summaryrefslogtreecommitdiff
diff options
context:
space:
mode:
-rw-r--r--.gitattributes4
-rw-r--r--LICENSE.txt11
-rw-r--r--README.md2
-rw-r--r--old/62404-0.txt3197
-rw-r--r--old/62404-0.zipbin67319 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/62404-h.zipbin321617 -> 0 bytes
-rw-r--r--old/62404-h/62404-h.htm3472
-rw-r--r--old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpgbin295727 -> 0 bytes
8 files changed, 17 insertions, 6669 deletions
diff --git a/.gitattributes b/.gitattributes
new file mode 100644
index 0000000..d7b82bc
--- /dev/null
+++ b/.gitattributes
@@ -0,0 +1,4 @@
+*.txt text eol=lf
+*.htm text eol=lf
+*.html text eol=lf
+*.md text eol=lf
diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt
new file mode 100644
index 0000000..6312041
--- /dev/null
+++ b/LICENSE.txt
@@ -0,0 +1,11 @@
+This eBook, including all associated images, markup, improvements,
+metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be
+in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES.
+
+Procedures for determining public domain status are described in
+the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org.
+
+No investigation has been made concerning possible copyrights in
+jurisdictions other than the United States. Anyone seeking to utilize
+this eBook outside of the United States should confirm copyright
+status under the laws that apply to them.
diff --git a/README.md b/README.md
new file mode 100644
index 0000000..9065ac7
--- /dev/null
+++ b/README.md
@@ -0,0 +1,2 @@
+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
+eBook #62404 (https://www.gutenberg.org/ebooks/62404)
diff --git a/old/62404-0.txt b/old/62404-0.txt
deleted file mode 100644
index 75fe46b..0000000
--- a/old/62404-0.txt
+++ /dev/null
@@ -1,3197 +0,0 @@
-The Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moderne
-Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-
-Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3)
-
-Author: Mary Wollstonecraft Shelley
-
-Translator: Jules Saladin
-
-Release Date: June 20, 2020 [EBook #62404]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ***
-
-
-
-
-Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images
-generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale
-de France.)
-
-
-
-
-
-
-FRANKENSTEIN,
-
-OU
-
-LE PROMÉTHÉE MODERNE.
-
-DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,
-
-AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.
-
-Par Mme SHELLY, sa nièce.
-
-TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***
-
-Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de
-l'argile pour me faire homme? T'ai-je
-sollicité de m'arracher du néant?
-
-MILTON, _Paradis perdu._
-
-TOME PREMIER
-
-PARIS,
-
-CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE
-
-PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.
-
-1821
-
-
-
-
-TABLE
-PRÉFACE
-LETTRE Ière
-LETTRE II
-LETTRE III
-LETTRE IV
-CHAPITRE Ier
-CHAPITRE II
-CHAPITRE III
-CHAPITRE IV
-CHAPITRE V
-CHAPITRE VI
-CHAPITRE VII
-
-
-
-
-PRÉFACE
-
-
-Le fait sur lequel repose cette fiction, n'a point paru impossible au
-docteur Darwin, et à quelques-uns des Écrivains physiologiques de
-l'Allemagne. Je ne veux pas laisser croire que je suis porté à y
-ajouter sérieusement foi. Cependant, en le prenant pour base d'un
-ouvrage d'imagination, je n'ai pas voulu simplement offrir une suite
-d'histoires effrayantes et surnaturelles. L'événement dont dépend
-l'intérêt de cette histoire, sans présenter aucun des défauts d'un
-pur conte de spectres ou d'enchantements, se recommande par la
-nouveauté des situations qui y sont développées; et, malgré
-l'impossibilité du fait matériel, retrace à l'imagination les
-passions humaines, d'un point de vue plus étendu et plus élevé que
-ceux où l'on peut se placer dans le cours ordinaire de la vie.
-
-Ainsi, j'ai essayé de conserver la vérité des principes
-élémentaires de la nature humaine, tandis que je ne me suis pas fait
-scrupule d'innover dans leurs combinaisons. Homère, dans l'_Iliade_;
-les Poètes tragiques de la Grèce; Shakespeare, dans _la Tempête et le
-Songe au milieu d'une nuit d'été_; et plus particulièrement Milton,
-dans _le Paradis perdu_, se conforment à cette règle; et le plus
-modeste nouvelliste, qui cherche à plaire ou à s'amuser par son
-travail, peut, sans présomption, appliquer à ce qu'il raconte, une
-licence ou plutôt une règle de l'adoption de laquelle sont résulté
-tant de combinaisons profondes des sentiments humains dans les
-chefs-d'œuvre les plus sublimes de la poésie.
-
-La circonstance sur laquelle mon histoire est fondée, m'a été
-suggérée par hasard dans une conversation. Elle fut commencée en
-partie comme source d'amusement, et en partie comme moyen d'exercer les
-facultés négligées de l'esprit. D'autres motifs s'y sont mêlés, à
-mesure que le travail avançait. Je ne suis nullement indifférent aux
-sensations morales dont sera affecté le lecteur sur les sentiments et
-les caractères qui y sont tracés; cependant mon premier soin s'est
-borné à éviter l'effet énervant que produisent les romans du jour,
-et à montrer le charme des affections domestiques ainsi que
-l'excellence de la vertu universelle. Les opinions, produites
-naturellement d'après le caractère et la position du héros, ne
-doivent pas être considérées comme le fruit de ma conviction
-personnelle; et rien de ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne doit
-être regardé comme portant attaque à quelque doctrine philosophique,
-de quelque genre que ce soit.
-
-Un autre motif, qui ajoute à l'intérêt de l'auteur, c'est que cette
-histoire a été commencée dans le pays majestueux où se passe la plus
-grande partie de l'action, et dans une société qu'il ne peut cesser de
-regretter.
-
-Je passai l'été de 1816 dans les environs de Genève. La saison était
-froide et pluvieuse: nous nous réunissions le soir autour d'un foyer,
-et nous nous amusions à lire, de temps en temps, quelques histoires
-allemandes d'êtres surnaturels, que le hasard faisait tomber entre nos
-mains. Ces contes nous donnaient un vif désir de les imiter. Nous
-convînmes avec deux de mes amis (dont l'un composa un roman qui ferait
-plus de plaisir au Public que je ne puis l'espérer pour moi-même),
-d'écrire chacun une histoire fondée sur quelqu'aventure
-extraordinaire.
-
-Cependant le temps devint beau tout-à-coup, et mes deux amis me
-quittèrent pour faire un voyage dans les Alpes. Ils perdirent, au
-milieu des scènes magnifiques que présentent ces montagnes, tout
-souvenir de nos visions spirituelles. Le Roman suivant est le seul qui
-ait été achevé.
-
-
-
-
-FRANKENSTEIN
-
-ou
-
-LE PROMÉTHÉE MODERNE.
-
-
-
-
-LETTRE Ière
-
-
-À MADAME SAVILIE, EN ANGLETERRE.
-
-
-Saint-Pétersbourg, 11 décembre 17--
-
-
-«Vous serez bien aise d'apprendre qu'aucun malheur n'a troublé le
-commencement d'une entreprise que vous avez envisagée avec de funestes
-pressentiments. Je suis arrivé ici hier, et mon premier devoir est
-d'informer ma chère sœur que ma santé est bonne, et ma confiance plus
-grande dans le succès de mon entreprise.
-
-»Je suis déjà loin au nord de Londres; et, quand je me promène dans
-les rues de Saint-Pétersbourg, je sens se jouer sur mes joues la brise
-froide du nord qui me resserre les nerfs et me remplit de volupté.
-Comprenez-vous cette sensation? Cette brise, qui est venue des régions
-à travers lesquelles je m'avance, me donne un avant-goût de ces
-climats glacés. Inspiré par ce vent précurseur, je sens que mes
-idées deviennent plus ardentes et plus vives. Je m'efforce en vain de
-me persuader que le pôle est le siège de la glace et de la
-désolation, il se présente toujours à mon imagination comme le pays
-de la beauté et du plaisir. Là, Marguerite, le soleil est toujours
-visible; son large disque borde presque l'horizon, et répand un éclat
-perpétuel. De là (car, avec votre permission, ma sœur, j'aurai
-quelque confiance dans les navigateurs qui m'ont précédé), de là,
-dis-je, la neige et la glace sont bannies; et, naviguant sur une mer
-calme, on peut être transporté dans une terre qui surpasse en prodiges
-et en beauté tous les pays jusqu'ici découverts sur le monde
-habitable. Ses productions et ses traits peuvent être sans exemple,
-comme les phénomènes des corps célestes le sont, sans doute, dans ces
-solitudes inconnues. Que ne peut-on pas espérer dans un pays où brille
-une lumière éternelle? J'y découvre la puissance étonnante qui
-attire l'aiguille; et je puis fixer une foule d'observations célestes
-qui n'ont besoin que de ce voyage pour rendre invariables leurs
-excentricités apparentes. Je rassasierai mon ardente curiosité, en
-voyant une partie du monde qui n'a jamais été visitée avant moi, et
-je puis fouler une terre qui n'a jamais été pressée par les pieds
-d'un mortel. Voilà ce qui m'attire, et cela me suffit pour bannir toute
-crainte du danger ou de la mort, et m'encourager à commencer ce
-pénible voyage avec la joie qu'éprouve un enfant lorsqu'il s'embarque
-sur un petit bateau un jour de fête, avec ses camarades, pour
-l'expédition d'une découverte sur la rivière qui baigne son pays
-natal. Mais, en supposant que toutes ces conjectures soient fausses,
-vous ne pouvez contester le service inappréciable que je rendrai à
-toute l'espèce humaine, jusqu'à la dernière génération, en
-découvrant, près du pôle, un passage à ces contrées, où, pour
-arriver, il faut maintenant plusieurs mois; ou bien en constatant le
-secret du magnétisme, ce qui, à moins que ce ne soit impossible, ne
-peut avoir lieu que par une entreprise comme la mienne.
-
-»Ces réflexions ont calmé l'agitation avec laquelle j'ai commencé ma
-lettre, et je sens mon cœur se remplir d'un enthousiasme qui m'élève
-jusqu'au ciel; car rien ne contribue tant à tranquilliser l'esprit
-qu'un projet bien ferme, sur lequel on puisse fixer son attention. Cette
-expédition a été le songe favori de mes premières années. J'ai lu
-avec ardeur les récits des différents voyages qui ont été faits dans
-le but d'arriver à l'océan pacifique du nord, à travers les mers qui
-entourent le pôle. Vous devez vous souvenir, que l'histoire de tous les
-voyages entrepris dans l'intention de faire des découvertes, composait
-la bibliothèque entière de notre bon oncle Thomas. Mon éducation fut
-négligée; cependant j'aimais la lecture avec passion. J'étudiais ces
-livres nuit et jour; et la connaissance que j'en eus, augmenta le regret
-que j'avais éprouvé, comme un enfant, en apprenant que mon père, au
-lit de la mort, avait défendu à mon oncle de me laisser embrasser
-l'état de marin.
-
-»Ces visions s'affaiblirent lorsque je lus, pour la première fois, ces
-poètes dont les effusions pénétraient mon âme et l'élevaient
-jusqu'au ciel. Je devins poète aussi, et pendant une année je vécus
-dans un paradis de ma propre création. Je pensais pouvoir obtenir aussi
-une place dans le temple où sont consacrés les noms d'Homère et de
-Shakespeare. Vous savez combien je me trompai, et quelle peine j'eus à
-supporter mon malheur. Mais, justement, à cette époque, j'héritai de
-la fortune de mon cousin, et mes pensées se reportèrent à mes
-premières inclinations.
-
-»Six ans se sont écoulés depuis que j'ai pris la résolution que
-j'exécute en ce moment. Je puis, même à présent, me souvenir de
-l'heure où je me suis dévoué à cette grande entreprise. J'ai
-commencé par accoutumer mon corps à la fatigue. J'ai accompagné les
-pêcheurs de baleine dans plusieurs expéditions à la mer du Nord; j'ai
-enduré volontairement le froid, la faim, la soif et l'insomnie;
-souvent, pendant le jour, je supportais des travaux plus rudes qu'aucun
-des matelots, et je passais mes nuits à étudier les mathématiques, la
-théorie de la médecine, et ces branches de science physique dont un
-homme ami des entreprises maritimes peut souvent tirer le plus grand
-avantage. Deux fois même je me suis engagé comme contremaître, pour
-la pêche du Groenland, et je me suis acquitté à merveille de mes
-fonctions. Je dois avouer que je sentis un petit mouvement d'orgueil,
-lorsque le capitaine m'offrit la seconde dignité du vaisseau, et me
-supplia de rester, avec le plus grand empressement, tant il appréciait
-mes services.
-
-»Et maintenant, ma chère Marguerite, ne mérité-je pas d'accomplir
-quelque grand projet. J'aurais pu passer ma vie dans l'aisance et le
-plaisir; mais j'ai préféré ma gloire à tous les attraits que la
-richesse plaçait devant moi. Ah! que quelque voix encourageante me
-réponde du succès! mon courage et ma résolution sont inébranlables;
-mais mes espérances sont incertaines, et mon esprit est souvent
-humilié. Je vais entreprendre un voyage long et difficile; les dangers
-que je courrai demanderont tout mon courage: j'aurai besoin
-non-seulement de relever les esprits des autres, mais quelquefois de
-soutenir les miens lorsque les leurs se découragent et s'abattent.
-
-»Cette saison est la plus favorable pour voyager en Russie. On vole sur
-la neige dans des traîneaux; le mouvement en est doux, et, à mon avis,
-beaucoup plus agréable que celui d'une diligence anglaise. Le froid
-n'est pas excessif, lorsqu'on est enveloppé de fourrures; et j'ai
-déjà adopté ce costume, car il y a une grande différence de se
-promener sur un pont, ou de rester assis pendant plusieurs heures, sans
-faire un mouvement et sans qu'aucun exercice n'empêche le sang de se
-glacer dans les veines. Je n'ai nullement l'ambition de perdre la vie
-sur la grande route entre Saint-Pétersbourg et Archangel.
-
-»Je partirai pour cette dernière ville dans quinze jours ou trois
-semaines; et mon intention est d'y louer un vaisseau, ce qui est bien
-facile en payant caution au propriétaire, et d'engager autant de
-matelots que je croirai nécessaires parmi ceux qui sont accoutumés à
-la pêche de la baleine. Je ne compte pas mettre à la voile avant le
-mois de juin: et quand reviendrai-je? Ah! ma chère sœur comment
-répondre à cette question? Si je réussis, bien des mois, des années
-peut-être s'écouleront avant que nous puissions nous voir. Dans le cas
-contraire, vous me reverrez bientôt, ou jamais.
-
-»Adieu, ma chère, mon excellente Marguerite, que le ciel verse sur
-vous ses bénédictions, et qu'il me conserve, afin que je puisse vous
-témoigner sans cesse ma reconnaissance pour toute votre amitié et vos
-bontés.
-
-»Votre affectionné frère,
-
-
-»R. WALTON».
-
-
-
-
-LETTRE II
-
-
-À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.
-
-
-Archangel, 28 mars 17--
-
-
-«Que le temps passe lentement ici, entouré comme je suis par la glace
-et la neige! Cependant, j'ai fait un second pas dans mon entreprise;
-j'ai loué un vaisseau, et je suis occupé à rassembler mes marins,
-ceux que j'ai déjà engagés paraissent être des hommes sur lesquels
-je puis compter, et sont doués, sans en pouvoir douter, d'un courage
-intrépide.
-
-»Mais il est un objet, un seul objet dont je n'ai pu encore jouir, et
-l'absence de ce bien est pour moi le plus grand des maux. Je n'ai pas
-d'amis, Marguerite: si je suis animé par l'enthousiasme du succès, je
-n'aurai personne pour partager ma joie; si je tombe dans le
-découragement, personne n'essaiera de relever mon courage. Je confierai
-mes pensées au papier, il est vrai; mais c'est une triste ressource
-pour l'épanchement de ce qu'on éprouve. Je voudrais avoir pour
-compagnon un homme capable de sympathiser avec moi, dont les yeux
-répondissent aux miens. Vous pouvez me croire romantique, ma chère
-sœur; mais je sens cruellement le manque d'un ami. Que n'ai-je auprès
-de moi une personne qui soit en même temps douce et courageuse, douée
-à la fois d'un esprit cultivé et capable, dont les goûts ressemblent
-aux miens, et qui puisse approuver ou corriger mes plans. Combien un
-semblable ami réparerait les fautes de votre pauvre frère! Je suis
-trop ardent dans l'exécution, et trop impatient des difficultés: mais
-ce qui est pour moi un malheur encore plus grand, c'est que je n'ai
-reçu qu'une demi-éducation; car pendant les quatorze premières
-années de ma vie, je courais dans les bois çà et là, et ne lisais
-que les livres de voyages de notre bon oncle Thomas. À cet âge je
-devins familier avec les poètes célèbres de notre patrie; je sentis
-aussi la nécessité d'apprendre d'autres langues que celle de mon pays
-natal; mais cette conviction fut chez moi trop tardive pour que je pusse
-en recueillir les plus précieux avantages. J'ai maintenant vingt-huit
-ans, et suis en vérité plus illettré que bien des écoliers de quinze
-ans. Il est vrai que j'ai réfléchi davantage, et que mes idées sont
-plus étendues et plus grandes; mais, comme disent les peintres, elles
-manquent de fond, et j'ai bien besoin d'un ami qui ait assez de bon sens
-pour ne pas me regarder comme un romantique, et qui m'affectionne assez
-pour essayer de régler mon esprit.
-
-»Plaintes inutiles! ce n'est certainement pas sur le vaste Océan que
-je trouverai un ami, non plus qu'à Archangel au milieu des marchands et
-des marins. Cependant il y a place, dans ces cœurs, à des sentiments
-qui semblent ne pouvoir s'allier avec l'écume de la nature humaine. Mon
-lieutenant, par exemple, est un homme d'un grand courage et d'une audace
-étonnante. Il aime la gloire avec passion. C'est un Anglais; et au
-milieu des préjugés de son pays et de son état, qui ne sont pas
-adoucis par la culture, il conserve quelques-unes des plus nobles
-qualités de l'humanité. J'ai fait autrefois sa connaissance à bord
-d'un bâtiment destiné à la pèche de la baleine; je l'ai retrouvé
-dans cette ville sans occupation, et je l'ai facilement engagé à
-m'assister dans mon entreprise.
-
-»Le maître est un homme d'un talent très-distingué, et se fait
-remarquer sur le vaisseau par sa modération et la douceur de sa
-discipline. Il est vraiment d'un naturel si bon, qu'il ne chassera pas
-(amusement favori, et presque le seul qu'on trouve ici), parce qu'il ne
-peut souffrir de verser le sang; en outre, il est d'une générosité
-héroïque. Il y a quelques années qu'il était amoureux d'une
-demoiselle Russe, qui n'avait qu'une fortune médiocre. Possesseur d'un
-capital considérable, amassé dans ses courses maritimes, il obtint
-sans peine que le père de la jeune fille consentît au mariage. Il la
-vit une fois avant le jour de la cérémonie: elle était baignée de
-larmes; elle tomba à ses pieds, le supplia de l'épargner, et lui avoua
-en même temps qu'elle aimait un jeune Russe, mais qu'il était pauvre,
-et que son père ne voudrait jamais les unir. Mon généreux ami rassura
-cette malheureuse personne, s'informa du nom de son amant, et abandonna
-de suite toute prétention. Il avait déjà acheté, de son argent, une
-ferme dans laquelle il avait le dessein de passer le reste de sa vie;
-mais il donna tout à son rival, et pour qu'il pût acheter du bétail,
-il joignit à son premier don le reste de ses profits dans les prises.
-Il sollicita lui-même le père de la jeune fille, pour qu'il consentît
-à l'unir avec celui qu'elle aimait; mais le vieillard se croyant
-engagé d'honneur avec mon ami, refusa obstinément. Celui-ci, pour
-fléchir l'inexorable père, quitta son pays, et n'y revint que
-lorsqu'il apprit que sa maîtresse était mariée suivant son
-inclination. «Quel noble compagnon»! vous écrierez-vous. Tel est son
-caractère; mais il a passé sa vie entière à bord d'un vaisseau, et
-à peine a-t-il une idée hors des cordages et d'un hauban.
-
-»Mais si je me plains un peu, ou si je puis concevoir dans mes travaux
-une consolation que peut-être je ne connaîtrai jamais, ne croyez pas
-que je sois incertain dans mes résolutions; elles sont invariables
-comme le destin; et mon voyage n'est maintenant différé, que jusqu'à
-ce que le temps me permette de mettre à la voile. L'hiver a été
-horriblement dur; mais le printemps s'annonce favorablement, et cette
-saison parait même fort avancée. Ainsi, je m'embarquerai peut-être
-plutôt que je ne m'y étais attendu. Je ne ferai rien avec témérité;
-vous me connaissez assez pour avoir confiance en ma prudence et en ma
-circonspection, toutes les fois que la sûreté des autres est commise
-à mes soins.
-
-»Je ne puis vous dépeindre tout ce que j'éprouve en me voyant si
-près de mettre mon entreprise à exécution. Il est impossible de vous
-donner une idée de cette sensation incertaine, agréable et pénible à
-la fois, qui m'agite au moment de mon départ. Je vais dans des régions
-inconnues, _dans la patrie des brouillards et de la neige_; mais je ne
-tuerai aucun albatros[1], ne soyez donc pas alarmée sur mon sort.
-
-»Vous reverrai-je encore, après avoir traversé des mers immenses, et
-après avoir doublé le cap le plus au sud de l'Afrique ou de
-l'Amérique? Je ne puis m'attendre à un pareil bonheur; et cependant je
-n'ose regarder le revers du tableau. Continuez à m'écrire par toutes
-les occasions: je puis recevoir vos lettres (quoique la chance soit fort
-douteuse) au moment où j'en aurai le plus besoin pour soutenir mon
-courage. Adieu, adieu, je vous aime bien tendrement. Souvenez-vous de
-moi avec affection, dussiez-vous même ne plus entendre parler de votre
-affectionné frère.
-
-
-»ROBERT WALTON».
-
-
-[Note 1: Oiseau de mer.]
-
-
-
-
-LETTRE III
-
-
-À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.
-
-
-7 juillet 17--
-
-
-Ma chère sœur,
-
-«Je vous écris quelques lignes à la hâte, pour vous dire que je suis
-en bonne santé, et fort avancé dans mon voyage. Cette lettre
-parviendra en Angleterre par la voie d'un marchand qui retourne
-d'Archangel dans sa famille; il est plus heureux que moi, qui, pendant
-quelques années, ne pourrai peut-être revoir ma patrie. Je suis
-cependant dans de bonnes dispositions: mes hommes sont courageux et
-semblent fermes dans leurs projets. Ils ne paraissent pas découragés
-par les bancs de glaces que nous rencontrons continuellement, et qui
-nous indiquent les dangers du pays vers lequel nous nous dirigeons. Nous
-avons déjà atteint une latitude très-élevée, mais nous sommes dans
-le fort de l'été, et quoiqu'il ne fasse pas aussi chaud qu'en
-Angleterre, les vents du sud qui nous portent avec vitesse vers les
-rives où je désire si ardemment arriver, renouvellent sans cesse une
-chaleur à laquelle je ne m'étais pas attendu.
-
-»Jusqu'ici nul événement qui soit digne d'être rappelé. Un ou deux
-coups de vent et un mât brisé, sont des accidents dont un navigateur
-expérimenté se souvient à peine de faire mention; et je serai bien
-heureux, s'il ne nous arrive rien de pire pendant notre voyage.
-
-»Adieu, ma chère Marguerite. Soyez sûre que, par amour pour vous et
-pour moi-même, je n'irai pas témérairement au-devant du danger. Je
-serai froid, persévérant et prudent.
-
-»Rappelez-moi à tous mes amis d'Angleterre.
-
-»Votre très-affectionné,
-
-
-»ROBERT WALTON».
-
-
-
-
-LETTRE IV
-
-
-À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.
-
-
-5 août 17--
-
-
-«Nous venons d'être témoins d'un événement si étrange, que je ne
-puis m'empêcher de vous en faire part, quoiqu'il soit très-probable
-que vous me voyez avant que ce journal ne puisse vous parvenir.
-
-»Lundi dernier (31 juillet), nous étions presque renfermés par la
-glace qui entourait le vaisseau de tous côtés, et lui laissait à
-peine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard épais, dont nous
-étions enveloppés, rendait notre situation assez dangereuse. Nous
-n'eûmes rien de mieux à faire qu'à rester en place, jusqu'à ce qu'il
-y eût un changement dans l'atmosphère et le temps.
-
-»Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous vîmes flotter, de
-toutes parts, des îles de glace immenses et irrégulières, qui
-paraissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons se
-lamentaient, et mon esprit commençait à être agité d'inquiètes
-pensées, lorsque tout à coup notre attention fut attirée par un objet
-singulier, qui fit diversion à l'inquiétude que nous inspirait notre
-situation. Nous vîmes un chariot bas, fixé sur un traîneau et tiré
-par des chiens, passer au nord, à la distance d'un demi-mille: un
-être, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une stature
-gigantesque, était assis dans le traîneau et guidait les chiens. Nous
-observâmes, avec nos télescopes, la rapidité de la course du
-voyageur, jusqu'à ce qu'il fût perdu au loin parmi les inégalités de
-la glace.
-
-»Cette vue excita parmi nous un étonnement dont nous ne pûmes nous
-rendre compte. Nous pensions être éloignés de terre de plusieurs
-cents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distance
-n'était réellement pas aussi grande que nous avions pu le croire.
-Cependant, cernés par la glace, il nous fut impossible de suivre la
-trace de ce que nous avions observé avec la plus grande attention.
-
-»Environ deux heures après cette rencontre, nous entendîmes le
-craquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, et
-débarrassa notre vaisseau. Néanmoins, nous restâmes en place jusqu'au
-matin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurité, contre ces grandes
-masses détachées qui flottent de tous côtés après la rupture de la
-glace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures.
-
-»Dans la matinée, cependant, dès qu'il fut jour, je montai sur le
-pont, et trouvai tous les matelots rassemblés d'un seul côté du
-vaisseau, et ayant l'air de parler à quelqu'un qui était dans la mer.
-En effet, un traîneau semblable à celui que nous avions vu auparavant,
-s'était dirigé vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau de
-glace. Il était conduit par un seul chien en vie, et portait un homme
-auquel les matelots tâchaient de persuader d'entrer dans le bâtiment.
-Ce n'était pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitant
-sauvage de quelqu'île inconnue, mais un Européen. Lorsque je parus sur
-le pont, le contre-maître lui dit: «Voici notre capitaine, il ne vous
-laissera pas périr au milieu de la mer».
-
-»En me voyant, l'étranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avec
-un accent étranger. «Avant que j'entre à bord de votre bâtiment,
-dit-il, voulez-vous avoir la bonté de m'informer de quel côté vous
-vous dirigez»?
-
-»Vous devez concevoir mon étonnement, de m'entendre adresser une
-semblable question par un homme qui était sur le bord de l'abîme, et
-à qui mon vaisseau devait paraître un bien plus précieux, que tous
-ceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je répondis cependant que nous
-faisions un voyage de découverte vers le pôle du nord.
-
-»Il parut alors satisfait, et consentit à venir à bord. Bon Dieu!
-Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour son
-salut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres étaient
-presque gelés, et son corps horriblement maigri par la fatigue et la
-souffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un état aussi pitoyable.
-Nous essayâmes de le porter dans la chambre; mais dès qu'il eut
-quitté le grand air, il s'évanouit. Nous le reportâmes donc sur le
-pont, et le rendîmes à la vie en le frottant d'eau-de-vie et en le
-forçant d'en avaler un peu. Dès qu'il montra signe de vie, nous eûmes
-soin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer auprès de la
-cheminée du poêle de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, et
-mangea une petite soupe qui le restaura merveilleusement.
-
-»Deux jours se passèrent ainsi, sans qu'il fût capable de parler; et
-je craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent privé de la
-raison. Lorsqu'il fut un peu rétabli, je le mis dans ma chambre, et eus
-pour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'ai
-jamais vu un être plus intéressant: ses yeux ont ordinairement une
-expression de fureur, et même de folie; mais, dans certains moments,
-quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus léger
-service, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire un
-sentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Il
-est ordinairement plongé dans la mélancolie et le désespoir;
-quelquefois même il grince les dents, comme s'il n'était plus capable
-de supporter le poids des malheurs qui l'accablent.
-
-»Lorsque mon hôte fut un peu rétabli, j'eus beaucoup de peine à
-éloigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je ne
-voulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosité, dans un
-état de corps et d'âme dont l'amélioration dépendait évidemment
-d'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demanda
-pourquoi il était venu si loin sur la glace, dans un équipage si
-singulier.
-
-»Sa figure prit aussitôt l'expression du plus profond chagrin; et il
-répliqua: «Afin de poursuivre quelqu'un qui me fuyait.--Et l'homme que
-vous poursuiviez, voyageait-il de la même manière?--Oui,
-dit-il.--Alors je crois que nous l'avons vu; car, la veille du jour où
-nous vous avons rencontré, nous avions aperçu quelques chiens tirant
-à travers la glace, un traîneau dans lequel était un homme».
-
-»Ce peu de mots éveilla l'attention de l'étranger; et il fit une
-multitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le démon
-(c'est ainsi qu'il l'appelait). Bientôt après, lorsqu'il fut seul avec
-moi, il me dit: «J'ai, sans doute, excité votre curiosité, aussi bien
-que celle de ces braves gens; mais vous êtes trop délicat pour me
-faire des questions.
-
-»--Certainement; il serait très-indiscret et très-inhumain de ma part
-de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosité personnelle.
-
-»--Et cependant vous ni avez tiré d'une position étrange et
-dangereuse; vous m'avez généreusement rendu à la vie».
-
-»Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace eût
-anéanti l'autre traîneau. Je lui dis que je ne saurais répondre avec
-certitude; car la glace ne s'était guère brisée avant minuit, et le
-voyageur pouvait être arrivé ayant ce temps en lieu de sûreté; mais
-que je n'en pouvais juger.
-
-»Depuis ce temps, l'étranger paraissait très-empressé à être sur
-le pont, pour épier le traîneau qu'on avait vu auparavant; mais je
-l'ai engagé à rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faible
-pour soutenir la rigueur de l'atmosphère. J'ai promis que l'on
-observerait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelque
-nouvel objet s'offrait à la vue.
-
-»Voilà mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport à notre
-étrange rencontre. L'étranger a insensiblement recouvré la santé,
-mais il est très-silencieux, et parait embarrassé lorsqu'un autre que
-moi entre dans sa chambre. Cependant, ses manières sont si engageantes
-et si douces, que les matelots s'intéressent tous à son sort,
-quoiqu'ils aient eu très-peu de communication avec lui. Pour moi, je
-commence à l'aimer comme un frère; et son chagrin profond et continuel
-m'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il ait
-été un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui,
-puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable.
-
-»Je disais dans une de mes lettres, ma chère Marguerite, que je ne
-trouverais pas d'amis sur le vaste Océan, et pourtant j'ai trouvé un
-homme que mon cœur aurait été heureux d'aimer comme un frère, avant
-que son âme eut été brisée par le malheur.
-
-»Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet étranger, si
-j'ai quelque chose de nouveau à vous apprendre».
-
-
-
-
-13 août 17--
-
-
-«Mon affection pour mon hôte augmente de jour en jour. Il excite du
-moins mon admiration et ma pitié d'une manière étonnante. Comment
-pourrai-je voir un être aussi noble abîmé par le malheur, sans
-éprouver la plus vive douleur? Il est si doux et si sage à la fois;
-son esprit est si cultivé; et lorsqu'il parle, ses paroles, quoique
-choisies avec l'art le plus délicat, coulent avec une rapidité et une
-éloquence incomparables.
-
-»Il est maintenant très-bien rétabli, et il se tient continuellement
-sur le pont, pour épier sans doute le traîneau qui a précédé le
-sien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas si
-entièrement occupé de sa propre infortune, qu'il ne s'intéresse
-vivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questions
-sur mon projet, et je lui ai raconté franchement ma petite histoire. Il
-a paru charmé de la confidence et a fait sur mon plan plusieurs
-observations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas de
-pédanterie dans ses manières, et tout ce qu'il fait semble ne provenir
-que de l'intérêt qu'il prend naturellement au bien-être de ceux qui
-l'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observe
-beaucoup, et cherche à chasser tout ce qu'il y a de sombre ou
-d'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme un
-nuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'ai
-tâché de gagner sa confiance, et je crois y avoir réussi. Je lui
-parlais un jour du désir que j'avais de trouver un ami qui pût
-sympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que je
-n'appartenais pas à cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis.
-«Je n'ai reçu qu'une demi-éducation, et je ne puis avoir assez de
-confiance en mes propres moyens. Je désire donc que mon compagnon soit
-plus sage et plus expérimenté que moi, afin de m'affermir et de me
-soutenir; je n'ai pas cru qu'il fût impossible de trouver un véritable
-ami».
-
-«Je conviens avec vous, répliqua l'étranger, que l'amitié est
-non-seulement un bien désirable, mais possible. J'eus autrefois un ami,
-dont l'âme était la plus noble qui fut sous le ciel: il m'est donc
-permis de juger de la véritable amitié. Vous avez l'espérance et le
-monde devant vous: ne désespérez de rien. Mais moi.... j'ai tout
-perdu, et je ne puis recommencer une nouvelle vie».
-
-»En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calme
-et profond, qui me toucha le cœur. Il se tut et se retira bientôt dans
-sa chambre.
-
-»Malgré l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plus
-vivement que lui des beautés de la nature. Un ciel étoilé, la mer et
-toutes les vues que présentent ces régions étonnantes semblent encore
-avoir le pouvoir d'élever son âme au-dessus de la terre. Un tel homme
-a une double existence: il peut supporter le malheur et être accablé
-par les revers; quand il est rentré en lui-même, on dirait d'un esprit
-céleste, entouré d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la folie
-ne peuvent pénétrer.
-
-»Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cet
-aventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cette
-simplicité qui était autrefois votre charme caractéristique.
-Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions,
-tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les répéter».
-
-
-
-
-19 août 17--
-
-
-«L'étranger me dit hier: «Vous pouvez voir facilement, capitaine
-Walton, que j'ai éprouvé de grands et incomparables malheurs. J'étais
-décidé d'abord à ensevelir avec moi le souvenir de ces maux, mais
-vous avez changé ma résolution. Vous cherchez les connaissances et la
-sagesse; moi aussi j'ai cherché ces biens. J'espère avec ardeur que
-l'accomplissement de vos vœux ne deviendra pas pour vous, comme pour
-moi, une cause de douleur. Je ne sais si l'histoire de mes infortunes
-vous sera utile; mais si vous le désirez, je vous en ferai le récit.
-Je crois que les événements étranges qui se lient à ma destinée,
-vous feront envisager la nature sous un point de vue capable d'agrandir
-vos facultés et votre intelligence. Vous entendrez parler de puissances
-et d'aventures que vous êtes habitué à croire impossibles. Mais je ne
-doute pas que mon histoire ne porte avec elle l'évidence de la vérité
-des événements qui la composent».
-
-»Vous devez concevoir facilement que je fus enchanté d'une offre de ce
-genre. Cependant je craignais qu'il ne renouvelât sa douleur par le
-récit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressement d'entendre
-l'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosité,
-que par un grand désir d'améliorer son sort, s'il était en mon
-pouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma réponse.
-
-»Je vous remercie, répliqua-t-il, de votre bonne volonté, mais elle
-est inutile; ma destinée est presque accomplie. Je n'attends plus
-qu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends,
-continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vous
-vous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rien
-ne peut changer ma destinée: écoutez mon histoire, et vous verrez
-qu'elle est irrévocablement fixée».
-
-»Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son récit, lorsque
-j'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondes
-réflexions, et j'ai résolu de consacrer mes loisirs du soir à écrire
-ce qu'il m'aura raconté pendant le jour, en rapportant autant que
-possible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, je
-prendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plus
-grand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela de
-sa bouche, avec quel intérêt et quelle émotion je le relirai un
-jour»!
-
-
-
-
-CHAPITRE Ier
-
-
-Je suis né à Genève, et ma famille est une des plus considérables de
-cette république. Mes ancêtres avaient été, depuis bon nombre
-d'années, conseillers et syndics; et mon père avait rempli des
-fonctions publiques avec honneur et distinction. Il était respecté de
-tous ceux qui le connaissaient, à cause de son intégrité, et de son
-application infatigable à veiller aux intérêts de l'État. Il passa
-les années de sa jeunesse continuellement occupé des affaires de son
-pays, et il n'attendit pas le déclin de sa vie pour penser à se
-marier, et à laisser à l'État des fils qui pussent transmettre à la
-postérité ses vertus et son nom.
-
-Comme les circonstances de son mariage font honneur à son caractère,
-je ne puis m'empêcher de les rapporter. Il comptait parmi ses plus
-intimes amis un négociant qui, d'un état brillant, tomba dans la
-pauvreté, après toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommait
-Beaufort, était d'un caractère orgueilleux et facile à se
-décourager. Il ne put soutenir l'idée de vivre pauvre et oublié dans
-le même pays où il avait brillé par son rang et sa magnificence.
-Ayant donc payé ses dettes de la manière la plus honorable, il se
-retira avec sa fille dans la ville de Lucerne, où il vécut inconnu et
-malheureux. Mon père aimait Beaufort de l'amitié la plus vraie; et il
-fut profondément affligé d'une retraite à laquelle des circonstances
-malheureuses avaient donné lieu, et qui le privait d'une société qui
-lui était chère. Il résolut d'aller le chercher et de l'engager à
-recommencer le commerce, en profitant de son crédit et de son
-assistance.
-
-Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut que
-dix mois après que mon père découvrit sa demeure. Charmé de cette
-découverte, il se rend à sa maison, qui était située dans une petite
-rue près le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux le
-spectacle de la misère et du désespoir. Beaufort avait sauvé des
-restes de sa fortune, une très-petite somme d'argent, mais qui était
-suffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il espérait alors
-obtenir un emploi respectable dans la maison d'un négociant. En
-attendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir,
-aux plus tristes pensées, il fut en proie au chagrin le plus profond et
-le plus cruel, et tellement accablé d'esprit, que trois mois après, il
-fut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille le
-soignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avec
-douleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaient
-plus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une âme d'une trempe
-peu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans son
-adversité. Elle se procura une occupation honnête, tressa de la
-paille, et, par différents moyens, tâcha de gagner de quoi subvenir
-aux premiers besoins de la vie.
-
-Plusieurs mois se passèrent ainsi. Son père devint plus mal; son temps
-était plus occupé à le soigner; ses moyens de subsistance
-diminuaient; et, en dix mois, son père mourut dans ses bras, la
-laissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; et
-elle était à genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant à
-chaudes larmes, lorsque mon père entra dans la chambre. Il arriva comme
-un ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia à ses
-soins; après l'enterrement de son ami, il la conduisit à Genève et la
-confia à une de ses parentes. Deux ans après cet événement, Caroline
-devint sa femme.
-
-Lorsque mon père fut devenu époux et père, il se trouva tellement
-occupé par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonna
-plusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer à l'éducation de
-ses enfants. J'étais l'aîné, et je devais lui succéder dans tous ses
-travaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parents
-que les miens. Mon éducation et ma santé étaient l'objet de leur
-sollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, que
-pendant plusieurs années je fus leur unique enfant. Mais, avant de
-continuer mon récit, je dois rapporter un événement qui eut lieu
-lorsque j'étais âgé de quatre ans.
-
-Mon père avait une sœur qu'il aimait tendrement, et qui avait
-épousé, très-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps après son
-mariage, elle avait accompagné son mari dans son pays; et, depuis
-quelques années, mon père n'avait eu que très-peu de rapport avec
-elle. Elle mourut vers l'époque dont j'ai parlé; et, peu de mois
-après, il reçut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part de
-son intention d'épouser une Italienne, et priait mon père de se
-charger de sa fille Élisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa sœur.
-«Je désire, dit-il, que vous la considériez comme votre propre fille
-et que vous l'éleviez de même. La fortune de sa mère lui est
-assurée, et je vous en remettrai les titres. Réfléchissez à cette
-proposition, et choisissez si vous voulez que votre nièce soit élevée
-par vous-même ou par une belle-mère».
-
-Mon père n'hésita pas, et alla aussitôt en Italie pour accompagner la
-petite Élisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire à
-ma mère, qu'elle était alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu,
-et qu'elle montrait même un caractère doux et aimant. Ces
-dispositions, et le désir de resserrer aussi étroitement que possible
-les nœuds de l'amour domestique, déterminèrent ma mère à regarder
-Élisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais à se
-repentir.
-
-Dès-lors Élisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nous
-avançâmes en âge, elle fut mon amie. Elle était douée d'un
-excellent naturel, aussi gaie et aussi folâtre qu'un papillon.
-Quoiqu'elle fut vive et animée, ses sensations étaient fortes et
-profondes; son caractère prodigieusement aimant. Personne ne savait
-mieux qu'elle jouir de sa liberté, personne aussi ne se soumettait avec
-plus de grâce à la nécessité et au caprice. Son imagination était
-brillante quoiqu'elle fût capable d'une grande application. Ses traits
-étaient l'image de son âme; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceux
-d'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure était vive et
-animée. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de la
-femme la plus délicate du monde. Plein d'admiration pour son
-intelligence et son esprit, j'aimais à la suivre, comme j'aurais pu le
-faire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dans
-la personne et dans l'esprit unis à si peu de prétention.
-
-Tout le monde adorait Élisabeth. Si les domestiques avaient quelque
-chose à solliciter, c'était toujours par son intercession. Nous
-étions étrangers à toute espèce de désunion et de dispute; il
-existait, il est vrai, une grande différence dans nos caractères, mais
-il y avait même de l'harmonie dans cette opposition. J'étais plus
-calme et plus réfléchi que ma compagne; cependant mon caractère
-n'était pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; mais
-elle était moins opiniâtre pendant sa durée. J'aimais à rechercher
-les faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait à suivre
-les inspirations hardies des poètes. Le monde était pour moi un secret
-que je désirais pénétrer; pour elle, c'était un vide qu'elle
-cherchait à peupler d'êtres de sa propre imagination.
-
-Mes frères étaient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un de
-mes condisciples un ami dont l'âge répondait au mien. Henry Clerval
-était fils d'un négociant de Genève, intime ami de mon père.
-C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je
-me souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, qui
-faisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Son étude
-favorite était celle des romans et des livres de chevalerie; et,
-lorsque nous étions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions des
-pièces qu'il composait lui-même d'après ses livres, dont les
-principaux personnages étaient Roland, Robin Hood, Amadis, et
-Saint-George.
