieux; nous engagerions certainement alors un combat affreux: s'il -était victorieux, je reposerais en paix, et cesserais d'être soumis à -son pouvoir; s'il était vaincu, je serais libre. Hélas! quelle -liberté! Elle serait semblable à celle du paysan qui a vu massacrer sa -famille, brûler sa chaumière, et dévaster ses terres. Il erre au -hasard, sans asile, sans ressources, et solitaire, mais libre. Telle -serait ma liberté, si ce n'est que mon Élisabeth était un trésor -disputé, hélas! par l'horreur du remords et du crime, qui me -poursuivrait jusqu'à la mort. - -Douce et chère Élisabeth! Je lus et relus sa lettre; je sentis dans -mon cœur quelques émotions plus douces, et j'osai me bercer de vains -rêves d'amour et de bonheur; mais la pomme était déjà mangée, et le -bras de l'ange était levé pour m'annoncer que tout espoir était -anéanti. Qu'importe? Je mourrais pour la rendre heureuse. Car si le -monstre était fidèle à sa menace, je ne pouvais éviter la mort. -Était-il vrai, cependant, que mon mariage dût hâter ma destinée? Ma -fin arriverait, il est vrai, quelques mois plutôt; mais si mon -persécuteur pensait que ses menaces fussent la cause de mes retards, il -ne manquerait pas de trouver d'autres moyens de vengeance peut-être -plus terribles. Il avait fait vœu _d'être avec moi la nuit de mon -mariage_, sans se croire enchaîné par cette menace jusqu'au jour fixé -pour ce mariage; ne m'avait-il pas, en effet, prouvé qu'il n'était pas -encore rassasié de sang, en assassinant Clerval aussitôt après qu'il -eût prononcé ses menaces. Mon parti fut pris: si mon union, immédiate -avec ma cousine devait faire son bonheur ou celui de mon père, je ne -retarderais pas d'un seul moment le dessein de mon ennemi contre ma vie. - -Dans cet état d'esprit, j'écrivis à Élisabeth. Ma lettre était -calme et affectionnée. «Je crains, ma chère amie, disais-je, qu'il ne -nous reste que peu de bonheur sur la terre; et c'est sur vous que j'ai -concentré tout celui dont je pourrai jouir un jour. Chassez vos -craintes inutiles; c'est à vous seule que je consacre ma vie; votre -bonheur est le seul but de mes efforts. J'ai un secret, Élisabeth, un -secret affreux; lorsque vous le connaîtrez, vous serez glacée -d'horreur, et alors, loin d'être surprise de ma douleur, vous vous -étonnerez seulement que je survive à mes souffrances. Je vous -révélerai ce mystère de douleur et d'effroi le lendemain de votre -mariage; car, mon aimable cousine, il faut qu'il y ait entre nous une -confiance entière. Mais jusque-là, je vous en conjure, ne m'en parlez -pas, et n'y faites point allusion. Je vous en supplie avec ardeur, et je -sais que vous y consentirez». - -Une semaine environ après l'arrivée de la lettre d'Élisabeth, nous -retournâmes à Genève. Ma cousine m'accueillit avec une tendre -affection; mais elle ne put retenir ses larmes, en voyant la maigreur de -mon corps et la pâleur de mes joues. Je fus aussi frappé d'un -changement dans sa personne. Elle avait perdu de son embonpoint, et de -cette aimable vivacité qui m'avait auparavant charmé; mais sa douceur -et ses regards pleins de compassion, la rendaient plus propre à devenir -la compagne d'un être malheureux et accablé comme je l'étais. Cette -tranquillité ne fut pas de longue durée. Mes souvenirs portaient le -trouble dans mon esprit; et en pensant aux événements passés, je -tombais dans une véritable démence; tantôt j'étais furieux et -écumant de rage; tantôt calme et abattu. Je ne disais et ne -distinguais rien, et je restais sans mouvement, étourdi par la -multitude de chagrins qui m'accablaient. - -Élisabeth seule avait le pouvoir de me tirer de ces accès; sa douce -voix me calmait lorsque j'étais transporté de fureur, et m'inspirait -des sentiments humains lorsque je tombais dans l'anéantissement. Elle -pleurait avec moi et pour moi. Dès que je revenais à la maison, elle -me faisait des remontrances, et tâchait de me porter à la -résignation. Ah! le malheureux peut se résigner; mais le coupable ne -peut goûter de repos. Les remords empoisonnent le plaisir qu'on -pourrait trouver à s'abandonner à l'excès du chagrin. - -Bientôt après mon arrivée, mon père parla de mon prochain mariage -avec ma cousine. Je gardai le silence. - -«Avez-vous donc un autre attachement»? - ---«Aucun sur la terre. J'aime Élisabeth, et j'envisage notre union -avec délices. Que le jour en soit donc fixé; et alors je me -consacrerai, dans la vie ou dans la mort, au bonheur de ma cousine». - ---«Mon cher Victor, ne parlez pas ainsi; de grands malheurs ont pesé -sur nous, mais ne nous en attachons que plus à ce qui reste, et -reportons sur ceux qui survivent l'amour que nous avions pour ceux que -nous avons perdus. Notre cercle sera étroit, mais resserré par les -nœuds de l'affection et d'un malheur mutuel. Et, lorsque le temps aura -adouci votre désespoir, de nouveaux objets d'un tendre soin naîtront -pour remplacer ceux dont nous avons été si cruellement privés». - -Telles étaient les leçons de mon père; mais le souvenir de la menace -ne pouvait me quitter: aussi ne devez-vous pas vous étonner que, -connaissant la toute puissance du Démon dans le crime, je le jugeasse -invincible. Bien plus, l'ayant entendu prononcer ces mots: «_Je serai -avec toi la nuit de ton mariage_», je ne doutais pas un instant que mon -sort ne fut inévitable. Mais la mort n'était pas un mal pour moi -auprès du malheur de perdre Élisabeth. Je convins donc, avec mon -père, d'un air content et même gai, que, si ma cousine y consentait, -la cérémonie aurait lieu dans dix jours, et mettrait ainsi, comme je -l'imaginais, le sceau à ma destinée. - -Grand Dieu! si j'avais pensé un instant à l'intention infernale qui -animait le Démon, je me serais exilé pour toujours de ma patrie, et -j'aurais erré sur la terre, repoussé et sans ami, plutôt que de -consentir à ce malheureux mariage. Mais, comme par un pouvoir magique, -le monstre m'avait aveuglé sur ses véritables intentions; et lorsque -je croyais ne préparer que ma mort, je hâtais celle d'une victime bien -plus chère. - -En approchant de l'époque fixée pour notre mariage, soit lâcheté ou -pressentiment, je fus trahi par ma force. Je cachai mes sentiments sous -une apparence de gaîté, qui faisait régner le sourire et la joie sur -le visage de mon père, mais qui trompait à peine l'œil vigilant et -plus pénétrant d'Élisabeth. Elle envisageait notre union avec une -douce satisfaction, mais non sans quelque mélange de crainte. Nos -malheurs passés lui inspiraient de justes inquiétudes: notre bonheur, -qui paraissait alors sûr et prochain, ne pouvait-il pas se dissiper -bientôt comme un rêve, et ne laisser d'autre trace qu'un regret -profond et éternel? - -On fit les préparatifs pour la cérémonie; nous reçûmes les visites -de félicitation, et tout prit un aspect riant. J'éloignais de mon -cœur, autant que possible, l'inquiétude qui s'en emparait, et -j'entrais, avec une ardeur apparente, dans les plans de mon père, qui -n'étaient cependant que la décoration de la tragédie dont j'étais le -héros. On acheta une maison près de Cologny, où nous pourrions jouir -des plaisirs de la campagne. Cette habitation était en même temps -assez près de Genève, pour nous permettre de voir tous les jours mon -père, qui voulait encore demeurer dans la ville, à cause d'Ernest, -dont les études devaient être suivies. - -En même temps je pris toutes les précautions pour me défendre, dans -le cas où le Démon m'attaquerait ouvertement. Je portais constamment -avec moi des pistolets et un poignard, et j'étais toujours sur mes -gardes en cas de surprise; de cette manière, je devins plus tranquille. -Je dois dire aussi que l'approche du moment contribuait à cette -tranquillité; la menace ne me parut plus qu'une illusion, qui n'était -pas de nature à troubler mon repos, tandis que le bonheur, dont mon -mariage me donnait l'espoir, présentait une plus grande apparence de -certitude, à mesure que nous approchions du jour fixé pour le -célébrer. J'entendais continuellement parler de notre union, comme -d'un heureux évènement auquel rien ne pourrait s'opposer. - -Élisabeth paraissait heureuse; ma tranquillité extérieure contribuait -fortement à calmer son esprit; mais, le jour où je devais accomplir -mes vœux et ma destinée, elle fut mélancolique, et saisie d'un -pressentiment douloureux; peut-être aussi pensait-elle au secret -affreux que j'avais promis de lui révéler le lendemain. Cependant mon -père était dans l'enchantement, et occupé des préparatifs; il ne -voyait dans la tristesse de sa nièce que la timidité d'une nouvelle -mariée. - -Après la cérémonie, beaucoup de monde se rassembla chez mon père; -mais il fut convenu qu'Élisabeth et moi nous passerions l'après-midi -et la nuit à Évian, et que nous retournerions à Cologny le lendemain -matin. Le temps était beau, et le vent favorable; nous résolûmes -d'aller par eau. - -Ces moments furent les derniers de ma vie où je connus quelque bonheur. -Nous allions avec rapidité: le soleil était chaud, mais nous étions -à l'abri de ses rayons sous une espèce de dais, qui ne nous empêchait -pas de jouir de la beauté du site. Tantôt, d'un côté du lac, nous -avions en vue le mont Salève, les collines agréables de Montalègre, -et, un peu plus loin, plus élevé que tout le reste, le superbe -mont Blanc, et la chaîne de montagnes couvertes de chênes qui -s'efforcent en vain de l'égaler; tantôt, en longeant la rive opposée, -nous avions la vue du redoutable Jura, opposant son flanc noir à -l'ambitieux qui voudrait abandonner sa patrie, et une barrière -presqu'insurmontable au conquérant qui voudrait l'asservir. - -Je pris la main d'Élisabeth: «Vous êtes triste, mon amie; ah! si vous -saviez ce que j'ai souffert, et ce que je puis encore souffrir, vous -tâcheriez de me faire goûter le repos, et vous feriez succéder au -désespoir la sécurité dont ce seul jour me permet du moins de -jouir». - ---«Soyez heureux, mon cher Victor, répondit Élisabeth; rien, -j'espère, ne doit vous affliger; et soyez sûr que si mon visage n'a -pas l'expression d'une joie vive, mon cœur, du moins, ressent une -profonde satisfaction. Un secret pressentiment m'avertit de ne pas trop -m'abandonner à l'avenir qui se présente devant moi; mais je -n'écouterai pas une voix aussi sinistre. Voyez avec quelle vitesse nous -avançons, et combien les nuages, qui, tantôt obscurcissent le temps, -tantôt s'élèvent au-dessus du dôme du Mont-Blanc, ajoutent à la -beauté de cette vue si intéressante. Regardez aussi les innombrables -poissons qui nagent dans cette eau limpide, au fond de laquelle nous -pouvons distinguer chaque caillou. Quel jour délicieux! Comme toute la -nature parait heureuse et paisible»! - -Élisabeth tâchait, par ces discours, de reporter son esprit et le mien -sur des sujets moins tristes; mais elle ne pouvait maîtriser ses -dispositions. Pendant quelques instants, la joie brillait dans ses yeux; -mais elle retombait continuellement dans ses distractions et ses -rêveries. - -Le soleil se penchait vers l'horizon; nous passâmes la rivière de la -Dranse, dont le cours suit les vallées des plus hautes montagnes, et -les sinuosités des collines les moins élevées. Dans cet endroit, les -Alpes sont plus près du lac. Nous approchions de l'amphithéâtre des -montagnes qui le bornent à l'est; et le clocher d'Évian brillait au -milieu des bois qui l'entourent, sous la chaîne de montagnes qui le -dominent. - -Le vent, qui, jusque-là, nous avait portés avec une étonnante -rapidité, changea au coucher du soleil en une brise légère; le -zéphyr ne faisait que rider la surface de l'eau, et agitait -agréablement les arbres qui bordent le rivage, et dont les fleurs -exhalaient l'odeur la plus délicieuse. Le soleil avait disparu de -l'horizon, lorsque nous abordâmes. À peine avais-je mis le pied sur le -rivage, que je me sentis tourmenté par ces inquiétudes et ces -craintes, qui allaient bientôt m'environner et s'attacher à moi pour -toujours. - - - - -CHAPITRE XXII - - -Il était huit heures lorsque nous mêmes pied à terre; nous nous -promenâmes quelque temps sur le bord du lac, en jouissant de l'éclat -fugitif du jour; et même en nous dirigeant vers l'auberge, nous -contemplions la vue agréable des eaux, des bois, et des montagnes -obscurcies par les ténèbres, mais déployant encore leurs noirs -sommets. - -En ce moment, le vent changea du sud à l'ouest, et souffla avec une -grande violence. La lune brillait au milieu des cieux et commençait à -descendre; les nuages étaient chassés avec la rapidité du vol du -vautour, et voilaient les rayons de cet astre, tandis que le lac -réfléchissait un ciel orageux, mille fois plus effrayant au milieu des -vagues agitées qui commençaient à s'élever. Tout-à-coup l'orage -s'annonça par un torrent de pluie. - -J'avais été calme pendant le jour; mais, dès que la nuit obscurcit la -vue des objets, mille craintes s'élevèrent dans mon esprit. Plein -d'inquiétude, je me tins sur la défensive; je saisis de la main droite -un pistolet caché dans mon sein; j'étais effrayé du moindre bruit, -mais déterminé à vendre chèrement ma vie, et à ne mettre fin au -combat, qu'après l'avoir perdue ou l'avoir arrachée à mon adversaire. - -Élisabeth observa quelque temps mon agitation dans un silence timide et -craintif; elle dit enfin: «qui peut ainsi vous agiter, mon cher Victor? -que craignez-vous»? - ---«Ah! paix! paix! mon amie, répliquai-je encore cette nuit, et tout -sera sauvé; mais cette nuit est affreuse, horrible»! - -Je passai une heure dans cet état, lorsque tout-à-coup je réfléchis -combien le combat, auquel je m'attendais à tout moment, serait pénible -pour ma femme; je l'engageai avec les plus vives instances à se -retirer, décidé à ne la rejoindre qu'après que j'aurais obtenu -quelque renseignement sur la situation de mon ennemi. - -Elle me quitta. Je restai quelque temps à parcourir les corridors de la -maison, et à visiter le plus petit coin qui aurait pu servir de -retraite à mon ennemi; mais je ne découvris aucune trace, et je -commençais à croire qu'un heureux hasard avait mis obstacle à -l'exécution de ses menaces, lorsque tout-à-coup j'entendis un cri aigu -et horrible. Il partait de la chambre où Élisabeth s'était retirée. -Dans ce moment, toute la réalité s'offrit à mon esprit; mes bras -tombèrent, le mouvement de mes muscles et de mes fibres fut suspendu; -je sentis mon sang couler goutte à goutte dans mes veines, et -bouillonner à l'extrémité de mes membres. Cet état ne dura qu'un -instant; le cri se répéta...; je me précipitai dans la chambre. - -Grand Dieu! pourquoi n'expirai-je pas alors? Pourquoi suis-je ici à -raconter l'anéantissement de mes plus douces espérances, et de la -créature la plus pure qui existât sur la terre? Elle était sans vie -et inanimée, jetée en travers du lit, la tête renversée, la figure -pâle, décomposée, et à moitié couverte par ses cheveux. De quelque -côté que je me tourne, je vois la même figure; ses bras et son corps -de la pâleur de la mort étaient jetés par l'assassin sur la couche -nuptiale comme dans une bière funèbre. Ai-je pu voir ce spectacle, et -vivre? Hélas! la vie est opiniâtre, et s'attache davantage à celui -qui la hait le plus. Un moment seulement j'en perdis le souvenir: je -m'évanouis. - -Lorsque je repris connaissance, je me trouvai entouré des gens de -l'auberge; leurs physionomies exprimaient la terreur la plus vive: mais -l'horreur des autres ne paraissait qu'une lueur, qu'une ombre des -sentiments qui m'oppressaient. Je me dégageai des personnes qui -étaient auprès de moi, pour courir à la chambre où était le corps -d'Élisabeth, de mon amante, de ma femme, qui vivait il n'y a qu'un -moment, si aimée et si digne de l'être. On avait changé la position -dans laquelle je l'avais vue d'abord; dans ce moment, elle était -étendue, la tête appuyée sur son bras, un mouchoir jeté sur sa -figure et son col, et telle que j'aurais pu la croire endormie. Je -m'élançai sur elle; je la couvris de baisers; mais la mort avait -glacé ses membres, et leur langueur ne m'apprenait que trop que ce que -je tenais alors dans mes bras, avait cessé d'être mon Élisabeth, -celle que j'avais aimée et chérie. La marque meurtrière de la main du -démon était sur son col, et le souffle ne pouvait plus être recueilli -sur ses lèvres. - -Pendant que, dans l'agonie du désespoir, j'étais encore penché sur -elle, je levai les yeux par hasard. La chambre, qui, auparavant, était -obscure, était en ce moment éclairée par la lueur pâle et jaune de -la lune: je fus saisi d'une espèce de terreur panique en apercevant -cette lumière. Les volets étaient ouverts; et, dans une sensation -impossible à décrire, je vis au milieu de la fenêtre, une figure.... -Ah! la plus hideuse et la plus détestée. Un rire affreux agitait le -visage du Monstre. C'était lui: il semblait me railler, en me montrant -de son doigt infernal le corps de ma femme. Je m'élançai vers la -fenêtre, en faisant feu d'un pistolet que je tirai de mon sein; mais il -esquiva le coup, prit la fuite, courut avec la rapidité de l'éclair, -et plongea dans le lac. - -Le bruit du pistolet attira du monde dans la chambre. Je désignai -l'endroit où il avait disparu; nous suivîmes la trace avec des -bateaux; on jeta des filets, mais ce fut en vain. Au bout de quelques -heures, nous revînmes sans espoir. La plupart de mes compagnons -étaient persuadés qu'ils avaient couru après un fantôme de mon -imagination. À peine avaient-ils débarqués, qu'ils se mirent à -battre le pays, se partageant en bandes qui suivirent différentes -directions, les unes dans les bois, les autres dans les vignes. - -Je ne me joignis pas à eux; j'étais épuisé: un nuage couvrait mes -yeux, et ma peau était desséchée par la chaleur de la fièvre. Dans -cet état, je me jetai sur un lit, sans savoir à peine ce qui était -arrivé; mes yeux erraient autour de la chambre, comme pour chercher -quelque chose que j'avais perdu. - -Enfin je me souvins que mon père attendrait avec inquiétude le retour -de ses deux enfants, et que je devais revenir seul. Ce souvenir remplit -mes yeux de larmes: je pleurai long-temps; mais je portai ma pensée sur -différents objets, sur mes malheurs et sur leur cause. La mort de -Guillaume, le supplice de Justine, le meurtre de Clerval, et en dernier -lieu celui de ma femme, m'accablaient d'étonnement et d'horreur. Dans -ce moment même, je ne savais pas si les seuls amis, qui me restaient, -seraient à l'abri de la perversité du Démon; peut-être même mon -père expirait-il maintenant sous sa main! peut-être Ernest était-il -étendu mort à ses pieds! Cette idée me fit frémir, et me ranima. Je -me levai, décidé à retourner à Genève aussi promptement que -possible. - -On ne put me procurer des chevaux; je fus forcé de revenir par le lac; -mais le vent n'était pas favorable, et la pluie tombait par torrents. -Cependant le jour commençait à peine à paraître, et je pouvais -raisonnablement espérer que j'arriverais le soir. - -Je louai des rameurs, et je pris moi-même une rame; car je m'étais -toujours senti soulagé des tourments de l'esprit par l'exercice du -corps; mais ma douleur profonde et l'excès d'agitation que -j'éprouvais, me rendaient incapable du moindre effort. Je quittai la -rame; et, appuyant ma tête sur mes mains, je donnai cours à toutes les -idées qui m'occupaient. Si je levais les yeux, je voyais les scènes -qui m'étaient familières dans un temps plus heureux, et que j'avais -contemplées la veille encore, avec celle qui n'était plus qu'une ombre -et un souvenir. Je pleurai amèrement. La pluie s'était arrêtée un -moment, et je vis les poissons se jouer dans des eaux comme ils avaient -fait quelques heures auparavant; Élisabeth les avait remarqués...! -Rien n'est aussi pénible pour l'esprit humain qu'un changement complet -et subit. Le soleil pouvait briller; les nuages couvrir le temps; rien -ne me paraissait de même que la veille. Un Démon m'avait enlevé tout -espoir de bonheur; personne n'avait jamais été aussi malheureux que -moi: un évènement aussi affreux est unique dans l'histoire de l'homme. - -Mais pourquoi m'arrêterais-je sur les incidents qui suivirent ce -dernier et cruel évènement? Mon histoire est un tissu d'horreurs; la -mesure en est comblée; et ce que j'ai encore à vous raconter, ne -saurait être qu'ennuyeux pour vous. Sachez que mes amis m'ont été -enlevés l'un après l'autre: je suis resté seul.... Mes forces -s'épuisent; et je dirai en peu de mots la fin de mon atroce récit. - -J'arrivai à Genève. Mon père et Ernest vivaient encore; mais le -premier succomba en apprenant la nouvelle que je lui annonçai. Je le -vois encore ce vieillard excellent et vénérable! Ses yeux étaient -égarés: il avait perdu celle qui en était le charme et le bonheur.... -Sa nièce, pour qui il avait une affection plus que paternelle, sur -laquelle il avait porté toute sa tendresse, comme un homme, qui, au -déclin de la vie, conserve peu d'affections, et ne s'attache que plus -fortement à celles qui lui restent. Maudit, maudit soit le Démon qui -appela le malheur sur ses cheveux blancs, et le condamna à mourir de -douleur! Il ne put soutenir les horreurs qui s'accumulèrent autour de -lui; il fut saisi d'une attaque d'apoplexie, et mourut dans mes bras peu -de jours après. - -Je ne sais ce que je devins alors; je perdis les sens; je ne connus plus -que les chaînes et l'obscurité. Quelquefois, il est vrai, je croyais -errer dans des prés fleuris et de riantes vallées avec les amis de ma -jeunesse; mais, à mon réveil, je me trouvais dans un donjon. La -mélancolie succéda à cette disposition; mais par degrés je parvins -à distinguer mes douleurs et ma situation, et je fus alors relâché de -prison; car j'avais passé pour fou; et, pendant plusieurs mois, comme -on me l'apprit, je n'avais eu d'autre habitation qu'une cellule -solitaire. - -Mais la liberté eût été pour moi un don inutile, si mon retour à la -raison n'eût en même temps excité ma vengeance. Assiégé -continuellement du souvenir de mes infortunes passées, je commençai à -réfléchir sur leur cause.... sur le monstre que j'avais créé, ce -misérable Démon que j'avais jeté sur la terre pour ma perte. J'étais -animé d'un transport de rage en pensant à lui, et j'aurais voulu le -tenir entre mes mains, pour accomplir sur sa tête exécrable une -vengeance complète et signalée. - -Ma haine ne se borna pas longtemps à des désirs inutiles. Je me mis à -chercher les meilleurs moyens de l'atteindre; et dans ce but, un mois -environ après ma mise en liberté, j'allai trouver un juge criminel de -la ville; je lui déclarai que j'avais une accusation à faire; que je -connaissais le destructeur de ma famille; et je finis en le priant -d'user de toute son autorité, pour que le meurtrier fût livré entre -ses mains. - -Le magistrat m'écouta avec attention et bonté: «Soyez assuré, -Monsieur, me dit-il, que je n'épargnerai aucune peine, aucune démarche -pour découvrir le scélérat». - ---«Je vous remercie, répondis-je; écoutez donc la déposition que -j'ai à faire. C'est vraiment une chose si étrange, que je craindrais -votre défiance et vos doutes, s'il n'y avait quelque chose dans la -vérité, qui force à la conviction. L'histoire est trop enchaînée -pour paraître un songe, et je n'ai aucun motif pour mentir». - -En lui parlant ainsi, j'étais sous une impression profonde, mais calme: -j'avais formé dans mon cœur la résolution de poursuivre mon ennemi -jusqu'à la mort, et cette résolution calmait mon désespoir, et me -réconciliait un moment avec la vie. Je racontai alors mon histoire en -peu de mots, mais avec fermeté et précision, désignant les dates avec -soin, et ne tombant jamais dans les invectives ou les exclamations. - -Le magistrat paraissait d'abord tout-à-fait incrédule, mais ensuite il -devint plus attentif, et parut y prendre plus d'intérêt. Je le vis -tantôt frémir d'horreur, tantôt exprimer une vive surprise mêlée de -doute. - -Je terminai mon récit en lui disant: «Voici l'être que j'accuse, et -pour la découverte, pour la punition duquel je vous prie d'exercer tout -votre pouvoir. C'est votre devoir comme magistrat; homme seulement, je -crois et j'espère qu'en cette occasion vous ne serez pas révolté -d'avoir à le remplir». - -Cette demande changea presque entièrement la physionomie de mon -auditeur. Il avait écouté mon histoire avec cette espèce de foi qu'on -accorde à un conte d'esprits, ou à un récit d'évènements -surnaturels; mais lorsqu'il fut sommé d'agir officiellement en -conséquence, il reprit toute son incrédulité. Cependant il répondit -avec douceur: «Je vous donnerai volontiers tous les secours possibles -pour vous aider dans votre poursuite; mais la créature, dont vous -parlez, parait avoir une puissance qui mettrait en défaut tous mes -efforts. Qui pourrait suivre un animal capable de traverser la mer de -glace, et d'habiter des cavernes et des antres, où aucun homme -n'oserait entrer? D'ailleurs, plusieurs mois se sont écoulés depuis -qu'il a commis ses crimes: qui peut présumer la direction qu'il a -suivie, ou le pays qu'il habite». - ---«Je ne doute pas qu'il ne se tienne près du lieu que j'habite; et, -s'il s'est réellement réfugié dans les Alpes, on peut le chasser -comme le Chamois, et le détruire comme une bête féroce; mais je -pénètre vos pensées: vous ne croyez pas à mon récit, et vous -refusez d'infliger à mon ennemi le châtiment qu'il mérite». - -Pendant que je parlais, la rage étincelait dans mes yeux; le magistrat -fut intimidé: «Vous vous trompez, dit-il, je ferai tous mes efforts; -et s'il est en mon pouvoir d'arrêter le monstre, soyez assuré qu'il -subira un châtiment proportionné à ses crimes. Mais je crains, -d'après la description que vous m'avez faite vous-même de ses -qualités, que cela ne soit impraticable; je crains même qu'au moment -où l'on prendra toutes les mesures nécessaires, vous ne deviez vous -attendre à voir vos espérances déçues». - ---«Je n'y puis consentir; mais tout ce que je dirais est de peu -d'utilité. La vengeance n'est d'aucun intérêt pour vous; elle peut -être criminelle; mais j'avoue que c'est la passion, l'unique passion -qui dévore mon âme. Je ne saurais exprimer ma rage, en songeant que le -meurtrier, que j'ai jeté dans la société, existe encore. Vous -repoussez ma juste demande. Je n'ai plus qu'une ressource; à la vie et -à la mort, je me dévoue moi-même pour l'exterminer». - -En parlant ainsi, j'éprouvais une agitation telle, que je tremblais de -tous mes membres: il y avait de la frénésie dans mon air, et sans -doute aussi de cette fierté sublime dont les anciens martyrs étaient, -dit-on, animés; mais pour un magistrat Genevois, dont l'esprit était -occupé d'idées bien éloignées du dévouement et de l'héroïsme, -cette élévation eut toute l'apparence de la folie. Il tâcha de me -calmer de même qu'une nourrice cherche à apaiser un enfant, et il -considéra mon récit comme l'effet du délire. «Homme, m'écriai-je, -tu as beau t'enorgueillir de ta sagesse, tu n'en es pas moins -ignorant!