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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 2 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62405] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - -FRANKENSTEIN - -OU - -LE PROMÉTHÉE MODERNE - -DEDIÉ A WILLIAM GODWIN, - -AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc. - -Par Mme SHELLY, sa nièce. - -TRADUIT DE L'ANGLAIS PAS. J. S.*** - -Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de -l'argile pour me faire homme? T'ai-je -sollicité de m'arracher du néant? - -Milton, _Paradis perdu._ - -TOME DEUXIÈME - -PARIS, - -CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE - -PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258. - -1821 - - - - -TABLE -CHAPITRE VIII -CHAPITRE IX -CHAPITRE X -CHAPITRE XI -CHAPITRE XII -CHAPITRE XIII -CHAPITRE XIV -CHAPITRE XV -CHAPITRE XVI - - - - -FRANKENSTEIN, - -OU - -LE PROMÉTHÉE MODERNE - - - - -CHAPITRE VIII - - -Rien n'est plus pénible pour le cœur de l'homme, que le calme glacial -qui succède aux sentiments divers soulevés par une suite rapide -d'événements, et la certitude qui enlève en même temps l'espérance -et la crainte. Justine n'était plus! Et moi je vivais! Le sang -circulait librement dans mes veines; mais mon cœur était oppressé par -le désespoir et le remords, dont rien ne pouvait me délivrer. Le -sommeil fuyait de mes yeux, j'errais comme un mauvais génie, certain -d'avoir causé d'horribles malheurs, et convaincu que j'en préparais de -plus horribles encore. Cependant je portais dans le cœur des sentiments -de bonté et l'amour de la vertu. J'avais commencé la vie avec des -intentions bienveillantes; et je désirais arriver au moment où je -pourrais en faire preuve, et me rendre utile à mes semblables. -Maintenant tout était changé: au lieu de cette paix de conscience, qui -me permettait de jeter avec satisfaction les yeux sur le passé, et qui -donnait à mes espérances une force nouvelle, j'éprouvais le remords -et le sentiment du crime, qui me livraient à des tourments affreux et -difficiles à dépeindre. - -Cette situation d'esprit influa sur ma santé, dont le rétablissement -était complet. Je fuyais la présence des hommes; j'étais tourmenté -par la joie et le bonheur des autres; je ne trouvais de consolation que -dans la solitude... dans une solitude profonde, terrible, semblable à -la mort. - -Mon père s'aperçut avec peine que mon caractère et mes habitudes -étaient sensiblement changés. Il essaya de me prouver, par des -raisonnements, combien j'avais tort de m'abandonner à un chagrin -immodéré. «Pensez-vous, Victor, dit-il, que je ne souffre pas comme -vous? Il est impossible d'aimer plus un enfant que je n'aimais votre -frère (des larmes vinrent mouiller ses yeux); mais n'est-t-il pas du -devoir de ceux qui survivent, de chercher à ne pas augmenter leur -malheur, en laissant paraître l'excès du chagrin? C'est aussi un -devoir pour vous-même; car la douleur excessive éteint toutes les -facultés, ou rend même incapable de remplir les devoirs journaliers, -sans lesquels l'homme n'est pas propre à la société». - -Cet avis était bon; mais il n'était nullement applicable à ma -position. J'aurais été le premier à cacher mon chagrin et à consoler -mes amis, si le remords ne s'était mêlé à mes autres sentiments. Je -ne pus alors répondre à mon père qu'avec un regard de désespoir; et, -depuis, je cherchai à me dérober à sa vue. - -Vers cette époque, à peu près, nous nous retirâmes à notre maison de -Belrive. Ce changement me fut particulièrement agréable. Notre -résidence à Genève n'était pas sans inconvénients; car, les portes -de la ville étant régulièrement fermées à dix heures, il était -impossible de rester plus tard sur le lac. J'étais libre alors. - -Souvent, dans la nuit, quand toute la famille reposait, je prenais une -barque et passais plusieurs heures sur l'eau. Tantôt, en déployant les -voiles, j'étais poussé par le vent; tantôt, après avoir ramé -jusqu'au milieu du lac, je laissais le bateau suivre son propre cours, -en m'abandonnant à mes tristes réflexions. Souvent tout était -tranquille autour de moi; seul, j'étais agité au milieu des scènes -belles et majestueuses qui étaient sous mes yeux, et dont le silence -n'était interrompu que par le cri des chauves-souris, ou le croassement -des grenouilles voisines du rivage; eh bien! souvent j'étais tenté de -me plonger dans le lac silencieux, pour que les eaux m'engloutissent à -jamais avec tous mes malheurs; mais j'étais retenu en pensant à la -douleur de l'héroïque Élisabeth, que j'aimais tendrement, et dont -l'existence était attachée à la mienne. Je pensais aussi à mon -père, et au frère qui me restait: les laisserai-je, par une lâche -désertion, exposés, sans protection, à la méchanceté du Démon que -j'avais lancé au milieu d'eux? - -Dans ces moments, des larmes amères inondaient mon visage. Je désirais -que la paix rentrât dans mon esprit, mais je ne la voulais que pour -leur offrir des consolations et le bonheur. Vains désirs! le remords -m'ôtait toute espérance. J'avais causé des maux irréparables, et -j'étais continuellement agité par la crainte, que le monstre que -j'avais créé, ne commit quelque nouveau forfait. J'avais un -pressentiment confus que tout n'était pas fini, et qu'il commettrait -encore quelque crime signalé, et dont l'énormité effacerait presque -le souvenir du passé. J'avais toujours sujet de craindre, dès qu'une -personne qui m'était chère, restait en arrière. On ne peut se figurer -l'horreur que m'inspirait ce démon. Si je pensais à lui, mes dents se -serraient, mes yeux s'enflammaient, et je brûlais d'ôter cette vie que -j'avais donnée avec tant d'imprudence. Si je pensais à ses crimes et -à sa méchanceté, ma haine et ma vengeance passaient toutes les bornes -de la modération. Je serais monté au sommet le plus élevé des Andes, -si j'avais pu, de là, le précipiter à leur pied. Je désirais le -revoir, afin de faire retomber ma colère sur sa tête, et de venger la -mort de Guillaume et de Justine. - -Notre maison était celle du deuil. La santé de mon père était -fortement ébranlée par l'horreur des derniers événements. Élisabeth -était triste et découragée: elle ne trouvait plus de bonheur dans ses -occupations accoutumées; il lui semblait que tout plaisir était un -sacrilège envers les morts; elle pensait qu'une douleur éternelle et -les larmes étaient le juste tribut qu'elle devait payer à l'innocence -indignement sacrifiée. Ce n'était plus cette heureuse personne qui, -quelques années auparavant, errait avec moi sur les bords du lac, et -parlait avec ravissement de notre avenir. Elle était devenue grave, et -parlait souvent de l'inconstance de la fortune, et de l'instabilité de -la vie humaine. - -«En réfléchissant, mon cher cousin, disait-elle, à la mort -malheureuse de Justine Moritz, je ne vois plus le monde et ses œuvres, -comme ils me paraissaient autrefois. Avant cette fin tragique, je ne -voyais, dans les actions vicieuses et dans les injustices, que je lisais -dans les livres ou dont j'entendais le récit, que des contes -d'autrefois, ou des maux imaginaires; du moins ils étaient éloignés, -et plus familiers à la raison qu'à l'imagination; mais maintenant le -malheur a pénétré parmi nous, et les hommes me paraissent comme -autant de monstres altérés de sang. Il faut cependant que je sois -injuste. Tout le monde a cru la pauvre fille coupable; et, certes, si -elle avait commis le crime qui l'a conduite à l'échafaud, elle serait -la plus perverse des créatures humaines. Pour quelques bijoux, -assassiner le fils de sa bienfaitrice et amie, enfant dont elle avait -pris soin depuis sa naissance, et qu'elle paraissait aimer comme le -sien! Je ne donnerais mon consentement à la mort de personne; mais je -n'aurais pas hésité à regarder un être semblable comme indigne de -rester dans le sein de la société: cependant elle était innocente. Je -sais, je sens qu'elle l'était; vous partagez cette conviction, et votre -opinion confirme la mienne. Hélas! Victor, quand le mensonge prend si -bien l'air de la vérité, qui peut être assuré d'un bonheur certain? -J'éprouve le même sentiment que si je marchais sur le bord d'un -précipice, auprès duquel mille personnes seraient rassemblées, et -chercheraient à me pousser dans l'abîme. Guillaume et Justine ont -été assassinés, et le meurtrier échappe; il reste dans le monde, -libre? et peut-être respecté. Je serais condamnée à mourir sur -l'échafaud pour les mêmes crimes, que je ne voudrais pas changer de -sort avec un être semblable». - -J'écoutai ce discours dans la plus extrême agitation. J'étais le -véritable meurtrier, non par le fait, mais par l'effet. Élisabeth -remarqua facilement mon angoisse, prit ma main avec bonté, et me dit: -«Mon bien cher cousin, il faut vous calmer. Dieu sait combien j'ai -été affectée de ces événements; mais je ne suis pas aussi -malheureuse que vous. Il y a, dans votre figure, une expression de -désespoir, et quelquefois de vengeance, qui me fait trembler. Soyez -calme, mon cher Victor; je sacrifierai ma vie pour votre repos. Nous -serons certainement heureux au sein de notre pays natal, et loin du -monde, qui pourra troubler notre tranquillité»? - -En parlant ainsi, elle versait des larmes, et semblait se refuser aux -consolations mêmes qu'elle me donnait; mais, en même temps, elle -sourit, afin d'écarter le sombre nuage qui m'entourait. Mon père, à -qui l'expression des malheurs, empreinte sur mon visage, ne semblait que -l'exagération de ce chagrin, que je devais naturellement éprouver, -pensa qu'un amusement conforme à mon goût, serait le meilleur moyen de -me rendre cette tranquillité d'esprit dont je jouissais auparavant. -C'est dans cette vue qu'il était venu à la campagne; ce fut dans la -même vue qu'il nous proposa de faire tous ensemble une excursion dans -la vallée de Chamouny. Je l'avais déjà parcourue; mais Élisabeth et -Ernest ne la connaissaient pas; et tous deux avaient souvent témoigné -un vif désir de voir un endroit, dont on leur avait dépeint les -merveilles et la magnificence. Nous partîmes de Genève, pour cette -tournée, vers le milieu du mois d'août, c'est-à-dire, près de deux -mois après la mort de Justine. - -Le temps était singulièrement beau; et, si mon chagrin eut été de -nature à se dissiper par quelque distraction, l'excursion que nous -avions entreprise, aurait certainement eu le résultat que mon père se -proposait. Je ne pus néanmoins m'empêcher d'être touché de la -beauté de la scène; elle me faisait quelquefois oublier mon chagrin, -sans pouvoir l'effacer. Pendant le premier jour, nous voyageâmes en -voiture. Le matin nous avions aperçu, de loin, les montagnes vers -lesquelles nous nous avancions insensiblement. Nous vîmes le vallon à -travers lequel nous montions, et qui était formé par la rivière -d'Arve, dont nous suivions le cours, se refermer sur nous par degrés; -et, au coucher du soleil, nous nous trouvâmes entourés, de tous -côtés, d'immenses montagnes et de précipices; nous entendions la -rivière rouler avec fracas parmi les rochers, et les cascades jaillir -bruyamment autour de nous. - -Le lendemain, nous continuâmes notre voyage sur des mules. Plus nous -nous élevions, plus l'aspect de la vallée était magnifique et -enchanteur. Les châteaux en ruine, suspendus sur les précipices, des -montagnes couvertes de pins, l'Arve impétueux, les hameaux qu'on voyait -de tous côtés parmi les arbres, tout formait une scène d'une beauté -singulière. Elle paraissait plus belle et plus sublime, vue du côté -des Alpes, dont la cime et les pyramides blanches et brillantes -s'élevaient au-dessus de nous, et semblaient appartenir à une autre -terre habitée par une autre race d'hommes. - -Nous passâmes le pont de Pélissier; là, le ravin que forme la -rivière s'ouvrit devant nous, et nous nous mimes à gravir la montagne -qui le domine. Bientôt après nous entrâmes dans la vallée de -Chamouny, plus merveilleuse et plus sublime, mais non aussi belle et -aussi pittoresque que celle de Servox que nous venions de traverser. -Elle était bornée par de hautes montagnes couvertes de neige; mais -nous ne vîmes plus de châteaux en ruines, ni de campagnes fertiles. -D'immenses glaciers bordaient la route; nous entendions les avalanches -tomber avec un bruit semblable au roulement du tonnerre; nous pouvions -même distinguer l'espèce de fumée qu'elles laissaient sur leur -passage. Le mont Blanc, le suprême et magnifique mont Blanc, s'élevait -du milieu des pics dont il est entouré, et de sa cime terrible dominait -toute la vallée. - -Pendant ce voyage, j'étais quelquefois avec Élisabeth, occupé à lui -faire remarquer les différentes beautés de la scène. Souvent je -retenais ma mule en arrière, pour me livrer à mes douloureuses -réflexions. D'autres fois, je poussais l'animal au-devant de mes -compagnons, pour les oublier, eux, le monde, et moi-même par dessus -tout. Lorsque j'étais à quelque, distance, je mettais pied à terre, -et me jetais sur le gazon, accablé par l'horreur et le désespoir. Nous -arrivâmes à Chamouny à huit heures du soir. Mon père et Élisabeth -étaient très-fatigués; Ernest, qui nous accompagnait, était content -et dispos. La seule chose qui le contrariât dans son plaisir, était le -vent du sud, et la pluie, dont ce vent semblait être le précurseur. - -Nous nous retirâmes de bonne heure dans nos appartements. Je ne sais si -ma famille trouva le sommeil, du moins je ne dormis pas. Je restai -plusieurs heures à ma fenêtre, à observer la pâle lueur qui -éclairait le sommet du mont Blanc, et à écouter le bruit de l'Arve, -qui coulait sous ma fenêtre. - - - - -CHAPITRE IX - - -Le lendemain, malgré les prédictions de nos guides, le temps fut beau, -mais nuageux. La source de l'Arveyron fut le premier but de notre -curiosité: puis, nous parcourûmes la vallée jusqu'au soir. Ces -scènes sublimes et magnifiques étaient la plus grande consolation que -je pusse recevoir. Elles élevaient mes idées; et, si elles ne -pouvaient bannir mon chagrin, du moins elles parvenaient à le dompter -et à le calmer. Elles faisaient aussi quelque diversion dans mon -esprit, aux pensées dont il était occupé depuis un mois. Je rentrai -le soir, fatigué, mais moins malheureux, et je pus causer avec ma -famille, plus gaîment qu'il ne m'était arrivé depuis quelque temps. -Mon père était satisfait, et Élisabeth pleine de joie: «Mon cher -cousin, dit-elle, vous voyez quel bonheur vous répandez dès que vous -êtes heureux; ne succombez plus à la tristesse». - -Le jour suivant, vers le matin, la pluie tomba par torrents, et d'épais -brouillards cachèrent la cime des montagnes. Je me levai de bonne -heure, avec un sentiment de mélancolie extraordinaire. Le temps me -causait une impression dont je n'étais pas le maître: je revins à mes -anciennes idées, et je retombai dans ma douleur. Je savais combien mon -père serait surpris de ce changement subit: je voulus l'éviter -jusqu'à ce que je fusse assez remis, pour pouvoir cacher les sentiments -qui m'accablaient. Je savais aussi qu'on passerait la journée dans -l'auberge; je résolus d'aller seul sur le sommet du mont Anvert, sans -craindre la pluie, l'humidité et le froid, que j'étais accoutumé à -supporter. Je me souvenais de l'effet terrible et toujours nouveau, dont -mon esprit fut frappé, lorsque je vis ce glacier pour la première -fois. Son aspect m'avait alors rempli d'un ravissement sublime, qui -donnait des ailes à l'âme, et la transportait de ce monde de -ténèbres, dans un séjour de lumière et de joie. La vue des beautés -de la nature avait toujours l'effet d'élever mon esprit, et de me faire -oublier les soucis passagers de la vie. Je connaissais le chemin: je -résolus d'aller seul; je n'aurais voulu emmener personne; car la -grandeur solitaire de la scène aurait cessé d'exister. - -La pente est escarpée, mais la route est coupée de petits détours -sans fin, au moyen desquels on peut gravir la direction perpendiculaire -de la montagne. C'est une scène effrayante de désolation. On voit dans -mille endroits les traces de l'avalanche d'hiver: la terre est jonchée -d'arbres brisés et renversés; les uns sont entièrement détruits, -d'autres sont couchés sur les rochers saillants de la montagne, ou sur -d'autres arbres qu'ils traversent. Plus haut, la route est entrecoupée -par des ravins de neige, au fond desquels des pierres roulent -continuellement; l'un d'eux est surtout si dangereux, que le plus léger -bruit, par exemple, la voix d'une personne qui parle haut, donne à -l'air une commotion suffisante pour attirer la mort sur sa tête. Les -pins ne sont ni grands ni touffus, mais sombres, et ajoutent à la -sévérité de la scène. Je regardai la vallée qui était au-dessous -de moi; d'épais brouillards, s'élevant des rivières qui la -traversent, couronnaient les montagnes opposées, dont les sommets -étaient cachés dans les nuages uniformes, tandis que la pluie tombait -abondamment d'un ciel noir, et augmentait l'impression mélancolique que -je recevais de ces divers tableaux. Hélas! pourquoi l'homme se -glorifie-t-il d'avoir des sensations supérieures à celles de la brute, -puisqu'elles ne servent qu'à multiplier ses besoins? Si nous étions -bornés à éprouver la faim, la soif et le désir, nous serions presque -libres; mais nous sommes émus par le moindre vent, par un mot prononcé -au hasard, ou par le souvenir que réveille ce mot. - - -Voulons-nous nous reposer? un rêve a le pouvoir d'agiter notre sommeil. -Voulons-nous quitter le lit? une seule pensée peut troubler la -journée. Sentir, concevoir, ou raisonner; rire ou pleurer; s'abîmer -dans le malheur, ou bannir les soucis, n'est qu'une seule et même -chose; car il y a une fin, ou au chagrin, ou à la joie. Les jours ne -peuvent se ressembler; rien ne peut durer; tout est variable! - - -Il était presque midi lorsque j'arrivai au sommet de la montagne. Je -m'assis quelque temps sur le rocher qui domine la mer de glace. Elle -était couverte de brouillards; les montagnes qui l'entourent en -étaient également voilées. Dans ce moment, une brise dissipa le -nuage, et je descendis sur le glacier. Sa surface est très-inégale: -elle s'élève ou s'abaisse comme les flots d'une mer agitée, et parait -sillonnée de crevasses profondes. La plaine de glace a près d'une -lieue d'étendue: je mis près de deux heures à la traverser. La -montagne opposée est un rocher nu et perpendiculaire. En face de moi, -s'élevait le mont Anvert, à la distance d'une lieue, et au-dessus le -mont Blanc avec une majesté terrible. Je m'arrêtai dans une crevasse -du rocher, à contempler cette scène merveilleuse et effrayante. La -mer, ou plutôt le vaste fleuve de glace, était renfermé dans des -montagnes, dont les cimes aériennes dominaient les abîmes. Leurs pics, -couverts de glace et éclatants, brillaient à la lumière du soleil -parmi les nuages. Mon cœur, qui, auparavant, était plein de tristesse, -éprouva alors une sorte de joie, et je m'écriai: «Esprits errants, -s'il est vrai que vous soyez errants, et que vous ne reposiez pas dans -vos lits étroits, accordez-moi ce faible bonheur, ou enlevez-moi aux -plaisir de la vie pour me porter parmi vous». - -À ces mots, je vis tout à coup un homme à quelque distance, qui -s'avançait vers moi avec une rapidité surnaturelle. Il franchissait -les crevasses de glace, parmi lesquelles j'avais marché avec -précaution; il s'approcha, et me parut d'une stature qui excédait -celle d'un homme. Je fus troublé: un brouillard couvrit mes yeux, et je -me sentis évanouir; mais je fus bientôt remis par le vent froid des -montagnes. En portant les yeux sur l'être qui approchait de plus en -plus, je reconnus (objet de haine et d'effroi), celui que j'avais -créé. Je frissonnai de rage et d'horreur, décidé à attendre son -approche, et à engager avec lui un combat mortel. Il approcha; sa -figure exprimait une douleur amère, mêlée de dédain et de -perversité, et portait en même temps l'empreinte d'une laideur trop -horrible, pour être supportable aux yeux des hommes. Mais je la -remarquai à peine; la colère et la haine m'avaient d'abord privé de -l'usage de la parole, et je ne la recouvrai que pour l'accabler de -l'expression de ma fureur, de ma haine et de mon mépris. - -«Démon, m'écriai-je, oses-tu venir près de moi? et ne crains-tu pas -que je fasse tomber sur ta tête, le poids de ma terrible vengeance? -Éloigne-toi, vil insecte, ou plutôt demeure, afin que je te réduise -en poudre!.... Ah! si je pouvais, en terminant ta malheureuse existence, -rendre à la vie ces victimes que tu as si méchamment immolées»! - ---«Je m'attendais à cette réception, dit le démon; le monde hait les -malheureux. Combien alors je dois être détesté, moi qui suis plus -malheureux qu'aucun être vivant! Vous aussi, mon créateur, vous me -détestez, et me méprisez, moi qui vous dois l'existence, et à qui -vous êtes attaché par des liens que la mort de l'un de nous pourra -seule dissoudre. Vous voulez me tuer? Comment oser vous jouer ainsi de -la vie? Faites votre devoir envers moi; je ferai le mien envers vous et -le reste de l'espèce humaine. Si vous consentez à mes conditions, je -ne troublerai ni vous, ni elle; mais si vous vous y refusez, je -rassasierai la mort, jusqu'à ce qu'elle regorge du sang de vos derniers -amis». - ---«Monstre abhorré! Démon que tu es! les tortures de l'enfer sont une -vengeance trop douce pour tes crimes. Misérable démon! tu me reproches -de t'avoir créé; viens donc, que j'arrache l'existence que je t'ai si -imprudemment donnée». - -Ma rage était au comble: je m'élançai vers lui, poussé par tous les -sentiments qui peuvent animer un homme, contre l'existence d'un autre. - -Il m'échappa sans peine, et me dit: «Calmez-vous! Je vous engage à -m'écouter, avant de donner cours à votre haine contre ma tête -maudite. N'ai-je pas assez souffert, sans que vous cherchiez à aggraver -mon malheur! Quoique la vie ne soit qu'une accumulation de tourments, -elle m'est chère, et je la défendrai. Souvenez-vous que vous m'avez -fait plus puissant que vous ne l'êtes vous-même; ma taille est -supérieure à la vôtre; mes membres sont plus souples; mais je -n'essaierai pas de lutter avec vous. Je suis votre créature; et je veux -être doux et docile envers le maître et le roi que la nature m'a -donné, si vous remplissez envers moi les devoirs qui vous sont -confiés. Ah! Frankenstein, ne soyez pas équitable pour les autres, et -assez injuste envers moi, pour me fouler aux pieds, moi, pour qui votre -justice, votre clémence et votre affection devraient être réservées. -Souvenez-vous que je suis votre créature. Je devrais être pour vous un -Adam; mais je suis plutôt l'ange déchu, que vous privez du bonheur, -sans que j'aie commis aucun forfait. Partout je vois le bonheur, dont je -suis seul irrévocablement exclus. J'étais bienveillant et bon; le -malheur m'a rendu semblable au génie du mal. Rendez-moi heureux, et je -pratiquerai encore la vertu». - ---«Éloigne-toi, je ne veux pas t'entendre. Il ne peut y avoir rien de -commun entre toi et moi; nous sommes ennemis. Éloigne-toi, ou essayons -nos forces dans un combat, où l'un de nous devra succomber». - ---«Comment pourrais-je vous émouvoir? Rien ne vous portera à jeter un -regard favorable sur votre créature, qui implore votre bonté et votre -compassion. Croyez-moi, Frankenstein: j'étais porté au bien; mon âme -respirait l'amour de l'humanité: mais ne suis-je pas isolé, -misérablement isolé dans la nature? Vous m'abhorrez, vous qui êtes -mon créateur; quel espoir puis-je avoir en vos semblables, qui ne me -doivent rien? Ils me méprisent et me haïssent. Les montagnes désertes -et les affreux glaciers sont mon refuge. J'ai erré ici pendant -plusieurs jours; les cavernes de glace, que seul je ne crains pas, sont -une demeure pour moi, et la seule que l'homme n'envie point. Je reste -dans ces climats glacés, qui me sont plus favorables que l'homme. Si -toute l'espèce humaine savait que j'existe, elle ferait comme vous, et -s'armerait pour me détruire. Ne dois-je pas haïr, à mon tour, ceux -qui m'abhorrent? Je ne garderai aucune mesure avec mes ennemis. Je suis -malheureux, et ils partageront mon malheur. Cependant, il est en votre -pouvoir d'adoucir mon sort, et de le délivrer d'un démon, qui, si vous -n'y prenez garde, peut devenir si terrible, que, non-seulement vous et -votre famille, mais mille autres seront enveloppés dans sa rage. -Laissez-vous aller à la pitié, et ne me dédaignez pas. Écoutez mon -histoire: lorsque vous l'aurez entendue, abandonnez-moi, ou ayez pitié -de moi, selon que vous m'en jugerez digne; mais, écoutez-moi. Les -criminels ont obtenu des lois humaines, toutes cruelles qu'elles soient, -le droit de parler pour leur propre défense, avant d'être condamnés. -Écoutez-moi, Frankenstein. Vous m'accusez d'un meurtre; et, cependant, -vous détruiriez avec joie votre propre créature. Ah! louez -l'éternelle justice de l'homme! Cependant, je ne vous demande pas de -m'épargner: écoutez-moi; et alors, si vous pouvez, et si vous le -voulez, détruisez l'ouvrage de vos mains». - ---«Pourquoi me rappelles-tu des circonstances dont la pensée me fait -frissonner, et que j'ai créées moi-même pour mon malheur? Maudit soit -le jour, Démon exécrable, où tu vis, pour la première fois, la -lumière! Maudites soient les mains qui t'ont formé! Malédiction sur -moi-même! Tu m'as rendu malheureux au-dessus de toute expression. Tu ne -m'as pas laissé la force de voir si je suis juste ou injuste envers -toi: Éloigne-toi! délivre-moi de la vue de ta forme détestée». - ---«Je puis vous en délivrer, mon créateur, dit-il, en plaçant, -devant mes yeux, ses mains que je repoussai avec violence; ainsi, j'ôte -à votre vue ce que vous abhorrez. Vous pouvez encore m'écouter, et -m'accorder votre pitié: je vous la demande, au nom des vertus que j'ai -possédées autrefois. Écoutez mon histoire; elle est longue et -étrange, et la température de ce lieu n'est pas bonne pour vos -sensations délicates; venez dans ma cabane sur la montagne. Le soleil -est encore élevé dans les cieux; avant qu'il descende pour se cacher -derrière ces précipices couverts de neige, et éclairer un autre -monde, vous aurez entendu mon histoire, et vous pourrez vous décider. -Il dépend de vous que je quitte à jamais le voisinage de l'homme, et -que je mène une vie innocente, ou que je devienne le fléau de vos -semblables, et l'auteur de votre prompte ruine». - -À ces mots, il marcha à travers la glace: je le suivis. Mon cœur -était gonflé, et je ne lui répondis pas; mais, en avançant je pesai -les différents motifs dont il s'était servi, et me déterminai du -moins à écouter son récit. Cette résolution, dans laquelle la -curiosité entrait pour beaucoup, fut confirmée par un sentiment de -compassion. Jusqu'à présent, j'avais cru qu'il était le meurtrier de -mon frère: je voulus connaître si cette conviction était à tort ou -à raison. Pour la première fois, aussi, je sentis quels étaient les -devoirs d'un créateur envers celui qu'il a formé; je compris que je -devais le rendre heureux, avant de me plaindre de sa méchanceté: ces -motifs m'engagèrent à consentir à sa demande. Nous nous mîmes donc -à traverser la glace y et à gravir le rocher opposé. L'air était -froid; la pluie recommençait à tomber: nous entrâmes dans la cabane; -le Démon avec un air d'allégresse, moi le cœur oppressé et l'esprit -abattu. J'avais consenti à l'écouter; je m'assis auprès du feu -qu'avait allumé mon odieux compagnon: il commença ainsi son histoire. - - - - -CHAPITRE X - - -«J'ai beaucoup de peine à me rappeler les premiers moments de mon -existence; tous les événements de cette époque ne se retracent à ma -mémoire qu'avec confusion et en désordre. Une étrange multiplicité -de sensations me saisit; je vis, je touchai, j'entendis et je sentis à -la fois; mais ce ne fut que long-temps après que j'appris à distinguer -les opérations de mes divers sens. Je me souviens que, par degrés, une -lumière plus forte agit sur mes nerfs, et me força de fermer les yeux. -L'obscurité qui vint à régner me troubla; mais à peine m'en -étais-je aperçu, qu'en ouvrant les yeux, comme je le suppose -maintenant, la lumière vint de nouveau m'éclairer. Je marchai, et je -crois que je descendis; mais je remarquai, dans ce moment, que mes -sensations subissaient un grand changement. Auparavant, des corps -sombres et opaques m'avaient entouré, sans que je pusse ni les toucher -ni les voir; je vis alors que je pouvais errer en liberté, sans aucun -obstacle que je ne pusse ou surmonter ou éviter. La lumière devint de -plus en plus oppressive pour moi, et la chaleur me fatiguant à mesure -que je marchais, je cherchai un endroit pour être à l'ombre. Ce fut -dans la forêt, près d'Ingolstadt, que je me reposai de ma fatigue sur -le bord d'un ruisseau, jusqu'à ce que, tourmenté par la fin et la -soif, je m'éveillai de mon assoupissement. Je mangeai quelques graines -que je trouvai sur les arbres ou sur le sol; j'étanchai ma soif au -ruisseau, je m'étendis à terre, et m'endormis. Tout me parut sombre -autour de moi lorsque je me réveillai; l'air était froid, et je fus -presque effrayé, comme par instinct, de me trouver ainsi isolé. Avant -de quitter votre appartement, j'avais ressenti le froid, et je m'étais -couvert de quelques hardes; mais elles ne pouvaient suffire pour me -protéger contre les rosées de la nuit. J'étais un malheureux sans -appui, et digne de pitié; je ne connaissais rien et ne pouvais rien -distinguer; mais, dominé par le chagrin qui me gagnait de toutes les -manières, je m'assis et pleurai. - -»Bientôt une douce lumière brilla dans les cieux, et me fit éprouver -un sentiment de plaisir. Je me levai et vis un astre rayonnant sortir du -milieu des arbres. Je contemplai avec une sorte d'étonnement cet astre -dont la marche était lente, mais dont la lumière éclairait ma route, -et j'allai de nouveau chercher des graines. J'avais encore froid, mais -je trouvai, par hasard, sous un arbre un large manteau dont je me -couvris, et je m'assis à terre. Aucune idée distincte n'occupait mon -esprit; tout était confus. Je sentais la faim, la soif, la lumière et -l'obscurité; d'innombrables sons frappaient mes oreilles, et des -parfums divers mon odorat. Le seul objet que je pusse distinguer était -la brillante lune, sur laquelle je fixai mes yeux avec plaisir. - -»Les jours et les nuits s'étaient déjà succédés plusieurs fois, et -l'astre de la nuit était considérablement diminué, lorsque je -commençai à démêler mes sensations les unes des autres. Je -distinguai insensiblement le clair ruisseau où j'étanchais ma soif, et -les arbres qui m'ombrageaient de leur feuillage. Je fus dans -l'enchantement d'avoir découvert qu'un son agréable, qui souvent -frappait mon oreille, sortait du gosier des petits animaux aîlés, dont -la masse innombrable avait bien souvent intercepté la lumière à mes -yeux. Je commençai aussi à observer, avec plus de soin, les formes qui -m'entouraient, et à voir les limites de la brillante voûte de lumière -qui me couvrait. Tantôt je cherchais à imiter les chants agréables -des oiseaux, sans pouvoir y réussir; tantôt je voulais exprimer mes -sensations à ma manière; mais je rendais des sons rudes et -inarticulés dont j'étais effrayé, alors même que je ne les entendais -plus. - -»La lune avait cessé de paraître; mais j'étais encore dans la -forêt, quand son disque reparut de nouveau moins étendu. Pendant ce -temps, mes sensations étaient devenues plus nettes, et mon esprit -recevait chaque jour de nouvelles idées. Mes yeux s'accoutumaient à la -lumière; je voyais les objets dans leur véritable forme; je distinguai -l'insecte de l'herbe, et, par degrés, une herbe d'une autre. Le chant -du passereau me sembla grossier, tandis que celui du merle et de la -grive était doux et enchanteur. - -»Un jour que j'étais transi de froid, je trouvai un feu qui avait -été laissé par quelques mendiants vagabonds, et dont la chaleur me -réchauffa agréablement. Dans ma joie, je mis la main sur les braises -ardentes, mais je la retirai sur-le-champ en laissant échapper un cri -de douleur. Combien il me sembla étrange que la même cause produisit -des effets si opposés! J'examinai les matières du feu, et à ma -satisfaction, je m'aperçus qu'il était composé de bois. Je réunis -promptement quelques branches; mais elles étaient humides et ne purent -s'allumer. J'en fus affligé, et je m'assis en examinant de nouveau -l'action du feu. Le bois mouillé que j'avais placé auprès, se sécha -et s'enflamma. Je réfléchis sur ce fait, et en touchant les branches -je découvris la cause, et m'occupai à rassembler une grande quantité -de bois que je mis à sécher, et que je destinai à l'entretien du feu. -La nuit vint, et le sommeil avec elle; j'eus la plus grande crainte que -mon feu ne s'éteignit; je le couvris avec soin de bois sec et de -feuilles, au-dessus desquelles je plaçai des branches humides; -j'étendis alors mon manteau, me couchai sur la terre, et me livrai au -sommeil. - -»Réveillé dès le matin, j'eus pour premier soin de visiter le feu. -Je ne l'eus pas plutôt mis à découvert, qu'un léger vent l'enflamma -bientôt. Ce fut une nouvelle remarque pour moi; je fis avec des -branches une espèce d'éventail pour rallumer les braises, si elles -étaient près de s'éteindre. Au retour de la nuit, je vis avec plaisir -que le feu avait le double