-
-Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mes
-parents étaient indulgents et mes camarades aimables. Nos études
-n'étaient jamais forcées; et, par quelques moyens, nous avions
-toujours devant nous un but qui nous excitait à les poursuivre avec
-ardeur. Ce fut de cette manière, et non par l'émulation, que nous
-prîmes goût au travail. Ce n'était pas la crainte d'être surpassée
-par ses compagnes, qui excitait Élisabeth à s'appliquer au dessin;
-mais le désir qu'elle avait de plaire à sa tante, en lui mettant sous
-les yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-même. Nous
-apprîmes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de ces
-deux langues; et, au lieu de nous rendre l'étude odieuse par les
-punitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractions
-eussent été des travaux pour d'autres enfants. Peut-être n'avons nous
-pas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussi
-promptement que ceux qui sont enseignés d'après les méthodes
-ordinaires; mais ce que nous avons appris nous est resté plus
-profondément gravé dans la mémoire.
-
-Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique,
-car il était constamment avec nous. Il allait à l'école avec moi, et
-passait chez nous presque tous les après-midi; son père qui n'avait
-que ce fils, était bien aise qu'il trouvât dans notre maison les
-camarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'étions
-jamais tout-à-fait heureux lorsque Clerval était absent.
-
-J'ai du plaisir à m'arrêter sur les souvenirs de mon enfance, avant
-que le malheur n'eût atteint mon esprit et changé ses idées
-lumineuses sur l'utilité générale en des réflexions sur moi-même,
-profondes et rétrécies. Mais, en traçant le tableau de mes jeunes
-années, je ne dois pas omettre ces événements qui me conduisirent
-insensiblement au dernier degré du malheur: car, lorsque je me rends
-compte de la naissance de cette passion qui régla ensuite ma destinée,
-je la vois sortir de sources impures et presqu'oubliées, comme un
-fleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissant
-insensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, a
-détruit toutes mes espérances et mon bonheur.
-
-La philosophie naturelle est le génie qui a réglé ma destinée; je
-désire donc, dans ce récit, établir les faits qui m'ont inspiré une
-prédilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nous
-fîmes tous une partie de plaisir, aux bains près de Thonon: le mauvais
-temps nous obligea de rester toute une journée renfermés dans
-l'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison,
-un volume des œuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avec
-indifférence; la théorie qu'il cherche à démontrer et les faits
-étonnants qu'il rapporte, changèrent bientôt ce sentiment en
-enthousiasme. Une nouvelle lumière sembla éclairer mon esprit; je
-bondis de joie, et fis part de ma découverte à mon père. Je ne puis
-m'empêcher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont les
-instituteurs, pour diriger les idées de leurs élèves vers des
-connaissances utiles, et qu'ils négligent entièrement. Mon père
-regarda avec indifférence le titre de mon livre, et dit: «Ah!
-Cornélius Agrippa! Mon cher Victor, ne perdez pas voire temps
-là-dessus, c'est une triste occupation».
-
-Si, au lieu de cette remarque, mon père eût pris la peine de
-m'expliquer que les principes d'Agrippa avaient été tout-à-fait
-rejetés, et qu'on avait introduit un nouveau système de science, basé
-sur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ci
-étaient chimériques, tandis que les autres étaient réels et mis en
-usage; oh! alors, j'aurais certainement jeté Agrippa de côté, et,
-avec une imagination échauffée comme la mienne, je me serais
-probablement appliqué à la théorie d'alchimie, la plus raisonnable
-qui soit résulté des découvertes modernes. Il est même possible que
-le cours de mes idées n'eussent jamais reçu la funeste impulsion qui
-m'a conduit à ma perte. Mais le mépris vague que mon père avait
-montré pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il connût ce qu'il
-contenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidité.
-
-Lorsque je fus de retour à la maison, mon premier soin fut de me
-procurer tous les ouvrages de cet auteur, et ensuite ceux de Paracelse
-et du Grand Albert. Je lus et j'étudiai avec délices les rêves
-ténébreux de ces écrivains; ils me parurent des trésors connus à
-peu d'autres personnes que moi; et, quoique je désirasse souvent faire
-connaître à mon père ces secrètes profondeurs de la science,
-j'étais toujours retenu par la critique indéterminée qu'il avait
-faite de mon auteur favori. J'appris ma découverte à Élisabeth, sous
-le sceau du secret le plus strict; mais elle ne prenait pas d'intérêt
-à mon travail, et elle me laissait poursuivre seul mes études.
-
-Il peut sembler très-étrange de voir dans le 18e siècle un disciple
-du Grand Albert; mais notre famille n'était pas scientifique, et je
-n'avais pas suivi les lectures recommandées aux écoles de Genève. Mes
-rêves n'étaient donc pas troublés par la réalité; et je me livrai
-avec ardeur à la recherche de la pierre philosophale et de l'élixir de
-vie. Ce dernier objet obtint toute mon application: je le préférai à
-la richesse; et quelle gloire suivrait ma découverte, si je
-réussissais à chasser la maladie du corps humain, et à ne rendre
-l'homme accessible qu'à une mort violente!
-
-Mes idées ne se bornèrent pas là. L'apparition des esprits et des
-démons était généreusement promise par mes auteurs favoris: je
-cherchais avec ardeur l'accomplissement de cette promesse; et, si mes
-enchantements restaient toujours sans succès, j'en attribuais la faute
-plutôt à mon inexpérience et à mon ignorance, qu'à un défaut
-d'habilité ou de bonne foi dans mes maîtres.
-
-Les phénomènes de la nature qui s'offrent tous les jours à nos yeux,
-n'échappèrent pas à mes recherches. La circulation et les effets
-surprenants de la respiration, dont mes autorités ignoraient
-entièrement la cause, excitèrent mon étonnement; mais, ce qui
-m'étonna le plus, ce furent quelques expériences d'une pompe d'air,
-que je vis employée par une personne que nous avions l'habitude devoir.
-
-L'ignorance des anciens philosophes sur ces points et sur d'autres,
-servit à leur faire perdre leur crédit auprès de moi; mais je ne
-pouvais les quitter entièrement, avant qu'un autre système ne les eût
-remplacés dans mon esprit.
-
-À l'âge d'environ dix-sept ans, nous nous trouvions dans notre maison,
-auprès de Belrive, quand vint à éclater l'orage le plus violent et le
-plus terrible. Il s'avançait de l'autre côté des montagnes du Jura,
-et s'annonçait par les éclats du tonnerre qui retentissait de
-plusieurs côtés à la fois avec un fracas effrayant. Je restai, tant
-que l'orage dura, à observer ses progrès avec curiosité et plaisir.
-Pendant que je me tenais à la porte, je vis tout à coup une traînée
-de feu sortir d'un chêne antique et élevé, qui était à peu près à
-vingt pas de notre maison; et à peine la lumière cessa de briller, que
-le chêne disparut, et il ne restait plus qu'un tronc en ruines. Le
-lendemain matin nous allâmes le voir; l'arbre avait été
-singulièrement brisé. Il n'était pas fendu par le choc, mais
-entièrement réduit en petits éclats de bois. Je n'ai jamais rien vu
-qui fût si complètement détruit.
-
-La ruine de cet arbre fut pour moi l'objet d'un vif étonnement; je
-questionnai avec empressement mon père sur la nature et l'origine du
-tonnerre et des éclairs. «L'électricité», répondit-il, en
-décrivant en même temps les différents effets de cette force. Il
-construisit une petite machine électrique, et me fit quelques
-expériences; il fit aussi un cerf-volant, avec des cordes et un fil de
-métal, qui attirait des nuages le fluide électrique.
-
-Ce dernier trait acheva de renverser Cornelius Agrippa, le Grand Albert
-et Paracelse, qui avaient si long-temps régné en maîtres dans mon
-imagination. Mais, par quelque fatalité, je ne me sentis pas porté à
-commencer l'étude d'un système moderne, et ce dégoût eut pour cause
-la circonstance suivante.
-
-Mon père avait témoigné le désir que je suivisse un cours de leçons
-sur la philosophie naturelle, et j'y avais consenti avec plaisir. Un
-accident m'empêcha de suivre ces leçons jusqu'à la fin, et la
-dernière que je pris était tout-à-fait inintelligible pour moi. Le
-professeur discourait avec la plus grande abondance sur le Potassium et
-le Boron, les sulfates et les oxides, termes auxquels je ne pouvais
-appliquer d'idée. Je pris en dégoût la science de la philosophie
-naturelle, quoique je lusse encore avec plaisir Pline et Buffon, auteurs
-qui, suivant moi, étaient d'un intérêt et d'une utilité à peu près
-semblables.
-
-Mes occupations, à cette époque, étaient principalement les
-mathématiques, et la plupart des branches d'étude qui appartiennent à
-cette science. Je m'occupais aussi beaucoup à apprendre les langues; le
-Latin m'était déjà familier, et je commençais à lire quelques-uns
-des auteurs Grecs les plus faciles sans le secours d'un Lexicon. Je
-comprenais parfaitement aussi l'Anglais et l'Allemand. Voilà la
-nomenclature de ce que je savais à l'âge de dix-sept ans; et vous
-devez penser que mes moments étaient entièrement occupés pour
-acquérir et conserver la connaissance de ces différentes
-littératures.
-
-J'eus aussi une autre tâche à remplir; je devins l'instituteur de mes
-frères. Ernest était de six ans plus jeune que moi et mon principal
-élève. Il avait eu une mauvaise santé dans son enfance, pendant
-laquelle Élisabeth et moi nous avions eu pour lui des soins assidus.
-Son caractère était doux, mais il était incapable de toute
-application sérieuse. Guillaume, le plus jeune de la famille, était
-encore enfant, et c'était le plus beau petit drôle du monde; ses yeux
-bleus et vifs, ses joues ornées de deux fossettes, et ses manières
-caressantes inspiraient la plus tendre affection.
-
-Tel était notre cercle domestique, dont les soucis et les chagrins
-semblaient bannis pour toujours. Mon père dirigeait nos études, et ma
-mère partageait nos plaisirs. Aucun de nous n'avait la plus légère
-supériorité sur l'autre, nous ne connaissions pas la voix du
-commandement; mais une affection mutuelle nous portait à condescendre
-et à obéir au moindre désir de chacun.
-
-
-
-
-CHAPITRE II
-
-
-Je venais d'atteindre ma dix-septième année, quand mes parents prirent
-la résolution de m'envoyer étudier à l'université d'Ingolstadt.
-J'avais d'abord suivi les écoles de Genève; mais mon père pensa qu'il
-était nécessaire, pour le complément de mon éducation, de me faire
-connaître d'autres usages que ceux de mon pays natal. Mon départ fut
-donc prochainement fixé; et, avant que le jour marqué ne fût venu,
-j'éprouvai le premier malheur de ma vie..... présage de ceux qui
-m'attendaient.
-
-Élisabeth avait eu la fièvre rouge, mais sans aucun symptôme de
-danger. Elle ne tarda pas à recouvrer la santé. Pendant le temps de la
-maladie, on avait tout fait pour persuader à ma mère de ne pas la
-voir. Elle s'était d'abord rendue à nos supplications; mais,
-lorsqu'elle apprit que sa chère nièce se rétablissait, elle ne put se
-priver davantage de sa société, et entra dans sa chambre long-temps
-avant que l'air ne fut sans danger. Les conséquences de cette
-imprudence furent funestes. Le troisième jour, ma mère tomba malade;
-sa fièvre prit un caractère de malignité, et nous vîmes sur le
-visage de ceux qui la soignaient l'augure du plus triste événement. Au
-lit de la mort, le courage et la bonté de cette femme admirable ne
-l'abandonnèrent pas. Elle joignit les mains d'Élisabeth et les
-miennes: «Mes enfants, dit-elle, j'envisageais dans votre union le plus
-ferme espoir de mon bonheur futur. Cette perspective sera maintenant la
-consolation de votre père. Élisabeth, mon amie, vous me remplacerez
-auprès de vos plus jeunes cousins. Hélas! je regrette d'être
-séparée de vous; heureuse et aimée comme je l'étais, comment
-n'aurais-je pas quelque peine de vous quitter tous? Mais ces pensées ne
-me conviennent point; je lâcherai de me résigner à la mort, et
-j'espère que nous nous reverrons dans un autre monde».
-
-Elle mourut avec calme, et en conservant sur son visage inanimé
-l'expression de la tendresse. Je n'ai pas besoin de vous décrire les
-sentiments de ceux dont les nœuds les plus chers sont rompus par le
-plus irréparable des maux, le vide qui est dans le cœur et la douleur
-qui est empreinte sur les figures. Il faut tant de temps pour que
-l'esprit puisse se persuader que celle que nous voyions tous les jours
-et dont existence même semblait liée à la nôtre, est perdue à
-jamais...; que l'éclat enchanteur de ses yeux est éteint; et que le
-son d'une voix si familière et si chère à l'oreille, est étouffé
-pour n'être plus entendu. Telles sont les réflexions auxquelles on se
-livre les premiers jours; mais lorsque le laps du temps a prouvé la
-réalité du mal, la douleur commence à se faire sentir plus vivement.
-Et à qui la main terrible de la mort n'a-t-elle pas enlevé
-quelqu'affection bien chère? Pourquoi vous peindre un chagrin que tout
-le monde a éprouvé ou doit éprouver? Le temps arrive enfin, où la
-douleur est plutôt une consolation qu'un mal; et le sourire n'est pas
-banni de nos lèvres, quoiqu'il paraisse un sacrilège. Ma mère
-n'était plus, mais nous avions encore des devoirs à remplir; car nous
-devons continuer notre vie dans le calme, et nous trouver heureux, tant
-qu'il nous reste un être sur qui la faulx de la mort ne s'est pas encore
-appesantie.
-
-Mon voyage à Ingolstadt, qui avait été différé par ces
-évènements, fut décidé de nouveau. J'obtins de mon père un délai
-de quelques semaines. Ce temps se passa fort tristement. La mort de ma
-mère et mon prompt départ accablaient nos esprits; mais Élisabeth
-cherchait à ramener la gaîté dans notre petite société. Depuis la
-mort de sa tante, son esprit avait acquis une nouvelle fermeté et une
-nouvelle force. Elle se détermina à remplir ses devoirs avec la plus
-grande exactitude, et elle sentit que le devoir le plus impérieux qui
-lui était imposé, était de rendre heureux son oncle et ses cousins.
-Elle me consolait, amusait son oncle, instruisait mes frères; jamais
-elle ne me parut aussi charmante qu'à cette époque, où elle
-s'efforçait continuellement de contribuer au bonheur des autres, en
-s'oubliant entièrement elle-même.
-
-Le jour de mon départ arriva enfin. J'avais pris congé de tous mes
-amis, excepté de Clerval, qui passa avec nous la dernière soirée. Il
-s'affligeait amèrement de ne pouvoir m'accompagner: mais il était
-retenu chez son père, dont l'intention était de l'associer dans ses
-affaires, et dont le grand principe était que la science est inutile
-dans le commerce ordinaire de la vie. Henry avait un esprit plus
-élevé: il n'avait, nullement le désir de ne rien faire, et s'il
-était bien aise de devenir l'associé de son père, il pensait aussi
-qu'on pouvait être un fort bon négociant, et en même temps avoir un
-esprit cultivé.
-
-Nous restâmes très-tard à écouter ses plaintes et à faire plusieurs
-petits arrangements pour l'avenir. Je partis le lendemain matin de bonne
-heure. Des pleurs coulaient des yeux d'Élisabeth; elle ne pouvait les
-retenir en songeant que mon départ la laissait dans le chagrin, et que
-le même voyage avait été fixé trois mois auparavant, lorsque la
-bénédiction d'une mère m'aurait accompagné.
-
-Je me jetai dans la chaise qui devait m'emmener, et me livrai aux
-réflexions les plus mélancoliques. J'étais seul maintenant, moi, qui
-avais été toujours entouré d'aimables compagnons, dont l'unique soin
-était d'être agréables l'un à l'autre. Dans l'université vers
-laquelle je me rendais, il fallait me faire mes amis et être moi-même
-mon protecteur. Jusqu'ici, ma vie avait été tout-à-fait domestique et
-retirée; j'en gardai une répugnance invincible pour les nouveaux
-visages. J'aimais mes frères, Élisabeth et Clerval; c'étaient pour
-moi _d'anciennes figures qui m'étaient familières_; mais je ne me
-croyais nullement fait pour la société des étrangers. Telles étaient
-mes réflexions lorsque je commençai mon voyage; mais à mesure que
-j'avançais, mon courage et mes espérances se relevaient. J'avais un
-vif désir d'apprendre. Souvent, chez mon père, j'avais trouvé
-pénible de passer ma jeunesse, attaché à la même place; j'aurais
-voulu entrer dans le monde, et prendre ma place parmi les autres hommes.
-À présent que mes désirs étaient accomplis, c'eût été une folie
-de m'en repentir.
-
-J'eus tout le temps de me livrer à ces réflexions et à bien d'autres
-pendant mon voyage à Ingolstadt, qui fut long et fatigant. Enfin,
-j'aperçus les clochers blancs et élevés de la ville. Je descendis de
-voiture, et je fus conduit dans mon appartement solitaire pour passer la
-soirée comme il me plairait.
-
-Le lendemain matin, je remis mes lettres d'introduction; je ne manquai
-pas de rendre visite à quelques-uns des principaux professeurs, et
-entr'autres à M. Krempe, professeur de philosophie naturelle. Il me
-reçut avec politesse, et me fit plusieurs questions sur mes progrès
-dans les différentes branches de science qui appartiennent à la
-philosophie naturelle. Je lui nommai, non sans crainte et sans
-hésitation les seuls auteurs que j'eusse jamais lus sur ce sujet. Le
-professeur me regarda fixement: «Avez-vous, dit-il, réellement perdu
-votre temps à étudier de pareilles absurdités»?
-
---«Je vous ai dit la vérité», répondis-je.--«Chaque minute
-continua M. Krempe avec chaleur, chaque moment que vous avez passé sur
-ces livres est tout-à-fait et complètement perdu. Vous avez chargé
-votre mémoire de systèmes repoussés et de noms inutiles. Grand Dieu!
-Dans quel désert avez-vous habité, puisque personne n'a été assez
-bon pour vous apprendre que ces rêves, dont vous vous êtes pénétré
-avidement, sont enfantés depuis mille ans, et sont aussi méprisés
-qu'ils sont anciens? Je ne m'attendais guère à trouver dans ce siècle
-éclairé et savant, un disciple du Grand Albert et de Paracelse. Mon
-cher monsieur, il faut recommencer entièrement vos études».
-
-Après avoir ainsi parlé, il se mit à l'écart, et écrivit une liste
-de plusieurs livres qui traitaient de la philosophie naturelle. Il
-m'invita à les acheter; et il prit congé de moi, en me prévenant
-qu'au commencement de la semaine suivante, il ouvrirait un cours sur la
-philosophie naturelle dans ses rapports généraux, et que M. Waldman,
-son collègue, en ferait un sur l'alchimie, alternativement avec le
-sien.
-
-Je retournai chez moi sans être désappointé, car il y avait longtemps
-que je regardais comme passés de mode, les auteurs que le professeur
-avait réprouvés avec tant de force; mais je ne me sentis pas
-très-porté à étudier les livres dont j'avais fait emplette à sa
-recommandation. M. Krempe était un petit homme ramassé, dont la voix
-était rude, et la figure repoussante; ainsi le maître ne me disposait
-pas, en faveur de la doctrine. Du reste, j'avais du mépris pour les
-usages de la philosophie naturelle du jour. Quelle différence avec les
-maîtres de la science, quand ils cherchaient l'immortalité et le grand
-secret! Leurs vues étaient grandes, quoique futiles. Mais depuis, la
-scène était changée; l'ambition des nouveaux savants semblait se
-borner à détruire ces visions qui me portaient vers la science, avec
-le plus d'intérêt. Il fallait changer des chimères d'une grandeur
-sans bornes, contre de misérables réalités.
-
-Telles furent mes réflexions pendant les deux ou trois premiers jours
-que je passai presque dans la solitude. Mais au commencement de la
-semaine suivante, je pensai à ce que M. Krempe m'avait dit sur les
-cours. Et, quoique je ne pusse consentir à aller entendre ce petit
-pédant débiter des sentences dans une chaire, je me rappelai ce qu'il
-avait dit de M. Waldman, qui avait été absent jusqu'alors, et que je
-n'avais jamais vu.
-
-Soit par curiosité, soit par oisiveté, j'allai dans la salle des
-cours: M. Waldman y entra un instant après. Ce professeur ne
-ressemblait pas à son collègue. Il paraissait avoir environ cinquante
-ans, et portait sur son visage l'expression de la plus grande bonté:
-quelques cheveux gris couvraient ses tempes; des cheveux presque noirs
-garnissaient le derrière de sa tête. Il était petit, mais
-très-droit, et doué du plus doux organe. Il commença son cours par un
-précis de l'histoire de l'alchimie et des différentes découvertes
-dues à plusieurs savants, prononçant avec chaleur les noms de ceux qui
-s'étaient le plus distingués par ces découvertes. Il fit alors un
-tableau rapide de l'état actuel de la science, et expliqua plusieurs
-termes élémentaires. Après avoir fait quelques expériences
-préparatoires, il termina par un panégyrique de l'alchimie moderne, en
-des termes que je n'oublierai jamais.
-
-«Les anciens maîtres en cette science, dit-il, promettaient des choses
-impossibles, et n'accomplissaient rien. Les professeurs modernes
-promettent très-peu: ils savent qu'on ne peut changer les métaux, et
-que l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes, dont les
-mains ne semblent faites que pour tremper dans la boue qui semblent
-n'avoir des yeux que pour observer au travers d'un microscope ou dans le
-creuset, ont en effet produit des miracles. Ils pénètrent les secrets
-de la nature, et montrent ses effets dans les endroits les plus cachés.
-Ils pénètrent jusqu'aux cieux; ils ont découvert la circulation du
-sang, et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirs
-nouveaux et presqu'illimités; ils commandent aux foudres du ciel,
-imitent les tremblements de terre, et bravent même les ombres du monde
-invisible».
-
-Je me retirai enchanté du professeur et de sa leçon; j'allai le soir
-même lui rendre visite. Ses manières chez lui étaient encore plus
-douces et plus attrayantes qu'en public; car, pendant son cours, il y
-avait sur son visage une certaine dignité qui, en particulier, faisait
-place à la plus grande affabilité et à beaucoup de politesse. Il
-écouta avec attention la petite histoire de mes études, et sourit aux
-noms de Cornelius Agrippa et de Paracelse, mais sans le mépris qu'avait
-montré M. Krempe. Il me dit que, «c'était au zèle infatigable de ces
-hommes, que les philosophes modernes étaient redevables de la plupart
-des principes de leur science; qu'ils nous avaient laissé la tâche
-plus facile, de donner les noms, et de classer avec ordre les faits
-qu'ils avaient puissamment contribué à mettre au grand jour. Les
-travaux des hommes de génie, quoiqu'erronés, finissent toujours par
-tourner au profit de l'espèce humaine». J'écoutais son raisonnement,
-qui était prononcé sans orgueil ni affectation; j'ajoutai alors, que
-sa leçon avait dissipé mes préjugés, contre les alchimistes
-modernes; et en même temps, je lui demandai ses conseils sur les livres
-que je devais me procurer.
-
-«Je suis heureux, dit M. Waldman, de m'être fait un élève; et si
-votre application égale votre habileté, je ne doute pas que vous ne
-réussissiez. L'alchimie est la branche de la philosophie naturelle dans
-laquelle on a fait et pourra faire le plus de progrès. Voilà pourquoi
-j'en ai fait mon étude particulière, mais en même temps je n'ai pas
-négligé les autres branches de cette science. On ne serait qu'un bien
-médiocre alchimiste, si l'on ne s'adonnait qu'à cette partie seule des
-connaissances humaines. Si vous avez le désir de devenir vraiment un
-savant, et non simplement un petit faiseur d'expériences, je vous
-engagerai à cultiver toutes les branches de la philosophie naturelle,
-ainsi que les mathématiques».
-
-Il m'introduisit alors dans son laboratoire, et m'expliqua l'usage de
-ses différents instruments; il me montra tous ceux que je devais avoir,
-et me promit de me prêter les siens, lorsque j'aurais assez
-d'expérience pour ne pas en déranger le mécanisme. Il me donna aussi
-la liste des livres que j'avais demandés, et je pris congé de lui.
-
-Ainsi finit cette journée mémorable pour moi; elle décida de mon
-avenir.
-
-
-
-
-CHAPITRE III
-
-
-Depuis ce jour, je me livrai presqu'exclusivement à l'étude de la
-philosophie naturelle, et surtout de l'alchimie, dans le sens le plus
-étendu de ce mot. Je lus avec ardeur les ouvrages qui ont été
-composés sur cette science par les observateurs modernes, et où
-brillent à un haut degré leur génie et leur discernement. Je suivis
-les cours, je fréquentai les savants de l'université; et je reconnus
-même en M. Krempe beaucoup de bon sens et un vrai savoir, joints, il
-est vrai, à une physionomie et à des manières repoussantes, mais qui
-ne diminuaient pas le mérite de ses connaissances. Je trouvai un
-véritable ami dans M. Waldman. Sa douceur n'était jamais altérée par
-un ton tranchant; il donnait ses leçons avec un air de franchise et de
-bonté qui éloignait toute idée de pédanterie. Ce fut, peut-être,
-l'aimable caractère de cet homme qui m'entraîna le plus vers la partie
-de philosophie naturelle qu'il enseignait, qu'un goût intime pour la
-science même. Mais cette disposition d'esprit ne dura que dans les
-premiers moments de mes études: car, plus je pénétrais dans la
-science, et plus je la poursuivais exclusivement pour elle-même. Cette
-application, qui d'abord avait été un devoir et un ordre, devint
-alors si ardente et si vive, que souvent les étoiles avaient disparu
-devant la clarté du matin, que j'étais encore à travailler dans mon
-laboratoire.
-
-Avec une application aussi opiniâtre, il est facile de concevoir que je
-fis de rapides progrès. Mon ardeur faisait l'étonnement des
-étudiants, et mes succès celui des maîtres. Le professeur Krempe me
-demandait souvent, avec un sourire moqueur, comment allait Cornelius
-Agrippa; tandis que M. Waldman se réjouissait hautement de mes
-progrès. Deux ans se passèrent ainsi, sans que j'allasse à Genève;
-j'étais attaché, de cœur et d'âme, à la poursuite de quelques
-découvertes que je désirais faire. Il n'y a que ceux qui en ont fait
-l'épreuve, qui puissent comprendre les attraits de la science. Dans des
-études quelconques on peut atteindre ceux qui nous ont précédés,
-mais on ne peut guère les surpasser; dans l'étude des sciences, au
-contraire, il y a un aliment continuel pour les découvertes, et des
-sujets toujours nouveaux d'étonnement. Un esprit d'une capacité
-ordinaire, qui se renferme strictement, dans une seule étude, doit
-infailliblement y faire de grands progrès; j'avais constamment cherché
-à atteindre l'objet que j'avais en vue; je n'étais uniquement occupé
-que de cet objet; aussi, je me signalai par des progrès si rapides,
-que, deux ans après, je fis plusieurs découvertes pour perfectionner
-quelques instruments d'alchimie, ce qui me valut beaucoup d'estime et de
-considération dans l'université. Parvenu à ce point, et devenu aussi
-habile dans la théorie et dans la pratique de la philosophie naturelle
-qu'il dépendait des professeurs d'Ingolstadt, je jugeai que ma
-résidence dans cette ville n'était plus nécessaire à mes progrès.
-Je pensais à retourner au milieu de mes amis et dans ma ville natale,
-lorsqu'un événement m'obligea de rester.
-
-Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention,
-était la structure du corps humain, et même de tout être animé. Je
-me demandais même souvent, d'où pouvait procéder le principe de la
-vie. Cette question était hardie: c'était même un mystère aux yeux
-du monde; et, cependant, que de choses nous pourrions apprendre, si la
-lâcheté ou l'insouciance n'arrêtaient pas nos recherches. Ces
-pensées s'agitèrent dans mon esprit, et me déterminèrent à étudier
-désormais plus particulièrement les parties de la philosophie
-naturelle qui ont rapport à la physiologie. Sans un enthousiasme
-presque surnaturel, mon application à cette étude eût été pleine de
-dégoûts, et presque insupportable. Pour examiner les causes de la vie,
-nous devons d'abord avoir recours à la mort. J'appris l'anatomie: mais
-cette science ne suffisait pas; il fallut aussi que j'observasse la
-décomposition naturelle et la corruption du corps humain. En
-m'élevant, mon père avait pris les plus grandes précautions, pour
-qu'on ne remplit pas mon esprit d'horreurs surnaturelles. Je ne me
-souviens pas d'avoir jamais frissonné au récit d'un conte
-superstitieux, ou d'avoir eu peur de l'apparition d'un fantôme.
-L'obscurité ne faisait aucun effet sur mon imagination; et un
-cimetière n'était pour moi que le réceptacle des corps privés de la
-vie, qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force,
-étaient devenus la pâture des vers. Je me mis à examiner la cause et
-les progrès de cette décomposition, et je fus forcé de passer des
-jours et des nuits au milieu des tombeaux et dans des charniers. Je
-portais mon attention sur tous les objets les plus désagréables à la
-délicatesse des sensations humaines. J'examinai combien la belle forme
-de l'homme était dégradée et ravagée; je vis la corruption de la
-mort remplacer l'éclat d'un visage animé, et les vers hériter des
-merveilles de l'œil et du cerveau. Je m'arrêtais à observer et à
-analyser toutes les minuties de notre être, dévoilées dans le passage
-de la vie à la mort, lorsque, du milieu de cette obscurité, une
-lumière soudaine vint éclairer mon esprit. Elle était si brillante,
-si merveilleuse, et pourtant si naturelle, que je fus à la fois ébloui
-par l'immense clarté qu'elle répandait, et surpris que, parmi tant
-d'hommes de génie dont les recherches avaient eu pour but la même
-science, je fusse le seul destiné à découvrir cet étonnant secret.
-
-Rappelez-vous que je ne rapporte pas la vision d'un fou: ce que
-j'affirme est aussi vrai que le soleil brille dans les cieux. Que ce
-soit par un miracle, il n'en est pas moins vrai que les progrès de la
-découverte sont distincts et probables. Après des jours et des nuits
-d'un travail et d'une fatigue incroyables, je parvins à connaître la
-cause de la génération et de la vie; je devins même capable d'animer
-une matière inerte.
-
-L'étonnement où me jeta cette découverte, fit bientôt place au
-plaisir et au ravissement. Après avoir consumé tant de temps à des
-travaux pénibles, n'était-ce pas pour moi la récompense la plus
-douce, que d'arriver enfin au terme de mes désirs? Mais cette
-découverte était si grande et si élevée, que tous les degrés par
-lesquels j'y avais été progressivement conduit, furent oubliés: je ne
-vis que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait été
-l'objet des études et des désirs des hommes les plus sages, était
-maintenant en mon pouvoir. Tout se présentait à moi comme une scène
-magique. Le résultat que j'avais obtenu, était de nature plutôt à
-diriger mes efforts dès que je les tournerais vers l'objet de mes
-recherches, qu'à me l'offrir sur-le-champ. J'étais comme l'Arabe qui
-avait été enseveli parmi les morts, et qui trouva un passage à la
-vie, guidé seulement par une lueur qui semblait ne devoir pas lui
-prêter ce secours.
-
-Mon ami, je vois, à votre impatience, à l'étonnement et à l'espoir
-qu'expriment vos yeux, que vous vous attendez à ce que je vous
-instruise du secret de ma découverte; cela ne se peut: écoutez
-patiemment la fin de mon histoire, et vous verrez facilement pourquoi je
-me renferme dans le silence. Imprévoyant et ardent comme je l'étais
-alors, je ne vous conduirai pas à votre perte et à un malheur
-infaillible. Apprenez-de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon
-exemple, combien la science est dangereuse. Soyez-en certain: l'homme
-qui croit que sa ville natale est le monde, est plus heureux que celui
-qui aspire à s'élever plus qu'il ne peut prétendre.
-
-Maître d'un pouvoir si étonnant, j'hésitai long-temps sur l'usage que
-j'en ferais. J'avais, il est vrai, la faculté d'animer; mais il restait
-encore un ouvrage d'une difficulté et d'une peine inconcevables,
-c'était de préparer un corps destiné à recevoir la vie, avec toutes
-ses combinaisons de fibres, de muscles et de veines. J'hésitai d'abord,
-si j'essayerais de créer un être semblable à moi-même ou d'une
-organisation plus simple; mais mon imagination était trop exaltée par
-mon premier succès, pour que je misse en doute mon habileté à donner
-la vie à un être aussi compliqué et aussi merveilleux que l'homme.
-Les matériaux, dont je pouvais disposer, me parurent à peine
-suffisants pour une entreprise aussi hardie; mais je ne doutai pas que
-je ne finisse par réussir. Je me préparai à une multitude de revers;
-il était possible que mes opérations fussent sans succès, et enfin
-que mon ouvrage fût imparfait. Cependant, en réfléchissant aux
-progrès qu'on faisait tous les jours dans la science et dans la
-mécanique, je me flattais que mes essais seraient du moins la base d'un
-prochain succès, et je ne pouvais croire que mon plan fût
-impraticable, par cela même qu'il était grand et compliqué. Ce fut
-dans ces dispositions que je commençai à créer un être humain. Comme
-la petitesse des parties formait une grande difficulté, je crus pouvoir
-accélérer mon ouvrage, en prenant la résolution, contraire à mes
-premières intentions, de le faire d'une stature gigantesque,
-c'est-à-dire, d'environ huit pieds de hauteur, et d'une grosseur
-proportionnée. Cette détermination prise, je m'occupai pendant
-plusieurs mois à rassembler et à arranger avec succès mes matériaux:
-enfin, je me mis à l'ouvrage.
-
-On ne saurait imaginer la variété des sentiments qui m'agitaient,
-comme une tempête, dans le premier enthousiasme de mon heureuse
-entreprise. La vie et la mort me parurent des limites idéales; j'allais
-bientôt les franchir; j'allais verser un torrent de lumière sur
-l'obscurité du monde. Une nouvelle génération me bénirait comme son
-créateur et sa source: une foule d'êtres heureux et excellents me
-devraient leur existence. Aucun père ne pourrait réclamer la
-reconnaissance de son enfant, autant que je mériterais la sienne. En
-poursuivant ces réflexions, je pensai que si je pouvais animer une
-matière inerte, je pourrais, avec le temps (quoique je le regardasse
-alors comme impossible), rendre la vie à un corps que la mort semblait
-avoir destiné à la corruption.
-
-Ces idées soutenaient mon courage, pendant que je poursuivais sans
-relâche mon entreprise. Mes joues étaient devenues pâles par
-l'étude, et mon corps s'amaigrissait par le défaut de nourriture.
-Quelquefois je pensais être parvenu au but, et j'échouais; mais je ne
-désespérais pas qu'au premier jour, ou au premier moment, mes
-espérances ne fussent réalisées. Le désir de posséder seul un
-pareil secret, me dominait entièrement: la lune éclairait mes
-opérations nocturnes, pendant que je poursuivais la nature jusque dans
-ses retraites les plus cachées, avec une ardeur sans relâche. Qui
-pourra concevoir l'horreur de mes travaux secrets, lorsque je profanais
-les tombeaux, ou que je torturais l'animal vivant, pour animer un froid
-argile? Mes membres en tremblent encore; tout est encore présent à mes
-yeux; mais alors j'étais entraîné par une impulsion irrésistible et
-presque fanatique; il me semblait n'avoir plus d'âme ou de sensation
-que pour la poursuite de cet objet. Ce n'était, il est vrai, qu'un
-enthousiasme passager, qui pouvait seulement contribuer à me faire
-sentir, avec une nouvelle force, dès que l'aiguillon surnaturel
-cesserait d'agir, que je retournerais à mes anciennes habitudes. Je
-ramassais des os dans les charniers; et de mes doigts profanes, je
-troublais les secrets effroyables du tombeau. Enfermé dans une chambre,
-ou plutôt dans une cellule solitaire, de la partie la plus élevée de
-la maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerie
-et par un escalier, je me livrais au travail d'une création pleine de
-dégoût: mes yeux sortaient de leur orbite, pour suivre les détails de
-mes occupations. La salle de dissection et la tuerie me fournissaient un
-grand nombre de matériaux; souvent je me détournais avec horreur de
-mes travaux, lorsqu'excité encore par une ardeur toujours croissante,
-j'étais près d'achever mon ouvrage.
-
-L'été se passa, pendant que j'étais engagé de cœur et d'âme dans
-n'était pas cette seule poursuite. La saison était magnifique: jamais
-moisson plus abondante ne couvrit les champs; jamais vendanges ne furent
-plus riches: mais j'étais insensible aux charmes de la nature; et les
-mêmes pensées qui me firent négliger les scènes qui se passaient
-autour de moi, me firent aussi oublier ces amis qui étaient éloignés
-de tant de lieues, et que je n'avais pas vus depuis si long-temps. Je
-savais que mon silence les inquiétait.
-
-Je me rappelais, mot pour mot, ce que m'avait dit mon père: «Tant que
-vous serez satisfait de vous-même, vous penserez à nous avec
-affection, et nous recevrons régulièrement de vos nouvelles. Ne me
-blâmez pas si je regarde toute interruption dans votre correspondance,
-comme une preuve que vos autres devoirs sont également négligés».
-
-Ainsi, je connaissais bien quelle devait être l'opinion de mon père,
-et pourtant je ne pouvais m'arracher à des occupations repoussantes en
-elles-mêmes, mais dont le pouvoir sur moi était in surmontable. Je
-remis alors tout ce qui avait rapport à mes sentiments d'affection,
-jusqu'à ce que j'eusse accompli le grand œuvre qui me détournait de
-toutes les habitudes de ma vie.
-
-Je pensais que mon père serait injuste, s'il attribuait ma négligence
-à mes défauts ou à mes vices. Maintenant, je suis convaincu qu'il
-avait raison de penser que ma conduite n'était pas exempte de blâme.
-Un homme parfait doit toujours maintenir son esprit dans le calme et
-dans la paix; sa tranquillité ne doit jamais être troublée par une
-passion ou par un goût passager. Je ne crois pas que l'étude même
-soit une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle on
-s'applique, doit affaiblir les affections, et ôter le goût de ces
-plaisirs simples dans lesquels on ne peut éprouver aucune altération,
-alors cette étude est sans aucun doute illégitime; c'est-à-dire,
-qu'elle ne convient pas à l'esprit humain. Si cette règle était
-toujours observée, si l'homme ne laissait aucune passion altérer le
-charme paisible de ses affections domestiques, la Grèce n'eût pas
-été réduite en esclavage; César n'eût pas immolé son pays;
-l'Amérique n'eût pas été découverte; et les empires du Mexique et
-du Pérou n'auraient pas été détruits.
-
-Mais que fais-je? Je moralise au moment le plus intéressant de mon
-histoire, tandis que je lis dans vos regards l'invitation de continuer.
-
-Mon père ne me faisait aucun reproche dans ses lettres, seulement mon
-silence l'engagea à s'informer de mes occupations, plus
-particulièrement qu'il ne l'avait fait jusque-là. L'hiver, le
-printemps et l'été s'écoulèrent pendant mes travaux, sans que je
-fisse attention à l'apparition successive des fleurs ou des feuilles,
-qui autrefois me faisait toujours éprouver le plus doux plaisir, tant
-j'étais plongé dans mon entreprise. Les vacances de cette année
-s'écoulèrent avant que mon ouvrage ne fut près d'être achevé. Je
-voyais alors, chaque jour, plus clairement combien j'avais réussi; mais
-mon enthousiasme était réprimé par mon inquiétude; et j'avais
-plutôt l'air d'un homme condamné à travailler aux mines, ou à tout
-autre objet malsain, que d'un artiste au milieu de ses occupations
-favorites. Toutes les nuits j'étais tourmenté d'une fièvre lente: je
-reconnus enfin que mon système nerveux était fortement attaqué. J'en
-éprouvai un grand chagrin, parce que j'avais jusqu'alors joui de la
-meilleure santé, et que je m'étais toujours vanté de la force de mes
-nerfs. Mais je croyais que l'exercice et l'amusement dissiperaient
-bientôt de pareils symptômes, et je me promettais de m'y livrer, dès
-que ma création serait terminée.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV
-
-
-Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je vis
-l'accomplissement de mes travaux. Dans une inquiétude voisine de
-l'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donner
-la vie, pour introduire une étincelle d'existence dans cette matière
-inanimée qui était à mes pieds. L'airain avait déjà sonné la
-première heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflement
-horrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s'éteindre,
-lorsqu'à cette lueur vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune et
-stupide de la créature: elle respira avec force, et ses membres furent
-agités d'un mouvement convulsif.
-
-Comment décrire ce que j'éprouvai à cette vue, ou comment peindre le
-malheureux dont la formation m'avait coûté tant d'efforts, de peines,
-et de soins? Ses membres étaient d'une juste proportion, et les traits
-que je lui avais donnés n'étaient pas moins beaux. Beaux!... grand
-Dieu! sa peau jaune couvrait à peine le système des muscles et des
-artères: sa chevelure flottante était d'un noir brillant; ses dents
-étaient blanches comme des perles; mais ces avantages ne formaient
-qu'un contraste plus horrible avec des yeux insipides, qui paraissaient
-presque de la même couleur que leurs blanches et sombres orbites; une
-peau ridée, et des lèvres noires et serrées l'une contre l'autre. Les
-différents événements de la vie ne sont pas aussi variables que les
-sensations du cœur humain. Je n'avais pas cessé de travailler pendant
-près de deux ans, dans le seul but de donner l'être à un corps
-inanimé. Dans cette vue, j'avais négligé mon repos et ma santé:
-j'avais désiré atteindre ce but avec une ardeur immodérée; et,
-maintenant que j'y étais parvenu, la beauté du rêve s'évanouit; mon
-cœur se remplit d'une horreur et d'un dégoût affreux. N'ayant pas la
-force de soutenir la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de mon
-laboratoire, et me promenai long-temps en parcourant ma chambre, en tous
-sens, et sans songer au sommeil. Enfin, la fatigue succéda à mon
-agitation, et je me jetai sur mon lit pour chercher, pendant quelques
-moments, l'oubli de ma situation. Ce fut en vain: je dormis pourtant;
-mais je fus troublé par les rêves les plus effrayants. Je crus voir
-Élisabeth, brillante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt.
-Charmé et surpris, je l'embrassai; en imprimant mon premier baiser sur
-ses lèvres, je les vis devenir livides comme la mort; je vis ses traits
-changer, et je crus tenir entre mes bras le cadavre de ma mère. Elle
-était couverte d'un linceul, dans les plis duquel je voyais ramper les
-vers du tombeau. Je m'éveillai saisi d'horreur; une sueur froide
-couvrait mon front; mes dents claquaient les unes contre les autres; et
-tous mes membres étaient en convulsion, lorsqu'à la clarté faible et
-jaunâtre de la lune qui donnait sur les croisées, je distinguai le
-malheureux..., le misérable monstre que j'avais créé. Il tenait les
-rideaux du lit; et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient
-fixés sur moi. Sa bouche s'ouvrit, et il fit entendre quelques sons
-inarticulés, en faisant des grimaces affreuses. Peut-être avait-il
-parlé; mais je n'entendis pas; il étendit une main, sans doute pour me
-retenir, mais j'échappai, et descendis précipitamment les escaliers.
