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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62404] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - -FRANKENSTEIN, - -OU - -LE PROMÉTHÉE MODERNE. - -DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN, - -AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc. - -Par Mme SHELLY, sa nièce. - -TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.*** - -Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de -l'argile pour me faire homme? T'ai-je -sollicité de m'arracher du néant? - -MILTON, _Paradis perdu._ - -TOME PREMIER - -PARIS, - -CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE - -PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258. - -1821 - - - - -TABLE -PRÉFACE -LETTRE Ière -LETTRE II -LETTRE III -LETTRE IV -CHAPITRE Ier -CHAPITRE II -CHAPITRE III -CHAPITRE IV -CHAPITRE V -CHAPITRE VI -CHAPITRE VII - - - - -PRÉFACE - - -Le fait sur lequel repose cette fiction, n'a point paru impossible au -docteur Darwin, et à quelques-uns des Écrivains physiologiques de -l'Allemagne. Je ne veux pas laisser croire que je suis porté à y -ajouter sérieusement foi. Cependant, en le prenant pour base d'un -ouvrage d'imagination, je n'ai pas voulu simplement offrir une suite -d'histoires effrayantes et surnaturelles. L'événement dont dépend -l'intérêt de cette histoire, sans présenter aucun des défauts d'un -pur conte de spectres ou d'enchantements, se recommande par la -nouveauté des situations qui y sont développées; et, malgré -l'impossibilité du fait matériel, retrace à l'imagination les -passions humaines, d'un point de vue plus étendu et plus élevé que -ceux où l'on peut se placer dans le cours ordinaire de la vie. - -Ainsi, j'ai essayé de conserver la vérité des principes -élémentaires de la nature humaine, tandis que je ne me suis pas fait -scrupule d'innover dans leurs combinaisons. Homère, dans l'_Iliade_; -les Poètes tragiques de la Grèce; Shakespeare, dans _la Tempête et le -Songe au milieu d'une nuit d'été_; et plus particulièrement Milton, -dans _le Paradis perdu_, se conforment à cette règle; et le plus -modeste nouvelliste, qui cherche à plaire ou à s'amuser par son -travail, peut, sans présomption, appliquer à ce qu'il raconte, une -licence ou plutôt une règle de l'adoption de laquelle sont résulté -tant de combinaisons profondes des sentiments humains dans les -chefs-d'œuvre les plus sublimes de la poésie. - -La circonstance sur laquelle mon histoire est fondée, m'a été -suggérée par hasard dans une conversation. Elle fut commencée en -partie comme source d'amusement, et en partie comme moyen d'exercer les -facultés négligées de l'esprit. D'autres motifs s'y sont mêlés, à -mesure que le travail avançait. Je ne suis nullement indifférent aux -sensations morales dont sera affecté le lecteur sur les sentiments et -les caractères qui y sont tracés; cependant mon premier soin s'est -borné à éviter l'effet énervant que produisent les romans du jour, -et à montrer le charme des affections domestiques ainsi que -l'excellence de la vertu universelle. Les opinions, produites -naturellement d'après le caractère et la position du héros, ne -doivent pas être considérées comme le fruit de ma conviction -personnelle; et rien de ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne doit -être regardé comme portant attaque à quelque doctrine philosophique, -de quelque genre que ce soit. - -Un autre motif, qui ajoute à l'intérêt de l'auteur, c'est que cette -histoire a été commencée dans le pays majestueux où se passe la plus -grande partie de l'action, et dans une société qu'il ne peut cesser de -regretter. - -Je passai l'été de 1816 dans les environs de Genève. La saison était -froide et pluvieuse: nous nous réunissions le soir autour d'un foyer, -et nous nous amusions à lire, de temps en temps, quelques histoires -allemandes d'êtres surnaturels, que le hasard faisait tomber entre nos -mains. Ces contes nous donnaient un vif désir de les imiter. Nous -convînmes avec deux de mes amis (dont l'un composa un roman qui ferait -plus de plaisir au Public que je ne puis l'espérer pour moi-même), -d'écrire chacun une histoire fondée sur quelqu'aventure -extraordinaire. - -Cependant le temps devint beau tout-à-coup, et mes deux amis me -quittèrent pour faire un voyage dans les Alpes. Ils perdirent, au -milieu des scènes magnifiques que présentent ces montagnes, tout -souvenir de nos visions spirituelles. Le Roman suivant est le seul qui -ait été achevé. - - - - -FRANKENSTEIN - -ou - -LE PROMÉTHÉE MODERNE. - - - - -LETTRE Ière - - -À MADAME SAVILIE, EN ANGLETERRE. - - -Saint-Pétersbourg, 11 décembre 17-- - - -«Vous serez bien aise d'apprendre qu'aucun malheur n'a troublé le -commencement d'une entreprise que vous avez envisagée avec de funestes -pressentiments. Je suis arrivé ici hier, et mon premier devoir est -d'informer ma chère sœur que ma santé est bonne, et ma confiance plus -grande dans le succès de mon entreprise. - -»Je suis déjà loin au nord de Londres; et, quand je me promène dans -les rues de Saint-Pétersbourg, je sens se jouer sur mes joues la brise -froide du nord qui me resserre les nerfs et me remplit de volupté. -Comprenez-vous cette sensation? Cette brise, qui est venue des régions -à travers lesquelles je m'avance, me donne un avant-goût de ces -climats glacés. Inspiré par ce vent précurseur, je sens que mes -idées deviennent plus ardentes et plus vives. Je m'efforce en vain de -me persuader que le pôle est le siège de la glace et de la -désolation, il se présente toujours à mon imagination comme le pays -de la beauté et du plaisir. Là, Marguerite, le soleil est toujours -visible; son large disque borde presque l'horizon, et répand un éclat -perpétuel. De là (car, avec votre permission, ma sœur, j'aurai -quelque confiance dans les navigateurs qui m'ont précédé), de là, -dis-je, la neige et la glace sont bannies; et, naviguant sur une mer -calme, on peut être transporté dans une terre qui surpasse en prodiges -et en beauté tous les pays jusqu'ici découverts sur le monde -habitable. Ses productions et ses traits peuvent être sans exemple, -comme les phénomènes des corps célestes le sont, sans doute, dans ces -solitudes inconnues. Que ne peut-on pas espérer dans un pays où brille -une lumière éternelle? J'y découvre la puissance étonnante qui -attire l'aiguille; et je puis fixer une foule d'observations célestes -qui n'ont besoin que de ce voyage pour rendre invariables leurs -excentricités apparentes. Je rassasierai mon ardente curiosité, en -voyant une partie du monde qui n'a jamais été visitée avant moi, et -je puis fouler une terre qui n'a jamais été pressée par les pieds -d'un mortel. Voilà ce qui m'attire, et cela me suffit pour bannir toute -crainte du danger ou de la mort, et m'encourager à commencer ce -pénible voyage avec la joie qu'éprouve un enfant lorsqu'il s'embarque -sur un petit bateau un jour de fête, avec ses camarades, pour -l'expédition d'une découverte sur la rivière qui baigne son pays -natal. Mais, en supposant que toutes ces conjectures soient fausses, -vous ne pouvez contester le service inappréciable que je rendrai à -toute l'espèce humaine, jusqu'à la dernière génération, en -découvrant, près du pôle, un passage à ces contrées, où, pour -arriver, il faut maintenant plusieurs mois; ou bien en constatant le -secret du magnétisme, ce qui, à moins que ce ne soit impossible, ne -peut avoir lieu que par une entreprise comme la mienne. - -»Ces réflexions ont calmé l'agitation avec laquelle j'ai commencé ma -lettre, et je sens mon cœur se remplir d'un enthousiasme qui m'élève -jusqu'au ciel; car rien ne contribue tant à tranquilliser l'esprit -qu'un projet bien ferme, sur lequel on puisse fixer son attention. Cette -expédition a été le songe favori de mes premières années. J'ai lu -avec ardeur les récits des différents voyages qui ont été faits dans -le but d'arriver à l'océan pacifique du nord, à travers les mers qui -entourent le pôle. Vous devez vous souvenir, que l'histoire de tous les -voyages entrepris dans l'intention de faire des découvertes, composait -la bibliothèque entière de notre bon oncle Thomas. Mon éducation fut -négligée; cependant j'aimais la lecture avec passion. J'étudiais ces -livres nuit et jour; et la connaissance que j'en eus, augmenta le regret -que j'avais éprouvé, comme un enfant, en apprenant que mon père, au -lit de la mort, avait défendu à mon oncle de me laisser embrasser -l'état de marin. - -»Ces visions s'affaiblirent lorsque je lus, pour la première fois, ces -poètes dont les effusions pénétraient mon âme et l'élevaient -jusqu'au ciel. Je devins poète aussi, et pendant une année je vécus -dans un paradis de ma propre création. Je pensais pouvoir obtenir aussi -une place dans le temple où sont consacrés les noms d'Homère et de -Shakespeare. Vous savez combien je me trompai, et quelle peine j'eus à -supporter mon malheur. Mais, justement, à cette époque, j'héritai de -la fortune de mon cousin, et mes pensées se reportèrent à mes -premières inclinations. - -»Six ans se sont écoulés depuis que j'ai pris la résolution que -j'exécute en ce moment. Je puis, même à présent, me souvenir de -l'heure où je me suis dévoué à cette grande entreprise. J'ai -commencé par accoutumer mon corps à la fatigue. J'ai accompagné les -pêcheurs de baleine dans plusieurs expéditions à la mer du Nord; j'ai -enduré volontairement le froid, la faim, la soif et l'insomnie; -souvent, pendant le jour, je supportais des travaux plus rudes qu'aucun -des matelots, et je passais mes nuits à étudier les mathématiques, la -théorie de la médecine, et ces branches de science physique dont un -homme ami des entreprises maritimes peut souvent tirer le plus grand -avantage. Deux fois même je me suis engagé comme contremaître, pour -la pêche du Groenland, et je me suis acquitté à merveille de mes -fonctions. Je dois avouer que je sentis un petit mouvement d'orgueil, -lorsque le capitaine m'offrit la seconde dignité du vaisseau, et me -supplia de rester, avec le plus grand empressement, tant il appréciait -mes services. - -»Et maintenant, ma chère Marguerite, ne mérité-je pas d'accomplir -quelque grand projet. J'aurais pu passer ma vie dans l'aisance et le -plaisir; mais j'ai préféré ma gloire à tous les attraits que la -richesse plaçait devant moi. Ah! que quelque voix encourageante me -réponde du succès! mon courage et ma résolution sont inébranlables; -mais mes espérances sont incertaines, et mon esprit est souvent -humilié. Je vais entreprendre un voyage long et difficile; les dangers -que je courrai demanderont tout mon courage: j'aurai besoin -non-seulement de relever les esprits des autres, mais quelquefois de -soutenir les miens lorsque les leurs se découragent et s'abattent. - -»Cette saison est la plus favorable pour voyager en Russie. On vole sur -la neige dans des traîneaux; le mouvement en est doux, et, à mon avis, -beaucoup plus agréable que celui d'une diligence anglaise. Le froid -n'est pas excessif, lorsqu'on est enveloppé de fourrures; et j'ai -déjà adopté ce costume, car il y a une grande différence de se -promener sur un pont, ou de rester assis pendant plusieurs heures, sans -faire un mouvement et sans qu'aucun exercice n'empêche le sang de se -glacer dans les veines. Je n'ai nullement l'ambition de perdre la vie -sur la grande route entre Saint-Pétersbourg et Archangel. - -»Je partirai pour cette dernière ville dans quinze jours ou trois -semaines; et mon intention est d'y louer un vaisseau, ce qui est bien -facile en payant caution au propriétaire, et d'engager autant de -matelots que je croirai nécessaires parmi ceux qui sont accoutumés à -la pêche de la baleine. Je ne compte pas mettre à la voile avant le -mois de juin: et quand reviendrai-je? Ah! ma chère sœur comment -répondre à cette question? Si je réussis, bien des mois, des années -peut-être s'écouleront avant que nous puissions nous voir. Dans le cas -contraire, vous me reverrez bientôt, ou jamais. - -»Adieu, ma chère, mon excellente Marguerite, que le ciel verse sur -vous ses bénédictions, et qu'il me conserve, afin que je puisse vous -témoigner sans cesse ma reconnaissance pour toute votre amitié et vos -bontés. - -»Votre affectionné frère, - - -»R. WALTON». - - - - -LETTRE II - - -À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE. - - -Archangel, 28 mars 17-- - - -«Que le temps passe lentement ici, entouré comme je suis par la glace -et la neige! Cependant, j'ai fait un second pas dans mon entreprise; -j'ai loué un vaisseau, et je suis occupé à rassembler mes marins, -ceux que j'ai déjà engagés paraissent être des hommes sur lesquels -je puis compter, et sont doués, sans en pouvoir douter, d'un courage -intrépide. - -»Mais il est un objet, un seul objet dont je n'ai pu encore jouir, et -l'absence de ce bien est pour moi le plus grand des maux. Je n'ai pas -d'amis, Marguerite: si je suis animé par l'enthousiasme du succès, je -n'aurai personne pour partager ma joie; si je tombe dans le -découragement, personne n'essaiera de relever mon courage. Je confierai -mes pensées au papier, il est vrai; mais c'est une triste ressource -pour l'épanchement de ce qu'on éprouve. Je voudrais avoir pour -compagnon un homme capable de sympathiser avec moi, dont les yeux -répondissent aux miens. Vous pouvez me croire romantique, ma chère -sœur; mais je sens cruellement le manque d'un ami. Que n'ai-je auprès -de moi une personne qui soit en même temps douce et courageuse, douée -à la fois d'un esprit cultivé et capable, dont les goûts ressemblent -aux miens, et qui puisse approuver ou corriger mes plans. Combien un -semblable ami réparerait les fautes de votre pauvre frère! Je suis -trop ardent dans l'exécution, et trop impatient des difficultés: mais -ce qui est pour moi un malheur encore plus grand, c'est que je n'ai -reçu qu'une demi-éducation; car pendant les quatorze premières -années de ma vie, je courais dans les bois çà et là, et ne lisais -que les livres de voyages de notre bon oncle Thomas. À cet âge je -devins familier avec les poètes célèbres de notre patrie; je sentis -aussi la nécessité d'apprendre d'autres langues que celle de mon pays -natal; mais cette conviction fut chez moi trop tardive pour que je pusse -en recueillir les plus précieux avantages. J'ai maintenant vingt-huit -ans, et suis en vérité plus illettré que bien des écoliers de quinze -ans. Il est vrai que j'ai réfléchi davantage, et que mes idées sont -plus étendues et plus grandes; mais, comme disent les peintres, elles -manquent de fond, et j'ai bien besoin d'un ami qui ait assez de bon sens -pour ne pas me regarder comme un romantique, et qui m'affectionne assez -pour essayer de régler mon esprit. - -»Plaintes inutiles! ce n'est certainement pas sur le vaste Océan que -je trouverai un ami, non plus qu'à Archangel au milieu des marchands et -des marins. Cependant il y a place, dans ces cœurs, à des sentiments -qui semblent ne pouvoir s'allier avec l'écume de la nature humaine. Mon -lieutenant, par exemple, est un homme d'un grand courage et d'une audace -étonnante. Il aime la gloire avec passion. C'est un Anglais; et au -milieu des préjugés de son pays et de son état, qui ne sont pas -adoucis par la culture, il conserve quelques-unes des plus nobles -qualités de l'humanité. J'ai fait autrefois sa connaissance à bord -d'un bâtiment destiné à la pèche de la baleine; je l'ai retrouvé -dans cette ville sans occupation, et je l'ai facilement engagé à -m'assister dans mon entreprise. - -»Le maître est un homme d'un talent très-distingué, et se fait -remarquer sur le vaisseau par sa modération et la douceur de sa -discipline. Il est vraiment d'un naturel si bon, qu'il ne chassera pas -(amusement favori, et presque le seul qu'on trouve ici), parce qu'il ne -peut souffrir de verser le sang; en outre, il est d'une générosité -héroïque. Il y a quelques années qu'il était amoureux d'une -demoiselle Russe, qui n'avait qu'une fortune médiocre. Possesseur d'un -capital considérable, amassé dans ses courses maritimes, il obtint -sans peine que le père de la jeune fille consentît au mariage. Il la -vit une fois avant le jour de la cérémonie: elle était baignée de -larmes; elle tomba à ses pieds, le supplia de l'épargner, et lui avoua -en même temps qu'elle aimait un jeune Russe, mais qu'il était pauvre, -et que son père ne voudrait jamais les unir. Mon généreux ami rassura -cette malheureuse personne, s'informa du nom de son amant, et abandonna -de suite toute prétention. Il avait déjà acheté, de son argent, une -ferme dans laquelle il avait le dessein de passer le reste de sa vie; -mais il donna tout à son rival, et pour qu'il pût acheter du bétail, -il joignit à son premier don le reste de ses profits dans les prises. -Il sollicita lui-même le père de la jeune fille, pour qu'il consentît -à l'unir avec celui qu'elle aimait; mais le vieillard se croyant -engagé d'honneur avec mon ami, refusa obstinément. Celui-ci, pour -fléchir l'inexorable père, quitta son pays, et n'y revint que -lorsqu'il apprit que sa maîtresse était mariée suivant son -inclination. «Quel noble compagnon»! vous écrierez-vous. Tel est son -caractère; mais il a passé sa vie entière à bord d'un vaisseau, et -à peine a-t-il une idée hors des cordages et d'un hauban. - -»Mais si je me plains un peu, ou si je puis concevoir dans mes travaux -une consolation que peut-être je ne connaîtrai jamais, ne croyez pas -que je sois incertain dans mes résolutions; elles sont invariables -comme le destin; et mon voyage n'est maintenant différé, que jusqu'à -ce que le temps me permette de mettre à la voile. L'hiver a été -horriblement dur; mais le printemps s'annonce favorablement, et cette -saison parait même fort avancée. Ainsi, je m'embarquerai peut-être -plutôt que je ne m'y étais attendu. Je ne ferai rien avec témérité; -vous me connaissez assez pour avoir confiance en ma prudence et en ma -circonspection, toutes les fois que la sûreté des autres est commise -à mes soins. - -»Je ne puis vous dépeindre tout ce que j'éprouve en me voyant si -près de mettre mon entreprise à exécution. Il est impossible de vous -donner une idée de cette sensation incertaine, agréable et pénible à -la fois, qui m'agite au moment de mon départ. Je vais dans des régions -inconnues, _dans la patrie des brouillards et de la neige_; mais je ne -tuerai aucun albatros[1], ne soyez donc pas alarmée sur mon sort. - -»Vous reverrai-je encore, après avoir traversé des mers immenses, et -après avoir doublé le cap le plus au sud de l'Afrique ou de -l'Amérique? Je ne puis m'attendre à un pareil bonheur; et cependant je -n'ose regarder le revers du tableau. Continuez à m'écrire par toutes -les occasions: je puis recevoir vos lettres (quoique la chance soit fort -douteuse) au moment où j'en aurai le plus besoin pour soutenir mon -courage. Adieu, adieu, je vous aime bien tendrement. Souvenez-vous de -moi avec affection, dussiez-vous même ne plus entendre parler de votre -affectionné frère. - - -»ROBERT WALTON». - - -[Note 1: Oiseau de mer.] - - - - -LETTRE III - - -À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE. - - -7 juillet 17-- - - -Ma chère sœur, - -«Je vous écris quelques lignes à la hâte, pour vous dire que je suis -en bonne santé, et fort avancé dans mon voyage. Cette lettre -parviendra en Angleterre par la voie d'un marchand qui retourne -d'Archangel dans sa famille; il est plus heureux que moi, qui, pendant -quelques années, ne pourrai peut-être revoir ma patrie. Je suis -cependant dans de bonnes dispositions: mes hommes sont courageux et -semblent fermes dans leurs projets. Ils ne paraissent pas découragés -par les bancs de glaces que nous rencontrons continuellement, et qui -nous indiquent les dangers du pays vers lequel nous nous dirigeons. Nous -avons déjà atteint une latitude très-élevée, mais nous sommes dans -le fort de l'été, et quoiqu'il ne fasse pas aussi chaud qu'en -Angleterre, les vents du sud qui nous portent avec vitesse vers les -rives où je désire si ardemment arriver, renouvellent sans cesse une -chaleur à laquelle je ne m'étais pas attendu. - -»Jusqu'ici nul événement qui soit digne d'être rappelé. Un ou deux -coups de vent et un mât brisé, sont des accidents dont un navigateur -expérimenté se souvient à peine de faire mention; et je serai bien -heureux, s'il ne nous arrive rien de pire pendant notre voyage. - -»Adieu, ma chère Marguerite. Soyez sûre que, par amour pour vous et -pour moi-même, je n'irai pas témérairement au-devant du danger. Je -serai froid, persévérant et prudent. - -»Rappelez-moi à tous mes amis d'Angleterre. - -»Votre très-affectionné, - - -»ROBERT WALTON». - - - - -LETTRE IV - - -À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE. - - -5 août 17-- - - -«Nous venons d'être témoins d'un événement si étrange, que je ne -puis m'empêcher de vous en faire part, quoiqu'il soit très-probable -que vous me voyez avant que ce journal ne puisse vous parvenir. - -»Lundi dernier (31 juillet), nous étions presque renfermés par la -glace qui entourait le vaisseau de tous côtés, et lui laissait à -peine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard épais, dont nous -étions enveloppés, rendait notre situation assez dangereuse. Nous -n'eûmes rien de mieux à faire qu'à rester en place, jusqu'à ce qu'il -y eût un changement dans l'atmosphère et le temps. - -»Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous vîmes flotter, de -toutes parts, des îles de glace immenses et irrégulières, qui -paraissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons se -lamentaient, et mon esprit commençait à être agité d'inquiètes -pensées, lorsque tout à coup notre attention fut attirée par un objet -singulier, qui fit diversion à l'inquiétude que nous inspirait notre -situation. Nous vîmes un chariot bas, fixé sur un traîneau et tiré -par des chiens, passer au nord, à la distance d'un demi-mille: un -être, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une stature -gigantesque, était assis dans le traîneau et guidait les chiens. Nous -observâmes, avec nos télescopes, la rapidité de la course du -voyageur, jusqu'à ce qu'il fût perdu au loin parmi les inégalités de -la glace. - -»Cette vue excita parmi nous un étonnement dont nous ne pûmes nous -rendre compte. Nous pensions être éloignés de terre de plusieurs -cents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distance -n'était réellement pas aussi grande que nous avions pu le croire. -Cependant, cernés par la glace, il nous fut impossible de suivre la -trace de ce que nous avions observé avec la plus grande attention. - -»Environ deux heures après cette rencontre, nous entendîmes le -craquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, et -débarrassa notre vaisseau. Néanmoins, nous restâmes en place jusqu'au -matin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurité, contre ces grandes -masses détachées qui flottent de tous côtés après la rupture de la -glace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures. - -»Dans la matinée, cependant, dès qu'il fut jour, je montai sur le -pont, et trouvai tous les matelots rassemblés d'un seul côté du -vaisseau, et ayant l'air de parler à quelqu'un qui était dans la mer. -En effet, un traîneau semblable à celui que nous avions vu auparavant, -s'était dirigé vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau de -glace. Il était conduit par un seul chien en vie, et portait un homme -auquel les matelots tâchaient de persuader d'entrer dans le bâtiment. -Ce n'était pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitant -sauvage de quelqu'île inconnue, mais un Européen. Lorsque je parus sur -le pont, le contre-maître lui dit: «Voici notre capitaine, il ne vous -laissera pas périr au milieu de la mer». - -»En me voyant, l'étranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avec -un accent étranger. «Avant que j'entre à bord de votre bâtiment, -dit-il, voulez-vous avoir la bonté de m'informer de quel côté vous -vous dirigez»? - -»Vous devez concevoir mon étonnement, de m'entendre adresser une -semblable question par un homme qui était sur le bord de l'abîme, et -à qui mon vaisseau devait paraître un bien plus précieux, que tous -ceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je répondis cependant que nous -faisions un voyage de découverte vers le pôle du nord. - -»Il parut alors satisfait, et consentit à venir à bord. Bon Dieu! -Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour son -salut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres étaient -presque gelés, et son corps horriblement maigri par la fatigue et la -souffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un état aussi pitoyable. -Nous essayâmes de le porter dans la chambre; mais dès qu'il eut -quitté le grand air, il s'évanouit. Nous le reportâmes donc sur le -pont, et le rendîmes à la vie en le frottant d'eau-de-vie et en le -forçant d'en avaler un peu. Dès qu'il montra signe de vie, nous eûmes -soin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer auprès de la -cheminée du poêle de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, et -mangea une petite soupe qui le restaura merveilleusement. - -»Deux jours se passèrent ainsi, sans qu'il fût capable de parler; et -je craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent privé de la -raison. Lorsqu'il fut un peu rétabli, je le mis dans ma chambre, et eus -pour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'ai -jamais vu un être plus intéressant: ses yeux ont ordinairement une -expression de fureur, et même de folie; mais, dans certains moments, -quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus léger -service, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire un -sentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Il -est ordinairement plongé dans la mélancolie et le désespoir; -quelquefois même il grince les dents, comme s'il n'était plus capable -de supporter le poids des malheurs qui l'accablent. - -»Lorsque mon hôte fut un peu rétabli, j'eus beaucoup de peine à -éloigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je ne -voulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosité, dans un -état de corps et d'âme dont l'amélioration dépendait évidemment -d'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demanda -pourquoi il était venu si loin sur la glace, dans un équipage si -singulier. - -»Sa figure prit aussitôt l'expression du plus profond chagrin; et il -répliqua: «Afin de poursuivre quelqu'un qui me fuyait.--Et l'homme que -vous poursuiviez, voyageait-il de la même manière?--Oui, -dit-il.--Alors je crois que nous l'avons vu; car, la veille du jour où -nous vous avons rencontré, nous avions aperçu quelques chiens tirant -à travers la glace, un traîneau dans lequel était un homme». - -»Ce peu de mots éveilla l'attention de l'étranger; et il fit une -multitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le démon -(c'est ainsi qu'il l'appelait). Bientôt après, lorsqu'il fut seul avec -moi, il me dit: «J'ai, sans doute, excité votre curiosité, aussi bien -que celle de ces braves gens; mais vous êtes trop délicat pour me -faire des questions. - -»--Certainement; il serait très-indiscret et très-inhumain de ma part -de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosité personnelle. - -»--Et cependant vous ni avez tiré d'une position étrange et -dangereuse; vous m'avez généreusement rendu à la vie». - -»Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace eût -anéanti l'autre traîneau. Je lui dis que je ne saurais répondre avec -certitude; car la glace ne s'était guère brisée avant minuit, et le -voyageur pouvait être arrivé ayant ce temps en lieu de sûreté; mais -que je n'en pouvais juger. - -»Depuis ce temps, l'étranger paraissait très-empressé à être sur -le pont, pour épier le traîneau qu'on avait vu auparavant; mais je -l'ai engagé à rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faible -pour soutenir la rigueur de l'atmosphère. J'ai promis que l'on -observerait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelque -nouvel objet s'offrait à la vue. - -»Voilà mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport à notre -étrange rencontre. L'étranger a insensiblement recouvré la santé, -mais il est très-silencieux, et parait embarrassé lorsqu'un autre que -moi entre dans sa chambre. Cependant, ses manières sont si engageantes -et si douces, que les matelots s'intéressent tous à son sort, -quoiqu'ils aient eu très-peu de communication avec lui. Pour moi, je -commence à l'aimer comme un frère; et son chagrin profond et continuel -m'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il ait -été un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui, -puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable. - -»Je disais dans une de mes lettres, ma chère Marguerite, que je ne -trouverais pas d'amis sur le vaste Océan, et pourtant j'ai trouvé un -homme que mon cœur aurait été heureux d'aimer comme un frère, avant -que son âme eut été brisée par le malheur. - -»Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet étranger, si -j'ai quelque chose de nouveau à vous apprendre». - - - - -13 août 17-- - - -«Mon affection pour mon hôte augmente de jour en jour. Il excite du -moins mon admiration et ma pitié d'une manière étonnante. Comment -pourrai-je voir un être aussi noble abîmé par le malheur, sans -éprouver la plus vive douleur? Il est si doux et si sage à la fois; -son esprit est si cultivé; et lorsqu'il parle, ses paroles, quoique -choisies avec l'art le plus délicat, coulent avec une rapidité et une -éloquence incomparables. - -»Il est maintenant très-bien rétabli, et il se tient continuellement -sur le pont, pour épier sans doute le traîneau qui a précédé le -sien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas si -entièrement occupé de sa propre infortune, qu'il ne s'intéresse -vivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questions -sur mon projet, et je lui ai raconté franchement ma petite histoire. Il -a paru charmé de la confidence et a fait sur mon plan plusieurs -observations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas de -pédanterie dans ses manières, et tout ce qu'il fait semble ne provenir -que de l'intérêt qu'il prend naturellement au bien-être de ceux qui -l'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observe -beaucoup, et cherche à chasser tout ce qu'il y a de sombre ou -d'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme un -nuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'ai -tâché de gagner sa confiance, et je crois y avoir réussi. Je lui -parlais un jour du désir que j'avais de trouver un ami qui pût -sympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que je -n'appartenais pas à cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis. -«Je n'ai reçu qu'une demi-éducation, et je ne puis avoir assez de -confiance en mes propres moyens. Je désire donc que mon compagnon soit -plus sage et plus expérimenté que moi, afin de m'affermir et de me -soutenir; je n'ai pas cru qu'il fût impossible de trouver un véritable -ami». - -«Je conviens avec vous, répliqua l'étranger, que l'amitié est -non-seulement un bien désirable, mais possible. J'eus autrefois un ami, -dont l'âme était la plus noble qui fut sous le ciel: il m'est donc -permis de juger de la véritable amitié. Vous avez l'espérance et le -monde devant vous: ne désespérez de rien. Mais moi.... j'ai tout -perdu, et je ne puis recommencer une nouvelle vie». - -»En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calme -et profond, qui me toucha le cœur. Il se tut et se retira bientôt dans -sa chambre. - -»Malgré l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plus -vivement que lui des beautés de la nature. Un ciel étoilé, la mer et -toutes les vues que présentent ces régions étonnantes semblent encore -avoir le pouvoir d'élever son âme au-dessus de la terre. Un tel homme -a une double existence: il peut supporter le malheur et être accablé -par les revers; quand il est rentré en lui-même, on dirait d'un esprit -céleste, entouré d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la folie -ne peuvent pénétrer. - -»Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cet -aventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cette -simplicité qui était autrefois votre charme caractéristique. -Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions, -tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les répéter». - - - - -19 août 17-- - - -«L'étranger me dit hier: «Vous pouvez voir facilement, capitaine -Walton, que j'ai éprouvé de grands et incomparables malheurs. J'étais -décidé d'abord à ensevelir avec moi le souvenir de ces maux, mais -vous avez changé ma résolution. Vous cherchez les connaissances et la -sagesse; moi aussi j'ai cherché ces biens. J'espère avec ardeur que -l'accomplissement de vos vœux ne deviendra pas pour vous, comme pour -moi, une cause de douleur. Je ne sais si l'histoire de mes infortunes -vous sera utile; mais si vous le désirez, je vous en ferai le récit. -Je crois que les événements étranges qui se lient à ma destinée, -vous feront envisager la nature sous un point de vue capable d'agrandir -vos facultés et votre intelligence. Vous entendrez parler de puissances -et d'aventures que vous êtes habitué à croire impossibles. Mais je ne -doute pas que mon histoire ne porte avec elle l'évidence de la vérité -des événements qui la composent». - -»Vous devez concevoir facilement que je fus enchanté d'une offre de ce -genre. Cependant je craignais qu'il ne renouvelât sa douleur par le -récit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressement d'entendre -l'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosité, -que par un grand désir d'améliorer son sort, s'il était en mon -pouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma réponse. - -»Je vous remercie, répliqua-t-il, de votre bonne volonté, mais elle -est inutile; ma destinée est presque accomplie. Je n'attends plus -qu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends, -continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vous -vous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rien -ne peut changer ma destinée: écoutez mon histoire, et vous verrez -qu'elle est irrévocablement fixée». - -»Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son récit, lorsque -j'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondes -réflexions, et j'ai résolu de consacrer mes loisirs du soir à écrire -ce qu'il m'aura raconté pendant le jour, en rapportant autant que -possible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, je -prendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plus -grand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela de -sa bouche, avec quel intérêt et quelle émotion je le relirai un -jour»! - - - - -CHAPITRE Ier - - -Je suis né à Genève, et ma famille est une des plus considérables de -cette république. Mes ancêtres avaient été, depuis bon nombre -d'années, conseillers et syndics; et mon père avait rempli des -fonctions publiques avec honneur et distinction. Il était respecté de -tous ceux qui le connaissaient, à cause de son intégrité, et de son -application infatigable à veiller aux intérêts de l'État. Il passa -les années de sa jeunesse continuellement occupé des affaires de son -pays, et il n'attendit pas le déclin de sa vie pour penser à se -marier, et à laisser à l'État des fils qui pussent transmettre à la -postérité ses vertus et son nom. - -Comme les circonstances de son mariage font honneur à son caractère, -je ne puis m'empêcher de les rapporter. Il comptait parmi ses plus -intimes amis un négociant qui, d'un état brillant, tomba dans la -pauvreté, après toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommait -Beaufort, était d'un caractère orgueilleux et facile à se -décourager. Il ne put soutenir l'idée de vivre pauvre et oublié dans -le même pays où il avait brillé par son rang et sa magnificence. -Ayant donc payé ses dettes de la manière la plus honorable, il se -retira avec sa fille dans la ville de Lucerne, où il vécut inconnu et -malheureux. Mon père aimait Beaufort de l'amitié la plus vraie; et il -fut profondément affligé d'une retraite à laquelle des circonstances -malheureuses avaient donné lieu, et qui le privait d'une société qui -lui était chère. Il résolut d'aller le chercher et de l'engager à -recommencer le commerce, en profitant de son crédit et de son -assistance. - -Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut que -dix mois après que mon père découvrit sa demeure. Charmé de cette -découverte, il se rend à sa maison, qui était située dans une petite -rue près le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux le -spectacle de la misère et du désespoir. Beaufort avait sauvé des -restes de sa fortune, une très-petite somme d'argent, mais qui était -suffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il espérait alors -obtenir un emploi respectable dans la maison d'un négociant. En -attendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir, -aux plus tristes pensées, il fut en proie au chagrin le plus profond et -le plus cruel, et tellement accablé d'esprit, que trois mois après, il -fut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille le -soignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avec -douleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaient -plus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une âme d'une trempe -peu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans son -adversité. Elle se procura une occupation honnête, tressa de la -paille, et, par différents moyens, tâcha de gagner de quoi subvenir -aux premiers besoins de la vie. - -Plusieurs mois se passèrent ainsi. Son père devint plus mal; son temps -était plus occupé à le soigner; ses moyens de subsistance -diminuaient; et, en dix mois, son père mourut dans ses bras, la -laissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; et -elle était à genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant à -chaudes larmes, lorsque mon père entra dans la chambre. Il arriva comme -un ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia à ses -soins; après l'enterrement de son ami, il la conduisit à Genève et la -confia à une de ses parentes. Deux ans après cet événement, Caroline -devint sa femme. - -Lorsque mon père fut devenu époux et père, il se trouva tellement -occupé par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonna -plusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer à l'éducation de -ses enfants. J'étais l'aîné, et je devais lui succéder dans tous ses -travaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parents -que les miens. Mon éducation et ma santé étaient l'objet de leur -sollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, que -pendant plusieurs années je fus leur unique enfant. Mais, avant de -continuer mon récit, je dois rapporter un événement qui eut lieu -lorsque j'étais âgé de quatre ans. - -Mon père avait une sœur qu'il aimait tendrement, et qui avait -épousé, très-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps après son -mariage, elle avait accompagné son mari dans son pays; et, depuis -quelques années, mon père n'avait eu que très-peu de rapport avec -elle. Elle mourut vers l'époque dont j'ai parlé; et, peu de mois -après, il reçut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part de -son intention d'épouser une Italienne, et priait mon père de se -charger de sa fille Élisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa sœur. -«Je désire, dit-il, que vous la considériez comme votre propre fille -et que vous l'éleviez de même. La fortune de sa mère lui est -assurée, et je vous en remettrai les titres. Réfléchissez à cette -proposition, et choisissez si vous voulez que votre nièce soit élevée -par vous-même ou par une belle-mère». - -Mon père n'hésita pas, et alla aussitôt en Italie pour accompagner la -petite Élisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire à -ma mère, qu'elle était alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu, -et qu'elle montrait même un caractère doux et aimant. Ces -dispositions, et le désir de resserrer aussi étroitement que possible -les nœuds de l'amour domestique, déterminèrent ma mère à regarder -Élisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais à se -repentir. - -Dès-lors Élisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nous -avançâmes en âge, elle fut mon amie. Elle était douée d'un -excellent naturel, aussi gaie et aussi folâtre qu'un papillon. -Quoiqu'elle fut vive et animée, ses sensations étaient fortes et -profondes; son caractère prodigieusement aimant. Personne ne savait -mieux qu'elle jouir de sa liberté, personne aussi ne se soumettait avec -plus de grâce à la nécessité et au caprice. Son imagination était -brillante quoiqu'elle fût capable d'une grande application. Ses traits -étaient l'image de son âme; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceux -d'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure était vive et -animée. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de la -femme la plus délicate du monde. Plein d'admiration pour son -intelligence et son esprit, j'aimais à la suivre, comme j'aurais pu le -faire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dans -la personne et dans l'esprit unis à si peu de prétention. - -Tout le monde adorait Élisabeth. Si les domestiques avaient quelque -chose à solliciter, c'était toujours par son intercession. Nous -étions étrangers à toute espèce de désunion et de dispute; il -existait, il est vrai, une grande différence dans nos caractères, mais -il y avait même de l'harmonie dans cette opposition. J'étais plus -calme et plus réfléchi que ma compagne; cependant mon caractère -n'était pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; mais -elle était moins opiniâtre pendant sa durée. J'aimais à rechercher -les faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait à suivre -les inspirations hardies des poètes. Le monde était pour moi un secret -que je désirais pénétrer; pour elle, c'était un vide qu'elle -cherchait à peupler d'êtres de sa propre imagination. - -Mes frères étaient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un de -mes condisciples un ami dont l'âge répondait au mien. Henry Clerval -était fils d'un négociant de Genève, intime ami de mon père. -C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je -me souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, qui -faisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Son étude -favorite était celle des romans et des livres de chevalerie; et, -lorsque nous étions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions des -pièces qu'il composait lui-même d'après ses livres, dont les -principaux personnages étaient Roland, Robin Hood, Amadis, et -Saint-George. - -Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mes -parents étaient indulgents et mes camarades aimables. Nos études -n'étaient jamais forcées; et, par quelques moyens, nous avions -toujours devant nous un but qui nous excitait à les poursuivre avec -ardeur. Ce fut de cette manière, et non par l'émulation, que nous -prîmes goût au travail. Ce n'était pas la crainte d'être surpassée -par ses compagnes, qui excitait Élisabeth à s'appliquer au dessin; -mais le désir qu'elle avait de plaire à sa tante, en lui mettant sous -les yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-même. Nous -apprîmes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de ces -deux langues; et, au lieu de nous rendre l'étude odieuse par les -punitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractions -eussent été des travaux pour d'autres enfants. Peut-être n'avons nous -pas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussi -promptement que ceux qui sont enseignés d'après les méthodes -ordinaires; mais ce que nous avons appris nous est resté plus -profondément gravé dans la mémoire. - -Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique, -car il était constamment avec nous. Il allait à l'école avec moi, et -passait chez nous presque tous les après-midi; son père qui n'avait -que ce fils, était bien aise qu'il trouvât dans notre maison les -camarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'étions -jamais tout-à-fait heureux lorsque Clerval était absent. - -J'ai du plaisir à m'arrêter sur les souvenirs de mon enfance, avant -que le malheur n'eût atteint mon esprit et changé ses idées -lumineuses sur l'utilité générale en des réflexions sur moi-même, -profondes et rétrécies. Mais, en traçant le tableau de mes jeunes -années, je ne dois pas omettre ces événements qui me conduisirent -insensiblement au dernier degré du malheur: car, lorsque je me rends -compte de la naissance de cette passion qui régla ensuite ma destinée, -je la vois sortir de sources impures et presqu'oubliées, comme un -fleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissant -insensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, a -détruit toutes mes espérances et mon bonheur. - -La philosophie naturelle est le génie qui a réglé ma destinée; je -désire donc, dans ce récit, établir les faits qui m'ont inspiré une -prédilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nous -fîmes tous une partie de plaisir, aux bains près de Thonon: le mauvais -temps nous obligea de rester toute une journée renfermés dans -l'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison, -un volume des œuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avec -indifférence; la théorie qu'il cherche à démontrer et les faits -étonnants qu'il rapporte, changèrent bientôt ce sentiment en -enthousiasme. Une nouvelle lumière sembla éclairer mon esprit; je -bondis de joie, et fis part de ma découverte à mon père. Je ne puis -m'empêcher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont les -instituteurs, pour diriger les idées de leurs élèves vers des -connaissances utiles, et qu'ils négligent entièrement. Mon père -regarda avec indifférence le titre de mon livre, et dit: «Ah! -Cornélius Agrippa! Mon cher Victor, ne perdez pas voire temps -là-dessus, c'est une triste occupation». - -Si, au lieu de cette remarque, mon père eût pris la peine de -m'expliquer que les principes d'Agrippa avaient été tout-à-fait -rejetés, et qu'on avait introduit un nouveau système de science, basé -sur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ci -étaient chimériques, tandis que les autres étaient réels et mis en -usage; oh! alors, j'aurais certainement jeté Agrippa de côté, et, -avec une imagination échauffée comme la mienne, je me serais -probablement appliqué à la théorie d'alchimie, la plus raisonnable -qui soit résulté des découvertes modernes. Il est même possible que -le cours de mes idées n'eussent jamais reçu la funeste impulsion qui -m'a conduit à ma perte. Mais le mépris vague que mon père avait -montré pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il connût ce qu'il -contenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidité. - -Lorsque je fus de retour à la maison, mon premier soin fut de me -procurer tous les ouvrages de cet auteur, et ensuite ceux de Paracelse -et du Grand Albert. Je lus et j'étudiai avec délices les rêves -ténébreux de ces écrivains; ils me parurent des trésors connus à -peu d'autres personnes que moi; et, quoique je désirasse souvent faire -connaître à mon père ces secrètes profondeurs de la science, -j'étais toujours retenu par la critique indéterminée qu'il avait -faite de mon auteur favori. J'appris ma découverte à Élisabeth, sous -le sceau du secret le plus strict; mais elle ne prenait pas d'intérêt -à mon travail, et elle me laissait poursuivre seul mes études. - -Il peut sembler très-étrange de voir dans le 18e siècle un disciple -du Grand Albert; mais notre famille n'était pas scientifique, et je -n'avais pas suivi les lectures recommandées aux écoles de Genève. Mes -rêves n'étaient donc pas troublés par la réalité; et je me livrai -avec ardeur à la recherche de la pierre philosophale et de l'élixir de -vie. Ce dernier objet obtint toute mon application: je le préférai à -la richesse; et quelle gloire suivrait ma découverte, si je -réussissais à chasser la maladie du corps humain, et à ne rendre -l'homme accessible qu'à une mort violente! - -Mes idées ne se bornèrent pas là. L'apparition des esprits et des -démons était généreusement promise par mes auteurs favoris: je -cherchais avec ardeur l'accomplissement de cette promesse; et, si mes -enchantements restaient toujours sans succès, j'en attribuais la faute -plutôt à mon inexpérience et à mon ignorance, qu'à un défaut -d'habilité ou de bonne foi dans mes maîtres. - -Les phénomènes de la nature qui s'offrent tous les jours à nos yeux, -n'échappèrent pas à mes recherches. La circulation et les effets -surprenants de la respiration, dont mes autorités ignoraient -entièrement la cause, excitèrent mon étonnement; mais, ce qui -m'étonna le plus, ce furent quelques expériences d'une pompe d'air, -que je vis employée par une personne que nous avions l'habitude devoir. - -L'ignorance des anciens philosophes sur ces points et sur d'autres, -servit à leur faire perdre leur crédit auprès de moi; mais je ne -pouvais les quitter entièrement, avant qu'un autre système ne les eût -remplacés dans mon esprit. - -À l'âge d'environ dix-sept ans, nous nous trouvions dans notre maison, -auprès de Belrive, quand vint à éclater l'orage le plus violent et le -plus terrible. Il s'avançait de l'autre côté des montagnes du Jura, -et s'annonçait par les éclats du tonnerre qui retentissait de -plusieurs côtés à la fois avec un fracas effrayant. Je restai, tant -que l'orage dura, à observer ses progrès avec curiosité et plaisir. -Pendant que je me tenais à la porte, je vis tout à coup une traînée -de feu sortir d'un chêne antique et élevé, qui était à peu près à -vingt pas de notre maison; et à peine la lumière cessa de briller, que -le chêne disparut, et il ne restait plus qu'un tronc en ruines. Le -lendemain matin nous allâmes le voir; l'arbre avait été -singulièrement brisé. Il n'était pas fendu par le choc, mais -entièrement réduit en petits éclats de bois. Je n'ai jamais rien vu -qui fût si complètement détruit. - -La ruine de cet arbre fut pour moi l'objet d'un vif étonnement; je -questionnai avec empressement mon père sur la nature et l'origine du -tonnerre et des éclairs. «L'électricité», répondit-il, en -décrivant en même temps les différents effets de cette force. Il -construisit une petite machine électrique, et me fit quelques -expériences; il fit aussi un cerf-volant, avec des cordes et un fil de -métal, qui attirait des nuages le fluide électrique. - -Ce dernier trait acheva de renverser Cornelius Agrippa, le Grand Albert -et Paracelse, qui avaient si long-temps régné en maîtres dans mon -imagination. Mais, par quelque fatalité, je ne me sentis pas porté à -commencer l'étude d'un système moderne, et ce dégoût eut pour cause -la circonstance suivante. - -Mon père avait témoigné le désir que je suivisse un cours de leçons -sur la philosophie naturelle, et j'y avais consenti avec plaisir. Un -accident m'empêcha de suivre ces leçons jusqu'à la fin, et la -dernière que je pris était tout-à-fait inintelligible pour moi. Le -professeur discourait avec la plus grande abondance sur le Potassium et -le Boron, les sulfates et les oxides, termes auxquels je ne pouvais -appliquer d'idée. Je pris en dégoût la science de la philosophie -naturelle, quoique je lusse encore avec plaisir Pline et Buffon, auteurs -qui, suivant moi, étaient d'un intérêt et d'une utilité à peu près -semblables. - -Mes occupations, à cette époque, étaient principalement les -mathématiques, et la plupart des branches d'étude qui appartiennent à -cette science. Je m'occupais aussi beaucoup à apprendre les langues; le -Latin m'était déjà familier, et je commençais à lire quelques-uns -des auteurs Grecs les plus faciles sans le secours d'un Lexicon. Je -comprenais parfaitement aussi l'Anglais et l'Allemand. Voilà la -nomenclature de ce que je savais à l'âge de dix-sept ans; et vous -devez penser que mes moments étaient entièrement occupés pour -acquérir et conserver la connaissance de ces différentes -littératures. - -J'eus aussi une autre tâche à remplir; je devins l'instituteur de mes -frères. Ernest était de six ans plus jeune que moi et mon principal -élève. Il avait eu une mauvaise santé dans son enfance, pendant -laquelle Élisabeth et moi nous avions eu pour lui des soins assidus. -Son caractère était doux, mais il était incapable de toute -application sérieuse. Guillaume, le plus jeune de la famille, était -encore enfant, et c'était le plus beau petit drôle du monde; ses yeux -bleus et vifs, ses joues ornées de deux fossettes, et ses manières -caressantes inspiraient la plus tendre affection. - -Tel était notre cercle domestique, dont les soucis et les chagrins -semblaient bannis pour toujours. Mon père dirigeait nos études, et ma -mère partageait nos plaisirs. Aucun de nous n'avait la plus légère -supériorité sur l'autre, nous ne connaissions pas la voix du -commandement; mais une affection mutuelle nous portait à condescendre -et à obéir au moindre désir de chacun. - - - - -CHAPITRE II - - -Je venais d'atteindre ma dix-septième année, quand mes parents prirent -la résolution de m'envoyer étudier à l'université d'Ingolstadt. -J'avais d'abord suivi les écoles de Genève; mais mon père pensa qu'il -était nécessaire, pour le complément de mon éducation, de me faire -connaître d'autres usages que ceux de mon pays natal. Mon départ fut -donc prochainement fixé; et, avant que le jour marqué ne fût venu, -j'éprouvai le premier malheur de ma vie..... présage de ceux qui -m'attendaient. - -Élisabeth avait eu la fièvre rouge, mais sans aucun symptôme de -danger. Elle ne tarda pas à recouvrer la santé. Pendant le temps de la -maladie, on avait tout fait pour persuader à ma mère de ne pas la -voir. Elle s'était d'abord rendue à nos supplications; mais, -lorsqu'elle apprit que sa chère nièce se rétablissait, elle ne put se -priver davantage de sa société, et entra dans sa chambre long-temps -avant que l'air ne fut sans danger. Les conséquences de cette -imprudence furent funestes. Le troisième jour, ma mère tomba malade; -sa fièvre prit un caractère de malignité, et nous vîmes sur le -visage de ceux qui la soignaient l'augure du plus triste événement. Au -lit de la mort, le courage et la bonté de cette femme admirable ne -l'abandonnèrent pas. Elle joignit les mains d'Élisabeth et les -miennes: «Mes enfants, dit-elle, j'envisageais dans votre union le plus -ferme espoir de mon bonheur futur. Cette perspective sera maintenant la -consolation de votre père. Élisabeth, mon amie, vous me remplacerez -auprès de vos plus jeunes cousins. Hélas! je regrette d'être -séparée de vous; heureuse et aimée comme je l'étais, comment -n'aurais-je pas quelque peine de vous quitter tous? Mais ces pensées ne -me conviennent point; je lâcherai de me résigner à la mort, et -j'espère que nous nous reverrons dans un autre monde». - -Elle mourut avec calme, et en conservant sur son visage inanimé -l'expression de la tendresse. Je n'ai pas besoin de vous décrire les -sentiments de ceux dont les nœuds les plus chers sont rompus par le -plus irréparable des maux, le vide qui est dans le cœur et la douleur -qui est empreinte sur les figures. Il faut tant de temps pour que -l'esprit puisse se persuader que celle que nous voyions tous les jours -et dont existence même semblait liée à la nôtre, est perdue à -jamais...; que l'éclat enchanteur de ses yeux est éteint; et que le -son d'une voix si familière et si chère à l'oreille, est étouffé -pour n'être plus entendu. Telles sont les réflexions auxquelles on se -livre les premiers jours; mais lorsque le laps du temps a prouvé la -réalité du mal, la douleur commence à se faire sentir plus vivement. -Et à qui la main terrible de la mort n'a-t-elle pas enlevé -quelqu'affection bien chère? Pourquoi vous peindre un chagrin que tout -le monde a éprouvé ou doit éprouver? Le temps arrive enfin, où la -douleur est plutôt une consolation qu'un mal; et le sourire n'est pas -banni de nos lèvres, quoiqu'il paraisse un sacrilège. Ma mère -n'était plus, mais nous avions encore des devoirs à remplir; car nous -devons continuer notre vie dans le calme, et nous trouver heureux, tant -qu'il nous reste un être sur qui la faulx de la mort ne s'est pas encore -appesantie. - -Mon voyage à Ingolstadt, qui avait été différé par ces -évènements, fut décidé de nouveau. J'obtins de mon père un délai -de quelques semaines. Ce temps se passa fort tristement. La mort de ma -mère et mon prompt départ accablaient nos esprits; mais Élisabeth -cherchait à ramener la gaîté dans notre petite société. Depuis la -mort de sa tante, son esprit avait acquis une nouvelle fermeté et une -nouvelle force. Elle se détermina à remplir ses devoirs avec la plus -grande exactitude, et elle sentit que le devoir le plus impérieux qui -lui était imposé, était de rendre heureux son oncle et ses cousins. -Elle me consolait, amusait son oncle, instruisait mes frères; jamais -elle ne me parut aussi charmante qu'à cette époque, où elle -s'efforçait continuellement de contribuer au bonheur des autres, en -s'oubliant entièrement elle-même. - -Le jour de mon départ arriva enfin. J'avais pris congé de tous mes -amis, excepté de Clerval, qui passa avec nous la dernière soirée. Il -s'affligeait amèrement de ne pouvoir m'accompagner: mais il était -retenu chez son père, dont l'intention était de l'associer dans ses -affaires, et dont le grand principe était que la science est inutile -dans le commerce ordinaire de la vie. Henry avait un esprit plus -élevé: il n'avait, nullement le désir de ne rien faire, et s'il -était bien aise de devenir l'associé de son père, il pensait aussi -qu'on pouvait être un fort bon négociant, et en même temps avoir un -esprit cultivé. - -Nous restâmes très-tard à écouter ses plaintes et à faire plusieurs -petits arrangements pour l'avenir. Je partis le lendemain matin de bonne -heure. Des pleurs coulaient des yeux d'Élisabeth; elle ne pouvait les -retenir en songeant que mon départ la laissait dans le chagrin, et que -le même voyage avait été fixé trois mois auparavant, lorsque la -bénédiction d'une mère m'aurait accompagné. - -Je me jetai dans la chaise qui devait m'emmener, et me livrai aux -réflexions les plus mélancoliques. J'étais seul maintenant, moi, qui -avais été toujours entouré d'aimables compagnons, dont l'unique soin -était d'être agréables l'un à l'autre. Dans l'université vers -laquelle je me rendais, il fallait me faire mes amis et être moi-même -mon protecteur. Jusqu'ici, ma vie avait été tout-à-fait domestique et -retirée; j'en gardai une répugnance invincible pour les nouveaux -visages. J'aimais mes frères, Élisabeth et Clerval; c'étaient pour -moi _d'anciennes figures qui m'étaient familières_; mais je ne me -croyais nullement fait pour la société des étrangers. Telles étaient -mes réflexions lorsque je commençai mon voyage; mais à mesure que -j'avançais, mon courage et mes espérances se relevaient. J'avais un -vif désir d'apprendre. Souvent, chez mon père, j'avais trouvé -pénible de passer ma jeunesse, attaché à la même place; j'aurais -voulu entrer dans le monde, et prendre ma place parmi les autres hommes. -À présent que mes désirs étaient accomplis, c'eût été une folie -de m'en repentir. - -J'eus tout le temps de me livrer à ces réflexions et à bien d'autres -pendant mon voyage à Ingolstadt, qui fut long et fatigant. Enfin, -j'aperçus les clochers blancs et élevés de la ville. Je descendis de -voiture, et je fus conduit dans mon appartement solitaire pour passer la -soirée comme il me plairait. - -Le lendemain matin, je remis mes lettres d'introduction; je ne manquai -pas de rendre visite à quelques-uns des principaux professeurs, et -entr'autres à M. Krempe, professeur de philosophie naturelle. Il me -reçut avec politesse, et me fit plusieurs questions sur mes progrès -dans les différentes branches de science qui appartiennent à la -philosophie naturelle. Je lui nommai, non sans crainte et sans -hésitation les seuls auteurs que j'eusse jamais lus sur ce sujet. Le -professeur me regarda fixement: «Avez-vous, dit-il, réellement perdu -votre temps à étudier de pareilles absurdités»? - ---«Je vous ai dit la vérité», répondis-je.--«Chaque minute -continua M. Krempe avec chaleur, chaque moment que vous avez passé sur -ces livres est tout-à-fait et complètement perdu. Vous avez chargé -votre mémoire de systèmes repoussés et de noms inutiles. Grand Dieu! -Dans quel désert avez-vous habité, puisque personne n'a été assez -bon pour vous apprendre que ces rêves, dont vous vous êtes pénétré -avidement, sont enfantés depuis mille ans, et sont aussi méprisés -qu'ils sont anciens? Je ne m'attendais guère à trouver dans ce siècle -éclairé et savant, un disciple du Grand Albert et de Paracelse. Mon -cher monsieur, il faut recommencer entièrement vos études». - -Après avoir ainsi parlé, il se mit à l'écart, et écrivit une liste -de plusieurs livres qui traitaient de la philosophie naturelle. Il -m'invita à les acheter; et il prit congé de moi, en me prévenant -qu'au commencement de la semaine suivante, il ouvrirait un cours sur la -philosophie naturelle dans ses rapports généraux, et que M. Waldman, -son collègue, en ferait un sur l'alchimie, alternativement avec le -sien. - -Je retournai chez moi sans être désappointé, car il y avait longtemps -que je regardais comme passés de mode, les auteurs que le professeur -avait réprouvés avec tant de force; mais je ne me sentis pas -très-porté à étudier les livres dont j'avais fait emplette à sa -recommandation. M. Krempe était un petit homme ramassé, dont la voix -était rude, et la figure repoussante; ainsi le maître ne me disposait -pas, en faveur de la doctrine. Du reste, j'avais du mépris pour les -usages de la philosophie naturelle du jour. Quelle différence avec les -maîtres de la science, quand ils cherchaient l'immortalité et le grand -secret! Leurs vues étaient grandes, quoique futiles. Mais depuis, la -scène était changée; l'ambition des nouveaux savants semblait se -borner à détruire ces visions qui me portaient vers la science, avec -le plus d'intérêt. Il fallait changer des chimères d'une grandeur -sans bornes, contre de misérables réalités. - -Telles furent mes réflexions pendant les deux ou trois premiers jours -que je passai presque dans la solitude. Mais au commencement de la -semaine suivante, je pensai à ce que M. Krempe m'avait dit sur les -cours. Et, quoique je ne pusse consentir à aller entendre ce petit -pédant débiter des sentences dans une chaire, je me rappelai ce qu'il -avait dit de M. Waldman, qui avait été absent jusqu'alors, et que je -n'avais jamais vu. - -Soit par curiosité, soit par oisiveté, j'allai dans la salle des -cours: M. Waldman y entra un instant après. Ce professeur ne -ressemblait pas à son collègue. Il paraissait avoir environ cinquante -ans, et portait sur son visage l'expression de la plus grande bonté: -quelques cheveux gris couvraient ses tempes; des cheveux presque noirs -garnissaient le derrière de sa tête. Il était petit, mais -très-droit, et doué du plus doux organe. Il commença son cours par un -précis de l'histoire de l'alchimie et des différentes découvertes -dues à plusieurs savants, prononçant avec chaleur les noms de ceux qui -s'étaient le plus distingués par ces découvertes. Il fit alors un -tableau rapide de l'état actuel de la science, et expliqua plusieurs -termes élémentaires. Après avoir fait quelques expériences -préparatoires, il termina par un panégyrique de l'alchimie moderne, en -des termes que je n'oublierai jamais. - -«Les anciens maîtres en cette science, dit-il, promettaient des choses -impossibles, et n'accomplissaient rien. Les professeurs modernes -promettent très-peu: ils savent qu'on ne peut changer les métaux, et -que l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes, dont les -mains ne semblent faites que pour tremper dans la boue qui semblent -n'avoir des yeux que pour observer au travers d'un microscope ou dans le -creuset, ont en effet produit des miracles. Ils pénètrent les secrets -de la nature, et montrent ses effets dans les endroits les plus cachés. -Ils pénètrent jusqu'aux cieux; ils ont découvert la circulation du -sang, et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirs -nouveaux et presqu'illimités; ils commandent aux foudres du ciel, -imitent les tremblements de terre, et bravent même les ombres du monde -invisible». - -Je me retirai enchanté du professeur et de sa leçon; j'allai le soir -même lui rendre visite. Ses manières chez lui étaient encore plus -douces et plus attrayantes qu'en public; car, pendant son cours, il y -avait sur son visage une certaine dignité qui, en particulier, faisait -place à la plus grande affabilité et à beaucoup de politesse. Il -écouta avec attention la petite histoire de mes études, et sourit aux -noms de Cornelius Agrippa et de Paracelse, mais sans le mépris qu'avait -montré M. Krempe. Il me dit que, «c'était au zèle infatigable de ces -hommes, que les philosophes modernes étaient redevables de la plupart -des principes de leur science; qu'ils nous avaient laissé la tâche -plus facile, de donner les noms, et de classer avec ordre les faits -qu'ils avaient puissamment contribué à mettre au grand jour. Les -travaux des hommes de génie, quoiqu'erronés, finissent toujours par -tourner au profit de l'espèce humaine». J'écoutais son raisonnement, -qui était prononcé sans orgueil ni affectation; j'ajoutai alors, que -sa leçon avait dissipé mes préjugés, contre les alchimistes -modernes; et en même temps, je lui demandai ses conseils sur les livres -que je devais me procurer. - -«Je suis heureux, dit M. Waldman, de m'être fait un élève; et si -votre application égale votre habileté, je ne doute pas que vous ne -réussissiez. L'alchimie est la branche de la philosophie naturelle dans -laquelle on a fait et pourra faire le plus de progrès. Voilà pourquoi -j'en ai fait mon étude particulière, mais en même temps je n'ai pas -négligé les autres branches de cette science. On ne serait qu'un bien -médiocre alchimiste, si l'on ne s'adonnait qu'à cette partie seule des -connaissances humaines. Si vous avez le désir de devenir vraiment un -savant, et non simplement un petit faiseur d'expériences, je vous -engagerai à cultiver toutes les branches de la philosophie naturelle, -ainsi que les mathématiques». - -Il m'introduisit alors dans son laboratoire, et m'expliqua l'usage de -ses différents instruments; il me montra tous ceux que je devais avoir, -et me promit de me prêter les siens, lorsque j'aurais assez -d'expérience pour ne pas en déranger le mécanisme. Il me donna aussi -la liste des livres que j'avais demandés, et je pris congé de lui. - -Ainsi finit cette journée mémorable pour moi; elle décida de mon -avenir. - - - - -CHAPITRE III - - -Depuis ce jour, je me livrai presqu'exclusivement à l'étude de la -philosophie naturelle, et surtout de l'alchimie, dans le sens le plus -étendu de ce mot. Je lus avec ardeur les ouvrages qui ont été -composés sur cette science par les observateurs modernes, et où -brillent à un haut degré leur génie et leur discernement. Je suivis -les cours, je fréquentai les savants de l'université; et je reconnus -même en M. Krempe beaucoup de bon sens et un vrai savoir, joints, il -est vrai, à une physionomie et à des manières repoussantes, mais qui -ne diminuaient pas le mérite de ses connaissances. Je trouvai un -véritable ami dans M. Waldman. Sa douceur n'était jamais altérée par -un ton tranchant; il donnait ses leçons avec un air de franchise et de -bonté qui éloignait toute idée de pédanterie. Ce fut, peut-être, -l'aimable caractère de cet homme qui m'entraîna le plus vers la partie -de philosophie naturelle qu'il enseignait, qu'un goût intime pour la -science même. Mais cette disposition d'esprit ne dura que dans les -premiers moments de mes études: car, plus je pénétrais dans la -science, et plus je la poursuivais exclusivement pour elle-même. Cette -application, qui d'abord avait été un devoir et un ordre, devint -alors si ardente et si vive, que souvent les étoiles avaient disparu -devant la clarté du matin, que j'étais encore à travailler dans mon -laboratoire. - -Avec une application aussi opiniâtre, il est facile de concevoir que je -fis de rapides progrès. Mon ardeur faisait l'étonnement des -étudiants, et mes succès celui des maîtres. Le professeur Krempe me -demandait souvent, avec un sourire moqueur, comment allait Cornelius -Agrippa; tandis que M. Waldman se réjouissait hautement de mes -progrès. Deux ans se passèrent ainsi, sans que j'allasse à Genève; -j'étais attaché, de cœur et d'âme, à la poursuite de quelques -découvertes que je désirais faire. Il n'y a que ceux qui en ont fait -l'épreuve, qui puissent comprendre les attraits de la science. Dans des -études quelconques on peut atteindre ceux qui nous ont précédés, -mais on ne peut guère les surpasser; dans l'étude des sciences, au -contraire, il y a un aliment continuel pour les découvertes, et des -sujets toujours nouveaux d'étonnement. Un esprit d'une capacité -ordinaire, qui se renferme strictement, dans une seule étude, doit -infailliblement y faire de grands progrès; j'avais constamment cherché -à atteindre l'objet que j'avais en vue; je n'étais uniquement occupé -que de cet objet; aussi, je me signalai par des progrès si rapides, -que, deux ans après, je fis plusieurs découvertes pour perfectionner -quelques instruments d'alchimie, ce qui me valut beaucoup d'estime et de -considération dans l'université. Parvenu à ce point, et devenu aussi -habile dans la théorie et dans la pratique de la philosophie naturelle -qu'il dépendait des professeurs d'Ingolstadt, je jugeai que ma -résidence dans cette ville n'était plus nécessaire à mes progrès. -Je pensais à retourner au milieu de mes amis et dans ma ville natale, -lorsqu'un événement m'obligea de rester. - -Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention, -était la structure du corps humain, et même de tout être animé. Je -me demandais même souvent, d'où pouvait procéder le principe de la -vie. Cette question était hardie: c'était même un mystère aux yeux -du monde; et, cependant, que de choses nous pourrions apprendre, si la -lâcheté ou l'insouciance n'arrêtaient pas nos recherches. Ces -pensées s'agitèrent dans mon esprit, et me déterminèrent à étudier -désormais plus particulièrement les parties de la philosophie -naturelle qui ont rapport à la physiologie. Sans un enthousiasme -presque surnaturel, mon application à cette étude eût été pleine de -dégoûts, et presque insupportable. Pour examiner les causes de la vie, -nous devons d'abord avoir recours à la mort. J'appris l'anatomie: mais -cette science ne suffisait pas; il fallut aussi que j'observasse la -décomposition naturelle et la corruption du corps humain. En -m'élevant, mon père avait pris les plus grandes précautions, pour -qu'on ne remplit pas mon esprit d'horreurs surnaturelles. Je ne me -souviens pas d'avoir jamais frissonné au récit d'un conte -superstitieux, ou d'avoir eu peur de l'apparition d'un fantôme. -L'obscurité ne faisait aucun effet sur mon imagination; et un -cimetière n'était pour moi que le réceptacle des corps privés de la -vie, qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force, -étaient devenus la pâture des vers. Je me mis à examiner la cause et -les progrès de cette décomposition, et je fus forcé de passer des -jours et des nuits au milieu des tombeaux et dans des charniers. Je -portais mon attention sur tous les objets les plus désagréables à la -délicatesse des sensations humaines. J'examinai combien la belle forme -de l'homme était dégradée et ravagée; je vis la corruption de la -mort remplacer l'éclat d'un visage animé, et les vers hériter des -merveilles de l'œil et du cerveau. Je m'arrêtais à observer et à -analyser toutes les minuties de notre être, dévoilées dans le passage -de la vie à la mort, lorsque, du milieu de cette obscurité, une -lumière soudaine vint éclairer mon esprit. Elle était si brillante, -si merveilleuse, et pourtant si naturelle, que je fus à la fois ébloui -par l'immense clarté qu'elle répandait, et surpris que, parmi tant -d'hommes de génie dont les recherches avaient eu pour but la même -science, je fusse le seul destiné à découvrir cet étonnant secret. - -Rappelez-vous que je ne rapporte pas la vision d'un fou: ce que -j'affirme est aussi vrai que le soleil brille dans les cieux. Que ce -soit par un miracle, il n'en est pas moins vrai que les progrès de la -découverte sont distincts et probables. Après des jours et des nuits -d'un travail et d'une fatigue incroyables, je parvins à connaître la -cause de la génération et de la vie; je devins même capable d'animer -une matière inerte. - -L'étonnement où me jeta cette découverte, fit bientôt place au -plaisir et au ravissement. Après avoir consumé tant de temps à des -travaux pénibles, n'était-ce pas pour moi la récompense la plus -douce, que d'arriver enfin au terme de mes désirs? Mais cette -découverte était si grande et si élevée, que tous les degrés par -lesquels j'y avais été progressivement conduit, furent oubliés: je ne -vis que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait été -l'objet des études et des désirs des hommes les plus sages, était -maintenant en mon pouvoir. Tout se présentait à moi comme une scène -magique. Le résultat que j'avais obtenu, était de nature plutôt à -diriger mes efforts dès que je les tournerais vers l'objet de mes -recherches, qu'à me l'offrir sur-le-champ. J'étais comme l'Arabe qui -avait été enseveli parmi les morts, et qui trouva un passage à la -vie, guidé seulement par une lueur qui semblait ne devoir pas lui -prêter ce secours. - -Mon ami, je vois, à votre impatience, à l'étonnement et à l'espoir -qu'expriment vos yeux, que vous vous attendez à ce que je vous -instruise du secret de ma découverte; cela ne se peut: écoutez -patiemment la fin de mon histoire, et vous verrez facilement pourquoi je -me renferme dans le silence. Imprévoyant et ardent comme je l'étais -alors, je ne vous conduirai pas à votre perte et à un malheur -infaillible. Apprenez-de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon -exemple, combien la science est dangereuse. Soyez-en certain: l'homme -qui croit que sa ville natale est le monde, est plus heureux que celui -qui aspire à s'élever plus qu'il ne peut prétendre. - -Maître d'un pouvoir si étonnant, j'hésitai long-temps sur l'usage que -j'en ferais. J'avais, il est vrai, la faculté d'animer; mais il restait -encore un ouvrage d'une difficulté et d'une peine inconcevables, -c'était de préparer un corps destiné à recevoir la vie, avec toutes -ses combinaisons de fibres, de muscles et de veines. J'hésitai d'abord, -si j'essayerais de créer un être semblable à moi-même ou d'une -organisation plus simple; mais mon imagination était trop exaltée par -mon premier succès, pour que je misse en doute mon habileté à donner -la vie à un être aussi compliqué et aussi merveilleux que l'homme. -Les matériaux, dont je pouvais disposer, me parurent à peine -suffisants pour une entreprise aussi hardie; mais je ne doutai pas que -je ne finisse par réussir. Je me préparai à une multitude de revers; -il était possible que mes opérations fussent sans succès, et enfin -que mon ouvrage fût imparfait. Cependant, en réfléchissant aux -progrès qu'on faisait tous les jours dans la science et dans la -mécanique, je me flattais que mes essais seraient du moins la base d'un -prochain succès, et je ne pouvais croire que mon plan fût -impraticable, par cela même qu'il était grand et compliqué. Ce fut -dans ces dispositions que je commençai à créer un être humain. Comme -la petitesse des parties formait une grande difficulté, je crus pouvoir -accélérer mon ouvrage, en prenant la résolution, contraire à mes -premières intentions, de le faire d'une stature gigantesque, -c'est-à-dire, d'environ huit pieds de hauteur, et d'une grosseur -proportionnée. Cette détermination prise, je m'occupai pendant -plusieurs mois à rassembler et à arranger avec succès mes matériaux: -enfin, je me mis à l'ouvrage. - -On ne saurait imaginer la variété des sentiments qui m'agitaient, -comme une tempête, dans le premier enthousiasme de mon heureuse -entreprise. La vie et la mort me parurent des limites idéales; j'allais -bientôt les franchir; j'allais verser un torrent de lumière sur -l'obscurité du monde. Une nouvelle génération me bénirait comme son -créateur et sa source: une foule d'êtres heureux et excellents me -devraient leur existence. Aucun père ne pourrait réclamer la -reconnaissance de son enfant, autant que je mériterais la sienne. En -poursuivant ces réflexions, je pensai que si je pouvais animer une -matière inerte, je pourrais, avec le temps (quoique je le regardasse -alors comme impossible), rendre la vie à un corps que la mort semblait -avoir destiné à la corruption. - -Ces idées soutenaient mon courage, pendant que je poursuivais sans -relâche mon entreprise. Mes joues étaient devenues pâles par -l'étude, et mon corps s'amaigrissait par le défaut de nourriture. -Quelquefois je pensais être parvenu au but, et j'échouais; mais je ne -désespérais pas qu'au premier jour, ou au premier moment, mes -espérances ne fussent réalisées. Le désir de posséder seul un -pareil secret, me dominait entièrement: la lune éclairait mes -opérations nocturnes, pendant que je poursuivais la nature jusque dans -ses retraites les plus cachées, avec une ardeur sans relâche. Qui -pourra concevoir l'horreur de mes travaux secrets, lorsque je profanais -les tombeaux, ou que je torturais l'animal vivant, pour animer un froid -argile? Mes membres en tremblent encore; tout est encore présent à mes -yeux; mais alors j'étais entraîné par une impulsion irrésistible et -presque fanatique; il me semblait n'avoir plus d'âme ou de sensation -que pour la poursuite de cet objet. Ce n'était, il est vrai, qu'un -enthousiasme passager, qui pouvait seulement contribuer à me faire -sentir, avec une nouvelle force, dès que l'aiguillon surnaturel -cesserait d'agir, que je retournerais à mes anciennes habitudes. Je -ramassais des os dans les charniers; et de mes doigts profanes, je -troublais les secrets effroyables du tombeau. Enfermé dans une chambre, -ou plutôt dans une cellule solitaire, de la partie la plus élevée de -la maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerie -et par un escalier, je me livrais au travail d'une création pleine de -dégoût: mes yeux sortaient de leur orbite, pour suivre les détails de -mes occupations. La salle de dissection et la tuerie me fournissaient un -grand nombre de matériaux; souvent je me détournais avec horreur de -mes travaux, lorsqu'excité encore par