avantage d'éclairer et de chauffer, et que -la découverte de cet élément m'était utile pour ma nourriture; car -il me parut que quelques-uns des mets, que les voyageurs avaient -laissés, étaient cuits, et avaient bien meilleur goût que les graines -que je cueillais aux arbres. J'essayai donc de préparer ma nourriture -de la même manière, en la plaçant sur les charbons embrasés. Je vis -que les graines étaient dépouillées par cette opération, et que les -noix et les racines en étaient bien meilleures. - -»Cependant, la nourriture devint rare, au point que je passais souvent -la journée entière à chercher vainement quelques glands pour assouvir -ma faim. Frappé de cette observation, je résolus de quitter le lieu -que j'avais habité, pour en chercher un où je pourrais plus facilement -satisfaire le petit nombre de besoins que j'éprouvais. Dans cette -émigration, je m'affligeai profondément de la perte du feu que le -hasard m'avait présenté, et que je ne savais comment rallumer. Je -passai plusieurs heures à réfléchir sérieusement à cette -difficulté; mais je fus obligé d'abandonner tous les essais que je -faisais pour la vaincre; et, enveloppé de mon manteau, je m'enfonçai -dans le bois, en me dirigeant vers le soleil couchant. Je passai trois -jours à errer de cette manière, et enfin je découvris la campagne. La -neige était tombée en abondance pendant la nuit précédente, et les -champs étaient d'une blancheur uniforme. Cette vue me parut triste, et -je sentis mes pieds glacés par la substance froide et humide qui -couvrait la terre. - -»Sept heures venaient de sonner: j'étais impatient de pourvoir à ma -nourriture et de trouver un abri. Enfin, j'aperçus une petite cabane -sur un terrain élevée et qui avait sans doute été bâtie pour la -commodité de quelque berger. C'était un spectacle nouveau pour moi: -j'en examinai la structure avec beaucoup de curiosité. La porte était -ouverte; j'entrai. Un vieillard était assis près d'un feu, sur lequel -il préparait son déjeuner. Au bruit qu'il entend, il se retourne, me -voit, pousse un cri, sort de la cabane, et court à travers les champs -avec une rapidité dont il paraissait à peine capable à son extérieur -débile. Je fus un peu surpris de sa forme, qui ne ressemblait à rien -de ce que j'avais vu, et surtout de sa fuite. Mais je fus enchanté en -regardant la cabane. La neige ni la pluie n'y pouvaient pénétrer; la -terre était sèche, et elle me présentait alors une retraite aussi -délicieuse et aussi belle, que semblait le Pandémonium aux génies de -l'Enfer, après leurs souffrances dans le lac de feu. Je dévorai avec -joie les restes du déjeuner du berger, qui consistait en pain, en -fromage, en lait et en vin; mais sans être flatté de ce dernier objet; -accablé par la fatigue, je m'étendis sur la paille et je m'endormis. - -»Il était midi quand je me réveillai. Excité par la chaleur du -soleil, qui se réfléchissait avec éclat sur la terre couverte de -neige, je me déterminai à recommencer mes voyages; je pris soin de -placer les restes du déjeuner du paysan dans une besace que je trouvai; -et, pendant plusieurs heures, je poursuivis ma route à travers champs, -jusqu'à un village où je parvins au coucher du soleil: je fus -émerveillé. Des cabanes, d'agréables chaumières et d'élégantes -maisons appelaient tour à tour mon admiration. Les végétaux dans les -jardins, le lait et le fromage sur les fenêtres de quelques -chaumières, excitaient mon appétit. J'entrai dans l'une des plus -apparentes; mais j'avais à peine franchi le seuil de la porte, que les -enfants jetèrent des cris, et qu'une des femmes s'évanouit. Tout le -village fut en l'air; les uns se mirent à fuir, les autres à -m'attaquer, au point que, fortement meurtri par les pierres et autres -projectiles qu'on me lançait, je m'échappai dans la campagne, et me -réfugiai, rempli d'effroi, dans une petite cabane abandonnée, et qui -me paraissait bien chétive auprès des palais que j'avais vus dans le -village. Cette cabane, cependant, était contiguë à une chaumière -d'une apparence agréable; mais, après l'expérience que je venais de -faire, et qui m'avait coûté si cher, je n'osai pas y rentrer. Le lieu -qui me servait d'asile était construit en bois; mais il était si bas, -que je ne pouvais m'y tenir debout qu'avec peine. Le sol n'était pas -recouvert d'un plancher, mais il était très-sec. J'avais l'avantage de -pouvoir me garantir dans cette enceinte de la neige et de la pluie, -malgré le vent qui y pénétrait par d'innombrables fentes. - -»Dans cette retraite, je m'étendis à terre, heureux de l'avoir -trouvée, quelque mauvaise qu'elle fût, contre l'intempérie de la -saison, et encore plus contre la barbarie des hommes. - -»Dès le matin, je sortis de ma cabane pour voir la chaumière -adjacente, et examiner si je pouvais rester dans l'habitation que -j'avais trouvée. Elle était adossée à la chaumière, et entourée, -sur les côtés qui étaient exposés, d'une étable à cochons et d'une -source d'eau limpide. De l'autre côté, elle présentait une ouverture -par laquelle j'étais entré. Je couvris alors de pierres et de bois -toutes les crevasses par lesquelles je pouvais être aperçu, mais de -manière à pouvoir les déranger dans l'occasion pour sortir: je ne -recevais la lumière que par l'étable, mais je n'avais pas besoin d'en -recevoir davantage. - -»Je venais de disposer ainsi mon habitation, et de la garnir de paille -fraîche, quand je vis de loin la figure d'un homme. Je rentrai; car je -me souvenais trop bien du traitement que j'avais éprouvé la veille, -pour me mettre en son pouvoir. Cependant, j'avais pourvu à ma -subsistance pour ce jour-là, en enlevant un morceau de pain grossier; -je m'étais emparé aussi d'une coupe, afin de boire, plus commodément -que dans ma main, l'eau pure qui coulait auprès de ma retraite. Du -reste, j'étais à l'abri de l'humidité, et je pouvais même éprouver -quelque chaleur dans le voisinage de la cheminée de la chaumière. - -»Avec ces précautions, je résolus de résider dans cette cabane, -jusqu'à ce qu'une nouvelle circonstance me détournât de cette -résolution. C'était vraiment un paradis, en comparaison de la sombre -forêt, ma première résidence, des branches à travers lesquelles je -recevais la pluie, et de la terre toujours humide. Je déjeunai avec -plaisir: après ce repas, j'allais enlever une planche pour puiser un -peu d'eau, lorsque j'entendis un pas. Je mis l'œil à une petite fente, -et je vis une jeune personne, un seau sur la tête, passer devant ma -cabane. Elle était jeune et gentille, différente de ce que m'ont paru -depuis les villageoises et les servantes de ferme. Son vêtement était -simple, et se composait d'un jupon bleu, et grossier, et d'une jaquette -de toile; sa belle chevelure était tressée, mais sans ornement; son -visage avait l'expression de la souffrance et de la tristesse. Elle -disparut; mais elle revint bientôt, portant le seau qui était alors -presque rempli de lait. Au moment où elle passa, elle parut incommodée -du fardeau. Un jeune homme, dont la figure exprimait le plus profond -désespoir, vint au devant d'elle, prononça quelques mots avec un air -de mélancolie, prit le seau sur la tête de la jeune fille, et le porta -lui-même dans la chaumière. Elle le suivit, et ils disparurent. Peu -après, je vis le jeune homme, quelques outils à la main, traverser le -champ derrière la chaumière. La jeune fille avait d'autres soins, -tantôt dans la maison, tantôt dans la basse-cour. - -»En examinant mon habitation, je reconnus qu'une des fenêtres de la -chaumière en avait d'abord occupé une partie, mais les panneaux -avaient été fermés avec du bois. Il y avait cependant dans un de ces -panneaux, une petite fente presqu'imperceptible, et par laquelle l'œil -pouvait à peine pénétrer. À travers cette fente, on distinguait une -petite chambre très-propre et très-soignée, mais peu meublée. Dans -un coin, auprès d'un petit feu, était assis un vieillard, la tête -appuyée sur les mains, dans l'attitude de la douleur. La jeune fille -était occupée à arranger la chaumière; elle prit dans un tiroir un -objet qui exigea le mouvement de ses mains, et s'assit auprès du -vieillard. Celui-ci tenait un instrument, et en tira bientôt des sons -plus doux que le chant de la grive ou du rossignol. Ce tableau était -agréable, même pour moi, pauvre malheureux, qui n'avais jamais -auparavant rien vu de beau. Les cheveux blancs, et la physionomie -bienveillante du vieillard, commandaient le respect, en même temps que -les manières douces de la jeune fille inspiraient l'amour. Il joua un -air doux et triste, et je vis des larmes couler des yeux de son aimable -compagne, tandis que le vieillard n'y prit garde que lorsqu'elle poussa -des sanglots. Il prononça quelques mots auxquels la belle créature ne -répondit qu'en laissant l'ouvrage, et en tombant à ses pieds. Il la -releva, et sourit avec tant de bonté et d'affection, que j'éprouvai -des sensations d'une nature particulière et accablante: c'était un -mélange de peine et de plaisir, tel que je n'en avais encore jamais -éprouvé, soit par la faim ou le froid, soit par la chaleur ou le -plaisir de manger. J'étais incapable de soutenir ces émotions: je -quittai la fenêtre. - -»Bientôt après le jeune homme revint, portant du bois sur ses -épaules. La jeune fille le reçut à la porte, aida à le décharger de -son fardeau, apporta quelques morceaux de bois, et les mit au feu; le -jeune homme l'amena dans un coin de la chaumière, et lui montra un -grand pain et un morceau de fromage. Elle parut contente, et s'empressa -d'aller chercher dans le jardin quelques racines et quelques plantes, -qu'elle plaça dans l'eau et ensuite sur le feu. Elle se remit ensuite -à son ouvrage, pendant que le jeune homme alla dans le jardin, et parut -occupé à bêcher la terre et à planter des racines. Une heure après, -la jeune femme alla le rejoindre, et ils rentrèrent ensemble dans la -chaumière. - -»Pendant ce temps, le vieillard était resté pensif; mais à -l'approche de ses compagnons il prit un air plus gai. Ils se mirent à -table: le repas fut promptement terminé. La jeune femme fut encore -occupée à arranger la chaumière; le vieillard se promena en dehors au -soleil, pendant quelques minutes, appuyé sur le bras du jeune homme. -Rien ne pouvait surpasser la beauté du contraste qu'offraient ces deux -excellentes créatures. L'un était vieux, avait des cheveux blancs, et -une physionomie qui respirait la bienveillance et la tendresse. La -figure du jeune homme était douce et gracieuse, et ses traits de la -plus belle régularité; cependant ses yeux et son attitude exprimaient -le plus profond chagrin et le désespoir. Le vieillard rentra dans la -chaumière; et le jeune homme, avec des outils différents de ceux dont -il s'était servi le matin, dirigea ses pas à travers les champs. - -»La nuit arriva bientôt; mais à mon grand étonnement, je vis que les -habitants de la chaumière avaient un moyen de prolonger le jour par -l'usage des lumières; et je fus charmé de voir que le coucher du -soleil ne mettait pas fin au plaisir que j'éprouvais à observer mes -voisins. Pendant la soirée, la jeune fille et son compagnon se -livrèrent à différentes occupations que je ne comprenais pas; et le -vieillard reprit l'instrument, qui produisit les sons divins qui -m'avaient enchanté le matin. Dès qu'il eût cessé, le jeune homme se -mit, non pas à chanter; mais à prononcer des sons monotones, qui ne -ressemblaient nullement à l'harmonie de l'instrument du vieillard, ni -aux chants des oiseaux; je sus depuis qu'il lisait à haute voix, mais -alors je ne connaissais pas la science des mots ou des lettres. - -»La famille donna quelques moments à ces différentes occupations, -éteignit ses lumières, et se retira, suivant mes conjectures, pour se -livrer au repos. - - - - -CHAPITRE XI - - -»Je m'étendis sur la paille sans pouvoir dormir. Je pensais à tout ce -dont j'avais été témoin pendant le jour. J'étais surtout frappé des -manières douces de ces gens; et je désirais aller les trouver, mais je -n'osais m'y résoudre. Je me souvenais trop bien du traitement que -j'avais éprouvé le soir précédent de la part des barbares -villageois, et je me déterminai, quelque fût la conduite que je dusse -tenir par la suite, à rester tranquille dans ma cabane, à observer, et -à essayer de découvrir les motifs qui dirigeaient leurs actions. - -»Les habitants de la chaumière se levèrent le lendemain matin avant -le soleil. La jeune femme arrangea la chaumière et prépara à manger; -le jeune homme partit après le premier repas. - -»Cette journée se passa de même que la précédente. Le jeune homme -était constamment occupé au dehors, et la jeune fille à différents -travaux dans l'intérieur: Le vieillard, que je reconnus bientôt -aveugle, passait ses heures de loisir avec son instrument, ou en -contemplation. Rien ne pouvait surpasser l'amour et le respect, que les -jeunes habitants de la chaumière montraient envers leur vénérable -compagnon. Ils lui rendaient avec grâce tous les petits services -d'affection et de devoir; et ils en étaient récompensés par son -bienveillant sourire. - -»Ils n'étaient pas entièrement heureux. Le jeune homme et sa compagne -se retiraient souvent à l'écart, et avaient l'air de pleurer. Je ne -connaissais pas le motif de leur malheur; mais j'en étais profondément -affecté. Si ces aimables créatures étaient malheureuses, il était -moins étrange que je le fusse, moi qui étais un être imparfait et -isolé. Cependant, pourquoi ces êtres charmants étaient-ils -malheureux? Ils possédaient une maison délicieuse qui, du moins, -était telle à mes yeux; ils n'éprouvaient aucun besoin: ils avaient -un feu pour les réchauffer lorsqu'ils ressentaient le froid, et des -viandes exquises pour apaiser leur faim; ils étaient couverts de hardes -excellentes; et, de plus, ils jouissaient de la société et de la -conversation l'un de l'autre, en échangeant chaque jour des regards -d'affection et de bonté. Que voulaient dire leurs larmes? -Exprimaient-elles réellement la douleur? Je ne pus d'abord résoudre -ces questions; mais une attention suivie et le temps m'expliquèrent -beaucoup de choses qui paraissaient d'abord énigmatiques. - -»Il se passa beaucoup de temps avant que je découvrisse l'unique cause -de l'inquiétude de cette aimable famille; c'était la pauvreté dont -ils avaient à supporter toute l'horreur. Ils n'avaient d'autre -nourriture que les végétaux de leur jardin, et le lait d'une vache, -qui en avait fort peu pendant l'hiver, et que ses maîtres pouvaient à -peine soutenir. Il leur est arrivé souvent, je crois, de souffrir des -atteintes poignantes de la faim, surtout aux deux plus jeunes habitants -de la chaumière, qui, plusieurs fois, plaçaient à manger devant le -vieillard, sans se rien réserver. - -»Ce trait de bonté me toucha sensiblement. J'avais l'habitude, pendant -la nuit, de dérober une partie de leurs provisions pour ma propre -consommation; mais, touché de la peine que je faisais à ces -excellentes gens, je cessai, et me nourris de graines, de noix, et de -racines, que je cueillais dans un bois voisin. - -»Je découvris aussi d'autres moyens de les aider dans leurs travaux. -Je vis que le jeune homme passait une grande partie de ses journées à -ramasser du bois pour le feu de la famille; pendant la nuit je prenais -souvent ses outils, dont je connus bientôt l'usage, et je rapportais -assez de bois pour la consommation de plusieurs jours. - -»Je me souviens qu'à la première fois, la jeune femme en ouvrant la -porte le matin, parut très-étonnée de voir une grande pile de bois. -Elle dit quelques mots à haute voix, et le jeune homme accourut, en -exprimant aussi sa surprise. Je remarquai, avec plaisir, qu'il n'alla -pas à la forêt ce jour là, mais qu'il le passa à réparer la -chaumière et à cultiver le jardin. - -»Peu à peu, je fis une découverte d'un intérêt encore plus grand. -Je vis que ces personnes avaient une manière de se communiquer leurs -idées et leurs sentiments par des sons articulés. Je m'aperçus que -leurs paroles étaient suivies du plaisir ou de la peine, du sourire ou -de la tristesse, tantôt dans l'esprit, tantôt sur la physionomie de -ceux qui les entendaient. Je les croyais doués d'une science divine, je -désirais ardemment l'apprendre; mais j'étais déconcerté à chaque -essai que je tentai. Leur prononciation était vive, et les mots dont -ils se servaient, n'ayant aucune concordance apparente avec les objets -visibles, je ne pouvais trouver aucun moyen d'éclaircir le mystère de -leur rapport. Cependant, à force de persévérance, et après avoir vu -dans ma cabane plusieurs phases de la lune, je découvris les noms qui -convenaient à quelques-uns des objets les plus familiers du discours: -j'appris et appliquai les mots _feu, lait y pain_ et _bois._ J'appris -aussi les noms des habitants de la cabane eux-mêmes. Le jeune homme et -sa compagne avaient chacun plusieurs noms; mais le vieillard n'avait que -celui de _père._ La jeune fille s'appelait _sœur_ ou _Agathe_, et le -jeune homme _Félix, frère_ ou _fils._ Je ne saurais décrire le -plaisir que j'éprouvai en connaissant les idées appropriées à chacun -de ces sons, et en parvenant à les prononcer. Je distinguai plusieurs -autres mots, sans pouvoir les comprendre ou les appliquer, tels que -_bon, très-cher, malheureux._ - -»Je passai l'hiver ainsi. Les habitudes douces et la beauté des -habitants de la chaumière me les rendaient chers. Étaient-ils dans -l'affliction, je me sentais affligé. Étaient-ils contents, je -sympathisais avec eux. Je vis peu d'autres personnes que celles dont je -vous parle; et, si des étrangers entraient dans la cabane, leurs -manières dures et leur air grossier ne servaient qu'à relever à mes -yeux la supériorité de mes amis. Le vieillard, je pus le voir, -essayait souvent d'encourager ses enfants; et quelquefois il les -appelait pour bannir leur tristesse. Il leur parlait avec un air de -gaîté, une expression de bonté qui me faisait plaisir à moi-même. -Agathe écoutait avec respect, ses yeux se remplissaient quelquefois de -pleurs qu'elle cherchait à cacher; mais en général sa figure et son -ton étaient plus gais après les exhortations paternelles. Il n'en -était pas de même de Félix. Il était toujours le plus triste du -groupe; et il me parut, même malgré l'inexpérience de mes sens, avoir -plus souffert que ses amis. Mais si son air était plus chagrin, sa voix -était plus joyeuse que celle de sa sœur, surtout quand il s'adressait -au vieillard. - -»Je pourrais rapporter des exemples sans nombre, qui ne sont pas -importants, mais qui peignent le caractère de ces aimables habitants. -Au milieu de la pauvreté et du besoin, Félix aimait à porter à sa -sœur la première petite fleur blanche qui perçait la neige. Le matin -de bonne heure, avant le lever d'Agathe, il balayait la neige qui -obstruait le chemin de la laiterie, tirait de l'eau du puits, et portait -le bois qui était au dehors de la maison, où, à son étonnement -continuel, il trouvait une provision toujours faite par une main -invisible. Pendant le jour, il travaillait quelquefois pour un fermier -voisin; du moins je l'ai pensé, en le voyant sortir souvent, et ne -revenir que pour dîner, et sans porter de bois avec lui. Quelquefois il -travaillait dans le jardin; mais il y avait peu à faire dans la saison -de la gelée; alors il lisait pour le vieillard et Agathe. - -»Cette lecture m'avait d'abord extrêmement embarrassé; mais, par -degrés, je reconnus qu'il prononçait en lisant les mêmes sons que -ceux dont il faisait usage en parlant. J'en tirai la conséquence qu'il -trouvait sur le papier des signes pour des paroles, dont il avait le -sens. Je désirais vivement les connaître; mais comment le pouvais-je, -moi qui ne comprenais même pas les sons que marquaient les signes? -Cependant, je fis des progrès sensibles dans cette science, mais je -n'en fis pas assez pour suivre aucune sorte de conversation, malgré mon -application et mes efforts. J'étais porté à ce travail par le désir -de me découvrir aux habitants de la chaumière, et par la nécessité -de n'en faire l'essai qu'après avoir appris leur langage; certain que, -si je parlais comme eux, je les effrayerais moins de la difformité de -ma figure, dont j'avais eu connaissance par le contraste que j'avais -continuellement sous les yeux. - -»J'avais admiré les formes accomplies de mes voisins, leur grâce, -leur beauté, et leur teint délicat; mais combien je fus effrayé quand -je me vis dans une eau transparente! Je reculai d'abord, me refusant à -croire que je me fusse réfléchi dans ce miroir; convaincu enfin que -j'étais en réalité le monstre qui est devant vous, je fus pénétré -du plus profond désespoir et de la mortification la plus cruelle. -Hélas! je ne connaissais pas encore les funestes effets de cette -difformité! - -»Le soleil devint plus chaud, et la lumière du jour plus longue. La -neige disparut, les arbres cessèrent d'en être couverts, et la terre -reprit une couleur noire. Dès-lors Félix eut beaucoup d'occupations, -et ces braves gens ne furent plus exposés à l'horrible famine dont ils -étaient menacés. Leur nourriture, comme je le remarquai depuis, était -grossière, mais abondante; ils mangeaient suivant leurs besoins. -Plusieurs nouvelles espèces de plantes vinrent dans le jardin qu'ils -cultivaient; et ces gages de consolation se multipliaient chaque jour à -mesure que la saison avançait. - -»Le vieillard, appuyé sur son fils, se promenait tous les jours à -midi, lorsqu'il ne pleuvait pas; car j'entendais dire qu'il pleuvait, -quand le ciel versait ses eaux. La pluie tombait souvent; mais un vent, -qui s'élevait, séchait promptement la terre; et la saison devint enfin -bien plus agréable qu'elle n'avait été. - -»Mon genre de vie dans la cabane était uniforme. Le matin, je suivais -les mouvements de mes voisins; et dès qu'ils se dispersaient pour leurs -diverses occupations, je dormais: je passais le reste du jour à -observer mes amis. Lorsqu'ils s'étaient retirés pour se livrer au -repos, j'allais dans la forêt, s'il y avait clair de lune, ou si la -nuit était étoilée, chercher ma nourriture et du bois pour la -chaumière. À mon retour, il était souvent nécessaire que je -balayasse la neige qui était sur leur chemin; je faisais aussi tous les -autres travaux auxquels j'avais vu Félix se livrer. Je remarquais -ensuite leur étonnement sur ces travaux exécutés par une main -invisible; et une ou deux fois, je les entendis dans cette occasion, -prononcer les mots _bon génie, miracle_; mais je ne comprenais pas -alors la signification de ces termes. - -»Mes pensées devinrent plus actives; j'étais impatient de découvrir -les motifs et les sentiments de ces aimables créatures; je cherchais à -savoir pourquoi Félix paraissait si malheureux et Agathe si triste. Je -croyais, insensé que j'étais! que je pourrais rendre le bonheur à ces -êtres qui le méritaient si bien. Pendant mon sommeil ou loin d'eux, -les formes du vénérable aveugle, de la douce Agathe et du bon Félix, -se présentaient à mon esprit. Je les regardais comme des êtres -supérieurs, qui devaient être les arbitres de ma destinée future. Mon -imagination se figurait le moment où je me présenterais devant eux, et -la réception qu'ils me feraient. Je pensais qu'ils supporteraient -difficilement le premier abord, mais que, par une conduite douce et des -paroles conciliantes, je pourrais gagner leur faveur, et ensuite leur -amour. - -»Ces pensées me réjouirent et m'animèrent d'une nouvelle ardeur. Je -m'appliquai à apprendre à parler. Mes organes étaient rudes, il est -vrai, mais souples; ma voix ressemblait fort peu à la douce musique de -leurs intonations, mais elle prononçait avec assez de facilité les -mots que je comprenais. - -»Les ondées favorables et la chaleur vivifiante du printemps, -changèrent beaucoup l'aspect de la terre. Les hommes, qui, avant cette -métamorphose, avaient paru cachés dans des souterrains, se -dispersèrent pour s'adonner à différents genres de culture. Les -chants des oiseaux furent plus gais, et les feuilles commencèrent à -garnir les arbres. Heureuse, heureuse terre, digne d'être habitée par -des dieux, qui, un moment auparavant, était froide, humide, et -malsaine! Mes esprits étaient transportés par cet aspect enchanteur de -la nature; le passé fut effacé de ma mémoire, le présent était -tranquille, et l'avenir s'embellissait des rayons brillants de -l'espérance, et de mille joies anticipées. - - - - -CHAPITRE XII - - -»J'arrive maintenant à la partie la plus intéressante de mon -histoire. Je rapporterai les évènements qui ont bouleversé tous mes -sentiments, et m'ont fait tel que je suis aujourd'hui. - -»Le printemps s'avançait rapidement; le temps devint beau, et le ciel -sans nuages. J'étais surpris que la terre, auparavant déserte et -triste, fût alors brillante de verdure et des fleurs les plus belles. -Mes sens étaient charmés et rafraîchis par une infinité d'odeurs -délicieuses et de vues magnifiques. - -»Un jour, c'était celui consacré périodiquement au repos par mes -voisins, le vieillard jouait de la guitare, et ses enfants -l'écoutaient. Je remarquai sur la figure de Félix une expression de -mélancolie inconcevable; il soupirait fréquemment. Le père suspendit -sa musique, et, à son air, je jugeai qu'il demandait à son fils la -cause de son chagrin: Félix répondit gaîment au vieillard, qui allait -reprendre son instrument, lorsqu'on entendit frapper à la porte. - -»C'était une dame à cheval, suivie d'un paysan pour guide. Elle -était vêtue de noir, et couverte d'un voile épais de la même -couleur. Agathe fit une question, à laquelle l'étrangère ne -répondit, qu'en prononçant d'une voix douce le nom de Félix. Sa voix -était harmonieuse, mais différente de celle de mes amis. À son nom, -Félix accourut promptement vers la dame, qui, en le voyant, releva son -voile, et me laissa voir une figure d'une beauté et d'une expression -angéliques. Ses cheveux étaient d'un noir brillant, et tressés avec -soin; ses yeux noirs, mais pleins de douceur et de feu; ses traits d'une -proportion régulière; son teint admirable, et ses joues embellies par -les grâces. - -»Félix parut transporté de plaisir en la voyant; son visage, d'où le -chagrin fut banni, exprima sur-le-champ une joie vive, et dont je -l'aurais à peine cru capable; ses yeux étincelaient; ses joues -étaient animées par le plaisir; et, dans ce moment, il me parut aussi -beau que l'étrangère. Elle semblait livrée à divers sentiments: elle -versait des larmes, et en même temps elle tendait la main à Félix, -qui la baisait avec ravissement, et l'appelait, autant que je pus le -distinguer, sa chère Arabe. Elle ne paraissait pas le comprendre, mais -elle souriait. Il l'aida à descendre de cheval, renvoya son guide, et -la conduisit dans la chaumière. Une conversation eut lieu entre lui et -son père. La jeune étrangère se jeta aux pieds du vieillard, et -voulut baiser sa main; mais il la releva et l'embrassa avec affection. - -»Je vis bientôt, que l'étrangère prononçait des sons articulés, et -faisait usage d'un langage particulier; mais qu'elle n'était pas plus -comprise par les habitants de la chaumière, qu'elle ne les comprenait -elle-même. Ils faisaient beaucoup de signes, que je ne savais pas -interpréter; mais je m'aperçus que sa présence répandait la gaîté -dans la chaumière, et dissipait leur chagrin comme le soleil dissipe le -brouillard du matin. Félix paraissait surtout heureux, et accueillait -son Arabe avec le sourire du bonheur. Agathe, la sensible Agathe, -baisait les mains de l'aimable étrangère; lui montrait son frère, et -semblait lui expliquer, par des signes, qu'il avait été triste -jusqu'au moment de son arrivée. Quelques heures se passèrent ainsi à -des démonstrations de joie dont je ne comprenais pas la cause. Je ne -tardai pas à voir, au retour fréquent d'un son que l'étrangère -répétait après eux, qu'elle cherchait à apprendre leur langue, et je -pensai aussitôt à profiter des mêmes instructions pour le même but. -L'étrangère apprit dans la première leçon à-peu-près vingt mots -dont je connaissais déjà la plupart; mais je retins les autres. - -»À la nuit, Agathe et l'Arabe se retirèrent de bonne heure. En se -séparant de l'étrangère, Félix lui baisa la main, et lui dit: «Bon -soir, chère Safie». Il resta beaucoup plus long-temps que de coutume, -à s'entretenir avec son père. Je jugeai que leur aimable hôte, dont -le nom était sans cesse prononcé, était le sujet de leur -conversation. Je désirais ardemment les comprendre, j'y employais -toutes mes facultés; mais je me consumai en vains efforts. - -»Le lendemain matin, Félix alla à son ouvrage; de son côté, Agathe -ne négligea aucune de ses occupations ordinaires. Quand elle eut tout -terminé, l'Arabe s'assit aux pieds du vieillard, prit sa guitare et -joua quelques airs si beaux et si touchons, qu'ils m'arrachèrent des -larmes de chagrin et de plaisir à la fois. Elle chantait en modulant sa -voix en riche cadence, et en l'élevant ou la baissant tour à tour -comme le rossignol des bois. - -»Elle cessa de chanter, et présenta la guitare à Agathe, qui la -refusa d'abord, mais qui finit par jouer un air simple, en -l'accompagnant des accents de sa voix, aussi doux, mais moins beaux que -les accords admirables de l'étrangère. Le vieillard paraissait ravi, -et dit quelques mots qu'Agathe tâcha d'expliquer à Safie, et par -lesquels il voulait témoigner tout le plaisir qu'il ressentait de sa -musique. - -»Les jours se passèrent ensuite aussi tranquillement qu'avant -l'arrivée de l'étrangère; seulement depuis ce moment, la joie avait -remplacé la tristesse sur le visage de mes amis. Safie était toujours -gaie et heureuse; elle et moi nous fîmes de rapides progrès dans la -connaissance de la langue, de sorte qu'en deux mois je commençais à -comprendre la plupart des mots prononcés par mes protecteurs. - -»Pendant ce temps, la terre s'était couverte d'herbage, et les -collines verdoyantes étaient parsemées de fleurs innombrables, d'une -odeur et d'une vue agréables; les étoiles pâlissaient au milieu des -bois devant la clarté de la lune; le soleil devint plus chaud, les -nuits claires et embaumées. Mes sorties nocturnes étaient pour moi -délicieuses, mais elles étaient devenues beaucoup plus courtes, depuis -qu'il n'y avait plus qu'un faible intervalle entre le coucher et le -lever du soleil; car je ne sortais jamais pendant le jour, dans la -crainte d'éprouver le traitement dont j'avais souffert précédemment, -dans le premier village où j'étais entré. - -»Mes journées se passaient dans une attention continuelle, afin de -savoir plus promptement parler: je puis aussi dire avec quelqu'orgueil, -que mes progrès furent plus rapides que ceux de l'Arabe, qui comprenait -fort peu et parlait difficilement, tandis que je comprenais et pouvais -répéter presque tous les mots que j'entendais. - -»En apprenant à parler, j'appris aussi la science des lettres, qu'on -enseignait à l'étrangère. C'était pour moi un grand sujet -d'étonnement et de plaisir. - -»Le livre dont Félix se servait pour instruire Safie, était les -_Ruines_, ou _Méditations sur les Révolutions des Empires_, par -Volney. Je n'aurais pas compris le sens de ce livre, si Félix, en le -lisant, n'eût donné des explications très-détaillées. Il avait, -disait-il, fait choix de cet ouvrage, parce que le style déclamatoire -imitait le genre des auteurs Orientaux. Avec cet ouvrage, je parvins à -connaître un peu l'histoire, et à me représenter les différents -empires qui existent actuellement dans le monde; j'eus aussi -quelqu'idée des usages, des gouvernements, et des religions des -différentes nations de la terre. Je connus la paresse des Asiatiques, -le génie prodigieux et l'activité d'esprit des Grecs, les guerres et -les vertus admirables des anciens Romains, leur décadence, la chute de -ce puissant empire, la chevalerie, la chrétienté et les rois. Je -connus la découverte de l'hémisphère Américain, et je pleurai avec -Safie sur le malheureux sort de ses premiers habitants. - -»Ces récits merveilleux m'inspiraient d'étranges sentiments. Comment -l'homme était-il si puissant, si vertueux, si grand, et en même temps -si méchant et si bas? Tantôt il paraissait une véritable émanation -du mauvais principe; tantôt une conception noble et divine. La grandeur -d'âme et la vertu me parurent le plus bel ornement d'un être sensible; -la bassesse et la méchanceté, qui étaient le partage de tant de -monde, me parurent la plus triste dégradation, une condition plus -abjecte que celle de la taupe ou du vermisseau. Je fus long-temps avant -de concevoir comment un homme pouvait se porter à assassiner son -semblable, ou même pourquoi il y avait des lois et des gouvernements; -mais, en apprenant les détails des vices et des meurtres, je cessai -d'être surpris, et je reculai de dégoût et d'horreur. - -»Chaque conversation des habitants de la chaumière me présentait -alors de nouveaux prodiges. Les leçons que Félix donnait à l'Arabe, -et auxquelles je prêtais toute mon attention, m'expliquèrent -l'étrange système de la société humaine. J'entendais parler de la -division des propriétés, de richesses immenses et de pauvreté -excessive, de rang, de naissance et de noblesse. - -»Les mots donnaient lieu aux réflexions. J'appris que les biens les -plus estimés par vos