-Je me réfugiai dans la cour de la maison, où je passai le reste de la
-nuit à me promener en long et en large dans la plus grande agitation,
-prêtant attentivement et avec crainte l'oreille au moindre bruit, comme
-s'il m'annonçait l'approche du démon à qui j'avais si malheureusement
-donné la vie.
-
-Ah! quel mortel pourrait soutenir l'horreur de cette situation! Une
-momie à qui on rendrait l'âme, ne serait pas aussi hideuse que ce
-monstre. Je l'avais observé lorsqu'il n'était pas encore achevé: il
-était laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purent
-se mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n'aurait pu
-l'imaginer.
-
-Je passai la nuit dans des transes cruelles. Tantôt mon pouls battait
-si vite et avec tant de violence, que je sentais la palpitation de tous
-les artères; tantôt je succombais presque de langueur et de faiblesse.
-Saisi d'horreur, je compris avec amertume combien je m'étais abusé:
-les rêves, dont je m'étais bercé si long-temps et avec tant de
-plaisir, étaient maintenant devenus un tourment pour moi. Comment
-n'aurais-je pas éprouvé ce tourment? Mon changement fut si rapide; mes
-espérances furent si cruellement déçues en tous points!
-
-Le jour commença enfin à paraître; le temps était sombre et
-pluvieux. Cependant, mes yeux découvrirent l'église d'Ingolstadt, ses
-blancs clochers, et l'horloge qui marquait six heures. Le gardien ouvrit
-les portes de la cour qui avait été mon asile pendant la nuit: je
-sortis dans les rues; je me mis à les parcourir avec précipitation
-comme si je cherchais à éviter le misérable, et en tremblant de le
-rencontrer à chaque détour de rue. Je n'osais retourner à
-l'appartement que j'habitais; et je me sentais entraîné avec une
-vitesse prodigieuse, quoique trempé par la pluie qui tombait à verse
-d'un ciel noir et couvert.
-
-Je continuai pendant quelque temps à marcher ainsi, essayant, par
-l'exercice du corps, de me soulager du poids qui accablait mon esprit.
-Je traversais les rues sans savoir où j'étais, ni ce que je faisais.
-Mon cœur palpitait de frayeur, et et je marchais à pas irréguliers,
-sans oser regarder autour de moi:
-
-
-Semblable à celui qui, en se promenant sur une route solitaire, est
-saisi de crainte et d'horreur, et qui, après s'être une seule fois
-retourné, presse le pas et n'ose plus détourner la tête; il craint
-qu'un ennemi effrayant ne marche derrière lui[2].
-
-
-En continuant ainsi, j'arrivai enfin devant une auberge où descendaient
-ordinairement les voitures et les diligences. Je m'y arrêtai
-machinalement, et je restai pendant quelques minutes les yeux fixés sur
-une voiture qui arrivait par l'autre bout de la rue, et qui, en
-s'approchant, me parut être la diligence Suisse: elle s'arrêta à
-l'endroit même où j'étais; et, dès que la portière fut ouverte, je
-vis Henri Clerval, qui, en m'apercevant, s'élança dans mes bras. «Mon
-cher Frankenstein, s'écria-t-il, que je suis content de te voir! que je
-suis heureux de te rencontrer ici au moment même de mon arrivée»!
-
-Rien ne put égaler le plaisir que j'éprouvai à la vue de Clerval; sa
-présence reportait toutes mes pensées vers mon père, Élisabeth, et
-toutes ces scènes domestiques dont le souvenir m'était si doux. Je
-tenais sa main; et, dans un moment, j'oubliai mes tourments et mon
-malheur; j'éprouvai tout à coup, et pour la première fois depuis
-plusieurs mois, une joie calme et sereine. J'accueillis mon ami de la
-manière la plus cordiale; et nous nous dirigeâmes vers mon collège.
-Clerval me parla pendant quelque temps de nos amis communs, et me dit
-combien il se félicitait d'avoir obtenu de venir à Ingolstadt. «Tu
-peux facilement, me dit-il, t'imaginer les efforts que j'ai dû
-employer, pour persuader à mon père qu'il n'était pas nécessaire à
-un négociant de ne connaître absolument que la tenue des livres;
-vraiment je ne me flatte pas d'avoir ébranlé son incrédulité; car sa
-réponse, constante à mes sollicitations, était toujours celle du
-maître d'école Hollandais dans le ministre de Wakefield: (j'ai 10,000
-florins de rentes sans savoir le Grec, et cela ne m'empêche pas d'en
-jouir de bon cœur). Mais son affection pour moi a triomphé enfin de
-son mépris pour l'instruction; et il m'a permis d'entreprendre un
-voyage de découverte dans le pays de la science».
-
---«J'ai le plus grand plaisir à te voir, mais je n'en aurais pas moins
-à apprendre de toi comment se portent mon père, mes frères et
-Élisabeth».
-
---«À mon départ, ils étaient en bonne santé, et très-heureux, mais
-un peu fâchés de ne recevoir que si rarement de tes nouvelles. Cela me
-fait penser que j'ai à t'adresser des reproches de leur part. Mais, mon
-cher Frankenstein, continua-t-il, en s'arrêtant court, et en me
-regardant en face, je n'avais pas encore remarqué ta mauvaise mine, si
-maigre et si pâle; tu as l'air d'avoir veillé pendant plusieurs
-nuits.»
-
---«Tu as deviné juste; j'ai été dernièrement si plongé dans un
-travail, que je ne me suis pas donné assez de repos, comme tu vois.
-Mais j'espère bien sincèrement que je suis maintenant au terme de
-toutes ces occupations, et que j'en suis enfin délivré».
-
-Je tremblais excessivement; je ne pouvais songer aux événements de la
-nuit précédente, ni à tout ce qui y faisait allusion. Je marchais
-d'un pas rapide, et nous arrivâmes bientôt à mon collège. Je
-réfléchis alors, et je frissonnai à l'idée que la créature que
-j'avais laissée dans mon appartement, pourrait y être encore, vivre et
-se promener. Je tremblais de voir ce monstre; mais je craignais encore
-plus qu'Henri ne le vit. Je le priai donc de rester quelques minutes au
-bas de l'escalier, et je montai dans ma chambre. J'allais ouvrir la
-porte, et je ne m'étais pas encore recueilli. Je m'arrêtai alors, en
-frissonnant. Je poussai la porte avec force, à la manière des enfants
-qui s'imaginent trouver un spectre qui les attend dans l'autre
-extrémité: mais rien ne parut. Je marchais avec crainte: l'appartement
-était vide, et ma chambre était aussi délivrée de son hôte hideux.
-J'avais peine à croire à mon bonheur; certain enfin de l'absence de
-mon ennemi, je frappai mes mains de joie, et je courus vers Clerval.
-
-Nous montâmes dans ma chambre, où le domestique nous apporta aussitôt
-à déjeuner; mais je ne pouvais me contenir. Je n'étais pas seulement
-troublé par la joie; je me sentais agité aussi par un excès de
-sensibilité, et par les battements rapides de mon pouls. Je ne pouvais
-rester un seul instant à la même place; je sautais sur les chaises, je
-frappais des mains, et je riais aux éclats. Clerval attribua d'abord
-l'état extraordinaire dans lequel il me voyait au plaisir que me
-causait son arrivée; mais en m'observant avec plus d'attention, il vit
-dans mes yeux un égarement dont il ne put se rendre compte; et il fut
-aussi effrayé qu'étonné de mes éclats de rire immodérés, dont
-aucun ne venait du cœur.
-
---«Mon cher Victor, s'écria-t-il, pour l'amour de Dieu, dis-moi ce que
-tu as? Ne ris pas de cette manière. Comme tu es mal! Quelle est la
-cause de tout ce que je vois?
-
---»Ne me le demande pas, lui dis-je, en me mettant les mains sur les
-yeux, car je crus voir le monstre horrible se glisser dans la chambre;
-il peut dire.--ah! sauve moi! sauve moi»! Je m'imaginais que le monstre
-me saisissait; je me débattais avec fureur, et je cédai à un violent
-accès.
-
-Pauvre Clerval, qu'a-t-il dû éprouver? En quelle amertume se changeait
-la joie qu'il s'était promise à nous revoir! Mais je n'étais pas le
-témoin de sa douleur; car j'étais sans vie, et je ne recouvrai les
-sens que long-temps, long-temps après.
-
-Tel fut le commencement d'une fièvre nerveuse, qui me retint plusieurs
-mois. Pendant tout ce temps, Henri seul me soigna. J'appris par la suite
-qu'il avait caché à Élisabeth et à mon père l'excès de mon
-égarement, pour épargner des chagrins à l'un, qui, dans un âge
-avancé, ne pourrait entreprendre un aussi long voyage, et à l'autre,
-qui ne pourrait supporter l'idée de ma maladie. Il savait que je ne
-pourrais avoir de soins meilleurs et plus assidus que les siens, et
-ferme dans l'espérance que je recouvrerais la santé, il ne douta pas
-que loin de mal agir, il ne fit une très-bonne action vis-à-vis de mes
-parents.
-
-J'étais réellement très-malade, et rien n'était plus propre à me
-rendre à la vie que les attentions excessives et continuelles de mon
-ami. Le monstre, à qui j'avais donné l'existence, était toujours
-devant mes yeux; il était sans cesse l'objet de mes discours dans mon
-délire. Sans doute Henry fut surpris de mes paroles: il les prit
-d'abord pour les égarements de mon imagination troublée; mais la
-ténacité qui me portait à revenir continuellement sur le même sujet,
-lui donna lieu de penser que ma maladie avait réellement pour cause
-quelqu'événement extraordinaire et terrible.
-
-Je me rétablis lentement, et après des rechutes fréquentes, qui
-alarmèrent et affligèrent mon ami. Je me souviens que la première
-fois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir les
-objets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, et
-que de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient ma
-fenêtre. C'était un printemps délicieux, et la saison eut une grande
-influence dans ma convalescence. Je sentis aussi renaître dans mon
-cœur des sentiments de joie et d'affection. Mon chagrin s'était
-dissipé, et bientôt je devins aussi gai qu'avant que je fusse en proie
-à ma funeste passion.
-
-«Cher Clerval, m'écriai-je, que tu es aimable, que tu es bon pour moi!
-Au lieu d'employer tout cet hiver à l'étude, ainsi que tu te l'étais
-promis, tu l'as passé dans la chambre d'un malade. Comment pourrais-je
-jamais reconnaître ce service? J'éprouve le plus grand remords de
-t'avoir détourné de tes projets; mais tu pardonneras à ton ami.
-
---»J'en serai suffisamment dédommagé si tu ne te troubles pas; si tu
-te rétablis aussi promptement qu'il est possible. À présent que ton
-esprit me paraît tranquille, je te puis parler sur un sujet;... ne le
-puis-je»?
-
-Je tremblai. Quel pouvait être ce sujet? ferait-il allusion à un objet
-auquel je n'osais même penser?
-
-«Calme-toi, dit Clerval, qui me vit changer de couleur, je ne t'en
-parlerai pas si cela t'agite; mais ton père et ta cousine seraient bien
-heureux de recevoir une lettre écrite de ta main. Ils ne savent pas
-combien tu as été malade, et sont inquiets de ton long silence.
-
-«N'est-ce que cela, mon cher Henry? Comment as-tu pu supposer que ma
-première pensée ne se porterait pas vers ces amis si chers, que
-j'aime, et qui méritent tant que je les aime»?
-
-«Si telles sont maintenant tes dispositions, tu seras peut-être bien
-aise, mon ami, de voir une lettre qui est arrivée ici pour toi depuis
-plusieurs jours: elle est, je crois, de ta cousine».
-
-
-[Note 2: Coleridge's «Ancient Mariner».]
-
-
-
-
-CHAPITRE V
-
-
-Clerval me remit la lettre suivante:
-
-
-À V. FRANKENSTEIN.
-
-
-«Mon cher Cousin,
-
-»Je ne puis vous peindre l'inquiétude que nous avons tous éprouvée
-au sujet de voire santé. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que
-votre ami Clerval nous cache la gravité de votre maladie: car voici
-plusieurs mois que nous n'avons vu de votre écriture, puisque vous avez
-été obligé, pendant tout ce temps-là, de dicter vos lettres à
-Henry. Il faut, Victor, que vous ayez été bien malade. Nous en sommes
-presqu'aussi malheureux, que nous l'étions après la mort de votre
-excellente mère. Mon oncle s'était persuadé que vous étiez
-très-dangereusement malade: nous l'avons empêché, mais non sans
-peine, d'entreprendre le voyage d'Ingolstadt. Clerval écrit toujours
-que vous allez mieux; j'espère vivement que vous nous confirmerez
-bientôt cette nouvelle par une lettre écrite de votre propre main;
-car, vraiment, Victor, nous sommes tous très-affligés de votre état.
-Qu'un mot de vous nous ôte toute crainte, et nous serons les êtres du
-monde les plus heureux. Votre père jouit maintenant d'une si bonne
-santé, que, depuis l'hiver dernier, il parait avoir dix ans de moins.
-Ernest a tellement grandi, que vous auriez de la peine à le
-reconnaître; il a maintenant près de seize ans, et ne paraît plus
-maladif, comme nous l'avons vu il y a quelques années: c'est un garçon
-tout-à-fait fort et animé.
-
-»Hier au soir, j'ai eu une longue conversation avec mon oncle sur le
-parti qu'embrasserait Ernest. Dans un état continuel de maladie,
-pendant son enfance, il n'a pu prendre l'habitude du travail; et à
-présent qu'il jouit d'une bonne santé, il est sans cesse à courir au
-grand air, à gravir les montagnes, on à voguer sur le lac. J'ai
-proposé d'en faire un cultivateur; vous savez, mon cousin, qu'aucun
-état ne me paraît préférable. Un cultivateur mène la vie du monde
-la plus paisible et la plus heureuse, et se livre en même temps à un
-travail, dont les chances sont peu à craindre et les bénéfices
-presque certains. Mon oncle aurait voulu qu'il fit les études
-nécessaires pour être avocat, afin que par la suite il pût devenir
-juge. Mais, outre qu'il n'est nullement propre à une semblable
-profession, il est certainement plus honorable à lui de cultiver la
-terre pour la subsistance de l'homme, que d'être le confident, ou
-quelquefois le complice de ses crimes; car un homme de loi ne fait pas
-autre chose. Je disais que si les occupations d'un bon cultivateur
-n'étaient pas plus honorables, elles étaient du moins d'un genre plus
-agréable que celles d'un juge, qui avait le malheur de n'être jamais
-témoin que des crimes de l'homme. Mon oncle sourit en me disant que je
-devrais être avocat moi-même: cela mit fin à notre conversation.
-
-»Je veux maintenant vous raconter une petite histoire qui vous plaira
-et vous intéressera peut-être. Vous souvenez-vous de Justine
-Moritz?--Non, sans doute.--Eh bien! je vous raconterai son histoire en
-peu de mots. Madame Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants,
-dont Justine était le troisième. Cette jeune fille avait toujours
-été l'objet des prédilections du père; mais, par une étrange
-perversité, la mère ne pouvait la souffrir, et, après la mort de M.
-Moritz, elle la traita fort mal. Ma tante le remarqua, et pria la mère
-de Justine, qui était alors âgée de douze ans, de la laisser avec
-nous. Les institutions républicaines de notre pays ont donné lieu à
-des habitudes plus simples et plus heureuses, que celles qui dominent
-dans les grandes monarchies qui l'entourent. Il en résulte moins de
-distinction entre les différentes classes des habitants; il en résulte
-aussi que les dernières, qui sont moins pauvres et moins méprisées,
-conservent des habitudes plus pures et plus honnêtes. Un domestique à
-Genève ne sent pas de même que ceux de France et d'Angleterre.
-Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les devoirs d'une
-servante: condition qui, dans notre heureux pays, ne renferme pas
-l'idée d'ignorance, et n'entraîne pas le sacrifice de la dignité d'un
-être humain.
-
-»À présent, j'ose dire que vous vous rappelez à merveille
-l'héroïne de ma petite histoire: car vous aimiez beaucoup Justine. Je
-me souviens même que vous remarquiez autrefois, qu'un regard de Justine
-suffisait pour calmer votre mauvaise humeur, ainsi que l'Arioste parle
-de la beauté d'Angélique, tant elle avait un air candide et heureux.
-Ma tante connut beaucoup d'attachement pour elle, ce qui l'engagea à
-lui donner une éducation supérieure à celle qu'elle avait d'abord
-espérée. Ce bienfait fut bien placé; Justine était la petite
-créature du monde la plus reconnaissante: je ne veux pas dire qu'elle
-en fît profession; je ne l'ai jamais entendu l'exprimer par des
-paroles; mais ses yeux eussent fait croire qu'elle adorait presque sa
-protectrice. Quoique son caractère fût fort gai et souvent léger,
-elle faisait pourtant la plus grande attention au moindre geste de ma
-tante. Elle la regardait comme le modèle le plus parfait, et elle
-tachait d'imiter sa façon de parler et ses manières, au point que,
-même à présent, elle me la rappelle souvent.
-
-»À la mort de ma chère tante, chacun était trop occupé de sa propre
-douleur pour faire attention à la pauvre Justine, qui l'avait soignée
-pendant sa maladie avec la plus vive affection. La pauvre Justine fut
-très-malade; mais elle était réservée à d'autres épreuves.
-
-»Ses frères et sa sœur moururent l'un après l'autre, et sa mère
-resta sans autre enfant que la fille qu'elle négligeait. Cette femme,
-troublée par le cri de sa conscience, commença à croire que la mort
-de ses enfants préférés était un jugement du ciel, qui la punissait
-de sa partialité. Elle était Catholique Romaine, et je crois qu'elle
-fut confirmée dans l'opinion où elle était, par son confesseur.
-Aussi, peu de mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine fut
-rappelée par sa mère repentante. Pauvre fille! elle pleura en quittant
-notre maison: elle était bien changée depuis la mort de ma tante; le
-chagrin avait mêlé à son humeur, autrefois si vive, une douceur et
-une langueur attrayantes. Son séjour dans la maison maternelle n'était
-pas de nature à lui rendre la gaîté. La pauvre femme était
-très-chancelante dans son repentir. Quelquefois elle priait Justine de
-lui pardonner sa dureté; mais bien plus souvent elle l'accusait d'avoir
-causé la mort de ses frères et de sa sœur. Madame Moritz, dont le
-caractère irascible ne fut d'abord qu'irrité par un état d'aigreur
-continuelle, repose maintenant en paix. Elle mourut aux premières
-approches du froid, au commencement de l'hiver dernier. Justine est
-revenue avec nous, et je vous assure que je l'aime tendrement. Elle est
-très-adroite, très-douce, et extrêmement jolie. Comme je vous l'ai
-déjà dit, ses manières et ses expressions me rappellent
-continuellement ma chère tante.
-
-»Il faut aussi, mon cher cousin, que je vous parle un peu du gentil
-petit Guillaume: il est très-grand pour son âge; je voudrais que vous
-le vissiez, avec ses yeux bleus, doux et vifs, ses cils noirs et ses
-cheveux bouclés. Lorsqu'il sourit, on voit sur ses joues deux petites
-fossettes qui sont fraîches comme la rose. Il a déjà eu une ou deux
-petites _femmes_; mais Louisa Biron est sa favorite: c'est une jolie
-petite fille de cinq ans.
-
-»Je pense, mon cher Victor, que vous serez bien aise que je vous parle
-un peu des bons habitants de Genève. La jolie mademoiselle Mansfield a
-déjà reçu les visites de félicitation sur son prochain mariage avec
-un jeune Anglais, nommé John Melbourne, écuyer. Sa vilaine sœur,
-Manon, a épousé, l'automne dernier, le riche banquier M. Duvillard.
-Votre bon camarade d'études, Louis Manoir, a été plusieurs fois
-malade depuis que Clerval est parti de Genève; il a déjà recouvré la
-santé, et il est sur le point d'épouser une très-aimable et
-très-jolie française, madame Tavernier. Elle est veuve et plus âgée
-que lui; mais on la trouve très-belle, et elle est aimée de tout le
-monde.
-
-»Moi qui vous écris, je suis en bonne santé, mon cher cousin; mais je
-ne puis terminer ma lettre sans vous demander encore avec inquiétude
-des nouvelles de la vôtre. Mon cher Victor, si vous n'êtes pas trop
-malade, écrivez vous-même, et rendez heureux votre père et nous tous;
-ou.... Je n'ai pas la force de penser au malheur; mes pleurs coulent
-déjà. Adieu, mon très-cher cousin.
-
-
-»ÉLISABETH LAVENZA».
-
-
-Genève, 18 mars 17--
-
-
-«Chère Élisabeth! m'écriai-je, après avoir lu sa lettre, j'écrirai
-sur-le-champ, et je mettrai fin à l'inquiétude qui doit la
-tourmenter». J'écrivis, et je fus très-fatigué d'avoir écrit; mais
-ma convalescence venait de commencer, elle continua régulièrement.
-Quinze jours après, je pus quitter la chambre.
-
-Un de mes premiers devoirs fut de présenter Clerval à plusieurs
-professeurs de l'université. En agissant ainsi, je suivis une sorte
-d'usage qui m'était pénible, et qui convenait mal aux souffrances dont
-mon cœur avait été déchiré. Depuis la nuit fatale qui avait été
-témoin de la fin de mes travaux, et du commencement de mes malheurs,
-j'avais conçu une violente antipathie contre le nom même de la
-philosophie naturelle. Bien plus: dans un état complet de santé, la
-vue d'un instrument d'alchimie était capable de renouveler toutes mes
-agitations nerveuses. Henry s'en était aperçu, et avait fait
-disparaître tous mes appareils. Il avait aussi voulu que je quittasse
-mon appartement; car il avait remarqué que j'évitais d'aller dans la
-chambre qui m'avait auparavant servi de laboratoire. Mais tous les soins
-de Clerval furent perdus au moment où j'allai rendre visite aux
-professeurs. M. Waldman me mit à la torture, en louant avec bonté et
-chaleur mes progrès étonnants dans les sciences. Il ne tarda pas à
-voir que cette conversation me gênait; mais, n'en devinant pas la
-véritable cause, il l'attribua à la modestie, et cessa de vanter mes
-progrès, pour parler de la science elle-même, avec le désir bien
-évident que je me misse à en parler. Que pouvais-je faire? il voulait
-me plaire, et il me tourmentait. Je souffrais comme s'il avait placé,
-un à un devant moi, ces instrument qui devaient servir dans la suite à
-me conduire à une mort lente et cruelle. Je souffrais de ce qu'il
-disait, sans oser montrer la peine que j'éprouvais. Clerval, qui était
-toujours si prompt à discerner les sensations des autres, détourna la
-conversation, en alléguant pour excuse son ignorance complète, et
-donna à la conversation un tour plus général. Je remerciai mon ami du
-fond de mon cœur, mais je ne parlai pas. Je vis clairement qu'il était
-surpris, mais il n'essaya jamais de m'arracher mon secret; et, quoique
-je l'aimasse avec un mélange d'affection et de respect qui ne
-connaissaient pas de bornes, je ne pouvais cependant me décider à lui
-confier l'événement qui était si souvent présent à ma mémoire,
-mais dont je craignais d'imprimer trop profondément le souvenir à un
-autre.
-
-M. Krempe ne fut pas aussi docile; et, dans mon état de sensibilité
-excessive, ses éloges brusques et grossiers me firent même plus de mal
-que la bienveillante approbation de M. Waldman. «Savant collègue!
-s'écria-t-il; je vous assure, M. Clerval, qu'il nous a tous surpassés.
-Oui; regardez-moi si cela vous plaît, mais ce que je dis n'en est pas
-moins vrai. Un jeune homme qui, il y a quelques années, croyait en
-Cornélius Agrippa, aussi fermement qu'en l'Évangile, s'est maintenant
-mis à la tête de l'université; et s'il n'est bientôt à bas, nous ne
-pourrons tenir à côté de lui.--Allons, allons, continua-t-il, en
-voyant mon air de souffrance, M. Frankenstein est modeste; c'est une
-excellente qualité pour un jeune homme. Les jeunes gens doivent se
-défier d'eux-mêmes, vous savez, M. Clerval; j'étais comme lui dans ma
-jeunesse; mais cela passe bien vite».
-
-M. Krempe commença alors un éloge de lui-même, qui détourna la
-conversation d'un sujet qui me causait tant de mal.
-
-Clerval n'aimait nullement la philosophie naturelle. Son imagination
-était trop vive pour s'arrêter aux minuties de cette science. Sa
-principale étude était celle des langues; son but, en s'y adonnant,
-était d'ouvrir un champ à son instruction, lorsqu'il serait de retour
-à Genève. Le Persan, l'Arabe et l'Hébreu, furent, après une étude
-approfondie du Grec et du Latin, l'objet de son application. Quant à
-moi, à qui la paresse avait toujours été odieuse; dans le désir de
-fuir les réflexions, et en haine de mes premières études, j'éprouvai
-un grand plaisir à être le condisciple de mon ami, et je ne trouvai
-pas seulement de l'instruction, mais encore des consolations dans les
-ouvrages des auteurs Orientaux. Leur mélancolie est brûlante; et leur
-bonheur vous élève à une hauteur que je n'avais jamais connue dans
-l'étude des auteurs des autres pays. En lisant leurs écrits, il semble
-que la vie s'écoule sous un soleil brûlant et dans un jardin de roses,
-entre les sourires et les dédains d'une beauté cruelle, et dans un feu
-qui consume le cœur. Combien diffère la poésie forte et héroïque
-des Grecs et des Romains!
-
-L'été se passa ainsi, et mon retour à Genève fut fixé pour la fin
-de l'automne; mais, retardé pour plusieurs motifs, je fus surpris par
-l'hiver et la neige, qui rendirent les chemins impraticables, et je
-remis mon voyage au printemps suivant. Je fus très-affligé de ce
-retard; car j'étais impatient de revoir ma ville natale et mes amis.
-Mon retour n'avait été différé aussi long-temps, que parce que je ne
-voulais pas laisser Clerval dans une ville étrangère, avant qu'il
-n'eût fait connaissance avec quelques-uns des habitants. Cependant,
-l'hiver se passa très-gaîment; et le printemps, qui fut plus tardif
-qu'à l'ordinaire, fut aussi plus beau et plus agréable.
-
-Nous étions au mois de mai; et j'attendais de jour en jour la lettre
-qui devait fixer la date de mon départ, lorsqu'Henry me proposa de
-parcourir à pied les environs d'Ingolstadt, pour faire mes adieux au
-pays que j'avais si long-temps habité. Je me rendis avec plaisir à
-cette proposition; j'aimais l'exercice, et j'avais toujours eu Clerval,
-de préférence, à tout autre, pour m'accompagner dans ces sortes de
-courses, auxquelles je m'étais accoutumé dans mon pays natal.
-
-Nous passâmes quinze jours à courir d'un côté et d'un autre. Ma
-santé et mon esprit étaient depuis long-temps rétablis, et
-s'affermissaient de jour en jour par l'air pur que je respirais, par
-l'accroissement naturel de mes forces, et la conversation de mon ami.
-L'étude m'avait éloigné auparavant de mes condisciples et m'avait
-rendu insociable; mais Clerval excitait les dispositions qu'une nature
-meilleure avait mises dans mon cœur. J'aimai de nouveau les beautés de
-la nature et l'enjouement des enfants. Excellent ami! avec quelle
-sincérité tu m'aimais! Tu cherchais élever mon esprit à la hauteur
-du tien. J'étais miné et affaibli par un travail profond; mais ta
-douceur et ton affection ont réchauffé et ranimé mes sens. Je
-redevins le même qui naguère aimait tout le monde et en était
-également aimé, qui n'avait ni soucis ni chagrins. Au temps de mon
-bonheur, la nature inanimée avait le pouvoir de me jeter dans les
-sensations les plus délicieuses. J'étais en extase à la vue d'un ciel
-sans nuages et de la verdure des champs. Il est vrai que la saison dont
-je parle était admirable; les fleurs du printemps embellissaient les
-jardins, pendant que celles d'été étaient près d'éclore: je
-n'étais pas troublé par les pensées qui, l'année précédente,
-m'avaient accablé d'un poids insurmontable, malgré mes efforts pour
-les éloigner.
-
-Henry se réjouissait de ma gaîté, et partageait sincèrement mes
-sensations: il s'occupait de m'amuser, et il me rendait compte en même
-temps des sentiments de son âme. Dans cette occasion, les ressources de
-son esprit étaient vraiment étonnantes: sa conversation était pleine
-d'imagination; et très-souvent, à l'imitation des écrivains Persans
-et Arabes, il inventait des contes dont les idées et les passions
-étaient surprenantes. D'autres fois, il récitait mes poèmes favoris,
-ou proposait des arguments qu'il soutenait avec beaucoup d'esprit.
-
-Nous retournâmes à notre collège un dimanche dans l'après-midi: des
-paysans dansaient, et toutes les personnes que nous rencontrions,
-paraissaient gaies et heureuses. J'étais dans l'enchantement: j'étais
-transporté par de vifs sentiments de joie et d'allégresse.»
-
-
-
-
-CHAPITRE VI
-
-
-À mon retour, je trouvai la lettre suivante de mon père:
-
-
-À V. FRANKENSTEIN.
-
-
-«Mon cher Victor,
-
-
-»Tu as sans doute attendu avec impatience une lettre qui fixât
-l'époque de ton retour au milieu de nous. J'ai d'abord été tenté de
-ne t'écrire que quelques lignes, uniquement pour te dire le jour où
-j'espère pouvoir t'embrasser; mais je n'ose pas te rendre un cruel
-service. Quelle sera ta surprise, mon fils, au moment où tu attends une
-nouvelle heureuse et agréable, de n'en recevoir au contraire que de
-tristes et de douloureuses? Et comment, mon cher Victor, pourrai-je te
-raconter notre malheur? Pourquoi faut-il que je t'afflige, mon fils, toi
-qui es loin de nous, mais qui, dans ton absence, n'es pas devenu
-insensible à nos joies et à nos chagrins? Je voudrais te préparer au
-malheur que je vais t'apprendre, mais je sens que cela m'est impossible,
-même à présent que tes yeux parcourent la page, pour y chercher les
-mots qui doivent t'en donner l'horrible certitude.
-
-»Guillaume n'est plus!... Ce charmant enfant, dont le sourire suffisait
-pour réjouir et ranimer mon cœur, qui était si doux et si gai à la
-fois! Victor a été assassiné!...
-
-»Je n'essayerai pas de te consoler; je me bornerai à te raconter les
-détails de cet évènement.
-
-»Jeudi dernier (7 mars), j'allai, accompagné de ma nièce et de tes
-deux frères, me promener à Plinpalais. Le temps était chaud, et si
-serein que nous prolongeâmes notre promenade plus que de coutume. La
-soirée était déjà fort obscure avant que nous eussions pensé à
-rentrer; mais en nous disposant au retour, nous ne retrouvâmes plus
-Ernest et Guillaume qui avaient été au-devant de nous. Nous restâmes
-donc assis à les attendre. Ernest vint bientôt, et nous demanda si
-nous avions vu son frère: il nous dit qu'ils étaient à jouer
-ensemble; que Guillaume l'avait quitté pour se cacher, qu'il l'avait
-inutilement cherché, et attendu ensuite pendant long-temps, mais qu'il
-n'était pas venu.
-
-»Ce récit ne servit qu'à nous alarmer. Nous continuâmes à le
-chercher jusqu'à la nuit tombante, quand Élisabeth conjectura qu'il
-pouvait être retourné à la maison. Il n'y était pas. Nous revînmes
-avec des torches; car je ne pouvais me reposer en songeant que mon fils
-s'était perdu, et restait exposé à toutes les humidités et aux
-rosées de la nuit: Élisabeth éprouvait aussi une angoisse extrême.
-Vers cinq heures du matin, je découvris mon aimable enfant que la nuit
-précédente j'avais vu brillant et fort de santé, étendu sur le
-gazon, livide, sans mouvement, et portant au col l'empreinte des doigts
-du meurtrier.
-
-»Il fut rapporté à la maison, et la douleur qui était peinte sur mon
-visage apprit à Élisabeth notre malheur. Elle voulut à toute force
-voir le cadavre. J'essayai d'abord de l'en empêcher; mais elle
-persista, entra dans la chambre où il était placé, examina
-précipitamment le col de la victime, et s'écria, on frappant des
-mains: «Dieu! j'ai assassiné cet enfant que j'aimais»!
-
-»Elle s'évanouit, et ne reprit ses sens qu'avec beaucoup de peine.
-Revenue de son évanouissement, elle ne cessa de pleurer et de gémir.
-Elle me dit que le soir même, Guillaume l'avait priée de lui mettre au
-col un riche portrait de ta mère, qui lui appartenait. Nul doute que ce
-portrait, qui a disparu, n'ait tenté le meurtrier, et ne l'ait porté
-au crime. Nous ignorons quelle trace il aura suivie, malgré l'activité
-de nos recherches pour le découvrir; mais hélas! rien ne me rendra mon
-bien-aimé Guillaume.
-
-»Viens, mon cher Victor; tu peux seul consoler Élisabeth. Elle pleure
-sans cesse, et s'accuse injustement d'être cause de la mort de
-Guillaume. Nous sommes tous plongés dans la douleur; ne sera-ce pas un
-motif de plus pour toi, mon fils, de revenir et de nous apporter des
-consolations? Ta chère mère! hélas, Victor! je puis le dire
-maintenant, remercie Dieu de ce qu'elle ne vit pas, pour être témoin
-de la mort cruelle et malheureuse de son plus jeune enfant.
-
-»Viens, Victor; sans nourrir des idées de vengeance contre l'assassin,
-mais avec des sentiments de paix et de douceur, qui calmeront les
-blessures de nos cœurs, au lieu de les irriter. Entre dans la maison du
-deuil, mon ami, l'âme pénétrée de tendresse et d'affection pour ceux
-qui t'aiment, et non de haine contre tes ennemis.
-
-»Ton affectionné et désolé père,
-
-
-»ALPHONSE FRANKENSTEIN».
-
-Genève 12 mai 17--
-
-
-Clerval, qui m'avait observé pendant la lecture de cette lettre, fut
-surpris de voir le désespoir qui succédait à la joie que j'avais
-d'abord éprouvée en recevant des nouvelles de mes amis. Je jetai la
-lettre sur la table, et me couvris la figure de mes mains.
-
-«Mon cher Frankenstein, s'écria Henry, lorsqu'il me vit pleurer avec
-amertume, seras-tu toujours malheureux? Mon cher ami, qu'est-il
-arrivé»?
-
-Je lui fis signe de prendre la lettre, pendant que je parcourais la
-chambre dans la plus grande agitation; des pleurs coulèrent aussi des
-yeux de Clerval, lorsqu'il lut le récit de mon malheur.
-
-«Mon ami, dit-il, je ne puis t'offrir aucune consolation; cette perte
-est irréparable. Que veux-tu faire?
-
-»--Partir sur-le-champ pour Genève: viens avec moi, Henry, commander
-les chevaux».
-
-Pendant la route, Clerval chercha à relever mon courage. Il n'employait
-pas les phrases communes de consolation, mais il partageait franchement
-ma douleur. «Pauvre Guillaume, disait-il; il dort maintenant avec son
-angélique mère. Ses amis sont dans le deuil et dans l'affliction; et
-lui, il est en paix: il ne sent plus les doigts de l'assassin: il ne
-connaît pas la douleur; la terre couvre ses jolies formes. Il ne peut
-plus être un objet de pitié; ceux qui survivent sont les plus à
-plaindre, et ils ne peuvent attendre de consolation que du temps. On
-doit mépriser ces maximes des Stoïciens, que la mort n'est pas un mal,
-et que l'esprit de l'homme doit être supérieur au désespoir causé
-par l'absence éternelle d'un objet aimé. Caton même pleurait sur le
-cadavre de son frère».
-
-Clerval parlait ainsi, pendant que nous traversions les rues avec
-rapidité. Ses paroles s'imprégnaient dans mon cœur; et je me les
-rappelai ensuite quand je fus seul. En ce moment, dès que les chevaux
-furent arrivés, je me jetai dans une chaise, en disant adieu à mon
-ami.
-
-Mon voyage fut triste. Mon premier désir était d'en voir le terme; car
-il me tardait d'arriver pour consoler mes amis affligés, et partager
-leur douleur; mais, en approchant de ma ville natale, je ralentis ma
-marche. J'avais peine à résister à la multitude des sentiments
-tumultueux dont j'étais assiégé. Je traversais des lieux chers à mon
-enfance, et que je n'avais pas vus depuis près de six ans. Que de
-changements depuis cette époque! Un tremblement de terre subit avait
-tout désolé; et mille autres petites circonstances pouvaient avoir,
-par degrés, amené d'autres altérations, qui, quoique plus lentes,
-n'étaient pas moins sensibles. Je fus saisi de crainte: je n'osais pas
-avancer; je me croyais exposé à toutes sortes de malheurs imaginaires,
-et je tremblais, sans que je pusse les définir.
-
-Je restai deux jours à Lausanne, dans cet état pénible d'esprit. Je
-contemplais le lac: les eaux étaient paisibles, tout était calme
-autour de moi, et les montagnes couvertes de neige, _ces palais de la
-nature_, n'étaient pas changés. Le calme et la beauté du ciel me
-ranimèrent insensiblement, et je continuai mon voyage vers Genève.
-
-La route longeait le lac, qui devenait plus étroit à mesure que
-j'approchais de ma ville natale. Je découvris plus distinctement les
-flancs noirs du Jura, et le sommet brillant du Mont-Blanc; je pleurais
-comme un enfant: «montagnes chères à mon cœur! lac majestueux! dans
-quel état vous recevez celui qui vous parcourut si souvent? Votre
-sommet est brillant; le ciel et le lac sont azurés et tranquilles.
-Est-ce un présage de paix, ou bien une insulte à mon malheur»?
-
-Je crains, mon ami, de vous ennuyer, en appuyant sur ces circonstances
-préliminaires; mais je me rappelais alors les jours de mon bonheur, et
-je ne puis y penser encore sans plaisir. Ma patrie, ô ma chère patrie!
-qui peut mieux qu'un de tes enfants peindre le plaisir que j'éprouvai
-à la vue de tes sources, de tes montagnes, et surtout de ton lac
-chéri?
-
-Cependant, plus j'approchais de la maison de mon père, plus j'étais
-tourmenté par la crainte et le chagrin. La nuit vint à étendre son
-voile sur la nature; et quand je pus distinguer à peine les montagnes
-dans l'obscurité, je sentis que ma douleur était plus vive. Je me
-représentai une longue et effroyable suite de malheurs, et je prévis
-que j'étais destiné à devenir le plus infortuné de tous les hommes;
-hélas! j'ai prédit juste; et si je me suis trompé, c'est qu'en
-prévoyant et en redoutant tant de malheurs, je n'ai pas conçu la
-centième partie de tous ceux dont je devais être accablé.
-
-Il était tout-à-fait nuit quand j'arrivai dans les environs de
-Genève. Les portes de la ville étant déjà fermées, je fus obligé
-de passer la nuit à Secheron, village situé à une demi-lieue à l'est
-de la ville. Dans une disposition d'esprit qui ne me permettait aucun
-repos, je voulus profiter de la sérénité du ciel pour voir l'endroit
-où mon pauvre Guillaume avait été assassiné. Je ne pouvais traverser
-la ville. Je me déterminai à passer le lac dans un bateau pour arriver
-à Plinpalais. Pendant ce court voyage, je vis sur le sommet du
-Mont-blanc les éclairs briller d'un éclat surprenant, et l'orage
-s'approcher avec rapidité; je touchai le rivage, et je montai sur une
-petite colline pour en observer les progrès. Il avançait au milieu
-d'un ciel qui se couvrait de nuages. Je sentis bientôt tomber de larges
-gouttes de pluie. L'orage éclata tout-à-coup avec violence.
-
-Je quittai ma place et poursuivis ma route, malgré l'obscurité et
-l'orage qui croissaient à chaque minute, et malgré le tonnerre qui
-grondait au-dessus de ma tête avec une force effrayante, répété par
-les échos de Salève, du Jura, et des Alpes de la Savoie. J'étais
-ébloui par les éclairs qui se réfléchissaient dans le lac, et le
-rendaient semblable à une vaste nappe de feu; je fus même un moment
-dans une obscurité profonde, qui dura jusqu'à ce que l'éblouissement
-de mes yeux eût cessé. L'orage, comme il arrive souvent en Suisse,
-paraissait venir à la fois de plusieurs parties du ciel. C'était au
-nord de la ville qu'il était le plus violent, au-dessus de cette partie
-du lac qui est située entre le promontoire de Belrive et le village de
-Copêt. Un autre orage montrait le Jura à la lueur se faibles éclairs.
-Un troisième obscurcissait et découvrait tour-à-tour le môle,
-montagne escarpée à l'est du lac.
-
-Témoin d'un spectacle si magnifique et si terrible à la fois, je
-marchais à pas précipités. Cette guerre majestueuse dans les cieux,
-élevait mes esprits; je frappai des mains en m'écriant avec force:
-«Guillaume, ange chéri! voici tes funérailles et tes chants
-funèbres»! En disant ces paroles, j'aperçus dans l'obscurité un
-fantôme qui sortit d'une touffe d'arbres auprès de moi; je fixai mes
-yeux sur lui pour le reconnaître: je ne pus m'y méprendre. Un éclair
-brilla et le découvrit entièrement à ma vue; sa stature gigantesque
-et la difformité de son aspect plus hideux qu'aucune forme humaine, ne
-me permirent pas de douter que ce ne fût le malheureux, l'infâme
-démon à qui j'avais donné la vie. Que faisait-il là? serait-il
-l'assassin de mon frère? (Je frémis à cette pensée). Elle entra
-subitement dans mon esprit, et y domina comme si elle était réelle. Je
-sentais mes dents s'entrechoquer, et je fus forcé de m'appuyer contre
-un arbre. En peu de temps le fantôme fut loin de moi, et disparut dans
-l'obscurité. Quel être humain aurait pu donner la mort à ce bel
-enfant? Son assassin!... Je venais de le voir, à n'en pas douter. Je ne
-pouvais me tromper: j'avais une preuve irrésistible, c'est que j'y
-avais pensé. Je voulus poursuivre le démon, mais je ne pouvais
-espérer de l'atteindre; car à la lueur d'un nouvel éclair, je le vis
-gravir les rochers presque perpendiculaires du mont Salève, montagne
-qui borne Plinpalais au sud; il parvint bientôt au sommet, et disparut.
-
-Je restai sans mouvement. Le tonnerre cessa; mais la pluie continua
-encore, et l'horizon fut enveloppé d'une obscurité impénétrable. Je
-repassai dans mon esprit les évènements que j'avais jusqu'ici cherché
-à oublier: la marche entière de mes progrès vers la création,
-l'apparition auprès de mon lit de l'être que j'avais formé et animé,
-et enfin son départ. Deux ans s'étaient presqu'écoulés depuis la
-nuit où il avait reçu la vie; était-ce son premier crime? Hélas!