--C'en est assez; vous ne savez ce que vous dites». - -Je sortis de la maison dans le trouble et la colère, et je me retirai -pour méditer sur ce que je ferais. - - - - -CHAPITRE XXIII - - -La situation de mon esprit était telle, que je ne fus plus maître -d'aucune pensée. J'étais animé par la fureur; la vengeance seule me -donnait des forces et du calme; elle tempérait mes sentiments, et me -permettait d'être modéré et réfléchi, dans les moments où je -n'aurais eu recours qu'au délire ou à la mort. - -Ma première résolution fut de quitter Genève à jamais; mon pays, qui -m'était si cher aux jours de mon bonheur et de mes affections, me -devint odieux dans mon adversité. Je pris une somme d'argent avec -quelques bijoux qui avaient appartenu à mon père, et je partis. - -De ce moment ont commencé mes courses, qui ne finiront qu'avec ma vie. -J'ai parcouru une grande partie de la terre, et j'ai supporté toutes -les fatigues auxquelles les voyageurs ont l'habitude d'être exposés -dans les déserts et les pays barbares. Je sais à peine comment j'ai -vécu; souvent j'ai étendu sur le sable mes membres affaiblis, et j'ai -invoqué la mort; mais j'ai vécu pour la vengeance; je n'osais mourir -et laisser la vie à mon adversaire. - -En quittant Genève, mon premier soin fut de chercher la trace de mon -infernal ennemi; mais mon plan fut dérangé; et j'errai plusieurs -heures autour de la ville, incertain de la route que je suivrais. À -l'approche de la nuit, je me trouvai à la porte du cimetière où -reposaient Guillaume, Élisabeth, et mon père. Je franchis la porte, et -je m'avançai vers leurs tombeaux. Tout était silencieux, hors les -feuilles des arbres, qui étaient légèrement agitées par le vent; la -soirée était sombre, et la scène eût été solennelle et touchante, -même pour un observateur désintéressé. Les esprits des morts -semblaient voltiger autour de leurs tombes, et jeter autour de la tête -de celui qui venait pleurer sur leurs cendres, une ombre qui était -sentie sans être vue. - -Le profond chagrin, que m'avait d'abord inspiré cette scène, fit -bientôt place à la rage et au désespoir. Ils étaient morts, et je -vivais; leur meurtrier vivait aussi, et c'était pour le détruire que -je traînais mon existence odieuse. Je m'agenouillai sur le gazon; je -baisai la terre qui recouvrait leurs cendres, et les lèvres tremblantes -je m'écriai: «Par la terre sacrée sur laquelle je suis agenouillé, -par les ombres qui errent auprès de moi, par le chagrin profond et -éternel que j'éprouve, par toi, nuit, par les esprits qui président -à ton cours, je jure de poursuivre le Démon, auteur de tous ces maux, -jusqu'à ce que l'un de nous soit anéanti dans la lutte que nous -engagerons. C'est dans ce but que je conserverai ma vie: je verrai -encore l'éclat du soleil, je foulerai encore la verdure de la terre, -mais pour satisfaire cette vengeance si douce, et sans laquelle je -n'assisterais plus au spectacle de la nature. J'invoque votre secours, -esprits des morts; et vous, ministres errants de vengeance, dirigez-moi -dans mon entreprise. Que le monstre exécrable boive à longs traits -dans la coupe de la douleur, qu'il connaisse le désespoir auquel je -suis en proie maintenant»! - -J'avais commencé mon invocation avec solennité, et un respect qui -m'assurait presque que les ombres de mes amis assassinés entendaient et -approuvaient mon vœu. Mais en terminant j'étais animé par la fureur, -et la rage me faisait élever la voix. - -Un rire violent et infernal fut la réponse que je reçus au milieu du -silence de la nuit. Il retentit long-temps et avec force à mon oreille, -les montagnes le répétèrent, et je crus que tout l'enfer m'entourait -pour me railler et m'insulter. Sans doute en ce moment j'aurais été -animé par la frénésie, et j'aurais mis fin à ma déplorable -existence, si mon vœu n'eût été entendu, et si je ne me fusse -réservé pour la vengeance. J'oubliais le rire qui m'avait frappé, -lorsqu'une voix bien connue et détestée, qui me paraissait être tout -près de mon oreille, prononça distinctement ces paroles: «Je suis -satisfait, misérable! tu te résous à vivre, et je suis satisfait». - -Je m'élançai vers l'endroit d'où parlait la voix; mais le démon -m'échappa. Tout-à-coup le large disque de la lune s'éleva, et -éclaira complètement le corps hideux et difforme du monstre qui fuyait -avec une rapidité surnaturelle. - -Je le poursuivis, et pendant plusieurs mois je n'ai point eu d'autre -occupation. Guidé par de vagues renseignements, j'ai suivi les détours -du Rhin sans le rencontrer. J'arrivai sur les bords de la -Méditerranée; et, par un hasard étrange, je vis le démon entrer -pendant la nuit, et se cacher dans un vaisseau destiné pour la mer -Noire. Je pris passage sur le même navire; mais il échappa, je ne sais -comment. - -Au milieu des déserts de la Tartare et de la Russie, je n'ai pu -l'atteindre, mais j'ai toujours suivi ses traces. Tantôt les paysans, -effrayés par cette horrible apparition, m'instruisaient de la route -qu'il tenait; tantôt lui-même, il me laissait quelque signe pour me -guider, dans la crainte que, si je perdais toute trace, je ne me -livrasse au désespoir et ne voulusse mourir. Souvent je recevais la -neige sur ma tête, et je voyais l'empreinte de son énorme pas sur la -plaine blanchie. Vous, qui entrez dans la vie, pour qui les soucis sont -nouveaux, et le désespoir inconnu, comment pouvez-vous comprendre ce -que j'ai éprouvé et ce que j'éprouve encore? Le froid, le besoin et -la fatigue étaient les moindres maux que j'eusse à supporter; j'étais -maudit par un mauvais génie, et je portais toujours avec moi mon enfer; -mais cependant un bon génie a suivi et dirigé mes pas, et au moment -où je me plaignais le plus, il me dégageait tout-à-coup des -difficultés qui paraissaient insurmontables. Quelquefois, lorsque la -nature succombait épuisée par la faim, je trouvais dans le désert un -repas qui m'était destiné, et qui me rendait la force et le courage. -C'était une nourriture grossière, il est vrai, comme celle des paysans -de la contrée: mais je ne puis douter qu'elle n'y fût placée par les -esprits, dont j'avais invoqué le secours. Souvent, lorsque tout était -aride, le ciel sans nuages, et mon gosier desséché par une soif -brûlante, un léger nuage rafraîchissait le temps, versait quelques -gouttes qui me ranimaient, et se dissipait. - -Je suivais, autant que possible, le cours des rivières; mais le Démon -évitait ordinairement ces chemins, parce que c'est là que se réunit -la plus grande partie de la population d'un pays. Partout ailleurs, on -voyait rarement quelques êtres humains; et ma subsistance ordinaire -était la chair des animaux sauvages qui se trouvaient sur mon chemin. -J'avais de l'argent avec moi, et je gagnais l'amitié des villageois en -le distribuant, ou en apportant quelque bête que j'avais tuée, et dont -je ne prenais qu'une petite part, ayant soin d'offrir le reste à ceux -qui m'avaient procuré du feu et les ustensiles nécessaires pour la -préparer. - -Ma vie, en s'écoulant ainsi, m'était réellement odieuse, et ce -n'était que pendant le sommeil que je pouvais jouir de quelque -consolation. Ô bienheureux sommeil! Souvent, lorsque j'étais le plus -malheureux, je me livrais au repos, et j'étais bercé par mes rêves au -point de tomber dans le ravissement. Les esprits, qui veillaient sur -moi, m'avaient ménagé ces moments, ou plutôt, ces heures de bonheur, -afin que je conservasse assez de force pour accomplir mon pèlerinage. -Sans ce délassement, j'aurais succombé à mes fatigues. Pendant le -jour, j'étais soutenu et encouragé par l'espoir de la nuit: car, -durant le sommeil, je voyais mes amis, ma femme et ma chère patrie; je -voyais encore le visage bienveillant de mon père, j'entendais les -douces modulations de la voix de mon Élisabeth, et je voyais Clerval -brillant de jeunesse et de santé. Souvent, fatigué par une marche -pénible, je me persuadais que cette fatigue était un rêve qui -durerait jusqu'à l'arrivée de la nuit, et qu'alors je jouirais de la -réalité dans les bras de mes plus chers amis. Quelle tendresse ils -m'inspiraient! Combien je m'attachais à leurs formes chéries, si, à -mon réveil, elles se présentaient à mon imagination! Dans ces -moments, je me figurais qu'ils vivaient encore! Dans ces moments encore, -la vengeance, dont j'étais dévoré, s'éteignait dans mon cœur, et je -continuais à poursuivre le Démon que j'avais à détruire, plutôt -pour remplir une lâche enjointe par le ciel, pour suivre l'impulsion -mécanique d'une puissance inconnue, que pour satisfaire un désir -ardent de mon âme. - -Je ne sais quelles étaient les sensations de celui que je poursuivais. -Quelquefois il laissait des marques de son passage, en écrivant sur -l'écorce des arbres, ou en gravant sur la pierre, dans la vue de me -guider et d'exciter ma fureur. Je lus ces mots dans une de ces -inscriptions: «Mon règne n'est pas encore fini; tu vis, et mon pouvoir -est complet. Suis-moi; je me dirige vers les glaces éternelles du nord, -où tu éprouveras la rigueur du froid auquel je suis insensible. Tu -trouveras près de ce lieu, si tu n'arrives pas trop tard, un lièvre -mort; mange, et rafraîchis-toi. Avance, mon ennemi, nous avons encore -à nous disputer la vie; mais tu passeras bien des moments durs et -cruels, avant que cet instant ne soit venu». - -Démon insultant! Je fais encore vœu de vengeance; je te voue encore, -misérable Démon, aux tourments et à la mort. Jamais je ne cesserai -mes recherches, que lui ou moi ne périssions; et, alors, avec quelle -joie j'irai rejoindre mon Élisabeth, et ceux qui, même à présent, me -préparent la récompense de mes pénibles ennuis et de mon horrible -pèlerinage! - -En poursuivant toujours mon voyage vers le nord, les neiges -s'épaissirent, et le froid s'accrut à un degré beaucoup trop élevé -pour que je pusse le supporter. Les paysans étaient renfermés dans -leurs cabanes, et les plus hardis seulement osaient les quitter afin de -prendre les animaux que la faim avait fait sortir de leurs retraites -pour chercher une proie. Les rivières étaient recouvertes d'une glace -épaisse qui ne permettait pas d'avoir du poisson; ainsi, j'étais -privé de tout ce qui servait ordinairement à me nourrir. - -Le triomphe de mon ennemi doubla avec la difficulté de mes travaux. Une -inscription, qu'il laissa, était conçue en ces termes: «Prépare toi! -tes fatigues ne font que commencer. Enveloppe-toi de fourrures, et fais -provision de vivres, car nous allons bientôt entreprendre un voyage où -tes souffrances satisferont ma haine éternelle». - -Loin de céder à ces paroles dérisoires, je me fortifiais dans mon -courage et ma persévérance. Je résolus de ne pas abandonner mon -projet; et, demandant au Ciel de me soutenir, je continuai avec la -même ardeur à traverser d'immenses déserts, jusqu'à ce que je vis de -loin l'Océan qui formait les dernières limites de l'horizon: Ah! -combien cette mer différait des mers azurées du sud! Couverte de -glace, elle ne se distinguait de la terre que par son aspect sombre et -ses inégalités. Les Grecs pleurèrent de joie en apercevant la -Méditerranée, du sommet des montagnes de l'Asie; ils cinglèrent avec -ravissement vers le terme de leurs travaux. Je ne pleurai pas; mais je -m'agenouillai; et, de bon cœur, je remerciai le Génie, qui me guidait, -de m'avoir conduit sain et sauf jusqu'au lieu où j'espérais, malgré -les railleries de mon ennemi, l'atteindre et lutter avec lui. - -Quelques semaines avant ce temps, j'avais acheté un traîneau et des -chiens, à l'aide desquels je traversais les neiges avec une -inconcevable rapidité. Je ne sais si le Démon avait le même avantage, -mais je m'aperçus que je gagnais alors sur lui tous les jours autant de -terrain, que j'en avais perdu auparavant dans sa poursuite. - -J'allais même si vite, qu'au moment où je vis l'Océan, il n'avait -plus qu'un jour d'avance, et que j'avais l'espoir de l'atteindre avant -qu'il n'arrivât au rivage. Je pressai donc avec un nouveau courage, et -en deux jours, j'arrivai à un chétif hameau sur le bord de la mer. Je -demandai aux habitants des renseignements sur le Démon, et je pris des -informations exactes. Un monstre gigantesque, disaient-ils, était -arrivé la nuit précédente, armé d'un fusil et de plusieurs -pistolets, mettant en fuite les habitants d'une chaumière isolée, qui -avaient eu peur de ses formes effrayantes. Il avait emporté leurs -provisions d'hiver, et les avait mises dans un traîneau, s'était -emparé d'un nombreux troupeau de chiens dressés pour le tirer, les -avait attelés, et la même nuit, à la joie des villageois frappés -d'horreur, avait poursuivi son voyage à travers la mer dans une -direction qui ne conduisait à aucune terre; et ils conjecturaient qu'il -serait bientôt englouti, si la glace venait à se rompre, ou, qu'il -succomberait à la rigueur éternelle du froid. - -À cette nouvelle, je tombai un moment dans un accès de désespoir. Il -m'avait échappé, et il me mettait dans la nécessité de commencer un -voyage mortel, et presque sans fin, à travers les montagnes de glace de -l'Océan, et de braver un froid que peu d'habitants pouvaient long-temps -supporter, et auquel moi, né dans un climat agréable et chaud, je ne -pouvais espérer de survivre. Cependant, à l'idée que le Démon -vivrait et serait triomphant, ma rage et la vengeance se ranimèrent et -furent assez puissantes pour étouffer tout autre sentiment. Après un -léger repos, pendant lequel les esprits des morts vinrent me visiter et -m'exciter à la fatigue et à la vengeance, je me préparai pour mon -voyage. - -J'échangeai mon traîneau de terre pour un autre propre aux -inégalités des glaces de l'Océan; je pris une abondante provision de -vivres, et je partis de terre. - -Je ne puis dire combien de jours j'ai passés depuis ce départ; ce que -je sais, c'est que j'ai été exposé à une détresse que je n'ai eu le -courage de supporter, qu'à cause du juste et éternel sentiment de -vengeance dont mon cœur est consumé. Souvent des montagnes de glace -immenses et escarpées me barraient le passage; souvent aussi -j'entendais le craquement de la mer de glace qui menaçait de -m'engloutir; mais la gelée revenait, et raffermissait les chemins de la -mer. - -À la quantité de vivres dont j'ai fait consommation, je pourrais juger -que j'ai passé trois semaines dans ce voyage. Que de fois, en voyant -l'espérance s'éloigner toujours et se refouler dans mon cœur, n'ai-je -pas versé des larmes de découragement et de chagrin. Je commençais à -être en proie au désespoir, et j'aurais bientôt succombé à tant -d'épreuves, sans une circonstance que je ne dois pas omettre. Traîné -par les pauvres animaux que je dirigeais, et dont un avait succombé à -la fatigue, j'avais atteint avec une peine incroyable le sommet d'une -montagne de glace escarpée; à cette hauteur, je voyais avec angoisse -l'immensité devant moi, quand tout-à-coup j'aperçus un point noir sur -la plaine brumeuse. Je m'efforçai de découvrir quel pouvait être cet -objet, et je poussai un cri féroce de joie en distinguant un traîneau -et les proportions difformes d'un être bien connu. Oh! avec quelle -ardeur l'espérance rentra dans mon cœur! Mes yeux furent remplis de -larmes brûlantes, que je me hâtai d'essuyer, dans la crainte qu'elles -ne m'empêchassent de voir le Démon; mais elles revinrent encore -obscurcir ma vue, jusqu'à ce que, donnant cours aux émotions qui -m'oppressaient, je les répandis en abondance. - -Mais ce n'était pas le moment de m'arrêter: je débarrassai les chiens -de leur compagnon mort; je leur donnai une ration abondante; et, après -une heure de repos, qui était absolument nécessaire, mais qui me -paraissait insupportable, je continuai ma route. Le traîneau était -encore visible, et ne disparaissait à ma vue, que quand il était -caché derrière la cime d'un quartier de glace. Enfin je le vis -distinctement; et lorsque, après environ deux jours de marche, -j'aperçus mon ennemi à la distance d'un mille, je sentis mon cœur -bondir de joie. - -Mais, au moment où je croyais être sur le point d'atteindre mon -ennemi, mes espérances furent tout-à-coup déçues, et je perdis sa -trace plus que jamais. J'entendis un craquement dans la mer; ce bruit, -qui croissait à mesure que les eaux roulaient, et grossissaient sous -moi, devenait à tout moment plus menaçant et plus terrible. -J'avançai, mais en vain. Le vent s'éleva; la mer rugit; et, semblable -à un fort tremblement de terre, se fendit, et éclata avec un bruit -affreux et effrayant. Tout fut bientôt fini: en peu de minutes, une mer -agitée me sépara de mon ennemi; et je fus ballotté sur un morceau de -glace qui diminuait continuellement, et me préparait ainsi la mort la -plus affreuse. - -Pendant plusieurs heures, je fus en proie à cette crainte: je perdis la -plupart de mes chiens; et j'étais moi-même au moment de succomber à -tant de détresse, lorsque je vis votre vaisseau qui était à l'ancre, -et qui me donna l'espoir d'obtenir du secours et de conserver ma vie. -J'étais loin de penser que des navires fussent venus aussi loin au -nord, et je fus étonné d'en voir un. Je défis aussitôt une partie de -mon traîneau, et je m'en servis en guise de rames; de cette manière je -pus, avec une fatigue infinie, diriger mon radeau vers votre vaisseau. -J'étais décidé, si vous alliez vers le sud, à me livrer encore à la -merci des mers, plutôt que d'abandonner mon projet. J'espérais vous -engager à me céder une barque au moyen de laquelle je pusse encore -poursuivre mon ennemi; mais vous vous dirigiez vers le nord. Vous me -prîtes à bord au moment où mes forces étaient épuisées, au moment -où j'allais périr de l'excès de mes fatigues: mais je crains encore -la mort.... Car ma mission n'est pas terminée. - -Ah! quand donc serai-je conduit vers le Démon par le génie qui me -guide? Quand donc me laissera-t-il goûter le repos que je désire si -vivement; ou bien, faut-il que je meure, et qu'il survive? Si je meurs, -Walton, jurez-moi qu'il n'échappera pas, que vous le chercherez, que -vous satisferez ma vengeance par sa mort. Et quoi? J'ose vous demander -d'entreprendre mon pèlerinage, d'essuyer les fatigues que j'ai -souffertes? Non, je ne suis pas aussi égoïste. Cependant, après ma -mort, s'il paraissait, si les ministres de vengeance le conduisaient à -vous, jurez qu'il ne survivra pas.... Jurez qu'il ne triomphera pas de -mes malheurs accumulés, et ne vivra pas pour rendre un autre aussi -malheureux que moi. Il est éloquent et persuasif, et ses paroles eurent -même une fois du pouvoir sur mon cœur: mais ne vous fiez pas à lui: -son âme est aussi infernale que sa forme exprime sa perfidie et sa -perversité surhumaines. Ne l'écoutez pas, invoquez les noms de -Guillaume, de Justine, de Clerval, d'Élisabeth, de mon père, celui du -malheureux Victor, et plongez votre épée dans son cœur. Je serai -prêt de vous, et je dirigerai votre fer. - - - - -SUITE, PAR WALTON - - -26 août 17-- - - -«Vous avez lu, ma sœur, cette histoire étrange et effrayante. Ne -sentez-vous pas votre sang glacé par une horreur, qui, même en ce -moment, arrête le mien dans mes veines? Quelquefois il était saisi -subitement par la douleur, et il ne pouvait continuer son récit: de -temps en temps, sa voix brisée, mais perçante, prononçait avec -difficulté ces paroles si pleines de désespoir. Ses yeux doux et beaux -étaient tantôt animés par l'indignation, tantôt abattus par le -chagrin, et éteints par la force du malheur. Quelquefois il maîtrisait -sa physionomie et ses expressions, et il racontait les événements les -plus terribles d'une voix tranquille, sans aucune marque d'agitation; -mais tout-à-coup, semblable au volcan qui s'entr'ouvre, il animait son -visage par l'expression de la rage la plus farouche, et il vomissait des -imprécations contre son persécuteur. - -»Son récit s'enchaîne, et il le fait avec l'air de la vérité la -plus simple; cependant, j'avoue que les lettres de Félix et de Safie -qu'il me montra, et l'apparition du Monstre, que nous avons vu de notre -vaisseau, m'ont plus convaincu de la vérité de son récit, que ses -assertions vives et bien enchaînées. Ainsi, un fait constant, un fait -dont je ne puis douter, c'est que le Monstre existe réellement; mais je -ne puis revenir de ma surprise et de mon admiration. Quelquefois je -tâchais d'obtenir de Frankenstein des détails sur la formation d'une -semblable créature; mais, sur ce point, il était impénétrable. - -«Êtes-vous fou, mon ami, disait-il? Où vous mène une curiosité -irréfléchie? Voudriez-vous aussi créer un ennemi infernal pour -vous-même et pour le monde? Car enfin, quel est le but de vos -questions? Paix! paix! apprenez mes malheurs, et ne cherchez pas à -augmenter les vôtres». - -»Frankenstein s'aperçut que je prenais des notes sur son histoire; il -demanda à les voir, les corrigea lui-même, et y ajouta en plusieurs -endroits, pour donner de la vie et de la force aux conversations qu'il -avait avec son ennemi. «Puisque vous avez conservé mon récit, -disait-il, je ne voudrais pas qu'il fût transmis incomplet à la -postérité». - -»J'ai passé ainsi une semaine à écouter l'histoire la plus étrange -que l'imagination ait jamais inventée. Mes pensées et les sentiments -de mon âme, ont été absorbés par l'intérêt que je porte à mon -hôte, et que m'inspirent ses manières aussi nobles que douces. Je -désire le calmer: et pourtant, puis-je conseiller de vivre à un homme -aussi malheureux, et privé de tout espoir de consolation? Oh! non! Il -ne peut plus maintenant connaître d'autre joie, qu'au moment où il -trouvera dans la paix de la mort, celle de son âme long-temps -bouleversée. Cependant, il jouit d'une consolation, et il la doit à la -solitude et au délire: il croit, en s'entretenant dans ses rêves avec -ses amis, et en puisant dans ses entretiens des consolations pour ses -infortunes, ou des encouragements pour sa vengeance, que ce ne sont pas -des fantômes de son imagination, mais des êtres réels qui viennent -d'un monde éloigné pour le visiter. Cette idée donne à ses rêveries -une solennité, qui me les rend presqu'aussi imposantes et aussi -intéressantes que la vérité. - -»Nos conversations ne sont pas toujours bornées à son histoire et à -ses malheurs. Dans tous les genres de littérature, en général, il -montre des connaissances profondes, et un jugement rapide et sûr. Son -éloquence est forte et touchante; je ne puis l'entendre sans pleurer, -lorsqu'il raconte un évènement affligeant, ou qu'il veut mettre en -mouvement les sentiments de la pitié ou de l'amour. Combien un tel -homme devait être admirable dans ses jours de prospérité, puisqu'il -est si noble et si grand dans son infortune! Il semble sentir son propre -mérite, et la grandeur de sa chute. - -«Lorsque j'étais plus jeune, disait-il, je me sentais appelé à -quelque grande entreprise. Mes sentiments sont profonds; mais tel était -le calme de mon jugement, qu'il me rendait propre à m'illustrer par des -faits éclatants. - -»J'étais soutenu par le sentiment de mon mérite, lorsque d'autres en -eussent été écrasés; car il me semblait que c'était un crime de -consumer dans un chagrin inutile, ces talents qui pouvaient être utiles -à mes semblables. En réfléchissant à l'œuvre que j'ai accomplie, et -qui n'est pas moindre que la création d'un animal doué des sens et de -la raison, je ne puis me ranger au nombre des esprits ordinaires; mais -ce sentiment, qui me soutenait dans le commencement de ma carrière, ne -sert maintenant qu'à m'accabler dans ma chute. Toutes mes observations, -toutes mes espérances sont comme si elles n'étaient pas; et, semblable -à l'archange qui aspirait à la toute-puissance, je suis enchaîné -dans un enfer éternel. Mon imagination était vive, et eu même temps -susceptible d'analyse et d'une application assidue; ce n'est qu'avec -deux qualités si opposées que j'ai pu concevoir et réaliser la -création d'un homme. - -»Même à présent, je ne puis me souvenir sans émotion, des rêveries -qui m'occupaient avant la fin de mon ouvrage. Je foulais le ciel dans ma -pensée, tantôt fier et joyeux de ma puissance, tantôt impatient d'en -contempler les effets. Dès mon enfance, j'avais nourri de hautes -espérances et une ambition sublime; mais combien je suis abaissé! Ah! -mon ami, si vous m'aviez connu tel que j'étais autrefois, vous ne me -reconnaîtriez pas dans cet état de dégradation. Rarement la tristesse -pénétra dans mon cœur; je semblais porté par une haute destinée, -jusqu'au jour où je suis tombé pour ne plus me relever». - -»Faut-il donc que je perde cet homme admirable? J'ai long-temps -désiré un ami; j'ai cherché un homme qui put m'aimer et sympathiser -avec moi. Vois; j'en ai trouvé un sur ces mers désertes; mais je -crains de ne l'avoir connu que pour apprendre à l'apprécier et le -perdre. Je voudrais lui faire aimer encore la vie, mais il repousse -cette idée. - -«Je vous remercie, Walton, disait-il, de vos bonnes intentions pour un -malheureux comme moi; mais, en me parlant de nouveaux liens et de -nouvelles affections, croyez-vous qu'il y en ait qui puissent tenir lieu -de ceux qui ne sont plus? Quel homme remplacerait Clerval auprès de -moi? ou quelle femme pourrait me tenir lieu d'Élisabeth? Et même, à -moins que les affections ne soient fortement excitées par un -attachement plus grand, les compagnons de notre enfance possèdent -toujours sur nos esprits un certain pouvoir, qu'un nouvel ami peut à -peine obtenir. Ils connaissent les goûts de notre enfance, ces goûts -que le temps peut modifier, mais qu'il n'enlève jamais; et ils peuvent -juger de nos actions d'une manière plus sûre, en connaissant nos -véritables intentions. Une sœur ou un frère ne peuvent jamais, à -moins que les symptômes ne s'en montrent de bonne heure, se soupçonner -de perfidie ou de mensonge, tandis qu'un ami, quelque soit son -attachement, peut, malgré lui, éprouver des soupçons. Les amis que -j'ai perdus, m'étaient chers non-seulement par l'habitude et le charme -de leur société, mais aussi par leurs qualités personnelles: et, dans -quelque lieu que je sois, la voix douce de mon Élisabeth, et la -conversation de Clerval retentiront toujours à mon oreille. Ils sont -morts; et, dans la solitude où me laisse leur mort, il n'est qu'un -sentiment qui puisse me donner le courage de conserver ma vie. Si -j'étais engagé dans une grande entreprise ou dans un projet, dont -l'utilité pût s'étendre sur mes semblables, je pourrais vivre pour -l'exécuter; mais telle n'est pas ma destinée; je dois poursuivre et -détruire l'être à qui j'ai donné l'existence. Alors, mais seulement -alors, ma tâche sur la terre sera accomplie, et je pourrai mourir». - - - - -2 septembre. - - -«Ma bien aimée sœur, - - -»Je vous écris, entouré de périls, et sans savoir si je suis -condamné à ne plus revoir la chère Angleterre et les amis encore plus -chers qui l'habitent. Je suis entouré de montagnes de glace, qui ne -présentent aucune issue, et menacent à chaque moment d'engloutir mon -vaisseau. Les braves marins que j'ai engagés à m'accompagner, trouvent -du courage en me regardant; mais je n'ai personne pour m'en donner. -Notre situation est vraiment très-effrayante; cependant, mon courage et -mes espérances ne m'abandonnent pas. Nous pouvons survivre; s'il n'en -est pas ainsi, je répéterai les leçons de mon Sénèque, et je -mourrai de bon cœur. - -»Mais quel sera l'état de votre esprit, Marguerite? vous n'entendrez -pas parler de ma mort, et vous attendrez mon retour avec inquiétude. -Les années s'écouleront, et vous serez tourmentée par des -alternatives de désespoir et d'espérance. Oh! ma chère sœur, les -tourments qu'éprouvera votre cœur, dans une attente peut-être vaine, -me paraissent plus terribles que la mort; mais vous avez un époux, et -d'aimables enfants; vous pouvez être heureuse: que le ciel répande sur -vous ses bénédictions! - -»Mon malheureux hôte me regarde avec la plus tendre compassion. Il -tâche de me donner de l'espoir; il parle comme si la vie était un bien -qu'il estime. Il me rappelle que les navigateurs, qui se sont exposés -avant moi sur cette mer, ont souvent eu à craindre les mêmes dangers; -et, en dépit de moi-même, il me remplit d'heureux augures. Les -matelots mêmes sentent le pouvoir de son éloquence: lorsqu'il parle, -ils reprennent courage; il ranime leur énergie; et, en entendant sa -voix, ils croient que ces vastes montagnes de glace sont des môles, qui -pourront s'évanouir et céder aux résolutions de l'homme. Ces -sentiments sont passagers; leur attente étant chaque jour retardée, -ils passent de l'espoir à la crainte, et de la crainte au désespoir. -J'ai bien peur que cela ne finisse par une mutinerie». - - - - -5 septembre. - - -«Il vient de se passer une scène d'un intérêt si peu commun, que je -ne puis résister au désir de la rapporter, quoiqu'il soit -très-probable que ces papiers ne vous parviendront jamais. - -»Nous sommes encore entourés de montagnes de glace, et sans cesse en -danger d'être engloutis au premier choc. Le froid est excessif; et -plusieurs de mes malheureux compagnons ont déjà trouvé leur tombeau -au milieu de cette scène de désolation. La santé de Frankenstein -dépérit de jour en jour: le feu de la fièvre brille encore dans ses -yeux; mais il est épuisé, et, lorsque tout-à-coup, il a fait -quelqu'effort, il retombe aussitôt, et semble privé de la vie. - -»Je vous ai annoncé dans ma dernière lettre que je redoutais une -mutinerie. Ce matin, j'étais à observer le visage pâle, de mon ami, -ses yeux à moitié fermés, et ses membres languissants; quand je fus -détourné de ce spectacle par un groupe de matelots qui désiraient -entrer dans la cabine. Ils entrèrent; et leur chef m'adressa la parole. -Il me dit que lui et ses compagnons avaient été choisis par les autres -matelots, pour venir en députation auprès de moi, et me faire une -demande, qu'en toute justice, je ne pouvais refuser. Il ajoutait que -nous étions enfermés dans la glace, et qu'il était à croire que nous -n'en sortirions jamais: mais toute leur crainte était que, si par -hasard la glace venait à se séparer et à laisser un passage libre, je -ne fusse assez téméraire pour continuer mon voyage, et les conduire à -de nouveaux dangers, après qu'ils auraient heureusement surmonté -celui-ci. Ils désiraient donc que je fisse la promesse solennelle que, -si le vaisseau était dégagé, je dirigerais aussitôt ma course vers -le sud. - -»Ce discours me troubla. Je n'avais pas perdu tout espoir, et je -n'avais pas encore conçu l'idée de retourner sur mes pas, si j'étais -délivré. Cependant, pouvais-je justement, ou même physiquement, -m'opposer à cette demande? J'hésitais avant de répondre, lorsque -Frankenstein, qui avait d'abord été silencieux, et paraissait -réellement avoir à peine assez de force pour donner la moindre -attention à quoi que ce soit, se réveilla les yeux étincelants et les -joues animées par une force passagère. Il se tourna vers ces hommes, -et il leur dit: - -«Que voulez-vous? Que demandez-vous à votre capitaine? Pouvez-vous -donc être si facilement détournés de votre entreprise? N'appeliez-vous -pas cette expédition glorieuse? Et pourquoi l'était-elle? Ce -n'est pas parce que la route était facile et paisible comme -une mer du Sud, mais parce qu'elle était pleine de dangers et de -terreur; parce qu'à chaque nouvel accident, votre bravoure était -nécessaire, et que votre courage devait être mis à l'épreuve; parce -que vous aviez autour de vous le danger et la mort, et que ces dangers -vous deviez les braver et les surmonter. Voilà pourquoi votre -entreprise était glorieuse, pourquoi elle était honorable: le monde -vous aurait appelés les bienfaiteurs du genre humain; on aurait adoré -les noms illustrés par les hommes courageux, qui auraient bravé la -mort pour la gloire et le bien de l'espèce humaine. Faites maintenant -la comparaison: à la première idée du danger, ou, si vous le voulez, -à la première épreuve forte et effrayante de votre courage, vous vous -découragez, et vous consentez à passer pour des hommes qui n'ont pas -eu assez de force pour endurer le froid et le danger; aussi dira-t-on: -pauvres gens, ils étaient frileux, et ils sont revenus se chauffer à -leurs foyers. Mais pourquoi ces ménagements? Vous n'aviez pas besoin de -venir si loin et de traîner votre capitaine à la honte d'un revers, -pour prouver uniquement votre lâcheté. Ah! soyez hommes, ou soyez plus -que des hommes. Persévérez dans vos projets, et soyez aussi fermes -qu'un roc. Cette glace n'est pas faite d'une matière telle que vos -cœurs pourraient l'être; il se peut qu'elle change, il se peut qu'elle -ne vous arrête plus, si vous dîtes qu'elle ne vous arrêtera pas. Ne -retournez pas dans vos familles avec une marque d'infamie sur vos -fronts. Retournez comme des héros qui ont combattu et vaincu, et qui ne -savent pas ce que c'est que de tourner le dos à l'ennemi». - -»Sa voix était si bien d'accord avec les différents sentiments de son -discours, ses yeux exprimaient une résolution et un héroïsme si -grands, que vous ne devez pas vous étonner que ces hommes fussent -émus. Ils se regardaient l'un l'autre, sans être capables de -répondre. Je pris la parole; je les invitai à se retirer, et à -réfléchir à ce qu'on leur avait dit; je leur dis que je ne les -mènerais pas plus au nord, s'ils persistaient dans leur désir de -retour; mais que j'espérais que leur courage reviendrait avec la -réflexion. - -»Ils se retirèrent, et je me tournai vers mon ami qui était retombé -en langueur, et presque sans vie. - -»Je ne sais quelle sera la fin de tout ceci; mais je préfère la mort -à la honte de revenir sans avoir exécuté mon projet. Cependant je -crains d'y être forcé; des hommes, qui ne sont pas soutenus par des -idées de gloire et d'honneur, ne peuvent jamais continuer, de bon gré, -à supporter les fatigues auxquelles ils sont exposés». - - - - -7 septembre. - - -«Le sort en est jeté; j'ai consenti à revenir, si nous ne périssons -pas. Ainsi mes espérances sont détruites par la lâcheté et -l'indécision: je reviens sans rien savoir, et déçu dans mes projets. -Il faut plus de philosophie que je n'en ai, pour supporter patiemment un -malheur aussi injuste». - - - - -12 septembre. - - -«C'en est fait: je retourne en Angleterre. Je suis frustré dans mes -espérances de gloire et d'intérêt.