une ardeur toujours croissante, -j'étais près d'achever mon ouvrage. - -L'été se passa, pendant que j'étais engagé de cœur et d'âme dans -n'était pas cette seule poursuite. La saison était magnifique: jamais -moisson plus abondante ne couvrit les champs; jamais vendanges ne furent -plus riches: mais j'étais insensible aux charmes de la nature; et les -mêmes pensées qui me firent négliger les scènes qui se passaient -autour de moi, me firent aussi oublier ces amis qui étaient éloignés -de tant de lieues, et que je n'avais pas vus depuis si long-temps. Je -savais que mon silence les inquiétait. - -Je me rappelais, mot pour mot, ce que m'avait dit mon père: «Tant que -vous serez satisfait de vous-même, vous penserez à nous avec -affection, et nous recevrons régulièrement de vos nouvelles. Ne me -blâmez pas si je regarde toute interruption dans votre correspondance, -comme une preuve que vos autres devoirs sont également négligés». - -Ainsi, je connaissais bien quelle devait être l'opinion de mon père, -et pourtant je ne pouvais m'arracher à des occupations repoussantes en -elles-mêmes, mais dont le pouvoir sur moi était in surmontable. Je -remis alors tout ce qui avait rapport à mes sentiments d'affection, -jusqu'à ce que j'eusse accompli le grand œuvre qui me détournait de -toutes les habitudes de ma vie. - -Je pensais que mon père serait injuste, s'il attribuait ma négligence -à mes défauts ou à mes vices. Maintenant, je suis convaincu qu'il -avait raison de penser que ma conduite n'était pas exempte de blâme. -Un homme parfait doit toujours maintenir son esprit dans le calme et -dans la paix; sa tranquillité ne doit jamais être troublée par une -passion ou par un goût passager. Je ne crois pas que l'étude même -soit une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle on -s'applique, doit affaiblir les affections, et ôter le goût de ces -plaisirs simples dans lesquels on ne peut éprouver aucune altération, -alors cette étude est sans aucun doute illégitime; c'est-à-dire, -qu'elle ne convient pas à l'esprit humain. Si cette règle était -toujours observée, si l'homme ne laissait aucune passion altérer le -charme paisible de ses affections domestiques, la Grèce n'eût pas -été réduite en esclavage; César n'eût pas immolé son pays; -l'Amérique n'eût pas été découverte; et les empires du Mexique et -du Pérou n'auraient pas été détruits. - -Mais que fais-je? Je moralise au moment le plus intéressant de mon -histoire, tandis que je lis dans vos regards l'invitation de continuer. - -Mon père ne me faisait aucun reproche dans ses lettres, seulement mon -silence l'engagea à s'informer de mes occupations, plus -particulièrement qu'il ne l'avait fait jusque-là. L'hiver, le -printemps et l'été s'écoulèrent pendant mes travaux, sans que je -fisse attention à l'apparition successive des fleurs ou des feuilles, -qui autrefois me faisait toujours éprouver le plus doux plaisir, tant -j'étais plongé dans mon entreprise. Les vacances de cette année -s'écoulèrent avant que mon ouvrage ne fut près d'être achevé. Je -voyais alors, chaque jour, plus clairement combien j'avais réussi; mais -mon enthousiasme était réprimé par mon inquiétude; et j'avais -plutôt l'air d'un homme condamné à travailler aux mines, ou à tout -autre objet malsain, que d'un artiste au milieu de ses occupations -favorites. Toutes les nuits j'étais tourmenté d'une fièvre lente: je -reconnus enfin que mon système nerveux était fortement attaqué. J'en -éprouvai un grand chagrin, parce que j'avais jusqu'alors joui de la -meilleure santé, et que je m'étais toujours vanté de la force de mes -nerfs. Mais je croyais que l'exercice et l'amusement dissiperaient -bientôt de pareils symptômes, et je me promettais de m'y livrer, dès -que ma création serait terminée. - - - - -CHAPITRE IV - - -Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je vis -l'accomplissement de mes travaux. Dans une inquiétude voisine de -l'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donner -la vie, pour introduire une étincelle d'existence dans cette matière -inanimée qui était à mes pieds. L'airain avait déjà sonné la -première heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflement -horrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s'éteindre, -lorsqu'à cette lueur vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune et -stupide de la créature: elle respira avec force, et ses membres furent -agités d'un mouvement convulsif. - -Comment décrire ce que j'éprouvai à cette vue, ou comment peindre le -malheureux dont la formation m'avait coûté tant d'efforts, de peines, -et de soins? Ses membres étaient d'une juste proportion, et les traits -que je lui avais donnés n'étaient pas moins beaux. Beaux!... grand -Dieu! sa peau jaune couvrait à peine le système des muscles et des -artères: sa chevelure flottante était d'un noir brillant; ses dents -étaient blanches comme des perles; mais ces avantages ne formaient -qu'un contraste plus horrible avec des yeux insipides, qui paraissaient -presque de la même couleur que leurs blanches et sombres orbites; une -peau ridée, et des lèvres noires et serrées l'une contre l'autre. Les -différents événements de la vie ne sont pas aussi variables que les -sensations du cœur humain. Je n'avais pas cessé de travailler pendant -près de deux ans, dans le seul but de donner l'être à un corps -inanimé. Dans cette vue, j'avais négligé mon repos et ma santé: -j'avais désiré atteindre ce but avec une ardeur immodérée; et, -maintenant que j'y étais parvenu, la beauté du rêve s'évanouit; mon -cœur se remplit d'une horreur et d'un dégoût affreux. N'ayant pas la -force de soutenir la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de mon -laboratoire, et me promenai long-temps en parcourant ma chambre, en tous -sens, et sans songer au sommeil. Enfin, la fatigue succéda à mon -agitation, et je me jetai sur mon lit pour chercher, pendant quelques -moments, l'oubli de ma situation. Ce fut en vain: je dormis pourtant; -mais je fus troublé par les rêves les plus effrayants. Je crus voir -Élisabeth, brillante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt. -Charmé et surpris, je l'embrassai; en imprimant mon premier baiser sur -ses lèvres, je les vis devenir livides comme la mort; je vis ses traits -changer, et je crus tenir entre mes bras le cadavre de ma mère. Elle -était couverte d'un linceul, dans les plis duquel je voyais ramper les -vers du tombeau. Je m'éveillai saisi d'horreur; une sueur froide -couvrait mon front; mes dents claquaient les unes contre les autres; et -tous mes membres étaient en convulsion, lorsqu'à la clarté faible et -jaunâtre de la lune qui donnait sur les croisées, je distinguai le -malheureux..., le misérable monstre que j'avais créé. Il tenait les -rideaux du lit; et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient -fixés sur moi. Sa bouche s'ouvrit, et il fit entendre quelques sons -inarticulés, en faisant des grimaces affreuses. Peut-être avait-il -parlé; mais je n'entendis pas; il étendit une main, sans doute pour me -retenir, mais j'échappai, et descendis précipitamment les escaliers. -Je me réfugiai dans la cour de la maison, où je passai le reste de la -nuit à me promener en long et en large dans la plus grande agitation, -prêtant attentivement et avec crainte l'oreille au moindre bruit, comme -s'il m'annonçait l'approche du démon à qui j'avais si malheureusement -donné la vie. - -Ah! quel mortel pourrait soutenir l'horreur de cette situation! Une -momie à qui on rendrait l'âme, ne serait pas aussi hideuse que ce -monstre. Je l'avais observé lorsqu'il n'était pas encore achevé: il -était laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purent -se mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n'aurait pu -l'imaginer. - -Je passai la nuit dans des transes cruelles. Tantôt mon pouls battait -si vite et avec tant de violence, que je sentais la palpitation de tous -les artères; tantôt je succombais presque de langueur et de faiblesse. -Saisi d'horreur, je compris avec amertume combien je m'étais abusé: -les rêves, dont je m'étais bercé si long-temps et avec tant de -plaisir, étaient maintenant devenus un tourment pour moi. Comment -n'aurais-je pas éprouvé ce tourment? Mon changement fut si rapide; mes -espérances furent si cruellement déçues en tous points! - -Le jour commença enfin à paraître; le temps était sombre et -pluvieux. Cependant, mes yeux découvrirent l'église d'Ingolstadt, ses -blancs clochers, et l'horloge qui marquait six heures. Le gardien ouvrit -les portes de la cour qui avait été mon asile pendant la nuit: je -sortis dans les rues; je me mis à les parcourir avec précipitation -comme si je cherchais à éviter le misérable, et en tremblant de le -rencontrer à chaque détour de rue. Je n'osais retourner à -l'appartement que j'habitais; et je me sentais entraîné avec une -vitesse prodigieuse, quoique trempé par la pluie qui tombait à verse -d'un ciel noir et couvert. - -Je continuai pendant quelque temps à marcher ainsi, essayant, par -l'exercice du corps, de me soulager du poids qui accablait mon esprit. -Je traversais les rues sans savoir où j'étais, ni ce que je faisais. -Mon cœur palpitait de frayeur, et et je marchais à pas irréguliers, -sans oser regarder autour de moi: - - -Semblable à celui qui, en se promenant sur une route solitaire, est -saisi de crainte et d'horreur, et qui, après s'être une seule fois -retourné, presse le pas et n'ose plus détourner la tête; il craint -qu'un ennemi effrayant ne marche derrière lui[2]. - - -En continuant ainsi, j'arrivai enfin devant une auberge où descendaient -ordinairement les voitures et les diligences. Je m'y arrêtai -machinalement, et je restai pendant quelques minutes les yeux fixés sur -une voiture qui arrivait par l'autre bout de la rue, et qui, en -s'approchant, me parut être la diligence Suisse: elle s'arrêta à -l'endroit même où j'étais; et, dès que la portière fut ouverte, je -vis Henri Clerval, qui, en m'apercevant, s'élança dans mes bras. «Mon -cher Frankenstein, s'écria-t-il, que je suis content de te voir! que je -suis heureux de te rencontrer ici au moment même de mon arrivée»! - -Rien ne put égaler le plaisir que j'éprouvai à la vue de Clerval; sa -présence reportait toutes mes pensées vers mon père, Élisabeth, et -toutes ces scènes domestiques dont le souvenir m'était si doux. Je -tenais sa main; et, dans un moment, j'oubliai mes tourments et mon -malheur; j'éprouvai tout à coup, et pour la première fois depuis -plusieurs mois, une joie calme et sereine. J'accueillis mon ami de la -manière la plus cordiale; et nous nous dirigeâmes vers mon collège. -Clerval me parla pendant quelque temps de nos amis communs, et me dit -combien il se félicitait d'avoir obtenu de venir à Ingolstadt. «Tu -peux facilement, me dit-il, t'imaginer les efforts que j'ai dû -employer, pour persuader à mon père qu'il n'était pas nécessaire à -un négociant de ne connaître absolument que la tenue des livres; -vraiment je ne me flatte pas d'avoir ébranlé son incrédulité; car sa -réponse, constante à mes sollicitations, était toujours celle du -maître d'école Hollandais dans le ministre de Wakefield: (j'ai 10,000 -florins de rentes sans savoir le Grec, et cela ne m'empêche pas d'en -jouir de bon cœur). Mais son affection pour moi a triomphé enfin de -son mépris pour l'instruction; et il m'a permis d'entreprendre un -voyage de découverte dans le pays de la science». - ---«J'ai le plus grand plaisir à te voir, mais je n'en aurais pas moins -à apprendre de toi comment se portent mon père, mes frères et -Élisabeth». - ---«À mon départ, ils étaient en bonne santé, et très-heureux, mais -un peu fâchés de ne recevoir que si rarement de tes nouvelles. Cela me -fait penser que j'ai à t'adresser des reproches de leur part. Mais, mon -cher Frankenstein, continua-t-il, en s'arrêtant court, et en me -regardant en face, je n'avais pas encore remarqué ta mauvaise mine, si -maigre et si pâle; tu as l'air d'avoir veillé pendant plusieurs -nuits.» - ---«Tu as deviné juste; j'ai été dernièrement si plongé dans un -travail, que je ne me suis pas donné assez de repos, comme tu vois. -Mais j'espère bien sincèrement que je suis maintenant au terme de -toutes ces occupations, et que j'en suis enfin délivré». - -Je tremblais excessivement; je ne pouvais songer aux événements de la -nuit précédente, ni à tout ce qui y faisait allusion. Je marchais -d'un pas rapide, et nous arrivâmes bientôt à mon collège. Je -réfléchis alors, et je frissonnai à l'idée que la créature que -j'avais laissée dans mon appartement, pourrait y être encore, vivre et -se promener. Je tremblais de voir ce monstre; mais je craignais encore -plus qu'Henri ne le vit. Je le priai donc de rester quelques minutes au -bas de l'escalier, et je montai dans ma chambre. J'allais ouvrir la -porte, et je ne m'étais pas encore recueilli. Je m'arrêtai alors, en -frissonnant. Je poussai la porte avec force, à la manière des enfants -qui s'imaginent trouver un spectre qui les attend dans l'autre -extrémité: mais rien ne parut. Je marchais avec crainte: l'appartement -était vide, et ma chambre était aussi délivrée de son hôte hideux. -J'avais peine à croire à mon bonheur; certain enfin de l'absence de -mon ennemi, je frappai mes mains de joie, et je courus vers Clerval. - -Nous montâmes dans ma chambre, où le domestique nous apporta aussitôt -à déjeuner; mais je ne pouvais me contenir. Je n'étais pas seulement -troublé par la joie; je me sentais agité aussi par un excès de -sensibilité, et par les battements rapides de mon pouls. Je ne pouvais -rester un seul instant à la même place; je sautais sur les chaises, je -frappais des mains, et je riais aux éclats. Clerval attribua d'abord -l'état extraordinaire dans lequel il me voyait au plaisir que me -causait son arrivée; mais en m'observant avec plus d'attention, il vit -dans mes yeux un égarement dont il ne put se rendre compte; et il fut -aussi effrayé qu'étonné de mes éclats de rire immodérés, dont -aucun ne venait du cœur. - ---«Mon cher Victor, s'écria-t-il, pour l'amour de Dieu, dis-moi ce que -tu as? Ne ris pas de cette manière. Comme tu es mal! Quelle est la -cause de tout ce que je vois? - ---»Ne me le demande pas, lui dis-je, en me mettant les mains sur les -yeux, car je crus voir le monstre horrible se glisser dans la chambre; -il peut dire.--ah! sauve moi! sauve moi»! Je m'imaginais que le monstre -me saisissait; je me débattais avec fureur, et je cédai à un violent -accès. - -Pauvre Clerval, qu'a-t-il dû éprouver? En quelle amertume se changeait -la joie qu'il s'était promise à nous revoir! Mais je n'étais pas le -témoin de sa douleur; car j'étais sans vie, et je ne recouvrai les -sens que long-temps, long-temps après. - -Tel fut le commencement d'une fièvre nerveuse, qui me retint plusieurs -mois. Pendant tout ce temps, Henri seul me soigna. J'appris par la suite -qu'il avait caché à Élisabeth et à mon père l'excès de mon -égarement, pour épargner des chagrins à l'un, qui, dans un âge -avancé, ne pourrait entreprendre un aussi long voyage, et à l'autre, -qui ne pourrait supporter l'idée de ma maladie. Il savait que je ne -pourrais avoir de soins meilleurs et plus assidus que les siens, et -ferme dans l'espérance que je recouvrerais la santé, il ne douta pas -que loin de mal agir, il ne fit une très-bonne action vis-à-vis de mes -parents. - -J'étais réellement très-malade, et rien n'était plus propre à me -rendre à la vie que les attentions excessives et continuelles de mon -ami. Le monstre, à qui j'avais donné l'existence, était toujours -devant mes yeux; il était sans cesse l'objet de mes discours dans mon -délire. Sans doute Henry fut surpris de mes paroles: il les prit -d'abord pour les égarements de mon imagination troublée; mais la -ténacité qui me portait à revenir continuellement sur le même sujet, -lui donna lieu de penser que ma maladie avait réellement pour cause -quelqu'événement extraordinaire et terrible. - -Je me rétablis lentement, et après des rechutes fréquentes, qui -alarmèrent et affligèrent mon ami. Je me souviens que la première -fois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir les -objets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, et -que de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient ma -fenêtre. C'était un printemps délicieux, et la saison eut une grande -influence dans ma convalescence. Je sentis aussi renaître dans mon -cœur des sentiments de joie et d'affection. Mon chagrin s'était -dissipé, et bientôt je devins aussi gai qu'avant que je fusse en proie -à ma funeste passion. - -«Cher Clerval, m'écriai-je, que tu es aimable, que tu es bon pour moi! -Au lieu d'employer tout cet hiver à l'étude, ainsi que tu te l'étais -promis, tu l'as passé dans la chambre d'un malade. Comment pourrais-je -jamais reconnaître ce service? J'éprouve le plus grand remords de -t'avoir détourné de tes projets; mais tu pardonneras à ton ami. - ---»J'en serai suffisamment dédommagé si tu ne te troubles pas; si tu -te rétablis aussi promptement qu'il est possible. À présent que ton -esprit me paraît tranquille, je te puis parler sur un sujet;... ne le -puis-je»? - -Je tremblai. Quel pouvait être ce sujet? ferait-il allusion à un objet -auquel je n'osais même penser? - -«Calme-toi, dit Clerval, qui me vit changer de couleur, je ne t'en -parlerai pas si cela t'agite; mais ton père et ta cousine seraient bien -heureux de recevoir une lettre écrite de ta main. Ils ne savent pas -combien tu as été malade, et sont inquiets de ton long silence. - -«N'est-ce que cela, mon cher Henry? Comment as-tu pu supposer que ma -première pensée ne se porterait pas vers ces amis si chers, que -j'aime, et qui méritent tant que je les aime»? - -«Si telles sont maintenant tes dispositions, tu seras peut-être bien -aise, mon ami, de voir une lettre qui est arrivée ici pour toi depuis -plusieurs jours: elle est, je crois, de ta cousine». - - -[Note 2: Coleridge's «Ancient Mariner».] - - - - -CHAPITRE V - - -Clerval me remit la lettre suivante: - - -À V. FRANKENSTEIN. - - -«Mon cher Cousin, - -»Je ne puis vous peindre l'inquiétude que nous avons tous éprouvée -au sujet de voire santé. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que -votre ami Clerval nous cache la gravité de votre maladie: car voici -plusieurs mois que nous n'avons vu de votre écriture, puisque vous avez -été obligé, pendant tout ce temps-là, de dicter vos lettres à -Henry. Il faut, Victor, que vous ayez été bien malade. Nous en sommes -presqu'aussi malheureux, que nous l'étions après la mort de votre -excellente mère. Mon oncle s'était persuadé que vous étiez -très-dangereusement malade: nous l'avons empêché, mais non sans -peine, d'entreprendre le voyage d'Ingolstadt. Clerval écrit toujours -que vous allez mieux; j'espère vivement que vous nous confirmerez -bientôt cette nouvelle par une lettre écrite de votre propre main; -car, vraiment, Victor, nous sommes tous très-affligés de votre état. -Qu'un mot de vous nous ôte toute crainte, et nous serons les êtres du -monde les plus heureux. Votre père jouit maintenant d'une si bonne -santé, que, depuis l'hiver dernier, il parait avoir dix ans de moins. -Ernest a tellement grandi, que vous auriez de la peine à le -reconnaître; il a maintenant près de seize ans, et ne paraît plus -maladif, comme nous l'avons vu il y a quelques années: c'est un garçon -tout-à-fait fort et animé. - -»Hier au soir, j'ai eu une longue conversation avec mon oncle sur le -parti qu'embrasserait Ernest. Dans un état continuel de maladie, -pendant son enfance, il n'a pu prendre l'habitude du travail; et à -présent qu'il jouit d'une bonne santé, il est sans cesse à courir au -grand air, à gravir les montagnes, on à voguer sur le lac. J'ai -proposé d'en faire un cultivateur; vous savez, mon cousin, qu'aucun -état ne me paraît préférable. Un cultivateur mène la vie du monde -la plus paisible et la plus heureuse, et se livre en même temps à un -travail, dont les chances sont peu à craindre et les bénéfices -presque certains. Mon oncle aurait voulu qu'il fit les études -nécessaires pour être avocat, afin que par la suite il pût devenir -juge. Mais, outre qu'il n'est nullement propre à une semblable -profession, il est certainement plus honorable à lui de cultiver la -terre pour la subsistance de l'homme, que d'être le confident, ou -quelquefois le complice de ses crimes; car un homme de loi ne fait pas -autre chose. Je disais que si les occupations d'un bon cultivateur -n'étaient pas plus honorables, elles étaient du moins d'un genre plus -agréable que celles d'un juge, qui avait le malheur de n'être jamais -témoin que des crimes de l'homme. Mon oncle sourit en me disant que je -devrais être avocat moi-même: cela mit fin à notre conversation. - -»Je veux maintenant vous raconter une petite histoire qui vous plaira -et vous intéressera peut-être. Vous souvenez-vous de Justine -Moritz?--Non, sans doute.--Eh bien! je vous raconterai son histoire en -peu de mots. Madame Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants, -dont Justine était le troisième. Cette jeune fille avait toujours -été l'objet des prédilections du père; mais, par une étrange -perversité, la mère ne pouvait la souffrir, et, après la mort de M. -Moritz, elle la traita fort mal. Ma tante le remarqua, et pria la mère -de Justine, qui était alors âgée de douze ans, de la laisser avec -nous. Les institutions républicaines de notre pays ont donné lieu à -des habitudes plus simples et plus heureuses, que celles qui dominent -dans les grandes monarchies qui l'entourent. Il en résulte moins de -distinction entre les différentes classes des habitants; il en résulte -aussi que les dernières, qui sont moins pauvres et moins méprisées, -conservent des habitudes plus pures et plus honnêtes. Un domestique à -Genève ne sent pas de même que ceux de France et d'Angleterre. -Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les devoirs d'une -servante: condition qui, dans notre heureux pays, ne renferme pas -l'idée d'ignorance, et n'entraîne pas le sacrifice de la dignité d'un -être humain. - -»À présent, j'ose dire que vous vous rappelez à merveille -l'héroïne de ma petite histoire: car vous aimiez beaucoup Justine. Je -me souviens même que vous remarquiez autrefois, qu'un regard de Justine -suffisait pour calmer votre mauvaise humeur, ainsi que l'Arioste parle -de la beauté d'Angélique, tant elle avait un air candide et heureux. -Ma tante connut beaucoup d'attachement pour elle, ce qui l'engagea à -lui donner une éducation supérieure à celle qu'elle avait d'abord -espérée. Ce bienfait fut bien placé; Justine était la petite -créature du monde la plus reconnaissante: je ne veux pas dire qu'elle -en fît profession; je ne l'ai jamais entendu l'exprimer par des -paroles; mais ses yeux eussent fait croire qu'elle adorait presque sa -protectrice. Quoique son caractère fût fort gai et souvent léger, -elle faisait pourtant la plus grande attention au moindre geste de ma -tante. Elle la regardait comme le modèle le plus parfait, et elle -tachait d'imiter sa façon de parler et ses manières, au point que, -même à présent, elle me la rappelle souvent. - -»À la mort de ma chère tante, chacun était trop occupé de sa propre -douleur pour faire attention à la pauvre Justine, qui l'avait soignée -pendant sa maladie avec la plus vive affection. La pauvre Justine fut -très-malade; mais elle était réservée à d'autres épreuves. - -»Ses frères et sa sœur moururent l'un après l'autre, et sa mère -resta sans autre enfant que la fille qu'elle négligeait. Cette femme, -troublée par le cri de sa conscience, commença à croire que la mort -de ses enfants préférés était un jugement du ciel, qui la punissait -de sa partialité. Elle était Catholique Romaine, et je crois qu'elle -fut confirmée dans l'opinion où elle était, par son confesseur. -Aussi, peu de mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine fut -rappelée par sa mère repentante. Pauvre fille! elle pleura en quittant -notre maison: elle était bien changée depuis la mort de ma tante; le -chagrin avait mêlé à son humeur, autrefois si vive, une douceur et -une langueur attrayantes. Son séjour dans la maison maternelle n'était -pas de nature à lui rendre la gaîté. La pauvre femme était -très-chancelante dans son repentir. Quelquefois elle priait Justine de -lui pardonner sa dureté; mais bien plus souvent elle l'accusait d'avoir -causé la mort de ses frères et de sa sœur. Madame Moritz, dont le -caractère irascible ne fut d'abord qu'irrité par un état d'aigreur -continuelle, repose maintenant en paix. Elle mourut aux premières -approches du froid, au commencement de l'hiver dernier. Justine est -revenue avec nous, et je vous assure que je l'aime tendrement. Elle est -très-adroite, très-douce, et extrêmement jolie. Comme je vous l'ai -déjà dit, ses manières et ses expressions me rappellent -continuellement ma chère tante. - -»Il faut aussi, mon cher cousin, que je vous parle un peu du gentil -petit Guillaume: il est très-grand pour son âge; je voudrais que vous -le vissiez, avec ses yeux bleus, doux et vifs, ses cils noirs et ses -cheveux bouclés. Lorsqu'il sourit, on voit sur ses joues deux petites -fossettes qui sont fraîches comme la rose. Il a déjà eu une ou deux -petites _femmes_; mais Louisa Biron est sa favorite: c'est une jolie -petite fille de cinq ans. - -»Je pense, mon cher Victor, que vous serez bien aise que je vous parle -un peu des bons habitants de Genève. La jolie mademoiselle Mansfield a -déjà reçu les visites de félicitation sur son prochain mariage avec -un jeune Anglais, nommé John Melbourne, écuyer. Sa vilaine sœur, -Manon, a épousé, l'automne dernier, le riche banquier M. Duvillard. -Votre bon camarade d'études, Louis Manoir, a été plusieurs fois -malade depuis que Clerval est parti de Genève; il a déjà recouvré la -santé, et il est sur le point d'épouser une très-aimable et -très-jolie française, madame Tavernier. Elle est veuve et plus âgée -que lui; mais on la trouve très-belle, et elle est aimée de tout le -monde. - -»Moi qui vous écris, je suis en bonne santé, mon cher cousin; mais je -ne puis terminer ma lettre sans vous demander encore avec inquiétude -des nouvelles de la vôtre. Mon cher Victor, si vous n'êtes pas trop -malade, écrivez vous-même, et rendez heureux votre père et nous tous; -ou.... Je n'ai pas la force de penser au malheur; mes pleurs coulent -déjà. Adieu, mon très-cher cousin. - - -»ÉLISABETH LAVENZA». - - -Genève, 18 mars 17-- - - -«Chère Élisabeth! m'écriai-je, après avoir lu sa lettre, j'écrirai -sur-le-champ, et je mettrai fin à l'inquiétude qui doit la -tourmenter». J'écrivis, et je fus très-fatigué d'avoir écrit; mais -ma convalescence venait de commencer, elle continua régulièrement. -Quinze jours après, je pus quitter la chambre. - -Un de mes premiers devoirs fut de présenter Clerval à plusieurs -professeurs de l'université. En agissant ainsi, je suivis une sorte -d'usage qui m'était pénible, et qui convenait mal aux souffrances dont -mon cœur avait été déchiré. Depuis la nuit fatale qui avait été -témoin de la fin de mes travaux, et du commencement de mes malheurs, -j'avais conçu une violente antipathie contre le nom même de la -philosophie naturelle. Bien plus: dans un état complet de santé, la -vue d'un instrument d'alchimie était capable de renouveler toutes mes -agitations nerveuses. Henry s'en était aperçu, et avait fait -disparaître tous mes appareils. Il avait aussi voulu que je quittasse -mon appartement; car il avait remarqué que j'évitais d'aller dans la -chambre qui m'avait auparavant servi de laboratoire. Mais tous les soins -de Clerval furent perdus au moment où j'allai rendre visite aux -professeurs. M. Waldman me mit à la torture, en louant avec bonté et -chaleur mes progrès étonnants dans les sciences. Il ne tarda pas à -voir que cette conversation me gênait; mais, n'en devinant pas la -véritable cause, il l'attribua à la modestie, et cessa de vanter mes -progrès, pour parler de la science elle-même, avec le désir bien -évident que je me misse à en parler. Que pouvais-je faire? il voulait -me plaire, et il me tourmentait. Je souffrais comme s'il avait placé, -un à un devant moi, ces instrument qui devaient servir dans la suite à -me conduire à une mort lente et cruelle. Je souffrais de ce qu'il -disait, sans oser montrer la peine que j'éprouvais. Clerval, qui était -toujours si prompt à discerner les sensations des autres, détourna la -conversation, en alléguant pour excuse son ignorance complète, et -donna à la conversation un tour plus général. Je remerciai mon ami du -fond de mon cœur, mais je ne parlai pas. Je vis clairement qu'il était -surpris, mais il n'essaya jamais de m'arracher mon secret; et, quoique -je l'aimasse avec un mélange d'affection et de respect qui ne -connaissaient pas de bornes, je ne pouvais cependant me décider à lui -confier l'événement qui était si souvent présent à ma mémoire, -mais dont je craignais d'imprimer trop profondément le souvenir à un -autre. - -M. Krempe ne fut pas aussi docile; et, dans mon état de sensibilité -excessive, ses éloges brusques et grossiers me firent même plus de mal -que la bienveillante approbation de M. Waldman. «Savant collègue! -s'écria-t-il; je vous assure, M. Clerval, qu'il nous a tous surpassés. -Oui; regardez-moi si cela vous plaît, mais ce que je dis n'en est pas -moins vrai. Un jeune homme qui, il y a quelques années, croyait en -Cornélius Agrippa, aussi fermement qu'en l'Évangile, s'est maintenant -mis à la tête de l'université; et s'il n'est bientôt à bas, nous ne -pourrons tenir à côté de lui.--Allons, allons, continua-t-il, en -voyant mon air de souffrance, M. Frankenstein est modeste; c'est une -excellente qualité pour un jeune homme. Les jeunes gens doivent se -défier d'eux-mêmes, vous savez, M. Clerval; j'étais comme lui dans ma -jeunesse; mais cela passe bien vite». - -M. Krempe commença alors un éloge de lui-même, qui détourna la -conversation d'un sujet qui me causait tant de mal. - -Clerval n'aimait nullement la philosophie naturelle. Son imagination -était trop vive pour s'arrêter aux minuties de cette science. Sa -principale étude était celle des langues; son but, en s'y adonnant, -était d'ouvrir un champ à son instruction, lorsqu'il serait de retour -à Genève. Le Persan, l'Arabe et l'Hébreu, furent, après une étude -approfondie du Grec et du Latin, l'objet de son application. Quant à -moi, à qui la paresse avait toujours été odieuse; dans le désir de -fuir les réflexions, et en haine de mes premières études, j'éprouvai -un grand plaisir à être le condisciple de mon ami, et je ne trouvai -pas seulement de l'instruction, mais encore des consolations dans les -ouvrages des auteurs Orientaux. Leur mélancolie est brûlante; et leur -bonheur vous élève à une hauteur que je n'avais jamais connue dans -l'étude des auteurs des autres pays. En lisant leurs écrits, il semble -que la vie s'écoule sous un soleil brûlant et dans un jardin de roses, -entre les sourires et les dédains d'une beauté cruelle, et dans un feu -qui consume le cœur. Combien diffère la poésie forte et héroïque -des Grecs et des Romains! - -L'été se passa ainsi, et mon retour à Genève fut fixé pour la fin -de l'automne; mais, retardé pour plusieurs motifs, je fus surpris par -l'hiver et la neige, qui rendirent les chemins impraticables, et je -remis mon voyage au printemps suivant. Je fus très-affligé de ce -retard; car j'étais impatient de revoir ma ville natale et mes amis. -Mon retour n'avait été différé aussi long-temps, que parce que je ne -voulais pas laisser Clerval dans une ville étrangère, avant qu'il -n'eût fait connaissance avec quelques-uns des habitants. Cependant, -l'hiver se passa très-gaîment; et le printemps, qui fut plus tardif -qu'à l'ordinaire, fut aussi plus beau et plus agréable. - -Nous étions au mois de mai; et j'attendais de jour en jour la lettre -qui devait fixer la date de mon départ, lorsqu'Henry me proposa de -parcourir à pied les environs d'Ingolstadt, pour faire mes adieux au -pays que j'avais si long-temps habité. Je me rendis avec plaisir à -cette proposition; j'aimais l'exercice, et j'avais toujours eu Clerval, -de préférence, à tout autre, pour m'accompagner dans ces sortes de -courses, auxquelles je m'étais accoutumé dans mon pays natal. - -Nous passâmes quinze jours à courir d'un côté et d'un autre. Ma -santé et mon esprit étaient depuis long-temps rétablis, et -s'affermissaient de jour en jour par l'air pur que je respirais, par -l'accroissement naturel de mes forces, et la conversation de mon ami. -L'étude m'avait éloigné auparavant de mes condisciples et m'avait -rendu insociable; mais Clerval excitait les dispositions qu'une nature -meilleure avait mises dans mon cœur. J'aimai de nouveau les beautés de -la nature et l'enjouement des enfants. Excellent ami! avec quelle -sincérité tu m'aimais! Tu cherchais élever mon esprit à la hauteur -du tien. J'étais miné et affaibli par un travail profond; mais ta -douceur et ton affection ont réchauffé et ranimé mes sens. Je -redevins le même qui naguère aimait tout le monde et en était -également aimé, qui n'avait ni soucis ni chagrins. Au temps de mon -bonheur, la nature inanimée avait le pouvoir de me jeter dans les -sensations les plus délicieuses. J'étais en extase à la vue d'un ciel -sans nuages et de la verdure des champs. Il est vrai que la saison dont -je parle était admirable; les fleurs du printemps embellissaient les -jardins, pendant que celles d'été étaient près d'éclore: je -n'étais pas troublé par les pensées qui, l'année précédente, -m'avaient accablé d'un poids insurmontable, malgré mes efforts pour -les éloigner. - -Henry se réjouissait de ma gaîté, et partageait sincèrement mes -sensations: il s'occupait de m'amuser, et il me rendait compte en même -temps des sentiments de son âme. Dans cette occasion, les ressources de -son esprit étaient vraiment étonnantes: sa conversation était pleine -d'imagination; et très-souvent, à l'imitation des écrivains Persans -et Arabes, il inventait des contes dont les idées et les passions -étaient surprenantes. D'autres fois, il récitait mes poèmes favoris, -ou proposait des arguments qu'il soutenait avec beaucoup d'esprit. - -Nous retournâmes à notre collège un dimanche dans l'après-midi: des -paysans dansaient, et toutes les personnes que nous rencontrions, -paraissaient gaies et heureuses. J'étais dans l'enchantement: j'étais -transporté par de vifs sentiments de joie et d'allégresse.» - - - - -CHAPITRE VI - - -À mon retour, je trouvai la lettre suivante de mon père: - - -À V. FRANKENSTEIN. - - -«Mon cher Victor, - - -»Tu as sans doute attendu avec impatience une lettre qui fixât -l'époque de ton retour au milieu de nous. J'ai d'abord été tenté de -ne t'écrire que quelques lignes, uniquement pour te dire le jour où -j'espère pouvoir t'embrasser; mais je n'ose pas te rendre un cruel -service. Quelle sera ta surprise, mon fils, au moment où tu attends une -nouvelle heureuse et agréable, de n'en recevoir au contraire que de -tristes et de douloureuses? Et comment, mon cher Victor, pourrai-je te -raconter notre malheur? Pourquoi faut-il que je t'afflige, mon fils, toi -qui es loin de nous, mais qui, dans ton absence, n'es pas devenu -insensible à nos joies et à nos chagrins? Je voudrais te préparer au -malheur que je vais t'apprendre, mais je sens que cela m'est impossible, -même à présent que tes yeux parcourent la page, pour y chercher les -mots qui doivent t'en donner l'horrible certitude. - -»Guillaume n'est plus!... Ce charmant enfant, dont le sourire suffisait -pour réjouir et ranimer mon cœur, qui était si doux et si gai à la -fois! Victor a été assassiné!... - -»Je n'essayerai pas de te consoler; je me bornerai à te raconter les -détails de cet évènement. - -»Jeudi dernier (7 mars), j'allai, accompagné de ma nièce et de tes -deux frères, me promener à Plinpalais. Le temps était chaud, et si -serein que nous prolongeâmes notre promenade plus que de coutume. La -soirée était déjà fort obscure avant que nous eussions pensé à -rentrer; mais en nous disposant au retour, nous ne retrouvâmes plus -Ernest et Guillaume qui avaient été au-devant de nous. Nous restâmes -donc assis à les attendre. Ernest vint bientôt, et nous demanda si -nous avions vu son frère: il nous dit qu'ils étaient à jouer -ensemble; que Guillaume l'avait quitté pour se cacher, qu'il l'avait -inutilement cherché, et attendu ensuite pendant long-temps, mais qu'il -n'était pas venu. - -»Ce récit ne servit qu'à nous alarmer. Nous continuâmes à le -chercher jusqu'à la nuit tombante, quand Élisabeth conjectura qu'il -pouvait être retourné à la maison. Il n'y était pas. Nous revînmes -avec des torches; car je ne pouvais me reposer en songeant que mon fils -s'était perdu, et restait exposé à toutes les humidités et aux -rosées de la nuit: Élisabeth éprouvait aussi une angoisse extrême. -Vers cinq heures du matin, je découvris mon aimable enfant que la nuit -précédente j'avais vu brillant et fort de santé, étendu sur le -gazon, livide, sans mouvement, et portant au col l'empreinte des doigts -du meurtrier. - -»Il fut rapporté à la maison, et la douleur qui était peinte sur mon -visage apprit à Élisabeth notre malheur. Elle voulut à toute force -voir le cadavre. J'essayai d'abord de l'en empêcher; mais elle -persista, entra dans la chambre où il était placé, examina -précipitamment le col de la victime, et s'écria, on frappant des -mains: «Dieu! j'ai assassiné cet enfant que j'aimais»! - -»Elle s'évanouit, et ne reprit ses sens qu'avec beaucoup de peine. -Revenue de son évanouissement, elle ne cessa de pleurer et de gémir. -Elle me dit que le soir même, Guillaume l'avait priée de lui mettre au -col un riche portrait de ta mère, qui lui appartenait. Nul doute que ce -portrait, qui a disparu, n'ait tenté le meurtrier, et ne l'ait porté -au crime. Nous ignorons quelle trace il aura suivie, malgré l'activité -de nos recherches pour le découvrir; mais hélas! rien ne me rendra mon -bien-aimé Guillaume. - -»Viens, mon cher Victor; tu peux seul consoler Élisabeth. Elle pleure -sans cesse, et s'accuse injustement d'être cause de la mort de -Guillaume. Nous sommes tous plongés dans la douleur; ne sera-ce pas un -motif de plus pour toi, mon fils, de revenir et de nous apporter des -consolations? Ta chère mère! hélas, Victor! je puis le dire -maintenant, remercie Dieu de ce qu'elle ne vit pas, pour être témoin -de la mort cruelle et malheureuse de son plus jeune enfant. - -»Viens, Victor; sans nourrir des idées de vengeance contre l'assassin, -mais avec des sentiments de paix et de douceur, qui calmeront les -blessures de nos cœurs, au lieu de les irriter. Entre dans la maison du -deuil, mon ami, l'âme pénétrée de tendresse et d'affection pour ceux -qui t'aiment, et non de haine contre tes ennemis. - -»Ton affectionné et désolé père, - - -»ALPHONSE FRANKENSTEIN». - -Genève 12 mai 17-- - - -Clerval, qui m'avait observé pendant la lecture de cette lettre, fut -surpris de voir le désespoir qui succédait à la joie que j'avais -d'abord éprouvée en recevant des nouvelles de mes amis. Je jetai la -lettre sur la table, et me couvris la figure de mes mains. - -«Mon cher Frankenstein, s'écria Henry, lorsqu'il me vit pleurer avec -amertume, seras-tu toujours malheureux? Mon cher ami, qu'est-il -arrivé»? - -Je lui fis signe de prendre la lettre, pendant que je parcourais la -chambre dans la plus grande agitation; des pleurs coulèrent aussi des -yeux