-j'avais jeté dans le monde un monstre dépravé, qui se plaisait dans
-le carnage et la désolation; n'était-il pas l'assassin de mon frère?
-
-On ne peut se figurer tout ce que je souffris pendant le reste de la
-nuit que je passai en plein air, mouillé et transi de froid. Mais je ne
-sentais pas les injures du temps; mon imagination était occupée de
-scènes de malheur et de désespoir! L'être que j'avais mis sur la
-terre, et à qui j'avais donné la volonté et le pouvoir de commettre
-des actions atroces, semblables à celle qui m'affligeait, me parut
-être mon propre vampire, un fantôme échappé du tombeau, et porté à
-détruire tout ce qui m'était cher.
-
-Dès que le jour parut, je dirigeai mes pas vers la ville, dont les
-portes étaient ouvertes; et je courus à la maison de mon père. Ma
-première pensée fut de dire ce que je savais du meurtrier, et
-d'envoyer sur-le-champ à sa poursuite; mais je m'arrêtai, en
-réfléchissant à l'histoire que j'avais à raconter. Je devais parler
-d'un être que j'avais formé, et à qui j'avais donné la vie
-moi-même; que j'avais vu à minuit, au milieu des précipices d'une
-montagne inaccessible. Je me rappelai aussi la fièvre nerveuse dont
-j'avais été attaqué au moment même où j'avais animé ma création,
-et qui donnerait l'air du délire à une histoire d'ailleurs si peu
-probable. En effet, un semblable récit m'eût paru le rêve d'un
-insensé. Du reste, la nature singulière de l'être échapperait à
-toute poursuite, quand bien même ma famille céderait âmes instances,
-et se résoudrait à l'entreprendre. D'ailleurs, de quel avantage serait
-une poursuite? Qui pourrait arrêter un être capable d'escalader les
-flancs perpendiculaires du mont Salève? Ces réflexions fixèrent mes
-idées, et me portèrent à garder le silence.
-
-Il était environ cinq heures du matin, quand j'entrai dans la maison de
-mon père. Je dis aux domestiques de ne pas réveiller la famille, et
-j'allai dans la bibliothèque, où j'attendis l'heure à laquelle ils
-avaient coutume de se lever.
-
-Six ans s'étaient écoulés comme un songe, mais comme un songe qui
-avait laissé une trace ineffaçable; et j'étais à la même place où
-j'avais embrassé mon père pour la dernière fois, avant de partir pour
-Ingolstadt. Ce père chéri et respectable me restait encore! Je fixai
-les yeux sur un tableau qui m'offrait la figure de ma mère, et dans
-lequel mon père avait voulu retracer un trait de sa vie: c'était
-Caroline Beaufort dans les transports du désespoir, à genoux auprès
-du cadavre de son père. Ses vêtements étaient grossiers et ses joues
-pâles; mais il y avait un air de dignité et de beauté, qui laissait
-à peine accès au sentiment de la pitié. Au bas de ce tableau était
-une miniature de Guillaume, dont la vue m'arracha des pleurs. Ernest
-entra dans le moment: il m'avait entendu arriver, et s'était hâté de
-venir me joindre. Il témoigna en me voyant un plaisir mêlé de
-chagrin:--«Sois le bien venu, mon cher Victor, dit-il; ah! j'aurais
-voulu que tu fusses arrivé il y a trois mois; tu nous aurais trouvés
-tous gais et contents. Mais nous sommes maintenant malheureux; et je
-crains que tu n'aies un accueil plus mêlé de deuil que de joie. Notre
-père a un air si triste! cet évènement affreux semble avoir
-renouvelé dans son cœur le chagrin qu'il éprouva à la mort de maman.
-La pauvre Élisabeth aussi est tout-à-fait inconsolable». En parlant
-ainsi, Ernest fondait en larmes.
-
---«Ne m'accueille pas de la sorte, lui dis-je; calme-toi, mon ami; que
-je ne sois pas tout-à-fait malheureux, au moment où je rentre dans la
-maison de mon père après une si longue absence. Mais, dis-moi, comment
-mon père supporte-t-il ses malheurs? Et la pauvre Élisabeth, comment
-est-elle»?
-
---«Elle a bien besoin de consolation; elle s'est accusée d'avoir été
-la cause de la mort de mon frère, et elle en a été bien malheureuse!
-Mais depuis que l'assassin a été découvert...»
-
---«L'assassin découvert! bon Dieu! comment cela se peut-il? Qui
-pourrait essayer de le poursuivre? c'est impossible; il serait aussi
-facile d'arrêter les vents, ou de renfermer un torrent dans une
-paille».
-
---«Je ne sais ce que tu veux dire; mais nous avons tous eu une grande
-peine lorsqu'elle fut découverte. Personne ne l'aurait cru; et même
-Élisabeth en doute encore, malgré l'évidence la plus complète. En
-effet, qui aurait pu penser que Justine Moritz, qui était si aimable et
-qui avait tant d'attachement pour notre famille, ait pu tout à coup
-devenir si méchante»?
-
---«Justine Moritz! pauvre fille, est-ce elle qui est accusée? mais
-c'est bien à tort; tout le monde le sait; personne ne le pense; j'en
-suis certain, Ernest»?
-
---«Personne ne le croyait d'abord; mais plusieurs circonstances nous
-ont convaincus depuis presque malgré nous: sa conduite a été si
-louche, que je crains bien qu'il soit impossible de mettre en doute
-l'évidence des faits. Au reste elle doit être jugée aujourd'hui: tu
-connaîtras tout».
-
-Il me raconta que, le jour où l'on avait découvert le meurtre de
-Guillaume, Justine était tombée malade et s'était mise au lit; que
-peu de jours après, un domestique examinant par hasard la robe qu'elle
-avait portée la nuit de l'assassinat, avait trouvé dans sa poche le
-portrait de ma mère, par lequel on présumait que le meurtrier avait
-été séduit. Le domestique le montra aussitôt à un autre, qui, sans
-en dire un mot à qui que ce fût de la famille, alla trouver le
-magistrat. C'est sur leur déposition que Justine a été arrêtée.
-Accusée de ce crime, la pauvre fille confirma le soupçon par un
-extrême embarras.
-
-Ce concours de circonstances singulières n'ébranla pas ma confiance.
-Je répliquai avec force: «Vous êtes tous dans l'erreur; je connais
-l'assassin. Justine, la pauvre et bonne Justine est innocente».
-
-Dans ce moment mon père entra. Je vis sur sa figure les traces
-profondes du chagrin; mais il essaya de m'accueillir avec gaîté;
-s'entretint avec moi de nos peines, et il voulait détourner la
-conversation du triste objet dont nous étions occupés, lorsqu'Ernest
-s'écria: «Bon Dieu, papa! Victor dit qu'il sait quel est l'assassin du
-pauvre Guillaume».
-
-«--Nous le savons aussi, répondit mon père, et c'est un malheur; car,
-vraiment, j'aurais mieux aimé ne le jamais connaître, que de voir tant
-de dépravation et d'ingratitude, dans une personne qui me devait
-tout».
-
-«--Mon cher père, vous êtes dans l'erreur, Justine est innocente».
-
-«--Si elle l'est, Dieu a voulu qu'elle souffrît autant que si elle
-était coupable. Elle doit être jugée aujourd'hui; mais j'aime à
-croire qu'elle sera acquittée».
-
-Ces paroles me calmèrent. J'étais intimement persuadé que Justine
-était innocente de ce meurtre, aussi bien que tout autre être humain.
-Je ne craignais donc pas que l'évidence fût assez forte pour qu'elle
-fut convaincue du meurtre. Dans cette persuasion, je devins plus calme,
-et j'attendis avec impatience le jugement, mais sans prévoir un
-résultat fâcheux.
-
-Nous fûmes bientôt rejoints par Élisabeth. Le temps l'avait bien
-changée depuis que je l'avais vue. Six ans auparavant, c'était une
-jeune fille, jolie et vive, que tout le monde aimait et caressait;
-c'était maintenant une femme d'une taille et d'une physionomie fort
-remarquables. Son front grand et ouvert, décelait une merveilleuse
-intelligence jointe à une rare franchise de caractère. Ses yeux bruns
-exprimaient une douceur, mêlée à une tristesse qui avait pour motif
-son affliction récente. Ses cheveux étaient beaux, et noirs comme
-l'ébène; son teint superbe, et sa figure vive et gracieuse. Elle
-m'accueillit avec la plus grande affection. «Votre arrivée, mon cher
-cousin, me remplit d'espérance, dit-elle. Vous trouverez peut-être le
-moyen de mettre au jour l'innocence de ma pauvre Justine. Hélas! qui
-sera en sûreté, si elle est convaincue du crime? Je me repose sur son
-innocence avec autant de confiance que sur la mienne. Notre malheur est
-doublement affreux: nous n'avons pas seulement perdu notre aimable
-Guillaume; mais cette pauvre fille, que j'aime sincèrement, va nous
-être enlevée par une destinée encore plus cruelle. Si elle est
-condamnée, il n'y aura plus pour moi de bonheur; et, si elle est
-acquittée, comme je l'espère, je pourrai encore être heureuse, même
-après la mort affreuse de mon petit Guillaume».
-
---«Elle est innocente, ma chère Élisabeth répondis-je, et son
-innocence sera prouvée; ne crains rien, et rassure ton esprit par la
-certitude qu'elle sera acquittée».
-
---«Que vous êtes bon! on croit généralement qu'elle est coupable, et
-cette opinion cause mon tourment; car je sais qu'elle ne peut pas
-l'être. Mais, en voyant tout, le monde avoir contr'elle d'aussi
-fâcheuses préventions, je me suis abandonnée au désespoir». Elle
-versa des larmes.
-
-«Ma chère nièce, dit mon père, essuie tes pleurs. Si Justine est
-innocente comme tu le crois, mets confiance dans l'équité de nos
-juges, et dans le soin avec lequel je préviendrai toute ombre de
-partialité».
-
-
-
-
-CHAPITRE VII
-
-
-Le procès devait commencer à onze heures: nous restâmes jusqu'à ce
-moment dans la tristesse. J'accompagnai à la cour mon père et le reste
-de la famille, qui étaient obligés de paraître comme témoins.
-Pendant tout le temps de ce misérable simulacre de justice, je souffris
-le plus cruel tourment. On allait décider, si le résultat de ma
-curiosité et de mes inventions illégitimes, causerait la mort de deux
-de mes semblables: l'un était un enfant charmant rempli d'innocence et
-de gaîté; l'autre était destiné à une fin bien plus terrible, à
-l'infamie et à l'horreur qui s'attachent à la mémoire du meurtrier.
-Justine était aussi une fille de mérite, et possédait des qualités
-qui promettaient de rendre sa vie heureuse. Ces dons, cet espoir, tout
-allait être enseveli dans une tombe ignominieuse, et c'est moi qui en
-étais la cause! Mille fois plutôt je me serais avoué coupable du
-crime attribué à Justine; mais, absent au moment où il fut commis,
-j'aurais été pris, en faisant une semblable déclaration, pour un
-insensé qui s'égare, et je n'aurais pas disculpé celle dont je
-faisais le malheur.
-
-Justine avait l'air calme; elle était vêtue de deuil; et sa figure,
-toujours prévenante, paraissait d'une rare beauté, à laquelle
-ajoutait la solennité des sensations qui l'occupaient. Cependant, elle
-semblait se confier en son innocence, et ne pas trembler, quoiqu'elle
-fût observée et maudite par plus de mille personnes; car l'impression
-qu'avait pu produire sa beauté, s'effaçait de l'esprit des
-spectateurs, lorsqu'on pensait à l'énormité du crime dont elle était
-accusée. Elle était tranquille; mais sa tranquillité avait quelque
-chose de forcé; elle était instruite que son trouble avait été pris
-pour une preuve de son crime, et elle appliquait son esprit à paraître
-ferme. En entrant dans la salle, elle la parcourut des yeux, et
-découvrit bientôt la place que nous occupions. Une larme sembla
-mouiller sa paupière lorsqu'elle nous aperçut; mais elle se remit
-promptement: et un regard mêlé de tristesse et d'amitié, parut
-attester son entière innocence.
-
-Le jugement commença; un avocat établit les charges, et plusieurs
-témoins furent appelés. On réunit contre elle plusieurs faits
-étrangers, qui furent attestés par des personnes qui n'avaient pas,
-comme moi, des preuves de son innocence. Elle était restée dehors
-pendant toute la nuit où le meurtre avait été commis; et, vers le
-matin, elle avait été vue par une femme du marché, près de l'endroit
-où l'on avait trouvé ensuite le corps de l'enfant. Cette femme lui
-avait demandé ce qu'elle faisait là; mais elle avait les yeux
-égarés, et ne fit qu'une réponse obscure et inintelligible. Elle
-était revenue à la maison vers huit heures; et, pressée de répondre
-où elle avait passé la nuit, elle déclara qu'elle avait cherché
-l'enfant, en s'informant avec empressement si l'on avait découvert
-quelque chose. En présence du corps, elle éprouva de violentes
-attaques de nerfs, et garda le lit pendant plusieurs jours. On produisit
-alors le portrait que le domestique avait trouvé dans sa poche; et,
-lorsqu'Élisabeth, d'une voix tremblante, attesta que c'était le même
-qu'elle, avait placé autour du col de l'enfant, une heure avant qu'il
-ne partit pour la promenade, un murmure d'horreur et d'indignation se
-fit entendre dans la salle.
-
-On invita Justine à se défendre. Son visage s'était altéré à
-mesure que le jugement s'avançait: il exprimait fortement la surprise,
-l'horreur et la douleur. De temps en temps elle fondait en larmes; mais,
-invitée à se défendre, elle rassembla ses forces, et s'énonça d'une
-voix haute, quoique tremblante:
-
-«Dieu connaît, dit-elle, toute mon innocence. Mais je ne prétends pas
-devoir mon acquittement à mes protestations. Je prouverai mon innocence
-par une exposition claire et simple des faits, qui ont été dirigés
-contre moi; et j'espère que le caractère que j'ai toujours montré,
-disposera mes juges à interpréter favorablement tout ce qui peut
-sembler douteux, et donner lieu à des soupçons contre moi».
-
-Elle se mit à raconter, qu'avec la permission d'Élisabeth, elle avait
-passé la soirée de la nuit, où le crime avait été commis, chez une
-de ses tantes qui demeurait, à Chênes, village situé à environ une
-lieue de Genève. À son retour, vers les neuf heures, elle rencontra un
-homme qui lui demanda, si elle avait vu quelque trace de l'enfant qui
-était perdu. Alarmée par ces paroles, elle passa plusieurs heures à
-le chercher, laissa pendant ce temps fermer les portes de la ville, et
-se vit contrainte de passer une partie de la nuit, dans une grange
-dépendante d'une chaumière, parce qu'elle ne voulait pas réveiller
-les habitants, dont elle était bien connue. Ne pouvant goûter de repos
-ni de sommeil, elle quitta de bonne heure son asile, pour lâcher encore
-de trouver mon frère. Si elle était allée vers l'endroit où était
-le corps, c'était à son insu. Il n'était pas surprenant qu'elle eût
-été toute troublée, en répondant aux questions qui lui étaient
-faites par la marchande, puisqu'elle avait passé une nuit sans dormir,
-et qu'elle ignorait encore le sort du pauvre Guillaume. Quant au
-portrait, elle ne pouvait donner aucune explication.
-
-«Je sais, continua la malheureuse victime, combien cette seule
-circonstance me charge, mais je ne puis y jeter aucune lumière. J'ai
-déclaré ne rien savoir; je n'ai plus qu'à faire des conjectures sur
-le fait, qu'il a été placé dans ma poche. Ici, j'éprouve un nouvel
-embarras. Je ne crois pas avoir d'ennemi sur la terre, et je suis
-convaincue que nul ne serait assez méchant pour me perdre en badinant.
-Le meurtrier l'y aurait-il placé lui-même? je n'en vois pas le motif:
-et même, en supposant ce fait, pourquoi aurait-il volé le bijou pour
-s'en défaire si promptement?
-
-»Je confie ma cause à la justice de mes juges, sans conserver la plus
-faible espérance. Je demande la permission de produire quelques
-témoins pour qu'ils soient interrogés sur mon caractère; et, si leur
-témoignage n'atténue pas l'accusation du crime qui m'est attribué, je
-dois être condamnée, malgré mon innocence sur laquelle je compte pour
-être acquittée».
-
-On entendit plusieurs témoins qui la connaissaient depuis quelques
-années, et qui en parlèrent avec éloge; mais la peur et l'horreur du
-crime dont elle était accusée, enchaînaient leur langue. Élisabeth
-vit que cette dernière ressource, que l'excellent caractère et la
-conduite irréprochable de Justine ne pouvaient la sauver; et, malgré
-une agitation violente, elle demanda à la cour la permission de prendre
-la parole.
-
-«Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant qui a été
-assassiné: je puis même dire que je suis sa sœur, puisque j'ai été
-élevée par ses parents, et que j'ai toujours vécu avec eux depuis et
-long-temps même avant sa naissance.
-
-»Avec ces titres, il peut paraître inconvenant que je m'explique dans
-cette occasion; mais, au moment de voir une malheureuse créature
-livrée à la mort par la lâcheté de ses prétendus amis, je désire
-qu'on me permette de rendre témoignage à son caractère. Je connais
-bien l'accusée. J'ai vécu avec elle dans la même maison, d'abord
-pendant cinq ans, et ensuite pendant près de deux ans. Durant tout ce
-temps, elle m'a paru la plus aimable et la meilleure créature du monde.
-Dans le cours de la dernière maladie de madame Frankenstein, ma tante,
-elle l'a soignée avec la plus tendre affection et le plus grand zèle.
-Depuis, elle a donné ses soins à sa mère, qui souffrait d'une cruelle
-maladie; et elle est devenue un objet d'admiration pour tous ceux qui la
-connaissaient. À la mort de sa mère, elle est revenue à la maison de
-mon oncle, où elle était aimée de toute la famille. Elle était fort
-attachée à l'enfant qui n'est plus, et elle était, pour lui, comme la
-mère la plus tendre. Quant à moi, je n'hésite pas à déclarer que,
-malgré toute l'évidence qui s'élève contr'elle, je la crois
-entièrement innocente. Rien n'a pu la porter à commettre l'action
-atroce qui lui est imputée. Je dirai du bijou, dont on se sert pour la
-charger le plus gravement, que je lui aurais volontiers donné, elle
-l'eût vivement désiré; tant je l'estime et l'apprécie».
-
-Excellente Élisabeth! Un murmure d'approbation s'éleva; mais pour la
-généreuse personne qui intercédait, et non en faveur de la pauvre
-Justine, qu'on accusa d'une plus noire ingratitude, et qui excita
-l'indignation publique avec une violence nouvelle. Elle pleura pendant
-le discours d'Élisabeth; mais elle ne répondit pas. Mon agitation et
-mon angoisse furent extrêmes, tant que dura le jugement. J'étais
-convaincu de l'innocence de Justine; j'en avais la certitude. Le démon,
-qui avait assassiné mon frère (car je n'en doutai pas une minute),
-allait aussi, dans son plaisir infernal, livrer une personne innocente
-à la mort et à l'infamie. Je ne pus supporter l'horreur de ma
-situation; et, dès que la voix du peuple, et la figure des juges,
-eurent annoncé la condamnation de ma malheureuse victime, je sortis de
-la cour dans des transes cruelles. Les souffrances de l'accusée ne
-pouvaient égaler les miennes; elle était soutenue par son innocence;
-je me sentais déchiré par des remords dont je ne pouvais me délivrer.
-
-Je passai la nuit la plus affreuse. Le matin j'allai à la cour, dans un
-état qui enchaînait ma langue: je n'osai faire la fatale question;
-mais j'étais connu, et l'officier devina la cause de ma visite. L'urne
-fatale avait reçu les boules; toutes étaient noires; Justine était
-condamnée.
-
-Il me serait impossible de décrire ce que j'éprouvai alors. J'avais
-auparavant connu des sensations d'horreur, et j'ai tâché de les
-peindre par des expressions équivalentes; mais les mots ne pourraient
-donner une idée du désespoir horrible auquel je fus en proie dans ce
-moment. La personne, à qui je m'adressai, m'apprit que Justine venait
-d'avouer son crime. «Cet aveu, observa-t-il, était à peine
-nécessaire dans un cas aussi clair; mais je suis content qu'on l'ait
-obtenu, car aucun de nos juges ne voudrait condamner un criminel
-d'après les apparences, lors même qu'elles seraient aussi décisives
-qu'aujourd'hui».
-
-À mon retour à la maison, Élisabeth me demanda avec empressement
-quelle était l'issue du procès.
-
-«Ma cousine, répliquai-je, la décision est celle à laquelle vous
-devez vous être attendue; tous les juges aimeraient mieux voir dix
-innocents souffrir, que de laisser échapper un coupable. Au reste, elle
-a fait l'aveu du crime».
-
-Ce fut un coup affreux pour la pauvre Élisabeth, qui avait eu une
-confiance inébranlable dans l'innocence de Justine.
-
-«Hélas, dit-elle, comment croire désormais à la bonté humaine? Eh
-quoi! Justine pour qui j'avais une tendresse de sœur, n'avait-elle ce
-sourire de l'innocence que pour me trahir? Ses yeux, où brillait la
-douceur, semblaient inaccessibles à la sévérité ou à la mauvaise
-humeur, et cependant elle s'est souillée d'un meurtre»!
-
-Bientôt après, nous apprîmes que la pauvre victime avait témoigné
-le désir de voir ma cousine. Mon père n'était pas de cet avis; mais
-il la laissa maîtresse de décider, en l'engageant à réfléchir sur
-cette visite. «Oui, dit Élisabeth, j'irai voir Justine, la coupable
-Justine; et vous, Victor, vous m'accompagnerez: je ne puis aller
-seule». L'idée de cette visite était un tourment pour moi, cependant
-je ne pus me refuser au désir d'Élisabeth.
-
-Nous entrâmes dans une prison obscure. Justine était assise dans un
-coin, sur la paille, les mains retenues par des menottes, et la tête
-appuyée sur les genoux. Elle se leva en nous voyant entrer. Lorsque
-nous fûmes seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d'Élisabeth, en
-pleurant amèrement. Ma cousine ne put retenir ses pleurs.
-
-«Ah! Justine, dit-elle, pourquoi m'as-tu enlevé ma dernière
-consolation? Je croyais à ton innocence; avec cette pensée, j'étais
-bien malheureuse, mais je ne l'étais pas autant que je le suis à
-présent».
-
---«Et croyez-vous aussi que je sois criminelle? Vous joignez-vous aussi
-à mes ennemis pour m'accabler»? Sa voix fut étouffée par ses
-sanglots.
-
---»Lève-toi, ma pauvre fille, dit Élisabeth; pourquoi es-tu à
-genoux, si tu es innocente? Je ne suis pas au nombre de tes ennemis; je
-t'ai crue innocente, contre toutes les apparences, jusqu'au moment où
-j'appris que tu avais toi-même déclaré ton crime. Ce bruit est faux,
-dis-tu; sois bien persuadée, ma chère Justine, que ton aveu seul a pu
-ébranler un moment la confiance que tu m'inspires».
-
-«J'ai fait un aveu; mais un aveu mensonger. Je l'ai fait, afin
-d'obtenir grâce; et maintenant ce mensonge pèse plus sur mon cœur que
-toutes mes fautes. Que le Dieu du ciel me pardonne! Depuis ma
-condamnation, je suis sans cesse assiégée par mon confesseur. Il m'a
-effrayée et menacée, au point que déjà je m'imaginais être le
-monstre dont il me parle incessamment. Il m'a menacée de
-l'excommunication et des feux de l'enfer, si je persévérais dans mes
-dénégations. Ma chère demoiselle, je n'avais personne pour me
-soutenir; tout le monde me regardait comme une misérable, vouée à
-l'ignominie et à la mort. Que pouvais-je faire? Dans un moment que je
-déteste, je souscrivis à un mensonge; et c'est seulement à présent
-que je suis vraiment à plaindre».
-
-Elle s'arrêta pour fondre en larmes, et poursuivit en ces termes:
-«J'ai pensé avec horreur, mon excellente demoiselle, que vous me
-soupçonneriez d'un crime que le démon seul peut avoir commis; moi qui
-avais su mériter l'estime de votre bienheureuse tante, et votre
-affection personnelle. Cher Guillaume! bienheureux enfant, je le
-reverrai bientôt dans le ciel, où la paix nous est réservée; et
-c'est ma consolation, au moment où je vais souffrir l'ignominie et la
-mort».
-
---«Ah! Justine! pardonne-moi d'avoir pu un moment manquer de confiance
-en toi. Pourquoi faire un aveu? mais ne t'afflige pas, ma chère fille;
-je proclamerai partout ton innocence, et je forcerai d'y croire.
-Cependant il faut que tu meures; toi, ma compagne, toi qui étais pour
-moi plus qu'une sœur. Je ne pourrai survivre à un malheur aussi
-affreux».
-
-«Ma chère, ma bonne Élisabeth, ne pleurez pas. Vous devriez me donner
-du courage en me parlant d'une meilleure vie, et m'élever au-dessus des
-misères de ce monde d'injustice et de malheur. Mon excellente amie,
-livrez pas au désespoir».
-
---«Je tâcherai de te consoler; mais je crains que ce malheur ne soit
-trop profond et trop cruel pour admettre aucune consolation, car il ne
-reste aucun espoir. Cependant, ma chère Justine, puisse le ciel
-t'envoyer la résignation, et élever ton âme au-dessus de ce monde.
-Ah! combien je hais ses parades si vaines et si dérisoires! Une
-personne est-elle assassinée? une autre est aussitôt privée de la vie
-en souffrant de longues tortures. Alors, les bourreaux, les mains encore
-teintes du sang de l'innocence, se persuadent qu'un tel acte est bien
-grand, et l'appellent compensation. Nom odieux! dès qu'il est
-prononcé, je sais qu'on va infliger des châtiments plus grands et plus
-affreux, que n'en a jamais inventé le tyran le plus cruel pour
-rassasier sa vengeance. Ce que je dis n'est pas pour te consoler, ma
-Justine, à moins que tu ne te réjouisses de sortir d'un séjour aussi
-malheureux. Hélas! plût à Dieu que je reposasse en paix avec ma tante
-et mon aimable Guillaume, loin d'un monde qui m'est odieux, et des
-hommes que j'abhorre».
-
-Justine sourit languissamment.
-
---«Voilà, ma chère demoiselle, du désespoir et non de la
-résignation. Il ne faut pas que je suive l'exemple que vous me montrez.
-Parlez de ce qui peut me donner du calme, et non de ce qui sert à
-augmenter ma douleur».
-
-Pendant cette conversation, je m'étais retiré dans un coin de la
-prison, pour cacher les horribles angoisses auxquelles j'étais en
-proie. Du désespoir! qui osait en parler? la pauvre victime, qui le
-lendemain allait franchir l'effrayante limite qui sépare la vie de la
-mort, n'éprouvait pas comme moi une agonie profonde et déchirante. Mes
-dents tremblaient les unes contre les autres; un soupir s'exhala du fond
-de mon cœur. Justine tressaillit, me reconnut, s'approcha de moi, et
-dit: «Mon cher monsieur, vous êtes bien bon de venir me visiter; vous
-ne croyez pas, j'espère, que je sois coupable». Je ne pus
-répondre.--«Non, Justine, dit Élisabeth, il est plus convaincu de ton
-innocence que je ne l'étais; car même après ton aveu, il ne voulait
-pas y ajouter foi».
-
---«Je le remercie sincèrement. Dans ces derniers moments, j'ai la plus
-grande reconnaissance pour ceux qui ont de moi une opinion favorable.
-Que l'affection des autres est douce pour une malheureuse comme moi!
-elle me soulage de plus de la moitié de mes maux; et je sens que je
-puis mourir en paix, à présent que mon innocence est reconnue par
-vous, ma chère dame, et par votre cousin».
-
-Ainsi, la pauvre victime cherchait, en consolant les autres, à se
-consoler elle-même. Elle trouva enfin la résignation qu'elle désirait.
-Et moi, le véritable meurtrier, je sentis le remords s'élever dans mon
-sein: remords impérissable qui devait ne me laisser ni espérance, ni
-consolation. Élisabeth, en larmes, était aussi plongée dans
-l'affliction; mais sa douleur était celle de l'innocence, et semblable
-à ce nuage qui obscurcit un moment les rayons de la lune, la cache pour
-un moment, et ne peut en ternir l'éclat. L'horreur et le désespoir
-avaient pénétré dans le fond de mon cœur; je portais en moi-même un
-enfer que rien ne pouvait éteindre. Nous restâmes plusieurs heures
-avec Justine, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'Élisabeth put
-s'en éloigner. «Je voudrais, s'écria-t-elle, mourir avec toi; je ne
-puis vivre dans ce monde de misère».
-
-Justine affecta un air de gaîté, tout en retenant avec difficulté des
-larmes amères. Elle embrassa Élisabeth, en disant, d'une voix à
-moitié étouffée: «Adieu, bonne et chère Élisabeth, ma tendre et
-unique amie. Puisse le ciel dans sa bonté vous bénir et vous
-conserver! puisse ce malheur être le dernier dont vous ayez à
-souffrir! Vivez, soyez heureuse; et que les autres soient heureux par
-vous».
-
-En quittant la prison, Élisabeth me dit: «Vous ne savez pas, mon cher
-Victor, combien je suis soulagée, à présent que je suis convaincue de
-l'innocence de cette malheureuse fille. Il n'y aurait plus eu de bonheur
-pour moi, si j'avais été trompée dans ma confiance en elle. Dans le
-moment où je la croyais coupable, j'éprouvais une angoisse que je
-n'aurais pu supporter long-temps. Maintenant mon cœur est soulagé.
-L'innocente souffre; mais celle que je croyais aimable et bonne n'a pas
-trahi la confiance que j'avais en elle; et je suis consolée».
-
-Aimable cousine! telles étaient vos pensées, douces comme vos yeux et
-votre voix. Mais moi... j'étais un malheureux dont la douleur en ce
-moment, était au-dessus de toute imagination.
-
-
-
-
-FIN DU TOME PREMIER
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder
-e Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ***
-
-***** This file should be named 62404-0.txt or 62404-0.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62404/
-
-Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images
-generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale
-de France.)
-
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions
-will be renamed.
-
-Creating the works from public domain print editions means that no
-one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
-(and you!) can copy and distribute it in the United States without
-permission and without paying copyright royalties. Special rules,
-set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
-copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
-protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
-Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
-charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
-do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
-rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
-such as creation of derivative works, reports, performances and
-research. They may be modified and printed and given away--you may do
-practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
-subject to the trademark license, especially commercial
-redistribution.
-
-
-
-*** START: FULL LICENSE ***
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
-Gutenberg-tm License (available with this file or online at
-http://gutenberg.org/license).
-
-
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
-electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
-all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
-If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
-Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
-terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
-entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
-and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
-works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
-or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
-Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
-collection are in the public domain in the United States. If an
-individual work is in the public domain in the United States and you are
-located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
-copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
-works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
-are removed. Of course, we hope that you will support the Project
-Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
-freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
-this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
-the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
-keeping this work in the same format with its attached full Project
-Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
-
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
-a constant state of change. If you are outside the United States, check
-the laws of your country in addition to the terms of this agreement
-before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
-creating derivative works based on this work or any other Project
-Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
-the copyright status of any work in any country outside the United
-States.
-
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
-access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
-whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
-phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
-Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
-copied or distributed:
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
-from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
-posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
-and distributed to anyone in the United States without paying any fees
-or charges. If you are redistributing or providing access to a work
-with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
-work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
-through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
-Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
-1.E.9.
-
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
-terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
-to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
-permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
-
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
-
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
-
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
-word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
-distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
-"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
-posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
-you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
-copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
-request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
-form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
-License as specified in paragraph 1.E.1.
-
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
-that
-
-- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
- owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
- has agreed to donate royalties under this paragraph to the
- Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
- must be paid within 60 days following each date on which you
- prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
- returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
- sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
- address specified in Section 4, "Information about donations to
- the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
-
-- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or
- destroy all copies of the works possessed in a physical medium
- and discontinue all use of and all access to other copies of
- Project Gutenberg-tm works.
-
-- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
- money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days
- of receipt of the work.
-
-- You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
-electronic work or group of works on different terms than are set
-forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
-both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
-Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
-Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
-collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
-works, and the medium on which they may be stored, may contain
-"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
-corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
-property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
-computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
-your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium with
-your written explanation. The person or entity that provided you with
-the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
-refund. If you received the work electronically, the person or entity
-providing it to you may choose to give you a second opportunity to
-receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
-is also defective, you may demand a refund in writing without further
-opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
-WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
-WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
-If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
-law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
-interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
-the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
-provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
-with this agreement, and any volunteers associated with the production,
-promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
-harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
-that arise directly or indirectly from any of the following which you do
-or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
-work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
-Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
-
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of computers
-including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
-because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
-people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
-To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
-and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
-Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
-http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
-permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
-Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
-throughout numerous locations. Its business office is located at
-809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
-business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
-information can be found at the Foundation's web site and official
-page at http://pglaf.org
-
-For additional contact information:
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To
-SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
-particular state visit http://pglaf.org
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations.
-To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
-
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
-works.
-
-Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
-concept of a library of electronic works that could be freely shared
-with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
-Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
-
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
-unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
-keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
-
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
-
- http://www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
diff --git a/old/62404-0.zip b/old/62404-0.zip
deleted file mode 100644
index 950d19e..0000000
--- a/old/62404-0.zip
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/62404-h.zip b/old/62404-h.zip
deleted file mode 100644
index d296ab7..0000000
--- a/old/62404-h.zip
+++ /dev/null
Binary files differ
diff --git a/old/62404-h/62404-h.htm b/old/62404-h/62404-h.htm
deleted file mode 100644
index b1f95f0..0000000
--- a/old/62404-h/62404-h.htm
+++ /dev/null
@@ -1,3472 +0,0 @@
-<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN"
- "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd">
-<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" xml:lang="en" lang="en">
- <head>
- <meta http-equiv="content-type" content="text/html; charset=utf-8" />
- <meta http-equiv="Content-Style-Type" content="text/css" />
- <title>
- The Project Gutenberg eBook of Frankenstein Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley.
- </title>
- <style type="text/css">
-
-body {
- margin-left: 10%;
- margin-right: 10%;
-}
-
- h1,h2,h3,h4,h5,h6 {
- text-align: center; /* all headings centered */
- clear: both;
-}
-
-p {
- margin-top: .51em;
- text-align: justify;
- margin-bottom: .49em;
-}
-
-.p2 {margin-top: 2em;}
-.p4 {margin-top: 4em;}
-.p6 {margin-top: 6em;}
-
-hr {
- width: 33%;
- margin-top: 2em;
- margin-bottom: 2em;
- margin-left: auto;
- margin-right: auto;
- clear: both;
-}
-
-hr.tb {width: 45%;}
-hr.chap {width: 65%}
-hr.full {width: 95%;}
-
-hr.r5 {width: 5%; margin-top: 1em; margin-bottom: 1em;}
-hr.r65 {width: 65%; margin-top: 3em; margin-bottom: 3em;}
-
-ul.index { list-style-type: none; }
-li.ifrst { margin-top: 1em; }
-li.indx { margin-top: .5em; }
-li.isub1 {text-indent: 1em;}
-li.isub2 {text-indent: 2em;}
-li.isub3 {text-indent: 3em;}
-
-table {
- margin-left: auto;
- margin-right: auto;
-}
-
- .tdl {text-align: left;}
- .tdr {text-align: right;}
- .tdc {text-align: center;}
-
-.pagenum { /* uncomment the next line for invisible page numbers */
- /* visibility: hidden; */
- position: absolute;
- left: 92%;
- font-size: smaller;
- text-align: right;
-} /* page numbers */
-
-.linenum {
- position: absolute;
- top: auto;
- right: 10%;
-} /* poetry number */
-
-.blockquot {
- margin-left: 5%;
- margin-right: 10%;
-}
-
-.sidenote {
- width: 10%;
- padding-bottom: .5em;
- padding-top: .5em;
- padding-left: .5em;
- padding-right: .5em;
- margin-left: .5em;
- float: left;
- clear: left;
- margin-top: .5em;
- font-size: smaller;
- color: black;
- background: #eeeeee;
- border: dashed 1px;
-}
-
-.bb {border-bottom: solid 2px;}
-
-.bl {border-left: solid 2px;}
-
-.bt {border-top: solid 2px;}
-
-.br {border-right: solid 2px;}
-
-.bbox {border: solid 2px;}
-
-.center {text-align: center;}
-
-.right {text-align: right;}
-
-.smcap {font-variant: small-caps;}
-
-.u {text-decoration: underline;}
-
-.gesperrt
-{
- letter-spacing: 0.2em;
- margin-right: -0.2em;
-}
-
-em.gesperrt
-{
- font-style: normal;
-}
-
-.caption {font-weight: bold;}
-
-/* Images */
-.figcenter {
- margin: auto;
- text-align: center;
-}
-
-.figleft {
- float: left;
- clear: left;
- margin-left: 0;
- margin-bottom: 1em;
- margin-top: 1em;
- margin-right: 1em;
- padding: 0;
- text-align: center;
-}
-
-.figright {
- float: right;
- clear: right;
- margin-left: 1em;
- margin-bottom:
- 1em;
- margin-top: 1em;
- margin-right: 0;
- padding: 0;
- text-align: center;
-}
-
-/* Notes */
-.footnotes {border: dashed 1px;}
-
-.footnote {margin-left: 10%; margin-right: 10%; font-size: 0.9em;}
-
-.footnote .label {position: absolute; right: 84%; text-align: right;}
-
-.fnanchor {
- vertical-align: super;
- font-size: .8em;
- text-decoration:
- none;
-}
-
-.actor {font-size: 0.8em;
- text-align: center;}
-
-/* Poetry */
-.poem {
- margin-left:10%;
- margin-right:10%;
- text-align: left;
-}
-
-.poem br {display: none;}
-
-.poem .stanza {margin: 1em 0em 1em 0em;}
-
-/* Transcriber's notes */
-.transnote {background-color: #E6E6FA;
- color: black;
- font-size:smaller;
- padding:0.5em;
- margin-bottom:5em;
- font-family:sans-serif, serif; }
- </style>
- </head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moderne
-Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-
-Title: Frankenstein, ou le Prométhée moderne Volume 1 (of 3)
-
-Author: Mary Wollstonecraft Shelley
-
-Translator: Jules Saladin
-
-Release Date: June 20, 2020 [EBook #62404]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ***
-
-
-
-
-Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images
-generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale
-de France.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<div class="figcenter" style="width: 500px;">
-<img src="images/frankenstein01_cover.jpg" width="500" alt="" />
-</div>
-
-
-<h2>FRANKENSTEIN,</h2>
-
-<h4>OU</h4>
-
-<h2>LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h2>
-
-<h4>DÉDIÉ A WILLIAM GODWIN,</h4>
-
-<h5>AUTEUR DE LA JUSTICE POLITIQUE, DE CALEB WILLIAMS, etc.</h5>
-
-<h3>Par M<sup>me</sup> SHELLY, sa nièce.</h3>
-
-<h4>TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR J. S.***</h4>
-
-<p><span style="margin-left: 20em;">Créateur, t'ai-je demandé de me tirer de</span><br />
-<span style="margin-left: 21.5em;">l'argile pour me faire homme? T'ai-je</span><br />
-<span style="margin-left: 21.5em;">sollicité de m'arracher du néant?</span></p>
-
-<p style="margin-left: 50%;">MILTON, <i>Paradis perdu.</i></p>
-
-<h4>TOME PREMIER</h4>
-
-<h5>PARIS,</h5>
-
-<h5>CHEZ CORRÉARD, LIBRAIRE</h5>
-
-<h5>PALAIS ROYAL, GALERIE DE BOIS, N.° 258.</h5>
-
-<h5>1821</h5>
-
-
-
-
-<hr class="chap" />
-
-
-<p>TABLE</p>
-<p><a href="#PREFACE">PRÉFACE</a><br />
-<a href="#LETTRE_Iere">LETTRE I<sup>ère</sup></a><br />
-<a href="#LETTRE_II">LETTRE II</a><br />
-<a href="#LETTRE_III">LETTRE III</a><br />
-<a href="#LETTRE_IV">LETTRE IV</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_Ier">CHAPITRE I<sup>er</sup></a><br />
-<a href="#CHAPITRE_II">CHAPITRE II</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_III">CHAPITRE III</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_IV">CHAPITRE IV</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_V">CHAPITRE V</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_VI">CHAPITRE VI</a><br />
-<a href="#CHAPITRE_VII">CHAPITRE VII</a></p>
-
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-<h4><a id="PREFACE">PRÉFACE</a></h4>
-
-
-<p>Le fait sur lequel repose cette fiction, n'a point paru impossible au
-docteur Darwin, et à quelques-uns des Écrivains physiologiques de
-l'Allemagne. Je ne veux pas laisser croire que je suis porté à y
-ajouter sérieusement foi. Cependant, en le prenant pour base d'un
-ouvrage d'imagination, je n'ai pas voulu simplement offrir une suite
-d'histoires effrayantes et surnaturelles. L'événement dont dépend
-l'intérêt de cette histoire, sans présenter aucun des défauts d'un
-pur conte de spectres ou d'enchantements, se recommande par la
-nouveauté des situations qui y sont développées; et, malgré
-l'impossibilité du fait matériel, retrace à l'imagination les
-passions humaines, d'un point de vue plus étendu et plus élevé que
-ceux où l'on peut se placer dans le cours ordinaire de la vie.</p>
-
-<p>Ainsi, j'ai essayé de conserver la vérité des principes
-élémentaires de la nature humaine, tandis que je ne me suis pas fait
-scrupule d'innover dans leurs combinaisons. Homère, dans l'<i>Iliade</i>;
-les Poètes tragiques de la Grèce; Shakespeare, dans <i>la Tempête et le
-Songe au milieu d'une nuit d'été</i>; et plus particulièrement Milton,
-dans <i>le Paradis perdu</i>, se conforment à cette règle; et le plus
-modeste nouvelliste, qui cherche à plaire ou à s'amuser par son
-travail, peut, sans présomption, appliquer à ce qu'il raconte, une
-licence ou plutôt une règle de l'adoption de laquelle sont résulté
-tant de combinaisons profondes des sentiments humains dans les
-chefs-d'œuvre les plus sublimes de la poésie.</p>
-
-<p>La circonstance sur laquelle mon histoire est fondée, m'a été
-suggérée par hasard dans une conversation. Elle fut commencée en
-partie comme source d'amusement, et en partie comme moyen d'exercer les
-facultés négligées de l'esprit. D'autres motifs s'y sont mêlés, à
-mesure que le travail avançait. Je ne suis nullement indifférent aux
-sensations morales dont sera affecté le lecteur sur les sentiments et
-les caractères qui y sont tracés; cependant mon premier soin s'est
-borné à éviter l'effet énervant que produisent les romans du jour,
-et à montrer le charme des affections domestiques ainsi que
-l'excellence de la vertu universelle. Les opinions, produites
-naturellement d'après le caractère et la position du héros, ne
-doivent pas être considérées comme le fruit de ma conviction
-personnelle; et rien de ce qui est contenu dans cet ouvrage, ne doit
-être regardé comme portant attaque à quelque doctrine philosophique,
-de quelque genre que ce soit.</p>
-
-<p>Un autre motif, qui ajoute à l'intérêt de l'auteur, c'est que cette
-histoire a été commencée dans le pays majestueux où se passe la plus
-grande partie de l'action, et dans une société qu'il ne peut cesser de
-regretter.</p>
-
-<p>Je passai l'été de 1816 dans les environs de Genève. La saison était
-froide et pluvieuse: nous nous réunissions le soir autour d'un foyer,
-et nous nous amusions à lire, de temps en temps, quelques histoires
-allemandes d'êtres surnaturels, que le hasard faisait tomber entre nos
-mains. Ces contes nous donnaient un vif désir de les imiter. Nous
-convînmes avec deux de mes amis (dont l'un composa un roman qui ferait
-plus de plaisir au Public que je ne puis l'espérer pour moi-même),
-d'écrire chacun une histoire fondée sur quelqu'aventure
-extraordinaire.</p>
-
-<p>Cependant le temps devint beau tout-à-coup, et mes deux amis me
-quittèrent pour faire un voyage dans les Alpes. Ils perdirent, au
-milieu des scènes magnifiques que présentent ces montagnes, tout
-souvenir de nos visions spirituelles. Le Roman suivant est le seul qui
-ait été achevé.</p>
-
-
-
-
-<hr class="chap" />
-
-
-<h4>FRANKENSTEIN<br />
-
-OU<br />
-
-LE PROMÉTHÉE MODERNE.</h4>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="LETTRE_Iere">LETTRE I<sup>ère</sup></a></h4>
-
-
-<h5>À MADAME SAVILIE, EN ANGLETERRE.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">Saint-Pétersbourg, 11 décembre 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«Vous serez bien aise d'apprendre qu'aucun malheur n'a troublé le
-commencement d'une entreprise que vous avez envisagée avec de funestes
-pressentiments. Je suis arrivé ici hier, et mon premier devoir est
-d'informer ma chère sœur que ma santé est bonne, et ma confiance plus
-grande dans le succès de mon entreprise.</p>
-
-<p>»Je suis déjà loin au nord de Londres; et, quand je me promène dans
-les rues de Saint-Pétersbourg, je sens se jouer sur mes joues la brise
-froide du nord qui me resserre les nerfs et me remplit de volupté.