--J'ai perdu mon ami. Je vais -tâcher, ma chère sœur, de vous donner des détails sur ces pénibles -évènements; et puisque je me dirige vers l'Angleterre et en même -temps vers vous, je ne m'affligerai pas. - -»Le 9 septembre, la glace commença à remuer; des bruits semblables à -celui du tonnerre se firent entendre au loin, et annoncèrent que les -îles de glace se séparaient et se rompaient de tous les côtés. Nous -étions dans le péril le plus imminent; mais notre position étant -entièrement passive, je portai presque toute mon attention sur mon -malheureux hôte, dont la maladie avait pris un caractère si grave -qu'il ne pouvait plus sortir de son lit. La glace se rompit dernière -nous, et fut emportée avec force vers le nord; le vent tourna à -l'ouest, et le 11, le passage vers le sud devint parfaitement libre. Les -matelots, en voyant leur retour dans leur patrie presque assuré, -poussèrent de grandes acclamations de joie long-temps prolongées. -Frankenstein, qui était assoupi, s'éveilla et demanda la cause du -tumulte. «Ils se réjouissent, lui dis-je, de ce qu'ils retourneront -bientôt en Angleterre». - ---«Retournez-vous vraiment»? - ---«Hélas! oui; je ne puis résister à leur demande. Je ne puis les -contraindre à braver le danger, et je suis moi-même contraint de -retourner». - ---«Faites-le si vous le voulez, mais je n'en ferai rien. Vous pouvez -abandonner votre projet; mais je ne puis manquer au mien; il m'est -assigné par le ciel. Je suis faible; niais je ne doute pas que les -esprits, qui aident ma vengeance, ne me donnent assez de force». À ces -mots, il tâcha de se lever de son lit, mais l'effort était au-dessus -de ses forces; il retomba et s'évanouit. - -»Il resta long-temps avant de reprendre connaissance, et je crus -long-temps que la vie était entièrement éteinte. Enfin il ouvrit les -yeux, mais il respirait avec difficulté, et ne pouvait parler. Le -chirurgien lui donna une potion, et nous ordonna de le laisser et de ne -pas le troubler. En même-temps il m'annonça que mon ami n'avait pas -beaucoup d'heures à vivre. - -»La sentence était prononcée: je ne pouvais que m'affliger et -attendre. Je m'assis auprès de son lit pour l'observer; ses yeux étant -fermés, je crus qu'il dormait; mais en ce moment il m'appela d'une voix -faible, m'invita à m'approcher, et me dit: «Hélas! la force, sur -laquelle je comptais, m'abandonne; je le sens, je mourrai bientôt; et -lui, mon ennemi et mon persécuteur, il vit peut-être encore! Ne croyez -pas, Walton, que dans les derniers moments de mon existence, j'éprouve -cette haine brûlante et ce désir ardent de vengeance, dont j'étais -animé autrefois; je souhaite la mort de mon ennemi, et je me sens -justifié par ce sentiment. Pendant ces derniers jours je me suis mis à -examiner ma conduite passée et je ne la trouve nullement blâmable. -Dans un accès de démence, et dans un transport d'enthousiasme, j'ai -créé un être doué de raison; j'étais tenu d'assurer, autant qu'il -était en mon pouvoir, son bonheur et son bien-être. Tel était mon -devoir; mais il en était un autre bien supérieur. Mes devoirs envers -mes semblables étaient beaucoup plus dignes de fixer mon attention, -puisqu'ils renfermaient une plus grande proportion de bonheur ou de -malheur. Soutenu par cette considération, j'ai refusé, et avec raison, -de former une compagne pour l'être que j'avais créé. Il montrait une -perversité et un égoïsme que personne n'aurait pu égaler. Il a -immolé mes amis; il a voué à la mort des êtres qui jouissaient de -deux biens inestimables, le bonheur et la sagesse; et je ne sais où -s'étanchera cette soif de vengeance. Malheureux lui-même de ne pouvoir -faire le malheur des autres, il fallait qu'il mourût.... Mon devoir -était de lui donner la mort, mais j'ai succombé. Conduit par -l'intérêt et des motifs coupables, je vous ai demandé de prendre mon -ouvrage s'il n'était pas terminé; je renouvelle cette prière à -présent que je ne suis guidé que par la raison et la vertu. - -»Cependant je ne puis vous demander de renoncer à votre pays et à vos -amis, pour remplir cette tâche, et, maintenant que vous retournez en -Angleterre, vous aurez peu de chances de le rencontrer; mais je vous -engage à bien réfléchir sur ce point, et à bien peser ce que vous -devez faire. Mon jugement et mes idées sont déjà troublés par -l'approche de la mort. Je n'ose vous demander d'entreprendre ce que je -crois juste; car je puis être encore égaré par la passion. - -»En pensant qu'il pourrait vivre pour être un instrument de malheur, -je me trouble; mais si j'arrête mon esprit à d'autres considérations, -j'envisage cette heure, qui va être celle de mon repos, comme la seule -heureuse que j'aie passée depuis plusieurs années. Je vois voltiger -devant moi les formes des morts qui me sont chers, et je me jette dans -leurs bras. Adieu, Walton! Cherchez le bonheur dans la tranquillité, et -évitez l'ambition, même l'ambition, en apparence innocente, de vous -distinguer dans les sciences et les découvertes. Mais pourquoi parler -ainsi? Cet espoir m'a perdu: un autre peut réussir». - -»Sa voix devenait plus faible à mesure qu'il parlait; et enfin, -épuisé par cet effort, il tomba dans le silence. Environ une -demi-heure après, il essaya encore de parler, mais il n'en eût pas la -force; il pressa faiblement ma main. Ses yeux se fermèrent pour -toujours, et le charme d'un doux sourire s'éloigna de ses lèvres. - -»Marguerite, que puis-je ajouter sur la fin précoce de ce Génie -glorieux? Que dirai-je, qui puisse vous faire comprendre la profondeur -de mon chagrin? Tout ce que je pourrais dire serait trop faible. Mes -yeux sont inondés de larmes; mon esprit est troublé par ma douleur. -Mais je fais route vers l'Angleterre, et je puis y trouver des -consolations. - -»Je suis interrompu. Que signifient ces bruits? Il est minuit; le vent -est bon, et la sentinelle se meut à peine sur le pont. Encore! c'est un -bruit semblable à celui d'une voix humaine, mais plus rauque; il vient -de la cabine où sont encore les restes de Frankenstein; il faut que je -monte et que j'aille voir. Bonne nuit, ma sœur. - -»Grand, Dieu! quelle scène vient de se passer! Je suis encore étourdi -en y pensant. Je ne sais si j'aurai la force de l'écrire; cependant -l'histoire, que je vous ai rapportée, serait incomplète sans cette -dernière et étonnante catastrophe. - -»J'entrai dans la cabine, où étaient les restes de mon malheureux et -admirable ami. Sur lui était penché un spectre que je ne saurais -décrire; sa stature était gigantesque, mais grossière et difforme -dans ses proportions. Courbé sur le lit de mort, il avait la figure -cachée par de longues bouclés de cheveux en désordre; sa main, qui -était étendue, paraissait d'une couleur et d'une peau semblables à -celle d'une momie. En m'entendant approcher, il cessa de pousser des -exclamations de douleur et d'horreur; et il s'élança vers la fenêtre. -Jamais je n'ai rien vu d'aussi horrible que sa figure, de si hideux, et -en même temps d'une laideur si effrayante. Je fermai les yeux -involontairement, et je m'efforçai de me rappeler quels étaient mes -devoirs vis-à-vis de ce monstre sanguinaire. Je le sommai de rester. - -»Il s'arrêta en me regardant avec étonnement; se tourna de nouveau -vers le corps inanimé de son créateur, et parut oublier ma présence. -Chaque trait, chaque geste semblait excité par la plus sombre rage -d'une passion irrésistible. - -«Il est aussi ma victime, s'écria-t-il! Avec sa mort mes crimes sont -consommés: ma misérable existence touche à sa fin! Ah, Frankenstein! -Être généreux, et qui t'es sacrifié! À quoi me servirait-il de te -demander maintenant mon pardon, moi qui t'ai immolé irrévocablement, -en faisant périr tous ceux que tu aimais? Hélas! il est froid, il ne -peut me répondre». - -»Sa voix sembla étouffée: et mon premier mouvement, qui m'avait -rappelé que mon devoir était d'obéir à la prière de mon ami -mourant, en donnant la mort à son ennemi, fut alors arrête par un -mélange de curiosité et de compassion. Je m'approchai de cet être -effrayant, sans oser lever les yeux sur son visage, dont la laideur -était singulièrement repoussante et vraiment extraordinaire. J'essayai -de parler, mais les mots s'arrêtaient sur mes lèvres. Le monstre -continuait de s'adresser des reproches furieux et incohérents. Enfin -j'osai lui parler, dans un moment où sa fureur se calmait. «Ton -repentir, lui dis-je, est maintenant superflu. Si tu avais écouté la -voix de la conscience, et senti l'aiguillon du remords avant de pousser -ta vengeance infernale à cette extrémité, Frankenstein vivrait -encore». - ---«Et rêvez-vous, dit le Démon? Oubliez-vous que j'étais alors mort -au chagrin et au remords? Lui, continua-t-il en me montrant le cadavre, -il n'a pas plus souffert durant sa vie... oh! non, pas la dix millième -partie de mon angoisse pendant son long et cruel supplice. J'étais -saisi d'effroi, et en même temps j'avais le cœur déchiré par le -remords. Pensez-vous que les gémissements de Clerval fussent agréables -à mon oreille? Mon cœur était fait pour être susceptible d'amour et -de sympathie; et, lorsque j'ai été poussé par le malheur au crime et -à la haine, il ne supporta pas la violence du changement sans un -tourment, que vous ne pouvez même imaginer. - -»Après le meurtre de Clerval, je revins dans le Switzerland, le cœur -brisé et abattu. J'avais pitié de Frankenstein; ma pitié se -transforma en horreur: je m'abhorrai moi-même; mais en pensant que lui, -l'auteur et de mon existence et de mes inexprimables tourments, il osait -espérer le bonheur; que, tandis qu'il accumulait sur moi le malheur et -le désespoir, il cherchait son bonheur dans des sentiments et des -passions dont j'étais à jamais privé, alors une jalousie impuissante -et une indignation amère me remplirent d'une soif insatiable de -vengeance. Je me souvins de ma menace, et je résolus de l'accomplir. Je -savais que je me préparais une torture affreuse; mais j'étais -l'esclave, et non le maître d'une impulsion que je détestais sans -pouvoir y résister. Cependant lorsqu'elle périt!.... non, je n'étais -pas alors malheureux. J'avais repoussé tout sentiment, comprimé toute -angoisse pour me livrer à l'excès de mon désespoir. Dès-lors le mal -devint un bien pour moi. Arrivé à ce point, je n'eus plus d'autre -choix que d'adapter ma nature à un élément que j'avais choisi -moi-même. Le couronnement de mon projet infernal devint une passion -insatiable. Et maintenant il est terminé: voici ma dernière victime»! - -»Je fus d'abord touché par les expressions de sa douleur; mais en me -rappelant que Frankenstein m'avait parlé du pouvoir de son éloquence -persuasive, et en reportant les yeux sur le corps inanimé de mon ami, -je sentis l'indignation se rallumer en moi. «Malheureux! lui dis-je, -convient-il que tu viennes ici, pour gémir sur la scène de désolation -dont tu es l'auteur? Tu jettes une torche au milieu d'un édifice, et, -après qu'il est consumé, tu t'assieds sur ses ruines, et tu gémis de -sa chute. Démon hypocrite! si celui que tu pleures vivait encore, il -serait encore l'objet de ton exécrable vengeance, et il en deviendrait -la proie. Ce n'est pas la pitié que tu sens; tu gémis seulement de ce -que la victime, que tu réservais à ta perversité, vient de lui -échapper». - ---«Ah! ce n'est pas ainsi..... non, dit-il en m'interrompant, quoique -vous deviez le penser en me jugeant d'après mes actions! Je ne cherche -pas quelqu'un qui compatisse à ma misère: je ne trouverai jamais de -sympathie. Dans le temps où j'en ai cherché, c'était à l'amour de la -vertu, aux sentiments de bonheur et d'affection, dont je me sentais -pénétré, que je désirais participer; mais maintenant que la vertu -est devenue pour moi un fantôme, et que le bonheur et l'affection sont -changés en un désespoir amer et cruel, où chercherais-je la -sympathie? Tant que mes souffrances dureront, je suis content de -souffrir seul: lorsque je mourrai, la haine et l'opprobre chargeront ma -mémoire. Autrefois mon imagination était adoucie par des idées de -vertu, de gloire et de bonheur. Autrefois j'espérais à tort rencontrer -des êtres, qui pardonneraient à mon extérieur, et m'aimeraient pour -les excellentes qualités dont j'étais capable de faire preuve. Je me -nourrissais de hautes pensées d'honneur et de dévouement; mais -maintenant le crime m'a placé au-dessous du plus vil animal. Il n'est -personne à qui je puisse être comparé pour le crime, le malheur et la -perversité. Lorsque je fais l'énumération de mes crimes, je ne puis -croire que je sois le même qui était autrefois rempli des visions -sublimes et transcendantes de la beauté et de la majesté du bien. Mais -il n'est que trop vrai; l'ange déchu devient le démon du mal. Et même -cet ennemi de Dieu et de l'homme avait des amis et des compagnons dans -son malheur; et moi je suis seul». - ---«Vous, qui appelez Frankenstein votre ami, vous paraissez connaître -mes crimes et ses malheurs; mais, dans le détail qu'il vous en a -donné, il n'a pu vous énumérer les heures et les mois de misère que -j'ai passés, et durant lesquels je me suis consumé en passions -impuissantes: car, tandis que je détruisais ses espérances, je ne -satisfaisais pas mes propres désirs. Ils étaient toujours ardents et -insatiables; que je désirasse l'amour ou l'amitié, j'étais toujours -repoussé. N'y avait-il aucune injustice en cela? Dois-je passer pour le -seul criminel, lorsque toute l'espèce humaine était contre moi? -Pourquoi ne haïssez-vous pas Félix, qui chassa son ami d'une manière -outrageante? Pourquoi ne détestez-vous pas le paysan, qui voulut tuer -le sauveur de sa fille? Non; ce sont des êtres vertueux et sans taches! -Moi, qui suis malheureux et abandonné, je suis un objet de rebut, qui -doit être méprisé, repoussé, et foulé aux pieds. Même à présent, -je sens bouillir mon sang au souvenir de cette injustice. - -»Mais il est vrai que je suis un misérable. J'ai assassiné celui qui -était aimable et sans appui; j'ai étranglé l'innocent pendant son -sommeil; j'ai étouffé celui qui n'avait jamais fait aucun mal ni à -moi, ni à aucun être animé. J'ai voué au malheur mon créateur, le -modèle de tout ce qui est digne d'amour et d'admiration parmi les -hommes; je l'ai poursuivi jusqu'à cette extrémité irréparable. Le -voici, livide et glacé du froid de la mort. Vous me haïssez; mais -votre haine ne peut égaler celle avec laquelle je me regarde moi-même. -Je vois les mains qui m'ont formé; je pense que c'est dans son -imagination que j'ai été conçu, et je suis impatient de voir arriver -le moment où tout cela ne sera plus sous mes yeux, ou présent à ma -pensée. - -»Ne craignez pas que je devienne un jour l'instrument d'une nouvelle -oppression. Mon ouvrage sera bientôt achevé. Ni votre mort, ni celle -d'aucun homme n'est nécessaire pour consommer mon existence, et -accomplir ce qui doit arriver; la mienne seule est nécessaire. Ne -croyez pas que je tarde à faire ce sacrifice. Je quitterai votre -vaisseau sur le radeau de glace qui m'a apporté ici, et je chercherai -l'extrémité du globe la plus voisine du nord. Je formerai mon bûcher -funéraire, et je réduirai en cendres ce misérable corps, afin que ses -restes ne puissent servir à quelqu'homme curieux et profane, qui -voudrait créer un autre être semblable à moi: je vais mourir. Je ne -sentirai plus l'agonie qui me consume maintenant, et je ne serai plus la -proie de mes sens, que je n'ai pu ni satisfaire, ni éteindre. Il est -mort, celui qui me donna l'existence; et, lorsque je ne serai plus, le -souvenir de nos deux existences sera bientôt évanoui. Je ne verrai -plus le soleil ou les étoiles, et je ne sentirai plus le vent se jouer -sur mon visage: je ne connaîtrai plus ni lumière, ni sentiment, ni -sens; mais c'est dans cette condition que je dois trouver mon bonheur. -Il y a quelques années, lorsque je vis pour la premières fois la -beauté de ce monde; lorsque je sentis la chaleur vivifiante de l'été; -lorsque j'entendis le bruissement des feuilles et le gazouillement des -oiseaux, et que je bornais là toutes mes sensations, j'aurais été -inconsolable de mourir; maintenant je n'ai pas d'autre consolation. -Souillé de crimes, et déchiré par le plus cruel remords, pourrais-je -trouver du repos ailleurs que dans la mort? - -»Adieu! je vous quitte, et vous êtes le dernier de toute l'espèce -humaine que mes yeux verront jamais.--Et toi, Frankenstein, adieu. -Frankenstein! si tu vivais encore, et que tu conservasses un désir de -vengeance contre moi, tu la satisferais mieux par ma vie que par ma -mort. Mais il n'en était pas ainsi; tu cherchais ma mort, afin que je -ne pusse causer de plus grands malheurs; et cependant, si, par une -puissance qui m'est inconnue, tu n'as pas encore cessé de penser et de -sentir, tu ne peux désirer que je vive pour mon malheur. Quelque fût -ta position, mes tourments étaient encore plus cruels que les tiens; -car les pointes aiguës du remords ne peuvent cesser d'envenimer mes -blessures, jusqu'à ce que la mort les ferme à jamais. - -»Mais bientôt, s'écria-t-il avec un enthousiasme terrible et -solennel, je mourrai; je ne sentirai plus ce que j'éprouve maintenant. -Bientôt ces douleurs cuisantes seront éteintes. Je monterai triomphant -sur mon bûcher funéraire, et je tressaillerai de joie dans l'agonie au -milieu des flammes dévorantes. La lueur de ce foyer s'affaiblira; mes -cendres seront emportées dans la mer par les vents. Mon esprit reposera -en paix; ou s'il pense, il ne sera certainement pas en proie aux mêmes -pensées. Adieu». - -»Il dit, et s'élança par la fenêtre de la cabine, sur le radeau de -glace qui était attaché au vaisseau. Il fut bientôt emporté par les -vagues, et perdu dans l'obscurité et l'éloignement». - - - - - -FIN DU TOME TROISIEME ET DERNIER. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 3 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62406-0.txt or 62406-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62406/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. Special rules, -set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to -copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to -protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project -Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you -charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you -do not charge anything for copies of this eBook, complying with the -rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose -such as creation of derivative works, reports, performances and -research. They may be modified and printed and given away--you may do -practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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It exists -because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from -people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. -To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation -and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 -and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To -SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any -particular state visit http://pglaf.org - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. -To donate, please visit: http://pglaf.org/donate - - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic -works. - -Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm -concept of a library of electronic works that could be freely shared -with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project -Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. - - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. -unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/62406-0.zip b/old/62406-0.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index ce115c9..0000000 --- a/old/62406-0.zip +++ /dev/null diff --git a/old/62406-h.zip b/old/62406-h.zip Binary files differdeleted file mode 100644 index c2a74cc..0000000 --- a/old/62406-h.zip +++ /dev/null diff --git a/old/62406-h/62406-h.htm b/old/62406-h/62406-h.htm deleted file mode 100644 index f8f1cf4..0000000 --- a/old/62406-h/62406-h.htm +++ /dev/null @@ -1,3577 +0,0 @@ -<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" - "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> -<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="fr" lang="fr"> - <head> - <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=utf-8" /> - <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" /> - <title> - The Project Gutenberg eBook of Frankenstein Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley. - </title> - <style type="text/css"> - -body { - margin-left: 10%; - margin-right: 10%; -} - - h1,h2,h3,h4,h5,h6 { - text-align: center; /* all headings centered */ - clear: both; -} - -p { - margin-top: .51em; - text-align: justify; - margin-bottom: .49em; -} - -.p2 {margin-top: 2em;} -.p4 {margin-top: 4em;} -.p6 {margin-top: 6em;} - -hr { - width: 33%; - margin-top: 2em; - margin-bottom: 2em; - margin-left: auto; - margin-right: auto; - clear: both; -} - -hr.tb {width: 45%;} -hr.chap {width: 65%} -hr.full {width: 95%;} - -hr.r5 {width: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;} -hr.r65 {width: 65%; margin-top: 3em; margin-bottom: 3em;} - -ul.index { list-style-type: none; } -li.ifrst { margin-top: 1em; } -li.indx { margin-top: .5em; } -li.isub1 {text-indent: 1em;} -li.isub2 {text-indent: 2em;} -li.isub3 {text-indent: 3em;} - -table { - margin-left: auto; - margin-right: auto; -} - - .tdl {text-align: left;} - .tdr {text-align: right;} - .tdc {text-align: center;} - -.pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */ - /* visibility: hidden; */ - position: absolute; - left: 92%; - font-size: smaller; - text-align: right; -} /* page numbers */ - -.linenum { - position: absolute; - top: auto; - right: 10%; -} /* poetry number */ - -.blockquot { - margin-left: 5%; - margin-right: 10%; -} - -.sidenote { - width: 10%; - padding-bottom: .5em; - padding-top: .5em; - padding-left: .5em; - padding-right: .5em; - margin-left: .5em; - float: left; - clear: left; - margin-top: .5em; - font-size: smaller; - color: black; - background: #eeeeee; - border: dashed 1px; -} - -.bb {border-bottom: solid 2px;} - -.bl {border-left: solid 2px;} - -.bt {border-top: solid 2px;} - -.br {border-right: solid 2px;} - -.bbox {border: solid 2px;} - -.center {text-align: center;} - -.right {text-align: right;} - -.smcap {font-variant: small-caps;} - -.u {text-decoration: underline;} - -.gesperrt -{ - letter-spacing: 0.2em; - margin-right: -0.2em; -} - -em.gesperrt -{ - font-style: normal; -} - -.caption {font-weight: bold;} - -/* Images */ -.figcenter { - margin: auto; - text-align: center; -} - -.figleft { - float: left; - clear: left; - margin-left: 0; - margin-bottom: 1em; - margin-top: 1em; - margin-right: 1em; - padding: 0; - text-align: center; -} - -.figright { - float: right; - clear: right; - margin-left: 1em; - margin-bottom: - 1em; - margin-top: 1em; - margin-right: 0; - padding: 0; - text-align: center; -} - -/* Notes */ -.footnotes {border: dashed 1px;} - -.footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;} - -.footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;} - -.fnanchor { - vertical-align: super; - font-size: .8em; - text-decoration: - none; -} - -.actor {font-size: 0.8em; - text-align: center;} - -/* Poetry */ -.poem { - margin-left:10%; - margin-right:10%; - text-align: left; -} - -.poem br {display: none;} - -.poem .stanza {margin: 1em 0em 1em 0em;} - -/* Transcriber's notes */ -.transnote {background-color: #E6E6FA; - color: black; - font-size:smaller; - padding:0.5em; - margin-bottom:5em; - font-family:sans-serif, serif; } - </style> - </head> -<body> - - -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moderne -Volume 3 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with -almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 3 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62406] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - -</pre> - - -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<img src="images/frankenstein03_cover.jpg" width="500" alt="" /> -</div> - - - -<h2>FRANKENSTEIN,</h2> - -<h4>OU</h4> - -<h2>LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h2> - -<h4>DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,</h4> - -<h5>AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.</h5> - -<h3>Par M<sup>me</sup> SHELLY, sa nièce.</h3> - -<h4>TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***</h4> - -<p><span style="margin-left: 20em;">Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">l'argile pour me faire homme? T'ai-je</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">sollicité de m'arracher du néant?</span></p> - -<p style="margin-left: 50%;">MILTON, <i>Paradis perdu.</i></p> - -<h4>TOME TROISIÈME</h4> - -<h5>PARIS,</h5> - -<h5>CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE</h5> - -<h5>PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.</h5> - -<h5>1821</h5> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<p>TABLE</p> -<p><a href="#CHAPITRE_XVII">CHAPITRE XVII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XVIII">CHAPITRE XVIII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XIX">CHAPITRE XIX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XX">CHAPITRE XX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XXI">CHAPITRE XXI</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XXII">CHAPITRE XXII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XXIII">CHAPITRE XXIII</a><br /> -<a href="#SUITE_PAR_WALTON">SUITE, PAR WALTON</a></p> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<h4>FRANKENSTEIN,<br /> - -OU<br /> - -LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h4> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XVII">CHAPITRE XVII</a></h4> - - -<p>Après mon retour à Genève, les jours et les semaines s'écoulèrent -sans que je pusse trouver le courage de recommencer mon ouvrage. Si je -ne remplissais pas ma promesse envers le démon, j'avais tout à -craindre de sa vengeance; cependant je ne pouvais surmonter l'horreur -que m'inspirait l'affreux travail dont j'étais chargé. Je comptais -avoir besoin, pour former une femme, de plusieurs mois d'une étude -profonde et de recherches pénibles. J'avais entendu parler de quelques -découvertes faites par un philosophe anglais, et dont il était -nécessaire que j'eusse connaissance. Quelquefois je pensais à obtenir -le consentement de mon père pour visiter l'Angleterre et m'instruire de -ces nouvelles découvertes; mais je m'effrayais de toute espèce de -retard, et je ne pouvais me résoudre à troubler la tranquillité qui -commençait à rentrer dans mon âme. Ma santé, qui jusqu'alors avait -décliné, était maintenant bien rétablie; et mon courage ne -s'affermissait pas moins, lorsque je n'avais pas l'esprit frappé par le -souvenir de ma malheureuse promesse. Mon père remarqua ce changement -avec plaisir, et chercha le moyen de dissiper ce qui restait de ma -mélancolie, dont les noirs accès revenaient de temps en temps, et -troublaient le bonheur dont j'étais près de jouir. Dans ces moments je -me renfermais dans la solitude la plus profonde. Je passais des -journées entières sur le lac, dans une barque, seul, silencieux, et -indifférent au spectacle des cieux comme au bruit des vagues; mais la -vivacité de l'air, et l'éclat du soleil manquaient rarement de me -rendre quelque tranquillité; et, à mon retour, j'accueillais mes amis -avec un sourire plus agréable et un cœur plus gai.</p> - -<p>Un jour, au retour d'une de ces promenades, mon père m'appela auprès -de lui, et me parla ainsi:</p> - -<p>«Je suis satisfait, mon cher fils, de remarquer que vous avez repris -vos premiers amusements, et que vous semblez revenir à vous-même, -quoique vous soyez toujours malheureux, et que vous évitiez encore -notre société. Pendant quelque temps, je me suis perdu en conjectures -pour en découvrir la cause; mais hier une idée m'a frappé, et, si -elle est fondée, je vous conjure de me l'avouer. La réserve sur ce -point ne serait pas seulement inutile, mais funeste à nous tous».</p> - -<p>Cet exorde me fit trembler avec violence, mais mon père continua:</p> - -<p>«J'avoue mon fils, que j'ai toujours envisagé votre mariage avec votre -cousine comme le nœud de notre bonheur domestique, et la consolation de -mes vieux jours. Vous l'avez été attachés l'un à l'autre depuis -votre première enfance; vous avez étudié ensemble, vous paraissez -même vous convenir entièrement de caractère et de goûts; mais -l'expérience de l'homme est si aveugle, que ce qui me parait le plus -propre à seconder mon projet, peut l'avoir entièrement détruit. -Peut-être la regardez-vous comme votre sœur, sans désirer qu'elle -devienne votre femme. Il est également possible que vous ressentiez de -l'amour pour une autre personne, et qu'en même-temps vous pensiez être -engagé d'honneur à votre cousine, et que ce combat de sentiments soit -la cause de la douleur poignante dont vous êtes affecté».</p> - -<p>—«Mon cher père, rassurez-vous, j'ai pour ma cousine une tendre et -sincère affection. Je n'ai jamais vu de femme qui me parût aussi digne -qu'Élisabeth, d'admiration et de tendresse. L'union dont vous me -parlez, est l'espoir et le but de mon avenir».</p> - -<p>—«Les sentiments que vous venez d'exprimer, mon cher Victor, me -donnent plus de plaisir que je n'en ai éprouvé depuis quelque temps. -Puisqu'il en est ainsi, nous serons certainement heureux, malgré le -chagrin que nous causent les circonstances actuelles. Je veux surtout -dissiper ce chagrin, qui parait s'être si fortement emparé de votre -esprit. Ainsi, dites-moi si vous vous opposez à ce, que la -célébration du mariage ait lieu sur le champ. Nous avons été -malheureux, et depuis les derniers évènements nous sommes privés de -cette paix journalière qui convient à mes années et à mes -infirmités. Vous êtes plus jeune; mais je ne suppose pas qu'étant -maître d'une fortune suffisante, vous trouviez dans un mariage -contracté de bonne heure, un obstacle au projet de vous illustrer, et -de vous rendre utile. Ne supposez donc pas que je veuille vous imposer -le bonheur, ou que je m'afflige sérieusement d'un délai que vous -proposeriez. Interprétez mes paroles avec candeur, et répondez-moi, je -en conjure, avec confiance et sincérité».</p> - -<p>J'écoutais mon père en silence, et je fus quelque temps sans pouvoir -lui répondre. J'agitai rapidement une multitude de pensées dans mon -esprit, et je fis mille efforts pour amener une conclusion. Hélas! la -perspective d'une union prochaine avec ma cousine me remplissait -d'horreur et d'épouvante. J'étais lié par une promesse solennelle, -que je n'avais pas encore tenue; je n'osais pourtant pas la violer, car -si j'avais cette témérité, je verrais fondre sur ma famille et sur -moi-même les innombrables malheurs que nous réservait la vengeance du -Démon. Accablé de ce poids affreux, pourrais-je supporter un jour de -fête? Il fallait que mes engagements envers le monstre fussent remplis, -et qu'il eût quitté ces lieux avec sa compagne, pour qu'il me fût -permis de jouir en paix d'une union dont j'attendais le bonheur.</p> - -<p>Je me souvins aussi de la nécessité, ou de voyager en Angleterre, ou -de nouer une longue correspondance avec les philosophes de ce pays, dont -les connaissances et les découvertes m'étaient d'un usage -indispensable dans ma nouvelle entreprise; car l'ancienne méthode, pour -obtenir l'intelligence désirée, était longue et peu satisfaisante. Je -n'étais pas non plus mécontent d'un changement; j'étais charmé de -pouvoir passer un an ou deux dans un autre pays, et de me distraire par -de nouvelles occupations; absent de ma famille, il pouvait arriver, -pendant ce temps, que je lui fusse rendu paisible et heureux par un -évènement quelconque; ma promesse serait remplie, et le monstre -éloigné; ou bien quelqu'accident aurait mis fin à sa vie, et terminé -pour toujours mon esclavage.</p> - -<p>Telles étaient mes rapides réflexions; elles dictèrent ma réponse à -mon père. J'exprimai le désir de visiter l'Angleterre; mais, cachant -les véritables motifs de cette demande, je mis en avant l'intention de -voyager, et de voir le monde, avant de me fixer pour toujours dans les -murs de ma ville natale.</p> - -<p>Je pressai mon père avec ardeur, et j'en obtins facilement le -consentement; car il n'existait pas sur la terre un père qui fût plus -indulgent et moins despotique. Notre plan fut bientôt arrangé. J'irais -à Strasbourg, où Clerval viendrait me rejoindre. Nous passerions -quelque temps dans les villes de Hollande; nous ferions notre plus long -séjour en Angleterre, et nous reviendrions par la France. Il fut -convenu que ce voyage durerait deux ans.</p> - -<p>Mon père, se plaisait à penser que mon union avec Élisabeth aurait -lieu aussitôt après mon retour à Genève. «Ces deux années, -disait-il, s'écouleront bien vite; mais au bout de ce temps, rien ne -s'opposera à votre bonheur; et, en vérité, je désire vivement voir -arriver le moment où nous serons tous unis, sans qu'aucune espérance -ni crainte viennent troubler notre calme domestique».</p> - -<p>—«Je suis content de votre arrangement, lui répondis-je; à cette -époque, nous serons tous deux plus sages, et j'espère plus heureux que -nous ne le sommes maintenant». Je poussai un soupir; mais mon père, -dont l'âme était pleine de bonté, cessa de rechercher le secret de ma -mélancolie. Il espérait que de nouvelles scènes et le plaisir; de -voyager me rendraient le repos.