de Clerval, lorsqu'il lut le récit de mon malheur. - -«Mon ami, dit-il, je ne puis t'offrir aucune consolation; cette perte -est irréparable. Que veux-tu faire? - -»--Partir sur-le-champ pour Genève: viens avec moi, Henry, commander -les chevaux». - -Pendant la route, Clerval chercha à relever mon courage. Il n'employait -pas les phrases communes de consolation, mais il partageait franchement -ma douleur. «Pauvre Guillaume, disait-il; il dort maintenant avec son -angélique mère. Ses amis sont dans le deuil et dans l'affliction; et -lui, il est en paix: il ne sent plus les doigts de l'assassin: il ne -connaît pas la douleur; la terre couvre ses jolies formes. Il ne peut -plus être un objet de pitié; ceux qui survivent sont les plus à -plaindre, et ils ne peuvent attendre de consolation que du temps. On -doit mépriser ces maximes des Stoïciens, que la mort n'est pas un mal, -et que l'esprit de l'homme doit être supérieur au désespoir causé -par l'absence éternelle d'un objet aimé. Caton même pleurait sur le -cadavre de son frère». - -Clerval parlait ainsi, pendant que nous traversions les rues avec -rapidité. Ses paroles s'imprégnaient dans mon cœur; et je me les -rappelai ensuite quand je fus seul. En ce moment, dès que les chevaux -furent arrivés, je me jetai dans une chaise, en disant adieu à mon -ami. - -Mon voyage fut triste. Mon premier désir était d'en voir le terme; car -il me tardait d'arriver pour consoler mes amis affligés, et partager -leur douleur; mais, en approchant de ma ville natale, je ralentis ma -marche. J'avais peine à résister à la multitude des sentiments -tumultueux dont j'étais assiégé. Je traversais des lieux chers à mon -enfance, et que je n'avais pas vus depuis près de six ans. Que de -changements depuis cette époque! Un tremblement de terre subit avait -tout désolé; et mille autres petites circonstances pouvaient avoir, -par degrés, amené d'autres altérations, qui, quoique plus lentes, -n'étaient pas moins sensibles. Je fus saisi de crainte: je n'osais pas -avancer; je me croyais exposé à toutes sortes de malheurs imaginaires, -et je tremblais, sans que je pusse les définir. - -Je restai deux jours à Lausanne, dans cet état pénible d'esprit. Je -contemplais le lac: les eaux étaient paisibles, tout était calme -autour de moi, et les montagnes couvertes de neige, _ces palais de la -nature_, n'étaient pas changés. Le calme et la beauté du ciel me -ranimèrent insensiblement, et je continuai mon voyage vers Genève. - -La route longeait le lac, qui devenait plus étroit à mesure que -j'approchais de ma ville natale. Je découvris plus distinctement les -flancs noirs du Jura, et le sommet brillant du Mont-Blanc; je pleurais -comme un enfant: «montagnes chères à mon cœur! lac majestueux! dans -quel état vous recevez celui qui vous parcourut si souvent? Votre -sommet est brillant; le ciel et le lac sont azurés et tranquilles. -Est-ce un présage de paix, ou bien une insulte à mon malheur»? - -Je crains, mon ami, de vous ennuyer, en appuyant sur ces circonstances -préliminaires; mais je me rappelais alors les jours de mon bonheur, et -je ne puis y penser encore sans plaisir. Ma patrie, ô ma chère patrie! -qui peut mieux qu'un de tes enfants peindre le plaisir que j'éprouvai -à la vue de tes sources, de tes montagnes, et surtout de ton lac -chéri? - -Cependant, plus j'approchais de la maison de mon père, plus j'étais -tourmenté par la crainte et le chagrin. La nuit vint à étendre son -voile sur la nature; et quand je pus distinguer à peine les montagnes -dans l'obscurité, je sentis que ma douleur était plus vive. Je me -représentai une longue et effroyable suite de malheurs, et je prévis -que j'étais destiné à devenir le plus infortuné de tous les hommes; -hélas! j'ai prédit juste; et si je me suis trompé, c'est qu'en -prévoyant et en redoutant tant de malheurs, je n'ai pas conçu la -centième partie de tous ceux dont je devais être accablé. - -Il était tout-à-fait nuit quand j'arrivai dans les environs de -Genève. Les portes de la ville étant déjà fermées, je fus obligé -de passer la nuit à Secheron, village situé à une demi-lieue à l'est -de la ville. Dans une disposition d'esprit qui ne me permettait aucun -repos, je voulus profiter de la sérénité du ciel pour voir l'endroit -où mon pauvre Guillaume avait été assassiné. Je ne pouvais traverser -la ville. Je me déterminai à passer le lac dans un bateau pour arriver -à Plinpalais. Pendant ce court voyage, je vis sur le sommet du -Mont-blanc les éclairs briller d'un éclat surprenant, et l'orage -s'approcher avec rapidité; je touchai le rivage, et je montai sur une -petite colline pour en observer les progrès. Il avançait au milieu -d'un ciel qui se couvrait de nuages. Je sentis bientôt tomber de larges -gouttes de pluie. L'orage éclata tout-à-coup avec violence. - -Je quittai ma place et poursuivis ma route, malgré l'obscurité et -l'orage qui croissaient à chaque minute, et malgré le tonnerre qui -grondait au-dessus de ma tête avec une force effrayante, répété par -les échos de Salève, du Jura, et des Alpes de la Savoie. J'étais -ébloui par les éclairs qui se réfléchissaient dans le lac, et le -rendaient semblable à une vaste nappe de feu; je fus même un moment -dans une obscurité profonde, qui dura jusqu'à ce que l'éblouissement -de mes yeux eût cessé. L'orage, comme il arrive souvent en Suisse, -paraissait venir à la fois de plusieurs parties du ciel. C'était au -nord de la ville qu'il était le plus violent, au-dessus de cette partie -du lac qui est située entre le promontoire de Belrive et le village de -Copêt. Un autre orage montrait le Jura à la lueur se faibles éclairs. -Un troisième obscurcissait et découvrait tour-à-tour le môle, -montagne escarpée à l'est du lac. - -Témoin d'un spectacle si magnifique et si terrible à la fois, je -marchais à pas précipités. Cette guerre majestueuse dans les cieux, -élevait mes esprits; je frappai des mains en m'écriant avec force: -«Guillaume, ange chéri! voici tes funérailles et tes chants -funèbres»! En disant ces paroles, j'aperçus dans l'obscurité un -fantôme qui sortit d'une touffe d'arbres auprès de moi; je fixai mes -yeux sur lui pour le reconnaître: je ne pus m'y méprendre. Un éclair -brilla et le découvrit entièrement à ma vue; sa stature gigantesque -et la difformité de son aspect plus hideux qu'aucune forme humaine, ne -me permirent pas de douter que ce ne fût le malheureux, l'infâme -démon à qui j'avais donné la vie. Que faisait-il là? serait-il -l'assassin de mon frère? (Je frémis à cette pensée). Elle entra -subitement dans mon esprit, et y domina comme si elle était réelle. Je -sentais mes dents s'entrechoquer, et je fus forcé de m'appuyer contre -un arbre. En peu de temps le fantôme fut loin de moi, et disparut dans -l'obscurité. Quel être humain aurait pu donner la mort à ce bel -enfant? Son assassin!... Je venais de le voir, à n'en pas douter. Je ne -pouvais me tromper: j'avais une preuve irrésistible, c'est que j'y -avais pensé. Je voulus poursuivre le démon, mais je ne pouvais -espérer de l'atteindre; car à la lueur d'un nouvel éclair, je le vis -gravir les rochers presque perpendiculaires du mont Salève, montagne -qui borne Plinpalais au sud; il parvint bientôt au sommet, et disparut. - -Je restai sans mouvement. Le tonnerre cessa; mais la pluie continua -encore, et l'horizon fut enveloppé d'une obscurité impénétrable. Je -repassai dans mon esprit les évènements que j'avais jusqu'ici cherché -à oublier: la marche entière de mes progrès vers la création, -l'apparition auprès de mon lit de l'être que j'avais formé et animé, -et enfin son départ. Deux ans s'étaient presqu'écoulés depuis la -nuit où il avait reçu la vie; était-ce son premier crime? Hélas! -j'avais jeté dans le monde un monstre dépravé, qui se plaisait dans -le carnage et la désolation; n'était-il pas l'assassin de mon frère? - -On ne peut se figurer tout ce que je souffris pendant le reste de la -nuit que je passai en plein air, mouillé et transi de froid. Mais je ne -sentais pas les injures du temps; mon imagination était occupée de -scènes de malheur et de désespoir! L'être que j'avais mis sur la -terre, et à qui j'avais donné la volonté et le pouvoir de commettre -des actions atroces, semblables à celle qui m'affligeait, me parut -être mon propre vampire, un fantôme échappé du tombeau, et porté à -détruire tout ce qui m'était cher. - -Dès que le jour parut, je dirigeai mes pas vers la ville, dont les -portes étaient ouvertes; et je courus à la maison de mon père. Ma -première pensée fut de dire ce que je savais du meurtrier, et -d'envoyer sur-le-champ à sa poursuite; mais je m'arrêtai, en -réfléchissant à l'histoire que j'avais à raconter. Je devais parler -d'un être que j'avais formé, et à qui j'avais donné la vie -moi-même; que j'avais vu à minuit, au milieu des précipices d'une -montagne inaccessible. Je me rappelai aussi la fièvre nerveuse dont -j'avais été attaqué au moment même où j'avais animé ma création, -et qui donnerait l'air du délire à une histoire d'ailleurs si peu -probable. En effet, un semblable récit m'eût paru le rêve d'un -insensé. Du reste, la nature singulière de l'être échapperait à -toute poursuite, quand bien même ma famille céderait âmes instances, -et se résoudrait à l'entreprendre. D'ailleurs, de quel avantage serait -une poursuite? Qui pourrait arrêter un être capable d'escalader les -flancs perpendiculaires du mont Salève? Ces réflexions fixèrent mes -idées, et me portèrent à garder le silence. - -Il était environ cinq heures du matin, quand j'entrai dans la maison de -mon père. Je dis aux domestiques de ne pas réveiller la famille, et -j'allai dans la bibliothèque, où j'attendis l'heure à laquelle ils -avaient coutume de se lever. - -Six ans s'étaient écoulés comme un songe, mais comme un songe qui -avait laissé une trace ineffaçable; et j'étais à la même place où -j'avais embrassé mon père pour la dernière fois, avant de partir pour -Ingolstadt. Ce père chéri et respectable me restait encore! Je fixai -les yeux sur un tableau qui m'offrait la figure de ma mère, et dans -lequel mon père avait voulu retracer un trait de sa vie: c'était -Caroline Beaufort dans les transports du désespoir, à genoux auprès -du cadavre de son père. Ses vêtements étaient grossiers et ses joues -pâles; mais il y avait un air de dignité et de beauté, qui laissait -à peine accès au sentiment de la pitié. Au bas de ce tableau était -une miniature de Guillaume, dont la vue m'arracha des pleurs. Ernest -entra dans le moment: il m'avait entendu arriver, et s'était hâté de -venir me joindre. Il témoigna en me voyant un plaisir mêlé de -chagrin:--«Sois le bien venu, mon cher Victor, dit-il; ah! j'aurais -voulu que tu fusses arrivé il y a trois mois; tu nous aurais trouvés -tous gais et contents. Mais nous sommes maintenant malheureux; et je -crains que tu n'aies un accueil plus mêlé de deuil que de joie. Notre -père a un air si triste! cet évènement affreux semble avoir -renouvelé dans son cœur le chagrin qu'il éprouva à la mort de maman. -La pauvre Élisabeth aussi est tout-à-fait inconsolable». En parlant -ainsi, Ernest fondait en larmes. - ---«Ne m'accueille pas de la sorte, lui dis-je; calme-toi, mon ami; que -je ne sois pas tout-à-fait malheureux, au moment où je rentre dans la -maison de mon père après une si longue absence. Mais, dis-moi, comment -mon père supporte-t-il ses malheurs? Et la pauvre Élisabeth, comment -est-elle»? - ---«Elle a bien besoin de consolation; elle s'est accusée d'avoir été -la cause de la mort de mon frère, et elle en a été bien malheureuse! -Mais depuis que l'assassin a été découvert...» - ---«L'assassin découvert! bon Dieu! comment cela se peut-il? Qui -pourrait essayer de le poursuivre? c'est impossible; il serait aussi -facile d'arrêter les vents, ou de renfermer un torrent dans une -paille». - ---«Je ne sais ce que tu veux dire; mais nous avons tous eu une grande -peine lorsqu'elle fut découverte. Personne ne l'aurait cru; et même -Élisabeth en doute encore, malgré l'évidence la plus complète. En -effet, qui aurait pu penser que Justine Moritz, qui était si aimable et -qui avait tant d'attachement pour notre famille, ait pu tout à coup -devenir si méchante»? - ---«Justine Moritz! pauvre fille, est-ce elle qui est accusée? mais -c'est bien à tort; tout le monde le sait; personne ne le pense; j'en -suis certain, Ernest»? - ---«Personne ne le croyait d'abord; mais plusieurs circonstances nous -ont convaincus depuis presque malgré nous: sa conduite a été si -louche, que je crains bien qu'il soit impossible de mettre en doute -l'évidence des faits. Au reste elle doit être jugée aujourd'hui: tu -connaîtras tout». - -Il me raconta que, le jour où l'on avait découvert le meurtre de -Guillaume, Justine était tombée malade et s'était mise au lit; que -peu de jours après, un domestique examinant par hasard la robe qu'elle -avait portée la nuit de l'assassinat, avait trouvé dans sa poche le -portrait de ma mère, par lequel on présumait que le meurtrier avait -été séduit. Le domestique le montra aussitôt à un autre, qui, sans -en dire un mot à qui que ce fût de la famille, alla trouver le -magistrat. C'est sur leur déposition que Justine a été arrêtée. -Accusée de ce crime, la pauvre fille confirma le soupçon par un -extrême embarras. - -Ce concours de circonstances singulières n'ébranla pas ma confiance. -Je répliquai avec force: «Vous êtes tous dans l'erreur; je connais -l'assassin. Justine, la pauvre et bonne Justine est innocente». - -Dans ce moment mon père entra. Je vis sur sa figure les traces -profondes du chagrin; mais il essaya de m'accueillir avec gaîté; -s'entretint avec moi de nos peines, et il voulait détourner la -conversation du triste objet dont nous étions occupés, lorsqu'Ernest -s'écria: «Bon Dieu, papa! Victor dit qu'il sait quel est l'assassin du -pauvre Guillaume». - -«--Nous le savons aussi, répondit mon père, et c'est un malheur; car, -vraiment, j'aurais mieux aimé ne le jamais connaître, que de voir tant -de dépravation et d'ingratitude, dans une personne qui me devait -tout». - -«--Mon cher père, vous êtes dans l'erreur, Justine est innocente». - -«--Si elle l'est, Dieu a voulu qu'elle souffrît autant que si elle -était coupable. Elle doit être jugée aujourd'hui; mais j'aime à -croire qu'elle sera acquittée». - -Ces paroles me calmèrent. J'étais intimement persuadé que Justine -était innocente de ce meurtre, aussi bien que tout autre être humain. -Je ne craignais donc pas que l'évidence fût assez forte pour qu'elle -fut convaincue du meurtre. Dans cette persuasion, je devins plus calme, -et j'attendis avec impatience le jugement, mais sans prévoir un -résultat fâcheux. - -Nous fûmes bientôt rejoints par Élisabeth. Le temps l'avait bien -changée depuis que je l'avais vue. Six ans auparavant, c'était une -jeune fille, jolie et vive, que tout le monde aimait et caressait; -c'était maintenant une femme d'une taille et d'une physionomie fort -remarquables. Son front grand et ouvert, décelait une merveilleuse -intelligence jointe à une rare franchise de caractère. Ses yeux bruns -exprimaient une douceur, mêlée à une tristesse qui avait pour motif -son affliction récente. Ses cheveux étaient beaux, et noirs comme -l'ébène; son teint superbe, et sa figure vive et gracieuse. Elle -m'accueillit avec la plus grande affection. «Votre arrivée, mon cher -cousin, me remplit d'espérance, dit-elle. Vous trouverez peut-être le -moyen de mettre au jour l'innocence de ma pauvre Justine. Hélas! qui -sera en sûreté, si elle est convaincue du crime? Je me repose sur son -innocence avec autant de confiance que sur la mienne. Notre malheur est -doublement affreux: nous n'avons pas seulement perdu notre aimable -Guillaume; mais cette pauvre fille, que j'aime sincèrement, va nous -être enlevée par une destinée encore plus cruelle. Si elle est -condamnée, il n'y aura plus pour moi de bonheur; et, si elle est -acquittée, comme je l'espère, je pourrai encore être heureuse, même -après la mort affreuse de mon petit Guillaume». - ---«Elle est innocente, ma chère Élisabeth répondis-je, et son -innocence sera prouvée; ne crains rien, et rassure ton esprit par la -certitude qu'elle sera acquittée». - ---«Que vous êtes bon! on croit généralement qu'elle est coupable, et -cette opinion cause mon tourment; car je sais qu'elle ne peut pas -l'être. Mais, en voyant tout, le monde avoir contr'elle d'aussi -fâcheuses préventions, je me suis abandonnée au désespoir». Elle -versa des larmes. - -«Ma chère nièce, dit mon père, essuie tes pleurs. Si Justine est -innocente comme tu le crois, mets confiance dans l'équité de nos -juges, et dans le soin avec lequel je préviendrai toute ombre de -partialité». - - - - -CHAPITRE VII - - -Le procès devait commencer à onze heures: nous restâmes jusqu'à ce -moment dans la tristesse. J'accompagnai à la cour mon père et le reste -de la famille, qui étaient obligés de paraître comme témoins. -Pendant tout le temps de ce misérable simulacre de justice, je souffris -le plus cruel tourment. On allait décider, si le résultat de ma -curiosité et de mes inventions illégitimes, causerait la mort de deux -de mes semblables: l'un était un enfant charmant rempli d'innocence et -de gaîté; l'autre était destiné à une fin bien plus terrible, à -l'infamie et à l'horreur qui s'attachent à la mémoire du meurtrier. -Justine était aussi une fille de mérite, et possédait des qualités -qui promettaient de rendre sa vie heureuse. Ces dons, cet espoir, tout -allait être enseveli dans une tombe ignominieuse, et c'est moi qui en -étais la cause! Mille fois plutôt je me serais avoué coupable du -crime attribué à Justine; mais, absent au moment où il fut commis, -j'aurais été pris, en faisant une semblable déclaration, pour un -insensé qui s'égare, et je n'aurais pas disculpé celle dont je -faisais le malheur. - -Justine avait l'air calme; elle était vêtue de deuil; et sa figure, -toujours prévenante, paraissait d'une rare beauté, à laquelle -ajoutait la solennité des sensations qui l'occupaient. Cependant, elle -semblait se confier en son innocence, et ne pas trembler, quoiqu'elle -fût observée et maudite par plus de mille personnes; car l'impression -qu'avait pu produire sa beauté, s'effaçait de l'esprit des -spectateurs, lorsqu'on pensait à l'énormité du crime dont elle était -accusée. Elle était tranquille; mais sa tranquillité avait quelque -chose de forcé; elle était instruite que son trouble avait été pris -pour une preuve de son crime, et elle appliquait son esprit à paraître -ferme. En entrant dans la salle, elle la parcourut des yeux, et -découvrit bientôt la place que nous occupions. Une larme sembla -mouiller sa paupière lorsqu'elle nous aperçut; mais elle se remit -promptement: et un regard mêlé de tristesse et d'amitié, parut -attester son entière innocence. - -Le jugement commença; un avocat établit les charges, et plusieurs -témoins furent appelés. On réunit contre elle plusieurs faits -étrangers, qui furent attestés par des personnes qui n'avaient pas, -comme moi, des preuves de son innocence. Elle était restée dehors -pendant toute la nuit où le meurtre avait été commis; et, vers le -matin, elle avait été vue par une femme du marché, près de l'endroit -où l'on avait trouvé ensuite le corps de l'enfant. Cette femme lui -avait demandé ce qu'elle faisait là; mais elle avait les yeux -égarés, et ne fit qu'une réponse obscure et inintelligible. Elle -était revenue à la maison vers huit heures; et, pressée de répondre -où elle avait passé la nuit, elle déclara qu'elle avait cherché -l'enfant, en s'informant avec empressement si l'on avait découvert -quelque chose. En présence du corps, elle éprouva de violentes -attaques de nerfs, et garda le lit pendant plusieurs jours. On produisit -alors le portrait que le domestique avait trouvé dans sa poche; et, -lorsqu'Élisabeth, d'une voix tremblante, attesta que c'était le même -qu'elle, avait placé autour du col de l'enfant, une heure avant qu'il -ne partit pour la promenade, un murmure d'horreur et d'indignation se -fit entendre dans la salle. - -On invita Justine à se défendre. Son visage s'était altéré à -mesure que le jugement s'avançait: il exprimait fortement la surprise, -l'horreur et la douleur. De temps en temps elle fondait en larmes; mais, -invitée à se défendre, elle rassembla ses forces, et s'énonça d'une -voix haute, quoique tremblante: - -«Dieu connaît, dit-elle, toute mon innocence. Mais je ne prétends pas -devoir mon acquittement à mes protestations. Je prouverai mon innocence -par une exposition claire et simple des faits, qui ont été dirigés -contre moi; et j'espère que le caractère que j'ai toujours montré, -disposera mes juges à interpréter favorablement tout ce qui peut -sembler douteux, et donner lieu à des soupçons contre moi». - -Elle se mit à raconter, qu'avec la permission d'Élisabeth, elle avait -passé la soirée de la nuit, où le crime avait été commis, chez une -de ses tantes qui demeurait, à Chênes, village situé à environ une -lieue de Genève. À son retour, vers les neuf heures, elle rencontra un -homme qui lui demanda, si elle avait vu quelque trace de l'enfant qui -était perdu. Alarmée par ces paroles, elle passa plusieurs heures à -le chercher, laissa pendant ce temps fermer les portes de la ville, et -se vit contrainte de passer une partie de la nuit, dans une grange -dépendante d'une chaumière, parce qu'elle ne voulait pas réveiller -les habitants, dont elle était bien connue. Ne pouvant goûter de repos -ni de sommeil, elle quitta de bonne heure son asile, pour lâcher encore -de trouver mon frère. Si elle était allée vers l'endroit où était -le corps, c'était à son insu. Il n'était pas surprenant qu'elle eût -été toute troublée, en répondant aux questions qui lui étaient -faites par la marchande, puisqu'elle avait passé une nuit sans dormir, -et qu'elle ignorait encore le sort du pauvre Guillaume. Quant au -portrait, elle ne pouvait donner aucune explication. - -«Je sais, continua la malheureuse victime, combien cette seule -circonstance me charge, mais je ne puis y jeter aucune lumière. J'ai -déclaré ne rien savoir; je n'ai plus qu'à faire des conjectures sur -le fait, qu'il a été placé dans ma poche. Ici, j'éprouve un nouvel -embarras. Je ne crois pas avoir d'ennemi sur la terre, et je suis -convaincue que nul ne serait assez méchant pour me perdre en badinant. -Le meurtrier l'y aurait-il placé lui-même? je n'en vois pas le motif: -et même, en supposant ce fait, pourquoi aurait-il volé le bijou pour -s'en défaire si promptement? - -»Je confie ma cause à la justice de mes juges, sans conserver la plus -faible espérance. Je demande la permission de produire quelques -témoins pour qu'ils soient interrogés sur mon caractère; et, si leur -témoignage n'atténue pas l'accusation du crime qui m'est attribué, je -dois être condamnée, malgré mon innocence sur laquelle je compte pour -être acquittée». - -On entendit plusieurs témoins qui la connaissaient depuis quelques -années, et qui en parlèrent avec éloge; mais la peur et l'horreur du -crime dont elle était accusée, enchaînaient leur langue. Élisabeth -vit que cette dernière ressource, que l'excellent caractère et la -conduite irréprochable de Justine ne pouvaient la sauver; et, malgré -une agitation violente, elle demanda à la cour la permission de prendre -la parole. - -«Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant qui a été -assassiné: je puis même dire que je suis sa sœur, puisque j'ai été -élevée par ses parents, et que j'ai toujours vécu avec eux depuis et -long-temps même avant sa naissance. - -»Avec ces titres, il peut paraître inconvenant que je m'explique dans -cette occasion; mais, au moment de voir une malheureuse créature -livrée à la mort par la lâcheté de ses prétendus amis, je désire -qu'on me permette de rendre témoignage à son caractère. Je connais -bien l'accusée. J'ai vécu avec elle dans la même maison, d'abord -pendant cinq ans, et ensuite pendant près de deux ans. Durant tout ce -temps, elle m'a paru la plus aimable et la meilleure créature du monde. -Dans le cours de la dernière maladie de madame Frankenstein, ma tante, -elle l'a soignée avec la plus tendre affection et le plus grand zèle. -Depuis, elle a donné ses soins à sa mère, qui souffrait d'une cruelle -maladie; et elle est devenue un objet d'admiration pour tous ceux qui la -connaissaient. À la mort de sa mère, elle est revenue à la maison de -mon oncle, où elle était aimée de toute la famille. Elle était fort -attachée à l'enfant qui n'est plus, et elle était, pour lui, comme la -mère la plus tendre. Quant à moi, je n'hésite pas à déclarer que, -malgré toute l'évidence qui s'élève contr'elle, je la crois -entièrement innocente. Rien n'a pu la porter à commettre l'action -atroce qui lui est imputée. Je dirai du bijou, dont on se sert pour la -charger le plus gravement, que je lui aurais volontiers donné, elle -l'eût vivement désiré; tant je l'estime et l'apprécie». - -Excellente Élisabeth! Un murmure d'approbation s'éleva; mais pour la -généreuse personne qui intercédait, et non en faveur de la pauvre -Justine, qu'on accusa d'une plus noire ingratitude, et qui excita -l'indignation publique avec une violence nouvelle. Elle pleura pendant -le discours d'Élisabeth; mais elle ne répondit pas. Mon agitation et -mon angoisse furent extrêmes, tant que dura le jugement. J'étais -convaincu de l'innocence de Justine; j'en avais la certitude. Le démon, -qui avait assassiné mon frère (car je n'en doutai pas une minute), -allait aussi, dans son plaisir infernal, livrer une personne innocente -à la mort et à l'infamie. Je ne pus supporter l'horreur de ma -situation; et, dès que la voix du peuple, et la figure des juges, -eurent annoncé la condamnation de ma malheureuse victime, je sortis de -la cour dans des transes cruelles. Les souffrances de l'accusée ne -pouvaient égaler les miennes; elle était soutenue par son innocence; -je me sentais déchiré par des remords dont je ne pouvais me délivrer. - -Je passai la nuit la plus affreuse. Le matin j'allai à la cour, dans un -état qui enchaînait ma langue: je n'osai faire la fatale question; -mais j'étais connu, et l'officier devina la cause de ma visite. L'urne -fatale avait reçu les boules; toutes étaient noires; Justine était -condamnée. - -Il me serait impossible de décrire ce que j'éprouvai alors. J'avais -auparavant connu des sensations d'horreur, et j'ai tâché de les -peindre par des expressions équivalentes; mais les mots ne pourraient -donner une idée du désespoir horrible auquel je fus en proie dans ce -moment. La personne, à qui je m'adressai, m'apprit que Justine venait -d'avouer son crime. «Cet aveu, observa-t-il, était à peine -nécessaire dans un cas aussi clair; mais je suis content qu'on l'ait -obtenu, car aucun de nos juges ne voudrait condamner un criminel -d'après les apparences, lors même qu'elles seraient aussi décisives -qu'aujourd'hui». - -À mon retour à la maison, Élisabeth me demanda avec empressement -quelle était l'issue du procès. - -«Ma cousine, répliquai-je, la décision est celle à laquelle vous -devez vous être attendue; tous les juges aimeraient mieux voir dix -innocents souffrir, que de laisser échapper un coupable. Au reste, elle -a fait l'aveu du crime». - -Ce fut un coup affreux pour la pauvre Élisabeth, qui avait eu une -confiance inébranlable dans l'innocence de Justine. - -«Hélas, dit-elle, comment croire désormais à la bonté humaine? Eh -quoi! Justine pour qui j'avais une tendresse de sœur, n'avait-elle ce -sourire de l'innocence que pour me trahir? Ses yeux, où brillait la -douceur, semblaient inaccessibles à la sévérité ou à la mauvaise -humeur, et cependant elle s'est souillée d'un meurtre»! - -Bientôt après, nous apprîmes que la pauvre victime avait témoigné -le désir de voir ma cousine. Mon père n'était pas de cet avis; mais -il la laissa maîtresse de décider, en l'engageant à réfléchir sur -cette visite. «Oui, dit Élisabeth, j'irai voir Justine, la coupable -Justine; et vous, Victor, vous m'accompagnerez: je ne puis aller -seule». L'idée de cette visite était un tourment pour moi, cependant -je ne pus me refuser au désir d'Élisabeth. - -Nous entrâmes dans une prison obscure. Justine était assise dans un -coin, sur la paille, les mains retenues par des menottes, et la tête -appuyée sur les genoux. Elle se leva en nous voyant entrer. Lorsque -nous fûmes seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d'Élisabeth, en -pleurant amèrement. Ma cousine ne put retenir ses pleurs. - -«Ah! Justine, dit-elle, pourquoi m'as-tu enlevé ma dernière -consolation? Je croyais à ton innocence; avec cette pensée, j'étais -bien malheureuse, mais je ne l'étais pas autant que je le suis à -présent». - ---«Et croyez-vous aussi que je sois criminelle? Vous joignez-vous aussi -à mes ennemis pour m'accabler»? Sa voix fut étouffée par ses -sanglots. - ---»Lève-toi, ma pauvre fille, dit Élisabeth; pourquoi es-tu à -genoux, si tu es innocente? Je ne suis pas au nombre de tes ennemis; je -t'ai crue innocente, contre toutes les apparences, jusqu'au moment où -j'appris que tu avais toi-même déclaré ton crime. Ce bruit est faux, -dis-tu; sois bien persuadée, ma chère Justine, que ton aveu seul a pu -ébranler un moment la confiance que tu m'inspires». - -«J'ai fait un aveu; mais un aveu mensonger. Je l'ai fait, afin -d'obtenir grâce; et maintenant ce mensonge pèse plus sur mon cœur que -toutes mes fautes. Que le Dieu du ciel me pardonne! Depuis ma -condamnation, je suis sans cesse assiégée par mon confesseur. Il m'a -effrayée et menacée, au point que déjà je m'imaginais être le -monstre dont il me parle incessamment. Il m'a menacée de -l'excommunication et des feux de l'enfer, si je persévérais dans mes -dénégations. Ma chère demoiselle, je n'avais personne pour me -soutenir; tout le monde me regardait comme une misérable, vouée à -l'ignominie et à la mort. Que pouvais-je faire? Dans un moment que je -déteste, je souscrivis à un mensonge; et c'est seulement à présent -que je suis vraiment à plaindre». - -Elle s'arrêta pour fondre en larmes, et poursuivit en ces termes: -«J'ai pensé avec horreur, mon excellente demoiselle, que vous me -soupçonneriez d'un crime que le démon seul peut avoir commis; moi qui -avais su mériter l'estime de votre bienheureuse tante, et votre -affection personnelle. Cher Guillaume! bienheureux enfant, je le -reverrai bientôt dans le ciel, où la paix nous est réservée; et -c'est ma consolation, au moment où je vais souffrir l'ignominie et la -mort». - ---«Ah! Justine! pardonne-moi d'avoir pu un moment manquer de confiance -en toi. Pourquoi faire un aveu? mais ne t'afflige pas, ma chère fille; -je proclamerai partout ton innocence, et je forcerai d'y croire. -Cependant il faut que tu meures; toi, ma compagne, toi qui étais pour -moi plus qu'une sœur. Je ne pourrai survivre à un malheur aussi -affreux». - -«Ma chère, ma bonne Élisabeth, ne pleurez pas. Vous devriez me donner -du courage en me parlant d'une meilleure vie, et m'élever au-dessus des -misères de ce monde d'injustice et de malheur. Mon excellente amie, -livrez pas au désespoir». - ---«Je tâcherai de te consoler; mais je crains que ce malheur ne soit -trop profond et trop cruel pour admettre aucune consolation, car il ne -reste aucun espoir. Cependant, ma chère Justine, puisse le ciel -t'envoyer la résignation, et élever ton âme au-dessus de ce monde. -Ah! combien je hais ses parades si vaines et si dérisoires! Une -personne est-elle assassinée? une autre est aussitôt privée de la vie -en souffrant de longues tortures. Alors, les bourreaux, les mains encore -teintes du sang de l'innocence, se persuadent qu'un tel acte est bien -grand, et l'appellent compensation. Nom odieux! dès qu'il est -prononcé, je sais qu'on va infliger des châtiments plus grands et plus -affreux, que n'en a jamais inventé le tyran le plus cruel pour -rassasier sa vengeance. Ce que je dis n'est pas pour te consoler, ma -Justine, à moins que tu ne te réjouisses de sortir d'un séjour aussi -malheureux. Hélas! plût à Dieu que je reposasse en paix avec ma tante -et mon aimable Guillaume, loin d'un monde qui m'est odieux, et des -hommes que j'abhorre». - -Justine sourit languissamment. - ---«Voilà, ma chère demoiselle, du désespoir et non de la -résignation. Il ne faut pas que je suive l'exemple que vous me montrez. -Parlez de ce qui peut me donner du calme, et non de ce qui sert à -augmenter ma douleur». - -Pendant cette conversation, je m'étais retiré dans un coin de la -prison, pour cacher les horribles angoisses auxquelles j'étais en -proie. Du désespoir! qui osait en parler? la pauvre victime, qui le -lendemain allait franchir l'effrayante limite qui sépare la vie de la -mort, n'éprouvait pas comme moi une agonie profonde et déchirante. Mes -dents tremblaient les unes contre les autres; un soupir s'exhala du fond -de mon cœur. Justine tressaillit, me reconnut, s'approcha de moi, et -dit: «Mon cher monsieur, vous êtes bien bon de venir me visiter; vous -ne croyez pas, j'espère, que je sois coupable». Je ne pus -répondre.--«Non, Justine, dit Élisabeth, il est plus convaincu de ton -innocence que je ne l'étais; car même après ton aveu, il ne voulait -pas y ajouter foi». - ---«Je le remercie sincèrement. Dans ces derniers moments, j'ai la plus -grande reconnaissance pour ceux qui ont de moi une opinion favorable. -Que l'affection des autres est douce pour une malheureuse comme moi! -elle me soulage de plus de la moitié de mes maux; et je sens que je -puis mourir en paix, à présent que mon innocence est reconnue par -vous, ma chère dame, et par votre cousin». - -Ainsi, la pauvre victime cherchait, en consolant les autres, à se -consoler elle-même. Elle trouva enfin la résignation qu'elle désirait. -Et moi, le véritable meurtrier, je sentis le remords s'élever dans mon -sein: remords impérissable qui devait ne me laisser ni espérance, ni -consolation. Élisabeth, en larmes, était aussi plongée dans -l'affliction; mais sa douleur était celle de l'innocence, et semblable -à ce nuage qui obscurcit un moment les rayons de la lune, la cache pour -un moment, et ne peut en ternir l'éclat. L'horreur et le désespoir -avaient pénétré dans le fond de mon cœur; je portais en moi-même un -enfer que rien ne pouvait éteindre. Nous restâmes plusieurs heures -avec Justine, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'Élisabeth put -s'en éloigner. «Je voudrais, s'écria-t-elle, mourir avec toi; je ne -puis vivre dans ce monde de misère». - -Justine affecta un air de gaîté, tout en retenant avec difficulté des -larmes amères. Elle embrassa Élisabeth, en disant, d'une voix à -moitié étouffée: «Adieu, bonne et chère Élisabeth, ma tendre et -unique amie. Puisse le ciel dans sa bonté vous bénir et vous -conserver! puisse ce malheur être le dernier dont vous ayez à -souffrir! Vivez, soyez heureuse; et que les autres soient heureux par -vous». - -En quittant la prison, Élisabeth me dit: «Vous ne savez pas, mon cher -Victor, combien je suis soulagée, à présent que je suis convaincue de -l'innocence de cette malheureuse fille. Il n'y aurait plus eu de bonheur -pour moi, si j'avais été trompée dans ma confiance en elle. Dans le -moment où je la croyais coupable, j'éprouvais une angoisse que je -n'aurais pu supporter long-temps. Maintenant mon cœur est soulagé. -L'innocente souffre; mais celle que je croyais aimable et bonne n'a pas -trahi la confiance que j'avais en elle; et je suis consolée». - -Aimable cousine! telles étaient vos pensées, douces comme vos yeux et -votre voix. Mais moi... j'étais un malheureux dont la douleur en ce -moment, était au-dessus de toute imagination. - - - - -FIN DU TOME PREMIER - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62404-0.txt or 62404-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62404/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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You may copy it, give it away or -re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included -with this eBook or online at www.gutenberg.org/license - - -Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3) - -Author: Mary Wollstonecraft Shelley - -Translator: Jules Saladin - -Release Date: June 20, 2020 [EBook #62404] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - - - - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - - - - - -</pre> - - -<div class="figcenter" style="width: 500px;"> -<img src="images/frankenstein01_cover.jpg" width="500" alt="" /> -</div> - - -<h2>FRANKENSTEIN,</h2> - -<h4>OU</h4> - -<h2>LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h2> - -<h4>DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,</h4> - -<h5>AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.</h5> - -<h3>Par M<sup>me</sup> SHELLY, sa nièce.</h3> - -<h4>TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***</h4> - -<p><span style="margin-left: 20em;">Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">l'argile pour me faire homme? T'ai-je</span><br /> -<span style="margin-left: 21.5em;">sollicité de m'arracher du néant?</span></p> - -<p style="margin-left: 50%;">MILTON, <i>Paradis perdu.</i></p> - -<h4>TOME PREMIER</h4> - -<h5>PARIS,</h5> - -<h5>CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE</h5> - -<h5>PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.</h5> - -<h5>1821</h5> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<p>TABLE</p> -<p><a href="#PREFACE">PRÉFACE</a><br /> -<a href="#LETTRE_Iere">LETTRE I<sup>ère</sup></a><br /> -<a href="#LETTRE_II">LETTRE II</a><br /> -<a href="#LETTRE_III">LETTRE III</a><br /> -<a href="#LETTRE_IV">LETTRE IV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_Ier">CHAPITRE I<sup>er</sup></a><br /> -<a href="#CHAPITRE_II">CHAPITRE II</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_III">CHAPITRE III</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_IV">CHAPITRE IV</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_V">CHAPITRE V</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_VI">CHAPITRE VI</a><br /> -<a href="#CHAPITRE_VII">CHAPITRE VII</a></p> - - - - - -<hr class="r5" /> - -<h4><a id="PREFACE">PRÉFACE</a></h4> - - -<p>Le fait sur lequel repose cette fiction, n'a point paru impossible au -docteur Darwin, et à quelques-uns des Écrivains physiologiques de -l'Allemagne. Je ne veux pas laisser croire que je suis porté à y -ajouter sérieusement foi. Cependant, en le prenant pour base d'un -ouvrage d'imagination, je n'ai pas voulu simplement offrir une suite -d'histoires effrayantes et surnaturelles. L'événement dont dépend -l'intérêt de cette histoire, sans présenter aucun des défauts d'un -pur conte de spectres ou d'enchantements, se recommande par la -nouveauté des situations qui y sont développées; et, malgré -l'impossibilité du fait matériel, retrace à l'imagination les -passions humaines, d'un point de vue plus étendu et plus élevé que -ceux où l'on peut se placer dans le cours ordinaire de la vie.</p> - -<p>Ainsi, j'ai essayé de conserver la vérité des principes -élémentaires de la nature humaine, tandis que je ne me suis pas fait -scrupule d'innover dans leurs combinaisons. Homère, dans l'<i>Iliade</i>; -les Poètes tragiques de la Grèce; Shakespeare, dans <i>la Tempête et le -Songe au milieu d'une nuit d'été</i>; et plus particulièrement Milton, -dans <i>le Paradis perdu</i>, se conforment à cette règle; et le plus -modeste nouvelliste, qui cherche à plaire ou à s'amuser par son -travail, peut, sans présomption, appliquer à ce qu'il raconte, une -licence ou plutôt une règle de l'adoption de laquelle sont résulté -tant de combinaisons profondes des sentiments humains dans les -chefs-d'œuvre les plus sublimes de la poésie.