semblables, étaient une naissance illustre et -pure avec la richesse. Un seul de ces biens suffisait pour qu'un homme -fût respecté; mais sans l'un ni l'autre, il était regardé, sauf un -petit nombre d'exceptions, comme un vagabond et un esclave, fait pour -consumer ses forces au profit d'un petit nombre d'élus. Et -qu'étais-je, moi? Je ne connaissais nullement mon origine, ni mon -créateur; mais je savais que je n'avais ni argent, ni amis, ni aucune -propriété. J'avais d'ailleurs une figure d'une difformité hideuse et -repoussante; je n'étais même pas de la même nature que l'homme. -J'étais plus agile que lui, et je pouvais subsister d'une nourriture -plus grossière; je supportais l'excès de la chaleur et du froid, sans -ressentir aucun mal; j'étais enfin d'une taille beaucoup plus élevée -que celle des hommes. En regardant autour de moi, je ne voyais et -n'entendais personne qui me ressemblât. En ces moments, je me demandais -si j'étais un monstre, une difformité que tout le monde fuyait et -désavouait. - -»Je ne saurais décrire la douleur dans laquelle ces réflexions me -jetèrent: j'essayais de les éloigner, mais le chagrin s'augmentait -sans cesse avec l'instruction. Ah! que n'étais-je toujours resté dans -le bois où j'avais pris naissance, sans connaître ni éprouver -d'autres sensations que celles de la faim, de la soif et de la chaleur! - -»De quelle étrange nature est l'instruction! Elle s'attache à -l'esprit, lorsqu'elle lui a été une fois inculquée, comme le lichen -au rocher. Je désirais quelquefois bannir toute pensée et tout -sentiment; mais j'appris qu'il n'y avait qu'un moyen d'étouffer toute -peine, la mort.... la mort que je craignais, sans pouvoir la comprendre. -J'admirais la vertu et les bons sentiments, j'aimais les manières -douces et les aimables qualités de mes voisins; mais j'étais privé de -communication avec eux, si ce n'est celle que j'obtenais furtivement, -sans être vu, ni connu, et qui augmentait le désir que j'avais de -compter parmi mes semblables, sans me satisfaire. Les paroles -bienveillantes d'Agathe, et le sourire animé de la charmante Arabe, -n'étaient pas pour moi. Les douces exhortations du vieillard, et la -conversation vive du bien-aimé Félix, ne s'adressaient pas à moi. -Malheureux, malheureux que j'étais! - -»Je reçus de nouvelles et plus profondes leçons. J'entendis parler de -la différence des sexes, de la naissance et de la croissance des -enfants; combien le père aimait le sourire de l'enfant au berceau, et -les vives saillies d'un fils plus grand; comment la vie de la mère se -passait dans les soins précieux de leur éducation; comment l'esprit de -la jeunesse s'étendait et s'instruisait; je sus ce qu'étaient un -frère, une sœur; et je connus toutes les différentes parentés qui -lient mutuellement un être à un autre. - -»Mais où étaient mes amis et mes parents? Un père n'avait pas eu -soin des jours de mon enfance, une mère ne m'avait pas béni par son -doux sourire et ses caresses; ou bien, s'il en avait été ainsi, toute -ma vie passée n'était qu'un point, un vide dans lequel je ne -distinguais rien. Ma mémoire avait beau remonter dans le passé, il me -semblait que j'avais toujours été de la même taille et des mêmes -proportions. Je n'avais pas encore vu un être qui me ressemblât, ou -qui recherchât quelque commerce avec moi. Qu'étais-je? Cette question -revint encore; et je n'y répondis que par des gémissements. - -»J'expliquerai bientôt la tendance de ces sentiments. Revenons -maintenant aux habitants de la chaumière, dont l'histoire excitait en -moi tour-à-tour des sentiments d'indignation, de plaisir et -d'étonnement, mais qui ne faisaient qu'ajouter à l'amour et au respect -que j'avais pour mes protecteurs; car j'aimais à les appeler ainsi par -une illusion innocente et presque pénible. - - - - -CHAPITRE XIII - - -»J'appris par la suite l'histoire de mes amis. Elle se grava -profondément dans mon esprit; car elle se composait d'une foule de -circonstances fort intéressantes et merveilleuses pour un être aussi -inexpérimenté que moi. - -»Le vieillard se nommait de Lacey. Il était descendu d'une bonne -famille de France, où il avait long-temps vécu dans l'abondance, -respecté de ses supérieurs et chéri de ses égaux. Son fils avait -été au service de son pays, et Agathe avait eu rang parmi les dames de -la plus grande distinction. Peu de mois avant mon arrivée, ils avaient -vécu dans une grande et riche cité, dont le nom est Paris, entourés -d'amis, et jouissant de tous les agréments que procurent la vertu, le -bon goût, ou un esprit cultivé. - -»Le père de Safie avait été la cause de leur ruine. C'était un -marchand Turc, qui avait habité Paris pendant plusieurs années; mais -qui, pour des raisons que je ne pus apprendre, devint suspect au -gouvernement. Saisi et jeté en prison le jour même où Safie arriva de -Constantinople pour le rejoindre, il fut jugé et condamné à mort. -L'injustice de cette sentence était criante; elle indigna tout Paris, -dont l'opinion générale fut que la condamnation avait pour motif, -moins le crime imputé au Turc, que sa religion et ses richesses. - -»Félix avait assisté au jugement; en entendant la décision de la -cour, il ne mit aucune borne à son horreur et à son indignation. Il -fit, dès ce moment, le vœu solennel de le sauver, et il chercha alors -les moyens de réussir dans cette entreprise. Après beaucoup d'efforts -infructueux pour pénétrer dans la prison, il découvrit, dans une -partie du bâtiment, une fenêtre fortement grillée, qui n'était pas -gardée, et qui éclairait le donjon où l'infortuné Mahométan, -chargé de chaînes, attendait, dans le désespoir, l'exécution de -l'affreuse sentence. Félix visita la grille pendant la nuit, et fit -connaître au prisonnier les intentions dont il était animé. - -»Le Turc, étonné et ravi, tâcha d'exciter le zèle de son -libérateur, en lui promettant des récompenses et des richesses. Félix -rejeta ses offres avec mépris; cependant, en voyant l'aimable Safie, -qui avait la permission de visiter son père, et qui, par ses gestes, -exprimait sa vive reconnaissance, le jeune homme s'avoua, que le captif -possédait un trésor qui serait le prix le plus beau de ses peines et -de ses dangers. - -»Le Turc s'aperçut promptement de l'impression que sa fille avait -faite sur le cœur de Félix, et tâcha de le mettre encore plus dans -ses intérêts, en promettait de la lui donner en mariage, dès qu'il -serait parvenu en lieu de sûreté. Félix était trop délicat pour -accepter cette offre; cependant il regarda la chance de cet événement, -comme l'accomplissement de son bonheur. - -»Les jours suivants, tandis que tout se préparait pour l'évasion du -marchand, le zèle de Félix fut excité par plusieurs lettres de -l'aimable Safie, qui parvint à exprimer ses idées dans le langage de -son amant, par le secours d'un vieux domestique de son père, qui -comprenait le Français. Elle le remerciait, dans les termes les plus -ardents, des services qu'il voulait rendre à son père; et en même -temps elle déplorait avec douceur son propre sort. - -»J'ai des copies de ces lettres; car je sus, pendant ma résidence dans -la cabane, me procurer ce qui était nécessaire pour écrire, et je -voyais souvent les lettres entre les mains de Félix et d'Agathe. Avant -de nous séparer, je veux vous les donner; elles confirmeront ce que je -raconte: pour le moment, comme le soleil est déjà très-bas, je me -bornerai à vous en dire la substance. - -»Safie racontait que sa mère était une Arabe chrétienne, prise et -emmenée en esclavage par les Turcs; qu'elle avait séduit, par sa -beauté, le cœur du marchand, et qu'elle en était devenue l'épouse. -La jeune fille parlait avec orgueil et enthousiasme de sa mère, qui, -née libre, méprisait l'esclavage auquel elle avait été réduite. -Elle instruisit sa fille dans les principes de sa religion, et lui -inspira des pensées élevées et une indépendance d'esprit, défendues -aux femmes par Mahomet. Elle mourut; mais ses leçons se gravèrent en -caractères ineffaçables dans le cœur de Safie: celle-ci tomba malade -en songeant à la nécessité de retourner en Asie, où elle serait -renfermée dans un harem, et occupée à des amusements puériles, peu -convenables à la disposition de son âme, accoutumée à de grandes -idées et à une noble émulation pour la vertu, tandis qu'elle était -flattée agréablement par la perspective d'épouser un chrétien, et de -rester dans un pays où les femmes pouvaient prétendre à un rang dans -la société. - -»Le jour fut fixé pour l'exécution du Turc; mais, pendant la nuit qui -devait la précéder, il avait quitté sa prison, et, avant que le jour -ne parût, il était éloigné de plusieurs lieues de Paris. Félix -avait obtenu des passeports en son nom, de même qu'aux noms de son -père et de sa sœur. Avant de rien entreprendre, il avait communiqué -son plan à son père, qui rendit facile le succès de la ruse, en -quittant sa maison, sous le prétexte d'un voyage, et en se cachant avec -sa fille, dans l'un des quartiers obscurs de Paris. - -»Félix prit la route de Lyon avec les fugitifs, et les conduisit par -le mont Cenis à Leghorn, où le marchand se décida à attendre une -occasion favorable pour passer en quelque partie de la Turquie. - -»Safie résolut de rester avec son père jusqu'au moment de son -départ. Le Turc, de son côté, n'attendit pas ce moment, pour -renouveler la promesse d'unir sa fille à son libérateur: Félix ne les -abandonna pas; et, en attendant cet événement, il jouissait de la -société de l'Arabe, qui lui montrait la plus simple et la plus tendre -affection. Safie lui chantait aussi les airs délicieux de son pays -natal; et il s'entretenait avec elle à l'aide d'un interprète, ou de -regards expressifs. - -»Le Turc permettait cette intimité, et encourageait les espérances -des jeunes amants, tandis que dans son cœur il avait formé des plans -tout opposés. Il ne pouvait supporter l'idée que sa fille fût unie à -un chrétien; mais il craignait le ressentiment de Félix en montrant du -refroidissement, et il savait qu'il était encore au pouvoir de son -libérateur, s'il voulait le livrer au gouvernement Italien, sur lequel -ils s'étaient réfugiés. Il conçut mille plans pour prolonger la ruse -jusqu'à ce qu'elle ne fût plus nécessaire, et pour emmener -secrètement sa fille avec lui. Les nouvelles qui arrivèrent de Paris -secondèrent beaucoup ses projets. - -»Le gouvernement de France était fort irrité de l'évasion de sa -victime, et n'épargna rien pour découvrir et punir celui qui l'avait -sauvée. Le complot de Félix fut promptement connu, et de Lacey fut -jeté en prison avec Agathe. Ces nouvelles parvinrent à Félix, et -l'arrachèrent à ses douces pensées. Son père, aveugle et âgé, et -son excellente sœur, gémissaient dans un donjon malsain, tandis qu'il -jouissait de la liberté, et de la société de celle qu'il aimait. -Cette idée était un supplice pour lui. Il convint sur-le-champ avec le -Turc, que s'il trouvait une occasion favorable de fuir avant son retour -en Italie, Safie serait mise dans un couvent à Leghorn. Ce projet -arrêté, il quitta l'aimable Arabe, partit pour Paris, et se livra à -la vengeance des lois, dans l'espoir que cette démarche rendrait la -liberté à M. de Lacey et à Agathe. - -»Vain espoir! Ses parents et lui gémirent pendant cinq mois en prison, -dans l'attente d'un jugement, qui prononça la confiscation de leurs -biens, et les condamna à un exil perpétuel. - -»Ils trouvèrent en Allemagne un misérable asile dans la chaumière -où je les découvris. Félix ne tarda pas à connaître la perfidie du -Turc, pour qui lui et sa famille souffraient une oppression inouïe. Ce -Turc, en apprenant que son libérateur avait perdu toute fortune et tout -crédit, était devenu traître à sa conscience et à l'honneur, et -avait quitté l'Italie avec sa fille, en envoyant insolemment à Félix -une petite somme d'argent, pour qu'il pût, disait-il, se faire un sort. - -»Tels étaient les motifs qui affligeaient le cœur du jeune homme, et -le rendaient, lorsque je le vis d'abord, le plus à plaindre de la -famille. Il aurait pu supporter la pauvreté, et s'en glorifier même, -puisqu'elle avait été la récompense de sa vertu; mais l'ingratitude -du Turc et la perte de sa bien-aimée Safie, étaient des malheurs plus -amers et plus irréparables. Cependant, dès que la jeune Arabe arriva, -il se sentit ranimé par une nouvelle vie. - -»À peine avait-on appris à Leghorn, que Félix était privé de sa -fortune et de son rang, que le marchand ordonna à sa fille de ne plus -penser à son amant, mais de se tenir prête à retourner avec lui dans -sa patrie. Le cœur généreux de Safie en fut outragé; elle voulut -faire des remontrances à son père, mais celui-ci la quitta avec -colère, et en lui réitérant ses ordres tyranniques. - -»Peu de jours après, le Turc entra dans l'appartement de sa fille, et -lui dit précipitamment, qu'il avait des raisons de croire que le secret -de sa résidence à Leghorn avait été divulgué, et qu'il serait -bientôt livré au Gouvernement Français. Pour prévenir ce danger, il -avait loué un vaisseau qui devait le transporter à Constantinople, et -qui dans quelques heures serait à la voile. Il avait l'intention de -laisser sa fille aux soins d'un serviteur fidèle, qui l'emmènerait -aussitôt que la plus grande partie de ses biens serait arrivée à -Leghorn. - -»Seule avec elle-même, Safie réfléchit à la manière dont elle -devait se conduire dans cette circonstance. Elle envisageait avec -horreur l'idée de résider en Turquie; sa religion et ses sentiments -l'en éloignaient. Par quelques papiers de son père, qui tombèrent -entre ses mains, elle apprit l'exil de son amant et le nom du lieu qu'il -habitait. Elle hésita quelque temps, mais enfin elle prit une -détermination. Prenant avec elle quelques bijoux qui lui appartenaient, -et une petite somme d'argent, elle quitta l'Italie, et partit pour -l'Allemagne, accompagnée d'une domestique qui était de Leghorn, mais -qui comprenait un peu la langue Turque. - -»Elle arriva saine et sauve dans une ville, à environ vingt lieues de -la chaumière de M. de Lacey, mais elle y fut retenue par sa suivante -qui tomba dangereusement malade. Elle lui prodigua les soins de la plus -tendre affection, sans pouvoir l'empêcher de succomber. Le hasard -voulut que l'Arabe, qui resta seule, sans connaître la langue du pays -et les usages du monde, tombât en bonnes mains. La maîtresse de la -maison où elle avait fait séjour, avait su par l'Italienne le nom de -l'endroit vers lequel elle se dirigeait, et, après la mort de cette -pauvre fille, elle prit les mesures les plus convenables, pour que Safie -arrivât sans danger à la chaumière de son amant». - - - - -CHAPITRE XIV - - -«Telle était l'histoire de mes chers voisins. J'en fus profondément -frappé. J'appris même, en comparant les positions de la vie sociale -qu'elle développait, à admirer les vertus de cette famille, et à -détester les vices de l'espèce humaine. - -»Cependant le crime me paraissait un mal dont j'étais loin. La -bienveillance et la générosité étaient toujours devant mes yeux, et -m'inspiraient le désir de devenir acteur dans cette scène active où -tant d'admirables qualités étaient déployées et mises en jeu. Mais -en faisant le récit des progrès de mon intelligence, je ne dois pas -omettre une circonstance qui remonte au commencement du mois d'août de -la même année. - -»J'étais allé un soir, suivant ma coutume, dans le bois voisin, où -je ramassais ma nourriture, et d'où je rapportais du bois pour mes -protecteurs. Je trouvai par terre un portemanteau de cuir, qui contenait -plusieurs articles d'habillement et quelques livres. Je m'en emparai -avec empressement, et je revins avec ma prise dans ma cabane. -Heureusement les livres étaient écrits dans la langue dont j'avais -appris les éléments à la chaumière; c'étaient le _Paradis perdu_, -un volume des _Vies de Plutarque_, et _les Passions de Werther._ Je -ressentis la joie la plus vive de posséder ces trésors. Je me mis à -étudier avec ardeur, et j'exerçais mon esprit sur ces histoires, -pendant que mes amis se livraient à leurs occupations ordinaires. - -»J'aurais peine à vous décrire l'effet de ces livres. Ils me -présentèrent une infinité de nouvelles images et de nouveaux -sentiments, qui me remplissaient quelquefois de ravissement, mais qui -plus souvent me jetaient dans la plus profonde affliction. Dans -_Werther_, dont l'histoire simple et touchante offre déjà beaucoup -d'intérêt, on examine tant d'opinions, et on répand tant de lumières -sur ce qui avait été précédemment obscur pour moi, que j'y trouvai -une source intarissable de réflexions, et de nombreux motifs -d'étonnement. Les habitudes douces et domestiques qu'il décrivait, les -nobles sentiments et les sensations dont il parlait, et qui se portent -vers un autre objet que soi-même, s'accordaient bien avec l'expérience -que j'avais acquise parmi mes protecteurs, et avec les besoins qui -naissaient pour toujours dans mon sein; mais Werther lui-même me parut -un être plus divin qu'aucun de ceux que j'avais vus ou imaginés: son -caractère était exempt de prétentions; mais il était réfléchi. Les -discussions sur la mort et le suicide étaient propres à me remplir -d'étonnement. Je ne prétendais pas juger la question; mais j'inclinai -vers les opinions du héros dont je pleurai la fin, sans la comprendre -précisément. - -»Cependant, en lisant, je faisais une application plus personnelle à -mes propres sensations et à mon état. Il me parut que j'avais quelque -ressemblance, et en même temps une étrange différence avec les êtres -dont je lisais l'histoire, et ceux dont j'écoutais la conversation. Je -sympathisais avec eux, je les comprenais en partie, mais je n'avais pas -l'esprit formé; je ne dépendais de personne, je n'avais de rapport -avec qui que ce fût. Je pouvais librement cheminer vers la tombe; -personne ne devait venir verser des pleurs sur ma cendre. Mon extérieur -était hideux, et ma stature gigantesque: Que devais-je en penser? Qui -étais-je? Qu'étais-je? D'où venais-je? Quelle était ma destinée? -Ces questions revenaient sans cesse, sans que je pusse les résoudre. - -»Le volume des _Vies de Plutarque_, qui était tombé entre mes mains, -contenait les histoires des premiers fondateurs des anciennes -républiques. Ce livre fit sur moi une impression entièrement -différente de celle que j'avais éprouvée en lisant Werther. Les -rêveries de ce jeune Allemand m'avaient appris à connaître le -désespoir et les passions; Plutarque me montra de hautes pensées. Il -m'élevait au-dessus de la sphère bornée de mes propres réflexions, -à un point où je pouvais admirer et aimer les héros des siècles -passés. Il y avait, dans ce que je lisais, beaucoup de choses qui -étaient au-dessus de mon intelligence et de mon expérience. J'avais -une connaissance très-confuse des royaumes, des vastes continents, des -grandes rivières et des mers sans limites; mais je ne connaissais -nullement les villes, ni les grandes réunions d'hommes. La chaumière -de mes protecteurs était la seule école où j'eusse étudié la nature -humaine; Plutarque me développa des actions nouvelles et plus fortes. -En lisant l'histoire de ces hommes versés dans les affaires publiques, -qui gouvernaient ou massacraient leurs semblables, je sentis naître en -moi un ardent amour de la vertu, et une profonde horreur du crime; -termes dont je ne comprenais pas bien la signification, mais qui, selon -moi, n'avaient d'autre rapport qu'au plaisir et à la peine. Ces -sentiments me portèrent naturellement à admirer les législateurs -pacifiques, tels que Numa, Solon et Lycurgue, de préférence à Romulus -et Thésée. La vie patriarcale de mes protecteurs contribua à graver -fortement ces impressions dans mon esprit. Il se peut cependant qu'elles -eussent été toutes différentes, si j'eusse été initié au monde par -un jeune soldat, passionné pour la gloire et le carnage. - -»Le _Paradis perdu_ excita des émotions tout autres et bien plus -profondes. Il en fut de cet ouvrage comme des deux autres, qui étaient -tombés entre mes mains; je le pris pour une histoire véritable. Je me -sentis agité par tous les sentiments d'étonnement et de crainte, que -devait exciter la peinture d'un Dieu tout-puissant en guerre avec ceux -qu'il avait créés. Souvent je m'appliquais à moi-même diverses -situations, qui offraient un rapport frappant avec la mienne. Selon -toute apparence, j'avais été créé, comme Adam, sans tenir en rien à -un être vivant; mais d'un autre côté, son état était bien -différent du mien. Il était sorti des mains de Dieu, parfait, heureux -et prospère. Il restait sous la garde même de son créateur; il -pouvait lui parler, et s'instruire en communiquant avec des êtres d'une -nature supérieure: moi, j'étais malheureux, sans appui, et seul. Plus -d'une fois, je considérai Satan comme l'emblème le plus fidèle de ma -condition; souvent en effet, en voyant le bonheur des mes protecteurs, -je me sentais, comme lui, rempli d'un sentiment d'envie. - -»Une autre circonstance me confirma dans l'opinion que j'avais de -moi-même. Peu de temps après mon arrivée dans la cabane, je -découvris quelques papiers dans la poche du vêtement que j'avais -emporté de votre laboratoire. Je les avais d'abord négligés; mais -maintenant que je pouvais déchiffrer les caractères qui y étaient -tracés, je me mis à les étudier. C'était un journal écrit par vous, -et relatif aux quatre premiers mois qui précédèrent ma création. -Vous décriviez avec un soin minutieux chaque opération qui concourait -au progrès de votre ouvrage; vous mêliez à cette histoire le récit -des évènements qui avaient rapport à votre famille. - -»Vous vous souvenez sans doute de ces papiers. Les voici. Rien n'est -omis de ce qui a rapport à mon origine maudite; toutes les -circonstances qui l'ont amenée, quelque dégoût qu'elles offrent, y -sont fidèlement conservées: la description la plus minutieuse de mon -odieuse et dégoûtante personne y est tracée dans des termes qui -peignaient votre horreur même, et rendaient la mienne ineffaçable. -J'étais dans une souffrance affreuse en lisant ces notes. «Jour odieux -où je reçus la vie, m'écriai-je avec désespoir! Maudit Créateur! -Pourquoi as-tu formé un monstre si hideux, que toi-même tu t'en es -éloigné avec dégoût? Dieu a fait l'homme beau, agréable, et à son -image; ma forme présente aussi une ressemblance avec la tienne; mais -une ressemblance horrible, plus horrible même par la ressemblance. -Satan avait ses compagnons, ses diables, pour l'admirer, pour -l'encourager; et moi, je suis solitaire et détesté». - -»Telles étaient mes réflexions pendant mes moments de désespoir et -de solitude; mais, revenant à contempler les vertus des habitants de la -chaumière, leur caractère aimable et bienveillant, je me persuadais -que, lorsqu'ils connaîtraient mon admiration pour leurs vertus, ils -auraient compassion de moi, et ne feraient pas attention à ma -difformité personnelle. Pourraient-ils éloigner d'eux un être -monstrueux, il est vrai, mais qui implorait leur compassion et leur -amitié? Je résolus, du moins, de ne pas désespérer, et, à tout -événement, de me préparer à une entrevue qui déciderait de ma -destinée. Je retardai cet essai de quelques mois; car le succès était -assez important pour m'inspirer la crainte de ne pas réussir. Du reste, -j'acquérais tant d'expérience chaque jour, que je ne voulus commencer -cette entreprise, qu'après avoir ajouté quelques mois de plus à ma -sagesse. - -»Je remarquai, pendant ce temps, plusieurs changements dans la -chaumière. La présence de Safie répandait le bonheur, et même plus -d'abondance, parmi les personnes qui l'environnaient. Félix et Agathe -donnaient plus de temps à leurs amusements et à leurs causeries; et -ils étaient aidés dans leurs travaux par des domestiques. Ils ne -paraissaient pas riches, mais ils étaient contents et heureux; leurs -sentiments étaient paisibles, tandis que les miens devenaient de jour -en jour plus tumultueux. Le progrès de mes connaissances ne servait -qu'à me montrer plus clairement dans quelle affreuse position j'étais -placé. J'entretenais l'espérance, il est vrai; mais elle -s'évanouissait toujours, au moment où je voyais ma personne -réfléchie dans l'eau, ou mon ombre à la clarté de la lune: faible -image, ombre inconstante, dont je m'effrayais midi-même! - -»Je m'efforçai de bannir ces craintes, et de m'affermir pour -l'épreuve que j'avais intention de subir dans quelques mois. -Quelquefois je laissais mes pensées s'abandonner au délire, et errer -dans les plaines du paradis; j'osais me représenter ces êtres bons et -aimables, sympathisant avec mes sentiments et dissipant ma tristesse; je -croyais voir leurs figures angéliques sourire pour me consoler. Rêves -insensés! Une Ève n'adoucissait pas mes chagrins, ne partageait point -mes pensées; j'étais seul. Je me souvenais de la prière qu'Adam -adressa à son créateur; mais où était le mien? Il m'avait -abandonné, et, dans l'amertume de mon cœur, je le maudissais. - -»L'automne se passa ainsi. Je vis, avec surprise et chagrin, les -feuilles décroître et tomber, et la nature reprendre cet aspect -stérile et froid qu'elle présentait, lorsque je vis pour la première -fois les bois et la lune bienfaisante. Cependant, je ne fis pas -attention à la température froide de la saison; j'étais plus propre, -par mon organisation, à endurer le froid que la chaleur; mon plus grand -plaisir était de voir les fleurs, les oiseaux, et tout le cortège -enchanteur de l'été. Privé de ces agréments, je tournai davantage -mon attention vers les habitants de la chaumière. L'absence de l'été -n'avait pas diminué leur bonheur. Ce bonheur était de s'aimer et de se -convenir; il ne dépendait que d'eux-mêmes, et n'était pas interrompu -par ce qui se passait autour d'eux. Plus je les voyais, plus j'avais le -désir de réclamer leur protection et leur amitié; mon cœur avait -besoin d'être connu et aimé de ces intéressantes créatures; toute -mon ambition se bornait à voir leurs doux regards tournés avec -affection vers moi. Je n'osais penser qu'ils les détourneraient avec -mépris et horreur. Le pauvre, qui s'arrêtait à leur porte, n'était -jamais repoussé. Je demandais, il est vrai, des trésors bien plus -grands qu'un peu de nourriture ou du repos; je prétendais à l'amitié, -à la sympathie, et je ne m'en croyais pas tout-à-fait indigne. - -»L'hiver approchait, et une révolution complète des saisons avait eu -lieu, depuis que j'étais animé par la vie. Mon attention, à cette -époque, fut tournée entièrement vers le plan que je ni étais formé, -et qui était de m'introduire dans la chaumière de mes protecteurs. Je -conçus une foule de projets; mais celui auquel je m'arrêtai, fut -d'entrer dans leur habitation au moment où le vieillard aveugle serait -seul. J'avais assez de sagacité pour deviner, que ma laideur hideuse et -surnaturelle était le principal objet d'horreur pour ceux qui m'avaient -vu précédemment. Ma voix, quoique dure, n'avait rien de terrible; je -pensai donc que si, pendant l'absence de ses enfants, je pouvais obtenir -la bienveillance et la médiation du vieux de Lacey, je parviendrais, -grâce à lui, à être toléré par mes plus jeunes protecteurs. - -»Un jour, le soleil brillait sur les feuilles rougeâtres dont la terre -était jonchée, et inspirait la gaîté, sans répandre la chaleur; -Safie, Agathe, et Félix partirent pour faire une longue promenade dans -la campagne, et le vieillard, qui avait exprimé le désir de ne pas les -accompagner, resta seul dans la chaumière. À peine ses enfants -étaient-ils partis, qu'il prit sa guitare, et joua plusieurs airs d'une -mélancolie douce, plus douce même qu'aucun de ceux que j'avais -entendus auparavant. Sa figure était d'abord animée par le plaisir, -mais bientôt elle exprima la méditation et la tristesse; enfin, le -vieillard mit l'instrument de côté, et resta absorbé dans ses -rêveries. - -»Mon cœur palpitait avec force; c'était l'heure, le moment de -l'épreuve, qui devait confirmer mes espérances, ou réaliser mes -craintes. Les domestiques étaient allés à une fête voisine. Tout -était silencieux au dedans et autour de la chaumière: l'occasion -était excellente; cependant, au moment où j'allais mettre mon plan à -exécution, je sentis mes forces défaillir, et je tombai à terre. Je -me relevai; je m'armai de toute la fermeté dont j'étais capable, et -j'écartai les planches que j'avais placées devant ma cabane, pour -cacher ma retraite. L'air frais me ranima, je m'affermis de nouveau dans -ma détermination, et je m'approchai de la porte de ma chaumière. - -»Je frappai. « Qui est là, dit le vieillard? Entrez». - ---«Excusez-moi, lui dis-je, je suis un voyageur qui a besoin d'un peu -de repos, et que vous obligeriez beaucoup, si vous vouliez permettre -qu'il restât quelques minutes devant le feu». - ---«Entrez, dit de Lacey, et je chercherai à vous soulager; mais, -malheureusement, mes enfants sont sortis; car je suis aveugle, et je -crains qu'il ne me soit difficile de vous offrir quelque nourriture». - ---«N'en soyez pas en peine, mon généreux hôte, je n'en ai pas -besoin; je ne réclame qu'un peu de chaleur et de repos». - -»Je m'assis, et il y eut un moment de silence. Je savais que chaque -minute m'était précieuse; cependant j'étais indécis sur la manière -dont je commencerais l'entretien; mais le vieillard me tira d'embarras -en disant: «Étranger, je suppose, à votre langage, que vous êtes mon -compatriote; êtes-vous Français»? - ---«Non; mais j'ai été élevé par une famille Française, et je ne -comprends que la langue de ce pays. Je vais, en ce moment, réclamer la -protection de quelques amis que j'aime sincèrement, et dont j'espère -obtenir l'amitié». - ---«Sont-ils Allemands»? - ---«Non, ils sont Français. Mais changeons de conversation. Je suis une -créature malheureuse et abandonnée; je regarde autour de moi, et je -n'ai ni parent, ni ami sur la terre. Ces aimables gens, que je vais -trouver, ne m'ont jamais vu, et ne me connaissent que sous bien peu de -rapports. Je suis rempli de crainte; car, si je ne réussis pas auprès -d'eux, je dois m'attendre à être un rebut pour le reste des hommes». - ---«Ne désespérez pas. Vivre sans amis, c'est assurément vivre -malheureux; mais le cœur de l'homme qui est dégagé de tout intérêt -particulier, ne renferme qu'amour fraternel et charité. Ayez donc -confiance; et, si ces amis sont bons et aimables, ne perdez pas -courage». - ---«Ils sont bons, il n'en est pas qui soient meilleurs; mais, -malheureusement, ils sont prévenus contre moi. J'ai un bon naturel; -jusqu'ici ma vie a été innocente, et quelquefois bienfaisante; mais -les personnes, dont je vous parle, sont aveuglées par un préjugé -fatal, et, au lieu de voir en moi un ami bon et sensible, elles ne -voient qu'un monstre détestable». - ---«C'est un malheur, j'en conviens; mais, si vous n'avez aucun tort, ne -pouvez-vous pas les détromper»? - ---«Je vais l'essayer; et c'est cette tentative même qui m'accable de -tant de terreur. J'aime tendrement ces amis; sans être connu d'eux, -j'ai pu pendant plusieurs mois connaître les attentions journalières -qu'ils se prodiguent mutuellement; mais ils croient que je veux leur -nuire, et c'est ce préjugé que je désire détruire». - ---«Où demeurent ces ami»? - ---«Près d'ici». - ---«Le vieillard garda le silence un moment, et dit: «Si vous voulez me -confier sans réserve les détails de votre histoire, je vous serai -peut-être utile pour les détromper. Je suis aveugle, et ne puis vous -juger sur votre figure; mais il y a dans vos paroles un accent qui me -garantit votre sincérité. Je suis pauvre et exilé, mais ce sera un -véritable plaisir pour moi de pouvoir, en quelque manière, rendre -service à une créature humaine». - ---«Homme excellent! Je vous remercie, et j'accepte votre offre -généreuse. Votre bonté me rassure; votre secours me permet -d'espérer, que je ne serai pas chassé de la société de vos -semblables, ni privé de leur intérêt». - ---«Dieu vous en préserve, quand bien même vous seriez criminel; car -ce malheur seul pourrait vous conduire au désespoir, et vous éloigner -de la vertu. Moi aussi je suis malheureux, ma famille a été -condamnée, et elle était innocente; jugez donc si je ne sens pas vos -infortunes». - ---«Comment pourrai-je vous remercier, mon excellent et unique -bienfaiteur? Vous êtes le premier homme qui m'ait fait entendre des -paroles bienveillantes; j'en serai toujours reconnaissant. Votre -humanité me garantit tout succès près des amis que je suis sur le -point de voir». - ---«Puis-je connaître le nom et la demeure de ces amis»? - -»Je me tus. C'était le moment décisif, où j'allais perdre ou obtenir -à jamais le bonheur. Je m'efforçai de recueillir assez de fermeté -pour lui répondre, mais cet effort épuisa toute la force qui me -restait. Je tombai sur la chaise en sanglotant. Dans ce moment -j'entendis les pas de mes protecteurs. Je n'avais pas un moment à -perdre; je m'emparai de la main du vieillard, et je m'écriai: «Voici -le moment!... Sauvez et protégez moi! Vous et votre famille, vous êtes -les amis que je cherche. Ne m'abandonnez pas au moment de l'épreuve». - ---«Grand Dieu! s'écria le vieillard, qui êtes-vous»? - -»Au même instant la porte de la chaumière s'ouvre; Félix, Safie et -Agathe entrèrent. Qui pourrait décrire l'horreur et