</p> - -<p>Je fis alors mes préparatifs de départ; mais j'étais poursuivi d'une -idée qui me remplissait de crainte et d'agitation. Je laisserais, -pendant mon absence, mes amis exposés aux attaques d'un ennemi dont je -leur cachais l'existence, et qui s'irriterait sans doute en apprenant -mon départ. Cependant, il avait juré de me suivre partout où j'irais: -ne m'accompagnerait-il pas en Angleterre? Cette pensée était affreuse -en elle-même, et en même temps consolante, puisqu'elle ne me laissait -aucune inquiétude sur le compte de mes amis. J'étais au désespoir en -pensant qu'il pût en être autrement. Mais, pendant tout le temps que -je fus l'esclave de ma créature, je me laissais gouverner par les -impulsions du moment; et, dans la situation où je me trouvais, j'étais -intimement convaincu que le Démon me suivrait, et délivrerait ma -famille du danger de ses machinations.</p> - -<p>Je partis vers la fin du mois d'août, pour passer deux années d'exil. -Élisabeth approuvait les motifs de mon départ, et regrettait seulement -de n'avoir pas la même occasion d'enrichir son expérience et de -cultiver son esprit; mais elle ne put s'empêcher de pleurer en me -disant adieu, et elle me pria de revenir heureux et tranquille. «Nous -dépendons tous de vous, dit-elle; et si vous êtes malheureux, nous le -serons aussi».</p> - -<p>Je me jetai dans la voiture qui devait m'emmener, sans savoir à peine -où j'allais, et sans m'occuper de ce qui se passait autour de moi. Je -me souvins seulement, et ce fut avec une amertume affreuse que j'y -pensai, d'ordonner qu'on emballât mes instruments de chimie pour les -emporter: car j'étais résolu à remplir ma promesse pendant mon -absence, et à revenir libre, s'il était possible. Agité de tristes -pensées, je passai devant un grand nombre de sites beaux et majestueux; -mais, mes yeux étaient fixes et inattentifs. Je ne pensais qu'au terme -de mes voyages, et à l'ouvrage qui allait m'occuper pendant ce temps.</p> - -<p>Après quelques jours d'une complète indolence, j'arrivai à Strasbourg -où j'attendis Clerval pendant deux jours. Il arriva. Hélas! quel -contraste entre nous! Il s'animait à chaque scène nouvelle; il était -content en admirant les beautés du soleil couchant, et plus heureux -encore lorsqu'il le voyait se lever et commencer un nouveau jour. Il me -montrait les variétés du paysage, et les diverses nuances du ciel. -«Voilà ce qui s'appelle vivre, s'écriait-il; maintenant, je jouis de -l'existence! mais toi, mon cher Frankenstein, pourquoi es-tu abattu et -mélancolique»? Il est vrai que j'étais en proie à des pensées si -tristes, que je n'apercevais ni l'étoile du soir, ni le lever du soleil -dont les rayons dorés se réfléchissaient dans le Rhin.—Et vous, mon -ami, vous trouveriez bien plus de plaisir à lire le journal de Clerval, -qui observait-le pays avec l'œil du sentiment et du bonheur, qu'à -écouter, mes réflexions. Moi, malheureux, j'étais poursuivi par une -malédiction qui fermait tout accès à la joie.</p> - -<p>Nous étions convenus de descendre le Rhin dans un bateau depuis -Strasbourg jusqu'à Rotterdam, d'où nous devions nous embarquer pour -Londres. Pendant ce voyage, nous passâmes devant un grand nombre -d'îles couvertes de saules, et nous vîmes plusieurs villes superbes. -Nous nous arrêtâmes un jour à Mannheim, et, cinq jours après notre -départ de Strasbourg, nous arrivâmes à Mayence. Le cours du Rhin -au-dessous de Mayence devient beaucoup plus pittoresque. Le fleuve court -avec rapidité entre des montagnes, qui, sans être élevées, -présentent une pente escarpée, et un aspect agréable. Nous vîmes un -grand nombre de châteaux en ruine, placés sur les bords des -précipices, et entourés de bois sombres, élevés et inaccessibles. -Cette partie du Rhin présente un paysage singulièrement varié. Sur le -même point, on voit des montagnes escarpées, des châteaux en ruines -qui dominent des précipices effrayants, et le Rhin fangeux qui coule au -bas avec rapidité; et au détour d'un promontoire, la scène est -occupée par des vignobles florissants, par de vertes collines par les -sinuosités d'un fleuve, et par des villes populeuses.</p> - -<p>Nous voyagions à l'époque des vendanges, et nous étions accompagnés -par les chants des villageois, pendant que nous descendions le courant. -Malgré mon abattement, malgré l'agitation continuelle et pénible de -mes sentiments, j'éprouvais encore du plaisir. Je m'étendis au fond du -bateau, et les yeux, fixés sur le ciel azuré et sans nuages, je -m'imaginai goûter un repos auquel depuis long-temps j'avais été -étranger. Et si telles étaient mes sensations, qui pourra décrire -celles de Henry? Il était, pour ainsi dire, transporté dans un pays de -fées, et il jouissait d'un bonheur rarement accordé à l'homme. «J'ai -vu, disait-il, les plus beaux sites de mon pays; j'ai visité les lacs -de Lucerne et d'Uri, où les montagnes couvertes de neige descendent -presque perpendiculairement sur l'eau, projetant une ombre sombre, -impénétrable, et qui donnerait une apparence triste et mélancolique, -si des îles voisines et couvertes de verdure n'étaient là pour -réjouir l'œil de leur aspect. J'ai vu ce lac agité par une tempête, -lorsque le vent élevait l'eau en tourbillons, et offrait une image de -la fureur des flots dans le grand Océan; et les vagues se brisant avec -violence contre le pied de la montagne, où le prêtre et sa maîtresse -furent emportés par une avalanche, et où, dit-on, leurs voix sont -encore entendues quand le vent cesse de souffler pendant la nuit. J'ai -vu les montagnes du Valais et le pays de Vaud: mais cette contrée, -Victor, m'enchante plus que toutes ces merveilles. Les montagnes du -Switzerland sont plus majestueuses et plus étranges; mais il y a un -charme incomparable dans les rives de ce fleuve délicieux. Vois ce -château suspendu sur le précipice; cet autre dans l'île, presque -caché parmi le feuillage de ces arbres charmants; vois maintenant ce -groupe de villageois qui reviennent de leurs vignes, et ce village à -moitié caché dans l'enfoncement de la montagne. Oh! certes, l'esprit -qui habite et veille sur ce lieu, a une âme plus en harmonie avec -l'homme, que ceux qui vivent sur le glacier, ou se retirent sur les pics -inaccessibles des montagnes de notre pays».</p> - -<p>Clerval, cher ami! même à présent, je trouve du charme à me rappeler -tes paroles, et à m'arrêter sur l'éloge dont tu es vraiment digne. -C'était un être formé <i>dans la véritable poésie de la nature</i><a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>. -Son imagination hardie et enthousiaste était tempérée par la -sensibilité de son cœur. Son âme était remplie d'affections -ardentes, et son amitié était de cette nature dévouée et étonnante, -dont le modèle, aux yeux du monde, n'existe que dans l'imagination; -mais la sympathie même de l'homme ne pouvait satisfaire son esprit -ardent. Il aimait avec ardeur les beautés de la nature, que les autres -ne regardent qu'avec admiration.</p> - - -<blockquote> -<p>Il aimait avec passion le bruit de la cataracte; il trouvait un attrait -dans le rocher élevé, dans la montagne, dans le bois épais et -mélancolique, dans ses couleurs et ses formes: ce sentiment, et cet -amour, qui n'avaient pas besoin d'un charme plus éloigné, étaient -entretenus par la pensée: car ce n'était pas à ses yeux qu'il devait, -le plaisir qu'il éprouvait<a name="FNanchor_2_1" id="FNanchor_2_1"></a><a href="#Footnote_2_1" class="fnanchor">[2]</a>.</p></blockquote> - - -<p>Et où est-il maintenant? Est-il perdu à jamais cet être doux et -aimable? N'est-il plus cet esprit si fécond; si riche en pensées -hardies et magnifiques, qui formaient un monde dépendant de la vie de -celui qui le créait? N'existe-t-il plus que dans ma mémoire? Non, il -n'en est pas ainsi; ta forme si divinement travaillée, et brillante de -beauté, est déchue; mais ton esprit visite encore et console ton -malheureux ami.</p> - -<p>Pardonnez-moi d'épancher ainsi mon chagrin; ces vaines paroles ne sont -qu'un léger tribut que je paie à la mémoire de l'incomparable Henry, -mais elles adoucissent mon cœur, rempli de la douleur que me cause son -souvenir. Je poursuis.</p> - -<p>Au-dessus de Cologne, nous descendîmes dans les plaines de la Hollande, -et nous résolûmes de faire en poste le reste de notre route; car le -vent était contraire, et le courant du fleuve trop lent.</p> - -<p>Notre voyage perdit ici l'intérêt qui s'attachait à un pays -magnifique; nous fûmes en peu de jours à Rotterdam, d'où nous fîmes -voile pour l'Angleterre. Ce fut le matin d'un jour serein, à la fin de -septembre, que j'aperçus pour la première fois les rochers -blanchâtres de la Grande-Bretagne. Les rives de la Tamise -présentèrent une scène nouvelle; elles sont unies, mais fertiles, et -bordées de villes, dont chacune réveille quelque souvenir. Nous ne -pûmes voir le fort Tilbury sans penser à l'Armada Espagnole; nous -vîmes aussi Gravesend, Woolwich, et Greenwich, lieux dont j'avais -entendu parler, même dans mon pays.</p> - -<p>Enfin nous aperçûmes les nombreux clochers de Londres, celui de -Saint-Paul qui s'élève au-dessus de tous, et la Tour si fameuse dans -l'histoire d'Angleterre.</p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a>Leigh Hunt's «Rimini».</p></div> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_2_1" id="Footnote_2_1"></a><a href="#FNanchor_2_1"><span class="label">[2]</span></a>Wordsworth's «Tintern Abbey».</p></div> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XVIII">CHAPITRE XVIII</a></h4> - - -<p>Londres fut notre point de repos; nous résolûmes de rester, plusieurs -mois dans cette ville étonnante et célèbre. Clerval désirait voir -les hommes les plus remarquables de cette époque par leur talent ou -leur génie; mais je n'y attachais qu'une importance secondaire; -j'étais principalement occupé des moyens de recueillir les -renseignements, dont j'avais besoin pour remplir ma promesse. Je -profitai sur-le-champ des lettres d'introduction que j'avais apportées, -et qui étaient pour les philosophes les plus distingués.</p> - -<p>Si ce voyage avait eu lieu pendant mes jours d'étude et de bonheur, il -m'aurait fait goûter un plaisir inexprimable; mais mon existence était -traînante, et mon unique but, en visitant ces hommes célèbres, était -de tirer parti de leurs connaissances, pour l'objet auquel ma destinée -était liée d'une manière si terrible. La société était fatigante -pour moi; mais seul, j'étais libre de contempler le ciel et la terre; -la voix d'Henry adoucissait mes ennuis, et je pouvais ainsi m'abuser -moi-même dans une paix passagère. Des visages gais et vifs, au -contraire, ne pouvaient m'intéresser, et reportaient le désespoir dans -mon cœur. Je voyais une barrière insurmontable placée entre mes -semblables et moi; elle était scellée du sang de Guillaume et de -Justine; et mon âme, en se retraçant ces évènements, éprouvait de -mortelles angoisses.</p> - -<p>Clerval m'offrait l'image de ce que j'étais autrefois; il était -observateur, et il observait pour son expérience et son instruction. La -différence qu'il remarquait dans les usages, était pour lui une source -inépuisable d'instruction et d'amusement. Il était sans cesse occupé, -et il n'était troublé dans ses plaisirs, que par mon air triste et -abattu. Je tâchais de le lui cacher autant que possible, afin de ne pas -le priver des plaisirs naturels pour celui qui entre dans un nouveau -genre de vie, et qui n'est tourmenté par aucun souci, ni par des -souvenirs amers. Je refusais souvent de l'accompagner, en prétextant un -autre engagement, mais dans le fait pour rester seul. Vers cette -époque, je me mis aussi à réunir les matériaux nécessaires pour ma -nouvelle création: ce fut pour moi le supplice des gouttes d'eau, qui -tombent une à une et continuellement sur la tête. Si ma pensée se -portait sur ce travail, une profonde douleur s'emparait de moi; si une -parole s'y rattachait par quelque allusion, mes lèvres étaient -tremblantes, et mon cœur palpitant. Nous avions déjà passé quelques -mois à Londres, quand nous reçûmes une lettre d'une personne -d'Écosse y qui avait eu l'occasion de nous voir autrefois à Genève. -Il vantait les beautés de son pays natal, et nous demandait si elles -n'auraient pas assez d'attrait, pour nous engager à pousser notre -voyage au nord jusqu'à Perth, où il demeurait. Clerval désirait -vivement accepter cette invitation; et, malgré mon horreur pour la -société, je voulus aussi voir des montagnes, des torrents, et toutes -les merveilles dont la nature se plaît à orner les lieux qu'elle -préfère.</p> - -<p>Nous étions arrivés en Angleterre au commencement d'octobre, et nous -étions alors en février. En conséquence, nous nous déterminâmes à -commencer notre voyage vers le nord un mois plus tard. Dans notre -excursion, nous n'avions pas le projet de suivre la grande route -jusqu'à Édimbourg, mais de visiter Windsor, Oxford, Matlock, et les -lacs de Cumberland; et de terminer ce voyage en juillet. J'emballai mes -instruments de chimie et les matériaux que j'avais réunis, avec -l'intention de finir mes travaux dans quelque coin obscur des pays -montagneux de l'Écosse.</p> - -<p>Partis de Londres le 27 mars, nous mîmes quelques jours à parcourir -les belles forêts de Windsor. Des chênes majestueux, une multitude -prodigieuse de gibier, et des troupes de daims superbes présentaient -une scène tout-à-fait nouvelle pour nous, qui habitions les montagnes.</p> - -<p>De là nous allâmes à Oxford. En entrant dans cette ville, les -évènements, dont elle avait été le théâtre plus de cent cinquante -ans auparavant, se retracèrent à notre esprit. C'est là que Charles -I<sup>er</sup> avait rassemblé ses forces. Cette ville lui avait gardé -fidélité, même après que la nation entière eut abandonné sa cause, -pour suivre l'étendard du parlement et de la liberté. La mémoire de -ce roi infortuné, les compagnons de son malheur, l'aimable Fakland, -l'orgueilleux Gower, la Reine, et son fils, donnaient un intérêt -particulier à chaque partie de la ville, qu'on supposait leur avoir -servi d'habitation.</p> - -<p>Nous nous plaisions à suivre les traces de l'esprit des anciens temps, -qui semblait y régner encore. Quand bien même ces sentiments -n'auraient pas satisfait notre imagination, la ville était par -elle-même assez belle pour obtenir notre admiration. Les collèges sont -anciens et pittoresques; les rues sont presque magnifiques; et la -bienfaisante Isis, qui la baigne et coule à travers des prés d'une -verdure éclatante, présente une surface douce, qui réfléchit un -assemblage majestueux de tours, de pyramides, et de dômes, relevés en -relief parmi de vieux arbres. J'étais enchanté de cette vue, et, -cependant, je n'éprouvais pas ce plaisir, sans que le souvenir du -passé, et le sentiment de l'avenir n'y joignissent de l'amertume. -J'étais fait pour le bonheur paisible. Dans ma jeunesse, je n'avais -jamais connu le chagrin; et, si je me laissais quelquefois gagner par -l'ennui, la vue des beautés de la nature, ou l'étude de ce qui est -excellent et sublime dans les productions de l'homme intéressait -toujours mon cœur, et avait le pouvoir de m'électriser. Mais je suis -un arbre tombé; le trait a pénétré mon âme; et j'ai senti alors que -je survivrais pour montrer, pendant quelque temps seulement..., le -spectacle déplorable de l'humanité qui succombe, en pitié aux autres, -et en horreur à moi-même.</p> - -<p>Nous passâmes beaucoup de temps à Oxford, pour parcourir les environs, -et chercher à reconnaître chaque lieu qui rappelait l'époque la plus -intéressante de l'histoire Anglaise. Nos petits voyages de découverte -étaient souvent prolongés par les objets qui se présentaient -successivement. Nous visitâmes le tombeau de l'illustre Hampden, et la -plaine où périt ce patriote. Un moment, mon âme oublia son -avilissement et ses craintes misérables, pour se livrer aux idées -sublimes de liberté et de sacrifice de soi-même, dont ces lieux -étaient le monument et le souvenir. Un moment, j'osai briser mes -chaînes, et regarder autour de moi avec orgueil et liberté; mais -j'avais été trop profondément blessé, je ne tardai pas, hélas! à -retomber en moi-même, tremblant et sans espoir.</p> - -<p>Nous quittâmes Oxford avec regret, pour nous diriger vers Matlock, le -lieu le plus rapproché où nous pussions nous arrêter. Le pays qui est -auprès de ce village, a plus de ressemblance avec le Switzerland; mais -tout est dans une petite proportion, et les vertes collines ne sont pas -couronnées dans l'éloignement par la cîme blanche des Alpes, comme -les montagnes de mon pays natal. Nous visitâmes l'étonnante caverne, -et les petits cabinets d'histoire naturelle, où les curiosités sont -disposées de la même manière que dans les collections qui sont à -Servox et à Chamouny. Ce dernier nom prononcé par Henri me fit -trembler; et je me hâtai de quitter Matlock avec lequel ce lieu -terrible était ainsi associé.</p> - -<p>De Derby, en voyageant toujours vers le Nord, nous passâmes dans le -Cumberland et le Westmorland, où notre séjour fut de deux mois. Je pus -alors me croire presqu'au milieu des montagnes de la Suisse. Les petits -monceaux de neige, qui n'étaient pas encore détachés de la partie -nord des montagnes, les lacs, et les sources qui jaillissent au milieu -des rochers, tout ce que je voyais enfin m'était cher et familier. Nous -liâmes, dans ce pays, connaissance avec quelques personnes, qui presque -toutes s'efforcèrent de me rendre au bonheur. Le plaisir de Clerval -était en proportion plus grand que le mien; son esprit s'élevait dans -la société des hommes de mérite; et il trouvait en lui-même plus -d'instruction et de ressources qu'il ne pensait en avoir, lorsqu'il -était avec ses inférieurs. Je pourrais passer ici ma vie, me -disait-il; et parmi ces montagnes, je regretterais à peine le -Switzerland et le Rhin.</p> - -<p>Cependant il disait que, si la vie d'un voyageur est remplie de -plaisirs, elle n'est pas cependant exemple de peine. Il n'a pas de -limites dans ses sentiments; et au moment où il commence à jouir du -repos, il se trouve obligé de quitter le lieu où il s'arrêtait avec -plaisir, pour courir après quelqu'objet nouveau, qui engage encore son -attention, et qu'il abandonne aussi pour d'autres nouveautés.</p> - -<p>Nous avions à peine visité les différents lacs du Cumberland et du -Westmorland, et pris affection pour quelques-uns des habitants, que nous -fûmes à l'époque du rendez-vous fixé par l'Écossais, notre ami. -Nous nous séparâmes de nos hôtes pour continuer notre voyage. Pour -moi je n'en fus pas affligé. J'avais négligé quelque temps ma -promesse, et je redoutais les effets de la colère du démon. Il pouvait -rester dans le Switzerland, et assouvir sa vengeance sur mes parents. -Cette idée me poursuivait, et me tourmentait à chaque moment, où -d'ailleurs j'aurais trouvé le repos et la paix. J'attendais mes lettres -avec l'impatience d'un homme qui a la fièvre. Étaient-elles en retard? -j'étais malheureux, et accablé de mille frayeurs; arrivaient-elles? je -voyais l'écriture d'Élisabeth ou de mon père, j'osais à peine lire -et m'assurer de mon sort. Quelquefois je pensais que le démon me -suivait, et pourrait hâter ma négligence en assassinant mon compagnon -de voyage. Lorsque j'étais poursuivi de ces idées, je ne voulais pas -quitter Henry un moment; je le suivais comme son ombre, pour le -protéger contre la rage de celui qui me semblait devoir être son -meurtrier: j'étais semblable à l'homme qui s'est souillé d'un crime -énorme, et qui est sans cesse dévoré par le remords. J'étais -innocent; mais j'avais attiré sur ma tête une malédiction terrible, -aussi mortelle que celle du crime.</p> - -<p>Je visitai Édimbourg avec indifférence, bien que cette ville soit -digne d'intéresser l'être le plus malheureux. Clerval ne l'aimait pas -autant qu'Oxford, dont l'antiquité lui plaisait infiniment; mais la -beauté et la régularité de la nouvelle ville d'Édimbourg, son -château romantique, et ses environs si délicieux, le palais d'Arthur, -le puits de Saint-Bernard, et les montagnes du Pentland, le consolaient -suffisamment d'avoir changé de place, et le remplissaient de joie et -d'admiration. Pour moi, j'étais impatient d'arriver au terme de mon -voyage.</p> - -<p>Nous partîmes d'Édimbourg au bout d'une semaine, en traversant Coupar, -Saint-André, et en longeant les rives du Tay, jusqu'à Perth où notre -ami nous attendait. Peu disposé à rire et à causer avec des -étrangers, ou à adopter leurs sentiments ou leurs projets avec la -bonne humeur qu'on attend d'un hôte, j'annonçai à Clerval que je -désirais faire seul le tour de l'Écosse. «Amuse-toi, lui dis-je; et -que ce lieu soit notre rendez-vous. Je puis être absent un mois ou -deux; mais, je l'en prie, ne t'inquiète pas de ce que je ferai: -laisse-moi un peu de temps dans le repos et la solitude; et lorsque je -reviendrai, j'espère que mon cœur sera soulagé, et plus d'accord avec -ton caractère».</p> - -<p>Henry voulut me dissuader; mais il s'aperçut que ma détermination -était bien prise; et il cessa de me faire des remontrances, en me -priant de lui écrire souvent. «J'aimerais mieux être avec toi, -disait-il, dans tes courses solitaires, qu'avec ces Écossais que je ne -connais pas: hâte-toi donc, mon cher ami, de revenir, afin que je -puisse encore me croire dans ma patrie; car pendant ton absence, je me -croirai en exil».</p> - -<p>Je me séparai de mon ami, résolu de rechercher quelque lieu écarté -de l'Écosse, et de finir mon travail dans la solitude. Je ne doutais -pas que le monstre ne me suivît, et ne se découvrît à moi, lorsque -j'aurais terminé, pour recevoir sa compagne.</p> - -<p>Dans cette résolution, je traversai les pays montagneux du nord, et je -me fixai dans l'une des moins habitées et des plus arides des îles -Orkneys; ce lieu convenait au travail auquel j'allais me livrer, et -n'était guère qu'un rocher, dont les flancs élevés étaient -continuellement battus par les vagues. Le sol était stérile, et -pouvait à peine produire la pâture de quelques misérables vaches, et -le gruau d'avoine de ses habitants, qui étaient au nombre de cinq, et -dont les membres maigres et décharnés témoignaient assez de leur -misère ou de leur souffrance. Les végétaux, le pain, et même l'eau -fraîche étaient des objets de luxe, dont on ne pouvait jouir qu'en les -faisant venir du continent, qui était à une distance d'environ cinq -milles.</p> - -<p>Dans toute l'île, il n'y avait que trois chétives chaumières: l'une -d'elles était libre à mon arrivée: je la louai. Elle ne contenait que -deux chambres, dont la malpropreté décelait la plus profonde -détresse. Le chaume était enfoncé, les murs sans plâtre, et la porte -hors de ses gonds. J'ordonnai des réparations à ma nouvelle demeure, -j'y mis quelques meubles, et j'en pris possession: ces dispositions -auraient pu, sans doute, surprendre les montagnards; mais le besoin et -la pauvreté engourdissent tellement leurs sens, qu'ils n'y firent -aucune attention. De cette manière, je vécus sans être observé, ni -dérangé, et je fus à peine remercié de leur fournir des vêtements -et des aliments, tant la souffrance émousse les sensations les plus -simples des hommes!</p> - -<p>Dans cette retraite, je consacrais la matinée au travail; mais le soir, -lorsque le temps le permettait, je me promenais sur le bord pierreux de -la mer, prêtant l'oreille au mugissement des vagues qui se brisaient à -mes pieds. C'était une scène à la fois monotone et variée. Je -pensais au Switzerland, si peu semblable à ce cap désolé et -effrayant; à ses montagnes qui sont couvertes de vignes; à ses plaines -qui sont peuplées d'un grand nombre de chaumières; à ses beaux lacs -qui réfléchissent un ciel pur et azuré; et au bruit de leurs vagues -agitées par les vents, égal au plus à celui d'un enfant qui joue, en -comparaison des mugissements du vaste Océan.</p> - -<p>Au moment de mon arrivée, je partageai ainsi mon temps; mais plus -j'avançais dans mon travail, plus j'éprouvais d'horreur et de -dégoût. Tantôt je ne pouvais prendre sur moi d'entrer dans mon -laboratoire pendant plusieurs jours; tantôt je travaillais nuit et -jour, afin d'achever mon ouvrage. L'opération, à laquelle je me -livrais, n'offrait que des dégoûts. Pendant mon premier essai, une -sorte d'enthousiasme frénétique m'en avait dissimulé l'horreur; mon -esprit n'envisageait que le résultat de mon travail, et mes yeux -n'étaient frappés que des progrès. Maintenant j'étais de sang-froid, -et je succombais souvent devant l'ouvrage de mes mains.</p> - -<p>Dans cette situation, adonné au plus odieux travail, plongé dans une -solitude où rien ne pouvait détourner mon attention de la scène qui -m'occupait, je devins inégal, je perdis tout repos, et j'éprouvai une -irritation de nerfs. À tout moment je craignais de rencontrer mon -persécuteur. Quelquefois je m'asseyais les yeux fixés sur la terre, -pour ne pas voir, en les levant, l'objet dont j'étais si effrayé. Je -prenais soin de ne pas m'écarter de la présence de mes semblables, -dans la crainte qu'il ne vînt seul réclamer sa compagne.</p> - -<p>Cependant je continuais mon travail, et je l'avais même déjà -considérablement avancé. J'envisageais le moment où il serait -terminé, avec un espoir mêlé de trouble et d'ardeur dont je n'osais -me rendre compte, mais auquel venait se joindre d'obscurs pressentiments -de malheurs, assez terribles pour jeter le trouble dans mon cœur.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XIX">CHAPITRE XIX</a></h4> - - -<p>J'étais assis un soir dans mon laboratoire. Le soleil était couché -depuis long-temps, et la lune s'élevait de la mer; il n'y avait plus -assez de jour pour que je pusse continuer mon ouvrage. Je le suspendis, -incertain si je le laisserais pendant la nuit, ou si je me hâterais de -le terminer en m'y livrant sans relâche. En ce moment, une foule de -réflexions se présentèrent à mon esprit, et me conduisirent à -considérer les effets du travail auquel je m'adonnais. Trois années -auparavant, j'avais travaillé au même objet, et j'étais parvenu à -créer un démon, dont la cruauté sans égale avait désolé mon cœur, -et l'avait à jamais rempli des remords les plus cuisants. J'allais -maintenant former une autre créature, dont je ne pouvais prévoir le -caractère; elle pouvait devenir dix mille fois plus perverse que son -compagnon, et se complaire au meurtre et au mal. Celui-ci avait juré de -quitter le voisinage de l'homme, et de se cacher dans des déserts; mais -elle n'avait pris aucun engagement. Destinée, suivant toute apparence, -à devenir un animal pensant et raisonnant, ne pouvait-elle pas refuser -de consentir à un pacte antérieur à sa création?</p> - -<p>L'un et l'autre pourraient même se haïr: la créature, qui avait -déjà reçu la vie, était choquée de sa propre difformité: ne -pourrait-elle pas en concevoir une plus grande horreur, lorsqu'elle -serait offerte à ses yeux sous la forme d'une femme? La nouvelle -créature pourrait aussi se détourner de l'autre avec dégoût, en -voyant la beauté supérieure de l'homme; elle pourrait quitter le -monstre; et lui, seul pour la seconde fois, ne serait-il pas exaspéré -de cet affront nouveau? Supporterait-il d'être abandonné par un être -d'une espèce semblable à la sienne?</p> - -<p>Si même ils quittaient l'Europe pour aller dans les déserts du nouveau -monde, un des résultats inévitables de ces sympathies dont le Démon -avait besoin, serait la naissance de leurs enfants, souche d'une race de -démon qui se propagerait sur la terre, et pourrait rendre l'existence -même de l'espèce humaine précaire et pleine de terreur. Avais-je le -droit, pour mon propre intérêt, d'infliger cette malédiction sur les -générations à venir? J'avais été touché auparavant par les -sophismes de l'être que j'avais créé; j'avais été effrayé de ses -menaces infernales; mais aujourd'hui, pour la première fois, -j'envisageais le danger de ma promesse; je frissonnai en pensant que les -siècles à venir me maudiraient comme leur fléau; moi qui, dans mon -égoïsme, n'avais pas craint d'acheter ma tranquillité personnelle au -prix, peut-être, de l'existence de toute la race humaine.</p> - -<p>Je tremblais, je me sentais défaillir, lorsque, en levant les yeux, -j'aperçus, à la clarté de la lune, le Démon auprès de la fenêtre. -Il sourit en me voyant occupé de la tâche qu'il m'avait imposée: mais -ce sourire était horrible. Ce n'était que trop vrai: il m'avait suivi -dans mes voyages; il avait habité les forêts, il s'était caché dans -les cavernes ou dans les bruyères vastes et désertes; et il venait -maintenant observer mes progrès, et réclamer l'accomplissement de ma -promesse. Au moment où je le regardai, sa figure exprimait le dernier -degré de la perversité et de la perfidie. Je pensai, avec une sorte de -démence, à la promesse que j'avais faite de créer un être semblable -à lui; la fureur s'empara de moi, et je brisai en plusieurs morceaux -l'objet de mon travail. Le malheureux me vit détruire la créature de -l'existence de laquelle dépendait son bonheur, et il s'éloigna en -poussant un cri de désespoir et de vengeance.</p> - -<p>Je quittai le laboratoire; j'en fermai la porte à clef, et je fis, en -moi-même, le vœu solennel de ne reprendre jamais mes travaux; et -alors, à pas tremblants, je me dirigeai vers mon appartement. J'étais -seul; personne n'était auprès de moi pour dissiper mon chagrin, et -calmer les pensées les plus terribles sous lesquelles je succombais.</p> - -<p>Pendant plusieurs heures, assis près de ma fenêtre, je fixai les yeux -sur la mer: elle était presqu'immobile; les vents se taisaient, et -toute la nature reposait à l'éclat paisible de la lune. Quelques -vaisseaux pêcheurs paraissaient seuls; et, de temps en temps, la douce -brise apportait les voix des pêcheurs qui s'appelaient entr'eux. Je -jouissais de ce silence, sans sentir à peine combien il était profond, -quand mon oreille fut tout à coup frappée par un bruit de rames qui -touchaient le bord, et par celui d'une personne qui s'approchait de mon -habitation.</p> - -<p>Quelques minutes après, j'entendis ma porte crier, comme si l'on -cherchait à l'ouvrir doucement. Je tremblais de la tête aux pieds; -agité par le pressentiment de ce qui allait arriver, je voulus appeler -un des paysans qui demeurait dans une chaumière peu éloignée de la -mienne; mais, succombant à un sentiment de faiblesse, du genre de ceux -qu'on éprouve si souvent dans des rêves effrayants, lorsqu'on -s'efforce de fuir un danger dont on est menacé, je restai attaché à -la même place.</p> - -<p>Bientôt j'entendis le bruit des pas le long du passage; la porte -s'ouvrit; et je vis le malheureux qui m'était si redoutable. Il ferma -la porte, s'approcha de moi, et dit d'une voix étouffée:</p> - -<p>«Quelle est votre intention en détruisant l'ouvrage que vous -commenciez? Osez-vous rompre votre promesse? J'ai supporté la fatigue -et la misère: j'ai quitté le Switzerland avec vous; je me suis -traîné le long des bords du Rhin; j'ai erré sur le sommet des -montagnes qui l'avoisinent, et parmi ces îles couvertes de saules; j'ai -habité plusieurs mois dans les bruyères de l'Angleterre, et au milieu -des déserts de l'Écosse. J'ai enduré des fatigues inouïes, le froid, -et la faim; osez-vous détruire mes espérances»?</p> - -<p>—«Éloigne-toi! je romps ma promesse; jamais je ne consentirai à -créer un autre être, qui t'égale en difformité et en méchanceté».</p> - -<p>—«Esclave, j'ai jusqu'à présent raisonné avec toi; mais tu m'as -prouvé que tu étais indigne de ma condescendance. Souviens-toi que -j'ai le pouvoir; tu te crois à plaindre; apprends donc que je puis te -rendre si malheureux, que la lumière du jour te sera odieuse. Tu es mon -Créateur, mais je suis ton maître; obéis»!