</p> - -<p>La circonstance sur laquelle mon histoire est fondée, m'a été -suggérée par hasard dans une conversation. Elle fut commencée en -partie comme source d'amusement, et en partie comme moyen d'exercer les -facultés négligées de l'esprit. D'autres motifs s'y sont mêlés, à -mesure que le travail avançait. Je ne suis nullement indifférent aux -sensations morales dont sera affecté le lecteur sur les sentiments et -les caractères qui y sont tracés; cependant mon premier soin s'est -borné à éviter l'effet énervant que produisent les romans du jour, -et à montrer le charme des affections domestiques ainsi que -l'excellence de la vertu universelle. Les opinions, produites -naturellement d'après le caractère et la position du héros, ne -doivent pas être considérées comme le fruit de ma conviction -personnelle; et rien de ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne doit -être regardé comme portant attaque à quelque doctrine philosophique, -de quelque genre que ce soit.</p> - -<p>Un autre motif, qui ajoute à l'intérêt de l'auteur, c'est que cette -histoire a été commencée dans le pays majestueux où se passe la plus -grande partie de l'action, et dans une société qu'il ne peut cesser de -regretter.</p> - -<p>Je passai l'été de 1816 dans les environs de Genève. La saison était -froide et pluvieuse: nous nous réunissions le soir autour d'un foyer, -et nous nous amusions à lire, de temps en temps, quelques histoires -allemandes d'êtres surnaturels, que le hasard faisait tomber entre nos -mains. Ces contes nous donnaient un vif désir de les imiter. Nous -convînmes avec deux de mes amis (dont l'un composa un roman qui ferait -plus de plaisir au Public que je ne puis l'espérer pour moi-même), -d'écrire chacun une histoire fondée sur quelqu'aventure -extraordinaire.</p> - -<p>Cependant le temps devint beau tout-à-coup, et mes deux amis me -quittèrent pour faire un voyage dans les Alpes. Ils perdirent, au -milieu des scènes magnifiques que présentent ces montagnes, tout -souvenir de nos visions spirituelles. Le Roman suivant est le seul qui -ait été achevé.</p> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<h4>FRANKENSTEIN<br /> - -OU<br /> - -LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h4> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="LETTRE_Iere">LETTRE I<sup>ère</sup></a></h4> - - -<h5>À MADAME SAVILIE, EN ANGLETERRE.</h5> - - -<p style="margin-left: 60%;">Saint-Pétersbourg, 11 décembre 17—</p> - - -<p>«Vous serez bien aise d'apprendre qu'aucun malheur n'a troublé le -commencement d'une entreprise que vous avez envisagée avec de funestes -pressentiments. Je suis arrivé ici hier, et mon premier devoir est -d'informer ma chère sœur que ma santé est bonne, et ma confiance plus -grande dans le succès de mon entreprise.</p> - -<p>»Je suis déjà loin au nord de Londres; et, quand je me promène dans -les rues de Saint-Pétersbourg, je sens se jouer sur mes joues la brise -froide du nord qui me resserre les nerfs et me remplit de volupté. -Comprenez-vous cette sensation? Cette brise, qui est venue des régions -à travers lesquelles je m'avance, me donne un avant-goût de ces -climats glacés. Inspiré par ce vent précurseur, je sens que mes -idées deviennent plus ardentes et plus vives. Je m'efforce en vain de -me persuader que le pôle est le siège de la glace et de la -désolation, il se présente toujours à mon imagination comme le pays -de la beauté et du plaisir. Là, Marguerite, le soleil est toujours -visible; son large disque borde presque l'horizon, et répand un éclat -perpétuel. De là (car, avec votre permission, ma sœur, j'aurai -quelque confiance dans les navigateurs qui m'ont précédé), de là, -dis-je, la neige et la glace sont bannies; et, naviguant sur une mer -calme, on peut être transporté dans une terre qui surpasse en prodiges -et en beauté tous les pays jusqu'ici découverts sur le monde -habitable. Ses productions et ses traits peuvent être sans exemple, -comme les phénomènes des corps célestes le sont, sans doute, dans ces -solitudes inconnues. Que ne peut-on pas espérer dans un pays où brille -une lumière éternelle? J'y découvre la puissance étonnante qui -attire l'aiguille; et je puis fixer une foule d'observations célestes -qui n'ont besoin que de ce voyage pour rendre invariables leurs -excentricités apparentes. Je rassasierai mon ardente curiosité, en -voyant une partie du monde qui n'a jamais été visitée avant moi, et -je puis fouler une terre qui n'a jamais été pressée par les pieds -d'un mortel. Voilà ce qui m'attire, et cela me suffit pour bannir toute -crainte du danger ou de la mort, et m'encourager à commencer ce -pénible voyage avec la joie qu'éprouve un enfant lorsqu'il s'embarque -sur un petit bateau un jour de fête, avec ses camarades, pour -l'expédition d'une découverte sur la rivière qui baigne son pays -natal. Mais, en supposant que toutes ces conjectures soient fausses, -vous ne pouvez contester le service inappréciable que je rendrai à -toute l'espèce humaine, jusqu'à la dernière génération, en -découvrant, près du pôle, un passage à ces contrées, où, pour -arriver, il faut maintenant plusieurs mois; ou bien en constatant le -secret du magnétisme, ce qui, à moins que ce ne soit impossible, ne -peut avoir lieu que par une entreprise comme la mienne.</p> - -<p>»Ces réflexions ont calmé l'agitation avec laquelle j'ai commencé ma -lettre, et je sens mon cœur se remplir d'un enthousiasme qui m'élève -jusqu'au ciel; car rien ne contribue tant à tranquilliser l'esprit -qu'un projet bien ferme, sur lequel on puisse fixer son attention. Cette -expédition a été le songe favori de mes premières années. J'ai lu -avec ardeur les récits des différents voyages qui ont été faits dans -le but d'arriver à l'océan pacifique du nord, à travers les mers qui -entourent le pôle. Vous devez vous souvenir, que l'histoire de tous les -voyages entrepris dans l'intention de faire des découvertes, composait -la bibliothèque entière de notre bon oncle Thomas. Mon éducation fut -négligée; cependant j'aimais la lecture avec passion. J'étudiais ces -livres nuit et jour; et la connaissance que j'en eus, augmenta le regret -que j'avais éprouvé, comme un enfant, en apprenant que mon père, au -lit de la mort, avait défendu à mon oncle de me laisser embrasser -l'état de marin.</p> - -<p>»Ces visions s'affaiblirent lorsque je lus, pour la première fois, ces -poètes dont les effusions pénétraient mon âme et l'élevaient -jusqu'au ciel. Je devins poète aussi, et pendant une année je vécus -dans un paradis de ma propre création. Je pensais pouvoir obtenir aussi -une place dans le temple où sont consacrés les noms d'Homère et de -Shakespeare. Vous savez combien je me trompai, et quelle peine j'eus à -supporter mon malheur. Mais, justement, à cette époque, j'héritai de -la fortune de mon cousin, et mes pensées se reportèrent à mes -premières inclinations.</p> - -<p>»Six ans se sont écoulés depuis que j'ai pris la résolution que -j'exécute en ce moment. Je puis, même à présent, me souvenir de -l'heure où je me suis dévoué à cette grande entreprise. J'ai -commencé par accoutumer mon corps à la fatigue. J'ai accompagné les -pêcheurs de baleine dans plusieurs expéditions à la mer du Nord; j'ai -enduré volontairement le froid, la faim, la soif et l'insomnie; -souvent, pendant le jour, je supportais des travaux plus rudes qu'aucun -des matelots, et je passais mes nuits à étudier les mathématiques, la -théorie de la médecine, et ces branches de science physique dont un -homme ami des entreprises maritimes peut souvent tirer le plus grand -avantage. Deux fois même je me suis engagé comme contremaître, pour -la pêche du Groenland, et je me suis acquitté à merveille de mes -fonctions. Je dois avouer que je sentis un petit mouvement d'orgueil, -lorsque le capitaine m'offrit la seconde dignité du vaisseau, et me -supplia de rester, avec le plus grand empressement, tant il appréciait -mes services.</p> - -<p>»Et maintenant, ma chère Marguerite, ne mérité-je pas d'accomplir -quelque grand projet. J'aurais pu passer ma vie dans l'aisance et le -plaisir; mais j'ai préféré ma gloire à tous les attraits que la -richesse plaçait devant moi. Ah! que quelque voix encourageante me -réponde du succès! mon courage et ma résolution sont inébranlables; -mais mes espérances sont incertaines, et mon esprit est souvent -humilié. Je vais entreprendre un voyage long et difficile; les dangers -que je courrai demanderont tout mon courage: j'aurai besoin -non-seulement de relever les esprits des autres, mais quelquefois de -soutenir les miens lorsque les leurs se découragent et s'abattent.</p> - -<p>»Cette saison est la plus favorable pour voyager en Russie. On vole sur -la neige dans des traîneaux; le mouvement en est doux, et, à mon avis, -beaucoup plus agréable que celui d'une diligence anglaise. Le froid -n'est pas excessif, lorsqu'on est enveloppé de fourrures; et j'ai -déjà adopté ce costume, car il y a une grande différence de se -promener sur un pont, ou de rester assis pendant plusieurs heures, sans -faire un mouvement et sans qu'aucun exercice n'empêche le sang de se -glacer dans les veines. Je n'ai nullement l'ambition de perdre la vie -sur la grande route entre Saint-Pétersbourg et Archangel.</p> - -<p>»Je partirai pour cette dernière ville dans quinze jours ou trois -semaines; et mon intention est d'y louer un vaisseau, ce qui est bien -facile en payant caution au propriétaire, et d'engager autant de -matelots que je croirai nécessaires parmi ceux qui sont accoutumés à -la pêche de la baleine. Je ne compte pas mettre à la voile avant le -mois de juin: et quand reviendrai-je? Ah! ma chère sœur comment -répondre à cette question? Si je réussis, bien des mois, des années -peut-être s'écouleront avant que nous puissions nous voir. Dans le cas -contraire, vous me reverrez bientôt, ou jamais.</p> - -<p>»Adieu, ma chère, mon excellente Marguerite, que le ciel verse sur -vous ses bénédictions, et qu'il me conserve, afin que je puisse vous -témoigner sans cesse ma reconnaissance pour toute votre amitié et vos -bontés.</p> - -<p>»Votre affectionné frère,</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">»R. WALTON».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="LETTRE_II">LETTRE II</a></h4> - - -<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5> - - -<p style="margin-left: 60%;">Archangel, 28 mars 17—</p> - - -<p>«Que le temps passe lentement ici, entouré comme je suis par la glace -et la neige! Cependant, j'ai fait un second pas dans mon entreprise; -j'ai loué un vaisseau, et je suis occupé à rassembler mes marins, -ceux que j'ai déjà engagés paraissent être des hommes sur lesquels -je puis compter, et sont doués, sans en pouvoir douter, d'un courage -intrépide.</p> - -<p>»Mais il est un objet, un seul objet dont je n'ai pu encore jouir, et -l'absence de ce bien est pour moi le plus grand des maux. Je n'ai pas -d'amis, Marguerite: si je suis animé par l'enthousiasme du succès, je -n'aurai personne pour partager ma joie; si je tombe dans le -découragement, personne n'essaiera de relever mon courage. Je confierai -mes pensées au papier, il est vrai; mais c'est une triste ressource -pour l'épanchement de ce qu'on éprouve. Je voudrais avoir pour -compagnon un homme capable de sympathiser avec moi, dont les yeux -répondissent aux miens. Vous pouvez me croire romantique, ma chère -sœur; mais je sens cruellement le manque d'un ami. Que n'ai-je auprès -de moi une personne qui soit en même temps douce et courageuse, douée -à la fois d'un esprit cultivé et capable, dont les goûts ressemblent -aux miens, et qui puisse approuver ou corriger mes plans. Combien un -semblable ami réparerait les fautes de votre pauvre frère! Je suis -trop ardent dans l'exécution, et trop impatient des difficultés: mais -ce qui est pour moi un malheur encore plus grand, c'est que je n'ai -reçu qu'une demi-éducation; car pendant les quatorze premières -années de ma vie, je courais dans les bois çà et là, et ne lisais -que les livres de voyages de notre bon oncle Thomas. À cet âge je -devins familier avec les poètes célèbres de notre patrie; je sentis -aussi la nécessité d'apprendre d'autres langues que celle de mon pays -natal; mais cette conviction fut chez moi trop tardive pour que je pusse -en recueillir les plus précieux avantages. J'ai maintenant vingt-huit -ans, et suis en vérité plus illettré que bien des écoliers de quinze -ans. Il est vrai que j'ai réfléchi davantage, et que mes idées sont -plus étendues et plus grandes; mais, comme disent les peintres, elles -manquent de fond, et j'ai bien besoin d'un ami qui ait assez de bon sens -pour ne pas me regarder comme un romantique, et qui m'affectionne assez -pour essayer de régler mon esprit.</p> - -<p>»Plaintes inutiles! ce n'est certainement pas sur le vaste Océan que -je trouverai un ami, non plus qu'à Archangel au milieu des marchands et -des marins. Cependant il y a place, dans ces cœurs, à des sentiments -qui semblent ne pouvoir s'allier avec l'écume de la nature humaine. Mon -lieutenant, par exemple, est un homme d'un grand courage et d'une audace -étonnante. Il aime la gloire avec passion. C'est un Anglais; et au -milieu des préjugés de son pays et de son état, qui ne sont pas -adoucis par la culture, il conserve quelques-unes des plus nobles -qualités de l'humanité. J'ai fait autrefois sa connaissance à bord -d'un bâtiment destiné à la pèche de la baleine; je l'ai retrouvé -dans cette ville sans occupation, et je l'ai facilement engagé à -m'assister dans mon entreprise.</p> - -<p>»Le maître est un homme d'un talent très-distingué, et se fait -remarquer sur le vaisseau par sa modération et la douceur de sa -discipline. Il est vraiment d'un naturel si bon, qu'il ne chassera pas -(amusement favori, et presque le seul qu'on trouve ici), parce qu'il ne -peut souffrir de verser le sang; en outre, il est d'une générosité -héroïque. Il y a quelques années qu'il était amoureux d'une -demoiselle Russe, qui n'avait qu'une fortune médiocre. Possesseur d'un -capital considérable, amassé dans ses courses maritimes, il obtint -sans peine que le père de la jeune fille consentît au mariage. Il la -vit une fois avant le jour de la cérémonie: elle était baignée de -larmes; elle tomba à ses pieds, le supplia de l'épargner, et lui avoua -en même temps qu'elle aimait un jeune Russe, mais qu'il était pauvre, -et que son père ne voudrait jamais les unir. Mon généreux ami rassura -cette malheureuse personne, s'informa du nom de son amant, et abandonna -de suite toute prétention. Il avait déjà acheté, de son argent, une -ferme dans laquelle il avait le dessein de passer le reste de sa vie; -mais il donna tout à son rival, et pour qu'il pût acheter du bétail, -il joignit à son premier don le reste de ses profits dans les prises. -Il sollicita lui-même le père de la jeune fille, pour qu'il consentît -à l'unir avec celui qu'elle aimait; mais le vieillard se croyant -engagé d'honneur avec mon ami, refusa obstinément. Celui-ci, pour -fléchir l'inexorable père, quitta son pays, et n'y revint que -lorsqu'il apprit que sa maîtresse était mariée suivant son -inclination. «Quel noble compagnon»! vous écrierez-vous. Tel est son -caractère; mais il a passé sa vie entière à bord d'un vaisseau, et -à peine a-t-il une idée hors des cordages et d'un hauban.</p> - -<p>Mais si je me plains un peu, ou si je puis concevoir dans mes travaux -une consolation que peut-être je ne connaîtrai jamais, ne croyez pas -que je sois incertain dans mes résolutions; elles sont invariables -comme le destin; et mon voyage n'est maintenant différé, que jusqu'à -ce que le temps me permette de mettre à la voile. L'hiver a été -horriblement dur; mais le printemps s'annonce favorablement, et cette -saison parait même fort avancée. Ainsi, je m'embarquerai peut-être -plutôt que je ne m'y étais attendu. Je ne ferai rien avec témérité; -vous me connaissez assez pour avoir confiance en ma prudence et en ma -circonspection, toutes les fois que la sûreté des autres est commise -à mes soins.</p> - -<p>»Je ne puis vous dépeindre tout ce que j'éprouve en me voyant si -près de mettre mon entreprise à exécution. Il est impossible de vous -donner une idée de cette sensation incertaine, agréable et pénible à -la fois, qui m'agite au moment de mon départ. Je vais dans des régions -inconnues, <i>dans la patrie des brouillards et de la neige</i>; mais je ne -tuerai aucun albatros<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>, ne soyez donc pas alarmée sur mon sort.</p> - -<p>»Vous reverrai-je encore, après avoir traversé des mers immenses, et -après avoir doublé le cap le plus au sud de l'Afrique ou de -l'Amérique? Je ne puis m'attendre à un pareil bonheur; et cependant je -n'ose regarder le revers du tableau. Continuez à m'écrire par toutes -les occasions: je puis recevoir vos lettres (quoique la chance soit fort -douteuse) au moment où j'en aurai le plus besoin pour soutenir mon -courage. Adieu, adieu, je vous aime bien tendrement. Souvenez-vous de -moi avec affection, dussiez-vous même ne plus entendre parler de votre -affectionné frère.</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">»ROBERT WALTON».</p> - - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a>Oiseau de mer.</p></div> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="LETTRE_III">LETTRE III</a></h4> - - -<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5> - - -<p style="margin-left: 60%;">7 juillet 17—</p> - - -<p style="margin-left: 10%;">Ma chère sœur,</p> - -<p>«Je vous écris quelques lignes à la hâte, pour vous dire que je suis -en bonne santé, et fort avancé dans mon voyage. Cette lettre -parviendra en Angleterre par la voie d'un marchand qui retourne -d'Archangel dans sa famille; il est plus heureux que moi, qui, pendant -quelques années, ne pourrai peut-être revoir ma patrie. Je suis -cependant dans de bonnes dispositions: mes hommes sont courageux et -semblent fermes dans leurs projets. Ils ne paraissent pas découragés -par les bancs de glaces que nous rencontrons continuellement, et qui -nous indiquent les dangers du pays vers lequel nous nous dirigeons. Nous -avons déjà atteint une latitude très-élevée, mais nous sommes dans -le fort de l'été, et quoiqu'il ne fasse pas aussi chaud qu'en -Angleterre, les vents du sud qui nous portent avec vitesse vers les -rives où je désire si ardemment arriver, renouvellent sans cesse une -chaleur à laquelle je ne m'étais pas attendu.</p> - -<p>»Jusqu'ici nul événement qui soit digne d'être rappelé. Un ou deux -coups de vent et un mât brisé, sont des accidents dont un navigateur -expérimenté se souvient à peine de faire mention; et je serai bien -heureux, s'il ne nous arrive rien de pire pendant notre voyage.</p> - -<p>»Adieu, ma chère Marguerite. Soyez sûre que, par amour pour vous et -pour moi-même, je n'irai pas témérairement au-devant du danger. Je -serai froid, persévérant et prudent.</p> - -<p>»Rappelez-moi à tous mes amis d'Angleterre.</p> - -<p>»Votre très-affectionné,</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">»ROBERT WALTON».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="LETTRE_IV">LETTRE IV</a></h4> - - -<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5> - - -<p style="margin-left: 60%;">5 août 17—</p> - - -<p>«Nous venons d'être témoins d'un événement si étrange, que je ne -puis m'empêcher de vous en faire part, quoiqu'il soit très-probable -que vous me voyez avant que ce journal ne puisse vous parvenir.</p> - -<p>»Lundi dernier (31 juillet), nous étions presque renfermés par la -glace qui entourait le vaisseau de tous côtés, et lui laissait à -peine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard épais, dont nous -étions enveloppés, rendait notre situation assez dangereuse. Nous -n'eûmes rien de mieux à faire qu'à rester en place, jusqu'à ce qu'il -y eût un changement dans l'atmosphère et le temps.</p> - -<p>»Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous vîmes flotter, de -toutes parts, des îles de glace immenses et irrégulières, qui -paraissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons se -lamentaient, et mon esprit commençait à être agité d'inquiètes -pensées, lorsque tout à coup notre attention fut attirée par un objet -singulier, qui fit diversion à l'inquiétude que nous inspirait notre -situation. Nous vîmes un chariot bas, fixé sur un traîneau et tiré -par des chiens, passer au nord, à la distance d'un demi-mille: un -être, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une stature -gigantesque, était assis dans le traîneau et guidait les chiens. Nous -observâmes, avec nos télescopes, la rapidité de la course du -voyageur, jusqu'à ce qu'il fût perdu au loin parmi les inégalités de -la glace.</p> - -<p>»Cette vue excita parmi nous un étonnement dont nous ne pûmes nous -rendre compte. Nous pensions être éloignés de terre de plusieurs -cents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distance -n'était réellement pas aussi grande que nous avions pu le croire. -Cependant, cernés par la glace, il nous fut impossible de suivre la -trace de ce que nous avions observé avec la plus grande attention.</p> - -<p>»Environ deux heures après cette rencontre, nous entendîmes le -craquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, et -débarrassa notre vaisseau. Néanmoins, nous restâmes en place jusqu'au -matin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurité, contre ces grandes -masses détachées qui flottent de tous côtés après la rupture de la -glace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures.</p> - -<p>»Dans la matinée, cependant, dès qu'il fut jour, je montai sur le -pont, et trouvai tous les matelots rassemblés d'un seul côté du -vaisseau, et ayant l'air de parler à quelqu'un qui était dans la mer. -En effet, un traîneau semblable à celui que nous avions vu auparavant, -s'était dirigé vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau de -glace. Il était conduit par un seul chien en vie, et portait un homme -auquel les matelots tâchaient de persuader d'entrer dans le bâtiment. -Ce n'était pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitant -sauvage de quelqu'île inconnue, mais un Européen. Lorsque je parus sur -le pont, le contre-maître lui dit: «Voici notre capitaine, il ne vous -laissera pas périr au milieu de la mer».</p> - -<p>»En me voyant, l'étranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avec -un accent étranger. «Avant que j'entre à bord de votre bâtiment, -dit-il, voulez-vous avoir la bonté de m'informer de quel côté vous -vous dirigez»?</p> - -<p>»Vous devez concevoir mon étonnement, de m'entendre adresser une -semblable question par un homme qui était sur le bord de l'abîme, et -à qui mon vaisseau devait paraître un bien plus précieux, que tous -ceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je répondis cependant que nous -faisions un voyage de découverte vers le pôle du nord.</p> - -<p>»Il parut alors satisfait, et consentit à venir à bord. Bon Dieu! -Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour son -salut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres étaient -presque gelés, et son corps horriblement maigri par la fatigue et la -souffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un état aussi pitoyable. -Nous essayâmes de le porter dans la chambre; mais dès qu'il eut -quitté le grand air, il s'évanouit. Nous le reportâmes donc sur le -pont, et le rendîmes à la vie en le frottant d'eau-de-vie et en le -forçant d'en avaler un peu. Dès qu'il montra signe de vie, nous eûmes -soin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer auprès de la -cheminée du poêle de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, et -mangea une petite soupe qui le restaura merveilleusement.</p> - -<p>»Deux jours se passèrent ainsi, sans qu'il fût capable de parler; et -je craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent privé de la -raison. Lorsqu'il fut un peu rétabli, je le mis dans ma chambre, et eus -pour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'ai -jamais vu un être plus intéressant: ses yeux ont ordinairement une -expression de fureur, et même de folie; mais, dans certains moments, -quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus léger -service, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire un -sentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Il -est ordinairement plongé dans la mélancolie et le désespoir; -quelquefois même il grince les dents, comme s'il n'était plus capable -de supporter le poids des malheurs qui l'accablent.</p> - -<p>»Lorsque mon hôte fut un peu rétabli, j'eus beaucoup de peine à -éloigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je ne -voulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosité, dans un -état de corps et d'âme dont l'amélioration dépendait évidemment -d'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demanda -pourquoi il était venu si loin sur la glace, dans un équipage si -singulier.</p> - -<p>»Sa figure prit aussitôt l'expression du plus profond chagrin; et il -répliqua: «Afin de poursuivre quelqu'un qui me fuyait.—Et l'homme que -vous poursuiviez, voyageait-il de la même manière?—Oui, -dit-il.—Alors je crois que nous l'avons vu; car, la veille du jour où -nous vous avons rencontré, nous avions aperçu quelques chiens tirant -à travers la glace, un traîneau dans lequel était un homme».</p> - -<p>»Ce peu de mots éveilla l'attention de l'étranger; et il fit une -multitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le démon -(c'est ainsi qu'il l'appelait). Bientôt après, lorsqu'il fut seul avec -moi, il me dit: «J'ai, sans doute, excité votre curiosité, aussi bien -que celle de ces braves gens; mais vous êtes trop délicat pour me -faire des questions.</p> - -<p>»—Certainement; il serait très-indiscret et très-inhumain de ma -part de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosité personnelle.</p> - -<p>»—Et cependant vous ni avez tiré d'une position étrange et -dangereuse; vous m'avez généreusement rendu à la vie».</p> - -<p>»Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace eût -anéanti l'autre traîneau. Je lui dis que je ne saurais répondre avec -certitude; car la glace ne s'était guère brisée avant minuit, et le -voyageur pouvait être arrivé ayant ce temps en lieu de sûreté; mais -que je n'en pouvais juger.</p> - -<p>»Depuis ce temps, l'étranger paraissait très-empressé à être sur -le pont, pour épier le traîneau qu'on avait vu auparavant; mais je -l'ai engagé à rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faible -pour soutenir la rigueur de l'atmosphère. J'ai promis que l'on -observerait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelque -nouvel objet s'offrait à la vue.</p> - -<p>»Voilà mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport à notre -étrange rencontre. L'étranger a insensiblement recouvré la santé, -mais il est très-silencieux, et parait embarrassé lorsqu'un autre que -moi entre dans sa chambre. Cependant, ses manières sont si engageantes -et si douces, que les matelots s'intéressent tous à son sort, -quoiqu'ils aient eu très-peu de communication avec lui. Pour moi, je -commence à l'aimer comme un frère; et son chagrin profond et continuel -m'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il ait -été un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui, -puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable.</p> - -<p>»Je disais dans une de mes lettres, ma chère Marguerite, que je ne -trouverais pas d'amis sur le vaste Océan, et pourtant j'ai trouvé un -homme que mon cœur aurait été heureux d'aimer comme un frère, avant -que son âme eut été brisée par le malheur.</p> - -<p>»Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet étranger, si -j'ai quelque chose de nouveau à vous apprendre».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - -<p style="margin-left: 60%;">13 août 17—</p> - - -<p>«Mon affection pour mon hôte augmente de jour en jour. Il excite du -moins mon admiration et ma pitié d'une manière étonnante. Comment -pourrai-je voir un être aussi noble abîmé par le malheur, sans -éprouver la plus vive douleur? Il est si doux et si sage à la fois; -son esprit est si cultivé; et lorsqu'il parle, ses paroles, quoique -choisies avec l'art le plus délicat, coulent avec une rapidité et une -éloquence incomparables.</p> - -<p>»Il est maintenant très-bien rétabli, et il se tient continuellement -sur le pont, pour épier sans doute le traîneau qui a précédé le -sien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas si -entièrement occupé de sa propre infortune, qu'il ne s'intéresse -vivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questions -sur mon projet, et je lui ai raconté franchement ma petite histoire. Il -a paru charmé de la confidence et a fait sur mon plan plusieurs -observations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas de -pédanterie dans ses manières, et tout ce qu'il fait semble ne provenir -que de l'intérêt qu'il prend naturellement au bien-être de ceux qui -l'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observe -beaucoup, et cherche à chasser tout ce qu'il y a de sombre ou -d'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme un -nuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'ai -tâché de gagner sa confiance, et je crois y avoir réussi. Je lui -parlais un jour du désir que j'avais de trouver un ami qui pût -sympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que je -n'appartenais pas à cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis. -«Je n'ai reçu qu'une demi-éducation, et je ne puis avoir assez de -confiance en mes propres moyens. Je désire donc que mon compagnon soit -plus sage et plus expérimenté que moi, afin de m'affermir et de me -soutenir; je n'ai pas cru qu'il fût impossible de trouver un véritable -ami».</p> - -<p>«Je conviens avec vous, répliqua l'étranger, que l'amitié est -non-seulement un bien désirable, mais possible. J'eus autrefois un ami, -dont l'âme était la plus noble qui fut sous le ciel: il m'est donc -permis de juger de la véritable amitié. Vous avez l'espérance et le -monde devant vous: ne désespérez de rien. Mais moi.... j'ai tout -perdu, et je ne puis recommencer une nouvelle vie».</p> - -<p>»En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calme -et profond, qui me toucha le cœur. Il se tut et se retira bientôt dans -sa chambre.</p> - -<p>»Malgré l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plus -vivement que lui des beautés de la nature. Un ciel étoilé, la mer et -toutes les vues que présentent ces régions étonnantes semblent encore -avoir le pouvoir d'élever son âme au-dessus de la terre. Un tel homme -a une double existence: il peut supporter le malheur et être accablé -par les revers; quand il est rentré en lui-même, on dirait d'un esprit -céleste, entouré d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la folie -ne peuvent pénétrer.</p> - -<p>»Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cet -aventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cette -simplicité qui était autrefois votre charme caractéristique. -Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions, -tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les répéter».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<p style="margin-left: 60%;">19 août 17—</p> - - -<p>«L'étranger me dit hier: «Vous pouvez voir facilement, capitaine -Walton, que j'ai éprouvé de grands et incomparables malheurs. J'étais -décidé d'abord à ensevelir avec moi le souvenir de ces maux, mais -vous avez changé ma résolution. Vous cherchez les connaissances et la -sagesse; moi aussi j'ai cherché ces biens. J'espère avec ardeur que -l'accomplissement de vos vœux ne deviendra pas pour vous, comme pour -moi, une cause de douleur. Je ne sais si l'histoire de mes infortunes -vous sera utile; mais si vous le désirez, je vous en ferai le récit. -Je crois que les événements étranges qui se lient à ma destinée, -vous feront envisager la nature sous un point de vue capable d'agrandir -vos facultés et votre intelligence. Vous entendrez parler de puissances -et d'aventures que vous êtes habitué à croire impossibles. Mais je ne -doute pas que mon histoire ne porte avec elle l'évidence de la vérité -des événements qui la composent».</p> - -<p>»Vous devez concevoir facilement que je fus enchanté d'une offre de ce -genre. Cependant je craignais qu'il ne renouvelât sa douleur par le -récit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressement d'entendre -l'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosité, -que par un grand désir d'améliorer son sort, s'il était en mon -pouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma réponse.</p> - -<p>»Je vous remercie, répliqua-t-il, de votre bonne volonté, mais elle -est inutile; ma destinée est presque accomplie. Je n'attends plus -qu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends, -continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vous -vous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rien -ne peut changer ma destinée: écoutez mon histoire, et vous verrez -qu'elle est irrévocablement fixée».</p> - -<p>»Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son récit, lorsque -j'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondes -réflexions, et j'ai résolu de consacrer mes loisirs du soir à écrire -ce qu'il m'aura raconté pendant le jour, en rapportant autant que -possible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, je -prendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plus -grand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela de -sa bouche, avec quel intérêt et quelle émotion je le relirai un -jour»!</p> - - - - -<hr class="chap" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_Ier">CHAPITRE I<sup>er</sup></a></h4> - - -<p>Je suis né à Genève, et ma famille est une des plus considérables de -cette république. Mes ancêtres avaient été, depuis bon nombre -d'années, conseillers et syndics; et mon père avait rempli des -fonctions publiques avec honneur et distinction. Il était respecté de -tous ceux qui le connaissaient, à cause de son intégrité, et de son -application infatigable à veiller aux intérêts de l'État. Il passa -les années de sa jeunesse continuellement occupé des affaires de son -pays, et il n'attendit pas le déclin de sa vie pour penser à se -marier, et à laisser à l'État des fils qui pussent transmettre à la -postérité ses vertus et son nom.</p> - -<p>Comme les circonstances de son mariage font honneur à son caractère, -je ne puis m'empêcher de les rapporter. Il comptait parmi ses plus -intimes amis un négociant qui, d'un état brillant, tomba dans la -pauvreté, après toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommait -Beaufort, était d'un caractère orgueilleux et facile à se -décourager. Il ne put soutenir l'idée de vivre pauvre et oublié dans -le même pays où il avait brillé par son rang et sa magnificence. -Ayant donc payé ses dettes de la manière la plus honorable, il se -retira avec sa fille dans la ville de Lucerne, où il vécut inconnu et -malheureux. Mon père aimait Beaufort de l'amitié la plus vraie; et il -fut profondément affligé d'une retraite à laquelle des circonstances -malheureuses avaient donné lieu, et qui le privait d'une société qui -lui était chère. Il résolut d'aller le chercher et de l'engager à -recommencer le commerce, en profitant de son crédit et de son -assistance.</p> - -<p>Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut que -dix mois après que mon père découvrit sa demeure. Charmé de cette -découverte, il se rend à sa maison, qui était située dans une petite -rue près le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux le -spectacle de la misère et du désespoir. Beaufort avait sauvé des -restes de sa fortune, une très-petite somme d'argent, mais qui était -suffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il espérait alors -obtenir un emploi respectable dans la maison d'un négociant. En -attendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir, -aux plus tristes pensées, il fut en proie au chagrin le plus profond et -le plus cruel, et tellement accablé d'esprit, que trois mois après, il -fut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille le -soignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avec -douleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaient -plus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une âme d'une trempe -peu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans son -adversité. Elle se procura une occupation honnête, tressa de la -paille, et, par différents moyens, tâcha de gagner de quoi subvenir -aux premiers besoins de la vie.</p> - -<p>Plusieurs mois se passèrent ainsi. Son père devint plus mal; son temps -était plus occupé à le soigner; ses moyens de subsistance -diminuaient; et, en dix mois, son père mourut dans ses bras, la -laissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; et -elle était à genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant à -chaudes larmes, lorsque mon père entra dans la chambre. Il arriva comme -un ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia à ses -soins; après l'enterrement de son ami, il la conduisit à Genève et la -confia à une de ses parentes. Deux ans après cet événement, Caroline -devint sa femme.</p> - -<p>Lorsque mon père fut devenu époux et père, il se trouva tellement -occupé par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonna -plusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer à l'éducation de -ses enfants. J'étais l'aîné, et je devais lui succéder dans tous ses -travaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parents -que les miens. Mon éducation et ma santé étaient l'objet de leur -sollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, que -pendant plusieurs années je fus leur unique enfant. Mais, avant de -continuer mon récit, je dois rapporter un événement qui eut lieu -lorsque j'étais âgé de quatre ans.</p> - -<p>Mon père avait une sœur qu'il aimait tendrement, et qui avait -épousé, très-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps après son -mariage, elle avait accompagné son mari dans son pays; et, depuis -quelques années, mon père n'avait eu que très-peu de rapport avec -elle. Elle mourut vers l'époque dont j'ai parlé; et, peu de mois -après, il reçut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part de -son intention d'épouser une Italienne, et priait mon père de se -charger de sa fille Élisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa sœur. -«Je désire, dit-il, que vous la considériez comme votre propre fille -et que vous l'éleviez de même. La fortune de sa mère lui est -assurée, et je vous en remettrai les titres. Réfléchissez à cette -proposition, et choisissez si vous voulez que votre nièce soit élevée -par vous-même ou par une belle-mère».</p> - -<p>Mon père n'hésita pas, et alla aussitôt en Italie pour accompagner la -petite Élisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire à -ma mère, qu'elle était alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu, -et qu'elle montrait même un caractère doux et aimant. Ces -dispositions, et le désir de resserrer aussi étroitement que possible -les nœuds de l'amour domestique, déterminèrent ma mère à regarder -Élisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais à se -repentir.