la consternation -dont ils furent saisis en me voyant. Agathe s'évanouit; et Safie, -incapable de donner des soins à son amie, s'élança hors de la -chaumière. Félix s'avança, et avec une force surnaturelle, m'arracha -de son père aux genoux duquel je m'attachais; dans un transport de -fureur, il me renversa par terre, et me frappa avec violence d'un -bâton. J'aurais pu séparer ses membres, aussi facilement que le lion -déchire la gazelle; mais j'avais le cœur oppressé par la plus amère -douleur, et je me retins. Il se disposait à me frapper de nouveau; mais -vaincu par la douleur et le désespoir, je quittai la chaumière; et, -sans être aperçu, je parvins, au milieu du tumulte général, à -m'échapper jusque dans ma cabane». - - - - -CHAPITRE XV - - -»Maudit, maudit créateur! Pourquoi vivais-je? Pourquoi, dans cet -instant, n'ai-je pas éteint l'étincelle d'existence que vous m'aviez -si imprudemment donnée? Je ne sais; le désespoir ne s'était pas -encore emparé de moi; mes sentiments étaient ceux de la rage et de la -vengeance. J'aurais eu du plaisir à détruire la chaumière et ses -habitants, et je me serais rassasié de leurs cris et de leur malheur. - -»Dès que la nuit fut arrivée, je quittai ma retraite, et je me mis à -errer dans le bois: là, cessant d'être retenu par la crainte d'être -découvert, je donnai cours à mes tourments par des hurlements -horribles. Semblable à une bête féroce qui a rompu ses liens, je -détruisais les objets qui faisaient obstacle à mon passage, et je -traversais les bois avec la rapidité du cerf. Ah! que cette nuit fut -affreuse pour moi! Les froides étoiles brillaient dans les cieux, et -semblaient insulter à mon malheur: les arbres dépouillés agitaient -leurs branches au-dessus de ma tête; de temps en temps, la douce voix -d'un oiseau se lisait entendre au milieu du silence universel: tout, -excepté moi, jouissait du repos ou du bonheur. Semblable au chef des -Démons, je portais l'enfer en moi-même; sans avoir son génie, je -voulais déraciner les arbres, répandre le ravage et la destruction -autour de moi; et, après avoir assouvi ma fureur, m'asseoir sur les -ruines, et en jouir. - -»Je ne pus supporter ce dérèglement de sensations; je me sentis -accablé par l'excès de l'exercice auquel je m'étais livré, et je -tombai sur la terre humide dans la faible impuissance du désespoir. -Parmi les hommes, nul n'avait pitié de moi, nul ne me prêtait -assistance: devais-je amitié à mes ennemis? Non. De ce moment, je -déclarai une guerre éternelle à l'espèce humaine, et surtout à -celui qui, en me créant, me réduisait à ce malheur insupportable. - -»Le soleil se leva; j'entendis des voix d'hommes, et je jugeai -impossible de retourner, ce jour-là, dans ma retraite. En conséquence, -je me cachai dans quelque taillis épais, déterminé à passer le temps -à réfléchir sur ma situation. - -»Le doux éclat du soleil, et l'air pur du jour me rendirent un peu la -tranquillité. Je me rappelai ce qui s'était passé dans la chaumière, -et je ne pus m'empêcher de croire que j'avais été trop prompt dans -mes conclusions. J'avais certainement agi avec imprudence. Il était -clair que ma conversation avait intéressé le père en ma faveur, et -j'étais un insensé de m'être exposé à l'horreur de ses enfants. -J'aurais dû habituer le vieux de Lacey à moi-même, et ne me -découvrir au reste de sa famille, que lorsqu'elle aurait été -préparée à me voir. Cette erreur ne me parut pas irréparable. Je -méditai long-temps sur le parti que j'aurais à prendre, et je -m'arrêtai à celui de retourner à la chaumière, de m'adresser au -vieillard, et de le mettre dans ma cause par mes représentations. - -»Ces pensées me calmèrent, et me jetèrent, vers l'après-midi, dans -un profond sommeil; mais l'agitation de mon sang ne me permettait pas -d'être bercé par des rêves paisibles. L'horrible scène de la veille -se représentait sans cesse à mes yeux; les femmes fuyaient, et Félix, -rempli de fureur, m'arrachait aux pieds de son père. Je me réveillai -épuisé; et je profitai de la nuit, qui était déjà venue, pour -sortir de ma retraite, et pourvoir à ma nourriture. - -»Après avoir apaisé ma faim, je dirigeai mes pas vers le sentier bien -connu, qui conduisait à la chaumière. Tout était tranquille. Je -rentrai dans ma cabane, et je me mis à attendre l'heure à laquelle la -famille avait coutume de se lever. Cette heure se passa, le soleil -s'éleva dans les deux, et les habitants de la chaumière ne -paraissaient pas. Je tremblais avec violence, dans la crainte de quelque -malheur affreux. L'intérieur de la chaumière était sombre; aucun -mouvement ne se faisait entendre: je ne puis décrire l'agonie de cette -attente. - -»Dans ce moment deux paysans vinrent à passer, s'arrêtèrent auprès -de la chaumière, et causèrent ensemble en faisant des gestes violents; -mais je ne comprenais pas un mot de leur conversation, parce qu'ils -parlaient la langue du pays, qui différait de celle de mes protecteurs. -Bientôt après, cependant, Félix s'approcha d'un autre homme: je fus -surpris de voir qu'il n'avait pas quitté la chaumière ce matin; j'en -eus même quelqu'inquiétude, et je prêtai une oreille attentive pour -découvrir, dans ce qu'il dirait, le motif de ces visites -inaccoutumées». - -«Faites-vous attention, lui dit son compagnon, que vous serez obligé -de payer un loyer de trois mois, et de perdre le produit de votre -jardin? Je ne désire pas profiter d'un avantage injuste, et je demande -en conséquence que vous preniez quelques jours pour peser votre -détermination». - ---«C'est tout-à-fait inutile, répondit Félix; nous ne pouvons plus -désormais habiter votre chaumière. La vie de mon père est dans le -plus grand danger, à cause de l'évènement affreux que je vous ai -raconté. Ma femme et ma sœur ne reviendront jamais de leur terreur. Ne -raisonnons pas davantage sur ce sujet. Prenez possession de voire bien, -et laissez moi quitter ce lieu». - -»Félix tremblait violemment en parlant ainsi. Il entra, suivi de ses -compagnons, dans la chaumière, et partit au bout de quelques minutes. -Depuis, je n'ai jamais vu personne de la famille de M. de Lacey. - -»Pendant le reste du jour je restai dans ma cabane, accablé par un -désespoir profond et stupide. Mes protecteurs étaient partis, et -avaient rompu le seul lien qui m'attachait au monde. Pour la première -fois, mon cœur se remplit de sentiments de vengeance et de haine; au -lieu de chercher à les comprimer, je me laissais emporter par le -torrent, abandonnant mon esprit aux idées du mal et de la mort. Si je -me rappelais mes amis, la voix douce de M. de Lacey, les yeux attrayants -d'Agathe, et la beauté merveilleuse de l'Arabe, ces sombres pensées se -dissipaient, et un torrent de larmes coulait de mes yeux. Mais aussitôt -que je reportais ma pensée sur le mépris et l'abandon dans lequel je -me trouvais, ma colère se tournait en rage. Dans l'impuissance de nuire -à aucun objet humain, je dirigeai ma fureur sur des objets inanimés. -À l'approche de la nuit, je plaçai une grande quantité de -combustibles autour de la chaumière; et, après avoir détruit tout -vestige de culture dans le jardin, j'attendis avec la plus grande -impatience que la lune fut cachée pour commencer mes opérations. - -»À l'approche de la nuit, un vent terrible s'éleva, et dispersa -promptement les nuages qui couvraient le ciel: ce vent, dont la force -semblait égaler celle de l'avalanche, bouleversa mon esprit, et brisa -toute ma raison. J'allumai une branche d'arbre sèche, et je tournai -avec fureur autour de la chaumière maudite, les yeux incessamment -fixés sur l'ouest de l'horizon, dont la lune touchait presque le bord. -Une partie de son orbe fut enfin cachée, et je brandis ma branche; la -lune disparut, et je mis le feu, en poussant un cri, à la paille, aux -bruyères et aux genêts que j'avais rassemblés. Le vent augmenta la -violence du feu, et la chaumière fut aussitôt enveloppée et dévorée -par les flammes. - -»Dès que je fus convaincu qu'aucun secours ne pourrait sauver quelque -partie de l'habitation, je me retirai, en me dirigeant vers le bois, où -je cherchai un asile. - -»Maintenant que j'avais le monde devant moi, où devais-je porter mes -pas? Je résolus de fuir loin du théâtre de mes malheurs; mais pour -moi, haï et méprisé, tous les pays étaient également horribles. -Enfin, je pensai à vous. J'appris par vos papiers que vous étiez mon -père, mon créateur: à qui pouvais-je mieux m'adresser qu'à celui qui -m'avait donné la vie? Félix qui avait appris beaucoup de choses à -Safie, n'avait pas oublié de lui faire connaître la géographie: de -cette manière j'avais appris les situations respectives des -différentes contrées de la terre. Vous aviez indiqué que Genève -était votre patrie; je résolus de porter mes pas vers cette ville. - -»Comment faire pour m'orienter? Je savais qu'il fallait voyager dans -une direction sud ouest, pour arriver à ma destination; mais je n'avais -d'autre guide que le soleil. Je ne connaissais pas les noms des villes -que j'avais à traverser, et je ne pouvais demander des renseignements -à aucun être humain. Malgré ces difficultés, je ne perdis pas tout -espoir. Je ne pouvais attendre de secours que de vous, de vous qui ne -m'inspiriez d'autre sentiment que celui de la haine. Créateur -insensible et lâche! tu m'avais doué de sens et de passions, et tu -m'avais jeté dans le monde comme un objet de mépris et d'horreur pour -l'espèce humaine! Il n'y avait que vous à la pitié et à la justice -duquel je pusse prétendre, et je me déterminai à réclamer de vous -cette justice, que j'essayerais en vain d'obtenir de tout autre être -humain. - -»Mes voyages furent longs, et mes souffrances cruelles. L'automne -était avancé lorsque je quittai le lieu qui m'avait si longtemps servi -de résidence. Je ne voyageais que de nuit, dans la crainte de -rencontrer l'homme. La nature dépérissait autour de moi, et le soleil -devint sans chaleur; la pluie et la neige tombaient de toutes parts; de -grands fleuves étaient gelés; la surface de la terre était triste, -glacée, et nue, et je ne trouvais aucun asile. Ah, terre! combien de -fois ai-je vomi des imprécations contre celui qui m'avait créé! Je -n'avais plus la même douceur de caractère; je n'avais plus que fiel et -amertume. Plus j'approchais de votre habitation, plus je sentais -profondément dans mon cœur le désir de la vengeance. Je ne me -reposais pas, malgré la neige et la glace. Quelques incidents, et une -carte du pays, qui était tombée entre mes mains, servirent à me -diriger; mais souvent je m'égarais de mon chemin. L'horreur de mon -désespoir ne me laissait aucun repos: chaque incident était un motif -nouveau de rage et de malheur; mais une circonstance, que je vais -rapporter, redoubla l'amertume et l'horreur de mes sentiments. - -»J'étais arrivé sur les confins du Switzerland: le soleil avait -déjà plus de chaleur, et la terre commençait à se couvrir d'une -nouvelle verdure. - -»J'avais coutume de me reposer pendant le jour, et de ne voyager que de -nuit, pour éviter l'aspect de l'homme. Un matin, cependant, comme -j'avais à traverser un bois profond, je hasardai de continuer mon -voyage après le lever du soleil. C'était un des premiers jours du -printemps: le charme du soleil resplendissant, et la fraîcheur -embaumée de l'air m'inspirèrent un sentiment de joie. Je sentis -renaître dans mon cœur des émotions douces et agréables, qui depuis -long-temps paraissaient éteintes. Presque surpris par la nouveauté de -ces sensations, je me sentis entraîné jusqu'au point d'oublier ma -solitude et ma difformité; j'osai même goûter un moment de bonheur. -De douces larmes arrosèrent encore mes joues, et mes yeux humides se -levèrent avec reconnaissance vers l'astre bienfaisant auquel je devais -une semblable jouissance. - -»Je continuai à suivre les sentiers du bois, jusqu'à sa limite, -marquée par une rivière dont le lit paraissait profond et le cours -rapide, et dont les bords étaient ombragés par une grande quantité -d'arbres déjà verdoyants. Je m'arrêtai dans cet endroit, sans savoir -exactement le chemin que je suivrais, lorsque j'entendis des voix qui me -forcèrent à me cacher sous l'ombre d'un cyprès. J'étais à peine -sous cet arbre, qu'une jeune fille vint en courant vers l'endroit que -j'avais choisi, et en riant comme si elle fuyait quelqu'un pour badiner. -Elle continua sa course le long des bords escarpés du fleuve; mais, -venant tout-à-coup à glisser, elle tomba dans l'eau. Je m'élançai de -ma retraite, et après avoir longtemps lutté contre la force du -courant, je parvins à la sauver, et à l'amener sur le rivage. Elle -était sans connaissance; et j'essayais de la ranimer par tous les -moyens possibles, lorsque je fus brusquement interrompu par l'approche -d'un paysan, qui était probablement celui qu'elle avait fui en jouant. -À ma vue, il s'élança vers moi, arrachant la jeune fille de mes bras, -et courut vers la partie la plus épaisse du bois. Je le suivis -aussitôt, et presque machinalement; mais l'homme, en me voyant -approcher, ajusta sur moi le fusil qu'il portait, et fit feu. Je tombai, -et il s'échappa dans l'épaisseur du bois avec une nouvelle rapidité. - -»Telle était donc la récompense de ma bonté! J'avais sauvé de la -mort un être humain, et, pour récompense, je souffrais maintenant -d'une blessure qui avait déchiré la chair jusqu'aux os. Les sentiments -de bonté et de douceur, qui m'avaient animé peu d'heures auparavant, -firent place à une rage infernale et à des mouvements convulsifs. -Enflammé par la souffrance, je vouai une haine éternelle à toute -l'espèce humaine, et en méditant de terribles vengeances; mais -l'irritation de ma blessure m'accabla, suspendit les mouvements de mon -pouls, et me fit perdre les sens. - -»Pendant quelques semaines, je traînai ma malheureuse vie dans les -bois, en cherchant à soigner la blessure que j'avais reçue. La balle -était entrée dans mon épaule; et je ne savais si elle y était -restée, ou si elle avait traversé tout mon corps. Quoi qu'il en fût, -je n'avais aucun moyen de l'extraire. Mes souffrances s'aggravaient -encore du sentiment oppressif de l'injustice et de l'ingratitude qui en -était la cause. Dans mes vœux journaliers je demandais vengeance, une -vengeance entière et terrible, qui seule pourrait tenir lieu des -outrages et des angoisses que j'avais soufferts. - -»Après quelques semaines, ma blessure se guérit, et je continuai mon -voyage. Mes souffrances ne devaient plus être adoucies par l'éclat du -soleil, ou les douces brises du printemps; la joie n'était plus qu'une -ironie qui insultait à mon désespoir, et me faisait sentir plus -péniblement que je n'étais pas destiné à connaître le bonheur. - -»J'approchais cependant du terme de mon voyage; deux mois après, -j'arrivai dans les environs de Genève. - -»C'était le soir. Je me cachai dans les champs qui entourent cette -ville, pour songer de quelle manière je m'adresserais à vous. J'étais -accablé par la fatigue et la faim, et beaucoup trop malheureux pour -jouir des douces brises du soir, ou de la vue du soleil qui se couchait -derrière les imposantes montagnes du Jura. - -»Un léger sommeil m'arracha en ce moment à mes tristes réflexions; -mais il fut bientôt troublé par rapproche d'un bel enfant, qui vint, -en courant, et avec toute la gaîté de son âge, dans la retraite où -je m'étais placé. Tout-à-coup, en le voyant, j'eus la pensée que -cette petite créature était sans prévention, et avait vécu trop peu -de temps pour avoir horreur de la difformité. Si, donc, je pouvais le -prendre, et l'élever comme mon compagnon et mon ami, je ne serais plus -solitaire sur cette terre peuplée. - -»Cédant à cette pensée, je saisis l'enfant au passage, et le tirai -vers moi. À ma vue, il couvrit ses yeux de ses mains, et poussa un cri -d'effroi. J'ôtai de force la main qu'il tenait sur sa figure, et je lui -dis: «Enfant, que crains-tu? Je n'ai pas l'intention de te faire aucun -mal; écoute-moi». - -»Il se débattait avec violence:--«Laisse-moi m'en aller, -s'écria-t-il, monstre! vilain méchant! tu veux me manger, et me -déchirer en morceaux.... Tu es un ogre.... laisse-moi m'en aller, ou je -le dirai à papa». - ---«Mon enfant, tu ne reverras plus ton père; il faut que tu viennes -avec moi. - ---«Monstre affreux! laisse-moi partir; mon papa est syndic;--c'est M. -Frankenstein... Il te punirait, si tu osais me retenir». - ---«Frankenstein! tu appartiens donc à mon ennemi... à celui de qui -j'ai juré de tirer vengeance; tu seras ma première victime». - -»L'enfant se débattait encore, et me chargeait d'épithètes qui -portaient le désespoir dans mon cœur. Je lui pris le cou pour -l'empêcher de crier, et je le vis aussitôt tomber mort à mes pieds. - -«En contemplant ma victime, j'avais le cœur gonflé de joie et fier -d'un triomphe infernal. Je frappai des mains, en m'écriant: «Moi -aussi, je puis porter la désolation; mon ennemi n'est pas au-dessus de -mes atteintes; cette mort le jettera dans le désespoir, et mille autres -malheurs pourront l'affliger et l'accabler». - -»En fixant mes yeux sur l'enfant, j'aperçus un objet qui brillait sur -sa poitrine: je le pris, c'était le portrait d'une femme -très-séduisante. Tout pervers que j'étais, j'en fus transporté, et -je m'adoucis. Je contemplai quelques moments avec délices ses yeux -noirs ombragés par de longs cils, et ses lèvres gracieuses; mais -bientôt ma rage revint: je me rappelai que j'étais à jamais privé du -bonheur que l'on peut attendre d'aussi belles créatures; et que celle -dont je contemplais l'image, changerait, en me regardant, cet air divin -de bonté en une expression de dégoût et d'effroi. - -»Vous étonnerez-vous que de telles pensées me transportassent de -rage? Je m'étonne seulement que, dans ce moment, au lieu de donner -cours à mes sentiments en exclamations et en désespoir, je ne me sois -pas précipité au milieu de l'espèce humaine, et que je n'aie pas -péri en essayant de la détruire. - -»Accablé par ces sentiments, je quittai le lieu où j'avais commis le -meurtre. Je cherchais une retraite plus à l'écart, lorsque je vis une -femme passer auprès de moi. Elle était jeune, pas aussi belle que -celle dont je tenais le portrait, mais d'un aspect agréable, et -brillant de tout l'éclat de la jeunesse et de la santé. Voici, -pensais-je, une de celles qui sourient pour tout le monde, excepté pour -moi; elle n'échappera pas: grâce aux leçons de Félix, et aux lois -sanguinaires de l'homme, j'ai appris à préparer le mal. Je m'approchai -d'elle sans en être vu, et je mis le portrait dans une des poches de -son vêtement. - -»Pendant quelques jours j'allai souvent à l'endroit où ces scènes -avaient eu lieu: tantôt j'avais le désir de vous voir, tantôt -j'étais résolu à quitter pour toujours le monde et ses misères. -Enfin je vins dans ces montagnes, et j'ai erré dans leurs immenses -solitudes, consumé par une passion brûlante que vous seul pouvez -satisfaire. Nous ne nous séparerons pas que vous n'ayez promis de -consentir à ma requête. Je suis seul et malheureux; l'homme ne veut -pas m'admettre dans sa société; mais un être aussi difforme et aussi -horrible que moi-même ne me repousserait pas. Ma compagne doit avoir le -même extérieur et les mêmes défauts. Votre devoir est de la créer. - - - - -CHAPITRE XVI - - -Le monstre cessa de parler, et fixa les yeux sur moi, dans l'attente -d'une réponse; mais j'étais troublé, hors de moi, et incapable de -recueillir assez mes idées pour comprendre toute l'étendue de sa -proposition. Il continua: - -«Il faut me créer une femme avec qui je puisse vivre dans l'échange -de ces sentiments nécessaires à mon existence. Vous seul pouvez le -faire; et je vous le demande comme un droit que vous ne devez pas -refuser». - -La dernière partie de son histoire avait rallumé dans mon cœur la -colère qui s'était apaisée pendant le récit de sa vie paisible, -parmi les habitants de la chaumière, et, lorsqu'il prononça ces -derniers mots, je ne pus contenir plus long-temps la fureur qui me -consumait. - ---«Je refuse, répondis-je; et aucun supplice n'arrachera jamais mon -consentement. Tu peux me rendre le plus malheureux des hommes; mais tu -ne m'aviliras jamais à mes propres yeux. Irai-je créer un autre être -semblable à toi-même, et dont la méchanceté, jointe à la tienne, -désolerait le monde? Éloigne-toi! Je t'ai répondu; tu peux me -torturer; mais je ne consentirai jamais à ta demande». - ---«Vous avez tort, répliqua le Démon; et, au lieu de me servir de -menaces, je me contenterai de raisonner avec vous. Je suis méchant, -parce que je suis malheureux. Ne suis-je pas abandonné et haï par -toute l'espèce humaine? Vous, mon créateur, si vous me mettiez en -pièces, vous en triompheriez: souvenez-vous-en, et dites-moi pourquoi -j'aurais pour l'homme plus de pitié qu'il ne m'en témoigne. Vous ne -croiriez pas commettre un meurtre, si, me précipitant dans un de ces -abîmes de glace, vous me fessiez périr, moi, l'ouvrage de vos mains. -Respecterai-je l'homme lorsqu'il me méprise? Faites-le vivre avec moi -dans un échange de bontés; et, au lieu de lui nuire, je lui ferai -toutes sortes de biens en pleurant de reconnaissance de ce qu'il veut -bien les accepter. Mais il n'en saurait être ainsi; les sens humains -sont des barrières insurmontables à notre union. Cependant, les miens -ne se soumettront pas à un esclavage honteux. Je vengerai mes injures: -si je ne puis inspirer l'amour, j'inspirerai la crainte; et c'est -surtout à vous, mon plus grand ennemi, parce que vous êtes mon -créateur, que je jure une haine éternelle. Prenez-y garde: je -travaillerai à votre destruction, et je ne m'arrêterai pas que je -n'aie désolé votre cœur, de manière à ce que vous maudissiez -l'heure de voire naissance». - -Une rage infernale l'animait en prononçant ces paroles: sa figure se -ridait en contorsions trop horribles, pour que des yeux humains pussent -la regarder; mais il se calma promptement, et il ajouta: - -«Je voulais raisonner; mais mon emportement s'y oppose; et cependant -vous ne réfléchissez pas que vous êtes la cause de ses excès. Si un -être quelconque éprouvait pour moi quelques emotions de bienveillance, -je la lui rendrais au centuple; pour cet amour d'une seule créature, je -ferais la paix avec l'espèce entière! Mais je vois que je me laisse -aller à des rêves de bonheur qui ne peuvent se réaliser. Ce que je -vous demande est raisonnable et modéré; je veux une créature d'un -autre sexe, mais aussi hideuse que moi: ce présent est faible, mais -c'est tout ce que je puis recevoir et je serai content. Il est vrai que -nous serons des monstres séparés du monde entier; mais nous en serons -plus attachés l'un à l'autre. Nous ne vivrons pas heureux, mais nous -serons innocents, et à l'abri du malheur que j'éprouve maintenant. Ah! -mon créateur, rendez-moi heureux; qu'un seul bienfait me permette de -vous exprimer ma reconnaissance! Laissez-moi connaître le plaisir de -toucher le cœur d'un être existant; ne me refusez pas ce que je vous -demande»! - -Je fus touché. Je frissonnai en pensant aux conséquences que pourrait -avoir mon consentement; mais je sentis que ses raisonnements étaient -assez justes. Son histoire et les sentiments qu'il exprimait dans ce -moment, prouvaient quelque délicatesse. D'ailleurs, ne lui devais-je -pas, à titre de créateur, toute la portion de bonheur qu'il était en -mon pouvoir de lui accorder? Il remarqua un changement dans ce que -j'éprouvais, et il poursuivit. - -«Si vous consentez à ma demande, je ne paraîtrai jamais ni devant -vous, ni devant aucun être humain. J'irai dans les vastes déserts de -l'Amérique méridionale. Ma nourriture n'est pas celle de l'homme; je -n'égorge ni l'agneau, ni le chevreau, pour assouvir mon appétit: les -glands et les graines me suffisent. Ma compagne sera de la même nature -que moi, et se contentera de la même manière de vivre. Les feuilles -sèches nous serviront de lit; le soleil brillera pour nous comme pour -l'homme, et mûrira notre nourriture. Le tableau que je vous présente -est une image de paix et d'humanité: vous devez sentir que vous ne -pourriez contrarier mes vœux que par abus de pouvoir et par cruauté. -Tout à l'heure vous avez été sans pitié pour moi; je lis maintenant -la compassion dans vos regards; laissez-moi saisir le moment favorable, -laissez-moi obtenir la promesse de de ce que je désire si ardemment.» - ---«Tu te proposes, répondis-je, de t'éloigner de la demeure des -hommes, de vivre dans ces déserts où tu n'auras d'autre société que -celle des bêtes féroces. Comment pourras-tu persévérer dans cet -exil, toi qui désires l'amour et la sympathie de l'homme? Tu reviendras -rechercher encore leur amitié, et tu ne trouveras que leur haine; la -passion du mal se renouvellera, et tu auras alors une compagne pour -t'aider à détruire. Cela ne se peut; ne m'en parles plus, car je n'y -puis consentir». - ---«Quelle inconstance dans vos sentiments! Il n'y a qu'un moment vous -étiez ému par mes raisonnements; pourquoi vous endurcissez-vous contre -mes plaintes? Je vous jure, par la terre que j'habite, et par vous-même -qui m'avez créé, que je quitterai, avec la compagne que vous me -donnerez, le voisinage de l'homme, et que nous irons habiter dans le -lieu le plus sauvage. Je ne serai plus animé par le mal, car je -connaîtrai la sympathie: ma vie s'écoulera tranquillement; et, à mes -derniers moments, je ne maudirai pas mon créateur». - -Ses paroles firent sur moi un effet étrange. Je fus touché de -compassion, et je sentis un moment le désir de le consoler; mais, en le -regardant, en voyant la masse informe se mouvoir et parler, mon cœur se -souleva, et mes sentiments furent ceux de l'horreur et de la haine. Je -m'efforçai de les étouffer. Je pensai que, dans l'impossibilité de -sympathiser avec lui, je n'avais pas droit de le priver de la petite -portion de bonheur qu'il était encore en mon pouvoir de lui accorder. - ---«Tu jures d'être bon, lui dis-je; mais n'as-tu pas déjà montré un -degré de perversité tel que je pourrais avec raison me défier de toi? -Ne serait-ce pas une feinte pour accroître ton triomphe, en ouvrant une -plus vaste carrière à ta vengeance?» - ---«Qu'est-ce? Je croyais avoir excité votre compassion, et vous me -refusez encore le seul bienfait, qui puisse adoucir mon cœur et me -rendre bon! Si je n'ai ni devoirs, ni affection, la haine et le crime -seront mon partage; aimé d'un autre, je n'aurai plus de motif pour -être criminel, et tout le monde ignorera que j'existe. Mes défauts -viennent d'une solitude forcée que j'abhorre; et mes vertus se -formeront nécessairement dans la vie que je passerai avec une créature -semblable à moi. Je connaîtrai les affections d'un être sensible, et -je me rattacherai à la chaîne d'existence et d'évènements dont je -suis maintenant exclus.» - -Je me tus quelque temps, pour réfléchir à tout ce qu'il venait de -dire, et aux différents raisonnements dont il s'était servi. Je -pensais aux vertus qu'il avait promises au commencement de son -existence; je compris que tout bon sentiment avait été éteint en lui -par le dégoût et le mépris qu'il avait éprouvé de ses protecteurs. -Je n'oubliai pas dans mon calcul son pouvoir et ses menaces: une -créature qui pouvait exister dans les froides cavernes des glaciers, et -éviter les poursuites au milieu de précipices inaccessibles, était un -être qui possédait des facultés contre lesquelles il serait inutile -de lutter. Après un long silence de réflexion, je conclus que la -justice qui lui était due, celle qui était due à mes semblables, -exigeait que je consentisse à sa demande. Je me tournai vers lui, en -disant: - -«Je consens à ta demande; mais j'exige le serment solennel que tu -quitteras pour toujours l'Europe, et tout autre lieu dans le voisinage -de l'homme, dès que je remettrai entre tes mains une femme qui -t'accompagnera dans ton exil». - ---«Je jure, s'écria-t-il, par le soleil et la voûte azurée du ciel, -que, si vous vous rendez à ma prière, tant qu'ils existeront, vous ne -me reverrez jamais. Retournez chez vous, et commencez vos travaux: -j'observerai leurs progrès avec une sollicitude inexprimable; mais -soyez sans crainte, je ne paraîtrai que quand vous serez prêt». - -À ces mots, il me quitta brusquement, dans la crainte, peut-être, de -quelque changement dans mes sentiments. Je le vis descendre la montagne -avec plus de rapidité que le vol d'un aigle, et je le perdis bientôt -de vue parmi les ondulations de la mer de glace. - -Son histoire avait duré toute la journée, et le soleil était sur le -bord de l'horizon lorsqu'il partit. Il était tard: je devais me hâter -de descendre vers la vallée, pour n'être pas enveloppé par -l'obscurité; mais mon cœur était oppressé, et ma marche lente. -J'étais retardé par la difficulté de courir parmi les petits sentiers -des montagnes, par l'embarras que j'éprouvais à poser mes pieds avec -fermeté, et par les émotions dont j'étais occupé, et auxquelles -avaient donné lieu les diverses circonstances de la journée. La nuit -était fort avancée lorsque j'arrivai à moitié route du lieu de -repos. Je m'assis auprès de la fontaine. Les étoiles étaient tantôt -brillantes, tantôt cachées par les nuages; les sombres pins -s'élevaient devant moi, et de temps en temps des arbres brisés et -renversés par terre s'offraient sous mes pas. La scène était d'une -solennité imposante, et fit naître en moi d'étranges pensées. Je -pleurai avec amertume, et je frappai mes mains avec désespoir, en -m'écriant: «Ô étoiles, vents et nuages, vous allez tous me railler: -si vous avez réellement pitié de moi, ôtez-moi les sens et la -mémoire; anéantissez-moi; et, si vous n'écoutez pas ma prière, -fuyez, fuyez, et laissez-moi dans les ténèbres»! - -Ces idées étaient extravagantes et tristes; mais je ne puis vous -décrire combien j'étais accablé par l'éclat des étoiles, et combien -je prêtais l'oreille à chaque coup de vent, comme s'il devait -m'entrainer pour me détruire. - -Le matin venait de paraître, et je n'étais pas encore arrivé au -village de Chamouny. À mon retour, mon air hagard et étrange fut peu -propre à calmer les craintes de ma famille, qui, toute la nuit, avait -attendu mon retour avec inquiétude. - -Le jour suivant, nous retournâmes à Genève. L'intention de mon père, -en entreprenant ce voyage, avait été de me distraire, et de me rendre -la tranquillité que j'avais perdue; mais le remède était loin d'avoir -réussi. Ne pouvant se rendre compte de l'excessive douleur dont je -paraissais souffrir, il se hâta de retourner à la maison, dans -l'espoir que le repos et la monotonie d'une vie domestique adouciraient -insensiblement mes souffrances, quelle qu'en fût la cause. - -Pour moi, j'étais indifférent à tous leurs arrangements, et la tendre -affection de ma bien aimée Élisabeth ne pouvait m'arracher à mon -désespoir; la promesse, que j'avais faite au Démon, pesait sur mon -esprit comme le capuchon de fer du Dante sur la tête des hypocrites en -enfer. Tous les plaisirs de la terre et du ciel passaient devant moi -comme un songe, et cette pensée seule avait pour moi la réalité de la -vie. Devez vous vous étonner que je sois quelquefois possédé d'une -sorte de démence; ou que je voie continuellement autour de moi une -multitude d'animaux infâmes, et qui m'accablent d'un supplice -continuel, dont l'horreur m'arrache souvent des cris et des -gémissements? - -Cependant, ces sentiments se calmèrent insensiblement. Je repris les -habitudes journalières de de la vie, sinon avec intérêt, du moins -avec assez de tranquillité. - - - - -FIN DU TOME DEUXIÈME - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 2 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62405-0.txt or 62405-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62405/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 2 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62405] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - -</pre> - - -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<img src="images/frankenstein02_cover.jpg" width="500" alt="" /> -</div> - - -<h2>FRANKENSTEIN,</h2> - -<h4>OU</h4> - -<h2>LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h2> - -<h4>DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,</h4> - -<h5>AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.</h5> - -<h3>Par M<sup>me</sup> SHELLY, sa nièce.</h3> - -<h4>TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***</h4> - -<p><span style="margin-left: 20em;">Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">l'argile pour me faire homme? T'ai-je</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">sollicité de m'arracher du néant?</span></p> - -<p style="margin-left: 50%;">MILTON, <i>Paradis perdu.</i></p> - -<h4>TOME DEUXIÈME</h4> - -<h5>PARIS,</h5> - -<h5>CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE</h5> - -<h5>PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.