-Comprenez-vous cette sensation? Cette brise, qui est venue des régions
-à travers lesquelles je m'avance, me donne un avant-goût de ces
-climats glacés. Inspiré par ce vent précurseur, je sens que mes
-idées deviennent plus ardentes et plus vives. Je m'efforce en vain de
-me persuader que le pôle est le siège de la glace et de la
-désolation, il se présente toujours à mon imagination comme le pays
-de la beauté et du plaisir. Là, Marguerite, le soleil est toujours
-visible; son large disque borde presque l'horizon, et répand un éclat
-perpétuel. De là (car, avec votre permission, ma sœur, j'aurai
-quelque confiance dans les navigateurs qui m'ont précédé), de là,
-dis-je, la neige et la glace sont bannies; et, naviguant sur une mer
-calme, on peut être transporté dans une terre qui surpasse en prodiges
-et en beauté tous les pays jusqu'ici découverts sur le monde
-habitable. Ses productions et ses traits peuvent être sans exemple,
-comme les phénomènes des corps célestes le sont, sans doute, dans ces
-solitudes inconnues. Que ne peut-on pas espérer dans un pays où brille
-une lumière éternelle? J'y découvre la puissance étonnante qui
-attire l'aiguille; et je puis fixer une foule d'observations célestes
-qui n'ont besoin que de ce voyage pour rendre invariables leurs
-excentricités apparentes. Je rassasierai mon ardente curiosité, en
-voyant une partie du monde qui n'a jamais été visitée avant moi, et
-je puis fouler une terre qui n'a jamais été pressée par les pieds
-d'un mortel. Voilà ce qui m'attire, et cela me suffit pour bannir toute
-crainte du danger ou de la mort, et m'encourager à commencer ce
-pénible voyage avec la joie qu'éprouve un enfant lorsqu'il s'embarque
-sur un petit bateau un jour de fête, avec ses camarades, pour
-l'expédition d'une découverte sur la rivière qui baigne son pays
-natal. Mais, en supposant que toutes ces conjectures soient fausses,
-vous ne pouvez contester le service inappréciable que je rendrai à
-toute l'espèce humaine, jusqu'à la dernière génération, en
-découvrant, près du pôle, un passage à ces contrées, où, pour
-arriver, il faut maintenant plusieurs mois; ou bien en constatant le
-secret du magnétisme, ce qui, à moins que ce ne soit impossible, ne
-peut avoir lieu que par une entreprise comme la mienne.</p>
-
-<p>»Ces réflexions ont calmé l'agitation avec laquelle j'ai commencé ma
-lettre, et je sens mon cœur se remplir d'un enthousiasme qui m'élève
-jusqu'au ciel; car rien ne contribue tant à tranquilliser l'esprit
-qu'un projet bien ferme, sur lequel on puisse fixer son attention. Cette
-expédition a été le songe favori de mes premières années. J'ai lu
-avec ardeur les récits des différents voyages qui ont été faits dans
-le but d'arriver à l'océan pacifique du nord, à travers les mers qui
-entourent le pôle. Vous devez vous souvenir, que l'histoire de tous les
-voyages entrepris dans l'intention de faire des découvertes, composait
-la bibliothèque entière de notre bon oncle Thomas. Mon éducation fut
-négligée; cependant j'aimais la lecture avec passion. J'étudiais ces
-livres nuit et jour; et la connaissance que j'en eus, augmenta le regret
-que j'avais éprouvé, comme un enfant, en apprenant que mon père, au
-lit de la mort, avait défendu à mon oncle de me laisser embrasser
-l'état de marin.</p>
-
-<p>»Ces visions s'affaiblirent lorsque je lus, pour la première fois, ces
-poètes dont les effusions pénétraient mon âme et l'élevaient
-jusqu'au ciel. Je devins poète aussi, et pendant une année je vécus
-dans un paradis de ma propre création. Je pensais pouvoir obtenir aussi
-une place dans le temple où sont consacrés les noms d'Homère et de
-Shakespeare. Vous savez combien je me trompai, et quelle peine j'eus à
-supporter mon malheur. Mais, justement, à cette époque, j'héritai de
-la fortune de mon cousin, et mes pensées se reportèrent à mes
-premières inclinations.</p>
-
-<p>»Six ans se sont écoulés depuis que j'ai pris la résolution que
-j'exécute en ce moment. Je puis, même à présent, me souvenir de
-l'heure où je me suis dévoué à cette grande entreprise. J'ai
-commencé par accoutumer mon corps à la fatigue. J'ai accompagné les
-pêcheurs de baleine dans plusieurs expéditions à la mer du Nord; j'ai
-enduré volontairement le froid, la faim, la soif et l'insomnie;
-souvent, pendant le jour, je supportais des travaux plus rudes qu'aucun
-des matelots, et je passais mes nuits à étudier les mathématiques, la
-théorie de la médecine, et ces branches de science physique dont un
-homme ami des entreprises maritimes peut souvent tirer le plus grand
-avantage. Deux fois même je me suis engagé comme contremaître, pour
-la pêche du Groenland, et je me suis acquitté à merveille de mes
-fonctions. Je dois avouer que je sentis un petit mouvement d'orgueil,
-lorsque le capitaine m'offrit la seconde dignité du vaisseau, et me
-supplia de rester, avec le plus grand empressement, tant il appréciait
-mes services.</p>
-
-<p>»Et maintenant, ma chère Marguerite, ne mérité-je pas d'accomplir
-quelque grand projet. J'aurais pu passer ma vie dans l'aisance et le
-plaisir; mais j'ai préféré ma gloire à tous les attraits que la
-richesse plaçait devant moi. Ah! que quelque voix encourageante me
-réponde du succès! mon courage et ma résolution sont inébranlables;
-mais mes espérances sont incertaines, et mon esprit est souvent
-humilié. Je vais entreprendre un voyage long et difficile; les dangers
-que je courrai demanderont tout mon courage: j'aurai besoin
-non-seulement de relever les esprits des autres, mais quelquefois de
-soutenir les miens lorsque les leurs se découragent et s'abattent.</p>
-
-<p>»Cette saison est la plus favorable pour voyager en Russie. On vole sur
-la neige dans des traîneaux; le mouvement en est doux, et, à mon avis,
-beaucoup plus agréable que celui d'une diligence anglaise. Le froid
-n'est pas excessif, lorsqu'on est enveloppé de fourrures; et j'ai
-déjà adopté ce costume, car il y a une grande différence de se
-promener sur un pont, ou de rester assis pendant plusieurs heures, sans
-faire un mouvement et sans qu'aucun exercice n'empêche le sang de se
-glacer dans les veines. Je n'ai nullement l'ambition de perdre la vie
-sur la grande route entre Saint-Pétersbourg et Archangel.</p>
-
-<p>»Je partirai pour cette dernière ville dans quinze jours ou trois
-semaines; et mon intention est d'y louer un vaisseau, ce qui est bien
-facile en payant caution au propriétaire, et d'engager autant de
-matelots que je croirai nécessaires parmi ceux qui sont accoutumés à
-la pêche de la baleine. Je ne compte pas mettre à la voile avant le
-mois de juin: et quand reviendrai-je? Ah! ma chère sœur comment
-répondre à cette question? Si je réussis, bien des mois, des années
-peut-être s'écouleront avant que nous puissions nous voir. Dans le cas
-contraire, vous me reverrez bientôt, ou jamais.</p>
-
-<p>»Adieu, ma chère, mon excellente Marguerite, que le ciel verse sur
-vous ses bénédictions, et qu'il me conserve, afin que je puisse vous
-témoigner sans cesse ma reconnaissance pour toute votre amitié et vos
-bontés.</p>
-
-<p>»Votre affectionné frère,</p>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">»R. WALTON».</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="LETTRE_II">LETTRE II</a></h4>
-
-
-<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">Archangel, 28 mars 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«Que le temps passe lentement ici, entouré comme je suis par la glace
-et la neige! Cependant, j'ai fait un second pas dans mon entreprise;
-j'ai loué un vaisseau, et je suis occupé à rassembler mes marins,
-ceux que j'ai déjà engagés paraissent être des hommes sur lesquels
-je puis compter, et sont doués, sans en pouvoir douter, d'un courage
-intrépide.</p>
-
-<p>»Mais il est un objet, un seul objet dont je n'ai pu encore jouir, et
-l'absence de ce bien est pour moi le plus grand des maux. Je n'ai pas
-d'amis, Marguerite: si je suis animé par l'enthousiasme du succès, je
-n'aurai personne pour partager ma joie; si je tombe dans le
-découragement, personne n'essaiera de relever mon courage. Je confierai
-mes pensées au papier, il est vrai; mais c'est une triste ressource
-pour l'épanchement de ce qu'on éprouve. Je voudrais avoir pour
-compagnon un homme capable de sympathiser avec moi, dont les yeux
-répondissent aux miens. Vous pouvez me croire romantique, ma chère
-sœur; mais je sens cruellement le manque d'un ami. Que n'ai-je auprès
-de moi une personne qui soit en même temps douce et courageuse, douée
-à la fois d'un esprit cultivé et capable, dont les goûts ressemblent
-aux miens, et qui puisse approuver ou corriger mes plans. Combien un
-semblable ami réparerait les fautes de votre pauvre frère! Je suis
-trop ardent dans l'exécution, et trop impatient des difficultés: mais
-ce qui est pour moi un malheur encore plus grand, c'est que je n'ai
-reçu qu'une demi-éducation; car pendant les quatorze premières
-années de ma vie, je courais dans les bois çà et là, et ne lisais
-que les livres de voyages de notre bon oncle Thomas. À cet âge je
-devins familier avec les poètes célèbres de notre patrie; je sentis
-aussi la nécessité d'apprendre d'autres langues que celle de mon pays
-natal; mais cette conviction fut chez moi trop tardive pour que je pusse
-en recueillir les plus précieux avantages. J'ai maintenant vingt-huit
-ans, et suis en vérité plus illettré que bien des écoliers de quinze
-ans. Il est vrai que j'ai réfléchi davantage, et que mes idées sont
-plus étendues et plus grandes; mais, comme disent les peintres, elles
-manquent de fond, et j'ai bien besoin d'un ami qui ait assez de bon sens
-pour ne pas me regarder comme un romantique, et qui m'affectionne assez
-pour essayer de régler mon esprit.</p>
-
-<p>»Plaintes inutiles! ce n'est certainement pas sur le vaste Océan que
-je trouverai un ami, non plus qu'à Archangel au milieu des marchands et
-des marins. Cependant il y a place, dans ces cœurs, à des sentiments
-qui semblent ne pouvoir s'allier avec l'écume de la nature humaine. Mon
-lieutenant, par exemple, est un homme d'un grand courage et d'une audace
-étonnante. Il aime la gloire avec passion. C'est un Anglais; et au
-milieu des préjugés de son pays et de son état, qui ne sont pas
-adoucis par la culture, il conserve quelques-unes des plus nobles
-qualités de l'humanité. J'ai fait autrefois sa connaissance à bord
-d'un bâtiment destiné à la pèche de la baleine; je l'ai retrouvé
-dans cette ville sans occupation, et je l'ai facilement engagé à
-m'assister dans mon entreprise.</p>
-
-<p>»Le maître est un homme d'un talent très-distingué, et se fait
-remarquer sur le vaisseau par sa modération et la douceur de sa
-discipline. Il est vraiment d'un naturel si bon, qu'il ne chassera pas
-(amusement favori, et presque le seul qu'on trouve ici), parce qu'il ne
-peut souffrir de verser le sang; en outre, il est d'une générosité
-héroïque. Il y a quelques années qu'il était amoureux d'une
-demoiselle Russe, qui n'avait qu'une fortune médiocre. Possesseur d'un
-capital considérable, amassé dans ses courses maritimes, il obtint
-sans peine que le père de la jeune fille consentît au mariage. Il la
-vit une fois avant le jour de la cérémonie: elle était baignée de
-larmes; elle tomba à ses pieds, le supplia de l'épargner, et lui avoua
-en même temps qu'elle aimait un jeune Russe, mais qu'il était pauvre,
-et que son père ne voudrait jamais les unir. Mon généreux ami rassura
-cette malheureuse personne, s'informa du nom de son amant, et abandonna
-de suite toute prétention. Il avait déjà acheté, de son argent, une
-ferme dans laquelle il avait le dessein de passer le reste de sa vie;
-mais il donna tout à son rival, et pour qu'il pût acheter du bétail,
-il joignit à son premier don le reste de ses profits dans les prises.
-Il sollicita lui-même le père de la jeune fille, pour qu'il consentît
-à l'unir avec celui qu'elle aimait; mais le vieillard se croyant
-engagé d'honneur avec mon ami, refusa obstinément. Celui-ci, pour
-fléchir l'inexorable père, quitta son pays, et n'y revint que
-lorsqu'il apprit que sa maîtresse était mariée suivant son
-inclination. «Quel noble compagnon»! vous écrierez-vous. Tel est son
-caractère; mais il a passé sa vie entière à bord d'un vaisseau, et
-à peine a-t-il une idée hors des cordages et d'un hauban.</p>
-
-<p>Mais si je me plains un peu, ou si je puis concevoir dans mes travaux
-une consolation que peut-être je ne connaîtrai jamais, ne croyez pas
-que je sois incertain dans mes résolutions; elles sont invariables
-comme le destin; et mon voyage n'est maintenant différé, que jusqu'à
-ce que le temps me permette de mettre à la voile. L'hiver a été
-horriblement dur; mais le printemps s'annonce favorablement, et cette
-saison parait même fort avancée. Ainsi, je m'embarquerai peut-être
-plutôt que je ne m'y étais attendu. Je ne ferai rien avec témérité;
-vous me connaissez assez pour avoir confiance en ma prudence et en ma
-circonspection, toutes les fois que la sûreté des autres est commise
-à mes soins.</p>
-
-<p>»Je ne puis vous dépeindre tout ce que j'éprouve en me voyant si
-près de mettre mon entreprise à exécution. Il est impossible de vous
-donner une idée de cette sensation incertaine, agréable et pénible à
-la fois, qui m'agite au moment de mon départ. Je vais dans des régions
-inconnues, <i>dans la patrie des brouillards et de la neige</i>; mais je ne
-tuerai aucun albatros<a name="FNanchor_1_1" id="FNanchor_1_1"></a><a href="#Footnote_1_1" class="fnanchor">[1]</a>, ne soyez donc pas alarmée sur mon sort.</p>
-
-<p>»Vous reverrai-je encore, après avoir traversé des mers immenses, et
-après avoir doublé le cap le plus au sud de l'Afrique ou de
-l'Amérique? Je ne puis m'attendre à un pareil bonheur; et cependant je
-n'ose regarder le revers du tableau. Continuez à m'écrire par toutes
-les occasions: je puis recevoir vos lettres (quoique la chance soit fort
-douteuse) au moment où j'en aurai le plus besoin pour soutenir mon
-courage. Adieu, adieu, je vous aime bien tendrement. Souvenez-vous de
-moi avec affection, dussiez-vous même ne plus entendre parler de votre
-affectionné frère.</p>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">»ROBERT WALTON».</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Footnote_1_1" id="Footnote_1_1"></a><a href="#FNanchor_1_1"><span class="label">[1]</span></a>Oiseau de mer.</p></div>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="LETTRE_III">LETTRE III</a></h4>
-
-
-<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">7 juillet 17&mdash;</p>
-
-
-<p style="margin-left: 10%;">Ma chère sœur,</p>
-
-<p>«Je vous écris quelques lignes à la hâte, pour vous dire que je suis
-en bonne santé, et fort avancé dans mon voyage. Cette lettre
-parviendra en Angleterre par la voie d'un marchand qui retourne
-d'Archangel dans sa famille; il est plus heureux que moi, qui, pendant
-quelques années, ne pourrai peut-être revoir ma patrie. Je suis
-cependant dans de bonnes dispositions: mes hommes sont courageux et
-semblent fermes dans leurs projets. Ils ne paraissent pas découragés
-par les bancs de glaces que nous rencontrons continuellement, et qui
-nous indiquent les dangers du pays vers lequel nous nous dirigeons. Nous
-avons déjà atteint une latitude très-élevée, mais nous sommes dans
-le fort de l'été, et quoiqu'il ne fasse pas aussi chaud qu'en
-Angleterre, les vents du sud qui nous portent avec vitesse vers les
-rives où je désire si ardemment arriver, renouvellent sans cesse une
-chaleur à laquelle je ne m'étais pas attendu.</p>
-
-<p>»Jusqu'ici nul événement qui soit digne d'être rappelé. Un ou deux
-coups de vent et un mât brisé, sont des accidents dont un navigateur
-expérimenté se souvient à peine de faire mention; et je serai bien
-heureux, s'il ne nous arrive rien de pire pendant notre voyage.</p>
-
-<p>»Adieu, ma chère Marguerite. Soyez sûre que, par amour pour vous et
-pour moi-même, je n'irai pas témérairement au-devant du danger. Je
-serai froid, persévérant et prudent.</p>
-
-<p>»Rappelez-moi à tous mes amis d'Angleterre.</p>
-
-<p>»Votre très-affectionné,</p>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">»ROBERT WALTON».</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="LETTRE_IV">LETTRE IV</a></h4>
-
-
-<h5>À MADAME SAVILLE, EN ANGLETERRE.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">5 août 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«Nous venons d'être témoins d'un événement si étrange, que je ne
-puis m'empêcher de vous en faire part, quoiqu'il soit très-probable
-que vous me voyez avant que ce journal ne puisse vous parvenir.</p>
-
-<p>»Lundi dernier (31 juillet), nous étions presque renfermés par la
-glace qui entourait le vaisseau de tous côtés, et lui laissait à
-peine un espace dans lequel il flottait. Un brouillard épais, dont nous
-étions enveloppés, rendait notre situation assez dangereuse. Nous
-n'eûmes rien de mieux à faire qu'à rester en place, jusqu'à ce qu'il
-y eût un changement dans l'atmosphère et le temps.</p>
-
-<p>»Vers deux heures, le brouillard se dissipa, et nous vîmes flotter, de
-toutes parts, des îles de glace immenses et irrégulières, qui
-paraissaient n'avoir pas de bornes. Quelques-uns de mes compagnons se
-lamentaient, et mon esprit commençait à être agité d'inquiètes
-pensées, lorsque tout à coup notre attention fut attirée par un objet
-singulier, qui fit diversion à l'inquiétude que nous inspirait notre
-situation. Nous vîmes un chariot bas, fixé sur un traîneau et tiré
-par des chiens, passer au nord, à la distance d'un demi-mille: un
-être, qui avait la forme d'un homme, mais qui paraissait d'une stature
-gigantesque, était assis dans le traîneau et guidait les chiens. Nous
-observâmes, avec nos télescopes, la rapidité de la course du
-voyageur, jusqu'à ce qu'il fût perdu au loin parmi les inégalités de
-la glace.</p>
-
-<p>»Cette vue excita parmi nous un étonnement dont nous ne pûmes nous
-rendre compte. Nous pensions être éloignés de terre de plusieurs
-cents milles; mais cette apparition sembla prouver que la distance
-n'était réellement pas aussi grande que nous avions pu le croire.
-Cependant, cernés par la glace, il nous fut impossible de suivre la
-trace de ce que nous avions observé avec la plus grande attention.</p>
-
-<p>»Environ deux heures après cette rencontre, nous entendîmes le
-craquement de la mer; et avant la nuit la glace se rompit, et
-débarrassa notre vaisseau. Néanmoins, nous restâmes en place jusqu'au
-matin, dans la crainte de choquer, dans l'obscurité, contre ces grandes
-masses détachées qui flottent de tous côtés après la rupture de la
-glace. Je profitai de ce moment pour me reposer pendant quelques heures.</p>
-
-<p>»Dans la matinée, cependant, dès qu'il fut jour, je montai sur le
-pont, et trouvai tous les matelots rassemblés d'un seul côté du
-vaisseau, et ayant l'air de parler à quelqu'un qui était dans la mer.
-En effet, un traîneau semblable à celui que nous avions vu auparavant,
-s'était dirigé vers nous, pendant la nuit, sur un large morceau de
-glace. Il était conduit par un seul chien en vie, et portait un homme
-auquel les matelots tâchaient de persuader d'entrer dans le bâtiment.
-Ce n'était pas, comme l'autre voyageur le paraissait, un habitant
-sauvage de quelqu'île inconnue, mais un Européen. Lorsque je parus sur
-le pont, le contre-maître lui dit: «Voici notre capitaine, il ne vous
-laissera pas périr au milieu de la mer».</p>
-
-<p>»En me voyant, l'étranger m'adressa la parole en anglais, quoiqu'avec
-un accent étranger. «Avant que j'entre à bord de votre bâtiment,
-dit-il, voulez-vous avoir la bonté de m'informer de quel côté vous
-vous dirigez»?</p>
-
-<p>»Vous devez concevoir mon étonnement, de m'entendre adresser une
-semblable question par un homme qui était sur le bord de l'abîme, et
-à qui mon vaisseau devait paraître un bien plus précieux, que tous
-ceux dont on puisse jouir, sur la terre. Je répondis cependant que nous
-faisions un voyage de découverte vers le pôle du nord.</p>
-
-<p>»Il parut alors satisfait, et consentit à venir à bord. Bon Dieu!
-Marguerite, si vous aviez vu l'homme qui capitulait ainsi pour son
-salut, vous n'auriez pu revenir de votre surprise. Ses membres étaient
-presque gelés, et son corps horriblement maigri par la fatigue et la
-souffrance. Je n'ai jamais vu d'homme dans un état aussi pitoyable.
-Nous essayâmes de le porter dans la chambre; mais dès qu'il eut
-quitté le grand air, il s'évanouit. Nous le reportâmes donc sur le
-pont, et le rendîmes à la vie en le frottant d'eau-de-vie et en le
-forçant d'en avaler un peu. Dès qu'il montra signe de vie, nous eûmes
-soin de l'envelopper dans des couvertures, et de le placer auprès de la
-cheminée du poêle de cuisine. Il recouvra lentement connaissance, et
-mangea une petite soupe qui le restaura merveilleusement.</p>
-
-<p>»Deux jours se passèrent ainsi, sans qu'il fût capable de parler; et
-je craignais souvent que ses souffrances ne l'eussent privé de la
-raison. Lorsqu'il fut un peu rétabli, je le mis dans ma chambre, et eus
-pour lui autant de soin que mes devoirs purent me le permettre. Je n'ai
-jamais vu un être plus intéressant: ses yeux ont ordinairement une
-expression de fureur, et même de folie; mais, dans certains moments,
-quand on a une attention pour lui, ou qu'on lui rend le plus léger
-service, toute sa figure est adoucie, et sa physionomie respire un
-sentiment de bienveillance et de douceur tel que je n'ai jamais vu. Il
-est ordinairement plongé dans la mélancolie et le désespoir;
-quelquefois même il grince les dents, comme s'il n'était plus capable
-de supporter le poids des malheurs qui l'accablent.</p>
-
-<p>»Lorsque mon hôte fut un peu rétabli, j'eus beaucoup de peine à
-éloigner ceux qui voulaient lui faire une foule de questions; car je ne
-voulais pas le laisser tourmenter par leur inutile curiosité, dans un
-état de corps et d'âme dont l'amélioration dépendait évidemment
-d'un entier repos. Une seule fois, cependant, le lieutenant lui demanda
-pourquoi il était venu si loin sur la glace, dans un équipage si
-singulier.</p>
-
-<p>»Sa figure prit aussitôt l'expression du plus profond chagrin; et il
-répliqua: «Afin de poursuivre quelqu'un qui me fuyait.&mdash;Et l'homme que
-vous poursuiviez, voyageait-il de la même manière?&mdash;Oui,
-dit-il.&mdash;Alors je crois que nous l'avons vu; car, la veille du jour où
-nous vous avons rencontré, nous avions aperçu quelques chiens tirant
-à travers la glace, un traîneau dans lequel était un homme».</p>
-
-<p>»Ce peu de mots éveilla l'attention de l'étranger; et il fit une
-multitude de questions pour savoir la route qu'avait tenue le démon
-(c'est ainsi qu'il l'appelait). Bientôt après, lorsqu'il fut seul avec
-moi, il me dit: «J'ai, sans doute, excité votre curiosité, aussi bien
-que celle de ces braves gens; mais vous êtes trop délicat pour me
-faire des questions.</p>
-
-<p>»&mdash;Certainement; il serait très-indiscret et très-inhumain de ma
-part de vous faire de la peine pour satisfaire ma curiosité personnelle.</p>
-
-<p>»&mdash;Et cependant vous ni avez tiré d'une position étrange et
-dangereuse; vous m'avez généreusement rendu à la vie».</p>
-
-<p>»Ensuite il me demanda si je croyais que la rupture de la glace eût
-anéanti l'autre traîneau. Je lui dis que je ne saurais répondre avec
-certitude; car la glace ne s'était guère brisée avant minuit, et le
-voyageur pouvait être arrivé ayant ce temps en lieu de sûreté; mais
-que je n'en pouvais juger.</p>
-
-<p>»Depuis ce temps, l'étranger paraissait très-empressé à être sur
-le pont, pour épier le traîneau qu'on avait vu auparavant; mais je
-l'ai engagé à rester dans la chambre, car il est beaucoup trop faible
-pour soutenir la rigueur de l'atmosphère. J'ai promis que l'on
-observerait pour lui, et qu'il serait averti sur-le-champ, si quelque
-nouvel objet s'offrait à la vue.</p>
-
-<p>»Voilà mon journal jusqu'aujourd'hui, sur ce qui a rapport à notre
-étrange rencontre. L'étranger a insensiblement recouvré la santé,
-mais il est très-silencieux, et parait embarrassé lorsqu'un autre que
-moi entre dans sa chambre. Cependant, ses manières sont si engageantes
-et si douces, que les matelots s'intéressent tous à son sort,
-quoiqu'ils aient eu très-peu de communication avec lui. Pour moi, je
-commence à l'aimer comme un frère; et son chagrin profond et continuel
-m'attire vers lui, et m'inspire de la compassion. Il faut qu'il ait
-été un homme bien remarquable dans des jours plus heureux pour lui,
-puisque dans le malheur il est encore si attrayant et si aimable.</p>
-
-<p>»Je disais dans une de mes lettres, ma chère Marguerite, que je ne
-trouverais pas d'amis sur le vaste Océan, et pourtant j'ai trouvé un
-homme que mon cœur aurait été heureux d'aimer comme un frère, avant
-que son âme eut été brisée par le malheur.</p>
-
-<p>»Je continuerai de temps en temps mon journal sur cet étranger, si
-j'ai quelque chose de nouveau à vous apprendre».</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-<p style="margin-left: 60%;">13 août 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«Mon affection pour mon hôte augmente de jour en jour. Il excite du
-moins mon admiration et ma pitié d'une manière étonnante. Comment
-pourrai-je voir un être aussi noble abîmé par le malheur, sans
-éprouver la plus vive douleur? Il est si doux et si sage à la fois;
-son esprit est si cultivé; et lorsqu'il parle, ses paroles, quoique
-choisies avec l'art le plus délicat, coulent avec une rapidité et une
-éloquence incomparables.</p>
-
-<p>»Il est maintenant très-bien rétabli, et il se tient continuellement
-sur le pont, pour épier sans doute le traîneau qui a précédé le
-sien. Cependant, quelque malheureux qu'il soit, il n'est pas si
-entièrement occupé de sa propre infortune, qu'il ne s'intéresse
-vivement aux occupations des autres. Il m'a fait beaucoup de questions
-sur mon projet, et je lui ai raconté franchement ma petite histoire. Il
-a paru charmé de la confidence et a fait sur mon plan plusieurs
-observations dont je pourrai faire mon profit. Il n'y a pas de
-pédanterie dans ses manières, et tout ce qu'il fait semble ne provenir
-que de l'intérêt qu'il prend naturellement au bien-être de ceux qui
-l'entourent. Il est souvent abattu par le chagrin, et alors il s'observe
-beaucoup, et cherche à chasser tout ce qu'il y a de sombre ou
-d'insociable dans son humeur. Ces paroxysmes fuient devant lui comme un
-nuage devant le soleil, quoique sa tristesse ne l'abandonne jamais. J'ai
-tâché de gagner sa confiance, et je crois y avoir réussi. Je lui
-parlais un jour du désir que j'avais de trouver un ami qui pût
-sympathiser avec moi et me diriger de ses conseils. Je lui dis que je
-n'appartenais pas à cette classe d'hommes qui s'offensent d'un avis.
-«Je n'ai reçu qu'une demi-éducation, et je ne puis avoir assez de
-confiance en mes propres moyens. Je désire donc que mon compagnon soit
-plus sage et plus expérimenté que moi, afin de m'affermir et de me
-soutenir; je n'ai pas cru qu'il fût impossible de trouver un véritable
-ami».</p>
-
-<p>«Je conviens avec vous, répliqua l'étranger, que l'amitié est
-non-seulement un bien désirable, mais possible. J'eus autrefois un ami,
-dont l'âme était la plus noble qui fut sous le ciel: il m'est donc
-permis de juger de la véritable amitié. Vous avez l'espérance et le
-monde devant vous: ne désespérez de rien. Mais moi.... j'ai tout
-perdu, et je ne puis recommencer une nouvelle vie».</p>
-
-<p>»En disant ces paroles, sa figure prit l'expression d'un chagrin calme
-et profond, qui me toucha le cœur. Il se tut et se retira bientôt dans
-sa chambre.</p>
-
-<p>»Malgré l'abattement de son esprit, personne ne peut jouir plus
-vivement que lui des beautés de la nature. Un ciel étoilé, la mer et
-toutes les vues que présentent ces régions étonnantes semblent encore
-avoir le pouvoir d'élever son âme au-dessus de la terre. Un tel homme
-a une double existence: il peut supporter le malheur et être accablé
-par les revers; quand il est rentré en lui-même, on dirait d'un esprit
-céleste, entouré d'un nuage au travers duquel le chagrin ou la folie
-ne peuvent pénétrer.</p>
-
-<p>»Si vous riez de l'enthousiasme avec lequel je m'exprime sur cet
-aventurier extraordinaire, vous devez avoir certainement perdu de cette
-simplicité qui était autrefois votre charme caractéristique.
-Cependant, si vous le voulez, souriez de la chaleur de mes expressions,
-tandis que j'ai tous les jours de nouveaux sujets de les répéter».</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">19 août 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«L'étranger me dit hier: «Vous pouvez voir facilement, capitaine
-Walton, que j'ai éprouvé de grands et incomparables malheurs. J'étais
-décidé d'abord à ensevelir avec moi le souvenir de ces maux, mais
-vous avez changé ma résolution. Vous cherchez les connaissances et la
-sagesse; moi aussi j'ai cherché ces biens. J'espère avec ardeur que
-l'accomplissement de vos vœux ne deviendra pas pour vous, comme pour
-moi, une cause de douleur. Je ne sais si l'histoire de mes infortunes
-vous sera utile; mais si vous le désirez, je vous en ferai le récit.
-Je crois que les événements étranges qui se lient à ma destinée,
-vous feront envisager la nature sous un point de vue capable d'agrandir
-vos facultés et votre intelligence. Vous entendrez parler de puissances
-et d'aventures que vous êtes habitué à croire impossibles. Mais je ne
-doute pas que mon histoire ne porte avec elle l'évidence de la vérité
-des événements qui la composent».</p>
-
-<p>»Vous devez concevoir facilement que je fus enchanté d'une offre de ce
-genre. Cependant je craignais qu'il ne renouvelât sa douleur par le
-récit de ses infortunes. Je sentis le plus vif empressement d'entendre
-l'histoire qu'il m'avait promise, tant pour satisfaire ma curiosité,
-que par un grand désir d'améliorer son sort, s'il était en mon
-pouvoir. Je lui exprimai ces sentiments dans ma réponse.</p>
-
-<p>»Je vous remercie, répliqua-t-il, de votre bonne volonté, mais elle
-est inutile; ma destinée est presque accomplie. Je n'attends plus
-qu'une chose, et alors je reposerai en paix. Je vous comprends,
-continua-t-il, en s'apercevant que je voulais l'interrompre; mais vous
-vous trompez, mon ami, si vous me permettez de vous appeler ainsi; rien
-ne peut changer ma destinée: écoutez mon histoire, et vous verrez
-qu'elle est irrévocablement fixée».</p>
-
-<p>»Il me dit alors qu'il commencerait le lendemain son récit, lorsque
-j'en aurais le temps. Cette promesse me fit faire de profondes
-réflexions, et j'ai résolu de consacrer mes loisirs du soir à écrire
-ce qu'il m'aura raconté pendant le jour, en rapportant autant que
-possible, ses propres expressions. Si je n'en ai pas le temps, je
-prendrai du moins des notes. Ce manuscrit vous fera sans doute le plus
-grand plaisir: mais pour moi, qui le connais, et qui apprendrai cela de
-sa bouche, avec quel intérêt et quelle émotion je le relirai un
-jour»!</p>
-
-
-
-
-<hr class="chap" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_Ier">CHAPITRE I<sup>er</sup></a></h4>
-
-
-<p>Je suis né à Genève, et ma famille est une des plus considérables de
-cette république. Mes ancêtres avaient été, depuis bon nombre
-d'années, conseillers et syndics; et mon père avait rempli des
-fonctions publiques avec honneur et distinction. Il était respecté de
-tous ceux qui le connaissaient, à cause de son intégrité, et de son
-application infatigable à veiller aux intérêts de l'État. Il passa
-les années de sa jeunesse continuellement occupé des affaires de son
-pays, et il n'attendit pas le déclin de sa vie pour penser à se
-marier, et à laisser à l'État des fils qui pussent transmettre à la
-postérité ses vertus et son nom.</p>
-
-<p>Comme les circonstances de son mariage font honneur à son caractère,
-je ne puis m'empêcher de les rapporter. Il comptait parmi ses plus
-intimes amis un négociant qui, d'un état brillant, tomba dans la
-pauvreté, après toutes sortes de malheurs. Cet homme, qui se nommait
-Beaufort, était d'un caractère orgueilleux et facile à se
-décourager. Il ne put soutenir l'idée de vivre pauvre et oublié dans
-le même pays où il avait brillé par son rang et sa magnificence.
-Ayant donc payé ses dettes de la manière la plus honorable, il se
-retira avec sa fille dans la ville de Lucerne, où il vécut inconnu et
-malheureux. Mon père aimait Beaufort de l'amitié la plus vraie; et il
-fut profondément affligé d'une retraite à laquelle des circonstances
-malheureuses avaient donné lieu, et qui le privait d'une société qui
-lui était chère. Il résolut d'aller le chercher et de l'engager à
-recommencer le commerce, en profitant de son crédit et de son
-assistance.</p>
-
-<p>Beaufort avait pris toutes les mesures pour se cacher, et ce ne fut que
-dix mois après que mon père découvrit sa demeure. Charmé de cette
-découverte, il se rend à sa maison, qui était située dans une petite
-rue près le Reuss; mais lorsqu'il entra, il eut sous les yeux le
-spectacle de la misère et du désespoir. Beaufort avait sauvé des
-restes de sa fortune, une très-petite somme d'argent, mais qui était
-suffisante pour le soutenir pendant quelques mois; il espérait alors
-obtenir un emploi respectable dans la maison d'un négociant. En
-attendant, il n'avait pas d'occupation; et, se livrant, dans son loisir,
-aux plus tristes pensées, il fut en proie au chagrin le plus profond et
-le plus cruel, et tellement accablé d'esprit, que trois mois après, il
-fut sur un lit de douleur, incapable d'aucun mouvement. Sa fille le
-soignait avec la tendresse la plus touchante; mais elle voyait avec
-douleur que leur petite somme diminuait rapidement, et qu'ils n'avaient
-plus d'autre ressource. Caroline Beaufort avait une âme d'une trempe
-peu commune, et elle s'arma de courage pour se soutenir dans son
-adversité. Elle se procura une occupation honnête, tressa de la
-paille, et, par différents moyens, tâcha de gagner de quoi subvenir
-aux premiers besoins de la vie.</p>
-
-<p>Plusieurs mois se passèrent ainsi. Son père devint plus mal; son temps
-était plus occupé à le soigner; ses moyens de subsistance
-diminuaient; et, en dix mois, son père mourut dans ses bras, la
-laissant orpheline et sans ressources. Ce dernier coup l'accabla; et
-elle était à genoux devant le cercueil de Beaufort, pleurant à
-chaudes larmes, lorsque mon père entra dans la chambre. Il arriva comme
-un ange protecteur pour cette pauvre jeune fille, qui se confia à ses
-soins; après l'enterrement de son ami, il la conduisit à Genève et la
-confia à une de ses parentes. Deux ans après cet événement, Caroline
-devint sa femme.</p>
-
-<p>Lorsque mon père fut devenu époux et père, il se trouva tellement
-occupé par les devoirs de sa nouvelle position, qu'il abandonna
-plusieurs de ses fonctions publiques pour se vouer à l'éducation de
-ses enfants. J'étais l'aîné, et je devais lui succéder dans tous ses
-travaux et dans ses fonctions. Personne n'eut de plus tendres parents
-que les miens. Mon éducation et ma santé étaient l'objet de leur
-sollicitude continuelle, et d'une sollicitude d'autant plus vive, que
-pendant plusieurs années je fus leur unique enfant. Mais, avant de
-continuer mon récit, je dois rapporter un événement qui eut lieu
-lorsque j'étais âgé de quatre ans.</p>
-
-<p>Mon père avait une sœur qu'il aimait tendrement, et qui avait
-épousé, très-jeune, un gentilhomme Italien. Peu de temps après son
-mariage, elle avait accompagné son mari dans son pays; et, depuis
-quelques années, mon père n'avait eu que très-peu de rapport avec
-elle. Elle mourut vers l'époque dont j'ai parlé; et, peu de mois
-après, il reçut une lettre de son mari. Celui-ci lui faisait part de
-son intention d'épouser une Italienne, et priait mon père de se
-charger de sa fille Élisabeth, seul enfant qu'il eut eu de sa sœur.
-«Je désire, dit-il, que vous la considériez comme votre propre fille
-et que vous l'éleviez de même. La fortune de sa mère lui est
-assurée, et je vous en remettrai les titres. Réfléchissez à cette
-proposition, et choisissez si vous voulez que votre nièce soit élevée
-par vous-même ou par une belle-mère».</p>
-
-<p>Mon père n'hésita pas, et alla aussitôt en Italie pour accompagner la
-petite Élisabeth dans sa nouvelle demeure. J'ai souvent entendu dire à
-ma mère, qu'elle était alors le plus bel enfant qu'elle eut jamais vu,
-et qu'elle montrait même un caractère doux et aimant. Ces
-dispositions, et le désir de resserrer aussi étroitement que possible
-les nœuds de l'amour domestique, déterminèrent ma mère à regarder
-Élisabeth comme ma femme future, projet dont elle n'eut jamais à se
-repentir.</p>
-
-<p>Dès-lors Élisabeth Lavenza devint ma compagne de jeu; et lorsque nous
-avançâmes en âge, elle fut mon amie. Elle était douée d'un
-excellent naturel, aussi gaie et aussi folâtre qu'un papillon.
-Quoiqu'elle fut vive et animée, ses sensations étaient fortes et
-profondes; son caractère prodigieusement aimant. Personne ne savait
-mieux qu'elle jouir de sa liberté, personne aussi ne se soumettait avec
-plus de grâce à la nécessité et au caprice. Son imagination était
-brillante quoiqu'elle fût capable d'une grande application. Ses traits
-étaient l'image de son âme; ses yeux bruns, quoiqu'aussi vifs que ceux
-d'un oiseau, avaient une douceur attrayante; sa figure était vive et
-animée. Capable de supporter une grande fatigue, elle avait l'air de la
-femme la plus délicate du monde. Plein d'admiration pour son
-intelligence et son esprit, j'aimais à la suivre, comme j'aurais pu le
-faire pour un animal favori; et je n'ai jamais vu tant de charmes dans
-la personne et dans l'esprit unis à si peu de prétention.</p>
-
-<p>Tout le monde adorait Élisabeth. Si les domestiques avaient quelque
-chose à solliciter, c'était toujours par son intercession. Nous
-étions étrangers à toute espèce de désunion et de dispute; il
-existait, il est vrai, une grande différence dans nos caractères, mais
-il y avait même de l'harmonie dans cette opposition. J'étais plus
-calme et plus réfléchi que ma compagne; cependant mon caractère
-n'était pas aussi doux. Mon application durait plus long-temps; mais
-elle était moins opiniâtre pendant sa durée. J'aimais à rechercher
-les faits qui ont rapport au monde physique; elle se plaisait à suivre
-les inspirations hardies des poètes. Le monde était pour moi un secret
-que je désirais pénétrer; pour elle, c'était un vide qu'elle
-cherchait à peupler d'êtres de sa propre imagination.</p>
-
-<p>Mes frères étaient bien plus jeunes que moi; mais j'avais dans un de
-mes condisciples un ami dont l'âge répondait au mien. Henry Clerval
-était fils d'un négociant de Genève, intime ami de mon père.