</p> - -<p>—«L'heure de ma faiblesse est passée, et le terme de ta puissance est -venu: tes menaces ne peuvent me porter à consentir à un acte de -faiblesse; bien loin de là, elles me confirment dans la résolution de -ne pas te créer une compagne, qui ne serait que la complice de tes -crimes. Mettrai-je, de sang-froid, sur la terre un Démon, qui ne trouve -de plaisir que dans la mort et le malheur. Éloigne-toi! Je suis -inébranlable, et ce que tu diras ne sera propre qu'à exciter ma -fureur».</p> - -<p>Le monstre vit ma détermination sur ma figure, et grinça les dents -dans sa rage impuissante. «Eh quoi! s'écria-t-il, l'homme peut presser -une femme contre son sein, l'animal à sa compagne; et moi, je serai seul -dans la nature! J'avais des sentiments d'affections, et ils ont été -payés par la haine et le mépris. Homme, tu peux me haïr; mais -prends-y garde! Ta vie se passera dans la crainte et la douleur; -bientôt ton cœur sera frappé du trait qui doit te priver à jamais du -bonheur. Dois-tu être heureux, tandis que je languis sous le poids de -mon malheur? Tu peux anéantir mes autres passions; mais j'aurai -toujours la vengeance.... la vengeance, désormais plus chère que la -lumière ou la vie! Je puis mourir; mais avant ma mort, toi, mon tyran -et mon bourreau, tu maudiras le soleil qui contemple ta misère».</p> - -<p>—«Prends-y garde; car je suis sans crainte, et par conséquent -puissant. J'épierai avec la ruse du serpent, et je blesserai avec son -venin. Homme, tu te repentiras des maux que tu prépares».</p> - -<p>—«Tais-toi, Démon; et n'empoisonne pas l'air par tes paroles -criminelles. Je t'ai déclaré ma résolution, et je ne suis pas assez -lâche pour céder à les menaces. Laisse-moi; je suis inexorable».</p> - -<p>—«C'est bien. Je pars; mais souviens-toi que je serai avec toi -la nuit de ton mariage».</p> - -<p>Je m'élançai en m'écriant: «Monstre! avant que tu ne signes mon -arrêt de mort, tâche d'être en sûreté toi-même».</p> - -<p>Je voulus le retenir; mais il m'échappa, quitta la maison à la hâte, -et en peu d'instants, il fut dans son bateau. Je le vis fendre les eaux -avec la rapidité de la flèche, et je le perdis bientôt de vue au -milieu des vagues. Un profond silence régnait autour de moi; mais ses -paroles retentissaient à mes oreilles. Dans ma rage, je brûlais de -poursuivre celui qui me privait du repos, et de le précipiter dans -l'Océan. Je parcourus ma chambre en tous sens, à pas précipités et -hors de moi, pendant que mon imagination me présentait mille tableaux -propres à me tourmenter et à me déchirer. Pourquoi ne l'avais-je pas -suivi? Pourquoi n'avais-je pas engagé avec lui un combat mortel? Je -l'avais laissé partir, et il s'était dirigé vers le continent. Je -frissonnai en pensant quelle pourrait être la première victime -sacrifiée à son insatiable vengeance. Et alors je me rappelai ces -paroles: «<i>Je serai avec toi la nuit de ton mariage</i>». C'était donc -à cette époque qu'était fixé le terme de ma destinée. Je devais -mourir à cette heure, satisfaire et éteindre à la fois sa -perversité. Je n'en tremblai pas; mais venant à penser à ma chère -Élisabeth, à ses larmes, et au chagrin éternel qu'elle éprouverait, -en voyant son amant si cruellement arraché de ses bras... je sentis -couler des larmes, les premières que j'eusse versées depuis plusieurs -mois; et je résolus de ne pas succomber devant mon ennemi sans une -résistance complète.</p> - -<p>La nuit s'écoula, et le soleil s'éleva de l'Océan: je fus plus calme, -si l'on peut appeler calme celui dont la rage violente se change en un -profond désespoir. Je quittai la maison, théâtre horrible de la -dispute de la veille, et je me promenai sur le bord de la mer, qui me -semblait une barrière insurmontable entre mes semblables et moi. Je -formais le désir de pouvoir passer ma vie sur ce rocher stérile, dans -l'ennui, mais du moins certain de ne pas être frappé de douleur par -quelque catastrophe soudaine. En revenant au milieu des hommes, je -devais m'attendre à être sacrifié, ou à voir ceux que j'aimais le -plus mourir de la main d'un Démon, que j'avais créé moi-même.</p> - -<p>Je me promenais dans l'île comme un spectre inquiet, séparé de tout -ce qu'il aimait, et malheureux de cette séparation. Vers midi, à -l'heure où le soleil est le plus élevé, je m'étendis sur le gazon, -et je m'endormis profondément. Je n'avais pas dormi de toute la nuit -précédente; mes nerfs étaient agités, et mes yeux échauffés par la -veille et la douleur: je fus rafraîchi par ce sommeil. En me -réveillant, je crus appartenir encore à une race d'êtres humains -semblables à moi-même; et je me mis à réfléchir avec plus de calme -à ce qui s'était passé. Cependant, les paroles du Démon -retentissaient toujours à mes oreilles comme la cloche de la mort; -elles paraissaient être l'effet d'un songe, mais d'un songe distinct et -oppressif comme une réalité.</p> - -<p>Le soleil était déjà fort avancé dans sa course; mais je me tenais -encore sur le rivage, et j'étais à manger un gâteau d'avoine pour -apaiser ma faim dévorante, lorsqu'un bateau pêcheur s'arrêta près de -moi, et m'apporta un paquet qui contenait plusieurs lettres de Genève, -et une de Clerval, mon ami, qui m'engageait à le rejoindre, en me -disant qu'il y avait près d'un an que nous étions partis du -Switzerland, et que nous n'avions pas encore visité la France. Il me -priait donc de quitter mon île solitaire, et de venir au bout d'une -semaine le trouver à Perth, où le plan de nos voyages pourrait être -concerté. Je fus rappelé à la vie par cette lettre, et je me -déterminai à quitter mon île deux jours après.</p> - -<p>Cependant, avant de partir, j'avais à faire une chose dont l'idée me -causait un frissonnement. Il fallait emballer mes instruments de chimie; -pour cela, entrer dans la chambre qui avait été le théâtre de mon -odieux travail, et toucher ces ustensiles à la vue desquels je -pâlissais. Le lendemain matin, au point du jour, je rassemblai tout mon -courage, et j'ouvris la porte de mon laboratoire. Les débris de la -créature qui était à moitié terminée, et que j'avais détruite, -étaient, dispersés sur le plancher; en les voyant, j'éprouvai presque -le même sentiment, que si j'avais déchiré en lambeaux la chair -vivante d'un être humain. Je m'arrêtai pour me recueillir, et -j'entrai, après un moment, dans la chambre. J'en enlevai les -instruments d'une main tremblante; mais je réfléchis qu'il ne fallait -pas y laisser les débris de mon ouvrage pour exciter l'horreur et le -soupçon des paysans; et, en conséquence, je les mis dans un panier -avec une grande quantité de pierres, et je les emportai dans le dessein -de les jeter dans la mer, cette nuit même. En même temps je m'assis -sur le rivage, et je me mis à nettoyer et à arranger mes appareils de -chimie.</p> - -<p>Jamais révolution n'avait été plus complète que celle qui avait eu -lieu dans mes sentiments depuis le soir de l'apparition du Démon. -Auparavant, j'avais considéré ma promesse avec un profond désespoir, -mais comme un engagement qui devait être rempli, quels qu'en fussent -les résultats; maintenant il me semblait que le voile qui était sur -mes yeux avait été arraché, et je voyais clairement pour la première -fois. L'idée de recommencer mes travaux ne se présenta pas à mon -esprit un seul instant; la menace que j'avais entendue, pesait sur mes -pensées, sans qu'elle me portât à réfléchir qu'un acte volontaire -de ma part pourrait la détourner. J'avais décidé en moi-même, que la -création d'un être semblable au premier Démon que j'avais formé, -serait un acte du plus vil et du plus atroce égoïsme; et je bannis de -mon esprit toute pensée qui pût mener à une conclusion différente.</p> - -<p>Entre deux et trois heures du matin, la lune se leva. Je mis alors mon -panier dans un petit esquif, et je m'éloignai du rivage à environ -quatre milles. La scène était solitaire: il y avait bien quelques -bateaux qui regagnaient le Continent, mais je m'en tins éloigné. On -aurait dit que j'allais commettre un crime horrible: j'évitais avec une -inquiétude mortelle toute rencontre avec mes semblables. En même -temps, la lune, qui auparavant avait été claire, fut couverte -tout-à-coup d'un nuage épais. Je profitai de ce moment d'obscurité -pour jeter mon panier dans la mer; je prêtai l'oreille au bruit qu'il -faisait en s'enfonçant, et je quittai la place que j'avais choisie pour -cette opération. Le ciel se couvrit; mais l'air, refroidi seulement -par le vent nord-est qui venait de s'élever, ne cessait pas d'être pur. -Je ressentais une fraîcheur qui me parut si agréable, que je résolus -de rester plus longtemps sur l'eau. Je fixai le gouvernail dans une -position directe, et je m'étendis au fond du bateau. La lune était -cachée par les nuages; tout était obscur; je n'entendais que le bruit -de la barque, dont la quille fendait les vagues; bercé par le murmure, -je m'endormis bientôt d'un profond sommeil.</p> - -<p>Je ne sais combien de temps je restai dans cette situation; mais, en -m'éveillant, je m'aperçus que le soleil était déjà à une hauteur -considérable. Le vent était violent, et les vagues menaçaient -continuellement d'engloutir mon petit esquif. Je pensai que le vent -soufflant du nord-est, devait m'avoir entraîné loin de la côte d'où -j'étais parti. Je fis tout ce que je pus pour changer de direction, -mais je ne tardai pas à reconnaître que le moindre effort aurait pour -effet de submerger le bateau.</p> - -<p>Dans cette situation, ma seule ressource était de m'abandonner au vent. -J'avoue que j'éprouvai quelques sentiments de terreur. Je n'avais pas -de boussole avec moi, et je connaissais si peu la géographie de cette -partie du monde, que le soleil m'était peu utile. Je pouvais être -emporté dans le vaste Atlantique, et éprouver toutes les souffrances -de la faim, ou bien être englouti dans les abîmes des flots, qui -battaient ma barque et mugissaient autour de moi. Errant depuis -plusieurs heures, j'étais tourmenté par une soif brûlante, prélude -de mes autres souffrances. Je regardais le ciel couvert de nuages, que -le vent chassait et auxquels d'autres nuages succédaient rapidement: je -regardais la mer, qui allait être mon tombeau. «Démon, m'écriai-je, -te voilà déjà satisfait»! Je pensai à Élisabeth, à mon père, et -à Clerval; et je tombai dans une rêverie si désespérante et si -effrayante, que, même à présent, quand la scène va se fermer devant -moi pour toujours, je tremble de me la rappeler.</p> - -<p>Quelques heures après, le soleil pencha vers l'horizon; le vent se -changea insensiblement en une douce brise, et l'agitation de la mer fit -place à un calme plat. Je m'affaiblissais, et j'étais à peine capable -de tenir le gouvernail, quand tout-à-coup je vis la terre vers le sud.</p> - -<p>Dans un moment où j'étais presque mort de fatigue, et du doute affreux -dans lequel j'étais depuis plusieurs heures, cette certitude soudaine -de la vie pénétra jusqu'à mon cœur comme une source vivifiante de -joie, et me fit verser des larmes.</p> - -<p>Combien nos sentiments sont variables! Combien est étrange cet amour -opiniâtre de la vie, même dans l'excès de la misère! Je fis une -autre voile avec une partie de mon vêtement, et je me dirigeai -promptement vers la terre. Elle paraissait déserte et couverte de -rochers; mais en approchant davantage, je distinguai facilement des -traces de culture. Je vis des vaisseaux près du rivage, et je me -retrouvai tout-à-coup transporté dans le voisinage de l'homme -civilisé. Je suivis avec empressement les détours de la côte, et -j'aperçus enfin un clocher qui s'élevait derrière un petit -promontoire. Dans mon état extrême de faiblesse, je résolus de faire -voile directement vers la ville, comme le lieu où je pourrais le plus -facilement pourvoir à ma nourriture. Par bonheur, j'avais de l'argent -avec moi. En tournant le promontoire, je vis une jolie petite ville et -un bon port, où j'abordai en bondissant de joie de mon salut -inespéré.</p> - -<p>Pendant que j'étais occupé à attacher le bateau et à arranger les -voiles, plusieurs personnes s'attroupèrent autour de moi. Elles -paraissaient très-surprises de me voir paraître; et, au lieu de -m'offrir du secours, elles parlaient ensemble en faisant des gestes, -qui, dans tout autre instant, m'auraient alarmé; mais alors, je -remarquai simplement qu'ils parlaient anglais, et je m'adressai à eux -dans cette langue: «Mes bons amis, leur dis-je, aurez-vous l'obligeance -de me dire le nom de cette ville, et de m'apprendre où je suis»?</p> - -<p>—«Vous le saurez assez tôt, répondit un homme avec une voix aigre. -Peut-être êtes-vous venu dans un lieu qui ne vous plaira pas trop; -mais on ne demandera pas votre goût, je vous promets».</p> - -<p>Je fus excessivement surpris de recevoir une réponse aussi dure d'un -étranger, et je ne fus pas moins déconcerté en voyant les figures -sourcilleuses et irritées de ses compagnons. «Pourquoi me -répondez-vous aussi durement, répliquai-je? Assurément, les Anglais -n'ont pas coutume de recevoir les étrangers d'une façon si peu -hospitalière».</p> - -<p>—«Je ne sais pas, dit l'homme, quelle est la coutume des Anglais; -mais celle des Irlandais est de haïr les scélérats».</p> - -<p>Pendant cet étrange dialogue, je vis la foule se grossir rapidement. -Les figures exprimaient un mélange de curiosité et de colère, qui -m'impatientait, et commençait à m'alarmer. Je demandai le chemin de -l'auberge; personne ne répondit. Je marchai en avant; mais un murmure -s'éleva de la foule, qui me suivit et m'entoura, jusqu'à ce qu'un -homme de mauvaise mine me frappa sur l'épaule, et me dit: «Venez, -Monsieur, il faut me suivre chez M. Kirwin, pour dire qui vous êtes».</p> - -<p>—«Qui est-ce que M. Kirwin? Pourquoi dois-je donner des -renseignements sur mon compte? Ne suis-je pas dans un pays libre»?</p> - -<p>—«Oui, Monsieur, assez libre pour les honnêtes gens. M. Kirwin est un -magistrat auquel vous allez donner des renseignements sur la mort d'un -<i>Gentleman</i>, qui, la nuit dernière, a été trouvé assassiné».</p> - -<p>Je tressaillis à cette réponse; mais je me remis bientôt. J'étais -innocent: il serait facile de le prouver. Je suivis donc mon conducteur -en silence, et je fus conduis dans une des meilleures maisons de la -ville. J'étais prêt à tomber de fatigue et de faim; mais, étant -entouré de la foule, je pensai qu'il était convenable de rassembler -toute ma force, afin qu'on n'attribua pas la faiblesse de mon corps à -la crainte, ou aux remords du crime. Je m'attendais peu alors au malheur -qui allait dans quelques moments peser sur moi, et étouffer dans -l'horreur et le désespoir toute crainte d'ignominie ou de mort.</p> - -<p>Je m'arrête ici, car j'ai besoin de tout mon courage pour me rappeler -les évènements effrayants que je vais raconter avec exactitude.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XX">CHAPITRE XX</a></h4> - - -<p>Je fus bientôt amené devant un magistrat; son visage exprimait la -bonté; ses manières le calme et la douceur. Il me regarda, cependant, -avec quelque sévérité; il se tourna ensuite vers mes conducteurs, et -demanda quelles étaient les personnes qui paraissaient comme témoins -dans cette affaire.</p> - -<p>Une demi-douzaine d'hommes, environ, s'avancèrent; et l'un d'eux, -choisi par le magistrat, déposa que, la nuit précédente, étant allé -à la pèche avec son fils et son beau-frère, Daniel Nugent, il fut -surpris, vers dix heures, par un grand vent du nord qui s'éleva, et les -força de gagner le rivage. La nuit étant très-sombre, parce que la -lune n'était pas encore levée, ils n'abordèrent pas dans le port, -mais, selon leur habitude, dans une baie à environ deux milles -au-dessous. Il marchait le premier, portant une partie des filets, et -suivi, à quelque distance, de ses compagnons. En s'avançant le long du -rivage, il heurta de son pied contre un obstacle, et mesura la terre. -Ses compagnons vinrent à son secours; et, à la lueur de leur lanterne, -ils virent qu'il était tombé sur le corps d'un homme qui paraissait -mort. Ils supposèrent d'abord que c'était le cadavre de quelque -personne qui avait été noyée, et jetée par les vagues sur le rivage; -mais, en l'examinant, ils reconnurent que les habits n'étaient pas -mouillés, et même que le corps n'était pas encore froid. Ils le -portèrent dans la chaumière d'une vieille femme, voisine du lieu où -ils se trouvaient, et ils essayèrent inutilement de le rendre à la -vie. Le mort paraissait être un beau jeune homme d'environ vingt-cinq -ans. Selon toute apparence, il avait été étranglé; car son corps ne -présentait d'autre signe de violence, que des marques noires de doigts -sur le cou.</p> - -<p>La première partie de cette déposition ne m'intéressa nullement; -mais, lorsqu'il parla de la marque noire des doigts, je me souvins du -meurtre de mon frère, et j'éprouvai une agitation extrême; mes -membres tremblèrent, un nuage obscurcit mes yeux, et je fus obligé de -m'appuyer sur une chaise pour me soutenir. Le magistrat m'observait d'un -œil scrutateur, et tira de suite un augure défavorable de mon -maintien.</p> - -<p>Le fils confirma la déposition de son père; mais Daniel Nugent, -appelé à son tour, affirma positivement qu'un moment avant la chute de -son compagnon, il avait vu un bateau, monté par un seul homme, à peu -de distance du rivage; et, autant qu'il pouvait en juger à la lueur de -quelques étoiles, c'était le même bateau dans lequel je venais de -débarquer.</p> - -<p>Une femme déposa qu'elle demeurait près du rivage, et qu'elle se -tenait à la porte de sa chaumière, attendant le retour des pêcheurs, -à peu près une heure avant d'apprendre la découverte du corps, -lorsqu'elle vit un bateau, conduit par un seul homme, s'éloigner de -cette partie du rivage, où le cadavre fut ensuite trouvé.</p> - -<p>Une autre femme confirma le récit des pêcheurs qui avaient porté le -corps dans sa maison: il n'était pas encore froid. Ils le mirent dans -un lit, et le frottèrent; mais, pendant que Daniel alla jusqu'à la -ville chercher un médecin, le corps devint sans chaleur et sans vie.</p> - -<p>Plusieurs autres hommes furent interrogés sur mon débarquement; et ils -convinrent qu'avec le grand vent du nord qui s'était élevé pendant la -nuit, il était très probable que j'avais été ballotté pendant -plusieurs heures, et obligé de retourner à peu près au même lieu -d'où j'étais parti. Ils firent, en outre, observer que je devais avoir -apporté le corps d'un autre endroit; et il était vraisemblable, -puisque je paraissais ne pas connaître la côte, que j'aurais -débarqué dans le port sans savoir quelle était la distance de la -ville de ***, au lieu où j'avais laissé le cadavre.</p> - -<p>M. Kirwin, après avoir entendu cette déposition, voulut que je fusse -conduit dans la chambre, où le corps avait été placé jusqu'à ce -qu'il fût enterré. Il le désirait dans l'intention d'observer l'effet -que sa vue produirait sur moi; et il n'avait probablement eu ce désir, -qu'en remarquant l'extrême agitation que j'avais laissé paraître, -lorsqu'on avait décrit le genre du meurtre. Je fus donc conduit à -l'auberge par le magistrat et plusieurs autres officiers. Je ne pus -m'empêcher d'être frappé des coïncidences étranges, qui avaient eu -lieu pendant cette nuit remplie d'événements; mais, certain d'avoir -causé avec plusieurs personnes dans l'île que j'avais habitée, à peu -près au moment où l'on avait trouvé le corps, je fus parfaitement -tranquille sur les conséquences de l'affaire.</p> - -<p>J'entrai dans la chambre où le cadavre reposait, et je lui fus -confronté. Comment décrire ce que j'éprouvai à cet aspect? Je me -sens encore saisi d'horreur, et je ne puis penser à ce moment terrible -sans trembler, et sans tomber dans un désespoir qui me rappelle -faiblement l'angoisse dont je fus saisi en le reconnaissant. Le -jugement, la présence du magistrat et des témoins sortirent comme un -songe de ma mémoire, lorsque je vis Henri Clerval, dont le corps était -inanimé et étendu devant moi. Je respirais à peine, je me jetai sur -le cadavre en m'écriant: «Mon cher Henri, mes funestes machinations -t'ont-elles aussi privé de la vie? J'ai déjà immolé deux victimes; -d'autres attendent leur destinée: mais toi, Clerval, mon ami, mon -bienfaiteur....».</p> - -<p>Les forces humaines ne peuvent supporter long-temps les souffrances -cruelles auxquelles je fus en proie. On m'emporta de la chambre dans de -fortes convulsions.</p> - -<p>Une fièvre succéda à cet état terrible. Je fus deux mois au bord du -tombeau: mon délire, comme on me l'apprit ensuite, était effrayant; je -m'appelais le meurtrier de Guillaume, de Justine et de Clerval. Tantôt -je priais ceux qui me gardaient de m'aider à détruire le démon, qui -était la cause de mon supplice; tantôt je sentais les doigts du -monstre qui saisissaient déjà mon cou, et je poussais des cris de -douleur et d'effroi. Heureusement je n'étais compris que de M. Kirwin, -qui seul entendait la langue de mon pays, dans laquelle je m'exprimais; -mais mes gestes et mes cris affreux suffisaient pour effrayer les autres -témoins.</p> - -<p>Pourquoi n'ai-je pas succombé? Plus malheureux que n'a jamais été -aucun homme, pourquoi n'ai-je pas été enseveli dans l'oubli et le -repos? La mort enlève une foule de jeunes enfants, unique espoir de -leurs tendres parents. Des épouses nouvelles, de jeunes amants, ont -été un jour brillants de la santé et de l'espérance, et le -lendemain, renfermés dans la tombe où ils sont devenus la pâture des -vers! De quelle matière étais-je formé pour résister ainsi à tant -de chocs, qui, semblables à l'action de la roue, renouvelaient -continuellement mon supplice?</p> - -<p>Hélas! j'étais condamné à vivre, et, deux mois après, je me -trouvai, comme si je m'éveillais d'un songe, dans une prison, étendu -sur un grabat, entouré de geôliers, de guichetiers, de verrous, et du -triste appareil d'un donjon. Ce fut un matin, je me souviens, que je -m'éveillai ainsi dans mon bon sens. J'avais oublié les détails de ce -qui était arrivé, et je n'avais d'autre impression que celle d'un -grand malheur qui aurait tout d'un coup pesé sur moi; mais en regardant -autour de moi, en apercevant les fenêtres grillées, et la malpropreté -de la chambre dans laquelle j'étais, je me rappelai toutes les -circonstances qui avaient précédé ma captivité, et je poussai un -soupir douloureux.</p> - -<p>Ce bruit réveilla une vieille femme qui dormait dans une chaise à -côté de moi. Cette vieille, qui était louée pour me servir de garde, -et qui était femme de l'un des guichetiers, portait sur sa figure -l'expression de toutes les mauvaises qualités, qui caractérisent -souvent cette classe. Ses traits étaient grossiers et durs, comme ceux -des personnes habituées à voir le malheur avec indifférence. Son ton -décelait toute son insensibilité. Elle s'adressa à moi en Anglais, et -je fus frappé du son de sa voix que j'avais entendue pendant mes -souffrances.</p> - -<p>«Êtes-vous mieux maintenant, monsieur, dit-elle? Je répondis dans la -même langue, et d'une voix faible: je crois qu'oui; mais, s'il est vrai -que je ne rêve pas, je suis fâché de vivre encore pour sentir le -malheur de mon horrible situation».</p> - -<p>—«Quant à cela, répliqua la vieille femme, si vous voulez parler du -Gentleman que vous avez assassiné, je crois qu'il vaudrait mieux pour -vous être mort, car je pense que cela ira mal: vous ne pouvez pas -manquer d'être pendu aux prochaines assises. Cependant, ce n'est pas -là mon affaire; je suis envoyé pour vous soigner, et vous rendre à la -santé; je fais mon devoir en bonne conscience, et tout le monde ferait -bien d'agir de même».</p> - -<p>Je me détournai avec dégoût d'une femme, qui pouvait tenir un langage -aussi inhumain à une personne qui venait d'être arrachée à la mort. -Je me sentais encore languissant et incapable de réfléchir à tout ce -qui s'était passé. Ma vie entière me paraissait un songe; je doutais -quelquefois de la vérité, car elle ne se présentait jamais à mon -esprit avec sa force réelle.</p> - -<p>Les idées, qui passaient dans mon esprit, devinrent enfin plus -distinctes. Je retombai dans mes accès de fièvre; je fus entouré -comme d'un nuage; et je n'avais aucun ami dont la douce voix me -consolât, aucun bras sur lequel je pusse me soutenir. Le médecin vint, -et ordonna des remèdes que la vieille femme prépara; mais l'un -témoignait une profonde insouciance, et l'autre n'avait sur le visage -que l'expression de la brutalité. Quel autre que le bourreau, jaloux de -gagner son droit, pouvait s'intéresser au sort d'un assassin?</p> - -<p>Telles étaient mes réflexions; mais j'appris bientôt que M. Kirwin -m'avait témoigné beaucoup de bonté. Il avait donné ordre de me -placer dans la meilleure chambre de la prison (car c'était la -meilleure, toute mauvaise qu'elle fût); et c'était lui qui m'avait -donné un médecin et une garde. À la vérité, il venait rarement me -voir; car, malgré son vif désir de soulager les souffrances de toute -créature humaine, il ne voulait pas être présent au désespoir et au -délire affreux d'un assassin. Il venait seulement pour examiner si je -n'étais pas négligé; mais ses visites étaient courtes et rares.</p> - -<p>Cependant je me rétablissais insensiblement: un jour j'étais assis -dans un fauteuil, les yeux à moitié ouverts, et les joues livides -comme la mort; abattu par le chagrin et le malheur, je me répétais -qu'il vaudrait mieux mourir que rester misérablement renfermé dans un -monde rempli de méchanceté. Je me demandais aussi si je ne me -déclarerais pas coupable, pour subir la peine de la loi, moins innocent -que la pauvre Justine ne l'avait été. Telles étaient mes pensées, -lorsque je vis la porte de ma chambre s'ouvrir, et M. Kirwin entra. Son -visage exprimait l'intérêt et la compassion; il approcha une chaise de -la mienne, et me dit en français:</p> - -<p>«Je crains que cette chambre ne vous paraisse pas agréable; puis-je -faire quelque chose de mieux pour vous»?</p> - -<p>—«Je vous remercie; tout ce que vous voulez dire n'est rien -pour moi: il n'est rien sur la terre qui puisse me consoler».</p> - -<p>—«Je sais que l'intérêt d'un étranger ne peut être que d'une -faible consolation pour une personne accablée comme vous, par un -malheur si grand; mais vous quitterez bientôt, j'espère, ce triste -séjour; car je ne doute pas que l'évidence ne vous disculpe facilement -du crime qui vous est imputé».</p> - -<p>—«C'est ce qui m'intéresse le moins: par une suite d'évènements -étranges, je suis devenu le plus malheureux des mortels. Persécuté et -souffrant comme je suis, et comme je l'ai été, la mort peut-elle me -paraître un mal»?</p> - -<p>—«Certes, rien n'est plus propre à plonger dans le malheur et le -désespoir que les circonstances étranges dont vous venez d'être -victime. Jeté par un hasard extraordinaire sur ce rivage renommé pour -son hospitalité, vous avez été sur-le-champ arrêté et accusé d'un -meurtre. Le premier objet qui se soit présenté à vos yeux, c'est le -corps de votre ami, si singulièrement assassiné, et placé par quelque -Démon sous vos pas».</p> - -<p>Pendant que M. Kirwin parlait ainsi, malgré l'agitation que -j'éprouvais en me retraçant mes souffrances, je ne pus m'empêcher -d'être fort surpris de ce qu'il paraissait savoir sur mon compte. Je -pense que je laissai voir mon étonnement sur ma figure; car M. Kirwin -se hâta de dire:</p> - -<p>«Ce ne fut qu'un ou deux jours après que vous fûtes tombé malade, -que je pensai à fouiller vos habits, pour chercher un moyen d'envoyer -à vos parents la nouvelle de votre malheur et de votre maladie. Je -trouvai plusieurs lettres, et, entr'autres, une que je reconnus dès le -commencement pour être de votre père. J'écrivis aussitôt à Genève: -près de deux mois ce sont écoulés depuis le départ de ma lettre... -mais vous êtes malade; vous tremblez même dans ce moment; vous ne -pouvez supporter aucune espèce d'agitation».</p> - -<p>—«Cette attente est mille fois plus cruelle que les évènements les -plus horribles: dites-moi quel meurtre a été commis, et sur la mort de -qui je dois gémir».</p> - -<p>—«Votre famille se porte très-bien, dit M. Kirwin avec douceur; et -quelqu'un, un ami, est venu pour vous voir».</p> - -<p>Je fus amené sur-le-champ, par je ne sais quelle chaîne d'idées, à -penser que l'assassin était venu pour insulter à mon malheur, me -railler sur la mort de Clerval, et m'engager de nouveau à consentir à -ses désirs infernaux. Je mis les mains devant mes yeux en m'écriant, -avec désespoir: «Ah! repoussez-le! je ne puis le voir; pour l'amour de -Dieu, ne le laissez pas entrer».</p> - -<p>M. Kirwin, dont le visage était troublé, fixa les yeux sur moi: il ne -put s'empêcher de regarder mon exclamation comme une présomption de -mon crime, et me dit d'un ton sévère:</p> - -<p>—«J'aurais pensé, jeune homme, que la présence de votre père eût -été un bonheur pour vous, au lieu de vous inspirer une répugnance -aussi violente».</p> - -<p>—«Mon père! m'écriai-je; et, dans chaque trait, chaque muscle, -l'expression du plaisir succéda à celle du désespoir. Mon père -est-il réellement venu? Que vous êtes bon! Ah! que vous êtes bon! -Mais où est-il? pourquoi ne se hâte-t-il pas de venir»?</p> - -<p>Mon changement d'expression surprit et satisfit le magistrat. Peut-être -pensa-t-il que ma première exclamation était un retour momentané de -délire. Il reprit aussitôt son air de bonté, se leva, et sortit avec -ma garde. Mon père entra un instant après.</p> - -<p>Rien, dans ce moment, ne pouvait me faire plus de plaisir que l'arrivée -de mon père. Je lui tendis la main, en m'écriant:</p> - -<p>«Vous vivez donc?—et Élisabeth?—et Ernest»?</p> - -<p>Mon père me calma, en m'assurant qu'ils étaient en bonne santé, et -s'efforça, en s'arrêtant sur ces sujets si intéressants pour mon -cœur, de relever mon courage; mais il sentit bientôt qu'une prison ne -pouvait être le séjour de la gaîté. «Quel est ce lieu que vous -habitez, mon fils», dit-il en regardant avec douleur les fenêtres -grillées, et la chambre dont l'aspect était misérable? «Vous avez -voyagé pour chercher le bonheur, mais il semble que la fatalité vous -poursuive. Et le pauvre Clerval»?...</p> - -<p>En entendant prononcer le nom de mon malheureux ami qui avait été -assassiné, je ressentis, une agitation trop grande pour que je pusse la -supporter dans l'état de faiblesse où j'étais. Je versai des pleurs.</p> - -<p>«Hélas! oui, mon père, répondis-je; la destinée la plus horrible -est suspendue sur ma tête, et me condamne à vivre pour la remplir, -puisque je ne suis pas mort sur le corps inanimé de Henry».</p> - -<p>On ne nous permit pas de nous entretenir long-temps ensemble; car -l'état précaire de ma santé rendait nécessaires les précautions qui -pouvaient affermir ma tranquillité. M. Kirwin entra, et insista pour -qu'on n'épuisât pas ma force par un trop grand effort. Mais l'arrivée -de mon père était pour moi comme celle de mon bon ange; et ma santé -se rétablit insensiblement.</p> - -<p>Délivré peu à peu de la maladie, j'étais absorbé par une -mélancolie sombre et noire que rien ne pouvait dissiper. L'affreuse -image de Clerval assassiné était toujours devant mes yeux; plus d'une -fois l'agitation, dans laquelle ces réflexions me jetaient, fit -craindre à mes amis une rechute dangereuse. Hélas! pourquoi ont-ils -sauvé une vie si misérable et si détestée? sans doute pour que -j'accomplisse ma destinée, dont la fin approche à présent. Bientôt, -ah! bientôt, la mort étouffera ces gémissements, et me délivrera du -poids affreux de mes souffrances qui m'entraîne dans la tombe; je -subirai la sentence de la justice, et je jouirai en même temps du -repos. Je ne pensais pas alors que la mort fut prochaine, mais j'en -conservais toujours le désir, et je restais souvent assis plusieurs -heures immobile et silencieux, faisant le vœu qu'un fort tremblement de -terre m'ensevelît sous ses ruines avec mon destructeur.