</h5> - -<h5>1821</h5> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<p>TABLE</p> -<p><a href="#CHAPITRE_VIII">CHAPITRE VIII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_IX">CHAPITRE IX</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_X">CHAPITRE X</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XI">CHAPITRE XI</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XII">CHAPITRE XII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XIII">CHAPITRE XIII</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XIV">CHAPITRE XIV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XV">CHAPITRE XV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_XVI">CHAPITRE XVI</a></p> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<h4>FRANKENSTEIN,<br /> - -OU<br /> - -LE PROMÉTHÉE MODERNE</h4> - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_VIII">CHAPITRE VIII</a></h4> - - -<p>Rien n'est plus pénible pour le cœur de l'homme, que le calme glacial -qui succède aux sentiments divers soulevés par une suite rapide -d'événements, et la certitude qui enlève en même temps l'espérance -et la crainte. Justine n'était plus! Et moi je vivais! Le sang -circulait librement dans mes veines; mais mon cœur était oppressé par -le désespoir et le remords, dont rien ne pouvait me délivrer. Le -sommeil fuyait de mes yeux, j'errais comme un mauvais génie, certain -d'avoir causé d'horribles malheurs, et convaincu que j'en préparais de -plus horribles encore. Cependant je portais dans le cœur des sentiments -de bonté et l'amour de la vertu. J'avais commencé la vie avec des -intentions bienveillantes; et je désirais arriver au moment où je -pourrais en faire preuve, et me rendre utile à mes semblables. -Maintenant tout était changé: au lieu de cette paix de conscience, qui -me permettait de jeter avec satisfaction les yeux sur le passé, et qui -donnait à mes espérances une force nouvelle, j'éprouvais le remords -et le sentiment du crime, qui me livraient à des tourments affreux et -difficiles à dépeindre.</p> - -<p>Cette situation d'esprit influa sur ma santé, dont le rétablissement -était complet. Je fuyais la présence des hommes; j'étais tourmenté -par la joie et le bonheur des autres; je ne trouvais de consolation que -dans la solitude... dans une solitude profonde, terrible, semblable à -la mort.</p> - -<p>Mon père s'aperçut avec peine que mon caractère et mes habitudes -étaient sensiblement changés. Il essaya de me prouver, par des -raisonnements, combien j'avais tort de m'abandonner à un chagrin -immodéré. «Pensez-vous, Victor, dit-il, que je ne souffre pas comme -vous? Il est impossible d'aimer plus un enfant que je n'aimais votre -frère (des larmes vinrent mouiller ses yeux); mais n'est-t-il pas du -devoir de ceux qui survivent, de chercher à ne pas augmenter leur -malheur, en laissant paraître l'excès du chagrin? C'est aussi un -devoir pour vous-même; car la douleur excessive éteint toutes les -facultés, ou rend même incapable de remplir les devoirs journaliers, -sans lesquels l'homme n'est pas propre à la société».</p> - -<p>Cet avis était bon; mais il n'était nullement applicable à ma -position. J'aurais été le premier à cacher mon chagrin et à consoler -mes amis, si le remords ne s'était mêlé à mes autres sentiments. Je -ne pus alors répondre à mon père qu'avec un regard de désespoir; et, -depuis, je cherchai à me dérober à sa vue.</p> - -<p>Vers cette époque, à peu près, nous nous retirâmes à notre maison -de Belrive. Ce changement me fut particulièrement agréable. Notre -résidence à Genève n'était pas sans inconvénients; car, les portes -de la ville étant régulièrement fermées à dix heures, il était -impossible de rester plus tard sur le lac. J'étais libre alors.</p> - -<p>Souvent, dans la nuit, quand toute la famille reposait, je prenais une -barque et passais plusieurs heures sur l'eau. Tantôt, en déployant les -voiles, j'étais poussé par le vent; tantôt, après avoir ramé -jusqu'au milieu du lac, je laissais le bateau suivre son propre cours, -en m'abandonnant à mes tristes réflexions. Souvent tout était -tranquille autour de moi; seul, j'étais agité au milieu des scènes -belles et majestueuses qui étaient sous mes yeux, et dont le silence -n'était interrompu que par le cri des chauves-souris, ou le croassement -des grenouilles voisines du rivage; eh bien! souvent j'étais tenté de -me plonger dans le lac silencieux, pour que les eaux m'engloutissent à -jamais avec tous mes malheurs; mais j'étais retenu en pensant à la -douleur de l'héroïque Élisabeth, que j'aimais tendrement, et dont -l'existence était attachée à la mienne. Je pensais aussi à mon -père, et au frère qui me restait: les laisserai-je, par une lâche -désertion, exposés, sans protection, à la méchanceté du Démon que -j'avais lancé au milieu d'eux?</p> - -<p>Dans ces moments, des larmes amères inondaient mon visage. Je désirais -que la paix rentrât dans mon esprit, mais je ne la voulais que pour -leur offrir des consolations et le bonheur. Vains désirs! le remords -m'ôtait toute espérance. J'avais causé des maux irréparables, et -j'étais continuellement agité par la crainte, que le monstre que -j'avais créé, ne commit quelque nouveau forfait. J'avais un -pressentiment confus que tout n'était pas fini, et qu'il commettrait -encore quelque crime signalé, et dont l'énormité effacerait presque -le souvenir du passé. J'avais toujours sujet de craindre, dès qu'une -personne qui m'était chère, restait en arrière. On ne peut se figurer -l'horreur que m'inspirait ce démon. Si je pensais à lui, mes dents se -serraient, mes yeux s'enflammaient, et je brûlais d'ôter cette vie que -j'avais donnée avec tant d'imprudence. Si je pensais à ses crimes et -à sa méchanceté, ma haine et ma vengeance passaient toutes les bornes -de la modération. Je serais monté au sommet le plus élevé des Andes, -si j'avais pu, de là, le précipiter à leur pied. Je désirais le -revoir, afin de faire retomber ma colère sur sa tête, et de venger la -mort de Guillaume et de Justine.</p> - -<p>Notre maison était celle du deuil. La santé de mon père était -fortement ébranlée par l'horreur des derniers événements. Élisabeth -était triste et découragée: elle ne trouvait plus de bonheur dans ses -occupations accoutumées; il lui semblait que tout plaisir était un -sacrilège envers les morts; elle pensait qu'une douleur éternelle et -les larmes étaient le juste tribut qu'elle devait payer à l'innocence -indignement sacrifiée. Ce n'était plus cette heureuse personne qui, -quelques années auparavant, errait avec moi sur les bords du lac, et -parlait avec ravissement de notre avenir. Elle était devenue grave, et -parlait souvent de l'inconstance de la fortune, et de l'instabilité de -la vie humaine.</p> - -<p>«En réfléchissant, mon cher cousin, disait-elle, à la mort -malheureuse de Justine Moritz, je ne vois plus le monde et ses œuvres, -comme ils me paraissaient autrefois. Avant cette fin tragique, je ne -voyais, dans les actions vicieuses et dans les injustices, que je lisais -dans les livres ou dont j'entendais le récit, que des contes -d'autrefois, ou des maux imaginaires; du moins ils étaient éloignés, -et plus familiers à la raison qu'à l'imagination; mais maintenant le -malheur a pénétré parmi nous, et les hommes me paraissent comme -autant de monstres altérés de sang. Il faut cependant que je sois -injuste. Tout le monde a cru la pauvre fille coupable; et, certes, si -elle avait commis le crime qui l'a conduite à l'échafaud, elle serait -la plus perverse des créatures humaines. Pour quelques bijoux, -assassiner le fils de sa bienfaitrice et amie, enfant dont elle avait -pris soin depuis sa naissance, et qu'elle paraissait aimer comme le -sien! Je ne donnerais mon consentement à la mort de personne; mais je -n'aurais pas hésité à regarder un être semblable comme indigne de -rester dans le sein de la société: cependant elle était innocente. Je -sais, je sens qu'elle l'était; vous partagez cette conviction, et votre -opinion confirme la mienne. Hélas! Victor, quand le mensonge prend si -bien l'air de la vérité, qui peut être assuré d'un bonheur certain? -J'éprouve le même sentiment que si je marchais sur le bord d'un -précipice, auprès duquel mille personnes seraient rassemblées, et -chercheraient à me pousser dans l'abîme. Guillaume et Justine ont -été assassinés, et le meurtrier échappe; il reste dans le monde, -libre? et peut-être respecté. Je serais condamnée à mourir sur -l'échafaud pour les mêmes crimes, que je ne voudrais pas changer de -sort avec un être semblable».</p> - -<p>J'écoutai ce discours dans la plus extrême agitation. J'étais le -véritable meurtrier, non par le fait, mais par l'effet. Élisabeth -remarqua facilement mon angoisse, prit ma main avec bonté, et me dit: -«Mon bien cher cousin, il faut vous calmer. Dieu sait combien j'ai -été affectée de ces événements; mais je ne suis pas aussi -malheureuse que vous. Il y a, dans votre figure, une expression de -désespoir, et quelquefois de vengeance, qui me fait trembler. Soyez -calme, mon cher Victor; je sacrifierai ma vie pour votre repos. Nous -serons certainement heureux au sein de notre pays natal, et loin du -monde, qui pourra troubler notre tranquillité»?</p> - -<p>En parlant ainsi, elle versait des larmes, et semblait se refuser aux -consolations mêmes qu'elle me donnait; mais, en même temps, elle -sourit, afin d'écarter le sombre nuage qui m'entourait. Mon père, à -qui l'expression des malheurs, empreinte sur mon visage, ne semblait que -l'exagération de ce chagrin, que je devais naturellement éprouver, -pensa qu'un amusement conforme à mon goût, serait le meilleur moyen de -me rendre cette tranquillité d'esprit dont je jouissais auparavant. -C'est dans cette vue qu'il était venu à la campagne; ce fut dans la -même vue qu'il nous proposa de faire tous ensemble une excursion dans -la vallée de Chamouny. Je l'avais déjà parcourue; mais Élisabeth et -Ernest ne la connaissaient pas; et tous deux avaient souvent témoigné -un vif désir de voir un endroit, dont on leur avait dépeint les -merveilles et la magnificence. Nous partîmes de Genève, pour cette -tournée, vers le milieu du mois d'août, c'est-à-dire, près de deux -mois après la mort de Justine.</p> - -<p>Le temps était singulièrement beau; et, si mon chagrin eut été de -nature à se dissiper par quelque distraction, l'excursion que nous -avions entreprise, aurait certainement eu le résultat que mon père se -proposait. Je ne pus néanmoins m'empêcher d'être touché de la -beauté de la scène; elle me faisait quelquefois oublier mon chagrin, -sans pouvoir l'effacer. Pendant le premier jour, nous voyageâmes en -voiture. Le matin nous avions aperçu, de loin, les montagnes vers -lesquelles nous nous avancions insensiblement. Nous vîmes le vallon à -travers lequel nous montions, et qui était formé par la rivière -d'Arve, dont nous suivions le cours, se refermer sur nous par degrés; -et, au coucher du soleil, nous nous trouvâmes entourés, de tous -côtés, d'immenses montagnes et de précipices; nous entendions la -rivière rouler avec fracas parmi les rochers, et les cascades jaillir -bruyamment autour de nous.</p> - -<p>Le lendemain, nous continuâmes notre voyage sur des mules. Plus nous -nous élevions, plus l'aspect de la vallée était magnifique et -enchanteur. Les châteaux en ruine, suspendus sur les précipices, des -montagnes couvertes de pins, l'Arve impétueux, les hameaux qu'on voyait -de tous côtés parmi les arbres, tout formait une scène d'une beauté -singulière. Elle paraissait plus belle et plus sublime, vue du côté -des Alpes, dont la cime et les pyramides blanches et brillantes -s'élevaient au-dessus de nous, et semblaient appartenir à une autre -terre habitée par une autre race d'hommes.</p> - -<p>Nous passâmes le pont de Pélissier; là, le ravin que forme la -rivière s'ouvrit devant nous, et nous nous mimes à gravir la montagne -qui le domine. Bientôt après nous entrâmes dans la vallée de -Chamouny, plus merveilleuse et plus sublime, mais non aussi belle et -aussi pittoresque que celle de Servox que nous venions de traverser. -Elle était bornée par de hautes montagnes couvertes de neige; mais -nous ne vîmes plus de châteaux en ruines, ni de campagnes fertiles. -D'immenses glaciers bordaient la route; nous entendions les avalanches -tomber avec un bruit semblable au roulement du tonnerre; nous pouvions -même distinguer l'espèce de fumée qu'elles laissaient sur leur -passage. Le mont Blanc, le suprême et magnifique mont Blanc, s'élevait -du milieu des pics dont il est entouré, et de sa cime terrible dominait -toute la vallée.</p> - -<p>Pendant ce voyage, j'étais quelquefois avec Élisabeth, occupé à lui -faire remarquer les différentes beautés de la scène. Souvent je -retenais ma mule en arrière, pour me livrer à mes douloureuses -réflexions. D'autres fois, je poussais l'animal au-devant de mes -compagnons, pour les oublier, eux, le monde, et moi-même par dessus -tout. Lorsque j'étais à quelque, distance, je mettais pied à terre, -et me jetais sur le gazon, accablé par l'horreur et le désespoir. Nous -arrivâmes à Chamouny à huit heures du soir. Mon père et Élisabeth -étaient très-fatigués; Ernest, qui nous accompagnait, était content -et dispos. La seule chose qui le contrariât dans son plaisir, était le -vent du sud, et la pluie, dont ce vent semblait être le précurseur.</p> - -<p>Nous nous retirâmes de bonne heure dans nos appartements. Je ne sais si -ma famille trouva le sommeil, du moins je ne dormis pas. Je restai -plusieurs heures à ma fenêtre, à observer la pâle lueur qui -éclairait le sommet du mont Blanc, et à écouter le bruit de l'Arve, -qui coulait sous ma fenêtre.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_IX">CHAPITRE IX</a></h4> - - -<p>Le lendemain, malgré les prédictions de nos guides, le temps fut beau, -mais nuageux. La source de l'Arveyron fut le premier but de notre -curiosité: puis, nous parcourûmes la vallée jusqu'au soir. Ces -scènes sublimes et magnifiques étaient la plus grande consolation que -je pusse recevoir. Elles élevaient mes idées; et, si elles ne -pouvaient bannir mon chagrin, du moins elles parvenaient à le dompter -et à le calmer. Elles faisaient aussi quelque diversion dans mon -esprit, aux pensées dont il était occupé depuis un mois. Je rentrai -le soir, fatigué, mais moins malheureux, et je pus causer avec ma -famille, plus gaîment qu'il ne m'était arrivé depuis quelque temps. -Mon père était satisfait, et Élisabeth pleine de joie: «Mon cher -cousin, dit-elle, vous voyez quel bonheur vous répandez dès que vous -êtes heureux; ne succombez plus à la tristesse».</p> - -<p>Le jour suivant, vers le matin, la pluie tomba par torrents, et d'épais -brouillards cachèrent la cime des montagnes. Je me levai de bonne -heure, avec un sentiment de mélancolie extraordinaire. Le temps me -causait une impression dont je n'étais pas le maître: je revins à mes -anciennes idées, et je retombai dans ma douleur. Je savais combien mon -père serait surpris de ce changement subit: je voulus l'éviter -jusqu'à ce que je fusse assez remis, pour pouvoir cacher les sentiments -qui m'accablaient. Je savais aussi qu'on passerait la journée dans -l'auberge; je résolus d'aller seul sur le sommet du mont Anvert, sans -craindre la pluie, l'humidité et le froid, que j'étais accoutumé à -supporter. Je me souvenais de l'effet terrible et toujours nouveau, dont -mon esprit fut frappé, lorsque je vis ce glacier pour la première -fois. Son aspect m'avait alors rempli d'un ravissement sublime, qui -donnait des ailes à l'âme, et la transportait de ce monde de -ténèbres, dans un séjour de lumière et de joie. La vue des beautés -de la nature avait toujours l'effet d'élever mon esprit, et de me faire -oublier les soucis passagers de la vie. Je connaissais le chemin: je -résolus d'aller seul; je n'aurais voulu emmener personne; car la -grandeur solitaire de la scène aurait cessé d'exister.</p> - -<p>La pente est escarpée, mais la route est coupée de petits détours -sans fin, au moyen desquels on peut gravir la direction perpendiculaire -de la montagne. C'est une scène effrayante de désolation. On voit dans -mille endroits les traces de l'avalanche d'hiver: la terre est jonchée -d'arbres brisés et renversés; les uns sont entièrement détruits, -d'autres sont couchés sur les rochers saillants de la montagne, ou sur -d'autres arbres qu'ils traversent. Plus haut, la route est entrecoupée -par des ravins de neige, au fond desquels des pierres roulent -continuellement; l'un d'eux est surtout si dangereux, que le plus léger -bruit, par exemple, la voix d'une personne qui parle haut, donne à -l'air une commotion suffisante pour attirer la mort sur sa tête. Les -pins ne sont ni grands ni touffus, mais sombres, et ajoutent à la -sévérité de la scène. Je regardai la vallée qui était au-dessous -de moi; d'épais brouillards, s'élevant des rivières qui la -traversent, couronnaient les montagnes opposées, dont les sommets -étaient cachés dans les nuages uniformes, tandis que la pluie tombait -abondamment d'un ciel noir, et augmentait l'impression mélancolique que -je recevais de ces divers tableaux. Hélas! pourquoi l'homme se -glorifie-t-il d'avoir des sensations supérieures à celles de la brute, -puisqu'elles ne servent qu'à multiplier ses besoins? Si nous étions -bornés à éprouver la faim, la soif et le désir, nous serions presque -libres; mais nous sommes émus par le moindre vent, par un mot prononcé -au hasard, ou par le souvenir que réveille ce mot.</p> - - -<blockquote> -<p>Voulons-nous nous reposer? un rêve a le pouvoir d'agiter notre sommeil. -Voulons-nous quitter le lit? une seule pensée peut troubler la -journée. Sentir, concevoir, ou raisonner; rire ou pleurer; s'abîmer -dans le malheur, ou bannir les soucis, n'est qu'une seule et même -chose; car il y a une fin, ou au chagrin, ou à la joie. Les jours ne -peuvent se ressembler; rien ne peut durer; tout est variable!</p></blockquote> - - -<p>Il était presque midi lorsque j'arrivai au sommet de la montagne. Je -m'assis quelque temps sur le rocher qui domine la mer de glace. Elle -était couverte de brouillards; les montagnes qui l'entourent en -étaient également voilées. Dans ce moment, une brise dissipa le -nuage, et je descendis sur le glacier. Sa surface est très-inégale: -elle s'élève ou s'abaisse comme les flots d'une mer agitée, et parait -sillonnée de crevasses profondes. La plaine de glace a près d'une -lieue d'étendue: je mis près de deux heures à la traverser. La -montagne opposée est un rocher nu et perpendiculaire. En face de moi, -s'élevait le mont Anvert, à la distance d'une lieue, et au-dessus le -mont Blanc avec une majesté terrible. Je m'arrêtai dans une crevasse -du rocher, à contempler cette scène merveilleuse et effrayante. La -mer, ou plutôt le vaste fleuve de glace, était renfermé dans des -montagnes, dont les cimes aériennes dominaient les abîmes. Leurs pics, -couverts de glace et éclatants, brillaient à la lumière du soleil -parmi les nuages. Mon cœur, qui, auparavant, était plein de tristesse, -éprouva alors une sorte de joie, et je m'écriai: «Esprits errants, -s'il est vrai que vous soyez errants, et que vous ne reposiez pas dans -vos lits étroits, accordez-moi ce faible bonheur, ou enlevez-moi aux -plaisir de la vie pour me porter parmi vous».</p> - -<p>À ces mots, je vis tout à coup un homme à quelque distance, qui -s'avançait vers moi avec une rapidité surnaturelle. Il franchissait -les crevasses de glace, parmi lesquelles j'avais marché avec -précaution; il s'approcha, et me parut d'une stature qui excédait -celle d'un homme. Je fus troublé: un brouillard couvrit mes yeux, et je -me sentis évanouir; mais je fus bientôt remis par le vent froid des -montagnes. En portant les yeux sur l'être qui approchait de plus en -plus, je reconnus (objet de haine et d'effroi), celui que j'avais -créé. Je frissonnai de rage et d'horreur, décidé à attendre son -approche, et à engager avec lui un combat mortel. Il approcha; sa -figure exprimait une douleur amère, mêlée de dédain et de -perversité, et portait en même temps l'empreinte d'une laideur trop -horrible, pour être supportable aux yeux des hommes. Mais je la -remarquai à peine; la colère et la haine m'avaient d'abord privé de -l'usage de la parole, et je ne la recouvrai que pour l'accabler de -l'expression de ma fureur, de ma haine et de mon mépris.</p> - -<p>«Démon, m'écriai-je, oses-tu venir près de moi? et ne crains-tu pas -que je fasse tomber sur ta tête, le poids de ma terrible vengeance? -Éloigne-toi, vil insecte, ou plutôt demeure, afin que je te réduise -en poudre!.... Ah! si je pouvais, en terminant ta malheureuse existence, -rendre à la vie ces victimes que tu as si méchamment immolées»!</p> - -<p>—«Je m'attendais à cette réception, dit le démon; le monde hait les -malheureux. Combien alors je dois être détesté, moi qui suis plus -malheureux qu'aucun être vivant! Vous aussi, mon créateur, vous me -détestez, et me méprisez, moi qui vous dois l'existence, et à qui -vous êtes attaché par des liens que la mort de l'un de nous pourra -seule dissoudre. Vous voulez me tuer? Comment oser vous jouer ainsi de -la vie? Faites votre devoir envers moi; je ferai le mien envers vous et -le reste de l'espèce humaine. Si vous consentez à mes conditions, je -ne troublerai ni vous, ni elle; mais si vous vous y refusez, je -rassasierai la mort, jusqu'à ce qu'elle regorge du sang de vos derniers -amis».</p> - -<p>—«Monstre abhorré! Démon que tu es! les tortures de l'enfer sont une -vengeance trop douce pour tes crimes. Misérable démon! tu me reproches -de t'avoir créé; viens donc, que j'arrache l'existence que je t'ai si -imprudemment donnée».</p> - -<p>Ma rage était au comble: je m'élançai vers lui, poussé par tous les -sentiments qui peuvent animer un homme, contre l'existence d'un autre.</p> - -<p>Il m'échappa sans peine, et me dit: «Calmez-vous! Je vous engage à -m'écouter, avant de donner cours à votre haine contre ma tête -maudite. N'ai-je pas assez souffert, sans que vous cherchiez à aggraver -mon malheur! Quoique la vie ne soit qu'une accumulation de tourments, -elle m'est chère, et je la défendrai. Souvenez-vous que vous m'avez -fait plus puissant que vous ne l'êtes vous-même; ma taille est -supérieure à la vôtre; mes membres sont plus souples; mais je -n'essaierai pas de lutter avec vous. Je suis votre créature; et je veux -être doux et docile envers le maître et le roi que la nature m'a -donné, si vous remplissez envers moi les devoirs qui vous sont -confiés. Ah! Frankenstein, ne soyez pas équitable pour les autres, et -assez injuste envers moi, pour me fouler aux pieds, moi, pour qui votre -justice, votre clémence et votre affection devraient être réservées. -Souvenez-vous que je suis votre créature. Je devrais être pour vous un -Adam; mais je suis plutôt l'ange déchu, que vous privez du bonheur, -sans que j'aie commis aucun forfait. Partout je vois le bonheur, dont je -suis seul irrévocablement exclus. J'étais bienveillant et bon; le -malheur m'a rendu semblable au génie du mal. Rendez-moi heureux, et je -pratiquerai encore la vertu».</p> - -<p>—«Éloigne-toi, je ne veux pas t'entendre. Il ne peut y avoir rien de -commun entre toi et moi; nous sommes ennemis. Éloigne-toi, ou essayons -nos forces dans un combat, où l'un de nous devra succomber».</p> - -<p>—«Comment pourrais-je vous émouvoir? Rien ne vous portera à jeter un -regard favorable sur votre créature, qui implore votre bonté et votre -compassion. Croyez-moi, Frankenstein: j'étais porté au bien; mon âme -respirait l'amour de l'humanité: mais ne suis-je pas isolé, -misérablement isolé dans la nature? Vous m'abhorrez, vous qui êtes -mon créateur; quel espoir puis-je avoir en vos semblables, qui ne me -doivent rien? Ils me méprisent et me haïssent. Les montagnes désertes -et les affreux glaciers sont mon refuge. J'ai erré ici pendant -plusieurs jours; les cavernes de glace, que seul je ne crains pas, sont -une demeure pour moi, et la seule que l'homme n'envie point. Je reste -dans ces climats glacés, qui me sont plus favorables que l'homme. Si -toute l'espèce humaine savait que j'existe, elle ferait comme vous, et -s'armerait pour me détruire. Ne dois-je pas haïr, à mon tour, ceux -qui m'abhorrent? Je ne garderai aucune mesure avec mes ennemis. Je suis -malheureux, et ils partageront mon malheur. Cependant, il est en votre -pouvoir d'adoucir mon sort, et de le délivrer d'un démon, qui, si vous -n'y prenez garde, peut devenir si terrible, que, non-seulement vous et -votre famille, mais mille autres seront enveloppés dans sa rage. -Laissez-vous aller à la pitié, et ne me dédaignez pas. Écoutez mon -histoire: lorsque vous l'aurez entendue, abandonnez-moi, ou ayez pitié -de moi, selon que vous m'en jugerez digne; mais, écoutez-moi. Les -criminels ont obtenu des lois humaines, toutes cruelles qu'elles soient, -le droit de parler pour leur propre défense, avant d'être condamnés. -Écoutez-moi, Frankenstein. Vous m'accusez d'un meurtre; et, cependant, -vous détruiriez avec joie votre propre créature. Ah! louez -l'éternelle justice de l'homme! Cependant, je ne vous demande pas de -m'épargner: écoutez-moi; et alors, si vous pouvez, et si vous le -voulez, détruisez l'ouvrage de vos mains».</p> - -<p>—«Pourquoi me rappelles-tu des circonstances dont la pensée me fait -frissonner, et que j'ai créées moi-même pour mon malheur? Maudit soit -le jour, Démon exécrable, où tu vis, pour la première fois, la -lumière! Maudites soient les mains qui t'ont formé! Malédiction sur -moi-même! Tu m'as rendu malheureux au-dessus de toute expression. Tu ne -m'as pas laissé la force de voir si je suis juste ou injuste envers -toi: Éloigne-toi! délivre-moi de la vue de ta forme détestée».</p> - -<p>—«Je puis vous en délivrer, mon créateur, dit-il, en plaçant, -devant mes yeux, ses mains que je repoussai avec violence; ainsi, j'ôte -à votre vue ce que vous abhorrez. Vous pouvez encore m'écouter, et -m'accorder votre pitié: je vous la demande, au nom des vertus que j'ai -possédées autrefois. Écoutez mon histoire; elle est longue et -étrange, et la température de ce lieu n'est pas bonne pour vos -sensations délicates; venez dans ma cabane sur la montagne. Le soleil -est encore élevé dans les cieux; avant qu'il descende pour se cacher -derrière ces précipices couverts de neige, et éclairer un autre -monde, vous aurez entendu mon histoire, et vous pourrez vous décider. -Il dépend de vous que je quitte à jamais le voisinage de l'homme, et -que je mène une vie innocente, ou que je devienne le fléau de vos -semblables, et l'auteur de votre prompte ruine».</p> - -<p>À ces mots, il marcha à travers la glace: je le suivis. Mon cœur -était gonflé, et je ne lui répondis pas; mais, en avançant je pesai -les différents motifs dont il s'était servi, et me déterminai du -moins à écouter son récit. Cette résolution, dans laquelle la -curiosité entrait pour beaucoup, fut confirmée par un sentiment de -compassion. Jusqu'à présent, j'avais cru qu'il était le meurtrier de -mon frère: je voulus connaître si cette conviction était à tort ou -à raison. Pour la première fois, aussi, je sentis quels étaient les -devoirs d'un créateur envers celui qu'il a formé; je compris que je -devais le rendre heureux, avant de me plaindre de sa méchanceté: ces -motifs m'engagèrent à consentir à sa demande. Nous nous mîmes donc -à traverser la glace y et à gravir le rocher opposé. L'air était -froid; la pluie recommençait à tomber: nous entrâmes dans la cabane; -le Démon avec un air d'allégresse, moi le cœur oppressé et l'esprit -abattu. J'avais consenti à l'écouter; je m'assis auprès du feu -qu'avait allumé mon odieux compagnon: il commença ainsi son histoire.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_X">CHAPITRE X</a></h4> - - -<p>«J'ai beaucoup de peine à me rappeler les premiers moments de mon -existence; tous les événements de cette époque ne se retracent à ma -mémoire qu'avec confusion et en désordre. Une étrange multiplicité -de sensations me saisit; je vis, je touchai, j'entendis et je sentis à -la fois; mais ce ne fut que long-temps après que j'appris à distinguer -les opérations de mes divers sens. Je me souviens que, par degrés, une -lumière plus forte agit sur mes nerfs, et me força de fermer les yeux. -L'obscurité qui vint à régner me troubla; mais à peine m'en -étais-je aperçu, qu'en ouvrant les yeux, comme je le suppose -maintenant, la lumière vint de nouveau m'éclairer. Je marchai, et je -crois que je descendis; mais je remarquai, dans ce moment, que mes -sensations subissaient un grand changement. Auparavant, des corps -sombres et opaques m'avaient entouré, sans que je pusse ni les toucher -ni les voir; je vis alors que je pouvais errer en liberté, sans aucun -obstacle que je ne pusse ou surmonter ou éviter. La lumière devint de -plus en plus oppressive pour moi, et la chaleur me fatiguant à mesure -que je marchais, je cherchai un endroit pour être à l'ombre. Ce fut -dans la forêt, près d'Ingolstadt, que je me reposai de ma fatigue sur -le bord d'un ruisseau, jusqu'à ce que, tourmenté par la fin et la -soif, je m'éveillai de mon assoupissement. Je mangeai quelques graines -que je trouvai sur les arbres ou sur le sol; j'étanchai ma soif au -ruisseau, je m'étendis à terre, et m'endormis. Tout me parut sombre -autour de moi lorsque je me réveillai; l'air était froid, et je fus -presque effrayé, comme par instinct, de me trouver ainsi isolé. Avant -de quitter votre appartement, j'avais ressenti le froid, et je m'étais -couvert de quelques hardes; mais elles ne pouvaient suffire pour me -protéger contre les rosées de la nuit. J'étais un malheureux sans -appui, et digne de pitié; je ne connaissais rien et ne pouvais rien -distinguer; mais, dominé par le chagrin qui me gagnait de toutes les -manières, je m'assis et pleurai.</p> - -<p>»Bientôt une douce lumière brilla dans les cieux, et me fit éprouver -un sentiment de plaisir. Je me levai et vis un astre rayonnant sortir du -milieu des arbres. Je contemplai avec une sorte d'étonnement cet astre -dont la marche était lente, mais dont la lumière éclairait ma route, -et j'allai de nouveau chercher des graines. J'avais encore froid, mais -je trouvai, par hasard, sous un arbre un large manteau dont je me -couvris, et je m'assis à terre. Aucune idée distincte n'occupait mon -esprit; tout était confus. Je sentais la faim, la soif, la lumière et -l'obscurité; d'innombrables sons frappaient mes oreilles, et des -parfums divers mon odorat. Le seul objet que je pusse distinguer était -la brillante lune, sur laquelle je fixai mes yeux avec plaisir.</p> - -<p>»Les jours et les nuits s'étaient déjà succédés plusieurs fois, et -l'astre de la nuit était considérablement diminué, lorsque je -commençai à démêler mes sensations les unes des autres. Je -distinguai insensiblement le clair ruisseau où j'étanchais ma soif, et -les arbres qui m'ombrageaient de leur feuillage. Je fus dans -l'enchantement d'avoir découvert qu'un son agréable, qui souvent -frappait mon oreille, sortait du gosier des petits animaux aîlés, dont -la masse innombrable avait bien souvent intercepté la lumière à mes -yeux. Je commençai aussi à observer, avec plus de soin, les formes qui -m'entouraient, et à voir les limites de la brillante voûte de lumière -qui me couvrait. Tantôt je cherchais à imiter les chants agréables -des oiseaux, sans pouvoir y réussir; tantôt je voulais exprimer mes -sensations à ma manière; mais je rendais des sons rudes et -inarticulés dont j'étais effrayé, alors même que je ne les entendais -plus.</p> - -<p>»La lune avait cessé de paraître; mais j'étais encore dans la -forêt, quand son disque reparut de nouveau moins étendu. Pendant ce -temps, mes sensations étaient devenues plus nettes, et mon esprit -recevait chaque jour de nouvelles idées. Mes yeux s'accoutumaient à la -lumière; je voyais les objets dans leur véritable forme; je distinguai -l'insecte de l'herbe, et, par degrés, une herbe d'une autre. Le chant -du passereau me sembla grossier, tandis que celui du merle et de la -grive était doux et enchanteur.</p> - -<p>»Un jour que j'étais transi de froid, je trouvai un feu qui avait -été laissé par quelques mendiants vagabonds, et dont la chaleur me -réchauffa agréablement. Dans ma joie, je mis la main sur les braises -ardentes, mais je la retirai sur-le-champ en laissant échapper un cri -de douleur. Combien il me sembla étrange que la même cause produisit -des effets si opposés! J'examinai les matières du feu, et à ma -satisfaction, je m'aperçus qu'il était composé de bois. Je réunis -promptement quelques branches; mais elles étaient humides et ne purent -s'allumer. J'en fus affligé, et je m'assis en examinant de nouveau -l'action du feu. Le bois mouillé que j'avais placé auprès, se sécha -et s'enflamma. Je réfléchis sur ce fait, et en touchant les branches -je découvris la cause, et m'occupai à rassembler une grande quantité -de bois que je mis à sécher, et que je destinai à l'entretien du feu. -La nuit vint, et le sommeil avec elle; j'eus la plus grande crainte que -mon feu ne s'éteignit; je le couvris avec soin de bois sec et de -feuilles, au-dessus desquelles je plaçai des branches humides; -j'étendis alors mon manteau, me couchai sur la terre, et me livrai au -sommeil.</p> - -<p>»Réveillé dès le matin, j'eus pour premier soin de visiter le feu. -Je ne l'eus pas plutôt mis à découvert, qu'un léger vent l'enflamma -bientôt. Ce fut une nouvelle remarque pour moi; je fis avec des -branches une espèce d'éventail pour rallumer les braises, si elles -étaient près de s'éteindre. Au retour de la nuit, je vis avec plaisir -que le feu avait le double avantage d'éclairer et de chauffer, et que -la découverte de cet élément m'était utile pour ma nourriture; car -il me parut que quelques-uns des mets, que les voyageurs avaient -laissés, étaient cuits, et avaient bien meilleur goût que les graines -que je cueillais aux arbres. J'essayai donc de préparer ma nourriture -de la même manière, en la plaçant sur les charbons embrasés. Je vis -que les graines étaient dépouillées par cette opération, et que les -noix et les racines en étaient bien meilleures.