</p> - -<p>Dès-lors Élisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nous -avançâmes en âge, elle fut mon amie. Elle était douée d'un -excellent naturel, aussi gaie et aussi folâtre qu'un papillon. -Quoiqu'elle fut vive et animée, ses sensations étaient fortes et -profondes; son caractère prodigieusement aimant. Personne ne savait -mieux qu'elle jouir de sa liberté, personne aussi ne se soumettait avec -plus de grâce à la nécessité et au caprice. Son imagination était -brillante quoiqu'elle fût capable d'une grande application. Ses traits -étaient l'image de son âme; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceux -d'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure était vive et -animée. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de la -femme la plus délicate du monde. Plein d'admiration pour son -intelligence et son esprit, j'aimais à la suivre, comme j'aurais pu le -faire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dans -la personne et dans l'esprit unis à si peu de prétention.</p> - -<p>Tout le monde adorait Élisabeth. Si les domestiques avaient quelque -chose à solliciter, c'était toujours par son intercession. Nous -étions étrangers à toute espèce de désunion et de dispute; il -existait, il est vrai, une grande différence dans nos caractères, mais -il y avait même de l'harmonie dans cette opposition. J'étais plus -calme et plus réfléchi que ma compagne; cependant mon caractère -n'était pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; mais -elle était moins opiniâtre pendant sa durée. J'aimais à rechercher -les faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait à suivre -les inspirations hardies des poètes. Le monde était pour moi un secret -que je désirais pénétrer; pour elle, c'était un vide qu'elle -cherchait à peupler d'êtres de sa propre imagination.</p> - -<p>Mes frères étaient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un de -mes condisciples un ami dont l'âge répondait au mien. Henry Clerval -était fils d'un négociant de Genève, intime ami de mon père. -C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je -me souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, qui -faisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Son étude -favorite était celle des romans et des livres de chevalerie; et, -lorsque nous étions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions des -pièces qu'il composait lui-même d'après ses livres, dont les -principaux personnages étaient Roland, Robin Hood, Amadis, et -Saint-George.</p> - -<p>Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mes -parents étaient indulgents et mes camarades aimables. Nos études -n'étaient jamais forcées; et, par quelques moyens, nous avions -toujours devant nous un but qui nous excitait à les poursuivre avec -ardeur. Ce fut de cette manière, et non par l'émulation, que nous -prîmes goût au travail. Ce n'était pas la crainte d'être surpassée -par ses compagnes, qui excitait Élisabeth à s'appliquer au dessin; -mais le désir qu'elle avait de plaire à sa tante, en lui mettant sous -les yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-même. Nous -apprîmes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de ces -deux langues; et, au lieu de nous rendre l'étude odieuse par les -punitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractions -eussent été des travaux pour d'autres enfants. Peut-être n'avons nous -pas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussi -promptement que ceux qui sont enseignés d'après les méthodes -ordinaires; mais ce que nous avons appris nous est resté plus -profondément gravé dans la mémoire.</p> - -<p>Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique, -car il était constamment avec nous. Il allait à l'école avec moi, et -passait chez nous presque tous les après-midi; son père qui n'avait -que ce fils, était bien aise qu'il trouvât dans notre maison les -camarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'étions -jamais tout-à-fait heureux lorsque Clerval était absent.</p> - -<p>J'ai du plaisir à m'arrêter sur les souvenirs de mon enfance, avant -que le malheur n'eût atteint mon esprit et changé ses idées -lumineuses sur l'utilité générale en des réflexions sur moi-même, -profondes et rétrécies. Mais, en traçant le tableau de mes jeunes -années, je ne dois pas omettre ces événements qui me conduisirent -insensiblement au dernier degré du malheur: car, lorsque je me rends -compte de la naissance de cette passion qui régla ensuite ma destinée, -je la vois sortir de sources impures et presqu'oubliées, comme un -fleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissant -insensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, a -détruit toutes mes espérances et mon bonheur.</p> - -<p>La philosophie naturelle est le génie qui a réglé ma destinée; je -désire donc, dans ce récit, établir les faits qui m'ont inspiré une -prédilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nous -fîmes tous une partie de plaisir, aux bains près de Thonon: le mauvais -temps nous obligea de rester toute une journée renfermés dans -l'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison, -un volume des œuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avec -indifférence; la théorie qu'il cherche à démontrer et les faits -étonnants qu'il rapporte, changèrent bientôt ce sentiment en -enthousiasme. Une nouvelle lumière sembla éclairer mon esprit; je -bondis de joie, et fis part de ma découverte à mon père. Je ne puis -m'empêcher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont les -instituteurs, pour diriger les idées de leurs élèves vers des -connaissances utiles, et qu'ils négligent entièrement. Mon père -regarda avec indifférence le titre de mon livre, et dit: «Ah! -Cornélius Agrippa! Mon cher Victor, ne perdez pas voire temps -là-dessus, c'est une triste occupation».</p> - -<p>Si, au lieu de cette remarque, mon père eût pris la peine de -m'expliquer que les principes d'Agrippa avaient été tout-à-fait -rejetés, et qu'on avait introduit un nouveau système de science, basé -sur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ci -étaient chimériques, tandis que les autres étaient réels et mis en -usage; oh! alors, j'aurais certainement jeté Agrippa de côté, et, -avec une imagination échauffée comme la mienne, je me serais -probablement appliqué à la théorie d'alchimie, la plus raisonnable -qui soit résulté des découvertes modernes. Il est même possible que -le cours de mes idées n'eussent jamais reçu la funeste impulsion qui -m'a conduit à ma perte. Mais le mépris vague que mon père avait -montré pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il connût ce qu'il -contenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidité.</p> - -<p>Lorsque je fus de retour à la maison, mon premier soin fut de me -procurer tous les ouvrages de cet auteur, et ensuite ceux de Paracelse -et du Grand Albert. Je lus et j'étudiai avec délices les rêves -ténébreux de ces écrivains; ils me parurent des trésors connus à -peu d'autres personnes que moi; et, quoique je désirasse souvent faire -connaître à mon père ces secrètes profondeurs de la science, -j'étais toujours retenu par la critique indéterminée qu'il avait -faite de mon auteur favori. J'appris ma découverte à Élisabeth, sous -le sceau du secret le plus strict; mais elle ne prenait pas d'intérêt -à mon travail, et elle me laissait poursuivre seul mes études.</p> - -<p>Il peut sembler très-étrange de voir dans le 18<sup>e</sup> siècle un disciple -du Grand Albert; mais notre famille n'était pas scientifique, et je -n'avais pas suivi les lectures recommandées aux écoles de Genève. Mes -rêves n'étaient donc pas troublés par la réalité; et je me livrai -avec ardeur à la recherche de la pierre philosophale et de l'élixir de -vie. Ce dernier objet obtint toute mon application: je le préférai à -la richesse; et quelle gloire suivrait ma découverte, si je -réussissais à chasser la maladie du corps humain, et à ne rendre -l'homme accessible qu'à une mort violente!</p> - -<p>Mes idées ne se bornèrent pas là. L'apparition des esprits et des -démons était généreusement promise par mes auteurs favoris: je -cherchais avec ardeur l'accomplissement de cette promesse; et, si mes -enchantements restaient toujours sans succès, j'en attribuais la faute -plutôt à mon inexpérience et à mon ignorance, qu'à un défaut -d'habilité ou de bonne foi dans mes maîtres.</p> - -<p>Les phénomènes de la nature qui s'offrent tous les jours à nos yeux, -n'échappèrent pas à mes recherches. La circulation et les effets -surprenants de la respiration, dont mes autorités ignoraient -entièrement la cause, excitèrent mon étonnement; mais, ce qui -m'étonna le plus, ce furent quelques expériences d'une pompe d'air, -que je vis employée par une personne que nous avions l'habitude devoir.</p> - -<p>L'ignorance des anciens philosophes sur ces points et sur d'autres, -servit à leur faire perdre leur crédit auprès de moi; mais je ne -pouvais les quitter entièrement, avant qu'un autre système ne les eût -remplacés dans mon esprit.</p> - -<p>À l'âge d'environ dix-sept ans, nous nous trouvions dans notre maison, -auprès de Belrive, quand vint à éclater l'orage le plus violent et le -plus terrible. Il s'avançait de l'autre côté des montagnes du Jura, -et s'annonçait par les éclats du tonnerre qui retentissait de -plusieurs côtés à la fois avec un fracas effrayant. Je restai, tant -que l'orage dura, à observer ses progrès avec curiosité et plaisir. -Pendant que je me tenais à la porte, je vis tout à coup une traînée -de feu sortir d'un chêne antique et élevé, qui était à peu près à -vingt pas de notre maison; et à peine la lumière cessa de briller, que -le chêne disparut, et il ne restait plus qu'un tronc en ruines. Le -lendemain matin nous allâmes le voir; l'arbre avait été -singulièrement brisé. Il n'était pas fendu par le choc, mais -entièrement réduit en petits éclats de bois. Je n'ai jamais rien vu -qui fût si complètement détruit.</p> - -<p>La ruine de cet arbre fut pour moi l'objet d'un vif étonnement; je -questionnai avec empressement mon père sur la nature et l'origine du -tonnerre et des éclairs. «L'électricité», répondit-il, en -décrivant en même temps les différents effets de cette force. Il -construisit une petite machine électrique, et me fit quelques -expériences; il fit aussi un cerf-volant, avec des cordes et un fil de -métal, qui attirait des nuages le fluide électrique.</p> - -<p>Ce dernier trait acheva de renverser Cornelius Agrippa, le Grand Albert -et Paracelse, qui avaient si long-temps régné en maîtres dans mon -imagination. Mais, par quelque fatalité, je ne me sentis pas porté à -commencer l'étude d'un système moderne, et ce dégoût eut pour cause -la circonstance suivante.</p> - -<p>Mon père avait témoigné le désir que je suivisse un cours de leçons -sur la philosophie naturelle, et j'y avais consenti avec plaisir. Un -accident m'empêcha de suivre ces leçons jusqu'à la fin, et la -dernière que je pris était tout-à-fait inintelligible pour moi. Le -professeur discourait avec la plus grande abondance sur le Potassium et -le Boron, les sulfates et les oxides, termes auxquels je ne pouvais -appliquer d'idée. Je pris en dégoût la science de la philosophie -naturelle, quoique je lusse encore avec plaisir Pline et Buffon, auteurs -qui, suivant moi, étaient d'un intérêt et d'une utilité à peu près -semblables.</p> - -<p>Mes occupations, à cette époque, étaient principalement les -mathématiques, et la plupart des branches d'étude qui appartiennent à -cette science. Je m'occupais aussi beaucoup à apprendre les langues; le -Latin m'était déjà familier, et je commençais à lire quelques-uns -des auteurs Grecs les plus faciles sans le secours d'un Lexicon. Je -comprenais parfaitement aussi l'Anglais et l'Allemand. Voilà la -nomenclature de ce que je savais à l'âge de dix-sept ans; et vous -devez penser que mes moments étaient entièrement occupés pour -acquérir et conserver la connaissance de ces différentes -littératures.</p> - -<p>J'eus aussi une autre tâche à remplir; je devins l'instituteur de mes -frères. Ernest était de six ans plus jeune que moi et mon principal -élève. Il avait eu une mauvaise santé dans son enfance, pendant -laquelle Élisabeth et moi nous avions eu pour lui des soins assidus. -Son caractère était doux, mais il était incapable de toute -application sérieuse. Guillaume, le plus jeune de la famille, était -encore enfant, et c'était le plus beau petit drôle du monde; ses yeux -bleus et vifs, ses joues ornées de deux fossettes, et ses manières -caressantes inspiraient la plus tendre affection.</p> - -<p>Tel était notre cercle domestique, dont les soucis et les chagrins -semblaient bannis pour toujours. Mon père dirigeait nos études, et ma -mère partageait nos plaisirs. Aucun de nous n'avait la plus légère -supériorité sur l'autre, nous ne connaissions pas la voix du -commandement; mais une affection mutuelle nous portait à condescendre -et à obéir au moindre désir de chacun.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_II">CHAPITRE II</a></h4> - - -<p>Je venais d'atteindre ma dix-septième année, quand mes parents prirent -la résolution de m'envoyer étudier à l'université d'Ingolstadt. -J'avais d'abord suivi les écoles de Genève; mais mon père pensa qu'il -était nécessaire, pour le complément de mon éducation, de me faire -connaître d'autres usages que ceux de mon pays natal. Mon départ fut -donc prochainement fixé; et, avant que le jour marqué ne fût venu, -j'éprouvai le premier malheur de ma vie..... présage de ceux qui -m'attendaient.</p> - -<p>Élisabeth avait eu la fièvre rouge, mais sans aucun symptôme de -danger. Elle ne tarda pas à recouvrer la santé. Pendant le temps de la -maladie, on avait tout fait pour persuader à ma mère de ne pas la -voir. Elle s'était d'abord rendue à nos supplications; mais, -lorsqu'elle apprit que sa chère nièce se rétablissait, elle ne put se -priver davantage de sa société, et entra dans sa chambre long-temps -avant que l'air ne fut sans danger. Les conséquences de cette -imprudence furent funestes. Le troisième jour, ma mère tomba malade; -sa fièvre prit un caractère de malignité, et nous vîmes sur le -visage de ceux qui la soignaient l'augure du plus triste événement. Au -lit de la mort, le courage et la bonté de cette femme admirable ne -l'abandonnèrent pas. Elle joignit les mains d'Élisabeth et les -miennes: «Mes enfants, dit-elle, j'envisageais dans votre union le plus -ferme espoir de mon bonheur futur. Cette perspective sera maintenant la -consolation de votre père. Élisabeth, mon amie, vous me remplacerez -auprès de vos plus jeunes cousins. Hélas! je regrette d'être -séparée de vous; heureuse et aimée comme je l'étais, comment -n'aurais-je pas quelque peine de vous quitter tous? Mais ces pensées ne -me conviennent point; je lâcherai de me résigner à la mort, et -j'espère que nous nous reverrons dans un autre monde».</p> - -<p>Elle mourut avec calme, et en conservant sur son visage inanimé -l'expression de la tendresse. Je n'ai pas besoin de vous décrire les -sentiments de ceux dont les nœuds les plus chers sont rompus par le -plus irréparable des maux, le vide qui est dans le cœur et la douleur -qui est empreinte sur les figures. Il faut tant de temps pour que -l'esprit puisse se persuader que celle que nous voyions tous les jours -et dont existence même semblait liée à la nôtre, est perdue à -jamais...; que l'éclat enchanteur de ses yeux est éteint; et que le -son d'une voix si familière et si chère à l'oreille, est étouffé -pour n'être plus entendu. Telles sont les réflexions auxquelles on se -livre les premiers jours; mais lorsque le laps du temps a prouvé la -réalité du mal, la douleur commence à se faire sentir plus vivement. -Et à qui la main terrible de la mort n'a-t-elle pas enlevé -quelqu'affection bien chère? Pourquoi vous peindre un chagrin que tout -le monde a éprouvé ou doit éprouver? Le temps arrive enfin, où la -douleur est plutôt une consolation qu'un mal; et le sourire n'est pas -banni de nos lèvres, quoiqu'il paraisse un sacrilège. Ma mère -n'était plus, mais nous avions encore des devoirs à remplir; car nous -devons continuer notre vie dans le calme, et nous trouver heureux, tant -qu'il nous reste un être sur qui la faulx de la mort ne s'est pas encore -appesantie.</p> - -<p>Mon voyage à Ingolstadt, qui avait été différé par ces -évènements, fut décidé de nouveau. J'obtins de mon père un délai -de quelques semaines. Ce temps se passa fort tristement. La mort de ma -mère et mon prompt départ accablaient nos esprits; mais Élisabeth -cherchait à ramener la gaîté dans notre petite société. Depuis la -mort de sa tante, son esprit avait acquis une nouvelle fermeté et une -nouvelle force. Elle se détermina à remplir ses devoirs avec la plus -grande exactitude, et elle sentit que le devoir le plus impérieux qui -lui était imposé, était de rendre heureux son oncle et ses cousins. -Elle me consolait, amusait son oncle, instruisait mes frères; jamais -elle ne me parut aussi charmante qu'à cette époque, où elle -s'efforçait continuellement de contribuer au bonheur des autres, en -s'oubliant entièrement elle-même.</p> - -<p>Le jour de mon départ arriva enfin. J'avais pris congé de tous mes -amis, excepté de Clerval, qui passa avec nous la dernière soirée. Il -s'affligeait amèrement de ne pouvoir m'accompagner: mais il était -retenu chez son père, dont l'intention était de l'associer dans ses -affaires, et dont le grand principe était que la science est inutile -dans le commerce ordinaire de la vie. Henry avait un esprit plus -élevé: il n'avait, nullement le désir de ne rien faire, et s'il -était bien aise de devenir l'associé de son père, il pensait aussi -qu'on pouvait être un fort bon négociant, et en même temps avoir un -esprit cultivé.</p> - -<p>Nous restâmes très-tard à écouter ses plaintes et à faire plusieurs -petits arrangements pour l'avenir. Je partis le lendemain matin de bonne -heure. Des pleurs coulaient des yeux d'Élisabeth; elle ne pouvait les -retenir en songeant que mon départ la laissait dans le chagrin, et que -le même voyage avait été fixé trois mois auparavant, lorsque la -bénédiction d'une mère m'aurait accompagné.</p> - -<p>Je me jetai dans la chaise qui devait m'emmener, et me livrai aux -réflexions les plus mélancoliques. J'étais seul maintenant, moi, qui -avais été toujours entouré d'aimables compagnons, dont l'unique soin -était d'être agréables l'un à l'autre. Dans l'université vers -laquelle je me rendais, il fallait me faire mes amis et être moi-même -mon protecteur. Jusqu'ici, ma vie avait été tout-à-fait domestique et -retirée; j'en gardai une répugnance invincible pour les nouveaux -visages. J'aimais mes frères, Élisabeth et Clerval; c'étaient pour -moi <i>d'anciennes figures qui m'étaient familières</i>; mais je ne me -croyais nullement fait pour la société des étrangers. Telles étaient -mes réflexions lorsque je commençai mon voyage; mais à mesure que -j'avançais, mon courage et mes espérances se relevaient. J'avais un -vif désir d'apprendre. Souvent, chez mon père, j'avais trouvé -pénible de passer ma jeunesse, attaché à la même place; j'aurais -voulu entrer dans le monde, et prendre ma place parmi les autres hommes. -À présent que mes désirs étaient accomplis, c'eût été une folie -de m'en repentir.</p> - -<p>J'eus tout le temps de me livrer à ces réflexions et à bien d'autres -pendant mon voyage à Ingolstadt, qui fut long et fatigant. Enfin, -j'aperçus les clochers blancs et élevés de la ville. Je descendis de -voiture, et je fus conduit dans mon appartement solitaire pour passer la -soirée comme il me plairait.</p> - -<p>Le lendemain matin, je remis mes lettres d'introduction; je ne manquai -pas de rendre visite à quelques-uns des principaux professeurs, et -entr'autres à M. Krempe, professeur de philosophie naturelle. Il me -reçut avec politesse, et me fit plusieurs questions sur mes progrès -dans les différentes branches de science qui appartiennent à la -philosophie naturelle. Je lui nommai, non sans crainte et sans -hésitation les seuls auteurs que j'eusse jamais lus sur ce sujet. Le -professeur me regarda fixement: «Avez-vous, dit-il, réellement perdu -votre temps à étudier de pareilles absurdités»?</p> - -<p>—«Je vous ai dit la vérité», répondis-je.—«Chaque minute -continua M. Krempe avec chaleur, chaque moment que vous avez passé sur -ces livres est tout-à-fait et complètement perdu. Vous avez chargé -votre mémoire de systèmes repoussés et de noms inutiles. Grand Dieu! -Dans quel désert avez-vous habité, puisque personne n'a été assez -bon pour vous apprendre que ces rêves, dont vous vous êtes pénétré -avidement, sont enfantés depuis mille ans, et sont aussi méprisés -qu'ils sont anciens? Je ne m'attendais guère à trouver dans ce siècle -éclairé et savant, un disciple du Grand Albert et de Paracelse. Mon -cher monsieur, il faut recommencer entièrement vos études».</p> - -<p>Après avoir ainsi parlé, il se mit à l'écart, et écrivit une liste -de plusieurs livres qui traitaient de la philosophie naturelle. Il -m'invita à les acheter; et il prit congé de moi, en me prévenant -qu'au commencement de la semaine suivante, il ouvrirait un cours sur la -philosophie naturelle dans ses rapports généraux, et que M. Waldman, -son collègue, en ferait un sur l'alchimie, alternativement avec le -sien.</p> - -<p>Je retournai chez moi sans être désappointé, car il y avait longtemps -que je regardais comme passés de mode, les auteurs que le professeur -avait réprouvés avec tant de force; mais je ne me sentis pas -très-porté à étudier les livres dont j'avais fait emplette à sa -recommandation. M. Krempe était un petit homme ramassé, dont la voix -était rude, et la figure repoussante; ainsi le maître ne me disposait -pas, en faveur de la doctrine. Du reste, j'avais du mépris pour les -usages de la philosophie naturelle du jour. Quelle différence avec les -maîtres de la science, quand ils cherchaient l'immortalité et le grand -secret! Leurs vues étaient grandes, quoique futiles. Mais depuis, la -scène était changée; l'ambition des nouveaux savants semblait se -borner à détruire ces visions qui me portaient vers la science, avec -le plus d'intérêt. Il fallait changer des chimères d'une grandeur -sans bornes, contre de misérables réalités.</p> - -<p>Telles furent mes réflexions pendant les deux ou trois premiers jours -que je passai presque dans la solitude. Mais au commencement de la -semaine suivante, je pensai à ce que M. Krempe m'avait dit sur les -cours. Et, quoique je ne pusse consentir à aller entendre ce petit -pédant débiter des sentences dans une chaire, je me rappelai ce qu'il -avait dit de M. Waldman, qui avait été absent jusqu'alors, et que je -n'avais jamais vu.</p> - -<p>Soit par curiosité, soit par oisiveté, j'allai dans la salle des -cours: M. Waldman y entra un instant après. Ce professeur ne -ressemblait pas à son collègue. Il paraissait avoir environ cinquante -ans, et portait sur son visage l'expression de la plus grande bonté: -quelques cheveux gris couvraient ses tempes; des cheveux presque noirs -garnissaient le derrière de sa tête. Il était petit, mais -très-droit, et doué du plus doux organe. Il commença son cours par un -précis de l'histoire de l'alchimie et des différentes découvertes -dues à plusieurs savants, prononçant avec chaleur les noms de ceux qui -s'étaient le plus distingués par ces découvertes. Il fit alors un -tableau rapide de l'état actuel de la science, et expliqua plusieurs -termes élémentaires. Après avoir fait quelques expériences -préparatoires, il termina par un panégyrique de l'alchimie moderne, en -des termes que je n'oublierai jamais.</p> - -<p>«Les anciens maîtres en cette science, dit-il, promettaient des choses -impossibles, et n'accomplissaient rien. Les professeurs modernes -promettent très-peu: ils savent qu'on ne peut changer les métaux, et -que l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes, dont les -mains ne semblent faites que pour tremper dans la boue qui semblent -n'avoir des yeux que pour observer au travers d'un microscope ou dans le -creuset, ont en effet produit des miracles. Ils pénètrent les secrets -de la nature, et montrent ses effets dans les endroits les plus cachés. -Ils pénètrent jusqu'aux cieux; ils ont découvert la circulation du -sang, et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirs -nouveaux et presqu'illimités; ils commandent aux foudres du ciel, -imitent les tremblements de terre, et bravent même les ombres du monde -invisible».</p> - -<p>Je me retirai enchanté du professeur et de sa leçon; j'allai le soir -même lui rendre visite. Ses manières chez lui étaient encore plus -douces et plus attrayantes qu'en public; car, pendant son cours, il y -avait sur son visage une certaine dignité qui, en particulier, faisait -place à la plus grande affabilité et à beaucoup de politesse. Il -écouta avec attention la petite histoire de mes études, et sourit aux -noms de Cornelius Agrippa et de Paracelse, mais sans le mépris qu'avait -montré M. Krempe. Il me dit que, «c'était au zèle infatigable de ces -hommes, que les philosophes modernes étaient redevables de la plupart -des principes de leur science; qu'ils nous avaient laissé la tâche -plus facile, de donner les noms, et de classer avec ordre les faits -qu'ils avaient puissamment contribué à mettre au grand jour. Les -travaux des hommes de génie, quoiqu'erronés, finissent toujours par -tourner au profit de l'espèce humaine». J'écoutais son raisonnement, -qui était prononcé sans orgueil ni affectation; j'ajoutai alors, que -sa leçon avait dissipé mes préjugés, contre les alchimistes -modernes; et en même temps, je lui demandai ses conseils sur les livres -que je devais me procurer.</p> - -<p>«Je suis heureux, dit M. Waldman, de m'être fait un élève; et si -votre application égale votre habileté, je ne doute pas que vous ne -réussissiez. L'alchimie est la branche de la philosophie naturelle dans -laquelle on a fait et pourra faire le plus de progrès. Voilà pourquoi -j'en ai fait mon étude particulière, mais en même temps je n'ai pas -négligé les autres branches de cette science. On ne serait qu'un bien -médiocre alchimiste, si l'on ne s'adonnait qu'à cette partie seule des -connaissances humaines. Si vous avez le désir de devenir vraiment un -savant, et non simplement un petit faiseur d'expériences, je vous -engagerai à cultiver toutes les branches de la philosophie naturelle, -ainsi que les mathématiques».</p> - -<p>Il m'introduisit alors dans son laboratoire, et m'expliqua l'usage de -ses différents instruments; il me montra tous ceux que je devais avoir, -et me promit de me prêter les siens, lorsque j'aurais assez -d'expérience pour ne pas en déranger le mécanisme. Il me donna aussi -la liste des livres que j'avais demandés, et je pris congé de lui.</p> - -<p>Ainsi finit cette journée mémorable pour moi; elle décida de mon -avenir.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_III">CHAPITRE III</a></h4> - - -<p>Depuis ce jour, je me livrai presqu'exclusivement à l'étude de la -philosophie naturelle, et surtout de l'alchimie, dans le sens le plus -étendu de ce mot. Je lus avec ardeur les ouvrages qui ont été -composés sur cette science par les observateurs modernes, et où -brillent à un haut degré leur génie et leur discernement. Je suivis -les cours, je fréquentai les savants de l'université; et je reconnus -même en M. Krempe beaucoup de bon sens et un vrai savoir, joints, il -est vrai, à une physionomie et à des manières repoussantes, mais qui -ne diminuaient pas le mérite de ses connaissances. Je trouvai un -véritable ami dans M. Waldman. Sa douceur n'était jamais altérée par -un ton tranchant; il donnait ses leçons avec un air de franchise et de -bonté qui éloignait toute idée de pédanterie. Ce fut, peut-être, -l'aimable caractère de cet homme qui m'entraîna le plus vers la partie -de philosophie naturelle qu'il enseignait, qu'un goût intime pour la -science même. Mais cette disposition d'esprit ne dura que dans les -premiers moments de mes études: car, plus je pénétrais dans la -science, et plus je la poursuivais exclusivement pour elle-même. Cette -application, qui d'abord avait été un devoir et un ordre, devint -alors si ardente et si vive, que souvent les étoiles avaient disparu -devant la clarté du matin, que j'étais encore à travailler dans mon -laboratoire.</p> - -<p>Avec une application aussi opiniâtre, il est facile de concevoir que je -fis de rapides progrès. Mon ardeur faisait l'étonnement des -étudiants, et mes succès celui des maîtres. Le professeur Krempe me -demandait souvent, avec un sourire moqueur, comment allait Cornelius -Agrippa; tandis que M. Waldman se réjouissait hautement de mes -progrès. Deux ans se passèrent ainsi, sans que j'allasse à Genève; -j'étais attaché, de cœur et d'âme, à la poursuite de quelques -découvertes que je désirais faire. Il n'y a que ceux qui en ont fait -l'épreuve, qui puissent comprendre les attraits de la science. Dans des -études quelconques on peut atteindre ceux qui nous ont précédés, -mais on ne peut guère les surpasser; dans l'étude des sciences, au -contraire, il y a un aliment continuel pour les découvertes, et des -sujets toujours nouveaux d'étonnement. Un esprit d'une capacité -ordinaire, qui se renferme strictement, dans une seule étude, doit -infailliblement y faire de grands progrès; j'avais constamment cherché -à atteindre l'objet que j'avais en vue; je n'étais uniquement occupé -que de cet objet; aussi, je me signalai par des progrès si rapides, -que, deux ans après, je fis plusieurs découvertes pour perfectionner -quelques instruments d'alchimie, ce qui me valut beaucoup d'estime et de -considération dans l'université. Parvenu à ce point, et devenu aussi -habile dans la théorie et dans la pratique de la philosophie naturelle -qu'il dépendait des professeurs d'Ingolstadt, je jugeai que ma -résidence dans cette ville n'était plus nécessaire à mes progrès. -Je pensais à retourner au milieu de mes amis et dans ma ville natale, -lorsqu'un événement m'obligea de rester.</p> - -<p>Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention, -était la structure du corps humain, et même de tout être animé. Je -me demandais même souvent, d'où pouvait procéder le principe de la -vie. Cette question était hardie: c'était même un mystère aux yeux -du monde; et, cependant, que de choses nous pourrions apprendre, si la -lâcheté ou l'insouciance n'arrêtaient pas nos recherches. Ces -pensées s'agitèrent dans mon esprit, et me déterminèrent à étudier -désormais plus particulièrement les parties de la philosophie -naturelle qui ont rapport à la physiologie. Sans un enthousiasme -presque surnaturel, mon application à cette étude eût été pleine de -dégoûts, et presque insupportable. Pour examiner les causes de la vie, -nous devons d'abord avoir recours à la mort. J'appris l'anatomie: mais -cette science ne suffisait pas; il fallut aussi que j'observasse la -décomposition naturelle et la corruption du corps humain. En -m'élevant, mon père avait pris les plus grandes précautions, pour -qu'on ne remplit pas mon esprit d'horreurs surnaturelles. Je ne me -souviens pas d'avoir jamais frissonné au récit d'un conte -superstitieux, ou d'avoir eu peur de l'apparition d'un fantôme. -L'obscurité ne faisait aucun effet sur mon imagination; et un -cimetière n'était pour moi que le réceptacle des corps privés de la -vie, qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force, -étaient devenus la pâture des vers. Je me mis à examiner la cause et -les progrès de cette décomposition, et je fus forcé de passer des -jours et des nuits au milieu des tombeaux et dans des charniers. Je -portais mon attention sur tous les objets les plus désagréables à la -délicatesse des sensations humaines. J'examinai combien la belle forme -de l'homme était dégradée et ravagée; je vis la corruption de la -mort remplacer l'éclat d'un visage animé, et les vers hériter des -merveilles de l'œil et du cerveau. Je m'arrêtais à observer et à -analyser toutes les minuties de notre être, dévoilées dans le passage -de la vie à la mort, lorsque, du milieu de cette obscurité, une -lumière soudaine vint éclairer mon esprit. Elle était si brillante, -si merveilleuse, et pourtant si naturelle, que je fus à la fois ébloui -par l'immense clarté qu'elle répandait, et surpris que, parmi tant -d'hommes de génie dont les recherches avaient eu pour but la même -science, je fusse le seul destiné à découvrir cet étonnant secret.</p> - -<p>Rappelez-vous que je ne rapporte pas la vision d'un fou: ce que -j'affirme est aussi vrai que le soleil brille dans les cieux. Que ce -soit par un miracle, il n'en est pas moins vrai que les progrès de la -découverte sont distincts et probables. Après des jours et des nuits -d'un travail et d'une fatigue incroyables, je parvins à connaître la -cause de la génération et de la vie; je devins même capable d'animer -une matière inerte.</p> - -<p>L'étonnement où me jeta cette découverte, fit bientôt place au -plaisir et au ravissement. Après avoir consumé tant de temps à des -travaux pénibles, n'était-ce pas pour moi la récompense la plus -douce, que d'arriver enfin au terme de mes désirs? Mais cette -découverte était si grande et si élevée, que tous les degrés par -lesquels j'y avais été progressivement conduit, furent oubliés: je ne -vis que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait été -l'objet des études et des désirs des hommes les plus sages, était -maintenant en mon pouvoir. Tout se présentait à moi comme une scène -magique. Le résultat que j'avais obtenu, était de nature plutôt à -diriger mes efforts dès que je les tournerais vers l'objet de mes -recherches, qu'à me l'offrir sur-le-champ. J'étais comme l'Arabe qui -avait été enseveli parmi les morts, et qui trouva un passage à la -vie, guidé seulement par une lueur qui semblait ne devoir pas lui -prêter ce secours.</p> - -<p>Mon ami, je vois, à votre impatience, à l'étonnement et à l'espoir -qu'expriment vos yeux, que vous vous attendez à ce que je vous -instruise du secret de ma découverte; cela ne se peut: écoutez -patiemment la fin de mon histoire, et vous verrez facilement pourquoi je -me renferme dans le silence. Imprévoyant et ardent comme je l'étais -alors, je ne vous conduirai pas à votre perte et à un malheur -infaillible. Apprenez-de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon -exemple, combien la science est dangereuse. Soyez-en certain: l'homme -qui croit que sa ville natale est le monde, est plus heureux que celui -qui aspire à s'élever plus qu'il ne peut prétendre.</p> - -<p>Maître d'un pouvoir si étonnant, j'hésitai long-temps sur l'usage que -j'en ferais. J'avais, il est vrai, la faculté d'animer; mais il restait -encore un ouvrage d'une difficulté et d'une peine inconcevables, -c'était de préparer un corps destiné à recevoir la vie, avec toutes -ses combinaisons de fibres, de muscles et de veines. J'hésitai d'abord, -si j'essayerais de créer un être semblable à moi-même ou d'une -organisation plus simple; mais mon imagination était trop exaltée par -mon premier succès, pour que je misse en doute mon habileté à donner -la vie à un être aussi compliqué et aussi merveilleux que l'homme. -Les matériaux, dont je pouvais disposer, me parurent à peine -suffisants pour une entreprise aussi hardie; mais je ne doutai pas que -je ne finisse par réussir. Je me préparai à une multitude de revers; -il était possible que mes opérations fussent sans succès, et enfin -que mon ouvrage fût imparfait. Cependant, en réfléchissant aux -progrès qu'on faisait tous les jours dans la science et dans la -mécanique, je me flattais que mes essais seraient du moins la base d'un -prochain succès, et je ne pouvais croire que mon plan fût -impraticable, par cela même qu'il était grand et compliqué. Ce fut -dans ces dispositions que je commençai à créer un être humain. Comme -la petitesse des parties formait une grande difficulté, je crus pouvoir -accélérer mon ouvrage, en prenant la résolution, contraire à mes -premières intentions, de le faire d'une stature gigantesque, -c'est-à-dire, d'environ huit pieds de hauteur, et d'une grosseur -proportionnée. Cette détermination prise, je m'occupai pendant -plusieurs mois à rassembler et à arranger avec succès mes matériaux: -enfin, je me mis à l'ouvrage.</p> - -<p>On ne saurait imaginer la variété des sentiments qui m'agitaient, -comme une tempête, dans le premier enthousiasme de mon heureuse -entreprise. La vie et la mort me parurent des limites idéales; j'allais -bientôt les franchir; j'allais verser un torrent de lumière sur -l'obscurité du monde. Une nouvelle génération me bénirait comme son -créateur et sa source: une foule d'êtres heureux et excellents me -devraient leur existence. Aucun père ne pourrait réclamer la -reconnaissance de son enfant, autant que je mériterais la sienne. En -poursuivant ces réflexions, je pensai que si je pouvais animer une -matière inerte, je pourrais, avec le temps (quoique je le regardasse -alors comme impossible), rendre la vie à un corps que la mort semblait -avoir destiné à la corruption.</p> - -<p>Ces idées soutenaient mon courage, pendant que je poursuivais sans -relâche mon entreprise. Mes joues étaient devenues pâles par -l'étude, et mon corps s'amaigrissait par le défaut de nourriture. -Quelquefois je pensais être parvenu au but, et j'échouais; mais je ne -désespérais pas qu'au premier jour, ou au premier moment, mes -espérances ne fussent réalisées. Le désir de posséder seul un -pareil secret, me dominait entièrement: la lune éclairait mes -opérations nocturnes, pendant que je poursuivais la nature jusque dans -ses retraites les plus cachées, avec une ardeur sans relâche. Qui -pourra concevoir l'horreur de mes travaux secrets, lorsque je profanais -les tombeaux, ou que je torturais l'animal vivant, pour animer un froid -argile? Mes membres en tremblent encore; tout est encore présent à mes -yeux; mais alors j'étais entraîné par une impulsion irrésistible et -presque fanatique; il me semblait n'avoir plus d'âme ou de sensation -que pour la poursuite de cet objet. Ce n'était, il est vrai, qu'un -enthousiasme passager, qui pouvait seulement contribuer à me faire -sentir, avec une nouvelle force, dès que l'aiguillon surnaturel -cesserait d'agir, que je retournerais à mes anciennes habitudes. Je -ramassais des os dans les charniers; et de mes doigts profanes, je -troublais les secrets effroyables du tombeau. Enfermé dans une chambre, -ou plutôt dans une cellule solitaire, de la partie la plus élevée de -la maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerie -et par un escalier, je me livrais au travail d'une création pleine de -dégoût: mes yeux sortaient de leur orbite, pour suivre les détails de -mes occupations. La salle de dissection et la tuerie me fournissaient un -grand nombre de matériaux; souvent je me détournais avec horreur de -mes travaux, lorsqu'excité encore par une ardeur toujours croissante, -j'étais près d'achever mon ouvrage.