</p> - -<p>L'époque des assises approchait. J'étais déjà en prison depuis trois -mois; et, quoique je fusse encore faible, et continuellement exposé à -une rechute, je fus obligé de faire près de cent milles pour aller à -la ville du comté où la cour se tenait. M. Kirwin voulut bien ne -négliger aucuns soins pour recueillir des témoins et préparer ma -défense. L'affaire n'étant pas portée devant la cour qui décide de -la vie et de la mort, on m'épargna la honte de paraître en public -comme un criminel. Le grand jury rejeta le bill, aussitôt qu'il eut la -preuve que j'étais dans les îles Orkneys à l'heure où l'on trouva le -corps de mon ami; quinze jours après mon arrivée, je sortis de prison.</p> - -<p>Mon père fut ravi que je n'eusse plus à porter la honte d'une charge -criminelle, que je fusse libre de respirer encore un air pur, et de -retourner dans mon pays natal. Je ne partageais pas ces sentiments; car -les murs d'un donjon ou d'un palais m'étaient également odieux. La -coupe de la vie était empoisonnée pour toujours; le soleil brillait, -il est vrai, pour moi comme pour celui dont le cœur est heureux et -content, mais je ne voyais autour de moi qu'une obscurité épaisse et -effrayante; obscurité qu'aucune lumière ne pouvait percer; si ce n'est -celle de deux yeux qui brillaient sur moi. Tantôt c'étaient les yeux -expressifs de Henry, dans lesquels se peignaient la langueur de la mort; -dont les noires prunelles étaient presqu'entièrement recouvertes par -les paupières et de longs cils noirs; tantôt c'étaient les yeux -humides et ternes du monstre, tels que je les vis pour la première fois -dans ma chambre à Ingolstadt.</p> - -<p>Mon père tâcha d'éveiller en moi les sentiments d'affection; il me -parla de Genève que je verrais bientôt,—d'Élisabeth et d'Ernest; -mais ces discours n'avaient d'autre effet que de m'arracher de profonds -soupirs. Quelquefois, il est vrai, j'avais le désir du bonheur; je -pensais, avec un plaisir mélancolique, à ma chère cousine; ou bien -dévoré par la maladie du pays, j'étais impatient de voir encore une -fois le lac azuré et le Rhône rapide, qui m'avaient été si chers -dans les premiers jours de mon enfance: mais en général j'éprouvais -une apathie, telle que la prison me paraissait un séjour aussi -agréable que le lieu le plus délicieux de la nature; et encore ces -accès n'étaient quelquefois interrompus, que par des redoublements -d'angoisse et de désespoir. Dans ces moments, j'aurais voulu mettre fin -à une existence qui m'était à charge; et il fallait un soin et une -vigilance continuels, pour m'empêcher de me porter à quelqu'acte -affreux de violence.</p> - -<p>Je me souviens qu'en quittant la prison, j'entendis un homme dire: «Il -peut être innocent du meurtre, mais il a certainement une mauvaise -conscience». Ces paroles me frappèrent. Une mauvaise conscience! Oui, -sans doute, elle l'était: Guillaume, Justine et Clerval devaient la -mort à mes machinations infernales: «Et quelle mort, m'écriai-je, -mettra fin à ces horreurs? Ah! mon père, ne restez pas dans ce -malheureux pays; traînez-moi dans un lieu où, je puisse oublier, moi, -mon existence, et le monde entier».</p> - -<p>Mon père accéda facilement à ce désir; et, après avoir pris congé -de M. Kirwin, nous partîmes pour Dublin. Je me sentis comme soulagé -d'un poids affreux, lorsque le paquebot s'éloigna de l'Irlande avec un -bon vent, et que j'eus quitté pour toujours le pays qui avait été -pour moi le théâtre de tant de douleurs.</p> - -<p>Il était minuit. Mon père dormait dans la cabine, et moi j'étais sur -le tillac à contempler les étoiles et à écouter le bruit des vagues. -Je perçais des yeux l'obscurité qui cachait l'Irlande à ma vue, et je -sentais mon pouls battre avec la violence de la fièvre, en pensant que -je verrais bientôt Genève. Le passé me paraissait comme un songe -effrayant, et pourtant le vaisseau qui me portait, le vent qui -m'éloignait du rivage détesté de l'Irlande, et la mer qui -m'entourait, ne m'apprenaient que trop que je n'étais pas trompé par -une vision, et que Clerval, mon ami et mon cher compagnon, avait été -ma victime et celle du monstre que j'avais créé. Je repassai dans ma -mémoire tous les événements de ma vie, mon bonheur paisible pendant -que j'étais à Genève au sein de ma famille, la mort de ma mère, et -mon départ pour Ingolstadt. Je me souvins en tremblant de -l'enthousiasme insensé qui m'avait excité à créer mon hideux ennemi, -et je me rappelai la nuit dans laquelle il reçut la vie. Je ne pus -suivre le fil de mes pensées; je fus accablé de mille sentiments -divers, et je finis par pleurer avec amertume.</p> - -<p>Depuis que j'étais rétabli de la fièvre, j'avais coutume de prendre -chaque soir un peu de <i>laudanum</i>; car ce n'était qu'au moyen de cette -potion, que je pouvais goûter le repos nécessaire à la conservation -de la vie. Accablé par le souvenir de tous mes malheurs, je pris une -double dose, et bientôt je m'endormis profondément: mais le sommeil me -fit oublier ma misère; mes rêves me présentèrent une foule d'objets -dont je fus effrayé. Vers le matin, je fus attaqué d'une sorte de -cauchemar; je croyais être saisi par le démon qui me pressait le cou, -sans que je pusse m'en délivrer; des gémissements et des cris -retentissaient à mes oreilles. Mon père, qui veillait sur moi, vit mon -agitation, me réveilla, et me montra le port de Holyhead, dans lequel -nous entrions.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XXI">CHAPITRE XXI</a></h4> - - -<p>Nous avions résolu de ne pas aller à Londres, mais de traverser le -pays jusqu'à Portsmouth; et là, de nous embarquer pour le Havre. Le -motif principal qui me déterminait à préférer ce plan, c'est que je -craignais de revoir ces lieux, où j'avais joui de quelques moments de -tranquillité avec mon cher Clerval. J'étais surtout saisi d'horreur, -en pensant que je pourrais rencontrer ces personnes que nous avions -coutume de visiter ensemble, et qui me questionneraient sur un -évènement, dont le souvenir même renouvelait l'angoisse dont je fus -déchiré, en voyant son corps inanimé dans l'auberge de ***.</p> - -<p>Quant à mon père, il bornait ses désirs et ses efforts à me voir -revenir à la santé et au calme. Sa tendresse et ses attentions -étaient infatigables; tout son espoir même était de chasser de mon -cœur le chagrin et la mélancolie, qui s'en étaient entièrement -emparés. Quelquefois il attribuait ma douleur à la honte d'être -obligé de répondre à une accusation d'assassinat, et il tâchait de -me prouver la sottise de l'orgueil.</p> - -<p>«Hélas! mon père, disais-je, que vous me connaissez peu! Les hommes, -leurs sentiments, et leurs passions seraient réellement dégradées, si -un misérable tel que moi se livrait à l'orgueil. Justine, la -malheureuse. Justine, était aussi innocente que moi-même, et elle a -été flétrie de la même accusation; elle en a été victime, et j'en -suis la cause.... je l'ai assassinée Guillaume, Justine, Henri.... ils -sont tous morts de ma main»!</p> - -<p>Pendant mon emprisonnement, mon père avait souvent entendu de -semblables discours sortir de ma bouche; lorsque je m'accusais ainsi, il -semblait quelquefois désirer une explication, et, au moment de la -demander, il s'arrêtait en paraissant considérer mes paroles comme -l'effet du délire. Il croyait que, pendant ma maladie, quelqu'idée -semblable s'était présentée à mon imagination, et que j'en avais -conservé le souvenir dans ma convalescence. J'évitais toute -explication, et je gardais un silence continuel sur le malheureux que -j'avais créé. J'avais un pressentiment qu'on me croirait en démence, -et cette crainte enchaînait toujours ma langue, lorsque j'aurais donné -le monde entier pour avoir un confident du fatal secret.</p> - -<p>À cette occasion, mon père me dit avec l'expression du plus grand -étonnement: «Que voulez-vous dire, Victor? Êtes-vous fou? Mon cher -fils, je vous supplie de ne jamais renouveler une pareille accusation».</p> - -<p>—«Je ne suis pas fou, m'écriai-je avec énergie; le soleil et les -cieux, qui ont vu mes opérations, attesteront la vérité de ce que je -dis. Je suis l'assassin de ces victimes innocentes; elles doivent la -mort à mes machinations. Mille fois j'aurais versé mon propre sang, -goutte à goutte, pour sauver leur vie; mais je ne pouvais, mon père, -en vérité, je ne pouvais sacrifier toute l'espèce humaine».</p> - -<p>La conclusion de ce discours eut pour effet de convaincre mon père -qu'il y avait du dérangement dans mes idées; il changea sur le champ -le sujet de notre conversation, et il s'efforça de détourner le cours -de mes pensées. Il désirait, autant que possible, effacer le souvenir -des évènements qui avaient eu lieu en Irlande; jamais il ne leur -faisait allusion; jamais il ne me laissait parler de mes malheurs.</p> - -<p>Avec le temps je devins plus calme. La douleur avait pris racine dans -mon cœur, mais je ne parlais plus de mes crimes avec autant -d'incohérence; les remords me suffisaient. À force de peine et -d'efforts, j'étouffai dans mon sein le malheur, dont j'entendais la -voix impérieuse, et que je désirais moi-même déclarer au monde -entier; et mon humeur fut plus calme et plus composée, qu'elle ne -l'avait jamais été depuis mon voyage à la mer de glace.</p> - -<p>Nous arrivâmes au Havre le 8 mai, et nous partîmes sur le champ pour -Paris, où mon père fut retenu pendant plusieurs semaines par quelques -affaires. Je reçus, dans cette ville, la lettre suivante d'Élisabeth:</p> - - -<p style="margin-left: 50%;">À VICTOR FRANKENSTEIN.</p> - -<p style="margin-left: 10%;">«Mon très-cher ami,</p> - - -<p>»J'ai eu le plus grand plaisir en recevant une lettre de mon oncle -datée de Paris; vous n'êtes plus à une distance effrayante, et je -puis espérer vous voir dans moins de quinze jours. Mon pauvre cousin, -combien vous avez souffert! Je m'attends à vous trouver l'air encore -plus triste que quand vous avez quitté Genève. Cet hiver a été bien -pénible: j'étais tourmentée par une incertitude affreuse; cependant -je me flatte que votre physionomie aura plus de calme, et que votre -cœur ne manquera ni de consolation, ni de tranquillité.</p> - -<p>»Mais je crains que les mêmes sentiments, qui vous rendaient si -malheureux, il y a un an, ne soient encore dans votre cœur; je crains -même que le temps n'y ait ajouté. Je n'ai pas voulu vous affliger à -cette époque, où tant de malheurs pesaient sur vous; mais une -conversation, que j'ai eue avec mon oncle au moment de son départ, me -force à désirer une explication avant de nous revoir.</p> - -<p>»Une explication! Direz-vous peut-être; quelle est l'explication dont -Élisabeth peut avoir besoin? Si vous le dites réellement, vous avez -répondu à mes questions, et je n'ai plus qu'à signer votre -affectionnée cousine; mais vous êtes loin de moi, et il est possible -que cette explication soit à la fois pour vous un sujet de crainte et -de désir. Dans cette dernière supposition, je n'ose plus tarder à -écrire ce que, pendant votre absence, j'ai souvent voulu vous exprimer, -sans avoir jamais eu le courage de commencer.</p> - -<p>»Vous savez bien, Victor, que notre union a toujours été le projet -favori de vos parents depuis notre enfance. On nous l'a dit dans notre -jeunesse, et on nous a appris à compter sur cette union comme sur un -évènement infaillible. Pendant notre enfance, nous étions bons -camarades de jeu, et je crois, amis chers et précieux l'un à l'autre, -à mesure que nous avancions en âge. Mais, comme un frère et une sœur -éprouvent souvent l'un pour l'autre une vive affection, sans désirer -une union plus intime, ne serait-il pas possible que le même sentiment -existât entre nous? Dites-moi, mon cher Victor; répondez-moi avec -franchise, je vous en conjure, au nom de notre bonheur mutuel; n'en -aimez-vous pas une autre?</p> - -<p>»Vous avez voyagé; vous avez passé plusieurs années de votre vie à -Ingolstadt; et je vous l'avoue, mon ami, lorsque je vous vis, l'automne -dernier, si malheureux, et fuyant dans la solitude toute société, je -n'ai pu m'empêcher de penser que vous redoutiez notre union, et que -vous vous regardiez comme engagé d'honneur à répondre aux désirs de -vos parents, quoiqu'ils s'opposent eux-mêmes à vos inclinations. Ce -serait mal raisonner. Je vous avoue, mon cousin, que je vous aime, et -que dans mes rêves d'avenir, vous avez toujours occupé une bien grande -place. Mais je veux votre bonheur autant que le mien, et je dois -déclarer que notre mariage me rendrait éternellement malheureuse, s'il -n'était pas le résultat d'un choix libre de votre part. À présent -même, je pleure en pensant que, accablé comme vous l'êtes par les -plus cruelles infortunes, vous pouvez sacrifier, à ce qu'on appelle -<i>honneur</i>, tout espoir de cet amour et de ce bonheur, qui seuls -pourraient vous rendre à vous-même. Moi, qui ai pour vous une -véritable affection, une affection qui repose sur tant d'intérêt, -j'augmenterais vos malheurs en m'opposant à vos désirs! Ah! Victor, -soyez assuré que votre cousine et compagne a pour vous un amour trop -sincère, pour que cette idée ne la rende pas malheureuse. Soyez -heureux, mon ami; et, si vous exaucez cette prière, soyez persuadé que -rien sur la terre ne pourra interrompre ma tranquillité.</p> - -<p>»Que cette lettre ne vous afflige pas; n'y répondez ni demain, ni -après demain, ni même avant votre arrivée, si elle vous cause de la -peine. Mon oncle m'enverra des nouvelles de votre santé; et, lorsque -nous nous reverrons, si j'aperçois seulement sur vos lèvres un sourire -qui ait pour motif cette lettre, ou tout autre objet qui me touche, je -n'aurai pas besoin d'autre bonheur».</p> - -<p style="margin-left: 30%;">» ÉLIZABETH LAVENZA».</p> - -<p style="margin-left: 60%;">Genève, 18 mai 17—</p> - - -<p>Cette lettre rappela ce que j'avais oublié depuis quelque temps, la -menace du Démon: «<i>Je serai avec toi la nuit de ton mariage</i>»! Telle -était ma sentence. Dans cette nuit le Démon emploierait tous les -moyens pour me détruire, et me priver de cette lueur de bonheur qui -promettait de me consoler en partie de mes souffrances. Dans cette nuit, -il avait résolu de consommer ses crimes par ma mort. Eh bien! tant -mieux; nous engagerions certainement alors un combat affreux: s'il -était victorieux, je reposerais en paix, et cesserais d'être soumis à -son pouvoir; s'il était vaincu, je serais libre. Hélas! quelle -liberté! Elle serait semblable à celle du paysan qui a vu massacrer sa -famille, brûler sa chaumière, et dévaster ses terres. Il erre au -hasard, sans asile, sans ressources, et solitaire, mais libre. Telle -serait ma liberté, si ce n'est que mon Élisabeth était un trésor -disputé, hélas! par l'horreur du remords et du crime, qui me -poursuivrait jusqu'à la mort.</p> - -<p>Douce et chère Élisabeth! Je lus et relus sa lettre; je sentis dans -mon cœur quelques émotions plus douces, et j'osai me bercer de vains -rêves d'amour et de bonheur; mais la pomme était déjà mangée, et le -bras de l'ange était levé pour m'annoncer que tout espoir était -anéanti. Qu'importe? Je mourrais pour la rendre heureuse. Car si le -monstre était fidèle à sa menace, je ne pouvais éviter la mort. -Était-il vrai, cependant, que mon mariage dût hâter ma destinée? Ma -fin arriverait, il est vrai, quelques mois plutôt; mais si mon -persécuteur pensait que ses menaces fussent la cause de mes retards, il -ne manquerait pas de trouver d'autres moyens de vengeance peut-être -plus terribles. Il avait fait vœu <i>d'être avec moi la nuit de mon -mariage</i>, sans se croire enchaîné par cette menace jusqu'au jour fixé -pour ce mariage; ne m'avait-il pas, en effet, prouvé qu'il n'était pas -encore rassasié de sang, en assassinant Clerval aussitôt après qu'il -eût prononcé ses menaces. Mon parti fut pris: si mon union, immédiate -avec ma cousine devait faire son bonheur ou celui de mon père, je ne -retarderais pas d'un seul moment le dessein de mon ennemi contre ma vie.</p> - -<p>Dans cet état d'esprit, j'écrivis à Élisabeth. Ma lettre était -calme et affectionnée. «Je crains, ma chère amie, disais-je, qu'il ne -nous reste que peu de bonheur sur la terre; et c'est sur vous que j'ai -concentré tout celui dont je pourrai jouir un jour. Chassez vos -craintes inutiles; c'est à vous seule que je consacre ma vie; votre -bonheur est le seul but de mes efforts. J'ai un secret, Élisabeth, un -secret affreux; lorsque vous le connaîtrez, vous serez glacée -d'horreur, et alors, loin d'être surprise de ma douleur, vous vous -étonnerez seulement que je survive à mes souffrances. Je vous -révélerai ce mystère de douleur et d'effroi le lendemain de votre -mariage; car, mon aimable cousine, il faut qu'il y ait entre nous une -confiance entière. Mais jusque-là, je vous en conjure, ne m'en parlez -pas, et n'y faites point allusion. Je vous en supplie avec ardeur, et je -sais que vous y consentirez».</p> - -<p>Une semaine environ après l'arrivée de la lettre d'Élisabeth, nous -retournâmes à Genève. Ma cousine m'accueillit avec une tendre -affection; mais elle ne put retenir ses larmes, en voyant la maigreur de -mon corps et la pâleur de mes joues. Je fus aussi frappé d'un -changement dans sa personne. Elle avait perdu de son embonpoint, et de -cette aimable vivacité qui m'avait auparavant charmé; mais sa douceur -et ses regards pleins de compassion, la rendaient plus propre à devenir -la compagne d'un être malheureux et accablé comme je l'étais. Cette -tranquillité ne fut pas de longue durée. Mes souvenirs portaient le -trouble dans mon esprit; et en pensant aux événements passés, je -tombais dans une véritable démence; tantôt j'étais furieux et -écumant de rage; tantôt calme et abattu. Je ne disais et ne -distinguais rien, et je restais sans mouvement, étourdi par la -multitude de chagrins qui m'accablaient.</p> - -<p>Élisabeth seule avait le pouvoir de me tirer de ces accès; sa douce -voix me calmait lorsque j'étais transporté de fureur, et m'inspirait -des sentiments humains lorsque je tombais dans l'anéantissement. Elle -pleurait avec moi et pour moi. Dès que je revenais à la maison, elle -me faisait des remontrances, et tâchait de me porter à la -résignation. Ah! le malheureux peut se résigner; mais le coupable ne -peut goûter de repos. Les remords empoisonnent le plaisir qu'on -pourrait trouver à s'abandonner à l'excès du chagrin.</p> - -<p>Bientôt après mon arrivée, mon père parla de mon prochain mariage -avec ma cousine. Je gardai le silence.</p> - -<p>«Avez-vous donc un autre attachement»?</p> - -<p>—«Aucun sur la terre. J'aime Élisabeth, et j'envisage notre union -avec délices. Que le jour en soit donc fixé; et alors je me -consacrerai, dans la vie ou dans la mort, au bonheur de ma cousine».</p> - -<p>—«Mon cher Victor, ne parlez pas ainsi; de grands malheurs ont pesé -sur nous, mais ne nous en attachons que plus à ce qui reste, et -reportons sur ceux qui survivent l'amour que nous avions pour ceux que -nous avons perdus. Notre cercle sera étroit, mais resserré par les -nœuds de l'affection et d'un malheur mutuel. Et, lorsque le temps aura -adouci votre désespoir, de nouveaux objets d'un tendre soin naîtront -pour remplacer ceux dont nous avons été si cruellement privés».</p> - -<p>Telles étaient les leçons de mon père; mais le souvenir de la menace -ne pouvait me quitter: aussi ne devez-vous pas vous étonner que, -connaissant la toute puissance du Démon dans le crime, je le jugeasse -invincible. Bien plus, l'ayant entendu prononcer ces mots: «<i>Je serai -avec toi la nuit de ton mariage</i>», je ne doutais pas un instant que mon -sort ne fut inévitable. Mais la mort n'était pas un mal pour moi -auprès du malheur de perdre Élisabeth. Je convins donc, avec mon -père, d'un air content et même gai, que, si ma cousine y consentait, -la cérémonie aurait lieu dans dix jours, et mettrait ainsi, comme je -l'imaginais, le sceau à ma destinée.</p> - -<p>Grand Dieu! si j'avais pensé un instant à l'intention infernale qui -animait le Démon, je me serais exilé pour toujours de ma patrie, et -j'aurais erré sur la terre, repoussé et sans ami, plutôt que de -consentir à ce malheureux mariage. Mais, comme par un pouvoir magique, -le monstre m'avait aveuglé sur ses véritables intentions; et lorsque -je croyais ne préparer que ma mort, je hâtais celle d'une victime bien -plus chère.</p> - -<p>En approchant de l'époque fixée pour notre mariage, soit lâcheté ou -pressentiment, je fus trahi par ma force. Je cachai mes sentiments sous -une apparence de gaîté, qui faisait régner le sourire et la joie sur -le visage de mon père, mais qui trompait à peine l'œil vigilant et -plus pénétrant d'Élisabeth. Elle envisageait notre union avec une -douce satisfaction, mais non sans quelque mélange de crainte. Nos -malheurs passés lui inspiraient de justes inquiétudes: notre bonheur, -qui paraissait alors sûr et prochain, ne pouvait-il pas se dissiper -bientôt comme un rêve, et ne laisser d'autre trace qu'un regret -profond et éternel?</p> - -<p>On fit les préparatifs pour la cérémonie; nous reçûmes les visites -de félicitation, et tout prit un aspect riant. J'éloignais de mon -cœur, autant que possible, l'inquiétude qui s'en emparait, et -j'entrais, avec une ardeur apparente, dans les plans de mon père, qui -n'étaient cependant que la décoration de la tragédie dont j'étais le -héros. On acheta une maison près de Cologny, où nous pourrions jouir -des plaisirs de la campagne. Cette habitation était en même temps -assez près de Genève, pour nous permettre de voir tous les jours mon -père, qui voulait encore demeurer dans la ville, à cause d'Ernest, -dont les études devaient être suivies.</p> - -<p>En même temps je pris toutes les précautions pour me défendre, dans -le cas où le Démon m'attaquerait ouvertement. Je portais constamment -avec moi des pistolets et un poignard, et j'étais toujours sur mes -gardes en cas de surprise; de cette manière, je devins plus tranquille. -Je dois dire aussi que l'approche du moment contribuait à cette -tranquillité; la menace ne me parut plus qu'une illusion, qui n'était -pas de nature à troubler mon repos, tandis que le bonheur, dont mon -mariage me donnait l'espoir, présentait une plus grande apparence de -certitude, à mesure que nous approchions du jour fixé pour le -célébrer. J'entendais continuellement parler de notre union, comme -d'un heureux évènement auquel rien ne pourrait s'opposer.</p> - -<p>Élisabeth paraissait heureuse; ma tranquillité extérieure contribuait -fortement à calmer son esprit; mais, le jour où je devais accomplir -mes vœux et ma destinée, elle fut mélancolique, et saisie d'un -pressentiment douloureux; peut-être aussi pensait-elle au secret -affreux que j'avais promis de lui révéler le lendemain. Cependant mon -père était dans l'enchantement, et occupé des préparatifs; il ne -voyait dans la tristesse de sa nièce que la timidité d'une nouvelle -mariée.</p> - -<p>Après la cérémonie, beaucoup de monde se rassembla chez mon père; -mais il fut convenu qu'Élisabeth et moi nous passerions l'après-midi -et la nuit à Évian, et que nous retournerions à Cologny le lendemain -matin. Le temps était beau, et le vent favorable; nous résolûmes -d'aller par eau.</p> - -<p>Ces moments furent les derniers de ma vie où je connus quelque bonheur. -Nous allions avec rapidité: le soleil était chaud, mais nous étions -à l'abri de ses rayons sous une espèce de dais, qui ne nous empêchait -pas de jouir de la beauté du site. Tantôt, d'un côté du lac, nous -avions en vue le mont Salève, les collines agréables de Montalègre, -et, un peu plus loin, plus élevé que tout le reste, le superbe -mont Blanc, et la chaîne de montagnes couvertes de chênes qui -s'efforcent en vain de l'égaler; tantôt, en longeant la rive opposée, -nous avions la vue du redoutable Jura, opposant son flanc noir à -l'ambitieux qui voudrait abandonner sa patrie, et une barrière -presqu'insurmontable au conquérant qui voudrait l'asservir.</p> - -<p>Je pris la main d'Élisabeth: «Vous êtes triste, mon amie; ah! si vous -saviez ce que j'ai souffert, et ce que je puis encore souffrir, vous -tâcheriez de me faire goûter le repos, et vous feriez succéder au -désespoir la sécurité dont ce seul jour me permet du moins de -jouir».</p> - -<p>—«Soyez heureux, mon cher Victor, répondit Élisabeth; rien, -j'espère, ne doit vous affliger; et soyez sûr que si mon visage n'a -pas l'expression d'une joie vive, mon cœur, du moins, ressent une -profonde satisfaction. Un secret pressentiment m'avertit de ne pas trop -m'abandonner à l'avenir qui se présente devant moi; mais je -n'écouterai pas une voix aussi sinistre. Voyez avec quelle vitesse nous -avançons, et combien les nuages, qui, tantôt obscurcissent le temps, -tantôt s'élèvent au-dessus du dôme du Mont-Blanc, ajoutent à la -beauté de cette vue si intéressante. Regardez aussi les innombrables -poissons qui nagent dans cette eau limpide, au fond de laquelle nous -pouvons distinguer chaque caillou. Quel jour délicieux! Comme toute la -nature parait heureuse et paisible»!</p> - -<p>Élisabeth tâchait, par ces discours, de reporter son esprit et le mien -sur des sujets moins tristes; mais elle ne pouvait maîtriser ses -dispositions. Pendant quelques instants, la joie brillait dans ses yeux; -mais elle retombait continuellement dans ses distractions et ses -rêveries.</p> - -<p>Le soleil se penchait vers l'horizon; nous passâmes la rivière de la -Dranse, dont le cours suit les vallées des plus hautes montagnes, et -les sinuosités des collines les moins élevées. Dans cet endroit, les -Alpes sont plus près du lac. Nous approchions de l'amphithéâtre des -montagnes qui le bornent à l'est; et le clocher d'Évian brillait au -milieu des bois qui l'entourent, sous la chaîne de montagnes qui le -dominent.</p> - -<p>Le vent, qui, jusque-là, nous avait portés avec une étonnante -rapidité, changea au coucher du soleil en une brise légère; le -zéphyr ne faisait que rider la surface de l'eau, et agitait -agréablement les arbres qui bordent le rivage, et dont les fleurs -exhalaient l'odeur la plus délicieuse. Le soleil avait disparu de -l'horizon, lorsque nous abordâmes. À peine avais-je mis le pied sur le -rivage, que je me sentis tourmenté par ces inquiétudes et ces -craintes, qui allaient bientôt m'environner et s'attacher à moi pour -toujours.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XXII">CHAPITRE XXII</a></h4> - - -<p>Il était huit heures lorsque nous mêmes pied à terre; nous nous -promenâmes quelque temps sur le bord du lac, en jouissant de l'éclat -fugitif du jour; et même en nous dirigeant vers l'auberge, nous -contemplions la vue agréable des eaux, des bois, et des montagnes -obscurcies par les ténèbres, mais déployant encore leurs noirs -sommets.</p> - -<p>En ce moment, le vent changea du sud à l'ouest, et souffla avec une -grande violence. La lune brillait au milieu des cieux et commençait à -descendre; les nuages étaient chassés avec la rapidité du vol du -vautour, et voilaient les rayons de cet astre, tandis que le lac -réfléchissait un ciel orageux, mille fois plus effrayant au milieu des -vagues agitées qui commençaient à s'élever. Tout-à-coup l'orage -s'annonça par un torrent de pluie.</p> - -<p>J'avais été calme pendant le jour; mais, dès que la nuit obscurcit la -vue des objets, mille craintes s'élevèrent dans mon esprit. Plein -d'inquiétude, je me tins sur la défensive; je saisis de la main droite -un pistolet caché dans mon sein; j'étais effrayé du moindre bruit, -mais déterminé à vendre chèrement ma vie, et à ne mettre fin au -combat, qu'après l'avoir perdue ou l'avoir arrachée à mon adversaire.</p> - -<p>Élisabeth observa quelque temps mon agitation dans un silence timide et -craintif; elle dit enfin: «qui peut ainsi vous agiter, mon cher Victor? -que craignez-vous»?</p> - -<p>—«Ah! paix! paix! mon amie, répliquai-je encore cette nuit, et tout -sera sauvé; mais cette nuit est affreuse, horrible»!</p> - -<p>Je passai une heure dans cet état, lorsque tout-à-coup je réfléchis -combien le combat, auquel je m'attendais à tout moment, serait pénible -pour ma femme; je l'engageai avec les plus vives instances à se -retirer, décidé à ne la rejoindre qu'après que j'aurais obtenu -quelque renseignement sur la situation de mon ennemi.</p> - -<p>Elle me quitta. Je restai quelque temps à parcourir les corridors de la -maison, et à visiter le plus petit coin qui aurait pu servir de -retraite à mon ennemi; mais je ne découvris aucune trace, et je -commençais à croire qu'un heureux hasard avait mis obstacle à -l'exécution de ses menaces, lorsque tout-à-coup j'entendis un cri aigu -et horrible. Il partait de la chambre où Élisabeth s'était retirée. -Dans ce moment, toute la réalité s'offrit à mon esprit; mes bras -tombèrent, le mouvement de mes muscles et de mes fibres fut suspendu; -je sentis mon sang couler goutte à goutte dans mes veines, et -bouillonner à l'extrémité de mes membres. Cet état ne dura qu'un -instant; le cri se répéta...; je me précipitai dans la chambre.</p> - -<p>Grand Dieu! pourquoi n'expirai-je pas alors? Pourquoi suis-je ici à -raconter l'anéantissement de mes plus douces espérances, et de la -créature la plus pure qui existât sur la terre? Elle était sans vie -et inanimée, jetée en travers du lit, la tête renversée, la figure -pâle, décomposée, et à moitié couverte par ses cheveux. De quelque -côté que je me tourne, je vois la même figure; ses bras et son corps -de la pâleur de la mort étaient jetés par l'assassin sur la couche -nuptiale comme dans une bière funèbre. Ai-je pu voir ce spectacle, et -vivre? Hélas! la vie est opiniâtre, et s'attache davantage à celui -qui la hait le plus. Un moment seulement j'en perdis le souvenir: je -m'évanouis.</p> - -<p>Lorsque je repris connaissance, je me trouvai entouré des gens de -l'auberge; leurs physionomies exprimaient la terreur la plus vive: mais -l'horreur des autres ne paraissait qu'une lueur, qu'une ombre des -sentiments qui m'oppressaient. Je me dégageai des personnes qui -étaient auprès de moi, pour courir à la chambre où était le corps -d'Élisabeth, de mon amante, de ma femme, qui vivait il n'y a qu'un -moment, si aimée et si digne de l'être. On avait changé la position -dans laquelle je l'avais vue d'abord; dans ce moment, elle était -étendue, la tête appuyée sur son bras, un mouchoir jeté sur sa -figure et son col, et telle que j'aurais pu la croire endormie. Je -m'élançai sur elle; je la couvris de baisers; mais la mort avait -glacé ses membres, et leur langueur ne m'apprenait que trop que ce que -je tenais alors dans mes bras, avait cessé d'être mon Élisabeth, -celle que j'avais aimée et chérie. La marque meurtrière de la main du -démon était sur son col, et le souffle ne pouvait plus être recueilli -sur ses lèvres.</p> - -<p>Pendant que, dans l'agonie du désespoir, j'étais encore penché sur -elle, je levai les yeux par hasard. La chambre, qui, auparavant, était -obscure, était en ce moment éclairée par la lueur pâle et jaune de -la lune: je fus saisi d'une espèce de terreur panique en apercevant -cette lumière. Les volets étaient ouverts; et, dans une sensation -impossible à décrire, je vis au milieu de la fenêtre, une figure.... -Ah! la plus hideuse et la plus détestée. Un rire affreux agitait le -visage du Monstre. C'était lui: il semblait me railler, en me montrant -de son doigt infernal le corps de ma femme. Je m'élançai vers la -fenêtre, en faisant feu d'un pistolet que je tirai de mon sein; mais il -esquiva le coup, prit la fuite, courut avec la rapidité de l'éclair, -et plongea dans le lac.