-C'était un enfant d'un talent et d'une imagination extraordinaires. Je
-me souviens, qu'à l'âge de neuf ans, il composa un conte de fées, qui
-faisait les délices et l'étonnement de tous ses camarades. Son étude
-favorite était celle des romans et des livres de chevalerie; et,
-lorsque nous étions fort jeunes, je me rappelle que nous jouions des
-pièces qu'il composait lui-même d'après ses livres, dont les
-principaux personnages étaient Roland, Robin Hood, Amadis, et
-Saint-George.</p>
-
-<p>Personne n'a pu passer une jeunesse plus heureuse que la mienne. Mes
-parents étaient indulgents et mes camarades aimables. Nos études
-n'étaient jamais forcées; et, par quelques moyens, nous avions
-toujours devant nous un but qui nous excitait à les poursuivre avec
-ardeur. Ce fut de cette manière, et non par l'émulation, que nous
-prîmes goût au travail. Ce n'était pas la crainte d'être surpassée
-par ses compagnes, qui excitait Élisabeth à s'appliquer au dessin;
-mais le désir qu'elle avait de plaire à sa tante, en lui mettant sous
-les yeux quelque joli paysage qu'elle avait fait elle-même. Nous
-apprîmes le latin et l'anglais, afin de pouvoir lire les auteurs de ces
-deux langues; et, au lieu de nous rendre l'étude odieuse par les
-punitions, nous ne cessions d'aimer l'application; nos distractions
-eussent été des travaux pour d'autres enfants. Peut-être n'avons nous
-pas lu autant de livres, ou n'avons nous pas appris les langues aussi
-promptement que ceux qui sont enseignés d'après les méthodes
-ordinaires; mais ce que nous avons appris nous est resté plus
-profondément gravé dans la mémoire.</p>
-
-<p>Je place Henri Clerval dans la description de notre cercle domestique,
-car il était constamment avec nous. Il allait à l'école avec moi, et
-passait chez nous presque tous les après-midi; son père qui n'avait
-que ce fils, était bien aise qu'il trouvât dans notre maison les
-camarades qu'il ne pouvait lui donner chez lui; aussi nous n'étions
-jamais tout-à-fait heureux lorsque Clerval était absent.</p>
-
-<p>J'ai du plaisir à m'arrêter sur les souvenirs de mon enfance, avant
-que le malheur n'eût atteint mon esprit et changé ses idées
-lumineuses sur l'utilité générale en des réflexions sur moi-même,
-profondes et rétrécies. Mais, en traçant le tableau de mes jeunes
-années, je ne dois pas omettre ces événements qui me conduisirent
-insensiblement au dernier degré du malheur: car, lorsque je me rends
-compte de la naissance de cette passion qui régla ensuite ma destinée,
-je la vois sortir de sources impures et presqu'oubliées, comme un
-fleuve qui sort des flancs d'une montagne; mais, en croissant
-insensiblement, elle est devenue le torrent, qui, dans sa course, a
-détruit toutes mes espérances et mon bonheur.</p>
-
-<p>La philosophie naturelle est le génie qui a réglé ma destinée; je
-désire donc, dans ce récit, établir les faits qui m'ont inspiré une
-prédilection pour cette science. J'avais treize ans, lorsque nous
-fîmes tous une partie de plaisir, aux bains près de Thonon: le mauvais
-temps nous obligea de rester toute une journée renfermés dans
-l'auberge, et le hasard fit tomber entre mes mains, dans cette maison,
-un volume des œuvres de Cornelius Agrippa. Je l'ouvris avec
-indifférence; la théorie qu'il cherche à démontrer et les faits
-étonnants qu'il rapporte, changèrent bientôt ce sentiment en
-enthousiasme. Une nouvelle lumière sembla éclairer mon esprit; je
-bondis de joie, et fis part de ma découverte à mon père. Je ne puis
-m'empêcher de faire remarquer ici les nombreuses occasions qu'ont les
-instituteurs, pour diriger les idées de leurs élèves vers des
-connaissances utiles, et qu'ils négligent entièrement. Mon père
-regarda avec indifférence le titre de mon livre, et dit: «Ah!
-Cornélius Agrippa! Mon cher Victor, ne perdez pas voire temps
-là-dessus, c'est une triste occupation».</p>
-
-<p>Si, au lieu de cette remarque, mon père eût pris la peine de
-m'expliquer que les principes d'Agrippa avaient été tout-à-fait
-rejetés, et qu'on avait introduit un nouveau système de science, basé
-sur des raisonnements plus puissants que l'ancien, parce que ceux-ci
-étaient chimériques, tandis que les autres étaient réels et mis en
-usage; oh! alors, j'aurais certainement jeté Agrippa de côté, et,
-avec une imagination échauffée comme la mienne, je me serais
-probablement appliqué à la théorie d'alchimie, la plus raisonnable
-qui soit résulté des découvertes modernes. Il est même possible que
-le cours de mes idées n'eussent jamais reçu la funeste impulsion qui
-m'a conduit à ma perte. Mais le mépris vague que mon père avait
-montré pour mon livre, ne me prouvait nullement qu'il connût ce qu'il
-contenait, et je continuai de le lire avec la plus grande avidité.</p>
-
-<p>Lorsque je fus de retour à la maison, mon premier soin fut de me
-procurer tous les ouvrages de cet auteur, et ensuite ceux de Paracelse
-et du Grand Albert. Je lus et j'étudiai avec délices les rêves
-ténébreux de ces écrivains; ils me parurent des trésors connus à
-peu d'autres personnes que moi; et, quoique je désirasse souvent faire
-connaître à mon père ces secrètes profondeurs de la science,
-j'étais toujours retenu par la critique indéterminée qu'il avait
-faite de mon auteur favori. J'appris ma découverte à Élisabeth, sous
-le sceau du secret le plus strict; mais elle ne prenait pas d'intérêt
-à mon travail, et elle me laissait poursuivre seul mes études.</p>
-
-<p>Il peut sembler très-étrange de voir dans le 18<sup>e</sup> siècle un disciple
-du Grand Albert; mais notre famille n'était pas scientifique, et je
-n'avais pas suivi les lectures recommandées aux écoles de Genève. Mes
-rêves n'étaient donc pas troublés par la réalité; et je me livrai
-avec ardeur à la recherche de la pierre philosophale et de l'élixir de
-vie. Ce dernier objet obtint toute mon application: je le préférai à
-la richesse; et quelle gloire suivrait ma découverte, si je
-réussissais à chasser la maladie du corps humain, et à ne rendre
-l'homme accessible qu'à une mort violente!</p>
-
-<p>Mes idées ne se bornèrent pas là. L'apparition des esprits et des
-démons était généreusement promise par mes auteurs favoris: je
-cherchais avec ardeur l'accomplissement de cette promesse; et, si mes
-enchantements restaient toujours sans succès, j'en attribuais la faute
-plutôt à mon inexpérience et à mon ignorance, qu'à un défaut
-d'habilité ou de bonne foi dans mes maîtres.</p>
-
-<p>Les phénomènes de la nature qui s'offrent tous les jours à nos yeux,
-n'échappèrent pas à mes recherches. La circulation et les effets
-surprenants de la respiration, dont mes autorités ignoraient
-entièrement la cause, excitèrent mon étonnement; mais, ce qui
-m'étonna le plus, ce furent quelques expériences d'une pompe d'air,
-que je vis employée par une personne que nous avions l'habitude devoir.</p>
-
-<p>L'ignorance des anciens philosophes sur ces points et sur d'autres,
-servit à leur faire perdre leur crédit auprès de moi; mais je ne
-pouvais les quitter entièrement, avant qu'un autre système ne les eût
-remplacés dans mon esprit.</p>
-
-<p>À l'âge d'environ dix-sept ans, nous nous trouvions dans notre maison,
-auprès de Belrive, quand vint à éclater l'orage le plus violent et le
-plus terrible. Il s'avançait de l'autre côté des montagnes du Jura,
-et s'annonçait par les éclats du tonnerre qui retentissait de
-plusieurs côtés à la fois avec un fracas effrayant. Je restai, tant
-que l'orage dura, à observer ses progrès avec curiosité et plaisir.
-Pendant que je me tenais à la porte, je vis tout à coup une traînée
-de feu sortir d'un chêne antique et élevé, qui était à peu près à
-vingt pas de notre maison; et à peine la lumière cessa de briller, que
-le chêne disparut, et il ne restait plus qu'un tronc en ruines. Le
-lendemain matin nous allâmes le voir; l'arbre avait été
-singulièrement brisé. Il n'était pas fendu par le choc, mais
-entièrement réduit en petits éclats de bois. Je n'ai jamais rien vu
-qui fût si complètement détruit.</p>
-
-<p>La ruine de cet arbre fut pour moi l'objet d'un vif étonnement; je
-questionnai avec empressement mon père sur la nature et l'origine du
-tonnerre et des éclairs. «L'électricité», répondit-il, en
-décrivant en même temps les différents effets de cette force. Il
-construisit une petite machine électrique, et me fit quelques
-expériences; il fit aussi un cerf-volant, avec des cordes et un fil de
-métal, qui attirait des nuages le fluide électrique.</p>
-
-<p>Ce dernier trait acheva de renverser Cornelius Agrippa, le Grand Albert
-et Paracelse, qui avaient si long-temps régné en maîtres dans mon
-imagination. Mais, par quelque fatalité, je ne me sentis pas porté à
-commencer l'étude d'un système moderne, et ce dégoût eut pour cause
-la circonstance suivante.</p>
-
-<p>Mon père avait témoigné le désir que je suivisse un cours de leçons
-sur la philosophie naturelle, et j'y avais consenti avec plaisir. Un
-accident m'empêcha de suivre ces leçons jusqu'à la fin, et la
-dernière que je pris était tout-à-fait inintelligible pour moi. Le
-professeur discourait avec la plus grande abondance sur le Potassium et
-le Boron, les sulfates et les oxides, termes auxquels je ne pouvais
-appliquer d'idée. Je pris en dégoût la science de la philosophie
-naturelle, quoique je lusse encore avec plaisir Pline et Buffon, auteurs
-qui, suivant moi, étaient d'un intérêt et d'une utilité à peu près
-semblables.</p>
-
-<p>Mes occupations, à cette époque, étaient principalement les
-mathématiques, et la plupart des branches d'étude qui appartiennent à
-cette science. Je m'occupais aussi beaucoup à apprendre les langues; le
-Latin m'était déjà familier, et je commençais à lire quelques-uns
-des auteurs Grecs les plus faciles sans le secours d'un Lexicon. Je
-comprenais parfaitement aussi l'Anglais et l'Allemand. Voilà la
-nomenclature de ce que je savais à l'âge de dix-sept ans; et vous
-devez penser que mes moments étaient entièrement occupés pour
-acquérir et conserver la connaissance de ces différentes
-littératures.</p>
-
-<p>J'eus aussi une autre tâche à remplir; je devins l'instituteur de mes
-frères. Ernest était de six ans plus jeune que moi et mon principal
-élève. Il avait eu une mauvaise santé dans son enfance, pendant
-laquelle Élisabeth et moi nous avions eu pour lui des soins assidus.
-Son caractère était doux, mais il était incapable de toute
-application sérieuse. Guillaume, le plus jeune de la famille, était
-encore enfant, et c'était le plus beau petit drôle du monde; ses yeux
-bleus et vifs, ses joues ornées de deux fossettes, et ses manières
-caressantes inspiraient la plus tendre affection.</p>
-
-<p>Tel était notre cercle domestique, dont les soucis et les chagrins
-semblaient bannis pour toujours. Mon père dirigeait nos études, et ma
-mère partageait nos plaisirs. Aucun de nous n'avait la plus légère
-supériorité sur l'autre, nous ne connaissions pas la voix du
-commandement; mais une affection mutuelle nous portait à condescendre
-et à obéir au moindre désir de chacun.</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_II">CHAPITRE II</a></h4>
-
-
-<p>Je venais d'atteindre ma dix-septième année, quand mes parents prirent
-la résolution de m'envoyer étudier à l'université d'Ingolstadt.
-J'avais d'abord suivi les écoles de Genève; mais mon père pensa qu'il
-était nécessaire, pour le complément de mon éducation, de me faire
-connaître d'autres usages que ceux de mon pays natal. Mon départ fut
-donc prochainement fixé; et, avant que le jour marqué ne fût venu,
-j'éprouvai le premier malheur de ma vie..... présage de ceux qui
-m'attendaient.</p>
-
-<p>Élisabeth avait eu la fièvre rouge, mais sans aucun symptôme de
-danger. Elle ne tarda pas à recouvrer la santé. Pendant le temps de la
-maladie, on avait tout fait pour persuader à ma mère de ne pas la
-voir. Elle s'était d'abord rendue à nos supplications; mais,
-lorsqu'elle apprit que sa chère nièce se rétablissait, elle ne put se
-priver davantage de sa société, et entra dans sa chambre long-temps
-avant que l'air ne fut sans danger. Les conséquences de cette
-imprudence furent funestes. Le troisième jour, ma mère tomba malade;
-sa fièvre prit un caractère de malignité, et nous vîmes sur le
-visage de ceux qui la soignaient l'augure du plus triste événement. Au
-lit de la mort, le courage et la bonté de cette femme admirable ne
-l'abandonnèrent pas. Elle joignit les mains d'Élisabeth et les
-miennes: «Mes enfants, dit-elle, j'envisageais dans votre union le plus
-ferme espoir de mon bonheur futur. Cette perspective sera maintenant la
-consolation de votre père. Élisabeth, mon amie, vous me remplacerez
-auprès de vos plus jeunes cousins. Hélas! je regrette d'être
-séparée de vous; heureuse et aimée comme je l'étais, comment
-n'aurais-je pas quelque peine de vous quitter tous? Mais ces pensées ne
-me conviennent point; je lâcherai de me résigner à la mort, et
-j'espère que nous nous reverrons dans un autre monde».</p>
-
-<p>Elle mourut avec calme, et en conservant sur son visage inanimé
-l'expression de la tendresse. Je n'ai pas besoin de vous décrire les
-sentiments de ceux dont les nœuds les plus chers sont rompus par le
-plus irréparable des maux, le vide qui est dans le cœur et la douleur
-qui est empreinte sur les figures. Il faut tant de temps pour que
-l'esprit puisse se persuader que celle que nous voyions tous les jours
-et dont existence même semblait liée à la nôtre, est perdue à
-jamais...; que l'éclat enchanteur de ses yeux est éteint; et que le
-son d'une voix si familière et si chère à l'oreille, est étouffé
-pour n'être plus entendu. Telles sont les réflexions auxquelles on se
-livre les premiers jours; mais lorsque le laps du temps a prouvé la
-réalité du mal, la douleur commence à se faire sentir plus vivement.
-Et à qui la main terrible de la mort n'a-t-elle pas enlevé
-quelqu'affection bien chère? Pourquoi vous peindre un chagrin que tout
-le monde a éprouvé ou doit éprouver? Le temps arrive enfin, où la
-douleur est plutôt une consolation qu'un mal; et le sourire n'est pas
-banni de nos lèvres, quoiqu'il paraisse un sacrilège. Ma mère
-n'était plus, mais nous avions encore des devoirs à remplir; car nous
-devons continuer notre vie dans le calme, et nous trouver heureux, tant
-qu'il nous reste un être sur qui la faulx de la mort ne s'est pas encore
-appesantie.</p>
-
-<p>Mon voyage à Ingolstadt, qui avait été différé par ces
-évènements, fut décidé de nouveau. J'obtins de mon père un délai
-de quelques semaines. Ce temps se passa fort tristement. La mort de ma
-mère et mon prompt départ accablaient nos esprits; mais Élisabeth
-cherchait à ramener la gaîté dans notre petite société. Depuis la
-mort de sa tante, son esprit avait acquis une nouvelle fermeté et une
-nouvelle force. Elle se détermina à remplir ses devoirs avec la plus
-grande exactitude, et elle sentit que le devoir le plus impérieux qui
-lui était imposé, était de rendre heureux son oncle et ses cousins.
-Elle me consolait, amusait son oncle, instruisait mes frères; jamais
-elle ne me parut aussi charmante qu'à cette époque, où elle
-s'efforçait continuellement de contribuer au bonheur des autres, en
-s'oubliant entièrement elle-même.</p>
-
-<p>Le jour de mon départ arriva enfin. J'avais pris congé de tous mes
-amis, excepté de Clerval, qui passa avec nous la dernière soirée. Il
-s'affligeait amèrement de ne pouvoir m'accompagner: mais il était
-retenu chez son père, dont l'intention était de l'associer dans ses
-affaires, et dont le grand principe était que la science est inutile
-dans le commerce ordinaire de la vie. Henry avait un esprit plus
-élevé: il n'avait, nullement le désir de ne rien faire, et s'il
-était bien aise de devenir l'associé de son père, il pensait aussi
-qu'on pouvait être un fort bon négociant, et en même temps avoir un
-esprit cultivé.</p>
-
-<p>Nous restâmes très-tard à écouter ses plaintes et à faire plusieurs
-petits arrangements pour l'avenir. Je partis le lendemain matin de bonne
-heure. Des pleurs coulaient des yeux d'Élisabeth; elle ne pouvait les
-retenir en songeant que mon départ la laissait dans le chagrin, et que
-le même voyage avait été fixé trois mois auparavant, lorsque la
-bénédiction d'une mère m'aurait accompagné.</p>
-
-<p>Je me jetai dans la chaise qui devait m'emmener, et me livrai aux
-réflexions les plus mélancoliques. J'étais seul maintenant, moi, qui
-avais été toujours entouré d'aimables compagnons, dont l'unique soin
-était d'être agréables l'un à l'autre. Dans l'université vers
-laquelle je me rendais, il fallait me faire mes amis et être moi-même
-mon protecteur. Jusqu'ici, ma vie avait été tout-à-fait domestique et
-retirée; j'en gardai une répugnance invincible pour les nouveaux
-visages. J'aimais mes frères, Élisabeth et Clerval; c'étaient pour
-moi <i>d'anciennes figures qui m'étaient familières</i>; mais je ne me
-croyais nullement fait pour la société des étrangers. Telles étaient
-mes réflexions lorsque je commençai mon voyage; mais à mesure que
-j'avançais, mon courage et mes espérances se relevaient. J'avais un
-vif désir d'apprendre. Souvent, chez mon père, j'avais trouvé
-pénible de passer ma jeunesse, attaché à la même place; j'aurais
-voulu entrer dans le monde, et prendre ma place parmi les autres hommes.
-À présent que mes désirs étaient accomplis, c'eût été une folie
-de m'en repentir.</p>
-
-<p>J'eus tout le temps de me livrer à ces réflexions et à bien d'autres
-pendant mon voyage à Ingolstadt, qui fut long et fatigant. Enfin,
-j'aperçus les clochers blancs et élevés de la ville. Je descendis de
-voiture, et je fus conduit dans mon appartement solitaire pour passer la
-soirée comme il me plairait.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, je remis mes lettres d'introduction; je ne manquai
-pas de rendre visite à quelques-uns des principaux professeurs, et
-entr'autres à M. Krempe, professeur de philosophie naturelle. Il me
-reçut avec politesse, et me fit plusieurs questions sur mes progrès
-dans les différentes branches de science qui appartiennent à la
-philosophie naturelle. Je lui nommai, non sans crainte et sans
-hésitation les seuls auteurs que j'eusse jamais lus sur ce sujet. Le
-professeur me regarda fixement: «Avez-vous, dit-il, réellement perdu
-votre temps à étudier de pareilles absurdités»?</p>
-
-<p>&mdash;«Je vous ai dit la vérité», répondis-je.&mdash;«Chaque minute
-continua M. Krempe avec chaleur, chaque moment que vous avez passé sur
-ces livres est tout-à-fait et complètement perdu. Vous avez chargé
-votre mémoire de systèmes repoussés et de noms inutiles. Grand Dieu!
-Dans quel désert avez-vous habité, puisque personne n'a été assez
-bon pour vous apprendre que ces rêves, dont vous vous êtes pénétré
-avidement, sont enfantés depuis mille ans, et sont aussi méprisés
-qu'ils sont anciens? Je ne m'attendais guère à trouver dans ce siècle
-éclairé et savant, un disciple du Grand Albert et de Paracelse. Mon
-cher monsieur, il faut recommencer entièrement vos études».</p>
-
-<p>Après avoir ainsi parlé, il se mit à l'écart, et écrivit une liste
-de plusieurs livres qui traitaient de la philosophie naturelle. Il
-m'invita à les acheter; et il prit congé de moi, en me prévenant
-qu'au commencement de la semaine suivante, il ouvrirait un cours sur la
-philosophie naturelle dans ses rapports généraux, et que M. Waldman,
-son collègue, en ferait un sur l'alchimie, alternativement avec le
-sien.</p>
-
-<p>Je retournai chez moi sans être désappointé, car il y avait longtemps
-que je regardais comme passés de mode, les auteurs que le professeur
-avait réprouvés avec tant de force; mais je ne me sentis pas
-très-porté à étudier les livres dont j'avais fait emplette à sa
-recommandation. M. Krempe était un petit homme ramassé, dont la voix
-était rude, et la figure repoussante; ainsi le maître ne me disposait
-pas, en faveur de la doctrine. Du reste, j'avais du mépris pour les
-usages de la philosophie naturelle du jour. Quelle différence avec les
-maîtres de la science, quand ils cherchaient l'immortalité et le grand
-secret! Leurs vues étaient grandes, quoique futiles. Mais depuis, la
-scène était changée; l'ambition des nouveaux savants semblait se
-borner à détruire ces visions qui me portaient vers la science, avec
-le plus d'intérêt. Il fallait changer des chimères d'une grandeur
-sans bornes, contre de misérables réalités.</p>
-
-<p>Telles furent mes réflexions pendant les deux ou trois premiers jours
-que je passai presque dans la solitude. Mais au commencement de la
-semaine suivante, je pensai à ce que M. Krempe m'avait dit sur les
-cours. Et, quoique je ne pusse consentir à aller entendre ce petit
-pédant débiter des sentences dans une chaire, je me rappelai ce qu'il
-avait dit de M. Waldman, qui avait été absent jusqu'alors, et que je
-n'avais jamais vu.</p>
-
-<p>Soit par curiosité, soit par oisiveté, j'allai dans la salle des
-cours: M. Waldman y entra un instant après. Ce professeur ne
-ressemblait pas à son collègue. Il paraissait avoir environ cinquante
-ans, et portait sur son visage l'expression de la plus grande bonté:
-quelques cheveux gris couvraient ses tempes; des cheveux presque noirs
-garnissaient le derrière de sa tête. Il était petit, mais
-très-droit, et doué du plus doux organe. Il commença son cours par un
-précis de l'histoire de l'alchimie et des différentes découvertes
-dues à plusieurs savants, prononçant avec chaleur les noms de ceux qui
-s'étaient le plus distingués par ces découvertes. Il fit alors un
-tableau rapide de l'état actuel de la science, et expliqua plusieurs
-termes élémentaires. Après avoir fait quelques expériences
-préparatoires, il termina par un panégyrique de l'alchimie moderne, en
-des termes que je n'oublierai jamais.</p>
-
-<p>«Les anciens maîtres en cette science, dit-il, promettaient des choses
-impossibles, et n'accomplissaient rien. Les professeurs modernes
-promettent très-peu: ils savent qu'on ne peut changer les métaux, et
-que l'élixir de vie est une chimère. Mais ces philosophes, dont les
-mains ne semblent faites que pour tremper dans la boue qui semblent
-n'avoir des yeux que pour observer au travers d'un microscope ou dans le
-creuset, ont en effet produit des miracles. Ils pénètrent les secrets
-de la nature, et montrent ses effets dans les endroits les plus cachés.
-Ils pénètrent jusqu'aux cieux; ils ont découvert la circulation du
-sang, et analysé l'air que nous respirons. Ils ont acquis des pouvoirs
-nouveaux et presqu'illimités; ils commandent aux foudres du ciel,
-imitent les tremblements de terre, et bravent même les ombres du monde
-invisible».</p>
-
-<p>Je me retirai enchanté du professeur et de sa leçon; j'allai le soir
-même lui rendre visite. Ses manières chez lui étaient encore plus
-douces et plus attrayantes qu'en public; car, pendant son cours, il y
-avait sur son visage une certaine dignité qui, en particulier, faisait
-place à la plus grande affabilité et à beaucoup de politesse. Il
-écouta avec attention la petite histoire de mes études, et sourit aux
-noms de Cornelius Agrippa et de Paracelse, mais sans le mépris qu'avait
-montré M. Krempe. Il me dit que, «c'était au zèle infatigable de ces
-hommes, que les philosophes modernes étaient redevables de la plupart
-des principes de leur science; qu'ils nous avaient laissé la tâche
-plus facile, de donner les noms, et de classer avec ordre les faits
-qu'ils avaient puissamment contribué à mettre au grand jour. Les
-travaux des hommes de génie, quoiqu'erronés, finissent toujours par
-tourner au profit de l'espèce humaine». J'écoutais son raisonnement,
-qui était prononcé sans orgueil ni affectation; j'ajoutai alors, que
-sa leçon avait dissipé mes préjugés, contre les alchimistes
-modernes; et en même temps, je lui demandai ses conseils sur les livres
-que je devais me procurer.</p>
-
-<p>«Je suis heureux, dit M. Waldman, de m'être fait un élève; et si
-votre application égale votre habileté, je ne doute pas que vous ne
-réussissiez. L'alchimie est la branche de la philosophie naturelle dans
-laquelle on a fait et pourra faire le plus de progrès. Voilà pourquoi
-j'en ai fait mon étude particulière, mais en même temps je n'ai pas
-négligé les autres branches de cette science. On ne serait qu'un bien
-médiocre alchimiste, si l'on ne s'adonnait qu'à cette partie seule des
-connaissances humaines. Si vous avez le désir de devenir vraiment un
-savant, et non simplement un petit faiseur d'expériences, je vous
-engagerai à cultiver toutes les branches de la philosophie naturelle,
-ainsi que les mathématiques».</p>
-
-<p>Il m'introduisit alors dans son laboratoire, et m'expliqua l'usage de
-ses différents instruments; il me montra tous ceux que je devais avoir,
-et me promit de me prêter les siens, lorsque j'aurais assez
-d'expérience pour ne pas en déranger le mécanisme. Il me donna aussi
-la liste des livres que j'avais demandés, et je pris congé de lui.</p>
-
-<p>Ainsi finit cette journée mémorable pour moi; elle décida de mon
-avenir.</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_III">CHAPITRE III</a></h4>
-
-
-<p>Depuis ce jour, je me livrai presqu'exclusivement à l'étude de la
-philosophie naturelle, et surtout de l'alchimie, dans le sens le plus
-étendu de ce mot. Je lus avec ardeur les ouvrages qui ont été
-composés sur cette science par les observateurs modernes, et où
-brillent à un haut degré leur génie et leur discernement. Je suivis
-les cours, je fréquentai les savants de l'université; et je reconnus
-même en M. Krempe beaucoup de bon sens et un vrai savoir, joints, il
-est vrai, à une physionomie et à des manières repoussantes, mais qui
-ne diminuaient pas le mérite de ses connaissances. Je trouvai un
-véritable ami dans M. Waldman. Sa douceur n'était jamais altérée par
-un ton tranchant; il donnait ses leçons avec un air de franchise et de
-bonté qui éloignait toute idée de pédanterie. Ce fut, peut-être,
-l'aimable caractère de cet homme qui m'entraîna le plus vers la partie
-de philosophie naturelle qu'il enseignait, qu'un goût intime pour la
-science même. Mais cette disposition d'esprit ne dura que dans les
-premiers moments de mes études: car, plus je pénétrais dans la
-science, et plus je la poursuivais exclusivement pour elle-même. Cette
-application, qui d'abord avait été un devoir et un ordre, devint
-alors si ardente et si vive, que souvent les étoiles avaient disparu
-devant la clarté du matin, que j'étais encore à travailler dans mon
-laboratoire.</p>
-
-<p>Avec une application aussi opiniâtre, il est facile de concevoir que je
-fis de rapides progrès. Mon ardeur faisait l'étonnement des
-étudiants, et mes succès celui des maîtres. Le professeur Krempe me
-demandait souvent, avec un sourire moqueur, comment allait Cornelius
-Agrippa; tandis que M. Waldman se réjouissait hautement de mes
-progrès. Deux ans se passèrent ainsi, sans que j'allasse à Genève;
-j'étais attaché, de cœur et d'âme, à la poursuite de quelques
-découvertes que je désirais faire. Il n'y a que ceux qui en ont fait
-l'épreuve, qui puissent comprendre les attraits de la science. Dans des
-études quelconques on peut atteindre ceux qui nous ont précédés,
-mais on ne peut guère les surpasser; dans l'étude des sciences, au
-contraire, il y a un aliment continuel pour les découvertes, et des
-sujets toujours nouveaux d'étonnement. Un esprit d'une capacité
-ordinaire, qui se renferme strictement, dans une seule étude, doit
-infailliblement y faire de grands progrès; j'avais constamment cherché
-à atteindre l'objet que j'avais en vue; je n'étais uniquement occupé
-que de cet objet; aussi, je me signalai par des progrès si rapides,
-que, deux ans après, je fis plusieurs découvertes pour perfectionner
-quelques instruments d'alchimie, ce qui me valut beaucoup d'estime et de
-considération dans l'université. Parvenu à ce point, et devenu aussi
-habile dans la théorie et dans la pratique de la philosophie naturelle
-qu'il dépendait des professeurs d'Ingolstadt, je jugeai que ma
-résidence dans cette ville n'était plus nécessaire à mes progrès.
-Je pensais à retourner au milieu de mes amis et dans ma ville natale,
-lorsqu'un événement m'obligea de rester.</p>
-
-<p>Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention,
-était la structure du corps humain, et même de tout être animé. Je
-me demandais même souvent, d'où pouvait procéder le principe de la
-vie. Cette question était hardie: c'était même un mystère aux yeux
-du monde; et, cependant, que de choses nous pourrions apprendre, si la
-lâcheté ou l'insouciance n'arrêtaient pas nos recherches. Ces
-pensées s'agitèrent dans mon esprit, et me déterminèrent à étudier
-désormais plus particulièrement les parties de la philosophie
-naturelle qui ont rapport à la physiologie. Sans un enthousiasme
-presque surnaturel, mon application à cette étude eût été pleine de
-dégoûts, et presque insupportable. Pour examiner les causes de la vie,
-nous devons d'abord avoir recours à la mort. J'appris l'anatomie: mais
-cette science ne suffisait pas; il fallut aussi que j'observasse la
-décomposition naturelle et la corruption du corps humain. En
-m'élevant, mon père avait pris les plus grandes précautions, pour
-qu'on ne remplit pas mon esprit d'horreurs surnaturelles. Je ne me
-souviens pas d'avoir jamais frissonné au récit d'un conte
-superstitieux, ou d'avoir eu peur de l'apparition d'un fantôme.
-L'obscurité ne faisait aucun effet sur mon imagination; et un
-cimetière n'était pour moi que le réceptacle des corps privés de la
-vie, qui, après avoir été le siège de la beauté et de la force,
-étaient devenus la pâture des vers. Je me mis à examiner la cause et
-les progrès de cette décomposition, et je fus forcé de passer des
-jours et des nuits au milieu des tombeaux et dans des charniers. Je
-portais mon attention sur tous les objets les plus désagréables à la
-délicatesse des sensations humaines. J'examinai combien la belle forme
-de l'homme était dégradée et ravagée; je vis la corruption de la
-mort remplacer l'éclat d'un visage animé, et les vers hériter des
-merveilles de l'œil et du cerveau. Je m'arrêtais à observer et à
-analyser toutes les minuties de notre être, dévoilées dans le passage
-de la vie à la mort, lorsque, du milieu de cette obscurité, une
-lumière soudaine vint éclairer mon esprit. Elle était si brillante,
-si merveilleuse, et pourtant si naturelle, que je fus à la fois ébloui
-par l'immense clarté qu'elle répandait, et surpris que, parmi tant
-d'hommes de génie dont les recherches avaient eu pour but la même
-science, je fusse le seul destiné à découvrir cet étonnant secret.</p>
-
-<p>Rappelez-vous que je ne rapporte pas la vision d'un fou: ce que
-j'affirme est aussi vrai que le soleil brille dans les cieux. Que ce
-soit par un miracle, il n'en est pas moins vrai que les progrès de la
-découverte sont distincts et probables. Après des jours et des nuits
-d'un travail et d'une fatigue incroyables, je parvins à connaître la
-cause de la génération et de la vie; je devins même capable d'animer
-une matière inerte.</p>
-
-<p>L'étonnement où me jeta cette découverte, fit bientôt place au
-plaisir et au ravissement. Après avoir consumé tant de temps à des
-travaux pénibles, n'était-ce pas pour moi la récompense la plus
-douce, que d'arriver enfin au terme de mes désirs? Mais cette
-découverte était si grande et si élevée, que tous les degrés par
-lesquels j'y avais été progressivement conduit, furent oubliés: je ne
-vis que le résultat. Ce qui, depuis la création du monde, avait été
-l'objet des études et des désirs des hommes les plus sages, était
-maintenant en mon pouvoir. Tout se présentait à moi comme une scène
-magique. Le résultat que j'avais obtenu, était de nature plutôt à
-diriger mes efforts dès que je les tournerais vers l'objet de mes
-recherches, qu'à me l'offrir sur-le-champ. J'étais comme l'Arabe qui
-avait été enseveli parmi les morts, et qui trouva un passage à la
-vie, guidé seulement par une lueur qui semblait ne devoir pas lui
-prêter ce secours.</p>
-
-<p>Mon ami, je vois, à votre impatience, à l'étonnement et à l'espoir
-qu'expriment vos yeux, que vous vous attendez à ce que je vous
-instruise du secret de ma découverte; cela ne se peut: écoutez
-patiemment la fin de mon histoire, et vous verrez facilement pourquoi je
-me renferme dans le silence. Imprévoyant et ardent comme je l'étais
-alors, je ne vous conduirai pas à votre perte et à un malheur
-infaillible. Apprenez-de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon
-exemple, combien la science est dangereuse. Soyez-en certain: l'homme
-qui croit que sa ville natale est le monde, est plus heureux que celui
-qui aspire à s'élever plus qu'il ne peut prétendre.</p>
-
-<p>Maître d'un pouvoir si étonnant, j'hésitai long-temps sur l'usage que
-j'en ferais. J'avais, il est vrai, la faculté d'animer; mais il restait
-encore un ouvrage d'une difficulté et d'une peine inconcevables,
-c'était de préparer un corps destiné à recevoir la vie, avec toutes
-ses combinaisons de fibres, de muscles et de veines. J'hésitai d'abord,
-si j'essayerais de créer un être semblable à moi-même ou d'une
-organisation plus simple; mais mon imagination était trop exaltée par
-mon premier succès, pour que je misse en doute mon habileté à donner
-la vie à un être aussi compliqué et aussi merveilleux que l'homme.
-Les matériaux, dont je pouvais disposer, me parurent à peine
-suffisants pour une entreprise aussi hardie; mais je ne doutai pas que
-je ne finisse par réussir. Je me préparai à une multitude de revers;
-il était possible que mes opérations fussent sans succès, et enfin
-que mon ouvrage fût imparfait. Cependant, en réfléchissant aux
-progrès qu'on faisait tous les jours dans la science et dans la
-mécanique, je me flattais que mes essais seraient du moins la base d'un
-prochain succès, et je ne pouvais croire que mon plan fût
-impraticable, par cela même qu'il était grand et compliqué. Ce fut
-dans ces dispositions que je commençai à créer un être humain. Comme
-la petitesse des parties formait une grande difficulté, je crus pouvoir
-accélérer mon ouvrage, en prenant la résolution, contraire à mes
-premières intentions, de le faire d'une stature gigantesque,
-c'est-à-dire, d'environ huit pieds de hauteur, et d'une grosseur
-proportionnée. Cette détermination prise, je m'occupai pendant
-plusieurs mois à rassembler et à arranger avec succès mes matériaux:
-enfin, je me mis à l'ouvrage.</p>
-
-<p>On ne saurait imaginer la variété des sentiments qui m'agitaient,
-comme une tempête, dans le premier enthousiasme de mon heureuse
-entreprise. La vie et la mort me parurent des limites idéales; j'allais
-bientôt les franchir; j'allais verser un torrent de lumière sur
-l'obscurité du monde. Une nouvelle génération me bénirait comme son
-créateur et sa source: une foule d'êtres heureux et excellents me
-devraient leur existence. Aucun père ne pourrait réclamer la
-reconnaissance de son enfant, autant que je mériterais la sienne. En
-poursuivant ces réflexions, je pensai que si je pouvais animer une
-matière inerte, je pourrais, avec le temps (quoique je le regardasse
-alors comme impossible), rendre la vie à un corps que la mort semblait
-avoir destiné à la corruption.</p>
-
-<p>Ces idées soutenaient mon courage, pendant que je poursuivais sans
-relâche mon entreprise. Mes joues étaient devenues pâles par
-l'étude, et mon corps s'amaigrissait par le défaut de nourriture.
-Quelquefois je pensais être parvenu au but, et j'échouais; mais je ne
-désespérais pas qu'au premier jour, ou au premier moment, mes
-espérances ne fussent réalisées. Le désir de posséder seul un
-pareil secret, me dominait entièrement: la lune éclairait mes
-opérations nocturnes, pendant que je poursuivais la nature jusque dans
-ses retraites les plus cachées, avec une ardeur sans relâche. Qui
-pourra concevoir l'horreur de mes travaux secrets, lorsque je profanais
-les tombeaux, ou que je torturais l'animal vivant, pour animer un froid
-argile? Mes membres en tremblent encore; tout est encore présent à mes
-yeux; mais alors j'étais entraîné par une impulsion irrésistible et
-presque fanatique; il me semblait n'avoir plus d'âme ou de sensation
-que pour la poursuite de cet objet. Ce n'était, il est vrai, qu'un
-enthousiasme passager, qui pouvait seulement contribuer à me faire
-sentir, avec une nouvelle force, dès que l'aiguillon surnaturel
-cesserait d'agir, que je retournerais à mes anciennes habitudes. Je
-ramassais des os dans les charniers; et de mes doigts profanes, je
-troublais les secrets effroyables du tombeau. Enfermé dans une chambre,
-ou plutôt dans une cellule solitaire, de la partie la plus élevée de
-la maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerie
-et par un escalier, je me livrais au travail d'une création pleine de
-dégoût: mes yeux sortaient de leur orbite, pour suivre les détails de
-mes occupations. La salle de dissection et la tuerie me fournissaient un
-grand nombre de matériaux; souvent je me détournais avec horreur de
-mes travaux, lorsqu'excité encore par une ardeur toujours croissante,
-j'étais près d'achever mon ouvrage.</p>
-
-<p>L'été se passa, pendant que j'étais engagé de cœur et d'âme dans
-n'était pas cette seule poursuite. La saison était magnifique: jamais
-moisson plus abondante ne couvrit les champs; jamais vendanges ne furent
-plus riches: mais j'étais insensible aux charmes de la nature; et les
-mêmes pensées qui me firent négliger les scènes qui se passaient
-autour de moi, me firent aussi oublier ces amis qui étaient éloignés
-de tant de lieues, et que je n'avais pas vus depuis si long-temps. Je
-savais que mon silence les inquiétait.</p>
-
-<p>Je me rappelais, mot pour mot, ce que m'avait dit mon père: «Tant que
-vous serez satisfait de vous-même, vous penserez à nous avec
-affection, et nous recevrons régulièrement de vos nouvelles. Ne me
-blâmez pas si je regarde toute interruption dans votre correspondance,
-comme une preuve que vos autres devoirs sont également négligés».</p>
-
-<p>Ainsi, je connaissais bien quelle devait être l'opinion de mon père,
-et pourtant je ne pouvais m'arracher à des occupations repoussantes en
-elles-mêmes, mais dont le pouvoir sur moi était in surmontable. Je
-remis alors tout ce qui avait rapport à mes sentiments d'affection,
-jusqu'à ce que j'eusse accompli le grand œuvre qui me détournait de
-toutes les habitudes de ma vie.</p>
-
-<p>Je pensais que mon père serait injuste, s'il attribuait ma négligence
-à mes défauts ou à mes vices. Maintenant, je suis convaincu qu'il
-avait raison de penser que ma conduite n'était pas exempte de blâme.