</p> - -<p>»Cependant, la nourriture devint rare, au point que je passais souvent -la journée entière à chercher vainement quelques glands pour assouvir -ma faim. Frappé de cette observation, je résolus de quitter le lieu -que j'avais habité, pour en chercher un où je pourrais plus facilement -satisfaire le petit nombre de besoins que j'éprouvais. Dans cette -émigration, je m'affligeai profondément de la perte du feu que le -hasard m'avait présenté, et que je ne savais comment rallumer. Je -passai plusieurs heures à réfléchir sérieusement à cette -difficulté; mais je fus obligé d'abandonner tous les essais que je -faisais pour la vaincre; et, enveloppé de mon manteau, je m'enfonçai -dans le bois, en me dirigeant vers le soleil couchant. Je passai trois -jours à errer de cette manière, et enfin je découvris la campagne. La -neige était tombée en abondance pendant la nuit précédente, et les -champs étaient d'une blancheur uniforme. Cette vue me parut triste, et -je sentis mes pieds glacés par la substance froide et humide qui -couvrait la terre.</p> - -<p>»Sept heures venaient de sonner: j'étais impatient de pourvoir à ma -nourriture et de trouver un abri. Enfin, j'aperçus une petite cabane -sur un terrain élevée et qui avait sans doute été bâtie pour la -commodité de quelque berger. C'était un spectacle nouveau pour moi: -j'en examinai la structure avec beaucoup de curiosité. La porte était -ouverte; j'entrai. Un vieillard était assis près d'un feu, sur lequel -il préparait son déjeuner. Au bruit qu'il entend, il se retourne, me -voit, pousse un cri, sort de la cabane, et court à travers les champs -avec une rapidité dont il paraissait à peine capable à son extérieur -débile. Je fus un peu surpris de sa forme, qui ne ressemblait à rien -de ce que j'avais vu, et surtout de sa fuite. Mais je fus enchanté en -regardant la cabane. La neige ni la pluie n'y pouvaient pénétrer; la -terre était sèche, et elle me présentait alors une retraite aussi -délicieuse et aussi belle, que semblait le Pandémonium aux génies de -l'Enfer, après leurs souffrances dans le lac de feu. Je dévorai avec -joie les restes du déjeuner du berger, qui consistait en pain, en -fromage, en lait et en vin; mais sans être flatté de ce dernier objet; -accablé par la fatigue, je m'étendis sur la paille et je m'endormis.</p> - -<p>»Il était midi quand je me réveillai. Excité par la chaleur du -soleil, qui se réfléchissait avec éclat sur la terre couverte de -neige, je me déterminai à recommencer mes voyages; je pris soin de -placer les restes du déjeuner du paysan dans une besace que je trouvai; -et, pendant plusieurs heures, je poursuivis ma route à travers champs, -jusqu'à un village où je parvins au coucher du soleil: je fus -émerveillé. Des cabanes, d'agréables chaumières et d'élégantes -maisons appelaient tour à tour mon admiration. Les végétaux dans les -jardins, le lait et le fromage sur les fenêtres de quelques -chaumières, excitaient mon appétit. J'entrai dans l'une des plus -apparentes; mais j'avais à peine franchi le seuil de la porte, que les -enfants jetèrent des cris, et qu'une des femmes s'évanouit. Tout le -village fut en l'air; les uns se mirent à fuir, les autres à -m'attaquer, au point que, fortement meurtri par les pierres et autres -projectiles qu'on me lançait, je m'échappai dans la campagne, et me -réfugiai, rempli d'effroi, dans une petite cabane abandonnée, et qui -me paraissait bien chétive auprès des palais que j'avais vus dans le -village. Cette cabane, cependant, était contiguë à une chaumière -d'une apparence agréable; mais, après l'expérience que je venais de -faire, et qui m'avait coûté si cher, je n'osai pas y rentrer. Le lieu -qui me servait d'asile était construit en bois; mais il était si bas, -que je ne pouvais m'y tenir debout qu'avec peine. Le sol n'était pas -recouvert d'un plancher, mais il était très-sec. J'avais l'avantage de -pouvoir me garantir dans cette enceinte de la neige et de la pluie, -malgré le vent qui y pénétrait par d'innombrables fentes.</p> - -<p>»Dans cette retraite, je m'étendis à terre, heureux de l'avoir -trouvée, quelque mauvaise qu'elle fût, contre l'intempérie de la -saison, et encore plus contre la barbarie des hommes.</p> - -<p>»Dès le matin, je sortis de ma cabane pour voir la chaumière -adjacente, et examiner si je pouvais rester dans l'habitation que -j'avais trouvée. Elle était adossée à la chaumière, et entourée, -sur les côtés qui étaient exposés, d'une étable à cochons et d'une -source d'eau limpide. De l'autre côté, elle présentait une ouverture -par laquelle j'étais entré. Je couvris alors de pierres et de bois -toutes les crevasses par lesquelles je pouvais être aperçu, mais de -manière à pouvoir les déranger dans l'occasion pour sortir: je ne -recevais la lumière que par l'étable, mais je n'avais pas besoin d'en -recevoir davantage.</p> - -<p>»Je venais de disposer ainsi mon habitation, et de la garnir de paille -fraîche, quand je vis de loin la figure d'un homme. Je rentrai; car je -me souvenais trop bien du traitement que j'avais éprouvé la veille, -pour me mettre en son pouvoir. Cependant, j'avais pourvu à ma -subsistance pour ce jour-là, en enlevant un morceau de pain grossier; -je m'étais emparé aussi d'une coupe, afin de boire, plus commodément -que dans ma main, l'eau pure qui coulait auprès de ma retraite. Du -reste, j'étais à l'abri de l'humidité, et je pouvais même éprouver -quelque chaleur dans le voisinage de la cheminée de la chaumière.</p> - -<p>»Avec ces précautions, je résolus de résider dans cette cabane, -jusqu'à ce qu'une nouvelle circonstance me détournât de cette -résolution. C'était vraiment un paradis, en comparaison de la sombre -forêt, ma première résidence, des branches à travers lesquelles je -recevais la pluie, et de la terre toujours humide. Je déjeunai avec -plaisir: après ce repas, j'allais enlever une planche pour puiser un -peu d'eau, lorsque j'entendis un pas. Je mis l'œil à une petite fente, -et je vis une jeune personne, un seau sur la tête, passer devant ma -cabane. Elle était jeune et gentille, différente de ce que m'ont paru -depuis les villageoises et les servantes de ferme. Son vêtement était -simple, et se composait d'un jupon bleu, et grossier, et d'une jaquette -de toile; sa belle chevelure était tressée, mais sans ornement; son -visage avait l'expression de la souffrance et de la tristesse. Elle -disparut; mais elle revint bientôt, portant le seau qui était alors -presque rempli de lait. Au moment où elle passa, elle parut incommodée -du fardeau. Un jeune homme, dont la figure exprimait le plus profond -désespoir, vint au devant d'elle, prononça quelques mots avec un air -de mélancolie, prit le seau sur la tête de la jeune fille, et le porta -lui-même dans la chaumière. Elle le suivit, et ils disparurent. Peu -après, je vis le jeune homme, quelques outils à la main, traverser le -champ derrière la chaumière. La jeune fille avait d'autres soins, -tantôt dans la maison, tantôt dans la basse-cour.</p> - -<p>»En examinant mon habitation, je reconnus qu'une des fenêtres de la -chaumière en avait d'abord occupé une partie, mais les panneaux -avaient été fermés avec du bois. Il y avait cependant dans un de ces -panneaux, une petite fente presqu'imperceptible, et par laquelle l'œil -pouvait à peine pénétrer. À travers cette fente, on distinguait une -petite chambre très-propre et très-soignée, mais peu meublée. Dans -un coin, auprès d'un petit feu, était assis un vieillard, la tête -appuyée sur les mains, dans l'attitude de la douleur. La jeune fille -était occupée à arranger la chaumière; elle prit dans un tiroir un -objet qui exigea le mouvement de ses mains, et s'assit auprès du -vieillard. Celui-ci tenait un instrument, et en tira bientôt des sons -plus doux que le chant de la grive ou du rossignol. Ce tableau était -agréable, même pour moi, pauvre malheureux, qui n'avais jamais -auparavant rien vu de beau. Les cheveux blancs, et la physionomie -bienveillante du vieillard, commandaient le respect, en même temps que -les manières douces de la jeune fille inspiraient l'amour. Il joua un -air doux et triste, et je vis des larmes couler des yeux de son aimable -compagne, tandis que le vieillard n'y prit garde que lorsqu'elle poussa -des sanglots. Il prononça quelques mots auxquels la belle créature ne -répondit qu'en laissant l'ouvrage, et en tombant à ses pieds. Il la -releva, et sourit avec tant de bonté et d'affection, que j'éprouvai -des sensations d'une nature particulière et accablante: c'était un -mélange de peine et de plaisir, tel que je n'en avais encore jamais -éprouvé, soit par la faim ou le froid, soit par la chaleur ou le -plaisir de manger. J'étais incapable de soutenir ces émotions: je -quittai la fenêtre.</p> - -<p>»Bientôt après le jeune homme revint, portant du bois sur ses -épaules. La jeune fille le reçut à la porte, aida à le décharger de -son fardeau, apporta quelques morceaux de bois, et les mit au feu; le -jeune homme l'amena dans un coin de la chaumière, et lui montra un -grand pain et un morceau de fromage. Elle parut contente, et s'empressa -d'aller chercher dans le jardin quelques racines et quelques plantes, -qu'elle plaça dans l'eau et ensuite sur le feu. Elle se remit ensuite -à son ouvrage, pendant que le jeune homme alla dans le jardin, et parut -occupé à bêcher la terre et à planter des racines. Une heure après, -la jeune femme alla le rejoindre, et ils rentrèrent ensemble dans la -chaumière.</p> - -<p>»Pendant ce temps, le vieillard était resté pensif; mais à -l'approche de ses compagnons il prit un air plus gai. Ils se mirent à -table: le repas fut promptement terminé. La jeune femme fut encore -occupée à arranger la chaumière; le vieillard se promena en dehors au -soleil, pendant quelques minutes, appuyé sur le bras du jeune homme. -Rien ne pouvait surpasser la beauté du contraste qu'offraient ces deux -excellentes créatures. L'un était vieux, avait des cheveux blancs, et -une physionomie qui respirait la bienveillance et la tendresse. La -figure du jeune homme était douce et gracieuse, et ses traits de la -plus belle régularité; cependant ses yeux et son attitude exprimaient -le plus profond chagrin et le désespoir. Le vieillard rentra dans la -chaumière; et le jeune homme, avec des outils différents de ceux dont -il s'était servi le matin, dirigea ses pas à travers les champs.</p> - -<p>»La nuit arriva bientôt; mais à mon grand étonnement, je vis que les -habitants de la chaumière avaient un moyen de prolonger le jour par -l'usage des lumières; et je fus charmé de voir que le coucher du -soleil ne mettait pas fin au plaisir que j'éprouvais à observer mes -voisins. Pendant la soirée, la jeune fille et son compagnon se -livrèrent à différentes occupations que je ne comprenais pas; et le -vieillard reprit l'instrument, qui produisit les sons divins qui -m'avaient enchanté le matin. Dès qu'il eût cessé, le jeune homme se -mit, non pas à chanter; mais à prononcer des sons monotones, qui ne -ressemblaient nullement à l'harmonie de l'instrument du vieillard, ni -aux chants des oiseaux; je sus depuis qu'il lisait à haute voix, mais -alors je ne connaissais pas la science des mots ou des lettres.</p> - -<p>»La famille donna quelques moments à ces différentes occupations, -éteignit ses lumières, et se retira, suivant mes conjectures, pour se -livrer au repos.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XI">CHAPITRE XI</a></h4> - - -<p>»Je m'étendis sur la paille sans pouvoir dormir. Je pensais à tout ce -dont j'avais été témoin pendant le jour. J'étais surtout frappé des -manières douces de ces gens; et je désirais aller les trouver, mais je -n'osais m'y résoudre. Je me souvenais trop bien du traitement que -j'avais éprouvé le soir précédent de la part des barbares -villageois, et je me déterminai, quelque fût la conduite que je dusse -tenir par la suite, à rester tranquille dans ma cabane, à observer, et -à essayer de découvrir les motifs qui dirigeaient leurs actions.</p> - -<p>»Les habitants de la chaumière se levèrent le lendemain matin avant -le soleil. La jeune femme arrangea la chaumière et prépara à manger; -le jeune homme partit après le premier repas.</p> - -<p>»Cette journée se passa de même que la précédente. Le jeune homme -était constamment occupé au dehors, et la jeune fille à différents -travaux dans l'intérieur: Le vieillard, que je reconnus bientôt -aveugle, passait ses heures de loisir avec son instrument, ou en -contemplation. Rien ne pouvait surpasser l'amour et le respect, que les -jeunes habitants de la chaumière montraient envers leur vénérable -compagnon. Ils lui rendaient avec grâce tous les petits services -d'affection et de devoir; et ils en étaient récompensés par son -bienveillant sourire.</p> - -<p>»Ils n'étaient pas entièrement heureux. Le jeune homme et sa compagne -se retiraient souvent à l'écart, et avaient l'air de pleurer. Je ne -connaissais pas le motif de leur malheur; mais j'en étais profondément -affecté. Si ces aimables créatures étaient malheureuses, il était -moins étrange que je le fusse, moi qui étais un être imparfait et -isolé. Cependant, pourquoi ces êtres charmants étaient-ils -malheureux? Ils possédaient une maison délicieuse qui, du moins, -était telle à mes yeux; ils n'éprouvaient aucun besoin: ils avaient -un feu pour les réchauffer lorsqu'ils ressentaient le froid, et des -viandes exquises pour apaiser leur faim; ils étaient couverts de hardes -excellentes; et, de plus, ils jouissaient de la société et de la -conversation l'un de l'autre, en échangeant chaque jour des regards -d'affection et de bonté. Que voulaient dire leurs larmes? -Exprimaient-elles réellement la douleur? Je ne pus d'abord résoudre -ces questions; mais une attention suivie et le temps m'expliquèrent -beaucoup de choses qui paraissaient d'abord énigmatiques.</p> - -<p>»Il se passa beaucoup de temps avant que je découvrisse l'unique cause -de l'inquiétude de cette aimable famille; c'était la pauvreté dont -ils avaient à supporter toute l'horreur. Ils n'avaient d'autre -nourriture que les végétaux de leur jardin, et le lait d'une vache, -qui en avait fort peu pendant l'hiver, et que ses maîtres pouvaient à -peine soutenir. Il leur est arrivé souvent, je crois, de souffrir des -atteintes poignantes de la faim, surtout aux deux plus jeunes habitants -de la chaumière, qui, plusieurs fois, plaçaient à manger devant le -vieillard, sans se rien réserver.</p> - -<p>»Ce trait de bonté me toucha sensiblement. J'avais l'habitude, pendant -la nuit, de dérober une partie de leurs provisions pour ma propre -consommation; mais, touché de la peine que je faisais à ces -excellentes gens, je cessai, et me nourris de graines, de noix, et de -racines, que je cueillais dans un bois voisin.</p> - -<p>»Je découvris aussi d'autres moyens de les aider dans leurs travaux. -Je vis que le jeune homme passait une grande partie de ses journées à -ramasser du bois pour le feu de la famille; pendant la nuit je prenais -souvent ses outils, dont je connus bientôt l'usage, et je rapportais -assez de bois pour la consommation de plusieurs jours.</p> - -<p>»Je me souviens qu'à la première fois, la jeune femme en ouvrant la -porte le matin, parut très-étonnée de voir une grande pile de bois. -Elle dit quelques mots à haute voix, et le jeune homme accourut, en -exprimant aussi sa surprise. Je remarquai, avec plaisir, qu'il n'alla -pas à la forêt ce jour là, mais qu'il le passa à réparer la -chaumière et à cultiver le jardin.</p> - -<p>»Peu à peu, je fis une découverte d'un intérêt encore plus grand. -Je vis que ces personnes avaient une manière de se communiquer leurs -idées et leurs sentiments par des sons articulés. Je m'aperçus que -leurs paroles étaient suivies du plaisir ou de la peine, du sourire ou -de la tristesse, tantôt dans l'esprit, tantôt sur la physionomie de -ceux qui les entendaient. Je les croyais doués d'une science divine, je -désirais ardemment l'apprendre; mais j'étais déconcerté à chaque -essai que je tentai. Leur prononciation était vive, et les mots dont -ils se servaient, n'ayant aucune concordance apparente avec les objets -visibles, je ne pouvais trouver aucun moyen d'éclaircir le mystère de -leur rapport. Cependant, à force de persévérance, et après avoir vu -dans ma cabane plusieurs phases de la lune, je découvris les noms qui -convenaient à quelques-uns des objets les plus familiers du discours: -j'appris et appliquai les mots <i>feu, lait y pain</i> et <i>bois.</i> J'appris -aussi les noms des habitants de la cabane eux-mêmes. Le jeune homme et -sa compagne avaient chacun plusieurs noms; mais le vieillard n'avait que -celui de <i>père.</i> La jeune fille s'appelait <i>sœur</i> ou <i>Agathe</i>, et le -jeune homme <i>Félix, frère</i> ou <i>fils.</i> Je ne saurais décrire le -plaisir que j'éprouvai en connaissant les idées appropriées à chacun -de ces sons, et en parvenant à les prononcer. Je distinguai plusieurs -autres mots, sans pouvoir les comprendre ou les appliquer, tels que -<i>bon, très-cher, malheureux.</i></p> - -<p>»Je passai l'hiver ainsi. Les habitudes douces et la beauté des -habitants de la chaumière me les rendaient chers. Étaient-ils dans -l'affliction, je me sentais affligé. Étaient-ils contents, je -sympathisais avec eux. Je vis peu d'autres personnes que celles dont je -vous parle; et, si des étrangers entraient dans la cabane, leurs -manières dures et leur air grossier ne servaient qu'à relever à mes -yeux la supériorité de mes amis. Le vieillard, je pus le voir, -essayait souvent d'encourager ses enfants; et quelquefois il les -appelait pour bannir leur tristesse. Il leur parlait avec un air de -gaîté, une expression de bonté qui me faisait plaisir à moi-même. -Agathe écoutait avec respect, ses yeux se remplissaient quelquefois de -pleurs qu'elle cherchait à cacher; mais en général sa figure et son -ton étaient plus gais après les exhortations paternelles. Il n'en -était pas de même de Félix. Il était toujours le plus triste du -groupe; et il me parut, même malgré l'inexpérience de mes sens, avoir -plus souffert que ses amis. Mais si son air était plus chagrin, sa voix -était plus joyeuse que celle de sa sœur, surtout quand il s'adressait -au vieillard.</p> - -<p>»Je pourrais rapporter des exemples sans nombre, qui ne sont pas -importants, mais qui peignent le caractère de ces aimables habitants. -Au milieu de la pauvreté et du besoin, Félix aimait à porter à sa -sœur la première petite fleur blanche qui perçait la neige. Le matin -de bonne heure, avant le lever d'Agathe, il balayait la neige qui -obstruait le chemin de la laiterie, tirait de l'eau du puits, et portait -le bois qui était au dehors de la maison, où, à son étonnement -continuel, il trouvait une provision toujours faite par une main -invisible. Pendant le jour, il travaillait quelquefois pour un fermier -voisin; du moins je l'ai pensé, en le voyant sortir souvent, et ne -revenir que pour dîner, et sans porter de bois avec lui. Quelquefois il -travaillait dans le jardin; mais il y avait peu à faire dans la saison -de la gelée; alors il lisait pour le vieillard et Agathe.</p> - -<p>»Cette lecture m'avait d'abord extrêmement embarrassé; mais, par -degrés, je reconnus qu'il prononçait en lisant les mêmes sons que -ceux dont il faisait usage en parlant. J'en tirai la conséquence qu'il -trouvait sur le papier des signes pour des paroles, dont il avait le -sens. Je désirais vivement les connaître; mais comment le pouvais-je, -moi qui ne comprenais même pas les sons que marquaient les signes? -Cependant, je fis des progrès sensibles dans cette science, mais je -n'en fis pas assez pour suivre aucune sorte de conversation, malgré mon -application et mes efforts. J'étais porté à ce travail par le désir -de me découvrir aux habitants de la chaumière, et par la nécessité -de n'en faire l'essai qu'après avoir appris leur langage; certain que, -si je parlais comme eux, je les effrayerais moins de la difformité de -ma figure, dont j'avais eu connaissance par le contraste que j'avais -continuellement sous les yeux.</p> - -<p>»J'avais admiré les formes accomplies de mes voisins, leur grâce, -leur beauté, et leur teint délicat; mais combien je fus effrayé quand -je me vis dans une eau transparente! Je reculai d'abord, me refusant à -croire que je me fusse réfléchi dans ce miroir; convaincu enfin que -j'étais en réalité le monstre qui est devant vous, je fus pénétré -du plus profond désespoir et de la mortification la plus cruelle. -Hélas! je ne connaissais pas encore les funestes effets de cette -difformité!</p> - -<p>»Le soleil devint plus chaud, et la lumière du jour plus longue. La -neige disparut, les arbres cessèrent d'en être couverts, et la terre -reprit une couleur noire. Dès-lors Félix eut beaucoup d'occupations, -et ces braves gens ne furent plus exposés à l'horrible famine dont ils -étaient menacés. Leur nourriture, comme je le remarquai depuis, était -grossière, mais abondante; ils mangeaient suivant leurs besoins. -Plusieurs nouvelles espèces de plantes vinrent dans le jardin qu'ils -cultivaient; et ces gages de consolation se multipliaient chaque jour à -mesure que la saison avançait.</p> - -<p>»Le vieillard, appuyé sur son fils, se promenait tous les jours à -midi, lorsqu'il ne pleuvait pas; car j'entendais dire qu'il pleuvait, -quand le ciel versait ses eaux. La pluie tombait souvent; mais un vent, -qui s'élevait, séchait promptement la terre; et la saison devint enfin -bien plus agréable qu'elle n'avait été.</p> - -<p>»Mon genre de vie dans la cabane était uniforme. Le matin, je suivais -les mouvements de mes voisins; et dès qu'ils se dispersaient pour leurs -diverses occupations, je dormais: je passais le reste du jour à -observer mes amis. Lorsqu'ils s'étaient retirés pour se livrer au -repos, j'allais dans la forêt, s'il y avait clair de lune, ou si la -nuit était étoilée, chercher ma nourriture et du bois pour la -chaumière. À mon retour, il était souvent nécessaire que je -balayasse la neige qui était sur leur chemin; je faisais aussi tous les -autres travaux auxquels j'avais vu Félix se livrer. Je remarquais -ensuite leur étonnement sur ces travaux exécutés par une main -invisible; et une ou deux fois, je les entendis dans cette occasion, -prononcer les mots <i>bon génie, miracle</i>; mais je ne comprenais pas -alors la signification de ces termes.</p> - -<p>»Mes pensées devinrent plus actives; j'étais impatient de découvrir -les motifs et les sentiments de ces aimables créatures; je cherchais à -savoir pourquoi Félix paraissait si malheureux et Agathe si triste. Je -croyais, insensé que j'étais! que je pourrais rendre le bonheur à ces -êtres qui le méritaient si bien. Pendant mon sommeil ou loin d'eux, -les formes du vénérable aveugle, de la douce Agathe et du bon Félix, -se présentaient à mon esprit. Je les regardais comme des êtres -supérieurs, qui devaient être les arbitres de ma destinée future. Mon -imagination se figurait le moment où je me présenterais devant eux, et -la réception qu'ils me feraient. Je pensais qu'ils supporteraient -difficilement le premier abord, mais que, par une conduite douce et des -paroles conciliantes, je pourrais gagner leur faveur, et ensuite leur -amour.</p> - -<p>»Ces pensées me réjouirent et m'animèrent d'une nouvelle ardeur. Je -m'appliquai à apprendre à parler. Mes organes étaient rudes, il est -vrai, mais souples; ma voix ressemblait fort peu à la douce musique de -leurs intonations, mais elle prononçait avec assez de facilité les -mots que je comprenais.</p> - -<p>»Les ondées favorables et la chaleur vivifiante du printemps, -changèrent beaucoup l'aspect de la terre. Les hommes, qui, avant cette -métamorphose, avaient paru cachés dans des souterrains, se -dispersèrent pour s'adonner à différents genres de culture. Les -chants des oiseaux furent plus gais, et les feuilles commencèrent à -garnir les arbres. Heureuse, heureuse terre, digne d'être habitée par -des dieux, qui, un moment auparavant, était froide, humide, et -malsaine! Mes esprits étaient transportés par cet aspect enchanteur de -la nature; le passé fut effacé de ma mémoire, le présent était -tranquille, et l'avenir s'embellissait des rayons brillants de -l'espérance, et de mille joies anticipées.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XII">CHAPITRE XII</a></h4> - - -<p>»J'arrive maintenant à la partie la plus intéressante de mon -histoire. Je rapporterai les évènements qui ont bouleversé tous mes -sentiments, et m'ont fait tel que je suis aujourd'hui.</p> - -<p>»Le printemps s'avançait rapidement; le temps devint beau, et le ciel -sans nuages. J'étais surpris que la terre, auparavant déserte et -triste, fût alors brillante de verdure et des fleurs les plus belles. -Mes sens étaient charmés et rafraîchis par une infinité d'odeurs -délicieuses et de vues magnifiques.</p> - -<p>»Un jour, c'était celui consacré périodiquement au repos par mes -voisins, le vieillard jouait de la guitare, et ses enfants -l'écoutaient. Je remarquai sur la figure de Félix une expression de -mélancolie inconcevable; il soupirait fréquemment. Le père suspendit -sa musique, et, à son air, je jugeai qu'il demandait à son fils la -cause de son chagrin: Félix répondit gaîment au vieillard, qui allait -reprendre son instrument, lorsqu'on entendit frapper à la porte.</p> - -<p>»C'était une dame à cheval, suivie d'un paysan pour guide. Elle -était vêtue de noir, et couverte d'un voile épais de la même -couleur. Agathe fit une question, à laquelle l'étrangère ne -répondit, qu'en prononçant d'une voix douce le nom de Félix. Sa voix -était harmonieuse, mais différente de celle de mes amis. À son nom, -Félix accourut promptement vers la dame, qui, en le voyant, releva son -voile, et me laissa voir une figure d'une beauté et d'une expression -angéliques. Ses cheveux étaient d'un noir brillant, et tressés avec -soin; ses yeux noirs, mais pleins de douceur et de feu; ses traits d'une -proportion régulière; son teint admirable, et ses joues embellies par -les grâces.</p> - -<p>»Félix parut transporté de plaisir en la voyant; son visage, d'où le -chagrin fut banni, exprima sur-le-champ une joie vive, et dont je -l'aurais à peine cru capable; ses yeux étincelaient; ses joues -étaient animées par le plaisir; et, dans ce moment, il me parut aussi -beau que l'étrangère. Elle semblait livrée à divers sentiments: elle -versait des larmes, et en même temps elle tendait la main à Félix, -qui la baisait avec ravissement, et l'appelait, autant que je pus le -distinguer, sa chère Arabe. Elle ne paraissait pas le comprendre, mais -elle souriait. Il l'aida à descendre de cheval, renvoya son guide, et -la conduisit dans la chaumière. Une conversation eut lieu entre lui et -son père. La jeune étrangère se jeta aux pieds du vieillard, et -voulut baiser sa main; mais il la releva et l'embrassa avec affection.</p> - -<p>»Je vis bientôt, que l'étrangère prononçait des sons articulés, et -faisait usage d'un langage particulier; mais qu'elle n'était pas plus -comprise par les habitants de la chaumière, qu'elle ne les comprenait -elle-même. Ils faisaient beaucoup de signes, que je ne savais pas -interpréter; mais je m'aperçus que sa présence répandait la gaîté -dans la chaumière, et dissipait leur chagrin comme le soleil dissipe le -brouillard du matin. Félix paraissait surtout heureux, et accueillait -son Arabe avec le sourire du bonheur. Agathe, la sensible Agathe, -baisait les mains de l'aimable étrangère; lui montrait son frère, et -semblait lui expliquer, par des signes, qu'il avait été triste -jusqu'au moment de son arrivée. Quelques heures se passèrent ainsi à -des démonstrations de joie dont je ne comprenais pas la cause. Je ne -tardai pas à voir, au retour fréquent d'un son que l'étrangère -répétait après eux, qu'elle cherchait à apprendre leur langue, et je -pensai aussitôt à profiter des mêmes instructions pour le même but. -L'étrangère apprit dans la première leçon à-peu-près vingt mots -dont je connaissais déjà la plupart; mais je retins les autres.</p> - -<p>»À la nuit, Agathe et l'Arabe se retirèrent de bonne heure. En se -séparant de l'étrangère, Félix lui baisa la main, et lui dit: «Bon -soir, chère Safie». Il resta beaucoup plus long-temps que de coutume, -à s'entretenir avec son père. Je jugeai que leur aimable hôte, dont -le nom était sans cesse prononcé, était le sujet de leur -conversation. Je désirais ardemment les comprendre, j'y employais -toutes mes facultés; mais je me consumai en vains efforts.</p> - -<p>»Le lendemain matin, Félix alla à son ouvrage; de son côté, Agathe -ne négligea aucune de ses occupations ordinaires. Quand elle eut tout -terminé, l'Arabe s'assit aux pieds du vieillard, prit sa guitare et -joua quelques airs si beaux et si touchons, qu'ils m'arrachèrent des -larmes de chagrin et de plaisir à la fois. Elle chantait en modulant sa -voix en riche cadence, et en l'élevant ou la baissant tour à tour -comme le rossignol des bois.</p> - -<p>»Elle cessa de chanter, et présenta la guitare à Agathe, qui la -refusa d'abord, mais qui finit par jouer un air simple, en -l'accompagnant des accents de sa voix, aussi doux, mais moins beaux que -les accords admirables de l'étrangère. Le vieillard paraissait ravi, -et dit quelques mots qu'Agathe tâcha d'expliquer à Safie, et par -lesquels il voulait témoigner tout le plaisir qu'il ressentait de sa -musique.</p> - -<p>»Les jours se passèrent ensuite aussi tranquillement qu'avant -l'arrivée de l'étrangère; seulement depuis ce moment, la joie avait -remplacé la tristesse sur le visage de mes amis. Safie était toujours -gaie et heureuse; elle et moi nous fîmes de rapides progrès dans la -connaissance de la langue, de sorte qu'en deux mois je commençais à -comprendre la plupart des mots prononcés par mes protecteurs.</p> - -<p>»Pendant ce temps, la terre s'était couverte d'herbage, et les -collines verdoyantes étaient parsemées de fleurs innombrables, d'une -odeur et d'une vue agréables; les étoiles pâlissaient au milieu des -bois devant la clarté de la lune; le soleil devint plus chaud, les -nuits claires et embaumées. Mes sorties nocturnes étaient pour moi -délicieuses, mais elles étaient devenues beaucoup plus courtes, depuis -qu'il n'y avait plus qu'un faible intervalle entre le coucher et le -lever du soleil; car je ne sortais jamais pendant le jour, dans la -crainte d'éprouver le traitement dont j'avais souffert précédemment, -dans le premier village où j'étais entré.</p> - -<p>»Mes journées se passaient dans une attention continuelle, afin de -savoir plus promptement parler: je puis aussi dire avec quelqu'orgueil, -que mes progrès furent plus rapides que ceux de l'Arabe, qui comprenait -fort peu et parlait difficilement, tandis que je comprenais et pouvais -répéter presque tous les mots que j'entendais.</p> - -<p>»En apprenant à parler, j'appris aussi la science des lettres, qu'on -enseignait à l'étrangère. C'était pour moi un grand sujet -d'étonnement et de plaisir.</p> - -<p>»Le livre dont Félix se servait pour instruire Safie, était les -<i>Ruines</i>, ou <i>Méditations sur les Révolutions des Empires</i>, par -Volney. Je n'aurais pas compris le sens de ce livre, si Félix, en le -lisant, n'eût donné des explications très-détaillées. Il avait, -disait-il, fait choix de cet ouvrage, parce que le style déclamatoire -imitait le genre des auteurs Orientaux. Avec cet ouvrage, je parvins à -connaître un peu l'histoire, et à me représenter les différents -empires qui existent actuellement dans le monde; j'eus aussi -quelqu'idée des usages, des gouvernements, et des religions des -différentes nations de la terre. Je connus la paresse des Asiatiques, -le génie prodigieux et l'activité d'esprit des Grecs, les guerres et -les vertus admirables des anciens Romains, leur décadence, la chute de -ce puissant empire, la chevalerie, la chrétienté et les rois. Je -connus la découverte de l'hémisphère Américain, et je pleurai avec -Safie sur le malheureux sort de ses premiers habitants.</p> - -<p>»Ces récits merveilleux m'inspiraient d'étranges sentiments. Comment -l'homme était-il si puissant, si vertueux, si grand, et en même temps -si méchant et si bas? Tantôt il paraissait une véritable émanation -du mauvais principe; tantôt une conception noble et divine. La grandeur -d'âme et la vertu me parurent le plus bel ornement d'un être sensible; -la bassesse et la méchanceté, qui étaient le partage de tant de -monde, me parurent la plus triste dégradation, une condition plus -abjecte que celle de la taupe ou du vermisseau. Je fus long-temps avant -de concevoir comment un homme pouvait se porter à assassiner son -semblable, ou même pourquoi il y avait des lois et des gouvernements; -mais, en apprenant les détails des vices et des meurtres, je cessai -d'être surpris, et je reculai de dégoût et d'horreur.