</p> - -<p>Le bruit du pistolet attira du monde dans la chambre. Je désignai -l'endroit où il avait disparu; nous suivîmes la trace avec des -bateaux; on jeta des filets, mais ce fut en vain. Au bout de quelques -heures, nous revînmes sans espoir. La plupart de mes compagnons -étaient persuadés qu'ils avaient couru après un fantôme de mon -imagination. À peine avaient-ils débarqués, qu'ils se mirent à -battre le pays, se partageant en bandes qui suivirent différentes -directions, les unes dans les bois, les autres dans les vignes.</p> - -<p>Je ne me joignis pas à eux; j'étais épuisé: un nuage couvrait mes -yeux, et ma peau était desséchée par la chaleur de la fièvre. Dans -cet état, je me jetai sur un lit, sans savoir à peine ce qui était -arrivé; mes yeux erraient autour de la chambre, comme pour chercher -quelque chose que j'avais perdu.</p> - -<p>Enfin je me souvins que mon père attendrait avec inquiétude le retour -de ses deux enfants, et que je devais revenir seul. Ce souvenir remplit -mes yeux de larmes: je pleurai long-temps; mais je portai ma pensée sur -différents objets, sur mes malheurs et sur leur cause. La mort de -Guillaume, le supplice de Justine, le meurtre de Clerval, et en dernier -lieu celui de ma femme, m'accablaient d'étonnement et d'horreur. Dans -ce moment même, je ne savais pas si les seuls amis, qui me restaient, -seraient à l'abri de la perversité du Démon; peut-être même mon -père expirait-il maintenant sous sa main! peut-être Ernest était-il -étendu mort à ses pieds! Cette idée me fit frémir, et me ranima. Je -me levai, décidé à retourner à Genève aussi promptement que -possible.</p> - -<p>On ne put me procurer des chevaux; je fus forcé de revenir par le lac; -mais le vent n'était pas favorable, et la pluie tombait par torrents. -Cependant le jour commençait à peine à paraître, et je pouvais -raisonnablement espérer que j'arriverais le soir.</p> - -<p>Je louai des rameurs, et je pris moi-même une rame; car je m'étais -toujours senti soulagé des tourments de l'esprit par l'exercice du -corps; mais ma douleur profonde et l'excès d'agitation que -j'éprouvais, me rendaient incapable du moindre effort. Je quittai la -rame; et, appuyant ma tête sur mes mains, je donnai cours à toutes les -idées qui m'occupaient. Si je levais les yeux, je voyais les scènes -qui m'étaient familières dans un temps plus heureux, et que j'avais -contemplées la veille encore, avec celle qui n'était plus qu'une ombre -et un souvenir. Je pleurai amèrement. La pluie s'était arrêtée un -moment, et je vis les poissons se jouer dans des eaux comme ils avaient -fait quelques heures auparavant; Élisabeth les avait remarqués...! -Rien n'est aussi pénible pour l'esprit humain qu'un changement complet -et subit. Le soleil pouvait briller; les nuages couvrir le temps; rien -ne me paraissait de même que la veille. Un Démon m'avait enlevé tout -espoir de bonheur; personne n'avait jamais été aussi malheureux que -moi: un évènement aussi affreux est unique dans l'histoire de l'homme.</p> - -<p>Mais pourquoi m'arrêterais-je sur les incidents qui suivirent ce -dernier et cruel évènement? Mon histoire est un tissu d'horreurs; la -mesure en est comblée; et ce que j'ai encore à vous raconter, ne -saurait être qu'ennuyeux pour vous. Sachez que mes amis m'ont été -enlevés l'un après l'autre: je suis resté seul.... Mes forces -s'épuisent; et je dirai en peu de mots la fin de mon atroce récit.</p> - -<p>J'arrivai à Genève. Mon père et Ernest vivaient encore; mais le -premier succomba en apprenant la nouvelle que je lui annonçai. Je le -vois encore ce vieillard excellent et vénérable! Ses yeux étaient -égarés: il avait perdu celle qui en était le charme et le bonheur.... -Sa nièce, pour qui il avait une affection plus que paternelle, sur -laquelle il avait porté toute sa tendresse, comme un homme, qui, au -déclin de la vie, conserve peu d'affections, et ne s'attache que plus -fortement à celles qui lui restent. Maudit, maudit soit le Démon qui -appela le malheur sur ses cheveux blancs, et le condamna à mourir de -douleur! Il ne put soutenir les horreurs qui s'accumulèrent autour de -lui; il fut saisi d'une attaque d'apoplexie, et mourut dans mes bras peu -de jours après.</p> - -<p>Je ne sais ce que je devins alors; je perdis les sens; je ne connus plus -que les chaînes et l'obscurité. Quelquefois, il est vrai, je croyais -errer dans des prés fleuris et de riantes vallées avec les amis de ma -jeunesse; mais, à mon réveil, je me trouvais dans un donjon. La -mélancolie succéda à cette disposition; mais par degrés je parvins -à distinguer mes douleurs et ma situation, et je fus alors relâché de -prison; car j'avais passé pour fou; et, pendant plusieurs mois, comme -on me l'apprit, je n'avais eu d'autre habitation qu'une cellule -solitaire.</p> - -<p>Mais la liberté eût été pour moi un don inutile, si mon retour à la -raison n'eût en même temps excité ma vengeance. Assiégé -continuellement du souvenir de mes infortunes passées, je commençai à -réfléchir sur leur cause.... sur le monstre que j'avais créé, ce -misérable Démon que j'avais jeté sur la terre pour ma perte. J'étais -animé d'un transport de rage en pensant à lui, et j'aurais voulu le -tenir entre mes mains, pour accomplir sur sa tête exécrable une -vengeance complète et signalée.</p> - -<p>Ma haine ne se borna pas longtemps à des désirs inutiles. Je me mis à -chercher les meilleurs moyens de l'atteindre; et dans ce but, un mois -environ après ma mise en liberté, j'allai trouver un juge criminel de -la ville; je lui déclarai que j'avais une accusation à faire; que je -connaissais le destructeur de ma famille; et je finis en le priant -d'user de toute son autorité, pour que le meurtrier fût livré entre -ses mains.</p> - -<p>Le magistrat m'écouta avec attention et bonté: «Soyez assuré, -Monsieur, me dit-il, que je n'épargnerai aucune peine, aucune démarche -pour découvrir le scélérat».</p> - -<p>—«Je vous remercie, répondis-je; écoutez donc la déposition que -j'ai à faire. C'est vraiment une chose si étrange, que je craindrais -votre défiance et vos doutes, s'il n'y avait quelque chose dans la -vérité, qui force à la conviction. L'histoire est trop enchaînée -pour paraître un songe, et je n'ai aucun motif pour mentir».</p> - -<p>En lui parlant ainsi, j'étais sous une impression profonde, mais calme: -j'avais formé dans mon cœur la résolution de poursuivre mon ennemi -jusqu'à la mort, et cette résolution calmait mon désespoir, et me -réconciliait un moment avec la vie. Je racontai alors mon histoire en -peu de mots, mais avec fermeté et précision, désignant les dates avec -soin, et ne tombant jamais dans les invectives ou les exclamations.</p> - -<p>Le magistrat paraissait d'abord tout-à-fait incrédule, mais ensuite il -devint plus attentif, et parut y prendre plus d'intérêt. Je le vis -tantôt frémir d'horreur, tantôt exprimer une vive surprise mêlée de -doute.</p> - -<p>Je terminai mon récit en lui disant: «Voici l'être que j'accuse, et -pour la découverte, pour la punition duquel je vous prie d'exercer tout -votre pouvoir. C'est votre devoir comme magistrat; homme seulement, je -crois et j'espère qu'en cette occasion vous ne serez pas révolté -d'avoir à le remplir».</p> - -<p>Cette demande changea presque entièrement la physionomie de mon -auditeur. Il avait écouté mon histoire avec cette espèce de foi qu'on -accorde à un conte d'esprits, ou à un récit d'évènements -surnaturels; mais lorsqu'il fut sommé d'agir officiellement en -conséquence, il reprit toute son incrédulité. Cependant il répondit -avec douceur: «Je vous donnerai volontiers tous les secours possibles -pour vous aider dans votre poursuite; mais la créature, dont vous -parlez, parait avoir une puissance qui mettrait en défaut tous mes -efforts. Qui pourrait suivre un animal capable de traverser la mer de -glace, et d'habiter des cavernes et des antres, où aucun homme -n'oserait entrer? D'ailleurs, plusieurs mois se sont écoulés depuis -qu'il a commis ses crimes: qui peut présumer la direction qu'il a -suivie, ou le pays qu'il habite».</p> - -<p>—«Je ne doute pas qu'il ne se tienne près du lieu que j'habite; et, -s'il s'est réellement réfugié dans les Alpes, on peut le chasser -comme le Chamois, et le détruire comme une bête féroce; mais je -pénètre vos pensées: vous ne croyez pas à mon récit, et vous -refusez d'infliger à mon ennemi le châtiment qu'il mérite».</p> - -<p>Pendant que je parlais, la rage étincelait dans mes yeux; le magistrat -fut intimidé: «Vous vous trompez, dit-il, je ferai tous mes efforts; -et s'il est en mon pouvoir d'arrêter le monstre, soyez assuré qu'il -subira un châtiment proportionné à ses crimes. Mais je crains, -d'après la description que vous m'avez faite vous-même de ses -qualités, que cela ne soit impraticable; je crains même qu'au moment -où l'on prendra toutes les mesures nécessaires, vous ne deviez vous -attendre à voir vos espérances déçues».</p> - -<p>—«Je n'y puis consentir; mais tout ce que je dirais est de peu -d'utilité. La vengeance n'est d'aucun intérêt pour vous; elle peut -être criminelle; mais j'avoue que c'est la passion, l'unique passion -qui dévore mon âme. Je ne saurais exprimer ma rage, en songeant que le -meurtrier, que j'ai jeté dans la société, existe encore. Vous -repoussez ma juste demande. Je n'ai plus qu'une ressource; à la vie et -à la mort, je me dévoue moi-même pour l'exterminer».</p> - -<p>En parlant ainsi, j'éprouvais une agitation telle, que je tremblais de -tous mes membres: il y avait de la frénésie dans mon air, et sans -doute aussi de cette fierté sublime dont les anciens martyrs étaient, -dit-on, animés; mais pour un magistrat Genevois, dont l'esprit était -occupé d'idées bien éloignées du dévouement et de l'héroïsme, -cette élévation eut toute l'apparence de la folie. Il tâcha de me -calmer de même qu'une nourrice cherche à apaiser un enfant, et il -considéra mon récit comme l'effet du délire. «Homme, m'écriai-je, -tu as beau t'enorgueillir de ta sagesse, tu n'en es pas moins -ignorant!—C'en est assez; vous ne savez ce que vous dites».</p> - -<p>Je sortis de la maison dans le trouble et la colère, et je me retirai -pour méditer sur ce que je ferais.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XXIII">CHAPITRE XXIII</a></h4> - - -<p>La situation de mon esprit était telle, que je ne fus plus maître -d'aucune pensée. J'étais animé par la fureur; la vengeance seule me -donnait des forces et du calme; elle tempérait mes sentiments, et me -permettait d'être modéré et réfléchi, dans les moments où je -n'aurais eu recours qu'au délire ou à la mort.</p> - -<p>Ma première résolution fut de quitter Genève à jamais; mon pays, qui -m'était si cher aux jours de mon bonheur et de mes affections, me -devint odieux dans mon adversité. Je pris une somme d'argent avec -quelques bijoux qui avaient appartenu à mon père, et je partis.</p> - -<p>De ce moment ont commencé mes courses, qui ne finiront qu'avec ma vie. -J'ai parcouru une grande partie de la terre, et j'ai supporté toutes -les fatigues auxquelles les voyageurs ont l'habitude d'être exposés -dans les déserts et les pays barbares. Je sais à peine comment j'ai -vécu; souvent j'ai étendu sur le sable mes membres affaiblis, et j'ai -invoqué la mort; mais j'ai vécu pour la vengeance; je n'osais mourir -et laisser la vie à mon adversaire.</p> - -<p>En quittant Genève, mon premier soin fut de chercher la trace de mon -infernal ennemi; mais mon plan fut dérangé; et j'errai plusieurs -heures autour de la ville, incertain de la route que je suivrais. À -l'approche de la nuit, je me trouvai à la porte du cimetière où -reposaient Guillaume, Élisabeth, et mon père. Je franchis la porte, et -je m'avançai vers leurs tombeaux. Tout était silencieux, hors les -feuilles des arbres, qui étaient légèrement agitées par le vent; la -soirée était sombre, et la scène eût été solennelle et touchante, -même pour un observateur désintéressé. Les esprits des morts -semblaient voltiger autour de leurs tombes, et jeter autour de la tête -de celui qui venait pleurer sur leurs cendres, une ombre qui était -sentie sans être vue.</p> - -<p>Le profond chagrin, que m'avait d'abord inspiré cette scène, fit -bientôt place à la rage et au désespoir. Ils étaient morts, et je -vivais; leur meurtrier vivait aussi, et c'était pour le détruire que -je traînais mon existence odieuse. Je m'agenouillai sur le gazon; je -baisai la terre qui recouvrait leurs cendres, et les lèvres tremblantes -je m'écriai: «Par la terre sacrée sur laquelle je suis agenouillé, -par les ombres qui errent auprès de moi, par le chagrin profond et -éternel que j'éprouve, par toi, nuit, par les esprits qui président -à ton cours, je jure de poursuivre le Démon, auteur de tous ces maux, -jusqu'à ce que l'un de nous soit anéanti dans la lutte que nous -engagerons. C'est dans ce but que je conserverai ma vie: je verrai -encore l'éclat du soleil, je foulerai encore la verdure de la terre, -mais pour satisfaire cette vengeance si douce, et sans laquelle je -n'assisterais plus au spectacle de la nature. J'invoque votre secours, -esprits des morts; et vous, ministres errants de vengeance, dirigez-moi -dans mon entreprise. Que le monstre exécrable boive à longs traits -dans la coupe de la douleur, qu'il connaisse le désespoir auquel je -suis en proie maintenant»!</p> - -<p>J'avais commencé mon invocation avec solennité, et un respect qui -m'assurait presque que les ombres de mes amis assassinés entendaient et -approuvaient mon vœu. Mais en terminant j'étais animé par la fureur, -et la rage me faisait élever la voix.</p> - -<p>Un rire violent et infernal fut la réponse que je reçus au milieu du -silence de la nuit. Il retentit long-temps et avec force à mon oreille, -les montagnes le répétèrent, et je crus que tout l'enfer m'entourait -pour me railler et m'insulter. Sans doute en ce moment j'aurais été -animé par la frénésie, et j'aurais mis fin à ma déplorable -existence, si mon vœu n'eût été entendu, et si je ne me fusse -réservé pour la vengeance. J'oubliais le rire qui m'avait frappé, -lorsqu'une voix bien connue et détestée, qui me paraissait être tout -près de mon oreille, prononça distinctement ces paroles: «Je suis -satisfait, misérable! tu te résous à vivre, et je suis satisfait».</p> - -<p>Je m'élançai vers l'endroit d'où parlait la voix; mais le démon -m'échappa. Tout-à-coup le large disque de la lune s'éleva, et -éclaira complètement le corps hideux et difforme du monstre qui fuyait -avec une rapidité surnaturelle.</p> - -<p>Je le poursuivis, et pendant plusieurs mois je n'ai point eu d'autre -occupation. Guidé par de vagues renseignements, j'ai suivi les détours -du Rhin sans le rencontrer. J'arrivai sur les bords de la -Méditerranée; et, par un hasard étrange, je vis le démon entrer -pendant la nuit, et se cacher dans un vaisseau destiné pour la mer -Noire. Je pris passage sur le même navire; mais il échappa, je ne sais -comment.</p> - -<p>Au milieu des déserts de la Tartare et de la Russie, je n'ai pu -l'atteindre, mais j'ai toujours suivi ses traces. Tantôt les paysans, -effrayés par cette horrible apparition, m'instruisaient de la route -qu'il tenait; tantôt lui-même, il me laissait quelque signe pour me -guider, dans la crainte que, si je perdais toute trace, je ne me -livrasse au désespoir et ne voulusse mourir. Souvent je recevais la -neige sur ma tête, et je voyais l'empreinte de son énorme pas sur la -plaine blanchie. Vous, qui entrez dans la vie, pour qui les soucis sont -nouveaux, et le désespoir inconnu, comment pouvez-vous comprendre ce -que j'ai éprouvé et ce que j'éprouve encore? Le froid, le besoin et -la fatigue étaient les moindres maux que j'eusse à supporter; j'étais -maudit par un mauvais génie, et je portais toujours avec moi mon enfer; -mais cependant un bon génie a suivi et dirigé mes pas, et au moment -où je me plaignais le plus, il me dégageait tout-à-coup des -difficultés qui paraissaient insurmontables. Quelquefois, lorsque la -nature succombait épuisée par la faim, je trouvais dans le désert un -repas qui m'était destiné, et qui me rendait la force et le courage. -C'était une nourriture grossière, il est vrai, comme celle des paysans -de la contrée: mais je ne puis douter qu'elle n'y fût placée par les -esprits, dont j'avais invoqué le secours. Souvent, lorsque tout était -aride, le ciel sans nuages, et mon gosier desséché par une soif -brûlante, un léger nuage rafraîchissait le temps, versait quelques -gouttes qui me ranimaient, et se dissipait.</p> - -<p>Je suivais, autant que possible, le cours des rivières; mais le Démon -évitait ordinairement ces chemins, parce que c'est là que se réunit -la plus grande partie de la population d'un pays. Partout ailleurs, on -voyait rarement quelques êtres humains; et ma subsistance ordinaire -était la chair des animaux sauvages qui se trouvaient sur mon chemin. -J'avais de l'argent avec moi, et je gagnais l'amitié des villageois en -le distribuant, ou en apportant quelque bête que j'avais tuée, et dont -je ne prenais qu'une petite part, ayant soin d'offrir le reste à ceux -qui m'avaient procuré du feu et les ustensiles nécessaires pour la -préparer.</p> - -<p>Ma vie, en s'écoulant ainsi, m'était réellement odieuse, et ce -n'était que pendant le sommeil que je pouvais jouir de quelque -consolation. Ô bienheureux sommeil! Souvent, lorsque j'étais le plus -malheureux, je me livrais au repos, et j'étais bercé par mes rêves au -point de tomber dans le ravissement. Les esprits, qui veillaient sur -moi, m'avaient ménagé ces moments, ou plutôt, ces heures de bonheur, -afin que je conservasse assez de force pour accomplir mon pèlerinage. -Sans ce délassement, j'aurais succombé à mes fatigues. Pendant le -jour, j'étais soutenu et encouragé par l'espoir de la nuit: car, -durant le sommeil, je voyais mes amis, ma femme et ma chère patrie; je -voyais encore le visage bienveillant de mon père, j'entendais les -douces modulations de la voix de mon Élisabeth, et je voyais Clerval -brillant de jeunesse et de santé. Souvent, fatigué par une marche -pénible, je me persuadais que cette fatigue était un rêve qui -durerait jusqu'à l'arrivée de la nuit, et qu'alors je jouirais de la -réalité dans les bras de mes plus chers amis. Quelle tendresse ils -m'inspiraient! Combien je m'attachais à leurs formes chéries, si, à -mon réveil, elles se présentaient à mon imagination! Dans ces -moments, je me figurais qu'ils vivaient encore! Dans ces moments encore, -la vengeance, dont j'étais dévoré, s'éteignait dans mon cœur, et je -continuais à poursuivre le Démon que j'avais à détruire, plutôt -pour remplir une lâche enjointe par le ciel, pour suivre l'impulsion -mécanique d'une puissance inconnue, que pour satisfaire un désir -ardent de mon âme.</p> - -<p>Je ne sais quelles étaient les sensations de celui que je poursuivais. -Quelquefois il laissait des marques de son passage, en écrivant sur -l'écorce des arbres, ou en gravant sur la pierre, dans la vue de me -guider et d'exciter ma fureur. Je lus ces mots dans une de ces -inscriptions: «Mon règne n'est pas encore fini; tu vis, et mon pouvoir -est complet. Suis-moi; je me dirige vers les glaces éternelles du nord, -où tu éprouveras la rigueur du froid auquel je suis insensible. Tu -trouveras près de ce lieu, si tu n'arrives pas trop tard, un lièvre -mort; mange, et rafraîchis-toi. Avance, mon ennemi, nous avons encore -à nous disputer la vie; mais tu passeras bien des moments durs et -cruels, avant que cet instant ne soit venu».</p> - -<p>Démon insultant! Je fais encore vœu de vengeance; je te voue encore, -misérable Démon, aux tourments et à la mort. Jamais je ne cesserai -mes recherches, que lui ou moi ne périssions; et, alors, avec quelle -joie j'irai rejoindre mon Élisabeth, et ceux qui, même à présent, me -préparent la récompense de mes pénibles ennuis et de mon horrible -pèlerinage!</p> - -<p>En poursuivant toujours mon voyage vers le nord, les neiges -s'épaissirent, et le froid s'accrut à un degré beaucoup trop élevé -pour que je pusse le supporter. Les paysans étaient renfermés dans -leurs cabanes, et les plus hardis seulement osaient les quitter afin de -prendre les animaux que la faim avait fait sortir de leurs retraites -pour chercher une proie. Les rivières étaient recouvertes d'une glace -épaisse qui ne permettait pas d'avoir du poisson; ainsi, j'étais -privé de tout ce qui servait ordinairement à me nourrir.</p> - -<p>Le triomphe de mon ennemi doubla avec la difficulté de mes travaux. Une -inscription, qu'il laissa, était conçue en ces termes: «Prépare toi! -tes fatigues ne font que commencer. Enveloppe-toi de fourrures, et fais -provision de vivres, car nous allons bientôt entreprendre un voyage où -tes souffrances satisferont ma haine éternelle».</p> - -<p>Loin de céder à ces paroles dérisoires, je me fortifiais dans mon -courage et ma persévérance. Je résolus de ne pas abandonner mon -projet; et, demandant au Ciel de me soutenir, je continuai avec la -même ardeur à traverser d'immenses déserts, jusqu'à ce que je vis de -loin l'Océan qui formait les dernières limites de l'horizon: Ah! -combien cette mer différait des mers azurées du sud! Couverte de -glace, elle ne se distinguait de la terre que par son aspect sombre et -ses inégalités. Les Grecs pleurèrent de joie en apercevant la -Méditerranée, du sommet des montagnes de l'Asie; ils cinglèrent avec -ravissement vers le terme de leurs travaux. Je ne pleurai pas; mais je -m'agenouillai; et, de bon cœur, je remerciai le Génie, qui me guidait, -de m'avoir conduit sain et sauf jusqu'au lieu où j'espérais, malgré -les railleries de mon ennemi, l'atteindre et lutter avec lui.</p> - -<p>Quelques semaines avant ce temps, j'avais acheté un traîneau et des -chiens, à l'aide desquels je traversais les neiges avec une -inconcevable rapidité. Je ne sais si le Démon avait le même avantage, -mais je m'aperçus que je gagnais alors sur lui tous les jours autant de -terrain, que j'en avais perdu auparavant dans sa poursuite.</p> - -<p>J'allais même si vite, qu'au moment où je vis l'Océan, il n'avait -plus qu'un jour d'avance, et que j'avais l'espoir de l'atteindre avant -qu'il n'arrivât au rivage. Je pressai donc avec un nouveau courage, et -en deux jours, j'arrivai à un chétif hameau sur le bord de la mer. Je -demandai aux habitants des renseignements sur le Démon, et je pris des -informations exactes. Un monstre gigantesque, disaient-ils, était -arrivé la nuit précédente, armé d'un fusil et de plusieurs -pistolets, mettant en fuite les habitants d'une chaumière isolée, qui -avaient eu peur de ses formes effrayantes. Il avait emporté leurs -provisions d'hiver, et les avait mises dans un traîneau, s'était -emparé d'un nombreux troupeau de chiens dressés pour le tirer, les -avait attelés, et la même nuit, à la joie des villageois frappés -d'horreur, avait poursuivi son voyage à travers la mer dans une -direction qui ne conduisait à aucune terre; et ils conjecturaient qu'il -serait bientôt englouti, si la glace venait à se rompre, ou, qu'il -succomberait à la rigueur éternelle du froid.</p> - -<p>À cette nouvelle, je tombai un moment dans un accès de désespoir. Il -m'avait échappé, et il me mettait dans la nécessité de commencer un -voyage mortel, et presque sans fin, à travers les montagnes de glace de -l'Océan, et de braver un froid que peu d'habitants pouvaient long-temps -supporter, et auquel moi, né dans un climat agréable et chaud, je ne -pouvais espérer de survivre. Cependant, à l'idée que le Démon -vivrait et serait triomphant, ma rage et la vengeance se ranimèrent et -furent assez puissantes pour étouffer tout autre sentiment. Après un -léger repos, pendant lequel les esprits des morts vinrent me visiter et -m'exciter à la fatigue et à la vengeance, je me préparai pour mon -voyage.</p> - -<p>J'échangeai mon traîneau de terre pour un autre propre aux -inégalités des glaces de l'Océan; je pris une abondante provision de -vivres, et je partis de terre.</p> - -<p>Je ne puis dire combien de jours j'ai passés depuis ce départ; ce que -je sais, c'est que j'ai été exposé à une détresse que je n'ai eu le -courage de supporter, qu'à cause du juste et éternel sentiment de -vengeance dont mon cœur est consumé. Souvent des montagnes de glace -immenses et escarpées me barraient le passage; souvent aussi -j'entendais le craquement de la mer de glace qui menaçait de -m'engloutir; mais la gelée revenait, et raffermissait les chemins de la -mer.</p> - -<p>À la quantité de vivres dont j'ai fait consommation, je pourrais juger -que j'ai passé trois semaines dans ce voyage. Que de fois, en voyant -l'espérance s'éloigner toujours et se refouler dans mon cœur, n'ai-je -pas versé des larmes de découragement et de chagrin. Je commençais à -être en proie au désespoir, et j'aurais bientôt succombé à tant -d'épreuves, sans une circonstance que je ne dois pas omettre. Traîné -par les pauvres animaux que je dirigeais, et dont un avait succombé à -la fatigue, j'avais atteint avec une peine incroyable le sommet d'une -montagne de glace escarpée; à cette hauteur, je voyais avec angoisse -l'immensité devant moi, quand tout-à-coup j'aperçus un point noir sur -la plaine brumeuse. Je m'efforçai de découvrir quel pouvait être cet -objet, et je poussai un cri féroce de joie en distinguant un traîneau -et les proportions difformes d'un être bien connu. Oh! avec quelle -ardeur l'espérance rentra dans mon cœur! Mes yeux furent remplis de -larmes brûlantes, que je me hâtai d'essuyer, dans la crainte qu'elles -ne m'empêchassent de voir le Démon; mais elles revinrent encore -obscurcir ma vue, jusqu'à ce que, donnant cours aux émotions qui -m'oppressaient, je les répandis en abondance.</p> - -<p>Mais ce n'était pas le moment de m'arrêter: je débarrassai les chiens -de leur compagnon mort; je leur donnai une ration abondante; et, après -une heure de repos, qui était absolument nécessaire, mais qui me -paraissait insupportable, je continuai ma route. Le traîneau était -encore visible, et ne disparaissait à ma vue, que quand il était -caché derrière la cime d'un quartier de glace. Enfin je le vis -distinctement; et lorsque, après environ deux jours de marche, -j'aperçus mon ennemi à la distance d'un mille, je sentis mon cœur -bondir de joie.</p> - -<p>Mais, au moment où je croyais être sur le point d'atteindre mon -ennemi, mes espérances furent tout-à-coup déçues, et je perdis sa -trace plus que jamais. J'entendis un craquement dans la mer; ce bruit, -qui croissait à mesure que les eaux roulaient, et grossissaient sous -moi, devenait à tout moment plus menaçant et plus terrible. -J'avançai, mais en vain. Le vent s'éleva; la mer rugit; et, semblable -à un fort tremblement de terre, se fendit, et éclata avec un bruit -affreux et effrayant. Tout fut bientôt fini: en peu de minutes, une mer -agitée me sépara de mon ennemi; et je fus ballotté sur un morceau de -glace qui diminuait continuellement, et me préparait ainsi la mort la -plus affreuse.</p> - -<p>Pendant plusieurs heures, je fus en proie à cette crainte: je perdis la -plupart de mes chiens; et j'étais moi-même au moment de succomber à -tant de détresse, lorsque je vis votre vaisseau qui était à l'ancre, -et qui me donna l'espoir d'obtenir du secours et de conserver ma vie. -J'étais loin de penser que des navires fussent venus aussi loin au -nord, et je fus étonné d'en voir un. Je défis aussitôt une partie de -mon traîneau, et je m'en servis en guise de rames; de cette manière je -pus, avec une fatigue infinie, diriger mon radeau vers votre vaisseau. -J'étais décidé, si vous alliez vers le sud, à me livrer encore à la -merci des mers, plutôt que d'abandonner mon projet. J'espérais vous -engager à me céder une barque au moyen de laquelle je pusse encore -poursuivre mon ennemi; mais vous vous dirigiez vers le nord. Vous me -prîtes à bord au moment où mes forces étaient épuisées, au moment -où j'allais périr de l'excès de mes fatigues: mais je crains encore -la mort.... Car ma mission n'est pas terminée.</p> - -<p>Ah! quand donc serai-je conduit vers le Démon par le génie qui me -guide? Quand donc me laissera-t-il goûter le repos que je désire si -vivement; ou bien, faut-il que je meure, et qu'il survive? Si je meurs, -Walton, jurez-moi qu'il n'échappera pas, que vous le chercherez, que -vous satisferez ma vengeance par sa mort. Et quoi? J'ose vous demander -d'entreprendre mon pèlerinage, d'essuyer les fatigues que j'ai -souffertes? Non, je ne suis pas aussi égoïste. Cependant, après ma -mort, s'il paraissait, si les ministres de vengeance le conduisaient à -vous, jurez qu'il ne survivra pas.... Jurez qu'il ne triomphera pas de -mes malheurs accumulés, et ne vivra pas pour rendre un autre aussi -malheureux que moi. Il est éloquent et persuasif, et ses paroles eurent -même une fois du pouvoir sur mon cœur: mais ne vous fiez pas à lui: -son âme est aussi infernale que sa forme exprime sa perfidie et sa -perversité surhumaines. Ne l'écoutez pas, invoquez les noms de -Guillaume, de Justine, de Clerval, d'Élisabeth, de mon père, celui du -malheureux Victor, et plongez votre épée dans son cœur. Je serai -prêt de vous, et je dirigerai votre fer.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="SUITE_PAR_WALTON">SUITE, PAR WALTON</a></h4> - - -<p style="margin-left: 60%;">26 août 17—</p> - - -<p>«Vous avez lu, ma sœur, cette histoire étrange et effrayante. Ne -sentez-vous pas votre sang glacé par une horreur, qui, même en ce -moment, arrête le mien dans mes veines? Quelquefois il était saisi -subitement par la douleur, et il ne pouvait continuer son récit: de -temps en temps, sa voix brisée, mais perçante, prononçait avec -difficulté ces paroles si pleines de désespoir. Ses yeux doux et beaux -étaient tantôt animés par l'indignation, tantôt abattus par le -chagrin, et éteints par la force du malheur. Quelquefois il maîtrisait -sa physionomie et ses expressions, et il racontait les événements les -plus terribles d'une voix tranquille, sans aucune marque d'agitation; -mais tout-à-coup, semblable au volcan qui s'entr'ouvre, il animait son -visage par l'expression de la rage la plus farouche, et il vomissait des -imprécations contre son persécuteur.</p> - -<p>»Son récit s'enchaîne, et il le fait avec l'air de la vérité la -plus simple; cependant, j'avoue que les lettres de Félix et de Safie -qu'il me montra, et l'apparition du Monstre, que nous avons vu de notre -vaisseau, m'ont plus convaincu de la vérité de son récit, que ses -assertions vives et bien enchaînées. Ainsi, un fait constant, un fait -dont je ne puis douter, c'est que le Monstre existe réellement; mais je -ne puis revenir de ma surprise et de mon admiration. Quelquefois je -tâchais d'obtenir de Frankenstein des détails sur la formation d'une -semblable créature; mais, sur ce point, il était impénétrable.</p> - -<p>«Êtes-vous fou, mon ami, disait-il? Où vous mène une curiosité -irréfléchie? Voudriez-vous aussi créer un ennemi infernal pour -vous-même et pour le monde? Car enfin, quel est le but de vos -questions? Paix! paix! apprenez mes malheurs, et ne cherchez pas à -augmenter les vôtres».</p> - -<p>»Frankenstein s'aperçut que je prenais des notes sur son histoire; il -demanda à les voir, les corrigea lui-même, et y ajouta en plusieurs -endroits, pour donner de la vie et de la force aux conversations qu'il -avait avec son ennemi. «Puisque vous avez conservé mon récit, -disait-il, je ne voudrais pas qu'il fût transmis incomplet à la -postérité».