-Un homme parfait doit toujours maintenir son esprit dans le calme et
-dans la paix; sa tranquillité ne doit jamais être troublée par une
-passion ou par un goût passager. Je ne crois pas que l'étude même
-soit une exception à cette règle. Si l'étude à laquelle on
-s'applique, doit affaiblir les affections, et ôter le goût de ces
-plaisirs simples dans lesquels on ne peut éprouver aucune altération,
-alors cette étude est sans aucun doute illégitime; c'est-à-dire,
-qu'elle ne convient pas à l'esprit humain. Si cette règle était
-toujours observée, si l'homme ne laissait aucune passion altérer le
-charme paisible de ses affections domestiques, la Grèce n'eût pas
-été réduite en esclavage; César n'eût pas immolé son pays;
-l'Amérique n'eût pas été découverte; et les empires du Mexique et
-du Pérou n'auraient pas été détruits.</p>
-
-<p>Mais que fais-je? Je moralise au moment le plus intéressant de mon
-histoire, tandis que je lis dans vos regards l'invitation de continuer.</p>
-
-<p>Mon père ne me faisait aucun reproche dans ses lettres, seulement mon
-silence l'engagea à s'informer de mes occupations, plus
-particulièrement qu'il ne l'avait fait jusque-là. L'hiver, le
-printemps et l'été s'écoulèrent pendant mes travaux, sans que je
-fisse attention à l'apparition successive des fleurs ou des feuilles,
-qui autrefois me faisait toujours éprouver le plus doux plaisir, tant
-j'étais plongé dans mon entreprise. Les vacances de cette année
-s'écoulèrent avant que mon ouvrage ne fut près d'être achevé. Je
-voyais alors, chaque jour, plus clairement combien j'avais réussi; mais
-mon enthousiasme était réprimé par mon inquiétude; et j'avais
-plutôt l'air d'un homme condamné à travailler aux mines, ou à tout
-autre objet malsain, que d'un artiste au milieu de ses occupations
-favorites. Toutes les nuits j'étais tourmenté d'une fièvre lente: je
-reconnus enfin que mon système nerveux était fortement attaqué. J'en
-éprouvai un grand chagrin, parce que j'avais jusqu'alors joui de la
-meilleure santé, et que je m'étais toujours vanté de la force de mes
-nerfs. Mais je croyais que l'exercice et l'amusement dissiperaient
-bientôt de pareils symptômes, et je me promettais de m'y livrer, dès
-que ma création serait terminée.</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_IV">CHAPITRE IV</a></h4>
-
-
-<p>Ce fut en novembre, pendant une nuit affreuse, que je vis
-l'accomplissement de mes travaux. Dans une inquiétude voisine de
-l'agonie, je rassemblai autour de moi les instruments propres à donner
-la vie, pour introduire une étincelle d'existence dans cette matière
-inanimée qui était à mes pieds. L'airain avait déjà sonné la
-première heure après minuit; la pluie battait, avec un sifflement
-horrible, contre mes fenêtres; ma lumière était près de s'éteindre,
-lorsqu'à cette lueur vacillante, je vis s'ouvrir l'œil jaune et
-stupide de la créature: elle respira avec force, et ses membres furent
-agités d'un mouvement convulsif.</p>
-
-<p>Comment décrire ce que j'éprouvai à cette vue, ou comment peindre le
-malheureux dont la formation m'avait coûté tant d'efforts, de peines,
-et de soins? Ses membres étaient d'une juste proportion, et les traits
-que je lui avais donnés n'étaient pas moins beaux. Beaux!... grand
-Dieu! sa peau jaune couvrait à peine le système des muscles et des
-artères: sa chevelure flottante était d'un noir brillant; ses dents
-étaient blanches comme des perles; mais ces avantages ne formaient
-qu'un contraste plus horrible avec des yeux insipides, qui paraissaient
-presque de la même couleur que leurs blanches et sombres orbites; une
-peau ridée, et des lèvres noires et serrées l'une contre l'autre. Les
-différents événements de la vie ne sont pas aussi variables que les
-sensations du cœur humain. Je n'avais pas cessé de travailler pendant
-près de deux ans, dans le seul but de donner l'être à un corps
-inanimé. Dans cette vue, j'avais négligé mon repos et ma santé:
-j'avais désiré atteindre ce but avec une ardeur immodérée; et,
-maintenant que j'y étais parvenu, la beauté du rêve s'évanouit; mon
-cœur se remplit d'une horreur et d'un dégoût affreux. N'ayant pas la
-force de soutenir la vue de l'être que j'avais créé, je sortis de mon
-laboratoire, et me promenai long-temps en parcourant ma chambre, en tous
-sens, et sans songer au sommeil. Enfin, la fatigue succéda à mon
-agitation, et je me jetai sur mon lit pour chercher, pendant quelques
-moments, l'oubli de ma situation. Ce fut en vain: je dormis pourtant;
-mais je fus troublé par les rêves les plus effrayants. Je crus voir
-Élisabeth, brillante de santé, se promener dans les rues d'Ingolstadt.
-Charmé et surpris, je l'embrassai; en imprimant mon premier baiser sur
-ses lèvres, je les vis devenir livides comme la mort; je vis ses traits
-changer, et je crus tenir entre mes bras le cadavre de ma mère. Elle
-était couverte d'un linceul, dans les plis duquel je voyais ramper les
-vers du tombeau. Je m'éveillai saisi d'horreur; une sueur froide
-couvrait mon front; mes dents claquaient les unes contre les autres; et
-tous mes membres étaient en convulsion, lorsqu'à la clarté faible et
-jaunâtre de la lune qui donnait sur les croisées, je distinguai le
-malheureux..., le misérable monstre que j'avais créé. Il tenait les
-rideaux du lit; et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient
-fixés sur moi. Sa bouche s'ouvrit, et il fit entendre quelques sons
-inarticulés, en faisant des grimaces affreuses. Peut-être avait-il
-parlé; mais je n'entendis pas; il étendit une main, sans doute pour me
-retenir, mais j'échappai, et descendis précipitamment les escaliers.
-Je me réfugiai dans la cour de la maison, où je passai le reste de la
-nuit à me promener en long et en large dans la plus grande agitation,
-prêtant attentivement et avec crainte l'oreille au moindre bruit, comme
-s'il m'annonçait l'approche du démon à qui j'avais si malheureusement
-donné la vie.</p>
-
-<p>Ah! quel mortel pourrait soutenir l'horreur de cette situation! Une
-momie à qui on rendrait l'âme, ne serait pas aussi hideuse que ce
-monstre. Je l'avais observé lorsqu'il n'était pas encore achevé: il
-était laid alors; mais, lorsque les muscles et les articulations purent
-se mouvoir, il devint si horrible, que le Dante lui-même n'aurait pu
-l'imaginer.</p>
-
-<p>Je passai la nuit dans des transes cruelles. Tantôt mon pouls battait
-si vite et avec tant de violence, que je sentais la palpitation de tous
-les artères; tantôt je succombais presque de langueur et de faiblesse.
-Saisi d'horreur, je compris avec amertume combien je m'étais abusé:
-les rêves, dont je m'étais bercé si long-temps et avec tant de
-plaisir, étaient maintenant devenus un tourment pour moi. Comment
-n'aurais-je pas éprouvé ce tourment? Mon changement fut si rapide; mes
-espérances furent si cruellement déçues en tous points!</p>
-
-<p>Le jour commença enfin à paraître; le temps était sombre et
-pluvieux. Cependant, mes yeux découvrirent l'église d'Ingolstadt, ses
-blancs clochers, et l'horloge qui marquait six heures. Le gardien ouvrit
-les portes de la cour qui avait été mon asile pendant la nuit: je
-sortis dans les rues; je me mis à les parcourir avec précipitation
-comme si je cherchais à éviter le misérable, et en tremblant de le
-rencontrer à chaque détour de rue. Je n'osais retourner à
-l'appartement que j'habitais; et je me sentais entraîné avec une
-vitesse prodigieuse, quoique trempé par la pluie qui tombait à verse
-d'un ciel noir et couvert.</p>
-
-<p>Je continuai pendant quelque temps à marcher ainsi, essayant, par
-l'exercice du corps, de me soulager du poids qui accablait mon esprit.
-Je traversais les rues sans savoir où j'étais, ni ce que je faisais.
-Mon cœur palpitait de frayeur, et et je marchais à pas irréguliers,
-sans oser regarder autour de moi:</p>
-
-
-<blockquote>
-<p>Semblable à celui qui, en se promenant sur une route solitaire, est
-saisi de crainte et d'horreur, et qui, après s'être une seule fois
-retourné, presse le pas et n'ose plus détourner la tête; il craint
-qu'un ennemi effrayant ne marche derrière lui<a name="FNanchor_2_1" id="FNanchor_2_1"></a><a href="#Footnote_2_1" class="fnanchor">[2]</a>.</p></blockquote>
-
-
-<p>En continuant ainsi, j'arrivai enfin devant une auberge où descendaient
-ordinairement les voitures et les diligences. Je m'y arrêtai
-machinalement, et je restai pendant quelques minutes les yeux fixés sur
-une voiture qui arrivait par l'autre bout de la rue, et qui, en
-s'approchant, me parut être la diligence Suisse: elle s'arrêta à
-l'endroit même où j'étais; et, dès que la portière fut ouverte, je
-vis Henri Clerval, qui, en m'apercevant, s'élança dans mes bras. «Mon
-cher Frankenstein, s'écria-t-il, que je suis content de te voir! que je
-suis heureux de te rencontrer ici au moment même de mon arrivée»!</p>
-
-<p>Rien ne put égaler le plaisir que j'éprouvai à la vue de Clerval; sa
-présence reportait toutes mes pensées vers mon père, Élisabeth, et
-toutes ces scènes domestiques dont le souvenir m'était si doux. Je
-tenais sa main; et, dans un moment, j'oubliai mes tourments et mon
-malheur; j'éprouvai tout à coup, et pour la première fois depuis
-plusieurs mois, une joie calme et sereine. J'accueillis mon ami de la
-manière la plus cordiale; et nous nous dirigeâmes vers mon collège.
-Clerval me parla pendant quelque temps de nos amis communs, et me dit
-combien il se félicitait d'avoir obtenu de venir à Ingolstadt. «Tu
-peux facilement, me dit-il, t'imaginer les efforts que j'ai dû
-employer, pour persuader à mon père qu'il n'était pas nécessaire à
-un négociant de ne connaître absolument que la tenue des livres;
-vraiment je ne me flatte pas d'avoir ébranlé son incrédulité; car sa
-réponse, constante à mes sollicitations, était toujours celle du
-maître d'école Hollandais dans le ministre de Wakefield: (j'ai 10,000
-florins de rentes sans savoir le Grec, et cela ne m'empêche pas d'en
-jouir de bon cœur). Mais son affection pour moi a triomphé enfin de
-son mépris pour l'instruction; et il m'a permis d'entreprendre un
-voyage de découverte dans le pays de la science».</p>
-
-<p>&mdash;«J'ai le plus grand plaisir à te voir, mais je n'en aurais pas moins
-à apprendre de toi comment se portent mon père, mes frères et
-Élisabeth».</p>
-
-<p>&mdash;«À mon départ, ils étaient en bonne santé, et très-heureux, mais
-un peu fâchés de ne recevoir que si rarement de tes nouvelles. Cela me
-fait penser que j'ai à t'adresser des reproches de leur part. Mais, mon
-cher Frankenstein, continua-t-il, en s'arrêtant court, et en me
-regardant en face, je n'avais pas encore remarqué ta mauvaise mine, si
-maigre et si pâle; tu as l'air d'avoir veillé pendant plusieurs
-nuits.»</p>
-
-<p>&mdash;«Tu as deviné juste; j'ai été dernièrement si plongé dans un
-travail, que je ne me suis pas donné assez de repos, comme tu vois.
-Mais j'espère bien sincèrement que je suis maintenant au terme de
-toutes ces occupations, et que j'en suis enfin délivré».</p>
-
-<p>Je tremblais excessivement; je ne pouvais songer aux événements de la
-nuit précédente, ni à tout ce qui y faisait allusion. Je marchais
-d'un pas rapide, et nous arrivâmes bientôt à mon collège. Je
-réfléchis alors, et je frissonnai à l'idée que la créature que
-j'avais laissée dans mon appartement, pourrait y être encore, vivre et
-se promener. Je tremblais de voir ce monstre; mais je craignais encore
-plus qu'Henri ne le vit. Je le priai donc de rester quelques minutes au
-bas de l'escalier, et je montai dans ma chambre. J'allais ouvrir la
-porte, et je ne m'étais pas encore recueilli. Je m'arrêtai alors, en
-frissonnant. Je poussai la porte avec force, à la manière des enfants
-qui s'imaginent trouver un spectre qui les attend dans l'autre
-extrémité: mais rien ne parut. Je marchais avec crainte: l'appartement
-était vide, et ma chambre était aussi délivrée de son hôte hideux.
-J'avais peine à croire à mon bonheur; certain enfin de l'absence de
-mon ennemi, je frappai mes mains de joie, et je courus vers Clerval.</p>
-
-<p>Nous montâmes dans ma chambre, où le domestique nous apporta aussitôt
-à déjeuner; mais je ne pouvais me contenir. Je n'étais pas seulement
-troublé par la joie; je me sentais agité aussi par un excès de
-sensibilité, et par les battements rapides de mon pouls. Je ne pouvais
-rester un seul instant à la même place; je sautais sur les chaises, je
-frappais des mains, et je riais aux éclats. Clerval attribua d'abord
-l'état extraordinaire dans lequel il me voyait au plaisir que me
-causait son arrivée; mais en m'observant avec plus d'attention, il vit
-dans mes yeux un égarement dont il ne put se rendre compte; et il fut
-aussi effrayé qu'étonné de mes éclats de rire immodérés, dont
-aucun ne venait du cœur.</p>
-
-<p>&mdash;«Mon cher Victor, s'écria-t-il, pour l'amour de Dieu, dis-moi ce que
-tu as? Ne ris pas de cette manière. Comme tu es mal! Quelle est la
-cause de tout ce que je vois?</p>
-
-<p>&mdash;»Ne me le demande pas, lui dis-je, en me mettant les mains sur les
-yeux, car je crus voir le monstre horrible se glisser dans la chambre;
-il peut dire.&mdash;ah! sauve moi! sauve moi»! Je m'imaginais que le monstre
-me saisissait; je me débattais avec fureur, et je cédai à un violent
-accès.</p>
-
-<p>Pauvre Clerval, qu'a-t-il dû éprouver? En quelle amertume se changeait
-la joie qu'il s'était promise à nous revoir! Mais je n'étais pas le
-témoin de sa douleur; car j'étais sans vie, et je ne recouvrai les
-sens que long-temps, long-temps après.</p>
-
-<p>Tel fut le commencement d'une fièvre nerveuse, qui me retint plusieurs
-mois. Pendant tout ce temps, Henri seul me soigna. J'appris par la suite
-qu'il avait caché à Élisabeth et à mon père l'excès de mon
-égarement, pour épargner des chagrins à l'un, qui, dans un âge
-avancé, ne pourrait entreprendre un aussi long voyage, et à l'autre,
-qui ne pourrait supporter l'idée de ma maladie. Il savait que je ne
-pourrais avoir de soins meilleurs et plus assidus que les siens, et
-ferme dans l'espérance que je recouvrerais la santé, il ne douta pas
-que loin de mal agir, il ne fit une très-bonne action vis-à-vis de mes
-parents.</p>
-
-<p>J'étais réellement très-malade, et rien n'était plus propre à me
-rendre à la vie que les attentions excessives et continuelles de mon
-ami. Le monstre, à qui j'avais donné l'existence, était toujours
-devant mes yeux; il était sans cesse l'objet de mes discours dans mon
-délire. Sans doute Henry fut surpris de mes paroles: il les prit
-d'abord pour les égarements de mon imagination troublée; mais la
-ténacité qui me portait à revenir continuellement sur le même sujet,
-lui donna lieu de penser que ma maladie avait réellement pour cause
-quelqu'événement extraordinaire et terrible.</p>
-
-<p>Je me rétablis lentement, et après des rechutes fréquentes, qui
-alarmèrent et affligèrent mon ami. Je me souviens que la première
-fois que je devins capable d'observer avec une sorte de plaisir les
-objets extérieurs, je vis que les feuilles tombées avaient disparu, et
-que de jeunes bourgeons poussaient aux arbres qui ombrageaient ma
-fenêtre. C'était un printemps délicieux, et la saison eut une grande
-influence dans ma convalescence. Je sentis aussi renaître dans mon
-cœur des sentiments de joie et d'affection. Mon chagrin s'était
-dissipé, et bientôt je devins aussi gai qu'avant que je fusse en proie
-à ma funeste passion.</p>
-
-<p>«Cher Clerval, m'écriai-je, que tu es aimable, que tu es bon pour moi!
-Au lieu d'employer tout cet hiver à l'étude, ainsi que tu te l'étais
-promis, tu l'as passé dans la chambre d'un malade. Comment pourrais-je
-jamais reconnaître ce service? J'éprouve le plus grand remords de
-t'avoir détourné de tes projets; mais tu pardonneras à ton ami.</p>
-
-<p>&mdash;»J'en serai suffisamment dédommagé si tu ne te troubles pas; si tu
-te rétablis aussi promptement qu'il est possible. À présent que ton
-esprit me paraît tranquille, je te puis parler sur un sujet;... ne le
-puis-je»?</p>
-
-<p>Je tremblai. Quel pouvait être ce sujet? ferait-il allusion à un objet
-auquel je n'osais même penser?</p>
-
-<p>«Calme-toi, dit Clerval, qui me vit changer de couleur, je ne t'en
-parlerai pas si cela t'agite; mais ton père et ta cousine seraient bien
-heureux de recevoir une lettre écrite de ta main. Ils ne savent pas
-combien tu as été malade, et sont inquiets de ton long silence.</p>
-
-<p>«N'est-ce que cela, mon cher Henry? Comment as-tu pu supposer que ma
-première pensée ne se porterait pas vers ces amis si chers, que
-j'aime, et qui méritent tant que je les aime»?</p>
-
-<p>«Si telles sont maintenant tes dispositions, tu seras peut-être bien
-aise, mon ami, de voir une lettre qui est arrivée ici pour toi depuis
-plusieurs jours: elle est, je crois, de ta cousine».</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Footnote_2_1" id="Footnote_2_1"></a><a href="#FNanchor_2_1"><span class="label">[2]</span></a>Coleridge's «Ancient Mariner».</p></div>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_V">CHAPITRE V</a></h4>
-
-
-<p>Clerval me remit la lettre suivante:</p>
-
-
-<h5>À V. FRANKENSTEIN.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">«Mon cher Cousin,</p>
-
-<p>»Je ne puis vous peindre l'inquiétude que nous avons tous éprouvée
-au sujet de voire santé. Nous ne pouvons nous empêcher de croire que
-votre ami Clerval nous cache la gravité de votre maladie: car voici
-plusieurs mois que nous n'avons vu de votre écriture, puisque vous avez
-été obligé, pendant tout ce temps-là, de dicter vos lettres à
-Henry. Il faut, Victor, que vous ayez été bien malade. Nous en sommes
-presqu'aussi malheureux, que nous l'étions après la mort de votre
-excellente mère. Mon oncle s'était persuadé que vous étiez
-très-dangereusement malade: nous l'avons empêché, mais non sans
-peine, d'entreprendre le voyage d'Ingolstadt. Clerval écrit toujours
-que vous allez mieux; j'espère vivement que vous nous confirmerez
-bientôt cette nouvelle par une lettre écrite de votre propre main;
-car, vraiment, Victor, nous sommes tous très-affligés de votre état.
-Qu'un mot de vous nous ôte toute crainte, et nous serons les êtres du
-monde les plus heureux. Votre père jouit maintenant d'une si bonne
-santé, que, depuis l'hiver dernier, il parait avoir dix ans de moins.
-Ernest a tellement grandi, que vous auriez de la peine à le
-reconnaître; il a maintenant près de seize ans, et ne paraît plus
-maladif, comme nous l'avons vu il y a quelques années: c'est un garçon
-tout-à-fait fort et animé.</p>
-
-<p>»Hier au soir, j'ai eu une longue conversation avec mon oncle sur le
-parti qu'embrasserait Ernest. Dans un état continuel de maladie,
-pendant son enfance, il n'a pu prendre l'habitude du travail; et à
-présent qu'il jouit d'une bonne santé, il est sans cesse à courir au
-grand air, à gravir les montagnes, on à voguer sur le lac. J'ai
-proposé d'en faire un cultivateur; vous savez, mon cousin, qu'aucun
-état ne me paraît préférable. Un cultivateur mène la vie du monde
-la plus paisible et la plus heureuse, et se livre en même temps à un
-travail, dont les chances sont peu à craindre et les bénéfices
-presque certains. Mon oncle aurait voulu qu'il fit les études
-nécessaires pour être avocat, afin que par la suite il pût devenir
-juge. Mais, outre qu'il n'est nullement propre à une semblable
-profession, il est certainement plus honorable à lui de cultiver la
-terre pour la subsistance de l'homme, que d'être le confident, ou
-quelquefois le complice de ses crimes; car un homme de loi ne fait pas
-autre chose. Je disais que si les occupations d'un bon cultivateur
-n'étaient pas plus honorables, elles étaient du moins d'un genre plus
-agréable que celles d'un juge, qui avait le malheur de n'être jamais
-témoin que des crimes de l'homme. Mon oncle sourit en me disant que je
-devrais être avocat moi-même: cela mit fin à notre conversation.</p>
-
-<p>»Je veux maintenant vous raconter une petite histoire qui vous plaira
-et vous intéressera peut-être. Vous souvenez-vous de Justine
-Moritz?&mdash;Non, sans doute.&mdash;Eh bien! je vous raconterai son histoire en
-peu de mots. Madame Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants,
-dont Justine était le troisième. Cette jeune fille avait toujours
-été l'objet des prédilections du père; mais, par une étrange
-perversité, la mère ne pouvait la souffrir, et, après la mort de M.
-Moritz, elle la traita fort mal. Ma tante le remarqua, et pria la mère
-de Justine, qui était alors âgée de douze ans, de la laisser avec
-nous. Les institutions républicaines de notre pays ont donné lieu à
-des habitudes plus simples et plus heureuses, que celles qui dominent
-dans les grandes monarchies qui l'entourent. Il en résulte moins de
-distinction entre les différentes classes des habitants; il en résulte
-aussi que les dernières, qui sont moins pauvres et moins méprisées,
-conservent des habitudes plus pures et plus honnêtes. Un domestique à
-Genève ne sent pas de même que ceux de France et d'Angleterre.
-Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les devoirs d'une
-servante: condition qui, dans notre heureux pays, ne renferme pas
-l'idée d'ignorance, et n'entraîne pas le sacrifice de la dignité d'un
-être humain.</p>
-
-<p>»À présent, j'ose dire que vous vous rappelez à merveille
-l'héroïne de ma petite histoire: car vous aimiez beaucoup Justine. Je
-me souviens même que vous remarquiez autrefois, qu'un regard de Justine
-suffisait pour calmer votre mauvaise humeur, ainsi que l'Arioste parle
-de la beauté d'Angélique, tant elle avait un air candide et heureux.
-Ma tante connut beaucoup d'attachement pour elle, ce qui l'engagea à
-lui donner une éducation supérieure à celle qu'elle avait d'abord
-espérée. Ce bienfait fut bien placé; Justine était la petite
-créature du monde la plus reconnaissante: je ne veux pas dire qu'elle
-en fît profession; je ne l'ai jamais entendu l'exprimer par des
-paroles; mais ses yeux eussent fait croire qu'elle adorait presque sa
-protectrice. Quoique son caractère fût fort gai et souvent léger,
-elle faisait pourtant la plus grande attention au moindre geste de ma
-tante. Elle la regardait comme le modèle le plus parfait, et elle
-tachait d'imiter sa façon de parler et ses manières, au point que,
-même à présent, elle me la rappelle souvent.</p>
-
-<p>»À la mort de ma chère tante, chacun était trop occupé de sa propre
-douleur pour faire attention à la pauvre Justine, qui l'avait soignée
-pendant sa maladie avec la plus vive affection. La pauvre Justine fut
-très-malade; mais elle était réservée à d'autres épreuves.</p>
-
-<p>»Ses frères et sa sœur moururent l'un après l'autre, et sa mère
-resta sans autre enfant que la fille qu'elle négligeait. Cette femme,
-troublée par le cri de sa conscience, commença à croire que la mort
-de ses enfants préférés était un jugement du ciel, qui la punissait
-de sa partialité. Elle était Catholique Romaine, et je crois qu'elle
-fut confirmée dans l'opinion où elle était, par son confesseur.
-Aussi, peu de mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine fut
-rappelée par sa mère repentante. Pauvre fille! elle pleura en quittant
-notre maison: elle était bien changée depuis la mort de ma tante; le
-chagrin avait mêlé à son humeur, autrefois si vive, une douceur et
-une langueur attrayantes. Son séjour dans la maison maternelle n'était
-pas de nature à lui rendre la gaîté. La pauvre femme était
-très-chancelante dans son repentir. Quelquefois elle priait Justine de
-lui pardonner sa dureté; mais bien plus souvent elle l'accusait d'avoir
-causé la mort de ses frères et de sa sœur. Madame Moritz, dont le
-caractère irascible ne fut d'abord qu'irrité par un état d'aigreur
-continuelle, repose maintenant en paix. Elle mourut aux premières
-approches du froid, au commencement de l'hiver dernier. Justine est
-revenue avec nous, et je vous assure que je l'aime tendrement. Elle est
-très-adroite, très-douce, et extrêmement jolie. Comme je vous l'ai
-déjà dit, ses manières et ses expressions me rappellent
-continuellement ma chère tante.</p>
-
-<p>»Il faut aussi, mon cher cousin, que je vous parle un peu du gentil
-petit Guillaume: il est très-grand pour son âge; je voudrais que vous
-le vissiez, avec ses yeux bleus, doux et vifs, ses cils noirs et ses
-cheveux bouclés. Lorsqu'il sourit, on voit sur ses joues deux petites
-fossettes qui sont fraîches comme la rose. Il a déjà eu une ou deux
-petites <i>femmes</i>; mais Louisa Biron est sa favorite: c'est une jolie
-petite fille de cinq ans.</p>
-
-<p>»Je pense, mon cher Victor, que vous serez bien aise que je vous parle
-un peu des bons habitants de Genève. La jolie mademoiselle Mansfield a
-déjà reçu les visites de félicitation sur son prochain mariage avec
-un jeune Anglais, nommé John Melbourne, écuyer. Sa vilaine sœur,
-Manon, a épousé, l'automne dernier, le riche banquier M. Duvillard.
-Votre bon camarade d'études, Louis Manoir, a été plusieurs fois
-malade depuis que Clerval est parti de Genève; il a déjà recouvré la
-santé, et il est sur le point d'épouser une très-aimable et
-très-jolie française, madame Tavernier. Elle est veuve et plus âgée
-que lui; mais on la trouve très-belle, et elle est aimée de tout le
-monde.</p>
-
-<p>»Moi qui vous écris, je suis en bonne santé, mon cher cousin; mais je
-ne puis terminer ma lettre sans vous demander encore avec inquiétude
-des nouvelles de la vôtre. Mon cher Victor, si vous n'êtes pas trop
-malade, écrivez vous-même, et rendez heureux votre père et nous tous;
-ou.... Je n'ai pas la force de penser au malheur; mes pleurs coulent
-déjà. Adieu, mon très-cher cousin.</p>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">»ÉLISABETH LAVENZA».</p>
-
-
-<p style="margin-left: 60%;">Genève, 18 mars 17&mdash;</p>
-
-
-<p>«Chère Élisabeth! m'écriai-je, après avoir lu sa lettre, j'écrirai
-sur-le-champ, et je mettrai fin à l'inquiétude qui doit la
-tourmenter». J'écrivis, et je fus très-fatigué d'avoir écrit; mais
-ma convalescence venait de commencer, elle continua régulièrement.
-Quinze jours après, je pus quitter la chambre.</p>
-
-<p>Un de mes premiers devoirs fut de présenter Clerval à plusieurs
-professeurs de l'université. En agissant ainsi, je suivis une sorte
-d'usage qui m'était pénible, et qui convenait mal aux souffrances dont
-mon cœur avait été déchiré. Depuis la nuit fatale qui avait été
-témoin de la fin de mes travaux, et du commencement de mes malheurs,
-j'avais conçu une violente antipathie contre le nom même de la
-philosophie naturelle. Bien plus: dans un état complet de santé, la
-vue d'un instrument d'alchimie était capable de renouveler toutes mes
-agitations nerveuses. Henry s'en était aperçu, et avait fait
-disparaître tous mes appareils. Il avait aussi voulu que je quittasse
-mon appartement; car il avait remarqué que j'évitais d'aller dans la
-chambre qui m'avait auparavant servi de laboratoire. Mais tous les soins
-de Clerval furent perdus au moment où j'allai rendre visite aux
-professeurs. M. Waldman me mit à la torture, en louant avec bonté et
-chaleur mes progrès étonnants dans les sciences. Il ne tarda pas à
-voir que cette conversation me gênait; mais, n'en devinant pas la
-véritable cause, il l'attribua à la modestie, et cessa de vanter mes
-progrès, pour parler de la science elle-même, avec le désir bien
-évident que je me misse à en parler. Que pouvais-je faire? il voulait
-me plaire, et il me tourmentait. Je souffrais comme s'il avait placé,
-un à un devant moi, ces instrument qui devaient servir dans la suite à
-me conduire à une mort lente et cruelle. Je souffrais de ce qu'il
-disait, sans oser montrer la peine que j'éprouvais. Clerval, qui était
-toujours si prompt à discerner les sensations des autres, détourna la
-conversation, en alléguant pour excuse son ignorance complète, et
-donna à la conversation un tour plus général. Je remerciai mon ami du
-fond de mon cœur, mais je ne parlai pas. Je vis clairement qu'il était
-surpris, mais il n'essaya jamais de m'arracher mon secret; et, quoique
-je l'aimasse avec un mélange d'affection et de respect qui ne
-connaissaient pas de bornes, je ne pouvais cependant me décider à lui
-confier l'événement qui était si souvent présent à ma mémoire,
-mais dont je craignais d'imprimer trop profondément le souvenir à un
-autre.</p>
-
-<p>M. Krempe ne fut pas aussi docile; et, dans mon état de sensibilité
-excessive, ses éloges brusques et grossiers me firent même plus de mal
-que la bienveillante approbation de M. Waldman. «Savant collègue!
-s'écria-t-il; je vous assure, M. Clerval, qu'il nous a tous surpassés.
-Oui; regardez-moi si cela vous plaît, mais ce que je dis n'en est pas
-moins vrai. Un jeune homme qui, il y a quelques années, croyait en
-Cornélius Agrippa, aussi fermement qu'en l'Évangile, s'est maintenant
-mis à la tête de l'université; et s'il n'est bientôt à bas, nous ne
-pourrons tenir à côté de lui.&mdash;Allons, allons, continua-t-il, en
-voyant mon air de souffrance, M. Frankenstein est modeste; c'est une
-excellente qualité pour un jeune homme. Les jeunes gens doivent se
-défier d'eux-mêmes, vous savez, M. Clerval; j'étais comme lui dans ma
-jeunesse; mais cela passe bien vite».</p>
-
-<p>M. Krempe commença alors un éloge de lui-même, qui détourna la
-conversation d'un sujet qui me causait tant de mal.</p>
-
-<p>Clerval n'aimait nullement la philosophie naturelle. Son imagination
-était trop vive pour s'arrêter aux minuties de cette science. Sa
-principale étude était celle des langues; son but, en s'y adonnant,
-était d'ouvrir un champ à son instruction, lorsqu'il serait de retour
-à Genève. Le Persan, l'Arabe et l'Hébreu, furent, après une étude
-approfondie du Grec et du Latin, l'objet de son application. Quant à
-moi, à qui la paresse avait toujours été odieuse; dans le désir de
-fuir les réflexions, et en haine de mes premières études, j'éprouvai
-un grand plaisir à être le condisciple de mon ami, et je ne trouvai
-pas seulement de l'instruction, mais encore des consolations dans les
-ouvrages des auteurs Orientaux. Leur mélancolie est brûlante; et leur
-bonheur vous élève à une hauteur que je n'avais jamais connue dans
-l'étude des auteurs des autres pays. En lisant leurs écrits, il semble
-que la vie s'écoule sous un soleil brûlant et dans un jardin de roses,
-entre les sourires et les dédains d'une beauté cruelle, et dans un feu
-qui consume le cœur. Combien diffère la poésie forte et héroïque
-des Grecs et des Romains!</p>
-
-<p>L'été se passa ainsi, et mon retour à Genève fut fixé pour la fin
-de l'automne; mais, retardé pour plusieurs motifs, je fus surpris par
-l'hiver et la neige, qui rendirent les chemins impraticables, et je
-remis mon voyage au printemps suivant. Je fus très-affligé de ce
-retard; car j'étais impatient de revoir ma ville natale et mes amis.
-Mon retour n'avait été différé aussi long-temps, que parce que je ne
-voulais pas laisser Clerval dans une ville étrangère, avant qu'il
-n'eût fait connaissance avec quelques-uns des habitants. Cependant,
-l'hiver se passa très-gaîment; et le printemps, qui fut plus tardif
-qu'à l'ordinaire, fut aussi plus beau et plus agréable.</p>
-
-<p>Nous étions au mois de mai; et j'attendais de jour en jour la lettre
-qui devait fixer la date de mon départ, lorsqu'Henry me proposa de
-parcourir à pied les environs d'Ingolstadt, pour faire mes adieux au
-pays que j'avais si long-temps habité. Je me rendis avec plaisir à
-cette proposition; j'aimais l'exercice, et j'avais toujours eu Clerval,
-de préférence, à tout autre, pour m'accompagner dans ces sortes de
-courses, auxquelles je m'étais accoutumé dans mon pays natal.</p>
-
-<p>Nous passâmes quinze jours à courir d'un côté et d'un autre. Ma
-santé et mon esprit étaient depuis long-temps rétablis, et
-s'affermissaient de jour en jour par l'air pur que je respirais, par
-l'accroissement naturel de mes forces, et la conversation de mon ami.
-L'étude m'avait éloigné auparavant de mes condisciples et m'avait
-rendu insociable; mais Clerval excitait les dispositions qu'une nature
-meilleure avait mises dans mon cœur. J'aimai de nouveau les beautés de
-la nature et l'enjouement des enfants. Excellent ami! avec quelle
-sincérité tu m'aimais! Tu cherchais élever mon esprit à la hauteur
-du tien. J'étais miné et affaibli par un travail profond; mais ta
-douceur et ton affection ont réchauffé et ranimé mes sens. Je
-redevins le même qui naguère aimait tout le monde et en était
-également aimé, qui n'avait ni soucis ni chagrins. Au temps de mon
-bonheur, la nature inanimée avait le pouvoir de me jeter dans les
-sensations les plus délicieuses. J'étais en extase à la vue d'un ciel
-sans nuages et de la verdure des champs. Il est vrai que la saison dont
-je parle était admirable; les fleurs du printemps embellissaient les
-jardins, pendant que celles d'été étaient près d'éclore: je
-n'étais pas troublé par les pensées qui, l'année précédente,
-m'avaient accablé d'un poids insurmontable, malgré mes efforts pour
-les éloigner.</p>
-
-<p>Henry se réjouissait de ma gaîté, et partageait sincèrement mes
-sensations: il s'occupait de m'amuser, et il me rendait compte en même
-temps des sentiments de son âme. Dans cette occasion, les ressources de
-son esprit étaient vraiment étonnantes: sa conversation était pleine
-d'imagination; et très-souvent, à l'imitation des écrivains Persans
-et Arabes, il inventait des contes dont les idées et les passions
-étaient surprenantes. D'autres fois, il récitait mes poèmes favoris,
-ou proposait des arguments qu'il soutenait avec beaucoup d'esprit.</p>
-
-<p>Nous retournâmes à notre collège un dimanche dans l'après-midi: des
-paysans dansaient, et toutes les personnes que nous rencontrions,
-paraissaient gaies et heureuses. J'étais dans l'enchantement: j'étais
-transporté par de vifs sentiments de joie et d'allégresse.»</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_VI">CHAPITRE VI</a></h4>
-
-
-<p>À mon retour, je trouvai la lettre suivante de mon père:</p>
-
-
-<h5>À V. FRANKENSTEIN.</h5>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">«Mon cher Victor,</p>
-
-
-<p>»Tu as sans doute attendu avec impatience une lettre qui fixât
-l'époque de ton retour au milieu de nous. J'ai d'abord été tenté de
-ne t'écrire que quelques lignes, uniquement pour te dire le jour où
-j'espère pouvoir t'embrasser; mais je n'ose pas te rendre un cruel
-service. Quelle sera ta surprise, mon fils, au moment où tu attends une
-nouvelle heureuse et agréable, de n'en recevoir au contraire que de
-tristes et de douloureuses? Et comment, mon cher Victor, pourrai-je te
-raconter notre malheur? Pourquoi faut-il que je t'afflige, mon fils, toi
-qui es loin de nous, mais qui, dans ton absence, n'es pas devenu
-insensible à nos joies et à nos chagrins? Je voudrais te préparer au
-malheur que je vais t'apprendre, mais je sens que cela m'est impossible,
-même à présent que tes yeux parcourent la page, pour y chercher les
-mots qui doivent t'en donner l'horrible certitude.</p>
-
-<p>»Guillaume n'est plus!... Ce charmant enfant, dont le sourire suffisait
-pour réjouir et ranimer mon cœur, qui était si doux et si gai à la
-fois! Victor a été assassiné!...</p>
-
-<p>»Je n'essayerai pas de te consoler; je me bornerai à te raconter les
-détails de cet évènement.</p>
-
-<p>»Jeudi dernier (7 mars), j'allai, accompagné de ma nièce et de tes
-deux frères, me promener à Plinpalais. Le temps était chaud, et si
-serein que nous prolongeâmes notre promenade plus que de coutume. La
-soirée était déjà fort obscure avant que nous eussions pensé à
-rentrer; mais en nous disposant au retour, nous ne retrouvâmes plus
-Ernest et Guillaume qui avaient été au-devant de nous. Nous restâmes
-donc assis à les attendre. Ernest vint bientôt, et nous demanda si
-nous avions vu son frère: il nous dit qu'ils étaient à jouer
-ensemble; que Guillaume l'avait quitté pour se cacher, qu'il l'avait
-inutilement cherché, et attendu ensuite pendant long-temps, mais qu'il
-n'était pas venu.</p>
-
-<p>»Ce récit ne servit qu'à nous alarmer. Nous continuâmes à le
-chercher jusqu'à la nuit tombante, quand Élisabeth conjectura qu'il
-pouvait être retourné à la maison. Il n'y était pas. Nous revînmes
-avec des torches; car je ne pouvais me reposer en songeant que mon fils
-s'était perdu, et restait exposé à toutes les humidités et aux
-rosées de la nuit: Élisabeth éprouvait aussi une angoisse extrême.
-Vers cinq heures du matin, je découvris mon aimable enfant que la nuit
-précédente j'avais vu brillant et fort de santé, étendu sur le
-gazon, livide, sans mouvement, et portant au col l'empreinte des doigts
-du meurtrier.</p>
-
-<p>»Il fut rapporté à la maison, et la douleur qui était peinte sur mon
-visage apprit à Élisabeth notre malheur. Elle voulut à toute force
-voir le cadavre. J'essayai d'abord de l'en empêcher; mais elle
-persista, entra dans la chambre où il était placé, examina
-précipitamment le col de la victime, et s'écria, on frappant des
-mains: «Dieu! j'ai assassiné cet enfant que j'aimais»!</p>
-
-<p>»Elle s'évanouit, et ne reprit ses sens qu'avec beaucoup de peine.
-Revenue de son évanouissement, elle ne cessa de pleurer et de gémir.
-Elle me dit que le soir même, Guillaume l'avait priée de lui mettre au
-col un riche portrait de ta mère, qui lui appartenait. Nul doute que ce
-portrait, qui a disparu, n'ait tenté le meurtrier, et ne l'ait porté
-au crime. Nous ignorons quelle trace il aura suivie, malgré l'activité
-de nos recherches pour le découvrir; mais hélas! rien ne me rendra mon
-bien-aimé Guillaume.</p>
-
-<p>»Viens, mon cher Victor; tu peux seul consoler Élisabeth. Elle pleure
-sans cesse, et s'accuse injustement d'être cause de la mort de
-Guillaume. Nous sommes tous plongés dans la douleur; ne sera-ce pas un
-motif de plus pour toi, mon fils, de revenir et de nous apporter des
-consolations? Ta chère mère! hélas, Victor! je puis le dire
-maintenant, remercie Dieu de ce qu'elle ne vit pas, pour être témoin
-de la mort cruelle et malheureuse de son plus jeune enfant.</p>
-
-<p>»Viens, Victor; sans nourrir des idées de vengeance contre l'assassin,
-mais avec des sentiments de paix et de douceur, qui calmeront les
-blessures de nos cœurs, au lieu de les irriter. Entre dans la maison du
-deuil, mon ami, l'âme pénétrée de tendresse et d'affection pour ceux
-qui t'aiment, et non de haine contre tes ennemis.</p>
-
-<p>»Ton affectionné et désolé père,</p>
-
-
-<p style="margin-left: 20%;">»ALPHONSE FRANKENSTEIN».</p>
-
-<p style="margin-left: 60%;">Genève 12 mai 17&mdash;</p>
-
-
-<p>Clerval, qui m'avait observé pendant la lecture de cette lettre, fut
-surpris de voir le désespoir qui succédait à la joie que j'avais
-d'abord éprouvée en recevant des nouvelles de mes amis. Je jetai la
-lettre sur la table, et me couvris la figure de mes mains.</p>
-
-<p>«Mon cher Frankenstein, s'écria Henry, lorsqu'il me vit pleurer avec
-amertume, seras-tu toujours malheureux? Mon cher ami, qu'est-il
-arrivé»?</p>
-
-<p>Je lui fis signe de prendre la lettre, pendant que je parcourais la
-chambre dans la plus grande agitation; des pleurs coulèrent aussi des
-yeux de Clerval, lorsqu'il lut le récit de mon malheur.</p>
-
-<p>«Mon ami, dit-il, je ne puis t'offrir aucune consolation; cette perte
-est irréparable. Que veux-tu faire?</p>
-
-<p>»&mdash;Partir sur-le-champ pour Genève: viens avec moi, Henry,
-commander les chevaux».</p>
-
-<p>Pendant la route, Clerval chercha à relever mon courage. Il n'employait
-pas les phrases communes de consolation, mais il partageait franchement
-ma douleur. «Pauvre Guillaume, disait-il; il dort maintenant avec son
-angélique mère. Ses amis sont dans le deuil et dans l'affliction; et
-lui, il est en paix: il ne sent plus les doigts de l'assassin: il ne
-connaît pas la douleur; la terre couvre ses jolies formes. Il ne peut
-plus être un objet de pitié; ceux qui survivent sont les plus à
-plaindre, et ils ne peuvent attendre de consolation que du temps. On
-doit mépriser ces maximes des Stoïciens, que la mort n'est pas un mal,
-et que l'esprit de l'homme doit être supérieur au désespoir causé
-par l'absence éternelle d'un objet aimé. Caton même pleurait sur le
-cadavre de son frère».</p>
-
-<p>Clerval parlait ainsi, pendant que nous traversions les rues avec
-rapidité. Ses paroles s'imprégnaient dans mon cœur; et je me les
-rappelai ensuite quand je fus seul. En ce moment, dès que les chevaux
-furent arrivés, je me jetai dans une chaise, en disant adieu à mon
-ami.</p>
-
-<p>Mon voyage fut triste. Mon premier désir était d'en voir le terme; car
-il me tardait d'arriver pour consoler mes amis affligés, et partager
-leur douleur; mais, en approchant de ma ville natale, je ralentis ma
-marche. J'avais peine à résister à la multitude des sentiments
-tumultueux dont j'étais assiégé. Je traversais des lieux chers à mon
-enfance, et que je n'avais pas vus depuis près de six ans. Que de
-changements depuis cette époque! Un tremblement de terre subit avait
-tout désolé; et mille autres petites circonstances pouvaient avoir,
-par degrés, amené d'autres altérations, qui, quoique plus lentes,
-n'étaient pas moins sensibles. Je fus saisi de crainte: je n'osais pas
-avancer; je me croyais exposé à toutes sortes de malheurs imaginaires,
-et je tremblais, sans que je pusse les définir.</p>
-
-<p>Je restai deux jours à Lausanne, dans cet état pénible d'esprit. Je
-contemplais le lac: les eaux étaient paisibles, tout était calme
-autour de moi, et les montagnes couvertes de neige, <i>ces palais de la
-nature</i>, n'étaient pas changés. Le calme et la beauté du ciel me
-ranimèrent insensiblement, et je continuai mon voyage vers Genève.</p>
-
-<p>La route longeait le lac, qui devenait plus étroit à mesure que
-j'approchais de ma ville natale. Je découvris plus distinctement les
-flancs noirs du Jura, et le sommet brillant du Mont-Blanc; je pleurais
-comme un enfant: «montagnes chères à mon cœur! lac majestueux! dans
-quel état vous recevez celui qui vous parcourut si souvent? Votre
-sommet est brillant; le ciel et le lac sont azurés et tranquilles.