</p> - -<p>»Chaque conversation des habitants de la chaumière me présentait -alors de nouveaux prodiges. Les leçons que Félix donnait à l'Arabe, -et auxquelles je prêtais toute mon attention, m'expliquèrent -l'étrange système de la société humaine. J'entendais parler de la -division des propriétés, de richesses immenses et de pauvreté -excessive, de rang, de naissance et de noblesse.</p> - -<p>»Les mots donnaient lieu aux réflexions. J'appris que les biens les -plus estimés par vos semblables, étaient une naissance illustre et -pure avec la richesse. Un seul de ces biens suffisait pour qu'un homme -fût respecté; mais sans l'un ni l'autre, il était regardé, sauf un -petit nombre d'exceptions, comme un vagabond et un esclave, fait pour -consumer ses forces au profit d'un petit nombre d'élus. Et -qu'étais-je, moi? Je ne connaissais nullement mon origine, ni mon -créateur; mais je savais que je n'avais ni argent, ni amis, ni aucune -propriété. J'avais d'ailleurs une figure d'une difformité hideuse et -repoussante; je n'étais même pas de la même nature que l'homme. -J'étais plus agile que lui, et je pouvais subsister d'une nourriture -plus grossière; je supportais l'excès de la chaleur et du froid, sans -ressentir aucun mal; j'étais enfin d'une taille beaucoup plus élevée -que celle des hommes. En regardant autour de moi, je ne voyais et -n'entendais personne qui me ressemblât. En ces moments, je me demandais -si j'étais un monstre, une difformité que tout le monde fuyait et -désavouait.</p> - -<p>»Je ne saurais décrire la douleur dans laquelle ces réflexions me -jetèrent: j'essayais de les éloigner, mais le chagrin s'augmentait -sans cesse avec l'instruction. Ah! que n'étais-je toujours resté dans -le bois où j'avais pris naissance, sans connaître ni éprouver -d'autres sensations que celles de la faim, de la soif et de la chaleur!</p> - -<p>»De quelle étrange nature est l'instruction! Elle s'attache à -l'esprit, lorsqu'elle lui a été une fois inculquée, comme le lichen -au rocher. Je désirais quelquefois bannir toute pensée et tout -sentiment; mais j'appris qu'il n'y avait qu'un moyen d'étouffer toute -peine, la mort.... la mort que je craignais, sans pouvoir la comprendre. -J'admirais la vertu et les bons sentiments, j'aimais les manières -douces et les aimables qualités de mes voisins; mais j'étais privé de -communication avec eux, si ce n'est celle que j'obtenais furtivement, -sans être vu, ni connu, et qui augmentait le désir que j'avais de -compter parmi mes semblables, sans me satisfaire. Les paroles -bienveillantes d'Agathe, et le sourire animé de la charmante Arabe, -n'étaient pas pour moi. Les douces exhortations du vieillard, et la -conversation vive du bien-aimé Félix, ne s'adressaient pas à moi. -Malheureux, malheureux que j'étais!</p> - -<p>»Je reçus de nouvelles et plus profondes leçons. J'entendis parler de -la différence des sexes, de la naissance et de la croissance des -enfants; combien le père aimait le sourire de l'enfant au berceau, et -les vives saillies d'un fils plus grand; comment la vie de la mère se -passait dans les soins précieux de leur éducation; comment l'esprit de -la jeunesse s'étendait et s'instruisait; je sus ce qu'étaient un -frère, une sœur; et je connus toutes les différentes parentés qui -lient mutuellement un être à un autre.</p> - -<p>»Mais où étaient mes amis et mes parents? Un père n'avait pas eu -soin des jours de mon enfance, une mère ne m'avait pas béni par son -doux sourire et ses caresses; ou bien, s'il en avait été ainsi, toute -ma vie passée n'était qu'un point, un vide dans lequel je ne -distinguais rien. Ma mémoire avait beau remonter dans le passé, il me -semblait que j'avais toujours été de la même taille et des mêmes -proportions. Je n'avais pas encore vu un être qui me ressemblât, ou -qui recherchât quelque commerce avec moi. Qu'étais-je? Cette question -revint encore; et je n'y répondis que par des gémissements.</p> - -<p>»J'expliquerai bientôt la tendance de ces sentiments. Revenons -maintenant aux habitants de la chaumière, dont l'histoire excitait en -moi tour-à-tour des sentiments d'indignation, de plaisir et -d'étonnement, mais qui ne faisaient qu'ajouter à l'amour et au respect -que j'avais pour mes protecteurs; car j'aimais à les appeler ainsi par -une illusion innocente et presque pénible.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XIII">CHAPITRE XIII</a></h4> - - -<p>»J'appris par la suite l'histoire de mes amis. Elle se grava -profondément dans mon esprit; car elle se composait d'une foule de -circonstances fort intéressantes et merveilleuses pour un être aussi -inexpérimenté que moi.</p> - -<p>»Le vieillard se nommait de Lacey. Il était descendu d'une bonne -famille de France, où il avait long-temps vécu dans l'abondance, -respecté de ses supérieurs et chéri de ses égaux. Son fils avait -été au service de son pays, et Agathe avait eu rang parmi les dames de -la plus grande distinction. Peu de mois avant mon arrivée, ils avaient -vécu dans une grande et riche cité, dont le nom est Paris, entourés -d'amis, et jouissant de tous les agréments que procurent la vertu, le -bon goût, ou un esprit cultivé.</p> - -<p>»Le père de Safie avait été la cause de leur ruine. C'était un -marchand Turc, qui avait habité Paris pendant plusieurs années; mais -qui, pour des raisons que je ne pus apprendre, devint suspect au -gouvernement. Saisi et jeté en prison le jour même où Safie arriva de -Constantinople pour le rejoindre, il fut jugé et condamné à mort. -L'injustice de cette sentence était criante; elle indigna tout Paris, -dont l'opinion générale fut que la condamnation avait pour motif, -moins le crime imputé au Turc, que sa religion et ses richesses.</p> - -<p>»Félix avait assisté au jugement; en entendant la décision de la -cour, il ne mit aucune borne à son horreur et à son indignation. Il -fit, dès ce moment, le vœu solennel de le sauver, et il chercha alors -les moyens de réussir dans cette entreprise. Après beaucoup d'efforts -infructueux pour pénétrer dans la prison, il découvrit, dans une -partie du bâtiment, une fenêtre fortement grillée, qui n'était pas -gardée, et qui éclairait le donjon où l'infortuné Mahométan, -chargé de chaînes, attendait, dans le désespoir, l'exécution de -l'affreuse sentence. Félix visita la grille pendant la nuit, et fit -connaître au prisonnier les intentions dont il était animé.</p> - -<p>»Le Turc, étonné et ravi, tâcha d'exciter le zèle de son -libérateur, en lui promettant des récompenses et des richesses. Félix -rejeta ses offres avec mépris; cependant, en voyant l'aimable Safie, -qui avait la permission de visiter son père, et qui, par ses gestes, -exprimait sa vive reconnaissance, le jeune homme s'avoua, que le captif -possédait un trésor qui serait le prix le plus beau de ses peines et -de ses dangers.</p> - -<p>»Le Turc s'aperçut promptement de l'impression que sa fille avait -faite sur le cœur de Félix, et tâcha de le mettre encore plus dans -ses intérêts, en promettait de la lui donner en mariage, dès qu'il -serait parvenu en lieu de sûreté. Félix était trop délicat pour -accepter cette offre; cependant il regarda la chance de cet événement, -comme l'accomplissement de son bonheur.</p> - -<p>»Les jours suivants, tandis que tout se préparait pour l'évasion du -marchand, le zèle de Félix fut excité par plusieurs lettres de -l'aimable Safie, qui parvint à exprimer ses idées dans le langage de -son amant, par le secours d'un vieux domestique de son père, qui -comprenait le Français. Elle le remerciait, dans les termes les plus -ardents, des services qu'il voulait rendre à son père; et en même -temps elle déplorait avec douceur son propre sort.</p> - -<p>»J'ai des copies de ces lettres; car je sus, pendant ma résidence dans -la cabane, me procurer ce qui était nécessaire pour écrire, et je -voyais souvent les lettres entre les mains de Félix et d'Agathe. Avant -de nous séparer, je veux vous les donner; elles confirmeront ce que je -raconte: pour le moment, comme le soleil est déjà très-bas, je me -bornerai à vous en dire la substance.</p> - -<p>»Safie racontait que sa mère était une Arabe chrétienne, prise et -emmenée en esclavage par les Turcs; qu'elle avait séduit, par sa -beauté, le cœur du marchand, et qu'elle en était devenue l'épouse. -La jeune fille parlait avec orgueil et enthousiasme de sa mère, qui, -née libre, méprisait l'esclavage auquel elle avait été réduite. -Elle instruisit sa fille dans les principes de sa religion, et lui -inspira des pensées élevées et une indépendance d'esprit, défendues -aux femmes par Mahomet. Elle mourut; mais ses leçons se gravèrent en -caractères ineffaçables dans le cœur de Safie: celle-ci tomba malade -en songeant à la nécessité de retourner en Asie, où elle serait -renfermée dans un harem, et occupée à des amusements puériles, peu -convenables à la disposition de son âme, accoutumée à de grandes -idées et à une noble émulation pour la vertu, tandis qu'elle était -flattée agréablement par la perspective d'épouser un chrétien, et de -rester dans un pays où les femmes pouvaient prétendre à un rang dans -la société.</p> - -<p>»Le jour fut fixé pour l'exécution du Turc; mais, pendant la nuit qui -devait la précéder, il avait quitté sa prison, et, avant que le jour -ne parût, il était éloigné de plusieurs lieues de Paris. Félix -avait obtenu des passeports en son nom, de même qu'aux noms de son -père et de sa sœur. Avant de rien entreprendre, il avait communiqué -son plan à son père, qui rendit facile le succès de la ruse, en -quittant sa maison, sous le prétexte d'un voyage, et en se cachant avec -sa fille, dans l'un des quartiers obscurs de Paris.</p> - -<p>»Félix prit la route de Lyon avec les fugitifs, et les conduisit par -le mont Cenis à Leghorn, où le marchand se décida à attendre une -occasion favorable pour passer en quelque partie de la Turquie.</p> - -<p>»Safie résolut de rester avec son père jusqu'au moment de son -départ. Le Turc, de son côté, n'attendit pas ce moment, pour -renouveler la promesse d'unir sa fille à son libérateur: Félix ne les -abandonna pas; et, en attendant cet événement, il jouissait de la -société de l'Arabe, qui lui montrait la plus simple et la plus tendre -affection. Safie lui chantait aussi les airs délicieux de son pays -natal; et il s'entretenait avec elle à l'aide d'un interprète, ou de -regards expressifs.</p> - -<p>»Le Turc permettait cette intimité, et encourageait les espérances -des jeunes amants, tandis que dans son cœur il avait formé des plans -tout opposés. Il ne pouvait supporter l'idée que sa fille fût unie à -un chrétien; mais il craignait le ressentiment de Félix en montrant du -refroidissement, et il savait qu'il était encore au pouvoir de son -libérateur, s'il voulait le livrer au gouvernement Italien, sur lequel -ils s'étaient réfugiés. Il conçut mille plans pour prolonger la ruse -jusqu'à ce qu'elle ne fût plus nécessaire, et pour emmener -secrètement sa fille avec lui. Les nouvelles qui arrivèrent de Paris -secondèrent beaucoup ses projets.</p> - -<p>»Le gouvernement de France était fort irrité de l'évasion de sa -victime, et n'épargna rien pour découvrir et punir celui qui l'avait -sauvée. Le complot de Félix fut promptement connu, et de Lacey fut -jeté en prison avec Agathe. Ces nouvelles parvinrent à Félix, et -l'arrachèrent à ses douces pensées. Son père, aveugle et âgé, et -son excellente sœur, gémissaient dans un donjon malsain, tandis qu'il -jouissait de la liberté, et de la société de celle qu'il aimait. -Cette idée était un supplice pour lui. Il convint sur-le-champ avec le -Turc, que s'il trouvait une occasion favorable de fuir avant son retour -en Italie, Safie serait mise dans un couvent à Leghorn. Ce projet -arrêté, il quitta l'aimable Arabe, partit pour Paris, et se livra à -la vengeance des lois, dans l'espoir que cette démarche rendrait la -liberté à M. de Lacey et à Agathe.</p> - -<p>»Vain espoir! Ses parents et lui gémirent pendant cinq mois en prison, -dans l'attente d'un jugement, qui prononça la confiscation de leurs -biens, et les condamna à un exil perpétuel.</p> - -<p>»Ils trouvèrent en Allemagne un misérable asile dans la chaumière -où je les découvris. Félix ne tarda pas à connaître la perfidie du -Turc, pour qui lui et sa famille souffraient une oppression inouïe. Ce -Turc, en apprenant que son libérateur avait perdu toute fortune et tout -crédit, était devenu traître à sa conscience et à l'honneur, et -avait quitté l'Italie avec sa fille, en envoyant insolemment à Félix -une petite somme d'argent, pour qu'il pût, disait-il, se faire un sort.</p> - -<p>»Tels étaient les motifs qui affligeaient le cœur du jeune homme, et -le rendaient, lorsque je le vis d'abord, le plus à plaindre de la -famille. Il aurait pu supporter la pauvreté, et s'en glorifier même, -puisqu'elle avait été la récompense de sa vertu; mais l'ingratitude -du Turc et la perte de sa bien-aimée Safie, étaient des malheurs plus -amers et plus irréparables. Cependant, dès que la jeune Arabe arriva, -il se sentit ranimé par une nouvelle vie.</p> - -<p>»À peine avait-on appris à Leghorn, que Félix était privé de sa -fortune et de son rang, que le marchand ordonna à sa fille de ne plus -penser à son amant, mais de se tenir prête à retourner avec lui dans -sa patrie. Le cœur généreux de Safie en fut outragé; elle voulut -faire des remontrances à son père, mais celui-ci la quitta avec -colère, et en lui réitérant ses ordres tyranniques.</p> - -<p>»Peu de jours après, le Turc entra dans l'appartement de sa fille, et -lui dit précipitamment, qu'il avait des raisons de croire que le secret -de sa résidence à Leghorn avait été divulgué, et qu'il serait -bientôt livré au Gouvernement Français. Pour prévenir ce danger, il -avait loué un vaisseau qui devait le transporter à Constantinople, et -qui dans quelques heures serait à la voile. Il avait l'intention de -laisser sa fille aux soins d'un serviteur fidèle, qui l'emmènerait -aussitôt que la plus grande partie de ses biens serait arrivée à -Leghorn.</p> - -<p>»Seule avec elle-même, Safie réfléchit à la manière dont elle -devait se conduire dans cette circonstance. Elle envisageait avec -horreur l'idée de résider en Turquie; sa religion et ses sentiments -l'en éloignaient. Par quelques papiers de son père, qui tombèrent -entre ses mains, elle apprit l'exil de son amant et le nom du lieu qu'il -habitait. Elle hésita quelque temps, mais enfin elle prit une -détermination. Prenant avec elle quelques bijoux qui lui appartenaient, -et une petite somme d'argent, elle quitta l'Italie, et partit pour -l'Allemagne, accompagnée d'une domestique qui était de Leghorn, mais -qui comprenait un peu la langue Turque.</p> - -<p>»Elle arriva saine et sauve dans une ville, à environ vingt lieues de -la chaumière de M. de Lacey, mais elle y fut retenue par sa suivante -qui tomba dangereusement malade. Elle lui prodigua les soins de la plus -tendre affection, sans pouvoir l'empêcher de succomber. Le hasard -voulut que l'Arabe, qui resta seule, sans connaître la langue du pays -et les usages du monde, tombât en bonnes mains. La maîtresse de la -maison où elle avait fait séjour, avait su par l'Italienne le nom de -l'endroit vers lequel elle se dirigeait, et, après la mort de cette -pauvre fille, elle prit les mesures les plus convenables, pour que Safie -arrivât sans danger à la chaumière de son amant».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XIV">CHAPITRE XIV</a></h4> - - -<p>«Telle était l'histoire de mes chers voisins. J'en fus profondément -frappé. J'appris même, en comparant les positions de la vie sociale -qu'elle développait, à admirer les vertus de cette famille, et à -détester les vices de l'espèce humaine.</p> - -<p>»Cependant le crime me paraissait un mal dont j'étais loin. La -bienveillance et la générosité étaient toujours devant mes yeux, et -m'inspiraient le désir de devenir acteur dans cette scène active où -tant d'admirables qualités étaient déployées et mises en jeu. Mais -en faisant le récit des progrès de mon intelligence, je ne dois pas -omettre une circonstance qui remonte au commencement du mois d'août de -la même année.</p> - -<p>»J'étais allé un soir, suivant ma coutume, dans le bois voisin, où -je ramassais ma nourriture, et d'où je rapportais du bois pour mes -protecteurs. Je trouvai par terre un portemanteau de cuir, qui contenait -plusieurs articles d'habillement et quelques livres. Je m'en emparai -avec empressement, et je revins avec ma prise dans ma cabane. -Heureusement les livres étaient écrits dans la langue dont j'avais -appris les éléments à la chaumière; c'étaient le <i>Paradis perdu</i>, -un volume des <i>Vies de Plutarque</i>, et <i>les Passions de Werther.</i> Je -ressentis la joie la plus vive de posséder ces trésors. Je me mis à -étudier avec ardeur, et j'exerçais mon esprit sur ces histoires, -pendant que mes amis se livraient à leurs occupations ordinaires.</p> - -<p>»J'aurais peine à vous décrire l'effet de ces livres. Ils me -présentèrent une infinité de nouvelles images et de nouveaux -sentiments, qui me remplissaient quelquefois de ravissement, mais qui -plus souvent me jetaient dans la plus profonde affliction. Dans -<i>Werther</i>, dont l'histoire simple et touchante offre déjà beaucoup -d'intérêt, on examine tant d'opinions, et on répand tant de lumières -sur ce qui avait été précédemment obscur pour moi, que j'y trouvai -une source intarissable de réflexions, et de nombreux motifs -d'étonnement. Les habitudes douces et domestiques qu'il décrivait, les -nobles sentiments et les sensations dont il parlait, et qui se portent -vers un autre objet que soi-même, s'accordaient bien avec l'expérience -que j'avais acquise parmi mes protecteurs, et avec les besoins qui -naissaient pour toujours dans mon sein; mais Werther lui-même me parut -un être plus divin qu'aucun de ceux que j'avais vus ou imaginés: son -caractère était exempt de prétentions; mais il était réfléchi. Les -discussions sur la mort et le suicide étaient propres à me remplir -d'étonnement. Je ne prétendais pas juger la question; mais j'inclinai -vers les opinions du héros dont je pleurai la fin, sans la comprendre -précisément.</p> - -<p>»Cependant, en lisant, je faisais une application plus personnelle à -mes propres sensations et à mon état. Il me parut que j'avais quelque -ressemblance, et en même temps une étrange différence avec les êtres -dont je lisais l'histoire, et ceux dont j'écoutais la conversation. Je -sympathisais avec eux, je les comprenais en partie, mais je n'avais pas -l'esprit formé; je ne dépendais de personne, je n'avais de rapport -avec qui que ce fût. Je pouvais librement cheminer vers la tombe; -personne ne devait venir verser des pleurs sur ma cendre. Mon extérieur -était hideux, et ma stature gigantesque: Que devais-je en penser? Qui -étais-je? Qu'étais-je? D'où venais-je? Quelle était ma destinée? -Ces questions revenaient sans cesse, sans que je pusse les résoudre.</p> - -<p>»Le volume des <i>Vies de Plutarque</i>, qui était tombé entre mes mains, -contenait les histoires des premiers fondateurs des anciennes -républiques. Ce livre fit sur moi une impression entièrement -différente de celle que j'avais éprouvée en lisant Werther. Les -rêveries de ce jeune Allemand m'avaient appris à connaître le -désespoir et les passions; Plutarque me montra de hautes pensées. Il -m'élevait au-dessus de la sphère bornée de mes propres réflexions, -à un point où je pouvais admirer et aimer les héros des siècles -passés. Il y avait, dans ce que je lisais, beaucoup de choses qui -étaient au-dessus de mon intelligence et de mon expérience. J'avais -une connaissance très-confuse des royaumes, des vastes continents, des -grandes rivières et des mers sans limites; mais je ne connaissais -nullement les villes, ni les grandes réunions d'hommes. La chaumière -de mes protecteurs était la seule école où j'eusse étudié la nature -humaine; Plutarque me développa des actions nouvelles et plus fortes. -En lisant l'histoire de ces hommes versés dans les affaires publiques, -qui gouvernaient ou massacraient leurs semblables, je sentis naître en -moi un ardent amour de la vertu, et une profonde horreur du crime; -termes dont je ne comprenais pas bien la signification, mais qui, selon -moi, n'avaient d'autre rapport qu'au plaisir et à la peine. Ces -sentiments me portèrent naturellement à admirer les législateurs -pacifiques, tels que Numa, Solon et Lycurgue, de préférence à Romulus -et Thésée. La vie patriarcale de mes protecteurs contribua à graver -fortement ces impressions dans mon esprit. Il se peut cependant qu'elles -eussent été toutes différentes, si j'eusse été initié au monde par -un jeune soldat, passionné pour la gloire et le carnage.</p> - -<p>»Le <i>Paradis perdu</i> excita des émotions tout autres et bien plus -profondes. Il en fut de cet ouvrage comme des deux autres, qui étaient -tombés entre mes mains; je le pris pour une histoire véritable. Je me -sentis agité par tous les sentiments d'étonnement et de crainte, que -devait exciter la peinture d'un Dieu tout-puissant en guerre avec ceux -qu'il avait créés. Souvent je m'appliquais à moi-même diverses -situations, qui offraient un rapport frappant avec la mienne. Selon -toute apparence, j'avais été créé, comme Adam, sans tenir en rien à -un être vivant; mais d'un autre côté, son état était bien -différent du mien. Il était sorti des mains de Dieu, parfait, heureux -et prospère. Il restait sous la garde même de son créateur; il -pouvait lui parler, et s'instruire en communiquant avec des êtres d'une -nature supérieure: moi, j'étais malheureux, sans appui, et seul. Plus -d'une fois, je considérai Satan comme l'emblème le plus fidèle de ma -condition; souvent en effet, en voyant le bonheur des mes protecteurs, -je me sentais, comme lui, rempli d'un sentiment d'envie.</p> - -<p>»Une autre circonstance me confirma dans l'opinion que j'avais de -moi-même. Peu de temps après mon arrivée dans la cabane, je -découvris quelques papiers dans la poche du vêtement que j'avais -emporté de votre laboratoire. Je les avais d'abord négligés; mais -maintenant que je pouvais déchiffrer les caractères qui y étaient -tracés, je me mis à les étudier. C'était un journal écrit par vous, -et relatif aux quatre premiers mois qui précédèrent ma création. -Vous décriviez avec un soin minutieux chaque opération qui concourait -au progrès de votre ouvrage; vous mêliez à cette histoire le récit -des évènements qui avaient rapport à votre famille.</p> - -<p>»Vous vous souvenez sans doute de ces papiers. Les voici. Rien n'est -omis de ce qui a rapport à mon origine maudite; toutes les -circonstances qui l'ont amenée, quelque dégoût qu'elles offrent, y -sont fidèlement conservées: la description la plus minutieuse de mon -odieuse et dégoûtante personne y est tracée dans des termes qui -peignaient votre horreur même, et rendaient la mienne ineffaçable. -J'étais dans une souffrance affreuse en lisant ces notes. «Jour odieux -où je reçus la vie, m'écriai-je avec désespoir! Maudit Créateur! -Pourquoi as-tu formé un monstre si hideux, que toi-même tu t'en es -éloigné avec dégoût? Dieu a fait l'homme beau, agréable, et à son -image; ma forme présente aussi une ressemblance avec la tienne; mais -une ressemblance horrible, plus horrible même par la ressemblance. -Satan avait ses compagnons, ses diables, pour l'admirer, pour -l'encourager; et moi, je suis solitaire et détesté».</p> - -<p>»Telles étaient mes réflexions pendant mes moments de désespoir et -de solitude; mais, revenant à contempler les vertus des habitants de la -chaumière, leur caractère aimable et bienveillant, je me persuadais -que, lorsqu'ils connaîtraient mon admiration pour leurs vertus, ils -auraient compassion de moi, et ne feraient pas attention à ma -difformité personnelle. Pourraient-ils éloigner d'eux un être -monstrueux, il est vrai, mais qui implorait leur compassion et leur -amitié? Je résolus, du moins, de ne pas désespérer, et, à tout -événement, de me préparer à une entrevue qui déciderait de ma -destinée. Je retardai cet essai de quelques mois; car le succès était -assez important pour m'inspirer la crainte de ne pas réussir. Du reste, -j'acquérais tant d'expérience chaque jour, que je ne voulus commencer -cette entreprise, qu'après avoir ajouté quelques mois de plus à ma -sagesse.</p> - -<p>»Je remarquai, pendant ce temps, plusieurs changements dans la -chaumière. La présence de Safie répandait le bonheur, et même plus -d'abondance, parmi les personnes qui l'environnaient. Félix et Agathe -donnaient plus de temps à leurs amusements et à leurs causeries; et -ils étaient aidés dans leurs travaux par des domestiques. Ils ne -paraissaient pas riches, mais ils étaient contents et heureux; leurs -sentiments étaient paisibles, tandis que les miens devenaient de jour -en jour plus tumultueux. Le progrès de mes connaissances ne servait -qu'à me montrer plus clairement dans quelle affreuse position j'étais -placé. J'entretenais l'espérance, il est vrai; mais elle -s'évanouissait toujours, au moment où je voyais ma personne -réfléchie dans l'eau, ou mon ombre à la clarté de la lune: faible -image, ombre inconstante, dont je m'effrayais midi-même!</p> - -<p>»Je m'efforçai de bannir ces craintes, et de m'affermir pour -l'épreuve que j'avais intention de subir dans quelques mois. -Quelquefois je laissais mes pensées s'abandonner au délire, et errer -dans les plaines du paradis; j'osais me représenter ces êtres bons et -aimables, sympathisant avec mes sentiments et dissipant ma tristesse; je -croyais voir leurs figures angéliques sourire pour me consoler. Rêves -insensés! Une Ève n'adoucissait pas mes chagrins, ne partageait point -mes pensées; j'étais seul. Je me souvenais de la prière qu'Adam -adressa à son créateur; mais où était le mien? Il m'avait -abandonné, et, dans l'amertume de mon cœur, je le maudissais.</p> - -<p>»L'automne se passa ainsi. Je vis, avec surprise et chagrin, les -feuilles décroître et tomber, et la nature reprendre cet aspect -stérile et froid qu'elle présentait, lorsque je vis pour la première -fois les bois et la lune bienfaisante. Cependant, je ne fis pas -attention à la température froide de la saison; j'étais plus propre, -par mon organisation, à endurer le froid que la chaleur; mon plus grand -plaisir était de voir les fleurs, les oiseaux, et tout le cortège -enchanteur de l'été. Privé de ces agréments, je tournai davantage -mon attention vers les habitants de la chaumière. L'absence de l'été -n'avait pas diminué leur bonheur. Ce bonheur était de s'aimer et de se -convenir; il ne dépendait que d'eux-mêmes, et n'était pas interrompu -par ce qui se passait autour d'eux. Plus je les voyais, plus j'avais le -désir de réclamer leur protection et leur amitié; mon cœur avait -besoin d'être connu et aimé de ces intéressantes créatures; toute -mon ambition se bornait à voir leurs doux regards tournés avec -affection vers moi. Je n'osais penser qu'ils les détourneraient avec -mépris et horreur. Le pauvre, qui s'arrêtait à leur porte, n'était -jamais repoussé. Je demandais, il est vrai, des trésors bien plus -grands qu'un peu de nourriture ou du repos; je prétendais à l'amitié, -à la sympathie, et je ne m'en croyais pas tout-à-fait indigne.</p> - -<p>»L'hiver approchait, et une révolution complète des saisons avait eu -lieu, depuis que j'étais animé par la vie. Mon attention, à cette -époque, fut tournée entièrement vers le plan que je ni étais formé, -et qui était de m'introduire dans la chaumière de mes protecteurs. Je -conçus une foule de projets; mais celui auquel je m'arrêtai, fut -d'entrer dans leur habitation au moment où le vieillard aveugle serait -seul. J'avais assez de sagacité pour deviner, que ma laideur hideuse et -surnaturelle était le principal objet d'horreur pour ceux qui m'avaient -vu précédemment. Ma voix, quoique dure, n'avait rien de terrible; je -pensai donc que si, pendant l'absence de ses enfants, je pouvais obtenir -la bienveillance et la médiation du vieux de Lacey, je parviendrais, -grâce à lui, à être toléré par mes plus jeunes protecteurs.</p> - -<p>»Un jour, le soleil brillait sur les feuilles rougeâtres dont la terre -était jonchée, et inspirait la gaîté, sans répandre la chaleur; -Safie, Agathe, et Félix partirent pour faire une longue promenade dans -la campagne, et le vieillard, qui avait exprimé le désir de ne pas les -accompagner, resta seul dans la chaumière. À peine ses enfants -étaient-ils partis, qu'il prit sa guitare, et joua plusieurs airs d'une -mélancolie douce, plus douce même qu'aucun de ceux que j'avais -entendus auparavant. Sa figure était d'abord animée par le plaisir, -mais bientôt elle exprima la méditation et la tristesse; enfin, le -vieillard mit l'instrument de côté, et resta absorbé dans ses -rêveries.</p> - -<p>»Mon cœur palpitait avec force; c'était l'heure, le moment de -l'épreuve, qui devait confirmer mes espérances, ou réaliser mes -craintes. Les domestiques étaient allés à une fête voisine. Tout -était silencieux au dedans et autour de la chaumière: l'occasion -était excellente; cependant, au moment où j'allais mettre mon plan à -exécution, je sentis mes forces défaillir, et je tombai à terre. Je -me relevai; je m'armai de toute la fermeté dont j'étais capable, et -j'écartai les planches que j'avais placées devant ma cabane, pour -cacher ma retraite. L'air frais me ranima, je m'affermis de nouveau dans -ma détermination, et je m'approchai de la porte de ma chaumière.</p> - -<p>»Je frappai. « Qui est là, dit le vieillard? Entrez».</p> - -<p>—«Excusez-moi, lui dis-je, je suis un voyageur qui a besoin d'un peu -de repos, et que vous obligeriez beaucoup, si vous vouliez permettre -qu'il restât quelques minutes devant le feu».</p> - -<p>—«Entrez, dit de Lacey, et je chercherai à vous soulager; mais, -malheureusement, mes enfants sont sortis; car je suis aveugle, et je -crains qu'il ne me soit difficile de vous offrir quelque nourriture».</p> - -<p>—«N'en soyez pas en peine, mon généreux hôte, je n'en ai pas -besoin; je ne réclame qu'un peu de chaleur et de repos».</p> - -<p>»Je m'assis, et il y eut un moment de silence. Je savais que chaque -minute m'était précieuse; cependant j'étais indécis sur la manière -dont je commencerais l'entretien; mais le vieillard me tira d'embarras -en disant: «Étranger, je suppose, à votre langage, que vous êtes mon -compatriote; êtes-vous Français»?</p> - -<p>—«Non; mais j'ai été élevé par une famille Française, et je ne -comprends que la langue de ce pays. Je vais, en ce moment, réclamer la -protection de quelques amis que j'aime sincèrement, et dont j'espère -obtenir l'amitié».</p> - -<p>—«Sont-ils Allemands»?</p> - -<p>—«Non, ils sont Français. Mais changeons de conversation. Je suis une -créature malheureuse et abandonnée; je regarde autour de moi, et je -n'ai ni parent, ni ami sur la terre. Ces aimables gens, que je vais -trouver, ne m'ont jamais vu, et ne me connaissent que sous bien peu de -rapports. Je suis rempli de crainte; car, si je ne réussis pas auprès -d'eux, je dois m'attendre à être un rebut pour le reste des hommes».</p> - -<p>—«Ne désespérez pas. Vivre sans amis, c'est assurément vivre -malheureux; mais le cœur de l'homme qui est dégagé de tout intérêt -particulier, ne renferme qu'amour fraternel et charité. Ayez donc -confiance; et, si ces amis sont bons et aimables, ne perdez pas -courage».</p> - -<p>—«Ils sont bons, il n'en est pas qui soient meilleurs; mais, -malheureusement, ils sont prévenus contre moi. J'ai un bon naturel; -jusqu'ici ma vie a été innocente, et quelquefois bienfaisante; mais -les personnes, dont je vous parle, sont aveuglées par un préjugé -fatal, et, au lieu de voir en moi un ami bon et sensible, elles ne -voient qu'un monstre détestable».</p> - -<p>—«C'est un malheur, j'en conviens; mais, si vous n'avez aucun tort, ne -pouvez-vous pas les détromper»?</p> - -<p>—«Je vais l'essayer; et c'est cette tentative même qui m'accable de -tant de terreur. J'aime tendrement ces amis; sans être connu d'eux, -j'ai pu pendant plusieurs mois connaître les attentions journalières -qu'ils se prodiguent mutuellement; mais ils croient que je veux leur -nuire, et c'est ce préjugé que je désire détruire».</p> - -<p>—«Où demeurent ces ami»?</p> - -<p>—«Près d'ici».</p> - -<p>—«Le vieillard garda le silence un moment, et dit: «Si vous voulez me -confier sans réserve les détails de votre histoire, je vous serai -peut-être utile pour les détromper. Je suis aveugle, et ne puis vous -juger sur votre figure; mais il y a dans vos paroles un accent qui me -garantit votre sincérité. Je suis pauvre et exilé, mais ce sera un -véritable plaisir pour moi de pouvoir, en quelque manière, rendre -service à une créature humaine».</p> - -<p>—«Homme excellent! Je vous remercie, et j'accepte votre offre -généreuse. Votre bonté me rassure; votre secours me permet -d'espérer, que je ne serai pas chassé de la société de vos -semblables, ni privé de leur intérêt».</p> - -<p>—«Dieu vous en préserve, quand bien même vous seriez criminel; car -ce malheur seul pourrait vous conduire au désespoir, et vous éloigner -de la vertu. Moi aussi je suis malheureux, ma famille a été -condamnée, et elle était innocente; jugez donc si je ne sens pas vos -infortunes».</p> - -<p>—«Comment pourrai-je vous remercier, mon excellent et unique -bienfaiteur? Vous êtes le premier homme qui m'ait fait entendre des -paroles bienveillantes; j'en serai toujours reconnaissant. Votre -humanité me garantit tout succès près des amis que je suis sur le -point de voir».