</p> - -<p>»J'ai passé ainsi une semaine à écouter l'histoire la plus étrange -que l'imagination ait jamais inventée. Mes pensées et les sentiments -de mon âme, ont été absorbés par l'intérêt que je porte à mon -hôte, et que m'inspirent ses manières aussi nobles que douces. Je -désire le calmer: et pourtant, puis-je conseiller de vivre à un homme -aussi malheureux, et privé de tout espoir de consolation? Oh! non! Il -ne peut plus maintenant connaître d'autre joie, qu'au moment où il -trouvera dans la paix de la mort, celle de son âme long-temps -bouleversée. Cependant, il jouit d'une consolation, et il la doit à la -solitude et au délire: il croit, en s'entretenant dans ses rêves avec -ses amis, et en puisant dans ses entretiens des consolations pour ses -infortunes, ou des encouragements pour sa vengeance, que ce ne sont pas -des fantômes de son imagination, mais des êtres réels qui viennent -d'un monde éloigné pour le visiter. Cette idée donne à ses rêveries -une solennité, qui me les rend presqu'aussi imposantes et aussi -intéressantes que la vérité.</p> - -<p>»Nos conversations ne sont pas toujours bornées à son histoire et à -ses malheurs. Dans tous les genres de littérature, en général, il -montre des connaissances profondes, et un jugement rapide et sûr. Son -éloquence est forte et touchante; je ne puis l'entendre sans pleurer, -lorsqu'il raconte un évènement affligeant, ou qu'il veut mettre en -mouvement les sentiments de la pitié ou de l'amour. Combien un tel -homme devait être admirable dans ses jours de prospérité, puisqu'il -est si noble et si grand dans son infortune! Il semble sentir son propre -mérite, et la grandeur de sa chute.</p> - -<p>«Lorsque j'étais plus jeune, disait-il, je me sentais appelé à -quelque grande entreprise. Mes sentiments sont profonds; mais tel était -le calme de mon jugement, qu'il me rendait propre à m'illustrer par des -faits éclatants.</p> - -<p>»J'étais soutenu par le sentiment de mon mérite, lorsque d'autres en -eussent été écrasés; car il me semblait que c'était un crime de -consumer dans un chagrin inutile, ces talents qui pouvaient être utiles -à mes semblables. En réfléchissant à l'œuvre que j'ai accomplie, et -qui n'est pas moindre que la création d'un animal doué des sens et de -la raison, je ne puis me ranger au nombre des esprits ordinaires; mais -ce sentiment, qui me soutenait dans le commencement de ma carrière, ne -sert maintenant qu'à m'accabler dans ma chute. Toutes mes observations, -toutes mes espérances sont comme si elles n'étaient pas; et, semblable -à l'archange qui aspirait à la toute-puissance, je suis enchaîné -dans un enfer éternel. Mon imagination était vive, et eu même temps -susceptible d'analyse et d'une application assidue; ce n'est qu'avec -deux qualités si opposées que j'ai pu concevoir et réaliser la -création d'un homme.</p> - -<p>»Même à présent, je ne puis me souvenir sans émotion, des rêveries -qui m'occupaient avant la fin de mon ouvrage. Je foulais le ciel dans ma -pensée, tantôt fier et joyeux de ma puissance, tantôt impatient d'en -contempler les effets. Dès mon enfance, j'avais nourri de hautes -espérances et une ambition sublime; mais combien je suis abaissé! Ah! -mon ami, si vous m'aviez connu tel que j'étais autrefois, vous ne me -reconnaîtriez pas dans cet état de dégradation. Rarement la tristesse -pénétra dans mon cœur; je semblais porté par une haute destinée, -jusqu'au jour où je suis tombé pour ne plus me relever».</p> - -<p>»Faut-il donc que je perde cet homme admirable? J'ai long-temps -désiré un ami; j'ai cherché un homme qui put m'aimer et sympathiser -avec moi. Vois; j'en ai trouvé un sur ces mers désertes; mais je -crains de ne l'avoir connu que pour apprendre à l'apprécier et le -perdre. Je voudrais lui faire aimer encore la vie, mais il repousse -cette idée.</p> - -<p>«Je vous remercie, Walton, disait-il, de vos bonnes intentions pour un -malheureux comme moi; mais, en me parlant de nouveaux liens et de -nouvelles affections, croyez-vous qu'il y en ait qui puissent tenir lieu -de ceux qui ne sont plus? Quel homme remplacerait Clerval auprès de -moi? ou quelle femme pourrait me tenir lieu d'Élisabeth? Et même, à -moins que les affections ne soient fortement excitées par un -attachement plus grand, les compagnons de notre enfance possèdent -toujours sur nos esprits un certain pouvoir, qu'un nouvel ami peut à -peine obtenir. Ils connaissent les goûts de notre enfance, ces goûts -que le temps peut modifier, mais qu'il n'enlève jamais; et ils peuvent -juger de nos actions d'une manière plus sûre, en connaissant nos -véritables intentions. Une sœur ou un frère ne peuvent jamais, à -moins que les symptômes ne s'en montrent de bonne heure, se soupçonner -de perfidie ou de mensonge, tandis qu'un ami, quelque soit son -attachement, peut, malgré lui, éprouver des soupçons. Les amis que -j'ai perdus, m'étaient chers non-seulement par l'habitude et le charme -de leur société, mais aussi par leurs qualités personnelles: et, dans -quelque lieu que je sois, la voix douce de mon Élisabeth, et la -conversation de Clerval retentiront toujours à mon oreille. Ils sont -morts; et, dans la solitude où me laisse leur mort, il n'est qu'un -sentiment qui puisse me donner le courage de conserver ma vie. Si -j'étais engagé dans une grande entreprise ou dans un projet, dont -l'utilité pût s'étendre sur mes semblables, je pourrais vivre pour -l'exécuter; mais telle n'est pas ma destinée; je dois poursuivre et -détruire l'être à qui j'ai donné l'existence. Alors, mais seulement -alors, ma tâche sur la terre sera accomplie, et je pourrai mourir».</p> - - - - -<p style="margin-left: 60%;">2 septembre.</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">«Ma bien aimée sœur,</p> - - -<p>»Je vous écris, entouré de périls, et sans savoir si je suis -condamné à ne plus revoir la chère Angleterre et les amis encore plus -chers qui l'habitent. Je suis entouré de montagnes de glace, qui ne -présentent aucune issue, et menacent à chaque moment d'engloutir mon -vaisseau. Les braves marins que j'ai engagés à m'accompagner, trouvent -du courage en me regardant; mais je n'ai personne pour m'en donner. -Notre situation est vraiment très-effrayante; cependant, mon courage et -mes espérances ne m'abandonnent pas. Nous pouvons survivre; s'il n'en -est pas ainsi, je répéterai les leçons de mon Sénèque, et je -mourrai de bon cœur.</p> - -<p>»Mais quel sera l'état de votre esprit, Marguerite? vous n'entendrez -pas parler de ma mort, et vous attendrez mon retour avec inquiétude. -Les années s'écouleront, et vous serez tourmentée par des -alternatives de désespoir et d'espérance. Oh! ma chère sœur, les -tourments qu'éprouvera votre cœur, dans une attente peut-être vaine, -me paraissent plus terribles que la mort; mais vous avez un époux, et -d'aimables enfants; vous pouvez être heureuse: que le ciel répande sur -vous ses bénédictions!</p> - -<p>»Mon malheureux hôte me regarde avec la plus tendre compassion. Il -tâche de me donner de l'espoir; il parle comme si la vie était un bien -qu'il estime. Il me rappelle que les navigateurs, qui se sont exposés -avant moi sur cette mer, ont souvent eu à craindre les mêmes dangers; -et, en dépit de moi-même, il me remplit d'heureux augures. Les -matelots mêmes sentent le pouvoir de son éloquence: lorsqu'il parle, -ils reprennent courage; il ranime leur énergie; et, en entendant sa -voix, ils croient que ces vastes montagnes de glace sont des môles, qui -pourront s'évanouir et céder aux résolutions de l'homme. Ces -sentiments sont passagers; leur attente étant chaque jour retardée, -ils passent de l'espoir à la crainte, et de la crainte au désespoir. -J'ai bien peur que cela ne finisse par une mutinerie».</p> - - - - -<p style="margin-left: 60%;">5 septembre.</p> - - -<p>«Il vient de se passer une scène d'un intérêt si peu commun, que je -ne puis résister au désir de la rapporter, quoiqu'il soit -très-probable que ces papiers ne vous parviendront jamais.</p> - -<p>»Nous sommes encore entourés de montagnes de glace, et sans cesse en -danger d'être engloutis au premier choc. Le froid est excessif; et -plusieurs de mes malheureux compagnons ont déjà trouvé leur tombeau -au milieu de cette scène de désolation. La santé de Frankenstein -dépérit de jour en jour: le feu de la fièvre brille encore dans ses -yeux; mais il est épuisé, et, lorsque tout-à-coup, il a fait -quelqu'effort, il retombe aussitôt, et semble privé de la vie.</p> - -<p>»Je vous ai annoncé dans ma dernière lettre que je redoutais une -mutinerie. Ce matin, j'étais à observer le visage pâle, de mon ami, -ses yeux à moitié fermés, et ses membres languissants; quand je fus -détourné de ce spectacle par un groupe de matelots qui désiraient -entrer dans la cabine. Ils entrèrent; et leur chef m'adressa la parole. -Il me dit que lui et ses compagnons avaient été choisis par les autres -matelots, pour venir en députation auprès de moi, et me faire une -demande, qu'en toute justice, je ne pouvais refuser. Il ajoutait que -nous étions enfermés dans la glace, et qu'il était à croire que nous -n'en sortirions jamais: mais toute leur crainte était que, si par -hasard la glace venait à se séparer et à laisser un passage libre, je -ne fusse assez téméraire pour continuer mon voyage, et les conduire à -de nouveaux dangers, après qu'ils auraient heureusement surmonté -celui-ci. Ils désiraient donc que je fisse la promesse solennelle que, -si le vaisseau était dégagé, je dirigerais aussitôt ma course vers -le sud.</p> - -<p>»Ce discours me troubla. Je n'avais pas perdu tout espoir, et je -n'avais pas encore conçu l'idée de retourner sur mes pas, si j'étais -délivré. Cependant, pouvais-je justement, ou même physiquement, -m'opposer à cette demande? J'hésitais avant de répondre, lorsque -Frankenstein, qui avait d'abord été silencieux, et paraissait -réellement avoir à peine assez de force pour donner la moindre -attention à quoi que ce soit, se réveilla les yeux étincelants et les -joues animées par une force passagère. Il se tourna vers ces hommes, -et il leur dit:</p> - -<p>«Que voulez-vous? Que demandez-vous à votre capitaine? Pouvez-vous -donc être si facilement détournés de votre entreprise? N'appeliez-vous -pas cette expédition glorieuse? Et pourquoi l'était-elle? Ce -n'est pas parce que la route était facile et paisible comme -une mer du Sud, mais parce qu'elle était pleine de dangers et de -terreur; parce qu'à chaque nouvel accident, votre bravoure était -nécessaire, et que votre courage devait être mis à l'épreuve; parce -que vous aviez autour de vous le danger et la mort, et que ces dangers -vous deviez les braver et les surmonter. Voilà pourquoi votre -entreprise était glorieuse, pourquoi elle était honorable: le monde -vous aurait appelés les bienfaiteurs du genre humain; on aurait adoré -les noms illustrés par les hommes courageux, qui auraient bravé la -mort pour la gloire et le bien de l'espèce humaine. Faites maintenant -la comparaison: à la première idée du danger, ou, si vous le voulez, -à la première épreuve forte et effrayante de votre courage, vous vous -découragez, et vous consentez à passer pour des hommes qui n'ont pas -eu assez de force pour endurer le froid et le danger; aussi dira-t-on: -pauvres gens, ils étaient frileux, et ils sont revenus se chauffer à -leurs foyers. Mais pourquoi ces ménagements? Vous n'aviez pas besoin de -venir si loin et de traîner votre capitaine à la honte d'un revers, -pour prouver uniquement votre lâcheté. Ah! soyez hommes, ou soyez plus -que des hommes. Persévérez dans vos projets, et soyez aussi fermes -qu'un roc. Cette glace n'est pas faite d'une matière telle que vos -cœurs pourraient l'être; il se peut qu'elle change, il se peut qu'elle -ne vous arrête plus, si vous dîtes qu'elle ne vous arrêtera pas. Ne -retournez pas dans vos familles avec une marque d'infamie sur vos -fronts. Retournez comme des héros qui ont combattu et vaincu, et qui ne -savent pas ce que c'est que de tourner le dos à l'ennemi».</p> - -<p>»Sa voix était si bien d'accord avec les différents sentiments de son -discours, ses yeux exprimaient une résolution et un héroïsme si -grands, que vous ne devez pas vous étonner que ces hommes fussent -émus. Ils se regardaient l'un l'autre, sans être capables de -répondre. Je pris la parole; je les invitai à se retirer, et à -réfléchir à ce qu'on leur avait dit; je leur dis que je ne les -mènerais pas plus au nord, s'ils persistaient dans leur désir de -retour; mais que j'espérais que leur courage reviendrait avec la -réflexion.</p> - -<p>»Ils se retirèrent, et je me tournai vers mon ami qui était retombé -en langueur, et presque sans vie.</p> - -<p>»Je ne sais quelle sera la fin de tout ceci; mais je préfère la mort -à la honte de revenir sans avoir exécuté mon projet. Cependant je -crains d'y être forcé; des hommes, qui ne sont pas soutenus par des -idées de gloire et d'honneur, ne peuvent jamais continuer, de bon gré, -à supporter les fatigues auxquelles ils sont exposés».</p> - - - - -<p style="margin-left: 60%;">7 septembre.</p> - - -<p>«Le sort en est jeté; j'ai consenti à revenir, si nous ne périssons -pas. Ainsi mes espérances sont détruites par la lâcheté et -l'indécision: je reviens sans rien savoir, et déçu dans mes projets. -Il faut plus de philosophie que je n'en ai, pour supporter patiemment un -malheur aussi injuste».</p> - - - - -<p style="margin-left: 60%;">12 septembre.</p> - - -<p>«C'en est fait: je retourne en Angleterre. Je suis frustré dans mes -espérances de gloire et d'intérêt.—J'ai perdu mon ami. Je vais -tâcher, ma chère sœur, de vous donner des détails sur ces pénibles -évènements; et puisque je me dirige vers l'Angleterre et en même -temps vers vous, je ne m'affligerai pas.</p> - -<p>»Le 9 septembre, la glace commença à remuer; des bruits semblables à -celui du tonnerre se firent entendre au loin, et annoncèrent que les -îles de glace se séparaient et se rompaient de tous les côtés. Nous -étions dans le péril le plus imminent; mais notre position étant -entièrement passive, je portai presque toute mon attention sur mon -malheureux hôte, dont la maladie avait pris un caractère si grave -qu'il ne pouvait plus sortir de son lit. La glace se rompit dernière -nous, et fut emportée avec force vers le nord; le vent tourna à -l'ouest, et le 11, le passage vers le sud devint parfaitement libre. Les -matelots, en voyant leur retour dans leur patrie presque assuré, -poussèrent de grandes acclamations de joie long-temps prolongées. -Frankenstein, qui était assoupi, s'éveilla et demanda la cause du -tumulte. «Ils se réjouissent, lui dis-je, de ce qu'ils retourneront -bientôt en Angleterre».</p> - -<p>—«Retournez-vous vraiment»?</p> - -<p>—«Hélas! oui; je ne puis résister à leur demande. Je ne puis les -contraindre à braver le danger, et je suis moi-même contraint de -retourner».</p> - -<p>—«Faites-le si vous le voulez, mais je n'en ferai rien. Vous pouvez -abandonner votre projet; mais je ne puis manquer au mien; il m'est -assigné par le ciel. Je suis faible; niais je ne doute pas que les -esprits, qui aident ma vengeance, ne me donnent assez de force». À ces -mots, il tâcha de se lever de son lit, mais l'effort était au-dessus -de ses forces; il retomba et s'évanouit.</p> - -<p>»Il resta long-temps avant de reprendre connaissance, et je crus -long-temps que la vie était entièrement éteinte. Enfin il ouvrit les -yeux, mais il respirait avec difficulté, et ne pouvait parler. Le -chirurgien lui donna une potion, et nous ordonna de le laisser et de ne -pas le troubler. En même-temps il m'annonça que mon ami n'avait pas -beaucoup d'heures à vivre.</p> - -<p>»La sentence était prononcée: je ne pouvais que m'affliger et -attendre. Je m'assis auprès de son lit pour l'observer; ses yeux étant -fermés, je crus qu'il dormait; mais en ce moment il m'appela d'une voix -faible, m'invita à m'approcher, et me dit: «Hélas! la force, sur -laquelle je comptais, m'abandonne; je le sens, je mourrai bientôt; et -lui, mon ennemi et mon persécuteur, il vit peut-être encore! Ne croyez -pas, Walton, que dans les derniers moments de mon existence, j'éprouve -cette haine brûlante et ce désir ardent de vengeance, dont j'étais -animé autrefois; je souhaite la mort de mon ennemi, et je me sens -justifié par ce sentiment. Pendant ces derniers jours je me suis mis à -examiner ma conduite passée et je ne la trouve nullement blâmable. -Dans un accès de démence, et dans un transport d'enthousiasme, j'ai -créé un être doué de raison; j'étais tenu d'assurer, autant qu'il -était en mon pouvoir, son bonheur et son bien-être. Tel était mon -devoir; mais il en était un autre bien supérieur. Mes devoirs envers -mes semblables étaient beaucoup plus dignes de fixer mon attention, -puisqu'ils renfermaient une plus grande proportion de bonheur ou de -malheur. Soutenu par cette considération, j'ai refusé, et avec raison, -de former une compagne pour l'être que j'avais créé. Il montrait une -perversité et un égoïsme que personne n'aurait pu égaler. Il a -immolé mes amis; il a voué à la mort des êtres qui jouissaient de -deux biens inestimables, le bonheur et la sagesse; et je ne sais où -s'étanchera cette soif de vengeance. Malheureux lui-même de ne pouvoir -faire le malheur des autres, il fallait qu'il mourût.... Mon devoir -était de lui donner la mort, mais j'ai succombé. Conduit par -l'intérêt et des motifs coupables, je vous ai demandé de prendre mon -ouvrage s'il n'était pas terminé; je renouvelle cette prière à -présent que je ne suis guidé que par la raison et la vertu.</p> - -<p>»Cependant je ne puis vous demander de renoncer à votre pays et à vos -amis, pour remplir cette tâche, et, maintenant que vous retournez en -Angleterre, vous aurez peu de chances de le rencontrer; mais je vous -engage à bien réfléchir sur ce point, et à bien peser ce que vous -devez faire. Mon jugement et mes idées sont déjà troublés par -l'approche de la mort. Je n'ose vous demander d'entreprendre ce que je -crois juste; car je puis être encore égaré par la passion.</p> - -<p>»En pensant qu'il pourrait vivre pour être un instrument de malheur, -je me trouble; mais si j'arrête mon esprit à d'autres considérations, -j'envisage cette heure, qui va être celle de mon repos, comme la seule -heureuse que j'aie passée depuis plusieurs années. Je vois voltiger -devant moi les formes des morts qui me sont chers, et je me jette dans -leurs bras. Adieu, Walton! Cherchez le bonheur dans la tranquillité, et -évitez l'ambition, même l'ambition, en apparence innocente, de vous -distinguer dans les sciences et les découvertes. Mais pourquoi parler -ainsi? Cet espoir m'a perdu: un autre peut réussir».</p> - -<p>»Sa voix devenait plus faible à mesure qu'il parlait; et enfin, -épuisé par cet effort, il tomba dans le silence. Environ une -demi-heure après, il essaya encore de parler, mais il n'en eût pas la -force; il pressa faiblement ma main. Ses yeux se fermèrent pour -toujours, et le charme d'un doux sourire s'éloigna de ses lèvres.</p> - -<p>»Marguerite, que puis-je ajouter sur la fin précoce de ce Génie -glorieux? Que dirai-je, qui puisse vous faire comprendre la profondeur -de mon chagrin? Tout ce que je pourrais dire serait trop faible. Mes -yeux sont inondés de larmes; mon esprit est troublé par ma douleur. -Mais je fais route vers l'Angleterre, et je puis y trouver des -consolations.</p> - -<p>»Je suis interrompu. Que signifient ces bruits? Il est minuit; le vent -est bon, et la sentinelle se meut à peine sur le pont. Encore! c'est un -bruit semblable à celui d'une voix humaine, mais plus rauque; il vient -de la cabine où sont encore les restes de Frankenstein; il faut que je -monte et que j'aille voir. Bonne nuit, ma sœur.</p> - -<p>»Grand, Dieu! quelle scène vient de se passer! Je suis encore étourdi -en y pensant. Je ne sais si j'aurai la force de l'écrire; cependant -l'histoire, que je vous ai rapportée, serait incomplète sans cette -dernière et étonnante catastrophe.</p> - -<p>»J'entrai dans la cabine, où étaient les restes de mon malheureux et -admirable ami. Sur lui était penché un spectre que je ne saurais -décrire; sa stature était gigantesque, mais grossière et difforme -dans ses proportions. Courbé sur le lit de mort, il avait la figure -cachée par de longues bouclés de cheveux en désordre; sa main, qui -était étendue, paraissait d'une couleur et d'une peau semblables à -celle d'une momie. En m'entendant approcher, il cessa de pousser des -exclamations de douleur et d'horreur; et il s'élança vers la fenêtre. -Jamais je n'ai rien vu d'aussi horrible que sa figure, de si hideux, et -en même temps d'une laideur si effrayante. Je fermai les yeux -involontairement, et je m'efforçai de me rappeler quels étaient mes -devoirs vis-à-vis de ce monstre sanguinaire. Je le sommai de rester.</p> - -<p>»Il s'arrêta en me regardant avec étonnement; se tourna de nouveau -vers le corps inanimé de son créateur, et parut oublier ma présence. -Chaque trait, chaque geste semblait excité par la plus sombre rage -d'une passion irrésistible.</p> - -<p>«Il est aussi ma victime, s'écria-t-il! Avec sa mort mes crimes sont -consommés: ma misérable existence touche à sa fin! Ah, Frankenstein! -Être généreux, et qui t'es sacrifié! À quoi me servirait-il de te -demander maintenant mon pardon, moi qui t'ai immolé irrévocablement, -en faisant périr tous ceux que tu aimais? Hélas! il est froid, il ne -peut me répondre».</p> - -<p>»Sa voix sembla étouffée: et mon premier mouvement, qui m'avait -rappelé que mon devoir était d'obéir à la prière de mon ami -mourant, en donnant la mort à son ennemi, fut alors arrête par un -mélange de curiosité et de compassion. Je m'approchai de cet être -effrayant, sans oser lever les yeux sur son visage, dont la laideur -était singulièrement repoussante et vraiment extraordinaire. J'essayai -de parler, mais les mots s'arrêtaient sur mes lèvres. Le monstre -continuait de s'adresser des reproches furieux et incohérents. Enfin -j'osai lui parler, dans un moment où sa fureur se calmait. «Ton -repentir, lui dis-je, est maintenant superflu. Si tu avais écouté la -voix de la conscience, et senti l'aiguillon du remords avant de pousser -ta vengeance infernale à cette extrémité, Frankenstein vivrait -encore».</p> - -<p>—«Et rêvez-vous, dit le Démon? Oubliez-vous que j'étais alors mort -au chagrin et au remords? Lui, continua-t-il en me montrant le cadavre, -il n'a pas plus souffert durant sa vie... oh! non, pas la dix millième -partie de mon angoisse pendant son long et cruel supplice. J'étais -saisi d'effroi, et en même temps j'avais le cœur déchiré par le -remords. Pensez-vous que les gémissements de Clerval fussent agréables -à mon oreille? Mon cœur était fait pour être susceptible d'amour et -de sympathie; et, lorsque j'ai été poussé par le malheur au crime et -à la haine, il ne supporta pas la violence du changement sans un -tourment, que vous ne pouvez même imaginer.</p> - -<p>»Après le meurtre de Clerval, je revins dans le Switzerland, le cœur -brisé et abattu. J'avais pitié de Frankenstein; ma pitié se -transforma en horreur: je m'abhorrai moi-même; mais en pensant que lui, -l'auteur et de mon existence et de mes inexprimables tourments, il osait -espérer le bonheur; que, tandis qu'il accumulait sur moi le malheur et -le désespoir, il cherchait son bonheur dans des sentiments et des -passions dont j'étais à jamais privé, alors une jalousie impuissante -et une indignation amère me remplirent d'une soif insatiable de -vengeance. Je me souvins de ma menace, et je résolus de l'accomplir. Je -savais que je me préparais une torture affreuse; mais j'étais -l'esclave, et non le maître d'une impulsion que je détestais sans -pouvoir y résister. Cependant lorsqu'elle périt!.... non, je n'étais -pas alors malheureux. J'avais repoussé tout sentiment, comprimé toute -angoisse pour me livrer à l'excès de mon désespoir. Dès-lors le mal -devint un bien pour moi. Arrivé à ce point, je n'eus plus d'autre -choix que d'adapter ma nature à un élément que j'avais choisi -moi-même. Le couronnement de mon projet infernal devint une passion -insatiable. Et maintenant il est terminé: voici ma dernière victime»!</p> - -<p>»Je fus d'abord touché par les expressions de sa douleur; mais en me -rappelant que Frankenstein m'avait parlé du pouvoir de son éloquence -persuasive, et en reportant les yeux sur le corps inanimé de mon ami, -je sentis l'indignation se rallumer en moi. «Malheureux! lui dis-je, -convient-il que tu viennes ici, pour gémir sur la scène de désolation -dont tu es l'auteur? Tu jettes une torche au milieu d'un édifice, et, -après qu'il est consumé, tu t'assieds sur ses ruines, et tu gémis de -sa chute. Démon hypocrite! si celui que tu pleures vivait encore, il -serait encore l'objet de ton exécrable vengeance, et il en deviendrait -la proie. Ce n'est pas la pitié que tu sens; tu gémis seulement de ce -que la victime, que tu réservais à ta perversité, vient de lui -échapper».</p> - -<p>—«Ah! ce n'est pas ainsi..... non, dit-il en m'interrompant, quoique -vous deviez le penser en me jugeant d'après mes actions! Je ne cherche -pas quelqu'un qui compatisse à ma misère: je ne trouverai jamais de -sympathie. Dans le temps où j'en ai cherché, c'était à l'amour de la -vertu, aux sentiments de bonheur et d'affection, dont je me sentais -pénétré, que je désirais participer; mais maintenant que la vertu -est devenue pour moi un fantôme, et que le bonheur et l'affection sont -changés en un désespoir amer et cruel, où chercherais-je la -sympathie? Tant que mes souffrances dureront, je suis content de -souffrir seul: lorsque je mourrai, la haine et l'opprobre chargeront ma -mémoire. Autrefois mon imagination était adoucie par des idées de -vertu, de gloire et de bonheur. Autrefois j'espérais à tort rencontrer -des êtres, qui pardonneraient à mon extérieur, et m'aimeraient pour -les excellentes qualités dont j'étais capable de faire preuve. Je me -nourrissais de hautes pensées d'honneur et de dévouement; mais -maintenant le crime m'a placé au-dessous du plus vil animal. Il n'est -personne à qui je puisse être comparé pour le crime, le malheur et la -perversité. Lorsque je fais l'énumération de mes crimes, je ne puis -croire que je sois le même qui était autrefois rempli des visions -sublimes et transcendantes de la beauté et de la majesté du bien. Mais -il n'est que trop vrai; l'ange déchu devient le démon du mal. Et même -cet ennemi de Dieu et de l'homme avait des amis et des compagnons dans -son malheur; et moi je suis seul».</p> - -<p>—«Vous, qui appelez Frankenstein votre ami, vous paraissez connaître -mes crimes et ses malheurs; mais, dans le détail qu'il vous en a -donné, il n'a pu vous énumérer les heures et les mois de misère que -j'ai passés, et durant lesquels je me suis consumé en passions -impuissantes: car, tandis que je détruisais ses espérances, je ne -satisfaisais pas mes propres désirs. Ils étaient toujours ardents et -insatiables; que je désirasse l'amour ou l'amitié, j'étais toujours -repoussé. N'y avait-il aucune injustice en cela? Dois-je passer pour le -seul criminel, lorsque toute l'espèce humaine était contre moi? -Pourquoi ne haïssez-vous pas Félix, qui chassa son ami d'une manière -outrageante? Pourquoi ne détestez-vous pas le paysan, qui voulut tuer -le sauveur de sa fille? Non; ce sont des êtres vertueux et sans taches! -Moi, qui suis malheureux et abandonné, je suis un objet de rebut, qui -doit être méprisé, repoussé, et foulé aux pieds. Même à présent, -je sens bouillir mon sang au souvenir de cette injustice.</p> - -<p>»Mais il est vrai que je suis un misérable. J'ai assassiné celui qui -était aimable et sans appui; j'ai étranglé l'innocent pendant son -sommeil; j'ai étouffé celui qui n'avait jamais fait aucun mal ni à -moi, ni à aucun être animé. J'ai voué au malheur mon créateur, le -modèle de tout ce qui est digne d'amour et d'admiration parmi les -hommes; je l'ai poursuivi jusqu'à cette extrémité irréparable. Le -voici, livide et glacé du froid de la mort. Vous me haïssez; mais -votre haine ne peut égaler celle avec laquelle je me regarde moi-même. -Je vois les mains qui m'ont formé; je pense que c'est dans son -imagination que j'ai été conçu, et je suis impatient de voir arriver -le moment où tout cela ne sera plus sous mes yeux, ou présent à ma -pensée.</p> - -<p>»Ne craignez pas que je devienne un jour l'instrument d'une nouvelle -oppression. Mon ouvrage sera bientôt achevé. Ni votre mort, ni celle -d'aucun homme n'est nécessaire pour consommer mon existence, et -accomplir ce qui doit arriver; la mienne seule est nécessaire. Ne -croyez pas que je tarde à faire ce sacrifice. Je quitterai votre -vaisseau sur le radeau de glace qui m'a apporté ici, et je chercherai -l'extrémité du globe la plus voisine du nord. Je formerai mon bûcher -funéraire, et je réduirai en cendres ce misérable corps, afin que ses -restes ne puissent servir à quelqu'homme curieux et profane, qui -voudrait créer un autre être semblable à moi: je vais mourir. Je ne -sentirai plus l'agonie qui me consume maintenant, et je ne serai plus la -proie de mes sens, que je n'ai pu ni satisfaire, ni éteindre. Il est -mort, celui qui me donna l'existence; et, lorsque je ne serai plus, le -souvenir de nos deux existences sera bientôt évanoui. Je ne verrai -plus le soleil ou les étoiles, et je ne sentirai plus le vent se jouer -sur mon visage: je ne connaîtrai plus ni lumière, ni sentiment, ni -sens; mais c'est dans cette condition que je dois trouver mon bonheur. -Il y a quelques années, lorsque je vis pour la premières fois la -beauté de ce monde; lorsque je sentis la chaleur vivifiante de l'été; -lorsque j'entendis le bruissement des feuilles et le gazouillement des -oiseaux, et que je bornais là toutes mes sensations, j'aurais été -inconsolable de mourir; maintenant je n'ai pas d'autre consolation. -Souillé de crimes, et déchiré par le plus cruel remords, pourrais-je -trouver du repos ailleurs que dans la mort?</p> - -<p>»Adieu! je vous quitte, et vous êtes le dernier de toute l'espèce -humaine que mes yeux verront jamais.—Et toi, Frankenstein, adieu. -Frankenstein! si tu vivais encore, et que tu conservasses un désir de -vengeance contre moi, tu la satisferais mieux par ma vie que par ma -mort. Mais il n'en était pas ainsi; tu cherchais ma mort, afin que je -ne pusse causer de plus grands malheurs; et cependant, si, par une -puissance qui m'est inconnue, tu n'as pas encore cessé de penser et de -sentir, tu ne peux désirer que je vive pour mon malheur. Quelque fût -ta position, mes tourments étaient encore plus cruels que les tiens; -car les pointes aiguës du remords ne peuvent cesser d'envenimer mes -blessures, jusqu'à ce que la mort les ferme à jamais.</p> - -<p>»Mais bientôt, s'écria-t-il avec un enthousiasme terrible et -solennel, je mourrai; je ne sentirai plus ce que j'éprouve maintenant. -Bientôt ces douleurs cuisantes seront éteintes. Je monterai triomphant -sur mon bûcher funéraire, et je tressaillerai de joie dans l'agonie au -milieu des flammes dévorantes. La lueur de ce foyer s'affaiblira; mes -cendres seront emportées dans la mer par les vents. Mon esprit reposera -en paix; ou s'il pense, il ne sera certainement pas en proie aux mêmes -pensées. Adieu».</p> - -<p>»Il dit, et s'élança par la fenêtre de la cabine, sur le radeau de -glace qui était attaché au vaisseau. Il fut bientôt emporté par les -vagues, et perdu dans l'obscurité et l'éloignement».</p> - - - - - -<h4>FIN DU TOME TROISIEME ET DERNIER.</h4> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 3 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62406-h.htm or 62406-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62406/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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