</p> - -<p>L'été se passa, pendant que j'étais engagé de cœur et d'âme dans -n'était pas cette seule poursuite. La saison était magnifique: jamais -moisson plus abondante ne couvrit les champs; jamais vendanges ne furent -plus riches: mais j'étais insensible aux charmes de la nature; et les -mêmes pensées qui me firent négliger les scènes qui se passaient -autour de moi, me firent aussi oublier ces amis qui étaient éloignés -de tant de lieues, et que je n'avais pas vus depuis si long-temps. Je -savais que mon silence les inquiétait.</p> - -<p>Je me rappelais, mot pour mot, ce que m'avait dit mon père: «Tant que -vous serez satisfait de vous-même, vous penserez à nous avec -affection, et nous recevrons régulièrement de vos nouvelles. Ne me -blâmez pas si je regarde toute interruption dans votre correspondance, -comme une preuve que vos autres devoirs sont également négligés».</p> - -<p>Ainsi, je connaissais bien quelle devait être l'opinion de mon père, -et pourtant je ne pouvais m'arracher à des occupations repoussantes en -elles-mêmes, mais dont le pouvoir sur moi était in surmontable. Je -remis alors tout ce qui avait rapport à mes sentiments d'affection, -jusqu'à ce que j'eusse accompli le grand œuvre qui me détournait de -toutes les habitudes de ma vie.</p> - -<p>Je pensais que mon père serait injuste, s'il attribuait ma négligence -à mes défauts ou à mes vices. Maintenant, je suis convaincu qu'il -avait raison de penser que ma conduite n'était pas exempte de blâme. -Un homme parfait doit toujours maintenir son esprit dans le calme et -dans la paix; sa tranquillité ne doit jamais être troublée par une -passion ou par un goût passager. Je ne crois pas que l'étude même -soit une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle on -s'applique, doit affaiblir les affections, et ôter le goût de ces -plaisirs simples dans lesquels on ne peut éprouver aucune altération, -alors cette étude est sans aucun doute illégitime; c'est-à-dire, -qu'elle ne convient pas à l'esprit humain. Si cette règle était -toujours observée, si l'homme ne laissait aucune passion altérer le -charme paisible de ses affections domestiques, la Grèce n'eût pas -été réduite en esclavage; César n'eût pas immolé son pays; -l'Amérique n'eût pas été découverte; et les empires du Mexique et -du Pérou n'auraient pas été détruits.</p> - -<p>Mais que fais-je? Je moralise au moment le plus intéressant de mon -histoire, tandis que je lis dans vos regards l'invitation de continuer.</p> - -<p>Mon père ne me faisait aucun reproche dans ses lettres, seulement mon -silence l'engagea à s'informer de mes occupations, plus -particulièrement qu'il ne l'avait fait jusque-là. L'hiver, le -printemps et l'été s'écoulèrent pendant mes travaux, sans que je -fisse attention à l'apparition successive des fleurs ou des feuilles, -qui autrefois me faisait toujours éprouver le plus doux plaisir, tant -j'étais plongé dans mon entreprise. Les vacances de cette année -s'écoulèrent avant que mon ouvrage ne fut près d'être achevé. Je -voyais alors, chaque jour, plus clairement combien j'avais réussi; mais -mon enthousiasme était réprimé par mon inquiétude; et j'avais -plutôt l'air d'un homme condamné à travailler aux mines, ou à tout -autre objet malsain, que d'un artiste au milieu de ses occupations -favorites. Toutes les nuits j'étais tourmenté d'une fièvre lente: je -reconnus enfin que mon système nerveux était fortement attaqué. J'en -éprouvai un grand chagrin, parce que j'avais jusqu'alors joui de la -meilleure santé, et que je m'étais toujours vanté de la force de mes -nerfs. Mais je croyais que l'exercice et l'amusement dissiperaient -bientôt de pareils symptômes, et je me promettais de m'y livrer, dès -que ma création serait terminée.</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_IV">CHAPITRE IV</a></h4> - - -<p>Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je vis -l'accomplissement de mes travaux. Dans une inquiétude voisine de -l'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donner -la vie, pour introduire une étincelle d'existence dans cette matière -inanimée qui était à mes pieds. L'airain avait déjà sonné la -première heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflement -horrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s'éteindre, -lorsqu'à cette lueur vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune et -stupide de la créature: elle respira avec force, et ses membres furent -agités d'un mouvement convulsif.</p> - -<p>Comment décrire ce que j'éprouvai à cette vue, ou comment peindre le -malheureux dont la formation m'avait coûté tant d'efforts, de peines, -et de soins? Ses membres étaient d'une juste proportion, et les traits -que je lui avais donnés n'étaient pas moins beaux. Beaux!... grand -Dieu! sa peau jaune couvrait à peine le système des muscles et des -artères: sa chevelure flottante était d'un noir brillant; ses dents -étaient blanches comme des perles; mais ces avantages ne formaient -qu'un contraste plus horrible avec des yeux insipides, qui paraissaient -presque de la même couleur que leurs blanches et sombres orbites; une -peau ridée, et des lèvres noires et serrées l'une contre l'autre. Les -différents événements de la vie ne sont pas aussi variables que les -sensations du cœur humain. Je n'avais pas cessé de travailler pendant -près de deux ans, dans le seul but de donner l'être à un corps -inanimé. Dans cette vue, j'avais négligé mon repos et ma santé: -j'avais désiré atteindre ce but avec une ardeur immodérée; et, -maintenant que j'y étais parvenu, la beauté du rêve s'évanouit; mon -cœur se remplit d'une horreur et d'un dégoût affreux. N'ayant pas la -force de soutenir la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de mon -laboratoire, et me promenai long-temps en parcourant ma chambre, en tous -sens, et sans songer au sommeil. Enfin, la fatigue succéda à mon -agitation, et je me jetai sur mon lit pour chercher, pendant quelques -moments, l'oubli de ma situation. Ce fut en vain: je dormis pourtant; -mais je fus troublé par les rêves les plus effrayants. Je crus voir -Élisabeth, brillante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt. -Charmé et surpris, je l'embrassai; en imprimant mon premier baiser sur -ses lèvres, je les vis devenir livides comme la mort; je vis ses traits -changer, et je crus tenir entre mes bras le cadavre de ma mère. Elle -était couverte d'un linceul, dans les plis duquel je voyais ramper les -vers du tombeau. Je m'éveillai saisi d'horreur; une sueur froide -couvrait mon front; mes dents claquaient les unes contre les autres; et -tous mes membres étaient en convulsion, lorsqu'à la clarté faible et -jaunâtre de la lune qui donnait sur les croisées, je distinguai le -malheureux..., le misérable monstre que j'avais créé. Il tenait les -rideaux du lit; et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient -fixés sur moi. Sa bouche s'ouvrit, et il fit entendre quelques sons -inarticulés, en faisant des grimaces affreuses. Peut-être avait-il -parlé; mais je n'entendis pas; il étendit une main, sans doute pour me -retenir, mais j'échappai, et descendis précipitamment les escaliers. -Je me réfugiai dans la cour de la maison, où je passai le reste de la -nuit à me promener en long et en large dans la plus grande agitation, -prêtant attentivement et avec crainte l'oreille au moindre bruit, comme -s'il m'annonçait l'approche du démon à qui j'avais si malheureusement -donné la vie.</p> - -<p>Ah! quel mortel pourrait soutenir l'horreur de cette situation! Une -momie à qui on rendrait l'âme, ne serait pas aussi hideuse que ce -monstre. Je l'avais observé lorsqu'il n'était pas encore achevé: il -était laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purent -se mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n'aurait pu -l'imaginer.</p> - -<p>Je passai la nuit dans des transes cruelles. Tantôt mon pouls battait -si vite et avec tant de violence, que je sentais la palpitation de tous -les artères; tantôt je succombais presque de langueur et de faiblesse. -Saisi d'horreur, je compris avec amertume combien je m'étais abusé: -les rêves, dont je m'étais bercé si long-temps et avec tant de -plaisir, étaient maintenant devenus un tourment pour moi. Comment -n'aurais-je pas éprouvé ce tourment? Mon changement fut si rapide; mes -espérances furent si cruellement déçues en tous points!</p> - -<p>Le jour commença enfin à paraître; le temps était sombre et -pluvieux. Cependant, mes yeux découvrirent l'église d'Ingolstadt, ses -blancs clochers, et l'horloge qui marquait six heures. Le gardien ouvrit -les portes de la cour qui avait été mon asile pendant la nuit: je -sortis dans les rues; je me mis à les parcourir avec précipitation -comme si je cherchais à éviter le misérable, et en tremblant de le -rencontrer à chaque détour de rue. Je n'osais retourner à -l'appartement que j'habitais; et je me sentais entraîné avec une -vitesse prodigieuse, quoique trempé par la pluie qui tombait à verse -d'un ciel noir et couvert.</p> - -<p>Je continuai pendant quelque temps à marcher ainsi, essayant, par -l'exercice du corps, de me soulager du poids qui accablait mon esprit. -Je traversais les rues sans savoir où j'étais, ni ce que je faisais. -Mon cœur palpitait de frayeur, et et je marchais à pas irréguliers, -sans oser regarder autour de moi:</p> - - -<blockquote> -<p>Semblable à celui qui, en se promenant sur une route solitaire, est -saisi de crainte et d'horreur, et qui, après s'être une seule fois -retourné, presse le pas et n'ose plus détourner la tête; il craint -qu'un ennemi effrayant ne marche derrière lui<a name="FNanchor_2_1" id="FNanchor_2_1"></a><a href="#Footnote_2_1" class="fnanchor">[2]</a>.</p></blockquote> - - -<p>En continuant ainsi, j'arrivai enfin devant une auberge où descendaient -ordinairement les voitures et les diligences. Je m'y arrêtai -machinalement, et je restai pendant quelques minutes les yeux fixés sur -une voiture qui arrivait par l'autre bout de la rue, et qui, en -s'approchant, me parut être la diligence Suisse: elle s'arrêta à -l'endroit même où j'étais; et, dès que la portière fut ouverte, je -vis Henri Clerval, qui, en m'apercevant, s'élança dans mes bras. «Mon -cher Frankenstein, s'écria-t-il, que je suis content de te voir! que je -suis heureux de te rencontrer ici au moment même de mon arrivée»!</p> - -<p>Rien ne put égaler le plaisir que j'éprouvai à la vue de Clerval; sa -présence reportait toutes mes pensées vers mon père, Élisabeth, et -toutes ces scènes domestiques dont le souvenir m'était si doux. Je -tenais sa main; et, dans un moment, j'oubliai mes tourments et mon -malheur; j'éprouvai tout à coup, et pour la première fois depuis -plusieurs mois, une joie calme et sereine. J'accueillis mon ami de la -manière la plus cordiale; et nous nous dirigeâmes vers mon collège. -Clerval me parla pendant quelque temps de nos amis communs, et me dit -combien il se félicitait d'avoir obtenu de venir à Ingolstadt. «Tu -peux facilement, me dit-il, t'imaginer les efforts que j'ai dû -employer, pour persuader à mon père qu'il n'était pas nécessaire à -un négociant de ne connaître absolument que la tenue des livres; -vraiment je ne me flatte pas d'avoir ébranlé son incrédulité; car sa -réponse, constante à mes sollicitations, était toujours celle du -maître d'école Hollandais dans le ministre de Wakefield: (j'ai 10,000 -florins de rentes sans savoir le Grec, et cela ne m'empêche pas d'en -jouir de bon cœur). Mais son affection pour moi a triomphé enfin de -son mépris pour l'instruction; et il m'a permis d'entreprendre un -voyage de découverte dans le pays de la science».</p> - -<p>—«J'ai le plus grand plaisir à te voir, mais je n'en aurais pas moins -à apprendre de toi comment se portent mon père, mes frères et -Élisabeth».</p> - -<p>—«À mon départ, ils étaient en bonne santé, et très-heureux, mais -un peu fâchés de ne recevoir que si rarement de tes nouvelles. Cela me -fait penser que j'ai à t'adresser des reproches de leur part. Mais, mon -cher Frankenstein, continua-t-il, en s'arrêtant court, et en me -regardant en face, je n'avais pas encore remarqué ta mauvaise mine, si -maigre et si pâle; tu as l'air d'avoir veillé pendant plusieurs -nuits.»</p> - -<p>—«Tu as deviné juste; j'ai été dernièrement si plongé dans un -travail, que je ne me suis pas donné assez de repos, comme tu vois. -Mais j'espère bien sincèrement que je suis maintenant au terme de -toutes ces occupations, et que j'en suis enfin délivré».</p> - -<p>Je tremblais excessivement; je ne pouvais songer aux événements de la -nuit précédente, ni à tout ce qui y faisait allusion. Je marchais -d'un pas rapide, et nous arrivâmes bientôt à mon collège. Je -réfléchis alors, et je frissonnai à l'idée que la créature que -j'avais laissée dans mon appartement, pourrait y être encore, vivre et -se promener. Je tremblais de voir ce monstre; mais je craignais encore -plus qu'Henri ne le vit. Je le priai donc de rester quelques minutes au -bas de l'escalier, et je montai dans ma chambre. J'allais ouvrir la -porte, et je ne m'étais pas encore recueilli. Je m'arrêtai alors, en -frissonnant. Je poussai la porte avec force, à la manière des enfants -qui s'imaginent trouver un spectre qui les attend dans l'autre -extrémité: mais rien ne parut. Je marchais avec crainte: l'appartement -était vide, et ma chambre était aussi délivrée de son hôte hideux. -J'avais peine à croire à mon bonheur; certain enfin de l'absence de -mon ennemi, je frappai mes mains de joie, et je courus vers Clerval.</p> - -<p>Nous montâmes dans ma chambre, où le domestique nous apporta aussitôt -à déjeuner; mais je ne pouvais me contenir. Je n'étais pas seulement -troublé par la joie; je me sentais agité aussi par un excès de -sensibilité, et par les battements rapides de mon pouls. Je ne pouvais -rester un seul instant à la même place; je sautais sur les chaises, je -frappais des mains, et je riais aux éclats. Clerval attribua d'abord -l'état extraordinaire dans lequel il me voyait au plaisir que me -causait son arrivée; mais en m'observant avec plus d'attention, il vit -dans mes yeux un égarement dont il ne put se rendre compte; et il fut -aussi effrayé qu'étonné de mes éclats de rire immodérés, dont -aucun ne venait du cœur.</p> - -<p>—«Mon cher Victor, s'écria-t-il, pour l'amour de Dieu, dis-moi ce que -tu as? Ne ris pas de cette manière. Comme tu es mal! Quelle est la -cause de tout ce que je vois?</p> - -<p>—»Ne me le demande pas, lui dis-je, en me mettant les mains sur les -yeux, car je crus voir le monstre horrible se glisser dans la chambre; -il peut dire.—ah! sauve moi! sauve moi»! Je m'imaginais que le monstre -me saisissait; je me débattais avec fureur, et je cédai à un violent -accès.</p> - -<p>Pauvre Clerval, qu'a-t-il dû éprouver? En quelle amertume se changeait -la joie qu'il s'était promise à nous revoir! Mais je n'étais pas le -témoin de sa douleur; car j'étais sans vie, et je ne recouvrai les -sens que long-temps, long-temps après.</p> - -<p>Tel fut le commencement d'une fièvre nerveuse, qui me retint plusieurs -mois. Pendant tout ce temps, Henri seul me soigna. J'appris par la suite -qu'il avait caché à Élisabeth et à mon père l'excès de mon -égarement, pour épargner des chagrins à l'un, qui, dans un âge -avancé, ne pourrait entreprendre un aussi long voyage, et à l'autre, -qui ne pourrait supporter l'idée de ma maladie. Il savait que je ne -pourrais avoir de soins meilleurs et plus assidus que les siens, et -ferme dans l'espérance que je recouvrerais la santé, il ne douta pas -que loin de mal agir, il ne fit une très-bonne action vis-à-vis de mes -parents.</p> - -<p>J'étais réellement très-malade, et rien n'était plus propre à me -rendre à la vie que les attentions excessives et continuelles de mon -ami. Le monstre, à qui j'avais donné l'existence, était toujours -devant mes yeux; il était sans cesse l'objet de mes discours dans mon -délire. Sans doute Henry fut surpris de mes paroles: il les prit -d'abord pour les égarements de mon imagination troublée; mais la -ténacité qui me portait à revenir continuellement sur le même sujet, -lui donna lieu de penser que ma maladie avait réellement pour cause -quelqu'événement extraordinaire et terrible.</p> - -<p>Je me rétablis lentement, et après des rechutes fréquentes, qui -alarmèrent et affligèrent mon ami. Je me souviens que la première -fois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir les -objets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, et -que de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient ma -fenêtre. C'était un printemps délicieux, et la saison eut une grande -influence dans ma convalescence. Je sentis aussi renaître dans mon -cœur des sentiments de joie et d'affection. Mon chagrin s'était -dissipé, et bientôt je devins aussi gai qu'avant que je fusse en proie -à ma funeste passion.</p> - -<p>«Cher Clerval, m'écriai-je, que tu es aimable, que tu es bon pour moi! -Au lieu d'employer tout cet hiver à l'étude, ainsi que tu te l'étais -promis, tu l'as passé dans la chambre d'un malade. Comment pourrais-je -jamais reconnaître ce service? J'éprouve le plus grand remords de -t'avoir détourné de tes projets; mais tu pardonneras à ton ami.</p> - -<p>—»J'en serai suffisamment dédommagé si tu ne te troubles pas; si tu -te rétablis aussi promptement qu'il est possible. À présent que ton -esprit me paraît tranquille, je te puis parler sur un sujet;... ne le -puis-je»?</p> - -<p>Je tremblai. Quel pouvait être ce sujet? ferait-il allusion à un objet -auquel je n'osais même penser?</p> - -<p>«Calme-toi, dit Clerval, qui me vit changer de couleur, je ne t'en -parlerai pas si cela t'agite; mais ton père et ta cousine seraient bien -heureux de recevoir une lettre écrite de ta main. Ils ne savent pas -combien tu as été malade, et sont inquiets de ton long silence.</p> - -<p>«N'est-ce que cela, mon cher Henry? Comment as-tu pu supposer que ma -première pensée ne se porterait pas vers ces amis si chers, que -j'aime, et qui méritent tant que je les aime»?</p> - -<p>«Si telles sont maintenant tes dispositions, tu seras peut-être bien -aise, mon ami, de voir une lettre qui est arrivée ici pour toi depuis -plusieurs jours: elle est, je crois, de ta cousine».</p> - -<div class="footnote"> - -<p><a name="Footnote_2_1" id="Footnote_2_1"></a><a href="#FNanchor_2_1"><span class="label">[2]</span></a>Coleridge's «Ancient Mariner».</p></div> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_V">CHAPITRE V</a></h4> - - -<p>Clerval me remit la lettre suivante:</p> - - -<h5>À V. FRANKENSTEIN.</h5> - - -<p style="margin-left: 20%;">«Mon cher Cousin,</p> - -<p>»Je ne puis vous peindre l'inquiétude que nous avons tous éprouvée -au sujet de voire santé. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que -votre ami Clerval nous cache la gravité de votre maladie: car voici -plusieurs mois que nous n'avons vu de votre écriture, puisque vous avez -été obligé, pendant tout ce temps-là, de dicter vos lettres à -Henry. Il faut, Victor, que vous ayez été bien malade. Nous en sommes -presqu'aussi malheureux, que nous l'étions après la mort de votre -excellente mère. Mon oncle s'était persuadé que vous étiez -très-dangereusement malade: nous l'avons empêché, mais non sans -peine, d'entreprendre le voyage d'Ingolstadt. Clerval écrit toujours -que vous allez mieux; j'espère vivement que vous nous confirmerez -bientôt cette nouvelle par une lettre écrite de votre propre main; -car, vraiment, Victor, nous sommes tous très-affligés de votre état. -Qu'un mot de vous nous ôte toute crainte, et nous serons les êtres du -monde les plus heureux. Votre père jouit maintenant d'une si bonne -santé, que, depuis l'hiver dernier, il parait avoir dix ans de moins. -Ernest a tellement grandi, que vous auriez de la peine à le -reconnaître; il a maintenant près de seize ans, et ne paraît plus -maladif, comme nous l'avons vu il y a quelques années: c'est un garçon -tout-à-fait fort et animé.</p> - -<p>»Hier au soir, j'ai eu une longue conversation avec mon oncle sur le -parti qu'embrasserait Ernest. Dans un état continuel de maladie, -pendant son enfance, il n'a pu prendre l'habitude du travail; et à -présent qu'il jouit d'une bonne santé, il est sans cesse à courir au -grand air, à gravir les montagnes, on à voguer sur le lac. J'ai -proposé d'en faire un cultivateur; vous savez, mon cousin, qu'aucun -état ne me paraît préférable. Un cultivateur mène la vie du monde -la plus paisible et la plus heureuse, et se livre en même temps à un -travail, dont les chances sont peu à craindre et les bénéfices -presque certains. Mon oncle aurait voulu qu'il fit les études -nécessaires pour être avocat, afin que par la suite il pût devenir -juge. Mais, outre qu'il n'est nullement propre à une semblable -profession, il est certainement plus honorable à lui de cultiver la -terre pour la subsistance de l'homme, que d'être le confident, ou -quelquefois le complice de ses crimes; car un homme de loi ne fait pas -autre chose. Je disais que si les occupations d'un bon cultivateur -n'étaient pas plus honorables, elles étaient du moins d'un genre plus -agréable que celles d'un juge, qui avait le malheur de n'être jamais -témoin que des crimes de l'homme. Mon oncle sourit en me disant que je -devrais être avocat moi-même: cela mit fin à notre conversation.</p> - -<p>»Je veux maintenant vous raconter une petite histoire qui vous plaira -et vous intéressera peut-être. Vous souvenez-vous de Justine -Moritz?—Non, sans doute.—Eh bien! je vous raconterai son histoire en -peu de mots. Madame Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants, -dont Justine était le troisième. Cette jeune fille avait toujours -été l'objet des prédilections du père; mais, par une étrange -perversité, la mère ne pouvait la souffrir, et, après la mort de M. -Moritz, elle la traita fort mal. Ma tante le remarqua, et pria la mère -de Justine, qui était alors âgée de douze ans, de la laisser avec -nous. Les institutions républicaines de notre pays ont donné lieu à -des habitudes plus simples et plus heureuses, que celles qui dominent -dans les grandes monarchies qui l'entourent. Il en résulte moins de -distinction entre les différentes classes des habitants; il en résulte -aussi que les dernières, qui sont moins pauvres et moins méprisées, -conservent des habitudes plus pures et plus honnêtes. Un domestique à -Genève ne sent pas de même que ceux de France et d'Angleterre. -Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les devoirs d'une -servante: condition qui, dans notre heureux pays, ne renferme pas -l'idée d'ignorance, et n'entraîne pas le sacrifice de la dignité d'un -être humain.</p> - -<p>»À présent, j'ose dire que vous vous rappelez à merveille -l'héroïne de ma petite histoire: car vous aimiez beaucoup Justine. Je -me souviens même que vous remarquiez autrefois, qu'un regard de Justine -suffisait pour calmer votre mauvaise humeur, ainsi que l'Arioste parle -de la beauté d'Angélique, tant elle avait un air candide et heureux. -Ma tante connut beaucoup d'attachement pour elle, ce qui l'engagea à -lui donner une éducation supérieure à celle qu'elle avait d'abord -espérée. Ce bienfait fut bien placé; Justine était la petite -créature du monde la plus reconnaissante: je ne veux pas dire qu'elle -en fît profession; je ne l'ai jamais entendu l'exprimer par des -paroles; mais ses yeux eussent fait croire qu'elle adorait presque sa -protectrice. Quoique son caractère fût fort gai et souvent léger, -elle faisait pourtant la plus grande attention au moindre geste de ma -tante. Elle la regardait comme le modèle le plus parfait, et elle -tachait d'imiter sa façon de parler et ses manières, au point que, -même à présent, elle me la rappelle souvent.</p> - -<p>»À la mort de ma chère tante, chacun était trop occupé de sa propre -douleur pour faire attention à la pauvre Justine, qui l'avait soignée -pendant sa maladie avec la plus vive affection. La pauvre Justine fut -très-malade; mais elle était réservée à d'autres épreuves.</p> - -<p>»Ses frères et sa sœur moururent l'un après l'autre, et sa mère -resta sans autre enfant que la fille qu'elle négligeait. Cette femme, -troublée par le cri de sa conscience, commença à croire que la mort -de ses enfants préférés était un jugement du ciel, qui la punissait -de sa partialité. Elle était Catholique Romaine, et je crois qu'elle -fut confirmée dans l'opinion où elle était, par son confesseur. -Aussi, peu de mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine fut -rappelée par sa mère repentante. Pauvre fille! elle pleura en quittant -notre maison: elle était bien changée depuis la mort de ma tante; le -chagrin avait mêlé à son humeur, autrefois si vive, une douceur et -une langueur attrayantes. Son séjour dans la maison maternelle n'était -pas de nature à lui rendre la gaîté. La pauvre femme était -très-chancelante dans son repentir. Quelquefois elle priait Justine de -lui pardonner sa dureté; mais bien plus souvent elle l'accusait d'avoir -causé la mort de ses frères et de sa sœur. Madame Moritz, dont le -caractère irascible ne fut d'abord qu'irrité par un état d'aigreur -continuelle, repose maintenant en paix. Elle mourut aux premières -approches du froid, au commencement de l'hiver dernier. Justine est -revenue avec nous, et je vous assure que je l'aime tendrement. Elle est -très-adroite, très-douce, et extrêmement jolie. Comme je vous l'ai -déjà dit, ses manières et ses expressions me rappellent -continuellement ma chère tante.</p> - -<p>»Il faut aussi, mon cher cousin, que je vous parle un peu du gentil -petit Guillaume: il est très-grand pour son âge; je voudrais que vous -le vissiez, avec ses yeux bleus, doux et vifs, ses cils noirs et ses -cheveux bouclés. Lorsqu'il sourit, on voit sur ses joues deux petites -fossettes qui sont fraîches comme la rose. Il a déjà eu une ou deux -petites <i>femmes</i>; mais Louisa Biron est sa favorite: c'est une jolie -petite fille de cinq ans.</p> - -<p>»Je pense, mon cher Victor, que vous serez bien aise que je vous parle -un peu des bons habitants de Genève. La jolie mademoiselle Mansfield a -déjà reçu les visites de félicitation sur son prochain mariage avec -un jeune Anglais, nommé John Melbourne, écuyer. Sa vilaine sœur, -Manon, a épousé, l'automne dernier, le riche banquier M. Duvillard. -Votre bon camarade d'études, Louis Manoir, a été plusieurs fois -malade depuis que Clerval est parti de Genève; il a déjà recouvré la -santé, et il est sur le point d'épouser une très-aimable et -très-jolie française, madame Tavernier. Elle est veuve et plus âgée -que lui; mais on la trouve très-belle, et elle est aimée de tout le -monde.</p> - -<p>»Moi qui vous écris, je suis en bonne santé, mon cher cousin; mais je -ne puis terminer ma lettre sans vous demander encore avec inquiétude -des nouvelles de la vôtre. Mon cher Victor, si vous n'êtes pas trop -malade, écrivez vous-même, et rendez heureux votre père et nous tous; -ou.... Je n'ai pas la force de penser au malheur; mes pleurs coulent -déjà. Adieu, mon très-cher cousin.</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">»ÉLISABETH LAVENZA».</p> - - -<p style="margin-left: 60%;">Genève, 18 mars 17—</p> - - -<p>«Chère Élisabeth! m'écriai-je, après avoir lu sa lettre, j'écrirai -sur-le-champ, et je mettrai fin à l'inquiétude qui doit la -tourmenter». J'écrivis, et je fus très-fatigué d'avoir écrit; mais -ma convalescence venait de commencer, elle continua régulièrement. -Quinze jours après, je pus quitter la chambre.</p> - -<p>Un de mes premiers devoirs fut de présenter Clerval à plusieurs -professeurs de l'université. En agissant ainsi, je suivis une sorte -d'usage qui m'était pénible, et qui convenait mal aux souffrances dont -mon cœur avait été déchiré. Depuis la nuit fatale qui avait été -témoin de la fin de mes travaux, et du commencement de mes malheurs, -j'avais conçu une violente antipathie contre le nom même de la -philosophie naturelle. Bien plus: dans un état complet de santé, la -vue d'un instrument d'alchimie était capable de renouveler toutes mes -agitations nerveuses. Henry s'en était aperçu, et avait fait -disparaître tous mes appareils. Il avait aussi voulu que je quittasse -mon appartement; car il avait remarqué que j'évitais d'aller dans la -chambre qui m'avait auparavant servi de laboratoire. Mais tous les soins -de Clerval furent perdus au moment où j'allai rendre visite aux -professeurs. M. Waldman me mit à la torture, en louant avec bonté et -chaleur mes progrès étonnants dans les sciences. Il ne tarda pas à -voir que cette conversation me gênait; mais, n'en devinant pas la -véritable cause, il l'attribua à la modestie, et cessa de vanter mes -progrès, pour parler de la science elle-même, avec le désir bien -évident que je me misse à en parler. Que pouvais-je faire? il voulait -me plaire, et il me tourmentait. Je souffrais comme s'il avait placé, -un à un devant moi, ces instrument qui devaient servir dans la suite à -me conduire à une mort lente et cruelle. Je souffrais de ce qu'il -disait, sans oser montrer la peine que j'éprouvais. Clerval, qui était -toujours si prompt à discerner les sensations des autres, détourna la -conversation, en alléguant pour excuse son ignorance complète, et -donna à la conversation un tour plus général. Je remerciai mon ami du -fond de mon cœur, mais je ne parlai pas. Je vis clairement qu'il était -surpris, mais il n'essaya jamais de m'arracher mon secret; et, quoique -je l'aimasse avec un mélange d'affection et de respect qui ne -connaissaient pas de bornes, je ne pouvais cependant me décider à lui -confier l'événement qui était si souvent présent à ma mémoire, -mais dont je craignais d'imprimer trop profondément le souvenir à un -autre.</p> - -<p>M. Krempe ne fut pas aussi docile; et, dans mon état de sensibilité -excessive, ses éloges brusques et grossiers me firent même plus de mal -que la bienveillante approbation de M. Waldman. «Savant collègue! -s'écria-t-il; je vous assure, M. Clerval, qu'il nous a tous surpassés. -Oui; regardez-moi si cela vous plaît, mais ce que je dis n'en est pas -moins vrai. Un jeune homme qui, il y a quelques années, croyait en -Cornélius Agrippa, aussi fermement qu'en l'Évangile, s'est maintenant -mis à la tête de l'université; et s'il n'est bientôt à bas, nous ne -pourrons tenir à côté de lui.—Allons, allons, continua-t-il, en -voyant mon air de souffrance, M. Frankenstein est modeste; c'est une -excellente qualité pour un jeune homme. Les jeunes gens doivent se -défier d'eux-mêmes, vous savez, M. Clerval; j'étais comme lui dans ma -jeunesse; mais cela passe bien vite».</p> - -<p>M. Krempe commença alors un éloge de lui-même, qui détourna la -conversation d'un sujet qui me causait tant de mal.</p> - -<p>Clerval n'aimait nullement la philosophie naturelle. Son imagination -était trop vive pour s'arrêter aux minuties de cette science. Sa -principale étude était celle des langues; son but, en s'y adonnant, -était d'ouvrir un champ à son instruction, lorsqu'il serait de retour -à Genève. Le Persan, l'Arabe et l'Hébreu, furent, après une étude -approfondie du Grec et du Latin, l'objet de son application. Quant à -moi, à qui la paresse avait toujours été odieuse; dans le désir de -fuir les réflexions, et en haine de mes premières études, j'éprouvai -un grand plaisir à être le condisciple de mon ami, et je ne trouvai -pas seulement de l'instruction, mais encore des consolations dans les -ouvrages des auteurs Orientaux. Leur mélancolie est brûlante; et leur -bonheur vous élève à une hauteur que je n'avais jamais connue dans -l'étude des auteurs des autres pays. En lisant leurs écrits, il semble -que la vie s'écoule sous un soleil brûlant et dans un jardin de roses, -entre les sourires et les dédains d'une beauté cruelle, et dans un feu -qui consume le cœur. Combien diffère la poésie forte et héroïque -des Grecs et des Romains!</p> - -<p>L'été se passa ainsi, et mon retour à Genève fut fixé pour la fin -de l'automne; mais, retardé pour plusieurs motifs, je fus surpris par -l'hiver et la neige, qui rendirent les chemins impraticables, et je -remis mon voyage au printemps suivant. Je fus très-affligé de ce -retard; car j'étais impatient de revoir ma ville natale et mes amis. -Mon retour n'avait été différé aussi long-temps, que parce que je ne -voulais pas laisser Clerval dans une ville étrangère, avant qu'il -n'eût fait connaissance avec quelques-uns des habitants. Cependant, -l'hiver se passa très-gaîment; et le printemps, qui fut plus tardif -qu'à l'ordinaire, fut aussi plus beau et plus agréable.</p> - -<p>Nous étions au mois de mai; et j'attendais de jour en jour la lettre -qui devait fixer la date de mon départ, lorsqu'Henry me proposa de -parcourir à pied les environs d'Ingolstadt, pour faire mes adieux au -pays que j'avais si long-temps habité. Je me rendis avec plaisir à -cette proposition; j'aimais l'exercice, et j'avais toujours eu Clerval, -de préférence, à tout autre, pour m'accompagner dans ces sortes de -courses, auxquelles je m'étais accoutumé dans mon pays natal.</p> - -<p>Nous passâmes quinze jours à courir d'un côté et d'un autre. Ma -santé et mon esprit étaient depuis long-temps rétablis, et -s'affermissaient de jour en jour par l'air pur que je respirais, par -l'accroissement naturel de mes forces, et la conversation de mon ami. -L'étude m'avait éloigné auparavant de mes condisciples et m'avait -rendu insociable; mais Clerval excitait les dispositions qu'une nature -meilleure avait mises dans mon cœur. J'aimai de nouveau les beautés de -la nature et l'enjouement des enfants. Excellent ami! avec quelle -sincérité tu m'aimais! Tu cherchais élever mon esprit à la hauteur -du tien. J'étais miné et affaibli par un travail profond; mais ta -douceur et ton affection ont réchauffé et ranimé mes sens. Je -redevins le même qui naguère aimait tout le monde et en était -également aimé, qui n'avait ni soucis ni chagrins. Au temps de mon -bonheur, la nature inanimée avait le pouvoir de me jeter dans les -sensations les plus délicieuses. J'étais en extase à la vue d'un ciel -sans nuages et de la verdure des champs. Il est vrai que la saison dont -je parle était admirable; les fleurs du printemps embellissaient les -jardins, pendant que celles d'été étaient près d'éclore: je -n'étais pas troublé par les pensées qui, l'année précédente, -m'avaient accablé d'un poids insurmontable, malgré mes efforts pour -les éloigner.</p> - -<p>Henry se réjouissait de ma gaîté, et partageait sincèrement mes -sensations: il s'occupait de m'amuser, et il me rendait compte en même -temps des sentiments de son âme. Dans cette occasion, les ressources de -son esprit étaient vraiment étonnantes: sa conversation était pleine -d'imagination; et très-souvent, à l'imitation des écrivains Persans -et Arabes, il inventait des contes dont les idées et les passions -étaient surprenantes. D'autres fois, il récitait mes poèmes favoris, -ou proposait des arguments qu'il soutenait avec beaucoup d'esprit.</p> - -<p>Nous retournâmes à notre collège un dimanche dans l'après-midi: des -paysans dansaient, et toutes les personnes que nous rencontrions, -paraissaient gaies et heureuses. J'étais dans l'enchantement: j'étais -transporté par de vifs sentiments de joie et d'allégresse.»</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_VI">CHAPITRE VI</a></h4> - - -<p>À mon retour, je trouvai la lettre suivante de mon père:</p> - - -<h5>À V. FRANKENSTEIN.</h5> - - -<p style="margin-left: 20%;">«Mon cher Victor,</p> - - -<p>»Tu as sans doute attendu avec impatience une lettre qui fixât -l'époque de ton retour au milieu de nous. J'ai d'abord été tenté de -ne t'écrire que quelques lignes, uniquement pour te dire le jour où -j'espère pouvoir t'embrasser; mais je n'ose pas te rendre un cruel -service. Quelle sera ta surprise, mon fils, au moment où tu attends une -nouvelle heureuse et agréable, de n'en recevoir au contraire que de -tristes et de douloureuses? Et comment, mon cher Victor, pourrai-je te -raconter notre malheur? Pourquoi faut-il que je t'afflige, mon fils, toi -qui es loin de nous, mais qui, dans ton absence, n'es pas devenu -insensible à nos joies et à nos chagrins? Je voudrais te préparer au -malheur que je vais t'apprendre, mais je sens que cela m'est impossible, -même à présent que tes yeux parcourent la page, pour y chercher les -mots qui doivent t'en donner l'horrible certitude.</p> - -<p>»Guillaume n'est plus!... Ce charmant enfant, dont le sourire suffisait -pour réjouir et ranimer mon cœur, qui était si doux et si gai à la -fois! Victor a été assassiné!...</p> - -<p>»Je n'essayerai pas de te consoler; je me bornerai à te raconter les -détails de cet évènement.</p> - -<p>»Jeudi dernier (7 mars), j'allai, accompagné de ma nièce et de tes -deux frères, me promener à Plinpalais. Le temps était chaud, et si -serein que nous prolongeâmes notre promenade plus que de coutume. La -soirée était déjà fort obscure avant que nous eussions pensé à -rentrer; mais en nous disposant au retour, nous ne retrouvâmes plus -Ernest et Guillaume qui avaient été au-devant de nous. Nous restâmes -donc assis à les attendre. Ernest vint bientôt, et nous demanda si -nous avions vu son frère: il nous dit qu'ils étaient à jouer -ensemble; que Guillaume l'avait quitté pour se cacher, qu'il l'avait -inutilement cherché, et attendu ensuite pendant long-temps, mais qu'il -n'était pas venu.</p> - -<p>»Ce récit ne servit qu'à nous alarmer. Nous continuâmes à le -chercher jusqu'à la nuit tombante, quand Élisabeth conjectura qu'il -pouvait être retourné à la maison. Il n'y était pas. Nous revînmes -avec des torches; car je ne pouvais me reposer en songeant que mon fils -s'était perdu, et restait exposé à toutes les humidités et aux -rosées de la nuit: Élisabeth éprouvait aussi une angoisse extrême. -Vers cinq heures du matin, je découvris mon aimable enfant que la nuit -précédente j'avais vu brillant et fort de santé, étendu sur le -gazon, livide, sans mouvement, et portant au col l'empreinte des doigts -du meurtrier.</p> - -<p>»Il fut rapporté à la maison, et la douleur qui était peinte sur mon -visage apprit à Élisabeth notre malheur. Elle voulut à toute force -voir le cadavre. J'essayai d'abord de l'en empêcher; mais elle -persista, entra dans la chambre où il était placé, examina -précipitamment le col de la victime, et s'écria, on frappant des -mains: «Dieu! j'ai assassiné cet enfant que j'aimais»!</p> - -<p>»Elle s'évanouit, et ne reprit ses sens qu'avec beaucoup de peine. -Revenue de son évanouissement, elle ne cessa de pleurer et de gémir. -Elle me dit que le soir même, Guillaume l'avait priée de lui mettre au -col un riche portrait de ta mère, qui lui appartenait. Nul doute que ce -portrait, qui a disparu, n'ait tenté le meurtrier, et ne l'ait porté -au crime. Nous ignorons quelle trace il aura suivie, malgré l'activité -de nos recherches pour le découvrir; mais hélas! rien ne me rendra mon -bien-aimé Guillaume.</p> - -<p>»Viens, mon cher Victor; tu peux seul consoler Élisabeth. Elle pleure -sans cesse, et s'accuse injustement d'être cause de la mort de -Guillaume. Nous sommes tous plongés dans la douleur; ne sera-ce pas un -motif de plus pour toi, mon fils, de revenir et de nous apporter des -consolations? Ta chère mère! hélas, Victor! je puis le dire -maintenant, remercie Dieu de ce qu'elle ne vit pas, pour être témoin -de la mort cruelle et malheureuse de son plus jeune enfant.</p> - -<p>»Viens, Victor; sans nourrir des idées de vengeance contre l'assassin, -mais avec des sentiments de paix et de douceur, qui calmeront les -blessures de nos cœurs, au lieu de les irriter. Entre dans la maison du -deuil, mon ami, l'âme pénétrée de tendresse et d'affection pour ceux -qui t'aiment, et non de haine contre tes ennemis.