</p> - -<p>—«Puis-je connaître le nom et la demeure de ces amis»?</p> - -<p>»Je me tus. C'était le moment décisif, où j'allais perdre ou obtenir -à jamais le bonheur. Je m'efforçai de recueillir assez de fermeté -pour lui répondre, mais cet effort épuisa toute la force qui me -restait. Je tombai sur la chaise en sanglotant. Dans ce moment -j'entendis les pas de mes protecteurs. Je n'avais pas un moment à -perdre; je m'emparai de la main du vieillard, et je m'écriai: «Voici -le moment!... Sauvez et protégez moi! Vous et votre famille, vous êtes -les amis que je cherche. Ne m'abandonnez pas au moment de l'épreuve».</p> - -<p>—«Grand Dieu! s'écria le vieillard, qui êtes-vous»?</p> - -<p>»Au même instant la porte de la chaumière s'ouvre; Félix, Safie et -Agathe entrèrent. Qui pourrait décrire l'horreur et la consternation -dont ils furent saisis en me voyant. Agathe s'évanouit; et Safie, -incapable de donner des soins à son amie, s'élança hors de la -chaumière. Félix s'avança, et avec une force surnaturelle, m'arracha -de son père aux genoux duquel je m'attachais; dans un transport de -fureur, il me renversa par terre, et me frappa avec violence d'un -bâton. J'aurais pu séparer ses membres, aussi facilement que le lion -déchire la gazelle; mais j'avais le cœur oppressé par la plus amère -douleur, et je me retins. Il se disposait à me frapper de nouveau; mais -vaincu par la douleur et le désespoir, je quittai la chaumière; et, -sans être aperçu, je parvins, au milieu du tumulte général, à -m'échapper jusque dans ma cabane».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XV">CHAPITRE XV</a></h4> - - -<p>»Maudit, maudit créateur! Pourquoi vivais-je? Pourquoi, dans cet -instant, n'ai-je pas éteint l'étincelle d'existence que vous m'aviez -si imprudemment donnée? Je ne sais; le désespoir ne s'était pas -encore emparé de moi; mes sentiments étaient ceux de la rage et de la -vengeance. J'aurais eu du plaisir à détruire la chaumière et ses -habitants, et je me serais rassasié de leurs cris et de leur malheur.</p> - -<p>»Dès que la nuit fut arrivée, je quittai ma retraite, et je me mis à -errer dans le bois: là, cessant d'être retenu par la crainte d'être -découvert, je donnai cours à mes tourments par des hurlements -horribles. Semblable à une bête féroce qui a rompu ses liens, je -détruisais les objets qui faisaient obstacle à mon passage, et je -traversais les bois avec la rapidité du cerf. Ah! que cette nuit fut -affreuse pour moi! Les froides étoiles brillaient dans les cieux, et -semblaient insulter à mon malheur: les arbres dépouillés agitaient -leurs branches au-dessus de ma tête; de temps en temps, la douce voix -d'un oiseau se lisait entendre au milieu du silence universel: tout, -excepté moi, jouissait du repos ou du bonheur. Semblable au chef des -Démons, je portais l'enfer en moi-même; sans avoir son génie, je -voulais déraciner les arbres, répandre le ravage et la destruction -autour de moi; et, après avoir assouvi ma fureur, m'asseoir sur les -ruines, et en jouir.</p> - -<p>»Je ne pus supporter ce dérèglement de sensations; je me sentis -accablé par l'excès de l'exercice auquel je m'étais livré, et je -tombai sur la terre humide dans la faible impuissance du désespoir. -Parmi les hommes, nul n'avait pitié de moi, nul ne me prêtait -assistance: devais-je amitié à mes ennemis? Non. De ce moment, je -déclarai une guerre éternelle à l'espèce humaine, et surtout à -celui qui, en me créant, me réduisait à ce malheur insupportable.</p> - -<p>»Le soleil se leva; j'entendis des voix d'hommes, et je jugeai -impossible de retourner, ce jour-là, dans ma retraite. En conséquence, -je me cachai dans quelque taillis épais, déterminé à passer le temps -à réfléchir sur ma situation.</p> - -<p>»Le doux éclat du soleil, et l'air pur du jour me rendirent un peu la -tranquillité. Je me rappelai ce qui s'était passé dans la chaumière, -et je ne pus m'empêcher de croire que j'avais été trop prompt dans -mes conclusions. J'avais certainement agi avec imprudence. Il était -clair que ma conversation avait intéressé le père en ma faveur, et -j'étais un insensé de m'être exposé à l'horreur de ses enfants. -J'aurais dû habituer le vieux de Lacey à moi-même, et ne me -découvrir au reste de sa famille, que lorsqu'elle aurait été -préparée à me voir. Cette erreur ne me parut pas irréparable. Je -méditai long-temps sur le parti que j'aurais à prendre, et je -m'arrêtai à celui de retourner à la chaumière, de m'adresser au -vieillard, et de le mettre dans ma cause par mes représentations.</p> - -<p>»Ces pensées me calmèrent, et me jetèrent, vers l'après-midi, dans -un profond sommeil; mais l'agitation de mon sang ne me permettait pas -d'être bercé par des rêves paisibles. L'horrible scène de la veille -se représentait sans cesse à mes yeux; les femmes fuyaient, et Félix, -rempli de fureur, m'arrachait aux pieds de son père. Je me réveillai -épuisé; et je profitai de la nuit, qui était déjà venue, pour -sortir de ma retraite, et pourvoir à ma nourriture.</p> - -<p>»Après avoir apaisé ma faim, je dirigeai mes pas vers le sentier bien -connu, qui conduisait à la chaumière. Tout était tranquille. Je -rentrai dans ma cabane, et je me mis à attendre l'heure à laquelle la -famille avait coutume de se lever. Cette heure se passa, le soleil -s'éleva dans les deux, et les habitants de la chaumière ne -paraissaient pas. Je tremblais avec violence, dans la crainte de quelque -malheur affreux. L'intérieur de la chaumière était sombre; aucun -mouvement ne se faisait entendre: je ne puis décrire l'agonie de cette -attente.</p> - -<p>»Dans ce moment deux paysans vinrent à passer, s'arrêtèrent auprès -de la chaumière, et causèrent ensemble en faisant des gestes violents; -mais je ne comprenais pas un mot de leur conversation, parce qu'ils -parlaient la langue du pays, qui différait de celle de mes protecteurs. -Bientôt après, cependant, Félix s'approcha d'un autre homme: je fus -surpris de voir qu'il n'avait pas quitté la chaumière ce matin; j'en -eus même quelqu'inquiétude, et je prêtai une oreille attentive pour -découvrir, dans ce qu'il dirait, le motif de ces visites inaccoutumées».</p> - -<p>«Faites-vous attention, lui dit son compagnon, que vous serez obligé -de payer un loyer de trois mois, et de perdre le produit de votre -jardin? Je ne désire pas profiter d'un avantage injuste, et je demande -en conséquence que vous preniez quelques jours pour peser votre -détermination».</p> - -<p>—«C'est tout-à-fait inutile, répondit Félix; nous ne pouvons plus -désormais habiter votre chaumière. La vie de mon père est dans le -plus grand danger, à cause de l'évènement affreux que je vous ai -raconté. Ma femme et ma sœur ne reviendront jamais de leur terreur. Ne -raisonnons pas davantage sur ce sujet. Prenez possession de voire bien, -et laissez moi quitter ce lieu».</p> - -<p>»Félix tremblait violemment en parlant ainsi. Il entra, suivi de ses -compagnons, dans la chaumière, et partit au bout de quelques minutes. -Depuis, je n'ai jamais vu personne de la famille de M. de Lacey.</p> - -<p>»Pendant le reste du jour je restai dans ma cabane, accablé par un -désespoir profond et stupide. Mes protecteurs étaient partis, et -avaient rompu le seul lien qui m'attachait au monde. Pour la première -fois, mon cœur se remplit de sentiments de vengeance et de haine; au -lieu de chercher à les comprimer, je me laissais emporter par le -torrent, abandonnant mon esprit aux idées du mal et de la mort. Si je -me rappelais mes amis, la voix douce de M. de Lacey, les yeux attrayants -d'Agathe, et la beauté merveilleuse de l'Arabe, ces sombres pensées se -dissipaient, et un torrent de larmes coulait de mes yeux. Mais aussitôt -que je reportais ma pensée sur le mépris et l'abandon dans lequel je -me trouvais, ma colère se tournait en rage. Dans l'impuissance de nuire -à aucun objet humain, je dirigeai ma fureur sur des objets inanimés. -À l'approche de la nuit, je plaçai une grande quantité de -combustibles autour de la chaumière; et, après avoir détruit tout -vestige de culture dans le jardin, j'attendis avec la plus grande -impatience que la lune fut cachée pour commencer mes opérations.</p> - -<p>»À l'approche de la nuit, un vent terrible s'éleva, et dispersa -promptement les nuages qui couvraient le ciel: ce vent, dont la force -semblait égaler celle de l'avalanche, bouleversa mon esprit, et brisa -toute ma raison. J'allumai une branche d'arbre sèche, et je tournai -avec fureur autour de la chaumière maudite, les yeux incessamment -fixés sur l'ouest de l'horizon, dont la lune touchait presque le bord. -Une partie de son orbe fut enfin cachée, et je brandis ma branche; la -lune disparut, et je mis le feu, en poussant un cri, à la paille, aux -bruyères et aux genêts que j'avais rassemblés. Le vent augmenta la -violence du feu, et la chaumière fut aussitôt enveloppée et dévorée -par les flammes.</p> - -<p>»Dès que je fus convaincu qu'aucun secours ne pourrait sauver quelque -partie de l'habitation, je me retirai, en me dirigeant vers le bois, où -je cherchai un asile.</p> - -<p>»Maintenant que j'avais le monde devant moi, où devais-je porter mes -pas? Je résolus de fuir loin du théâtre de mes malheurs; mais pour -moi, haï et méprisé, tous les pays étaient également horribles. -Enfin, je pensai à vous. J'appris par vos papiers que vous étiez mon -père, mon créateur: à qui pouvais-je mieux m'adresser qu'à celui qui -m'avait donné la vie? Félix qui avait appris beaucoup de choses à -Safie, n'avait pas oublié de lui faire connaître la géographie: de -cette manière j'avais appris les situations respectives des -différentes contrées de la terre. Vous aviez indiqué que Genève -était votre patrie; je résolus de porter mes pas vers cette ville.</p> - -<p>»Comment faire pour m'orienter? Je savais qu'il fallait voyager dans -une direction sud ouest, pour arriver à ma destination; mais je n'avais -d'autre guide que le soleil. Je ne connaissais pas les noms des villes -que j'avais à traverser, et je ne pouvais demander des renseignements -à aucun être humain. Malgré ces difficultés, je ne perdis pas tout -espoir. Je ne pouvais attendre de secours que de vous, de vous qui ne -m'inspiriez d'autre sentiment que celui de la haine. Créateur -insensible et lâche! tu m'avais doué de sens et de passions, et tu -m'avais jeté dans le monde comme un objet de mépris et d'horreur pour -l'espèce humaine! Il n'y avait que vous à la pitié et à la justice -duquel je pusse prétendre, et je me déterminai à réclamer de vous -cette justice, que j'essayerais en vain d'obtenir de tout autre être -humain.</p> - -<p>»Mes voyages furent longs, et mes souffrances cruelles. L'automne -était avancé lorsque je quittai le lieu qui m'avait si longtemps servi -de résidence. Je ne voyageais que de nuit, dans la crainte de -rencontrer l'homme. La nature dépérissait autour de moi, et le soleil -devint sans chaleur; la pluie et la neige tombaient de toutes parts; de -grands fleuves étaient gelés; la surface de la terre était triste, -glacée, et nue, et je ne trouvais aucun asile. Ah, terre! combien de -fois ai-je vomi des imprécations contre celui qui m'avait créé! Je -n'avais plus la même douceur de caractère; je n'avais plus que fiel et -amertume. Plus j'approchais de votre habitation, plus je sentais -profondément dans mon cœur le désir de la vengeance. Je ne me -reposais pas, malgré la neige et la glace. Quelques incidents, et une -carte du pays, qui était tombée entre mes mains, servirent à me -diriger; mais souvent je m'égarais de mon chemin. L'horreur de mon -désespoir ne me laissait aucun repos: chaque incident était un motif -nouveau de rage et de malheur; mais une circonstance, que je vais -rapporter, redoubla l'amertume et l'horreur de mes sentiments.</p> - -<p>»J'étais arrivé sur les confins du Switzerland: le soleil avait -déjà plus de chaleur, et la terre commençait à se couvrir d'une -nouvelle verdure.</p> - -<p>»J'avais coutume de me reposer pendant le jour, et de ne voyager que de -nuit, pour éviter l'aspect de l'homme. Un matin, cependant, comme -j'avais à traverser un bois profond, je hasardai de continuer mon -voyage après le lever du soleil. C'était un des premiers jours du -printemps: le charme du soleil resplendissant, et la fraîcheur -embaumée de l'air m'inspirèrent un sentiment de joie. Je sentis -renaître dans mon cœur des émotions douces et agréables, qui depuis -long-temps paraissaient éteintes. Presque surpris par la nouveauté de -ces sensations, je me sentis entraîné jusqu'au point d'oublier ma -solitude et ma difformité; j'osai même goûter un moment de bonheur. -De douces larmes arrosèrent encore mes joues, et mes yeux humides se -levèrent avec reconnaissance vers l'astre bienfaisant auquel je devais -une semblable jouissance.</p> - -<p>»Je continuai à suivre les sentiers du bois, jusqu'à sa limite, -marquée par une rivière dont le lit paraissait profond et le cours -rapide, et dont les bords étaient ombragés par une grande quantité -d'arbres déjà verdoyants. Je m'arrêtai dans cet endroit, sans savoir -exactement le chemin que je suivrais, lorsque j'entendis des voix qui me -forcèrent à me cacher sous l'ombre d'un cyprès. J'étais à peine -sous cet arbre, qu'une jeune fille vint en courant vers l'endroit que -j'avais choisi, et en riant comme si elle fuyait quelqu'un pour badiner. -Elle continua sa course le long des bords escarpés du fleuve; mais, -venant tout-à-coup à glisser, elle tomba dans l'eau. Je m'élançai de -ma retraite, et après avoir longtemps lutté contre la force du -courant, je parvins à la sauver, et à l'amener sur le rivage. Elle -était sans connaissance; et j'essayais de la ranimer par tous les -moyens possibles, lorsque je fus brusquement interrompu par l'approche -d'un paysan, qui était probablement celui qu'elle avait fui en jouant. -À ma vue, il s'élança vers moi, arrachant la jeune fille de mes bras, -et courut vers la partie la plus épaisse du bois. Je le suivis -aussitôt, et presque machinalement; mais l'homme, en me voyant -approcher, ajusta sur moi le fusil qu'il portait, et fit feu. Je tombai, -et il s'échappa dans l'épaisseur du bois avec une nouvelle rapidité.</p> - -<p>»Telle était donc la récompense de ma bonté! J'avais sauvé de la -mort un être humain, et, pour récompense, je souffrais maintenant -d'une blessure qui avait déchiré la chair jusqu'aux os. Les sentiments -de bonté et de douceur, qui m'avaient animé peu d'heures auparavant, -firent place à une rage infernale et à des mouvements convulsifs. -Enflammé par la souffrance, je vouai une haine éternelle à toute -l'espèce humaine, et en méditant de terribles vengeances; mais -l'irritation de ma blessure m'accabla, suspendit les mouvements de mon -pouls, et me fit perdre les sens.</p> - -<p>»Pendant quelques semaines, je traînai ma malheureuse vie dans les -bois, en cherchant à soigner la blessure que j'avais reçue. La balle -était entrée dans mon épaule; et je ne savais si elle y était -restée, ou si elle avait traversé tout mon corps. Quoi qu'il en fût, -je n'avais aucun moyen de l'extraire. Mes souffrances s'aggravaient -encore du sentiment oppressif de l'injustice et de l'ingratitude qui en -était la cause. Dans mes vœux journaliers je demandais vengeance, une -vengeance entière et terrible, qui seule pourrait tenir lieu des -outrages et des angoisses que j'avais soufferts.</p> - -<p>»Après quelques semaines, ma blessure se guérit, et je continuai mon -voyage. Mes souffrances ne devaient plus être adoucies par l'éclat du -soleil, ou les douces brises du printemps; la joie n'était plus qu'une -ironie qui insultait à mon désespoir, et me faisait sentir plus -péniblement que je n'étais pas destiné à connaître le bonheur.</p> - -<p>»J'approchais cependant du terme de mon voyage; deux mois après, -j'arrivai dans les environs de Genève.</p> - -<p>»C'était le soir. Je me cachai dans les champs qui entourent cette -ville, pour songer de quelle manière je m'adresserais à vous. J'étais -accablé par la fatigue et la faim, et beaucoup trop malheureux pour -jouir des douces brises du soir, ou de la vue du soleil qui se couchait -derrière les imposantes montagnes du Jura.</p> - -<p>»Un léger sommeil m'arracha en ce moment à mes tristes réflexions; -mais il fut bientôt troublé par rapproche d'un bel enfant, qui vint, -en courant, et avec toute la gaîté de son âge, dans la retraite où -je m'étais placé. Tout-à-coup, en le voyant, j'eus la pensée que -cette petite créature était sans prévention, et avait vécu trop peu -de temps pour avoir horreur de la difformité. Si, donc, je pouvais le -prendre, et l'élever comme mon compagnon et mon ami, je ne serais plus -solitaire sur cette terre peuplée.</p> - -<p>»Cédant à cette pensée, je saisis l'enfant au passage, et le tirai -vers moi. À ma vue, il couvrit ses yeux de ses mains, et poussa un cri -d'effroi. J'ôtai de force la main qu'il tenait sur sa figure, et je lui -dis: «Enfant, que crains-tu? Je n'ai pas l'intention de te faire aucun -mal; écoute-moi».</p> - -<p>»Il se débattait avec violence:—«Laisse-moi m'en aller, -s'écria-t-il, monstre! vilain méchant! tu veux me manger, et me -déchirer en morceaux.... Tu es un ogre.... laisse-moi m'en aller, ou je -le dirai à papa».</p> - -<p>—«Mon enfant, tu ne reverras plus ton père; il faut que tu viennes -avec moi.</p> - -<p>—«Monstre affreux! laisse-moi partir; mon papa est syndic;—c'est M. -Frankenstein... Il te punirait, si tu osais me retenir».</p> - -<p>—«Frankenstein! tu appartiens donc à mon ennemi... à celui de qui -j'ai juré de tirer vengeance; tu seras ma première victime».</p> - -<p>»L'enfant se débattait encore, et me chargeait d'épithètes qui -portaient le désespoir dans mon cœur. Je lui pris le cou pour -l'empêcher de crier, et je le vis aussitôt tomber mort à mes pieds.</p> - -<p>«En contemplant ma victime, j'avais le cœur gonflé de joie et fier -d'un triomphe infernal. Je frappai des mains, en m'écriant: «Moi -aussi, je puis porter la désolation; mon ennemi n'est pas au-dessus de -mes atteintes; cette mort le jettera dans le désespoir, et mille autres -malheurs pourront l'affliger et l'accabler».</p> - -<p>»En fixant mes yeux sur l'enfant, j'aperçus un objet qui brillait sur -sa poitrine: je le pris, c'était le portrait d'une femme -très-séduisante. Tout pervers que j'étais, j'en fus transporté, et -je m'adoucis. Je contemplai quelques moments avec délices ses yeux -noirs ombragés par de longs cils, et ses lèvres gracieuses; mais -bientôt ma rage revint: je me rappelai que j'étais à jamais privé du -bonheur que l'on peut attendre d'aussi belles créatures; et que celle -dont je contemplais l'image, changerait, en me regardant, cet air divin -de bonté en une expression de dégoût et d'effroi.</p> - -<p>»Vous étonnerez-vous que de telles pensées me transportassent de -rage? Je m'étonne seulement que, dans ce moment, au lieu de donner -cours à mes sentiments en exclamations et en désespoir, je ne me sois -pas précipité au milieu de l'espèce humaine, et que je n'aie pas -péri en essayant de la détruire.</p> - -<p>»Accablé par ces sentiments, je quittai le lieu où j'avais commis le -meurtre. Je cherchais une retraite plus à l'écart, lorsque je vis une -femme passer auprès de moi. Elle était jeune, pas aussi belle que -celle dont je tenais le portrait, mais d'un aspect agréable, et -brillant de tout l'éclat de la jeunesse et de la santé. Voici, -pensais-je, une de celles qui sourient pour tout le monde, excepté pour -moi; elle n'échappera pas: grâce aux leçons de Félix, et aux lois -sanguinaires de l'homme, j'ai appris à préparer le mal. Je m'approchai -d'elle sans en être vu, et je mis le portrait dans une des poches de -son vêtement.</p> - -<p>»Pendant quelques jours j'allai souvent à l'endroit où ces scènes -avaient eu lieu: tantôt j'avais le désir de vous voir, tantôt -j'étais résolu à quitter pour toujours le monde et ses misères. -Enfin je vins dans ces montagnes, et j'ai erré dans leurs immenses -solitudes, consumé par une passion brûlante que vous seul pouvez -satisfaire. Nous ne nous séparerons pas que vous n'ayez promis de -consentir à ma requête. Je suis seul et malheureux; l'homme ne veut -pas m'admettre dans sa société; mais un être aussi difforme et aussi -horrible que moi-même ne me repousserait pas. Ma compagne doit avoir le -même extérieur et les mêmes défauts. Votre devoir est de la créer.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_XVI">CHAPITRE XVI</a></h4> - - -<p>Le monstre cessa de parler, et fixa les yeux sur moi, dans l'attente -d'une réponse; mais j'étais troublé, hors de moi, et incapable de -recueillir assez mes idées pour comprendre toute l'étendue de sa -proposition. Il continua:</p> - -<p>«Il faut me créer une femme avec qui je puisse vivre dans l'échange -de ces sentiments nécessaires à mon existence. Vous seul pouvez le -faire; et je vous le demande comme un droit que vous ne devez pas -refuser».</p> - -<p>La dernière partie de son histoire avait rallumé dans mon cœur la -colère qui s'était apaisée pendant le récit de sa vie paisible, -parmi les habitants de la chaumière, et, lorsqu'il prononça ces -derniers mots, je ne pus contenir plus long-temps la fureur qui me -consumait.</p> - -<p>—«Je refuse, répondis-je; et aucun supplice n'arrachera jamais mon -consentement. Tu peux me rendre le plus malheureux des hommes; mais tu -ne m'aviliras jamais à mes propres yeux. Irai-je créer un autre être -semblable à toi-même, et dont la méchanceté, jointe à la tienne, -désolerait le monde? Éloigne-toi! Je t'ai répondu; tu peux me -torturer; mais je ne consentirai jamais à ta demande».</p> - -<p>—«Vous avez tort, répliqua le Démon; et, au lieu de me servir de -menaces, je me contenterai de raisonner avec vous. Je suis méchant, -parce que je suis malheureux. Ne suis-je pas abandonné et haï par -toute l'espèce humaine? Vous, mon créateur, si vous me mettiez en -pièces, vous en triompheriez: souvenez-vous-en, et dites-moi pourquoi -j'aurais pour l'homme plus de pitié qu'il ne m'en témoigne. Vous ne -croiriez pas commettre un meurtre, si, me précipitant dans un de ces -abîmes de glace, vous me fessiez périr, moi, l'ouvrage de vos mains. -Respecterai-je l'homme lorsqu'il me méprise? Faites-le vivre avec moi -dans un échange de bontés; et, au lieu de lui nuire, je lui ferai -toutes sortes de biens en pleurant de reconnaissance de ce qu'il veut -bien les accepter. Mais il n'en saurait être ainsi; les sens humains -sont des barrières insurmontables à notre union. Cependant, les miens -ne se soumettront pas à un esclavage honteux. Je vengerai mes injures: -si je ne puis inspirer l'amour, j'inspirerai la crainte; et c'est -surtout à vous, mon plus grand ennemi, parce que vous êtes mon -créateur, que je jure une haine éternelle. Prenez-y garde: je -travaillerai à votre destruction, et je ne m'arrêterai pas que je -n'aie désolé votre cœur, de manière à ce que vous maudissiez -l'heure de voire naissance».</p> - -<p>Une rage infernale l'animait en prononçant ces paroles: sa figure se -ridait en contorsions trop horribles, pour que des yeux humains pussent -la regarder; mais il se calma promptement, et il ajouta:</p> - -<p>«Je voulais raisonner; mais mon emportement s'y oppose; et cependant -vous ne réfléchissez pas que vous êtes la cause de ses excès. Si un -être quelconque éprouvait pour moi quelques emotions de bienveillance, -je la lui rendrais au centuple; pour cet amour d'une seule créature, je -ferais la paix avec l'espèce entière! Mais je vois que je me laisse -aller à des rêves de bonheur qui ne peuvent se réaliser. Ce que je -vous demande est raisonnable et modéré; je veux une créature d'un -autre sexe, mais aussi hideuse que moi: ce présent est faible, mais -c'est tout ce que je puis recevoir et je serai content. Il est vrai que -nous serons des monstres séparés du monde entier; mais nous en serons -plus attachés l'un à l'autre. Nous ne vivrons pas heureux, mais nous -serons innocents, et à l'abri du malheur que j'éprouve maintenant. Ah! -mon créateur, rendez-moi heureux; qu'un seul bienfait me permette de -vous exprimer ma reconnaissance! Laissez-moi connaître le plaisir de -toucher le cœur d'un être existant; ne me refusez pas ce que je vous -demande»!</p> - -<p>Je fus touché. Je frissonnai en pensant aux conséquences que pourrait -avoir mon consentement; mais je sentis que ses raisonnements étaient -assez justes. Son histoire et les sentiments qu'il exprimait dans ce -moment, prouvaient quelque délicatesse. D'ailleurs, ne lui devais-je -pas, à titre de créateur, toute la portion de bonheur qu'il était en -mon pouvoir de lui accorder? Il remarqua un changement dans ce que -j'éprouvais, et il poursuivit.</p> - -<p>«Si vous consentez à ma demande, je ne paraîtrai jamais ni devant -vous, ni devant aucun être humain. J'irai dans les vastes déserts de -l'Amérique méridionale. Ma nourriture n'est pas celle de l'homme; je -n'égorge ni l'agneau, ni le chevreau, pour assouvir mon appétit: les -glands et les graines me suffisent. Ma compagne sera de la même nature -que moi, et se contentera de la même manière de vivre. Les feuilles -sèches nous serviront de lit; le soleil brillera pour nous comme pour -l'homme, et mûrira notre nourriture. Le tableau que je vous présente -est une image de paix et d'humanité: vous devez sentir que vous ne -pourriez contrarier mes vœux que par abus de pouvoir et par cruauté. -Tout à l'heure vous avez été sans pitié pour moi; je lis maintenant -la compassion dans vos regards; laissez-moi saisir le moment favorable, -laissez-moi obtenir la promesse de de ce que je désire si ardemment.»</p> - -<p>—«Tu te proposes, répondis-je, de t'éloigner de la demeure des -hommes, de vivre dans ces déserts où tu n'auras d'autre société que -celle des bêtes féroces. Comment pourras-tu persévérer dans cet -exil, toi qui désires l'amour et la sympathie de l'homme? Tu reviendras -rechercher encore leur amitié, et tu ne trouveras que leur haine; la -passion du mal se renouvellera, et tu auras alors une compagne pour -t'aider à détruire. Cela ne se peut; ne m'en parles plus, car je n'y -puis consentir».</p> - -<p>—«Quelle inconstance dans vos sentiments! Il n'y a qu'un moment vous -étiez ému par mes raisonnements; pourquoi vous endurcissez-vous contre -mes plaintes? Je vous jure, par la terre que j'habite, et par vous-même -qui m'avez créé, que je quitterai, avec la compagne que vous me -donnerez, le voisinage de l'homme, et que nous irons habiter dans le -lieu le plus sauvage. Je ne serai plus animé par le mal, car je -connaîtrai la sympathie: ma vie s'écoulera tranquillement; et, à mes -derniers moments, je ne maudirai pas mon créateur».</p> - -<p>Ses paroles firent sur moi un effet étrange. Je fus touché de -compassion, et je sentis un moment le désir de le consoler; mais, en le -regardant, en voyant la masse informe se mouvoir et parler, mon cœur se -souleva, et mes sentiments furent ceux de l'horreur et de la haine. Je -m'efforçai de les étouffer. Je pensai que, dans l'impossibilité de -sympathiser avec lui, je n'avais pas droit de le priver de la petite -portion de bonheur qu'il était encore en mon pouvoir de lui accorder.</p> - -<p>—«Tu jures d'être bon, lui dis-je; mais n'as-tu pas déjà montré un -degré de perversité tel que je pourrais avec raison me défier de toi? -Ne serait-ce pas une feinte pour accroître ton triomphe, en ouvrant une -plus vaste carrière à ta vengeance?»</p> - -<p>—«Qu'est-ce? Je croyais avoir excité votre compassion, et vous me -refusez encore le seul bienfait, qui puisse adoucir mon cœur et me -rendre bon! Si je n'ai ni devoirs, ni affection, la haine et le crime -seront mon partage; aimé d'un autre, je n'aurai plus de motif pour -être criminel, et tout le monde ignorera que j'existe. Mes défauts -viennent d'une solitude forcée que j'abhorre; et mes vertus se -formeront nécessairement dans la vie que je passerai avec une créature -semblable à moi. Je connaîtrai les affections d'un être sensible, et -je me rattacherai à la chaîne d'existence et d'évènements dont je -suis maintenant exclus.»</p> - -<p>Je me tus quelque temps, pour réfléchir à tout ce qu'il venait de -dire, et aux différents raisonnements dont il s'était servi. Je -pensais aux vertus qu'il avait promises au commencement de son -existence; je compris que tout bon sentiment avait été éteint en lui -par le dégoût et le mépris qu'il avait éprouvé de ses protecteurs. -Je n'oubliai pas dans mon calcul son pouvoir et ses menaces: une -créature qui pouvait exister dans les froides cavernes des glaciers, et -éviter les poursuites au milieu de précipices inaccessibles, était un -être qui possédait des facultés contre lesquelles il serait inutile -de lutter. Après un long silence de réflexion, je conclus que la -justice qui lui était due, celle qui était due à mes semblables, -exigeait que je consentisse à sa demande. Je me tournai vers lui, en -disant:</p> - -<p>«Je consens à ta demande; mais j'exige le serment solennel que tu -quitteras pour toujours l'Europe, et tout autre lieu dans le voisinage -de l'homme, dès que je remettrai entre tes mains une femme qui -t'accompagnera dans ton exil».</p> - -<p>—«Je jure, s'écria-t-il, par le soleil et la voûte azurée du ciel, -que, si vous vous rendez à ma prière, tant qu'ils existeront, vous ne -me reverrez jamais. Retournez chez vous, et commencez vos travaux: -j'observerai leurs progrès avec une sollicitude inexprimable; mais -soyez sans crainte, je ne paraîtrai que quand vous serez prêt».</p> - -<p>À ces mots, il me quitta brusquement, dans la crainte, peut-être, de -quelque changement dans mes sentiments. Je le vis descendre la montagne -avec plus de rapidité que le vol d'un aigle, et je le perdis bientôt -de vue parmi les ondulations de la mer de glace.</p> - -<p>Son histoire avait duré toute la journée, et le soleil était sur le -bord de l'horizon lorsqu'il partit. Il était tard: je devais me hâter -de descendre vers la vallée, pour n'être pas enveloppé par -l'obscurité; mais mon cœur était oppressé, et ma marche lente. -J'étais retardé par la difficulté de courir parmi les petits sentiers -des montagnes, par l'embarras que j'éprouvais à poser mes pieds avec -fermeté, et par les émotions dont j'étais occupé, et auxquelles -avaient donné lieu les diverses circonstances de la journée. La nuit -était fort avancée lorsque j'arrivai à moitié route du lieu de -repos. Je m'assis auprès de la fontaine. Les étoiles étaient tantôt -brillantes, tantôt cachées par les nuages; les sombres pins -s'élevaient devant moi, et de temps en temps des arbres brisés et -renversés par terre s'offraient sous mes pas. La scène était d'une -solennité imposante, et fit naître en moi d'étranges pensées. Je -pleurai avec amertume, et je frappai mes mains avec désespoir, en -m'écriant: «Ô étoiles, vents et nuages, vous allez tous me railler: -si vous avez réellement pitié de moi, ôtez-moi les sens et la -mémoire; anéantissez-moi; et, si vous n'écoutez pas ma prière, -fuyez, fuyez, et laissez-moi dans les ténèbres»!</p> - -<p>Ces idées étaient extravagantes et tristes; mais je ne puis vous -décrire combien j'étais accablé par l'éclat des étoiles, et combien -je prêtais l'oreille à chaque coup de vent, comme s'il devait -m'entrainer pour me détruire.</p> - -<p>Le matin venait de paraître, et je n'étais pas encore arrivé au -village de Chamouny. À mon retour, mon air hagard et étrange fut peu -propre à calmer les craintes de ma famille, qui, toute la nuit, avait -attendu mon retour avec inquiétude.</p> - -<p>Le jour suivant, nous retournâmes à Genève. L'intention de mon père, -en entreprenant ce voyage, avait été de me distraire, et de me rendre -la tranquillité que j'avais perdue; mais le remède était loin d'avoir -réussi. Ne pouvant se rendre compte de l'excessive douleur dont je -paraissais souffrir, il se hâta de retourner à la maison, dans -l'espoir que le repos et la monotonie d'une vie domestique adouciraient -insensiblement mes souffrances, quelle qu'en fût la cause.</p> - -<p>Pour moi, j'étais indifférent à tous leurs arrangements, et la tendre -affection de ma bien aimée Élisabeth ne pouvait m'arracher à mon -désespoir; la promesse, que j'avais faite au Démon, pesait sur mon -esprit comme le capuchon de fer du Dante sur la tête des hypocrites en -enfer. Tous les plaisirs de la terre et du ciel passaient devant moi -comme un songe, et cette pensée seule avait pour moi la réalité de la -vie. Devez vous vous étonner que je sois quelquefois possédé d'une -sorte de démence; ou que je voie continuellement autour de moi une -multitude d'animaux infâmes, et qui m'accablent d'un supplice -continuel, dont l'horreur m'arrache souvent des cris et des -gémissements?</p> - -<p>Cependant, ces sentiments se calmèrent insensiblement. Je repris les -habitudes journalières de de la vie, sinon avec intérêt, du moins -avec assez de tranquillité.</p> - - - - -<h4>FIN DU TOME DEUXIÈME</h4> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 2 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62405-h.htm or 62405-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62405/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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