-Est-ce un présage de paix, ou bien une insulte à mon malheur»?</p>
-
-<p>Je crains, mon ami, de vous ennuyer, en appuyant sur ces circonstances
-préliminaires; mais je me rappelais alors les jours de mon bonheur, et
-je ne puis y penser encore sans plaisir. Ma patrie, ô ma chère patrie!
-qui peut mieux qu'un de tes enfants peindre le plaisir que j'éprouvai
-à la vue de tes sources, de tes montagnes, et surtout de ton lac
-chéri?</p>
-
-<p>Cependant, plus j'approchais de la maison de mon père, plus j'étais
-tourmenté par la crainte et le chagrin. La nuit vint à étendre son
-voile sur la nature; et quand je pus distinguer à peine les montagnes
-dans l'obscurité, je sentis que ma douleur était plus vive. Je me
-représentai une longue et effroyable suite de malheurs, et je prévis
-que j'étais destiné à devenir le plus infortuné de tous les hommes;
-hélas! j'ai prédit juste; et si je me suis trompé, c'est qu'en
-prévoyant et en redoutant tant de malheurs, je n'ai pas conçu la
-centième partie de tous ceux dont je devais être accablé.</p>
-
-<p>Il était tout-à-fait nuit quand j'arrivai dans les environs de
-Genève. Les portes de la ville étant déjà fermées, je fus obligé
-de passer la nuit à Secheron, village situé à une demi-lieue à l'est
-de la ville. Dans une disposition d'esprit qui ne me permettait aucun
-repos, je voulus profiter de la sérénité du ciel pour voir l'endroit
-où mon pauvre Guillaume avait été assassiné. Je ne pouvais traverser
-la ville. Je me déterminai à passer le lac dans un bateau pour arriver
-à Plinpalais. Pendant ce court voyage, je vis sur le sommet du
-Mont-blanc les éclairs briller d'un éclat surprenant, et l'orage
-s'approcher avec rapidité; je touchai le rivage, et je montai sur une
-petite colline pour en observer les progrès. Il avançait au milieu
-d'un ciel qui se couvrait de nuages. Je sentis bientôt tomber de larges
-gouttes de pluie. L'orage éclata tout-à-coup avec violence.</p>
-
-<p>Je quittai ma place et poursuivis ma route, malgré l'obscurité et
-l'orage qui croissaient à chaque minute, et malgré le tonnerre qui
-grondait au-dessus de ma tête avec une force effrayante, répété par
-les échos de Salève, du Jura, et des Alpes de la Savoie. J'étais
-ébloui par les éclairs qui se réfléchissaient dans le lac, et le
-rendaient semblable à une vaste nappe de feu; je fus même un moment
-dans une obscurité profonde, qui dura jusqu'à ce que l'éblouissement
-de mes yeux eût cessé. L'orage, comme il arrive souvent en Suisse,
-paraissait venir à la fois de plusieurs parties du ciel. C'était au
-nord de la ville qu'il était le plus violent, au-dessus de cette partie
-du lac qui est située entre le promontoire de Belrive et le village de
-Copêt. Un autre orage montrait le Jura à la lueur se faibles éclairs.
-Un troisième obscurcissait et découvrait tour-à-tour le môle,
-montagne escarpée à l'est du lac.</p>
-
-<p>Témoin d'un spectacle si magnifique et si terrible à la fois, je
-marchais à pas précipités. Cette guerre majestueuse dans les cieux,
-élevait mes esprits; je frappai des mains en m'écriant avec force:
-«Guillaume, ange chéri! voici tes funérailles et tes chants
-funèbres»! En disant ces paroles, j'aperçus dans l'obscurité un
-fantôme qui sortit d'une touffe d'arbres auprès de moi; je fixai mes
-yeux sur lui pour le reconnaître: je ne pus m'y méprendre. Un éclair
-brilla et le découvrit entièrement à ma vue; sa stature gigantesque
-et la difformité de son aspect plus hideux qu'aucune forme humaine, ne
-me permirent pas de douter que ce ne fût le malheureux, l'infâme
-démon à qui j'avais donné la vie. Que faisait-il là? serait-il
-l'assassin de mon frère? (Je frémis à cette pensée). Elle entra
-subitement dans mon esprit, et y domina comme si elle était réelle. Je
-sentais mes dents s'entrechoquer, et je fus forcé de m'appuyer contre
-un arbre. En peu de temps le fantôme fut loin de moi, et disparut dans
-l'obscurité. Quel être humain aurait pu donner la mort à ce bel
-enfant? Son assassin!... Je venais de le voir, à n'en pas douter. Je ne
-pouvais me tromper: j'avais une preuve irrésistible, c'est que j'y
-avais pensé. Je voulus poursuivre le démon, mais je ne pouvais
-espérer de l'atteindre; car à la lueur d'un nouvel éclair, je le vis
-gravir les rochers presque perpendiculaires du mont Salève, montagne
-qui borne Plinpalais au sud; il parvint bientôt au sommet, et disparut.</p>
-
-<p>Je restai sans mouvement. Le tonnerre cessa; mais la pluie continua
-encore, et l'horizon fut enveloppé d'une obscurité impénétrable. Je
-repassai dans mon esprit les évènements que j'avais jusqu'ici cherché
-à oublier: la marche entière de mes progrès vers la création,
-l'apparition auprès de mon lit de l'être que j'avais formé et animé,
-et enfin son départ. Deux ans s'étaient presqu'écoulés depuis la
-nuit où il avait reçu la vie; était-ce son premier crime? Hélas!
-j'avais jeté dans le monde un monstre dépravé, qui se plaisait dans
-le carnage et la désolation; n'était-il pas l'assassin de mon frère?</p>
-
-<p>On ne peut se figurer tout ce que je souffris pendant le reste de la
-nuit que je passai en plein air, mouillé et transi de froid. Mais je ne
-sentais pas les injures du temps; mon imagination était occupée de
-scènes de malheur et de désespoir! L'être que j'avais mis sur la
-terre, et à qui j'avais donné la volonté et le pouvoir de commettre
-des actions atroces, semblables à celle qui m'affligeait, me parut
-être mon propre vampire, un fantôme échappé du tombeau, et porté à
-détruire tout ce qui m'était cher.</p>
-
-<p>Dès que le jour parut, je dirigeai mes pas vers la ville, dont les
-portes étaient ouvertes; et je courus à la maison de mon père. Ma
-première pensée fut de dire ce que je savais du meurtrier, et
-d'envoyer sur-le-champ à sa poursuite; mais je m'arrêtai, en
-réfléchissant à l'histoire que j'avais à raconter. Je devais parler
-d'un être que j'avais formé, et à qui j'avais donné la vie
-moi-même; que j'avais vu à minuit, au milieu des précipices d'une
-montagne inaccessible. Je me rappelai aussi la fièvre nerveuse dont
-j'avais été attaqué au moment même où j'avais animé ma création,
-et qui donnerait l'air du délire à une histoire d'ailleurs si peu
-probable. En effet, un semblable récit m'eût paru le rêve d'un
-insensé. Du reste, la nature singulière de l'être échapperait à
-toute poursuite, quand bien même ma famille céderait âmes instances,
-et se résoudrait à l'entreprendre. D'ailleurs, de quel avantage serait
-une poursuite? Qui pourrait arrêter un être capable d'escalader les
-flancs perpendiculaires du mont Salève? Ces réflexions fixèrent mes
-idées, et me portèrent à garder le silence.</p>
-
-<p>Il était environ cinq heures du matin, quand j'entrai dans la maison de
-mon père. Je dis aux domestiques de ne pas réveiller la famille, et
-j'allai dans la bibliothèque, où j'attendis l'heure à laquelle ils
-avaient coutume de se lever.</p>
-
-<p>Six ans s'étaient écoulés comme un songe, mais comme un songe qui
-avait laissé une trace ineffaçable; et j'étais à la même place où
-j'avais embrassé mon père pour la dernière fois, avant de partir pour
-Ingolstadt. Ce père chéri et respectable me restait encore! Je fixai
-les yeux sur un tableau qui m'offrait la figure de ma mère, et dans
-lequel mon père avait voulu retracer un trait de sa vie: c'était
-Caroline Beaufort dans les transports du désespoir, à genoux auprès
-du cadavre de son père. Ses vêtements étaient grossiers et ses joues
-pâles; mais il y avait un air de dignité et de beauté, qui laissait
-à peine accès au sentiment de la pitié. Au bas de ce tableau était
-une miniature de Guillaume, dont la vue m'arracha des pleurs. Ernest
-entra dans le moment: il m'avait entendu arriver, et s'était hâté de
-venir me joindre. Il témoigna en me voyant un plaisir mêlé de
-chagrin:&mdash;«Sois le bien venu, mon cher Victor, dit-il; ah! j'aurais
-voulu que tu fusses arrivé il y a trois mois; tu nous aurais trouvés
-tous gais et contents. Mais nous sommes maintenant malheureux; et je
-crains que tu n'aies un accueil plus mêlé de deuil que de joie. Notre
-père a un air si triste! cet évènement affreux semble avoir
-renouvelé dans son cœur le chagrin qu'il éprouva à la mort de maman.
-La pauvre Élisabeth aussi est tout-à-fait inconsolable». En parlant
-ainsi, Ernest fondait en larmes.</p>
-
-<p>&mdash;«Ne m'accueille pas de la sorte, lui dis-je; calme-toi, mon ami; que
-je ne sois pas tout-à-fait malheureux, au moment où je rentre dans la
-maison de mon père après une si longue absence. Mais, dis-moi, comment
-mon père supporte-t-il ses malheurs? Et la pauvre Élisabeth, comment
-est-elle»?</p>
-
-<p>&mdash;«Elle a bien besoin de consolation; elle s'est accusée d'avoir été
-la cause de la mort de mon frère, et elle en a été bien malheureuse!
-Mais depuis que l'assassin a été découvert...»</p>
-
-<p>&mdash;«L'assassin découvert! bon Dieu! comment cela se peut-il? Qui
-pourrait essayer de le poursuivre? c'est impossible; il serait aussi
-facile d'arrêter les vents, ou de renfermer un torrent dans une
-paille».</p>
-
-<p>&mdash;«Je ne sais ce que tu veux dire; mais nous avons tous eu une grande
-peine lorsqu'elle fut découverte. Personne ne l'aurait cru; et même
-Élisabeth en doute encore, malgré l'évidence la plus complète. En
-effet, qui aurait pu penser que Justine Moritz, qui était si aimable et
-qui avait tant d'attachement pour notre famille, ait pu tout à coup
-devenir si méchante»?</p>
-
-<p>&mdash;«Justine Moritz! pauvre fille, est-ce elle qui est accusée? mais
-c'est bien à tort; tout le monde le sait; personne ne le pense; j'en
-suis certain, Ernest»?</p>
-
-<p>&mdash;«Personne ne le croyait d'abord; mais plusieurs circonstances nous
-ont convaincus depuis presque malgré nous: sa conduite a été si
-louche, que je crains bien qu'il soit impossible de mettre en doute
-l'évidence des faits. Au reste elle doit être jugée aujourd'hui: tu
-connaîtras tout».</p>
-
-<p>Il me raconta que, le jour où l'on avait découvert le meurtre de
-Guillaume, Justine était tombée malade et s'était mise au lit; que
-peu de jours après, un domestique examinant par hasard la robe qu'elle
-avait portée la nuit de l'assassinat, avait trouvé dans sa poche le
-portrait de ma mère, par lequel on présumait que le meurtrier avait
-été séduit. Le domestique le montra aussitôt à un autre, qui, sans
-en dire un mot à qui que ce fût de la famille, alla trouver le
-magistrat. C'est sur leur déposition que Justine a été arrêtée.
-Accusée de ce crime, la pauvre fille confirma le soupçon par un
-extrême embarras.</p>
-
-<p>Ce concours de circonstances singulières n'ébranla pas ma confiance.
-Je répliquai avec force: «Vous êtes tous dans l'erreur; je connais
-l'assassin. Justine, la pauvre et bonne Justine est innocente».</p>
-
-<p>Dans ce moment mon père entra. Je vis sur sa figure les traces
-profondes du chagrin; mais il essaya de m'accueillir avec gaîté;
-s'entretint avec moi de nos peines, et il voulait détourner la
-conversation du triste objet dont nous étions occupés, lorsqu'Ernest
-s'écria: «Bon Dieu, papa! Victor dit qu'il sait quel est l'assassin du
-pauvre Guillaume».</p>
-
-<p>«&mdash;Nous le savons aussi, répondit mon père, et c'est un malheur; car,
-vraiment, j'aurais mieux aimé ne le jamais connaître, que de voir tant
-de dépravation et d'ingratitude, dans une personne qui me devait
-tout».</p>
-
-<p>«&mdash;Mon cher père, vous êtes dans l'erreur, Justine est innocente».</p>
-
-<p>«&mdash;Si elle l'est, Dieu a voulu qu'elle souffrît autant que si elle
-était coupable. Elle doit être jugée aujourd'hui; mais j'aime à
-croire qu'elle sera acquittée».</p>
-
-<p>Ces paroles me calmèrent. J'étais intimement persuadé que Justine
-était innocente de ce meurtre, aussi bien que tout autre être humain.
-Je ne craignais donc pas que l'évidence fût assez forte pour qu'elle
-fut convaincue du meurtre. Dans cette persuasion, je devins plus calme,
-et j'attendis avec impatience le jugement, mais sans prévoir un
-résultat fâcheux.</p>
-
-<p>Nous fûmes bientôt rejoints par Élisabeth. Le temps l'avait bien
-changée depuis que je l'avais vue. Six ans auparavant, c'était une
-jeune fille, jolie et vive, que tout le monde aimait et caressait;
-c'était maintenant une femme d'une taille et d'une physionomie fort
-remarquables. Son front grand et ouvert, décelait une merveilleuse
-intelligence jointe à une rare franchise de caractère. Ses yeux bruns
-exprimaient une douceur, mêlée à une tristesse qui avait pour motif
-son affliction récente. Ses cheveux étaient beaux, et noirs comme
-l'ébène; son teint superbe, et sa figure vive et gracieuse. Elle
-m'accueillit avec la plus grande affection. «Votre arrivée, mon cher
-cousin, me remplit d'espérance, dit-elle. Vous trouverez peut-être le
-moyen de mettre au jour l'innocence de ma pauvre Justine. Hélas! qui
-sera en sûreté, si elle est convaincue du crime? Je me repose sur son
-innocence avec autant de confiance que sur la mienne. Notre malheur est
-doublement affreux: nous n'avons pas seulement perdu notre aimable
-Guillaume; mais cette pauvre fille, que j'aime sincèrement, va nous
-être enlevée par une destinée encore plus cruelle. Si elle est
-condamnée, il n'y aura plus pour moi de bonheur; et, si elle est
-acquittée, comme je l'espère, je pourrai encore être heureuse, même
-après la mort affreuse de mon petit Guillaume».</p>
-
-<p>&mdash;«Elle est innocente, ma chère Élisabeth répondis-je, et son
-innocence sera prouvée; ne crains rien, et rassure ton esprit par la
-certitude qu'elle sera acquittée».</p>
-
-<p>&mdash;«Que vous êtes bon! on croit généralement qu'elle est coupable, et
-cette opinion cause mon tourment; car je sais qu'elle ne peut pas
-l'être. Mais, en voyant tout, le monde avoir contr'elle d'aussi
-fâcheuses préventions, je me suis abandonnée au désespoir». Elle
-versa des larmes.</p>
-
-<p>«Ma chère nièce, dit mon père, essuie tes pleurs. Si Justine est
-innocente comme tu le crois, mets confiance dans l'équité de nos
-juges, et dans le soin avec lequel je préviendrai toute ombre de
-partialité».</p>
-
-
-
-
-<hr class="r5" />
-
-
-<h4><a id="CHAPITRE_VII">CHAPITRE VII</a></h4>
-
-
-<p>Le procès devait commencer à onze heures: nous restâmes jusqu'à ce
-moment dans la tristesse. J'accompagnai à la cour mon père et le reste
-de la famille, qui étaient obligés de paraître comme témoins.
-Pendant tout le temps de ce misérable simulacre de justice, je souffris
-le plus cruel tourment. On allait décider, si le résultat de ma
-curiosité et de mes inventions illégitimes, causerait la mort de deux
-de mes semblables: l'un était un enfant charmant rempli d'innocence et
-de gaîté; l'autre était destiné à une fin bien plus terrible, à
-l'infamie et à l'horreur qui s'attachent à la mémoire du meurtrier.
-Justine était aussi une fille de mérite, et possédait des qualités
-qui promettaient de rendre sa vie heureuse. Ces dons, cet espoir, tout
-allait être enseveli dans une tombe ignominieuse, et c'est moi qui en
-étais la cause! Mille fois plutôt je me serais avoué coupable du
-crime attribué à Justine; mais, absent au moment où il fut commis,
-j'aurais été pris, en faisant une semblable déclaration, pour un
-insensé qui s'égare, et je n'aurais pas disculpé celle dont je
-faisais le malheur.</p>
-
-<p>Justine avait l'air calme; elle était vêtue de deuil; et sa figure,
-toujours prévenante, paraissait d'une rare beauté, à laquelle
-ajoutait la solennité des sensations qui l'occupaient. Cependant, elle
-semblait se confier en son innocence, et ne pas trembler, quoiqu'elle
-fût observée et maudite par plus de mille personnes; car l'impression
-qu'avait pu produire sa beauté, s'effaçait de l'esprit des
-spectateurs, lorsqu'on pensait à l'énormité du crime dont elle était
-accusée. Elle était tranquille; mais sa tranquillité avait quelque
-chose de forcé; elle était instruite que son trouble avait été pris
-pour une preuve de son crime, et elle appliquait son esprit à paraître
-ferme. En entrant dans la salle, elle la parcourut des yeux, et
-découvrit bientôt la place que nous occupions. Une larme sembla
-mouiller sa paupière lorsqu'elle nous aperçut; mais elle se remit
-promptement: et un regard mêlé de tristesse et d'amitié, parut
-attester son entière innocence.</p>
-
-<p>Le jugement commença; un avocat établit les charges, et plusieurs
-témoins furent appelés. On réunit contre elle plusieurs faits
-étrangers, qui furent attestés par des personnes qui n'avaient pas,
-comme moi, des preuves de son innocence. Elle était restée dehors
-pendant toute la nuit où le meurtre avait été commis; et, vers le
-matin, elle avait été vue par une femme du marché, près de l'endroit
-où l'on avait trouvé ensuite le corps de l'enfant. Cette femme lui
-avait demandé ce qu'elle faisait là; mais elle avait les yeux
-égarés, et ne fit qu'une réponse obscure et inintelligible. Elle
-était revenue à la maison vers huit heures; et, pressée de répondre
-où elle avait passé la nuit, elle déclara qu'elle avait cherché
-l'enfant, en s'informant avec empressement si l'on avait découvert
-quelque chose. En présence du corps, elle éprouva de violentes
-attaques de nerfs, et garda le lit pendant plusieurs jours. On produisit
-alors le portrait que le domestique avait trouvé dans sa poche; et,
-lorsqu'Élisabeth, d'une voix tremblante, attesta que c'était le même
-qu'elle, avait placé autour du col de l'enfant, une heure avant qu'il
-ne partit pour la promenade, un murmure d'horreur et d'indignation se
-fit entendre dans la salle.</p>
-
-<p>On invita Justine à se défendre. Son visage s'était altéré à
-mesure que le jugement s'avançait: il exprimait fortement la surprise,
-l'horreur et la douleur. De temps en temps elle fondait en larmes; mais,
-invitée à se défendre, elle rassembla ses forces, et s'énonça d'une
-voix haute, quoique tremblante:</p>
-
-<p>«Dieu connaît, dit-elle, toute mon innocence. Mais je ne prétends pas
-devoir mon acquittement à mes protestations. Je prouverai mon innocence
-par une exposition claire et simple des faits, qui ont été dirigés
-contre moi; et j'espère que le caractère que j'ai toujours montré,
-disposera mes juges à interpréter favorablement tout ce qui peut
-sembler douteux, et donner lieu à des soupçons contre moi».</p>
-
-<p>Elle se mit à raconter, qu'avec la permission d'Élisabeth, elle avait
-passé la soirée de la nuit, où le crime avait été commis, chez une
-de ses tantes qui demeurait, à Chênes, village situé à environ une
-lieue de Genève. À son retour, vers les neuf heures, elle rencontra un
-homme qui lui demanda, si elle avait vu quelque trace de l'enfant qui
-était perdu. Alarmée par ces paroles, elle passa plusieurs heures à
-le chercher, laissa pendant ce temps fermer les portes de la ville, et
-se vit contrainte de passer une partie de la nuit, dans une grange
-dépendante d'une chaumière, parce qu'elle ne voulait pas réveiller
-les habitants, dont elle était bien connue. Ne pouvant goûter de repos
-ni de sommeil, elle quitta de bonne heure son asile, pour lâcher encore
-de trouver mon frère. Si elle était allée vers l'endroit où était
-le corps, c'était à son insu. Il n'était pas surprenant qu'elle eût
-été toute troublée, en répondant aux questions qui lui étaient
-faites par la marchande, puisqu'elle avait passé une nuit sans dormir,
-et qu'elle ignorait encore le sort du pauvre Guillaume. Quant au
-portrait, elle ne pouvait donner aucune explication.</p>
-
-<p>«Je sais, continua la malheureuse victime, combien cette seule
-circonstance me charge, mais je ne puis y jeter aucune lumière. J'ai
-déclaré ne rien savoir; je n'ai plus qu'à faire des conjectures sur
-le fait, qu'il a été placé dans ma poche. Ici, j'éprouve un nouvel
-embarras. Je ne crois pas avoir d'ennemi sur la terre, et je suis
-convaincue que nul ne serait assez méchant pour me perdre en badinant.
-Le meurtrier l'y aurait-il placé lui-même? je n'en vois pas le motif:
-et même, en supposant ce fait, pourquoi aurait-il volé le bijou pour
-s'en défaire si promptement?</p>
-
-<p>»Je confie ma cause à la justice de mes juges, sans conserver la plus
-faible espérance. Je demande la permission de produire quelques
-témoins pour qu'ils soient interrogés sur mon caractère; et, si leur
-témoignage n'atténue pas l'accusation du crime qui m'est attribué, je
-dois être condamnée, malgré mon innocence sur laquelle je compte pour
-être acquittée».</p>
-
-<p>On entendit plusieurs témoins qui la connaissaient depuis quelques
-années, et qui en parlèrent avec éloge; mais la peur et l'horreur du
-crime dont elle était accusée, enchaînaient leur langue. Élisabeth
-vit que cette dernière ressource, que l'excellent caractère et la
-conduite irréprochable de Justine ne pouvaient la sauver; et, malgré
-une agitation violente, elle demanda à la cour la permission de prendre
-la parole.</p>
-
-<p>«Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant qui a été
-assassiné: je puis même dire que je suis sa sœur, puisque j'ai été
-élevée par ses parents, et que j'ai toujours vécu avec eux depuis et
-long-temps même avant sa naissance.</p>
-
-<p>»Avec ces titres, il peut paraître inconvenant que je m'explique dans
-cette occasion; mais, au moment de voir une malheureuse créature
-livrée à la mort par la lâcheté de ses prétendus amis, je désire
-qu'on me permette de rendre témoignage à son caractère. Je connais
-bien l'accusée. J'ai vécu avec elle dans la même maison, d'abord
-pendant cinq ans, et ensuite pendant près de deux ans. Durant tout ce
-temps, elle m'a paru la plus aimable et la meilleure créature du monde.
-Dans le cours de la dernière maladie de madame Frankenstein, ma tante,
-elle l'a soignée avec la plus tendre affection et le plus grand zèle.
-Depuis, elle a donné ses soins à sa mère, qui souffrait d'une cruelle
-maladie; et elle est devenue un objet d'admiration pour tous ceux qui la
-connaissaient. À la mort de sa mère, elle est revenue à la maison de
-mon oncle, où elle était aimée de toute la famille. Elle était fort
-attachée à l'enfant qui n'est plus, et elle était, pour lui, comme la
-mère la plus tendre. Quant à moi, je n'hésite pas à déclarer que,
-malgré toute l'évidence qui s'élève contr'elle, je la crois
-entièrement innocente. Rien n'a pu la porter à commettre l'action
-atroce qui lui est imputée. Je dirai du bijou, dont on se sert pour la
-charger le plus gravement, que je lui aurais volontiers donné, elle
-l'eût vivement désiré; tant je l'estime et l'apprécie».</p>
-
-<p>Excellente Élisabeth! Un murmure d'approbation s'éleva; mais pour la
-généreuse personne qui intercédait, et non en faveur de la pauvre
-Justine, qu'on accusa d'une plus noire ingratitude, et qui excita
-l'indignation publique avec une violence nouvelle. Elle pleura pendant
-le discours d'Élisabeth; mais elle ne répondit pas. Mon agitation et
-mon angoisse furent extrêmes, tant que dura le jugement. J'étais
-convaincu de l'innocence de Justine; j'en avais la certitude. Le démon,
-qui avait assassiné mon frère (car je n'en doutai pas une minute),
-allait aussi, dans son plaisir infernal, livrer une personne innocente
-à la mort et à l'infamie. Je ne pus supporter l'horreur de ma
-situation; et, dès que la voix du peuple, et la figure des juges,
-eurent annoncé la condamnation de ma malheureuse victime, je sortis de
-la cour dans des transes cruelles. Les souffrances de l'accusée ne
-pouvaient égaler les miennes; elle était soutenue par son innocence;
-je me sentais déchiré par des remords dont je ne pouvais me délivrer.</p>
-
-<p>Je passai la nuit la plus affreuse. Le matin j'allai à la cour, dans un
-état qui enchaînait ma langue: je n'osai faire la fatale question;
-mais j'étais connu, et l'officier devina la cause de ma visite. L'urne
-fatale avait reçu les boules; toutes étaient noires; Justine était
-condamnée.</p>
-
-<p>Il me serait impossible de décrire ce que j'éprouvai alors. J'avais
-auparavant connu des sensations d'horreur, et j'ai tâché de les
-peindre par des expressions équivalentes; mais les mots ne pourraient
-donner une idée du désespoir horrible auquel je fus en proie dans ce
-moment. La personne, à qui je m'adressai, m'apprit que Justine venait
-d'avouer son crime. «Cet aveu, observa-t-il, était à peine
-nécessaire dans un cas aussi clair; mais je suis content qu'on l'ait
-obtenu, car aucun de nos juges ne voudrait condamner un criminel
-d'après les apparences, lors même qu'elles seraient aussi décisives
-qu'aujourd'hui».</p>
-
-<p>À mon retour à la maison, Élisabeth me demanda avec empressement
-quelle était l'issue du procès.</p>
-
-<p>«Ma cousine, répliquai-je, la décision est celle à laquelle vous
-devez vous être attendue; tous les juges aimeraient mieux voir dix
-innocents souffrir, que de laisser échapper un coupable. Au reste, elle
-a fait l'aveu du crime».</p>
-
-<p>Ce fut un coup affreux pour la pauvre Élisabeth, qui avait eu une
-confiance inébranlable dans l'innocence de Justine.</p>
-
-<p>«Hélas, dit-elle, comment croire désormais à la bonté humaine? Eh
-quoi! Justine pour qui j'avais une tendresse de sœur, n'avait-elle ce
-sourire de l'innocence que pour me trahir? Ses yeux, où brillait la
-douceur, semblaient inaccessibles à la sévérité ou à la mauvaise
-humeur, et cependant elle s'est souillée d'un meurtre»!</p>
-
-<p>Bientôt après, nous apprîmes que la pauvre victime avait témoigné
-le désir de voir ma cousine. Mon père n'était pas de cet avis; mais
-il la laissa maîtresse de décider, en l'engageant à réfléchir sur
-cette visite. «Oui, dit Élisabeth, j'irai voir Justine, la coupable
-Justine; et vous, Victor, vous m'accompagnerez: je ne puis aller
-seule». L'idée de cette visite était un tourment pour moi, cependant
-je ne pus me refuser au désir d'Élisabeth.</p>
-
-<p>Nous entrâmes dans une prison obscure. Justine était assise dans un
-coin, sur la paille, les mains retenues par des menottes, et la tête
-appuyée sur les genoux. Elle se leva en nous voyant entrer. Lorsque
-nous fûmes seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d'Élisabeth, en
-pleurant amèrement. Ma cousine ne put retenir ses pleurs.</p>
-
-<p>«Ah! Justine, dit-elle, pourquoi m'as-tu enlevé ma dernière
-consolation? Je croyais à ton innocence; avec cette pensée, j'étais
-bien malheureuse, mais je ne l'étais pas autant que je le suis à
-présent».</p>
-
-<p>&mdash;«Et croyez-vous aussi que je sois criminelle? Vous joignez-vous
-aussi à mes ennemis pour m'accabler»? Sa voix fut étouffée par ses
-sanglots.</p>
-
-<p>&mdash;»Lève-toi, ma pauvre fille, dit Élisabeth; pourquoi es-tu à
-genoux, si tu es innocente? Je ne suis pas au nombre de tes ennemis; je
-t'ai crue innocente, contre toutes les apparences, jusqu'au moment où
-j'appris que tu avais toi-même déclaré ton crime. Ce bruit est faux,
-dis-tu; sois bien persuadée, ma chère Justine, que ton aveu seul a pu
-ébranler un moment la confiance que tu m'inspires».</p>
-
-<p>«J'ai fait un aveu; mais un aveu mensonger. Je l'ai fait, afin
-d'obtenir grâce; et maintenant ce mensonge pèse plus sur mon cœur que
-toutes mes fautes. Que le Dieu du ciel me pardonne! Depuis ma
-condamnation, je suis sans cesse assiégée par mon confesseur. Il m'a
-effrayée et menacée, au point que déjà je m'imaginais être le
-monstre dont il me parle incessamment. Il m'a menacée de
-l'excommunication et des feux de l'enfer, si je persévérais dans mes
-dénégations. Ma chère demoiselle, je n'avais personne pour me
-soutenir; tout le monde me regardait comme une misérable, vouée à
-l'ignominie et à la mort. Que pouvais-je faire? Dans un moment que je
-déteste, je souscrivis à un mensonge; et c'est seulement à présent
-que je suis vraiment à plaindre».</p>
-
-<p>Elle s'arrêta pour fondre en larmes, et poursuivit en ces termes:
-«J'ai pensé avec horreur, mon excellente demoiselle, que vous me
-soupçonneriez d'un crime que le démon seul peut avoir commis; moi qui
-avais su mériter l'estime de votre bienheureuse tante, et votre
-affection personnelle. Cher Guillaume! bienheureux enfant, je le
-reverrai bientôt dans le ciel, où la paix nous est réservée; et
-c'est ma consolation, au moment où je vais souffrir l'ignominie et la
-mort».</p>
-
-<p>&mdash;«Ah! Justine! pardonne-moi d'avoir pu un moment manquer de confiance
-en toi. Pourquoi faire un aveu? mais ne t'afflige pas, ma chère fille;
-je proclamerai partout ton innocence, et je forcerai d'y croire.
-Cependant il faut que tu meures; toi, ma compagne, toi qui étais pour
-moi plus qu'une sœur. Je ne pourrai survivre à un malheur aussi
-affreux».</p>
-
-<p>«Ma chère, ma bonne Élisabeth, ne pleurez pas. Vous devriez me donner
-du courage en me parlant d'une meilleure vie, et m'élever au-dessus des
-misères de ce monde d'injustice et de malheur. Mon excellente amie,
-livrez pas au désespoir».</p>
-
-<p>&mdash;«Je tâcherai de te consoler; mais je crains que ce malheur ne soit
-trop profond et trop cruel pour admettre aucune consolation, car il ne
-reste aucun espoir. Cependant, ma chère Justine, puisse le ciel
-t'envoyer la résignation, et élever ton âme au-dessus de ce monde.
-Ah! combien je hais ses parades si vaines et si dérisoires! Une
-personne est-elle assassinée? une autre est aussitôt privée de la vie
-en souffrant de longues tortures. Alors, les bourreaux, les mains encore
-teintes du sang de l'innocence, se persuadent qu'un tel acte est bien
-grand, et l'appellent compensation. Nom odieux! dès qu'il est
-prononcé, je sais qu'on va infliger des châtiments plus grands et plus
-affreux, que n'en a jamais inventé le tyran le plus cruel pour
-rassasier sa vengeance. Ce que je dis n'est pas pour te consoler, ma
-Justine, à moins que tu ne te réjouisses de sortir d'un séjour aussi
-malheureux. Hélas! plût à Dieu que je reposasse en paix avec ma tante
-et mon aimable Guillaume, loin d'un monde qui m'est odieux, et des
-hommes que j'abhorre».</p>
-
-<p>Justine sourit languissamment.</p>
-
-<p>&mdash;«Voilà, ma chère demoiselle, du désespoir et non de la
-résignation. Il ne faut pas que je suive l'exemple que vous me montrez.
-Parlez de ce qui peut me donner du calme, et non de ce qui sert à
-augmenter ma douleur».</p>
-
-<p>Pendant cette conversation, je m'étais retiré dans un coin de la
-prison, pour cacher les horribles angoisses auxquelles j'étais en
-proie. Du désespoir! qui osait en parler? la pauvre victime, qui le
-lendemain allait franchir l'effrayante limite qui sépare la vie de la
-mort, n'éprouvait pas comme moi une agonie profonde et déchirante. Mes
-dents tremblaient les unes contre les autres; un soupir s'exhala du fond
-de mon cœur. Justine tressaillit, me reconnut, s'approcha de moi, et
-dit: «Mon cher monsieur, vous êtes bien bon de venir me visiter; vous
-ne croyez pas, j'espère, que je sois coupable». Je ne pus
-répondre.&mdash;«Non, Justine, dit Élisabeth, il est plus convaincu de ton
-innocence que je ne l'étais; car même après ton aveu, il ne voulait
-pas y ajouter foi».</p>
-
-<p>&mdash;«Je le remercie sincèrement. Dans ces derniers moments, j'ai la plus
-grande reconnaissance pour ceux qui ont de moi une opinion favorable.
-Que l'affection des autres est douce pour une malheureuse comme moi!
-elle me soulage de plus de la moitié de mes maux; et je sens que je
-puis mourir en paix, à présent que mon innocence est reconnue par
-vous, ma chère dame, et par votre cousin».</p>
-
-<p>Ainsi, la pauvre victime cherchait, en consolant les autres, à se
-consoler elle-même. Elle trouva enfin la résignation qu'elle désirait.
-Et moi, le véritable meurtrier, je sentis le remords s'élever dans mon
-sein: remords impérissable qui devait ne me laisser ni espérance, ni
-consolation. Élisabeth, en larmes, était aussi plongée dans
-l'affliction; mais sa douleur était celle de l'innocence, et semblable
-à ce nuage qui obscurcit un moment les rayons de la lune, la cache pour
-un moment, et ne peut en ternir l'éclat. L'horreur et le désespoir
-avaient pénétré dans le fond de mon cœur; je portais en moi-même un
-enfer que rien ne pouvait éteindre. Nous restâmes plusieurs heures
-avec Justine, et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'Élisabeth put
-s'en éloigner. «Je voudrais, s'écria-t-elle, mourir avec toi; je ne
-puis vivre dans ce monde de misère».</p>
-
-<p>Justine affecta un air de gaîté, tout en retenant avec difficulté des
-larmes amères. Elle embrassa Élisabeth, en disant, d'une voix à
-moitié étouffée: «Adieu, bonne et chère Élisabeth, ma tendre et
-unique amie. Puisse le ciel dans sa bonté vous bénir et vous
-conserver! puisse ce malheur être le dernier dont vous ayez à
-souffrir! Vivez, soyez heureuse; et que les autres soient heureux par
-vous».</p>
-
-<p>En quittant la prison, Élisabeth me dit: «Vous ne savez pas, mon cher
-Victor, combien je suis soulagée, à présent que je suis convaincue de
-l'innocence de cette malheureuse fille. Il n'y aurait plus eu de bonheur
-pour moi, si j'avais été trompée dans ma confiance en elle. Dans le
-moment où je la croyais coupable, j'éprouvais une angoisse que je
-n'aurais pu supporter long-temps. Maintenant mon cœur est soulagé.
-L'innocente souffre; mais celle que je croyais aimable et bonne n'a pas
-trahi la confiance que j'avais en elle; et je suis consolée».</p>
-
-<p>Aimable cousine! telles étaient vos pensées, douces comme vos yeux et
-votre voix. Mais moi... j'étais un malheureux dont la douleur en ce
-moment, était au-dessus de toute imagination.</p>
-
-
-
-
-<h4>FIN DU TOME PREMIER</h4>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Frankenstein, ou le Prométhée moder
-e Volume 1 (of 3), by Mary Wollstonecraft Shelley
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK FRANKENSTEIN ***
-
-***** This file should be named 62404-h.htm or 62404-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/6/2/4/0/62404/
-
-Produced by Laura Natal Rodrigues at Free Literature (Images
-generously made available by Gallica, Bibliothèque nationale
-de France.)
-
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions
-will be renamed.
-
-Creating the works from public domain print editions means that no
-one owns a United States copyright in these works, so the Foundation
-(and you!) can copy and distribute it in the United States without
-permission and without paying copyright royalties. Special rules,
-set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to
-copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to
-protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project
-Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you
-charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you
-do not charge anything for copies of this eBook, complying with the
-rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose
-such as creation of derivative works, reports, performances and
-research. They may be modified and printed and given away--you may do
-practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is
-subject to the trademark license, especially commercial
-redistribution.
-
-
-
-*** START: FULL LICENSE ***
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
-
-To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free
-distribution of electronic works, by using or distributing this work
-(or any other work associated in any way with the phrase "Project
-Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project
-Gutenberg-tm License (available with this file or online at
-http://gutenberg.org/license).
-
-
-Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm
-electronic works
-
-1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm
-electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to
-and accept all the terms of this license and intellectual property
-(trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all
-the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy
-all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession.
-If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project
-Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the
-terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or
-entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8.
-
-1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be
-used on or associated in any way with an electronic work by people who
-agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few
-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement
-and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic
-works. See paragraph 1.E below.
-
-1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation"
-or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project
-Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the
-collection are in the public domain in the United States. If an
-individual work is in the public domain in the United States and you are
-located in the United States, we do not claim a right to prevent you from
-copying, distributing, performing, displaying or creating derivative
-works based on the work as long as all references to Project Gutenberg
-are removed. Of course, we hope that you will support the Project
-Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by
-freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of
-this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with
-the work. You can easily comply with the terms of this agreement by
-keeping this work in the same format with its attached full Project
-Gutenberg-tm License when you share it without charge with others.
-
-1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern
-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in
-a constant state of change. If you are outside the United States, check
-the laws of your country in addition to the terms of this agreement
-before downloading, copying, displaying, performing, distributing or
-creating derivative works based on this work or any other Project
-Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning
-the copyright status of any work in any country outside the United
-States.
-
-1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg:
-
-1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate
-access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently
-whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the
-phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project
-Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed,
-copied or distributed:
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
-almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
-re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
-with this eBook or online at www.gutenberg.org/license
-
-1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived
-from the public domain (does not contain a notice indicating that it is
-posted with permission of the copyright holder), the work can be copied
-and distributed to anyone in the United States without paying any fees
-or charges. If you are redistributing or providing access to a work
-with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the
-work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1
-through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the
-Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or
-1.E.9.
-
-1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted
-with the permission of the copyright holder, your use and distribution
-must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional
-terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked
-to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the
-permission of the copyright holder found at the beginning of this work.
-
-1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm
-License terms from this work, or any files containing a part of this
-work or any other work associated with Project Gutenberg-tm.
-
-1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this
-electronic work, or any part of this electronic work, without
-prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with
-active links or immediate access to the full terms of the Project
-Gutenberg-tm License.
-
-1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary,
-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any
-word processing or hypertext form. However, if you provide access to or
-distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than
-"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version
-posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org),
-you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a
-copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon
-request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other
-form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm
-License as specified in paragraph 1.E.1.
-
-1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying,
-performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works
-unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9.
-
-1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing
-access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided
-that
-
-- You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from
- the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method
- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is
- owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he
- has agreed to donate royalties under this paragraph to the
- Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments
- must be paid within 60 days following each date on which you
- prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax
- returns. Royalty payments should be clearly marked as such and
- sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the
- address specified in Section 4, "Information about donations to
- the Project Gutenberg Literary Archive Foundation."
-
-- You provide a full refund of any money paid by a user who notifies
- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
- does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm
- License. You must require such a user to return or
- destroy all copies of the works possessed in a physical medium
- and discontinue all use of and all access to other copies of
- Project Gutenberg-tm works.
-
-- You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any
- money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days
- of receipt of the work.
-
-- You comply with all other terms of this agreement for free
- distribution of Project Gutenberg-tm works.
-
-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm
-electronic work or group of works on different terms than are set
-forth in this agreement, you must obtain permission in writing from
-both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael
-Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the
-Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
-
-1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable
-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-public domain works in creating the Project Gutenberg-tm
-collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic
-works, and the medium on which they may be stored, may contain
-"Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or
-corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual
-property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a
-computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by
-your equipment.
-
-1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right
-of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project
-Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project
-Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all
-liability to you for damages, costs and expenses, including legal
-fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT
-LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE
-PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE
-TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE
-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
-INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH
-DAMAGE.
-
-1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a
-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium with
-your written explanation. The person or entity that provided you with
-the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a
-refund. If you received the work electronically, the person or entity
-providing it to you may choose to give you a second opportunity to
-receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy
-is also defective, you may demand a refund in writing without further
-opportunities to fix the problem.
-
-1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth
-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
-WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO
-WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages.
-If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the
-law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be
-interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by
-the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any
-provision of this agreement shall not void the remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance
-with this agreement, and any volunteers associated with the production,
-promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works,
-harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees,
-that arise directly or indirectly from any of the following which you do
-or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm
-work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any
-Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
-
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of computers
-including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
-because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
-people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
-To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
-and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
-Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
-http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
-permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
-Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
-throughout numerous locations. Its business office is located at
-809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
-business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
-information can be found at the Foundation's web site and official
-page at http://pglaf.org
-
-For additional contact information:
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To
-SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
-particular state visit http://pglaf.org
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations.
-To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
-
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
-works.
-
-Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
-concept of a library of electronic works that could be freely shared
-with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
-Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
-
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
-unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
-keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
-
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
-
- http://www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
-
-</pre>
-
-</body>
-
-</html>
diff --git a/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg b/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg
deleted file mode 100644
index 07185aa..0000000
--- a/old/62404-h/images/frankenstein01_cover.jpg
+++ /dev/null
Binary files differ