</p> - -<p>»Ton affectionné et désolé père,</p> - - -<p style="margin-left: 20%;">»ALPHONSE FRANKENSTEIN».</p> - -<p style="margin-left: 60%;">Genève 12 mai 17—</p> - - -<p>Clerval, qui m'avait observé pendant la lecture de cette lettre, fut -surpris de voir le désespoir qui succédait à la joie que j'avais -d'abord éprouvée en recevant des nouvelles de mes amis. Je jetai la -lettre sur la table, et me couvris la figure de mes mains.</p> - -<p>«Mon cher Frankenstein, s'écria Henry, lorsqu'il me vit pleurer avec -amertume, seras-tu toujours malheureux? Mon cher ami, qu'est-il -arrivé»?</p> - -<p>Je lui fis signe de prendre la lettre, pendant que je parcourais la -chambre dans la plus grande agitation; des pleurs coulèrent aussi des -yeux de Clerval, lorsqu'il lut le récit de mon malheur.</p> - -<p>«Mon ami, dit-il, je ne puis t'offrir aucune consolation; cette perte -est irréparable. Que veux-tu faire?</p> - -<p>»—Partir sur-le-champ pour Genève: viens avec moi, Henry, -commander les chevaux».</p> - -<p>Pendant la route, Clerval chercha à relever mon courage. Il n'employait -pas les phrases communes de consolation, mais il partageait franchement -ma douleur. «Pauvre Guillaume, disait-il; il dort maintenant avec son -angélique mère. Ses amis sont dans le deuil et dans l'affliction; et -lui, il est en paix: il ne sent plus les doigts de l'assassin: il ne -connaît pas la douleur; la terre couvre ses jolies formes. Il ne peut -plus être un objet de pitié; ceux qui survivent sont les plus à -plaindre, et ils ne peuvent attendre de consolation que du temps. On -doit mépriser ces maximes des Stoïciens, que la mort n'est pas un mal, -et que l'esprit de l'homme doit être supérieur au désespoir causé -par l'absence éternelle d'un objet aimé. Caton même pleurait sur le -cadavre de son frère».</p> - -<p>Clerval parlait ainsi, pendant que nous traversions les rues avec -rapidité. Ses paroles s'imprégnaient dans mon cœur; et je me les -rappelai ensuite quand je fus seul. En ce moment, dès que les chevaux -furent arrivés, je me jetai dans une chaise, en disant adieu à mon -ami.</p> - -<p>Mon voyage fut triste. Mon premier désir était d'en voir le terme; car -il me tardait d'arriver pour consoler mes amis affligés, et partager -leur douleur; mais, en approchant de ma ville natale, je ralentis ma -marche. J'avais peine à résister à la multitude des sentiments -tumultueux dont j'étais assiégé. Je traversais des lieux chers à mon -enfance, et que je n'avais pas vus depuis près de six ans. Que de -changements depuis cette époque! Un tremblement de terre subit avait -tout désolé; et mille autres petites circonstances pouvaient avoir, -par degrés, amené d'autres altérations, qui, quoique plus lentes, -n'étaient pas moins sensibles. Je fus saisi de crainte: je n'osais pas -avancer; je me croyais exposé à toutes sortes de malheurs imaginaires, -et je tremblais, sans que je pusse les définir.</p> - -<p>Je restai deux jours à Lausanne, dans cet état pénible d'esprit. Je -contemplais le lac: les eaux étaient paisibles, tout était calme -autour de moi, et les montagnes couvertes de neige, <i>ces palais de la -nature</i>, n'étaient pas changés. Le calme et la beauté du ciel me -ranimèrent insensiblement, et je continuai mon voyage vers Genève.</p> - -<p>La route longeait le lac, qui devenait plus étroit à mesure que -j'approchais de ma ville natale. Je découvris plus distinctement les -flancs noirs du Jura, et le sommet brillant du Mont-Blanc; je pleurais -comme un enfant: «montagnes chères à mon cœur! lac majestueux! dans -quel état vous recevez celui qui vous parcourut si souvent? Votre -sommet est brillant; le ciel et le lac sont azurés et tranquilles. -Est-ce un présage de paix, ou bien une insulte à mon malheur»?</p> - -<p>Je crains, mon ami, de vous ennuyer, en appuyant sur ces circonstances -préliminaires; mais je me rappelais alors les jours de mon bonheur, et -je ne puis y penser encore sans plaisir. Ma patrie, ô ma chère patrie! -qui peut mieux qu'un de tes enfants peindre le plaisir que j'éprouvai -à la vue de tes sources, de tes montagnes, et surtout de ton lac -chéri?</p> - -<p>Cependant, plus j'approchais de la maison de mon père, plus j'étais -tourmenté par la crainte et le chagrin. La nuit vint à étendre son -voile sur la nature; et quand je pus distinguer à peine les montagnes -dans l'obscurité, je sentis que ma douleur était plus vive. Je me -représentai une longue et effroyable suite de malheurs, et je prévis -que j'étais destiné à devenir le plus infortuné de tous les hommes; -hélas! j'ai prédit juste; et si je me suis trompé, c'est qu'en -prévoyant et en redoutant tant de malheurs, je n'ai pas conçu la -centième partie de tous ceux dont je devais être accablé.</p> - -<p>Il était tout-à-fait nuit quand j'arrivai dans les environs de -Genève. Les portes de la ville étant déjà fermées, je fus obligé -de passer la nuit à Secheron, village situé à une demi-lieue à l'est -de la ville. Dans une disposition d'esprit qui ne me permettait aucun -repos, je voulus profiter de la sérénité du ciel pour voir l'endroit -où mon pauvre Guillaume avait été assassiné. Je ne pouvais traverser -la ville. Je me déterminai à passer le lac dans un bateau pour arriver -à Plinpalais. Pendant ce court voyage, je vis sur le sommet du -Mont-blanc les éclairs briller d'un éclat surprenant, et l'orage -s'approcher avec rapidité; je touchai le rivage, et je montai sur une -petite colline pour en observer les progrès. Il avançait au milieu -d'un ciel qui se couvrait de nuages. Je sentis bientôt tomber de larges -gouttes de pluie. L'orage éclata tout-à-coup avec violence.</p> - -<p>Je quittai ma place et poursuivis ma route, malgré l'obscurité et -l'orage qui croissaient à chaque minute, et malgré le tonnerre qui -grondait au-dessus de ma tête avec une force effrayante, répété par -les échos de Salève, du Jura, et des Alpes de la Savoie. J'étais -ébloui par les éclairs qui se réfléchissaient dans le lac, et le -rendaient semblable à une vaste nappe de feu; je fus même un moment -dans une obscurité profonde, qui dura jusqu'à ce que l'éblouissement -de mes yeux eût cessé. L'orage, comme il arrive souvent en Suisse, -paraissait venir à la fois de plusieurs parties du ciel. C'était au -nord de la ville qu'il était le plus violent, au-dessus de cette partie -du lac qui est située entre le promontoire de Belrive et le village de -Copêt. Un autre orage montrait le Jura à la lueur se faibles éclairs. -Un troisième obscurcissait et découvrait tour-à-tour le môle, -montagne escarpée à l'est du lac.</p> - -<p>Témoin d'un spectacle si magnifique et si terrible à la fois, je -marchais à pas précipités. Cette guerre majestueuse dans les cieux, -élevait mes esprits; je frappai des mains en m'écriant avec force: -«Guillaume, ange chéri! voici tes funérailles et tes chants -funèbres»! En disant ces paroles, j'aperçus dans l'obscurité un -fantôme qui sortit d'une touffe d'arbres auprès de moi; je fixai mes -yeux sur lui pour le reconnaître: je ne pus m'y méprendre. Un éclair -brilla et le découvrit entièrement à ma vue; sa stature gigantesque -et la difformité de son aspect plus hideux qu'aucune forme humaine, ne -me permirent pas de douter que ce ne fût le malheureux, l'infâme -démon à qui j'avais donné la vie. Que faisait-il là? serait-il -l'assassin de mon frère? (Je frémis à cette pensée). Elle entra -subitement dans mon esprit, et y domina comme si elle était réelle. Je -sentais mes dents s'entrechoquer, et je fus forcé de m'appuyer contre -un arbre. En peu de temps le fantôme fut loin de moi, et disparut dans -l'obscurité. Quel être humain aurait pu donner la mort à ce bel -enfant? Son assassin!... Je venais de le voir, à n'en pas douter. Je ne -pouvais me tromper: j'avais une preuve irrésistible, c'est que j'y -avais pensé. Je voulus poursuivre le démon, mais je ne pouvais -espérer de l'atteindre; car à la lueur d'un nouvel éclair, je le vis -gravir les rochers presque perpendiculaires du mont Salève, montagne -qui borne Plinpalais au sud; il parvint bientôt au sommet, et disparut.</p> - -<p>Je restai sans mouvement. Le tonnerre cessa; mais la pluie continua -encore, et l'horizon fut enveloppé d'une obscurité impénétrable. Je -repassai dans mon esprit les évènements que j'avais jusqu'ici cherché -à oublier: la marche entière de mes progrès vers la création, -l'apparition auprès de mon lit de l'être que j'avais formé et animé, -et enfin son départ. Deux ans s'étaient presqu'écoulés depuis la -nuit où il avait reçu la vie; était-ce son premier crime? Hélas! -j'avais jeté dans le monde un monstre dépravé, qui se plaisait dans -le carnage et la désolation; n'était-il pas l'assassin de mon frère?</p> - -<p>On ne peut se figurer tout ce que je souffris pendant le reste de la -nuit que je passai en plein air, mouillé et transi de froid. Mais je ne -sentais pas les injures du temps; mon imagination était occupée de -scènes de malheur et de désespoir! L'être que j'avais mis sur la -terre, et à qui j'avais donné la volonté et le pouvoir de commettre -des actions atroces, semblables à celle qui m'affligeait, me parut -être mon propre vampire, un fantôme échappé du tombeau, et porté à -détruire tout ce qui m'était cher.</p> - -<p>Dès que le jour parut, je dirigeai mes pas vers la ville, dont les -portes étaient ouvertes; et je courus à la maison de mon père. Ma -première pensée fut de dire ce que je savais du meurtrier, et -d'envoyer sur-le-champ à sa poursuite; mais je m'arrêtai, en -réfléchissant à l'histoire que j'avais à raconter. Je devais parler -d'un être que j'avais formé, et à qui j'avais donné la vie -moi-même; que j'avais vu à minuit, au milieu des précipices d'une -montagne inaccessible. Je me rappelai aussi la fièvre nerveuse dont -j'avais été attaqué au moment même où j'avais animé ma création, -et qui donnerait l'air du délire à une histoire d'ailleurs si peu -probable. En effet, un semblable récit m'eût paru le rêve d'un -insensé. Du reste, la nature singulière de l'être échapperait à -toute poursuite, quand bien même ma famille céderait âmes instances, -et se résoudrait à l'entreprendre. D'ailleurs, de quel avantage serait -une poursuite? Qui pourrait arrêter un être capable d'escalader les -flancs perpendiculaires du mont Salève? Ces réflexions fixèrent mes -idées, et me portèrent à garder le silence.</p> - -<p>Il était environ cinq heures du matin, quand j'entrai dans la maison de -mon père. Je dis aux domestiques de ne pas réveiller la famille, et -j'allai dans la bibliothèque, où j'attendis l'heure à laquelle ils -avaient coutume de se lever.</p> - -<p>Six ans s'étaient écoulés comme un songe, mais comme un songe qui -avait laissé une trace ineffaçable; et j'étais à la même place où -j'avais embrassé mon père pour la dernière fois, avant de partir pour -Ingolstadt. Ce père chéri et respectable me restait encore! Je fixai -les yeux sur un tableau qui m'offrait la figure de ma mère, et dans -lequel mon père avait voulu retracer un trait de sa vie: c'était -Caroline Beaufort dans les transports du désespoir, à genoux auprès -du cadavre de son père. Ses vêtements étaient grossiers et ses joues -pâles; mais il y avait un air de dignité et de beauté, qui laissait -à peine accès au sentiment de la pitié. Au bas de ce tableau était -une miniature de Guillaume, dont la vue m'arracha des pleurs. Ernest -entra dans le moment: il m'avait entendu arriver, et s'était hâté de -venir me joindre. Il témoigna en me voyant un plaisir mêlé de -chagrin:—«Sois le bien venu, mon cher Victor, dit-il; ah! j'aurais -voulu que tu fusses arrivé il y a trois mois; tu nous aurais trouvés -tous gais et contents. Mais nous sommes maintenant malheureux; et je -crains que tu n'aies un accueil plus mêlé de deuil que de joie. Notre -père a un air si triste! cet évènement affreux semble avoir -renouvelé dans son cœur le chagrin qu'il éprouva à la mort de maman. -La pauvre Élisabeth aussi est tout-à-fait inconsolable». En parlant -ainsi, Ernest fondait en larmes.</p> - -<p>—«Ne m'accueille pas de la sorte, lui dis-je; calme-toi, mon ami; que -je ne sois pas tout-à-fait malheureux, au moment où je rentre dans la -maison de mon père après une si longue absence. Mais, dis-moi, comment -mon père supporte-t-il ses malheurs? Et la pauvre Élisabeth, comment -est-elle»?</p> - -<p>—«Elle a bien besoin de consolation; elle s'est accusée d'avoir été -la cause de la mort de mon frère, et elle en a été bien malheureuse! -Mais depuis que l'assassin a été découvert...»</p> - -<p>—«L'assassin découvert! bon Dieu! comment cela se peut-il? Qui -pourrait essayer de le poursuivre? c'est impossible; il serait aussi -facile d'arrêter les vents, ou de renfermer un torrent dans une -paille».</p> - -<p>—«Je ne sais ce que tu veux dire; mais nous avons tous eu une grande -peine lorsqu'elle fut découverte. Personne ne l'aurait cru; et même -Élisabeth en doute encore, malgré l'évidence la plus complète. En -effet, qui aurait pu penser que Justine Moritz, qui était si aimable et -qui avait tant d'attachement pour notre famille, ait pu tout à coup -devenir si méchante»?</p> - -<p>—«Justine Moritz! pauvre fille, est-ce elle qui est accusée? mais -c'est bien à tort; tout le monde le sait; personne ne le pense; j'en -suis certain, Ernest»?</p> - -<p>—«Personne ne le croyait d'abord; mais plusieurs circonstances nous -ont convaincus depuis presque malgré nous: sa conduite a été si -louche, que je crains bien qu'il soit impossible de mettre en doute -l'évidence des faits. Au reste elle doit être jugée aujourd'hui: tu -connaîtras tout».</p> - -<p>Il me raconta que, le jour où l'on avait découvert le meurtre de -Guillaume, Justine était tombée malade et s'était mise au lit; que -peu de jours après, un domestique examinant par hasard la robe qu'elle -avait portée la nuit de l'assassinat, avait trouvé dans sa poche le -portrait de ma mère, par lequel on présumait que le meurtrier avait -été séduit. Le domestique le montra aussitôt à un autre, qui, sans -en dire un mot à qui que ce fût de la famille, alla trouver le -magistrat. C'est sur leur déposition que Justine a été arrêtée. -Accusée de ce crime, la pauvre fille confirma le soupçon par un -extrême embarras.</p> - -<p>Ce concours de circonstances singulières n'ébranla pas ma confiance. -Je répliquai avec force: «Vous êtes tous dans l'erreur; je connais -l'assassin. Justine, la pauvre et bonne Justine est innocente».</p> - -<p>Dans ce moment mon père entra. Je vis sur sa figure les traces -profondes du chagrin; mais il essaya de m'accueillir avec gaîté; -s'entretint avec moi de nos peines, et il voulait détourner la -conversation du triste objet dont nous étions occupés, lorsqu'Ernest -s'écria: «Bon Dieu, papa! Victor dit qu'il sait quel est l'assassin du -pauvre Guillaume».</p> - -<p>«—Nous le savons aussi, répondit mon père, et c'est un malheur; car, -vraiment, j'aurais mieux aimé ne le jamais connaître, que de voir tant -de dépravation et d'ingratitude, dans une personne qui me devait -tout».</p> - -<p>«—Mon cher père, vous êtes dans l'erreur, Justine est innocente».</p> - -<p>«—Si elle l'est, Dieu a voulu qu'elle souffrît autant que si elle -était coupable. Elle doit être jugée aujourd'hui; mais j'aime à -croire qu'elle sera acquittée».</p> - -<p>Ces paroles me calmèrent. J'étais intimement persuadé que Justine -était innocente de ce meurtre, aussi bien que tout autre être humain. -Je ne craignais donc pas que l'évidence fût assez forte pour qu'elle -fut convaincue du meurtre. Dans cette persuasion, je devins plus calme, -et j'attendis avec impatience le jugement, mais sans prévoir un -résultat fâcheux.</p> - -<p>Nous fûmes bientôt rejoints par Élisabeth. Le temps l'avait bien -changée depuis que je l'avais vue. Six ans auparavant, c'était une -jeune fille, jolie et vive, que tout le monde aimait et caressait; -c'était maintenant une femme d'une taille et d'une physionomie fort -remarquables. Son front grand et ouvert, décelait une merveilleuse -intelligence jointe à une rare franchise de caractère. Ses yeux bruns -exprimaient une douceur, mêlée à une tristesse qui avait pour motif -son affliction récente. Ses cheveux étaient beaux, et noirs comme -l'ébène; son teint superbe, et sa figure vive et gracieuse. Elle -m'accueillit avec la plus grande affection. «Votre arrivée, mon cher -cousin, me remplit d'espérance, dit-elle. Vous trouverez peut-être le -moyen de mettre au jour l'innocence de ma pauvre Justine. Hélas! qui -sera en sûreté, si elle est convaincue du crime? Je me repose sur son -innocence avec autant de confiance que sur la mienne. Notre malheur est -doublement affreux: nous n'avons pas seulement perdu notre aimable -Guillaume; mais cette pauvre fille, que j'aime sincèrement, va nous -être enlevée par une destinée encore plus cruelle. Si elle est -condamnée, il n'y aura plus pour moi de bonheur; et, si elle est -acquittée, comme je l'espère, je pourrai encore être heureuse, même -après la mort affreuse de mon petit Guillaume».</p> - -<p>—«Elle est innocente, ma chère Élisabeth répondis-je, et son -innocence sera prouvée; ne crains rien, et rassure ton esprit par la -certitude qu'elle sera acquittée».</p> - -<p>—«Que vous êtes bon! on croit généralement qu'elle est coupable, et -cette opinion cause mon tourment; car je sais qu'elle ne peut pas -l'être. Mais, en voyant tout, le monde avoir contr'elle d'aussi -fâcheuses préventions, je me suis abandonnée au désespoir». Elle -versa des larmes.</p> - -<p>«Ma chère nièce, dit mon père, essuie tes pleurs. Si Justine est -innocente comme tu le crois, mets confiance dans l'équité de nos -juges, et dans le soin avec lequel je préviendrai toute ombre de -partialité».</p> - - - - -<hr class="r5" /> - - -<h4><a id="CHAPITRE_VII">CHAPITRE VII</a></h4> - - -<p>Le procès devait commencer à onze heures: nous restâmes jusqu'à ce -moment dans la tristesse. J'accompagnai à la cour mon père et le reste -de la famille, qui étaient obligés de paraître comme témoins. -Pendant tout le temps de ce misérable simulacre de justice, je souffris -le plus cruel tourment. On allait décider, si le résultat de ma -curiosité et de mes inventions illégitimes, causerait la mort de deux -de mes semblables: l'un était un enfant charmant rempli d'innocence et -de gaîté; l'autre était destiné à une fin bien plus terrible, à -l'infamie et à l'horreur qui s'attachent à la mémoire du meurtrier. -Justine était aussi une fille de mérite, et possédait des qualités -qui promettaient de rendre sa vie heureuse. Ces dons, cet espoir, tout -allait être enseveli dans une tombe ignominieuse, et c'est moi qui en -étais la cause! Mille fois plutôt je me serais avoué coupable du -crime attribué à Justine; mais, absent au moment où il fut commis, -j'aurais été pris, en faisant une semblable déclaration, pour un -insensé qui s'égare, et je n'aurais pas disculpé celle dont je -faisais le malheur.</p> - -<p>Justine avait l'air calme; elle était vêtue de deuil; et sa figure, -toujours prévenante, paraissait d'une rare beauté, à laquelle -ajoutait la solennité des sensations qui l'occupaient. Cependant, elle -semblait se confier en son innocence, et ne pas trembler, quoiqu'elle -fût observée et maudite par plus de mille personnes; car l'impression -qu'avait pu produire sa beauté, s'effaçait de l'esprit des -spectateurs, lorsqu'on pensait à l'énormité du crime dont elle était -accusée. Elle était tranquille; mais sa tranquillité avait quelque -chose de forcé; elle était instruite que son trouble avait été pris -pour une preuve de son crime, et elle appliquait son esprit à paraître -ferme. En entrant dans la salle, elle la parcourut des yeux, et -découvrit bientôt la place que nous occupions. Une larme sembla -mouiller sa paupière lorsqu'elle nous aperçut; mais elle se remit -promptement: et un regard mêlé de tristesse et d'amitié, parut -attester son entière innocence.</p> - -<p>Le jugement commença; un avocat établit les charges, et plusieurs -témoins furent appelés. On réunit contre elle plusieurs faits -étrangers, qui furent attestés par des personnes qui n'avaient pas, -comme moi, des preuves de son innocence. Elle était restée dehors -pendant toute la nuit où le meurtre avait été commis; et, vers le -matin, elle avait été vue par une femme du marché, près de l'endroit -où l'on avait trouvé ensuite le corps de l'enfant. Cette femme lui -avait demandé ce qu'elle faisait là; mais elle avait les yeux -égarés, et ne fit qu'une réponse obscure et inintelligible. Elle -était revenue à la maison vers huit heures; et, pressée de répondre -où elle avait passé la nuit, elle déclara qu'elle avait cherché -l'enfant, en s'informant avec empressement si l'on avait découvert -quelque chose. En présence du corps, elle éprouva de violentes -attaques de nerfs, et garda le lit pendant plusieurs jours. On produisit -alors le portrait que le domestique avait trouvé dans sa poche; et, -lorsqu'Élisabeth, d'une voix tremblante, attesta que c'était le même -qu'elle, avait placé autour du col de l'enfant, une heure avant qu'il -ne partit pour la promenade, un murmure d'horreur et d'indignation se -fit entendre dans la salle.</p> - -<p>On invita Justine à se défendre. Son visage s'était altéré à -mesure que le jugement s'avançait: il exprimait fortement la surprise, -l'horreur et la douleur. De temps en temps elle fondait en larmes; mais, -invitée à se défendre, elle rassembla ses forces, et s'énonça d'une -voix haute, quoique tremblante:</p> - -<p>«Dieu connaît, dit-elle, toute mon innocence. Mais je ne prétends pas -devoir mon acquittement à mes protestations. Je prouverai mon innocence -par une exposition claire et simple des faits, qui ont été dirigés -contre moi; et j'espère que le caractère que j'ai toujours montré, -disposera mes juges à interpréter favorablement tout ce qui peut -sembler douteux, et donner lieu à des soupçons contre moi».</p> - -<p>Elle se mit à raconter, qu'avec la permission d'Élisabeth, elle avait -passé la soirée de la nuit, où le crime avait été commis, chez une -de ses tantes qui demeurait, à Chênes, village situé à environ une -lieue de Genève. À son retour, vers les neuf heures, elle rencontra un -homme qui lui demanda, si elle avait vu quelque trace de l'enfant qui -était perdu. Alarmée par ces paroles, elle passa plusieurs heures à -le chercher, laissa pendant ce temps fermer les portes de la ville, et -se vit contrainte de passer une partie de la nuit, dans une grange -dépendante d'une chaumière, parce qu'elle ne voulait pas réveiller -les habitants, dont elle était bien connue. Ne pouvant goûter de repos -ni de sommeil, elle quitta de bonne heure son asile, pour lâcher encore -de trouver mon frère. Si elle était allée vers l'endroit où était -le corps, c'était à son insu. Il n'était pas surprenant qu'elle eût -été toute troublée, en répondant aux questions qui lui étaient -faites par la marchande, puisqu'elle avait passé une nuit sans dormir, -et qu'elle ignorait encore le sort du pauvre Guillaume. Quant au -portrait, elle ne pouvait donner aucune explication.</p> - -<p>«Je sais, continua la malheureuse victime, combien cette seule -circonstance me charge, mais je ne puis y jeter aucune lumière. J'ai -déclaré ne rien savoir; je n'ai plus qu'à faire des conjectures sur -le fait, qu'il a été placé dans ma poche. Ici, j'éprouve un nouvel -embarras. Je ne crois pas avoir d'ennemi sur la terre, et je suis -convaincue que nul ne serait assez méchant pour me perdre en badinant. -Le meurtrier l'y aurait-il placé lui-même? je n'en vois pas le motif: -et même, en supposant ce fait, pourquoi aurait-il volé le bijou pour -s'en défaire si promptement?</p> - -<p>»Je confie ma cause à la justice de mes juges, sans conserver la plus -faible espérance. Je demande la permission de produire quelques -témoins pour qu'ils soient interrogés sur mon caractère; et, si leur -témoignage n'atténue pas l'accusation du crime qui m'est attribué, je -dois être condamnée, malgré mon innocence sur laquelle je compte pour -être acquittée».</p> - -<p>On entendit plusieurs témoins qui la connaissaient depuis quelques -années, et qui en parlèrent avec éloge; mais la peur et l'horreur du -crime dont elle était accusée, enchaînaient leur langue. Élisabeth -vit que cette dernière ressource, que l'excellent caractère et la -conduite irréprochable de Justine ne pouvaient la sauver; et, malgré -une agitation violente, elle demanda à la cour la permission de prendre -la parole.</p> - -<p>«Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant qui a été -assassiné: je puis même dire que je suis sa sœur, puisque j'ai été -élevée par ses parents, et que j'ai toujours vécu avec eux depuis et -long-temps même avant sa naissance.</p> - -<p>»Avec ces titres, il peut paraître inconvenant que je m'explique dans -cette occasion; mais, au moment de voir une malheureuse créature -livrée à la mort par la lâcheté de ses prétendus amis, je désire -qu'on me permette de rendre témoignage à son caractère. Je connais -bien l'accusée. J'ai vécu avec elle dans la même maison, d'abord -pendant cinq ans, et ensuite pendant près de deux ans. Durant tout ce -temps, elle m'a paru la plus aimable et la meilleure créature du monde. -Dans le cours de la dernière maladie de madame Frankenstein, ma tante, -elle l'a soignée avec la plus tendre affection et le plus grand zèle. -Depuis, elle a donné ses soins à sa mère, qui souffrait d'une cruelle -maladie; et elle est devenue un objet d'admiration pour tous ceux qui la -connaissaient. À la mort de sa mère, elle est revenue à la maison de -mon oncle, où elle était aimée de toute la famille. Elle était fort -attachée à l'enfant qui n'est plus, et elle était, pour lui, comme la -mère la plus tendre. Quant à moi, je n'hésite pas à déclarer que, -malgré toute l'évidence qui s'élève contr'elle, je la crois -entièrement innocente. Rien n'a pu la porter à commettre l'action -atroce qui lui est imputée. Je dirai du bijou, dont on se sert pour la -charger le plus gravement, que je lui aurais volontiers donné, elle -l'eût vivement désiré; tant je l'estime et l'apprécie».</p> - -<p>Excellente Élisabeth! Un murmure d'approbation s'éleva; mais pour la -généreuse personne qui intercédait, et non en faveur de la pauvre -Justine, qu'on accusa d'une plus noire ingratitude, et qui excita -l'indignation publique avec une violence nouvelle. Elle pleura pendant -le discours d'Élisabeth; mais elle ne répondit pas. Mon agitation et -mon angoisse furent extrêmes, tant que dura le jugement. J'étais -convaincu de l'innocence de Justine; j'en avais la certitude. Le démon, -qui avait assassiné mon frère (car je n'en doutai pas une minute), -allait aussi, dans son plaisir infernal, livrer une personne innocente -à la mort et à l'infamie. Je ne pus supporter l'horreur de ma -situation; et, dès que la voix du peuple, et la figure des juges, -eurent annoncé la condamnation de ma malheureuse victime, je sortis de -la cour dans des transes cruelles. Les souffrances de l'accusée ne -pouvaient égaler les miennes; elle était soutenue par son innocence; -je me sentais déchiré par des remords dont je ne pouvais me délivrer.</p> - -<p>Je passai la nuit la plus affreuse. Le matin j'allai à la cour, dans un -état qui enchaînait ma langue: je n'osai faire la fatale question; -mais j'étais connu, et l'officier devina la cause de ma visite. L'urne -fatale avait reçu les boules; toutes étaient noires; Justine était -condamnée.</p> - -<p>Il me serait impossible de décrire ce que j'éprouvai alors. J'avais -auparavant connu des sensations d'horreur, et j'ai tâché de les -peindre par des expressions équivalentes; mais les mots ne pourraient -donner une idée du désespoir horrible auquel je fus en proie dans ce -moment. La personne, à qui je m'adressai, m'apprit que Justine venait -d'avouer son crime. «Cet aveu, observa-t-il, était à peine -nécessaire dans un cas aussi clair; mais je suis content qu'on l'ait -obtenu, car aucun de nos juges ne voudrait condamner un criminel -d'après les apparences, lors même qu'elles seraient aussi décisives -qu'aujourd'hui».</p> - -<p>À mon retour à la maison, Élisabeth me demanda avec empressement -quelle était l'issue du procès.</p> - -<p>«Ma cousine, répliquai-je, la décision est celle à laquelle vous -devez vous être attendue; tous les juges aimeraient mieux voir dix -innocents souffrir, que de laisser échapper un coupable. Au reste, elle -a fait l'aveu du crime».</p> - -<p>Ce fut un coup affreux pour la pauvre Élisabeth, qui avait eu une -confiance inébranlable dans l'innocence de Justine.</p> - -<p>«Hélas, dit-elle, comment croire désormais à la bonté humaine? Eh -quoi! Justine pour qui j'avais une tendresse de sœur, n'avait-elle ce -sourire de l'innocence que pour me trahir? Ses yeux, où brillait la -douceur, semblaient inaccessibles à la sévérité ou à la mauvaise -humeur, et cependant elle s'est souillée d'un meurtre»!</p> - -<p>Bientôt après, nous apprîmes que la pauvre victime avait témoigné -le désir de voir ma cousine. Mon père n'était pas de cet avis; mais -il la laissa maîtresse de décider, en l'engageant à réfléchir sur -cette visite. «Oui, dit Élisabeth, j'irai voir Justine, la coupable -Justine; et vous, Victor, vous m'accompagnerez: je ne puis aller -seule». L'idée de cette visite était un tourment pour moi, cependant -je ne pus me refuser au désir d'Élisabeth.</p> - -<p>Nous entrâmes dans une prison obscure. Justine était assise dans un -coin, sur la paille, les mains retenues par des menottes, et la tête -appuyée sur les genoux. Elle se leva en nous voyant entrer. Lorsque -nous fûmes seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d'Élisabeth, en -pleurant amèrement. Ma cousine ne put retenir ses pleurs.</p> - -<p>«Ah! Justine, dit-elle, pourquoi m'as-tu enlevé ma dernière -consolation? Je croyais à ton innocence; avec cette pensée, j'étais -bien malheureuse, mais je ne l'étais pas autant que je le suis à -présent».</p> - -<p>—«Et croyez-vous aussi que je sois criminelle? Vous joignez-vous -aussi à mes ennemis pour m'accabler»? Sa voix fut étouffée par ses -sanglots.</p> - -<p>—»Lève-toi, ma pauvre fille, dit Élisabeth; pourquoi es-tu à -genoux, si tu es innocente? Je ne suis pas au nombre de tes ennemis; je -t'ai crue innocente, contre toutes les apparences, jusqu'au moment où -j'appris que tu avais toi-même déclaré ton crime. Ce bruit est faux, -dis-tu; sois bien persuadée, ma chère Justine, que ton aveu seul a pu -ébranler un moment la confiance que tu m'inspires».</p> - -<p>«J'ai fait un aveu; mais un aveu mensonger. Je l'ai fait, afin -d'obtenir grâce; et maintenant ce mensonge pèse plus sur mon cœur que -toutes mes fautes. Que le Dieu du ciel me pardonne! Depuis ma -condamnation, je suis sans cesse assiégée par mon confesseur. Il m'a -effrayée et menacée, au point que déjà je m'imaginais être le -monstre dont il me parle incessamment. Il m'a menacée de -l'excommunication et des feux de l'enfer, si je persévérais dans mes -dénégations. Ma chère demoiselle, je n'avais personne pour me -soutenir; tout le monde me regardait comme une misérable, vouée à -l'ignominie et à la mort. Que pouvais-je faire? Dans un moment que je -déteste, je souscrivis à un mensonge; et c'est seulement à présent -que je suis vraiment à plaindre».</p> - -<p>Elle s'arrêta pour fondre en larmes, et poursuivit en ces termes: -«J'ai pensé avec horreur, mon excellente demoiselle, que vous me -soupçonneriez d'un crime que le démon seul peut avoir commis; moi qui -avais su mériter l'estime de votre bienheureuse tante, et votre -affection personnelle. Cher Guillaume! bienheureux enfant, je le -reverrai bientôt dans le ciel, où la paix nous est réservée; et -c'est ma consolation, au moment où je vais souffrir l'ignominie et la -mort».</p> - -<p>—«Ah! Justine! pardonne-moi d'avoir pu un moment manquer de confiance -en toi. Pourquoi faire un aveu? mais ne t'afflige pas, ma chère fille; -je proclamerai partout ton innocence, et je forcerai d'y croire. -Cependant il faut que tu meures; toi, ma compagne, toi qui étais pour -moi plus qu'une sœur. Je ne pourrai survivre à un malheur aussi -affreux».</p> - -<p>«Ma chère, ma bonne Élisabeth, ne pleurez pas. Vous devriez me donner -du courage en me parlant d'une meilleure vie, et m'élever au-dessus des -misères de ce monde d'injustice et de malheur. Mon excellente amie, -livrez pas au désespoir».</p> - -<p>—«Je tâcherai de te consoler; mais je crains que ce malheur ne soit -trop profond et trop cruel pour admettre aucune consolation, car il ne -reste aucun espoir. Cependant, ma chère Justine, puisse le ciel -t'envoyer la résignation, et élever ton âme au-dessus de ce monde. -Ah! combien je hais ses parades si vaines et si dérisoires! Une -personne est-elle assassinée? une autre est aussitôt privée de la vie -en souffrant de longues tortures. Alors, les bourreaux, les mains encore -teintes du sang de l'innocence, se persuadent qu'un tel acte est bien -grand, et l'appellent compensation. Nom odieux! dès qu'il est -prononcé, je sais qu'on va infliger des châtiments plus grands et plus -affreux, que n'en a jamais inventé le tyran le plus cruel pour -rassasier sa vengeance. Ce que je dis n'est pas pour te consoler, ma -Justine, à moins que tu ne te réjouisses de sortir d'un séjour aussi -malheureux. Hélas! plût à Dieu que je reposasse en paix avec ma tante -et mon aimable Guillaume, loin d'un monde qui m'est odieux, et des -hommes que j'abhorre».</p> - -<p>Justine sourit languissamment.</p> - -<p>—«Voilà, ma chère demoiselle, du désespoir et non de la -résignation. Il ne faut pas que je suive l'exemple que vous me montrez. -Parlez de ce qui peut me donner du calme, et non de ce qui sert à -augmenter ma douleur».</p> - -<p>Pendant cette conversation, je m'étais retiré dans un coin de la -prison, pour cacher les horribles angoisses auxquelles j'étais en -proie. Du désespoir! qui osait en parler? la pauvre victime, qui le -lendemain allait franchir l'effrayante limite qui sépare la vie de la -mort, n'éprouvait pas comme moi une agonie profonde et déchirante. Mes -dents tremblaient les unes contre les autres; un soupir s'exhala du fond -de mon cœur. Justine tressaillit, me reconnut, s'approcha de moi, et -dit: «Mon cher monsieur, vous êtes bien bon de venir me visiter; vous -ne croyez pas, j'espère, que je sois coupable». Je ne pus -répondre.—«Non, Justine, dit Élisabeth, il est plus convaincu de ton -innocence que je ne l'étais; car même après ton aveu, il ne voulait -pas y ajouter foi».</p> - -<p>—«Je le remercie sincèrement. Dans ces derniers moments, j'ai la plus -grande reconnaissance pour ceux qui ont de moi une opinion favorable. -Que l'affection des autres est douce pour une malheureuse comme moi! -elle me soulage de plus de la moitié de mes maux; et je sens que je -puis mourir en paix, à présent que mon innocence est reconnue par -vous, ma chère dame, et par votre cousin».</p> - -<p>Ainsi, la pauvre victime cherchait, en consolant les autres, à se -consoler elle-même. Elle trouva enfin la résignation qu'elle désirait. -Et moi, le véritable meurtrier, je sentis le remords s'élever dans mon -sein: remords impérissable qui devait ne me laisser ni espérance, ni -consolation. Élisabeth, en larmes, était aussi plongée dans -l'affliction; mais sa douleur était celle de l'innocence, et semblable -à ce nuage qui obscurcit un moment les rayons de la lune, la cache pour -un moment, et ne peut en ternir l'éclat. L'horreur et le désespoir -avaient pénétré dans le fond de mon cœur; je portais en moi-même un -enfer que rien ne pouvait éteindre. Nous restâmes plusieurs heures -avec Justine, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'Élisabeth put -s'en éloigner. «Je voudrais, s'écria-t-elle, mourir avec toi; je ne -puis vivre dans ce monde de misère».</p> - -<p>Justine affecta un air de gaîté, tout en retenant avec difficulté des -larmes amères. Elle embrassa Élisabeth, en disant, d'une voix à -moitié étouffée: «Adieu, bonne et chère Élisabeth, ma tendre et -unique amie. Puisse le ciel dans sa bonté vous bénir et vous -conserver! puisse ce malheur être le dernier dont vous ayez à -souffrir! Vivez, soyez heureuse; et que les autres soient heureux par -vous».</p> - -<p>En quittant la prison, Élisabeth me dit: «Vous ne savez pas, mon cher -Victor, combien je suis soulagée, à présent que je suis convaincue de -l'innocence de cette malheureuse fille. Il n'y aurait plus eu de bonheur -pour moi, si j'avais été trompée dans ma confiance en elle. Dans le -moment où je la croyais coupable, j'éprouvais une angoisse que je -n'aurais pu supporter long-temps. Maintenant mon cœur est soulagé. -L'innocente souffre; mais celle que je croyais aimable et bonne n'a pas -trahi la confiance que j'avais en elle; et je suis consolée».</p> - -<p>Aimable cousine! telles étaient vos pensées, douces comme vos yeux et -votre voix. Mais moi... j'étais un malheureux dont la douleur en ce -moment, était au-dessus de toute imagination.</p> - - - - -<h4>FIN DU TOME PREMIER</h4> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder -e Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN *** - -***** This file should be named 62404-h.htm or 62404-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62404/ - -Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images -generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale -de France.) - - -Updated editions will replace the previous one--the old editions -will be renamed. - -Creating the works from public domain print editions means that no -one owns a United States copyright in these works, so the Foundation -(and you!) can copy and distribute it in the United States without -permission and without paying copyright royalties. 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Redistribution is -subject to the trademark license, especially commercial -redistribution. - - - -*** START: FULL LICENSE *** - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project -Gutenberg-tm License (available with this file or online at -http://gutenberg.org/license). - - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm -electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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Information about the Project Gutenberg Literary Archive -Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at -http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent -permitted by U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. -Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered -throughout numerous locations. Its business office is located at -809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email -business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact -information can be found at the Foundation's web site and official -page at http://pglaf.org - -For additional contact information: - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. 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Thus, we do not necessarily -keep eBooks in compliance with any particular paper edition. - - -Most people start at our Web site which has the main PG search facility: - - http://www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - -</pre> - -</body> - -</html> diff --git a/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg b/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg Binary files differdeleted file mode 100644 index 07185aa..0000000 --- a/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg +++ /dev/null |
